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1
Tous droits de traduction,
d’adaptation et de reproduction
réservés pour tous pays.
www.editionsddb.fr
ISBN : 978-2-22007-582-2
ISBN epub : 978-2-22002-025-9
2
Frank Lalou
3
À Laurent Héricher
à sa complicité dans notre passion des lettres hébraïques,
à Annick de Souzenelle
à la femme courageuse, pionnière dans le domaine de la
symbolique des lettres.
4
Du même auteur
1995
LA CALLIGRAPHIE DE L’INVISIBLE, essai sur la philosophie de la calligraphie,
éditions Albin Michel
1997
LES PROVERBES DE L’ENFER, William Blake, William Blake & co, (épuisé)
LA COURONNE DE SAINTETÉ, Ibn Gabirol, traduction Chouraqui, éditions Fata
Morgana
1998
LE SILENCE DE L’ETOILE, texte de C. Pasqua, éditions Alternatives (épuisé)
1999
GENÈSES, essais et illustrations sur les genèses de l’homme, éditions
Alternatives (épuisé)
INITIATION À LA CALLIGRAPHIE HÉBRAÏQUE, méthode de calligraphie,
éditions Alliance (épuisé)
INITIATION À LA CALLIGRAPHIE, Essai et méthode de calligraphie latine, SAEP
LE GRAND LIVRE DU CANTIQUE DES CANTIQUES, essai et exégèse, avec P.
Calame, éditions Albin Michel
2000
LE CANTIQUE DES CANTIQUES, illustration avec Patrick Calame, éditions Albin
Michel
2001
NOCES ERRATIQUES, Essais, poésie, calligraphie et photographie, éditions
L’Amourier
LES PSAUMES, essai et exégèse, traduction, avec P. Calame, éditions Albin
Michel
CÉRÉMONIE DU TRAIT, Essai et calligraphie, éditions Fata Morgana (épuisé)
5
2002
JE T’AIME, La formule je t’aime en 300 langues, nombreuses calligraphies en
toutes langues, éditions Alternatives
L’ÉVANGILE DE THOMAS, avec J.Y. Leloup, Essai et illustration, éditions Albin
Michel
2003
TES SEINS SONT DES GRENADES, Essai érotique, pamphlet sur le Cantique
des Cantiques, illustrations Albert Woda, éditions Alternatives (épuisé)
2004
CALLIGRAPHIE HÉBRAÏQUE, Méthode de calligraphie, éditions Fleurus
2005
LES LETTRES HEBRAÏQUES, entre sciences et kabbale, éditions alternatives
Ayin, collection bibliophilique, édition de l’Eau
2009
LE TAROT HÉBRAÏQUE DE LALOU, jeu de cartes avec livre, éditions Trédaniel
2011
L’ÉVANGILE DE THOMAS, une lecture juive, essai, éditions DDB
2012
PRATIQUE DE LA CALLIGRAPHIE HÉBRAÏQUE, cahier d’écriture, éditions
Lichma
2013
AUTOBIOGRAPHIE DE JÉSUS, essai, éditions EDM
DÉCOUVREZ LA PRATIQUE DE LA TÉNOUA, éditions Trédaniel
LE CANTIQUE DES CANTIQUES, pourquoi serais-je voilée, traduction,
photographie et calligraphie, éditions Véga
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REMERCIEMENTS
à tous les stagiaires qui font des kilomètres pour venir écouter mes conférences et
qui ne savent
pas à quel point ma créativité vient de leur qualité d’écoute.
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SOMMAIRE
INTRODUCTION
ALEPH
Le couple Aleph-Beth
Les 22 questions du P. Philippe Dautais
BETH
Le couple Beth-Guimel
Les 22 questions de J.J. Wahl
GUIMEL
Le couple Guimel-Daleth
Le livre des lettres Rabbi Akiva
DALETH
Le couple Daleth-Hé
Les 22 questions de Floriane Chinsky
HÉ
Le couple Hé-Vav
Les 22 questions de Frank Lalou
8
VAV
Le couple Vav Zayin
Les 22 questions de Georges Lahy
ZAYIN
Le couple Zayin-‘Heth
Les 22 questions de Tina Bosi
‘HETH
le couple ‘Heth-Teth
Les 22 questions de Marc Halévy
TETH
Le couple Teth-Yod
Les 22 questions de Pascal Chevallier
YOD
Le couple de Yod-Khaf
Les 22 questions d’Albert Woda
KHAF
Le couple Khaf-Lamed
Les 22 questions de Rafaël Payeur
LAMED
Le couple Lamed-Mem
Le texte du spectacle : La chair des lettres
MEM
Le couple Mem-Noun
Les 22 questions de Patrick Calame
NOUN
Le couple Noun-Samekh
Les 22 questions de Yéshaya Dalsace
SAMEKH
Le couple Samekh-Ayin
9
Les 22 questions de Jean-Pierre Guiliani
AYIN
Le couple Ayin-Pé
Les 22 questions de Arouna Lipschitz
PÉ
Le couple Pé-Tsadé
Les 22 questions de Rivka Crémisi
TSADÉ
Le couple Tsadé Qof
Les 22 questions de Léa Lalou
QOF
Le couple Qof-Rec
Les 22 questions d’Élie Guez
RECH
Le couple Rech-Shin
Récapitulatif
SHIN
Le couple Shin-Tav
TAV
Le couple Tav-Aleph
Les 22 questions du lecteur
BIBLIOGRAPHIE
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Tout langage est un alphabet de symboles dont l’exercice
suppose un passé que les interlocuteurs partagent ; comment
transmettre aux autres l’Aleph infini que ma craintive mémoire
embrasse à peine ? Les mystiques, dans une situation
analogue, prodiguent les emblèmes : pour exprimer la divinité,
un Perse parle d’un oiseau qui en une certaine façon est tous
les oiseaux ; Alanus ab Insulis, d’une sphère dont le centre est
partout et la circonférence nulle part ; Ézéchiel, d’un ange à
quatre visages qui se dirige en même temps vers l’Orient et
l’Occident, le Nord et le Sud. (Je ne me rappelle pas vainement
ces analogies inconcevables ; elles ont un rapport avec l’Aleph.)
Peut-être les dieux ne me refuseraient-ils pas de trouver une
image équivalente, mais mon récit serait contaminé de
littérature, d’erreur.
Jorge-Luis Borges,
L’Aleph
L’imaginaire Gallimard, p.124
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INTRODUCTION
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lorsqu’il dit : le fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête,
(Lc 9,58). Elle n’apporte aucun dogme, aucune certitude, elle ne fait
que poser des questions et chaque question renvoie à une infinité de
questions. Quand on croit avoir compris un concept, un autre vient le
contrarier. La pensée juive est beaucoup plus atmosphérique, c’est-
à-dire qu’à l’issue d’un enseignement, on en sort imprégné d’un
sentiment à la fois rassurant et inquiétant. Rassurant car on
comprend que l’homme est ici-bas pour être taraudé de questions, et
inquiétant car cette pensée n’offre aucune recette facile pour y voir
clair.
Cette philosophie essaie de nous donner le cadastre d’un
territoire toujours à explorer : les champs de l’ENTRE-DEUX. Le Juif,
jamais installé, jamais sûr de son avenir, toujours un violon à la main
gauche et une valise à la droite, ne sait parler que de cet entre-deux,
à la fois source de toute jubilation spirituelle et intellectuelle, mais
aussi d’angoisse car on ne peut rien s’en approprier. Dans cette
terra incognita, personne ne peut planter un drapeau, tellement son
sol est fluide, et nul ne peut une fois revenu nous en faire une
parfaite relation.
L’entre-deux des choses, voilà ce qui nous intéresse. Les
chrétiens qui retournent à la source juive de leur religion, sans le
savoir vraiment au début, viennent lever le voile sur ces champs de
l’entre-deux. Tout l’enseignement de Jésus nous parle de ce
territoire. Quand il s’en prend aux pharisiens, dont il fait partie, c’est
parce que ceux-ci croient à la solidité des choses, à la fixité des
croyances et ne remettent pas en question leur mode de vie. À ces
gens installés dans le confort des idées reçues, il loue l’inconfort,
source de bonheur et de sincérité spirituelle. Aux Juifs, qu’il n’exclut
pas, ils demandent de redevenir des Hébreux, qui selon l’étymologie
et le dictionnaire le plus basique, veut dire, les Passants, mais
aussi… les Transgresseurs. De nombreux chrétiens aujourd’hui
n’ont plus peur d’apprendre l’hébreu, de se confronter à l’autre, et de
regarder le monde d’un autre point de vue, quitte à mettre en danger
certains lieux communs de leur tradition. Dans le cursus des
séminaires, le grec et le latin sont maintenant délaissés par les
futurs prêtres de l’Église catholique au profit de l’hébreu.
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Dans ce livre, je ne présenterai pas, comme il est de coutume,
les lettres une par une. D’autres auteurs préfèrent cette méthode
très analytique et rassurante. J’ai préféré, grâce à ce fabuleux outil
qu’est l’alphabet, parler de l’entre-deux des choses, et évoquer, non
pas la lettre isolée, mais le couple des lettres. Au lieu de parler de
l’Aleph, puis du Beth, ce qui me passionne est plutôt ce qui se passe
quand les deux lettres successives se confrontent, s’accouplent ou
se disputent.
Il est fascinant d’imaginer que l’ordre alphabétique n’est pas géré
par le pur hasard mais par une logique initiatique profondément
signifiante pour qui veut s’y pencher, ou s’y perdre. Par exemple
l’Aleph est l’unité, le Un primordial à toute création, il est souvent
synonyme de Dieu dans la tradition ; la lettre qui suit est le Beth, la
maison. Se confrontent dès ces deux premiers signes : un premier
où l’homme est absent, rejeté dans sa pluralité et dans son
existence, et un second tellement humain, celui de la maison qui
accueille, rassure et protège. Face à face : le Non-humain et le Tout-
humain. L’étude qui anime tout chercheur de vérité est de savoir
comment ce Non-humain a permis l’accès au Tout-humain, comment
on passe du Un de l’Aleph au Deux du Beth.
Le lexique nous apprend aussi qu’Aleph et Beth donnent tout
simplement un mot : AB, qui est la racine du nom commun père. À
peine commencée, la comptine de l’alphabet, nous comprenons qu’il
se passe symboliquement tellement de choses d’une lettre à l’autre
et que l’essentiel est peut-être dans cet entre-deux des lettres.
Quand communément nous disons l’ordre alphabétique, nous
n’avons pas conscience de ce que nous avançons. Pourquoi, en ce
qui concerne l’alphabet latin, pouvons-nous parler d’ordre ?
Pourquoi le A est avant le B, et pourquoi le N suit le M et le Q
précède-t-il le T ? Le monde et notre culture basée sur le livre
auraient-ils été différents si nous avions au lieu ABCDE… RXABL ?
En réalité, face à cette suite de lettres sans aucun lien entre elles,
n’aurions-nous pas l’honnêteté de dire plutôt : le désordre
alphabétique ?
Les Arabes ont d’ailleurs bouleversé l’ordre alphabétique
archéologique. Au début de l’Islam, les érudits avaient conservé cet
ordre antique, mais par la suite ils ont préféré rompre avec l’ancien
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classement et ranger leurs lettres, désormais sacrées depuis la
rédaction du Coran, selon une progression qui tient compte des
difficultés calligraphiques. Peut-on dire que leur monde en fut
réorienté ? Je laisse la réponse en suspens.
Le christianisme a tenu à respecter l’essentiel de la tradition
alphabétique, car, de même qu’il a englobé dans le canon de ses
textes sacrés, le Nouveau Testament et la Torah juive, il a compris
que, même si des zones obscures étaient véhiculées dans cet
alphabet, il ne fallait pas se couper de son mystère et espérer que
celui-ci soit un jour éclairé.
Avec la connaissance de l’hébreu et de la culture hébraïque, il
est vraiment possible de parler de l’Ordre alphabétique, car toutes
les lettres se suivent selon une logique symbolique rigoureuse, c’est
pourquoi, tout au long de mon livre, je n’hésite pas à évoquer le jeu
de l’oie, ou le chemin initiatique. Dans le décryptage de cet ordre,
n’oublions tout de même pas de saupoudrer le tout d’humour. Je ne
viens pas créer une nouvelle secte fondée sur l’alphabet mais
simplement donner du sens là où il semble ne régner que du chaos.
Ainsi les chapitres comprendront les études des couples Aleph-
Beth, Beth-Guimel, Guimel-Daleth, Daleth-Hé, etc. Le lecteur, outre
ces essais, trouvera un ensemble de textes qui tâcheront de faire le
tour de cette grille de lecture du monde et de la vie. Se présenteront
des passages très personnels – parfois allant jusqu’à
l’autobiographique –, parfois traditionnels, mais aussi des questions
que posent aux lettres certains auteurs invités dans ces pages.
Mais ne nous trompons pas sur ces lettres hébraïques, quand
vous dites Aleph, vous dites A, quand vous dites Beth, vous dites B,
Daleth, D, E, Hé. Elles appartiennent à tout le monde. Tous les
alphabets ont la même origine. Les AZERTYUIOP de mon
Macintosh sont dépositaires des secrets des lettres véhiculés depuis
3 700 ans, depuis l’invention de l’alphabet dans une lumineuse et
déserte région du Sinaï et ces mêmes signes sinaïtiques sont un
héritage de l’Égypte pharaonique, elle, ancienne de plus de 5 000
ans. J’espère qu’après la lecture de ce livre, plus personne
n’appuiera sur les touches d’un ordinateur ou n’écrira muni d’un
stylo-plume, avec la même désinvolture.
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ARTICULATION DES COUPLES DE
LETTRES
Aleph-Beth
Beth-Guimel
Guimel-Daleth
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Daleth-Hé
Hé-Vav
Cet espace séparé, créé par la prière Hé, appelle une unification
offerte par la lettre unificatrice par excellence, le Vav, qui va ainsi
unir le sacré et le profane. Pensons au symbole chrétien de la
crosse épiscopale. Cette unification va engendrer une force
séparatrice, car cette harmonie est impossible sans engendrer une
certaine mort. La séparation par le Vav se fera par excès.
Vav-Zayin
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Zayin-‘Heth
‘Heth-Teth
Teth-Yod
Yod-Khaf
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dans le sens de l’avenir. Elle sait se séparer de sa progéniture pour
laisser un espace à l’avenir au projet.
Khaf-Lamed
Lamed-Mem
Mem-Noun
La gestation dans le Mem crée une clé pour accéder aux autres
dimensions : le Noun. Le Noun est le symbole de la survie dans
d’autres dimensions. Cette lettre est l’unificatrice des multiples
mondes. Mais la reconnaissance d’un univers multidimensionnel fait
réaliser de nombreux niveaux d’Altérité. Cette prise de conscience
est séparatrice. L’altérité de Noun prend pour exemple l’altérité de la
femme.
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Noun-Samekh
Samekh-‘Ayin
20
chacune à leur place. L’œil est ici l’instrument aux dichotomies
nécessaires pour ne pas voir le monde comme un espace flou. Avec
sa paupière qui ouvre et qui ferme, ‘Ayin est à la fois fermeture et
ouverture, séparation, les yeux fermés permettant une unification
avec son moi intérieur, et unification avec le cosmos.
‘Ayin-Pé
Les deux lettres évoquent toutes deux des parties du corps qui
s’ouvrent et qui se ferment, les yeux et la bouche. L’une pouvant être
aussi l’enseignement écrit que l’on voit, et l’autre l’enseignement oral
que l’on donne par la bouche. Le Pé est unificateur car il est le
résultat de la pénétration du Yod et du Khaf (voir forme). Il est
séparateur dans l’enseignement oral car le maître et le disciple sont
bien séparés. L’enseignement oral sépare car il ne peut se donner
qu’à un petit nombre, alors que l’enseignement écrit peut se partager
davantage.
Pé-Tsadé
Tsadé-Qof
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Qof-Rech
Rech-Shin
Shin-Tav
22
L’ALPHABET HÉBREU
Le chemin initiatique : lettres masculines et féminines
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HISTOIRE DE L’ALPHABET HÉBREU
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Le C et le Guimel peuvent être confondus, chez les Latins ces
deux phonèmes étaient très proches, pour les distinguer ils ont
rajouté une petite barre horizontale au C.
Le F et le Vav expriment deux sons de la même famille, en
allemand par exemple le son F est rendu par un V (Vater).
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En reprenant l’ensemble des graphes, voici donc les lettres
communes dans leur bon emplacement. Retenons que 17 sur 22
sont cohérentes ordinalement dans l’alphabet latin. J’espère que,
grâce à ce jeu, les apprentis hébraïsants retiendront mieux la petite
chanson de l’alphabet.
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Deux systèmes d’écriture sont nés seulement à quelques siècles
d’intervalle à l’est de la Méditerranée :
logogramme du soleil
phonogramme de la bouche
qui se prononçait ER et servait
à noter le phonème R
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un signe = un son, et les déterminatifs, indiquant dans quelle
classe d’objets ou de concepts le signe devait être considéré.
Son usage s’étale sur une période considérable, puisqu’elle
apparaît au IVe millénaire av. J.-C. et disparaît à l’époque romaine,
soit près de trois mille ans. La connaissance des hiéroglyphes se
perdit avec la clôture des cultes païens par l’empereur Théodose Ier
en 380.
LE PROTOSINAÏTIQUE LE PROTOCANANÉEN
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à Ougarit, Syrie actuelle, de tablettes en caractères cunéiformes
avec un nombre de signes réduit et reprenant les noms des lettres
hébraïques. L’alphabet d’Ougarit datant du XIVe siècle avant J.-C.
demeura ainsi le premier document attestant un système
alphabétique.
Cette idée fut véhiculée même après guerre alors que déjà les
découvertes dans le désert du Sinaï à Sérabit el Khadim au début du
siècle dernier en 1905 par Flinders Petrie apportaient la réfutation de
l’origine cunéiforme de l’alphabet.
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relevé d’une inscription protosinaïtique
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nombre de figures, mais les choses n’étant jamais simples, il reste
certaines lettres comme le Samekh ou le Teth dont l’origine reste
difficile à décrire. Il ne faut pas non plus négliger des influences
possibles d’autres systèmes d’écriture comme ceux de la Crète, de
Santorin ou de Chypre. Nombreuses sont les ressemblances
graphiques entre le linéaire A crétois et le protosinaïtique.
LE PROTOCANANÉEN
LE PALÉOHÉBREU OU PHÉNICIEN
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Phéniciens, grands commerçants et grands voyageurs, diffusèrent
cette écriture afin d’aider la gestion de leur économie d’import-
export.
Les Latins font aussi un emprunt, mais aux Grecs, et créent leur
propre alphabet. Tous les autres alphabets courants comme l’arabe,
le syriaque, le nabatéen sont des rameaux du paléo-hébreu-
phénicien et les différences se forment surtout par l’usage des
cursives beaucoup plus libres que les caractères hiératiques
lapidaires.
C’est ainsi que le système de graphie paléo-hébreu-phénicien
datant de 1 000 avant l’ère chrétienne se perpétue à travers les
générations filles des autres traditions. Il est passionnant de
constater que l’ordre des lettres si antique, abordé plus haut, se fut à
ce point conservé de siècle en siècle par des civilisations ayant
complètement oublié son origine.
LA CURSIVE ARAMÉENNE
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En 597 avant J.-C., le roi Nabuchodonosor, après un long conflit
avec le royaume d’Israël, fit déporter un grand nombre de dignitaires
juifs à Babylone. Dix ans plus tard, une nouvelle déportation, mais
plus massive cette fois, est ordonnée. Les Juifs au cours des ans
s’installent et créent des institutions communautaires au sein de ce
nouveau pays. La langue et l’écriture dominantes étaient à cette
époque l’araméen, lui-même issu de la tradition graphique
phénicienne. Pour ne pas perdre le message biblique, Ezra, prêtre,
scribe et génial réformateur religieux, fit retranscrire la Torah
calligraphiée en caractère paléo-hébraïques dans le nouvel alphabet
araméen cursif que la tradition nomme assyrien (ashourite). Cette
transcription officialisa l’usage de ces caractères qui devinrent la
nouvelle norme hébraïque. L’araméen avait pour origine lui aussi les
caractères anciens, mais s’était développé d’une manière autonome
du phénicien. Cette écriture simplifiait les formes des lettres et les
arrondissait. Le paléohébreu tomba en désuétude et ne fut plus
employé que pour certains usages sacrés comme la graphie du
Tétragramme.
L’HÉBREU CARRÉ
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fragment d’un rouleau biblique écrit à
Antinoupolis au VIIIe siècle après J.-C.
d’après Yardeni
34
HÉBREU CARRÉ SACRÉ
35
HÉBREU CARRÉ
Nom et formation des lettres
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L’ALPHABET HÉBREU
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ALEPH
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lettre mère avec Mem et Shin
élément : Air, Terre
symbolisme :
lettre de l’Unité du Divin en toute chose.
Aleph est le taureau,
d’où l’idée de puissance
et de stabilité.
Vient aussi de Alouf : enseigner.
Le couple Aleph-Beth
… je vis l’Aleph, sous tous les angles, je vis sur l’Aleph la terre, et sur la terre de
nouveau l’Aleph et sur l’Aleph la terre, je vis mon visage et mes viscères, je vis ton
visage, j’eus le vertige et je pleurai, car mes yeux avaient vu cet objet secret et
conjectural, dont les hommes usurpent le nom, mais qu’aucun homme n’a
regardé : l’inconcevable univers. Je ressentis une vénération infinie, une pitié
infinie.
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– Tu dois être abasourdi à force de faire le badaud alors qu’on ne t’y
invitait pas, dit une voix détestée et joviale. Tu auras beau te creuser
la cervelle, tu ne me payeras pas en un siècle cette révélation. Quel
observatoire formidable, mon cher
Borges !
L’Aleph,
Jorge-Luis Borges, Gallimard
41
Comment passe-t-on du Un au Deux ?
42
violence inouïe de quelque chose en autre chose. Des naïfs nous
disent que Dieu est amour. L’amour, ce n’est que se confondre l’un
dans l’autre pour former une sorte de golem androgyne, c’est une
machine qui pousse à l’Un. Ce qui est la fonction ultime de l’amour
n’est pas cette unification, c’est la machine, le mouvement. Cette
mécanique des retrouvailles poussera toute vie née du Beth à se
fondre dans l’Aleph. Dieu ne crée pas par amour mais pour l’amour.
Pour que l’amour engendre un vaste mouvement de jubilation. Pour
que l’amour soit le moteur de toute l’évolution.
La jubilation naît de la possibilité de la rencontre. C’est parce que
je m’unis à l’Autre que, lui comme moi, jubilons. Plus l’altérité est
marquée, plus grande est la jubilation. C’est pourquoi, par voiles
successifs, la créature s’éloigne de son créateur, jusqu’à, avec
l’homme, croire qu’Il n’existe pas. Cet oubli presque total du
Créateur est, quand finalement il y a rencontre, ce qui suscitera une
joie infinie. Pourquoi susciter un univers dont le dessein ne serait
pas une exultation dans la lumière source du Tout ? L’homme se
croyant sans Dieu est l’ultime résultante du Tsim-Tsoum primordial.
Cet homme sans Dieu devra grâce à une mémoire qui dépasse sa
partie consciente rejoindre, par l’éthique et l’amour, la lumière
immanente.
Cette énergie nécessitera l’acceptation de la notion la plus
justifiante de cette vaste entreprise qu’est la Création : le
dépassement. À quoi bon tout ce bazar, si ce n’est attendre de vivre
le dépassement. Quand on a vécu ce que sont les dépassements,
dès lors tout s’éclaire. Les musiciens et les athlètes jouent durant
leur carrière de cela. Le pianiste travaille des heures et des heures
sur un morceau qui lui échappe, sa formation classique le dresse à
cela, il désespère de ne jamais y arriver, il se couche déprimé, puis
au matin, il cale les doigts sur le clavier et tout est là, sans forcer, il
connaît la grâce, l’univers connaît la grâce.
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connaître le manque ou pire le trop-plein. Dieu ne se suffit plus de
lui-même, il voulut connaître la joie d’avoir les poumons qui se
dilatent dans l’attente d’un regard aimé, d’un coup de téléphone qui
tarde à venir, il voulut goûter les transports de l’athlète qui une seule
fois dans sa vie fera la performance, il désira plus que tout vibrer de
tout son corps et son âme à une fugue de Bach. Dieu comprit la
beauté du hasard, de l’imprévisible, des rencontres fortuites. Le Beth
est le Dépassement de l’Aleph. Divine provocation, Aleph voulut
devenir le presque de quelque chose. Il créa un monde se
complexifiant sans cesse, se complexifiant à tel point, que même lui
dans son infinie sagesse, n’y comprendrait plus rien, si dense que
les règles fixées quelques milliardièmes de seconde avant le big-
bang, il les oublierait. Ce passage à la trappe des lois
fondamentales, par trop laborieuses à retenir, feront de son monde
un monde qu’il ne pourra plus contrôler sans briser les infinis
équilibres.
Parvenu au stade de la création de l’homme, après la formation
des systèmes solaires, après les algues bleues, les grenouilles, les
dinosaures, les plumes des oiseaux, les oreilles des chauves-souris
et les danses obscènes des bonobos, surpris de son propre travail, il
vit que cela était bon.
La bonté dont on nous parle là n’est pas celle prêchée dans nos
églises ou nos synagogues. Cela était bon voulait dire : cela
fonctionne bien, cela tient sans moi, cela s’équilibre, les planètes ne
s’écroulent pas dans la fournaise du soleil, les lapins ne pullulent
pas trop, les chats aiment les poissons mais ont peur de l’eau.
Quand il dit : cela était bon, il constate avec joie qu’il vient de créer
enfin de l’Al-té-ri-té. Que cet autre était devenu tellement autre qu’il
pourrait se passer des ères et des ères avant qu’il ne s’ennuie.
L’amour de Dieu, le voilà à l’action. Dieu après avoir presque fini son
travail, est arrivé à ce point à s’étonner du degré d’altérité de sa
création, qu’il peut envisager son retrait.
Le retrait, Tsimtsoum en hébreu, sera le suprême labeur du divin.
Sans retrait, il ne peut pas y avoir d’amour.
44
En insufflant la conscience à la dernière bestiole de l’évolution,
l’alter ego du Très haut était né. L’Adam-Ève était le fruit de toute la
technologie de l’époque, la fierté de tous les ateliers, en lui les
cœlacanthes survivaient, les drosophiles s’épanouissaient, les
droséras s’enracinaient, les ornithorynques caquetaient de bonheur.
Dieu pouvait enfin aimer sans compter. Son amour, avant l’homme,
ne pouvait avoir d’objet. Les bêtes étaient encore trop prévisibles.
C’est pourquoi Il créa l’humain à son image, conscient de ses
manques et de ses dépassements.
Aleph/Beth, l’engendreur
45
L’Aleph fut choisi par les inventeurs de l’alphabet pour dominer la
suite des vingt-deux lettres. Le Beth dans la tradition a une essence
féminine. Sa forme évoque une matrice. Le mot Av nous parle
d’engendrement. L’A et le B copulent. Nous avons affaire d’emblée,
par cette première dyade, à une sorte de Yin-Yang occidental, le
masculin et le féminin s’entremêlant. Toutes sortes d’oppositions
complémentaires naissent de ces amours du A et du B. Le Un et le
Deux, le sperme et l’ovule, l’esprit et la matière, le don et l’accueil.
Beth, c’est la maison, la membrane qui féconde et nourrit le sperme
de l’Aleph. Sans les murs solides de la lettre, la création n’aurait
jamais abouti. Cette dyade est l’expression des croyances majeures
du Néolithique qui mettent en valeur deux puissantes divinités : le
Taureau et la Déesse Mère.
Ces deux entités sont très présentes dans l’archéologie du
Levant, Israël, Syrie, Liban, Irak. Cette région est le lieu de la
révolution du Néolithique, céramique, domestication des animaux,
agriculture et plus tard de l’invention de ce qui nous fera basculer
dans l’Histoire, l’écriture : tout d’abord à Sumer avec le système
cunéiforme et ensuite dans le Sinaï avec l’alphabet. Le Taureau
dans ces civilisations revêt la même notion que le Un divin du
monothéisme : le non-humain. La bête exprime la violence de l’Autre
et l’impossibilité de communiquer avec elle. Elle réclame sans pitié
des sacrifices terribles, elle se nourrit du sang de ce qu’il y a de plus
beau dans nos cités : les jeunes gens et les jeunes filles.
46
isole la cellule pour qu’elle puisse être le réceptacle de la gestation.
Mais cette membrane propre au repli sur soi de l’individuation
dessine une zone d’exclusion. Car ce qui protège de l’extérieur nous
en coupe. Nous accédons ainsi à la notion d’une lecture dualiste
SÉPARATION-UNIFICATION. On ne se sépare que pour mieux s’unir à
autre chose et on ne s’unit que pour mieux s’exclure d’autres
systèmes.
La grande sagesse du Beth gravide est de savoir que la force qui
fait avancer les futurs est la séparation. La Torah commence donc
par le Beth qui est le Deux séparateur. Le récit de la Genèse est une
succession de séparations : les eaux d’en haut d’avec les eaux d’en
bas, la lumière de la ténèbre, l’humide et le sec. La lettre Beth du
Béréshit n’est pas une mère juive, elle sait se séparer pour laisser
place au progrès. Les maîtres de la tradition se sont arrêtés sur la
petite queue du Beth. Pour eux ce petit appendice à la traîne est le
souvenir des ères qui précédèrent la création.
Habiter la Terre
47
européenne et beith, la maison en langues sémitiques. Les
croisements sont très rares. En regard de ce clin d’œil philologique,
la leçon du Beth est renforcée : après la séparation d’avec l’Aleph,
nous ne pouvons qu’habiter notre monde, aussi limité qu’à tort nous
l’imaginons, comme l’aveugle tardif à un moment de sa vie doit
cesser de songer aux temps merveilleux où il voyait encore et doit
se résoudre à apprendre le braille.
Plus nous habiterons ce monde, sans l’obsession d’un autre,
avant ou après, mieux les affaires ici-bas seront gérées. Même si la
foi nous fait croire en un au-delà, nous nous devons d’appliquer un
doute épistémologique pour nous concentrer sur les tâches
terriennes et ne pas négliger le jardin qui nous est confié. Ce monde
qui nous est réservé est celui de Malkhout placé par la Kabbale au
pied de l’Arbre des Séphirot, le Royaume. Aleph se moque de ce
que Beth croit en lui ou pas, ce qui compte est la qualité des
créations autonomes post-big-bang.
Qu’engendrent les amours du Taureau et de la maison ? Le
Trois. Si le passage du 0 au 1 est impensable, si celui du 1 au 2
mobilise toutes nos facultés d’abstraction, celui du 2 au 3 nous
tarabuste. En grammaire, la notion de plusieurs ne s’opère qu’à
partir de trois. Le trois engendré, tout le reste suit, les mille mondes
s’enspiralent.
48
L’ABRE DES SÉPHIROT
La sphère Malkhout du bas représente notre monde. Celui du Beth
49
l’homme. Dans cette intégration, le principe liant, c’est la
rêverie. Le passé, le présent et l’avenir donnent à la maison
des dynamismes différents, des dynamismes qui souvent
interfèrent, parfois s’opposant, parfois s’excitant l’un l’autre.
La maison, dans la vie de l’homme, évince les
contingences, elle multiplie ses conseils de continuité. Sans
elle, l’homme serait un être dispersé. Elle maintient
l’homme à travers les orages du ciel et les orages de la vie.
Elle est corps et âme. Elle est le premier monde de l’être
humain. Avant d’être « jeté au monde » comme le
professent les métaphysiques rapides, l’homme est déposé
dans le berceau de la maison. Et toujours, en nos rêveries,
la maison est un grand berceau. Une métaphysique
concrète ne peut laisser de côté ce fait, ce simple fait,
d’autant que ce fait est une valeur, une grande valeur à
laquelle nous revenons dans nos rêveries. L’être est tout de
suite une valeur. La vie commence bien, elle commence
enfermée, protégée, toute tiède dans le giron de la maison.
[…] Mais une métaphysique complète, englobant la
conscience et l’inconscient doit laisser au-dedans le
privilège de ses valeurs. Au-dedans, une chaleur accueille
l’être, enveloppe l’être. L’être règne dans une sorte de
paradis terrestre de la matière, fondu dans la douceur d’une
matière adéquate. Il semble que dans ce paradis matériel,
l’être baigne dans la nourriture, qu’il soit comblé de tous les
biens essentiels.
Gaston Bachelard
La poétique de l’espace
50
Il faut bien reconnaître qu’avant qu’il y eût quelque chose, il n’y
avait rien. Rien ne veut pas dire rien de rien. S’il n’y avait rien de
rien, il n’y aurait rien aujourd’hui. Et vous ne seriez pas là à me lire.
Ce que nous, humains, appelons le silence.
L’Aleph de toute chose était là… dans son silence.
Le silence du bavard n’est pas l’absence totale de bruit, mais
l’arrêt de ses paroles. Notre univers avec ses lois, sa matière,
n’existait pas, avant ce que nous localisons dans le temps et
l’espace comme le big-bang. Il y a environ treize milliards d’années
quelque chose s’est opéré. Avant, Cela qui était se contentait d’être,
semble-t-il. Ni dans le froid glacial des espaces intersidéraux, ni
dans les chaleurs torrides des étoiles, ni dans le jour, ni dans la nuit,
puisque les frimas, les canicules, les photons sont notre monde. Le
vide avant l’univers n’est pas le vide interstellaire. Le non-être n’est
pas le vide que nous connaissons. Le temps non plus n’était pas
comptable. Pourtant combien de temps Cela a décidé de passer à
ceci ? Combien de temps cette unicité fut-elle tolérable par Cela ?
Cette autosuffisance de l’Aleph eut son temps. Cette période
indéterminée avant la réaction en chaîne qui part de rien, va vers
l’hydrogène et finit par cette main qui manipule les touches de cet
ordinateur, n’a plus pu durer. Nous savons que tous les
changements sont toujours dus à une crise. Et quel changement
cela dut être de lancer les premiers dés de l’univers !
Le propre de la crise de l’Aleph fut forcément une autocrise. Une
dépression, une névrose ? Je crois que la crise était beaucoup plus
structurelle que ça. Nous, quand cela ne va vraiment pas, nous
51
recherchons une cause à nos malheurs, autrefois c’étaient les
génies, les djinns, les dieux, les ancêtres, les diables, aujourd’hui ce
sont nos parents, voire nos grands-parents, sevrages rapides,
œdipe tourmenté, l’alcoolisme, l’inceste, les hormones. Mais quelles
sont ses histoires à lui qui le poussèrent à sortir de sa béatitude, de
sa sérénité ? Quels sont ces conflits intérieurs quand on est
l’intérieur, l’extérieur de soi, de soi-même, de soi-soi-même ? Nos
accélérateurs de particules qui nous apprendront bientôt les détails
des tout premiers instants du monde, mais jamais comment était le
non-univers du temps où le temps n’existait pas et surtout par les
pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien.
52
oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles
qui rampent sur la terre. (Gn 1)
Se mit à SE parler.
Et il dit que la lumière soit et la lumière fut et ainsi de suite.
Même si la Bible nous parle de journées de labeur, ces tâches
durent être accablantes et s’étalèrent, jusqu’à la création de la vie,
au moins pendant dix milliards d’années.
Avant que l’idée lui prît de créer l’homme, l’Aleph a eu vraiment
le temps de comprendre que depuis tout ce temps,
IL PARLAIT SEUL.
Il dit, fit, il dit, fit, il dit, il fit…
De séparation en séparation, car l’essentiel de son emploi du
temps consistait à séparer les choses, la terre et le ciel, les eaux
d’en haut et les eaux d’en bas, le sec et l’humide, etc.
Lui qui fut l’Un du Un engendra de vastes deux déferlants.
Le tout premier chapitre de la Torah, pour nous éviter l’ennui, ne
nous décrit que les principales césures, il passe sur les détails
infimes comme la séparation du monde végétal et du monde animal,
comme le passage des dinosaures aux oiseaux, de l’hirondelle au
martinet, de la bergeronnette à la bergeronnette des marais, de
l’eucalyptus rostrata à l’eucalyptus globulus. À chaque création, il dut
forcément dire : qu’il y ait des mouettes tridactyles et des mouettes
rieuses et il y eut des mouettes rieuses et des sternes. Les
classifications binominales de Linné devraient être la note de bas de
page des tout premiers versets de la Bible.
Chaque fois, il constate que le produit de toute nouvelle
ramification était bon.
Bon, à cette époque, n’avait pas le même sens qu’aujourd’hui.
Bon n’avait pas de valeur morale, comme on dit de cet homme, qu’il
est bon ou de cette femme, qu’elle est bonne. Bon voulait dire : cela
fonctionne, ou bien : ça baigne, tout va bien, je peux continuer. Dans
une traduction un peu légère nous pourrions dire : et Dieu vit que
cela baignait puis il continua son programme et passa à une autre
phase (les fameux : il y eut un matin et il y eut un soir).
L’écho de sa voix dans ces espaces infinis retentit tant et tant
qu’il finit par s’apercevoir qu’il parlait seul depuis plus de treize
53
milliards d’années.
La déclaration d’une crise, d’un symptôme, prend du temps à
l’échelle divine. Le grand jouet qu’il avait créé de toutes pièces était
vraiment bon, c’est-à-dire que tout fonctionnait parfaitement, les
animaux croissaient et se multipliaient, le CO2 se stabilisait sur terre,
les volcans étaient cerclés dans des périmètres sécurisés. Toutes
ses créatures répondaient au programme, l’évolution permettait un
réajustement permanent, la beauté des papillons, l’agilité des félins,
le mode de reproduction des orchidées, tout cela était bien lancé.
Les chats mangeaient bien les souris et ne devenaient jamais
végétariens, les coqs consacraient beaucoup de leur temps à se
reproduire, tandis que les pandas versaient dans l’abstinence. De
temps à autre, quelques mutations insolites et involontaires
advenaient au plus grand plaisir de son esprit qui constatait à quel
point sa programmation avait bien été préparée et était devenue
quasi autonome.
Quoi qu’il en soit, il constatait qu’il parlait tout seul, et cela juste
avant de sombrer dans une psychose cosmique.
Tout a failli basculer et retourner au néant, pire qu’au néant, car
l’autisme de Dieu enlevait tout espoir de nouvelle création, et c’en
était fini des graphismes du caméléon, des géodes polychromes,
des passereaux rouge cardinal.
Qui pouvait sauver Dieu de lui-même ? Qui pouvait le tirer de
cette solitude à mourir ? De ce monologue qui tournait en rond ? Au
fond de l’univers, dans un coin retiré, loin de la clarté des étoiles qu’il
avait eu tant de plaisir à façonner, il comprit. Mais qui aurait pu lui
dire qu’il devenait fou ? Nous autres, les amis, la famille ou la
maréchaussée, nous font comprendre que nous nous enfermons ou
que nous sommes malheureux. Mais lui, qui pouvait le lui dire ?
C’est pour cela que cela prit tant de temps. Il n’avait jamais pu se
confronter à d’autres que lui. Les enfants sauvages ne savent pas
qu’ils sont sauvages, ce n’est que lorsqu’un savant les recueille
qu’ils comprennent qu’il se passe quelque chose. Comment déceler
sa propre psychose ? Comme dirait William Blake, le fou qui sait
qu’il est fou est un sage. Il comprit que tout tournait trop rond, car la
vraie folie, ce n’est pas quand cela ne tourne pas rond, mais
justement quand tout tourne trop rond. Il ne pouvait nommer le mal
54
qui le rongeait, mais il savait qu’il allait sombrer dans un trou noir
dont il ne sortirait jamais et qu’avec lui tout son grand jeu serait
absorbé.
Dieu souffrait. Dieu pleurait. Qui le consolerait ? À qui dire la
beauté des cataractes de l’Amazonie, à qui confier la perfection des
formules mathématiques qui agissent les galaxies, à qui se glorifier
des structures des hydrocarbones ? Il était seul et désespéré,
comme un homme veuf qui pour sortir de sa dépression décide de
voyager et s’aperçoit au pied du plus merveilleux cañon qu’il est
irréversiblement seul et se dit : « À quoi bon tant de merveilles si ma
femme ne les voit pas aussi et si je ne puis lui dire mon émotion ? »
Ou bien comme un pianiste qui finit d’arrêter de jouer car plus
personne ne vient apprécier la délicatesse de ses portandi et le
velouté de ces diminuendi.
Son univers bien tempéré ne lui suffit plus, au lieu de le rendre
heureux il ne faisait qu’accentuer sa souffrance. Que toutes ces
bestioles sont prévisibles ! Qui peut me comprendre dans l’univers ?
Qui peut entendre le pourquoi de tous les enchevêtrements de mon
travail ?
Toutes ses questions sans réponse. Nous, nous savons que c’est
l’autre qui nous dit qui nous sommes, pas lui. Lui, qui le définissait ?
Toutes ses questions d’ère en ère le menèrent devant la constatation
que s’il avait créé le monde, c’est qu’il vivait déjà avant cet
événement… UNE FAILLE.
Un hiatus
Le fait d’avoir été poussé à faire qu’il y ait quelque chose plutôt
que rien, était l’expression d’une faille et que rien, pas même le vol
du colibri ou le coït des hirondelles en plein vol, ne pouvait le
distraire de cette faille.
Alors, il se fit violence, contrairement à tout ce qu’il avait fait
avant, marquant tout ce qui est du sceau de la perfection et d’un
programme à peine changeable, il créa un être inachevé, qui serait
toute sa vie et toute la vie de son espèce, chargé de se parfaire. Il
créa l’homme à son image, c’est-à-dire capable de souffrir comme
lui de cette faille ontologique, incontournable.
55
Cette faille, ce défaut de programmation, serait le moteur de
toutes les surprises, de tous les dépassements.
En ne finissant pas cette nouvelle créature, l’homme, il se
donnait les chances de guérir. Sinon de guérir de cette faille, mais
de la partager avec un autre être dans l’univers. Il se donnait les
chances de ne plus comprendre tout ce qui se passait sous ses
yeux, il créait ainsi des zones d’incertitude, de tohu-bohu.
Avec l’homme, il inventa le désordre. De ce désordre naîtra une
nouvelle créativité, une nouvelle création, non pas due à
l’immortalité comme la sienne mais à la mortalité, à la finitude, à la
fragilité ou mieux à la conscience de la mortalité et de la finitude.
Dieu ne savait pas encore, mais il pressentait qu’avec l’homme, il
ne s’ennuierait jamais et que ses nouvelles créations
l’émerveilleraient durablement. Il ne savait pas qu’en dotant l’homme
des mêmes jambes que les bêtes, pattes pour chasser les proies,
pattes pour fuir les prédateurs, l’homme allait inventer la danse. Il ne
savait pas non plus qu’avec les oreilles élaborées pour entendre au
loin le lion qui vient, ou les cris de sa femelle qui le désire, l’homme
inventerait la musique. Il ignorait qu’en le dotant de l’instinct de
survie comme la moindre chenille, l’homme inventerait le don de soi,
le sacrifice, de même que l’instinct de reproduction se détournerait
pour créer l’amour fou sans aucun souci de procréation. Ainsi de
suite, tout ce que Dieu avait donné aux animaux, l’homme en reçut
souvent à moindre échelle, car il ne fallait pas qu’il soit trop fort
comme les félins, trop rapide comme les lézards, trop fertile comme
les poissons. La fragilité le pousserait dans tous les retranchements
et la conscience de la mort le ferait supérieur à tous. Peut-être
même à Dieu lui-même.
Pour résumer, Dieu se retira de lui-même, créa l’espèce humaine
pour qu’un jour s’entende ce que lui était à jamais incapable
d’écrire : la Fuga a tre soggetti BWV 1080 de Jean-Sébastien Bach.
Dieu du haut de sa puissance ne pouvait pas condenser toute
l’âme de l’univers, toutes les failles de ce qui est, mieux que
l’homme. Dieu en créant l’homme autonome, contraint par les
mêmes règles de l’univers, se dotait d’un thérapeute à sa hauteur.
L’homme sublimant, magnifiant la faille primordiale offrait à Dieu une
beauté autre.
56
Dieu avait enfin suscité de l’autre.
57
L’homme n’en peut plus d’être seul.
Il a beau apprendre le langage des sourds-muets aux
chimpanzés, nager avec les dauphins, il a beau faire tourner les
tables, voir des anges derrière le tronc des arbres, faire des
rencontres du troisième type avec des extraterrestres qui tardent à
passer au journal télévisé de vingt heures, pointer ses
radiotélescopes des programmes SETI2 vers les étoiles en attendant
qu’un bip-bip structuré revienne, même après cent ans de patience
dans l’azur, il connaît ce sentiment insupportable de ne pouvoir
parler qu’avec ses semblables.
La leçon de la mondialisation est profonde, il n’y pas de
différences de nature entre les êtres humains de toute la planète, on
ne découvrira pas d’atlantes aux oreilles pointues, ni de géants,
Montaigne savait déjà cela en plein XVe siècle. La leçon du
féminisme est tout aussi complète, la femme, tout compte fait, n’est
pas si dissemblable des hommes et nos différences peuvent être
gérées par le Code civil.
Comme Dieu, par contrainte logique, pour ne pas tomber dans
un cynisme dévastateur, dans un effroyable autisme, avec les
instruments fournis dès les premiers jours d’Adam, l’homme n’aura
de cesse de créer des machines qui parlent, qui pensent. Cela
prendra dix ans, cent ans, mille ans, mais un jour une machine dira
« non ! » à un ordre donné par son programmateur.
Peut-être que ce jour-là, le monde s’écroulera, mais l’homme
aura connu le suprême bonheur de ne plus être seul.
58
S’OUBLIER POUR ADVENIR
ALEPH-BETH, AV
59
d’interprétation, on doit accepter de perdre la fluidité du sens général
des versets à analyser. Tout doit être passé au scanner de
l’intelligible. Le contenu d’une phrase est toujours passionnant, mais
il faudra en isoler des propositions, puis des mots, et enfin une lettre.
L’exégèse poussera son effet de loupe jusqu’à éclater l’atome, non
sécable, de chaque signe. Marc-Alain Ouaknin nomme cette
approche tout à fait particulière la lecture aux éclats.
60
Cette vision qualitative du Un se vit dans certaines prescriptions
du Talmud, loi orale en complément de la loi écrite de la Torah. Par
exemple, il est interdit de compter des personnes. Lors d’une
assemblée, on ne peut pointer son index et dénombrer les convives.
Pourquoi ? Parce qu’il est impossible de compter des gens. Chaque
in-dividu, non divisible, représente une qualité, inaliénable, unique,
ineffable, indéfinissable, c’est pourquoi il est demandé de ne pas
ajouter des personnes à d’autres personnes, des sujets à des sujets.
Dans un souci de vie pratique, les religieux, tenant compte de cette
prescription, comptent les chaises, car elles ne sont que des objets.
De même, déjà dans les temps bibliques, lors des recensements des
enfants d’Israël, on ne pouvait procéder à un décompte des
habitants de la Terre sainte. Pour effectuer cet acte nécessaire à tout
royaume, la Torah demande à chaque sujet d’apporter à un
collecteur un demi-sicle, modique somme à l’époque. Ainsi
l’opération finie, on pouvait en comptant l’argent connaître la
population. Le symbole du demi-sicle était aussi important car il
démontrait l’incomplétude de chacun et la nécessité de se joindre à
l’autre pour aspirer à une unité.
Le Royaume dont nous parlent les Évangiles est ce royaume où
règne la qualité sur la qualité.
L’Aleph première lettre du Avinou, Notre Père, nous plonge aussi
dans l’univers de la symbolique des lettres hébraïques.
Le premier acte que fait le commentateur d’un texte et plus
encore d’une lettre est d’observer très attentivement la physionomie
du signe. Les lettres, comme nous, ont un corps dont les courbes
nous informent sur ses valeurs. L’étude des différents traits de
l’Aleph donnera une assise à tout ce qui suivra dans ce chapitre
consacré au Notre Père.
La lettre est composée de 3 traits. Les maîtres ont vu dans ces 3
traits un Vav qui vient comme une diagonale barrer la lettre, un Yod
dans la partie basse et un autre Yod dans la partie haute.
61
abstract de l’Aleph
62
mais plutôt l’In-défini. Cet Un est une transcendance absolue et une
altérité absolue.
Le Vav transversal marque une séparation qualitative. Il est la
première émanation du Un. L’Un par ce trait drastique opère le
premier mouvement vers ce qui sera la création. Les kabbalistes
pourraient le nommer ‘Hokhma et les néo-platoniciens le Nous,
Noυς, l’Intelligence. Le trait est la trace de la première pensée, du
premier projet. Avant même qu’il y ait quelque chose inscrit dans la
matière, il est la marque d’une multiplicité, puisqu’il y a l’Un et ce tout
premier désir de vie. Cette émanation étant directement liée à l’Un
mais ne pouvant pas contenir toute l’énergie, toute la lumière, n’a
d’autre dessein que de se multiplier et ainsi entrer dans le monde
pluriel.
Le Yod du haut est la part créative du divin. Elle est l’ultime
aboutissement de l’Intelligence qui se déversera dans la création de
l’univers. Dans le langage de la Kabbale elle est Bina, l’Intelligence
discursive et dans celui de Plotin, l’Âme du Monde. Il faudra attendre
la lettre Beth qui suit immédiatement l’Aleph pour commencer
l’aventure de la matière, de la matérialisation. Ce Yod du haut est
engendré par le Vav central qui lui-même est engendré par le Yod du
bas.
On pourrait dire que nous avons là l’expression d’une triade
divine. Pourtant dans l’Aleph coexistent ces trois nuances. Dans le
petit conte issu du Talmud et du Zohar, quand il s’est agi de créer le
monde, Dieu propose un concours au sein des lettres avant de
savoir laquelle aura l’honneur d’être la première à l’engendrer. Dans
le judaïsme Dieu crée le monde avec les lettres, et la Torah était
déjà présente deux mille ans avant tous les commencements. Ainsi,
chacune des lettres se présente devant le Très-Haut et tente sa
chance. Toutes sont renvoyées dans leur rang car, soit elles sont
indispensables pour soutenir l’être, soit leur initiale évoque un
concept positif mais aussi négatif, comme le Shin qui est la lettre
initiale du Shaddaï, un des plus puissants noms de Dieu, mais aussi
celle de Shéqer, le mensonge. Quand le Beth se présente, Dieu lui
accorde cet honneur car elle est la première lettre du mot Brakha, la
Bénédiction. Quand l’Aleph entre en lice, il sait très bien que Dieu ne
peut pas revenir sur la parole donnée à Beth, bien que lui, l’Aleph,
63
exprime l’essence la plus importante : l’unité. Voici le texte
présentant les trois dernières concurrentes.
Le Beth ⊠ entra et dit :
– Maître du monde, veuille créer par moi le monde, car avec moi
tu es béni (baroukh) en haut et en bas.
Le Saint, béni soit-Il, lui répondit :
– Oh, c’est certain ! par toi je créerai le monde et tu seras le
commencement de cette création.
La lettre Aleph ⊠ immobile n’entrait pas. Le Saint, béni soit-Il, lui
dit :
– Aleph, Aleph ! pourquoi n’entres-tu pas en ma présence
comme les autres lettres ?
Elle lui répondit :
– Maître du monde, nous avons observé que toutes les lettres
sont sorties de ta présence sans résultat. Que ferai-je là-bas ? En
outre tu as fait ce présent remarquable à la lettre Beth et il ne
convient pas pour le Roi Très-Haut d’enlever le présent fait à son
serviteur et le donner à un autre.
Le Saint-béni-soit-il lui dit :
– Aleph, Aleph, bien que je créerai le monde par la lettre Beth, tu
seras la cime de toutes les lettres, je n’aurai d’unité qu’en toi. Sur toi
s’ajusteront toutes les mesures et toutes les œuvres du monde. Il n’y
aura d’unité qu’en la lettre Aleph. Et le Saint, béni-soit-il, fit grandes
les lettres d’en haut et petites les lettres d’en bas. C’est pour cela
qu’il y a deux Beth au commencement de la Genèse (beréshit bara)
et deux Aleph (Élohim et eth ⊠⊠), lettres d’en haut et d’en bas.
Elles sont une seule réalité venant du monde d’en-haut et du monde
d’en-bas.
64
Silence, l’Aleph du Premier Désir et l’Aleph de l’Amour créateur.
Chaque phase est à la fois de la même nature que celle qui précède,
mais en est aussi séparée. Chacune fournit une énergie différente et
spécifique.
1 - Trait séparateur
2 - Yod du bas et Yod du Haut
3 - Chaque moment procède du précédent
BETH
65
le Beth, comme dans cette prière. Nous avons lu dans le conte du
Talmud que ce n’est pas l’Aleph qui crée le monde mais le Beth.
L’Aleph est le fondement secret, la présence divine dans tout ce qui
est. Tout ce qui est pourrait en être son émanation. Le Beth
commence l’histoire de l’Univers car il est le Deux. Il marque la
séparation radicale entre le Projet du Un et le projet lui-même. Dès
que le Deux est lancé, rien ne l’arrête plus. Le Deux engendrera le
Trois, puis le Quatre et l’infini des combinatoires qui permet à la
matière de se maintenir dans son réel.
Le Beth marque une triple rupture. Dans le schéma présenté,
nous pouvons voir que le dessin de sa hampe lui barre son passé
issu du Un, de l’Aleph. Ce qui est fait est fait. Le processus de
création n’est pas réversible. Le petit appendice qui dépasse par le
bas à droite marque la nostalgie de l’Unité. Nous savons que jamais
de notre vivant nous ne pourrons nous retremper dans les eaux du
Un, mais cette traîne nous rappelle à chaque respiration notre
origine divine. Sa potence lui barre toute vérité venue du ciel et sa
base lui empêche tout accès au monde du Shéol ou des morts. En
cela sa leçon est tout à fait claire et se démarque des pratiques
religieuses voisines contemporaines du judaïsme : le retour à l’unité
complète avec l’Un est impossible dans cette incarnation, les
intentions du Très-haut seront toujours un mystère et le monde des
morts interdit, c’est-à-dire qu’on ne doit lier aucune relation avec les
défunts. La seule route que nous propose la lettre est l’ouverture aux
lendemains, dans le projet, la projection.
66
béréshit
Dans une traduction mot à mot, Béréshit peut dire Dans la Tête.
Nous aurions ainsi comme premier verset : Dans la Tête, les Dieux
créa les Ciels et la Terre. Comme si tout ce qui était, émanait d’une
tête qui pense ou qui songe. Ce tout début de la Torah n’est pas
éloigné du Notre Père car il évoque aussitôt les Ciels, puis les Ciels
et la Terre. Comme si Yéshoua’ voulait offrir à sa prière le caractère
ontologique et métaphysique des premières lettres de la Genèse.
AV, LE PÈRE
67
AV est non seulement le premier couple inaugurant l’AlphaBet,
mais il est aussi le tout premier mot du dictionnaire. Comme si Aleph
et Beth avaient de par leur nature la puissance de créer tous les
autres mots.
Dans une lecture hébraïque, on ne recherche pas ce que tout le
monde sait. On fouille le tréfonds des racines. Av, certes, c’est le
Père. Terme que l’on retrouve dans le mot abbé en français. Mais il
est plus que cela, il est : un ancêtre, un parent, un grand-parent, un
prédécesseur, un prophète, une famille, un inventeur.
Il ne serait pas ridicule de proposer comme traduction :
Notre inventeur qui es aux cieux.
Cet inventeur donnerait une tout autre nuance, nous
retrouverions cette image d’un Dieu horloger ou architecte.
Nous pourrions aussi formuler :
Notre engendreur qui es aux cieux.
Pourquoi éviter le mot Père ? Parce dans notre humanité, le Père
est forcément un mâle qui détient la puissance. Cela voudrait
forcément dire que c’est l’aspect masculin du divin qui nous a
engendrés. Nous retomberions dans un univers machiste qui ne tient
en rien compte du féminin.
Dans le Genèse, le Créateur est nommé Élohim.
Élohim
Dans la Tête les Dieux créa les Ciels et la Terre. Le Dieu qui crée
est un pluriel. Le saint nom YHVH n’est pas évoqué comme
créateur. Si nous avions Béréshit Bara YHVH eth haShamayim
veèth haArets, nous serions devant un autre mystère. Pour créer à
68
partir de soi, il fallait d’abord que le divin soit multiple, YHVH, l’Un
ineffable, ne pouvait rien créer. Du Tétragramme rien ne pouvait
émaner. Nous pourrions dire que YHVH est le Yod du Bas d’où tout
s’origine et Élohim, le Yod du Haut qui permet la Création dans son
acceptation du multiple en lui-même.
69
Abraham, l’homme à l’origine du monothéisme, possède en son
nom le mot Av, Père. La tradition le nomme le Père des nations.
Dans la Bible, les pères ne sont pas toujours bien traités, même s’il
nous est demandé dans le Décalogue de les respecter. Abraham,
pour « aller vers lui-même », lekh lekha, détruit l’atelier d’idoles de
son père. Dieu lui demande de quitter le pays de son père et le pays
de ses enfantements. Comme si pour être soi-même il fallait
s’éloigner de son père. C’est en quittant son père qu’Abraham
deviendra le Père des nations. Après le passage des trois anges qui
annonce la naissance de son fils Isaac et le rire de Sarah, riche de
ses nonante ans, il lui sera commandé d’aller le sacrifier. Dieu le fait
père et lui demande de perdre la raison d’être de sa paternité.
AVINOU
Père à Nous
70
place de l’espace que l’on va réserver à la venue du Nom. Une mise
en place, pas une venue, car la prière demande et ne constate point
cette présence. Mais le temps que le fidèle va lui consacrer sera
cette disponibilité, ce vide ménagé pour laisser la possibilité de
l’Autre.
Avinou pourrait se traduire Notre Alphabet qui es aux cieux. Pour
celui qui n’est pas aguerri à l’interprétation, cela peut paraître tiré par
les cheveux mais il n’en est rien.
Comme nous l’avons vu plus haut, c’est par les lettres que Dieu
décide de créer le monde. Cela veut dire que dans l’imaginaire
hébraïque les lettres étaient présentes avant les premiers jours de
l’univers. La Kabbale, en prétendant que la Torah existait deux mille
ans avant les Commencements, va dans ce sens. Que veut dire
Torah dans ce contexte ? La Torah est la Loi, mais pas forcément les
lois édictées dans le désert et remises en seconde main à Moïse. La
Torah est l’ensemble des lois qui vont gérer toutes les futures
énergies de l’univers, par exemple les lois de la thermodynamique et
les lois quantiques pour l’infiniment petit. Comme si tous les grands
principes qui s’exprimeront plus tard dans la matière étaient déjà en
préparation. La Kabbale dit aussi que la Torah avait le même
nombre de lettres que celui que nous connaissons, mais dans un
autre ordre. Ceci est une magnifique intuition, car ces maîtres juifs
du Moyen Âge avaient compris que tout ce qui nous entoure est dû à
la combinatoire d’éléments simples. L’alphabet doit être entendu
dans ce contexte comme la réalisation que tout est combinatoire.
D’abord l’Un se retire de lui-même, Tsimtsoum, pour laisser exprimer
un désir, pour laisser de la place à autre chose que lui, Beth, puis ce
désir donne un cadre à ce que sera la valse des particules et enfin le
monde s’incarne. En schématisant, on pourrait avoir : 1 donne 2
donne 3 puis 22. Ainsi la proposition : Notre Alphabet qui es aux
cieux n’est vraiment pas si ridicule.
71
livres mystiques codifiés et écrits par Moïse de Léon (1240-1305)
donne des précisions sur cet Ancien (II, 288a) :
Il est séparé de tout sans l’être (séparé de tout) ; tout est en
connexion avec lui et il est en connexion avec tout ; il est tout :
l’Ancien des Anciens, l’occulte des occultes qui a une forme et qui
n’en a pas. Il a une forme pour maintenir le tout (dans l’être) mais il
n’en a pas parce qu’il n’est pas. En prenant une forme il produisit
neuf lumières flamboyantes qui envoient leur lumière à partir de lui
et se propagent toujours plus dans toutes les directions. Il est
comme une lampe qui diffuse sa lumière partout ; voudrait-on se
rapprocher afin de voir ses lumières que l’on ne trouverait rien
d’autre que la lampe. Il en va de même du Saint Vieillard qui est une
lampe mystique, la plus occulte qui soit, laquelle ne peut être
appréhendée que par la lumière qui se diffuse à partir d’elle et se
manifeste pour s’occulter de nouveau aussitôt. Et ces lumières se
nomment le nom sacré de Dieu, c’est pourquoi tout est un2.
AU NOM DU PAIR
72
l’icône. De son regard de femme généreuse et à l’écoute, elle avait
réalisé, sans même que je le lui confie, mon intérêt pour cette scène
peinte sur le bois. Je lui demande si cette représentation est
traditionnelle dans l’iconographie orthodoxe. Elle me répond qu’un
iconographe ami avait créé cette œuvre en toute liberté et non selon
les canons rigoureux de cet art. Je la remercie vivement pour
l’offrande.
Comment a-t-elle pu sentir à quel point la représentation de ce
père qui enlace son fils m’avait nourri durant cette semaine à Sainte-
Croix ? Avais-je été suffisamment happé par cette image au point de
laisser apparaître une part de mon intimité ? Je me revois frappant à
la porte de l’appartement de mes parents. Mon père lentement se
rend à l’entrée et l’ouvre. Je lui fais la bise. Mais, ce n’était pas une
simple bise que je voulais lui faire, je voulais le prendre dans mes
bras. J’aurais voulu qu’il me saisît de ses bons bras velus. J’aurais
aimé sentir la chaleur de son corps contre le mien, me sentir tout
petit encore dans le cercle de ses mains fermées sur mes épaules.
Je savais que le cancer qui lui rongeait les poumons allait emporter
mon père. Je savais dans le plus profond de mon âme que ce que je
redoutais depuis ma toute petite enfance était programmé. Je me
revois pleurant la mort de mes parents, du haut de mes cinq ans
accroché au rideau d’une chambre dans la vaste maison de ma
tante.
J’allais voir mon père tous les jours. Tous les jours ma poitrine
appelait cette rencontre et tous les jours je renonçais. Quelle pudeur
m’empêchait de casser ce tabou ? Était-ce cette retenue terrible
dans le contact physique que nous vivions dans ma famille ? Ou
bien simplement pour ne pas l’inquiéter par un geste que jamais
nous ne faisions ? Aujourd’hui mon père est mort depuis vingt ans,
et chaque fois que je pense à lui, c’est-à-dire tous les jours, mes
bras brûlent de ne pas l’avoir enlacé, de ne pas avoir eu ce courage,
ce courage d’être faible à jamais dans les bras de mon père. Quand
je rentre encore dans son appartement et que ma mère est sortie, je
l’appelle encore : papa ? papa ? Je sais très bien qu’il est mort et
qu’il ne me répondra pas. Mais l’écho de ma voix qui l’appelle me
laisse dans la puissante suspension du temps, tout mon être espère
retenir une infime parcelle de son être.
73
Son dernier soir, je lui tins la main jusqu’à ce que la petite
chambre de la clinique ne soit plus rythmée par son souffle. Je lui dis
son Shéma Israël, peut-être n’avais-je appris l’hébreu que pour cet
instant. Je me demandais, dans le trou noir dans lequel il me laissa,
comment j’allais continuer à vivre sans lui. Était-il possible que je
vive sans savoir que mon père respirait quelque part ? Quand je
rentrai chez lui au retour de son enterrement, la chose qui me fit
réaliser sa disparition, plus que la veillée de son corps enveloppé
d’un linceul, à la lumière des chandelles et des psaumes de David,
fut sa paire de lunettes posée négligemment sur la table basse du
salon. Les lunettes qu’il avait lui-même pliées et posées là, tout
doucement. Ses lunettes par leur présence si quotidienne alourdirent
effroyablement son absence. Souvent quand son visage me revient
parmi mes souvenirs, je suspends toute pensée, je retiens mon
souffle pour puiser dans le plus intime de moi ce qui se tient de lui
dans ma conscience. Je creuse comme l’archéologue les couches
successives de ma vie avec lui, muni d’un simple pinceau, pour
balayer ce qui me sépare de sa présence. Là, dans cet espace
fragile et extrêmement tendu me revient mon père, au-delà des
images rendues par les mots excitateurs des souvenirs. Cette
présence pourrait être l’ovale de son sourire, le timbre si particulier
de sa voix ou, pour aller plus loin dans l’exploration des traces
paternelles, son odeur. L’odeur de ses vêtements, de ses bras, de
ses joues quand il venait de se raser.
Une fois, après avoir sollicité toutes les mémoires de mes sens,
je débouche sur une zone étrange, interdite. Silence et densité.
Toute l’énergie qui emplit un espace fantastique. Oublier le visage,
l’odeur, le son et la peau de mon père pour arriver à un condensat
de mon père. Mon père à ce degré de ma quête devient Le Père. Il
prend la force du Père des pères. Le Av hébraïque, les deux
premières lettres de l’alphabet de mes pères. Ce qui me manquait
était mon père mais aussi le Père. Je ne dirais pas l’idée du Père, je
sombrerais dans un platonisme insupportable. Comme si mon père
n’était que le reflet d’une Idée du Père. Je comprends qu’il ne peut y
avoir de Père sans mon père. Que mon père ne peut être père sans
moi, que je ne peux être sans lui. Le Père ne peut être père qu’à
travers un père de chair et de sang. La nature de père, la patritude,
74
ne peut se faire sans la chair, sans la transmission de la chair par la
chair. Sans cette chair du père, le Père n’existe pas. Au-delà de
Platon. Ce n’est pas l’idée du Beau qui crée des choses belles, mais
un spontané et immédiat entrelacs de cela qui veut créer et de la
chose créée. Comme si la moindre volonté engendrait sans aucun
délai son objet. On comprend pourquoi le premier commandement
de la Bible est croissez et multipliez. Non pas dans un souci de bien-
être ou de colonisation de l’espace, mais parce que, sans la
multiplication de l’être créant, l’être créant s’engouffrerait en un
milliardième de seconde dans un néant hors des mots. Les
scientifiques prévoient la fin de notre univers, en une infime fraction
de seconde, au moindre défaut d’encodage du boson de Higgs.
Pourquoi tout ce qui est doit être, doit être Père ? Parce que si l’on
ne perpétue pas cette énergie, l’univers s’effondre dans ce qu’on
nomme en astrophysique le Big Crunch.
Je me revois dans cette petite pièce de mon appartement
décorée d’oies et de toutes sortes de bestioles sympathiques avec
dans un coin le berceau de ma fille qui venait tout juste d’être
accueillie sous notre toit. À deux ans d’intervalle deux chambres
sombres me plongeaient dans le mystère total de la viemort. Cette
fillette, de quarante centimètres de long et ne pesant que deux
kilogrammes et cinq cents grammes, emplissait du soufflet de ses
deux minuscules poumons l’atmosphère. J’étais devenu un père.
Mon père ne tiendrait jamais ma fille dans ses bras, mais par lui
cette petite chose puisait bruyamment l’air de notre planète. Un
spasme de pleurs me surprit. Des larmes abondaient, débordaient.
Ni de la tristesse, ni de la joie. Une insoutenable connaissance, prise
de conscience que j’avais endossé la nature d’un entre-deux.
Zébrure électrique de l’arc à soudure. Je n’avais pu serrer mon père
dans les bras, mais j’allais serrer Léa dans les miens. Cette enfant
contre mon cœur ne fait pas de moi un être exceptionnel. Je n’ai rien
de plus ou rien de moins qu’avant, pourtant, cette nouvelle nature de
père, au-delà de tout concept, au plus profond de mes entrailles, me
fait participer à la ronde des galaxies. J’ai la certitude de participer.
Participer à quoi ? Participer, tout simplement.
Ces quatre bras de l’icône, que me disaient-ils encore de mon
amour pour mon père ? Un père qui te prend dans les bras est un
75
père qui te pardonne. Qu’il est bon d’être pardonné, même si l’on n’a
rien à se faire pardonner ! Quand ta tête est enfouie sur son épaule,
tu as beau donner une tête à ton père, il sera toujours plus grand
que toi, tu goûtes la profonde joie de l’identité. Quel est là le sens
abyssal du pardon ? Pardonner, c’est reconnaître à l’autre sa part
d’humanité plénière. Je ne puis pardonner que lorsque je sais l’autre
faillible comme moi, je le sais sculpté de la même argile. En réalité,
quand je pardonne à l’autre, je me pardonne à moi. Que peut bien
me pardonner le père qui m’enlace ? Quel pardon s’accorde-t-il en
me pardonnant ? Il me pardonne, certes les erreurs et les fautes
commises à son encontre, ou à l’encontre de mes contemporains,
mais surtout le fait d’être, de devenir. Être, c’est être obligé de
choisir à chaque instant, de savoir qu’un bien peut devenir un mal,
qu’un mal peut devenir un bien, qu’il n’y a pas de bien, ni de mal, de
bien absolu, de mal absolu. Être, c’est ne vivre que dans le
compromis, l’improvisation, le réajustement permanent,
l’approximation. Vivre, c’est accepter que la conservation de mon
être, de corps de chair, passe par la destruction massive d’autres
êtres de chair. Le Père en enlaçant le Fils se pardonne d’avoir
engendré un monde où l’épreuve est la seule possibilité de croître.
L’épreuve passe par le Mal et le Bien inextricablement confondus. Le
Fils, qui se débat dans cette insupportable condition humaine, nœud
gordien de la joie et de la souffrance, aspire au pardon accordé par
le Père. Ainsi ils deviennent des pairs. Séparés père et fils, certes,
mais si unifiés dans leur rapport à ce monde pour chacun
incompréhensible.
76
pas du tout bouger. Je suis allongé dans le noir, immobile, attendant
qu’il se passe quelque chose. Puis des bruits sourds et puissants
frappent la paroi. Le temps s’écoule, je commence à paniquer. Je ne
suis pas particulièrement claustrophobe, mais une profonde
angoisse tord tout mon corps et mon âme. Je pensais que l’examen,
comme une simple radiographie, ne durerait que quelques
secondes. Mais cela s’étend. Jamais je ne pourrai rester plus
longtemps dans ce tombeau. Mon esprit commence à se faire des
scénarios terribles. Ils veulent me tuer là-dedans, ils m’ont oublié et
je vais mourir happé par ce vagin maléfique. Je suis tellement
obéissant que je n’ose même pas ouvrir les yeux, ce qui m’aurait
permis de voir que je n’étais vraiment pas plongé dans les ténèbres.
Je vais sortir. Je dois m’extraire de ce gosier. Mais comment sortir
de cette gaine métallique ? Chaque seconde m’intoxique un peu
plus. Dans cette impossibilité de tendre les bras, de m’enfuir, de
parler, de remuer le moindre orteil, ce qui d’ordinaire dirige ma vie,
mon pauvre esprit devient dangereux au point qu’il ne peut plus se
souffrir lui-même. Je suis perdu, seul dans ce trou noir délétère et ce
moi-même m’apparaît intenable.
Puis, au bout de ce qui semble être d’interminables minutes, je
me reprends, me raisonne : ici, je ne risque rien. Je suis là pour mon
bien. Et en toute conscience, je décide de quitter ce monde. Je
pratique ce que j’ai appris lors de toutes mes méditations. Je respire
tout doucement par le ventre. J’énumère les lettres de l’alphabet, les
paupières toujours closes, puis je m’invente une histoire. Je vais
amorcer un Tsimtsoum. Un retrait. Le terme kabbalistique paraît
tellement abstrait, si lointain de notre visage d’homme, mais pourtant
en réalité si simple si je le contextualise dans mon quotidien. Je
dessine un paysage, avec ses collines aux camaïeux d’automnes,
ses lacs reflétant le ciel lavé par le vent de la nuit et ses chemins
caillouteux qui ondulent le long des courbes de niveau. J’installe à
l’orée d’une forêt deux personnages : un homme et une femme. Ils
sont équipés en randonneurs, chemises épaisses de bûcheron,
bonnets, bâtons télescopiques. Les bruits de l’IRM, même s’ils
redoublent d’intensité, ne me dérangent plus. Soudain, le couple
s’arrête au milieu du sentier et tout en se penchant semble observer
quelque chose jonché sous les feuilles mortes. Je guide par l’esprit
77
leurs actions. Puis, j’essaie de me contenter de contempler leurs
gestes, je ne veux plus intervenir. Rapidement, ils s’autonomisent.
L’homme pose un genou à terre, relève sa manche droite et secoue
des feuilles qui l’empêchent d’identifier un curieux bruissement sous
les branchages. Par prudence, il saisit une branche et remue avec
délicatesse l’épais tapis de verdure. Je suspends mon souffle, car
vraiment je ne sais pas plus que lui ce qui se terre à leurs pieds. La
femme fait un pas en arrière et la gestuelle de ses bras indique
qu’elle est un peu anxieuse. Le randonneur, muni de son bois, se
relève et semble poursuivre quelque bestiole bien tapie. Il saute et
enjambe un tronc couché au sol. La femme quitte sa réserve et le
suit. Je suis tellement absorbé, que j’en viens même à sentir l’odeur
forte de l’humus remué par leurs pas engodillotés. Le tunnel froid et
lisse ne m’effraie plus, il existe à peine. Pourtant, il n’a pas
complètement disparu, mais me semble être une simple couche qui
accueille ma méditation. Le randonneur s’incline de nouveau et
paraît sur le point de dénicher ce pourquoi ils furent arrêtés dans
leur course alpine.
J’entends : « C’est bon Monsieur Lalou, vous allez sortir d’ici. »
C’est à grand regret que je quitte ce monde sans avoir su quel
animal le couple avait débusqué.
78
j’offre à l’enfant pour qu’il sorte de lui-même afin qu’il accepte en
douceur la mort provisoire du sommeil.
Comme moi dans ce tunnel technologique, qui par des mots et
des phrases, amorce une histoire, Cela qui est la source de toute
chose, crée le monde. C’est pourquoi dans la Bible toute création est
précédée d’un : IL DIT. Il dit : « Que la lumière soit et la lumière fut. »
Il lui suffit de formuler le substantif la lumière pour qu’elle advienne.
Pour Élohim créer, c’est verbaliser. Avec le premier vers de la
Genèse, Béréshit, Dans-la-tête, nous allons plus profondément dans
l’acceptation d’un monde qui serait l’émanation d’une poésie se
rimant dans la tête de quelque chose perdu dans un non-espace et
un non-temps.
Les enfants dans la cour de récréation usent avec bonheur du
même procédé, en dialoguant au présent conditionnel. Ils sont sur
l’asphalte stérile de leur école, soudain un garçon lance à ses
camarades : « On dirait que nous sommes sur la mer dans un
bateau en pleine tempête », et aussitôt dans la tête des gamins,
l’océan creuse une terrible houle. Leurs petits corps pris dans la
tourmente ondulent, titubent, basculent, ils s’accrochent aux vagues
troncs d’arbre et c’est autant de mats, de bômes, ils s’asseyent sur
un banc et les voilà galériens de ce rêve si réel et si partagé. Quand
ils ont trop souffert de ce grain lancé contre leur nef, un capitaine
hèle : on dirait que la tempête s’est arrêtée, et aussitôt les flibustiers
retrouvent une belle verticalité.
Dieu :
– on dirait que la lumière viendrait éclairer les ténèbres, et la
lumière se sépara du noir.
Dieu :
– on dirait que la terre produirait de la verdure, et la terre se
couvrit de plantes.
79
depuis les tout premiers milliardièmes de secondes de l’univers. La
beauté des ailes de papillons, le bleu si particulier des jabots des
lézards, le graphisme de l’oryx, même si de pédants savants y
trouvent une quelconque utilité, sont là pour clamer que l’imagination
de la création est jeu et fiction.
Élohim dit :
– Faisons l’homme à notre image, à notre ressemblance, et qu’il
domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le
bétail ; enfin sur toute la terre, et sur tous les êtres qui s’y meuvent.
Élohim créa l’homme à son image ; c’est à l’image d’Élohim qu’il
le créa. Mâle et femelle furent créés à la fois. Élohim les bénit en
leur disant :
– Croissez et multipliez !
80
terrains de jeu que sont les fictions. Par l’homme, une boucle de la
création était bouclée. Dieu avait créé une mécanique merveilleuse
qui prendrait le relais éternel de l’invention d’histoires.
Le premier singe de type homo, qui en regardant les étoiles, se
dit en se grattant le crâne garni de poux : c’est quoi ces points
lumineux au-dessus de la tête ? C’est quoi ce disque doré si
changeant au-dessus de la tête ? Mais qui a bien pu faire cela ? Du
tout premier mais-qui-a-bien-pu-faire-cela naît la nécessité, pour se
rassurer devant la dureté de l’univers, pour ne pas être hors de tout
contrôle, d’inventer des fictions qui expliquent le soleil, la lune, les
cataractes, les vagues de la mer. L’invention de l’ego était une
géniale trouvaille car elle permettait de faire de chacune de nos vies
des histoires. Le moindre quidam perdu au fin fond de la planète
serait à lui tout seul une fiction et lui-même, qu’il soit poète,
chasseur, pêcheur, serait contraint d’inventer, de s’inventer des
histoires pour donner un sens à cette Terre sur laquelle il semblait
faire verrue en comparaison des animaux qui eux, étaient « bons ».
L’univers, grâce à l’homme, toujours tenté par la transgression
des règles de la nature, deviendrait une machine infinie à créer des
histoires et Dieu pour ne pas resombrer dans l’abîme de lui-même
qu’il avait eut tant de mal à quitter, dans l’attente des prochains
épisodes, ne fermerait plus ses célestes paupières. En cela Les
Mille et Une Nuits sont le plus sublime et le plus profond des romans
car elles nous font comprendre comment par ses histoires l’être
humain (Shéhérazade) maintient Dieu (le sultan Shahryar) dans un
suspens sublime et comment il ne décide pas, d’un revers de main,
de casser son joujou.
81
82
Les 22 questions du P. Philippe
Dautais
Prêtre de l’Église orthodoxe et responsable du Centre Sainte-Croix
en Dordogne
NOUN – Que faire avec cette vie qui grouille dans mes eaux
intérieures ?
83
SAMEKH – Quel est le secret de ma cohérence ?
84
BETH
2e lettre de l’alphabet
valeur numérique : 2
valeur pleine : 412
pictogramme : maison, temple
sens : maison, commencement, dualité
phonétique : B avec point, V sans
85
partie du corps : l’œil droit
lettre double
planète : lune
symbolisme :
la maison. Initiale du 1er mot
de la Torah :
Béréshit. Elle est la lettre
du devenir.
Elle est aussi la lettre
qui crée le Monde.
Préposition de contenance :
dans, en.
LE COUPLE BETH-GUIMEL
Pourquoi le monde a-t-il été créé par la lettre Beth ? De même
que cette lettre est fermée de tous les côtés et seulement ouverte
par-devant, nul n’a le droit d’enquêter sur ce qu’il y a en haut et ce
qu’il y a en bas, ce qu’il y a devant et ce qu’il y a derrière sauf à
partir de la création du monde.
Victor Malka1,
86
parce qu’un espace à dimension unique est impensable ? Pourquoi
celui du Beth est-il aussi angoissant à concevoir, est-ce parce qu’à
seulement deux dimensions ? Il faut enfin attendre le Guimel pour
trouver un univers habitable avec la longueur, la largeur et la
profondeur. Le Guimel, après le Beth, crée l’espace tridimensionnel.
Ce n’est pas pour rien qu’il est le chameau, maître des grands
espaces déserts, sillonnant sans fatigue la page ocre de nos destins.
L’espace de l’intimité
87
jardin. La maison ne peut pas se passer du chameau et le chameau
ne peut pas se passer de la maison. Que serait le voyage, sans
l’espoir de s’arrêter un jour, de se poser là, à regarder paisiblement
les matins passer ? Que serait la maison, si elle n’offrait pas la
chance du départ ? Les deux lettres ne sont pas antagonistes, elles
sont complémentaires. Avoir une maison, c’est être riche, avoir un
chameau, c’est être encore plus riche. Mais la richesse du chameau
est particulière. Dans le désert, il n’est pas nécessaire de crouler sur
l’or, une carte visa gold au milieu des dunes est un vulgaire morceau
de plastique. Le chameau est cette richesse que l’on emporte sur soi
pour la longueur des jours. L’animal déplace élégamment son capital
intérieur. Il est solitaire et autosuffisant : voilà sa rente. Il peut
affronter les pires tempêtes, les plus insoutenables sécheresses ; il
va l’amble, le regard équanime et ses chaussons sont souples sur
les cailloux acérés. L’aristocratie chamelière tient dans le fait qu’en
avançant, il ne contemple pas sa propre bosse. Il se sait riche, il en
a la démarche, mais il ne se retourne pas sans arrêt pour surveiller
ses avoirs.
Le chameau de la séparation
88
L’alphabet cherche toujours l’équilibre. La sédentarité précède le
voyage.
Si nous nous imposons un degré d’abstraction supplémentaire,
nous dirons que le Beth est l’intériorité, l’intimité et le Guimel,
l’extériorité, l’extimité. Chacune des lettres est le remède, le poison
et le contrepoison de l’autre. Une vie uniquement vouée à l’intime
est de l’ordre de la maladie mentale, une vie poussée sans cesse
sur l’extérieur est airain qui résonne. L’intériorité prend son sens
quand elle offre à l’extérieur ses richesses, et l’extériorité va nourrir
de ses expériences un travail plus intime. On peut encore pousser la
métaphore en disant que Beth est l’ésotérisme et Guimel,
l’exotérisme. Sans ces deux pôles, toute religion, toute spiritualité
court à sa perte. Les religieux qui consacrent tout leur temps à la
recherche de Dieu ont besoin des laïcs pour s’alimenter, au sens le
plus strict du terme. Que seraient tous ces hommes et femmes qui
vouent leur vie à l’Aleph, s’ils ne pouvaient compter sur l’aide
matérielle des sympathisants de l’extérieur ; de même les gens du
siècle, que deviendraient-ils s’ils ne pouvaient s’appuyer sur la
puissance spirituelle des êtres de prières ? Nous avons vu plus haut
que A et B donnaient le mot Av, père, engendrement. Que donnent
B et G ? Bag, la nourriture.
L’alliance de l’intériorité et de l’extériorité nous offre ce mot
chargé de sens : la nourriture. Les aliments extérieurs entrent dans
nos corps pour créer de l’intériorité et l’intégrité matérielle et
spirituelle de notre être en marche.
89
Abraham, le premier Hébreu, le premier passeur, pour être lui-
même, pour trouver sa terre promise, répond à l’ordre d’Aleph :
BaG, la nourriture
Va vers toi-même !
90
Lekh lekha, Va vers toi-même !
91
La vitesse et la portée indispensables nous étaient
acquises grâce à l’extrême frugalité des hommes du désert
et à leur grande efficacité lorsqu’ils montent leurs
chameaux de raids. Le chameau est un animal difficile qui
exige d’être mené avec un art consommé mais qui, en
retour, se révèle très performant. Nous ne disposions
d’aucun mode de ravitaillement : chaque homme était
autosuffisant et transportait à la selle, depuis la base
maritime de départ, six semaines de nourriture individuelle.
La ration ordinaire pour ce délai consistait en un demi-sac
de 20 kg de farine. Ceux qui se nourrissaient plus
luxueusement emportaient en outre un peu de riz afin de
changer l’ordinaire. Chaque homme était son propre
boulanger et pétrissait sa farine pour en confectionner des
galettes sans levain cuites au feu. Nous transportions
environ un demi-litre d’eau potable par personne. Les
chameaux ne s’abreuvaient que tous les deux jours et nous
n’avions aucune raison d’être mieux lotis que nos
montures. Certains d’entre nous ne s’abreuvaient jamais
entre les puits, mais il s’agissait d’hommes endurcis. La
plupart d’entre nous buvaient beaucoup à chaque puits et
une fois durant les jours sans eau. Dans la chaleur de l’été,
les chameaux d’Arabie rallient sans problème 350
kilomètres, ce qui représente trois journées de marche à
bonne allure. Le pays n’est pas aussi aride qu’on le dépeint
et ce rayon fut toujours supérieur à nos besoins.[…] Si la
nourriture faisait défaut, nous nous arrêtions et mangions le
plus faible de nos chameaux. Le chameau épuisé est un
médiocre aliment.
92
traduction Gérard Chaliand
93
94
Les 22 questions de JEAN-
JACQUES WAHL
Ex-directeur de l’Alliance israélite universelle
NOUN – ?
95
SAMEKH – L’enclos : impossible d’y entrer ? Impossible d’en sortir ?
QOF – Parfois lié parfois délié (parfois uni, parfois séparé) (parfois
attaché, parfois détaché)
96
GUIMEL
3e lettre de l’alphabet
valeur numérique : 3
valeur pleine : 73
pictogramme : chameau
sens : richesse, le mouvement
phonétique : G comme gâteau
97
partie du corps : oreille droite
lettre double
planète : Mars
symbolisme :
le chameau, signe de l’endurance et de la
richesse intérieure.
Elle est toujours avec le Daleth, la
pauvreté. Lettre du voyage.
LE COUPLE GUIMEL-DALETH
98
C’est le seul peuple qui a eu cette prescience fantastique de ne pas
se présenter dans l’histoire comme Un ».
(Jacques Hassoun)
99
la maison d’esclavage plutôt que d’affronter la dureté et l’inconnu du
chemin sinaïtique. Ces Hébreux au cours des siècles se sont
assimilés aux Égyptiens et ont fini par disparaître en se fondant dans
la masse. En revanche, certains Égyptiens ont préféré suivre les
enfants d’Israël dans leur fugue mosaïque ; ils seront à jamais des
hommes et des femmes qui accompagneront le destin lumineux et
tragique de ce peuple. Le désert comme étape nécessaire
représente le monde sauvage sans loi.
Autre étape est le séjour en Égypte. Abraham, Joseph, Jésus
vont trouver refuge en Égypte. Si le désert est le monde sauvage,
l’Égypte est le monde civilisé. C’est dans son ombre qu’on apprend
la grandeur des villes, la perfection de l’urbanisme, mais surtout
qu’on est initié au monde mystérieux des dieux. L’Égypte est le lieu
initiatique par excellence. C’est une méditation sur ce pays qui nous
conduira naturellement au Daleth, compagnon du Guimel. Le voyage
du Guimel est un pèlerinage. Titre possible :
100
Daleth catalan XIVe siècle
101
nos séparations. Sans séparation pas de chemin, pas de voie.
Seulement la mort1.
102
cadenassées, si imprenables que sa vie devient un enfer et ne le
rend pas moins mortel.
Daleth Ashkénase
103
foi offre la force de se jeter dans l’inconnu, sans cette confiance,
toute porte serait effroyable et nous préférerions le suicide plutôt que
l’imprévisible qui nimbe la vie altérée.
Éloge de la fragilité
104
portique égyptien
105
Faisons parler l’hébreu, Guimel et Daleth forment en s’associant
le mot Gad, le bonheur. Cette association, liée à la valeur
symbolique des troisième et quatrième lettres de l’alphabet, nous
enseigne que le voyage nous mène à la suprême porte du Daleth et
loin d’y découvrir au-delà de son seuil un pavement d’or et d’argent,
nous fait pénétrer les tissus sensibles et fragiles de nos chairs.
Les Juifs ne savent pas nommer leur Dieu. Ils ne peuvent que
l’écrire. Graphème sans phonème : YHVH. Ce Tétragramme est
absolument ineffaçable. Il doit garder dans tous les cas son intégrité.
Ses quatre lettres sacrées, quasi magiques ne doivent jamais être
outragées. Conserver une seule de ces lettres abîmée est
préjudiciable. Cet interdit d’outrage aux graphes du Tétragramme se
stigmatise dans la gravure du nom Yehoudah (Judah). En effet, il est
vivement déconseillé d’écrire ce vocable Yehoudah sur une pierre
tombale exposée aux intempéries, car si le Daleth venait à s’éroder,
il ne resterait plus que l’ineffable, l’imprononçable et l’indestructible
Tétragramme. Pour éviter ce blasphème, on pratique volontairement
une cacographie au prénom : du Yehoudah, on passe à Youdah
(Judah en Français) qui ayant perdu un Hé ne craindra, lui, aucune
usure irréparable.
Le Daleth du nom du peuple juif, les YéhouDim, étymologie du
mot juif, est le portique qui nous éclaire sur sa vocation au sein des
nations : les Juifs sont le peuple explorateur de l’entre-deux des
choses, ils tiennent dans leur nom le mystère de ce qui ne peut pas
être, mais qui ne peut que devenir.
106
tentations, la tentation d’ouvrir l’être en son tréfonds, le
désir de conquérir tous les êtres réticents. La porte
schématise deux possibilités fortes, qui classent nettement
deux types de rêveries. Parfois, la voici bien fermée,
verrouillée, cadenassée. Parfois, la voici ouverte, c’est-à-
dire grande ouverte. Mais viennent les heures de plus
grande sensibilité imaginante. Dans les nuits de mai, quand
tant de portes sont fermées, il en est une à peine entre-
bâillée ? Il suffira de pousser si doucement ! Les gonds ont
été bien huilés. Alors le destin se dessine.
Gaston Bachelard
La poétique de l’espace
Éditions Puf
107
LE LIVRE DES LETTRES DE RABBI
AKIVA
Livre pédgogique attribué à Rabbi Akiva
Mystique juif remarquable du IIe siècle après J.-C.
108
Pourquoi le Zayin z se prolonge-t-il à la fois vers le Vav qui le
précède et vers le ‘Heth qui le suit ? Parce que tout fornicateur (baal-
zenout), lorsqu’il se rend auprès d’une prostituée (zona) a un œil
tourné vers la faute (‘Heth) et l’autre vers les gens, qui sont comme
l’arbre du champ (droits comme le Vav). Il craint d’être vu d’eux et
qu’ils disent : « Vaï ! Vaï ! Untel va chez la prostituée. »
Pourquoi le ‘Heth j n’est-il pas surmonté d’une couronne ? Parce
que tout fauteur (baal ‘Heth) porte sa honte et n’a ni mérite, ni bonne
renommée dans ce monde, mais déshonneur et mauvaise
réputation.
Pourquoi le Teth f cache-t-il son bras, tient-il sa tête droite et
porte-t-il une couronne ? Parce que toute personne qui fait une
bonne action, offre la charité et aide les pauvres, se doit de le faire
en secret.
Pourquoi le Yod y est-il la plus petite des lettres ? Pour enseigner
que tout individu qui est humble en ce monde héritera dans le
monde à venir comme il est dit : « Confiez-vous en l’Éternel à
perpétuité, car en Yah hy, l’Éternel le rocher des siècles » (Is 26, 4).
C’est-à-dire que Dieu a créé deux mondes, l’un par le Yod y : le
monde futur, l’autre par le Hé h : ce monde-ci. Pourquoi le monde
futur fut-il créé à l’aide du Yod ? Parce que les justes sont peu
nombreux en ce monde-ci, ainsi que nous le rappelle la petite taille
du Yod.
Pourquoi le Khaf k ressemble-t-il à un siège syk tourné vers le
Lamed qui le suit ? Car tout trône existe pour que les rois terrestres
s’y assoient.
Pourquoi le Lamed l est-il plus élevé que toutes les autres
lettres ? Parce qu’il est au centre des 22 lettres et qu’il ressemble à
un roi assis sur son trône. La royauté est devant lui (Mem du mot
Malkhout, royauté) ainsi que derrière lui (Khaf du mot Kissé, trône)
et lui se tient au milieu comme un roi.
Pourquoi le Mem m tient-il sa tête penchée vers le sol et son
bras dressé vers le haut ? Parce qu’il désigne le ciel où se tient la
royauté et qu’il regarde vers le bas pour signifier que tout ce qui est
sur Terre vient de Dieu.
Pourquoi le Mem final ⊠ est-il fermé ? Car personne ne sait où
se tient Dieu.
109
Pourquoi le Noun n a-t-il les bras dans le dos, la hanche et la
face tournées vers le Samekh ? Car il ressemble à quelqu’un en
train de tomber (nofel) et suppliant qu’on le relève.
Le Noun n (courbé) aussi bien que le Noun final ⊠ (redressé)
représente la fidélité (nééman). Il est fidèle assis aussi bien que
debout.
Pourquoi le Samekh s est-il fermé et non pas ouvert ? Parce qu’il
symbolise Israël, la Shekhina (la présence divine) les entoure
comme une muraille de toutes parts, ainsi la semence de leur
semence ne se mélange pas avec la semence des autres.
Le ‘Ayin ⊠ est le fait (‘Asso) de la méchanceté. Et pourquoi est-il
déchiré et couché ? Parce qu’à l’avenir il tombera sous les pieds
d’Israël…
Le Pé et tantôt ouvert ; tantôt fermé p. C’est pour dire qu’il n’y eut
pas, parmi les 70 nations et langues, une seule qui trouva une
« ouverture de bouche » (pith’on pé) dans les deux mondes, ce
monde-ci et le monde futur, dans la Torah et dans les Mitsvot, dans
la Mishna et dans le Midrash, dans les lois et dans les récits et
légendes, sinon Israël seulement.
Pourquoi le Tsadé x a-t-il deux têtes ?1
Pourquoi le Qof q tout comme le Rech r est-il élevé et possède-t-
il une corne ? En allusion à toutes les cornes des méchants
(rechaim) qui marchent dressés et pleins de morgue dans ce
monde-ci ; à l’avenir, le Saint béni-soit-Il les brisera pour l’honneur
d’Israël qui sont appelés têtes (Roch) comme il y dit : « L’Éternel te
mettra à la tête. » D’où savons-nous qu’il les brisera ? Car il est dit
dans le psaume 75 : « Et j’abattrai toutes les forces (cornes) des
méchants. »
110
Gad, le bonheur
111
DALETH
4e lettre de l’alphabet
valeur numérique : 4
valeur pleine : 434
pictogramme : porte
sens : porte, pauvreté
phonétique : D
112
partie du corps : narine droite
lettre double
astre : Soleil
symbolisme :
La porte initiatique,
marque la séparation entre
le dedans et le dehors.
Daleth est aussi Dal la pauvreté. Avec le
Guimel, il forme Gad,
le bonheur.
113
l’orant égyptien
LE COUPLE DALETH-HÉ
Éli, Éli !
Hannah Sénesh
Trad. Liora Eloul
Le souffle et la prière
114
La porte Daleth ouvre sur le mouvement le plus ténu de nos
vies : le souffle. Hé, c’est le souffle. Avec Guimel-Daleth, la porte
était l’aboutissement d’un long périple, d’un beau pèlerinage. Guimel
s’affranchissait de la maison Beth pour risquer le voyage. Mais la
traversée le conduit de nouveau devant une autre porte, plus celle
d’une maison, mais celle du temple de notre corps. Les inventeurs
de l’alphabet ont choisi avec justesse, pour exprimer le souffle,
d’utiliser le hiéroglyphe très commun d’un homme en marche les
bras au ciel : l’orant.
Le Daleth est la porte qui mène à la prière. Cet homme en prière
n’est pas ordinaire : il prie en marchant, bien debout sur ses jambes
et haussant les bras. Il ne prie pas les yeux au ciel. La prière
exprimée ici est pur mouvement, pure vitalité. Elle n’empêche pas
d’avancer sur le chemin de la vie. Le regard de ce personnage est
fixé droit devant, vers son devenir. Nos iconographes et peintres du
sacré aiment représenter les saints en oraison, les yeux vissés au
ciel ou rivés au sol en posture d’humilité. Ici, le regard ne se soucie
pas des hauteurs, il reste dans notre humaine dimension, parallèle à
la Terre, notre maison – le Beth – qui nous est allouée.
L’anthroposphère
115
évoque vraiment le souffle. C’est en marchant et en courant que
nous sentons notre souffle plus fort que nous-mêmes. Les poumons
se dilatent d’eux-mêmes sans avoir à pratiquer des respirations
savantes et codifiées.
Les états d’âme sont des avis de tempête. Les Hébreux peu
enclins à l’abstraction dénombrent cinq niveaux de l’âme, cinq
comme le chiffre de la lettre Hé : Nefesh, Roua’h, Neshamah,
H’ayah, Yeh’idah. Chaque degré exprime une qualité de souffle. Du
plus enraciné dans la terre au plus céleste des zéphyrs. Les Grecs
feront de même pour nous parler de l’âme : pneuma est encore le
souffle, mais aussi psyché évoque l’air qui nous maintient dans nos
présents. Le souffle s’exhale toujours dans l’anima latine.
116
celui qui passe en louant Élohim. Être un passant qui prie dans le
mouvement, c’est prendre conscience que la vie, le souffle ne
peuvent se dire. C’est s’attacher à ce que l’on ne peut attacher. À
quelque chose que l’on a, que l’on est, que personne ne pourra nous
voler. Réaliser que la vie est une prière en mouvement offre des
fondations plus solides que le Temple de Jérusalem. Le secret de la
survie du peuple du Livre réside dans cette terrible constatation
après que la ville sainte fut détruite : « De notre malheur nous ferons
notre richesse et tant que l’un de nous maintiendra le souffle du
témoignage de notre héritage sinaïtique, nous accomplirons notre
tâche sur Terre. »
L’extraordinaire résistance du peuple juif vient de ce qu’il a tenu
compte des leçons de ses persécutions : la fragilité sera sa force.
Les Juifs au contraire des autres nations savent qu’ils sont fragiles,
que leur souffle ne tient qu’à un fil.
Toutes les lettres ont leur face d’ouverture et de fermeture.
Daleth ouvre sur le monde du divin, mais aussi ferme l’espace pour
laisser mûrir les étincelles d’Élohim. Toute lettre change de nature en
fonction de celle qui la précède et de celle qui la suit.
Anatomie de la lettre
Avec Hé, Daleth est une membrane, qui comme notre gorge,
s’ouvre et se ferme pour laisser les deux phases de la respiration
s’opérer dans une bonne économie. Daleth entrouvre son rideau sur
cette brise insaisissable qu’est la vie. Le souffle donne toutes les
nuances de nos séparations conceptuelles entre l’esprit et la
matière. Personne aujourd’hui ne peut établir des frontières nettes
entre ses deux essences. Les séparer reviendrait à réduire la
respiration uniquement aux inspirations ou uniquement aux
expirations. Toute réduction et tentative d’isoler l’un ou l’autre
mouvement entraîneraient la mort.
117
Hallélouyah
118
Les Juifs ont une telle pudeur quant à l’énonciation du nom de
leur Dieu qu’ils sont le seul peuple à ne pas connaître l’identité de
celui vers qui ils adressent leur prière.
Le Tétragramme, YHVH, est par essence imprononçable car on
a perdu ses voyelles. On ne connaît que les consonnes de ce
suprême graphème. Une réflexion sur le rapport des voyelles et des
consonnes s’impose quand on parle de la lettre Hé. Les voyelles
sont souvent identifiées à l’esprit, tandis que les consonnes à la
matière. Si on permute les 5 voyelles fondamentales sous les 4
consonnes du Tétragramme, nous obtenons 625 combinatoires
possibles pour dire le nom ineffable. Les Juifs ne conservent donc
que le bruit de Dieu, les consonnes sont des bruits blancs. Les
voyelles, à combiner obligatoirement pour prononcer une seule et
unique fois le vrai nom, sont l’expression du mouvement sans fin de
la vie. Les voyelles, qu’on peut prolonger à volonté, sont le désir
infini de l’être à être, ou mieux de l’étant à être. Les consonnes
donnent les limites, donnent une forme à cette aspiration
envahissante. Cette opposition voyelles-consonnes est rassurante
parce qu’il est impossible de les dissocier : l’on ne peut émettre
aucune voyelle sans le support de consonnes et l’on ne peut émettre
aucune consonne sans l’appui de voyelles. Il en va donc de ce
couple comme de tous les couples inventés par le cerveau humain
dichotomique : ses éléments sont indissociables. Ils sont partagés
dans nos métaphysiques dans un souci épistémologique, pour
arriver à penser et à aligner une théorie (cortège de concepts en
grec).
Revenons à la dyade Daleth-Hé. La porte dont je veux parler
maintenant est de toile, elle ouvre la tente d’Abraham et Sarah. Le
patriarche et la matriarche ont vécu tous deux un changement de
nom. À l’origine Abraham était Abram et Sarah, Saraï. Ces deux
noms n’avaient pas la présence du souffle. Adonaï, après avoir
circoncis la chair d’Abraham, circoncit Saraï du Yod de son nom pour
répartir celui-ci entre l’homme et la femme. L’épouse avec son Yod
final avait un surcroît de divin. Yod, nous le verrons plus tard, est
aussi une lettre sacrée car initiale du Tétragramme. Elle est le
symbole du don généreux de Dieu, de sa puissance créatrice.
Quand le Yod et le Hé s’attachent, ils offrent un autre nom de Dieu :
119
Yah, le seul et unique mot évoquant le divin dans le Cantique des
cantiques. Ce Yah, qui est l’essence même du Tétragramme, est
une formule exprimant l’économie puissante qui distribue le masculin
(Yod) et le féminin (Hé). Quelque part avec son Yod comme
étendard, Saraï était trop parfaite, trop complète. Sa stérilité tenait
peut-être à cet excès de perfection. Dieu en bon mathématicien isole
le Yod et divise sa valeur numérique en 2, ce qui donne 5. 5 est la
lettre Hé, deuxième lettre du Nom indicible. Il obtient 2 souffles qu’il
partage en toute équité entre l’homme et la femme. Abram devient
AbraHam et Saraï SaraH. Pour retrouver la puissance divine du Yod,
l’homme et la femme devront conjuguer leur Hé. De leurs deux
fragilités symbolisées par le Hé, il fait leur force. Sans leur
collaboration étroite, ni l’homme ni la femme ne peuvent arriver à
l’harmonie. Dieu par cette répartition paritaire du souffle crée un
manque, une aspiration qui fait comprendre aux sexes leur
dépendance et leur profonde complémentarité.
Il n’est pas de mot en hébreu avec pour seules lettres Daleth et
Hé. La première occurrence contenant les deux consonnes est un
substantif chaldéen : DéHaV, l’orfèvre. Retenons de l’enseignement
du dictionnaire que nos deux lettres combinées avec le Beth
transforment l’or brut en bijou, ce qui peut se comprendre comme le
supplément qu’apporte l’homme à la nature pour l’embellir et lui
donner un sens.
Comme le disait un rabbin juif, que celui qui a des oreilles pour
entendre, entende.
120
Le véritable Nom n’est pas celui qui dore les portiques, illustre les
actes ; ni que le peuple mâche de dépit ;
Le véritable Nom n’est point lu dans le Palais même, ni aux
jardins ni aux grottes, mais demeure caché par les eaux sous la
voûte de l’aqueduc où je m’abreuve.
Seulement dans la très grande sécheresse, quand l’hiver crépite
sans flux, quand les sources, basses à l’extrême, s’encoquillent
dans leurs glaces,
Quand le vide est au cœur du souterrain et dans le souterrain du
cœur – où le sang même ne roule plus –, sous la voûte alors
accessible se peut recueillir le Nom.
Mais fondent les eaux dures, déborde la vie, vienne le torrent
dévastateur plutôt que la Connaissance !
Stèles
Victor Segalen
« Nom caché »
121
Il est facile de comprendre l’étrange poésie qui lie le nom le plus
sacré d’Israël avec la beauté des seins d’une femme. Les auteurs
avouent de la sorte leur émoi quand ils devinent à travers le tulle
d’une femme les formes envoûtantes de la poitrine. L’érotisme est
cette science du caché/dévoilé. Je pousserai la question un tout petit
peu plus loin que je ne le fis dans mon livre sur le Cantique. Nous
savons tous très bien ce qui se cache sous le voile translucide des
caracos de nos belles. Nous savons la couleur et la forme de leurs
seins. Le fait de les insinuer sous l’étoffe diaphane ne fait qu’ajouter
au terrible jeu de la séduction et du désir. Le Talmud, qui nous offre
cette métaphore, imagine bien que nous n’allons pas en rester là.
Qu’est-ce que le voile qui nous dissimule YHVH ? Quelle est la chair
qui est sous la guipure ?
Pourquoi la lingerie féminine insiste-t-elle autant sur ce voile si ce
n’est pour ne pas offrir à l’amoureux la vérité toute crue ? Pour
rendre abstrait ce qui pourrait être d’une violente crudité. La chair à
vif est toujours décevante pour l’amant. Tous les préparatifs de
l’amour sont là pour éviter cette terrible confrontation, les éclairages
tamisés, les miroirs médiatisant le réel et offrant une vision inversée,
une musique douce, des parfums écrasant nos humeurs animales.
Quand dans le pas-de-deux érotique les amants ont retiré tous les
artifices de la séduction, la vue doit forcément laisser la place à la
puissance du toucher. La friction des sexes oublie rapidement tous
les préliminaires merveilleusement mensongers. Dieu met un voile
sur son être pour les mêmes raisons. Pourquoi les maîtres Zen,
quand ils parviennent à leur satori, rient-ils à gorge déployée au
contact avec la vérité toute nue ? Ils rient parce qu’ils se disent : tout
cela pour ça ? Dieu cache sa nudité, sa crudité. IL joue avec nos
nerfs avec ses couches de gaze qu’il superpose sur sa nature. Si la
femme use et abuse des transparences, c’est pour exacerber sa
différence avec l’homme, plus cette différence est marquée, plus
l’homme la désire et veut pénétrer sa nature séparée. Quand la
peau ne connaît plus d’intermédiaire, l’homme voit un être humain
de la même argile que lui. Rien n’est moins érotique qu’une plage
naturiste. L’homme veut une femme et non une femelle. Le français
distingue beaucoup mieux que l’anglais la femme et la femelle. Une
femelle n’est bonne que pour la reproduction, pour l’accueil du
122
spermatozoïde dans l’ovule. Pour l’homme, la femelle ne doit pas
exister. Une truie ne porte pas de jarretelle pour copuler avec son
porc. Dieu avec science masque son corps pour nous donner
l’illusion d’être séparé de nous, d’être d’une autre substance que la
sienne. Quand le voile tombe, le cache-cache n’a plus de sens. Le
sens de toute vie est à revoir. Puisque que l’on soit Alceste, Philinte,
pieux, prude, impudique, honnête, voleur nous ne faisons que le
chercher. Même bien, même mal.
123
124
Les 22 questions de FLORIANE
CHINSKY
Rabbine de la communauté Beth Hillel de Bruxelles en 2009
Avec la collaboration de sa fille Choam
BETH – Beth, la tête abritée sous son parapluie, que voit-il lorsqu’il
scrute l’avenir ?
VAV – Mais son Vav a grandi, si fier de lui qu’il se tient bien droit,
tout seul ! Mais de quoi est-il si fier ?
‘HETH – Notre Vav est retourné voir son protecteur. Mais il a grandi
et vient maintenant l’embrasser, pour le remercier de quoi ?
TETH – Le Teth est une oreille, qui cherche à entendre des mots
magiques, savez-vous lesquels ?
125
KHAF – Le Kaf et son frère jumeau, le Khaf, sont une main tendue…
vers quelles amitiés ?
SHIN – L’Aleph avait perdu son pied. Devenu Ayin, il a fini par
basculer, les jumeaux Shin et Sin sont nés ! Ils ne sont pour nous ni
du chinois, ni cyniques ! Avec qui voulez-vous venir vous balancer ?
126
TAV – Le Vav, à force d’embrasser son tendre protecteur, l’a épousé
et à son pied, s’est étendu un beau petit bébé ! le Tav est leur ombre
chinoise, qui viendra le bercer ?
127
HÉ
5e lettre de l’alphabet
valeur numérique : 5
valeur pleine : 6
pictogramme : homme orant
sens : souffle, prière, lettre divine
phonétique : H aspiré
partie du corps : le pied droit
128
lettre simple
astrologie : Bélier
symbolisme :
le souffle : lettre mystique représentant le souffle.
Le hiéroglyphe à son origine est un
homme en prière.
Elle est deux fois présente dans le
Tétragramme.
129
Vav de scribe
130
LE COUPLE HÉ-VAV
Conte juif.
Un vieux rabbin racontait : chacun de nous est relié à Dieu par un
fil. Et lorsqu’il commet une faute, le fil est cassé. Mais lorsqu’on
regrette sa faute, Dieu fait un nœud au fil. Du coup, le fil est plus
court qu’avant. Et le pécheur est un peu plus près de Dieu. Ainsi, de
faute en repentir, de nœud en nœud, nous nous rapprochons de
Dieu. Finalement, chacun de nos péchés est l’occasion de raccourcir
d’un cran la corde à nœuds et d’arriver plus près du cœur de Dieu.
Tout est grâce.
La non-dualité
131
Vav, le maître du temps
sceptre du Pharaon
132
qui tue, qui tue spécialement les autres êtres humains, soit pour
conquérir, soit pour se défendre. La troisième, le Tsadé, est le métal
qui tue pour que l’homme mange, et ainsi se perpétue et se
multiplie.
Présence du Tétragramme
133
de tout le Cantique des cantiques. En effet nommer Dieu par Lui
permet à la fois de ne pas le définir clairement, mais
paradoxalement de le rapprocher de nous, comme le bien-aimé du
poème d’amour. Toute la poésie soufie joue avec ce terme Lui pour
parler du divin. Par des formules poétiques très proches du Cantique
des chercheurs de vérité comme Roumi ou Al Hallaj évoquent
toujours Dieu en le nommant Lui. Ce Lui étant l’objet de leur amour
absolu.
Le Tétragramme Yod-Hé-Vav-Hé a pour axe le couple Hé-Vav, la
prière et l’unification. La leçon est merveilleusement éthique : à quoi
bon la prière si elle n’a pas pour but de s’unir avec le divin ? Mais
avec une orientation nette : Vav est certes l’unificateur, mais aussi
l’arme de paix. Hé, la prière, le souffle mène à l’unification, à la paix.
Mais il faut toujours se méfier des lieux communs. Il est trop simple
de penser que s’unir à Dieu est la solution de l’énigme. Ne faire
qu’un avec Dieu, avec l’univers, avec le Tout-Autre.
Mais qui sommes-nous pour savoir à qui nous nous unissons
quand nous nous unissons avec Dieu ? Cette modalité d’unification
peut mener aux pires extrêmes, jusqu’à la ceinture de bombe pour
exploser la Terre entière. Il est aisé de croire que l’on recherche
cette union avec Dieu. Mais rien au monde ne peut la vérifier, ni la
contrôler. Et si Dieu dans bien des cas n’était qu’une face de nos
désirs inconscients, de nos non-dits accumulés depuis l’enfance ? Si
Dieu était une espèce de fourre-tout qui permet de justifier tous nos
courages, mais aussi toutes nos lâchetés ? Et si s’unir à Dieu nous
précipitait sur la voie royale de l’évitement de l’autre. Nous ne
pouvons nous confronter à l’autre, alors nous nous jetons dans la
gueule de Dieu. Lui, hou, est tranquille. Il ne répond jamais d’une
manière explicite. On peut lui faire dire ce que l’on veut, se plier à sa
volonté. Nous faisons ainsi les questions et les réponses. Une petite
prière bien intense et nous voilà prêts à traverser l’Atlantique à la
rame.
La prière Hé
134
plus périlleuse, la plus difficile, la plus laborieuse est l’unification
avec soi-même pour s’offrir la joie de vraiment toucher l’autre…
humain. C’est pourquoi de grands maîtres citent en premier
commandement l’obligation d’aimer son prochain comme soi-même.
Aimer ne veut pas forcément dire se jeter dans ses bras, le couvrir
de cadeaux et de caresses. Aimer, c’est reconnaître à l’autre son
altérité. La tendance habituelle balance entre deux extrêmes, soit
nous ne portons aucun regard sur l’autre et nous le considérons
comme un Rien, soit nous sommes attirés follement par lui et nous
voulons le réduire à nous-même, à l’image que nous avons de lui.
Soit Rien, soit réduction au même. Toutes les leçons de l’alphabet,
du Cantique des cantiques, mais aussi des grands épisodes de la
Bible, nous mènent à la création d’altérité pour mieux aimer.
135
Composition sur les quatre lettres du Tétragramme.
136
mouvement. Au moindre défaut, et la mort s’installe dans sa rigor
cadaveris.
Hé suivi de Vav exprime le sens de la prière. Selon le
mouvement alternatif, thème de toute ma démonstration : Hé est à la
fois unificateur et séparateur. Séparateur, car le travail introspectif de
la prière et de l’attention sur le souffle qui nous anime nous isole du
reste du monde et de l’humanité.
Mais ceci pour un temps seulement. Cette énergie stockée
durant ce repli sur soi doit mener au Vav, artisan d’harmonie.
L’harmonie, Téhima en hébreu, entre les uns et les autres, ici ne
sera possible que si nous faisons d’abord régner l’harmonie en
nous-mêmes. Nous devons reconnaître la terrible vérité que nous
sommes à nous-même un autre, un autre qui nous attire mais qui
aussi nous répugne. Nous sommes tous un O.N.U à nous-même.
Unir toutes nos différences intérieures. Unir les personnages
contradictoires. Faire la paix avec nous-même. Accepter d’être
pluriel. Vav, c’est l’harmonie. L’harmonie ne signifie pas l’unisson ou
le recto tono. Pour faire un accord parfait, il faut trois notes
différentes : do-mi-sol. Ce sont leurs hauteurs dissemblables qui font
qu’un accord est agréable à l’oreille. C’est de la collaboration de
leurs différences que naît la musique, ou mieux la musicalité.
L’entente entre le Hé et le Vav est symphonique, mais n’est
certainement pas du plain-chant. La profondeur vient de la possibilité
pour plusieurs registres de s’entendre pour exprimer une œuvre. La
profondeur de l’œuvre, c’est la création d’un relief et la vision du
relief n’est possible que lorsque deux regards observent la même
scène… mais avec un léger décalage.
137
Comme si le Hé, le souffle, était prémice et accomplissement de
toute chose.
La solidité du divin s’exprime par les lettres les plus fragiles de
l’alphabet. Yod, Hé, Vav sont des lettres ayant chacune une double
valeur, elles sont à la fois consonnes et voyelles. Yod peut être I ou
Y, Hé : H ou A désinence féminine, et Vav : O, Ou ou V. La consonne
exprime la matière du son et la voyelle sa spiritualité. Le choix de
ces quatre graphes du Tétragramme est philosophique car ils sont
ce qu’aucun concept ne peut élucider : matière et esprit, puisque
chacun est à la fois consonne et voyelle. Le Tétragramme
représente à lui seul le mystère de la vie. Ce mystère est peut-être
ce que nous appelons par paresse, zèle, trop d’intelligence ou
bêtise : Dieu.
138
Détache-toi des deux univers
Enlève ce qui se trouve entre Nous !
Si on t’interroge au sujet de Celui
Pour qui tu brûles d’amour réponds :
« Je suis Celui que j’aime et Celui que j’aime c’est Moi ! »
Je suis pour Dieu et par Dieu je suis
La vie ne peut faire office de demeure !
En me voyant, je ne vois que Vous
Convaincu que Vous êtes Moi
Le substrat de toutes les âmes ne forme qu’Un en Nous
Semblable à tous les corps unis dans un seul !
139
140
Les 22 questions de FRANK
LALOU
ALEPH – Te perdre dans la nostalgie de l’unité, est-ce vraiment ta
quête ?
‘HETH – L’épreuve n’est-elle pas plus menue quand elle est vue de
haut ?
141
LAMED – Pourquoi bornes-tu les études à la poussière des livres ?
Ne vois-tu pas que le désir est désir de tout ?
QOF – Quelle est cette dernière pudeur qui t’empêche d’ôter tes
derniers voiles et enfin de te voir nu, plus que nu ?
142
VAV
6e lettre de l’alphabet
valeur numérique : 6
143
valeur pleine : 12
pictogramme : crochet
sens : porte, lien, unification
phonétique : V, O, OU
partie du corps : rein droit
lettre simple
astrologie : Taureau
symbolisme :
le crochet : lettre d’unification
des contraires.
La plus fréquente dans la Bible.
Vav convertit aussi le passé en futur et le
futur en passé.
144
Vav et Zayin de gauche à droite
LE COUPLE VAV-ZAYIN
Lorsqu’un fils se marie, il divorce avec sa mère
Proverbe yiddish
Féminin-Masculin
Rencontre-Rupture
Guerre-Paix
Unification-Séparation
Sumbolos-Diabolos
Oui-non
Bien-Mal
145
Le Yin-Yang hébraïque
Non-dualité
146
difficile d’identifier ce félin au Mal. Si nous avions été là, nous
aurions chassé cet horrible prédateur en l’effrayant ou même en
l’abattant d’un coup de fusil. Il se trouve que ce lion des montagnes
fut un jour tué par des chasseurs. Il était le dernier des prédateurs
de la région. Au début les biches pouvaient s’égayer autour de
l’étang. Elles buvaient en toute tranquillité. Si tranquilles qu’elles
purent se reproduire sans crainte, si bien que bientôt, elles furent si
nombreuses qu’il n’y eut plus la moindre herbe autour du point
d’eau. Sans herbe le terrain perdit sa stabilité et peu à peu, remplit
ce qui restait de l’étang. Quand il n’y eut plus d’herbe et plus d’eau,
tous les cervidés périrent, tous. Ce que nous appelions le Mal n’était
en rien un mal, mais le résultat d’un équilibre. Par abus de langage
nous appelons le lion, lion et la biche, biche. Mais en réalité le lion et
la biche ne font qu’un. Nous pourrions même user d’un néologisme
et annoncer que nous n’avons pas deux animaux mais qu’un seul
qui se nomme : lionbiche. Le Mal n’existe pas en dehors de
l’humain.
147
plus de vieilles personnes que de jeunes en pleine puissance de
travail. Le vieillissement de la population sur le long terme est une
des menaces majeures des équilibres planétaires. De même
l’horreur de la Shoah conduit les Européens à choisir le « plus
jamais ça ! », la paix et le libre échange plutôt que les revanches
éternelles qui ont déclenché les deux précédentes guerres. À
l’échelle psychologique, cette règle peut aussi s’appliquer. Le petit
enfant vit douloureusement les séparations d’avec sa mère. Il les
prend comme un mal. Mais ce mal nécessaire le conduit à plus
d’autonomie et le mène à la liberté de son être. Après certains
divorces difficiles, la personne abandonnée remercie d’avoir été
quittée car cet événement triste de sa vie la conduit à redécouvrir qui
elle est vraiment.
Zayin et Vav
Guerre et Paix
148
rester pour l’éternité dans un idéalisme mièvre, dans une confusion
mentale. Malheureusement, l’homme au cerveau porté à la violence
a besoin du fer pour affirmer ses séparations. Mais sans ce fer, les
régimes impitoyables ne tomberaient jamais. Les pays resteraient
esclaves à jamais des nations suzeraines. Le Zayin nous enseigne à
trancher. Même quand ça fait mal. Pour grandir, pour être, pour
s’offrir un devenir et pour… de nouveau avoir la possibilité de vivre
le Vav amoureux des fusions.
L’Évangile, magnifique condensé de la pensée juive, met face à
face ces deux entités. Dans un de ses sermons Jésus précise qu’il
n’est pas venu apporter la Paix mais l’Épée, nous dirions dans ce
livre qu’il est venu apporter le Zayin plutôt que le Vav. Connaissant
les valeurs d’amour qui sont liées à cette personne, nous nous
serions attendus à ne voir en lui qu’un artisan de paix. Mais il sait en
véritable maître que toute évolution ne peut passer que par l’arme
sécante du Zayin. Dans d’autres passages quand il demande à ses
disciples de laisser les morts enterrer les morts ou de se séparer de
ses parents pour devenir ses disciples, cela procède de la même
idée : se séparer pour aller au plus profond de l’expérience. Mille
raisons nous poussent à nous maintenir dans le semblable, le
prévisible.
Le Zayin exprime la vertu guerrière du courage. Zayin est le
courage de vivre et vivre pleinement notre condition, c’est choisir à
chaque instant. Choisir nous place toujours devant un carrefour
angoissant où la route empruntée nous condamne à ne pas
connaître ce que nous serions devenus si nous avions voyagé sur
l’autre chemin. Ce chemin-là est mort, l’homme qui l’aurait suivi
aussi, et nous devons en faire le deuil. La personne qui refuse de
choisir est plongée encore plus dans la mort car elle est condamnée
au fixisme perpétuel. Et si elle ne choisit pas, c’est la vie qui la
contraindra. Quand je crois dire oui, je dis aussi un non. Quand la
fiancée dit oui sous le dais des mariés, en réalité elle dit non aux
millions de garçons qui auraient pu se trouver là sous cette tente
nuptiale. Le oui séparé du non n’existe pas, ce qui devrait toujours
se dire c’est ouinon. Ce ouinon est la marque de la non-dualité, il est
la marque du deuil à faire d’un oui monovalent.
149
Souviens-toi !
150
pourraient jamais s’incarner. La femme est le temps. Il est amusant
de constater que de par le monde les monuments commémoratifs
ont souvent des formes phalliques : menhirs, obélisques aux soldats
tombés pour la patrie, stèles pour les poilus morts au champ
d’honneur.
151
16-
Yéshoua’ dit : des hommes pensent que je suis venu offrir la paix
au monde. Mais ils ne savent pas que c’est la discorde que je suis
venu imposer sur la Terre. Feu, Épée, Guerre. Cinq seront dans une
maison. Trois se sépareront de deux et deux de trois. Père contre
Fils. Fils contre Père et ils se tiendront solitaires.
Logion 16
L’Évangile de Thomas,
Traduction Frank Lalou, DDB
152
153
Les 22 questions de GEORGES
LAHY
Auteur, kabbaliste
154
AYIN – Jusqu’où l’œil a-t-il le droit de voir ?
155
ZAYIN
7e lettre de l’alphabet
valeur numérique : 7
156
valeur pleine : 67
pictogramme : arme
sens : arme, discernement, pénis
phonétique : Z
partie du corps : pied gauche
lettre simple
157
LE COUPLE ZAYIN-‘HETH
Comme tout semble bien placé dans ce jeu de l’oie
alphabétique !
Comment pourrions-nous affronter l’épreuve du ‘Heth si nous
n’avions pas en main l’épée du Zayin ? L’alphabet ne nous laisse
pas dépourvus pour franchir la barrière qui vient. Lié au ‘Heth, Zayin
devient le thérapeute. Que nous enseigne le thérapeute, sinon à
gérer nos séparations, nos coupures. De la bonne gestion des
ruptures de la vie dépendra le passage difficile de la lettre ‘Heth.
Car au-delà de cette limite, une terra incognita s’offre aux pieds.
Le saut demande de la témérité, car on ne sait si on va tomber et
s’écrouler. Souffrir encore plus de la tentative d’évasion que de
l’évasion. Les enfants d’Israël sont extrêmement rares à avoir choisi
les hasards du désert plutôt que l’esclavage de l’Égypte avec ses
certitudes et ses routines pourtant si douloureuses.
‘Heth, c’est accepter de perdre un équilibre pour advenir à soi-
même.
158
La notion de recul avant le saut est essentielle dans la
symbolique de la lettre. L’épreuve paraît tellement élevée qu’on n’en
connaît aucune proportion. Le recul est une sortie du système.
Quand on est immergé dans un problème, on imagine qu’aucune
solution n’est envisageable, que tout est fini, que l’on va se faire
dévorer par lui. On calcule des sorties de secours uniquement avec
les outils issus du problème, toutes les évaluations se font dans sa
logique uniquement. On ne perçoit de l’imbroglio que complication
alors qu’il ne peut être que complexité.
La solution doit se chercher en dehors de l’impasse abordée.
Que permet le recul thérapeutique sinon prendre de la distance, du
détachement ? De loin, la barrière semble plus petite, on en discerne
mieux l’architecture. Quand on s’en approchera de nouveau pour la
sauter, on en comprendra mieux la structure, les défauts, les
faiblesses. La phase suivante du saut permettra l’élévation qui,
comme le recul, aide à prendre les distances et à considérer
l’épreuve d’un tout autre point de vue, en l’occurrence d’une hune
bien au-dessus.
Zayin, le thérapeute
Le mariage entre les lettres Zayin et ‘Heth est ici bien signifiant.
Zayin-l’épée véhicule les vertus guerrières. Sans ces vertus, on se
retrouve sans force et sans courage. Le Zayin mâle, présent au sein
des hommes et des femmes, nous permet d’affronter l’inconnu au-
delà de l’enclos. Glaive brandi, il nous donne la dose d’inconscience
suffisante à risquer sa vie pour une autre vie. Le Zayin est cette folie
nécessaire pour changer de dimension. L’esprit d’aventure, le goût
de l’épreuve, l’attraction à fouiller de l’autre côte du miroir. Il est le
thérapeute qui prépare le saut de la barrière ‘Heth, qui n’est autre
que l’arsenal de nos névroses qui nous barre le chemin de la vie. Ce
thérapeute nous enseigne l’art de la séparation. Le couple
Zayin-’Heth est un couple équilibré. L’un ne peut pas aller sans
l’autre, de même l’Aleph sans le Beth est inconcevable. Qui peut
envisager l’Un sans le deux, ainsi que le Beth sans le Guimel, la
chaleur de la maison sans l’attrait du voyage ? Il est nécessaire de
connaître la racine hébraïque qui évoque le mouvement pour
159
réaliser le rapport étroit entre nos deux lettres. ZiZ, Zayin-Yod-Zayin,
avec ce significatif doublement du Zayin, veut dire : bouger, se
mouvoir. Comme si l’essence même de la lettre bégayante dans ce
cas était le mouvement qui allait permettre de concentrer toute
l’énergie pour sauter l’obstacle qui arrive.
160
Sinon, nous sombrons dans l’immobilisme, dans le calme plat,
l’électroencéphalogramme bridé.
161
‘Heth catalan
162
c’est parce que l’on croit que demain sera source de lumière et
d’accomplissement, que les épreuves les plus terribles pourront être
surmontées. Le sens du messianisme est inscrit dans l’écrin de cette
formule : souviens-toi de demain. Le messie imaginé comme un
superman venant régler de l’extérieur tous les conflits et les toutes
souffrances humaines est tellement réducteur, tellement primaire et
infantile. Le messie, c’est moi, c’est toi demain. Et demain, tout est
possible. Le messie, c’est la rencontre avec soi-même. Même si la
rencontre se fait attendre et peut ne jamais advenir, c’est l’attente qui
sculpte la grandeur et la beauté de notre humanité. Le plus beau
cadeau de Noël n’est pas le contenu des colis enrubannés mais
l’attente du moment magique de la remise des présents, quand tout
est encore caché. Se souvenir de demain, c’est intégrer dans son
âme et dans son corps le premier dialogue au buisson ardent entre
Élohim et Moïse quand, après lui avoir demandé de se déchausser,
Il dit : Je serai qui Je serai (Exode 3,14). Dieu lui-même est à venir.
Dieu lui-même a besoin des autres pour se définir, a besoin de sa
plus belle invention : le temps, avec ses passés, présents, futurs. La
pensée hébraïque préfère la puissante aspiration du futur. Elle
dresse comme toile de fond de toute action humaine le manque qui
nous pousse à ouvrir les portes toujours interdites.
Ce Je serai qui je serai fait de nous, non pas des blocs
monolithiques, mais des coureurs jubilant de foulées toujours
risquées mais tellement sources de connaissance, des danseurs de
corde oscillant entre la vie et la mort.
Presque tous ceux qui s’en sont sortis ont élaboré, très tôt, une
« théorie de vie » qui associait le rêve et l’intellectualisation. Presque
tous les enfants résilients ont eu à répondre à deux questions.
« Pourquoi dois-je tant souffrir ? » les a poussés à intellectualiser.
« Comment vais-je faire pour être heureux quand même ? » les a
invités à rêver. Quand ce déterminant intime de la résilience a pu
rencontrer une main tendue, le devenir de ces enfants n’a pas été
défavorable1.
163
164
LES 3 ÉPREUVES DE L’ALPHABET
165
LES TROIS ÉPREUVES DE
L’ALPHABET
L’alphabet hébraïque est un chemin initiatique. Chaque lettre
constitue une étape dans le parcours existentiel et spirituel de tout
166
être humain. Comme dans le jeu de l’oie, nous y trouvons des
étapes incontournables. Le but du jeu, du Grand Jeu de la Création,
est de tutoyer le Tav, l’ultime case de l’itinéraire. Qui une fois atteint
nous offre la possibilité de recommencer l’alphabet dans d’autres
modalités spatio-temporelles. Le tableau présenté ci-dessus nous
donne dans une vision synoptique les trois types d’épreuves
disséminées dans la série des vingt-deux stations. Ces trois
épreuves sont construites par quatre lettres car les lettres ‘Heth et
Teth en constituent toutes deux la deuxième.
167
2 - ‘Heth/Teth, l’épreuve psychologique
168
encore plus terribles. Le Qof franchi par cette connaissance
profonde, nous débouchons sur le Rech. La tête humaine de profil,
toute dévouée au projet. Nous retrouvons le bon sens de l’alphabet
et de la vie et pouvons envisager d’atteindre l’ultime case du jeu de
l’oie, le Tav, qui est l’affirmation de soi, l’individuation. Mais ceci
quand l’ego accepte en fin de parcours son origine divine.
169
170
Les 22 questions de TINA BOSI
Chorégraphe créatrice de la Téhima, gestuelle sur la symbolique des
lettres
GUIMEL – Ton voyage est-il trop rapide ou trop lent ? Qui as-tu
rencontré ?
171
NOUN – Tu leur fais peur ? C’est leur problème. Te fais-tu peur ?
172
‘HETH
8e lettre de l’alphabet
valeur numérique : 8
valeur pleine : 418
pictogramme : barrière, bête
sens : épreuve, vitalité
173
phonétique : ‘H, comme ch allemand
partie du corps : main droite
lettre simple
astrologie : Le Cancer
symbolisme :
la barrière : marque les séparations :
dedans/dehors, moi/l’autre, licite/illicite.
Elle est garante des équilibres.
Avec ‘Hayim elle est la Vie.
174
serpent ouroboros
175
LE COUPLE ‘HETH-TETH
La leçon de ce nouveau couple s’intègre dans celle du
précédent.
En synthétisant à outrance les symboles des lettres Zayin, ‘Heth
et Teth, nous pourrions obtenir la proposition qui suit :
Il faut la témérité du Zayin pour nous aider à passer l’épreuve du
‘Heth, la barrière. Tout manque de courage et de détermination nous
plongerait dans l’aspect négatif de la lettre Teth : LA RÉPÉTITION
SANS FIN DES PROBLÈMES. Le Teth est le symbole de la névrose,
qui nous enferme à jamais dans le déjà-vu.
176
lettre, elle annonce la possibilité de quitter le carrousel infernal qui
tourne et tourne sans fin.
Le ‘Heth et le Teth mettaient en évidence deux manières de
s’enfermer. ‘Heth pouvait aussi signifier l’enclos, cercle de la clôture
dans lequel les troupeaux sont contenus. Le seul moyen de fuir cet
étouffement était de sauter l’obstacle. Avec le Teth, l’alphabet bégaie
de nouveau, mais toujours avec une nuance de plus. Il évoque une
autre qualité d’enfermement, plus absolue, plus inquiétante. La seule
issue de secours est l’attente attentive des enseignements en
provenance du Ciel. Le Teth attend le conseil de la lettre qui suit
pour favoriser l’échappée belle. Ce signe pour trouver sa résolution
est toujours dépendant des autres, il est comme une oreille tendue
vers l’extérieur qui guette la moindre parole de sagesse pour se
sauver.
177
veux créer, si ce n’est dans le monde à venir. Et toujours parce
qu’elle est cachée en toi, les portes du Temple s’enfonceront,
comme il est écrit : « Ses portes s’enfonceront dans la terre » (Lm 2,
9). En outre le ‘Heth te correspond et lorsque vous vous associez en
un seul mot c’est le péché, ‘Heth. C’est la raison pour laquelle ces
lettres ne sont pas inscrites dans les noms des Saintes Tribus.
Aussitôt elle sortit de sa présence.
178
Dieu vit que la lumière était bonne
179
Teth est aussi le chiffre 9, ultime marche des degrés des unités.
Après lui, le monde des dizaines, des centaines et de tous les infinis
commence. Dernière unité mais nullement seuil comme le Daleth ou
le ‘Heth qui donne accès à des dimensions inconnues. Le seuil entre
les unités et les nombres qui suivent n’existe pas car leur différence
n’est pas quantitative mais qualitative. Si un seuil s’envisage, c’est
dans l’entre-deux indicible entre le 9 et le 10. Teth est l’achèvement
des univers qualitatifs. Comme une acmé de la numération, comme
une tension extrême qui ne peut qu’entraîner un changement de
nature. Cette tension qui fait basculer le comptage des chiffres vers
celui des nombres est un état de juste-avant Roland Bergmann, le
nomme le presque. De même que le passage de l’Aleph au Beth, du
Un au Deux, nécessite toute notre imagination ontologique pour le
décrire, celui du 9 au 10 est extrêmement difficile à concevoir. Une
nouvelle création s’opère, un nouveau Béréshit, en tête, s’amorce.
Pas de mot pour l’approcher.
180
nouveau ; l’anneau de l’existence se reste éternellement fidèle à lui-
même.
À chaque moment commence l’existence ; autour de chaque ici
se déploie la sphère là-bas. Le centre est partout. Le sentier de
l’éternité est tortueux.
Nietzsche
Ainsi parlait Zarathoustra
181
182
Les 22 questions de MARC
HALÉVY
Physicien, écrivain
183
NOUN – Ce serpent-devin n’a-t-il initié que ‘Hawah aux mystères du
verger ?
184
TETH
9e lettre de l’alphabet
valeur numérique : 9
valeur pleine : 419
pictogramme : bouclier, boue
sens : bouclier, serpent, argile
phonétique : T
partie du corps : le rein gauche
lettre simple
astrologie : Le Lion
185
symbolisme :
le bouclier ou le serpent (qui se mord la
queue, ouroboros)
elle est le mouvement,
la continuité et l’éternel retour.
Avec Tov, elle est la bonté d’Adonaï.
186
LE COUPLE TETH-YOD
Cantique des degrés.
Je lève mes yeux vers les montagnes… D’où me viendra le
secours ? Le secours me vient de YHVH, Qui a fait les cieux et la
terre. Il ne permettra point que ton pied chancelle ; Celui qui te garde
ne sommeillera point. Voici, il ne sommeille ni ne dort, Celui qui
garde Israël. YHVH est celui qui te garde, YHVH est ton ombre à ta
main droite. Pendant le jour, le soleil ne te frappera point, Ni la lune
pendant la nuit. YHVH te gardera de tout mal, Il gardera ton âme ;
YHVH gardera ton départ et ton arrivée, Dès maintenant et à jamais.
Psaumes 121
187
nom imprononçable de Dieu. La tradition n’a pas manqué de relier
l’Aleph et le Tétragramme, elle use pour cela de la guématria, art de
la numérologie sacrée. Si on additionne tous les éléments de la
première lettre de l’alphabet nous obtenons un Vav et deux Yods ce
qui donne le nombre 26 et si on cumule les valeurs numériques des
graphes du Tétragramme nous obtenons aussi 26.
188
élève le Yod, Guimel le transporte dans ses pérégrinations, le Noun
le dresse comme la tête d’un serpent, le Pé le cajole dans son sein.
Nous arrivons à une économie extrême des gestes. C’est pourquoi il
est important d’apprendre à calligraphier les lettres. Par la main et le
travail de tout le corps, une autre compréhension s’impose, car
même dans leur gestuelle une extrême cohérence se dessine.
Le corps de la lettre
189
la courbe et la droite
190
le Phi grec est aussi ce dialogue entre la
courbe et la droite
qui est l’essence de la philosophie.
191
Donne-moi tes mains pour l’inquiétude
Donne-moi tes mains dont j’ai tant rêvé
Dont j’ai tant rêvé dans ma solitude
Donne-moi tes mains que je sois sauvé
192
S’y taise le monde au moins un moment
Donne-moi tes mains que mon âme y dorme
Que mon âme y dorme éternellement.
Louis Aragon,
« Les Mains d’Elsa »,
extrait du Fou d’Elsa,
édition Gallimard
193
194
Les 22 questions de PASCAL
CHEVALLIER
Éditeur, stomatologue
195
‘AYIN – Vois-tu ce qui coule de source ?
PÉ – Quelle parole te libère ?
196
YOD
197
symbolisme :
la main (tendue) : plus petite lettre qui les
forme
toutes. Symbole de puissance,
de création.
Première du Tétragramme.
Indique la présence divine.
198
LE COUPLE YOD-KHAF
Georges Brassens,
199
Chanson pour l’Auvergnat
Le don et la réception
200
Khaf et Beth avec sa traîne
Il classe, après cette fin des unités (de 1 à 9), les deux premières
dizaines sous le signe de la main. Comme si une nouvelle ère
s’entamait, l’ère de la puissance humaine sur le monde. Cette
double capacité de donner et recevoir pour ce seul membre. La main
est l’organe qui permet à l’homme de modifier le jardin dont il est
responsable. Le Yod construit l’outil, le manipule et transforme la
matière sur le modèle de son projet. Le Khaf soutient l’objet, le
dorlote, le déplace, l’isole, le protège. Le mouvement Yod et la
maturation Khaf, vus non comme deux oppositions, mais comme
deux pulsations d’une même fonction.
Si Yod est le masculin et Khaf le féminin, leur proximité nous
mène à comprendre que les deux lettres copulent. Le dixième
graphe s’accouple avec l’onzième. Nous avons là de nouveau une
201
variété de Yin-Yang hébraïque. Il faudra attendre six lettres pour
trouver le fruit des amours du Yod et du Khaf : le Pé.
202
notre quotidien. Sinon, elle n’est qu’airain qui résonne. Replaçons
l’humain au centre. Repensons aux mécanismes de la créativité
chez les artistes, les ingénieurs, enfin toutes les personnes qui
inventent du neuf pour améliorer en beauté ou en efficacité nos vies.
Tout créatif a un jour bien mesuré quelles étaient la part de masculin
et la part de féminin qui l’animaient. Nous entendons souvent le lieu
commun concernant la face féminine des peintres qui les pousse à
peindre. Penser avec de telles dichotomies, c’est ne pas penser. On
ne peut envisager un processus que par un dialogue entre les
énergies antagonistes. Grâce à la psychanalyse, les hommes
d’aujourd’hui n’ont plus peur d’avouer leur féminité, mais il aura fallu
des millénaires pour comprendre et énoncer l’ambivalence intérieure
de chacun. La succession Yod-Khaf dans l’alphabet est cette leçon
de l’indissociabilité de ces énergies. Leur résultante en la lettre Pé
nous aide à appréhender les effets de la friction de ces deux pôles.
203
précédente et dans un deuxième temps pour offrir au monde, au
devenir, le produit de cette gestation.
Victor Hugo,
« Puissance égale bonté »
in La Légende des siècles
204
205
LES 22 QUESTIONS D’ALBERT
WODA
Artiste peintre, graveur et éditeur
ALEPH – Y a-t-il une lettre avant cette première lettre ? Ou bien n’y
a-il que de la musique ?
BETH – Faut-il qu’un homme ait deux maisons pour être heureux ?
TETH – Faut-il que la route soit très droite pour être certain de ne
pas repasser au même endroit ?
206
MEM – Faudra-t-il qu’un jour je porte ma mère dans mes bras ?
SHIN – Imagine-t-on tous les gestes qu’il a fallu faire pour aboutir à
l’immobilité d’une peinture ?
207
KHAF
208
valeur pleine : 100
pictogramme : paume
sens : agent de mutation, solidité
phonétique : K ou KH
partie du corps : l’œil gauche
lettre double
planète : Vénus⊠
symbolisme :
la paume (qui reçoit) :
symbole des objets creux de
transformation de la matière :
casserole, creuset.
Lettre des mutations spirituelles. Capacité
d’accueil
209
210
LE COUPLE KHAF-LAMED
Les maturations du Khaf enfantent le Lamed.
211
Le Lamed situé au beau milieu de l’alphabet est comme le fanal
qui guide les bateaux pour qu’ils évitent les amers de nos houleuses
vies. Il est situé en plein mitan parce que sa force de pénétration est
primordiale pour continuer la partie du jeu de l’oie qui suivra. Si,
comme dans les jeux de rôle, nous n’aboutissions pas à cette lettre,
jamais nous n’aurions la force de perdurer dans nos projets. Le désir
Lamed est plus que le projet. On peut, comme par discipline, se
forcer à créer des projets, mais on ne peut se forcer à avoir des
désirs. Le désir est hors de contrôle de la conscience, il est ce feu
qui nous anime de l’intérieur pour nous propulser vers l’extérieur. On
ne dit jamais : « Tiens aujourd’hui je vais désirer. » On se lève, on
bondit du lit parce qu’une force sourde nous pousse à l’extérieur.
L’ordre alphabétique qui fait suivre le Khaf par le Lamed est
profondément ancré de sagesse. Le désir n’est pas une simple
velléité. La force vitale du Lamed est le produit de toutes les
initiations qui précèdent. Khaf, nous l’avons vu, veut dire en hébreu
la casserole, le creuset, c’est-à-dire le récipient qui permet les
mutations. Il est l’ultime étape féminine avant l’affirmation du Lamed
mâle.
Toute opération chimique demande un catalyseur qui est dans
cette triade le Yod qui précède le Khaf. Le Yod est le plus petit
élément, l’atome qui est présent dans toutes les lettres. On le
retrouvera donc dans le Lamed, tout en haut de la lettre. Ce signe L
est en quelque sorte un Khaf qui aurait étendu sa potence pour
élever le Yod. Pour que l’étendard de l’alphabet soit ce petit Yod qui
exprime la faculté de donner du divin.
Il n’est pas étonnant que Lamed, qui veut dire l’aiguillon pique-
bœufs et par extension le désir qui fait avancer les choses, soit aussi
l’étude. En effet, la racine LMD en hébreu signifie étudier. Nous
savons l’importance de l’étude pour le peuple juif. L’apprentissage
de la lecture se fait traditionnellement à trois ans chez les garçons.
Un joli rituel marque ce passage de l’état d’enfance inculte à
l’enfance qui apprend. Les mères organisent, pour les trois ans de
leur garçon, une fête où elles préparent des gâteaux en forme de
212
lettres hébraïques. L’enfant doit les manger avec plaisir. Cette
cérémonie est accompagnée de la coupe des cheveux qui n’avaient
jamais été touchés depuis la naissance. Cette coupe marque la
rupture d’avec le monde purement maternel, pour s’ouvrir au monde
du père et de la communauté priante. L’étude nous coupe du monde
purement fusionnel et fait de sensations. Pour ne pas effaroucher
l’enfant, ce sont les mères qui doivent rendre douce l’idée de l’étude
en couvrant les petits fours de miel. Elles confient de leur propre
grès leur progéniture aux enseignants qui autrefois étaient
uniquement des hommes. Dans la tradition, l’étude est liée à la joie à
tel point qu’il existe une prescription particulière en période de deuil.
Il est interdit pendant les jours qui suivent le décès d’un proche
d’étudier la Torah, car étudier nous procure une joie qui n’est pas
conforme aux devoirs d’affliction du deuil. Par cette douzième lettre,
il ne faut pas envisager l’étude uniquement dans le cadre des livres
et des écoles. Étudier se fait en permanence. Être curieux du
monde, vouloir sans cesse apprendre en observant, en rencontrant
des gens, est une forme d’étude. Cette force qui nous pousse vers
les autres, vers de nouveaux pays à découvrir, de nouvelles amours
est aussi l’étude. Le désir, le désir d’étude font en sorte que tout ce
qui est vécu devient source de lumière, source de connaissance,
ceci pour jubiler à chaque instant de notre présence au monde.
Kol
Khaf et Lamed forment le mot : KOL, qui veut dire tout. Ce tout
nous renvoie sûrement à cette globalité de l’étude où tout doit être
enseignement, sujet d’émerveillement. Un autre mot intéressant
pour aller plus avant dans cette interprétation du couple KL : Kalah,
la fiancée. Kalah revient lors des moments de grandes joies au sein
de la communauté. Il est prononcé lors du chant festif du rituel du
vendredi soir dans le fameux : Lekha Dodi, qui compare l’alacrité du
shabbat à une fiancée que l’on attend avec impatience toute la
semaine.
213
Racine Yakhal
214
215
Les 22 questions de RAFAËL
PAYEUR
Prêtre au Canada, auteur
216
YOD – Comment peux-tu initier en toi une dynamique pouvant
t’introduire dans une expérience de profonde mutation ?
217
TAV – Tu es destiné à devenir une icône de Dieu. Sauras-tu
partager éternellement son intimité en l’incarnant dans un état de
parfaite communion ?
218
LAMED
219
sens : désir, enseignement,
phonétique : L
partie du corps : la vésicule biliaire
lettre simple
astrologie : La Balance
220
LE COUPLE LAMED-MEM
Le monde ne subsiste que par le souffle des enfants qui étudient.
221
Un simple décalage rapproche les deux graphes. Nous avons
aperçu dans le chapitre précédent que Lamed était le désir mâle,
ithyphallique, érigé et qu’il dominait de son audace tout le reste de
l’alphabet. Cette translation vers le bas du Vav du Lamed nous
conduit sans ambiguïté à la lettre féminine par excellence, le Mem.
Nous assistons ici, comme pour le Yod et le Khaf qui juxtaposaient le
masculin et le féminin, à une mise en situation de ces deux pôles, à
une nouvelle évocation d’un Yin-Yang hébraïque.
222
chimiquement. Seuls quelques atomes dans les chaînes des
molécules différencient la testostérone et l’œstrogène. Mais
quelques éléments infimes font toute la différence. Il est intéressant
de noter que le mot Lamed respecte l’ordre alphabétique car le Mem
vient après le Lamed. Comme si les inventeurs de la série des
lettres avaient vraiment voulu que ce graphe ait déjà dans son nom
celui qu’il annonçait.
Le Daleth étant la porte, on peut s’amuser à croire qu’il est le
portique intermédiaire entre les deux dimensions.
Le Mem matriciel
223
ne vivent pas le même temps que les hommes, ni d’ailleurs le même
espace. L’alphabet est sensible à cette dichotomie. Regardons le
tableau ci-dessous qui montre comment cette dialectique alimente la
distribution des symboles de nombreux couples de lettres.
Se nourrir de questions
224
s’interroger sans cesse. Dans le descriptif des valeurs du Lamed,
nous avions déterminé ses deux axes, l’étude et le désir. Mais
qu’est-ce que l’étude si ce n’est surtout se poser en permanence des
questions, qu’est ce que le désir si ce n’est cette énergie qui nous
pousse à répondre aux questions à chaque instant ? Une autre
anecdote corrobore cette pulsion à se poser des questions : trois
rabbins passent un après-midi ensemble. Ils discutent, discutent et
se questionnent sur l’existence de Dieu. À force de questions et de
débats, ils finissent par se mettre d’accord : Dieu n’existe pas ! Sur
cette réponse implacable sonne l’heure de la prière du soir. D’un
seul mouvement, ils se lèvent et se disent inquiets : dépêchons-
nous, nous allons être en retard à l’office !
À ma mère
Hannah Senesh
Trad. Liora Elloul
225
226
LA CHAIR DES LETTRES
Spectacle donné en 2008
Théâtre de la Cité à Nice
Théâtre Rachi à Paris
Auditorium Nucéra à Nice
227
Je m’immerge dans l’eau du Noun, la lettre me tient la main,
miracle, je respire dans sa dimension autrefois interdite.
Je cache avec pudeur mon Zayin toujours assoiffé de ce Noun.
Je suis broyé menu dans le creuset du Khaf,
et j’en sors plus neuf qu’avant d’y pénétrer.
Je broie le monde de ma dent Shin et mon âme est nourrie.
Ce que j’ai appris en versant des litres d’encre sur mes plumes
est tellement bête.
Ce que j’ai appris après ces kilomètres,
ce tour de la planète en voyageur clandestin des textes sacrés.
Et puis le papier, comme autant de rencontres amoureuses.
J’ai appris que je n’écrivais pas les lettres,
mais que c’étaient les lettres qui m’écrivaient.
ALEPH
228
de ce programme serré dans nos gènes depuis le premier atome
d’hydrogène : retrouver l’unique, retrouver l’unique, retrouver
l’unique, re-trou-ver-l’u-ni-que.
BETH
GUIMEL
DALETH
HÉ
VAV
229
ZAYIN
‘HETH
TETH
YOD
KHAF
Khaf, l’utérus du Yod. La main Yod qui donne, la main Khaf qui
reçoit. L’entrelacs du Féminin et du Masculin. La vaste valse de
l’univers enspiralé des couples. Enfantements, mutations,
germinations. Khaf, le creuset de nos devenirs.
LAMED
230
Combien d’années d’étude pour goûter au fruit issu des amours
du Yod et du Khaf ?
Lamed, phare au beau milieu de l’alphabet, porte haut le Yod
d’Adonaï et éclaire les ténèbres où planter le drapeau de l’étude.
MEM
NOUN
SAMEKH
AYIN
231
« L’œil par lequel Adonaï me regarde est l’œil avec lequel je Le
regarde1 ».
PÉ
Ayin, l’œil, ouvert, donne sur le monde et, fermé, sur le miroir de
notre conscience. Pé, la Bouche, s’ouvre pour offrir la parole et se
ferme pour accueillir les nourritures terrestres. La parole est le fruit
des amours de la main Yod fertilisant la paume Khaf. Pé garde
précieusement et offre généreusement cette présence mystérieuse !
TSADÉ
QOF
RECH
SHIN
232
Travail des mutations sublimes. Le Rech, le visage de l’homme
projetant et passant sous la meule de la dent Shin, la matière à
spiritualiser, la brutalité à humaniser. Shin, tu broies et tu
transformes le passé en présent et le présent en futur. Avec toi, tout
ne peut être que mouvement.
TAV
ÉPILOGUE
233
Tsérouf, permutation des
lettres, mandala kabbalistique,
d’après le Sépher Yétsira
234
MEM
235
symbolisme :
l’eau : lettre de la féminité.
Évoque la gestation, la vie intérieure,
l’ésotérisme.
Elle est aussi dans de nombreux éléments
interrogatifs : qui, quoi, d’où?
236
LE COUPLE MEM-NOUN
Le nom de Dieu est : PEUT-ÊTRE
Tikkounei ha Zohar
L’univers multidimensionnel
237
d’immersion, notre cerveau sans oxygène n’assume plus aucune
fonction et entraîne tout le corps dans la mort. Dans la tradition,
cette survie dans ce milieu hostile prouve aux humains qu’il existe
des dimensions dans lesquelles nous imaginons ne pas pouvoir
résister alors que d’autres espèces attestent que cela est possible
d’y vivre et apparemment même d’y être heureux, car le poisson est
aussi symbole de multitude et de fertilité abondante. L’expression
« heureux comme un poisson dans l’eau » atteste cette altérité.
Si on tient compte de l’autre origine de Noun, le serpent, nous ne
sommes pas loin du message précédent. Lui vit dans le sable, tout
aussi mortel pour nous les hommes de surface. Il vit aussi sans
membre, il n’est qu’un corps et une bouche. Ce mode d’existence
nous paraît tellement éloigné de nos schémas que ce reptile nous
parle lui aussi des dimensions autres dans lesquelles des
organismes peuvent vivre. Dans la Genèse, il est la bête qui initie la
femme, qui lui ouvre les yeux sur des modes d’être qu’elle ignorait
complètement, grâce à lui l’espèce humaine n’est plus condamnée à
nommer les âmes vivantes pour l’éternité des temps. Il lui a enlevé
cette innocence fusionnelle d’avec son jardin pour lui offrir l’accès à
la dimension du Bien et du Mal. Le monde après l’accès à cette
perspective ne sera jamais plus le même. À partir de cette
manducation du fruit défendu, le cerveau humain percevra la
différence entre le Bien et le Mal. Si le Bien avait été définitivement
bien et le Mal irréversiblement mal, l’affaire n’aurait pas été trop
complexe, mais, dans ce nouveau monde, une chose qui paraît bien,
peut, un jour s’avérer le pire des maux et un mal qui nous accable
aujourd’hui peut aider à notre libération. Le Bien ne sera jamais
absolu, de même le Mal. Le serpent fait comprendre à Ève la terrible
loi des séparations. Désormais, tout ce qui advient sera animé par
ce mouvement de balancier implacable des séparations et des
unifications. Ce serpent prend la valeur phallique du Zayin, qui
tranche sans merci.
238
ne sont pas si éloignées. Le poisson vit dans l’eau. L’eau dans
presque toutes les religions est liée à l’univers du féminin. Mais ce
féminin n’est pas du tout la sphère maternelle, fécondante. C’est un
univers inquiétant. Inquiétant car non contrôlable par le commun des
mortels. De curieuses plantes, d’insolites animaux évoluent sous
l’eau. Dans le désert du Sinaï, le domaine aquatique devait paraître
encore plus étrange, le contraste entre la luxuriance des eaux
tropicales et l’âpreté du sable presque stérile était plus marqué
qu’ailleurs. J’ai souvenir de journées passées au bord de la mer
Rouge où muni d’un simple masque de plongée, avec de l’eau
jusqu’aux genoux, je vivais des émotions aussi grandioses que les
meilleurs films de Cousteau, anémones de mer multicolores, oursins
géants, mille poissons chamarrés, crustacés diaprés. Me retournant,
je contemplais la côte : à l’infini la désolation sienne brûlée du Sinaï.
Cet univers de l’eau, les chasseurs pécheurs avaient remarqué sa
tromperie. Pour harponner un poisson, il faut surtout ne pas le viser,
mais tirer à côté. Ils ne connaissaient pas les règles de la diffraction
de la lumière, mais avaient appris les compensations nécessaires à
la pêche. La femme comme le poisson vit dans une autre dimension
que l’homme. On croit la saisir et elle nous échappe. Il y a trois
niveaux nodaux de la création : la création de l’univers où Élohim se
sépare de lui-même pour créer de l’autre, la création de l’homme où
il crée à son image une altérité réelle avec qui le dialogue se fera et
enfin, les commentateurs ont souvent négligé ce troisième niveau, la
création de la femme où Dieu comprend que, comme lui qui s’est
offert de l’altérité dialoguante avec Adam, il fallait pour poursuivre et
aller jusqu’au bout de son projet altérant, offrir à l’homme un alter
ego de poids : la femme. En créant la femme, il savait qu’une ère de
négociation infinie était née. Le texte biblique est d’ailleurs éclairant
sur le sujet : quand Il crée l’homme à partir d’une face d’Adam
(oublions la fameuse côte !) le texte précise : il crée la femme contre
(negdo)l’homme. S’Il n’avait pas, dans son incommensurable
sagesse, voulu que naisse ce dialogue sans fin de l’homme et de la
femme, le texte aurait simplement dit : la femme pour l’homme.
239
la fée Mélusine
Le féminin mystérieux
240
souvent mieux que les hommes dès lors qu’on leur en donne la
sérénité et la possibilité.
Ce Noun Poisson aquatique rejoint tout à fait le Noun Serpent
chtonien car le serpent a de tout temps été le symbole du phallus.
C’est la raison pour laquelle je disais en début de ce chapitre que les
deux figures n’étaient pas si éloignées. Le féminin mystérieux sait
qu’il tient son pouvoir dans sa double faculté, de se savoir pourvu
d’un phallus et de pouvoir le cacher.
241
parité que si nous n’avions pas recours à la grammaire hébraïque
très discriminante en matière de genre, parfois nous ne saurions qui
est qui dans leurs enlacements. Un des versets clés du Cantique
nous parle de l’amour fort comme la mort. Nous abordons par ce
biais une des valeurs de la lettre Noun, la mort et son mystère. La
dimension de la lettre peut être celle aussi du Shéol, le monde autre
de l’Hadès, sur lequel nous n’avons absolument aucune prise. La
peur de l’homme face à l’éros, à la femme érotisée, n’est autre que
la peur panique de se perdre entièrement dans la relation. La
plongée dans l’univers féminin est une mort à soi, à ses valeurs, à
ses croyances. L’acceptation de l’équivalence des désirs, de la
parité de l’homme et de la femme dans cette perte dans l’éros, est
un terrible danger pour l’image qu’a l’homme de son rôle. L’homme
sait qu’il est prêt à tout perdre par amour pour une femme, lui y
compris.
Pose-moi comme le sceau sur ton cœur, comme le sceau sur ton
bras, car l’amour est fort comme la mort, la passion inflexible comme
l’enfer, ses brûlures sont des brûlures de feu, une flamme de YAH.
Les grandes eaux ne pourraient éteindre l’amour et les fleuves ne le
submergeraient pas. Si un homme donnait tous les biens de sa
maison par amour, oui, on le mépriserait ». (Cantique des cantiques,
8,6)
242
donnera miyéroushayim. On retrouve dans de nombreuses
bénédictions Min. Barou’h ata Adonaï, éloeïnou, melekh a’olam,
borei, péri min aadama, Bénis es-tu Notre Seigneur, roi de l’Univers,
qui crée le fruit issu de la Terre. Les lettres Mem-Noun et leur
signification première sont à l’origine de la pensée et de la religion
juive. La Bible commence par la création du Monde, ainsi nous
apprenons d’emblée quelle est la source de tout ce qui advient. La
multiplication des généalogies tout au long du texte sacré atteste ce
souci de connaître les lignées de chacun.
243
corps. Rechercher l’origine de toute chose, c’est aussi donner à tout
ce qui a été un statut. Même si nous nous trouvons devant un
morceau de viande, nous devons savoir que ce steak est un muscle,
que ce muscle vient d’une vache, que cette vache paissait dans un
champ quelques jours plus tôt mais surtout qu’elle était un être
entier, tout comme nous. La kasherout est à ce point ancrée dans la
vie des juifs que, même lorsqu’ils ne mangent pas casher, ils ne
cessent de se poser des questions. Quand un juif apprécie la bonne
chair d’une crevette, il sait que cet aliment est interdit et choisit tout
de même de s’en régaler. La question de l’origine n’a pas ainsi été
évacuée.
244
Mais l’hébreu ne s’en tient pas là. Mem-noun a encore une
signification magnifique : Man, la manne. La manne est cette
nourriture que YHVH offre aux enfants d’Israël dans le désert. Cette
nourriture a la particularité de n’être valable qu’un seul jour et de ne
pas être conservable. Nous nous retrouvons là devant le mystère de
la lettre Noun. La manne est un aliment qui contente le ventre des
Hébreux mais elle est un aliment mystérieux. Une nourriture qui
vient d’une autre dimension. La dialectique des deux lettres est de
nouveau soulevée : le Mem est la lettre maternelle, généreuse,
nourricière par excellence et le Noun, lui aussi féminin, mais
exprimant le caché, le mystère. L’entre-deux de Mem et Noun ne
pouvait mieux s’exprimer que par cette nourriture apaisante, mais
tout de même inquiétante.
245
en fait des questions. Et c’est parce qu’ils mangent des questions
que le miracle de leur libération et de leur survie continue.
LILITH, la féministe
246
Dieu envoya alors trois anges pour la ramener. Dieu dit à Adam
que s’il elle acceptait de revenir tout serait bien mais autrement elle
devrait accepter de voir mourir cent de ses enfants chaque jour. Les
anges partirent à la poursuite de Lilith. Ils la retrouvèrent mais elle
ne voulut point revenir. Les anges dirent alors :
– Nous te précipiterons dans la mer.
– Laissez-moi, dit-elle, je n’ai été créée que pour causer les
maladies aux enfants. Si l’enfant est mâle, j’ai la domination sur lui
pendant les huit jours après sa naissance, et si c’est une fille,
pendant vingt jours.
Quand les anges entendirent les mots de Lilith, ils insistèrent
pour qu’elle revienne mais elle leur proposa alors un marché :
chaque fois qu’elle verrait le nom de ces anges sur des amulettes,
elle n’aurait aucun pouvoir sur lui. Elle accepta aussi de voir mourir
cent de ses enfants chaque jour. Ainsi, chaque jour cent démons
périssent et pour la même raison, on inscrit les noms des anges sur
des amulettes pour de jeunes enfants. Quand Lilith voit ces noms
elle repart en souvenir de sa promesse et laisse l’enfant en vie1. »
247
femme exige de chevaucher son sexe. La femme du dessus. Dans
sa position de cavalière, elle peut ainsi dominer la mise en scène du
coït. Elle choisit les rythmes. Elle choisit d’être l’écuyère qui s’active
ou s’abandonne. Elle peut aussi se retirer à volonté et n’est plus le
déversoir de son mâle. En dessous, il perd tout contrôle.
Lilith connaît son origine chtonienne, identique à celle de
l’homme. Elle est insupportable, car tricotée des mêmes gènes que
lui. Elle est tout à fait même. Son tout-à-fait-même ne fait que
renforcer son tout-à-fait-autre. Il est tellement plus facile de répartir
les rôles quand on sait qui est dessous et qui est dessus. Lilith outre
de refuser de faire l’amour dessous refuse tout simplement de faire
l’amour couchée. Elle ne renonce pas à la verticalité. Droite, elle
peut rester ou bien s’enfuir, ce qu’elle fit.
En hébreu moderne Lilith est la chouette. Cette première épouse
est celle de la nuit. De la noirceur. L’ombre ne fait que renforcer
l’indétermination des rôles dans l’acte sexuel. La nuit tous les excès
sont possibles. Toutes les pertes sont jouables. La nuit appelle la
nuit. Dans cet univers fuligineux, Adam ne peut même plus admirer
son propre sexe, il peut être pris pour la femme. Accepter l’amour de
Lilith, c’était pour lui accepter sa face féminine. Il était loin d’être prêt
à cette exploration de la bipolarité de son être.
ÈVE, L’INITIATRICE
248
accouplements non fécondés grâce aux subterfuges de la
contraception ?
Pour créer Éve, YHVH trouve une autre opération. Nous
comprenons ainsi que le Très-Haut est plus un bricoleur qu’un
horloger. Quand il réalise qu’une expérience est un fiasco, il tente
une autre approche, jusqu’à trouver celle qui est bonne, c’est-à-dire
qui ne lui explose pas aussitôt à la figure. Il endort Adam et extrait la
femelle de son côté. Et non pas de la côte comme nous l’ont fait
croire de mauvaises traductions. Nous pourrions à travers cette
scène évoquer la division de l’androgyne de la tradition grecque.
C’est ainsi que certains kabbalistes voient aussi cette séparation :
l’homme à ses commencements était mâle et femelle.
En m’appuyant sur l’étymologie de côte, Tsala’ (Tsadé, Lamed,
‘Ayin), j’aime à penser que la femme fut façonnée à partir de l’ombre
d’Adam. En effet dans le mot Tsala’ nous trouvons Tsal, l’ombre. Ève
est créée à partir d’un rêve ténébreux d’Adam, d’un rêve érotique. Le
rêve devient le plasma de sa future compagne. L’épisode de ses
amours brutales, nombreuses et conflictuelles avec Lilith prouve qu’il
n’était certainement pas un puceau. Et, même si ses enlacements
furent des joutes, Adam, tout de même la regrette, puisque les
Anges se précipitent à sa recherche. L’homme ne pourra aimer sa
femme que parce qu’elle n’est pas complètement ancrée dans son
réel comme le fut Lilith façonnée comme lui de la matière première
de l’argile. L’homme aime la femme car elle reste, dans l’état
amoureux, tissée de phantasmes, d’imaginaires. Adam ne voulait
pas d’une femme qui se donne à longueur de nuit et des dizaines de
fois à la suite, il voulait aussi du rêve. Ce qui l’effrayait dans Lilith
était sa pure génitalité. Le sexe avec Ève serait, certes, rythmé par
la pénétration des sexes, mais aussi avec le petit plus qui est si
vaste : le désir de l’autre. La femme qui n’existe pas est bien cette
Ève heureusement autre à jamais, car si elle existait elle
redeviendrait Lilith, même pour toujours.
Dans le passage de la tentation, nous pouvons imaginer qu’en
réalité Lilith et Ève ne font qu’une. Le Serpent est là pour attester la
thèse. Lilith dans l’iconographie est toujours enspirallée d’un
serpent. Ève fricote sous l’arbre avec ce même serpent. Ève trompe
Adam avec un long phallus qui lui tend la connaissance. Ève,
249
décidément ne sera pas la bonne et obéissante servante d’Adam.
C’est elle qui inaugure le Phallus de la connaissance, elle s’en laisse
pénétrer de sa vulve jusqu’à sa bouche. L’homme, l’imbécile,
imagine que son pénis riquiqui est un Phallus. La femme, elle, sait
de par tout son corps traversé, repérer la source de toute création.
Lilith ne pouvait pas aller si loin car elle comprenait son vagin
comme un pénis et confondait le frottement des sexes avec l’Éros.
C’est pourquoi l’homme a en réalité beaucoup plus à craindre Ève
que Lilith car elle est même et autre à la fois et qu’il ne pourra jamais
détricoter son aporie.
250
251
Les 22 questions de PATRICK
CALAME
Auteur, traducteur
TETH – Le Bien ?
252
SAMEKH – Soutiens-tu toujours l’aimée de tes feux ?
253
NOUN
254
pictogramme : poisson
sens : fécondité, adaptation
phonétique : N
partie du corps : l’intestin grêle
lettre simple
astrologie : Le Scorpion
symbolisme :
le poisson : autre aspect de l’élément eau.
Vie intérieure, féminité, profondeur, lieu caché.
Elle atteste la possibilité de vivre dans d’autres univers.
255
LE COUPLE NOUN-SAMEKH
Le Noun est une lettre qui fait peur ; outre ce féminin obscur, elle
est aussi l’initiale du mot néfila qui veut dire la chute. Accepter le
symbole dans son intégralité ne peut qu’entraîner la chute libre. La
parade de l’alphabet à cette angoisse de descente aux enfers est le
placement de la lettre Samekh juste après le Noun. Dans le Livre
des Psaumes du roi David, plusieurs poèmes sont alphabétiques,
c’est-à-dire que chacun de leurs vingt-deux versets commence par
une lettre selon l’ordre connu : Aleph, Beth, Guimel, Dalet, etc. Mais
pour les poèmes 9 et 145 la lettre Noun est absente. La tradition
cache ce qui doit être caché : la possibilité de tomber. Le sens du
verset 14 éclaire l’oblitération de la lettre :
256
Le Samekh qui suit est le soutien. La racine hébraïque S-M-KH
veut dire : s’appuyer, soutenir, reposer, se fier, compter sur. Il est en
quelque sorte le thérapeute de la lettre qui le précède. Même dans le
petit conte du Zohar, ils sont associés pour l’éternité.
« Il lui répondit :
– Noun, retourne à ta place ! Car à cause de toi la lettre Samekh
est retournée à la sienne. Sois en appui sur elle.
Aussitôt, elle revint à sa place. »
Le livre des lettres de Rabbi Akiba, autre texte traditionnel, relie
les deux graphes. Le commentateur se fie à la forme de la lettre
Noun qui ressemble à une personne sur le point de tomber et qui a
besoin d’un appui.
257
La tradition kabbalistique n’a pas manqué l’occasion d’aborder
cette figure fermée qu’elle compare à un utérus. Cet écrin du
Samekh est le secret Sod. Ce Sod est l’ultime degré de
l’interprétation mystique de la Torah. On le retrouve à la fin du sigle
PaRDèS (paradis). Ce niveau d’abstraction du Sod n’est réservé
qu’aux plus grands initiés.
P – PSHAT = l’interprétation simple.
R – REMEZ = allusion aux sens multiples cachés dans chaque
phrase, chaque lettre, signe et point de la Torah.
D – DERACH = exposition des vérités doctrinales embrassant
toutes les interprétations possibles.
S – SOD = secret, initiation à la ‘Hokhma, Sagesse Divine
cachée dans l’Écriture et appelée ‘Hokhmat HaKabala.
258
Ce passage a fait couler beaucoup d’encre, Marc-Alain Ouaknin
et Elie Wiesel ont développé des pages entières sur ces
personnages, en particulier celui qu’on nomme l’Autre, A’her, qui
devint hérétique après avoir traversé l’épreuve du Pardès, de
l’interprétation de la Torah. Si on en croit cette allégorie implacable, il
est extrêmement périlleux de se rendre dans le Sod du Paradis car
sur les quatre, un seul en ressort indemne : Ben Azaï en est mort,
Ben Zoma est devenu fou, Ben Abouya, l’Autre, a renié la foi, Rabbi
Akkiva est sorti sain et sauf. Le personnage qui pose le plus
problème est Ben Abouya, le A’her, né en 70 après J.-C. Nous
savons de lui qu’il était un grand docteur de la Loi, qu’il était aussi un
lettré hellénisant, s’intéressant à d’autres cultures que la sienne. Son
apostasie inquiète, car comment un homme si savant pouvait-il
renier sa foi ? L’expérience mystique du Pardès au plus haut niveau
élimine rapidement deux prétendants. Ce qui dérange, c’est
pourquoi celui qu’on appelle l’Autre s’en est sorti vivant comme
Akkiva. Cela voudrait-il dire qu’après cette expérience pour rester en
vie et en bonne santé, deux possibilités s’offrent : soit on quitte ses
croyances, soit on reçoit la confirmation de sa foi ?
Élisha Ben Abouya a renié une certaine foi car il a dû
certainement percevoir que le message, reçu lors de cet état altéré
de conscience, était universel, qu’il n’appartenait pas seulement au
peuple juif. La révélation qu’il vécut étant universelle, pourquoi
continuer à pratiquer les contraintes de la religion ? On dit de lui qu’il
retourna parmi la communauté juive à la fin de sa vie. Il n’avait pas
trouvé l’expression qui lui permettait de transmettre le contenu
spirituel et existentiel de son expérience à d’autres nations. La
question que pose son apostasie : comment concilier ce sentiment
océanique avec une pratique religieuse orthodoxe ? Je situe ce
questionnement au-delà du judaïsme. Cette interrogation s’applique
à toute religion instituée. Le rejet de Yéshoua’ par certains de ses
contemporains, en particulier par les tenants de la hiérarchie
ecclésiastique pharisienne, a pour origine le même problème. Une
part de l’enseignement du Rav Yéshoua’ portait sur la possibilité de
passer outre l’aliénation au culte pour dialoguer directement avec le
Père. Il nous apprend que le Temple est notre corps, c’est-à-dire le
réceptacle le plus sacré d’Adonaï. En d’autres termes que
259
l’expérience religieuse peut se passer de l’édifice en pierre et des
systèmes cléricaux qui l’alimentent. Yéshoua’ est lui aussi devenu
un A’her, un Autre aux yeux des Pharisiens, d’ailleurs c’est le nom
qu’on lui donne dans certains textes juifs antiques. L’épisode
déterminant des évangiles synoptiques de la rencontre avec la
Samaritaine atteste cette compréhension qu’eut le maître d’étendre
son enseignement aux non-juifs, à ne pas rester dans le clan, à
ouvrir l’essence et la beauté de la pensée hébraïque aux septante
nations. Rabbi Akkiva entra en paix et sortit en paix. Il dut sûrement
trouver l’articulation entre l’expérience mystique et la discipline
religieuse. Il dut aussi comprendre que l’ascèse prônée par le
judaïsme évitait au commun des mortels de brûler ses ailes à la
lumière divine. L’accès à ces états de conscience n’est pas destiné à
tout un chacun, seule une vocation et une longue préparation
peuvent nous y mener sans mourir. Rabbi Akkiva fut un grand
maître, il eut jusqu’à vingt-quatre mille disciples, c’est-à-dire qu’il fut
un grand guide et que, sous sa conduite, il put cadastrer les
différents niveaux de l’âme pour protéger les apprentis mystiques.
Le retour de Ben Abouya au judaïsme durant la dernière partie
de sa vie montre le désespoir de celui qui vit la lumière mais qui ne
peut la canaliser, qui ne peut la décrire sous forme d’un
enseignement ouvert, qui ne peut trouver les mots pour guider les
autres. Rabbi Akkiva entra en paix et sortit en paix parce que lui-
même était puissamment enraciné dans le monde commun. Il était
connu aussi pour l’amour qu’il avait pour sa femme, et on lui
reprochait aussi les démonstrations de tendresse qu’il avait en
public. Cette sensualité nous renvoie à la mort de Ben Azaï qui
n’avait pas connu de femmes et qui périt au PaRDès.
Quel est le secret des secrets, le Sod, qui tue, rend fou, nous fait
apostasier ou nous donne la paix ?
260
soutien constant du squelette, de la partie minérale du vivant. Nous
avons ainsi la complémentarité des muscles gorgés de sang et des
os pétrifiés, l’un qui, une fois mort se décompose en quelques jours
et l’autre qui peut durer des millions d’années fossilisé. Sans cette
savante combinaison, le concept même de poisson disparaît ; sans
chair vive, le squelette n’a pas de sens et sans os, la chair ne tient
sur rien. Ceci est un nouvel enseignement sur l’interdépendance des
éléments qu’on croit opposés : le sec et l’humide, le fugace et le
durable, le mouvement et le repos.
Ness le miracle
Le miracle
261
propres à notre mode d’existence peuvent tout à fait être remises en
question. La lettre Noun évoquait le monde aquatique, le monde de
l’inconscient, de l’éros, elle nous prouvait que ce monde était viable
pour certains. La lettre Samekh, qui nous parle du Secret des
choses, va plus loin car la dimension qu’elle aborde est encore plus
déstabilisante, regardons ce qui est arrivé aux quatre sages du
Talmud quand ils ont essayé de changer de point de vue. Mais la
leçon globale de la lettre doit être comprise grâce à son archéologie.
Observons bien son origine. Elle n’apparaît pas lors de la naissance
de l’alphabet dans le Sinaï 1 800 ans avant l’ère commune. C’est
pourquoi la case qui lui est consacrée dans le tableau de l’évolution
de l’alphabet dans la colonne Protosinaïtique est vide. On ne le voit
qu’à partir du Paléohébreu aux alentours de 1 000 ans avant notre
ère. Cette lettre est un emprunt tardif au corpus des pictogrammes
hiéroglyphiques égyptiens. Les scribes pour conserver l’idée de
soutien prirent le pilier Djed pharaonien pour tracer la lettre. Ce
graphe est tout à fait phallique, je dirais même mieux, ithyphallique.
On montre le dessin à un enfant d’aujourd’hui, il dit : oh la belle
antenne de télévision ! En réalité Djed signifie en égyptien stabilité,
durée. Le dessin de ce mot est représenté depuis la période thinite,
c’est-à-dire très ancienne dans l’histoire de l’Égypte antique. On le
voit souvent entre les mains des dignitaires sur leur sarcophage, non
loin de leur colonne vertébrale dont il devint le symbole. Certains
disent qu’il serait à l’origine de l’arbre de vie de la kabbale.
La question est : comment un symbole aussi érigé, aussi vertical
a-t-il pu donner la figure ronde et féminine du Samekh en hébreu
carré ? On peut bien sûr suivre toute son histoire à travers les
différentes phases de sa formation, la paléographie nous offre cette
chance, mais même si on a recours aux différentes étapes des
évolutions des cursives araméennes, il faudrait combler certains
chaînons manquants.
262
Le Samekh est la lettre de l’entre-deux par excellence. L’entre-
deux est le continent qu’il nous faut explorer. Le continent où rien
n’est fixe, où tout reste toujours à définir. Le continent qui nous est
offert, peut-être est-ce cela que certains nomment la Terre Promise,
une Terre où on plante un drapeau sur un sol fluide, à jamais
changeant. Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre.
263
Le mot Ness a d’autres significations qui nous intéressent :
perche, voile, étendard, signe. Mais nous ne sommes pas loin des
valeurs morales du miracle. Celui-ci ne doit pas être un simple jeu
de la part de Dieu ou des personnes qui peuvent en opérer, tout
miracle, comme dans les Évangiles, est une leçon et comme leçon il
doit être hissé haut comme l’étendard ou comme la voile, signe que
nous ne sommes pas seuls, que l’amour est le véhicule qui nous
permet de voyager d’une dimension à l’autre. Curieusement la
valeur du Samekh qui évoque le secret est contrariée par cette
dernière acception qui veut exhiber ses vertus comme un fanal au
lieu de les cacher. Le Samekh est le Soutien car sans la conviction
que le miracle peut advenir à tout instant à quoi bon la survie. La
suprême leçon du miracle est l’espoir.
264
A. : Oui certes.
S. : Tu n’as pas été sans remarquer, n’est-ce pas, que quand
nous regardons l’œil qui est en face de nous, notre visage se
réfléchit dans ce que nous appelons la pupille, comme dans un
miroir ; celui qui regarde y voit son image.
A. : C’est exact.
S. : Ainsi, quand l’œil considère un autre œil, quand il fixe son
regard sur la partie de cet œil qui est la plus excellente, celle qu’il
voit, il s’y voit lui-même.
A. : Tu dis vrai.
S. : Donc si l’œil veut se voir lui-même, il faut qu’il regarde un
œil, et dans cet œil la partie où réside la faculté propre à cet
organe ; cette faculté, c’est la vision.
A. : En effet.
S. : Eh bien, mon cher Alcibiade, l’âme aussi, si elle veut se
connaître elle-même, doit regarder une âme, et, dans cette âme, la
partie où réside la partie propre à l’âme, l’intelligence, ou encore tel
autre objet qui lui est semblable.
A. : Je le crois, Socrate.
S. : Or, dans l’âme, pouvons-nous distinguer quelque chose de
plus divin que cette partie où résident la connaissance et la
pensée ?
A. : Non, cela ne se peut.
S. : Cette partie-là en effet semble toute divine et celui qui la
regarde, qui sait découvrir tout ce qu’il y a en elle de divin, un dieu et
une pensée, celui-là a plus de chance de se connaître lui-même.
A. : Évidemment.
Platon,
Alcibiade (traduction M. Croiset),
Éditions Gallimard
265
266
LES 22 QUESTIONS DE
YESHAYA DALSACE
Rabbin de la communauté Massorti de Nice
VAV – La droiture est-elle un vrai support ? Elle doit être bien solide
et ne pas courber la tête
267
YOD – Le sens de toute chose se cache en chaque lettre ; pourquoi
Dieu aime à être représenté par une larme ?
SHIN – Les dents poussent tard chez l’être humain, c’est comme
l’apprentissage, il faut du temps, mais cela finit par venir.
268
SAMEKH
269
astrologie : Le Sagittare
symbolisme :
le soutien : lettre de l’enfermement mais
aussi de l’intériorité.
Elle est l’écrin qui protège le secret (sod)
inconcevable par les humains.
270
LE COUPLE SAMEKH-AYN
271
du discernement. Discerner, c’est distinguer dans la pénombre les
objets, c’est pouvoir marcher franchement au milieu des ténèbres.
La lettre vient comme nous libérer, car si la plongée est nécessaire,
elle ne doit pas être tout. La fascination doit cesser pour continuer le
chemin de vie de l’alphabet, comme Ulysse doit abandonner le lit
soyeux et amoureux de Calypso, en renonçant à l’éternité promise,
pour poursuivre son retour vers Ithaque, son île aride.
Pourtant au regard de l’histoire de l’écriture, les deux graphes
s’interrogent tous les deux sur le cercle. Durant la période
paléohébraïque (phénicienne) le Samekh est une figure phallique,
verticale, son évolution, nous l’avons vu, le pousse à devenir un
cercle. Le ‘Ayin vit l’inverse, dès son invention pendant l’ère
protosinaïtique et paléohébraïque, il est un signe circulaire et s’ouvre
enfin avec l’araméen et l’hébreu carré. Destins inversés, dans la
suite alphabétique, pourtant elles se jouxtent. Quelle leçon tirer de
ces mutations paléographiques ? La possibilité de changer à tout
moment, la non-fixité des destinées ? Comprendre que rien dans
l’interprétation ne doit être figé, que les multiples valeurs des lettres
nous apprennent à conjuguer des symboles contraires, voire
contradictoires. Pour le plus grand bonheur de l’esprit, qui ne cesse
ainsi jamais de se remettre en question.
272
bel œil peint à la proue pour éviter les revers tragiques de l’onde
amère comme disait Homère.
Le mot ‘Ayin a aussi une autre signification : la source. Vocable
qu’on retrouve dans le passage du Cantique des cantiques : dans
les vignes ‘Eyn Gédi, la source du chevreuil. Certaines philologues
expliquent cette homonymie par l’image des Anciens qui voyaient
dans la tache que fait une source dans le désert, comme un œil
cerclé dans le sable. Dans notre souci exégétique, l’homonymie de
l’œil et de la source est passionnante et fort signifiante. Car qu’est-
ce que le discernement, si ce n’est remonter à la source des
choses ? Discerner, c’est analyser, c’est ne pas en rester à la
surface de l’apparence, s’en tenir au premier ressenti, c’est
comprendre que tout effet a une cause et que toute cause a encore
une cause. Ainsi à l’infini, jusqu’à déboucher sur la cause sans
cause, la cause de toutes les causes : le Eyn Sof. La force du
discernement demande autant d’énergie que celle du saumon qui
remonte le cours d’eau pour aller retrouver sa femelle qui l’attend
une fois l’an pour s’unir à elle et perpétuer son espèce.
Dans cette perspective, les trois lettres qui précèdent nous aident
à saisir la formation que le marcheur d’alphabet est obligé de suivre.
Il passe par la maturité du Mem, accouche de lui-même, et plonge
dans l’univers étranger, hostile du Noun et s’enfonce encore plus
profond dans les secrets du Samekh et y trouve le soutien suffisant
pour continuer sa quête en toute lucidité. Sans cette descente
abyssale, l’initiation eût été tronquée de la quête spirituelle qui nous
immerge dans des abîmes sans nom. Armé de ces expériences, ce
même marcheur abordera le discernement sans cynisme, et il
s’inscrira dans un continuum qui le mènera jusqu’au Tav.
‘Ayin est l’œil qui sait remonter jusqu’à la source lumineuse de
tout ce qui est. La vision est le sens qui mobilise le plus de neurones
dans notre cerveau. Un mystique qui a vu l’invisible nous parle de
ses visions. La plus belle phrase concernant le regard de l’homme et
celui de Dieu est bien celle de maître Eckhart : l’œil par lequel je vois
Dieu est l’œil par lequel Dieu me voit. Nous avons là la coïncidence
de l’observateur et de l’observé. Nous ne sommes pas loin de l’idée
de la lettre à la fois source et vision. Dans la citation du mystique
rhénan, Dieu est la source de toute chose. La kabbale est proche de
273
cette union en disant que l’homme a besoin de Dieu et Dieu a besoin
de l’homme. Par extension, dans l’univers de notre lettre : Dieu veille
sur nous et nous veillons sur lui.
274
écarquillions les paupières et soyons comblés par ce que nous
avons en face de nous ?
Retrouver le visage de l’Aimé est la quête de tous les poètes,
tous les mystiques, tous les amoureux. Le chemin d’YHVH est
comme ces routes mille fois empruntées et que l’on traverse sans
les voir ; arrivé chez soi, on s’aperçoit que l’on a conduit
automatiquement pendant une demi-heure. La leçon du ‘Ayin est
cette vigilance qui nous pousse à la présence et nous replonge à la
source de l’être en devenir.
Homère,
L’Odyssée, chant V
275
276
Les 22 questions de JEAN-
PIERRE GUILIANI
Ostéopathe, auteur du livre : L’alphabet du corps humain
277
MEM – L’Occiput (avec le Sphénoïde) n’engendrent-ils pas le
mouvement vital ?
278
‘AYIN
279
partie du corps : le foie
lettre simple
astrologie : Le Capricorne
symbolisme :
l’œil, la source : avec ses paupières il
protège la frontière
entre le dedans et le dehors. Veut dire aussi la source :
point de repère dans les déserts.
280
LE COUPLE ‘AYIN-PÉ
Lorsque tu parles, garde à l’esprit que ta faculté de parole provient
de ton âme qui est divine. Lorsque tu écoutes, garde à l’esprit que ta
faculté d’écoute provient de ton âme. Souviens-toi aussi que les
paroles profanes sont composées des mêmes lettres de l’alphabet
que les mots sacrés. Il y a donc de la sainteté dans les premiers
aussi. Ramène-les à leur source.
Rabbi Nahman de Braslav
Trad. Lurçat
281
Dans le chemin de vie de l’alphabet, la générosité divine et la
capacité d’accueil du creuset Khaf s’unissent pour créer la lettre Pé.
Le graphisme de ces trois lettres n’a pas pu échapper à la vigilance
calligraphique de la tradition. Pé est le fruit des amours du Yod et du
Khaf. Pé en hébreu, c’est la bouche et par extension la Parole. Mais
certainement pas la parole qui parle pour ne rien dire mais la parole
qu’en philosophie ou en théologie, on nomme d’un vocable grec : le
LOGOS. Pé, la parole, est la synthèse obtenue dans l’équilibre du
masculin Yod et du féminin Khaf. Ces deux pôles présents dans les
deux faces de Dieu : YHVH et Élohim. Ces énergies combinées
mènent à cet outil plasmateur : le Logos. Ce qui fait qu’aujourd’hui il
y a quelque chose plutôt que rien.
Dans la tradition hébraïque, la parole est créatrice. C’est par elle
que Dieu crée le monde. La Genèse relate : Élohim dit : que soit la
lumière et la lumière fut. Cette antériorité de la Parole se retrouve
dans le prologue de l’évangile de Jean : au commencement était la
Parole et la parole était auprès de Dieu.
282
période catastrophique, il était interdit d’écrire le moindre mot de la
Torah orale. Mais des sages avisés décidèrent au début de l’ère
chrétienne de retranscrire le Talmud et d’ajouter les voyelles aux
textes bibliques, qui n’étaient écrits qu’avec les vingt-deux
consonnes de l’alphabet. Les personnes non averties ne savent pas
à quel point compte la tradition orale et imaginent que les juifs
n’étudient que la Bible. Il n’en est rien. Les Yéshivot, écoles
consacrées à l’enseignement des textes sacrés, consacrent
beaucoup plus de temps à étudier le Talmud que la Torah. Dans le
judaïsme, la Torah est quasi illisible sans le support de l’oralité. De
nombreuses erreurs d’interprétation sont nées de cette mégarde.
L’exemple le plus parlant est la lecture de la loi du Talion : certes la
Bible dit, œil pour œil, dent pour dent, mais le Talmud donne
l’explication de cette sentence terrible, la nuance, l’adoucit et
propose plutôt : pour un œil la valeur d’un œil, pour une dent, la
valeur d’une dent. Ce qui nous place devant un système à
contrepartie financière beaucoup plus proche des dommages et
intérêts de notre Code civil. En soi la Torah est inapplicable. Les
autres religions, comme le christianisme et l’islam, ont rejeté ce texte
et sont parfois restées sur des positions insupportables. L’islam qui
ne possède pas la suite logique de cette loi, applique à la lettre cette
barbarie encore de nos jours. Certains fondamentalistes chrétiens
ne s’en tiennent aussi qu’aux versets de la Bible et sont d’une
rigueur morale dangereuse. Le Talmud est en quelque sorte « le
manuel du propriétaire » ou le mode d’emploi de la Torah qui même
pour les grands experts reste souvent mystérieuse.
Le peuple du livre
283
l’écriture : Sumer et son système cunéiforme. Ses voyages le
conduisirent en Égypte, autre foyer de l’écriture naissante avec ses
hiéroglyphes. Plus tard, le judaïsme, naît dans le désert, là où même
le tout premier alphabet fut construit à partir des signes
pharaoniques. Même si tous les récits des textes saints ne sont que
des mythes et n’ont pas forcément d’ancrages archéologiques, se
plonger dans cette chronique des écritures nous oblige à repenser
les rapports étroits qui existent entre les différentes phases de
l’histoire de l’écriture et la pensée juive, éminemment combinatoire.
Abraham vivrait dans la période qui glisse d’un système
cunéiforme vers le tout premier alphabet, le protosinaïtique, tandis
que Moïse, lui, serait dans la transition entre ce protosinaïtique et
l’alphabet paléohébreu (phénicien). Les prophètes lors de la
déportation à Babylone seraient eux les intermédiaires entre
l’écriture paléohébraïque (ou phénicienne) et la cursive araméenne
qui évoluera vers l’hébreu carré que nous utilisons aujourd’hui.
Au-delà de ce contexte archéologico-philosophique, que nous dit
cette dyade ‘Ayin-Pé ? Nous l’avons vu, plusieurs couples forment
des sortes de Yin-Yang, Aleph-Beth, unité-dualité, Beth-Guimel,
exotérisme-ésotérisme, Vav-Zayin, unification-séparation, Yod-Khaf,
accueil-réception. ‘Ayin-Pé sont l’écrit et l’oral. Dans notre
civilisation, ces deux expressions sont interdépendantes. On entre
dans l’histoire avec l’invention de l’écriture. Avant, c’est la
préhistoire. Toute recherche spirituelle passe par des livres. La
transmission de la culture chez les humains ne se fait pas par
l’A.D.N. mais par les livres. Comment le judaïsme, le christianisme et
l’islam pourraient-ils se passer de livres ? Le Coran nomme le
judaïsme et le christianisme « les religions du Livre ». Le
bouddhisme avec ses collections de nombreux soutras, et
l’hindouisme avec ses Gîta et ses Véda, n’échappent pas à cette
centralité des textes. Certaines traditions n’ont pas de livres, ce sont
les cerveaux humains qui servent de grimoires. Il existe des
chantres connaissant des milliers de vers et étant parfaitement
illettrés. Que nous apprend l’interdiction juive de ne pas écrire la
tradition orale ? L’oralité, par son support biologique qu’est le corps
humain, sait oublier. Oublier est une des fonctions capitales de la
mémoire. Ce qui ne doit pas être retenu doit être oublié. L’oubli est
284
cette capacité d’expurger l’inutile comme la digestion finit son travail
à la selle. Quand il n’est pas tempéré par l’oral, l’écrit peut enfermer.
Il est une règle étonnante concernant le toucher du livre de la Torah.
Si vous venez à toucher le parchemin et le texte du saint livre, ce
n’est pas vous qui souillez le Livre, mais c’est le Livre qui vous
souille. C’est pourquoi on utilise un stylet en forme de main (le Yad,
même mot que Yod) pour lire le manuscrit de peur d’être souillé par
lui. Cette prescription va à l’encontre de toutes les pratiques qui
consistent à toucher un objet saint pour en tirer sa force et sa
bénédiction, et porte à croire que les gens pourraient, s’ils sont
impurs, corrompre la sainteté de l’objet : châsse de relique, croix,
pierre sur laquelle le cheval Mahomet perdit un poil de sa crinière
pendant miraj. L’écrit qui est pourtant la trace, la mémoire d’un
peuple, s’il n’est alimenté par l’enseignement oral des maîtres, de
décennie en décennie, de siècle en siècle, se dessèche, se
désacralise et devient un texte mort. L’oral sans l’écrit perd toute
consistance, tout appui. L’écrit offre aux contemporains un lieu
commun sur lequel porter loin l’interprétation. Il est ce que partagent
tous les pairs pour faire avancer les recherches. Le danger de l’oral
est la disparition et la prise de pouvoir par une caste mémorisant et
transmettant secrètement son savoir, à la manière des sectes ; le
danger de l’écrit est la bibliolâtrie.
285
autre langue sacrée pour Israël. Mais seulement quelques siècles
après, ils reviennent sur ce miracle et considèrent que la traduction
en grec de leur texte était pire que le malheur de la destruction en 70
du Temple de Jérusalem. Curieuse sentence ? Pas si curieuse car
pour eux la traduction a figé le texte, l’a tué et en a fait un texte
monophasé, qui peut se passer de l’oralité. Un écrit compréhensible.
La différence entre la Bible traduite et la Bible en hébreu est simple :
la première dit les choses, la seconde les tait. Ou comme dirait
Lacan les mi-dit. La Torah en hébreu est constituée de mots dont
seules les consonnes sont transcrites. Chaque mot devient ainsi un
univers dont il faut reconstituer les voyelles, ce qui laisse libre tout
un champ polysémique infini. Aucune phrase ne peut être lue
simplement, linéairement, elle nécessite l’interprétation. Elle
demande, de toute son âme, d’être vue et revue par la poésie
vivante des lecteurs. Mieux vaut une erreur de lecture qu’une
signification coulée dans le bronze. D’ailleurs l’hébreu massorétique
de la Torah est aussi pourvu de petits signes de cantilation. Dans la
loi juive, on n’a pas le droit de lire la Torah sans la chanter. Ses
inscriptions diacritiques sont nommées Ta’am, ce qui veut dire la
saveur. Insolite synesthésie, faire appel au sens du goût pour
évoquer les sonorités sacrées. La profondeur de cette confusion
réside dans le fait que le texte est une matière au même titre que les
aliments qui nous maintiennent en vie, et pas seulement une
abstraction dont jouit l’esprit. La Bible des Septante est considérée
par les Juifs survivants de la destruction de Jérusalem comme un
acte d’idolâtrie. C’est pourquoi la leçon de l’alphabet lie les deux
lettres ‘Ayin et Pé, pour que l’écrit ne se passe jamais de la chair et
que l’oral s’appuie toujours sur les textes. Les textes ainsi vécus
seront des PRÉ-textes à créer du neuf sur des fondations solides et
non sur du vent. J’insiste sur ce concept de pré-texte car il évacue
toute possibilité de bibliolâtrie, qu’elle soit biblique, marxiste,
freudienne, keynésienne.
286
À nous de poser les questions sur les livres ! Quels sont les livres
qui ont changé ma vie, quels sont ceux que j’ai abandonnés, oubliés
pour mieux m’inscrire dans mon existence ? Ce que je croyais gravé
dans la pierre, un jour a-t-il été balayé devant la force d’un grand
amour ? Jusqu’où pourrais-je aller pour caler ma parole vivante à un
livre ? Mourir pour un livre, est-ce une vie ?
La chanson de Brassens nous parle-t-elle du rapport difficile
entre ‘Ayin et Pé ?
La non-demande en mariage
287
Introït
288
Monde ? Laquelle saura en quelques mots me convaincre de
commencer le monde par elle ?
Une rumeur emplit les non-murs du non-palais. Les lettres se
tinrent en rond et décidèrent de se présenter une à une devant
l’autel du Très Haut, afin de vanter chacune leurs vertus.
289
290
LES 22 QUESTIONS D’AROUNA
LIPSCHITZ
Philosophe, productrice, créatrice de La Voie de l’Amoureux
291
MEM – Où en est la bonne mère en toi ?
292
scène et musique : Didier Douet. Avec Tina Bosi : lecture, chant et
danse, Didier Douet : lecture, chant, Marie-Ève Ronveau :
violoncelle et Frank Lalou : calligraphie.
293
Pé
294
partie du corps : l’oreille gauche
lettre double
planète : Mercure
symbolisme :
la bouche : le Pé est un Khaf
contenant un Yod :
accueille le divin et son logos.
Elle désigne l’enseignement oral
du Talmud, essentiel chez les Juifs.
295
LE COUPLE PÉ-TSADÉ
Le dialogue entre Pé et Tsadé s’installe naturellement. La parole
issue de l’harmonisation du masculin Yod et du Féminin Khaf
débouche vers l’équité, car Tsadé veut dire la justice. La justice,
c’est l’équilibre. Pour qu’il y ait justice, il faut au préalable, par le
biais du langage, de la parole Pé, établir ce que chaque partie est en
vérité. C’est pourquoi est souvent associée à la dix-huitième lettre
l’image de la balance avec ces deux fléaux. Les fresques
égyptiennes montrent souvent cette balance servant à la pesée de
l’âme après la mort. Elle déterminera la qualité de la vie outre-
tombe. Si nous prenons la triade ‘Ayin-Pé-Tsadé, une grande logique
s’installe : les deux lettres permettent de consigner oralement et
graphiquement les actions et pensées de nos vies afin de nous
préparer à la justice qui nous sera rendue.
296
Les trois armes de l’alphabet : le Vav, le Zayin
et le Tsadé
Ces trois armes sont toutes de nature différente. Le Vav est le
crochet qui saisit le bétail pour le ramener dans le troupeau, il est un
outil non blessant qui détourne des pièges du hasard les brebis
égarées. Il est un signe unificateur. Le Zayin est la lame qui perce le
corps des humains pour les tuer. Il est séparateur par excellence.
L’alphabet ne condamne pas la violence. La guerre que représente
la lettre est peut-être nécessaire pour définir ses limites. Le Tsadé
est le harpon qui plonge dans les eaux et tue les animaux marins. Il
est à la fois séparateur et unificateur, séparateur parce qu’il tue et
ôte une bête de son milieu, unificateur car il relie par son apex la
proie et son chasseur.
Graphiquement, ces trois signes sont intimement liés : si vous
joignez un Zayin à un Vav, vous obtenez un Tsadé qui devient ainsi
la synthèse des sixième et septième lettres, en accrochant et en
pénétrant la victime. Ce n’est pas la première fois dans la comptine
alphabétique que deux lettres couplées trouvent leur résolution bien
plus loin. Le Yod et le Khaf se réalisent dans le Pé, six cases plus
loin. Ces distances nous apprennent que le temps des maturations
est long. Que l’on ne peut pas sauter les étapes. Que Yod et Khaf
avant de donner fruit à leurs entrelacs doivent passer par de
nombreux paliers avant d’aboutir à la synthèse du Logos, de même
Vav et Zayin doivent traverser les portes successives qui les mènent
à la justice.
297
il faut bien regarder la lettre, car le graphisme donne tout le sens au
raisonnement. Tsadé est un graphe surmonté de deux Yods. Ils sont
les deux faces de notre réalité, une lumineuse et l’autre sombre. La
leçon du Tsadé est ne de pas rejeter notre face sombre, la face qui
nous dérange. Au contraire, Tsadé nous donne le courage de la
harponner car nous comprenons que sans cette face obscure, la
face lumineuse ne pourrait se réaliser en profondeur. Nous serions
départis d’une facette de notre personnalité et nos réalisations ne
seraient que partielles, incomplètes. Bien des maîtres nous
conseillent de nous débarrasser de ce qui nous empêche de
progresser. Je trouve presque toujours justes les paroles des
Évangiles mais dans le cas du verset qui suivra, je m’oppose
radicalement à ce point de vue extrémiste.
298
commandements, il n’est rien qui ne soit absolument interdit. De
plus, le peuple d’Israël n’a pas de clergé, et personne ne peut
déléguer à autrui ses obligations envers Dieu. Tout homme juif est
chargé des mêmes contraintes religieuses et éthiques. La sexualité
n’est pas mal perçue, au contraire, elle est encouragée et doit être
source de bénédictions. La jouissance durant l’amour est vivement
recommandée, la femme qui en serait privée a même le droit de
demander le divorce. La tradition dit que lorsqu’un homme et une
femme font l’amour avec amour, la Présence de Dieu, la Shékhina,
est au-dessus du couple. Les richesses de ce monde sont aussi une
bénédiction, il n’est pas un péché d’être dans l’aisance, à condition
d’être généreux envers les pauvres. Les élans de générosité doivent
être tempérés. Si un riche veut offrir de nombreux biens aux
pauvres, il n’a pas le droit de donner plus de dix pour cent de ses
biens. À condition d’assumer toutes les conséquences de nos
décisions, les responsabilités ne sont pas non plus des calamités. Le
christianisme en suivant le conseil du sermon sur la montagne,
plutôt que de négocier, préfère rejeter, pour son clergé, la sexualité
en prônant la chasteté, la richesse en instaurant la pauvreté, la
responsabilité en imposant l’obéissance. La pensée hébraïque sait
aussi que le sexe est très difficile à gérer, mais instaure des lois, des
règles qui permettent de donner des limites. Elle accepte la part
jouissive de la vie, elle réalise que le pouvoir pousse souvent aux
abus, c’est pourquoi un ensemble de lois éthiques sont dictées, elle
comprend que de nombreux problèmes sociaux-économiques
viennent des excès égoïstes de certains riches, et elle codifie la
Tsédaqa (nous retrouvons notre lettre Tsadé), la justice sociale, une
certaine manière de gérer le partage des richesses. La sexualité, la
richesse et la responsabilité sont trois axes majeurs de la vie
humaine. Comment balayer d’un verset la gestion de ces énergies
complexes ? L’ablation ne peut que produire des frustrations
destructrices aux conséquences terribles pour l’équilibre spirituel,
mental et corporel.
Le judaïsme a bien conscience que certains hommes sont pris
d’élans mystiques qui les poussent vers certaines extrémités, au
rejet des lois humaines communes. Il y est possible de vivre une
ascèse rigoureuse, mais dans un certain cadre : le nazirat. Le nazir
299
est un ascète, mais en CDD, contrat à durée déterminée. De
manière générale, les austérités ne peuvent excéder la durée d’un
mois. Dans d’autres cas, ce statut particulier pouvait se prolonger
jusqu’à ce que l’ascète se libère lui-même de ses vœux. Certaines
familles devaient fournir un nazir.
Le nazir, le nazaréen
300
d’YHVH, et celui de gauche, le ‘Olam azeh, le monde du présent, ce
que les bouddhistes nommeraient Nirnana et Samsara. Le Tsadé ne
peut éviter de nous faire penser à la dualité, soit des univers
parallèles, soit de nos moi intérieurs.
À bien observer la lettre, on peut distinguer aussi un Noun qui
serait pourvu d’un Yod.
formation du Tsadé.
301
Enfin, après de longues réflexions, Jupiter s’exprima en ces
termes : « Je crois avoir trouvé, dit-il, un moyen de conserver les
hommes et de les rendre plus retenus, c’est de diminuer leurs
forces. Je les séparerai en deux : par là, ils deviendront faibles ; et
nous aurons encore un autre avantage, ce sera d’augmenter le
nombre de ceux qui nous servent : ils marcheront droit, soutenus de
deux jambes seulement ; et si, après cette punition, ils conservent
leur audace impie et ne veulent pas rester en repos, je les séparerai
de nouveau, et ils seront réduits à marcher sur un seul pied, comme
ceux qui dansent sur des outres à la fête de Bacchus. » Après cette
déclaration, le dieu fit la séparation qu’il venait de résoudre ; et il la
fit de la manière que l’on coupe les œufs lorsqu’on veut les saler, ou
qu’avec un cheveu on les divise en deux parties égales. Il
commanda ensuite à Apollon de guérir les plaies, et de placer le
visage et la moitié du cou du côté où la séparation avait été faite :
afin que la vue de ce châtiment les rendît plus modestes. Apollon mit
le visage du côté indiqué, et ramassant les peaux coupées sur ce
qu’on appelle aujourd’hui le ventre, il les réunit à la manière d’une
bourse que l’on ferme, n’y laissant au milieu qu’une ouverture qu’on
appelle nombril. Quant aux autres plis, qui étaient en très grand
nombre, il les polit, et façonna la poitrine avec un instrument
semblable à celui dont se servent les cordonniers pour polir le cuir
302
des souliers sur la forme, et laissa seulement quelques plis sur le
ventre et le nombril, comme des souvenirs de l’ancien châtiment.
Cette division étant faite, chaque moitié cherchait à rencontrer celle
dont elle avait été séparée ; et, lorsqu’elles se trouvaient toutes les
deux, elles s’embrassaient et se joignaient avec une telle ardeur,
dans le désir de rentrer dans leur ancienne unité, qu’elles périssaient
dans cet embrassement de faim et d’inaction, ne voulant rien faire
l’une sans l’autre.
Platon,
Le Banquet
(traduction Dacier et Grou),
Éditions Grand Livre Du Mois
303
304
Les 22 questions de RIVKA
CRÉMISI
Énergéticienne, Enseigne la symbolique des lettres hébraïques.
305
SAMEKH – Le soutien est-il une bénédiction ?
PE – Parole ou silence ?
306
souvent appelés B’nei Noah (Enfants de Noé) ou Noahides, et
peuvent souvent se retrouver dans des synagogues juives.
307
TSADÉ
308
sens : sagesse, espérance, androgynie
phonétique : TS
partie du corps : gros intestin
lettre simple
astrologie : Le Verseau
symbolisme :
le harpon, la justice : sens négatif d’arme
violente de chasse.
Mais aussi la Justice avec ses deux
plateaux. Figure encore l’androgyne.
309
LE COUPLE TSADÉ-QOF
L’ultime épreuve spirituelle
310
rigoureuses et nous éloignent ainsi des objectifs de départ. La
jeunesse est propice à ces croyances. Mais un homme de cinquante
ans affichant les mêmes idées tranchées qu’un autre de vingt-deux
devient terriblement inquiétant. La jeunesse n’aime pas, et
heureusement, les compromis, la maturité parfois en accepte un peu
trop. L’entente qu’exige le thérapeute Tsadé n’est pas une
compromission lâche et molle de quelqu’un de fatigué. Elle est
active, rigoureuse et sur le qui-vive.
Le chas de l’aiguille
Alors Jésus dit à ses disciples : en vérité je vous dis, qu’un riche
entrera difficilement dans le Royaume des cieux. Je vous le dis
encore : Il est plus aisé qu’un chameau passe par le chas d’une
aiguille, qu’il ne l’est qu’un riche entre dans le Royaume de Dieu.
Ses Disciples ayant entendu ces choses s’étonnèrent fort, et ils
dirent : qui peut donc être sauvé ? Et Jésus les regardant, leur dit :
quant aux hommes, cela est impossible ; mais quant à Dieu, toutes
les choses sont possibles.
311
L’identité graphique de ces deux graphes offre un enseignement
puissant. Pour aller vers les hauteurs que nous propose le Lamed, il
faut aussi creuser très profondément nos abîmes. La leçon de
l’élévation ne suffit pas. Qui peut prétendre à l’humanité s’il ne
connaît les épreuves qui lui sont accolées ? Ce n’est que parce
qu’on a plongé dans le fond de la dépression qu’on connaît la
lumière. De même c’est parce qu’on a connu la lumière que l’on peut
se relever du Shéol. Pourquoi attendre l’âge de quarante ans,
comme le demande la tradition, pour étudier la kabbale ? Pour les
mêmes raisons. Comment prétendre s’élever si on n’a pas été
sculpté, modelé par la vie, ses joies immenses, mais aussi ses
deuils insupportables ?
312
jusqu’à même parler de réincarnation, les gilgoulim. Dans Isaïe, un
verset est très intéressant : « Le Shéol a agrandi son désir et ouvert
sa bouche sans mesure. » (5, 14). Cette bouche évoque une
ouverture muqueuse destinée à avaler les choses et non à les
rejeter. Elle ne fonctionne que dans un seul sens quand la santé est
bonne.
Le Qof s’enracine dans le Shéol
313
En réalité quand nous nous apprêtons à affronter une véritable
épreuve, c’est cette peur du Shéol, de la mort que nous redoutons. À
l’annonce d’une grave maladie, de la perte d’un proche, d’un
conjoint, d’un divorce, l’étendue des pertes, des manques, nous
plongeons indubitablement dans un monde où tout va mourir d’un
quotidien rassurant. Devant ce boyau qui coule à sens unique, on ne
peut pas se dérober. En imposant un flou plus qu’artistique à la
notion d’après-vie, le judaïsme insiste ainsi sur la valeur unique de
notre vie sur Terre. Il nous fait comprendre que le travail que nous
devons accomplir se fera dans le monde de l’accomplissement de la
séphira Malkhout. Si nous reportons tous nos espoirs vers un autre
monde nous négligerons celui-ci.
L’épreuve inévitable
314
photos tellement choyés, traces des milliers de bons souvenirs, car
on ne photographie que les bons moments, que deviennent-ils
quand un couple divorce ? Ils ne sont plus que des papiers colorés
avec des liens morts.
extrapolation du Hé en Qof
315
territoire au Moyen Âge et ce n’est pas pour cela que le mot
n’existait pas. Ce cousin de l’homme a souvent des connotations
positives, si on passe le côté pitre du singe, on le considère souvent
comme un sage. Pour aller vraiment au cœur du symbole, il faut
rappeler que le Singe est un dieu très important du panthéon
égyptien : le dieu Djehouti, plus communément connu sous son nom
grec Thot. Il se présente soit comme un ibis au plumage blanc et
noir, soit comme un babouin. Il est l’inventeur de l’écriture et du
langage. Quand on sait que l’histoire commence avec l’écriture, on
comprend pourquoi on le nomme aussi le Seigneur du Temps.
Qu’est-ce que le temps sans écriture, sans inscription ? Il est la
langue d’Atoum, personnification de l’Océan primordial et dieu des
scribes. Dans une jolie petite vitrine du musée du Louvre, trône un
merveilleux petit singe surmonté d’un soleil, avec tous les
instruments du scribe, calames et encriers, autour de lui !
316
le nom de ce couple : Balance-Singe. Leur association ne troublerait
par un pieux égyptien.
317
Lewis Carroll
Alice au pays des merveilles
318
319
Les 22 questions de LÉA
LALOU
Collégienne à Nice, 13 ans
320
MEM – Quand tu te poses des questions, trouves-tu toujours des
réponses ?
321
QOF
322
phonétique : Q
partie du corps : la rate
lettre simple
astrologie : Les Poissons
symbolisme :
le chas de l’aiguille, le singe : épreuve pour
s’affranchir des illusions
par la vigilance.
Figure humaine de face : introspection.
323
324
LE COUPLE QOF-RECH
Ne cherche point à connaître ce qui dépasse ton intelligence ;
ne t’enquiers point des choses dont le sens t’échappe ; étudie
ce qu’il t’est donné de connaître
et ne t’occupe pas des choses mystérieuses.
(Talmud, traité Haguigah)
325
malheureusement là pour corroborer cette thèse. Mais l’usage de la
mémoire de nos pères inscrite sur les tablettes de papyrus, de
papier ou de circuits imprimés, prendra vraiment toute sa valeur
quand elle sera basée sur le plus jamais ça ! Quand elles
permettront de tenir compte des expériences de ceux qui nous ont
précédés comme le font les sciences qui englobent toujours les
théories des savants afin de ne pas devoir réitérer à l’infini
l’expérience de Torricelli, ou les démonstrations de Newton. Alors
vraiment le Qof pourra s’ouvrir à la lettre qui le suit : la tête humaine
Rech.
326
dans la demi-heure. Cela ne se produisit pas, et ils trouvèrent
plusieurs subterfuges spirituels et intellectuels pour justifier cette
non-résurrection. De nombreux commentateurs juifs imaginent plutôt
une ère messianique. Le Messie serait une période où la justice et
l’amour régneraient sur Terre. Comme dans les Évangiles lorsque
les disciples demandent à Jésus : « Quand viendra ton règne ? »,
nous pouvons toujours nous poser la question : « À quand la venue
d’un messie qui viendra nous tirer de cet échec et mat de
l’humanité : droits de l’homme, écologie, démographie, armement
nucléaire, alimentation, virologie, climatologie, islamisme radical ? »
Quoi que nous fassions, comme dans les revues d’échec, l’énigme
est : les blancs perdent en six coups. Mais ils perdent de toute
façon.
327
arrivé à ce niveau de respect de la personne humaine. Et c’est en
Europe, pas en Afrique, pas en Asie que ce miracle a eu lieu.
Deux exemples magnifiques d’une teneur messianique nous
présentent cet espoir d’établir la paix et la justice par le droit : l’euro
et la parité homme-femme. Après guerre, après l’esprit de revanche
amorcé depuis la fin la guerre franco-allemande de 1870, en passant
par la guerre 14-18 avec la ré-annexion de l’Alsace et la Lorraine,
par la guerre 39-45 avec la mort de plus de 50 millions d’êtres
humains, après la Shoah, les États de l’Europe, au lieu de punir
l’Allemagne, comme elle l’aurait mérité, au lieu de l’humilier
purement et simplement, comme ce fut le cas avec le traité de
Versailles de 1918, se sont réunis et ont organisé la reconstruction
de l’Allemagne. On ne bâtit pas un avenir de paix en enfonçant les
peuples dans l’humiliation. Des hommes comme Robert Schuman
ont su s’arracher au cycle infernal des vengeances et des punitions
et par la raison, le droit, le pardon, l’espoir, créèrent avec une grande
intelligence, une énorme patience, l’Europe. Près de cinquante
après la Communauté européenne du charbon et de l’acier,
première institution industrielle à l’origine de l’actuelle Union
européenne, circule cet autre progrès pour l’humanité que
représente la monnaie européenne : l’euro. Pour la première fois
depuis des centaines et des centaines d’années des pays réputés
comme ennemis héréditaires sont en paix depuis plus de soixante-
dix ans. Nous ne savourons pas assez ce miracle. Mais ce miracle
n’est pas tombé du ciel, il est le fruit d’un long travail sur soi de
l’ensemble des pays de notre continent. Depuis lors l’Angleterre, la
France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, les Pays-Bas, la Russie ne
se font plus la guerre. Nous regardons cela comme allant de soi,
mais non. Depuis combien de siècles une paix de plus de soixante-
dix ans a-t-elle régnée chez nous ?
La parité homme-femme est aussi le signe d’un grand espoir
pour l’humanité. Pour la première fois, une assemblée, formée très
fortement majoritairement d’hommes, vote une loi qui va à l’encontre
« naturelle » de sa conservation. Des hommes votent pour que le
nombre de femmes à l’assemblée soit équivalent à celui des
hommes dans l’hémicycle. Cette loi est elle aussi un arrachement à
des milliers d’années de suprématie des mâles sur les femmes. Si
328
cela est possible, beaucoup d’autres injustices peuvent être
balayées de notre monde.
C’est par touches successives que peu à peu, si nous en avons
le courage et si nous ne nous sommes pas autodétruits avant, que
régneront un jour l’harmonie et la justice qui sont l’espoir du
judaïsme et du christianisme qui contrairement à d’autres systèmes
religieux placent la paix avant toute chose.
Tsadé, Qof, Rech, si nous regardons cette belle série au niveau
international, nous en tirons un profond enseignement. Tsadé
(justice, recherche d’harmonie, négociation, diplomatie) passe par
Qof (épreuve, guerre, crise économique) et débouche sur Rech, le
relèvement du projet humain pour sa survie et son devenir sans
cesse dans le dépassement de lui-même.
329
réalisme frappant, d’une énergie sans âge, apparaissent de petits
traits anthropomorphes très stylisés n’ayant aucun rapport avec la
qualité du dessin des bisons ou des mammouths pariétaux : un
homme de profil ithyphallique pour bien nous faire entendre que le
désir humain est le moteur de toute recherche, de toute initiation : ce
désir d’être est caché dans le puits le plus profond et éloigné des
regards profanes. Il faut être courageux pour descendre dans cet
antre afin d’admirer cette représentation, défier la nuit, car c’est avec
de toutes petites lampes frêles que le peintre préhistorique se
déplaçait dans les grottes, bravait le labyrinthe peuplé de bêtes et
risquait à tout instant de s’abîmer sur la roche dure. Là, le Sapiens
sapiens, mais déjà homme à part entière, de sa flammèche, pouvait
admirer la représentation de lui-même. Comme si la proie la plus
difficile à atteindre était son humanité.
Le Temple de Jérusalem n’était-il pas la réplique de ce schéma
sacré et éternel de la quête spirituelle cadrée par l’architecture où le
naos, petite pièce tout au fond du péristyle, était le seul espace où le
nom sacré YHVH était prononcé une fois l’an avec toutes ses
voyelles par le Cohen hagadol, le grand prêtre ? Dans ce lieu vide,
le saint nom était lancé. Mais qu’est-ce que le Tétragramme sinon la
contraction du verbe être : j’étais, je suis et je serai et le résumé du
fameux Eieh asher Ehie, je serai qui je serai. Cette formule
prononcée dans le chahut de la foule, donc perdue dans le bruit de
la fête de Kippour, est aussi la marque de l’homme qui n’a pas de
présent, et n’est que devenir.
Éloge de la fragilité
330
Est-ce être lié à la Judée antique comme l’indique son nom, ? Est-ce
pratiquer le judaïsme ? Est-ce être né de parents juifs ? L’élection du
peuple juif s’articulerait dans ces trois énigmes qui devraient en
réalité être partagées par tous les humains. Le Juif sait qu’il n’est
que les projets qui l’animent où qu’il soit. Qu’a le juif de plus que les
autres ? Il sait qu’il est un homme, rien qu’un homme. Fragile, de
passage, dedans et dehors. Suprême connaissance, c’est peut-être
cela qu’on lui reproche de siècle en siècle. En s’en prenant à sa vie
son persécuteur exécute ses propres peurs, ses propres illusions de
pérennité, ses propres croyances.
331
risque de tout perdre ce qui nous animait, on ne peut arriver à aucun
dépassement. C’est pourquoi il y a homonymie dans le Rech de la
tête et de la pauvreté. C’est pourquoi aussi, comme à Lascaux, la
tête projective et qui n’a pas peur de l’inconnu est en fin de l’ordre
alphabétique. Car arriver à ce niveau spirituel demande un effort
contre nature et demande d’être passé par tous les degrés
d’enrichissement de la vie, mais aussi, et cela va de pair, par tous
les détachements, les unions, les unifications, les liens et… les
coupures. Dans ses béatitudes, Jésus, le juif, qui ne peut pas ne pas
être autre chose que juif, nous parle des vertus de la pauvreté. Mais
certainement pas au degré trivial de son interprétation, d’une
pauvreté louable et nécessaire. Il s’en prend aux riches parce que la
plupart sont empreints de certitudes, qu’ils peuvent, grâce au
pouvoir que leur confère l’argent, se croire au-dessus de la mort,
hors d’atteinte du regard de la Vie. Cette solidité, que leur donne la
puissance, les éloigne de la question. Le nom même d’homme,
Adam, est construit sur le mot Terre, adamah, qui veut dire, c’est
quoi l’homme ? Pourquoi l’homme veut-il être riche en esprit,
dominateur, dur, rassasié, sans pitié, cynique, belliqueux, juge sans
faille, calomniateur1 ? Pour ne pas laisser en lui le moindre
sentiment de manque, de béance.
Pourtant c’est le manque qui nous pousse à élargir nos voies, à
dépasser nos peurs. Me reconnaître comme un être dans le
manque, entouré d’êtres comme moi dans le manque, émané d’un
monde construit sur le manque, et d’un Dieu ayant choisi le manque
pour qu’advienne le monde, est la suprême thérapie. Je n’ai plus à
être parfait, à conquérir le monde, à réduire l’autre au même. Ce que
nous propose ce rabbin juif, et avec lui de nombreux sages du
Talmud, n’est rien d’autre que la méditation sur l’acte premier de la
création : le Tsimstoum. Tout ce qui suivra cette contraction de l’être
sera programmé pour la recherche de l’autre afin de combler un
manque. Le retrait de soi pour laisser la place à l’autre. L’autre, c’est
la rencontre, l’amour, la jubilation de la trouvaille et de la retrouvaille.
Le sage connaît cette énergie qui pousse vers l’autre et en
comprend les enjeux, mais il sait que la quête est infinie et que rien
ne pourra heureusement l’apaiser. De ce deuil vient la paix,
l’épreuve du Qof, le boyau de nos renaissances, sera passée. Une
332
fois les valeurs humaines conscientes de leur fragilité et de leur
possibilité de dépassement, s’offrent aux marcheurs de vie les deux
derniers niveaux de conscience de l’alphabet : Shin et Tav.
333
– Si les docteurs de la Loi discutent de la halakha (la règle
normative), en quoi êtes-vous concernés et de quoi vous mêlez-
vous ?
Les murs ne s’écroulèrent pas par respect pour Rabbi
Yéhochoua, mais ils ne redressèrent pas non plus par respect pour
l’opinion et la personnalité de Rabbi Éliezer. Au demeurant,
aujourd’hui encore, ils sont dans le même état : inclinés. Rabbi
Éliezer reprit son offensive :
– Si mes arguments doivent l’emporter face à ceux de mes
contradicteurs, que le ciel lui-même en décide !
C’est alors qu’une voix céleste se fit entendre dans la salle. Elle
déclara :
– Pourquoi vous acharnez-vous ainsi contre Rabbi Éliezer ? Son
enseignement fait toujours autorité.
Entendant ces mots, Rabbi Yéhochoua se leva et affirma que
– la Torah n’est pas dans le ciel ! (Dt 30,12)
Ce que Rabbi Yéhochoua voulait dire par là ? Rabbi Yirmiyah
l’expliqua ainsi : nous n’avons pas à attendre confirmation de la voix
céleste puisque la Torah prévoit qu’il faut se ranger à l’opinion de la
majorité. (Ex 23,2)
Plus tard, Rabbi Nathan rencontra le prophète Élie et lui
demanda :
– Comment a réagi le Saint, béni soit-Il, à ce débat et à la
protestation de Rabbi Yéhochoua contre l’intrusion de la voix
céleste ?
Élie lui répondit :
– Dieu a simplement dit avec le sourire : « mes enfants m’ont
vaincu, mes enfants m’ont vaincu ! »
L’invention de l’ego
334
Cette lettre Rech nous invite à questionner le visage de l’homme.
Le pourquoi de sa présence dans le silence de l’univers. La
nécessité de sa différenciation, source des conflits mais aussi des
jubilations.
Revenir aux instants du Tsimtsoum, combien de vies pour en
saisir seulement le parfum du parfum.
Nous avons vu que le grand jeu pour Cela qui créa le monde fut
de se perdre pour se retrouver altéré. Fut de se plonger dans un
grand sommeil de 13,7 milliards d’années pour qu’une conscience
dans l’univers puisse contempler le travail accompli. Une conscience
dans les espaces infinis qui se demandc où est l’origine de ce que je
vois, sens, entends, touche et goûte. L’univers façonne particule par
particule un être qui puisse se vivre complètement séparé afin
d’observer la beauté et le mystère de tout ce qui est. Séparé car
comment contempler si l’on n’est pas séparé ? Contempler pour
ensuite ne faire qu’Un avec l’Un. Se fondre. Mais une fois fondu,
perdu et de nouveau dans l’obligation de se séparer, car à quoi bon
tout cela si je me perds à tout jamais dans la grande soupe du
cosmos.
Cela pour que la jubilation sans fin de la perte et de la retrouvaille
invente l’EGO. Une manière d’être au monde sans y être. Une
manière d’être au monde détachée. L’ego marque le suprême degré
de séparation avec l’acte créateur. Plus l’ego s’enferme dans son
énergie, plus Cela jubile de la possibilité de se souvenir de la réelle
identité.
Adam et Ève en discriminant, non pas le Bien et le Mal mais le
Bon et le Mauvais, le Bon pour moi et le Mauvais pour moi, achèvent
ce merveilleux parcours de la fusion avec l’univers vers la distinction
d’avec celui-ci. L’homme, le prédateur par excellence, domine parce
qu’il se sait non pas supérieur, mais différent de tout ce qui l’entoure.
Différent, distinct, dehors, séparé, scindé, sevré, rejeté du Paradis
du Un. Le Cantique des cantiques est ce double mouvement de
fusion et de séparation. Pour que le couple dure à l’infini, il doit
passer par des phases copulatoires extrêmes et des phases
d’escapade sur les montagnes. Si la distance entre l’amant et
l’amante ne se fait plus, l’amour disparaît et nous n’avons qu’un être
flasque déserté de la passion.
335
La guerre que mènent certaines philosophies ou religions contre
l’ego est une tentative désespérée et à contretemps. Le temps de la
Terre pour le Sapiens sapiens est ce temps de la séparation aspirant
à la fusion.
336
donné un chevreau pour que je me réjouisse avec mes amis. Et
quand ton fils est arrivé, celui qui a mangé ton bien avec des
prostituées, c’est pour lui que tu as tué le veau gras ! » « Mon
enfant, lui dit le père, tu es toujours avec moi, et tout ce que j’ai est à
toi ; mais il fallait bien s’égayer et se réjouir, parce que ton frère que
voici était mort et qu’il est revenu à la vie, parce qu’il était perdu et
qu’il est retrouvé. »
(Lc 15,11-32, traduction Segond)
Quel plus beau texte pour nous narrer l’invention de l’ego. Le
Grand Jeu est offert à ceux qui veulent entendre. La jubilation du
Père est inversement proportionnelle à la proximité du Fils. L’Univers
pour guérir de lui-même n’avait que faire d’une créature obéissante,
répondant parfaitement aux règles de la physique, de la nature. Pour
se guérir, il fallait un être comme lui qui se sache séparé de lui-
même d’une fracture ontologique. Sa guérison ne pouvait se faire
que par la démonstration sublime d’un amour sans limite. Le fils
fidèle, toujours présent ne le surprend plus, ne lui donne aucune
preuve de dépassement de sa nature. Il est ennuyeux à mourir.
L’autre dilapide le patrimoine. Il n’est pas difficile d’imaginer ce
qu’est le patrimoine de notre fils prodigue. Ce patrimoine est la
connaissance totale de son origine, c’est la reconnaissance de ce
tribut fait à Cela qui le suscita. Ce fils le dépense en débauches, en
futilités, car tout au fond de lui, il sait que le Père sera toujours là
dans le fond de son être. Il sait que le point intérieur est
indéfectiblement là, convocable à tout instant. Plus je me sépare,
plus grande est la joie de la fusion. Plus je fusionne, plus il m’est
nécessaire de partir. Balancier divin et infernal de notre monde.
Sumbolos, Diabolos. Fort de cet enseignement, il n’est pas étonnant
que Jésus préférait la fréquentation des publicains, des femmes
libres que des grenouilles de bénitiers.
Les Juifs religieux disent trois fois par jour les dix-huit
bénédictions. La plus insolite est : Pour ton salut, Dieu, j’espère.
Comme le fait remarquer Catherine Chalier à l’instar du Rav
Berezovky, il ne faut pas croire que nous prions dans ce verset pour
notre salut mais pour celui de Dieu. Le judaïsme va de nouveau à
l’encontre de tant de lieux communs sur le rapport de l’homme à
Dieu. C’est à l’homme de guérir Dieu. L’homme est le thérapeute de
337
Dieu. Comment le guérir ? En lui apportant chaque jour du nouveau,
en inventant du sens à la vie qui par nature n’en a jamais eu, en
dépassant les conditions fixées par la nature, en rejetant les limites,
en refusant l’obéissance aveugle à des préceptes vieux comme le
monde. Nous guérissons Dieu, comme lorsque le Père assiste à la
remise de diplôme de son fils qui ainsi le laisse derrière lui. Riche de
ce diplôme, il pourra vivre loin de lui et l’oublier. Un être autonome
est né.
338
339
LES 22 QUESTIONS D’ÉLIE
GUEZ
Thérapeute, étudiant de la sagesse hébraïque
340
que tes deux mains (yad)ont mis en œuvre (Naassé vénichma) ?
KHAF – Sais-tu que par ces deux mains en action tu crées le creux
de la paume pour acquérir une prise au recevoir ?
341
RECH
342
symbolisme :
la tête : tête humaine
regardant le futur,
les projets, les décisions
pour évoluer. Elle est aussi
le principe créateur.
343
LE COUPLE RECH-SHIN
Là où il n’y a pas d’homme, raison de plus pour être un homme.
(proverbe juif)
344
comme une meule intermédiaire entre Rech et Tav. Elle est le
dernier filtre du projet de l’alphabet. Ou plutôt un tamis qui retient les
grosses particules pour ne laisser passer que le meilleur de la farine.
Que doit retenir la fibre du passage final ? Tout ce qui empêche un
homme de signer son œuvre (Tav) : l’esprit de clan, les liens tribaux,
les familles idéologiques, le machisme, etc.
Après l’épuration de la denture Shin, le Tav vient marquer l’ère de
la responsabilité. Par le travail de la vingt et unième lettre, l’homme,
quand il sera entraîné dans des entreprises barbares, ne pourra plus
se replier sur la responsabilité d’entités autres que lui. Il ne pourra
plus hurler après Dieu, gémir après le destin, pleurer sur sa
malchance, comme un enfant qui frappe le banc sur lequel il vient de
se cogner.
345
aiguiser les couteaux pour préserver ce à quoi je tiens plus qu’à tout.
Pourtant la perte est à l’origine du tout. Le Tsimtsum est une autre
manière de dire la nécessité de la perte. Dieu s’est perdu pour nous,
pour qu’une conscience émerge dans l’univers. Le christianisme est
une méditation sur la perte du fils. Perdre le fils, c’est donner une
chance à l’humanité de se libérer d’une ancienne conception du
divin. Tout gain est le fruit d’une perte. Cette perte primordiale va
innerver tout ce qui suivra, de la plus infime particule jusqu’à l’être le
plus complexe.
346
sein de l’humanité. Ce nom est absent de la Bible et se retrouve
surtout dans le Talmud et le Zohar. Il a la particularité d’être l’unique
désinence de Dieu du genre féminin. Dans l’arbre des Séphirot,
Shékhina est aussi un autre nom de la dixième séphira, Malkhout.
C’est dans cette ultime sphère que se révèle toute la présence
divine passée par les neuf précédentes mutations, d’opposition en
opposition, selon le chemin, le Shéfa, de l’éclair qui s’origine dans le
Eyn Sof en passant par Keter, la couronne.
Quoi qu’il en soit, cette lettre Shin est vue comme bénéfique
dans tous les cas. Qui ne souhaite le Shalom, qui ne désire le
réconfort des Seins et qui n’espère vivre dans la Présence ?
347
un rouleau de parchemin où sont écrits des passages du
Deutéronome, le premier passage du Shema’ (versets 6, 4-9), et le
deuxième (versets 11, 13-21). Les juifs ont pour obligation d’insérer
ce petit rôle dans un boîtier et de le clouer au montant de leur porte
d’entrée. Sur cet étui doit figurer la lettre Shin qui est l’initiale de
Shaddaï ou même l’intégralité de ce mot. Une tradition voit dans les
trois lettres de ce nom attribut divin l’acrostiche de Shomer Diatot
Israël, le gardien des portes d’Israël. Signe puissant marquant la
protection physique et spirituelle de la demeure. Ce pénultième
graphe est encore le premier mot du texte de la mézouza : Shéma’
Israël, qui nous demande non pas de croire mais de comprendre.
Shin impose par son aura et la puissance de sa symbolique le
respect de la vie et du sacré toute entrée dans une maison maison.
Pour approfondir la symbolique de la dent, ces murs sont un
espace de mutation, là où les enfants sont engendrés, là où ils
passent les différentes phases de leur vie, de l’enfance à
l’adolescence, de l’adolescence à l’âge adulte. La maison est le lieu
de la transmission des valeurs du judaïsme et elle revêt bien
souvent les fonctions d’un temple. La synagogue n’étant pas un
temple mais un lieu pratique pour se réunir, le foyer est aussi un
espace sacré où le Shabbat, Pâque et nombre d’autres fêtes sont
célébrés en famille.
Le Shin messianique
348
Il existe dans la tradition ésotérique un Shin tout à fait particulier
constitué de quatre Yods. Les trois Yods du Shin courant sont dans
la symbolique de la kabbale représentés par les trois patriarches,
Abraham, Isaac et Jacob. Les quatre Yods du Shin mystique sont les
matriarches, Sarah, Rébecca, Rachel et Léa, les mères de la vie.
Cette lettre excentrique est en quelque sorte la vingt-troisième de
l’alphabet, on dit qu’elle y sera rétablie à la fin des temps et qu’elle
agira comme une clé qui dévoilera toutes les zones d’ombre de la
Torah, comme nos codes PIN permettent de nous connecter à nos
ordinateurs sécurisés. Ce graphe est à l’échelle du genre humain le
filtre ultime pour accéder à une nouvelle humanité. Il est passionnant
de noter que le premier Shin était sous le sceau des énergies
masculines et le second des féminines, comme si l’accession à un
niveau de conscience supérieur passait obligatoirement par
l’introduction du féminin dans la vision de la vie et de l’univers futurs.
Les peuples encore versés dans la barbarie sont ceux qui en restent
à un pur patriarcat et n’ont pas encore donné à la femme toute sa
place dans la société, et à tous les niveaux décisionnaires. Une fois
de plus, c’est sous l’influence de la société laïque que des religions
ouvrent les portes aux fonctions religieuses aux femmes, pensons
au mouvement juif Massorti qui accueille les dames au rabbinat et à
toutes les autres fonctions autrefois réservées aux mâles, études
talmudiques, lecture de la Torah à la synagogue, etc.
349
perpétué avec le christianisme, celui de l’individuation. Nous
apprenons ainsi grâce à cette grille de lecture alphabétique que
cette individuation n’est possible que par l’acception de nos
bipolarités. Pour éviter l’échec et mat de nos civilisations, nous
serons contraints d’accepter, de respecter et de valoriser et surtout
d’écouter activement ce que les femmes et le féminin en nous ont à
nous dire.
[…]
350
Le poète a toujours raison
Aragon
chanté par Jean Ferrat
351
RÉCAPITULATIF DE TOUTES LES NOTIONS
LIÉES AUX LETTRES SELON LE SÉPHER
YÉTSIRAH (Gra-Ari)
352
SHIN
353
symbolisme :
la dent : lettre des mutations
de la matière en énergie spirituelle.
Lettre de la force vitale.
Lettre puissante avec 3 Yods
(3 degrés de l’âme).
354
LE COUPLE SHIN-TAV
« Celui qui préfère les bonnes actions aux belles théories est
sage. Celui qui se livre aux théories et néglige les bonnesactions
perd son temps ».
Pirké Avot, Paroles des Pères
Le jeu de l’oie est parcouru. Tous les degrés de l’échelle ont été
franchis. La mutation Shin a pu s’opérer et nous offrir le courage de
la lettre Tav. Tav est la marque de l’Individuation de l’être humain. En
hébreu, Tav veut dire le signe, la lettre. Sa forme originelle
protosinaïtique est une simple croix en forme d’X. Elle est la seule
véritable lettre de l’alphabet. Toutes sont issues de pictogrammes
figuratifs, la maison, la porte, l’arme, etc. Elle est un graphe abstrait.
Universel. On trouve même son croisement gravé dans les parois
historiées de Lascaux.
Curieusement Shin et Tav donnent le mot hébreu anus. Comme
si les deux dernières lettres marquaient le terme d’un long transit et
que les vingt autres étaient les multiples étapes d’une longue
digestion. Nous ne sommes pas loin d’une idée de chimie
transformatrice. Pour reprendre l’image freudienne qui lie la merde à
l’or, quel est l’or obtenu dans ce travail si ce n’est l’humain ?
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marquer son passage par des objets inutiles, des colliers, des
entailles décoratives sur des poignards de pierre, et de donner une
sépulture codifiée à ses morts pour les inscrire dans la terre
nourricière comme des idéogrammes à la forme fœtale ?
Ce X est la marque de l’intersection de plans antagonistes, celui
du visible et de l’invisible, du féminin et du masculin, de la vie et de
la mort. L’homme entier se tenant toujours dans ce point central
indéfinissable. Entre la séparation des droites et l’unification des
sécantes.
Deux autres lettres lui sont liées : le Daleth et le Mem, avec pour
valeurs numériques respectives : 4 et 40. Tav valant 400, ces trois
nombres expriment chaque fois la fin d’un travail, travail à prendre
dans le sens de celui de la femme enceinte qui arrive à terme et va
bientôt mettre au monde un être séparé d’elle. Tav est la fin d’une
longue maturation.
Arrivé à ce stade de l’alphabet, soit nous sommes dans la mort,
dans la fin d’un cycle, c’est pourquoi cette lettre peut être le Tav de
Mavet, la mort, soit dans une nouvelle naissance. Nous ne parlerons
ici que de naissance à soi-même, puisque la mort est impensable.
Nous parlerons par cette lettre de l’incarnation. Après avoir vécu
toutes les étapes, les épreuves, les joies, les manques, les
satisfactions, les banalités, les exaltations des vingt et une autres
cases du jeu de l’oie de l’alphabet, il est temps d’incarner jusqu’au
moindre muscle la sagesse que nous avons tirée du parcours. Si
tout doit être vécu simplement sans jamais tenir compte des leçons,
à quoi bon la vie ? Quel sens aurait tout cela, si en fin de course
nous n’arrivions pas à une sagesse qui s’ancre (s’encre) dans la vie
et le mystère des entre-deux ?
À ce niveau de conscience ultime, comprendre que ce sont nos
œuvres qu’il faut avoir le courage de signer. Que nous ne sommes
jugés, non pas sur le nombre d’heures passées en oraison, en
pensées magnifiques, mais par notre capacité d’avoir amélioré le
monde, d’avoir modifié la matière, d’avoir entretenu le jardin qui
nous était offert au départ. Élohim se moque de savoir si on croit en
lui ou pas, ce qu’il veut, ce sont des hommes et des femmes fièrs,
capables de faire le bien, de créer de grandes et belles choses, sans
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lui. Alors, il contemple la grandeur de ses enfants à la beauté de
leurs fruits.
Liberté
[…]
Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom
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J’écris ton nom
« Liberté »
de Paul Éluard,
extrait de Poésies et Vérité,
Éditions de Minuit, 1942
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TAV
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symbolisme :
le signe, le symbole : lettre
de l’accomplissement
de la création divine.
Présente dans la Vérité (émet)
et la Mort (mavet).
Autre figure du Taureau (Thao).
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LE COUPLE TAV-ALEPH
L’alphabet, spirale sans début et sans fin
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sauvage. La boucle est bouclée, l’alphabet commence par le
Taureau et finit par un autre bovin. Ainsi la chaîne de l’interprétation
ne s’arrête jamais. Pourquoi le bovin est-il aux deux extrémités du
chemin ? Cela relance à l’infini le débat.
Tous les neuf ans, neuf êtres humains pénètrent dans la maison
pour que je les délivre de toute souffrance. J’entends leurs pas et
leurs voix au fond des galeries de pierre, et je cours joyeusement à
leur rencontre. Ils tombent l’un après l’autre, sans même que mes
mains soient tachées de sang. Ils restent où ils sont tombés. Et leurs
cadavres m’aident à distinguer des autres telle ou telle galerie.
J’ignore qui ils sont. Mais je sais que l’un d’eux, au moment de
mourir, annonça qu’un jour viendrait mon rédempteur. Depuis lors, la
solitude ne me fait plus souffrir, parce que je sais que mon
rédempteur existe et qu’à la fin il se lèvera sur la poussière. Si je
pouvais entendre toutes les rumeurs du monde, je percevrais le bruit
de ses pas. Pourvu qu’il me conduise dans un lieu où il y aura moins
de galeries et moins de portes. Comment sera mon rédempteur ? Je
me le demande. Sera-t-il un taureau ou un homme ? Sera-t-il un
taureau à tête d’homme ? Où Sera-t-il comme moi ? Le soleil du
matin resplendissait sur l’épée de bronze, où il n’y avait déjà plus
trace de sang. « Le croiras-tu, Ariane ? dit Thésée, le Minotaure
s’est à peine défendu. »
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363
LES LETTRES N’ONT PAS FINI
DE NOUS POSER QUESTION.
Le conte de l’alphabet s’est déroulé. De lettre en lettre. Les unes
dialoguant avec les autres. Une belle grille de lecture à caresser
tous les jours. Nulle die sine linea et encore moins de jours sans une
lettre. Grille pour lire un monde oscillant sans répit entre nos
séparations et nos unifications, entre le mouvement et le repos.
Un monde où les repères sont changeants, à réinventer à
chaque respiration. Le monde de l’entre-deux où nul ne peut planter
sa bannière car son sol y est fluide, nul ne peut s’y enraciner car
volatile.
De grandes traditions ont pressenti cette impermanence du réel,
le taoïsme qui cite toujours l’eau pour nous parler de la Voie, le
bouddhisme zen qui rejette les mots trompeurs qui nous donnent
l’illusion d’une solidité. Le judaïsme et l’Évangile, eux aussi, sont
conscients de cet univers de l’entre-deux, les révélations se font
dans le désert, dans le sillon creusé au travers des flots de la mer
Rouge, le mot hébreu lui-même signifie ceux qui passent, et Jésus
nous dit le fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer sa tête. Saint
Augustin poétiquement insiste sur notre nature de passants : tous
nous sommes des voyageurs, celui-là est chrétien qui, jusque dans
sa maison et sa patrie, se reconnaît n’être qu’un voyageur.
Riche de cette connaissance terrible, le juif, comme celui qui suit
le chemin de l’Évangile, ne se résigne pas à tout accepter des
travers de l’existence, il se révolte, il se rebelle et au lieu de faire de
cette précarité de la vie une faiblesse en fait sa grandeur, au lieu de
se lamenter sur l’impermanence, est à la fois homme de mémoire et
de l’attente de ce qui sera… la lumière.
La pensée hébraïque, à l’instar des sagesses extrêmes
orientales, sait la ténuité de l’être, et accepte pleinement l’humanité,
avec sa chair, ses pensées, ses maladies, ses désirs, ses
élévations, ses erreurs et ses défauts. Elle ne rejette rien de ce
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pourquoi nous sommes sur Terre : vivre la totalité de l’humaine
condition incarnée. C’est pourquoi elle perçoit mal l’ascèse car cette
discipline veut anticiper dans ce monde ce que serait le monde à
venir.
Les méditations, les prières, les dévotions peuvent être de
suprêmes anesthésiants qui nous aident à ne pas souffrir de notre
condition, parfois à fuir l’horreur de la mort et le poids des
déceptions. Ce que nous enseignent David, Salomon, Abraham,
Jacob, Jésus, Thomas, c’est l’exploration totale du court laps de
temps d’existence qui nous est accordé. Le courage de l’Ecce
Homo, Voici l’homme. C’est en ayant vécu le spectre complet de
cette identité que nous pourrons réellement nous libérer presque
sans regret de notre bien le plus cher : la vie terrestre.
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LES 22 QUESTIONS DU
LECTEUR
Remplissez vous-mêmes les questions qu’elles vous posent !
ALEPH –
BETH –
GUIMEL –
DALETH –
HÉ –
VAV –
ZAYIN –
‘HETH –
TETH –
YOD –
KHAF –
LAMED –
MEM –
NOUN –
SAMEH –
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AYIN –
PÉ –
TSADÉ –
QOF –
RECH –
SHIN –
TAV –
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BIBLIOGRAPHIE
The art of Hebrew lettering, L F Toby, éd. Schuster, Tel Aviv, 1986
369
The book of Hebrew script, Ada Yardeni, éd. Karta, Jérusalem,
1991
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Dossier Archéologie N° 260 février 2001
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Achevé d’imprimer par SEPEC,
en janvier 2016
N° d’imprimeur : XXXXXXXX
Imprimé en France
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