Vous êtes sur la page 1sur 377

NOVICIAT

Essai de Formation Religieuse


DU MÊME AUTEUR
Editions Saint-Paul, 6, rue Cassette, PARIS (VIe)

Culte de la Règle. Nature. Ennemis. Sources. Prérogatives.


In 8 carré de 300 pages, 70e mille, 12e édition. Traduction
italienne, espagnole, allemande, anglaise, portugaise, danoise,
tchécoslovaque, japonaise.
Culte des Vœux. Etat religieux. Pauvreté, Chasteté, Obéissance,
Persévérance, 36e mille. Traduction italienne, espagnole,
anglaise, danoise, tchécoslovaque, japonaise.
Jésus notre Modèle. Doctrine et Méthode d’imitation. 20e mille.
(Epuisé). Traduction italienne, espagnole, anglaise.
Caritas. La Charité envers Dieu. Nature. Rôle. Progrès. Formes.
Fruits. 15e mille (Epuisé). Traduction italienne, espagnole,
anglaise.
Aux Sources de la Charité. Sources privées et sources publiques.
18e mille (Epuisé). Traduction italienne, espagnole, anglaise.
La vie Intérieure. Nature. Recueillement de l’esprit, de la
volonté, du cœur. Richesses. 25e mille. Traduction italienne,
espagnole.
Aimons nos Frères. Nature. Formes. Oeuvres. 15e mille. Tra­
duction italienne, espagnole, anglaise.
Le Livre des Supérieurs. 13e mille. Traduction espagnole, ita­
lienne, allemande, anglaise.
Mais... priez donc. 18e mille. Traduction espagnole, italienne,
anglaise.
Retraite sur l’Amitié de Jésus-Christ. 16e mille. Traduction
italienne, espagnole, anglaise.
Tendance a la Perfection. Obligation fondamentale de l’Etat
religieux. 12e mille. Traduction italienne, espagnole, anglaise.
Notre-Dame : Première Religieuse de Dieu. 20e mille. Traduc­
tion anglaise, italienne, espagnole.
P. COLIN, c. ss. r.

NOVICIAT
Essai de Formation Religieuse

ÉCOLE DE FORMATION
AGENTS DE FORMATION
PROGRAMME DE FORMATION

ÉDITIONS SAINT-PAUL • PARIS


NIHIL OBSTAT :

Lyon, le 15 mars 1959


R. Billiet, C. SS. R.
sup. prov. Lugd.

IMPRIMATUR :

Paris, le 20 mars 1959


Mgr J. Hottot
vie. gén.

Copyright 1959 By Editions Saint-Paul.


Imprimé en France.
AVANT-PROPOS

Littérature, science, art, économie sociale, technique, poli­


tique nationale et internationale : sur tous ces points — et
d’autres encore — le monde contemporain est en pleine effer­
vescence et transformation. Que d’aphorismes, considérés jadis
comme définitivement acquis, sont aujourd’hui révoqués en
doute et remplacés par d’autres ! Tout, semble-t-il, est remis
en question. Bouleversement si profond et si universel qu’il
semble prendre figure de révolution. Pour le progrès et le
bonheur de l’humanité, que sortira-t-il de ce cratère en ébulli­
tion : métal épuré ou lave dévastatrice ?
L’Eglise elle-même, immuable dans sa constitution et ses
structures essentielles, a considérablement évolué sur le terrain
du dogme, de la morale, de l’exégèse, de l’apologétique, de
la discipline, de la liturgie, voire de l’apostolat. Elle aussi a
senti le besoin de se rénover, de reviser ses positions, non point
certes pour les renier ou les condamner, mais, pour les
confirmer, les renforcer, les assouplir, les adapter aux exigences
et aspirations de notre temps. Evolution qui n’a rien de destructif,
enracinée qu’elle est profondément dans une tradition sécu­
laire, dont elle n’est, en réalité, que le prolongement et
l’épanouissement.
Ce mouvement de rénovation s’est fait sentir jusque dans
le monde religieux. Revues, congrès, sessions d’études ont
insisté depuis plusieurs années sur la nécessité d’un rajeunisse­
ment spirituel et apostolique dans les Instituts, lesquels doivent
compléter, modifier, adapter leurs Règles et Constitutions, leurs
traditions, leurs usages, leurs multiples activités aux conditions
de vie et aux besoins légitimes de la société contemporaine.
Il reste toutefois entendu que ce ressourcement et ce renou­
8 AVANT-PROPOS

veau ne toucheront en rien à la nature même de l’état reli­


gieux, et respecteront le but spécial, l’esprit propre et les notes
caractéristiques de chaque Congrégation.
Cette revalorisation s’amorcera dès les premières années
de formation, et tout d’abord au Noviciat. Cette formation
est-elle toujours ce qu’elle aurait dû être, et n’est-ce point à
un vice de naissance, à un rachitisme congénital qu’il faudrait
attribuer la cause première de tant d’existences médiocres et
de pertes de vocation ?
De tout temps, mais surtout de nos jours, l’éducation de la
jeunesse religieuse s’est révélée oeuvre délicate et ardue.
L’éducation familiale, jadis foncièrement chrétienne, offrait
déjà une excellente base de départ et un solide soubassement,
sur lequel on pouvait édifier. Malheureusement, elle s’est raré­
fiée, et maintenant, avant de continuer la bâtisse, il s’agit de
déblayer le terrain.
Nombre de candidats et d’aspirantes apportent du monde,
avec une évidente bonne volonté, certaines qualités humaines,
peut-être oubliées ou négligées par la précédente génération :
initiative, loyauté, sens de la justice, recherche d’un idéal,
rejet de tout conformisme, respect de la personnalité, toutes
dispositions que l’on peut utiliser comme matériaux ou instru­
ments de formation.
Mais combien aussi entrent au Noviciat nantis d’habitudes
intellectuelles et de tendances morales fort dangereuses. Esprit
d’indépendance, de critique, d’innovation, dédain du passé et
de la tradition, naturalisme de la pensée et de l’action, huma­
nisme mal compris : autant de défauts qui, hier, ont peut-être
fait obstacle à l’éclosion de leur vocation, et qui, demain,
constitueront un sérieux handicap pour leur initiation à la
vie religieuse et leurs progrès dans la voie de la perfection.
Ajoutez à cela, chez le Formateur ou Formatrice, un manque
parfois de préparation et d’expérience, une certaine pénurie
de savoir, de méthode, sinon de vertu : déficiences qui vont
compliquer, alourdir sa charge et rendre plus aléatoire le
succès de son action éducatrice.
De divers côtés, des désirs se sont exprimés et, jusque
dans les Chapitres Généraux, des voix se sont élevées pour
réclamer un « Directoire du Noviciat »à l’usage du Maître
et des disciples.
AVANT-PROPOS 9
Ce Directoire, nous l’avons tenté, et ce n’est qu’un essai.
Mais tel qu’il est, avec ses lacunes et ses imperfections, peut-
être sera-t-il à plusieurs de quelque utilité.
Le présent ouvrage n’est pas un « Livre de lecture » mais
un « Livre d’étude », un Instrument de travail. Qui veut en
profiter doit non pas le parcourir, mais l’approfondir. Il
s’adresse à tous ceux et celles qui doivent concourir à la for­
mation de notre jeunesse religieuse ; tout d’abord, aux Direc­
teurs et Directrices du Noviciat, et puis, aux Novices eux-
mêmes, qui sont leurs associés et collaborateurs obligatoires.
Les uns y trouveront un programme d’enseignement doctrinal,
et les autres, un instrument de perfectionnement moral.
Ce Directoire a été conçu sous forme de « Leçons », et
dans un esprit strictement didactique.
Chaque leçon comprend un schéma, un questionnaire et
une bibliographie.
Un schéma doctrinal : quelques pages succinctes qui servi­
ront de thème à une conférence sur un point spécial de théo­
logie dogmatique ou morale, d’ascétisme, de liturgie, de vie
religieuse, apostolique, etc.
Heureusement dispensé de prendre des notes au vol, ou
de faire, après coup, un résumé plus ou moins exact, le Novice
pourra ensuite relire ce schéma, l’étudier et l’approfondir.
L’ensemble de ces leçons constituera un Idéal-Programme,
une espèce de « Somme » sur l’Etat religieux en général,
ses origines, sa nature, son but, ses éléments, ses obligations ;
une étude sur l’institut, sa fin spécifique, ses Règles, son esprit,
ses vertus caractéristiques, son apostolat particulier ; bref, un
« Compendium » de tout ce qu’un Novice peut connaître et
doit pratiquer avant de s’engager, par sa profession, sur le
chemin de la perfection, au service de Dieu, de l’Eglise et
des âmes.
Un questionnaire suivra, plus particulièrement réservé aux
Novices, portant sur quelques points secondaires de doctrine
ou d’ascèse, sur des incompréhensions à éclairer, des doutes
à résoudre, des objections à réfuter, des erreurs à rejeter.
Toutes ces questions seront étudiées, discutées soit en privé,
soit par petit groupe ou équipe, ou encore en séance plénière.
De vive voix ou par écrit, les réponses seront communiquées
à l’Aumônier, au Père-Maître ou Maîtresse des Novices, à
10 AVANT-PROPOS

qui il appartient de les apprécier, compléter, rectifier et fina­


lement approuver.
Cette méthode de formation, active et socratique, offre plus
d’un avantage.
Elle remédie à une certaine paresse ou passivité intellec­
tuelle ; elle fouette, éveille l’esprit et lui ouvre des horizons
nouveaux. Une trouvaille de vérité, fruit de nos propres inves­
tigations et réflexions, nous paraîtra toujours plus amène, plus
acceptable, plus convaincante que des exposés donnés d’office
et imposés d’autorité.
Les Formateurs, à leur tour, y trouveront profit. Ils consta­
teront les réactions de leur enseignement sur leurs jeunes
auditeurs et la façon dont ils se le sont assimilé. Excellent
moyen aussi, par un contact d’esprit, plus étroit et plus spontané,
de se rendre compte de leurs difficultés, de leurs préjugés,
de leurs ignorances, bref, de leurs qualités ou défauts intellec­
tuels (Cf. Pour les Maîtresses des Novices, Ch. VI, p. 102).
Une bibliographie fort réduite d’ailleurs, afin de signaler
quelques sources d’information, auxquelles Maître et disciples
pourront aller puiser avec plus de facilité ; le premier, pour
appuyer sa doctrine et étoffer ses développements ; le second
pour étendre et renforcer ses connaissances. A demander
audience aux Pères et Docteurs de l’Eglise, à fréquenter les
saints et les Maîtres spirituels, on ne peut que gagner en pro­
fondeur et sûreté doctrinale.
A une Introduction générale sur le Noviciat, ECOLE DE
FORMATION, son institution, sa nature, son oeuvre, son but,
son importance, succédera une double étude spéciale et dis­
tincte sur la formation religieuse des Novices : ses AGENTS
actifs, son PROGRAMME théorique et pratique1.

(I) Le canon 490 déclare que « les dispositions concernant les


religieux, bien qu'énoncées au masculin, sont pareillement valables pour
les religieuses, sauf exceptions résultant du contexte ou de la nature des
choses ». De même tout ce que nous dirons du P. Maître ou Maîtresse
des Novices — en dehors de certains points que nous signalerons —
s’applique indistinctement à l’un et à l’autre.
PREMIÈRE PARTIE

ÉCOLE DE FORMATION

Chapitre I : VOCATION
Chapitre II : NOVICIAT
Chapitre III : PROFESSION
INTRODUCTION

Une Ecole de Formation peut s’envisager à un triple point


de vue : conditions d’admission, nature, but.

Nul n’est admis dans une Ecole professionnelle, s’il n’a


subi d’abord un examen d’entrée et fait preuve des aptitudes
requises. Il en va de même pour une Ecole de Formation
spirituelle. Aucun candidat n’y est reçu, à moins de donner
des gages d’idonéité, c’est-à-dire, s’il n’a la « Vocation ».

La formation religieuse, préparatoire à la vie religieuse


— tout à la fois doctrinale et pratique — doit se donner
obligatoirement dans une Ecole officielle, instituée par l’Eglise,
le « Noviciat ».

Le but premier du noviciat est de conduire les aspirants


jusqu’à la Profession ; engagement sacré au service de Dieu,
et incorporation à l’institut où ils ont émis leurs vœux.
Chapitre Premier

LA VOCATION

L’Etat religieux est dans VEglise un état de perfection,


réservé à une élite. Cime morale, dont ceux-là seuls sont à même
de tenter l’ascension que la Providence a choisis et appelés.

Née de Dieu et en Dieu, la vocation est tout d’abord et essen­


tiellement un appel divin, une invitation du Christ à le suivre
de plus près sur le chemin des conseils évangéliques. « Si vis...
veni, sequere me » (Matth., XIX, 21).

Encore faut-il capter ce message d’amour et prendre conscience


de sa réalité. A cette fin, se tenir attentivement à « l’écoute » -,
car il nous arrive dès l’abord et presque toujours vague, confus,
intermittent, brouillé par d’autres voix fallacieuses et mensongères.
Fixée — à n’en pas douter — sur l’appel de Dieu, que fera
l’âme et quelle sera sa réponse ?

Toutefois, la question « vocation » n’est point définitivement


tranchée par la seule décision du candidat. Religieux, nul ne peut
le devenir, s’il n’est accepté par un Ordre ou une Congrégation.
A celle-ci, avant de s’engager — car la profession est un contrat
bilatéral — de prendre ses assurances et d’enquêter officiellement
sur l’idonéité physique, intellectuelle, morale du prétendant, les
aptitudes spéciales requises par la vie de l’institut, sa Règle, son
esprit et son apostolat. D’où la nécessité d’un « contre-appel ».
i6 LA VOCATION

Appel de Dieu, acceptation de l’Ordre : tels sont les deux


éléments constitutifs essentiels de la Vocation, au sens plénier
du mot.

ire Leçon : l’appel de dieu.


2e leçon : A L’ÉCOUTE.

3e leçon : réponse de l’ame.

4e leçon : CONTRE-APPEL DE L’ORDRE.


PREMIÈRE LEÇON

APPEL DE DIEU

« Vocation » ; ce mot, en son acception la plus large


se révèle riche de sens et de portée universelle. La création
entière, envisagée dans son ensemble ou considérée dans la
multitude infinie de ses éléments, s’est trouvée dotée par Dieu,
dès son origine, d’une divine vocation. Elle répond au « pour­
quoi » de son existence, de sa nature, de sa splendeur, de la
variété, de l’harmonie et de la hiérarchie des êtres qui la
composent.
Pourquoi Dieu a-t-il créé l’univers ? Pourquoi d’un « fiat »
l’a-t-il appelé et fait jaillir du néant ? Pour sa gloire, pour la
manifestation de sa Vie trinitaire, témoignage éclatant et
éternel de son existence et de ses attributs infinis : sagesse,
puissance, bonté, munificence. « Universa propter semetipsum
operatus est Dominus (Prov., XVI, 4). Du brin de mousse à
l’étoile, des abîmes de l’Océan à l’atome invisible, toute créa­
ture chante, bénit et glorifie le Seigneur. « Benedicite omnia
opera Domini Domino, laudate et superexaltate eum in saecula »
(Canticum trium puerorum. Daniel III).

En cette féerie de grandeur, de beauté et de gloire qu’est


la création, l’humanité occupe une place de choix et joue un
rôle de premier plan. Concert prodigieux d’adoration et de
louanges qui monte vers le Très-Haut, où la voix de l’homme
semble assumer, amplifier et couronner l’universel cantique
de la nature.
« Pourquoi, demande le catéchisme, Dieu nous a-t-il créés
et mis au monde ?» — « Pour le connaître, l’aimer, le servir
et par ce moyen acquérir la vie éternelle. » Et voilà, en quelques
mots denses, fixée à tout jamais la destinée, la vocation de
l’humanité.
Incarnation, Rédemption, Fondation de l’Eglise : tous ces
mystères du catholicisme n’ont pas d’autre fin que de rétablir
2
18 LA VOCATION

l’ordre primitif, bouleversé par le péché d’Adam et de faire


rentrer le monde des âmes dans le sens et la réalisation de
sa vocation essentielle : glorification de Dieu, par le rayonnement
d’une vie de sainteté, inaugurée sur terre et qui ne trouvera
qu’au ciel son plein et définitif épanouissement.
Vocation commune à tous en général et à chacun en parti­
culier, mais qui se diversifie à l’infini et compte autant de
modalités et de degrés qu’il y a d’hommes sur la terre. Toute
âme a sa vocation personnelle, inaliénable, immuable, parce
que prédestinée par Dieu à une certaine plénitude de
grâces et de gloire. « Stella a stella differt » (Corinth., XV, 41).
« Multiples sont les demeures dans le royaume du Père »
(Joan., XIV, 2).
« Il y a une véritable vocation, en quelque sorte divine,
pour n’importe quel état, dans la mesure où le principal auteur
de tous les états, de tous les dons ou dispositions, tant naturels
que surnaturels, est Dieu lui-même » (Pie XII, Const. Apost.
« Sedes Sapientiae », 21 mai 1956).

Analysé sur le plan social et dans le cadre ecclésial, le mot


vocation se restreint et se précise. A son baptême, incorporé
au Christ-Mystique, tout chrétien devient un de ses membres
vivants. Dans cet organisme divin, chacun, de par Dieu, a
sa place déterminée, une fonction à remplir, une activité à
exercer ; bref, chacun a sa vocation.
L’Eglise ne reconnaît officiellement que trois espèces de
vocation, correspondant aux trois états de vie chrétienne : voca­
tion au laïcat — mariage ou célibat ; vocation à la perfection
par la pratique des conseils évangéliques ; vocation à l’apostolat
par le ministère sacerdotal.
Distinctes entre elles, ces vocations peuvent néanmoins se
réaliser successivement, voire se conjuguer simultanément dans une
seule et même vie chrétienne. Après de longues années de
mariage, combien sont entrés en Religion, puis dans le Sacer­
doce. Prêtres-religieux : vocation normale dans les Instituts
de clercs.
Et dans chacune de ces vocations — selon les desseins
éternels de Dieu — se retrouvent la même diversité, toute une
hiérarchie de dons, de grâces, d’apostolats, de sainteté et fina­
lement de gloire.
La vocation religieuse, en particulier, épouse toutes les formes
de la perfection évangélique, telle qu’elle a été conçue et réalisée
dans la multiplicité des Ordres et Congrégations.
En réalité, dans une vocation commune et identique, chacun
APPEL DE DIEU 19

des membres de l’institut est appelé par Dieu à une destinée


originale et tout à fait personnelle. Tout religieux a sa vocation
dans sa vocation.

L’étude de la Vocation Religieuse en général — origine,


éléments essentiels, terme — rentre seule dans le cadre de ce
travail.
I. ORIGINES DE LA VOCATION

C’est de Dieu que toute vocation religieuse tire son origine


première. Née de Dieu, c’est en Lui qu’elle a tout d’abord
pris racine et puisé sa sève nourricière. Tous les attributs
divins ont coopéré à sa conception. Elle en est comme le corollaire
naturel et nécessaire.
« Le domaine absolu (de Dieu) sur les ouvrages de ses
mains lui dorme le droit de faire ce choix et cette détermi­
nation ; sa science, sa puissance infinie lui en assurent le pou­
voir ; sa sagesse et sa providence lui en font un devoir; et sa
bonté et son amour pour nous ne lui permettent pas d’oublier
nos intérêts les plus chers et les plus pressants » (Gautrelet,
« Traité de l’Etat Religieux », Ire Partie, ch. II, art. 1, § 1).

Le rôle de la Trinité et des trois Personnes divines dans


l’établissement de l’Etat Religieux et l’Evolution des différents
Instituts — voir IIe Partie, ch. IV — se manifeste déjà dans
l’éclosion et le développement de toute vocation religieuse indivi­
duelle. Elle est l’œuvre exclusive du Très-Haut.

1. La Création. L’idée de vocation religieuse est intime­


ment liée à l’idée créatrice. Dieu ne crée point les âmes pêle-
mêle, en série, sur un même modèle. Chaque âme qui sort
de ses mains est une œuvre originale, un prototype unique.
En faisant jaillir du néant, par son Fiat, une âme de futur
religieux, le Tout-Puissant savait ce à quoi il la destinait, la
place qu’elle devait occuper et son rôle à jouer dans l’huma­
nité. Il la créait, afin qu’un jour, consacrée à son Culte, dans
l’Eglise du Christ, elle put le mieux connaître, le mieux aimer,
le mieux servir et finalement lui procurer plus de gloire. A cet
effet, le Créateur lui conférait un certain capital de beauté,
de richesse et de grandeur : préparation harmonieuse à sa future
destinée.
La vocation d’une âme est donc en germe, et toute une
vie religieuse en espérance dans l’Acte créateur.
20 LA VOCATION

2. Paternité de Dieu. Engendré par Dieu « ex Deo,


nati » (Joan., I, 13), tout chrétien devient, par son baptême
enfant du Père céleste. Paternité et filiation divine dont le
concept implique nécessairement Vidée de vocation.
Quel est le père, la mère qui ne fasse pour leur petit au
berceau, voire, dès avant sa naissance, des rêves d’avenir; qui
n’ait le souci constant de lui assurer une belle carrière, une
brillante situation et une heureuse existence ?
Dieu est trop père — « nemo tam pater » — pour oublier
ses enfants et se désintéresser de leur destinée temporelle et
éternelle. Voilà pourquoi, à l’heure même où il les engen­
drait, il portait déjà tout leur destin dans sa pensée et son
cœur de Père. A tous, et spécialement à ses fils de prédilection
— futurs religieux — il fixait d’avance un programme de vie
et assignait une vocation personnelle. D’aucuns étaient déjà —
dans ses plans éternels — des « séparés », des « consacrés ».

3. Rédemption du Sauveur. La vocation religieuse,


réservée à une élite, est une des grandes grâces de la Rédemption.
Rejeton poussé au pied de la Croix, qui ne grandit et ne fruc­
tifie que sous la rosée du Sang de Jésus. En son Cœur broyé
et ouvert, le Sauveur portait l’humanité entière, son Eglise,
toutes les âmes chrétiennes, religieuses, sacerdotales et, parmi
elles, son regard se portait avec prédilection sur ses amis intimes,
ses fidèles épouses, leur adressant comme une invitation à une
imitation plus parfaite et un amour plus ardent, cet appel
suprême : « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se renonce,
porte sa croix et me suive » (Matth., XVI, 24; Luc, IX, 23).
Toute vocation religieuse descend du Calvaire ; elle est un
des plus beaux fruits de la Passion du Christ.

4. Mission du Saint-Esprit. Si la vocation est un appel


à une sainteté supérieure, à une éminente dilection, se pourrait-il
que l’Esprit Sanctificateur et l’Esprit d’Amour y demeurât
étranger ? Envoyé au Cénacle pour fonder et authentiquer la
mission des apôtres, il vient à nouveau dans l’âme des futures
religieuses pour les illuminer et les confirmer dans la fidélité
à leur vocation de consacrées « Confirma hoc, Deus, quod
operatus es in nobis » (Ps. LXVII, 29).

5. La Providence. Oeuvre de la Trinité en son principe,


la vocation, dans son développement et son aboutissement, relève
aussi de la Providence divine. Par l’exercice de sa sagesse,
puissance, bonté, miséricorde ; grâce à ses innombrables inter-
APPEL DE DIEU 21

vendons, à travers l’inextricable écheveau de toute destinée


humaine, n’est-ce pas elle qui guide et conduit les âmes jusqu’à
la terre promise de l’état religieux ?
Si la Providence se préoccupe de vêtir le lis et de nourrir
le passereau, resterait-elle indifférente vis-à-vis des enfants de
Dieu ?
Toute vocation a son histoire, longue ou brève, mystérieuse
toujours et parfois merveilleuse. Une entrée en religion n’est
jamais un événement fortuit, un accident imprévu, qui arrive
tout à coup, ou après coup, on ne sait comment. L’éclosion
d’une vocation n’est pas le résultat d’une génération spontanée,
mais le fruit d’une lente maturation divine. Aux yeux même
de son bénéficiaire, elle peut apparaître un fait surprenant,
mais elle n’était, en réalité, qu’une surprise préparée et ménagée
par Dieu depuis toujours.

II. NATURE DE LA VOCATION

Au sujet de tout nouveau-né, comme de saint Jean-Baptiste,


une question se pose : « Quis, putas, puer iste erit » (Luc, I, 66) :
Que deviendra ce petit ? Quel sera son avenir ? A quoi Dieu
seul peut répondre, car Lui seul, en le créant, présidait à ses
destinées.
Dans la Constitution Apostolique « Sedes Sapientiae »,
31 mai 1956, Pie XII fixait définitivement la nature de la voca­
tion et en déterminait les éléments primordiaux : tout à la fois
choix et appel.
1. Vocation — Choix. Choix d’abord de la part de Dieu,
qui se présente sous un double aspect, marqué au coin de la
spontanéité, de la gratuité et de l’amour.
a) Choix de la personne. Le mot choix implique toujours
une préférence. Parmi la multitude innombrable des êtres
humains sortis de ses mains, Dieu en distinguait quelques-uns
sur lesquels son regard se reposait avec prédilection, qu’il
séparait déjà de la masse « segregatus » (Rom., I, 1), qu’il se
réservait, pour en faire un jour ses voués, ses consacrés. A ces
religieux de demain, le Seigneur déjà pouvait dire : « Ce n’est
pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis »
(Joan., XV, 16) ; « Je vous ai choisis du milieu du monde »
(Joan., XV, 19) ; « Dès le sein de ta mère, je t’ai mis à part
et appelé » (Gai., I, 15).
b) Choix d’une Vocation. Dieu, en réalité, ne choisissait
22 LA VOCATION

ses élus qu’en vue d’une destinée de choix. Dans la hiérarchie


des âmes, la multiplicité des grandeurs morales et la diversité
des fonctions sociales, le Seigneur réservait à ces privilégiés
une place à part, une situation éminente, une vocation princière,
la vocation de « religieux ».
Double choix que rien n’explique ni ne justifie que la
sagesse, l’indépendance et la bonté divine. La vocation reli­
gieuse est un mystère de foi et d’amour, ou plutôt de prédilection.

2. Vocation — Appel. Le choix de Dieu comporte impli­


citement un appel à répondre à ses vues et à réaliser ses desseins ;
un appel éternel à acquiescer à ses dispositions providentielles.
Ceux qu’il a choisis, il les appelle. « Jésus gravit la montagne,
et il appela auprès de lui ceux qu’il voulait » (Marc, III, 13).
Saint Paul recommandait aux Corinthiens « Que chacun demeure
dans la condition où il était quand il a été appelé par Dieu »
(I Corinth., VII, 20) ; et aux Ephésiens : « Je vous exhorte...
à mener une vie digne de Vappel qui vous a été adressé »
(Eph., IV, 1).
« C’est un très grand bienfait de la Divine Providence que
constamment, au cours des siècles, le Christ Rédempteur ait
inspiré aux âmes, objet de sa prédilection, par une parole inté­
rieure et quasi mystérieuse, cette invitation qu’il avait déjà adres­
sée de vive voix au jeune homme qui l’interrogeait sur la vie
éternelle : « Viens et suis-moi » (Pie XII, Const. Apostolique
« Sedes Sapientiae », du 31 mai 1956).
Encore faut-il préciser le sens exact de cet appel. Appel,
non pas d’une volonté impérative qui commande et s’impose,
mais d’un cœur bienveillant qui offre et sollicite ; appel qui
s’adresse bien plus à la générosité qu’à la conscience, qui attire
sans forcer, qui n’est pas un ordre, mais une invitation.

3. Rôle du choix et de l’Appel divin. Choisir, appeler :


deux faces d’un seul et même acte qui constitue le fondement
et le premier élément essentiel de toute vocation. A tel point
que nul ne peut légitimement s’engager dans l’état religieux,
s’il n’y est appelé par Dieu.
« Le fondement de toute vie religieuse, soit sacerdotale,
soit apostolique — ce qu’on appelle vocation divine — est
constitué d’un double élément en quelque sorte essentiel, à
savoir : l’un divin, l’autre, par contre, ecclésiastique. Pour ce
qui est du premier, il faut dire que la vocation de Dieu est
à ce point nécessaire pour embrasser l’état religieux ou sacer­
dotal, que si elle fait défaut, on doit dire que le fondement
APPEL DE DIEU 23

même sur quoi s’appuie tout l’édifice fait défaut » (Pie XII,
Const. Apost. « Sedes Sapientiae », 31 mai 1956).
Dans la Const. Apost. « Provida Mater », sur les Instituts
séculiers, le même Souverain Pontife rappelle que les âmes
ne peuvent s’y engager que « grâce à un appel spécial de Dieu
et avec son aide ».

III. GRACE DE LA VOCATION

Née de Dieu, la vocation religieuse est, de sa nature, une


œuvre divine. En son aboutissement, elle se révèle, pour Vâme
choisie et appelée, une grâce éminente; la plus grande, au dire
de saint Alphonse, après celle du baptême, que d’ailleurs elle
suppose, inclut et couronne.
Des caractères distinctifs qui fondent et établissent sa pri­
mauté, signalons les principaux.
1. Gratuité. La vocation est une grâce strictement gratuite
et que personne ne peut mériter. Dès avant notre naissance,
depuis toujours, elle nous était promise et assurée. Dans ce
choix et dans cet appel, nous n’y avons été pour rien. Durant
le cours d’une vie religieuse, il est donné à chacun, par sa
prière, ses sacrifices, ses bonnes œuvres, son amour, d’obtenir
de Dieu quantité de grâces actuelles et habituelles. Mais la
grâce première de la vocation n’est d’aucune façon notre œuvre
personnelle. Elle relève exclusivement de la seule libéralité
divine; pur don du Très-Haut (Matth., XIX, 11).

2. Grâce Capitale, de laquelle découlera, comme de sa


source, une multitude de grâces actuelles : lumière, force,
pureté, ferveur, générosité, charité, persévérance. Don d’une
opulence princière et d’une fécondité admirable. L’appel à
l’état religieux impliquait, de la part de Dieu, une promesse
sacrée d une incessante libéralité spirituelle, et constituait pour
l’âme un droit à tous les secours requis pour satisfaire aux
exigences de sa destinée. Se pourrait-il que Dieu proposât un
idéal de vie morale, sans donner en même temps les moyens
de le poursuivre et de le réaliser ?

3. Titre de Noblesse. La vocation religieuse est un des


plus hauts titres nobiliaires qui soient au monde. Elle situe
l’âme dans un ordre de grandeur exceptionnelle et l’affecte
dans l’Eglise, au-dessus de tous les fidèles, à un poste d’honneur.
24 LA VOCATION

Plénitude de la filiation divine, participation plus intime à


la vie du Père, alliance éternelle avec le Verbe, qui fait d’elle
une reine ; renforcement d’amitié avec le Sauveur — « Jam
non dicam vos servos... sed dixi amicos » (Joan., XV, 15) —
membre choisi du Corps mystique, consécration au culte
exclusif de Dieu, parfaite imitation du Christ, premier reli­
gieux du Père, hostie de louange, holocauste permanent, le
plus grand et le plus saint des sacrifices, après la messe et le
martyre, pur rayonnement sur terre de la gloire trinitaire :
toutes ces merveilles sont contenues en puissance dans la
vocation religieuse.

4. Grâce de Sainteté. Encore que tout chrétien doive


viser à la sainteté, « Haec est enim voluntas Dei, sanctificatio
vestra » (I Thess., IV, 3), le religieux, lui, est appelé par Dieu,
et en vertu d’un engagement sacré, à une éminente perfection.
Par vocation spéciale, le voilà fixé à tout jamais dans un « état
de perfection », « Status perfectionis », et orienté définitivement
vers une plénitude toujours croissante de charité, « ad perfec­
tionem caritatis ». L’appel divin était pour lui un appel vers
les cimes ; exhortation permanente à la conquête de Dieu,
sursum corda ; invitation du Christ, premier de cordée, à le
suivre de plus près sur la voie montante de la pauvreté, chasteté
et obéissance évangélique.

5. Grâce d’Apostolat. Source de sainteté individuelle,


l’état religieux est de plus une puissance exceptionnelle d'apostolat.
N’est-ce point là une des fins essentielles de tous les Instituts ?
En appelant quelqu’un à la vie religieuse, Dieu l’envoyait à
la moisson des âmes.
Apostolat d’autant plus universel, puissant et fécond qu’il
repose sur une sainteté éminente, qu’il s’alimente à une charité
plus ardente, qu’il s’exerce, grâce aux conseils évangéliques,
avec plus de liberté et de désintéressement, qu’il a toujours
à sa disposition ces forces conquérantes : prière et sacrifice ;
qu’il est réglé par l’obéissance, soutenu et renforcé par l’exemple
et l’entraînement de ses frères d’armes. De par sa vocation,
tout religieux est un grand apôtre du Christ, un de ses meilleurs
collaborateurs dans l’œuvre de la Rédemption, « vocatus apos­
tolus » (Rom., I, 1).

6. Grâce de persévérance finale et de prédestination.


La vocation religieuse est un des gages les plus assurés de persé­
vérance et de prédestination, à condition toutefois que l’âme
APPEL DE DIEU 25

consacrée y réponde avec fidélité. Dans les plans divins, ces


trois grâces sont intimement et comme indissolublement unies.
Qui répond loyalement à l’appel de Dieu, s’engage sans dévier
ou rebrousser sur la voie de la sainteté, répond à toutes les
exigences de sa vocation, ce religieux, à n’en pas douter, ne
peut ni s’égarer ni se perdre. Et la raison ultime de cette certi­
tude est qu’il a fait de la volonté et du bon plaisir divin la
règle absolue et universelle de sa vie.
« Choisir le Seigneur, et par ce choix en faire son Dieu,
c’est un des secrets de la prédestination divine, qu’il n’appar­
tient qu’à Dieu même de nous révéler ; et dire qu’en quittant
le monde pour embrasser l’état religieux, nous avons trouvé
ce secret » (Bourdaloue, IIe Sermon sur l’Etat religieux,
Ire Part.).
« Dans la vie religieuse, on avance d’un pas sûr et si facile
dans le chemin de la perfection, qu’on a déjà jeté l’ancre,
semble-t-il, dans le port du salut » (Pie XI, A. A. S., Ier avril 1924,
P- 133)-
Et n’est-ce point aux religieux que s’appliqueraient spécia­
lement ces paroles de saint Paul : « Ceux qu’il a distingués
d’avance, il les a prédestinés à être conformes à l’image de son
Fils, qui devient de la sorte le premier-né d’une foule de frères.
Ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés ; ceux qu’il a
appelés, il les a aussi justifiés ; et ceux qu’il a justifiés, il les a
aussi glorifiés » (Rom., VIII, 29-30).

I. Tout homme a-t-il une vocation divine et


personnelle ?

2. Carrière humaine, profession sociale, état


de vie sont-ils synonymes de vocation ?

3. Que penser de l’expression « Choisir sa voca­


tion ? » Est-elle exacte ?

4. La doctrine des vocations successives, ou de


rechange, au gré de chacun, et sous
l’influence des circonstances variables
de la vie, est-elle acceptable, et dans quel
sens ?
26 LA VOCATION

5. Peut-on dire qu’une mère, par ses désirs,


ses prières, ses sacrifices, a mérité et obtenu
pour son enfant la grâce de la vocation
religieuse ?

6. La vocation religieuse est-elle supérieure


à la vocation sacerdotale ?

Pie XII, Const. Apost. Sedes Sapientiae, 31 mai 1956. — S. Alph.j


Selva, ch. x ; Théol. Morale, lib. IV, Dubium V. — Choupin, Nature
et Obligations de l’Etat religieux, Iie Partie, cfi. IX. — Gautrelet,
Traité de l’Etat religieux, Ire Partie, ch. II. — Desurmont, La Charité
Sacerdotale, t. I, ch. XI. — Loret, Vocation, Doctrine, Pratique. —
Pour la Maîtresse des Novices, Editions du Cerf, ch. I. — Gay, De
la Vie et des Vertus Chrétiennes, t. I, « De l’Etat religieux ». — Schaefer,
De Religiosis, Pars VIII, « De Admissione in religionem ». — Ver-
meersch, De Vocatione religiosa et sacerdotali. — J. Leclercq, La
Vocation Religieuse. — Cormier, L’Instruction des Novices, Ire Partie,
ch. Ier. — Raus, Nouvelle Revue Théologique, t. 51 (1924). —P. Colin,
Culte des Vœux, ch. 11. — Faber, Conf. Spirituelles, « Tous les hommes
ont une vocation spéciale ». — Acta et Documenta Congressus Generalis
de Statibus Perfectionis, 1950, t. IV. Index, « Vocatio », p. 398.
Revue des Communautés Religieuses (R. C. R.), 1940, 5-33 ; 1951, 48.
— Forma Gregis, mai 1952, « La Vocation religieuse dans le plan de
la Rédemption », Motte ; mars 1956, « Le Mystère de la Vocation
Religieuse », Chevignard. — Christus, Cahiers Spirituels, 14, p. 158.
DEUXIÈME LEÇON

A L’ÉCOUTE

L’entrée en religion présuppose et exige toujours la vocation


religieuse. Nul ne peut de lui-même s’engager, à la suite du
Christ, dans la voie des conseils évangéliques s’il n’a été choisi
et appelé de Dieu.
Encore faut-il connaître ce choix et capter cet appel. Suis-je
appelé à l’état religieux? Question primordiale et d’une portée
immense, à laquelle il s’agit tout d’abord de répondre en toute
loyauté.
La vocation est l’axe central qui commande tout, le pivot
immuable autour duquel gravite toute l’existence. C’est elle
qui oriente la vie, fixe son emploi et lui assure presque toujours
sa rectitude morale, sa valeur spirituelle, ainsi que son bonheur
temporel et éternel.
Ai-je la vocation religieuse? Problème obscur, compliqué,
apparemment inextricable, avec ses nombreuses données et
multiples inconnues. Où trouver les éléments d’une juste solu­
tion ? Nous les découvrirons en recourant à une triple source
d’information : Dieu, nous-même, un Directeur.

I. DIEU, PREMIER INFORMATEUR

La vocation religieuse est un mystère caché dans les profon­


deurs de Dieu, que Lui seul connaît et que Lui seul peut révéler.
A Lui, s’il veut que nous répondions à ses desseins, de nous
instruire de son choix et de nous faire entendre son appel, soit
directement par lui-même, par les inspirations secrètes de sa
grâce, soit indirectement par le moyen des causes secondes et
le ministère de sa Providence.

Ses plans éternels sur une âme qu’il a choisie et appelée,


Dieu va les réaliser dans le temps.
28 LA VOCATION

Semence divine, jetée par Celui que le Sauveur nomme


« agricola » (Joan., XV, i) dans l’humus profond d’une âme,
la vocation y germera lentement ou subitement, pour s’y épa­
nouir un jour en vie religieuse. Mais son enracinement et sa
culture relèvent tout d’abord et nécessairement de Dieu. En
son origine, son développement et son aboutissement, toute
vocation est premièrement et essentiellement ï’œuvre du Très-
Haut.
Dieu agit donc sur l’âme qu’il a destinée à son service,
et cette action mystérieuse — corollaire obligatoire de son choix
et de son appel — revêt la valeur d’un témoignage muet et vivant.
Elle est un test indiscutable de l’existence d’une vocation
authentique.
Cette présence active de Dieu dans la genèse des vocations
religieuses est génératrice de lumière, d’attraits, de droiture
d’intention et de résolution.

i. Lumière Révélatrice. La vocation est un appel de Dieu


à l’état religieux. Encore faut-il tout d’abord prendre connais­
sance de ce qu’il est : sa nature, sa fin, ses éléments, ses exi­
gences, sa grandeur, ses richesses. Comment adopter une forme
de vie que l’on ignore ?
La révélation progressive de l’état religieux ne peut venir
que de Dieu, qui seul l’a conçu et institué. Elle nous arrive
par différentes voies : inspirations secrètes de la grâce, évangile,
enseignement de l’Eglise, tradition catholique, exemple des saints.

2. Attraits. La vocation s’accompagne souvent d’attraits


intérieurs, naturels et surnaturels, spirituels bien plus que sen­
sibles. Chez les candidats religieux, la connaissance — acquise
ou infuse — de leur futur état de vie n’est point une science
froide, livresque, spéculative, mais une lumière chaude, onc­
tueuse, savoureuse, nourricière ; « lumière de vie » — « lumen
vitae » — qui, de l’esprit, descend dans le cœur — « lumen
cordium ». Comme la fleur, humide de la rosée nocturne, s’épa­
nouit au premier rayon du soleil et exhale son parfum, ainsi
sous ^influence de l’Esprit d’en-Haut — « spiritalis unctio » —
le cœur va-t-il s’ouvrir tout grand — « cujus Dominus aperuit
cor » (Act., XVI, 14) — et ressentir, dans une atmosphère de
paix et de joie, devant cet idéal de perfection qui se dresse
devant lui, un premier mouvement de sympathie, d’estime,
d’admiration, de complaisance et d’amour. Tous sentiments qui
ne feront que se développer, s’intensifier et devenir à leur
tour attirance et désir. Source de lumière, l’appel de Dieu est
A L’ÉCOUTE 29

encore puissance d’attraction. « Personne, dit Jésus, ne vient à


moi, si mon Père ne Fattire. » (Joan., VI, 44.)
L’invitation du Sauveur aux bateliers du lac : « Suivez-moi »
(Matth., IV, 19), était pour eux plus que l’annonce de leur
vocation de pêcheurs d’hommes. Cet appel leur apportait en
même temps une grâce de force, d’arrachement et d’entraî­
nement. A cette seule parole « Venite », les voilà qui incontinent
abandonnent tout : barque, filets, famille, pour se mettre à
la suite du Maître, conquis pour toujours à sa personne et à
son œuvre. « Et secuti sunt eum » (Marc, I, 20).
3. Droiture d’intention. Oeuvre de la grâce — de nous-
même, ne sommes-nous pas incapables d’une pensée, d’un
sentiment surnaturel ? « Notre capacité vient de Dieu »
(II Corinth., III, 5) — la droiture d’intention est encore un
des éléments essentiels d’une vocation divine. Nul ne doit
entrer en religion qu’en vue d’une plus haute sainteté, d’un
apostolat plus fécond, bref, d’une plus grande gloire de Dieu.
« Si vere quoerit Deum » (S. Benoît, Reg., ch. LVIII). Toute
vocation ne reposant que sur des motifs humains, inspirée par
le naturalisme, l’intérêt, la passion, l’égoïsme, ne saurait être
qu’illusion ou tromperie. Ce n’est point par des sentiers obliques,
tortueux, détournés, qu’on peut aborder la terre promise de
l’état religieux, mais uniquement par la voie toute droite, fixée
par Dieu et suivie par le Christ, du don de soi, du sacrifice
et de la charité.
4. Décision. Reste enfin, pour se rendre compte de la
réalité d’une vocation, de détecter dans une âme le « vouloir
surnaturel », la résolution inspirée, soutenue, renforcée par une
grâce spéciale. Ici encore et surtout, c’est bien Dieu qui opère
le vouloir et le faire. « Qui operatur in nobis velle et perficere »
(Phil., II, 13). Décision éclairée, réfléchie, loyale, généreuse, de
répondre en pleine liberté à l’appel de Dieu et d’accepter la
vie religieuse telle qu’elle est, avec toutes ses exigences, renon­
cements et sacrifices. « Volonté stable et totale, humble et
exclusive d’appartenir à Dieu, au Christ et à son Oeuvre »
(Congrès des PP. Maîtres à Versailles).
Toute cette action intime, persévérante et multiforme de
Dieu sur une âme qu’il appelle, conduit et prépare à la vie reli­
gieuse, est une des preuves les plus manifestes, les plus incon­
testables, la seule convaincante, d’une vocation divine. Elle est
le témoignage que Dieu se rend à lui-même et comme la confir­
mation authentique de son appel.
30 LA VOCATION

Toute vocation revêt un caractère individuel et original,


qu’elle tient en grande partie de la multiplicité et variété des
grâces qui ont présidé à sa genèse. Identiques dans leur premier
principe — le choix de Dieu —, et dans leur terme — l’entrée
en religion — les vocations, dans leur évolution, se diversifient
à l’infini ; leur histoire vraie et détaillée ne se saura que dans
l’éternité.
Toutefois, la preuve d’une vocation divine, tirée de l’action
divine sur une âme, ne garde toute sa valeur que si elle n’est
point infirmée par l’absence à.’aptitudes à l’état religieux.

II. APTITUDES A L’ÉTAT RELIGIEUX

Utile en général pour le développement de la vie spirituelle,


la connaissance de soi-même l’est plus spécialement dans l’étude
d’une vocation religieuse. Avant de s’engager et de se fixer
dans un état supérieur de perfection, il importe de savoir exac­
tement qui l’on est, ce qu’on vaut, ce qu’on peut, et de dresser
l’inventaire aussi complet que possible de ses disponibilités
physiques, intellectuelles, morales et sociales. A qui rêve de
construire un monument de sainteté, la prudence, après l’Evan­
gile, conseille de se rendre compte des matériaux et de
l’outillage dont il dispose.
Sur un point aussi capital, qui intéresse l’existence entière,
il importe souverainement de ne point se piper ou s’illusionner.
Cette analyse de soi-même devra donc se faire sans arrière-
pensée, ni décision arrêtée d’avance, dans une indifférence
totale, avec l’unique désir de déceler la vérité et de se conformer
à la volonté divine.

i. Nature, origine et évolution des aptitudes, en fonc­


tion de la vocation religieuse.
a) Nature. Ce qu’on appelle « aptitudes » à l’état religieux
est constitué, sur le plan physique et spirituel, physiologique
et psychologique, individuel et social, par tout un ensemble
de facultés et de puissances ; vertus naturelles et surnaturelles,
qualités humaines ou divines, habitudes acquises ou hérédi­
taires ; bref, par tout un équipement qui doit permettre à l’âme,
avec la grâce de Dieu, de réaliser sa vocation, de se plier à ses
exigences multiples et variées, d’atteindre sa triple fin essen­
tielle : gloire de Dieu, sanctification personnelle, activité apos­
tolique ; bref, de vivre en vrai et parfait religieux.
A L’ÉCOUTE 31

Capital de nature et de grâce, confié par Dieu à tout homme,


et que chacun doit faire valoir en vue de son avenir temporel
et éternel.
De toute évidence, ces éléments n’ont ni la même valeur,
ni la même importance. S’il en est d’essentiels, d’autres ne sont
que secondaires, voire accidentels.
b) Evolution. Durant le cours de l’enfance et de la jeu­
nesse, sous l’influence de causes multiples : atavisme, éducation
familiale, formation professionnelle, nature du « milieu », corres­
pondance plus ou moins active à la grâce, sollicitations passion­
nelles ou diaboliques, événements ou accidents fortuits, etc.,
toute cette vie en puissance évoluera progressivement en bien
ou en mal. Innées ou acquises, naturelles ou surnaturelles,
nos différentes aptitudes vont se développer ou s’ankyloser, se
renforcer ou s’anémier, s’épurer ou se contaminer, fructifier ou
se stériliser. Combien même pourront disparaître et faire place
à autant d’inaptitudes : déficiences, déformations, tendances
vicieuses, habitudes mauvaises, impuissances multiformes. Han­
dicaps plus ou moins graves pour l’éclosion d’une vocation et
qui feront d’une âme appelée par Dieu une inadaptée à l’état
religieux et impropre à mener la vie du cloître.
De là, le nombre considérable de pertes de vocations !

2. Valeur-Critère des Aptitudes. La présence ou l’absence


d’aptitudes à la vie religieuse permet-elle de diagnostiquer une
vocation ?
a) Critère négatif. La privation d’aptitudes physiques, intel­
lectuelles, morales, sociales, jugées essentielles ou nécessaires
à l’état religieux, constitue à elle seule une preuve évidente
de non-vocation ou de pseudo-vocation. Personne ne peut
faire profession dans un Institut s’il n’a l’espoir fondé de pouvoir
garder ses vœux, observer la Règle et vivre intégralement sa
Vie religieuse.
b) Critère positif. Les aptitudes requises, constatées dans
un candidat à la vie religieuse, ne donnent point par elles-
mêmes une certitude de vocation. Combien d’âmes supérieures,
riches de qualités humaines et de dons surnaturels, sont restées
dans le monde, conscientes d’être là où la Providence les voulait.
D’ailleurs, ce n’est point toujours parmi les meilleurs, les plus
saints, que Dieu choisit ses élus, religieux ou prêtres.
Sans présenter jamais un témoignage indiscutable de voca­
tion, les aptitudes n’en restent pas moins une de ses conditions
essentielles, et parfois un signe et un indice.
32 LA VOCATION

3. Variété des Aptitudes requises pour l’entrée en reli­


gion. Nous en donnons — sans commentaire — une simple
nomenclature.
a) Equilibre général au point de vue physique, intellectuel
et moral. Organisme psychique et corporel parfaitement
constitué et développé harmonieusement, au fonctionnement
régulier et normal, exempt de déformations congénitales, de
tares héréditaires, de troubles morbides, de tendances patho­
logiques.
Carence d’équilibre, que la guerre, avec ses secousses, ses
privations, ses souffrances, n’a fait qu’aggraver et multiplier.
Il est d’une importance capitale d’examiner sérieusement
et d’écarter rigoureusement tout candidat menacé, tôt ou tard,
de venir augmenter le nombre déjà trop considérable des sujets
anormaux, originaux, maniaques, inconscients, obsédés, scru­
puleux, illuminés, névrosés, hystériques, etc., inaptes souvent
à tout emploi domestique et travail apostolique, et qui ne
sont qu’une charge et parfois un danger pour la communauté.
b) Santé qui, pour n’être point exceptionnellement robuste,
s’affirme largement suffisante pour embrasser le régime claustral,
supporter les austérités de Règle et se dévouer aux œuvres
d’apostolat.
c) Intelligence ouverte, sinon brillante, doublée de jugement
et de bon sens, capable d’idéal et de mentalité religieuse, à même
d’acquérir la science professionnelle requise par sa vocation
spéciale.
d) Volonté bien charpentée, qui sait vouloir, se décider, agir,
lutter, se vaincre, persévérer, sans reculer devant l’effort ou
le sacrifice.
e) Cœur tendre et viril, sensible aux nobles sentiments et
pures affections : amour du Christ, de l’Eglise, des âmes ;
peu porté à la sentimentalité, au sensualisme, aux amitiés dou­
teuses et amollissantes.
f) Tempérament viril, parfois exubérant jusqu’à la violence,
riche en virtualités, voire en passions, mais qui saura se maî­
triser et mettre au service de Dieu et du prochain ses forces
assagies et disciplinées.
g) Vertus naturelles et surnaturelles : Droiture, franchise,
loyauté, conscience, initiative ; esprit surnaturel, piété, charité
fraternelle, humilité, mortification ; âmes généreuses qui se
sentent de taille, la grâce de Dieu aidant, à faire de leur
A L’ÉCOUTE 33

vie entière un holocauste à Dieu, à remplir vaillamment et


intégralement les obligations essentielles et caractéristiques de
l’état religieux, avec tous les sacrifices qu’il comporte : pau­
vreté en esprit, réelle et effective ; renoncement à la vie
commode et bourgeoise, détachement de tout le créé, pour
s’attacher exclusivement à Dieu ; chasteté incorruptible, par le
triomphe sur les révoltes de la chair et les sollicitations du
monde, en utilisant ces armes qui s’appellent : vigilance sur
soi-même, prudence dans les relations, austérité, garde du
cœur, prière ; obéissance plénière, surnaturelle, amoureuse,
sans opposition sourde, critiques intérieures ou publiques,
comme le Christ obéissant jusqu’à la mort et la mort de la
Croix.
h) Esprit de famille. L’état religieux ne se conçoit pas et
ne se réalise point en marge d’une vie communautaire. Il requiert
donc de ses membres certaines qualités de sociabilité: frater­
nité d’âme, union d’esprit et de cœur, sympathie réciproque,
support, serviabilité, politesse, égard, amabilité dans les rapports
quotidiens. Qui en est dépourvu doit s’estimer inapte à la vie
religieuse.
Les « mauvais caractères », hargneux, cassants, autoritaires,
brouillons, jaloux, rancuniers, égocentriques, à moins d’un
amendement fondé, doivent être écartés. Bref, les natures
foncièrement, essentiellement « insociables » n’ont point la
vocation religieuse.
Tout cet ensemble d’aptitudes comporte bien des degrés
et variétés. Reste toutefois une règle absolue et universelle,
conseillée par la prudence. « En dessous â’un minimum d’ido-
néité, ne jamais s’engager dans la vie religieuse. »

III. ROLE DU DIRECTEUR

Le discernement d’une vocation relève en premier lieu de


l’aspirant à l’état religieux. L’orientation d’une vie, tout comme
le salut d’une âme, est affaire strictement personnelle. A chacun
de trouver sa voie et de pourvoir à son éternité.
Témoin des opérations de la grâce dans son âme, conscient
de ses aspirations, de son désir et de sa décision d’une perfec­
tion plus haute, de la pureté de ses intentions, alerté par les
interventions de la Providence, personne, autant que le can­
didat éventuel à la vie religieuse, n’est à même d’entendre
l’appel de Dieu.
3
34 LA VOCATION

Renseigné exactement sur sa vie intérieure, juge impartial


de son comportement moral, qui, mieux que lui, pourrait décou­
vrir son idonéité ou ses inaptitudes ?
Sur ce terrain d’investigation, l’erreur cependant est tou­
jours possible et l’illusion fréquente. Ne serait-ce point pru­
dence de s’adresser à un sage mentor pour solliciter un supplé­
ment d’information et trouver un gage nouveau d’assurance ?
A deux, on repenserait le problème et on reviserait sa solution :
« Ne innitaris prudentiae tuae » (Prov. III, 5).
Plus que parents, éducateurs, confesseur, recruteur d’occa­
sion, le Directeur spirituel est particulièrement qualifié pour
rendre ce service. Encore doit-il se recommander par sa piété,
son jugement, son savoir, son expérience, sa connaissance de
l’état religieux et un parfait désintéressement. Mieux vaudrait
— à tout prendre — chercher seul son chemin que de se confier
à un guide ignorant et peu sûr.
Le rôle du Directeur de conscience dans la genèse d’une
vocation peut s’exprimer en trois mots : éclairer, guider,
soutenir.

1. Eclairer. A l’origine de leur vocation, nombre de jeunes


gens et de jeunes filles n’ont de l’état religieux qu’une connais­
sance vague, superficielle, incomplète, sinon fausse en plus
d’un point. C’est alors que déjà se révèle le rôle et s’affirme
l’influence du Directeur. A lui d’éclairer ses dirigés, de dissiper
leurs préjugés, de leur donner une idée juste et réaliste de la
vie à laquelle ils aspirent et que peut-être ils avaient rêvé
idyllique. Leur montrer les beaux et grands aspects de leur
vocation, sans leur cacher pour autant son caractère d’austé­
rité et de renoncement. Porter remède à leur ignorance, illusions,
sophismes, objections, afin que, dès les premiers pas dans cette
voie nouvelle, ils ne soient ni surpris, ni désemparés, ni surtout
scandalisés.
En un mot, leur mettre sous les yeux les vraies perspectives
de leur vocation, pour qu’ils puissent la suivre « dans la lumière,
par choix, par conviction profonde », et donc « en toute liberté
et générosité ».

2. Guider. Maître qui instruit, un Directeur est peut-être


plus encore guide qui conduit.
Dans l’introspection de son âme, pour y découvrir la pré­
sence et l’action de Dieu, il s’agit de ne point se tromper, s’illu­
sionner, se fourvoyer.
Pensées, imaginations, sentiments, passions, impressions,
A L’ÉCOUTE 35
attraits, désirs, vouloirs, intentions : de tous ces mouvements
intérieurs, quelle est, au juste, l’origine, la nature, la valeur?
Car il est dangereux de se fier à tout esprit : « Nolite omni
spiritui credere » (I Joan., IV, i) ; « Le vent souffle où
il veut, tu entends sa voix, mais tu ne sais d’où il vient ni
où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit »
(Joan., III, 8).
Comment reconnaître ce qui est de Dieu et ce qui est de
nous ? Comment distinguer les opérations de la grâce des
mouvements de la nature, des suggestions diaboliques et
influences du monde ? Un grand discernement des esprits est
ici nécessaire. Science délicate, guidée par la prudence, ren­
forcée par le don de conseil, et qui ne se rencontre guère que
chez les directeurs expérimentés et versés dans les voies spiri­
tuelles. Eux seuls sont vraiment à même de guider leurs dirigés
dans le dédale de ce maquis psychologique, de les garder des
rêves héroïques, projets chimériques, décisions inconsistantes,
attraits factices, intentions douteuses, emballements éphémères,
faux départ, tentatives sans issue, etc.
Non moins heureuse pourra s’avérer l’intervention d’un
Directeur, en face d’une vocation en perspective, quand il
s’agira d’inventorier la richesse ou la pénurie morale d’une,
âme, de la déclarer idoine ou inapte à l’état religieux, et de la
diriger de préférence vers telle ou telle forme de vie spirituelle :
contemplative, active ou mixte, ou encore vers un Ordre et
un Institut à son choix.

3. Soutenir. Dès leur germination et dans leur développe­


ment, nombre de vocations sont exposées, pour de multiples
causes, à péricliter et à se perdre : opposition des parents,
influence du milieu, conseils intéressés, sollicitations du monde,
renoncement à un bel avenir, fausse conception de l’apostolat
par l’Action catholique, obsession de santé, recul en face du
sacrifice, peur de ne pouvoir persévérer et d’aller à un échec, etc.
Heure de l’épreuve et de la tentation. Heureux celui qui a,
près de lui, un père et un ami, sur lequel il peut toujours
compter, prêt à le rassurer, à Y encourager, à le soutenir, à le
relever dans ses défaillances. Combien de sauvetages de voca­
tions, dus à la présence, à l’affection et au dévouement d’un
Directeur spirituel ! A son défaut, pourra le suppléer le direc­
teur des Exercices, dans une maison de retraite.

Révélée par une action profonde et durable de la grâce et


certains signes providentiels, accompagnée des aptitudes requises
36 LA VOCATION

et de droiture d’intention, contrôlée et approuvée — sans être


imposée — par un sage directeur, la vocation religieuse doit
être regardée comme authentiquement divine. « Peut être admis
en religion tout catholique, libre de tout empêchement légi­
time, animé d’une droite intention et apte à supporter le poids
de la vie religieuse » (Canon 538).
Devant la certitude de l’appel de Dieu, quelle attitude
prendre ? La prochaine leçon « Réponse de l’âme » nous le dira.

1. Vocation précoce et vocation tardive;


vocation extraordinaire et vocation ordi­
naire : quel sens précis donner à ces
expressions ?

2. Que faut-il entendre par « Culture des


Vocations » et qui en est chargé ?

3. Quel est le rôle de la prière dans l’étude


d’une vocation ?

4. L’absence de tout attrait naturel et surna­


turel est-elle toujours un signe de non-
vocation ?

5. Quelles sont les règles du discernement


des esprits, dans la recherche d’une
vocation ?

6. Peut-on, avec une vocation douteuse,


tenter un essai de vie religieuse ?

7. Une retraite d’élection est-elle à conseiller,


et pourquoi ?

8. La docilité au directeur, dans le choix de


la vocation est-elle une question d’obéis­
sance, ou plutôt de prudence ?

9. La crise des vocations religieuses n’est-


elle pas due en partie à l’inexpérience ou
à l’ignorance de certains confesseurs et
directeurs ?
A L’ÉCOUTE 37
io. Pourriez-vous citer quelques sophismes
actuels sur la nature et l’utilité de la
vocation religieuse ?

il. Que faut-il entendre par causes occa­


sionnelles de vocation?

S. Alphonse, Selva, ch. ix et x. — S. François de Sales, Amour


de Dieu, t. VIII, ch. 10-13 i Les Vrays Entretiens Spirituels, t. XVII,
« Des Voix ». — Exercices de S. Ignace, « Règles pour le discernement
des esprits ». — Gay, De la Vie et des Vertus Chrétiennes, t. I, « De
l’Etat religieux ». — De Guibert, Leçons de Théologie spirituelle,
Leç. 25e. — Cormier, L’Instruction des Novices, Ire Partie, ch. Ier. —
Gautrelet, Traité de l’Etat religieux, Ire Partie, ch. 11. Biot et Gali-
MARD, Guide médical des vocations sacerdotales et religieuses. — Loret,
Vocation, Doctrine et Pratique. — Choupin, Nature et Obligations de
l’Etat religieux, Ire Partie, ch. IX. — Pour les Maîtresses des Novices,
ch. Ier ; Le Discernement des Vocations religieuses, ch. IV, VII, Editions
du Cerf. — P. Colin, Culte des Vœux, ch. il. — Acta et Documenta
Congressus Generalis de Statibus Perfectionis, 1950.
Forma Gregis, janvier 1956, « La Vocation religieuse d’après la
tradition Canonique », Bonduelle ; juin 1956, « La Vocation religieuse
et son discernement », Chevignard. — Christus, Cahiers Spirituels, 4.
« Le Discernement Spirituel », 14 ; avril 1957, « Volonté de Dieu et
Décisions humaines ». — La Vie Spirituelle, 15 mai 1955, « Y a-t-il
des types humains inaptes à la vie religieuse ? (Supplément) ; 15 mai 1954,
« Le discernement des vocations », Corcoran ; 1e1 trimestre 1958, « Les
Vocations religieuses féminines », Paulmier.
TROISIÈME LEÇON

RÉPONSE DE L’AME

Consciente de sa vocation religieuse, quelle sera l’attitude


d’une âme sincère avec elle-même et loyale envers Dieu ? A
l’appel du Très-Haut — dont elle ne peut plus douter — quelle
réponse fera-t-elle ? Affirmative ? Négative ? Acquiescement
ou refus ?
Pour qui connaît le prix de la grâce offerte et les intérêts
immenses qui sont en jeu, une seule décision s’impose. A l’invi­
tation du Maître : « Veni... si vis », répondre aussitôt par un
« Ecce venio... volo ».
Réponse immédiate, généreuse, spontanée, et considérée
comme un devoir sacré.

I. OBLIGATION DE SUIVRE SA VOCATION


Dès l’abord, se pose une question préliminaire, qui
commande tout le problème de la fidélité à l’appel de Dieu.
En conscience, est-on tenu de suivre sa vocation ? Notre
acceptation impliquerait-elle une véritable obligation morale,
ou ne serait-elle qu’une réponse gracieuse et facultative à l’offre
divine ? Dans le premier cas, quelle serait la nature de cette
obligation, son fondement et sa gravité?
i. Existence d’une obligation. La correspondance à la
grâce de la vocation s’impose-t-elle comme un devoir sacré,
ou un simple conseil qui réengage à rien?
Dès les premiers siècles, la tradition n’a jamais cessé de
regarder l’entrée en religion, à l’instar d’une affaire grave,
à ne point traiter ou écarter à la légère. « Le sens chrétien a
toujours perçu ce qu’il y a d'inconvenant à repousser l’appel
divin à une voie de perfection... Pratiquement, le refus de
la vocation a toujours été moralement suspect et il est encore
généralement proclamé dangereux et imprudent par les mora­
listes mêmes qui insistent sur le caractère facultatif du conseil. »
{Le discernement des vocations religieuses, ch. II, p. 27.)
RÉPONSE DE L’AME 39

Qui oserait prétendre que l’on peut à son gré, sans nulle
angoisse de conscience et en toute tranquillité d’âme, opposer
aux sollicitations divines une fin de non-recevoir ? En deux
endroits, l’Evangile semble bien insinuer le contraire.
C’est le cas du jeune homme riche qui, déclinant les avances
de Jésus, s’en retourne tout triste, alors que le Maître dit à
ses disciples : « Combien malaisément ceux qui ont des richesses
entrent-ils dans le royaume de Dieu ! » (Marc, X, 17-27).
Même conclusion à tirer de la parabole du festin, où les
invités se sont dérobés, et dont la conduite est sévèrement
jugée par le Maître de la maison : « Je vous affirme qu’aucun
de ces hommes qui avaient été invités ne goûtera de mon
dîner » (Luc, XIV, 15-24).
Instances réitérées d’un Jean Climaque et d’un saint Augustin
auprès des hésitants, objurgations véhémentes d’un Jérôme,
d’un Bernard à l’égard des récalcitrants, héroïsme des saints,
ayant tout sacrifié pour suivre le Christ, lourdes responsabi­
lités encourues par les opposants à la vie religieuse : ne serait-ce
point là autant de signes, voire de preuves, que dans un débat
aussi grave, la conscience se trouve plus ou moins en cause,
directement ou indirectement ?

2. Nature de cette obligation. De l’obligation de suivre


la vocation, quels sont au juste le sens et la portée ?
La volonté de Dieu constitue le fondement universel et
immuable de la moralité. Se conformer en tout, partout et
toujours au bon vouloir divin : telle est la loi imprescriptible
de tout l’ordre moral.
Cette volonté régulatrice se traduit de bien des manières
et comporte de multiples exigences., absolues ou relatives, selon
son double caractère impératif ou directif.
a) Conformité à? obéissance. En vertu de sa Souveraineté,
Dieu a le droit de gouverner, de légiférer, de donner des ordres,
auxquels tout homme est tenu en conscience de se soumettre,
sous peine de sanctions, voire de péché. Obligations transmises
et imposées par les commandements de Dieu, de l’Eglise et
la voix des Autorités légitimes.
b) Conformité de docilité. Les prescriptions et défenses qui
lient la liberté ne peuvent, dans le champ immense et indéfini
de la moralité humaine, qu’embrasser une zone limitée et réduite.
Un grand nombre de nos activités, individuelles ou sociales,
ne tombent point sous le précepte, mais sont laissées à notre
décision personnelle.
40 LA VOCATION

Cette absence d’obligation ne signifie point cependant indé­


pendance totale. Tous les actes humains, quels qu’ils soient,
sont soumis aux lois de la moralité, laquelle implique néces­
sairement référence à la volonté de Dieu. Lois, préceptes, prohi­
bitions ne sont pas l’unique expression du vouloir divin.
Dans le domaine de la vie morale, nulle enclave réservée,
nulle principauté « sui juris » indépendante de la juridiction
d’En-Haut et où Dieu n’ait aucun droit d’intervention ni même
de regard. Dieu ne peut être absént nulle part. Dans le compor­
tement de toute vie privée ou publique, on le retrouve, non
plus en Maître qui commande, mais en Père, en Ami qui éclaire,
conseille, guide, sollicite, encourage, quitte à laisser l’ultime
décision à la liberté d’un chacun.
De cette double conformité à la volonté de Dieu — impé­
rative ou directive — la première relève de Y obéissance et la
seconde de la docilité.
c) Docilité et Vocation. L’obligation de suivre la vocation
n’est donc point une question à?obéissance, mais de docilité.
Aucune loi, nul précepte n’oblige de répondre à l’appel de
Dieu.
Le Seigneur a sur chaque âme et sur son avenir ses vues,
ses projets, ses espoirs. Il les lui propose, mais sans les imposer.
Il les confie simplement à sa sagesse et à sa générosité, comptant
bien d’ailleurs que, par esprit de docilité, elle se fera un devoir
de se décider dans le sens de sa Providence.
3. Fondement de l’obligation. Soucieuse de se conformer
aux desseins de Dieu sur elle, l’âme se fera donc un devoir
de répondre à son appel. Mais de cette docilité à suivre le Christ
sur la voie des conseils évangéliques, quelle peut être l’origine
et la cause ? La fidélité à la vocation naît des exigences d’une
double vertu : la charité et la prudence.
a~) Il semble bien que le cœur doive jouer un rôle de premier
plan dans la genèse des vocations. Nul sentiment autant que
l’amour n’est à même de faire pression sur la liberté, de l’in­
fléchir dans le sens de l’acceptation et, finalement, de provo­
quer une décision parfois héroïque. Amour de Dieu, de nous-
même, du prochain : charité intégrale qui fournira la clef du
problème et imposera la seule vraie solution.
La vocation est un appel de Dieu, mais un appel d’amour,
et de quel amour ! qui attend, réclame une réponse et une
réponse d’amour. Réponse qui ne peut être qu’un acquies­
cement loyal et généreux. Par crainte, lâcheté, égoïsme et
sous prétexte de liberté, décliner la grâce immense de la
RÉPONSE DE L’AME 41
vocation religieuse, ne serait-ce point faire injure au donateur
et méconnaître les droits les plus élémentaires de l’amitié.
Même dans le monde, certains refus injustifiés ne se par­
donnent guère.
« L’amour ne supprime pas les liens, mais les consacre ;
il n’attend pas des prescriptions légales pour découvrir les
exigences du Bien-Aimé ; il se porte de tout son élan à leur
rencontre, loin de se défendre contre elles. Il ne pense pas
à revendiquer l’indépendance, mais à s’offrir spontanément à la
divine attraction » (Discernement des Vocations de Religieuses,
ch. II, p. 35).
La fidélité à la vocation ne serait-elle point aussi une des
conséquences logiques du premier commandement : « Vous aimerez
le Seigneur, votre Dieu, de tout votre esprit, de tout votre
cœur, de toute votre âme et de toutes vos forces. » « La perfec­
tion de la charité, dit saint Thomas, tombe sous le précepte » ;
« Perfectio caritatis cadit sub praecepto. » (II, II, q. 184, 3),
non point la perfection acquise, mais désirée, recherchée, pour­
suivie avec effort et générosité. Or, n’est-ce point vers cette
plénitude d’amour qu’oriente la vie religieuse ?
Refuser de s’engager sur cette voie montante, vers les cimes
d’un plus grand amour, alors que Dieu nous y invite et que le
Christ veut bien nous servir de guide ; vouloir se contenter
du « moins », quand le « plus » est à notre portée, ne serait-ce
point méconnaître les droits de Dieu à l’amour total et méses­
timer la loi la plus fondamentale du Christianisme ?

Le vrai amour de soi-même — une des formes de la divine


charité, à ne pas confondre avec l’égoïsme — : autre motif,
quelque peu intéressé, mais qui garde sa valeur, de répondre
à l’appel de Dieu. S’aimer soi-même, c’est se vouloir du bien
et se le procurer dans toute la mesure du possible. Mais que
peut-on se souhaiter de mieux et acquérir de plus que les
immenses richesses de l’état religieux ? A troquer la vie du
monde pour la vie religieuse, on a peu à perdre et beaucoup
à gagner. La meilleure façon de s’enrichir, ne serait-ce point
encore de s’appauvrir ? « Beati pauperes ! » La vocation reli­
gieuse est la perle précieuse de l’Evangile, à l’acquisition de
laquelle il faut savoir tout sacrifier. « Qui perd son âme la
sauvera » (Luc, XVII, 33). Aux réalités divines, préférer les
mirages humains : c’est se tromper d’amour et se trahir soi-
même.
La vocation est un « appel aux armes » personnel, avec affec­
tation spéciale, « Christo regi militaturus » (S. Benoît, Reg.
42 LA VOCATION

Prologue). A l’heure de la mobilisation générale de toutes les


forces combatives, alors que Dieu est en quête de recrues
volontaires, pour renforcer ces corps d’élite qui sont les Ins­
tituts religieux, se pourrait-il que quelqu’un, pressé de s’y
engager, se récuse ? Une telle dérobade n’aurait-elle pas l’air
d’une désertion devant l’ennemi ? ou d’une couardise ? Il est
des circonstances où, sans être commandé, l’héroïsme s’impose.
« Prenons-y garde. Puisque c’est le Roi des rois et le Seigneur
des seigneurs et le Dieu des dieux qui nous appelle à cette
milice, n’allons pas, par paresse ou lâcheté, mépriser un pareil
appel, de peur qu’un jour nous ne nous trouvions sans défense
devant le tribunal suprême » (S. Jean Climaque. P. G. 88, 641).
b) Mise en demeure d’opter pour ou contré une vocation
divine dûment signifiée, quelle sera la réponse de l’âme ? Une
parole de bon accueil. Sans être impéré par l’obéissance, son
choix n’en sera pas moins commandé par la charité, et tout
d’abord inspiré et dicté par la prudence. N’est-ce pas elle qui
doit éclairer toutes nos décisions, régler tout notre comporte­
ment moral, et en particulier résoudre la question si grave de
la vocation religieuse ?
Cette vertu cardinale, dans l’ordre surnaturel, consiste à
trouver, choisir et prescrire les meilleurs moyens d’atteindre notre
fin dernière : gloire de Dieu et salut personnel.
Parmi ces moyens, les uns sont essentiels et obligatoires :
la loi de Dieu, l’Evangile ; l’Eglise les indiquent. Les autres,
secondaires et facultatifs, sont à notre libre disposition. Et c’est
ici qu’intervient la prudence pour éclairer, conseiller, guider et
commander notre choix.
La vocation religieuse est un de ces moyens facultatifs,
encore cpî extraordinairement puissants. Pour ceux-là que Dieu
a gratifiés de cette faveur, elle se révèle la voie la plus droite,
la plus sûre, la plus facile, d’aboutir au terme de leur destinée.
Le plus élémentaire bon sens devrait dès lors les convaincre
et les décider à y entrer. Faire fi de la sagesse de Dieu et de
ses directives, par légèreté, inconsidération, orgueil, indépen­
dance, passion ; refuser de s’engager dans cette voie large et
lumineuse pour se fourvoyer seul dans des sentes étroites et
ténébreuses, au risque de s’égarer et de perdre son âme, ne
serait-ce point souveraine imprudence ?
« Qui ne voit donc clairement que, comme cet appel spécial
est de la part de Dieu l’acte d’une bonté immense, c’est de
la part de l’homme, non seulement une ingratitude, mais une
inexprimable imprudence et vraiment une folie de ne s’en point
enquérir, ou de ne point s’y soumettre après l’avoir entendu ? »
RÉPONSE DE L’AME 43

(Gay, Vie et Vertus chrétiennes, t. I, De l’Etat Religieux,


P' 77)-
Tombant sous les prescriptions de la prudence, la fidélité à
la vocation devient ainsi obligatoire.
4. Gravité de l’Obligation. Est-il obligatoire, sous peine
de péché, de suivre sa vocation ? Question épineuse, toujours
controversée.
Dans sa Théologie Morale, saint Alphonse se demande s’il
y a péché, et pourquoi, à résister à l’appel de Dieu : « an et
quomodo aliquis a Deo vocatus ad religionem peccat si voca­
tionem suam negliget adimplere » (Theol. Moral., Lib. IV,
ch. 1, Dubium V, n° 78). Après avoir exposé les raisons qui
militent en faveur de son opinion, il conclut : « Je n’entends
pas formuler ici un jugement absolu ; je m’en remets pour
trancher le débat à plus sages que moi : « Nolo in hoc puncto
absolutum judicium proferre : sapientibus illud remitto » (L. c.).
« On répond communément à bon droit : la vocation reli­
gieuse n’oblige pas de soi ; mais de fait, comme elle porte sur
toute la vie, et comme les autres voies sont moins sûres, on
ne s’y soustrait pas sans péché ; car on ne s’y soustrait de fait,
comme le jeune homme de l’Evangile, que par un attachement
immodéré aux choses terrestres (attachement immodéré défendu
déjà par un précepte) et non seulement par une moindre géné­
rosité (Garrigou-Lagrange, « La Mère du Sauveur », p. 60).
Et s’il y a péché, quelle en est exactement la gravité ? Il nous
suffira de rappeler les opinions les plus communément admises,
et pour plus de clarté de distinguer entre péché mortel et faute
vénielle.
Péché mortel. Il y aurait péché mortel dans les cas sui­
vants de refus ou d’infidélité :
a) Désobéir à un ordre formel et personnel de Dieu, enjoi­
gnant à quelqu’un de se faire religieux.
6) Si l’on est convaincu qu’en dehors de la vie religieuse,
il est impossible moralement de faire son salut. « Nam plerique
sunt, qui nisi omnia reliquerint, salvari apud Deum non
possunt » (S. Grégoire, P. 477, 663).
c) Dans le cas — fréquent au jugement de beaucoup —
où l’âme se trouverait en péril grave de damnation. « En beau­
coup de cas, il y aurait péché mortel à ne pas répondre à l’appel
de Dieu » (Desurmont, « La Charité Sacerdotale, t. I, n° 126).
« Le choix d’un état est une affaire de la dernière importance,
parce que de là dépend le salut éternel... La plus grande partie
44 LA VOCATION

de ceux qui se sont damnés, se sont damnés pour n’avoir pas


correspondu à leur vocation » (S. Alphonse, Oeuv. Ascét.,
t. III, p. 497)-
d) Par mépris des conseils évangéliques et dédain de la
perfection religieuse. (Voir S. Th. II, II, qu. LUI, ar. i ;
LIV, ar. 3).
Péché véniel. Par contre, il n’y aurait — semble-t-il — que
faute légère :
a) Si le refus d’entrer en religion est simplement motivé
par la tiédeur, la paresse spirituelle, la peur du sacrifice.
b~) Quand le même rejet s’inspire d’intentions louches,
humaines, voire mauvaises : orgueil, fringale d’indépendance,
amour de ses aises, plaisirs sensuels.
c) Négliger plus ou moins volontairement l’étude loyale
de sa vocation et s’autoriser d’un doute entretenu sur son
existence, pour se croire dispensé de la suivre. Il se pourrait
même qu’il y eût péché mortel.

II. PROMPTITUDE D’EXÉCUTION


La décision une fois prise d’entrer en religion, il importe
de la mettre au plus tôt à exécution. Temporiser, de jour en
jour, de mois en mois, remettre son départ n’irait point sans
inconvénient, grave parfois ; encore qu’il puisse se rencontrer
des motifs légitimes de retardement. En ce cas, des mesures
de sauvegarde s’imposent.
i. Réponse obligatoire et prompte. Tout délai injus­
tifié est à déconseiller, voire à proscrire, s’il doit se prolonger.
a) UEvangile nous l’enseigne : « Comme Jésus marchait le
long de la mer de Galilée, il aperçut deux frères, Simon (celui
qu’on appelle Pierre) et André, son frère, qui jetaient le filet
dans la mer : car ils étaient pêcheurs. Il leur dit : « Suivez-moi...
Sur le champ, ils abandonnent leur filet et le suivent. Un peu
plus loin, il vit deux autres frères, Jacques, fils de Zébédée,
et Jean, son frère, qui réparaient leurs filets dans une barque,
avec Zébédée, leur père. Il les appela. Laissant aussitôt la barque
et leur père, ils le suivirent » (Matth., IV, 18-22.)
« Il dit à un autre : « Suis-moi ». Celui-ci répondit : « Seigneur,
permettez-moi d’aller d’abord ensevelir mon père. Mais Jésus
lui dit : « Laisse les morts ensevelir les morts ; pour toi, va
porter la nouvelle du royaume de Dieu. »
RÉPONSE DE L’AME 45
« Un autre encore lui dit : « Seigneur, je vous suivrai ; mais
permettez-moi d’aller d’abord prendre congé des miens. » Jésus
lui répondit : « Celui qui met la main à la charrue et regarde
en arrière n’est pas propre au royaume de Dieu » (Luc, IX,
59-62).
Lévi, fils d’Alphée, installé à son comptoir, entend Jésus
lui dire : « Suis-moi ». Sans hésiter un instant, « Lévi se leva
et le suivit » (Marc, II, 14).
è) 'L’amour résolu à se donner tout entier ignore les ater­
moiements. Au premier appel du Père et de l’Ami, « il court,
il vole... rien ne le retient » (Imit., Lib. III, ch. V, 4). Il lui
déplairait fort de faire attendre une Majesté si haute. Ne serait-
ce pas de sa part manque d’égard, de délicatesse, de fidélité ?
Tous les saints — témoin, entre mille, sainte Thérèse de
Lisieux — assurés de leur vocation, n’eurent rien de plus
pressé que de se sauver du monde « comme un rat qui sort
de l’eau » (Curé d’Ars et les dons du Saint-Esprit, p. 217).
c) La prudence d’ailleurs, autant que la charité, commande
cette diligence : « Prudentia praeceptiva est » (II, II, qu. XLVII,
ar. 8). Que l’exécution suive de près la résolution. « Oportet
operari quidem velociter consiliata, conciliari autem tarde »
(L. c., ar. 9, c.). Devant une résolution irrévocable, à quoi
bon hésiter, lanterner, tergiverser ? Ne serait-ce point, sous
l’influence de causes diverses, s’exposer à changer d’avis et à
rebrousser chemin ? Que de vocations perdues par paresse ou
inertie ! En tout cas, comme tout ce temps, passé indûment
dans le monde, aurait été mieux utilisé à la gloire de Dieu
et à l’œuvre de sa sanctification !
On n’est jamais si bien que là où l’on doit être, c’est-à-dire,
là où Dieu nous veut. En gare, billet pris et bagages enre­
gistrés, quel est le voyageur qui ne monte dans le premier
train en partance, au lieu de rester sur le quai à faire le pied
de grue ?
2. Délais légitimes. L’entrée en religion peut cependant
souffrir quelques délais, imposés par des circonstances indé­
pendantes de la volonté du candidat. Motifs de Droit Canon,
de piété filiale, de justice, d’intérêt personnel.
a) Défaut d’âge exigé par la législation canonique ; difficulté
pour un clerc d’obtenir l’autorisation de l’Ordinaire.
b) Obligation de soigner ses parents malades, ou dans un
cas de grave nécessité ; opposition du père et de la mère à
l’égard d’une enfant mineure.
46 LA VOCATION

c) Affaires de famille à résoudre, questions financières à


régler, dettes à solder. Impossibilité momentanée de quitter
un poste officiel.
d) Imminence du service militaire ; utilité d’achever ses
études et de prendre ses grades ; état de santé temporairement
déficient, etc.

3. Excuses irrecevables. A côté de ces retardements justi­


fiables aux yeux de la raison et de la foi, il en est d’autres qu’aucun
motif sérieux, semble-t-il, ne saurait excuser. Tel serait, par
exemple : flux et reflux d’une volonté toujours indécise, crainte
chimérique de se tromper, sursis pour étudier à nouveau une
vocation certaine, souci excessif de ne point peiner la famille,
sollicitations d’amitiés trop humaines ; par lâcheté, reculer
l’échéance du sacrifice, répit accordé à l’esprit d’indépendance
ou aux joies du monde, etc.

4. Mesures de sauvegarde. Attardée dans le monde —


et quelle qu’en soit la cause — une vocation religieuse restera
toujours, sinon compromise, du moins menacée. D’où la nécessité
de la protéger et de la sauver. Un règlement de vie pourra lui
être tout à la fois un préservatif et un soutien.
Dans les relations obligées avec le monde, éviter, autant
que possible tout ce qui pourrait contaminer l’esprit de foi,
le sens religieux, les délicatesses de la vertu.
Entretenir, renforcer sa vie intérieure : saintes lectures,
prière, oraison, fréquentation des sacrements. De ce contre­
temps, faire une préparation à son entrée en religion. En atten­
dant de mener la vie religieuse, se faire une âme religieuse.
Se choisir un excellent directeur spirituel.
De cette épreuve, bon nombre sont sortis, non seulement
indemnes, mais encore confirmés dans l’amour de leur vocation,
et leur fidélité à l’appel de Dieu.

1. Que penser des parents qui, par égoïsme,


s’opposent de toutes manières à la voca­
tion de leur enfant ?

2. Leur opposition irréductible, avec menace


d’abandonner toute pratique chrétienne,
est-elle un motif suffisant de reculer indé­
finiment, jusqu’à leur mort, son entrée en
religion ?
RÉPONSE DE L’AME 47
3. A quoi oblige le vœu de se faire religieux,
si l’on constate plus tard un manque
d’aptitudes ?

4. Une des causes principales de la crise des


vocations ne serait-elle pas le manque,
chez beaucoup, de fidélité à l’appel de
Dieu ?

5. Est-il vrai que l’espoir fondé d’un apostolat


fécond, dans l’Action catholique dispense
de suivre sa vocation ?

S. Alphonse, Th. Morale, lib. IV, Dubium V, n° 78 ; O eut. Asc.,


t. III. — S. François de Sales, Les Vrays Entretiens Spirituels, XVII,
« Des Voix ». — BoüRdalOüe, De l’Etat Religieux, « Vocation Reli­
gieuse », — Lessius, Disputes sur le choix d’un état et l’entrée en reli­
gion. — Gay, De la Vie et des Vertus Chrétiennes, t. I, « De l’Etat reli­
gieux ». — Choupin, Nature et Obligations de l’Etat religieux, Ire Partie,
ch. IX. — Loret, La Vocation, Principes et Pratique ; — Le Discernement
des Vocations religieuses, ch. Il, Edit, du Cerf. — P. Colin, Culte des
Vœux, ch. II. — Gautrelet, Traité de l’Etat religieux, Ire Partie, ch. II.
— Dict. de Theol. Vacant., « Vocation », t. XV, Sempé. — Acta et
Documenta Congressus Generalis de Statibus perfectionis, 1950, t. IV.
Index, « Vocations », p. 398.
R. C. R. 1940, 5, 33. — Forma Gregis, avril 1956, « Obligation
de répondre à la vocation », Motte. — La Vie Spirituelle, Supplément,
15 mai 1950, « Sur la vocation religieuse », Motte.
QUATRIÈME LEÇON

CONTRE-APPEL DE L’ORDRE

L’état religieux est tout à la fois création divine et Institution


ecclésiale. Double aspect qui se retrouve dans la genèse de
toute vocation. Deux éléments essentiels, encore que d’inégale
valeur, la constituent : appel de Dieu et appel de l’Eglise.
Le premier est à ce point fondamental que, sans lui, la
vocation est, à proprement parler, impensable. Mais, à cet appel,
un autre doit faire écho, pour Y authentiquer, compléter et
confirmer : l’appel de YEglise.
Etat religieux, vie religieuse ne se concrétisent, ne se réa­
lisent que dans un Ordre ou Institut érigé canoniquement.
Encore faut-il, pour s’y incorporer légitimement, être appelé
et admis par l’autorité compétente.
Admission dont la validité est essentiellement conditionnée
— répétons-le — par l’appel divin. Etre appelé par et dans
une Congrégation sans l’être par Dieu, ne saurait être qu’une
pseudo-vocation.
A l’institut de veiller à ce que ne soient admises dans son
sein que de vraies vocations. D’où la nécessité d’une contre-
expertise pour se rendre compte avec certitude des dispositions
intérieures du solliciteur, comme de ses aptitudes physiques,
intellectuelles, morales, professionnelles. Un appel basé sur
Yerreur ou Y ignorance pourrait avoir, aussi bien pour le candidat
que pour l’Ordre, de graves conséquences, peut-être irréparables.

I. NOUVELLE EXPERTISE

Une question préliminaire se pose aux Supérieurs, à laquelle


il leur faudra tout d’abord répondre. Le Postulant qui frappe
à la porte a-t-il vraiment une vocation divine ? Si oui, Dieu
l’appelle-t-il dans YInstitut ? La réponse leur sera fournie, grâce
à une triple expertise : enquête canonique, auscultation d’âms,
CONTRE-APPEL DE L’ORDRE 49

constat des qualités spéciales et professionnelles requises dans


l’Ordre.

i. Enquête canonique. L’Eglise, toujours soucieuse de


maintenir l’état religieux dans sa pureté et intégrité, d’écarter
des Instituts les sujets médiocres, incapables ou indignes, a
promulgué dans ce but toute une législation.
A l’entrée des aspirants dans la vie religieuse, elle a fixé
des conditions préalables, dont quelques-unes peuvent paraître
austères, mais qui, en réalité, ne sont que prudentes. Inscrites
dans le Droit commun ou les Constitutions particulières de
l’Ordre, elles doivent être exactement et rigoureusement gar­
dées, à moins de dispense légitime.
A l’Autorité compétente d’en avoir connaissance et d’y
conformer son gouvernement ; car, de leur oubli ou violation,
dépend la licéité, voire la validité de son appel.

2. Auscultation d’âme et de vie. Les conditions juridi­


ques d’admission étant sauves, il importe plus encore de décou­
vrir chez le postulant l’existence d’une vraie vocation divine.
La certitude personnelle d’être appelé de Dieu à l’état reli­
gieux ne constitue pas pour un candidat un droit absolu d’entrée.
Sans révoquer en doute sa parole, sans se méfier de sa loyauté,
l’Ordre a le devoir de constater par lui-même la réalité de son
appel et le bien-fondé de sa requête. Même chez les âmes
de bonne foi, l’erreur est toujours possible, et plus encore
l’illusion.
L’assurance d’une authentique vocation sera le résultat
denquêtes juridiques et du témoignage de certaines personnes,
particulièrement bien renseignées sur les antécédents et la
conduite morale du candidat. Conclusion surtout d’un travail
dintrospection mené en commun et en toute loyauté par l’Auto-,
rité et le futur religieux.
Cet examen, que l’aspirant a dû faire déjà dans le monde,
alors qu’il cherchait sa voie, sera progressivement révisé, précisé,
complété, et portera spécialement sur l’origine de la vocation,
ses motifs, ses causes occasionnelles ; sur les attraits du postulant,
ses aptitudes, sa droiture d’intention, ses désirs, sa résolution
d’être à Dieu et de se dévouer à son service ; bref, sur toutes
les dispositions intérieures et comportement de vie qui peuvent
révéler la valeur d’une âme et son idonéité à l’état religieux.
« Il serait très avantageux de faire imprimer ou polycopier
des questions dont la réponse pourrait spécialement coûter au
candidat ou qu’il désire absolument voir rester secrète. On lui
4
5° LA VOCATION

laisserait le temps pour y répondre... ou pour se retirer, s’il


ne veut pas y répondre. Un astérisque indiquant les questions
auxquelles la réponse sincère est requise pour la validité de
l’admission, permettrait au besoin de savoir plus tard s’il y a
eu dol (fraude) dans l’admission » (R. C. R. septembre-octo­
bre 1949, p. 147).
Dans une affaire aussi grave que l’étude et le règlement
d’une vocation, il est rare que l’on pèche par excès d’infor­
mation et de prudence. Le contraire ne serait-il pas plutôt
à redouter ? « Pour le bien des monastères et dans leur propre
intérêt (des Novices), je me procure de nombreuses informa­
tions » (Sainte Thérèse, Lettre 195). Se méfier, en particulier,
des candidats qui ont déjà passé dans d’autres Congrégations,
soit comme Novices, soit comme Profès. Demander des rensei­
gnements précis et exacts sur les motifs vrais de leur départ
ou de leur sortie. Certains Instituts à court de vocations sont
fort heureux d’accueillir ces prétendants qui, plus d’une fois,
ne sont que des rebuts ou des déchets.
Amorcée dès avant l’entrée au postulat, cette enquête se
poursuivra durant le noviciat et toute la période des vœux
temporaires. Ainsi, l’admission aux vœux ne sera-t-elle jamais,
de la part de l’institut, un acte hâtif, improvisé, inconsidéré,
et par là même sujet à bien des mécomptes.

3. Constat d’aptitudes et qualités propres à l’Ordre.


La certitude d’une vocation divine ne comporte point néces­
sairement Yidonéité à toutes les formes et variétés de la vie
religieuse, pas plus que le choix facultatif de telle ou telle
Congrégation.
Chaque Ordre ou Institut a en propre sa législation, son
esprit, sa spiritualité, ses vertus caractéristiques, sa fin, son
genre d’apostolat. La vie contemplative n’est point la vie active ;
elle requiert un tempérament à part, des dispositions psycho­
logiques et physiologiques particulières. Un parfait mission­
naire ne serait qu’un médiocre éducateur, de même qu’un
excellent cavalier ne ferait qu’un piètre fantassin. Les vocations
religieuses ne sont point interchangeables à volonté. Ici encore,
il s’agit de découvrir les desseins de Dieu sur chaque âme
et de s’y conformer. Non seulement la vocation religieuse en
général vient de Dieu, mais aussi la vocation spéciale à tel Ordre
déterminé.
Mais comment déceler cette vocation spéciale ? Par l’examen
des motifs et des attraits qui doivent inspirer et dicter ce choix ;
et plus encore par l’étude des aptitudes physiques, intellec­
CONTRE-APPEL DE L’ORDRE 51
tuelles, morales, professionnelles et sociales, requises dans
l’Ordre pour vivre de sa vie intime, régulière et apostolique.
L’Autorité veillera avec prudence et fermeté à ce qu’aucun
élément hétérogène, inassimilable, et plus tard inutilisable, ne
se glisse dans l’institut. Sujets qui juridiquement font partie
de l’Ordre, mais demeurent étrangers à son esprit, à sa spiritua­
lité, à son âme. Goutte de mercure dans un vase d’eau : ils
ne fusionnent pas.
Les longues années de formation donneront aux Supérieurs
le temps et la facilité de porter sur la valeur actuelle et l’évolu­
tion future d’une vocation un jugement, sinon infaillible, du
moins moralement certain.

IL APPEL-ADMISSION

L’étude d’une vocation par l’institut n’a pas d’autre fin


que de légitimer, au point de vue légal et moral, Y appel et
Yadmission d’un aspirant à l’état religieux.
De cet appel, quelles sont exactement la nature et la portée,
et de cette admission les conditions de licéité et de validité,
comme aussi les responsabilités morales?

i. Appels-Admissions successifs. La vocation cléricale,


avant d’arriver à son terme ultime, la prêtrise, doit passer par
toute une série à?expériences et à’épreuves. Ce n’est point d’em­
blée qu’on arrive au sacerdoce, mais par paliers : tonsure,
ordres mineurs, sous-diaconat, diaconat. Chaque montée est
précédée d’un appel officiel de l’Eglise. De là, l’expression
classique « L’Appel aux Ordres ».
Cette lente ascension offre de multiples avantages.
Le jeune clerc a tout le temps de réfléchir, d’approfondir
la sainteté de sa vocation, de soupeser le poids des obligations
qu’il doit assumer, d’affermir sa résolution de se vouer pour
toujours au service de Dieu et des âmes, et de se préparer ainsi
plus efficacement à son ordination sacerdotale.
L’Eglise, de son côté, pourra plus facilement s’assurer de
l’idonéité et de la vertu de ses futurs prêtres, ne les appeler
qu’à bon escient, en éliminant les inaptes et les indignes, obvier
pour l’avenir à plus d’une douloureuse défection ou scanda­
leuse apostasie.

La législation canonique sur la vocation religieuse s’inspire


de la même sagesse et offre à l’institut et au candidat les mêmes
52 LA VOCATION

avantages. On ne s’improvise pas d’un seul coup religieux ;


on le devient à la suite d’une longue évolution. Le grain de
blé, jeté dans le sillon, met du temps à se transformer en épi.
Ce n’est qu’au terme d’une route, coupée de multiples étapes,
qu’a lieu la profession, entrée définitive dans l’état religieux.
Et chacune de ces étapes est marquée par l’Eglise d’un
appel-admission.
a} Le premier se situe à l’aube de la vie religieuse, alors
que l’aspirant, plus ou moins conscient de la réalité de sa
vocation, se présente devant l’Ordre pour y être reçu.
Après un examen — favorable encore que sommaire —
qui témoigne en sa faveur, on lui signifie son admission au
postulat.
b") Celui-ci heureusement terminé, et après élimination des
non-vocations, nouvel appel de l’Ordre et seconde admission :
le postulant entre au Noviciat. Source d’informations et instru­
ment de formation, cet essai de vie religieuse suffira d’ordinaire
à fixer l’existence et la qualité d’une vocation. Le Novice est
alors appelé — s’il en est jugé digne — à faire profession tem­
poraire pour trois ans.
c) A la fin de ce stage, qui constitue une dernière probation,
le Profès, s’il persévère dans sa résolution, et sur la décision
des Supérieurs, sera admis à émettre ses vœux perpétuels.
Ainsi s’achèvera le cycle évolutif d’une vocation divino-
ecclésiaie. Au double appel de Dieu et de l’Eglise, réponse
ultime et irrévocable d’une âme qui s’engage au service de
Dieu dans une Congrégation, et se fixe à tout jamais dans
l’état religieux.

2. Conditions requises. L’appel et l’admission d’un sujet


à la vie religieuse ne relèvent point de la seule juridiction de
l’Ordre. Il ne lui est point permis de recevoir qui il veut, quand
il veut et comme il veut.
Afin de prévenir tout abus grave et assurer un parfait recru­
tement, la législation canonique en a déterminé les modalités
et fixé les conditions obligatoires de licéité et de validité. Il en
sera question au chapitre suivant.

3. Responsabilités de l’Ordre. Dans l’appel et l’admission


des sujets, la responsabilité des Supérieurs Majeurs, des Maîtres
et Maîtresses des Novices peut être gravement engagée vis-
à-vis de Dieu, de l’Eglise, de l’institut et des candidats eux-
mêmes.
CONTRE-APPEL DE L’ORDRE
53
a) L’appel divin est le fondement premier et nécessaire de
toute vocation religieuse. Nul ne peut donc contrecarrer les
desseins de Dieu sur une âme, en s’opposant à son entrée en
religion et en lui refusant, à moins de raisons exceptionnelles,
son admission dans l’institut.
La faute serait peut-être plus grave encore de recevoir des
candidats que Dieu manifestement n’a ni choisis ni appelés
à l’état religieux.
è) Les multiples prescriptions du Code, touchant la récep­
tion des aspirants, sont universellement et strictement obliga­
toires ; les violer sciemment serait désobéir à l’Eglise.
c) Par devoir d’état, les Supérieurs sont tenus à procurer
la prospérité spirituelle et apostolique de leur Institut. Or,
l’admission de sujets inaptes, médiocres ou indignes, constitue
un danger extrêmement grave pour la vitalité de leur Ordre.
Par contre, ne serait-ce point manquer de charité, voire de
justice à son égard, que d’écarter sans motif suffisant de bonnes
vocations ?
d) Que si, par admission ou refus inconsidéré, on avait,
contrairement à l’appel de Dieu, aiguillé un candidat sur une
voie qui n’est pas la sienne, et par là même fort scabreuse,
n’y aurait-il pas lieu d’éprouver à juste titre quelque angoisse
ou remords de conscience ?

x. Peut-on dire que la vocation, en son sens


plénier, n’est que l’appel de Dieu transmis
fidèlement par l’Eglise ?

2. Se peut-il qu’il y ait divergence ou oppo­


sition entre l’appel divin et l’appel ecclé­
sial î

3. De quelqu’un qui, sous l’inspiration de la


grâce, s’est fait religieux, mais s’est trompé
dans le choix de l’institut, peut-on dire
qu’il a manqué sa vocation ?

4. Le changement de Congrégation après


plusieurs années de vie religieuse, n’aurait -
il pas pour cause première et fréquente
une erreur dans l’appel ecclésial ?
54 LA VOCATION

5. Accepté par erreur dans un Institut et entré


de bonne foi dans l’état religieux, est-il
possible que ce candidat égaré reçoive
plus tard la grâce de la vocation ?

Enchiridion de Statibus perfectionis. Index, Examen admittendorum


Admissio, p. 642, « Inquisitio de novitiis recipiendis », p. 645. — Gau-
trelet, Traité de l’Etat religieux, Ire Partie, ch. ni. — Choupin, Nature
et Obligations de l’Etat religieux, ch. il, ni. — Schaefer, De Religiosis,
Pars VIII, ch. il. — Cormier, Instruction des Novices, Ire Partie, ch, Ier.
— P. Colin, Culte des Vœux, ch. ni. — Pour la Maîtresse des Novices,
ch. XI. — Acta et Documenta Congressus Generalis de Statibus Perfec­
tionis, 1950, t. IV, Index, « Vocatio-selectio », p. 399.
R. C. R. 1945, 23; 1946, 45; J947, Mi i 1948, 35i 1949» I97j
1959, 75.. — Forma Gregis, juin 1951, « Examen médical d’entrée »,
Docteur Rousset. — « Ste Thérèse d’Avila, Educatrice des Religieuses.
— La Vie Spirituelle, Supplément, 48, Ier trimestre 1959, « Question­
naires pour les différentes étapes de l’entrée dans la Vie Religieuse,
pp. 64 ss.
Chapitre II

LE NOVICIAT

Soucieuse d’assurer aux Ordres et Congrégations un excellent


recrutement, d’écarter dès le début les candidats indignes ou
inaptes, de favoriser la formation des jeunes religieux, l’Eglise
a cru bon de promulguer toute une législation, marquée au coin
de la prudence et de la sévérité.

Ce chapitre a pour but de rappeler, préciser, commenter et


aussi compléter cette jurisprudence.

Avant de faire profession et de se fixer dans l’état religieux,


le candidat doit se soumettre à toutes sortes d’études, d’essais
et d’expertises.

Le postulat ouvre la série. La vêture lui succède qui, habi­


tuellement, marque l’entrée officielle au Noviciat.

Cette Institution Ecclésiale inaugure une formation reli­


gieuse qui doit passer par différents stages et se révèle d’une
importance exceptionnelle pour le sujet et la Congrégation.

Le Noviciat est une Ecole Professionnelle dont il importe


grandement d’indiquer le But et de signaler les Epreuves.
56 LE NOVICIAT

A son terme, ce temps de probation doit aboutir, de la part


du Novice et de V Ordre, à une Ultime décision

5e LEÇON : POSTULAT.

6e LEÇON :: VÊTURE.

7e LEÇON : NOVICIAT : INSTITUTION ECCLÉSIALE.

8e LEÇON : FORMATION RELIGIEUSE.

9e LEÇON : IMPORTANCE DE LA FORMATION.

10e LEÇON : ÉCOLE PROFESSIONNELLE.

IIe LEÇON :: BUTS DU NOVICIAT.

12e LEÇON :: TEMPS D’ÉPREUVES.

13e LEÇON :: ULTIME DÉCISION.


CINQUIÈME LEÇON

POSTULAT

Le Postulat ne date pas d’aujourd’hui ou d’hier. Depuis


longtemps, il existait, du moins à l’état d’ébauche. Personne
n’était d’emblée reçu dans le monastère, et les portes bien
closes ne s’ouvraient point à tout venant. Au solliciteur on
imposait toute une série d’épreuves. « Lorsque le nouveau
venu persévère à frapper à la porte, si l’on reconnaît qu’il
est patient à supporter les injures qu’on lui fait et les diffi­
cultés de l’entrée, et s’il persiste dans sa demande pendant
trois ou quatre jours, on consentira à l’introduire. » (Règ. de
S. Benoît, ch. 58)
Depuis la publication du Codex, le Postulat est devenu
une Institution officielle, et généralement obligatoire. Temps de
préparation à passer dans une maison de l’institut, avant l’admis­
sion au Noviciat, dont il n’est que le prélude et comme le
vestibule.
A toute âme qui veut, par la profession perpétuelle, se
fixer dans l’état religieux, l’Eglise impose une série d’expé­
riences : Postulat, Noviciat, vœux temporaires. Mesure pleine
de sagesse, qui permet aux jeunes religieux d’étudier plus à
fond leur vocation, de se rendre compte de leurs dispositions
intérieures et de ne s’engager qu’à bon escient et définitive­
ment au service de Dieu. L’Institut, à son tour, a toute facilité
et toute liberté d’écarter les candidats inaptes ou les sujets
indignes. De ces préparations successives, le Postulat ouvre la
série.
Institution ecclésiale, régie par le droit Religieux, dont voici
les prescriptions relatives à l’admission, la direction, le lieu,
la durée et l’obligation.
Nous indiquerons ensuite la nature du Postulat, son but
et son aboutissement.
58 LE NOVICIAT

I. PRESCRIPTIONS CANONIQUES
Cours préparatoire au Noviciat, le Postulat est soumis,
dans sa constitution et ses principaux éléments, à une régle­
mentation tout à la fois succincte et précise.
i. Admission au Postulat. La plupart des Constitutions
désignent l’autorité qui peut admettre légitimement les can­
didats à la vie religieuse. Règle générale, ce droit appartient
aux Supérieurs Majeurs, Général ou Provincial. Avant l’admis­
sion, sans doute serait-il sage de se procurer les documents
et lettres testimoniales exigés par le Droit pour l’entrée au
Noviciat. Les empêchements énumérés par le canon 542 —
que nous rappellerons plus tard — rendant invalide ou illicite
l’entrée au Noviciat, valent aussi pour le Postulat. Précaution
qui, pour l’avenir, écarterait certaines surprises désagréables,
et d’avance couperait court à des essais voués à l’échec.
A moins d’un commun accord, ou de dispositions contraires
des Constitutions, rien ne peut être exigé du Postulant à titre
de pension pour frais de vêtement et de nourriture (Canon 570, § 1).
Encore faudrait-il n’accepter que des candidats offrant des
signes de vocation et comptant — le temps du Postulat achevé
— au moins quinze ans accomplis : âge requis pour entrer
au Noviciat. A conseiller aussi de ne .pas admettre des préten­
dants trop jeunes, peu aptes à recevoir une formation sérieuse,
au Postulat d’abord, et ensuite au Noviciat.
Une certaine maturité physique, intellectuelle et morale
est de mise pour faire ses premiers essais de vie religieuse.
Il serait même à souhaiter, dans les Congrégations Ensei­
gnantes, Hospitalières, Sociales, que les jeunes filles ne se
présentent que dotées d’une certaine culture intellectuelle ou
professionnelle, et nanties — dans la mesure du possible —
des premiers brevets ou diplômes, requis plus tard pour l’exer­
cice de leur apostolat. Ce serait tout avantage et pour elles
et pour l’institut.
2. Direction. L’importance du Postulat, au principe même
de la vie religieuse, requiert une direction éclairée, prudente
et maternelle. De sa qualité, en effet, dépend en partie la valeur
du Noviciat. Dès qu’il s’agit de formation, surtout religieuse,
un choix s’impose d’éducateurs instruits, vertueux, expéri­
mentés, « compétents » (Canon 540, § 1). Poste délicat qu’il
importe de ne point confier à quiconque, au risque d’ébranler
et de perdre certaines vocations chancelantes.
POSTULAT 59

La Maîtresse des Novices — ou, à son défaut et sous sa sur­


veillance, son Assistante — est toute qualifiée pour remplir
cette charge. Ce premier contact avec des âmes qu’elle retrou­
vera demain au Noviciat, dont elle connaîtra déjà les ten­
dances, le caractère, le tempérament, les défauts et les vertus,
facilitera grandement sa tâche de formatrice et la mettra plus
à même d’exercer sur ses Novices une action profonde et
durable.
3. Maison du Postulat. Le Postulat a lieu dans la maison
du Noviciat ou tout autre, parfaitement régulière (Canon 540, § 1).
Il serait néfaste, en effet, de mettre les Postulants immédiate­
ment en contact avec une vie religieuse médiocre ou diminuée.
Beaucoup de ces jeunes, sans bien connaître l’état religieux,
s’en sont fait une belle et haute idée et apportent du monde,
qu’ils viennent de quitter, un vrai idéal de sainteté, qu’ils
espèrent voir réalisé dans l’institut. Plus que d’autres, ils subi­
ront l’influence du milieu ; et il ne faudrait pas que leur entrée
fût aussitôt affligée d’une déception et que la vue de la réalité
leur fît éprouver un désenchantement de l’esprit, un refroi­
dissement du cœur et un recul de la volonté. Les premières
impressions sont souvent ineffaçables. Aux Supérieurs donc
de veiller à ce qu’aucun religieux vulgaire, tiède, ne déteigne
sur ces âmes neuves, parfois sensibles à l’excès.
4. Durée. La durée du Postulat est régulièrement de six
mois, encore que les Constitutions puissent la fixer à un an.
Les Supérieurs ne peuvent ni le supprimer ni le diminuer
sans l’autorisation du Saint-Siège ou de l’Ordinaire, s’il s’agit
de Congrégations diocésaines (Canon 539, § 1). Il leur est
permis toutefois de le prolonger — pour raisons sérieuses
— de six mois au plus (Canon 539, § 2). Après quoi, le Postu­
lant doit retourner dans le monde ou entrer au Noviciat. Inter­
rompu pour cause de maladie, ou pour tout autre motif grave,
le Postulat n’est pas à recommencer, mais à compléter.
5. Obligation. D’après le Droit commun (Canon 539, § 1),
le Postulat est strictement obligatoire dans tous les Instituts
de femmes ; de même, pour les convers des Congrégations
d’hommes. La suppression ou diminution du Postulat, encore
qu’illicite, n’infirme en rien la validité du Noviciat et de la
Profession.
Quant à l'habit des Postulantes, il sera différent de celui
des Novices : simple, modeste, d’aspect religieux et sans rien
qui sente le monde (Canon 540, § 2).
6o LE NOVICIAT

II. NATURE DU POSTULAT


Le Postulat est un stage préparatoire au Noviciat, impliquant
une formation intellectuelle, morale et disciplinaire x.
I. Formation intellectuelle, d’ordre religieux et non point
scientifique ou professionnel. L’enseignement de la Doctrine
Chrétienne complétera tout d’abord une Instruction religieuse,
qui laisse souvent à désirer : fragmentaire, rudimentaire, super­
ficielle. Au cours de catéchisme, joindre quelques notions
générales sur l’état et la vie religieuse, un aperçu de l’institut,
de son esprit, de son apostolat ; quelques notions de Liturgie,
d’Ecriture Sainte, etc.
2. Formation morale. Doucement, progressivement, ini­
tier les Postulantes aux exigences de la vie religieuse et commu­
nautaire ; à la pratique de la pauvreté, de l’obéissance, de la
charité fraternelle, de l’oubli et du don de soi-même, à une
piété éclairée, solide, sans nulle sentimentalité, à la parfaite
réception des sacrements.
3. Formation disciplinaire. Faire comprendre la gran­
deur et la nécessité d’un règlement, accepté librement, joyeu­
sement, surnaturellement, amoureusement ; en particulier,
signaler les points qui touchent aux relations avec leur famille,
le monde, et leur ancien directeur.
4. Méthode de formation. La direction du Postulat
exige, surtout de nos jours, beaucoup de tact, de prudence,
de bonté, sans oublier la fermeté.
a) Méthode progressive. Au début, ne pas trop demander,
trop exiger ; savoir fermer les yeux sur certaines faiblesses
ou écarts ; user discrètement des remarques et parcimonieu­
sement des réprimandes ; ne point froisser, heurter de front
certains caractères difficiles. De la douceur, de la douceur, encore
de la douceur, afin de gagner la confiance.
b) Méthode maternelle. Accueil bienveillant et souriant. En
quittant le monde, d’aucunes ont consenti de gros sacrifices ;
pour la plupart, ce brusque changement de vie, le renonce-

1. La Revue des Communautés religieuses, dans un de ses N“s 1946:


janvier-mars, pp. 24-25) a publié un programme de formation au
Postulat, à l’usage d’une Congrégation hospitalière, et dont on
pourra heureusement s’inspirer.
POSTULAT 6l

ment à leurs habitudes de facilité et de liberté doivent peser


assez lourdement. Savoir les consoler, les encourager ; établir
un climat de joie, d’expansion; créer autour d’elles une atmos­
phère familiale. Leur donner l’impression qu’en entrant en
religion, elles n’ont pas renoncé au bonheur et que, si le Pos­
tulat est une serre, il n’est point une cave. Se montrer mère
en tout et partout.
5. But du Postulat. Permet à la Postulante de se rendre
compte de ce qu’est l’état religieux, de connaître l’institut
vers lequel elle s’est orientée, de mieux découvrir ses apti­
tudes, qualités, disponibilités pour ce nouveau genre de vie,
et de prendre une décision.
Donne à la Maîtresse l’occasion d’étudier, d’apprécier la
prétendante et de juger de son admission au Noviciat.

III. AU TERME DU POSTULAT


Le Postulat achevé — qu’il ait duré six mois ou, en cas
de prolongation, l’année entière — une décision définitive s’im­
pose, soit au candidat, soit à l’institut : départ spontané, admission
ou renvoi.
Durant ce premier essai de vie religieuse, le Postulant garde
toute liberté, sans préavis et sans explication, de retourner
dans le monde, quand il le voudra et quel que soit le motif
d’un départ, dont il porte seul devant Dieu la responsabilité.
De son côté, l’institut, sans aucune formalité juridique, a
le droit, soit au cours, soit à la fin du Postulat, de signifier
à l’intéressé son renvoi définitif. Quelle que soit la cause de
leur décision, les Supérieurs n’ont point à la justifier et, en
aucun cas — n’ayant pris aucun engagement — ne manquent
à la justice. Toutefois, en renvoyant sans motif légitime quel­
qu’un donnant des signes sérieux d’appel divin, de ferveur et
de fidélité, on pourrait fort bien manquer à la charité — même
gravement — à Végard du Postulant, dont on expose la voca­
tion, et vis-à-vis de la Congrégation, que l’on prive peut-être,
pour demain, d’un excellent sujet. En tout cas, que la sépa­
ration, parfois fort pénible pour le candidat évincé, se fasse
en toute cordialité et justice. On rendra donc intégralement
au Postulant tout ce qu’il aurait apporté du monde, trousseau,
meubles, argent et titres.
Quant à l'admission au Noviciat, qu’on use plutôt de sévé­
rité, écartant tout sujet douteux, peu édifiant et ne donnant
nul espoir pour l’avenir.
62 LE NOVICIAT

i. D’où viennent ces mots de « Postulat » et


de « Postulantes » ?
2. Le Postulant peut-il disposer de sa fortune
comme il l’entend ?
3. Est-il prudent, au Postulat, de se dépouiller
de ses biens en faveur de l’institut ?
4. Une religieuse de chœur, passant aux con­
verses, est-elle obligée de recommencer
son Postulat ? De même, si elle passe dans
une autre Congrégation ?
5. Pourquoi les choristes sont-ils dispensés
du Postulat, dans les Congrégations
d’hommes ?

Codex, 539-541. — Enchiridion de Statibus perfectionis, t. I, pp. 158,


170, 347, 396, 419. Vermeersch Creusen, Epitome Juris Canonici, t. I,
Lib. II, tit. XI, Cap. Ier, « De Postulatu ». — Schaefer, De Religiosis,
Pars VIII, ch. 1. — Acta et Documenta Congressus Generalis de Statibus
perfectionis. Romae 1950, Index rerum, t. IV, « Postulatus », p. 387.
R. C. R. 1935, 27 ; 1939, 65, 114 ; 1945, 107 ; 1946, 24 ; 1948, 76 ;
1954, 142-
SIXIÈME LEÇON

VÊTURE

Au Postulat succède normalement et immédiatement la


vêture. Durant les premiers siècles, religieux et religieuses ne
portaient aucun costume particulier qui pût les distinguer de
l’assemblée des fidèles. Dans les Ordres de clercs, on s’en
tenait simplement à l’habit des prêtres ou des chanoines.
Peu à peu, cependant, pour mieux marquer leur sépara­
tion d’avec le monde et leur appartenance au Christ, la cou­
tume s’établit de revêtir les consacrés de livrées spéciales ;
coutume qui finalement entra dans la législation ecclésiale.

I. PRÉPARATION A LA VÊTURE

La vêture, qui clôt le Postulat et ouvre le Noviciat, est


un acte trop important pour être improvisé. Une double prépa­
ration est requise : l’une plutôt canonique, l’autre morale.

i. Préparation canonique. Elle consiste, dans les Ins­


tituts de religieuses, en un examen à passer et une dot
à fournir.
a) Examen. Deux mois au moins avant la vêture et
l’admission au Noviciat, les Supérieures doivent avertir l’Ordi-
naire du lieu, afin qu’il puisse, par lui-même ou par son
délégué, examiner la Postulante. Examen qui portera exclu­
sivement sur deux points : constater que la candidate se rend
compte des obligations futures qu’elle assume, et qu’elle agit
en toute liberté (Can. 552).
E) Dot. Avant la prise d’habit (Can. 547, § 1-2), la Postu­
lante doit fournir une dot, qui consiste dans la donation faite
au Monastère ou à l’institut d’un capital — argent liquide,
titres, actions, obligations — afin de pourvoir à sa subsistance.
Ce capital devient la propriété de la Religion, mais condition­
64 LE NOVICIAT

nellement jusqu’à la sortie de la religieuse ou à son passage


dans un autre monastère ou Congrégation. A sa mort, la dot
devient la propriété définitive de l’Ordre (Can. 551).
Le montant de la dot est fixé par les Constitutions ou
par la coutume (Can. 547, § 1). Sans l’autorisation du Saint-
Siège, pour les Instituts Pontificaux, ou celle de l’Ordinaire
pour les Congrégations diocésaines, il est interdit de dispenser
de la dot, voire de la diminuer (Can. 547, § 4).
Strictement obligatoire chez les moniales, Sœurs de chœur
et Converses, la dot, dans les Congrégations à vœux simples,
ne l’est que si les Constitutions la prescrivent (Can. 547, § 3).
Après la première profession, les Supérieurs Majeurs,
d’accord avec leur conseil et avec le consentement de l’Ordi­
naire et du Supérieur régulier, si la maison en dépend selon
les Constitutions, la dot devra être placée en titres sûrs, licites
et de bon rapport. Défense de l’utiliser, pour quelque motif
que ce soit, sans l’autorisation du Saint-Siège. Ces titres doivent
être administrés avec prudence et se trouver à la maison
générale ou provinciale (Can. 550, § 1). L’Ordinaire doit
y veiller et s’en faire rendre compte à la visite canonique
(Can. 550, § 2).
Si la Novice part d’elle-même, ou est renvoyée, la dot
doit lui être rendue intégralement. En cas de décès, durant
le Noviciat, la dot revient à ses héritiers légitimes.

2. Préparation morale. La vêture ne consiste point seu­


lement à troquer l’habit séculier pour l’habit religieux. Plus
qu’un geste, elle est un acte profond, surnaturel, qui, pour
être posé en plénitude, requiert une double préparation d’âme :
la confession et une retraite (Can. 541).
a) Confession. Sur l’avis de son confesseur, la Postulante
fera une confession générale de toute sa vie. La vêture est
déjà une sorte de conversion, de retournement, d’adieu au
monde. A qui s’engage sur une voie nouvelle, la voie des imma­
culés, — Beati immaculati in via — rien de mieux que de
prendre un beau départ, en se revêtant de candeur et d’inno­
cence. Pour préparer l’avenir, liquider définitivement le passé.
Une exception sera faite à l’égard de certaines âmes scrupu­
leuses ou timorées à l’excès, que le souvenir de leurs fautes
ne pourrait que troubler ou décourager.
b~) Retraite. A la confession générale, la future Novice
joindra une retraite fervente de huit jours pleins, pour se
remettre une fois encore en face de sa vocation, de sa grandeur
VÊTURE
65
et de ses exigences, et faire de ses fiançailles avec le Christ
une rupture décisive d’avec le siècle, en même temps qu’un
acte incomparable d’amour dans le don total d’elle-même et
une promesse de fidélité.

II. CÉRÉMONIE DE VÊTURE

Règle générale, le Noviciat canonique commence à la céré­


monie de vêture. Rien n’empêche toutefois que l’admission
au Noviciat se fasse de toute autre façon, déterminée par les
Constitutions (Can. 553). La vêture revêt plus ou moins d’apparat
ou d’austérité. Chaque famille religieuse a son Cérémonial
particulier. Ce qui importe, d’ailleurs, c’est moins la mise en
scène de cette métamorphose que le sens profond et spirituel
qu’il y faut attacher.

1. Nature de l’Habit religieux. S’il échappe aux mille


fluctuations fantaisistes, ou ridicules de la mode, l’habit
religieux comporte du moins une immense variété d’étoffes,
de coupes, de couleurs et d’accessoires. Chaque Institut a son
costume propre et distinctif. Encore faut-il qu’il ne s’éloigne
en rien de la simplicité évangélique. « La matière de l’habit,
sa forme, sa disposition, sa couleur doivent être de nature à
convenir à la dignité, à la gravité et à la modestie religieuse,
non moins qu’à la vertu de pauvreté. (Normae 1901, art. 66).
Avant d’approuver un Institut, le Saint-Siège exige qu’on lui
fasse connaître « la forme, la couleur, la matière, les parties
de l’habit des Novices et des Profès » (Pie X, Motu proprio,
16 juillet 1906).
C’est qu’en effet, des abus s’étaient glissés, que Pie XII
signala à maintes reprises, demandant que l’habit religieux
retrouvât son antique simplicité et sût s’adapter aux conditions
de vie actuelle et aux nécessités de l’apostolat moderne.

2. Mystique de l’Habit religieux qui, dans l’Eglise et


aux yeux du monde, symbolise tout à la fois,
a) La séparation d’avec le siècle, le renoncement à son
esprit et à ses mœurs.
b) L’appartenance à Dieu. « L’habit religieux doit toujours
exprimer la consécration au Christ : c’est cela que tous
attendent et désirent » (Pie XII, Allocution aux religieuses,
15 sept. 1952).
66 LE NOVICIAT

c) Rengagement — mais qui n’a rien du vœu — de vivre


en religieux et de se sanctifier : « Si vous ne sentez pas en vous-
même un extrême dégoût du monde, une sainte et divine
ardeur pour la perfection chrétienne, sortez, ma Sœur, de
cette clôture et ne profanez pas ce lieu saint » (Bossuet,
Sermon pour la vêture d’une Postulante bernardine ; Lebarq,
t. III, p. 46).
d') R esprit et les vertus caractéristiques de l’Ordre dont on
porte les livrées. Prendre l’habit religieux, ne serait-ce point
se revêtir de Jésus-Christ ? « Christum induistis » (Gai. III, 27).

ni. PORT DE L’HABIT RELIGIEUX

Depuis longtemps, le port de l’habit religieux a été considéré,


à juste titre, comme une obligation morale de conscience. A
la fin du XIIIe siècle, Boniface VIII frappait d’excommunication
le religieux qui quittait son habit... (Texte des Décrétales,
livre III, tit. 34, chap. 2).
Voici sur ce point la législation actuelle de l’Eglise.

1. Règle Générale. Le « Noviciat tout entier doit se faire


avec l’habit que les Constitutions prescrivent pour les Novices,
à moins que les circonstances locales spéciales n’imposent de
faire autrement » (Can. 557). Il en est de même pour les
Profès de tous les Ordres ou Congrégations. « Que tous les
religieux portent l’habit propre de leur religion, tant à l’inté­
rieur qu’à l’extérieur de la maison, à moins d’être excusés par
une cause grave, au jugement du Supérieur Majeur ou du moins,
en cas d’urgente nécessité, du Supérieur local » (Can. 596).
Causes graves: la persécution violente, interdiction, par la loi
civile, du costume religieux ; inconvénients sérieux qui naî­
traient, en certains pays ou régions, de circonstances de mœurs
ou de coutumes.
2. Règles particulières. Nombre de Congrégations
modernes ont été dispensées de cette loi, et de par leurs Consti­
tutions sont autorisées à porter un habit séculier, encore que
simple et modeste ; leurs activités s’exerçant dans des milieux
paganisés, hostiles, où l’habit religieux ne serait point toléré,
provoquerait la méfiance et ferait obstacle à tout contact et
pénétration apostolique.
Il en est de même, et pour des motifs identiques, de la
plupart sinon de tous les Instituts séculiers contemporains.
VÊTURE 67

IV. PRÉROGATIVES DE L’HABIT RELIGIEUX


N’aurait-on pas trop souvent souligné, en les exagérant,
les inconvénients, dans notre société moderne, du port de
l’habit religieux, quitte à taire les nombreux avantages qu’il
comporte, tant au point de vue sanctification personnelle que
rayonnement apostolique. Ne serait-il pas tout à la fois une
sauvegarde, un stimulant et une prédication?
a) Sauvegarde contre la vanité et la coquetterie féminine,
l’habit religieux n’a rien qui puisse attirer l’attention, et moins
encore provoquer l’admiration, sinon peut-être par sa forme
désuète et ses détails anachroniques. Il détourne aussi de cer­
taines fréquentations douteuses : spectacles, théâtres, cinémas,
musées, où le public, même incroyant, serait fort étonné, sinon
scandalisé, de voir s’exhiber une bure de moine ou une cornette
de religieuse. Repoussoir pour les personnes suspectes, il pré­
serve aussi de bien des tentations délicates.
6) Aux âmes nobles, il rappelle aussi la grandeur de leur
vocation et les oblige, en le portant avec dignité, à faire honneur
à leur Congrégation. L’habit, sans doute, ne fait pas le moine,
mais il peut contribuer à le maintenir et à le garder.
c) Enfin, ne serait-il pas, porté comme un drapeau au milieu
de l’incrédulité, une protestation vivante, une affirmation muette,
mais éloquente de notre foi en Dieu, de notre dévouement
au Christ et à l’humanité ?
« L’habit n’agit pas comme un sacrement ; mais c’est, pour
la sanctification et l’apostolat, une aide précieuse qu’on aurait
tort de dédaigner » (R. C. R., juillet-août 1939, p. 117).

1. Comment expliquer et justifier l’expres­


sion « le Saint Habit religieux » ?

2. Quelles sont les raisons graves, ou sérieuses


qui autoriseraient à déposer momentané­
ment ou habituellement l’habit religieux ?

3. N’y aurait-il pas actuellement une ten­


dance à user trop facilement, et sans motif
valable; de l’habit séculier, à l’occasion,
68 LE NOVICIAT

par exemple, des sports, des exercices


physiques, du travail manuel, des excur­
sions, vacances, voyages, etc. ?

4. L’habit religieux est-il un obstacle à l’apos­


tolat moderne ?

Bourdaloue, De l’Etat Religieux, « Habit religieux ». — Bergier,


Dict. de Théologie, t. III, p. 3. — Schaefer, De Religiosis, Pars VIII,
ch. II. — Acta et Documenta Congressus Generalis de Statibus perfec­
tionis. Romae 1950, t. IV, Index rerum, « Habitus Religiosus »,
PP- 375-376.
R. C. R. 1935, 48; 1936, 197; 1939, 84» no; 1-952, 182; 1954,
142.
SEPTIÈME LEÇON

INSTITUTION ECCLÉSIALE

Le Noviciat, Institution ecclésiale, date de plusieurs siècles.


Elle fut surtout l’œuvre de Clément VIII qui, de 1593 à 1604,
en fixa les grandes lignes. La Constitution « Cum ad regu­
larem », du 19 mars 1603, comporte une série de décrets
généraux pour la réception, l’instruction et la formation des
Novices. Elle est la source principale de la législation actuelle,
qui n’a fait que la commenter, la préciser et la compléter.
Le Noviciat est une Ecole préparatoire à P état religieux.
Etude de la vocation, connaissance de la vie spirituelle, initia­
tion à la vie de l’Ordre, préparation à la Profession : tel est
son programme essentiel. « Communauté où, pendant une
période déterminée, on étudie sa vocation, on en donne le
sens et, en même temps, on met à même d’y répondre l’âme
qui se croit appelée » (Forma Gregis, janvier 1954, p. 1. Conseils
Pédagogiques, Rimaud, S. J.).
Le mot Noviciat comporte un double sens. Il indique tout
d’abord la maison ou partie d’habitation, séparée et réservée
aux Novices, avec sa chapelle, cellules, dortoir, salles d’exer­
cice, bibliothèque et tout son mobilier. Il signifie ensuite la
communauté qui l’occupe : Père Maître et Maîtresse, Socius
et Sous-Maîtresse, Postulants et Novices.
Vu son importance, l’institution est rigoureusement obli­
gatoire et ne souffre aucune dispense. C’est qu’on ne s’impro­
vise pas religieux. Pour tout candidat à la vie parfaite, un stage
s’impose : le Noviciat.
Multiples et minutieuses les prescriptions du Droit Canon
sur la nécessité du Noviciat, sa nature, sa fin. Conditions
d’admission, formation spirituelle, choix de parfaits éducateurs,
renvoi des candidats, profession : tous ces points ont été fixés
70 LE NOVICIAT

par la jurisprudence actuelle, laquelle, répétons-le, n’a pas


d’autre fin que de maintenir l’état religieux dans sa pureté
originelle, de parer aux déviations et abus toujours possibles
en toute société humaine, de donner aux futurs religieux, avec
une formation complète, un gage de persévérance et d’assurer
aux Instituts eux-mêmes leur vitalité intérieure, leur fécondité
apostolique et leur pérennité.
Cette législation, œuvre de l’Eglise, est le fruit de son expé­
rience séculaire, de sa sagesse, des Inspirations de l’Esprit-
Saint et, de nos jours, de sa puissance d’adaptation et de réno­
vation ; car, c’est à elle que le Christ a confié le gouvernement
des Ordres religieux.
Il importe donc que toute cette jurisprudence ecclésiale
soit connue, étudiée, aimée et respectée. Sur certains points, la
conscience des Supérieurs est gravement engagée. A la suivre
à la lettre et dans son esprit, nul ne peut s’égarer. Par contre,
qui la viole ou l’oublie ne s’épargnera pas toujours surprises
désagréables, échecs douloureux, voire scandales retentissants.
La plupart des Règles et Constitutions contiennent un
résumé succinct des prescriptions du droit, touchant le Novi­
ciat. — Nous jugeons bon toutefois de les rappeler et, à l’occa­
sion, de les préciser et commenter.

I. RECRUTEMENT
Le Noviciat est une Ecole officielle et professionnelle de
futurs religieux. Sévère doit être son recrutement. Le nombre
a bien son importance, alors que la plupart des Instituts
souffrent d’une crise de vocations. Mais, ce qui importe avant
tout, au jugement de l’Eglise, c’est moins la quantité que la
qualité. Après examen, un tri s’impose, afin d’écarter dès l’abord
les inaptes, les indignes, les fausses vocations, ou celles qui
offrent peu de garanties et nul espoir d’aboutir. Aussi, des
conditions d’entrée sont-elles strictement exigées, avec présen­
tation de pièces justificatives et, s’il y a lieu, un supplément
d’enquête.
I. Conditions d’entrée, sous peine d’invalidité ou de licéité,
sont fixées par le Can. 542. Le Saint-Siège s’en est réservé
la dispense, et tout Supérieur qui n’en tiendrait point compte
devrait être puni selon la gravité de sa faute, voire, être privé
de sa charge (Can. 2411). A ces empêchements communs,
Règles et Constitutions peuvent en ajouter d’autres, en confor­
mité avec l’esprit de l’Ordre et son genre spécial d’apostolat.
INSTITUTION ECCLÉSIALE
71
2. Pièces justificatives.
a) Certificats. Un certificat de baptême et de confirmation
est exigé de tout postulant (Can. 544, § 1) et, si on le juge
opportun, un certificat médical.
b) Lettres testimoniales (Can. 545, § 1), gratuites, scellées,
confidentielles, sous la foi du serment et portant sur la nais­
sance du candidat, sa conduite, son caractère, sa vie, sa répu­
tation, sa situation, sa famille, son éducation, devront être
fournies, selon la diversité des cas, par les Directeurs de Sémi­
naire ou Collège religieux, par le Supérieur Général d’un Institut
où l’on aurait séjourné à titre de postulant, Novice, Profès ; par
l’Ordinaire du lieu d’origine ou les Ordinaires de tous les dio­
cèses où l’on aurait, après 14 ans révolus, passé plus d’une
année moralement continue (Can. 544).
Les clercs devront aussi présenter leurs lettres d’ordination,
et les lettres testimoniales des Ordinaires dans les diocèses des­
quels ils auraient séjourné plus d’une année (Can. 544, § 4).

3. Enquêtes. Avant d’admettre des aspirantes, dans les


Instituts de femmes, une enquête sérieuse est exigée sur leur
caractère et leur conduite (Can. 544, § 7).
En plus des pièces justificatives, prescrites par le droit,
il est toujours loisible aux Supérieurs de compléter leurs rensei­
gnements par des enquêtes discrètes et confidentielles auprès de
ceux qui auraient connu particulièrement la personne et la
vie des candidats (Can. 544, § 6).

II. ORGANISATION

Aux conditions d’admission, fixées par le Droit ou les


Constitutions, et requises pour la validité ou licéité du
Noviciat, s’ajoutent d’autres prescriptions juridiques, touchant
sa constitution interne : âge des postulants, lieu, durée, vie
communautaire.

1. Age d’admission. Aucun postulant ne peut commencer


validement son Noviciat, à moins d’avoir quinze ans accomplis
(Can. 555, § 1, n° 2). Minimum d’exigence ; car, avant cet âge,
il est bien difficile, voire impossible de faire un Noviciat sérieux,
tant au point de vue intellectuel que moral. L’admission au
Noviciat de candidats trop jeunes, inaptes à recevoir une for­
mation complète et solide, ne va pas sans graves inconvénients
et pour le sujet et pour la Congrégation.
72 LE NOVICIAT

2. Lieu du Noviciat. Le Noviciat, dans les Congrégations


de droit pontifical, ne peut être érigé qu’avec l’autorisation
du Saint-Siège (Can. 554, § 7). C’est dans la maison même
du Noviciat, et sous peine de nullité, que doivent être réunis
et formés les futurs religieux. Les novices occuperont un corps
de logis distinct, ou du moins une partie du couvent, séparée
de la communauté des Profès. Entre ceux-ci et les Novices,
toute communication et relation sont interdites, à moins d’une
permission spéciale. Pour l’édification des futurs religieux, les
Supérieurs doivent veiller à ce que le Noviciat soit intégré
dans une maison fervente et parfaitement régulière (Can. 564, §1).

3. Durée du Noviciat. Le Noviciat canonique, sous peine


d’invalidité, doit durer une année entière et continue (Can. 555,
§ I, 2).
a~) Année entière, sans compter le jour de la vêture, ou,
d’entrée au Noviciat.
Z>) Année continue, sans absence prolongée de la maison
du Noviciat et sans interruption notable de temps.
c) Différentes sortes d’interruption.

i° Le Noviciat doit être recommencé intégralement, si le


Novice a été renvoyé par les Supérieurs et a quitté la maison ;
si le Novice est parti de lui-même, avec l’intention manifestée
de ne plus rentrer ; après une absence de plus de trente jours,
quel qu’en soit le motif, avec ou sans interruption (Can. 556, § 1).

20 Après une absence légitime — continue ou non — de


plus de quinze jours, il est nécessaire, pour la validité du Novi­
ciat, de suppléer le nombre de jours manquants (Can. 556, § 2).

30 Si l’absence n’a pas dépassé quinze jours, il n’est pas


requis d’y suppléer pour la validité du Noviciat.
Dans les Instituts où le Noviciat est de 18 mois ou de deux
ans, l’année canonique seule est obligatoire pour la validité, à
moins que les Constitutions ne disent expressément le contraire
(Can. 555, §2).

4. Vie Communautaire. Le Noviciat constitue une commu­


nauté à part, autonome, ayant sa propre vie, et indépendante.
En dehors de la discipline générale de la maison, à laquelle
il est soumis, le Noviciat a son règlement, ses exercices et son
ordre du jour.
INSTITUTION ECCLÉSIALE 73

HI. DIRECTION
La direction du Noviciat présente un caractère marqué de
centralisation et ne compte qu’un personnel formateur extrê­
mement réduit : Supérieurs Majeurs, Père-Maître, quelques
rares collaborateurs, socius, aumônier, confesseurs, professeurs.
i. Les Supérieurs Majeurs ont seuls le droit d’admission
au Noviciat, avec le consentement de leur Conseil ou Chapitre,
dont le vote est, au gré des Constitutions, consultatif ou déli­
bératif (Can. 543).
Leur appartient aussi, de même qu’au Visiteur, un certain
droit de directive générale, de surveillance et de contrôle sur
la bonne marche du Noviciat et la conduite individuelle des
Novices (Can. 561, § 1).
2. Le P. Maître, dans le but de favoriser l’unité de sa direc­
tion et la valeur de sa formation, jouit dans l’exercice de ses
fonctions d’une autorité immédiate, plénière et indépendante.
dans les limites évidemment fixées par le Droit, les Consti­
tutions, et en conformité avec la doctrine et l’esprit de l’ins­
titut. De son gouvernement et de son action personnelle
dépendent, en effet, et presque exclusivement la bonne tenue,
la régularité, la ferveur, l’union, le bon esprit du Noviciat,
comme aussi l’heureuse formation de chaque Novice en parti­
culier (Can. 561, 562).
3. Les Collaborateurs du P. Maître dans la direction du
Noviciat : Socius, Sous-Maîtresse, professeurs, seront sous son
entière dépendance.
Quant à l’Aumônier et au Confesseur qui, dans l’exercice
de leurs fonctions propres, ne relèvent que de leur conscience,
du Droit Canon, des Statuts diocésains et des Règlements du
Noviciat, ils s’efforceront de maintenir avec le P. Maître ou
Maîtresse des Novices une cordiale entente, faite de discrétion
et serviabilité.
IV. DES NOVICES
Les Novices sont tenus à certaines obligations morales et
juridiques et jouissent de certains privilèges.
1. Obligations propres aux Novices. Tous doivent se sou­
mettre aux Supérieurs, au P. Maître ; observer la Règle, les
Constitutions, le Règlement du Noviciat ; éviter de troubler la
discipline générale ou de scandaliser leurs frères (Can. 561, § 2).
74 LE NOVICIAT

Durant le cours du Noviciat, il leur est interdit, sous peine


d’invalidité, de renoncer à leurs biens ou de les hypothéquer
(Can. 568).
Avant sa profession, le Novice doit céder l’administration
de ses biens à qui il voudra, même à l’institut, et disposer
de leur usage et usufruit en toute liberté (Can. 569, § 1), à
moins de prescriptions contraires des Constitutions.
De même avant la Profession temporaire, le Novice est
tenu de faire son testament pour tous les biens qu’il possède,
ou pourra par la suite acquérir, et cela en toute liberté, en
tenant compte cependant des lois de la justice et de la charité
(Can. 569, § 3).

2. Privilèges. Les Novices jouissent du privilège du For


et du Canon et de toutes les faveurs spirituelles, indulgences,
accordées à l’institut.
L’entrée en religion suspend tous les vœux particuliers
émis dans le monde avant l’entrée en religion.
En cas de danger de mort, le Novice peut faire sa profession,
sa consécration ou ses promesses, selon les Constitutions, entre
les mains des Supérieurs Majeurs, du Supérieur local ou du
P. Maître, sans précision de temps, et selon la formule pres­
crite par la Règle ; et avec participation aux indulgences,
suffrages, grâces réservés aux Profès. Cette profession n’a pas
d’autres effets juridiques. Si le Novice guérit et vit encore,
à la fin de son Noviciat, il doit renouveler sa Profession.

1. Pourquoi, dans les Fédérations de Moniales,


l’institution d’un Noviciat commun ? Avan­
tages et inconvénients.

2. Les journées passées dans une maison de


campagne comptent-elles, au point de vue
canonique, pour la durée du Noviciat ?

3. Le Novice, incapable de tester d’après la


loi civile, est-il tenu néanmoins à faire
son testament ? De même dans le cas où
il ne disposerait actuellement d’aucuns
biens ?

4. Un Novice, qui a l’intention arrêtée de ne


point faire ses vœux, est-il tenu à resti­
tution à l’égard de l’institut ?
INSTITUTION ECCLÉSIALE 75
5. Un Novice, faisant les vœux en danger de
mort, est-il vraiment religieux ?

6. Pourquoi un Novice est-il tenu d’obéir aux


Supérieurs et de garder la Règle ?

7. Quels sont les motifs qui justifient la pro­


longation du Noviciat ?

Codex J. C., Lib. Il, Titulus XI, cap. II. — Enchiridion de Statibus
perfectionis, pp. 98, 329, 396. Index, « Noviciatus », pp. 646-647. —
Schaefer, De Religiosis, Pars VIII, cap. n. — Choupin, Nature et
Obligations de l’Etat religieux, IIe Partie, ch. 11. — Vermebrsch, Creusen,
Epitome Juris Canonici, Lib. II, Pars II, cap. 11. — P. Colin, Culte
des Vœux, ch. m. — Carpentier, Témoins de la Cité de Dieu, ch. xi.
— Acta et Documenta Congressus Generalis de Statibus Perfectionis,
Romae 1950, t. III, 87, 95, 107, m, 117 ; t. IV, Index, « Noviciatus,
Novicii », p. 382.
R. C. R. 1935, 85, 195 ; 1936, 21 ; 1937, 117, 187 ; 1939, 21, 127 ;
1945, 180; 1946, 25; 1949, 195; 1950, 118 ; 1952, 200. — Forma
Gregis, décembre 1954, p. 16, « La Vertu Cardinale de Justice dans
la vie de la Mère-Maîtresse », P. Motte, O. P. — La Vie Spirituelle,
Supplément, 48, Ier trimestre, 1958, l. c.
HUITIÈME LEÇON

FORMATION RELIGIEUSE

Formation, éducation, culture : trois mots synonymes, riches


de sens, exprimant la même réalité fondamentale, sous des
aspects divers.
Former : donner une forme à ce qui n’en a pas. Tailler
dans le bloc massif, informe de notre humanité une œuvre
d’art, une œuvre de lumière, de beauté, de force, de vertu,
de sainteté.
Eduquer, « educere » : développer toutes nos facultés, puis­
sances physiques, intellectuelles, morales, et en tirer tout ce
qu’elles peuvent donner en activité et en rendement. Actua­
liser au mieux toutes nos virtualités.
Cultiver : à son origine, notre être n’est qu’un terrain en
friche, rocailleux, aride. Il s’agit de le défoncer, labourer,
herser, fumer, ensemencer, irriguer, afin de le transformer en
une terre profonde, fertile, aux moissons opulentes.
Toute formation humaine est une œuvre complexe, déli­
cate, douloureuse. Elle est à la fois redressement, lutte, progrès,
plénitude.
Redressement de toutes les déviations, déformations origi­
nelles et tares ataviques.
Lutte contre toutes les forces extérieures et intérieures qui
menacent notre vitalité et arrêtent notre croissance.
Progrès continuel dans l’épanouissement de notre vie phy­
sique, intellectuelle, morale, professionnelle. Car, la formation
ne tend à rien de moins qu’au dépassement de nous-même,
et dans son terme, par-delà la banalité, la vulgarité et le rachi­
tisme, à une certaine plénitude de vie.
La formation se situe sur un double plan : naturel et sur­
naturel.
FORMATION RELIGIEUSE 77
Formation naturelle de l’homme : formation strictement
humaine, telle qu’elle se rencontre dans un monde païen, qui
n’a pas la foi, ne croit point aux réalités divines et ignore ses
destinées éternelles. Elle n’a pas d’autre but que de perfec­
tionner l’homme, de créer des « personnalités » marquantes,
éminentes, dans le domaine de la pensée ou de l’action : science,
art, littérature, philosophie, politique, social, professionnel.
Elle trouve son expression parfaite dans la doctrine de
1’ « Humanisme ».
Formation surnaturelle du chrétien, devenu, par son baptême,
enfant de Dieu, participant à sa vie divine par la grâce sanc­
tifiante, les vertus infuses, les dons du Saint-Esprit. Pour lui,
tout le programme de formation consiste à garder cette vie,
à la défendre, à la développer, à l’orienter vers sa plénitude
— la sainteté — en attendant son immuable et éternel épanouis­
sement dans le ciel.
Encore qu’essentiellement diverses, ces deux formations
ne s’opposent point l’une à l’autre. Elles se révèlent même,
dans une certaine mesure, solidaires : la première étant la
condition, le support et Y auxiliaire de la seconde.
La formation religieuse — la seule qui nous intéresse et
qui n’est qu’une variété de la formation surnaturelle — est
une œuvre de longue haleine, voire de toute la vie. Se vaincre,
lutter, progresser, s’approcher d’un idéal toujours poursuivi et
jamais atteint : travail qui doit durer jusqu’à la mort. La vie
religieuse est toujours en voie d’évolution et de transformation,
« crescit eundo ».
Certaines époques cependant se révèlent particulièrement
favorables au développement de la personnalité. Comme la
nature, la grâce procède par étapes successives : elle a ses
poussées printanières, ses temps de croissance et d’arrêt, ses
heures de réveil et de somnolence. Par paliers successifs, la
formation religieuse s’élève graduellement et, passant par
l’adolescence et la jeunesse, s’étend de la prime enfance aux
confins de la virilité. A une formation initiale, préliminaire,
en succède une autre à trois degrés : première, seconde et
supérieure.
I. FORMATION PRÉ-RELIGIEUSE
La formation du religieux a commencé bien avant sa nais­
sance. Dès l’aube de son existence, il était choisi, séparé, appelé
par Dieu qui lui fixait sa destinée et son orientation profes­
sionnelle. « Avant de te former dans le sein de ta mère, je t’ai
78 LE NOVICIAT

connu, et avant que tu aies vu le jour, je t’ai prédestiné à devenir


mon serviteur et mon apôtre au milieu des nations » (Jérémie,
ch. I ; Isaïe, ch. 49).
En pétrissant cette chair et en lui infusant une âme, le
Créateur pensait donc à faire de cet être minuscule son reli­
gieux, son consacré. Il se Vêtait réservé. Grâce première de
la vocation, grâce capitale, qui en postulait une foule d’autres
et que l’élu du Seigneur recevrait durant tout le cours de son
enfance et de son adolescence, afin de pouvoir répondre digne­
ment à l’appel de Dieu. « Ut digne ambuletis vocatione qua
vocati estis » (Eph. IV, 1). Jeune encore, il travaillait, en colla­
boration avec le Très-Haut, et souvent à son insu, à se faire
une âme de futur religieux.
Dieu, premier éducateur ; mais, il n’est pas le seul. D’autres,
ses délégués officiels, vont s’associer à son action formatrice
et contribuer à la germination, éclosion et fructification de
belles et divines vocations.

Foyers chrétiens, pépinières de religieux et de prêtres ! Sur


les genoux de leur maman, où ils ont appris à connaître le bon
Dieu, à bégayer leur premier acte d’amour ; dans cette atmos­
phère lumineuse et chaude de foi, de pureté, de générosité,
de charité, de dévouement total, combien d’enfants ont entendu
la voix du Christ : « Viens, suis-moi. » D’une éducation fami­
liale foncièrement chrétienne, on ne rappellera jamais assez
le rôle immense, parfois irremplaçable, dans la culture des
vocations.

Des Maîtres Educateurs, laïcs, religieux, prêtres ont continué


l’œuvre des Parents et se sont efforcés, avec un dévouement
inlassable, à façonner l’âme des enfants qui leur étaient confiés,
soucieux d’en faire de beaux types de jeunes gens et de jeunes
filles, pleinement chrétiens et apôtres de leurs frères. Que de
fois, par le seul rayonnement de leur vie religieuse, magnifi­
quement vécue, n’ont-ils pas suscité dans l’esprit et le cœur
de leurs élèves la pensée et le désir de les suivre sur le chemin
des cimes.
Particulièrement favorisés, ceux-là qui, éduqués pendant
de longues années dans les juvénats, juniorats, écoles aposto­
liques, séminaires, en contact permanent avec l’élite du monde
religieux, ont eu l’occasion de mieux connaître la beauté et
la grandeur de leur vocation et la grâce de s’y préparer avec
plus d’élan et de générosité.
La genèse des vocations comporte presque toujours une
FORMATION RELIGIEUSE 79

histoire merveilleuse qui ne sera pleinement connue que dans


l’éternité.
Pour les prédestinés à l’état religieux, les années de l’ado­
lescence et de la jeunesse impliquent une prise de conscience
de plus en plus nette de leur vocation, une réponse souvent
laborieuse, avec des hésitations, des refus, mais finalement
loyale et décisive, à l’appel de Dieu, et une préparation éloi­
gnée, plus ou moins heureuse, à leur vie de demain. Sous
l’action mystérieuse de la Providence, et grâce aussi à l’influence
de ses éducateurs, après une période plus ou moins longue
de tâtonnements, l’âme finit par découvrir sa voie; elle s’y
engage et ne la quittera plus.

II. FORMATION PREMIÈRE


Dès les premières années de la vie religieuse, une formation
s’impose, qu’on s’efforcera de rendre complète et solide. Inau­
gurée au Postulat, elle se continue au Noviciat et se prolonge
durant tout le temps des vœux temporaires. D’une importance
capitale, car, elle sert de base aux formations subséquentes et
de préface à toute la vie. La valeur morale et la qualité aposto­
lique d’un religieux dépendront toujours — pour une large
part — de sa première formation. Manquée, elle ne peut aboutir
— sauf de rares exceptions — au double point de vue sancti­
fication et apostolat qu’à une vie diminuée, sinon mauvaise,
et toujours menacée.
i. Formation des Novices. Cette formation, qui relève
directement du Maître ou Maîtresse du Noviciat, est essen­
tiellement et presque exclusivement d’ordre moral et ascétique.
Tout à la fois doctrinale et pratique, elle a pour but d’initier
les Novices à la vie religieuse en général, et en particulier à
celle de l’institut. D’elle seule, il est question dans le présent
volume, où l’on traitera successivement de ses agents et de
son programme.
2. Formation des Néo-Profès. Une formation religieuse
ne se termine point avec le Noviciat. Le croire : erreur néfaste,
aux conséquences parfois irréparables. La profession n’est pas
une libération, ou une simple épreuve, dont on a pu sortir sans
trop d’ennuis et de dommages. Loin d’être un terme, elle est
une base de départ.
Simplement ébauchée, la formation initiale du Novice doit
donc se poursuivre, s’amplifier et s’approfondir. Les années qui
s’écoulent entre la première et seconde profession auront, à
8o LE NOVICIAT

coup sûr, une influence considérable, bonne ou mauvaise, sur


l’âme et la vie des jeunes religieux.
Transplantés d’une serre chaude en pleine terre et parfois
en plein vent, les Néo-profès ont besoin d’une culture surveillée
et renforcée. En raison même de leurs élans juvéniles, de leurs
vertus fragiles et de pas mal d’illusions, leur vie nouvelle leur
ménage plus d’une surprise et bien des difficultés. Pour ne
point déchoir, il leur faudra plus que jamais être éclairés,
conseillés, encouragés, mis en garde, relevés, entraînés et,
sans perdre leur vie intérieure, initiés aux œuvres d’apostolat.
De cette action éminemment formatrice, les responsabilités
incombent tout particulièrement aux Supérieures locales, dont
le premier devoir et le principal souci doivent être de continuer
et de parfaire l’œuvre de la Maîtresse des Novices.
Centrée entièrement sur la vie spirituelle, la formation
ascético-religieuse du Noviciat devra ensuite s’élargir et embrasser
des activités nouvelles, dans l’ordre intellectuel, scientifique,
expérimental, apostolique. Dans toutes les Congrégations
actives, enseignantes, hospitalières, missionnaires, vouées aux
œuvres sociales, paroissiales, familiales, une éducation profes­
sionnelle s’impose, dans le cadre de la Règle, selon l’esprit de
l’institut, en fonction de sa fin spéciale. Il n’est plus permis
— de nos jours surtout — de se passer d’une science compé­
tente dont la valeur, authentiquée par l’obtention des grades
académiques — brevets, diplômes officiels — assurera un
apostolat adapté et de plein rendement, tout à l’honneur de
l’Eglise et au bon renom de la Congrégation.

III. SECONDE FORMATION

Préparée par une deuxième probation, suivie, après un


certain laps de temps, du second Noviciat, la Profession perpé­
tuelle marque une nouvelle étape dans la formation religieuse,
souvent plus importante que la première.

i. Seconde Probation. Avant d’émettre des vœux qui les


fixeront à jamais dans l’état religieux, les jeunes Professes
reviennent à la Maison-Mère. Durant cinq ou six mois, sous
la conduite d’une Maîtresse instruite et expérimentée, elles
complètent leur formation initiale et préparent leur entrée défi­
nitive dans l’institut.
Cette seconde probation donne d’excellents résultats. La vie
religieuse ne se comprend bien qu’après avoir été vécue. Une
FORMATION RELIGIEUSE 8l

expérience personnelle de plusieurs années ne peut que révéler


à beaucoup le sens vrai et profond de leur vocation, ses exi­
gences, ses dangers, et les mettre plus à même de poser, en
pleine lumière, liberté et générosité l’acte le plus grave et le
plus décisif de leur vie morale. Excellente occasion de faire
le point, en face de sa conscience et de Dieu, dans un examen
loyal de son âme et de sa vie, de voir exactement où l’on en
est. Dans le silence, la solitude, la prière, l’oraison, une inti­
mité plus profonde avec le Christ, on pourra tout à son aise
revoir son idéal, reviser son programme d’action, raviver ses
convictions et ses résolutions, se rendre compte de ses défi­
ciences, de ses erreurs, de ses faiblesses et illusions de zèle ;
affermir parfois une vocation branlante, bref, se ressaisir, faire
son plein d’essence, et après s’être donné de nouveau à Dieu
et aux âmes, le jour de sa Profession, repartir d’un élan puissant
sur la voie de la perfection et dans le champ de l’apostolat.
2. Second Noviciat. Cette maturation spirituelle et apos­
tolique qui fait le religieux adulte, trouvera son achèvement
au second Noviciat. Institution, sinon universelle, du moins
généralisée, qui devrait être le complément nécessaire de toute
formation. Grâce exceptionnelle de rénovation spirituelle ;
occasion unique de revaloriser sa vie religieuse, de la rendre
plus personnelle et plus indépendante, de la libérer du super­
ficiel, du conformisme, de la routine, de tout infantilisme ;
de la rendre imperméable à toute influence mauvaise, soit
du dedans, soit du dehors ; bref, de passer de la jeunesse à
la virilité.
Dans ce stage de formation, trois points, semble-t-il, devraient
être particulièrement traités : Vapostolat, la vie intérieure et
l’esprit critique.
a) Apostolat. Plus que jamais de nos jours, il est opportun
de rappeler aux jeunes ouvriers de la Rédemption ce que doit
être, pour être légitime et opérant, tout apostolat catholique :
sa nature, son origine, ses éléments essentiels, ses moyens
d’action, sa fin surnaturelle ; sans oublier pour autant les heu­
reuses adaptations et les innovations techniques, exigées par
les conditions nouvelles et les multiples besoins de la société
contemporaine. A une saine tradition, joindre une évolution,
dans l’armement et la stratégie, qui n’ait rien de révolution­
naire : « Nova et vetera ».
b) Vie intérieure, fort menacée à l’heure actuelle, et quelque
peu oubliée, voire mésestimée, doit être, durant le second
Noviciat, inscrite à la première page de son programme. Les
6
82 LE NOVICIAT

Souverains Pontifes ne cessent d’en rappeler la nécessité absolue


et universelle au double point de vue sanctification personnelle
et puissance apostolique. Aux formateurs de la jeunesse reli­
gieuse d’enseigner la primauté de l’intérieur sur l’extérieur, de
la mettre en garde contre l’activisme et l’hérésie des œuvres,
de lui livrer le secret de mener de front la vie de Marthe et
celle de Marie.
c) Esprit critique — non pas l’esprit de critique — dans
l’étude ou la lecture des ouvrages, revues, journaux. Lire avec
discernement, se méfier des tendances avancées, des opinions
à la mode et de tous les slogans. Se garder également des fièvres
novatrices et des scléroses intellectuelles. Savoir faire le tri
dans tout ce qui s’écrit, démêler le vrai du faux et le bon grain
de la paille. Garder son indépendance et ne pas se mettre à
la remorque de l’opinion. Etre capable de juger, apprécier.
Penser par soi-même et non par autrui.

IV. FORMATION SUPÉRIEURE

Cette formation n’est point nécessaire, du moins au même


degré, dans tous les Instituts, ni possible à tous les sujets indis­
tinctement d’une même Congrégation. Elle dépend de la nature
de l’Ordre, de son apostolat spécial, et aussi de la valeur indivi­
duelle de chacun de ses membres.
i. Troisième An. Cette Institution, qui est une des carac­
téristiques de la Compagnie de Jésus, et n’a pas peu contribué
à sa vitalité intérieure et à la puissance de son apostolat, n’est
point cependant un monopole. Plus d’une Congrégation ensei­
gnante, voire hospitalière, ont tenté cet essai avec, semble-t-il,
d’excellents résultats. « L’Institution du troisième an qui existe
déjà sous différentes formes et pour des espaces de temps
assez divers, va probablement devenir obligatoire avec les
adaptations nécessaires aux conditions de formation des diverses
Congrégations. » (Revue C. R., novembre-décembre 1951,
p. 202.) Terme et couronnement des formations précédentes, il
sera tout à la fois :
a) Une œuvre à’approfondissement et à.’enrichissement au point
de vue intellectuel : sciences sacrées, spécialement théologie,
apologétique, ascétique, mystique. Parfaite connaissance spécu­
lative et pratique de son Ordre, de sa Règle, de sa Spiritualité,
de son Esprit, de ses Traditions, de son Gouvernement, de
son rôle actuel dans l’Eglise et la Société contemporaine.
FORMATION RELIGIEUSE 83

b) Oeuvre à?enracinement et de fixation dans la vie intérieure


et le zèle apostolique. La personnalité religieuse semble avoir
trouvé son complet développement et sa pleine maturité. Le bon
religieux se transforme — dans la forte acception du mot — en
« parfait religieux ». Les traits de la physionomie mentale et
morale se sont définitivement accusés et fixés. L’existence a
désormais trouvé sa base, son orientation, sa structure originale
et immuable. On pourra bien progresser encore, mais sans
changement essentiel, sans dévier, toujours dans la même ligne.
Bref, on est devenu un beau « type » de religieux.

2. Culture universitaire. Resterait enfin à procurer à certains


sujets d’élite — en vue de leur apostolat futur, à l’intérieur
ou en dehors de l’Ordre — un supplément de formation scienti­
fique, en fréquentant les cours d’Universités, d’Ecoles spéciales,
d’instituts ou Facultés catholiques. Le 15 octobre 1954, était
inauguré, à Rome, 1’ « Institut Romain des sciences sacrées,
« Regina Mundi », dont le but est de donner une solide forma­
tion dans les sciences sacrées aux religieuses et membres des
Instituts séculiers. Les cours doivent durer trois ans.

1. Le manque de formation humaine n’est-il


pas un sérieux handicap pour la formation
religieuse ?

2. Sous prétexte d’éviter le « naturalisme »


dans l’éducation, n’y aurait-il pas ten­
dance à négliger la première î

3. Quels sont les dangers et les causes qui


menacent le plus une formation complète
et solide î

4. Que penser, au point de vue formation,


professionnelle et morale, des congrès
nationaux, sessions régionales ou diocé­
saines ? -

5. Le regroupement des jeunes Profès à la


Maison-Mère durant les vacances, pen­
dant quelques semaines, est-il à favoriser ?
84 LE NOVICIAT

6. Quelles sont les principales directives du


Saint-Siège au sujet de la formation des
jeunes religieux ?

7. Une formation supérieure et généralisée


n’est-elle point un danger pour l’esprit
de l’Ordre et l’humilité des sujets ?

Pie XI, Encyclique sur l’Education, 31 décembre 1929. — Pie XII,


nstruction Apostolique Sedes Sapientiae, 31 mai 1956. — Enchiridion
de Statibus Perfectionis, t. I, 380, 400. Index, « Educatio », 644 ; « Ins­
tructio », 645.
Lallemant, La Doctrine Spirituelle, IIe Principe, ch. vi, art. I, il, m.
— Düpanloup, De l’Education, t. I, liv. I, ch. 1. — Creusen, La Res­
ponsabilité des Supérieures, Rapport présenté aux Journées d’Etudes.
— Pour les Maîtresses des Novices, les Editions du Cerf. — Acta et
Documenta Congressus Generalis de Statibus Perfectionis, 1950, Romae,
I, 21 ; III, 181, 187; Index, « Formatio », 374, « Educatio », 372, 373,
« Noviciatus », 382.
R. C. R. 1945, 170 ; 1946, 24 ; 1952, 17 ; 1956, 146 ; 1957, 225. —
Forma Gregis, février 1957. Supplément, « Pour la formation doctri­
nale des religieuses ».
NEUVIÈME LEÇON

IMPORTANCE
DE LA FORMATION RELIGIEUSE

La formation est d’une importance primordiale, tant pour


le religieux que pour son Ordre. Aussi, la jurisprudence ecclé­
siastique s’y est-elle intéressée tout particulièrement. En 1944,
un Comité spécial fut même créé, au sein de la Congrégation
des Religieux, pour s’occuper de cette question vitale.
Depuis un demi-siècle, dans leurs Actes officiels, comme
dans leurs allocutions publiques, les Souverains Pontifes n’ont
cessé de réclamer une formation religieuse plus complète, plus
solide, mieux adaptée aux besoins actuels de l’Eglise et de la
Société.
Règles et Constitutions n’ont point manqué, elles aussi, de
souligner la nécessité d’une excellente formation, pour assurer
la •vitalité de l’institut et la valeur de ses membres. « Tota
Congregationis spes bona adolescentium informatione nititur. »
(Regula SS. Redemptoris, n° 1189.) Toutes les espérances de
la Congrégation reposent sur la bonne formation des jeunes
religieux. L’influence de la formation se fait sentir sur le double
plan personnel et communautaire.

I. FORMATION ET VIE RELIGIEUSE

C’est une loi biologique, universelle et constante que le


développement plénier d’un vivant dépend en grande partie
de ses origines, de sa constitution et de sa première croissance.
Un arbuste, mal planté, en terrain rocailleux, sans racines
profondes, et qui ne fait que végéter, deviendra rarement un
arbre vigoureux. Un nouveau-né atteint de tares congénitales,
86 LE NOVICIAT

mal conformé, rachitique, qui vivote péniblement, douloureu


sement durant des années, a toute chance de ne mener, par la
suite, qu’une existence souffreteuse et misérable.
Ainsi en est-il de la vie religieuse. Si, dès son Postulat,
pendant son Noviciat et la durée de ses vœux temporaires, un
jeune religieux mène une vie affadie, médiocre, sans grande
faute peut-être, mais aussi sans grande vertu, une vie sans
idéal, sans générosité, il serait étrange de le retrouver, à 30 ans,
en pleine ferveur spirituelle. Pour avoir fait un mauvais
départ, sa marche en sera nécessairement alourdie, retardée
pour longtemps, sinon pour toujours. Sa vie est frappée d’un
vice de naissance.
Et qu’on ne compte pas sur un avenir problématique pour
se ressaisir et repartir bon train. Plus tard, c’est presque tou­
jours trop tard. Ces retournements tardifs et ces changements
subits d’orientation — à moins d’une grâce extraordinaire —
ne sont qu’une exception. Arrive un âge où l’on ne se convertit
plus. On peut, dans sa vieillesse, continuer à se sanctifier ;
quant à commencer, ce serait merveille. « Cum senuerit, non
recedat ab ea (via) (Prov. XXII, 6). Une formation avortée
ne peut guère aboutir qu’à une vie manquée. A la préface,
on juge déjà de la valeur de l’ouvrage.
« Que jamais les Novices n’oublient cette vérité : tels ils
auront été au cours de leur Noviciat, tels ils seront pendant
le reste de leur vie, et, la plupart du temps, l’espoir de suppléer
dans la suite à cette négligence, en ranimant l’esprit du Novi­
ciat, restera complètement vain. » Ce temps passé avec peu
de fruit ou sans fruit aucun ne se rattrape plus. (Pie XI aux
Sup. Généraux. Document, cath., 22 novembre 1924, n° 265.)
« Formam quam primo quis recepit vix deponet » (S. Bona-
venture). La première formation marque la vie d’un caractère
indélébile. « Qui disciplinam in conversationis initio negligit,
ad eam postmodum difficile applicatur. » Qui, au début de
sa vie nouvelle, néglige le travail de sa perfection ne pourra
plus tard que s’y appliquer difficilement. De là, trop de vies
religieuses qui, sans être positivement mauvaises ou scanda­
leuses, n’en restent pas moins médiocres et diminuées. Trop
de bon, pas assez d’excellent.
Par contre, une formation première accomplie, que complète
encore et renforce une formation seconde et supérieure, ne
peut que préparer et amorcer une vie morale puissante et féconde.
Comme le chêne dans un gland, la sainteté est là en espoir,
en germe.
IMPORTANCE DE LA FORMATION RELIGIEUSE 87

Une formation intégrale sera toujours le fondement obliga­


toire de la perfection religieuse, pour se révéler ensuite principe
de progrès, instrument d’apostolat et gage de persévérance.

1. Fondement de la vie religieuse. Pas d’édifice solide


et durable sans fondations. « Comme un sage architecte, j’ai
posé le fondement. Ut sapiens architectus fundamentum posui. »
(I Corinth. III, 10). On ne bâtit pas sur le sable, mais sur
le roc ; et le roc ici, c’est l’immuable vérité.
Toute spiritualité qui n’est point doctrinale pêche par la
base et prête flanc à bien des illusions et erreurs de conduite.
Ces assises de lumière, sur lesquelles doit s’élever la vie reli­
gieuse, seront posées dès les premières années. La formation
y pourvoira. Sous le magistère de ses Supérieurs et Directeurs,
par ses études et réflexions personnelles, à chacun de se faire
un idéal de perfection et un programme d’action; d’acquérir
des principes, de se forger des convictions qui lui serviront
d’armature ; de se faire une idée exacte de sa vocation, de
sa nature, de sa fin, de ses obligations ; d’acquérir la connais­
sance de Dieu et de lui-même : double science, dont sainte
Catherine de Sienne avait fait le soutènement de sa spiritua­
lité : toutes lumières qui feront de lui un fils de clarté, « filii
lucis » (Eph. V, 8). Résultat d’une formation doctrinale, qui
deviendra ainsi le fondement et la racine de toute sa vie reli­
gieuse. « Radix et fundamentum totius justificationis » (Conc. de
Trente, Sess. VI, ch. 8).

2. Source de sainteté. Le premier travail qui s’impose,


dès la première formation, consiste à dompter ses passions,
mâter son égoïsme, corriger ses défauts, réagir contre les ten­
dances vicieuses ou désordonnées, acquérir le « dominium sui ».
(Can. 565). Et voilà l’âme libérée, purifiée, pacifiée. Terre
défoncée, défrichée, débarrassée de sa rocaille et des mau­
vaises herbes ; terre retournée, ameublie, toute prête à rece­
voir la semence divine et à lui faire rendre cent pour un.
D’une formation en profondeur jaillira ensuite peu à peu,
comme d’une source d’eau vive, tout ce qui constitue la sain­
teté : pureté de conscience, ferveur dans le service de Dieu,
charité dans le don total de soi-même. Former un jeune reli­
gieux, qu’est-ce autre chose que de lui apprendre progressi­
vement la science et l’art de pratiquer allègrement et géné­
reusement toutes les vertus ? S’astreindre pendant des années
à un tel exercice ne peut que viriliser une âme et l’entraîner
définitivement sur le chemin de la perfection.
88 LE NOVICIAT

3. Fécondité de l’Apostolat. Autre résultat d’une forma­


tion sérieuse et complète : un apostolat mieux compris, mieux
préparé, au point de vue moral et professionnel, mieux équi­
libré, plus adapté aux exigences actuelles, plus à l’abri des
dangers extérieurs ou de certaines déviations : naturalisme,
excès de zèle ; somme toute, apostolat mieux pratiqué et par
là même plus fécond.

4. Gage de Persévérance. Si une excellente formation


n’est point un gage infaillible de stabilité dans l’état religieux
et de persévérance dans l’institut, elle n’en reste pas moins
une sérieuse assurance et une puissante sauvegarde. Qui a utilisé
au mieux sa jeunesse religieuse, pour se former un tempéra­
ment viril et une âme profondément surnaturelle, celui-là a
toute chance de persévérer dans sa vocation. Par contre, combien
d’abandons, à la fin des vœux temporaires, de défections après
la profession perpétuelle, trouvent leur origine et-leur expli­
cation dans les déficiences d’une formation superficielle !
Démunie d’esprit religieux et de vertus solides, l’âme cède à
l’attrait ou à la violence de certaines tentations et tombe dans
Yinfidélité. « Ce qui doit être la préoccupation principale de tous,
en conformité avec les lois canoniques et les dispositions de
la règle et des constitutions, c’est le choix des candidats et
leur formation Solide et complète. Les études du Congrès,
mettant courageusement le doigt sur la plaie, révéleront peut-
être des lacunes et un manque de profondeur dans le secteur
de la formation, d’où vient fréquemment l’absence de caractère
et de véritable conscience religieuse, au point de provoquer
de douloureuses défections ou encore une inadaptation absolue
aux devoirs du ministère et de l’apostolat » (Discours du Car­
dinal Piazza au Congrès général sur les Etats de Perfection, à
Rome, 1950. Voir Documentation catholique du 31 décem­
bre 1950, t. XLVII, c. 1702).

II. FORMATION ET VIE DE L’INSTITUT

La formation joue un rôle capital dans la vie de tout Reli­


gieux.
Non moins profonde et universelle son influence sur l’ins­
titut tout entier : sa ferveur, son gouvernement, son développe­
ment, son apostolat, sa durée. A la qualité de la formation
donnée et reçue dans un Ordre, on peut aisément, et sans
crainte d’errer, juger de sa vitalité interne et externe.
IMPORTANCE DE LA FORMATION RELIGIEUSE 89

i. Ferveur de l’Ordre. Nous savons l’influence, dans la


vie spirituelle, d’une parfaite formation. Généralisée, elle contri­
buera donc à faire de l’ensemble des sujets de vrais religieux,
voire des personnalités marquantes. De la masse, émergera une
élite qui, pour l’Ordre entier, se révélera une force de réaction
contre tout fléchissement ou tendance dangereuse, et s’affir­
mera puissance de soulèvement, d’entraînement et d’édifica­
tion. Grâce à elle, loin de baisser, le niveau moral tendra tou­
jours à monter. La vraie valeur d’un Institut dépend moins
du nombre de ses maisons, de la multiplicité de ses œuvres,
que de la vertu et sainteté de ses membres. Ici encore, s’affirme
la primauté de la qualité sur la quantité. (« Ex ipsa rerum natura
atque quotidiana experientia accepimus Religionum prosperi­
tatem ab alumnorum formatione, sicut a cultura pulchritudinem
arborum potissimum pendere (Cong. Relig. Décembre 1931).
Mais, que les jeunes religieux ne reçoivent plus qu’une
formation tronquée, superficielle, inadaptée, s’amorce aussitôt
une descente qui, si elle n’est rapidement enrayée, peut conduire
une Congrégation au relâchement et à une irrémédiable
décadence.

2. Excellence du Gouvernement. La vitalité d’un Ins­


titut dépend aussi de la valeur de son gouvernement. Le Chef
fait sa troupe et le Supérieur sa communauté.
Mais, où trouver le parfait Supérieur qui, à l’autorité offi­
cielle dont il est investi, sache joindre l'autorité personnelle,
l’ascendant de la science, de la vertu, de la compétence ? Le
Supériorat ne s’improvise pas ; et le meilleur moyen d’obvier
à la pénurie et à la médiocrité des cadres, ne serait-ce point
la création d’une élite ? Comme le recrutement des Supérieurs,
Directeurs, Pères-Maîtres, Professeurs en deviendrait dès lors
moins laborieux et plus heureux ! Les dernières années de
formation — second Noviciat, troisième an — deviendraient
ainsi une préparation au gouvernement et comme une espèce
d’école pour futurs Supérieurs.

3. Oeuvres d’apostolat. Une excellente formation morale


et professionnelle s’impose particulièrement aux Congrégations
enseignantes, hospitalières, sociales, qui veulent asseoir et
développer leurs œuvres d’apostolat. Le Saint-Siège, l’Episcopat
français ont maintes fois insisté sur la nécessité — pour l’hon­
neur de l’Eglise et la réputation de l’état religieux — de perfec­
tionner et de moderniser, au point de vue matériel, technique,
scientifique, toutes les Institutions qui doivent ne le céder
90 LE NOVICIAT

en rien aux établissements officiels similaires. Si les Instituts


veulent garder la sympathie et la confiance du public et étendre
leur influence, il importe absolument que leur personnel soit
parfaitement formé et offre toutes garanties au point de vue
professionnel.

4. Recrutement. La plupart des Ordres religieux souffrent,


à l’heure actuelle, d’une crise de recrutement. Si la qualité des
candidats passe avant tout, le nombre toutefois n’est pas à
dédaigner. Question de vie ou de mort. Un Institut qui ne
se recrute plus est en train de périr. Danger que peut conjurer
en partie une parfaite formation.
Il ne faudrait pas oublier que Dieu est le premier auteur
des vocations, et que de préférence il les oriente vers les Congré­
gations où une vie religieuse pleinement vécue contribue le
plus à sa gloire et à l’extension de son règne.
Une réputation de ferveur, pour un Monastère ou un Ins­
titut, est déjà un appel discret, auquel répondra volontiers
une jeunesse ardente, en quête d’idéal. « Le premier remède
à la crise de la quantité, c’est d’augmenter la qualité. On viendra
d’ailleurs volontiers à vous, si vous avez des religieuses plus
instruites, mieux formées, plus saintes. La qualité attire la
quantité » (P. de Parvillez : Journées nationales d’études des
religieuses, juin 1947, p. 19). La sainteté attire les âmes, comme
la lumière le papillon. Alors que plus d’une Postulante ou
Novice se retire d’elle-même, déçue, pour n’avoir pas trouvé
parmi ses compagnes ce qu’elle avait rêvé de la vie religieuse.

5. Longévité et pérennité des Instituts. Grâce à un afflux


sans cesse renouvelé d’excellentes recrues, des fondations
monastiques ont su, d’âge en âge, se survivre à elles-mêmes,
et à travers les siècles garder la fraîcheur et la vigueur de leurs
origines.
D’autres cependant disparaissaient, victimes de la décré­
pitude ou de leurs dérèglements. Des générations de jeunes
Religieux, entrés sans vocation, rebelles à toute emprise forma­
trice, finissaient par corrompre l’esprit et éteindre la ferveur
de leur Ordre, lequel, déchu, n’avait plus qu’à mourir sans
bruit et sans gloire.
Au jugement de l’Histoire et de l’Eglise, une double cause
a presque toujours précipité la ruine des Etablissements reli­
gieux : chez les Supérieurs, trop grande facilité d’admission,
et chez les sujets, carence générale de formation.
IMPORTANCE DE LA FORMATION RELIGIEUSE 91

i. Un Novice est-il tenu en conscience à


travailler à sa formation religieuse ?

2. Le succès de la formation seconde et supé­


rieure dépend-il de la formation première
reçue au Noviciat ?

3, Pourquoi et comment le manque de for­


mation menace-t-il la persévérance ?

4. Quels sont les défauts personnels et dan­


gers extérieurs qui compromettent l’apos­
tolat ? Rôle de la formation pour corriger
les uns et éviter les autres.

5. Mois d’études, sessions, retraites, congrès


institués à l’intention des Supérieurs,
Pères-Maîtres, Directrices, peuvent - ils
suppléer une formation générale, ou sim­
plement la compléter.

Pib XI, Lettre aux Supérieurs Généraux, 19 mars 1921. — Pie XII,
Allocution aux Pères de la Compagnie de Jésus, 17 sept. 1946 ; Cons­
titution Apostolique Sedes Sapientiae, 31 mai 1956. — Enchiridion
de Statibus Perfectionis. Index, « Educatio », 644. — S. Vincent de
Paul, Oeuv. compl., t. IX, 686 ; X, 737. — GaüTRELET, Traité de
l’Etat religieux, Iie Partie, ch. in, Appendice, Art. 11, § 13. — Colin,
Culte des Vœux, ch. IV. — CORMIER, L’Instruction des Novices, Ite Par­
tie, ch. I, art 3. — Acta et Documenta Congressus Generalis de Statibus
Perfectionis, 1950, Index « Formatio », p. 374 ; « Educatio », p. 372.
B. C. R. 1948, 99, « Fidélité ».
DIXIÈME LEÇON

ÉCOLE PROFESSIONNELLE

Le Noviciat est une école professionnelle de l’état religieux.


Avant sa consécration à Dieu et son entrée officielle dans un
Institut, tout candidat à la vie parfaite est astreint à y faire
un stage préparatoire. Théorique et pratique, cette forma­
tion première est tout à la fois une étude et un apprentissage.
De cet enseignement, la présente leçon indique brièvement le
programme. Simple schéma qui trouvera son entier développe­
ment doctrinal et technique dans la IIIe Partie de ce travail :
Programme de Formation.

I. ÉTUDE DE LA VIE RELIGIEUSE

Comme toute vie humaine, la vie religieuse comporte une


certaine culture intellectuelle, en harmonie — tant sur le plan
naturel que surnaturel — avec la vocation, la carrière et la
situation sociale.
Le candidat religieux arrive du monde, nanti d’un bagage
plus ou moins lourd de savoir. Dans le cycle des études
profanes et sacrées, le Noviciat opère aussitôt une coupure.
En ce qui concerne l’acquisition des connaissances humaines,
littéraires, scientifiques, artistiques, sociales, professionnelles,
les vacances sont de règle, durant la première année du Novi­
ciat. « Les Novices ne peuvent s’appliquer qu’en passant aux
études littéraires, scientifiques ou artistiques ». (Can. 565, § 3.)
Le travail intellectuel ne reprendra qu’après la profession, pour
se continuer au scolasticat et pendant la période des deux
formations, seconde et supérieure.
ÉCOLE PROFESSIONNELLE 93

Quant aux études sacrées : dogme, morale, Ecriture Sainte,


liturgie, Histoire de l’Eglise, elles aussi seront mises en
veilleuse, et l’on se contentera sur tous ces points de quelques
aperçus généraux et notions élémentaires.
L’enseignement sera donc essentiellement et presque exclu­
sivement Ascético-Religieux et portera sur les trois points sui­
vants : Vie Spirituelle, Etat religieux, Vie de F Ordre (Can. 565, § 3).

1. Science Ascétique. Toute formation chrétienne, reli­


gieuse, sacerdotale, sous peine de verser dans le conformisme,
la routine, le superficiel, doit être doctrinale, c’est-à-dire, à
base de lumière. La vérité plénière n’est-elle pas la racine et
le fondement de toute sainteté ? C’est elle qui nous libère :
« Veritas liberabit vos » (Joan. VIII, 32).
Il s’agit donc avant tout de penser juste, « Recta sapere »,
de se faire, dès ses premières années, une idée exacte de sa
vocation, un bel idéal de vie religieuse. Car, comment réaliser
parfaitement ce qu’on n’a compris qu’à moitié, et la banalité
de certaines âmes ne s’expliquerait-elle pas en partie par le
manque de lumière ?
De sa nature, la vie religieuse est tendance à la perfection,
œuvre de sainteté. Mais, au juste, qu’est-ce que la sainteté
et en quoi consiste cette œuvre ? Ces deux mots devraient
servir à la Maîtresse des Novices, de thème fondamental à
son enseignement. Apprendre à ses filles la science et l’art de
se sanctifier : tel devrait être son grand devoir et son premier
souci.
Nature, éléments, conditions, sources, dangers, plénitude
de la vie spirituelle : c’est là toute la Théologie ascétique à
mettre à la portée des candidats à la perfection.

2. Etude de l’Etat Religieux. La perfection commune


en appelle une autre qui la complète et la couronne. Encore que
toutes deux soient identiques dans leur essence — plénitude
de la. charité envers Dieu et envers le prochain — elles se
différencient néanmoins sur plusieurs points : Nécessité rela­
tive, valeur respective et variété des sources où elles vont
s’alimenter.
Le chrétien n’est tenu à se sanctifier que par sa profession
baptismale et en vertu des deux commandements de Dieu,
qui résument tous les autres. En plus de cette obligation géné­
rale, l’âme consacrée en contracte une autre spéciale et d’une
gravité exceptionnelle. Par sa profession religieuse, elle s’engage
à suivre le Christ vers les cimes.
94 LE NOVICIAT

Et à le suivre de plus près et plus haut. Que des chrétiens


dans le monde puissent, sur le « Chemin de la Perfection »,
dépasser les professionnels de la sainteté, cela se voit tous
les jours. Il n’en reste pas moins vrai qu’ew principe, sinon
en fait, le religieux est appelé, par la pratique des conseils
évangéliques, à une perfection supérieure à celle du simple
laïc.
N’a-t-il pas d’ailleurs, à son usage, outre les moyens
généraux de sanctification, un équipement exceptionnel, pour
tenter avec succès les hautes ascensions : les vœux, la
Règle ?
Les vœux qui, s’attaquant aux trois concupiscences, ouvrent
devant lui une voie large et sûre et facilitent sa marche.
La Règle : expression authentique et permanente de la
volonté de Dieu. Gardée fidèlement et amoureusement,
elle se révélera pour lui comme le grand "sacrement de la
sainteté.
Tous ces éléments spécifiques de l’état religieux — surtout
ce qui concerne la nature, le rôle, la pratique des vœux et de
la Règle — devront, durant le Noviciat, être enseignés, commentés,
précisés et approfondis. Avant de s’engager dans la vie religieuse,
il importe de la connaître, d’en saisir le sens, la portée et les
multiples obligations.

3. Connaissance de l’Ordre. S’impose une dernière étude :


celle de l’Ordre auquel on va s’incorporer. Identique dans
son fondement et ses structures essentielles, la vie religieuse
comporte néanmoins bien des formes et de multiples variétés.
A ses traits, sa taille, son comportement extérieur, tout homme
se reconnaît immédiatement, même perdu au milieu d’une
foule. Chaque Congrégation, elle aussi, a sa physionomie person­
nelle et ses notes caractéristiques : spiritualité, législation, esprit
propre, vertus, apostolat.
De cette vie particulière de VInstitut, de ses activités et
de ses œuvres, le Novice doit prendre connaissance. Puisqu’il
doit vivre de la vie même de cette Société, il lui importe de
se rendre compte si sa mentalité, ses attraits, ses aptitudes
physiques, intellectuelles et morales, peuvent cadrer et s’har­
moniser avec cette nouvelle forme d’existence. A quoi bon
tenter un essai qui ne saurait aboutir ?
Presque nécessairement fragmentaires, élémentaires et
incomplètes au Noviciat, ces connaissances sur la vie spiri­
tuelle, l’état religieux, la nature de l’Ordre, devront de toute
façon, et pendant plusieurs années, se développer en étendue
ÉCOLE PROFESSIONNELLE 95
et se renforcer en profondeur. A quoi contribueront l’ensei­
gnement des Supérieurs, la prédication de l’Aumônier, l’étude
personnelle, les lectures pieuses, l’oraison et les retraites
annuelles.

II. APPRENTISSAGE DE L’ÉTAT RELIGIEUX

« Maison d’étude », le Noviciat est plus encore une « école


de vertu ». Passage de l’abstrait au concret, de la spéculation
à la réalité. La connaissance ici doit aboutir à l’action. Je ne
me suis pas mis en quête de la vérité sur l’état religieux en
dilettante, mais afin de l’exploiter, de la « faire », d’en vivre,
« factores verbi » (Jac. I, 22).
Au dire de saint Thomas, l’état religieux est une discipline
morale, un exercice destiné à nous conduire à la perfection.
« Status religiosus est quaedam disciplina, vel exercitium ad
perfectionem perveniendi » (II. II. Quest. 186, ar. 2). Disci­
pline à laquelle le Novice se pliera avec docilité et générosité ;
exercices d’assouplissement et d’entraînement dans la pratique
de toutes les vertus.

1. Exercice de la vie spirituelle à ses trois degrés,


purgative, illuminative, unitive, simultanés, combinés harmo­
nieusement et intensifiés graduellement.
a) Vie purgative. Réaction contre toutes les puissances de
mort : passions, tendances vicieuses, défauts (Can. 565, § 1).
Formation d’une conscience éclairée, droite, délicate. Lutte
contre tout péché et toute imperfection volontaire. « La pre­
mière pierre de l’édifice, c’est une bonne conscience, la fuite
de tout péché, même véniel, et la recherche du plus parfait. »
(Ste Thérèse, Chemin de la Perfection, ch. V, p. 65.) Avis de
saint Alphonse aux Maîtres des Novices : « Qu’il leur inspire
non seulement l’horreur et la fuite de tout péché, grave ou
véniel, mais encore de toute faute et imperfection, si minime
soit-elle » (Règle du T. S. Rédempteur, n° 1105). Mortifi­
cation intérieure et extérieure ; usage fervent de la Confession ;
esprit de pénitence et de componction.
è) Vie illuminative. Acquisition des vertus cardinales et
morales. Ferveur. Fidélité à la grâce, exercices de piété, esprit
de prière (Can. 565, § 1).
c) Vie unitive. Union à Dieu, par l’activité habituelle des
trois vertus théologales, foi, espérance, charité. Esprit d’oraison.
Vie intérieure.
96 LE NOVICIAT

2. Initiation à la Vie Religieuse. Le Noviciat est une


Institution pour apprentis religieux. Parfaitement renseigné sur
ce qui l’attend demain, sur le sens profond de sa profession,
sur la gravité des obligations qu’il assumera, le Novice, par
mesure de prudence, tentera un essai loyal de sa nouvelle vie
et s’efforcera, avant d’être religieux, de vivre religieusement.
a) Les vœux. Sans être astreint à des vœux qu’il n’a point
encore émis, rien ne l’empêche toutefois, pour s’y préparer,
de pratiquer les conseils évangéliques et d’imprégner toute sa
vie de leur vertu et de leur esprit.
Avant d’être engagé par vœu, pauvre, chaste, obéissant
par amour pour le Christ, il y a toute chance que cette vie
de sacrifice reste toujours pour le Néo-Profès une paire d’ailes
et ne devienne jamais sur ses épaules une chape de plomb.
Il a expérimenté la douceur de l’immolation et il y a pris goût.
En soupesant ces trois croix, il les a trouvées à sa taille et à
la mesure de sa générosité. « Qui potest capere, capiat. »
(Matth. XIX, 12.) Ses vœux ne feront, en réalité, que confirmer
et consacrer sa vertu.
V) Esprit de régularité. Il faut en dire autant de la Règle,
idéal-programme de toute vie religieuse. Dès le Noviciat s’inau­
gure une observance- régulière parfaite, inspirée par la foi,
consommée dans la charité, soutenue par la lecture et la médi­
tation assidue des Constitutions. La sainte Règle n’apparaît
plus, dès lors, comme un code de police rébarbatif, auquel
on échappe le plus possible, mais comme un code d'amour,
auquel on se soumet avec autant de joie que de fidélité. Le
« Culte » de la Règle s'acquiert toujours lors de la première
formation. Plus tard, c’est trop tard.
c) Vie commune. Reste à faire l’expérience et à subir
l’épreuve de la vie communautaire. Si cette forme de pauvreté
collective et de charité évangélique a ses avantages et ses charmes,
elle comporte aussi bien des désagréments et plus d’un sacri­
fice. Certes, ce n’est pas peu de chose de vivre, pendant quarante
et cinquante ans au milieu de ses frères, côte à côte, sans trop
se bousculer ou se marcher sur les pieds ; de s’accommoder,
aussi aimablement que possible, aux tempérament, caractère,
prétentions et manies de tous et de chacun ; de s’oublier soi-
même pour penser aux autres et se faire tout à tous... et en
même temps garder une immuable patience et maintenir la
paix familiale, dans l’unité des esprits et la fusion des cœurs.
Cet héroïsme sans panache n’est pas à la portée de tout
le monde — vita communis, maxima poenitentia — et avant
ÉCOLE PROFESSIONNELLE 97

d’en faire profession définitive, peut-être serait-il sage, à l’aube


de sa vie religieuse, d’en tâter quelque peu, ne serait-ce que
pour se mettre en garde à l’avenir contre toute tentation de
singularité, de misanthropie et d’insociabilité.

3. Participation à la Vie de l’Ordre. Une Congrégation


n’est pas un simple agrégat d’individualités disparates, mais
un véritable corps social, doté d’un esprit propre et d’une âme
collective. Tous les Instituts ont leur idéal et leur mystique.
Qui ne communie pas à cette vie intime est étranger à
l’Ordre.
La formation au Noviciat devra donc éveiller et développer
chez les jeunes religieux, avec le culte du Fondateur ou de
la Fondatrice, l’estime de la Congrégation, de sa spiritualité,
de sa Règle, de ses traditions et de son apostolat. Comme
une greffe sur un tronc vigoureux, le Novice trouvera, dans
cette insertion profonde à son Ordre, une sève abondante de
vie spirituelle et l’un des gages les plus assurés de persévérance.

1. Quels sont les dangers qui menacent le


plus la formation du Noviciat ?

2. La formation première ne risque-t-elle pas


d’être trop empirique et pas assez doctri­
nale ?

3. Une formation religieuse peut-elle se réa­


liser sans une solide base ascétique ?

4. N’y aurait-il pas aujourd’hui, chez les


jeunes, tendance à se former en marge de
l’institut ?

5. La mésestime et désaffection de l’Ordre


ne seraient-elles pas, chez un Novice, un
signe de non-vocation ?

6. Sous prétexte d’humanisme, de mystique


au rabais, d’apostolat, la vie purgative ne
serait-elle pas tombée quelque peu dans
le discrédit ?
7
98 LE NOVICIAT

7. Le programme de formation — études,


apprentissage — fixé au Noviciat, est-il
obligatoire, dans quel sens et pourquoi ?

Codex J. C., Lib. II, Pars II, « De Religiosis ». — Enchiridion de


Statibus Perfectionis, I, 5, 13, 153, 154, 345, 367, 400.
S. Thomas, De Perfectione vitae spiritualis, II, II, quaest. CLXXXVI.
— S. Alphonse, La Sainte Religieuse, Moral., t. IV, 1. — Garrigou-
Lagrange, Les trois âges de la Vie Spirituelle. — Masson, Vie Chré­
tienne et Spirituelle. — Tanquerey, Précis de Théologie Ascétique et
Mystique. — Schryvers, Les Principes de la Vie Spirituelle. — Lalle-
mant, La Doctrine Spirituelle. — Cormier, Instruction des Novices. —
QfJi, De la Vie et des Vertus Chrétiennes, t. I, « De l’Etat religieux ».
— Bourdaloue, De l’Etat religieux. — Carpentier, Témoins de la
Cité de Dieu. — Choupin, Nature et Obligations de l’Etat religieux. —
Marmion, Le Christ, Idéal du moine. — Courtois, Notre vie religieuse.
— Creusen, Religieux et Religieuses. — Directoire des Prêtres chargés
des Religieuses. — Vermeersch-Creusen, Epitome Juris Canonici, t. I,
Pars secunda « De Religiosis ». — Schaefer, De Religiosis. — P. Colin,
Culte des Vœux; Tendance à la Perfection. — Règles, Constitutions,
Directoire, Etude de l’âme, vie, enseignement, œuvres du Fondateur
ou Fondatrice. — Acta et, Documenta Congressus Generalis de Statibus
Perfectionis, 1950. Index, « Status perfectionis, Status religiosus »,
P- 392-
R. C. R. 1936, 185 ; 1940, 33; 1946, 34 . — Forma Gregis, novem­
bre 1949 ; janvier 1950, La Vie Religieuse, Chevignard, O. P.
ONZIÈME LEÇON

but du noviciat

L’étude théorique et pratique de la vie religieuse est


l’œuvre du Noviciat ; à vrai dire, elle n’en est pas la fin. Simple
moyen à utiliser au mieux, en vue de buts déterminés d’avance.
« In omnibus respice finem » : En toutes choses, considérez
la fin ; car, c’est elle qui commande, dirige et organise tout
dans la simplicité et l’unité : « Omnia propter finem. » En
fait, à quoi doit aboutir la formation première ? Quelles sont
ses raisons d’être ?
D’un commun accord, affirmé ou tacite — tous deux
faisant équipe — Père Maître et Novice fixeront les objectifs
précis de leur coopération spirituelle. Le premier sera de régler
définitivement le problème de la vocation. Le second d’orienter
le candidat dans le sens vrai de sa vie religieuse. Enfin, le cas
échéant, de le conduire heureusement à la profession.

I. TEST DE LA VOCATION

Le Noviciat est un excellent test pour découvrir la présence


d’une vocation et en apprécier la qualité.
Dès l’entrée d’un Postulant, une question préalable se pose,
et la réponse qu’on y fait intéresse tout à la fois le sujet et la
Congrégation. Se trouve-t-on en face d’une vraie vocation et
quelle est, au juste, sa valeur ? Car il ne s’agit pas, de part
et d’autre, de s’engager avec des doutes dans l’esprit et des
indécisions de volonté. L’affaire est trop grave en elle-même
et dans ses conséquences pour être traitée à la légère.
î. Test de la réalité d’une Vocation. Avant tout, il
importe de s’assurer de la réalité d’une vocation. C’est là par­
100 LE NOVICIAT

fois un véritable problème auquel le Noviciat, semble-t-il,


fournira les éléments d’une juste solution.
a) En quittant le monde, tel Novice avait déjà fixé son
choix. Après avoir réfléchi, prié, consulté, il a acquis la quasi-
certitude de l’appel de Dieu. Il lui sera bon cependant de
reviser une fois encore sa décision, d’en apprécier le bien-
fondé et de transformer sa croyance en conviction. Ce sera
tout profit pour sa tranquillité d’âme, sa vie intérieure et le
succès de sa formation. Il n’a plus à chercher sa voie, il l’a
trouvée et, sans plus tarder, rien ne l’empêche de s’y engager
d’un bon pas.
D’autres, par contre, n’apportent en entrant qu’un vague
désir de vie religieuse. Ils doutent, hésitent, ont peur de se
tromper. Le Noviciat leur donnera l’occasion et la facilité
d’étudier leur vocation. Dans le calme, la prière, la réflexion,
à l’abri de toute influence extérieure et parfois des oppositions
de leur parenté, aidés des conseils du Père Maître, ils pourront
enfin trouver la lumière, conclure et décider ; assurés, dès lors,
d’être dans la volonté de Dieu.
b) Le discernement des vocations authentiques intéresse
aussi et tout particulièrement l’institut. Conditions d’admission
réalisées, lettres testimoniales, rapports des Supérieurs, confi­
dences favorables du Curé, du Directeur, sollicitations du
candidat : tout cela donne déjà une sérieuse garantie, mais
ne suffit pas toujours à fonder une certitude. Au Père Maître
de compléter alors ses informations, de procéder à un nouvel
examen direct, personnel, durant le cours du Noviciat, et de
se rendre compte par lui-même de l’existence d’une vocation.
Son jugement a tout lieu d’être vrai.
Saint Benoît demande à l’ancien, chargé du candidat, de
l’examiner attentivement et à fond : « Super eum omnino
curiose intendat et sollicitus sit » (Regula S. Ben., ch. LVIII).

2. Test de la valeur d’une Vocation, aux yeux du Novice


et au jugement de l’institut.
à) A l’appel de Dieu, quelle sera la réponse de l’âme ?
L’authenticité d’une vocation n’implique point nécessairement
la fidélité à la suivre, et la prévenance de la grâce ne laisse
en rien présumer l’accueil qui l’attend.
Saint Paul recommandait aux premiers chrétiens « de
marcher dignement dans leur vocation : « ut digne ambuletis
vocatione qua vocati estis » (Eph. IV, i). Nombre de vocations
se perdent en cours de route. « Multi vocati, pauci electi »
BUT DU NOVICIAT IOI

(Matth. XX, 16). Toute gratuite à son origine, cette grâce


d’élection exige ensuite qu’on la mérite, qu’on l’exploite et
qu’on la garde jusqu’à la mort. Chaque jour se réédite l’histoire
du jeune homme de l’Evangile qui, appelé par le Christ à le
suivre, recula et s’en alla tout triste ; ou encore, celle de
l’entrepreneur qui commença à bâtir sa maison et ne sut
l’achever. En face des perspectives austères de la vie religieuse,
ou rebutés par les renoncements qu’elle leur imposait, combien
ont fait demi-tour ou lâché pied !
Il importe donc, avant de faire profession, de s’éprouver
soi-même, de soupeser sa vertu, de mesurer ses forces, de savoir
ce dont on est capable et de constater si l’on peut, sans danger
d’illusion ou de présomption, tenter l’aventure et s’enrôler
définitivement au service de Dieu.
6) L’Institut, à son tour, se doit à lui-même, afin d’écarter
Sujets médiocres ou inaptes, d’éprouver les vocations et d’exiger
des Novices des preuves de ferveur et des gages de persévérance.
Eprouver, ce qui ne veut pas dire malaxer les âmes à tour
de bras, les humilier, rabrouer, réprimander, contrecarrer à
toute heure, avec ou sans motif, au risque de froisser, buter,
fermer, décourager ; mais, exiger de tous, durant leur année
de probation, un comportement vraiment religieux, la géné­
rosité dans la lutte contre eux-mêmes et dans la pratique des
vertus, spécialement de la piété, obéissance, humilité, déta­
chement, renoncement, régularité, charité fraternelle. Expéri­
menter leur force de résistance, leur fournir même, une fois
ou l’autre, avec prudence, l’occasion de poser quelque acte
ou d’accepter tel sacrifice particulièrement difficile ou doulou­
reux. Avant de livrer un pont à la circulation, on y fait passer
un chargement maximum. La Règle de Saint-Benoît demande
qu’on n’accepte point tout de go Postulant ou Novice : « non
ei facilis, tribuatur ingressus » (Reg. S. Ben., chap. LVIII).
Et saint Ignace conseille d’éprouver les Novices, de la même
façon que Dieu éprouva Abraham (Const. II, 367 ; P. III,
c. 1, n. 31).

II. BASE DE DÉPART

La question vocation résolue, le Novice s’engage résolu­


ment dans sa nouvelle voie. Or, le Noviciat doit constituer une
excellente base de départ. Il prépare, amorce et soutient les
formations subséquentes — seconde et supérieure — et devient
ainsi le premier fondement de l’édifice spirituel. Encore faut-il
assurer la solidité de ces assises, en n’utilisant que des maté­
102 LE NOVICIAT

riaux de choix. Une vie religieuse n’arrivera jamais, semble-t-il,


à sa plénitude, que si elle repose sur cette double pierre d’angle :
un idéal de perfection et un programme d’action.

i. Idéal de Perfection Religieuse : un des buts essen­


tiels du Noviciat. Cet idéal n’a rien de vague ni de flou, rêve
de jeunesse, ou mirage dans le désert. C’est tout le contraire ;
il est la conception lumineuse d’une réalité divine : la sainteté.
Qui s’est fait un idéal de vie religieuse est fort bien renseigné
sur les grandeurs et les exigences de sa vocation de consacré.
Point d’illusions chez lui, ayant épousé la pensée du Christ
et de l’Eglise. Etre religieux, vivre en religieux, il sait le sens
plénier de ces formules et ce à quoi elles l’obligent en fait de
pureté, de renoncement, de don de soi-même, de sacrifice,
de charité. Splendeur de vérité, l’idéal est encore soulèvement
de l’âme dans l’admiration, l’amour, l’attirance et un désir
de conquête.
Il est de plus une œuvre de jeunesse, et les formateurs
n’insisteront jamais trop, auprès de leurs disciples, sur la néces­
sité de l’acquérir durant les premières années de leur vie reli­
gieuse. Prétendre s’en passer, ne serait-ce point se condamner
à la plus triste et la plus incurable médiocrité morale ? « L’idéal
est la plus noble idée qu’un homme puisse se faire du type
de perfection qui convient à son état. Un homme sans idéal,
c’est un homme sans élan, sans générosité ; c’est un abou­
lique, un éparpillé (Dom Godefroid, « Sous le regard de Dieu »,
pp. 158-159).

2. Programme d’Action. Un idéal de perfection réclame


un programme d’action, c’est-à-dire, la réalisation progressive
de cet idéal. Sa formulation tient en deux mots : Tendance
à la perfection. « Religiosus non tenetur esse perfectus, sed ad
perfectionem tendere. » (II. II. Quoes. 186, ar. 9.)
Au dire d’un philosophe grec, la vie n’est que pour­
suite ; et, quand il s’agit de la vie religieuse, poursuite de
la sainteté.
Cette tendance, œuvre essentielle de l’état religieux, est la
résultante de quatre éléments qui s’appellent et se complètent :
désir, résolution, efforts, progrès.
Le désir : racine première et nourricière de toute activité
naturelle ou surnaturelle.
La résolution : décision irrévocable, granitique, que rien
n’entame et qui triomphe de tout. « Si vis perfectus esse... Volo. »
BUT DU NOVICIAT IO3

L'effort : qui veut la fin veut les moyens et se met à l’œuvre :


emploi des instruments — généraux et spéciaux — de sancti­
fication.
Résultat final : progrès réalisés, au jour le jour, dans notre
marche vers Dieu. « Si vere quaerit Deum » (Reg. S. Benoît,
ch. LVIII).
A la vigueur de cette tendance se mesurera toujours la
qualité d’une vie et la valeur d’une âme religieuse.
Encore que ce programme ne s’impose à la conscience
qu’à partir de la Profession, il doit cependant s’élaborer dès
le Noviciat et y recevoir un commencement d’exécution.
Apprenti religieux, le Novice n'est en réalité qu'un candidat
à la sainteté.

III. INTRODUCTION A LA PROFESSION

En cas de réussite, le Noviciat débouche normalement


sur la Profession, qui transplante et enracine une âme dans
l’état religieux. Une période de la vie se clôt, pour s’ouvrir
sur une autre qui ne finira qu’à la mort. De cet acte unique,
rappelons tout d’abord la gravité et les conséquences.

1. Importance de la Profession. Toute vie humaine


est faite d’une multitude poussiéreuse d’actions, la plupart
banales, aussitôt oubliées que posées. Mais, de cette masse,
comme une chaîne de montagnes dans le désert, émergent
quelques actes qu’on appelle les grands actes de la vie. Parmi
les plus grands, on compte la Profession religieuse, qui oriente
à tout jamais une âme vers les cimes et la fixe au service de
Dieu. Pivot immobile qui va commander toute l’existence, et
autour duquel graviteront désormais toutes nos activités.
Acte royal de la vertu de religion, qu’aucun autre n’égale
et qui n’est surpassé que par le martyre et le sacrifice de
l’Autel ; tout à la fois oblation, consécration et immolation de
tout l’être à Dieu ; Holocauste spirituel immensément glori-
ficateur de la Trinité ; Mariage mystique avec le Christ ;
Imitation parfaite du Sauveur, attaché que l’on est comme
lui à la Croix par les trois clous de la pauvreté, de la chasteté
et de l’obéissance ; Engagement au service de Dieu, de
l’Eglise, de l’institut et des âmes ; Principe d’une éminente
sainteté. « En réalité, c’est le jour d’une Vêture ou d’une
Profession que se fait la vie religieuse. Si ce don initial est
absolu, s’il saisit l’être tout entier par une oblation totale,
104 LE NOVICIAT

sans réserves et sans reprises, c’est assez pour Dieu. Il pèse,


il juge, il apprécie le sacrifice dans son germe, et regardant
là, il voit tout ; tenant cela, il tient tout. Car, si la vie devient
parfaite ensuite, elle ne le sera que pour avoir réalisé au jour
le jour cette oblation première » (Landrieux, « Une petite
sœur », ch. i, p. 2). Ainsi envisagée, la Profession prend un
certain aspect de grandeur héroïque. Or, l’héroïsme ne s’impro­
vise pas. Pour être émise en perfection, elle exige donc une
exceptionnelle préparation. Elle sera l’œuvre du Noviciat.
2. Préparation à la Profession. Plus qu’une conclusion,
la profession sera un couronnement. La probation est une espèce
de gestation spirituelle, dont le terme doit être non seulement
une nouvelle, mais une heureuse naissance religieuse.
Si l’année du Noviciat a été ce qu’elle devait être, une
étude sérieuse de l’état religieux et de son Ordre, un appren­
tissage généreux de sa vie future, par l’observance de la Règle,
la pratique des conseils évangéliques, l’exercice de toutes les
vertus ; si le Novice arrive à la veille de son oblation avec un
idéal de sainteté et la résolution indomptable de le poursuivre,
nul doute qu’il ne se trouve en d’excellentes dispositions pour
faire de sa Profession une œuvre de lumière, de force, de magna­
nimité et d’amour. Ce qu’il va promettre, il l’a déjà vécu, et
sa vie de Profès ne sera que la continuation de sa vie de Novice.
Les exercices spirituels renforceront encore cette prépa­
ration éloignée (Can. 571, § 3). Huit jours de solitude, de
réflexions, de prières seront utilement employés à se remettre
une dernière fois en face de son avenir, à confirmer son « élec­
tion », et à refaire comme la répétition privée de ce que sera
demain sa profession officielle. Pour le nouveau Chevalier du
Christ, « Christo Regi militaturus » (Reg. S. Benoît, Prologue),
cette retraite sera sa veillée d’armes.

1. En cas de doute sur l’existence et la valeur


d’une Vocation, doute persistant jusqu’à
la fin du Noviciat, quelle doit être l’atti­
tude du Novice et de l’Ordre ?
2. Quelles sont les conséquences d’un manque
sérieux de préparation à la Profession ?
Un Noviciat manqué est-il une vie man­
quée ?
BUTS DU NOVICIAT 105

3. Un Novice sans idéal, sans esprit de déci­


sion, encore que sans grandes passions et
grands défauts, est-il apte à la vie reli­
gieuse ?

4. Peut-on prudemment compter sur la


période des vœux temporaires pour sup­
pléer à un manque de formation au Novi­
ciat ?

5. Est-il opportun de demander au Novice de


faire par écrit la genèse et l’histoire de sa
Vocation ?

Enchiridion de Statibus Perfectionis. Index « Noviciatus ». — Gau-


trelet, Traité de l’Etat religieux, Ire Partie, ch. ni. — Colin, Culte
des Vœux, ch. 3 et 4: Tendance à la perfection, ch. 1, 2, 3. — Acta
et Documenta Congressus Generalis de Statibus Perfectionis, 1950, III, 26.
— La Vie Spirituelle, Supplément, 48, Ier trimestre 1959.
Forma Gregis, Février 1954, Conseils Pédagogiques. P. Rimaud, s. j.,
décembre 1954, « La Vertu cardinale de Justice dans la vie de la
Mère Maîtresse. » P. Motte.
DOUZIÈME LEÇON

TEMPS D’ÉPREUVES

Don gratuit en son principe, la vocation est une conquête


dans son développement et son terme. Sans doute, restera-t-elle
toujours une grâce divine, mais exigeant, pour son exploitation,
la coopération de l’âme.
Dans l’ordre surnaturel, comme dans celui de la nature,
la vie implique toujours une condition essentielle d’existence
et de progrès : la réaction contre toutes les forces de destruc­
tion ou de désagrégation. A Cette loi universelle, personne
n’échappe, le religieux moins que tout autre. « Combattez
comme un bon soldat du Christ Jésus » (II Tim., II, 3). —
« Prenez le glaive de l’Esprit b (Eph., VI, 17). — « Revêtez-
vous de la cuirasse » (I Thess., V, 8). — « Nul ne sera cou­
ronné s’il n’a vaillamment combattu » (II Tim., II, 5).
Parfois inaugurée dès avant l’entrée en religion, la lutte
se continuera durant le cours du Noviciat, et d’autant plus
grave que se trouve en jeu la formation d’une âme, voire
l’existence d’une vocation.

I. ÉPREUVES DU NOVICIAT
« Vous qui entrez au service de Dieu, préparez votre âme
à l’épreuve » (Eccliq., II, 1). Le Noviciat est un temps d'épreuves,
multiples dans leur origine et variées dans leur forme. Les
signaler à la vigilance du Novice, ne serait-ce point faire acte
de prudence et, en même temps, l’aider à les surmonter, mieux
encore, à les utiliser, au plus grand profit de sa vie spirituelle.
1. Probations divines. Une des fins du Noviciat est de
permettre au candidat et à l’Ordre d’authentiquer une vocation
et d’éprouver sa valeur.
Dieu, à son tour, se réserve de mettre le Novice à l’épreuve,
TEMPS D’ÉPREUVES I07

et de noter ses réactions en face des exigences divines. A son


appel — qui fut une grâce immense — Notre-Seigneur a le
droit d’exiger une réponse loyale, généreuse, voire douloureuse.
Il sera demandé beaucoup à celui qui a beaucoup reçu. « La
tentation est un privilège du peuple élu » (J. Guillet, Thèmes
bibliques, 1951, p. 17).
Nul doute que Dieu ne ménage, surtout aux débutants,
joies spirituelles et consolations sensibles. Mais ce régime n’a
qu’un temps ; un autre lui succède, fait de restrictions et
d’austérités. Dieu, semble-t-il, s’est retiré avec ses privautés.
Finie la douce intimité avec le Christ : impuissance, obscurité,
sécheresse, aridité, dégoût pour sa vocation et tentation de
rentrer dans le monde. L’épreuve peut être dure, et, si elle
se prolonge, devenir dangereuse.
Mais, c’est alors que Dieu constate le désintéressement et
la générosité de l’âme qui s’est donnée à lui. La croix n’a été
pour elle qu’une occasion de témoigner magnifiquement son
amour et sa fidélité.

2. Influences diaboliques. Dans un Noviciat, la présence


et l’intervention du démon ne surprendront personne. Saborder
une vocation est un de ses plus beaux triomphes. Et il s’y
emploie de toutes manières, à commencer par la tentation
« du mieux » sur le terrain apostolique. Vœux et Constitutions,
avec leurs mille prescriptions et défenses, ne seraient-elles
point un obstacle à l’action et une entrave à la liberté du zèle ;
alors que, dans le monde, maître de son temps et de ses forces,
on pourrait, à son aise et à son choix, se dévouer sans contrainte
et donner ainsi à son apostolat plus d’ampleur et de fécon­
dité ? Ce n’est là, bien souvent, qu’illusion.
Et voilà que la question « vocation » définitivement réglée
~ du moins on le croyait — se pose à nouveau avec ses doutes
et ses angoisses. Suis-je bien certain de l’appel de Dieu ?
N’ai-je point cédé à un emballement passager ou n’aurais-je
point été victime de pressions ou de sollicitations étrangères ?
Et mes aptitudes morales ? En fait, ne me serais-je point four­
voyé sur une piste sans issue ?
Ajoutez des craintes fallacieuses et obsédantes pour l’avenir.
Suis-je sûr de persévérer ? N’aurais-je point présumé de mes
forces ? La vie religieuse me paraît déjà terriblement lourde.
Encore libre d’opter, le plus sage ne serait-ce point d’aban­
donner ? A tout prendre, mieux vaut être un excellent chré­
tien qu’un mauvais ou demi religieux. Que de fois le mieux
n’est-il pas l’ennemi du bien !
I08 LE NOVICIAT

Autant de suggestions diaboliques à détecter et à écarter


immédiatement.

3. Faiblesses personnelles. Sans remonter jusqu’au


démon, pour déceler l’origine des difficultés ou tentations
propres au Novice, ne pourrait-on la découvrir encore dans
les déficiences ou lâchetés d’un chacun ?
Sentiment d’impuissance et geste de recul devant un idéal
de perfection qui, au lieu de soulever, semble devoir écraser.
Découragement à la vue de ses misères et de ses échecs
multipliés dans le travail de la sanctification.
Faiblesse de cœur, à l’égard de parents dont on ne peut
chasser le souvenir, ni oublier les regrets, les plaintes et par­
fois les menaces. Aurait-on oublié la parole du Maître : « Celui
qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne
de moi » (Matth., X, 37). Et encore : « Laissez les morts ense­
velir les morts » (Matth., VIII, 22).
Maladie accidentelle, accrocs de santé, provoqués par le
changement de régime ou de climat, et qui marqueraient,
semble-t-il, mais à tort, une impuissance physique à suivre
les observances régulières.
Tout cela constitue un handicap pour la formation du
Novice, et parfois même un danger pour sa persévérance.

4. Difficultés du milieu, engendrant un malaise, qui peut


aller jusqu’à la souffrance, voire l’irritation. L’acclimatation
s’avère pénible : brusque changement du cadre social et de
température morale, adaptation à un style de vie en opposi­
tion avec celui qui était familier, désenchantement de ne point
trouver réalisé l’idéal de perfection qu’on avait rêvé, heurts
inhérents à la vie commune, provoqués par la diversité des
tempéraments, des caractères, des esprits, des éducations,
impression de n’être point compris par l’Autorité et manque
de sympathie naturelle à son égard, tout un ensemble, déplai­
sant, réfrigérant, sans rien de grave, mais qui, à la longue, peut
déclencher une crise de vocation.
TEMPS D’ÉPREUVES 109

II. COMPORTEMENT DU NOVICE

L’épreuve ne laisse jamais une âme dans l’état où elle la


trouve. Elle l’élève ou l’abat, la sanctifie ou la pervertit : tout
dépend de l’accueil qu’on lui fait. En face des difficultés ou
tentations, quelle sera l’attitude du Novice ? Une réaction
immédiate et vigoureuse, renforcée par un appel à Dieu et le
recours aux supérieurs.

i. Réaction d’abord, afin de ne point se laisser aller à la


tristesse et au découragement. Au lieu de se buter contre l’obs­
tacle, le surmonter, ou mieux encore, transformer la pierre
d’achoppement en tremplin, pour rebondir plus haut. A cette fin,
faire appel à sa foi, à sa générosité, à son amour pour le Christ.
« Revêtons-nous des armes de lumière. » « Induamur arma
lucis » (Rom. XIII, 12). La foi est une puissance de résistance.
« Resistite fortes in fide » (I Petri, V, 9). Ne serait-ce point
le moment de se rappeler que toute vie est une lutte ; qu’on
est entré en religion, non point pour s’y prélasser et s’y capi­
tonner, mais pour y travailler et s’y sacrifier ; que l’état reli­
gieux, de sa nature, est un holocauste, auquel il faut, dès le
début, s’habituer et s’entraîner ? Se dire que la croix, quelle
qu’elle soit et d’où qu’elle vienne, est toujours une grâce de
choix — elle peut entrer parfois en cassant les vitres, mais
elle n’en reste pas moins une grâce — à utiliser et à trans­
former en outil de sanctification. Se dire que les âmes viriles
se forgent dans l’épreuve, comme le fer dans le feu et sur
l’enclume.
Il n’y a donc pas lieu de s’étonner de sa rencontre et de
lâcher pied devant elle. Reste à l’accueillir de bon cœur, et
d’en faire une auxiliaire dans l’œuvre de sa formation religieuse.
Trop heureux d’ailleurs de pouvoir donner au Christ un témoi­
gnage vrai d’amitié et de fidélité.

2. Recours à Dieu. Au reste nous ne sommes pas seul ;


il faut et il suffit d’appeler Dieu à la rescousse. En face du
sacrifice, nous sommes souvent si faibles, si lâches ! Pour
empêcher l’épreuve de tourner à la tentation et de provoquer
une chute, la prière apportera à Pâme un supplément de
lumière, d’énergie et d’amour.
Vocation et persévérance dans la vocation sont deux grâces
distinctes. Si la première est absolument gratuite, la seconde
doit se mériter par la ferveur de sa vie et l’assiduité à la prière.
IIO LE NOVICIAT

Elle s’apparente de très près à la vertu cardinale de force.


Dès le Noviciat, elle peut être en butte à de durs assauts, dont
on ne triomphera qu’avec le secours de Dieu. « Mon Dieu !
je me suis donné à vous, je ne veux point vous abandonner ;
aidez-moi, ne permettez pas que je vous sois infidèle... Qu’il
se recommande aussi d’une manière spéciale, dans cette épreuve,
à la Sainte Vierge, qui est la Mère de la persévérance »
(S. Alphonse, Oeuv. Asc., t. 12. Avis aux Novices, pp. 141,143).
Veillez et priez pour ne pas entrer dans la tentation. « Vigilate
et orate ut non intretis in tentationem » (Matth. XXVI, 41).

3. Ouverture de cœur : nouveau havre de sûreté par gros


temps et de salut par grandes tempêtes. Aux heures d’incertitude
et d’angoisse, pourquoi ne pas aller spontanément à ceux qui,
de par leur charge, sont nos guides et conseillers officiels ?
Le mutisme a causé la perte de bien des vocations. « Le second
remède, également essentiel et nécessaire dans de semblables
tentations, c’est de communiquer ce qu’on éprouve à ses supé­
rieurs ou à son Père spirituel, et cela sans tarder... Il est hors
de doute que celui qui éprouve des tentations contre sa voca­
tion et ne les révèle pas, ne peut manquer de la perdre »
(S. Alphonse, Oeuv. Asc., t. III, p. 440).
Plus d’une épreuve ou tentation tire son origine et sa force
d’un manque de lumière : ignorance, erreur, illusion. Rien de
plus naturel, en ce cas, que de recourir au savoir et à l’expé­
rience de ses formateurs, confesseur, maître, maîtresse des
Novices, afin de trouver auprès d’eux la vérité libératrice.
« Veritas liberabit vos » (Joan. VIII, 32). Quelques mots d’expli­
cation, accompagnés d’une parole d’encouragement, suffiront
souvent à éclairer, rasséréner et sauver une âme.

1. Pourquoi et comment les épreuves du


Noviciat peuvent-elles devenir des instru­
ments de formation ?
2. Certaines épreuves témoignent-elles d’une
vocation douteuse ? Lesquelles ?
3. Que penser d’un Noviciat — eau dormante
— où toute difficulté est absente ?
TEMPS D’ÉPREUVES III

4. Quels sont les dangers du manque d’ou­


verture de cœur, à l’égard du confesseur
et du Directeur du Noviciat? Quelles sont
ses causes ?
5. De sa nature — non pas toujours en fait —
l’apostolat du religieux est-il plus puissant
et plus fécond^que celui du chrétien dans
le monde ?

S. Alphonse, Oeuv. Asc., t. XII, « Avis aux Novices » ; t. III, p. 440


— De Guibert, Leçons de théologie spirituelle, 23e Leçon. — Cormier,
L'Instruction des Novices, Ire Partie, ch. I, § II. — Gautrelet, Traité
de l'Etat religieux, Ire Partie, ch. III.
Forma Gregis, février 1956, « Les scandales des novices, Sœur
M.-Jeanne d’Ars. — Christus, Cahiers Spirituels, 14 avril 1957, « Les
lendemains de la décision », Michel de Certeau.
TREIZIÈME LEÇON

ULTIME DÉCISION

Au terme du Noviciat — normal ou prolongé — une double


question se pose, qui concerne tout à la fois le Novice et la
Congrégation et réclame une réponse immédiate et décisive.
Il s’agit maintenant de conclure.
« Puis-je, dois-je faire Profession ? » s’interroge le Novice ;
et les Autorités : « Faut-il incorporer le candidat à l’institut ? »
Ici, surtout, il importe de ne point s’illusionner et se
tromper. Car toute erreur aurait des conséquences regrettables,
voire irrémédiables. La conscience d’ailleurs peut s’y trouver
gravement engagée. A chacun de prendre ses précautions et
d’assumer ses responsabilités ; et que la décision, quelle qu’elle
puisse être, soit conforme aux règles de la prudence, de la charité,
de la justice et de la jurisprudence.

I. ÉLECTION ET POSTULATION
Au Novice d’abord de répondre en toute loyauté, à la ques­
tion qu’il s’est posée. Le Noviciat lui fournira les meilleurs
éléments de solution. Durant de longs mois, il a eu tout le
temps d’étudier le bien-fondé de sa vocation, d’analyser ses
états d’âme, de connaître l’institut, sa Règle, son esprit, son
apostolat. Son essai de vie religieuse a dû lui révéler son plus
ou moins d’idonéité ; il a réfléchi, prié, consulté. Maintenant,
il lui est demandé de fixer son choix, en pleine liberté, face à
sa conscience et en présence de Dieu. Que sa décision repose
sur des motifs surnaturels, en dehors de toute influence étran­
gère : sollicitation, pression, menace, respect humain. Nul
autre souci que de se conformer à la volonté de Dieu et d’entrer
dans les desseins de la Providence. Peut-être pourrait-il encore,
une dernière fois, pour assurer et renforcer son élection, recourir
ULTIME DÉCISION II3

aux critères indiqués dans les « Exercices spirituels » de saint


Ignace : i° Sentiment de ce qui est davantage pour la gloire
de Dieu ; 20 Poussée divine dans le sens qui convient ; 30 Incli­
nation de la raison ; 40 Séduction de l’Amour. (Cf. Christus,
Cahiers spirituels, 12 octobre 1956, p. 570. P. Fessard, S. J.,
« La Dialectique des Exercices. ») Finalement, une triple solu­
tion reste possible : avancer, bifurquer ou rebrousser.

1. Demande d’admission. Convaincu de la réalité de sa


vocation et résolu à répondre définitivement à l’appel de Dieu :
Ecce ego : quia vocasti me » (I Reg. III, 8), le Novice n’a
plus qu’à manifester sa décision, solliciter son admission dans
l’Ordre et attendre la réponse à sa requête.
Cette demande, dans les Congrégations cléricales, doit se
faire par écrit, être signée de la main même du Novice. En
termes exprès, elle témoignera de sa volonté formelle d’entrer
en religion, d’y persévérer, pour s’y vouer au service des autels
(Inst. S. C. des Religieux, Ier décembre 1931 ; A.A.S. 1932,
p. 79 ; Ami du Clergé 1932, pp. 278-280).
Sans être obligatoire pour les autres Instituts, cette précau­
tion est cependant à recommander à tous : exiger du Novice,
avant ses vœux, l’attestation écrite de sa décision et de sa fidé­
lité. Sauvegarde en vue de l’avenir contre les accusations ou
réclamations de sujets inconstants et tentés de désertion.

2. Changement de direction. Assuré de sa vocation, en


général, le Novice conserve néanmoins certains doutes au sujet
de son engagement dans telle ou telle forme de vie religieuse.
Entré dans un Ordre contemplatif, il a, durant le cours
de son Noviciat, entendu comme un appel réitéré à une vie
plus active, ressenti un désir croissant de se vouer aux œuvres
extérieures d’apostolat. Son tempérament, ses goûts, sa santé
semblent d’ailleurs s’être assez difficilement accommodés à la
discipline claustrale. Réflexion faite, il estime fort justement
s’être trompé dans son premier choix.
Le contraire aussi se rencontre : Des âmes ardentes, assoiffées
d’action, ne pensant qu’à se donner, se dévouer, se sacrifier,
et qui, peu à peu, se rendent compte que Dieu leur a réservé
l’apostolat plus fécond et plus universel de la contemplation.
Ces retournements de vocation ne sont point, dans notre siècle,
aussi rares qu’on pourrait le penser.
Vie contemplative ou vie active ? Sur ce point, le Novice
est définitivement fixé. Il l’est moins quand il s’agit du choix
de l’institut. Pour être entré au Noviciat, il ne s’est point, pour
8
II4 LE NOVICIAT

autant, engagé à y faire profession. Simple essai, sans nulle


obligation de sa part. Expérience faite, il constate que la Règle,
l’esprit, les œuvres de la Congrégation ne répondent point à
ses tendances profondes, attraits spirituels, aptitudes aposto­
liques. Dès lors, une conclusion s’impose : abandonner cette
piste pour retrouver sa route.
Encore oit-ild se méfier de toute illusion, humaine ou diabo­
lique, en ce cas, toujours possible.
Quant aux Supérieurs, respectueux de la liberté du Novice,
qu’ils se gardent, par prudence autant que charité, de contre­
carrer sa décision et de mettre obstacle à ce changement
d’orientation.

3. Rebroussement. Le Noviciat est destiné à faire connaître


au candidat son idonéité ou son inaptitude à la vie religieuse.
Or, durant sa probation, il a constaté son inadaptation foncière
à ce genre de vie. De toute évidence, il n’est point appelé,
parce qu’il se sent incapable de vivre en religieux. Que faire ?
Renoncer et retourner dans le monde. Seule conclusion logique
et loyale qui s’impose à sa conscience. Agir autrement serait
folie, vis-à-vis de Dieu, de soi-même et de l’institut, pécher
contre la prudence, la charité et la justice (Can. 571, § 1).
Ce serait se mettre en marge de la •volonté de Dieu et de ses
vues providentielles ; ce serait, sans attendre l’appel divin,
s’engager sur une voie inconnue et périlleuse.
Faire Profession avec une certitude de non-vocation, ne
serait-ce point se jeter, les yeux fermés, dans une aventure
dramatique, au risque des pires catastrophes. Qui assume des
responsabilités et des obligations qu’il ne peut porter ni remplir
ne saurait que compromettre son salut éternel.
De plus, il trompe l’institut, où il entre par une mauvaise
porte. Poids lourd, poids mort, branche sèche, où ne circule
pas la sève de l’Ordre, croix des Supérieurs, scandale pour
ses frères, il ne mènera presque toujours qu’une vie malheureuse,
misérable, sinon coupable.
Nul — dans aucun cas et pour quelques motifs que ce soit
— ne peut, en conscience, faire Profession, s’il n’a la vocation.

4. Dernière éventualité, qui n’a rien de chimérique :


à la veille de sa Profession, le Novice reste perplexe. Sans se
sentir absolument indigne ou inapte, il n’est pas davantage
certain de son idonéité. Ne pourrait-il, en ce cas, émettre ses
vœux temporaires et s’accorder un sursis de réflexion et d’expé­
rimentation, avec l’espoir de trouver, pendant ce temps, une
ULTIME DÉCISION II5

réponse décisive à ses incertitudes ? Que si le doute persistait


jusqu’à la profession perpétuelle, l’entrée définitive en religion
semblerait bien tout à fait contre-indiquée.

II. INTERVENTION DE L’ORDRE


Si la profession dépend de la décision du Novice, elle relève
aussi de l’acceptation de ÏOrdre. Nul, de lui-même, ne peut
s’engager dans un Institut, à moins que sa demande d’admis­
sion ne soit tout d’abord agréée par les Autorités compétentes,
c’est-à-dire, les Supérieurs Majeurs, sur l’avis délibératif de
leur Conseil ou du Chapitre. Leur jugement est d’une gravité
exceptionnelle et engage leur conscience (Can. 575, § 11).
Pour être de tout point conforme à la prudence, à la charité
et à la justice, leur vote doit reposer sur un examen parfaite­
ment objectif, qui portera sur la conduite du candidat pendant
le Noviciat, ses qualités, ses défauts, son idonéité à l’état
religieux et sur l’apport qu’il peut fournir à la vitalité et
à l’apostolat de l’institut.
Sans doute, faut-il prendre en considération les intérêts
du Novice et ceux de la Congrégation ; mais, en cas de doute,
ces derniers l’emporteront toujours. A des avantages parti­
culiers, il n’est jamais permis de sacrifier le bien général.
Le dossier parfaitement connu dictera à chacun son devoir
de juge, sans se laisser influencer par le respect humain, les
préjugés, la passion, des considérations de fortune, de situation
sociale, d’amitié, de parenté, de nationalisme, qui pourraient
infléchir les votes et fausser le résultat du scrutin.
1. Admission. Un Novice présente-t-il des signes indubi­
tables de vraie vocation et des gages assurés d’idonéité et de persé­
vérance, les Supérieurs sont tenus, en conscience, par charité à
l’égard du candidat et en justice vis-à-vis de l’Ordre, à l’admettre
à la Profession (Can. 571, § 2). L’écarter serait contrecarrer
les plans de Dieu, désaxer toute une existence et priver l’ins­
titut d’une excellente recrue.
Dans l’incorporation des sujets, un double écueil est à éviter :
trop de rigueur ou trop de facilité.
a) Trop de rigueur. Le danger, vu la disette des vocations,
est plutôt rare. Il existe cependant. Tendance, chez quelques
formateurs ou formatrices, en souci d’idéalisme, de n’admettre
que des vocations de choix, des sujets marquants, au double
point de vue naturel et surnaturel, et qui promettent beaucoup.
L’ordinaire — nous ne disons pas le médiocre — ne leur suffit
Il6 LE NOVICIAT

pas ; il leur faut de l’excellent. Mais, quel est l’institut qui ne


compte dans ses rangs que des hommes supérieurs et des
religieux d’élite ? A vouloir trop exiger, n’aboutirait-on pas, en
écartant de bonnes vocations, par rendre déficitaire le recrute­
ment de r Ordre ?
b) Trop de facilité. Plus grave et plus fréquent le danger
de se montrer coulant. Pour remédier au manque de sujets,
subvenir à des œuvres d’apostolat qui se multiplient sans cesse,
ou périclitent, faute de personnel, par fausse compassion aussi,
la tentation est grande d’être accueillant à l’excès et d’ouvrir
à deux battants une porte d’entrée qui ne devrait être qu’entre­
bâillée, sinon fermée. Le juge s’est fait solliciteur, quand il
ne va pas jusqu’à la pression. De ce comportement, les funestes
conséquences — signalées maintes fois par les Souverains
Pontifes — ne tardent pas à se manifester : baisse de Tétiage
religieux et apostolique, difficultés accrues du gouvernement, pertes
de vocations, déchéance progressive de l’institut.
Le 20 novembre 1935, Pie XI supprimait l’Ordre des Frères
de la Pénitence, et l’une des raisons : « l’excessive facilité à
admettre de nouveaux Profès et Novices et à promouvoir aux
Ordres sacrés des sujets inaptes » (Revue C.R., mai-juin 1936,
p. 88 ; mai-juin 1939, pp. 72-73).
« Cette recommandation, dont nous prenons toute la respon­
sabilité, doit être reçue comme un mot tout paternel, qui ne
s’inspire pas d’autre chose que du bien de toutes les familles
religieuses, et ce mot est le suivant : soyez rigoureux. Parole
dure, sans doute, mais pleine d’amour, car, seule la vérité
peut satisfaire l’amour vrai, digne des amis de Notre-Seigneur...
Si certains devaient faire remarquer que l’on est déjà trop
sévère, nous vous autorisons à répondre que c’est le Pape
qui le veut ainsi, parce que, de son poste et avec ses respon­
sabilités, il peut en voir clairement le besoin et cela d’autant
plus que la Providence lui a accordé un assez long pontificat,
lui permettant d’acquérir une grande expérience dans ce
domaine. Si l’on veut, en effet, conserver la vie religieuse dans
sa splendeur, il faut être sévère... C’est pour cela qu’il faut
éloigner le péril apporté par des éléments troubles, s’infiltrant
dans une famille religieuse, d’autant plus que ces apports
inutiles ne lui serviront de rien, qu’ils constitueront, au contraire,
un obstacle, une pierre d’achoppement, d’où dériveraient des
tares » (Pie XI aux Supérieurs religieux. Cf. Documentation
catholique, 1938, t. XXXIX, col. 771, 772).
Pie XII, à son tour, rappelait que, dans l’admission des
sujets, il faut user d’un « choix exigeant et prudent » (Const.
ULTIME DÉCISION 117

Apost. Provida Mater Ecclesia). Voir aussi Lettre de la


Congrégation des Religieux, décembre 1931.
D’un monastère de son temps, saint Vincent de Paul disait :
« N’y allez pas ; tout le monde y entre, personne n’en sort. »

2. Renvoi. Si le Novice reste toujours libre — selon sa


conscience — de quitter l’institut et, à ses risques et périls,
de retourner dans le monde, les Supérieurs, de leur côté, ont
le droit, et parfois le devoir — sous peine de péché grave et
de sanctions juridiques, allant jusqu’à la privation de leur
charge (Can. 2411) — de renvoyer le candidat, durant le
cours de son Noviciat, et même, à la dernière heure, par le
rejet de sa demande d’admission, sans qu’ils aient pour autant
l’obligation de manifester à l’intéressé les motifs de leur déci­
sion, d’ailleurs toujours valide. Encore faut-il pour cela une
juste cause, d’ordre général ou particulier : gloire de Dieu,
avantage de Z’ Ordre, intérêt du sujet ou d’autres personnes. Nom­
breux et variés sont les motifs de renvoi. Notons les plus
habituels.
Indignité ou manque d’idonéité ; vocation fausse, douteuse ;
inaptitude physique, intellectuelle, morale, aux observances de
l’institut ou à ses œuvres d’apostolat (Cf. Constitutions de la
Cong. SS. Rédempteur, n° 578, 1150).
Fautes graves et scandaleuses contre la foi, les mœurs,
l’esprit religieux, la discipline régulière.
Esprit faux, sciupuleux, indépendant, frondeur, critique,
novateur, réformateur, suspect au point de vue doctrinal,
imperméable à la mentalité de l’Ordre et à sa spiritualité.
Tempérament mou, flasque, apathique, amoureux de ses
aises, sensuel, porté aux affections sentimentales, aboulique,
sans élan ni esprit de décision.
Caractères susceptibles, ombrageux, orgueilleux, indisci­
plinés, jaloux, dissimulés, insociables, neurasthéniques.
Tous ceux qui, avertis, encouragés, repris, punis, durant
leur temps de probation, n’ont donné aucun signe d’amende­
ment et de ferveur, devraient, eux aussi, être congédiés.
Quant au Novice à qui une déficience chronique de santé
aurait imposé un régime d’exceptions, ou atteint d’une maladie
exigeant une convalescence de plusieurs années, et qui, par
ailleurs, présente tous les signes d’une excellente vocation, ne
serait-ce point prudence autant que charité, sans le renvoyer
définitivement, de lui imposer un sursis, avec espoir fondé —
une fois guéri — de pouvoir rentrer au bercail ?
Ne pourrait-on agir de même, à l’égard d’un candidat
xi8 LE NOVICIAT

obligé pour des causes fortuites et imprévues — parents grave­


ment malades, nécessiteux et abandonnés — de rentrer pour
quelque temps dans le monde ?

i. Les Supérieurs sont-ils tenus, non seule­


ment par charité, mais en justice, d’ad­
mettre un candidat parfaitement idoine ?
2. Dans les Congrégations diocésaines, quels
sont les droits des Evêques dans l’admis­
sion ou le renvoi des Novices ?
3. Le conseil ou le chapitre peut-il, en con­
science, voter l’admission d’un sujet vrai­
ment douteux î
4. Si les Supérieurs ne peuvent admettre un
Novice sans le vote favorable de leur conseil
ou du chapitre, peuvent-ils le renvoyer
sans leur assentiment ?
5. Peut-on dire d’un Novice qui part sponta­
nément qu’il a été renvoyé ?
6. Est-il permis ou opportun de reprendre
plus tard un Novice congédié de l’Ordre,
ou renvoyé d’une autre Congrégation ?

Enchiridion de Statibus Perfectionis, I, 162. — Gaütrelbt, Traité


de l’Etat Religieux, Iie Partie, ch. 11, art. iv. — Schabfbr, De Religiosis,
Pars VIII, ch. il. — Congreg. SS. Redemptoris, Règle des Novices. —
Pour les Maîtresses des Novices, ch. xi. —> P. Colin, Culte des Vœux,
ch. III. — Discernement des Vocations de Religieuses, ch. VII. — Acta
et Documenta Congressus Generalis de Statibus Perfectionis, 1950, II,
625-628 ; Index IV, « Vocatio », 399.
R. C. R. 1926, 6 ; 1932, 81 ; 1935, 194-195 i 1936, 88, 103 ; 1939,
72 ; 1949, 195 ; 1953, 151. La Vie Spirituelle, Supplément, 48, Ier tri­
mestre 1959.
CHAPITRE III

LA PROFESSION

Terme du Noviciat, la Profession temporaire — un an ou


trois, selon les Constitutions — est un de ces actes religieux qui
ont sur l'existence humaine des conséquences immenses, parfois
irréparables. A première vue, elle apparaît fort simple dans sa
teneur et dans son expression. « Je fais vœu de pauvreté, de chas­
teté, d’obéissance. » Son analyse cependant révèle une certaine
complexité d'éléments, d'aspects et d'obligations qu'il est bon de
rappeler et de souligner.

Acte officiel du culte religieux, laprofession relève de Z’Autorité


de Z’Eglise, qui en fixe les conditions de validité, la nature, la
forme et la fin.

Au point de vue théologal, elle est tout à la fois engagement


au service de Dieu et sacrifice spirituel.

Considérée dans ses relations avec le Christ, elle prend figure


de Mariage Mystique.

Par rapport au Néo-Profès, elle implique l’obligation grave


de la Tendance à la Perfection.

Elle est, de plus, Contrat-Bilatéral passé entre le Novice


et l'institut qui l'accepte.
120 LA PROFESSION

La Profession, néanmoins, n’aura toute sa grandeur et toute


sa valeur que si la charité l’inspire, l’anime et la couronne pour
en faire un Acte de suprême dilection.

14e LEÇON :: PROFESSION CANONIQUE.

15e LEÇON : AU SERVICE DE DIEU.

16e LEÇON :: HOLOCAUSTE SPIRITUEL.

17e LEÇON : MARIAGE MYSTIQUE.

18e LEÇON : TENDANCE A LA PERFECTION.

19e LEÇON : CONTRAT BILATÉRAL.

20e LEÇON :; ACTE DE SUPRÊME DILECTION.


QUATORZIÈME LEÇON

PROFESSION CANONIQUE

La Profession « est un contrat sacré par lequel l’homme


s’offre volontairement à Dieu, dans une Religion approuvée par
l’Eglise, en promettant d’observer les trois vœux de pauvreté,
chasteté, obéissance, sous la direction des Supérieurs qui
acceptent cette donation au nom de Dieu ». (Gautrelet, Traité
de l’Etat Religieux, Ire Partie, ch. V, art. i.) En bref, elle est
reçue par l’Eglise, le vœu des trois conseils évangéliques.
Cet acte public et officiel relève tout à la fois et essentielle­
ment de la volonté du Profès et de l’acceptation de l’Autorité
ecclésiastique, à qui il appartient d’en fixer les conditions, la
nature, le mode, les caractères, la fin et les effets. Nul ne peut
donc émettre légitimement les vœux de religion sans que soient
observées les prescriptions du Droit, de la Règle et des Cons­
titutions.
I. CONDITIONS DE LÉGITIMITÉ
La profession religieuse est un acte de telle importance et de
telle envergure que l’Eglise a cru sage, pour lui donner toutes
garanties d’existence, de plénitude et d’efficacité, d’exiger
certaines conditions préliminaires, soit de validité, soit de licéité.
i. Conditions de Validité, en dehors desquelles toute
Profession est nulle de plein droit et sans aucun effet, au double
point de vue canonique et moral.
Est requis (Can. 572) :
a) L’âge de seize ans accomplis.
b) Un Noviciat valide.
c) Chez le futur Profès, pleine liberté et totale indépen­
dance : ni violence, d’ordre physique ou moral, ni crainte grave,
nulle erreur ou tromperie substantielle.
122 LA PROFESSION

d) Acceptation valide à la Profession par le Supérieur


Majeur, son conseil ou le chapitre.
<?) Réception officielle des vœux par le Supérieur compé­
tent ou son délégué, selon les Constitutions.
/) Engagement formulé en termes exprès, non équivoques,
et — à moins d’être acceptée par les Supérieurs —sans condition.
g") Intention de persévérer.
En cas de nullité, par suite d’empêchements extérieurs, la
Profession n’est point validée par les actes subséquents. Reste à
solliciter du Saint-Siège une revalidation, ou — l’empêchement
enlevé — à renouveler la Profession (Can. 586).
Si la nullité provient du seul manque de consentement chez
le Profès, il lui suffira de renouveler sa Profession, à condition
toutefois que l’institut n’ait point révoqué le sien (Can. 586, § 2).
Dans un doute sérieux d’invalidité, demander une « sanatio »
au Saint-Siège ou renouveler sa Profession « ad cautelam »
(Can. 586, § 3).
2. Conditions de Licéité.
a) Avant d’émettre ses vœux, le Novice a. dû faire son
testament, céder l’administration de ses biens, disposer de leur
usage ou de leurs revenus en toute liberté, ou selon la teneur
des Constitutions (Can. 569).
6) Dans les Instituts de femmes, un mois avant la Profes­
sion, nouvel examen de l’Ordinaire du lieu, ou de son délégué,
afin de s’assurer une fois de plus que la candidate agit en toute
liberté et en pleine connaissance de cause (Can. 552).
c) Retraite de huit jours pleins — et plus encore selon les
Constitutions — (Can. 571, § 3), qui servira de préparation
ultime et immédiate, et qui porterait fort heureusement sur
la nature, le sens de la Profession et sur ses exigences au point
de vue dispositions morales.
d) L’émission des vœux doit avoir lieu aussitôt le Noviciat
terminé (Can. 571) et dans la maison même du Noviciat
(Can. 574).
II. NATURE DE LA PROFESSION
La Profession temporaire, qui suit le Noviciat, doit durer
trois ans, ou plus, selon les Constitutions, pour aboutir direc­
tement, ou par échelons successifs, c’est-à-dire, par renouvelle­
ment des vœux annuels, à la Profession perpétuelle, simple
ou solennelle.
PROFESSION CANONIQUE 123

De sa nature, toute profession religieuse est un engagement


sacré, qui trouve son expression essentielle dans les trois vœux
de pauvreté, de chasteté, d’obéissance, émis selon le rite et la
formule propres à chaque Institut.

1. Engagement moral. Dans ce qu’elle semble avoir de


plus fondamental, la Profession religieuse est un engagement
sacré, pris en toute liberté et contresigné par l’Eglise. Ce
mot d’ « engagement », quelque peu galvaudé de nos jours,
retrouve ici toute la plénitude et toute la force de son sens.
Plus que vague promesse ou résolution éphémère, qui met la
conscience à l’aise, il est décision ferme, immuable, irrévocable,
dont on ne peut se libérer sans péché grave, à moins de raisons
exceptionnelles, pesées et approuvées par l’Autorité ecclé­
siastique.
Engagements divers à l’égard de Dieu, du Christ, de l’Eglise,
de l’institut, des âmes et de soi-même qui, hiérarchisés, soli­
daires les uns des autres, forment un bloc homogène
indestructible.

2. Les Vœux religieux. Cet engagement va trouver son


expression essentielle et officielle dans l’émission des trois
vœux religieux de pauvreté, chasteté, obéissance. Vœux publics
qu’il ne faut point confondre avec les mêmes vœux privés.
Ces derniers peuvent constituer un état singulier et personnel
de sainteté chrétienne ; seuls, les vœux religieux mettent une
âme dans un état public de perfection ; public, c’est-à-dire
reconnu et authentiqué par l’Eglise et dans l’Eglise.
De leur nature, par leurs caractères distinctifs, leur rayon­
nement universel, leur puissance sanctificatrice et apostolique ;
par les obligations morales qui en découlent, les vœux religieux
l’emportent immensément sur toutes les autres formes de
vœux. Il en sera question plus loin dans ce chapitre et la troi­
sième partie de ce travail.
Aux trois vœux essentiels, certains Instituts ont cru bon
d’en ajouter quelques autres — vœu de « conversio morum »,
de stabilité, de persévérance, d’hospitalisation, de charité —
qui ne touchent en rien à la substance de la Profession et n’ont
souvent d’autre fin que d’expliquer, souligner, renforcer quelques
obligations secondaires ou caractéristiques de l’état religieux.

3. Rite de la Profession. La Profession doit se dérouler


selon le rite fixé par les Constitutions (Can. 576, § 1).
Mais sous la variété des formules se retrouvera toujours
124 LA PROFESSION

la même réalité essentielle : la promesse sacrée de servir Dieu


par la pratique des trois vœux de pauvreté, chasteté, obéissance.
A l’issue de la cérémonie, un acte authentique de la profes­
sion sera dressé, signé à tout le moins par le Néo-Prof ès et
celui qui a reçu ses vœux, et gardé dans les archives de la
Congrégation (Can. 576, § 2).

III. CARACTÈRES DISTINCTIFS


La Profession religieuse est marquée au coin d’un triple
caractère — ecclésial, paradoxal, dominateur — qui, dans le
cours d’une existence humaine, en fait un acte à part, unique
et souverain.
1. Caractère Ecclésial de la Profession religieuse et qui
lui est essentiel. En dehors de l’Eglise, pas de vie religieuse
possible. En son principe, par sa nature et dans son terme,
la Profession religieuse est tellement identifiée avec l’Eglise,
qu’en dehors d’elle, il est impossible de la concevoir et surtout
de la réaliser.
a) En son origine, éloignée ou immédiate, la Profession
relève de l’Autorité ecclésiastique, laquelle, par son enseigne­
ment et sa législation, a fixé ses conditions préalables d’exis­
tence et de légitimité. Pour entrer dans l’état religieux, il faut
de toute nécessité passer par la porte de l’Eglise.
b) De sa nature, élément intégral et public du culte catho­
lique, la Profession est le résultat d’une double action conju­
guée : celle du candidat qui se donne à Dieu, et celle de l’Eglise
qui le reçoit au nom de Dieu.
La liturgie lui a fait une place de choix dans son déploiement.
Jadis, la bénédiction et la consécration des Vierges étaient
considérées comme une des fonctions les plus hautes et les
plus sacrées, et pour cela réservées à l’Evêque (Voir le Ponti­
fical « De benedictione et consecratione Virginum »).
L’émission des vœux assimile plus intimement le Néo-
Profès aux états intérieurs et à la Religion du Sauveur. Et c’est
grâce à cette nouvelle incorporation au Christ mystique, premier
Religieux du Père, qu’il va désormais, avec Lui, par Lui et
en Lui, adorer et servir le Très-Haut « en esprit et en vérité »
(Joan., IV, 24).
c) En conséquence de sa Profession, le religieux entre de
plein droit et de plein pied dans sa Congrégation, en même
temps que, fixé dans un nouvel état de vie, il va, avec tous
les autres religieux du monde, constituer une classe de consa­
PROFESSION CANONIQUE 125
crés, chargés d’office, en communion avec l’Eglise, de glorifier
Dieu et de contribuer par l’apostolat à l’extension de son règne
et au salut de l’humanité.
En réalité, nous ne sommes jamais autant cTEglise, gens
d’Eglise et membres de l’Eglise que par la Profession religieuse,
laquelle nous associe plus intimement et définitivement à sa
vie, à ses fonctions et à sa sainteté.

2. Caractère paradoxal. La Profession religieuse marque


toute une vie des divins paradoxes de YEvangile et de ses éton­
nantes antinomies.
Profès, j’ai renoncé au créé et j’ai trouvé l’infini. Pauvre
hère volontaire, j’ai conquis un royaume, « quoniam ipsorum
est regnum coelorum » (Matth., V, 3).
J’ai dit adieu à l’amour humain et à l’espoir de fonder
un foyer, et voilà qu’un autre amour, infiniment supérieur,
a envahi mon être et ma vie, et m’a, par sa fécondité, créé
une famille immense d’âmes.
Renonçant à mon indépendance, j’ai retrouvé la liberté, la
seule vraie, celle des enfants de Dieu. L’oiseau a rompu les
mailles du filet et s’est envolé dans le grand ciel bleu. « Laqueus
contritus est, et nos liberati sumus » (Ps. CXXIII, 7).
Sevré volontairement des plaisirs et des folies du monde,
je me suis enivré à des sources d’eau vive. Les torrents ont
remplacé les citernes crevassées. L’état religieux n’est-il pas la
terre des béatitudes ? « Beati pauperes, beati mundo corde...
beati qui lugent ! » (Matth. V, 3, 8, 5).
Mort au siècle et à moi-même « Quotidie morior » (I Cor.,
XV, 31) ; crucifié avec le Christ (Gai., II, 19), j’ai vu une vie
nouvelle fleurir sur mon tombeau : gage de résurrection et
d’une glorieuse ascension.
En bref, j’ai tout quitté pour retrouver tout : « Da totum
pro toto ». Tas de fumier, que j’ai écarté du pied pour m’élancer
à la conquête du Christ : « Arbitror omnia ut stercora, ut
Christum lucrifaciam » (Philips, III, 8).

3. Caractère de primauté. La profession religieuse tient


sa primauté de son excellence et de son influence. Elle domine
et commande toute l’existence.
a) La Profession religieuse domine toute la vie, par sa
grandeur et sa noblesse.
1. Acte éminemment religieux, par l’universalité de son obla­
tion et la pérennité de son sacrifice.
126 LA PROFESSION

2. Type et idéal de la vraie liberté. La plus belle, la plus


haute, la plus spontanée et la plus immuable des « élections ».
J’ai choisi Dieu.
3. Geste héroïque qui comporte toute une vie de renon­
cement, de sacrifice, d’immolation quotidienne, et cela jusqu’à
la mort.
b) La Profession religieuse commande toute la vie. Elle
en est Y axe-moteur.
1. Tout le temps qui l’a précédée n’était, dans les vues
de Dieu, qu’une préparation ; quant aux années qui la sui­
vront, elles en découleront comme un fleuve de sa source.
2. Elle oriente la vie vers une fin supérieure, vers un idéal
de sainteté.
3. Elle indique la voie à suivre et les moyens à utiliser
pour arriver au terme.
4. Elle fixe l’âme dans cette voie montante, sans lui per­
mettre jamais de rebrousser chemin.
5. Elle inspire, commande et soutient toutes nos activités,
en fonction de Dieu et de sa gloire. La vie religieuse n’est
plus, dès lors, que le prolongement, l’épanouissement et la
fructification de notre oblation première; que le déploiement,
dans le temps et dans l’espace, de notre Profession. Vivre en
Religieux, ne serait-ce point tout simplement vivre sa Profes­
sion et garder intégralement tout ce qu’on a promis ?

IV. EFFETS DE LA PROFESSION

De la Profession religieuse, voici les principaux effets :


1. Entrée du Profès dans l’état religieux, qui est un état
de perfection.
2. Soumission à toute la législation religieuse et canonique.
3. Incorporation à l’Ordre qui a reçu les vœux, obéissance
aux Règles et aux Supérieurs.
4. Obligation de tendre à la perfection, spécialement par la
fidélité aux trois vœux.
5. Marque toute la personne et toute la vie du Néo-Profès
du cachet de la Religion.
6. Supprime par elle-même tous les vœux privés, incom­
patibles avec la vie religieuse, et donne aux Supérieurs le pou­
voir d’annuler les autres.
PROFESSION CANONIQUE 127
7. Remet la peine temporelle due à tous les péchés passés.
(S. Thomas, II, II, Quaest. 189, ar. 3, ad 3. — Item IV Sent.,
dist. 4, q. 3, art. 3.)

I. La première profession, quoique tempo­


raire, fixe-t-elle le Néo-Profès dans l’état
religieux ?
2. En quoi diffèrent les vœux religieux des
vœux privés ?
3. Quels sens donner à l’expression : « La
profession religieuse est un second bap­
tême » ?
4. La profession remet-elle toujours, par
elle-même, quasi « ex opere operato », toutes
les peines temporelles dues au péché ?
5. Quels rapports entre la profession et l’imi­
tation du Christ ?

Codex, Lib. II, ch. III, 572-586. — Enchiridion de Statibus Perfec­


tionis. Index « Professio », 648-649. — Gautrelet, Ile Partie, ch. v. —
Carpentier, Témoins de la Cité de Dieu, ch. iv, vi, xn. — Choupin,
Nature et Obligations de l’Etat religieux, IIe Partie, ch. III. — Ver-
meersch CreüSEN, Epitome Juris Canonici, t. I, Pars II, tit. XI, ch. III.
— Schaefer, De Religiosis, Pars VIII, cap. ni. — P. Colin, Culte
des Vœux, ch. IV. — Acta et Documenta Congressus Generalis de Statibus
Perfectionis, 1950, t. IV. Index « Professio », 388.
R. C. R. 1939, 126 ; 1947, 187 ; 1952, 200 ; 1959, 58. — Forma
Gregis, juillet 1949, « De la Profession religieuse », Périnelle, O. P.
QUINZIÈME LEÇON

AU SERVICE DE DIEU

De sa nature et dans sa fin, la Profession est tout à la fois


un acte théologal, ecclésial, social, universel et personnel. Elle
crée, pour le Néo-Profès, des rapports nouveaux et des obli­
gations spéciales à l’égard de Dieu, de l’Eglise, de l’institut
et des âmes.
Mais, de tous ces aspects divers, le plus fondamental est
sans doute son caractère théologal. C’est en fonction de Dieu
que doit tout d’abord s’envisager l’état religieux.
On entre en religion, non pas précisément et principalement
pour soi, en vue d’intérêts personnels, d’ailleurs fort légitimes,
mais avant tout pour Dieu. Selon l’expression courante, on
s’est engagé au service du Très-Haut.
Les vieux moines et les anciens théologiens, ayant peut-être
plus que de nos jours le « sens profond de Dieu et de sa Souve­
raineté » avaient mis en particulier relief ce côté théologal de
la vie religieuse.
Le mot « Religieux » implique essentiellement un rapport
de dépendance vis-à-vis de Dieu. Pour saint Benoît, le monas­
tère n’est qu’ « une école du service divin : Dominici schola
servitii » (Prol. Règle). « S’appellent religieux ceux-là qui se
vouent au service de Dieu : Dicuntur religiosi illi, qui se
totaliter mancipant divino servitio » (S. Thomas, II, II,
Quaest. 186, art. i, c.)
« Engagement au service de Dieu » : telle est la notion
première et fondamentale de l’état religieux, et donc de la
Profession.
I. PROFESSION-ENGAGEMENT
La Profession religieuse se présente sous un double aspect :
l’un plutôt négatif, l’autre positif. Elle est dégagement en même
temps cpTengagement ; détachement et aussi attachement.
AU SERVICE DE DIEU 129

i. Dégagement. Qui s’engage au service de Dieu doit


tout d’abord se dégager du monde, se libérer de ses servitudes,
de son esprit et de ses mœurs, de tout ce que condamne l’Evan­
gile et la vie du Christ. Séparation d’avec « une société plongée
dans le péché : mundus totus in maligno positus est » (I Joan.,
V, 19) 1 « maudite à cause de ses scandales : vae mundo a scan­
dalis » (Matth., XVIII, 7) et pour laquelle « le Sauveur refusa
de prier : non pro mundo rogo » (Joan., XVII, 9). « Nul, en
effet, ne peut servir deux maîtres à la fois » (Matth., VI, 24).
« Quiconque tend à la perfection évangélique doit nécessaire­
ment quitter le monde et s’en séparer de façon concrète, sui­
vant les modalités propres à la vocation reçue de Dieu, mais
de cœur totalement » (Pie XII, Allocution aux Supérieurs Géné­
raux, 11 février 1958).
Cette rupture décisive s’opère par la pratique des trois
conseils évangéliques.
Libération, par le vœu de pauvreté, de la passion des richesses
qui alourdissent, empêtrent l’âme, l’empêchent de penser à
Dieu et de monter jusqu’à Lui.
Renoncement, par le vœu de chasteté, aux plaisirs charnels
et aux amours voluptueux ; car, seuls les cœurs purs savent
aimer et servir Dieu en plénitude.
Répudiation, par le vœu d’obéissance, d’un orgueil qui
refuse de se soumettre et de ployer le genou devant le Très-
Haut. « Non serviam. »
Sans doute, le religieux continue-t-il à vivre dans le monde,
voire à son contact ; mais, il n’en fait plus partie. « Vos de
mundo non estis. » (Joan., XV, 19.) Sans se mêler à lui, s’y
enliser, s’y contaminer, sans en être tributaire, il pourra bien
y retourner, le pénétrer, comme le levain dans la pâte, pour
l’assainir, le soulever, le christianiser, mais, ce monde n’aura
plus prise sur son âme et sur sa vie. Définitivement libéré des
principaux obstacles à son élan vers Dieu, le voilà maintenant
pleinement disponible à l’appel du Très-Haut. Dégagé du créé,
il peut désormais s’engager au service du Maître.

2. Engagement. Cette libération du monde n’est toutefois


qu’une condition sine qua non, comme l’élément négatif de
la profession. L’essentiel est l’attachement à Dieu et la consécra­
tion au Christ. Un tel renoncement à certains biens matériels,
moraux et sociaux ne s’inspirait ni de l’ignorance, ni du mépris,
ni de la peur de vivre, mais n’était choisi et consommé qu’en
vue d’une liberté plus haute, d’un amour plus ardent et d’un
9
130 LA PROFESSION

apostolat plus fécond. On n’échappait à l’esclavage des passions


que pour s’enchaîner indissolublement à Dieu.
En vertu de sa création et de son baptême, le chrétien,
lui aussi, est engagé au service de Dieu. Qu’il le sache ou
l’ignore, qu’il le veuille ou non, il naît sujet de Dieu et servi­
teur du Christ. Ego... servus Christi (Rom., I, i).
La prétendue indépendance de l’homme est plus qu’une
erreur ; pour un croyant, elle est une hérésie et un crime de
haute trahison. « Pourquoi Dieu nous a-t-il créés et mis au
monde ? R. : Pour le connaître, l’aimer et le servir. » Servir
Dieu : résumé substantiel de toute la religion et programme,
obligatoire de toute moralité.
Mais, l’engagement du religieux a quelque chose de tout
à fait particulier et exceptionnel, parce que contracté person­
nellement, en pleine liberté, entre les mains de l’Eglise et
contresigné par Dieu.
Chaque citoyen, d’autorité, voire de force, est appelé sous
les drapeaux au service de son pays. Le Néo-Profès, lui aussi,
enrôlé au service du Dieu des armées, appartient désormais
à l’une de ces troupes de choc qui s’appellent les « Ordres
Religieux » ; soldat du Christ-Roi « Christo regi militaturus »
(Reg. de S. Benoît, Prologue), non point à titre de « requis
officiel », mais d’engagé volontaire, et pour toute sa vie ! Ce
qui donne à son geste son premier caractère de générosité
et de magnanimité : « Grandeur et servitude militaire ».
Confirmée et renforcée par un vœu, la Consécration au
Christ revêt par lâ-même une force, une fixité, une dignité
qui lui assurent la primauté sur toute promesse humaine, toute
parole donnée, tout contrat de justice.
« C’est un engagement sacré que celui de la Profession reli­
gieuse, parce que c’est un engagement de vœu. Or, le vœu,
dans sa substance, est quelque chose de surnaturel, et même
de droit divin... Je conclus que cet engagement dans la religion
est donc d’un ordre supérieur à tous les engagements du monde,
et par conséquent, qu’il ne peut être violé que par un crime
d’une espèce différente et au-dessus de tous les crimes » (Bour-
daloue, VIe Sermon sur l’Etat religieux, IIe Partie).

II. PROFESSION ET SERVICE DE DIEU

La Profession est un engagement au service de Dieu. Encore


faut-il saisir le sens et mesurer la portée de ces deux mots.
Dans la société religieuse, servir prend une extension et revêt
AU SERVICE DE DIEU I3I
une dignité qui ne se rencontrent point- — du moins au même
degré — chez le simple chrétien. « L’on entre en religion non
seulement pour aimer Dieu, mais pour le mieux aimer ; non
pour être sauvé, mais pour être mieux sauvé, non pour plaire
à Dieu, mais pour lui mieux plaire » (S. François de Sales,
Sermon sur la Vocation, t. IV, p. 1315), non pour le servir,
mais pour le mieux servir.
Le service de Dieu constitue le devoir dé état du religieux,
devoir aux multiples exigences et infinies délicatesses. En fait,
servir Dieu est son unique programme d’action et l’œuvre
essentielle de sa vie. En tout, partout et toujours, il est en
service commandé. Pour lui, vivre religieusement, c’est, nuit et
jour, se tenir aux ordres de Dieu.
En sa pleine acception, le service de Dieu est tout à la
fois glorification, adoration, témoignage, soumission, apostolat,
amour.

1. Glorification. La gloire de Dieu est la fin suprême


de tout l’ordre naturel et surnaturel, et donc, de l’état reli­
gieux. Tout le créé n’existe que pour la gloire de la Trinité,
« ad majorem Dei gloriam », « ut in omnibus honorificetur
Deus » (I Petr., IV, 11). Premier religieux de Dieu, le Christ
n’eut jamais d’autre but que de procurer la gloire de son Père.
« Non quaero gloriam meam... sed gloriam ejus qui misit me »
(Joan., VIII, 50 ; VII, 18).
De cette gloire, nul plus que le religieux ne doit avoir souci.
Par vocation spéciale, il est le grand pourvoyeur de la gloire
divine. En l’engageant dans un état de perfection, sa Profession,
dès le principe, se révélait déjà un acte incomparable de glori­
fication. Car rien ne magnifie Dieu autant que la sainteté.
N’est-elle pas, en effet, le triomphe éclatant de sa puissance,
de sa miséricorde, de sa bonté ? Qui fait Profession jette dans
son âme une semence de gloire, « semen gloriae », qui va, pen­
dant des années, monter, éclater, fructifier en moissons opu­
lentes de sainteté pour le religieux et de gloire pour le Très-
Haut. Inaugurant, commandant et contenant en puissance
toute une existence de pureté, de vertu, de charité, la Profes­
sion va faire de la vie religieuse un des rayonnements les plus
purs de la vie trinitaire, une des manifestations les plus belles
du Christ ; service permanent de gloire. A sa mort, le religieux
pourra faire siennes les paroles du Sauveur, la veille de sa
Passion : « Père, je vous ai glorifié sur terre : Pater, ego te clari-
ficavi super terram » (Joan. XVII, 4).
132 LA PROFESSION

2. Adoration. Par sa Profession, qui est déjà par elle-même


un acte éminent du culte divin, le religieux s’inscrit au nombre
des grands adorateurs de Dieu. Adorer, louer, bénir, remercier,
expier, implorer en son nom et au nom de l’humanité : toutes
ces formes de la prière sont autant de manifestations de la
vertu de religion, dont l’âme consacrée doit apparaître comme
l’incarnation. De là, l’importance, spécialement pour les Ordres
contemplatifs, de 1’ « Opus Dei », l’office divin, partie inté­
grante, sinon essentielle, du service de Dieu.
3. Témoignage. Dans l’Eglise, aux yeux des fidèles et des
incroyants, le religieux est un des plus illustres témoins de
Dieu et du Christ. Sa profession rend un témoignage public
au Très-Haut, à son existence et à ses perfections infinies.
L’état religieux est une dés réalisations les plus belles de
l’Evangile.
Par ses vœux, vécus en plénitude, le religieux ne cesse
de rappeler à un monde athée, matérialiste, jouisseur, orgueilleux,
qu’il y a un Dieu, le seul Etre qui compte vraiment et pour
lequel il faut savoir tout sacrifier.
Qu’est-ce que la pauvreté ? La proclamation de la plénitude
de Dieu et du néant des richesses. Et la chasteté? La glori­
fication de la Pureté infinie et de la virginité de l’amour. Et
Yobéissance? Un hommage rendu à la Souveraineté divine et
la réhabilitation de la petitesse et de l’humilité.
Prédication muette et vivante qui, elle aussi, relève du
service de Dieu.
4. Soumission. Servir implique l’idée de serviteur. Servi­
teur de Dieu : titre des plus honorifiques et des plus glorieux.
' Serviteur, à l’exemple du Christ venu sur terre pour se mettre
au service de son Père et de l’humanité.
Que demande-t-on, qu’exige-t-on d’un serviteur, sinon qu’il
obéisse ? Se soumettre aux ordres du Maître : c’est là sa
fonction et son unique devoir.
Le religieux — serviteur de Dieu — aura donc le culte
de sa Volonté. Le jour de sa Profession, il a pu dire avec Jésus
entrant dans le monde : « In capite libri scriptum est de me
ut facerem Deus voluntatem tuam » (Ps. 39, 8 ; Hebr., X, 7).
A la première page de ma vie religieuse, il est écrit, Seigneur,
que je ferai votre volonté.
Conformité active et passive à tous les bons vouloirs et
bons plaisirs du Très-Haut : commandements de Dieu et de
l’Eglise, Règles et Constitutions, ordres des Supérieurs, dispo­
sitions de la Providence, inspirations de la grâce.
AU SERVICE DE DIEU 133
5. Apostolat. Le service de Dieu appelle le service d’autrui,
spécialement sous forme d'apostolat. Si l’amour de Dieu ne
va pas sans l’amour de nos frères, le service de Dieu, lui aussi,
ne peut se concevoir en dehors du service du prochain. Ces
deux services, en réalité, n’en forment qu’un. « Tout ce que
vous faites au plus petit des miens, disait Jésus, c’est à moi
que vous le faites » (Matth., XXV, 40). L’apostolat, avec ses
mille variétés et ses œuvres innombrables, fait partie inté­
grante du service de Dieu. Pour un religieux, il est la consé­
quence logique de sa Profession, comme il est pour le chrétien
le corollaire obligatoire de son baptême. Profès, j’entre au
service du Christ et de l’humanité.

6. Service d’amour, enfin. Dans son principe, en elle-


même et dans son terme, la vie religieuse n’est que l’expression,
l’œuvre, le couronnement du plus grand amour. Ce dont Dieu
a le plus besoin, ce qu’il exige le plus des âmes consacrées,
c’est une belle vie d’amour. « C’est de tout son cœur qu’il faut
servir Dieu » (I Rois, XII, 20, 24).
Cet engagement au service de Dieu ne trouverait-il pas son
expression plénière dans la dévotion, cette « ferveur de la volonté
qui tend la personnalité tout entière vers le culte et vers le
service de Dieu ? La stimulante influence de la dévotion agit
immédiatement sur les actes qui relèvent proprement de ce
culte et de ce service, mais elle n’en ordonne pas moins d’une
manière indirecte tous les actes qui inclinent le chrétien à se
comporter vertueusement par respect pour la Majesté divine.
Dès lors, son emprise peut être universelle. Elle l’est effec­
tivement sur tous les actes bons du religieux, en raison de sa
consécration sanctionnée par le vœu qui rapporte toute sa person­
nalité à l’honneur de Dieu » (P. Gaillard, S. J., Rapport au Congrès
des Religieux à Rome. Acta et Documenta, t. I, p. 189). Voir
aussi P. Grou, « Caractères de la vraie dévotion », 5e éd., ar. II,
PP- 6, 7.

1. Chez le chrétien et le religieux, le service


de Dieu est-il de même nature ? En quoi
diffèrent-ils ?
2. Quelle différence entre les promesses du
baptême et l’engagement de la profession ?
134 LA PROFESSION

3. L’Apostolat est-il un élément essentiel de l’état


religieux ou sa fin secondaire, ou un corollaire
de la profession ?
4. Un engagement temporaire peut-il consti­
tuer un état de vie qui, de sa nature, est
permanent ?

Pie XII, Sacra Virginitas, 25 mars 1954. — Gay, Vie et Vertus


chrétiennes, t. I, II, « De l’Etat religieux ». IIe Partie. — Carpentier,
Témoins de la Cité de Dieu, passim. — P. Colin, Culte des Vœux,
ch. I. — Ephemerides Theologicae Lovanienses. Bergh, 1937, « Eléments
et Nature de la Profession religieuse ». — Commentaire de la Règle
de S. Benoît, par l’Abbé de Solesmes, « Prologue ».
R. C. R. 1953, Ï73- — Forma Gregis, janvier 1950, « La Vie Reli­
gieuse », P. Chevignard, O. P. — Christus, Cahiers Spirituels, 2, « Ser­
vice et amour de Dieu », André Lefèvre.
SEIZIÈME LEÇON

HOLOCAUSTE SPIRITUEL

« La Profession religieuse est l’acte public le plus complet


du sacerdoce des fidèles » (Direct, des Prêtres chargés des
religieuses. Editions du Cerf, ch. IV, p. 99). Elle est la messe
mystique des âmes consacrées. Aspect théologal et victimal, que
toute la tradition a mis en particulier relief.
Dans sa personne et par sa vie, le religieux est une des
expresssions les plus authentiques et les plus hautes de la
religion. Vertu qui compte parmi ses actes principaux la dévo­
tion, la prière et surtout le sacrifice.
Centre du catholicisme, le sacrifice l’est aussi de l’état
religieux. L’Eglise a toujours regardé les vœux religieux, la
Profession, comme Vimitation publique la plus parfaite de l’immo­
lation du Christ sur l’autel et de son état eucharistique. Inspirée
par l’amour, la vie religieuse se révèle une puissance de répa­
ration, d’expiation et d’apostolat. Aux yeux de Dieu, la pra­
tique de la chasteté, de l’obéissance et de la pauvreté fait contre­
poids à la passion effrénée du sensualisme, de l’orgueil et de
l’argent.
Engagement au service de Dieu, la Profession est de plus
une espèce ^holocauste spirituel, « Religiosi dicuntur illi qui
se totaliter mancipant divino servitio, quasi holocaustum Deo
offerentes » (S. Th., II, II, Quaest. CLXXXVI, ar. I, c.).
Sacrifice mystique le plus saint, le plus fécond après la Messe
et le martyre.
« L’homme voué et consacré à Dieu, en tant qu’il meurt
au monde et vit pour Dieu, est un sacrifice ». « Ipse homo
Dei nomine consecratus et Deo votus, in quantum mundo
moritur ut Deo vivat, sacrificium est. » (S. Augustin, De
Civit. Dei, Lib. X, ch. 6.) « Votre Profession est un sacri­
136 LA PROFESSION

fice, et les vœux que vous prononcez sont un glaive spi­


rituel qui vous immole au Sauveur des âmes... Enfin, consi­
dérez, par une réflexion sérieuse, que l’action que vous allez
faire est un sacrifice et que ce serait un sacrilège exécrable
si vous réserviez quelque chose de ce qui entre, par une obla­
tion solennelle, en la possession du Très-Haut » (Bossuet,
Sermon pour une Profession. I Point. Migne, t. XXV, col. 567,
562).
« Le Prophète royal, plus directement encore inspiré du
ciel, nous donne de cette Profession des vœux une idée plus
naturelle et plus propre, lorsqu’il nous la représente comme
un sacrifice. Offrez au Seigneur votre Dieu (ce sont ses paroles),
offrez-lui un sacrifice de louange et présentez vos vœux au
Très-Haut » (Bourdaloue, de l’Etat religieux, vœux de religion
ou sacrifice religieux).
En nombre d’instituts, la cérémonie de Profession a lieu
durant le cours de la Messe, afin de mieux souligner les ana­
logies et les rapports qui existent entre ces deux sacrifices. Le
Cérémonial des Ordres anciens prescrit même de déposer sur
l’autel la cédule de Profession.
Le Néo-Profès fait donc de son être tout entier un autel
sur lequel, Prêtre et Victime, « Sacerdos et Hostia », il va, en
imitation du Christ et en union avec Lui — cum Ipso, per
Ipsum et in Ipso — s’immoler lui-même à la gloire de Dieu
et au salut de l’humanité. « La Virginité est l’holocauste du
Christ, et j’ajoute une chose peut-être peu connue : c’est la
•virginité qui s’offre elle-même » (S. Jérôme, sup. Ps. XCV.
P. L., t. XXVI, col. 1113-1114).
La Profession religieuse comporte réellement — non point
identiques, mais similaires — tous les éléments du sacrifice
de la Messe : oblation, consécration, immolation, consommation.

I. OBLATION

Le premier geste du prêtre à l’autel est l’oblation de l’hostie


et du vin qui, tout à l’heure, deviendront la chair et le sang
du Christ : « Suscipe, Domine, hanc hostiam immaculatam...
Offerimus tibi, Domine, calicem... » La Profession est tout
d’abord l’offrande de tout soi-même à Dieu, « le don plénier
et la consécration au Christ » (Pie XII, Const. Provida Mater,
2 février 1947). Cette oblation a déjà valeur de sacrifice : elle
en est l’introït, le prélude. « Si quelqu’un voue à Dieu tout
HOLOCAUSTE SPIRITUEL 137
ce qu’il a, tout ce qui fait sa vie, tout ce qu’il aime, c’est un
holocauste » (S. Grégoire, Super Ezech., hom. 20).
Don de tout ce qu’on est et de tout ce qu’on a, la Profession
constitue un véritable holocauste : « Religionis status est
quoddam holocaustum per quod aliquis totaliter se et sua
offert Deo » (S. Th., II, II, qu. CLXXXVI, ar. 7, c.). La
profession est l’acte initial générateur de l’état religieux, lequel
« avant tout et dans son fond, est un état de consécration, de
donation de soi-même » (Gay, De la Vie et des Vertus Chré­
tiennes. De l’état religieux, II, p. 89). Vouées à Dieu, nous
ne sommes plus à nous, mais à Lui : « Non estis vestri. »
(I Cor., VI, 19).
Le soir de sa Profession, rentrée dans sa cellule, Marguerite-
Marie s’ouvrait une veine et écrivait de son sang : « Sœur Mar­
guerite-Marie, morte au monde. Tout de Dieu et rien de moi ;
tout à Dieu et rien à moi ; tout pour Dieu et rien pour moi »
(Gauthey, Vie et Oeuvres de sainte Marguerite-Marie Ala-
coque, t. I, p. 93).

1. Oblation totale de tout l’être, corps et âme, sens et facul­


tés, de toutes leurs activités, de toute la vie. Selon le mot d’un
disciple de l’Ecole Française, l’âme consacrée n’est plus « qu’un
cœur pour aimer Dieu, une intelligence pour le comprendre,
une volonté pour le servir, un œil pour le regarder, une main
pour le saisir, une bouche pour l’adorer, chanter ses grandeurs
et ses miséricordes ». Oblation sans l’ombre d’une réserve et
qui met le religieux dans un état de « désappropriation »
universelle.

2. Oblation absolue, sans condition, sans restriction, sans


« mais », sans « si », sans « pourvu que ». S’est-on donné libre­
ment et totalement à Dieu, son domaine sur l’âme n’a plus
de bornes et son autorité plus de limites. Tout, jusqu’à la
dernière fibre de l’être, jusqu’au moindre tressaillement de vie,
est exclusivement à Lui et pour Lui.

3. Oblation irrévocable, à fonds perdu, sans droit de


reprise ou de rappel. Reprendre ce qu’on a donné n’est plus
qu’un vol et, quand il s’agit d’un don fait à Dieu, un vol
sacrilège. Se livrer, avec l’arrière-pensée de se ressaisir plus
tard, ce n’est plus se donner, c’est se prêter, se louer, c’est
s’offrir « à l’essai ».
Encore que la première Profession ne soit, au point de vue
138 LA PROFESSION

juridique, que temporaire, dans l’intention de celui qui l’émet,


elle doit être faite sans esprit de retour.
Ainsi la Profession religieuse participe-t-elle, d’une certaine
façon, à l’éternité de la consécration sacerdotale. Prêtre et
religieux : pour toujours.

II. CONSÉCRATION

Le prêtre à l’autel prend dans ses mains, pour les offrir à


Dieu, le pain et le vin, puis, il les bénit « benedixit » et les
consacre : « Hoc est corpus meum... Hic est calix sanguinis
mei. » Et le miracle s’accomplit : il n’a plus devant lui, voilée
sous de frêles apparences, que la personne même du Christ.
Quelque chose de semblable se passe à la Profession du
religieux. Son oblation, faite en union avec le Sauveur et par
l’intermédiaire de l’Eglise, Dieu l’agrée en odeur de suavité,
« in odorem suavitatis », il l’accepte, la bénit, et cette béné­
diction est une consécration : « De benedictione et consecra­
tione virginum » (Pontifical).
Sans être sacramentelle, la formule des vœux n’en est pas
moins une parole consécratoire et sacrificatoire. Grâce à l’inter­
vention divine, elle fait tout à la fois — mystiquement, mais
réellement — un prêtre et une hostie.
1. Nature de cette consécration. Si la Profession n’im­
prime point dans l’âme, ainsi que l’ordination sacerdotale, un
caractère indélébile, elle ne marque pas moins le religieux
d’une empreinte divine. D’homme et de chrétien qu’il était, le
Néo-Profès devient un religieux, c’est-à-dire, un être nouveau,
sacré — parce que fixé dans un état éminent de perfection —
revêtu d’une dignité nouvelle, presque royale, nanti dans
l’Eglise de privilèges exceptionnels et de fonctions cultuelles.
Sans être l’égal du prêtre, le voilà comme lui, dans la commu­
nauté chrétienne, député publiquement et officiellement au
culte divin, serviteur de Dieu et son ambassadeur dans le
monde. Le Très-Haut l’a choisi, marqué, retiré du monde,
séparé de la masse ; il se l’est réservé et, comme un temple,
un autel, un ciboire, il l’a consacré à son service.
Oblation-consécration : tel serait donc le sens premier de
la profession. Tout religieux est essentiellement un être donné
à Dieu et consacré par Dieu. « Quelle que soit d’ailleurs la forme
de sa vie religieuse et l’esprit de sa Règle et la fin propre de
son Institut, ce qui prime tout en lui, ce qui fonde et vivifie
HOLOCAUSTE SPIRITUEL 139
tout, c’est qu’il est religieux, c’est-à-dire, consacré à Dieu par
un acte authentique » (Mgr Gay, 1. c., De l’Etat religieux, p. 90).

2. Caractères de la consécration religieuse. Oblation


consécration sont marquées au coin des mêmes caractères
à’universalité et de pérennité.
a) Universalité. En l’oblation de soi-même tout a été donné,
donc, tout sera consacré : corps et âme, sens et facultés ; et non
seulement toute la personne dans ses éléments constitutifs,
mais encore dans toutes ses innombrables activités. La vie
religieuse devient ainsi, dans toutes ses manifestations et détails,
une œuvre de religion, un épanouissement du culte catholique
rendu à Dieu, dans le cadre de sa volonté et pour sa plus grande
gloire. Un religieux agit toujours en religieux, c’est-à-dire, en
consacré.
b) Pérennité. Tout a été donné et pour toujours ; donc,
tout restera consacré à jamais. Chaque jour, à toute heure
— même la nuit, durant son sommeil — le religieux reste
un être « saint ». Sa consécration ne pourrait cesser qu’avec
son oblation. Ces deux actes, ces deux états d’âme, dans la
pensée de Dieu et le vouloir du religieux, sont unis indisso­
lublement.

3. Conséquences de la Consécration, au point de vue


moral. Deux sont particulièrement à souligner et à rappeler.
a) La première : obligation de vivre saintement, en confor­
mité avec son état de sainteté, et d’honorer par toutes ses
œuvres son titre de consacré.
b) La seconde, simple corollaire de la première : souci
constant de se garder de toute souillure morale de corps,
d’esprit, de cœur, de conscience ; de se prémunir contre tout
ce qui pourrait contaminer et avilir sa vie : péché, égoïsme,
esprit et mœurs du monde.
Cette idée de consécration, si belle et si féconde, ne se
serait-elle point estompée dans l’esprit des jeunes générations,
pour qui l’état religieux serait d’abord un engagement au
service des hommes, une force d’apostolat et un instrument
de conquête, alors qu’il est en premier lieu et essentielle­
ment une oblation et une consécration de son être et de sa vie
au Très-Haut. Etre à Dieu, avant de se donner aux âmes.
Ces deux points de vue — théocentrique et anthropocen­
trique — loin d’être contradictoires, sont complémentaires. Ils
140 LA PROFESSION

s’appellent, se complètent et se renforcent. Encore faut-il res­


pecter leur hiérarchie. S’il importe d’avoir le sens aigu de Vhuma­
nité, de ses besoins et de ses misères, il est plus nécessaire
encore d’avoir le sens profond de Dieu, de sa sainteté, de sa
Souveraineté.

III. IMMOLATION

Oblation, consécration, il ne manque plus à la Profession,


pour devenir un holocauste, que d’être une immolation. A
l’autel, le prêtre offre, consacre, immole ; car, qu’est-ce que
la Messe, sinon la reproduction, identique dans sa substance,
du sacrifice même du Calvaire ? « Recolitur memoria passionis
ejus ». Même Victime, même Prêtre.
Ainsi du religieux qui s’offre, mais en hostie, et qui n’est con­
sacré que pour être ensuite immolé. La triple fin de l’état reli­
gieux : glorification divine, sanctification personnelle, fécondité
apostolique, n’est pleinement atteinte que par le sacrifice, abou­
tissement et couronnement de l’oblation et de la consécration.
Par son caractère victimal, la Profession prend l’apparence
d’une mort et revêt la forme d’un martyre. Ainsi que le baptême,
elle ensevelit le religieux avec le Christ, mais pour renaître
ensuite avec Lui à une vie nouvelle, supérieure et divine.
« Mortui estis, et vita vestra est abscondita cum Christo in
Deo » (Coloss., III, 3).
Ce mystère d’incorporation religieuse au Sauveur sur la
Croix trouve son explication et sa justification tout d’abord
dans la désappropriation de soi-même entre les mains de Dieu,
et ensuite dans l’émission des trois vœux de pauvreté, chasteté,
obéissance.

1. Désappropriation et Immolation. Par sa Profession,


le religieux met sa personne et sa vie dans un état plénier et
irrévocable vis-à-vis de Dieu à’appartenance et de dépendance.
Sans doute, le Néo-Profès garde intégralement sa nature
et sa personnalité humaine ; mais il l’assujettit, l’asservit
tellement au domaine de Dieu et à l’emprise de sa grâce que
ce renoncement foncier et universel ressemble étrangement à
une mort à soi-même. « Perfecta enim vita est mortis imitatio »
(S. Grégoire-le-Crand, P. L., t. LXXV, col. 1032).
Dès lors, le religieux n’est plus à lui, il est à Dieu ; il ne
s’appartient plus, il appartient à Dieu ; il n’agit plus de lui-
même, il « est agi » par Dieu ; il ne vit plus pour lui, mais pour
HOLOCAUSTE SPIRITUEL Ml

Dieu. Le Très-Haut a saisi tout son être et envahi toute sa


vie. Par son oblation et sa consécration, incorporé plus inti­
mement au Christ mystique, transformé par Lui et perdu en
Lui, vivant de sa vie, il peut dire comme saint Paul : « Je vis,
non plus moi, mais c’est le Christ qui vit en moi » (Gai., II, 20).
Et le voilà, comme la goutte d’eau dans le torrent, entraîné
vers le Père, par le Sauveur, dans un même courant d’ado­
ration, de soumission, de prière, de louanges, d’amour, bref,
de religion. « Cum quis omne quod habet, omne quod vivit,
omne quod sapit, omnipotenti Deo voverit, holocaustum est »
(S. Th., II, II, qu. 186, ar. 6, c., ex Gregorio super Ezech.,
hom. 20).

2. Les trois vœux achèvent de donner à la vie religieuse


sa physionomie douloureuse et son aspect de mort. Sur les
Professes, prostrées sur le pavé, on étendait jadis le voile mor­
tuaire. La Profession est la condamnation à mort de l’égoïsme,
des trois grandes passions humaines, dont l’exécution progres­
sive ne s’achèvera qu’à la mort. Le vieil homme a été crucifié :
« Vetus homo noster simul crucifixus est » (Rom., VI, 6). Les
trois vœux l’ont cloué à la croix.
La Profession est la réponse de l’âme consacrée à l’invi­
tation du Sauveur : « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il
se renonce, qu’il prenne sa croix et me suive » (Matth., XVI, 24;
Luc, IX, 23). Librement, amoureusement, à l’exemple du
Maître, elle a pris la croix en partage : « Proposito gaudio,
sustinuit crucem » (Hebr., XII, 2) ; elle s’y est étendue pour
ne plus en descendre qu’au départ de ce monde. Maintenant,
avec saint Paul, elle peut dire : « Cum Christo confixus sum
cruci » (Gai., II, 19). « Quotidie morior » (I Cor., XV, 31).
Une vie religieuse en marge du sacrifice est non seulement
un non-sens, elle est un contresens et un scandale.
La pratique de la pauvreté, de la chasteté, de l’obéissance
implique nécessairement l’exercice du dépouillement, du renon­
cement, de la souffrance, en un mot, de ^immolation de soi-
même.
a) Pauvreté: renoncement volontaire et efficace à la cupi­
dité, à la passion de la richesse et aux plaisirs innombrables
dont elle est la grande pourvoyeuse. Arrachement douloureux
à tout le créé pour s’implanter dans l’incréé et l’éternel.
b) Sevrage virginal d’un cœur assoiffé d’affections humaines
et qui ne connaîtra plus qu’un seul amour. Adieu définitif à la
paternité et à la maternité, aux joies exultantes qu’elle apporte
142 LA PROFESSION

et à l’intimité si douce d’un foyer familial. Solitude pesant


parfois jusqu’à l’écrasement.
c) Mais, de tous les sacrifices, le plus dur, le plus mortifiant,
ne serait-ce point encore le vœu d’obéissance? Pour être un
acte magnifique de liberté et de libération, il n’en reste pas
moins, par les mille renoncements qu’il impose à notre indé­
pendance, un geste héroïque d’abnégation, et d’esclavage au
Christ, « ego vinctus Christi Jesu » (Eph., III, 1 ; Philem. 9).

3. Messe du Religieux. Sa Profession l’a mis dans un


état d’oblation, de consécration, d’immolation, c’est-à-dire, de
victime. Victime, il le restera jusqu’à la mort, et non seule­
ment par état, mais dans un acte permanent. Le Christ, la
Messe terminée, reste toujours immolé. Etre hostie, c’est son
état et c’est sa vie eucharistique. Et ce sera aussi la vie des
âmes consacrées. Le religieux continuera activement à offrir,
son sacrifice, tout au long de son existence. Toute sa vie ne
sera, en réalité, qu’une messe mystique, renouvelée cent fois
le jour, comme celle du Christ sur l’autel.
Engagé à la suite de Jésus sur la voie royale de la Croix,
le religieux ne sera jamais étonné, moins encore découragé
ou irrité de la rencontrer sur son chemin ; sachant qu’il n’est
jamais autant dans le sens de sa vocation que lorsqu’il peut
offrir un sacrifice, quel qu’il soit et d’où qu’il vienne. « J’ai
trouvé la vie religieuse telle que je me l’étais figurée, aucun
sacrifice ne m’étonna » (S. Thér., Histoire d’une âme, ch. VII).

IV. CONSOMMATION
Offerte, consacrée, immolée, la victime doit être finalement
consommée, détruite et comme anéantie. Dans la Profession-
Sacrifice, elle le sera d’une double façon, par la charité et dans
la mort.

1. Consommation dans la charité. La charité tient une


place prépondérante dans le sacrifice du Sauveur. Le mystère
de sa Passion et de sa mort ne s’explique — on dirait presque
ne se justifie — que par l’immensité de sa charité. C’est son
amour pour le Père et pour l’humanité qui lui a inspiré son
sacrifice, qui l’a accompli, consommé et fécondé. Dilexit... et
tradidit » (Gai., II, 20). Il a aimé, et c’est pour cela qu’il s’est
livré. « Amor sacerdos immolat » (Hymne des Vêpres, Temps
Pascal). « Afin que le monde sache que j’aime mon Père, allons »
HOLOCAUSTE SPIRITUEL 143
(Joan., XIV, 31). « Comme il avait aimé les siens, il les aima
jusqu’à l’extrême de l’amour » (Joan., XIII, 1 ; Bib. de Jérus),
jusqu’au Calvaire. La charité seule a donné au sacrifice du
Sauveur toute sa Puissance glorificatrice et toute sa Valeur
rédemptrice.
L’holocauste, jadis, était tout entier consumé par le feu.
Dans la Profession-Holocauste, l’amour tient lieu de feu. C’est
uniquement parce qu’elle aimait que l’âme religieuse s’est
donnée, vouée, consacrée et immolée. Dans cette flamme
ardente, son sacrifice a trouvé son inspiration, sa grandeur et
sa consommation. Née de la charité, la Profession est une œuvre
incomparable de charité, qui doit aboutir à la plénitude de la
charité. « Dilexit et tradidit. » Elle est la perfection de l’amour
dans la perfection du sacrifice.

2. Consommation dans la mort. Inauguré le jour de


sa Profession, continué durant tout le cours de son existence,
le sacrifice du religieux s'achèvera et se consommera à sa mort.
Moment solennel où, renouvelant ses vœux, l’âme va, une
dernière fois, dans un acte suprême d’adoration, de soumission
et d’amour, se livrer, s’abandonner entre les mains de Dieu
et, en union avec le Christ en .croix, accepter la mort à la gloire
du Père et pour le salut du monde. « Pater^ in manus tuas
commendo spiritum meum » (Luc, XXIII, 46).
Quelques minutes avant d’expirer, une sainte religieuse
murmurait : « Ma messe s’achève... j’en suis à l’« Ite, missa
est ».
C’est fait, « consummatum est », et Yholocauste ira se consom­
mer dans l'éternelle communion à la Trinité.

I. Quelles sont les analogies entre le Sacrifice


de la Messe et la Profession-Holocauste ?
2. Les effets de la Sainte Messe et de la Pro­
fession religieuse sont-ils similaires ?
3. Quelle est la différence entre la Consé­
cration du Prêtre et celle du Religieux ?
4. La Profession, de sa nature, est-elle un
acte héroïque de Religion ?
144 LA PROFESSION

5. La profession peut-elle surpasser en gran­


deur et en mérite le martyre ?
6. Quels sont les rapports entre le baptême
et la profession, et peut-on dire que celle-ci
est un nouveau baptême ?
7. La pratique de renouveler ses vœux pen­
dant la Sainte Messe est-elle recomman­
dable ?

Pie XII, Const. Apost. Provida Mater, 2 février 1947 ; Sacra Virgi­
nitas, 25 mars 1954 ; Allocution à la Congrégation générale de la
Compagnie de Jésus, 17 sept. 1957.
S. François de Sales, Les Vrays Entretiens Spirituels, XX. —
Giraud, De l’Esprit et de la Vie de sacrifice dans l’Etat religieux. —
Saint-Juré, L’Homme religieux, liv. I, ch. IV. — Bourdaloue, De
l’Etat religieux. — Lallemant, La Doctrine Spirituelle, II « Prin­
cipe », ch. 1, art. 2. — Gay, De la Vie et des Vertus Chrétiennes, t. I,
« L’Etat Religieux ». — Cormier, L’Instruction des Novices, Ire Partie,
ch. 1, art. 4. — P. Colin, Culte des Vœux, ch. 1. — Carpentier, Témoins
de la Cité de Dieu, ch. IV, VI.
R. C. R. 1957, 201. — Forma Gregis, mai 1952, « La Vocation
religieuse dans le plan de la Rédemption », P. Motte.
DIX-SEPTIÈME LEÇON

MARIAGE MYSTIQUE

Dieu, dans la Sainte Ecriture, se compare souvent à un


époux. Que de fois n’a-t-il pas reproché à son peuple choisi
et infidèle ses abandons, ses trahisons, ses adultères ! Les
rapports de Yahvé et d’Israël sont ceux de deux époux.
Ce nom d’époux, qui convient à la Trinité entière, s’applique
tout particulièrement au Verbe incarné.
La tradition a vu dans le Cantique des Cantiques l’expres­
sion allégorique des relations du Christ avec l’Eglise, ou encore,
de l’union des âmes individuelles avec le Dieu Sauveur.
Dans la parabole des dix vierges, Jésus est comparé à
l’Epoux. St Jean Baptiste y fait allusion (Joan., III, 29), et
Notre-Seigneur lui-même s’approprie personnellement ce titre
d’époux. Aux disciples du Précurseur qui s’étonnent de voir
les apôtres s’abstenir du jeûne, il rappelle « que les compa­
gnons de l’Epoux ne peuvent mener le deuil tant que l’Epoux
est avec eux » (Matth., IX, 15).
Le « Sacramentum magnum » de saint Paul (II Cor., XI, 2 ;
Eph., V, 25-32) vise le mystère des noces, mais il se réfère
d’abord à l’Eglise, l’Epouse glorieuse et immaculée. Les noces
humaines ne sont que la figure d’une réalité plus haute : les
épousailles de l’âme avec le Sauveur.
Noces spirituelles qui ne se contractent pleinement que dans
l’état religieux et éminemment au sommet de la contemplation
passive.

I. ÉPOUSE DU CHRIST

« Epouses du Christ » : l’expression appliquée aux âmes


consacrées se rencontre pour la première fois sous la plume
de Tertullien. Depuis, elle est devenue classique en littérature
10
146 LA PROFESSION

ascétique et mystique. La Profession religieuse est vraiment un


mariage spirituel avec le Sauveur. Quel est le Cérémonial des
Ordres de femmes qui ne parle explicitement, ou du moins
par allusion, des noces de la jeune Professe avec le Christ ?
« Veni sponsa Christi ! » Engagée au service de Dieu, offerte
en holocauste, la religieuse se livre encore en épouse à Jésus-
Christ.

i. Enseignement traditionnel. A travers les siècles —


au IVe et au Ve, on compte une douzaine d’ouvrages ou de
traités sur la Virginité — Pères et Docteurs ont magnifié à
l’envi cette prérogative royale et unique attachée à l’état
religieux.
« Sois fière, ô chasteté ; lé Christ est ton époux !» (S. Gré­
goire de Nazianze, P. G., XXXVII, col. 576).
Saint Fulgence appelle Jésus-Christ l’Epoux unique de
toutes les vierges consacrées (Epist. III, cap. IV, n° 6. P. L.,
t. LXV, col. 326).
« Autre prérogative de l’âme qui a voué à Jésus-Christ sa
virginité : elle devient l’épouse de Jésus-Christ (S. Alphonse,
La Vraie Epouse de Jésus-Christ, ch. I).
« Jamais rêve d’âme blessée par l’amour ne lui a fait conce­
voir entre elle et Jésus-Christ une union plus divine que celle
qui suit la sainte Profession religieuse ; car, cette union n’est
rien de moins qu’un mariage avec lui » (Mgr Gay, De la vie
et des vertus chrétiennes. — De l’état religieux, p. 109).
« Je vous unis à Jésus-Christ, qu’il vous garde sans tache.
Recevez donc, comme étant son épouse, l’anneau de la
fidélité ; si vous le servez fidèlement, vous serez couronnée
pour l’éternité » (Pontifical : De benedictione et consecratione
virginum).
« Sponsa Christi » : titre de la Constitution apostolique
de Pie XII, 21 novembre 1950.

2. Nature du Mariage spirituel. De par leur baptême,


par la grâce sanctifiante — participation à la filiation du Verbe
— en vertu de la foi et de la charité qui les incorpore au Christ
mystique, toutes les âmes chrétiennes sont déjà ses épouses.
« L’épouse, c’est nous ; tous ensemble, nous sommes une seule
épouse, et chaque âme en particulier est épouse » (S. Bernard,
Dom. I post Oct. Epiph., Serm. 2e, n° 2. P. L., t. CLXXXIII,
col. 158).
MARIAGE MYSTIQUE 147

Mais, Epouses du Christ, les religieuses le sont à un titre


tout spécial et qui ne convient qu’à elles. « Omnes animae
sponsae sunt Christi, specialius tamen virgines » (S. Ant. de
Padoue, De Virginibus, serm. 2).
Sans être un sacrement, la Profession religieuse renferme,
sur un plan supérieur, tous les éléments constitutifs et caracté­
ristiques du mariage chrétien. Elle n’est pas seulement une
bénédiction, mais une consécration nuptiale.
Elle est tout d’abord et essentiellement un contrat de mariage,
sacré lui aussi et indissoluble, passé, devant l’Eglise, entre le
Christ et l’âme. Contrat qui tire son origine d’un amour de choix.
Mariage d’amour, où l’intérêt, la passion, l’égoïsme n’ont
rien à voir. Il est le résultat d’un choix, fait en toute liberté,
en plein élan de cœur et qui ne s’inspirait que d’un mutuel
amour de prédilection.
Le Christ a discerné sa future épouse ; il l’a choisie entre
mille, et c’est par amour qu’il l’a appelée à son alliance divine.
De son côté, sollicitée peut-être par d’autres prétendants
humains, l’élue du Seigneur a fait son choix et, à la proposition
du Sauveur, donné son consentement. Réponse d’amour à un
appel d’amour. De ce contrat découleront ensuite des droits
et des devoirs réciproques.

3. Clauses du contrat matrimonial. Elles sont au


nombre de trois : don, union, identification.
a) Le Don. Mariage d’amour, la Profession requiert tout
d’abord le don réciproque de l’âme et du Christ. En s’épousant,
ils se livraient l’un à l’autre.
Offerte déjà au Très-Haut en servante et en holocauste, la
Professe s’abandonne maintenant en épouse dans les bras de
l’époux. Oblation plus que jamais sans réserve et sans reprise.
Corps et âme, avec sa vie entière, tout est au Christ; elle lui
a tout donné : « Totus tuus sum. »
Et le Sauveur qui, en amour, connaît mieux que quiconque
la loi du retour, lui aussi se donne à sa jeune épousée. Comme
cadeau de noces, il s’offre lui-même avec tout ce qu’il a : sa
personne — divinité et humanité — sa sainteté, ses grâces,
ses béatitudes, ses promesses, son Cœur surtout, avec ses
tendresses ineffables, mais aussi avec ses divines exigences, ses
appels à le suivre de près, de très près, sur la voie du Calvaire
et à monter avec lui sur la Croix, pour la gloire du Père et
la rédemption du monde. « Dilectus meus mihi et ego illi »
(Cant. II, 16).
148 LA PROFESSION

b) L’Union. Cette appartenance réciproque ne peut que


créer une union intime entre les deux époux. « Je vous unis
au Christ », dit le Pontifical, afin que « s’établisse ce rapport
étroit que l’Eglise veut entre les âmes que le Christ appelle
et leur divin Epoux » (Pontif. De Bened. et Consec. Virginum).
Union non point charnelle, mais toute spirituelle ; union,
sans intermédiaire, d’une âme et d’un Dieu ; union de l’esprit,
du cœur, de la volonté, de toutes les puissances intérieures.
Liens sacrés noués par le Christ dans la pureté de la vierge
et l’amour de l’épouse. Adhérence de l’âme au Christ et saisie
de l’âme par le Christ. Union divine qui s’épanouira en commu­
nauté d’existence et en intimité de vie.
c) Identification. Cette double emprise et compénétration du
Christ et de l’âme s’achèvera en une espèce de fusion et ^iden­
tification. « Qui adhaeret Domino, unus spiritus est » (I Cor.,
VI, 17). Qui s’unit intimement à Dieu devient avec lui un
seul et même esprit. En épousant la religieuse, le Sauveur
semble avoir assumé, au service de son Père, une « humanité
de surcroît » qu’il associe à son activité religieuse et au culte
qu’il rend à son Père. Se réalise ici, en toute sa plénitude, le
« cor unum » et 1’ « anima una » et, sur un plan supérieur, le
« duo in spiritu uno ».
Comme le prêtre, par sa consécration, participe au Sacer­
doce du Sauveur et devient un autre Christ « Sacerdos, alter
Christus », ainsi la religieuse, grâce à son union nuptiale,
communie-t-elle à la religion de Jésus, à ses états et fonctions
cultuelles, et devient-elle une sorte de Christ adorateur et
glorificateur du Père.
« Car, il est véritablement spirituel le contrat de ce saint
mariage, et je dis bien trop peu en parlant de contrat : c’est
un vrai embrassement et comme une possession mutuelle,
puisque l’unité constante de vouloir fait que les deux esprits
n’en sont plus qu’un » (S. Bernard, Serm. 83 in Cant.).

II. CARACTÈRES DES ÉPOUSAILLES RELIGIEUSES

La Profession religieuse porte, identiques ou similaires, tous


les caractères du mariage chrétien : sainteté, unité, indissolu­
bilité, fécondité.

1. Sainteté. Considérée dans son origine ecclésiale ou


évangélique, en elle-même ou dans sa fin, l’union nuptiale avec
le Christ est un acte essentiellement surnaturel.
MARIAGE MYSTIQUE 149
a) Dans son expression verbale et son cérémonial liturgique,
la Profession relève de l’Eglise, mais de sa nature, elle est
d’institution divine. C’est sous la forme de mariage spirituel
que le Christ l’a conçue et voulue.
b) Son caractère de sainteté, elle le tient encore de ses
éléments constitutifs — donation, union, identification au Christ
.— qui sont autant d’actes essentiellement religieux, inspirés de
plus par la vertu théologale de charité.
c) Sainte encore dans sa triple fin : glorification de Dieu,
sanctification de l’âme, apostolat.

2. Unité. Le contrat nuptial avec le Christ est incompatible


avec toute autre union matrimoniale. Il constitue un empê­
chement au mariage chrétien, qu’il rend illicite, et, dans le cas
de Profession solennelle, invalide. « Epouses du Christ seul,
fidèles au Christ seul, s’appuyant sur le Christ seul, sans compa­
gnon de chemin qui partage le cœur de la femme, en même
temps qu’il la soutient » (Forma Gregis, octobre 1956, p. 2).

3. Indissolubilité. Rétabli par le Sauveur dans sa noblesse


et pureté originelle, le mariage exige des deux conjoints une
immuable et irrévocable fidélité. Les voilà à jamais enchaînés,
soudés l’un à l’autre, et rien ne pourra légitimer leur divorce.
La mort seule pourra provoquer la rupture définitive du lien
conjugal. « A la résurrection, les hommes n’ont point de femmes,
ni les femmes de maris ; mais ils seront comme les Anges
de Dieu dans le ciel » (Matth., XXII, 30).
Indissolubles, elles aussi, les épousailles de l’âme religieuse
avec le Christ. Au point de vue juridique, la profession tem­
poraire n’est bien qu’un mariage à terme, encore que la can­
didate, en pensée, en désir, de volonté, soit dans la disposition,
à l’échéance de ses vœux, de renouveler et confirmer pour
toujours son engagement matrimonial. Contrat dès lors infran­
gible, que nul, sinon l’Eglise, en vertu de son pouvoir de lier
et de délier, n’a le droit de résilier. La voilà donc devenue
l’Epouse du Christ pour le temps et pour l’éternité, participant
d’une certaine façon à l’immortalité du sacerdoce catholique.
« Tu es sponsa Christi in aeternum. »

4. Fécondité. Le mariage a pour fin essentielle de fonder


un foyer et, en communiquant la vie, de coopérer avec Dieu
à la propagation du genre humain, au peuplement du royaume
150 LA PROFESSION

des cieux. Ce caractère de fécondité se retrouve, plus frappant


et plus universel, dans les épousailles religieuses. Virginité
n’est point synonyme de stérilité. On ne renonçait à la mater­
nité que pour s’en faire une autre, supérieure et innombrable.
En épousant le Christ, la Vierge consacrée adoptait la famille
immense du Rédempteur, tous ces hommes rachetés par son
Sang qu’elle prenait en charge et dont elle faisait ses enfants.
Car l’apostolat est une véritable maternité d’âmes. « Mes chers
petits, que j’enfante à nouveau jusqu’à ce que le Christ soit
formé en vous » (Gai. IV, 19). « Etre votre épouse, ô Jésus,
être carmélite, être par mon union avec vous, la mère des
âmes » {Histoire d’une âme, ch. XI).
« Vierge, Epouse et Mère. » Pour la religieuse, trois titres
de gloire et trois sources de béatitude.

III. DEVOIRS DE L’ÉPOUSE

De son contrat de mariage avec le Christ découlent pour


l’âme religieuse de nouvelles obligations morales : Amour,
Imitation, Fidélité, Intimité.

1. Amour en tout premier lieu, un amour d’épouse :


« Exigit Deus... ut sponsus amari » (S. Bernard, In Cant.
Serm. 83). Dieu exige d’être aimé en époux. Amour unique,
principe et source de tous ses autres devoirs qu’il contient,
résume et commande. La dïlection est la plénitude de la loi conju­
gale, « Plenitudo legis... dilectio » (Rom. XIII, 10). « Le véri­
table caractère de l’épouse, c’est l’amour... l’amour... l’amour du
cœur » (Esprit et vertus du Vénérable Baudoin, p. 232). « Toute
Vierge, qui veut être une véritable épouse du Rédempteur,
ne doit avoir ici-bas d’autre soin ni d’autre pensée que d’aimer
Jésus-Christ et de lui plaire » (S. Alphonse, La Vraie Epouse
de Jésus-Christ, ch. I, n° 19). « Le Christ a tendu vers elle
des mains d’amour et lui a demandé de lui donner son cœur
et de se remettre entièrement à lui. Sa vie est devenue une
histoire d’amour. » (Mgr Beck, évêque de Salford, au Congrès
des Religieuses de Liverpool). Voir La Vie Spirituelle, Supplé­
ment n° 37, 15 mai 1956, p. 182). Ce qui fait l’épouse du Christ,
c’est le cœur : « Si perfecte diligit, nupsit » (S. Bernard, in
Cant. Serm. 83).
Amour d’épouse, supérieur à tous les autres, qu’il renferme
et qu’il couronne. « C’est une grande chose que l’amour, mais
MARIAGE MYSTIQUE I5I

il comporte bien des degrés. L’épouse se tient sur le plus haut »


(S. Bernard, in Cant., Serm. 83).
De la charité, elle connaîtra toutes les formes, variétés et
nuances.
Autant et plus que d’autres, elle aimera Jésus d’un amour
de complaisance, de bienveillance, de préférence, de condo­
léance, de conformité, d’adoration, de louange, d’oblation, de
sacrifice.
A l’amour amical, fraternel, filial — car elle est tout à la
fois pour le Christ une sœur, une amie, sa fille « soror mea,
amica mea, filia mea — elle en joindra un autre, incomparable,
l’amour conjugal, marqué tout spécialement au coin du désin­
téressement, de la prévenance, de la délicatesse, de la tendresse,
de l’intimité, du dévouement total au service de l’Epoux.
« O très aimable Epoux qu’il faut embrasser de toute la
moelle de son cœur !» « O vere amandum et totis medullis
cordis amplectendum sponsum » (S. Bernard, in Cant.,
Serm. 70).
« C’est pourquoi l’épouse qui aime, aime et ne sait rien
autre chose. L’époux sans doute mérite d’être honoré, d’être
grandement admiré, cependant il préfère être aimé. C’est
l’époux et l’épouse. Quel autre devoir, quel autre lien cherchez-
vous entre eux, sinon d’être aimés et d’aimer. Ce lien de
l’amour est plus fort que tous les autres que la nature a formés,
tel que celui qui unit les parents aux enfants, puisque l’homme
doit abandonner son père et sa mère pour s’attacher à son
épouse » (S. Bernard, in Cant., Serm. 79, 1).

2. Imitation de l’Epoux. L’Imitation du Sauveur, loi fon­


damentale du Christianisme, est une des conséquences de notre
incorporation au Christ mystique. Par ses épousailles, unie plus
étroitement à Jésus et devenue un de ses membres choisis,
la religieuse doit vivre plus intimement de la vie même de son
Epoux et lui ressembler en tout. «. Tu n’es épouse que de nom
quand tu n’es pas semblable et que tu as toutes les grâces de
lumière, de force pour être épouse, pour être semblable » {Sept
retraites de la Mère Elisabeth de la Croix, p. 86).
A l’heure même où le Maître institue l’état religieux, il
demande à son disciple de le suivre : « Vende omnia quae
habes, da pauperibus. Veni, sequere me » (Matth., XIX, 21).
Mais suivre le Christ, n’est-ce point l’imiter et reproduire
en soi ses états, ses vertus, ses exemples, sa vie tout entière ?
Saint Paul exige de la Vierge qu’elle soit « sainte de corps et
d’esprit » (I Corinth., VII, 33-34). « Qu’on trouve en elles,
152 LA PROFESSION

Seigneur, par le don de votre Esprit, une modestie prudente,


une sage bienveillance, une douceur grave, une chaste liberté ;
qu’elles soient ardentes en charité et n’aiment rien sinon vous...
qu’elles vous glorifient par la sainteté de leurs corps et la pureté
de leurs âmes, qu’elles vous craignent par amour, que par
amour elles vous servent... puissent-elles trouver tout en vous,
qu’elles sont avides d’aimer par-dessus tout » (Pontifical De
Bened. et Consec. Virginum).
De là, la gravité spéciale du péché dans les âmes consacrées.

3. Fidélité de l’Epouse : expression courante, quand on


parle des relations conjugales, et que la religieuse doit pousser
jusqu’à l’extrême délicatesse.
a) Fidélité au contrat de mariage. De soi-même, abandonner
l’état religieux, sans de graves motifs, demander et obtenir
la dispense de ses vœux constitue un véritable divorce. Epouse
infidèle qui rompt indûment les liens sacrés qui Punissaient
au Christ.
è) Infidèle encore celle qui viole gravement son vœu de chasteté.
Epouse adultère et sacrilège.
c) S’il n’est point rupture du lien conjugal, tout péché grave
est cependant trahison d’amour, séparation de cœur et donc
infidélité.
d) La religieuse qui a le sens profond de la fidélité, de ses
exigences et de ses délicatesses se gardera encore de toute
affection désordonnée et de toute attache au créé. Un cœur
partagé est toujours un cœur infidèle.

4. Intimité de Vie. La cohabitation et la communauté de


vie sont de règle dans le mariage chrétien ; combien plus dans
le mariage du Christ avec l’âme religieuse !
a) Cohabitation. La plupart des communautés ont l’immense
faveur de vivre sous le même toit que le Christ-Hostie. Chaque
couvent devient ainsi le home du Sauveur. Quel bonheur
pour l’Epouse de le visiter souvent dans son Eucharistie
et de passer en sa compagnie de longues heures d’amoureuse
contemplation !
Joie encore de retrouver l’Epoux cent fois le jour — ce
qui est une des formes les plus attrayantes du recueillement —
dans le temple intérieur de son âme. « Esse cum Jesu dulcis
paradisus. »
MARIAGE MYSTIQUE 153

è) Vie commune. Vivre le plus possible avec lui par la


pensée et par le cœur, dans le halo de sa présence et le rayon­
nement de son amour. Au milieu de ses multiples occupations,
dans ses peines, ses joies, ses soucis, ses tentations, ses décou­
ragements, ses chutes même, revenir sans cesse à lui, comme
l’abeille à la fleur. Maintenir le contact à longueur de journée
et réaliser le cantique si connu : « Vivons à deux, Jésus ;
souffrons à deux, Jésus ; luttons à deux, Jésus ; prions à deux,
Jésus ; aimons à deux, Jésus... à deux! toujours à deux. Inti­
mité d’existence dans une belle me d’amour. Tête-à-tête et cœur-
à-cœur permanent de l’Epoux et de l’Epouse.

IV. PRIVILÈGES DE L’ÉPOUSE

Les devoirs matrimoniaux ne vont pas sans privilèges excep­


tionnels. « Premier gentilhomme » du monde, le Christ se fait
une joie de combler son épouse et de déposer dans sa corbeille
de noces de purs joyaux immortels.

î. La Royauté d’abord. Toute femme mariée participe à


la dignité et noblesse de son mari. Epouse du Roi des Rois,
la plus humble des Sœurs converses devient une grande dame,
la première dame, non seulement de France, mais du monde,
une Reine. Royauté qui surpasse et éclipse toutes les Souve­
rainetés humaines. Combien de jeunes filles romaines ont
renoncé pour le Christ à d’illustres alliances. Pressée d’accepter
en mariage le fils du Préfet de Rome, sainte Agnès répond :
« Vous m’offrez un époux ? J’en ai trouvé un meilleur » (Vita
Ste Agnetis, Bolland., 21 janvier ; voir S. Alph. : La Sainte
Religieuse, ch. I, p. 15, n° 4).

Opulence des dons divins allant jusqu’à la prodigalité. Se


pourrait-il que le Sauveur voulut rien refuser à qui lui a tout
donné et tout sacrifié ? A la générosité, l’Epoux répondra
par la munificence. Ses grâces de choix, de luxe, il les réserve
à celle qu’il aime d’un amour de prédilection (Cf. « De bono
religionis », attribué à S. Bernard, Hom. in illud, Matth. XIII, 45.
— Voir le commentaire de S. Alph. : La Sainte Religieuse,
ch. II).
En attendant d’être couronnée dans les cieux, où elle jouira
du triple privilège de porter l’auréole, de faire partie du cortège
de l’Agneau et de chanter le cantique de la virginité (Apoc.,
IXV, 3, 4).
154 LA PROFESSION

i. La virginité ne serait-elle pas à base


d’égoïsme, si elle n’était inspirée que par
la peur de vivre douloureusement et dan­
gereusement ?
2. La virginité ne serait-elle pas une cause
d’orgueil secret, de rétrécissement moral,
de déséquilibre psychologique et physio­
logique ?
3. Le religieux peut-il appeler le Christ son
époux ?
4. Le mariage de l’âme avec le Christ est-il
supérieur au mariage chrétien ?
5. Le mariage spirituel est-il constitué essen­
tiellement par le seul vœu de chasteté ?
6. La maternité spirituelle est-elle d’une
essence supérieure à la maternité humaine?

Pie XII, Sponsa Christi, 21 novembre 1950 ; Sacra Virginitas,


25 mars 1954.
S. Augustin, De la Sainte Virginité. — S. Bernard, Serm. in Cant.
— S. Alphonse, La Vraie Epouse de J.-C. — Pontif. Rom., « De Bene­
dictione et Consecrat. Virginum ». — « Cérémonial de Profession. »
— Marmion, Sponsa Verbi. — Gay, De la Vie et des Vertus Chrétiennes,
1.1, « De l’Etat religieux ». — P. Camelot, Virgines Christi. — P. Colin,
Caritas, ch. XIII ; Culte des Vœux, ch. I, XIV. — Sept Retraites de
S. M.-Elisabeth de la Croix, passim, 163, 194, 195, 199. — P. DE Fou-
cauld, Ecrits spirituels, p. 103.
La Vie Spirituelle, Supplément, 15 février 1953, « Mariage et Consé­
cration virginale », d’Izarny ; avril 1958, « La Virginité Chrétienne »,
Mgr Paulot.
DIX-HUITIÈME LEÇON

TENDANCE A LA PERFECTION

La Profession est tout d’abord orientation de l’âme vers


Dieu. Pourquoi a-t-elle quitté le monde, sinon pour se mettre
au service du Très-Haut, s’immoler à sa gloire et s’unir au
Christ en de mystiques épousailles ? Et c’est là le côté théologal
de l’état religieux.
Mais celui-ci peut aussi s’envisager à un point de vue plus
personnel et apparaître comme une ascension spirituelle vers les
cimes de la sainteté.
Tous ces aspects multiples de la vie religieuse, pour être
différents, n’en sont point pour autant opposés. Loin de là,
ils s’appellent, s’harmonisent, se mêlent sans se confondre et
se complètent pour constituer une seule et même réalité divine.
C’est toujours le même paysage, la même physionomie, mais
saisie sous des angles divers et dans une autre lumière.
Service de Dieu, sacrifice de soi-même, union avec le Sau­
veur : autant de sources de perfectionnement moral. Et voilà
que cette sainteté personnelle va, à son tour, rayonner la gloire
de Dieu, préparer une victime de choix, « hostia sancta », et
offrir au Christ une épouse rayonnante.
A sa Profession, le religieux assume devant Dieu, l’Eglise,
sa conscience une lourde responsabilité Y Obligation de tendre
à la perfection, toute sa vie, jusqu’à la mort inclusivement.
Le voilà désormais acculé à la sainteté.
De cet engagement, il importe de prendre conscience et
d’en bien saisir la gravité, le sens et la portée.

I. OBLIGATION FONDAMENTALE
L’idée de perfection est indissolublement unie à celle de
« vie religieuse ». Elle lui est essentielle. Après le Sauveur et
avec l’Eglise, toute la Tradition a vu dans l’Etat religieux un
156 LA PROFESSION

Etat de perfection et a fait de la vie religieuse une œuvre person­


nelle de sainteté.
En instituant cette forme supérieure de vie, le Christ en
fixait le but ultime : « Si vis perfectus esse », et en marquait
la voie : « Veni, sequere me » (Matth., XIX, 16, 21).
Dans son enseignement et sa législation, l’Eglise, à son
tour — fidèle interprète de la pensée du Maître — appelle
religieux « ceux-là qui tendent à la perfection évangélique : ad
evangelicam perfectionem tendunt » (Can. 488, i°).
Qu’est-ce que l’état religieux ? « Une discipline, un exer­
cice destiné à nous conduire à la perfection : Disciplina vel
exercitium ad perfectionem perveniendi » (S. Th., II, II,
qu. 186, art. 2). « Un mode de vie... qui mène à la perfection
de la charité : Fidelium ad divinae caritatis perfectionem tenden­
tium vivendi modus » (S. Alph., Morale, IV, n° 1). La vie
religieuse est « une profession de sainteté » (S. August.,
Serm. 353, P. L. t. 39, col. 1573). « Vita Religiosa professio
sanctitatis. »

1. Existence d’une obligation morale. La poursuite de


la sainteté n’est point en religion de simple conseil. Œuvre
non pas facultative, mais commandée et qui s’impose à la
conscience. La profession fait de tout religieux un candidat
obligé à la perfection évangélique.
Les termes employés par le Droit Canon et la Théologie,
pour marquer l’existence de cette obligation morale, n’auto­
risent aucun doute et ne laissent aucune échappatoire : oportet,
tenetur, debet.
« Tous les religieux, en général et en particulier, les Supé­
rieurs comme leurs sujets... doivent tendre à la perfection de
leur état » (Can. 593). — « Le religieux n’est pas tenu d’être
parfait, mais il est tenu (tenetur') de tendre à la perfection »
(S. Th., II, II, qu. 186, art. 9, c). — « Il faut (oportet) que tout
religieux tende à la perfection » (L. c., art. 1 ad 3). — « En
vertu de sa Profession, tout religieux est tenu de progresser
plus ou moins sur le chemin de la perfection » (S. Alph., Morale,
lib. IV, n° 9).

2. Nature. La tendance à la perfection est un devoir sacré


que tout religieux assume à sa Profession. Plus que simple
promesse, qui ne lie point la conscience et permet de reprendre
sa parole, elle est un engagement moral, passé devant Dieu,
entériné par l’Eglise, signé par le Néo-Profès et contre-signé
par l’institut ; et qui devient pour le religieux la somme de
TENDANCE A LA PERFECTION 157
toutes ses obligations, la règle de sa vie, la loi fondamentale
de sa spiritualité. Travailler d’affilée à se sanctifier : cela dit
tout, contient tout, résume tout ; exprime ce qu’est la vie
religieuse et ce qu’il faut en faire.
Cette obligation toutefois s’impose plus strictement qu’aux
simples chrétiens, tenus eux aussi, de par leur baptême et en
vertu des deux premiers commandements de Dieu, de viser
à la perfection de la charité, et donc à la sainteté. « Perfectio
caritatis cadit sub praecepto » (S. Th., II, II, qu. 184, 3, c. et
ad 2).
Tous deux tendent à la perfection, mais pour des motifs
divers, par des voies divergentes et par des moyens d’inégale
valeur.

3. Caractères. Considérée en elle-même, la tendance à la


perfection est une obligation sacrée, parce que vouée, relevant
de la vertu de religion ; grave de sa nature, encore qu’elle
admette légèreté de matière ; immuable et permanente jusqu’à
là fin de la vie.
L’envisage-t-on en fonction de son objet, la sainteté, elle
apparaît d’ordre évangélique, ecclésial et communautaire.
A sa Profession, le religieux inaugure aussitôt le travail de
sa perfection ; mais d’une perfection, œuvrée sur l’idéal du
Christ, dans l’esprit des conseils évangéliques, sur un programme
— vœux et règles — fixé par l’Eglise et dans le cadre d’une
vie commune familiale et fraternelle.

4. Origine. La tendance à la perfection tire son origine


éloignée de la volonté du Christ et de l’Autorité de l’Eglise ;
prochaine, de la Profession, dont elle est non seulement la
conséquence morale, mais l’un des premiers éléments essentiels
et comme le noyau central.
L’acte initial qui introduit et fixe dans l’état religieux —
qui est de sa nature un état de perfection — oriente obliga­
toirement la vie entière vers la sainteté par la voie, elle aussi
obligatoire, des conseils évangéliques.
En émettant ses vœux, le religieux fait donc tout à la fois
Profession de pauvreté, de chasteté, d’obéissance, et aussi
Profession de vie parfaite, par la reproduction en sa personne
de la sainteté même du Sauveur.
Pour n’être point exprimée en termes exprès dans la for­
mule de Profession, la tendance à la perfection s’y trouve néan­
moins sous-jacente : elle s’affirme par le seul fait de l’entrée
en religion et par l’engagement de vivre en religieux.
158 LA PROFESSION

Ces deux obligations, l’une particulière de pratiquer les trois


vœux, l’autre générale et indéterminée, de se sanctifier, sont
donc inséparables et solidaires, et, fondues ensemble, consti­
tuent le devoir d’état du religieux.
« On pourrait dire qu’il n’y a qu’zz/z seul conseil, l’amour et
l’imitation intégrale du Fils de Dieu. Aussi, l’engagement au
triple conseil entraîne-t-il, au-delà de ses trois aspects, un devoir
fondamental unique : c’est, dit l’Eglise, de tendre toujours à la
« perfection chrétienne » (Carpentier, Témoins de la Cité de
Dieu, ch. IV, p. 56).

5. Violations. La tendance à la perfection est une obli­


gation de conscience, et sa violation — selon la gravité du
cas — est faute mortelle ou vénielle.
a) Violations graves. « Renoncer délibérément à se sanctifier
et se désintéresser absolument de sa perfection » (S. Alph., Morale,
liv. IV, ch. I, n° 10).
Manquer fréquemment en matière grave aux commandements
de Dieu et de l’Eglise, à ses vœux ou devoirs d’état, et vivre
ainsi habituellement en mauvais état de conscience (Schaeffer,
De Religiosis, Pars. X, cap. II, p. 643. — Vermeersch, De Reli­
giosis, I, 225).
Mépriser l’autorité de la Règle et des Supérieurs ; secouer le
joug de toute obéissance et prétendre mener une vie de totale
indépendance (Vermeersch,!. c. ; S. Alph., 1. c. ; Schaeffer, 1. c.).
Par une vie désordonnée et scandaleuse, troubler la disci­
pline régulière et s’exposer gravement à être expulsé de l’institut
(Vermeersch, 1. c.).
b) Violations légères. Moins grave, sans doute, mais non
exempte de culpabilité morale, serait de mener une vie tiède,
routinière, superficielle, pleine de péchés véniels, aux vertus
anémiées, à l’observance régulière mitigée, sans esprit de
sacrifice et générosité de cœur. Une telle médiocrité spirituelle
témoignerait-elle d’une « Profession de vie parfaite et d’une
vraie imitation du Sauveur » ? (Voir Schaeffer, 1. c., p. 644 ;
Carpentier, Témoins de la Cité de Dieu, ch. XI, p. 120).

II. DE LA TENDANCE

Tendre à la perfection est l’obligation première, fondamen­


tale, essentielle de l’état religieux. De cette tendance, il importe
de déterminer la nature, les qualités et l’importance.
TENDANCE A LA PERFECTION 159
1. Nature de la Tendance. Le mot implique l’idée com­
plexe de marche, d’effort, de lutte, d’avance. Sur le plan moral,
elle est escalade des cimes spirituelles. De ce mouvement ascen­
sionnel, on peut considérer la ligne de départ, la montée et
le point d’arrivée.
En son origine, la tendance à la perfection implique une
certaine attitude et orientation d’âme ; dans sa montée, elle
est activité instrumentale, ou emploi des moyens de sanctifi­
cation ; à son terme, elle marque un progrès, de sa nature
indéfini.
a') Attitude d’âme. La tendance ne peut se concevoir, en
son principe, que plantée et enracinée dans une âme désireuse
et déterminée à se sanctifier. Désir et résolution sont les racines
profondes de toute poussée vitale, de toute activité naturelle
ou surnaturelle. Grain de blé jeté dans le sillon, qui éclate,
monte en tige et s’épanouit en épi. C’est au religieux que
s’applique spécialement la béatitude évangélique : « Beati qui
esuriunt et sitiunt justitiam » (Matth., V, 6). De l’intensité
du désir et de la vigueur de la décision dépendent en grande
partie la valeur et l’efficacité de la tendance. D’où la nécessité
de sauvegarder et d’intensifier chaque jour ces deux éléments
de base (voir S. Alph., Oeuv., t. VI, p. 505 ; La Sainte Reli­
gieuse, ch. IV, intitulé : « Combien les saints désirs sont utiles
et même nécessaires », t. II, p. 194 ; P. Colin, Retraite sur
PAmitié de Jésus-Christ, p. 181, seq., p. 329) ; Imitation, lib. I,
ch. XIX, n° 2).
b) Activité Instrumentale : emploi des moyens de sanctification.
« Qui veut la fin veut les moyens. » « Il est nécessaire d’avoir
cette volonté ferme et constante... d’embrasser tous les moyens
propres de se perfectionner en la vocation en laquelle on est
appelé » (S. François de Sales, Les Vrays Entretiens, XVII,
Des Voix, p. 322). Le religieux « est tenu de tendre à la perfec­
tion : i° par les moyens essentiels ; 20 par les vœux ; 30 par
les moyens secondaires qu’il doit se garder de mépriser »
(S. Alph., Morale, lib. IV, cap. I, Dubium III, n° 9).
Les moyens de sanctification sont de deux sortes : moyens
généraux et moyens particuliers.

I. Moyens généraux, à la portée de toutes les âmes chré­


tiennes : commandements de Dieu et de l’Eglise, Sacrements,
Liturgie, prière et oraison, devoirs d’état, pratique des vertus,
tout spécialement de la charité envers Dieu et envers le
prochain.
lÔO LA PROFESSION

II. Moyens spéciaux réservés à l’état religieux : les Vœux,


la Règle : « Tous les religieux, en général et en particulier,
les Supérieurs comme leurs sujets, doivent non seulement
garder fidèlement et intégralement les vœux qu’ils ont émis,
mais encore se faire une vie de tout point conforme aux Règles
et Constitutions et tendre ainsi à la perfection de leur état »
(Can. 593).
Dans la poursuite de la sainteté, le religieux est obligé
d’utiliser tout à la fois les moyens essentiels à la perfection
chrétienne et les moyens spécifiques propres à son état de vie.
« L’état religieux est la manière de vivre stable et communau­
taire, où les fidèles, outre les préceptes communs à tous, se pro­
posent d’observer aussi les conseils évangéliques par les vœux
d’obéissance, de chasteté et de pauvreté » (Can. 487).
c) Progrès réalisés, par l’emploi judicieux et persévérant de
tous ces instruments de sanctification. Progrès dans la pureté
de conscience, la lutte contre ses passions ; la mort à soi-même,
la pratique de toutes les vertus et spécialement dans le renfor­
cement continuel de la charité divine, communautaire et aposto­
lique. « Je n’aime donc pas de toute la force que je puis exercer
en cette vie si je n’aime mieux demain qu’aujourd’hui ; et si
le jour d’après je n’augmente mon amour, jusqu’à ce que
j’arrive à la vie où le précepte de la charité s’accomplira par­
faitement » (Bossuet, Méditations sur l’Evangile, Dernière
Semaine, 50e jour).
Progrès d’ordre qualitatif bien plus que quantitatif et qui
consiste moins dans la multiplication et la masse de nos bonnes
œuvres que dans le fini de leur exécution et Y intensité de la
charité qui les inspire et les couronne.

2. Qualités de la Tendance. Si la tendance fait le reli­


gieux, seule la tendance parfaite fait le parfait religieux. Médiocre,
elle ne peut aboutir qu’à la médiocrité morale.
a) Tendance intensive, généreuse, ardente. Utiliser au
mieux tous les moyens de sanctification.
ù) Tendance continuelle, de tous les jours et de toutes les
heures, par la conformité universelle et amoureuse à la volonté
de Dieu et la fidélité à la grâce.
c) Tendance persévérante jusqu’à la mort, qui doit consom­
mer et couronner l’œuvre de la sanctification par l’entrée dans
la vie éternelle (Voir S. Bernard, Epist. 254, ad Guarinum.
P. L. t. CLXXXII).
TENDANCE A LA PERFECTION l6ï

3. Importance. Primauté d’origine et d’influence dans


la vie spirituelle.
a) La parfaite tendance implique tout à la fois un idéal
et un programme de perfection.
6) Elle renferme implicitement et virtuellement toutes les
obligations et exercices de la vie religieuse.
c) Elle est le premier moteur de toutes les activités spirituelles
et la mesure de tous les progrès réalisés.
Un « désir et une faim de notre perfection, une volonté
d’y tendre constamment, de toutes nos forces ; que ce soit
là toujours notre principale vue et le plus grand de nos soins.
Souvenons-nous que ce soin est plus essentiel à la religion
que les vœux mêmes ; car c’est de lui que dépend tout notre
progrès spirituel. C’est là ce qui fait la différence des véri­
tables religieux et de Ceux qui ne le sont qu’en apparence et
aux yeux des hommes. Sans ce soin de nous avancer dans la
perfection, l’état religieux ne met pas notre salut en assu­
rance ; mais rien n’est plus ordinaire que de se tromper en
ce point. On dit qu’on tend à la perfection, et dans le fond
l’on n’y tend pas » (Lallemant, La Doctrine Spirituelle, IIe Prin­
cipe, Sec. II, ch. VI, art. III).

III. PERFECTION RELIGIEUSE

L’état religieux est un état de perfection à acquérir (S. Th.,


II, II, qu. 184, art. 5 et 7). Perfection non point naturelle,
humaine, mais surnaturelle et divine, telle que l’Evangile la
révèle et qui se présente sous un double aspect : Statique et
Dynamique, « Etat de Sainteté » et « Vie de Sainteté ».

1. Etat de sainteté. Par le sacrifice de sa personne et


la consécration de toute sa vie au culte divin, le religieux est
déjà dans un état officiel et canonique de perfection (S. Th.,
II, II, qu. 186, art. 1, Concl.). Mais il en est une autre inté­
rieure, personnelle, qui saisit l’âme tout entière, pour la pénétrer
jusqu’à l’intime, la transformer, la diviniser, et qui s’appelle
1’ « état de grâce » : grâce sanctifiante, vertus infuses, dons du
Saint-Esprit.
Cette sainteté qui nous est communiquée par voie de géné­
ration spirituelle, « ex Deo nati » (Joan., I, 13), est une parti­
cipation mystérieuse, mais réelle, à la nature même de Dieu,
11
IÔ2 LA PROFESSION

à ses perfections, à ses attributs ; bref, à sa Sainteté. De


l’homme elle fait un dieu en miniature « Dii estis » (Ps. 81, 6),
l’enfant de Dieu, le frère de Jésus, un des membres de son
corps mystique, le temple vivant de l’Esprit-Saint ; de plein
droit, elle le fait entrer dans la Famille Trinitaire.
Cette surnature, que le baptême ajoute à notre humanité
pour la parfaire, est dans son origine l'œuvre exclusive du Très-
Haut. Mais dans ses développements successifs et son épanouis­
sement terrestre, elle est — en dehors des Sacrements — le
résultat de l'action conjuguée de Dieu, et — par voie de mérite —
du chrétien.
Car cette participation à l’Etre infiniment parfait peut et
doit, de jour en jour, se révéler plus abondante, et l’union au
Christ, type et source de toute sainteté, toujours plus intime.
Qui ne cesse de pénétrer dans les profondeurs de Dieu et de
s’incorporer au Christ ne peut que s’y remplir de plus en plus
de leur sainteté.
Essentiellement progressive ici-bas, sans nulle limitation, cette
perfection fondamentale ne trouvera sa plénitude définitive et
immuable que dans l’éternité.
Dans l’impossibilité de s’amenuiser, de se dégrader, il se
peut toutefois qu’elle disparaisse subitement sous les coups du
péché grave.
Au chrétien donc, et plus encore au religieux, en vertu
même de sa Profession, de sauvegarder son existence et de
veiller à ses accroissements. « La première pierre de l’édifice,
c’est une bonne conscience » (Ste Thér., Le Chemin de la
Perfection, ch. V).

2. Vie de sainteté. La perfection que le religieux s’est


engagé à poursuivre ne se limite point cependant dans le seul
« état de grâce ». Ce n’est là, en réalité, qu’un commencement.
Capital à exploiter (voir la parabole des talents, Matth., XXV,
14 et sq.) ; semence à faire fructifier. Les puissances vitales
que sont les vertus infuses et les dons de l’Esprit n’ont été
insérées dans l’âme qu’en vue de l'action. Plus que simples
motifs d’ornementation, elles sont des principes d'opération,
des moteurs spirituels.
Participation à la nature de Dieu, la sainteté l’est aussi à
sa vie intime. Semblables à Dieu, nous agirons comme Dieu.
L’imitation du Père céleste et du Verbe incarné constitue
dès lors la règle suprême et l’œuvre essentielle de toute vie reli­
gieuse, et par là même toute notre perfection. « Soyez parfaits
comme votre Père des cieux est parfait » (Matth., V, 48). « Je
TENDANCE A LA PERFECTION 163

vous ai donné l’exemple : ce que j’ai fait, faites-le vous-même »


(Joan. XIII, 15).
Il s’agit donc, pour le religieux, de reproduire en lui la
sainteté du Père : sa pureté, sa sagesse, sa force, sa justice,
sa bonté, sa miséricorde ; de nous revêtir des états intérieurs
et des vertus de Jésus : humilité, obéissance, charité, zèle des
âmes, passion de la gloire divine, esprit de religion, de sacri­
fice, de prière. « Induimini Dominum Jesum Christum » (Rom.,
XIII, 14 ; Coloss., I. 10 et sq.). « Perfectio religionis maxime
consistit in imitatione Christi, secundum illud » (Matth.,XIX,2i)
« Si vis perfectus esse... sequere me » (S. Th., II, II, qu. 186,
art. 5, sed contra).
Et tout cela, par une correspondance généreuse et fidèle
à la grâce, par la pratique spirituelle et minutieuse des vœux
et des Constitutions selon l’esprit de l’Ordre, dans la ligne
de son apostolat et sous le régime d’une vie communautaire
et fraternelle (voir S. Th., II, II, qu. 186, art. 2).
Idéal de perfection à poursuivre toujours, sans l’atteindre
jamais.
Programme de sainteté à exécuter inlassablement sans pou­
voir complètement le réaliser.
En définitive, la perfection vouée par le religieux, le jour
de sa Profession consisterait non pas à être parfait, mais à
devenir de moins en moins imparfait. « Indefessum proficiendi
studium et jugis conatus ad perfectionem perfectio reputatur »
(S. Bernard, Epist. 254).

1. Quelle est la différence entre la perfection


chrétienne, religieuse et sacerdotale ?
2. La tendance à la perfection doit-elle être
actuelle, virtuelle ou simplement habi­
tuelle ?
3. L’obligation de tendre à la perfection est-
elle de même nature et de même gravité
chez le chrétien et chez le religieux ?
4. Quels sont les principaux ennemis de la
tendance à la perfection ?
5. Une tiédeur généralisée et invétérée peut-
elle constituer un péché grave contre l’obli­
gation de se sanctifier ?
164 LA PROFESSION

6. Le religieux est-il tenu d’user de tous les


moyens de sanctification î
7. Quel est le sens et le bien-fondé de cette
parole de saint Bernard : « La perfection
est exigée de tous, mais non uniforme. »
« Ab omnibus perfectio exigitur, licet non
uniformis. » (Ad Fratres de Monte Dei, ch. IV.)
8. L’apostolat peut-il, doit-il être un instru­
ment de perfection personnelle ?

S. Thomas, II, II, quaest. CLXXXVI. — S. Alphonse, Morale,


liv. IV, nos 1, 9, 10 ; Oeuvres Asc., t. XII ; La Vraie Epouse de J.-C.,
ch. IV. — Lallemant, La Doctrine Spirituelle. — Gautrelet, Traité
de l’Etat Religieux, IIe Partie, ch. 1. — Bourdaloüe, De l’Etat reli­
gieux. — Choupin, Nature et Obligations de l’Etat religieux, IIe Partie,
tit. XIII, ch. 1. — Schaefer, De Religiosis, Pars X, ch. II. — Bastien,
Directoire Canonique, IVe Partie, liv. III, ch. 1. — Vermeersch, De
Religiosis, I, 225. — Carpentier, Témoins de la Cité de Dieu, ch. xi.
— Cormier, L’Instruction des Novices, IIIe Partie, ch. v. — P. Colin,
Tendance à la Perfection. — Acta et Documenta Cong. G en. de Statibus
Perfectionis, 1950. Index IV, « Perfectio », p. 386. « Status perfectionis »,
392-
R. C. R. 1957, 19 1958, 65, 195.
DIX-NEUVIÈME LEÇON

CONTRAT BILATÉRAL

La profession religieuse n’est pas seulement un geste privé


de religion, ne relevant que de Dieu et de la conscience. De
sa nature et par ses conséquences, elle est encore un acte social.
A son caractère théologal, christologique, ecclésial et personnel,
s’ajoute encore celui d’être communautaire.
L’émission des vœux, sous peine de nullité, doit se faire
dans un Ordre religieux. Engagé au service de Dieu, le Profès
s’engage en même temps au service de l’institut. Encore faut-il
que celui-ci consente à le recevoir. C’est l’Eglise qui, par l’inter­
médiaire des Supérieurs, accepte et introduit le Novice dans la
vie religieuse ; mais c’est la Congrégation qui admet le Profès
dans son sein et en fait l’un de ses membres.
Tradition du sujet, acceptation de l’Ordre : ces deux actes
conjugués constituent en justice un contrat bilatéral, contrat
d’incorporation, d’appartenance, d’embauchage et de fidélité.
« Et jam ex illa hora in Congregatione reputetur » (Reg. S. Benoît,
ch. LVIII).
« Il y a dans la Profession religieuse une espèce de contrat
entre le religieux et l’Ordre ; chacun promet et accepte, donne
et reçoit... Telle est l’idée première et directe de la profession ;
c’est ce qui la constitue ; les vœux servent à déterminer les
conditions de cette donation, mais ils la supposent comme
quelque chose de plus général ; elle est comme la source d’où
ils découlent et le principe qui les contient » (Gautrelet, Traité
de l’Etat religieux, IIe Partie, ch. III, art. i).
« La tradition du Profès à son Institut est communément
appelée, et dans un sens strict, un contrat bilatéral, passé entre
le Novice et la Congrégation, et source de mutuelles obligations »
(Pejska, fus sacrum, Lib. II, Tit. III, ch. I, p. 144).
166 LA PROFESSION

S’il n’est point toujours formulé en termes exprès, du


moins est-il contenu implicitement dans la Profession elle-même.
Des principales clauses de ce contrat, il importe grandement
de connaître Yexistence, la nature et la portée. Comment, en
effet, les respecter en toute loyauté, si on les ignore ?
Supérieurs et sujets ne sont pas toujours exactement informés
de leurs droits et devoirs respectifs. De là, des malentendus,
des heurts, des oppositions, des difficultés de toutes sortes
entre l’Autorité et les religieux dans le gouvernement des
communautés, le maniement des hommes et la direction des
âmes. Dans toutes les relations communautaires, il s’agit tout
d’abord d’être et de se montrer « juste ». La charité viendra
ensuite pour corriger ce que l’exercice de la justice comporterait
de déficience et de rigidité.

I. DROITS CONTRACTUELS

La Profession-contrat est une source de droits réciproques


pour l’institut et pour chaque religieux. Droits que fixent
et déterminent le Droit Commun et les Constitutions particulières.

î. Droits des Supérieurs sur leurs sujets. Pour éviter


tout abus ou carence d’autorité, il importe d’en connaître la
nature et le mode d’exercice.
a) Nature. Tout Institut — et les Supérieurs qui le repré­
sentent — jouit d’un triple pouvoir, dominatif, domestique et
de juridiction, s’il est exempt.
Le pouvoir dominatif, qui est d’ordre public dans l’Eglise, et
non pas seulement d’ordre privé, consiste dans le droit « de gou­
verner une société juridique, érigée et approuvée par l’Eglise, de
telle sorte que l’état public de religion y soit pleinement établi
et organisé. Il s’exerce en vue de diriger efficacement vers la
perfection chrétienne les fidèles qui sont entrés en religion,
que ce soit chacun considéré individuellement, ou que ce soit
tous, en tant qu’unis par et dans un corps social » (Larraona,
cité par la R.C.R., 1952, p. 169). « Les Supérieurs et les Cha­
pitres, conformément aux Constitutions et au Droit commun,
ont la puissance dominative sur leurs sujets » (Can. 501, § 1).
Ce pouvoir est ecclésial, familial et paternel, d’ordre sacré et
continu (voir Carpentier, Témoins de la Cité de Dieu, ch. XV,
pp. 158-159).
CONTRAT BILATÉRAL 167

Le pouvoir domestique, qui est d’ordre privé, découle de la


nature même de la Famille religieuse à laquelle le Novice s’est
incorporé par sa Profession. Aucune société naturelle ne peut,
en effet, subsister sans une Autorité qui la gouverne. « Sans
doute, un tel pouvoir appartient au Supérieur religieux. Mais
il est ici absorbé, dans le pouvoir dominatif, pouvoir surna­
turel et ecclésial ; il en est élevé et tellement transfiguré qu’il
n’apparaît plus » (Carpentier, 1. c., p. 159).
« Le pouvoir de juridiction dans l’Eglise est un pouvoir
public et officiel. Il a pour objet le gouvernement des fidèles
dans le service de Dieu et la sanctification des âmes » (Choupin,
Vœu d’Obéissance, § 2, art. 2, p. 439). En sa plénitude, il réside
dans le Souverain Pontife, qui en délègue une partie aux Supé­
rieurs religieux exempts, appartenant à une Congrégation cléri­
cale. « Dans toute religion cléricale exempte, les Supérieurs
et le Chapitre... ont la juridiction ecclésiastique tant au for
interne qu’au for externe » (Can. 501, § 1).
Or, par sa Profession-contrat, le religieux incorporé à l’ins­
titut tombe immédiatement sous la domination et la dépendance
de l’Autorité et des « autorités ».
b) Exercice du Pouvoir des Supérieurs. L’Ordre a le droit
de promulguer, par le Chapitre général, des Statuts, des Ordon­
nances, ayant force de lois ; de modifier, compléter, adapter
Constitutions et Directoire.
Dans le gouvernement et Y administration de l’institut, de la
Province, de la Communauté, les Supérieurs ont le droit de
disposer de la personne de leurs sujets, de leurs talents, forces
physiques, qualités intellectuelles, morales, artistiques ; de leur
temps et de leurs activités multiples, pour le bien général
de l’Ordre et l’utilité de chaque religieux.
A eux, par conséquent, de commander, de défendre, de
diriger, de contrôler, de juger, de reprendre et, au besoin,
d’user de sanctions.
Leur appartient aussi le pouvoir de nommer les titulaires
aux différentes charges et emplois de la Communauté ; de
changer les sujets d’office, de résidence, de province, de pays ;
au point de vue apostolique, de fixer à chacun son poste de
combat ; d’exiger de tous un comportement de vie vraiment
religieuse.
L’Institut a, de plus, le droit — pour de justes motifs —
de ne pas admettre à la Profession perpétuelle un sujet à vœux
temporaires et même d’expulser tout religieux notoirement
indigne, incorrigible et scandaleux.
i68 LA PROFESSION

Le tout, dans la mesure et les limites de leur autorité, en


conformité avec le Droit commun et les Règles de l’Ordre et
selon les lois de la prudence, de la discrétion et de la charité.

2. Droits du Religieux. Si l’Ordre a pouvoir sur ses


membres, ceux-ci à leur tour jouissent de droits personnels,
dont Supérieurs et sujets doivent prendre une connaissance
exacte ; les premiers, pour ne point tomber dans les dénis de
justice ou des abus d’autorité; les seconds, pour ne point élever
des prétentions outrées, formuler des exigences injustifiées et se
permettre un comportement de vie illégal.
a) Droit général. En vertu de sa Profession, incorporé à
l’institut dont il devient le membre authentique et le fils adoptif,
le religieux a droit d’être traité comme tel ; de jouir, pendant
sa vie et après sa mort, de tous les privilèges accordés à l’Ordre ;
d’être gouverné au mieux, à son avantage personnel, par une
Autorité compétente, prudente et ferme, juste et paternelle, de
trouver en elle édification, lumière, conseil, encouragement,
secours matériel et spirituel, spécialement en cas de maladie
ou d’infirmité et, à l’occasion, miséricorde et pardon.
b) Droits particuliers. Citons-en quelques-uns :
Droit de recours à l’autorité supérieure, dans le cas où il
s’estimerait lésé ou condamné injustement.
Droit d’être traité comme tout le monde, selon les prescrip­
tions de la vie parfaitement commune.
Droit — s’il en est digne — de faire ses vœux perpétuels;
et, sa Profession émise, de vivre jusqu’à la mort, dans l’institut,
à moins d’indignité publique, sanctionnée par un jugement
canonique.
Droit d’user des facultés ou facilités que lui donne l’Eglise
ou les Constitutions, touchant la liberté de conscience et de
correspondance ; le choix du confesseur, la disposition des
revenus, etc.
Droit, pour des raisons graves de justice ou de charité,
et avec l’assentiment du Saint-Siège, de quitter son Ordre, ou
de changer d’institut, en emportant sa dot (Can. 632).
De ses droits, le religieux usera avec prudence, modération,
humilité, esprit surnaturel ; et, à l’occasion, saura y renoncer
dans un but supérieur de vertu, pour la sauvegarde de la paix
et en vue de l’édification commune.
CONTRAT BILATÉRAL 169

IL DEVOIRS CONTRACTUELS

Le « droit » ne va guère sans le « devoir ». Ce sont là deux


idées corrélatives. Au Supérieur comme à l’inférieur, la Pro­
fession-contrat impose certaines obligations morales, dont
quelques-unes engagent gravement la conscience.

1. Obligations de l’Autorité dans l’exercice de ses fonc­


tions et ses relations avec les sujets.
Non seulement les Supérieurs ont le droit de gouverner,
mais ils en ont encore le devoir. Pour assurer le bien général
et particulier qui leur est confié, ils sont tenus, par devoir d’état,
d’user de leur pouvoir dominatif. Qui ne sait plus ou n’ose
plus commander, par timidité, respect humain, lâcheté manque
à la justice à l’égard de l’Ordre et de ses religieux.
Un des premiers devoirs de l’Autorité est de veiller, au
point de vue physique, intellectuel, professionnel, moral, apos­
tolique, à la formation complète et solide des jeunes Profès. A cet
effet, leur fournir, dans la mesure du possible, dans le cadre
de la Règle, en conformité avec l’esprit et les œuvres de l’ins­
titut, tout l’équipement nécessaire ou utile, afin de mener inté­
gralement leur vie religieuse et atteindre la double fin de leur
vocation.
Utiliser au mieux les dons naturels et vertus surnaturelles
d’un chacun et lui confier charges, emplois, œuvres d’apostolat
les plus conformes à ses goûts, aptitudes et compétences.
Exiger de tous une observance de la Règle exacte, minutieuse
et surnaturelle ; corriger les abus tant généraux que particuliers.
Réagir contre toute tendance dangereuse pour la vitalité de
l’Ordre, la ferveur de la communauté et la persévérance des
sujets.
User, dans son gouvernement, de prudence, de fermeté et
de bonté; éviter certains défauts de tempérament ou de carac­
tère, qui pourraient sérieusement handicaper son influence.
Se garder de tout abus d’autorité, en dépassant les limites
de son pouvoir, ou en méconnaissant les droits de ses sujets.
A la sortie de l’Ordre — quel qu’en soit le motif — fournir
au religieux de quoi rentrer dans sa famille et se trouver une
situation dans le monde (Can. 643, § 2).
Que le Supérieur se souvienne toujours qu’il doit gouverner
comme représentant de Dieu et à la façon de Jésus-Christ.
170 LA PROFESSION

2. Devoirs des Sujets. En s’engageant dans une Congré­


gation, devenue pour lui une Société, une Famille et une Milice,
le religieux assume un ensemble d’obligations aussi graves que
variées.
Soumission totale à la législation de l’Ordre, présente et
future : Règle, Constitutions, Directoire, Coutumier, Tradition.
Avec le respect, la confiance et l’affection dus aux Repré­
sentants de Dieu, obéissance loyale et surnaturelle à tous les
ordres légitimes des Supérieurs ; « propter servitium sanctum
quod professi sunt » (Reg. S. Benoît, ch. V).
Chez les jeunes Profès, travail sérieux de formation religieuse
et professionnelle, afin de n’être point à l’avenir, pour l’institut,
un membre inutile et un poids mort.
Dévoûment gratuit à l’égard de sa Famille religieuse, sans
nul espoir — en cas de rentrée dans le monde — de compensation.
Acceptation loyale et généreuse de toutes les charges inté­
rieures ou postes de combat.
Souci de mener une vie édifiante et d’éviter tout ce qui
pourrait provoquer un fléchissement dans la vitalité de l’institut
ou la ferveur de la Communauté.
S’imprégner de VEsprit de l’Ordre et de sa Spiritualité. '
Culte du Fondateur.
A moins de motifs extrêmement graves, et avec dispense
légitime de ses vœux, Fidélité jusqu’à la mort à son Institut.

1. Le pouvoir dominatif inclut-il toujours


et nécessairement le droit de commander
en vertu du vœu d’obéissance ?
2. Un religieux à vœux temporaires, décidé
fermement à ne pas persévérer, peut-il
attendre le terme de sa Profession, ou est-il
tenu de demander immédiatement la dis­
pense de ses vœux ?
3. Un Supérieur qui refuse d’accorder une
dispense légitime et nécessaire, pèche-t-il
contre la justice ou la charité ?
4. Un sujet a-t-il le droit de refuser le Supé-
riorat ou de donner sa démission ?
CONTRAT BILATÉRAL I71
5. Quelle faute commet un Novice qui, à sa
Profession, n’a pas la volonté de s’engager ?
Est-il tenu ensuite à restitution vis-à-vis
de l’Ordre ?
6. Sous prétexte qu’il ne s’est engagé qu’à
observer l’ancienne Règle, un religieux
peut-il s’estimer libre de garder les nou­
velles Constitutions et Décrets Capitu­
laires ?

Enchiridion de Statibus Perfectionis, I, 345. — Peyska, Jus Sacrum.


lib. II, tit. III, cap. I. — Suarez, De Relig. trac., VIII, lib. I, III, IV, 2,
— Choupin, Nature et Oblig. de l’Etat religieux, Ile Partie, ch. I ;
IIe Partie, ch. m. — Gautrelet, Traité de l’Etat religieux, IIe Partie,
ch. ni. — Schaefer, De Religiosis, Pars VIII, cap. ni. — Carpentier,
Témoins de la Cité de Dieu, ch. xi, xv. — P. Colin, Culte des Vœux,
ch. il, IV. — Acta et Documenta Cong. Gener, de Statibus Perfectionis,
1950, IV. Index, « Potestas », 387.
R. C. R. 1948, 61 ; 1952, 158. — La Vie Spirituelle, Supplément, 15
septembre 1957.
VINGTIÈME LEÇON

ACTE DE SUPRÊME DILECTION

Mystère de foi et d’espérance, la vocation religieuse est plus


encore un mystère d’amour. Seule, la charité peut l’expliquer
et la justifier.
« Intimement unie au mystère du Christ et de l’Eglise »,
la vie religieuse « est l’œuvre pleinement surnaturelle d’une foi
vive et d’une invincible espérance ». Mais elle « est fondée
avant tout sur l’amour inconditionné du Christ et de l’Eglise »
(Carpentier, Témoins de la Cité de Dieu, ch. III, p. 42).
En son origine et son évolution, sous ses aspects multiples
et variés, dans ses éléments constitutifs et sa forme commu­
nautaire, en vue de sa triple fin : gloire de Dieu, sainteté, apos­
tolat, la vie d’un religieux — et donc sa Profession qui la fonde,
la formule et la contient — apparaît comme une œuvre émi­
nente, unique de charité. Peut-être est-ce le jour où l’âme se
consacra au service de Dieu qu’elle l’a aimé dans une pléni­
tude d’amour, jamais égalée, ni surpassée. Sa Profession restera
son acte royal de dilection.
Note qui revêt et synthétise toutes les modalités de la divine
charité : amour de complaisance, de louange, de préférence,
de bienveillance, de servitude, de conformité, de sacrifice,
d’apostolat, de fraternité, de fidélité.

I. LA PROFESSION NÉE DE L’AMOUR

La Profession religieuse est née de l’Amour, de deux amours


qui se cherchaient depuis longtemps et qui, un jour, finirent
par se rencontrer, se reconnaître, s’embrasser et s’unir à tout
jamais. Réponse d’amour dans le temps à un appel éternel
ACTE DE SUPRÊME DILECTION 173
d’amour. Cette belle et touchante histoire de deux cœurs en
quête l’un de l’autre trouvait donc sa conclusion dans l’oblation
et consécration de l’âme, amoureuse du Très-Haut.

1. Aboutissement et commencement. La Profession


religieuse est tout à la fois un aboutissement et un commencement.
Aboutissement d’une vocation divine à la perfection de la
charité ; commencement, aurore d’une vie nouvelle, à deux, dans
l’intimité d’un amour unique et qui sera tout : « Deus meus
et omnia. »
2. Double choix. La Profession est la conséquence d'un
double choix, inspiré de part et d’autre par un amour spécial
de prédilection.
« La vocation religieuse est-elle autre chose qu’un regard
de particulière dilection porté par le Christ sur une âme en
laquelle et par laquelle il veut réaliser plus pleinement son
œuvre rédemptrice » (R. C. R., juillet-août 1950, p. 112). Que
de fois le Sacré-Cœur n’a-t-il pas dit à sainte Marguerite-Marie :
« Ma Fille, je t'ai choisie! »
Quant à l’élue du Seigneur, son choix à elle lui avait aussi
été dicté par un amour exclusif de préférence. « J’ai méprisé
le règne de ce monde et tout le faste du siècle pour l’amour
de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que j’ai vu, que j’ai aimé,
en qui j’ai cru, que j’az préféré » (Pontifical, De Bened. et Cons.
Virginum).
3. La Charité : ultime raison d’une Profession. Bien
des causes secondes et influences occasionnelles ont pu jouer
dans la genèse d’une vocation et la conduire à terme, mais
le motif déterminant et final fut, à coup sûr, l’amour du
Sauveur.
« Il n’y a donc rien d’autre qui pousse avec suavité la vierge
à consacrer totalement son corps et son âme au divin Rédemp­
teur, sinon l’amour du Christ » (Pie XII, « Sacra Virginitas »,
Encycl. du 25 mars 1954).
Dans les premières pages de son carnet de notes spirituelles,
Bernadette, devenue religieuse, écrivait : « Pourquoi suis-je
venue ici, sinon pour aimer Notre-Seigneur de tout mon cœur,
pour lui prouver mon amour; je dois, à son exemple, souffrir
et lui tout sacrifier avec générosité. » Même aveu sur les lèvres
de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, à son entrée au Carmel :
« Je me suis faite Carmélite pour aimer le Christ et pour le
faire aimer. »
LA PROFESSION
174

II. AMOUR ET ASPECTS DE LA PROFESSION

Les multiples aspects de la Profession religieuse — enga­


gement au service de Dieu, holocauste, mariage spirituel,
tendance à la perfection, contrat — n’accusent leur beauté
et ne révèlent leurs richesses que dans le rayonnement de la
charité.

i. L’engagement au service de Dieu n’était point celui


d’un serviteur ou d’un esclave, mais l’engagement d’un fils
à l’égard de son Père, contracté, non point sous l’empire de la
crainte ou de la force, mais sous la pression du cœur.
Engagement d’amour pour un service d’amour; car, ce que
Dieu attend et exige d’abord et par-dessus tout, c’est qu’on
l’aime. Au dire de la Petite Thérèse : « Dieu n’a pas besoin
de nos œuvres, mais uniquement de notre amour » {Histoire
d’une Ame, ch. XI).

2. La Profession-Holocauste à son tour ne peut se conce­


voir, se justifier et se consommer que dans le feu de la charité.
Le sacrifice n’a sa grandeur, sa fécondité, sa valeur de témoi­
gnage que s’il est une œuvre d’amour. A l’exemple du Sauveur,
le religieux ne s’immole que parce qu’il aime : « Dilexit et
tradidit. »

3. Epousailles mystiques. Mariage de pur amour, né d’un


incoercible attrait pour le Sauveur. Amour d’épouse qui, de
jour en jour, dans l’intimité d’une belle vie, ne fera que s’épa­
nouir en tendresse, fidélité et dévouement. La Profession est
une « adhésion d’amour ».

4. Tendance à la Perfection. Ici s’affirme à nouveau le


rôle de la charité, qui éclaire le but, provoque l’effort et assure
le progrès.
Quelle est, au juste, cette perfection que le religieux profès
s’engage à poursuivre jusqu’à la mort, sinon la plénitude de
l’amour ?
Et puisque la charité est l’âme de la vie spirituelle et le
grand moteur des vertus, n’est-ce pas elle encore qui va mettre
en branle toutes nos puissances intérieures, renforcer toutes
nos activités morales, et par là nous relancer à chaque instant
sur le « Chemin de la Perfection ». La ferveur n’est-elle pas le
rayonnement d’une charité intense ?
ACTE DE SUPRÊME DIRECTION 175
5. Contrat. Justice. Charité. La Profession est un contrat
de justice passé, non point entre inconnus, étrangers ou enne­
mis, mais entre membres d’une même famille religieuse. C’est
dire que la chanté n’a pas dû être absente à son élaboration,
et qu’elle se retrouvera encore à son exécution. L’exercice de
la justice seule a quelque chose de froid, de rigide, de blessant
parfois — « summum jus, summa injuria » — ; elle prête flanc
à bien des heurts et malentendus. Dans le gouvernement sur­
tout des sociétés religieuses, la justice, nécessaire en tout, ne
suffit à rien.
Il faut que la charité soit toujours là pour tempérer chez
les deux parties contractantes les exigences du droit, lui donner
son caractère de discrétion, de condescendance, de douceur,
de bonne entente familiale.
C’est elle encore qui assurera le mieux la fidélité la plus
spontanée et la plus minutieuse, chez les Supérieurs comme
chez les sujets, à leurs multiples obligations et devoirs d’état.
Justice et Charité: c’est l’union de ces deux vertus qui fait
les communautés heureuses et pacifiques.

HI. TRIPLE ENGAGEMENT D’AMOUR

La Profession religieuse comporte essentiellement une triple


promesse dont chacune est un engagement d’amour : pratique
des conseils évangéliques, observance de la Règle et des Consti­
tutions et vie communautaire.
1. Pauvreté. Chasteté. Obéissance. Ce triple dépouille­
ment ne peut guère se concevoir et se réaliser, plénier et immuable,
s’il ne s’accompagne et n’est soutenu, durant la vie, par le
même amour qui l’a inspiré à l’heure de la Profession. Il cons­
titue le grand sacrifice mystique que le religieux n’a pu et voulu
accepter que par amour et en vue d’un plus grand amour.
Les vœux ne sont pas une fin, mais un moyen; non un
terme, mais une voie qui débouche vers les cimes d’une émi­
nente charité. En arrachant l’âme à l’esclavage des richesses,
à la frénésie de la chair, à la griserie de l’orgueil, pauvreté,
chasteté, obéissance ont assuré au cœur liberté, pureté, humi­
lité, et l’ont rendu par là capable d’un amour total, exclusif,
virginal, généreux jusqu’à l’héroïsme. Pour se défendre et pour
s’alimenter, la charité ne peut compter sur d’auxiliaires plus
sûrs et ne trouvera jamais de. sources plus profondes. « L’âme
de nos vœux, c’est donc l’amour » (Carpentier, 1. c., ch. VI, p. 72).
176 LA PROFESSION

2. Une Règle d’amour et une « Fidélité d’amour ».


Pratique des vœux, observance de la Règle : deux obligations
sacrées qui découlent de la Profession et qui, au jugement
de l’Eglise, doivent conduire le religieux à la perfection évan­
gélique (Can. 593).
A la condition toutefois que Règles et Constitutions soient
gardées « in spiritu amoris », dans un esprit de foi et d'amour.
Une observance régulière routinière, forcée, pharisaïque, qui
n’est que conformisme ou discipline militaire, est, de toute
évidence, frappée d’impuissance et de stérilité. Considérée par
contre comme l’expression authentique de la Volonté divine,
à laquelle on se soumet librement, amoureusement « ex corde »,
la Règle se révèle alors tout à la fois « programme de charité »
et « sacrement de sainteté ». A la première page des Consti­
tutions de la Visitation, saint François de Sales avait écrit :
« pour mieux vaquer à la perfection du divin amour ».
La Règle n’est plus dès lors un règlement de police, mais
un code d’amour... et c’est à cet amour que l’observance régu­
lière devra surtout son caractère de délicatesse, de générosité
et à’universalité. Fondateurs et Fondatrices le savaient bien,
qui n’ont point voulu imposer leur législation sous peine de
péché, mais simplement par fidélité d’amour.

3. Vie communautaire et charité fraternelle. Le reli­


gieux fait Profession de vie communautaire, laquelle ne sert
pas seulement de cadre social et de discipline extérieure à l’état
religieux. Elle en est encore un de ses éléments intrinsèques et
essentiels. Pas de vie pleinement religieuse, pas de perfection
vraiment évangélique en dehors de la vie en commun, insti­
tuée par l’Eglise et pratiquée dans tous les Instituts (Pie XII,
Const. Apost. « Provida Mater »).
Cette existence communautaire consiste sans doute dans un
même comportement de vie, sous une discipline identique et
collective : même habitation, mêmes vêtements, même nourri­
ture, mêmes observances régulières, mêmes pratiques des
vœux, mêmes exercices quotidiens, même horaire. Mais cette
égalité dans l’uniformité n’est en réalité que le corps de la vie
communautaire. La charité fraternelle, avec toutes ses exigences
et délicatesses, en est ï’âme profonde.
Cohabiter, non côte à côte, face à face — ce qui ne va jamais
sans danger et sans désagrément — servirait de peu si l’on
n’y joignait le « cœur à cœur », le « cor unum et l’anima una » ;
l’union des esprits et des cœurs, dans une intimité de vie.
La règle souveraine — on dirait presque unique — de la yie
ACTE DE SUPRÊME DILECTION 177

communautaire est la loi de la charité mutuelle. Amour


paternel, maternel des Supérieurs, amour filial des sujets,
amour fraternel entre tous les membres de la Communauté.
Amour qui, d’une société, fait une famille spirituelle, image de
la Famille Trinitaire et de la Sainte Famille de Nazareth.
« Père, qu’ils soient un, comme nous-mêmes nous sommes un »
(Joan., XVII, 22).

IV. PROGRAMME DE CHARITÉ

La Profession commande toute la vie religieuse : elle lui


donne son orientation définitive ; par l’émission des vœux,
elle lui trace son cheminement ; enfin, elle lui marque ses buts
essentiels : gloire de Dieu, sainteté personnelle, apostolat universel.
Trois œuvres incomparables d’amour, qui contiennent en subs­
tance toutes les activités de l’état religieux. Ainsi donc, en
entrant en religion, le Novice faisait profession de charité, et
dans sa forme la plus haute et la plus pure.

1. Gloire de Dieu et vie d’amour. La gloire de Dieu


est la fin suprême de toute la création, de l’ordre naturel et
surnaturel. Tout vient de Dieu, tout doit retourner à Dieu
et contribuer à sa gloire.
Le Christ lui-même ne s’est incarné, n’a vécu, travaillé,
souffert, n’est mort et n’est ressuscité, n’a établi son Eglise,
et dans celle-ci, l’état religieux, que pour glorifier son Père.
« Ma gloire à moi n’est rien » (Joan., VIII, 54). « Je ne
cherche pas ma gloire, mais la gloire de celui qui m’a
envoyé » (Joan., VIII, 50). Et, la veille de sa Passion, Jésus
pouvait résumer toute sa vie en ces mots : « Père, j’ai achevé
l’œuvre que vous m’aviez confiée : je vous ai glorifié sur terre »
(Joan., XVII, 4).
Imitateur parfait du Sauveur, le religieux, lui aussi, ne doit,
durant toute sa vie, en toutes ses activités, n’avoir d’autre
vue que la glorification du Père : « Soit que vous mangiez,
soit que vous buviez, soit que vous fassiez quelque autre chose,
n’agissez que pour la gloire de Dieu » (I Cor., X, 31).
Le « Ad majorem Dei gloriam » n’est point le monopole
de la Compagnie de Jésus, mais la devise obligatoire de tous
les Instituts religieux, dont la vie ne devrait être qu’un des
plus purs rayonnements sur terre de la gloire trinitaire.
Mais ce souci, cette obsession, cette poursuite sans fin du
12
178 LA PROFESSION

« Sanctificetur nomen tuum », qu’est-ce autre chose que de


faire de sa vie religieuse une œuvre ininterrompue de charité
divine ?

2. Perfection et charité. Née d’une inspiration d’amour,


elle-même oblation d’amour, la Profession religieuse ne peut
que conduire une âme — par une voie toute d’amour — à une
certaine plénitude d’amour.
La tendance à la perfection évangélique est une des fins
essentielles de l’état religieux, inscrite à la première page de
presque toutes les Règles et Constitutions. Mais cette perfec­
tion spirituelle, en quoi consiste-t-elle, sinon dans la perfection
même de la charité? « In spirituali vita perfectus est qui est
in caritate perfectus » (S. Th., De Perfectione Vitae Spiritualis,
ch. Ier). « Super omnia caritatem habete, quod est vinculum
perfectionis » (Col. III, 14).
Essence de la sainteté, parce que seule elle nous unit à Dieu
(S. Th., II, II, qu. 184, art. 1) nous fait entrer dans la vie trini-
taire et participer à sa Sainteté infinie, la charité en est encore
la mesure exacte. « La grandeur d’une âme s’apprécie à son
degré de charité : Quantitas cujusque animae aestimatur de
mensura caritatis quam habet » (S. Bernard, Sermon XXVII,
In Cant). Grande âme qui possède une grande charité ; médiocre
qui n’en a qu’une médiocre. Qui en est privé n’est rien. « Qui
magnam habet caritatem, magnus est ; qui modicam, modicus
est ; qui nullam, nullus est » (S. Bernard, cité par S. Thomas.
Opusc. 54, Tertius gradus amoris). Voir S. Bernard, Sermon
XXVII, in Cant. n° 9.
Ce qui fait la valeur d’une âme et d’une vie religieuse,
c’est moins le nombre et le poids de ses œuvres que la pureté
et l’intensité de l’amour qui les inspire et les couronne. « Vere
magnus est qui magnam habet caritatem » (De Imit. Ch. Lib. I,
cap. III, n° 6).
En mettant le cap sur la sainteté, le Néo-Profès s’engageait
donc par là même sur la voie du sacrifice et de l’amour ; résolu
à faire de toute sa vie une œuvre de charité progressive, c’est-
à-dire, de jour en jour plus pure, plus ardente, plus généreuse.
La Profession, à ses yeux, n’était en réalité qu’un engagement
et un prélude au plus grand amour du Christ.

3. Apostolat et charité. Cet amour que le religieux a


voué au Sauveur ne sera pas seulement une œuvre de sancti­
fication, mais de plus une puissance d’apostolat. Amour actif,
militant, conquérant. Car la perfection évangélique est « plei­
ACTE DE SUPRÊME DILECTION 179

nement et totalement apostolique » (Pie XII, Const. Apostolique


« Sponsa Christi »).
Si un chrétien, par son baptême, compte déjà parmi les
soldats du Christ, combien plus le religieux, en vertu même
de sa Profession. « Bonus miles Christi » (II Tim., Il, 3). En
l’appelant à son service, le Sauveur faisait de lui un de ses
meilleurs collaborateurs dans V œuvre de la Rédemption et, par
l’intermédiaire de l’Eglise et de l’institut, lui fixait sa mission.
De cet apostolat, la charité se révèle la source, le soutien
et l’une des armes les plus puissantes. Par toute sa vie de pau­
vreté, de chasteté, d’obéissance, par le seul rayonnement de
sa sainteté ; par son dévouement désintéressé à toutes les œuvres
d’apostolat, le religieux se présentera devant le monde comme
le témoin vivant de Dieu et le héraut muet de l’Evangile.
« Rien n’est plus apostolique dans l’Eglise que la perfection
évangélique » (Carpentier, Témoins de la Cité de Dieu, ch. VII,
P- 84).
S’affirme ainsi, au point de vue perfection et puissance
de rayonnement, la primauté de la charité dans l’acte même
de la Profession religieuse : Consécration d’un cœur à l’Amour
infini, dans un état de vie « où tout est à l’amour, en l’amour,
pour l’amour et d’amour » (S. François de Sales, Traité de
VAmour de Dieu. Préface).

1. Pourquoi et comment la charité com­


mande-t-elle toute la vie religieuse ?
2. Quels sont les rapports réciproques entre
la parfaite charité et chacun des vœux
religieux ?
3. La profession renferme-t-elle implicite­
ment et virtuellement toutes les formes
et variétés de l’acte d’amour ?
4. Pourquoi la pauvreté volontaire est-elle
le premier fondement de la parfaite
charité ?
5. Pourquoi l’obéissance prompte est-elle le
signe de ceux qui aiment le Christ par­
dessus tout ? (Reg. S. Benoît, ch. V.)
6. La parfaite charité est-elle la plus écla­
tante glorification de la Trinité ?
180 LA PROFESSION

7. De toutes les armes apostoliques, la charité


est-elle la plus puissante et la plus uni­
verselle ?
8. Tout religieux peut-il faire sienne la parole
de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus : « Ma
Vocation, c’est l’Amour »?

S. Alphonse, Pratique de l’Amour de J.-C. — Carpentier,


Témoins de la Cité de Dieu, ch. I, 11, v, VI, vu, xi. — Directoire des
Prêtres chargés des Religieuses, ch. ni, IV, vi. — De Guibert, Leçons
de Théologie Spirituelle, Iie Partie, Leç. 9, 10. — P. Colin, Culte de
la Règle, ch. vu ; Culte des Vœux, ch. IV ; Retraite sur l’Amitié de J.-C.,
IIe Jour, 2e Oraison ; IXe Jour, ire, 2e, 3e Oraison ; Caritas, ch. xii,
Amour d’Epouse; Aimons nos Frères, ch. ix. — Sainte Thérèse de
l’Enfant-Jésus, Histoire d’une Ame; Esprit de sainte Thérèse de
l’Enfant-Jésus, ch. I. — Acta et Documenta Congressus Generalis de
Statibus Perfectionis, 1950. Index IV, « Caritas », 367.
R. C. R. 1951, 179. — La Vie Spirituelle. Supplément, 15 mai 1951,
« Loi d’Amour ».
SECONDE PARTIE

AGENTS DE FORMATION

Chapitre IV : PREMIERS ARTISANS


Chapitre V: MAITRES - OUVRIERS
Chapitre VI : AUXILIAIRES
Par la grandeur de sa fin, la complexité de ses éléments, ses
difficultés de réalisation, la formation religieuse est une œuvre qui
requiert, pour être menée à bon terme, nombre d’ouvriers compétents
et spécialisés.

Premiers Artisans. Dieu, dans l’Unité de sa Nature et la Trinité


de ses Personnes, en est le « premier Agent », tout à la fois architecte,
entrepreneur et ouvrier. Et comme il lui plaît, dans ses opérations
« ad extra », d’user des créatures comme causes secondes,, il s’associe
pour ce travail Notre-Dame et l’Eglise.

Maîtres-Ouvriers. Toute formation, naturelle ou surnaturelle,


humaine ou divine, est de sa nature œuvre intérieure et personnelle.
A chacun d’agir, et par l’action, de croître et d’arriver progressivement
à son plein développement.
Au Novice, par conséquent, avec le secours de la grâce, de s’éduquer,
de se réformer, de se transformer, de se sanctifier, d’arriver à l’âge
adulte « in virum perfectum » (Ephes., IV, 13).
Dans ce travail, il trouvera un aide précieux dans la personne
du Père-Maître ou Maîtresse des Novices, chargé, par.l’Eglise et l’institut,
de l’éclairer, guider, encourager, entraîner.

Agents Auxiliaires. A l’équipe Père-Maître-Novice, se joindront


encore, pour les seconder ou suppléer, quelques aides : Socius ou
Sous-Maîtresse, Aumônier, Confesseur, Professeur et Novices eux-mêmes.
Chapitre iv

PREMIERS ARTISANS

Premier principe et fin ultime de la création entière, Dieu


est à l’origine de toute nie, pour régler ensuite son évolution et
présider à son épanouissement et multiplication.

Cette présence active se manifeste surtout dans l’ordre moral


et surnaturel, et plus spécialement encore, dans la genèse de la
vie religieuse.

La formation d’une âme consacrée, appelée à la perfection-


est avant tout Z’œuvre de Dieu, de la Trinité et de chacune
des Personnes divines : Père, Fils et Saint-Esprit.

De cette action souveraine et universelle, il importe dès l’abord


de rappeler la nécessité, de découvrir les modalités et de souligner
les effets.

En vue de manifester sa Sagesse et sa Bonté, pour l’honneur


aussi et le mérite de ses créatures, le Très-Haut veut bien les asso­
cier à l’exercice de sa Puissance. En particulier dans le gouver­
nement des âmes, dans l’œuvre de leur sanctification et de leur
salut, Dieu se choisit comme collaborateurs deux êtres prodigieux,
uniques : la Vierge et l’Eglise.

Dans la formation des âmes religieuses, le rôle et l’influence


184 PREMIERS ARTISANS

de Notre-Dame s'expliquent par le double privilège de sa Mater­


nité humaine et de sa Médiation universelle.

Quant à l’Eglise, son action éducatrice consistera à exercer


sur le monde religieux, d’une façon plus profonde et plus efficace,
le triple ministère que le Christ lui a confié, d’enseigner, de gou­
verner et de sanctifier.

21e LEÇON : ŒUVRE TRINITAIRE.

22e LEÇON : PATERNITÉ DE DIEU.

23e LEÇON : LE CHRIST : VOIE, VÉRITÉ ET VIE.

24e LEÇON : LE GRAND ARTISTE.

25e LEÇON : NOTRE-DAME ÉDUCATRICE.

26e LEÇON : NOTRE MÈRE L’ÉGLISE.


VINGT-ET-UNIÈME LEÇON

ŒUVRE TRINITAIRE

La création entière est l’œuvre de la Trinité. Œuvre de sa


Puissance qui tire tout du néant ; dé sa Sagesse qui ordonne
tout à sa Gloire ; de son Amour qui a besoin de se répandre
et de se communiquer.
De cet Univers, prodigieux par son immensité et sa diver­
sité, l’humanité est tout à la fois le centre et le couronnement.
Elevé à l’ordre surnaturel, l’homme est appelé à participer
intimement à la vie même de Dieu, à devenir son fils adoptif,
à jouir un jour de son éternelle Béatitude.
Mais cette déification, Dieu l’envisage comme une œuvre,
non seulement individuelle, mais collective : c’est l’humanité
— comme telle — qui fera partie de la famille trinitaire et
constituera le Royaume de Dieu.
Le genre humain tombé, puis racheté, il fallait encore le
réhabiliter et le sauver. A cette fin, Dieu suscita une Société
divine, l’Eglise qui, avec lui, par lui et en lui, travaillera jusqu’à
la fin des siècles à l’extension de son règne dans les âmes et
dans le monde.
De cette Institution organisée, hiérarchisée, sacrement uni­
versel de salut, l’Etat religieux est un des principaux éléments
de sainteté et d’apostolat; il en fait partie intégrante.
Pour mieux comprendre la grandeur, la puissance et la
fécondité de cette création nouvelle, il faut en étudier la genèse ;
sa naissance dans la pensée de Dieu (Ordre d’intention) ; puis
son apparition, ses développements incessants et multiformes
dans l’histoire du Christianisme, tant au point de vue social
qu’individuel (Ordre d’exécution). Par là, nous verrons comment
et pourquoi la Trinité est vraiment le premier Auteur de l’Etat
religieux, de tous les Instituts religieux, de toutes les Vocations
et Vies religieuses.
i86 PREMIERS ARTISANS

I. LE MONDE RELIGIEUX DANS LA VIE TRINITAIRE


Le monde religieux est un mystère qui participe au mystère
même de l’Eglise et du Christ. Mystère de foi et d’amour,
caché depuis toujours dans les profondeurs de Dieu, et que le
Sauveur devait un jour révéler dans son Evangile.
De toute éternité, Dieu a porté dans sa pensée et dans
son cœur le « monde religieux », qu’il s’agisse de l’Etat religieux
en général, des différents Ordres religieux en particulier, ou
encore de chaque religieux personnellement.
C’est dans le sein de la Trinité que la « Religion » a été
conçue, et c’est de là qu’elle est née.
i. L’Etat Religieux. Dans les vues éternelles et immuables
du Très-Haut, l’Etat religieux n’était qu’une « voie montante »,
toute de détachement, de pureté, de dépendance, que certaines
âmes privilégiées, dans le cadre et sous la conduite de l’Eglise,
devaient parcourir à la suite du Christ, pour s’élever plus haut
vers les cimes de la sainteté, s’unir plus intimement à Dieu,
participer avec plus de plénitude à sa vie Trinitaire, et cela
pour sa plus grande gloire.
Telle fut, telle est encore et restera toujours la pensée fonda­
mentale de Dieu sur l’état religieux. C’est sur ce plan primitif
que s’élèveront une multitude d’Ordres et d’instituts religieux.
2. Ordres et Instituts religieux. De toutes ces Sociétés
qui vont naître et proliférer dans l’Eglise, Dieu s’affirme de
nouveau le principal Auteur et premier Fondateur.
Après avoir décrété leur future existence, c’est lui-même
qui d’avance fixera leur structure, leur législation, leur but
spécifique, leur physionomie propre, leur esprit caractéristique,
leur apostolat, leur évolution et leurs adaptations.
Dans la vie de chaque Congrégation, tout a été prévu et
organisé par Dieu, car, rien n’échappe, ne peut échapper à sa
puissance créatrice, à son activité gouvernementale.
3. De la Vie Religieuse considérée sur le plan individuel.
En même temps que la Trinité concevait la multitude des
Ordres religieux, elle s’occupait aussi, pour assurer leur vitalité
et leur diffusion, du recrutement de leurs membres. Dans la masse
de l’humanité, Dieu choisit ses futurs consacrés ; à chacun,
il fixe sa destinée et trace son programme de vie individuelle.
Car le Très-Haut ne crée pas les âmes religieuses en série ;
chacune sera une espèce de prototype, unique en son genre,
« non est inventus similis illi » (Eccliq., XLIV, 20-22).
ŒUVRE TRINITAIRE 187

Si Dieu oriente tous les religieux vers un idéal commun,


il n’exige point de chacun une sainteté égale et uniforme. Dans
l’état religieux, comme dans la maison du Père, multiples sont
les demeures, « In domo Patris mei mansiones multae sunt »
(Joan., XIV, 2).

II. CRÉATION DU MONDE RELIGIEUX


Ce que la Trinité conçoit dans l’éternité, elle le réalise
ensuite dans le temps. Cette fresque prodigieuse du « monde
religieux » qu’elle portait en elle-même, elle va, au jour marqué
par sa Sagesse, la projeter sur l’écran de la réalité, comme
l’artiste jette sur une toile le rêve de son génie.
Envisagé sous son triple aspect d’Etat, de Société, de Per­
sonne, le monde religieux apparaît comme l’un des plus grands
chefs-d’œuvre de la Création.
1. Institution de l’Etat Religieux. L’état religieux a pris
naissance à l’heure même où, d’accord avec son Père et l’Esprit-
Saint — car de lui-même il ne fit jamais rien, « A meipso facio
nihi! » (Joan., VIII, 28) — le Christ jetait les fondements de
l’Eglise. L’état de perfection, qu’il révéla au monde, ne fut pas
une construction postérieure, ajoutée à l’édifice primitif comme
une superfétation de luxe. Eglise, état religieux, deux réalités
divines indissolublement unies, et sorties d’un seul bloc et
d’un seul coup des mains du Créateur.
2. Fondation des Ordres Religieux. La même Puissance
divine va fonder ensuite toute une longue série de Sociétés
religieuses.
a} Suscités par Dieu, sous l’inspiration et avec le secours
de sa grâce, conscients des desseins du Très-Haut et de leur
vocation, Fondateurs ou Fondatrices vont surgir à chaque
génération, pour créer de nouveaux Instituts, conçus et voulus
par la Trinité, et dont ils ne seront en réalité que les modestes
instruments. Simples manœuvres dans la construction d’une
bâtisse dont le Seigneur est tout à la fois l’architecte, le principal
ouvrier, et par là-même le Premier Auteur. Et combien juste
cet aveu : « Ma Congrégation n’est point mon Œuvre, mais celle
de Dieu. »
E) Après être intervenue, en qualité de Cause première,
dans la naissance des Ordres religieux, la Trinité se doit encore
de présider activement à leur gouvernement, expansion et durée.
Par sa Providence, par l’intermédiaire de son Eglise et des
i88 PREMIERS ARTISANS

Supérieurs, dépositaires de son Autorité souveraine et universelle,


il en restera le Chef, le Défenseur, le Propagateur, l’Animateur,
et, en cas de déviation ou de déchéance, le Réformateur.
Toute la vie sociale, intérieure et extérieure des Congré­
gations dépend, jusque dans ses moindres manifestations, de la
Puissance gouvernementale de Dieu. Enracinées en Dieu, comme
l’arbre dans sa terre native, c’est en Lui qu’elles puiseront
toute leur sève, avec le secret de leur vitalité et fécondité.
3. Vie Religieuse. De sociale, l’intervention divine se fait
individuelle et s’exerce sur chaque âme en particulier. Tout
dans la vie chrétienne, religieuse, sacerdotale relève de Dieu,
de sa Puissance créatrice et sanctificatrice.
a) Grâce sanctifiante, vertus infuses, dons du Saint-Esprit,
avec leurs opérations propres — pensées, désirs, vouloirs,
affections, œuvres multiples et variées — sous le comman­
dement et dans le déploiement de la charité : toute cette pléni­
tude et débordement de vie divine est l’œuvre de Dieu, le résultat
de sa grâce : grâce prévenante, adjuvante, perficiente. « Dieu,
de qui proviennent tous nos désirs » (Oraison des Litanies des
Saints). « Non pas que par nous-mêmes nous soyons capables
de concevoir quelque chose qui viendrait de nous-mêmes ; notre
capacité vient de Dieu » (II Cor.,III, 5).—« C’est Dieu qui, suivant
sa bienveillance, opère en nous le vouloir et le faire » (Philip.,
II, 13). Dans l’ordre surnaturel, tout est à Dieu, pour Dieu,
parce que tout vient de Dieu comme de son premier principe.
b) Cette puissance génératrice et nourricière de vie divine
intensifie et étend son action, quand il s’agit de l’état religieux,
précisément à cause de son excellence. De sa nature, supérieure
à la vie chrétienne, la vie religieuse requiert de la part de Dieu,
pour naître, croître et s’épanouir, un influx vital plus profond
et plus universel.
Considérée dans son origine — la vocation — dans ses fonc­
tions — pratique des conseils évangéliques —, dans son élan
vers les cimes — tendance à la perfection —, dans son terme
— adhésion plus intime à Dieu et participation plus abondante
à la sainteté Trinitaire, toute vie religieuse a besoin de grâces
plus nombreuses et plus efficaces. Résultat de nos efforts
personnels, la réalisation d’un tel programme est avant tout
l’œuvre du Tout-Puissant. « Gratia autem Dei, sum id quod
sum. Non ego autem, sed gratia Dei mecum » (I Cor., XV, 10).
c) Mais ne serait-ce point dans les premières années de la vie
religieuse, à l’époque de la formation et de la première crois­
sance, que se ferait sentir particulièrement l’assistance divine ?
ŒUVRE TRINITAIRE 189

Un gros travail de défoncement, de déblaiement, de fonda­


tions s’impose dès l’abord. Suivra la construction de tout
l’édifice. Encore faut-il, à la beauté, unir la solidité.
La formation d’une âme est une entreprise difficile, complexe,
délicate. C’est l’art des arts, « ars artium ». Dieu seul peut la
tenter, la mener à bonne fin, et se révéler ainsi le Premier Forma­
teur de la jeunesse religieuse.
Tous les agents secondaires, chargés de l’éducation des
Novices, ne seront donc que les auxiliaires du Très-Haut.
Encore leur action formatrice devra-t-elle tout entière se subor­
donner à celle de Dieu et s’exercer dans le même sens. Vraiment
efficace, leur influence ne le sera que dans la mesure où ils
s’efforceront d’entrer dans les vues de Dieu, de réaliser ses
plans et de se plier aux exigences de sa grâce. « Neque qui plantat
est aliquid, neque qui rigat, sed qui incrementum dat, Deus »
(I Cor., III, 7) : « Ce n’est rien de planter ou d’arroser, si Dieu
ne donne l’accroissement. »
C’est en Dieu qu’on vit en religieux, qu’on devient religieux
et qu’on est religieux : « In ipso enim vivimus, et movemur et
sumus » (Actes, XVII, 28).
« Le Dieu d’Ignace est un Dieu ouvrier, qui est source de
tout être et de toute vie, qui suscite toujours l’être et la vie,
qui n’est que vie vivifiante et créatrice, un Dieu qui adhère
à sa création, parce qu’elle est bonne » (Christus, Cahiers Spiri­
tuels, 11 juillet 1956, p. 361. P. Jean Daniélou).
4. Inhabitation de la Trinité dans l’âme religieuse.
L’action vivifiante et formatrice de Dieu n’a toutefois son
plein rayonnement que dans les justes en état de grâce.
d) « Ignorez-vous que vous êtes le temple de Dieu ? »
(I Cor., III, 16). Temple édifié au baptême, consacré à la confir­
mation et à la profession religieuse, purifié par la Pénitence,
sanctifié par la Communion et Yinhabitation de la Sainte Trinité.
Car « le temple est un lieu consacré au Seigneur pour qu’il
y habite » (S. Thomas, Comment, in II Cor., VI, Leçon 3, 16).
— « Celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu, et
Dieu en Lui » (Ep. Joan., IV, 16). — « Si quelqu’un m’aime,
mon Père l’aimera, et nous viendrons en lui, et nous ferons
en lui notre demeure » (Joan., XIV, 23). — « Spirituellement
Dieu habite, comme dans une demeure filiale, chez les saints,
dont l’esprit est capable de le posséder par la connaissance et
l'amour » (S. Thomas, Comment, in I Cor., III, 16, Leçon 3).
b) Cette inhabitation aboutit à une « admirable union (qui)
ne diffère que par la condition ou l’état de celle qui fait le
190 PREMIERS ARTISANS

bonheur des habitants du ciel » (Léon XIII, Encycl. Divinum


illud). Union intime, personnelle, permanente, amoureuse et
féconde; car la Trinité ne réside pas dans une âme à la façon
d’une hostie dans le tabernacle. Elle y est à l’instar &un. ferment
sacré qui pénètre, soulève et déifie la pâte humaine. Dieu ne
cesse de travailler, construire et embellir le temple intérieur
qu’il habite. Comme un fleuve dans la campagne, la Trinité
s’est écoulée dans la terre de notre âme, pour l’irriguer et la
féconder. « Per intrinsecam inhabitationem sola Trinitas menti
illabitur » (III, S. Thomas, quae VIII, art. 8, ad. i).
De cette doctrine sur Dieu, cause première de la vie spiri­
tuelle, et agent principal de toute formation religieuse, décou­
lent trois corollaires, que le Novice devrait toujours avoir
devant les yeux, dans son travail de sanctification :
Ier Corollaire : Détruire en lui, et écarter de sa vie tout ce qui
pourrait faire obstacle à l’action éducatrice de Dieu.
2e Corollaire : Par un grand esprit de prière et d’oraison, par
une vie intérieure intense et la réception fervente des sacre­
ments, provoquer l’intervention divine, et l’afflux de ses grâces.
3e Corollaire : A l’emprise de Dieu sur l’âme, assurer une
parfaite docilité et coopération.
i. Les opérations divines sont-elles identiques
et égales dans toutes les âmes religieuses ?
2. La puissance formatrice et sanctificatrice
de Dieu est-elle conditionnée, en partie,
dans son exercice et son efficacité, par les
dispositions intérieures de l’âme ? Quand
et comment ?
3. Dans l’œuvre d’une formation religieuse»
y a-t-il un élément relevant exclusivement
de l’homme ?
4. Dieu étant l’Agent tout-puissant et principal
de la vie religieuse, d’où viennent ses
déficiences ?

Garrigou-Lagrange, L’Amour de Dieu et la Croix de Jésus, t. II»


VIe Partie, ch. I. — Masson, Vie Chrétienne et Vie Spirituelle, IIe Par­
tie, ch. 1. — Terrien, La Grâce et la Gloire, t. I. — Froget, De l’inha­
bitation du Saint-Esprit dans les âmes justes. — Gardeil, La structure
de l’âme et l’expérience mystique, t. II. — Gay, De la Vie et des Vertus
Chrétiennes, t. I, « De la Vie Chrétienne ». — Gautier, L’Inhabita­
tion en nous des Trois Personnes. — P. Colin, La Vie Intérieure, ch. VIII.
— Marie-Eugène, O. C. D., Je veux voir Dieu, ch. 11. — De Guibert,
Leçons de Théologie Spirituelle, Leç. XXI. — DUPANLOUP, De l’Edu-
cation, t. II, liv. I, « Dieu ».
Forma Gregis, mars 1952, « Le Sens de Dieu. Habitation de la
T. S. Trinité », P. Philippe, O. P.
VINGT-DEUXIÈME LEÇON

PATERNITÉ DE DIEU

Le monde religieux — ecclésial, social, individuel — est


en son origine, ses développements et ses aboutissements
l’œuvre de la Trinité ; chef-d’œuvre de puissance, de sagesse
et d’amour.
Une dans son principe et commune aux Trois, l’activité
créatrice et sanctificatrice de Dieu, considérée dans son terme,
se révèle toutefois multiforme. L’état religieux, si riche d’élé­
ments et d’aspects, semble en effet établir certains rapports
particuliers avec chacune des Personnes divines. Et d’abord avec
le Père.

I. PATERNITÉ DE DIEU ET VIE RELIGIEUSE


La vie religieuse ne peut guère se concevoir pleinement,
en marge de notre filiation divine. Dans son fondement, ses
éléments, son exercice, son programme, sa double fin essen­
tielle, sanctification et apostolat, elle implique toujours d’étroi­
tes relations avec la Paternité de Dieu.
La Paternité de Dieu — et par voie de conséquence, notre
filiation divine — est un des grands mystères du Christianisme.
Sans être affirmée clairement dans l’Ancien Testament, du
moins y est-elle insinuée et enseignée implicitement. Il était
réservé au Testament Nouveau d’en faire l’ineffable révélation.
Des centaines de fois, elle s’y trouve exprimée en termes formels.
« La Révélation du Père des Cieux imprègne tout l’Evangile
de Notre-Seigneur. Elle en est le commencement et la fin »
(Forma Gregis, juin 1952, p. 106. P. Chevignard, O.P.).
1. Paternité de Dieu, fondement de l’Etat Religieux.
Toute vie surnaturelle — chrétienne, religieuse, sacerdotale
192 PREMIERS ARTISANS

— repose sur un double fondement : la Paternité de Dieu


et notre Filiation divine.
Créés dans l’ordre de la nature, nous avons été engendrés
dans celui de la grâce. Nous sommes nés de Dieu, « ex Deo nati »
(Joan., I, 13). C’est en vertu de cette génération que nous
participons à la nature et à la vie même de Dieu, et que nous
sommes devenus ses enfants. « Dedit eis potestatem filios Dei
fieri » (Joan., I, 12). — « Parce que vous êtes ses fils, Dieu
a envoyé dans vos cœurs l’Esprit de son Fils, qui crie en vous :
Abba Pater » (Gai. IV, 6). Etre et vivre en chrétien, c’est donc
être et vivre en enfant de Dieu.
Et puisque l’état religieux n’est que le prolongement,
l’épanouissement, le couronnement de la vie chrétienne, il
s’ensuit que l’âme consacrée est, à un titre particulier et éminent,
Yenfant du Père. Plus qu’un simple chrétien, le religieux, appelé
par vocation à une communion plus intime à la vie de Dieu
et à une participation plus abondante à son héritage céleste,
peut être appelé à juste titre Y enfant de prédilection du Très-
Haut. « Hic est filius meus dilectus » (Matth., III, 17).
Chrétien, quiconque peut le devenir sans être pour autant
religieux ; mais nul ne se dira religieux, s’il n’est tout d’abord
chrétien, et — du moins en principe, sinon de fait — parfait
chrétien.

2. Au Service du Père. Au dire de saint Benoît, le monas­


tère est « une école du service de Dieu : Dominici schola ser­
vitii » (Reg. S. Ben. Prologue). La profession est un engage­
ment sacré au service du Très-Haut. « Serviteur de Dieu »,
un des noms les plus illustres et l’un des titres les plus nobles
qui soient sur terre. « Servire Deo, regnare est. » Le Christ
l’a fait sien en entrant dans le monde : « Filius hominis non
venit ministrari, sed ministrare » (Matth. XX, 28). Et la Vierge,
à l’heure solennelle de sa Maternité divine, n’a rien trouvé
de mieux que de s’appeler la « Servante du Seigneur : Ancilla
Domini » (Luc, I, 38).
Mais ce Dieu, au service duquel le religieux s’est voué,
c’est un Père, son Père, et quel Père ! Et comme ce service
d’adoration, de prière, de louanges, de soumission va y gagner
en facilité, promptitude, dévouement ! Ce n’est plus le service
de V esclave, mais de Y enfant. Service non plus imposé et
accompli par crainte ou par force, mais accepté spontanément
et rendu avec amour. « Servito ei corde perfecto et animo
voluntario » (I Parai., XXVIII, 9). Pour un fils, rien de plus
doux que de servir son Père.
PATERNITÉ DE DIEU 193
3. Retour au Père. La vie religieuse, de sa nature, est
tendance à la perfection. Mais cette tendance serait-elle autre
chose qu’un retour au Père ? « Vado ad Patrem » (Joan., XVI, 17).
Avec le Sauveur ne pourrions-nous dire : « Je m’en vais vers
celui qui m’a envoyé ? Vado ad eum qui me misit » (Joan.,
VII, 33). Sorti de Dieu, je retourne à Dieu : « Quia a Deo exivit,
et ad Deum vadit » (Joan., XIII, 3). Et combien la montée
vers les cimes de la sainteté, par les sentiers étroits des conseils
évangéliques, nous apparaîtrait moins pénible si, à chaque pas,
nous nous disions : « Je me rapproche de mon Père ; encore
un effort, et je vais enfin entrer dans la maison paternelle, où
Jésus est allé me préparer une place : « Vado parare vobis
locum » (Joan., XIV, 2).
Encore quelques jours et nous tomberons dans les bras
de notre Père, « in sinu Patris » (Joan., I, 18), et pour l’éternité.
4. Paternité divine et Conseils évangéliques. Ces
conseils, le Christ ne nous les a révélés, et le religieux n’en a
fait le vœu que pour participer plus pleinement à la sainteté
du Père, et vivre plus intimement de sa vie, en véritable enfant
de Dieu.
« Quel est le but des conseils de Jésus? — Rappelons-nous
que le Fils unique s’est incarné pour nous révéler ce que nous
devions faire en vue de vivre à son exemple en enfants adoptifs
du Père. Ses désirs, ses conseils sont les conditions les plus
parfaites de la vie d’enfant de Dieu, de notre vie d’union à la
Sainte Trinité » (Carpentier, Témoins de la Cité de Dieu,
ch. IV, p. 46. Voir ch. I, p. 23, n° V, 2).
5. Filiation divine et Fraternité religieuse. L’état reli­
gieux implique essentiellement la vie en commun. Nul n’est
religieux, s’il ne fait profession dans un Institut approuvé par
l’Eglise, pour y vivre en communauté. Toute Congrégation
constitue une grande Famille dont Dieu est le Père et dont
tous les membres sont Frères, parce que tous fils d’un même
Père.
Admirable fraternité divine; union de tous les esprits, de
tous les cœurs, de toutes les volontés, de tous les dévouements,
dans l’amour et au service du même Père, et pour le triomphe
d’une seule et même cause. Fraternité qui n’aura tout son sens
et ne trouvera sa perfection que dans le rayonnement de la
Paternité divine.
6. Le Religieux imitateur du Christ et le Culte du Père.
Par vocation, le religieux vise à la perfection évangélique, laquelle
13
194 PREMIERS ARTISANS

« consiste fondamentalement à ordonner toute l’existence,


même extérieure, d’après notre filiation divine, c’est-à-dire,
d’après l’exemple du Christ... Il vient en ce monde pour nous
enseigner à « devenir des enfants de Dieu à notre tour » (Carpen­
tier, 1. c., ch. I, p. 23).
Par nature, Fils unique du Père, le Christ a fait de cette
Paternité l’inspiratrice de toute sa vie terrestre. Sa religion
est centrée entièrement sur son Père. Toutes ses relations
avec Dieu sont des relations filiales de Fils à Père. En tout,
partout et toujours, il se comporte en Fils ; « Fils bien-aimé,
en qui Dieu met toutes ses complaisances : Hic est Filius meus
dilectus, in quo mihi complacui » (Matth., III, 17). — « Son
genre de vie répond à cette parfaite filiation » (Carpentier,
1. c., p. 23).
Père, mon Père : ce nom sacré se retrouve à toute heure
et en toutes circonstances sur les lèvres de Jésus. C’est son
Père qu’il honore, qu’il bénit, qu’il implore et qu’il aime,
« Diligo Patrem » (Joan., XIV, 31). C’est au Père qu’il rend
grâces, dont il accomplit la volonté, et à la gloire duquel il
s’immole. C’est le Père qu’il vient révéler au monde, et dont
il proclame la sainteté, la bonté, la miséricorde, la Providence,
avec l’obligation pour tous ses fils de l’imiter.
A l’heure suprême, c’est encore entre les mains du Père
qu’il s’abandonne et remet son âme douloureuse (Luc, XXIII,
46. — Voir encore les 4 Evangiles, passim).
Si l’imitation du Christ constitue la règle suprême de toute
perfection, pourquoi, à l’exemple du Sauveur, ne point inspirer
notre spiritualité et imprégner tout notre comportement reli­
gieux de cet esprit filial ? A prendre, dans tous nos rapports
avec Dieu,- une attitude et des sentiments d’enfant, combien
notre vie y gagnerait en simplicité, humilité, confiance, aban­
don et dilatation d’amour ! « Dilatato corde » (Reg. S. Benoît,
Prologue) ; et comme il nous serait facile et doux d’entrer,
à notre grand profit, dans la Voie, si chère à la Carmélite de
Lisieux, de l’Enfance spirituelle !
« Cette assurance que j’ai d’avoir Dieu pour Père, et cette
mission que je me donne (ou que j’ai reçue ?) de faire connaître
cette merveille, confèrent à ma vie une signification et — même
ici-bas — une portée remarquable... Vraiment, plus je me mets
en présence de cette vérité, plus je trouve qu’elle est capable
d’organiser autour d’elle toute une spiritualité... La tâche qui est
devant moi : être l’apôtre, l’évangéliste de la paternité divine »
(P. Aug. Valensin, S. J., cité par « Christus », Cahiers Spirituels,
4 ; La joie dans la foi, p. 131).
PATERNITÉ DE DIEU 195

II. PROVIDENCE DU PÈRE


Si elle est une gloire, la paternité humaine est aussi une
charge. Vis-à-vis de ce petit être, né de leur sang et de leur
amour, les Parents ont assumé de nombreuses et lourdes respon­
sabilités. Cette vie nouvelle et fragile, c’est à eux qu’il incombe
de la protéger, de l’entretenir, de la développer, jusqu’à ce qu’elle
puisse à son tour se propager en d’autres générations. Au Père
et à la Mère de pourvoir à la formation physique, intellectuelle,
morale, religieuse et sociale de leurs enfants dont ils sont les
éducateurs-nés.
i. Double Paternité de Dieu. Pour le Très-Haut, comme
pour l’homme, la Paternité est une gloire.
Gloire éternelle et infinie d’avoir engendré son Verbe, son
Fils premier-né, « splendeur de sa gloire et image de sa substance :
Splendor gloriae et figura substantiae ejus » (Heb., I, 3).
Gloire encore d’avoir engendré dans le temps une multi­
tude d’êtres humains, à qui il a communiqué quelque chose
de sa nature, qui sont devenus ses fils adoptifs; « Accepistis
spiritum adoptionis filiorum » (Rom., VIII, 15), et qui, déjà
sur terre, et plus tard dans les deux, seront un des plus purs
rayonnements de sa Majesté et de sa Sainteté.
2, Providence universelle du Père céleste. Après les
avoir appelés à la vie divine, Dieu ne pouvait se désintéresser
de leur sort, les abandonner à leur impuissance native, quitte
à les voir sombrer dans la mort ou retourner au néant. Se pour­
rait-il qu’il fût un mauvais Père, « lui, dont la Paternité est la
source et l’idéal de toutes les autres paternités : « Ex quo omnis
paternitas in coelis et in terra » (Eph., III, 15), « Nemo tam
Pater ! ».
La Paternité, en Dieu, n’est pas un simple titre honori­
fique, elle est une fonction sacrée. Cette vie divine communiquée
à ses fils, c’est à Lui de la conserver, par une espèce de géné­
ration continue, semblable à celle de son Verbe ; à Lui de la
protéger contre toutes les puissances de mort qui la menacent ;
à Lui de la développer par l’apport incessant de sa grâce, jusqu’à
ce qu’elle aboutisse à son terme, la vie éternelle.
Dès l’instant où l’homme devenait l’enfant de Dieu, sa
Providence paternelle le prenait en charge. Providence qui n’est
que l’exercice de la Sagesse, de la Puissance, de la Bonté et
Miséricorde divines, mises à la disposition du Père, pour le
service de ses enfants.
196 PREMIERS ARTISANS

d) Providence universelle qui, dans le gouvernement des


âmes et du monde, s’étend à tous et à tout ; qui s’occupe de la
fondation et de l’écroulement des empires, comme de la nour­
riture du passereau et de la blancheur du lis ; qui, jusque dans
les détails les plus minimes, préside à l’évolution de notre
vie surnaturelle ; qui, dans le prodigieux enchevêtrement des
causes secondes, arrive toujours à ses fins : manifestation de
ses attributs et glorification de son Nom. « Attingit ergo a fine
usque ad finem fortiter » (Sap. VIII, i).
&) Providence active, de toutes les heures et de tous les
instants, toujours en éveil, toujours en exercice, et à qui rien
n’échappe. « Pater meus usque modo operatur » (Joan., V, 17).
c) Providence généreuse, jusqu’à la prodigalité, pourvoyeuse
universelle de toutes les grâces de préservation et de sancti­
fication. Dans cette distribution des dons divins, chacun a sa
large part, et personne n’est oublié : un Père peut-il oublier
quelqu’un de ses enfants ?
d) Providence miséricordieuse : n’est-il pas « le Père des
miséricordes? Pater misericordiarum » (II Cor., I, 3). Père de
l’enfant prodigue, qui relève, pardonne, oublie et embrasse,
en pleurant de joie, son fils retrouvé ; dont le cœur s’émeut
devant un pécheur repentant bien plus qu’à la vue de 99 justes
(Luc, XV, 7). — Le Père qui fait lever son soleil sur les bons
et sur les méchants ; qui sait tirer le bien du mal, transformer
nos misères en vertus, et faire de jeunes saints avec de vieux
scélérats.

3. Providence spéciale du Père à l’égard du religieux.


Si la Providence divine s’exerce vis-à-vis de tous les enfants
de Dieu, elle enveloppe tout particulièrement le religieux, cet
enfant privilégié du Père céleste.
d) Depuis toujours, Dieu l’a donc choisi, et, par une voca­
tion exceptionnelle, appelé à occuper dans l’Eglise une situation
de choix, et destiné à une sainteté supérieure, voire éminente.
Mais la poursuite d’un tel idéal et la réalisation d’un tel pro­
gramme ne peuvent se concevoir sans une intervention plus
puissante et plus efficace de la Providence. Toutes les grâces
d’état réclamées par une haute destinée, Dieu se doit à lui-
même de les accorder avec la munificence d’un Père. « La vie
religieuse est l’état de vie le plus ardu au regard de l’imper­
fection humaine. Mais elle est en même temps l’état le plus
épanouissant, le plus simplifiant, par son caractère de désin­
téressement total, d’amour sans mélange, d’abandon filial ;
PATERNITÉ DE DIEU 197

elle est Yétat le plus disposé » — en même temps que Yappel


le plus continuel et le plus exigeant — « à l’abondance des grâces
divines » (Carpentier, Témoins de la Cité de Dieu, ch. VII,
pp. 86-87).
b) Si la Providence embrasse l’existence d’une vie religieuse,
dans son ensemble et dans ses détails, elle se manifeste toute­
fois plus attentive et plus active — semble-t-il — à certaines
heures, spécialement dans le choix de la vocation et au stade
de la formation.
Dès sa naissance, le futur religieux était marqué, séparé
de la masse, et sur lui le Père céleste se penchait avec toute
la sollicitude et tendresse d’une mère sur le berceau de son
enfant.
La culture et la réussite d’une vocation dépendent tout
d’abord de Celui qui en a jeté le germe dans une âme : « Omnis
plantatio, quam non plantavit Pater meus coelestis, eradica­
bitur » (Alatth., XV, 13).
Lumières et inspirations divines, attraits naturels et surna­
turels ; une éducation profondément chrétienne, l’exemple de
maîtres éminents ; désillusions, échecs, souffrances, trahison
d’amitié ; une mission, une retraite, moins encore : une parole
de prêtre ; grâces multiformes, intérieures ou extérieures, etc.,
la Providence se sert de tout, parfois même des misères et des
chutes d’une âme, pour la conduire par des voies mystérieuses,
voire étranges, jusqu’au port de la vie religieuse.
La genèse de maintes vocations est souvent une merveille
et, plus d’une fois, un miracle.
c) Cette Providence paternelle se continuera, en s’ampli­
fiant, durant le temps du Noviciat et la période des vœux tempo­
raires. La formation religieuse — de nos jours surtout —?se
révèle œuvre extrêmement délicate et ardue. Les moyens
humains n’y suffisent point, et les efforts réunis du maître et du
disciple ne peuvent, sans la grâce, se solder que par une ébauche
ou un échec.
Dans ce travail, essentiellement surnaturel et d’une impor­
tance vitale pour l’avenir du Novice, Dieu interviendra donc
tout le premier, pour en guider, soutenir et parfaire l’exécution.
En réalité, il est le grand et unique éducateur, tous les autres
agents n’étant que ses humbles et dociles auxiliaires.
De cette doctrine sur la Paternité et la Providence de Dieu,
découle comme conséquence pratique, pour toutes les âmes
chrétiennes et surtout religieuses, la pratique si excellente de la
« Voie à’Abandon ».
198 PREMIERS ARTISANS

i. La Paternité de Dieu et notre filiation


divine sont-elles pour le religieux une
source d’apostolat ?
2. Quels sont les rapports entre l’Enfance spi­
rituelle et l’abandon à la Providence ?
3. Ces deux voies peuvent-elles s’harmoniser
avec la spiritualité, l’esprit et la Règle de
toutes les Congrégations religieuses ?
4. Le don de Piété se réfère-t-il à la Pater­
nité divine et a-t-il des accointances avec
l’Enfance spirituelle ?
5. Quelle différence entre l’Abandon à la
Providence et la Conformité à la Volonté
de Dieu ?
6. La voie d’Abandon est-elle un exercice
continuel des trois vertus théologales ?

S. Alphonse, Œuv. Asc., t. XVII ; Pratique de l’Amour de Jésus-


Christ, ch. xiii. — S. François de Sales, Traité de VAmour de Dieu,
liv. IX, ch. 13 et 15 ; liv. II, ch. ni ; Les Vrqys Entretiens Spirituels,
IIe Entr. — Faber, Progrès de l’âme, pp. 71 ss s Tout pour Jésus, ch. m.
— Güerry, Vers le Père. — Carpentier, Témoins de la Cité de Dieu,
ch. 1. — Gay, De la Vie et des Vertus Chrétiennes, t. II « De l’Abandon »,
— Caussade, L’Abandon à la Divine Providence. — Dohet, L’irré­
prochable Providence. — Valensin, La joie dans la foi, Méditations,
— Bossuet, Discours sur l’Acte d’Abandon. — P. Colin, Caritas.
ch. x. — Esprit de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, ch. il. — Schryvers,
Le Don de soi.
Forma Gregis, novembre 1950, « L’Enfance évangélique, Chevi-
gnard ; juin 1952, Grandes lignes de la Doctrine spirituelle de l’Evan­
gile, Chevignard. — Christus, Cahiers Spirituels, 4, « La joie dans
la foi », Rimaud.
VINGT-TROISIÈME LEÇON

LÉ CHRIST : VOIE, VÉRITÉ ET VIE

« Voie, Vérité et Vie, trois mots d’origine divine, qui vont


nous servir à déterminer la place et la part de Jésus-Christ
dans notre vie spirituelle », tout particulièrement dans l’histoire
de notre vocation religieuse et l’œuvre de notre formation.
(Masson, Vie Chrétienne et Vie Spirituelle, IIe Partie, ch. II,
p. 120.)
L’Universalité est un des caractères les plus frappants du
Sauveur. Dans l’ordre surnaturel, partout on rencontre sa
présence et l’on constate sa prodigieuse activité. Rien n’échappe
à son rayonnement et à son influence. Si « le Père opère toujours,
lui aussi ne cesse d’agir : Pater meus usque modo operatur
et ego operor » (Joan., V, 17) — « Par lui tout a été fait, et rien
n’a été fait sans lui » (Joan., I, 3).
De l’édifice spirituel il est tout à la fois le fondement, la
structure, le couronnement et le principal architecte. « Personne
ne peut poser un autre fondement que celui qui a été posé,
à savoir, Jésus-Christ » (I Corinth., III, 11). « Le Christ est,
dans sa très sainte humanité, le vrai centre de toute notre vie
spirituelle » (De Guibert, « Leçons de Théologie Spirituelle »,
13e leçon, p. 181).
« Instaurare omnia un Christo » (Eph., I, 10). C’est par
et dans le Christ que l’état religieux s’est instauré dans l’Eglise,
et qu’il subsistera à travers les siècles. En dehors du Sauveur,
nulle vie religieuse ne peut se vivre, ni même se concevoir.
Docteur de l’Etat religieux (Veritas).
Modèle du Religieux (Via).
Source de Vie Religieuse (Vita).
Expression et résumé de toutes les activités de Jésus-Christ
sur le plan religieux.
200 PREMIERS ARTISANS

I. J.-C. DOCTEUR DE L’ÉTAT RELIGIEUX


Le Christ est la Vérité « Ego sum veritas » (Joan., XIV, 6).
Vérité éternelle, substantielle, infinie, « éclairant tout homme
venant en ce monde » (Joan., I, 9), et surtout illuminant toute
âme qui, à sa suite, s’engage sur la voie des conseils évangéliques.
« Qui sequitur me non ambulat in tenebris » (Joan., VIII, 12).
L’état religieux est un mystère, inaccessible à la raison,
et que les plus grands génies n’ont su découvrir ni même soup­
çonner. Il y fallait une révélation divine. Le Verbe incarné
l’apportera à l’humanité. C’est Lui qui allait nous dire la vérité
■plénière sur la vie religieuse.
Cette connaissance, le Sauveur la communique d’une
quadruple façon : par son enseignement, sa Personne et sa vie,
son Eglise, son Esprit.
1. L’Enseignement évangélique. L’état religieux est un
des plus « hauts lieux » du monde moral. Il était réservé au
Christ de nous le découvrir dans l’Evangile et de nous indiquer
les chemins qui y conduisent.
Par sa profession, le religieux s’est engagé à tendre à la
perfection évangélique. Encore faut-il savoir où elle se trouve,
et en quoi elle consiste. L’Evangile va nous le dire. C’est en
écoutant le Sauveur et en lisant son Message que nous com­
prendrons cette forme supérieure de vie spirituelle.
A la condition toutefois que l’étude et la méditation de
l’Evangile se fassent avec le « sens du Christ » (I Cor., II, 16) ;
sans commentaire sirupeux, sans interprétation frauduleuse,
sans contamination d’humanisme païen. L’Evangile, oui, mais
dans toute sa simplicité, pureté, intégrité, vigueur originelle.
L’état religieux nous apparaîtra alors comme la « terre
promise » ; terre des crucifixions et des béatitudes, terre où
l’on meurt à soi-même pour ressusciter avec le Christ et vivre
de sa vie ; terre de servitude et de liberté ; terre de sainteté,
« terra sanctorum », sur laquelle s’épanouissent toutes les
grandes vertus, austères et fécondes : pauvreté, chasteté, obéis­
sance, humilité, abnégation, esprit de sacrifice... la charité
surtout dans toute sa splendeur et sous sa double forme : amour
de Dieu et amour du prochain.
L’Evangile, Idéal-Programme de l’état religieux, et qui
devrait être le Vade-mecum et le livre de chevet de toutes les
âmes consacrées. Ce n’est qu’à l’école du Sauveur que nous
apprendrons ce qu’est la vie religieuse. « Vous n’avez qu’un seul
Docteur » (Matth., XXIII, 8).
LE CHRIST : VOIE, VÉRITÉ ET VIE 201

2. Prédication vivante. A son enseignement oral, le Maître


joint une incomparable leçon de choses : l’exemple de sa vie.
Son Evangile, il l’a vécu avant de le prêcher. Pleinement,
éminemment religieux, Jésus le fut dès son incarnation. En sa
Personne, ses états, ses mystères, ses vertus, toujours se retrouve
le Religieux de Dieu. Pas un acte de sa vie qui n’ait été une
œuvre essentiellement religieuse. Premier Adorateur, et Servi­
teur du Père, il récapitule en Lui toute la Religion et donc
l’état religieux. Son existence devient ainsi un enseignement
vivant, permanent et universel.
Il suffirait dès lors de bien connaître le Christ pour acquérir
la science approfondie de l’état religieux. Et qui sait si la contem­
plation assidue et amoureuse du Sauveur ne nous révélerait
pas — mieux que toutes les spéculations théologiques — les
splendeurs et les richesses d’une vocation de consacré.

3. L’Eglise enseignante. Le Christ nous instruit encore


par le truchement de son Eglise à qui il a confié son Evangile,
avec mission de le propager, de le commenter, de le préciser,
de le compléter. Son enseignement n’est en réalité que le prolon­
gement et l’écho de la parole de Jésus. A travers toute la tradi­
tion écrite ou orale des Papes, Pères, Docteurs, Saints, et qui
nous a légué sur l’état religieux tant de pages admirables, c’est
bien encore le Maître que nous entendons, et qui continue
à guider nos pas sur le chemin de la perfection évangélique
« Qui vous écoute m’écoute, Qui vos audit, me audit » (Luc,
X, 16).

4. Les « Missions » du Saint-Esprit. L’enseignement


religieux du Sauveur trouvera enfin son complément dans les
« Missions de son Esprit ». A ses disciples, formés par Lui pendant
trois ans et qui n’ont pas toujours saisi le sens de sa doctrine,
Jésus promet d’envoyer, après sa mort, son Esprit de Vérité,
afin de remédier à leurs ignorances, incompréhensions, gros­
sières illusions, et d’ouvrir tout grands aux splendeurs de sa
révélation leurs esprits épais et bornés. « J’ai encore bien des
choses à vous dire, mais vous n’êtes pas maintenant en état
de les porter. Quand il viendra, lui, l’Esprit de Vérité, Il vous
guidera vers la vérité totale, car il ne parlera pas de son propre
chef; il dira ce qu’il aura entendu et vous annoncera l’avenir.
Il me glorifiera, car il prendra de ce qui est à moi et vous
l’annoncera » (Joan., XVI, 12-14 — XV, 26). « L’Esprit-Saint
qu’enverra mon Père en mon nom vous enseignera toutes choses »
(Joan., XIV, 26).
202 PREMIERS ARTISANS

Heureux le religieux à qui le Sauveur ne cesse d’adresser


son Esprit de Sagesse, à.’Intelligence, de Science et de Conseil
pour l’instruire des grandeurs, des exigences de sa vocation,
et le guider dans le comportement de sa vie journalière. Combien
de petites âmes, ignorantes, sans nulles connaissances livresques,
mais ouvertes aux influences d’en-haut, ont su, grâce à leur
intimité d’amour avec le Christ, se montrer étonnamment
éclairées dans les voies spirituelles, et capables d’en remontrer
aux plus graves théologiens. Tel fut le cas de la Petite Thérèse
de Lisieux qui n’eut guère d’autre Maître et d’autre Directeur
que Jésus, le « Docteur des Docteurs », dont elle ne craignait
pas de dire : « A chaque instant, il me guide et m’inspire »
(Histoire d’une Ame, ch. VIII, p. 146 ; ch. X, p. 183 ; ch. XI,
p. 208 -, ch. VII, p. 120).
A se mettre, dès ses premières années, à l’Ecole du Sauveur,
par l’étude de son Evangile et la méditation de sa vie; par la
fidélité aux enseignements de son Eglise et la docilité à la conduite
de son Esprit, le religieux ne pourra que donner à sa formation
une solide base doctrinale, condition essentielle de toute belle
vie spirituelle.

II. JÉSUS-CHRIST, MODÈLE DU RELIGIEUX

« Il fallait à l’homme un Idéal visible ; cet idéal n’était


réalisé dans aucun des humains. Dieu seul, Dieu invisible
était cet idéal. Alors pour que cet idéal fût rendu visible, Dieu
s’incarna » (S. Augustin. Sermo de Nativit. Domini). Ainsi
donc, un des motifs de l’incarnation fut de nous donner dans
le Christ l’idéal de toute sainteté, l’Archétype de toute perfec­
tion, le Modèle du chrétien, du prêtre, du religieux. D’où
l’expression courante : Jésus-Christ grand Religieux de Dieu,
premier Religieux du Père.
En sa personne et dans sa vie se trouve en effet réalisé tout
ce qui constitue l’Etat religieux, et tout ce qui fait le religieux,
mais à un degré suréminent, transcendant.
i. Profession religieuse du Christ. Elle ne fut point
comme chez nous un acte transitoire, quelque chose à’adventice,
venu s’ajouter à notre personnalité. Le Christ n’est point
devenu religieux, pas plus qu’il n’est devenu prêtre. Religieux,
il l’a toujours été, dès le sein de sa Mère; il est né religieux.
Son Incarnation fut tout à la fois sa profession religieuse et son
ordination sacerdotale. En assumant la nature humaine, le
Verbe devenait par là même, naturellement et nécessairement,
LE CHRIST, VOIE, VÉRITÉ ET VIE 203

non pas un religieux, mais « Le Religieux » en personne, comme


l’incarnation de l’Etat religieux.

2. Appartenance et Servitude. En vertu de sa profession,


le religieux est à Dieu, appartient à Dieu à un titre nouveau
et sacré. Tout à Dieu par sa création et son baptême, il le devient
plus encore par le don volontaire et plénier de lui-même au
Très-Haut.
A l’incarnation, la sainte Humanité de Jésus devenait la
propriété absolue et inaliénable du Verbe. Toute à Lui et, par Lui
et en Lui, toute à Dieu. Si puissamment saisie, accaparée
par le Verbe, que les deux natures s’unissent jusqu’à former
une seule Personne divine.
Et de cette prise de possession découlait une sujétion totale
et universelle. L’Humanité soumise au Verbe, dépendant du
Verbe dans toutes ses activités; et le Christ à son tour soumis
au Père, en tout, partout, toujours. Toute la vie terrestre du
Sauveur n’est plus, dès lors, qu’une glorieuse et permanente
servitude. Premier religieux et premier serviteur du Père :
« Je suis venu, non pour être servi, mais pour servir » (Matth.,
XX, 28). En s’incarnant, en faisant profession, Jésus entrait
définitivement au service de Dieu et de l’humanité.

3. La tendance à la Perfection est une des obligations


fondamentales de l’état religieux. Ascension lente, âpre, bordée
de précipices, vers des cimes qu’on n’atteindra jamais. Le Christ,
lui, dès le premier instant de sa vie religieuse, s’est situé sur
le plus haut sommet. Il est arrivé depuis longtemps, alors que
nous sommes toujours en route — viatores. Saint en plénitude,
il apparaît, ici encore, comme le type du parfait religieux.

4. Le Christ et les Conseils Evangéliques. Si le Sauveur


n’a point émis les trois vœux religieux, du moins a-t-il pratiqué
éminemment les conseils évangéliques. Qui fut jamais aussi
pauvre, aussi chaste, et surtout aussi soumis que Jésus ? Vertu
principale et caractéristique de l’état religieux, l’obéissance
fut la vertu royale du Christ ; il en fit le programme et la règle
absolue de toute sa vie. « Et erat subditus illis » (Luc, II, 51).
De l’accomplissement de la volonté du Père, il fit sa nourriture
quotidienne (Joan., IV, 34). « Factus obediens usque ad mortem »
(Philip. II, 8).
5. Consécration. La profession est la consécration d’une
âme au service de Dieu. Consécration mystique, qui n’est pas
204 PREMIERS ARTISANS

sans quelque ressemblance avec la consécration sacramentelle


du prêtre, et qui fait du religieux un être à part, séparé du monde,
sacré, et qui, comme l’autel et le calice, ne doit plus servir
qu’au culte divin.
Chez le Christ, ce fut plus qu’une consécration. Dans son
Incarnation — qui fut, répétons-le, sa profession religieuse —
il divinisait réellement sa nature humaine, il la déifiait.
6. Religieux-Prêtre. La vie religieuse est une oblation
et un holocauste permanent. Hostie et Victime, le Christ l’est
aussi — et il le restera, dans son Eucharistie, jusqu’à la fin des
temps — et il l’est doublement : comme Prêtre et Religieux.
L’état sacerdotal et l’état religieux — conséquence de l’incar­
nation — non seulement coexistent en Jésus, mais sont encore
solidaires l’un de l’autre ; ils s’appellent, se complètent et se
renforcent mutuellement. L’esprit religieux et l’esprit sacer­
dotal sont essentiellement un esprit de sacrifice et d’immo­
lation, que l’on retrouve partout et toujours dans la Religion
du Sauveur.
7. Epousailles du Christ Religieux. Il n’est pas jusqu’à
l’aspect matrimonial qui ne doive se découvrir dans la vie reli­
gieuse du Christ. L’Incarnation du Verbe fut un véritable
mariage mystique. En assumant la nature humaine, il l’épousait.
« Saint Thomas dit formellement que le mystère de l’Annon­
ciation a quelque chose de nuptial, et que cette première
liaison de la mère à l’enfant est bien faite pour montrer qu’il se
forme un mariage spirituel entre le Fils de Dieu et la nature
humaine, qui est toute représentée en Marie » (P. Bernard,
Mystère de Marie, ch. VII, p. 123) ; cf. saint Thomas, III,
q. 30,1.). Union directe, sans intermédiaire, si profonde
et si totale que de deux natures distinctes elle ne fait plus qu’une
seule personne; union mystérieuse, unique en son genre, que
la théologie appelle hypostatique.
Union d’amour ineffable ! Qui dira jamais la dilection de
Jésus pour sa sainte Humanité, et la tendresse de celle-ci pour
son Epoux divin.
Union indissoluble, qui durera à jamais, pour l’éternité.
8. De la Vie Communautaire, essentielle à l’état religieux,
le Sauveur offre encore un modèle parfait. Sainte Famille de
Nazareth, premier monastère de contemplatifs. Fondation du
Collège Apostolique, ébauche des Ordres militants : n’était-ce
point déjà la vie de communauté dans la pauvreté et la charité ;
l’union des esprits et des cœurs ; tous appelés à une même
LE CHRIST : VOIE, VÉRITÉ ET VIE 205

tâche : prier, travailler, souffrir, lutter pour le triomphe d’une


seule et même cause : la glorification de Dieu et le salut de
l’humanité ?
9. Imitation de Jésus-Christ. « Venez... suivez-moi »...
« Je vous ai donné l’exemple : ce que j’ai fait, faites-le vous-
même » (Matth., VIII, 22 ; Joan., XIII, 15). Ce double appel
du Sauveur s’adresse à tous, spécialement aux âmes consacrées.
L’Imitation du Christ s’impose dès lors comme la loi suprême
de la perfection religieuse. Nombre de Règles et Constitutions
le rappellent en termes exprès, et font même de cette imitation
la note caractéristique de leur spiritualité, et l’esprit propre
de l’institut.
Le programme de toute formation religieuse pourrait donc
s’exprimer en quatre mots : contempler le Christ, Y aimer, l’imiter
et, finalement, lui ressembler.
A suivre de près le Sauveur, à le prendre comme guide
et compagnon de route dans ses ascensions spirituelles, la
jeunesse de nos Noviciats et Scolasticats ne pourrait qu’y trouver
lumière, élan, joie, force, générosité, avec l’assurance d’être
dans la bonne voie, de marcher plus vite et de monter plus
haut.

III. JÉSUS-CHRIST, SOURCE DE VIE RELIGIEUSE

Le Christ est de plus la source profonde de toute vie reli­


gieuse, qu’on la considère dans son principe, ses modalités,
ses activités, ses développements, sa plénitude et son terme.
Rien n’échappe à son influence constante et universelle.
« Le Père opère sans cesse, dit Jésus et moi de même »
(Joan., V, 17). « Le Verbe s’est incarné, afin de nous donner
la vie, et de nous la donner en abondance » (Joan., X, 10).
Il est la vie « Ego sum Vita », et cette vie va déborder sur l’huma­
nité entière.
1. Nature de cette puissance de vie. Le Christ est tout
à la fois cause exemplaire, finale, méritoire et efficiente de toute
vie religieuse.
a) Cause exemplaire, comme Verbe de Dieu ; et comme
Dieu-Homme, type unique et incomparable de toute vie reli­
gieuse (voir page précédente).
V) Cause finale. La fin ultime de l’Etat religieux est la glori­
fication de Dieu ; mais ce n’est que « par lui, avec lui et en lui
que tout honneur et toute gloire seront rendus au Père ». « Cette
206 PREMIERS ARTISANS

glorification de Dieu ne sera pas procurée séparément, indi­


viduellement par les élus, mais elle le sera en commun par tout
le Corps mystique dont le Christ-Homme est la tête et dont
nous sommes les membres » (De Guibert, Leçons de Théologie
Spirituelle, leç. XIII, p. 181).
c) Cause méritoire. Toutes les grâces surnaturelles, indivi­
duelles et collectives du monde religieux, depuis celle de la
vocation jusqu’à celle de la persévérance, sont le fruit du Sacri­
fice Rédempteur. C’est par les mérites de la Passion du Sauveur
que nous sommes religieux, que nous vivons en religieux et
que nous mourrons religieux.
d) Cause efficiente. Dans notre génération spirituelle, pro­
duction de la grâce sanctifiante, des vertus et des dons, le Christ,
comme Verbe, en union avec le Père et le Saint-Esprit est la
cause première, physique de notre « sainteté statique ».
Dans notre « sainteté dynamique », l’activité de toutes nos
puissances, la production de tous nos actes de vertus, le déve­
loppement de notre vie surnaturelle, Notre-Seigneur est de
plus cause intentionnelle, morale, voire en certains cas, cause
physique instrumentale.
Ainsi donc, toute notre vie religieuse — en particulier durant
le cours de la formation — relève de l’activité et de l’emprise
du Christ. Rien en nous de religieux qui ne vienne du Sauveur
et ne lui appartienne avant d’être à nous. « Sans moi, vous ne
pouvez rien faire » (Joan., XV, 5).

2. Modalités de l’Action Formatrice du Christ. Le Sau­


veur nous communique la grâce divine et coopère au dévelop­
pement de notre vie religieuse de différentes façons : par les
sacrements, en vertu de son corps mystique et par les exercices
de la vie intérieure.
a) Les Sacrements, institués par le Sauveur, symbolisent,
contiennent et confèrent la grâce divine, et tirent leur efficacité
de ses mérites. Mais, dans la production même de cette grâce,
le Christ intervient directement, en sa qualité d’Homme-Dieu,
comme cause première, immédiate, physique, voire instrumentale.
C’est bien Lui qui éclaire, purifie, fortifie, enflamme et sanc­
tifie. L’influx vital surnaturel passe par sa sainte Humanité,
avant d’arriver jusqu’à l’âme pour la vivifier.
Le Corps Mystique. En dehors des Sacrements, le Christ
agit encore sur nous en vertu de son Corps mystique dont il est
la tête et nous les membres. Nous lui sommes unis comme le
sarment au cep, d’où monte la sève qui alimente et féconde
LE CHRIST : VOIE, VÉRITÉ ET VIE 207

la vigne. « Le sarment ne peut de lui-même porter du fruit,


s’il ne demeure attaché au cep. Il en est de même de vous :
vous ne pouvez non plus porter du fruit, si vous ne demeurez
en moi. Je suis le cep, vous êtes les sarments. Celui qui demeure
en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruit, car, hors
de moi, vous ne pouvez rien faire » (Joan., XV, 4-5).
« Le Christ plénier : la tête et le corps. La tête, c’est le Fils
unique de Dieu, et le corps, c’est l’Eglise. Epoux et Epouse :
deux dans une seule chair » (Saint Augustin, De Unit. Eccl., 4).
Union mystique, qui nous incorpore au Sauveur, nous
identifie à Lui et nous fait vivre réellement de sa vie. « Vivo ego,
jam non ego, vivit vero in me Christus » (Gai., II, 20). Ce que
le sang est à l’organisme corporel, l’humanité du Christ l’est
à notre organisme spirituel, le véhicule de la vie et la pour­
voyeuse de notre sainteté. C’est le Christ qui agit en nous et
avec nous et travaille à nous transformer en Lui. « Sois vigilant
à recevoir et à pratiquer l’union, don de l’Esprit du Seigneur,
avec le Christ et ses puissances. Tu dois pour cela sentir en
esprit que tu comprends par son intelligence, que tu veux
par sa volonté, que tu te souviens par sa mémoire, que tout
entier tu es, tu vis, tu agis non pas en toi, mais dans le Christ.
C’est ici-bas la suprême perfection, puissance divine, admirable
suavité » (P. Nadal, Journal Spirituel, cité dans Christus;
Cahiers Spirituels, n° 6, avril 1955, p. 210).
Cet influx vital du Christ sur tous les chrétiens se fait sentir
plus intimement dans les âmes religieuses, parce qu’elles sont
les membres choisis du Corps Mystique. Tous n’ont pas la
même dignité, ni les mêmes fonctions, et puisque les religieux
sont appelés à une plus haute sainteté et sont plus intimement
unis au Christ, il va de soi qu’ils doivent ressentir plus profon­
dément son influence vivifiante.
c) Exercices de la Vie Intérieure. Le Christ, a-t-on dit, est
« le Grand Sacrement universel de la grâce ». Se mettre en contact
avec Lui, c’est nécessairement en subir l’influence vitale et
sanctifiante.
Et ce contact s’établit par tous les « Exercices de la Vie
Intérieure » : foi, espérance, charité, prière, oraison, contem­
plation assidue et amoureuse du Sauveur. (Voir Marmion
« Le Christ, Vie de l’âme », pp. 106-109.)
De là, l’importance primordiale, dans la formation des
jeunes religieux, de la réception fréquente et fervente des Sacre­
ments; d’un culte spécial pour le Sauveur, et d’une sérieuse
initiation à la Vie Intérieure.
208 PREMIERS ARTISANS

i. Quels sont les rapports entre la doctrine


du Corps Mystique et celle de l’imitation î
2. Existe-t-il différentes méthodes d’imita­
tion et lesquelles ?
3. N’y aurait-il pas danger de mimétisme,
d’imitation servile ? Comment y obvier ?
4. L’action sanctificatrice du Christ n’est-elle
pas, dans son existence, son efficacité, sa
mesure, conditionnée par nos dispositions
intérieures ?
5. A l’heure actuelle, n’y aurait-il pas une
certaine tendance à négliger l’enseigne­
ment traditionnel de l’Eglise, sous prétexte
d’approfondissement et de rénovation, à
verser dans de dangereuses nouveautés ?
6. L’Evangile ne serait-il pas, pour les âmes
religieuses, le meilleur livre de méditation ?

Pie XII, Encyclique, Mystici Corporis Christi, 20 juin 1943. —


Dupbrroy, Le Christ dans la vie chrétienne, d’après S. Paul. — Schwam,
Le Christ dans S. Thomas. — Masson, Vie Chrétienne et Vie Spirituelle,
IIe Partie, ch. il. — Marmion, Le Christ, Vie de l’âme; Le Christ,
Idéal du moine. — Gay, Elévations sur les Mystères, « L’Universalité
du Christ », 63. — De Guibert, Leçons de Théologie Spirituelle,
13e Leçon. — Cormier, L’Instruction des Novices, IVe Partie, ch. il, III.
— Fontaine, J.-C. principe et fin de la vie humaine. — Chardon,
La Croix de Jésus, t. I, Ier Entretien. — Prat, Théologie de S. Paul.
— NiERSca, La Théologie du Corps Mystique. — Mura, Le Corps Mys­
tique. — P. COLIN, Jésus notre Modèle. — Vacant. Diction, de Théolog.,
t. IV, col. 2150-2155.
VINGT-QUATRIÈME LEÇON

LE GRAND ARTISTE

La vie spirituelle, en son origine, ses accroissements, son


terme, est l’œuvre de la Trinité, principe unique de toute
création.
Notre génération et filiation divine sont toutefois attribuées
spécialement au Père, comme notre Rédemption l’est au Verbe
incarné. Quant à notre sanctification, elle relève plus particu­
lièrement du Saint-Esprit. Par excellence, il est la Sainteté, —
l’expression « Spiritus Sanctus », désignant une personne divine
distincte, se trouve pour la première fois dans le Nouveau
Testament — et à ce litre, il se révèle le sanctificateur des
âmes. « Veni, sanctificator. »
Immense la place qu’il occupe dans l’Eglise primitive et le
rôle qu’il joue dans la vitalité des premières générations chré­
tiennes. Ce fut une explosion de prodiges et de miracles.
Sa puissance éclate au Cénacle. Dans un ouragan flam­
boyant, il tombe en langues de feu sur les disciples réunis,
et d’un seul coup, de ces êtres ignorants, apeurés, veules,
fait des docteurs, des apôtres et des martyrs.
Plus que les autres évangélistes, saint Jean marque les
merveilles opérées chez les Douze: II, 22 ; XIII, 16 ; XV, 26-27;
XVI, 8-xi ; XVI, 13 ; XXI, 19.
Maintes fois, il insiste sur le besoin fondamental que nous
avons tous du Saint-Esprit (III, 6). Sans lui, impossible de
comprendre Jésus (XIII, 7 ; XIV, 9) ; de le suivre, de lui rendre
témoignage, de bien prier. Par contre, avec lui, tout est possible
(Joan., XX, 19-23).
La descente de l’Esprit-Saint sur l’Eglise et dans les âmes
se continue à travers les siècles, moins spectaculaire sans doute,
mais tout aussi réelle et efficace. La vie de l’Eglise est une
14
210 PREMIERS ARTISANS

continuelle Pentecôte. Ce rôle de la troisième Personne de


la Trinité n’aurait-il pas été, sinon oublié, du moins mis en
veilleuse ? Et voilà que de nos jours la dévotion au Saint-
Esprit a trouvé un regain d’actualité et de vitalité. « Un dernier
trait de la spiritualité moderne, c’est la place qu’y tient le
Saint-Esprit et la confiance faite à sa direction » (Christus, I,
Le désert ou la Cité, p. 118).
Cette emprise vitale du Saint-Esprit sur toutes les âmes et,
en particulier dans la formation des jeunes religieux, s’explique
par sa Présence, ses Dons et ses Inspirations.

I. HOTE DIVIN
Le Saint-Esprit est envoyé par le Père et le Fils, pour remplir
dans les âmes une mission de rénovation et de transformation
(Joan, XIV, 16-21). Cette mission implique un « mode nou­
veau et très spécial de la présence de la personne envoyée »
(Masson, Vie Chrétienne et Spirituelle, IIe Partie, ch. IV, p. 173).
Et non seulement il est envoyé, mais il nous est donné
(Joan., VII, 39 -, XVI, 7 ; Rom. V, 5). Il est par excellence
le Don de Dieu : « Donum Dei ». Ce mot de « donation suppose
aussi une possession très particulière dans les âmes qui
l’acceptent » (1. c.).
Envoyé, donné, il entre dans l’âme et il y reste; il en fait
sa demeure permanente. Le voilà devenu VHôte divin de notre
temple intérieur.
1. Présence active de l’Esprit-Saint. L’inhabitation de
l’Esprit-Saint dans l’âme des justes est une doctrine de foi,
trop peu connue et trop peu exploitée au point de vue ascé­
tique et mystique.
Présence active, vivificatrice, sanctificatrice, semblable à celle
du levain dans la pâte. Elle complète, parachève l’œuvre des
deux premières Personnes de la Trinité, et lui donne son cou­
ronnement. Elle actualise, renforce, universalise toute l’action
divine.
2. Modalité de l’action du Saint-Esprit. L’emprise
vitale du Saint-Esprit dans la vie spirituelle s’opère de deux
façons, l’une indirecte, l’autre directe, sans intermédiaire.
a) Action indirecte. Le Saint-Esprit agit sur les âmes et
les travaille de concert avec l’Eglise et par la hiérarchie :
sacrements, liturgie, législation, prédication, communion des
saints.
LE GRAND ARTISTE 211

b) Action directe. En dehors du cadre officiel et en marge


de l’Eglise, l’Esprit divin agit immédiatement par lui-même et
sans aucun instrument, dans l’intime de l’âme, par ses illumi­
nations, ses motions intérieures de foi, de confiance, d’adoration,
d’humilité, d’amour. Lui qui est le « Don de Dieu », il distribue
à chacun ses grâces comme il l’entend et dans la mesure où
il le veut, « prout vult » (I Cor., XII, n). N’est-il pas le « Dator
munerum » et le « Pater pauperum » ?

3. Nature de cette activité. Notre justification et sancti­


fication, notre filiation divine et notre incorporation au Christ
sont l’œuvre de l’Esprit-Saint.
Justifiés et sanctifiés, nous l’avons été par la divine charité
qu’il a répandue dans nos âmes. « Caritas Dei diffusa est in
cordibus nostris per Spiritum Sanctum, qui datus est nobis »
(Rom., V, 5).
C’est par le baptême dans le Saint-Esprit que nous sommes
devenus les enfants du Père céleste (Cf. Joan., I, 33 ; VII,
37-39 ; Matth., XXVIII, 19 ; Actes, XIX, 1-7 ; X, 44-48).
Le Christ a été conçu dans le sein de la Vierge, par l’opé­
ration du Saint-Esprit ; c’est encore par Lui que le Christ
mystique sera formé dans nos âmes et que nous deviendrons
ses membres vivants. « Le Christ est formé en nous, en vertu
d’une forme divine, que le Saint-Esprit nous infuse par la
sanctification et la justice » (S. Cyrille d’Alexandrie, P. G.,
t. LXX, 936).
Toutes les manifestations et développements de la vie surna­
turelle sont les fruits de l’Esprit, « Sine tuo numine, nihil est
in homine » ; « Nemo potest dicere : Dominus Jésus, nisi in
Spiritu Sancto » (I Cor., XII, 3).
L’Esprit a été envoyé dans nos âmes pour y accomplir
une mission permanente et prodigieuse.
Mission, d’illumination : lumen cordium, 0 lux beatissima;
mission de purification : lava quod est sordidum; d’irrigation :
fons vivus, riga quod est aridum; de redressement : rege quod
est devium; de ferveur : fave quod est frigidum; de relèvement
et de consolidation : infirma... virtute firmans perpeti ; de conso­
lation, de joie et d’allégresse : Consolator optime, in fletu sola­
rium; d’assouplissement moral : flecte quod est rigidum, et surtout
d’embrasement : Ignis... et tui amerris in eis ignem accende.
Bref, emprise tellement puissante de l’Esprit, qu’elle semble
aboutir à une seconde naissance et à une nouvelle création,
« Emitte Spiritum tuum et creabuntur et renovabis faciem terrae. »
Le Père de Grandmaison « avait une très grande idée de
212 PREMIERS ARTISANS

l’action du Saint-Esprit dans les âmes qui lui sont ouvertes.


Elle seule forme en nous la ressemblance avec le Christ... Il
pensait, comme saint Ignace, que si cette main, ce doigt de
Dieu se retirait de nous, nous nous trouverions comme des
pierres, sans foi et sans amour » (Christus, Cahiers Spirituels, 6,
avril 1955, pp. 230-231).
4. Rôle du Saint-Esprit dans la Formation Religieuse.
Universelle, encore que fort diverse en chaque âme, dans ses
interventions et résultats, l’action .du Saint-Esprit doit se
faire particulièrement sentir dans la formation de la jeunesse
religieuse, et cela pour deux motifs :
à) Par vocation, appelé à une sainteté supérieure, le Novice
a besoin plus que quiconque, dans ses ascensions spirituelles,
d’être guidé par les lumières de l’Esprit et de s’appuyer cons­
tamment sur sa force. Un idéal de perfection requiert toujours
plus de grâces.
b) De plus, la formation religieuse, essentiellement surna­
turelle, est une œuvre extrêmement délicate et laborieuse, pleine
d’aléas et de surprises. La science et le talent de l’éducateur
n’y suffisent point ; pour y réussir, il y faut une action toute
spéciale du Saint-Esprit.
Pendant trois ans, les douze — sous la conduite du Maître
par excellence, « Unus est magister vester » (Matth., XXIII,
8, 10) — firent leur Noviciat préparatoire à leur vie aposto­
lique et à leur martyre. Eh bien ! malgré la clarté de ses
enseignements et l’entraînement de ses exemples, il fallut
que Jésus envoyât son Esprit pour parachever son œuvre de
formation.

II. LES SEPT DONS


Le Saint-Esprit agit encore sur les âmes par l’entremise
de ses Dons : sagesse, intelligence, science, conseil, piété,
force et crainte de Dieu. Les quatre premiers s’exercent dans
le domaine de la pensée ; les trois derniers sur le terrain de
l’action. Les uns sont d’ordre intellectuel, les autres d’ordre
moral. A tous les stades de la vie spirituelle, on constate leur
présence et leur activité, encore qu’à des degrés divers et sous
des formes multiples.
1. Nature des Dons. Espèces « d’habitudes surnaturelles »,
insérées dans l’âme, au baptême, en même temps que la grâce
sanctifiante et les vertus infuses, « qui donnent à nos facultés
LE GRAND ARTISTE 213

une telle souplesse qu’elles obéissent promptement aux inspi­


rations de la grâce » (Tanquerey, Précis de Théologie ascétique
et mystique, Lib. III, ch. I, n° 1311).
Ils présentent donc un double aspect, l’un de passivité ou
réceptivité, l’autre d’activité.
Passifs, ils nous rendent plus sensibles aux touches de l’Esprit
et plus dociles aux mouvements de la grâce.
Actifs, ils sont des puissances d’opération qui viennent ren­
forcer notre travail dans l’œuvre de notre sanctification.
Ils sont tout à la fois « des souplesses et des énergies, des
docilités et des forces... rendant l’âme plus passive sous la
main de Dieu et en même temps plus active à le servir et à
faire ses œuvres » (Gay, De la Vie et des Vertus Chrétiennes,
t. I, p. 45)-

2. Rôle des Dons. Inférieurs aux vertus théologales, supé­


rieurs aux vertus morales, ils viennent renforcer les unes et
les autres dans leurs activités, et au besoin suppléer à leur
insuffisance. Ils sont, dans le combat spirituel, des forces de
réserve et de renfort.
Leur intervention se manifeste de différentes façons.
Dans le comportement ordinaire et quotidien de notre vie
morale, l’exercice des vertus, qui ne va pas sans peine ni diffi­
cultés, acquiert plus de souplesse, d’élan, de force, de générosité.
Mais, c’est surtout dans les circonstances exceptionnelles,
alors que se présente ou s’impose l’héroïsme, que s’affirme
tout particulièrement l’influence des Dons et le rôle du Saint-
Esprit.

3. Influence des Dons dans la formation première.


Plus manifeste et plus universelle dans la voie unitive, l’inter­
vention des Dons n’en reste pas moins nécessaire et fructueuse
aux premiers stades de la vie spirituelle. « Les dons du Saint-
Esprit ne sont pas un luxe. Ils sont nécessaires à la vie de toute
âme chrétienne. Ils ne se signalent pas que par une activité
éclatante dans la conversion et la haute sainteté ; dans la vie
ordinaire, ils ont aussi leur régime, normal, habituel, presque
subreptice, pareils à une eau invisible qui sourd et grâce à
laquelle la prairie est toujours fraîche » (Gauthier, La Spiri­
tualité Catholique : Principes dominicains de spiritualité, par
Régamey, p. 74).
Ils sont donnés « in adjutorium virtutum » (S. Th., I, II,
quae. LXVIII, art. 2, 5 et 8) « pour venir en aide aux vertus ».
Avec quelques défauts et passions et pas mal d’illusions,
214 PREMIERS ARTISANS

avec de pieux désirs et une évidente bonne volonté, la plupart


des candidats à la vie religieuse n’apportent guère que des
vertus rudimentaires ou en voie de formation. Jeunes plants,
délicats et menacés qui, pour s’enraciner et se développer, ont
particulièrement besoin de soleil et de pluie, d’engrais et de
tuteur. Le Saint-Esprit y pourvoira.
Renforcement de Yesprit de foi, intelligence approfondie de
la vocation, de sa grandeur et de ses exigences ; compréhension
et pleine assimilation de l’enseignement donné par le Maître
ou la Maîtresse du Noviciat ; lumière pour dissiper les igno­
rances, les préventions, les illusions ; pour se dépouiller de
l’esprit du monde et se revêtir de celui de Jésus-Christ.
Force pour s’acclimater à un nouveau style de vie, supporter
les épreuves du Noviciat (voir Leçon 12e), s’exercer généreu­
sement à la pratique du renoncement, de la pauvreté, de
l’obéissance, de l’humilité, de la mortification, et par là assurer
sa persévérance.
Piété tout à la fois tendre et virile, filiale, pleine d’élan,
de générosité, de confiance et d’amour.
Horreur souveraine du péché, délicatesse de conscience,
esprit de componction : fruits du Don de crainte de Dieu.
Toute cette initiation spéculative et pratique, intellectuelle et
morale, pour être complète et solide, ne peut guère se concevoir
sans l’intervention du Saint-Esprit et l’exercice de ses Dons.
4. Aux Sources de la Ferveur. Si dans les maisons de
formation, Vhéroïsme n’est qu’une rare exception, la ferveur, par
contre — effervescence de toutes les vertus — qu’elle soit
acquise ou infuse, doit être de règle. Absente au printemps de
la vie religieuse, il serait étrange de la voir fleurir à son automne.
« La première s’acquiert et se développe avec le concours de la
grâce ordinaire et courante, par l’exercice généreux et cons­
tant des vertus surnaturelles. La seconde — infuse — est le résultat
des dons du Saint-Esprit et de l’octroi de grâces toutes spéciales.
Deux ferveurs qui, loin de s’opposer, se marient fort heureu­
sement : l’acquise servant de fondement, ou du moins de prépa­
ration, à l’infuse qui la renforce et la couronne » (voir Tendance
à la Perfection, III, Ferveur, ch. IX, p. 175).

m. INSPIRATIONS
Le Saint-Esprit agit enfin sur les âmes par ses divines
inspirations. Que sont-elles? Quels sont leurs signes caracté­
ristiques? Quelle ligne de conduite à tenir à leur égard ?
LE GRAND ARTISTE 215

î. Nature. « Nous appelons inspirations tous les attraits,


mouvements, reproches et remords intérieurs, lumières et
connaissances que Dieu fait en nous, prévenant notre cœur
en ses bénédictions, par son soin et amour paternel, afin de
nous réveiller, exciter, pousser et attirer aux saintes vertus,
à l’amour céleste, aux bonnes résolutions, bref à tout ce qui
nous achemine à notre bien éternel. C’est ce que l’Epoux
appelle heurter à la porte et parler au cœur de son Epouse »
(S. François de Sales, Introduction à la Vie Dévote, IIe Partie,
ch. XVIII).
Motions surnaturelles qui sont tout à la fois lumière pour
l’esprit, onction pour le cœur et force pour la volonté. Appels
du Saint-Esprit vers les cimes ; invitations à aller plus vite,
à monter plus haut sur le chemin de la perfection.
Les inspirations peuvent avoir un double objet principal.
Elles portent l’âme à poser certains actes intérieurs ou exté­
rieurs de vertu surérogatoires, facultatifs, en ce sens qu’ils ne
sont imposés ni par la loi divine, la Règle, les devoirs d’état,
ni par les Supérieurs.
Parfois aussi, elles nous poussent à accomplir des œuvres
impérées, obligatoires, avec plus d’élan, de générosité et
d’amour. En d’autres termes, l’inspiration vise la quantité ou
la qualité.
2. Signes caractéristiques et distinctifs des vraies
inspirations. Il importe grandement — si l’on veut éviter
excès et égarements — de discerner les vraies inspirations des
fausses, humaines ou diaboliques.
Les premières se reconnaissent à certains signes, négatifs
et positifs.
a) Signes négatifs. Est à rejeter immédiatement ou est fort
sujette à caution toute inspiration :
Contraire à l’obéissance aux Supérieurs ou à la Règle ;
A l’accomplissement des devoirs d’état ;
Au bon ordre et à la paix de la communauté ;
Présentant un caractère d’originalité excessive, de trivialité.
b) Signes positifs. L’inspiration authentique vise toujours un
acte moral, considéré in concreto.
Est marquée au coin de la discrétion : ni trop fréquente, ni
surtout excessive, pseudo héroïque, tenu compte du tempé­
rament et de la vertu acquise.
S’accompagne toujours d’humilité, docilité et paix intérieure.
216 PREMIERS ARTISANS

3. Ligne de conduite vis-à-vis des Inspirations. Quelle


ligne de conduite à conseiller aux âmes prudentes et ferventes :
a) En cas de certitude morale sur la réalité surnaturelle de
l’inspiration, alors qu’elle porte sur des actes vertueux ordi­
naires et passagers : correspondance immédiate et généreuse.
b) S’il s’agit de décisions ou résolutions engageant l’avenir,
de pratiques exceptionnelles, surtout de pénitence corporelle :
prendre toujours l’avis du confesseur-directeur et demander,
en certains cas, l’autorisation des Supérieurs, pour éviter tout
danger de présomption, d’illusion ou déilluminisme. Telle fut
toujours la doctrine et la pratique des saints.
c) En cas de doute sérieux sur l’origine divine de l’inspi­
ration, garder sa liberté et paix intérieure, et ne se créer aucune
obligation morale.

4. Importance de la fidélité aux Inspirations. Elle


joue un grand rôle dans le développement de la vie spirituelle.
On peut affirmer que c’est grâce à cette fidélité, parfois héroïque,
que tous les saints sont arrivés à la perfection.
Il faut donc, dès le Noviciat, rappeler cette doctrine à tous
les jeunes religieux, et les mettre en garde contre les consé­
quences graves, parfois irréparables, d’un refus systématique et
prolongé aux invitations de l’Esprit-Saint.
« A neglectu inspirationum tuarum, libera nos Jesu » (Lita­
nies du Saint Nom de Jésus.)

1. Quelle est la différence entre « missions »,


« dons » et inspirations du Saint-Esprit î

2. Peut-on, et par quels moyens, provoquer


et intensifier dans les âmes l’action du
Saint-Esprit ?

3. Quels sont les principaux obstacles à l’acti­


vité des dons du Saint-Esprit ?

4. La résistance volontaire à toute inspiration


divine est-elle péché ou simplement imper­
fection ?
LE GRAND ARTISTE 217

5. De quelles façons peut-on résister aux Ins­


pirations de l’Esprit-Saint î

6. Quelles sont les conséquences morales du


manque de docilité à la grâce ?

LÉON XIII, Encyclique sur le Saint-Esprit, Divinum illud, 9 mai 1897.


— S. Alphonse, Œuv. Asc., t. VI, « Neuvaine au Saint-Esprit ». —
S. François de Sales, Amour de Dieu, VIII, ch. 10-13. — Mgr Convert,
Le B. Curé d’Ars et les dons du Saint-Esprit. — Meynard, Vie Inté­
rieure, I. — Masson, Vie Chrétienne et Vie Spirituelle, IIe Partie, ch. iv.
— Lallemant, Doctrine Spirituelle, IVe Principe, ch. ni, iv. — Saint-
Juré, L’Homme Spirituel, Ile Partie, ch. III. — Gay, Elévations, 71,
104. — Gardeil, Le Saint-Esprit dans la Vie Chrétienne. — Tan-
querey, Précis de Théologie ascétique et mystique, liv. III, ch. I. —
Froget, De l’Habitation du Saint-Esprit dans les âmes justes. — Cormier,
L’Instruction des Novices, IVe Partie, ch. V. — De Guibert, Leçons
de Théologie Spirituelle, Leç. 21e, 22e, 25e. — P. Colin, Tendance
à la Perfection, ch. IX ; Jésus notre Modèle, ch. XXI.
Forma Gregis, juin 1952, « Le Saint-Esprit et le Corps aposto­
lique, réalisateurs de l’Œuvre du Christ », Congar, O. P. — Christus,
Cahiers Spirituels, 4, « Les Motions de l’Esprit, » Giuliano.
VINGT-CINQUIÈME LEÇON

NOTRE-DAME ÉDUCATRICE

A son action créatrice et providentielle, Dieu, en sa sagesse


et bonté, associe l’universalité des êtres. Dans l’évolution du
monde et le gouvernement des âmes, la Cause première utilise
comme cause seconde la création entière. De tout homme,
Dieu se fait un auxiliaire.
Collaborateur du Très-Haut, personne ne le fut jamais
autant que Notre-Dame ; la Trinité l’ayant associée intimement
à ses œuvres les plus prodigieuses : Génération, Rédemption,
Sanctification, Salut de l’humanité entière. En tout, partout et
toujours on retrouve la Vierge à côté de Dieu, œuvrant avec
lui et pouvant faire sienne la parole de Jésus : « Pater meus
usque modo operatur, et ego operor » (Joan., V, 17). « Mon
Père agit jusqu’à présent ; j’agis moi aussi. »
Cette intervention de Notre-Dame se révèle particulière­
ment active et profonde dans la formation des jeunes religieux.
Trois mots l’expriment à la perfection : « Genitrix — Nutrix
— Educatrix », Mère, Nourrice, Educatrice.

I. NOTRE MÈRE

Marie, première formatrice, après Dieu, de l’âme religieuse.


Cette doctrine trouve son fondement et sa justification dans la
Maternité divine et humaine de la Vierge. Double maternité
simultanée et indissolublement unie : principe et couronne­
ment de toutes ses grâces et de toutes ses gloires. C’est de
ce sommet qu’il faut considérer — pour le bien comprendre
— le rôle unique de Notre-Dame, dans la vie de l’Eglise et
celle des Ordres religieux. La liturgie lui prodigue à l’envi ce
NOTRE-DAME ÉDUCATRICE 219

titre de « Mater », Mère de Dieu et des hommes ; Mère du


chrétien et plus encore du religieux.

i. Mère du Chrétien. La maternité divine de Marie,


dans les desseins de Dieu, impliquait sa maternité humaine.
Mère de l’humanité, elle le devenait à l’Incarnation du Verbe
et à la mort de Jésus.
a) Incarnation. En concevant le Verbe de Dieu, par l’opé­
ration du Saint-Esprit, elle nous engendrait en même temps à
la vie surnaturelle et commençait à nous porter dans son sein,
avec Jésus-Christ, en qui nous étions. « La Vierge incompa­
rable étant Mère de notre Chef selon la chair a dû être, selon
l’esprit, la mère de tous ses membres, en coopérant par sa
charité à la naissance spirituelle des enfants de Dieu » (S. Augus­
tin, De Sancta Virgin., Migne t. VI, col. 343).
Il y a une double fécondité, de nature et de charité. « Mes
petits enfants que j’enfante encore, jusqu’à ce que Jésus-Christ
soit formé en vous » (Gai., IV, 19). — « Charitas mater est :
La charité est une mère », dit saint Augustin (In I Epist. Joan.
Tract. II, n° 4). Cette double fécondité vient de Dieu, « duquel
toute paternité prend son origine » (Eph., III, 15). Jésus-
Christ, fils de Dieu par nature ; chrétien, fils de Dieu par amour.
Marie a participé à cette double fécondité de Dieu (voir Bossuet,
4e Sermon sur l’Annonciation).
&) Passion de Jésus et de Marie. La Vierge nous concevait
au moment de YIncarnation, mais elle nous enfantait à l’heure
de la Passion, alors que s’opérait l’Oeuvre de la Rédemption.
Par son martyre, unie au Christ, associée à sa mort, que tous
deux offraient en sacrifice, c’est alors qu’elle nous enfantait
à la vie divine et devenait réellement et pleinement notre Mère.
« Ecce Mater tua » (Joan., XIX, 27).
c) Source de Vie. Toute mère est une femme qui donne
la vie à un être humain, formé de sa chair et de son sang, et
dans lequel elle a fait passer quelque chose de son âme. Nous
ayant communiqué la vie surnaturelle, Notre-Dame mérite donc
à juste titre le nom de Mère. Elle est vraiment notre Vie, parce
qu’elle en est le principe et la source. « Salve Regina, Mater...
Vita. » C’est par elle que nous sommes devenus les enfants
de Dieu.
Comme Jésus, avec Jésus et par Jésus, elle est la cause
exemplaire, méritoire, efficiente de notre vie chrétienne. Modèle
incomparable de toute pureté, de toute vertu, de toute sain­
teté ; coopératrice du Christ dans l’œuvre de notre Régénéra-
220 PREMIERS ARTISANS

tion, par son consentement à l’incarnation et à la Passion, par


sa prière, ses souffrances, sa charité, par toute sa vie réparatrice
et rédemptrice unie à celle de son Fils.
Cette vie divine perdue et retrouvée, que le Christ nous
méritait « ex condigno », en stricte justice, sa Mère et notre
Mère nous la méritait elle aussi « ex congruo », en vertu de
son sacrifice, et par pure libéralité du Très-Haut.
2. Mère du Religieux. Né de Dieu et de la Vierge, le
religieux l’est aussi à titre spécial. Encore que la vie religieuse
soit, dans son fond, identique à la vie chrétienne, elle la dépasse
néanmoins par une certaine plénitude de grâce et de sainteté.
De cette forme supérieure de vie surnaturelle, Notre-Dame
reste encore et toujours la source. Tout ce que nous venons
de dire de la première s’applique éminemment à la seconde.
A l’incarnation du Verbe, elle devient la Mère « bénie »
de tous les consacrés, membres mystiques de son Fils, grand
Religieux du Père.
Au sommet du Calvaire, nous avions dans son Cœur mater­
nel, notre premier berceau, une place de choix, et devenions
plus que d’autres les fils de ses douleurs. Elle nous portait
alors dans sa pensée et son amour, comme une Mère porte
son enfant dans son sein.
La grâce immense de notre vocation, c’est à elle que nous
la devons. C’est elle qui nous l’a méritée et communiquée.
Religieuse idéale, nous n’avons plus qu’à la contempler, l’aimer
et à la suivre sur le chemin de la perfection.
Vie religieuse à entretenir, protéger, développer jusqu’à son
épanouissement ; et ce sera encore l’œuvre de Notre-Dame,
« Mère nourricière ».

II. MÈRE NOURRICIÈRE


Toute mère est nourricière. C’est là une de ses fonctions
les plus hautes et une de ses joies les plus douces. De son
sang, elle nourrit son enfant, dès avant sa naissance ; à peine
né, elle le nourrit de son lait.
Notre-Dame, la Mère par excellence, n’eut garde d’oublier
cette loi de nature. Elle a nourri Jésus, son premier-né, de
son sang et de son lait virginal ; elle continue, à travers les
siècles, à nourrir spirituellement tous ses autres enfants.
La vraie nourriture de l’âme, c’est la grâce divine, qui nous
fait vivre, agir et grandir. De cette « grâce vitale », la Vierge,
en vertu de sa double Maternité, est la trésorière et distributrice
NOTRE-DAME ÉDUCATRICE 221

universelle. « Telle est la volonté de Dieu que toute grâce nous


vienne par Marie. » « Sic est voluntas ejus, qui totum nos
voluit habere per Mariam » (S. Bernard, Aquaed). Si nous
continuons, dans l’ordre surnaturel, à vivre, à grandir et à nous
fortifier, c’est à notre Mère que nous le devons.
« La théologie reconnaît trois opérations principales de la
grâce de Jésus-Christ : Dieu nous appelle ; Dieu nous justifie ;
Dieu nous donne la persévérance. La vocation, c’est le premier
pas ; la justification fait notre progrès ; la persévérance conclut
le voyage... Vous savez qu’en ces trois états, l’influence de
Jésus-Christ nous est nécessaire ; mais il faut vous faire voir
par les Ecritures que la charité de Marie est associée à ces
trois ouvrages » (Sermon pour la Nativité de la Sainte Vierge,
éd. Lebarq, Oeuvres Oratoires, IIIe vol., p. 69.
Nécessaire à la naissance et au développement de la vie
chrétienne, l’influence de Notre-Dame l’est plus encore dans
l’éclosion et l’épanouissement de la vie religieuse, qu’il s’agisse
de la vocation, des progrès à réaliser ou de la persévérance.

1. Vocation religieuse. La vie religieuse se trouve en


germe dans la vocation, qui est tout à la fois un choix et un
appel. Qui fit ce choix et d’où vient cet appel ? Du Christ,
sans doute : « Ego elegi vos » (Joan., XV, 16). « Veni, sequere
me » (Matth., XIX, 21). Mais ce choix, Jésus l’a fait d’accord
avec sa Mère, et c’est encore par sa bouche qu’il a fait passer
cet appel.
Ce germe de vie religieuse jeté dans une âme par la divine
« Semeuse », avec quelle vigilance, quels soins, quelle délica­
tesse elle va le protéger, l’arroser, l’échauffer, jusqu’à ce qu’il
éclate, monte en tige et se forme en épi. A vrai dire, toutes
les années d’enfance et de prime jeunesse, avant l’entrée en
religion, n’avaient été qu’une préparation mystérieuse, souvent
inconsciente, à la séparation d’avec le monde et au don total
de soi-même à Dieu et aux âmes. Et cette préparation était,
en grande partie, l’œuvre de la Vierge.

2. Croissance spirituelle. Une fois entré dans le vesti­


bule de l’état religieux, le Novice aura besoin, plus que jamais,
de l’aide maternelle. « Nourrisson du Christ » (I Cor., III, 1)
et de la Vierge, il pouvait se contenter de lait et d’aliments
légers ; mais engagée dans la voie des parfaits, son âme réclame
maintenant une nourriture plus abondante et plus solide,
« solidus cibus » (L. c. ; Haeb., V, 12).
Le Novice est déjà un adolescent, voire un adulte ; il ne
222 PREMIERS ARTISANS

doit donc plus agir en enfant. « Evacuavi quae erant parvuli »


(I Cor., XIII, ii), mais viser à une certaine maturité morale.
S’il entend faire de son Noviciat un apprentissage sérieux
de la vie religieuse et une école de vertu virile, des grâces nom­
breuses et choisies de lumière, de pureté, de force, de géné­
rosité, d’amour lui seront nécessaires. Toutes grâces qui ne
peuvent lui venir que par sa Mère. La ferveur d’une âme ne
s’explique que par l’intervention puissante et constante de
Notre-Dame.
« Toute vocation religieuse est ainsi reçue des mains de
la Vierge et demeure d’ailleurs continuellement dans ses mains,
comme un fruit qui doit se développer et mûrir dans la chaleur
de son affection maternelle » (R. C. R., novembre-décembre 1954,
P- I7i)-
« Toute grâce accordée aux hommes arrive jusqu’à eux
par trois degrés parfaitement ordonnés. Dieu la communique
au Christ ; du Christ, elle passe à la Sainte Vierge, et des mains
de Marie, elle descend jusqu’à nous » (Léon XIII, Encycl.
sur le Rosaire, 8 sept. 1894).
3. Fidélité à la Vocation. Reste à garder jusqu’à la fin
cette vie religieuse toujours menacée par les puissances inté­
rieures et extérieures (Voir Leçon 12e, Les Epreuves du Novi­
ciat). Combien de vocations se perdent en cours de route,
avant, pendant et après le Noviciat ! Et cependant, « la question
de la vocation prime toutes celles qui se posent ensuite. Mal
résolue, elle fait échouer la vie. L’affaire la plus formidable
de la vie, c’est de manquer sa vocation » ou de la perdre (Char-
mot, Présence Mariale, Liv. II, pp. 130-131). Car, il y va sou­
vent du salut éternel !
La persévérance est tout à la fois mystère, vertu et don.
Mystère qui ne s’éclaire que dans le rayonnement de la Vierge ;
vertu qui ne s’enracine que dans les terres mariales ; don qui
ne s’obtient que par Marie. N’est-elle pas la « Mère de la
persévérance : Mater perseverantiae » ?

III. MÈRE ÉDUCATRICE


Les parents sont les éducateurs-nés de leurs enfants. Pour
cette œuvre qui requiert autant de qualités que de dévoûment,
ils trouveront bien des auxiliaires, mais personne jamais ne
les remplacera.
L’éducation consiste dans le développement progressif et
complet de toutes nos puissances physiques et facultés spiri­
NOTRE-DAME ÉDUCATRICE 223

tuelles. En son terme, elle est l’épanouissement de la personna­


lité, tant sur le plan naturel que surnaturel, individuel que
social. Faire d’un enfant un beau type d’homme et de chrétien
serait son triomphe.
1. L’Education religieuse présuppose normalement une
certaine formation humaine et chrétienne, dont elle ne serait
que le prolongement et le couronnement. Oeuvre, elle aussi,
de perfectionnement indéfini et intégral, mais dans le sens
d’une vocation de consacré, elle doit aboutir par degrés, à faire
le parfait religieux. Elle offre un double aspect, l’un commun,
l’autre particulier.
a) Toute éducation religieuse, en résumé et en substance,
consisterait dans l’imitation du Christ, idéal du religieux ; dans
la reproduction en nous et dans notre vie de ses états, de ses
vertus, de ses exemples ; dans l’adhérence de tout notre être
à sa sainte humanité, pour participer à sa Religion, nous faire
une mentalité, une conscience, une volonté, un cœur, bref,
une âme de tout point semblable à la sienne, une âme et une
vie éminemment religieuse.
b~) Mais cette transformation de tout nous-même dans le
Christ, qui comporte des modalités et des degrés à l’infini,
doit nécessairement se faire dans le cadre de la législation de
l’Ordre, dans le sens de sa spiritualité et de son esprit propre,
et en fonction de son apostolat particulier.
2. Notre-Dame et l’Education religieuse. Cette forma­
tion générale et particulière relève directement et obligatoi­
rement de Notre-Dame ; elle est une de ses fonctions mater­
nelles et fait partie de son devoir d’état. Après avoir porté le
Christ dans son sein virginal, à elle, de concert avec l’Esprit-
Saint, de l’engendrer ensuite et de le former dans l’âme de
ses enfants. A elle de fournir à tout religieux les grâces requises
pour marcher dignement dans la vocation à laquelle elle-même
l’a appelé. A elle de le préparer à l’avenir qu’elle avait rêvé pour
lui. « La médiation royale de Marie assure au religieux toutes
les grâces nécessaires à la conservation et à l’épanouissement
de sa vocation » (R. C. R., novembre-décembre 1954, p. 172).
La Très Sainte Vierge « est considérée, non à tort, comme
la Mère et spécialement la Formatrice de tous ceux qui
embrassent les états de recherche de perfection et, de plus,
prétendent servir dans l’armée apostolique du Christ, Sou­
verain Prêtre. Ils ont, en effet, besoin de sa direction et de son
aide pour s’app liquer efficacement à la préparation et à la for­
224 PREMIERS ARTISANS

mation d’une si grande et si sublime vocation, tout ensemble


religieuse, apostolique et sacerdotale. N’a-t-elle pas été constituée
la Médiatrice de toutes les grâces de sanctification ? » (Const.
Apost. « Sedes Sapientiae » de Pie XII, 31 mai 1956).
De saint Ignace on a écrit que toute son ascension spiri­
tuelle se déroula « coram sacratissima Virgine Maria : devant
la Très Sainte Vierge Marie » (Cf. Christus, Cahiers Spirituels, 3,
Notre-Dame, p. 33).
3. Nature et formes de l’action éducatrice de la
Vierge. La puissance formatrice de Notre-Dame revêt diffé­
rentes formes et s’exerce de bien des façons.
d) Par son intercession, elle obtient que le Christ, le Saint-
Esprit, l’Eglise, ces premiers et grands éducateurs, interviennent
plus particulièrement et plus efficacement dans l’œuvre des
formations religieuses.
b} Elle s’associe, en la provoquant et en la renforçant, à
l’action formatrice du Père-Maître ou Maîtresse des Novices,
en leur accordant toutes grâces d’état.
c) La formation est l’œuvre personnelle du Novice. Sa Mère
sera là pour l’éclairer, le soutenir, l’encourager, le relever.
Il n’est qu’un apprenti. Sa Maîtresse sera à ses côtés pour I’îms-
truire et le guider.
d) La Sainteté religieuse de Notre-Dame enfin est par elle-
même un instrument puissant de formation. Un principe fon­
damental, mis par les Jésuites à la base même de leur système
d’éducation, est que tout vrai éducateur doit être un modèle,
un exemplaire vivant. La vie du Maître est la plus persuasive
et la plus efficace des leçons.
Idéal incomparable de perfection religieuse, Notre-Dame
sera pour ses enfants lumière, encouragement, entraînement.
Peut-on la contempler, l’admirer, l’aimer d’un amour filial, et
donc imitateur, sans s’élancer à sa suite à la conquête du Christ ?
« Ad Jesum, per Mariam. » Plus d’une fois, saint Ignace demanda
« à la Madone qu’elle voulût bien le mettre avec son Fils ».
Formule lourde d’évocations mystiques et qui défie l’analyse
(Christus, Cahiers Spirituels, 3, p. 47).

1. Le culte parfait de la Vierge est-il un gage


assuré de persévérance ?
2. Malgré toutes les sollicitudes maternelles
de Notre-Dame à l’égard des jeunes reli­
NOTRE-DAME ÉDUCATRICE 225

gieux, pourquoi tant de vocations qui


n’aboutissent pas ou se perdent ?
3. La dévotion à Marie est-elle tout à la fois
un élément et un instrument de formation ?
4. Dans quelle mesure chacun subit-il l’in -
fluence éducatrice de la Vierge ?
5. Le Noviciat est-il l’époque où s’exerce plus
spécialement l’action formatrice de Notre-
Dame ? Et pourquoi ?

Léon XIII, Dix Encycliques sur le Rosaire ; Pie X, Encyclique


Ad diem ilium, 2 février 1904 ; Pie XI, Esse lux véritatis, 25 décem­
bre 1931 ; Pie XII, Munificentissimus Deus, Ier novembre 1950 ; Const.
Apost. Sedes Sapientiae, 31 mai 1956 ; Fulgens Corona, 8 sept. 1953.
— S. Alphonse, Les Gloires de Marie, Ire Partie, ch. 11, ni ; IIe Partie,
Vertus de Marie. — Masson, Vie Chrétienne et Vie Spirituelle, IIe Par­
tie, ch. ni. — Hugon, La Mère de Grâce, IIe Partie, ch. I. — Grignion
de Montfort, Traité de la Vraie Dévotion. — Morineau, La Sainte
Vierge. — Braun, La Mère des Fidèles. — Bernard, Le Mystère de
Marie. — Bernadot, Notre-Dame dans ma vie. — Schryvers, Ma
Mère. — P. Colin, La Vie Intérieure, ch. xviii ; Notre-Dame, Première
Religieuse de Dieu, ch. IX ; Retraite sur VAmitié de J.-C., Xe Jour,
2e Oraison. — De Guibert, Leçons de Théologie Spirituelle, 27e Leçon.
R. C. R. 1954, 170, 176, 182. — Forma. Gregis, mai 1949, « La
Très Sainte Vierge Marie », Motte, O. P. — Christus, Cahiers Spirituels,
3, « Marie et l’Education », Remy.

15
VINGT-SIXIÈME LEÇON

NOTRE MÈRE L’ÉGLISE

L’Eglise « est notre patrie spirituelle, notre milieu natal,


notre berceau, notre école, notre maison, le lieu de notre crois­
sance, de nos évolutions, de nos travaux, de nos amours »
(P. Motte, O. P., Forma gregis, juillet 1950, p. 28).
Tout cela peut se dire — et plus encore — en l’appelant
simplement « Mère », Notre Mère l’Eglise. Formule classique,
qui se retrouve cent et cent fois sous la plume des Pères, Doc­
teurs, Théologiens et Ecrivains ecclésiastiques.
Maternité admirable, unique par sa Majesté, sa Sainteté, sa
Fécondité, son Autorité, son Amour, son Dévoûment à l’égard
de ses innombrables enfants, et tout spécialement de ses Fils
de prédilection, les Religieux.
De la Maternité, elle accepte toutes les charges et remplit
toutes les fonctions. Elle enfante, nourrit, protège, pardonne,
relève, console, enseigne, commande, éduque ; après nous
avoir, au baptême, donné la vie surnaturelle, elle nous conduit
finalement à la vie éternelle.
Ce rôle maternel de l’Eglise, nous allons le considérer —
particulièrement actif — dans la formation au Noviciat des
jeunes religieux. Ici encore, ici surtout, en coopération avec
la Sainte,Trinité et Notre-Dame, elle va se révéler une grande
Educatrice, par son Magistère doctrinal, son Autorité juridique
et son Ministère de sanctification.

I. MAGISTÈRE DOCTRINAL

Toute éducation est à base de vérité. Orientée vers la sain­


teté, la formation religieuse doit reposer sur des assises de
lumière.
NOTRE MÈRE L’ÉGLISE 227

Une spiritualité qui n’est point éclairée, doctrinale, ne peut


guère conduire qu’à une vie diminuée, faite de petits procédés,
de pratiques routinières, d’un conformisme étroit et stérile.
« Rien n’est plus sûr que la lumière », disait Malebranche ;
rien aussi de plus nécessaire. Si l’instruction n’est pas toute
l’éducation, elle en est du moins la condition et le fondement.

1. Doctrine et vie religieuse. Nul ne peut mener une


belle vie religieuse s’il ne la connaît parfaitement. On ne fait pas,
ou on fait mal ce qu’on n’a pas compris, ou compris qu’à moitié.
D’un habile ouvrier, on dira qu’il connaît son métier. Connais­
sons-nous toujours notre métier de religieux ? Que de vies
médiocres, gâchées, que d’existences cahotantes et vulgaires,
sans grandes misères peut-être, mais aussi sans grandes vertus !
Et, à l’origine de ces vies manquées, sinon mauvaises, se trou­
vera presque toujours un manque de lumière, une certaine
méconnaissance de l’état religieux.
De là, la nécessité de penser juste, « recta sapere », de se
faire une idée exacte, profonde, pleinement vraie de la vie
religieuse, bref de se créer un idéal et une mentalité de « consa­
cré », d’une âme tout à Dieu et qui ne vit plus que pour Dieu.

2. Eglise et formation doctrinale. Cet enseignement doc­


trinal, cette conception authentique de l’état religieux, qui va
nous la donner ? L,’Eglise, Maîtresse de Vérité. « C’est sa mission
essentielle d’enseigner avec certitude ce qu’il faut faire pour
se consacrer totalement au Christ » (Carpentier, Témoins de
la Cité de Dieu, ch. IV, p. 47).
La formation apostolique des douze s’inaugure par l’ensei­
gnement du Maître. Il commence par les instruire ; il leur
prêche son Evangile, message de vérité. Continuatrice de l’œuvre
de Jésus, héritière de sa doctrine, l’Eglise, elle aussi, a pour
mission première d’annoncer la Bonne Nouvelle : « Allez par
tout le monde, prêchez l’Evangile à toute créature » (Marc,
XVI, 15). Et quand elle s’adresse aux religieux, elle leur remet
sous les yeux ce qu’il y a de plus élevé dans la révélation messia­
nique : les Conseils et les Béatitudes évangéliques.
L’état religieux est un « mystère » de grâce, que l’Eglise
seule est à même A’expliquer, d’éclairer, de justifier. C’est à
elle qu’il appartient d’en fixer la nature, les éléments essen­
tiels, les traits caractéristiques, la fin, les obligations ; d’en
rappeler la primauté, la splendeur, la richesse, la fécondité ;
à elle de signaler les déviations, interprétations, erreurs qui
tendent à l’amoindrir et le défigurer ; à elle de condamner
228 PREMIERS ARTISANS

ces esprits aventureux, qui se piquent d’être à l’avant-garde


du progrès et qui, en réalité, ne sont qu’en retard sur l’Evan­
gile ou en recul sur la tradition catholique. Combien d’opinions
novatrices qui ne sont qu’un compromis ou un flirt avec l’esprit
du siècle !
A cette mission doctrinale, l’Eglise du Christ n’a jamais
failli. « Dès le berceau du Christianisme, le magistère lui-même
de l’Eglise... a enseigné avec sûreté la manière dont se devait
conduire et régler la vie vouée à la perfection » (Pie XII, Const.
Apost. « Provida Mater Ecclesia », 2 février 1947).

3. Sources doctrinales de l’état religieux. Cet ensei­


gnement est donné de différentes façons et par des voix diverses :
Souverains Pontifes, Tradition, exemple des Saints.
a) Le Saint-Siège. Depuis un demi-siècle, une action puis­
sante s’est déclenchée dans l’Eglise, en vue de Vadaptation,
rénovation, ressourcement du monde religieux. Vocation, forma­
tion, états de perfection, dangers qui les menacent : fléchis­
sement de la foi, laïcisation de la charité, activisme, au détri­
ment de la vie intérieure; clôture, travail manuel, culture humaine,
science professionnelle, pauvreté, chasteté, obéissance, gouver­
nement, union ou fédération des Instituts : tous ces points
essentiels ou secondaires et d’autres encore, touchant la vie
sociale, apostolique et individuelle des religieux ont été maintes
fois traités par Pie XI et Pie XII dans nombre de lettres, dis­
cours, constitutions et encycliques (voir « Forma Gregis »,
octobre 1952. — Les Directives pontificales récentes sur la
vie religieuse, pp. 1 et sq.).
Maîtres et Maîtresses des Novices trouveront là pour leur
enseignement une mine précieuse à exploiter ; une source pro­
fonde, jaillissante et pure où ils pourront conduire leur petit
troupeau ; assurés, en se référant toujours aux doctrines et
directives pontificales, de ne point errer ou dévier.
b) La tradition, elle aussi — Pères, Docteurs, Théologiens,
Maîtres de la vie spirituelle — se fait entendre dans une multi­
tude d’ouvrages consacrés à l’état religieux. Elle nous a laissé
des pages incomparables, que l’on aura toujours grand profit
à lire et à méditer. A fréquenter, dès les premières années
de formation, ces « Princes de la science », l’esprit religieux
ne pourra qu’y gagner en sûreté, en étendue, en profondeur.
c) Fondateurs et Fondatrices d’instituts, inspirés par l’Esprit-
Saint, sous la direction et avec l’approbation de l’Eglise, eux-
mêmes tout pénétrés de l’esprit évangélique, ont su donner à
NOTRE MÈRE L’ÉGLISE 229

la vie religieuse des formes nouvelles, originales et puissantes.


A leurs fils et à leurs filles, s’ils ne veulent pas déchoir ou
dévier, de se nourrir de leur pensée et de s’enrichir de leur
doctrine.
d) Restent les Saints, ces illustres représentants et témoins
de l’état religieux. Leur vie est une lumière, leurs vertus, une
incomparable leçon de choses. Enseignement concret, vivant,
entraînant, à la portée de tous. A les connaître, les aimer, les
imiter, on ne peut, en leur compagnie, que suivre les traces
du Christ et ne marcher jamais dans les ténèbres. « Qui sequitur
me, non ambulat in tenebris » (Joan., VIII, 12).
Que l’Eglise ait eu le souci constant de défendre, de promou­
voir l’état religieux, « c’est ce que démontrent abondamment,
depuis les origines jusqu’à nos jours, les textes innombrables
des Pontifes, des Conciles et des Pères, ainsi que le cours entier
de l’histoire ecclésiastique et tout l’ensemble de la discipline
canonique » (Pie XII, Encycl. « Provida Mater », 2 février 1947).
En bref, l’Eglise seule a le dépôt de la vérité. Toute forma­
tion religieuse doit donc s’y conformer. S’écarter de ses ensei­
gnements qui ne sont que le commentaire authentique et
officiel de l’Evangile, c’est faire fausse route et verser dans
l’hérésie : « Qui vos audit, me audit » (Luc, X, 16).

II. AUTORITÉ JURIDIQUE


« Puisque la vie religieuse est un « mystère » lié intimement
à Jésus, seule l’Eglise est en mesure de la connaître, de Vensei-
gner, de l’expliquer et de la diriger... Elle fait tout cela par la
Hiérarchie et par ses Saints. La Hiérarchie le fait spécialement
par ses lois », qui vont devenir elles aussi une source de vie
morale et un instrument de formation religieuse (Carpentier,
Témoins de la Cité de Dieu, ch. III, pp. 38-39).
1. Gouvernement de l’Eglise. L’Eglise est une Société
d’origine divine, hiérarchisée et parfaitement organisée. Or,
pas de société sans gouvernement, et pas de gouvernement
sans législation. « Au cours des siècles, l’Eglise... développa
graduellement (la sienne), jusqu’à la promulgation du Code
actuel de Droit canonique » (Pie XII, Const. Apost. « Provida
Mater »). Recueil de lois, toujours en évolution, et que viennent
compléter, préciser et commenter les décrets émanés des Sou­
verains Pontifes ou des Congrégations romaines.
La législation ecclésiale n’est pas seulement une question
purement administrative, disciplinaire, judiciaire. Outre son
23° PREMIERS ARTISANS

aspect extérieur juridique, elle a aussi un caractère moral, « mys­


tique », parfois oublié ou méconnu. Elle atteint les âmes dans
leur vie intérieure, et par sa fin ultime doit les conduire jusqu’à
Dieu.
Toute l’activité de ce gouvernement et les instruments de
cette activité — lois ecclésiastiques, droit canon, liturgie,
rubriques, interdictions, exhortations, direction spirituelle pro­
prement dite, administration — tout cela va finalement à favo­
riser la vie de charité dans les âmes, l’intimité avec Dieu par la
vie théologale, la floraison de toutes les vertus, l’édification et
l’entraide mutuelle (voir Congar, O. P., Forma Gregis, avril-
mai-juin 1952. « L’Eglise : Dualité et Unité »).
Pie XII le rappelait lui-même dans son discours à des pro­
fesseurs et à des étudiants de l’Université de Vienne : « Le
droit de l’Eglise n’est pas un but en lui-même. Il est toujours
un moyen ordonné à un but supérieur. Comme toutes choses
dans l’Eglise, il est au service du « salus animarum », et, par
là, de l’apostolat. Il doit aider à ouvrir et à aplanir dans le
cœur des hommes le chemin qui mène à la vérité et à la grâce
de Jésus-Christ » (Documentation catholique, 8 juillet 1956,
p. 844). L’Eglise est tout à la fois l’Eglise du droit et l’Eglise
de l’amour. Elle a une double mission, l’une juridique, l’autre
spirituelle (voir Pie XII, Encycl., « Mystici Corporis », du
29 juin 1943).

2. Droit canonique et vie religieuse. Dans le « Codex


Juris Canonici », la seconde partie du Livre second est consacrée
entièrement aux Religieux. Ainsi qu’on l’a justement écrit,
toutes ces règles canoniques, imposées par l’Eglise, « ne sont-
elles pas comme le résultat de sa vigilance, de sa sollicitude,
de son expérience, — le fruit de sa prudence — de sa prudence
naturelle et surnaturelle qui s’est exercée pendant de longs
siècles et dont nous profitons » ? (R. C. R., sept-octobre 1936,
P- 154)-
Tout ce que nous avons dit, en général, de l’influence
morale de la législation ecclésiastique dans les âmes chrétiennes
s’applique plus particulièrement au monde religieux. Toute cette
jurisprudence a été inspirée à l’Eglise par son désir et sa volonté
d’assurer à l’etat religieux — en général, en tant que Société
et à chacun de ses membres, en particulier — toute sa pureté,
sa force, sa sainteté, sa fécondité, et d’écarter tout ce qui pour­
rait l’affaiblir ou le contaminer.
A qui étudie l’histoire de l’Eglise, un fait frappant à cons­
tater, c’est qu’il y a toujours une relation étroite et une dépen­
NOTRE MÈRE L’ÉGLISE 231

dance réciproque entre l’épanouissement de la vie religieuse


et le progrès de la législation canonique. Depuis quelques
années, un renouveau puissant de charité, de zèle, s’est fait
sentir dans le monde religieux. « Mais ce qui mérite d’être
relevé, c’est que ce regain de vie part à la fois des communautés
et de Vorgane juridique qui doit les conduire, la Sacrée Congré­
gation des Religieux. Que ne peut-on attendre de cette coor­
dination immédiate ? Sécurité, stabilité, universalité : tels seront
les fruits d’un travail concerté et guidé. Déjà on les recueille »
(R. C. R., novembre-décembre 1952, p. 188).
De là, pour tous les Religieux, Supérieurs et sujets, l’obli­
gation morale de connaître exactement toute cette législation,
inspirée par la sagesse et l’amour de l’Eglise et de s’y conformer
avec fidélité.

3. Législation canonique et Formation religieuse.


Frappé de l’importance de cette formation, le Législateur lui
a consacré trois chapitres entiers. En 1944, le Saint-Siège avait
même érigé au sein de la Congrégation des Religieux un Comité
spécial, chargé de s’occuper de la formation des jeunes reli­
gieux. De nombreux canons (538-586) traitent de l’admission
en Religion, du Postulat, du Noviciat et de la Profession. Toutes
ces prescriptions précises et variées — nous en avons déjà
parlé longuement (Leç. V, VI, VII, XIV) et nous y revien­
drons encore — n’ont pas d’autre but, pour l’honneur de
l’Eglise, la vitalité de l’Ordre, la valeur et la persévérance des
sujets, que d’assurer un excellent recrutement, une parfaite
formation, préface d’une belle vie religieuse.
Il faut en dire autant de l’intervention de l’Eglise dans la
législation particulière des différents Ordres religieux. N’est-ce
pas elle qui a présidé à leur naissance, examiné, approuvé,
authentiqué et imposé à tous Règles et Constitutions, et s’est
réservé le droit de les compléter, modifier et adapter.
Aux Supérieurs Majeurs, et spécialement au Maître et à la
Maîtresse des Novices, d’être parfaitement renseignés sur cette
législation canonique et de garder le souci constant d’y confor­
mer en tous points et leur conduite personnelle et le régime
du Noviciat. Une formation religieuse en opposition avec le
Droit Canon, les règles liturgiques, les Constitutions de l’Ordre,
les décrets et directives du Saint-Siège et qui, par là même,
serait en dehors de la volonté de Dieu et en marge de l’obéis­
sance à l’Eglise, ne saurait aboutir qu’à des résultats incomplets
et médiocres.
232 PREMIERS ARTISANS

III. MINISTÈRE DE SANCTIFICATION


L’Eglise, épouse du Christ, devient, par le baptême, la
Mère de tous les chrétiens. Mais cette vie divine qu’elle leur
a communiquée, elle doit, en raison même de sa maternité,
la protéger, l’entretenir, la développer et la mener à son terme,
la vie éternelle. Et la voilà, comme Notre-Dame : « ecce
Ancilla », comme le Sauveur, « veni ministrare », assumant
l’office de Servante universelle. A tous ses enfants, elle offre
ses sacrements, sa liturgie, sa prédication, ses prières, ses sacri­
fices et les grâces qui découlent du Corps Mystique et de la
Communion des saints.
Ces sources de vie, communes à tous les fidèles, sont
plus encore à la portée des religieux, ses fils privilégiés. En
les admettant à la Profession, l’Eglise les enfantait à une forme
nouvelle et supérieure de vie surnaturelle ; et à ces candidats
à la perfection, elle ménageait d’autres sources de grâces,
jaillissantes et « réservées » : la Règle, la Vie communautaire,
Vapostolat, la communion à VInstitut.
i. Règles et Constitutions. La sainte Règle — Sancta
Regula — est l’œuvre de l’Eglise. Pensée et écrite par le Fon­
dateur ou la Fondatrice, elle fut ensuite revisée, approuvée,
authentiquée par YAutorité ecclésiastique et imposée à tous les
membres de l’institut.
Les Constitutions d’un Ordre religieux sont tout à la fois
un Idéal et un Programme.
Idéal de perfection, expression particulière, mais fidèle, des
trois conseils évangéliques : pauvreté, chasteté, obéissance,
avec toutes leurs exigences et délicatesses.
Programme de sainteté à réaliser progressivement, généreu­
sement, persévéramment, au jour le jour, à la suite du Christ,
vers les cimes de la parfaite charité.
Cet Idéal-Programme est en même temps — au jugement
de l’Eglise et de tous les saints — ^instrument le plus puissant,
unique, de glorification divine, de vitalité pour l’Ordre, de
sainteté personnelle et de fécondité apostolique. « Tous les
religieux, en général et en particulier, les Supérieurs comme
les sujets, doivent non seulement garder minutieusement et
intégralement les vœux qu’ils ont émis, mais conformer leur
vie aux Règles et Constitutions propres à leur Institut, et par
là « ita » tendre à la perfection de leur état » (Can. 593).
Cette Règle, le candidat religieux devra l’étudier, la méditer,
Vexpérimenter, se la rendre familière durant tout le cours de
NOTRE MÈRE L’ÉGLISE 233
son Noviciat. Pour lui aussi, elle sera son idéal-programme et
comme le moule de sa formation.
2. Vie commune. Dans la vie communautaire, instituée
par l’Eglise comme un des éléments essentiels de l’état religieux,
Profès et Novices trouveront — à longueur de journée — mille
occasions de pratiquer le support, la douceur, l’humilité, le
pardon, le renoncement, l’amabilité, la serviabilité, la charité ;
de s’édifier à la vue et au contact de leurs frères, bref, d’exercer
nombre de vertus et de se sanctifier dans le « cor unum » et
1’ « anima una ».
3. Apostolat. L’état religieux, de sa nature et par sa fin,
ne peut se concevoir sans une participation effective et parti­
culièrement féconde à l’Apostolat universel. Le religieux est
officiellement mandaté par l’Eglise pour coopérer avec elle à
l’extension du règne de Dieu et au salut de l’humanité.
Là encore, il trouvera une source nouvelle de perfection
morale, car le zèle n’est que le rayonnement d’une charité
ardente, laquelle est l’âme et le sommet de toute sainteté.
4. Communion des Saints. L’Eglise est une Société
organisée dont tous les organismes sont dépendants et solidaires
les uns des autres ; corps mystique du Christ, dont tous les
membres intimement unis entre eux par la charité, se soutiennent
et s’entraident dans la lutte pour la vie, sur le chemin du ciel.
C’est là tout le dogme de la Communion des Saints.
Cette communion des saints se constate aussi en réduction
dans les Ordres religieux, partie intégrante de l’Eglise. Corps
moral dont tous les sujets, comme autant de cellules vivantes,
agissent et réagissent sur l’ensemble de la Communauté ; et,
par une espèce d’osmose, se transmettent réciproquement une
part de leur vitalité et plénitude spirituelle.
A quoi se rapporte la dévotion aux Saints de l’institut,
et principalement au saint Fondateur.

1. Quelle est la différence entre la Maternité


spirituelle de Notre-Dame et celle de
l’Eglise ?
2. Les prescriptions du Droit Canon et de la
Liturgie obligent-elles en conscience, ou
sont-elles de simples lois pénales ?
234 PREMIERS ARTISANS

3. La législation générale et commune l’em­


porte-t-elle en autorité et en gravité sur
le droit particulier des religieux, et sur
les traditions ou coutumes de l’Ordre ?

4. La méconnaissance ou l’oubli du Droit


ecclésial a-t-il une influence sur le recru­
tement des vocations ?

Pie XII, Encyclique Mystici Corporis, 29 juin 1943 ; Const. Apost.


Provida Mater, 2 février 1947 ; Sponsa Christi, 21 novembre 1950
Sedes Sapientiae, 31 mai 1956 ; Discours au Congrès Général des
Etats de Perfection, 8 décembre 1950.
De Lubac, Méditations sur l’Eglise, ch. vi et vu. — L’Eglise du
Christ, traduit de l’allemand par l’Abbé Jolivet. — De Guibert,
Le Magistère de l’Eglise, Bibliothèque Catholique des Sciences ecclé­
siastiques, n° 81. — Carpentier, Témoins de la Cité de Dieu, ch. 11, iv.
— Directoire des Prêtres chargés des Religieuses, IIIe Partie, ch. I. —
P. Colin, Aimons nos Frères, ch. xn.
R. C. R. 1939, 56 ; 1949, 64-65 ; 1951, 167 ss. ; 1959, 8 ss. —
Forma Gregis, octobre 1952, « Les Directives Pontificales récentes
sur la Vie religieuse », Stang, O. P. ; octobre, novembre, décembre 1953,
« L’horizon ecclésial du Noviciat », P. Motte. — Christus, Cahiers
Spirituels, avril 1958, n° 18 consacré tout entier à 1’ « Eglise et Vie
Spirituelle ».
Chapitre V

MAITRES-OUVRIERS

La Trinité, la Vierge, l’Eglise : tels sont les premiers agents


de toute formation surnaturelle. C’est en Dieu que toute vie reli­
gieuse plonge ses racines, puise sa sève, trouve son développement
et sa plénitude. Qui donne l’accroissement, sinon Dieu : « qui
incrementum dat, Deus » (I Cor., III, y). « Toute plante qui n’a
pas été plantée par mon Père sera déracinée » (Matth., XV, 13).
Dieu toutefois, pour la réalisation de son œuvre, requiert la
coopération de l’homme. Saint Paul a trouvé la formule : « Non
pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi » (I Cor., XV, 10).
Dans la formation religieuse, au Noviciat, l’apport humain
est fourni par deux intimes collaborateurs, deux maîtres-ouvriers :
le Novice et le Père-Maître.
Rappeler la place et le rôle d’un chacun fera Z’objet de ce
chapitre.
Le rôle du Novice présente un double aspect : Activité et
Passivité. Il s’éduque et il est éduqué; il se meut et il est mû.
Son action est subordonnée à la grâce divine, dont l’afflux
et l’efficacité sont conditionnés par une certaine Attitude de l’âme
en face de Dieu.
Le premier souci du Novice sera de se faire une mentalité
et un idéal religieux, puis d’apporter à sa formation magnani­
mité et générosité.
La formation religieuse est œuvre trop délicate et trop ardue,
le Novice trop peu instruit et expérimenté, pour n’avoir pas besoin
236 MAITRES-OUVRIERS

d’un conseiller et d’un aide. L’Eglise y a pourvu, en lui imposant


d’office un Père spirituel, Maître ou Maîtresse du Noviciat.
D’une importance capitale, la charge de Maître des Novices
requiert des aptitudes et des qualités, sinon exceptionnelles, du
moins supérieures.
Dans le gouvernement du Noviciat, quelles sont /'autorité et
les Fonctions du Père Maître ?
La formation est tout à la fois une science et un art, qui trou­
veront leur expression dans une excellente méthode.
Utilisée avec discrétion, fermeté et patience, la méthode doit
aboutir à d’excellents résultats et assurer au Novice un parfait
développement spirituel et religieux, une parfaite formation.
Restera enfin à rappeler, préciser les relations du Père Maître
avec l’Autorité locale, la Communauté et ses auxiliaires.
Père Maître et Novice travaillent en équipe à une œuvre
commune. Encore faut-il que cette collaboration, pour être pleine­
ment efficace, soit loyale, intime et cordiale.
A cet effet, quel doit être le comportement du Père Maître
vis-à-vis du Novice, et /'attitude de celui-ci à l’égard de son
Formateur ?

27e LEÇON :: formation œuvre personnelle.

28e LEÇON :: ATTITUDE D’AME.

29e LEÇON : MENTALITÉ RELIGIEUSE.

30e LEÇON :: UN IDÉAL RELIGIEUX.

31e LEÇON :: ESPRIT DE GÉNÉROSITÉ.

32e LEÇON :: LA CHARGE DU PÈRE MAITRE.

33e leçon : AUTORITÉ PERSONNELLE.

34e leçon : FONCTION DU PÈRE MAITRE.

35e leçon :: MÉTHODE DE FORMATION.

36e LEÇON : ÉQUIPE PÈRE MAITRE-NOVICES.

37e LEÇON : RELATIONS PROFESSIONNELLES.


VINGT-SEPTIÈME LEÇON

FORMATION : ŒUVRE PERSONNELLE

De l’éducation active on a beaucoup parlé et plus encore


écrit ; sans doute, par réaction contre une certaine éducation
passive, impersonnelle, faite en série, routinière, imposée du
dehors, presque forcée, sans élan, sans initiative et presque
inconsciente. On se laissait former, sans plus. D’aucuns même
se sont demandés si l’éducateur n’avait pas usurpé en partie
la place et le rôle qui, de droit, revenait à l’éduqué.
En réalité, une éducation purement passive est impensable.
Sous peine de n’être pas, toute éducation doit, du moins dans
une certaine mesure, se montrer active. A chacun de se former
lui-même, avec l’aide de Dieu et le concours du Maître-Educateur.
C’est de cet élément actif, personnel, essentiel à toute œuvre
de formation, dont nous voudrions rappeler la nécessité, étudier
la nature et signaler les ennemis ou contrefaçons.

I. AGIR DE SOI SUR SOI

Cette formule, un peu vague — mais que nous allons


éclairer — exprime fort exactement le rôle du Novice dans
l’œuvre de sa formation religieuse.
Agir de soi: toute éducation est essentiellement une œuvre,
mais qui vient de nous-même, intérieure, vitale, immanente,
qui n’appartient qu’à nous, incommunicable, expression la
plus haute de notre volonté d’homme. Une parfaite formation
est le chef-d’œuvre de notre liberté. On n’est pas « formé »,
on « se forme » ; on n’est pas « élevé », on « s’élève ». Une âme
ne s’éduque pas de la façon dont on taille un bloc de marbre,
ou dont on pétrit de la glaise.
Toute formation est une œuvre strictement personnelle —
238 MAITRES-OUVRIERS

encore que d’autres puissent y concourir par l’extérieur —


dont chacun porte la principale responsabilité morale. Respon­
sabilité qu’il serait bon, croyons-nous, de rappeler souvent
aux jeunes religieux. En cas de réussite ou d’échec, 1’ « éduqué »
peut s’en féliciter ou, tout d’abord, s’en prendre à lui-
même.
On agit de soi et sur soi, car cette activité de nos puissances
intérieures se termine à notre personnalité, qu’elle a justement
pour but de développer et d’amener progressivement à sa
perfection humaine et divine. La formation est une œuvre de
vie, un épanouissement de vie. Mais toute vie implique l’action.
Qui n’agit plus, ne vit plus, et qui ne vit plus est radicalement
incapable de formation. On n’éduque pas les morts. Se former
c’est agir ; car l’action — quand elle est ce qu’elle doit être —
est génératrice d’une vie plus opulente.
Après Dieu, le Novice est donc le premier agent de sa
formation. Sans lui, rien ne peut se faire et rien ne se fait.
Devant sa carence, le premier des éducateurs, Dieu lui-même,
est frappé d’impuissance.
Dans l’œuvre si complexe de l’éducation religieuse, tout est
conçu en vue de l’action et orienté vers l’action, à condition
toutefois de donner à ce mot toute son ampleur.

1. Grâce divine. Elle est une semence d’action; elle ne


nous est donnée que pour nous permettre d’agir surnatu-
rellement, pour provoquer, soutenir et parfaire toutes nos acti­
vités spirituelles, pour déclencher le jeu de toutes nos facultés.
Même les grâces de la plus haute contemplation ne sont, en
définitive, que des puissances d’action extraordinaires. « L’union
à Dieu par les grâces de la contemplation infuse ne rend pas
l’homme plus parfait par elle-même et du seul fait que ces
grâces sont infuses dans son âme, mais elles Vaident puissam­
ment à faire des actes de charité très intenses qui, eux, le feront
plus parfait » (De Guibert, Leçons de Théologie spirituelle,
Leçon XIII, p. 179).

2. Rôle du P. Maître, qui n’est qu’un auxiliaire. Par


son enseignement, ses conseils, ses exhortations, son exemple,
ses prières, il lui sera bien donné — c’est son office — d’éclairer,
de guider, d’encourager, de soutenir son disciple dans son
comportement spirituel ; mais il ne pourra jamais le suppléer.
Penser, vouloir, aimer, agir : ceci est l’affaire exclusive du
Novice, et non la sienne. Le P. Maître fait agir, mais c’est le
Novice qui agit.
FORMATION : ŒUVRE PERSONNELLE 239

3. Tendance à la perfection. Deux mots encore qui signi­


fient : action, travail. La formation du Noviciat est une prépa­
ration et une initiation à la vie religieuse, laquelle n’est que
tendance à la perfection.
Tendance, c’est-à-dire résolution, effort pour avancer, pro­
gresser, monter. Quant à la perfection, elle aussi implique
l’idée de lutte, d’activité intense et universelle. Réaction — et
la réaction n’est-elle pas une des formes les plus nécessaires
de l’action ? — contre toutes les forces menaçant la vie spiri­
tuelle ; pratique des vertus, et la vertu est le summum de l’action;
et surtout plénitude de charité. Or, aimer Dieu parfaitement,
n’est-ce point là l’acte royal, l’œuvre divine par excellence ?
Saint Alphonse demandait à ses religieux de travailler
d’arrache-pied, sérieusement et de toutes leurs forces à l’acqui­
sition de la sainteté : « Omnes Congregati serio omnibusque
viribus ad sanctitatem sibi comparandam incumbant » (Constit.
S. S. Redempt., n° 1) et à ses Novices de ne pas se contenter
d’une apparence de vertu, pratiquée par force ou contrainte,
mais d’utiliser au mieux, « propria électione » par choix et en
toute liberté, les moyens d’extirper leurs vices et de cultiver
la vertu (L. c., n° 1103).
Cet aspect volitif, actif, combatif — qui d’ailleurs s’harmo­
nise fort bien avec un autre aspect antinomique : soumission
et abandon aux mouvements de la grâce — est un des carac­
tères frappants de la spiritualité ignatienne. Du Fondateur de
la Compagnie, on a écrit « que son attitude essentielle, peut-
être la plus caractéristique de sa pensée et de son œuvre, c’est
un abandon actif à la volonté de Dieu, une passivité active,
une recherche active de la disponibilité » (Christus, Cahiers
Spirituels, 2, p. 30). « Activité volontaire et généreuse et passi­
vité aux motions seront comme les deux pôles également néces­
saires à sa mystique de service » (Christus, Cahiers Spirituels 4,
P- 7i)-
« Aide-toi ! le Ciel t’aidera. » Des actes ! des actes ! des
actes ! aimait à répéter le Vénérable Père Passerai.

II. PROGRAMME D’ACTION

La formation est une œuvre de longue haleine, austère et


magnifique. Dans ce travail de tous les jours et de toutes les
heures, que peut-on attendre, exiger d’un candidat religieux ?
Savoir, vouloir, aimer, agir : ces quatre mots semblent bien
exprimer et résumer en substance son programme de vie au
240 MAITRES-OUVRIERS

Noviciat. Programme qui trouvera son développement et ses


précisions dans la troisième partie de cet ouvrage : « Programme
de formation. »
1. Savoir. C’est la formation intellectuelle, condition et
fondement de tout l’édifice. Rien de beau, de grand, de solide
dans l’ordre moral ne s’élabore et ne se réalise que dans la
lumière et dans la vérité.
Il s’agira donc, pour le Novice, d’acquérir une connaissance
aussi complète et profonde que possible de tout ce qui cons­
titue ou concerne son nouveau genre de vie.
a) Vocation religieuse, origine, grandeur, fécondité, fidélité
à la suivre.
b) Noviciat. Nature, importance, rôle, exercices de cette
Institution ecclésiale.
c) Science ascétique en général : ses principes, ses lois, ses
sources, son but.
d) Etat religieux : structure, éléments essentiels, sa double
fin : Sanctification et Apostolat, ses obligations multiples et
variées.
c) Vie et Organisation de l’institut : esprit propre, vertus
caractéristiques, Règles et Constitutions, Apostolat de la mys­
tique ou des œuvres.
Toutes ces connaissances devront s’acquérir durant le cours
du Noviciat, grâce à l’enseignement du P. Maître, par l’étude,
la lecture, l’oraison, la prière.
2. Vouloir. Le « Savoir » n’est qu’un prélude au « Vouloir ».
Cette vie religieuse que le Novice a étudiée et qu’il connaît,
c’est à lui maintenant, et à lui seul, qu’il appartient de l’accepter
loyalement et de la vouloir intégralement. Tout dépend d’un
« oui » ou d’un « non ». Au candidat de répondre et de conclure.
Cette conclusion décisive et immuable, il a eu tout le temps
de la mûrir durant son année de probation, de lui donner une
dureté granitique, d’en faire, à sa Profession, un engagement
sacré et définitif sur lequel il ne reviendra jamais, sinon pour
le confirmer. Car une telle résolution ne se prend pas d’un
seul coup ; comme le fer, elle se forge lentement, à grands
coups de vouloir ; et, comme l’acier, elle doit se retremper
chaque jour. Après avoir longtemps réfléchi, pesé le pour et
le contre, consulté, prié, qu’il fasse, en pleine liberté, sans être
poussé ou sollicité, son « élection », avec cet esprit de décision
qui fut une des marques caractéristiques de l’âme et de la
spiritualité de sainte Thérèse d’Avila. Qu’il « fasse le pas »
FORMATION : ŒUVRE PERSONNELLE 241

sans arrière-pensée de rebrousser jamais, et avec Vintention


irrévocable de se vouer pour toujours au service de Dieu, de
l’Eglise, de son Institut et des âmes.
3. Aimer. Plus encore que de « savoir » et de « vouloir »,
le Novice s’efforcera d’aimer. L’amour du Christ, un amour
profond, total, exclusif, est le cœur, l’âme de toute formation
religieuse. Pourquoi est-on entré en religion, sinon pour aimer
Dieu avant tout et par-dessus tout ? C’est la charité seule
qui fait les grandes âmes et les belles vies monacales.
Devenir de plus en plus, progressivement, le parfait ami
du Christ, ou son unique épouse ; allumer dans son âme et
dans son existence une flamme ardente, inextinguible, toujours
montante ; s’efforcer de centrer toute sa vie spirituelle sur le
Christ, pour le mieux connaître, le mieux aimer et le mieux
imiter : telle devrait être la seule préoccupation d’un jeune reli­
gieux. A cette fin, aller fidèlement puiser et alimenter cette
charité aux sources traditionnelles : prière, oraison, vie inté­
rieure, dévotion à la Passion, au Sacré-Cœur, à l’Eucharistie.
Amour du Christ qui s’épanouira — comme de multiples
roses sur une même tige — en amour de la Vierge, de l’Eglise,
de l’institut, de ses Confrères et des âmes.
Qui apporterait à sa Profession un cœur « tout à Dieu »,
comme « la divine passion du Christ », celui-là aurait, à coup
sûr, fait de sa formation une « œuvre réussie » (voir Leçon XVIII).
4. Agir. Comme conclusion logique et pratique de son vou­
loir, comme fructification de son Amitié pour le Christ, il ne
restera plus au Novice qu’à s’initier généreusement à sa vie
religieuse, à la « vivre » et à la « faire ». De cette vie, dont le
Noviciat n’est qu’un essai et une expérience, il trouvera le devis
précis et le programme obligatoire dans la Règle et les
Constitutions.

III. PASSIVITÉ ET RÉSISTANCE

La formation est une œuvre personnelle dont la réalisation


comporte bien des degrés. Médiocre, elle peut aussi se révéler
excellente. Cela tient, non seulement au travail du Novice,
mais aussi à l’action conjuguée de Dieu et du P. Maître. Tous
trois coopèrent à la même éducation ; encore faut-il — si on
la veut pleinement efficace — que cette collaboration existe
étroite, constante, harmonieuse. Sa carence ne peut que compro­
mettre plus ou moins gravement le résultat final. Or, de la
16
242 MAITRES-OUVRIERS

part du religieux, elle fait défaut plus d’une fois ou laisse à


désirer.
i. Abus de la grâce. Toutes nos activités surnaturelles
sont subordonnées à la grâce divine qui, elle-même, dans son
efficacité, est conditionnée par notre liberté et notre acceptation.
Offert et reçu, le don de Dieu doit être exploité. « La grâce
de Dieu ne m’a pas été inutile » (I Cor., XV, 10). « Or, puisque
nous sommes ses collaborateurs, nous vous engageons à ne pas
recevoir en vain la grâce de Dieu » (II Cor., VI, i).
De là, « chez des âmes, toutes ferventes, une inégalité consi­
dérable, et ce ne seront donc pas nécessairement celles qui
auront reçu les grâces les plus hautes qui seront toujours les
plus parfaites » (De Guibert, Leçons de Théologie spirituelle,
Leçon XIII, p. 179). De même, la diversité des âmes dans
un Noviciat s’explique en partie par le plus ou moins de coopé­
ration à la grâce. Même abondance de grâces, mais non point
même correspondance. La grâce s’est butée à l’inertie, à la résis­
tance, à la lâcheté, et s’est trouvée bloquée. La semence est
tombée sur une terre en friche et n’a point levé.
Ces abus de grâces sont multiformes. La première grâce à
sauvegarder et à exploiter à fond est celle de sa •vocation. Grâce-
source, qui en inclut une foule d’autres, extérieures et intérieures,
que Dieu communique par lui-même ou par l’intermédiaire
de l’Eglise et de l’institut. Capital spirituel à faire fructifier
avec grande diligence.
Abus de grâces, l’utilisation partielle et routinière de toutes
les sources de vie morale : prière, oraison, sacrements, Règles,
et la résistance ouverte ou déguisée aux motions divines et
aux inspirations de l’Esprit.
Une telle attitude vis-à-vis de l’intervention divine ne peut
qu’énerver les énergies de l’âme, menacer la vocation et parfois
fausser une vie entière. Si le bon usage de la grâce mérite et
attire d’autres grâces, par contre, son mauvais emploi ou son
non-emploi en tarit peu à peu la source. « Dieu n’accorde la
grâce que pour s’en servir ; aussi, lorsque quelqu’un, par
négligence, n’utilise point la grâce donnée, Dieu la lui ôte » :
« Deus non dat gratiam homini nisi utatur illa ; et ideo, quando
quis per negligentiam gratia sibi data non utitur, Deus aufert
ei, ut patet de talento. » Luc XIX, (S. Th., in Es. XXXVIII.
n° 1). Voir Parabole des talents, Matth., XXV, 14-25. Le figuier
stérile, Luc, XIII, 6-9).
2. Passivité, Indocilité à l’égard du P. Maître, qui d’office
est chargé d’instruire, conseiller, diriger ses disciples dans leur
FORMATION : ŒUVRE PERSONNELLE 243
œuvre de formation personnelle. Cette aide, aussi précieuse
que nécessaire, le Novice peut — à son grand détriment —
la négliger ou, pis encore, la décliner.
Devant l’enseignement donné : passivité intellectuelle, nul
effort d’assimilation, aucune réaction.
A la direction morale, opposition sourde et presque systé­
matique. Refus de se laisser former ; prétention de se former
tout seul.

3. Défauts, Passions. Le Novice trouvera aussi en sa


personne de nombreux handicaps : défauts de tempérament et
de caractère, mauvaises habitudes acquises, mentalité qui sent
le monde, aboulie de la volonté, faiblesses ou déviations du
cœur, tendance à la facilité, au « il ne faut pas s’en faire », tout
un monde de petites passions et de poussées égoïstes ; autant
d’éléments psychologiques qui ne peuvent que contrecarrer,
freiner ses activités spirituelles et compromettre sa formation
religieuse.
Aussi, son premier effort doit-il porter sur la lutte généreuse
contre toutes ces puissances de mort. Acquérir une solide
mortification extérieure et intérieure; défricher la terre de son
âme, en arracher, jusqu’à la racine, ronces, épines, mauvaises
herbes ; après seulement y jeter la semence des grandes vertus
religieuses (Can. 565, § 1). Autrement, c’est bâtir sur le sable.
« La réaction avant l’action. » Omis ou mal fait, ce travail prépa­
ratoire ne peut, pour l’avenir, que ménager plus d’une sur­
prise et bien des déboires.

4. Mise en disponibilité de la nature. Mais il n’y a


pas, en l’humanité, que faiblesse, misères et corruption. Dieu
a doté chacun de certaines qualités humaines d’esprit, de cœur,
de volonté, de caractère ; de vertus naturelles, telles que la
loyauté, la justice, la délicatesse, la bonté, le dévoûment, qui
peuvent être heureusement utilisées comme instrument de
formation surnaturelle et religieuse. Négliger cet « équipement
moral » serait une erreur et une faute. « La grâce tire parti de
tout. »

1. La formation au Noviciat peut-elle, doit-


elle être tout à la fois active et passive
et dans quel sens ?
244 MAITRES-OUVRIERS

2. Ces deux aspects, au lieu d’être opposés,


sont-ils complémentaires l’un de l’autre ?

3. L’ « humanisme » en éducation est-il un


danger ou une ressource dans la formation
religieuse ?

4. Que penser de l’éducation active moderne,


qu’on a résumée en ces quelques principes ?
Faire coopérer le sujet à son éducation ?
Faire appel à son initiative ?
Favoriser l’épanouissement de sa liberté.
Lui donner le sens de sa responsabilité.

Pie XI, Encyclique du 31 décembre 1929, sur l’Education. —


Pie XII, Const. Apost. « Sedes Sapientiae », 31 mai 1956.
Saint François de Sales, Traité de l’Amour de Dieu, liv. II, ch. 12 ;
liv. IV, ch. 5. — Dupanloup, Nouvelles Oeuvres choisies, 3e vol, passim ;
De l’Education, t. I, liv. IV, ch. 1. — De Guibert, Leçons de Théologie
Spirituelle, IIIe Partie, Leçons XVIII, XIX, XXIX. — P. Colin,
Tendance à la Perfection, ch. Il, III, IX ; Retraite sur TAmitié de Jésus-
Christ, IXe et Xe Jour, Lecture; Vie Intérieure, ch. xi Jésus notre Modèle,
ch. XXIII. — Ollé-Laprune, La Vitalité Chrétienne, III, « De la Viri­
lité Intellectuelle », pp. 118-121 ; Prix de la Vie, ch. xxv. — Fougerat,
Le Cardinal Verdier, Souvenirs et témoignages, pp. 119-121. — Massou-
lie, Méditations de S. Thomas, IIIe Partie. « Pratique des Vertus d’après
S. Thomas ». « L’Etude de la Perfection. Actes. La Ferveur d’esprit »,
pp. 442-447. — Faber, Progrès de T Ame, ch. il. — Acta et Documenta
Congressus Generalis de Statibus Perfectionis, t. IV. Index « Formatio »,
P- 374-
R. C. R. 1956, 139-140. — Forma Gregis, février 1950, « L’Edu­
cation religieuse », Motte ; avril 1950, « Education des Vertus Chré­
tiennes », abbé Bessonnier; décembre 1955, « Problèmes pratiques du
Noviciat. Soumission et initiative dans la formation du Noviciat »,
Sr M.-Alfred.
VINGT-HUITIÈME LEÇON

ATTITUDE D’AME

Grâce de Dieu, volonté de l’homme : tels sont les deux


grands facteurs de tout progrès spirituel et en particulier de
toute formation religieuse. Mais d’abord la grâce divine,,
unique source de vie et premier moteur de nos activités.
De son abondance et de ses énergies dépend la valeur de
toute éducation.
L’afflux et la qualité des grâces « formatrices » relève tout
d’abord de la libéralité de Dieu, lequel dispense ses dons comme
il l’entend, à qui il veut, quand il le veut et dans la mesure
où il le veut. Elles jaillissent du Cœur de Jésus, pour s’écouler
et se répandre sur le monde par le canal de la Vierge et de
l’Eglise ou l’intervention du Saint-Esprit.
Mais la richesse de ce jaillissement et la puissance de cette
transmission sont aussi conditionnées, d’une certaine façon,
par une attitude d’âme, laquelle prend figure d’un appel cons­
tant et d’une préparation active à l’obtention et à l’efficacité
de la grâce.
Cette attitude habituelle de l’âme en face de Dieu se cons­
tate à tous les âges de la vie spirituelle, mais doit se rencontrer
plus particulièrement chez la jeunesse, à l’époque de sa formation.
Elle consisterait dans un état permanent de « disponibilité d,
de gratitude, d’humilité, de confiance et d’union à Dieu.

I. EN ÉTAT DE DISPONIBILITÉ
Saint Ignace demande aux retraitants de commencer les
« Exercices » avec grande ferveur. « Celui qui reçoit les exer­
cices gagnera beaucoup à y entrer avec un grand courage et
une grande libéralité envers son Créateur et son Seigneur,
lui offrant toute sa volonté et toute sa liberté, afin que sa divine
246 MAITRES-OUVRIERS

Majesté dispose de sa personne et de tout ce qu’il a selon sa


très sainte volonté » (Exercices, Ve Annotation).
La recommandation vaut spécialement pour le jeune Novice.
Un beau départ laisse toujours présager une heureuse course.
Dès son entrée au Noviciat, il offrira donc à Dieu la pleine
disponibilité de lui-même et lui donnera l’entière disposition de
sa personne et de sa vie.
Le voilà, dès lors, prêt à tout et sans réserve. « Ad omnia
est paratus » (Imit. 1. I, ch. XX). Prêt à se soumettre partout
et toujours à la volonté du Seigneur et à ses moindres désirs ;
prêt à répondre aux exigences ou aux appels de sa grâce ;
prêt aux renoncements et aux sacrifices de sa nouvelle vie.
Si prêt à tout que, quoi qu’il arrive, il n’en sera point sur­
pris, moins encore découragé et désemparé. Il est entré au
.Noviciat avec l’idée, sinon la résolution, de tout donner et
de ne rien refuser. Après sa conversion, rentrant de son pèle­
rinage à Chartres, Psychari confiait au P. Clérissac : « Je sens
que je donnerai à Dieu tout ce qu’il me demandera. » A l’aube
de sa vie religieuse, il est déjà « tout à Dieu », sinon en fait,
du moins de désir et de volonté.
« L’esprit avec lequel nous servons Dieu ne doit admettre
aucune réserve... Notre devoir, dans notre position présente,
est de n’opposer à Dieu aucune réserve volontaire, de ne mettre
aucune borne, aucune limite à notre amour pour lui, ni à notre
abnégation... On ne peut nier cette vérité sans nier le sens
commun » (Faber, Progrès de l'âme, ch. IV).
Entretenue et jamais rétractée, cette disposition intérieure
ne pourrait qu’assurer un fervent Noviciat. Toujours prêt, le
Novice le serait plus que jamais à l’heure de sa Profession.

II. GRATITUDE ENVERS DIEU


La gratitude envers Dieu est une vertu trop belle, et malheu­
reusement trop rare dans le monde, pour n’être point cultivée
avec amour dans l’état religieux, et cela dès le Noviciat. Tou­
jours et partout, l’ingratitude a été regardée comme un des
vices les plus bas et l’une des formes les plus hideuses de
l’égoïsme. L’éducation où la reconnaissance n’aurait point sa
place serait une œuvre manquée.
1. Nature. Affiliée à la Justice, cette vertu « nous fait
concevoir à l’égard de nos bienfaiteurs un sentiment parti­
culier Cl affection, et qui nous porte à leur en rendre des actions
de grâces, ainsi qu’à les obliger selon notre pouvoir, quand
ATTITUDE D’AME 247
l’occasion s’en présente » (V. P. Jean de Jésus-Marie, Instruc­
tion des Novices, IIe Partie, XVII, pp. 257-258). La mesure
des bienfaits reçus est donc la mesure de la reconnaissance.
Or, parmi les grâces divines, il en est une exceptionnelle,
immense, la plus grande peut-être après le baptême, et qui
nous accompagne toute notre vie ; grâce de la vocation, grâce
capitale, qui en contient une multitude d’autres et dont le
Novice ne devrait jamais cesser de remercier là Bonté et la
Miséricorde infinies.

2. Rôle éducatif de la gratitude, tout à la fois élément


et instrument de formation religieuse.
a) Elle témoigne toujours d’une certaine noblesse d’âme et
délicatesse de cœur.
b) Elle attire des grâces nouvelles ; car, remercier est une
des façons les plus délicates de demander et les plus sûres
d’obtenir (S. Th., II, II, qu. 83, art. 17, c.).
c) Le souvenir ému et continuel de la munificence de Dieu
se révèle de plus une des sources les plus abondantes de la
charité.
d) Remercier chaque jour le Seigneur de sa vocation, ne
serait-ce point en développer l’estime et l’amour et se donner
par là un gage nouveau de persévérance ?

3. Exercice de cette vertu. Elle se pratique de deux


façons : verbo et opere.
a) Verbo, par la prière d’action de grâces, si fréquente dans
les Saintes Ecritures et dans la liturgie. La multiplier dans
tous les exercices de piété. Au sujet de la vocation, Mgr Gay
écrit : « C’est à genoux, le front dans la poussière, le cœur
embrasé et empressé qu’il faudrait recevoir la première signi­
fication d’une volonté si bienfaisante » (De la Vie et des Vertus
Chrétiennes, De l’Etat religieux, p. 78). A tous ses religieux,
saint Alphonse fit une obligation quotidienne de remercier
Dieu du bienfait de leur vocation.
è) Opere, par nos œuvres, c’est-à-dire, par la mise en valeur
de notre vocation pour notre sanctification personnelle et la
plus grande gloire du Très-Haut. « Considérez donc votre
vocation j d’une part, pour rendre à Dieu de grandes actions
de grâces d’un tel bienfait ; d’autre part, pour lui demander
la grâce spéciale d’y correspondre et pour vous animer au cou­
rage et à la diligence qui vous sont très nécessaires pour par­
248 MAITRES-OUVRIERS

venir à un tel but. Que la lâcheté, la tiédeur, le dégoût de


l’étude et des autres activités vertueuses, je vous le demande
par l’amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, vous apparaissent
comme les ennemis décidés de votre vocation » (P. Dudon,
Saint Ignace de Loyola, Lettres spirituelles, pp. 132-139. Lettre
aux jeunes Jésuites de Coïmbre).

III. ESPRIT D’HUMILITÉ

L’humilité dont il est question ici est celle de l’âme dans


ses rapports avec Dieu et en relation avec sa culture religieuse.
Cette vertu a toujours été regardée comme la première, non
point dans l’ordre de valeur ou de préséance, mais en fonction
de la genèse de la vie spirituelle. Dans l’édifice de la perfection,
elle est la pierre d’assise et la pierre d’attente.
1. Nature et fondements. De l’humilité, les auteurs ont
donné nombre de définitions. Ne pourrait-on dire simplement
qu’elle consiste, en face de Dieu et de nous-mêmes, à nous
mettre, d’esprit, de cœur, de volonté, et sur tous les plans,
à notre place, qui de loin est la dernière.
Elle-même repose sur un double fondement :
a) Connaissance de Dieu, de sa Majesté, de sa Sainteté,
de sa Puissance, bref de ses Attributs infinis.
b) Connaissance de nous-mêmes, qui ne sommes rien. « Je
suis celui qui est, et tu es celui qui n’est pas. » En dehors de
Dieu, néant d’être, néant de valeur, néant de puissance. « Nihil
sum, nihil possum. » Moins que néant : misère et péché.
Anéantissement de ce néant devant cet Infini : c’est toute
l’humilité.
2. Puissance éducatrice de l’humilité. Cette vertu joue
un rôle considérable dans la formation religieuse. Le Christ
l’a rappelé et magnifié bien des fois devant ses apôtres. « Recevez
ma doctrine, car je suis doux et humble de cœur » (Matth.,
XI, 29). — « Si vous ne devenez comme un de ces petits, vous
n’entrerez pas dans le royaume des cieux » (Matth., XVIII, 3).
— « Celui d’entre vous qui est le plus petit, c’est celui-là qui
est le plus grand » (Luc, IX, 48).
a) Le premier effet immédiat de l’humilité est d’établir en
notre personne et dans nos activités Vordre fondamental des
valeurs réelles et des lois de la vie. Prééminence de Dieu en
tout, partout et toujours ; nous, après et sous sa dépendance
ATTITUDE D’AME 249

absolue et universelle. L’orgueil renverse la hiérarchie des êtres


et désaxe la vie.
b~) Qui s’humilie glorifie Dieu, lequel à son tour exalte
celui qui s’abaisse, « et exaltavit humiles » et le comble de
ses grâces. « Humilibus autem dat gratiam » (Luc, I, 52 ;
Jac., IV, 6).
c) Le sentiment de sa misère et de ses impuissances provoque
la prière, source des grâces de formation.
3. Ennemis de l’Humilité dans l’œuvre de la formation
religieuse :
a) L’esprit de suffisance : compter trop sur soi-même, ses
qualités humaines, pas assez sur Dieu et sa grâce, Tentation
de jouer au grand garçon, à la grande fille qui, pour marcher,
n’a besoin de personne.
Z>) L’esprit de superbe : se complaire en soi-même ; besoin
humain de monter, de dépasser, d’éclipser.
c) Esprit pharisaïque : rechercher l’estime, se faire une petite
réputation, au détriment de la gloire de Dieu.
Toutes ces manifestations d’un orgueil secret ou avoué, en
écartant la grâce, en maculant la conscience et en stérilisant
notre activité spirituelle, ne peuvent que compromettre, plus
ou moins gravement, une éducation.

IV. ROBUSTESSE DE L’ESPÉRANCE


La vraie humilité ne va jamais sans la confiance, qu’elle
provoque et nourrit. A qui sent, parfois jusqu’à l’angoisse, son
néant et son impuissance, il ne reste plus qu’à s’appuyer plus
fortement sur Celui qui est tout et qui peut tout.
Nécessaire au chrétien pour faire son salut, la seconde
vertu théologale l’est plus encore aux consacrés. Nous connais­
sons les motifs qui permettent de compter sur Dieu : puissance,
bonté, miséricorde, fidélité. Mais le Novice a, lui, plus que qui­
conque, des raisons spéciales de se fier à son Père et de s’aban­
donner à sa Providence.
1. Le pourquoi de son espérance renforcée : « robur
spei », de sa confiance invincible ?
a) Les grâces innombrables déjà reçues — en particulier sa
vocation — ne sont-elles pas un gage de faveurs nouvelles ?
Ce n’est pas dans les habitudes de Dieu de faire grève le premier
et d’abandonner le chantier. « Celui qui a commencé en vous
la bonne œuvre y mettra la perfection » (Phil., I, 6).
250 MAITRES-OUVRIERS

b) Appelé par Dieu à un état supérieur de vie, le religieux


a le droit d’escompter de sa justice et libéralité des grâces de
choix.
c) Inspirée et animée d’une confiance toute filiale, que ne
pourra obtenir sa prière? « A son petit qui lui demande un
morceau de pain, un père peut-il donner une brique ou un
serpent, ou faire la sourde oreille ? » (Matth., VII, 9-10).

2. Exercice de la confiance.
a) Assurance que, quoi qu’il arrive, nous sommes parés. A
notre confiance, Dieu répondra toujours par sa disponibilité.
Lui aussi est toujours prêt : prêt à nous éclairer, guider, consoler,
fortifier, relever, pardonner. Le Christ lui-même ne s’est-il pas
fait notre serviteur volontaire ?
b) Certitude — car la confiance est une certitude — que,
dans toutes les épreuves du Noviciat, il sera là, près de nous,
avec nous et que, si nous le voulons, tout ira bien et finira
pour le mieux.
c) Conviction que la mesure de notre confiance sera la
■ mesure des grâces reçues.

3. Triomphes de la Confiance. Elle garde du découra­


gement et de la présomption.
a) Découragement. On se décourage à la vue de ses impuis­
sances, de ses échecs, de ses fautes et de ses péchés. On a tort,
on a toujours tort. Le découragement est une des formes de
Yorgueil et un diminutif du désespoir. Grâce à l’humilité, la
confiance et l’amour, ces obstacles deviennent des occasions de
vertu et des instruments de formation.
è) Présomption. Plusieurs sont exposés à verser dans une
vague paresse, un semi-quiétisme, une fausse conception de
Y abandon et des états passifs ; ne travaillent plus qu’au ralenti,
en laissant à Dieu le soin de les remplacer.
La vraie confiance, qui implique toujours une coopération
généreuse à l’action divine, délivre l’âme de ces errements et
illusions dangereuses.
Agir comme si tout dépendait de nous.
Compter sur Dieu, comme si tout venait de lui.
Telle est sa ligne de conduite.
Qui ne voit Y apport que peut fournir la confiance dans une
œuvre de formation. « Ceux qui espèrent dans le Seigneur
prennent de nouvelles forces, ils élèvent leur vol comme les
aigles ; ils courent et ne se fatiguent point, ils marchent et
ATTITUDE D’AME 251

ils ne se lassent pas » (Isaïe, XL, 31). Pour un Novice, la confiance


parfaite sera une source toujours jaillissante de courage, d’élan,
de joie et de persévérance dans l’effort.

V. VIE INTÉRIEURE
Restera enfin à l’apprenti religieux de s'initier progressi­
vement à la vie intérieure : prière vocale et mentale, pureté
d’intention, exercice fréquent des trois vertus théologales ; de
se faire une belle vie d’amour, espèce de communion spirituelle
avec la Trinité ou chacune des Personnes divines. En contact
fréquent avec Dieu, l’âme y puisera, à longueur de journée,
toutes grâces requises à son développement spirituel et à sa
formation religieuse.

1. Comment et pourquoi certains obstacles


à la vie spirituelle peuvent-ils être utilisés
comme instruments de formation ?
2. Peut-on concevoir une formation reli­
gieuse solide et durable, en dehors du
climat spirituel que nous venons de signa­
ler ?
3. Entre ces dispositions diverses, requises
dans l’âme et la vie d’un novice, y-a-t-il
une hiérarchie de valeur et d’influence ?
Laquelle ?

Reconnaissance. S. Thomas, II, II, Quaest. CVI. — Jean de Jésus-


Marie, Instruction des Novices, IIe Partie, ch. XVII. — Dudon, 5. Ignace
de Loyola, Lettres Spirituelles, p. 132. — P. Colin, La Vie Intérieure,
ch. xvi.
Christus, Cahiers Spirituels, 16, « L’Action de Grâces ».
Humilité. S. Thomas, II, II, quaest. CLXI. — S. Benoit, Règle,
ch. vu ; Commentaire par l’Abbé de Solesmes. — S. Bernard, Traité
des Degrés d’Humilité et d’Orgueil. — S. François de Sales, Les Vrays
Entretiens Spirituels, IV. — Gay, De la Vie et des Vertus Chrétiennes,
t. I, « Humilité ». — Cormier, L’Instruction des Novices, IVe Partie,
ch. ni, iv. — Jean de Jésus-Marie, Instruction des Novices, ch. xi. —
252
Landrieux, Une Petite Sœur, Préface. — Esprit de sainte Thérèse de
l’Enfant-Jésus, ch. 11. — Haring, La Loi du Christ, vol. I, titre I,
ch. III. — Dudon, S. Ignace de Loyola, Lettres Spirituelles, pp. 132-
139. Acta et Documenta Congressus Generalis de Statibus Perfectionis,
950, t. IV. Index « Humilitas », p. 376.
Forma Gregis, novembre 1950, « L’Enfance Evangélique », Chevi-
gnard ; février 1955. Abbé Brien, La Valeur de l'Hwnilité et de la
Charité. » — Vie Spirituelle, juin 1922-février 1924-mai 1925 —
Revue d~ Ascétique et de Mystique, juillet 1925.
Confiance. S. Thomas, II, II, Quaest. XVII. — S. Benoit, Prologue
delaRègle ; Commentaire de l’Abbé de Solesmes. — S. François de Sales
Traité de l’Amour de Dieu, liv. II, ch. xv-xvil. — Gay, De la Vie et des
Vertus Chrétiennes, 1.1, « De l’Espérance Chrétienne ». — Faber, Confé­
rences Spirituelles. — Jean de Jésus-Marie, 1. c., IIe Partie, ch. ni. —
P. Colin, Mais priez donc ! ch. vu. — Dict. de Théologie Vacant,
« Espérance », en particulier col. 611. — Dict. de Spiritualité, « Con­
fiance ». — De Jaegher, Confiance. — Esprit de sainte Thérèse de
! Enfant-Jésus, ch. 11. ,
Forma Gregis, mai 1952, « L’Optimisme de l’Espérance », Motte
VINGT-NEUVIÈME LEÇON

MENTALITÉ RELIGIEUSE

Une belle vie de « consacré » ne se réalise point en marge


d’une mentalité religieuse dont elle n’est que Yexpression vivante
et Y aboutissement normal. Pour vivre en religieux, il faut tout
d’abord penser religieusement ; la pensée n’étant que la semence
de l’action.
Un des premiers objectifs du Novice sera donc de se faire
une mentalité religieuse. Travail de longue haleine, sans doute,
mais qui, ébauché au Noviciat, devra se poursuivre durant la
seconde et troisième formation.
De cet élément fondamental de la vie ascétique, indiquons
brièvement la nature, le rôle, les ennemis et les sources.

I. NATURE DE LA MENTALITÉ RELIGIEUSE

De la mentalité religieuse, nous allons donner une « idée


générale », puis en fixer les traits essentiels et caractéristiques.

i. Idée générale. A première vue, la mentalité religieuse


apparaît comme une sorte à.’habitude intellectuelle — tendance
ou pli — une tournure, en vertu de laquelle l’esprit, sous l’ins­
piration et dans la lumière de la foi, pense, apprécie et juge
tout dans le sens authentique de l’état et de la vie religieuse.
Pensée, appréciation, jugement qui vont devenir, pour la
conduite, un point fixe d’orientation morale. En toutes circons­
tances et dans toutes les situations qui intéressent sa conscience
ou sa vie spirituelle, le religieux trouvera et distinguera tou­
jours ce qui est conforme ou non à sa vocation de « voué »,
254 MAITRES-OUVRIERS

de consacré, de victime, d’appartenance à Dieu, de serviteur et


d apôtre, et puis, il agira en conséquence. Bref, il a le don de
penser toujours juste et toujours religieusement. Une mentalité
religieuse ne serait, dès lors, qu’une des formes spéciales et
restreintes de Vesprit de foi.
2. Notes essentielles et caractéristiques.
a) Habitude essentiellement surnaturelle, une mentalité reli­
gieuse est l’œuvre de la grâce et du Saint-Esprit. Elle se situe
en dehors et au-dessus de toutes les mentalités humaines.
i>) Elle implique aussi des rapports nécessaires avec la volonté
et nos activités spirituelles. Elle est tout à la fois d’ordre sép-
culatif et d’ordre pratique. Par la vérité, elle conduit à la vie,
en nous fixant à toute heure une ligne de conduite. Avec
des connaissances fort étendues, que de théologiens, canonistes,
maîtres en ascétisme manquent de mentalité religieuse !
c) Ajoutez à cela un double caractère frappant d’univer­
salité et de fixité. Universelle dans son objet : elle embrasse
tous les aspects de la vie religieuse et en commande toutes les
manifestations. Et si profondément enracinée dans l’esprit
qu’elle semble faire corps avec lui et lui être devenue insé­
parable. D’où la difficulté, presque insurmontable, de faire
changer quelqu’un de mentalité. A un certain âge, on ne
modifie plus, du tout au tout, sa façon habituelle de penser.
Le pli est pris : il restera jusqu’à la mort.

II. INFLUENCE D’UNE MENTALITÉ

Immense l’influence de la mentalité dans la vie spirituelle,


surtout à l’époque de la formation. Elle fait vraiment le reli­
gieux dans ce qu’il a de plus profond et, sous un rapport, de
meilleur; à tel point, que sa vraie valeur morale se reconnaît
bien plus à son esprit intérieur qu’à son comportement exté­
rieur. Rendez-vous compte de ce qu’il pense et vous saurez
ce qu’il vaut. Du « caractère », la mentalité est un des éléments
primordiaux.
C’est elle qui donne à une vie de consacré son unité, sa
vigueur, son immutabilité et, par là même, sa fécondité.

i. Unité d’orientation et d’action. Une mentalité reli­


gieuse commande toute une vie, qui toujours poursuit le même
but, se développe dans le même cadre, progresse dans le même
sens. Pensées, affections, vouloirs, paroles, occupations mul­
MENTALITÉ RELIGIEUSE 255
tiples et diverses, attitudes, démarches, jusqu’au silence et au
repos : tout est réglé par un même esprit et marqué du même
cachet religieux. La mentalité ne serait-elle pas un ensemble,
une sorte de « synthèses mentales », résistantes et comme indes­
tructibles, ou plutôt, une synthèse mentale unique., composée de
pensées maîtresses, de principes directeurs, de convictions pro­
fondes, autour de laquelle viendrait se cristalliser toute la vie ?
Dès lors, plus d’illusions ou d’erreurs possibles, de gaspillage
de temps et d’efforts : toute l’existence est orientée vers Dieu,
à son service et pour sa plus grande gloire.
2. Vitalité spirituelle. Lumière directrice de la vie, une
mentalité religieuse se révèle encore une source de force, de
ferveur, de générosité. Idée-force, toute tendue vers l’action, elle
s'impose à la volonté et lui impose un programme de vie. Terre
grasse, où poussent les vertus viriles. Le religieux agit alors
comme il pense : à plein et tout d’une pièce. Par contre, la
nonchalance, le laisser-aller, la demi-observance, la tiédeur
sont la marque certaine d’un manque de mentalité religieuse.
Assise sur la vérité immuable, la vie entière participe par
là-même à la solidité de son fondement. Un des gages les plus
assurés de fidélité à sa vocation et de persévérance dans l’institut
est de se faire, dès le Noviciat, une « mentalité religieuse ».
3. Puissance de réaction. Il se rencontre en religion de
ces âmes vigoureuses et qui — selon le joli mot de saint Fran­
çois de Sales — ne sont point « femelles », de ces âmes qui
savent se libérer du qu’en-dira-t-on, de l’opinion, de l’entraî­
nement moutonnier ; qui osent aller contre le nombre ou la
masse, ne point se laisser entamer par l’influence du milieu ;
qui ne reconnaissent comme maître et guide de leur vie que
Dieu, leur conscience et la vérité. Et le secret de cette belle
et haute indépendance, où l’ont-elles trouvé, sinon dans leur
incorruptible et irréductible mentalité ? « Cui resistite fortes
in fide » (I Pet., V, 9).

III. ENNEMIS DE L’ESPRIT RELIGIEUX

Face aux deux grands ennemis de la vie de Foi : Natura­


lisme de la pensée, Esprit du monde, c’est encore chez les mêmes
religieux que se recrutera le groupe des « Résistants 11.
1. Naturalisme de la pensée. Conséquence du péché
originel, nous sommes exposés à verser dans le naturalisme,
2§6 MAITRES-OUVRIERS

et en tout premier lieu dans le naturalisme de l’esprit. Que


de pensées, de jugements, de réflexions inspirés par la raison,
bien plus que par la foi !
D’instinct, par goût et par passion, nous pensons « humain »,
au lieu, de penser « divin ». Nous pensons « en hommes » et non
pas en enfants de Dieu et en disciples de Jésus-Christ. Les mani­
festations de l’esprit humain sont innombrables, souvent
inconscientes.
Le message du Sauveur est amenuisé, édulcoré, tamisé par
des interprétations frauduleuses ou des commentaires émollients;
les vérités éternelles, dans la prédication, sont passées sous
silence ; le grand mystère de la Croix, « folie pour les Grecs
et scandale pour les Juifs », sera mis en veilleuse.
De notre mentalité, nos conversations habituelles seront révé­
latrices. Bien plus volontiers, on parlera de l’épanouissement
de la nature humaine que de la mort à soi-même ; de prudence
et de mesure que d’esprit de sacrifice ; d’honneur et de répu­
tation que d’humilité, d’abjection ; de santé et d’hygiène que
de mortification ; de vacances et de détente que de travail
et d’austérité ; d’adoucissement à la Règle que d’observance
régulière ; de « majorité » morale que d’« Enfance spirituelle ».
Ce langage ne trahirait-il pas un certain affaissement du sens
chrétien, un obscurcissement de l’esprit religieux?
« Il est dangereux pour ceux qui sont appelés à une éminente
sainteté, de se borner à la conduite de la raison et du bon sens,
ou d’y prendre plus d’appui que sur les lumières du Saint-
Esprit » (Lallemant, La Doctrine Spirituelle, IIIe Principe,
ch. IV, art. 2 ; voir aussi IVe Principe, ch. II, art. 2).

2. L’esprit du monde. Plus dangereux encore l’esprit du


monde, de ce « monde plongé tout entier dans le péché » (I Joan.,
V, 19), « maudit par le Christ à cause de ses scandales » (Matth.,
XVIII, 7) et pour lequel « il a refusé de prier » (Joan., XVII, 9).
Si l’esprit humain affadit la vérité, l’esprit du monde, en oppo­
sition flagrante et permanente avec l’Evangile, la contamine et
la corrompt. Cette église de Satan a ses dogmes, sa morale,
ses maximes, ses béatitudes, bref, sa mentalité. Par la presse,
le cinéma, le théâtre, la T. S. F., la télévision, les fêtes spor­
tives, les exhibitions publiques, etc., elle véhicule partout son
esprit, lequel parfois s’infiltre subrepticement jusque dans les
âmes religieuses. A chacun de prendre de sévères mesures
de prophylaxie.
Sans doute, cette malaria ne se rencontre guère dans les
Noviciats, encore que certains candidats ou candidates aient
MENTALITÉ RELIGIEUSE 257
apporté avec eux, en quittant le siècle, un vague relent ou un
petit brin de mondanité.
En tout cas, il sera toujours opportun — et dès leur première
formation — de mettre ces futurs apôtres en garde contre
tous les dangers qui les attendent ; de leur rappeler. Vensei­
gnement du Sauveur aux douze : « Je vous ai envoyés dans
le monde (Joan., XVII, 18) ; vous serez dans le monde, mais
vous ne serez point de ce monde » (Joan., XV, 19 ; XVII, 14),
ni d’esprit, ni de cœur, ni de conduite. A l’exemple de saint
Paul, le monde vous sera crucifié, et vous-même le serez au
monde (Gai., VI, 14).
Et le meilleur moyen de s’immuniser, en vue de l’avenir,
ne serait-ce pas encore de se faire, dès à présent, une menta­
lité religieuse, telle, que l’esprit du monde n’y puisse mordre.

IV. FORMATION D’UNE MENTALITÉ

La formation d’une mentalité religieuse ne peut-être que le


résultat d’un long et patient labeur, soutenu par la grâce et
renforcé par une intervention spéciale du Saint-Esprit.
Un travail d’approche s’impose dès l’abord : la réaction
constante contre les deux esprits que nous venons de signaler.
Tout ce qui est accordé à l’esprit humain et à l’esprit du monde
est autant d’enlevé à l’esprit de Dieu et à l’esprit religieux.
Nous avons ensuite comme instruments pour oeuvrer notre
mentalité : l’amour imitateur de Jésus-Christ, l’étude du saint
Evangile, l’oraison et la vie d’oraison, la doctrine et les exemples
des Saints, l’action et enfin la prière.
1. Imitation amoureuse du Christ. De sa nature, l’amour
tend à l’imitation, et l’imitation du Sauveur est la règle suprême
de toute vocation religieuse. Imitation intérieure et extérieure ;
reproduction en nous de son âme et de sa vie, et en premier
lieu de sa mentalité.
Avant d’agir comme le Christ, il faut d’abord penser comme
lui, acquérir ce que saint Paul appelle le « sens du Christ »,
c’est-à-dire sa mentalité. «. Nos autem sensum Christi habemus »
(I Cor., II, 16). Faire nôtre la pensée de Jésus ; pensée exclu­
sivement surnaturelle et éminemment religieuse et qui fit de
lui le premier adorateur du Père. Dans l’esprit du Sauveur,
nulle pensée purement humaine ou qui, de loin, sente le
monde. Pensée divine, qui n’était que l’irradiation du Verbe
sur son intelligence. Pensée inspiratrice de toute sa vie et qui
17
258 MAITRES-OUVRIERS

fit d’elle une vie de louanges, de bénédictions, de prières,


d’obéissance, de pauvreté, de chasteté, de sacrifice et d’amour,
bref, une vie idéalement religieuse. En réalité, le Christ n’eut
jamais qu’wMe pensée : la glorification de son Père, par sa sain­
teté personnelle et la rédemption de l’humanité. Mais n’est-ce
point là l’essence et la fin même de l’état religieux ?
Cette « pensée du Christ », nous allons la faire nôtre et, comme
lui, la vivre, pour la gloire du Très-Haut, notre sanctification
et le salut du monde. Participation intime à la pensée du Sauveur,
qui constituera vraiment notre « mentalité religieuse ».

2. Méditation de l’Evangile. La mentalité religieuse de


Jésus, nous la découvrons à chaque page de l’Evangile, dans
son enseignement et dans sa vie. Le Maître ne parle ni politique,
ni science, ni art, ni sociologie : tout cela semble l’intéresser
assez peu. Mais partout et toujours, à propos des moindres
faits, en toute occasion, à chaque rencontre avec la foule, en
compagnie de ses disciples, il en revient à sa grande et unique
pensée : le royaume de Dieu, dans la foi, la pureté, la justice,
la charité, la paix. « Ne faut-il pas qu’il s’occupe des intérêts
de son Père ? » (Luc, II, 49). Qu’est-il venu faire sur terre,
sinon se mettre au service de Dieu et de l’humanité ? Comme
on sent qu’il ne vit que pour son Père ! « Et ego vivo propter
Patrem » (Joan., VI, 58), Religieux nous-mêmes, que pouvons-
nous faire de mieux, à la suite de notre Modèle, que de ne
plus penser qu’à Dieu, ne plus nous occuper que de Dieu et
ne plus vivre que pour Dieu ?

3. Oraison. Vie d’oraison : encore une grande école


esprit religieux, parce que source de vives lumières sur Dieu,
sur nous-mêmes et sur notre vocation. Nulle part autant que
dans ce colloque intime avec notre Père des Cieux, dans ce
tête-à-tête et ce cœur-à-cœur avec le Christ, on ne peut se
faire une mentalité religieuse. Chaque fois on y retrempe son
âme dans la vérité, la force, la charité. Mais ne sont-ce point
là les éléments constitutifs d’une « mentalité » ? Chaque fois
on y fera cueillette de quelque vérité lumineuse, chaude, vivante,
efficace qui, venant s’agglutiner et s’incorporer à notre menta­
lité, ne fera que la nourrir et la fortifier.

4. L’action. Mais ce qui, peut-être plus que tout, contribue


à la naissance et au développement d’une mentalité, c’est
l’action, entendez le comportement habituel d’une existence
religieuse.
MENTALITÉ RELIGIEUSE 259
Une étroite solidarité unit la pensée à l’action et la menta­
lité à la vie morale. La pensée amorce et soutient l’action qui,
à son tour, éclaire et fortifie la pensée. Tout acte de vertu
est une œuvre de lumière, porteuse et génératrice de lumière.
On ne comprend bien une vérité que si on la « fait », que si
on la vit. Par contre, qui agit mal hait la lumière et se fait une
âme ténébreuse. « Omnis enim qui male agit, odit lucem »
(Joan., III, 20).
Une mentalité se dégrade à mesure que la vie se lézarde ;
mais le contraire est vrai aussi : plus une vie s’élève, plus une
mentalité s’affirme et se renforce. D’où le souci de se faire,
dès le Noviciat, une vie religieuse fervente et généreuse. La
vulgarité, la médiocrité, la tiédeur constituent un obstacle
invincible à la formation d’une mentalité.

5. Culte des Saints. Prière. Dans l’acquisition de l’esprit


religieux, les saints pourront aussi, par leur doctrine et leur
vie, à titre de Docteurs, de Modèles et à? Entraîneurs, devenir
pour nous de précieux adjuvants.
Et puisque une mentalité religieuse est une grâce excep­
tionnelle, capitale, il ne restera plus qu’à l’implorer chaque
jour, auprès surtout du Saint-Esprit qui est la lumière par
excellence. « O lux beatissima ! reple cordis intima tuorum
fidelium ».

1. Mentalité religieuse, esprit religieux, sens


religieux : ces trois expressions sont-elles
synonymes ? Qu’est-ce qui les différencie ?

2. Les « convictions » surnaturelles « de base »


entrent-elles dans la structure de la men­
talité religieuse ?

3. Pourriez-vous signaler quelques manifes­


tations d’esprit humain ou d’esprit du
monde, telles qu’on peut les rencontrer
dans un Noviciat ?
26o MAITRES-OUVRIERS

4. Une mentalité religieuse est-elle un excel­


lent remède préventif contre la routine,
le conformisme, la superficialité ?

5. Quels sont les principaux moyens dans


l’apostolat pour se garantir de l’esprit
humain et de l’esprit du monde ?

S. Alphonse, Pratique de l’Amour de J.-C., ch. xi. — S. Vincent


de Paul, Oeuvres. Entretien IX, « Sur l’Esprit du Monde » ; Conf. 38-39.
— Judde, Retraite Spirituelle, IIe Partie, « Méditation sur l’intérieur
de J.-C. ». — DE Guibert, Leçons de Théologie Spirituelle, 28e Leçon.
— Lallemant, La Doctrine Spirituelle, IVe Principe, ch. iv. — Ollé-
Laprune, Vitalité Chrétienne, Introduction XLII ; Prix de la Vie,
ch. vin. — Perroy, Le Royaume de Dieu, ch. x. — Guibert, Retraite
Spirituelle, 3e Méditation. — Faber, Progrès de l’Ame, ch. xii. —
Colin, Culte de la Règle, ch.x ; Aux Sources de la Charité, ch. 1.
Gay, De la Vie et des Vertus Chrétiennes, t. I, « De la Foi. » —Bou­
chage, Pratique des Vertus, Mois de janvier, « La foi », ch. xix. —
Mgr Dadolle, Vos estis lux mundi, XXI. — P. Chevrier, Le Véri­
table Disciple de N.-S. J.-C., IIe Partie, pp. 169-209. — Bourdaloue,
.De l’Etat religieux, « Esprit religieux ».
Vie Spirituelle, octobre 1919.
TRENTIÈME LEÇON

UN IDÉAL

Il est de ces mots magnifiques, mais tellement galvaudés,


que d’aucuns ne peuvent plus guère les entendre sans sourire.
« Idéal » ne serait-il pas du nombre ? Savon « idéal », brosse
à dents « idéal », lessiveuse « idéal ». Et voilà l’idéal devenu
un mot réclame et un instrument de publicité. N’importe, il
faut savoir, à l’occasion, réhabiliter ce mot et lui restituer
sa noblesse originelle. Que n’a-t-on écrit sur 1’ « amour »/
Est-ce une raison pour ne plus parler de 1’ « Amour de Dieu » ?
Il existe un « idéal religieux » — pour ne parler que de celui-
là — qu’il sera toujours opportun de rappeler aux âmes consa­
crées, et spécialement aux jeunes, dans leurs premières années
de formation. C’est le moment de le regarder en face, de le
serrer de près ; plus tard serait presque toujours trop tard.
Une belle vie — a-t-on dit — est un rêve de jeunesse,
réalisé dans l’âge mûr.

I. VOIR GRAND ET VISER HAUT

L’idéal — le mot lui-même le suggère — est essentiellement


une idée, une conception intellectuelle, une construction de l'esprit,
et quand il s’agit d’idéal religieux, une construction grandiose
et divine.
Pour un religieux, l’idéal consisterait dans une connaissance
lumineuse, aussi profonde qu’élevée, de sa vocation de servi­
teur de Dieu. Idée royale — s’il est vrai que cette servitude
est une royauté — et nullement étroite, mesquine, roturière.
N’envisager l’état religieux que par ses côtés secondaires,
ses petits côtés ou ses à-côtés, serait le fausser et le dénaturer.
Il faut surtout le considérer par ses grands côtés qui ne
2Ô2 MAITRES-OUVRIERS

manquent pas. D’ailleurs, dans cette institution divine, tout


est grand, même le détail, même ce qui, à première vue, paraî­
trait minutie, parce qu’elle est l’œuvre de Dieu, de Jésus-
Christ et de l’Eglise.
De toute éternité, Dieu a porté dans sa pensée l’état reli­
gieux (voir Leçon 21e) et le Sauveur, en l’instituant, en avait
eu Vidée et dressé le plan. Cette pensée de Dieu, cette idée du
Christ, c’est justement l’idéal, notre idéal à nous religieux.
Se faire un idéal religieux consisterait dès lors à nous appro­
prier cette conception divine, et la faire nôtre dans toute la
mesure du possible. C’est alors seulement que nous compren­
drions pleinement la beauté, la richesse, la sainteté et la fécon­
dité de notre vocation religieuse.
Se faire un idéal religieux, c’est situer sa vie sur les cimes
de la perfection, et non point à mi-côte ou dans les bas-fonds.
L’idéal ne serait donc pas ce que d’aucuns s’imaginent :
une chimère, une utopie, un mirage ne répondant à rien de
réel ; tout au contraire, il est une vérité, la vérité intégrale et
rayonnante, l’expression adéquate d’une des plus hautes réalités
divines.
De l’idéal, comme du « beau », ne pourrait-on dire qu’il
est la « splendeur du vrai » ?
Vérité splendide, l’idéal religieux n’est pas toutefois une
vérité abstraite, sans nul contact avec la vie. Il est une idée-
force, qui descend de l’esprit dans le cœur et dans la volonté,
génératrice de grands désirs et de viriles décisions et qui, fina­
lement, s’impose comme un programme de vie, non pas à
réaliser dans l’immédiat, mais à poursuivre toute sa vie, sans
d’ailleurs l’atteindre jamais. Un idéal se contemple et plus
encore se vit.

II. CARACTÈRES DE L’IDÉAL

Cet aperçu général sur la nature de l’idéal appelle quelques


précisions. L’étude de son triple caractère va nous les fournir.
1. Caractère universel. Le premier caractère de l’idéal
est d’être universel, et dans un double sens. D’abord, il s’adresse
et s’impose à toutes les âmes religieuses, sans exception. Chacun
peut et doit se faire un idéal de vie.
Universel, l’idéal l’est encore, parce qu’il embrasse l’état
religieux dans toute son intégrité. Aucun de ses éléments
essentiels ou secondaires ne doit échapper à son emprise et à
son rayonnement.
UN IDÉAL 263

Il n’est pas jusqu’à la plus menue de nos actions, la plus


banale de nos occupations, la plus minime de nos observances
régulières qui ne doive relever de lui et en recevoir un surcroît
de grandeur et de sainteté.
L’idéal ne consiste point nécessairement à accomplir des
actions d’éclat, ou à faire de l’héroïsme, mais bien plus sou­
vent à faire « de petites choses avec un très grand cœur ».
Devant Dieu, la valeur et le mérite d’une œuvre se mesurent
moins à son volume et à son poids qu’à la façon dont elle a
été posée ; moins à son éclat extérieur qu’au sentiment inté­
rieur de foi et d’amour qui l’a inspirée. Petites actions qui sont
devenues de grandes œuvres. Rien, dès lors, de mesquin, de
vulgaire dans la plus humble et la plus obscure des vies reli­
gieuses. Nazareth : une échoppe de pauvres ; deux charpentiers
qui rabotent des planches ; une femme du peuple qui fait
son ménage. Et c’était là cependant la plus belle, la plus haute,
la plus incomparable, la plus idéale des vies.
Sainteté de petitesse qui rejoint et parfois dépasse la sain­
teté de grandeur, sur les cimes de la charité ; une des formes
d’idéal, à la portée de toutes les âmes, et qu’on peut cultiver
avec profit dans tous les Noviciats, à la façon de Gérard de
Clairvaux, frère de saint Bernard : « Dans les plus grandes
choses comme dans les plus minimes, il apportait une âme
magnanime » (S. Bernard, In Cant. Serm. XXVI, n° 7).

2. Idéal de l’Ordre. L’universalité de l’idéal n’exclut point


la variété. Il revêt de multiples formes dans les Ordres reli­
gieux. Autant d’instituts, autant d’idéaux. Chacun s’en est fait
un, qui lui est propre et caractéristique. L’idéal d’un Jésuite
n’est point celui d’un Trappiste, encore que l’un et l’autre
puissent être de parfaits religieux. La sainteté d’une Carmé­
lite n’est point celle d’une Sœur de Charité ; toutes deux
peuvent s’égaler en amour, sans pourtant se ressembler.
Identique dans ses éléments essentiels, l’idéal religieux va
donc se diversifier en s’adaptant à la Règle, à l’esprit, aux
vertus propres, à l’apostolat de chaque Congrégation. Idéal de
famille, obligatoire pour tout religieux.

3. Idéal personnel. Restera enfin à chaque religieux —


tout en restant dans la ligne traditionnelle de son Ordre —
de se faire un idéal individuel et bien à lui. Rien de si personnel
et de moins interchangeable qu’un programme de vie spirituelle.
Un code de sanctification n’est point un article de confection
qui sort en série et n’offre au client que la facilité ou l’embarras
264 MAITRES-OUVRIERS

du choix. A chacun de se tailler, sur mesure, une cotte de


perfection, ni trop longue, ni trop courte, et qui l’habille à
souhait.
Dans l’élaboration d’un idéal-programme de sainteté, il
faudra tenir compte de toutes ses disponibilités physiques,
intellectuelles et morales : santé, tempérament, caractère, apti­
tudes et goûts naturels, vertus infuses ou acquises ; tenir compte
plus encore des plans de Dieu sur chaque âme, de l’abondance
de ses grâces, des dispositions de la Providence, des inspira­
tions du Saint-Esprit et de ses devoirs d’état.
Car, de toute évidence, Dieu n’appelle pas indistinctement
toutes les âmes à un idéal uniforme de vie. Dans la galerie
immense des saints religieux, membres d’un même Ordre,
quelle variété et diversité de figures originales ! Quelle diffé­
rence entre un saint Louis de Gonzague et un saint Ignace,
entre une Thérèse d’Avila et une Thérèse de Lisieux ! Tous
ont vu grand et visé haut, mais tous n’ont pas escaladé la même
cime. Tous se sont fait un idéal d’héroïsme, mais un idéal
bien à eux, exclusivement à eux.

UL IDÉAL ET SAINTETÉ

Prétendre se sanctifier sans un idéal est une gageure. De


tà, sa nécessité dans la vie spirituelle et son rôle dans la forma­
tion de la jeunesse religieuse.
1. Nécessité d’un idéal. L’Ecriture, la Tradition, le Magis-
ère ecclésial, Docteurs et Saints ont rappelé bien des fois la
nécessité et l’obligation de se faire un idéal chrétien et religieux.
a) Le premier commandement de Dieu est tout à la fois
un précepte et un idéal. « Vous aimerez le Seigneur » : c’est
le précepte ; « de tout votre esprit, de tout votre cœur, de toute
votre âme, de toutes vos forces » : c’est l’idéal qui ne se réalisera
qu’au ciel.
b') Le Christ est le grand docteur de l’idéal : « Soyez parfaits
comme votre Père céleste est parfait » (Matth. ,V, 48). —
« Car, je vous ai donné l’exemple, afin que, comme je vous
ai fait, vous fassiez aussi vous-même » (Joan., XIII, 15). L’Evan­
gile est le Message de l’idéal chrétien et religieux. Le Sauveur
aime à donner à son enseignement une tournure paradoxale ;
mais tous ces divins paradoxes ne sont en réalité que l’expression
à.’un idéal. « Qui aime son âme la perd ; et qui la hait, la
sauve » (Joan., XII, 25). — « Si quelqu’un vous frappe sur
UN IDÉAL 265

la joue droite, tendez-lui encore l’autre ; et si quelqu’un vous


enlève votre manteau, donnez-lui encore votre tunique » (Luc,
VI, 29). — « Si quelqu’un vient à moi et ne hait pas son père
et sa mère, sa femme et ses enfants, ses frères et ses sœurs, et
même sa propre vie, il ne peut être mon disciple » (Luc, XIV,
26). Que sont les conseils évangéliques et les béatitudes, sinon
un appel à l’idéal?
c) Qu’est-ce encore que l’état religieux, institué par le
Christ et authentiqué par l’Eglise, sinon Vidéal de la vie chré­
tienne; et qu’y vient-on chercher sinon encore un idéal de
charité ?
d) En nombre de Règles et Constitutions, à la première
page, Fondateurs ou Fondatrices ont inscrit un programme
incomparable... un code idéal de sanctification. « Devenir les
copies vivantes de Jésus-Christ. » (Reg. SS. Redempt. n° 1).
e} Quant aux Saints, par leur doctrine et plus encore par
leur vie, ils sont apparus dans le monde comme les hérauts
de la perfection et les Chevaliers de Vidéal évangélique. Leur
héroïsme ne s’explique et ne se justifie que par leur passion
de servir Dieu et d’arriver à une éminente sainteté. Ils furent
tous du nombre des affamés et assoiffés de justice, disciples
fidèles du Christ, « Idéal du Moine ».
Leur idéal de perfection, beaucoup l’ont exprimé et concentré
dans quelque formule lapidaire. « Ma vie, c’est le Christ. —
Le Christ m’est tout. — Seul avec Dieu seul. — Aimer et
souffrir. — L’amour seul compte. — Haut et vite ! — Ma
vocation, c’est l’amour. »
2. Rôle de l’idéal dans le développement de la vie spiri­
tuelle et la formation des jeunes religieux. Son influence est
universelle et se fait sentir dans tout le domaine de la vie
morale.
a) Grande lumière, qui nous donne la pleine révélation de
l’état et de la vie religieuse ; quintessence de la vérité évan­
gélique et rayonnement de la foi, qui est elle-même le fonde­
ment de toute sainteté. Condition essentielle de la ferveur et
du progrès. D’où vient la banalité, la vulgarité de certaines
vies, sinon d’une absence (Vidéal?
b~) Générateur des grands désirs et des mâles résolutions,
racines nourricières d’une belle vie montante.
c) L’idéal garde d’une foule de petitesses et mesquineries
d’amour-propre, trop fréquentes dans le monde religieux. Parti
vers les hauteurs, on est moins exposé à se replier sur soi-même.
266 MAITRES-OUVRIERS

Excellent préservatif contre la paresse et la tiédeur. « Veritas


liberabit vos » (Joan., VIII, 32).
d) Renfort pour l’espérance qui, devant la grandeur de
l’entreprise, sent plus que jamais le besoin de s’appuyer sur
Dieu et de compter sur sa grâce.
e) Source d’humilité, en face d’un idéal qui nous dépasse
tellement, duquel nous nous sentons de jour en jour plus éloi­
gnés, et qu’il nous arrive encore trop souvent d’oublier ou
de trahir. D’où l’attitude des saints : toujours mécontents
d’eux-mêmes... et jamais découragés.
/) Par l’attrait qu’il exerce sur l’âme, l’idéal provoque et
renforce à toute heure sa tendance à la perfection.
En bref, ainsi que le soleil dans la nature, l’idéal se révèle
dans une vie religieuse un principe puissant et permanent de
vitalité et de fécondité spirituelle.

III. ENNEMIS DE L’IDÉAL

Uabsence ou la perte de l’idéal religieux relève de trois


causes principales : l’esprit de médiocrité, le découragement,
l’influence du milieu.
1. Esprit de médiocrité. Tendance congénitale ou habi­
tude acquise de s’arrêter toujours au moindre, de tout rape­
tisser, diminuer, à commencer par la vérité, d’aller, de préfé­
rence et par instinct, à l’insignifiant et au banal. Le grand côté
des choses lui échappe. Etat religieux, vie religieuse, perfec­
tion religieuse : a-t-on jamais bien saisi le sens et épuisé la
richesse de ces expressions ? De leur vocation, certains se
sont fait une conception vulgaire, étriquée, sinon fausse; une
idée facile et quelque peu « bourgeoise ».
« Il est des âmes qui ont le goût du plus, comme il en est
qui ont le goût du moins » (Daniel-Rops, Saint Bernard et son
message, p. 15). Les médiocres appartiennent à la dernière
catégorie. Ont-ils jamais eu le souci « du mieux possible », du
« plus parfait » qui, cependant, au jugement de sainte Thérèse,
est la « première pierre de l’édifice » ? Le suffisant leur suffit,
et ils s’en contentent.
Ils se sont fait une petite vie à eux, correcte à l’extérieur,
sans fautes graves, sans écarts sérieux, sans scandales, mais
aussi, sans élan, sans générosité, sans esprit de sacrifice... et
ils ne voient pas, ils ne soupçonnent même pas qu’une telle
UN IDÉAL 267

vie, si elle n’est point mauvaise, est du moins une vie


manquée.
Une telle attitude d’âme et un tel comportement de vie sont
un des plus grands obstacles à l’idéal religieux ; ils en sont
même la négation.
2. Découragement : nouvelle menace pour le maintien
de l’idéal religieux. Novice, on s’était fait un bel idéal de perfec­
tion. Et voilà qu’après quelques années, on constate, ou l’on
croit constater — car l’illusion ici est toujours possible —
qu’au lieu d’avancer, on n’a fait que piétiner, sinon reculer,
qu’on est toujours le « même », toujours au même point, avec
les mêmes difficultés, les mêmes misères, les mêmes fautes,
et que la « vie montante » est devenue une « mare stagnante ».
D’où sentiment amer de découragement, tentation de
croire que l’idéal rêvé, à la conquête duquel on était parti
avec enthousiasme, n’a servi à rien et n’était qu’une chimère,
un emballement de jeunesse, et que le mieux, peut-être, serait
« de s’en débarrasser ». Et d’aucuns le font.
3. Influence du milieu. Bonne ou mauvaise, il est diffi­
cile d’y échapper complètement. A la sortie du Noviciat, le
premier contact avec la réalité peut ménager quelques surprises
douloureuses et mettre à dure épreuve un idéal juvénile. L’am­
biance d’une communauté peu régulière, peu fervente, peu
religieuse, l’exemple de certains confrères relâchés suffit par­
fois pour ébranler et ruiner un idéal. Bon religieux, au sens
vulgaire du mot, on le restera ; fervent, parfait religieux, on
y a renoncé. Et c’est là, pour les fauteurs de la crise, une lourde
responsabilité.
Aux causes indiquées, pourrait s’en ajouter une quatrième :
la lente désagrégation de son idéal par l’effritement progressif
de sa propre vie religieuse.

IV. FORMATION DE L’IDÉAL

Les causes qui ont contribué à la formation d’une menta­


lité se retrouvent identiquement les mêmes dans Y élaboration
d’un idéal : Dieu, le Novice et le P. Maître. De l’action divine,
nous avons déjà parlé longuement ; quant à l’intervention du
P. Maître, il en sera question dans les leçons suivantes.
1. L’Etude. A chacun de se faire son idéal, et pour cela,
d’acquérir tout d’abord une parfaite connaissance de l’état reli­
268 MAITRES-OUVRIERS

gieux en général, et en particulier de l’état religieux, tel qu’il


a été conçu et réalisé dans chaque Institut. A cette fin, lire
et relire l’Evangile, étudier la doctrine de l’Eglise, fréquenter
les Pères, Docteurs et Maîtres de la vie spirituelle ; méditer
la Règle et les Constitutions de son Ordre, les enseignements
et la vie des Fondateurs et Fondatrices.

2. L’oraison, source profonde de lumière, de générosité,


d’amour, contribuera aussi, et peut-être plus que tout, à créer
en nous un idéal religieux ; en particulier, la méditation ou
contemplation fréquente, assidue du Sauveur, de sa Personne,
de ses états, de sa vie, de ses vertus. Plus qu’un idéal incom­
parable, unique, il nous apparaît comme Vïdéal même, concret,
•vivant, éblouissant, Vïdéal personnifié, Vincarnation même de
Vidéal religieux. Et nous n’aurons plus qu’à le suivre, sûrs
de marcher avec lui vers les cimes, dans la vérité de notre
vocation. « Je suis la lumière du monde. Celui qui me suit
ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière
de la vie » (Joan., VIII, 12).

3. Vivre son idéal. Restera enfin à fournir l’effort quoti­


dien et généreux pour vivre cet idéal ; et à mesure qu’il se
précisera et s’illuminera, le vivre de plus en plus, car « plus
de vérité oblige à plus de vertu ».

1. Quelle est la différence entre idéal et


magnanimité ?

2. Se faire un haut idéal, ne serait-ce point


contraire à 1 humilité ?

3. Pourquoi entretenir de grands désirs qui


ne se réaliseront jamais ?

4. Quelle différence entre tiédeur et médio­


crité ?
UN IDÉAL 269

5. Que dire aux âmes découragées et tentées


d’abandonner leur idéal ?

6. Un novice sans idéal doit-il être congédié ?

7. Quelle différence entre Mentalité religieuse


et Idéal religieux ?

S. Thomas, II, II, quaest. CXXIX, CLXI, art. 2. — S. Alphonse,


La Véritable Epouse de J.-C., ch. iv. — Surin, Amour de Dieu, I, ch. x.
— Lallemant, Doctrine Spirituelle, III et IVe Principe. — Jean de
Jésus-Marie, Instruction des Novices, Iie Partie, ch. xvm. — Gode­
froy, Sous le regard de Dieu, p. 158. — Gillet, L'Education du carac­
tère. — Ollé-LaprUNE, Le Prix de la Vie, ch. vm, xxv ; Vitalité Chré­
tienne, pp. 112-154. — Schryvers, Principes de la Vie Spirituelle,
Iie Partie. — De Guibert, Leçons de Théologie Spirituelle, Leçon XVII.
— Hello, L’Homme, liv. I. — Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus,
Histoire d’une Ame, ch. IV, VIII ; Esprit de sainte Thérèse de l’Enfant-
Jésus, ch. h. — Petitot, Une renaissance spirituelle, IIe Partie, ch. 11.
— Marmion, Le Christ, Idéal du Moine. — P. Colin, Jésus notre
Modèle; Tendance à la Perfection, ch. x. — P. Chevrier, Le Véritable
Disciple de N.-S. J.-C., Ire Partie, IV ; J.-C. notre Modèle, V. :— Car­
dinal Mercier, Retraite sur « La Vie Intérieure », 3e Entretien. — Pour
les Maîtresses des Novices, ch. v.
Christus. Cahiers Spirituels, 11, « Pour une plus grande gloire de
Dieu ».
TRENTE-ET-UNIÈME LEÇON

ESPRIT DE GÉNÉROSITÉ

La formation religieuse est — après la grâce divine —


l’œuvre personnelle du Novice. A lui de se former. Travail
magnifique et ardu, non de dilettante, mais de « force », et
qui réclamera de lui, pour aboutir, un grand esprit de générosité.
Générosité d’abord dans le don total et irrévocable de sa
personne et de sa vie à Dieu et au service de Dieu.
Générosité ensuite dans sa part de collaboration à l’œuvre
commune. Cette générosité, Dieu l’attend et il l’exige. Il n’a
que faire d’ouvriers paresseux ou grévistes, d’instruments
inaptes ou indociles. Ce qu’il lui faut, ce sont de parfaits coopé-
rateurs, soumis à ses directives autant cpi’actifs à remplir leur
tâche.

I. PLÉNITUDE D’ACTIVITÉ SPIRITUELLE

Vivre, c’est agir ; et puisque la formation doit aboutir à


une plénitude de vie, il s’ensuit qu’elle ne peut être que le
résultat d’une certaine plénitude d’activité. Plénitude d’activité
= plénitude de vie = plénitude de formation.
En quoi consiste cette plénitude d’activité spirituelle ?
Quelle est sa nature et quels sont ses principaux caractères?

î. Intensité de vie. Dans la poursuite de l’idéal qu’il a


rêvé et la réalisation du programme qu’il s’est fixé, le jeune
religieux apportera tout son sérieux et tous ses efforts. Moteur
de la vie spirituelle, la volonté ne tournera pas au ralenti, mais
donnera à plein. Rien de ce qui doit être fait ne sera oublié.
Tout sera fait et bien fait, « bene omnia fecit » (Marc, VII, 37),
non par routine, conformisme, entraînement du milieu, mais
ESPRIT DE GÉNÉROSITÉ 271

librement, par élection, en esprit de foi et d’amour. Horreur


du bâclé, du vaille que vaille, du « par manière d’acquit »,
mais souci constant du mieux possible.
Fuite des moindres fautes délibérées, pratique généreuse
des vertus religieuses, observance minutieuse de la Règle,
initiation à une vie de recueillement et d’intimité avec le Christ :
c’est à quoi s’appliquera le candidat religieux, durant tout
le cours de son Noviciat. Pépinière spirituelle, où de jeunes
plants, bien enracinés, de belle venue, riches de sève, souffrant
le tuteur et la taille, commencent à bourgeonner et à donner
de magnifiques espérances.

2. Signes de ferveur. Cette exubérance de vie se reconnaît


facilement à certain signes. Promptitude, élan à se porter, sans
hésiter ou biaiser, vers tout ce qui regarde le service de Dieu.
Force pour supporter, sans plaintes ni récriminations, les heurts,
difficultés, croix diverses de la vie commune. Ténacité pour
tenir ses résolutions et les reprendre chaque jour. Persévérance
dans le travail continuel et monotone de sa formation. Et tout
cela, dans un rayonnement de joie et d’allégresse, « dilatato
corde » (S. Benoît, Reg., Prologue).
Sans doute, n’est-ce point encore la sainteté — mais y
a-t-il des saints dans les Noviciats ? peut-il même y en avoir ?
quelques ingénus le pensent — mais c’est du moins une tendance
réelle, généreuse vers la sainteté. Engagé sur le chemin des
cimes, on y va d’un bon pas, allègre et joyeux. Tous ces aspi­
rants à la perfection font en commun du beau et bon travail.
Ils ne laissent point cependant d’avoir leurs défauts, leurs
passions, leurs défaillances : reprises de leur volonté et de
leur amour-propre, sursaut d’égoïsme, imperfections, fautes
de surprise, résistances passagères, lâchetés... mais sans jamais
d’entêtement ou de stagnation délibérée et prolongée. Ses misères,
ses faiblesses, chacun les reconnaît loyalement, les regrette
sincèrement, et non sans succès les combat vaillamment.
Tombé, le vrai Novice se relève aussitôt — se relever, n’est-ce
pas encore une des formes habituelles de la vertu ? — et
sagement, d’une pierre d’achoppement, se fait un tremplin
pour rebondir plus haut. Pour les âmes généreuses, tout devient
instrument de formation. « Omnia cooperantur in bonum »
(Rom., VIII, 28).
A vrai dire, cette effervescence d’activité sur tous les plans
et dans tous les secteurs de la vie spirituelle ne serait pas autre
chose que la ferveur. Bouillonnement de vie morale, individuel
ou collectif, qui devrait être le climat moral de chaque Noviciat
272 MAITRES-OUVRIERS

et restera toujours une des conditions essentielles à toute vraie


et solide éducation.
Cette plénitude d’activité-formatrice est toujours menacée
d’un double danger, qu’il est opportun — pour l’en prémunir
— de signaler à la jeunesse religieuse. Ni trop, ni trop peu.
Le trop, c’est l’excès; le trop peu, c’est la déficience.

II. NI TROP... EXCÈS

La jeunesse est portée à manquer de modération, même


dans la pratique du bien. Que tout Novice doive travailler
généreusement à sa formation, nul n’en doute ; mais dans
quelle mesure ? Car Dieu n’exige point de tous la même sommé
â’efforts, ni le même résultat. Cela dépend, en premier lieu,
de la Providence divine, de sa bonté et de ses grâces : « Igitur
non volentis, neque currentis, sed miserentis est Dei »
(Rom., IX, 16) ; et puis, des disponibilités physiques, intellec­
tuelles et morales d’un chacun.
Au dire de sainte Thérèse, il faut non seulement marcher
sur le chemin de la perfection, mais encore y « voler » {Les
Fondations, ch. VI). Quant à saint Benoît, il ne connaît que
ce mot : « curritur... currendum est » (Reg., Prologue). Tou­
tefois, il n’est écrit nulle part qu’il faille s’emballer, quitte
à verser dans le fossé. Or, les âmes ardentes sont exposées
à tomber dans l’excès. Un Père Abbé avouait être obligé de
freiner ses moines, parce qu’ils allaient trop vite et trop fort.
Heureux Père Abbé ! Combien de Supérieurs ont le souci
contraire, de pousser tant qu’ils peuvent à la roue, sans pro­
voquer pour autant des excès de vitesse.

1. De l’excès en général. Or, répétons-le, la jeunesse,


dans les premières années de la vie religieuse, est tentée plus
que d’autres d’écouter son enthousiasme et d’abuser de ses
forces. De la générosité, de l’élan, oui ; de la tension, de la
dureté, non. Tout à la fois de la force et de la suavité. « Suaviter...
et fortiter » (Sap., VIII, 1). Pas de démarrage brutal, ni de
tirage par à-coups. Ne nous montrons pas plus exigeant que
Dieu et n’enjambons point sur sa grâce; suivons-la simplement.
Se méfier de tout ce qui sent l’héroïsme. C’est là une vocation
plutôt rare. Certains chasseurs ne tirent que le lion ; le lièvre
et le lapin ne les intéressent pas, encore qu’on puisse en faire
un excellent civet.
ESPRIT DE GÉNÉROSITÉ 273

2. Différentes formes d’excès.


a) Abus des mortifications corporelles : jeûne, veilles et ins­
truments de pénitence, discipline, cilice.
b) Sous prétexte de sauvegarder le recueillement, pousser
le silence jusqu’au mutisme, au détriment de la charité frater­
nelle,
c) S’engager tout de go dans Voraison de quiétude et dans
les voies mystiques.
d) Se surcharger de dévotions personnelles et multiplier
outre mesure ses exercices d’oraison.
a) Efforts épuisants pour vivre continuellement en la présence
de Dieu, ou en communion d’intimité avec Notre-Seigneur.
/) Viser à l’extirpation immédiate de ses défauts de tempé­
rament ou de caractère, etc.

3. Origine de ces déviations.


a) Pétulance de la jeunesse ou tempérament excessif.
V) Manque de prudence et de bon sens.
c) Orgueil secret ou présomption naïve.
d) Ignorance des lois qui régissent la vie spirituelle et l’action
de la grâce.
e) Illusions humaines ou diaboliques.

4. Conséquences de ces différents excès, au point de


vue physique et moral.
a) Santé compromise et parfois pour toujours. Trop tendu,
l’arc finit par se rompre. Les petits ânons trop chargés, disait
saint François de Sales, deviennent plus tard d’assez mauvais
serviteurs.
b) En cas d’échec, découragement, tentation de tout aban­
donner, même sa vocation.
c) Tomber dans une originalité de mauvais aloi. Esprit de
singularité.

5. Remèdes. Se méfier de son imagination, de l’intempé­


rance de ses désirs, des suggestions diaboliques. S’en tenir
fermement à l’obéissance et aux directives du P. Maître et
du Confesseur.
18
274 MAITRES-OUVRIERS

m. NI TROP PEU... DÉFICIENCE

Les amis du « trop » sont, semble-t-il, l’exception ; plus


nombreux les partisans du « peu ». Si tout excès est regrettable,
nos déficiences ne le seraient-elles pas davantage ?'
A ses jeunes étudiants de Coïmbre, saint Ignace écrivait :
« Donc, pour l’amour de Dieu, ne soyez ni tièdes, ni lâches...
Tâchez d’entretenir en vous une ardeur sainte et discrète pour
travailler aux lettres et à la vertu » (P. Dudon, Saint Ignace
de Loyola, Lettres spirituelles, pp. 132-139). « Lâcheté, Tiédeur »,
ne serait-ce point là les deux formes les plus fréquentes de
nos déficiences, dans l’œuvre de notre formation religieuse ?

1. La peur d’agir. Un des aspects caractéristiques de la


spiritualité ignatienne pourrait se définir d’un mot : « Magis »
— « Ad majorem Dei gloriam » (voir « Christus », Cahiers Spi­
rituels, 11 juillet 1956, p. 343). Combien — je ne dis pas de
Jésuites — mais de religieux seraient tentés de choisir le
« minus » et de se rallier à la doctrine du moindre « effort », à
ce qu’on appelle, dans les gouvernements humains, une « poli­
tique de facilité ou d’immobilisme ». On a peur d’agir, et c’est
pourquoi sans doute on n’agit pas, ou trop peu. Si encore le
travail fourni était de la « belle ouvrage »! Mais que de fois
ce n’est là qu’une ébauche.
Cette peur de l’action puissante, continue et féconde, vient
d’une double source :
a) Le sentiment de son impuissance. Anémie d’une volonté
qui n’a jamais su vouloir pleinement, résolument ; qui en est
toujours restée à des désirs inopérants et à des velléités ineffi­
caces ; qui n’a jamais dit : « Volo », je veux, ou comme Thérèse
d’Avila : « Je décide, j’ai décidé. » Impuissance que le décou­
ragement, 1’ « acedia », dégoût, tristesse, ennui viennent encore
renforcer.
b} Sentiment de lâcheté. A la peur de l’effort, se joint encore
la « peur du sacrifice ». L’accomplissement de la volonté divine
ne va pas sans renoncements ; la grâce a des exigences cruci­
fiantes, la croix se dresse devant nous, si lourde qu’elle semble
devoir nous écraser, et alors, lâchement, on recule en disant :
« C’est trop dur... je n’ai pas le courage... et d’ailleurs, je ne
suis pas un saint ! »

2. La tiédeur. Mais le pire ennemi d’une formation reli­


gieuse, ne serait-ce point encore la tiédeur? Négation même de
ESPRIT DE GÉNÉROSITÉ 275

la générosité, elle consiste dans l’habitude des péchés véniels


délibérés, qu’il ne faut pas assimiler aux fautes de fragilité,
de surprise ou à? occasion. Regrettés, combattus, ces péchés,
loin d’être un obstacle à la ferveur, deviennent une occasion
de vertu et se révèlent un excellent outil de sanctification.
La tiédeur généralisée et invétérée s’attaque de deux façons
au développement de la vie surnaturelle.
a) Elle fait tout d’abord obstacle à l’action du premier
agent de formation : Dieu. La coopération avec Lui s’est changée
en opposition. Une âme religieuse en « état de péché véniel »
irrite le Père des Cieux, donne la nausée à Jésus-Christ et
attriste le Saint-Esprit. De là, entre elle et les trois Personnes
divines, une espèce de « guerre froide », des relations de moins
en moins cordiales, de plus en plus tendues, avec comme consé­
quence la diminution progressive des grâces de formation.
b) Dangereuse, la tiédeur l’est surtout par sa force univer­
selle de corrosion. Elle dégrade, épuise, stérilise toutes nos
puissances d’action et facultés spirituelles. Elle souille l’âme,
insensibilise la conscience, fausse la mentalité, obnubile l’idéal,
énerve la volonté, bloque les dons du Saint-Esprit, anémie
les vertus, réveille les passions... et peu à peu, mène à la mort.
Elle provoque les pertes de vocation.

1. Quelles sont les principales sources de la


ferveur ?

2. Pourriez-vous citer quelques excès propres


aux Novices ?

3. La tiédeur durant tout le cours du Noviciat


est-elle un signe de non-vocation et une
contre-indicati on pour la profession reli­
gieuse ?

4. Quelle est la différence entre acedia,


paresse spirituelle et tiédeur ; et quelle est
l’influence réciproque de ces divers états
d’âme ?
276 MAITRES-OUVRIERS

5. Quelles sont les causes les plus habituelles


de la tiédeur et les remèdes les plus effi­
caces ?

6. Quel est le rôle des résolutions dans la vie


religieuse et l’éducation ?

S. Thomas, II, II, quaest. LXXXII ; LXXXV. — S. Benoit,


Reg., ch. lxxii. — S. Alphonse, Pratique de l’Amour de J.-C., ch. IV ;
Véritable Epouse de J.-C., ch. vi. — S. Jean de la Croix, Le Can­
tique Spirituel, str. xix. — S. François de Sales, Les Vrays EntretiensJJ;
Traité de VAmour de Dieu, liv. IV, ch. 11. — S. Bernard, Sermon V,
« De Ascensione ». — Gay, Instructions aux personnes du monde, XV,
« De la Ferveur de l’Esprit ». — Faber, Progrès de l’Ame, ch. 11, iv,
xiv, xxii, xxv, xxvi, xxvii. — Chevrier, Le Véritable Disciple de
N.-S. J.-C., U condition, pp. 324 ss. — Grou, Caractères de la vraie
Dévotion. — Boürdaloue, Retraite Spirituelle, 3e Jour, 2e Méditation.
— P. d’ALZON, voir « Prêtre et Apôtre, » juin 1928. — Esprit de sainte
Thérèse de l’Enfant-Jésus, ch. 1. — Dadolle, Lux mundi, XVIII. —
Ollé-Laprune, Prix de la Vie, ch. xxiv, xxix. — Mouroux, Sens
chrétien de Z’Homme, ch. vn. — Cassien, De l’Inst. Coen., P. L. IL,
363-365. — P. Colin, Retraite sur VAmitié de J.-C., IIIe Jour, ire Orai­
son ; IXe et Xe Jour, Lecture ; Tendance à la Perfection, ch. VIII, IX, X ;
Vie Intérieure, ch. XI. — Diction. Theol. Vacant., « Tiédeur ». — Poul­
ies Maîtresses des Novices, ch. V.
TRENTE-DEUXIÈME LEÇON

LA CHARGE DE PÈRE MAITRE

Le Novice, après Dieu, est le principal artisan de sa forma­


tion religieuse, mais, il n’est pas l’unique. Dans cette œuvre
délicate, complexe, laborieuse et parfois douloureuse, la Provi­
dence lui a ménagé un aide pour l’éclairer, le guider, l’encou­
rager, le soutenir et, au besoin, le relever.
Son influence, encore que secondaire, est d’une telle impor­
tance que l’Eglise ne reconnaît valable qu’un Noviciat accompli
sous la direction d’un Maître ou Maîtresse des Novices.
Dans une série de leçons qui pourront leur être, croyons-
nous, de quelque utilité, nous rappellerons la nature, les condi­
tions et les caractères de leur action formatrice.
De cette étude, les Novices eux-mêmes pourront tirer profit. •
A mieux connaître le rôle efficace et irremplaçable de leur
Maître spirituel, ils accepteront plus volontiers son ensei­
gnement, plus spontanément suivront sa direction et se plieront
à son emprise. Et leur coopération à une œuvre commune
ne pourra qu’y gagner en heureux résultats.

I. NOBLESSE ET SERVITUDE
D’office, le P. Maître est, jour et nuit, au service de ses
Novices. Il ne s’appartient plus. Lourde charge, mais non
exempte de grandeur morale, quel que soit l’aspect sous lequel
on l’envisage : dans son origine, son exercice ou sa fin.

i. Origine. Dieu, nous le savons (voir 21e Leçon), ne


cesse de s’occuper des Ordres religieux, de leur naissance,
évolution et durée. Il intervient particulièrement dans la forma­
tion des cadres et le choix des Supérieurs, dont l’autorité est
l’âme de tous les Instituts.
278 MAITRES-OUVRIERS

Or, le poste de P. Maître est une des clefs de voûte de


l’édifice. Il faut donc croire que Dieu n’est point resté étranger
à sa nomination ou élection.
En tout cas — ce qui est certain — c’est que, reconnu par
l’Ordre et investi de ses pouvoirs par l’Eglise, il se présente
comme le délégué attitré du Très-Haut, chargé officiellement
de paître une des portions les plus belles et les plus chères
du troupeau. Le voilà donc étroitement associé à l’action forma­
trice de la Trinité, de Notre-Dame et de l’Eglise ; et c’est
par ses mains que passeront une multitude de grâces. Et ce
lui doit être un grand honneur, en même temps qu’un motif
d’humilité et de confiance. L’éducation des jeunes religieux et
des futures épouses du Christ est vraiment une fonction sociale
et sacrée.

2. Aspects divers de la formation religieuse. La mission


d’un Maître des Novices est tout à la fois un apostolat, une
magistrature et une paternité spirituelle.
a) Un apostolat et l’un des plus beaux, des plus nécessaires,
des plus féconds qui soient dans l’Eglise. Apostolat d’une
élite, futurs apôtres qui, demain, pourront à leur tour porter
l’Evangile à travers le monde.
&) Magistrature intellectuelle et morale. Ne dit-on pas
« Maître, Maîtresse » des Novices, Magister? Maître, non
pas seulement par l’autorité officielle dont il est le détenteur,
mais encore par son autorité personnelle, par sa maîtrise à façonner
l’esprit, le cœur, la volonté, la conscience, l’âme de tous ses
disciples. Maître ès éducation.
c) Paternité. Former, ne serait-ce point encore engendrer;
participer d’une certaine façon à la Paternité de Dieu et à la
Maternité spirituelle de Notre-Dame ? Aussi, au mot de « Maître »
de « Maîtresse » s’ajoute fort justement celui de « Père » ou
de « Mère » : Père-Maître, Mère-Maîtresse. A quoi, en effet,
doit aboutir leur action formatrice, sinon à conduire leurs
Novices à la profession, c’est-à-dire, à une nouvelle naissance?
« Mes petits enfants, pour qui j’éprouve de nouveau les dou-
eurs de l’enfantement, jusqu’à ce que le Christ soit formé
en vous » (Gai., IV, 19).

3. La naissance et croissance mystique du Christ dans


une âme, ne serait-ce point là, en définitive, le but ultime et
le triomphe de toute formation religieuse ? D’un jeune homme,
d’une jeune fille, travailler à faire un idéal de lumière, de pureté,
LA CHARGE DE PÈRE-MAITRE 279

de force^ de charité ; une image vivante du Christ pauvre,


chaste, obéissant, voué, consacré tout entier au service de
Dieu et de l’humanité : c’est à quoi devrait aspirer tout Maître
des Novices conscient de la grandeur de sa mission. Dans
un bloc informe et quelquefois grossier, tailler, de concert
avec la Trinité et la Vierge, la divine et rayonnante figure du
Sauveur : chef-d’œuvre unique, prodigieux, devant lequel
s’éclipsent toutes les œuvres d’art les plus grandioses, fruit
du génie humain. Rien n’égalera jamais une belle âme
religieuse.

IL IMPORTANCE DE SA MISSION

Dans les Congrégations, la charge de P. Maître est une


des plus importantes, voire peut-être la plus importante. Dès
l’origine, en tous les monastères, un Maître était chargé
d’office d’initier les prétendants religieux à leur nouvelle vie.
Saint Benoît, en sa Règle, confie ce soin au Père Abbé lui-même
ou, à son défaut, à son délégué, religieux éminent.
Lorsqu’il traite la question « Noviciat », le Droit Canon
se place surtout sur le plan juridique. Nombreux cependant
sont les textes qui donnent des principes fondamentaux et des
indications fort suggestives au point de vue ascétique et forma­
tion religieuse. Preuve de l’importance capitale que l’Eglise
attache à la charge de Maître des Novices (voir R.C.R., juillet-
août 1950, p. 118).
C’est pourquoi elle interdit d’imposer au P. Maître et à
son Socius tout emploi, tout office, qui pourrait faire obstacle
à la bonne marche du Noviciat, ou nuire à la formation des
Novices (Canon 559, § 3).
Encore que le Droit ne fixe rien touchant la présence effec­
tive du P. Maître au Noviciat, il serait certainement contraire
à l’esprit de l’Eglise de le voir s’absenter souvent ou trop lon­
guement, ou encore, se charger de lui-même de multiples occu­
pations personnelles, au détriment de son devoir d’état.

1. Importance communautaire. D’une excellente forma­


tion donnée au Noviciat dépendent tout à la fois la valeur
individuelle de chaque religieux et la vitalité de l’Ordre tout
entier. Gage de ferveur, de générosité, de persévérance, elle
contient le secret d’une belle vie spirituelle et apostolique.
Non moindre son influence sur un monastère ou dans
une Congrégation. Elle prépare et assure une élite de religieux
qui, plus tard, se révéleront force d’entraînement pour la masse,
280 MAITRES-OUVRIERS

puissance de réaction contre toutes les forces du dedans ou


du dehors qui tendraient à corrompre l’esprit primitif, énerver
la discipline régulière et amorcer une décadence (voir 9e Leçon).
Au dire du P. Lacordaire, « le Maître des Novices est le fonda­
teur perpétuel de l’Ordre ».
Or, la valeur de cette formation dépend en grande partie
du P. Maître. Sans en être l’unique et principal artisan, il y
joue cependant un rôle de premier plan. Si son action formatrice
n’est pas tout, du moins, se fait-elle sentir en tout, profonde,
universelle, irremplaçable. C’est elle qui provoque, dirige, sou­
tient, renforce presque toutes les activités spirituelles du Novice
et règle à toute heure son comportement de vie. Elle est le grand
moteur extérieur de sa vie religieuse.
Instrument entre les mains de Dieu, que de fois le P. Maître
servira d’intermédiaire, dans les interventions divines, et saura,
par ses avis, ses exhortations, ses encouragements, assurer de
la part de ses Novices une fidèle coopération à la grâce.
Combien de formateurs éminents ont laissé derrière eux
des générations entières de parfaits religieux, marqués de leur
forte personnalité, et exercé pendant de longues années, sur
leur Institut, une heureuse et profonde influence !

2. Source individuelle de sanctification. Si la charge


de P. Maître est une fonction publique, elle est aussi un ins­
trument de sainteté personnelle. Dans la pensée de Dieu, l’apos­
tolat de la jeunesse religieuse peut et doit être pour celui qui
l’exerce une source de grâces singulières.
Enseigner est la meilleure façon de s’instruire ; et, c’est à
force de prêcher la vérité qu’on finit par y croire. Comment,
sans tomber dans un pharisaïsme stigmatisé par Jésus-Christ,
imposer à d’autres ce qu’on ne pratique pas soi-même ? « Faites
donc et observez tout ce qu’ils vous disent ; mais, n’imitez
pas leurs œuvres, car ils disent et ne font pas » (Matth., XXVII, 3).
Serait-ce possible de rester en contact permanent avec des
âmes ardentes et généreuses — les Noviciats sont, règle géné­
rale, des communautés ferventes — et ne de point subir, parfois
à son insu, l’influence d’un milieu qu’on a créé soi-même ?

A vivre pendant des années avec des jeunes, on conserve


une certaine jeunesse d’âme, verdeur de volonté et fraîcheur de
sentiment; et mieux vaut, après tout, garder longtemps un peu
d’enthousiasme juvénile — fût-il illusoire — que d’aboutir
trop tôt aux désillusions de l’âge mûr et aux désenchantements
de la vieillesse.
LA CHARGE DE PÈRE-MAITRE 28l

L’obligation de prêcher d’exemple, de se montrer un modèle,


un entraîneur, accule à la sainteté. Cette mise en demeure
d’être toujours en tête est une grâce d’état, dont beaucoup
ont su profiter pour approfondir leur vie intérieure, intensifier
leur sanctification. Pour eux s’est réalisée la parole de saint
Augustin à ses religieuses : « Plus vous vous consacrerez au
bien commun et moins au vôtre, et plus vous constaterez vos
progrès spirituels » (Règle de S. Augustin).
Dès lors, la formation au Noviciat n’est plus seulement
une œuvre de collaboration, mais bien une œuvre de solidarité;
Maître et disciples, tous se sanctifient ensemble.
Combien d’anciens P. Maîtres ou Maîtresses de Novices
avouent que les années les meilleures de leur vie, les plus heu­
reuses, les plus fécondes ont été celles qu’il leur a été donné
de consacrer à la formation de leurs jeunes religieux et
religieuses.
III. LOURDE CHARGE
L’aspect consolant et encourageant d’une telle mission édu­
catrice ne va pas cependant sans contre-partie. Honor, onus.
La formule trouve ici sa parfaite réalisation. C’est un honneur,
mais c’est aussi une charge lourde; on n’ose dire une « croix »,
encore que parfois elle le soit.
Les graves responsabilités qu’elle comporte, le nombre et
l’excellence des qualités intellectuelles et des vertus morales
qu’elle requiert, les difficultés inhérentes à sa nature et à son
exercice, les obstacles dressés sur son chemin, des échecs
toujours possibles : tout cela fait de la formation religieuse
une œuvre délicate, ardue, aléatoire et parfois fort décevante.
Aussi, les aspirants à ce poste sont-ils plutôt rares, et, parmi
les titulaires, combien — s’ils n’étaient religieux — donneraient
leur démission !
1. Responsabilités morales. L’office de Père-Maître
comporte de nombreuses et lourdes responsabilités. C’est
pour lui une obligation grave de conscience d’apporter tous ses
soins à la formation disciplinaire et morale des Novices. « Gravi
obligatione tenetur Magister novitiorum omnem adhibendi dili­
gentiam, ut sui alumni in religiosa disciplina, secundum consti­
tutiones sedulo exerceantur » (Canon 562). Devoir d’état qui
relève tout à la fois des vertus de religion, de justice et de charité.
à) Devoir de gratitude et de fidélité à l’égard de Dieu, qui
l’a choisi et appelé au service d’une cause sacrée, particuliè­
rement chère à son cœur, et où sa gloire est engagée.
282 MAITRES-OUVRIERS

b) Devoir d’obéissance vis-à-vis de son Institut qui, d’auto­


rité, lui a imposé une des charges les plus importantes, de
laquelle dépendent en partie sa ferveur et sa vitalité.
c) Et surtout, devoir extrêmement grave de charité, à l’égard
de ses Novices. Non seulement leur formation, mais encore
leur persévérance et l’orientation de toute leur vie sont en réalité
— jusqu’à un certain point — entre les mains de leur P. Maître.
Par sa faute, une destinée entière peut être faussée et vouée
au malheur. Son jugement sur la valeur des candidats, leur
acceptation aux vœux ou leur renvoi dans le monde a presque
toujours une influence déterminante sur la décision des Supé­
rieurs Majeurs. De toutes les âmes qui lui ont été confiées,
il rendra compte un jour, au tribunal de Dieu.

2. Difficultés inhérentes à l’Office. La formation des


jeunes religieux est peut-être de toutes les œuvres la plus labo­
rieuse, la plus compliquée, et cela, par l’amplitude, la multiplicité
et la diversité de ses éléments.
a) Amplitude. Le terrain sur lequel doit s’exercer l’activité
formatrice est immense. Il embrasse l’être humain tout entier,
corps et âme ; et celle-ci est déjà à elle seule tout un monde.
Esprit, volonté, cœur, conscience, tempérament, caractère,
passions, défauts, tendances, vertus naturelles et surnaturelles,
domaine de la grâce : rien ne doit échapper à l’emprise du
formateur.
è) Multiplicité de ses formes et de ses interventions. Une
formation complète revêt bien des formes : formation humaine
et chrétienne ; formation ascétique, religieuse, communautaire,
ecclésiale, apostolique.
Dans l’exercice de ses fonctions, le Maître des Novices
intervient à toute heure et de toutes façons. Individuellement
ou collectivement, il enseigne, éclaire, conseille, dirige, récon­
forte, entraîne, redresse, relève, reprend, corrige.
c) Diversité. Mais ce qui rend la formation particulière­
ment délicate, c’est qu’elle doit s’adapter à chacun. Il n’existe
point de formation « en série ». Toute vraie éducation ne peut
être qu.’individuelle et singulière. Les âmes ne se jettent point
indistinctement dans un moule uniforme. La glaise, le tuf ne
se travaillent pas comme la pierre et le marbre. Sans doute,
existe-t-il en éducation des principes fondamentaux et des règles
essentielles ; encore faut-il — et c’est là, la science des sciences et
l’art des arts — savoir les appliquer diversement selon la diver­
sité des âmes.
LA CHARGE DE PÈRE-MAITRE 283

3. Aptitudes spéciales requises. Tout compte fait, la


vocation du P. Maître requiert un ensemble de qualités intellec­
tuelles et morales, sinon éminentes, du moins supérieures;
une culture générale qui fasse de lui, selon le mot du Droit
(559, § T), " un religieux vraiment remarquable : conspicuus »
par sa science et sa vertu. La médiocrité, dans un tel poste,
serait non seulement « inaptitude », mais « indignité ». De là,
pour tous les futurs titulaires, la nécessité d’une excellente
préparation, et chez l’Autorité compétente le souci de ne
désigner pour cet emploi que des sujets idoines et stables.

4. Handicaps nombreux. Au jugement de tous les inté­


ressés, la formation de la jeunesse actuelle est une œuvre oné­
reuse et pleine d’aléas.
Avec d’excellentes intentions, voire un certain idéal de
perfection, combien de candidats apportent du monde au
Noviciat des déficiences intellectuelles et morales, des menta­
lités dangereuses, des tendances égoïstes, des habitudes de vie
large et désinvolte, des attitudes orgueilleuses et fort déplaisantes!
Loin d’en être facilitée, la charge de Maître ou Maîtresse
de Novices n’en devient que plus lourde. Réflexion d’un Pro­
vincial au sujet de quelques recrues scouts : « Nous espérons
qu’ils deviendront de bons religieux ; en attendant, ce sont
des Novices difficiles. »
Enfin, des perspectives de déboires, d’insuccès, d’échecs
dont l’opinion, l’Autorité même, rend facilement responsables
— et bien à tort souvent — les Formateurs eux-mêmes. Preuve
nouvelle que « le disciple n’est pas au-dessus du maître »
(Matth., X, 24). Avec ses apôtres, Notre-Seigneur n’eut pas
que des consolations ; et combien de Fondateurs et Fonda­
trices se sont vus abandonnés et trahis par leurs premiers
compagnons !

1. De la doctrine sur la charge de P. Maître


et Maîtresse du Noviciat — grandeur, im­
portance, difficultés — ne pourrait-on
déduire quelques conclusions pratiques à
l’usage et au profit des Novices? Lesquelles?

2. En de nombreux ouvrages, revues et ses­


sions, on a dressé une liste assez impres­
sionnante de ce qui, dans la jeunesse con­
temporaine, faisait écran ou obstacle à
sa formation religieuse. De ces multiples
lacunes, défauts, tendances, habitudes,
284 MAITRES-OUVRIERS

quelles seraient les plus graves et les plus


communes ?

3. L’auto-critique étant à la mode, chacun,


après examen sérieux, ne pourrait-il loya­
lement avouer tout ce qu’il a, dans sa
personne et son comportement, découvert
de contraire ou d’opposé à l’action éduca­
trice de ses Maîtres, et, par là-même, de
dangereux pour sa formation religieuse ?
Au besoin, demander qu’on l’aide dans ce
travail d’introspection.

Canon 559-562. — Enchiridion de Statibus Perfectionis, 42, 63,


73, 85, 86, 101, 122, 151. — P. Colin, Livre des Supérieurs, ch. il.
— Pour les Maîtresses des Novices, Editions du Cerf. — Acta et Docu­
menta Congressus Generalis de Statibus Perfectionis, 1950, t. IV. Index,
« Magister novitiorum », p. 379.
R.C.R. 1936, 185; 1949, 136; 1950, 118, 143; 1957, 218. —
Forma Gregis, décembre 1952, « Sainte Thérèse, éducatrice des Reli­
gieuses», P. Paul-Marie de la Croix; décembre 1953, «Problèmes pra­
tiques du Noviciat ; février 1956, « Problèmes pratiques du Noviciat »,
Sr M.-Jeanne d’Arc.
trente-troisième leçon

AUTORITÉ PERSONNELLE

La charge de Maître ou Maîtresse des Novices, si impor­


tante en elle-même, si délicate en son exercice, si lourde de
conséquences, exige de n’être jamais confiée qu’à des religieux
particulièrement qualifiés. « Une lecture réfléchie des Canons
du Code concernant les religieux ne peut manquer d’attirer
notre attention sur l’importance que l’Eglise donne au rôle
de la Maîtresse des Novices dans la formation religieuse. Peu
de charges, dans un Institut, font l’objet direct d’autant de
prescriptions » (R. C. R. juillet-août 1950, p. 118).
Toutes ces prescriptions, concernant l'élection ou le choix
du P. Maître, la durée de sa charge avec les principales qualités
intellectuelles et morales qu’elle requiert, sans être nécessaires
à la validité du Noviciat et de la Profession, n’en restent pas
moins obligatoires en conscience. Gardées fidèlement, elles four­
nissent déjà en faveur du candidat un gage d'idonéité.
Dans la plupart des Ordres et Institutions religieuses,
Règles et Constitutions consacrent, elles aussi, quelques pages
au Maître des Novices pour lui rappeler l’importance de sa
chargé, les vertus qu’il y doit pratiquer, les fonctions qu’il doit
remplir ; pour lui fixer un programme général de formation et
lui donner des directives aussi sages que pratiques.
Dans sa Constitution «Cum ad regularem», du I9mars 1603,
Clément VIII traite longuement du Noviciat, du P. Maître,
de son rôle, de ses qualités, de son pouvoir, de son action. Toute
cette législation a été reprise, en la condensant, par le Code
actuel dont voici les principales prescriptions.
Le Maître des Novices doit compter 35 ans accomplis
et 10 ans dans l’institut, depuis sa première Profession : ce
qui laisse déjà supposer chez lui une certaine maturité d’âme
et connaissance pratique de la vie religieuse. « Il doit, de plus,
286 MAITRES-OUVRIERS

se signaler par sa prudence, sa charité, sa piété, son obser­


vance régulière » (Canon 559, § 1).
Il est élu par le Chapitre ou choisi par le Supérieur compé­
tent. On s’en tiendra sur ce point à la Règle ou aux Consti­
tutions ; de même, quant à la durée de sa charge. La loi du
triennat ne le concerne pas. Il peut donc être réélu ou choisi
de nouveau indéfiniment, à condition toutefois que ni l’âge,
ni les infirmités, ni la maladie ne l’empêchent — au grand
détriment du Noviciat — de remplir parfaitement ses fonc­
tions. « Durant le cours de son mandat, on ne peut, sans raison
grave et juste, l’écarter de sa charge » (Canon 560). Se trouve
ainsi assurée une certaine stabilité dans un poste qui, en plus
de la science et de la vertu, requiert nécessairement une longue
et vaste expérience.
La parfaite formation des jeunes religieux, « comme l’en­
seigne l’expérience, ne peut se réaliser qu’avec des hommes
choisis, éprouvés, qui se distinguent non seulement par la
doctrine, la prudence, le discernement des esprits, et par une
expérience variée des hommes et des choses et par d’autres
qualités humaines, mais encore qui soient remplis de l’Esprit-
Saint et qui, par leur sainteté et leur exemple de toutes les
vertus, éclairent les jeunes gens ; car, ceux-ci, comme on le
sait, dans tout l’ensemble de leur formation, sont plus entraînés
par la vertu et les bonnes actions que par les discours » (Pie XII,
Const. Apost. « Sedes Sapientiae », 31 mai 1956).
De nos jours, moins que jamais, — alors que la jeunesse
contemporaine n’entre trop souvent au Noviciat qu’avec un
esprit de foi diminué et un sens critique très développé — les
éducateurs religieux ne peuvent se contenter, dans leur gouver­
nement et la direction des âmes, de leur autorité officielle.
Leur emprise morale et le succès de leur mission dépendent
en grande partie de leur autorité personnelle, c’est-à-dire, de
leur savoir et de leur vertu.

I. VALEUR INTELLECTUELLE

Sans être ce qu’on appelle des « Intellectuels » ou des


« Femmes savantes », Maître et Maîtresse des Novices doivent
cependant posséder une certaine culture générale et profession­
nelle. La formation religieuse est avant tout une œuvre de
lumière, de vérité, pour celui qui la donne et chez celui qui
la reçoit. Mais comment la communiquer à d’autres, à moins
de la posséder soi-même ?
AUTORITÉ PERSONNELLE 287
î. Qualités de l’esprit. Une Maîtresse des Novices
doit avoir une tête bien faite; être femme de bon sens, de
jugement ; prudente, clairvoyante, observatrice ; psychologue
avisée, capable de disséquer, d’analyser les âmes, pour y décou­
vrir leurs tendances, leurs défauts, leurs passions, leurs mobiles
secrets, leurs qualités aussi et leurs vertus naturelles, afin
d’établir — le plus complet et le plus précis possible — l’inven­
taire de leurs richesses et de leurs déficiences. Dans une œuvre
de formation, cette connaissance intime est aussi nécessaire
au maître qu’au disciple.
N’être ni impulsive, ni passionnée, ni scrupuleuse, ni
excessive. Avoir un esprit large, compréhensif, hospitalier,
aussi éloignée de l’absolutisme de la pensée que de la préci­
pitation dans les jugements. Bref, posséder un tempérament
intellectuel parfaitement équilibré.

2. Connaissances professionnelles. La formation reli­


gieuse est tout à la fois une science complexe et un art délicat,
auxquels Maître et Maîtresse doivent s’initier par une étude
préparatoire sérieuse et complète. Exercer, a-t-on dit, un métier
qu’on ne connaît pas est la plus grande des immoralités.
Instruction et éducation ont leurs lois fondamentales et leurs
règles essentielles, qu’il importe de connaître spéculativement et
pratiquement. A cette fin — selon le conseil des Souverains
Pontifes — utiliser les meilleures méthodes pédagogiques actuelles.
Pour tout ce qui concerne sa charge, étudier le Droit Canon,
les Constitutions, la conduite des Saints, dont beaucoup furent
d’incomparables formateurs, être à l’écoute de tous les ensei­
gnements et directives du Saint-Siège et se tenir au courant
des multiples décisions de la Congrégation des Religieux.

3. Science ascétique, de toutes peut-être la plus néces­


saire, en tout cas, d’une importance capitale. La formation
religieuse est à base d’ascèse. De là, pour tous ceux qui en
sont chargés, l’obligation d’apprendre et de posséder à fond
la science de la vie spirituelle : nature, éléments, lois, dangers
et sources. Le Noviciat est une école de théologie ascétique,
tout à la fois spéculative et pratique. Au Maître et à la Maî­
tresse — par leur science et leur enseignement — d’en assurer
le succès.

4. Doctrine de l’état religieux. Avant d’émettre sa


Profession et de prendre une décision qui engage tout son
avenir, le Novice doit être parfaitement renseigné sur la portée
288 MAITRES-OUVRIERS

de son gegte et sur le sens de sa nouvelle destinée. Entrer dans


la vie religieuse sans la comprendre serait folie.
Cette connaissance de l’état religieux, de sa beauté, de sa
grandeur, de Sa fécondité, de sa sainteté, de ses exigences aussi,
des renoncements, des sacrifices qu’il comporte, le candidat
l’acquerra à l’école des Docteurs officiels de la vie religieuse :
Maître et Maîtresse du Noviciat. A eux de l’éclairer, de l’ins­
truire, de lui donner l’idée vraie et la conception intégrale de
sa vocation.
Mais, l’enseignement du Maître ne sera ce qu’il doit être,
que s’il est l’expression authentique, convaincue et convain­
cante d’une synthèse personnelle, puissante et lumineuse de l’état
religieux. — Synthèse qu’il s’est faite à lui-même, avant de
la communiquer à ses disciples. Un exposé doctrinal, vague,
incomplet, superficiel, qui ne livrerait qu’une Vérité floue,
diminuée, tronquée, ne serait que duperie et trahison. Car le
Novice — avant de se fixer — a le droit de savoir exactement
ce qui l’attend demain ; droit à ce qu’on lui dise la vérité telle
qu’elle est, une vérité loyale, plénière, sans ombre ni réticence.
C’est ce que ses formateurs s’efforceront de lui donner, afin
de le mettre à même — dès ses premiers pas — de se
faire, comme nous l’avons dit, un bel et haut idéal de
vie religieuse.

5. Etude de l’Ordre. Droit du Novice à la vérité intégrale


sur l’état religieux ; droit encore à la vérité sur tout ce qui
concerne l’Ordre ou l’institut dans lequel il a l’intention de
s’engager. Droit de connaître ses origines, son Fondateur,
ses développements, sa vie intérieure et administrative, son
esprit, ses vertus caractéristiques, ses Règles et Constitutions,
ses traditions, ses œuvres d’apostolat. Et cela, afin de constater
qu’entre l’Ordre et lui, il y a vraiment compatibilité et comme
une espèce d’harmonie préétablie.
Mais, cette connaissance complète, précise de l’institut ne
peut guère lui venir que du Maître ou Maîtresse du Noviciat ;
ce qui suppose chez eux une science parfaite, extrêmement
sûre de leur Congrégation. Toute erreur, toute lacune, toute
déviation dans leur enseignement ne pourrait qu’avoir des
conséquences funestes, parfois fort graves, pour la vocation et
la persévérance du Novice, comme pour la vie de l’Ordre.
Ici encore, leur conscience peut être gravement engagée.

6. Sciences sacrées. Des cours de théologie dogmatique


et morale, d’apologétique, d’Ecriture Sainte, d’Histoire Ecclé­
AUTORITÉ PERSONNELLE 289

siastique, de Liturgie sont parfois inscrits au programme du


Noviciat, surtout durant la seconde année.
Il faudrait donc, qu’à défaut de professeurs spéciaux, Maître
et Maîtresse soient suffisamment versés en ces matières pour
donner eux-mêmes quelques leçons ou conférences.

II. VALEUR MORALE

Valeur intellectuelle, valeur morale : réunis, ces deux élé­


ments constituent l’Autorité personnelle, condition essentielle
de toute vraie formation. Tout éducateur, pour faire œuvre
solide et durable, doit être un modèle de vertu. Sur ce point,
la jeunesse actuelle se montre particulièrement chatouilleuse,
exigeante, sévère jusqu’à l’injustice. Elle n’entend point, dit-
elle, que quelqu’un, à longueur de journée, lui prêche la per­
fection, sans la pratiquer lui-même. Un tel comportement de
vie les étonne, les scandalise, les aigrit, les irrite ; et l’action
formatrice du Maître en est d’autant affaiblie, et leur forma­
tion à eux compromise.
i. Sainteté et formation religieuse. Sans requérir du
Maître ou Maîtresse du Noviciat une sainteté éminente, voire
la sainteté tout court, il est bien permis d’exiger d’eux une vie
morale qui sorte de l’ordinaire et de la médiocrité. Beaux
types de religieux et de religieuses qui marquent dans un Ins­
titut et sur lesquels on peut toujours compter. Sujets élite,
imbus profondément de l’esprit du Fondateur et de la spiri­
tualité de l’Ordre, parfaits observateurs de la Règle, solide­
ment vertueux : humbles, obéissants, pauvres, zélés, animés
d’un grand esprit de prière, d’oraison, de mortification ; vrais
amis ou vraies épouses de Jésus-Christ. Mis à la tête d’un
Noviciat, de tels religieux ne peuvent être que de parfaits
éducateurs.
La sainteté du Maître exerce sur la formation religieuse
une quadruple influence :
a) Elle mérite et obtient du disciple respect, confiance,
affection; sentiments qui lui valent une docilité accrue à son
enseignement, à sa direction, et une coopération plus active
à son action formatrice.
b) Pour le Novice, source de lumière et force d’entraînement.
Une doctrine, même excellente, mais abstraite, peut rester
vague et parfois incomprise. Illustrée par des exemples vivants
et permanents, elle acquiert une luminosité et un relief saisissant.
19
290 MAITRES-OUVRIERS

Puissance d’attraction. L’héroïsme est contagieux « Exempla


trahunt ». A l’heure de l’attaque, il suffisait que le chef, le
premier, sautât le parapet, pour que toute la section le suivît.
Le bon Pasteur marche en tête du troupeau... et les brebis
le suivent (Jean X, 4).
c) Autre prérogative des âmes saintes : par leurs prières,
leurs sacrifices, leur vie d’amour, elles obtiennent du ciel, non
seulement pour elles, mais aussi pour leurs fils et leurs filles,
des grâces spéciales de lumière, de ferveur, de générosité et
de fidélité.
d) Enfin, en vertu du Corps mystique — le Noviciat n’en
est-il pas une extension et comme la miniature ? — toute
la communauté va participer à la vie profonde de celui qui
en est le Chef. Application, sur un plan supérieur, de la théorie
des vases communicants.

2. Rôle des vertus chez les éducateurs. Elément essentiel


ou du moins intégrant de leur sainteté personnelle, elles devien­
nent aussi entre leurs mains de précieux instruments ou adju­
vants de formation religieuse. Elles protègent et renforcent
l’action formatrice du P.-Maître ; elles provoquent et facilitent
l’activité spirituelle du Novice et, bien souvent, établissent
entre ces deux agents une étroite et féconde collaboration.
De ces vertus, citons les principales :
a) Esprit de Foi. Racine et fondement de toute la vie spiri­
tuelle, l’esprit de foi ne le serait-il pas aussi de toute forma­
tion monacale ? Exempte de tout naturalisme dans la pensée
et dans les sentiments, une Maîtresse envisage tout, sa per­
sonne, ses Novices, sa charge, son gouvernement, ses activités
formatrices, sous l’angle exclusivement surnaturel et en regard
dé Dieu ; n’ayant d’autre fin que la gloire divine, le bien général
de son Institut, la ferveur de sa petite communauté et la sanc­
tification de chacun de ses membres. Pas de vues intéressées,
personnelles, égoïstes ; aucun mobile purement humain, dou­
teux ou tortueux ; nul souci de l’opinion, de l’approbation
ou de la critique. Elle est en service commandé pour une œuvre
divine; c’est tout ce qu’elle sait et c’est à quoi elle se dévoue,
corps et âme, en toute loyauté et pureté d’intention.
Z>) Confiance. Dans l’exercice de sa charge, elle fait confiance
à Dieu qui l’a choisie et mandatée et ne peut l’abandonner.
Bien plus que sur elle-même, ses talents, sa vertu, elle compte
sur la grâce divine. Elle sait qu’elle n’est qu’un pauvre instru­
ment entre les mains de la Providence. Les difficultés qu’elle
AUTORITÉ PERSONNELLE 29I
rencontre, les échecs qu’elle subit, les plaintes qu’elle entend
ne l’étonnent ni ne la découragent. Tout ce qu’elle peut et
doit faire, elle le fait, et puis Dieu fera le reste, c’est-à-dire,
presque tout. La formation d’une âme n’est-elle pas son œuvre
à lui, avant d’être la sienne ? « Qui me misit, mecum est »
(Joan., VIII, 29).
c) L’amour du Christ : vertu maîtresse de tout éducateur.
Son apostolat — car tout apostolat n’est qu’un rayonnement
de la divine charité — de tous le plus magnifique, mais aussi
le plus difficile, ne pourra trouver son inspiration, son soutien
et sa fécondité que dans un ardent amour du Sauveur. Avant
de lui confier son Eglise naissante, Jésus se contente de
demander à Pierre un triple aveu solennel de fidélité : « Pierre,
m’aimes-tu ? — Pais mes agneaux, pais mes brebis » (Joan.,
XXI, 15-17). C’est dans son intimité avec Notre-Seigneur que
le Maître puisera la force d’accepter ses graves responsabilités,
le secret de s’oublier lui-même et le courage de se sacrifier
en silence. Le Christ sera sa lumière, son réconfort, sa joie,
sa consolation, précisément parce que ce Christ est et restera
jusqu’à la mort son Unique amour.
d~) Prudence. Après la charité, ne serait-elle pas la vertu
la plus nécessaire dans le gouvernement des communautés et
la direction des âmes ? Prudence naturelle — mais non char­
nelle — renforcée par la prudence infuse et le don de conseil.
Prudence pour prévenir ou écarter du Noviciat tout ce qui
pourrait troubler la paix, la charité, l’union des esprits et des
cœurs ; pour traiter chaque âme avec tact, mesure, pondération,
n’exigeant d’elle que ce qu’elle peut donner. Prudence dans
le discernement des esprits, pour savoir s’adapter à tous les
tempéraments, caractères, mentalités. Prudence pour savoir,
en toutes circonstances, découvrir ce qu’il y a de mieux et de
plus opportun. Prudence enfin pour que sa direction personnelle
s’harmonise de tous points avec les vues de Dieu sur chaque
âme. A ses plans, ne point vouloir, même inconsciemment,
substituer les nôtres (Canon 559, § 1).
e) Force, tempérée de bonté et de douceur. Multiples sont
ses manifestations. Savoir défendre son autorité et prendre ses
responsabilités. Oser parler, commander, avertir, reprendre et,
s’il le faut, user de sanctions. Par faiblesse, opportunisme,
popularité, crainte de peiner, ne jamais céder ou capituler,
surtout devant les caractères indépendants et orgueilleux. Mal­
gré les sollicitations du dehors ou les oppositions du dedans,
écarter résolument les vocations fausses ou douteuses et ren­
292 MAITRES-OUVRIERS

voyer au plus tôt les sujets incorrigibles, fauteurs de mauvais


esprit.
f) Humilité, au dire de l’Evangile, vertu caractéristique de
toute Autorité. Devant soi-même et devant Dieu, avouer sim­
plement, loyalement, sinon son indignité positive, du moins son
peu d’idonéité, ses impuissances, ses déficiences, son manque de
vertu et de savoir-faire. En cas de difficultés et d’insuccès
dans sa charge, n’en point accuser trop facilement et exclusi­
vement la mauvaise volonté des Novices. Nos propres défauts
de tempérament, de caractère, n’y seraient-ils pas pour quelque
chose ? 5’en humilier et tâcher de s’en corriger. Avant de former
ses disciples, se réformer soi-même.
g) Obéissance. Pour bien commander, il faut savoir obéir soi-
même tout le premier. Modèle de toutes les vertus, Maître
et Maîtresse le seront tout particulièrement en obéissance. Pour
tout ce qui concerne l’organisation, administration et direction
du Noviciat, fidélité à toute la législation canonique, morale
et liturgique; à tous les enseignements et directives du Saint-
Siège, aux prescriptions de la Sacrée Congrégation des Reli­
gieux. — Soumission aux Supérieurs Majeurs et au Visiteur <
qui ont droit de contrôle et de commandement sur le Noviciat
et sur la formation qui s’y donne. Obéissance au Supérieur
local dans les limites de sa juridiction, fixées par le Droit, la
Règle et les traditions. Indépendant de lui, en tant que P.-Maître
et dans l’exercice de sa charge, il lui reste cependant soumis
personnellement comme religieux et dans la mesure même où
le Noviciat s’insère dans la Communauté. Observance régulière
parfaite, sans jamais profiter de ses fonctions pour s’accorder
des dispenses indues et s’octroyer de petits privilèges personnels
(Canon 559, § 1 ; Canon 561, § 1).
h) Esprit de prière et d’oraison. Vie Intérieure. « Instru­
mentum conjunctum cum Deo. » Définition de tout apostolat.
Simple instrument, le premier souci d’un formateur d’âmes sera
de rester intimement uni à Dieu et souple dans la main de Celui
qui l’utilise. Donc, maintenir le contact permanent avec Dieu,
par la prière, l’oraison, la vie d’union. C’est là qu’il ira à lon­
gueur de journée se ravitailler en toutes sortes de grâces. Rester
sans cesse greffé sur le Christ, pour y puiser la sève nourricière
qui doit alimenter sa vie spirituelle et la poussée vitale de
ses disciples (Canon 559, §1).
« Je m’occupai intérieurement et uniquement de m’unir de
plus en plus à Dieu... Jamais mon espérance n’a été trompée :
ma main s’est trouvé pleine autant de fois qu’il a été néces­
AUTORITÉ PERSONNELLE 293
saire pour nourrir l’âme de mes Sœurs » 'Hist. d'une Ame,
ch. X). ... « J’ai recours à la prière, je jette un regard intérieur
sur la Vierge Marie, et Jésus triomphe toujours » (Ibid.).

1. Quels sont les principaux défauts qui, chez


un éducateur, peuvent contrecarrer et dimi­
nuer son action formatrice ?
2. En face des imperfections morales et défi­
ciences intellectuelles d’un Maître ou Maî­
tresse, quelle doit être l’attitude d’un
Novice ?
3. Ce qui, en soi, est obstacle peut-il devenir
moyen de formation ?
4. Dieu peut-il suppléer à ce qui manque du
côté du Formateur ?
5. Un des buts des Fédérations ne serait-il
pas d’assurer aux monastères de meilleures
Maîtresses de Novices ?
6. Valeur professionnelle et valeur morale
sont-elles solidaires l’une de l’autre ?

Pie XII, Const. Sedes Sapientiae, 31 mai 1956. — Enchiridion


de Statibus Perfectionis. Index, « Magist. novit. », p. 646. — Gautre-
let, Traité de l’Etat religieux, t. II, Appendice, art. I : « Des qua­
lités que doit avoir un Supérieur. — P. Colin, Le Livre des Supé­
rieurs. — Ronsin, Pour mieux gouverner. — Pour les Maîtresses des
Novices, Editions du Cerf. — Rapport au Congrès International des
Supérieures Générales, 12 septembre 1952. — Acta et Documenta
Congressus Generalis de Statibus Perfectionis, 1950. Index, t. IV, « Magist.
novit. », p. 379.
R. C. R., mai-juin, juillet-août, sept.-oct. 1950. Delchard, La
Maîtresse des Novices selon le Code, 1952, 197. — Forma Gregis, Série
d’études par le P. Motte, sur la sainteté et les vertus de la Mère-Maî­
tresse. (Année 1950-51), « La Sainteté personnelle de la Mère-Maî­
tresse ; (1951-53), Foi, Espérance, Charité ; (1953-54), Prudence ;
(1954-55), Justice ; (1955-56), Force. — Novembre 1958, « L’Etude
dans la vie de la Maîtresse des Novices », P. Motte ; octobre-novem­
bre 1950; janvier 1951, “ Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, Maîtresse
des Novices, Victor de la Vierge. — Vie Spirituelle, Supplément 4e tri­
mestre 1957, « Formation spirituelle et intellectuelle des religieuses
aux Etats-Unis ».
TRENTE-QUATRIÈME LEÇON

FONCTIONS DU PÈRE MAITRE

En plus de son autorité personnelle, faite de savoir, de vertu


et d’expérience, tout formateur religieux a besoin, pour remplir
légitimement et efficacement sa mission, d’une autre autorité
officielle et juridique. Sans être à proprement parler « Supé­
rieur », il possède cependant et exerce une certaine autorité,
reconnue par le droit, sur son Noviciat, dans le gouvernement
de sa communauté et la direction de chacun de ses Novices.
« La Maîtresse a la charge et la responsabilité de son Novi­
ciat ; elle a corrélativement autorité dans son Noviciat. Le
Canon 561 déclare, en effet, qu’une œuvre de formation est
à poursuivre, que précisément cette œuvre est source d’obli­
gations graves et constantes pour la Maîtresse, et qu’en consé­
quence elle a un droit à exercer, au besoin, à affirmer et à reven­
diquer. Ce même Canon affirme également qu’il y a de soi
une direction à assurer dans tout Noviciat et que c’est la Maî­
tresse qui doit gouverner. Directement et immédiatement, c’est
à elle seule que ces droits sont reconnus, tout comme c’est
sur elle que retombent les obligations ; le Code insiste à deux
reprises sur ce principe » (P. Delchard, R. C. R. 1950, sept.-
oct., p. 144).
De cette autorité, nous allons étudier la nature et préciser
l’exercice.
I. NATURE DE L’AUTORITÉ
L’autorité du P.-Maître peut se considérer sous un quadruple
aspect : origine, caractères essentiels, extension, limites.
1. Origine. Comme toute autorité, celle du Maître des
Novices vient de Dieu. « Non est potestas nisi a Deo » (Rom.,
XIII, 1). En l’associant à son œuvre de formation, la Trinité
lui fournissait en même temps le moyen de coopérer avec
elle, en lui communiquant une part de son Autorité.
FONCTIONS DU PÈRE-MAITRE 295
Père Maître, Mère Maîtresse sont donc les délégués de Dieu,
ses représentants authentiques. Ils agissent non seulement avec
Dieu, mais au nom de Dieu. Divine dans sa source, cette auto­
rité leur sera conférée, à l’heure même de leur nomination
ou élection, par l’Eglise et leur Ordre, à qui il appartient d’en
préciser la nature et d’en fixer les limites.

2. Caractères essentiels. En ce qu’elle a de plus fonda


mental, l’autorité est tout à la fois un pouvoir (potestas), un
droit (jus) et un devoir (debitum).
a) Pouvoir juridique, officiel. A son ordination, le nouveau
prêtre reçoit le pouvoir de consacrer, d’absoudre, de prêcher,
de paître le troupeau qui lui sera confié. Dès son entrée en
charge, le Maître des Novices reçoit tout pouvoir et toutes
grâces pour gouverner, instruire, diriger, soutenir, bref, pour
former ses jeunes religieux.
b) Droit. Et ce pouvoir se double d’un droit. Non seule­
ment il peut, mais il a le droit d’user des pouvoirs qu’il a reçus.
Droit qui ne relève que de Dieu et de l’Eglise, et que nul ne
peut, en justice, méconnaître, contrecarrer, violer ou accaparer
à son profit. Droit de propriété spirituelle, sacré, immuable
et inviolable.
c) Devoir. L’autorité implique, de plus, chez son détenteur
toute une série de devoirs ; l’obligation morale d’user de ses
pouvoirs et d’exercer ses droits au service de Dieu, de l’institut
et des Novices. Si la charge de Maître ou Maîtresse est un
honneur, elle est peut-être plus encore une source d’activité
et de dévoûment. La formation des Novices est pour lui « devoir
d’état ».

3. Extension. Toute autorité participée ne peut être ni


absolue, ni universelle. C’est le cas pour celle du Maître des
Novices. Jusqu’où s’étend exactement son pouvoir ? Sur qui
a-t-il juridiction ? Dans quelle mesure et en quelles circons­
tances a-t-il le droit d’user de son autorité ? Sur quel terrain
peut-il l’exercer licitement et validement?
Pour plus de clarté, il importe de distinguer for externe et
for interne.
a) For externe. Il faut entendre par là tout le comportement
extérieur, communautaire ou individuel, de la vie religieuse :
gouvernement, administration, discipline, observance régulière,
exercices publics, etc. Sur tous ces points, le P.-Maître jouit,
dans son Noviciat, d’une autorité pleine et indépendante.
296 MAITRES-OUVRIERS

b) For interne. Quel est le sens précis de cette expression,


quelque peu vague et qui revêt bien des nuances ? Deux
éléments, semble-t-il, le constituent, autrefois inséparables dans
la formation religieuse des Congrégations cléricales, mais que
l’Eglise, dans sa sagesse, a cru bon de dissocier.
i° « Le for de la conscience » strictement dit, qui relève
de la confession et de la direction sacramentelle.
2° « Le for intime de Pâme », qui fait l’objet de la direction
spirituelle, et dont nous parlerons longuement dans la seconde
partie de cette leçon.
Si le « for intime » fait partie du domaine sur lequel peut
et doit s’exercer l’autorité du P.-Maître, le « for de la conscience »,
par contre, lui échappe entièrement. Désormais, il lui est interdit
d’entendre la confession de ses Novices, hormis dans un cas
particulier, pour une cause grave et urgente (Canon 891). Il
semble, toutefois, que l’Eglise ait quelque peu, en pratique,
adouci la sévérité de cette défense ; car, à l’heure actuelle,
« on accorde sans trop de peine que le Maître des Novices
puisse être leur confesseur habituel, du moment qu’ils ont
pleine liberté de s’adresser à un autre » (R. C. R., nov.-déc. 1951,
p. 201).
Même prohibition rigoureuse, en direction spirituelle, ou en
d’autres temps, de provoquer, de quelque façon que ce soit,
des « ouvertures de conscience » (Canon 530). Ainsi donc l’auto­
rité du P.-Maître — à moins d’une ouverture spontanée ou à
la demande expresse du Novice — s’arrête sur le seuil même
de la conscience.

4. Limites. Pour être unique et plénière, Pautorité du Maître


des Novices n’implique point une autonomie absolue, une totale
indépendance et Vabsence de tout contrôle. Elle a ses limites
fixées par le Droit général ou particulier, et qu’elle ne peut
franchir sans verser dans des abus de pouvoir, usurper des
droits qu’elle s’attribue indûment.
a) En dehors du Noviciat, Maître et Maîtresse ne jouissent
d'aucune autorité dans la communauté en général et sur chacun
de ses membres en particulier. Rien ne les autorise à intervenir
dans le gouvernement, l’administration, la marche, l’observance
régulière de la maison ou du monastère. Au milieu de leurs
frères et de leurs sœurs, ils ne sont que de simples religieux,
comme tous les autres. « Unus inter pares. »
b} Dans la mesure où le Noviciat s’insère dans la commu­
FONCTIONS DU PÈRE-MAITRE 297
nauté et fait corps avec elle, Maître et Novices doivent se
soumettre à la discipline générale (Canon 561).
c) La formation donnée au Noviciat n’est pas laissée au
libre arbitre ou à la fantaisie du formateur. Elle doit être de
tout point conforme à la Règle, à l’esprit, aux traditions et à
la spiritualité de l’institut. « Il n’est donc pas question ici de
vues ou d’idées personnelles. La Maîtresse ne bâtit pas une
communauté à venir selon ses conceptions et désirs ; elle ne
fait pas son œuvre, mais elle est au service du corps social
qui lui a confié un rôle particulièrement important » (R. C. R.,
sept.-oct. 1950, pp. 145-146).
d) Ses pouvoirs sauvegardés et ses droits respectés, le Père-
Maître, en tout ce qui concerne sa vie et ses obligations person­
nelles de religieux, dépend comme tous les autres du supérieur
local.
e) L’autorité du Maître et de la Maîtresse du Noviciat
est subordonnée en son exercice à celle des Supérieurs Majeurs
et du Visiteur, qui ont droit de contrôle et, au besoin, d'inter­
vention. Chaque année, selon la norme des Constitutions, un
rapport doit leur être fourni — loyal et circonstancié — sur
le comportement de chaque Novice (Canon 563).

II. EXERCICE DE L’AUTORITÉ

L’Autorité n’est conférée aux Maître et Maîtresse du Novi­


ciat qu’en vue de leur mission de formateur. Et c’est par l’exer­
cice même de cette autorité qu’ils vont coopérer avec Dieu
et avec le Novice à une œuvre commune d’éducation religieuse.
Toutes leurs activités formatrices, qui ont leur principe et
trouvent leur justification dans leur autorité professionnelle, se
ramènent à une triple fonction : gouverner, enseigner, diriger
(Direction spirituelle).
i. Gouvernement. Mis d’office à la tête du Noviciat,
qui constitue une famille, une petite société, il appartient au
P.-Maître de la gouverner au mieux, au point de vue matériel
et spirituel, disciplinaire et administratif. Un bon gouverne­
ment, tout à la fois prudent, ferme et paternel, créera dans
la communauté un climat d’ordre, de paix, d’entente frater­
nelle, de régularité, et contribuera grandement à une excellente
formation.
Rien de mieux, semble-t-il, que de prendre modèle, dans
son gouvernement, sur celui de l’Eglise qui, par l’exercice
298 MAITRES-OUVRIERS

de sa puissance législative, judiciaire et coercitive, dirige vers


Dieu, sous l’inspiration de l’Esprit-Saint, l’assemblée univer­
selle des chrétiens.
a) Sans jouir du pouvoir législatif, Maître et Maîtresse ont
du moins le droit et le devoir de rappeler, de commenter, d’imposer
à tous les Règles et les Constitutions, ainsi que le règlement
particulier du Noviciat, et de former leurs disciples à une fidèle
et loyale observance régulière.
Leur appartient aussi le pouvoir de commander, de défendre,
de diriger la marche de la communauté et d’organiser ses mul­
tiples activités.
Par leur autorité et leur intervention, protéger leur trou­
peau contre toutes les forces de division et de contamination :
antipathies, malentendus, heurts, rancunes, jalousies, esprit de
dénigrement, de critique, de domination ; et maintenir, envers
et contre tout, Vunité des esprits et des cœurs dans la vérité
et dans la charité.
6) Relève encore de l’autorité gouvernementale le droit —
selon les règles de la prudence, de la justice et de la charité —
de juger la personne et la conduite individuelle et communau­
taire de chaque Novice ; de se rendre compte de ses défauts
de tempérament et de caractère, de ses tendances acquises
ou ataviques ; d’apprécier le bien-fondé de ses exigences ou de
ses plaintes ; de reconnaître l’opportunité ou non de ses initia­
tives personnelles ; d’interpréter ses attitudes, ses silences et
son comportement en certaines circonstances. Droit encore
d’information, de contrôle, de surveillance, sans prendre jamais
des allures de policier ou d’inquisiteur. Droit même, en certains
cas, de soupçonner le mal, afin de le prévenir.
c) Au besoin, user de son autorité — soit en public, soit
en privé — pour avertir, reprendre, corriger et, s’il le faut,
recourir à de graves sanctions, telles que la mise à l’écart de
la communauté ou le renvoi du Noviciat. Cela avec prudence,
discrétion, bonté, force aussi, mais sans dureté ni colère, uni­
quement pour sauvegarder le bien commun et favoriser l’amen­
dement du coupable. Sans oublier non plus la clémence et le
pardon.
A cette action gouvernementale, qui peut lui paraître parfois
gênante et austère, le Novice se pliera avec loyauté et géné­
rosité, sachant qu’elle s’exerce non pas contre lui, mais pour
lui, pour le bien général de la communauté et à son avantage
personnel.
FONCTIONS DU PÈRE-MAITRE 299
2. Enseignement. L’enseignement est une des fonctions
les plus importantes du Maître des Novices. De sa qualité
dépend en grande partie la valeur d’une formation religieuse.
a) But. L’enseignement donné au Noviciat a pour but de
faire connaître au Novice l’état religieux dans son intégrité,
sa beauté, ses exigences ; de l’aider à se faire un idéal de perfec­
tion et une mentalité surnaturelle, à acquérir des convictions
de base ; par là, de le préparer à émettre ses vœux en pleine
lumière et de prendre un beau départ.
b) Programme. Ce programme est forcément restreint, parce
que conçu directement et uniquement en fonction du Noviciat.
Programme préparatoire. Quelques entretiens préliminaires
sur le Noviciat, sa nature, ses éléments, son rôle, sa fin, et
sur le travail personnel qu’il réclame du jeune religieux.
Programme central. Etude de Vascèse, de l’état religieux en
général et de la vie propre de l’institut. Insister sur les éléments
fondamentaux et essentiels de la vie religieuse : Règles et Consti­
tutions, vœux, esprit de prière et d’oraison, vertus, mortifi­
cation extérieure et intérieure, déracinement des passions et
des vices, maîtrise de soi-même, acquisition et développement
de la vie intérieure (Canon 565, § 1).
Programme complémentaire. Notions générales de théologie
dogmatique et morale, de liturgie, d’Ecriture Sainte, d’Apolo­
gétique, d’Histoire de l’Eglise.
c) Méthode. User de la méthode rigoureusement didactique;
synthétique plutôt cpi’analytique ; tout à la fois doctrinale et
pratique; concrète bien plus app abstraite ; active et passive,
exigeant de l’élève, outre l’attention et la docilité, un travail
personnel et contrôlé de réflexion, d’assimilation et d’approfon­
dissement ; socratique. « Pour éveiller l’attention, des Mères-
Maîtresses de Novices usent de l’interrogation, de la sugges­
tion qui suscite des réactions, sollicite les questions, plutôt
que des exposés serrés » {Pour les Maîtresses des Novices, ch. VI,
p. 102).
d) Caractères d’un enseignement qui doit être : élémen­
taire — ce qui ne veut pas dire superficiel — et qui sera
complété plus tard, durant la seconde et troisième formation ;
traditionnel et sûr, étranger aux nouveautés dangereuses et aux
théories aventureuses ; conforme à la spiritualité de l’Ordre et
à la doctrine du fondateur ou de la fondatrice ; positif plutôt
que négatif, peu soucieux de s’arrêter longuement à la réfu­
tation de l’erreur ; adapté par sa clarté à l’intelligence de tous ;
ouvert à la mentalité moderne, non pas pour la rejeter ou
3oo MAITRES-OUVRIERS

l’accepter en bloc, mais pour l’utiliser et, au besoin, la


rectifier.
3. Direction Spirituelle. La double .autorité gouverne­
mentale et professorale du P.-Maître en appelle une autre qui
les complète et les couronne : l’autorité pastorale ou « Direc­
tion Spirituelle ». Des trois, elle est, sinon la plus essentielle,
du moins la plus efficace.
Une formation qui s’arrêterait à l’extérieur : bon ordre,
discipline régulière, comportement communautaire, ne serait
plus qu’une école de dressage et une affaire de police. De sa
nature, elle est œuvre intérieure, « chose d’âme », qu’elle atteint
dans ce qu’elle a de plus profond, et dans l’activité surnaturelle
de toutes ses puissances.
Elle est une « prise en charge » du Novice, pour tout ce qui
concerne — hormis la conscience — le développement de
sa vie spirituelle et religieuse. D’office, chargé de la formation
morale de ses disciples, le P.-Maître a le droit et le devoir d’inter­
venir dans l’intime de leur âme, pour sauvegarder, promouvoir
et intensifier leur travail personnel de sanctification.
Qui tente en haute montagne une escalade dangereuse
s’encorde à un professionnel des cimes qui lui servira de guide,
d’éclaireur, d’entraîneur, de porteur, de soutien, de ravitailleur
et parfois, dans les passes difficiles, de sauveteur.
Toutes ces fonctions, le Directeur les remplit à l’égard de
son dirigé. La direction s’exerce sur le plan intellectuel, affectif
et volitif, c’est-à-dire, sur l’âme tout entière.
a) Plan intellectuel. Dans son conditionnement et dans son
exercice, la direction spirituelle est une œuvre de lumière, de
vérité et de franchise.
Elle suppose tout d’abord la « découverte » d’une âme, de
ce qu’elle est et de ce qu’elle vaut; de ses pensées, aspirations,
sentiments, tendances, mouvements intérieurs, passions, défi­
ciences, qualités naturelles et vertus surnaturelles. Comment,
en effet, travailler de concert avec une âme et sur une âme
qu’on ne connaît point ?
Le P. Maître s’efforcera donc, en interrogeant son Novice
avec prudence, tact et bonté paternelle, d’établir l’inventaire
de ses disponibilités intellectuelles et morales, de se rendre
compte de ses dispositions intimes, de son attitude à l’égard
de sa vocation et de l’institut ; de son adaptation à la vie
commune et à l’esprit de l’Ordre ; de son culte intérieur pour
la Règle et les Constitutions ; de sa fidélité et ferveur à recevoir
les Sacrements, de son esprit de prière et d’oraison ; de sa
FONCTIONS DU PÈRE-MAITRË 301

générosité dans le travail de la vertu, de ses difficultés dans


la pratique de la pauvreté, de la chasteté, de l’obéissance, de
sa vie intérieure et de son degré d’union avec Dieu, etc.
A cette auscultation d’âme, qui n’a rien d’une enquête
judiciaire, le Novice, non seulement se prêtera volontiers, mais
encore s’offrira spontanément. Ici encore, il se doit à lui-même
et à l’institut d’apporter une collaboration loyale et sincère.
A lui, d’ouvrir son âme toute grande, sans se contenter de
l’entre-bâiller. Par son silence, ses réticences, ses réserves ou
de fausses déclarations et confidences, égarer, tromper son
directeur et fausser son diagnostic pourrait avoir de graves
conséquences pour sa formation, voire sa persévérance.
Parfaitement informé, le P.-Maître pourra avec plus de
sûreté guider son disciple dans les voies spirituelles, compléter
et préciser pour lui son enseignement public ; l’éclairer pour
la conception de son idéal-programme et l’élaboration d’une
mentalité religieuse ; répondre à ses objections, dissiper ses
doutes, résoudre ses difficultés ; former son jugement et sa
conscience ; le garder de certaines illusions ou tentations ; lui
apprendre à tirer parti de ses épreuves, de ses échecs, de ses
fautes ; lui apprendre à penser par lui-même, à prendre une
décision et agir de son propre mouvement, etc.
b) Plan affectif et volitif. Dans le développement de sa
vie spirituelle et le travail de sa formation, le Novice a peut-
être plus besoin encore d’aide morale. Il la trouvera chez son
P.-Maître, toujours prêt — comme c’est son devoir — à lui
prêter main-forte, pour entretenir et renforcer sa décision de
tendre à la perfection et de réaliser progressivement et géné­
reusement son idéal de vie religieuse ; pour/rezner aussi certains
emballements juvéniles, ou secouer la torpeur de tempéraments
apathiques et de volontés paresseuses.
A lui encore d’entraîner tout son monde — premier de
cordée — d'encourager, de consoler, de réconforter, de relever.
A l’occasion même, il saura commander, reprendre, corriger ;
non plus, en ce cas, en vertu de sa puissance gouvernementale,
mais en tant que Père spirituel.
Son assistance morale prendra toutes les formes et usera
de tous les moyens : exhortations, bon exemple, sympathie ;
offrande à Dieu, pour tous ses fils, d’une prière quotidienne
et fervente, des sacrifices inhérents à sa charge et, au besoin,
de pénitences afflictives.
302 MAITRES-OUVRIERS

i. Quelle doit être l’attitude du novice en


face de la triple autorité du P.-Maître ?
2. Quelle différence entre l’autorité du Supé­
rieur local et celle du P.-Maître ?
3. Le contrôle et la surveillance du P.-Maître
sont-ils un devoir de prudence, de charité
et de justice ?
4. Le Novice est-il tenu de s’y soumettre
loyalement et de ne rien faire pour s’y
soustraire ?
5. Dans la direction spirituelle, l’autorité du
P.-Maître s’étend-elle aux scrupules,
doutes de conscience, tentations ?
6. Pourriez-vous citer quelques cas où le
Novice est autorisé à se confesser au Père
Maître ?
7. Quelle différence entre la direction spiri­
tuelle reçue dans le monde et celle donnée
au Noviciat ?
8. Une Novice peut-elle continuer à recourir
à son ancien directeur ?
9. Quelles peuvent être, pour un Novice, les
conséquences graves d’un manque ou d’un
refus déguisé de direction ?

Pie XII, Exhortation Menti nostrae, 23 septembre 1950. — Enchi­


ridion de Statibus Perfectionis. Index « Magister Novitiorum », p. 646.
Formation Doctrinale des Religieuses ; Pour les Maîtresses des Novices,
Editions du Cerf. — Cormier, L’Instruction des Novices, IIe Partie,
ch. IV, art. vu. — Vermeerch-Creusen, Epitome Juris Canonici, Pars II,
titulus XI, Cap. Il, art. II. — Schaefer, De Religiosis, Pars VI, ch. v.
— Creusen, Religieux et Religieuses. — P. Colin, Livre des Supérieurs.
— De Guibert, Leçons de Théologie Spirituelle, XXXe et XXXIe Leçons.
— Acta et Documenta Congressus Generalis de Statibus Perfectionis,
t. IV. Index, « Magister », p. 379, « Formatio », 374 ; « Educatio »,
PP- 372, 373-
R. C. R. 1936, 185 ; mai-juin, juillet-août, sept.-octobre 1950 :
« La Maîtresse des Novices selon le Code, » Delchard ; mars-avril 1952,
« Les Entretiens Spirituels », 52, Bergh ; mars-avril 1954, « Direction
spirituelle et compte de conscience », p. 48, Bergh-Helbo ; novembre-
décembre 1957, 218, « Formation des Maîtresses des Novices ». —
Forma Gregis, décembre 1949 à juillet 1950, « Face aux âmes à former,
Motte. Méditation pour les Mères-Maîtresses ; octobre 1957-juillet 1958,
« Servante du Seigneur », Motte ; Mai 1952, « For externe et for interne »,
P. Tonneau ; février 1959, « La Direction spirituelle des Novices,
P. Paul de la Croix, O. C .D.
TRENTE-CINQUIÈME LEÇON

MÉTHODE DE FORMATION

Une dans sa structure essentielle, la formation donnée au


Noviciat revêt bien des modalités et comporte de nombreux
degrés. A côté d’excellentes, plus d’une peut se révéler médiocre
ou « manquée ».
De cette diversité, multiples sont les causes : naturelles
et surnaturelles, extérieures ou intérieures.
La valeur d’une éducation religieuse dépend en grande
partie de ses différents agents. Du côté de Dieu, abondance
ou parcimonie de grâces ; de la part du Novice, pénurie ou
richesse d’équipement, avec son utilisation plus ou moins active
et heureuse ; chez le Maître ou Maîtresse, valeur morale et
qualités professionnelles fort inégales : autant d’éléments qui
influent en bien ou en mal sur le développement et la perfec­
tion d’une formation religieuse.
Mais, ce qui, en plus d’un cas, pourrait la compromettre,
ne serait-ce point un certain manque de Méthode? Droiture
d’intention, dévoûment, savoir, vertu même ne suffisent point
pour en assurer la réussite. Il y faut encore du « savoir-faire ».
Science et art tout à la fois, la formation, religieuse doit
avoir, elle aussi, ses Principes fondamentaux, ses Règles essen­
tielles, ses Procédés spéciaux ; bref, toute une technique que
l’on ne peut ignorer ou négliger sans s’exposer, dans l’immé­
diat, à des résultats amoindris et, pour l’avenir, à de graves
mécomptes.
Entre des mains expérimentées, une bonne méthode restera
toujours un excellent outil de travail et un gage sérieux de
succès.
304 MAITRES-OUVRIERS

I. PRINCIPES DE BASE
« Il faut que l’éducation et la formation des jeunes religieux
soient pleinement assurées, éclairées, solides, complètes,, adaptées
sagement et avec confiance aux besoins d’aujourd’hui, soit
intérieurs, soit extérieurs, cultivées assidûment et attentivement
suivies, non seulement en ce qui concerne la perfection de la
vie religieuse, mais encore de la vie sacerdotale et apostolique »
(Pie XII, Constit. Apost. « Sedes Sapientiae », 31 mai 1956).
Toutes qualités qui supposent certains principes fondamen­
taux, en dehors desquels on ne peut que construire à faux
et bâtir sur le sable. « Comme un sage architecte, j’ai posé
le fondement » (I Cor., III, 10).
1. Formation religieuse, œuvre essentiellement sur­
naturelle. De cette vérité — pierre d’angle de l’édifice —
Maître et Maîtresse du Noviciat seront tout d’abord profon­
dément convaincus. Surnaturelle en elle-même, dans son prin­
cipe, ses moyens, son terme, cette formation ne tend à rien
de moins qu’à l’épanouissement de la vie divine, dans un cadre
religieux. Elle relève donc avant tout et de toutes façons de
Dieu et de sa grâce; éducateur et disciples n’étant au service
de la Cause première que des agents secondaires, subordonnés,
encore que nécessaires.
De ce dogme se dégage une double conclusion pratique.
à) Souci chez le Maître et le Novice de provoquer un
afflux constant et puissant de grâces divines, par la prière,
l’oraison, les Sacrements, une vie intérieure intense de foi, de
confiance et d’amour.
b) Chez l’un et chez l’autre, coopération généreuse et perma­
nente à l’action de Dieu ; le premier, en exerçant au mieux
ses fonctions de gouvernement, d’enseignement et de direction;
le second, en s’efforçant de s’initier, sous la conduite de son
guide, à la perfection de la vie religieuse.
2. Union du Naturel et du Surnaturel. Pour être essen­
tiellement surnaturelle, la formation religieuse n’exclut point
pour autant Y élément naturel. Au contraire, elle le suppose et
le postule à titre de préparation, de soubassement et d’agent
auxiliaire. Dons d’intelligence, de volonté, de caractère, d’apti­
tudes artistiques et sociales ; vertus humaines acquises et déve­
loppées : toutes ces forces doivent trouver leur place et s’inté­
grer heureusement dans une éducation religieuse. Un vrai
formateur n’aura garde de l’oublier.
MÉTHODE DE FORMATION 305

Exploitées judicieusement, ces puissances naturelles vont,


au service de la grâce, se révéler de précieux adjuvants. Une
solide culture humaine ne peut que préparer, soutenir et ren­
forcer une excellente formation religieuse.
Celle-ci « doit embrasser l’homme tout entier, sous tous
les aspects de sa vocation, de manière à en faire de toute façon
réellement » un homme parfait dans le Christ Jésus » (Col.,
I, 28) — « Il ne faut absolument rien négliger de tout ce qui
peut être utile de quelque façon pour parfaire le corps et l’âme,
cultiver toutes les vertus naturelles et former virilement un
type d’homme complet, en sorte que, ensuite, la formation,
soit religieuse, soit sacerdotale, s’appuie sur ce fondement très
solide d’une honnêteté naturelle et d’une humanité cultivée »
(Pie XII, Const. Apost. « Sedes Sapientiae », 31 mai 1956).
Encore faut-il se prémunir contre certaines erreurs extrê­
mement dangereuses, signalées par Pie XII. Considérer la
culture humaine, non plus comme un moyen, mais une fin
en soi; user sans discrimination des théories modernes d’édu­
cation, ne serait-ce point verser dans un vague humanisme
semi-païen ?
Danger encore de céder à 1’ « esprit naturaliste », en donnant
aux moyens humains de formation une place prépondérante,
au détriment des « ressources surnaturelles, telles que les
sacrements, la prière, la mortification et autres du même genre,
non seulement nécessaires, mais primordiales et tout à fait
essentielles » (L. c.).

3. Formation propre à l’Ordre : autre vérité de base,


que l’éducateur ne doit jamais perdre de vue. Il ne lui est
point loisible, en eifet, d’élever ses Novices selon un idéal,
un programme, des méthodes, des pratiques ascétiques person­
nelles ; de leur donner un enseignement et de leur inculquer
un comportement de vie religieuse en opposition, ou simplement
en marge de la Règle et des Constitutions (Canon 565), de
l’esprit de l’Ordre, de sa spiritualité, de son apostolat. La for­
mation qu’il donne doit être essentiellement traditionnelle. Agir
autrement serait tomber dans une « espèce d’hérésie ». Ce serait
trahir son mandat, tromper la confiance de ses disciples, compro­
mettre l’unité doctrinale et sociale de l’institut et préparer
pour l’avenir des germes de scission, voire de schisme.
Maître et Maîtresse du Noviciat ne sont que des « délégués »,
chargés d’accomplir une œuvre, non point personnelle, mais
officielle de formation, dans le cadre de la Législation de l’Ordre,
et selon les directives de l’Autorité supérieure.
20
3o6 MAITRES-OUVRIERS

II. TECHNIQUE D’UNE FORMATION RELIGIEUSE

La formation religieuse est une œuvre extrêmement compli­


quée et délicate qui, pour être menée à bien, réclame une tech­
nique, c’est-à-dire, un ensemble de lois intellectuelles et morales
destinées à guider, simplifier et renforcer le travail de l’éducateur.
Adaptation, Réalisme et Idéalisme, Fermeté et Douceur,
Equilibre et Harmonie, Efforts et Progrès.

i. Adaptation. C’est là une des lois, les plus importantes


et des plus délicates dans son application, de toute formation
religieuse. Immuable dans ses principes fondamentaux et iden­
tique dans ses éléments essentiels, celle-ci doit cependant se
diversifier, se modifier, en s'adaptant à tous et à chacun en
particulier. Il y a autant de formations morales que de physio-,
nomies humaines. Chacune a ses caractères singuliers et distinctifs.
a~) Tout homme a sa personnalité, sa constitution, son tem­
pérament, son caractère ; ses dons, ses aptitudes, comme ses
défauts et ses déficiences ; ses goûts, ses tendances bonnes ou
mauvaises, résultat de l’éducation première ou de l’influence
du milieu. Maître et Maîtresse tiendront compte de tous ces
éléments multiples et divers. Leur action formatrice — gouver­
nement, enseignement, direction — identique pour tous et
de portée universelle, ne pourra cependant s’exercer toujours
de la même façon et avec la même intensité. Selon la nature et
les dispositions du sujet « éduqué », elle devra se compléter ou ■
se préciser, se raidir ou s’assouplir, s'adoucir ou se renforcer,
bref, s’adapter. D’universelle qu’elle était, elle va « s’indivi­
dualiser ».
6) Dans son action formatrice, l’éducateur doit aussi tenir
compte des différents degrés et aspects multiformes de la vie
spirituelle : états d’oraison et d’union à Dieu, inspirations
divines, motions de l’Esprit, appels à une sainteté supérieure.
Dieu a ses desseins sur chaque âme, et c’est en vue de leur
réalisation qu’il lui accorde des grâces singulières, voire excep­
tionnelles. En réalité, tout religieux aurait une double vocation,
l’une commune et l’autre tout à fait personnelle. Tout le rôle
du Maître des Novices ne consisterait plus, dès lors, qu’à
collaborer fidèlement et en sous-ordre à l’épanouissement et à
la fructification de cette double vocation.
Saint Ignace inculquait à ses fils ce principe : « C’est une
conduite pleine de péril de vouloir mener toutes les âmes à
la perfection par le même chemin. Qui agit de la sorte ne com­
MÉTHODE DE FORMATION 307
prend pas combien variés et multiples sont les dons du Saint-
Esprit. »

2. Réalisme et Idéalisme. En toute formation religieuse,


partir du réel, pour tendre ensuite à l’idéal.
S’efforcer de connaître exactement une âme, ce qu’elle est,
ce qu’elle vaut, de quoi elle est capable, pour en tirer ensuite
tout ce que l’on peut. Ne point, dès l’abord, se montrer trop
exigeant ; se contenter du possible immédiat, fût-il médiocre.
Se servir du réel comme d’un tremplin, pour rebondir
vers l’idéal. Un des premiers soucis du Novice est de se faire
un bel et haut idéal de sa vie religieuse. A ses Maître et Maî­
tresse, par leur enseignement et leur direction spirituelle, de
le lui révéler, de le lui remettre sans cesse devant les yeux
et de l’entraîner, soutenir dans cette interminable ascension.

3. Fermeté et Douceur dans l’œuvre d’éducation religieuse.


Fermeté, non point sévérité, dureté, violence, colère, auto-
cratisme, mais une force maîtresse d’elle-même, tempérée d’humi­
lité, de patience, de condescendance, de bonté. Une autorité
qui sait gouverner et se faire obéir ; qui jamais, dans l’exercice
de ses fonctions, ne biaise, ne recule par crainte, lâcheté, respect
humain. Autorité d’un Chef et d’un Père qui sait parler sans
faiblesse, commander sans orgueil, avertir sans blesser, corriger
sans irriter, redresser sans briser, secouer sans bousculer.

4. Equilibre et Harmonie. Il en est de l’homme spirituel


comme de la personne humaine. Tous les éléments multiples
qui les constituent n’ont ni la même dignité, ni la même impor­
tance. La formation religieuse, en son développement, comporte
une hiérarchie à respecter et un ordre à sauvegarder. Hiérarchie
de valeur et ordre d’exécution.
a) Sans négliger les côtés secondaires ou minimes de la
vie spirituelle, il importe d’insister tout d’abord sur ce qu’elle
a de fondamental et d’essentiel.
Au lieu de s’arrêter outre mesure aux menues observances
des Constitutions et prescriptions du Directoire, en des commen­
taires sans fin, appuyer longuement et fortement sur l’Esprit
de la Règle, la nature, le rôle et la pratique des vœux. Avant
les qualités intellectuelles et sociales, l’étude des rubriques
ou du plain-chant, la culture des grandes vertus religieuses,
de la foi, de la confiance et surtout de la charité. S’inquiéter
bien plus des exercices de la vie intérieure que du comportement
extérieur et disciplinaire.
3o8 MAITRES-OUVRIERS

è) Il importe aussi et grandement, dans le développement


de la vie spirituelle, de s’en tenir à l’ordre ascendant des trois
voies traditionnelles : purgative, illuminative et unitive. Encore
que ces états d’âme soient solidaires les uns des autres et doivent
se perfectionner simultanément — comme dans un arbre, les
racines, le tronc et les branches — il serait sage cependant
de commencer par le commencement. Vérité de la Palisse, que
d’aucuns semblent avoir oubliée.
Une tendance, en effet, à l’heure actuelle, se manifeste,
chez plus d’un, de viser immédiatement au pur amour et à
l’union passive, quitte à sauter à pieds joints par-dessus la voie
purgative, et à faire peu de cas de la voie illuminative. Il sem­
blerait que la charité, plénitude de la loi, puisse tenir lieu de
toutes les règles particulières de moralité, remplacer la pra­
tique des humbles et petites vertus morales et dispenser de
toutes les broutilles d’observance. L’amour du Christ suffit à
tout. Et, à l’appui de leur dire, et comme justification de leur
conduite, ils citent volontiers, en en faussant le sens, la parole
de saint Augustin : « Ama et quod vis fac ».
Au Directeur de surveiller cette déviation ascétique extrê­
mement dangereuse, d’en découvrir les moindres manifestations
et d’y remédier au plus vite.
5. Efforts et Progrès. « Duc in altum ». Si le P. Maître
tient le gouvernail, c’est aux Novices à manier vigoureusement
la rame. La formation est sans doute une œuvre personnelle;
mais, dans ce travail, l’action de l’éducateur doit partout et
toujours se faire sentir, discrète, invisible, efficace. Le Novi­
ciat est une école de préparation et d’initiation à la vie religieuse,
qui n’est elle-même que tendance à la perfection. L’ascension,
par un sentier étroit « arcta est via » et grimpant, ne va pas
sans difficulté : il y faut beaucoup d’effort, de courage et de
persévérance. Un guide sera toujours là pour encourager, sou­
tenir, relever, entraîner tout son monde et le tenir en haleine.

HI. FORMATION A SON TERME


Considérée, non plus en ses conditions et sa technique,
mais dans ses résultats, la formation religieuse se révèle plus
ou moins comme une réussite. Parfaite, elle revêt un triple
caractère d’intégrité, de solidité, d’intériorité.
1. Intégrité. « Bonum ex integra causa, malum ex quo­
cumque defectu. » « C’est un devoir moral de ne rien négliger
des ressources du corps et de l’esprit, et d’en cultiver l’ensemble
MÉTHODE DE FORMATION 309

dans un juste équilibre et dans un ordre harmonieux » (Hàring,


La Loi du Christ, Première Partie, Tit. I, Ch. I, p. 106).
Une vraie formation doit être « complète ». Nous disons
bien « complète », non pas achevée; car, elle est toujours en
voie d’évolution et de perfectionnement. Inaugurée dès l’entrée
en religion, elle devra ensuite se continuer durant toute la
période qui s’étend des vœux temporaires à la profession per­
pétuelle... et au-delà.
Le Noviciat — et la formation qui s’y donne — est tout
à la fois une préparation et un essai de vie religieuse. C’est
à ce double point de vue qu’il faut se placer pour juger de
l’intégrité d’une formation.
a) Préparation à la première profession. Si le Novice apporte
à cet acte capital, qui clôt sa probation, des dispositions telles
qu’il puisse le poser en plénitude de lumière, de force et d’amour;
si la donation qu’il va faire de lui-même est une oblation totale,
sans réserve, irrévocable, le grand sacrifice de sa vie, il est
permis d’affirmer que sa formation — dont cette profession
est l’aboutissement et le couronnement — a été vraiment ce
qu’elle devait être, une œuvre parfaite. On juge l’arbre à ses
fruits.
b) Essai de vie religieuse. Complète, la formation le sera,
encore si aucun de ses éléments essentiels ou secondaires n’a
été oublié ou négligé ; si le programme intellectuel, moral et
religieux qu’a dû élaborer le P. Maître a été enseigné intégra­
lement, appliqué sur toute la ligne, et réalisé au mieux ; si,,
dans la structure initiale de l’édifice, aucun matériau ne manque
et rien ne porte à faux.

2. Solidité. Avant de meubler et d’orner une maison, il


importe tout d’abord de la bâtir solidement. Au contact de
la vie réelle, et sous l’influence de causes multiples, certaines
formations ne résistent pas et commencent aussitôt, à la sortie
du Noviciat, à fléchir et à se dégrader. Semblables à ces arbustes
de serre chaude qui, transplantés en plein vent, ne font que
dépérir.
Il s’agit donc de doter la formation du jeune religieux d’une
solidité à toute épreuve. A cette fin, lui donner comme fonde­
ment la pureté, et comme armature, la charité.
a) Pureté de conscience. La solidité d’un édifice dépend tout
d’abord de la puissance et stabilité de ses assises. Au jugement
de tous les docteurs et maîtres en spiritualité, une exquise et
inviolable pureté de conscience doit être le fondement nécessaire
3io MAITRES-OUVRIERS

et immuable de toute sainteté, et donc, de toute formation


religieuse.
« Vous savez que la première pierre de Védifice, c’est une
bonne conscience, la fuite de tout péché, même véniel, et là
recherche du plus parfait » (Ste Thérèse, Le Chemin d.e la Perfec­
tion, Oeuv., t. V, ch. V, p. 65).
La première résolution d’une âme qui veut se sanctifier
« doit être de tout souffrir et de mourir plutôt que de commettre
un péché délibéré, quelque petit qu’il soit » (S. Alphonse,
Pratique de l’Amour envers Jésus-Christ, ch. VIII, 614).
Aussi, le grand Docteur exigeait-il des Formateurs des
Novices et Scolastiques de sa Congrégation « d’élever la jeu­
nesse religieuse dans le culte d’une exquise pureté de conscience.
(Voir Regula, SS. Redemptoris, n° 1105, n° 1100 ; voir aussi
Leçon X).
A la chrétienne Celantia, qui sollicitait un programme de
perfection, saint Jérôme répondait : « Si vous voulez élever,
non pas sur le sable, mais sur le roc, un haut édifice de sain­
teté, mettez tout d’abord à la base Vinnocence de votre vie :
« Innocentiae imprimis fundamentum ponatur » (Migne, XXII,
Lettre CXLVIII, col. 1207).
Que si un Novice — avec l’aide de son P.-Maître — a su,
durant sa probation, poser cette première pierre et forger cette
première résolution dont nous venons de parler, il pourra se
rendre témoignage qu’il a fourni un excellent travail et donné
à sa formation un caractère de robustesse, gage pour l’avenir
de ferveur et de persévérance.
b) Armature de charité. Il ne restera plus, pour assurer
toute sa vigueur à une formation religieuse, que d’ajouter à
la solidité de son fondement une armature de charité. A cette
fin, dès le début du Noviciat, orienter toute la vie spirituelle
vers le Christ, et la centrer immuablement sur son amitié.
« Omnia et in omnibus Christus (Col., III, 11). « Le rôle de
l’éducateur (maître et compagnon) est d’aider ses jeunes frères
à mettre au cœur de leur liberté un Amour, une Personne,
le Christ » (La Vie Spirituelle, Supplément n° 46, 3e trimestre
1958, p. 247). Garder à l’amour sa primauté absolue et uni­
verselle, non seulement dans l’ordre de 1’ « être », mais encore
dans l’ordre de 1’ « action ». Transformer toutes les activités
morales — pratique des conseils évangéliques, observances
régulières, travail des vertus — en exercice et en œuvres de
charité. « Omnia vestra in caritate fiant » (I Cor., XVI, 14).
Par la parfaite conformité à la volonté de Dieu, grâce à la pureté
d’intention habituelle — gloire divine, bon plaisir du Christ,
MÉTHODE DE FORMATION 3II

salut des âmes — se faire une belle vie d'amour, où tout est
amour, parce que tout vient de l’amour et tout va à l’amour.
Cet envahissement progressif de la charité dans une vie
religieuse va lui conférer tout à la fois simplicité, unité, gran­
deur, fécondité et surtout une puissance admirable de résis­
tance et d'action. Semez le Christ, a-t-on dit, dans une âme,
et vous récolterez l’héroïsme. « L’amour est cette chaîne d’or
qui unit les âmes à Dieu, les affermit dans l’habitude de
repousser les tentations et de pratiquer les vertus » (S. Alphonse,
Avertissement au prédicateur, t. XIII, p. 439). — « La divine
charité triomphe de tout et décuple les forces de l’âme »
(Jmit., Lib. III, ch. 9, n° 3). — « Le Christ est notre armure »
(S. Jérôme, lit. ad Aug. Migne, XXI, col. 916).

3. Intériorité. La formation doit être œuvre de fond et


non de surface. A la juger par l’extérieur, l’existence du cloître
implique une multitude d’éléments divers : attitudes, gestes,
points d’observance, emplois, charges, exercices privés ou
communs ; relations personnelles ou sociales, office divin avec
son cérémonial minutieux, bref tout un comportement de vie,
individuel et collectif, stéréotypé et conventionnel. Or, tout
cela n’est que la façade visible d’un édifice, qui peut être bâti
aussi bien en marbre ou en granit qu’en tuf ou en carton.
S’attacher particulièrement — au détriment du reste — à
ce côté apparent des personnes et des choses, ne serait-ce
point s’exposer à verser dans le conformisme, le mimétisme,
la routine, voire le pharisaïsme ?
La formation ne consiste point dans une « contenance »,
mais dans un « état d’âme ». Elle n’est ni du « plaqué », ni du
« simili », ni du « vernis », mais œuvre profonde de redressement
et de transformation morale. Elle doit viser avant tout à faire
1’ « homme intérieur », l’homme de pensée, de cœur, de volonté,
de caractère, de foi, de charité, de vertu ; « l’homme spirituel,
l’homme religieux ». Il faut toujours se méfier des apparrences,
car l’apparence trompe.

1. Qu’entend-on par méthode en général et


quels en sont les avantages ?
2. La direction spirituelle se prête-t-elle plus
particulièrement à un travail d’adap­
tation ?
312 MAITRES-OUVRIERS

3. Quel est le rôle du « réel » et de 1’ « idéal »


dans l’élaboration d’un programme de vie
spirituelle ?

4. Quel est le sens exact de la parole de saint


Augustin : « Ama et quod vis fac ? »

5. Pour équilibrer et harmoniser les différents


éléments d’une formation, faut-il tenir
compte de la nature, de l’esprit propre,
des vertus caractéristiques de chaque Ins­
titut ?

6. N’y aurait-il pas tendance, à l’heure


actuelle, sous prétexte de prudence, à
demander trop peu aux Novices et à ne
pas faire suffisamment appel à leur esprit
de générosité ?

7. Quels sont les rapports entre la formation


intérieure et la culture extérieure ?

Pie XII, Const. Apost. Sedes Sapientiae, 31 mai 1956. — Enchiri­


dion de Statibus Perfectionis. Index « Educatio », p. 372 ; « Formatio »,
374 ; « Magistri », 379.
De Guibert, Leçons de Théologie Spirituelle, Leç. XXIX. ; Pour
les Maîtresses des Novices, Editions du Cerf. — Ronsin, Pour mieux
gouverner. — P. Colin, Culte de la Règle, ch. I. — Ollé-Laprüne,
La Vitalité chrétienne, Ire Partie, IV, « L’Homme dans le Prêtre ». —
Acta et Documenta Congressus Generalis de Statibus Perfectionis. Index
« Educatio », 372 ; « Formatio », 374 ; « Magistri », 379.
R. C. R. 1936, 185 ; 1939, 45 ; 1950, 73. — Forma Gregis, avril 1950.
« Education des Vertus chrétiennes, abbé Bessonnier ; décembre 1952-
janvier 1953, « Sainte Thérèse d’Avila, éducatrice des Religieuses »,
P. Paul-Marie de la Croix ; janvier-février 1954, « Conseils pédago­
giques », Rimaud ; décembre 1955, « Problèmes pratiques du Novi­
ciat, Sr M.-Alfred ; mars 1950, « Le naturel et le surnaturel dans la
Pédagogie du Noviciat », Motte ; octobre-novembre 1950, « La lettre
et l’esprit dans la Pédagogie du Noviciat », Motte ; mai 1956, « Les
Vertus naturelles au Noviciat », Mère Aline de la Providence. —
Vie Spirituelle, Supplément, n° 37, 15 mars 1956 ; n° 46, 3e trimes­
tre 1958, « Instruction des Novices ».
TRENTE-SIXIÈME LEÇON

ÉQUIPE PÈRE MAITRE ET NOVICES

L’expression « Esprit d’Equipe », pour marquer l’intime


collaboration du P.-Maître et de ses Novices, peut paraître
équivoque et a besoin d’être précisée.
Le mot « équipe » n’implique point nécessairement une
parfaite égalité entre les co-équipiers. Au contraire, il comporte
presque toujours une certaine subordination et dépendance. Si
le Noviciat constitue une équipe, le P.-Maître en restera tou­
jours le Chef, l’Autorité devant laquelle chacun devra s’incliner
et se soumettre.
Une équipe est un groupe d’individus qui se sont unis pour
un travail en commun et qui, formés par une méthode iden­
tique, poursuivent le même but, sous une même direction.
Encore faut-il que cette équipe soit parfaitement homogène,
animée d’un même esprit, de sorte que les activités de tous
et de chacun, loin de s’opposer, de se heurter ou de diverger,
puissent s’harmoniser, s’appuyer l’une sur l’autre, se fondre,
pour ne plus former qu’une action unique, rythmée, intensifiée.
De cet esprit d’équipe dépend, en partie, la valeur d’une
formation religieuse.
Le travail formateur du P.-Maître et du Novice n’est point
constitué par une double action parallèle et indépendante, mais
bien plutôt par un effort unique et renforcé: ce qui suppose
entre les deux agents une certaine attitude d’âme et compor­
tement de vie, qui aboutiront à une parfaite unité des esprits,
des cœurs et des volontés dans l’accomplissement d’une tâche
commune.
I. COMPORTEMENT DU PÈRE-MAITRE
L’influence formatrice du P.-Maître est conditionnée en
partie par certaines dispositions du Novice, en particulier, par
sa confiance et sa docilité.
314 MAITRES-OUVRIERS

Impossible d’agir profondément sur une âme, à moins de


la connaître. Mais, comment la connaître, si elle reste obstiné­
ment fermée ? Et comment la conduire, si elle refuse de se
laisser diriger ?
Cette confiance et cette docilité, Maître et Maîtresse des
Novices y ont droit en vertu même de leur charge et de leur
autorité. Mais, elles ne leur seront accordées en plénitude que
s’ils savent les mériter par leur charité, leur dévoûment et leur
discrétion.
i. Amour paternel et maternel. Le Noviciat est une
Ecole de perfection et donc de charité pour Dieu et le prochain,
puisque la perfection consiste dans la plénitude de cette double
charité.
Vertu capitale, qui se constatera tout d’abord dans Pâme
et la vie du formateur religieux. Toutes ses fonctions — gouver­
nement, enseignement, direction — devront s’en inspirer et en
être tout imprégnées.
Ce que Maître et Maîtresse doivent à leurs Novices, c’est
une affection vraie, profonde, surnaturelle. Ils exercent le plus
beau et le plus fécond des apostolats. Or, tout apostolat prend
racine, puise sa sève et trouve son efficacité dans l’amour de
Dieu et du prochain. Sans cette charité, l’éducateur n'élève
plus, il dresse.
La formation du Christ dans une âme est une espèce de
paternité et maternité spirituelle, participation à la Paternité
même de Dieu. D’où le nom de « Père-Maître », de « Mère-
Maîtresse ». C’est donc un amour tout spécial qu’ils doivent
porter à leurs « fils » et à leurs « filles » ; amour paternel et
maternel fait de tendresse, de douceur, de patience, de bonté.
« La Novice doit trouver dans sa Mère-Maîtresse un cœur
de mère, avec tout ce que cela comporte de compréhension,
de respect de la personnalité, de douceur et de fermeté, d’abné­
gation, de vraie charité. Une Mère-Maîtresse grandit, en étant
de plus en plus mère, une mère sans défaut, sans autoritarisme,
sans besoin de dominer, d’écraser, de malmener » {Pour les
Maîtresses des Novices, ch. VI, p. m).
a) Amour essentiellement surnaturel, expression, rayonne­
ment de l’amitié du Christ. C’est bien Jésus, rien que Jésus
qu’on verra dans ces jeunes âmes, ses futurs consacrés et ses
apôtres de demain, et c’est bien le Sauveur exclusivement
qu’on aimera en eux. Nulle ombre de naturalisme, de senti­
mentalisme, d’égoïsme ; surtout, pas le moindre soupçon
(Pamitié particulière. « Rien n’est plus propre à compromettre
ÉQUIPE PÈRE-MAITRE ET NOVICE 315
le bien général, à engendrer les murmures, à favoriser les
cabales, à diviser la communauté, à discréditer l’autorité », et
à compromettre l’œuvre de la formation dans un Noviciat
(P. Motte, Forma Gregis, Exercice de la justice distributive,
février 1955, p. 31). Une Maîtresse des Novices doit se montrer
la mère de toutes ses filles, et n’être « la petite amie >1 de per­
sonne. Au dire de sainte Thérèse, ces faiblesses et déviations
du cœur chez les Supérieurs sont une « peste ».
b) Amour universel, qui s’étend à tous et à chacun, sans
exception ni exclusivisme. Une mère aime tous ses enfants,
même les plus déshérités au point de vue physique, intellectuel
ou moral. Se garder surtout de toute antipathie naturelle, ou
sentiment déindifférence. Incapables de les supprimer totalement,
ayons du moins assez de charité pour ne point les entretenir,
et assez de maîtrise de nous-mêmes pour ne jamais les
manifester.
2. Dévoûment. Encore faut-il que cet amour se traduise en
dévoûment. « Notre premier devoir est d’aimer. Le second
de servir. Amour et service se distinguent et s’appellent »
(P. Motte, Forma Gregis, janvier 1950, p. 5). « Aimons non
seulement en parole, mais en œuvre et en vérité » (I Joan.,
III, 18).
A l’exemple du Christ, formateur des Apôtres, Maître et
Maîtresse des Novices doivent être les serviteurs de leurs
disciples. « Que le chef soit parmi vous comme celui qui
sert » (Luc, XXII, 26 ; Joan., XIII, 1). « Le Fils de l’homme
n’est pas venu pour se faire servir, mais pour servir » (Matth.,
XX, 28; Marc, X, 45). Dévoûment tout à la fois universel
et désintéressé.
a) Dévoûment universel sous tous ses aspects et dans toutes
ses activités; souci de remplir au mieux toutes les fonctions
de sa charge : gouvernement, enseignement, direction ; de
veiller sans cesse au bien général du Noviciat et aux besoins
particuliers de tous et de chacun. « Je me suis fait tout à tous
pour les gagner tous à Jésus-Christ » (I Cor., IX, 22). N’ou­
blier personne, même et surtout ceux qui nous donnent le
plus de souci, les moins doués, les plus difficiles, les moins
perméables à notre action formatrice. Mettre au service de la
collectivité toutes nos ressources naturelles et surnaturelles,
toutes nos forces, toute notre vie.
S’occuper avec sollicitude de leur corps et de leur âme,
de leur santé et petites infirmités, de leurs difficultés et ennuis
spirituels.
316 MAITRES-OUVRIERS

Etre toujours prêt à les accueillir avec patience et bonté,


sans leur donner jamais l’impression qu’ils nous dérangent.
Qu’ils soient bien assurés qu’ils trouveront toujours grand
ouverte — quand ils viendront y frapper — la double porte
de notre cellule et de notre cœur.
« Vous devez rapporter toute votre vie à vos enfants spirituels :
vous devez méditer pour eux, lire pour eux, prier pour eux,
châtier votre corps pour eux, corriger vos défauts pour eux,
en un mot, les avoir présents dans votre âme en tout ce que
vous faites, comme la mère a ses enfants dans son cœur, à
tous les instants du jour » (P. Lacordaire au P. Besson qu’il
nommait Maître des Novices. Cité par Forma Gregis, jan­
vier 1955, p. 24).
Et tout cela avec douceur, humilité, condescendance, se
rappelant qu’il est plus doux de donner que de recevoir.
« Beatius est magis dare, quam accipere » (Actes, XX, 35).'
b) Dévoûment désintéressé. Ce dévoûment universel n’aura
toutefois tout son prix et toute son efficacité que s’il est gratuit,
sans retour égoïste sur soi-même. On se donne, on se livre,
sans rien attendre en retour, et surtout sans rien exiger. S’ou­
blier soi-même pour ne penser qu’à Dieu et aux âmes. Si l’on
s’abaisse devant elles, ce n’est que pour les élever. Si l’on
cherche à les attirer à soi par la bonté, ce n’est, en définitive
•que pour les conduire au Christ. Le dévoûment n’est pas un
article de commerce que l’on troque pour la satisfaction de
se faire apprécier, admirer, louanger et remercier ; pour le
plaisir de dominer, de s’imposer et de mettre en vedette sa per­
sonnalité. Comme l’amour surnaturel dont ils procèdent, tous
les services rendus ne peuvent et ne doivent être que des actes
de pure charité.

3. Discrétion. Qualité si nécessaire à tout Formateur qui


veut gagner ou conserver la confiance de ses jeunes reilgieux.
Elle consiste dans le souci constant de ne rien dire qui puisse
blesser la justice, la charité, la prudence, et par là, blesser,
aigrir les âmes et les fermer. Multiples sont ses formes.
a) Silence de Bonté. Que Maître et Maîtresse se fassent un
devoir, soit en public, soit en privé, de ne jamais dire du mal
de leurs Novices, de formuler sur leur personne, leur conduite,
leurs déficiences et défauts extérieurs des jugements sévères,
des critiques défavorables, encore que justes. Ils doivent, au
contraire, n’avoir rien plus à cœur que de sauvegarder et
défendre leur réputation.
ÉQUIPE PÈRE-MAITRE ET NOVICE 317

b) Secret professionnel. La même loi du silence s’impose,


plus rigoureusement encore, quand il s’agit de connaissances
acquises en direction. C’est là une question de secret profes­
sionnel, où la conscience peut se trouver gravement engagée.
Sur ce point, 1’ « altum silentium », le mutisme est de règle,
hormis à l’égard des Supérieurs Majeurs et du Conseil, qui
doivent décider de l’admission d’un sujet à la Profession. Le
P.-Maître a non seulement le droit, mais le devoir de leur fournir
tous renseignements utiles, pour éclairer leur jugement et
prendre leur décision.
c) Secret confidentiel. Quant aux confidences intimes, faites
ouvertement ou implicitement, sous le sceau du secret, ou qui
touchent à la conscience, il n’est permis, sous aucun prétexte
— à moins de l’autorisation du Novice — de les dévoiler à
personne.
« Ces confidences peuvent porter sur des fautes passées
ou actuelles, des habitudes vicieuses, des difficultés, voire des
tentations au sujet de la foi, de la pureté, de certaines exigences
de la vie religieuse, etc. Le Maître ou la Maîtresse peuvent-ils,
et s’ils le peuvent, doivent-ils faire connaître aux Supérieurs
Majeurs, voire au Conseil, ce qu’ils ont appris par de vraies
confidences ? En principe, il faut répondre et avec décision :
ils ne peuvent, ni ne doivent trahir le secret qui leur a été
confié » (R. C. R. novembre-décembre 1949, pp. 176-177),
même quand il s’agit de l’admission à la Profession.

IL ATTITUDE DU NOVICE

L’esprit d’équipe, condition et instrument d’une parfaite


formation, dépend tout à la fois du comportement du P.-Maître
et de Vattitude du Novice. D’un côté, amour paternel, dévoue­
ment, discrétion ; de l’autre, affection filiale, confiance, docilité.
1. Affection filiale. L’amour appelle l’amour. C’est la
grande loi du retour. A l’affection paternelle ou maternelle
dont il est l’objet, le Novice répondra par son affection filiale.
La paternité spirituelle de ses éducateurs et leur dévouement
lui en font un devoir de nature et de gratitude.
Affection essentiellement surnaturelle, une des formes de
la divine charité, que ne contaminera aucun égoïsme et qui
jamais ne dégénérera en attache humaine et sentimentale.
Ces faiblesses et déviations du cœur, plus communes dans
les communautés de religieuses, constituent parfois une véritable
3i8 MAITRES-OUVRIERS

tentative d’accaparement. On ne voit plus que sa Mère-Maîtresse,


on ne vit plus que pour elle : on l’entoure, on la poursuit,
on l’assiège, on la flatte, on la cajole, on se fait son esclave;
de là, en cas d’insuccès ou de rivalités, des tristesses, des plaintes,
des découragements, des antipathies et jalousies. Une telle
conduite est la ruine de toute vie intérieure, un danger grave
pour la liberté et la pureté du cœur.
Une Maîtresse ne doit jamais se prêter à ce manège et à
ces enfantillages. Loin de les provoquer ou de les entretenir,
elle se doit à elle-même et à toutes ses filles, qui en seraient
étonnées, voire scandalisées, de les proscrire absolument de
son Noviciat.
Ce qu’une Novice doit à sa Mère-Maîtresse, c’est une affec­
tion purement surnaturelle, désintéressée, humble, respectueuse,
virile, qui trouvera son expression la plus authentique dans
une confiance plénière et une parfaite docilité.
2. Confiance et Ouverture de cœur. L’affection réci­
proque du Maître et du Disciple ne peut que créer en eux
une atmosphère de confiance mutuelle, laquelle provoquera et
renforcera chez le Novice une parfaite ouverture de cœur.
La connaissance complète et parfaite d’une âme est la
condition normale d’une excellente direction. En religion, c’est
au Novice surtout qu’il appartient, dans ses colloques intimes
avec le P. Maître, de se faire connaître, en toute simplicité
et loyauté.
Cette question de direction et d’ouverture de cœur, quelque
peu compliquée et délicate sur le plan « juridique », trouvera
une solution aussi facile qu’heureuse sur le terrain « ascétique
Il suffira pour cela que, des deux côtés, l’amour et la confiance
président à ces comptes rendus disciplinaires et à ces communica­
tions intimes d’âme. Un religieux peut avoir bien des réticences
et secrets devant son Supérieur ; mais, un fils en aura beau­
coup moins pour son père qu’il aime, dont il est aimé, et sur
le dévoûment et la discrétion duquel il peut toujours compter.
L’amour seul a la clé des cœurs.
a) Sans même attendre d’être interrogé et sollicité, le
Novice, de lui-même, fera un relevé exact et minutieux de
sa conduite extérieure : observance régulière, fidélité aux exer­
cices de piété et de dévotion traditionnelle, difficultés d’adap­
tation, soumission aux ordres et directives de l’autorité, compor­
tement dans la vie commune et ses relations avec ses frères.
Même spontanéité dans le dévoilement de son âme profonde :
vie intérieure, union habituelle avec Dieu, méthode et sujets
ÉQUIPE PÈRE-MAITRE ET NOVICE 319

d’oraison, amour de l’institut, de sa Règle, de son esprit ;


ferveur dans la réception des sacrements, progrès ou reculs
sur le chemin des vertus, et spécialement des grandes vertus
religieuses : esprit de pauvreté, d’obéissance, de sacrifice ;
humilité, abnégation, renoncement, mort à soi-même, etc.
b) S’il est interdit aux Supérieurs, par des voies directes
ou obliques, de s’introduire dans le domaine de la conscience,
il est cependant permis aux sujets — voire conseillé (expedit)
— de leur en ouvrir spontanément l’entrée. Ce que fait le
Novice, par prudence autant que par humilité. De son P.-Maître
— à condition toutefois qu’il soit prêtre — il fera volontiers
son Directeur de conscience, n’ayant pour lui rien de caché
et lui confiant filialement ses tentations, angoisses, scrupules,
ses faiblesses mêmes, fautes et misères morales (Can. 530, § 2).
c) On pourrait se demander si la clause restrictive (si sint
sacerdotes) n’impliquerait pas implicitement une défense, ou
du moins une désapprobation ; de telle sorte que, dans les Ins­
tituts de Frères et dans toutes les Congrégations de religieuses,
les Novices ne pourraient se permettre de telles confidences
intimes. Sans vouloir les encourager, le Droit Canon semble
bien ne point les prohiber. Ce que l’Eglise n’admet plus, ce
sont les « comptes de conscience » officiels, prescrits et obliga­
toires. Elle entend qu’en cette matière, où l’on touche à ce
qu’il y a de plus inviolable dans une âme, tout se passe en pleine
spontanéité, liberté et confiance filiale.
« Nous n’avons jamais voulu défendre la manifestation de
conscience aux Supérieurs, en tant que faisant l’objet d’un
conseil, puisqu’elle fut recommandée par des Saints aussi
remarquables que votre saint Fondateur ; bien plus, nous
désirons ardemment que tous les religieux conservent cette
pratique si salutaire. Ce que nous ne voulons pas, c’est 1’ « obli­
gation » (Benoît XV au Préposé Général de la Compagnie
de Jésus. Cité par R. C. R., mars-avril 1954, p. 58).
Tout Novice pourrait donc — s’il le juge opportun pour
le bien de son âme — traiter des affaires de sa conscience avec
son P.-Maître ou Mère-Maîtresse.
Ainsi comprise et pratiquée, la direction nous ramènerait
aux premiers siècles du monachisme, deviendrait une source de
bienfaits et de grâces signalées pour le Directeur et le Dirigé, et
se révélerait un excellent instrument de formation religieuse.

3. Docilité. Nouvel apport destiné à soutenir et à ren­


forcer le travail formateur de l’équipe.
320 MAITRES-OUVRIERS

La docilité relève de l’humilité et s’affilie de très près à


l’obéissance ; de même que l’esprit d’indocilité est une marque
d’orgueil et une forme larvée de volonté propre.
Cette vertu est faite de sensibilité, de souplesse et à’activité.
Sensible à l’emprise du « Magister », elle s’y adapte aussitôt
et se fond intimement avec elle, dans un commun effort. Tout
à la fois passive et active. De quel secours serait pour un Père
Maître une telle disposition dans l’âme de ses Novices ! Et
combien son Gouvernement, son Enseignement, sa Direction
y gagneraient en valeur et en efficacité !
a) Docilité et Gouvernement. Le premier devoir d’un Supé­
rieur est de gouverner au mieux sa communauté (voir 34e Leçon).
Mais comment gouverner des sujets plus ou moins ingouver­
nables, à la volonté revêche, atteints de l’esprit de critique,
d’indépendance, d’opposition ; plus prompts à discuter qu’à
obéir, qui ne se soumettent que par force, sans foi et sans
amour ? La docilité est le grand remède à toutes ces puis­
sances nocives, destructives de la vie religieuse ; elle est source
de bon ordre, de discipline, de paix, de joie. Elle crée un cli­
mat pacifique extrêmement favorable au développement de la
vie spirituelle.
b) Docilité et Enseignement. Un danger grave à l’heure
actuelle et fort répandu : l’indocilité de l’esprit et l’indépen­
dance de la pensée. Espèce de fatuité intellectuelle : on s’en fait
accroire ; on estime tout savoir et avoir enfin trouvé la vérité ;
dédain de la tradition, engoûment pour les théories modernes.
Du « Nova et vetera » on n’a retenu que le premier mot ; cri­
tique des leçons données... un peu vieillottes et qui ne sont
plus à la page... On a évolué depuis ! Un tel état d’esprit ne
peut que diminuer l’autorité doctrinale du P.-Maître, stériliser
en partie son enseignement et compromettre toute une
formation.
Heureux, par contre, qui n’a devant sa chaire que des
esprits dociles (ce qui ne veut pas dire passifs, incapables de
réagir, de penser par eux-mêmes et qui croient sans comprendre),
ouverts, judicieux, pondérés, réfléchis, personnels, qui ne se
font pas d’illusion sur leur savoir, convaincus qu’ils ont encore
beaucoup à apprendre, qui font crédit à la science et à l’expé­
rience de leur Maître, et se feront, à son école, un bel idéal
de perfection et une véritable mentalité religieuse.
c) Docilité et Direction. Nécessaire sur le plan disciplinaire
et intellectuel, la docilité l’est plus encore dans le domaine
« Direction spirituelle ». Plus qu’une de ses conditions, elle est
ÉQUIPE PÈRE-MAITRE ET NOVICE 321

un de ses éléments essentiels. Que peut valoir une direction


à laquelle on refuse de se soumettre ? Peut-elle même exister?
Ce ne serait plus de part et d’autre qu’illusion et duperie.
Que penser d’un client qui vient en consultation et qui néglige
ensuite de suivre les ordonnances de son docteur ?
Le Novice doit donc — à part peut-être, en certains cas
dûment justifiés — se faire une loi de se conduire d’après
les conseils, avis, directives et prescriptions de son P.-Maître,
assuré qu’en marchant par la voie de l’humilité et de l’obéis­
sance, il ne peut se tromper ni s’égarer.
Cette docilité s’impose tout spécialement dans la question
des scrupules, inspirations intérieures, en certaines épreuves de
la vie spirituelle et à l’heure de la tentation, surtout contre
la vocation. Combien se sont perdus faute de direction, ou
manque de docilité au directeur. « Qui se fait son propre maître
se fait le disciple d’un sot : Qui se sibi magistrum constituit,
stulto se discipulum subdit » (S. Bernard, Lettre à Ogier,
lettre LXXVII).
La docilité mérite au Novice des grâces de lumière, de
force, de paix intérieure, lui donne un gage de persévérance
et le prépare à sa vie religieuse de demain, qui doit être toute
d’obéissance, de renoncement, d’abnégation et de mort à soi-
même.
Loin d’être alors — comme d’aucuns se l’imaginent —
soumission aveugle, passive et stérilisante, la docilité se révèle
coopération prudente, active et féconde à une œuvre commune
de formation religieuse.

1. Pourquoi et comment l’amour et le dévoû-


ment d’un P. Maître sont-ils pour le Novice
une cause de docilité ?
2. Que penser des antipathies naturelles que
l’on peut éprouver à l’égard de son Père
Maître et comment y remédier ?
3. Que faire pour triompher d’une affection
trop naturelle et sentimentale à l’égard
d’une Maîtresse de Novices ?
4. Que répondre à une Novice qui vous dit :
« Je ne puis aimer ma Maîtresse ; elle ne
m’aime pas ; jamais je n’aurai confiance
en elle ? »

21
322 MAITRES-OUVRIERS

5. Pourquoi la confiance d’un Novice ne


s’obtient-elle que par une parfaite dis­
crétion ?

6. La surveillance et le contrôle sont-ils un


obstacle à la confiance des sujets ?

7. Que penser de cette parole de Mgr Bau-


nard : « Le plus mauvais signe d’une con­
science qui se gâte, c’est le manque d’ou­
verture envers ceux qui doivent y lire ? »

8. Quelle est, sur le plan intellectuel, la diffé­


rence entre « passivité » et « docilité » ?

9. Quelles sont les grâces attachées à une par­


faite ouverture de cœur ?

10. Est-il vrai que la plupart des pertes de


vocation sont dues en partie à un manque
de direction î

S. François de Sales, Les Vrays Entretiens, XVI. — De Guibert,


Leçons de Théologie Spirituelle, XXX, XXXI ; Pour les Maîtresses des
Novices, Edit, du Cerf, ch. iv, x. — Faber, Conf. spirituelles, « Source
des illusions ». — Ronsin, Gouverner c’est aimer. — Cormier, L’Ins­
truction des Novices, Ire Partie, ch. 1, § il ; IIe Partie, ch. iv. — Règle
des Novices C. SS. R. — P. Colin, Livre des Supérieurs, ch. xxu,
XXIII, XXIV ; Culte des Vœux, ch. XXIV. — Plus, La Direction. — Acta
et Documenta Congressus Generalis de Statibus Perfectionis, 1950. Index,
t. IV, « Directio Spiritualis », 371-372 ; « Conscientiœ manifestatio »,
369.
R. C. R. 1937, 156 ', 1939, 189 ; 1949, 142, 176 ; 1952, 52 ; 1954, 48.
— Forma Gregis, novembre-décembre 1954, janvier 1955, « Le zèle
du bien commun, Motte ; novembre 1955, « L’équilibre entre confiance
et contrôle, S1 Ghislaine Aubé ; mars 1956, « La discrétion chez la
Maîtresse des Novices, Mère Thérèse-Marie. — Ami du Clergé, 1921,
p. 65 ss. — Revue d’Asc. et Myst. Marchelli, 1921, pp. 325-350 ; Tan-
querey, n° 555.
TRENTE-SEPTIÈME LEÇON

RELATIONS PROFESSIONNELLES

La charge de P.-Maître impose au titulaire de nombreuses


relations, officielles ou privées, communautaires et individuelles,
internes et externes : relations avec les Supérieurs Majeurs,
l’Autorité locale, ses auxiliaires : socius, sous-maîtresse, confes­
seur, aumônier ; et même avec certaines personnes du dehors,
qui ont pu contribuer à la vocation des Novices et à leur
entrée dans l’institut : Parents, Curé, Directeur, Educateurs.
Il importe que toutes ces relations soient excellentes ; car,
de leur qualité dépend en partie l’union des esprits et des
cœurs, la paix des communautés, le bon renom de l’Ordre,
la bonne marche du Noviciat et la formation des jeunes
religieux.
Faire plaisir à tous, ne déplaire à personne et obliger
chacun, est chose aussi difficile — fût-on un saint — que de
passer au travers d’une foule pressée, sans bousculer quiconque,
ni marcher sur le pied de quelqu’un... et de ne recueillir que
des sourires.
L’art — car c’est un art — de fréquenter le prochain et de
traiter avec lui requiert l’exercice de bien des vertus natu­
relles et surnaturelles : prudence, largeur d’esprit, humilité,
soumission, charité, justice, patience, bonté, amabilité... et
d’autres encore.

I. RELATIONS OFFICIELLES
Les relations du P.-Maître avec les Supérieurs Majeurs,
Provinciaux, Visiteurs, doivent s’inspirer d’un grand esprit de
foi et être tout imprégnées de respect, d’humilité, de sou­
mission, de confiance, de loyauté et d’affection réciproque.
De sa part, aucune difficulté ou opposition à ce que ï’Auto­
324 MAITRES-OUVRIERS

rité supérieure puisse exercer sur le Noviciat son droit de


Direction générale, d’inspection et d’Intervention.
Ces relations ont lieu en deux circonstances particulières :
le Rapport officiel à fournir sur les Novices et la Visite canonique
ordinaire ou extraordinaire.

i. Rapport officiel à fournir durant l’année, selon les


Constitutions (Can. 563) sur l’état moral et la conduite exté­
rieure de chaque Novice : régularité, ferveur, esprit religieux,
vie commune, vertus, défauts, piété, obéissance, amour de
l’institut ; espérances et craintes qu’il donne pour l’avenir.
Cette relation, d’une gravité exceptionnelle pour l’Ordre et
le sujet lui-même, doit être faite avec une extrême loyauté
et objectivité.
En plus de ce qu’il sait par lui-même, le P.-Maître peut
aussi tenir compte des témoignages et confidences d’autrui :
auxiliaires, membres de la communauté et Novices. Mais qu’il
se méfie des jugements hâtifs, superficiels, partiaux, téméraires,
inspirés trop souvent par la passion, l’antipathie, la rancune,
le manque de bon sens, le pessimisme. Qu’il contrôle attenti­
vement et sévèrement les sources de ces renseignements, afin
de pouvoir établir une relation de tous points conforme à la
prudence, la discrétion, la charité et la vérité.

2. Visite Canonique. Le Visiteur doit s’intéresser tout


particulièrement au Noviciat, espoir de la Congrégation. Per­
sonne plus que le P.-Maître n’est à même de lui fournir, en
toute confiance et loyauté, tous renseignements utiles sur la
marche générale de son Noviciat : régularité, ferveur, esprit
religieux, entente fraternelle.
Sur la demande du Visiteur, voire de lui-même, il le mettra
au courant de sa conduite, dans l’exercice de sa charge, de
son gouvernement, de son enseignement et de sa Direction spiri­
tuelle ; tout disposé d’ailleurs à recevoir avec déférence avis,
conseils, directives, voire des décisions qui peuvent ne lui
être point agréables.
Excellente occasion aussi de signaler à l’Autorité — sans
passion ni parti-pris — les difficultés intérieures ou extérieures,
ennuis, incompréhensions, oppositions qu’il peut rencontrer
de la part du Supérieur local, de ses collaborateurs, des
membres de la communauté, et demander qu’on y apporte
remède, dans la mesure du possible ; et s’il y a lieu, de faire
approuver certaines initiatives ou dérogations au règlement
du Noviciat.
RELATIONS PROFESSIONNELLES 325

En un mot, faire en sorte que le Visiteur, mis au courant


de la situation, puisse intervenir efficacement, pour combler
les lacunes, supprimer les abus ; surtout assurer et promouvoir
une parfaite formation religieuse.

II. SUPÉRIEUR LOCAL ET MAITRES DES NOVICES

Si Maître et Maîtresse de Noviciat ne rencontrent guère


de sérieuses difficultés dans leurs rapports avec les Supérieurs
Majeurs, il n’en va pas de même avec le Supérieur local. Cela
tient à bien des causes, spécialement à la coexistence d’une
double autorité, distincte, indépendante et s’exerçant simulta­
nément dans le cadre étroit d’une même communauté. Deux
pouvoirs parallèles, dont les limites ne sont pas toujours exac­
tement tracées, et qui ne peuvent manquer de se rencontrer,
de se heurter et de provoquer des conflits de juridiction. Trop
de points de contact, et par là-même trop de points de friction.

1. Séparation dés Droits et Imprécision des Devoirs.


Nombre de malentendus et discussions seraient facilement
évités si droits et devoirs étaient clairement fixés, et si chacun
voulait bien s’y tenir.
Le Droit Canon ne formule ici que des principes généraux
et ne donne que de vagues directives. Sans jamais s’immiscer
dans 1’ « Enseignement » et la « Direction » du P.-Maître, le
Supérieur a le droit d’intervenir d’autorité sur le terrain de
la discipline générale, à laquelle Maître et Novices sont tenus
de se conformer (Can. 561). Mais que signifie au juste l’expres­
sion « disciplina universae domus »? — Le Novice est tenu
à’obéir tout à la fois au Supérieur et à son P. Maître (Can. 561,
§ 2). Mais où et quand ? Et si les ordres reçus sont contra­
dictoires ?
Les Constitutions, Directoire, Règlement du Noviciat ont
dû préciser et compléter en partie cette législation succincte.
Mais, il est impossible d’entrer dans tous les détails et d’envi­
sager à l’avance tous les cas particuliers et litigieux.

2. Conflits de juridiction. Les relations constantes entre


la Supérieure d’une maison abritant le Noviciat et la Maîtresse
peuvent amener des conflits d’autorité. Les Constitutions
peuvent prévoir le partage des pouvoirs, mais, hormis ces
prescriptions expresses, le droit commun ne reconnaît aucun
droit à une supérieure locale, si ce n’est relativement à la disci-
326 MAITRES-OUVRIERS

pline générale de la maison. La Maîtresse, en tant que religieuse,


doit donc, tout comme ses Novices, recourir à la Supérieure
proprement dite dans la mesure même où le Noviciat s’insère
dans la vie commune de la maison. Est-il possible de déter­
miner par avance les différents points de cette soumission : ques­
tions de pénitences publiques, d’horaires, d’exercices communs
aux Novices et aux Professes, de travaux dans la maison, de
jours de détente ou de promenade, de visites au parloir ou de
sortie ? Encore faudrait-il préciser dans quelle mesure la
Supérieure peut et doit intervenir.
3. Entente cordiale. A tout prendre, mieux vaut préférer
à une espèce de guerre froide une entente franche et cordiale,
basée, dans tous les cas douteux, sur la largeur d’esprit, une
condescendance réciproque, le souci du bien commun, l’amour
de la paix, l’édification et la charité religieuse. Au besoin,
recourir à l’Autorité supérieure pour trancher le débat. Mais
serait-il vraiment impossible, dans une communauté, d’accorder
deux violons ?
« Les Supérieures Majeures peuvent organiser cette coha­
bitation, définir au mieux ces relations. Il restera encore et
toujours que l’exercice parallèle de deux autorités légitimes
suppose un respect des droits de chaque autorité et non moins
une active collaboration, compréhensive et charitable, de celles
qui ont à s’unir pour réaliser une œuvre commune, chacune
selon sa fonction propre » (R. C. R., sept.-oct. 1950, p. 145).

III. INTIME COLLABORATION


Une des grandes préoccupations du P.-Maître doit être
d’assurer une parfaite unité à la formation de ses Novices.
Orientée vers un même idéal, selon un programme obligatoire
et par des voies identiques, elle constituera un organisme spiri­
tuel homogène, et non point un composé hybride d’éléments
bigarrés et disparates.
C’est à cette fin que l’Eglise lui a confié, et à lui seul, auto­
rité plénière et directe sur le Noviciat. Toutes les activités
formatrices qui concourent à l’éducation des jeunes religieux
s’exerceront donc harmonieusement dans le même sens et
pour l’exécution d’un seul et même programme.
Maître et Maîtresse des Novices ont pour principaux auxi­
liaires : un socius ou sous-maîtresse, un confesseur, un aumô­
nier, parfois quelque professeur de science sacrée ; tous tra­
vaillant de concert à la même œuvre de formation religieuse.
RELATIONS PROFESSIONNELLES 327

Il ne leur est donc point permis de contrecarrer en quoi que


ce soit l’action du principal agent, alors qu’il leur est unique­
ment demandé de Vappuyer, prolonger et compléter. Se permettre
des initiatives personnelles, en marge et surtout en opposition
avec les directives du P.-Maître, serait plus qu’une faute, ce
serait une erreur.
1. Obstacles à l’unité de formation, au point de vue
gouvernemental, doctrinal et direction spirituelle.
a) Le premier est, chez le Maître et Maîtresse des Novices,
la carence de toute autorité juridique sur leurs auxiliaires, qui
sont leurs coopérateurs, mais non leurs sujets.
Sans doute, en acceptant leur charge, se sont-ils engagés
implicitement à la remplir loyalement, en conformité avec la
loi morale, les prescriptions du Code, les Statuts diocésains,
les Constitutions de l’institut et le Règlement du Noviciat.
Mais, en dehors de là, ils estiment ne relever en rien de
l’Autorité du P.-Maître : d’où tentation, dans l’exercice de
leurs fonctions, de s’accorder une totale indépendance.
V) Second obstacle. Ici encore, rien de précis dans la légis­
lation touchant les droits et les devoirs d’un chacun, et leurs
relations individuelles avec le P.-Maître.
De là, des incompréhensions, des heurts, des récriminations,
des critiques, des accusations d’empiétement ou d’absolutisme.
Il est rare — surtout dans les couvents de religieuses — de
rencontrer un Aumônier qui ne se plaigne, à tort ou à raison.
Il importe cependant, pour la paix commune et l’édifica­
tion de tous, d’obvier le plus possible à ces malentendus et
tiraillements. Si un régime pacifique dépend de la bonne volonté
de tous, il relève surtout de Y attitude et de la conduite du
P.-Maître.
2. Rôle du Père-Maître. Pour amener doucement ses auxi­
liaires à entrer dans son jeu et s’assurer de leur intime et fidèle
coopération — au grand profit de son œuvre de formation —
le Maître des Novices devra faire preuve de certaines qualités
manœuvrières.
A défaut d’une autorité officielle qui lui est refusée, il lui
reste du moins son autorité personnelle, faite de vertu et de
savoir, et dont il saura user avec autant de tact que de discrétion.
Afin de gagner la sympathie de ses aides, il leur témoignera
volontiers déférence, amabilité, bonté, serviabilité ; et il exi­
gera les mêmes sentiments à leur égard, de la part de ses
Novices.
328 MAITRES-OUVRIERS

Ne jamais se permettre de déprécier leur personne, ou de


critiquer leur conduite, surtout en public ; au contraire, excuser
le plus possible leurs défauts et souligner leur dévoûment
au service du Noviciat.
Dans aucun cas, ne porter atteinte — tant soit peu — à
leurs droits et prérogatives ; et se montrer fort discret, pour
leur demander un surcroît de travail ou des changements
d’horaire.
Eviter tout sentiment de jalousie, de susceptibilité. Pas
d’accaparement, de centralisation. Que la Maîtresse des Novices
« ne s’oppose pas aux bonnes influences qui peuvent s’exercer
légitimement sur les Novices de la part d’un confesseur, d’une
sous-maîtresse, d’une supérieure majeure » (P. Motte, Forma
Gregis, avril 1951, p. 28).
En cas de litige, avoir avec l’intéressé une explication humble
et loyale et s’arranger à l’amiable, même au prix de quelques
concessions sans gravité.
A ce compte, bien des difficultés s’aplaniraient, à la satis­
faction de tous.

IV. RAPPORTS EXTÉRIEURS

Maître et Maîtresse — en conséquence de leur charge —


pourront aussi avoir quelques rapports, personnels ou épisto-
laires, avec les personnes du dehors, et tout particulièrement
avec les familles de leurs Novices.
a) Une simple apostille à une lettre, pour calmer les appré­
hensions d’une Mère, au sujet de la santé de sa fille ; quelques
lignes surnaturelles pour diminuer la tension provoquée par
un départ en religion, malgré la volonté des parents ; un mot
de félicitations et d’encouragement pour le sacrifice douloureux
fait à Dieu de leur unique enfant ; accueil plein de bonté et
de délicatesse à chacune de leurs visites au Noviciat, ou à
l’occasion de la Vêture et de la Profession : autant de gestes
qui peuvent raffermir une vocation ébranlée, consoler des
âmes aigries ou endolories et mériter ainsi à l’institut une
excellente réputation de charité et d’affabilité.
b} Il faut en dire autant de tous ceux qui ont concouru
de quelque façon à l’éclosion de certaines vocations et à leur
entrée dans l’état religieux : curé, directeur, éducateur, recru­
teur. En esprit de gratitude, leur témoigner volontiers beau­
coup de sympathie, d’amitié ; les accueillir toujours avec poli­
tesse et cordialité ; les inviter aux cérémonies de Vêture et
RELATIONS PROFESSIONNELLES 329

de Profession et leur offrir d’y prendre la parole. Excellente


façon de les attacher à l’Ordre et de les intéresser à son
recrutement.

1. A l’occasion des examens canoniques avant


l’admission à la vêture et à la profession,
et lors des visites régulières du Supérieur
ecclésiastique, la Maîtresse des Novices
est-elle tenue de fournir un rapport
détaillé sur l’état moral et religieux du Novi­
ciat en général et de chacune de ses
Novices ?

2. En cas de litige, l’autorité du Supérieur


l’emporte-t-elle toujours sur celle du
P.-Maître ?

3. Le bien commun de toute la communauté


passe-t-il toujours avant celui du Noviciat?

4. Le P.-Maître est-il tenu d’assister aux cas


de Liturgie et de Morale prescrits par le
Droit et au Chapitre des coulpes ? (Voir
Canon 131, § 1 — 2377.)

Enchiridion de Statibus Perf. Index « Magister », p. 646. — Pour


les Maîtresses des Novices, ch. x. — Acta et Documenta Congressus
Gener, de Statibus Perf. Index, t. IV, « Magister », p. 379 ; « Superior
localis », p. 395.
R. C. R. 1950, 145. — Forma Gregis, février 1956, « Problèmes
pratiques de Noviciat », Sr M.-Jeanne d’Arc ; mars 1956, « Problèmes
pratiques de Noviciat », S1 Thérèse-Marie.
Chapitre vi

AGENTS AUXILIAIRES

Dieu est le premier et principal artisan de toute formation


religieuse. De cette bâtisse spirituelle, P.-Maître et Novices sont
les maîtres-ouvriers, auxquels viennent s’adjoindre, pour épauler
et renforcer l’équipe, quelques aides-travailleurs : socius ou
sous-maîtresse, confesseur et aumônier.

Pour être secondaire, leur rôle n’en reste pas moins important
et, sur certains points, capital. Collaborateurs appréciés, qui
allégeront la tâche si lourde du Formateur et l’aideront effica­
cement dans l’exercice de ses fonctions : gouvernement, enseigne­
ment et direction spirituelle.

Le « milieu » exerce aussi une influence considérable sur la


formation des Novices. On a dit que toute éducation est « atmos­
phérique ». Comme l’éclosion et la poussée d’une semence dépendent
en partie du sol, de l’exposition et du climat, ainsi une vocation
religieuse, dans son évolution, se ressentira-t-elle du milieu où
elle s’est implantée, où elle doit prendre racine et s’épanouir.
C’est une loi universelle en biologie que l’on n’échappe jamais
complètement à l’emprise du milieu où l’on vit. « Nous sommes
marqués vitalement par notre milieu. » Aussi, le premier souci
d’un P.-Maître doit-ïl être « de créer un milieu, plus que
d’exercer une influence personnelle; on se défend moins contre le
milieu que contre une personne » (P. Rimaud, S. J., Forma
Gregis, janvier 1954. Conseils pédagogiques}.
332 AGENTS-AUXILIAIRES

Quel est au juste le rôle propre et action formatrice des


trois agents auxiliaires : socius, confesseur, aumônier ?

En quoi consiste exactement le milieu-climat à créer dans


un Noviciat? Quelle est sa nature, ses éléments, son influence,
les dangers qui le menacent?

Autant de questions auxquelles les leçons suivantes tâcheront


de donner une réponse.

38e LEÇON : SOCIUS ET SOUS-MAITRESSE.

39e LEÇON ; LE CONFESSEUR.

40e LEÇON : L’AUMONIER.

41e LEÇON : LE MILIEU ET SON INFLUENCE.

42e LEÇON : CLIMAT FAMILIAL.


TRENTE-HUITIÈME LEÇON

SOCIUS ET SOUS-MAITRESSE

De tous les Agents auxiliaires, le socius — ou sous-maî­


tresse — est celui dont la vie est la plus intimement mêlée
à celle du Noviciat. Compagnon fidèle et aide assidu du P.-Maître,
il collabore à presque toutes ses activités formatrices : gouver­
nement, enseignement, direction spirituelle. Poste sans éclat,
mais non sans mérite, et qui exige autant d’humilité que de
dévoûment.

I. PRESCRIPTIONS CANONIQUES

De cette charge, l’Eglise a cru bon, pour en marquer l’im­


portance, d’en rappeler l’opportunité, d’en fixer les conditions
d’accès, d’en indiquer la nature et de signaler les qualités
qu’elle requiert.
î. Utilité de l’emploi, qui n’est pas une institution obli­
gatoire, commandée par le droit. Cependant, en certains cas
— grand afflux de Postulants et de Novices, état de santé
déficient chez le P.-Maître, nécessité d’un répétiteur perma­
nent pour les Novices étrangers, incapables de saisir exacte­
ment l’enseignement oral et public — peut-être serait-il expé­
dient d’avoir recours à un aide officiel (Can. 559, § 2).
2. Conditions diverses pour l’élection ou nomination
du candidat. L’office de socius ne peut-être confié qu’à un
religieux âgé de 30 ans et comptant, depuis ses premiers vœux,
cinq ans de Profession. Si les Constitutions déterminent la
durée de sa charge, il ne peut durant ce temps en être privé,
à moins de raison grave. Ainsi que le P.-Maître, il peut y être
confirmé à nouveau ou réélu indéfiniment (Can. 560).
334 AGENTS-AUXILIAIRES

3. Rôle du Socius et limites de ses activités ont été


fixés par le Code en quelques mots succincts. Sans être person­
nellement le sujet du P.-Maître, il dépend toutefois et immé­
diatement de lui pour tout ce qui concerne le gouvernement
et la bonne marche du Noviciat. Il ne lui est donc point permis,
quels que soient ses pensées et ses sentiments à l’égard du
P.-Maître, de sa conduite et de sa méthode de formation, de
rien innover, rien changer, rien faire en marge de ses direc­
tives et en opposition avec ses ordres. Tout son rôle se réduit
à collaborer de son mieux et universellement à la réalisation
d’un programme qui lui est indiqué et imposé (Code 559, § 2).
4. Qualités et vertus requises pour l’exercice de sa
charge. Il doit être doté de toutes les qualités nécessaires et
opportunes d’ordre intellectuel et pédagogique. « Cum coeteris
dotibus necessariis et opportunis » (Can. 559, § 2).
Le premier devoir de tout vrai éducateur doit être d’ensei­
gner, bien plus par l’exemple que par la parole. Le socius aura
donc toutes les vertus morales et religieuses exigées du P.-Maître
(voir Leçon 33e). « On assignera au P.-Maître un compagnon
qui doit, par la sainteté de sa vie et de sa conduite, lui être
semblable autant qu’il se pourra » (Constitution de Clément VIII,
voir Schaefer, « De Religiosis, Pars VIII, ch. II, p. 504). Par
son comportement extérieur et la dignité de sa vie morale,
il s’efforcera donc en tout et partout d’offrir aux yeux des
Novices un beau type de religieux.

II. FONCTIONS DU SOCIUS


Multiples et variées sont les fonctions, au Noviciat, d’un
socius ou d’une sous-maîtresse. Aussi, le Droit rappelle-t-il
qu’on ne doit point leur imposer — de même qu’au P. Maître —
d’autres emplois ou occupations, au détriment de leur charge
principale (Can. 559, § 3).
Ces fonctions sont fixées — du moins en partie — par les
Constitutions, Règlement du Noviciat et Tradition. Mais ces
indications ne suffisent point à établir un programme complet
d’action. Il appartient donc au P.-Maître d’en dresser, d’accord
avec son socius, une liste, aussi précise que possible, afin d’éviter
tout malentendu ou heurt dans leur collaboration.
Disons, non pas ce qu’est toujours et obligatoirement le rôle
d’un socius, mais ce qu’il pourrait être, au plus grand profit
du bien général : tout à la fois aide, informateur, remplaçant
et, en certains cas, suppléant.
SOCIUS ET SOUS-MAITRESSE 335
i. Aide du P. Maître dans l’exercice de ses fonctions
essentielles : gouvernement, enseignement, direction.
a) Gouvernement. En l’absence du Maître des Novices, le
Socius pourra veiller à la discipline générale, à l’observance
de la Règle, présider les exercices communs ; diriger les prome­
nades, assurer le bon ordre et la propreté de la maison, orga­
niser les petites fêtes de famille, etc.
b) Enseignement. Si le Maître des Novices se réserve l’ensei­
gnement doctrinal essentiel à la formation intellectuelle, il peut
aussi confier à son auxiliaire des cours secondaires : plain-
chant, liturgie, exercice pratique des rubriques, cérémonial de
l’office, catéchisme, doctrine chrétienne aux Postulants et aux
Convers.
c) Direction. Sans s’ingérer habituellement dans la direc­
tion spirituelle des âmes — l’unité de formation exige l’unité
de direction — il pourra, à l’occasion et en passant, donner
un avis, un encouragement à un Novice désemparé ou tenté,
venu à lui spontanément chercher une lumière ou un refuge.
Chargé de la retraite aux Postulants, aux Convers, il pourra
pendant ce temps pratiquer la direction spirituelle, voire
sacramentelle.
2. Informateur, à condition d’ôter à ce mot tout sens
péjoratif. Informateur, non pas dénonciateur, et, moins encore,
agent de la police secrète.
Informer prudemment et discrètement le P.-Maître de ce
qu’il ignore serait fort utile à la bonne marche du Noviciat
ou à l’amendement d’un Novice : violation fréquente de la
Règle, manquement grave et public à la charité, critique de
l’autorité, manifestations de mauvais esprit ; plus qu’un devoir,
c’est là un acte de pure charité.
3. Remplaçant. En cas d’absence prolongée du P.-Maître,
le Socius semble tout qualifié pour le remplacer dans l’exer­
cice de ses fonctions. Encore se gardera-t-il de toute inno­
vation ou changement dans le gouvernement du Noviciat. En
cas d’imprévu et de décisions urgentes à prendre, agir pour
le mieux et en rendre compte le plus tôt possible.
4. Suppléant. En certains Instituts ou Ordres religieux,
Sous-Maître et Sous-Maîtresse sont chargés d’office, au point
de vue corporel et spirituel, des Postulants choristes et Convers.
Ils remplissent, en fait, les fonctions du P.-Maître, qu’ils ne
font que suppléer. Dès lors, il leur faudra, dans leurs activités
336 AGENTS-AUXILIAIRES

éducatrices, modeler leur conduite sur la sienne, afin d’éviter


toute solution de continuité ou toute opposition entre leur
formation et celle du Noviciat.

III. ENTENTE CORDIALE

Encore qu’elle doive, en tout et partout, être prudente et


discrète, l’influence du Socius n’en reste pas moins réelle et
efficace dans un Noviciat. S’exerçant tout à la fois sur la per­
sonne du P.-Maître et sur la conduite des Novices, elle peut
contribuer à la création d’un « climat spirituel » extrêmement
favorable à la formation des jeunes religieux.
Cette influence du Sous-Maître sera toutefois conditionnée
par la nature de ses relations avec l’Autorité et par son compor­
tement à l’égard des Novices.
Ce qui doit tout d’abord présider à ses rapports avec le
P.- Maître, c’est le souci constant, à tous deux, d’une entente
intime, cordiale et fraternelle. Il ne faudrait jamais qu’ils donnent
l’impression que ce qui doit être une collaboration désintéressée
à une œuvre commune soit devenu, plus ou moins consciem­
ment, une lutte & influence personnelle sur les âmes.
Toute manifestation habituelle de mésentente ou d’oppo­
sition ne pourrait que troubler la paix, engendrer des partis
et compromettre plus ou moins gravement l’éducation des
Novices.
i. Nature de cette entente : union d’esprit, de volonté,
d’action dans la poursuite et la réalisation d’un même idéal
de formation religieuse, en suivant la même voie et en utilisant
les mêmes méthodes. Accord parfait sur tous les points essen­
tiels et secondaires d’un programme commun.

2. Conditions d’entente. Cette entente tire son origine


et tient sa solidité de différentes sources.
a) Elle est le résultat d’une estime, sympathie et confiance
mutuelles. En l’absence de ces sentiments, il n’y a plus qu’une
juxtaposition, sans union ni collaboration.
b) Respect absolu des droits d’un chacun. Si le P.-Maître,
en dehors de tout esprit de centralisation et d’accaparement,
laisse à son Socius le libre et plein exercice des attributions
que lui concèdent Constitutions et Règlement du Noviciat,
celui-ci, de son côté, doit se garder soigneusement d’empiéter
tant soit peu sur les fonctions du Maître des Novices.
SOCIUS ET SOUS-MAITRESSE 337
c) Par ailleurs, savoir à l’occasion s’expliquer, se renseigner,
se consulter, mettre ses lumières en commun. A cet échange
d’idées et de vues, chacun peut y gagner.
d) Restera enfin au Socius de répondre volontiers et de
bon cœur aux appels et aux demandes qui lui seront adressés
pour le service du Noviciat.

IV. DIRECTIVES PÉDAGOGIQUES


L’influence formatrice d’un Socius dépend en partie de son
attitude et de ses rapports avec les Novices. Voici quelques
directives qui pourront lui être utiles.
i. Tout faire pour gagner la confiance et l’estime des Novices :
simplicité, affabilité, bonté, patience, dévoûment. Rien de dur,
de distant, d’autoritaire : un grand frère au milieu de ses frères.
2. Donner toujours l’exemple de la régularité et du devoir
d’état parfaitement accompli.
3. D’un mot amical, consoler et relever une âme attristée
ou découragée.
4. Discrétion absolue au sujet des confidences reçues et
faites spontanément.
5. Aiguiller doucement vers le P.-Maître les âmes fermées,
butées, aigries, et leur donner confiance en la sagesse de sa
direction.
6. Contribuer au maintien d’un climat de joie, d’union et
de fraternité dans le Noviciat.
7. En cas d’incompréhension et d’antipathie naturelle entre
le P.-Maître et un Novice, servir prudemment â’intermédiaire.
8. Ne jamais critiquer — en public ou en privé — la per­
sonne et la conduite du P. Maître, mais défendre toujours
son autorité et la justifier dans toute la mesure du possible.
9. Se garder de toute apparence de partialité, de favori­
tisme, de méfiance et de suspicion.
10. User fort modérément des remarques, reproches ou
sanctions, sur le terrain de sa juridiction.

1. Quels doivent être les sentiments et l’atti­


tude des Novices à l’égard du Socius ou de
la Sous-Maîtresse ?

22
33§ AGENTS-AUXILIAIRES

2. N’y aurait-il pas, à l’heure actuelle, ten­


dance à minimiser le rôle du Socius et à
se montrer accommodant dans son choix ?

3. Le Socius a-t-il autorité pour commander


les Novices et les reprendre ? Pourquoi et
jusqu’où ?

4. Le Supérieur local peut-il, malgré l’oppo­


sition du P.-Maître, utiliser comme il l’en­
tend le Socius pour des travaux intérieurs
ou extérieurs ?

5. Le Socius est-il soumis à la discipline géné­


rale de la Communauté et à l’autorité du
Supérieur local ?

Enchiridion de Statibus Perfectionis, 98, 100, 101, 201. — Pour


les Maîtresses des Novices, ch. x. — Constitutions — Règlement du
Noviciat. — Gautrelet, Traité de l’Etat religieux, t. II, ch. iv. Appen­
dice, art. Il, § 12. — Schaefer, De Religiosis, Pars VIII, cap. 11, 10,
« De Magistro Novitiorum ». — Acta et Documenta Cong. Gen. de
Statibus Perf., t. III, 119.
R. C. R. 1950, 122.
TRENTE-NEUVIÈME LEÇON

LE CONFESSEUR

Dans le recouvrement ou le développement de la vie spiri­


tuelle, et donc, dans la formation des jeunes religieux, la
confession joue un rôle fort important, parfois oublié ou du
moins minimisé.
Et l’on s’explique assez difficilement l’espèce de discrédit
et de désaffection dont elle est frappée, de nos jours, auprès
même de certaines âmes consacrées "et cléricales.
« Nous tenons à recommander vivement ce pieux usage
introduit par l’Eglise, sous l’impulsion du Saint-Esprit, de la
confession fréquente, qui accroît la vraie connaissance de soi,
favorise l’humilité chrétienne, tend à déraciner les mauvaises
habitudes, combat la négligence spirituelle et la tiédeur, purifie
la conscience, fortifie la volonté, se prête à la direction spiri­
tuelle et, par l’effet propre du sacrement, augmente la grâce.
Que ceux donc qui diminuent l’estime de la confession parmi
le jeune clergé sachent qu’ils font là une œuvre contraire à
l’Esprit du Christ et très funeste au Corps mystique de notre
Sauveur » (Pie XII, Encycl. « Mystici Corporis Christi »,
29 juin 1943) ; voir encore Encyclique sur la sainte Liturgie,
« Mediator Dei », 20 nov. 1947.
Tous ces effets, signalés par le Souverain Pontife, la confes­
sion les tient sans doute, et tout d’abord, de sa puissance sacra­
mentelle. Novice et confesseur cependant n’y sont point tota­
lement étrangers, et tous deux contribuent, indirectement du
moins, à lui donner toute son efficacité. Le premier, par ses
dispositions intérieures, condition et mesure de la grâce reçue ;
le second, par l’activité formatrice qu’il exerce personnellement
sur l’âme de son pénitent et que nous voudrions rappeler
dans cette leçon.
340 AGENTS-AUXILIAIRES

I. LÉGISLATION CANONIQUE
L’Eglise est un des principaux agents de formation religieuse
(Leçon 26). Par son enseignement et sa législation, les sacre­
ments et la liturgie, elle s’est toujours efforcée de maintenir
l’état religieux dans son intégrité, et de favoriser la vie spiri­
tuelle de tous les consacrés. En ces derniers temps, elle s’est
particulièrement intéressée à la réception du sacrement de
Pénitence dans les Ordres et Instituts religieux. Preuve de
Yimportance qu’elle attache à la confession; et preuve nouvelle
de sa prudence, sagesse et bonté maternelle à l’égard de ses
fils de prédilection.
Toute sa législation actuelle lui a été inspirée et dictée
par le triple souci de revaloriser cette institution sacramentelle,
d’en faciliter l’accès, de lui assurer de dignes ministres et, par
là, d’offrir à tous les religieux une source plus abondante de
purification intérieure et aux Novices un instrument plus parfait
de formation morale.
1. Choix du Confesseur. Le confesseur ordinaire ou
extraordinaire des religieuses doit avoir quarante ans d’âge,
se distinguer par la dignité de sa vie, sa prudence, et n’exercer
au for externe aucune juridiction sur les Novices (Can. 524, § 1).
Comme le Noviciat se renouvelle tous les ans ou tous les
deux ans, le changement périodique du confesseur ordinaire
prescrit par le droit (Can. 526) ne s’impose pas, et le même
prêtre peut remplir indéfiniment cet office, sans limite de
temps.
2. Nombre des Confesseurs. Afin d’assurer aux péni­
tents toute liberté de conscience et toute facilité, pour obvier
à certains dangers ou abus, l’Eglise met à la disposition de
tous les religieux un certain nombre de confesseurs, attitrés
ou non.
a) Dans les Ordres et Congrégations de femmes, les Novices
pourront s’adresser à l’un ou l’autre des confesseurs suivants :
1. Confesseur ordinaire, un ou plusieurs, selon le nombre
plus ou moins grand des Novices (Can. 566, § I, n° 1; voir
Can. 520-527).
2. Confesseur extraordinaire qui, au moins quatre fois l’an,
se rendra à la maison du Noviciat, et devant lequel toutes
les Novices devront se présenter, sinon pour se confesser, du
moins pour recevoir sa bénédiction (Can. 521).
LE CONFESSEUR 341
3. Confesseur spécial. Si une Novice, pour la paix de son
âme ou son avancement spirituel, demande un confesseur spécial,
l’Ordinaire le lui accordera volontiers, tout en veillant à écarter
abus ou désordre (Can. 520, § 2).
4. Confesseurs suppléants. L’Ordinaire pourra aussi, pour
les différentes communautés, désigner quelques prêtres, aux­
quels il sera permis de recourir pour les cas particuliers
(Can. 521, § 2).
« La Novice a toujours le droit de s’adresser aux confesseurs
ci-dessus indiqués et sans que l’Autorité puisse lui en demander
raison, témoigner le moindre mécontentement ou s’opposer à
sa démarche (Can. 521, § 3). Tout Supérieur agissant autre­
ment pourrait encourir des sanctions, voire être privé de sa
charge » (Can. 2414).
5. Confesseur occasionnel. De même, pour la tranquillité de
sa conscience, toute Novice peut, dans une église, oratoire
public ou semi-public, se confesser à n’importe quel prêtre
approuvé pour les femmes, et sa confession est valide et licite :
cela, sans être obligée d’en rendre compte à sa Supérieure,
laquelle n’a le droit ni de le lui défendre, ni de l’interroger
(Can. 522).
6. Confesseur en cas de maladie grave. Durant tout ce temps,
et sans qu’il y ait pour autant danger de mort, une Novice peut
— et sans que la Supérieure puisse l’en empêcher directement
ou indirectement — s’adresser à tout confesseur simplement
approuvé pour les femmes (Can. 523).
è) En toute Congrégation d’hommes, le Noviciat aura lui
aussi un — ou plusieurs en cas de nécessité — confesseur ordi­
naire, lequel, dans les Instituts de clercs, devra nécessairement
résider à la maison même du Noviciat, ou — s’il s’agit de
Frères laïcs — s’y rendre fréquemment, pour être à la disposition
de tous et de chacun (Can. 566, § 2, n° 2).
Lui seront adjoints un confesseur extraordinaire, quelques
confesseurs suppléants, pour des cas particuliers (Can. 566,
§ 2, nos 3 et 4). Dans les Instituts laïcs, tout religieux, sur sa
demande, pourra obtenir de l’Autorité — qui l’accordera
volontiers — un confesseur spécial (Can. 528).
A l’occasion d’une sortie légitime du couvent, ou en cas
de maladie grave, tout Novice peut toujours se confesser à
n’importe quel prêtre approuvé.
Pour entrer dans l’esprit de l’Eglise, Maître et Maîtresse
du Noviciat favoriseront le plus possible la liberté de conscience,
342 AGENTS-AUXILIAIRES

accordant largement au confesseur et à leurs Novices tout le


temps voulu et les heures les plus favorables de la journée.

3. Obligation de la confession. Aux yeux de l’Eglise,


la confession revêt une telle importance dans la vie religieuse
qu’elle a cru bon, dans sa législation, d’en prescrire la fré­
quence. Ce qu’elle n’a pas fait pour la réception de l’Eucharistie.
Tout religieux est ténu de se confesser au moins (saltem)
une fois la semaine. La confession hebdomadaire n’est donc
point un programme maximum, mais minimum, strictement
obligatoire et pour le Novice et pour le confesseur. Celui-ci
doit se prêter d’office et de bonne grâce à ce ministère et ne
point s’y soustraire, sinon exceptionnellement et pour des
raisons graves (Can. 595, § 1, 30). Quant au P.-Maître, il
veillera à ce que tous ses Novices se confessent régulièrement
(Can. 595, § 1, n° 3). En cas d’oubli ou de négligence de leur
part, leur rappeler discrètement et sans trop insister, le texte
du Droit Canon.
Convient-il de se confesser plus souvent ? La réponse est
laissée à la piété du pénitent et au jugement du confesseur. Il se
peut qu’en certaines circonstances : épreuves spirituelles,
tentations graves, chutes réitérées, l’usage plus fréquent du
sacrement de Pénitence soit à conseiller. En dehors de ces
cas, le confesseur doit user d’une extrême prudence, pour
que la discipline régulière ne soit pas troublée et que l’habi­
tude ne tourne pas à la routine. Se rendre compte aussi que
la Novice ne se laisse point guider par des motifs humains :
attirer l’attention sur sa personne, gagner l’estime de son Père
spirituel et s’attacher à lui par un sentiment trop naturel
d’affection.

II. SCIENCE ET VERTU

Le ministère du confessionnal auprès des jeunes religieux


Novices est un des plus importants et des plus délicats. Il
s’exerce sur ce qu’il y a de plus intime et de plus sacré dans
une âme, la conscience, et requiert par là-même une science
et une vertu plus qu’ordinaire.

1. Culture intellectuelle. En sa qualité de ministre d’un


sacrement, de juge et de directeur, le confesseur doit posséder :
<2) Une science morale et pastorale suffisamment complète
et sûre, conforme aux grands principes de la théologie
traditionnelle.
LE CONFESSEUR 343
b~) Science ascétique : données sérieuses sur la vie spirituelle,
l’état religieux : nature, lois essentielles, obligations fonda­
mentales, vœux de pauvreté, chasteté, obéissance.
c) Connaissance de l’Ordre : Règle, esprit, spiritualité,
vertus caractéristiques, apostolat.
d) Notions pédagogiques, aperçus psychologiques sur la
femme et la religieuse, initiation à la mentalité, aux tendances
intellectuelles et morales de la jeunesse contemporaine.
Ce qu’on attend tout d’abord d’un guide, c’est qu’il voie
clair et ne soit ni borgne ni aveugle. « Rien n’est plus sûr que
la lumière. »
e) Qu’il soit fort bien renseigné sur la nature de sa charge,
ses droits, ses obligations vis-à-vis de l’institut en général et
de chaque Novice en particulier : seul moyen dééviter l’abus
ou la carence de son autorité et de prévenir les conflits de
juridiction.
Si, dans l’exercice de ses fonctions, il ne relève de personne,
sinon de Dieu, de l’Eglise et de sa conscience, par contre, il lui
est strictement interdit de s’ingérer dans le gouvernement
extérieur du Noviciat, qu’il s’agisse d’accorder des autorisa­
tions, de dispenser de la Règle et des prescriptions discipli­
naires. Le for interne de la conscience est son domaine
unique et exclusif (Can. 524, § 1, § 3).
Le confesseur ordinaire ne peut-être nommé Visiteur
(Cf. R. C. R., janvier-février 1935, pp. 26, 27), ni scrutateur
pour l’élection d’une Supérieure de Moniales (Can. 506, § 3).

2. Prudence. Le Code rappelle que le confesseur doit


être un prêtre d’éminente vertu, mais il ne signale en parti­
culier qu’ttwe vertu : la prudence (Can. 524, § 1).
Son exercice doit porter spécialement sur deux points :
Yunité de direction et la discrétion.
a) Unité de direction. Nous avons déjà signalé la nécessité
de sauvegarder cette unité dans la formation des Novices,
Unité qui se retrouve ici menacée par une dualité de direction :
Direction spirituelle du P. Maître et Direction sacramentelle du
confesseur ; lesquelles, loin de s’opposer et de se nuire,
devraient, au contraire, se compléter et se renforcer.
C’est que les lignes de démarcation qui les séparent, n’étant
pas toujours exactement tracées, sont exposées à s’enchevêtrer
et à chevaucher l’une sur l’autre ; surtout dans le cas où le
Novice aurait donné au P.-Maître tout droit d’entrée dans sa
conscience.
344 AGENTS-AUXILIAIRES

Il importe donc que le confesseur veille attentivement à


ce que sa direction ne marque aucune opposition ou diver­
gence avec la doctrine, les conseils et directives du P.-Maître.
L’âme des Novices ne pourrait qu’en être troublée, angoissée,
voire, désemparée.
En certaines circonstances où la conscience pourrait être
gravement engagée — réalité d’une vocation, renvoi ou retour
dans le monde — peut-être serait-il bon, par mesure de pru­
dence et avec l’autorisation du Novice, de tenir conseil à deux,
afin de pouvoir donner à l’intéressé une réponse plus sûre
et, par là même, plus rassurante.
Confident des difficultés, des tentations qu’un Novice
éprouve dans ses relations avec son P.-Maître, le confesseur
se montrera extrêmement circonspect et, tout en éclairant,
consolant et réconfortant son pénitent, et lui montrant le parti
qu’il peut tirer de cette épreuve, il se gardera de déprécier
l’Autorité, de critiquer son gouvernement ou sa direction.
Qu’il aiguille vers elle tout Novice qui s’en éloignerait par
caprice, prévention, antipathie naturelle, et lui inculque le
respect, la confiance, l’obéissance vis-à-vis de celui que la
Providence lui a donné comme formateur, et qui a grâce d’état
pour le conduire.
Avec ses Novices, le P.-Maître usera de la même ligne
de conduite à l’égard du confesseur ; de là, une entente par­
faite et une étroite collaboration.
« Au demeurant, dans l’œuvre de la formation d’une âme,
aussi bien le confesseur que la Maîtresse des Novices doivent
éviter, de manière très habituelle, tout ce qui ressemblerait
à un monopole. Ils doivent pouvoir à tout instant remplir
un rôle de suppléance mutuelle, de telle sorte que l’âme ait
toujours où trouver lumière en face de ses difficultés »
(R. C. R., mai-juin 1940, p. 67).
è) La discrétion s’apparente de près à la vertu cardinale
de prudence. Si la parole est d’argent, le silence est d’or, sur­
tout pour le confesseur, lié par le secret sacramentel. De tous
les aveux et confidences reçues et tombées dans son âme comme
dans un tombeau, aucune ne sera jamais exhumée, sinon avec
Y autorisation formelle de son pénitent et pour un motif de
charité.
Bien plus, il s’interdira absolument tout ce qui, dans sa
parole, son attitude, un geste, pourrait, même de loin, le faire
tant soit peu soupçonner d’indiscrétion. La confiance des
Novices est à ce prix et le succès de son ministère.
LE CONFESSEUR 345

S’agit-il. de l’admission à la profession, le confesseur ne


sera jamais consulté, et il se gardera d’intervenir de lui-même,
de quelque façon que ce soit, pour influencer le vote du Chapitre
ou la décision des Supérieurs Majeurs.
Discrétion encore que de ne point enquêter auprès de ses
pénitents sur tout ce qui se fait au Noviciat, sur le gouvernement,
l’enseignement et la direction du P.-Maître. Une Novice amor­
cerait-elle le récit de la chronique locale et semblerait-elle
vouloir transformer le confessionnal en parloir, que le confes­
seur lui coupe immédiatement et aimablement la parole.
Ne serait-ce point encore prudence, autant qu’humilité et
largeur d’esprit, que de laisser à chacun toute liberté de
s’adresser à d’autres confesseurs, sans en témoigner ni chagrin,
ni dépit ?

III. DIRECTION SACRAMENTELLE

Le rôle du confesseur ne se réduit point à assurer la vali­


dité du sacrement et à donner l’absolution. Il doit encore,
en tant que Père, Docteur, Médecin et Juge, exercer sur l’âme
de son pénitent une action formatrice personnelle.
î. Père : n’est-ce point le nom qu’on lui donne, lorsque,
tombant à ses genoux, on commence sa confession : « Confi­
teor Deo omnipotenti... et tibi Pater? » Il aura donc, pour
gagner la confiance et faciliter les aveux, la bonté, la patience,
l’affection, le dévouement d’un père. Un Novice peut avoir
ses peines, ses tentations, ses chutes, ses découragements ; il
trouvera toujours dans son confesseur un Père pour le consoler,
le soutenir, le relever, le remettre en forme.
2. Le Docteur. Sans faire un cours de théologie morale,
dogmatique ou ascétique, le confesseur profitera des aveux,
doutes et questions de son pénitent, pour l’éclairer, rectifier
ses erreurs, dissiper ses illusions sur l’état religieux ; l’aider
à se connaître lui-même et lui rappeler à l’occasion la gravité
de ses responsabilités dans l’œuvre de sa formation et sa fidé­
lité à l’appel de Dieu.
Alerté par la nature de certaines accusations ou confidences ;
devant la manifestation d’angoisses ou de phobies scrupuleuses
au sujet de la pureté, le confesseur saisira l’occasion de donner
aux Novices — surtout aux jeunes religieuses — un ensei­
gnement clair, prudent et viril sur cette question délicate. For­
mation à la chasteté, répondant à leur état d’âme actuel,
346 AGENTS-AUXILIAIRES

adaptée à leur vocation spéciale et à leur futur apostolat.


« L’enseignement et la direction donnés à l’âme religieuse
par le prêtre et la Supérieure sont les plus grands facteurs de
formation à la chasteté » (Forma Gregis, juin 1953, p. 16.
«Information et formation des religieuses à la chasteté. »

3. Le Médecin. Au point de vue moral, tout homme


est un malade ou un déficient, qui a besoin d’un médecin-
traitant. Ce besoin se fait particulièrement sentir dans la jeu­
nesse et à l’époque de la formation.
Au confesseur d’étudier son client, afin de détecter tout
ce qui, dans son âme ou dans sa vie, pourrait faire obstacle
à son développement surnaturel et religieux.
Tendances ataviques, séquelles d’anciennes habitudes, tié­
deur, fièvres passionnelles, malaria d’égoïsme, etc. : autant de
maladies à soigner, à guérir, ou du moins à enrayer, grâce
à une heureuse thérapeutique et un excellent régime.
4. Le Juge. Restera au confesseur d’exercer son office de
juge. Au pardon qu’il accorde au nom de Dieu, il faudra une
sanction : la pénitence sacramentelle (Can. 887), qui relève
exclusivement de son pouvoir d’ordre. En plus de celle-ci, il
pourra conseiller ou imposer d’autres œuvres pénitentielles, en
vue de réparer le passé et de sauvegarder l’avenir. Encore
convient-il qu’elles soient conformes à la Règle et à la vie
commune.
Quant aux autres pénitences ou mortifications — jeûnes,
cilices, disciplines, veilles, coucher sur la dure, etc., — prati­
quées plutôt dans un but de sanctification, d’apostolat, par
esprit d’amour et de sacrifice, à l’imitation de Jésus-Christ
crucifié, elles sont, semble-t-il, du domaine de la direction
spirituelle et tombent plutôt sous l’autorisation et le contrôle
du P.-Maître.
Le confesseur peut aussi intervenir, en qualité de juge, à
l’occasion de la Profession temporaire. Acte public, officiel,
relevant de la juridiction ecclésiale, l’émission des vœux est
aussi une décision personnelle, engageant la conscience du sujet.
Nul ne peut, sans péché grave, se consacrer à Dieu et entrer
dans un Institut, s’il n’a pas la vocation, ou manque d’idonéité.
Connaissant avec certitude l’incapacité foncière de son
pénitent à la vie religieuse, le confesseur doit lui conseiller
de rentrer dans le monde ; et même, usant de son autorité,
lui en faire une obligation grave de conscience, sous peine
de refus d’absolution.
LE CONFESSEUR 347
« Que les prêtres dont le grave devoir est d’aider de leurs
conseils les adolescents qui disent sentir l’appel au sacerdoce
ou à la vie religieuse, les exhortent à considérer la chose atten­
tivement, pour qu’ils ne s’engagent pas dans un chemin dont
on ne peut pas espérer qu’ils le parcourront jusqu’au bout
avec constance et succès... s’il reste un doute sérieux, surtout
à cause de l’expérience de la vie passée, qu’ils usent de leur
autorité pour dissuader les candidats d’embrasser l’état de
chasteté parfaite et pour empêcher leur admission aux Ordres
sacrés et à la Profession religieuse » (Pie XII, Encycl. « Sacra
Virginitas », 25 mars 1954).

IV. FORMATION DE LA CONSCIENCE

La culture de la conscience est à la fois le fondement et le


couronnement de toute formation. Le premier souci et devoir
d’un éducateur doit être de faire des hommes de conscience.
Saint Augustin en a bien des fois et magnifiquement parlé.
« Cet intérieur de l’homme qu’on appelle la conscience est
le lieu de refuge où l’on trouve Dieu » (Enarr. ex ps. 45, n° 9).
« Dieu est au milieu de l’âme, Dieu a pour trône la conscience
des bons ; le trône de Dieu est dans le cœur des hommes »
(L. c.) : « Dans la conscience ne saurait entrer aucun homme ;
mais là, il y a Dieu et toi » (Enarr. ex ps. 54, n° 9. Traduction
Gratry, Connaissance de Pâme, t. II, p. 54).
Cette voix intérieure de la conscience est la voix même
de Dieu, transmise fidèlement par la raison, éclairée et ren­
forcée par la foi. La vérité morale qui est en Dieu est la règle
suprême, éternelle et immuable du bien et du mal. Encore faut-il
qu’elle parvienne à notre connaissance ; et c’est là, le rôle de
la conscience, qui devient ainsi la règle subjective, individuelle
et sacrée de notre vie. « Ipsi sibi sunt lex » (Rom. II, 14). Ainsi
apparaît-elle comme une lumière, un guide, un témoin, un juge
et un vengeur. Elle est la grande maîtresse de l’existence. La
vraie valeur d’un homme se mesure à la perfection de sa
conscience.
De là, l’autorité souveraine et universelle de la conscience;
de là aussi le respect, l’obéissance, le culte qui lui est dû et
auquel on doit toujours être prêt à tout sacrifier, même sa vie.

1. Déformation de la conscience. Encore faut-il que le


texte de la loi divine, transcrit dans l’âme par la raison et la,
foi, soit absolument authentique, sans suppression, ni addition,
348 AGENTS-AUXILIAIRES

sans rature ni surcharge, sans nul commentaire fallacieux,


émollient ou aggravant. Que le texte surtout ne soit pas un
faux, composé de maximes erronées ou d’illusions diaboliques.
Car, la conscience ne serait plus, dès lors, la voix de Dieu.
Dans notre siècle, se constate non seulement un fléchisse­
ment — il a existé en tout temps — mais une espèce de pourris­
sement de conscience, quasi universel. En leur réunion annuelle,
cardinaux et archevêques ont signalé cette crise, que la der­
nière guerre n’a fait qu’aggraver. Du haut en bas de l’échelle
sociale, la passion, le plaisir, les intérêts sont devenus trop
souvent la grande règle de conduite ; et chacun s’en va répé­
tant : « Il n’y a plus de conscience ».
Cette crise s’est fait sentir, plus ou moins, jusque dans le
monde clérical et religieux. Conscience aveugle, erronée, illu­
minée, douteuse, racornie, scrupuleuse, pharisaïque, laxe, rigo­
riste, muette ; conscience de rechange ou conscience « à l’œil » :
contre cette carence, ces déficiences et altérations, sans doute
serait-il sage de mettre en garde la jeunesse de nos séminaires,
noviciats, scolasticats, et de lui donner sur ce point névral­
gique une formation sérieuse, avertie et virile.

2. Formation des Consciences religieuses. Elle est


l’œuvre conjuguée du confesseur et du P.-Maître, ou Maî­
tresse des Novices. A ces derniers revient d’office un ensei­
gnement doctrinal, commun et spéculatif sur la conscience :
nature, éléments, développement ; ses ennemis, ses sources,
son rôle capital, irremplaçable dans une vie religieuse.
Mais c’est au confesseur, en contact direct et intime avec
la conscience de ses pénitents, qu’il appartient de donner à
chacun d’eux une formation individuelle, concrète et pratique.
Il s’efforcera donc, dans une communauté d’action, de leur
faire une conscience profondément et immuablement religieuse,
c’est-à-dire :
a) Vraie, en pleine conformité avec la volonté de Dieu,
les exigences de sa grâce et les dispositions de sa Providence.
b) Eclairée, sur toutes leurs obligations à l’égard de Dieu,
d’eux-mêmes, de leur vocation, de l’institut et de leurs frères ;
obligations multiples et graves, qui découleront de leur Pro­
fession.
c) Certaine, excluant le doute, le scrupule, les illusions. Il
faut toujours — enfants de lumière — marcher en pleine
clarté.
d) Délicate, au point de se rendre compte immédiatement
LE CONFESSEUR 349
des moindres fléchissements et des plus minimes manquements.
Sensibilité exquise, qui s’accompagnera presque toujours d’un
grand esprit de componction.
e) Virile, qui ne se laisse ni entamer ni dégrader par l’esprit
du monde, indépendante du respect humain, peu soucieuse de
l’opinion. « Pro minimo est ut a vobis judicer » (I Cor., IV, 3).
imperméable à l’influence du milieu : « Et si omnes, sed non
ego » (Marc, XIV, 29).
f) Fidèle, qui, devant le devoir — quoi qu’il puisse en
coûter — ne sait ni hésiter, ni biaiser, ni reculer. Nul ne doit
jamais trahir sa conscience. « Potius mori quam foedari. » C’est
une telle fidélité invincible qui fait les héros, les saints et les
martyrs.

1. Quels doivent être les sentiments et l’atti­


tude des Novices à l’égard de leur confes­
seur ?

2. La confession, en dehors de la direction


sacramentelle, est-elle déjà par elle-même
un excellent instrument de formation ?

3. Le novice est-il tenu au secret au sujet des


confidences qui lui sont faites aù confes­
sionnal ?

4. S’il est permis, est-il toujours sage de


changer fréquemment de confesseur, et
de ne s’adresser que fort rarement au
confesseur ordinaire ?

5. Un novice est-il tenu en conscience de


suivre les conseils de son confesseur, qui
l’exhorte vivement à retourner dans le
monde ?

6. Donner une définition succincte des con­


sciences fausses ou déformées, ci-dessus
indiquées, et fournir quelques exemples à
l’appui.

7. Quelles sont les causes qui menacent le


plus la formation d’une conscience ?
350 AGENTS-AUXILIAIRES

8. L’absence fréquente de droiture de con­


science chez un Novice constitue-t-elle un
motif suffisant de renvoi ?
9. Quelles peuvent être les conséquences pré­
sentes et futures d’une formation manquée
au point de vue conscience ?

Enchiridion de Statibus Perfectionis. Index « Confessio ». —


S. Alphonse, Praxis Confessarii. — Desurmont, La Charité sacerdotale,
IIe Partie, ch. iv, §3. — Guibert, Retraite Spirituelle, 11e Médita­
tion. — Gautrelet, Traité de l’Etat religieux, t. II, ch. iv, Appen­
dice, § 8. — Choupin, Nature et Obligations de l’Etat Religieux, Ire Par­
tie, ch. x, art. il.---- Schaefer, De Religiosis, Pars VI, cap. 1, 11, in.
— De Guibert, Leçons de Théologie Spirituelle, Leç. XXX, XXXI ;
Directoire des Prêtres chargés des Religieuses, IIe Partie, ch. n. — Ehl,
Direction Spirituelle des Religieuses, Principes et Applications » . Adapté
de l’allemand par Creusen. — Gillet, Devoir et conscience ; La Crise
actuelle des Consciences et l’Education religieuse. Collection de Société
d’études religieuses. — Noble, La Conscience Morale et les Lois de
son évolution individuelle, même collection. — Haring, La Loi du
Christ, Ire Partie, ch. Il, 3e Section. — Dictionnaire de Spiritualité,
art. « Conscience », et spécialement n° 1, 6, 7. — Dict. Th. Vacant.,
art. « Confesseur », IX, I Ministre ; Conscience, spécialement X.
« Les maladies de la Conscience ». — Acta et Documenta Congressus
Generalis de Statibus Perfectionis. Index, t. IV, « Confessio, Confessa-
rius, p. 369 ; « Conscientia Moralis », p. 370.
R. C. R. 1935, 26 ; 1937, 157 ; 1939, 189 ; 1940, 63 ; 1947, 57 ;
1948, 113 ; 1950, 163 ; 1952, 108. — Forma Gregis, Série d’études
sur la « Formation de la Conscience », P. Chevignard ; année 1957-1958,
octobre 1957 à mai-juillet 1958 ; janvier-février 1959.
QUARANTIÈME LEÇON

L’AUMONIER

Pour être moins importante que celle de confesseur, la


charge d’aumônier ne laisse pas d’avoir une certaine influence
sur la formation des Novices.
Si l’activité formatrice du premier est essentiellement inté­
rieure et individuelle, celle du second, de sa nature, est exté­
rieure et générale.
Ces deux fonctions ne s’opposent en rien, et plus d’une
fois elles se trouvent dévolues à un seul et même prêtre :
confesseur-aumônier.
Dans cette leçon, il ne s’agit que de l’aumônier de la commu­
nauté proprement dite, et nullement de rétablissement — hôpi­
tal, clinique, sana, pensionnat, hospice — qui pourrait y être
adjoint.
Au sujet de ses qualités personnelles et de son rôle officiel,
le Droit Canon est plus que laconique. « S’il s’agit d’instituts
laïcs non exempts, c’est à l’Ordinaire du lieu de nommer un
prêtre chargé du culte religieux et de la prédication » (Can. 529).
Tenu compte des Statuts diocésains, des Constitutions de
la Congrégation, de la Règle du Noviciat, des coutumes de la
communauté, escomptant par ailleurs une entente cordiale, qui
peut et doit exister, nous allons essayer de préciser — dans
la mesure du possible — les droits et les obligations de l’aumô­
nier, et rappeler les principales fonctions qu’il peut et doit
exercer dans la communauté, et plus spécialement au Noviciat.

I. AU SERVICE DE LA COMMUNAUTÉ
Depuis que le Verbe s’est incarné pour « servir et non pour
être servi » (Matth., XX, 28), du jour où Notre-Dame, Mère
de Dieu et Reine du monde, s’est appelée « servante », Ecce
352 AGENTS-AUXILIAIRES

Ancilla (Luc, I, 38), alors que le Souverain Pontife se dit le


« Serviteur des serviteurs de Dieu », le mot « servir » n’a plus
rien qui puisse offusquer la dignité sacerdotale. Plus qu’une
fonction, servir est devenu un honneur et l’une des formes les
plus actives de la charité. En dehors des êtres qui servent,
il n’y a que des êtres inutiles.
L’aumônier est donc entré librement au service d’une commu­
nauté religieuse, une des portions les plus nobles et les plus
chères de l’Eglise. Et le service qu’il lui offre a un caractère
sacré, qui relève de la vertu de religion. Sa nomination à ce
poste est un hommage public rendu à son savoir et à sa vertu.
« Le ministère auprès des religieuses est à estimer comme
un ministère de choix, particulièrement délicat, dont il n’est
pas permis de s’acquitter sans préparation ni attention, sous
peine de porter préjudice grave aux âmes » (Assemblée des
Cardinaux et Archevêques de France, mars 1948).
i. Rôle de l’Aumônier. Il importe tout d’abord de bien
distinguer le « service paroissial du service communautaire ».
Ces deux ministères ne sont point équivalents. Un couvent
n’est point une paroisse, ni l’aumônier un curé.
Celui-ci, dans les limites de sa juridiction, en conformité
avec le Droit, la liturgie, les Statuts Synodaux, a toute auto­
rité pastorale sur sa paroisse et tous droits sur son église et
dans son église.
A lui seul appartient le pouvoir d’administrer les sacre­
ments, de prêcher, d’organiser le culte religieux, de fixer les
différentes cérémonies ou réunions publiques, de créer ou de
supprimer les associations pieuses ou groupements d’Action
Catholique, de modifier l’ameublement et l’ornementation de
son église, de déterminer l’heure des offices quotidiens ou
dominicaux, etc.
Il n’en va plus de même pour les aumôniers dont les droits
sont considérablement réduits.
a) « Us ne peuvent revendiquer aucune autorité sur les
communautés religieuses, en ce qui concerne leurs Règles, leur
gouvernement, l’administration des choses temporelles et la
discipline intérieure de la maison » (Gautrelet, Traité de l’Etat
religieux, IIe Partie, chap. II, Section troisième, art. 1).
Sur tous ces points, que l’aumônier se montre d’une extrême
réserve, évitant tout ce qui, même de loin, ressemblerait à un
empiètement; peu soucieux d’apprendre ce qui se passe en
communauté ; ne prêtant point une oreille facile aux confi­
dences, plaintes, récriminations à l’égard de l’Autorité ; dans
l’aumonier 353
les petits différents, cabales, coteries familiales, ne prenant
parti pour personne : homme sage, prudent, pacifique.
b'j Au courant de certains abus — sans qu’il y ait eu de
sa part surveillance ou enquête — il se gardera bien de vou­
loir y remédier lui-même. Sans en parler au dehors, voire à
des confrères, il pourra, à l’occasion, avec prudence, les signaler
soit au Supérieur ecclésiastique, soit au Visiteur ou Visitatrice
canonique.
c) Si l’aumônier a le droit d’utiliser personnellement la
chapelle pour tous les exercices de son ministère, il n’oubliera
point cependant qu’il n’en est que le simple usager et non
le maître. En conséquence, il ne peut, sans l’autorisation de
la Supérieure, dans la texture intérieure de l’édifice, rien modi­
fier, rien ajouter, rien supprimer : changer l’autel de place,
enlever tableaux ou statues, etc. De lui-même, il ne lui est
pas permis d’en ouvrir l’accès au public, d’y faire des réunions,
cérémonies, prédications à des retraitants, à des groupes
d’Action Catholique ou associations pieuses, etc.
Ce qu’on attend d’un aumônier, c’est d’assurer exactement,
fidèlement et dignement le culte religieux au profit spirituel
de la communauté.
2. Offices liturgiques, relevant directement et nécessai­
rement du ministère de l’aumônier : la sainte Messe, lue ou
chantée, distribution de la sainte Communion à l’église ou à
l’infirmerie, cérémonies de la Semaine-Sainte, exposition et
bénédiction du Saint-Sacrement ; parfois, vêpres du dimanche
ou des fêtes. En certains Instituts, fort nombreux — trop
nombreux au jugement d’aucuns — sont les Saluts du Saint-
Sacrement, d’ailleurs imposés par le Directoire ou introduits
par la coutume et approuvés par l’Ordinaire. Quoi qu’il en
soit, il semble bien que l’aumônier ne puisse, de sa propre
autorité, en diminuer la fréquence.
3. Cérémonies extra-liturgiques. En beaucoup de
communautés, de pieux exercices ont été institués, de règle
ou de coutume, en l’honneur de Notre-Seigneur, de Notre-
Dame ou des Saints, en particulier durant le mois de mai,
de juin et d’octobre ; heure sainte la veille du premier vendredi,
processions, chemin de la croix, etc.
Si la présidence ou la présence active de l’aumônier n’est
point toujours exigée, elle peut être du moins recommandée.
Le mieux, dans ce cas, est de se fier à sa dévotion et à son obli­
geance. Sa présence ne pourra qu’édifier et lui attirer de la
23
354 AGENTS-AUXILIAIRES

part de la communauté, avec plus de respect et de gratitude,


quelques délicates attentions. Echange de bons procédés qui
n’aboutissent qu’à renforcer la charité et une parfaite harmonie.

II. INITIATION LITURGIQUE


La Liturgie — nous en parlerons longuement dans la troi­
sième partie de ce travail — fait partie intégrante, sinon essen­
tielle, d’une formation religieuse ; elle en est tout à la fois
l’un des éléments et l’un des meilleurs instruments.
Il serait donc à propos, dès leur Noviciat, d’initier les jeunes
religieux à la vie liturgique et de leur en donner Restime, le
goût, Ramour et la pratique.
L’aumônier du Noviciat, de par ses fonctions, semble tout
qualifié pour cette œuvre de formation, tout à la fois doctrinale
et technique.
i. Enseignement liturgique. La Maîtresse ne peut guère
assumer seule la formation intellectuelle de ses Novices. Elle
aura donc recours, pour la suppléer, à des aides ou professeurs-
auxiliaires : sous-maîtresse ou aumônier. Rien ne s’harmonise
mieux avec ses fonctions sacrées et ses études cléricales que
Renseignement de la liturgie. On lui confiera donc un cours
succinct et substantiel sur sa nature, ses éléments, son rôle dans
la vie spirituelle et religieuse.
Un commentaire de l’Encyclique « Mediator Dei » pourra
fort bien servir d’introduction.
Suivra une série de conférences sur l’assistance à la Messe,
Remploi judicieux du missel, la communion, la visite au Saint-
Sacrement, l’office choral.
La plupart des communautés récitent l’office romain en
entier, ou réduit, le petit office de la Vierge. Rappeler l’impor­
tance et l’efficacité de la prière liturgique, en mettant en garde
contre la routine, ou une récitation purement verbale. Suivre
des yeux ou prononcer des lèvres un texte, fût-il sacré ou ins­
piré de Dieu : ce n’est point nécessairement prier. Toute
prière, sous peine de verser dans un pieux verbiage ou ronron­
nement, doit être essentiellement une « élévation de Pâme vers
Dieu ». Il faut prier « in spiritu et veritate » (Joan., IV, 24) et
réciter l’office « digne, attente ac devote ».
A quoi — si le temps le permet — on pourra ajouter une
interprétation des principaux psaumes.
2. Vie liturgique. Tout cet enseignement, l’aumônier
n’aura plus ensuite qu’à le vivre lui-même et à prêcher d’exemple.
l’aumonier 355
a) Les aumôniers ou chapelains des communautés reli­
gieuses ont l’entière responsabilité de ce qui concerne le culte
dans la chapelle qu’ils desservent. Dans toutes les fonctions
sacrées, ils apporteront donc gravité, esprit de foi, piété, fidé­
lité aux moindres prescriptions liturgiques.
b) « Pour assurer la pureté du culte liturgique dans les
communautés religieuses, l’Encyclique « Mediator Dei et
hominum » déclare que « ce que les Constitutions décident
en cette matière doit être observé avec soin et que l’on ne
peut introduire de nouveautés sans l’agrément des Supérieurs ».
Il est à peine nécessaire de faire remarquer que des change­
ments éventuels dans les Constitutions devraient s’inspirer
d’une saine doctrine sur la liturgie et être conformes aux
lois supérieures qui la règlent » (R. C. R., juin-août 1948,
P- 107).
c) Sans prendre des allures de novateur ou de réforma­
teur, il est cependant des cas où l’aumônier a le droit et le
devoir d’intervenir, avec prudence et fermeté, pour remédier
à certains abus, autorisés par le Directoire, le Cérémonial ou
introduits par la coutume : célébrer la sainte Messe devant
le Saint-Sacrement exposé, conserver la sainte Réserve dans
un tabernacle situé dans le mur du sanctuaire et dont la porte
intérieure vitrée donne dans le chœur des religieuses, etc.
d) Pour tout ce qui n’est pas prescrit, mais seulement recom­
mandé ou plus conforme à l’esprit liturgique, l’aumônier chargé
par l’Eglise de promouvoir cet esprit, s’efforcera, sans rien
brusquer, d’amener doucement et progressivement la Supé­
rieure — et selon les possibilités — d’introduire certaines
modifications ou innovations : communion pendant la Messe,
consécration d’hosties à consommer à chaque Sacrifice, emploi
du missel, réponse à haute voix aux prières du prêtre à
l’autel, etc. La piété de tous ne pourra qu’y gagner.

III. ENSEIGNEMENT-PRÉDICATION
Assurer au mieux, dans une communauté, tout ce qui
regarde le culte religieux, conformément aux règles de la
liturgie et selon les directives des Constitutions ou coutumes
légitimes : il n’y a point là toujours de quoi occuper les loisirs
et absorber toutes les activités intellectuelles et morales d’un
aumônier. Quelques autres débouchés vont donc s’offrir à son
zèle et à son dévouement, en particulier l’enseignement et la
prédication.
356 AGENTS-AUXILIAIRES

î. Enseignement. La formation intellectuelle des Novices


relève de la Mère-Maîtresse, aidée en cela par sa Sous-Maî­
tresse, et plus spécialement par l’Aumônier.
Encore serait-il sage, pour éviter lacune ou redite, d’élaborer
un programme général où, d’un commun accord, serait exac­
tement fixée la part d’un chacun.
En nombre de Noviciats, le « cours de religion » — expli­
cation et développement du catéchisme, résumé de toute la
théologie — est de préférence réservé à l’aumônier. Obliga­
toire pour toutes : Postulantes et Novices, il apparaît d’une
telle importance que, d’après une Instruction de la Congré­
gation d^s Religieux (25 novembre 1929), aucune Novice ne
devrait être admise à la Profession sans avoir passé un examen
sur ses connaissances en « Doctrine chrétienne ».
A ces leçons catéchistiques s’ajouteront — si on le juge
à propos — quelques aperçus généraux sur l’Histoire de
l’Eglise, la Morale ou la Sainte Ecriture. Tout cet enseignement
devra se donner en conformité avec celui de la Mère-Maîtresse
et s’inspirer de la nature, de la fin, des œuvres et de la spiri­
tualité de l’institut. Clair, positif, substantiel, classique dans sa
forme et dans sa méthode, à la portée de toutes les auditrices,
il exigera du professeur une préparation soignée.
2. Prédication. La prédication — quand elle est ce qu’elle
doit être — est toujours pour les âmes religieuses humbles,
loyales et dociles, une vraie, puissance de sanctification. « Est-il
osé d’avancer que bon nombre de religieuses. ne connaîtraient
pas, comme elles le doivent, le Dieu de leur Profession, si
elles n’avaient entendu des prêtres parler de Lui, comme
ils le doivent, en raison d’un ministère auprès d’elles ? »
(Directoire des Prêtres chargés de Religieuses. Deuxième
Partie, chap. III, p. 193).
Les Novices, plus que d’autres, ont besoin, pour leur for­
mation spirituelle, de cette divine nourriture.
Sans insister sur le savoir et la vertu requis chez le prêtre
dans l’exercice de ce ministère si délicat et si fructueux, nous
nous bornerons à rappeler ce que doit être dans un Noviciat
la prédication de l’aumônier, touchant le choix des sujets et
la façon de les présenter.
a) Choix des sujets. La matière prédicable est immense.
Elle embrasse tout l’Evangile, le Dogme, la Morale, les Sacre­
ments, les Vertus, toute la vie chrétienne et spirituelle.
Toute cette doctrine trouvera successivement son exposé
durant le cours entier de la vie religieuse, dans les homélies
l’aumonier 357
du dimanche ou sermons des fêtes liturgiques, aux conférences
mensuelles ou bi-mensuelles exigées par le Droit, et encore
aux retraites annuelles.
Dans un Noviciat qui ne dure qu’un an ou deux, le nombre
des prédications est forcément restreint, et un choix s’impose
dans les thèmes à traiter.
Après un rappel de la vie chrétienne — base de tout l’édifice
spirituel — son origine, sa nature, ses éléments, ses sources :
grâce sanctifiante, filiation divine, vertus infuses, surtout foi,
espérance, charité, l’aumônier s’attachera particulièrement
(mais non exclusivement) à l’exposé de Yétat religieux et de
la vocation religieuse : beauté, grandeur, fécondité ; de ses
obligations fondamentales et essentielles : tendance à la perfec­
tion, pratique des vœux et de la Règle ; de ses grandes vertus
caractéristiques, vie intérieure de prières et d’oraison. Et toute
cette doctrine sera développée, non plus au point de vue juri­
dico-moral, mais sous l’angle ascetico-mystique, c’est-à-dire, en
fonction de Dieu, de la sanctification personnelle et de
Yapostolat.
Ainsi conçue, cette prédication serait le vrai couronnement
de tout l’enseignement donné au Noviciat ; elle serait de plus,
encore qu’éloignée, une excellente préparation à la Profession
et poserait de solides assises à toute une vie religieuse.
b) Présentation de la doctrine. Que l’aumônier n’oublie
point qu’il parle à tes jeunes d’aujourd'hui. Et la jeunesse contem­
poraine a horreur de la littérature boursouflée et de l’éloquence
truquée ; elle aime la vérité, telle qu’elle est, sans fard, à condi­
tion qu’elle lui soit servie dignement, loyalement, bonnement;
elle veut aussi être respectée et aimée, malgré ses faiblesses
et ses défauts ; bref, ce qu’elle attend, ce qu’elle exige, c’est
de trouver devant elle, non pas un faiseur de discours, mais
un vrai prêtre de Jésus-Christ.

î. Quel doit être le comportement des Novices


à l’égard de l’Aumônier ?
z. Que faut-il entendre par « esprit litur­
gique » ?
3. Quelle différence entre enseignement et
prédication î
358 AGENTS-AUXILIAIRES

4. L’Aumônier peut-il demander que la


prière du soir prescrite par les Constitu­
tions soit remplacée par la récitation ou
le chant des Complies ?

5. Peut-il exiger que le dimanche ou les jours


de fête, Messe et Vêpres soient chantées ?
6. De lui-même, peut-il célébrer la Sainte
Messe sur un autel latéral portatif, face
aux religieuses î
7. Une Supérieure demande à l’Aumônier
de célébrer parfois la Messe de Requiem
pour des Sœurs défuntes ; de parti-pris,
a-t-il le droit de refuser, alors que les
rubriques le permettent î

Canon 518-530. Statuts Diocésains, Constitutions, Règlement du


Noviciat. — Schaefer, De Religiosis, Pars VI, cap. IV. — Directoire
des Prêtres chargés des Religieuses, IIe Partie, ch. I et III. — Traité de
Droit Canonique sous la Direction de Raoul Naz, tit. H, ch. II. —
Dbsurmont, La Charité Sacerdotale, IIe Partie, ch. 5, 236.
R. C. R. 1929, 30; 1948, 33, 107, ni ; 1949, 134; 1953, 189. —
Forma Gregis, octobre 1953. — « L’Horizon ecclésial du Noviciat »,
Motte. — Vie Spirituelle, Supplément, septembre 1953. — Documen­
tation catholique, 5 juin 1949, col. 731, 734.
QUARANTE-ET-UNIÈME LEÇON

LE MILIEU

« Nous aurions une vue incomplète, et même fausse, des


conditions réelles de la sanctification des âmes si nous ne nous
arrêtions à considérer, au moins rapidement, les secours et
les obstacles qui naissent du milieu dans lequel s’opère cette
sanctification » (De Guibert, Leçons de Théologie spirituelle,
26e Leçon, p. 313).
Cette réflexion sur ^influence du milieu dans le développe­
ment de la vie spirituelle est tout aussi vraie quand il s’agit
de la formation religieuse dans un Noviciat. Nous avons déjà
énuméré les nombreux agents divins et humains, qui concourent
à cette œuvre surnaturelle. Mais ce serait de notre part un oubli
regrettable que de ne pas en signaler un autre encore qui,
pour être discret et impersonnel, n’en joue pas moins un rôle
considérable : le « Milieu ».
Nous allons répondre aux trois questions suivantes :
1. En quoi consiste le « milieu » en général, et en parti­
culier le « milieu religieux » dans un Noviciat ?
2. Quelle est son influence dans la formation des Novices ?
3. Comment créer, entretenir et défendre ce milieu favorable ?

I. UN « MILIEU » RELIGIEUX
« Le milieu, au sens pédagogique du mot, est l’ensemble
des facteurs exogènes, extérieurs qui influent sur le sujet »
(Forma Gregis, juillet 1950. Education des Vertus chrétiennes,
p. 19. Abbé Bessonnier).
L’homme n’est pas un solitaire, égaré dans le désert. Dieu
l’a créé sociable, destiné à vivre en communauté avec ses
semblables.
360 AGENTS-AUXILIAIRES

En relation habituelle et en contact fréquent, sinon perma­


nent, avec d’autres hommes, auxquels parfois il s'associe étroi­
tement, chacun épousera souvent, sans s’en douter, la menta­
lité, les mœurs, le comportement de vie de son entourage ;
partagera ses idées, ses sentiments, ses vertus, comme aussi
ses slogans, ses préventions et ses passions. Loin d’être un
simple agglomérat d’êtres humains qui se coudoient sans se
connaître et s’avèrent réfractaires à toute influence réciproque,
le milieu est constitué par un groupement — minuscule ou
immense — de personnes qui, par leur présence et leurs mul­
tiples activités, se révèlent solidaires les unes des autres. Ainsi
parle-t-on couramment du « milieu » familial, scolaire, éduca­
teur, social, ouvriers agricole, littéraire, militaire, politique.
Foyer domestique, Université, fabrique, magasin, bureau,
société sportive ou musicale : autant de « milieux » divers et
au petit pied.
« Solidarité des personnes : actions et réactions, contacts,
échanges, influence mutuelle créent un milieu qui enveloppe
les personnes, et dans lequel elles sont en dépendance mutuelle
profonde » (P. Motte, Forma Gregis, décembre 1954, P- i6)-
Le « milieu » se rencontre aussi sur le plan surnaturel et
dans le monde religieux. En quittant le siècle pour répondre
à l’appel de Dieu, le Novice se transplante dans un autre milieu,
nouveau pour lui, plus ou moins riche, et dont il va, dans
l’œuvre de sa formation, subir l’influence : milieu de l’Ordre,
de la Communauté et du Noviciat.

1. « Milieu » de l’Ordre. Dès son entrée au Noviciat,


l’aspirant à la vie religieuse appartient déjà, dans une certaine
mesure, à l’institut qui le reçoit et à la Famille spirituelle
qui l’adopte.
Or, une Congrégation exerce toujours sur ses membres
une influence moralisatrice et sanctificatrice. Par sa Règle, son
esprit, sa vitalité intérieure, ses activités apostoliques, par la
solidité de ses cadres, la présence en son sein de personnalités
marquantes, sinon éminentes ; par sa seule réputation de
ferveur et de sainteté, elle devient pour chacun de ses membres
une source de lumière, de force, d’élan, d’esprit religieux.
Dans les Ordres en voie d’ascension spirituelle, riches en
hommes et en vertus, un Novice aura toute facilité de mener
à bien sa formation morale et de se préparer pour l’avenir
une belle vie religieuse.
Par contre, un Institut en train de fléchir, où la régularité
est en baisse, l’esprit primitif en voie de contamination, offre
LE MILIEU 36i
un terrain peu propice à l’éclosion de vocations de choix. Les
candidats qui se font un bel et haut idéal de perfection le savent,
qui s’en vont de préférence — conseillés en cela par leur
directeur — vers les Congrégations vivantes et ferventes.

2. Milieu de la Communauté. Le Noviciat, presque


toujours, est annexé à une Communauté dont il fait partie
intégrante. Encore qu’entre les deux groupes, distants et séparés,
les contacts soient rares et les relations exceptionnelles, il ne
faudrait pas en conclure trop vite à un manque total de soli­
darité et à.’influence. L’Eglise, dans sa sagesse, en a jugé autre­
ment. Aussi, ordonne-t-elle aux Supérieurs de n’envoyer dans
les maisons où se trouve le Noviciat que des religieux édifiants
et d’une régularité exemplaire (Can. 554, § 3).
Un auteur fait remarquer que le bon exemple de véné­
rables religieux est aussi nécessaire pour la formation régu­
lière et religieuse des Novices que les instructions et exhor­
tations du P.-Maître (voir Schaefer, De Religiosis, Pars VIII,
ch. II, p. 490).

3. Milieu du Noviciat. Mais, pour un Novice, le « vrai


milieu » qui doit présider à son engendrement et à sa naissance
religieuse, c’est bien le Noviciat lui-même.
Ecole de sainteté, fondée et organisée par l’Eglise, avec un
programme parfait d’instruction et d’éducation ; solitude pro­
fonde, fermée aux bruits du monde, à ses infiltrations et à son
esprit, mais largement ouverte, du côté du ciel, à l’abondance
des grâces divines et aux inspirations du Saint-Esprit ; chaque
journée consacrée presque entièrement aux exercices de la
vie intérieure et à la pratique des vertus; des maîtres-éducateurs
qualifiés et choisis ; un groupe de jeunesse débordante d’entrain
et de ferveur : tous ces éléments réunis dans une oasis de paix
et de charité ne peuvent que créer un milieu extrêmement favo­
rable à une formation religieuse.

II. LA GRACE DU « MILIEU »

L’influence du milieu est une loi biologique dont l’existence


est affirmée par l’expérience quotidienne. En son éclosion,
son développement, sa plénitude, toute vie est conditionnée en
partie par son ambiance. Dans l’ordre moral surtout, chacun
est tributaire, pour le bien comme pour le mal, de son entou­
rage immédiat.
362 AGENTS-AUXILIAIRES

Cette emprise spirituelle d’un groupe sur les individus


qui le composent se constate dans le monde religieux. Sans
doute, le « milieu » n’est pas tout et ne fait pas tout. Il est
possible de devenir un parfait religieux dans une communauté
relâchée ; comme on peut aussi demeurer une âme médiocre
au contact d’âmes ferventes. Des héros ont su se sanctifier
même dans des Ordres déchus ; bien plus, par une réaction
puissante, transformer complètement leur milieu et opérer ce
qu’on appelle une « réforme ».
Mais ce ne sont là que de rares et glorieuses exceptions.
Quoi qu’il en soit, il est permis d’affirmer que — règle
générale — tout religieux, dans sa vie spirituelle, subit l’in­
fluence plus ou moins profonde de ses confrères, et que celle-ci,
« pour n’être pas la plus décisive, n’en reste pas moins consi­
dérable » (De Guibert, L. c., p. 313).
Cette irradiation morale, qui émane d’une collectivité
d’âmes, se fait sentir plus spécialement dans ce « milieu select »
qu’est le Noviciat. Il constitue réellement une grâce de choix,
la « grâce du milieu ».
1. Nature de cette grâce, essentiellement surnaturelle,
tout à la fois collective et individuelle.
a) Grâce divine. En son origine première, le Noviciat est
l’œuvre de Dieu, réalisée par l’Eglise. Et c’est Lui encore
qui, par sa Providence, a conduit dans cette Institution, riche de
grâces, ses élus, ses futurs religieux, afin qu’ils aient toute
facilité de répondre à leur vocation et de se préparer à leur
future mission apostolique. Grâce surnaturelle dans son
principe et dans sa fin.
b) Grâce collective. Dieu agit sur les âmes, pour les sanc­
tifier et les sauver, de deux façons : directement par lui-même;
indirectement par l’intermédiaire des créatures qu’il associe à
son action sanctificatrice. La grâce du milieu opère par le
moyen de tous ceux qui font partie de ce milieu. Elle émane
du Noviciat, personnalité morale, comme le fleuve jaillit de
sa source.
c) Grâce individuelle, dans son terme. Son rayonnement
atteint toutes les âmes en général et chacune en particulier.
Il est rare que quelqu’un puisse échapper complètement à
son influx. Ainsi, tout Novice se trouvera-t-il plus à même
de mener à bien l’œuvre de sa formation religieuse.
2. Modalités de cette grâce qui revêt toutes les formes :
elle est lumière, pureté, force, amour ; grâce prévenante, adju­
LE MILIEU 363
vante^ perficiente. Elle a prise sur l’esprit, la volonté, la
conscience, le cœur. Son influx se fait sentir sur presque toutes
les puissances de l’âme et dans la plupart des œuvres vertueuses !
Elle stimule, soutient, renforce, entraîne. Principe de ferveur,
de régularité, de fraternité, d’esprit communautaire et familial.
Bref, elle est un instrument puissant et universel de formation
et de sainteté.
3. Exploitation d’une grâce qui n’aura son efficacité que
si le Novice veut bien y correspondre loyalement et généreusement.
La grâce ne détruit pas la liberté humaine ; elle la sollicite
et la soutient, sans jamais la violenter. A son égard, l’âme peut
prendre une triple attitude : résistance, passivité, coopération.
a) Résistance. Aux instances de la grâce, chacun est à même
d’opposer un refus. Par orgueil, individualisme, esprit d’indé­
pendance, d’aucuns prétendent ne dépendre de personne et
se suffire à eux-mêmes. ~L’obstruction aux influences du milieu
est par eux érigée en principe ; et volontiers ils répéteraient
le vers du poète :
« Vous m’avez fait, Seigneur, puissant et solitaire. »
b) Passivité. D’autres, par contre, loin d’être « réaction­
naires », ont un tempérament « moutonnier ». Sans marcher
à l’alignement avec le gros de la troupe, ils se contentent de
la suivre cahin-caha, entraînés par le mouvement général.
C’est la barque qui, sans voiles et sans rames, s’abandonne
au fil de l’eau. On subit l’influence de ses confrères et l’on agit
comme eux, non point par principe et conviction, mais par
facilité et respect humain. La grâce du milieu n’a atteint que
la superficie de la vie, sans pénétrer jusqu’à l’intime de l’âme.
D’où le danger de verser dans un vague mimétisme et un confor­
misme purement extérieur.
c) Coopération active, qui consiste, non plus à subir la
grâce, mais à l’accueillir spontanément, à se l’assimiler, à se
l’incorporer pour ainsi dire, afin de l’exploiter : « Gratia Dei
mecum » (I Cor., XV, 10). L’influence du milieu devient alors
une puissance de renfort, que l’on va heureusement utiliser pour
doubler son activité personnelle et intensifier son travail de
formation.
III. CULTURE DU « MILIEU »

Le milieu est un terrain mouvant, en continuelle transfor­


mation, sujet à bien des sautes de température et d’influence.
Il n’est pas le fruit d’une génération spontanée, mais le résultat
364 AGENTS-AUXILIAIRES

de causes multiples qui l’engendrent, l’entretiennent, le ren­


forcent, le contaminent et parfois même le changent de fond
en comble. De ferventes qu’elles étaient, combien de commu­
nautés ont glissé peu à peu dans la médiocrité et le relâche­
ment ! La grâce du milieu a disparu pour faire place à la pierre
d’achoppement et de scandale.
Les Noviciats — règle générale — sont des milieux fervents.
Mais cette générosité d’âme, il a fallu d’abord la susciter, puis
la soutenir, la développer, comme aussi la défendre contre
toutes les forces d’affaissement ou de contamination.

i. Formation du « Milieu » par le « Milieu ». La for­


mation d’un milieu favorable, au point de vue spirituel, dépend
tout d’abord de Dieu, cause première de toute grâce indi­
viduelle et générale. Mais les causes secondes ont ici une impor­
tance particulière. C’est le milieu — l’ensemble des personnes
qui le composent — qui fait sa moralité. Tous les membres
de la collectivité, par la valeur et le rayonnement de leur person­
nalité, leurs qualités humaines et vertus surnaturelles, la nature
de leur activité, contribuent plus ou moins à créer un climat
idéal.
Dans les Noviciats, c’est l’œuvre de tous et de chacun :
P.-Maître, Socius, Confesseur, Aumônier, Novices surtout.
Premiers bénéficiaires du milieu, n’en seraient-ils pas les prin­
cipaux acteurs? Que tous les agents formateurs, conscients de
leurs responsabilités et soucieux du bien commun, remplissent
au mieux leurs fonctions publiques et leurs devoirs personnels,
et le Noviciat, par cela seul, se trouvera être une Institution
parfaitement adaptée à sa fin, riche en virtualités et espérances
religieuses.
Et puisque le P. Maître est seul chargé de sa direction
générale, à lui surtout de veiller à ce que tout l’appareil
formateur soit en bon état et apte à fournir un excellent
travail.

2. Auto-Défense du Milieu. De lui-même, par sa propre


vitalité, le milieu se forme, se soutient, se développe. A lui
aussi de se défendre contre ce qui pourrait l’affaiblir ou le
corrompre. Ainsi le corps humain réagit-il immédiatement à
toute action nocive à son organisme.
Ecole de vie religieuse, le Noviciat doit être un milieu essen­
tiellement religieux, animé d’un parfait esprit religieux. Or, cet
esprit peut se trouver menacé par d’autres esprits anti-religieux,
capables de compromettre, voire de fausser toute une forma­
LE MILIEU 365

tion. Citons notamment l’esprit & individualisme, d'indépen­


dance et de critique.
a) Esprit d’individualisme. De sa nature, la vie religieuse est
communautaire. Toute Congrégation est une Société, une
Famille dont les membres sont tenus de vivre ensemble, tête-
à-tête, cœur à cœur, intimement unis dans la soumission à
une même Règle et la participation aux mêmes exercices spiri­
tuels et œuvres d’apostolat. A cette communauté d’existence
et de vie, dont le Noviciat est un excellent apprentissage,
l’esprit d’individualisme est diamétralement opposé : égocen­
trisme, misanthropie, insociabilité, passion partisane, tendance
aux amitiés particulières, antipathies ou sympathies naturelles,
mentalité personnelle en contradiction avec l’esprit de l’Ordre
et la doctrine du Fondateur, manie de la contradiction, vie
en marge de la communauté, amour des dispenses et des excep­
tions, nausée des récréations et des fêtes familiales, etc.
b) Esprit d’indépendance, auquel pèse lourdement le joug
de l’obéissance, vertu caractéristique de l’état religieux : oppo­
sition sourde à l’autorité, à ses ordres, dispositions et direc­
tives ; prétention de n’être pas commandé ou le moins possible;
incurie à demander les permissions requises ; initiatives sans
contrôle et sans approbation ; méconnaissance et violations
fréquentes des Constitutions, Directoire et Traditions. Obéis­
sance sans esprit de foi, et moins encore d’amour, sans joie,
sans élan, forcée.
c) Esprit de critique, peut-être le plus virulent, à base sou­
vent d’orgueil, d’ignorance et de fatuité intellectuelle, assez fré­
quent de nos jours. Tout passe à la barre de l’esprit, pour y
être jugé, apprécié, condamné. Critique du P.-Maître, de son
gouvernement, enseignement, direction. Confesseur et aumô­
nier subiront le même sort ; il va de soi que les confrères ne
seront point épargnés. Critique de l’institut qui n’est plus
à la page, de sa Règle qui est vieillotte, de sa spiritualité retar­
dataire, de son apostolat inadapté, etc.
A tous et à chacun, dans les limites de sa juridiction et
dans la sphère de ses activités formatrices, de réagir vigou­
reusement contre ce triple esprit anti-religieux, capable de
contaminer tout un Noviciat. « Nescitis quia modicum fermen­
tum totam massam corrumpit » (I Cor., V, 6). En cas d’incor­
rigibilité de la part d’un Novice, que le P.-Maître n’hésite
pas à l’écarter, à le renvoyer au plus tôt dans le monde.
« Nommer le mauvais esprit, pour quiconque a l’expérience
des maisons d’Education, c’est exprimer d’un mot tout ce
24
366 AGENTS-AUXILIAIRES

qui peut se concevoir de plus désastreux et de plus redou­


table » (Dupanloup, De l’Education, t. III, Liv. III, ch. 12).

i. Comment expliquer psychologiquement


l’influence du milieu ?
2. Toutes les âmes sont-elles également sen­
sibles et dociles à la grâce du milieu ?
3. Un Novice imperméable au rayonnement
d’âme de ses confrères est-il fait pour la
vie religieuse ?
4. N’est-ce pas un manque de caractère et de
personnalité que de s’adapter et conformer
à son entourage ?
5. Contribuer par ses exemples à la forma­
tion d’une excellente ambiance, ne serait-ce
point une des formes les plus heureuses de
la charité ?
6. La médiocrité d’un milieu religieux peut-
elle être la cause de pertes de vocation ?
7. Signaler quelques qualités ou défauts de
la jeunesse actuelle, capables d’exercer sur
le milieu du Noviciat une heureuse ou
dangereuse influence.

De Guibert, Leçons de Théologie Spirituelle, Leç. XXVI-XXVIII.


— Desurmont, Charité Sacerdotale, t. I, n° 70, ch. x. — P. Bernard,
Communion des Saints, D.T.C. 429. — Dupanloup, De l’Education,
t. II, liv. V, ch. 1 ; t. III, liv. III, ch. xn. — P. Desbuquois, Apostolat
spécialisé et mouvements de milieu. — P. Rouanet, Milieux sociaux
et Institutions. (Voir De Guibert, Leçon XXVI, p. 314, en notes.)
— Acta et Documenta Congressus Generalis de Statibus Perfectionis
Index, « Adolescentes ».
R. C. R. 1950, 147. — Forma Gregis, février 1950, « L’Education
religieuse, ses ressources, P. Motte ; juillet 1950, « Education des
Vertus Chrétiennes », abbé Bessonnier ; mai 1952, « Pédagogie des
Vertus sociales», P. Delalande; janvier 1954, « Conseils pédagogiques»,
Rimaud ; novembre-décembre 1954, « Le Zèle du bien commun »,
Motte ; « Vertu cardinale de Justice dans la vie de la Mère-Maîtresse ».
— Christus, Cahiers Spirituels, 17. « La liberté devant les autres »,
Le Blond.
QUARANTE-DEUXIÈME LEÇON

CLIMAT FAMILIAL

L’âme, comme la fleur, a besoin pour s’épanouir de lumière


et de chaleur. Ce climat lumineux et chaud, nécessaire à leur
croissance spirituelle, les Novices le trouveront dans une atmos­
phère de mutuelle dilection.
Amitié du Christ, amour du prochain — deux vertus qui,,
en réalité, n’en font qu’une — sont à la fois l’essence de toute
perfection chrétienne et religieuse et l’une de ses sources les
plus abondantes.
Ce double rôle de la charité devra se constater éminemment
dans un Noviciat.
Quel que soit l’angle sous lequel on l’envisage, qu’on l’étudie
dans une de ses modalités : esprit de famille ; dans ses fruits :
paix et joie, ou encore dans son rayonnement : édification et
zèle, cette divine fraternité d’âmes se révélera toujours comme
un élément essentiel et un précieux instrument de formation
religieuse.

I. ESPRIT DE FAMILLE

L’esprit de famille, dans le monde religieux, est une des


formes, et non des moindres, de cette charité fraternelle que le
Christ a recommandée à tous ,et spécialement au collège des
Douze : « Mes petits enfants, je suis encore avec vous pour
un peu de temps... Je vous donne un commandement nouveau :
aimez-vous les uns les autres ; comme je vous ai aimés, ainsi
aimez-vous les uns les autres » (Joan., XIII, 33-34). Idéal-
Programme à l’adresse de tous les Noviciats.

1. Famille Religieuse. Tout Institut a figure, non seule­


ment de Société, mais de Famille. L’expression est classique :
368 AGENTS-AUXILIAIRES

Famille religieuse, non point de nature, mais de grâce, qui


doit son existence et sa structure à Dieu le Père, à la Vierge-
Mère, à notre Mère la Sainte Eglise, au Père ou à la Mère
Fondatrice, et à laquelle tout religieux s’est apparenté au jour
de sa Vêture et de sa Profession.
Dans cette Famille, ainsi qu’une cellule dans l’organisme
humain, s’intégre le Noviciat, petite famille en miniature et
de même origine que la grande.

2. Amour de sa Famille religieuse. L’amour de la


famille, que la nature a enraciné chez tous les hommes, se
retrouve — mais sur un plan supérieur — dans les âmes consa­
crées, à l’égard de leur Congrégation. Amour de paternité,
de filiation, de fraternité ; triple amour qui, fusionné dans
une commune dilection, s’appelle l’esprit de famille. Quin­
tessence de la charité divine, qui fait le charme, l’union, la
solidité des foyers chrétiens et des communautés religieuses.
L’esprit de famille, composé admirable de tendresse mater­
nelle, de virilité paternelle, de respect et de soumission filiale,
de fraternelle amitié ; amour éminent, fait de sentiments exquis
et profonds : désintéressement, bienveillance, sympathie, souci
du bien commun, dévouement, délicatesse et prévenance dans
les rapports, support aussi, silencieux et souriant. Vie d’inti­
mité, où tout est mis en commun, les peines comme les joies,
où, assis à la même table, on partage le même pain et les mêmes
épreuves, où l’on s’oublie soi-même pour ne penser qu’aux
autres, les obliger et leur faire plaisir, où l’on se fait tout à
tous, serviteur de tous et de chacun ; où se trouve réalisé, mieux
que partout ailleurs, le « Cor unum et l’anima una » (I Cor.,
XII, 12, 25-26).

3. Esprit de Famille et Formation religieuse. L’esprit


de famille ne peut qu’exercer une heureuse influence sur l’âme
et la formation des Novices.
Il adoucit d’abord l’épreuve de la séparation d’avec les siens
— séparation qui peut provoquer des regrets, voire une ten­
tation de recul — en faisant retrouver une autre famille où
l’on goûtera, avec moins sans doute de sensibilité humaine,
mais avec plus de profondeur d’âme, les joies plus pures et
plus hautes de la vraie charité.
La joie d’aimer et de se sentir aimé, d’un amour dégagé de
tout égoïsme et sur lequel on peut toujours compter, rendra,
sinon aimables, du moins supportables, les mille petits sacri­
fices dont toute vie religieuse est tissée. Le travail de forma­
CLIMAT FAMILIAL 369

tion — seul ou en équipe — en sera, de plus, grandement


facilité.
Enfin, en attachant de cœur les jeunes religieux à leur
Congrégation, l’esprit de famille leur donnera un gage sérieux
de persévérance dans leur vocation.

IL OASIS DE PAIX
L’esprit de famille, perfection de la charité, engendre dans
les cloîtres la paix et la joie : deux sentiments qui, à leur tour,
vont intervenir efficacement dans la formation religieuse du
Novice.
Au portail de quelques abbayes bénédictines, se lit, comme
un témoignage et un appel : « Pax ». Ce petit mot, on aimerait
à le voir écrit sur la porte de tous les Noviciats : « Pax » : ici
règne la paix.
Cette paix divine, que les Anges chantèrent sur le berceau
du Roi pacifique, « Rex pacificus », que Jésus apporta au monde
et qu’il laissa en héritage à ses Apôtres, en remontant au ciel ;
cette paix, fruit du Saint-Esprit, que saint Paul souhaitait si
souvent aux jeunes chrétientés, et que saint François d’Assise
ne cessa de prêcher toute sa vie.
1. Nature et Variétés. De la paix, saint Augustin a donné
une dizaine de définitions : preuve de la richesse de ses éléments.
Retenons-en une.
« La paix est la tranquillité de l’Ordre : Tranquillitas ordinis ».
(De Civit. Dei, 1. XIX, cap. XIII). Sommes-nous bien à notre
place, dans l’ordre moral, là où Dieu nous veut, sans que rien
ni personne ne vienne nous troubler ? Nous avons la paix.
Rectitude de vie dans le calme extérieur et la sérénité intérieure.
Paix avec Dieu, que nous aimons et servons, par la confor­
mité parfaite à son adorable Volonté.
Paix avec nous-même, par la maîtrise de nos passions, la
pureté de notre conscience et l’accomplissement amoureux de
notre devoir.
Paix avec nos frères dans la charité : union des esprits,
des cœurs et des volontés. C’est de cette dernière que nous
parlons.
2. Paix communautaire. Cette paix, apanage des commu­
nautés religieuses, et surtout des maisons de Noviciat, ne peut
être que le résultat àiune parfaite et immuable charité fraternelle.
N’est-ce point elle, en effet, qui écarte toute cause de trouble
37° AGENTS-AUXILIAIRES

et de scission et qui, en même temps, alimente et fortifie


l’entente cordiale ?
Elle prévoit et supprime tout ce qui, dans les jugements,
les sentiments, les attitudes, les procédés, les paroles pourrait
froisser, blesser les confrères et créer entre eux de sourdes
animosités, de douloureuses séparations. Clans, coteries, cabales,
amitiés particulières — qui ne sont qu’un égoïsme à deux —
esprit de jalousie, de dénigrement, de rapportage : tous ces
ennemis publics de la vie religieuse sont rigoureusement bannis
par l’esprit de famille qui, lui, ne tend qu’à rapprocher et
unir toutes les âmes dans une étroite et indéfectible intimité
d’amour.
« La paix, dit encore saint Augustin, c’est le contraire de
la guerre. » On ne se bat pas, ou si peu, dans les familles où
l’on s’aime. Que s’il survient parfois quelques malentendus
ou heurts passagers, ils ne font, grâce à un pardon mutuel
et une embrassade fraternelle, que resserrer l’amitié et cimenter
la paix.

3. Avantages de la paix : Elle est une béatitude pour


une communauté religieuse, « Beati pacifici » (Matth., V, 9).
« La paix est à désirer pour les Novices, non seulement
parce qu’elle est en elle-même un bien excellent, mais parce
qu’elle favorise toute l’œuvre éducative » (P. Mott, Forma
Gregis, juin 1953... La paix, p. 34).
Le Noviciat constitue une équipe morale, pour une œuvre
commune de formation religieuse. Or, toute équipe divisée,
où l’on ne s’entend pas, où chacun, en opposition avec son
groupe, prétend jouer son jeu personnel, court à un échec
certain. « L’union fait la force. »
La paix, fruit de l’amour, attire de plus des grâces spéciales
et mérite une intervention plus efficace de Dieu. » « Ubi caritas
et amor, Deus ibi est », et que le Christ soit au milieu de nous.
« Et in medio nostri sit Christus Deus » (Mandatum). Par
contre, s’il faut en croire Mgr Gay, une communauté divisée
est un « mensonge vivant, elle ment à Dieu, aux hommes et
à elle-même » (Gay, Vie et Vertus Chrét., « De la charité envers
le prochain », p. 527.
Vivre en paix avec tous : programme fécond, impliquant
l’exercice de presque toutes les vertus, mais si difficile à réaliser
que saint Paul n’ose guère le recommander que condition­
nellement : « Si fieri potest, quod ex vobis est, cum omnibus
hominibus pacem habentes » (Rom., XII, 18).
La paix enfin crée un climat excellent pour la pratique
CLIMAT FAMILIAL 371

du recueillement, l’esprit de piété et le développement de la


vie intérieure.
Que chaque Novice agisse donc de telle sorte au milieu
de ses frères que se réalise toujours la prière de Jésus à son
Père : « Qu’ils soient un, comme Vous et Moi nous sommes
un » (Joan., XVII, 22 ; Eph., IV, 3 ; Rom., XIV, 19).

III. JOIE SPIRITUELLE


Un Noviciat pacifique et heureux ne peut être qu’une
excellente école d’éducation. A la joie commune, condition et
élément de toute formation religieuse, chaque Novice apportera
donc sa quote-part.
Le bonheur occupe une trop grande place dans toute exis­
tence humaine pour être absent de la vie religieuse. Tout
homme est fait pour le bonheur et n’aspire qu’à l’éternelle
béatitude. Si, en quittant le monde, on renonçait à ses plaisirs
fades et éphémères, ce n’était en réalité que pour trouver la
joie plénière et fidèle. « Réjouissez-vous, écrivait saint Paul aux
chrétiens de la primitive Eglise, je vous le répète, réjouissez-
vous toujours dans le Seigneur » (Phil., IV, 4).
Cette joie divine, fruit de l’Esprit-Saint, doit tout parti­
culièrement s’épanouir dans les Noviciats où une jeunesse
religieuse a besoin d’expansion, d’allégresse, d’enthousiasme dans
l’œuvre ardue de sa formation.
« La joie n’est pas une vertu... mais elle est l’atmosphère
de la vertu, l’indice, le fruit, la cause, la mesure, la condition
de la charité. Elle en est aussi le rayonnement... Lorsque l’âme
est joyeuse, elle est bienveillante aussi. La charité s’exerce
spontanément et d’elle-même. Ceux qui ont de la joie en donnent
tout autour d’eux » (Dom Delatte, Conf. Const. n° 136, 137).
L’état religieux est une vocation à un plus grand bonheur,
parce qu’il est un appel à une plus haute sainteté. Il est par
excellence la terre des béatitudes évangéliques.
Le Noviciat va donc rayonner la joie. Il en possède toutes
les variétés, depuis les plus opulentes jusqu’aux plus humbles.
Joies divines et joies humaines, joies de toujours et joies d’un
jour : joies qui enrichissent l’âme ou simplement embellissent
la vie.
1. Le grand Bonheur. Des grandes joies qui remplissent
la vie religieuse, les Novices ont-ils toujours suffisamment la
connaissance et le sentiment? Combien en jouissent sans les
apprécier à leur juste valeur ! Etre tout à Dieu et ne plus vivre
372 AGENTS-AUXILIAIRES

que pour Dieu : c’est plus qu’une joie, c’est un bonheur ;


plus qu’un bonheur, ce devrait être comme un prélude à la
béatitude.
Bonheur qui jaillit à longueur de journée des trois vertus
théologales : foi, espérance, charité. N’est-ce pas elles qui, en
nous unissant intimement à Dieu, nous font pénétrer dans la
Vie trinitaire et participer à son éternelle et infinie béatitude ?
« Intra in gaudium Domini tui » (Matth., XXV, 21).
Gaudium in veritate. Bonheur de se savoir enfant du Père,
frère, ami, membre vivant de Jésus, épouse de l’Esprit-Saint,
temple spirituel de la Trinité, avec laquelle on peut vivre
en communion continuelle.
Gaudium in spe. Bonheur de pouvoir toujours compter sur
Dieu, sa puissance, sa bonté, sa miséricorde ; sur les tendresses
et les pardons de son Cœur ; sur l’abondance de ses grâces
et sur l’héritage de son Ciel.
Gaudium in caritate. Joie surtout de pouvoir aimer Dieu,
comme il s’aime lui-même ; et de nous approcher de plus
en plus de son Cœur, par la voie royale de la pauvreté, chas­
teté, obéissance. « Le seul bonheur de l’homme sur la terre,
disait le Curé d’Ars, c’est d’aimer Dieu et de savoir qu’il nous
aime. »
Tout ce bonheur essentiellement chrétien se constate, mais
renforcé, décuplé dans le cœur du religieux, parce que choisi,
béni de Dieu qui l’appelle à une vie plus haute et par là même
plus heureuse. Car, c’est de la plénitude de la vie que déborde
la joie.

2. Petites joies. Et voici qu’à ces grandes joies vont s’ajouter


les menus plaisirs de la vie conventuelle.
Plaisir d’obliger, de rendre service, de faire l’aumône d’une
parole de sympathie, de consolation, de félicitation, de causer
une agréable surprise ; car « il y a plus de plaisir à donner qu’à
recevoir » (Act., XX, 35).
Aumône d’un sourire. Confidence d’un moinillon de huit
ans : « Savez-vous ce que je fais ici ???... L’Apostolat du
sourire ! — Du sourire ? — Oui, quand je rencontre un Père
ou un Frère, je leur fais ma plus gentille révérence et mon
plus gracieux sourire. Alors, ils rient ! Eh bien ! je vous assure
que ça leur fait du bien, parce que, vous savez, la Trappe,
c’est dur ! »
Pourvoyeuses de joies, ces fêtes de famille, régal pour l’esprit,
le cœur, la piété, sans oublier l’estomac.
Source encore de saine gaîté, les récréations quotidiennes
CLIMAT FAMILIAL 373
— parfois un peu exubérantes, mais si reposantes, si dilatantes,
— dont la plupart des fondateurs et fondatrices, fins psycho­
logues, ont fait une obligation de règle. Détente physique,
intellectuelle, morale, à condition toutefois qu’elles ne se trans­
forment pas en monologue, sermon ou chapitre, ni ne deviennent
un exercice commun de mutisme, d’attitudes figées, de patience,
ou encore de sommeil.
La Grande et la Petite Thérèse excellaient dans cet art
de récréer leurs Sœurs. La première aimait à chanter et à
danser au milieu de ses Sœurs, au son des castagnettes, du
fifre et du tambour de basque. Elle composait elle-même des
poésies dont elle écrit : « Mes cantiques n’ont ni queue ni
tête, et cependant on les chante. » Elle voulait que ses filles
usent de leurs talents et de leur esprit, pour égayer la commu­
nauté : « Nous autres femmes, nous sommes déjà assez sottes
par nature ; que serait-ce, si nous le devenions encore par
grâce ?» — « Dieu nous préserve, disait-elle, des saints ren­
frognés. »
Non pas que la vie commune soit toujours exempte de
sacrifices et de renoncements. Mais ces petites croix, offertes
au Christ en sacrifice d’amour, deviennent elles aussi une joie.
Dès lors, « tout est grâce et tout est joie. »

3. Rôle de la joie, dans un Noviciat. On ne peut guère


surestimer l’influence de la joie dans la vie spirituelle et spécia­
lement dans la formation des jeunes religieux. Un travail
accompli avec joie a toute chance d’être un travail bien fait.
Dans un Noviciat, la joie est source de lumière, de force,
d’entrain, d’émulation. Elle crée un climat, non pas d’illu­
sions ou d’emballement romantique, mais d’optimisme moral et
de générosité.
Remède préventif ou curatif contre la tristesse, l’ennui, le
découragement, le pessimisme blasé, le spleen. Sauvegarde à
l’égard de bien des tentations et l’un des meilleurs gages de
persévérance dans sa vocation.
Les menues joies elles-mêmes — comme les récréations —
« ont un rôle important dans la vie religieuse : elles favorisent
la vie de communauté, les bons rapports, l’art de la conver­
sation, la pratique du support mutuel, la dilatation des âmes ;
elles sont une soupape de sûreté pour l’énervement, la fatigue,
la préoccupation excessive des occupations particulières »
(R. C. R., novembre-décembre 1939, p. 184).
Aux âmes foncièrement joyeuses s’appliquerait fort bien la
parole de saint Benoît : « Et le cœur dilaté, on se met à courir
374 AGENTS-AUXILIAIRES

dans la voie des préceptes divins, avec une ineffable douceur


d’amour » (Prologue de la Règle).

IV. APOSTOLAT PERSONNEL

La charité fraternelle est faite de bienveillance et de bien­


faisance : vouloir du bien au prochain et le lui procurer dans
toute la mesure du possible. Or, de tous les biens qu’un Novice
peut souhaiter à ses frères, un des principaux ne serait-il pas
la grâce d’une excellente formation? Et, à cette fin, les aider
de toute façon à devenir de parfaits religieux.
Cette collaboration revêt une double forme : l’une générale
et indirecte, l’autre personnelle et immédiate.
Contribuer tout d’abord — pour sa part — à créer ce milieu
et ce climat dont nous venons de parler, comme aussi à éviter
ou écarter tout ce qui pourrait les dégrader ou les contaminer.
Agir ensuite sur chacun de ses frères, en pratiquant à son
égard ce que saint Benoît appelle le bon zèle. « De bono zelo »
(Reg. S. Ben., ch. LXXII). Car il existe un faux zèle, aux mul­
tiples variétés, contre lequel il faut se prémunir.

i. Le faux zèle est d’autant plus dangereux qu’il prend


facilement les apparences de la charité.
a) Le zèle .amer. Si la correction fraternelle, recommandée
par l’Evangile — de nos jours, ne serait-elle point trop oubliée?
— doit être faite, elle le sera toujours avec prudence, humilité,
douceur ; sinon, au lieu d’amender, elle irrite.
b) Zèle intempestif, qui s’exerce à contre-temps, à tort et
à travers, suivant l’humeur et le caprice.
c) Zèle présomptueux, qui s’ingère de lui-même dans la
conscience et la direction de ses frères.
d) Zèle indiscret, à l’affût des moindres manquements, pour
les souligner et les dénoncer à l’autorité.
e) Zèle pharisaïque, inspiré par.des sentiments de jalousie
ou d’antipathie, prompt à se scandaliser, à découvrir le brin
de paille dans l’œil du prochain, sans remarquer la poutre
qui est dans le sien.
f) Zèle étroit, qui condamne volontiers tout ce qui n’est
point conforme à ses idées, pratiques de dévotion, habitudes
de vie personnelle, et prétend, sinon les imposer, du moins
les recommander à ses frères.
CLIMAT FAMILIAL 375
2. Le Bon Zèle : bon à tout point de vue. Bon en son
origine : l’esprit de famille ; en lui-même : n’est-il pas un acte
de pure charité ? en sa fin, qui est de porter aide à ses
compagnons de route.
Il est de sa nature une œuvre à?édification. Edifier, cela
signifie, selon l’étymologie du mot : construire et non démolir,
élever et non abaisser, développer et non étouffer. Edifier ses
frères, se faire leurs collaborateurs actifs et discrets dans l’entre­
prise de leur formation religieuse (Rom., XIV, 19; I Cor.,
XIV, 26).
De ce zèle fraternel, nous avons déjà eu plus d’une fois
l’occasion de signaler quelques manifestations ; il nous suffira
donc d’en rappeler les deux principales : le bon exemple et
la prière.
a) Bon exemple. « Exempla trahunt ». Etre des « entraî­
neurs » modestes et silencieux. En tout, partout et toujours,
donner au Noviciat le spectacle d’une vie vraiment fervente.
Se montrer un modèle de régularité, d’obéissance, d’humilité,
de mortification, de piété, de charité, de bon esprit ; et par
conséquent éviter, dans les paroles, les actes, le comportement
de vie, et jusque dans les attitudes, tout ce qui pourrait étonner
ou scandaliser.
b) La Prière. Source abondante de grâces abondantes pour
ceux qui se mettent à genoux, la prière peut l’être aussi pour
tous ceux-là que nous recommandons à Dieu et à la Vierge.
Dans nos oraisons, à la Messe, à la communion, apportons
la pensée de nos frères et le souci de leur sanctification. Que
notre prière ne soit point entachée d’égoïsme spirituel. Prière
commune et fraternelle, prière de tous pour tous. Demandons,
les uns pour les autres, toutes grâces de pureté, de ferveur,
de charité, d’esprit religieux, de fidélité à la vocation ; bref,
la grâce de faire un excellent Noviciat.

1. Quels sont les principaux ennemis de la


vie et de l’esprit familial ?
2. L’absence d’esprit de famille est-il un
motif suffisant de renvoi ?
3. Quelles sont les causes les plus habituelles
de trouble et de division dans les commu­
nautés ?
376 AGENTS-AUXILIAIRES

4. Peut-on admettre à la profession les esprits


partisans et brouillons ?

5. La joie est-elle un signe de ferveur ?

6. Quels sont les petits scandales qui peuvent


se rencontrer dans un Noviciat ?

S. Benoit, Reg., ch. lxxii. — Ste Thérèse, Le Chemin de la Per­


fection, ch. v. — S. Vincent de Paul, Oeuvres, t. IX, Entret. 27 ;
t. X, Entret. 93, 95. — S. François de Sales, Les Vrays Entretiens,
IV. —- Pour les Maîtresses des Novices, ch. v. — Ollé-Laprune, Le
Prix de la Vie, ch. XVII. — Gay, De la Vie et des Vertus Chrétiennes,
t. II, « De la Chasteté » ; « De la Charité envers le prochain et des devoirs
qui en découlent », XV, XVI ; 111e Elévation. — Cormier, L’Instruc­
tion des Novices, IIe Partie, ch. 11, art. v. — Faber, « Sur la Bonté »,
Conférences spirituelles. — « De bono pacifico homine », Imit., liv. II,
ch. III. — Colin, Caritas, ch. xiv, XV ; Aimons nos frères, ch. IX. —
LÉON Van Hove, La joie dans sainte Thérèse. — Histoire de sainte
Thérèse par une Carmélite de Caen, I, p. 297. — Acta et Documenta
Congressus Generalis de Statibus Perfectionis, t. IV. Index, « Recreatio »,
p. 388 ; « Familia Religiosa », p. 374.
R. C. R. 1952, 83. — Forma Gregis, décembre 1952, « Sainte Thé­
rèse d’Avila, Educatrice des Religieuses », P. Paul-Marie de la Croix ;
juin 1953, « Formation des Novices à la Charité fraternelle, P. Dela-
lande ; « La Paix », P. Motte.
TABLE DES MATIÈRES

Introduction...................................................................... 13

Première Partie

Ecole de formation

CHAPITRE PREMIER : VOCATION


leçoni. Appel de Dieu............................ 17
— 2. A l’Ecoute......................................... 27
— 3. Réponse de l’âme................. 38
— 4. Contre-Appel de l’Ordre.................. 48

CHAPITRE II : NOVICIAT
leçon 5. Postulat................................................ 57
— 6. Vêture................................................. 63
— 7. Institution ecclésiale......................... 69
— 8. Formation religieuse.......................... 76
— 9. Importance de la Formation .... 85
— 10. Ecole professionnelle......................... 92
— 11. But du Noviciat................................. 99
— 12. Temps d’épreuves.............................. 106
— 13. Ultime décision.................................. 112

CHAPITRE III : PROFESSION


leçon14. Profession Canonique .......121
— 15. Au Service de Dieu.......................... 128
— 16. Holocauste Spirituel.......................... 135
— 17. Mariage mystique.............................. 145
— 18. Tendance à la Perfection.................. 155
— 19. Contrat bilatéral.................................. 165
— 20. Acte de suprême Dilection.............. 172
Deuxième Partie

Agents de formation

CHAPITRE IV : PREMIERS ARTISANS


leçon 2i. Œuvre Trinitaire................................ 185
— 22. Paternité de Dieu............................... 191
— 23. Le Christ : Voie, Vérité, Vie. . . . 199
— 24. Le Grand Artiste................................ '209
— 25. Notre-Dame Educatrice.................... 218
— 26. Notre Mère, l’Eglise........................... 226

CHAPITRE V : MAITRES-OUVRIERS
leçon 27. Formation, Œuvre personnelle . . . 237
— 28. Attitude d’âme............................. 247
— 29. Mentalité religieuse..................... 253
— 30. Un Idéal......................................... 261
— 31. Esprit de Générosité..................... 270
— 32. Charge de P. Maître..................... 277
— 33. Autorité Personnelle..................... 285
— 34. Fonctions du P. Maître.............. 294
— 35. Méthode de Formation................. 303
— 36. Equipe, Père Maître - Novices... 313
— 37. Relations professionnelles............. 323

CHAPITRE VI : AGENTS-AUXILIAIRES
leçon 38. Socius et Sous-Maîtresse...... 331
— 39. Confesseur..................................... 339
— 40. Aumônier......................................... 351
— 41. Le Milieu..................................... 359
— 42. Climat Familial............................... 367
Imprimé en France

lmp. Saint-Paul, Bar-le-Duc. Dépôt lég., 4e trim. 1959, n° d’imp. 298

Vous aimerez peut-être aussi