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LANGUE & PAROLE
Comment écrire la grammaire d'une langue
mino rée? Le cas du kurde kurmanji

Salih AKIN
Université de Rouen
EA 4305 LIDIFRA

1. I ntrod uction
Les descr iptions grammaticales du dialecte kurmanj i de la
langue kurde constituent un ohservatoire intéressant des
pratiques de descripti on d'une langue minorée, sans support
institutionnel et gouvernementa l. En effet, les particularités de
la situation linguistique de la langue et sa situation sociolingui s-
tique n'ont pas perm is une description institutionnelle et
académique de la langue, de telle sorte que les premières
descriptions ont été surtout l' œuvre de missionnaires et
d' orientalistes. Cependant, le développement du mouvement
national kurde après la première guerre mondiale a conduit de
nombreux intellectuels, à 1"instar de. frères Bédir Khan en Syrie
sous mandat français, à doter leur langue de prem ières
descriptions grammaticales. A l'heure actuelle, il existe de
nombreuses grammaires, dont certa ines confectionnées par des
politiciens et militants kurdes, destinées à fixer les règles de la
langue et à faciliter son apprent issage dans un contexte où les
politiqu es d'assimilation linguistique produisent un déclin de
son usage parm i la population kurde .
Les points que nous souhaitons aborder dans cette étude sont
de trois ordres. Nous étudierons d'une part les acteurs impliqués
dans la description grammaticale et leurs objectifs, ainsi que les
lieux à partir desquel s ont été diffusées les prem ières
grammaires. Il s' agira d'examiner la diversité des acteurs
(missionnaires, orientalistes, chercheurs, militants, pol iticiens,

173
etc.) et des lieux impliqués (ex- URSS , Syrie, Europe) compte
tenu de la situation sociol inguistique mouvante de la langue.
D' autre part, nous examinerons la construction d'un certain
nombre de gra mma ires du point de vue des normes et des
modèles choisis pour une langue polydialectale . Comment la
variété des dialectes et des parlers locaux est-elle prise en
compte par les descripteurs ? Dans quelle mesure les
gram maires des langues avec lesquelles le kurde est en contact
cons tituent-elles des modèles de desc ription? Enfin, nous
mettrons l'accent sur les visées linguistiq ues et pragmatiques
des desc riptions grammaticales et sur la prise en co mpte du
lectorat.
Avant de présenter le corpus d'étude et les raisons qu i nous
ont conduit à limiter notre étude au seul dialecte kurmanji, nous
allon s donner que lques points de repères sur la situation
linguistique et sociolinguistique .

1.1- La situation linguistique et sociolinguistique


Appartenant à la famille des langues indo -europ éennes , le
kurde se situe dans le groupe irano -aryen de cette fam ille qui
regroupe plusieurs langues modernes comme l' ossète, le persan,
le baloutehi, le tadj ik, le pachtou, etc . La situation
sociolingu istique de la langue n'a pas permis l'émergence d'un
standard, ce qui l' a conduite à évoluer sur une structure
polydialectale, comp renant plusi eurs dia lectes , dont chacun se
subdivise en une variété de parlers locaux. Les deux dia lectes
princ ipaux et nettement apparentés sont le kurmanji (parlé par
la majo rité des Kurdes de Turquie, de Syrie, des Kurdes répartis
dans les républiques de l' ex-Un ion Soviétique ainsi que par une
partie d' ent re eux vivant en Iran et en Irak) et le sorani
(essentiellement parlé par des Kurdes en Irak et en Iran). Le
kurmanji, parlé par 6S % des Kurdes, apparait plus arc haïque
que les autres dialectes dans sa structure phonétique et
morpho logique. Les traits morphologiques qu i les distinguent
son t une différenciation de cas (nomi natif et ob lique), de genre
da ns les nom s et les pronom s, et la constructio n agentielle des
tem ps passés de verbes transitifs.

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La situation sociolinguistique du kurde est fonction du degré
de la reconnaissance des Kurdes dans les Etats où ils sont
répartis. Ainsi, le kurde est, avec l'arabe, la deuxiéme langue
officielle de l'Irak inscrite dans la Constitution adoptée en 2005.
A l'heure actuelle, le kurde est la langue officielle de la région
autonome kurde en Irak, administrée par le Gouvernement
régional kurde. C'est dans cette partie qu' il connaît un
renouveau tant linguistique que culturel. Langue de
communication des institutions, des administrations et des
médias, le kurde fait l'objet d'un enseignement public de l'école
primaire à l'université. Ce tableau prometteur contraste
largement avec la situation de la langue dans les autres Etats.
Longtemps interdit en Turquie, le kurde peut être enseigné à
titre privé grâce aux ouvertures linguistiques observées dans le
processus d'adhésion du pays à l'Union européenne.
Cependant, .l'article 42 de la Constitution turque interdit
toujours l'éducation dans une langue autre que le turc. La mise
en place, en janvier 2009, d'une chaîne publique émettant
24h/24h des émissions en langue kurde ne semble pas constituer
une réponse aux revendications d'un enseignement public dans
les régions à majorité kurde. Du fait de la parenté du kurde avec
le persan, l'Iran a toujours autorisé l' usage oral et écrit de la
langue. Il s'oppose cependant à toute forme d'enseignement du
kurde. En Syrie, c'est l'usage exclusivement oral qui est toléré
par les autorités. Après l'Irak, c'est en dehors des territoires
kurdes que la langue connait actuellement un renouveau de par
son enseignement public dans des établissements scolaires. La
Suède, la Norvège et certains lânders allemands ont en effet mis
en place des cours de langue kurde à destination des membres
de la diaspora kurde vivant dans ces pays.

2. Les grammaires
Plusieurs facteurs motivent la limitation de la présente étude
aux descriptions grammaticales du dialecte kurmanji qui, à
notre connaissance, n'ont pas encore fait l'objet
d'investigations. Majoritairement parlé par les Kurdes (environ
65 % de la population), le kurmanji est le dialecte le moins
décrit, contrairement au dialecte sorani, qui dispose de
nombreuses descriptions à partir de 1926, dont certaines furent

175
réalisées institutionnellement comme celles de \'Académ ie
scientifique kurde à Bagdad. L'élaborat ion des grammaires
kurdes en Irak a commencé en réponse aux besoin s
pédagogiques, car le kurde bénéficia d'u n enseignement publ ic
dans ce pays dès les accords d'autonomie signés en mars 1970.
En revanche, l' absence d'enseignement public , le contexte de
contact de langue s et les politiques d'assimilati on forcée
(Skutnabb-Kangas & Bucak, 1994, Skutnabb-Kangas &
Phillipson, 1999) ont entraîné des changements dans les
structures grammaticales et lexicales et dans les mécanismes de
transmission intergénératio nnelle. Ces facteurs font du dia lecte
kurmanji et de ses description s gram maticales un objet d' étude
intéressant pour saisir les mécanismes complexes à l' œuvre
dans l' écriture des gram maires d'une langue m inorée en
constante mutation.
Dans cette étude, sans prétendre à une quelconq ue
exhaustiv ité, nous avons essayé de prendre en compte toutes les
grammaires du dialecte kurmanji que nous ayon s pu consulter.
Le corpus est constitué de II grammaires suivantes classées par
ordre chronologique:

1- GARZONI Mauricio, 1787, Grammatica e Vocabularia della


lingua kurda, Rome, éd. Sacra Congregazione di Propaganda Filde,
288p.
2. RHEA S. A. Brief Grammar and Vacabulary of the Kurdish
Language of the Hakari District, éd. American Oriental Studies 155
p.
3- SOANE E. B. 1919, Elementary Kurmanji Grammar, Baghdad,
the Government Press,210 P
4- JARDINE R. F. 1922, Bahdinan Kurmanji. A grammar of the
Kurmanji of the Kurds of Mosul division and surrounding districts of
Kurdistan, Baghdad, the Government Press, 114 p.
5· BEIDAR P., 1926, Grammaire kurde, éd. Geuthner, 77 p.
6- BEDIR KHAN Dj ., 1934, Bingehên Gramera Kurmandji
[Fondements de la grammaire du Kurmandji], réédition en 1994
Nûdern, Stockholm, 94 p.
7- BADILLI K., 1965, Tûrkçe lzahli Kûr tçe Grameri (Kurmançça
Lehçesi) [Grammaire kurde avec des explications en turc (Dialecte
Kurmandj i)], Ankara Basim ve Ciltevi, 160 p.
8- BEDIR KHAN Dj. & LESCOT R., 1970, Grammaire kurde
(Dialecte kurmandji), Maisonneuve, Paris, 388 p.

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9- KURDO K.K. 1978, Grammatika kurdskago jazyka, na
materiale dialektov kurdmanzi i sorani [Grammaire comparée des
dialectes kurmanji et sorani], Nauka, Moscou, 295.
ID- CIWAN Murad, 1992, Tûrkçe Açiklamali Kürtçe Di/bi/gisi
Di/bi/gisi [Grammaire kurde avec des explications en turc]. Bëlinge,
Jina Nû, 224 p.
11- BICUK S. 1997, Réziman ê kurdi (Kurmanci} [Grammaire
kurde (Kurmandj i)], Publications de l'Institut kurde, Berlin, 275 p.
12- TAN S., 2000, Waneyên rezimanê kurmanci [Les cours de la
grammaire du kurmandji], Wesanên Welat, Istanbul, 192 p.

2.1- Les auteurs


En l'absence d 'institutions nationales (mises à part celles qui
se mettent sur pied dans le nord de l' Irak), c 'est au niveau de
l'entreprise privée que la plupart des descr iptions a été menée.
Un examen rapide des parcours des auteurs permet de les
rassembler en 3 groupes. Le premier groupe comprend les
missionnaires, qui ont entrepris les premières descriptions. Le
deuxième groupe est constitué des offic iers britanniques en
mission au Kurdistan durant la première guerre mondiale. Le
dern ier groupe réunit les militants de la cause kurde.
2.1.1. Les missionnaires
Les descriptions entreprises par les deux premiers groupes
de grammairiens peuve nt être considérées com me une
entreprise d'exogrammatisation, c'est-à-dire la grammatisation
d'une langue non-documentée et méconnue par les
grammairiens (Auroux, 1992, 28) . Les missionnaires ne
pouvaient pas s'appuyer sur des descriptions antérieures
(inexistantes à notre connaissance), ni sur des données écrites.
Le pionnier européen a été Maurizio Garzoni (1734-1804),
envoyé par Rome dans la princi pauté du Bahdinan (au nord-
ouest de Mossoul). Durant les vingt ans de son séjour à
Amadiyya, il recueille les éléments de sa Grammatica e
Vocabolario della lingua kurda, qui paraît à Rome en 1787.
Premier de son genre , l'ouvrage reste une source importan te
d'information sur la langue kurde jusqu'à la fin du 1ge siècle.
Un siècle plus tard , c'est un missionnaire évangéliste américain ,
qui réd ige une grammaire. L' auteur, Samuel A. Rhea, a passé
quatorze ans (1851-1865) parmi les Kurdes de la région

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d'Hakkari. Enfin, c'est un prêtre chaldéen, originaire de la
région de Mossoul qui consacre sa Grammaire kurde à la
variété de Zakho en Irak et de Djerizah en Syrie et en Turquie
(1926). L'auteur, l'abbé Paul Beidar, a été le premier à
identifier le genre masculin et féminin dans la variété qu'il
décrivait.
2.1.2. Les officiers
La présence de la Grande-Bretagne au Moyen-Orient, ses
projets de modelage des frontières et de construction des Etats
amènent des officiers br itanniques à entrer en contact avec le
kurde, notamment en Irak. Deux officiers sont à l'origine de
deux grammaires kurdes . Le Major E. B. Soane (1881-1923)
arrive en Perse en 1902. Sa connaissance du persan et du kurde
était si bonne qu'il a réussi à traverser la Mésopotamie et le
Kurdistan déguisé en musulman autochtone. Auteur de
nombreuses études sur les Kurdes, il a été le premier
britannique à publier deux livres de grammaire kurde . Quelque;
années plus tard, R. F. Jardine, officier et conseiller politique en
service au Kurdistan , a publié Bahdinan kurmandji, une
grammaire de kurmanji des Kurdes de la division de Mossoul et
des communes environnantes du Kurdistan (Bagdad, 1922).
2.1.3. Les militants kurdes
Les deux premiers groupes d'auteurs montrent que le point
de vue externe domine les première s descriptions gramma-
ticales. L'engagement de nombreux chercheurs, écrivain s.
politiques, militants kurdes dans ce processus traduit une prise
en charge collective des descriptions grammaticales. Cet
investissement se réalise après la division des territoires kurdes
entre l'Irak, l'Iran, la Syrie et la Turquie au lendemain de la
Première Guerre Mondiale . Dans ce contexte, les idées d'Etat-
nation, diffusées par la Révolution française , exercent toute leur
influence sur les intellectuels et politiques kurdes qui trouvent
dans les recherches sur la langue un moyen de défendre leur
identité et leur culture.
Le pionnier kurde des recherches sur la langue est sans doute
Djeladet Ali Bédir Khan (1893 - 1951), à l'origine de la
première grammaire rédigée en kurde. Originaire de Djerizah
Botan dans le Kurdistan turc, Djeladet Bédir Khan était

178
écrivain, linguiste, j ournaliste et activiste politique. Après une
maîtrise de droit à l'université d'Istanbul, il poursuivit des
études à Munich. Il parlait plusieurs langues telles que l'arabe,
le turc, le russe, l'allemand et le français. Dj. Bédir Khan quitte
la Turquie pour l'Egypte quand les Kémalistes déclarent la
république turque en 1923. De là, il s'installe en Syrie, sous
mandat français, où il va mener une réforme de l' alphabet kurde
(Akin, 2006). Parallèlement, il publie dans la revue Hawar
(Appel), les bases de la grammaire du kurmanji. Dans ses
recherches, il est assisté par les de jeunes officiers français
Pierre Rondot et Roger Lescot. En 1970, R. Lescot publie une
version revue et augmentée de la grammaire de Djeladel Bédir
Khan. L'ouvrage, qui est publié en français, sert aujourd'hui de
grammaire de référence au dialecte kurmanj i.
Alors que la première grammaire est ainsi rédigée en dehors
des territoires kurdes, en exil, l'ouverture démocratique en
Turquie dans les années 1960 se répercute favorablement sur les
recherches. C'est à Kemal Badilli qu'on doit la première
grammaire du kurmanj i publiée en Turquie. Kurde originaire de
la région d'Urfa, juriste de formation, il fut élu à l'Assemblée
nationale de Turquie en 1961. Son statut de député l'a sans
doute protégé des poursuites j udiciaires qu'aurait pu entraîner la
publication de sa grammaire en 1965.
Le mouvement engagé se poursuit dans les années suivantes,
avec la publication d'une grammaire en 1978 par K.K. Kurdo à
Moscou' . Originaire du Kurdistan turc et auteur de dictionnaires
kurde-russe, K.K. Kurdo (1909-1985) la famille de Kurdo se
réfugie en Arménie pendant la Première Guerre Mondiale.
Après une thèse de doctorat soutenue en 1941 sur la
construction des locutions verbales en kurde, Kurdo occupe un
poste de professeur de langue et littérature kurdes à l'u niversité
de Leningrad. Ses recherches sur la langue et la littérature
kurdes contribuent à la formation de nombreux kurdologues et
font de l'URSS le centre mondial d' études kurdes jusqu'aux
années 1990.

1. La même grammaire fut traduite en kunnanji et publiée en 198 1 à


Frankfu rt.

179
Dans les années 1990, deux grammaires sont publiées par
des réfugiés politiques vivant en Europe. Il s'agit de M. Ciwan
et de S. Biçuk qui publient respectivement leur grammaire en
1992 en Suède et 1997 en Allemagne. Après des études de droit
en Turquie, M. Ciwan s'exile en Suède à la suite du coup d'état
militaire de 1980 en Turquie. Responsable d' un parti de
résistance kurde, il est aujourd'hui engagé dans la défense et la
promotion de la langue à travers son site d'informations
Netkurd. De la même façon, S. Biçuk, après des études de droit
à Damas en 1987, se réfugie en Allemagne où il vit depuis.
Enfin, S. Tan publie sa grammaire en 2000 en Turquie.

2.2. Les langues de rèdaction


Comme nous avons pu le constater, les cinq premières
grammaires ont été publiées par des étrangers, les six
grammaires suivantes par des Kurdes et un Français, dont
l'i nvestissement massif traduit le transfert de la lutte pour les
droits culturels au domaine linguistique. Les nombreuses
langues utilisées dans la rédaction des grammaires permettent
de repérer le public visé. Les grammaires sont généralement
rédigées dans la langue maternelle des auteurs. C'est ainsi pour
les missionnaires Garzoni, Rhea, Beidar et les officiers Soane et
Jardine. Pour les Kurdes, deux cas de figure se présentent.
Certains auteurs (Bédir Khan, Biçuk, Tan) rédigent en
kurmanji, dans leur langue maternelle, d'autres (Badilli, Kurdo,
Ciwan) rédigent dans une autre langue que leur langue
maternelle. Il s'agit généralement de la langue dans laquelle ils
ont été scolarisés. C' est le cas de Badilli et de Ciwan, qui ont
rédigé leur grammaire en langue turque. Alors que Kurdo,
scolarisé en russe, publie sa grammaire dans cette langue.
Tandis que les langues étrangères de rédaction, telles que
l'anglais, le français, l' italien ou le turc, disposaient déjà d' une
longue tradition et d' une terminologie grammaticales, tel n'é tait
pas le cas pour les grammaires rédigées en kurmanji, qui ont
nécessité l'élaboration d'un discours grammatical et d'un
métalangage propre. Ceux-ci connaissent d'importantes
variations dues au contact de langues et aux considérations
sociolinguistiques que nous étudierons plus loin (cf: 4).

180
2.3. Le récepteur visé et les objectifs
Généralement, la langue de rédaction permet d'identifier le
public visé. Ainsi, les premières grammaires, celles des
missionnaires, sont destinées aux futurs missionnaires
catholiques et évangélistes. La présence des chrétien s au
Kurdistan attire en effet nombre de missionnaires. De la même
façon, les grammaires rédigées par des officiers semblent
destinées aux officiers britanniques, comme l'annonce E. B.
Soane dans la préface de sa grammaire : « This sketch of
elementary Kurmanji is intended primarily for the use of
officers and others whose duties lead them ta the sou/hem
districts ofKurdistan » (1919) .
La fonction utilitariste domine donc la confect ion des
premières grammaires censées permettre l'apprentissage de la
langue aux futurs missionnaires, chercheurs ou officiers . En
revanche, pour les grammaires rédigées en kurde, le public au
début est surtout constitué de Kurdes lettrés, intellectuels,
engagés sur le plan politique, qui font de la langue le principal
moyen de la lutte pour la reconnaissance de leurs droits.
L'absence d'un enseignement public de la langue jusqu'à ce
jour a privé les auteurs des grammaires de toute visée scolaire .
Il n'existe pas non plus, même à l'heure actuelle où des cours
privés sont autorisés en Turquie, un marché permettant aux
auteurs de tirer un' quelconque bénéfice de la vente de leurs
grammaires. De fait, la confection de ces grammaires semble
marquée par des finalités sociolinguistiques et sociopolitiques,
Sociolinguistique, car les auteurs tentent de fixer les règles de la
langue, mais aussi de démontrer les potentialités de la langue, à
expliquer les règles qui la gouvernent. Ainsi, les auteurs
contribuent-ils au passage à l'écrit d'une langue longtemps
confinée à l'oral. Les finalités sociopolitiques traduisent des
enjeux identitaires et de construction nationa le. On sait que la
grammaire est avec le lexique l'un des deux paramètres majeurs
qui permettent de distinguer et de classer les langues. Le seul
fait de normer une langue dans une grammaire permet de la
synthétiser, le seul fait d 'enregistrer les termes dans un
dictionnaire permet d'étendre et de diffuser le vocabulaire
dispon ible. Exhiber la grammaire de la langue sur support écrit,
c'est aussi lui donner une fixité et un fondement sémiotique.

181
L'élaboration des gramm aires d'une langue longtemps déniée
dans son existence même apporte la preuve de l'existence et de
la matérialité de la langue . En établissant l'existence d'une
langue, on établit du même coup l' ex istence d'une communauté
lingu istique. Autrement dit, le travail de description
grammaticale consiste à établir un fait sociopolitique : la nation
ou la communauté existe puisqu'elle a une langue. En cela, les
grammairiens kurdes peuvent être considérés comme des
artisans de la propagation du sentimen t d'appartenance à une
comm unauté nationale, tels que défin is par M. Hroch (200 1)
dans son schéma interprétatif du processus d'affirmation
nationa le.

2.4. Les sour ces


Les sources des gramrnamens sont essentiellement
const ituées des données orales, en tout cas pour les tou s
premiers d'entre eux cond uits à décrire une langue non-
documentée et méconnue. Les données étaient collectées à
partir d'observa tions directes de la langue dans des situations
d'usage, pendant des périodes pouvant s'étaler sur plusieurs
années. Ce cas de figure concerne les missionnaires et les
officiers, en séjour ou en mission au Kurdistan . Les grammaires
représentent la somme des connaissances linguistiques qu'ils
ont acqu ises et systématisées par la formulation des règles, le
repérage de la significati on des mots, le recours à la traduction .
La circulation et la diffusion de ces premières gram maires
conduisent les futurs grammairiens à les prendre en compte.
Ainsi, Biçuk, Ciwan et Tan expliquent, sans la moindre
discussion sur leurs sources et données linguistiques, que leur
grammaire de référence est celle de Bédir Khan, dont les règles
énoncées dans les années 1930 et reconduites dans la version
revue et augmentée de 1970 par R. Lescot, sont considérées
comme «immuables ». Locuteurs natifs' de la langue et lettrés,
ces grammairiens se sont d'abord servis de leur propre
connaissance de la langue pour confectionner leur ouvrage.
A la différence des autres grammairiens, Dj. Bédir Khan et
R. Lescot sont les seuls à discuter la méthode de collecte des
données. Ils précisent tout d'abord qu 'il s n'ont pas fait
référence aux travaux publi és sur la langue kurde par « des

182
étrangers ou par des lettrés du terroir » : « c'est qu'il eût fallu ,
presque à chaque pas, tenter de rectifier des transcriptions
douteuses, des graphies inexactes, des interprétations erronées
et surcharger en conséquence ce volume d'un appareil critique
pesant et sans profit » (p.VIII, 1970).
Ils exposent ensuite leur méthode, qui a « consisté à noter les
faits linguistiques tels qu'ils se présentaient dans les divers parlers
avec lesquels nous étions en contact (c'est-à-dire essentiellement
ceux du Kurdistan de Turquie .. dans une bien moindre mesure
ceux d'Irak et très peu ceux d'Iran), à relever les usages les plus
répandus pour en dégager enfin les règles d'ensemble, tout en
signalant dans la mesure du possible les singularités ou les
exceptions dialectales les plus marquantes [. ..] Combien de fois,
au cours de nos enquêtes, avons-nous Vu des paysans ou des
nomades illettrés sursauter devant les tournures fautives que nous
leur proposions intentionnellement, ou encore au cours des
longues veillées, discuter avec passion les problèmes de langage
soumis à leur académie ? » (id.). Si la méthode utilisée -
l'observation des usages et collecte des données - est sans doute
celle qui est la plus proche des techniques contemporaines, elle
s'est pour autant focalisée sur la variété de la région de Djazirah-
Botan, posant la question de la représentativité des données et de
l'hétérogénéité linguistique (cf : 3).

2.5. L'organisation formelle des grammaires


Mise à part la description de la langue elle-même, les
grammaires comprennent aussi une préface (Beidar, Biçuk,
Kurdo, Tan), une introduction (Ciwan, Garzoni, Jardine, Lescot
& Bédir Khan), les références bibliographiques et les sources
utilisées (Biçuk, Ciwan), un vocabulaire (Garzoni, Rhea,
Jardine, Soane, Beidar), un index (Lescot & Bédir Khan). Les
préfaces et les introductions servent généralement à situer le
cadre de l'entreprise, présentent un exposé sur la langue kurde,
les dialectes ou variétés étudiés, les régions de ces variétés. Le
vocabulaire est surtout présent dans les premières grammaires,
occupant une place parfois plus importante que la grammaire
elle-même. Celui-ci consiste à une liste bilingue de mots dans
lequel les mots kurdes sont traduits dans les langues de
rédaction des grammaires. La fonction utilitariste de ces

183
grammaires et la rareté des dictionnaires à cette époque là
expliquent le recours systématique à doter les grammaires d'un
lexique. D'ailleurs, certaines grammaires l'annoncent
explicitement dans leur titre (Garzoni et Rhea). La présence du
vocabulaire au côté de la grammaire est sans doute motivée par
le besoin de fournir les éléments de base d'i nitiation à la langue
et d'acquisition de compétences de communication. Garzoni
consacre au vocabulaire 213 sur les 288 pages de sa grammaire,
Rhea fait de même en accordant au vocabulaire 95 pages sur les
155 pages de son ouvrage. Même si l'auteur ne l'affi che pas
dans le titre de son ouvrage, la présentation du vocabulaire dans
la grammaire de Soane occupe aussi une place importante (124
sur les 210 pages de l'ouvrage) . Signe du début de la
spécialisation, la part dédiée au lexique diminue dans les
grammaires suivantes pour disparaître ensuite. Jardine ne
consacre que 50 pages au vocabulaire, Beidar ne retient que 16
pages pour le vocabulaire. A partir de 1934, date de la rédaction
en kurde de la première grammaire, le vocabulaire disparaît
totalement. Cette disparition s'opère parallèlement à
l' accélération de diffusion et sans doute de circulation de
glossaires et de dictionnaires ' . Ainsi, les grammaires de Badilli.
de Bédir Khan & Lescot et les suivantes ne contiennent aucun
lexique ou vocabulaire.

2.6 Les sous-disciplines


Un examen rapide des contenus des grammaires fait
apparaître un socle commun hérité de la tradition gréco-latine et
de ses catégories . Une partie portant des intitulés divers comme
alphabet, phonétique, système phonétique, prononciation.

I.Quelques uns de ces dictionnaires et glossaires, classés par ordre


chronologique :
Chodzko A.. 1857, Etudes philologiqu es sur la langue kurde (Dialecte de
Soléimani é), Imprimerie nat iona le, Paris, 66 p.
Jaba A.. 1860, Notices et récits kurdes. Académie impériale, St. Petersburg.
258 p.
Justi F. 1877. Les noms d 'animauxenkurde. Imprimerie nationale, Paris, 34 p.
Jaba A 1879, Dictionnaire Kurde-Françai s, Académie Impériale des
Sciences de Russie. Saint-P étersbourg, 463.
Hratchia A.. 1909, Recueil de mots kurdes en dialec te de Novo-Bayazet.
Société linguistique. Paris, 38 p

184
orthographe, traite les sons du kunnanji, leur valeur et leur
notation graphique dans la langue étudiée. Une deuxième partie,
consacrée à la morphologie grammaticale, étudie les parties du
discours telles que le nom (genre, déclinaison), le pronom
(presonnel, démonstratifs), l'adjectif, l'adverbe, les
prépositions, les conjonctions, les interjections, le verbe (verbes
réguliers / irréguliers, transitifs 1 intransitifs, temps verbaux,
conjugaisons). Les deux premières parties sont présentes
systématiquement dans toutes les grammaires, avec des
analyses succinctes ou approfondies. Au fur et à mesure du
développement des grammaires et de leur circulation, le champ
d' analyse grammaticale s'élargit et porte sur les questions de
syntaxe, de la morphologie lexicale. Ainsi, absente des
grammaires de Garzoni, de Kurdo et Bédir Khan, la syntaxe est
sommairement traitée dans les grammaires de Badilli , Biçuk,
Jardine, Soane, Tan . Ce sont les grammaires de Ciwan et de
BOOir Khan & Lescot qui proposent une analyse approfondie de
la syntaxe de la phrase. En revanche, la sémantique, la
pragmatique et l'énonciation n'apparaissent dans aucune des
grammaires.

3. La prise en compte de l'hétérogénéité linguistique


Comme nous l'avons dit plus haut, les dialectes et leurs
innombrables parlers locaux rendent l'hétérogénéité constitutive
du kurde . Comment cette hétérogénéité est-elle traitée et prise
en compte? Deux cas de figures se présentent, qui traduisent la
finalité normative ou pas des grammairiens. Ainsi, la plupart
des descriptions exogènes mentionnent le lieu ou la région dont
le parler est décrit, ce qui n'est pas le cas des descriptions
endogènes.
Garzoni nomme le parler décrit comme étant celui de la
région de Bahdinan (Irak) et de Colemerg (Turquie). [1 en va de
même pour Rhea, dont la grammaire porte sur le parler de
Hakkari (Colemerg, en kurde). Soane et Jardine précisent aussi
les parlers décrits (Suleymaniye et Mosul). Pour l'abbé Beidar,
c'est le parler de Zakho-Djazirah qui est l'objet de sa
grammaire. La nomination des localités ou des régions dont le
parler est décrit n'est pas surprenante, puisque les auteurs font

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refléter les expériences de leur lieu de mission ou de séjour. Par
ailleurs, il ne s'agit pas de démarches normatives, qui plus est,
ces gra mmaires sont rédigées par des auteurs étra ngers qui
n'ont pas une telle vocat ion. Pour cette raison, les aute urs
posent expl icitement l' hétérogénéité et la variation, sans qu 'ils
se prononcent pour des formes correctes.
En revanche, bien que les grammai riens kurdes pointent la
variation dialectale, et même la variation ent re les parlers du
même dialecte, ils réfutent l'i dée que leur grammaire soit le
reflet exc lusif de te l ou tel parler, de telle ou telle région : « [cet
ouvrage] se propose en effet, suivant en cela l'idée directrice
qui guida l'Émir Bédir Khan, de constater et de fixer le bon
usage du kurmanc î, en dehors de tout cloisonnement
régionaliste comme aussi de toute innovation « savante >J. Nous
nous sommes attachés, en quelque sorte, à fa ire ressortir une
unité fondamentale plutôt qu'à souligner les particularismes
locaux ». (1970 , p.Vll). La volonté de faire émerger un standard
dom ine tous les grammairiens kurdes , ce qui s' inscrit dans la
démarche de doter la « nat ion kurde » d'une « langue commune,
standardisée ».
Cepe ndant, les règles comme les exe mples donnés trahissen t
les grammairiens, en dévoilant leur origine et leur parle r. C' est
le parler de la région de Djazirah - Botan qu i sert de base à
toutes les grammaires. C'est la rég ion d'origine des frères Bédir
Khan , activement engagés dans la r éforme de la langue au début
du 20' siècle. Après avo ir adapté les caractères latins à la
codi fication des sons du kunnanj i dans les années 1930, Dj.
Bédir Khan publia sa première grammaire en 1934, que les
suivantes ont retenue comme référence. Or, le parle r de la
régio n de Djarizah -Botan révè le des particu larités qui, pour
diverses raisons, ne se trouvent pas dans les autres parlers. Deux
exemples permettent de les illustrer. Le parler en question est
connu pour son application stricte des règles des constructions
ergatives. Ces constructions connaissent des évolutions
importantes à l' heure act uelle et dans le contexte du contact de
langues, allant de l' ergativité parti elle (split ergativity) à
l' absence totale de l'ergativité (Dorleij n, 1997). Aucune des
gram ma ires ne fait état de ces évo lutions et toutes se limitent
d' exp liquer les constructions ergat ives avec les exe mples de

186
phrase qui en appliquent les règles. Un autre exemple concerne
la distinction du genre grammatical (masculin et féminin), bien
présent dans le parler de Djazirah-Botan et de celui d'autres
régions. Cependant, certains parlers (Xerzan, Semsûr) montrent
une tendance vers la neutralisation du genre grammatical au
profit du masculin, sous l'effet des facteurs phonologiques que
nous avons analysés (Akin, 2002). Ces évolutions, comme
d'autres changements en cours, sont passées sous silence chez
les grammairiens kurdes.

4. Le contact de langues et les modèles de description


Les effets du contact de langues sur les modèles de
description sont observables à plusieurs niveaux. Nous nous
limiterons ici nos analyses aux effets exercés par le turc. Le
premier niveau est celui de l'orthographe utilisée pour transcrire
les données du kurmanji. La grammaire de Badilli utilise une
orthographe proche de celle adoptée en 1928 pour le turc. La
voyelle brève, notée IiI dans l'alphabet latin adapté aux
sonorités du kurmanji dans les années 1930 se transforme en Ill,
comme cela s'écrit en turc. De la même façon, la voyelle longue
fîl est notée IiI, comme en turc. Le deuxième niveau est celui du
métalangage grammatical. Les grammaires de Badilli et de
Ciwan, rédigées en turc, utilisent aussi le métalangage de la
grammaire de cette langue. Une simple comparaison de la table
des matières de deux grammaires avec celles du turc permet de
montrer d'importantes similarités dans la répartition des
chapitres selon les parties du discours et la mise en mots de ces
parties du discours. L'éducation et la scolarisation en langue
turque de ces auteurs expliquent sans doute l'adoption de la
grammaire du turc comme modèle de description du kurmanji.
Les effets se répercutent aussi dans la description des catégories
grammaticales. Ainsi, les constructions médiatives, bien
étudiées en turc, font l'objet d'une description dans la
grammaire de Ciwan, alors qu'elles n'apparaissent dans aucune
autre grammaire. La description des cas et de la déclinaison
dans les grammaires de Badilli et de Ciwan traduisent le même
rapprochement . du modèle turc : Bédir Khan et Lescot
n'étudient que 3 cas, tandis que Badilli et Ciwan en décrivent 9.

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5. Pour ne pas conclure
Ob servatoire de s pratiques de descr iption d'une lang ue
minorée, les grammaires du kunnanji peuvent être interprétées
selon le concept de colinguisme et d'institution de la langue de
R. Balibar. Ce concept est d 'autant plus perti nent dan s le cas du
kurde, qu 'il s'agit d'une langue dépourvue de s supp ort s
inst itutio nnels, privée des ' moyens pol itiques et socio-
économiques perm ettant son développement. Les grammaires
étudiées ont j oué un rôle prép ondérant dans le passage à l' écrit
du kunnanji, la propagation de la littératie, dans son
apprentissage et son enseignement. Grâce à ces descriptions, le
kunnanji peut aujourd'hui se prévaloir d'un code écrit et d'un
lex ique qu i ont donn é naissance à un important corpus écrit,
co nstitué d'œuvres littéraires, de journaux, de magazines, sans
compter les innombrables sites internet et forums de discussion
auxq ue ls le kunnanji sert de support. Nous sommes en pré sence
d'une institution de la langue, certes exclue des sphères de
l'enseignement public, du marché, mais doté e de moyens
lingu istiques et tech nologiques opérationn els .
Le problème qui se pose à l'heure actuelle concerne la
confection d'une grammaire tenant compte de la s ituation
actuelle de la langue, des évolutions et transformations qu 'elle a
sub ies. Nécessité d' autant plus cruciale que , ma lgré les
obstacles dressés par l'administration, les cen tres
d'enseignement privé du kurmanji se développent en T urquie. Il
y a fort à parier que , dan s un proche aven ir et le processus
d'adhésion à l'U E aidant, ce pays sera amené à mettre en place
un enseignement public du kurde dans ses établissements
scolaires et que la question d'une grammaire de référence sera
posée.
Bibliographie

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