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1. L'impression de nouveauté
Bergson dit qu'il « croit expérimenter » une nouveauté imprévisible à tout
instant. Il l'expérimente, en effet, par le décalage entre les événements anticipés et leur
réalisation. Même lorsque l'on connaît le lieu, le moment, les participants, ce qu'ils vont
dire, etc, la réunion réelle donne une impression de nouveauté par rapport à la réunion
en projet. Comment décrire cette impression, qui n'est pas d'ordre verbal ? Bergson
utilise une analogie avec la création artistique
Or, on sait que l'artiste n'a pas une représentation précise de l'œuvre avant de
la produire.
Première objection : L'impression de nouveauté vient seulement du fait que nous ne
pouvons prévoir ce que feront les autres.
Réponse à l'objection : Notre liberté rend nos actions imprévisibles même pour nous-
mêmes. Pour Bergson, nous sommes libres lorsque nos actions émanent de notre “moi
profond”, qui est la “condensation de notre histoire”. Or, ce moi se crée lui-même
continuellement : nous nous créons à chaque instant, comme l'artiste crée son oeuvre.
« Nous devons donc envisager l'état présent de l'univers comme l'effet de son état antérieur et
comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les
forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs elle était
assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des
plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome ; rien ne serait incertain pour elle, et l'avenir,
comme le passé, serait présent à ses yeux.
5. Intuition et intelligence.
L'intelligence humaine n'est pas disposée à comprendre la nouveauté radicale,
que saisit l'intuition. L'intuition est la perception immédiate que nous avons de nous
mêmes et de nos actions. Mais pour traiter la situation présente, nous utilisons notre
expérience passée, nous comparons la situation présente à celles que nous avons déjà
connues (nous ramenons l'inconnu au connu) : c'est le rôle de l'intelligence. Elle est
programmée pour reconnaître les similitudes, les généralités (elle range les objets dans
des classes, sous des catégories; reconnaît des régularités, énonce des lois).
L'intelligence, pour Bergson, est pratique, avant d'être théorique. Or, pour nous permettre
d'agir sur la réalité, il faut qu'elle reconnaisse ce que le présent a de semblable au passé.
Comme le dit Nietzsche, connaître, c'est reconnaître, ramener l'inconnu à du connu, le
nouveau à l'ancien. L'action nécessite que nous soyons aveugles à la différence (“la vie
exige que nous nous mettions des oeillères”, dit bergson). La différence entre deux
gouttes d'eau est, en pratique, sans intérêt. Le verre d'eau n'est pas perçu de la même
manière selon que mon intérêt est de satisfaire ma soif, ou que je veuille le peindre.
L'artiste doit être sensible à l'originalité de ce qu'il représente.
Pourtant, l'artiste se base aussi sur des connaissances antérieures, sur la
connaissance des matières qu'il travaille, des techniques nécessaires pour les travailler,
etc. Il doit faire du neuf avec de l'ancien. Il en est de même de la création de nous-
mêmes, qui constitue notre liberté. Nous avons reçu un héritage biologique, culturel,
social, mais il ne détermine pas ce que nous sommes, car nous sommes précisément ce
que nous faisons de cet héritage, la figure originale que nous construisons à partir de
cette matière première.
Il y a donc création, et non seulement fabrication de soi.
7. La philosophie et le temps.
Bergson veut réhabiliter le temps. La philosophie (et la science) a dévalorisé ce
qui est temporel au profit de ce qui est éternel. Pour le montrer, Bergson fait référence à
Platon et, implicitement, lorsqu'il parle de la philosophie moderne, à Descartes. Dans ce
dernier cas, c'est l'introduction de la notion de loi qui minimise le rôle du temps. En
considérant que le rôle des sciences de la nature est de déterminer les lois qui régissent
les phénomènes naturels, on met l'accent sur ce qui, dans les changements et
transformations de la nature, ne varie pas, est permanent.
Dans le cas de Platon, Bergson fait référence à l'allégorie de la caverne. Les
réalités temporelles, représentées par les ombres, ne sont connues que par
l'intermédiaire des intelligibles dont ils sont les copies. Ces réalités temporelles naissent
et disparaissent, sont passagères, et les vérités qui les concernent ne sont aussi
qu'accidentelles et temporaires. En revanche, les intelligibles sont atemporels, et les
vérités qui les concernent sont essentielles et éternelles.
8. Conclusion.
Nous sommes spectateurs de la création de l'oeuvre naturelle, et nous en
sommes aussi des participants.