Vous êtes sur la page 1sur 233

Consultez nos parutions sur www.dunod.

com

© Dunod, Paris, 2012

ISBN 978-2-10-057904-4
Consultez le site web de cet ouvrage
À Anne, mon exemple agile, mon amour.
« Rien ici-bas, n’est plus souple, moins résistant que l’eau, pourtant il
n’est rien qui vienne mieux à bout du dur et du fort. »
Lao-Tzu, 570-490 av. J.-C., Chine
REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier les personnes qui m’ont permis soit de développer


cette pensée, soit de réaliser cet ouvrage.
En premier lieu, il y a Jacques Fleurat, un ami et un vrai entrepreneur, qui
est à l’origine de tous ces travaux.
Un nom ne peut être détaché de tous mes travaux académiques et de
conseil : Jocelyne Deglaine. Merci pour ta confiance et ton soutien
indéfectibles et, plus encore, pour ta fidèle amitié !
Je tiens à remercier Frédéric Pons, Président-Directeur général de SPIR-
ADREXO pour la confiance qu’il m’a accordée quand je suis intervenu
dans son entreprise et pour son témoignage d’amitié en acceptant de rédiger
la préface de cet ouvrage.
Je remercie mon institution principale de rattachement, Grenoble École de
Management, pour la grande liberté de pensée et la grande autonomie
qu’elle accorde à tous ses professeurs.
Merci à Odile Marion, directrice éditoriale, pour son écoute et sa
confiance ainsi qu’à Chloé Abellan pour son soutien chez Dunod.
Éric Decosterd et Lucien Wuillemin sont à mettre en avant pour la
confiance qu’ils m’ont accordée très tôt et pour leur engagement à mes
côtés, sans faille dans le temps, à travers leur école : HEG Fribourg.
Bien sûr je souhaite aussi remercier les nombreux dirigeants qui m’ont
fait confiance ces dernières années, en particulier Thierry Quillier PDG de
Loom Communication.
Comment ne pas citer particulièrement mes collègues, qui, par leur
ouverture d’esprit et le temps « off » qu’ils m’ont consacré, m’ont permis
d’avancer à grands pas dans ces idées, en particulier Karim Benameur,
Véronique Blum, Sophie Buer, Bernard Gumb, Daniel Ray, Pierre-Yves
Sanséau…
Je salue particulièrement aussi Lionel Bellenger et Olivier Badot pour
leurs précieuses contributions et leur amitié.
Merci aussi à tous les étudiants qui ont « subi » des formations à l’agilité
et dont les commentaires et questions m’ont aussi permis d’avancer.
Je n’oublie pas, dans ces remerciements, ceux qui m’ont appris mes
métiers, que ce soit l’enseignement, la recherche ou le conseil, tous issus du
CNAM ou de Futuribles. Ils sont sans nul doute à l’origine de ma manière
de penser et de ces idées : Rémi Barré, Michel Godet, Hugues de Jouvenel,
Raymond Saint-Paul et Pierre Frédéric Ténière-Buchot.
Je remercie enfin ma femme et mes enfants que j’aime tant et sans qui ma
vie perdrait tout son sel et surtout son sens.
PREFACE

L’agilité est entrée dans mon quotidien professionnel pas à pas. Au cours
de mes différentes expériences de manager chez Kraft et Mars s’est
insinuée progressivement en moi la conviction que le management par les
tableaux de bord et les budgets aidait assez peu ma réflexion, ne fédérait
mes équipes que de manière temporaire, consommait une part significative
de leur temps dans des conflits non créateurs de valeurs, et in fine ne
m’immunisait pas contre les coups de poker de la concurrence et les
retournements de conjoncture.
Si cet ultime objectif – protéger le P&L – n’était pas assuré de manière
certaine, à quoi bon continuer à leur donner le rôle central ? Quelle
évolution pouvais-je donner à mon mode de management, comment alléger
le poids des schémas prédéfinis pour générer de la valeur, sans mettre le
navire en péril ? Bref passer du schéma de création de valeur ajoutée à celui
de partage de la valeur créée.
J’ai donc commencé à piloter mes projets et mes équipes intuitivement en
mode agile. En les incitant à contourner les obstacles plutôt qu’à les
décortiquer, en les poussant à exprimer leur créativité, à regarder devant
plutôt que dans le rétroviseur, j’ai vu les énergies se fédérer. J’ai senti
l’agilité se diffuser dans l’entreprise, comme le soleil de Provence
réchauffe, clarifie les idées et donne de l’énergie pour entreprendre. J’ai
appelé ça l’effet « Soleil Powered Company ».
Après mon arrivée chez Adrexo, ma rencontre avec Jérôme Barrand a
marqué un virage supplémentaire : Jérôme a travaillé avec des dizaines de
managers soucieux comme moi de pérenniser le système de pensée agile
autour d’eux dans l’entreprise. Il a fait face de nombreuses fois au défi qui
consiste à étendre la pensée agile au-delà du comité de direction, à
l’insuffler à toute l’entreprise, pour qu’elle y vive durablement, irriguant le
cœur, les poumons, les bras et les jambes… Il promeut une démarche de
construction collective du sens, qui amène l’entreprise à combiner
efficience organisationnelle, et sens au travail : l‘effisens.
Adrexo a suivi collectivement cette voie et décidé de développer
l’ensemble de ses activités en cohérence avec sa mission : la création de
liens locaux. Ce sens est travaillé par tous de la manière suivante : le socle
de notre mode de management est l’énergie positive, mise au centre de
notre quotidien. Adrexo vit aujourd’hui au rythme de la « Violette
attitude » : toutes nos réunions de management commencent par un tour de
table permettant à chacun de partager les bonnes nouvelles de la semaine
passée. Les équipes abordent ensuite chargées d’énergie positive les
dossiers du jour.
Elles sont alors en capacité de travailler selon trois principes agiles
fondamentaux : anticipaxion, coopéraxion, imaginaxion (nous nous sommes
appropriés les concepts de l’agilité mais les avons renommés pour les
adapter à notre culture). Positive et agile, l’entreprise renforce au quotidien
son équilibre, sa coordination, les réflexes de chacun de ses membres, dans
toutes les fonctions, stratégie, marketing, vente, ressources humaines,
finance. L’entreprise agile subit moins son environnement, elle s’adapte en
permanence pour donner le meilleur d’elle-même, et donner à chacun la
meilleure satisfaction individuelle au travail. Les résultats sont au rendez-
vous et le sentiment d’appartenance démultiplié.
L’ouvrage de Jérôme Barrand donne des principes, critères et méthodes
pour évaluer en termes d’agilité, la stratégie, les pratiques
comportementales et managériales en cours dans l’entreprise. De nombreux
exemples concrets confèrent un aspect très opérationnel à l’ouvrage, qui
intéressera les dirigeants d’entreprise, les chefs de projet et les responsables
d’équipe, soucieux d’aborder leur approche managériale avec agilité.
Mes plus belles réussites ont pris vie grâce au triptyque anticipaxion,
coopéraxion, imaginaxion. Managers et entrepreneurs en quête d’agilité : je
vous dédie ces lignes, convaincu que l’ouvrage de Jérôme Barrand vous
aidera à définir votre propre jeu de valeurs agiles et vous guidera vers une
performance durable.
Frédéric Pons
Président-Directeur général
Adrexo
AVANT-PROPOS

Métaphore « intelligente » ou le modèle de


Tarzan
Un jour que je donnais un cours de stratégie de base, un étudiant
m’interpelle et me dit : « Monsieur, votre cours n’est pas un cours de
stratégie, c’est un cours d’intelligence ».
Flatté bien sûr, j’ai réfléchi à cette remarque et tenté de la comprendre. En
réalité, le fondement en était que, plutôt que de présenter une succession
d’outils d’analyse produits par les auteurs de la discipline, j’avais adopté
une autre posture pédagogique. Je plaidais pour la compréhension d’un
contexte managérial, et, du coup, pour un choix pertinent de l’outil
d’analyse à choisir. Plutôt que de leur décrire comment un outil
fonctionnait, je préférais leur décrire pourquoi un outil existait sous telle ou
telle forme. Et cette raison résidait systématiquement dans le contexte.
Mais qu’est-ce que l’intelligence ? Le dictionnaire Larousse nous dit :
« faculté de connaître, de donner une signification, un sens – aptitude d’un
homme, d’un animal, à s’adapter à la situation, à choisir des moyens
d’action en fonction des circonstances – capacité de comprendre telle ou
telle chose ».
Nous la qualifions, en guise de synthèse, de capacité d’adaptation au
milieu assorti d’une capacité d’évolution dans le milieu… et la meilleure
métaphore de l’intelligence, au sens que nous venons d’évoquer de ce
terme, se trouve dans l’observation de « Tarzan ». Ce héros créé par E.R.
Burroughs que nous avons tous tant admiré dans notre jeunesse, nous avons
oublié d’analyser, plus tard, les raisons de sa survie et de sa force à se
développer dans cet univers si hostile qu’est la jungle. Lisez cette
métaphore en la transposant dans notre « jungle économique », et vous
comprendrez comment décider et agir désormais !
Le talent particulier de Tarzan est avant tout d’être sensible aux signaux
pertinents dans la jungle, qui est un univers d’ombre et de « bruit », un
univers de turbulence fait de menaces d’espèces concurrentes et
d’opportunités végétales et animales ! Son talent a alors été d’inventer tous
les jours des solutions innovantes pour survivre, puis de trouver un
équilibre, et surtout de communiquer, malgré tout avec tous les acteurs de
son environnement en partageant avec eux un sens commun – la survie du
plus grand nombre :
malgré la densité des frondaisons : se déplacer grâce aux ressources
du milieu qui ne sont pas là pour ça. Tarzan n’emprunte pas les
chemins, mais les lianes[1]… ;
malgré l’incommunicabilité animale : Tarzan invente un cri distinctif
qui lui donne un moyen de communication.
La métaphore de la jungle vaut aussi pour décrire un univers plein de
risques et de menaces difficiles à identifier : un bruit, un grognement, un
signe précurseur, comme des oiseaux qui s’envolent… c’est tout ce dont
dispose Tarzan pour vivre ! Pourtant il sait quoi faire pour évoluer.
Mais aussi Tarzan n’arrête pas de tisser des alliances (avec la grande
nature et l’ensemble des acteurs qui l’entourent) : utilisation des moyens
naturels et évidemment de la faune (singe, éléphant…) pour lutter contre
ses concurrents prédateurs que sont les lions, crocodiles et autres serpents…
En fait, Tarzan noue des alliances de circonstance contre des ennemis mal
identifiés. Une stratégie humaine classique, consistant à se doter d’armes
modernes n’aurait pas été efficace. Pensons combien l’armée américaine a
perdu d’hommes dans la jungle vietnamienne parce qu’elle n’a pas su être
« intelligente », confiante qu’elle était dans sa supériorité traditionnelle,
avec un ennemi clairement identifié, qui se battait avec les mêmes armes
sur un terrain choisi ensemble !
Pensons que l’attentat de New York du 11 septembre n’a pas été
revendiqué tout de suite ! Les stratégies militaires « classiques » sont
totalement inefficaces si l’ennemi ne se déclare pas, n’a pas de patrie, ni de
territoire et qu’il n’a même pas peur de mourir ! On le voit aujourd’hui :
dans la lutte contre le terrorisme, c’est la coopération qui est au cœur du
débat, réseau contre réseau, alliances floues, ambiguïtés… contre alliances
équivoques et versatiles. L’échec du contre-espionnage américain, malgré
son fameux système d’écoute « Échelon » est significatif !!!
Poussons la métaphore et imaginons notre Tarzan plongé dans le monde
des affaires ! Il lui faudrait aussi composer avec ce qui l’entoure. Ainsi
transposé, l’environnement serait celui d’une concurrence non plus
déclarée, frontale, clairement identifiée mais sourde, diffuse, venant de pays
ou de secteurs non corrélés directement à son métier d’origine, lui-même
sans cesse en évolution… Peut-on alors gagner avec les armes
traditionnelles de la société de consommation et sa logique de domination ?
Nous étudierons en détail cette question plus loin. Mais déjà la réponse
nous paraît évidente.
Tarzan est aussi un nomade ! Un jour ici, un jour ailleurs, il ne possède
pas la forêt ni ne cherche à la posséder, il cherche à s’y développer, s’y co-
développer avec d’autres, à réguler son propre fonctionnement en
participant à la conservation de l’équilibre de l’ensemble, car c’est ce qui
donne un sens à sa vie. Il n’a pas de prétention au pouvoir ni à la possession
mais cultive « l’art de diriger sa conduite ».
Il montre la voie vers un nouveau monde : communicant, coopérant,
éthique[2].
Enfin, Tarzan est un être simple, sans souci de son image. Il se contente
de vivre dans le respect de son environnement et des acteurs qui l’habitent.
Il les accepte tels qu’ils sont comme eux l’acceptent tel qu’il est. Cette
double acceptation semble primaire, mais elle est d’une évidente
« intelligence ».
Nous allons maintenant tenter de démontrer la pertinence de notre posture
et vous convaincre… d’agilité.

[1]
Encore l’idée de liaison, médiation !
[2]
L’éthique comme art de diriger sa conduite.
INTRODUCTION

La métaphore « intelligente » de Tarzan (voir avant-propos) a pour but de


sensibiliser le lecteur, manager ou futur manager, à l’intelligence
situationnelle, ce qui nous semble essentiel à une époque où tant de repères
sont en train de changer : des ruptures dans la manière habituelle de penser,
de décider ou d’agir, dans son métier, dans ses loisirs ou même dans sa
famille, se produisent à une grande vitesse sans que l’on ait le temps de s’en
rendre compte.
Adeptes du signal faible, nous sommes à l’écoute de notre environnement
depuis toujours. Sensibles aux dissonances, nous sommes touchés par les
situations paradoxales que vivent les décideurs que nous rencontrons.
C’est pour nous le signe que des signaux faibles sont maintenant devenus
des signaux forts.
Or, paradoxalement, plus les signaux sont forts et plus on voit autour de
nous des personnes qui développent tous les moyens possibles pour ne pas
les entendre : les signaux faibles devenus forts sont vécus comme des bruits
dérangeants qu’il faut essayer de ne plus entendre. Notre proposition,
développée tout au long de ce livre, est plutôt de tenter de changer notre
sensibilité acoustique et de comprendre la nouvelle harmonie qui nous
enveloppe.
Formés à l’école de la prospective, nous considérons le futur comme
multiple et indéterminé. Aussi croyons-nous à la pro-activité c’est-à-dire à
la capacité de chacun de maîtriser largement son destin, et refusons-nous la
fatalité autant que nous réfutons la récurrence des systèmes.
Le système taylorien a vécu avec son cortège de bonnes et de moins
bonnes choses. Une autre société se fait jour, qui repose sur des bases
nouvelles dans un sens nouveau. Il nous faut comprendre cette mutation
pour adapter nos postures et pratiques managériales.
Tel est le but de la première partie de cet ouvrage : analyser et
comprendre ce nouveau paradigme sociétal pour mieux définir les sources
des nouveaux comportements qu’il nous faut désormais adopter.
Dans un second temps, nous définissons ces nouveaux principes
comportementaux qui signifient, selon nous, l’entrée en agilité, mot
séduisant par sa sonorité positive et quotidienne et amusant par sa
connotation animale. Spontanément l’agilité est imagée relativement à des
animaux sympathiques : le chat, le singe, le dauphin… sont les animaux
qu’on nous cite le plus souvent. Ces métaphores sont fortes et c’est sans
doute là que ce nouveau concept puise son potentiel de séduction et
d’impact.
Dans un troisième temps, nous rendons ce concept concret aux praticiens
que nous visons avec cet ouvrage. Après l’avoir défini nous exposons deux
outils : le diagnostic d’agilité que nous illustrons aussitôt avec un exemple
récent, et le profil d’agilité (ou Agile Profile®) dont nous montrons la
richesse dans une démarche de coaching d’agilité.
Enfin, nous abordons des applications des principes de l’agilité à :
l’entreprise en tant que système ;
la relation client à travers l’offre agile ;
l’évaluation agile des collaborateurs ;
le management des systèmes d’information, qui doivent sortir de la
simple logique d’optimisation des fonctionnements ou de minimisation
des coûts.
Finalement, cet ouvrage vise à bousculer les idées reçues de nos esprits
cartésiens habitués à l’excellence dans un contexte donné. Ce contexte
d’affaires est différent aujourd’hui que celui dans lequel la plupart d’entre
nous ont été éduqués, et, plutôt que de refuser ce nouvel ordre, nous
utilisons notre intelligence pour trouver de nouveaux comportements
performants.
Nous parlons donc à tous les décideurs, à la tête de grands groupes, de
petites et moyennes entreprises ou de simples projets. Nous visons à vous
bousculer dans vos certitudes et à vous donner de nouvelles clés de lecture
de votre environnement et de nouveaux outils afin de vous aider à mieux
vivre dans l’environnement rupturiel qui est désormais le nôtre.
1
COMPRENDRE LA NOUVELLE
SOCIÉTÉ [1]

Chaque jour, nous rencontrons des dirigeants qui nous livrent leurs
perceptions préoccupantes d’un monde qu’ils jugent de plus en plus
imprévisible et dangereux.
Ils évoquent la succession de ruptures, de crises, de paniques… lesquelles
ont peu à peu sapé les grands principes (religieux, philosophiques,
scientifiques, politiques, économiques…) qui façonnaient la société et
régulaient les comportements tant dans l’entreprise que sur les marchés.
On peut raccourcir leur pensée, et la nôtre, en exprimant que nous vivons
la fin de comportements stéréotypés, et, avec cette disparition, ce sont les
rapports fondamentaux que l’Homme entretient avec le temps, avec
l’espace, avec la collectivité (les autres) et avec soi-même qui semblent
faire l’objet de perceptions non seulement profondément renouvelées mais
également beaucoup plus personnelles.
Ainsi une nouvelle société est-elle en train de naître, dont les prémisses se
font sentir à travers les mouvements altermondialistes par exemple, mais
dont la difficulté d’émergence réside principalement dans la résistance
même des anciens systèmes établis.
L’éventail des possibles s’ouvre aujourd’hui largement en générant une
nouvelle complexité que renforce l’impression d’un environnement
incertain. Cette complexité affecte nos modes de pouvoir ; elle est donc
anxiogène. Michel Foucault ne disait-il pas que « le pire des désordres est
celui qui fait scintiller les fragments d’un grand nombre d’ordres possibles
dans la dimension, sans loi ni géométrie, de l’hétéroclite[2] ». De fait, le
pouvoir, dans une organisation, est généralement conservateur : il limite les
changements car l’exercice du pouvoir est plus aisé dans une configuration
connue. S’il est instigateur de changement (cela arrive, mais c’est beaucoup
plus rare), c’est au prix d’un risque élevé d’en perdre la maîtrise, le contrôle
voire le bénéfice que l’on peut en tirer en cas de réussite – sauf si un sens
profond est exprimé et partagé. Les principaux projets qui échouent
trouvent les causes de leur échec dans la difficulté du manager à naviguer à
mi-chemin de ces deux logiques de stimulation et de frein du changement.
Nous comptons cependant parmi ceux qui réfléchissent aux systèmes,
sans doute déformés que nous sommes par notre formation de
prospectiviste à l’école du CNAM et de Futuribles[3], et qui pensent qu’il est
temps d’abandonner la consolation des utopies pour affronter l’inéluctable
complexité née de la profonde transformation de nos sociétés.

De l’individualisme à l’intelligence collective


Les formes d’organisation, les modes de direction et les styles de
management que nous rencontrons chez nos clients résultent le plus souvent
de la sédimentation au cours du temps d’une succession de modèles
théoriques jamais totalement adoptés ni totalement abandonnés. Les plus
optimistes d’entre nous y voient d’heureuses fertilisations croisées (à la
manière dont les Américains voient l’agilité, c’est-à-dire comme la mise en
œuvre cumulée et synergique des concepts récents du management :
reengineering, lean management, just in time…). Les plus pessimistes
pointent l’incorrigible tendance des organisations à recycler les idées
nouvelles dans les anciens schémas de pensée, sans prendre la mesure des
conséquences parfois dramatiques d’une telle posture.
Peu importe. Ce qui nous intéresse ici, c’est de noter que, si l’utilisation
partielle et simultanée de ces modèles n’a pas conduit systématiquement à
des contradictions indépassables, c’est probablement parce qu’ils reposent
sur un socle culturel commun qui assure leur cohérence : un certain culte de
l’égoïsme et du pouvoir. Pour autant, la simple addition ou multiplication de
ces modèles ne crée pas une solution nouvelle, si elle n’est pas justifiée
solidement. De même, elle ne crée pas une pratique pertinente si elle ne
développe pas ses propres outils, résultats de la fusion des principes
fondateurs des concepts récents, mais appuyés sur ce socle culturel
commun.
Quel est ce socle ? On le retrouve dès les prémisses de l’âge classique,
avec le scandale de la parution du Léviathan de Thomas Hobbes en 1651. Il
s’étend ensuite à travers l’histoire des théories de la société, de l’économie,
des organisations et du management, traversant de part en part l’âge
moderne, du Taylorisme au retour du libéralisme, notamment illustré par
l’attribution du Prix Nobel d’économie à Milton Friedman en 1976.
Ce socle commun peut être abordé comme une anthropologie pessimiste
qui considère l’égoïsme et le pouvoir comme les motivations principales de
l’action des Hommes. Cette vision de l’Homme a fondé les théories sous-
jacentes à la plupart des modèles d’organisation que les dirigeants et les
consultants ont utilisés, tout au long de l’ère industrielle, pour bricoler les
organisations et leur management. Cette vision de l’Homme est aussi celle
qui, ouvertement annoncée ou non, a façonné nos grands systèmes
politiques et industriels, oubliant par là même les fondements de toute
société et de toute entreprise : vivre en tant que groupe d’Hommes avec des
intérêts communs et contradictoires à la fois.
Le résultat ne serait pas si désastreux s’il n’avait conduit à une sous-
exploitation systématique de l’autonomie et de l’intelligence individuelle.
En effet, la méfiance, née de cette anthropologie négative, n’a jamais
accouché de comportements constructifs : elle est juste le contraire du
principe de confiance qui sous-tend le travail collaboratif, seul véritable
socle de la richesse (par multiplication, à l’image de la nature) de la
fécondité des idées et des innovations.
Il nous faut dès lors vivre en plein paradoxe : stimuler l’intelligence
individuelle pour favoriser le développement du progrès collectif, au risque
de renforcer la montée de l’individualisme. Mais ce risque nous paraît
acceptable, tant la montée de l’individualité[4] nous semble plus favorable à
l’interdépendance de notre monde que l’individualisme de ceux qui le
composent.
Ainsi pensons-nous, scénario délibérément optimiste, que le futur nous
apportera une intelligence collective des individus à l’échelle de la nature
plutôt qu’une intelligence de l’ego. Mais cela ne peut se faire sans une
réforme profonde du fonctionnement et des valeurs de notre société et de
nos organisations.
Cette réforme nécessite en revanche une prise de conscience urgente et
l’élaboration de nouvelles règles qui la permettent. Trop fréquemment des
dirigeants nous disent souffrir du manque de règles adéquates, qui en effet
ne sont plus adéquates, par exemple :
Le système bancaire n’est pas adapté. Ce système s’est développé
durant les trente glorieuses, à l’apogée de la société industrielle, pour
favoriser les investissements matériels et dans une logique de
rentabilité à terme. Il faut aujourd’hui beaucoup plus de souplesse et
une logique de risque davantage basée sur la théorie des jeux que sur la
théorie des rendements décroissants. Il faut aussi tenir compte des
leçons de la crise des subprimes : les banques ne sont pas là pour
spéculer sur des dettes à plusieurs intermédiaires mais bien pour
financer le développement des activités des hommes en prenant des
risques très modérés. Comment enfin continuer à spéculer sur la
croissance de nos économies et vivre par l’endettement, alors que tous
les chiffres montrent clairement que la croissance n’existe plus depuis
30 ans et qu’elle n’est qu’aléatoire ;
Les aides publiques sont insuffisantes également, pas tant sur le
plan quantitatif que sur le plan qualitatif. En effet, ces aides favorisent
toutes l’investissement matériel (à l’image d’OSEO ou des aides de la
DRIRE) alors que ce dont les entreprises ont le plus besoin, c’est
d’être épaulées pour développer des actions de soutien (mise en place
d’un réseau commercial, financement d’études de partenariat,
investissements lourds pour favoriser la mobilité ou le changement de
culture, mise en place de SI ou acquisition d’outils de communication,
recrutement de compétences clés…).
Le système boursier n’est plus le reflet de la vie économique et la
spéculation court-termiste est un véritable cancer pour notre économie.
En effet, les décisions macroéconomiques des états donnent
l’impression de n’être prises plus qu’en fonction des grands indices
boursiers. Or ceux-ci ne reposent que sur la santé de 40 entreprises en
France, dont l’activité (et l’emploi) est davantage internationale que
nationale. De plus, ces cotations boursières ne sont plus le reflet d’une
réalité économique (sinon une entreprise ne perdrait pas la moitié de sa
valeur en 3 jours sous prétexte qu’elle lance un nouveau produit avec 6
mois de retard) mais le fruit d’une spéculation effrénée de quelques
gros investisseurs dont on n’aurait jamais dû accepter la croissance (un
fond d’investissement peut être tellement doté qu’il peut à lui seul faire
vaciller une monnaie !). L’hyper financiarisation de notre société et la
logique court-termiste associée, enfin, se développent à la manière
d’un cancer : il s’agit de l’hyper développement d’une variable du
système, au détriment de tout le reste. Certes, ces cellules se
développent mais à la fin elles tuent le système sur lequel elles vivent
et, par là même, se tuent aussi !
L’émergence de nouvelles règles suppose une remise en cause complète
de nos schémas de pensée et une capacité unique à l’échelle de l’évolution
de l’humanité à prendre du recul sur notre façon de regarder notre monde.
Elle nécessite aussi un courage et une audace exceptionnels pour oser
façonner ce monde non plus par une complexification accrue des règles en
place, ce qui en renforce l’inertie, mais par une simplification rendue
possible par la remise en cause des idées reçues. C’est enfin une chance
unique de placer l’Homme au centre du monde, non plus en tant que
« variable réagissante » mais en tant que moteur conscient et responsable de
la construction d’un ordre nouveau. À l’instar d’Olivier Clerc dans « La
grenouille qui ne savait pas qu’elle était cuite », nous pensons qu’« à une
conscience actuellement très mentale, analytique et narcissique – comme
Narcisse l’homme contemporain est absorbé dans la conscience de lui-
même que lui confère sa capacité à réfléchir – nous devons substituer une
conscience plus intuitive, sensible, profonde, qui ne s’arrête pas aux
apparences, qui franchisse la surface réfléchissante du miroir mental pour
accéder à une perception du monde plus riche, plus complète ». Sortons de
ce narcissisme pour libérer notre capacité d’entrée en agilité.

Les leçons d’une lecture historique des grands


mouvements sociétaux
Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur la « nouvelle économie » –
souvent qualifiée d’« économie de l’information » – et nous ne pensons pas
apporter de grandes nouveautés ici, si ce n’est que nous préférons parler de
nouvelle donne politico-technico-économique, ou, plus simplement, de
nouvelle donne.
Notre posture est très claire sur le sujet. Tout ce qui a pu être dit ou écrit
l’a été à chaud. En effet, quand un système vit une mutation ou un
changement de paradigme, il est difficile de prendre assez de recul pour
objectiver chaque événement ou réaction nouvelle. Opinions et
interprétations foisonnent alors de manière pas toujours cohérente,
exprimées par des acteurs hétérogènes et diversement concernés (les
journalistes, par exemple, ont tendance à faire du sensationnalisme tandis
que les politiques font du partisanisme).
La difficulté réside donc dans l’objectivation d’un changement profond
du paradigme sociétal qui est en cours. Peut-être ne serons-nous pas
totalement objectifs non plus, mais, en bon prospectivistes, nous pouvons
essayer de faire la synthèse de nombreux faits marquants et commentaires
récents pour en tirer quelques principes généraux, qui semblent se mettre en
place et qui vont structurer le paradigme dominant nouveau dans lequel
individus et organisations vont désormais « naviguer ».
Notre vécu et notre observation de trois milieux différents, la formation
supérieure (publique et privée), les entreprises (grandes et petites) et le
milieu politique local, nous ont fait percevoir une convergence d’attitudes et
d’analyses nouvelles de la part de tous les acteurs que nous avons
rencontrés et avec lesquels nous avons travaillé. Nous avons analysé ces
opinions. Cette analyse nous amène à retenir cinq ruptures majeures, en ce
sens que leurs conséquences vont structurer un nouveau
paradigme sociétal : la montée de la finitude, la montée de la complexité,
la montée de l’individualité, la montée de l’incertitude et la montée de
l’interdépendance. Ces ruptures feront l’objet de notre premier chapitre et
seront le fondement des principes de l’agilité, dont le fonctionnement et les
outils seront décrits dans les chapitres suivants.
Mais pour l’instant tentons de comprendre comment notre société a
évolué jusqu’à nos jours. Pour ce faire, nous proposons une analyse de type
« macroscopique » de la société[5], dans un premier temps, pour comprendre
les évolutions du système économique ; puis nous nous appuierons, dans un
second temps, sur les analyses plus récentes d’historiens pour mieux
appréhender l’histoire économique contemporaine.
Les grandes ruptures sociétales
Dans le Macroscope, Joël de Rosnay a brillamment raconté « la petite
histoire de l’économie, du nomade à l’entreprise » à travers la description
des grandes étapes du développement de la société économique. Ces étapes
sont au nombre de cinq et correspondent à la mise en œuvre de moyens
nouveaux permettant à l’Homme d’agir toujours plus efficacement dans son
environnement :
la conquête puis la maîtrise du feu : l’Homme vit alors en nomade ;
la maîtrise de l’agriculture et la domestication des animaux. C’est le
développement de la capacité de l’Homme à produire plus d’énergie
(comprendre « de nourriture ») que son besoin quotidien et à la stocker
qui lui permet de se sédentariser ;
le développement à grande échelle de l’artisanat ;
l’ère préindustrielle, qui voit l’apparition de machines mues par des
énergies naturelles ;
la société industrielle moderne où les machines sont désormais
animées par de nouvelles énergies plus puissantes que la simple
énergie humaine ou animale – les énergies fossiles - amenant ainsi une
accélération des cadences et une explosion de la productivité.
C’est alors l’avènement de la première révolution industrielle, qui apporte
les organisations tayloriennes (émiettement du travail, spécialisation des
tâches, faible valeur créatrice…) au niveau de l’entreprise.
Ainsi les grandes phases de mutation correspondent à des phases de
maîtrise d’une énergie nouvelle et à la configuration d’un nouvel équilibre
systémique, ce que nous avons synthétisé (figure 1.1).
Figure 1.1 Les grandes ruptures sociétales

Dans le même esprit, Michel Serres, dans une remarquable conférence


pour les 40 ans de l’INRIA, a démontré que notre société mutait à chaque
fois qu’une technologie modifiait le couplage entre le message et son
média : le célèbre académicien explicite ainsi comment la révolution
informatique change notre rapport au monde et l’organisation de notre
société, tout comme avant elle l’écriture (600 av. J.-C.), puis l’imprimerie
( e siècle) ont profondément transformé nos modes de vie. Il nous invite à
prendre conscience de la révolution cognitive générée par la révolution de
l’information. Pour lui, les nouvelles technologies amènent l’homme à
externaliser une partie de ses compétences intellectuelles, et d’abord sa
mémoire. Il ne lui reste donc que son inventivité, son intelligence, à
condition qu’on lui laisse la liberté de s’exprimer.
Nous retenons de cette vision macroscopique et historique de l’évolution
humaine qu’il y a interactions étroites entre la finalité d’un système, son
énergie vitale et ses mécanismes de régulation : la survie grâce à une
énergie humaine ou animale pour une société agricole, puis la richesse
grâce à des énergies plus puissantes pour une société industrielle. Le bien-
être (multidimensionnel) aujourd’hui ?
C’est en appliquant ce principe que nous arrivons à la conclusion que la
révolution de l’information que nous vivons aujourd’hui est sans doute
d’une violence, et donc d’un impact au moins aussi grand que ce qu’on a
appelé la première révolution industrielle. En effet, nous avons à nouveau
simultanément changement d’énergie – de l’énergie physique à l’énergie
informationnelle – changement du couplage support et message – avec
l’émergence depuis 1995 d’Internet – et changement de finalité – de
l’espoir de la richesse absolue à la quête d’une richesse relative c’est-à-dire
de bien-être, et ceci dans un délai très court (une trentaine d’années).
Il y a là matière à une véritable rupture paradigmatique. Or, à nouveau
système nouveaux mécanismes de régulation. Nous voulons ainsi exprimer
que les solutions qui ont permis l’équilibre du système industriel ne peuvent
plus être les mêmes que celles qui régissent le désormais nouveau système
dans lequel nous vivons, à savoir le système informationnel (figure 1.2).
Cette mutation ne peut se dérouler qu’à travers une longue succession de
crises, comme si deux plaques tectoniques se rencontraient. La stabilité du
nouveau système ne reviendra que lorsque l’ensemble des organisations
humaines retrouvera une cohérence entre finalité, énergie et mécanismes de
régulation.
Figure 1.2 La révolution informationnelle

La survie de nos organisations humaines nécessite la remise à plat du


paradigme politico-économique actuel par chacun, quel que soit son rôle
économique. C’est une condition sine qua non à respecter afin de mettre en
place de nouvelles pratiques cohérentes et pérennes. Mais pour ce faire, il
faut commencer par une remise en question « philosophique » et admettre
que la quête de l’humanité n’est plus la richesse – à laquelle n’accède
réellement que 10 % de la population mondiale ! – mais plutôt ce qu’on
peut appeler, sans naïveté, « le bien-être ». Le bien-être, ce n’est pas être
très riche, c’est être suffisamment riche pour pouvoir jouir a minima du
monde qui nous entoure et du temps qui nous est donné par la vie. La
nécessaire croissance économique peut alors être satisfaite en donnant à
tous ce bien-être plutôt qu’en donnant un multiple déraisonnable de ce bien-
être à quelques-uns et rien à la masse des laisser-pour-compte (notons
d’ailleurs qu’en ne changeant rien au système on constate une augmentation
du nombre de pauvres et une augmentation de l’écart entre les riches et les
pauvres dans tous les pays dits développés).
Nous nous trouvons finalement aujourd’hui dans une situation similaire à
celle du premier Homme : démunis face à un monde mal connu et mal
compris, en quête de survie et à la merci de nombreuses menaces. On
comprend dès lors quelle panique peut saisir l’humanité face à la puissance
et la soudaineté de cette révolution ! On comprend aussi la nécessité
absolue d’inventer et d’adopter de nouvelles règles d’organisation sociétale,
dont les principes d’agilité pourraient représenter les fondations. Les seules
solutions viables doivent être innovantes, partagées au sein d’un pays et
entre les pays et anticipatrices des conséquences sur l’équilibre mondial. Au
lieu de cela, on constate un repli égoïste, une quête de survie chacun dans
son coin, un renforcement des solutions locales et des pratiques déviantes
(dumping social et fiscal). Nos responsables le sont-ils encore ?
Les grandes ruptures industrielles
Nous pouvons confirmer cette impression vertigineuse de changement
fondamental de société en observant le siècle industriel passé.
À l’époque de l’artisanat, les délais de production étaient aléatoires, les
prix étaient élevés et la variété très présente et appréciée. L’artisanat se
rapprochait étymologiquement et techniquement de « l’art » : Stradivarius,
par exemple, allait jusqu’à donner un nom à chacun des instruments qu’il
produisait, ce qui montrait leur unicité et leur rareté, donc leur cherté !
Puis, la révolution industrielle a apporté la logique de série puis la
consommation et la production de masse. En effet, la logique économique
de croissance dans laquelle nous sommes entrés, s’est imposée, visant à
offrir à chacun le minimum vital dans les produits de première nécessité.
Cela imposait des délais très réduits, pour un achat et une consommation
immédiats, avec des prix toujours plus bas pour que la masse puisse accéder
à tous les produits. Pour réussir ce double pari, la variété a été sacrifiée et
l’unicité a été produite en masse grâce à la standardisation. Ainsi, un
nouveau modèle économique et industriel s’est imposé, qui est à l’exact
opposé du modèle artisanal : à la cherté, la rareté et la variété, se substituent
un prix bas, une abondance mais aussi une standardisation.
Aujourd’hui, cependant, le changement de comportement des individus –
tant dans leur position de consommateur que dans leur position de
producteur – oblige à satisfaire un consommateur cherchant des produits
uniques et personnalisés, disponibles dans des délais toujours plus réduits et
des prix toujours plus bas (figure 1.3).
Cette équation (produits uniques, délais réduits, prix bas) est a priori
impossible à résoudre pour un manager éduqué dans la logique industrielle
de volume. C’est un premier problème à considérer.
Figure 1.3 Les grandes ruptures industrielles

Par ailleurs, l’évolution récente « vers le sur-mesure de masse » a été


accompagnée par la naissance, le développement et surtout la mutation de
la fonction marketing depuis une quarantaine d’années. Le marketing de
masse se manifestait par un message unique à destination de tous les
consommateurs – « la masse » - afin de les pousser à la consommation, en
leur montrant que les produits existaient. Puis le marketing est devenu plus
ciblé, avec la notion de segments de marché. Depuis une quinzaine
d’années, est apparu le concept de « clan ». Le clan est composé d’individus
qui ont des modes de consommation différents en fonction des produits.
Aujourd’hui que la tendance est à l’individualisation, le marketing est
« one-to-one ». C’est un second changement culturel observable.
Enfin, ces évolutions n’ont pas pu se faire sans avoir un impact sur le
produit : alors qu’hier nous vendions-achetions des produits physiques,
c’est-à-dire des objets manufacturés, nous vendons-achetons aujourd’hui
davantage une marque, une image, des services, une relation, une
formation, une information… bref, ce que nous appelons un produit global
(offre globale) par opposition à un produit physique ou objet.
Nous traiterons de ces évolutions et de leur impact sur le management
plus avant dans cet ouvrage.
L’entreprise, système ouvert sur son environnement
Ce que nous souhaitons remarquer à ce stade de notre développement,
c’est l’indiscutable lien qui existe entre l’état de l’environnement d’un
système et l’état et le mode de régulation de ce système. Qu’il s’agisse
d’une entreprise, d’une société, d’une politique ou d’une économie, ce lien
est primordial et notre regard historique le montre bien. Pour l’entreprise,
notre sujet d’étude ici, cela signifie qu’il existe un lien fondamental entre
son environnement et la stratégie qu’elle peut mettre en place ou encore ses
moyens - c’est-à-dire l’organisation et le style de management, les valeurs
et le mode d’évaluation de la performance de l’ensemble et de chaque
individu.
En effet, si nous avons commencé notre propos par l’évolution de la
société et l’évolution industrielle, c’est que nous nous inscrivons
définitivement dans une approche systémicienne de l’entreprise. De ce
point de vue, nous nous posons dans la filiation des travaux de Von
Bertalanffy ou de Le Moigne[6].
D’un point de vue structurel, nous retenons d’un système qu’il
comprend :
Une frontière qui est cette limite plus ou moins floue entre le
système étudié, que l’on appelle aussi le système interne et son
environnement qu’on appelle système externe – la frontière physique
des bâtiments d’une entreprise ou la frontière juridique de sa raison
sociale sont évidentes.
Des éléments qu’on peut aisément repérer et définir. Ces éléments
sont le plus souvent hétérogènes dès qu’il s’agit de systèmes sociaux –
l’entreprise est bien composée d’Hommes, de bâtiments, de machines
et de capitaux…
De relations entre ces éléments, qui elles aussi sont hétérogènes
puisque les liens d’influence entre les éléments peuvent être de nature
physique, spirituelle, informationnelle ou encore énergétique – une
entreprise est bien le lieu central d’influences de tous types entre les
acteurs de ces différentes ressources humaines, techniques,
commerciales ou financières avec des jeux de pouvoir qui s’appuient
sur toutes ces dimensions.
D’un point de vue fonctionnel, nous retiendrons plutôt :
Des délais de réaction ou de réponse plus ou moins longs entre les
acteurs du système, qui dépendent des temps nécessaires aux
ajustements opérationnels.
Des phénomènes d’action-réaction entre les éléments et les acteurs
nombreux et complexes parce que chacun interprète le système à sa
façon – on peut par exemple analyser les boucles verticales d’une
entreprise de la direction vers la base active et réciproquement.
Des mécanismes de régulation, enfin, régis par des centres de
décisions. Ces derniers reçoivent les informations, les classent et les
analysent afin de les transformer en actions. On peut regretter que ces
mécanismes de régulation s’apparentent trop souvent à des règles de
fonctionnement que chacun doit respecter mais qui ne peuvent pour
autant assurer l’équilibre du système de manière pérenne si
l’environnement évolue.
La problématique des systèmes est dès lors de gérer leur frontière avec
leur environnement tout en conservant leur identité et en assurant leur
survie ou leur développement sans nuire à leur environnement. En effet,
même si elle doit produire des résultats, une organisation capte des
perceptions de la part de chacun de ses membres et de la part de son
environnement. Ces perceptions sont ensuite source de comportements de la
part de chacun des acteurs, les uns par rapport aux autres. Ainsi les résultats
sont autant le fruit de méthodes que de manière de fonctionner. C’est pour
cette raison qu’une entreprise doit d’abord se poser la question de la société
dans laquelle elle vit avant de s’arc-bouter sur l’obtention de résultats. C’est
pour cette raison aussi que nous passons ici autant de temps à comprendre
notre environnement. C’est cette analyse et compréhension de notre
environnement qui vont amener à justifier de l’entrée en agilité.
Admettons donc que l’entreprise est bien un système. Qu’est-ce alors que
la stratégie ?
Pour nous, elle est l’art de gérer cette frontière entre les ressources
internes de l’entreprise et les contraintes et opportunités de son
environnement. C’est d’ailleurs cette perspective de l’entreprise et de la
stratégie qui a prévalu à la création du premier outil de la discipline
« stratégie », nous pensons ici à l’analyse « SWOT[7] ». C’est aussi cette
logique qui ne cesse de prédominer depuis lors dans tous les modèles
stratégiques jusqu’à l’avènement de l’analyse sectorielle portérienne, qui,
finalement, s’intéresse davantage encore à la dynamique de
l’environnement.
Le rôle de la stratégie est donc bien ce rôle de régulateur et de prise de
décision du système : la stratégie analyse les potentiels de l’entreprise, les
confronte aux contraintes de l’environnement et alloue les ressources, c’est-
à-dire met en œuvre une organisation, pour atteindre des objectifs choisis
eux aussi en fonction de cet environnement.
Ainsi donc, le point de départ de la mise en place de la stratégie et de
l’organisation est le contexte dans lequel l’entreprise évolue. Nous n’en
voulons pour preuve que les évolutions parallèles de l’environnement, de la
stratégie et de l’organisation au cours du siècle dernier ! C’est
principalement pour cette raison que la prise de conscience du changement
de société suggéré précédemment nous semble fondamentale pour le
devenir de nos systèmes économiques et pour leurs managers.
Les grandes phases de la période moderne
Nous allons parler, dans les sous-chapitres suivants, essentiellement de
phénomènes apparus dans nos sociétés occidentales dites développées.
Nous les traiterons dans un souci de temps et de simplification de manière
quelque peu simplifiée mais néanmoins tout à fait exacte. Nous nous
inscrirons, pour en comprendre l’impact sur nos entreprises, dans cette
perspective systémique de l’entreprise. Néanmoins nous avons une arrière-
pensée relative aux sociétés émergentes car, celles-ci vivent au niveau
économique en accéléré ce que nous avons vécu depuis la dernière guerre
mondiale.
La logique de production de la première moitié du e
siècle
On peut considérer que durant cette période l’offre était durablement
inférieure à la demande, ce qui est le propre d’une économie en phase de
forte croissance.
Il n’y avait dès lors pas de véritable stratégie d’entreprise. En effet,
l’environnement était davantage source d’opportunités que de contraintes :
peu de concurrence, un marché jamais saturé, des sources de financement
aisées car un risque très limité, une offre technologique pléthorique issue de
la révolution industrielle…
De fait, la discipline « stratégie » n’était pas encore apparue et personne
ne s’en préoccupait dans l’entreprise. Elle n’était encore qu’une discipline
militaire, qui allait d’ailleurs ensuite fortement influencer le champ
économique[8].
Dans un tel contexte, il est apparu que le rapport de force « offre-
demande » était largement en faveur de l’offre. Ainsi, les entreprises se
sont-elles laissées aller à un comportement technologiquement arrogant :
« nous détenons la technologie, nous savons ce dont vous avez besoin,
consommez ce que nous vous offrons ». Notre propos est certes caricatural
mais néanmoins le reflet d’une certaine réalité.
La société dans laquelle les affaires se menaient était une société issue de
la révolution de 1789 et de la révolution industrielle. Le pouvoir n’était plus
entre les mains des grands propriétaires terriens puisqu’il glissait vers ceux
qui possédaient la technologie ou qui pouvaient la financer. Aussi, ce
soudain changement de main du pouvoir amena assez naturellement une
tendance au despotisme et au renforcement de ce nouveau pouvoir. Ceux
qui réussissaient expliquaient leur succès et savaient extraire de cette
analyse de nouvelles règles de fonctionnement de la société : société techno
centrée, mise en place de la règle du succès (la division du travail et la
standardisation de la production), modèle d’obéissance pour ceux qui ne
savent pas…
Nos organisations industrielles ont suivi cet exemple. Ainsi les entreprises
se sont-elles organisées autour de la technologie au service de la
standardisation et de la maîtrise des coûts, c’est-à-dire autour de l’appareil
de production. Le modèle dominant est vite devenu le modèle taylorien, très
hiérarchisé avec un management patriarcal qui s’accommodait bien des
entreprises familiales qui croissaient alors.
Il n’y avait ni vision marketing, ni démarche client et le dominant était
l’ingénieur détenteur des moyens de production, et, à ce titre, optimisateur
de la régulation du système entreprise : la production.
Le slogan stratégique était la croissance : par développement de capacité,
par acquisition, et, le cas échéant par diversification. La stratégie est alors
apparue, davantage dans l’esprit d’aider à faire les choix les plus pertinents
des domaines d’activité dans lesquels se lancer. Pour ce faire, il suffisait de
confronter les forces et faiblesses de l’entreprise aux menaces et
opportunités de l’environnement afin de trouver l’axe prioritaire de
développement.
Finalement, la stratégie et la structure des entreprises ont fonctionné par
imitation de la stratégie et de l’organisation militaire. Tout comme deux
armées se donnaient rendez-vous un jour sur un champ de bataille
déterminé, les entreprises se donnent rendez-vous sur un marché. Les
armées étaient dotées des mêmes armes et plaçaient face à face un grand
nombre de personnes comme les entreprises tentaient de faire la différence
par la capacité de production – c’est-à-dire le nombre d’ouvriers. Enfin, la
différence de performance entre deux armées ne reposait pas sur le seul
nombre de soldats mais aussi sur la fluidité des fonctionnements entre la
première ligne qui tirait, la seconde qui armait, la troisième qui chargeait les
armes etc. De même, dans les entreprises, la différence se fait, au-delà du
nombre d’ouvriers, par la capacité à fluidifier son fonctionnement. Et c’est
là que l’organisation taylorienne a montré sa grande pertinence et
performance.
La logique de rationalisation des années 1950–1970
Durant cette période d’après guerre, la croissance était encore très
soutenue mais trois phénomènes externes sont venus modifier la donne :
Premièrement, le monde ne se réduisait plus au pays, au contraire, la
mondialisation était en marche (le cycle de vie du produit, défini par
Vernon[9], suggérant de conquérir d’abord son marché local avant de
s’attaquer au marché régional, national puis international).
Deuxièmement, la guerre avait frustré les gens pendant 5 ans et
l’appétit de tout à chacun était démultiplié, suscitant le besoin d’une
part et stimulant l’esprit entrepreneurial d’autre part.
Troisièmement, la guerre avait fait faire de nombreux progrès
technologiques en peu de temps, ce qui allait permettre la
démultiplication de l’offre et de la concurrence.
Ainsi, dans un contexte économique de reconstruction et de croissance
dans lequel la fin des restrictions suscite un fort besoin de consommation, la
demande s’est durablement installée comme supérieure à l’offre.
L’entreprise est maître du jeu de la consommation de masse et applique des
logiques de volume devenues opérables grâce à la rationalisation et
l’automatisation du travail. La conception des produits est basée sur une
définition technique et leurs prix établis par la sommation des coûts de
fabrication et de la marge et par la loi du marché (offre-demande).
L’organisation hiérarchique pyramidale, qui caractérise encore cette
période, favorise la séparation de la pensée et de l’action par le biais de la
simplification des tâches : les ouvriers appliquent à la lettre des tâches
élémentaires, obéissant ainsi aux règlements imposés par les ingénieurs,
dirigeants, managers ou cadres, dont les tâches et responsabilités
professionnelles sont elles-mêmes bien déterminées. Pour ces leaders, la
maîtrise technique ou managériale, dont l’accès est limité, participe à
l’installation du pouvoir.
Figure 1.4 Le polytechnicien

Une représentation des objectifs et compétences requises par la société


industrielle et portées par le polytechnicien
Forts de ces compétences, les ingénieurs managers conçoivent des
produits de qualité répondant à la représentation de leurs besoins. Une
représentation de cette société industrielle centrée autour de la technologie
est suggérée par la figure 1.4. Diverses étapes de conceptualisation et
conception conduisent les ingénieurs managers à proposer des produits
innovants en processus de standardisation, s’inscrivant ainsi dans la lignée
d’un mouvement initié par Fayol[10].
Les organisations se sont moins centrées sur la production et davantage
sur l’administration, renforçant ainsi le contrôle (de gestion) et
l’administration de l’entreprise. Les entreprises commencent à agir sur leur
marché et tentent d’attirer le client par la publicité. Pour garantir la qualité
de leurs produits, les entreprises adoptent la norme ISO, qui, en réalité, ne
garantit que la répétabilité à l’infini d’un même produit !
Le pouvoir se déplace dans l’entreprise du producteur à la vision étroite
centrée autour des variables techniques, au gestionnaire (administrateur)
capable d’assujettir les variables techniques aux contraintes économiques.
Celui-ci vise donc, par son action, à augmenter la valeur économique de
l’entreprise, et, ainsi, à toujours satisfaire davantage l’actionnaire.
La stratégie voit apparaître des modèles matriciels basés sur le croisement
des logiques financières et techniques, les fameuses matrices BCG (Boston
Consulting Group). Elles privilégient la logique d’abaissement des coûts
par l’accroissement des volumes, en particulier via l’automatisation. Elles
permettent notamment l’administration d’une entreprise à travers chacune
de ses activités avec des règles extrêmement simples : doubler
l’investissement ou abandonner. Vision duale du monde – il y a ce qui
marche et ce qui ne marche pas – ces matrices s’imposent pourtant et se
répandent largement[11] !
Là encore on peut porter la métaphore militaire. Une guerre ne se gagne
plus sur les seuls critères quantitatifs ou organisationnels au niveau d’un
seul front mais sur une pluralité de fronts (lieux physiques, types d’armées
(air, marine, terre…) et grâce à la bonne gestion des moyens (ressources
financières et logistiques).
La logique de valeur des années 1970–1980
Dès le début de cette période, une crise forte est apparue – seulement 5
ans après mai 1968 en France – dite crise du pétrole en 1973. Cette crise est
à la fois une crise de régulation économique[12] et une crise d’amplification
des phénomènes internationaux, tant politiques qu’économiques.
Les secousses de cette crise économique marquent la fin des années 1970
et les années 1980, par l’effet persistant des chocs pétroliers et de
l’inflation[13]. C’est la crise du mode d’accumulation basée sur les gains de
productivité des industries mécaniques, conséquence de l’incapacité des
industries à compenser les coûts du travail et de la concentration industrielle
par les gains de productivité. Le changement de modèle économique dans
les pays occidentaux, en partie mis en œuvre par la dérégulation, renforce la
concurrence et donc la nécessaire compétitivité des entreprises. L’inversion
de rapport entre l’offre et la demande exige une nouvelle logique de
production. La stratégie de volume s’estompe au profit d’une stratégie de
différenciation (valeur perçue par le client) tandis que la surproduction rend
indispensable le renforcement des méthodes de veille et de satisfaction des
consommateurs. Ces derniers s’imposent comme de véritables stakeholders,
et leurs exigences s’ajoutent alors à celles des investisseurs. La technologie
permet d’introduire de la flexibilité et de la souplesse dans la production (en
particulier grâce aux machines à commande numérique), vecteurs
principaux de la diversité demandée. Ainsi, au-delà de la satisfaction
initiale de l’actionnaire, préoccupation toujours prioritaire, il s’agit
désormais en plus de satisfaire le client.
La disparition de la rente bancaire négative, l’accroissement de
l’adaptabilité exigée des investissements et des produits, la perte
d’attractivité momentanée de l’investissement industriel au profit de
l’investissement financier conduisent à repenser l’organisation et son
fonctionnement. Alors que jusqu’en 1982, le partage salaires-profits restait
avantageux pour les salariés, il s’établit désormais et de manière durable en
faveur du profit[14].
Le capitalisme français s’est installé, l’entreprise a définitivement adopté
une conduite dans des objectifs de performances économiques et
financières, elle devient entreprise-profit au détriment de l’entreprise-
processus[15]. La simplification de la structure organisationnelle et la
suppression de niveaux hiérarchiques favorisent la recherche de
rationalisation des coûts. Une nouvelle terminologie faisant référence à la
flexibilité, aux processus et procédures, aux centres de profits, à la qualité et
à la gestion de production est importée des États-Unis et du Japon[16]. Elle
mène en particulier au développement puis à la généralisation de la norme
ISO pour la qualité. La réactivité stratégique et la flexibilité industrielle
sont largement avantagées par la diffusion technologique de l’information
grâce à des systèmes d’information aux performances sans cesse accrues.
La multiplication des compétences requises, perçue dans ces variations de
langage, conduit à une nouvelle forme de combinaison entre les métiers et
les lignes de produits. Conjuguant les fonctions-support et les fonctions-
produits, l’entreprise est alors décrite de l’amont à l’aval dans une nouvelle
forme de sophistication : la matrice. La poly-compétence – polyvalence au
Japon ou double compétence en Occident – constitue alors la panacée et
semble répondre de manière optimale tant aux nouveaux défis des marchés
qu’aux nouvelles contraintes organisationnelles matricielles. Le besoin de
fertilisation croisée entre les approches de gestion et de l’ingénieur
s’impose comme une évidence : la connaissance des produits et de leur
conception doit s’assortir de la maîtrise des processus de maximisation de
richesse et de performance. Les dirigeants doivent non seulement être
capables d’innover en proposant de nouveaux produits mais également de
les inscrire dans une recherche d’optimisation de la performance financière.
Ces solutions restent cependant dans une logique de compréhension
mutuelle et de juxtaposition de connaissances techniques. Au schéma de la
société industrielle préalablement existante se sont ajoutées des
préoccupations financières installant le modèle capitaliste et exigeant de la
part des managers une compréhension de ses mécanismes et une maîtrise de
ses contraintes. La figure 1.5 représente la juxtaposition (addition) de ces
deux modèles et propose l’identification des nouvelles compétences dont le
manager doit faire preuve : la communication, la coordination et
l’optimisation. Les cabinets ADL, Mc Kinsey, Ernst & Young et consorts
s’inscrivent dans la continuité des travaux du Boston Consulting Group,
avec la très connue « Matrice BCG. » Leur résonance en entreprise
témoigne du changement qui fait intervenir les organismes de conseil
comme les professeurs des nouvelles compétences.
Figure 1.5 Double compétence

Une représentation des objectifs et compétences requises par la société


capitaliste servis par la double compétence ou la polyvalence G = gestion ;
T = technologie
Poursuivons notre métaphore militaire : la guerre s’est ensuite gagnée
grâce aux capacités technologiques et à la valeur ajoutée intégrée dans les
armes autant que dans les capacités d’information et de communication en
particulier entre des unités très spécialisées travaillant de manière
coordonnée.
La logique de satisfaction client des années 1990
Depuis les années 1990, l’évolution de l’environnement, qualifié de
complexe, se manifeste par une forte instabilité et l’apparition de nouvelles
contraintes. Les organisations n’échappent pas à cette métamorphose et
vont la décliner en interne en s’organisant dans une nouvelle forme,
systémique, c’est-à-dire dire comme entité en relation avec son
environnement, pour devenir des entreprises-réseaux ou entreprises
élargies. La multiplication de zones de déréglementation, telle l’Union
Européenne, favorise la simplification des échanges et accélère le
changement. L’internationalisation marchande, qui avait connu une
première étape importante dans son développement au e
siècle, se
transforme en un phénomène plus répandu et quelquefois perçu comme une
contrainte : la globalisation.
Le nombre d’entreprises cherchant à étendre leur champ d’action s’accroît
considérablement, tant dans des objectifs de conquête de nouveaux marchés
que dans la recherche de ressources ou celle de réduction de coûts. La
confrontation à de nouvelles cultures constitue un autre facteur de
complexification. Parallèlement, et en conséquence, la satisfaction du
besoin client devient elle aussi plus pointue. En effet l’identification de
profils types trouve ses limites : le marketing de segmentation laisse place à
un marketing dit one to one. Les réponses d’adaptation se concrétisent dans
la réduction de cycles de vie des produits et l’entreprise ne survit plus en
tant que suiveur : elle se doit de proposer sans cesse des innovations. Cette
tendance est illustrée chez les constructeurs automobiles : le temps de
développement précédant le lancement d’un nouveau modèle est passé de
dix à moins de cinq ans[17], et cela n’empêche pas les constructeurs de
présenter de plus en plus d’innovations, toujours plus de technologies,
d’automatisations, de confort et d’équipements en série.
De manière générale, la certification ayant touché sa limite de
performance, elle mute à son tour pour aboutir à sa version 2000 qui
conclut à la nécessité absolue de satisfaire le client. Celui-ci devient ainsi le
centre des préoccupations de l’entreprise. L’actionnaire ne pourra donc être
satisfait que si le client l’est !
La stratégie militaire a évolué de même avec une légère avance de phase :
la guerre devient une guerre de réseau, système contre système, avec une
communication quotidienne avec les citoyens et avec les acteurs concernés
par notre implication dans notre ou leur guerre. Dès que des sondages
montrent des effets négatifs sur l’opinion de tel ou tel évènement durant une
guerre, alors la stratégie change (cf. la Guerre du Golfe, la Lybie…).
En conclusion, nous retenons que notre système sociétal change de façon
radicale et que nous sommes à l’intersection d’une révolution à l’échelle de
l’humanité et d’une révolution à l’échelle de l’entreprise. Cette conjonction
de révolutions ne peut que nous interroger sur l’urgence de mettre en place
de nouvelles règles de fonctionnement, qui tiennent compte de cette
nouvelle donne et que nous décrirons plus loin à travers les principes de
l’agilité.

La nouvelle société de l’information impose


l’agilité
Cette première impression est totalement confirmée par l’introduction
progressive mais massive des systèmes d’information dans toutes nos
organisations, privées ou publiques, marchandes ou non marchandes.
Nous allons ainsi montrer que les grandes ruptures vues précédemment,
associées à cette informatisation sociétale, ne peuvent que nous conduire à
adopter une autre perspective sur les organisations humaines : celle de
l’agilité.
Pour ce faire, nous allons d’abord, comme dans le chapitre précédent,
nous mettre dans une posture historique pour ensuite décliner les différentes
phases de l’apparition des TIC et de nouveaux comportements associés.
Les transformations de la société de l’information
François Caron, historien de l’économie, dans une interview pour le
Nouvel Économiste[18], dit : « ce qu’on appelle la révolution industrielle, ce
n’est pas simplement le développement d’une technologie de plus, c’est un
bouleversement fondamental dans notre manière de produire et de
consommer ». Dans notre descriptif précédent, nous avons repéré la
révolution industrielle comme étant un de ces moments où l’Homme a été
capable, dans un délai assez bref, de transformer radicalement la société à
partir d’une technologie qui permettait à la fois une démultiplication de
volume de production et un accroissement de la communication par le
raccourcissement des distances. Les technologies de l’information et de la
communication (TIC) s’inscrivent définitivement dans ce schéma comme la
machine à vapeur ou l’électricité avant elles. François Caron explique
clairement que les caractéristiques de ces révolutions sont toujours les
mêmes :
émergence lente et progressive d’une technologie ;
explosion de start up ;
créativité et innovations financières pour soutenir cette nouvelle
technologie ;
sentiment de vivre une révolution radicale lorsque tout d’un coup la
demande s’accélère de façon vertigineuse ;
impression que la technologie va apporter confort, ouverture et
finalement prospérité, en particulier en répondant à de nouveaux
besoins sociaux, ceux-ci venant répondre à la fin des besoins sociaux
précédents (quand l’Homme est satisfait et repus, il est immédiatement
en quête d’autre chose !)…
Ce sont autant de caractéristiques qui affectent notre société depuis une
quinzaine d’années, en particulier sous l’impact des technologies de
l’information et de la communication (TIC).
Ces technologies sources de révolution ont façonné notre vie, en
particulier au cours du siècle dernier, au point de transformer nos manières
de vivre, d’être et, bien sûr, de consommer.
Dans nos entreprises, on a vu l’émergence de nouveaux modèles
managériaux. Parallèlement à ces changements stratégiques et
organisationnels, nous avons vécu une réforme en profondeur de nos
moyens de communication jusqu’à l’émergence de ce qu’on appelle la
société de l’information.
L’émergence des TIC[19]
Alors qu’avant 1956, les ordinateurs sont des machines immenses et
complexes destinées uniquement à traiter des masses de données sans
interventions extérieures, des super-calculateurs, le début des années 1960
est marqué par l’arrivée des ordinateurs « communicants » avec l’homme.
Ces machines restent très encombrantes (à puissance de calcul égale, un
ordinateur occupait hier un volume 10 000 fois supérieur à aujourd’hui)
mais commencent à être commercialisées auprès des entreprises et ne sont
plus réservées à l’armée ou à la recherche. Avec cette première phase de
diffusion, les premiers langages, le Cobol ou le Fortran, permettent
d’adapter la programmation aux différents types de machines.
C’est à ce moment qu’apparaît l’ancêtre de l’Internet, le premier réseau
d’ordinateurs se nomme alors Arpanet[20]. Depuis 1969, et la première
réception par le Stanford Research Institute d’un message envoyé par
l’Advanced Research Projects Agency, antenne technologique du
Pentagone, il est possible de connecter plusieurs personnes sur une
machine, et de les faire communiquer. Ces nouveautés sont proposées par
un faible nombre d’acteurs sur le marché de l’informatique, et souvent issus
de laboratoires de recherche.
La fin des années 1960 et le début des années 1970, en France sont les
périodes du 22 à Asnière de Fernand Raynaud, ou des péripéties
téléphoniques du boucher de Moulinsard dans Les aventures de Tintin et
Milou. À cette époque, le particulier doit attendre des semaines, si ce n’est
des mois, la concrétisation de sa demande d’abonnement au téléphone.
L’arrivée du poste téléphonique dans les familles constitue un petit
évènement. Le développement du réseau de télécommunication devient l’un
des arguments de campagne électorale de Georges Pompidou qui, dès son
élection, engage rapidement l’objectif de couverture du territoire. Une
politique industrielle volontariste aide la France (et plus particulièrement la
Bretagne) à se doter d’une véritable industrie intégrée de
télécommunication. La Direction Générale des Télécommunications,
ancêtre de France Télécom, dispose de réels moyens tant au niveau de
l’équipement que de la recherche (CNET) et de la formation (création de
l’Institut Nationale des Télécommunications et de l’École Nationale des
Télécommunications de Bretagne). L’Institut National des
Télécommunications se constitue de deux écoles, une école d’ingénieur et
une école de gestion, alors que l’ENST-Bretagne est la première grande
école d’ingénieur à se doter d’un département d’économie-gestion. Elle
inclut l’économie et la gestion dans le cursus de formation des ingénieurs et
va même jusqu’à créer une option « Ingénieur d’Affaires ».
L’accélération du développement des TIC
À la fin des années 1970 et durant la décennie 1980, l’ordinateur devient
accessible aux particuliers. C’est le début de l’ère des micro-ordinateurs et
de l’informatique personnelle telle que nous la connaissons aujourd’hui : la
diversité de l’offre marque cette période, avec l’apparition des premiers
jeux et bornes d’arcades, des logiciels métiers et bureautiques divers et la
conception de nombreux périphériques allant de l’imprimante au lecteur de
CD-Rom.
L’apparition des microprocesseurs au début des années 1970[21] va
contribuer à l’essor des micro-ordinateurs. La démocratisation de
l’informatique est également permise par l’apparition d’une interface
graphique devenue conviviale ainsi qu’à l’accessibilité de l’Internet. La
conception des modems et surtout l’apparition du protocole TCP-IP[22] le
rendent utilisable partout et permettent une diffusion d’information à prix
modique.
L’informatique apparaît plus facile d’accès tant au niveau de la prise en
main, qu’au niveau de son installation. Apple le premier comprend que
l’ergonomie des machines doit permettre leur usage par des non-
informaticiens. L’architecte, le professeur de lettres, ou encore l’adolescent
doit pouvoir utiliser de façon intuitive l’ordinateur. Le choix d’acquisition
d’équipement informatique est facilité lorsqu’IBM et Microsoft lancent la
compatibilité des logiciels entre les différents PC et périphériques. Les
grands acteurs font leur place sur le marché : IBM, Motorola, Apple, Atari,
Compaq et Dell pour le Hardware ; Apple, Microsoft et Adobe pour le
software.
À la fin des années 1980, l’informatique personnelle aux États-Unis est
bien structurée et répandue, à la fois dans les entreprises et chez les
particuliers. En France, le marché des premiers ordinateurs personnels est
alors en croissance. De nouveaux enjeux se dessinent en matière de
stockage et de partage de l’information. Ainsi apparaissent les premiers
logiciels de gestion de bases de données (ex : DBASE III) et les premiers
réseaux globalisés, par exemple ceux mis en place par Cisco Systems.
Dans l’industrie des télécommunications, un changement technologique,
dont les acteurs ne mesurent probablement pas encore l’aspect
révolutionnaire, est en cours. En France, le 22 à Asnières n’est plus qu’un
vieux souvenir. Une simple demande et, dans les jours qui suivent, le
téléphone est branché. Non seulement la DGT est efficace, mais en plus
c’est une administration qui s’inscrit dans le modèle capitalistique en
marche puisqu’elle est elle aussi bénéficiaire. La numérisation du traitement
et du transport de l’information, jusqu’alors analogique (ce sont des ondes
qui sont traitées et transportées) et mécanique (Alcatel est devenu un grand
spécialiste des autocommutateurs crosbar), se transforme vers une
numérisation de la voix (codée) et un traitement électronique. Ainsi se
prépare la jonction entre l’industrie des télécommunications et l’industrie de
l’informatique qui s’achèvera la décennie suivante. De façon prémonitoire,
en 1979, l’Université de Paris XIII spécialise son DEA d’économie
industrielle vers la « filière électronique ». Son responsable, Jean Hervé
Lorenzi publie son livre d’économie fiction « mémoires volées[23] » préfacé
par une nouvelle dont le scénario rappelle étrangement les modes de
fonctionnement de la société actuelle. De façon plus concrète pour l’usager
(qui n’est pas encore un consommateur), la DGT lance ce qui sera un
succès incontestable, le minitel.
À la fin des années 1980, le réseau de télécommunication français est
complètement numérisé (il est le premier au monde à l’être), les entreprises
et les particuliers sont « accros » au téléphone et au minitel, la télécopie
s’est banalisée, le micro-ordinateur a supplanté la machine à écrire, il ne
manque plus que l’étincelle « Internet » pour mettre le feu à nos anciennes
habitudes de travail et faire émerger la société de l’information.
Les technologies de l’information et de la communication
comme source de création de valeur
L’état des systèmes informatiques contribue à offrir ces réponses
d’adaptation et d’innovation. La numérisation générale des
télécommunications en France rend possible la jonction avec l’industrie
informatique et permet la généralisation de l’utilisation de l’outil
informatique et de l’Internet, qui rend la transmission de l’information de
plus en plus rapide[24]. On parle alors de communication en temps réel. Une
accélération est encore observée avec l’ADSL et les réseaux en fibre
optique : le phénomène devient mondial. En moins de dix ans la vitesse
d’horloge de l’ordinateur – qui permet les traitements nécessaires à la
récupération, la transformation et la transmission des données – a été
multipliée par plus de dix, pour atteindre aujourd’hui des vitesses atteignant
les deux giga hertz.
De nouvelles opportunités se distinguent. La suppression d’étapes
désormais effectuées informatiquement raccourcit les processus et
augmente la flexibilité grâce à la réduction induite des délais. La
disponibilité de l’information permet une meilleure maîtrise de
l’environnement et favorise ainsi la réactivité. La logique de vente de
simples « produits physiques » se transforme en vente d’un composé
« produit physique + services + formation + information + image +
relation » dont le principal vecteur de production est le système
d’information. Rapidement, la création de valeur par les systèmes
d’information et les télécommunications devient réelle.
Il serait illusoire d’ignorer dans ces opportunités les contreparties qui,
quelquefois, constituent des freins au bon fonctionnement espéré. Avec
l’accroissement de l’accessibilité de l’information, l’exigence de réactivité
des récepteurs et utilisateurs de cette information est corollairement
augmentée. Le spectre du « stress des technologies avancées » annoncé par
Rifkin[25] dès 1997 se concrétise. Le tri de l’information devient plus
difficile ; il nécessite des qualités de bibliothécaire et la patience
concomitante. La pondération et la crédibilité associées aux sources
d’informations réclament autant de capacités intuitives que mémorielles.
Ainsi, le décalage entre le ratio volume/rapidité de l’information et les
capacités de traitement par l’entreprise s’aggrave, cette dernière doit faire
face à l’incapacité de traiter l’information à son rythme d’apparition. Non
seulement, elle ne dispose pas d’outils d’aide mais surtout la capacité de
traitement de l’homme, qui reste un élément clé, est limitée. Les
dynamiques collaboratives dans l’entreprise en sont bouleversées. Si
l’introduction du téléphone s’est étalée sur plusieurs décennies, celles du
téléphone portable ou de l’ordinateur se sont développées respectivement en
moins de 10 et 15 ans avant de devenir des outils quotidiens de travail ou
domestiques. Il faut constater qu’il est difficile pour les hommes de
s’adapter aussi rapidement au changement : l’introduction d’une nouvelle
technologie, sa diffusion à grande échelle nécessitent l’apprentissage de
pratiques nouvelles tenant compte des analyses de leurs impacts.
L’apparition si rapide de ces technologies est donc bien étonnante
puisqu’elle suppose d’autres processus mentaux, psychologiques,
cognitifs… que ceux auxquels nous étions habitués. Il faut notamment une
forme d’agilité qui n’existait pas dans les modèles traditionnels de
communication dans lesquels l’information était d’abord considérée comme
une source de pouvoir.
L’enjeu managérial nouveau est donc d’utiliser ces technologies en
connaissance de conséquences, c’est-à-dire en ayant conscience du
bouleversement que les TIC apportent dans les dynamiques collaboratives
tant à l’intérieur des entreprises qu’entre les entreprises ou vis-à-vis des
clients.
De nouveaux rapports à l’espace, au temps et à l’autre
Finalement, il nous faut admettre la véritable nature du changement
sociétal que nous vivons : c’est une révolution ! Pire, ou mieux encore, c’est
une révolution comme l’humanité n’en a encore jamais vécu.
En effet, nous avons mis à jour cette révolution dans une perspective
macroscopique, dans une approche historique, dans une analyse micro-
économique, et, enfin, dans une vision managériale de l’entreprise. Nous
constatons que toutes convergent vers un changement au même moment.
Nous pensons, ou plus précisément nous espérons, qu’il s’agit là de la
convergence de la maturité de l’Homme, de l’acteur économique et de
l’individu !
Cette maturité doit s’exprimer par l’adoption d’un nouveau modèle
économique (un capitalisme humaniste et moins financier) s’appuyant sur
de nouveaux rapports à l’espace, au temps et à l’autre dont le concept de
développement durable tend laborieusement encore à rendre compte. C’est
ce que l’on peut lire désormais chez un nombre grandissant de « penseurs »,
de Stiglitz aux États-Unis à Attali en France, ou dans des travaux sur la
montée de l’humanisme, de l’amour, de la coopération, de la bienveillance
ou encore de la société du don…
Nous disposons aujourd’hui d’une capacité unique à nous déplacer ou à
déplacer les biens économiques. Il y a un siècle, un pays était un village
distant de quelques kilomètres d’un autre village. Il y 30 ans, avant la
construction de grands blocs économiques comme la Communauté
Européenne, un pays était une nation partageant langue et culture. Demain
la notion même de pays aura-t-elle encore un sens ? On parle en effet de
mondialisation, dans une acception purement économique, oubliant qu’elle
est plutôt le reflet d’une situation révolutionnaire : nous sommes tous
amenés d’abord et avant tout, à devenir des citoyens du monde[26] !
Notre approche du temps a été également radicalement transformée dans
la même période. Le temps de vie n’était, il y a encore un siècle, presque
exclusivement qu’un temps de travail. Il est aujourd’hui majoritairement un
temps de loisir. Il faut donc admettre que la valeur structurante de la société
est passée du travail à autre chose, le bien-être par exemple. Le temps est
donc plus rapide, grâce aux technologies de l’information qui permettent
dans l’instant de communiquer avec chacun à l’autre bout du monde ou
d’accéder en une seconde à n’importe quelle information, limitant d’ailleurs
ainsi les possibilités de manipulation de celle-ci. Mais le temps est
également plus lent, au sens où chacun souhaite de plus en plus prendre le
temps : le temps de voir grandir ses enfants, le temps d’apprendre le monde
(le temps culturel), le temps de prendre du temps c’est-à-dire le temps des
loisirs… Bref, il n’existe plus un temps mais des temps[27] !
Enfin, les rapports humains ne peuvent plus être les mêmes. Chacun
exprime de nouvelles exigences. Ces changements de rapport à l’espace et
au temps ont en effet permis la démultiplication des perceptions, donc la
démultiplication des modes de fonctionnement individuels.
Mais chacun est aussi en droit d’exigence et la société, comme
l’entreprise, qui en est son exact reflet, doit permettre à chacun de
s’épanouir dans ce nouveau contexte. Pour ce faire, elle doit laisser libre
cours aux initiatives et soutenir cette transformation qui l’impactera
fatalement.
Mais beaucoup, effrayés ou ne comprenant pas, refusent cette révolution.
Ils réalisent trop bien ce que Daniel Cohen explique : « dans cette nouvelle
économie, c’est la première unité du bien fabriqué qui est onéreuse, la
seconde et celles qui suivent ayant un coût faible voire véritablement nul
dans certains cas limites… Celui qui fabrique les biens, le prolétaire, qui ne
dispose que de ses biens pour assurer son salaire n’est plus une source de
plus-value. Il est un coût qu’on cherche à externaliser ». Mais c’est oublier
qu’il est aussi le client. Si d’un côté on tue son emploi, alors on tue sa
capacité de consommation. Un nouvel équilibre est donc à trouver. La
solution nous semble être dans l’offre agile que nous présentons plus loin.

[1]
Je tiens à remercier ici J. Fleurat pour sa vision claire et ses références riches, qui m’ont permis
de développer ces idées.
[2]
M. Foucault, Les mots et les choses, Archéologie des Sciences Humaines, Gallimard, 1966.
[3]
Nous tenons ici à rendre hommage aux hommes qui nous ont professionnellement « tout »
appris, dans le désordre M. Godet, R. Barré, R. Saint-Paul, H. de Jouvenel en particulier.
[4]
L’individualisme est la tendance à s’affirmer indépendamment des autres tandis que
l’individualité est ce qui constitue l’individu, ce qui lui est propre et qui lui permet de se
distinguer des autres sans forcément vivre indépendamment d’eux.
[5]
Il faut se référer au macroscope écrit par J. de Rosnay (Le Macroscope, Vers une vision globale,
Le Seuil, 1975) pour appréhender de manière détaillé ce qui suit.
[6]
Les ouvrages clés de ces deux auteurs sont sans doute respectivement Théorie générale des
systèmes, Bordas, 1973 et La théorie du système général, PUF, 1978.
[7]
Il s’agit bien sûr de la méthode « Strengths, Weaknesses, Opportunities, Threats » développée
par Learned, Christensen, Andrews et Guth dans Business Policy, text and cases, R.D. Irwin,
1965.
[8]
Nous trouvons d’ailleurs dommage qu’une logique guerrière se soit ainsi imposée dans nos
organisations humaines en lieu et place d’une logique humaniste. Le besoin de dominer ne nous
semble en tout cas plus d’actualité pour le devenir de notre monde.
[9]
R. Vernon, « International investment and international trade in the product cycle », Quaterly
Journal of Economics, 1966.
[10]
H. Fayol, L’administration industrielle et générale, Dunod, 1918.
[11]
Voir F. Carrance, « Splendeurs et misères des matrices stratégiques », Annales des Mines, mars
1988.
[12]
Il est apparu que le régulateur keynésien du chômage par l’inflation et vice versa ne
fonctionnait plus.
[13]
Pour une compréhension plus globale, lire Y. Carsadale, Les grandes étapes de l’histoire
économique, Ellipses-Les cours de l’École Polytechnique, Paris, 1998.
[14]
P. Artus et D. Cohen, « Partage de la valeur ajoutée », Rapports du conseil d’analyse
économique n°2, La documentation Française, Paris, 1998.
[15]
Pour plus de détails, lire Y. Pesquieux, Le gouvernement de l’entreprise comme idéologie,
Ellipses, Spécialité Groupe HEC, Paris, 2000.
[16]
Pour plus de détails, lire aussi B. Coriat et O. Weinstein, Les nouvelles théories de l’entreprise,
Le Livre de Poche, Paris, 1995.
[17]
Source : constructeurs français et revues automobiles.
[18]
Entretien mené par S. Delanglade en avril 2001 dans un numéro spécial du Nouvel
Économiste.
[19]
Nos remerciements vont ici à D. Coille-Lejeune dont le travail de thèse professionnelle sur
l’émergence de la société de l’information nous a été très utile. Ils vont aussi à V. Blum et B.
Seys avec qui nous avons approfondi ces descriptions.
[20]
Arpanet, ancêtre d’Internet, est le premier réseau informatique. Apparu aux États-Unis, il est
d’abord utilisé par l’armée américaine et les grandes universités scientifiques.
[21]
Le premier microprocesseur est en fait conçu en 1969 par des ingénieurs de l’US Navy, mais la
commercialisation de cette innovation débute en 1971 avec l’Intel 4004.
[22]
Protocole de communication réseau basé sur l’identification par l’IP (Identity Protocole) de
chaque poste connecté.
[23]
J.H. Lorenzi et E. Le Boucher, Mémoires volées, satellites, micro-ordinateurs, robots,
télématique, séries TV U.S., réseaux, vidéo, banques de données… et demain la France ?,
Éditions Ramsay – Visages de l’an 2000, 1979.
[24]
Selon 01 Informatique, supplément au n°1787, du 22/10/2004, les entreprises consacrent en
moyenne 4,4% de leur CA à l’informatique.
[25]
P. Rifkin, La fin du travail, La Découverte, 1997.
[26]
Il s’agit là d’une révolution proprement « politique », et pas seulement économique !
[27]
Les villes se dotent aujourd’hui de « bureaux du temps » pour gérer la multiplicité des « temps
sociaux » !
2
ADOPTER UNE POSTURE
MANAGÉRIALE D’AGILITÉ

Le changement dans les modes de consommation, l’avènement de la vie


en réseau dans la « société de communication », et l’accélération des
ruptures liées tant à la mondialisation qu’au foisonnement technologique,
ont considérablement modifié l’espace/temps des échanges : la densité des
interdépendances, leur complexité et leur caractère labile ont rendu
nécessaire cette approche systémique qui prône l’entreprise acteur agissant
avec et par les acteurs de son environnement.
Ainsi le concept d’organisation agile s’est-il attaché à décrire un modèle
d’organisation permettant, non seulement d’accélérer son temps de réaction
(séquence « observation + décision »), mais aussi d’être flexible, et, plus
encore, d’anticiper et d’innover en permanence, notamment par une entente
exceptionnelle avec l’ensemble des acteurs tant internes qu’externes à
l’entreprise. Aussi trouve-t-il naturellement sa place dans une acception très
large de la notion d’entreprise : celle de l’entreprise élargie ou entreprise
réseau dans un monde en perpétuel mouvement.
Nous allons nous attacher, dans ce chapitre, à démontrer d’abord quels
sont les nouveaux comportements induits par ces changements sociétaux
avant d’expliciter quels sont les nouveaux principes que l’on doit désormais
adopter pour entrer en agilité et, ainsi, être en congruence avec les attentes
des Hommes et de la société.
L’émergence de l’agilité dans les entreprises
Le concept d’agilité est en fait né aux États-Unis au début des années 90.
Face aux difficultés de nombreuses entreprises américaines, notoirement
incapables d’entrer en flexibilité de manière aussi aisée que les entreprises
nippones, le gouvernement américain a investi à cette époque 8 millions de
dollars dans la recherche : un laboratoire[1] est chargé de faire réfléchir les
managers à un paradigme nouveau susceptible d’introduire encore plus de
flexibilité dans les entreprises et de les aider à mieux réagir face à un
environnement de plus en plus turbulent. Cela a donné naissance au concept
d’« agilité » qui définit l’entreprise d’aujourd’hui comme devant être fort
différente de celle des années 60, notamment par l’adoption d’une forme
élargie[2] et d’une capacité de mutation permanente.
Force est donc de constater que les entreprises sont passées d’une logique
de flexibilité à une logique d’agilité, en particulier du fait de leur contexte
environnemental complexe et rupturiel. Nous retenons cinq caractéristiques
de ce contexte incitant les entreprises à dépasser la logique de flexibilité qui
avait dominé dans les années 80 et à réfléchir sur le thème de l’agilité : la
montée de la finitude, la montée de la complexité, la montée de
l’individualité, l’accroissement de l’incertitude, l’interdépendance des
acteurs.
La montée du sentiment de finitude
Notre propos vise à aborder le problème du changement de société sous
l’angle de la psychologie collective. Force est de constater que la société
industrielle, et plus encore la société de consommation, s’est développée sur
le sentiment que le monde est infini : les marchés sont infinis, les ressources
sont infinies, les capacités d’absorption des déchets sont infinies !
Le concept de finitude
Prenons les marchés : selon la loi du cycle de vie énoncée par Vernon, un
marché est d’abord local, puis régional, national, international et, enfin,
mondial. Qui plus est, la population mondiale ne cesse de s’enrichir et de
croître. La conclusion légitime d’un entrepreneur est que devant lui s’ouvre
un marché potentiel gigantesque et croissant, bref infini.
De même, les ressources apparaissent comme infinies, malgré les alertes
du club de Rome, ou à cause de ses prévisions alarmistes qui ne se sont
jamais réalisées. On constate donc que plus on a besoin de ressources
(matières premières), plus on en produit, même s’il existe quelques crises
passagères d’inadéquation entre l’offre et la demande. Et quand une
ressource vient à manquer, on développe une technologie de substitution.
La conclusion est donc la même, la ressource est infinie.
Enfin, nous n’avons réellement découvert le phénomène d’entropie d’un
système (tout système génère des déchets) que récemment, et le même
mirage technologique touche ce thème bien qu’il soit porté politiquement
avec une certaine vigueur et un certain succès depuis de longues années
maintenant.
Aussi une de nos interprétations de la crise actuelle est la croissance du
sentiment de finitude ou la prise de conscience que cette « infinitude » n’est
plus.
La finitude pousse à la responsabilité
Commençons à nouveau par les marchés. Des offres nouvelles se
développent un peu partout en même temps. Imaginons par exemple une
offre nouvelle de plaquettes de frein. Plusieurs concurrents vont sans doute
développer cette idée simultanément dans le monde ou des licences vont
être accordées dans différents pays. Chaque acteur va alors bâtir sa stratégie
sur le modèle passé et installer une grande capacité de production,
dépassant son potentiel de prise de marché national et anticipant une
conquête internationale. Très vite les concurrents vont donc saturer le
marché et se trouver en concurrence frontale, avec une capacité cumulée de
production supérieure à la demande mondiale. C’est la réalité de la
mondialisation aujourd’hui : une surcapacité mondiale de production.
Certes on peut maintenir ce système sous perfusion :
Course à l’innovation : pour éviter la concurrence, un acteur va
développer une innovation (amélioration du ratio coût/performance) et
raccourcir le cycle de vie du produit pour se créer un avantage
concurrentiel. Il est à parier que la fois d’après, ce sont les autres
concurrents qui vont faire pareil… et de plus en plus tôt. Le résultat de
cette stratégie d’innovation est un suicide collectif aboutissant à
l’émergence d’innovations avant amortissement des investissements de
la génération précédente des produits (nous avons rencontré le cas
chez certains de nos clients !).
Fausse innovation : pour attirer du coup de nouveaux clients, on
crée des innovations incrémentales, qui n’en sont pas vraiment
(nouveau design, ajout d’une fonction, obligation d’utilisation de
nouveaux standards, nouvelles versions logicielles…). Mais les clients
ne vont-ils pas se lasser ? Ou bien alors, sommet d’hypocrisie, on
innove en suivant le principe « d’obsolescence programmée ».
Autrement dit, on fabrique plus fragile à chaque génération et les
produits sont finalement conçus pour vivre de moins en moins
longtemps. Si cela contribue à maintenir artificiellement un haut
niveau de la demande, cela se fait au détriment de la réelle satisfaction
du client, et, surtout, au détriment de son pouvoir d’achat. Nous
pensons ici au réfrigérateur dont la vie était en moyenne de 20 ans il y
a deux générations, et qui sont conçus pour vivre 5 ou 6 ans
désormais ! N’est-ce pas une autre forme de suicide collectif ?
Externalisation : l’enrichissement progressif de nos sociétés signifie
augmentation du niveau des salaires. Ceci implique automatiquement
une augmentation des coûts. Pour pallier ce phénomène, on a tendance
de plus en plus à produire dans les pays à faible coût de main-d’œuvre,
créant la désindustrialisation des pays d’origine, les vidant des
compétences techniques opérationnelles et transférant même les
potentiels technologiques dans les pays en voie de développement.
C’est une autre forme de suicide. On se retrouve en situation de
dépendance et on lamine notre potentiel créatif tout en appauvrissant
nos concitoyens. Nos pays sont-ils voués à ne conserver que les
emplois de service (souvent difficiles à délocaliser comme le coiffeur
ou le plombier) ou les emplois de fonctionnaires et de tourisme ?
Finalement, ces solutions de perfusion du modèle de volume arrivent,
d’une part au bout de leur capacité car on ne peut transférer à l’infini, mais,
d’autre part, on commence à comprendre qu’elles ne sont que des solutions
d’empoisonnement et pas des solutions de sauvegarde. À titre d’exemple, la
solution de l’externalisation amène à un transfert de compétences à des pays
à très faible coût de main-d’œuvre et/ou à fiscalité ou à charges et
contraintes sociales très basses. La conséquence est une perte d’emploi dans
nos pays (baisse de la consommation, ralentissement de la croissance), une
baisse relative du niveau de rémunération (un frein à la croissance), et,
finalement, un appauvrissement de nos pays et/ou une tentation de
régression sociale.
Pour ce qui est des ressources, on découvre à travers la succession de plus
en plus fréquente et rapide des crises des matières premières, que les
ressources ne sont pas productibles en quantité suffisante pour que la Chine,
l’Inde, le Brésil et le reste du monde vivent et consomment de la même
manière avec laquelle nos pays développés l’ont fait jusqu’à maintenant.
Même nos propres pays ne peuvent plus consommer selon la même
« martingale ». Il en est de même pour la génération et la capacité de
traitement des déchets. Allons-nous dès lors continuer à maintenir le
système en place au risque de suicider nos entreprises, ou, pire encore, à
tuer notre terre ?
Sous la pression d’experts et devant la montée de phénomène douloureux
(crises économiques, chômage, catastrophes diverses, naturelles ou
technologiques), le peuple commence à prendre conscience de la vacuité de
cette quête de maximum – d’accumulation d’objets ou de richesse – et
commence à exprimer une demande de plus en plus grande de bien-être
(concept multicritère). Nous n’en voulons pour preuve que les aspirations
de nos étudiants, qui ne demandent plus qu’un job sympathique,
correctement payé, sans trop de responsabilités et laissant le temps de vivre,
ou ces dirigeants qui nous demandent de les aider à s’organiser pour
garantir la survie de leur entreprise plutôt qu’un maximum de rentabilité ou
encore pour les aider à travailler moins. Pour autant, nos grands dirigeants
s’entêtent à maintenir le système d’hier sous perfusion, mais se rendent
compte progressivement de l’impossibilité de la chose.
C’est finalement ce que nous appelons prendre conscience de la finitude
du monde. Et cette finitude ne peut qu’entraîner la mise en place d’une
autre façon de voir le monde et toutes les organisations humaines
(changement de finalité, d’énergie et d’organisation). Cette autre façon de
voir, logiquement, est faite de durabilité, c’est-à-dire d’offres que le client
va garder longtemps et d’entreprises qui vont viser non plus la rentabilité
économique à court terme mais la performance globale, économique,
sociale et sociétale, à long terme (cf. « L’offre agile » p. 142). Nous entrons
dans l’ère de la durée et sortons de l’ère de la récurrence. Une preuve
tangible réside dans la certification ISO, preuve à l’origine non pas de
qualité mais de capacité à produire à l’identique à l’infini, qui, désormais,
est orientée dans le sens de la satisfaction du client et mute également dans
le sens de la qualité environnementale.
Que faire face à ce sentiment de montée de la finitude, et, surtout, face à
cette réalité ? Évidemment d’abord accepter cette situation, c’est-à-dire en
prendre pleinement conscience et analyser alors ses conséquences sur notre
manière d’appréhender notre système économique.
Dès lors, le paradigme managérial en est complètement modifié :
Au lieu de donner des ordres pour que des procédures de
minimisation des coûts et de maximisation des profits soient
aveuglément appliquées, il vaut mieux trouver un sens (au sens décliné
plus loin de la « réciprocité de progrès avec son environnement ») et le
partager. Ce sens sera la garantie que nos entreprises servent la société
dans laquelle elles s’inscrivent et sera également la clé de la
motivation des collaborateurs et le ciment de leur solidarité.
Au lieu de se focaliser sur les seules ruptures étudiées à force
d’études prospectives, en tenir compte et analyser les conséquences de
nos décisions sur l’ensemble des acteurs de notre environnement. À
tout le moins, engendrer une conséquence positive sur les premiers
acteurs et veiller à ce qu’ils partagent le même comportement. Cela
signifie appréhender son « business » comme un système corrélé à son
environnement et choisir et « éduquer » ses interlocuteurs internes
comme externes.

1. Au lieu de travailler avec les autres dans le seul souci taylorien (just
in time) de simple coordination matérielle et temporelle, travaillons
dans le but de satisfaire au mieux l’ensemble des acteurs de notre
environnement. Cela signifie travailler pour les autres, qui nous le
rendent alors, et plus seulement avec eux. Cela signifie également
sortir des logiques guerrières (gagnant-perdant) et matérialiste
(gagnant-gagnant) pour entrer dans des logiques de satisfaction
réciproque (satisfait-satisfait) en acceptant que chacun ait ses propres
critères accepter que ceux-ci puissent changer en permanence.
L’écoute active devient alors la première qualité à développer en
entreprise, associée à la sincérité !

Au-delà, nous avons travaillé avec de nombreuses entreprises sur des


modes de fonctionnement induits par ces quatre principes de l’agilité
réclamée par la montée de la finitude. Nous en avons retenu sept :
appréhender tout problème dans une logique d’abord systémique
humaniste plus que dans une approche matérialiste et financière ;
viser l’honnêteté dans nos réflexions, actions et relations plus que la
quête de l’influence (cf. les nombreuses affaires qui remplissent nos
journaux !) ;
viser à mettre en œuvre des solutions simples qui fonctionnent et ne
génèrent que le minimum de dégâts plutôt que des solutions complexes
dont on ne maîtrise pas les cascades de conséquences (cf. la Grèce, la
recherche pétrolière…) ;
développer la culture du mouvement permanent et ne pas s’asseoir
sur des solutions connues. Ne plus manager le changement. Quand il y
en a trop, on passe plus de temps à manager le changement qu’à
produire ou bien on passe son temps à faire et à défaire ;
développer des relations avec tous les acteurs qui nous entourent
dans des logiques de réciprocité de satisfaction durable et pas
seulement dans des logiques d’intérêts matériels court-termistes ;
créer et vendre non plus de simples produits et prestations mais bien
des offres globales faites de tangible et d’intangible (produit, services,
informations et relations) ;
enfin, partager l’information, et, de manière générale, partager les
succès[3].
Ainsi, la montée de la finitude refonde le paradigme managérial et pousse
à la mise en place de pratiques responsables, c’est-à-dire des pratiques
tenant compte sincèrement de l’ensemble des acteurs avec lesquels on
interagit.
La montée de la complexité
Nous avons annoncé la couleur dès notre introduction en nous déclarant
adepte de l’approche systémique. Nous avons tenté de montrer comment les
systèmes sociétaux et entrepreneuriaux étaient arrivés à un stade nécessaire
de mutation.
Notre pensée peut se résumer ainsi : les systèmes humains sont devenus
trop complexes pour être intelligibles et seule une remise à plat de ces
systèmes peut permettre de trouver de nouvelles solutions plus simples.
Mais nous devons nous arrêter quelques instants sur cette notion de
complexité avant de développer cette pensée.
Finalement, comme le soutient P.A. Taguieff, « il faut réapprendre à
habiter le temps. Sans esprit de vengeance envers le passé, sans fuir
aveuglément vers un avenir radieux. Mais sans naïveté : dans l’univers
techno-communicationnel où nous entrons, la durée est comme suspendue
par l’instantanéité, tandis que la temporalité du projet est mise en pièce par
la chaotisation du devenir mondial. Il faut aussi apprendre à réhabiter la
Terre, ce qui engage à la ménager. Aucune forme « d’habitation » ne va plus
de soi. »
Du compliqué au complexe
Les systémiciens ont vigoureusement affirmé la différence essentielle, et
qui n’est pas sophistication, entre compliqué et complexe. Cette
différenciation sémantique est aussi pour nous fondamentale et donneuse de
sens plus que marivaudage différenciateur. D’autres consultants avant nous
ont d’ailleurs soulevé cette subtilité de vocabulaire, la considérant
également comme essentielle[4].
Ce qui est complexe est généralement compliqué mais ce qui est
compliqué n’est pas forcément complexe. Autrement dit, s’il est évident
qu’il existe des liens de sens entre ces deux mots, ils n’en sont pour autant
pas synonymes.
Pour analyser si un système est complexe ou compliqué, il ne nous suffit
pas de le regarder, car les apparences sont souvent trompeuses. Il y a entre
la complexité et la complication autant d’écart qu’entre une photographie et
un film. Cette différence est principalement corrélée au temps, ou plus
précisément à l’évolution du système dans le temps.
Nous considérons qu’une chose est compliquée lorsqu’elle est composée
de nombreux éléments, ce qui nécessite de nombreuses investigations de
spécialistes pour le comprendre : la comptabilité est compliquée, la fiscalité
est compliquée, les langages sont compliqués… mais, avec du temps, de la
méthode, de la ténacité, des spécialistes dûment formés peuvent les
observer, les trier, les classer, analyser leurs détails de construction et,
finalement, les comprendre et surtout en prévoir les résultats ou les
évolutions.
Nous considérons a contrario que quelque chose est complexe lorsqu’elle
est constituée d’éléments reliés entre eux par de nombreuses relations, que
ces éléments entretiennent également des relations de toute nature avec de
nombreux éléments extérieurs au système, et qu’il est difficile d’en
comprendre la logique d’organisation et les boucles d’influence et de
rétroaction (notion d’interdépendance). Les organismes vivants sont
complexes, les virus sont complexes, les entreprises sont complexes… et,
même avec du temps et de bons spécialistes, on a du mal à les comprendre
et en prévoir les résultats et évolutions.
On pourra trouver un spécialiste pour analyser et comprendre un objet
compliqué ; il faudra « n » spécialistes pour analyser et commencer à
comprendre un objet complexe. En effet, nous utilisons le mot
« commencer », car le propre d’un objet complexe est d’être sans cesse en
mutation, ce qui nous empêche d’en comprendre de manière définitive et
détaillée son organisation (notion de dynamique ou d’instabilité).
Le « compliqué » peut se décrire de façon stable en nombre limité
d’éléments, même nombreux, tandis que le « complexe » ne peut
s’appréhender que par plusieurs personnes acceptant de partager leur vison
du système, de relativiser leurs points de vue, notamment en travaillant par
analogies, comparaisons et souvent aussi par morceaux.
Finalement, la principale différence entre un objet compliqué et un objet
complexe, c’est la maîtrise : un objet compliqué peut être maîtrisé et on
peut en décoder le fonctionnement et en garantir la récurrence, tandis qu’un
objet complexe ne peut être totalement et définitivement maîtrisé et n’a
aucune raison de se comporter demain comme aujourd’hui (notion
d’imprévisibilité et/ou d’émergence).
Nous rejoignons là l’idée que nous avons développée dans le chapitre
précédent, à savoir que nous sortons d’un monde compréhensible, du moins
en apparence, où une certaine stabilité régnait, qui permettait d’envisager
une « martingale » répétitive de la réussite. Nous entrons au contraire dans
un monde où « rien n’est égal par ailleurs », où ce qui réussissait hier peut
ne pas réussir demain, où les symptômes d’aujourd’hui, même semblables
aux symptômes d’hier, ne réclament pas les mêmes remèdes qu’hier, où,
finalement, la fameuse « organisation scientifique » du travail n’a que peu
de chance d’être efficace dans la durée. On tente de résoudre d’ailleurs cette
réalité dans les entreprises en inventant le management du changement.
Mais on se trompe. Ce n’est pas le changement qu’il faut manager mais le
management qu’il faut changer !
En effet, face au compliqué, on peut faire évoluer une recette de victoire
en y ajoutant des ingrédients et en gérant le passage (le changement) de la
solution d’hier à celle de demain. On le fait en apprenant toujours
davantage, en ménageant les susceptibilités, en gérant les réfractaires…
Mais face au complexe, la meilleure solution est d’accepter l’inacceptable
d’hier, à savoir l’idée du non fini (en nombre et en forme) et de la nécessité
de dénombrer les éléments moteurs, l’acceptation de l’ignorance et la
recherche de la réduction de celle-ci, le principe enfin du partage de
l’information et celui de l’incompréhension par trop d’informations.
Toujours plus complexe
Nous voulons retenir de la complexité qu’elle est le fruit de la
multiplication de la variété par l’évolution et par l’interconnexion. En effet,
plus il y a d’éléments dans un système, ou plus ses éléments ont un
potentiel d’évolution (incrémentale ou rupturielle), ou plus ces éléments
peuvent développer des connexions entre eux, alors plus la probabilité de sa
complexité est grande.
Pour autant, nous voulons retenir quelques principes simples des systèmes
complexes mis en avant par Jean-Louis Le Moigne[5] :
un système complexe tend vers une finalité ;
un système complexe recherche une certaine forme d’équilibre ;
un système complexe met en place, pour ce faire, des mécanismes de
régulation ;
un système complexe est capable d’intelligence[6], est en perpétuelle
évolution et développe pour ce faire une certaine capacité
d’autonomie.
Ces caractéristiques nous semblent tout à fait correspondre à l’entreprise,
notre sujet d’étude :
l’entreprise tend vers une finalité (la rentabilité, l’innovation, la
domination, la satisfaction de ses clients…) ;
l’entreprise recherche une certaine forme d’équilibre (la récurrence
des résultats, la stabilité des équipes…) ;
l’entreprise met en place des mécanismes de régulation (la stratégie,
les systèmes d’évaluation, les processus…) ;
l’entreprise est capable d’intelligence, d’évolution et est relativement
autonome (elle entretient et analyse des liens avec les acteurs de son
environnement, elle est capable d’évoluer voire de se transformer sous
la pression de son environnement ou par sa volonté propre de
mutation[7], elle est capable enfin de faire ses choix et de les assumer).
Il ne fait aucun doute pour nous que l’entreprise est un système complexe,
et, plus encore, que la complexité de l’entreprise ne cesse de croître. En
effet, le nombre d’acteurs autour de l’entreprise ne cesse d’augmenter du
fait de la spécialisation et de la mondialisation, les évolutions et mutations
voire ruptures qui touchent ces acteurs sont toujours plus nombreuses, les
mentalités évoluent rapidement… et surtout les systèmes d’information sont
venus frapper de plein fouet ces systèmes déjà complexes que sont les
entreprises en ajoutant des liens, en créant des lieux d’interaction
supplémentaires (place de marché, blogs…) et en ajoutant de la vitesse de
relation entre tous ces acteurs.
Nous avons décrit cette situation plus haut et nous l’affinerons ci-après en
introduisant les notions complémentaires à la complexité d’individualité,
d’interdépendance et d’incertitude.
Mais que faire face à cette montée de la complexité ? Nous n’envisageons
aujourd’hui que deux solutions :
Chercher à développer des outils d’appréhension de la complexité,
par exemple les outils d’analyse de système comme l’analyse
structurelle (qui est décrite dans le chapitre consacré aux outils) ou la
dynamique des systèmes[8],
Chercher à placer chaque décideur face à une complexité
« raisonnable ». Puisque cette complexité est synonyme d’incapacité à
maîtriser, il nous semble qu’une solution simple consiste à contourner
artificiellement mais intelligemment cette complexité. La contourner
bêtement consisterait à volontairement ignorer un certain nombre de
variables clés et à ne retenir, pour construire sa décision et poser ses
actions, qu’un nombre limité de variables qui nous arrangent parce
qu’on les connaît. Ceci signifie aussi avoir l’arrogance d’imposer son
point de vue aux autres sans souci des conséquences ! La réduire
intelligemment consisterait plutôt à placer l’Homme face à une
complexité appréhendable pour lui. Ceci signifie découper nos
organisations en sous-systèmes réduits, hautement coopératifs entre
eux, évolutifs, autonomes ayant une finalité propre mais partageant
une finalité commune, recherchant un certain équilibre à l’intérieur et
vis-à-vis de son environnement proche.
La complexité co-substantielle à l’entreprise contemporaine impose donc
une conception nouvelle de l’organisation, non plus structure monolithique
et mécanique mais organique et constituée d’entités évolutives ou de projets
à durée de vie limitée. C’est bien d’une nouvelle vision de l’entreprise qu’il
s’agit, impliquant ces différentes dimensions :
Chaque activité vit en symbiose avec les autres notamment grâce au
partage d’une finalité globale, ce qui n’exclut pas la satisfaction d’une
finalité locale.
Chaque activité n’est pas arc-boutée sur une solution récurrente mais
au contraire ouverte à l’évolution et à la mutation.
Chaque activité entretient une culture du changement c’est-à-dire
qu’elle fait en sorte que les individus l’acceptent, mieux, qu’ils le
souhaitent car ils comprennent que le changement est la source de
progrès et d’équilibre, comme le changement est le principe de
l’équilibre de la marche ou de la course pour l’homme.
Ceci signifie en particulier un changement de l’organisation, du
management, des valeurs et de la culture entrepreneuriale individuelle et
collective.
La montée de l’individualité stimule le besoin d’autonomie
Les générations précédentes ont été marquées par la pensée de grands
leaders et ce dans toutes les grandes institutions (religieuses, militaires,
politiques, économiques, scientifiques, philosophiques, universitaires…).
Ces leaders avaient une vision de ce que la société devait être et soutenaient
des idées fortes qui s’imposaient finalement à la masse des individus. Cette
dernière agissait donc selon les principes et règles que les premiers
édictaient. L’ensemble de la société se structurait ainsi selon un modèle
dominant, pyramidal, autoritaire et hiérarchisé, issu de la production de
normes et de valeurs érigées par la figure emblématique du leader[9].
D’une certaine manière, on peut considérer que le domaine de la pensée
était déconnecté du domaine de l’action. Il y avait d’un côté un petit
nombre de prescripteurs – ceux qui pensaient et organisaient la vie et la
société – et un grand nombre d’agents actifs qui agissaient selon les règles
imposées. Dans cette perspective, l’intégration sociale supposait
l’allégeance aux règles et le respect de la discipline par les uns, la définition
des procédures et la capacité de contrôle par les autres. Cette société était
donc, par définition, très élitiste, mais aussi très techno-centrée puisque la
technologie, présentée comme le seul vecteur de libération des actifs, était
un moyen d’asseoir cette hiérarchie. La grande intuition du leader est
d’avoir su penser une modernité[10] compatible avec les grandes évolutions
historiques.
Dans le champ politique, le modèle de l’État providence[11] incarne une
forme achevée de cette conception du monde, adossée à une bureaucratie
sophistiquée capable de combiner l’efficacité moderne de l’organisation
administrative et les valeurs (égalité, solidarité) portées par le modèle
politique de la démocratie des individus[12].
La même dynamique s’est également appliquée dans l’entreprise et s’est
d’ailleurs montrée particulièrement efficace compte tenu de la logique de
volume dans laquelle elle évoluait : la société de consommation des Trente
Glorieuses impliquait la production de masse, qui, elle-même, impliquait
une technologie dominante, une organisation taylorienne et finalement
l’imposition d’une norme « fermée[13] » de production démontrant la
capacité d’une organisation à suivre une règle imposée. Dans le champ de
l’économie, la success story du taylorisme repose donc sur une combinaison
efficiente : la performance de la production au sein du modèle montant de
l’économie capitaliste.
Face aux turbulences de notre société (passage de la masse production à la
diversification puis à la concurrence tous azimuts, mondialisation, chute du
mur de Berlin, fin du conflit larvé Est-Ouest, recomposition des valeurs,
conflits locaux multiples, montée de la spiritualité…), nous ne trouvons
plus de grands penseurs dominants et visionnaires, capables de montrer un
horizon stimulant aux sociétés contemporaines parce qu’incapables de
penser cette nouvelle complexité. Certains s’y essaient pourtant, mais sans
convaincre totalement, s’inscrivant dans des courants de pensée
idéologiques partisans ou des velléités hégémoniques, et provoquant ainsi
des réactions violentes. Leur proposition ne s’inscrit que dans une vision
restrictive du monde au lieu de reposer sur une analyse systémique
objective[14]. Faute de charisme, issus d’écoles qui les formatent, nos
politiques « gèrent » plutôt qu’ils ne « gouvernent ». La technologie et
surtout l’argent auraient-ils pris le pas sur les valeurs ? Dans ce contexte, on
reproche principalement à ces hommes politiques-gestionnaires leur
incapacité à nous inventer un futur. De même dans l’entreprise : c’en est
fini du temps des grands entrepreneurs. Il n’y a plus de « martingale » ou de
modèle taylorien de réussite.
L’ordre des choses a donc progressivement basculé. Initiée – éclairée ? –
par la circulation des connaissances, saisie par la nécessité de prendre en
main son propre destin, la « masse » n’est plus désormais consommatrice
aveugle. Elle est agissante ; elle s’approprie maintenant le domaine de la
pensée et une multitude de modèles voient le jour : chacun pense le monde
et agit dans le monde selon sa propre vision puisqu’aucune vision
dominante ne s’impose et que chacun accède au savoir, libre qu’il est dans
le flot des informations, de choisir, de hiérarchiser… Mais il accède à une
masse trop importante d’informations. Il ne peut pas la digérer autrement
qu’en n’en retenant qu’une partie. Nous résumons cette idée par l’image
suivante : le domaine de la pensée et le domaine de l’action ont fusionné.
Ainsi, tous, tour à tour ou simultanément consommateurs de biens et de
services sur un marché, producteurs de travail et de valeur dans une
entreprise, citoyens éligibles à des fonctions politiques dans l’espace public,
nous sommes devenus producteurs de pensées et producteurs d’actions.
Investis d’identités multiples, nous jouons tous désormais sur les différentes
« scènes » (politique, économique, associative…) du monde. Nous ne
sommes plus seulement des individus actifs dans un modèle établi, nous
sommes des individus penseurs et acteurs – agissants - inventant en
permanence le monde ou le système dans lequel nous vivons[15].
Dans l’entreprise, cela ne peut se traduire que par des organisations
nouvelles, de moins en moins pyramidales pour permettre la créativité,
supprimant les niveaux hiérarchiques pour autoriser le plus grand nombre à
diriger une partie du système et proposer ses idées. La liberté d’initiative
chère à Adam Smith n’est plus l’apanage du seul entrepreneur : elle saisit
tous les membres de l’entreprise, qui s’oriente vers une forme d’adhocratie,
mais qui, pour être efficace, doit fédérer autour d’une même finalité, d’un
même but.
De fait, on est passé d’un monde de règles à un monde de conventions[16],
c’est-à-dire des règles qui changent constamment et qui émanent d’accords
tacites entre des individus agissants, sans cesse remises en causes au gré des
évènements.
Chacun souhaite pouvoir exprimer ses idées, prendre des initiatives, et,
dès lors, la procédure va perdre de son intérêt au profit des processus en
permanence reconfigurés et « optimisés » en fonction des acteurs
concernés.
Ce passage de la logique de procédure à la logique de processus nécessite
un changement de culture des individus impliqués : la coopération devient
une condition de réussite. En effet, la procédure n’est qu’une organisation
de tâches qui entraîne une optimisation individuelle tandis que le processus
est une logique relationnelle visant à l’optimisation des liens vers la
satisfaction d’un acteur final. C’est dire que les individus doivent être
beaucoup plus coopératifs, ce qui signifie favoriser les solutions « satisfait-
satisfait » plutôt que les solutions « gagnant-perdant » des anciennes
structures hiérarchiques. La dimension humaine des systèmes doit
l’emporter sur la dimension technologique des outils[17]. Le principe
disciplinaire par la norme cède ainsi la place au principe du contrôle ou
plutôt de l’autocontrôle par l’écoute. Le principe de stabilité du système
cède ainsi devant le principe de changement (mouvement) permanent.
La société est désormais composée d’individus libres et autonomes, tour à
tour producteurs et consommateurs sur la scène du marché, fournisseurs et
clients sur la scène de l’entreprise. La problématique de l’entreprise est
moins celle de l’intégration au modèle (idéal des ingénieurs organisateurs
de l’époque taylorienne) que celle de la mise en cohérence d’une somme de
projets individuels qu’il faut accorder et concilier[18], en particulier grâce au
partage d’une vision et de valeurs qui trouveront une concrétisation dans
l’atteinte de métaobjectifs mobilisateurs des énergies.
L’entreprise se doit d’être agile, c’est-à-dire qu’elle se doit d’innover pour
satisfaire de manière unique et sans cesse renouvelée cette somme
d’individus. Elle le fait d’abord par l’élargissement de son offre en mêlant
produit-objet et prestations puis en se renouvelant sans cesse. Pour ce faire,
elle développe la créativité à tous les niveaux de son organisation mais elle
développe surtout une véritable culture client de la part de tous. Le client
devient co-producteur dans certains cas (Ikea) mais il devient probablement
aussi co-concepteur (ne serait-ce qu’à travers son évaluation du produit-
prestation). L’entreprise agile est donc extrêmement centrée sur le client.
Son organisation donne davantage de pouvoirs aux unités opérationnelles
décentralisées pour être plus proche de leurs marchés. C’est un pouvoir
d’action et le seul véritable moyen de développer une coopération avec ses
clients et tous les acteurs de son environnement. Cependant, la création de
valeur se fait principalement dans les activités de back-office, véritables
expertises ouvertes sur leur environnement et sur les clients.
L’incertitude développe l’impératif de réactivité
Les incertitudes augmentent. Cela devient une évidence, mais qui mérite
pourtant qu’on en analyse les conséquences pour l’entreprise.
Hier, les produits et services allaient au terme de leur vie, ce qui a permis
aux hommes de marketing et autres stratèges de construire des modèles de
gestion basés sur le cycle de vie des produits et leurs phases désormais
classiques de naissance, croissance, maturité et déclin[19]. Les entreprises
pouvaient fonctionner sur la logique suivante : la profitabilité était calculée
sur l’intégralité du cycle de vie du produit avec la certitude d’obtenir le
maximum de profit à la fin de ce cycle. L’entreprise avait recours à
différents outils de prévision (business plan prévisionnels, budgets
prévisionnels…). Ce système fonctionnait parce qu’il reposait sur un
principe de relative stabilité de l’environnement (les Trente Glorieuses) et
de récurrence des productions et des comportements des consommateurs.
Cette situation a changé, et, aujourd’hui, on ne peut plus miser sur la
complète exécution des cycles de vie tant une rupture technologique,
économique, politique, réglementaire, sociétale ou autre, peut briser à tout
moment cette belle « stabilité » ou « prévisibilité ».
Le raisonnement doit désormais se faire, non plus sur la simple logique
d’accumulation – des volumes produits et des profits – mais davantage dans
une logique financière – notion de retour sur investissement. En particulier,
la notion qui domine tout raisonnement stratégique est la vitesse de retour
sur investissement, c’est-à-dire la date à laquelle les recettes cumulées
depuis le lancement du produit sur le marché égalent les dépenses cumulées
depuis la première minute passée à travailler sur un nouveau produit. Notre
époque est en effet celle de changements de plus en plus rapides, fréquents,
inattendus et radicaux. Il ne s’agit donc plus d’engranger un profit le plus
grand possible sur une période donnée. Il s’agit plutôt de rentabiliser le plus
vite possible, en tout cas avant qu’une rupture ne vienne à rendre un produit
obsolète soudainement. La vitesse de rentabilisation compte plus que le
volume de profit.
Dès lors, quelles possibilités stratégiques s’offrent à l’entreprise ? Soit
adopter une stratégie de minimisation des coûts, soit anticiper les ruptures
possibles et intégrer cette anticipation dans sa décision.
Depuis le début des années 1980, de nombreuses solutions sont apparues
pour minimiser les coûts. Nous en retiendrons trois principales :
Le développement de synergies entre ses produits simultanément
au recentrage sur le métier de base : la littérature managériale a
largement répandu l’exemple japonais, en particulier celui de Honda,
de recentrage sur des compétences clés (core competencies) pour
minimiser les coûts de R&D. Plus son portefeuille d’activités est
homogène, moins les dépenses de R&D sont importantes. Pour autant,
on peut développer des activités différentes sur des marchés variés en
ne faisant que des dépenses d’adaptation. Ainsi, Honda a-t-elle
développé des compétences clés autour du produit clé qu’est le moteur
à essence. Elle décline ensuite ce produit sur le marché des voitures, de
la motoculture, du motonautisme, de la moto… Sur chacun de ces
marchés, l’entreprise est en concurrence avec des acteurs, qui, pour
être performants, ont dû consentir aux mêmes investissements. Mais
ceux-ci ne peuvent être amortis que sur un seul marché tandis
qu’Honda en amortit 80 % sur plusieurs marchés simultanément.
Le management de projet : un produit s’est longtemps développé
selon une logique séquentielle (recherche, développement, prototype,
pré-industrialisation, industrialisation, marketing, vente). Depuis une
quinzaine d’années[20], le fonctionnement par projets tend à se
généraliser. L’équipe projet comprend des représentants performants
(généralement les meilleurs) des différents services de l’entreprise.
Cette équipe pluridisciplinaire va fonctionner sous contrainte de temps
et de moyens vers un objectif clair et partagé. Le mélange des cultures
– des angles de vue sur le système – et le partage d’un même but vont
permettre de stimuler la créativité et l’efficacité. On gagne ainsi en
temps de développement par rapport à la logique séquentielle : tous les
secteurs industriels ont vu leurs temps de développement se réduire au
moins de moitié ces dernières années.
Les alliances : elles permettent tout simplement de partager les
coûts de développement entre concurrents (acteurs d’un même métier)
afin de développer à deux ou plus un produit nouveau. Elles
permettent aussi aux partenaires d’attaquer le marché ensemble et de
coordonner leur communication, ce qui amplifie l’impact de ces
marques au moment du lancement. Bref, c’est un gain de coût, de
temps et d’impact commercial. On sait qu’il existe des alliances dites
de volume entre deux acteurs ayant la même structure de la chaîne de
la valeur (par exemple Peugeot et Fiat pour la sortie du
806/Ulysse/Zeta/Évasion) et des alliances de complémentarité entre
deux acteurs ayant des chaînes de valeur différentes, qui, par addition,
vont permettre l’innovation (par exemple Renault et Matra pour la
sortie de l’Espace[21]).
L’autre solution qui s’impose à l’entreprise est l’anticipation. En effet,
plutôt que de plonger les yeux fermés dans un univers à risques et de
développer des produits dont nous ne sommes pas sûrs de la durée de vie, il
nous semble préférable de suivre les préceptes des prospectivistes
d’origine[22] qui suggéraient plutôt, face à l’incertitude, de balayer les futurs
possibles (futuribles) afin d’éclairer la décision et l’action présente. Michel
Godet[23], principal développeur de ces idées au CNAM depuis une
vingtaine d’années et avec l’association Futuribles, résume les trois
postures possibles face à l’incertitude :
l’attitude passive, assimilée à l’image de « l’autruche » qui attend
que l’orage passe ;
l’attitude adaptative du « pompier » qui se prépare à lutter contre le
feu ;
l’attitude volontariste de « la vigie » qui scrute le futur pour décider
de la meilleure voie à prendre.
L’entreprise agile, non seulement est prête à adapter sa stratégie en
permanence en fonction des opportunités et menaces, mais développe
surtout une capacité d’anticipation, tant au niveau de la stratégie, c’est-à-
dire des grandes décisions d’orientation de l’entreprise, mais aussi au
niveau opérationnel, c’est-à-dire des actes quotidiens de chaque
collaborateur qui doit désormais raisonner en connaissance de
conséquences !
Mais anticiper n’est pas seulement tenter de voir venir à l’avance les
évènements, qu’ils soient positifs ou négatifs. Anticiper, c’est avant tout
comprendre que nous vivons en interdépendance avec l’ensemble des autres
éléments du système complexe auquel nous appartenons. Alors, il nous faut
comprendre et admettre que si nous subissons les influences de ces
éléments, nous avons également le pouvoir de les influencer, positivement
ou négativement. Donc, anticiper c’est aussi décider et agir en connaissance
de conséquences.
Ces deux aspects de l’anticipation, anticiper les ruptures et manager en
connaissance des conséquences, sont indissociables.
L’interdépendance pousse au partage du pouvoir
Dans le monde d’hier, nous échangions principalement des matières ou
des produits. Cette société dite « de débit » reposait sur des liens de
dépendance entre les acteurs et le management était centré sur la
distribution de l’information, le pouvoir étant déterminé par la détention de
l’information. La société actuelle est très différente et repose sur des
échanges de perception : le client n’achète plus un produit, mais une
perception, un service, une reconnaissance. Le processus de l’offre et de la
demande s’est complexifié : il n’est plus linéaire. Le flux des informations
est aussi plus diffus. Dans le même temps, nous l’avons vu plus haut, le
client attend une prestation de plus en plus individualisée. Les métiers sont
ainsi de plus en plus soumis au risque de passer à côté du besoin réel. Sur
cette base, on insiste partout sur la « culture client[24] ».
Contrainte à l’adaptation dans un monde ouvert, sans frontières et
multiforme, l’entreprise communique avec un ensemble d’acteurs plus
nombreux et plus disparates. Tous ces acteurs autour de l’entreprise
interagissent avec elle en permanence et de plus en plus vite, notamment à
cause ou grâce à l’avènement des technologies de l’information. Ils ont tous
une grande importance et l’entreprise doit travailler avec eux, qu’il s’agisse
des fournisseurs, des concurrents et des clients ou de leurs intermédiaires.
Elle ne peut donc plus se contenter de tenter de s’imposer dans une relation
de rapports de force mais elle doit composer avec eux dans une relation
partenariale et évolutive.
Si, hier, travailler avec tous ces acteurs consistait à négocier dans un
contexte de rapports de forces, la nature de la relation doit désormais être
différente : il n’y a plus que des acteurs indispensables aujourd’hui ou
demain, aussi doit-on entrer dans des dynamiques coopératives s’appuyant
sur des relations gagnant-gagnant, et, plus encore, satisfait-satisfait.
Ceci renforce notre première conviction sur l’importance du
comportement coopératif au sein de l’organisation elle-même. Le
management ne peut plus s’appuyer sur le principe du pouvoir lié à
l’information possédée. Au contraire, le principe dominant est celui du
partage de l’information, le plus rapidement possible, afin que chacun
puisse adopter l’attitude adéquate en connaissance de cause et de
conséquence, à tout instant. Ceci explique l’explosion des systèmes
d’information et l’essor de notre société « informatique ». Nous devons
aujourd’hui diffuser l’information et permettre ainsi à chaque individu
d’être plus agissant. Nous sommes dans des industries de process et nous
devons reconfigurer nos processus en permanence en fonction des besoins
du client. Nous sommes dans l’ère de l’apprentissage collectif comme dans
celui de l’entreprise élargie. Nous sommes entrés dans l’ère de la
convention négociée par opposition à l’ère de la règle imposée.
Cette émergence de l’interdépendance fait que les organisations doivent
être de plus en plus transparentes. Voilà une nouvelle source de difficultés :
les entreprises doivent être beaucoup plus collaboratives à l’intérieur et plus
coopératives à l’extérieur[25], un changement culturel radical.
Voici analysés les fondements de l’exigence d’agilité :
la montée de la finitude ;
la montée de la complexité ;
la montée de l’incertitude ;
la montée de l’interdépendance ;
et la montée de l’individualité.
Aussi pouvons-nous aborder enfin ce concept et sa pratique. Nous allons,
pour ce faire, nous attacher à décrire, les 4 principes fondateurs de l’agilité
dans un premier temps avant, dans un second temps, d’analyser leurs
conséquences au niveau du management collectif des Hommes et du
comportement individuel du manager.
Les 4 principes fondateurs et leurs conséquences opérationnelles sont :
Le management par le sens, qui garantit la cohérence du système,
sa pérennité et la mobilisation durable de chacun.
L’anticipaction, pour réduire l’incertitude afin de se mettre en
capacité de rapidité d’action et de réaction et pour anticiper les
conséquences de nos décisions et actions.
La proopération, pour partager et non dominer, pour entrer dans
une relation « satisfait-satisfait » et se mettre à travailler avec l’autre
mais plus encore pour l’autre.
La justinnovation, pour inventer en permanence le monde de
demain et pour satisfaire de manière unique chaque client, pas plus,
pas moins et au bon moment.
Ces 4 principes de base refondent la posture de l’entreprise :
À l’extérieur l’entreprise sert :
une offre globale, pour élargir le nombre de vecteurs de satisfaction et de
différenciation des clients ;

une culture client, pour que chacun dans l’entreprise prenne conscience qu’il travaille
non pas pour lui mais pour un tiers à satisfaire.

À l’intérieur l’entreprise :
réduit la complexité, pour que chacun soit placé dans un système compréhensible et
moins générateur de stress ;

stimule la culture du changement, pour que le changement soit une seconde nature et
non un lieu de combats.

Si l’anticipation répond plutôt au risque d’incertitude, la coopération au


risque d’interdépendance et l’innovation au risque d’individualité, toutes en
revanche répondent au risque de complexité et au risque de finitude, ce que
nous allons maintenant expliciter.
Les 4 principes fondateurs de l’agilité
Privilégier le sens et la cohérence (effissens)
L’entreprise est un système complexe, et nous avons déjà précisé qu’un
système était orienté par une finalité, qui fera sens pour tous les acteurs de
l’entreprise.
Pour décider et agir, nous avons personnellement besoin de connaître dans
quel but nous avançons. Le sens est primordial et trop de nos contemporains
agissent par habitude ou par souci d’obéissance ou pire encore par souci de
conformisme. Le sens est à l’entreprise ce qu’est la lumière pour les
animaux : c’est la vie, l’espoir, ce qui va diriger nos actions. Le sens est
premier.
Nous sommes souvent choqués de voir dans combien des PMI chez qui
nous intervenons, et c’est pire encore dans les grands groupes, le sens est
oublié. Il arrive fréquemment qu’on nous parle de buts à atteindre,
généralement concrets et orientés par une approche matérialiste certes
nécessaire mais pas suffisante selon nous. Il s’agit de la conquête de
nouveaux clients, de l’obtention d’une certification, du lancement d’un
nouveau produit… Mais lorsqu’on interroge le dirigeant sur le
« pourquoi », il ne peut nous répondre en général que par un « parce
que… » sibyllin auquel il ajoute un « il le faut » énigmatique ou un
« comme les autres » gêné. Mais rares sont ceux qui passent au niveau de la
finalité ou du sens. Finalement, ils travaillent parce qu’il le faut, ils dirigent
une entreprise parce qu’ils en ont hérité ou parce qu’ils voulaient gagner en
autonomie, mais ne savent pas définir mieux que cela le sens de leur action.
Dans chacune de ces entreprises, nous avons pu constater une difficulté
relationnelle majeure entre le dirigeant et ses employés et nous l’avons
résolu par la mise en place d’un sens partagé, construit ensemble, qui allait
finalement permettre à chacun de se positionner et de trouver un sens
nouveau à son engagement professionnel. Le corollaire de ce changement
posturiel a été la relative facilité avec laquelle nous avons pu ensuite
transformer l’entreprise dans son organisation, ses valeurs, sa culture et son
fonctionnement quotidien.
Nous voulons retenir de ces expériences quelques enseignements pour
alimenter la définition d’une entreprise agile :
Une entreprise agile est orientée par une finalité, porteuse de sens
pour l’ensemble de ses acteurs et pour l’ensemble des acteurs de son
environnement. Une finalité claire permet donc de circonscrire la
complexité, d’orienter la recherche des ruptures possibles et ainsi de
faciliter les anticipations – notamment l’anticipation des conséquences
de nos décisions et de nos actions – de souder les acteurs entre eux et
de fluidifier les collaborations dans l’entreprise et avec les acteurs de
son environnement.
Une finalité bien établie est une finalité réfléchie collectivement,
impliquant le plus grand nombre le plus en amont possible de la
réflexion afin de minimiser les risques de rejet et les besoins de gestion
du changement. Cette finalité est la source de la raison d’être de
l’entreprise et ne peut s’inscrire que dans le cadre d’une réciprocité de
progrès entre l’entreprise et son environnement. Une entreprise ne peut
donc pas s’enrichir, dans un système où tous les éléments sont
interdépendants, si cela se fait au détriment des autres. Comme le dit si
bien J.-M. Pelt en observant la vie des plantes et des animaux : « Si les
herbivores proliféraient au point de nettoyer la nature de toutes ses
plantes, ils mourraient à leur tour de faim, emportant ainsi les
carnivores qui se repaissent de leur chair. C’est donc vers un juste
équilibre que tend la nature ».
Une finalité se partage et s’entretient comme on entretient un
feu, en la rappelant régulièrement, en la mettant au centre de toute
autre réflexion ou décision dans l’entreprise. Ainsi, aucun service ne
peut trouver de sens propre qui ne participe pas au sens global, aucun
individu ne peut trouver de sens individuel qui ne participe aussi au
sens global. Chaque acteur sait à tout moment pourquoi il agit et peut
devenir ainsi autocritique quant aux décisions ou actions : elles doivent
participer à la réalisation du sens de l’entreprise.
Une finalité est à la source de la stimulation de comportements
d’anticipation, en s’inscrivant dans une vision future du sujet d’étude.
Cette vision future permet de faciliter le raisonnement (on sait où
regarder, on sait fonctionner en connaissance de conséquences sur la
réalisation du sens) et elle stimule la coopération (comme dans une
équipe sportive, si le sens est compris et partagé, l’équipe ne peut que
mieux fonctionner).
Mais le sens n’est pas une condition suffisante pour devenir agile. Elle
n’est qu’une condition nécessaire.
De même en est-il de la cohérence. Si le sens est la construction d’une
vision commune, quasiment d’une philosophie (par exemple la pérennité de
l’entreprise ou son positionnement d’innovateur dans un secteur), la
cohérence est la construction d’une démarche collaborative garantissant
l’équilibre du système par le respect mutuel des actions des uns par rapport
aux autres. La cohérence est donc concertation, coordination, respect et
esprit d’équipe. Elle est aussi ordre et processus. Chacun se positionne par
rapport à l’autre et vise à le servir le mieux possible parce qu’il sait où il va,
pourquoi et comment il y va. Donc la cohérence est aussi satisfaction, de
l’autre, et, par conséquent de soi-même.
Anticiper pour réduire l’incertitude (anticipaction)
Comme l’a si bien montré Bernard Cazes[26], l’avenir a toujours été une
préoccupation humaine, ne serait-ce que parce que des avenirs possibles
découlent non seulement l’essentiel des décisions de nos dirigeants mais
aussi l’ensemble des représentations qui orientent l’opinion.
Le futur est donc une préoccupation essentielle. Il est l’enfant légitime de
l’idée d’intention et de celle de changement :
Toute décision s’inscrit en effet dans une intention, une volonté, un
projet ou même une vision, tant de mots utilisés par les spécialistes
d’anticipation, des regrettés G. Berger et B. de Jouvenel aux très actifs
M. Godet[27] ou encore S. Bellier et A. Benoist[28]. Tous expriment
l’idée que le futur n’est pas le résultat final d’une volonté divine mais
plutôt le point de départ d’une construction humaine.
Tout postulat de stagnation des systèmes vivants est faux. « Si rien
ne changeait sous le soleil, si demain était strictement identique à
aujourd’hui, connaître le présent équivaudrait à connaître le futur[29] »,
et, franchement, la vie ne serait pas très drôle ! Le changement est à
prendre sous deux interprétations : le changement incrémental
(continu) et le changement rupturiel (discontinu). Tous deux sont
déstabilisants mais le premier est sans doute moins difficile à prévoir
tandis que le second est source de peurs autant que de fascination.
L’environnement de l’entreprise, comme nous l’avons vu plus haut, est
caractérisé par une accentuation des turbulences et des discontinuités.
L’entreprise et son environnement évoluent rapidement dans le sens de la
complexité et de l’interdépendance, notamment du fait de l’émergence de la
société de l’information, entre les grands domaines que sont l’économique,
le politique, l’international, le technologique, le social… mais, et surtout,
par l’augmentation des sources de rupture.
En effet, l’entreprise, « simple » appareil de production hier, puis
organisation humaine au rôle économique et social et, enfin, système de
performance dans un univers contraint, subit aujourd’hui de nombreuses
influences de la part, tant des fournisseurs et des clients (vision
portérienne[30]) que de la part de tous les acteurs de son environnement :
État, technologie, normes…
Pour ne prendre que quelques exemples : le changement technologique a
principalement un impact sur le raccourcissement de la durée de vie et sur
la performance des produits ; l’incertitude économique se traduit par une
croissance incertaine, des risques d’inflation, un haut taux de chômage dans
les pays développés… tandis que la dimension environnementale modifie
les comportements de l’ensemble des acteurs économiques, mais pas de la
même manière ni à la même vitesse et c’est sans doute là la source de
nombreuses ruptures.
Ainsi le dirigeant doit-il tenir compte, dans la préparation et dans la prise
de ses décisions, d’un nombre toujours plus élevé de variables et d’acteurs
aux stratégies variées.
Face à ce contexte mouvant, le modèle classique de la planification des
entreprises[31] a vieilli.
Figure 2.1 La notion de rentabilité

En environnement relativement stable, par exemple les Trente Glorieuses,


la période T1 de vie du produit (figure 2.1), base du raisonnement
stratégique, est une période de prévisibilité des marchés, des positions
respectives des concurrents, et, au final, des profits. On peut
raisonnablement présenter à un banquier un « business plan » réaliste qui se
réalisera pour l’essentiel puisqu’aucune rupture majeure ne va bousculer le
système.
Aujourd’hui, les entreprises sont amenées à changer la nature de leur
mode de préparation des décisions en vue d’intégrer toutes les contraintes
stratégiques liées à cet environnement élargi et mouvant, et, en particulier,
au risque de rupture que cela induit. Cela justifie de mettre en place des
stratégies visant à réduire la période T2 de développement et rentabilisation
des investissements, par exemple par l’apparition de stratégies d’alliance
(division par n acteurs du volume des investissements), de développement
de synergies entre les activités recentrées autour de compétences clés, de
réduction des délais de développement grâce à l’ingénierie concourante (le
principe moteur du management de projet moderne)… L’anticipation
devient alors aussi tout à fait naturelle. Elle correspond à un besoin de
flexibilité, d’adaptabilité et de rapidité de réflexion (la stratégie) autant qu’à
un besoin de vision globale et systémique des problèmes à un horizon plus
ou moins lointain (la prospective). La prospective permet, avant de se
lancer dans un développement, d’anticiper les ruptures possibles, leurs
causes et leur date d’occurrence, agissant ainsi sur la décision
d’investissement, sur le mode de management de l’investissement et sur la
stratégie à mettre en place.
Mais n’oublions pas que l’entreprise a récemment diminué le nombre de
niveaux hiérarchiques et tend à développer l’autonomie de ses acteurs
internes. C’est une conséquence logique de la complexité comme le
soulignent P. Morin et E. Delavallée : « une entreprise dont l’environnement
est simple, stable et prévisible gagnera en efficacité à adopter une
organisation relevant davantage du modèle mécanique que du modèle
organique, et inversement pour une entreprise dont l’environnement est
complexe, turbulent et incertain ».
Cela signifie donc que la problématique de préparation et de prise de
décision est également déléguée. Ainsi, l’anticipation n’est plus le problème
du seul décideur le plus élevé mais le problème de tout un chacun dans
l’entreprise.
Aussi prônons-nous l’anticipation d’abord en tant que valeur managériale
et posture quotidienne de tout collaborateur dans une organisation autant
qu’en tant que méthode d’étude et d’analyse, ce que l’on appelle
aujourd’hui communément la prospective. Comprendre le sens du système
auquel on appartient, savoir inscrire son action dans le cadre des
changements d’origine autant interne (fusions, acquisitions, modification
d’organisation, arrivée d’un nouveau dirigeant…) qu’externe (nouvelle
norme, construction européenne, apparition d’une nouvelle technologie
concurrente…) est devenu non seulement source d’efficacité et de
performance mais également un gage d’engagement et de motivation.
Ainsi, l’anticipation n’est-elle plus seulement un luxe, elle est une prise
de temps de recul, d’analyse ou de comparaison nécessaire à l’évitement
d’erreurs de moins en moins pardonnables. Elle est aussi donneuse de sens
et source de motivation : on ne peut être qu’efficace si l’on comprend
pourquoi on travaille !
Enfin, nous ne pouvons pas ne pas revenir à notre métaphore de Tarzan[32].
Nous avons noté que « malgré la densité des frondaisons : il se déplace
grâce aux ressources du milieu qui ne sont pas là pour ça. Tarzan
n’emprunte pas les chemins, mais les lianes ». Nous aurions pu ajouter que
Tarzan ne tombe jamais, ou, s’il tombe, il sait se raccrocher à une branche
ou amortir sa chute grâce à une pirouette ou une roulade à bon escient et au
meilleur endroit pour éviter toute blessure sérieuse. D’où lui vient donc
cette capacité si ce n’est d’une observation permanente de son
environnement (veille ou intelligence économique) et d’une capacité
d’anticipation systématique des ruptures de lianes et des voies de secours
(prospective). Nous ne faisons que proposer aux entreprises et à l’ensemble
de leurs collaborateurs le même modèle comportemental !
Ce modèle peut se traduire ainsi dans l’entreprise :
Au niveau stratégique, il repose sur la mise en place d’un système
de veille, qui, ne pouvant être menée systématiquement sur toutes les
dimensions de son environnement, est orientée sur les ruptures les plus
probables repérées grâce à des études prospectives régulières. Cette
veille peut être individuelle (au niveau d’un individu ou au niveau
d’une entreprise) ou bien collective (au niveau d’un groupe de
personnes appartenant à un même processus d’entreprise ou au niveau
d’un groupement d’entreprises réunies soit par le métier – cluster – ou
par la proximité géographique ou intellectuelle – clubs). La fréquence
des études prospectives est, quant à elle, étroitement liée au cycle de
vie des produits : plus le cycle de vie des produits est long (par
exemple 20 ans pour un avion ou 5 ans pour une automobile) et plus la
prospective peut être rare et porter loin (tous les 5 ans et à un horizon
de 20 ans pour le secteur aérospatial et tous les 2 ans et à un horizon de
5 ans pour le secteur automobile).
Au niveau opérationnel, il repose sur une attitude certes en
connaissance de cause, principe selon lequel nous avons tous été
éduqués, mais aussi et surtout sur une attitude en connaissance des
conséquences. Nul ne peut agir sans s’interroger sur les
conséquences de ces actes, positives ou négatives, sur toute
personne en amont ou en aval tout au long du processus auquel il
appartient. Cela signifie aussi avoir conscience de son appartenance à
un système complexe et à des processus non linéaires avec des
feedbacks difficilement contrôlables : une action positive pour soi à
court terme peut aussi avoir des conséquences négatives à moyen et
long terme. Cela signifie enfin avoir une connaissance du sens (de son
identité, de sa vocation et de sa stratégie) de son organisation, mais
aussi une connaissance et une sincère envie d’aider l’ensemble des
acteurs qui l’entoure, ce que nous allons maintenant aborder dans le
principe de coopération.
Aussi nous créons un néologisme pour cette acception complète de
l’anticipation : agir en anticipant aussi bien les ruptures, en cherchant à être
proactif et en envisageant les conséquences de ses décisions s’appelle
l’anticipaction. Nous utiliserons en particulier cette expression lors du
chapitre sur les comportements du manager et l’analyse de son Agile
Profile®. L’intérêt de ces néologismes réside dans l’interrogation qu’ils
portent au lecteur. Les néologismes dérangent et interpellent, ce qui permet
l’interrogation et la réflexion…
Coopérer pour vivre en réseau (proopération)
Dans le monde qui se fait jour et que nous avons tenté de décrire comme
étant empreint d’interdépendances, on ne peut ignorer la tendance des
entreprises à se recentrer sur leur métier de base et à externaliser tout ce qui
n’est pas le cœur du métier, la source de valeur principale (mais à quel prix
pour l’entreprise et avec quel coût social !!!). Il apparaît dès lors une
tendance certaine à la spécialisation accompagnée d’une externalisation des
activités qualifiées de secondaires ou dont la maîtrise des coûts,
principalement du fait du lourd coût social en France, est incertaine. Cela
nous semble à la fois salutaire et dangereux, en particulier si on n’en
analyse pas les conséquences (encore une fois il faut raisonner en
connaissance de conséquences et non en connaissance de causes !).
Les raisons semblent évidentes : la rapidité d’action nécessaire et la
difficulté d’appréhender la complexité des systèmes nous contraignent à
cette spécialisation. En effet, comment faire pour agir vite, réagir encore
plus vite, voire anticiper les difficultés si notre système de référence est
immense. Un des principes même de la systémique est que plus un système
interne est largement défini et plus les connexions de ce système sont
nombreuses avec de multiples dimensions de l’environnement. Autrement
dit, plus un système interne est vaste et plus le système complet à étudier a
de chances d’être complexe. Plus le système à étudier est complexe et plus
il est difficile de l’appréhender sauf à prendre le risque de passer plus de
temps à l’étudier qu’à décider ou agir. Aussi a-t-on assez naturellement
tendance à limiter ce risque en limitant le champ de notre investigation. La
notion de chaîne de valeur, développée par M. Porter[33] permet de bien
illustrer ceci : il montre qu’il existe au sein de l’entreprise des activités dites
« principales » qui participent à l’élaboration physique du produit et des
services associés (achat, production, distribution, vente) et des activités
dites « de soutien » ou « secondaires » qui sont là pour faciliter le travail
des activités principales (R & D, finance, RH…). Une première tendance a
été d’externaliser, autant que faire se peut, ces activités secondaires en
utilisant notamment les prestations de consultants et autres experts.
Maintenant apparaissent des entreprises qui se spécialisent sur certains
maillons des activités principales : nous connaissons par exemple une
entreprise qui conçoit, assemble et vend des actionneurs de vannes
hydrauliques. Ce qui caractérise cette entreprise, c’est la maîtrise des
maillons les plus amonts (conception) et aval (vente) de la chaîne de la
valeur. Le reste est externalisé auprès de nombreux prestataires, spécialistes
eux-mêmes du moulage plastique ou du décolletage. Ces acteurs externes
sont des partenaires et non de simples sous-traitants, ce qui ne rend pas
l’entreprise dont nous parlons pour autant dépendante et « mariée » à vie
avec eux. On peut citer cette autre entreprise du bâtiment qui fédère des
spécialistes de différents corps de métier et dont le vrai métier est le
management de projet dans le secteur du bâtiment. Ces deux entreprises ont
adopté le même modèle organisationnel, le partenariat entre experts (toutes
deux sont en fait un conglomérat de petites structures spécialisées et à taille
humaine) ; ce qui les différencie, c’est que le premier gère ces partenariats à
l’extérieur de l’entreprise, l’autre à l’intérieur.
Les conséquences du recentrage sur quelques maillons de la chaîne de la
valeur sont en revanche rarement explicitées. Elles ne sont pourtant pas
négligeables :
Diminution du « risque systémique » (décrit plus haut). Le
périmètre d’action étant réduit, le système global à surveiller de près se
réduit d’autant.
Augmentation de l’expertise et développement d’une image de
compétence souvent accompagnée d’une image de qualité. Ceci
permet dès lors de justifier des prix plus élevés ou de fidéliser plus
facilement son personnel, sans doute plus passionné par un travail de
spécialiste que par un travail de base.
Obligation à l’innovation. En effet, ces stratégies de recentrage
s’accompagnent généralement de stratégies de niche consistant à
élever les barrières à l’entrée par l’investissement technologique.
Les autres conséquences sont malheureusement moins positives :
tendance à l’externalisation de la production vers des pays à bas coûts de main-
d’œuvre et son lot de chômage en France ;
exportation de savoir-faire et risque de perte de savoir-faire interne, sans compter que
tous les pays vers lesquels on exporte des savoir-faire techniques progressent à leur
tour[34] ;

etc.

Mais la conséquence des conséquences est certainement la nécessité de


développer une logique de confiance. Comme nul ne maîtrise son produit
dans sa totalité, il est obligatoire de développer des relations partenariales,
qui elles-mêmes ne peuvent vivre que dans une relation de confiance. Donc
chacun développe un réseau intense de relations qu’il sollicite le cas
échéant à la manière dont Tarzan sollicite la nature (telle plante aux
bienfaits connus ou tel animal à proximité ou ayant telle compétence
particulière) lorsqu’il en a besoin… et réciproquement.
Si l’on ajoute à ce raisonnement le développement de l’informatique, qui
lui-même repose sur la logique de réseau (Internet, Intranet, Extranet), on
comprend l’inéluctable développement du mode de fonctionnement
collaboratif entre acteurs économiques comme à l’intérieur des
organisations.
En effet, à l’intérieur même des entreprises, cette logique coopérative
trouve également toute sa justification aujourd’hui. Hier, la logique
hiérarchique l’emportait, basée sur une information rare distillée d’en haut
vers chaque collaborateur en fonction de son strict besoin opérationnel. Se
mettait alors en place des « martingales » comportementales basées sur le
respect de la règle, sur un modèle d’obéissance et de progrès individuel.
Dans l’entreprise, comme dans toute organisation humaine, qu’elle soit
politique, religieuse, militaire ou scientifique, et parce que le monde
apparaissait sous un aspect peu complexe par rapport à aujourd’hui, un
homme pouvait incarner le savoir et était en mesure d’imposer par son
charisme ou par la force (des mots, physique ou de l’argent) la règle de
fonctionnement du système qu’il régissait.
Cela nous donnait une société hiérarchique et élitiste, techno centrée (la
technologie était au cœur du développement des organisations humaines) et
disciplinaire. Évidemment, l’entreprise, reflet à plus petite échelle de la
société, appliquait le même mode de fonctionnement.
Figure 2.2 Le pouvoir dans la société industrielle traditionnelle

Aujourd’hui, et principalement sous l’effet de deux nouvelles contraintes,


à savoir l’émergence de la société de l’information qui rend l’information
pléthorique et accessible à tous et la complexité croissante de nos systèmes
humains du fait du trop grand nombre de variables et d’acteurs à considérer
dans une perception du temps toujours plus rapide ce qui les rend
inintelligibles, ces grands penseurs des systèmes humains tendent à
disparaître et chacun de se sentir capable de penser et d’agir de façon
autonome. Chacun peut et veut donc influer sur le système dans lequel il vit
mais en ayant conscience qu’il ne peut en maîtriser qu’une partie. Cela
impose donc la nécessité de fonctionner les uns par rapport aux autres dans
une diminution des logiques hiérarchiques au profit de logiques
coopératives.
Ainsi, les querelles de pouvoir qui séparaient les ressources humaines,
techniques, commerciales et financières des entreprises, ne peuvent que
laisser la place à des logiques collaboratives entre ces ressources unies dans
un même système d’information au service d’une même finalité source de
motivation et de mobilisation.
Figure 2.3 Le pouvoir dans la société post-industrielle

On peut aller encore plus loin que la simple coopération. Celle-ci ne


recouvre qu’une approche limitée : l’origine du mot est latine cum (avec) et
operari (œuvrer). Quand je travaille avec quelqu’un, je me contente
d’apporter pendant un certain temps ma force de travail et mes
compétences. En les mettant en commun avec un acteur qui fait de même,
nous avons une force de travail supérieure (alliance d’échelle) ou une
capacité d’innovation (alliance de complémentarité). Mais nous ne nous
intéressons pas vraiment à l’autre, seulement au résultat qui doit être
payant. Aussi, dès le travail terminé, nous nous ignorons à nouveau. On sait
d’ailleurs que les premiers écrits en stratégie indiquaient que les alliances
étaient une première approche avant une acquisition. La coopération est un
vocabulaire et un mode d’action appropriée à la logique industrielle de la
société de consommation.
Le contexte étant différent aujourd’hui, il nous faut pousser plus loin cette
approche coopérative. Nous proposons de non seulement travailler l’un
avec l’autre, mais, plus encore, de travailler l’un au service de l’autre, l’un
pour l’autre, et tous orientés vers un même sens. C’est pourquoi nous
proposons de remplacer cum operari par pro (pour) operari. Nous
proposons ainsi le néologisme de proopération pour signifier que l’essentiel
du travail avec un acteur réside dans la quête d’un sens commun et de la
satisfaction réciproque de l’un par l’autre. C’est là le secret d’une
coopération durable dans laquelle chacun des deux acteurs – ou plus – dans
la plus totale confiance d’un partage équitable des bénéfices qui auront lieu
au-delà de la simple approche matérialiste. Nous approfondirons cette
notion dans le chapitre sur les comportements d’agilité, dans l’analyse de
l’Agile Profile®.
La nécessité d’innover autrement (justinnovation)
Mais ce monde que nous percevons aujourd’hui est marqué par la montée
de l’individualité, ce que nous avons décrit non comme une montée de
l’individualisme mais comme un délitement des grands systèmes dominants
de pensée au profit de systèmes individuels de pensée engendrés par
l’augmentation du volume d’information et de la facilité d’accès à
l’information.
Notre conclusion était que chacun cherchait dès lors à se démarquer par la
pensée et par les actes, en consommant de façon spécifique au point que le
marketing est passé d’une logique one to many à une logique one to one ou
marketing relationnel.
Si l’on y ajoute les raisonnements précédents sur la tendance à la
spécialisation, on aboutit assez naturellement à la nécessité d’innover,
d’abord pour se démarquer et creuser un avantage compétitif par rapport
aux concurrents, mais aussi pour séduire toujours davantage ces clients
devenus si exigeants et si facilement infidèles.
L’innovation est donc devenue, plus qu’une stratégie possible parmi
d’autres, une véritable nécessité pour tous. Des conséquences de cette
obligation d’innovation, nous en retiendrons deux :
une accélération des changements et la mise en place d’une société
de la nouveauté en lieu et place de la société de consommation ;
la nécessité de développer une culture d’innovation et un
management spécifique par le changement (et non du changement).
Dès lors, l’innovation ne peut plus rester l’apanage de quelques
spécialistes techniques dans l’entreprise. En effet, la complexité des
systèmes, la nécessité d’anticiper, la nécessité de coopérer font de
l’innovation non seulement une nécessité mais aussi un nouveau mode de
management : nous posons ainsi une nouvelle équation :
Complexité × Anticipation × Coopération × Culture client =
Justinnovation.
Nous avons abordé la complexité des systèmes économiques, mais nous
pouvons tout aussi bien transposer notre réflexion à la complexité des
systèmes techniques. En effet, la plupart des produits ou services que nous
consommons sont complexes et font appel à de nombreux matériaux et/ou
technologies que personne ne peut maîtriser complètement : une voiture fait
appel à l’électronique, à la mécanique, à la science des matériaux… et il est
difficile d’être à la fois un expert de toutes ces technologies ; de même un
ordinateur est un ensemble de composants plus ou moins techniques dont il
est difficile de maîtriser tous les aspects ; et il en est de même pour nombre
de produits.
Face à cette croissance de la complexité des objets et services, au progrès
technique galopant qui impose à la fois une spécialisation accrue et une
capacité d’intégration des systèmes techniques, apparaît une certaine
incapacité à être multicompétent. Dès lors s’imposent trois nécessités :
Anticiper les évolutions techniques et comprendre la technologie
dans son contexte environnemental qui fait, notamment, que la
meilleure technologie n’est pas toujours celle qui s’impose[35].
Coopérer avec de nombreux spécialistes afin de disposer en
permanence des meilleures technologies, et de coopérer très en amont
afin de penser l’intégration des objets techniques pour composer un
produit plutôt que de mener leur intégration en aval et gérer les
nouveaux problèmes inhérents à cette intégration.

Exemple
Il existe par exemple une entreprise à Voiron qui réalise des objets
métalliques mécaniques qui doivent s’insérer dans des mécanismes
complexes. Son dirigeant se fait fort non pas de réaliser exactement les
plans qui lui sont demandés par devis. Au contraire, il demande à
comprendre de quelle manière l’objet qu’il réalise va s’insérer dans un
ensemble. Puis, fort de sa compétence technique et de sa connaissance
de son équipement, il redessine l’objet et fait valider son objet par le
client. Cette manière de faire lui permet assez systématiquement de
réduire le coût de sa prestation de l’ordre de 20 % par rapport à la
demande du client, et encore garde-t-il ainsi une marge plus
confortable. Son client est doublement satisfait, donc fidélisé, et cette
entreprise peut désormais vivre avec un service commercial quasi
absent !

Développer une culture client très forte, tant en interne tout au long
des processus de l’entreprise, qu’en externe vis-à-vis de son client et
aussi de l’utilisateur final du produit. Ainsi, le client devient-il de plus
en plus un acteur producteur partiel de ce qu’il consomme :
a minima, il se doit de commenter son acquisition (il est fournisseur d’informations
sur sa satisfaction et son mode de consommation auprès de son fournisseur de produit
ou de service) ;

a maxima, il est impliqué dans la fabrication comme le client d’Ikea qui est le
fabriquant final de meubles en kit !

Cela signifie en particulier que l’innovation est le travail de tous,


chacun maîtrisant un bout du système. Rien ne sert d’avoir une direction
de l’innovation enfermée dans sa tour d’ivoire et gérant le reste de
l’entreprise derrière la tyrannie du changement, il faut au contraire créer un
climat d’innovation, inciter chacun à participer à l’innovation et à croire
qu’il peut à tout moment apporter une idée[36]. Cela impose donc un
décloisonnement des services en internes et des acteurs en externes, une
culture de l’écoute et de l’acceptation de la différence, en particulier par la
mise en place d’un mangement par projets et par les processus, ce que nous
aborderons plus loin.
De même, rien ne sert d’entretenir une distance et un secret de
l’information, ni avec ses sous-traitants ou cotraitants ni avec ses clients.
Cette conjoncture nouvelle impose au contraire la transparence et la
participation de tous pour la survie et la satisfaction de tous. C’est donc une
relation satisfait-satisfait qui doit s’installer entre tous les acteurs
économiques, à l’intérieur de l’entreprise comme à l’extérieur.
L’innovation ainsi stimulée permet à la fois de distancer les concurrents et
de se rapprocher des clients.
Distancer les concurrents
L’ère industrielle a vu poindre des stratégies de volume où les concurrents
ne se distinguaient que par leur marque puisque tous poursuivaient une
même stratégie de domination globale au niveau des coûts (stratégie de
volume). Nous avons vu l’évolution de cette concurrence avec l’apparition
d’une concurrence sur la valeur plus que sur les coûts. Aujourd’hui, il
apparaît nécessaire de jouer sans cesse sur les deux tableaux : les coûts et la
valeur. La valeur qui nous intéresse est la valeur perçue par chaque client.
Elle peut donc être de différentes natures, qui préférant acquérir un produit
innovant, qui un service irréprochable, qui une marque, qui encore un délai
ou un achat sans déplacement…
Ce mouvement concurrentiel n’est cependant pas plus stable que le reste
de l’environnement de l’entreprise. L’offre des entreprises est devenue un
mix des coûts et de la valeur et le barycentre de cette offre entre les deux
dimensions, d’une part se déplace sans cesse de l’un vers l’autre en fonction
de la conjoncture, mais d’autre part se déplace de l’un vers l’autre en
fonction des clients. La seule chose certaine est que l’offre est désormais
pluridimensionnelle, ce qui permet aux entreprises, par la même occasion,
de multiplier ses sources de différenciations et ses possibilités d’innovation.
Finalement, les entreprises sont passées d’une stratégie de concurrence
frontale autour d’un argument, les coûts, à une stratégie d’évitement ou de
contournement autour de nombreux arguments incarnés dans ce qu’on
appelle la valeur perçue par le client.
Se rapprocher des clients
Les clients, de leur côté, sont passés d’une logique de masse consommant
de manière unique à une logique de différenciation consommant de manière
différenciée. La croissance économique, la multiplication des temps de
loisirs, l’accès à l’information, l’accélération du temps perçue sont autant
de facteurs qui permettent aux clients de se différencier les uns des autres.
Chacun veut être reconnu comme unique et à ses attentes, voire exigences,
spécifiques. Le principe qui a marqué la mode pendant de longues années, à
savoir être le premier, tend à se généraliser : tout le monde veut être le
premier à arborer telle nouveauté ou, à tout le moins, tout le monde veut se
montrer différent de son voisin. C’est cet impératif d’évolution sociétale qui
pousse les entreprises à innover sans cesse pour capter ce nouveau client
volatil et changeant.
L’innovation est donc nécessaire et elle est éminemment collective.
D’autres auteurs ont d’ailleurs abordé ce thème de l’intelligence
collective[37]. Pierre Lévy a montré en particulier que les intelligences
individuelles se multiplient notamment dans une organisation d’acteurs au
service d’une finalité partagée, ce qui nous semble être une excellente
définition de l’entreprise. Denis Ettighoffer, quant à lui, prône l’entreprise
en réseau qui n’hésite pas à multiplier les alliances et partenariats,
l’essentiel étant de multiplier les potentiels de création de valeur par le
partage des connaissances et le transfert des compétences.
En allant encore plus loin, nous proposerons la totale transparence des
entreprises en interne comme externe, ce qui aura le mérite de stimuler
l’esprit de coopération et les potentiels d’innovation, l’enjeu étant
désormais de multiplier les sources de satisfaction du client.
Mais l’innovation doit créer de la valeur sans en détruire, au sens
systémique du terme. Si on améliore une facette d’un objet – par exemple le
confort des fauteuils d’une voiture – cela ne doit pas se faire au détriment
de l’espace pour les jambes ou avec des matériaux nuisibles à
l’environnement.
Cette innovation, transparente entre les acteurs, exclusivement créatrice
de valeur, éthiquement et écologiquement acceptable, est ce que nous
appelons la « justinnovation ». Une fois encore, nous détaillerons ce
néologisme dans le chapitre sur les comportements managériaux et
l’analyse de l’Agile Profile®.

L’organisation agile
Le concept d’agilité s’est attaché à décrire un modèle d’organisation
maîtrisant ses coûts tout en permettant d’être flexible. Mais cette
organisation doit aussi être apte à accélérer son temps de réaction voire à
anticiper les changements de demain. Aussi ce nouveau concept d’agilité
trouve-t-il très vite sa place dans une acception très large de la notion
d’entreprise : celle de l’entreprise élargie ou entreprise en réseaux,
fonctionnant en synergie avec tous les acteurs de son environnement.
C’est bien le changement de rapport de l’entreprise à l’environnement qui
justifie ce besoin d’agilité :
la montée de la finitude pousse à produire durable et à rechercher la
pérennité long terme de son entreprise plutôt qu’un maximum de
rentabilité à court par la réduction des coûts ;
la montée de la complexité pousse les Hommes à s’organiser à
l’intérieur d’entités à échelle humaine pour réduire cette complexité et
à coopérer davantage entre ces petites unités opérationnelles ;
la montée de l’individualité plaide pour une reconnaissance de la
capacité de l’individu à penser et à agir, donc à avoir son libre arbitre
et ses exigences, qu’il soit placé dans une posture de consommateur
sur un marché ou de producteur dans une organisation ;
la montée de l’incertitude impose naturellement la nécessité
d’anticiper pour améliorer encore nos capacités de réaction. En effet,
nous postulons qu’anticiper les scénarios du futur permet de s’y
préparer et de réagir plus vite le moment venu ;
la montée de l’interdépendance, enfin, sous-tend le principe de
partage du pouvoir tant à l’intérieur d’une organisation qu’entre les
acteurs de l’économie d’un secteur par exemple.
L’entreprise agile doit proposer une solution globale, au prix d’une offre
standard mais avec un haut niveau de différenciation, incluant service et
information. Pour réussir ce pari, elle ne peut plus répondre seule. L’équipe
qui va répondre est une équipe mixte, plurifonctionnelle, interne et externe
à l’entreprise. L’entreprise peut ainsi répondre à la demande avec un
concurrent ou avec un fournisseur. L’alliance se fera au sein d’une équipe
projet ou d’une entreprise commune et sera régie par une convention
modifiable dès qu’un acteur de l’alliance en ressentira le besoin.
L’entreprise agile est donc constituée d’unités à taille humaine dotées
d’une culture d’agilité et orientées vers une finalité commune claire :
L’entreprise mondiale doit donc se décomposer en unités
opérationnelles très proches du client, reconfigurables en permanence
et donc dotées de processus d’adaptation organisationnelle très rapides.
Ces unités opérationnelles sont des capteurs sensibles de
l’environnement et sont capables de changements organisationnels
rapides grâce aux structures de back-office en soutien. Celles-ci les
libèrent des problèmes financiers, ont des systèmes informatiques très
performants, apportent des ressources, et réalisent un accompagnement
psychologique, juridique ou encore conceptuel. Elles mettent à leur
disposition des systèmes de partage, de capitalisation de l’information
et de décentralisation de la prise de décision.
La PME-PMI, quant à elle, adopte les mêmes principes de
reconfigurabilité organisationnelle. Elle colle au client, développe son
écoute de l’environnement et noue un grand nombre d’accords
(convention) avec un grand nombre d’acteurs autour d’elle pour l’aider
à répondre aux menaces qui l’entourent et pour co-développer sans
cesse de nouvelles solutions.
À l’évidence, les facteurs clés de succès de différenciation et de
performance de l’entreprise agile sont les Hommes. L’entreprise doit les
aider à cultiver une connaissance intime de leurs clients et de leur
environnement, tout comme elle doit les aider à développer leurs savoir-
faire et leurs capacités d’imagination ou d’initiative, ce qui va permettre la
reconfigurabilité permanente de l’entreprise.
Cette évolution se fera à tous les niveaux et dans toutes les dimensions de
l’entreprise : dans la prise de décision stratégique, dans le management,
dans le management de projets et dans toutes les fonctions en général, au
niveau de chaque équipe et de chaque individu, chaque spécialité et chacun
devant désormais s’ouvrir à une vision systémique de l’entreprise pour
atteindre un optimum collectif.
L’agilité est enfin une perpétuelle recherche d’équilibre entre une
dimension active (faire et prouver que l’on sait faire), une dimension
réactive (être opportuniste face aux changements observés pour fidéliser) et
une dimension proactive (recherche d’innovation). Il s’ensuit que l’agilité
ne saurait être un état stable et définitif, mais une propension, une
aptitude, un cadre général à maintenir et alimenter constamment.
Ainsi, l’entreprise agile pourra être plus adaptable et plus flexible et
évoluer beaucoup plus vite qu’hier. Si l’entreprise des années 60 était un
bloc unique, hiérarchique et centralisé, l’entreprise d’aujourd’hui est un
ensemble de petites unités appartenant ou non juridiquement à la même
société : ces différentes unités partagent des choses, des valeurs, des
processus, ce qui permet à chacune d’évoluer dans la même direction. Elles
sont très interconnectées entre elles et très rapidement. Cela signifie que si
l’une capte un changement de l’environnement, le signal est directement
renvoyé aux autres unités. Toutes peuvent changer de direction de manière
quasi instantanée. L’entreprise dispose pour se faire des outils
informatiques, pour la gestion interne et pour les relations avec les clients et
les autres acteurs de l’environnement. Cela permet essentiellement la
rapidité d’action qui constitue l’enjeu d’aujourd’hui.
Pour résumer, la mesure de « pro-efficience »[38] face au changement
d’une entreprise, source de son agilité, se fait en mesurant la propension des
Hommes, des produits, des processus et des pratiques de l’organisation à
s’adapter de façon réactive et proactive aux changements potentiels.

S’organiser par pôles à échelle humaine


Nous avons déjà largement insisté sur la dimension complexe d’un
système entreprise et sur l’accroissement de cette complexité, en particulier
sous l’impulsion des systèmes d’information, vecteurs d’accroissement des
interdépendances et du nombre d’acteurs mais aussi vecteurs d’accélération
des relations et des boucles de rétroaction. Analysons en les conséquences
ici.
Une des premières conséquences, et la plus importante pour la suite de
notre raisonnement, est certainement que la réalité est toujours perçue de
manière partielle. Autrement dit, la complexité réelle des systèmes dans
lesquels on vit et décide est toujours plus grande que la complexité que l’on
perçoit.
Deuxième conséquence, et non des moindres, l’ensemble du système,
comme chacune des parties qui le composent, est inscrit dans un
mouvement dynamique qui nous amène à changer notre perception de la
complexité à tout moment, parallèlement à un changement effectif de la
réalité.
La conclusion que nous tirons de ces deux observations est double :
Les systèmes complexes sont un lieu de boucles d’influences et de
rétro-influences si enchevêtrées, si changeantes, si nombreuses et si
incontrôlables que personne ne peut avoir de « vision » limpide de la
situation.
Les systèmes complexes sont hautement instables et les changements
qu’ils portent sont de plus en plus soudains et violents (cf. chapitre sur
la montée de l’incertitude).
Face à cette double observation, toute personne, décideur ou non, placée
face à une telle complexité, ne peut que développer des attitudes négatives
de type stress, simplification excessive ou encore tentation de la mise en
place d’un système autocratique.
Le stress annihile la capacité de clairvoyance et réduit la pertinence et la
vitesse de décision, ce qui est hautement dangereux dans le monde
concurrentiel et rupturiel dans lequel nous vivons. En effet, la vitesse de
réaction est devenue un véritable facteur clé de succès, et, face à la
turbulence de l’environnement, nous n’avons plus que rarement la
possibilité d’avoir une seconde chance.
La simplification excessive est éminemment dangereuse face à des
changements incessants. Cela revient à faire une course les yeux bandés sur
un parcours semé d’embûches et donc à ignorer tout ce qui peut nous gêner.
Nous avons très fréquemment observé cette attitude dans de nombreuses
entreprises.

Exemple
Un dirigeant qui focalisait toute son énergie sur un outil industriel de
paquetage en paquets de douze de sa production a ignoré complètement
les réactions internes face à la suppression potentielle de postes, les
modifications induites sur le système de livraison, les réactions des
clients face à une obligation d’achat de packs plutôt que de pouvoir
faire des achats à l’unité… Cette incapacité à penser système ou à
réfuter la réalité parce qu’elle est trop complexe est un réflexe, certes
humain, mais fort dommageable. En l’occurrence, il a eu à gérer quasi
simultanément une baisse des ventes et une grève du personnel.

La tentation autocratique est un réflexe malheureux : « face à un


système que je ne maîtrise plus, plutôt que de solliciter de l’aide, je
m’enferme dans mes convictions, décrète que tous les autres se trompent ce
qui m’évite de perdre du temps à écouter et négocier, et impose mon point
de vue ». La probabilité de se tromper est grande, compte tenu de ce que
nous venons de dire de la complexité ; la probabilité de se retrouver seul est
grande aussi et personne ne peut résoudre seul un problème complexe. Qui
plus est, cette solitude peut devenir une voie d’accès à une certaine
paranoïa, qui, elle-même, est génératrice de trouble de la vue (sur le
système) et de troubles comportementaux (par rapport aux autres acteurs du
système).
En conséquence, plus on a un niveau de responsabilité élevée, plus on est
censé embrasser un haut niveau de complexité, et plus on subit un risque de
déviance dans sa fonction. Et ce phénomène ne peut que s’amplifier avec le
phénomène de montée de la complexité que nous avons décrit plus haut.
Sachant qu’on n’a pas de maîtrise véritable sur la complexité et sa
dynamique, que peut-on faire à part mettre en place des comportements
collaboratifs à l’intérieur de l’entreprise comme à l’extérieur et placer
chacun des collaborateurs face à un système de complexité réduite. Or, sans
que nous soyons des spécialistes de systémique, il nous apparaît évident que
si un système est constitué de moins de variables et/ou de moins d’acteurs,
sa complexité est moindre.
Aussi plaidons-nous pour le découpage des entreprises en unités
autonomes et coopérantes de taille réduite. Nous plaidons en parallèle, pour
l’adoption de véritables outils d’analyse des systèmes, du type de l’analyse
structurelle que nous décrivons plus loin, qui permettent une représentation
indispensable de la réalité et nous évite les simplifications abusives,
généralement centrées autour de ce qu’on connaît. Il est en effet plus facile
de réduire la complexité aux éléments qu’on croit maîtriser plutôt que de
s’ouvrir à des dimensions qu’on ne connaît ni ne contrôle.
Nous plaidons enfin pour l’acceptation de la dynamique de ces sous-
systèmes à complexité réduite, autrement dit pour une logique de
mouvements organisationnels et stratégiques, comme nous allons l’aborder
dans le chapitre suivant.
Notre image de l’organisation est donc à l’opposé du modèle pyramidal,
autoritaire, technocentriste et global mis en place dans la société
industrielle[39]. Nous associons d’ailleurs ce modèle à l’image de la baleine
ou au paquebot qui vise à tout proposer sur un seul lieu dans une
complexité très grande et où personne ne maîtrise voire ne connaît
l’existence de toute chose.
Nous préférons l’image du banc de poissons, ou celle de l’artisanat,
somme dynamique de compétences imaginatives et évolutives,
partageant une même finalité et échangeant en permanence des
informations pour sauvegarder la survie et le développement du plus grand
nombre (figure 2.4).
Figure 2.4 Baleine ou banc de poisson
Ainsi pensons-nous pouvoir créer de la dynamique dans l’ensemble du
système et placer chaque responsable face à un niveau de complexité
raisonnable.
L’entreprise peut alors s’exprimer non plus comme un ensemble unique
auquel chacun appartient, cherchant à y évoluer verticalement dans le seul
souci de s’affirmer et de prendre du pouvoir, souvent au détriment de la
performance collective, mais plutôt comme un ensemble multiple d’entités
à échelle humaine, spécialistes coopérant dans une dynamique de progrès et
de performance collective.
Mettre en place une culture du changement et des stratégies de
mouvement
Dans le contexte d’aujourd’hui, tel que nous le percevons, nous avons mis
en avant les caractéristiques de complexité, d’instabilité de notre
environnement et de nécessité de fonctionner avec les autres et plus contre
les autres.
Cela signifie que nous abordons l’entreprise comme un système ouvert
sur son environnement et dépendant de cet environnement. Ainsi
l’entreprise, alimentée en argent, en Hommes, en informations, en énergie
et en machines, mène des actions de transformation de ces ressources afin
de produire des biens et services vendus sur des marchés, face à des
concurrents, en générant des « déchets » de différentes natures et en vivant
sous des contraintes techniques, écologiques, étatiques, internationales…
Ce système, comme tout système, cherche un point d’équilibre qui, avec
le changement de société que nous avons décrit, s’est déplacé de la quête de
la meilleure rentabilité à la quête de la pérennité. Cette dernière n’exclut pas
la logique de rentabilité, elle l’inclut, plus comme un moyen qu’une fin, et
elle y ajoute non seulement une dimension long terme (et plus seulement
très court terme) mais aussi une dimension plurielle c’est-à-dire financière,
sociale et sociétale. À la manière du CJD (Centre des Jeunes Dirigeants), il
faut parler désormais de performance globale (économique, sociale et
sociétale) et plus seulement de performance économique.
Mais pour tenter de conserver cet équilibre, tout système dispose de
mécanismes de régulation. La régulation du système entreprise, qui fait
notamment l’interface entre les influences de l’environnement et les
capacités de l’entreprise, est la stratégie. Celle-ci définit la finalité, fixe les
objectifs et alloue les moyens à engager. La stratégie ainsi définie joue donc
un rôle clé de régulateur de la relation entre l’entreprise et son
environnement (clients, concurrents, innovations technologiques,
réglementations, fournisseurs…).
Le changement est donc le métier de la stratégie d’entreprise : elle
l’analyse, le comprend et le gère. Elle peut même parfois le provoquer. Ce
changement se cristallise derrière des mots comme croissance,
internationalisation, fusion, partenariat, recentrage, synergies, coût,
valeur… La stratégie est donc la gestion synergique des ressources
financières, humaines, techniques et commerciales de l’entreprise pour
répondre aux variations incrémentales ou brutales de l’environnement tout
en gardant une cohérence autour d’une finalité et de valeurs. Car changer ne
signifie pas « jeter le bébé avec l’eau du bain ». Toute la difficulté est là :
savoir changer sans changer, savoir évoluer sans perdre ses repères, savoir
virer de bord sans perdre le cap. Nous pensons là au principe de
« l’intention stratégique » défendue par Prahalad et Hamel[40]. Il correspond
à ce que nous appelons la finalité, c’est-à-dire un métaobjectif à long terme,
mélange de vocation et d’identité. Cette finalité peut être atteinte par
différentes voies successives, qui incluent notamment des virages radicaux
voire des retours en arrière, à l’image d’un alpiniste qui ne monte pas
toujours directement au sommet. Même s’il a un but clair et une stratégie
précise, les réalités du terrain l’amènent souvent à composer et à réorganiser
ses ressources pour atteindre son but sans systématiquement faire machine
arrière et revenir au camp de base pour réfléchir à nouveau.
Ainsi, la stratégie planifiée, pertinente en environnement relativement
stable, ne peut plus être appliquée en tant que telle dans un environnement
turbulent. Il faut être capable de la remettre en cause, et, par voie de
conséquence, être capable de remettre en cause ses ressources. Compte tenu
de ce que nous disons que doit être une entreprise aujourd’hui, c’est-à-dire
un ensemble d’unités opérationnelles autonomes et corrélées, reposant sur
les compétences d’autres unités autonomes d’expertises, ceci signifie que
ces unités doivent être capables de s’auto-organiser les unes par rapport aux
autres en fonction d’une finalité partagée et des aspérités environnementales
rencontrées.
La conséquence de ceci est grande : elle signifie que ce qui prime est
d’abord et avant tout la collectivité, que les jeux de pouvoir sont à laisser
aux acteurs rétrogrades qui vivent encore dans le paradigme industriel
taylorien, et, enfin, que le résultat économique est un moyen ou une
contrainte mais pas un objectif. Ces unités autonomes, fonctionnelles ou
opérationnelles, doivent se mettre réciproquement au service les unes des
autres, grandir, rétrécir, s’allier durablement ou non dans des opérations
concrètes tournées vers le client, ouvertes sur des acteurs externes avec qui
elles coopèrent de manière transparente.
L’organisation est donc mobile et non figée et les Hommes qui composent
les organisations doivent développer cette capacité d’adaptation et, plus
encore, aimer cette posture de changement permanent, qui peut notamment
les amener à diriger un jour une entité ou à simplement participer à une
autre le lendemain.
Le changement ne se gère plus car il est trop fréquent. Il s’anticipe autant
que faire se peut afin de se doter d’une vitesse supplémentaire d’adaptation,
il devient aussi un élément culturel des organisations et des Hommes. Le
changement doit être naturel. Quiconque veut vivre dans la société de
l’information qui se fait jour doit donc être un mutant permanent et non un
acteur qui demande régulièrement qu’on arrête le train pour qu’il puisse
changer de place sans risque de tomber. Contrairement au titre du livre de
Guy Bedos[41], on ne peut pas « arrêter le monde je veux descendre », que ce
soit pour réfléchir, ou arrêter de jouer. La culture du changement doit
remplacer le management du changement car nous n’avons plus le temps. Il
faut donc changer le management plutôt que manager le changement !

[1]
Voir le rapport intitulé 21st century Manufacturing Enterprise Strategy du Iacocca Institute de
la Lehigh University (Pensylvanie).
[2]
Entreprise « ouverte », entreprise « réseau »… ces notions rendent compte de nouvelles formes
organisationnelles particulières en rupture avec le modèle fermé de l’entreprise taylorienne.
[3]
Nous faisons entre autres référence ici aux travaux de N. Alter, Donner et prendre, La
Découverte, 2009.
[4]
Voir D. Gènelot, Manager dans la complexité, INSEP Éditions, 1992.
[5]
J.-L. Le Moigne, La modélisation des systèmes complexes, Dunod, 1990.
[6]
Nous retenons des différentes définitions de l’intelligence celle qui privilégie la capacité à faire
des liens !
[7]
Nous pensons ici principalement à la transformation non imposée par son environnement de
BSN en Danone.
[8]
Voir les travaux de M. Karsky et G. Donnadieu, La systémique, penser et agir dans la
complexité, Liaisons, 2002.
[9]
Ce que M. Weber désigne sous le terme de « légitimité charismatique » pour caractériser le rôle
« visionnaire » de ces personnalités et le fondement de leur influence, in Le savant et la politique,
Plon, 1959, p. 114.
[10]
Ce que M. Weber désigne par « organisation rationnelle légale » in Économie et société, Plon,
1971 (chapitre 6).
[11]
Voir P. Legendre, Jouir du pouvoir, Éditions de Minuit, 1976.
[12]
Voir N. Elias, La société des individus, Fayard, Paris 1971.
[13]
La norme ISO dont nous résumons ainsi la logique : « je dis ce que je fais et comment je le
fais, je fais ce que je dis, et je le prouve »... au risque de persévérer dans la médiocrité !
[14]
G.W. Bush Jr ou B. Gates par exemple !
[15]
Pour éclairer ce débat, posons deux définitions : est actif celui qui agit dans une organisation
stable selon des règles pré-établies ; est agissant celui qui pense et interagit dans un système en
évolution qu’il participe à transformer. Autrement dit : les individus actifs réalisent la pensée des
autres tandis que les êtres agissants agissent et pensent d’eux-mêmes.
[16]
La sociologie des conventions décrit ce processus par lequel s’établit l’accord légitime des
acteurs autour de compromis, voir L. Boltanski, Thévenot, De la justification, Gallimard, 1991.
[17]
C’est l’émergence d’un monde plus anthropo-centré que techno-centré.
[18]
Voir R. Sainsaulieu, Sociologie de l’Entreprise, Organisation, culture et développement,
Presses Universitaires de Sciences Po et Dalloz, 2e édition, 1997 (notamment Chapitre 1, « La
cohérence des modèles d’organisation » et 7, « Acteurs de changement »).
[19]
Voir le modèle BCG, qui réduit le cycle de vie au seul critère du taux de croissance du marché,
mais surtout les modèles ADL et Mc Kinsey.
[20]
En France, principalement depuis l’expérience Twingo suivie de l’ouvrage de C. Midler,
L’auto qui n’existait pas. Management des projets et transformation de l’entreprise,
InterÉditions, 1993 ; Dunod, 2004, pour la nouvelle présentation.
[21]
Pour plus de détails sur les alliances, lire D. Jolly, Alliances interentreprises, Vuibert, 2001.
[22]
Nous pensons aux deux « pères » de la prospective : G. Berger et B. de Jouvenel.
[23]
Voir par exemple De l’anticipation à l’action, M. Godet, Dunod, 1991.
[24]
Voir à ce sujet l’ouvrage de D. Ray, Mesurer et développer la satisfaction clients, Éditions
d’Organisation, 2001.
[25]
Volontairement nous choisissons deux termes : collaboration et coopération renvoient
cependant à une même culture de l’échange.
[26]
Lire cet excellent ouvrage, riche et passionnant, Histoire des futurs, B. Cazes, Seghers, 1986.
[27]
Michel godet a écrit de nombreux ouvrages de prospective. Le plus synthétique est sans doute
« de l’anticipation à l’action », Dunod, 1991.
[28]
S. Bellier et A. Benoist, L’Anticipation, Vuibert, 2003.
[29]
B. Cazes, op. ci.
[30]
M. Porter, Choix stratégiques et concurrence, Economica, 1980.
[31]
À l’origine duquel on trouve le fondateur du management moderne : H. Fayol.
[32]
Décrite en avant-propos.
[33]
M. Porter, L’avantage concurrentiel, InterÉditions, 1986.
[34]
En atteste le fabuleux développement technologique du Japon à partir du principe de « copie »,
ou, plus récemment l’éveil de la Chine…
[35]
Voir, à ce sujet, les nombreux exemples cités par P. Flichy, in L’innovation technique, La
Découverte, 1995.
[36]
Voir les principes des cercles de qualités et des boîtes à idées venus du Japon.
[37]
Nous pensons principalement à P. Lévy en anthropologie, L’intelligence collective, pour une
anthropologie du cyberspace, La Découverte, 1997, et à D. Ettighoffer, L’entreprise virtuelle,
Odile Jacob, 1998.
[38]
R. Dove, Response Ability, John Wiley and Sons Inc, 2001.
[39]
Nous pensons bien sûr au modèle Taylorien.
[40]
C.K. Prahalad et G. Hamel, « Strategic intent », Harvard Business Review, juin 1990.
[41]
G. Bedos, Arrêtez le monde, je veux descendre, Éditions du Cherche Midi, 1995.
3
L’AGILITÉ EN ACTION

Connaître l’entreprise, la comprendre et finalement la diriger sont trois


étapes obligées pour le manager. La connaissance ne présente pas de
problèmes majeurs ; elle s’acquiert dans la rencontre attentive des
personnes, à travers l’analyse des plans de charge et l’étude de
l’organigramme, et, de manière plus générale, en vivant au cœur de
l’organisation – mais ceci impose au dirigeant d’aller à la rencontre des
personnes.
La compréhension, en revanche, est moins aisée. Il n’y suffit pas un seul
poste d’observation. C’est par l’action qu’elle est accessible, à travers
l’entrée dans la dynamique des échanges, à travers la participation aux
actions et réactions de l’organisation, en interne et vis-à-vis des acteurs de
son environnement. Mais cela n’est pas automatique. Qui plus est, la
tentation est grande de s’illusionner soi-même et de tomber dans la
croyance que tout fonctionne bien, par autosatisfaction ou parce qu’on a le
sentiment d’avoir fourni à chacun les moyens du succès. Mais cela ne suffit
pas. Au-delà des moyens, il faut comprendre qu’une organisation est avant
tout un organisme vivant qui pense, agit, ressent des émotions. Aussi est-il
nécessaire, selon nous, d’aborder une organisation sous différents angles,
afin de l’ausculter – c’est-à-dire d’écouter tous les organes avec précision
afin d’entendre les signaux qu’ils émettent et analyser leur dissonance ou
leur cohérence – pour finir par la comprendre. C’est l’objet d’un diagnostic
d’agilité, évidemment indispensable, avant de tenter de diriger une
entreprise.
Le diagnostic ainsi conçu n’est même pas absolu. Il lui faut être orienté,
c’est-à-dire que l’entreprise doit être auscultée en fonction de la direction
dans laquelle elle veut aller. Il y a une grande différence en effet entre
l’organisation d’une croisière transatlantique et la quête d’un record de
traversée de l’atlantique : les moyens sont différents, les acteurs sont
différents, les attentes sont différentes, les relations avec son environnement
sont différentes, bref il ne s’agit pas du même dessein donc il n’est pas
question de mettre en œuvre les mêmes moyens. Dans les deux cas il s’agit
d’un bateau qui traverse l’atlantique. Pourtant, un diagnostic absolu de ces
deux aventures n’aurait pas de sens et aboutirait à une comparaison erronée.
On ne peut évaluer le bon niveau d’organisation, d’équipement, de
compétences et de motivation des deux aventures que par rapport à leurs
finalités respectives.
Plus encore, l’environnement de cette aventure est essentiel afin d’évaluer
la performance. Avec ou sans sponsor, en été ou en hiver, par la route nord
ou la route sud, avec enjeux ou sans enjeux à la clé… sont autant
d’éléments qui vont influer sur les capacités requises.
Enfin, dans nos sociétés modernes, le secret de la réussite repose sur la
vitesse d’accès et de traitement de l’information, aussi est-il indispensable
de mettre en place un système d’information, avec ou sans outils
informatiques sophistiqués, performant.
C’est pourquoi, avant de montrer la construction de notre outil de
diagnostic d’agilité d’une organisation, nous allons d’abord étudier trois
éléments fondamentaux d’une organisation : le sens, le contexte
environnemental et le système d’information.
Après l’explication de notre outil de diagnostic d’agilité, nous pourrons
alors aborder quelques conseils pour développer un mode d’action de
manager agile. En particulier nous analyserons comment une pratique de
coaching spécifique peut aider un manager à transformer sa pratique
managériale.

L’entreprise agile
Appréhender l’entreprise élargie
L’agilité d’une entreprise dans un environnement turbulent est finalement
sa capacité à associer le temps de l’organisation et le temps de l’individu
pour effectuer un geste innovant. Ainsi, dans l’instant de l’action
l’entreprise doit simultanément :
fusionner le temps de l’expérience assimilée et celui du futur visé ;
combiner le temps des acteurs et objets de son environnement dans
la construction d’un sens (identité) adéquat à sa performance[1].
Une entreprise agile, c’est aussi une entreprise qui, face à un
environnement turbulent, dont elle sait le plus souvent capter à l’avance les
signaux faibles, est capable d’innover plus ou moins dans ses produits, ses
process ou son organisation avec le juste mouvement (au bon moment, à la
bonne vitesse, avec les justes moyens) et de manière coordonnée (avec
spontanéité en interne et de manière coopérative avec tout acteur externe
pertinent).
L’entreprise agile peut aussi être définie par opposition à l’entreprise des
années 60. À la place d’un système optimisé mais figé, l’entreprise agile
propose une organisation flexible, adaptable et anticipatrice. Plutôt que
d’asseoir une organisation aux multiples niveaux hiérarchiques, basée sur le
principe d’obéissance aux règles du niveau supérieur, l’entreprise agile
propose un mode de fonctionnement d’entités en réseau, mues par la
volonté de satisfaire ses clients. Mieux que l’ancienne entreprise qui
entretenait son système d’information dans le plus grand secret, l’entreprise
agile échange en permanence des informations avec une multitude d’acteurs
car le partage est sa valeur clé et la vitesse son facteur clé de succès. Les
systèmes d’information sont donc essentiels à la réussite de l’entreprise
agile.
Figure 3.1 Le modèle de l’entreprise élargie d’après Jean-Michel Yolin

L’entreprise propose une solution globale d’une qualité irréprochable, au


prix d’une offre standard mais avec un haut niveau de différenciation,
incluant produit, service et information. Pour réussir ce pari, l’entreprise ne
peut plus agir et réagir systématiquement seule : la performance adéquate
sera produite par un groupe de personnes en réseau, une équipe mixte,
plurifonctionnelle, interne et externe à l’entreprise, en d’autres termes
« agile » à saisir et satisfaire la demande avec d’autres acteurs, même des
fournisseurs ou des concurrents. Cette « alliance d’opportunité » se fera
spontanément, au sein d’une équipe projet ou d’une entreprise commune
créée pour l’occasion, ou mieux encore sans support physique ou juridique.
Des liens durables se créeront, qui ne seront restimulés par l’un ou l’autre
des acteurs que pour réagir à une demande ou anticiper un besoin.
Ainsi la solution est-elle d’avoir des unités à taille humaine (pour un
grand groupe cela signifie au plus quelques centaines de personnes) !
L’entreprise doit se décomposer en unités opérationnelles très proches du
client, reconfigurables en permanence et dotées de processus d’adaptation
organisationnelle très rapides. Ces unités opérationnelles, portées par une
culture aiguë d’anticipation et de coopération, agissent comme des
capteurs-émetteurs sensibles de l’environnement. Elles trouvent auprès des
structures de back-office des capacités de réactivité inédites : soutien en
matière financière et accompagnement juridique, méthodologique,
conceptuel, relationnel ou encore psychologique[2]. Ces structures de back
office, animées par une même culture agile mais dans une posture de
prestataire interne, leur mettent en particulier à disposition des systèmes de
partage et de capitalisation de l’information favorisant la décentralisation de
la prise de décision[3] nécessaire à la souplesse et à l’autonomie de ces
unités opérationnelles.
Cette nouvelle organisation promeut enfin l’Homme au niveau de facteur
clé de performance et de différenciation. L’entreprise doit stimuler leurs
compétences, leurs savoir-faire et leur esprit d’entreprise, par la formation
comme par le système d’évaluation. Elle leur laisse une forte autonomie de
décision dans leurs rapports avec le marché. L’organisation doit entretenir
leur goût pour la qualité du travail bien fait, pour la satisfaction de l’autre
tout au long des processus et pour la quête de l’innovation source de
véritable valeur pour le client.
Nous verrons plus loin, à travers notre outil de diagnostic d’agilité, que
l’agilité s’applique alors à différents niveaux dans l’entreprise : dans la
prise de décision stratégique, dans les valeurs, dans les comportements et
dans les pratiques managériales, tant au niveau de la structure que des
projets transversaux. L’essentiel est que l’agilité soit une seconde nature et
permette à chacun d’avoir une compréhension systémique de l’entreprise
face à son environnement dans l’instant de l’action. L’agilité est bien une
dynamique de l’entreprise élargie, celle que sollicitent les évolutions
actuelles de la société globale, et rendent possibles la puissance des outils
de l’informatique.
Adopter l’entreprise en réseau d’entités autonomes
Il apparaît que le manager, pour rendre son entreprise agile, doit défendre
deux caractéristiques organisationnelles principales :
faire partager un sens à toutes ses entités et à tous ses collaborateurs ;
donner beaucoup de liberté de décision et d’autonomie d’actions aux
entités qui la constituent[4] (figure 3.2).
Le pôle central doit soutenir la marque générale et être le centre de
ressources en compétences : juridique, R & D, système d’information,
expertises diverses… Le manager est davantage dans un rôle de
centralisateur des informations et de coordonnateur des entités entre elles. Il
n’est plus en revanche dans un rôle autoritaire, de preneur de décisions
centrales à faire décliner localement sans laisser le moindre degré de liberté.
Figure 3.2 L’entreprise agile entre global et local

Chaque responsable d’entité, qu’elle soit fonctionnelle ou opérationnelle,


est libre de construire sa stratégie et de prendre toutes les décisions locales
qu’il juge nécessaire, à condition qu’il contribue à l’atteinte de l’objectif
global et qu’il communique étroitement avec toutes les entités. Il y a donc
une sorte d’équivalence entre la liberté qu’un manager central s’octroie et
celle qu’il donne aux managers locaux. Mais ce système ne fonctionne que
si la confiance est grande entre les personnes comme entre les entités.
Les entités, y compris fonctionnelles, sont de véritables petits centres de
profit, avec un directeur et toutes les compétences qu’ils jugent nécessaire.
Elles sont très autonomes et reproduisent en leur sein le même schéma
organisationnel qu’au niveau supérieur.
Ainsi, la DRH devient un centre de profit interne exécutant des
prestations pour une ou plusieurs entités. C’est lors du Comité de Direction
Central que se dessinent les besoins des entités en matière de gestion des
ressources humaines. La DRH est finalement un prestataire interne au
service de ses clients internes. Elle peut tout aussi bien décider de mener les
mêmes prestations pour des acteurs externes, par exemple un sous-traitant
qui le demanderait (on sait combien les PMI sont démunies en services
fonctionnels).
Autre exemple, une entité opérationnelle, la production d’un type de
pièces, devient aussi une entité avec des objectifs stratégiques propres
coordonnés aux objectifs des autres entités et des objectifs centraux décidés
ensemble.
Cette solution permet de faire vivre une mentalité entrepreneuriale au sein
de l’entreprise mais aussi au sein de chaque entité. Chacun est responsable
des résultats locaux tout en gardant le cap du sens global. Personne ne subit
personne, chacun participe à l’épanouissement de son entité tout en la
maintenant au service de l’ensemble. Il n’y a plus de sentiment de
supériorité ni de dépendance entre les entités : grandes ou petites, elles sont
toutes un poisson dans un banc, avec un rôle propre et une autonomie pour
le tenir, mais aussi avec une responsabilité vis-à-vis des autres et vis-à-vis
du collectif.
Chacun prend conscience de ses risques propres et des risques qu’il peut
faire courir au groupe. Chacun développe une profonde conscience du client
interne et externe. Chacun cherche à capter des signaux de son
environnement et participe à leur diffusion à tous ceux qui peuvent y être
sensibles. Chacun a conscience des changements qui le touchent, soit sous
pression de son environnement propre, soit sous pression d’un
environnement plus global, soit sous pression des acteurs internes qui
interagissent plus que jamais. Chacun sait quand il doit innover et
pourquoi : on innove quand c’est nécessaire pour l’amélioration des
processus ou de la satisfaction du client et non quand un acteur, aussi
central ou d’un grade élevé soit-il, le décide. Chacun étant placé face à une
complexité raisonnable, est capable de prendre les « justes[5] » décisions et
prend vite conscience qu’il travaille par rapport aux autres et non le
contraire. L’implication de chacun s’insère ainsi dans un cadre systémique
aux objectifs pluriels et complémentaires mais au service d’une finalité
commune.

Le diagnostic d’agilité d’une organisation


Pour aider les entreprises à entrer en agilité, il nous a semblé pertinent de
développer un outil de mesure de leur agilité, qui permet de se poser les
questions clés au niveau stratégique, organisationnel et comportemental
avant d’envisager des changements dans le sens de plus d’agilité. C’est le
but de cette partie que de vous raconter la genèse et la pratique de cet outil.
Nous avons fait le constat à travers la rencontre de nombreux dirigeants,
que tous, sous la pression de la montée d’une certaine complexité, ont le
bon sens de tenter de s’adapter. Selon leurs contraintes respectives, ils ont
agi en priorité sur telle ou telle dimension de leur entreprise mais,
malheureusement, n’ont jamais entrepris le reengineering de leur
organisation de manière systémique et systématique.
Ainsi pouvons-nous trouver telle entreprise qui aura développé une
logique de processus ou telle autre qui aura remis à plat sa finalité, mais
aucune n’a pris le temps de reposer clairement le problème stratégique et
organisationnel dans sa totalité. Aucune non plus n’a osé remettre en cause
l’ensemble de sa construction historique ni osé envisager un
fonctionnement général différent. Pourtant nous pensons que l’époque
l’exige dans la majorité des cas. Contrairement à l’approche de l’agilité
prônée par Sharifi[6], qui commence tout diagnostic d’entreprise par
l’analyse du degré de turbulence de son environnement, nous pensons que
toutes les entreprises, quelles que soit les caractéristiques de leur
environnement, doivent adopter un mode de fonctionnement agile. En effet,
attendre que son environnement l’exige réellement nous semble être une
prise de risque bien trop élevée dans le monde dans lequel nous vivons
aujourd’hui. Le monde change, la société change, le modèle managérial
dominant doit changer aussi. Qui plus est, l’agilité, dans son essence même,
ne nuit pas à la performance si jamais l’environnement s’avère stable, elle
est juste une manière de développer sa capacité d’adaptation au cas où
l’environnement muterait.
Aussi avons-nous bâti un outil de diagnostic d’agilité de l’entreprise qui
se centre principalement sur les caractéristiques de fonctionnement, qui,
pour nous, se situe à 4 niveaux :
choix d’une posture stratégique ;
adhésion à des principes clés ;
adoption de comportements de base ;
pratiques managériales modernes.
L’idée qui préside à l’élaboration du modèle qui sous-tend cet outil de
diagnostic est que l’entreprise, en tant qu’organisme vivant, doit être en
cohérence dans toutes ses dimensions. En effet, si tous les paramètres clés
du management sont cohérents les uns par rapport aux autres et par rapport
à un sens général et si chacun y adhère et agit en conséquence, alors
l’entreprise ne peut qu’être efficace.
Ces quatre thèmes sont évalués à l’aide d’un questionnaire qui permet de
mesurer précisément le degré d’agilité de l’organisation étudiée. Chaque
thème est décomposé en cinq à onze items selon des caractéristiques
progressives qui indiquent le niveau de maturité de l’organisation vers
l’agilité. Ce niveau de maturité est ensuite reporté sur un schéma en étoile.
Nous obtenons ainsi 4 étoiles dont nous analysons ensuite la signification
intrinsèquement et les unes par rapport aux autres.
Il s’agit bien sûr de ne pas mener ce diagnostic auprès d’une seule
personne mais auprès des principaux responsables de l’entreprise étudiée.
En effet, ce travail est un travail de perception autant que de diagnostic.
Aussi, lorsque nous interrogeons les personnes, nous travaillons sur ces
deux niveaux :
Le niveau perceptuel. Il est essentiel en ce sens qu’il permet à
chacun d’exprimer ce qu’il ressent[7]. Dans l’absolu, il est déjà
important que les personnes expriment leur ressenti car la résolution de
problèmes relationnels ou de fonctionnement en dépend grandement.
Mais au-delà, il est intéressant de comparer les perceptions car cette
confrontation sera à l’origine de la construction d’une culture
commune. Or le succès vers l’agilité en dépend essentiellement. Il n’y
a en effet pas d’agilité possible si un comportement anti-agile survit en
particulier parmi les principaux responsables. Aussi commençons-nous
par demander spontanément quels sont les facteurs qu’ils ont tendance
à privilégier ou bien qui représentent le plus pour eux l’agilité, puis
nous leur demandons instinctivement d’attribuer une note pour
l’organisation sur chacun des axes étudiés ;
Le diagnostic. Il vient ensuite avec l’utilisation d’un questionnaire
précis et la demande systématique de preuves pour justifier le
jugement porté.
Ce travail donne lieu à des rapports individuels et à une restitution
collective, lieu de débats initiaux de la démarche de transformation de
l’entreprise vers un profil d’agilité.
Évaluer le degré d’agilité de sa stratégie
S’il est une discipline qui permet de donner à la fois le sens et la
cohérence et qui permet d’allouer des ressources, en particulier
informatiques, c’est bien la stratégie : elle sert à l’élaboration de la finalité
de l’entreprise autant qu’elle représente le levier global de régulation des
ressources de l’entreprise relativement aux contraintes de son
environnement. Aussi nous semble-t-elle prioritaire à étudier dans le cadre
d’un diagnostic d’agilité.
Le mot « stratégie » vient du grec stratos (armée) et agein (conduire). On
voit immédiatement ici une référence, malheureuse à notre sens, à l’art de la
guerre. Si c’était une étape dans la vie des entreprises que de chercher à
s’imposer les unes aux autres, il apparaît dépassé aujourd’hui d’envisager le
jeu économique sous cet angle guerrier, ce que nous analyserons plus loin
lorsque nous parlerons de coopération.
La stratégie, donc, est un terme entré dans le vocabulaire économique en
1944 sous l’impulsion d’Émile Borel[8], dans une discipline mathématique
qui prend sa source dans la théorie des jeux. Ce terme connaîtra dès lors un
succès croissant dans la réflexion économique puis managériale.
Cependant, la variabilité des moyens et des milieux, dans la stratégie
militaire (passage d’une guerre frontale classique à la guerre des réseaux, à
l’exemple du terrorisme) comme dans l’action économique (voir nos deux
chapitres introductifs), contraste avec la stabilité des règles et du cadre du
jeu mathématiques qui fondent la discipline. Cette différence fondamentale
permet de distinguer la notion mathématique de la stratégie, sous son aspect
statique, de sa notion militaire ou économique, sous son aspect dynamique.
C’est sans doute de là que vient le défaut de dynamique dans les
représentations mathématiques de l’analyse stratégique d’entreprise[9].
On trouve dans l’Encyclopédie Universelle la définition suivante de la
stratégie : « l’intelligence stratégique consiste en l’art de faire concourir des
moyens hétérogènes et des actions dissemblables à la réalisation d’objectifs
globaux. Cette pensée n’est pas rationnelle au sens logique du terme, car
elle implique la prise en considération, dans un même raisonnement, des
variables de nature diverse, dont certaines, parmi les plus importantes, ne
sont pas quantifiables. Elle combine les Hommes et les choses, les
grandeurs et les qualités, la nécessité et les aléas. Elle est en outre
confrontée à une difficulté supplémentaire : les progrès technologiques
rendent rapidement caduques les leçons de l’expérience, si bien que les
précédents peuvent rarement servir d’exemple. »
Nous trouvons là un excellent résumé de notre pensée et des propos d’un
réalisme rare dans les sphères entrepreneuriales, pourtant plus rompues à la
réalité du terrain que les auteurs de l’Encyclopédie Universelle !
Loin de nous l’idée de vous assommer avec une présentation détaillée de
toutes les écoles de la stratégie depuis un siècle. Vous trouverez cela très
bien traité chez Allouche et Schmidt[10]. Cependant, nous retenons que le
sens – l’essence – de l’action se trouve dans la stratégie, aussi nous semble-
t-il essentiel de mesurer si la stratégie est le résultat d’un processus agile
avant de nous intéresser à mesurer le degré d’agilité de l’action. En effet,
selon le principe de la cohérence énoncé plus haut, l’action ne peut être
agile que si la stratégie l’est.
Sept critères pour qualifier une stratégie agile

1. Le processus participatif de la prise de décision


Retenons bien, afin de mieux nous comprendre, que nous pensons
qu’une entreprise agile est organisée à l’image du banc de poissons
plutôt qu’à l’image de la baleine : elle est un ensemble d’unités
opérationnelles de taille réduite, très proches du client et au cœur des
mouvements de l’environnement. À ce titre, il apparaît que ces unités
opérationnelles – cellules d’un réseau – ont un rôle important dans
l’élaboration de la stratégie globale commune.
Alors que la stratégie d’hier était le résultat de l’analyse d’un homme
ou d’un groupe d’hommes, qui détenait l’information – puisqu’il la
distribuait parcimonieusement à chacun en fonction de ses besoins
pour effectuer les tâches qui lui étaient dévolues – la stratégie
d’aujourd’hui se construit quotidiennement tout en tâchant de respecter
une direction générale. Le manager est donc le coordonnateur des
envies et possibilités des unités opérationnelles et plus le guide à
suivre. Il est compilateur des informations de la base, constructeur de
sens et valideur de sens avec la participation de chacun.
À ce titre, nous prônons un processus participatif de construction de
la stratégie. Chacun doit tout à la fois émettre des informations à tous
et au manager, mener ses analyses sur le terrain, maîtriser – c’est-à-
dire avoir un fort degré de liberté – sa stratégie propre, du moment
qu’il reste au service du sens et de la performance collectifs. La
stratégie doit donc être sans cesse définie et redéfinie selon un
processus itératif de dialogue entre les unités de l’entreprise sous la
coordination du manager. Un véritable dialogue participatif doit donc
s’instaurer entre les unités constitutives d’une entreprise, chacune
gardant une grande liberté de réflexion et d’action sur elle-même, tout
en cherchant à respecter l’intérêt du collectif en priorité.
2. Le partage de la finalité
Pour que chacun participe activement à l’élaboration de la stratégie
de l’ensemble et puisse bâtir sa propre stratégie en cohérence avec le
collectif, il est absolument nécessaire de définir une finalité à laquelle
chacun adhère et qui fait sens dans le contexte. La finalité est donc un
cadre global d’action cohérent, co-construit, partagé et respecté
volontairement par chacun. La finalité n’est pas égoïste dans le cadre
de l’entreprise système. Elle implique une réciprocité de progrès avec
son environnement. Elle nourrit donc l’entreprise sans nuisance, au
contraire, pour les acteurs de son environnement. Elle est ainsi la base
de l’identité de l’entreprise – PME ou groupe – au même titre que les
valeurs. Elles fondent ensemble la culture de l’entreprise, ciment de la
cohérence de l’action de chacun et fondement de la confiance entre les
Hommes dans l’organisation. Cette finalité doit être régulièrement
rappelée à chacun et en même temps peut progressivement évoluer, ou
plutôt progresser par palier. Chacun des acteurs de l’entreprise doit
avoir intériorisé cette finalité et ces valeurs de telle sorte qu’elles
deviennent un guide naturel de leurs actions, de leurs comportements
et de leurs décisions.
Ainsi la finalité est-elle claire, acceptée et largement diffusée pour
servir au fonctionnement quotidien et au maintien de sa cohérence.
Cette finalité et ces valeurs doivent être incarnées par chacun, en
particulier par les principaux responsables de l’entreprise, ce que nous
appellerons le leadership.
3. Le type de leadership
On ne peut bâtir une culture d’entreprise sans qu’elle soit incarnée et
relayée par des managers exemplaires. Ceux-ci ne sont plus de simples
donneurs d’ordres et contrôleurs de la bonne exécution des tâches, ils
sont désormais des catalyseurs des énergies vers une finalité collective.
Ce n’est plus le contrôle exacerbé qui va mettre de la pression sur les
Hommes, c’est au contraire un management collaboratif qui doit
stimuler les processus de fonctionnement qui, s’ils sont efficaces et
efficients, amèneront automatiquement de bons résultats. Ainsi, chaque
manager à son niveau porte les projets et les processus, développe une
attitude positive, en congruence avec les valeurs et la finalité de
l’entreprise, qu’il s’efforce d’insuffler et de faire partager à l’ensemble
des collaborateurs. Il est donc à leur service et stimule les coopérations
internes afin d’optimiser les processus de fonctionnement.
La logique opérationnelle est donc davantage focalisée sur les
fonctionnements plutôt que sur les résultats, ou, pire encore, sur les
tâches. En effet, au début de l’ère industrielle, le rôle des managers
était centré sur la bonne exécution des tâches distribuées à chacun. La
progression hiérarchique d’un individu reposait sur sa capacité à faire
et à montrer qu’il savait faire. Puis est venue la période très utilitariste
de la performance par les résultats, en particulier financiers. C’est le
modèle qui régit la plupart de nos entreprises, et qui justifie toutes les
fusions et restructurations dont on entend parler sans arrêt, ou qui
expliquent la performance boursière. Mais ce système ne fonctionne
pas sans un biais de plus en plus important : cette culture du résultat a
principalement pour effet de raccourcir les cycles de vie car la logique
financière est court-termiste. Elle a aussi pour effet de diminuer
l’importance de la stratégie au profit de la minimisation des coûts, sans
réflexion sur les conséquences des décisions à plus long terme – mais
après tout qui s’inquiète d’une entreprise une fois qu’il a vendu ses
actions au meilleur prix ! Plus encore, cette culture du résultat a pour
effet de faire se replier chacun sur sa performance individuelle, sans
souci de l’autre, au contraire même. C’est ce que nous appelons le
syndrome du Real, en référence au célèbre club de football espagnol,
qui recrute les plus grandes stars de ce sport à prix d’or et n’est plus
capable d’aligner deux résultats positifs de suite. Une somme des
meilleures individualités n’a jamais fait la meilleure équipe. Si l’on
poursuit sur cet exemple extra-entrepreneurial, il n’est que de constater
le manque de cohérence entre la finalité, la stratégie et les moyens : la
finalité est-elle de gagner un maximum d’argent ou de gagner des
titres ? La stratégie est-elle de recruter des stars ou de construire la
meilleure équipe dans la durée ? Les moyens sont-ils d’entraîner des
joueurs ou bien de vendre des tee-shirts et autres produits dérivés ?…
4. L’évaluation de la performance
Elle va dans le sens du fonctionnement et non seulement du résultat.
Les projets d’une entreprise, comme ses processus, doivent en effet en
permanence être évalués, par des modes réguliers mais aussi par
chacun dans son fonctionnement par rapport à l’autre, au regard d’une
pluralité de points de vue et sous l’angle non seulement de la
performance individuelle mais aussi et surtout sous l’angle de la
performance collective. Le but de ce mode d’évaluation est la
compréhension des dysfonctionnements et la reconfigurabilité
permanente des processus. Cela ne peut évidemment fonctionner que
si chacun a le souci de l’autre et cherche non seulement à bien faire
son travail mais aussi à mettre son correspondant dans le processus ou
le projet dans les meilleures conditions pour faire le sien. La stratégie
doit intégrer cette logique tant en amont dans sa réflexion qu’au
moment de l’allocation des ressources.
5. La reconfigurabilité des ressources
On vient de voir que ces ressources (Hommes, technologies,
pratiques…), dans leur organisation – projet ou processus – doivent
être reconfigurables, mais, au-delà, reconfigurables entre elles. C’est le
fameux principe de synergie qui prévaut aux stratégies japonaises dites
core competencies[11] (compétences clés ou compétences de base).
Ainsi la démarche stratégique doit-elle permettre d’anticiper les
ressources nécessaires et l’évolution de ses propres compétences face
aux ruptures et mutations potentielles de son environnement. Elle doit
ainsi anticiper les reconfigurations de ses moyens en permanence selon
différents scénarios. La stratégie doit en effet penser l’acquisition et le
développement des ressources de l’entreprise en pensant en termes de
polyvalence, de synergies et de redéploiement, pour rendre ces
ressources disponibles, utilisables, reconfigurables et adaptables de
façon spontanée en fonction du contexte ou des changements anticipés.
C’est sans doute une condition sine qua non de survie dans l’univers
turbulent qui est désormais le nôtre. C’est aussi l’une des seules
manières de répondre spontanément aux sollicitations sans cesse
nouvelles des clients tout en maîtrisant ses coûts et en maximisant la
valeur créée.
6. La logique de création de valeur
Elle doit être un souci permanent. Elle signifie pour nous aussi bien
innovation qu’orientation client. L’innovation pour l’innovation n’a en
effet aucun sens. L’innovation, qu’elle soit de produit, de process ou
d’organisation, doit servir à augmenter le niveau de satisfaction du
client. Elle doit être affichée comme un élément fondamental de la
stratégie établie. Ainsi, les allocations de moyens doivent être le reflet
de cette stratégie résolument tournée vers l’innovation permanente et
viser à mettre en place des processus d’innovation et d’écoute des
clients. Cet affichage résolument tourné vers l’innovation de la
stratégie doit servir aussi en interne à stimuler l’imagination et à faire
accepter le changement permanent. Enfin, l’innovation permanente est,
à notre sens, un facteur de satisfaction des personnes en ce sens qu’elle
permet de sortir de la récurrence et de la routine banale. Sauf que
l’innovation ne peut plus être un processus local, c’est-à-dire maîtrisé
intégralement par quelques initiés au fond d’un laboratoire…
7. L’intensité des coopérations
L’innovation ne peut plus être que le résultat d’un travail
collaboratif. Tel est l’esprit de notre septième élément de ce système
d’évaluation stratégique. Personne ne maîtrisant l’ensemble de la
complexité ou n’ayant la capacité à synthétiser seul l’ensemble des
informations nécessaires à la compréhension d’une situation, il est
fondamental de stimuler les coopérations entre les personnes, les
services et les entités, horizontalement et verticalement. Ces
coopérations doivent être en mesure de s’exprimer tant en interne, tout
au long des processus de l’organisation, qu’en externe avec des
partenaires fidèles ou d’occasion. En particulier, l’acteur « client » est
le principal partenaire de l’entreprise. Faire pour des clients est une clé
du développement. Fidéliser certains clients en cherchant à toujours
mieux les servir en stimulant leur écoute est un facteur d’amélioration
de la rentabilité. Cependant, coopérer avec un nombre restreint mais
grandissant de clients est un facteur clé de la pérennité de l’entreprise
car c’est une barrière concurrentielle très difficile à contourner pour les
rivaux.

Méthodologie du diagnostic d’agilité de la stratégie


Nous interrogeons donc le ou les responsables de l’entreprise sur leur
perception relative à ces sept points caractéristiques d’un mode stratégique
agile que sont :
management participatif ;
leadership ;
évaluation des fonctionnements ;
reconfigurabilité des ressources ;
création de valeur ;
sens de la coopération ;
finalité.
Pour ce faire, nous avons bâti une grille à cinq niveaux pour chacun des
critères. Chaque niveau correspond à un descriptif d’une situation, depuis la
moins agile (la plus proche d’une forme taylorienne) jusqu’à la plus agile
(tableau 3.1).
Tableau 3.1 Extrait du questionnaire de diagnostic d’agilité stratégique

Pour chaque personne interrogée on fait un schéma en toile d’araignée


avec une différenciation entre la réponse spontanée et la réponse après
discussion sur chaque item en fonction de sa capacité à prouver ses dires.
Un même schéma, moyenne des réponses des diverses personnes
interrogées est alors tracé. On analyse ainsi les réponses individuelles, la
réponse moyenne et la cohérence des réponses individuelles entre elles.
Figure 3.3 Exemple d’étoile radar de résultats
Évaluation de l’entité (Étape 1, Stratégie Agile)
On voit dans cet exemple des personnes qui ont une perception assez
fortement critique du processus de décision stratégique eu égard à l’agilité.
En effet, s’ils percevaient la stratégie de leur entreprise comme étant établie
selon un modèle d’agilité, on aurait un schéma plus ample avec des
réponses plus favorables sur tous les critères. Ce premier aspect du
diagnostic d’agilité, porté sous l’angle de la décision stratégique, est au
contraire marqué par une certaine irrégularité du niveau d’agilité. On a ici
une entreprise perçue encore comme ayant un processus de décision
stratégique plutôt performant et participatif, mais peu tourné vers le
mouvement :
La finalité semble s’imposer clairement à tous et les dirigeants
semblent conscients que le leadership commence par le partage de
cette finalité avec tous.
En revanche, la création de valeur pour le client, la reconfigurabilité
des ressources ou l’évaluation des fonctionnements sont beaucoup plus
faiblement perçus dans le fonctionnement stratégique de cette
organisation.
Après discussion avec les dirigeants, analyse historique de l’entreprise et
analyse de leurs perceptions, nous avons pu conclure qu’il s’agit d’une
entreprise issue d’une culture taylorienne dont elle cherche à se défaire et
qui, si elle a évolué sur le plan du processus décisionnel – le dirigeant actuel
tente de sortir d’un système « totalitaire » et cherche davantage à se faire
aider – elle est encore assez en retard en matière de pratique du
changement. L’entreprise est encore enfermée dans des routines. Le langage
du changement semble donc mieux approprié que son action réelle.
Cette synthèse, sous forme d’un schéma dit en étoile ou en toile
d’araignée permet donc d’avoir très rapidement une vision de la culture
d’agilité d’une entreprise, et, surtout, de voir rapidement la distance qui la
sépare d’une culture complète d’agilité. C’est un point de départ très
intéressant de discussion avec un dirigeant pour l’amener à réfléchir sur son
organisation.
Évaluer l’adhésion aux principes de l’agilité
Au-delà du processus d’élaboration de la stratégie, le niveau d’agilité
d’une entreprise se mesure aussi par l’adhésion du plus grand nombre à des
principes qui vont guider les comportements. Dans le chapitre précédent,
nous avons retenu et décrit les principes d’agilité, à savoir : l’anticipaction,
la justinnovation, la proopération, la culture client, la culture du
mouvement, l’offre globale et la complexité à échelle humaine. Ce sont ces
sept leviers qui vont maintenant servir de mesure dans cette seconde étape à
travers un questionnaire spécifique.

1. L’anticipaction
Ce principe peut se résumer à la reconnaissance de la nécessité
d’anticiper les ruptures (subies et provoquées) pour augmenter la
rapidité de réaction et l’acceptation du changement. Ceci signifie
concrètement que l’anticipation des ruptures et la prévision des
capacités de l’entreprise sont reconnues comme vecteurs de
performance justifiant d’investir ou de continuer à investir dans des
outils systémiques d’anticipation, du type analyse structurelle,
méthodes de veille, participation à des réseaux… dont certains sont
vus en fin d’ouvrage.
L’entreprise agile sait donc prévoir (modèles mathématiques),
planifier (programmation de ses actions), envisager la contingence
(élaboration de scénarios) et, surtout, anticiper les conséquences de ses
décisions. En effet, dans le monde « fini » que nous avons décrit,
chaque acteur (au sens macro ou micro) se doit d’être responsable,
c’est-à-dire d’anticiper les conséquences de ses décisions et actions.
Plus encore, il ne cherche à déclencher que des conséquences positives
autour de lui. Le néologisme d’anticipaction est là pour insister sur
cette nouvelle dimension de l’anticipation.
2. La proopération
Ce principe impose de travailler avec d’autres acteurs afin de
minimiser son risque et de maximiser son potentiel. En effet, seuls
nous sommes faibles. La force vient de la complicité avec d’autres
acteurs, surtout s’ils sont différents car la mixité rend plus créatif. La
culture de l’entreprise doit donc être basée sur la recherche de la
meilleure compétence au meilleur moment, en interne ou en externe.
La coopération est ainsi un mode de fonctionnement culturel et
stratégique. Mais le mot coopération, venant du latin cum et operare
signifie « œuvrer avec ». Cela ne suffit plus dans notre monde qui
bascule dans des logiques relationnelles (marketing one to one ou
relationnel). Chacun cherche à se distinguer et à exister à sa manière
unique.
Or une relation entre deux acteurs implique non seulement le partage
d’un intérêt commun mais aussi une certaine forme de dévouement
l’un pour l’autre, désintéressé. C’est ce que nous appelons œuvrer pour
la satisfaction de l’autre, et réciproquement (parce qu’il ne faut pas
être naïf). Cette réciprocité de progrès l’un par rapport à l’autre sera un
gage de moindre stress, de plus grande rapidité d’action et de capacité
à répéter la performance. Ce sera aussi un gage, dans une relation
commerciale, de fidélité vraie car basée sur une sincérité de
fonctionnement et une réciprocité de relation, bref sur une relation
saine et équilibrée. Nous sommes ainsi passés d’une logique
relationnelle gagnant-perdant à une logique gagnant-gagnant – toutes
deux dans une approche matérialiste de la relation – à une logique
satisfait-satisfait, multicritère, où chaque acteur de la relation exprime
librement son besoin ou désir. Cela fonctionne particulièrement bien si
les acteurs concernés partagent un sens commun. Là encore le
néologisme « proopération » est nécessaire pour sortir du vocable
galvaudé de coopération. Proopérer devient travailler pour l’autre, et
réciproquement, ensemble pour un sens commun.
3. La justinnovation
Elle doit être une vocation et une culture dans l’entreprise dans
toutes les fonctions. La quête de toute l’entreprise est donc le
renouvellement incessant de la satisfaction des besoins présents et
futurs des clients. Pour ce faire, elle ne doit pas hésiter à transformer
son offre produit ou service, à adapter ses processus de
fonctionnement, à modifier son équipement et à faire muter en
permanence sa culture. L’innovation est sans nul doute le résultat de la
mise en place conjointe d’une culture d’anticipaction et de
proopération. Mais l’innovation en soi n’a aucun intérêt. L’innovation
doit être calculée au plus juste économiquement, apparaître juste au
bon moment, satisfaire le client juste comme il le veut et générer juste
la conséquence souhaitée.
4. La culture client
C’est la reconnaissance de la nécessité de travailler dans le souci
permanent de satisfaire l’autre, et en particulier le client final. Le client
est interne et externe. Il est interne tout au long des processus de
l’entreprise (culture de service) et il est externe, mais pas seulement en
pensant à celui à qui on vend quelque chose mais aussi en pensant à
tous les acteurs avec qui l’entreprise est en relation. Tous sont des
clients comme l’entreprise est leur client. Le mot client s’ouvre donc à
une connotation bien plus riche que sa simple acception marchande. La
culture de l’autre est donc ancrée dans l’entreprise. En particulier,
l’entreprise est amenée à travailler avec ses clients le plus en amont
possible, c’est-à-dire dans l’esprit le plus anticipatif possible. Ainsi,
dans notre esprit, il n’y a plus de relation client-fournisseur, qui
généralement débouche sur une relation gagnant-perdant, mais il doit
exister essentiellement des relations client-client, chacun apportant le
plus possible à la satisfaction de l’autre. Cela implique une empathie
particulière et une réciprocité d’attention dans la relation entre deux
acteurs agiles.
5. La culture du changement
Cela signifie que le changement n’est pas une contrainte mais plutôt
une opportunité de progrès. Il faut que cette manière d’aborder le
changement soit acceptée par tous sans crainte. Dans un monde où tout
bouge en permanence, est malheureux celui qui a peur de changer lui-
même. Il va vite devenir un frein au développement et finira par
disparaître du jeu économique. De même en est-il pour les acteurs
collectifs que sont les entreprises. Le changement étant devenu un
mode de fonctionnement il n’est plus utile de perdre de l’argent et de
l’énergie à le manager. Il suffit, par anticipation, de lui donner un sens
et les acteurs s’adapteront et s’ajusteront spontanément.
6. L’offre globale
Ce principe signifie que nous cherchons sans cesse l’opportunité de
multiplier les capacités de satisfaction du client par la multiplication
des composantes de l’offre. Nous devons cultiver dans nos entreprises
l’excellence de nos produits, de nos services, de notre image mais
aussi et surtout il faut que nous entretenions une relation privilégiée
avec nos clients, empreinte de respect réciproque et de partage. Pour ce
faire, le produit ne suffit plus. Le client, en effet, n’a plus des besoins
mais des exigences, et, pour y répondre, nous devons utiliser d’autres
ressources que nos ressources techniques qui aboutissent à un produit
physique. L’offre globale est donc multimensionnelle, objet, service
associé, service connexe, information, formation, relation… Elle est
d’ailleurs également rémunérée de manière globale, par de l’argent, de
l’image, de la prescription, des conseils et suggestions, de la relation…
Finalement nous ne vendons plus des objets contre de l’argent, nous
« troquons » des offres globales contre des offres globales.
7. La complexité à échelle humaine
Dernier principe que nous retenons pour qualifier une entreprise
agile, il répond au souci de placer ses Hommes et ses équipes dans une
situation et des entités suffisamment petites pour réduire leur niveau de
complexité. Le monde se complexifie, comme nous l’avons montré
plus haut, et nul ne peut plus appréhender cette complexité. Aussi, afin
de minimiser le stress qui tend à se généraliser et qui, selon nous, est
dû principalement à cette sensation de perte de la maîtrise de son
environnement, il faut faire en sorte de replacer chacun face à une
complexité « raisonnable ». Bien sûr, c’est dans cet item que l’on
retrouve l’idée d’organisation en banc de petits poissons qui nous est si
chère.

Comme dans la première étape, nous interrogeons le ou les responsables


de l’entreprise sur leur perception relative à ces 7 principes de l’agilité.
Pour ce faire, nous avons bâti, comme précédemment, une grille à 5
niveaux pour chacun des critères. Chaque niveau correspond à un descriptif
d’une situation, depuis la moins agile (la plus proche d’une forme
taylorienne) jusqu’à la plus agile.
Après avoir interrogé les principaux responsables de l’entreprise, nous
analysons leur positionnement respectif puis nous faisons une moyenne de
leurs positionnements. Cela donne un schéma pour chacun et pour
l’ensemble de l’équipe de ce type (figure 3.4).
On voit dans cet exemple un groupe de personnes qui semblent miser,
dans leurs principes managériaux, sur la culture du changement,
l’anticipation et sur le principe de l’organisation en banc de poissons. En
revanche, cette focalisation sur ces trois principes se fait au détriment des
principes de coopération, de culture client, d’innovation et d’offre globale.
On peut partiellement en conclure qu’il s’agit en fait de responsables peu
tournés marketing, mais plutôt focalisés sur leur organisation. En effet, on
constate que la culture client n’est pas leur priorité. Sans doute pensent-ils
que le client répond à des sollicitations de l’offre plus que le contraire. Il
apparaît que leur point de vue, ou la vision qu’ils ont de leur entreprise, est
sans doute assez classique : l’entreprise fait de la R & D, innove le cas
échéant et pousse ses produits vers le client.
Figure 3.4 Exemple d’étoile radar résultat
Pondération des critères (Étape 2, les principes)
Après discussion avec les dirigeants à partir de leurs perceptions
résumées dans ce schéma en étoile, nous avons pu conclure que cette
entreprise tendait à se reposer sur sa connaissance traditionnelle du client et
sur sa domination historique face à ses concurrents. Mais son leadership
concurrentiel s’érode et elle tarde à réagir tant sa culture de dominant est
forte à tous les niveaux de l’organisation : « nous sommes les meilleurs et il
n’y a pas de raison que cela change ! ». Cette entreprise n’a pas pris la
mesure des changements relatifs aux clients et aux concurrents (du besoin
aux exigences du client, de la concurrence de performance à la concurrence
de survie).
Il ne s’agit donc pas d’une entreprise agile. En effet, l’entreprise agile
aurait une plus forte préoccupation du client et un plus grand souci de la
création de valeur nouvelle (culture client, offre globale, innovation) et une
plus grande interrogation quant à la durabilité de sa performance. On
retrouve là sans doute les restes d’une culture dite techno push d’une
entreprise ancienne qui a su muter dans son organisation mais pas dans sa
culture produit vers un véritable sens du client. Si elle anticipe, il est fort à
parier qu’il s’agit davantage de prévision des ventes et performances
techniques plutôt que d’une véritable approche de prospective systémique.
Évaluer les pratiques comportementales agiles
Nous postulons qu’une entreprise est agile si son processus de décision
stratégique est agile et si les principes de l’agilité sont largement admis et
partagés. Mais cela doit se cristalliser dans des comportements agiles.
L’agilité est en effet d’abord et avant tout, comme la prospective, une
question de posture comportementale. On aura beau mettre en œuvre les
plus beaux outils du monde et instaurer les organisations les plus
performantes, si les comportements des individus, de tous les individus de
l’organisation, n’est pas compatible et cohérente, alors la performance ne
suivra pas.
Nous avons plaidé pour l’acceptation d’un monde nouveau, à l’opposé du
monde industriel du siècle passé. Ce monde industriel a permis la
généralisation de comportements de type dominant – dominé (priorité à
l’intérêt personnel, progression individuelle…). Le monde agile vers lequel
nous allons prône lui aussi un certain nombre de pratiques
comportementales, qui s’inscrivent davantage dans une logique satisfait-
satisfait. Nous avons donc logiquement retenu 7 pratiques
comportementales, qui sont la base de notre troisième phase d’évaluation de
l’agilité d’une entreprise.
Cinq critères comportementaux d’agilité

1. Le partage
Nous avons prôné la mise en place de pratiques coopératives. Celles-
ci ne peuvent fonctionner que si le partage et la confiance règnent à
tous les niveaux de l’organisation. Le partage, premier de nos critères
comportementaux d’agilité, c’est l’acceptation de la transparence de
l’information, de toute l’information. C’est admettre que l’information
n’est plus source de pouvoir individuel mais au contraire source de
performance collective. En effet, l’information est source de vitesse, de
cohésion et de performance uniquement si elle est spontanément
partagée au-delà des jeux de pouvoirs. C’est la source de ce qu’on
appelle de plus en plus souvent l’intelligence collective.
Chacun doit être capable de reconnaître une information clé pour le
devenir de son entreprise quand il la rencontre, ce qui implique de
connaître son organisation, les rôles respectifs de chacun et d’être
ouvert à son environnement (à l’écoute). Plus encore, chacun doit
savoir que faire de cette information clé. Ceci signifie que l’on doit
savoir à qui la diffuser, la question du quand étant sans importance car
on ne peut y répondre que de manière unique : immédiatement.
Chaque acteur de l’entreprise est donc à la fois un opérateur au sein
d’un processus orienté vers le client et un capteur – diffuseur
d’informations. Alors qu’hier chacun avait tendance à se replier sur les
tâches qu’il avait à exécuter sans souci de ce que faisaient ou savaient
les autres (à la limite en souhaitant l’erreur de l’autre !), aujourd’hui,
chacun doit alimenter spontanément le système d’informations
formelles et informelles, dans le souci de la réussite collective par le
développement de la connaissance.
En corrélation avec le partage, doit régner une confiance totale au
sein de l’organisation. Le partage ne peut avoir lieu que si la confiance
règne.
2. La confiance
C’est la certitude généralisée que l’on peut se fier à chacun dans
l’entreprise mais aussi hors de l’entreprise c’est-à-dire tous les acteurs
qui collaborent avec l’entreprise, du fournisseur au client final. La
confiance est une valeur absolue qui ne souffre aucune anicroche. Elle
implique un dialogue profond et continu entre les acteurs, c’est
pourquoi des organisations par processus sont alors privilégiées.
La confiance se donne ou se gagne et s’entretient tous les jours. Elle
permet de diminuer le niveau de stress de chacun, permettant ainsi de
focaliser les énergies sur la performance collective. Alors qu’hier
pouvait régner au sein des organisations un certain climat de suspicion,
de jalousie, de compétition interne, permettant ainsi de faire apparaître
des actes de délation plus ou moins déguisés ou un climat de
complaisance verticale, aujourd’hui la confiance est le moteur d’un
management participatif, sans réserve, où chacun est reconnu comme
pouvant et devant apporter un éclairage original et riche sur un
problème traité. La confiance implique donc l’écoute réciproque et
stimule l’autonomie et la responsabilité.
3. La responsabilité
C’est la capacité de chacun à assumer les conséquences de ses actes
et les conséquences des changements de son périmètre d’action. Cela
implique que chacun est positionné en tant que responsable d’une
partie du système, pleinement conscient de son rôle et des
conséquences de sa défaillance pour l’ensemble du système. Mais cela
signifie aussi que chacun est responsable de la veille relative à son
environnement propre et de la relation de son sous-système vis-à-vis
des n autres sous-systèmes avec lesquels il fonctionne. C’est encore
une fois la logique processus qui est mise en avant ici, et son
contingent de responsabilités réciproques : chacun participe à son
propre succès s’il participe au succès de l’autre.
Ainsi, dans une organisation au sein de laquelle chacun se cantonne
dans une attitude de soumission et d’obéissance, n’agissant que sur
ordre ou après validation de son supérieur hiérarchique – le
fonctionnement opérationnel est vite bloqué si le supérieur en question
est absent ou si la suppléance n’est pas anticipée. Nous préférons
logiquement une organisation où chacun est responsable et autonome,
c’est-à-dire capable d’initiatives, même au-delà du périmètre de sa
définition de fonction, selon le contexte rencontré, parce qu’il
privilégie le succès collectif, même au détriment de son petit confort
personnel. Dans une telle organisation, il est cependant impératif
d’avoir mis en place un modèle de suppléance pour toutes les
responsabilités afin d’éviter tout blocage en l’absence du responsable
titulaire.
Ces trois premières conditions, partage, confiance et responsabilité,
sont sous-tendues par le fait que l’entreprise fonctionne comme un
système au sein duquel chacun est aux commandes d’un sous-système
propre en bonne « intelligence » avec les autres. Ceci implique
obligatoirement un respect et une acceptation totale de l’autre, même
s’il est différent, c’est-à-dire s’il est issu d’une autre culture ou
formation. C’est ce que nous appelons l’hybridation.
4. L’hybridation
L’hybridation est en résumé la prise de conscience que la
performance est le résultat de la mixité des profils et des points de vue.
Ce nouveau concept est important pour l’agilité d’une organisation qui
doit en effet se départir des cloisonnements hiérarchiques et
fonctionnels.
Nous voulons sortir d’une culture de la spécialité et de l’expertise,
qui aboutit à une certaine forme d’autisme et/ou d’ostracisme.
L’autisme, repliement du sujet sur lui-même avec perte plus ou moins
importante des contacts avec l’extérieur, est le résultat de l’arrogance
du spécialiste qui ne parle plus qu’à un spécialiste et qui finit par ne
voir le monde que par son angle traditionnel d’attaque. L’ostracisme,
action d’exclure ou d’écarter quelqu’un d’un groupe, est une
malheureuse conséquence de l’esprit de corps héritée de clivages
anciens : ingénieurs/managers, hommes/femmes, français/étrangers,
financiers/commerciaux…
Le danger principal de tels comportements, c’est la consanguinité au
sein d’une organisation, ce qui empêche toute vision autre que celle du
clan, ne permet pas l’objectivation de la situation et occulte la capacité
de changement car les clans s’auto-entretiennent dans leurs habitudes,
leurs croyances et leurs convictions.
5. L’aptitude au changement
Beaucoup de choses ont été écrites relativement à cette notion de
changement. Elles vont principalement dans deux directions :
La première consiste à admettre que désormais notre environnement ne cessera plus
de changer et qu’il est donc nécessaire de changer soi-même pour survivre dans un tel
contexte. Nous sommes ici tout à fait d’accord.

La seconde consiste à dire qu’il faut alors gérer le changement. Là, notre approche est
différente. Nous pensons que plutôt que de perdre de l’énergie à gérer le changement, ce
qui éloigne alors chacun de son action vitale, il vaut mieux faire en sorte que chacun
vive avec une culture du changement, c’est-à-dire une acceptation profonde et sincère
que le changement est une source d’enrichissement individuel et collectif.
Ainsi, le changement doit être accepté et même souhaité par chacun, mais,
plus encore, il doit être analysé par chacun dans une perspective
systémique, toujours dans le souci de la performance collective.
Dans le système taylorien, le changement est toujours mal vécu, parce
qu’il remet en cause « la martingale[12] » pourtant trouvée par le dominant,
qui a du mal à accepter que les choses ne soient plus comme il les a
pensées. Changer serait reconnaître son erreur et un expert comme un
leader ne se trompe pas ! Les règles en place sont faites pour durer et
chacun doit les respecter scrupuleusement. Le changement de cet état de
fait est dangereux pour la pérennité du système et pour le pouvoir en place.
Dans l’entreprise agile, rien n’est vécu comme éternel. Le doute et la
recherche de la performance sont les maîtres mots de telles organisations.
Le changement est son credo. Il est souhaité, compris comme nécessaire et
source d’opportunités individuelles et collectives. Il est à la base de
l’intelligence de l’organisation et des individus. C’est par le changement
qu’on multiplie ses expériences, qu’on maîtrise de mieux en mieux son
système, qu’on comprend mieux l’autre, en particulier le client, et qu’on
peut ensuite entrer dans des démarches proactives, constructives.
L’empathie peut être ajoutée à ce stade, qui représente la capacité à
fonctionner dans des logiques de processus réciproques. La réciprocité des
processus est une garantie d’éviter qu’un nouveau processus soit finalement
vécu comme une nouvelle procédure. Pour développer cette réciprocité de
processus, il semble nécessaire de développer et faire développer une
certaine empathie entre les acteurs qui échangent tout au long des processus
et verticalement.
Enfin, dernier critère, l’exemplarité. L’agilité en effet ne se décrète pas.
Elle se demande, elle se stimule et surtout elle est érigée en exemple par
ceux qui la réclament. Ainsi, si vous êtes managers vous devez montrer
l’exemple et montrer en quoi vos comportements ont changé et les bienfaits
induits par ces nouveaux comportements. Mais si vous n’êtes pas manager,
vous pouvez faire de même !
Méthodologie
Comme dans les deux étapes précédentes, nous interrogeons donc les
principaux acteurs d’une organisation sur leur perception quant à ces 7
critères représentant les pratiques comportementales de leur entreprise.
Nous faisons encore une fois la moyenne de leurs opinions pour aboutir à
un schéma de synthèse de ce type (figure 3.5).
Figure 3.5 Exemple d’étoile radar résultat

Pondération des critères (Étape 3, les pratiques comportementales)


Nous avons le cas ici d’une entreprise où les changements semblent
moyennement acceptés – il s’est avéré qu’ils étaient vécus comme trop
fréquents et jamais menés à fond – et où le sens des responsabilités ou le
partage sont également moyens – les acteurs se sentaient responsables mais
l’organisation hiérarchique tendait à brider ce sens spontané des
responsabilités, et, par conséquent, les dynamiques de partage.
En revanche, c’est une entreprise au sein de laquelle confiance et
hybridation ne semblent pas vivre : c’est une entreprise où l’hybridation
n’est pas réelle car cette vieille entreprise industrielle n’a pas su s’ouvrir,
jusqu’à aujourd’hui, à un recrutement régulier autre que les traditionnels
ingénieurs issus des mêmes écoles ou issus des formations internes. Elle n’a
pas su non plus faire évoluer ses employés dans des fonctions autres que
celles correspondant à leur formation d’origine. Elle n’a pas su non plus
faire vivre un dialogue constructif entre les unités qui la constituent, laissant
ainsi s’installer des « castes », ce qui nuit fortement aujourd’hui à la
confiance.
Enfin c’est une entreprise qui reconnaît son manque d’empathie et
d’exemplarité des managers. Comme ce sont eux qui ont fourni les
réponses, on peut considérer qu’ils font preuve d’une certaine sincérité en
s’évaluant ainsi sur ces critères. C’est peut-être le signe d’un changement
imminent ou d’une acceptation de changer.
Après discussions avec les dirigeants sur cette perception des
comportements individuels et collectifs, il est apparu qu’ils partagent les
responsabilités mais pas la confiance. Ils vivent leur organisation de
manière « désincarnée », davantage comme une somme de tâches que
comme une somme d’individus !
Évaluer les pratiques managériales
Nous avons déjà décrit trois étapes de notre outil de diagnostic de l’agilité
d’une organisation : l’élaboration spécifique de la stratégie, l’adhésion à des
principes et l’adoption de comportements. Tout ceci doit finalement
s’incarner dans des pratiques quotidiennes à tous les niveaux de
l’entreprise. C’est ce que nous appelons ici les pratiques managériales. Elles
sont en fait la fusion de deux logiques : une logique organisationnelle et une
logique informationnelle et communicationnelle. Autrement dit, une
entreprise adopte de bonnes pratiques managériales si son organisation
répond à certaines caractéristiques agiles et si son système d’information et
de communication est performant. Dans un souci d’allégement de la
méthode, et parce qu’il existe des corrélations étroites entre ces deux
logiques, nous les avons fusionnées pour élaborer dix critères qui nous
semblent résumer ce que nous appelons les pratiques managériales.
Dix critères pour évaluer les pratiques managériales

1. Le fonctionnement par processus


Nous ne retenons ici de la logique processus que la façon dont elle
permet de placer les acteurs les uns relativement aux autres. En effet,
dans un processus chacun est responsable d’un sous-système et doit
être évalué par l’acteur amont et l’acteur aval. Ainsi, à la classique
évaluation verticale ou hiérarchique est substituée une évaluation
horizontale réciproque. Chacun cherche alors à faire son travail le
mieux possible en particulier de telle sorte à placer l’autre dans les
meilleures conditions possibles pour réussir lui-même. De même, si le
processus ne fonctionne pas, le souci de chacun n’est pas de repousser
la faute sur l’autre mais plutôt de négocier avec l’autre comment
modifier le processus de façon à ce que chacun puisse donner le
meilleur de lui-même[13].
Ainsi, le critère qui nous intéresse est double : l’orientation client
interne (et client final bien sûr) et le potentiel d’autorégulation du
processus sans l’intervention d’un hiérarchique. À l’opposé d’une
organisation pyramidale gérée par la règle et des procédures
préalablement définies par la Direction Générale, notre organisation
agile fonctionne par processus délibérément tournés vers la satisfaction
optimale des clients internes et externes, capables de s’auto-organiser
spontanément en fonction des turbulences de l’environnement et du
niveau de performance du processus dans son entier.
2. La symbiose environnementale
Une entreprise agile doit savoir agir en symbiose avec son
environnement. C’est notre second critère de mesure des pratiques
managériales. Nous avons particulièrement travaillé ce point avec
quelques dirigeants de PMI qui nous ont raconté leur évolution. Ils
nous ont expliqué en particulier que les trois phases d’évolution que
leurs entreprises ont historiquement vécues n’étaient pas exclusives et
que, pour eux, l’agilité c’était la capacité à maintenir ces trois modes
de vie en parallèle et non en substitution l’un par rapport à l’autre :
L’entreprise doit savoir faire (productivité), c’est-à-dire qu’elle doit être capable de
prouver à son environnement, clients en tête, qu’elle peut entretenir une récurrence de
relation avec ses clients. Ainsi, elle doit avoir des clients références fidèles et disposer
d’une certification solide.

L’entreprise doit savoir aussi réagir (flexibilité), c’est-à-dire s’adapter aux


changements de l’environnement, en particulier aux demandes spécifiques de ses
clients, sans nuire pour autant à son premier talent décrit ci-dessus. À la capacité de
produire en série avec une qualité constante s’ajoute donc une capacité à fidéliser ses
clients en développant un système d’écoute et d’attention remarquable et en sachant
adapter sa production aux demandes spécifiques. Cette seconde qualité est a priori
contradictoire avec la première puisqu’elle prône le sur-mesure par opposition à la
série !

L’entreprise, enfin, doit être capable d’anticiper proactivement les évolutions de la


demande et/ou les ruptures de son environnement (inventivité). Encore une fois, c’est
une capacité nouvelle d’anticipation et de co-développement qui ne doit pas se
substituer aux deux qualités précédentes, mais bien au contraire s’ajouter. L’équation
devient complexe : il faut savoir donc entretenir une mentalité de série, en parallèle
avec un potentiel d’adaptation sur mesure, tout en poussant chacun à construire un futur
spécifique avec des clients anciens ou nouveaux !

Finalement, l’entreprise agile doit mettre en place une organisation


suffisamment flexible et agile pour modifier proactivement et en temps
réel ses processus, ses produits et ses pratiques en fonction des
tendances et opportunités anticipées sur ses marchés et, plus
largement, dans son environnement. Ceci implique une souplesse de
l’organisation par le découpage en entités autonomes mobiles et une
mentalité de changement appuyée sur une culture de la confiance, de
l’autonomie et de la responsabilité collective. C’est en partie ce que
nous trouvons dans les items suivants.
3. La modularité synergique
Elle exprime cette idée d’organisation mobile. Elle indique que
l’entreprise porte un effort particulier sur l’optimisation et la
capitalisation des ressources communes existantes, relativement aux
produits, aux processus et aux pratiques, pour soutenir et alimenter ses
différents projets, en particulier d’innovation.
Au-delà de la classique organisation verticale, et plus légère que la
sclérosante organisation matricielle, l’organisation neuronale est
l’apanage de l’entreprise agile. L’entreprise neuronale est découpée en
de nombreuses entités à échelle humaine (un petit nombre de
personnes pour une mission bien spécifique), avec un degré de liberté
important pour se mouvoir face à un environnement qu’elle connaît
bien parce qu’il est lui-même limité. Ces entités sont :
Reconfigurables à loisir (c’est-à-dire capables de grandir, de s’allier, de rétrécir voire
de disparaître si besoin est pour renaître quelques mois plus tard en fonction des besoins
de l’entreprise).

Interconnectées entre elles de manière transparente et dans le souci de l’atteinte d’un


objectif global commun.

Cela implique, on le comprend bien, le développement d’une culture


spécifique du mouvement et du partage entre les entités et entre les
individus, qui, du coup, doivent développer une qualité première :
l’autonomie, quatrième de nos critères dans cette partie.
4. L’autonomie
Elle exprime que les équipes comme les individus bénéficient d’une
large autonomie sur les « quoi » et les « comment ». Ils sont du coup
évalués non plus sur la bonne exécution de tâches mais sur une
pluralité de critères (initiative, objectifs, coordination, auto-évaluation,
évaluations réciproques type 360°…). Loin de l’entreprise qui évalue
ses employés ou ses services par leur capacité à respecter
scrupuleusement les directives de leurs supérieurs hiérarchiques ou par
l’atteinte de résultats individuels, l’entreprise agile évalue ses
employés selon leur capacité à participer aux objectifs collectifs en
sachant réorienter leur fonctionnement intrinsèquement et relativement
aux autres entités. La créativité, l’initiative, la coopération ou la
responsabilité font partie des piliers de cette évaluation. Ce sont des
choses que l’on trouve d’ailleurs déjà derrière la notion d’unité
autonome de production (UAP).
5. La pédagogie managériale
Pour que cela fonctionne, il faut évidemment que la hiérarchie le
permette. C’est pourquoi il est essentiel que le système de management
bascule d’une logique d’autorité à une logique pédagogique. C’est un
cinquième critère d’évaluation des pratiques managériales d’une
entreprise agile. Cela signifie que les managers de l’organisation agile
sont désormais des catalyseurs de l’action, qu’ils portent véritablement
le sens ou le projet de l’entreprise, et qu’ils font preuve de vertus
pédagogiques envers leurs employés pour les mobiliser vers un
optimum organisationnel. Leur travail consiste, quel que soit leur
niveau de responsabilité, à comprendre le sens général, à le traduire en
un sens particulier, à le faire partager au plus grand nombre et à aider
chacun à trouver un mode de fonctionnement autonome, responsable et
efficace dans ce cadre. Ce sont des porteurs de sens et des facilitateurs
de performance et non plus des juges de la bonne exécution de leurs
consignes. Ce sont des managers pédagogues !
Pour ne pas perdre ce sens et permettre la plus rapide reconfiguration
des uns par rapport aux autres, à l’image d’un banc de poisson, il faut
que la communication de l’entreprise agile soit remarquable.
6. La communication
Les flux de communication doivent être pensés de sorte à produire
du sens chez le récepteur, à élargir sa compréhension de
l’environnement et à amplifier sa capacité d’être un acteur stratégique
à son niveau pour le groupe. Au lieu que chacun diffuse le plus
d’informations possibles, généralement sous une forme « brute », pour
montrer combien il est communiquant, on attend de chaque individu
ou entité qu’il (elle) soit un véritable « centre informationnel ». Cela
signifie qu’il (elle) est capable de capter de l’information, de la trier,
de l’émettre de façon pertinente vers qui en fera le meilleur usage, sous
une forme spécifiquement pensée pour que le récepteur réagisse au
plus vite. Il faut donc que l’entreprise agile soit dotée d’un système
d’information performant, c’est-à-dire que l’ensemble de ses moyens
informatiques, hard et soft, est configuré pour permettre des évolutions
et des mutations permanentes ainsi qu’une compatibilité optimale avec
l’ensemble du réseau des entités internes mais aussi des acteurs
externes à l’entreprise.
7. L’interopérabilité
Les systèmes d’information sont donc un atout stratégique de
l’entreprise agile, véritable vecteur de l’optimisation de la valeur des
Hommes mais aussi véritable vecteur de la création de valeur pour le
client. Les systèmes d’information ne peuvent en effet plus être de
simples outils d’automatisation des tâches de gestion, ils doivent aussi
permettre de stimuler la créativité de l’offre pour toujours mieux
satisfaire les clients. Ce système d’information performant permettra
en particulier à chacun d’être un acteur de la veille ou de l’écoute de
l’environnement, huitième de nos critères.
8. La veille
Plutôt que de se concentrer exclusivement sur son savoir faire,
l’individu devra participer à l’effort de veille à son niveau, en utilisant
une multiplicité de réseaux internes et externes, en formatant et en
diffusant des connaissances formelles et informelles. Cela va en
particulier lui permettre de s’ouvrir à l’autre, encore une fois interne
ou externe, et l’amènera à être plus critique, de manière constructive,
vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis du processus global auquel il
participe. Ainsi seulement des dynamiques collaboratives nouvelles et
performantes pourront se faire jour dans l’entreprise agile.
9. Les dynamiques collaboratives
Dans l’entreprise agile, on doit en effet promouvoir une culture
visant le partage optimal de la connaissance (notamment tacite) par
une transversalité des échanges, un dialogue continue entre les
individus et les entités et une capacité permanente de reconfiguration
des rapports professionnels. La tendance naturelle, dans une entreprise
issue de la culture taylorienne, est plutôt de rester centré sur son propre
petit fonctionnement ou sur ses simples savoir-faire, sans chercher à
s’ouvrir aux autres de peur qu’ils ne vous obligent à changer, ce qui
risquerait finalement que de vous apporter de nouvelles compétences.
La culture et la structure de notre organisation agile font au contraire
émerger la connaissance de toutes parts, grâce à un système de partage
et de transversalité accessible à tous, source de dialogue et de
reconfiguration permanente des dynamiques collaboratives. Cela
implique de posséder tous les points décrits précédemment et de
partager un sens commun et une priorité au collectif.
10. Les perspectives d’épanouissement
Dernier critère relatif aux pratiques managériales, il postule que
chaque individu doit être encouragé à apprendre et à évoluer,
horizontalement et verticalement, via le recours à la mobilité, à la prise
de responsabilité variable (on peut en gagner mais on peut aussi en
perdre sans que cela soit vécu comme un désaveu) et à la formation
permanente, qui devient ainsi non plus une simple obligation légale
mais une véritable arme stratégique. En ce sens, la performance de
l’entreprise est donc autant le résultat d’une évolution permanente des
compétences et savoir faire que de la négociation de parcours
individuels transversaux, horizontaux et verticaux.

Méthodologie
Comme dans les trois étapes précédentes, nous interrogeons les
principaux acteurs d’une organisation sur leur perception quant à ces dix
critères représentant les pratiques managériales de leur entreprise.
Nous faisons encore une fois la moyenne de leurs opinions pour aboutir à
un schéma de synthèse de ce type :
Figure 3.6 Exemple d’étoile radar résultat
Évaluation de l’entité (Étape 3, les pratiques managériales)
Nous avons là le cas d’une entreprise qui privilégie la symbiose
environnementale, c’est-à-dire la capacité à fonctionner en bonne
intelligence avec les acteurs de son environnement. Sans doute est-elle
craintive relativement aux changements de son environnement. En
revanche, ses points faibles sont le découpage de son organisation en pôles
de dimension réduite et les dynamiques collaboratives. Après discussion
avec les dirigeants sur l’expression de leurs perceptions sur les pratiques
managériales, il s’avère qu’il s’agit d’une entreprise industrielle, structurée
verticalement, qui développe des liens avec les acteurs de son
environnement, mais qui est pour le reste restée dans un modèle classique
hiérarchique d’organisation. Ballottée au gré des rachats et restructurations,
elle ne peut engager durablement des réformes en profondeur. La preuve en
est que tous les autres critères sont évalués à un niveau moyen. Pour revenir
sur les dynamiques collaboratives, elles sont jugées comme étant faibles,
résultat du cloisonnement qui peut exister dans des structures hiérarchiques
historiques au sein desquelles se développent des castes fonctionnelles.
C’était tout à fait le cas de cette entreprise qui était pourtant de taille
relativement réduite (600 personnes). Mais la peur du lendemain freine
toute ardeur : « pourquoi faire des efforts alors que demain nous
appartiendrons à un autre groupe qui nous imposera de nouvelles règles de
fonctionnement ? Pourquoi chercher à nous démarquer et à cultiver notre
différence culturelle ? ». Seule prime la recherche d’une tranquillité qui
permettra à chacun de sauver son emploi et à l’entreprise de garder une
valeur marchande ! Cette tranquillité est considérée comme le fruit de la
mise en place de méthodes somme toute neutres de travail !

Le cas « GICORP »
Maintenant que notre outil est globalement décrit, nous vous
proposons d’en faire une lecture opérationnelle à travers l’exemple
d’une entreprise, que nous appellerons GICORP. Il s’agit d’une
entreprise, filiale française d’un grand groupe traditionnel français.
Cette filiale pèse tout de même plus de 10 000 personnes. Elle a été
longtemps le fleuron du groupe mais, avec l’internationalisation de ce
dernier, son image s’est ternie, à tort d’ailleurs car ses résultats sont
encore les meilleurs. Mais son risque est fort aujourd’hui de se faire
rattraper par une concurrence plus rapide, plus opportuniste, plus
efficace, ainsi que de se faire marginaliser par rapport à d’autres
filiales pays du groupe. Le concept d’agilité semble correspondre à ses
besoins afin de développer une organisation plus efficace dans un
environnement toujours plus difficile et turbulent. Aussi notre mission
avait-elle un quadruple objectif :
évaluer le potentiel d’agilité de l’entité ;

repérer les zones critiques et non critiques ;

mieux comprendre la culture de l’entité pour envisager les leviers possibles d’action ;

mobiliser les dirigeants sur l’importance d’améliorer l’agilité.


Nous avons alors utilisé notre outil auprès de 10 dirigeants de l’entité
et avons fait une moyenne de leurs réponses pour donner une image de
l’agilité de cette entreprise. Évidemment, il s’agit de perceptions
d’individus, avec le biais naturel qui accompagne ce genre
d’entretiens. Nous avons réduit ce biais en travaillant en parallèle avec
un groupe de cadres grâce à un autre mode d’interrogation : les
résultats ont largement convergé avec les résultats de notre diagnostic.
Enfin, pour réduire encore les risques d’enquête, nous avons provoqué
une réunion de synthèse et de débat avec les dirigeants, avant de
rédiger nos conclusions. Les principaux résultats sont restitués ci-
après.
Étape 1 : Stratégie agile

Figure 3.7 Résultats Consolidés (Étape 1)


Rappelons que derrière l’expression simplifiée de « stratégie agile »,
nous testons en réalité le degré d’agilité du processus de décision
stratégique. Le score de 2,48 sur une échelle de 4 qui nous fait a priori
considérer la stratégie de Gicorp comme une faiblesse relative au
regard de l’agilité, nous a été confirmé par les différentes analyses
effectuées sur cette partie, notamment lors des entretiens qualitatifs.
En particulier, il apparaît que :
Gicorp se fragilise par son système d’évaluation, qui prend en
compte trop majoritairement l’atteinte des objectifs individuels à
court terme, menaçant la qualité des fonctionnements et des
processus, ainsi que la coopération. Une solution serait de
modifier le système d’évaluation annuel en introduisant
davantage des critères de performance collective.
Gicorp pratique une politique fondée sur ses savoir-faire
historiques, en privilégiant une culture « ingénieur » très peu
tournée vers le client, vers l’innovation (création de valeur) ou
vers des stratégies de co-développement. La capacité de
reconfigurabilité du processus stratégique passe en fait par une
ouverture aux autres et une remise en cause permanente.
Gicorp développe et pérennise une certaine culture
d’obéissance et de consensus, empêchant ainsi une prise de
risques et d’initiatives (des unités par rapport à Gicorp, des
employés par rapport à leurs managers) dans la réalisation d’une
tâche qui n’est pas conforme au rôle officiellement attendu,
attitude pourtant nécessaire dans une perspective d’agilité. En
effet, la dynamique de mouvement dépend surtout de la qualité du
retour terrain des opérationnels, auxquels il faut donc reconnaître
une compétence et donner une liberté de parole dans le processus
de décision stratégique.
L’étoile met donc en évidence une compétence stratégique moyenne,
en regard de l’agilité, que l’on peut extrapoler à partir de l’analyse des
contenus des entretiens : en fait, il apparaît que Gicorp est trop
spécialisée et cloisonnée dans ses ressources et savoir faire,
ralentissant voire bloquant partiellement tout changement, toute
modification ou reconfiguration des processus établis, tendance que la
lourdeur et l’opacité de la structure matricielle ne fait qu’aggraver.
Gicorp manque également de clarté dans l’élaboration de ses priorités
et de ses objectifs, provoquant ainsi une certaine confusion dans les
actions à entreprendre. Il s’agit bien là du « syndrome de la baleine ».
Nous avons d’ailleurs constaté, dans cette entreprise, que les
acquisitions récentes de PMI pointues, non encore « absorbées » par
l’organisation ont conservé un potentiel d’agilité bien supérieur à la
moyenne du Groupe.
Étape 2 : Les principes de l’agilité

Ce qu’il apparaît important de souligner, dans cette partie dédiée aux


principes, est l’adhésion générale des managers au niveau de ces sept
principes d’agilité. Le score de 2,67 sur 4 reflétant la prégnance des
principes dans la culture de Gicorp, ou du moins une dynamique qui
tend vers de tels principes, nous fait déduire un réel potentiel d’agilité
de l’entité Gicorp. Savoir si l’adhésion à ces principes implique une
adhésion aux pratiques qui devraient y être associées n’est par contre
pas garanti. On retient donc, après analyse de ce schéma et entretiens
qualitatifs avec les principales personnes concernées, que :
Figure 3.8 Résultats Consolidés (Étape 2)
Les managers interrogés, se sont montrés très sensibles aux
principes d’agilité, témoignant à notre sens d’une véritable envie
de se diriger dans cette direction.
L’adhésion à ces principes ne s’accompagne pas forcément
d’une mise en application des pratiques, comme nous l’avons vu
dans le volet « Stratégie agile », et comme nous le verrons dans
les volets « Postures comportementales » et « Pratiques
managériales ». La coopération en est un bon exemple.
L’anticipaction, la justinnovation, la complexité à échelle
humaine apparaissent comme les principales zones de blocage,
avec des opinions partagées au regard de l’innovation.
L’offre globale est assurément à travailler, et pourtant elle
n’apparaît pas comme une véritable priorité pour la moyenne des
managers interrogés.
La culture du changement plébiscitée témoigne à notre sens de
l’inertie de Gicorp, que ce soit du fait de sa structure matricielle,
ou du manque d’accompagnement des changements.
La culture client apparaît comme une prise de conscience du
cloisonnement de Gicorp par rapport à son marché et de la
prédominance perçue de sa « culture ingénieur ».
Étape 3 : Les postures comportementales

Figure 3.9 Résultats Consolidés (Étape 3)

Cette partie comportementale présente des résultats très intéressants,


en ce qu’elle nous permet de tirer deux enseignements majeurs, quasi
paradoxaux :
d’une part, les managers identifient cette partie et les critères qui y sont associés
comme étant la plus importante au regard de l’agilité ;

d’autre part, c’est dans cette partie que les scores de Gicorp sont les plus bas et les
plus homogènes.
Cela témoigne à notre sens de la véritable nécessité de faire évoluer les
postures comportementales, vers d’une part davantage de partage ou
de confiance, qui sont étroitement associés à une meilleure
coopération, et d’autre part, vers davantage de responsabilité,
d’adaptation au changement, et d’hybridation, qui vont en faveur
d’une meilleure adéquation, d’un meilleur alignement des actions
entreprises vers les finalités poursuivies. En particulier, on retiendra :
Les responsabilités semblent être diluées. Les personnes
interrogées, par leurs commentaires précis, montrent du doigt ici
l’organisation matricielle et ses défauts de lourdeur. Le souhait de
basculer vers un fonctionnement plus « neuronal », c’est-à-dire
vers un ensemble de petites structures autonomes et responsables,
apparaît clairement.
Le manque de vision systémique de chacun, tant dans la
distribution tous azimuts d’information, que dans l’alignement
des actions individuelles vers une finalité de performance
collective.
De véritables carences en termes de partage spontané de
confiance, dont les origines sont certainement à trouver dans le
système d’évaluation favorisant l’individuel, la culture
« ingénieur » trop marquée qui ne favorise pas la mixité des
points de vue, la trop faible proportion de mouvements
horizontaux dans les carrières, qui engendrerait spontanément une
certaine culture du partage, et une logique d’obéissance qui ne
prédispose pas à l’établissement d’une véritable confiance.
L’absence d’une culture réseau, notamment par l’élaboration
plus prégnante de processus transversaux, qui rendrait le partage
non pas clanique mais généralisé à l’ensemble de la structure.
Étape 4 : Les pratiques managériales

Figure 3.10 Résultats Consolidés (Étape 4)

L’étude de cette dernière étape, les pratiques managériales, a ainsi mis


en lumière le décalage dont nous parlions précédemment entre, d’une
part la volonté affichée de devenir plus agile et d’adhérer aux principes
d’agilité, et d’autre part les pratiques actuelles, la culture et la structure
prégnants au sein de Gicorp, porteurs de dysfonctionnements, et ainsi
peu aptes à initier une démarche globale, généralisée à l’ensemble des
acteurs de Gicorp, qui irait dans le sens de l’agilité. En particulier,
nous retiendrons les zones de dysfonctionnement suivantes :
Gicorp manque de processus transversaux et de
communications inter – services. Le flux communicationnel est
très vertical, et pas suffisamment horizontal, provoquant des
effets collatéraux peu propices à l’agilité, comme la perte de
synergies possibles, une coordination aléatoire, et une
coopération sous – optimisée.
Les processus nous semblent encore trop focalisés sur les
fonctionnements internes, plutôt que d’être orientés vers la
satisfaction du client.
Le cloisonnement et la spécialisation (historique) des entités ne
permettent pas une capacité de reconfiguration spontanée, source
d’agilité, et enferment Gicorp dans une reproduction du même.
Gicorp se focalise sur ses résultats à court terme, et se
désolidarise peu à peu de ses marchés. Concrètement, Gicorp ne
travaille pas proactivement sur son environnement, c’est-à-dire
n’anticipe pas les tendances, ne capte et n’exploite que trop peu
les microsignaux, n’a pas de stratégie délibérée d’innovations
radicales, ne pratique pas de co-développement.
Gicorp cumule les inconvénients du pyramidal et du matriciel,
c’est-à-dire pérennise une culture du consensus et de l’obéissance
parmi ses acteurs, sans pour autant pouvoir établir des
responsabilités claires sur les projets.
Conclusions du cas Gicorp
La rencontre des managers du comité de direction nous a ainsi permis
de mettre en exergue un certain nombre de difficultés auxquelles se
trouve confrontée Gicorp dans une optique d’agilité. En particulier, on
retient que si les personnes interrogées adhèrent toutes de façon assez
unanime aux principes d’agilité, en revanche, une analyse approfondie
de la stratégie, des postures comportementales, ainsi que des pratiques
managériales et organisationnelles nous révèle la nécessité d’une
certaine rupture avec les habitudes héritées d’une structure plus
conventionnelle et tayloriste. Si Gicorp désire être davantage en phase
avec son environnement et anticiper les turbulences potentielles,
auxquelles il ne semble plus réellement possible d’échapper, il lui faut
rompre avec les méthodes traditionnelles de management –
rationalisation, obéissance – qui perdurent encore.
Au-delà de ce constat, l’envie de toutes les personnes rencontrées de
voir Gicorp devenir plus apte au changement est la preuve qu’un
potentiel d’agilité est définitivement prégnant au sein de Gicorp,
faisant écho à la dynamique en œuvre actuellement vers une certaine
intégration des processus, et un décloisonnement progressif (par
exemple au niveau des systèmes d’information), qui constituent
indéniablement, à notre sens, une première étape vers l’agilité.
Finalement, le diagnostic a permis de dégager six éléments alimentant
nos conclusions :
une culture du consensus laissant peu de place à l’esprit d’entreprise ;

une organisation aux priorités incertaines, coupées des signaux d’alerte ;

une offre produit, mais peu d’offres « solutions client » ;

une faible coopération interne et externe ;

des managers intermédiaires désorientés entre les discours de la direction et leur


réalité ;

des pratiques comportementales figées.


L’ensemble de ces problèmes entraîne une série de réactions en
chaîne :
lenteur dans la transmission de l’information extérieure ;

manque de compréhension du marché, des enjeux ;


manque de coopération, de confiance, de partage spontané ;

manque d’initiatives et de prises de risques ;

cloisonnement sur ses objectifs individuels et communication davantage consensuelle


que constructive, ignorant les vrais problèmes.
Ce qui implique une certaine inertie dans la mise en œuvre de l’action
stratégique, c’est-à-dire un manque d’agilité.
Aussi notre recommandation prône une ouverture :
de l’entreprise vers l’extérieur, en développant l’envie de changer par une prise de
conscience des risques présents et à venir ;

de l’organisation (entre entités), en libérant les dynamiques collaboratives et en


développement l’agilité des managers intermédiaires ;

des Hommes enfin, en développant la culture du risque et en ré – initialisant une


culture de la confiance, socle indispensable à une culture de l’agilité dans l’entreprise.
Notre travail avec cette entreprise a généré un certain nombre
d’actions concrètes. Elles ont été hiérarchisées et adaptées précisément
au contexte de Gicorp.
Nous retenons, à l’usage de cet outil de diagnostic, qu’il permet de
hiérarchiser les points faibles et les ressources potentielles d’une
entreprise pour s’orienter vers plus d’agilité. Il est donc d’une aide
véritable pour un dirigeant. En particulier, sa progressivité - d’une
approche de la stratégie ou des principes vers des pratiques concrètes
autant que d’un mode d’interrogation individuel vers d’un débriefing
collectif – provoque un changement dans les représentations : un
dialogue s’installe qui permet une compréhension commune plus
objective de la réalité et un réel apprentissage collectif.
Adaptation de l’outil aux contextes (versionning)

Forts du succès de cet outil de diagnostic, mais conscient de sa


lourdeur et de son coût (plus on interviewe de personnes et plus cela
coûte cher), nous avons, sur demande de clients, adapté cet outil à trois
situations :
Le premier cas est celui du coaching. Nous avons constaté que
le coaching nécessitait de passer par un questionnement du
coaché sur son contexte. Nous avons réalisé que les questions du
diagnostic étaient très intéressantes pour faire ressentir au coaché
si son contexte favorisait une manière d’agir agile ou au contraire
la freinait. Nous avons alors développé une version simplifiée de
cet outil et nous l’utilisons dans nos missions de coaching à l’aide
d’une méthodologie spécifique de questionnement ou d’auto-
questionnement du coaché que nous avons baptisé « coaching
agile ». C’est l’objet du chapitre sur le coaching agile que de
décrire cette démarche.
Le second cas est celui d’une entreprise aux moyens réduits ou
au temps limité (plutôt vu dans des PME-PMI) ou dans des
travaux que nous avons menés en coaching d’équipe et team
building à partir des principes de l’agilité. En réalité nous gardons
les mêmes critères mais nous fermons le questionnaire que nous
envoyons à l’avance à N personnes choisies en accord avec la
Direction. Nous récupérons les réponses qui, au lieu d’être
fournies sous forme de chiffres, sont données sous forme de
couleurs selon le principe de l’Abaque de Régnier. Le vert
signifie l’accord, l’orange l’hésitation et le rouge le désaccord.
Les réponses sont compilées dans un tableau qui nous servira à
animer une réunion avec les personnes concernées afin de
décrypter ensemble la signification des réponses. Cela permet
d’aller plus vite au but, de faire mener un travail collectif
mobilisant sans que quiconque soit montré du doigt, et,
finalement, de faire partager des solutions.
Le troisième et dernier cas est celui du recrutement. Nous avons
créé un processus permettant de définir un profil cible. Ce
processus commence par un questionnaire fermé, toujours inspiré
de notre outil de diagnostic. Ce questionnaire reprend les items
ci-dessus auxquels on ajoute un questionnement non plus centré
sur l’entreprise mais sur son environnement. Le but est, d’une
part de cerner les ressources en agilité de l’entreprise, d’autre part
de cerner les besoins imposés par son environnement. C’est à
l’aide de ce double questionnement qu’on commence à définir un
profil cible qui devra apporter les qualités agiles requises compte
tenu de ce contexte.

Le manager agile
Au-delà de l’évaluation de son organisation et de son fonctionnement, le
questionnement d’un dirigeant doit se porter sur lui-même. Il doit
évidemment être le premier porteur des principes et comportements de
l’agilité pour devenir un modèle dans son entreprise. Il doit également
adopter des caractéristiques managériales nouvelles pour asseoir cette
nouvelle approche du management avec cohérence.
Nous abordons ici les trois principales attitudes managériales qu’il doit,
selon nous, adopter afin, ensuite, de réformer le fonctionnement et la
culture de son organisation vers l’entreprise en réseau d’entités autonomes,
pour stimuler l’entrepreneuriat interne, la prise d’initiatives, la coopération
et l’innovation ;
satisfaire l’actionnaire, le client, le personnel et la société, pour
développer la pérennité de l’entreprise et la rendre « responsable » ;
savoir bricoler, pour développer sa capacité d’adaptation mais aussi
pour apprendre à minimiser les coûts tout en stimulant l’innovation ;
manager avec pédagogie, pour emporter l’adhésion.
Satisfaire l’actionnaire, le client, le personnel et la société
Si l’on reprend l’histoire récente des entreprises, on observe qu’il y a eu
un glissement dans le raisonnement économique. Il faut l’observer et en
tirer des leçons plutôt que de s’arc-bouter sur ses convictions d’hier.
La satisfaction de l’actionnaire
La première exigence de notre monde est la satisfaction de l’actionnaire.
Il n’est pas dans notre intention de bouleverser cet état de fait, sans lequel
d’ailleurs il n’y aurait pas d’investissement et donc pas d’entreprises ni
d’emplois. Considérons au contraire que c’est la base de nos entreprises.
Pour atteindre une pleine satisfaction des actionnaires, pendant les Trente
glorieuses, tout a été étudié par des chercheurs et mis en œuvre par des
dirigeants pour maximiser la rentabilité des entreprises. De façon
caricaturale, on peut considérer celle-ci comme la différence entre les
recettes et les dépenses. Il suffisait, pour bien manager, de minimiser les
dépenses. C’est du moins ce que toutes les stratégies ont tenté de faire
pendant trente ans en travaillant principalement sur la fonction de
production (synergies, automatisation…). On a, en parallèle, cherché à
augmenter les recettes en gagnant le plus de clients possible. Il se trouve
que ces deux attitudes sont complémentaires : elles sont synthétisées dans le
principe dit d’expérience qui dit qu’à chaque doublement de la production
cumulée (en supposant que tout ce qui est produit est vendu) les coûts
unitaires de production diminuent d’un pourcentage constant (de l’ordre de
10 à 30 % selon les secteurs).
La satisfaction du client
On s’est rendu compte, une fois qu’on avait épuisé cette première source
d’augmentation de la rentabilité, qu’on pouvait encore travailler plus loin
du côté des clients. On a analysé en particulier que fidéliser un client coûtait
moins cher que d’aller en chercher un nouveau, ou encore que personnaliser
son offre permettait de faire la différence par rapport au concurrent. Qui
plus est, cette solution permettait d’éviter la guerre des prix dont on connaît
les conséquences désastreuses ! Alors, les dirigeants n’ont eu de cesse de
convaincre leurs actionnaires qu’ils devaient accepter une baisse
momentanée de leur rentabilité le temps de mener à bien les investissements
nécessaires à l’augmentation de la satisfaction des clients. Ceux-ci satisfaits
rachètent, il y a baisse des coûts commerciaux, augmentation des volumes
et on a réamorcé ainsi la spirale vertueuse de la rentabilité. On peut même
parvenir à dépasser le niveau initial de rentabilité des actionnaires.
La satisfaction du personnel
Aujourd’hui, on commence à prendre conscience qu’on est allé au bout de
ce que l’on pouvait faire en matière de productivité et en matière de
satisfaction des clients. Certes toutes les entreprises ne sont pas encore
totalement performantes sur ces deux points, mais du moins sait-on
comment faire. Mais un troisième acteur réclame son lot de satisfaction
après l’actionnaire et le client : le personnel. Lui aussi demande au dirigeant
de le satisfaire sous peine de grève, de démobilisation, de non-performance,
et, finalement, de perte de la satisfaction des clients et des actionnaires.
Alors les dirigeants doivent à nouveau convaincre les actionnaires qu’il est
nécessaire d’investir en faveur de la satisfaction du personnel. Cela va sans
nul doute entraîner une baisse de rentabilité, mais on sait déjà qu’un
travailleur épanoui, quel que soit son niveau hiérarchique, est plus efficace
donc plus rentable qu’un travailleur insatisfait.
Finalement, la nouvelle posture du manager n’est plus de chercher à gérer
des ressources désincarnées mais plutôt à optimiser la satisfaction de trois
acteurs : l’actionnaire, le client et le personnel (figure 3.11).
Évidemment, ce modèle managérial qui s’applique au dirigeant de
l’entreprise, s’applique ensuite à chaque dirigeant d’entité et, au final, à
chaque individu dans l’entreprise. Si tous adoptent ce modèle
comportemental, alors la culture d’agilité sera rapidement appropriée par
l’entreprise.
Figure 3.11 Le nouveau rôle du manager
Au-delà, l’entreprise s’inscrit dans un environnement. Elle doit alors
comprendre que, face aux contraintes de la mondialisation et au risque
concurrentiel accru, si elle maximise sa performance au détriment des
acteurs avec lesquels elle fonctionne (employés, clients, fournisseurs,
banques, logistique…), elle détruit de la valeur sociétale. La montée de la
prise de conscience systémique, qui se traduit par exemple par la montée du
sens écologique et social, ne le permet plus. Aussi la performance de
l’entreprise nous semble devoir s’inscrire désormais dans une perspective
systémique et, ainsi, devenir à la fois économique, sociale et sociétale. À
cette condition, la performance devient répétable, moins aléatoire et plus
motivante.
Savoir bricoler[14]
Assez naturellement, lorsque nous avons développé le principe de
découpage de l’entreprise en entités autonomes, nous avons vite trouvé des
liens avec ce nouveau champ du management qu’est le bricolage et que l’on
peut définir simplement comme étant la capacité à « faire avec les moyens
du bord ».
En effet, lorsqu’on est une entité de taille réduite, au milieu d’un
environnement turbulent, la rapidité de réaction repose certes sur
l’anticipation mais pas seulement. On ne peut pas tout prévoir et il faut
aussi développer des capacités de réaction, et, au-delà, développer ce qu’on
appelle le système « D » (comme débrouille).
Le bricolage relève du système « D » mais a été théorisé au point de
devenir une approche managériale très intéressante et complémentaire à
l’agilité.
Les origines du bricolage ne sont pourtant pas récentes. Il semble que
l concept remonte à Claude Lévi-Strauss, en 1962, dans son ouvrage « La
pensée sauvage » (ce qui nous rapproche de Tarzan !). Mais laissons de côté
l’histoire exacte de ce concept, et regardons plutôt comment il sert
aujourd’hui la discipline du management.
Pour comprendre ce mode d’agir, car il ne s’agit pas d’un processus
managérial du type « analyse – décision – action – contrôle », il faut
l’analyser selon cinq dimensions :

1. Pour le bricoleur le monde est ordonné mais cet ordre n’est pas
transcendant, il est propre à chaque bricoleur. Autrement dit, le monde
est considéré selon le principe de la complexité comme un ensemble
d’éléments interconnectés mais dont les interconnexions sont
analysées de façon propre par chacun. Nous convergeons bien ici avec
notre vision de la montée de l’individualité.
2. Le bricoleur porte un intérêt particulier aux relations entre les choses
plus qu’aux choses elles-mêmes (vison dynamique de l’agilité). Les
objets sont pris en tant qu’objets singuliers et non abstraits. Chacun
dispose donc d’un stock d’objets particuliers (autonomie). Chaque
objet est interrogé par le bricoleur par rapport à ce à quoi il peut servir
à un instant donné et par rapport à un besoin particulier. Autrement dit,
le bricoleur est particulièrement apte au changement, dans la limite de
son stock d’objets, et est capable d’utiliser un même objet (lire : un
même acteur, un même processus…) pour des usages différents, son
seul souci étant la performance pour le client et non son confort
personnel ou le respect de la règle établie.
3. Le processus d’action du bricoleur est tout à fait spécifique et se
décompose en cinq gestes types :
La collecte : la manière de constituer son stock de moyens. Nous y associons le
principe de veille de l’agilité.

Le dialogue avec les objets du stock : la capacité à systématiquement accepter, et


même rechercher, à détourner ses moyens de leur usage habituel. Nous associons le
principe d’innovation de l’agilité.

Le détournement de l’objet : la capacité à envisager un objet dans un usage autre


que celui auquel il est naturellement destiné.

L’assemblage : la capacité à reconfigurer une solution en fonction des besoins


exprimés par le client. C’est le principe de reconfigurabilité de l’agilité.

La substitution de l’objet si la solution ne colle pas, ce qui signifie que le bricoleur


est sans cesse dans la recherche de la satisfaction du client, ce qui est le propre de
l’agilité.

Le désassemblage : tout ce qui a servi et ne sert plus est replacé dans le stock, ce qui
permet de sérieuses économies et surtout qui montre la capacité à s’interroger en
permanence sur l’usage des moyens dont on dispose.

4. Le bricoleur ne fait que des réalisations particulières : le résultat est


un dispositif unique, ce qui correspond bien à la « customisation » dont
nous avons abondamment parlé déjà. Autrement dit, le bricoleur sait
que la solution qu’il met en place un jour peut ne pas fonctionner le
lendemain comme elle peut ne pas convenir à deux clients différents.
5. On retrouve totalement l’identité du bricoleur dans sa réalisation,
c’est-à-dire que, sans que sa réalisation soit une œuvre d’art[15], elle est
unique. Elle est unique pour le client et elle est unique relativement à
l’état et à la manière d’agir du bricoleur à un instant donné.

On peut ainsi considérer le profil du bricoleur comme étant à l’opposé de


celui de l’ingénieur. En effet, ce dernier cherche une optimisation des
processus afin de pouvoir les reproduire à l’identique. Le bricoleur, au
contraire, produit une solution unique pour un client unique qui accepte que
sa production porte sa propre personnalité. À ce titre, par opposition à
l’esprit froid de l’ingénieur, le bricoleur ajoute un supplément d’âme à son
« œuvre ».
Malheureusement, le bricolage n’a pas eu sa place dans la rationalité
industrielle et économique, notamment par la connotation péjorative du
terme – et de ses dérivés : « bricoleux », « bricolo »… Mais, d’une part
dans le monde anglo-saxon, beaucoup plus pragmatique que notre monde, il
n’y a pas cet a priori et le concept est déjà plus développé et appliqué,
d’autre part, l’évolution du monde que nous avons analysé dans le premier
chapitre montre bien la nécessité de reconnaître de plus en plus ce mode
d’agir. Nul doute que le bricolage managérial est voué à un fort
développement pratique au-delà des efforts théoriques qui sont portés
aujourd’hui[16], et nul doute que le bricolage est un mode d’action très
complémentaire de la posture et du mode de fonctionnement managérial
qu’est l’agilité.
Manager avec pédagogie
Cette idée du manager pédagogue nous tient très à cœur. Elle est pour
nous le signe le plus évident qu’une entreprise a changé. Elle est aussi le
principal moteur du changement de l’entreprise vers l’agilité : on ne peut
transformer son entreprise vers un mode de fonctionnement agile que si on
le veut, et, comme pour tout changement, que si la direction et le
management se montrent exemplaires.
Notre idée se trouve parfois sous un autre vocabulaire, moins séduisant
selon nous, qui est celui du « manager coach[17] ». Ce que nous voulons
défendre ici, c’est que le modèle du manager autoritaire et omniscient,
c’est-à-dire le manager d’une structure hiérarchique au sens strict, est
définitivement mort. Compte tenu des évolutions sociétales que nous avons
décrites, il nous apparaît hautement improbable que l’on puisse encore
prétendre tout savoir d’un système dans lequel on travaille, et encore moins
prétendre faire obéir de force chaque individu à l’intérieur d’un modèle
qu’on aurait adopté.
Le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui n’est plus un monde de
soumission mais au contraire un monde d’affirmation de soi. Ce n’est plus
un monde de masse mais un monde plein d’individus actifs et pensants
qu’on ne peut plus soumettre à la règle. La règle est nécessaire pour cadrer
le fonctionnement de l’organisation, mais elle doit pouvoir être dépassée
pour obtenir la performance la meilleure à un instant donné dans des
circonstances spécifiques. On ne peut plus s’imposer par la force mais par
le mérite et la négociation.
Ainsi le manager doit adopter un mode de fonctionnement congruent avec
son environnement.
Cet environnement nous l’avons qualifié de la manière suivante :
une montée de la finitude ;
une montée de la complexité ;
une montée de l’incertitude ;
une montée de l’interdépendance ;
une montée de l’individualité.
Relativement à l’entreprise, nous avons retenu sept principes :
la justinnovation ;
l’anticipaction ;
la proopération ;
l’offre globale ;
la culture client ;
la culture du mouvement ;
la complexité à échelle humaine.
Dès lors le manager doit s’adapter à ces douze caractéristiques. Il ne peut
plus être un expert enfermé dans ses certitudes. Il ne peut plus être
omniscient et omnipotent. Il ne peut qu’être ouvert à l’autre, rechercher la
nouveauté et favoriser la mixité des équipes parce qu’il sait que
l’innovation viendra du croisement des points de vue. Le pédagogue est
celui qui possède l’art d’enseigner. En ce sens le manager agile doit
apprendre aux autres à manager : par l’exemple bien sûr, par l’explication,
par le dialogue, par le sens, par l’essai…
Vis-à-vis de ses équipes, il lui faut sans cesse être exemplaire d’agilité. Il
favorisera les comportements agiles et il fera des critères de l’agilité les
critères d’évaluation clés de ses collaborateurs.
Enfin, le manager agile sait qu’il doit suivre quatre règles :
Être le leader de l’ouverture à l’extérieur de son entreprise. De ce
point de vue, il est l’organisateur de la veille et le stimulateur des
comportements et des méthodes de captation des signaux faibles de
l’environnement. Il est aussi responsable des conséquences de ses
décisions et de celles de ses collaborateurs sur les acteurs de
l’environnement de l’entreprise.
Être un décideur éclairé, c’est-à-dire qu’il s’appuiera sur les
informations et opinions de ses collaborateurs. Il sera ouvert aux
suggestions des autres et s’interdira d’interdire. Il saura pousser les
autres à s’exprimer, il animera le dialogue et suscitera le débat. Il
invitera à la créativité et tentera de trouver des consensus forts autour
des décisions principales pour le devenir de son entreprise sans nuire
aux contraintes des entités locales.
Prôner la délégation de responsabilité afin d’être disponible pour
aider ses collaborateurs à être performants dans leur fonction. Il agira
pour ce faire en acceptant l’erreur et en analysant avec eux les raisons
des éventuels échecs.
Être un compilateur des résultats et un fin gestionnaire, les
tableaux de bord restant cantonné à leur simple rôle d’indicateur.
En conclusion, on peut dire que le manager pédagogue est celui qui va
introduire une certaine « homothétie » dans son management :
En permettant à tous ses collaborateurs en position de responsabilité
de fonctionner comme lui-même fonctionne : liberté de rompre avec la
règle, ouverture, dialogue, stimulation, doivent se répéter dans toutes
les entités et projets.
En faisant en sorte qu’aucun hiérarque ne puisse demander à une
personne d’agir d’une manière que lui-même n’adopte pas.
Pour ce faire, il est nécessaire de sortir de la seule logique de pouvoir et
d’organisation verticale, pour entrer dans une logique de réseau d’entités et
d’acteurs collaborant en toute confiance au service d’une même finalité.
Les mots clés du manager pédagogue sont donc :
l’ouverture de l’entreprise à l’extérieur, des entités entre elles au sein
de l’organisation, des Hommes les uns aux autres ;
la satisfaction de l’autre, qu’il soit actionnaire, client personnel ou
environnement, dans un souci de confiance, de partage et de
transparence ;
le bricolage des solutions pour répondre plus vite, plus
économiquement et de manière plus créative ;
la pédagogie dans le management, ce qui implique la tolérance,
l’envie de progresser et de faire progresser et l’homothétie des
pratiques comportementales ;
la pratique quotidienne de l’anticipaction, de la proopération et de la
justinnovation.
Cela implique bien sûr aussi de savoir donner du sens à ses décisions et
de savoir expliquer clairement ses attentes en validant la compréhension de
l’action et du sens de l’action par ses collaborateurs.

L’agilité comme posture


Face aux enjeux que nous évoquons et aux changements dans les
entreprises, nous constatons que seule la volonté et les capacités des
Hommes vont permettre ces mutations : l’agilité est d’abord posture.
Aussi avons-nous cherché à traduire nos trois principes de base –
anticipacter, proopérer, justinnover – en modes d’action concrets et
pertinents aussi bien dans un contexte régulé que dans un contexte perturbé.
L’agilité est l’art de glisser naturellement d’une situation à l’autre. Il nous a
fallu travailler sur des leviers d’action communs pour faciliter cette capacité
de mouvement pour chacun. C’est dans l’Agile Profile® que se trouve la
lecture de ces capacités.
Ce chapitre relatif à l’Agile Profile® permet de prendre conscience des
enjeux de l’activation de comportements agiles et de fournir une aide à la
prise de recul de son mode de fonctionnement.
Les modes d’action de l’agilité
L’entreprise d’aujourd’hui doit ainsi être plus adaptable, plus flexible et
évoluer beaucoup plus vite qu’hier. Cela la pousse à adopter nos trois
principes managériaux complémentaires. Ils s’appliquent aussi bien à
l’élaboration de la stratégie, au choix de l’organisation, aux principes
managériaux qu’aux comportements individuels et collectifs.
Le sens n’amène pas aux comportements et pourtant il est en filigrane des
comportements que nous défendons. Par contre, l’anticipaction, la
proopération et la justinnovation sont bien des modes d’action autour
desquels nous avons bâti un outil. Cet outil, l’Agile Profile®, vise à analyser
les pratiques des managers et est utilisé en coaching individuel et collectif.
L’Agile Profile®
L’Agile Profile® permet de faire travailler les individus et les équipes sur
leur capacité à mettre en œuvre, en parallèle d’une démarche collective sur
le sens, les trois principes fondamentaux de l’agilité. Pour autant, il existe
d’autres leviers de performance (leadership, alignement, courage
managérial, prise de recul…) mais ce modèle vise à pousser la réflexion sur
la capacité individuelle ou collective à mettre en œuvre ces trois principes
fondamentaux décrits ci-après, facteurs clés d’entrée en agilité. Dans
l’Agile Profile®, les trois leviers d’action de l’agilité sont déclinés
respectivement en deux axes. Chacun de ces axes est mesuré sur une échelle
de 0 à 12 :
L’anticipaction est la capacité d’anticipation des ruptures de son
environnement mais aussi des conséquences de ses propres décisions
et actions. Deux axes sont retenus pour garantir cette capacité
d’anticipation du futur sur le présent et du présent sur le futur :
intelligence de situation : agir spontanément en faisant confiance à sa capacité à
capter et mémoriser un grand nombre d’informations, qui sont traitées d’une manière
inconsciente (ce qui permet d’imaginer des solutions nouvelles en situation :
intelligence systémique) ;

proaction : agir à partir d’une analyse anticipée et formalisée des risques et des
conséquences dans son environnement et mettre en place un plan d’étapes concrètes
pour atteindre un objectif désiré.

La proopération permet l’atteinte de la satisfaction réciproque des


acteurs internes et externes du système autant que l’obtention de bons
résultats durables pour chacun d’eux. Deux leviers d’action sont
privilégiés pour atteindre cette proopération souhaitée :
empathie systémique : agir en priorisant la performance du système entreprise et en
étant au service des autres. Agir avec empathie et mettre de côté ses propres succès pour
favoriser le succès des autres et surtout celui du système auquel on appartient (système
entreprise = entreprise à performance économique, sociale et sociétale donc système
ouvert). Cela signifie agir dans une logique de processus ;

synchronisation : agir avec le souci de ne pas bloquer matériellement le système et


donc livrer dans les délais ce que l’on doit à qui on le doit, tant en interne qu’en externe.
Cela suppose de jouer autant sur le périmètre d’action que sur les délais.

La justinnovation doit être permanente dans tous les actes de son


travail, mais seulement si c’est nécessaire et sur le seul périmètre dans
lequel on peut ajouter de la valeur sans en détruire. Deux critères sont
retenus pour développer cette justinnovation :
rébellion constructive : agir en sachant sortir de son cadre de référence afin de
percevoir d’autres représentations. Faire preuve d’originalité et de nouveauté par
rapport aux standards dans un but de progrès durable du système. Ne pas
systématiquement privilégier l’originalité mais l’étudier au même niveau que toutes les
solutions déjà éprouvées ;
pédagogie relationnelle : décider d’un chemin pertinent. Entraîner et motiver son
équipe en prenant et en faisant prendre des initiatives en connaissance de conséquences.
Expliquer, argumenter, convaincre et fédérer autour de ce choix. Accompagner en
permanence l’épanouissement de ses collaborateurs sans perdre le fil de la performance
collective voulue et permettre, voire stimuler, la prise de position et de parole de ses
interlocuteurs.

Ainsi l’Agile Profile® travaille sur ces six axes comportementaux. Un


questionnaire permet, par un système de préférence, de mettre en avant la
propension des personnes interrogées à utiliser ou non l’un ou l’autre des
6 axes en mode auto-perçu et en mode pression.
L’Agile Profile® se présente ainsi sous la forme d’un double graphique du
profil d’agilité d’un individu, c’est-à-dire du niveau d’utilisation des
différentes modes d’action de l’agilité. Une première représentation montre
la manière d’agir en mode auto-perçu, qui correspond à la perception
initiale par l’individu du niveau d’utilisation courant et quotidien de ses
comportements fondamentaux d’agilité. Une seconde représentation
correspond à la mesure par questionnaire des comportements agiles activés
sous pression.
Figure 3.12 L’Agile Profile®

Le Coefficient d’Agilité (CA®) est un indicateur sur 100 de l’intensité


d’utilisation globale des comportements fondamentaux de l’agilité. Il est
donc un repère d’agilité. Il n’est pas un indicateur mesurant la capacité
managériale. En effet, il n’existe pas de bons managers en soi, il n’existe
que des situations et des personnes auxquelles le manager doit savoir
s’adapter.
L’Agile Profile® est utilisé comme un outil de découverte et de
compréhension de son propre mode de décision et d’action en matière
d’égalité. Il est aussi, par compilation des profils des membres d’une
équipe, un outil de compréhension des modes d’action collectifs agiles afin
de travailler ensemble à l’équilibrage et/ou au développement de l’agilité de
l’équipe.
Le profil en mode quotidien et en mode pression
L’Agile Profile® et le Coefficient d’Agilité® sont donc représentés
relativement à deux situations :
la manière d’agir en mode auto-perçu, c’est-à-dire nos actions telles
qu’on les ressent, sans réfléchir, coutumière, sans pression particulière
liée par exemple au respect des délais, à la hiérarchie ou à la pression
d’un quelconque autre acteur ;
la manière d’agir sous pression, qui correspond à nos actions réflexes
lorsque nous sommes au contraire sous une pression forte, et qui
montre les comportements profondément acquis et ancrés en nous.
Pour obtenir la représentation de nos manières d’agir au regard du modèle
de l’agilité, il est demandé de se positionner après réflexion et lecture des
définitions des six axes de l’Agile Profile®, sur un schéma en toile
d’araignée. Les notes que nous nous attribuons permettent de dresser notre
profil d’action agile auto-perçu et de calculer notre Coefficient d’Agilité®
auto-perçu. Attention, lors de l’analyse de cet Agile Profile®, il faut tenir
compte du fait que nous n’avions pas de repère clair des seuils d’estimation
de notre pratique entre 0 et 12. Normalement, un coach nous aide au
moment du remplissage. Il est important qu’il nous aide au moment de
l’analyse.
Puis nous remplissons un questionnaire, qui, quant à lui, permet de
mesurer notre profil d’action agile sous pression et de calculer notre
Coefficient d’Agilité® sous pression. Notre coach nous aidera à analyser
également ces nouvelles données et travaillera avec nous à la
compréhension des différences et des convergences entre notre manière
d’agir en mode quotidien ou en mode pression.
Pour aider à comprendre notre propre profil, relativement à nos données
statistiques, une note entre 0 et 4 correspond à une très faible activation de
ces manières d’agir, voire une propension à refuser l’activation de ce mode
d’action par notre interlocuteur, une note entre 5 et 7 correspond à une
activation moyenne ou irrégulière de ces manières d’agir et une note entre 8
et 12 à une très forte activation voire une activation systématique de ces
manières d’agir.
Il est alors bon de chercher à comprendre et à imager nos pratiques à
partir d’exemples pour analyser le véritable niveau d’activation des
pratiques agiles ainsi que le niveau réel de besoin de les activer ou la
manière de les activer davantage.
Nous avons cherché, dans notre référentiel de comportements, à mettre en
avant 2 logiques, sur chacun des 3 principes fondamentaux :
mode bleu à dominante réflexion et méthode c’est-à-dire proaction,
synchronisation, pédagogie relationnelle ;
mode rouge à dominante spontanéité et émotion, c’est-à-dire
intelligence de situation, empathie systémique, rébellion constructive.
Pour agir avec agilité, il nous apparaît en effet essentiel de ne pas
privilégier un mode de fonctionnement par rapport à l’autre, pour deux
raisons :
La première, parce que le modèle d’action agile ne se substitue pas
au modèle taylorien. Il est une combinaison des trois approches :
productiviste/rationnelle, flexible/réaliste et innovante/créative. En
permanence constituée de processus réglés, de processus adaptés et de
processus nouveaux, l’organisation ne peut en effet vivre de façon
performante et durable qu’en exploitant ces 3 régimes.
La seconde, parce que l’acteur agile doit utiliser l’ensemble de ses
capacités cérébrales, cognitives (quotient intellectuel ou QI) et
affectives (quotient émotionnel ou QE). L’individu étant lui-même un
système devant faire appel simultanément à ses capacités logiques et
émotionnelles pour fonctionner dans son environnement.
Ainsi, lors de l’analyse de l’Agile Profile®, il faut bien repérer en mode
auto-perçu comme en mode sous pression, s’il existe une dominante bleue
ou rouge dans notre manière d’agir.
Profils de référence
Profil 1 dit « hétérogène »
Si dans un profil d’agilité les notes sont irrégulières, avec un fort écart
type, aléatoirement réparties sur les 6 axes comportementaux, il y a un
déséquilibre dans l’utilisation des modes d’actions agiles. Cela signifie que
certains modes d’action ne sont pas ou peu utilisés en faveur d’autres. Le
profil est alors hétérogène. Il faut travailler l’équilibre, c’est-à-dire travailler
les comportements agiles les moins activés.
Les chances d’adaptation à la turbulence sont en effet plus faibles que si
les 6 axes sont utilisés avec une intensité comparable. On peut maximiser sa
performance en investissant, personnellement et avec ses interlocuteurs,
dans les leviers d’action les moins utilisés. En effet, ce sont des modes
d’action qu’il est toujours possible de développer individuellement et/ou
collectivement.
Si le profil est simplement hétérogène, alors le coefficient d’agilité est
entre 52 et 60 %. Le profil est dit hétérogène bas, si le coefficient d’agilité
est inférieur à 52 %. Il est dit hétérogène haut si ce coefficient est supérieur
à 60 %.
Profil 2 dit « homogène »
Si dans le profil d’agilité les notes sont régulières, avec un faible écart
type, il y a un équilibre dans l’utilisation des modes d’actions agiles. Cela
signifie qu’aucun mode d’action n’est plus fortement utilisé que les autres.
Le profil est alors homogène.
Il faut conserver cet équilibre, et éventuellement travailler à
l’amplification simultanée de tous les modes d’action. Les chances
d’adaptation à la turbulence sont en effet plus fortes si on utilise fortement
ces 6 axes à la fois. La performance est en effet maximisée si on investit
personnellement et avec ses interlocuteurs dans l’ensemble des leviers
d’action.
Si le profil est simplement homogène, alors le coefficient d’agilité est
entre 52 et 60 %. Le profil est dit homogène bas, si le coefficient d’agilité
est inférieur à 52 %. Il est dit homogène haut si ce coefficient est supérieur
à 60 %.
Profil 3 dit « bleu »
Si dans le profil d’agilité les notes synchronisation, proaction et
pédagogie relationnelle sont supérieures ou égales à 7, et les notes empathie
systémique, intelligence de situation et rébellion constructive inférieures ou
égales à 5, c’est qu’on utilise beaucoup et simultanément les 3 modes
d’action « réflexion et méthode » liés au modèle de l’agilité.
Cela montre une affection pour l’action en planifiant, codifiant, en
accompagnant nos interlocuteurs et en leur expliquant clairement et
patiemment le sens et l’ordre des actions à entreprendre. Notre mode
d’action risque cependant de manquer, de spontanéité et d’émotion.
Nos chances d’adaptation à la turbulence seront plus fortes encore si nous
investissons, personnellement et avec nos interlocuteurs, dans les leviers
d’action « spontanéité et émotion ». Ce sont en effet des modes d’action
qu’il est possible de développer individuellement et collectivement afin de
maximiser notre performance.
Il existe cependant d’autres leviers d’action. Il ne nous est pas interdit de
les utiliser également.
Profil 4 dit « rouge »
Si dans le profil d’agilité, toutes les notes sur les critères empathie
systémique, intelligence de situation et rébellion constructive sont
supérieures ou égales à 7, et les notes synchronisation, proaction et
pédagogie relationnelle inférieures ou égales à 6, c’est qu’on utilise
beaucoup et simultanément les deux comportements, spontanéité et
émotion, liés au modèle de l’agilité.
On aime alors agir en privilégiant la spontanéité naturelle et l’émotion,
mais on codifie faiblement, on ne planifie pas assez, et on explique peu à
nos interlocuteurs, le sens et l’ordre des actions à entreprendre. Cela peut
les maintenir dans une certaine confusion et dépendance préjudiciables à la
performance collective.
Les chances d’adaptation à la turbulence seront plus fortes encore si on
investit, personnellement et avec nos interlocuteurs, dans les leviers
d’action « réflexion et méthode ». Ce sont en effet des modes d’action qu’il
est toujours possible de développer individuellement et collectivement afin
de maximiser votre performance. Il existe cependant d’autres leviers
d’action. Il ne nous est pas interdit de les utiliser également.

Le Coefficient d’Agilité®
Le Coefficient d’Agilité® (CA®) représente le taux d’utilisation des modes
d’action agiles : anticipaction, proopération, justinnovation.
Au-delà du CA®, nous donnons un pourcentage d’activation de chacun
des trois leviers d’action. Il est intéressant de repérer celui que nous
activons le plus et/ou celui que nous activons le moins.
Tableau 3.2 Coefficient d’Agilité®
S’il existe dans notre mode d’action des différences entre l’auto-
déclaration et les résultats de l’Agile Profile® sous pression, l’aide d’un
coach permettra d’identifier ce qui peut être attribué à notre environnement
ou à notre conjoncture et ce qui peut être attribué à notre personnalité. La
démarche de coaching agile permet en effet d’analyser notre manière d’agir
en fonction du degré d’agilité – existant et requis – de notre environnement,
ainsi qu’au regard de notre propension personnelle à activer les leviers
d’action agiles (figure 3.13).
C’est ce que nous appelons travailler simultanément sur le contexte, l’être
et l’agir ou faire du coaching agile.
Figure 3.13 La méthode de coaching agile
Le coaching agile
Le coaching agile est une démarche classique de coaching à l’intérieur de
laquelle une approche originale permet de prendre conscience d’abord des
leviers organisationnels et ensuite d’imaginer d’autres structures et
systèmes managériaux. Cette démarche se veut donc progressive et
systémique pour aboutir à un plus grand confort pour travailler sur le
relationnel, et, finalement, sur l’individu lui-même en tenant compte de son
environnement et du changement sociétal en cours.
Le coaching agile vise donc à faire rompre le manager avec le mimétisme
des figures d’autorité passées. Il aide à réhabiliter l’homme comme créateur
de valeur au sein de l’entreprise. Il projette de redonner le sens de la
performance collective, au sens du résultat, de la réalisation et du
fonctionnement. Il replace celle-ci dans un cadre économique, social et
sociétal. Il contribue à lever les incohérences entre l’individu, l’équipe, et
l’environnement et aide le manager à bâtir une nouvelle écologie
managériale.
Dans cette démarche, l’agilité est la clé d’entrée d’une ouverture à son
environnement, à l’autre et à soi-même. Le questionnement sur cet
environnement permet :
d’une part un détour moins impliquant donc facilitateur pour parler
de soi, à travers une verbalisation de ses perceptions du système
auquel on appartient ;
d’autre part, un repère important pour se décentrer et prendre
davantage conscience de sa place et de sa valeur ajoutée potentielle au
sein d’un tout, à travers l’analyse de l’impact de ses perceptions de son
environnement sur ses pratiques managériales.
Cette clé d’entrée permet donc plus de confort par la compréhension que
l’on fait partie d’un tout, de reconnaissance par la prise de conscience de sa
puissance de réflexion et d’action, de liberté par la stimulation de ses
capacités créatives et d’écologie personnelle par une démarche
constructiviste contextualisée.
Le coaché, dans une démarche de coaching agile, doit donc être
volontaire pour entrer dans un processus de transformation managériale. Il a
donc le souhait de faire muter son équipe ou son entreprise en exploitant
davantage les capacités humaines. Ainsi le coaché doit avoir un pouvoir de
transformation sur un périmètre donné. Il est donc a minima un manager
d’équipe permanente ou de projet. Il bénéficie d’une démarche de coaching
parce que :
il accède à un poste de manager ;
il est en position de manager et porteur d’un changement ;
ou il est en posture de remise en cause (par son environnement ou
par lui-même) dans sa praxis managériale.
Il est coaché pour construire sa nouvelle identité de manager et l’anticiper
en connaissance de causes et de conséquences pour lui, pour son équipe et
pour son environnement.
De même que la société se façonne à coups d’évolutions et de révolutions
sans pour autant faire disparaître les acquis du passé, les entreprises se
construisent par couches successives. L’agilité ne vient donc pas en
substitution aux modèles préexistants : elle ne renie pas l’efficacité de la
logique d’expérience (économies d’échelle) non plus que les modèles
managériaux qui permettent la flexibilité ou encore les principes qui portent
l’innovation. Elle est en fait une perpétuelle recherche d’équilibre entre une
dimension active (faire et prouver que l’on sait faire), une dimension
réactive (être opportuniste face aux changements observés pour fidéliser) et
une dimension proactive (recherche d’innovation).
Figure 3.14 Les évolutions de l’entreprise

Il s’ensuit que l’agilité ne saurait être un état stable et définitif, mais une
aptitude à passer d’un mode de fonctionnement à l’autre. Dès lors qu’on
accepte l’agilité comme une somme de principes de fonctionnement à
mettre en œuvre, il apparaît comme évident qu’elle ne se travaille qu’au
niveau des hommes et des femmes de l’entreprise, individuellement et
collectivement. Cela impose au management d’adopter de nouvelles
postures et à chaque individu de s’en faire le relais. L’agilité n’est pas un
nouveau modèle entrepreneurial mais plutôt un ensemble de principes
basiques de comportements qui permettront de réconcilier ces modèles
entre eux alors qu’on les a toujours décrits comme antinomiques.
L’intervention d’un accompagnateur de l’entreprise dans sa
transformation apparaît comme indispensable tant le chemin est difficile et
étroit : difficile par l’impact que cela peut avoir sur les hommes, leurs
comportements, leurs relations et donc sur leur « identité professionnelle »,
étroit par la nécessaire gestion de l’ambiguïté et des paradoxes d’une
entreprise naviguant sans cesse d’un contexte à l’autre.

Les modes d’intervention


Le coach agile est un facilitateur de parole et de réflexion. Son levier
d’action est d’amener le coaché à une nouvelle représentation de sa carte du
monde dans laquelle il est co-acteur et co-responsable afin de sortir du
sentiment de culpabilité qui freine la créativité. C’est pourquoi les outils du
coach agile, au-delà des outils classiques de coaching (modèle de coaching
de V. Lenhardt, démarche de l’analyse de la demande : RPBDC, théorie
organisationnelle de Berne, systémie, analyse transactionnelle,
programmation neurolinguistique, process communication) sont multiples
et portent sur différents niveaux d’analyse. Le coaching agile, pour être plus
approfondi et efficace, utilise ainsi des outils spécifiques et imagés tant pour
aborder le contexte (diagnostic), l’être (inventaire de personnalité) ou l’agir
(Agile Profile®) :
un Repérage des Perceptions Pratiques Agiles (RPPA®) de son
organisation, afin de cerner l’influence du contexte sur la stimulation
de tel ou tel mode d’action (outil dérivé de notre diagnostic d’agilité) ;
un Agile Profile (AP®) de l’équipe, dans le même but ;
un Agile Profile (AP®) du coaché, permettant de cerner les modes de
fonctionnement du coaché ;
un inventaire de personnalité du coaché.
Figure 3.15 Modèle de coaching agile et ses outils
Ces trois dimensions sont étroitement liées :
Le contexte influe sur la manière d’agir du manager. Si son
entreprise est très « taylorienne », portée par une organisation rigide où
le reporting financier est la règle et où on demande une stricte
obéissance, le manager ne sera pas enclin à développer son agilité
comportementale qui nécessite davantage d’espaces de liberté.
La personnalité du manager joue sur sa manière d’agir, son être
profond pouvant stimuler tel ou tel comportement, ou au contraire le
freiner. De même la personnalité est liée au contexte. On sait en effet
qu’un évènement fort dans la vie d’une personne peut l’amener à
changer ses croyances et convictions et l’amener ainsi à transformer
ses pratiques comportementales.
La manière d’agir d’un individu peut, réciproquement, contribuer à
faire évoluer progressivement son équipe, et, plus largement, son
organisation. De même, la manière d’agir peut influer sur la
personnalité si l’individu prend conscience des effets engendrés par sa
manière d’agir ou la manière d’agir des autres par rapport à lui.
En conclusion, retenons que manager avec agilité peut s’apprendre, soit à
l’aide de formation, soit en suivant un bon exemple, soit en travaillant sur
soi, par exemple à l’aide d’un coach. Enfin, ajoutons que l’Agile Profile®
est un outil aussi très pertinent en recrutement et qu’il minimise les risques
d’erreur et maximise la rapidité d’insertion d’un individu dans l’équipe.

L’offre agile
Après avoir analysé le contexte sociétal, décrit l’entreprise agile et traité
de la problématique du manager, nous proposons de faire porter nos trois
principes clés de l’agilité, anticipaction, proopération et justinnovation, sur
l’offre de l’entreprise. En effet, si l’on accepte notre lecture du changement
sociétal et son impact sur nos organisations et leur manière de fonctionner,
il est nécessaire, par voie de conséquence, de remettre en cause le cœur de
la raison d’être de nos entreprises, l’offre fournie à nos clients. C’est ce que
nous nous proposons de faire dans ce chapitre.
Concevoir une offre globale
Ainsi les entreprises se doivent-elles de jouer simultanément sur tous les
maillons de leur chaîne de valeur pour satisfaire leurs clients. Les maillons
qualifiés hier de « principaux » (les activités qui participent à l’élaboration
physique du produit ou de la prestation) ne prennent plus le pas sur les
autres qualifiés de « secondaires » (les activités qui permettent le
fonctionnement de l’entreprise). Ce qui compte aujourd’hui, c’est d’abord
et avant tout de rester au contact de son marché (le marketing et le
commercial) et ce qui permet de développer des solutions sans cesse
innovantes (l’anticipation et la conception).
L’offre a ainsi considérablement évolué. Le client est passé d’une position
de dépendance vis-à-vis d’une offre à une position de domination de l’offre.
Au passage, le client s’est démultiplié au point de devenir une multitude
exigeante et plus une masse unique et obéissante. Le levier principal qui a
permis cette mutation est sans conteste la possibilité de travailler non plus
sur le simple produit physique mais aussi sur tous les services associés, sur
l’image et, plus généralement, sur la relation entre le client et l’entreprise
(relation commerciale, information écrite ou orale, synchrone ou
asynchrone, formation à l’usage…).
Bref, l’arène concurrentielle n’est plus la même : plus de concurrents
jouant sur des arguments sans cesse plus nombreux et différents, plus de
clients exigeant des performances toujours plus innovantes et différenciées.
Comment dès lors se battre dans cette nouvelle arène concurrentielle :
certainement pas en gardant en tête les modèles vainqueurs d’hier mais en
adaptant sans cesse son organisation et ses produits.
Figure 3.16 Les évolutions du marketing

Le produit physique d’hier était simple, technique et unique :


simple, parce que l’état de la technologie n’était pas aussi avancé
qu’aujourd’hui et que l’entreprise, pour maîtriser les coûts, faire
produire à des personnes peu éduquées, mettre en place un cycle de
production répétable à l’envie et être capable d’offrir un prix le plus
bas possible, misait sur la simplicité de l’objet à fabriquer ;
technique, parce que c’est la technologie qui a permis son
avènement. Notre monde s’est en effet construit autour de la
technologie. L’entreprise a donc misé sur la technologie pour maintenir
le client dans une certaine ignorance et lui imposer ses produits
(arrogance technologique). La technologie est aussi un moyen de tirer
la demande ;
unique, parce que la concurrence se faisait entre entreprises quasi
identiques, qui produisaient les mêmes biens, avec les mêmes
technologies, pour s’adresser aux mêmes marchés, et que le client était
symbolisé par une masse unique et subissante.
Dès lors, nul besoin de se battre à coups de différences. Le seul critère de
bataille était l’optimisation du fonctionnement pour réduire les coûts. Mais
aujourd’hui il faut se battre pour conquérir les clients car nous sommes, en
particulier du fait de la mondialisation des marchés, sous un régime durable
de demande inférieure à l’offre. Très vite, sur tous les marchés, nous
constatons en effet une tendance à la surcapacité globale de production. Ce
n’est qu’une conséquence logique de la société industrielle :
Primo, la société industrielle pousse à la maîtrise des coûts pour
s’ouvrir aux marchés les plus nombreux. Or les coûts sont les plus
faibles dans les pays à la plus grande population.
Secundo, cette maîtrise des coûts implique une culture des volumes
de production, chacun cherchant à installer la capacité de production la
plus importante pour produire au coût le plus bas (effet d’expérience).
Tertio, il est fatal, qu’au bout d’un certain temps – en général un peu
avant la phase de maturité des produits – les marchés arrivent à
saturation et nécessite une restructuration du secteur avec disparition
de certains acteurs et concentration des autres.
De ce fait, la majorité des marchés sont très vite saturés ! Alors de deux
choses l’une : ou bien nous tentons d’aller plus loin dans la baisse des coûts
de production en off-shorisant toujours plus notre production vers des pays
à faible coût de main-d’œuvre, ou bien nous tentons d’élever notre niveau
de prestation pour séduire durablement nos clients et élever notre cible de
clientèle (les plus riches).
Les deux phénomènes sont donc apparus simultanément et
progressivement ces 20 dernières années. Mais ils nous amènent
progressivement vers une impasse.
En effet, off-shoriser consiste à transférer des compétences. Mais les
récepteurs de ces nouvelles compétences, pas plus idiots que nous, vont
fatalement progresser et développer de nouvelles compétences. Ils vont à
leur tour off-shoriser et se concentrer également sur la création de valeur et
ainsi venir nous concurrencer sur notre propre terrain. Notre salut est donc
dans l’innovation ! Mais on ne peut innover que si l’on connaît bien ses
bases comme un artiste ne peut innover que si sa technique est
irréprochable. Or off-shoriser représente à notre sens un risque de perte de
compétence non souhaitable. Ainsi nous semble-t-il plus important de
cultiver ses compétences et savoir-faire pour innover plutôt que de s’en
débarrasser. La pression concurrentielle ne doit plus nous pousser à
minimiser les coûts par tous les moyens mais au contraire à innover pour
nous différencier.
De même en est-il du deuxième phénomène, celui de l’élévation de notre
niveau de prestation. En effet, les offres des entreprises ont d’abord muté
par l’innovation technique, puis par le phénomène de tertiarisation (plus de
services, plus d’image, plus d’informations, plus de formation…). Ce
phénomène est allé si loin que le poids du produit physique dans l’échange
est devenu quasi marginal (moins de 20 % pour un téléphone portable !).
Nous ne vendons plus des produits mais des services ; nous ne sommes plus
dans une société d’échange de matières mais dans une société d’échange de
perceptions. Il se passe, dans le monde industriel, le même phénomène que
dans l’art graphique : ce qui compte, ce n’est plus le réalisme de l’image
que l’on tente de produire mais l’émotion que cette image transmet. Dès
lors, l’offre étant devenue plurielle d’une part, et l’attente étant de l’ordre de
l’émotion d’autre part, il existe une infinité de voies pour l’innovation
autour d’un produit devenu offre globale incluant produit, services, image,
information, formation, relation… Pour innover, il suffit de jouer plus ou
moins sur chacune de ces composantes de l’offre, voire d’en inventer
d’autres, en particulier grâce aux systèmes d’information, sans renier les
autres.
Développer une culture client
Évidemment, pour pouvoir développer de nouvelles offres globales, il
faut encore une fois faire une sorte de révolution posturielle : alors qu’hier
on pouvait se permettre d’adopter une posture dite technology push, c’est-à-
dire qui consistait à faire avancer son offre du point de vue purement
technique et à la soumettre au marché, aujourd’hui il faut au contraire être à
l’écoute du marché et adopter une attitude davantage dite market pull.
Il a été notamment remarqué, à travers de nombreuses études, dans tous
les secteurs d’activité et de nombreux pays, que l’orientation marché avait
une influence positive fréquente sur la performance des organisations[18]. Il
est ainsi avéré que l’orientation client a un impact positif sur la performance
aussi bien dans les services que dans l’industrie, aussi bien dans les secteurs
marchands que dans les secteurs non marchands. Mais il a été montré
également que cette corrélation existe aussi bien dans les grandes
entreprises que dans les PME !

Alstom
Amis en place depuis plusieurs années une politique dite customer
care. Cette politique a abouti par exemple à la mise en place d’un
indicateur de suivi de la satisfaction client pris en compte dans
l’évaluation des personnes.

France Télécom
A vu son PDG, Thierry Breton, inscrire dans son rapport annuel 2002
comme priorité absolue l’orientation client et la qualité des services.

De très nombreuses PMI


Ont mis en place des démarches de compréhension du comportement
des clients et de recherche de fidélisation, notamment en sensibilisant
l’ensemble de leurs collaborateurs à ce problème.

Développer une culture client est exigeant… mais rentable. En effet,


quand le client se fait rare, exigeant et « zappeur », savoir se rapprocher de
lui permet de le fidéliser. Pour développer cette culture client, nous
proposons :
une sincérité vis-à-vis de lui car c’est en le servant au mieux, sans
arrière-pensée, qu’on génère du résultat et non le contraire ;
une vraie qualité de produit donc une démarche opposée à la
désormais célèbre obsolescence programmée ;
une qualité relationnelle exceptionnelle avec son client, c’est-à-dire
la mise en place d’une relation équilibrée, transparente et réciproque.
En revanche, cela implique de mettre en œuvre un certain nombre de
pratiques opérationnelles et de moyens organisationnels pour entretenir
cette posture avec une certaine efficacité et de manière durable. Notre liste
n’est pas exhaustive. Elle représente les actions les plus fréquemment
observées lors de nos missions :
mesurer la satisfaction de chacun de ses clients, à chaque opération,
et/ou mesurer la satisfaction globale à travers des enquêtes régulières ;
mettre en place un outil ou une démarche de veille technologique,
concurrentielle et commerciale ;
mettre en place une démarche processus ou projet incluant le client ;
mettre en place une culture client chez tous les membres du
personnel notamment en introduisant des critères d’évaluation relatifs
à cette culture ;
organiser sa fonction commerciale en responsabilités de comptes ;
stimuler une coopération entre les services bureau d’étude et/ou
R & D et les services commerciaux et/ou marketing ;
développer un système de stimulation de la créativité par des
réunions de créativité, des boîtes à idées… ;
mettre en place un site de commerce électronique interactif…
Tout cela concourt à plaider en faveur de l’adoption d’une véritable
culture client dans l’entreprise, de manière active, c’est-à-dire par le
développement de comportements positifs et volontaires vis-à-vis du client
ou en favorisant et stimulant l’expression du client. Pour ce faire, il faut
définitivement admettre et faire admettre que le client est un acteur clé de la
production de ce qu’il achète, au moins à travers l’expression précise de sa
satisfaction vis-à-vis de son fournisseur. La culture client est donc une
affaire interne vitale pour l’entreprise mais elle est tout autant l’affaire du
client lui-même !
Les caractéristiques de l’offre agile
Le plus simple, pour illustrer cette offre agile, c’est de prendre un
exemple facile d’accès : un réfrigérateur est conçu désormais pour ne vivre
que 5 ans (on appelle cela l’obsolescence programmée, à savoir produire
toujours moins solide pour augmenter le taux de renouvellement des
produits). Nous en changeons donc plus souvent que du temps de nos
parents qui ont gardé le leur plus de 20 ans. Pour ce faire, il nous faut en
baisser le prix, et, par voie de conséquence, le coût. Pour cela, nous sommes
amenés à produire là où la main-d’œuvre n’est pas chère. Nous tuons ainsi
l’emploi en France et nous polluons car ce réfrigérateur fait de nombreux
kilomètres. À ce rythme, et si les PVD essaient de consommer comme
nous :
nous manquerons de matières premières, les prix exploseront et il y
aura de nouvelles guerres de conquête des territoires remplis de
matières premières ;
notre planète sera encombrée de déchets dus à la rotation excessive
des produits ;
notre planète suffoquera à cause de la production excessive de biens
et au transport abusif de ces biens ;
nos pays s’appauvriront sans cesse…
Bref, nous avons enclenché une mécanique destructrice pour
l’environnement des entreprises, au sens systémique du terme et pas
seulement au sens écologique.
Imaginons maintenant un réfrigérateur nouveau, conçu pour vivre 20 ou
même 30 ans. Il est plus solide et sans doute un peu plus cher (pas
forcément beaucoup car seules quelques pièces sont à risques). Le problème
n’est donc plus sa durée de vie mais sa capacité à évoluer avec notre
cuisine. Si nous changeons notre décoration, peut-être notre réfrigérateur
devra-t-il aussi changer de couleur. Solution : concevoir un réfrigérateur
dont nous pouvons changer le revêtement extérieur (ou le faire changer).
Imaginons que de nouvelles technologies (déjà annoncées) apparaissent
après 4 ou 5 ans, par exemple, l’ajout d’un écran plat avec lecteur de code-
barres pour saisir la date limite de fraîcheur de mes produits. Le problème
est donc de pouvoir upgrader notre réfrigérateur. Solution : concevoir un
réfrigérateur avec une connectique passive, qui nous permettra, le moment
venu, de faire ajouter de nouvelles fonctionnalités à notre réfrigérateur.
Imaginons que notre réfrigérateur comporte deux compartiments, un pour
le froid et un pour la conservation et que nous changions notre installation
nécessitant de séparer les deux appareils (qui n’ont qu’un seul moteur).
Solution, concevoir un appareil dont les deux éléments sont séparables en
fonction des besoins des clients avec une connectique par câblage
extensible.
Imaginons que, malgré une conception solide, notre réfrigérateur tombe
en panne. Solution : concevoir le mécanisme de telle sorte que les pièces
connues comme étant fragiles soient facilement accessibles, soit à nous-
mêmes si la réparation est simple, soit à un réparateur qui pourrait
intervenir dans des délais et durées raisonnables.
Bref, il semble a priori simple de concevoir un réfrigérateur solide
(longue durée de vie), réparable, upgradable, redesignable, recomposable,
qui, du fait de sa complexité supérieure serait à nouveau fabriqué en France,
et serait suivi par un réparateur français habitant près de chez nous. Cet
appareil serait sans doute plus cher mais beaucoup moins renouvelé, ce qui
fait que le coût total d’usage ne serait pas plus élevé. On pourrait d’ailleurs
imaginer un modèle de financement qui ne serait pas l’achat au comptant
mais plutôt un loyer mensuel modique sur très longue période. Ce loyer
couvrirait le coût de l’appareil et les coûts d’entretien usuel. Cette solution
réindustrialiserait nos pays occidentaux en créant de l’emploi local tout en
satisfaisant le client qui consommerait local et écologique.
Des solutions systémiques existent. Mais elles dépendent d’une volonté
stratégique des entreprises à prendre enfin le virage de notre nouvelle
société et d’une volonté politique de changer son mode de soutien à
l’industrie. Son but serait de favoriser des produits écologiques (longue
durée de vie, faible pollution) et créateurs d’emplois locaux à valeur ajoutée
technique (réparation, entretien, évolution) et relationnelle (relation avec le
client pour le servir sur mesure) dans des conditions économiques
performantes pour le fournisseur (par la fidélisation et la qualité de service)
et le client.
Mais cela implique un engagement client (pour l’entreprise comme pour
le politique) au-delà de la fidélité traditionnelle, ce que les chercheurs en
marketing appellent la vraie fidélité. Mais cette vraie fidélité est une amie
exigeante. En particulier elle réclame beaucoup d’honnêteté, vis-à-vis du
client bien sûr mais aussi vis-à-vis de soi-même.
Un client qui rachète, s’il n’en a pas le choix, n’est pas un client fidèle
mais un client captif. La fidélité doit être volontaire et non imposée. Un
renouvellement d’achat lié à une position de quasi-monopole (EDF), de
surclassement technologique (Apple) ou de barrières à la sortie excessives
(les banques hier ou les téléphones portables aujourd’hui) ne représentent
pas une vraie fidélité et peuvent amener l’entreprise à une cécité stratégique
dommageable.
Le prix reste souvent un facteur de séduction du client, surtout en ces
temps de crise. Mais il est rarement un critère de vraie fidélité. En effet, un
client qui reste client malgré un prix plus élevé montre un véritable
attachement à la marque ou, le plus souvent, à la relation établie avec le
vendeur.
Des études semblent avoir montré que la vraie fidélité est largement plus
profitable que la fausse. Aussi suggérons-nous, à l’instar de notre collègue
Daniel Ray[19] de réfléchir à deux fois avant de se lancer dans une politique
de fidélisation. Celle-ci ne fonctionnera que si elle est lancée avec sincérité
et véritable envie de satisfaire son client. Elle nécessite donc une attention
toute particulière au client qui doit être développée tout au long des
processus depuis l’acteur le plus en contact avec le client jusqu’à l’acteur le
plus amont. Cette solidarité vers le client interne et externe doit être sans
faille. Elle est d’autant plus facile à mettre en œuvre que servir son client
aura du sens. Elle sera d’autant plus facile à mettre en œuvre que le client
fonctionne avec la même logique vis-à-vis de son fournisseur. L’agilité est
donc réciprocité.

[1]
Merci à R. Duymedjian, collègue à Grenoble École de Management, pour son aide au
développement et à l’écriture précise de cette définition.
[2]
O. Badot, Théorie de l’entreprise agile, L’Harmattan, 1997, pp. 7-17.
[3]
Voir à ce sujet les développements récents sur le KnowLedge Management (KM), par exemple
chez J.-Y. Prax, Le guide du KnowLedge management, Dunod, 2000.
[4]
Adapté de O. Badot, op. cit.
[5]
C’est-à-dire en conscience des conséquences.
[6]
H. Sharifi, Z. Ahang, « Agile manufacturing in practice : application of a methodology »,
Journal of Operation and Production Management, 2001, Bradford, vol 21, n°5-6.
[7]
Les conditions habituelles de confidentialité sont bien évidemment explicitées et respectées !
[8]
« Theory of games and economic behaviour ».
[9]
Nous pensons encore une fois aux célèbres modèles matriciels du type BCG.
[10]
In Les outils de la décision stratégique », tomes 1 et 2, La Découverte, 1995.
[11]
Lire à ce sujet : Y. L. Doz, « Managing Core Competency for Corporate Renewal: Towards a
Managerial Theory of Core Competencies », in F. Malerba et G. Dosi (eds.), Organization and
Strategy in the Evolution of the Enterprise, Macmillan, 1996.
[12]
À l’origine la martingale est un système de jeu fondé sur des considérations découlant du
calcul des probabilités, et qui prétend assurer un bénéfice certain dans les jeux de hasard. Si nous
utilisons ce mot ici, c’est dans l’esprit de refus de remise en cause de sa manière de jouer parce
qu’on a la certitude que si l’on a gagné hier avec une méthode, on doit gagner demain avec la
même méthode… Ce qui choque notre esprit prospectiviste qui postule au contraire que rien ne
prouve que demain sera comme hier !
[13]
Il s’agit bien ici du principe de « convention » dont nous avons déjà parlé.
[14]
Un merci tout particulier à mon collègue R. Duymedjian, qui travaille efficacement sur ce
thème et qui a bien voulu m’aider dans la rédaction de cette partie.
[15]
L’artiste travaille par rapport à lui-même, à ses pairs et à un public. Le bricoleur travaille avant
tout par rapport à lui-même !
[16]
R. Duymedjian et CC. Ruling, « Le manager bricoleur : essai de construction d’une image
légitime », inModerniser la gestion des hommes : des effets de la technologie à l’usage des
méthodes innovantes, sous la direction de M. Leberre et M. Matmati, Liaisons, 2005.
[17]
À l’image de Ch. Maisons dans son ouvrage Le Coaching stratégique, Maxima, 2e édition,
2003.
[18]
Voir à ce sujet l’ouvrage de D. Gotteland, L’orientation marché, Éditions d’Organisation,
2005.
[19]
Voir L’entreprise agile, Dunod, 2010.
4
OUTILS ET DÉMARCHES POUR
ENTRER EN AGILITÉ

Après avoir décrit le contexte justifiant d’entrer en agilité puis ce que l’on
appelle agilité de manière très concrète, nous nous proposons ici d’aborder
l’agilité sous l’angle de techniques opérationnelles à mettre en place. Ne
souhaitant pas être exhaustif dans ce premier ouvrage, nous proposons ici
de décrire en détail un outil qui nous semble symptomatique de l’agilité,
d’aborder deux pratiques indispensables pour stimuler l’agilité dans son
organisation, la logique processus et le système d’évaluation, mais aussi de
démontrer la force des outils informatiques.
L’outil est l’analyse structurelle stratégique. Elle est un outil d’analyse
systémique de son entreprise et c’est un outil à utiliser de manière
participative. Elle est censée aider les décideurs dans une approche nouvelle
de leur stratégie.
Les deux pratiques clés sont :
le management par processus, qui va permettre de réformer les
pratiques managériales et comportementales ;
le système d’évaluation qui reste, par son côté personnalisant, un
levier clé de transformation des attitudes individuelles.
Au niveau des systèmes d’information, nous regarderons l’évolution des
outils et le marché des solutions d’entreprise.

Démarche d’entrée en agilité


Nous avons travaillé avec de nombreuses entreprises et force est de
constater qu’aucun chantier n’a fonctionné de la même manière. L’agilité
n’est pas un modèle dogmatique mais seulement la tentative de mise en
pratique de principes de fonctionnement. L’entreprise étant un système
cohérent, il suffit de prendre n’importe quelle clé d’entrée de ce système, de
le faire entrer en agilité, et la transformation se poursuit par simple
recherche de cohérence.
Ainsi, on peut travailler d’abord sur le sens puis construire une cohérence
d’entreprise au niveau stratégique, organisationnel et managérial. On peut
au contraire commencer par un diagnostic organisationnel puis mener
autant de chantiers à partir des points d’amélioration repérés. On peut aussi
mener un travail sur les systèmes d’évaluation pour introduire une approche
comportementale puis, par osmose et mise en application, l’ensemble des
mécanismes de l’entreprise vont progressivement se modifier. On peut aussi
travailler au niveau de l’offre commerciale et s’interroger sur son degré
d’agilité et le processus qui a permis son développement, avant de réformer
ses pratiques commerciales puis l’ensemble du processus de création de
valeur. Enfin, on peut travailler sur la formation des managers à partir d’une
analyse de leurs comportements grâce à l’utilisation systématique de l’Agile
Profile® lors du recrutement, du lancement d’un projet ou d’un team
building de comité de direction.
Il n’y a donc pas de recette mais seulement une volonté d’entrée en
agilité. Nous en avons testé un grand nombre. En réalité, c’est l’histoire, la
culture et le contexte de l’entreprise qui va commander l’ordre de mission.
Notre conviction s’est faite en revanche que les comportements
managériaux sont une étape fondamentale dans tout processus de
transformation vers l’agilité. On aura beau changer notre stratégie ou notre
organisation, mettre en place de nouveaux processus ou de nouveaux
systèmes d’informations et autres outils ou encore réformer son offre et sa
relation client, si les comportements ne changent pas dans l’entreprise, tout
changement vers l’agilité ne sera pas durable. Aussi notre recommandation
est-elle d’abord de travailler, à l’aide de l’Agile Profile®, sur la mise en
pratique de l’agilité auprès du comité de direction puis de l’ensemble de
l’encadrement, dans la durée, pour qu’ensuite ils portent cette pratique
auprès de leurs collaborateurs.

L’analyse structurelle pour comprendre son


système
La méthode
Nous avons travaillé[1] (1995), dans le prolongement des travaux de
Godet[2] sur l’analyse structurelle, sur la fusion de deux outils pour
composer une démarche systémique stratégique et prospective, bref un outil
pour entreprise agile :
l’analyse SWOT (Strengths, Weaknesses, Opportunities, Threats) de
la stratégie en tant qu’approche stratégique et prospective de
l’entreprise face à son environnement ;
l’analyse structurelle de la prospective en tant qu’outil de
construction de la base d’une réflexion prospective.
Le résultat de cette fusion, que nous avons nommée AS2 pour analyse
structurelle stratégique - par souci de différenciation (mais humblement
conscient qu’il ne s’agit là que de l’aménagement d’un outil existant
appliqué à un contexte différent) - permet de réaliser une représentation
globale de l’entreprise face à son environnement dans une volonté de
construction d’une stratégie à la lumière des futurs possibles et grâce à un
outil systémique et prospectif. Il s’agit plus précisément d’aider les
membres d’une équipe de direction de PME à mener ensemble une
réflexion stratégique globale et prospective dans un minimum de temps et
débouchant sur une première série de décisions et la communication de
celles-ci auprès de l’organisation. Le but de la mise en œuvre de cette
méthode est donc de structurer et d’organiser la réflexion stratégique de
l’entreprise autour des axes majeurs de son développement à partir de
l’énoncé des valeurs et des objectifs du ou des dirigeants.
Il convient, pour ce faire, de structurer les facteurs clés de la stratégie de
l’entreprise, de façon à comprendre comment les éléments du système et de
son environnement s’articulent les uns par rapport aux autres, selon le point
de vue des principaux dirigeants. Cette démarche permet donc de construire
collectivement un diagnostic de l’organisation face à son environnement
afin de préparer un plan stratégique.
Elle s’appuie sur :
le partage de l’expérience et des informations de chaque membre de
l’équipe de direction (démarche cognitive) ;
la capacité de traitement des logiciels d’analyse structurelle.
Elle se décompose en six étapes :
Figure 4.1 La démarche AS2

Première phase de la démarche : diagnostic stratégique.


Elle a pour objectif de sélectionner les facteurs clés d’évolution de
l’entreprise. On analyse ainsi :
Les buts avoués et les valeurs du ou des dirigeants, ce qui va
orienter l’analyse. Nous nous plaçons donc dans une démarche
cognitive, quasi psychanalytique du dirigeant et de ses principaux
adjoints. Il s’agit de les aider à asseoir une analyse commune à la
lumière des informations et perceptions de chacun pour déboucher sur
un diagnostic commun. Dès lors notre souci est-il de faire émerger une
solution comme suite logique du diagnostic mais plutôt d’aider une
équipe dirigeante à poser un problème dans toute sa complexité afin
d’en extraire des idées, de l’aider à se poser les bonnes questions et
aussi à trouver des solutions innovantes.
L’état futur de l’environnement de l’entreprise, en termes
d’opportunités et menaces au sens le plus classique mais éclairé par
des analyses venant de CCI, de clubs, de leur propre veille ou d’études
achetées…
L’état actuel de l’entreprise et ses tendances fortes d’évolution
caractérisées sous la forme d’atouts et d’handicaps en balayant
systématiquement l’ensemble de l’organisation.
Un tel découpage de la problématique de l’entreprise en variables est un
travail collectif enrichissant car il permet à chacun de relativiser son point
de vue et de s’ouvrir à l’autre. Le résultat est appropriable par tous car il est
le fruit d’un travail commun. C’est ce qui le rend pertinent à nos yeux, en
particulier dans la recherche du plus grand nombre de facteurs à prendre en
compte : chacun peut faire penser aux autres à des éléments qu’ils n’ont pas
l’habitude de traiter.
Nous suivons donc totalement la première phase d’une analyse
stratégique classique SWOT, tout en raisonnant à un horizon pertinent pour
l’entité étudiée (approche prospective). Chacun des membres du comité de
direction est interrogé de façon à obtenir une vision globale et commune
des problèmes (approche cognitive).
On peut ainsi produire des tableaux synthétiques, listant les opportunités
et les menaces d’un côté, les atouts et handicaps de l’autre. La confrontation
de ces deux listes est fondamentale en analyse stratégique, comme le
montre le schéma suivant[3] :
Tableau 4.1 Le principe de l’analyse structurelle stratégique
Cette démarche permet de positionner une entreprise face à un
environnement et de faire apparaître les premiers éléments d’une stratégie
(offensive, défensive ou mixte). Mais cette confrontation est rarement bien
faite dans une analyse stratégique classique :
Il manque en général une véritable vision globale.
Il est bien difficile de réaliser toutes les connexions entre éléments
pertinents. C’est la force de l’analyse structurelle que d’inviter à se
poser systématiquement la question de l’influence d’un facteur (interne
ou externe) sur tous les autres, de manière simple et exhaustive
(approche systémique).
À partir des deux listes (interne et externe) des facteurs clés, nous
construisons un dictionnaire (liste et définitions) des facteurs stratégiques à
retenir pour l’AS2. Le dictionnaire est validé ensuite par les membres du
groupe de travail. Ce travail de définition est fondamental en ce sens qu’il
permet au groupe de travail d’ajuster sa communication et ses perceptions
par l’adoption d’un vocabulaire et de définitions communs.
Les facteurs stratégiques ont donc pour vocation d’établir un modèle
d’une entreprise à un instant donné : les facteurs peuvent varier d’une
entreprise à l’autre puisqu’ils constituent une vision par un groupe de
personnes des points clés à retenir pour l’évolution d’une entreprise face à
son environnement.
Le groupe de travail est ensuite réuni en séminaire pour remplir une
matrice des impacts croisés ou influences deux à deux entre tous les
facteurs sélectionnés (Godet, 1983). Cette étape est essentielle ; elle
représente le cœur de cette approche et s’appuie totalement sur la technique
de l’analyse structurelle (figure 4.2).
Figure 4.2 Matrice des impacts croisés

Chaque variable est confrontée avec toutes les autres. Les règles de
remplissage actuelles de la matrice sont simples :
Toutes les natures d’influence sont prises en compte entre deux
variables.
On ne considère que les influences directes.
L’intensité de l’influence (3 = forte, 2 = moyenne, 1 = faible, 0 =
nulle) est à la fois fonction de la force d’impact d’une variable sur
l’autre mais également de la vitesse de réaction d’une variable par
rapport à l’autre.
On n’entérine une influence que si tout le monde est d’accord. Tant
qu’il y a désaccord, il y a discussion ouverte pour comprendre
précisément la nature de cette relation.
Ce remplissage est évidemment très long car il correspond à
l’appréhension commune du système étudié par le groupe de travail
(approche comportementale). Pour ne donner qu’un simple exemple de
cette longueur, il suffit d’imaginer un système plutôt léger, composé de 40
variables. Il y a donc 1 560 relations à étudier (40 × 40 = 1 600 relations
auxquelles on déduit les 40 relations d’une variable sur elle-même qu’on
note 0 par principe).
C’est une étape d’observation et de mise en commun d’une masse
formidable d’informations. Même si la majorité des relations correspondent
à un consensus rapide, d’autres posent des questions et soulèvent des
contradictions : l’analyse structurelle va donc permettre de créer un langage
commun en vue d’une lecture commune du système, une progression des
connaissances et points de vue de chacun et une ouverture sur d’autres
façons d’aborder les problèmes. La matrice obtenue n’est évidemment pas
symétrique puisque la notion d’influence ne l’est pas elle-même.
L’observation globale des points d’influence entre les blocs de variables
va déjà nous renseigner sur le degré de dépendance ou d’indépendance des
grandes parties du système et un certain enchaînement des phénomènes
apparaîtra déjà. Trois sortes de relations coexistent en fait dans cette
matrice :
Les relations de causalité ou de conséquence directe, ont un aspect
mécanique. Elles peuvent être comparées à une condition suffisante.
Les relations conditionnelles, doivent observer le dépassement d’un
seuil pour exister. On se trouve ici plutôt face à une condition
nécessaire.
Les relations décisionnelles correspondent à la mise en place d’une
mesure volontaire mais dont on n’est pas sûr de l’impact. Elles sont
donc assorties d’un risque et n’ont pas de caractère déterministe strict.
Deuxième phase de la démarche : hiérarchisation des variables
Pour ce faire, on effectue, les sommes en ligne et en colonne des
influences entre les variables. Par variable on obtiendra donc deux
indicateurs :
En effectuant la somme des influences sur une même ligne, nous
avons la somme des influences engendrées par une variable i sur
l’ensemble du système : c’est un indicateur de motricité de i sur le
système.
En effectuant le somme des influences sur une même colonne, nous
avons la somme des influences subies par une même variable j de la
part de l’ensemble du système : c’est un indicateur de dépendance de j
par rapport au système.
Ces deux indicateurs peuvent aisément être représentés dans un plan dit
« motricité-dépendance », où l’axe des abscisses est le support de la
dépendance et l’axe des ordonnées représentatif de la motricité et où M
représente la moyenne de motricité (aussi égale à la moyenne de
dépendance) (figure 4.3).
Figure 4.3 Le plan motricité-dépendance

Le classement des variables selon les deux critères de dépendance et de


motricité permet de faire apparaître trois types de facteurs prépondérants
pour l’élaboration du plan stratégique.
Nous avons mené des analyses structurelles auprès de nombreuses PME-
PMI, dans une relation contractuelle ou pédagogique, ces dernières années.
Les points communs des résultats obtenus dans ces divers cas nous
permettent de proposer une interprétation par zone du rôle des variables
dans le système étudié :
Les champs d’action stratégiques (CAS), éléments fortement
moteurs et peu dépendants, sont le plus souvent des facteurs
environnementaux. Comme leur nom l’indique, ce sont des éléments
que l’entreprise maîtrise mal et qui sont pourtant fondamentaux pour
l’évolution du secteur et de l’entreprise. Ils permettent de baliser les
domaines d’investissement de l’entreprise et donc d’orienter sa
politique. C’est sur ces facteurs que des scénarios peuvent être bâtis
puisqu’ils commandent le reste du système.
Les moyens d’action stratégiques (MAS), éléments fortement
moteurs et dépendants à la fois, sont généralement pour un tiers des
variables d’environnement et pour deux tiers des variables
d’entreprise. Dans le premier cas ce sont des variables
d’environnement maîtrisables (orientables) par l’entreprise de manière
directe ou indirecte (moyens de pression). Dans le second cas, ce sont
des indications de moyens à mettre en œuvre, de niveau stratégique le
plus souvent, c’est-à-dire des points clés pour l’allocation des
ressources du plan stratégique.
Les objectifs stratégiques (OS), éléments fortement dépendants et
peu moteurs, représentant les véritables objectifs de l’entreprise en ce
sens qu’ils sont réalistes et dépendants de la logique de raisonnement
décrite ci-dessus. Ils sont mobilisateurs pour l’ensemble de l’entreprise
et découlent des décisions prises au niveau des moyens stratégiques.
Ainsi, les champs d’action déterminent les moyens d’action qui
conditionnent eux-mêmes la réalisation des objectifs. L’articulation entre
ces trois dimensions permet d’identifier des axes de développement ou
d’établir des options stratégiques, qui constituent la base de la réflexion
stratégique, à admettre ou à discuter, avant la construction du plan
stratégique. En effet, celui-ci propose en général d’abord la politique
stratégique puis l’allocation des ressources pertinentes pour une atteinte
optimale des objectifs.
Cet outil permet donc d’appréhender un système. Il est utilisable pour la
compréhension du système entreprise tout entier, mais peut aussi
s’appliquer au niveau de chaque entité, obligeant ainsi leurs responsables à
penser leur système opérationnel relativement aux autres.
Cet outil est pour nous le moyen type d’entrer en agilité au niveau de la
stratégie :
il permet d’appréhender un système complexe ;
il stimule la prise de conscience du fonctionnement avec un grand
nombre d’acteurs ;
il permet de travailler en anticipation des ruptures possibles de
l’environnement mais aussi en prenant conscience des conséquences
de ses décisions stratégiques ;
il pousse à la réflexion stratégique collégiale, c’est-à-dire impliquant
les acteurs clés de son système, voire ceux des entités les plus
proches ;
il est vecteur d’innovation car il oblige à sortir de ses convictions et
de ses raisonnements sur les quelques variables qu’on a l’habitude de
privilégier.
Nous allons d’ailleurs en percevoir l’efficacité, dans un but d’agilité, dans
les deux exemples qui suivent.

L’entreprise Pmecorp
Pmecorp est une PME de cinquante personnes productrice de « barres
sophistiquées[4] » en acier. L’année 2000 a marqué une étape
particulière de son développement, à la recherche de la construction
d’un nouveau sens.
Grâce à une stratégie de domination globale au niveau des coûts
parfaitement mise en œuvre, Pmecorp est parvenue à devenir un
intervenant majeur dans son secteur. Aussi le dirigeant se trouvait-il
devant la nécessité de trouver un nouveau défi à relever, car, face aux
interlocuteurs de grande distribution spécialisée, et, plus généralement,
face à l’explosion de nouveaux comportements des clients finaux dans
la société de loisirs qui se fait jour, il ne pouvait plus espérer accroître
sa part de marché, bien au contraire.
Nous avons alors suggéré au dirigeant de mener une analyse
systémique et prospective pour faire émerger une voie de
développement pour cette réflexion.
Grâce à de nombreuses études disponibles, à sa profonde connaissance
du métier, du marché et de la concurrence, et grâce à un travail
collectif avec « sa garde rapprochée », il a fait émerger sept voies de
développement possibles, les caractéristiques clés internes de
l’entreprise et les principaux éléments d’influence de son
environnement sur sa stratégie :
Sept voies de développement : élargir la gamme, nouveau
concept de barre, introduction de nouveaux matériaux,
diversification marché, système d’aide à la vente, nouveau
concept fonctionnel, ouverture à l’international.
Un environnement entreprise : financier, production,
ressources humaines, marketing, commercial, technologie,
communication, exploitation, vocation, organisation, culture.
Un environnement « business » : relation avec le groupe,
économie sectorielle, microéconomie, réglementaire.
L’ensemble des quarante-deux variables ainsi listées et
scrupuleusement définies par son équipe a été la base d’un travail
prospectif basé sur une analyse structurelle : les sept voies de
développement représentaient le système interne et les deux
environnements « entreprise » et « business », le système externe.
Le remplissage des influences a été mené dans un esprit prospectif,
c’est-à-dire que nous insistions en permanence sur le fait que les
influences entre variables devaient être étudiées à un horizon de cinq
ans, qui était le terme choisi pour mener cette analyse prospective.
Il a été mené librement par l’équipe de direction, sans intervention du
dirigeant afin qu’il n’influence pas les débats. Son seul pouvoir était
d’exprimer, en fin d’analyse d’une relation entre deux variables, son
accord ou son désaccord. En cas de désaccord, nous devenions alors
l’animateur d’un débat ouvert au cours duquel nous évitions
soigneusement que le dirigeant n’impose son point de vue par effet de
leader ou de conformisme de ses collaborateurs.
La matrice des influences une fois remplie, un logiciel a permis de
faire un classement des variables selon les classiques calculs de
l’analyse structurelle : sommes des influences données en ligne pour
obtenir un indicateur de motricité pour chaque variable ; somme des
influences subies en colonne pour obtenir un indicateur de dépendance
pour chaque variable. On a dressé ensuite le plan motricité-
dépendance à partir de ces indicateurs.
Il est apparu, comme premier résultat, que les variables motrices
correspondaient parfaitement à l’analyse menée individuellement par
le dirigeant. Le second résultat, et non des moindres, a été le
classement des sept voies de développement les unes par rapport aux
autres dans le cadran des variables relais.
En particulier, et ce résultat était tout à fait contre-intuitif pour le
dirigeant, c’est la variable « ouverture à l’international » qui est
apparue en premier dans ce cadran.
En second, est apparue la variable « nouveaux concepts
fonctionnels », voie sur laquelle le dirigeant avait d’ores et déjà lancé
l’entreprise en demandant à son bureau d’études de développer un
nouveau concept technique pour fixer plus aisément les barres au sol
et avec des éléments connexes pour faciliter et alléger le travail de
manutention du client final.
Figure 4.4 Le plan motricité – dépendance de l’entreprise Clotcorp
Ce résultat contre-intuitif a donné lieu à une profonde réflexion de la
part de l’équipe de travail. Pourquoi cette variable d’« ouverture à
l’international » ressortait-elle ainsi ? Comme le remplissage était leur
remplissage, il exprimait pleinement leurs idées, mais celles-ci
n’étaient pas conscientes dans leur réflexion collective. Finalement, il
est apparu comme une évidence que la seule voie de développement
intéressante pour l’entreprise résidait bien dans la jonction des deux
logiques : celle de l’international et celle du développement de
nouveaux concepts connexes au produit de base.
En effet, développer seulement de nouveaux concepts connexes aurait
amené les distributeurs vers une plus grande dépendance de leur part
vis-à-vis de Pmecorp, avivant encore leur envie de réagir face à
l’entreprise. De plus, il s’agissait là d’un changement des règles du jeu
face auquel les concurrents n’auraient pas pu réagir facilement,
contraignant davantage encore les distributeurs. Même si le client final
devait y gagner, le jeu économique entre Pmecorp, ses concurrents et
les distributeurs aurait primé. A contrario, axer son développement sur
une stratégie d’internationalisation n’était pas aisé. Pmecorp ne
connaissait pas les marchés étrangers et n’était pas dotée de
compétences internationales dans son service commercial.
Il aurait été suicidaire d’aller se battre à l’international avec des barres
basiques dans ces conditions. En revanche, être l’acteur de
transformation de ce métier traditionnel, qui tente d’harmoniser les
produits à l’international, grâce à l’apport de nouveaux concepts
facilitant le travail du client final, pouvait permettre à Pmecorp de
trouver facilement des partenaires à l’étranger, de se protéger par une
habile stratégie de brevet, et de communiquer davantage sur sa
marque.
D’autres scénarios ont été développés autour des autres voies de
développement qui sont ressorties de cette étude : élargissement de la
gamme, introduction de nouveaux matériaux… Mais finalement tous
ont été vécus comme complémentaires au premier scénario décrit ci-
dessus. Dans le développement de nouveaux concepts, il est apparu
par exemple nécessaire d’ouvrir la réflexion de la conception avec
l’introduction de nouveaux matériaux, comme il a été demandé au
service commercial de réfléchir aux besoins des clients en matière de
gamme.
À l’intérieur du scénario principal finalement retenu, des sous-
scénarios ont été évalués, liés aux partenariats, aux investissements,
aux rôles respectifs des acteurs internes… ce qui a permis finalement
de trouver un sens pour le développement de l’entreprise dans les
années à venir – passer d’une logique de volume à une logique de
valeur – sens qui a été un nouveau facteur de mobilisation des acteurs
internes. Cette mobilisation fut d’autant plus forte que les principaux
acteurs concernés ont participé à cette étude prospective et ont été par
là-même les moteurs de leur propre évolution.

L’exemple BatiCorp
La société BatiCorp est une PME très dynamique très bien implantée
dans le tissu local aux environs de Grenoble. Avec une moyenne de 50
salariés, elle œuvre dans le domaine du BTP. Ses principaux clients
sont donc les marchés publics, les industries, et quelques particuliers.
Cette société bénéficie d’une implantation géographique avantageuse
puisqu’elle profite du dynamisme de la ville et de sa région. La société
BatiCorp, au niveau de son secteur, fait face à une concurrence
raisonnable et bénéficie de multiples partenaires, artisans ou PME de
faible taille, qui l’accompagnent dans les plus gros chantiers. En effet,
une partie de l’activité BTP est sous-traitée ce qui permet de s’adapter
aux délais et ne pas accroître de manière inconsidérée la taille de
l’entreprise. Cette sous-traitance permet aussi de ne pas être contraint
de licencier suite à une baisse de l’activité, limitant les conflits sociaux
et bien des contraintes financières.
La société BatiCorp bénéficie d’une bonne image de marque au niveau
local, de part son respect des riverains et de l’environnement, lors des
chantiers et travaux, et de son implication locale dans le domaine
associatif-sportif.
PME dynamique et appréciée, dans un tissu local actif, la société
BatiCorp dispose de sérieux atouts pour réussir. Elle est une entreprise
saine, capable de se développer davantage mais sa direction préfère
rester à cette taille qu’elle juge optimale stratégiquement et
opérationnellement.
La question posée était celle de la performance globale de l’entreprise,
au sens du Centre des Jeunes Dirigeants (CJD).
Le CJD a en effet travaillé sur cette notion de performance globale, qui
s’inscrit à l’opposé d’une simple logique de rentabilité. Elle met en
avant simultanément et avec un même poids la responsabilité
économique, la responsabilité sociale et la responsabilité
environnementale de l’entreprise, ce que nous défendons dans l’agilité
au travers du principe de satisfaction de l’actionnaire, du client, du
personnel et de la société. Le but était donc de vérifier si l’entreprise,
qui a priori exprimait sa volonté de s’inscrire dans cette logique, s’y
trouvait réellement, et, au passage, de stimuler sa capacité d’agilité
organisationnelle.
Afin de clarifier le sens des variables, nous avons défini un
« dictionnaire » concis, organisé selon les aspects internes et externes
de l’entreprise. Les variables internes sont au nombre de 30 et
recouvrent les principaux aspects du management d’une entreprise.
Elles sont cependant exprimées dans le respect du vocabulaire et de la
culture de l’entreprise :
Tableau 4.2 Les critères organisationnels, managériaux
Tableau 4.3 Les critères financiers

Tableau 4.4 Les critères technologiques

Tableau 4.5 Les critères ressources humaines


Tableau 4.6 Les critères commerciaux

Il y a 19 variables externes, qui expriment le contexte dans lequel


l’entreprise se vit aujourd’hui :
Tableau 4.7 Variables générales
Tableau 4.8 Variables clients

Tableau 4.9 Variables risques

Tableau 4.9 Variables risques


Une fois les variables définies, nous les avons reportées dans une
matrice d’analyse structurelle, dont le traitement a permis d’aboutir au
plan motricité - dépendance suivant :
Figure 4.5 Plan motricité – dépendance du cas BatiCorp

On voit avant tout que le nombre de critères internes est beaucoup plus
élevé que celui des critères externes, ce qui influe de manière
significative sur la représentation systémique de l’entreprise.
Nous avons analysé en premier lieu les variables structurantes de
l’entreprise, c’est-à-dire celles qui se détachent le plus du centre de la
matrice. Ensuite, nous avons approfondi l’analyse en nous intéressant
aux critères de performance globale afin de comprendre l’intégration
de la notion dans le fonctionnement de l’entreprise. Enfin, nous avons
étudié les inter-relations secondaires afin de comprendre les tendances
à court et long terme.
Les variables structurantes :

Sur un plan général, il apparaît tout de suite une certaine cohérence des
résultats, c’est-à-dire de la position relative des variables clés.
Les variables motrices (en haut à gauche de la matrice) sont les
réglementations sociales et HSE (hygiène, sécurité, environnement)
dans un contexte d’élargissement de l’Europe, ce qui est assez
logique : en effet, l’entrée des nouveaux pays européens va changer la
donne concernant les salaires, mais aussi les méthodes de travail,
l’approche du marché, le positionnement de l’entreprise… De plus, les
réglementations imposées au secteur du BTP, surtout en terme de HSE,
induisent un mode de fonctionnement spécifique à l’entreprise, et
amènent les dirigeants à une prise de conscience. Enfin, les trois
variables sont bien en relation et s’influencent mutuellement car
l’élargissement de l’Europe va évidemment jouer sur des
réglementations pourtant déjà fortes.
Les variables relais (en haut à droite de la matrice) sont la stratégie
d’entreprise, la culture d’entreprise, l’intégration des sous-traitants via
la communication externe, les conditions de travail et la
responsabilisation. Ces différentes variables représentent bien des
moyens stratégiques pour atteindre les résultats souhaités. L’entreprise
possède une stratégie bien définie qui repose sur le nombre de salariés
que les dirigeants souhaitent maintenir volontairement bas (moins de
60) afin de conserver une structure à taille humaine dotée dune
réactivité, voire d’une agilité suffisante. En effet, l’entreprise ne veut
pas s’imposer sur tous les appels d’offre mais seulement remporter
ceux qui correspondent à son envergure. Son but est bien un
fonctionnement « optimal » et non maximal, en visant l’atteinte d’une
finalité exprimée en termes de « pérennité » et non en termes de
rentabilité.
Les quatre autres variables intègrent une dimension humaine et
sociale, ce qui démontre l’intérêt de la performance globale pour le
fonctionnement de l’entreprise. En conséquence, le système
managérial est fortement développé et tourné vers l’Homme.
Les variables résultats (en bas à droite) sont l’image de marque, la
gestion des appels d’offre, la qualité produit et la rentabilité, variable
dominante. L’image de marque et la qualité produit apparaissent donc
comme un résultat pour l’entreprise, ce qui prouve que son intérêt ne
se cantonne pas au simple profit. La gestion des appels d’offre est
aussi un résultat décisif pour l’entreprise puisqu’elle lui permet
d’obtenir des informations sur ses concurrents et de respecter sa
stratégie. Enfin, la rentabilité reste une variable très importante et
même si le dirigeant ne l’affiche pas ouvertement, la logique de
rentabilité est un résultat recherché qui est fortement influencé par les
autres variables.
En conclusion, cette matrice montre une cohérence correspondant aux
choix stratégiques et managériaux des dirigeants. L’analyse
structurelle a ainsi permis de valider le « profil » de l’entreprise mais
aussi de faire apparaître explicitement la position relative des variables
de performance globale, ce que nous analysons ci-après.
Les variables de performance globale : rôle et importance

Parmi les variables que nous avons utilisées pour l’analyse


structurelle, un certain nombre correspond aux critères de la
performance globale que nous avons définie précédemment.
Pour être exhaustif, nous pouvons citer :
la sensibilité éthique du consommateur ;

sa sensibilité à la protection de l’environnement et à la qualité ;

le climat social ;

la culture d’entreprise ;

la responsabilisation des salariés ;

la qualité dans l’entreprise ;

mais aussi bien sûr la rentabilité.


Le positionnement de ces variables de performance globale dans la
matrice nous permet d’appréhender un fait majeur : il apparaît que la
seule variable de performance globale rentrant dans la catégorie
« résultats » de la matrice est la rentabilité. Or celle-ci est aussi la
mesure « classique » de la performance d’une entreprise, aussi ne
sommes-nous pas surpris de cette position. Les autres variables de
performance globale, en particulier celles portant sur des critères
humains et sociaux, telle que la responsabilisation des salariés, le
climat social ou la culture d’entreprise, sont dans la zone
correspondant aux variables « relais », c’est-à-dire aux moyens que se
donne le dirigeant pour réaliser ses objectifs. Il s’agit par ailleurs de
variables internes, ce qui montre que le dirigeant de l’entreprise peut
avoir potentiellement beaucoup d’influence sur elles. C’est
effectivement le cas : des variables comme la responsabilisation ou la
culture d’entreprise sont clairement du ressort du dirigeant.
Par contre, l’analyse structurelle montre que ces critères qui devraient
être des buts si l’entreprise était totalement agile et orientée
performance globale, sont en fait plus des moyens d’action pour
parvenir à un résultat qui semble être en définitive la seule rentabilité.
Nous pourrions certes considérer comme décevante cette approche
utilitariste de la performance globale. Cela dit, cet état de fait n’est
somme toute pas entièrement négatif : le fait que ces variables soient
placées dans les « moyens » d’actions montre que le dirigeant a
conscience des enjeux de la performance globale. Celle-ci est prise en
compte dans une réflexion initiée en interne, et non sous la pression de
facteurs externes, comme en témoigne la position des variables de
performance globales relatives au consommateur, qui apparaissent
certes plutôt comme étant des variables « motrices », mais ayant
beaucoup moins d’influence que d’autres comme les réglementations
ou les pressions venant de l’élargissement de l’Union Européenne.
Au travers de l’analyse structurelle, on peut donc distinguer deux
tendances. La première est que la performance globale est encore trop
considérée dans la réflexion du dirigeant comme un moyen d’action
pour obtenir plus de rentabilité – et de satisfaction personnelle – et pas
assez une fin en soi. La deuxième est que l’entreprise a une attitude
proactive au sujet de la performance globale car elle mène de
nombreuses actions en interne, et ne se contente pas ainsi de suivre les
tendances extérieures. Autrement dit, elle est bien sûr le chemin de
l’agilité mais n’a pas encore totalement franchi l’obstacle de la
transformation.
Par ailleurs, le dirigeant de l’entreprise semble avoir plus que
largement assimilé les variables de performance globale. En effet, bien
que celles-ci soient des moyens pour atteindre une meilleure
rentabilité, elles ne sont imposées par aucune pression extérieure ou
réglementaire. En effet, la sensibilité client sur l’environnement, les
conditions de travail et, à un degré moindre, la qualité n’ont pas pour
le moment une influence trop importante. Il est d’ailleurs très
intéressant de les voir dans la même zone, ce qui renforce l’intuition
du dirigeant relative à la corrélation entre ces variables. Le dirigeant a
donc intégré ce type de variables dans un souci d’éthique et de respect
de l’Homme, de son plein gré car il pense personnellement que c’est le
meilleur fonctionnement d’une entreprise.
Bref, cette entreprise n’a pas encore comme finalité la performance
globale mais elle a conscience que son environnement a évolué et que
sa performance économique, et au delà sa pérennité, ne peut devenir
une réalité que si les leviers de la performance globale sont agités.

En conclusion, nous retenons que l’analyse structurelle est un instrument


clé du manager agile en ce sens qu’elle intègre bon nombre des principes
clés de l’agilité :
elle s’inscrit dans une logique systémique, seule approche apte à
appréhender la complexité ;
elle est une démarche participative, visant le partage des visons et
des informations sur le système ;
elle se veut une démarche anticipative, permettant de projeter les
participants dans le futur, à un horizon suffisant pour leur permettre de
se libérer du carcan du présent ;
elle est enfin une démarche qui permettra d’envisager des solutions
alternatives innovantes.
Mettre en place une culture client par les
processus
Au-delà d’outils tels que l’AS2, certaines pratiques nous semblent
nécessaires afin de pérenniser l’agilité dans les organisations. La première
d’entre elles est le management par processus.
Sans être spécialiste du management par processus, nous mobilisons
cependant souvent cette méthode de management[5] dont nous retenons
quelques éléments fondamentaux aidant concrètement à entrer en agilité.
La norme ISO 9000 version 2000 définit le processus comme un
ensemble d’activités corrélées ou interactives qui transforme des éléments
d’entrée en éléments de sortie, ce qui présuppose de pouvoir mesurer ce qui
entre et ce qui sort du processus. C’est là que réside selon nous l’intérêt
d’un processus : la mesure de l’output doit se faire, non pas au sens de
qualité classique par la conformité à une définition, mais par la satisfaction
du récepteur et de l’émetteur de l’élément de sortie.
Au contraire des classiques spécialistes du management des processus,
nous ne considérons pas un processus comme un produit ou un service, ni
comme une simple série de tâches ou d’actions ni comme une succession
d’opérations reliées entre elles au sein d’une chaîne finalisée. Un processus
est plus que cela : c’est une succession de relations réciproques entre
des acteurs. Ces relations consistent en l’échange entre un émetteur et un
récepteur d’objets, d’argent ou d’informations.
L’important dans cette approche, c’est de sortir de la logique de tâches de
l’entreprise traditionnelle. Il ne s’agit plus de s’appliquer à faire bien ce
pour quoi on a été recruté mais de fournir à l’autre – le récepteur – les
moyens de faire son métier, et réciproquement. Le processus est donc
d’abord et avant tout un principe de travail, qui lie des acteurs entre eux
dans un même mouvement orienté vers une finalité partagée.
Finalement, le but du management par les processus, c’est de placer
chaque acteur de l’entreprise au sein d’une chaîne de relations
client/fournisseur orientée vers la satisfaction optimale du client final.
Personne ne peut plus fonctionner par rapport à lui-même. Chacun travaille
par rapport à l’autre (figure 4.6).
Nous avons retenu trois faits marquants dans la mise en œuvre d’un
management par processus :
Le processus est analysé en commun et orienté vers le client final.
Personne ne peut donc l’ignorer et, au contraire, chacun prend
conscience de son existence et de la nécessité de travailler dans son
sens.
Il n’existe pas de circuit aller sans un circuit retour. Rien n’est dû à
un acteur sans que quelque chose lui soit dû en retour. C’est la
condition sine qua non de fonctionnement d’un processus : les acteurs
sont liés et la satisfaction de l’un dépend de la satisfaction de l’autre.
Cette logique de management par processus stimule donc la
coopération.
Enfin, ce processus est reconfigurable à loisir. Il suffit qu’un des
acteurs concernés expriment son insatisfaction, lors de l’évaluation du
processus ou, plus simplement, lors d’un fonctionnement, pour que
tous acceptent d’étudier collectivement des ajustements ou
transformations.
Figure 4.6 Exemple de processus de production dans une PMI
Elle favorise également la vitesse de reconfiguration. En effet, si un
acteur n’est plus satisfait, il lui suffit de le signaler à son fournisseur. Celui-
ci ouvre alors une « négociation » afin de trouver une autre manière de
fonctionner qui permette à chacun d’optimiser son fonctionnement tout en
servant l’autre au mieux. Ainsi, les délais, le format du livrable, les
formulaires de suivi de production… sont révisables en permanence. Cette
reconfiguration permanente des processus peut en particulier s’obtenir en
utilisant une méthode d’optimisation des processus dont les principales
caractéristiques sont :
la mesure objective des dysfonctionnements, car les deux acteurs
concernés doivent discuter ensemble et parvenir à un consensus sur
l’analyse du problème ;
une sensibilisation et une mobilisation de tous, car tous les acteurs
partagent une même finalité et leur satisfaction réciproque dépend de
leur interlocuteur ;
une mesure de l’efficacité des changements par la mesure de la
satisfaction des acteurs tout au long des processus.
Pour conclure, retenons les avantages d’une telle approche :
elle oblige chaque acteur à partager la stratégie de l’entreprise, en
particulier à partager la compréhension du client final et le rôle que
chacun tient dans le but de sa satisfaction ;
l’analyse des processus permet à chacun de prendre conscience qu’il
travaille dans un but particulier et au service d’une personne
particulière, dynamisant ainsi les coopérations ;
l’approche processus est une approche transversale de l’entreprise,
qui fait prendre conscience que chacun agit à l’intérieur d’un système ;
les changements sont perçus non comme des contraintes mais
comme des facteurs d’amélioration de la performance individuelle et
collective ;
la description des processus et leur évaluation permettent à chacun
de prendre conscience des coûts de dysfonctionnement en prenant
conscience des blocages que son inefficacité entraîne pour tout le
système ;
une fluidification de la communication entre les acteurs.
Pour toutes ces raisons, il nous semble que le management par les
processus est un atout non négligeable de l’entreprise agile.

Savoir évaluer pour stimuler


Une de nos interventions de consultant nous a marqués au point de nous
rendre fervent défenseur des systèmes d’évaluation individuelle, en
complément de l’évaluation des processus.
Dans un grand groupe industriel français, nous avons formé un grand
nombre d’ingénieurs à la gestion des plaintes clients. La direction avait en
effet lancé un vaste programme « orientation client » pour sensibiliser le
plus grand nombre à la satisfaction des clients. En effet, dans cette
entreprise de forte culture ingénieur, le client semblait être considéré
comme celui qui devait être heureux qu’on lui livre les meilleurs produits
du monde !… malheureusement, les clients préféraient des produits
éventuellement de moindre qualité – or les concurrents étaient également de
haut niveau technique – mais surtout ils ne supportaient plus les retards à
répétition, les défauts sur des pièces mineures, les absences de
documentation ou encore le manque de considération !
Il a été décidé alors de lancer un vaste programme constitué de nombreux
axes de travail dont l’un d’eux était « la gestion de la plainte client », lui-
même composé de trois leviers d’action :
un nouveau système d’information pour capter toutes les plaintes
clients ;
une formation généralisée à tous les ingénieurs, qu’ils soient des
acteurs en lien direct avec le client ou non, qui insistait aussi bien sur
l’importance du client final que sur l’importance des clients
intermédiaires tout au long des processus ;
la mise en place d’un nouvel indicateur d’évaluation, ajouté aux
précédents, qui portait spécifiquement sur la participation à la
captation et au traitement des plaintes clients.
Lors de cette pratique managériale, il y a eu augmentation de la sensibilité
aux signaux faibles (montée des plaintes), décision stratégique avec analyse
systémique et analyse des conséquences, actions correctives au niveau du
système de management (nouveau système d’information) et incitation
individuelle par la mise en place d’un nouvel indicateur d’évaluation.
En réalité, ce nouvel indicateur est arrivé assez tard dans le processus, et
rien n’a fonctionné tant que cet indicateur n’existait pas. Les dirigeants
avaient beau prêcher la culture client, la relayer au niveau du management
intermédiaire, la culture technique était si fortement ancrée, que tant qu’il
n’existait pas une incitation individuelle, la culture ne changeait pas. C’est
la leçon que nous avons retenue de cette expérience et qui nous fait ajouter
à cet ouvrage ce thème du système d’évaluation.
L’entrée en agilité incite à une véritable révolution culturelle dans les
entreprises. Si nous plaidons pour une prise de conscience collective, pour
un management pédagogique (c’est-à-dire empreint de communication,
d’explication et de conviction), d’une transformation de l’organisation
(découpage en unités autonomes et mises en place de processus simples),
nous avons pour autant conscience que cela ne portera aucun fruit s’il
n’existe pas une incitation individuelle. Or celle-ci ne passe que par le
système d’évaluation.
L’évaluation des individus est un exercice délicat qui souffre de
nombreux travers, en particulier dans une entreprise traditionnelle, verticale
et dont le management est basé sur le principe d’obéissance :
Évaluation exclusivement par l’échelon hiérarchique avec un double
biais :
risque de subjectivité difficile à contrebalancer par l’individu, malgré l’aide éventuelle
des représentants du personnel, sauf risque de dégradation de l’ambiance ;

risque de comportements serviles et calculateurs de la part des collaborateurs, avec


son cortège de comportements déviants (flatterie, calculs, jalousies, délations, fausses
informations…).

Tentation de la part des collaborateurs de travailler exclusivement en


fonction des indicateurs du responsable hiérarchique avec là encore un
double biais :
priorité au court terme par manque de vision globale ;

priorité à soi-même et oubli total du fonctionnement collectif.

Le système d’évaluation que nous prônons pour stimuler l’agilité à tous


les niveaux dans l’entreprise pourrait revêtir les caractéristiques suivantes :
Vérification de l’acceptation de la finalité de l’entreprise, de la
cohérence de la finalité de l’entité et des conséquences de cette finalité
sur l’action quotidienne des individus.
Évaluation des individus à l’aide d’un outil de type « 360° », qui
permet de faire des évaluations non pas par la hiérarchie – qui ne sert
alors que de coordonnateur de l’évaluation et de médiateur des
négociations internes – mais par les acteurs en amont et en aval de
l’individu au sein des processus auxquels il participe (et
réciproquement). On note ici une nette priorité au fonctionnement
plutôt qu’aux résultats, ceux-ci ne pouvant venir durablement que d’un
fonctionnement optimal.
Culture de l’erreur et non de la faute, avec contacts réguliers entre
l’individu et son hiérarchique pour qu’il l’aide au moment des
difficultés (manager coach).
Évaluations intermédiaires en cours d’année pour mener au plus tôt
des actions correctives et pour entraîner l’individu dans une démarche
de progrès.
Enfin, il faut trancher de manière claire dans le partage du résultat :
Premièrement, le résultat de l’entreprise doit être partagé à parts
égales entre les trois acteurs clés de l’entreprise que sont l’actionnaire,
le client et le personnel. Ainsi, dans bon nombre d’entreprises, voit-on
les dirigeants attribuer de l’ordre d’un tiers du résultat à chacun de ces
acteurs. L’actionnaire reçoit un tiers du résultat en dividendes, le client
un tiers également sous forme d’investissements, et le personnel le
denier tiers sous forme de primes.
Deuxièmement, les primes du personnel doivent être calculées non
pas seulement en fonction de l’atteinte de résultats individuels, mais en
fonction d’une proportion savante de résultats individuels et de
résultats collectifs. Il n’existe pas de règle stricte si ce n’est qu’aucune
des deux ne devrait être inférieure à 30 %. Ensuite, il faut tenir compte
de la culture de l’entreprise concernée et des négociations internes sur
le sujet qui ne peut résulter que d’un consensus.
Le rôle des systèmes d’information
L’agilité supposant interconnexions et coopérations intenses entre
diverses unités autonomes, le système d’information (au sens large du
terme), devient la clé de voûte de l’entreprise élargie agile. C’est donc à
juste titre que nous terminerons notre plaidoyer pour l’agilité par un examen
approfondi des enjeux stratégiques et opérationnels de cette sorte d’outil.
La première des préoccupations lorsque l’on met le pied sur les rives d’un
territoire inconnu, c’est l’information : connaître et comprendre la
cartographie, l’organisation et le fonctionnement de son nouvel
environnement, pour être à même d’y évoluer et y jouer dans toute la
plénitude de son art. Bref, l’information est la clé du déplacement en terre
inconnue.
Comme nous venons de le voir, l’entreprise évolue pour s’adapter à un
environnement toujours plus incertain et mouvant. Le mode de management
des organisations change pour s’adapter aux nouvelles contraintes des
marchés.
Pour optimiser ses performances, l’entreprise a recours à de nouvelles
pratiques managériales, de nouveaux comportements et une nouvelle
posture. Elle a également recours à l’utilisation des outils informatiques,
favorisant la circulation de l’information, les échanges et facilitant la prise
de décision.
Les projets informatiques pour la mise en place d’outils informatiques
prennent une grande ampleur, dans les grands groupes bien sûr, mais
également dans les PME-PMI.
Si les utilisateurs ont eu à s’adapter aux premiers systèmes d’information,
la tendance a ensuite été à l’adaptation de l’informatique aux utilisateurs.
Tous les niveaux hiérarchiques sont concernés, tous les métiers aussi. Puis
s’imposent les ERP pour remédier à l’hétérogénéité des applications que
chacun voulait faire développer pour coller à son besoin.
L’avantage des ERP réside dans l’intégration des différents outils et dans
la transversalité des outils pour améliorer le fonctionnement des processus.
Mais l’inconvénient majeur réside dans un certain formatage des
organisations sans compter que, quand on achète un ERP, on achète un
système complet avec des fonctionnalités parfois inutiles ou
surdimensionnées.
On peut alors penser que les ERP ne sont pas l’outil idéal de l’agilité.
Celle-ci est synonyme de mouvement permanent entre des acteurs
dynamiques. Les ERP tendent à appauvrir les relations entre acteurs par la
saisie de données brutes plutôt que le stockage d’informations exploitables
par chacun, donc personnalisées, ainsi que par la pauvreté des interactions
qu’ils permettent. Les différentes parties d’un ERP sont en général très
inégalement renseignées, qualitativement et quantitativement, si bien qu’on
est jamais sûr d’avoir l’information qu’il faut, dans la bonne présentation,
au bon moment. De plus, les ERP gèrent mieux les informations nécessaires
aux standards de l’entreprise que celles qui permettent de faire vivre
l’innovation, en particulier de fonctionnement.
Pour compenser ces faiblesses, les utilisateurs sont contraints de faire
développer des applications complémentaires, allant de ce fait à l’encontre
du sens premier d’un ERP : la standardisation des applications.
Finalement les ERP sont une solution parcellaire, technocentrée, aux
problèmes d’information apparus dans les entreprises, mais, finalement, ces
SI sont à l’origine de nouveaux problèmes voire renforcent des problèmes
déjà existants : multiplication des acteurs interagissant, ce qui entraîne une
augmentation de la complexité, accélération du temps par l’augmentation
de la fréquence des contacts et le décloisonnement des espaces privés et
professionnels, augmentation du stress par l’augmentation du volume
d’information traitées et la visibilité de nos actions par le plus grand
nombre, et, enfin, déstructuration de la relation émetteur-récepteur, par la
variété des attitudes (push-pull, flux-stock…) et la dématérialisation des
relations.
Finalement, le problème des SI est leur centrage sur la technologie (il faut
que ça marche) sans se soucier de ce que cela doit faire marcher, et sur la
réduction des coûts alors qu’ils devraient permettre la création de nouvelles
sources de valeur.
Notre recommandation irait donc vers une voie différente : décentraliser
les SI en fournissant à chaque activité son SI propre et créer un super-
traducteur qui permettrait de faire communiquer entre eux ces SI locaux. À
cela il faudrait ajouter une formation approfondie aux comportements
nouveaux générés par ces nouvelles technologies de l’information. À bien y
réfléchir, le téléphone a un siècle et on ne sait toujours pas bien le gérer au
regard des relations humaines. Imaginez le temps qu’il nous faudra pour
apprivoiser les nouveaux SI !
Autrement dit, le vrai problème, comme toujours sommes-nous tentés
d’écrire, n’est pas la technologie mais plutôt ce qu’on en fait et comment on
le fait.
Nous aspirons ainsi à l’émergence de SI nés de la demande des acteurs et
dont l’impact sur les relations humaines et la valeur créée pour le client
seraient analysés par avance.

[1]
J. Barrand, « Du mariage entre prospective et stratégie », Revue Économie et société, série
« Science de Gestion », n° 7-8,1995.
[2]
M. Godet, Prospective et planification stratégique, Economica CPE, 1983.
[3]
Les cases 2 et 3 sont classiques dans l’analyse stratégique : l’originalité réside donc ici dans la
prise en compte des quatre cases simultanément.
[4]
L’activité de l’entreprise est « maquillée » et Pmecorp n’est pas son vrai nom car elle nous a
demandé de garder une certaine confidentialité à son égard.
[5]
Pour plus de détails sur les processus, lire M. Cattan, N. Idrissi et P. Knockaert, Maîtriser les
processus de l’entreprise, Éditions d’Organisation, 4e édition, 2003.
CONCLUSION

Notre ambition était de contribuer à la mise en place de nouvelles


pratiques entrepreneuriales, tellement notre conviction est forte que l’on ne
peut plus « jouer à l’entreprise » comme on le faisait hier.
Servir la masse n’est plus le problème. Faire la guerre économique n’est
plus la solution. Chasser la croissance est devenu vain (on n’en a plus
depuis 30 ans !). L’Homme est en train d’arriver à maturité : il s’agit
désormais de satisfaire l’autre le mieux possible, et, pour ce faire, d’utiliser
toutes ces ressources qui font de nous des Hommes : intelligence
situationnelle, partage et coopération, faculté d’anticipation et d’adaptation.
Telle est la vocation de l’agilité.
Nous avons ainsi essayé de vous démontrer la nécessité d’entrer en
agilité. Pour autant la vie continue et nos entreprises s’adaptent tant bien
que mal aux mutations incessantes de l’environnement. L’étape
intermédiaire que nos entreprises sont en train de vivre est sans doute une
étape de mise en œuvre de pratiques collaboratives nouvelles du fait de la
mise en place de SI. Symétriquement, le développement de SI nouveaux
aptes à tenir compte des spécificités organisationnelles et culturelles de
chaque entreprise sont à développer. Ces spécificités relèvent, selon nous,
de l’agilité, c’est-à-dire d’organisations multiples et variées, à échelle
humaine et travaillant en réseau (précurseur du télétravail total de
l’entreprise virtuelle). Mais cela signifie aussi comprendre cette évolution,
l’admettre et repenser totalement son entreprise en ces termes, allant
jusqu’à changer les systèmes d’évaluation, les modes de recrutement et les
modes de fonctionnement entre les services. Ainsi faut-il aller vers une
totale reconfiguration de tous les processus de l’entreprise dans la
perspective de mieux satisfaire le client final.
C’est pourquoi notre outil de diagnostic d’agilité d’une organisation, dans
une seconde partie, s’est attaché à étudier la posture intrinsèque et la
cohérence de la stratégie, de l’organisation, des comportements et des
pratiques managériales dans cette perspective nouvelle.
Nous avons enfin proposé, dans un dernier chapitre, quatre outils qui nous
paraissent fondamentaux pour entrer en agilité et qui se situent chacun à des
niveaux différents :
L’analyse structurelle est un atout pour travailler au niveau
stratégique. Elle permet de partager entre décideurs une vision
commune du problème posé dans sa complétude. C’est surtout un
instrument d’ouverture de la stratégie sur son environnement dans une
perspective temporelle.
Le management par processus permet d’agir plutôt sur
l’organisation. Son impact principal se situe pour nous au niveau des
comportements collectifs qui deviennent plus coopératifs.
Le système d’évaluation se situe quant à lui davantage au niveau de
l’individu. Il va permettre à chacun de prendre conscience de la
nécessité de changer son comportement individuel et collectif. Il est
certainement le levier d’action le plus puissant à court terme et un des
plus aisé à mettre en œuvre parmi ceux que nous étudions ici.
Enfin, les systèmes d’informations sont incontournables. Ils sont
aussi le levier le plus lourd à exploiter et le plus coûteux. Ils sont donc
un enjeu clé pour le développement de l’entreprise agile et on ne peut
y toucher sans s’y investir totalement de manière anticipative. On ne
plaisante pas avec de tels investissements sans préparer le plus en
amont possible et de manière participative leur mise en œuvre par les
Hommes.
Nous avons fait un rêve, celui d’une société où chacun peut s’épanouir.
Certes n’est-ce peut-être là qu’un rêve, mais les témoignages que nous
recevons tendent à montrer que nous sommes entourés d’un nombre de plus
en plus grand de rêveurs ! Ce livre avait pour but de mettre à plat tout ce
que ces rêveurs, majorité de l’ombre, souhaitent mettre en place : une autre
façon de vivre. L’agilité synthétise tout cela : vivre mieux, vivre plus vite,
vivre en créant, mais vivre !
BIBLIOGRAPHIE

A J., S G., Les outils de la décision stratégique, Tomes 1


et 2, La Découverte, 1995.
A P., C D., « Partage de la valeur ajoutée », Rapports du conseil
d’analyse économique n°2, La Documentation Française, 1998.
B O., Théorie de l’entreprise agile, L’Harmattan, 1997.
B J., « Du mariage entre prospective et stratégie », Revue
Économie et Société, n°s 7-8, 1995.
B G., Arrêtez le monde, je veux descendre !, Le Cherche Midi, 1995.
B M., L’ERP SAP 2/3, Soutenance de DESS QUASSI,
Promotion 2002-2003.
B S., B A., L’anticipation, Vuibert, 2003.
B L., T L., De la justification, Gallimard, 1991.
C F., « Splendeurs et misères des matrices stratégiques »,
Annales des Mines, mars 1988.
C Y., Les grandes étapes de l’histoire économique, Ellipses –
Les cours de l’École Polytechnique, 1998.
C M., I N., K P., Maîtriser les processus de
l’entreprise, Éditions d’Organisation, 4e édition, 2003.
C B., Histoire des futurs, Seghers, 1986.
C B., W O., Les nouvelles théories de l’entreprise, Le Livre
de Poche, 1995.
D Rosnay J., Le Macroscope, Seuil, 1975.
D R., Response Ability : The language, structure and culture of the
agile enterprise, John Wiley and Sons Inc, 2001.
D R., R C.C., « Le manager bricoleur : essai de
construction d’une image légitime », in Moderniser la gestion des
hommes : des effets de la technologie à l’usage des méthodes
innovantes, sous la direction de M. Leberre et M. Matmati, Liaisons,
2005.
E N., La société des individus, Fayard, 1971.
E D., L’entreprise virtuelle, Éditions d’Organisation, 2001.
F H., L’administration industrielle et générale, Dunod, 1918.
F P., L’innovation technique, La Découverte, 1995.
F M., Les mots et les choses, Archéologie des Sciences
Humaines, Gallimard, 1966.
G D., Manager dans la complexité, INSEP Éditions, 1992.
G M., De l’anticipation à l’action, Dunod, 1991.
G D., L’orientation marché, Éditions d’Organisation, 2005.
J D., Alliances interentreprises, Vuibert, 2001.
K M., D G., La systémique, penser et agir dans la
complexité, Liaisons, 2002.
L M J.-L., La Théorie du Système Général, théorie de la
modélisation, PUF, 1978.
L M J.-L., La modélisation des systèmes complexes, Dunod, 1990.
L E. P., C R. C., Business Policy, Text and Cases,
Irwin, 1965.
L P., Jouir du pouvoir, Minuit, 1976.
L P., L’intelligence collective, pour une anthropologie du cyberspace,
La Découverte, 1997.
L J.H., L B E., Mémoires volées, satellites, micro-
ordinateurs, robots, télématique, séries TV U.S., réseaux, vidéo,
banques de données… et demain la France ?, Ramsay – Visages de l’an
2000, 1979.
M C., Le coaching stratégique, Maxima, 2e édition, 2003.
P Y., Le gouvernement d’entreprise comme idéologie, Ellipses –
Spécialité Groupe HEC, 2000.
P M., Choix stratégiques et concurrence, Économica, 1980.
P M., L’avantage concurrentiel, InterÉditions, 1986.
P C. K., H G., « Strategic Intent », Harvard Business
Review, Juin 1990.
P J.-Y., Le guide du Knowledge Management, Dunod, 2000.
R D., Mesurer et développer la satisfaction clients, Éditions
d’Organisation, 2001.
R J., La fin du travail, La Découverte, 1997.
S R., Sociologie de l’entreprise, organisation, culture et
développement, Dalloz, 2e édition, 1997.
S H., A Z., « Agile manufacturing in practice : application of
a methodology », Journal of Operation and Production Management,
Bradford, vol 21, n°5-6. 2001.
V R., « International investment and international trade in the
product cycle », Quaterly Journal of Economics, 1966.
V B L., Théorie Générale des Systèmes, Dunod, 1973.
W M., Le savant et le politique, Plon, 1959.
W M., Économie et société, Plon, 1971.
INDEX

A
agilité [1], [2]
Anticipation [1], [2]
Analyse structurelle [1], [2]
Agilité [1], [2]
Agile Profile® [1], [2], [3]
Anticipaction [1], [2], [3], [4]
analyse structurelle [1]
B
Bien-être [1], [2]
C
changement [1]
connaissance de conséquences [1]
convention [1]
cohérence [1]
confiance [1]
complexité [1], [2], [3]
coopération [1], [2]
culture client [1], [2]
clients [1]
coaching [1], [2]
E
entreprise élargie [1]
effissens [1]
F
finitude [1], [2]
finalité [1]
I
intelligence collective [1]
Internet [1]
incertitude [1], [2]
interdépendance [1], [2]
innovation [1]
individualité [1], [2], [3], [4]
J
justinnovation [1], [2], [3]
L
leader [1]
M
modèle taylorien [1]
Manager agile [1]
N
nouvelle économie [1]
O
offre globale [1]
organisation [1]
offres globales [1]
P
performance [1]
prospective [1]
projet [1]
processus [1]
proopération [1], [2], [3]
pédagogie [1]
S
système [1]
société industrielle [1]
société de l’information [1]
société de consommation [1]
satisfaction [1]
stratégie [1], [2]
stress [1]
T
TIC [1]
V
valeur [1]

Vous aimerez peut-être aussi