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L 'alphabet kurde ada pté aux caract ères latin s et en usage actuel-
lcment a été élaboré dans les années 1930. Les condit ions sociopolitiques
de son élaboration et les motivations des cherche urs enga gés dans sa
construction témoignent de l' une des dimension s les plus importantes
de l' am énagem ent lingui stique, qui cons iste à fixer les caractères pour
la notation des so ns de la langu e. Malgré les débats qu' il souléve
ac tuellement, l'alp hab et kurde adap té aux caractères latins connait un
succès indéniable et a joué un rôle fondamental da ns l'évolution de la
lang ue, dans les do maines aussi élémentaires que l'apprentissage et la
diffus ion de l'écrit ure . Celte contribution propose, da ns un prem ier
temps, d'aborder dans une perspective sociolinguis tique les travaux
menés dans le cadre de la revue Hawar, visant l'adaptation de l'alphabet
kurde aux caracté res latins. Dans un deuxième temps, elle perme ttra
de faire le point sur les perspe ctives et les débats ac tuels concernant le
réaménagement de ce t alph abet.
t ères util isés dans l'alphabet arabe ottoman ne so nt pas suffisants pour
la langu e ku rde. Comme base de discu ssion avec les intellec tue ls, il
propose d ' aj outer 8 autres caract ères à cet alp habet pour le rendre plus
approp rié à la notation des sons du kurde' .
En 1921 , deux Kurdes originaires dc Bitlis, Xeli l Xeyali et Mihemed
Emin, s'occupent à Istanbu l d'essais de transcr iption du ku rde en carac-
t ères lat ins, m ais sans obtenir de résultats décisifs . En 1921 , l' Asso-
ciation kurd e pour le Progrès publ ie à Istanbul un e « Méthode de langue
kurde » dans laq uelle on peut lire :
Ce t élan en fave ur d ' un alp habet nouv eau se mble se heurter à des
obstacles d 'ordre religieux et culturel. En effet, les ca ractères arab es
utilisés jusque-là sont ceux du Coran, l'arabe est la langue sacrée dc
l'islam . Dan s le contexte historique, tou t musulman, et les Kurdes cn
majorité so nt musul mans, devai t con naitre plus ou moins l'arabe ct le
lire. Ce tte fam iliar ité avec les caractéres arabes vient aussi du fait que
l'on retrouve ces ca ract ères en persan, langue apparentée au kurde. De
mêm e, bea uco up d ' ouvrages sur les Kurd es, leur histoire, leur orig ine,
leurs co utu me s, ont été écrits en cette langu e. L'écriture arabe a été
utili sée par les lettrés kurdes dep uis de nomb reux si ècles. Aus si, un
bon nombre d 'écrits kurde s ont été édi tés en ca ractéres arabes. En
outre, la langu e kurde, su rtout savante, religi euse ou poétique, contient
bea uco up de mo ts arabes et persans.
revue Hawar, moyennant un amé nageme nt dans le sens d'un enrich is-
sement.
Tou tefois , ces essais de latinisation de l'alphabet kurde se hcuncnt
à une oppo sition d'ordre sociopolitique. Les Kurd es se retrouv ent ci-
toyens du jeune État irakien, un État arabe où la connaissance et l' usage
de la langue arabe sont imposés, L'a lphabet arabe est un signe d' appar-
tenance à la civilisation musulmane, avec son livre sac ré arabe et son
prophéte arabe, De fait, dans une stratégie d'unification nationale et
lingui stique, les autorités de Bagdad se mon trent opposées à toute
tentati ve de latin isation de l'alphabet kurde et cette opposi tion n'a fait
que s'accentuer depuis lors, Forcés d'abandonner le projet d'adoption
de l'a lphabet latin, les Kurdes irakiens intèg rent des aménagements
que le persan a apportés à la graphie arabe pour rend re les phonèmes
propres au domaine iranien, Actuellement, l' alphabet arabe conti nue
d'être utilisé par les Kurdes d' Irak et d' Iran' ,
U n autre essai de latin isation a été mené dans les anciennes répu-
bliques de l'ex-URSS, notamment en Arménie, qui abritent d'imponantes
communautés kurde s, Bénéficiant d' une reconnaissance officielle et
d' important s moyens matériels mis à leur disposition, les chercheurs
et lin guistes kurd es élaborent en 1927 un alphabet lati n qui comprend
trente -sept lettr es, Cet alphabe t proscri t l'usage des lettres composées,
proscription reprise plus tard par la revue Hawar. Cenaines des lettres
retenu es par cet alphabet constituent des innovations : c barré, k cédille,
p cédille, t cédille, q à hampe détachée, z barré, e renversé, 0 barré,
Les autres lettres sont empruntées pour la forme et pour le son à l'al-
phabe t latin .
Cet alphabet a été abando nné à la veille de la Deuxiéme Guerre
mondiale et remplacé par l'alphabet cyrillique auquel sont ajoutés des
signe s diacritiques pour rendre les pho némes particul iers au kurde
littérai re des Kurdes soviétiques,
Ces principe s imposent trois constats : le premier est le souci d' éla-
borer un alphabe t proche de l'al phabet turc latin qui a été adopté en
1928 en Turquie. Or, il se trouve que le dialecte choisi comme base du
nouve l alphabet est le kurmanji, parlé majoritairement par les Kurde s
de Turquie. Ceu x-ci sont par ailleurs scolarisés en turc, .l' cnseigne-
men t et les pub lications en kurde étant strictement interdi ts à l'époq ue
en Turqu ie. Du fait, il apparait que les aute urs du nouvel alphabe t
trouvent dans l' alph abet turc latin un moy en d 'accés et de diffus ion du
nouvel alpha bet kurde, destiné en premier lieu aux kurmanji phone s.
Le deuxièm e constat concerne le choix des caractères latins pour le
nouve l alphabe t kurde. Si ce choix peut s'e xpliquer par les insuffisances
de l' alphabet arabe à rendre compte des sons du kurde , il n' empêche
que l'adoption de l'alphabet latin est considérée comme un pas vers la
modernité et représente, aux yeux des réformateurs, de nombreux avan-
tages : les échanges avec l' Europe et nombre très important de pays
ut ilisant l' alphabet latin seront facilités, la possibilité d'employer le
matériel technique (imprimerie, machi nes à écrire, installations télé-
phoni ques, etc.) créé sur la base de l' alphabet latin permettra une meil-
leure diffusion du kurde, etc. Mais ces aspects techniq ues semb lent
mineurs par rapp ort à la signi fication culturelle associée à l'u sage de
l'alphabet latin :
Évide mment, nous les Kurdes aussi nous aspirons à nous moderniser,
l'adoption de l'alphabet latin est une de ses preuves' .
L'alphabet kurde latin est ainsi élaboré suivant ces principes de base,
qui tiennent compte aussi bien des facteurs linguistiques que des facteurs
sociopo litiques. Il comprend trente-ct-un caractères, dont huit voyelles
et vingt-troi s consonnes. L' ordre alphabétique est celui du français et
les lettres à signe diacritique se placent directement après les lettres
simples: abc ç d e êf g h i i j k 1m n 0 p q rs $ 1 u û v w x y z. Nous
proposons de les présenter rapidement, en tenant compte de leur
valeur phonétique en français.
9. Ha war, nO2, p. 8.
VOY ELLES BRÈVES VA LEUR PHONÈTIQ UE
déj à familiarisés aux caractéres latins avec l'alphabe t latin turc, celui
de la forte diaspora kurde en Europe en contac t avec des langues
notées en alphabet latin, sont des facteur s qui ont joué sans dou te un
rôle décisif dans le succés d'u n alphabet élaboré et diffusé en exil.
10. L'illustration extrême de cerre pratique a élé faite dans l'ouvra ge l ( Cend ptrs én
otfabeya kurdi » (Il Quelques problèmes de l'alphabet kurde » de Celadet ÇF. L1 KF.R ,
1996. Publications Roj a Nil, Stockholm), qui dêfend le remplacement des carac-
tères i el Î du kurde par les caractères f et i du turc.
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l'alphabet turc était sujet à confusion, et décidé de ne pas le retenir
dans le nouvel alphabet kurde. La logique exprimée dans le principe
n" 1 de la revue Ha war, consistant à faciliter l'accès du nouvel alphabet
aux Kurdes déj à familiarisés avec l' alphabet turc latin, condui t à
penser que les réformateurs auraient pu garder la notation turque pour
les sons i et Î du kurde. En réalité, la particularité du Î kurde consiste
en ce qu 'il est plus long que le i turc. L' accent circonflexe utilisé pour
la notation de ce son afin de l' allonger figure égaleme nt pour ê et Û, ce
qui constitue un paradigme pour les voyelles longues . La pratique
observée dans les publications proches du PSK apparait avant tout liée
à des motivations politiques. Elle montre comment, si besoin est, un
proje t politique peut se manifester dans les choix linguistiques.
BIBLIOGRAPHIE