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ISBN 978-2-10-057904-4
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À Anne, mon exemple agile, mon amour.
« Rien ici-bas, n’est plus souple, moins résistant que l’eau, pourtant il
n’est rien qui vienne mieux à bout du dur et du fort. »
Lao-Tzu, 570-490 av. J.-C., Chine
REMERCIEMENTS
L’agilité est entrée dans mon quotidien professionnel pas à pas. Au cours
de mes différentes expériences de manager chez Kraft et Mars s’est
insinuée progressivement en moi la conviction que le management par les
tableaux de bord et les budgets aidait assez peu ma réflexion, ne fédérait
mes équipes que de manière temporaire, consommait une part significative
de leur temps dans des conflits non créateurs de valeurs, et in fine ne
m’immunisait pas contre les coups de poker de la concurrence et les
retournements de conjoncture.
Si cet ultime objectif – protéger le P&L – n’était pas assuré de manière
certaine, à quoi bon continuer à leur donner le rôle central ? Quelle
évolution pouvais-je donner à mon mode de management, comment alléger
le poids des schémas prédéfinis pour générer de la valeur, sans mettre le
navire en péril ? Bref passer du schéma de création de valeur ajoutée à celui
de partage de la valeur créée.
J’ai donc commencé à piloter mes projets et mes équipes intuitivement en
mode agile. En les incitant à contourner les obstacles plutôt qu’à les
décortiquer, en les poussant à exprimer leur créativité, à regarder devant
plutôt que dans le rétroviseur, j’ai vu les énergies se fédérer. J’ai senti
l’agilité se diffuser dans l’entreprise, comme le soleil de Provence
réchauffe, clarifie les idées et donne de l’énergie pour entreprendre. J’ai
appelé ça l’effet « Soleil Powered Company ».
Après mon arrivée chez Adrexo, ma rencontre avec Jérôme Barrand a
marqué un virage supplémentaire : Jérôme a travaillé avec des dizaines de
managers soucieux comme moi de pérenniser le système de pensée agile
autour d’eux dans l’entreprise. Il a fait face de nombreuses fois au défi qui
consiste à étendre la pensée agile au-delà du comité de direction, à
l’insuffler à toute l’entreprise, pour qu’elle y vive durablement, irriguant le
cœur, les poumons, les bras et les jambes… Il promeut une démarche de
construction collective du sens, qui amène l’entreprise à combiner
efficience organisationnelle, et sens au travail : l‘effisens.
Adrexo a suivi collectivement cette voie et décidé de développer
l’ensemble de ses activités en cohérence avec sa mission : la création de
liens locaux. Ce sens est travaillé par tous de la manière suivante : le socle
de notre mode de management est l’énergie positive, mise au centre de
notre quotidien. Adrexo vit aujourd’hui au rythme de la « Violette
attitude » : toutes nos réunions de management commencent par un tour de
table permettant à chacun de partager les bonnes nouvelles de la semaine
passée. Les équipes abordent ensuite chargées d’énergie positive les
dossiers du jour.
Elles sont alors en capacité de travailler selon trois principes agiles
fondamentaux : anticipaxion, coopéraxion, imaginaxion (nous nous sommes
appropriés les concepts de l’agilité mais les avons renommés pour les
adapter à notre culture). Positive et agile, l’entreprise renforce au quotidien
son équilibre, sa coordination, les réflexes de chacun de ses membres, dans
toutes les fonctions, stratégie, marketing, vente, ressources humaines,
finance. L’entreprise agile subit moins son environnement, elle s’adapte en
permanence pour donner le meilleur d’elle-même, et donner à chacun la
meilleure satisfaction individuelle au travail. Les résultats sont au rendez-
vous et le sentiment d’appartenance démultiplié.
L’ouvrage de Jérôme Barrand donne des principes, critères et méthodes
pour évaluer en termes d’agilité, la stratégie, les pratiques
comportementales et managériales en cours dans l’entreprise. De nombreux
exemples concrets confèrent un aspect très opérationnel à l’ouvrage, qui
intéressera les dirigeants d’entreprise, les chefs de projet et les responsables
d’équipe, soucieux d’aborder leur approche managériale avec agilité.
Mes plus belles réussites ont pris vie grâce au triptyque anticipaxion,
coopéraxion, imaginaxion. Managers et entrepreneurs en quête d’agilité : je
vous dédie ces lignes, convaincu que l’ouvrage de Jérôme Barrand vous
aidera à définir votre propre jeu de valeurs agiles et vous guidera vers une
performance durable.
Frédéric Pons
Président-Directeur général
Adrexo
AVANT-PROPOS
[1]
Encore l’idée de liaison, médiation !
[2]
L’éthique comme art de diriger sa conduite.
INTRODUCTION
Chaque jour, nous rencontrons des dirigeants qui nous livrent leurs
perceptions préoccupantes d’un monde qu’ils jugent de plus en plus
imprévisible et dangereux.
Ils évoquent la succession de ruptures, de crises, de paniques… lesquelles
ont peu à peu sapé les grands principes (religieux, philosophiques,
scientifiques, politiques, économiques…) qui façonnaient la société et
régulaient les comportements tant dans l’entreprise que sur les marchés.
On peut raccourcir leur pensée, et la nôtre, en exprimant que nous vivons
la fin de comportements stéréotypés, et, avec cette disparition, ce sont les
rapports fondamentaux que l’Homme entretient avec le temps, avec
l’espace, avec la collectivité (les autres) et avec soi-même qui semblent
faire l’objet de perceptions non seulement profondément renouvelées mais
également beaucoup plus personnelles.
Ainsi une nouvelle société est-elle en train de naître, dont les prémisses se
font sentir à travers les mouvements altermondialistes par exemple, mais
dont la difficulté d’émergence réside principalement dans la résistance
même des anciens systèmes établis.
L’éventail des possibles s’ouvre aujourd’hui largement en générant une
nouvelle complexité que renforce l’impression d’un environnement
incertain. Cette complexité affecte nos modes de pouvoir ; elle est donc
anxiogène. Michel Foucault ne disait-il pas que « le pire des désordres est
celui qui fait scintiller les fragments d’un grand nombre d’ordres possibles
dans la dimension, sans loi ni géométrie, de l’hétéroclite[2] ». De fait, le
pouvoir, dans une organisation, est généralement conservateur : il limite les
changements car l’exercice du pouvoir est plus aisé dans une configuration
connue. S’il est instigateur de changement (cela arrive, mais c’est beaucoup
plus rare), c’est au prix d’un risque élevé d’en perdre la maîtrise, le contrôle
voire le bénéfice que l’on peut en tirer en cas de réussite – sauf si un sens
profond est exprimé et partagé. Les principaux projets qui échouent
trouvent les causes de leur échec dans la difficulté du manager à naviguer à
mi-chemin de ces deux logiques de stimulation et de frein du changement.
Nous comptons cependant parmi ceux qui réfléchissent aux systèmes,
sans doute déformés que nous sommes par notre formation de
prospectiviste à l’école du CNAM et de Futuribles[3], et qui pensent qu’il est
temps d’abandonner la consolation des utopies pour affronter l’inéluctable
complexité née de la profonde transformation de nos sociétés.
[1]
Je tiens à remercier ici J. Fleurat pour sa vision claire et ses références riches, qui m’ont permis
de développer ces idées.
[2]
M. Foucault, Les mots et les choses, Archéologie des Sciences Humaines, Gallimard, 1966.
[3]
Nous tenons ici à rendre hommage aux hommes qui nous ont professionnellement « tout »
appris, dans le désordre M. Godet, R. Barré, R. Saint-Paul, H. de Jouvenel en particulier.
[4]
L’individualisme est la tendance à s’affirmer indépendamment des autres tandis que
l’individualité est ce qui constitue l’individu, ce qui lui est propre et qui lui permet de se
distinguer des autres sans forcément vivre indépendamment d’eux.
[5]
Il faut se référer au macroscope écrit par J. de Rosnay (Le Macroscope, Vers une vision globale,
Le Seuil, 1975) pour appréhender de manière détaillé ce qui suit.
[6]
Les ouvrages clés de ces deux auteurs sont sans doute respectivement Théorie générale des
systèmes, Bordas, 1973 et La théorie du système général, PUF, 1978.
[7]
Il s’agit bien sûr de la méthode « Strengths, Weaknesses, Opportunities, Threats » développée
par Learned, Christensen, Andrews et Guth dans Business Policy, text and cases, R.D. Irwin,
1965.
[8]
Nous trouvons d’ailleurs dommage qu’une logique guerrière se soit ainsi imposée dans nos
organisations humaines en lieu et place d’une logique humaniste. Le besoin de dominer ne nous
semble en tout cas plus d’actualité pour le devenir de notre monde.
[9]
R. Vernon, « International investment and international trade in the product cycle », Quaterly
Journal of Economics, 1966.
[10]
H. Fayol, L’administration industrielle et générale, Dunod, 1918.
[11]
Voir F. Carrance, « Splendeurs et misères des matrices stratégiques », Annales des Mines, mars
1988.
[12]
Il est apparu que le régulateur keynésien du chômage par l’inflation et vice versa ne
fonctionnait plus.
[13]
Pour une compréhension plus globale, lire Y. Carsadale, Les grandes étapes de l’histoire
économique, Ellipses-Les cours de l’École Polytechnique, Paris, 1998.
[14]
P. Artus et D. Cohen, « Partage de la valeur ajoutée », Rapports du conseil d’analyse
économique n°2, La documentation Française, Paris, 1998.
[15]
Pour plus de détails, lire Y. Pesquieux, Le gouvernement de l’entreprise comme idéologie,
Ellipses, Spécialité Groupe HEC, Paris, 2000.
[16]
Pour plus de détails, lire aussi B. Coriat et O. Weinstein, Les nouvelles théories de l’entreprise,
Le Livre de Poche, Paris, 1995.
[17]
Source : constructeurs français et revues automobiles.
[18]
Entretien mené par S. Delanglade en avril 2001 dans un numéro spécial du Nouvel
Économiste.
[19]
Nos remerciements vont ici à D. Coille-Lejeune dont le travail de thèse professionnelle sur
l’émergence de la société de l’information nous a été très utile. Ils vont aussi à V. Blum et B.
Seys avec qui nous avons approfondi ces descriptions.
[20]
Arpanet, ancêtre d’Internet, est le premier réseau informatique. Apparu aux États-Unis, il est
d’abord utilisé par l’armée américaine et les grandes universités scientifiques.
[21]
Le premier microprocesseur est en fait conçu en 1969 par des ingénieurs de l’US Navy, mais la
commercialisation de cette innovation débute en 1971 avec l’Intel 4004.
[22]
Protocole de communication réseau basé sur l’identification par l’IP (Identity Protocole) de
chaque poste connecté.
[23]
J.H. Lorenzi et E. Le Boucher, Mémoires volées, satellites, micro-ordinateurs, robots,
télématique, séries TV U.S., réseaux, vidéo, banques de données… et demain la France ?,
Éditions Ramsay – Visages de l’an 2000, 1979.
[24]
Selon 01 Informatique, supplément au n°1787, du 22/10/2004, les entreprises consacrent en
moyenne 4,4% de leur CA à l’informatique.
[25]
P. Rifkin, La fin du travail, La Découverte, 1997.
[26]
Il s’agit là d’une révolution proprement « politique », et pas seulement économique !
[27]
Les villes se dotent aujourd’hui de « bureaux du temps » pour gérer la multiplicité des « temps
sociaux » !
2
ADOPTER UNE POSTURE
MANAGÉRIALE D’AGILITÉ
1. Au lieu de travailler avec les autres dans le seul souci taylorien (just
in time) de simple coordination matérielle et temporelle, travaillons
dans le but de satisfaire au mieux l’ensemble des acteurs de notre
environnement. Cela signifie travailler pour les autres, qui nous le
rendent alors, et plus seulement avec eux. Cela signifie également
sortir des logiques guerrières (gagnant-perdant) et matérialiste
(gagnant-gagnant) pour entrer dans des logiques de satisfaction
réciproque (satisfait-satisfait) en acceptant que chacun ait ses propres
critères accepter que ceux-ci puissent changer en permanence.
L’écoute active devient alors la première qualité à développer en
entreprise, associée à la sincérité !
une culture client, pour que chacun dans l’entreprise prenne conscience qu’il travaille
non pas pour lui mais pour un tiers à satisfaire.
À l’intérieur l’entreprise :
réduit la complexité, pour que chacun soit placé dans un système compréhensible et
moins générateur de stress ;
stimule la culture du changement, pour que le changement soit une seconde nature et
non un lieu de combats.
etc.
Exemple
Il existe par exemple une entreprise à Voiron qui réalise des objets
métalliques mécaniques qui doivent s’insérer dans des mécanismes
complexes. Son dirigeant se fait fort non pas de réaliser exactement les
plans qui lui sont demandés par devis. Au contraire, il demande à
comprendre de quelle manière l’objet qu’il réalise va s’insérer dans un
ensemble. Puis, fort de sa compétence technique et de sa connaissance
de son équipement, il redessine l’objet et fait valider son objet par le
client. Cette manière de faire lui permet assez systématiquement de
réduire le coût de sa prestation de l’ordre de 20 % par rapport à la
demande du client, et encore garde-t-il ainsi une marge plus
confortable. Son client est doublement satisfait, donc fidélisé, et cette
entreprise peut désormais vivre avec un service commercial quasi
absent !
Développer une culture client très forte, tant en interne tout au long
des processus de l’entreprise, qu’en externe vis-à-vis de son client et
aussi de l’utilisateur final du produit. Ainsi, le client devient-il de plus
en plus un acteur producteur partiel de ce qu’il consomme :
a minima, il se doit de commenter son acquisition (il est fournisseur d’informations
sur sa satisfaction et son mode de consommation auprès de son fournisseur de produit
ou de service) ;
a maxima, il est impliqué dans la fabrication comme le client d’Ikea qui est le
fabriquant final de meubles en kit !
L’organisation agile
Le concept d’agilité s’est attaché à décrire un modèle d’organisation
maîtrisant ses coûts tout en permettant d’être flexible. Mais cette
organisation doit aussi être apte à accélérer son temps de réaction voire à
anticiper les changements de demain. Aussi ce nouveau concept d’agilité
trouve-t-il très vite sa place dans une acception très large de la notion
d’entreprise : celle de l’entreprise élargie ou entreprise en réseaux,
fonctionnant en synergie avec tous les acteurs de son environnement.
C’est bien le changement de rapport de l’entreprise à l’environnement qui
justifie ce besoin d’agilité :
la montée de la finitude pousse à produire durable et à rechercher la
pérennité long terme de son entreprise plutôt qu’un maximum de
rentabilité à court par la réduction des coûts ;
la montée de la complexité pousse les Hommes à s’organiser à
l’intérieur d’entités à échelle humaine pour réduire cette complexité et
à coopérer davantage entre ces petites unités opérationnelles ;
la montée de l’individualité plaide pour une reconnaissance de la
capacité de l’individu à penser et à agir, donc à avoir son libre arbitre
et ses exigences, qu’il soit placé dans une posture de consommateur
sur un marché ou de producteur dans une organisation ;
la montée de l’incertitude impose naturellement la nécessité
d’anticiper pour améliorer encore nos capacités de réaction. En effet,
nous postulons qu’anticiper les scénarios du futur permet de s’y
préparer et de réagir plus vite le moment venu ;
la montée de l’interdépendance, enfin, sous-tend le principe de
partage du pouvoir tant à l’intérieur d’une organisation qu’entre les
acteurs de l’économie d’un secteur par exemple.
L’entreprise agile doit proposer une solution globale, au prix d’une offre
standard mais avec un haut niveau de différenciation, incluant service et
information. Pour réussir ce pari, elle ne peut plus répondre seule. L’équipe
qui va répondre est une équipe mixte, plurifonctionnelle, interne et externe
à l’entreprise. L’entreprise peut ainsi répondre à la demande avec un
concurrent ou avec un fournisseur. L’alliance se fera au sein d’une équipe
projet ou d’une entreprise commune et sera régie par une convention
modifiable dès qu’un acteur de l’alliance en ressentira le besoin.
L’entreprise agile est donc constituée d’unités à taille humaine dotées
d’une culture d’agilité et orientées vers une finalité commune claire :
L’entreprise mondiale doit donc se décomposer en unités
opérationnelles très proches du client, reconfigurables en permanence
et donc dotées de processus d’adaptation organisationnelle très rapides.
Ces unités opérationnelles sont des capteurs sensibles de
l’environnement et sont capables de changements organisationnels
rapides grâce aux structures de back-office en soutien. Celles-ci les
libèrent des problèmes financiers, ont des systèmes informatiques très
performants, apportent des ressources, et réalisent un accompagnement
psychologique, juridique ou encore conceptuel. Elles mettent à leur
disposition des systèmes de partage, de capitalisation de l’information
et de décentralisation de la prise de décision.
La PME-PMI, quant à elle, adopte les mêmes principes de
reconfigurabilité organisationnelle. Elle colle au client, développe son
écoute de l’environnement et noue un grand nombre d’accords
(convention) avec un grand nombre d’acteurs autour d’elle pour l’aider
à répondre aux menaces qui l’entourent et pour co-développer sans
cesse de nouvelles solutions.
À l’évidence, les facteurs clés de succès de différenciation et de
performance de l’entreprise agile sont les Hommes. L’entreprise doit les
aider à cultiver une connaissance intime de leurs clients et de leur
environnement, tout comme elle doit les aider à développer leurs savoir-
faire et leurs capacités d’imagination ou d’initiative, ce qui va permettre la
reconfigurabilité permanente de l’entreprise.
Cette évolution se fera à tous les niveaux et dans toutes les dimensions de
l’entreprise : dans la prise de décision stratégique, dans le management,
dans le management de projets et dans toutes les fonctions en général, au
niveau de chaque équipe et de chaque individu, chaque spécialité et chacun
devant désormais s’ouvrir à une vision systémique de l’entreprise pour
atteindre un optimum collectif.
L’agilité est enfin une perpétuelle recherche d’équilibre entre une
dimension active (faire et prouver que l’on sait faire), une dimension
réactive (être opportuniste face aux changements observés pour fidéliser) et
une dimension proactive (recherche d’innovation). Il s’ensuit que l’agilité
ne saurait être un état stable et définitif, mais une propension, une
aptitude, un cadre général à maintenir et alimenter constamment.
Ainsi, l’entreprise agile pourra être plus adaptable et plus flexible et
évoluer beaucoup plus vite qu’hier. Si l’entreprise des années 60 était un
bloc unique, hiérarchique et centralisé, l’entreprise d’aujourd’hui est un
ensemble de petites unités appartenant ou non juridiquement à la même
société : ces différentes unités partagent des choses, des valeurs, des
processus, ce qui permet à chacune d’évoluer dans la même direction. Elles
sont très interconnectées entre elles et très rapidement. Cela signifie que si
l’une capte un changement de l’environnement, le signal est directement
renvoyé aux autres unités. Toutes peuvent changer de direction de manière
quasi instantanée. L’entreprise dispose pour se faire des outils
informatiques, pour la gestion interne et pour les relations avec les clients et
les autres acteurs de l’environnement. Cela permet essentiellement la
rapidité d’action qui constitue l’enjeu d’aujourd’hui.
Pour résumer, la mesure de « pro-efficience »[38] face au changement
d’une entreprise, source de son agilité, se fait en mesurant la propension des
Hommes, des produits, des processus et des pratiques de l’organisation à
s’adapter de façon réactive et proactive aux changements potentiels.
Exemple
Un dirigeant qui focalisait toute son énergie sur un outil industriel de
paquetage en paquets de douze de sa production a ignoré complètement
les réactions internes face à la suppression potentielle de postes, les
modifications induites sur le système de livraison, les réactions des
clients face à une obligation d’achat de packs plutôt que de pouvoir
faire des achats à l’unité… Cette incapacité à penser système ou à
réfuter la réalité parce qu’elle est trop complexe est un réflexe, certes
humain, mais fort dommageable. En l’occurrence, il a eu à gérer quasi
simultanément une baisse des ventes et une grève du personnel.
[1]
Voir le rapport intitulé 21st century Manufacturing Enterprise Strategy du Iacocca Institute de
la Lehigh University (Pensylvanie).
[2]
Entreprise « ouverte », entreprise « réseau »… ces notions rendent compte de nouvelles formes
organisationnelles particulières en rupture avec le modèle fermé de l’entreprise taylorienne.
[3]
Nous faisons entre autres référence ici aux travaux de N. Alter, Donner et prendre, La
Découverte, 2009.
[4]
Voir D. Gènelot, Manager dans la complexité, INSEP Éditions, 1992.
[5]
J.-L. Le Moigne, La modélisation des systèmes complexes, Dunod, 1990.
[6]
Nous retenons des différentes définitions de l’intelligence celle qui privilégie la capacité à faire
des liens !
[7]
Nous pensons ici principalement à la transformation non imposée par son environnement de
BSN en Danone.
[8]
Voir les travaux de M. Karsky et G. Donnadieu, La systémique, penser et agir dans la
complexité, Liaisons, 2002.
[9]
Ce que M. Weber désigne sous le terme de « légitimité charismatique » pour caractériser le rôle
« visionnaire » de ces personnalités et le fondement de leur influence, in Le savant et la politique,
Plon, 1959, p. 114.
[10]
Ce que M. Weber désigne par « organisation rationnelle légale » in Économie et société, Plon,
1971 (chapitre 6).
[11]
Voir P. Legendre, Jouir du pouvoir, Éditions de Minuit, 1976.
[12]
Voir N. Elias, La société des individus, Fayard, Paris 1971.
[13]
La norme ISO dont nous résumons ainsi la logique : « je dis ce que je fais et comment je le
fais, je fais ce que je dis, et je le prouve »... au risque de persévérer dans la médiocrité !
[14]
G.W. Bush Jr ou B. Gates par exemple !
[15]
Pour éclairer ce débat, posons deux définitions : est actif celui qui agit dans une organisation
stable selon des règles pré-établies ; est agissant celui qui pense et interagit dans un système en
évolution qu’il participe à transformer. Autrement dit : les individus actifs réalisent la pensée des
autres tandis que les êtres agissants agissent et pensent d’eux-mêmes.
[16]
La sociologie des conventions décrit ce processus par lequel s’établit l’accord légitime des
acteurs autour de compromis, voir L. Boltanski, Thévenot, De la justification, Gallimard, 1991.
[17]
C’est l’émergence d’un monde plus anthropo-centré que techno-centré.
[18]
Voir R. Sainsaulieu, Sociologie de l’Entreprise, Organisation, culture et développement,
Presses Universitaires de Sciences Po et Dalloz, 2e édition, 1997 (notamment Chapitre 1, « La
cohérence des modèles d’organisation » et 7, « Acteurs de changement »).
[19]
Voir le modèle BCG, qui réduit le cycle de vie au seul critère du taux de croissance du marché,
mais surtout les modèles ADL et Mc Kinsey.
[20]
En France, principalement depuis l’expérience Twingo suivie de l’ouvrage de C. Midler,
L’auto qui n’existait pas. Management des projets et transformation de l’entreprise,
InterÉditions, 1993 ; Dunod, 2004, pour la nouvelle présentation.
[21]
Pour plus de détails sur les alliances, lire D. Jolly, Alliances interentreprises, Vuibert, 2001.
[22]
Nous pensons aux deux « pères » de la prospective : G. Berger et B. de Jouvenel.
[23]
Voir par exemple De l’anticipation à l’action, M. Godet, Dunod, 1991.
[24]
Voir à ce sujet l’ouvrage de D. Ray, Mesurer et développer la satisfaction clients, Éditions
d’Organisation, 2001.
[25]
Volontairement nous choisissons deux termes : collaboration et coopération renvoient
cependant à une même culture de l’échange.
[26]
Lire cet excellent ouvrage, riche et passionnant, Histoire des futurs, B. Cazes, Seghers, 1986.
[27]
Michel godet a écrit de nombreux ouvrages de prospective. Le plus synthétique est sans doute
« de l’anticipation à l’action », Dunod, 1991.
[28]
S. Bellier et A. Benoist, L’Anticipation, Vuibert, 2003.
[29]
B. Cazes, op. ci.
[30]
M. Porter, Choix stratégiques et concurrence, Economica, 1980.
[31]
À l’origine duquel on trouve le fondateur du management moderne : H. Fayol.
[32]
Décrite en avant-propos.
[33]
M. Porter, L’avantage concurrentiel, InterÉditions, 1986.
[34]
En atteste le fabuleux développement technologique du Japon à partir du principe de « copie »,
ou, plus récemment l’éveil de la Chine…
[35]
Voir, à ce sujet, les nombreux exemples cités par P. Flichy, in L’innovation technique, La
Découverte, 1995.
[36]
Voir les principes des cercles de qualités et des boîtes à idées venus du Japon.
[37]
Nous pensons principalement à P. Lévy en anthropologie, L’intelligence collective, pour une
anthropologie du cyberspace, La Découverte, 1997, et à D. Ettighoffer, L’entreprise virtuelle,
Odile Jacob, 1998.
[38]
R. Dove, Response Ability, John Wiley and Sons Inc, 2001.
[39]
Nous pensons bien sûr au modèle Taylorien.
[40]
C.K. Prahalad et G. Hamel, « Strategic intent », Harvard Business Review, juin 1990.
[41]
G. Bedos, Arrêtez le monde, je veux descendre, Éditions du Cherche Midi, 1995.
3
L’AGILITÉ EN ACTION
L’entreprise agile
Appréhender l’entreprise élargie
L’agilité d’une entreprise dans un environnement turbulent est finalement
sa capacité à associer le temps de l’organisation et le temps de l’individu
pour effectuer un geste innovant. Ainsi, dans l’instant de l’action
l’entreprise doit simultanément :
fusionner le temps de l’expérience assimilée et celui du futur visé ;
combiner le temps des acteurs et objets de son environnement dans
la construction d’un sens (identité) adéquat à sa performance[1].
Une entreprise agile, c’est aussi une entreprise qui, face à un
environnement turbulent, dont elle sait le plus souvent capter à l’avance les
signaux faibles, est capable d’innover plus ou moins dans ses produits, ses
process ou son organisation avec le juste mouvement (au bon moment, à la
bonne vitesse, avec les justes moyens) et de manière coordonnée (avec
spontanéité en interne et de manière coopérative avec tout acteur externe
pertinent).
L’entreprise agile peut aussi être définie par opposition à l’entreprise des
années 60. À la place d’un système optimisé mais figé, l’entreprise agile
propose une organisation flexible, adaptable et anticipatrice. Plutôt que
d’asseoir une organisation aux multiples niveaux hiérarchiques, basée sur le
principe d’obéissance aux règles du niveau supérieur, l’entreprise agile
propose un mode de fonctionnement d’entités en réseau, mues par la
volonté de satisfaire ses clients. Mieux que l’ancienne entreprise qui
entretenait son système d’information dans le plus grand secret, l’entreprise
agile échange en permanence des informations avec une multitude d’acteurs
car le partage est sa valeur clé et la vitesse son facteur clé de succès. Les
systèmes d’information sont donc essentiels à la réussite de l’entreprise
agile.
Figure 3.1 Le modèle de l’entreprise élargie d’après Jean-Michel Yolin
1. L’anticipaction
Ce principe peut se résumer à la reconnaissance de la nécessité
d’anticiper les ruptures (subies et provoquées) pour augmenter la
rapidité de réaction et l’acceptation du changement. Ceci signifie
concrètement que l’anticipation des ruptures et la prévision des
capacités de l’entreprise sont reconnues comme vecteurs de
performance justifiant d’investir ou de continuer à investir dans des
outils systémiques d’anticipation, du type analyse structurelle,
méthodes de veille, participation à des réseaux… dont certains sont
vus en fin d’ouvrage.
L’entreprise agile sait donc prévoir (modèles mathématiques),
planifier (programmation de ses actions), envisager la contingence
(élaboration de scénarios) et, surtout, anticiper les conséquences de ses
décisions. En effet, dans le monde « fini » que nous avons décrit,
chaque acteur (au sens macro ou micro) se doit d’être responsable,
c’est-à-dire d’anticiper les conséquences de ses décisions et actions.
Plus encore, il ne cherche à déclencher que des conséquences positives
autour de lui. Le néologisme d’anticipaction est là pour insister sur
cette nouvelle dimension de l’anticipation.
2. La proopération
Ce principe impose de travailler avec d’autres acteurs afin de
minimiser son risque et de maximiser son potentiel. En effet, seuls
nous sommes faibles. La force vient de la complicité avec d’autres
acteurs, surtout s’ils sont différents car la mixité rend plus créatif. La
culture de l’entreprise doit donc être basée sur la recherche de la
meilleure compétence au meilleur moment, en interne ou en externe.
La coopération est ainsi un mode de fonctionnement culturel et
stratégique. Mais le mot coopération, venant du latin cum et operare
signifie « œuvrer avec ». Cela ne suffit plus dans notre monde qui
bascule dans des logiques relationnelles (marketing one to one ou
relationnel). Chacun cherche à se distinguer et à exister à sa manière
unique.
Or une relation entre deux acteurs implique non seulement le partage
d’un intérêt commun mais aussi une certaine forme de dévouement
l’un pour l’autre, désintéressé. C’est ce que nous appelons œuvrer pour
la satisfaction de l’autre, et réciproquement (parce qu’il ne faut pas
être naïf). Cette réciprocité de progrès l’un par rapport à l’autre sera un
gage de moindre stress, de plus grande rapidité d’action et de capacité
à répéter la performance. Ce sera aussi un gage, dans une relation
commerciale, de fidélité vraie car basée sur une sincérité de
fonctionnement et une réciprocité de relation, bref sur une relation
saine et équilibrée. Nous sommes ainsi passés d’une logique
relationnelle gagnant-perdant à une logique gagnant-gagnant – toutes
deux dans une approche matérialiste de la relation – à une logique
satisfait-satisfait, multicritère, où chaque acteur de la relation exprime
librement son besoin ou désir. Cela fonctionne particulièrement bien si
les acteurs concernés partagent un sens commun. Là encore le
néologisme « proopération » est nécessaire pour sortir du vocable
galvaudé de coopération. Proopérer devient travailler pour l’autre, et
réciproquement, ensemble pour un sens commun.
3. La justinnovation
Elle doit être une vocation et une culture dans l’entreprise dans
toutes les fonctions. La quête de toute l’entreprise est donc le
renouvellement incessant de la satisfaction des besoins présents et
futurs des clients. Pour ce faire, elle ne doit pas hésiter à transformer
son offre produit ou service, à adapter ses processus de
fonctionnement, à modifier son équipement et à faire muter en
permanence sa culture. L’innovation est sans nul doute le résultat de la
mise en place conjointe d’une culture d’anticipaction et de
proopération. Mais l’innovation en soi n’a aucun intérêt. L’innovation
doit être calculée au plus juste économiquement, apparaître juste au
bon moment, satisfaire le client juste comme il le veut et générer juste
la conséquence souhaitée.
4. La culture client
C’est la reconnaissance de la nécessité de travailler dans le souci
permanent de satisfaire l’autre, et en particulier le client final. Le client
est interne et externe. Il est interne tout au long des processus de
l’entreprise (culture de service) et il est externe, mais pas seulement en
pensant à celui à qui on vend quelque chose mais aussi en pensant à
tous les acteurs avec qui l’entreprise est en relation. Tous sont des
clients comme l’entreprise est leur client. Le mot client s’ouvre donc à
une connotation bien plus riche que sa simple acception marchande. La
culture de l’autre est donc ancrée dans l’entreprise. En particulier,
l’entreprise est amenée à travailler avec ses clients le plus en amont
possible, c’est-à-dire dans l’esprit le plus anticipatif possible. Ainsi,
dans notre esprit, il n’y a plus de relation client-fournisseur, qui
généralement débouche sur une relation gagnant-perdant, mais il doit
exister essentiellement des relations client-client, chacun apportant le
plus possible à la satisfaction de l’autre. Cela implique une empathie
particulière et une réciprocité d’attention dans la relation entre deux
acteurs agiles.
5. La culture du changement
Cela signifie que le changement n’est pas une contrainte mais plutôt
une opportunité de progrès. Il faut que cette manière d’aborder le
changement soit acceptée par tous sans crainte. Dans un monde où tout
bouge en permanence, est malheureux celui qui a peur de changer lui-
même. Il va vite devenir un frein au développement et finira par
disparaître du jeu économique. De même en est-il pour les acteurs
collectifs que sont les entreprises. Le changement étant devenu un
mode de fonctionnement il n’est plus utile de perdre de l’argent et de
l’énergie à le manager. Il suffit, par anticipation, de lui donner un sens
et les acteurs s’adapteront et s’ajusteront spontanément.
6. L’offre globale
Ce principe signifie que nous cherchons sans cesse l’opportunité de
multiplier les capacités de satisfaction du client par la multiplication
des composantes de l’offre. Nous devons cultiver dans nos entreprises
l’excellence de nos produits, de nos services, de notre image mais
aussi et surtout il faut que nous entretenions une relation privilégiée
avec nos clients, empreinte de respect réciproque et de partage. Pour ce
faire, le produit ne suffit plus. Le client, en effet, n’a plus des besoins
mais des exigences, et, pour y répondre, nous devons utiliser d’autres
ressources que nos ressources techniques qui aboutissent à un produit
physique. L’offre globale est donc multimensionnelle, objet, service
associé, service connexe, information, formation, relation… Elle est
d’ailleurs également rémunérée de manière globale, par de l’argent, de
l’image, de la prescription, des conseils et suggestions, de la relation…
Finalement nous ne vendons plus des objets contre de l’argent, nous
« troquons » des offres globales contre des offres globales.
7. La complexité à échelle humaine
Dernier principe que nous retenons pour qualifier une entreprise
agile, il répond au souci de placer ses Hommes et ses équipes dans une
situation et des entités suffisamment petites pour réduire leur niveau de
complexité. Le monde se complexifie, comme nous l’avons montré
plus haut, et nul ne peut plus appréhender cette complexité. Aussi, afin
de minimiser le stress qui tend à se généraliser et qui, selon nous, est
dû principalement à cette sensation de perte de la maîtrise de son
environnement, il faut faire en sorte de replacer chacun face à une
complexité « raisonnable ». Bien sûr, c’est dans cet item que l’on
retrouve l’idée d’organisation en banc de petits poissons qui nous est si
chère.
1. Le partage
Nous avons prôné la mise en place de pratiques coopératives. Celles-
ci ne peuvent fonctionner que si le partage et la confiance règnent à
tous les niveaux de l’organisation. Le partage, premier de nos critères
comportementaux d’agilité, c’est l’acceptation de la transparence de
l’information, de toute l’information. C’est admettre que l’information
n’est plus source de pouvoir individuel mais au contraire source de
performance collective. En effet, l’information est source de vitesse, de
cohésion et de performance uniquement si elle est spontanément
partagée au-delà des jeux de pouvoirs. C’est la source de ce qu’on
appelle de plus en plus souvent l’intelligence collective.
Chacun doit être capable de reconnaître une information clé pour le
devenir de son entreprise quand il la rencontre, ce qui implique de
connaître son organisation, les rôles respectifs de chacun et d’être
ouvert à son environnement (à l’écoute). Plus encore, chacun doit
savoir que faire de cette information clé. Ceci signifie que l’on doit
savoir à qui la diffuser, la question du quand étant sans importance car
on ne peut y répondre que de manière unique : immédiatement.
Chaque acteur de l’entreprise est donc à la fois un opérateur au sein
d’un processus orienté vers le client et un capteur – diffuseur
d’informations. Alors qu’hier chacun avait tendance à se replier sur les
tâches qu’il avait à exécuter sans souci de ce que faisaient ou savaient
les autres (à la limite en souhaitant l’erreur de l’autre !), aujourd’hui,
chacun doit alimenter spontanément le système d’informations
formelles et informelles, dans le souci de la réussite collective par le
développement de la connaissance.
En corrélation avec le partage, doit régner une confiance totale au
sein de l’organisation. Le partage ne peut avoir lieu que si la confiance
règne.
2. La confiance
C’est la certitude généralisée que l’on peut se fier à chacun dans
l’entreprise mais aussi hors de l’entreprise c’est-à-dire tous les acteurs
qui collaborent avec l’entreprise, du fournisseur au client final. La
confiance est une valeur absolue qui ne souffre aucune anicroche. Elle
implique un dialogue profond et continu entre les acteurs, c’est
pourquoi des organisations par processus sont alors privilégiées.
La confiance se donne ou se gagne et s’entretient tous les jours. Elle
permet de diminuer le niveau de stress de chacun, permettant ainsi de
focaliser les énergies sur la performance collective. Alors qu’hier
pouvait régner au sein des organisations un certain climat de suspicion,
de jalousie, de compétition interne, permettant ainsi de faire apparaître
des actes de délation plus ou moins déguisés ou un climat de
complaisance verticale, aujourd’hui la confiance est le moteur d’un
management participatif, sans réserve, où chacun est reconnu comme
pouvant et devant apporter un éclairage original et riche sur un
problème traité. La confiance implique donc l’écoute réciproque et
stimule l’autonomie et la responsabilité.
3. La responsabilité
C’est la capacité de chacun à assumer les conséquences de ses actes
et les conséquences des changements de son périmètre d’action. Cela
implique que chacun est positionné en tant que responsable d’une
partie du système, pleinement conscient de son rôle et des
conséquences de sa défaillance pour l’ensemble du système. Mais cela
signifie aussi que chacun est responsable de la veille relative à son
environnement propre et de la relation de son sous-système vis-à-vis
des n autres sous-systèmes avec lesquels il fonctionne. C’est encore
une fois la logique processus qui est mise en avant ici, et son
contingent de responsabilités réciproques : chacun participe à son
propre succès s’il participe au succès de l’autre.
Ainsi, dans une organisation au sein de laquelle chacun se cantonne
dans une attitude de soumission et d’obéissance, n’agissant que sur
ordre ou après validation de son supérieur hiérarchique – le
fonctionnement opérationnel est vite bloqué si le supérieur en question
est absent ou si la suppléance n’est pas anticipée. Nous préférons
logiquement une organisation où chacun est responsable et autonome,
c’est-à-dire capable d’initiatives, même au-delà du périmètre de sa
définition de fonction, selon le contexte rencontré, parce qu’il
privilégie le succès collectif, même au détriment de son petit confort
personnel. Dans une telle organisation, il est cependant impératif
d’avoir mis en place un modèle de suppléance pour toutes les
responsabilités afin d’éviter tout blocage en l’absence du responsable
titulaire.
Ces trois premières conditions, partage, confiance et responsabilité,
sont sous-tendues par le fait que l’entreprise fonctionne comme un
système au sein duquel chacun est aux commandes d’un sous-système
propre en bonne « intelligence » avec les autres. Ceci implique
obligatoirement un respect et une acceptation totale de l’autre, même
s’il est différent, c’est-à-dire s’il est issu d’une autre culture ou
formation. C’est ce que nous appelons l’hybridation.
4. L’hybridation
L’hybridation est en résumé la prise de conscience que la
performance est le résultat de la mixité des profils et des points de vue.
Ce nouveau concept est important pour l’agilité d’une organisation qui
doit en effet se départir des cloisonnements hiérarchiques et
fonctionnels.
Nous voulons sortir d’une culture de la spécialité et de l’expertise,
qui aboutit à une certaine forme d’autisme et/ou d’ostracisme.
L’autisme, repliement du sujet sur lui-même avec perte plus ou moins
importante des contacts avec l’extérieur, est le résultat de l’arrogance
du spécialiste qui ne parle plus qu’à un spécialiste et qui finit par ne
voir le monde que par son angle traditionnel d’attaque. L’ostracisme,
action d’exclure ou d’écarter quelqu’un d’un groupe, est une
malheureuse conséquence de l’esprit de corps héritée de clivages
anciens : ingénieurs/managers, hommes/femmes, français/étrangers,
financiers/commerciaux…
Le danger principal de tels comportements, c’est la consanguinité au
sein d’une organisation, ce qui empêche toute vision autre que celle du
clan, ne permet pas l’objectivation de la situation et occulte la capacité
de changement car les clans s’auto-entretiennent dans leurs habitudes,
leurs croyances et leurs convictions.
5. L’aptitude au changement
Beaucoup de choses ont été écrites relativement à cette notion de
changement. Elles vont principalement dans deux directions :
La première consiste à admettre que désormais notre environnement ne cessera plus
de changer et qu’il est donc nécessaire de changer soi-même pour survivre dans un tel
contexte. Nous sommes ici tout à fait d’accord.
La seconde consiste à dire qu’il faut alors gérer le changement. Là, notre approche est
différente. Nous pensons que plutôt que de perdre de l’énergie à gérer le changement, ce
qui éloigne alors chacun de son action vitale, il vaut mieux faire en sorte que chacun
vive avec une culture du changement, c’est-à-dire une acceptation profonde et sincère
que le changement est une source d’enrichissement individuel et collectif.
Ainsi, le changement doit être accepté et même souhaité par chacun, mais,
plus encore, il doit être analysé par chacun dans une perspective
systémique, toujours dans le souci de la performance collective.
Dans le système taylorien, le changement est toujours mal vécu, parce
qu’il remet en cause « la martingale[12] » pourtant trouvée par le dominant,
qui a du mal à accepter que les choses ne soient plus comme il les a
pensées. Changer serait reconnaître son erreur et un expert comme un
leader ne se trompe pas ! Les règles en place sont faites pour durer et
chacun doit les respecter scrupuleusement. Le changement de cet état de
fait est dangereux pour la pérennité du système et pour le pouvoir en place.
Dans l’entreprise agile, rien n’est vécu comme éternel. Le doute et la
recherche de la performance sont les maîtres mots de telles organisations.
Le changement est son credo. Il est souhaité, compris comme nécessaire et
source d’opportunités individuelles et collectives. Il est à la base de
l’intelligence de l’organisation et des individus. C’est par le changement
qu’on multiplie ses expériences, qu’on maîtrise de mieux en mieux son
système, qu’on comprend mieux l’autre, en particulier le client, et qu’on
peut ensuite entrer dans des démarches proactives, constructives.
L’empathie peut être ajoutée à ce stade, qui représente la capacité à
fonctionner dans des logiques de processus réciproques. La réciprocité des
processus est une garantie d’éviter qu’un nouveau processus soit finalement
vécu comme une nouvelle procédure. Pour développer cette réciprocité de
processus, il semble nécessaire de développer et faire développer une
certaine empathie entre les acteurs qui échangent tout au long des processus
et verticalement.
Enfin, dernier critère, l’exemplarité. L’agilité en effet ne se décrète pas.
Elle se demande, elle se stimule et surtout elle est érigée en exemple par
ceux qui la réclament. Ainsi, si vous êtes managers vous devez montrer
l’exemple et montrer en quoi vos comportements ont changé et les bienfaits
induits par ces nouveaux comportements. Mais si vous n’êtes pas manager,
vous pouvez faire de même !
Méthodologie
Comme dans les deux étapes précédentes, nous interrogeons donc les
principaux acteurs d’une organisation sur leur perception quant à ces 7
critères représentant les pratiques comportementales de leur entreprise.
Nous faisons encore une fois la moyenne de leurs opinions pour aboutir à
un schéma de synthèse de ce type (figure 3.5).
Figure 3.5 Exemple d’étoile radar résultat
Méthodologie
Comme dans les trois étapes précédentes, nous interrogeons les
principaux acteurs d’une organisation sur leur perception quant à ces dix
critères représentant les pratiques managériales de leur entreprise.
Nous faisons encore une fois la moyenne de leurs opinions pour aboutir à
un schéma de synthèse de ce type :
Figure 3.6 Exemple d’étoile radar résultat
Évaluation de l’entité (Étape 3, les pratiques managériales)
Nous avons là le cas d’une entreprise qui privilégie la symbiose
environnementale, c’est-à-dire la capacité à fonctionner en bonne
intelligence avec les acteurs de son environnement. Sans doute est-elle
craintive relativement aux changements de son environnement. En
revanche, ses points faibles sont le découpage de son organisation en pôles
de dimension réduite et les dynamiques collaboratives. Après discussion
avec les dirigeants sur l’expression de leurs perceptions sur les pratiques
managériales, il s’avère qu’il s’agit d’une entreprise industrielle, structurée
verticalement, qui développe des liens avec les acteurs de son
environnement, mais qui est pour le reste restée dans un modèle classique
hiérarchique d’organisation. Ballottée au gré des rachats et restructurations,
elle ne peut engager durablement des réformes en profondeur. La preuve en
est que tous les autres critères sont évalués à un niveau moyen. Pour revenir
sur les dynamiques collaboratives, elles sont jugées comme étant faibles,
résultat du cloisonnement qui peut exister dans des structures hiérarchiques
historiques au sein desquelles se développent des castes fonctionnelles.
C’était tout à fait le cas de cette entreprise qui était pourtant de taille
relativement réduite (600 personnes). Mais la peur du lendemain freine
toute ardeur : « pourquoi faire des efforts alors que demain nous
appartiendrons à un autre groupe qui nous imposera de nouvelles règles de
fonctionnement ? Pourquoi chercher à nous démarquer et à cultiver notre
différence culturelle ? ». Seule prime la recherche d’une tranquillité qui
permettra à chacun de sauver son emploi et à l’entreprise de garder une
valeur marchande ! Cette tranquillité est considérée comme le fruit de la
mise en place de méthodes somme toute neutres de travail !
Le cas « GICORP »
Maintenant que notre outil est globalement décrit, nous vous
proposons d’en faire une lecture opérationnelle à travers l’exemple
d’une entreprise, que nous appellerons GICORP. Il s’agit d’une
entreprise, filiale française d’un grand groupe traditionnel français.
Cette filiale pèse tout de même plus de 10 000 personnes. Elle a été
longtemps le fleuron du groupe mais, avec l’internationalisation de ce
dernier, son image s’est ternie, à tort d’ailleurs car ses résultats sont
encore les meilleurs. Mais son risque est fort aujourd’hui de se faire
rattraper par une concurrence plus rapide, plus opportuniste, plus
efficace, ainsi que de se faire marginaliser par rapport à d’autres
filiales pays du groupe. Le concept d’agilité semble correspondre à ses
besoins afin de développer une organisation plus efficace dans un
environnement toujours plus difficile et turbulent. Aussi notre mission
avait-elle un quadruple objectif :
évaluer le potentiel d’agilité de l’entité ;
mieux comprendre la culture de l’entité pour envisager les leviers possibles d’action ;
d’autre part, c’est dans cette partie que les scores de Gicorp sont les plus bas et les
plus homogènes.
Cela témoigne à notre sens de la véritable nécessité de faire évoluer les
postures comportementales, vers d’une part davantage de partage ou
de confiance, qui sont étroitement associés à une meilleure
coopération, et d’autre part, vers davantage de responsabilité,
d’adaptation au changement, et d’hybridation, qui vont en faveur
d’une meilleure adéquation, d’un meilleur alignement des actions
entreprises vers les finalités poursuivies. En particulier, on retiendra :
Les responsabilités semblent être diluées. Les personnes
interrogées, par leurs commentaires précis, montrent du doigt ici
l’organisation matricielle et ses défauts de lourdeur. Le souhait de
basculer vers un fonctionnement plus « neuronal », c’est-à-dire
vers un ensemble de petites structures autonomes et responsables,
apparaît clairement.
Le manque de vision systémique de chacun, tant dans la
distribution tous azimuts d’information, que dans l’alignement
des actions individuelles vers une finalité de performance
collective.
De véritables carences en termes de partage spontané de
confiance, dont les origines sont certainement à trouver dans le
système d’évaluation favorisant l’individuel, la culture
« ingénieur » trop marquée qui ne favorise pas la mixité des
points de vue, la trop faible proportion de mouvements
horizontaux dans les carrières, qui engendrerait spontanément une
certaine culture du partage, et une logique d’obéissance qui ne
prédispose pas à l’établissement d’une véritable confiance.
L’absence d’une culture réseau, notamment par l’élaboration
plus prégnante de processus transversaux, qui rendrait le partage
non pas clanique mais généralisé à l’ensemble de la structure.
Étape 4 : Les pratiques managériales
Le manager agile
Au-delà de l’évaluation de son organisation et de son fonctionnement, le
questionnement d’un dirigeant doit se porter sur lui-même. Il doit
évidemment être le premier porteur des principes et comportements de
l’agilité pour devenir un modèle dans son entreprise. Il doit également
adopter des caractéristiques managériales nouvelles pour asseoir cette
nouvelle approche du management avec cohérence.
Nous abordons ici les trois principales attitudes managériales qu’il doit,
selon nous, adopter afin, ensuite, de réformer le fonctionnement et la
culture de son organisation vers l’entreprise en réseau d’entités autonomes,
pour stimuler l’entrepreneuriat interne, la prise d’initiatives, la coopération
et l’innovation ;
satisfaire l’actionnaire, le client, le personnel et la société, pour
développer la pérennité de l’entreprise et la rendre « responsable » ;
savoir bricoler, pour développer sa capacité d’adaptation mais aussi
pour apprendre à minimiser les coûts tout en stimulant l’innovation ;
manager avec pédagogie, pour emporter l’adhésion.
Satisfaire l’actionnaire, le client, le personnel et la société
Si l’on reprend l’histoire récente des entreprises, on observe qu’il y a eu
un glissement dans le raisonnement économique. Il faut l’observer et en
tirer des leçons plutôt que de s’arc-bouter sur ses convictions d’hier.
La satisfaction de l’actionnaire
La première exigence de notre monde est la satisfaction de l’actionnaire.
Il n’est pas dans notre intention de bouleverser cet état de fait, sans lequel
d’ailleurs il n’y aurait pas d’investissement et donc pas d’entreprises ni
d’emplois. Considérons au contraire que c’est la base de nos entreprises.
Pour atteindre une pleine satisfaction des actionnaires, pendant les Trente
glorieuses, tout a été étudié par des chercheurs et mis en œuvre par des
dirigeants pour maximiser la rentabilité des entreprises. De façon
caricaturale, on peut considérer celle-ci comme la différence entre les
recettes et les dépenses. Il suffisait, pour bien manager, de minimiser les
dépenses. C’est du moins ce que toutes les stratégies ont tenté de faire
pendant trente ans en travaillant principalement sur la fonction de
production (synergies, automatisation…). On a, en parallèle, cherché à
augmenter les recettes en gagnant le plus de clients possible. Il se trouve
que ces deux attitudes sont complémentaires : elles sont synthétisées dans le
principe dit d’expérience qui dit qu’à chaque doublement de la production
cumulée (en supposant que tout ce qui est produit est vendu) les coûts
unitaires de production diminuent d’un pourcentage constant (de l’ordre de
10 à 30 % selon les secteurs).
La satisfaction du client
On s’est rendu compte, une fois qu’on avait épuisé cette première source
d’augmentation de la rentabilité, qu’on pouvait encore travailler plus loin
du côté des clients. On a analysé en particulier que fidéliser un client coûtait
moins cher que d’aller en chercher un nouveau, ou encore que personnaliser
son offre permettait de faire la différence par rapport au concurrent. Qui
plus est, cette solution permettait d’éviter la guerre des prix dont on connaît
les conséquences désastreuses ! Alors, les dirigeants n’ont eu de cesse de
convaincre leurs actionnaires qu’ils devaient accepter une baisse
momentanée de leur rentabilité le temps de mener à bien les investissements
nécessaires à l’augmentation de la satisfaction des clients. Ceux-ci satisfaits
rachètent, il y a baisse des coûts commerciaux, augmentation des volumes
et on a réamorcé ainsi la spirale vertueuse de la rentabilité. On peut même
parvenir à dépasser le niveau initial de rentabilité des actionnaires.
La satisfaction du personnel
Aujourd’hui, on commence à prendre conscience qu’on est allé au bout de
ce que l’on pouvait faire en matière de productivité et en matière de
satisfaction des clients. Certes toutes les entreprises ne sont pas encore
totalement performantes sur ces deux points, mais du moins sait-on
comment faire. Mais un troisième acteur réclame son lot de satisfaction
après l’actionnaire et le client : le personnel. Lui aussi demande au dirigeant
de le satisfaire sous peine de grève, de démobilisation, de non-performance,
et, finalement, de perte de la satisfaction des clients et des actionnaires.
Alors les dirigeants doivent à nouveau convaincre les actionnaires qu’il est
nécessaire d’investir en faveur de la satisfaction du personnel. Cela va sans
nul doute entraîner une baisse de rentabilité, mais on sait déjà qu’un
travailleur épanoui, quel que soit son niveau hiérarchique, est plus efficace
donc plus rentable qu’un travailleur insatisfait.
Finalement, la nouvelle posture du manager n’est plus de chercher à gérer
des ressources désincarnées mais plutôt à optimiser la satisfaction de trois
acteurs : l’actionnaire, le client et le personnel (figure 3.11).
Évidemment, ce modèle managérial qui s’applique au dirigeant de
l’entreprise, s’applique ensuite à chaque dirigeant d’entité et, au final, à
chaque individu dans l’entreprise. Si tous adoptent ce modèle
comportemental, alors la culture d’agilité sera rapidement appropriée par
l’entreprise.
Figure 3.11 Le nouveau rôle du manager
Au-delà, l’entreprise s’inscrit dans un environnement. Elle doit alors
comprendre que, face aux contraintes de la mondialisation et au risque
concurrentiel accru, si elle maximise sa performance au détriment des
acteurs avec lesquels elle fonctionne (employés, clients, fournisseurs,
banques, logistique…), elle détruit de la valeur sociétale. La montée de la
prise de conscience systémique, qui se traduit par exemple par la montée du
sens écologique et social, ne le permet plus. Aussi la performance de
l’entreprise nous semble devoir s’inscrire désormais dans une perspective
systémique et, ainsi, devenir à la fois économique, sociale et sociétale. À
cette condition, la performance devient répétable, moins aléatoire et plus
motivante.
Savoir bricoler[14]
Assez naturellement, lorsque nous avons développé le principe de
découpage de l’entreprise en entités autonomes, nous avons vite trouvé des
liens avec ce nouveau champ du management qu’est le bricolage et que l’on
peut définir simplement comme étant la capacité à « faire avec les moyens
du bord ».
En effet, lorsqu’on est une entité de taille réduite, au milieu d’un
environnement turbulent, la rapidité de réaction repose certes sur
l’anticipation mais pas seulement. On ne peut pas tout prévoir et il faut
aussi développer des capacités de réaction, et, au-delà, développer ce qu’on
appelle le système « D » (comme débrouille).
Le bricolage relève du système « D » mais a été théorisé au point de
devenir une approche managériale très intéressante et complémentaire à
l’agilité.
Les origines du bricolage ne sont pourtant pas récentes. Il semble que
l concept remonte à Claude Lévi-Strauss, en 1962, dans son ouvrage « La
pensée sauvage » (ce qui nous rapproche de Tarzan !). Mais laissons de côté
l’histoire exacte de ce concept, et regardons plutôt comment il sert
aujourd’hui la discipline du management.
Pour comprendre ce mode d’agir, car il ne s’agit pas d’un processus
managérial du type « analyse – décision – action – contrôle », il faut
l’analyser selon cinq dimensions :
1. Pour le bricoleur le monde est ordonné mais cet ordre n’est pas
transcendant, il est propre à chaque bricoleur. Autrement dit, le monde
est considéré selon le principe de la complexité comme un ensemble
d’éléments interconnectés mais dont les interconnexions sont
analysées de façon propre par chacun. Nous convergeons bien ici avec
notre vision de la montée de l’individualité.
2. Le bricoleur porte un intérêt particulier aux relations entre les choses
plus qu’aux choses elles-mêmes (vison dynamique de l’agilité). Les
objets sont pris en tant qu’objets singuliers et non abstraits. Chacun
dispose donc d’un stock d’objets particuliers (autonomie). Chaque
objet est interrogé par le bricoleur par rapport à ce à quoi il peut servir
à un instant donné et par rapport à un besoin particulier. Autrement dit,
le bricoleur est particulièrement apte au changement, dans la limite de
son stock d’objets, et est capable d’utiliser un même objet (lire : un
même acteur, un même processus…) pour des usages différents, son
seul souci étant la performance pour le client et non son confort
personnel ou le respect de la règle établie.
3. Le processus d’action du bricoleur est tout à fait spécifique et se
décompose en cinq gestes types :
La collecte : la manière de constituer son stock de moyens. Nous y associons le
principe de veille de l’agilité.
Le désassemblage : tout ce qui a servi et ne sert plus est replacé dans le stock, ce qui
permet de sérieuses économies et surtout qui montre la capacité à s’interroger en
permanence sur l’usage des moyens dont on dispose.
proaction : agir à partir d’une analyse anticipée et formalisée des risques et des
conséquences dans son environnement et mettre en place un plan d’étapes concrètes
pour atteindre un objectif désiré.
Le Coefficient d’Agilité®
Le Coefficient d’Agilité® (CA®) représente le taux d’utilisation des modes
d’action agiles : anticipaction, proopération, justinnovation.
Au-delà du CA®, nous donnons un pourcentage d’activation de chacun
des trois leviers d’action. Il est intéressant de repérer celui que nous
activons le plus et/ou celui que nous activons le moins.
Tableau 3.2 Coefficient d’Agilité®
S’il existe dans notre mode d’action des différences entre l’auto-
déclaration et les résultats de l’Agile Profile® sous pression, l’aide d’un
coach permettra d’identifier ce qui peut être attribué à notre environnement
ou à notre conjoncture et ce qui peut être attribué à notre personnalité. La
démarche de coaching agile permet en effet d’analyser notre manière d’agir
en fonction du degré d’agilité – existant et requis – de notre environnement,
ainsi qu’au regard de notre propension personnelle à activer les leviers
d’action agiles (figure 3.13).
C’est ce que nous appelons travailler simultanément sur le contexte, l’être
et l’agir ou faire du coaching agile.
Figure 3.13 La méthode de coaching agile
Le coaching agile
Le coaching agile est une démarche classique de coaching à l’intérieur de
laquelle une approche originale permet de prendre conscience d’abord des
leviers organisationnels et ensuite d’imaginer d’autres structures et
systèmes managériaux. Cette démarche se veut donc progressive et
systémique pour aboutir à un plus grand confort pour travailler sur le
relationnel, et, finalement, sur l’individu lui-même en tenant compte de son
environnement et du changement sociétal en cours.
Le coaching agile vise donc à faire rompre le manager avec le mimétisme
des figures d’autorité passées. Il aide à réhabiliter l’homme comme créateur
de valeur au sein de l’entreprise. Il projette de redonner le sens de la
performance collective, au sens du résultat, de la réalisation et du
fonctionnement. Il replace celle-ci dans un cadre économique, social et
sociétal. Il contribue à lever les incohérences entre l’individu, l’équipe, et
l’environnement et aide le manager à bâtir une nouvelle écologie
managériale.
Dans cette démarche, l’agilité est la clé d’entrée d’une ouverture à son
environnement, à l’autre et à soi-même. Le questionnement sur cet
environnement permet :
d’une part un détour moins impliquant donc facilitateur pour parler
de soi, à travers une verbalisation de ses perceptions du système
auquel on appartient ;
d’autre part, un repère important pour se décentrer et prendre
davantage conscience de sa place et de sa valeur ajoutée potentielle au
sein d’un tout, à travers l’analyse de l’impact de ses perceptions de son
environnement sur ses pratiques managériales.
Cette clé d’entrée permet donc plus de confort par la compréhension que
l’on fait partie d’un tout, de reconnaissance par la prise de conscience de sa
puissance de réflexion et d’action, de liberté par la stimulation de ses
capacités créatives et d’écologie personnelle par une démarche
constructiviste contextualisée.
Le coaché, dans une démarche de coaching agile, doit donc être
volontaire pour entrer dans un processus de transformation managériale. Il a
donc le souhait de faire muter son équipe ou son entreprise en exploitant
davantage les capacités humaines. Ainsi le coaché doit avoir un pouvoir de
transformation sur un périmètre donné. Il est donc a minima un manager
d’équipe permanente ou de projet. Il bénéficie d’une démarche de coaching
parce que :
il accède à un poste de manager ;
il est en position de manager et porteur d’un changement ;
ou il est en posture de remise en cause (par son environnement ou
par lui-même) dans sa praxis managériale.
Il est coaché pour construire sa nouvelle identité de manager et l’anticiper
en connaissance de causes et de conséquences pour lui, pour son équipe et
pour son environnement.
De même que la société se façonne à coups d’évolutions et de révolutions
sans pour autant faire disparaître les acquis du passé, les entreprises se
construisent par couches successives. L’agilité ne vient donc pas en
substitution aux modèles préexistants : elle ne renie pas l’efficacité de la
logique d’expérience (économies d’échelle) non plus que les modèles
managériaux qui permettent la flexibilité ou encore les principes qui portent
l’innovation. Elle est en fait une perpétuelle recherche d’équilibre entre une
dimension active (faire et prouver que l’on sait faire), une dimension
réactive (être opportuniste face aux changements observés pour fidéliser) et
une dimension proactive (recherche d’innovation).
Figure 3.14 Les évolutions de l’entreprise
Il s’ensuit que l’agilité ne saurait être un état stable et définitif, mais une
aptitude à passer d’un mode de fonctionnement à l’autre. Dès lors qu’on
accepte l’agilité comme une somme de principes de fonctionnement à
mettre en œuvre, il apparaît comme évident qu’elle ne se travaille qu’au
niveau des hommes et des femmes de l’entreprise, individuellement et
collectivement. Cela impose au management d’adopter de nouvelles
postures et à chaque individu de s’en faire le relais. L’agilité n’est pas un
nouveau modèle entrepreneurial mais plutôt un ensemble de principes
basiques de comportements qui permettront de réconcilier ces modèles
entre eux alors qu’on les a toujours décrits comme antinomiques.
L’intervention d’un accompagnateur de l’entreprise dans sa
transformation apparaît comme indispensable tant le chemin est difficile et
étroit : difficile par l’impact que cela peut avoir sur les hommes, leurs
comportements, leurs relations et donc sur leur « identité professionnelle »,
étroit par la nécessaire gestion de l’ambiguïté et des paradoxes d’une
entreprise naviguant sans cesse d’un contexte à l’autre.
L’offre agile
Après avoir analysé le contexte sociétal, décrit l’entreprise agile et traité
de la problématique du manager, nous proposons de faire porter nos trois
principes clés de l’agilité, anticipaction, proopération et justinnovation, sur
l’offre de l’entreprise. En effet, si l’on accepte notre lecture du changement
sociétal et son impact sur nos organisations et leur manière de fonctionner,
il est nécessaire, par voie de conséquence, de remettre en cause le cœur de
la raison d’être de nos entreprises, l’offre fournie à nos clients. C’est ce que
nous nous proposons de faire dans ce chapitre.
Concevoir une offre globale
Ainsi les entreprises se doivent-elles de jouer simultanément sur tous les
maillons de leur chaîne de valeur pour satisfaire leurs clients. Les maillons
qualifiés hier de « principaux » (les activités qui participent à l’élaboration
physique du produit ou de la prestation) ne prennent plus le pas sur les
autres qualifiés de « secondaires » (les activités qui permettent le
fonctionnement de l’entreprise). Ce qui compte aujourd’hui, c’est d’abord
et avant tout de rester au contact de son marché (le marketing et le
commercial) et ce qui permet de développer des solutions sans cesse
innovantes (l’anticipation et la conception).
L’offre a ainsi considérablement évolué. Le client est passé d’une position
de dépendance vis-à-vis d’une offre à une position de domination de l’offre.
Au passage, le client s’est démultiplié au point de devenir une multitude
exigeante et plus une masse unique et obéissante. Le levier principal qui a
permis cette mutation est sans conteste la possibilité de travailler non plus
sur le simple produit physique mais aussi sur tous les services associés, sur
l’image et, plus généralement, sur la relation entre le client et l’entreprise
(relation commerciale, information écrite ou orale, synchrone ou
asynchrone, formation à l’usage…).
Bref, l’arène concurrentielle n’est plus la même : plus de concurrents
jouant sur des arguments sans cesse plus nombreux et différents, plus de
clients exigeant des performances toujours plus innovantes et différenciées.
Comment dès lors se battre dans cette nouvelle arène concurrentielle :
certainement pas en gardant en tête les modèles vainqueurs d’hier mais en
adaptant sans cesse son organisation et ses produits.
Figure 3.16 Les évolutions du marketing
Alstom
Amis en place depuis plusieurs années une politique dite customer
care. Cette politique a abouti par exemple à la mise en place d’un
indicateur de suivi de la satisfaction client pris en compte dans
l’évaluation des personnes.
France Télécom
A vu son PDG, Thierry Breton, inscrire dans son rapport annuel 2002
comme priorité absolue l’orientation client et la qualité des services.
[1]
Merci à R. Duymedjian, collègue à Grenoble École de Management, pour son aide au
développement et à l’écriture précise de cette définition.
[2]
O. Badot, Théorie de l’entreprise agile, L’Harmattan, 1997, pp. 7-17.
[3]
Voir à ce sujet les développements récents sur le KnowLedge Management (KM), par exemple
chez J.-Y. Prax, Le guide du KnowLedge management, Dunod, 2000.
[4]
Adapté de O. Badot, op. cit.
[5]
C’est-à-dire en conscience des conséquences.
[6]
H. Sharifi, Z. Ahang, « Agile manufacturing in practice : application of a methodology »,
Journal of Operation and Production Management, 2001, Bradford, vol 21, n°5-6.
[7]
Les conditions habituelles de confidentialité sont bien évidemment explicitées et respectées !
[8]
« Theory of games and economic behaviour ».
[9]
Nous pensons encore une fois aux célèbres modèles matriciels du type BCG.
[10]
In Les outils de la décision stratégique », tomes 1 et 2, La Découverte, 1995.
[11]
Lire à ce sujet : Y. L. Doz, « Managing Core Competency for Corporate Renewal: Towards a
Managerial Theory of Core Competencies », in F. Malerba et G. Dosi (eds.), Organization and
Strategy in the Evolution of the Enterprise, Macmillan, 1996.
[12]
À l’origine la martingale est un système de jeu fondé sur des considérations découlant du
calcul des probabilités, et qui prétend assurer un bénéfice certain dans les jeux de hasard. Si nous
utilisons ce mot ici, c’est dans l’esprit de refus de remise en cause de sa manière de jouer parce
qu’on a la certitude que si l’on a gagné hier avec une méthode, on doit gagner demain avec la
même méthode… Ce qui choque notre esprit prospectiviste qui postule au contraire que rien ne
prouve que demain sera comme hier !
[13]
Il s’agit bien ici du principe de « convention » dont nous avons déjà parlé.
[14]
Un merci tout particulier à mon collègue R. Duymedjian, qui travaille efficacement sur ce
thème et qui a bien voulu m’aider dans la rédaction de cette partie.
[15]
L’artiste travaille par rapport à lui-même, à ses pairs et à un public. Le bricoleur travaille avant
tout par rapport à lui-même !
[16]
R. Duymedjian et CC. Ruling, « Le manager bricoleur : essai de construction d’une image
légitime », inModerniser la gestion des hommes : des effets de la technologie à l’usage des
méthodes innovantes, sous la direction de M. Leberre et M. Matmati, Liaisons, 2005.
[17]
À l’image de Ch. Maisons dans son ouvrage Le Coaching stratégique, Maxima, 2e édition,
2003.
[18]
Voir à ce sujet l’ouvrage de D. Gotteland, L’orientation marché, Éditions d’Organisation,
2005.
[19]
Voir L’entreprise agile, Dunod, 2010.
4
OUTILS ET DÉMARCHES POUR
ENTRER EN AGILITÉ
Après avoir décrit le contexte justifiant d’entrer en agilité puis ce que l’on
appelle agilité de manière très concrète, nous nous proposons ici d’aborder
l’agilité sous l’angle de techniques opérationnelles à mettre en place. Ne
souhaitant pas être exhaustif dans ce premier ouvrage, nous proposons ici
de décrire en détail un outil qui nous semble symptomatique de l’agilité,
d’aborder deux pratiques indispensables pour stimuler l’agilité dans son
organisation, la logique processus et le système d’évaluation, mais aussi de
démontrer la force des outils informatiques.
L’outil est l’analyse structurelle stratégique. Elle est un outil d’analyse
systémique de son entreprise et c’est un outil à utiliser de manière
participative. Elle est censée aider les décideurs dans une approche nouvelle
de leur stratégie.
Les deux pratiques clés sont :
le management par processus, qui va permettre de réformer les
pratiques managériales et comportementales ;
le système d’évaluation qui reste, par son côté personnalisant, un
levier clé de transformation des attitudes individuelles.
Au niveau des systèmes d’information, nous regarderons l’évolution des
outils et le marché des solutions d’entreprise.
Chaque variable est confrontée avec toutes les autres. Les règles de
remplissage actuelles de la matrice sont simples :
Toutes les natures d’influence sont prises en compte entre deux
variables.
On ne considère que les influences directes.
L’intensité de l’influence (3 = forte, 2 = moyenne, 1 = faible, 0 =
nulle) est à la fois fonction de la force d’impact d’une variable sur
l’autre mais également de la vitesse de réaction d’une variable par
rapport à l’autre.
On n’entérine une influence que si tout le monde est d’accord. Tant
qu’il y a désaccord, il y a discussion ouverte pour comprendre
précisément la nature de cette relation.
Ce remplissage est évidemment très long car il correspond à
l’appréhension commune du système étudié par le groupe de travail
(approche comportementale). Pour ne donner qu’un simple exemple de
cette longueur, il suffit d’imaginer un système plutôt léger, composé de 40
variables. Il y a donc 1 560 relations à étudier (40 × 40 = 1 600 relations
auxquelles on déduit les 40 relations d’une variable sur elle-même qu’on
note 0 par principe).
C’est une étape d’observation et de mise en commun d’une masse
formidable d’informations. Même si la majorité des relations correspondent
à un consensus rapide, d’autres posent des questions et soulèvent des
contradictions : l’analyse structurelle va donc permettre de créer un langage
commun en vue d’une lecture commune du système, une progression des
connaissances et points de vue de chacun et une ouverture sur d’autres
façons d’aborder les problèmes. La matrice obtenue n’est évidemment pas
symétrique puisque la notion d’influence ne l’est pas elle-même.
L’observation globale des points d’influence entre les blocs de variables
va déjà nous renseigner sur le degré de dépendance ou d’indépendance des
grandes parties du système et un certain enchaînement des phénomènes
apparaîtra déjà. Trois sortes de relations coexistent en fait dans cette
matrice :
Les relations de causalité ou de conséquence directe, ont un aspect
mécanique. Elles peuvent être comparées à une condition suffisante.
Les relations conditionnelles, doivent observer le dépassement d’un
seuil pour exister. On se trouve ici plutôt face à une condition
nécessaire.
Les relations décisionnelles correspondent à la mise en place d’une
mesure volontaire mais dont on n’est pas sûr de l’impact. Elles sont
donc assorties d’un risque et n’ont pas de caractère déterministe strict.
Deuxième phase de la démarche : hiérarchisation des variables
Pour ce faire, on effectue, les sommes en ligne et en colonne des
influences entre les variables. Par variable on obtiendra donc deux
indicateurs :
En effectuant la somme des influences sur une même ligne, nous
avons la somme des influences engendrées par une variable i sur
l’ensemble du système : c’est un indicateur de motricité de i sur le
système.
En effectuant le somme des influences sur une même colonne, nous
avons la somme des influences subies par une même variable j de la
part de l’ensemble du système : c’est un indicateur de dépendance de j
par rapport au système.
Ces deux indicateurs peuvent aisément être représentés dans un plan dit
« motricité-dépendance », où l’axe des abscisses est le support de la
dépendance et l’axe des ordonnées représentatif de la motricité et où M
représente la moyenne de motricité (aussi égale à la moyenne de
dépendance) (figure 4.3).
Figure 4.3 Le plan motricité-dépendance
L’entreprise Pmecorp
Pmecorp est une PME de cinquante personnes productrice de « barres
sophistiquées[4] » en acier. L’année 2000 a marqué une étape
particulière de son développement, à la recherche de la construction
d’un nouveau sens.
Grâce à une stratégie de domination globale au niveau des coûts
parfaitement mise en œuvre, Pmecorp est parvenue à devenir un
intervenant majeur dans son secteur. Aussi le dirigeant se trouvait-il
devant la nécessité de trouver un nouveau défi à relever, car, face aux
interlocuteurs de grande distribution spécialisée, et, plus généralement,
face à l’explosion de nouveaux comportements des clients finaux dans
la société de loisirs qui se fait jour, il ne pouvait plus espérer accroître
sa part de marché, bien au contraire.
Nous avons alors suggéré au dirigeant de mener une analyse
systémique et prospective pour faire émerger une voie de
développement pour cette réflexion.
Grâce à de nombreuses études disponibles, à sa profonde connaissance
du métier, du marché et de la concurrence, et grâce à un travail
collectif avec « sa garde rapprochée », il a fait émerger sept voies de
développement possibles, les caractéristiques clés internes de
l’entreprise et les principaux éléments d’influence de son
environnement sur sa stratégie :
Sept voies de développement : élargir la gamme, nouveau
concept de barre, introduction de nouveaux matériaux,
diversification marché, système d’aide à la vente, nouveau
concept fonctionnel, ouverture à l’international.
Un environnement entreprise : financier, production,
ressources humaines, marketing, commercial, technologie,
communication, exploitation, vocation, organisation, culture.
Un environnement « business » : relation avec le groupe,
économie sectorielle, microéconomie, réglementaire.
L’ensemble des quarante-deux variables ainsi listées et
scrupuleusement définies par son équipe a été la base d’un travail
prospectif basé sur une analyse structurelle : les sept voies de
développement représentaient le système interne et les deux
environnements « entreprise » et « business », le système externe.
Le remplissage des influences a été mené dans un esprit prospectif,
c’est-à-dire que nous insistions en permanence sur le fait que les
influences entre variables devaient être étudiées à un horizon de cinq
ans, qui était le terme choisi pour mener cette analyse prospective.
Il a été mené librement par l’équipe de direction, sans intervention du
dirigeant afin qu’il n’influence pas les débats. Son seul pouvoir était
d’exprimer, en fin d’analyse d’une relation entre deux variables, son
accord ou son désaccord. En cas de désaccord, nous devenions alors
l’animateur d’un débat ouvert au cours duquel nous évitions
soigneusement que le dirigeant n’impose son point de vue par effet de
leader ou de conformisme de ses collaborateurs.
La matrice des influences une fois remplie, un logiciel a permis de
faire un classement des variables selon les classiques calculs de
l’analyse structurelle : sommes des influences données en ligne pour
obtenir un indicateur de motricité pour chaque variable ; somme des
influences subies en colonne pour obtenir un indicateur de dépendance
pour chaque variable. On a dressé ensuite le plan motricité-
dépendance à partir de ces indicateurs.
Il est apparu, comme premier résultat, que les variables motrices
correspondaient parfaitement à l’analyse menée individuellement par
le dirigeant. Le second résultat, et non des moindres, a été le
classement des sept voies de développement les unes par rapport aux
autres dans le cadran des variables relais.
En particulier, et ce résultat était tout à fait contre-intuitif pour le
dirigeant, c’est la variable « ouverture à l’international » qui est
apparue en premier dans ce cadran.
En second, est apparue la variable « nouveaux concepts
fonctionnels », voie sur laquelle le dirigeant avait d’ores et déjà lancé
l’entreprise en demandant à son bureau d’études de développer un
nouveau concept technique pour fixer plus aisément les barres au sol
et avec des éléments connexes pour faciliter et alléger le travail de
manutention du client final.
Figure 4.4 Le plan motricité – dépendance de l’entreprise Clotcorp
Ce résultat contre-intuitif a donné lieu à une profonde réflexion de la
part de l’équipe de travail. Pourquoi cette variable d’« ouverture à
l’international » ressortait-elle ainsi ? Comme le remplissage était leur
remplissage, il exprimait pleinement leurs idées, mais celles-ci
n’étaient pas conscientes dans leur réflexion collective. Finalement, il
est apparu comme une évidence que la seule voie de développement
intéressante pour l’entreprise résidait bien dans la jonction des deux
logiques : celle de l’international et celle du développement de
nouveaux concepts connexes au produit de base.
En effet, développer seulement de nouveaux concepts connexes aurait
amené les distributeurs vers une plus grande dépendance de leur part
vis-à-vis de Pmecorp, avivant encore leur envie de réagir face à
l’entreprise. De plus, il s’agissait là d’un changement des règles du jeu
face auquel les concurrents n’auraient pas pu réagir facilement,
contraignant davantage encore les distributeurs. Même si le client final
devait y gagner, le jeu économique entre Pmecorp, ses concurrents et
les distributeurs aurait primé. A contrario, axer son développement sur
une stratégie d’internationalisation n’était pas aisé. Pmecorp ne
connaissait pas les marchés étrangers et n’était pas dotée de
compétences internationales dans son service commercial.
Il aurait été suicidaire d’aller se battre à l’international avec des barres
basiques dans ces conditions. En revanche, être l’acteur de
transformation de ce métier traditionnel, qui tente d’harmoniser les
produits à l’international, grâce à l’apport de nouveaux concepts
facilitant le travail du client final, pouvait permettre à Pmecorp de
trouver facilement des partenaires à l’étranger, de se protéger par une
habile stratégie de brevet, et de communiquer davantage sur sa
marque.
D’autres scénarios ont été développés autour des autres voies de
développement qui sont ressorties de cette étude : élargissement de la
gamme, introduction de nouveaux matériaux… Mais finalement tous
ont été vécus comme complémentaires au premier scénario décrit ci-
dessus. Dans le développement de nouveaux concepts, il est apparu
par exemple nécessaire d’ouvrir la réflexion de la conception avec
l’introduction de nouveaux matériaux, comme il a été demandé au
service commercial de réfléchir aux besoins des clients en matière de
gamme.
À l’intérieur du scénario principal finalement retenu, des sous-
scénarios ont été évalués, liés aux partenariats, aux investissements,
aux rôles respectifs des acteurs internes… ce qui a permis finalement
de trouver un sens pour le développement de l’entreprise dans les
années à venir – passer d’une logique de volume à une logique de
valeur – sens qui a été un nouveau facteur de mobilisation des acteurs
internes. Cette mobilisation fut d’autant plus forte que les principaux
acteurs concernés ont participé à cette étude prospective et ont été par
là-même les moteurs de leur propre évolution.
L’exemple BatiCorp
La société BatiCorp est une PME très dynamique très bien implantée
dans le tissu local aux environs de Grenoble. Avec une moyenne de 50
salariés, elle œuvre dans le domaine du BTP. Ses principaux clients
sont donc les marchés publics, les industries, et quelques particuliers.
Cette société bénéficie d’une implantation géographique avantageuse
puisqu’elle profite du dynamisme de la ville et de sa région. La société
BatiCorp, au niveau de son secteur, fait face à une concurrence
raisonnable et bénéficie de multiples partenaires, artisans ou PME de
faible taille, qui l’accompagnent dans les plus gros chantiers. En effet,
une partie de l’activité BTP est sous-traitée ce qui permet de s’adapter
aux délais et ne pas accroître de manière inconsidérée la taille de
l’entreprise. Cette sous-traitance permet aussi de ne pas être contraint
de licencier suite à une baisse de l’activité, limitant les conflits sociaux
et bien des contraintes financières.
La société BatiCorp bénéficie d’une bonne image de marque au niveau
local, de part son respect des riverains et de l’environnement, lors des
chantiers et travaux, et de son implication locale dans le domaine
associatif-sportif.
PME dynamique et appréciée, dans un tissu local actif, la société
BatiCorp dispose de sérieux atouts pour réussir. Elle est une entreprise
saine, capable de se développer davantage mais sa direction préfère
rester à cette taille qu’elle juge optimale stratégiquement et
opérationnellement.
La question posée était celle de la performance globale de l’entreprise,
au sens du Centre des Jeunes Dirigeants (CJD).
Le CJD a en effet travaillé sur cette notion de performance globale, qui
s’inscrit à l’opposé d’une simple logique de rentabilité. Elle met en
avant simultanément et avec un même poids la responsabilité
économique, la responsabilité sociale et la responsabilité
environnementale de l’entreprise, ce que nous défendons dans l’agilité
au travers du principe de satisfaction de l’actionnaire, du client, du
personnel et de la société. Le but était donc de vérifier si l’entreprise,
qui a priori exprimait sa volonté de s’inscrire dans cette logique, s’y
trouvait réellement, et, au passage, de stimuler sa capacité d’agilité
organisationnelle.
Afin de clarifier le sens des variables, nous avons défini un
« dictionnaire » concis, organisé selon les aspects internes et externes
de l’entreprise. Les variables internes sont au nombre de 30 et
recouvrent les principaux aspects du management d’une entreprise.
Elles sont cependant exprimées dans le respect du vocabulaire et de la
culture de l’entreprise :
Tableau 4.2 Les critères organisationnels, managériaux
Tableau 4.3 Les critères financiers
On voit avant tout que le nombre de critères internes est beaucoup plus
élevé que celui des critères externes, ce qui influe de manière
significative sur la représentation systémique de l’entreprise.
Nous avons analysé en premier lieu les variables structurantes de
l’entreprise, c’est-à-dire celles qui se détachent le plus du centre de la
matrice. Ensuite, nous avons approfondi l’analyse en nous intéressant
aux critères de performance globale afin de comprendre l’intégration
de la notion dans le fonctionnement de l’entreprise. Enfin, nous avons
étudié les inter-relations secondaires afin de comprendre les tendances
à court et long terme.
Les variables structurantes :
Sur un plan général, il apparaît tout de suite une certaine cohérence des
résultats, c’est-à-dire de la position relative des variables clés.
Les variables motrices (en haut à gauche de la matrice) sont les
réglementations sociales et HSE (hygiène, sécurité, environnement)
dans un contexte d’élargissement de l’Europe, ce qui est assez
logique : en effet, l’entrée des nouveaux pays européens va changer la
donne concernant les salaires, mais aussi les méthodes de travail,
l’approche du marché, le positionnement de l’entreprise… De plus, les
réglementations imposées au secteur du BTP, surtout en terme de HSE,
induisent un mode de fonctionnement spécifique à l’entreprise, et
amènent les dirigeants à une prise de conscience. Enfin, les trois
variables sont bien en relation et s’influencent mutuellement car
l’élargissement de l’Europe va évidemment jouer sur des
réglementations pourtant déjà fortes.
Les variables relais (en haut à droite de la matrice) sont la stratégie
d’entreprise, la culture d’entreprise, l’intégration des sous-traitants via
la communication externe, les conditions de travail et la
responsabilisation. Ces différentes variables représentent bien des
moyens stratégiques pour atteindre les résultats souhaités. L’entreprise
possède une stratégie bien définie qui repose sur le nombre de salariés
que les dirigeants souhaitent maintenir volontairement bas (moins de
60) afin de conserver une structure à taille humaine dotée dune
réactivité, voire d’une agilité suffisante. En effet, l’entreprise ne veut
pas s’imposer sur tous les appels d’offre mais seulement remporter
ceux qui correspondent à son envergure. Son but est bien un
fonctionnement « optimal » et non maximal, en visant l’atteinte d’une
finalité exprimée en termes de « pérennité » et non en termes de
rentabilité.
Les quatre autres variables intègrent une dimension humaine et
sociale, ce qui démontre l’intérêt de la performance globale pour le
fonctionnement de l’entreprise. En conséquence, le système
managérial est fortement développé et tourné vers l’Homme.
Les variables résultats (en bas à droite) sont l’image de marque, la
gestion des appels d’offre, la qualité produit et la rentabilité, variable
dominante. L’image de marque et la qualité produit apparaissent donc
comme un résultat pour l’entreprise, ce qui prouve que son intérêt ne
se cantonne pas au simple profit. La gestion des appels d’offre est
aussi un résultat décisif pour l’entreprise puisqu’elle lui permet
d’obtenir des informations sur ses concurrents et de respecter sa
stratégie. Enfin, la rentabilité reste une variable très importante et
même si le dirigeant ne l’affiche pas ouvertement, la logique de
rentabilité est un résultat recherché qui est fortement influencé par les
autres variables.
En conclusion, cette matrice montre une cohérence correspondant aux
choix stratégiques et managériaux des dirigeants. L’analyse
structurelle a ainsi permis de valider le « profil » de l’entreprise mais
aussi de faire apparaître explicitement la position relative des variables
de performance globale, ce que nous analysons ci-après.
Les variables de performance globale : rôle et importance
le climat social ;
la culture d’entreprise ;
[1]
J. Barrand, « Du mariage entre prospective et stratégie », Revue Économie et société, série
« Science de Gestion », n° 7-8,1995.
[2]
M. Godet, Prospective et planification stratégique, Economica CPE, 1983.
[3]
Les cases 2 et 3 sont classiques dans l’analyse stratégique : l’originalité réside donc ici dans la
prise en compte des quatre cases simultanément.
[4]
L’activité de l’entreprise est « maquillée » et Pmecorp n’est pas son vrai nom car elle nous a
demandé de garder une certaine confidentialité à son égard.
[5]
Pour plus de détails sur les processus, lire M. Cattan, N. Idrissi et P. Knockaert, Maîtriser les
processus de l’entreprise, Éditions d’Organisation, 4e édition, 2003.
CONCLUSION
A
agilité [1], [2]
Anticipation [1], [2]
Analyse structurelle [1], [2]
Agilité [1], [2]
Agile Profile® [1], [2], [3]
Anticipaction [1], [2], [3], [4]
analyse structurelle [1]
B
Bien-être [1], [2]
C
changement [1]
connaissance de conséquences [1]
convention [1]
cohérence [1]
confiance [1]
complexité [1], [2], [3]
coopération [1], [2]
culture client [1], [2]
clients [1]
coaching [1], [2]
E
entreprise élargie [1]
effissens [1]
F
finitude [1], [2]
finalité [1]
I
intelligence collective [1]
Internet [1]
incertitude [1], [2]
interdépendance [1], [2]
innovation [1]
individualité [1], [2], [3], [4]
J
justinnovation [1], [2], [3]
L
leader [1]
M
modèle taylorien [1]
Manager agile [1]
N
nouvelle économie [1]
O
offre globale [1]
organisation [1]
offres globales [1]
P
performance [1]
prospective [1]
projet [1]
processus [1]
proopération [1], [2], [3]
pédagogie [1]
S
système [1]
société industrielle [1]
société de l’information [1]
société de consommation [1]
satisfaction [1]
stratégie [1], [2]
stress [1]
T
TIC [1]
V
valeur [1]