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Destabilisationdeshoraires Barthe 2015
Destabilisationdeshoraires Barthe 2015
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1 author:
Béatrice Barthe
Université Toulouse II - Jean Jaurès
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All content following this page was uploaded by Béatrice Barthe on 30 September 2015.
La
majorité
des
horaires
de
travail
aujourd’hui
en
France,
sont
à
contre
temps
de
nos
rythmes
de
vie.
Horaires
postés,
travail
de
nuit,
tôt
le
matin,
tard
le
soir,
horaires
longs,
coupés,
horaires
décalés,
imprévisibles,
travail
du
dimanche,
…
l’ensemble
de
ces
horaires
de
travail,
qualifiés,
aujourd’hui
à
tort,
d’
«
atypiques
»,
déboussolent
l’alternance
veille
/
sommeil
des
travailleurs,
ébranlent
leurs
rythmes
biologiques,
les
amènent
à
jongler
avec
les
rythmes
sociaux
et
fragilisent
leur
santé.
Le
fondement
de
ces
horaires
repose
sur
un
postulat
de
stabilité
des
hommes
et
des
femmes
au
travail,
alors
que
ce
sont
ces
mêmes
horaires
qui
bousculent
leurs
équilibres
biologiques,
physiologiques,
comportementaux
et
sociaux.
Même
si
la
pratique
de
tels
horaires
peut
présenter
des
avantages
manifestes
pour
les
hommes
et
les
femmes
concernés,
à
certains
moments
de
leur
vie,
(avantages
financiers,
temps
libéré,
notamment),
la
déstabilisation
induite
par
ces
horaires
dits
«
atypiques
»
comporte
des
risques.
Ce
chapitre
se
propose
de
reprendre
ces
risques
et
d’aborder
la
manière
dont
ils
peuvent
être
maîtrisés.
1. Temps de travail et horaires atypiques : contexte social et législatif
En
France,
37%
des
salariés
travaillent
à
des
horaires
dits
«
normaux
»,
c’est-‐à-‐dire
en
journée,
du
lundi
au
vendredi,
avec
2
jours
de
repos
le
samedi
et
le
dimanche
et
une
durée
hebdomadaire
comprise
entre
35h
et
44h.
Les
2/3
restants
(63%)
travaillent
en
dehors
de
ces
horaires,
ils
ont
des
horaires
«
atypiques
».
Une
analyse
typologique
de
ces
horaires
menée
par
la
DARES
distingue
3
catégories1
de
salariés
(Bué
et
Coutrot,
2009).
Il
y
a
d’abord
ceux,
en
constante
augmentation
en
France,
qui
travaillent
en
horaires
alternants,
de
nuit
et
souvent
le
week-‐end
(29%
des
salariés).
Sont
concernés
par
ces
horaires
des
métiers
physiquement
pénibles,
avec
peu
d’autonomie
et
des
contraintes
de
rythme,
des
métiers
du
1
L’étude
en
distingue
6,
nous
avons
écarté
le
temps
partiel
(17,5%)
et
nous
avons
regroupé
les
«
horaires
alternants,
de
nuit
et
souvent
le
week-‐end
habituels
»
(19%)
et
«
occasionnels
»
(10%).
1
Reference : Barthe, B. (2015). La déstabilisation des horaires de travail, In A. Thébaud-Mony, P. Davezies, L. Vogel & S.
Volkoff (Eds.) Les risques du travail. (pp. 223- 232). Paris: Editions la Découverte.
travail
social
et
de
la
santé
en
relation
avec
un
public
en
détresse.
Parmi
ces
salariés,
15,2%
travaillaient
la
nuit
en
2009,
soit
3,5
millions
de
personnes,
c’est-‐à-‐dire
1
million
de
salariés
de
plus
qu’en
1991.
La
proportion
de
salariés
déclarant
travailler
habituellement
la
nuit
a
plus
que
doublé
en
20
ans
(7,2%
en
2009
contre
3,5%
en
1991).
Précisons
que
cette
augmentation
du
travail
de
nuit
ne
concerne
pas
les
autres
pays
européens.
Il
y
a
ensuite
les
salariés
qui
travaillent
avec
des
horaires
longs
et
flexibles
(10%)
se
caractérisant
par
une
grande
imprévisibilité,
les
cadres
sont
principalement
concernés.
Enfin,
il
y
a
ceux
qui
travaillent
en
horaires
modulés
(7%)
avec
des
durées
du
travail
extrêmement
variables
d’une
semaine
sur
l’autre,
dans
des
secteurs
à
forte
saisonnalité.
Là
aussi,
les
pénibilités
physiques
caractérisent
les
métiers
associés
à
ces
horaires.
La
diffusion
des
horaires
de
travail
atypiques
en
France
a
été
encouragée
par
les
évolutions
du
contexte
législatif.
La
mise
en
place
des
35h,
en
2000
et
2002,
s’est
accompagnée
d’une
individualisation
des
horaires
de
travail
avec
une
augmentation
des
horaires
atypiques
(travail
de
nuit,
travail
de
fin
de
semaine,
travail
en
horaires
fractionnés
notamment)
dans
des
secteurs
qui
étaient
restés
jusque
là
épargnés
(services
marchands
ou
non,
secteur
bancaire,
travaux
publics,
bâtiment,
etc.).
La
levée
de
l’interdiction
du
travail
de
nuit
des
femmes
en
2001
a
eu
pour
conséquence
directe
l’augmentation
du
nombre
de
femmes
concernées
par
le
travail
de
nuit.
Leur
nombre
a
doublé
en
près
de
20
ans
:
1
million
en
2009
(29%
des
travailleurs
de
nuit)
alors
qu’elles
étaient
500
000
en
1991
(20%
des
travailleurs
de
nuit).
Enfin,
les
négociations
collectives
qui
cadrent,
au
niveau
des
entreprises
et
des
établissements,
les
modalités
d’aménagement
du
temps
de
travail
les
plus
adaptées
à
leur
situation,
participent
à
la
banalisation
et
la
diffusion
d’horaires
atypiques
divers
et
variés.
Dans
la
plupart
des
cas,
la
définition
de
ce
cadre
temporel
négocié
ne
porte
pas
attention
au
contenu
du
travail
à
réaliser
pendant
ces
horaires
particuliers
et
aux
caractéristiques
des
personnes
soumises
à
ces
horaires.
2. Les risques du travail en horaires alternants et de nuit : connaissances et reconnaissance
Les
hommes
et
les
femmes
sont
soumis
à
des
rythmicités
biologiques
circadiennes
qui
s’expriment,
au
cours
des
24h,
par
une
variation
temporelle
de
leurs
fonctions
physiologiques,
psychologiques
ainsi
que
de
leurs
activités
comportementales.
La
manifestation
la
plus
perceptible
de
la
rythmicité
circadienne
de
l’organisme
est
l’alternance
veille/sommeil,
synchronisée
par
l’alternance
du
jour
et
de
la
nuit.
Le
travail
tôt
le
matin,
2
Reference : Barthe, B. (2015). La déstabilisation des horaires de travail, In A. Thébaud-Mony, P. Davezies, L. Vogel & S.
Volkoff (Eds.) Les risques du travail. (pp. 223- 232). Paris: Editions la Découverte.
tard
le
soir,
en
horaires
alternants
et
de
nuit
entre
en
conflit
avec
les
rythmicités
circadiennes
de
l’organisme,
ce
qui
entraîne
une
augmentation
de
la
somnolence
au
cours
du
travail
et
une
fatigue
chronique.
Ce
conflit
entre
horaires
de
travail
et
rythmicité
de
l’organisme
peut
avoir
des
conséquences
dommageables
sur
la
sécurité
et
la
fiabilité.
Rappelons
ici
les
accidents
et
catastrophes
industrielles
du
20ème
siècle
survenues
la
nuit
:
Bhopal
(1984)
à
00h45,
Tchernobyl
(1986)
à
01h30,
Three
Mile
Island
(1979)
à
04h,
Raffinerie
Total
(1992)
à
05h22.
Les
études
internationales
s’accordent
sur
le
fait
que
travailler
en
horaires
alternants
et/ou
de
nuit
est
associé
à
un
risque
augmenté
d’accidents
du
travail.
Une
étude
montre
que
dans
les
industries
fonctionnant
en
3x8,
le
risque
d’accident
des
postes
de
matin
et
de
nuit
est
augmenté
au
regard
de
celui
des
postes
d’après
midi.
Ce
risque
croît
avec
le
nombre
de
nuits
successives
et
avec
la
durée
du
poste
:
un
poste
de
10
heures
augmente
le
risque
d’accidents
de
13%
et
un
poste
de
12h,
de
27%,
par
rapport
à
un
poste
de
8
heures.
Lors
des
postes
longs,
le
risque
d’accident
se
situe
également
au
moment
de
la
reprise
en
main
du
travail
(Barthe,
2009).
En
effet,
les
périodes
d’absence
des
opérateurs
en
2x12h
peuvent
être
longues
:
4
jours,
9
jours,
ou
plus
selon
les
roulements
en
place.
Or,
pendant
ce
temps
d’absence,
le
travail
suit
son
cours,
de
nouvelles
directives
et
informations
sont
transmises,
des
aléas
surviennent,
etc.
À
son
retour,
l’opérateur
a
besoin
d’avoir
connaissance
de
ce
qui
a
changé
ainsi
que
de
ce
qui
n’a
pas
changé
:
il
doit
actualiser
la
représentation
qu’il
a
de
la
situation
de
travail.
Cette
phase
préalable
revêt
de
forts
enjeux
en
termes
de
fiabilité
et
de
qualité.
Travailler
en
horaires
atypiques
n’est
pas
sans
impact
sur
la
vie
sociale
et
familiale,
dans
la
mesure
où
le
salarié
vit
à
contre
sens
du
rythme
de
ses
proches
et
de
la
société.
Il
ou
elle
travaille
aux
moments
où
sont
socialement
programmées
de
multiples
activités
sociales
:
activités
parentales,
familiales,
sportives,
amicales
et
inversement
il
ou
elle
est
libre
à
des
moments
qui
ne
coïncident
pas
nécessairement
avec
la
possibilité
d’accomplir
ces
mêmes
activités.
Parmi
ces
activités,
citons
les
horaires
de
crèche
et
d’école,
le
moments
des
devoirs,
les
repas,
les
entrainements
et
les
matchs
sportifs,
les
repas
de
fin
de
semaine
entre
amis,
en
famille,
etc.
Les
études
sur
le
sujet
montrent
que
le
climat
familial
peut
être
affecté
par
la
pratique
d’horaires
atypiques,
les
relations
parentales
altérées,
que
l’entente
du
couple
peut
être
dégradée,
même
si
de
grandes
différences
existent
selon
le
système
horaire
du
travailleur
en
horaires
atypiques,
le
nombre
et
l’âge
des
enfants
et
le
fait
que
le
conjoint
travaille
ou
pas
(Prunier-‐Poulmaire
et
Gadbois,
2004).
Les
activités
sociales
des
individus
travaillant
en
horaires
atypiques
sont
aussi
très
spécifiques
:
moins
d’activités
sportives,
associatives
et
politiques
que
chez
les
travailleurs
de
jour,
des
sorties
amicales
restreintes
et
des
loisirs
solitaires.
Dans
bien
des
cas,
les
horaires
atypiques
se
doublent
d’une
flexibilité
et
une
imprévisibilité
élevées,
ce
qui
complexifie
un
peu
plus
la
coordination
des
horaires
de
la
famille.
Une
étude
3
Reference : Barthe, B. (2015). La déstabilisation des horaires de travail, In A. Thébaud-Mony, P. Davezies, L. Vogel & S.
Volkoff (Eds.) Les risques du travail. (pp. 223- 232). Paris: Editions la Découverte.
analyse
les
démarches
de
garde
de
téléphonistes,
mères
de
jeunes
enfants
et
soumises
à
des
horaires
atypiques,
irréguliers
et
peu
prévisibles.
Elle
montre
que
pour
trouver
une
solution
de
garde,
les
téléphonistes
font
4
démarches
de
garde
en
moyenne
chaque
semaine,
et
que
cela
peut
se
produire,
pour
certaines
d’entre
elles,
jusqu’à
18
fois.
De
plus,
le
réseau
sur
lequel
s’appuient
ces
salariées
pour
s’occuper
de
leurs
enfants,
constitué
du
conjoint,
d’assistante
maternelle,
des
grands-‐parents,
de
voisin(e)s,
collègues,
de
baby-‐sitter,
etc.,
est
composé
de
4
personnes
en
moyenne
et
peut
s’agrandir
jusqu’à
8
personnes
différentes.
Les
risques
sur
la
santé
des
personnes
travaillant
en
horaires
alternants
et/ou
de
nuit
sont
nombreux
et
attestés
par
la
littérature
scientifique.
Ce
sont
des
troubles
du
sommeil,
troubles
quantitatifs
(diminution
du
temps
de
sommeil)
et
qualitatifs
(difficultés
d’endormissement,
insomnies)
;
des
perturbations
plus
ou
moins
sévères
des
fonctions
digestives
(nausées,
diarrhées,
prise
de
poids,
colopathies
fonctionnelles,
ulcères
gastriques),
des
troubles
nerveux
pouvant
aller
de
la
simple
irritabilité
jusqu’à
des
états
dépressifs,
une
augmentation
modérée
des
risques
cardio-‐vasculaires.
Pour
les
femmes
enceintes
travaillant
à
ces
horaires,
une
augmentation
du
risque
d’avortements
spontanés
et
d’accouchements
avant
terme
a
été
mise
en
évidence.
Le
travail
en
horaires
postés
avec
travail
de
nuit
augmente
également
le
risque
de
développer
un
cancer
du
sein.
Ainsi,
«
travail
de
nuit
posté
»
a
été
classé
par
le
Centre
International
de
Recherche
sur
le
Cancer
(CIRC)
de
l’OMS
comme
agent
probablement
cancérogène.
Enfin,
des
études
récentes
suggèrent
une
augmentation
possible
du
risque
du
cancer
de
la
prostate
et
du
colon
en
association
avec
le
travail
posté
et/ou
de
nuit.
Des
investigations
sont
en
cours
pour
infirmer
ou
confirmer
ces
liens.
La
durée
d’exposition
joue
un
rôle
déterminant
dans
l’apparition
de
ces
troubles
et
lorsque
ces
troubles
sont
avérés
ils
ne
sont
pas
réversibles
c’est-‐à-‐dire
qu’ils
ne
disparaissent
pas
avec
un
retour
à
des
horaires
standards.
4
Reference : Barthe, B. (2015). La déstabilisation des horaires de travail, In A. Thébaud-Mony, P. Davezies, L. Vogel & S.
Volkoff (Eds.) Les risques du travail. (pp. 223- 232). Paris: Editions la Découverte.
Les
travailleurs
en
horaires
atypiques
ne
vont
pas
subir
passivement
les
effets
délétères
de
ces
horaires
mais
vont
au
contraire
mettre
activement
en
place
des
processus
visant
à
minimiser
les
risques
dans
le
travail,
dans
leur
vie
personnelle
et
sociale,
et
sur
leur
santé.
Bien
entendu,
pour
certains,
et
à
certains
moments
de
leur
vie,
travailler
à
ces
horaires
peut
être
un
choix
satisfaisant,
voire
très
satisfaisant,
au
regard
de
différentes
dimensions.
Par
exemple,
un
sentiment
de
gagner
du
temps
pour
soi
(même
si
ce
n’est
qu’au
détriment
du
temps
de
repos),
un
gain
financier,
une
opportunité
pour
s’occuper
des
enfants,
de
parents
à
charge,
la
possibilité
de
travailler
dans
un
environnement
plus
calme,
d’apprendre,
et
de
toute
façon,
dans
certains
métiers
une
contrainte
connue
et
acceptée
dès
le
choix
de
formation.
De
par
leur
expérience,
les
travailleurs
postés
et
de
nuit
développent
une
connaissance
précise
des
variations
de
leur
fonctionnement
physiologique
et
repèrent
précisément
les
moments
du
poste
durant
lesquels
leurs
niveaux
de
somnolence
et
de
fatigue
seront
au
plus
bas
et
donc
durant
lesquels
le
travail
sera
peut-‐être
plus
délicat
à
gérer.
Ainsi,
les
études
montrent
que
dès
le
début
du
poste
de
nuit
les
travailleurs
vont
anticiper
la
fatigue
et
la
somnolence
à
venir.
Par
exemple,
des
infirmières
vont
s’assurer
dès
le
début
de
poste
que
les
prescriptions
médicales
permettent
de
prendre
en
charge
l’éventuelle
anxiété
nocturne
des
patients.
Elles
vont
également
s’arranger
pour
faire
la
tournée
des
chambres
le
plus
tôt
possible,
afin
de
rencontrer
un
maximum
de
patients
éveillés
et
de
se
créer
ainsi
une
représentation
précise
de
leur
état
de
santé
afin
d’être
en
mesure
d’anticiper
au
mieux
le
déroulement
de
la
nuit.
Dans
les
douanes,
les
agents
vont
choisir
d’effectuer
au
début
du
poste
de
nuit,
des
contrôles
dans
les
lieux
qui
présentent
un
plus
haut
degré
de
dangerosité.
Ils
vont
également
regrouper
les
tâches
exigeant
réflexion,
précision
et
décision
en
début
de
poste,
pour
ensuite
en
alterner
d’autres,
plus
physiques
et
demandant
moins
d’attention.
Autre
exemple
dans
l’industrie,
où,
pour
assurer
la
surveillance
d’un
processus
chimique,
les
contrôleurs
vont
consulter
deux
fois
plus
de
pages
écran
en
début
de
poste
que
lors
de
la
tenue
de
poste.
De
plus,
lors
des
postes
de
nuit,
les
contrôleurs
vont
préférentiellement
prélever
de
l’information
sur
les
synoptiques,
qui
sont
les
vues
qui
permettent
d’avoir
une
représentation
globale
de
l’état
du
processus,
que
sur
d’autres
pages
écran,
plus
analytiques.
L’objectif
est
ici
une
nouvelle
fois
d’anticiper
et
de
se
réserver
des
marges
de
manœuvres
pour
faire
face
au
mieux
aux
évènements
imprévus
qui
pourraient
survenir
au
cours
des
heures.
Indépendamment
de
sa
gestion
anticipée,
la
somnolence
peut
se
répercuter
directement
sur
l’activité
de
travail
au
moment
même
de
sa
survenue.
Lors
du
pic
de
fatigue,
les
opérateurs
vont
alors
transférer
des
tâches
non
prioritaires,
moins
communiquer
et
moins
se
déplacer.
Si
les
exigences
du
travail
ne
permettent
pas
de
déplacer
certaines
tâches,
on
peut
alors
observer
des
ajustements
dans
les
façons
de
faire,
des
modifications
dans
les
modes
opératoires
des
salariés.
C’est
par
exemple
le
cas
d’infirmiers
et
d’auxiliaires
de
puériculture
d’un
service
pédiatrique,
qui
outre
l’évitement
de
tâches
secondaires
auprès
des
patients
entre
3h
et
4h
du
matin,
vont
utiliser
des
techniques
de
prise
en
charge
plus
rapides
au
5
Reference : Barthe, B. (2015). La déstabilisation des horaires de travail, In A. Thébaud-Mony, P. Davezies, L. Vogel & S.
Volkoff (Eds.) Les risques du travail. (pp. 223- 232). Paris: Editions la Découverte.
milieu
du
poste,
afin
d’écourter
leur
durée
de
mobilisation.
Ces
stratégies
permettent
également
de
préserver
le
sommeil
des
patients
tout
en
assurant
les
objectifs
d’alimentation
et
de
soins.
Le
collectif
de
travail
constitue
également
une
ressource
capitale
pour
maîtriser
les
risques
survenant
au
moment
du
pic
fatigue.
Par
exemple,
dans
ces
mêmes
équipes
soignantes,
lorsque
des
actes
nécessitant
une
concentration
maximale
doivent
être
accomplis
à
3h
du
matin,
tels
les
poses
de
perfusions,
alors
ils
le
sont
systématiquement
en
binôme,
pour
plus
de
sécurité
et
de
confort
auprès
du
patient.
De
plus,
la
dimension
collective
du
travail
leur
permet,
en
se
redistribuant
le
travail
au
sein
de
l’équipe,
de
s’octroyer
individuellement
des
moments
pour
se
reposer.
En
effet,
s’aménager
une
période
de
court
sommeil
au
cours
du
poste
de
nuit
est
un
moyen
utilisé
et
efficace
pour
gérer
les
variations
de
somnolence.
5. Des pistes pour diminuer les risques liés à la déstabilisation des horaires
Ces
stratégies
mises
en
place
par
les
travailleurs
en
horaires
alternants
et
de
nuit
dans
le
travail
et
dans
le
hors
travail
visent
à
maîtriser
les
risques
au
niveau
du
travail,
de
la
vie
personnelle
et
de
la
santé.
Mais
elles
ne
se
suffisent
pas.
Lorsque
les
arrangements
trouvés
pour
gérer
des
activités
parentales
au
travail
deviennent
impossibles
à
mettre
en
place,
parce
que
les
exigences
du
travail
augmentent
par
exemple,
une
sensation
de
«
double
absence
»
peut
survenir
avec
l’impression
de
ne
pouvoir
répondre
ni
aux
attentes
professionnelles,
ni
aux
attentes
familiales.
Ce
qui
a
un
coût
en
termes
d’épuisement,
d’angoisse
et
de
stress.
De
la
même
façon,
les
réajustements
observés
dans
le
travail
réel
en
termes
d’anticipation
des
variations
de
la
somnolence,
de
transferts
de
tâches,
d’entraides,
de
repos
ne
sont
possibles
que
grâce
à
l’existence
de
marges
de
manœuvres
dans
la
6
Reference : Barthe, B. (2015). La déstabilisation des horaires de travail, In A. Thébaud-Mony, P. Davezies, L. Vogel & S.
Volkoff (Eds.) Les risques du travail. (pp. 223- 232). Paris: Editions la Découverte.
situation
de
travail.
Ainsi,
il
est
nécessaire
de
mettre
à
jour
les
processus
de
régulation
individuels
et
collectifs
à
l’œuvre
dans
l’activité
de
travail
et
la
vie
personnelle,
afin
d’envisager
et
de
co-‐construire
des
pistes
visant
à
maîtriser
les
risques
sur
le
travail
et
la
santé.
Ainsi,
fiabiliser
le
travail
en
horaires
atypiques
c’est
permettre
aux
opérateurs
de
préparer
et
d’anticiper
au
mieux
l’évolution
temporelle
des
exigences
du
travail
au
cours
du
poste,
compte
tenu
de
l’évolution
de
leur
état
biologique.
Favoriser
l’anticipation
peut
se
traduire
par
la
construction
de
marges
de
manœuvre
donnant
le
maximum
de
souplesse
aux
prescriptions.
Cela
peut
se
traduire
également
par
une
réflexion
sur
des
outils
permettant
d’avoir
une
vision
globale
et
synthétique
de
la
situation
passée,
actuelle
et
future
:
outils
technologiques
(e.g.
synoptiques)
mais
également
outils
organisationnels
(e.g.
rencontre
lors
des
relèves
de
poste).
Le
collectif
de
travail
constitue
également
une
aide
notable
dans
la
gestion
de
la
fatigue
liée
aux
horaires
de
travail.
Le
renforcement
des
équipes
de
nuit
peut
alors
être
une
solution
pour
compenser
les
effets
de
ces
horaires
sur
la
fiabilité
et
la
santé.
En
plus
des
coopérations
et
communications
rendues
possibles
pour
gérer
la
fatigue
liée
aux
horaires,
un
effectif
suffisant
dans
les
équipes
en
horaires
atypiques
autorise
des
aménagements
tel
que
l’introduction
de
siestes
lors
des
postes
de
nuit.
Pratique
peu
envisagée
en
France,
la
sieste
nocturne
a
pourtant
des
effets
profitables
sur
le
niveau
de
somnolence
et
la
fatigue,
sur
l’humeur,
sur
certaines
fonctions
cognitives
des
opérateurs,
mais
également
sur
le
risque
d’erreur.
La
mise
en
place
de
telles
siestes
nécessite
une
analyse
préalable
et
approfondie
du
travail
et
implique
des
conditions
relatives
aux
exigences
du
travail
et
à
ses
rythmes,
aux
effectifs,
aux
compétences
en
présence.
La
situation
de
travail
peut
empêcher
ou
favoriser
la
gestion
des
implications
des
horaires
atypiques
sur
le
hors
travail.
Lorsque
cette
gestion
est
entravée
par
le
travail
elle
peut
alors
être
source
d’atteintes
à
la
santé
à
plus
ou
moins
long
terme,
elle
peut
également
avoir
des
répercussions
négatives
sur
le
résultat
du
travail.
Maîtriser
les
risques
liés
au
travail
en
horaires
atypiques
c’est
aussi
favoriser
la
conciliation
entre
les
horaires,
le
travail
et
la
vie
personnelle.
La
réflexion
mérite
d’être
menée
sur
des
outils
permettant
de
favoriser
cette
gestion
:
possibilité
de
téléphoner
sur
le
lieu
du
travail,
télétravail,
etc.
Des
compromis
doivent
aussi
être
trouvés
en
concertation
avec
les
principaux
intéressés
au
niveau
des
choix
d’horaires,
de
la
prévisibilité
du
planning,
des
possibilités
de
modes
de
garde
des
enfants
ou
de
la
mobilité
d’un
type
d’horaire
à
un
autre
en
fonction
de
la
situation
familiale.
Conclusion
Si
les
horaires
atypiques
déstabilisent
les
rythmes
physiologiques
et
les
rythmes
sociaux,
l’analyse
fine
du
travail
révèle
que
les
travailleurs
concernés
cherchent
activement
à
remettre
de
l’équilibre
dans
le
déséquilibre
crée
par
leurs
horaires.
Nous
avons
décrit
ici
ces
processus
de
régulation
et
en
quoi
ils
permettaient
de
penser
des
aménagements
au
niveau
du
contenu
du
travail
et
de
la
conciliation
entre
les
horaires
et
la
vie
personnelle.
Ceci
étant,
d’autres
pistes
méritent
d’être
suivies
en
parallèle
pour
concevoir
(1)
un
système
horaire
moins
risqué
(2)
des
conditions
de
travail
moins
risquées
et
(3)
une
carrière
professionnelle
moins
risquée.
En
effet,
une
littérature
abondante
permet
de
lister
un
ensemble
de
repères
de
conception
de
systèmes
horaires
plus
favorables
que
d’autres.
D’autre
part,
bien
souvent
7
Reference : Barthe, B. (2015). La déstabilisation des horaires de travail, In A. Thébaud-Mony, P. Davezies, L. Vogel & S.
Volkoff (Eds.) Les risques du travail. (pp. 223- 232). Paris: Editions la Découverte.
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10
|
2009,
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Jean
Jaurès
-‐
UFR
de
Psychologie
CLLE
(Cognition
Langues
Langage
Ergonomie)
-‐
LTC
(Laboratoire
Travail
&
Cognition)
UMR
5263
CNRS
beatrice.barthe@univ-‐tlse2.fr
8