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Session 2020
DEVOIR N°1
Rapport
Thème : les femmes dans l’espace public
Durée : 4h – Coefficient : 4
Sujet :
La DGS est interpellée depuis plusieurs mois par des associations ou des citoyennes
lors de ses fréquents déplacements sur le territoire : ces canaux d’information montrent
une difficulté des femmes à investir la ville.
Elle vous demande un rapport sur la place des femmes dans l’espace public, permettant
de dégager des solutions opérationnelles appropriées destinées à favoriser une
meilleure inclusion des femmes dans la commune.
1
SOMMAIRE
Document 1 La ville inclusive, pour toutes et tous, reste à inventer, Service public territorial,
juin 2018, 2 pages
Document 2 Rétablir la mixité dans les espaces publics, c’est rétablir de la relation entre les
filles et les garçons, Traits urbains, juin 2019, 2 pages
Document 3 Se former pour voir la ville sous un autre « genre », Techni. Cités.fr, mars 2017,
2 pages
Document 4 En finir avec la ville sexiste, La Gazette.fr, 9 janvier 2018, 10 pages
Document 5 L’aménagement des villes construit l’inégalité, Le Monde des Idées, 16 février
2018, 1 page
Document 6 Espaces publics : Penser la ville pour les femmes, l’aménager pour tous, Le
Moniteur, 12 janvier 2018, 5 pages
Document 7 La ville appartient-elle aux hommes ? Sciences humaines, avril 2019, 3 pages
Certains documents peuvent comporter des renvois à des notes ou à des documents
volontairement non fournis car non indispensables à la compréhension du sujet.
2
Document 1
6 IDÉES.NOTRE INVITÉE
CHRIS
BLACHE
1
Service Public Territorial – N° 32 – Juin 2018
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<<RÉTABLIR LA
MIXITÉ DANS LES
ESPACES PUBLICS,
C'EST RÉTABLIR
DE LA RELATION
ENTRE LES FILLES
Edith Ma ruéjouls intervenant dans une école à Suresnes. © Tiphaine La nvin
ET LES GARCONS
, >>
Sociologue et docteure en géographie du genre, Edith Maruéjouls
a mis en évidence le manque criant d'égalité entre les genres dans les
espaces publics, et le fait que les inégalités commencent dans les cours
de récréation. Elle souhaite donner aux filles et aux femmes toute leur
place via son cabinet, l'ARObE, et au sein de la plateforme de recherche
et d'action Genre et ville.
- Quel lien faites-vous entre l'aménage- des espaces contraints pour jouer. Ce fa isant, on envoie
ment des espaces publics et la question du genre ? implicitement ce message aux filles, que leur jeu vaut moins
Le s types d'équipement qu'on in sta ll e à l'intérieur d'un que ce lui des garçons. Et force est de constater que la
espace public prescrivent tel ou tel public et proscrivent mobilité des femmes dans l'espace publ ic ne va pas de soi.
tous les autres pub lics. Le prem ier constat à faire, c'est Nombre d'entre elles ressentent un sentiment d'inconfort,
qu'il n'y a pas toujours de mixité. L'entre-soi est de mise expriment une impossible insouciance quand elles circulent
dans la cour de récréation comme dans l'espace public, dans certaines rues. Au bout de la chaîne arrive le harcèle-
même si de fa it, il y a des femmes et des hommes dans les ment de rue, qui découle de tout un processus éducatif où
espaces publics et des filles et des garçons dans les cours l'aménagement a sa part de responsabilité, dans la mesure
de récréation . C'est le degré de relations qui est so uvent où les garçons n'ont pas appris à respecter les filles, faute
problématique : on ne va pas discuter ensemble, on ne va d'espaces pensés pour partager des pratiques.
pas jouer ensemble, etc.
Comment renverser la vapeur?
En quoi l'organisation des cours de récréation Rétablir la mixité dans les espaces publics, c'est rétablir
imprime-t-elle, dès le plus jeune âge, l'invisibilité de la relation entre les fi lles et les garçons. Les solutions
des filles et la domination des garçons ? jaillissent au travers d'un processus qui implique tous les
Dans les cours de récréation, l' espace sportif est habituel- acteurs, leq uel passe par un diagnostic à partager avec '
lement au centre. Qui plus est, on ne joue bien souvent les premiers concernés. Il suffit parfois d'un professionnel
qu'au footba ll. Et les filles n'y vont pas, non parce qu'elles convaincu, d'un élu qui porte une parole forte, pour instiller
ne veu lent pas y aller, mais parce qu'elles ne sont pas le changement autour de lui. Par exemp le, quand j'inter-
acceptées par les garçons. Les filles, mais aussi les petits viens dans les établissements scola ires, au bout d'une
sont de fait relégués et disqua lifiés et il ne leur reste que heure de conversation, les garçons le reconnaissent : (( oui
La Ville de Trappes-en-Yvelines repense ses espaces publ ics en se posant la qu estion de la place de tou s. Prem ier volet de ce chantier: le
réaménage ment de toutes les cours de récréation , re pen sées pour une appro che mieux pa rtagée de l'espace entre les fil les et garçon s, petits et
grands, j usque dans le choix des c oul eurs du mobilier de jeu, non stéréotypé es . © Vill e Tra ppes- en-Yve lin es
c'est vra i, si les filles prena ient tout l'espace du centre de festivités, régul ièrement, c'est aussi de cette façon que les
la cour, nous ne serions pas d'accord )l. Il faut faire feu de communes pourront réinvestir des espaces délaissés par
tout bois pour libérer la parole, par exemple, à travers la certa ins usages, certa ins publics.
pratique des 11 marches sensibles )) ouvertes aussi bien aux
femmes qu'aux hommes. Peut-on dire que la transformation des espaces publics
vers plus de mixité a été enclenchée en France ?
Quelles sont les solutions en termes d'aménagement ? On n'en est encore qu'à la surface des choses. Ce sera très
A l'école, les éd ucateurs ont réussi à fa ire passer les long car les projets des collectivités loca les sont souvent
messages sur la sécurité routière, le tabac, l'écologie. inscrits dans le temps. On continue d'investir dans l'amé-
Le même travail peut être fait avec la mixité. Il n'est pas nagement de city stades et de skate parks, alors que
inutile toutefois de faire éga lement appel aux experts. Il ces éq uipements donnent la priorité à un seul usage et
y a toute une nouvelle dynamique d'usages à inventer ou à une seu le popu lation, et ne répondent pas à l'enjeu de
réinventer, en mobilisant de multiples intervenants - urba- la mixité entre les hommes et les femmes. Construire un city
nistes, paysagistes, intervenants culturels, habitants, stade revient purement à privatiser de l'espace public, alors
associations - et en faisant participer tous les publics. que partager l'espace public, c'est au contraire négocier des
Une fois que le projet est établi, que les intentions sont temps d'usages différents et instaurer des temps de pratiques
claires, les aménagements vont aller de soi. Dans une mixtes.
co ur de récréation, on peut mettre en place des structures A contrario, heureusement, et parfois de manière confiden-
mobiles, travai ll er sur des revêtements de so l sur lesquels tielle, des territoires, des communes prennent à bras le corps
il n'y a pas de signifiants a priori, et qui vont permettre la question de la mixité des espaces publics et infléchissent
différentes pratiques sportives, de nouvelles animation s, les tendances. Ce sujet a par exemple fait l'objet du forum des
des jeux collaboratifs, de partage. Il faut aussi considérer femmes à Suresnes, de janvier à mars dernier. La Ville entend
l'égal e va leur des jeux des filles, qui ont le droit de prendre mener une expérience de réaménagement sur trois niveaux :
l'espace centra l de la cour, de même que les petits. une cour d'école, un équipement jeunesse sportif en exté-
Dans les espaces publics, c'est créer un environnement rieur, sur lequel planche le conseil de la jeunesse, et un travail
protecteur, c'est implanter des bancs pour qu' ils soient sur les espaces publics. On n'en est toutefois qu'au tout début
propices aux liens, aux échanges, c'est penser à générer du processus. Le Département de la Gironde a franchi un autre
de l'ombre pour les plus fragiles, aux jeux mixtes pour les cap, en transmettant désormais une note aux architectes que
enfants, aux espaces verts, à la présence de toilettes, etc. j'ai rédigée sur 11 l'aménagement égalitaire)) avec des préconisa-
Par ai lleurs, les villes ont un rôle majeur à jouer. Il serait tions, des observations. La question des genres dans la ville est
temps d'attribuer des noms de femmes aux rues pour réta- complexe, mais les réponses peuvent être efficaces très vite.
blir l'équ il ibre. Et puis en organisant des an im ations, des Propos recueillis par Séverine Cattiaux
Afin de changer de regard sur leur collectivité, les agents du territoire de la Plaine
Commune ont participé à une formation organisée par le collectif Genre et Ville. Le but ?
Faire prendre conscience des inégalités entre les sexes au sein de l’espace public.
Permettre aux usagers de mieux s’approprier l’espace public, c’est ce qui a motivé les agents des
services d’urbanisme de la Plaine Commune à s’engager dans une formation avec le collectif
Genre et Ville. « On s’est dit que ce serait intéressant de traiter du sujet de l’égalité homme-
femme au sein de l’espace public, car c’est finalement un sujet qui est très peu traité en France »,
témoigne Marie Larnaudie, chargée de mission au sein de la collectivité (1).
La première journée, organisée en salle, est la plus théorique. C’est l’occasion pour les agents de
remettre en cause les a priori des uns et des autres. « Le matin, chacun a dû donner sa propre
définition du mot ‘‘genre’’. C’était intéressant de se rendre compte des différentes définitions en
fonction des personnes », note Marie Larnaudie.
Enfin, la seconde journée a été consacrée à une expérience sur le terrain. Les participants ont
expérimenté une marche sensible. « Par ‘‘sensible’’, on entend ce mot au sens premier de
sensibilité. Comment on vit la ville, comment on la sent », développe Chris Blache. Deux
marches ont été organisées, dont une dans le centre-ville d’Aubervilliers. « Nous avons réalisé
une sorte de jeu de rôles tout au long du parcours : un agent jouait une jeune femme, un autre un
vieil homme de 70 ans. Nous avons emprunté l’espace public avec de nouvelles lunettes et un
nouveau costume », détaille Marie Larnaudie. Les agents se sont aussi bandé les yeux. « L’idée,
c’était d’accompagner un non-voyant. C’était intéressant car il y a eu beaucoup de bienveillance
de la part des passants ».
3
Prise de conscience
La mise en situation a aussi permis une certaine prise de conscience : « on s’est aperçu que, là où
nous étions, une personne âgée de 70 ans ne pouvait s’asseoir que sous l’abribus… », détaille
Marie Larnaudie. L’agente cite aussi l’exemple d’un square, occupé par une bande d’hommes. «
Cela n’incite pas l’usagère à s’arrêter… », admet-elle.
Au final, le bilan semble plutôt positif : « c’est une des formations qui a le mieux marché auprès
de nos agents [tous volontaires, NDLR]. Elle a suscité de la curiosité et de l’intérêt », se félicite la
chargée de mission.
Nous avons créé il y a quelques années un référentiel de l’aménagement soutenable. Dans le cadre de sa
mise en œuvre, nous organisons chaque année des formations auprès de nos chargés de projet. Or, dans le
référentiel, nous nous sommes aperçus qu’il manquait la question de l’égalité homme-femme.
J’ai trouvé cela très utile. L’égalité homme-femme est un sujet très peu abordé au sein des formations.
Surtout dans les projets d’aménagement… Au sein de la collectivité, nous travaillons sur des politiques
transversales, et donc sur tous les leviers du développement soutenable. Maintenant, quand on construit un
projet, on a en main ces entrées. Et puis la formation a été entièrement préparée pour nos agents. L’idée,
c’était que la formation s’adapte à nos attentes. C’est très opérationnel.
Bien entendu, cela a été le cas pour certains d’entre eux. Ils se disaient notamment « mais on fait de
l’espace public pour tous ! Nous ne sommes pas particulièrement sexistes dans notre travail, et l’espace
public est neutre ». Mais la formation a permis de mettre en lumière des impensés qui, au final, produisent
de l’espace « genré ».
4
DOCUMENT 4
Publié le 09/01/2018 • Par Isabelle Verbaere • dans : actus experts technique, Dossiers d'actualité,
France
De nombreuses études récentes montrent que les hommes sont les usagers majoritaires de l’espace
public, y compris des équipements sportifs et de loisirs. Une inégalité femmes-hommes en partie due
aux politiques d’aménagement des villes.
Chiffres-clés
267 collectivités ont signé la charte européenne pour l’égalité des femmes et des hommes dans la vie
locale, lancée en 2006 par le Conseil des communes et régions d’Europe (au 30 septembre 2017).
Les utilisatrices des transports en commun confient à 100 % en avoir été victimes au moins une fois
dans leur vie, révèle une enquête réalisée en 2015 par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et
les hommes.
Une loi pour lutter contre les violences sexistes, bien mais insuffisant
Ces violences sont désormais prises au sérieux. Le gouvernement présentera cette année au
Parlement un projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles. Il devrait comprendre la
verbalisation du harcèlement de rue. « L’objectif de ce projet de loi est de donner une place égale
entre les femmes et les hommes dans l’espace public », précise le secrétariat d’Etat chargé de
l’Egalité entre les femmes et les hommes sur son site internet. Soit. Mais le harcèlement est un peu
l’arbre qui cache la forêt.
« Se focaliser sur la sécurité empêche de penser aux autres inégalités dans l’espace public, et en
particulier à celles liées à l’aménagement », indique Pascale Lapalud, urbaniste, cofondatrice de la
plateforme d’innovation urbaine Genre et Ville. La politique d’éclairage, le choix de l’emplacement
des arrêts d’autobus, la qualité de la signalisation, l’offre d’équipements de loisirs ou de toilettes
sont autant de facteurs susceptibles de pénaliser les femmes. D’abord, parce que ces aménagements
peuvent aggraver le sentiment d’insécurité qu’elles ressentent à l’extérieur. Ainsi, 74 % des
Bordelaises déclarent fuir certains endroits publics par peur de brimades, d’insultes ou
d’intimidations, selon l’observatoire bordelais de l’égalité.
La métropole Rouen Normandie (71 communes, 489 900 hab.) a réalisé un comptage genré des
piétons qui empruntent les ponts enjambant la Seine. « Nous avons été stupéfaits de découvrir qu’il
n’y a pratiquement que des hommes sur le pont Guillaume-le-Conquérant, souligne Bertrand
Masson, directeur de l’aménagement et des grands projets. Cette constatation a été un peu le
déclencheur de notre réflexion sur le genre dans l’espace public. »
L’aménagement creuse aussi les inégalités lorsqu’il conforte les femmes dans l’idée qu’elles ne sont
pas légitimes dans l’espace public. C’est ce que révèlent les analyses menées par Genre et Ville au
sein du collectif Les Monumentales, place de la Madeleine, à Paris. Ce travail est effectué dans le
cadre du projet de reconquête de sept places engagé par la capitale. Le genre est l’un des critères du
cahier des charges. « Nous avons réalisé une étude très fine des pratiques des femmes à la pause
déjeuner, poursuit Pascale Lapalud.
La plupart mangent en groupe. Seules, elles adoptent une position de repli : assises sur un banc, de
préférence installées le long d’une grille ou d’un mur pour ne pas être surprises par quelqu’un qui
arriverait par-derrière. Jambes croisées, elles pianotent sur leur smartphone. Les hommes ont une
posture beaucoup plus ouverte : assis les jambes écartées, ils regardent les voitures et les femmes.
On l’appelle la position du ravi ! »
Ces comportements sexués, codifiés au XIXe siècle avec l’avènement de la bourgeoisie, apparaissent
dès la cour de l’école. « Dans beaucoup d’établissements, les garçons s’approprient jusqu’à 80 % de
l’espace pour jouer au foot à chaque récréation, observe Edith Maruéjouls, géographe et créatrice
du bureau d’études l’Atelier recherche observatoire égalité à Bordeaux. Cette pratique est légitimée
par les adultes. Elle inscrit ainsi dans la tête de ceux qui ne jouent pas et sont relégués en périphérie,
surtout dans celles des filles, qu’il existe des lieux interdits qu’il faut apprendre à éviter. »
Résultat, au collège, vers 12, 13 ans, les filles décrochent de l’espace public. Les garçons sont les
usagers majoritaires de la ville, en particulier des équipements de loisirs. « Dans les 20 disciplines les
plus pratiquées dans les clubs sportifs, 70 % des adhérents sont des garçons, développe Edith
Maruéjouls. Une inégalité accentuée par l’attribution des budgets par les collectivités. Les
aménagements de type terrain de foot, city stade, skate parc, essentiellement utilisés par les
hommes, représentent 80 % des dépenses d’équipements sportifs publics. »
Et il n’est pas facile de rééquilibrer l’offre. Sylvie Guerry-Gazeau, maire de Clavette (1 300 hab.,
Charente-Maritime), en sait quelque chose. Dès son élection, en 2014, elle propose de construire
une piste de danse extérieure, à côté du city stade, pour créer de la mixité dans cet espace
monopolisé par les garçons.
Des plaintes de riverains pour faire bouger les choses
« J’en ai parlé aux quatre maires adjoints, puis en commission voirie. Personne, à l’époque, n’en a vu
l’intérêt, soupire-t-elle. Il a fallu que les plaintes des riverains dénonçant le bruit et des incivilités
générés sur cet équipement se multiplient pour qu’ils changent d’avis. » La piste de danse sera livrée
en mars 2018.
Enfin, les aménagements discriminent les femmes lorsqu’ils ne prennent pas en compte le fait
qu’elles assument encore la majorité des tâches ménagères. Elles réalisent, par exemple, 75 % des
accompagnements des enfants et des personnes âgées, selon une étude publiée en 2014 par le Haut
Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Les éléments de décor ou de mobilier urbain qui gênent le passage des piétons pénalisent surtout les
femmes, qui ont l’habitude de transporter plus souvent poussettes, caddies, valises à roulettes ou
poussant des fauteuils roulants…
Focus
« Dans le cadre de la réhabilitation des cours de plusieurs écoles primaires, en 2013, les élèves,
interrogés sur leurs attentes, ont pointé des inégalités dans l’usage de ces espaces. Selon les
établissements, des marquages au sol, une cabane, un petit jardin, des tours d’arbres en bois, une
pelouse synthétique ont notamment été installés. La mission égalité a évalué l’impact de ces
aménagements sur la mixité dans la cour.
Le bilan est positif : ils ont permis de réduire la place du football, considéré comme un vecteur de
monopolisation de l’espace par les garçons. Ces équipements sont utilisés autant par les filles que
les garçons, même s’ils sont rarement ensemble. L’introduction de nouveaux jeux, non marqués par
un genre, qui favorisent la motricité et l’imagination, est apparue comme une condition favorable à
la mixité. Toutefois, les installations, même bien pensées, ne suffisent pas à garantir l’égalité d’accès
et la mixité des usages. La formation des équipes pédagogiques est essentielle. Pour inscrire
durablement ces constats, nous travaillons sur une fiche pratique destinée aux aménageurs et aux
équipes éducatives. »
En finir avec la ville sexiste
Lutter contre la ville sexiste : l’importance de dresser un bilan statistique des
disparités
Les femmes dans la ville
Publié le 10/01/2018 • Par Isabelle Verbaere • dans : Dossiers d'actualité, France
Des comptages sexués des usages et des études qualitatives qui donnent la parole aux habitantes
doivent être réalisés pour objectiver les inégalités entre les femmes et les hommes dans l’espace
public.
«L’arsenal législatif est en place pour que la question des inégalités femmes-hommes dans l’espace
public soit enfin abordée et traitée, se félicite Pascale Lapalud, urbaniste, cofondatrice de
l’association Genre et Ville. L’article 61 de la loi du 4 août 2014 oblige, en effet, les collectivités de
plus de 20 000 habitants à dresser le bilan de la situation sur leur territoire et à le faire connaître.
Ce texte prévoit qu’elles doivent présenter un rapport sur la situation de l’égalité entre les femmes
et les hommes au sein de leurs services, dans les politiques qu’elles mènent et les mesures qu’elles
envisagent pour améliorer la situation. Il doit être présenté devant l’assemblée délibérante
préalablement au débat sur le projet de budget. Un moyen efficace de sensibiliser les élus, les
agents, et plus largement la population, au fait que les politiques menées peuvent amplifier ou, au
contraire, réduire les inégalités.
Ce rapport relève de l’inventaire, mais aussi du document d’orientation. Son élaboration passe par
un diagnostic des inégalités en interne, mais aussi sur le territoire. Toutefois, pour identifier les
éventuels effets pervers des politiques publiques, et en particulier celles menées en matière
d’aménagement ou de mobilité, encore faut-il disposer de données sexuées localisées. Certes,
différents organismes, comme l’Insee, le Commissariat général à l’égalité des territoires, la Caisse
nationale d’allocations familiales, Pôle emploi, l’agence régionale de santé produisent ce type de
statistiques, mais elles ne sont le plus souvent pas assez fines pour pointer les contraintes des
femmes dans la ville. Il est donc conseillé de demander des statistiques sexuées dans les études
commandées.
« L’observation des usages d’un lieu et leur comptage donnent une vision précise des dynamiques
d’occupation, d’actions, de passage et permettent de répondre aux questions : qui fait quoi ? Porte
quoi ? S’installe où ? » détaille Pascale Lapalud. Les marches exploratoires et sensibles objectivent les
inégalités. La plupart ont été menées par les habitantes des quartiers prioritaires, comme à Nîmes,
entre 2014 et 2016. « Car il y a des financements dans le cadre du renouvellement urbain, reconnaît
Pascale Lapalud. Ailleurs, il n’y en a pas. » Un biais préoccupant. « Il existe un vrai risque de réduire la
question des inégalités dans l’espace public à ces quartiers, dénonce Agnès Thouvenot, élue chargée
de la lutte contre les discriminations à Villeurbanne [148 500 hab.]. La possibilité d’un discours
raciste est prégnante, c’est notre point de vigilance. »
Certaines collectivités se sont saisies d’une problématique précise pour sonder tout leur territoire.
C’est le cas, par exemple, de Bordeaux métropole (28 communes, 761 000 hab.) qui, à l’occasion de
la semaine de la mobilité (du 17 au 24 septembre 2017), a fait appel à l’université Bordeaux-
Montaigne pour réaliser une étude sur les habitudes de déplacements de ses habitants. Elle visait à
identifier les empêchements spécifiques à la pratique du vélo, de la marche et du covoiturage des
femmes.
« Ce sont encore elles qui multiplient les déplacements pour les activités périscolaires des enfants et
les courses, observe Géraldine Di Mattéo, directrice adjointe de la direction de la multimodalité. Il
était important qu’on le mesure pour réaliser que, même si les hommes effectuent davantage de
tâches domestiques qu’auparavant, nous sommes loin de l’égalité. Les rythmes de vie des femmes et
des hommes demeurent différents, bien que l’on puisse avoir l’impression du contraire. Et cela a un
impact direct sur leurs pratiques modales. » Sur le territoire de Bordeaux métropole, seuls 38 % des
usagers du vélo sont des femmes. Parmi les empêchements à son usage, elles citent le plus
fréquemment le risque de chute, surtout lors du transport des enfants, les actes sexistes ainsi que le
mauvais état de la voirie.
Focus
« Travailler sur l’égalité salariale, les avancements de carrière, le harcèlement, ne suffit pas. »
Absolument. Avant de promouvoir la mixité dans l’espace public, elles doivent s’efforcer d’être
exemplaires. Comment peuvent-elles exclure des marchés publics les entreprises de plus de 50
salariés qui ne répondent pas aux exigences légales de l’égalité femmes-hommes, si elles ne sont pas
irréprochables ? Les freins à l’égalité professionnelle dans la FPT sont encore nombreux. Il existe, par
exemple, de gros écarts de régimes indemnitaires au détriment des filières médicosociales et
administratives, essentiellement féminines, au profit de la filière technique, essentiellement
masculine. Pour compenser, elles peuvent agir sur les primes de sujétion ou l’évolution des carrières.
Cette hégémonie masculine dans les services techniques a-t-elle des conséquences ?
Oui, en particulier sur l’aménagement de l’espace public. Car les techniciens ne se mettent pas à la
place des femmes et ne prennent pas en compte leurs contraintes. Souvent, les arceaux des parkings
à vélos ne sont pas assez larges pour accueillir les vélos cargos. Or ce sont surtout les femmes qui
transportent les enfants. On multiplie les parkings-relais, mais les femmes ne se sentent pas en
sécurité dans ces espaces sombres.
Travailler sur l’égalité salariale, les avancements de carrière, le harcèlement, ne suffit pas. Il faut
aussi combattre les stéréotypes qui censurent l’accès à certains métiers. Eviter que dans la
communication externe il n’y ait que des hommes qui illustrent les professions techniques et que des
femmes pour incarner les filières médico-sociales, par exemple.
Focus
Brive (Corrèze) 47 000 hab. – Une recherche-action pour identifier les stéréotypes sexistes et les
combattre
La commune a signé la charte européenne pour l’égalité femmes-hommes dans la vie locale en 2013.
Depuis, elle a lancé différents projets pour la faire vivre. « Nous avons lancé une recherche-action sur
la place des filles dans l’espace public et les activités de loisirs dans les trois quartiers de la politique
de la ville, expose Marie-Claire Lacaze, directrice des actions transversales. Nous avons contacté nos
collègues du service des sports, de la culture et des centres socioculturels pour obtenir des
statistiques et nous nous sommes aperçus que les données genrées ne sont pas exploitées. Nous
avons sollicité l’association Genre et Ville qui a mené une enquête sur le terrain entre octobre 2016
et novembre 2017. »
Quatre sociologues et urbanistes ont monté des ateliers avec des enfants âgés de 8 à 15 ans pour
aborder différentes questions : quelles activités exercent-ils ? A quels moments ? Ont-ils des activités
mixtes ?… L’occasion, aussi, de les sensibiliser aux stéréotypes. « Les experts ont également mis en
place des marches sensibles avec des groupes mixtes d’ados pour explorer le quartier et identifier
leur utilisation de l’espace public », poursuit Marie-Claire Lacaze. Les résultats de cette action
montrent une répartition différente des filles et des garçons dans les activités de loisirs et l’espace
public. « Quand les filles commencent à avoir des formes, à la puberté, elles disparaissent des
activités sportives de groupe, commente Sandrine Maurin, adjointe au maire, chargée de la cohésion
sociale. La sensibilisation des personnels à la prise en compte des questions d’égalité femmes-
hommes, de mixité dans leur pratique professionnelle, semble essentielle. Nous allons mener une
action plus ciblée sur ce thème en 2018 avec un centre de loisirs dont les agents sont volontaires
pour revisiter leurs représentations. »
« Femmes et déplacements » est une étude menée par trois sociologues sur le territoire de Bordeaux
métropole en 2016. C’est la première d’une telle ampleur statistique réalisée sur le harcèlement. Si
l’on tient compte des pourcentages d’utilisation des différents moyens de transport, ceux pour
lesquels le harcèlement est le plus fréquent sont le vélo (51 %), le train (50 %), le tramway (47 %), la
marche (46 %) et le bus (32 %)
En finir avec la ville sexiste
Mieux aménager la ville pour que les femmes s’y sentent bien
Les femmes dans la ville
Publié le 11/01/2018 • Par Isabelle Verbaere • dans : actus experts technique, Dossiers d'actualité,
France
Les bancs publics, les toilettes, la signalétique sont des leviers essentiels pour construire un
environnement urbain plus équilibré. Mais leur conception et leur emplacement doivent être bien
réfléchis.
Les femmes cumulent de multiples contraintes dans leur vie quotidienne que l’organisation de la ville
peut atténuer. « En améliorant la proximité de services du quotidien, comme les écoles ou les
commerces, on favorise l’autonomie des enfants qui peuvent y aller seuls, remarque Catherine
Dameron, chargée de mission au bureau des temps de la ville de Rennes [213 400 hab.]. On libère
ainsi les femmes d’une partie du temps qu’elles leur consacrent. »
Cette analyse s’est notamment traduite par l’objectif d’offrir à tous les habitants un accès en cinq
minutes à pied à un espace vert, dans le projet urbain Rennes 2030. Une ville plus égalitaire se
planifie. Mais le confort des femmes dans l’espace public tient aussi à certains « détails » dans son
aménagement.
« Ces équipements sont en voie de disparition dans beaucoup de communes, quelle que soit leur
taille, sous prétexte que des personnes sans domicile fixe ou des adolescents turbulents s’y
installent, regrette Sylvie Guerry-Gazeau, maire de Clavette. Les femmes sont les principales
utilisatrices des bancs publics parce qu’elles ont besoin de se reposer lorsqu’elles se déplacent à
pied, notamment quand elles font les courses, s’occupent des enfants, de parents vieillissants ou de
personnes en situation de handicap. »
Les personnes âgées, en majorité des femmes, y ont également recours pour faire des pauses. « Si
elles n’ont pas accès à un banc pour s’asseoir tous les deux cents mètres, elles hésitent à sortir »,
précise Bertrand Masson, directeur de l’aménagement et des grands projets à la métropole Rouen
Normandie (lire ci-dessous). Installer des bancs est aussi un moyen efficace de rendre plus
accueillantes les aires d’attente – arrêts de bus et de tramway, en particulier. Mais les multiplier ne
suffit pas.
« Les bancs publics sont tout sauf neutres. Il faut travailler leur implantation, souligne l’urbaniste
Pascale Lapalud. En situer un au milieu d’une place est une mauvaise idée parce que les femmes ne
peuvent pas maîtriser ce qui se passe derrière elles. Face à la rue, elles sont regardées par les
hommes dans les voitures. »
Près de 6 000 personnes ont signé une pétition lancée en mai 2017 pour dénoncer la pénurie de
toilettes publiques à Marseille (858 100 hab.). « Imaginez qu’il y en a à peine une dizaine pour toute
la ville », dénonce ce texte. La capitale phocéenne n’est pas une exception, loin de là. Cette carence
est souvent justifiée comme une stratégie pour repousser les SDF des espaces qu’ils occupent. Mais
elle a une autre explication. « Le coût de fonctionnement d’un sanitaire public varie entre 8 000 et
10 000 euros par an, indique Agnès Thouvenot, élue à la lutte contre les discriminations à
Villeurbanne. A un moment où les communes voient leurs budgets diminués, ces équipements
n’apparaissent pas prioritaires. »
Et pourtant… « Le manque de toilettes publiques assises est l’exemple le plus parlant des inégalités
de genre en termes d’aménagement, note Lucile Biarrotte, doctorante en urbanisme au Lab’Urba, à
l’université de Paris est – Créteil Val-de-Marne. Pour plusieurs raisons. Statistiquement, les femmes
vont plus souvent aux toilettes que les hommes et y restent plus longtemps, pour des besoins
physiologiques mais aussi vestimentaires. Elles représentent la majorité de la population. Enfin, elles
sont chargées de la majeure partie des accompagnements des enfants ou des personnes âgées. »
Et même lorsque la surface d’espaces sanitaires est égale pour les femmes et les hommes, les files
d’attente demeurent plus longues côté féminin. « Pour trois postes destinés aux femmes, on peut en
construire cinq pour les hommes, conclut Lucile Biarrotte. Afin d’être équitable, il faudrait réserver
davantage de surface aux toilettes des femmes ou ne plus concevoir que des cabines individuelles
assises, comme à la maison. »
Chercher son chemin augmente le sentiment d’insécurité. Une femme à pied qui semble perdue est
plus exposée au harcèlement. Et celles qui disposent d’un GPS sur leur smartphone peuvent hésiter
à le consulter dans la rue. La signalétique doit conforter le sentiment de contrôle chez le piéton en
lui permettant de savoir où il est et où il va et, nec plus ultra, en combien de temps il y sera en
marchant.
Le Forum des Halles, à Paris, était perçu par les usagers comme un labyrinthe où ils avaient du mal à
se situer et d’où ils se demandaient comment sortir, révèlent les enquêtes réalisées dans le cadre du
réaménagement de ce quartier. « Le développement d’un programme de standardisation de la
signalisation dans les lieux publics sur l’ensemble du territoire peut s’avérer très pertinent, conseille
la ville de Montréal dans son Guide d’aménagement pour un environnement sécuritaire. En effet, la
population se familiarise avec les symboles, les couleurs et la présentation des informations, ce qui
facilite la compréhension de la signalisation. »
C’est le choix qui a été fait pour le Forum des Halles. Le langage signalétique est le même quel que
soit le trajet emprunté par l’usager et sur l’ensemble de son parcours, qu’il se rende au cinéma, à la
piscine, dans le métro ou le RER. D’ici à l’achèvement des travaux, en 2018, 600 supports vont être
posés.
Focus
A la place d’une voie d’accès pour les poids lourds et d’un parking, la métropole a aménagé un parc
long de 3 kilomètres et qui s’étend sur 15 hectares, sur la rive gauche de la Seine. « Nous avions
prévu de le doter de deux city parcs, croyant qu’ils bénéficieraient aux filles comme aux garçons,
expose Bertrand Masson, directeur de l’aménagement et des grands projets. Mais l’observation
d’autres city stades sur le territoire et ailleurs nous a prouvé le contraire. Nous nous sommes alors
demandé comment casser les pratiques habituelles. »
La collectivité décide ainsi de n’en construire qu’un et de remplacer le second par une piste de roller
derby, un sport d’équipe pratiqué en patins à roulettes quads, surtout apprécié par les filles. Il a suffi
d’un peu de bitume et de peinture pour fabriquer cette piste ovale d’une trentaine de mètres de
long. L’équipement est en service depuis juillet 2017. « C’est une vraie victoire, les filles se le sont
approprié, se félicite Bertrand Masson. Elles y sont même présentes le soir. Je ne pense pas qu’elles
auraient fréquenté cet espace la nuit tombée sans cet équipement. »
Focus
« Afin de connaître le point de vue d’habitantes que l’on n’a pas l’habitude d’entendre parler de leur
cadre de vie, j’ai décidé, en 2015, d’organiser une marche exploratoire dans la cité de l’Ocil, un
quartier d’habitat social, explique Sophie Piot, déléguée aux droits des femmes. J’ai travaillé avec la
référente famille du centre social et culturel. » Huit femmes acceptent d’arpenter leur quartier et
d’en pointer les dysfonctionnements. « Deux bailleurs sociaux se partagent le quartier, poursuit
Sophie Piot. Les services de la ville les ont contactés afin de voir comment répondre aux doléances
de ces femmes. »
Ces habitantes évoquent le cas d’une place monopolisée par des hommes jeunes et inactifs. « Nous
avons proposé aux bailleurs d’y installer des jeux sous la forme de marquages au sol, poursuit l’élue.
Mes collègues étaient vraiment sceptiques, j’ai dû batailler. Les jeunes qui fréquentent le centre
social ont réalisé les dessins, encadrés par les services techniques de la ville. » Le résultat est là : les
familles fréquentent davantage cette place et les enfants y jouent pendant que leurs mères sont au
centre social.
En finir avec la ville sexiste
« Les urbanistes n’intègrent pas le genre dans leurs analyses »
Entretien
Publié le 12/01/2018 • Par Isabelle Verbaere • dans : actus experts technique, Dossiers d'actualité,
France
Les pratiques de la ville durable réduisent-elles les inégalités entre les femmes et les hommes dans
l’espace public ?
Non, au contraire, elles les creusent. Et, en particulier, les pratiques qui semblent faire consensus,
comme les mobilités douces. Les comptages réalisés sur la métropole bordelaise entre 2010 et 2014
montrent que les femmes sont toujours moins nombreuses à circuler à vélo et qu’elles
l’abandonnent à la naissance du deuxième enfant, par exemple. Elles délaissent la marche dans la
rue la nuit, a fortiori lorsqu’elles sont seules. Une ville débarrassée de la voiture pénaliserait donc
beaucoup les femmes. Comme les urbanistes n’intègrent pas le genre dans leurs analyses, cette
réalité leur échappe. Les enquêtes « mobilité » produisent des statistiques sexuées sur les
déplacements, mais ces données ne sont pas exploitées. Pourtant, elles sont très instructives. Celle
réalisée sur la métropole de Bordeaux montre que 75 % des accompagnements sont assurés par les
femmes. Les hommes utilisent surtout leur voiture pour aller au travail, les femmes davantage sur de
courts trajets pour l’approvisionnement du ménage et le covoiturage de leurs proches.
Oui. Les pratiques sportives libres incarnent la ville durable ludique et récréative par le biais de
parcours de santé ou de jogging, de skate parcs, etc. Mais l’on se rend compte que les hommes
profitent davantage de ces équipements. Leurs empêchements sont liés au sexisme urbain et aux
charges familiales. Dans le cadre d’une enquête menée pour la ville de Genève en 2017, 75 % des
femmes que nous avons interrogées déclarent avoir dû réduire ou suspendre leurs activités sportives
à cause de leur charge familiale, et 26 % déclarent avoir été harcelées lors de leur entraînement.
La question de l’éclairage est également importante…
Absolument. Pour économiser quelques kilowatts, les communes éteignent l’éclairage dans la rue de
bonne heure. Tandis qu’elles consomment des quantités considérables d’électricité pour éclairer les
stades et leurs immenses parkings, des équipements fréquentés dans une très large majorité par des
hommes. On peut dire que les femmes n’ont qu’à s’y rendre aussi, mais, dans les faits, rien ne les
encourage à le faire. Les femmes ont moins d’emprise sur l’espace public que les hommes, ce
phénomène n’est jamais pris en compte et les innovations apportées à la ville ne compensent pas ces
inégalités, loin de là. Même durable, elle est faite par et pour les hommes.
·
EN QUESTIONS
6
LE MONDE SAMEDI 17 FÉVRIER 2018
« L’a ménagement
Les disparités entre femmes
et hommes pourraient être
aggravées par l’émergence
de la ville dite « durable
des villes
et intelligente », redoute
le géographe Yves Raibaud,
qui constate l’échec des
politiques urbaines de mixité
construit
PROPOS R ECU E I LL IS PAR
CLA IR E L EG ROS l’inégalité »
S
pécialiste de la géographie du
genre, Yves Raibaud est ensei-
gnant-chercheur à l’université
Bordeaux-Montaigne. Il est l’auteur
de La Ville faite par et pour les
hommes (Belin, 2015). N’est-ce pas un retour en arrière ? des questions qui relèvent du care (le « soin aux
Une séparation ponctuelle peut certes être autres ») : comment fait-on, dans une ville sans
Vous dénoncez depuis longtemps la utile mais ce n’est pas une solution durable. voiture, pour s’occuper des personnes âgées et
banalisation du harcèlement des femmes N’oublions pas qu’à l’époque de la non-mixité des enfants qui fréquentent des écoles diffé-
dans l’espace urbain et ses conséquences scolaire, en 1975, 30 % des bachelières étaient rentes ? Ces questions étaient marginalisées.
sur leurs droits. Avez-vous été surpris par des filles. Aujourd’hui, elles sont plus de 50 %.
la libération de la parole sur ce sujet ? Ce que la mixité a apporté à l’école, il faut faire N’êtes-vous pas sévère vis-à-vis
Cette prise de parole corrobore nos études de en sorte qu’elle l’apporte à l’espace public. Le des hommes ? N’ont-ils pas évolué
géographie sur la place des femmes dans la changement passera bien sûr par l’éducation. avec les luttes féministes ?
ville et le harcèlement de rue. Le sentiment La mixité ne va pas de soi, elle fonctionne dès Nous sommes les héritiers, parfois un peu
d’insécurité y est totalement asymétrique : la qu’on met en place une pédagogie. Des écoles lâches, d’une société patriarcale qui refusait
nuit, on constate une baisse de fréquentation s’y emploient en supprimant les jeux de aux femmes le droit de vote ou l’autorité
des rues piétonnières de 25 % à 50 % pour les ballon et en définissant des lieux où les filles parentale. De nombreuses traces de cette
femmes, qui adoptent des stratégies d’évite- et les garçons jouent ensemble. Plus large- société subsistent et nous sommes nom-
ment. Quand des lieux publics ou des lignes ment, il est souhaitable que les villes pensent breux à vouloir que les choses changent. Nos
de bus ne sont plus fréquentés que par des des espaces inclusifs. recherches montrent que ce sont les institu-
hommes, il existe une discrimination devant tions qui freinent l’égalité : ce sont donc elles
l’impôt. Ce qui est choquant, c’est que cette Vous montrez que l’utilisation qu’il faut réformer. On constate une prise de
situation ait été acceptée si longtemps par les des transports diffère selon le genre. conscience des collectivités locales en France
pouvoirs publics. De quelle façon ? mais elle reste inégale. A Bordeaux, des cam-
Dans les 6 000 foyers que nous avons interro- pagnes très réalistes contre le harcèlement
Vous montrez que les institutions sont gés, les femmes font 75 % des accompagne- dans les transports en commun ont été mises
loin d’être neutres et favorisent la place ments d’enfants et de personnes âgées ou en place et on a expérimenté les arrêts de bus
des hommes en ville. De quelles façons ? malades. Cela induit une utilisation de la ville à la demande. Mais d’autres villes préfèrent
Nos études sur l’offre de loisirs montrent que, à différente et, paradoxalement, une emprise ignorer le problème. Lorsqu’on ne trouve pas
Bordeaux, les deux tiers des activités mises en spatiale plus réduite. Les femmes ont des de données sur les inégalités, c’est que la mai-
place par les pouvoirs publics sont destinées modalités de transport multiples, elles sont rie n’a pas cherché à les collecter.
aux garçons. Quand on s’intéresse à d’autres moins souvent seules, elles utilisent les trans-
villes en Europe, on trouve un chiffre équiva- ports en commun plutôt que la marche ou le Et à l’étranger, quels sont les modèles
lent. On considère d’intérêt général que les jeu- vélo, ou elles privilégient la voiture. à suivre ?
nes garçons puissent libérer leur énergie sur un Certaines villes britanniques ont mis l’accent
terrain de football ou un skatepark, des espaces Pour lutter contre le réchauffement sur la sécurité des femmes en installant des
dont on ne dit jamais qu’ils sont non mixtes climatique, les collectivités cherchent boutons d’urgence dans les transports en
mais qui, de fait, sont des terrains masculins. à interdire la voiture en ville. A qui commun. D’autres, comme Vienne ou Mon-
profite la ville durable, celle du vélo, tréal, ont réduit les violences en privilégiant le
L’exclusion spatiale commence dès la cour du covoiturage et de la marche ? sentiment de confort ou en améliorant l’éclai-
de récréation. Comment cela se passe-t-il ? La ville durable profite surtout aux hommes rage, par exemple. En Suède, certaines muni-
A l’école, le terrain de foot est souvent situé au jeunes et en bonne santé. Ces pratiques cipalités ont réfléchi à un déneigement plus
milieu de la cour et accaparé par les garçons. pourraient bien ressembler demain aux égalitaire : les services urbains s’occupent
Avec ce ballon qui roule, les filles apprennent nouveaux habits de la domination masculine, d’abord des trottoirs, qui sont plus souvent
à esquiver, à pratiquer des jeux qui ne pren- en l’absence d’une approche critique dévelop- fréquentés par les femmes et les enfants,
nent pas de place. Cet aménagement est pée dans l’écoféminisme. Des études au avant de déneiger la route, qui est majoritaire-
porteur de sens, il construit l’inégalité en Québec montrent que, dans les quartiers où ment occupée par des hommes en voiture.
inscrivant dans l’éducation que les garçons l’école est située dans une rue piétonnière, la
sont au centre et les filles en périphérie. On journée des femmes s’allonge. Par ailleurs, la Quels outils développer pour lutter
attribue souvent aux filles la responsabilité de voiture représente pour les femmes une contre les inégalités de genre ?
ne pas « aimer » le sport. Mais lorsqu’on les protection la nuit. Il est donc difficile d’y Le budget genré permet aux municipalités de
interroge, elles racontent des expériences renoncer dans ces conditions. prendre conscience de l’injuste redistribution
douloureuses d’exclusion et de moqueries. de l’offre publique de loisirs et donc de l’im-
Quelle serait pour vous la définition pôt. Il s’agit de lire le budget sous l’angle du
Est-ce le signe d’un échec de la mixité ? d’une ville à la fois durable et égalitaire ? genre, afin de rattraper progressivement les
C’est l’échec d’une certaine mixité. Dans ce La vraie ville durable doit prendre en compte inégalités. Les marches de femmes – consis-
domaine, en Europe, on n’a fait que la moitié les générations : elle peut durer parce qu’elle se tant à arpenter un quartier en groupe, pour y
du chemin. On s’accorde pour affirmer que reproduit, qu’on peut y naître et y mourir. repérer des lieux à réaménager, et apporter un
filles et garçons doivent avoir les mêmes Accompagner les enfants à l’école ou les diagnostic – font aussi partie des outils d’une
chances, mais on considère qu’il est priori- personnes âgées à l’hôpital, cela fait partie du bonne démocratie participative : elles appor-
taire de canaliser la violence des garçons, et pacte social. On parle beaucoup de ville intelli- tent une expertise différente dans les villes
normal que des lieux publics soient accaparés gente mais la smart city est actuellement qui ont été construites par des hommes entre
par des collectifs produisant du virilisme, du pensée par et pour les hommes en bonne santé 40 et 70 ans, de classe supérieure et à la peau
sexisme et de l’homophobie. Ponctuellement, qui veulent en faire un espace aseptisé : ils blanche. Il est aussi important d’évaluer les
certaines villes reviennent à des espaces non envisagent des solutions techniques qui met- politiques en créant des observatoires des iné-
mixtes. A Malmö (Suède) ou à Genève, la mu- tent le corps à distance. Lors du Grenelle des galités : ils pourraient exercer une fonction de
nicipalité a ainsi mis en place des journées mobilités à Bordeaux [lancé en 2011], les veille et attribuer un label récompensant les
réservées aux filles dans les skateparks, afin femmes, minoritaires, intervenaient peu et ambiances urbaines réussies sous l’angle des
qu’elles puissent reconquérir ces espaces. lorsqu’elles le faisaient, c’était pour soulever rapports sociaux de sexe. h
Architecture & technique DOCUMENT 6
Espaces publics
Penser la ville
pour les femmes,
l'aménager pour tous
Après plusieurs années
de débat, le genre fait
son apparition dans
les projets urbains.
46 • LeMoniteur 12janvier2018
Architecture & technique Espaces publics
Dans le quartier de Wazemmes, à Lille, Mutabilis a transformé un terrain de sports pour l'ouvrir davantage sur la ville... et à tous ses habitants.
plus à l'aise. C'est un cercle vertueux. » Pour ces deux femmes l'urbanisme? Nombreux sont ceux qui pensent que la réponse à
cependant, malgré les meilleures volontés du monde, la rue de- ces maux ne peut venir que de l'éducation. Pourtant, c'est aussi
meure un domaine masculin.« Il suffit de compter», disent-elles. par un travail d'observation que le scénographe urbain Jean-
Les études menées par leur plate-forme de recherche, Genre et Christophe Choblet a constaté la capacité d'un aménagement
Ville, se fondent notamment sur le recensement des hommes à mettre les femmes en confiance alors qu'il venait de créer
et des femmes dans un périmètre donné à une heure donnée, Paris Plages sur les quais de Seine, au début des années 2000.
et les premiers sont souvent les plus nombreux. «Nous obser- Seule et en maillot à Paris Plages. «Cela n'avait pas été
vons aussi les comportements, pour voir qui s'installe et où. réfléchi au préalable mais nous avons regardé ensuite si une
Par exemple, alors que les hommes peuvent s'asseoir de longs jeune femme seule se sentait suffisamment à l'aise pour res-
moments sur un banc, les femmes ne s'y arrêtent pas plus de ter longtemps, y compris en maillot de bain. Le résultat a été
quelques instants. Dans la rue, elles ne sont en fait légitimes que très probant », se souvient-il. Aujourd'hui chargé des expéri-
par leur fonction: conduire une poussette, porter des courses. mentations dans l'espace public et notamment du projet des
En somme, les hommes occupent l'espace public et les femmes sept places auprès du secrétariat général de la mairie de Paris, il
s'y occupent », décodent-elles. l'explique notamment par la configuration des lieux. Installées
La solution aux problèmes, bien réels, de l'inégale répartition sur les étendues de sable, à quelques mètres de distance des pro-
des tâches ou de l'irrespect entre les sexes peut-elle passer par meneurs, ces vacancières de ville se trouvaient (suite p. 48)
12janvier2018 LeMoniteur • 47
Architecture & technique Espaces publics
A Lyon La Duchère, le compte la question du genre lors de ces urbain à la Seri, aménageur de la ZAC.
square des Marronniers aménagements. Par exemple, pour éviter Des ateliers de concertation avec des
que les garçons ne monopolisent les cours groupes de mères et de nourrices ont été
é\ménagé avec les mères avec des jeux de ballons, nous avons organisés entre décembre 2012 et mai 2013.
La pratique de la ville pour les hommes installé au centre des jeux de type «Ces femmes nous ont fait remonter
'et les femmes intéresse Lyon depuis cabanes», souligne Thérèse Rabatel. des besoins qui ont été traduits dans le
quelques années maintenant. En 2012, adjointe chargée de l'égalité hommes- projet d'aménagement porté par Alain
la Ville lance une première étude-action femmes. Rejointe par le service urbanisme Marguerit, l'urbaniste chargé du projet»,
sur les discriminations multifactorielles de la métropole de Lyon sur cette question, précise Catherine Falcoz, responsable de la
envers les femmes dans trois quartiers la Ville a lancé une troisième étude qui concertation au grand projet de ville (GPVJ
prioritaires de la politique de la ville. porte sur l'élargissement à la notion de ville La Duchère. Les travaux d'Elise Vinet ont
Confiée au Groupe de recherche en inclusive. La production d'un document également permis de faire évoluer le projet
psychologie sociale (Greps) de l'université destiné aux parties prenantes des en implantant par exemple des bancs plus
Lyon 2 et menée par Elise Vinet, l'une opérations d'aménagement de la circulaires, confortables, disposés au
de ses membres, cette recherche portait métropole de Lyon est attendue fin 2018. centre de l'espace de jeux des enfants.
à la fois sur J'offre socio-éducative et son Dans le quartier de La Duchère, «Nous sommes passés d'une aire de jeux
accès pour les hommes et les femmes une première expérimentation a été normative à un périmètre sécurisé, que l'on
de ces quartiers et sur la façon dont chacun menée à l'occasion du réaménagement peut traverser et dans lequel les femmes
appréhendait les espaces publics. du square des Marronniers. «La survenue vont pouvoir s'installer, discuter tout en
Une deuxième étude a suivi. d'un débat entre professionnels a créé gardant un œil sur les enfants et sur ce qui
Parallèlement à ces travaux, la Ville met les conditions pour aller chercher la parole se passe autour», illustre Alain Marguerit.
en place un plan d'action pour réaménager des femmes sur ce projet», explique Les appels d'offres seront lancés en ce
les cours d'école. «Nous avons pris en Audrey Delaloy; référente renouvellement début d'année. • Emmanuelle N'Haux
48 • LeMoniteur 12janvier2018
Architecture & technique Espaces publics
Rouen
La mixité à l'épreuve des tests
Dans les services de la métropole Rouen-Normandie, le sujet
a fini par intriguer. A force de voir passer des informations sur
des lieux que les femmes évitaient, sur des terrains de sports et
des cours d'écoles monopolisés par les joueurs de foot ou sur
des expériences de marches exploratoires, son directeur de
l'aménagement et des grands projets, Bertrand Masson, a dé-
cidé d'aller vérifier par lui-même. «Il suffit de se poser devant
un city stade pour constater, très vite, qu'il n'est fréquenté que
par des garçons », raconte-t-il aujourd'hui.
A l'époque, la métropole doit justement installer ce type
d'équipement sportif pour achever l'aménagement des quais bas
de la rive gauche de la Seine. Si le responsable ne sait pas encore
bien comment s'y prendre, il est en tout cas convaincu qu'il faut
ménager une place aux filles dans ces futurs espaces. Au dernier
moment, une piste de roller derby est donc finalement installée Sur un ancien champ de courses de 28 hectares, la métropole fait
sur un terrain qui aurait dû être dédié au foot ou au basket, et le aménager un grand parc urbain. Le projet a été retouché pour
tout a été inauguré en juillet dernier. Bertrand Masson, qui croit mieux prendre en compte les attentes des jeunes filles.
beaucoup à la valeur des tests, poursuit: «Ce changement était
facile et peu coûteux. Il était nécessaire de commencer modes- demandé à l'agence Mutabilis, chargée du projet, de le modifier
tement et si nous nous étions trompés, ça n'aurait pas été grave. pour prendre davantage en considération le public des adoles-
Mais les joueuses l'utilisent, y compris de nuit. » centes. Entre le concours et aujourd'hui, un vaste espace sportif
Aire ludique et sportive. Bernard Masson entend ainsi «faire a disparu des esquisses et l'agence de paysages a imaginé une
entrer tout doucement la question du genre dans les projets» de aire qui autorisera une grande variété d'activités ludiques et
la métropole, en veillant à travailler sur des projets réellement sportives. «C'est par le mélange des usages que l'on arrive à at-
mixtes, ce que n'était pas la piste de roller derby. La prochaine tirer les filles, les garçons, les familles ... », remarque la paysagiste
expérience sera menée lors de la transformation de l'ancien Marie Mondésert, très attachée à ce que les aménagements ne
champ de courses des Bruyères en parc urbain. En effet, il a été a catégorisent pas les populations. • M.-D. A.
Solution
retenue
1W --'--f--lnstallation
en limite
de clôture
~---+---Installation
au centre
avec un
arbre
En petits groupes, les mères et nourrices du quartier sont venues exprimer leurs besoins en amont de l'aménagement du square.
Les installations leur permettront notamment de surveiller les enfants tout en ouvrant l'œil sur l'espace public environnant.
12janvier2018 LeMoniteur • 49
Architecture & technique Espaces publics
l
des collectifs. A eux d'aller à la rencontre de la population des
sept sites pour connaître leurs habitudes, leurs obligations, leurs
envies ... «Leur mission était de dresser une carte sensible et de
créer le vrai cahier des charges de ces lieux », poursuit le scéno-
graphe urbain qui, dès le départ, a eu une exigence : les équipes
d'architectes, d'urbanistes, de paysagistes devaient aussi comp-
ter un spécialiste du genre dans leurs rangs. Avec l'idée que
penser l'égalité hommes-femmes dans l'espace public« profite
à beaucoup de monde», Jean-Christophe Choblet a introduit
cette notion dans les appels d'offres.
Pause méridienne. Alors que les collectifs ont remis leur
diagnostic fin 2017, il semble que ce sujet a été traité avec des
bonheurs divers. Le travail mené autour des monuments de la
Madeleine et du Panthéon par l'équipe formée notamment par la
paysagiste Emma Blanc, les architectes du Collectif Etc et la plate-
forme Genre et Ville sort apparemment du lot. L'engagement était,
il est vrai, inscrit dans le nom du collectif: les MonumentalEs. A
Paris observer et compter passants et passantes à toutes les heures
de la journée, l'équipe devait se donner les moyens d'imaginer
La diversité prend place(s) les installations appropriées. «A la Madeleine, nous avons ainsi
constaté que les femmes pique-niquent plutôt que de déjeuner
La mairie de Paris, qui n'aime rien tant que tout réinventer, au restaurant. Sans doute parce qu'elles ne s'installent pas vo-
lançait en juin 2015 le projet «Réinventons nos places!». L'idée lontiers seules en terrasse mais aussi parce qu'elles profitent
n'était pas seulement de réduire la place de l'automobile sur sept de la pause méridienne pour faire beaucoup d'autres choses»,
carrefours majeurs de la capitale (les places des Fêtes, d'Italie, expliquent Chris Blache et Pascale Lapalud, de Genre et Ville.
de la Nation, du Panthéon, de la Madeleine, de la Bastille et La phase d'expérimentation a permis de tester diverses formes
Gambetta) et de les rénover mais de «le faire avec les usagers et de mobilier... qui sont remarquables de simplicité. «Comme sa-
les habitants», rappelle Jean-Christophe Choblet, chargé d'un tisfaire les exigences de tout le monde dans l'espace public est
pôle expérimentations et aménagement des espaces publics au- impossible, il ne faut pas surdéterminer les lieux et proposer, au
i5rès du secrétariat général. Alors que les travaux définitifs seront contraire, des formes abstraites», explique Emma Blanc. Ensuite,
menés soit en régie, soit par des équipes de maîtrise d'œuvre à chacun et chacune de savoir s'il fera de l'installation propo-
«classiques», une étape de préfiguration a donc été confiée à sée sa banquette, sa table ou son terrain d'aventures. • M.-D. A.
22
DOCUMENT 7
La ville appartient-elle aux hommes ?
Yves Raibaud Avril 2019
Dans l’espace public, les garçons jouent au centre. Gymnases, stades, lieux de répétition
musicale… fonctionnent comme des « maisons des hommes » où les garçons apprennent les
codes de la virilité.
La construction d’une identité masculine, quelle qu’elle soit, ne peut être imputée seulement à la
famille, ni même à une école qui participerait implicitement à ce que Sylvie Ayral appelle une «
fabrique des garçons » (1). Dès l’enfance, les garçons sont considérés comme plus agités,
turbulents. Leur besoin de se dépenser dans des activités physiques semble naturel. À la maison,
on les envoie jouer dehors. À l’école, ils occupent la cour de récréation par une éternelle partie de
foot. Édith Maruéjouls (2) montre comment se construisent, autour de ce terrain aux frontières
floues (puisque les joueurs ne respectent pas les touches), des spatialités genrées : des filles en
périphérie, avec des jeux moins consommateurs d’espace (cordes à sauter, élastiques), apprenant
à esquiver ; des garçons bruyants, colonisant le centre, obsédés par la compétition, soumis à la loi
du plus fort et la loyauté au groupe. Cet apprentissage quotidien trouve son prolongement dans
une ville faite pour les garçons. Les skateparks et les stades de ville sont les terrains de sport les
plus construits en Europe depuis trente ans. Destinés à tous mais occupés par près de 100% de
garçons, ces nouveaux équipements viennent en continuité d’autres, plus anciens, occupés
également par des hommes (street basket, terrains de boules, autrefois de quilles), ainsi que des
grands stades qui accueillent plusieurs fois par semaine des dizaines de milliers de supporters
masculins.
Cependant, une ville de loisirs favorable aux hommes continue de se construire sous nos yeux
grâce aux financements publics. La première enquête française de genderbudgeting sur les loisirs
des jeunes, réalisée pour la Communauté urbaine de Bordeaux en 2009, est révélatrice : 75% des
budgets profitent aux garçons. Ces chiffres ont été confirmés, avec de faibles variations, dans
d’autres villes de France et d’Europe (Bruxelles, Genève). A partir du collège, les filles
5
abandonnent les activités périscolaires tandis qu’une offre de loisirs correspondant aux goûts des
garçons se développe à grande échelle. Comme sur les terrains de sport, les maisons de jeunes et
les centres d’animation enregistrent une faible participation des filles. Les séjours de vacances
organisés dans le cadre de la politique de la ville, fréquentés par 100% de farçons jusqu’au début
des années 2000, peinent aujourd’hui à atteindre 30% de filles bénéficiaires.
Encore une fois, les activités des garçons sont valorisées au détriment de celles des filles. Le
rock, le rap, le graff, le skate ? Importants, porteurs de valeurs sociales, largement subventionnés.
La danse, le twirling bâton, le poney ? Mièvres, démodés, peu ou pas subventionnés. Comme à
l’école, où l’essentiel de l’effort pour l’égalité consiste à pousser les filles vers les « matières à
haute valeur masculine ajoutée » telles que maths, sciences et technologie, la communauté
éducative imagine la promotion des filles sur les terrains des garçons : rock, boxe et foot féminins
illustrent le modèle de la fille décidée, battante. Peu importe que la compétition soit truquée : au
final, les ressources profiteront majoritairement aux garçons. Il n’y a pas de symétrie : la peur de
déviriliser les garçons par des activités dites féminines est plus forte Exit pour eux la danse, la
chorale, les arts plastiques, le théâtre, activités qui leur font courir le risque de perdre la face,
d’être traités de pédés et de gonzesses, voire d’être victimes de violence physiques et sexuelles.
Les politiques publiques de la jeunesse s’appuient sur l’idée qu’il est possible d’éduquer les
jeunes à la citoyenneté par la créativité, l’esprit d’équipe et le dépassement de soi que suscitent
les cultures urbaines, qu’elles soient sportives ou culturelles. S’il s’avère que 75% des budgets et
80% des équipements sont accaparés par les garçons, de quelle citoyenneté parle-t-on ? La même
qui a exclu pendant 150 ans les femmes du suffrage universel ? Comment pourrait-il y avoir de
citoyenneté sans les filles ?
Violences et harcèlement
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« Quand on arrive en ville, tout le monde change de trottoir », chantait Daniel Balavoine en
1980. Prendre au sérieux les violences urbaines et le harcèlement des femmes dans la rue, c’est
considérer que ces phénomènes ne sauraient être réduits à une activité de bandes de garçons
énervés ou d’hommes frustrés, mais qu’ils sont relayés de façon puissante et ancienne par une
culture masculine de la ville. Célébrées par les poètes et les écrivains, femmes et ville se
confondent dans le désir des flâneurs urbains. André Breton suit Nadja dans les rues de Paris.
Louis Aragon pleure la disparition de la ville ancienne et de ses bordels, fréquentés depuis la
Renaissance par tout ce que Paris compte de peintres, de sénateurs d’évêques ou de bourgeois.
Dans les années 1920, les guides touristiques invitent les riches étrangers à aborder les
midinettes, ces ouvrières de la mode qui déjeunent sur les bancs des Tuileries à l’heure de la
pause. Venise, ville des amoureux, est au 19e siècle une capitale mondiale de la prostitution. Le
quartier rouge d’Amsterdam, la Repperbahn à Hambourg ou la rue Saint-Denis à Paris font partie
du tour, les bordels des frontières belges et espagnoles marquent des limites abandonnées par
l’Europe de Schengen. Serge Reggiani chante Sarah, la prostituée préférée de Baudelaire, Serge
Lama les petites femmes de Pigalle, Jacques Brel les putains d’Amsterdam. Plus encore
qu’ailleurs, il est difficile pour les femmes de rester statiques sur les trottoirs de ces villes sans
être aussitôt abordées. La figure du harceleur, et celle du client, sont constitutives de la ville
sexiste.
Les recherches menées sur le sentiment d’insécurité des femmes dans la ville montrent l’impact
du design urbain, dans une ville qui honore les grands hommes par des noms de places, de rue,
des statues. Où les femmes sont présentes comme objets décoratifs, le plus souvent nues ou à
peine voilées, telles qu’elles sont affichées dans les publicités sexistes, à la devanture des
kiosques. Des marches de femmes dénoncent cette scénographie et ses prolongements les moins
avouables, graffs sauvages et odeurs d’urine. Les femmes protestent contre la suspension du droit
à la ville pour elles lors des grandes compétitions sportives, fêtes, carnavals, festivals de rock, et
contre les nombreux viols impunis que ces évènements entraînent. Une enquête en ligne menée
en 2016 sur le harcèlement de rue fait apparaître un pic spectaculaire de déclarations le 22 juin,
lendemain de la fête de la musique.
Les villes qui s’attaquent au problème (en France, Bordeaux, Paris, Rennes) mettent en place des
observatoires du genre dans l’espace public afin de quantifier les inégalités et trouver des
solutions : subventions accordées sur des contrats d’objectifs, temps réservés aux femmes dans
les lieux non-mixtes masculins, programmation culturelle égalitaire et non-sexiste, mixité dans
les projets d’animation des quartiers, encouragement des pratiques sportives des femmes dans
l’espace public. Des métropoles européennes améliorent les ambiances urbaines en se penchant
sur la sécurité et le confort des femmes dans la ville : campagnes contre le harcèlement dans les
transports et dans la rue, éclairages publics, circulations douces, toilettes, accessibilité des parcs
et des espaces publics de loisirs. Ces mesures qui profitent à tout le monde, et bien d’autres
encore, sont mise en œuvre depuis 20 ans par la ville de Vienne en Autriche. Elles en ont fait non
seulement la première ville féministe d’Europe mais aussi, depuis neuf années consécutives, la
première au classement international Mercer pour sa qualité de vie. Preuve s’il en est que la
critique de plus en plus vive de la cille « faite par et pour les hommes » et de ses cultures urbaines
masculines peut ouvrir la voie à une autre façon de concevoir la cité de demain : inclusive,
écologique et démocratique.
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Document 8
Les choix sur les budgets des politiques publiques peuvent contribuer à réduire ou, au
contraire, à augmenter les inégalités femmes-hommes. Mieux prendre en compte cette
problématique implique, pour les collectivités, de l’intégrer bien avant les arbitrages
budgétaires. Et d'associer davantage les agents à cette mise à plat des choix budgétaires.
Chiffres-clés
• 75 % des budgets dédiés à la jeunesse dans les communes de Blanquefort, Floirac et
Cenon, en Gironde, bénéficiait à des garçons âgés de 8 à 20 ans, compte tenu de leur
participation à des activités sportives ou à des centres de loisirs (étude menée
entre 2009 et 2012 par des sociologues).
C’est une réalité qu’a déjà déplorée le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les
hommes : encore très peu de communes et d’intercos réalisent leur rapport annuel, pourtant
obligatoire, sur l’égalité femmes-hommes en amont des débats d’orientation budgétaire.
Celui-ci est censé détailler la gestion des ressources humaines à l’échelle de la collectivité et
faire état de ses actions en faveur de l’égalité. Le manque d’outils méthodologiques et de
formation ainsi que le faible appui politique sont les arguments les plus fréquents pour
expliquer cette rare production.
A Brest (139 300 hab.), la direction de la culture, appuyée par l’association HF Bretagne, a
démarré il y a deux ans un vaste recueil d’éléments sur la programmation d’une saison
culturelle entière : artistes et auteurs présentés, fréquentation des équipements culturels,
enseignants dans les cours assurés par les conservatoires de musique, de théâtre et de danse…
« Pendant ce temps, une consultante continuait à former les professionnels des équipements et
suggérait des rectificatifs dans les budgets que la ville gérait en direct », indique Gaëlle Abily,
jusqu’à récemment adjointe au maire chargée de la culture, pour qui il est important de «
maintenir une dynamique régulière en relançant et en interrogeant tout le monde ». Il y a peu,
la direction de l’éducation a entamé une réflexion similaire sur son soutien aux projets
éducatifs dans les écoles, ainsi qu’une autre sur la faible mixité parmi ses agents territoriaux
des écoles maternelles (Atsem) et le personnel extrascolaire.
Le centre Hubertine-Auclert (1) propose un guide des différents outils pour piloter, suivre et
évaluer la pertinence d’un diagnostic et d’un plan d’action. « La budgétisation sensible au
genre n’est cependant pas un budget séparé pour les femmes ou la simple comptabilisation
des crédits dédiés à l’égalité femmes-hommes », est-il précisé. Par exemple, la préparation
des lois de finances inclut déjà le calcul des crédits de différents ministères dévolus
spécifiquement aux actions en faveur de l’égalité et des droits des femmes.
Dans la loi
La budgétisation sensible est bien plus développée en Autriche et en Belgique, où ce principe
est même inscrit dans la loi et appliqué par différentes collectivités, comme Vienne.
C’est ce cap qu’espère un jour franchir Thoraya Amrani, conseillère municipale déléguée à la
lutte contre les discriminations à Sevran (50 600 hab., Seine-Saint-Denis). « Dans les
différents services, beaucoup d’actions existent pour promouvoir l’égalité, mais elles sont
spécifiques et concernent des groupes bien identifiés. Cette réflexion doit être portée au
niveau des finances pour avoir plus d’importance », souligne-t-elle.
Focus
Cette mesure est aussi l’une des leçons d’un diagnostic entamé deux ans auparavant pour
dresser le profil des bénéficiaires des services municipaux à partir d’une collecte statistique et
d’entretiens menés avec les usagers et les responsables de service. « L’analyse des statistiques
en fonction du sexe des usagers n’était pas encore pratiquée et il avait fallu expliquer que cela
n’allait pas contre l’universalité du service public. Identifier des inégalités comportait aussi le
risque de mettre en cause la responsabilité de la ville, alors qu’elles sont également présentes
dans la société », se remémore Laure Pascal, directrice du pôle « citoyenneté et vie
professionnelle ». Après ce diagnostic, la municipalité a également conditionné l’attribution
de subventions aux clubs sportifs à la création d’une section féminine.
Clarifier le panneau des correspondances, floquer le blouson des médiateurs : ce sont les usagères
des transports en commun qui ont rédigé ces préconisations, avec l’accompagnement permanent
de la pilote du projet, Gaëlle Tanasescu, cheffe du service prévention de la délinquance à la ville
de Rouen (Seine-Maritime), d’avril à juin 2017. « Cette opération, appelée le voyage
exploratoire, permet d’impliquer les habitantes et de faire remonter les besoins », explique-t-elle
avant de prévenir, « il faut être prêt à y consacrer du temps et dans l’idéal de pas venir de
l’urbanisme, pour ne pas influencer les participantes, et être formé aux inégalités femmes-
hommes ».
Suivi étroit
Dans le cadre de la stratégie territoriale de sécurité et de prévention de la délinquance, une
marche exploratoire a d’abord été lancée par la ville de Rouen en 2016 : constituer un groupe
d’habitantes pour améliorer leur quartier quant à la place des femmes dans l’espace public. Au vu
du succès de cette opération, elle a été renouvelée l’année suivante avec le voyage exploratoire
dédié cette fois aux transports en commun.
« Les femmes qui composent le groupe ont entre 20 et 65 ans et ont été recrutées grâce aux
maisons de quartier et centres médico-sociaux », détaille Gaëlle Tanasescu. Ce dispositif
s’associe à une méthodologie stricte. Les participantes imaginent un trajet type avec une
correspondance bus puis métro qu’elles parcourent ensemble trois fois, matin, après-midi et soir,
armées de calepins pour noter leurs ressentis. À partir de ces carnets, soutenues par la sociologue
Dominique Poggi, elles structurent leurs propositions d’aménagement. « Nous souhaitions
qu’elles présentent elles-mêmes les résultats aux techniciens et élus, nous leur avons donc
proposé une formation à la prise de parole en public », complète la cheffe du service prévention
de la délinquance.
Les participantes ont ainsi guidé toutes les parties prenantes sur un trajet type parcouru de jour et
de nuit avant de partager leurs conclusions. Ce n’est qu’à la toute fin que les techniciens
interviennent. « Sur certains points, nous pouvions répondre directement. Sur d’autres, il était
plus compliqué de proposer une solution quand elle relevait de plusieurs services », raconte
Aurélie Philippe, responsable du service organisation des réseaux à la métropole.
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Préconisations concrètes
« La plupart des travaux étaient simples à réaliser et s’intégraient dans nos budgets habituels »,
explique Aurélie Philippe, qui en dresse la liste : un panneau des correspondances peu clair, la
fiche des horaires trop petite, tel luminaire mal positionné, tel passage piéton dangereux. Ou
encore installer un affichage sur le comportement à adopter en cas d’agression ou sur la présence
de caméra de surveillance.
La TCAR, quant à elle, qui gère une partie des transports en commun en délégation de service
public, a commencé à former ses chauffeurs, contrôleurs, médiateurs ou commerciaux en
agences, pour bien comprendre le harcèlement et savoir y faire face. Débutée en novembre
dernier, la formation de deux heures concernera au total 950 personnes au sein de l’entreprise.
Fiche technique
• Maître d’ouvrage : ville de Rouen.
• Maîtres d’œuvre : ville et métropole de Rouen.
• Coût : 10-15 000 euros en équivalent-temps de travail. Pour les travaux, pas de
budget dédié, ils sont intégrés dans ceux des services concernés. Fonds
interministériel de la prévention de la délinquance : 3 000 euros.
• Délai : avril à juin 2017.
• Contact : Gaëlle Tanasescu, cheffe de service prévention de la délinquance, ville de
Rouen, gaelle.tanasescu@rouen.fr
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Document 10
©ville de Trappes
Ville de banlieue parisienne, Trappes, proche de Versailles, compte 32 000 habitants, dont
60 % vivaient en HLM en 2016. Dans cette ville qui voit sa population grandir et le taux des
logements sociaux baisser (actuellement, 55 % de la population serait concernée), la question
de la mixité au quotidien est centrale.
Plusieurs actions ont été menées, comme l’inauguration de marches exploratoires, destinées à
repérer les lieux de sentiment d’insécurité pour les femmes dans la ville, et bien sûr le
réaménagement des cours d’école.
En tout, la ville compte 36 écoles élémentaires et maternelles, qui devraient toutes subir un
sérieux lifting d’ici trois ans maximum.
À l’heure actuelle, un peu plus d’un tiers d’entre elles ont été réaménagées.
TÉMOIGNAGE
En Gironde, des collèges entièrement repensés
Le conseil départemental de Gironde a lancé un vaste chantier de rénovation de ses collèges,
et la construction de 12 nouveaux établissements pour absorber la hausse de 2000 nouveaux
collégiens par an. En réfléchissant à ce que devait être le collège de demain, une première
demande a émergé de la part du personnel : ne plus proposer des sanitaires différenciés.
Désormais, les nouveaux collèges n’ont plus d’urinoir et les chefs d’établissement ont le
choix de différencier ou non les deux blocs de sanitaires. En prenant ses fonctions en 2018,
Anaïs Luquedey a commandé à la géographe Édith Maruéjouls la rédaction d’une note
d’intention à destination des concepteurs des futurs collèges. « L’idée était de les sensibiliser à
l’enjeu de l’égalité fille-garçon. Il s’agit d’un document de quelques pages qui s’appuie sur
des constats et des retours d’expérience dans les collèges. »
Cette note est devenue un document contractuel sur lequel le concepteur sera évalué : il doit
préciser en quoi son projet architectural favorise la mixité et l’égalité.
Chaque cour de récréation est entièrement repensée dans son aménagement, pour partager
l’espace plus équitablement entre filles et garçons. « Ce n’est pas venu d’un coup, explique
l’adjoint à l’urbanisme Thomas Urdy. Au début du mandat, nous avons commencé à rénover
les cours en optant pour du synthétique, en réintégrant des espaces verts. C’est depuis cette
année que nous intégrons la question de la mixité. »
Que souhaitent les enseignants, eux qui vont faire vivre cet endroit ensuite ?
Pour mettre en œuvre ce projet, la commune a intégré tous les acteurs concernés. En premier
lieu, les directeurs de service ont été sensibilisés à la question de l’égalité des genres, pour, à
chaque décision, éviter de reproduire certains stéréotypes.
Au sein des écoles, la direction, mais aussi le personnel enseignant et les parents d’élèves, ont
été consultés pour réinterroger les pratiques. Faut-il apporter des jeux de couleur pour
déstresser les enfants ? Comment agencer les nouveaux aménagements ? Que souhaitent les
enseignants, eux qui vont faire vivre cet endroit ensuite ?
TÉMOIGNAGE
Former les équipes administratives
« Travailler avec un élu sensibilisé aux questions d’égalité est important, car il faut
comprendre les logiques et ne pas tomber dans d’autres clichés. Le féminisme concerne aussi
bien les filles que les garçons, une formation peut aider à comprendre les enjeux. En second
lieu, procéder à une étude de l’existant : quelles sont les villes ayant déjà travaillé sur le sujet,
comment ont-elles procédé et pour quelles solutions ont-elles opté ? Ces échanges sont très
enrichissants. Enfin, après avoir formé les équipes administratives à ces questions, il ne faut
pas hésiter à tenter des choses, à avancer par petites touches pour s’adapter. Les conseils
d’urbanistes, au cours de ces démarches, peuvent également s’avérer précieux. »
Pour l’heure, ces cours de récréation ont totalement changé de look et n’ont pas
d’équivalents en France : bigarrées, elles sont égayées par des jeux accessibles à tous et par
des dessins au sol, des planètes ou des circuits.
Colorés en rose, violet, vert ou bleu, ces parterres deviennent des aires de jeu sur lesquelles
les enfants peuvent laisser courir leur imagination.
Ces actions, menées en l’espace de quelques mois à Trappes, ont prouvé aux élus et aux
habitants qu’un changement peut avoir lieu assez rapidement
« C’est un premier pas, certaines écoles qui n’avaient pas été réaménagées au regard de ce
prisme-là seront encore revues, explique Thomas Urdy. Nous avons enclenché une réflexion
globale suivie par le projet éducatif de territoire que nous avons avec l’Éducation nationale. »
L’heure, maintenant, est de procéder à des diagnostics plus poussés pour constater les
premiers résultats. Ces actions, menées en l’espace de quelques mois à Trappes, ont prouvé
aux élus et aux habitants qu’un changement peut avoir lieu assez rapidement.