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Quand nous avons été à deux heures du rivage d'Egypte, je suis monté a
chef de timonerie sur l'avant et j'ai aperçu le sérail d'Abbas Pacha comme u
noir sur le bleu de la mer. Le soleil tapait dessus. J'ai aperçu V Orient à tra
plutôt dans une grande lumière d'argent fondue sur la mer. Bientôt, le riv
dessiné [...]2.
Quand j'irai... je veux être libre, tout à moi, seul, ou avec toi, pas avec d'autres ;
[...] je m'incrusterai dans la couleur de l'objectif et je m'absorberai en lui avec un
amour sans partage6.
C'est parce qu'il n'a pas le souci du livre à faire que Flaubert peut
« absorber l'objectif» et « s'absorber en lui » en toute liberté ; se
fondant sur sa propre expérience, il écrira à Feydeau en 1860 :
2. Corr., 1. 1, p. 528, lettre à sa mère, Alexandrie, le 17 novembre 1849. Souligné par nous.
Les références de la correspondance sont données dans l'édition de Jean Bruneau in Bibliothèque
de la Pléiade, Paris, 1973, 1980, 1991.
3. Corr., 1. 1, p. 562, 5janv. 1850.
4. René Dumesnil, Gustave Flaubert : l'homme et l'œuvre, Paris, 1932, p. 237.
5. Corr., t. il, p. 444, à Louise Colet, 30 sept. 1853.
6. Corr., 1. 1, p. 226, 1er mai 1845.
Crève-toi les yeux à force de regarder sans songer à aucun livre (c'est la bonne
manière). Au lieu d'un, il en viendra dix, quand tu seras chez toi, à Paris. Quand
on voit les choses dans un but, on ne voit qu'un côté des choses7.
[...] le soleil, plus haut maintenant, brillait plus fort : une lumière âpre, et qui
semblait vibrer, reculait la profondeur du ciel, et, pénétrant les objets, rendait la
distance incalculable l4.
Flaubert disait aussi « aimer les couleurs avant tout » car « toutes
les couleurs sont belles, il s'agit de les peindre ». Le voyage en
Orient a affiné la sensibilité et a enrichi la palette de l'artiste par
10. Carnets, in Œuvres complètes de Flaubert. Voyages, Paris, Les Belles Lettres, 1948,
t. il, p. 37, 109 et 185 ; cf. Antoine Naaman, Les débuts de Gustave Flaubert et sa technique
de la description, Paris, Éditions Naaman/Nizet, 1962, p. 264 et sa.
11. Carnets, op. cit., p. 183.
12. Salammbô, coll. Folio, Paris, Gallimard, 1970, p. 241.
13. Pierre Danger, Sensations et objets dans le roman de Flaubert, Paris, Colin, 1973, p. 97
et 103.
21. Appendice de la Tentation de saint Antoine, p. 249, 427, 406, 367-368, 382.
22. Carnets de Voyages, t. 1, p. 310-318.
23. ¡bid., p. 111.
24. Salammbô, op. cit., p. 167.
Cette masure [...] produit, au milieu de ces vagues de sable, l'effet d'une carcasse
de vaisseau abandonnée sur l'horizon de la mer. En approchant de la mer Morte,
les ondulations de terrain diminuent [..]. Les premières vagues, qui dormaient devant
nous, brillantes comme du plomb fondu sur le sable...
... À peine a-t-on marché dans ces labyrinthes ondoyants, qu'il est impossible
de savoir où l'on se trouve ; les collines de sable vous cachent l'horizon de toutes
parts ; aucun sentier ne subsiste sur la surface de ces vagues ; le cheval et le chameau
y passent, sans y laisser plus de trace qu'une barque n'en laisse sur l'eau ; [...] de
27. On trouvera dans les textes choisis par Jean-Claude Berchet, p. 637-638, une aurore
que nous aurions volontiers dite de Flaubert.
28. Ibid., p. 617, 649 et 732.
peur d'être engloutis par les fondrières, fréquentes dans ces mers de sable ; [..
Quand le simoun, vent du désert, se lève, ces collines ondoient comme les lame
d'une mer [...], et vous voyez sur leurs bords des têtes de palmiers ou de figuie
qui se dressent desséchés sur leur surface, comme des mâts de navires englouti
sous les vagues,
La mer était forte en ce moment : elle arrivait en larges et hautes collines bleue
se dressait en crêtes transparentes...29.
Je crois que j'ai été transplanté par les vents dans ce pays de boue, et que
suis né ailleurs, car j'ai toujours eu comme des souvenirs ou des instincts de rivag
embaumés, de mers bleues...30.
Je ne suis pas plus moderne qu'ancien, pas plus Français que Chinois. Je su
le frère en Dieu de tout ce qui vit, de la girafe et du crocodile comme de l'homm
et le concitoyen de tout ce qui habite le grand hôtel garni de l'univers31.
Voilà ce qui fait de l'observation artistique une chose bien différente de l'ob-
servation scientifique : elle doit surtout être instinctive et procéder par l'imagination
d'abord [...] Le subjectif débute32.
gigantesque » ont été vus : « les nuages partent d'une crête pri
cipale comme les mèches d'une crinière [de cheval] lumineuse
Quant à la « poudre d'or [qui] flotte dans l'espace tellement men
qu'elle se confond avec la vibration de la lumière », elle est un
constante du voyage en Egypte et en Syrie, pays lumineux pa
excellence : « le côté est illuminé par le soleil d'une teinte d'o
pâle », « une poussière de lumière comme de la neige éthérée q
se tiendrait en l'air immobile et en serait pénétrée ». Enfin, Flauber
à plusieurs reprises, dans sa Correspondance et dans ses Carnet
compare le Nil à un lac : « [il] a des proportions telles que l'on
sait de quel côté est le courant, et souvent on se croit enfermé dan
un grand lac », « on se croit dans un lac immense ». Notons ce
pendant que Flaubert ne reprend jamais les descriptions des Carnet
telles quelles, fussent-elles très réussies. Par ailleurs, tout ce qu
a vu et tout ce qui l'a durablement impressionné n'est pas forcéme
consigné dans les Carnets - ainsi que le suggère le décalage, lo
de la seconde expédition, entre les lettres où il affirme « [connaîtr
Carthage à fond » et les notes assez pauvres de ce voyage. Beaucoup
d'images sont conservées par la seule mémoire et toutes sont r
fondues par elle. Cette « refonte » est indispensable et elle s'a
complit lors de ce « temps de la digestion » dont parle Flaube
dans sa correspondance. Il écrit d'Egypte :
Et ailleurs :
Ce n'est pas une bonne méthode que de voir ainsi tout de suite, pour écrire
immédiatement après. On se préoccupe trop des détails, de la couleur et pas assez
de son esprit, car la couleur dans la nature a un esprit, une sorte de vapeur subtile
qui se dégage d'elle, et c'est cela qui doit animer en dessous le style. [...] la couleur,
comme les aliments, doit être digérée et mêlée au sang des pensées35.
Pour qu'un livre sue la vérité, il faut être bourré de son sujet jusque par-dessus
les oreilles. Alors la couleur vient tout naturellement, comme un résultat fatal et
comme une floraison de l'idée même36.
Si la couleur n'est pas une, [...] s'il n'y a pas, en un mot, harmonie, je suis dans
le faux. Sinon, non. Tout se tient37.
J'ai la pensée, quand je fais un roman, de rendre une coloration, une nuance.
Par exemple dans mon roman carthaginois, je veux faire quelque chose de pourpre.
Dans Madame Bovary, je n'ai eu que l'idée de rendre un ton, cette couleur de
moisissure de l'existence des cloportes38.
Carthage ne va pas trop mal, bien que lentement. Mais au moins je vois,
maintenant. Il me semble que je vais atteindre à la Réalité. Quant à l'exécution,
c'est à en devenir fou40.
Maintenant que j'en ai fini avec Félicité, Hérodias se présente et je vois (net-
tement, comme je vois la Seine) la surface de la mer Morte scintiller au soleil.
Hérode et sa femme sont sur un balcon d'où l'on découvre les tuiles dorées du
Temple. Il me tarde de m'y mettre...41.
pas ou ce qu'en diront plus tard les passages narratifs (une étude
détaillée de l'ouverture à'Hérodias montre que cette première des-
cription est une « mise en abyme concentrante » du conte, un « icône
diagrammatique », selon la terminologie de Mieke Bal), alors même
que le roman trouve pour une part ses origines dans ce qu'a suggéré
au romancier le paysage réel, découvert lors de ses voyages. On a
pu dire que l'Afrique est le « personnage principal » de Salammbô
dont elle fonde les réseaux symboliques majeurs. Flaubert ne
cherche pas à reproduire dans ce roman tel ou tel paysage qu'il a
pu observer mais il donne plutôt une sorte de synthèse de son
expérience du continent africain, repensée pour les besoins de sa
fiction ; à ce titre, cette remarque sur sa création faite dans une
lettre à Louise Colet est lourde de sens :
C'est ainsi que peut être atteint Y effet, cher à l'artiste, et dont
la plus sûre définition est sans doute :
Anne-Sophie Hendrycks.