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Volume 1
General Editor
Fabienne Henryot, Enssib, Lyon
Editorial Board
Paul Bertrand, Université catholique de Louvain
Jessica de Bideran, Université Bordeaux Montaigne
Charlotte Denoël, Bibliothèque nationale de France
Brenda Dunn-Lardeau, UQUAM, Montréal
David McKitterick, Cambridge University
Dominique Poulot, Université Paris 1
Dorit Raines, Università ca’Foscari, Venezia
Yann Sordet, Bibliothèque Mazarine
André-Pierre Syren, Enssib, Lyon
De l’oratoire privé à la
bibliothèque publique
L’autre histoire des livres d’heures
Fabienne Henryot
F
Ouvrage publié avec le soutien du LabEx COMOD.
D/2022/0095/17
ISBN 978-2-503-59377-7
eISBN 978-2-503-60208-0
DOI 10.1484/M.WRITHER-EB.5.131232
Au seuil de ce travail, il m’est agréable de remercier tous ceux qui l’ont rendu possible, qui
ont fouillé leurs dossiers pour en extraire des données dont je n’aurais pas eu connaissance
autrement, ou qui m’ont accordé de leur temps pour répondre à mes questions. J’adresse
une pensée particulière à Jean-Christophe Stuccilli, Philippe Dufieux et Yann Sordet
pour leur relecture attentive de la première version de cet ouvrage ; leurs remarques
l’ont grandement amélioré. Catherine Granger, François Lenell, Pierre-Jean Riamond,
Marc-Édouard Gauthier, Florent Palluault, Thierry Crépin-Leblond et bien d’autres m’ont
communiqué des informations qui éclairent les usages patrimoniaux des livres d’heures
dans les bibliothèques publiques et je les en remercie très vivement. Christophe Evans a
formulé des remarques méthodologiques qui m’ont permis de ne pas trop m’égarer dans
le territoire de la sociologie des publics. Hélène Jacquemard m’a reçue à Chantilly avec
beaucoup de gentillesse. Philippe Masson reste, depuis quinze ans, le complice des archives
lorraines ; son amitié fidèle m’est précieuse. Je remercie enfin les membres de mon jury,
Emmanuelle Chapron, Evelyne Cohen, David Douyère, Xavier Hermant, Dominique
Poulot, Isabelle Saint-Martin et Dominique Varry, pour le regard critique qu’ils ont porté
sur cette enquête.
Les étudiants et les élèves-fonctionnaires de l’Enssib, sur lesquels je teste mes théories
depuis sept ans, ont fait progresser ce travail par leurs remarques, leurs questions, leurs
critiques aussi. Je remercie particulièrement les étudiants du Master CEI 2018-2019 pour
l’enquête très professionnelle qu’ils ont menée dans le monde de la librairie ancienne.
J’associe à ces remerciements Mouhamadoul Wele qui m’a fait gagner un temps précieux
dans l’exploration des manuels scolaires de la Bibliothèque Diderot, et Lubin Picard, le
patient cartographe. Ma gratitude va au personnel de la Bibliothèque municipale de Lyon
pour les facilités accordées à l’accès aux documents.
Les dix formateurs à l’enluminure médiévale qui ont répondu à mes questions ont montré
beaucoup d’intérêt à mon travail ; j’espère qu’il rend justice à leur art et à leur passion.
Ma famille, qui n’ignore plus rien des cotes des livres d’heures à Drouot et de la
communication des bibliothèques sur les réseaux sociaux, sait tout ce que je lui dois.
Philippe, Pierre-François et Jean-Nicolas se sont montrés bien patients au cours de ces
mois de recherche et d’écriture. Ces pages leur appartiennent. Le moment est enfin venu
de leur rendre ce temps qu’ils m’ont donné.
Table des matières
Remerciements 5
Introduction 13
Un livre d’heures, en 2017… 13
Une nouvelle histoire des livres d’heures 15
Faire l’histoire de la patrimonialisation du livre d’heures 19
Première partie
Six siècles de livres d’heures
Chapitre 3 : Vers 1730 – vers 1900 : des Heures au Paroissien 109
Essai de quantification 109
Le grand siècle des Heures 115
La nostalgie du gothique 129
Une poétisation du temps : pastiches et détournements 135
8 ta b l e des matièr es
Deuxième partie
La requalification du livre d’heures
dans le champ du patrimoine :
redécouvertes et mise sous protection
Troisième partie
Le livre d’heures et ses médiations :
lieux et acteurs
Chapitre 7 : Le livre d’heures et le public : histoire d’une rencontre 307
Une affaire d’images mentales 307
Le livre d’heures à l’école 315
Le livre d’heures au musée 323
Le livre d’heures dans les pratiques culturelles, sociales et religieuses des Français 331
Conclusion 397
L’importance des mots 397
Une chronologie complexe 400
Livre d’heures et patrimoine écrit : quelle généralisation ? 405
ta ble des matières 9
Sources 407
I. Documents inédits (par dépôt) 407
II. Textes règlementaires (Codes, textes ministériels, rapports) 408
III. Sources imprimées 408
IV. Entretiens 456
V. Bases de données et répertoires en ligne 456
VI. Bibliothèques numériques patrimoniales 457
Bibliographie 459
I. Dictionnaires 459
II. Études sur la patrimonialisation 459
III. Bibliothéconomie / patrimoine en bibliothèque 462
IV. Histoire culturelle et religieuse 464
V. Collectionnisme et marché du livre rare 467
VI. Historiographie 469
AD Archives départementales
BEC Bibliothèque de l’École des Chartes
BMC Bibliothèque municipale classée
BMVR Bibliothèque municipale à vocation régionale
BnF Bibliothèque nationale de France
CCFr Catalogue collectif de France
DGP Direction générale des patrimoines
DLL Direction du livre et de la lecture
DRAC Direction régionale des affaires culturelles
FRAB Fonds régionaux d’acquisition des bibliothèques
ISTC Incunabula Short Title Catalog
MCC Ministère de la Culture et de la communication
Ms. manuscrit
RMN Réunion des Musées nationaux
SFRMP Société française de reproductions des manuscrits à peintures
SLL Service du livre et de la lecture (a remplacé la DLL)
USTC Universal Short Title Catalog
Avertissement
Tous les liens de pages web cités dans les notes ont été vérifiés le 24 juillet 2021.
Introduction
que le terme « témoin » revient sous toutes les plumes. Ce témoignage est instrumentalisé
par le Louvre, qui veut faire de ce livre d’heures le « chef d’œuvre de la Renaissance […]
conçu à un moment clé de l’excellence française » (cité par Le Figaro, 25 octobre 2017)
tandis que le journaliste des Échos (no 22560, 27 octobre 2017) précisait que ce manuscrit
permet de fonder l’idée que le luxe à la française est une longue tradition. À ces différents
titres, il « mérite de revenir dans les collections nationales ». Le caractère patrimonial
du livre d’heures relèverait donc du mérite (d’avoir bravé les siècles, le vandalisme, la
déchristianisation et les appétits commerciaux de marchands sans scrupules) et non de
qualités intrinsèques, ce qui, au seuil de cet essai, paraît parfaitement absurde mais, on
va le voir, est en réalité justifié, car la preuve de cette patrimonialité ressort du récit que
l’on produit, puis que l’on répand dans le public, des étapes par lesquelles l’objet est passé
pour devenir ce qu’il est entre nos mains.
Cette instrumentalisation est intéressante car elle conduit à dénaturer l’objet. Le soin
apporté à la confection du manuscrit par les miniaturistes, relieurs et orfèvres montre
certes qu’il n’était sans doute pas un objet du quotidien pour la princesse qui l’a reçu.
Mais aucun de ces articles ne juge utile de préciser qu’un livre d’heures est avant tout
un support de lecture et de prière pour les laïcs, un objet intime destiné à spiritualiser
la journée du chrétien. Pour les observateurs du début du xxie siècle, il est avant tout
un objet de curiosité. Paradoxalement, quelques journalistes, recopiant sans doute mot
pour mot les explications fournies par le « plus grand musée du monde », poussent le
souci du détail jusqu’à expliquer aux lecteurs que le signet, serti de rubis et de turquoises,
introduction 15
Mais qu’est-ce qu’un livre d’heures ? La simplicité de l’expression masque des difficultés
de définition qui ont duré plusieurs siècles. Horae en latin, Horarien ou Geteyden en
néerlandais, Stundenbücher en allemand, Primers ou Books of Hours en anglais, Libri d’ore
en italien, Libros de Horas en espagnol, l’expression naît, en France, au milieu du xive siècle
pour désigner une pratique bien installée en milieu laïc : la récitation de prières codifiées
aux heures dites « canoniales », c’est-à-dire prescrites par l’Église sur le modèle de la
liturgie monastique. Ces prières sont inscrites dans un livre, le « livre d’heures », si bien
que l’expression « Heures » désigne aussi métonymiquement ce recueil. De la sorte, le
fidèle peut consacrer à Dieu tous les moments de la journée, à l’image des chanoines et
des moines, en respectant les horaires et la récitation des psaumes à huit moments de la
journée : matines, laudes, prime, tierce, sexte, none, vêpres et complies. Au xiiie siècle, la
codification du temps liturgique par la prière des Heures paraît généralisée en Occident
chez les moines, les chanoines et les prêtres. Les laïcs, dans leurs intérieurs, utilisent le
psautier. Par contamination, ce psautier s’enrichit d’offices accessoires empruntés au bréviaire
monastique, en particulier l’office de la Vierge et, à la fin du xiiie siècle, apparaissent des
recueils combinant psaumes et Heures. En l’espace d’un siècle et demi, entre le milieu
2 À l’exception de J.-P. Oddos (éd.), Le patrimoine : histoire, pratiques et perspectives, Paris, Ed. du Cercle de la
librairie, 1997 ; F. Henryot (éd.), La Fabrique du patrimoine écrit : objets, acteurs, usages sociaux, Villeurbanne,
Presses de l’Enssib, 2019.
16 i n t roduction
du xiiie et la fin du xive siècle, une « décantation »3 des offices monastiques aboutit aux
premiers livres d’heures, marqués par une très nette tonalité mariale, ce qui n’a pas peu
contribué au succès de cette spiritualité domestique4.
Du fait de cette longue genèse et de son appartenance au genre liturgique, le livre
d’heures demeure obstinément un « recueil aux contours irréguliers », et son caractère
composite le rend « varié, touffu, pittoresque à souhait »5. Il pose de nombreux problèmes
de définition6. Sous des dénominations ambigües (officium Beatae Mariae, liber precum, piae
precum, preces piae, devotae preces, livre de prières) se cachent parfois des livres d’heures,
tandis que d’autres dénominations, a priori sans rapport avec les Heures, comme les
Hortulus animae et les Horologes de dévotion, et plus tard l’Ange conducteur, lui empruntent
de nombreux éléments. Ces difficultés ne sont pas seulement catalographiques ; elles
interrogent le contenu même du livre d’heures et ce qui dans ses pages le discrimine
d’autres recueils dévotionnels conçus également pour la prière privée, voire de son cousin
le bréviaire auquel il reste longtemps si ressemblant.
Ces difficultés, qui traversent tous les efforts définitoires consacrés aux livres d’heures,
montrent finalement l’écart d’appréciation entre les contemporains, pour lesquels la
banalisation et l’usage répété de l’objet empêchent tout questionnement, et ceux qui, pour
des raisons variées (collection, érudition, catalographie, pastiches littéraires par exemple)
cherchent à en délimiter le périmètre liturgique, spirituel et social. Cet écart révèle à son
tour deux moments disjoints, que ce travail entend à la fois documenter et réarticuler. Il y
a, d’une part, le temps de la production et de la consommation, de la pratique et de l’usage
qui répondent à des logiques économiques et dévotionnelles dont le principal caractère est
l’immédiateté. Il y a, d’autre part, celui des relectures, interprétations et réinterprétations
dont le livre d’heures a fait l’objet, dans le temps de sa consommation ou plus tardivement.
Ces deux moments sont généralement distingués dans l’historiographie, et plus particu-
lièrement dans l’histoire du livre telle qu’elle s’écrit depuis bientôt soixante ans, attentive
aux aspects politiques, économiques et sociaux des échanges dont l’imprimé fait l’objet,
et plus rarement aux instrumentalisations symboliques du livre à l’échelle individuelle et
collective. Or, l’itinéraire du livre d’heures de François Ier invite justement à repenser dans
un même mouvement cette double histoire : celle du manuscrit, de sa fabrication, du don
dont il fait l’objet du roi à sa nièce Jeanne d’Albret (1528-1572) ; puis celle de sa transmission
au sein de la famille royale jusqu’à ce que Marie de Médicis (1575-1642) l’emporte avec
elle lors de son exil dans les Pays-Bas espagnols. Mis en gage auprès de prêteurs anversois,
il est racheté par Mazarin (1602-1661) pour l’enrichissement de ses collections d’objets
d’art. À la mort du cardinal, il est vendu et passe en Angleterre ; on le retrouve, au gré des
ventes publiques, dans la bibliothèque de Richard Mead (1673-1754), médecin personnel
de George II, puis dans celle d’Horace Walpole (1717-1797) lors de sa dispersion à son
3 Selon le mot d’A. Labarre, « Heures (Livres d’) », Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique, Paris,
Beauchesne, t. VII, 1969, col. 410-431.
4 Sur l’histoire des livres d’heures, voir l’introduction de V. Leroquais, Les livres d’heures manuscrits de la
Bibliothèque nationale, Paris, 1927, t. 1. et plus récemment, S. Hindman et J. H. Marrow (éd.), Books of Hours
reconsidered, Londres, Harvey Miller ; Turnhout, Brepols, 2013.
5 V. Leroquais, op. cit., p. xii.
6 Comme le souligne H. Leclercq, « Livres d’heures », Dictionnaire de liturgie et d’archéologie chrétienne, t. IX,
Paris, Letouzay et Ané, 1930, col. 1836-1882.
introduction 17
décès. En 1925, il est entre les mains d’Almina Helbert (1876-1969), fille naturelle d’Alfred
de Rothschild, qui l’a vraisemblablement reçu de son père. On ne sait quand elle le cède
à Harold Harmsworth (1868-1940), magnat de la presse britannique, mais le manuscrit
refait surface en 1942 chez Sotheby’s lors de la vente de ses collections. À cette date, il est
acquis par l’antiquaire londonien Phillips, celui-là même qui le cède au Louvre en 2017. Son
entrée en musée, avec l’assentiment du public co-financeur de son acquisition, constitue
une étape nouvelle, et peut-être pas la dernière, des appréciations qui en sont faites depuis
sa fabrication en 1538. Livre de prières, bien familial, bien collectionné, expertisé, objet
de transactions marchandes à l’échelle européenne, objet muséifié : le livre d’heures de
François Ier est tout cela à la fois et chaque opération en transforme le statut.
Ainsi, cet essai entend produire une histoire inédite des livres d’heures, par ailleurs
fort connus (notamment dans leur genèse médiévale), au croisement de deux approches
fécondes en sciences sociales. D’une part, il emprunte à l’histoire de la civilisation matérielle
les problématiques de la production et de la consommation7, mais en s’attachant surtout à
la réception des objets, et aux reconfigurations successives à travers cette réception. À cette
culture matérielle s’adossent des gestes et des sentiments religieux, ce qui permet aussi d’écrire
une « histoire intime de la foi »8 à travers les objets du culte et de l’expression de la croyance.
Cette approche de l’objet par sa matérialité et ses usages permet de repérer les continuités
et les ruptures à travers des formes éditoriales et technologiques très différentes, et à travers
elles, d’écrire la généalogie à la fois historique, sociologique et ethnographique d’un objet et
de ses instrumentalisations sociales9 et mémorielles10. Cette histoire conjugue producteurs,
savoir-faire, circuits marchands, mais aussi représentations et références à un imaginaire du
livre nourrissant sa capacité à capter le sacré. Elle est complexe à restituer, d’abord parce
qu’elle se déroule sur six siècles et que les sources qui documentent le livre d’heures sont très
dissemblables et parcellaires dans le temps, à l’image des objets qu’elles décrivent : manuscrits
à peintures, incunables enluminés, livres gravés, livres imprimés en particulier. Par chance, des
pans importants de cette histoire sont bien connus. Ceux qui ne le sont pas sont ici mis au jour
à travers les sources désormais traditionnelles de l’histoire du livre : inventaires après-décès,
archives de libraires et de la Librairie, règlementations, sources littéraires, écrits du for privé,
pièces liminaires des livres eux-mêmes et bibliographie matérielle. De cette culture matérielle
passée, le livre d’heures est autant le témoin qu’une image sublimée. Le cas du livre d’heures
de François Ier montre bien cette capacité des « objets de mémoire » à réenchanter le monde
grâce à la double temporalité dans laquelle ils s’inscrivent : son histoire propre dans les effets
personnels et les pratiques dévotes d’une princesse de la Renaissance, et l’appel qu’il opère
7 Pour le Moyen Âge : L. Bourgeois et al. (éd.), La culture matérielle, un objet en question. Anthropologie, archéologie
et histoire, Caen, PU de Caen, 2018. Pour l’époque moderne : A. Pardailhé-Galabrun, La naissance de l’intime.
3000 foyers parisiens, xviie-xviiie siècles, Paris, Puf, 1988 ; B. Garnot, La culture matérielle en France aux xvie, xviie
et xviiie siècles, Paris, Ophrys, 1995 ; D. Roche, Histoire des choses banales. Naissance de la consommation, xviie-xixe
siècles, Paris, Fayard, 1997. Pour l’époque contemporaine, entre autres : M. Caraion, Usages de l’objet : littérature,
histoire, arts et techniques, xixe-xxe siècles, Seyssel, Champ Vallon, 2014.
8 M. Lezowski, « Tours et détours des objets de dévotion catholiques : introduction », Mélanges de l’École française
de Rome – Italie et Méditerranée, 126-2 (2014), p. 341-354 ; M. Lezowski et L. Tatarenko, « Introduction. La
matière et la manière », Archives de sciences sociales des religions, 183 (2018), p. 11-28 et tout le dossier qui suit.
9 Réflexion nourrie par B. Blandin, La construction du social par les objets, Paris, Puf, 2015 ; Th. Bonnot, La vie des
objets, d’ustensiles banals à objets de collection, Paris, Ed. de la MSH, 2002.
10 O. Debary et L. Turgeon (éd.), Objets et mémoires, Paris, Ed. de la MSH, 2007.
18 i n t roduction
11 P. Cuartas, « Les objets de mémoire ou la ruine au quotidien », Sociétés, 120 (2013), p. 35-47, ici p. 38.
12 K. Pomian, Collectionneurs, amateurs et curieux. Paris-Venise, xvie-xviiie siècle, Paris, Gallimard, 1987 ;
J.-P. Babelon et A. Chastel, « La notion de patrimoine », Revue de l’art, 49 (1980), rééd. Paris, Liane Lévi,
1994 ; J.-M. Léniaud, L’utopie française : essai sur le patrimoine, Paris, Mengès, 1992.
13 D. Poulot, Patrimoine et Musée : l’institution de la culture, Paris, Hachette, rééd. 2014.
14 N. Heinich, La fabrique du patrimoine : de la cathédrale à la petite cuillère, Paris, Ed. de la MSH, 2009 ; D. Fabre,
Domestiquer l’histoire : une ethnologie des monuments historiques, Paris, Ed. de la MSH, 2000 et Id. (dir.), Émotions
patrimoniales, Paris, Ed. de la MSH, 2013.
15 J. Davallon, Le don du patrimoine. Une approche communicationnelle de la patrimonialisation, Paris, Hermès,
2006 ; É. Flon, Les mises en scène du patrimoine : savoir, fiction et médiation, Paris, Hermès, 2012.
16 M. Gravari-Barbas (éd.), Habiter le patrimoine. Enjeux, approches, vécu, Rennes, PUR, 2005.
17 A. Dionisi-Peyrusse et J.-A. Benoît (éd.), Droit et patrimoine, Mont-Saint-Aignan, PU de Rouen et du Havre,
2015.
18 M.-Th. Albert, R. Bernecker et B. Rudolff (éd.), Understanding Heritage. Perspectives in Heritage Studies,
Berlin, De Gruyter, 2013.
19 K. Hébert et J. Goyette (éd.), Entre disciplines et indiscipline, le patrimoine, Québec, Presses de l’Université du
Québec, 2018.
introduction 19
tous ont admis l’idée d’une définition accueillante de cette notion : « tous les biens, tous
les ‘trésors’ du passé » pour Jean-Pierre Babelon et André Chastel, ou plus récemment,
tout ce qui fonde l’identité culturelle d’un lieu, d’un site, d’une communauté à partir des
traces du passé20. Si les approches disciplinaires du patrimoine ne sont pas réductibles les
unes aux autres, ni leurs conclusions, elles ont toutes souligné une donnée essentielle :
l’existence d’un triangle reliant des agents « légitimes », cautionnés le plus souvent par
l’État ; des objets, des espaces ou des pratiques sociales auxquelles ces agents confèrent
des propriétés ou valeurs susceptibles d’appropriation collective ; enfin une communauté
destinataire de discours et de dispositifs de médiation permettant cette appropriation. La
préservation des objets n’est pas seulement une question de conservation matérielle, c’est
aussi celle d’une « légitimation durable dans une configuration sociale spécifique »21. Ce
sont cette légitimation et ces configurations changeantes dans le temps que cet essai entend
interroger, à travers les acteurs de l’abandon, de la dépréciation, de la destruction, de la
sélection, de la revendication et de la médiation qui nourrissent le processus patrimonial22.
20 P. Béghain, Patrimoine, politique et société, 2e éd., Paris, Presses de Sciences Po, 2012.
21 E. Amougou, La question patrimoniale. De la « patrimonialisation » à l’examen des situations concrètes, Paris,
L’Harmattan, 2004, p. 25.
22 S. Héritier, « Le patrimoine comme chronogenèse. Réflexions sur l’espace et le temps », Annales de géographie,
689 (2013), p. 3-23.
23 D. Poulot, « Patrimoine et histoire de l’art », in J.-Cl. Nemery, M. Rautenberg et F. Thuriot (éd.), Stratégies
identitaires de conservation et de valorisation du patrimoine, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 19-29, ici p. 18-19 et 27.
20 i n t roduction
29 D. Poulot, Musée, nation, patrimoine, 1789-1815, Paris, Gallimard, 1997 ; Fr. Bercé et B. Foucart, Des monuments
historiques au patrimoine du xviiie siècle à nos jours ou les égarements du cœur et de l’esprit, Paris, Flammarion, 2000 ;
N. Heinich, op. cit.
30 M. Rautenberg, La rupture patrimoniale, Paris, À la croisée, 2003.
31 D. Poulot, « Patrimoine et histoire de l’art », op. cit., p. 28.
22 i n t roduction
figures déjà très connues et laissent définitivement dans l’ombre celles qui s’y trouvaient
déjà, composent une autre difficulté de ce travail : celle de remettre en perspective des
éléments rarement méconnus ou inédits. En revanche, leur diversité permet d’interroger
toutes les facettes de l’affaire patrimoniale. Au-delà de l’histoire de la patrimonialisation
des livres d’heures, c’est aussi l’histoire du sensible, des attachements et des admirations
éprouvés par différents groupes sociaux et à différents moments que l’on peut restituer ;
c’est l’histoire d’une culture de l’image et du texte, celle de la délimitation des savoirs et
des disciplines dans le champ de la science historique, celle, plus sociale, de l’invention
et du décryptage des héritages du passé par ceux qui ont su les recevoir.
Parmi ces sources surabondantes, il faut réserver une place à part au catalogue. Liste
coordonnée de notices plus ou moins standardisées, le catalogue est à la fois inventaire,
outil de travail de celui qui l’a produit ou des usagers potentiels d’une collection, carte et
« géométral » de l’espace de la collection et de son classement, instrument scientifique,
plaisir gratuit de catalographe, objet littéraire, outil promotionnel et moyen de pérennisation
d’un ensemble éphémère (catalogue d’exposition, collection individuelle) voué tôt ou
tard à la dispersion32. Qu’il énumère les livres d’un libraire (catalogue commercial), d’un
défunt (inventaire après décès) ou d’un collectionneur (catalogue de vente ou catalogue
domestique), il répond à des codes rédactionnels précis et les entretient en retour,
mobilisant tout un vocabulaire, des abréviations usuelles, une typographie normalisée qui
disent la tension entre le bavardage érudit et la concision. Dans cette étude sur la réception
patrimoniale du livre d’heures, le catalogue n’est pas seulement une source, d’autant plus
illusoirement commode qu’elle se prête de bon cœur à la mise en série ; il est à la fois le
moyen et le produit de la patrimonialisation, en ce qu’il favorise le traçage, la description
et l’appropriation des livres d’heures par différents agents. Ainsi, les notices du Catalogue
général de la BnF (imprimés) et celles de BnF – Archives et Manuscrits ont été mobilisées
comme des sources, en ce que leur construction et les modalités de leur rédaction rendent
compte d’une certaine manière d’appréhender le livre d’heures à différents moments de
l’histoire de la panthéonisation de celui-ci dans les bibliothèques publiques. Celles du
Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques, aussi laconiques et critiquées
soient-elles, sont le produit d’une entreprise savante et bibliographique intrinsèquement
patrimoniale au beau milieu du xixe siècle. L’abondance documentaire rend la tâche ardue,
même en procédant par échantillonnage ; aussi me suis-je surtout attachée à produire
des indicateurs bibliographiques, bibliothéconomiques, économiques, géographiques
et politiques de la circulation et des positionnements successifs du livre d’heures dans
l’espace culturel et social des représentations et de l’imaginaire patrimonial. Pour ce faire,
l’information catalographique est rarement autosuffisante : elle doit toujours être croisée
avec des données biographiques, administratives et archivistiques, qu’ils comportent
d’ailleurs souvent de manière liminaire (nécrologie d’un collectionneur défunt, enjeux
d’une exposition, publications savantes…)
Or, ces sources exigent un traitement différent : elles constituent des discours affectant
souvent une forme narrative – qu’on songe au bibliophile racontant sa trouvaille, à l’érudit
ému devant un document rare et laissant sa plume révéler ses sentiments, à l’institution
culturelle présentant un livre d’heures au public, à l’émotion universelle face aux aléas de
conservation du patrimoine. Au fond, elles ont déjà la prétention de raconter sinon l’histoire,
du moins une histoire ; elles font récit. Elles constituent, selon le mot de Dominique
Poulot, un « journalisme patrimonial […] contribuant à normaliser les différences et
à mettre en exergue la singularité d’un monument ou d’une pièce pour l’intelligence et
la fierté collective »33. Ces sources doivent donc être comprises comme une pratique de
communication conditionnant la patrimonialisation des Heures, devenues objet d’énon-
ciation, objet de sociabilité, de partage, mis en scène, manipulé, réélaboré de nouveaux sens
patrimoniaux34. On s’est donc attaché à repérer, dans les sources, toutes les tentatives de
narrativisation. La fécondité de ces questions a été largement démontrée par les travaux
de Bernard Vouilloux sur la notion de collection privée35. Une analyse minutieuse de ces
narrations, que le discours se situe « dans l’action » ou qu’il porte « sur l’action », permet
de construire un autre récit, celui de l’articulation de l’usage prescrit (l’autonomisation
surveillée de la prière laïque) et du sentiment, voire des rêveries patrimoniales. Dans une
perspective historique, cette démarche se double de la recherche de ruptures chronologiques
significatives : quels récits a-t-on forgés successivement autour de chaque livre d’heures ?
Qui les énonce ? Quel rôle joue la mise en récit dans les recharges symboliques dont ces
livres ont fait l’objet au fil du temps ? Et comment la somme de ces récits peut-elle aussi
composer un récit patrimonial intelligible et médiatisable ?
Ce récit commence avec l’histoire propre du livre d’heures tout au long des six siècles
durant lesquels il a été mis dans les mains des fidèles, afin de situer sa nature, sa fonction,
ses évolutions éditoriales, formelles et spirituelles majeures (chapitres 1 à 3). Cette
histoire de l’objet produit et vécu permet de mettre en évidence ensuite les ruptures qui
se produisent dès que commence sa patrimonialisation et les aspects historiques qu’elle
instrumentalise ou qu’elle escamote. On s’interrogera ensuite sur l’identité et les motivations
des « découvreurs » des livres d’heures, sur les étapes de cette reconsidération et sur la
manière dont celle-ci les a transformés en objets patrimoniaux. C’est d’abord l’œuvre des
collectionneurs (chapitre 4), puis celle des érudits qui ont produit un discours savant sur le
livre d’heures (chapitre 5), enfin les agents des institutions de l’État à l’aide de dispositifs
juridiques encadrant de plus en plus fermement le patrimoine et contribuant ainsi à le créer
(chapitre 6). On verra enfin comment se construit dans l’espace public un vaste arrière-plan
de savoirs grâce à l’école, aux équipements culturels et aux pratiques récréatives prenant
l’histoire pour appui (chapitre 7) et comment, dans cet horizon de savoirs et d’attentes
culturelles fondés sur une idée schématique du livre d’heures, les bibliothèques s’en sont
saisies dans la déclinaison de leurs missions traditionnelles et dans la construction d’une
relation avec leurs usagers (chapitre 8).
En 1969, Albert Labarre appelait de ses vœux une histoire longue et totale des livres
d’heures, des productions à l’usage des aristocrates des xive et xve siècles aux Heures
populaires publiées du début de l’âge moderne à Vatican II1. Il faut malheureusement
admettre que son appel n’a pas été entendu : nul n’a encore entrepris l’histoire de ce genre
dévotionnel à la fois omniprésent dans les pratiques spirituelles des laïcs, et si méconnu
hors des plus célèbres productions manuscrites de la fin du Moyen Âge.
Les pages qui suivent se veulent à la fois une réponse à cet appel, et la mise en évidence
de la fonction du livre d’heures dans l’ordre des objets, et de ce qu’ils contribuent à fonder
au cœur des distinctions sociales et individuelles. Elles livrent une lecture de l’imposante
littérature scientifique consacrée aux livres d’heures2, mais aussi de sources moins ou pas
connues dans l’historiographie (littéraires, économiques et réglementaires notamment),
qui traque les caractéristiques tant fonctionnelles que symboliques de ces livres, pour
les observer en tant qu’objets vécus. Cette quotidienneté vécue est conditionnée par la
production et ses acteurs, ainsi que par les formes matérielles dans lesquelles les Heures
se sont imposées, puis renouvelées. Elle interroge aussi la consommation, non pas comme
« mode d’absorption passif des objets, mais comme mode actif de relations »3. Cette
lecture interprétative entend alors mettre en évidence ce que ces livres engendrent en
termes de relations sociales et de conscience de soi dans l’espace collectif : l’ecclesia, la
cour, la famille, la ville par exemple. Au-delà de cette notion, ces trois premiers chapitres
entendent prendre en compte la matérialité des Heures, qui permet justement leur entrée
dans l’ordre des objets rêvés, consommés, délaissés, célébrés.
La longévité des Heures dans l’économie du livre manuscrit puis imprimé, et dans les
pratiques de consommation dévotionnelle, imposent de faire cette lecture sur le temps
long, qui permet d’appréhender des mutations, des ruptures, des continuités, des retours
en arrière qui mettent des années, voire des décennies pour prendre forme. Les six siècles
envisagés, du courant du xive au début du xxe siècle, se dérobent aux césures chronologiques
traditionnelles, qu’il s’agisse de la distinction entre les âges médiéval et moderne, du reste
fortement remise en cause par les historiens du religieux ; ou des présumées ruptures entre
le manuscrit, l’incunable puis l’imprimé plus tardif. L’histoire des Heures imprimées est
traversée par des ruptures chronologiques inédites balisant une périodisation inégale.
Trois tournants paraissent particulièrement décisifs : les années 1480 avec l’avènement des
premières Heures imprimées ; les années 1570 avec la première tentative d’uniformisation
liturgique des Heures à l’usage des laïcs ; enfin les années 1820-1830 qui voient les Heures
se muer définitivement en livre liturgique généraliste et paroissial.
1 A. Labarre, « Heures (Livres d’) », Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique, Paris, Beauchesne, t. VII,
1969, col. 411.
2 Voir chapitre 5.
3 J. Baudrillard, Le système des objets, Paris, Gallimard, 1968.
Chapitre premier
Les commanditaires
1 C. Vincent, Les confréries médiévales dans le royaume de France, Paris, Albin Michel, 1994, p. 116 ; S. Simiz,
Confréries urbaines et dévotions en Champagne (1450-1830), Villeneuve-d’Ascq, PU du Septentrion, 2001, p. 66.
30 c h a p i t r e p r emier
crit, le clergé, les universitaires et les princes. Le répertoire dressé par Jean-Luc Deuffic,
Heures manuscrites identifiées, qui compile les informations relatives aux commanditaires
et possesseurs de 597 livres d’heures manuscrits, permet de brosser le tableau des milieux
qui sollicitent les ateliers de copie et d’enluminure pour la fabrication d’un tel objet2.
Ces 597 recueils sont répartis en 539 entrées nominatives. L’enquête montre la difficulté
de situer correctement le commanditaire premier d’un livre d’heures : dans seulement
61% des cas, celui-ci est connu, ou peut faire l’objet d’hypothèses réalistes. Dans les autres
cas, il demeure un hiatus entre le temps de production du recueil et le premier possesseur
identifié. Du reste, ce hiatus n’est parfois qu’apparent, tant les possesseurs successifs ont
pu modifier la structure et le contenu d’un livre d’heures déjà ancien. Le livre d’heures
dit « de Jacques Cœur », attribué pour partie à l’atelier de Jean Colombe (v. 1430-1493),
en offre un exemple éloquent. Les emblèmes et devises logés dans les bordures indiquent
à coup sûr une commande de la famille du grand argentier de Charles VII, si ce n’est de
Jacques Cœur en personne. Une fois le volume passé à une branche cadette de la famille, les
Balliencourt, le nouveau propriétaire modifie astucieusement non seulement les armoiries
de Jacques Cœur et les devises, pratique courante jusqu’au xviie siècle, mais l’organisation
même du livre. De nouvelles sections sont ajoutées (prière O intermerata, suffrages des
saints) dont l’illustration et l’écriture tranchent nettement avec la première partie du
recueil. Des enluminures (sans doute anciennes et non produites pour cette révision)
sont intercalées dans les cahiers primitifs, le calendrier est corrigé pour y adjoindre des
saints arrageois, la famille Balliencourt étant puissante en Artois3. Cet exemple montre
combien les commanditaires peuvent être multiples pour un même recueil.
Certes, le roi et sa famille restent les clients les plus désirables pour tout atelier. Toutes
les cours, française ou aux lisières du royaume, sont d’actifs foyers de commande de livres
d’heures. Au moins neuf volumes ont été réalisés pour la puissante famille d’Anjou, étendant
son pouvoir sur la Lorraine, la Sicile et la Provence4. Anne de Beaujeu (1461-1522), fille
de Louis XI, en aurait commandité au moins trois pour son usage5. L’entourage royal
prend modèle sur le mécénat princier. L’étude menée sur la Bretagne par Jean-Luc Deuffic
rend compte de cette contamination du modèle princier, qu’il soit français ou breton.
Les Hurault, famille d’origine bretonne et proches de Louis XII, auraient commandité
au moins six livres d’heures6 ; Richard d’Espinay, chambellan du duc de Bretagne
François II, ou Françoise de Dinan, gouvernante d’Anne de Bretagne, figurent également
parmi les commanditaires de livres d’heures actifs auprès des ateliers locaux ou parisiens
au xve siècle. Florimond Ier Robertet d’Alluye, conseiller de Charles VIII et trésorier de
France à partir de 1495, fait réaliser également un livre d’heures7. Ces personnages sont
parfois en mesure de rivaliser, par leur fortune et leur sens esthétique, avec les plus belles
commandes princières. Les Heures du maréchal de Boucicaut en sont l’exemple le plus
célèbre. Le maréchal de Boucicaut, de son vrai nom Jean Le Meingre (1364-1421), est
issu de la petite noblesse ; compagnon du Dauphin, il reçoit la même éducation que lui.
Il est fait maréchal de France en 1391, à l’âge de 26 ans, puis gouverneur de Gênes entre
1401 et 1411. Il épouse en 1393 Antoinette de Turenne, l’une des plus riches héritières de
France. Il meurt en 1421. Il s’affirme comme un protecteur des lettres, en particulier des
poètes. Son livre d’heures, commandé à un artiste dont l’anonymat n’est pas encore
levé, est personnalisé. Les suffrages des saints, qu’il affectionne particulièrement, sont
placés au début et mettent en évidence son patron, saint Jean et celui de sa femme, saint
Antoine ; saint Nicolas patron de leur fils mort jeune, saint Christophe protecteur des
voyageurs (il a sillonné l’Europe), saint Denis et saint Michel protecteurs du royaume
de France, Pierre, Paul et Sébastien, patrons de Rome (la famille de sa femme compte
deux papes) ; saint Martin (il est tourangeau) et sainte Catherine (il a fondé un hôpital
à Sainte-Catherine-de-Fierbois en 1406 et il est allé au tombeau de la sainte au Sinaï) ; le
sanctoral génois avec Pancrace, Laurent, Georges, Brigitte et Augustin… La cour céleste
est pensée comme un prolongement de la cour terrestre et de l’environnement familial
et politique de Boucicaut8.
Suivant ce mouvement, le cercle bigarré et hétérogène de l’aristocratie locale, seigneurs
puissants localement, liés ou non au pouvoir central, devient un interlocuteur de plus
en plus pressant des ateliers d’enluminure. Raoul d’Ailly, chevalier, seigneur et baron de
Picquigny, seigneur du Haut-Clocher, de Rayneval et de Broye, vidame d’Amiens, mort en
1468, est le commanditaire d’Heures à l’usage de Rome et d’un office des morts à l’usage
d’Amiens réalisés vers 1435 par Robert Campin (v. 1378-1444) ou son atelier, preuve que
les pouvoirs laïcs locaux s’emparent du livre d’heures dès le milieu du xve siècle9.
Le xve siècle est marqué par l’élargissement progressif du lectorat des Heures et en
conséquence, par l’accession de nouvelles catégories sociales à l’écrit comme bien matériel
distinctif. Thierry Delcourt, étudiant les livres d’heures troyens de la fin du Moyen Âge,
observe la prédominance des marchands parmi les commanditaires, tels les Le Peley.
Guyot II Le Peley est le fils d’un changeur et riche marchand, et le neveu de l’évêque de
Troyes. Pour ces riches bourgeois, des ateliers locaux deviennent indispensables. L’atelier
du Maître du Pierre Michault de Guyot II Le Peley produit un livre d’heures pour Jeanne
Le Peley, un autre pour le deuxième maire de Troyes, Simon Libroron, et un troisième pour
la famille Mauroy. Mais les commanditaires se tournent aussi vers Paris10. Ce phénomène
est perceptible dans tout le royaume. Un certain Jean de l’Aigle, fondateur et bienfaiteur
d’un hôpital sur le chemin du Mont-Saint-Michel, s’est fait représenter, selon l’usage,
dans de nombreuses bordures des pages : on le reconnaît à sa coiffure et au rapace qu’il
tient sur son bras, allusion à son nom de famille11. Le livre d’heures est ainsi un moyen
d’affirmer une réussite au sein des réseaux familiaux.
8 Paris, Musée Jacquemart-André, ms. 1311 ; A. Châtelet, « Les heures du maréchal de Boucicaut », Fondation
Eugène Piot. Monuments et mémoires, 74 (1995), p. 45-76.
9 S. Nash, « A Fifteenth-Century French Manuscript and an Unknown Painting by Robert Campin », The
Burlington Magazine, 137 (1995), p. 428-437. Vente Sotheby’s, 11 juillet 1978, lot 48.
10 Th. Delcourt, « Un livre d’heures à l’usage de Troyes peint par Jean Colombe », Bulletin du bibliophile,
2 (2006), p. 221-244.
11 C. Fressart, « Un livre d’heures inédit : le ms. 94-1-1 de la bibliothèque municipale d’Avranches », Annales de
Normandie, 51-3 (2001), p. 195-210.
32 c h a p i t r e p r emier
Comme l’écrit justement Léon-Marie-Joseph Delaissé, « il existait une véritable industrie
du livre d’heures en marge de la production sélecte réservée aux mécènes ou commandée
par eux »12 : ce que d’autres ont appelé « livres d’heures d’étal » en opposition aux volumes
de commande13. Les recueils issus de cette production en série n’ont pas connu le même
degré de personnalisation par adjonction d’armoiries, de devises ou par représentation
de soi dans les enluminures, souvent moins nombreuses. C’est ce qui explique que la
commande de peu de livres d’heures puisse être attribuée à de riches bourgeois, alors que
de nombreux inventaires après décès, dès le début du xve siècle, révèlent la présence de ces
objets dans les intérieurs domestiques. Chez les parlementaires du temps de Charles VI,
psautiers et livres d’heures – on est au temps du basculement entre les deux types de
recueils – constituent le socle commun des lectures14. La chose est plus nette encore à
la fin du siècle. Bien des bourgeois ont acquis des livres copiés et décorés en dehors de
toute commande préalable, pour être ensuite débités dans les boutiques de libraires. On
relève ainsi, dans les minutes du notariat parisien du tournant des xve et xvie siècles,
ces mentions explicites : « Une Heures en parchemain, escriptes à la main, commansant
au premier feullet, après le calendrier : In principio, et fainisant au penultime, garnie de
deux fermouez d’argent doré » dans l’inventaire après décès d’Andri Jouette, épicier et
bourgeois de Paris, en 1515. Ou encore, prisées huit livres dans celui de Nicolas Boudier,
marchand parisien, en 1519 :
Unes Heures, escriptes en parchemin, en lettre de forme, enlumynées et hystoriée,
commencent au second feuillet d’après le kalendrier : lumine, et finissant au penul-
time : visa, reliés entre deux ays, couvertes de cuir rouges, garnyes de deux fermouers
d’argent doré, à tringles d’or, esmaillées, à un Sainct Jehan et Saincte Katherine, à deux
boutonneuses de perles, rivés sur deux tissus de velours carmoisy, avec une chemisete
de velour tenné, doublée de damas noir15.
C’est le signe incontestable non seulement de l’émergence d’une nouvelle catégorie
sociale, mais aussi et surtout de sa quête de légitimité, en copiant les usages dévotionnels
de l’aristocratie. Le livre, et surtout le livre d’heures, accompagne les transformations
sociales de la fin du Moyen Âge et favorise l’identification des nouvelles catégories
sociales16. L’un des supports de celle-ci est précisément l’écrit : la capacité à produire de
l’archive, à générer des inscriptions funéraires, à capitaliser les livres, assigne aux individus
et aux communautés une place dans l’échelle sociale. Dans ce processus, le livre d’heures
témoigne de l’appropriation élargie d’une culture légitime, mais aussi de l’intériorisation
12 L.-M.-J. Delaissé, « Une production d’un atelier parisien et le caractère composite de certains livres d’heures »,
Scriptorium, 2 (1948), p. 84.
13 I. Delaunay, « Livres d’heures de commande et d’étal : quelques exemples choisis de la librairie parisienne,
1480-1500 », in F. Joubert (éd.), L’artiste et le commanditaire aux derniers siècles du Moyen Âge, xiiie-xvie siècles,
Paris, PUPS, 2001, p. 249-270.
14 Fr. Autrand, « Culture et mentalité : les librairies des gens du parlement au temps de Charles VI », Annales.
Économies, sociétés, civilisations, 28-5 (1973), p. 1219-1244.
15 E. Coyecque, Recueil d’actes notariés relatifs à l’histoire de Paris et de ses environs au xvie siècle, t. I, 1498-1545, Paris,
Édouard Champion, 1905, p. 23 et 25.
16 J. Morsel, « Les logiques communautaires entre logiques spatiales et logiques catégorielles (xiie-xve siècles) »,
Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre, 2 (2008), [En ligne] : https://journals.openedition.org/cem/10082.
le temps des ma nuscrits 33
17 S. Hindman, « The Illustrated Book: An Addendum to the State of Research in Northern European Art », The
Art Bulletin, 68-4 (1986), p. 536-542.
18 Ph. de Mézières, « La Sustance de la chevalerie de la Passion de Jhesu Crist en françois », A. H. Hamdy (éd.),
Bulletin of the Faculty of Arts, Alexandria University, 18 (1963), p. 43-104, ici p. 91.
19 D. Alexandre-Bidon, « Prier au féminin ? Les livres d’heures des femmes », in A. Cabantous (éd.), Homo
religiosus. Autour de Jean Delumeau, Paris, Fayard, 1997, p. 527-534 ; A.-M. Legaré, « Livres d’heures, livres de
femmes : quelques exemples en Hainaut », Eulalie, 1 (1998), p. 53-68.
20 A.-M. Legaré, « Reassessing Women’s Libraries in Late Medieval France: the Case of Jeanne de Laval »,
Renaissance Studies, 10-2 (1996), p. 209-236 ; plus généralement, A.-M. Legaré (éd.), Livres et lectures de femmes en
Europe entre moyen âge et renaissance, Turnhout, Brepols, 2007.
21 M. Gaude-Ferragu et C. Vincent-Cassy (éd.), « La dame de cœur ». Patronage et mécénat religieux des femmes
de pouvoir dans l’Europe des xive-xviie siècles, Rennes, PUR, 2016.
22 New York, Pierpont Morgan Library, M 190 ; A. Le Part, « Le livre d’heures de Marie de Rieux : manuscrit à
peintures du xve siècle », Bulletin et mémoires de la Société Polymathique du Morbihan, 128 (2002), p. 327-345.
34 c h a p i t r e p r emier
ces heures-cy dieu leur face Misericorde »23. Les représentations des commanditaires en
couple, avec leurs enfants et parfois leurs serviteurs, est fréquente. C’est le cas dans un
recueil commandité par une femme, qui s’est fait représenter à deux reprises, en prière dans
les deux peintures de la Vierge à l’Enfant, et une troisième fois avec son époux et son fils
dans une miniature des Heures de la Vierge24. Le livre devient ainsi la preuve rassurante
de la stabilité familiale.
Ces représentations de soi dans le corps même du livre interviennent à l’âge d’or des
portraits de donateurs dans la grande peinture d’église, le vitrail ou la sculpture funéraire.
Dans le cas du livre d’heures, elles attestent la propriété et un statut social, certes, mais
elles servent aussi à rappeler la mémoire du commanditaire auprès de ses descendants ou
des possesseurs ultérieurs, à solliciter des prières pour le repos de son âme. Il est possible
enfin qu’elles servent de miroir à ceux qui utilisent le livre, pouvant y voir une invitation
à la prière et à l’examen de conscience. Il s’agirait donc d’une image prescriptive25.
Le livre d’heures fait rupture, ensuite, par l’effervescence et la multiplication des lieux
de création que suscite cette demande exponentielle. L’artisanat du livre s’en trouve modifié
en profondeur. Si, à la fin du xive siècle, le principal centre de production de manuscrits
est Paris, où la demande est stimulée par la présence de l’Université, le tableau change
quelques décennies plus tard en faveur d’un polycentrisme de la confection de manuscrits.
Dans le premier tiers du xve siècle, les ateliers se multiplient sous l’effet de l’essaimage
d’artistes formés à Paris. Ces artistes apportent dans un premier temps des techniques
parisiennes éprouvées, avant d’inventer localement de nouveaux styles.
La production des manuscrits est placée sous la responsabilité de libraires qui, en
fonction de la commande reçue, composent une équipe avec les compétences requises :
parcheminier, scribe, enlumineur, miniaturiste, relieur. Ce libraire imagine un répertoire
de bordures, un modèle type de calendrier et de formules paraliturgiques et les impose
d’un livre à l’autre26. L’examen attentif des caractéristiques formelles des manuscrits,
des réglures, des modalités de la justification, des modèles iconographiques, permet de
trouver des « mains » constantes dans les ateliers et des matrices de pages identiques
d’un manuscrit à l’autre. Cette organisation permet un meilleur rendement, grâce à la
division du travail selon une unité, le cahier ; les différentes unités produites sont ensuite
cousues ensemble. Le parisien Jean Dubreuil, scribe qui a copié les Heures de Jacques
de Langeac en 1466 (elles sont, une fois n’est pas coutume, signées), et les Wharncliffe
Hours, a ensuite copié au moins six autres recueils entre 1475 et 1485 environ : les Heures
de René II de Lorraine, les Bigot Hours, les Heures de Bourbon Vendôme, les Heures
23 New Haven, Yale University, Beinecke Library, 217. Cité par J.-L. Deuffic, Heures manuscrites…, op. cit.
24 R. Chenu, « La découverte d’un nouvel enlumineur rouennais : le Maître de l’Arsenal », Annales de Normandie,
66-2 (2016), p. 3-40. Paris, Arsenal, ms. 643 Rés.
25 L. Campbell, Renaissance Portrait. European Portrait-Painting in the 14th, 15th and 16th Centuries, Yale, Yale UP,
1990.
26 M. et R. Rouse, Manuscripts and their Makers: Commercial Book Production in Medieval Paris 1200-1500, t. II,
Turnhout, Brepols, 2000.
le temps des ma nuscrits 35
de Francfort et les Heures de Catherine, enluminées par Jean Bourdichon27. À Paris, les
libraires dépendent de l’Université et font travailler des enlumineurs. Ils sont groupés en
deux quartiers, près de Notre-Dame et près de la Sorbonne. À proximité travaillent les
parcheminiers, scribes, historieurs… Les artistes peuvent être attachés à plusieurs ateliers,
et se partagent le travail à effectuer pour un même manuscrit. Ces pratiques donnent
à certaines productions un caractère composite, voire confus, sans doute parce que la
fabrication s’étend sur plusieurs années.
Différents foyers paraissent particulièrement féconds. Au début du xve siècle, l’enlu-
minure et plus généralement la peinture connaissent une surenchère dans l’innovation
sur la perspective, le réalisme, l’ajout de détails du quotidien. La technique même de la
peinture est transformée par la découverte de nouvelles substances permettant des couleurs
plus vives et plus transparentes. À Paris, entre 1408 et 1420, le Maître de Boucicaut décore
plusieurs livres d’heures témoignant de ces mutations (Heures de Jeanne Bessonneau ;
Heures de Guise, Heures du Maréchal de Boucicaut). Son identité prête encore à débat.
Après avoir été assimilé à Jacques Coesne28, sa proximité avérée avec l’environnement
de l’université de Paris a suggéré aux spécialistes un rapprochement avec Regnault du
Montet, libraire et fournisseur du duc de Berry, ou un enlumineur de cette officine29.
Les plus virtuoses, sinon les plus célèbres, en la matière, sont les frères de Limbourg, Pol,
Herman et Jean (v. 1380-1416), neveux de Jean Malouel († 1415), peintre attaché aux cours
de France et de Bourgogne. Installés à Paris en 1402, ils travaillent d’abord pour le duc de
Bourgogne, puis pour son frère le duc Jean de Berry (1340-1416). Les frères de Limbourg
produisent les 158 miniatures des Belles Heures (New York, MMA, Acc.no.54.1.1), avant
de s’atteler à la commande des Très Riches Heures (Chantilly, Musée Condé, ms. 65), qui
restent inabouties en raison de l’épidémie de peste à laquelle ils succombent tous trois
en 1416, de même que leur commanditaire30. Le travail est achevé soixante-dix ans plus
tard par d’autres artistes sous la direction de Jacquemart de Hesdin, parmi lesquels ont
été avancés les noms de Barthélemy D’Eyck, et plus sûrement celui de Jean Colombe. Au
même moment, le Maître de Rohan, dans son atelier parisien, produit au moins six livres
d’heures entre 1410 et 1435, grâce à la protection de Yolande d’Aragon31.
27 Th. Kren, « Seven illuminated Books of Hours written by the parisian scribe Jean Dubreuil, c. 1475-1485 »,
in B. J. Muir (éd.), Reading texts and images, essays on medieval and Renaissance art and patronage in honour of
Margaret M. Manion, Exeter, Exeter UP, 2002, p. 157-200.
28 P. Durrieu, « Le Maître des Heures du maréchal de Boucicaut », Revue de l’Art ancien et moderne, 19 (1906),
p. 401-415, et 20(1907), p. 21-35 ; du même, « Les Heures du maréchal de Boucicaut du musée, Jacquemart-
André », Revue de l’Art chrétien, 1913, p. 73-81, 145-164, 300-314, et 1914, p. 27-35.
29 A. Châtelet, op. cit., p. 72-73.
30 M. Meiss, French Painting in the Time of Jean De Berry: Limbourgs and Their Contemporaries, Londres, Thames and
Hudson, 1974 ; T. B. Husband, The art of illumination, the Limbourg brothers and the Belles Heures of Jean de France,
Duc de Berry, Yale, Yale UP, 2008 ; P. Stirnemann et I. Villela-Petit, Les Très Riches Heures du duc de Berry
et l’enluminure en France au début du xve siècle, Paris, Somogy éditions d’art / Musée Condé, 2004 ; R. Dückers
et P. Roelofs, The Limbourg Brothers: Reflections on the origins and the legacy of three illuminators from Nijmegen,
Leyde/Boston, Brill, 2009. En dernier lieu : L. Ferri et H. Jacquemard, Les Très Riches Heures du duc de Berry :
un livre cathédrale, Paris, Sirka, 2018.
31 S. Panayotova, « The Rohan Masters: Collaboration and Experimentation in the Hours of Isabella Stuart »,
in C. Hourihane (éd.), Manuscripta Illuminata: Approaches to Understanding Medieval and Renaissance
Manuscripts, Princeton, Princeton UP / Penn State UP, 2014, p. 14-46.
36 c h a p i t r e p r emier
32 Fr. Avril (éd.), Jean Fouquet, peintre et enlumineur du xve siècle, catalogue d’exposition, Paris, Bibliothèque
nationale de France, 25 mars – 22 juin 2003, Paris, Hazan, 2010 ; notamment les Heures d’Etienne Chevalier (entre
1452 et 1460) ; Heures à l’usage d’Angers ; Heures de Simon de Varye (6 miniatures de la main de Fouquet),
Heures de Jean Robertet (9 miniatures).
33 N. Reynaud, « Les Heures du chancelier Guillaume Jouvenel des Ursins et la peinture parisienne autour de
1440 », Revue de l’art, 126 (1999), p. 23-35.
34 Th. Delcourt, op. cit.
35 R. S. Wieck et W. Voelkle, The Hours of Henri VIII: a renaissance masterpiece by Jean Poyet, New York,
G. Braziller, 2000 ; M. Hofmann, « Un chef d’œuvre de Jean Poyet peu connu : les Heures Petau de la collection
Weiller », in M. Boudon-Machuel et P. Charron (éd.), Art et société à Tours au début de la Renaissance,
Turnhout, Brepols, 2017, p. 115-127 ; P.-G. Girault, « Jean Poyet peut-il être l’auteur des Heures du Tilliot ? »,
Revue de l’art, 110 (1995), p. 74-78. Heures Ladore : cat. Héribert Tenschert, V, 27 ; Heures de Raoulette de
Beaune : Harlem, Musée Teyler, ms. 78 ; Heures dites de Marie d’Angleterre : Lyon, BM, ms. 1558 ; Heures de
Copenhague : Copenhague, Det Kongelige Bibliotek, ms. Thott 541.4o ; Heures Teyler : Haarlem, Musée Teyler,
ms. 78 ; Heures Tilliot : Londres, British Libray, ms. Y.Th. 5.
36 Paris, BnF, ms. lat. 9474.
37 Th. Kren et al., A masterpiece reconstructed: the Hours of Louis XII, Los Angeles, JP Getty Museum et London,
V&A Museum, 2005.
38 Los Angeles, JP Getty Museum, Ms. 6 (84.ML.746).
39 Francfort, Musée des Arts Appliqués, LM 48.
40 Paris, BnF, ms. lat. 10532.
le temps des ma nuscrits 37
Le livre d’heures est donc avant tout un produit septentrional. En France méridionale,
les ateliers paraissent plus tardifs et les commandes, moins importantes, malgré quelques
exceptions. Géraut de Sales apparaît dans les comptes des Capitouls de Toulouse dans
les années 1430 et 1440 ; puis Antoine de Lonhy, d’origine bourguignonne mais actif à
Toulouse de 1454 à 1460. Enfin, Pèlerin Frison impose son style entre 1504 et 151845. Cette
répartition géographique inégale, reflétant une demande culturelle tout aussi inégale, a
donné au livre d’heures une certaine homogénéité, renforcée par la circulation des modèles.
Le contenu dévotionnel
45 M. A. Bilotta, « Pour l’histoire de la production de livres d’heures à Toulouse au xve siècle : quatre livres
d’heures conservés dans les collections de la Bibliothèque municipale de la ville », in Chr. Reynaud (éd.), Des
Heures pour prier. Les Livres d’heures en Europe méridionale du Moyen-âge à la Renaissance, Paris, Le Léopard d’or,
2014, p. 103-123 ; Fr. Avril et J. Deschaux, Livre d’Heures enluminé par Pélerin Frison, peintre des Capitouls dans les
années 1500, Toulouse, Bibliothèque Municipale, 2003.
46 Paris, BnF, ms. lat. 10536.
47 Amiens, BM, fonds Lescalopier 501.
48 M. Hofmann, op. cit.
49 V. Leroquais, op. cit., p. xxxvii.
le temps des ma nuscrits 39
Figure 1.1 : Répartition diocésaine des usages des livres d’heures manuscrits des bibliothèques
parisiennes. Source : catalogues des manuscrits de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, de la Bibliothèque
Mazarine et de la Bibliothèque nationale de France (Paris).
numérique de ces usages recoupe celle des centres de production : on trouve 38 livres
d’heures à l’usage de Rouen, 11 à l’usage de Tours, 9 à l’usage de Troyes. Les autres usages
liturgiques sont atomisés dans des livres parfois uniques : c’est le cas pour Arras, Autun,
Châlons, Evreux, Saint-Brieuc, Saint-Omer, Sens, Noyon, Laon, Vannes par exemple (un
seul cas connu), tandis que les usages de Besançon, Chalon, Meaux, Nantes, Quimper,
Redon et Cambrai sont à peine plus répandus (deux cas connus à chaque fois). Les
bibliothèques parisiennes conservent enfin onze livres d’heures – seulement – à usage
non français, principalement Liège, Utrecht et Sarum, ce qui confirme le caractère très
régnicole de ces manuels.
Le livre d’heures se distingue des autres manuels liturgiques par son contenu. Il convient
donc de déterminer, pour autant que la diversité de recueils non réductibles les uns aux
autres le permette, le contenu-type d’un livre d’heures. Prenons, au hasard, l’exemple des
Heures à l’usage de Paris réalisées dans la seconde moitié du xve siècle, soit à un moment
où le genre s’est défini et stabilisé, et conservées aujourd’hui à la BnF50. Il comprend 163
feuillets. On y trouve, dans l’ordre, un calendrier indiquant un saint pour chaque jour de
l’année, certains, particulièrement honorés dans le diocèse de Paris, figurant en lettres d’or,
comme Geneviève, Cloud, Louis, Marcel ou Germain (fol. 1-12). Suivent des fragments
des Évangiles (fol. 13-20) et la prière Obsecro te, Domina sancta Maria (fol. 20-24), puis O
intermerata et in eternum benedicta (fol. 24-28). Au fol. 29 commencent les Heures de la
Vierge qui occupent l’essentiel du recueil. On trouve ensuite les psaumes de la pénitence
(fol. 89-102), les litanies des saints (fol. 102-106), les Heures de la Croix (fol. 107-109) et
du Saint-Esprit (fol. 110-112), enfin l’office des morts (fol. 112-155). Le recueil s’achève avec
les Quinze joies de la Vierge (fol. 156-159), diverses prières mariales, les Sept requêtes à
Notre-Seigneur (fol. 160-162 et une prière à la sainte Croix (fol. 162). Cet exemple, confronté
à d’autres, permet de déterminer les éléments communs à tous les livres d’heures, ceux
qui sont secondaires et ceux qui sont accessoires.
Parmi les premiers, qui définissent en quelque sorte le genre des Heures, figurent le
calendrier, l’office de la Vierge, les sept psaumes de la pénitence (Ps. 6, 31, 37, 50, 101, 129
et 142), les litanies des saints, les suffrages et l’office des morts. L’absence des suffrages
des saints dans notre exemple tient peut-être à la date de confection de ces Heures ;
c’est en effet surtout dans le dernier tiers du xve siècle qu’ils se généralisent. Ainsi, on
en compte 10 dans un livre d’heures à l’usage de Paris (BnF, ms. lat. 10548), 13 dans les
Heures d’Éléonore d’Autriche, 24 dans les Grandes Heures de Rohan, 27 dans les Heures
de Philippe le Bon, 28 dans les Grandes Heures d’Anne de Bretagne et celles de Louis
de Savoie, 41 dans les Heures de Marguerite de Clisson… Quelques saints forment un
socle inamovible : Michel, Jean-Baptiste, les Apôtres, les martyrs (Étienne, Christophe,
Sébastien, Adrien, Denis, Laurent), les confesseurs (Martin, Nicolas, Antoine, Roch), les
saintes (Anne, Marie-Madeleine, Catherine, Marguerite, Barbe, Apolline). Cette liste est
allongée par des choix régionaux ou propres à la sensibilité du commanditaire.
De manière secondaire, sont adjoints à cet ensemble des extraits des Évangiles, la Passion
selon saint Jean, les prières mariales Obsecro te et O intermerata, les Heures et office de la
Croix, du Saint-Esprit, les Quinze joies de la Vierge, les Sept requêtes à Notre-Seigneur.
Les fragments des Évangiles sont toujours les mêmes : Prologue de l’évangile de Jean,
Annonciation relatée dans Luc, Épiphanie dans Matthieu, mission des Apôtres dans Marc.
Les oraisons mariales deviennent systématiquement présentes à la fin du xve siècle. Elles
sont toujours en latin. L’Obsecro te est une salutation à la Vierge, suivie d’une énumération
de ses titres de gloire et une demande d’accompagner la mort : dans certains manuscrits,
cette prière est illustrée d’une miniature montrant la Vierge apparaissant à une personne
agonisante. Elle aurait été composée par Augustin le jour de sa mort. Certains recueils
témoignent d’un usage superstitieux de cette prière, censée protéger celui qui la récite
quotidiennement d’une mort violente. L’O intermerata s’adresse à la Vierge et parfois à saint
Jean. Les Quinze Joies de la Vierge (en réalité, entre cinq et quinze selon les manuscrits51)
confirment le caractère profondément marial de la prière des Heures. Elles ne figurent
pas dans l’usage romain, ni dans les livres d’heures flamands, anglais et italiens. Dans les
recueils produits au nord de la Loire, elles sont souvent en français.
Dans des cas beaucoup plus rares, les livres d’heures intègrent les quinze psaumes
graduels, des Heures en l’honneur de différents saints parmi les plus populaires de la
chrétienté occidentale, diverses oraisons, des prières pour la journée chrétienne, les
prières de la messe, le psautier de saint Jérôme, les dix commandements. Pour enrichir et
personnaliser les livres d’heures, les copistes semblent avoir puisé dans les recueils anciens
d’oraisons et les collections de prières. On relève ainsi, avec Victor Leroquais, une prière
prétendument écrite par Joseph d’Arimathie, les Sept (ou Huit) vers de saint Bernard, qui
reposent sur un épisode invraisemblable de sa vie concernant la prédiction de sa mort. Des
introductions à ces prières précisent que leur récitation assure divers privilèges spirituels.
Ainsi, dire le Mater digna Dei permet de ne pas mourir sans confession. La prière Precor
te, amantissime Domine Iesu Christe confère 6666 jours d’indulgences, autant que de plaies
sur le corps du Christ. Le record est détenu par la prière O mater Dei, rogamus te…, pour
les péchés mortels et le temps perdu, qui procure 800 000 ans d’indulgences52. Cette
profusion de prières non canoniques, ajoutée à la quantité de fautes due à des copistes mal
informés sur la syntaxe latine, et à l’insertion de saints fantaisistes comme Riflard, Soufflet,
Pantoufle, Grigo, Cottroulle ou Cuirache, ont déconsidéré en partie le genre des Heures.
Sans être un trait propre aux livres d’heures, ni même caractériser l’ensemble de la
production, la présence d’une riche iconographie a contribué à la popularité du genre
dès son émergence. Il existe, certes, de nombreux livres d’heures de petites dimensions,
aux bordures inexistantes, ou très sommaires, sans miniature aucune. Mais ces recueils
montrent une indiscutable prédisposition à l’image, permettant d’adapter les formules
aux moyens et desiderata des commanditaires. Selon la commande reçue, l’image s’invite
partout : en pleine page, en miniatures latérales à gauche ou à droite du texte, dans la marge
inférieure, souvent réservée au cycle biblique.
La place de l’iconographie est le résultat d’une longue évolution. À partir de 37 psau-
tiers-livres d’heures ou livres d’heures exécutés entre 1250 et 1320, Joanna Zietkiewicz-Kotz
51 Ce sont : l’Annonciation, la Visitation, les tressaillements de l’enfant dans le ventre de sa mère, la Nativité,
l’Adoration des Bergers, l’Épiphanie, la Présentation au Temple, le Recouvrement au Temple, les Noces de
Cana, la Multiplication des pains, la Mort du Christ, la Résurrection, l’Ascension, la Pentecôte, l’Assomption, le
couronnement de la Vierge.
52 Paris, BnF, ms. lat. 1356, fol. 117.
42 c h a p i t r e p r emier
a pu démontrer que ces recueils d’un genre nouveau ont fait l’objet de tâtonnements et
d’une véritable réflexion théologique et artistique pour déterminer l’articulation juste
entre image et texte, en réponse à une demande sociale de la prière oralisée et de la
contemplation par l’image. Les compilations les plus précoces sont d’abord peu illustrées.
Puis, quand les Heures s’étoffent, la décoration prend plus d’importance. On observe petit
à petit un effort de lier contenu dévotionnel et image ; ainsi, si l’office décoré est celui du
Saint-Esprit, l’illustration sera le plus souvent une représentation du baptême du Christ
ou de la Trinité. Les artistes, en l’absence de modèles, ont dû innover alors que la structure
des heures canoniales, relativement décousue, ne présente aucun tronc narratif commun53.
Le programme iconographique se stabilise au début du xve siècle et met en concordance
le contenu de chaque section avec un élément visuel qui fait sens. Le calendrier, ainsi, est
illustré soit par les signes du zodiaque et les travaux associés à chaque mois ; soit par une
concordance entre l’ancien et le nouveau testament ; soit, plus rarement, par une allusion
aux fêtes liturgiques et fêtes des saints du mois. Les Évangiles sont introduits par des
portraits de Jean, Luc, Matthieu et Marc, dans cet ordre invariable. La Passion est illustrée
par les souffrances endurées par le Christ, le plus souvent les épisodes du baiser de Judas
et de l’arrestation. Les recueils les plus tardifs convoquent ici le sacrifice d’Abraham. Au
commencement de l’Obsecro te figure souvent une Vierge à l’Enfant avec le destinataire
agenouillé à ses pieds. L’office de la Vierge est la partie la plus richement illustrée. Chaque
office est introduit par une scène immuable : Annonciation (matines), Visitation (laudes),
Nativité (prime), Annonce aux Bergers (tierce), Épiphanie (sexte), Purification (none),
Fuite en Égypte (vêpres), Couronnement de la Vierge (complies). Les Heures de la Croix
sont peu illustrées, sinon par une Crucifixion, de même que celles du Saint-Esprit, où les
artistes figurent volontiers la descente du Saint-Esprit sur les Apôtres au Cénacle, et plus
rarement le baptême du Christ, la prédication des Apôtres, la Trinité, Abraham et les
trois anges. Les psaumes pénitentiels s’ouvrent par une figuration de David en prière ou
vainqueur de Goliath, et plus tardivement, par l’épisode de Bethsabée au bain54. L’office
des morts est illustré par une scène de service funèbre ou d’inhumation, parfois par une
figuration de Job ou de la résurrection de Lazare. Les suffrages des saints, dont l’importance
va grandissant, constituent la partie la mieux décorée après l’office de la Vierge après la
Guerre de Cent ans, jusqu’à former « de véritables galeries de peinture »55.
L’inventaire des miniatures effectué par l’abbé Leroquais, malgré ses approximations
quantitatives, permet de prendre la mesure de cette inflation iconographique, même si
elle est moins vraie pour les livres d’étal. En tenant compte des formules imprécises du
savant ecclésiastique (saint Jean Apôtre est ainsi « souvent traité », sans plus de précisions,
de même que Marie-Madeleine), et des cas excessivement nombreux où les miniatures
ont fait les frais des ciseaux des collectionneurs, il signale au moins 2000 images pour 337
livres d’heures, ce qui suggère au moins six images par manuscrit. Sans surprise, les plus
courantes sont celles qui illustrent l’office de la Vierge, cœur du livre d’heures : il cite, sans
53 J. Zietkiewicz-Klotz, « Du psautier au livre d’heures. L’iconographie des livres de prières franco-flamands
(1250-1320) », Gazette du livre médiéval, 54 (2009), p. 31-48.
54 E. Guyot, « Étude iconographique de l’épisode biblique Bethsabée au bain dans les livres d’heures des xve et
xvie siècles », Reti Medievali Rivista, 14-1 (2013), p. 263-287.
55 V. Leroquais, op. cit., introduction.
le temps des ma nuscrits 43
exhaustivité, au moins 300 Annonciations, 102 Couronnements de la Vierge, 116 Nativités, 111
Fuites en Égypte, 113 Épiphanies… Leroquais reste évasif sur le chapitre de la Crucifixion,
mais nous nous permettons une prudente extrapolation qui permet d’avancer le chiffre de
340 représentations, ce qui en ferait le sujet le plus souvent traité. Les autres sujets sont
nettement moins représentés, mais ce sont surtout les proportions qui importent. Les scènes
mortuaires sont quantitativement importantes (42 inhumations, 47 services funèbres),
maintenant actives l’angoisse de la fin et l’urgence du salut, mais de manière bien moins
morbide que ne le fait, au tournant des xve et xvie siècles, la sculpture ou la peinture.
Le livre d’heures semble plutôt indiquer la voie d’une mort paisible dans l’absolution56.
Parmi les saints personnages, les évangélistes, David, les saints Michel, Nicolas et Louis
sont les plus représentés, tandis que d’autres connaissent une fortune iconographique
moindre : Étienne et Laurent par exemple, avec une vingtaine d’occurrences. Nombre
d’entre eux n’apparaissent que dans un recueil, tels Agathe, Basile, Brigitte, Claude, Léon,
Victor, Agnès, Julien, et même Paul ou Denis. Les scènes de l’Ancien Testament, si elles ne
concernent pas David, sont extrêmement rares. Ces données, malgré leur incomplétude,
soulignent l’importance des mystères mariaux dans l’imaginaire visuel véhiculé par les
Heures, diffusant une image tour à tour souriante et éplorée de la Vierge, proche des
femmes de tous temps lorsqu’elle est alitée après l’enfantement, ou qu’elle allaite son
enfant57. Ces éléments visuels font du livre d’heures un objet mixte, qui se manipule, se
contemple, suscite tour à tour rêverie et méditation, se referme, s’ouvre naturellement à la
page de l’image favorite. Sans être un objet didactique, ce qui préjugerait des compétences
théologiques des laïcs, l’image favorise par l’exemple l’adhésion à une liturgie en voie
d’uniformisation. Les scènes représentant la messe de saint Grégoire, les processions, les
inhumations, les hiérarchies de la cour céleste inculquent à ceux qui les contemplent une
certaine orthodoxie de croyance et orthopraxie rituelle58, alors que la liturgie, dont le livre
d’heures constitue un produit dérivé, est au Moyen Âge l’un des principaux vecteurs de
transmission de la foi.
Cette proximité visuelle et sensible entre la vie domestique et la piété invite à s’interroger
sur l’usage réel des livres d’heures produits en si grand nombre. Certains portent la marque
d’une consultation fréquente, sinon quotidienne, avec des marques digitales sur le texte ou
les images, des tranches usées et des reliures fatiguées. C’est le cas d’un livre d’heures réalisé
vers 1500 dans un atelier indéterminé, portant des traces de doigts à différents feuillets59.
D’autres semblent sortir de l’atelier qui les a produits il y a cinq siècles sans avoir jamais
vu la lumière du jour. Il faut donc chercher plutôt une diversité d’usages.
56 D. Vanwijnsberghe, « Le livre d’heures et la mort », in Le livre & la mort xive-xviiie siècle, catalogue
d’exposition, Paris, Bibliothèque Mazarine, 21 mars-21 juin 2019, Paris, Ed. des Cendres, 2019, p. 27-51.
57 É. Lestrange, « Images de maternité dans deux livres d’heures appartenant aux duchesses de Bretagne », in
Livres et lecture de femmes…, op. cit., p. 35-47.
58 É. Palazzo, « Foi et croyance au Moyen Âge. Les médiations liturgiques », Annales. Histoire, Sciences sociales,
53-6 (1998), p. 1131-1154.
59 Vente Alde, 31 octobre 2012, lot no 75, d’après la notice (notamment fol. 142 et 145).
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60 Cité par G. Hasenohr, « Religious Reading amongst the laity in France in the fifteenth century », in P. Biller
et A. Hudson (éd.), Heresy and Literacy 1000-1530, New York, Cambridge UP, 1996, p. 205-221. Voir aussi
les citations convergentes de M. Hoogvliet, « Car Dieu veult estre servi de tous estaz: Encouraging and
Instructing Laypeople in French from the Late Middle Ages to the Early Sixteenth Century », in S. Corbellini
et al. (éd.), Discovering the Riches of the Word, Leyden, Brill, 2015, p. 111-140.
61 Cl. Schaefer, « L’art et l’histoire. Étienne Chevalier commande au peintre Jean Fouquet le Diptyque de
Melun », in Y. Gallet (éd.), Art et architecture à Melun au Moyen Âge, Paris, Picard, 2000, p. 293-300.
62 Livre des fais du bon Messire Jehan Le Maingre dit Bouciquaut, D. Lalande (éd.), Genève, Droz, 1985, p. 395.
le temps des ma nuscrits 45
dans des inventaires après décès, des « chemisettes » à cet usage, rangées avec les Heures63.
On peut donc supposer que l’agenouillement est la posture requise pour lire les Heures,
en tous cas celle dans laquelle se reconnaissent les orants qui commanditent ces recueils64.
Les mains jointes, et non plus les bras levés que l’on peut observer dans des représentations
plus anciennes, suggèrent une immobilisation de la posture. Elles « dessinent avec le corps
un espace corporel clos favorable à la méditation »65, et constituent une posture familière
aux laïcs puisqu’elle est visible sur la majorité des scènes de l’Annonciation dans les livres
d’heures. Le prie-dieu n’est cependant pas un meuble populaire ; sa présence reste rare
dans les intérieurs. D’autres dispositifs mobiles semblent avoir existé, concordant avec le
caractère portatif de ces petits recueils : des coffrets de bois dont le couvercle est décoré
à l’intérieur par une image de piété. La boîte est faite aux dimensions du livre qu’elle doit
contenir, ce qui explique la variété des formats. Une fois ouverte, la boîte fait office d’oratoire
miniature. Sa solidité permet de l’emporter en voyage66. Le livre d’heures trouve donc sa
place parmi les objets du quotidien. Cette place est visuellement signifiée par une véritable
emblématique des reliures, au moins dans les milieux princiers. Le noir semble la couleur
par excellence des cuirs qui consolident les livres de piété. Parmi les livres de Charlotte de
Savoie et de Louis XI (1423-1483), les vies des saints, les récits bibliques historiés et les livres
d’heures sont reliés de noir, couleur de la modestie, de la tempérance et de la pénitence,
mais aussi de l’inquiétude de la mort67. Dans l’ensemble des livres de la reine, les livres
entretenant ces sentiments sont aisément identifiables grâce à cette classification par la
couleur. Le régime domestique du livre est ainsi dépassé par des attributions symboliques.
Il est aussi connu, par les chroniques et la littérature hagiographique principalement,
que le livre d’heures est le support de l’apprentissage de la lecture pour les enfants.
Le fait est attesté dès le xiiie siècle, lorsque le livre est encore très proche du psautier.
L’iconographie, au sein même de ces ouvrages, montre sainte Anne apprenant à lire à la
Vierge avec un livre d’heures. La petite fille lit des antiennes tirées des psaumes dans une
démarche associant prière, pédagogie, environnement et moment sécurisant dans le giron
maternel. Dans l’hagiographie, les récits d’apprentissage miraculeux de la lecture par des
fillettes, voire des femmes accomplies, se fait toujours avec un psautier et c’est la Vierge
qui se fait intercesseur du désir d’apprendre à lire68.
Le lieu et les circonstances exactes de la récitation des Heures sont malaisés à déter-
miner. L’iconographie, très stéréotypée, montre les fidèles dans un oratoire, domestique
ou collectif, mais la littérature – non exempte de stéréotypes non plus – témoigne de
pratiques plus variées. La chapelle et la présence d’un personnel clérical assurent à la
récitation des Heures une forme de ritualisation, à la manière d’un office liturgique. Dans
le Miracle de sainte Bautheuch, daté de 1376, un personnage dit : « Or avant : mes heures
prenez, Et vous en venez, damoiselle, Avec moy en celle chappelle »69. Les comptes du
roi René font différentes allusions à « frère Jehan Viande, qui dit les heures avecques le
roy »70, ce qui indique que des clercs accompagnent et vérifient la pratique des Heures en
milieu curial au moins. Par ailleurs, la lecture des Heures durant la messe est attestée dans
la littérature, notamment comique. « Et la honnestement et de bon cuer oyant messe dictes
voz heures », s’exclame un personnage de Jehan de Saintré (1456)71. Mais d’autres textes
évoquent aussi une lecture intime, domestique, sans apparat. Un personnage féminin des
Cent nouvelles nouvelles « se mist en cotte simple, print son attour de nuyt et ses heures en
sa main, et commence devotement, Dieu le scet, a dire sept pseaulmes et paternostres »72,
le vêtement de nuit suggérant une pratique dans la chambre à coucher. Il faut donc parler
prudemment de lectures multiples des Heures, du contexte strictement privé à l’usage
semi-public dans une chapelle conventuelle, paroissiale ou castrale.
Ces éléments doivent être croisés avec l’usage induit par la forme et la nature du texte
et des images que le livre renferme. Le livre d’heures introduit, là encore, une rupture
en ce que les laïcs disposent fort peu, avant la généralisation de ces recueils, d’images
67 Chr. de Mérindol, « Couleurs des couvertures et contenus des livres à la fin du Moyen Âge », Bulletin de la
Société Nationale des Antiquaires de France, 1993, p. 212-226.
68 V. Rouchon-Mouilleron, « Enfance des Heures, Heures de l’enfance. Pratiques sociales d’Europe
méridionale et septentrionale (xiie-xvie s.) », Chr. Raynaud (dir.), op. cit., p. 153-177.
69 Miracle de sainte Bautheuch dans Miracles de Notre Dame par personnages, G. Paris et U. Robert (dir.), t. 6, Paris,
Firmon Didot, 1881, p. 114.
70 Les Comptes du roi René, publiés d’après les originaux inédits conservés aux Archives des Bouches-du-Rhône,
G. Arnaud d’Agnel (éd.), Paris, A. Picard, 1910, t. 3, p. 5.
71 A. de La Sale, Jehan de Saintré, J. Misrahi et Ch. A. Knudson (éd.), Genève, Droz, 1965, p. 45.
72 Les Cent nouvelles nouvelles, F. P. Sweetser (éd.), Genève, Droz, 1966, p. 271.
le temps des ma nuscrits 47
dans l’espace domestique. Leur mise en circulation marque le début d’une progression
significative de la culture visuelle dans l’univers privé73. Elle est aussi, grâce à l’image, la
condition de réalisation de la spiritualité promue par la devotio moderna au même moment :
l’appropriation par les laïcs de la lectio divina, par la lecture, la méditation et la stimulation
de la mémoire, dans un but de transformation de soi74.
Comment se lit un livre d’heures ? Ceux-ci se généralisent au moment où s’impose
la lecture silencieuse, grâce aux procédés graphiques de séparation des mots, rendant
possible la fusion de la lecture et de la prière, deux compétences distinctes. La lecture de
l’office de la Vierge suppose une capacité de déchiffrer en oralisant, sans forcément que
le texte fasse sens – d’autant qu’il est en latin – ce qui est déjà un acte de piété, tandis que
la prière implique de comprendre et d’intérioriser. La dissociation de la lecture et de la
compréhension ne pose pas de problème : d’ailleurs, les premières représentations de
femmes lectrices des Heures montrent des postures qui empêchent la lecture. Elles ne sont
pas le fait d’artistes maladroits, mais le signe que la « lecture » est en réalité une offrande
de soi devant l’autel, et non forcément une attitude mentale active. Les choses évoluent
dans le courant du xve siècle. Certes, les livres d’heures sont en latin, mais comportent
aussi des passages plus ou moins étendus en français, comme les rubriques explicatives
des offices, certaines prières mises en vers, poèmes et lais religieux, traités d’édification75.
Cette différenciation linguistique recoupe une différenciation des postures mentales et des
usages. Les hymnes, antiennes et répons en latin font l’objet d’un déchiffrement dévot, les
passages en français, d’une méditation. Quelques allusions glanées dans la littérature du
temps en attestent : Jean de Léry (1536-1613), évoquant les rites des sauvages des Caraïbes,
rapporte : « nous commençasmes d’ouir en la maison où estoyent les hommes […] un bruit
fort bas, comme vous diriez le murmure de ceux qui barbotent leurs heures »76, laissant
deviner que la pratique de ses contemporains est à la récitation des Heures à voix basse.
Du reste, il est fréquent que le livre d’heures comporte des indications sur la manière de
lire, exploitant les champs lexicaux du regard, suggérant que parcourir avec les yeux un
texte spirituel est un acte de dévotion, et celui du cœur, considéré comme l’organe de la
connaissance. Cette dualité s’observe dans les Heures de Jean de Montauban, amiral de
France, réalisées vers 145077. Elles contiennent des Heures latines traditionnelles se prêtant
à la lecture oralisée, et des Heures de la Passion en français, sans les réponses liturgiques,
avec une rubrique « Cy commence une manière de penser en la passion de nostre seigneur
Ihesuchrist », invitant à la méditation.
Ces déductions ne doivent toutefois pas faire croire à une lecture figée et codifiée à
l’extrême. Le faible nombre de feuillets de certains livres d’heures montre au contraire que
certains commanditaires déterminent à l’avance l’usage qu’ils souhaitent en faire. Celui
d’Antoine Bourdin, sergent et garde du château de Beaucaire à la fin du xve siècle, est très
73 D. Alexandre-Bidon, « Une foi en deux ou trois dimensions ? Images et objets du faire croire à l’usage des
laïcs », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 53-6 (1998), p. 1155-1190.
74 L. Sterponi, « Reading and meditation in the Middle Ages: lectio divina and books of hours », Text & Talk, 28-5
(2008), p. 667-689.
75 É. Brayer, « Livres d’heures contenant des textes en français », Bulletin d’information de l’IRHT, 12 (1963),
p. 31-102.
76 J. de Léry, Histoire d’un voyage faict en la terre du Brésil, 1e éd. 1578, ici Genève, A. Chuppin, 1580, p. 397.
77 Rennes, BM, ms. 1834.
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bref ; il consiste en 108 feuillets de petit format (100 × 150 mm). Il atteste une dévotion
simple tournée vers la Vierge et les saints. La forme du recueil et la simplification liturgique
induit « une pratique modulable au gré de sa disponibilité, comme d’ordinaire, mais plus
encore ». Cette souplesse est le gage d’une utilisation régulière78. Plus généralement,
nombre de textes, religieux ou profanes, à destination des laïcs à la même époque, sont
copiés de manière à se prêter à une lecture fragmentée et discontinue, qui devait donc
faire partie des habitudes des lettrés.
Pourtant, dans l’appropriation même que font les individus de leur livre d’heures,
qu’il s’agisse de l’appropriation du contenu ou de celle de l’objet, se met aussi au jour
une autre fonction de ces recueils, davantage collective et sociale. D’abord parce qu’ils
sont le support de la liturgie des Heures, c’est-à-dire d’une prière par nature collective à
l’échelle de la chrétienté. L’usage du livre d’heures exprime à la fois une revendication
d’individualité et un « être social » construit par l’éducation et les pratiques religieuses
modelées collectivement au sein du corpus christianorum. La récitation des Heures est
donc une « institution sociale »79. Le livre d’heures est à la fois le résultat et la cause de
la stimulation de la conscience individuelle des laïcs par l’Église. Plusieurs dispositifs
décoratifs en font foi. Les livres d’heures sont farcis de gravures, enseignes de pèlerinage,
saintes faces, véroniques et broderies : autant de « corps étrangers » selon l’expression de
Kurt Köster80, qui permettent au propriétaire d’individualiser son livre et d’y capitaliser le
sacré qu’il véhicule déjà par nature. Denis Bruna a étudié huit recueils farcis. Les enseignes
de pèlerinage ont souvent été retirées mais elles ont laissé une empreinte dans le parchemin
qui permet malgré tout de les identifier. Produites dans le nord de la France et aux Pays-Bas
au xve siècle, fondues sur une fine plaque de métal, argent ou cuivre et perforées pour être
cousues directement sur la page, elles sont rapportées de sanctuaires et se trouvent ainsi
chargées de sacralité, de même que les véroniques, petites pièces de cuir ou de parchemin
représentant la sainte Face, fabriquées à Rome et dans les monastères de l’Empire après
la redécouverte de la relique romaine au xiie siècle. L’épaisseur de ces objets les rend
facilement repérables dans les livres, ce qui permet de les trouver instantanément en cas de
détresse. Par contamination, l’ensemble du livre devient talisman ; porté sur soi, dans des
bourses de toile prévues à cet effet et s’accrochant à la ceinture, il protège de nombreuses
calamités. En plus des diverses représentations de soi commanditées par les plus riches,
le propriétaire du livre « s’improvise donc décorateur de son bien »81. Le livre d’heures
d’Oiselet de la Bibliothèque royale de La Haye (ms. 77 L 60), fait preuve d’une grande
recherche de composition. Au dernier feuillet ont été cousues 23 enseignes d’argent au fil
rose. Quatre définissent un axe vertical, les autres s’organisent symétriquement autour de
cet axe. C’est sans doute Claude de La Chambre, voyageur dévot et l’un des propriétaires
78 Carpentras, Bibliothèque Inguimbertine, 59. Chr. Raynaud, « Les Heures d’Antoine Bourdin (Carpentras, B.M.,
ms. 59) », in Des Heures pour prier…, op. cit., p. 201.
79 Y. Frizet, « Une approche de l’individu au xve siècle à travers la pratique du livre d’heures et les œuvres
littéraires de René d’Anjou », in Des Heures pour prier…, op. cit.
80 K. Köster, « Kollektionen metallener Wallfahrts-Devotionalien und kleiner Andachtsbilder, eingenaht in
spatmittelalterliche Gebetbuch-Handschriften », in R. Fuhlrott et B. Haller (éd.), Erlesenes aus der Welt des
Buches, Wiesbaden, L. Reichert, 1979, p. 77-130.
81 D. Bruna, « Témoins de dévotion dans les livres d’heures à la fin du Moyen Âge », Revue Mabillon, 70 (1998),
p. 127-161, ici p. 135.
le temps des ma nuscrits 49
Ces objets expriment aussi une autoreprésentation, en orant, en pèlerin, en dévot d’un
saint ou de la Vierge. D’autres éléments ornementaux permettent d’aller plus loin dans cette
hypothèse, en figurant l’attachement à la foi chrétienne et en insistant sur l’appartenance
familiale, voire dynastique, du commanditaire ou du possesseur. La profusion de blasons,
de devises, de cimiers et de chiffres dans certains livres d’heures indique une fonction
quasiment totémique de l’objet. L’héraldisation du livre en général, et du livre d’heures
en particulier, est une tendance croissante au Moyen Âge. Elle rend compte d’une
représentation à la fois sociale, politique et religieuse. Quand le maréchal de Boucicaut
fait peindre ses armes et sa devise, « ce que vous voudres », dans son livre d’heures, il se
montre en proche du roi, dont il s’est approprié deux des quatre couleurs, le vert et le blanc.
À partir du xiiie siècle, l’ensemble du corps social s’empare de l’héraldique, et non plus
seulement l’élite féodale. Pour répondre à ce changement, l’emblématisation est prévue
dès la fabrication du livre d’heures, grâce à des espaces laissés blancs par les copistes et
historieurs en vue d’une future héraldisation. Les premiers ou les derniers feuillets des
livres manuscrits sont les lieux prévisibles du discours de propriété ; on trouve dès la
82 Y. Johannot, Tourner la page. Livre, rites et symboles, Grenoble, Jérôme Millon, 1994, p. 114.
83 A. Tuetey, « Inventaire des biens de Charlotte de Savoie », Bibliothèque de l’École des Chartes, 26 (1865), p. 352.
50 c h a p i t r e p r emier
Figure 1.3 : Heures latines, xve siècle (Lyon, BM, ms. 580, fol. 1). Des enseignes de pèlerinage, autrefois
cousues sur le parchemin (on voit encore une multitude de trous sur la page) ont disparu mais ont
laissé leur empreinte circulaire.
le temps des ma nuscrits 51
Figure 1.4 : Heures de Jacques de Langeac, xve siècle (Lyon, BM, ms. 5154), fol. 82 : devise « jamaiz
autre tant » et armoiries de la famille de Langeac, « D’or à trois pals de vair », surmontées d’un cimier.
le temps des ma nuscrits 53
livre d’heures copié en 1411 par Jean Giraud, scribe, et passé à la fin du siècle entre les
mains d’Antoine Baissey et de Jeanne de Lenoncourt. Le diaire de la famille court sur
presque un siècle, et s’enrichit dans les derniers feuillets de notes sur la famille Beauvau,
auxquels les Lenoncourt sont apparentés. C’est ainsi une véritable cartographie familiale
que dessine le livre d’heures (Fig. 1.5). C’est plus net encore dans le cas du livre d’heures
dit « des Fours », du nom d’une famille d’officiers ducaux en Lorraine, qui fait réaliser
au début du xvie siècle un manuel à l’usage de Rome, tempéré par une forte coloration
franciscaine et quelques allusions au sanctoral toulois88. À partir de Joachim des Fours, fils
du commanditaire du recueil, les membres de la famille y ont consigné, deux siècles durant,
dans les pages liminaires et finales, des dépenses, des événements familiaux ou civiques,
fêtes de confréries, choix des parrains et marraines parmi les membres de la chevalerie
lorraine ou des grands officiers de la cour, enfin les menus détails d’une famille d’officiers
et de marchands. Au total, 197 personnes sont citées dans ce livre de raison. Ainsi, le livre
d’heures devient une sorte de cartographie des liens familiaux, professionnels et clientélistes,
qui tisse avec son environnement des liens solides, à même de stabiliser sa progression
sociale. Mais parfois, comme c’est le cas pour celui de Pellegrin, le livre de raison a été copié
d’une seule main, sur un cahier séparé, alors que neuf enfants étaient déjà nés, puis relié
avec le livre d’heures. L’effet est celui d’une « mise en scène généalogique des naissances
qui scandent la vie de cette famille lorraine »89. En effet, les parrains et marraines sont
choisis parmi les personnages importants de la cour, y compris le duc René II lui-même.
Le livre d’heures a donc un statut complexe à la fin du Moyen Âge : par ses caractéristiques
formelles, liturgiques et iconographiques, il s’impose comme un objet emblématique, non
seulement de pratiques dévotionnelles, mais aussi d’autoreprésentation spirituelle et sociale.
Il est moins confiné qu’il n’en a l’air dans les coffres à livres, les armoires des prie-dieu ou
les trésors familiaux ; il permet aussi de se montrer aux autres tel que l’on souhaite être vu.
Les comptes domestiques des rois de France, signalent, pour Charles VII, une dépense
« pour un estuy de cuir fermant à deux courroies, […] pour mectre et garder le livre où
il dit ses eures chascun jour »90. Les courroies semblent indiquer un usage portatif de
cet étui. Le poète Eustache Deschamps (v. 1340-1404), dès la fin du xive siècle, ironise :
Heures me fault de Nostre Dame
Si comme il appartient a fame
Venue de noble paraige
Qui soient de soutil ouvraige
D’or et d’azur, riches et cointes
Bien ordonnées et bien pointes
De fin drap d’or tresbien couvertes
Et quant elles seront ouvertes
Deux fermaulx d’or qui fermeront
88 Nancy, BM, ms. 1874. Voir A. Markiewicz, Un livre d’heures nancéien : le manuscrit des Fours, Nancy, BM, 2003,
avec l’édition du livre de raison.
89 Montréal, UQAM, Bibliothèque des Arts, ms. 3 ; A. Bergeron-Foote, « Personnaliser un livre d’Heures :
l’exemple du livre de raison de Pierre Pellegrin, seigneur de Remicourt et de son épouse Madeleine Symier (1478-
1500 », Memini, 15 (2011), p. 59-64.
90 Comptes de l’argenterie des rois de France au xive siècle, L. Douët-d’Arcq (éd.), Paris, J. Renouard, 1851, p. 140.
54 c h a p i t r e p r emier
Figure 1.5 : Heures latines, début du xve siècle (Lyon, BM, ms. 574, fol. 1) : extrait du diaire de la famille
Lenoncourt, tenu entre 1482 et 1565, commençant avec le mariage d’Antoine de Baissey, bailli de Dijon,
et de Jeanne de Lenoncourt.
le temps des ma nuscrits 55
91 E. Deschamps, Œuvres complètes, Q. de Saint-Hilaire et G. Raynaud (éd.), Paris, Firmin Didot, 1878-1904,
t. IX, p. 45-46.
92 J. A. Szirmai, The archaeology of medieval bookbinding, Aldershot, Ashgate, 1999.
93 B. Buettner, « Le système des objets dans le testament de Blanche de Navarre », Clio. Femmes, Genre, Histoire,
19 (2004), [En ligne] : https://journals.openedition.org/clio/644.
94 New York, Pierpont Morgan Library, M 263. D’après J.-L. Deuffic, Ibid.
56 c h a p i t r e p r emier
été portées par la famille Guillement de Russange et ses descendants, les Rouot, juristes
lorrains et membres de père en fils et d’oncle en neveu de la Cour souveraine de Lorraine.
Le manuscrit porte en effet la formule : « Ex bibliotheca Christophori Rouot in suprema
Lotharingiae et Barri curia senatoris. Ex legato praedicti Guillement de Russanger avunculi
sui anno 1720 ». Antoine-Charles Guillement de Russange est un ancien doyen de la Faculté
de droit de l’université de Pont-à-Mousson, pris entre les feux de la fidélité à la dynastie
lorraine et de la puissance française qui ne s’estompe qu’à peine après le retrait des troupes
et des administrations françaises des duchés en 169895. Or, les doyens de cette faculté avaient
le privilège de se faire enterrer à proximité du couvent des clarisses de Pont-à-Mousson,
là où la duchesse avait fini ses jours sous la bure. La prise de possession de ce manuscrit,
advenue on ne sait comment, est un signe fort. Sa transmission aussi. Le juriste le lègue
à son neveu Christophe Rouot, qui le transmet à Catherine-Marthe Rouot, peut-être sa
fille, qui épouse ensuite Charles-Nicolas Roguier, toujours conseiller à la Cour Souveraine
avant sa disparition en 1766. Roguier ajoute sa signature à la longue liste de possesseurs.
Mais en même temps que ces recueils médiévaux perdurent dans les maisons aristocrates
et bourgeoises, d’autres recueils manuscrits, dans des proportions certes marginales,
continuent d’être produits dans des ateliers spécialisés.
La calligraphie et la peinture ont des atouts que l’imprimerie et la gravure n’ont pas :
elles permettent de fabriquer un objet unique et personnalisé. On en trouve la trace dans
plusieurs milieux sociaux. Les membres de la famille royale et les aristocrates de grand
lignage passent commande de livres d’heures manuscrits, sans doute afin de distinguer
leurs Heures des produits ordinaires vendus par milliers. Dans la première moitié du
xvie siècle, la réalisation de livres d’heures manuscrits et enluminés reste importante,
comme en témoignent les exemplaires d’exception réalisés pour les derniers Valois et leur
entourage. Des ateliers sont connus pour perpétuer l’art de la miniature, occasionnellement
pour décorer des livres d’heures, tel celui d’Etienne Colaud à Paris, l’un des artistes les plus
sollicités de la capitale entre 1520 et 1540, dans la lignée de Jean Pichore. En 1557 encore, il
reçoit 54 lt « pour l’enlumynure d’une paire d’heures pour le service de mondit seigneur »,
le commanditaire n’étant pas identifié, mais appartenant sans doute à l’entourage royal96.
Ces livres d’heures manuscrits nourrissent désormais une économie de niche, celle des
ateliers de calligraphes et d’enlumineurs qui travaillent principalement à Paris, au service
des princes. Pour preuve, lorsqu’en octobre 1607, les enlumineurs parisiens demandent à
Henri IV le droit de se constituer en corporation indépendante des peintres, la réponse
qui leur est opposée par le lieutenant du roi est très condescendante, ne voyant parmi ces
artistes que de simples coloristes de bois gravés, voire des imagiers peignant des éventails97.
95 J. Coudert, « Les fidélités successives d’un juriste lorrain : la carrière d’Antoine-Charles Pillement de Russange
(1659-1720) », Revue d’histoire des facultés de droit, 29 (2009-2010), p. 77-113.
96 M.-Bl. Cousseau, Étienne Colaud et l’enluminure parisienne sous le règne de François Ier, Rennes, PUR, 2016, p. 80.
97 R. H. Rouse et M. A. Rouse, Renaissance illuminators un Paris. Artists and Artisans 1500-1715, Londres, Harvey
Miller Publishers, 2019.
le temps des ma nuscrits 57
Jean Le Manient produit quelques livres de prières au début du règne de Louis XIII. Vingt
ans plus tard, le calligraphe Nicolas Jarry (v. 1615-1666) copie des missels, livres d’offices et
livres d’heures, en grand ou petit format, pour la famille royale et les grands personnages
de la cour. Son activité est attestée entre 1633 et 1670. Noteur de musique du roi, il se fait
une extraordinaire réputation dans l’imitation à la plume des caractères d’imprimerie. Le
seul témoignage contemporain qu’on ait sur lui, hormis ses productions calligraphiques,
émane de Tallemant des Réaux (1619-1692), à propos des mondanités brillantes qui ont
pour théâtre l’Hôtel de Rambouillet. Le polygraphe rapporte :
Au dernier voyage qu’elle [Mme de Rambouillet] fit à Rambouillet, devant les barricades
[avant 1649, donc], elle y fit des prières pour son usage particulier qui sont fort bien
escrittes. Ce fut M. Conrart [Valentin Conrart, secrétaire du roi] à qui elle les donna
pour les faire copier par Jarry, cet homme qui imite l’impression et qui a le plus beau
caractère du monde. Il les fit copier sur du vélin, et après les avoir fait relier le plus
galamment qu’il put, il en fit présent à celle qui en estoit l’auteur […]. Ce Jarry disoit
naïvement : ‘Monsieur, laissez-moi prendre quelques unes de ces prières-là, car dans
les Heures qu’on me fait copier quelques fois, il y en a de si sottes que j’ay honte de
les transcrire’98.
L’examen de son « catalogue », dressé par Roger Portalis, montre qu’il a copié deux livres
d’heures au sens strict, dont les Heures de Nostre-Dame pour François de Beauvilliers ;
mais aussi 18 « offices de la Vierge », qui se limitent au cœur des Heures, et 9 recueils de
prières issues des livres d’heures, comme les litanies de la Vierge ou du saint Nom de Jésus
et les psaumes de la pénitence. Ses clients, plus souvent des clientes, sont la duchesse de
Chrevreuse, Mlle de Montpensier, Mlle de La Vallière, la duchesse de La Rochefoucauld,
la marquise de Belle-Isle, la duchesse de Montbazon et bien d’autres. Le catalogue de
Portalis signale encore 8 livres d’heures manuscrits non signés de la même époque. Ces
recueils calligraphiés sont aussi confiés à des ornemanistes et des miniaturistes, qui n’ont
laissé que des noms et peu de renseignements biographiques : Prévost, Aubriet, Rabel,
Petitot, Du Guernier99.
Louis XIV encourage et rétribue des enlumineurs, mais dans une démarche de
mécénat qui n’est pas différente de celle qu’il mène à l’égard des peintres et il ne semble
pas avoir porté un intérêt particulier pour cette technique. Il traite avec Charles Soyer,
Philippe-Joseph de Bercy, Louis Ballon, Jean Boisseau, Nicolas Robert, Jean Joubert et
bien d’autres. Quelques calligraphes se font également reconnaître du pouvoir royal.
Damoiselet, professeur d’écriture du Grand Dauphin, copie un Office de la Vierge en
1662. Charles Gilbert, élève de Jarry, travaille pour le roi, le Grand Dauphin et le duc de
Bourgogne. On lui doit un Office de la Vierge et deux offices du Saint Esprit entre 1688
et 1718. Siméon Le Couteux produit plusieurs livres d’offices, dont les célèbres Heures de
Mme de Chamillart, soit 400 pages copiées en lettre romaine et en couleur.
Mais ces calligraphes sont concurrencés par une institution parisienne à laquelle
Jarry lui-même n’est pas totalement étranger : l’Hôtel des Invalides, où il entre en 1674
98 Les historiettes de Tallemant Des Réaux : mémoires pour servir à l’histoire du xviie siècle, Paris, Levavasseur, 1834, t. 2,
p. 230.
99 R. Portalis, Nicolas Jarry et la calligraphie au xviie siècle, Paris, Techener, 1896.
58 c h a p i t r e p r emier
suite à des blessures reçues à la guerre. Cet atelier, très méconnu100, se situe aussi dans la
perspective d’une fourniture princière. En 1682, Louis XIV visitant les Invalides remarque
que certains pensionnaires, des soldats blessés, pratiquent avec talent la calligraphie et
l’enluminure. Il leur passe commande de plusieurs manuscrits liturgiques destinés à la
Chapelle de Versailles. Parmi les pièces les plus célèbres sorties de cet atelier, figurent
un missel et un vespéral datés respectivement de 1688 et de 1692, connus sous le nom
d’« Heures de Louis XIV »101. La décoration de ces deux volumes combine héritage
médiéval (notamment les motifs floraux et animaliers des marges) et art baroque.
D’autres recueils plus tardifs montrent la persistance des Heures manuscrites, telles les
Heures de la Croix commandées par Louis XV en 1723 à Jean-Pierre Rousselet pour sa
future épouse102.
Au cours du xviiie siècle, d’autres milieux sociaux entretiennent l’usage des Heures
manuscrites, par défiance envers les Heures imprimées jugées parfois trop hétéroclites.
Dans le roman épistolaire Adèle et Théodore de Mme de Genlis (1746-1830), la mère d’une
petite fille prénommée Constance s’inquiète de l’éducation religieuse de sa fille, et demande
conseil à la mère d’Adèle : « je vous prie de me dire quels sont les livres d’heures que
vous donnez à Adèle »103. Son amie lui répond que l’affaire est en effet délicate : certains
livres d’heures comportent des examens de conscience trop détaillés qu’il n’est point
séant de donner à lire à une petite fille. Elle a préféré donner à Adèle un livre d’heures
de son cru (manuscrit donc), avec uniquement les éléments qui lui paraissaient utiles :
la messe, les psaumes, les prières de l’Église, les prières de la journée104. D’autres indices
corroborent cette persistance des Heures manuscrites au xviiie siècle. Claude Hastier,
calligraphe lyonnais, copie des livres d’heures en laissant en blanc, sur la page de titre, un
emplacement pour ajouter le nom de la destinataire. Des Heures chrétiennes conservées
à la Bibliothèque municipale de Lyon et dues à cet artisan, portent ainsi le nom de Mlle
Marie de Mongré. Le calendrier perpétuel au commencement du recueil court de 1709
à 1734105 (Fig. 1.6). Mais dans la bourgeoisie aisée, les filles sont aussi familiarisées avec
la calligraphie et l’ornementation lors de leur éducation conventuelle, et elles réalisent
parfois elles-mêmes des Heures manuscrites, aussi bien que d’autres manuels de piété106.
Ainsi passée de la commande princière ou aristocratique à une forme de récréation pieuse
en usage dans la bourgeoisie catholique, cette pratique de la copie et de l’enluminure est
promise à un bel avenir au xixe siècle107.
100 J.-P. Bois, « Les soldats invalides au xviiie siècle : perspectives nouvelles », Histoire, économie et société, 2 (1982),
p. 237-258 ; J. Vanuxem, « Les manuscrits peints à l’Hôtel des Invalides à la fin du xviie siècle », Bulletin de la
Société de l’histoire de l’art français (1951), p. 42-51.
101 Paris, BnF, ms. lat. 946.
102 J.-B. Colbert de Beaulieu, « Le livre de prières de Marie Leczinska conservé par la Bibliothèque royale de
Belgique (II 3640) », Scriptorium, 2 (1948), p. 103-112.
103 St.-F. de Genlis, Adèle et Théodore, ou Lettres sur l’éducation : contenant tous les principes relatifs aux trois différens
plans d’éducation des princes, des jeunes personnes, & des hommes, Paris, 1782, p. 93.
104 Ibid., p. 99.
105 Lyon, BM, ms. 6061.
106 Ph. Martin, « Des livres de sagesse de fidèles ? », in N. Bruckner (éd.), Le livre de sagesse. Supports, médiations,
usages, Berne, Peter Lang Verlag, 2007, p. 43-60.
107 Voir chapitre 7.
le temps des ma nuscrits 59
Figure 1.6 : Heures chrétiennes de Mlle Marie de Mongré, Lyon, début du xviiie siècle (Lyon, BM, ms. 6021).
60 c h a p i t r e p r emier
*
Apparu à la fin du xiiie siècle, le livre d’heures connaît ainsi un succès spectaculaire.
Ce succès tient à son contenu, et en particulier à l’attachement généralisé à la dévotion
mariale qui en est le cœur. Mais il s’explique aussi par sa plasticité, unique dans l’ample
production écrite du Moyen Âge finissant. Le genre des Heures s’avérant finalement peu
contraint, il permet d’adapter texte et images aux exigences des commanditaires ou aux
modes de la décennie. C’est là tout le paradoxe du livre d’heures. Il contribue à fonder, à
la fin du Moyen Âge, ces communautés de lecteurs dans des espaces sociaux de plus en
plus variés. L’extraction sociale se trouve transcendée par l’usage d’un livre qui, sans être
standardisé, reste extrêmement ressemblant d’un recueil à un autre, et par une temporalité
et des gestes de lecture communs. Mais en même temps, il s’impose, mieux que tout autre
livre, comme un objet de distinction et d’expression de l’individualité dans la masse confuse
du corpus christianorum, tout en revendiquant d’y appartenir. Les artisans qui produisent
ces livres sont conscients de cette demande sociale qui émane de cercles de plus en plus
larges et se prêtent volontiers à ce jeu. Les caractéristiques fonctionnelles du livre d’heures
(prier et normaliser le temps) sont largement dépassées par la dimension symbolique et
imaginaire que lui prêtent les propriétaires de ces recueils.
La permanence de ces fonctions multiples du livre d’heures bien au-delà du temps du
commanditaire montre la capacité du livre d’heures à s’adapter à tous les contextes, en
dehors des oratoires. En même temps, il n’en reste pas moins un objet de consommation,
lié à des gestes, des lieux et des temps inscrits dans l’intimité domestique, ce qui n’interdit
pas d’exhiber son livre à l’occasion.
L’avènement de l’ère typographique, qui impose progressivement de nombreuses
conventions formelles à l’objet-livre, aurait pu figer cette plasticité. Or, il n’en fut rien.
En revanche, en introduisant de nouvelles logiques d’échange, de la production à la
consommation, il a à la fois favorisé la naissance d’un véritable genre éditorial, et imposé
progressivement une réflexion sur ses limites.
Chapitre 2
1 Fr. Moureau, La plume et le plomb : espaces de l’imprimé et du manuscrit au siècle des Lumières, Paris, Presses de
l’Université Paris-Sorbonne, 2006.
2 Bullarium Romanum novissimum à B. Leone Magno, usque ad S.D.N. Urbanum VIII…, Rome, ex typographia
Rev. Camerae Apostolicae, 1638, t. II, p. 249-251.
62 chapitre 2
Figure 2.1 : Chronologie de la production de livres d’heures imprimés par tranches décennales, 1485-1600.
faire, les sources sont nombreuses mais mal aisées d’utilisation. Les répertoires bibliogra-
phiques, comme ceux de Paul Lacombe3 et de Hans Bohatta4, permettent de disposer de
séries homogènes mais qui ne sont pas sans défauts. D’abord, les bornes chronologiques
ne concordent pas : si les deux bibliographes s’accordent à penser que l’année 1500,
traditionnellement admise comme celle du passage de l’incunable à l’imprimé, n’a pas
de sens, Bohatta met un terme à son enquête en 1599 alors que Lacombe préfère la date
de 1609, voyant dans un Officium beatae Mariae Virginis imprimé à Paris cette année-là
le dernier livre d’heures au sens strict. Nous montrerons plus loin que cette date ne
constitue pas véritablement une rupture. L’un et l’autre ont admis le caractère parfois
arbitraire de la dissociation de deux éditions, là où il s’agissait peut-être simplement du
retirage d’une édition unique, à quelques semaines d’intervalle. Bohatta, ainsi, avec ses
1585 éditions, a certainement surévalué la production5. Des outils plus récents, comme
l’Incunabula Short Title Catalog et l’Universal Short Title Catalog, permettent de relativiser
ces répertoires.
Il est donc possible de déterminer sinon des valeurs numériques certaines, au moins
des tendances réalistes de la production de livres d’heures en France entre 1485 et 1570
(Fig. 2.1). La tendance la plus évidente est celle d’un tassement de la production à partir
des années 1530. Le premier livre d’heures imprimé sort de la boutique d’Antoine Vérard
(† 1514), à Paris, en 1485. Dans les années qui suivent, la production progresse, pour s’élever
3 P. Lacombe, Livres d’heures imprimés au xve et au xvie siècle conservés dans les bibliothèques publiques de Paris,
catalogue, Paris, Imprimerie Nationale, 1907.
4 H. Bohatta, Bibliographie des livres d’heures (Horae B. M. V., Officia, Hortuli animae, Coronae B. M. V., Rosaria et
Cursus B. M. V.) imprimés aux xve et xvie siècles, Vienne, Gilhofer & Ranschburg, 1909.
5 V. Reinburg, French books of hours, op. cit., p. 38-39.
i m p rimer les heur es : la n aissa nce d’une catég orie éditoria le 63
à 248 éditions différentes dans les années 1501-1510. Après 1520, une chute inexorable
commence, la production atteint sa valeur la plus basse en 1562. La rénovation liturgique
de 1571 relance la production, dans des valeurs moindres que celles de la fin du xve siècle,
mais malgré tout assez importantes pour que la date de 1540, considérée par Virginia
Reinburg comme celle de l’extinction du livre d’heures, ne soit pas tenable. L’argument
selon lequel les Heures auraient été concurrencées à partir de 1520 par d’autres types
d’ouvrages religieux en français, plus adaptés à un laïcat en pleine rénovation, ne paraît
pas pertinent. La production de livres de piété, avant 1560, reste en effet très faible au
regard de la production liturgique, à Paris comme en province6. Vue de près, la production
connaît en réalité dès le début des hauts et des bas, révélateurs de périodes de saturation du
marché. Pour vingt éditions en 1490, on n’en compte plus que neuf l’année suivante ; pour
44 éditions en 1502, on en dénombre moins de la moitié (21) en 1503. La production n’est
donc pas uniforme dans le temps ; elle témoigne de la constitution de stocks importants,
qu’il faut ensuite résorber avant de se lancer dans une nouvelle édition. C’est visiblement
la stratégie de Simon Vostre († 1504) et des frères Hardouyn, Gilles († 1529 et Germain
(† 1541), dont la production n’est pas égale d’une année à l’autre. Elle permet de sonder
la demande et de s’y adapter.
Il est surtout étonnant que le premier livre d’heures imprimé ne soit pas antérieur
à 1485, les premiers typographes s’étant installés à Paris dès 1470 et des impressions
d’Heures étant avérées en Europe avant les premières productions parisiennes, dans
l’Empire (Augsbourg, 1471) et en Italie (à Rome, Venise, Ferrare, Naples et Milan)7. Cet
écart chronologique tient peut-être à la perception du marché par les premiers artisans
parisiens, ne voyant pas la typographie comme une technique révolutionnaire mais plutôt
complémentaire des procédés manuscrits et picturaux mieux rôdés, remplissant largement
la demande. La nature même du livre d’heures, exigeant un effort de personnalisation,
l’insertion de prières propres au commanditaire ou à sa famille, n’invitait sans doute
pas à se risquer dans une production massive de recueils dont la vente n’était en rien
assurée. Une édition est mise sur le marché par Antoine Vérard en septembre 1485 avec
la complicité de l’imprimeur Jean du Pré († 1504) ; deux autres l’année suivante et par
le même duo, une seule en 1487. La production augmente significativement en 1488,
Vérard faisant travailler plusieurs fournisseurs, tel Antoine Caillaut († 1506), en plus de
Jean du Pré, pour produire dix éditions. Il est possible que le milieu des années 1480 ait
vu un basculement dans la production de livres d’heures d’étal, désormais mieux vendus
que les recueils de commande, invitant ainsi les libraires à se lancer dans des produits
standardisés, fabriqués en série grâce à la presse. Suite à cette prise de conscience, 1047
éditions différentes ont été mises sur le marché français entre 1485 et 1570. Si les tirages
sont extrêmement difficiles à apprécier, les calculs de Virginia Reinburg estiment à 1,4
millions le nombre d’exemplaires d’Heures diffusés à partir de presses parisiennes au
xvie siècle.
Les typographes parisiens construisent en quelques années un monopole de la produc-
tion d’Heures, à l’échelle du royaume mais pas seulement. La librairie française, à partir
6 F. Higman, Piety and the People: Religious printing in French 1511-1551, Aldershot, Ashgate, 1996.
7 F. Henryot, « Produire et vendre des livres d’heures en Europe (1485-1571) », in Ph. Martin (éd.), Le monde de
l’imprimé religieux en Europe occidentale (vers 1470-vers 1680), Lyon, PUL, à paraître.
64 chapitre 2
des années 1490, se met à produire et exporter des livres liturgiques à l’usage de diocèses
étrangers. 94% des livres d’heures sont imprimés à Paris, la production provinciale étant
dérisoire (25 éditions lyonnaises, 24 à Rouen et à Troyes, trois à Limoges, Metz et Nantes
par exemple). Cette disproportion tient à la capacité des typographes et libraires parisiens
à s’imposer comme les fournisseurs des pouvoirs ecclésiastiques locaux en proposant
des recueils adaptés non plus à des individus ou des familles, mais à des communautés
diocésaines bien identifiées. La production parisienne est en effet dominée par des Heures
à usage de Rome, susceptibles de toucher un lectorat universel (65%) ; l’usage parisien n’y
représente que 12,6%. Un livre d’heures sur quatre sortis de presses parisiennes est établi
pour un usage diocésain propre : celui de Rouen (37 éditions), de Chartres (20 éditions),
de Bourges (19 éditions) par exemple. Alors même que ces villes sont parmi les premières
à se doter de presses : le cas de Rouen est particulièrement instructif car aux 37 éditions
parisiennes, les typographes normands n’opposent que onze éditions locales au fil du
siècle. Parmi les usages diocésains représentés dans le répertoire de Bohatta, seuls deux,
ceux de Sées et de Belley, n’ont pas été produits par des imprimeurs parisiens. La rapidité
d’exécution des presses de la capitale, servies par des matrices de textes et d’images toutes
prêtes, un personnel d’atelier plus nombreux sans doute, et une grande expérience de la
coordination des étapes de fabrication et de commercialisation des livres, ont favorisé ce
monopole. Antoine Vérard, véritable entrepreneur sur le marché naissant du livre imprimé,
s’est ainsi spécialisé dans l’édition liturgique, qui représente un tiers de sa production. En
tant que libraire, il coordonne les rapports avec les imprimeurs, les enlumineurs, les relieurs,
effectue un important travail éditorial, concernant le choix des textes, des illustrations, les
modalités de la mise en page8. Simon Vostre, actif entre 1488 et 1520, a produit quelque
300 éditions de livres d’heures.
Cette production massive doit toutefois être rapportée à l’ensemble du marché du
livre qui se développe à partir des années 1470. Les 1321 livres d’heures imprimés à Paris
entre 1485 et 1600 ne représentent que 3% de la production parisienne à la même période9.
Cette proportion a considérablement évolué au premier siècle typographique. À l’âge de
l’incunable, les livres d’heures constituent 1,4% des ouvrages mis sur le marché depuis Paris.
Aux deux premières décennies du xvie siècle, cette proportion s’élève à 6%, et au milieu
du siècle, elle s’effondre à 0,5%, tandis que de nouveaux champs littéraires et scientifiques
s’imposent dans l’économie du livre, au détriment des livres religieux traditionnels. Du
reste, l’examen des adresses typographiques montre que les ateliers sont finalement peu
nombreux à éditer des Heures. Outre Vérard et Vostre, qui en tant que libraires font
travailler un très petit cercle d’imprimeurs, notamment Philippe Pigouchet († 1518) et
Guillaume Anabat, ce qui explique la constance et le réemploi de bois et de casses de
caractères d’un livre d’heures à un autre, quelques officines construisent leur réputation
et leur prospérité sur le livre d’heures. C’est particulièrement le cas des Hardouyn, qui
produisent 137 éditions d’Heures entre les dernières années du xve siècle et 1521 depuis
leur officine du quartier Notre-Dame où ils sont établis depuis 1476. De l’atelier des Kerver,
8 M. B. Winn, Anthoine Verard, Parisian publisher, 1485-1512: Prologues, Poems, and Presentations, Genève, Droz,
1997 ; « Antoine Vérard et l’art du livre », Le Moyen Français, 69 (2011), p. 133-160.
9 D’après l’USTC (recherche effectuée le 6 mai 2019).
i m p rimer les heur es : la n aissa nce d’une catég orie éditoria le 65
Thielman († 1522) et son épouse Yolande Bonhomme († 1557), puis Jacques Kerver († 1583),
sortent 63 éditions différentes.
En province, le tableau est très contrasté. Parmi les 171 centres d’impression connus au
xvie siècle, 139 n’ont jamais produit de livres d’heures, restant dépendants de fournitures
parisiennes ou de capitales régionales à l’économie du livre plus robuste. Parmi les 32 villes
d’où ont été émis des livres d’heures, les choix économiques et les échelles de production
et de diffusion s’avèrent très différents. D’abord, la carte des centres de production des
manuscrits et celle des imprimés à la fin du xve et au début du xvie siècle ne se recouvrent pas.
À Amiens, foyer de création manuscrite, ainsi, la typographie ne connaît son développement
qu’au xviie siècle et ne produit aucun livre d’heures. À l’inverse, la Champagne, foyer
fécond de création manuscrite, est aussi une des régions les plus actives pour l’impression
et la diffusion d’Heures imprimées dès les premières années du xvie siècle avec Troyes
puis au milieu du siècle avec Châlons.
Dans les grands centres d’édition que sont au xvie siècle Lyon, Rouen et Troyes, les choix
varient, du renoncement à publier des Heures pour les Lyonnais, au début comme à la fin
du siècle (0,1% de l’ensemble de la production française d’Heures), à l’exploration d’une
demande locale stable à Troyes (6%), tandis que les imprimeurs rouennais contribuent
de manière constante à alimenter le marché français et, du moins au début du xvie siècle,
anglais. Richard Goupil imprime ainsi en 1506 des Heures en anglais, et en 1509 des
Heures à l’usage de Rouen, « à l’honneur de Dieu, et de la Vierge Marie & de monsieur
saint Romain », pour Guillaume Benard. Le cas troyen est intéressant car il montre dans
quelle logique économique s’inscrit la publication de livres d’heures. Nicolas Le Rouge,
actif entre 1510 et 1532, publie des Heures, mais aussi des calendriers des bergers et des
danses macabres, c’est-à-dire des éléments graphiques et typographiques recyclables dans
des livres d’heures. Six des 22 impressions de l’officine Du Ruau sont des Heures ; le reste
est constitué d’almanachs, d’exercices de piété, de recueils hagiographiques et liturgiques
dont les éléments sont empruntés aux Heures, ou peuvent à l’inverse de se combiner dans
les livres d’heures.
Au sein des centres éditoriaux secondaires, les mêmes hésitations sont sensibles. À Tours,
à Poitiers ou à Rennes, le clergé local et les fidèles profitent d’une production extérieure
bien acheminée jusqu’aux librairies de leur ville. À Bourges ou à Nantes, où la production
imprimée est encore faible au xvie siècle, les quelques livres d’heures imprimés montrent
un encouragement épiscopal momentané à la mise en œuvre de livres liturgiques à usage
local. C’est encore plus sensible dans des cités à faible production. À Provins, sept livres
d’heures sont imprimés entre 1507 et 1520 par les soins de Jean Trumeau, soit 37% de la
production, sans doute pour répondre à une demande de l’évêque de Meaux, dont le siège
épiscopal est dépourvu d’imprimeur. Dans ces petites villes, ces travaux correspondent
explicitement à une politique épiscopale d’uniformisation de la prière et du culte.
La répartition des usages liturgiques, facilitée par le répertoire de Bohatta qui ventile
justement les Heures sur ce critère, fournit quelques données intéressantes (Fig. 2.2 et
2.3). Les Heures imprimées entre 1485 et 1575 se répartissent en 45 usages propres. La
majorité des diocèses du nord de la Loire ont cherché à un moment ou un autre à se
doter d’Heures distinctes, au fur et à mesure des tentatives de rénovation liturgique qui
marquent localement le xvie siècle. Avant 1500, vingt-trois diocèses ont déjà leurs Heures
imprimées : Bourges dès 1487, Lyon, Poitiers et Tours en 1491, Rouen et Troyes en 1492,
66 chapitre 2
Figure 2.2 : Cartographie des usages liturgiques des livres d’heures imprimés aux xve et xvie siècles.
Figure 2.3 : Chronologie de l’apparition de nouveaux usages diocésains sur le marché du livre d’heures
imprimé (1485-1570).
i m p rimer les heur es : la n aissa nce d’une catég orie éditoria le 67
Lisieux en 1494, Angers et Besançon en 1496… Le mouvement s’arrête vers 1507. Ces
sièges épiscopaux ont l’avantage d’une réflexion déjà ancienne sur le propre diocésain :
ces usages locaux existaient en effet déjà au temps du livre d’heures manuscrit (Fig. 1.1).
Pour massif qu’il soit, ce mouvement de singularisation liturgique n’est donc pas induit
par l’arrivée de l’imprimerie, et il ne concerne pas non plus tous les diocèses de France : un
tiers d’entre eux seulement dispose d’un livre d’heures à usage propre avant 1570. On ne
trouve aucune édition à l’usage de Laon, ou d’Angoulême, ou de Saint-Brieuc par exemple
et plus généralement, les diocèses du sud de la Loire ne sont presque pas représentés dans
ce répertoire. Le recours à l’usage romain a pu compenser localement la demande en livres
d’heures, mais au détriment d’une identité ecclésiastique forte.
Le caractère universel de l’usage romain permet aussi aux producteurs français de se
positionner à l’étranger en s’adaptant aux caractéristiques sociales et dévotionnelles de ces
clients lointains, à l’image du champenois Nicolas Jenson (v. 1420-v. 1480), qui s’installe à
Venise comme imprimeur. Il profite d’une forte demande en livres liturgiques à l’usage des
laïcs, engendrée par le développement de confraternités, pour produire des livres d’heures.
Ses premiers recueils paraissent en 1472 et tirent des recueils parisiens leur iconographie et
leur composition liturgique (on y trouve des saints français). Trente-six éditions vénitiennes
suivront, affirmant toutes de fortes ressemblances avec les modèles parisiens10.
10 C. Dondi, Printed Books of Hours from Fifteenth-Century Italy, Florence, Leo Olschki, 2016.
11 I. Delaunay, « Le livre d’heures parisien au premiers temps de l’imprimerie (1485-1500) », Gazette du livre
médiéval, 46 (2005), p. 22-36.
68 chapitre 2
dès les premières années du xvie siècle, appelées à se pérenniser : les prières Obsecro te
et O intermerata qui sont définitivement placées à la fin des suffrages à la Trinité et à la
Sainte-Face par exemple. Signe d’échanges continus entre les deux modes de production,
les manuscrits les plus tardifs entérinent aussi ce nouvel ordonnancement des prières. La
comparaison de quinze livres d’heures répartis en trois groupes chronologiques (1498-1505 /
1540-1555 / 1571-1585) montre une remarquable stabilité des contenus, sinon dans le détail
même du texte, qui connaît des variations, du moins dans l’organisation du recueil. Les
Heures à l’usaige de Romme, sans riens requerir imprimées par Jean Poitevin le 15 octobre
1498 sont, parmi bien d’autres, le modèle type des Heures du premier âge typographique.
Elles comportent 99 feuillets et sont imprimées en caractères gothiques. La page de titre
est gravée et, selon les exemplaires, rehaussée de couleurs (Fig. 2.4a, b, c, d)12. Le recueil
s’ouvre sur l’homme anatomique, une gravure qui s’impose dans de nombreux recueils,
figurant un homme avec ses organes à nu, et la correspondance de ceux-ci avec les astres
et les tempéraments. Suivent un almanach pour 21 ans, des extraits des Évangiles avec des
gravures intercalées, et les Heures de la Vierge, chaque office étant introduit par l’image
traditionnelle (Annonciation pour les matines, Visitation pour les laudes, Nativité pour
prime…). Les Heures du saint Esprit et celles de la Croix sont intercalées dans l’office de
la Vierge. Le fidèle peut ensuite consulter les sept psaumes pénitentiels, introduits par une
peinture en pleine page représentant le bain de Bethsabée ; la litanie des saints, les vigiles
des morts, les suffrages des saints et différentes oraisons à la Trinité, à la Vierge, aux saints et
pour diverses circonstances de la journée. Le recueil s’achève sur l’office de la Conception.
Ce schéma ne connaît que de faibles variations. Les Heures a lusaige de Romme tout au long
sans rien requerir imprimées par Gillet Hardouyn en 1509 suivent très exactement cette
trame, ajoutant seulement à la fin des « grâces de St Louis » et cinq oraisons « que sainct
Jehan fist en l’honneur de la Vierge Marie ». Une table finale récapitule l’ensemble des
prières, usage qui s’impose à partir des années 151013. Les livres d’heures du milieu du siècle
respectent encore très fidèlement cette trame, telles les Heures de Nostre Dame à l’usage de
Rome imprimées pour Charles L’Angelier en 1558 (Fig. 2.5). La seule particularité concerne
les prières finales, plus nombreuses, associant l’oraison de sainte Geneviève, l’oraison de
saint Augustin, les sept oraisons de saint Grégoire, déjà présentes occasionnellement dans
les Heures manuscrites médiévales. On trouve aussi à la fin des exercices de piété pour la
journée : lever, confession, communion, angélus, profession de foi, coucher14. Cet ajout,
qui se généralise surtout à la fin du siècle, est décisif ; il annonce une transformation en
profondeur des Heures, du livre du culte privé au recueil d’exercices de piété, qui sera
le propre des Heures de l’âge classique. La trame reste inchangée à la fin du xvie siècle
encore, si ce n’est un accent particulier mis sur la dévotion eucharistique, faisant l’objet
de sections séparées, comme dans les Heures nostre Dame a lusaige de Rouen imprimées en
Figure 2.4c : Heures à l’usaige de Romme, sans riens Figure 2.4d : Heures à l’usaige de Romme, sans
requerir, imprimées à Paris le XV jour d’octobre mil riens requerir, imprimées à Paris le XV jour d’octobre
quatre cens quatre vintz dix huit, imprimées par mil quatre cens quatre vintz dix huit, imprimées
Jean Poitevin (BnF, velins-2863) : almanach par Jean Poitevin (BnF, velins-2863) : Le bain de
Bethsabée, gravure sur bois, fol. 47r.
70 chapitre 2
1580, qui introduit par une nouvelle page de titre une série de prières au saint sacrement,
intitulée « Les grans suffraiges & oraisons contenans les grâces, fruicts et louenges du tres
sacre et digne sacrement de l’autel. Extraicts de plusieurs saincts docteurs recueillis par feu
de bonne mémoire Maistre Françoys Picart docteur en théologie à Paris, augmentez de
plusieurs oraisons catholicques pour implorer la grâce de nostre Seigneur pour la rémission
des pechez et parvenir à la gloire eternelle ». C’est dans cette section que figurent des
prières typiques des livres d’heures : l’Obsecro te, l’oraison de sainte Geneviève, l’oraison
de saint Augustin, les oraisons de sainte Brigitte, etc. Cette nouvelle page de titre suggère
que ce fascicule pouvait être vendu séparément et qu’il a été soit relié avec les Heures, soit
opportunément vendu avec elles pour donner plus d’attrait au recueil15. Il montre l’impact
des polémiques confessionnelles sur les politiques éditoriales et les attentes des fidèles.
D’autres éléments révèlent des changements plus décisifs encore, qui montrent que les
contemporains ont moins perçu la filiation entre Heures médiévales et Heures renaissantes,
15 Heures nostre Dame a lusaige de Rouen toutes au long sans rien requerir : Enrichies de plusieurs histoires & quadrains.
Avec les suffrages & oraisons des sainctz & sainctes de tous les moys de lan, Rouen, chez Robert Mallard libraire, a la
grand Nef, rue de Lorloge [1580].
i m p rimer les heur es : la n aissa nce d’une catég orie éditoria le 71
que les mutations qui affectent les secondes. Les libraires ont tout fait pour conditionner le
lectorat dans l’idée de ce changement. Pour attirer l’attention du public sur ces nouveaux
produits, des dispositifs typographiques et des indications de nature commerciale sont
ajoutées. La formule « tout au long sans rien requerir », en latin « ad longum sine require »,
ou « totaliter ad longum sine require », introduite pour la première fois par Thielman Kerver
le 15 juillet 1495, indique que le texte n’est pas abrégé à partir d’une précédente édition et
montre le désir des imprimeurs de convaincre l’acheteur de la commodité du produit qu’il a
dans les mains. Le livre d’heures est aussi plus volumineux. Le format moyen des manuscrits
est de 180 × 120 mm pour un volume de 140 feuillets, avec 17 lignes par page. Avec le passage
à l’imprimerie, le format s’agrandit pour inclure des bordures historiées et de plus grandes
gravures sur bois. On compte 24 lignes par page vers 1485, puis jusqu’à 28 dans les années
suivantes. La typographie aussi fait l’objet d’une réflexion intense. L’analyse du matériel de
Kerver montre que celui-ci, sans doute graveur de poinçons avant de s’établir imprimeur
libraire à Paris en 1495, a tenté d’introduire le caractère romain dans les livres d’heures
traditionnellement imprimés en gothique. Selon la clientèle visée, ouverte à l’innovation
ou adepte des traditions, il propose une marchandise faite de gothique ou de romain. Après
sa mort en 1522, sa veuve Yolande Bonhomme retourne définitivement au gothique, sans
doute par facilité commerciale16. La mise en page fait aussi l’objet d’expérimentations qui
témoignent d’un effort de prise en compte du travail visuel de lecture et ses effets sur la prière.
Les Heures de Nostre Dame à l’usage de Rome imprimées pour Charles l’Angelier en 1558 sont
bilingues. Pour faciliter le repérage, l’imprimeur a précisé en rouge le début des antiennes,
hymnes, psaumes, oraisons, répons. Le recours à deux couleurs d’encre s’observe dès les
dernières années du xve siècle ; il a certainement standardisé le déchiffrement des prières.
La principale évolution induite par la presse concerne précisément l’iconographie,
qu’il s’agisse de la mise en page ou du contenu des images. Dans un premier temps, de
nombreux incunables sont enluminés et historiés à la manière traditionnelle, soit sur
des espaces laissés blancs, soit sur la trame d’une gravure recouverte de peinture. Vérard
organise toute une chaîne de traitement des livres d’heures imprimés pour leur donner
l’apparence des manuscrits auxquels le public est d’abord habitué17. Cette pratique tend à
disparaître au fur et à mesure que les recherches esthétiques et techniques sur la gravure
sur bois progressent. Le progrès que représente la xylographie est d’abord économique :
les bois gravés pour les livres d’heures peuvent servir à décorer des ouvrages profanes.
On le voit dans les œuvres de Pierre Gringore (1475-1539), confiées à Philippe Pigouchet
et à Simon Vostre et décorées de gravures, dont au moins un réemploi de livre d’heures,
l’Arbre de Jessé18. Plus généralement, les mêmes bois vont servir pour les Heures, mais
aussi pour les Vita Christi, Speculum Humanae Salvationis, Ars moriendi.
La révolution est aussi esthétique. Vérard, d’abord fidèle à son équipe d’enlumineurs
et de miniaturistes, s’en remet ensuite à des graveurs de talents capables de rivaliser avec
16 Th. Claerr, « Le rôle de Thielman Kerver dans l’évolution de la typographie à Paris à la fin du xve siècle et
au début du xvie siècle », in Chr. Bénévent, I. Diu et Ch. Lastraioli (éd.), Gens du livre et gens de lettres à la
Renaissance, Turnhout, Brepols, 2014, p. 323-339.
17 M. B. Winn, op. cit.
18 C. J. Brown, « Pierre Gringore et ses imprimeurs (1499-1518) : collaborations et conflits », Seizième siècle, 10
(2014), p. 67-87.
72 chapitre 2
l’enluminure et inventer une véritable esthétique du noir, voire une nouvelle esthétique du
livre. Le livre d’heures représente un cas extrême : le nombre moyen d’illustrations par livre,
plus de 660, est très élevé mais à partir de 50 bois seulement, alors que pour l’ensemble de
l’édition parisienne d’avant 1500, l’illustration est à la fois moins présente et moins fondée
sur les réemplois. Cette tendance s’explique par l’agencement des bordures, à partir de
sept ou huit bois disparates, montés parfois maladroitement19. Les gravures sont parfois
rehaussées de couleurs. Les réemplois peuvent s’étendre sur cinq ou six décennies, non
sans déperdition due à l’usure des supports20.
Cette esthétique du livre a une dimension internationale. Simon Vostre fait appel à des
artistes allemands, tels Nicolas Higman et Wolfgang Hopyl († 1522) en 1496 et 1497. Pour
un précédent livre d’heures imprimé en 1488, comptant 17 gravures en plus de l’homme
anatomique et du Graal, et des bordures du calendrier évoquant les activités de chaque
mois, l’artiste s’était visiblement inspiré de Martin Schongauer (v. 1445-1491)21. Le style
montre des contours plus fermes que dans les précédentes gravures, une individualisation
des expressions et des personnages, un effet de perspective plus marqué, une grande
diversité des arrière-plans, un effort de recherche sur le costume. Les éditions suivantes
introduisent une vie de Jésus et de la Vierge en 108 sujets dans les bordures. La danse
des Morts, thème iconographique classique à la fin du Moyen Âge mais plus rarement
représenté dans des livres d’heures manuscrits que les Trois morts et les trois vifs ou les
scènes de veillées funèbres22, est le dernier cycle de ces bordures. Elle compte 66 sujets, 30
pour les hommes et 36 pour les femmes. Les livres d’heures imprimés après 1500 recourent
à de nouveaux sujets : l’arbre de Jessé, Urie tué à la bataille, le Jugement dernier, le Paradis,
l’Ensevelissement, l’Adoration des bergers. Cette dernière illustration montre l’amalgame
des Heures avec d’autres genres paraliturgiques, notamment le théâtre sacré. Antoine
Vérard, dans ses Heures du 8 octobre 1488, propose un Procès du Paradis qui s’inspire
du Mystère de la Passion d’Arnoul Gréban, racontant un débat entre les Vertus pour
décider si Dieu doit envoyer le Christ sur terre ou non, pour sauver les hommes23. Dans
ses productions plus tardives, Vostre semble plus sensible à l’art italien : les personnages
arborent de grands airs et l’espace est structuré par des portiques caractéristiques des
créations italiennes contemporaines.
Une génération après Vostre, l’atelier de Geoffroy Tory (v. 1480-1533) participe plus
encore à l’évolution des formes livresques. Les Heures, produit standardisé et massivement
diffusé, peut d’autant mieux devenir un terrain d’exploration des possibilités offertes par la
typographie et les nouveaux dispositifs formels qu’elle permet. Le 16 janvier 1525 paraissent,
avec la complicité financière et typographique de Simon de Colines (v. 1480-1546), des
Heures qui expérimentent de nouvelles manières de composer un livre. L’effort artistique se
double d’une hypothèse économique : les imprimeurs parisiens vendent alors leurs Heures
19 D. Sansy, « Texte et image dans les incunables français », Médiévales, 22-23 (1992), p. 47-70.
20 L. Delisle, « Les heures bretonnes du xvie siècle », Bibliothèque de l’École des Chartes, 56 (1895), p. 45-83.
21 J. Renouvier, Des gravures sur bois dans les livres de Simon Vostre, libraire d’heures, Paris, Aubry, 1862.
22 G. Bartz et E. König, « Die Illustration des Totenoffiziums in Stundenbüchern », in H. Becker et al. (éd.), Im
Angesicht des Todes. Ein interdiziplin res Kompendium, St. Ottilien, EOS-Verlag, 1987, p. 487-528.
23 J. Desobry, « Les Heures de Simon Vostre à l’usage d’Amiens imprimées à Paris vers 1508 », Mémoires de la
Commission départementale d’histoire et d’Archéologie du Pas-de-Calais, 25 (1987), p. 123-139.
i m p rimer les heur es : la n aissa nce d’une catég orie éditoria le 73
dans toute l’Europe, ce qui élargit le lectorat à des catégories de dévots qui pourraient
être sensibles à une nouvelle esthétique du livre. Tory obtient pour la publication des
Heures de 1525 un privilège de François Ier pour six ans, pratique alors inédite qui témoigne
d’une faveur particulière et de l’encouragement par le roi des arts du livre non limités à la
reproduction des formes médiévales. Les Heures de 1525 ne ressemblent en rien aux Heures
traditionnelles : composé en caractères romains, le texte est encadré de bordures à rinceaux
et candélabres, et rythmé par des gravures au trait à la vénitienne (Fig. 2.6). Si certains
concurrents ont déjà tenté d’insérer çà et là des éléments italianisants dans leurs Heures,
comme les frères Hardouyn (1507) et Vostre (1512), la réalisation de Tory se distingue
par son extrême cohérence et par son audace. Ainsi, le Triomphe de la Mort remplace les
images traditionnelles des danses macabres par une composition à l’antique empruntée
à Pétrarque. La réalisation des gravures est sans doute le fait d’un seul et même artiste,
anonyme, mais qui pourrait être Etienne Colaud. L’influence des Heures de 1525 sur les
formes livresques est indiscutable. Malgré le privilège qui protège l’œuvre de Tory, certains
bois sont copiés ; des manuscrits s’inspirent de la mise en page et des choix graphiques
74 chapitre 2
du libraire parisien ; on décèle l’influence des Heures de Tory jusque dans l’art du vitrail
dans les années 1530. Dans les années suivantes, il explore d’autres formes artistiques,
notamment septentrionales, tandis que des artistes flamands s’introduisent à la cour24.
Une dernière rupture, consécutive à la dissémination massive des heures imprimées, tient
dans la surveillance dont elles font désormais l’objet, alors que la chrétienté est fragilisée
par le schisme qui sépare catholiques et protestants. L’inventivité iconographique frôle
parfois le blasphème et la traduction de passages des Évangiles ne va pas sans rappeler les
revendications protestantes d’accès au texte biblique en langue vernaculaire. Il est en outre
assez aisé d’inclure dans la succession des séquences du livre d’heures des professions de
foi ou traités luthériens ou calvinistes. L’index de la Sorbonne signale ainsi des « Heures de
Paris, petites, qui entre autres contiennent une confession luthérienne, sans Calendrier ne
Vigiles des trépassez », non identifiées25. Pierre Gringore, littérateur et polémiste, fait aussi
les frais de cette surveillance. Ses Heures, partiellement versifiées, sont soumises à la faculté
de théologie de Paris, qui décide de ne pas accorder l’autorisation, du fait de la traduction en
français d’extraits des Écritures. L’ouvrage est censuré par la Sorbonne le 28 août 1525 mais
Gringore passe outre et tente d’autres leviers juridiques, hors de Paris, ce qui est d’autant
plus commode en cette période où la surveillance du livre est fragilisée par l’absence du
roi, captif en Espagne. Il obtient à Lyon un privilège, daté du 10 octobre 1525 et signé Louis
Hernoet, pour le Roy. L’imprimeur parisien Jehan Petit met alors l’ouvrage sous la presse ; le
colophon indique un achevé d’imprimer en date du 15 novembre 152526. Héraut d’armes du
duc de Lorraine, Gringore a obtenu de l’imprimeur l’ajout de la mention factice « ces Heures
ont esté imprimées audict pays de Lorraine et es Allemagnes et lesquelles il a monstrées et
communiquées à aucuns docteurs de la faculté », le patronage lorrain, forte garantie catholique,
servant de paravent à son audacieuse entreprise. C’est donc la traduction en français qui est
visée par l’interdit, de même qu’une gravure irrévérencieuse montrant le Christ bafoué, où
Jésus a les traits de Gringore, et la foule, des costumes de comédiens italiens (Fig. 2.7). Cette
gravure disparaît des rééditions en 1527, 1534, (Jean Petit), 1539 (sans nom), mais réapparaît
dans les éditions de 1540 (Pierre Regnault), v. 1540 (Oudin Petit), 1544 (Antoine Bonnemère).
Le livre d’heures qui circule au xvie siècle reste donc fondé sur la matrice médiévale à
laquelle il emprunte encore l’essentiel de son contenu liturgique et iconographique, mais
il est renouvelé par des dispositifs permis par la typographie, la généralisation du français
en parallèle des textes latins et une approche esthétique nouvelle. La dissémination des
Heures donne la mesure de l’impact de ces innovations dans le public.
Les inventaires d’officines de libraires et d’imprimeurs donnent une idée des tirages.
En 1520, l’inventaire de Didier Maheu († 1546) recense 6602 volumes, principalement
24 St. Deprouw, O. Halévy et M. Vène, « À l’enseigne du Pot Cassé : des livres d’heures d’un genre nouveau »,
in Th. Crépin-Leblond et al., Geoffroy Tory, imprimeur de François Ier, graphiste avant la lettre, Paris, RMN, 2011,
p. 32-67.
25 Fr. M. Higman, Censorship and the Sorbonne. A bibliographical study of books in French censured by the Faculty of
Theology of the University of Paris 1520-1551, Genève, Droz, 1979, p. 124, no B114.
26 Ibid., p. 79.
i m p rimer les heur es : la n aissa nce d’une catég orie éditoria le 75
des livres liturgiques, dont 2954 sont des livres d’heures27. Chez Gillet L’Angelier, relieur
mort à Paris en 1521, l’inventaire signale « quatre douzaines et demye de paires d’heures
escriptes en mousle en papier, couvertes de cuyr », prisées 12 livres 13 sols parisis. Ce
chiffre indique un prix de vente à l’unité extrêmement bas, et en conséquence, des livres
de facture ordinaire et sommairement reliés28. En 1526, on trouve chez Pierre Déau († 1525)
1443 livres, dont 1280 livres d’heures ; chez Loys Royer, en 1528, ce sont 101 860 livres,
dont 98 529 livres d’heures, dont les prix sont pour la plupart inférieurs à un sou l’unité29.
L’inventaire du matériel d’imprimerie indique l’existence de typographes spécialisés dans
cette production, tel Jean Janot († 1522), qui possède huit « histoires taillées en cuyvre »
valant quatre sols parisis pièce, des gravures montées sur plomb servant à illustrer des livres
d’heures ; une cinquantaine de « petiz carrez », sans doute de petites gravures également
utilisées pour les différentes parties des livres d’heures, notamment les suffrages. Il dispose
aussi de « lectres de gros traict [gothiques] a faire heures et le gros tiltre garnyz de deux
moulles ». Galliot du Pré († 1561), chargé de l’inventaire de l’officine, trouve 750 feuilles
de parchemin « imprimé tant en ABC que sepsciaulmes », prisés quatre deniers la feuille ;
il s’agit de caractères d’imprimerie servant aux Heures30.
Au moment où la production de livres d’heures semble baisser, sur la foi du nombre
de nouvelles éditions ou de nouveaux titres, la composition des stocks d’imprimeurs
27 A. Labarre, Le livre dans la vie amiénoise du seizième siècle. L’enseignement des inventaires après décès, 1503-1576,
Paris-Louvain, Nauwelaerts, 1971, p. 167.
28 P. Aquilon, « L’inventaire après-décès de Gillet l’Angelier, relieur de livres (1521) », Journal de la Renaissance,
1 (2000), p. 257-266.
29 A. Labarre, op. cit., p. 167-168.
30 G. A. Runnalls, « La vie, la mort et les livres de l’imprimeur-libraire parisien Jean Janot d’après son inventaire
après décès (17 février 1522 n.s.) », Revue belge de philologie et d’histoire, 78 (2000), p. 797-851.
76 chapitre 2
libraires prouve au contraire que les tirages compensent cette baisse et que le livre d’heures
reste le manuel de dévotion le plus populaire. L’inventaire de Guillaume Godard, libraire
parisien, effectué en 1545 suite au décès de son épouse, révèle un stock de 263 696 livres,
dont 148 717 livres d’heures, et des formes et des rames de livres d’heures en préparation
qui représentent sans doute 15 000 à 20 000 exemplaires. Les livres sont très variés,
« heures carrées », « heures longues », « heures gros traict », « heures hymnées », mais
le prix moyen de l’unité atteint à peine cinq deniers, ce qui est extrêmement faible et met
le livre d’heures imprimé à portée de toutes les bourses. La variété des formes, que l’on
repère dans d’autres inventaires, doit sans doute répondre à une demande différenciée
en termes de maniabilité, de familiarité avec le livre et la typographie. Sont ainsi signalés
chez Godard des Heures « gros bastard », « lettre romaine », « grosse lettre », « lettre
italicque », permettant à chaque client de trouver la forme visuelle qui lui est la plus
commode. Cette variété est un argument commercial. Quoique plus modeste, l’inventaire
de Pierre Ricouart dressé en 1563 fait état de 3000 livres d’heures reliés et 45 000 en blanc,
estimés en tout à 1731 lt et 12 sous. La diversification des reliures, en veau ou en basane, « à
filets » ou « à bouquets », dorée parfois, montre l’effort de toucher un public étendu et
aux niveaux de fortune hétérogènes. Il diversifie aussi les usages, de Rome, de Soissons,
de Sens, d’Orléans, pour séduire un plus large lectorat31.
En 1571, l’inventaire après-décès de l’imprimeur-libraire parisien Richard Breton
comprend 84 livres d’heures dont il n’est certainement pas l’imprimeur. Tout protestant
qu’il est, il ne répugne pas à vendre des Heures « en françoys », tant le bénéfice est
important. La prisée varie en fonction de la reliure et du format, les volumes octavo, reliés
et dorés valant 5 sols tournois pièce, tandis que les volumes in-16 reliés en parchemin, 1
sol seulement. La faiblesse du prix dit bien le caractère désormais populaire de ces livres.
Toute une gamme intermédiaire de matériaux, de décors de reliure (« veau à la bouquet »,
dorure sur parchemin) et de formats, de l’in-8o à l’in-32, sont disponibles à la librairie32.
Les stocks de libraires de province montrent aussi la dissémination des productions
parisiennes, qui se trouvent chez les libraires, mais aussi chez les merciers et les épiciers,
des relais de leur production. À Amiens, au fil du xvie siècle, les fonds de librairie sont
bien approvisionnés en livres d’heures, tel celui de Firmin Wassepasse, inventorié en 1579,
qui signale 384 livres d’heures parmi un millier de livres33. Les inventaires de merciers
comportent tous des livres d’heures, dans des quantités indiquant que le commerçant est
certain d’écouler son stock : il se trouve ainsi 24 livres d’heures chez Antoine Baillet en 1562.
Ces stocks importants répondent à une demande réelle, à en juger par l’enseignement
des inventaires après-décès. Étudiant la situation amiénoise entre 1503 et 1576, Albert Labarre
a montré la place prépondérante des livres d’heures dans la culture livresque : trois citadins
lisant sur cinq en possèdent ; un tiers de la population dont l’accès au livre est avéré, ne
pratique que le livre d’heures ; 764 références dans les inventaires après décès concernent
un livre d’heures et ils sont répartis de manière égale tout au long du siècle34. Le portrait
31 A. Parent, Les métiers du livre à Paris au xvie siècle (1535-1560), Genève, Droz, 1974, p. 139.
32 G. Wildenstein, « L’imprimeur libraire Richard Breton et son inventaire après-décès, 1571 », Bibliothèque
d’humanisme et Renaissance, 21-2 (1959), p. 364-379.
33 A. Labarre, op. cit., p. 168.
34 Ibid., p. 164-179.
i m p rimer les heur es : la n aissa nce d’une catég orie éditoria le 77
type du livre d’heures mis entre les mains du fidèle amiénois au cours du xvie siècle est
impossible à déterminer, tant la variété s’impose : imprimés autant que manuscrits, sur
papier aussi bien que sur parchemin, relié de cuir ou de tissu, illustré le plus souvent,
décoré dans la moitié des cas de fermoirs, de clous, d’ornements métalliques, d’enseignes
et d’images, et rangé dans des sacs de cuir ou des boîtes. La prisée de plus de la moitié
de ces livres indique un propriétaire aisé, voire fortuné ; l’autre moitié est constituée de
recueils de qualité médiocre, estimés moins de vingt sous. La reliure semble un élément
décisif dans l’estimation. Un quart des inventaires en signalent plusieurs, ce qui exclut un
caractère purement utilitaire : s’y trouvent sans doute des livres hérités, ou conservés pour
leur préciosité ou leur valeur affective.
Les indications de Labarre sont corroborées par bien des études moins étendues.
Ainsi, à l’aube de l’émergence de la littérature de piété, le livre d’heures est le livre par
excellence du croyant, au moins en France septentrionale. La popularisation amorcée
avec les livres d’heures manuscrits dits d’étal, et de facture moins sophistiquée que les
livres d’heures de commande, se confirme à l’âge du livre d’heures imprimé, qui atteint le
monde des laboureurs aisés, de l’artisanat, des marchands et de la bourgeoisie modeste.
La permanence des modèles dévotionnels et iconographiques invite toutefois à penser,
avec Roger Chartier, que ce n’est pas le livre d’heures qui est populaire – il n’a pas changé
depuis son apparition – mais l’usage qui en est fait35. Le livre d’heures est remarquable
par sa circulation sociale.
Cette popularisation du livre d’heures doit donc aussi être pensée en termes d’usages
et de représentations. À trois niveaux au moins, rituel, littéraire et social, le statut du livre
d’heures a changé.
D’un point de vue rituel, d’abord, et même si son contenu est resté stable, le livre
d’heures sort des intérieurs domestiques et accompagne le fidèle à la messe, ce pour
quoi il n’est pas destiné. Des prières à réciter durant l’élévation ou la communion du
prêtre apparaissent dans les Heures manuscrites et imprimées dans les dernières années
du xve siècle ; ce sont les prières eucharistiques les plus répandues, comme l’Ave verum
corpus ou l’Anima Christi. Elles s’imposent définitivement dans les premières années du
xvie siècle. Leur uniformisation progressive suggère un usage de plus en plus collectif des
Heures, même si la prière durant la messe reste silencieuse36.
Ce glissement de l’espace privé à l’espace public de l’église a engendré de nouvelles
appréciations des livres d’heures. Les emplois littéraires dont ils font l’objet au cours du
xvie siècle montrent une certaine condescendance à l’égard du recueil et de la récitation
qu’il supporte. Le livre d’heures accompagne les personnages les moins reluisants, tel
Pasquier, « l’un des grands gaudisseurs qui soit d’icy à la journée d’un cheval », croqué
par Noël Du Fail (v. 1520-1591) « le poulse passé à la ceinture, à laquelle pend celle grande
35 R. Chartier, « Culture as Appropriation: Popular Cultural Uses in Early Modern France », in S. L. Kaplan
(éd.) Understanding Popular Culture. Europe from Middle Ages to the Nineteenth Century, Amsterdam, Mouton,
1984, p. 229-253.
36 V. Reinburg, op. cit., p. 188-198.
78 chapitre 2
gibessiere où sont des Lunettes et une paire de vieilles heures ». Avec ses compagnons,
il « plus tost ha la main à la bourse pour donner du vin aux bons compaignons »37.
Les plus simples personnages ont donc des Heures. Les jeunes filles bourgeoises qui
passent leurs journées dans leurs Heures sont les symptômes de la niaiserie féminine, à
l’instar du personnage de la pièce Les Contens d’Odet de Turnèbe (1552-1581). Son père,
admiratif, explique : « Tout le long du jour, après qu’elle a donné ordre à mon mesnage,
au lieu de lire dans les livres d’Amadis, de Ronsard et de Desportes, elle ne fait que de
dire ses heures ou prier Dieu en son petit oratoire, à genoux devant un crucefis et une
Nostre-Dame-de-Pitié. Je prie à Dieu qu’il la veuille tenir en sa saincte protection et luy
donner un mary tel qu’elle merite »38. La parole du père est intéressante en ce qu’elle
rend publique et visible une scène en principe solitaire et intime, qui s’en trouve aussitôt
dénaturée. C’est évidemment chez François Rabelais (1494-1553) que la dévalorisation
du livre d’heures est la plus nette. L’étude de Gargantua consiste, le matin, à retrouver
« son diseur d’heures en place, empaletocqué comme une duppe, et très bien antidoté
son alaine à force syrop vignolat ; avecques icelluy marmonnoit toutes ces kyrielles, et
tant curieusement les espluschoit qu’il n’en tomboit un seul grain en terre »39. On ne peut
mieux exprimer l’inefficacité de la prière des Heures. Le célèbre et fringant frère Jean des
Entommeures est « beau despescheur d’heures », ce qui signifie qu’il les expédie en peu
de temps, sans se soucier de prier40.
Le livre d’heures sert aussi les causes les moins pieuses. Dans Le Printemps de Jacques
Yver (v. 1548-1571), il permet à l’amant de négocier l’entrée du domicile de sa belle :
A la fin des vespres, la damoiselle faisant signe à son suppliant (qui avoit tousjours
l’oeil au bois) luy dist : Tenez mes heures, et feignant de les avoir trouvées icy par mon
oubly, et mesgarde, les apporterez après le souper à ma maison. Sur ceste déliberation
se séparèrent nos amans en aussi grand contentement que reçoivent ceux qui ont desja
la moitié du bien qu’ils espèrent41.
Le livre favorise un jeu social, devient un prétexte et un objet de reconnaissance entre
amants clandestins. Une partie de la littérature déprécie ainsi le livre d’heures, désigné
comme le propre des écervelés, des hypocrites et des individus les plus rustiques. Même
l’usage le plus religieux des Heures est renvoyé à une prière mécanique, sans effet sur
l’âme, permettant de se mettre en règle avec le ciel à peu de frais. Si cette appréciation
ne reflète en rien la réalité, elle indique nettement le changement de statut des Heures.
Celles-ci deviennent un marqueur, permettant de reconnaître au premier coup d’œil
ou entre les lignes des romans et pièces de théâtre le catholique, le bigot, la jeune fille à
marier, la femme riche.
Dans la même logique, le livre d’heures devient un marqueur confessionnel, sans
doute du fait de la place centrale qu’y tient la dévotion mariale. Calvin (1509-1564), dans
37 N. Du Fail, Les Propos rustiques de Maistre Leon Ladulfi champenois, Lyon, Jean de Tournes, 1547, p. 608.
38 O. de Turnèbe, Les Contens. Comédie nouvelle en prose française, Paris, F. Le Mangnier, 1584, p. 82.
39 Fr. Rabelais, Gargantua, 1e éd. 1542, chap. XXI.
40 Ibid., chap. XXVII.
41 J. Yver, Le Printemps d’Yver contenant cinq histoires discourues par cinq journées en une noble compagnie au chasteau
du Printemps, Anvers, G. Silvius, 1572, p. 1241.
i m p rimer les heur es : la n aissa nce d’une catég orie éditoria le 79
l’Institution de la religion chrétienne, se montre nuancé sur la récitation des Heures, qui lui
paraît un exercice de piété légitime,
pourveu aussi que ce ne soit point une superstitieuse observation des heures, et que,
comme nous estans acquitez en icelles de nostre devoir envers Dieu, nous pensions
bien avoir satisfait pour tout le reste du temps ; mais que ce soit pour une discipline et
instruction de nostre imbécillité, laquelle en soit ainsi exercée et aiguillonnée le plus
souvent qu’il sera possible42.
Cette nuance apparaît déjà dans les versions latines des premières éditions de l’Institution.
Mais pour le consistoire de Genève, l’affaire est beaucoup plus schématique : le livre
d’heures et les lectures qu’il permet sont un signe de papisme. Dans les années 1540, ainsi, le
consistoire convoque plusieurs réformés pour leur faire expliquer la présence d’Heures dans
leurs maisons, voire dans leurs poches. C’est le cas de Bartholomée d’Orsières, dénoncée
par le voisinage pour lecture de livres d’heures. Le consistoire exige qu’ils soient brûlés
en présence de son mari. Le même jour, l’assemblée traite le cas d’Antoina Vulliens, qui
en introduit à Genève en contrebande, en les cachant sous les vêtements de sa sœur43. Ce
symbole confessionnel n’est pas toujours perçu comme tel par les réformés, qui y restent
attachés après leur conversion. Les personnes convoquées, lorsqu’elles doivent attester
leur attachement à la foi calviniste, s’empressent d’affirmer qu’elles ne possèdent pas
d’Heures. Jehan Bertheratz, qui ne comprend pas bien pourquoi on l’a fait venir, rappelle
qu’il se rendait justement au sermon, qu’il a renoncé au chapelet, ne lit jamais l’Évangile
en latin, « qu’il az ung Nouveaulx Testament et n’a poinctz d’heures »44. Le schisme tient
dans ces représentations opposées du livre : le nouveau testament pour les réformés, les
Heures pour les catholiques. Il faut dire qu’au même moment, certains éditeurs parisiens,
comme Jean Le Blanc, introduisent dans les calendriers des éléments historiques relatifs
aux conflits confessionnels, pour imposer une mémoire catholique des faits et montrer
la stabilité de l’Église romaine par-delà les guerres. Il cite dans le calendrier le début du
concile de Trente (6 janvier 1546), la procession générale du 29 janvier 1534 ordonnée
par François Ier suite à l’affaire des Placards par exemple45. Tout au long du siècle, cette
appréciation confessionnelle du livre d’heures reste sensible. Un personnage des histoires
de Jacques Yver se fait faire une casaque blanche avec des poches dans lesquelles il range
« en une pochette des heures, et en l’autre des pseaumes affin de s’accorder avec tous ceux
qu’ils trouveroient, et estre tout ce qu’on voudroit »46. Quelques années plus tard, Pierre
de l’Estoile (1546-1611) rapporte dans son journal, à la date du 21 mars 1594, le fait que les
« pauvres femmes catholiques » qui se rendent à Saint Denis n’osent plus porter de livres
d’Heures ou de chapelets à l’église, « pour ce que les hérétiques et Politiques qui estoient là
crioient après elles, leur reprochans que c’estoient les marques de la Ligue »47. Les tableaux
42 J. Calvin, Institution de la religion chrestienne. Nouvellement mise en quatre livres et distinguées par chapitres…
augmentée aussi de tel accroissement qu’on la peut presque estimer un livre nouveau, Genève, J. Crespin, 1560, p. 401.
43 W. McDonald (éd.), Registres du consistoire de Genève au temps de Calvin, t. V, Genève, Droz, 2010, 15 mai 1550.
44 Ibid., p. 268.
45 Heures à l’usage de Paris, Paris, Jean Le Blanc pour Julien Duval, 1556, préface et calendrier non foliotés.
46 J. Yver, op. cit., p. 1261.
47 P. de L’Estoile, Journal du règne de Henri IV, G. Schrenck et X. Le Person (éd.), Genève, Droz, 2014, 21 mars
1594.
80 chapitre 2
représentant les grandes processions de la Ligue entre 1590 et 1593 montrent justement les
individus arborant des objets de piété : chapelet à la ceinture, livre d’heures sous le bras ou
crucifix à la main. Cette ostentation au moment le plus critique de la guerre civile montre
combien le livre d’heures s’est imposé comme un emblème, tout en continuant, à n’en
pas douter, à nourrir la piété et les rituels des catholiques de toutes les catégories sociales.
La trajectoire du livre d’heures à travers les décennies du siècle le plus tourmenté, d’un
point de vue religieux, de l’âge moderne, se déploie entre la fidélité à la matrice médiévale
et l’entrée dans une ère proto-industrielle qui nuit à la réputation de ces manuels. Le motu
proprio de Pie V, en clarifiant progressivement le contenu et la finalité des Heures, place
désormais cet objet sous le signe d’une surveillance ecclésiastique accrue, avec laquelle
les imprimeurs doivent composer.
L’uniformisation des livres d’heures décrétée par Pie V en 1571 a certes commencé
dès le début du xvie siècle, sous l’effet de la diffusion massive des recueils permise par
l’imprimerie. Copiés à l’envi d’une officine à l’autre, ou bien réimprimés régulièrement par
le même imprimeur à partir d’un modèle unique, les livres d’heures ont vu leur contenu
et leur iconographie se stabiliser très tôt. Il n’est pas non plus certain que l’injonction de
Pie V ait décidé les fidèles à remiser leurs vieilles Heures pour utiliser celles prescrites par
Rome. Toutefois, la réforme liturgique du lendemain du concile de Trente, qui touche non
seulement les Heures, mais aussi et surtout le missel et le bréviaire, rencontre l’émergence
d’un nouveau genre apparaît sur le marché de la lecture, le livre de piété48. Cette mutation
de l’économie du livre religieux rencontre une alphabétisation en progrès et des circuits de
librairie élargis et mieux structurés. Enfin, l’épiscopat, suite aux prescriptions conciliaires,
prend en main la surveillance du livre à l’échelle diocésaine, tout en favorisant aussi l’édition
d’une littérature de piété normative49. Ainsi, l’avènement des Heures post-tridentines se
produit en temps de ruptures. Au milieu de la longue période qui s’étend de la réforme de
Pie V à la disparition pure et simple d’ouvrages dénommés « Heures », une inflexion se fait
jour vers 1730-1740, lorsque les Heures perdent progressivement leur spécificité liturgique
pour devenir un manuel diocésain permettant de suivre la messe et les vêpres, dont l’office
de la Vierge est progressivement exclu. En amont de cette décennie charnière, et un siècle
et demi durant, le livre d’heures reste fidèle au modèle romain, fait l’objet d’interrogations
théoriques et historiques, et enfin devient progressivement, dans le cadre contraint de la
librairie d’Ancien Régime, une catégorie éditoriale distincte.
La période est marquée par une reprise en main de la récitation des Heures, au sein
du clergé même qui restaure l’obligation de l’office divin (le grand office canonial), et
48 Ph. Martin, Une religion des livres (1640-1850), Paris, Ed. du Cerf, 2003.
49 F. Henryot, « L’évêque, l’imprimeur et le contrôle de l’information dans le diocèse de Toul aux xviie et xviiie
siècles », in M. Agostino et al. (éd.), Religions et information, Bordeaux, PUB, 2011, p. 283-302.
i m p rimer les heur es : la n aissa nce d’une catég orie éditoria le 81
qui surveille de près l’appropriation par les fidèles du petit office de la Vierge et autres
offices adjacents qui composent les Heures. À destination du clergé, toute une littérature
canonique ou dévotionnelle remet en exergue la récitation des huit offices : statuts synodaux,
manuels de discipline ecclésiastique par exemple. Du côté des laïcs, en principe exclus de
cet exercice (Pie V lui-même, dans son motu proprio, le voyait comme secondaire), d’autres
manuels prennent acte de l’attachement des fidèles pour ce rituel, le plus souvent pour le
critiquer. Le théologien Jean Grancolas (1660-1732), déplorant les irrégularités liturgiques
qui se sont glissées dans les Heures à l’usage des laïcs, y relève
des dévotions peu édifiantes & peu solides ; des pratiques sans autorité ; des Histoires
suspectes & fausses ; des miracles suposés, des Indulgences ou révoquées, ou tout-à-fait
fausses ; des promesses vaines & superstitieuses attachées à certain nombre de jours,
même des erreurs & des choses reprouvées par la Foi50.
Cette attention nouvelle du clergé à l’égard des Heures des laïcs tient aussi au renouveau
que connaît leur pratique quotidienne dans certains cercles spirituels qui éveillent alors
le soupçon. Autour du monastère cistercien de Port-Royal, au milieu du xviie siècle, les
solitaires font de la lecture des Heures une obligation personnelle – à moins que leurs
apologistes, au début du xviiie siècle, n’usent de cet argument pour prouver l’exemplarité
de ces athlètes de la foi. Le groupe primitif formé autour d’Antoine Le Maistre (1608-1658)
entre 1637 et 1643 est dépeint en train de lire l’office dans le bréviaire à l’usage de Paris,
« sans chant et sans notes, mais en récitant avec attention et dévotion […] et toutes les
heures de même, & en aiant demandé & eu permission de Monseigneur l’Archevêque de
Paris lorsqu’il y vint la première fois, c’est-à-dire en 1639 »51. Certes, les solitaires utilisent un
bréviaire et non un livre d’heures, signe de la séduction qu’opère alors, sur une frange des
laïcs, le modèle sacerdotal. Mais cette pratique ouvre justement la porte à une restauration
des Heures. Ces récits promouvant le modèle port-royaliste reconnaissent ainsi que les
Heures sont une pratique de dévotion et non d’obligation, mais invitent les fidèles à s’unir
de cœur et de prière aux clercs.
Cette invitation n’est pas restée sans effets. Tout au long du Grand Siècle, les figures
laïques les plus dévotes et désignées comme les plus exemplaires utilisent les Heures pour
spiritualiser leur journée et celle de leur maisonnée. C’est le cas de Marie Hélyot (1644-1682),
archétype de la dévote dont la journée est rythmée par l’usage croisé de différents livres.
Au réveil, elle récite les prières du matin au pied du crucifix sans doute à partir d’un livre
d’heures, mais préfère l’Imitation de Jésus-Christ pour se disposer à la communion. Elle se
rend à la messe dans les Églises proches, selon l’endroit où le saint Sacrement est exposé,
sans livre d’heures. Vers 11 heures, de retour chez elle, « elle achevoit le petit office de la
Vierge, faisoit quelque lecture, puis Examen avant le disné ». Elle assiste aux vêpres à 3
heures l’après-midi et le soir, « elle recitoit Matines & Laudes du petit office de la Vierge
pour le lendemain »52. Son biographe affirme par ailleurs : « elle récitoit chaque jour son
50 J. Grancolas, Commentaire historique sur le bréviaire romain. Avec les usages des autres églises particulières, &
principalement de l’Église de Paris, Paris, N. Lottin, 1727, p. 355-356.
51 Ch.-H. Le Febvre de Saint-Marc, Supplément au nécrologe de l’abbaie de Notre-Dame de Port-Roïal des Champs,
ordre de Cîteaux, s. l., 1735, p. 19-20.
52 J. Crasset, La vie de Madame Hélyot, seconde édition revue et augmentée, Paris, Estienne Michallet, 1683, p. 23.
82 chapitre 2
petit Office »53. Le livre d’heures accompagne ainsi, selon les préférences du croyant, les
différents moments de la piété quotidienne, de la chambre aux salles communes.
Le rôle des solitaires dans cette invitation est accentué par la production, en 1650, d’un
livre d’heures en français, versifié54, qui connaît immédiatement un immense succès. Ces
Heures, parce qu’elles sont en français à l’instar des psautiers protestants, sont mises à
l’Index et provoquent une virulente querelle avec les jésuites, adversaires traditionnels des
jansénistes. Ces polémiques montrent la surveillance qui s’exerce alors sur l’impression de
livres paraliturgiques à l’usage des fidèles. Il s’agit, à travers le livre d’heures, de contrôler les
croyances et les pratiques spirituelles de chaque fidèle. Lire ses Heures devient finalement
aux yeux de l’épiscopat le symptôme d’un catholicisme conforme et mesuré s’il s’agit de
manuels autorisés.
Cette surveillance prend pour étalon le modèle romain établi par l’entourage de Pie V,
qui marque d’importantes différences avec les livres d’heures du xvie siècle. Première
différence, non anodine, les Heures prennent le nom d’Officium beatae Virginis Mariae.
Elles conjuguent des éléments stables depuis le Moyen Âge et des ajouts décisifs. Dans la
première catégorie, on trouve le calendrier, les extraits des Évangiles, l’office de la Vierge,
l’office des morts, les psaumes pénitentiels, les litanies des saints, l’office de la Croix et du
saint Esprit, des prières et oraisons traditionnelles comme l’Obsecro Te et l’O Intermerata.
Dans la seconde, les prières des exercices quotidiens (Pater, Ave Maria, symbole des Apôtres,
acte de contrition, Angelus, prières à dire au cours de la messe), les dix commandements,
les vertus théologales et cardinales, les dons et fruits de l’Esprit, les prières pour avant et
après la communion, la préparation à la confession et des méditations sur la Passion du
Christ. Les suffrages des saints ont laissé la place à des hymnes pour les fêtes des saints.
Ces sections nouvelles font du livre d’heures un véritable vademecum du chrétien55.
Cette mutation des livres d’heures est instrumentalisée par les évêques, qui voient dans ce
manuel extrêmement populaire un moyen de réguler les croyances et les prières des fidèles.
Claude de La Baume (1534-1584), archevêque de Besançon, fait publier en 1574 des Heures
de Nostre Dame à l’usage du diocèse, « ouvrage nouveau, simplifié et construit »56 prenant
pour matrice l’Officium de Pie V. Elles contiennent une Institution chrestienne et un Exercice
quotidien, qui se trouvaient précédemment dans les éditions des Statuts synodaux de 1560
et de 1575. Les textes soumis à l’apprentissage par les fidèles sont le Symbole, les sacrements,
les commandements de Dieu et de l’Église, l’oraison dominicale et la salutation évangélique.
Après une première édition lyonnaise une autre troyenne, l’artisanat typographique local
perçoit tout l’intérêt financier de se saisir de tels ouvrages destinés à l’ensemble des foyers
du diocèse. Une édition bisontine est donnée par Nicolas de Moingresse en 1619, puis le
petit atelier de Pin, dirigé par Jean Vernier et Toussaint Lange, donne en 1627 puis en 1632
des « Heures à l’usage des peuples de la campagne », avant de remettre sur le marché les
53 Ibid., p. 277.
54 Office de l’Église et de la Vierge en latin et en français avec les hymnes traduites en vers [Heures de Port-Royal], Paris,
Pierre Le Petit, 1650. Sur cet ouvrage, voir Ph. Sellier, Pascal et la liturgie, Paris, Puf, 1966.
55 Nous avons pris pour manuel de référence l’Officium beatae Mariae Virginis, nuper reformatum et Pii V Pont. Max.
iussu editum, Paris, Eustache Foucault [1618].
56 S. Tyvaert, Le chant des Heures. Liturgie paroissiale et catéchèse dans le diocèse de Besançon du Concile de Trente à
l’époque contemporaine, Paris, Ed. du Cerf, 2020, p. 60.
i m p rimer les heur es : la n aissa nce d’une catég orie éditoria le 83
57 Ibid., p. 44.
58 Extrait des Ordonnances générales faictes par Mgr. Charles Chrestien de Gournay, administrateur du diocèse de Toul,
s.l.n.d. [Nancy, Garnich], p. 8.
59 Heures imprimées par l’ordre de Monseigneur le Cardinal de Noailles, archevesque de Paris, à l’usage de son diocèse,
Paris, Louis Josse, François H. Muguet, 1715, mandement n.p., 2 mai 1701.
84 chapitre 2
des livres de prières. Les curés peuvent d’autant plus facilement surveiller les Heures de
leurs paroissiens que ces manuels sont souvent le support de l’apprentissage de la lecture,
et que les enfants sont priés de les apporter à l’école en guise de manuel scolaire. Étienne
Tabourot (1549-1590), dans ses Bigarrures, évoquant les progrès typographiques du temps,
souligne combien les abréviations et l’aspect des lettres peuvent déconcerter les jeunes
lecteurs, surtout si leur apprentissage s’opère dans les « Heures latines des femmes »60.
Plus tard dans le siècle ou le suivant, le matériel scolaire admis par les évêques consiste
principalement dans le recyclage de petites Heures, de livres de dévotion et d’histoires
bibliques soit passés de mode, soit réécrits à l’usage des enfants61. Le 3 septembre 1702,
ainsi, le libraire parisien Nicolas Rivière demande un privilège pour des « Heures de Notre-
Dame réformées suivant le S. Concile de Trente » en précisant qu’il entend reproduire un
« in-24 de grosse lettre à l’usage des enfants qui apprennent à lire, imprimé à Troyes, et
dont l’office est en latin ». Une permission simple lui est alors accordée pour quatre ans,
le 4 décembre 170262. Cet usage scolaire exploite et explique l’importance grandissante
des prières de la messe et celles qui favorisent la spiritualisation de la journée, comme les
prières du matin et du soir, débarrassées de la structuration contraignante des psaumes,
antiennes, collectes et répons. Les développements sur les devoirs du chrétien répondent
également à la volonté de fournir dans un manuel unique tout une pharmacopée favorisant
le salut : examen de conscience, prières pour le travail, le repos, le repas, etc., et une série de
prières et d’injonctions visant à cultiver le sentiment de la mort, du péché et de la pénitence.
Les Heures de Noailles introduisent une rupture importante à la fois dans le processus
de surveillance des prières des fidèles, qui se trouve renouvelé et copié ensuite par de
nombreux diocèses, et en conséquence, dans l’économie de la production des Heures.
Les demandes de permissions et de privilèges entre 1700 et 1715 en témoignent63. Jusqu’en
1703 environ, soit au lendemain de l’initiative de l’archevêque de Paris, les demandes de
privilèges émanant des évêques pour protéger la production des livres d’office en usage dans
leur diocèse ne concernent pas les Heures. Le libellé de la demande déposée par l’évêque
de Condom le 20 mars 1702 se contente d’une rubrique générique « livres de prières » ;
celle de l’évêque de Troyes, le 14 janvier 1702, n’y faisait même pas allusion. Les Heures
sont revendiquées comme un genre liturgique placé sous le regard de l’évêque à partir de
1704, et ce changement est perçu par la direction de la Librairie. En 1703, ainsi, l’impri-
meur-libraire Henneson, à Laon, dépose une demande de privilège pour les « Bréviaires,
messels, manuels, diurnaux, antiphoniers, graduels, processionaux, épistoliers, psautiers,
demi-psautiers, Heures, catéchismes, ordonnances, mandemens, statuts synodaux, lettres
pastorales, institutions » à l’usage du diocèse de Laon. À quoi on lui répond qu’un précédent
privilège, pour douze ans, lui avait été accordé le 2 juillet 1693 à la nomination de l’évêque
Mgr d’Estrées. Le censeur ajoute, pour justifier son refus : « ces sortes de privilèges ne
Figure 2.8 : Cartographie des demandes de privilèges pour l’édition de livres liturgiques diocésains
(1700-1715)
doivent s’accorder qu’à un prélat et pour dix ans au plus. Celui-ci est demandé par un
libraire et il a encore plus de deux ans de son ancien privilège »64. À partir de ce moment,
51 diocèses sur près de 130 que compte le royaume de France, réclament un privilège pour
l’impression de leurs usages diocésains, en l’espace de douze ans. Ces données mettent en
évidence la nouvelle cartographie des usages liturgiques au commencement du xviiie siècle
(Fig. 2.8). L’attention portée aux livres diocésains reste forte dans le nord du Royaume,
comme elle l’était déjà deux siècles plus tôt, et la constance de certains diocèses, comme
ceux de Laon, Le Mans, La Rochelle ou Lyon dans la rénovation des usages révèle de
puissants enjeux, au premier rang desquels l’identité locale et la remise à l’honneur du
sanctoral régional. C’est aussi un geste symbolique qui permet à un évêque de pérenniser
la notoriété de son épiscopat. Mais l’autre enseignement de cette répartition géographique
des demandes est l’intérêt méridional pour cette démarche. Si les diocèses pyrénéens et
atlantiques restent à l’écart de cette évolution, ceux du pourtour méditerranéen cherchent à
singulariser leurs livres liturgiques, sinon dans leur contenu, du moins par la mise en place
d’un travail conjoint entre presses locales et autorités diocésaines. S’il n’est pas certain
que ces demandes théoriques aient effectivement donné lieu à l’impression de livres
d’heures – missels, bréviaires, rituels et processionnaux étant alors les livres liturgiques
les plus largement imprimés – la possibilité que les évêques se sont donnée d’en imprimer
sous leur responsabilité pastorale est en soi remarquable.
Les évêques sont aussi leurs propres censeurs, leurs demandes étant dispensées d’un
examen par la chancellerie. Celle-ci accorde au fil du temps des privilèges généraux de
plus en plus longs. Après 1710, il n’est pas rare que ceux-ci durent quinze à vingt ans, pour
six à huit ans dans la décennie précédente.
L’efficacité de cette surveillance épiscopale et sacerdotale mérite toutefois d’être
questionnée. Grancolas, qui méprise les livres d’heures, fait la liste des énormités liturgiques
qu’il y relève :
On remplit ces Livres d’une multitude innombrable de dévotions mal arrangées, on y
voit des petits Offices de Sainte Anne, de Saint Joseph, & autres Saints, & des Litanies
pleines de faussetés : on y voit des considérations sur le Rosaire : des Regina sanctissimi
Rosarii, des Obsecro, l’Oraison de trente jours, qui est superstitieuse, des prières à
Sainte Marguerite pour les femmes enceintes (comme s’il ne conviendroit pas mieux
que les femmes en cet état s’adressassent à la Sainte Vierge, lorsqu’elle étoit enceinte
du Verbe Incarné, pour obtenir par ses prières une heureuse délivrance) des Offices
de l’Immaculée Conception, pendant que l’Eglise dans son Office de la Conception
et de la Messe, n’en dit mot [la question n’est pas théologiquement tranchée]65.
Or, d’autres sources montrent l’attachement des fidèles à ces prières dénigrées par
les théologiens et les évêques. Un cordelier comtois, Jean-Baptiste de Mièges, né près de
Nozeroy en 1702, meurt en odeur de sainteté au couvent de Naples en mars 1726. Suite
à plusieurs miracles opérés après sa mort par son intercession, une enquête est ouverte
auprès de ceux qui l’ont connu pour certifier ses vertus. Cette enquête canonique met en
évidence ses pratiques de piété. Son parrain, Claude Alpy, rapporte qu’enfant,
il avait un désir particulier d’apprendre l’oraison Obsecro te Domina, qui est dans
les Heures intitulées Le chemin du ciel ; que parmi les caresses de son grand-père, il
répétait cent fois ces paroles : “Apprenez-moi donc l’oraison Obsecro te Domina” ; que
si on voulait luy faire faire quelques petits ouvrages, on avait qu’à luy dire qu’on la lui
apprendrait ; et qu’aussitôt il obéissait66.
67 J.-B. Thiers, De la plus solide, la plus nécessaire et souvent la plus négligée de toutes les dévotions, Paris, J. de Nully,
1702, p. 733. En italique dans le texte.
68 Cité par A. Lottin, Lille, citadelle de la Contre-Réforme, rééd. Villeneuve-d’Ascq, PU du Septentrion, 2018, p. 326.
69 Heures du calvaire…, Douay, Jacques-Fr. Willerval, 1741, Avertissement, n.p.
88 chapitre 2
Enfin, l’attachement au livre d’heures se manifeste par des pratiques qu’une part du clergé
observe d’un œil soupçonneux, pendant qu’une autre part semble les juger positivement.
Parce qu’il est le support par excellence de la sacralité, et visiblement parce qu’il sert au
quotidien, le livre d’heures fait partie des objets que l’on met au contact des objets saints
ou des personnalités de grande réputation pour en renforcer les effets spirituels. Lors du
dernier Carême qu’il prêche en Avignon, Antoine du Saint Sacrement (1601-1676) attire
une foule si nombreuse qu’afin de « donner quelque chose à la devotion de ces bonnes
gens », la messe et la bénédiction du Saint Sacrement sont suivies de la bénédiction
« [des] heures et [des] Chapelets qu’on presentoit avec empressement »70. Un peu plus
tard dans le xviie siècle, la clarisse toulousaine Germaine d’Armaing (1664-1699) meurt en
odeur de sainteté. Son corps est exposé dans le chœur du couvent. La population, attirée
par sa réputation, vient en foule. « A peine deux religieuses pouvoient-elles suffire à faire
toucher à son corps les chapelets, les heures, les bréviaires & autres choses qu’on leur
passoit par la grille »71. Le livre d’heures fait partie de ces objets qui, par leur destination,
sont susceptibles de capitaliser le sacré. Il continue de faire office de talisman.
Sous l’influence du clergé qui s’est ainsi emparé des Heures pour la formation religieuse
élémentaire et la pratique dévote individuelle ou collective, le contenu de ces manuels
s’émancipe de plus en plus du modèle médiéval. Certes, le livre d’heures moderne reste
fidèle à ses origines. Il est toujours un outil de gestion du temps : journée, balisée par des
prières, sinon des offices ; semaine, dont chaque jour est dédié à une dévotion ; année,
présentée dès les premières pages dans le calendrier et de techniques pour situer les fêtes
mobiles. En outre, l’office de la Vierge peut encore représenter jusqu’à 40% du volume, le
plus souvent un quart jusqu’au début du xviiie siècle72. Cet élément central des Heures
au sens traditionnel du terme constitue ainsi un indice pertinent de la fidélité aux racines
du genre. Sa part s’amenuise dès lors que le livre d’heures inclut d’autres contenus et rares
sont ceux, dans la seconde moitié du siècle, qui accordent encore une place centrale à
l’office de la Vierge73. Le recours systématique à la Vierge reste toutefois un gage de salut
et à tout le moins, de consolation. Il s’adapte à toutes les situations, au prix de quelques
aménagements qui montrent bien la plasticité de ces Heures rénovées et qui échappent
malgré tout à toutes les tentatives de les figer. Des Heures à l’usage des femmes enceintes
publiées au milieu du xviie siècle évacuent ainsi les exercices du matin et du soir, les
prières pour la confession et la communion et les psaumes pénitentiels, inappropriés en ces
circonstances, surtout à l’approche de l’accouchement, mais restituent les litanies mariales
et une partie de l’office de la Vierge. On trouve, avec des développements inédits, l’office
de la Croix in extenso, plus adapté à une période d’intense souffrance. Des exercices relatifs
à des dévotions spécifiques sont enfin proposés, comme « la couronne de la glorieuse
Vierge Marie », succession de douze Ave et de trois Pater que les femmes peuvent dire
entre les contractions. Cette combinaison permet aux parturientes de s’identifier à la mère
de Dieu et au Christ souffrant, et d’endurer cette période difficile74.
Ainsi construits, malgré d’importantes variations d’un volume à l’autre, dans le contenu
même des prières et dans leur organisation, les livres d’heures s’avèrent relativement
interchangeables entre eux. Le recours à des titres différents masque un consensus certain
sur ce que doit être un livre d’heures, pour l’éditeur qui le produit et pour le fidèle qui
l’achètera. Ce consensus invite à considérer cet objet comme une catégorie éditoriale
plutôt que comme un manuel liturgique parfaitement stabilisé, aux usages figés.
74 Heures particulières à l’usage des femmes enceintes. Ou souffrir, ou mourir, [1657]. La page de titre est manquante
dans l’exemplaire consulté.
75 Hortulus animae, denvo repurgatus : in quo Horae beatissimae Virginis Mariae secundum usum romanum continentur :
cum plurimis orationibus devote dicendis, Paris, Jehan Langloys, 1545.
76 M. Vernus, « Un best-seller de la littérature religieuse : l’Ange conducteur (du xviie au xixe siècle) », in
Transmettre la foi : xvie-xxe siècles. Actes du 109e congrès national des sociétés savantes de Dijon (1984), Paris, Ed. du
CTHS, 1984, vol. 1, p. 231-243.
90 chapitre 2
77 Heures Françoises ou matière d’occupation saintes pour les ames dévotes, Francfort, Walther, 1697.
78 Paris, BnF, ms. fr. 21 939-21940.
79 Paris, BnF, ms. fr. 21975 : Répertoire alphabétique d’ouvrages présentés et de privilèges obtenus ou refusés de 1728
à 1739.
i m p rimer les heur es : la n aissa nce d’une catég orie éditoria le 91
à la population curiale. Il s’agit sans doute plutôt d’un moyen de faire émerger des titres
sur les étals de libraires ou dans les boutiques de merciers. Dans les Heures royales dédiées
à Monseigneur Duc de Bourgogne (Paris, Claude de Hansy, 1701), ainsi, rien ne signale la
Cour ou la famille royale, pas même une prière pour le roi. D’autres formulations disent
encore l’inventivité de ceux qui approvisionnent le marché en entretenant une demande
forte. Les « Heures latines et françoises à l’usage de ceux qui assistent au service de l’Eglise
avec les prières et réflexions morales sur les Evangiles des dimanches et fêtes de l’année »
(1692), « Heures à réciter et à pratiquer ou manuel de dévotion qui comprend l’exposition
des prières ordinaires que font les Chrétiens et qui leur apprend à les faire avec esprit de
religion », les « Heures à trois offices à l’usage de Rome contenant l’office qui se dit en
l’église durant toute l’année », les « Heures nouvelles d’une méthode extraordinaire par
l’ordre qui y est observé pour tous les dimanches et fêtes de l’année tant à l’usage de Paris
qu’à celuy de Rome » pour lesquelles des privilèges sont demandés à quelques mois
d’intervalle entre 1705 et 170780 font état de cette nécessité d’accrocher l’attention de la
clientèle par la promesse de contenus toujours renouvelés.
La diversité n’est que de façade, comme en témoigne la matérialité de ces recueils,
formellement très homogènes. Le format in-8 ou in-12 est privilégié, ce qui implique un
rétrécissement par rapport aux imprimés d’avant 1570. Cette donnée n’est guère significative
puisque ce sont les formats par excellence de la maniabilité, de l’appropriation, de la lecture
ambulatoire, donc ceux de la lecture divertissante ou spirituelle. Ceci dit, et même si leur
fragilité les a condamnés à la disparition, des Heures au format bijou ont été produites
en abondance, alors que ces formats sont peu usités pour les livres de piété. L’inventaire
de l’imprimeur Claude Calleville, en 1647, signale des « heures du concile » in-32, 2500
« heures de la noblesse » du même format et 2500 heures d’un format minuscule, in-4881.
Ces formats, qui n’apparaissent plus dans les inventaires après-décès d’imprimeurs et de
libraires du xviiie siècle, semblent propres à l’âge classique et à la miniaturisation des
objets personnels les plus intimes, bijoux, flacons et livres (Fig. 2.9). Ils indiquent aussi
une rationalisation commerciale de l’opération, en faisant des économies sur le papier
(ce que l’étroitesse des marges suggère aussi), celui-ci représentant souvent plus du
quart de l’investissement nécessaire à une impression. Le nombre moyen de pages est
de 450, ce qui indique cette fois un volume nettement plus épais qu’un livre de piété, se
prêtant à des usages fragmentés. La mise en page est toujours serrée et sans effets visuels,
hormis d’inévitables lettrines et bandeaux, souvent de recyclage, en tête des sections. La
composition en deux colonnes, avec le texte latin à gauche et le texte français à droite,
perdure tout au long de la période (Fig. 2.10). En somme, le typographe ne cherche
pas à séduire le lecteur qui saura retrouver dans cette composition les éléments qu’il
recherche, et ce d’autant plus facilement qu’il est sans doute familier des Heures depuis
sa plus tendre enfance.
Le terme « Heures » est donc d’abord un argument commercial. Les catalogues
d’imprimeurs-libraires en témoignent. La veuve Hérissant, en 1736, prend bien soin de
distinguer dans son catalogue les livres « pour le chœur » et « pour l’autel » à destination
80 Paris, BnF, ms. fr. 21940 : Registres des ouvrages manuscrits ou imprimés présentés à Mgr le chancelier pour
obtenir des privilèges.
81 H.-J. Martin, Livre, pouvoir et société à Paris au xviie siècle, rééd. Genève, Droz, 1999, t. 1, p. 162.
92 chapitre 2
des fabriques et des monastères ; les livres « pour les ecclésiastiques » c’est-à-dire les
missels, bréviaires, rituels et cérémoniaux, enfin les livres « pour les laïcs », des très
généralistes « livre d’église » et eucologes aux psautiers distribués pour la semaine
ou l’année. Dans cette nomenclature, les livres d’heures recoupent à la fois une réalité
liturgique et une donnée linguistique : ils incorporent une grande partie de passages en
français, à la différence des autres livres d’offices et constituent de ce fait une rubrique
séparée au sein des livres pour les fidèles. Au total, la veuve Hérissant débite cinq sortes
de livres d’heures, de l’in-8 à l’in-2482.
Les imprimeurs-libraires s’avèrent donc les principaux agents de ce changement de
statut des Heures, passées du manuel de la prière laïque rénovée par Rome, à une rubrique
éditoriale dans les catalogues par lesquels les libraires espèrent séduire les acheteurs. Aussi
faut-il interroger le processus éditorial qui conduit à la mise en vitrine de ces manuels
si ressemblants et si variés. Le marché est en ébullition au lendemain du motu proprio
de Pie V. On voit des imprimeurs prendre divers arrangements afin de rentabiliser la
production d’Heures. Jamet Mettayer, imprimeur du roi, Félix Le Mangnier, Jehan Houzé
libraires, et Georges Drobet, relieur, tous parisiens, passent ainsi un contrat le 5 août 1588
« pour faire imprimer les heures du Roi et les heures du S. Esprit en bois et taille doulce
de diverses marges et les heures de Rome latin et latin-françois, les heures de Paris et du
Concille ». Chacun doit payer le quart des frais et reçoit ensuite un quart de la production
pour l’écouler à un prix convenu83. Cet acte est intéressant car il montre que les « heures
82 Catalogue des livres à l’usage du diocèse de Paris, imprimés selon les nouveaux bréviaire & missel, par ordre de
Monseigneur l’Archevêque, depuis & compris l’année 1736, lesquels se vendent chez la veuve Hérissant, imprimeur
libraire, rue Notre-Dame, à la Croix d’or, 1736.
83 D. Pallier, Recherches sur l’imprimerie à Paris pendant la Ligue : 1585-1594, Genève, Droz, 1975, no 280.
i m p rimer les heur es : la n aissa nce d’une catég orie éditoria le 93
Figure 2.10 : Fin de l’office de sexte et début de l’office de none des Heures nouvelles dédiées aux dames
de S. Cyr, contenant les devoirs du chrétien, les offices de l’Eglise selon l’usage de Rome, avec plusieurs prières
tirées de l’Ecriture sainte, Paris, Hérissant, 1740.
adjoints auprès des imprimeurs parisiens, tenus de déclarer ce qu’ils ont sous la presse,
révèle que sept ateliers au moins s’étaient spécialisés dans les Heures85. Imprimeurs et
libraires s’ingénient à proposer une offre diversifiée, susceptible d’inciter la clientèle à
posséder non pas un, mais plusieurs livres d’heures. Le Catalogue des livres de Michel Le
Petit et Estienne Michallet dressé vers 1675 annonce des Heures latines et françaises in-12
et in-18, des Heures dédiées au roi de l’in-8 à l’in-48, des Heures de la Mission in-18 à
in-32, à la Dauphine, à la cavalière, en vers de Desmarets de Saint-Sorlin, « à trois offices,
rouge et noir, in-24 » etc.86 Chez Jean-Thomas Hérissant soixante-dix ans plus tard, le
procédé n’a pas changé : il annonce dans son catalogue sept variantes des Heures du
Cardinal de Noailles et précise : « on trouve aussi chez le même libraire plusieurs autres
sortes d’Heures de M. le Cardinal de Noailles, soit amples, soit abrégées, en caractères
fins, moyens, & très gros, toutes Latines ou toutes Françoises, & de différentes grandeurs
depuis l’in-8o jusqu’à l’in-32 »87.
Cette offre pléthorique est également confirmée par le rythme des demandes de
privilège ou de permission. L’examen des années 1700 à 1715 fait surgir 168 requêtes en
seize ans, soit une dizaine par an en moyenne, avec d’importantes variations, la seule année
1707 cumulant 38 demandes, pour seulement deux en 1702. Ce faisant, les imprimeurs
cherchent à protéger les productions jugées les plus distinctives et les moins routinières. Si
la permission simple, peu coûteuse et qui ne protège pas véritablement un projet éditorial,
est plébiscitée jusqu’en 1707, les libraires préfèrent finalement demander un privilège
général, pour une durée variant de trois à huit ans, qui protège leur production dans tout le
royaume. Le privilège local, valable dans une seule ville, est choisi presque exclusivement
par les imprimeurs-libraires de province, qui cherchent à copier la marchandise parisienne :
on relève ainsi cinq demandes lyonnaises, neuf demandes troyennes – des officines
spécialisées par ailleurs dans les livres de classe et les opuscules bleus – trois demandes
rouennaises et deux amiénoises.
Pour ainsi garnir son étal, l’imprimeur doit se conformer à une procédure rigoureuse.
Il s’agit, d’abord, de passer à travers le tamis de la censure. Les manuscrits ou imprimés
déposés auprès de la chancellerie pour être confiés aux censeurs ne passent pas tous cette
étape, malgré le caractère anodin du titre, ou peut-être précisément à cause de lui, les
censeurs craignant sans doute qu’il ne camoufle des opinions hétérodoxes. Le nombre de
manuels réprouvés montre que si les imprimeurs ne pensent pas forcément à mal, l’exigence
de renouvellement continuel du marché face à la concurrence ne permet pas de soigner
convenablement les textes. Les « Heures nouvelles dédiées à Mad. La princesse et Heures
royales et prières chrétiennes » présentées par le libraire Hansy le 23 septembre 1706 sont
jugées « mal en ordre, remplies de prières apocrifes » et interdites de publication88. Les
« Heures nouvelles dédiées à Madame la princesse » que la veuve Coignard se propose de
mettre sous la presse sont estimées superstitieuses le 15 novembre 1706 ; elles reviennent,
avec correction, entre les mains du censeur quelques semaines plus tard, et sont cette fois
98 A son Altesse Royale. Supplie très humblement J.-B. Cusson… contre N. Baltazard, aussi imprimeur-libraire à Nancy,
Nancy, Cusson, 1730.
99 A. Ronsin, « Un grand imprimeur lorrain : le parisien Jean-Baptiste Cusson », in Hommage de la Lorraine à la
France à l’occasion du bicentenaire de leur réunion (1766-1966), Nancy, Berger-Levrault, 1966, p. 321-333.
100 Paris, BnF, ms. fr. 21939, no 1316.
101 Paris, BnF, ms. fr. 21939, no 208.
i m p rimer les heur es : la n aissa nce d’une catég orie éditoria le 97
Heures & Prières, sans Privilège ou Permission, à peine de cent livres »102. Ce faisant, il ne
fait que réaffirmer les dispositions de l’arrêt du 7 septembre 1701 imposant la permission
par lettres scellées du Grand Sceau préalablement à l’impression ou réimpression de tout
ouvrage, mais il montre aussi que les imprimeurs ont cru pouvoir s’en dispenser dans
le cas des Heures, perçues comme un objet particulier et dont les multiples rééditions
rendent la procédure très lourde. L’application de ce règlement est stricte, pour la plus
grande satisfaction de la chambre syndicale des libraires de Paris. Le 28 janvier 1738, l’im-
primeur-libraire rouennais Charles Ferrand (1680-1739) est surpris à débiter des « Heures
nouvelles dédiées à Madame la Princesse » alors que le privilège qu’il avait obtenu est
expiré depuis longtemps. Les 10 000 exemplaires trouvés dans son officine sont saisis et
confisqués au profit de la Chambre Syndicale de Paris103.
Car c’est la vente, autant que la production d’Heures, qui est réglementée dans un
cadre juridique identifiant ce titre générique comme un possible moyen de détourner le
fonctionnement habituel du commerce du livre. Au-delà de la commodité de langage et
de l’argument commercial, en effet, les Heures sont une réalité juridique qui s’émancipe
progressivement de l’ensemble de la production typographique moderne, ce qui a un effet
sur les circuits de vente. Sous le règne de Charles IX, en effet, un effort de structuration
des réseaux de vente des livres est mené afin de déterminer la place des merciers et des
grossistes face aux libraires qui s’inquiètent de cette concurrence. Le roi prend parti pour
les merciers. Les décisions prises dès 1567 sont confirmées par Louis XIII en janvier
1613. À la fin de la très longue liste d’objets de quincaillerie, de mercerie, de métaux que
ces boutiquiers sont autorisés à vendre, on trouve « images, tableaux, tant en bosse
qu’autrement, peinture, Heures, catéchismes et autres livres de prières »104. Le nouveau
Code de la librairie édicté en 1744 confirme ce rôle des merciers dans la distribution
des Heures et en conséquence, le statut éditorial particulier de celles-ci. Et ce, malgré la
méfiance qu’inspirent alors les « marchands d’Heures », en particulier les « porteurs de
balles et soi-disans merciers » qui camouflent au milieu de cette marchandise abondante
des libelles et ouvrages défendus ; aussi, cette concession faite aux merciers ne les dispense
nullement de faire enregistrer leur marchandise auprès de la Chambre syndicale105. Ces
dispositions ne valent en effet, et dès l’origine, que pour les Heures imprimées en province
ou à l’étranger et débitées à Paris, pour ne pas opposer une trop forte concurrence aux
libraires parisiens. Cette législation identifie donc précocement les Heures comme un
genre éditorial distinct des bréviaires et psautiers qui font l’objet d’autres dispositions.
Toutefois, le caractère de plus en plus confus des Heures impose des restrictions. Un arrêt
du Conseil d’État privé du Roy en date du 13 Mars 1730 prévoit que « les Livres d’Heures
& Priéres que les Marchands Merciers-Grossiers-Joailliers seront en droit de vendre »
ne dépasseront pas « deux Feuilles du caractère dit Cicero », sous peine de mille livres
102 Code de la librairie et imprimerie de Paris, ou Conférence du réglement arrêté au Conseil d’État du Roy, le 28 février
1723, et rendu commun pour tout le royaume, par arrêt du Conseil d’Etat du 24 mars 1744. Avec les anciennes
ordonnances, édits, déclarations, arrêts, réglemens & jugemens rendus au sujet de la librairie & de l’imprimerie, depuis
l’an 1332, jusqu’à présent, Paris, Aux dépens de la Compagnie, 1744, p. 364.
103 Ibid.
104 Cité dans Code de la librairie…, op. cit., p. 54 et suivantes.
105 Ibid. p. 278-279.
98 chapitre 2
À en croire cette enquête, le commerce de livres d’heures n’est pas un bon moyen de
faire fortune, à moins d’être aussi imprimeur ; il est le propre de libraires qui survivent
petitement au milieu des grandes officines.
En province, ce commerce paraît plus solide, qu’il soit assuré par les libraires
patentés ou par de simples merciers. Le dossier lorrain, particulièrement fourni mais
plutôt pour le milieu et la seconde moitié du xviiie siècle, permet d’en relever les
traits saillants.
Il existe, d’abord, les libraires traditionnels. Le fonds de Claude-Nicolas-Emmanuel
Laurent (1719-1787), imprimeur et surtout libraire à Remiremont, décrit dans l’inventaire
de la communauté qu’il forme avec son épouse défunte en 1762117, montre bien comment
fonctionnent ces échanges. Son fonds de librairie destiné au commerce avec la population
romarimontaine est assez réduit : il compte 118 volumes estimés 56 lt et 7 sous. La piété
y est prédominante, et il commerce un grand choix d’Heures : on trouve dans son stock
six volumes d’Heures de la congrégation des filles, 14 volumes d’Heures de Cour, deux
volumes d’Heures dédiées au roi, 16 volumes d’Heures nouvelles et 4 d’Heures royales.
L’estimation totale de ces livres, qui représentent 35% de son stock, se monte à 8 lt et 16
sous, soit seulement 14% de la valeur totale du fonds. Une autre section de l’inventaire
est consacrée à un stock constitué de ses propres impressions ou de celles de confrères
vosgiens pour revente aux colporteurs. Les quantités sont phénoménales : pour les Heures
nouvelles, l’officine conserve 222 exemplaires cousus, 110 endossés et 30 reliés. De tous les
livres de piété destinés à ce commerce étendu, les Heures sont de loin celles pour lesquelles
une demande sans doute forte justifie de telles réserves, si on exclut de petites feuilles
ou brochures de quelques pages avec des oraisons à la Vierge. Le voisinage des Heures
avec des ABC, des catéchismes et des opuscules de la bibliothèque bleue s’explique non
seulement par la similitude des publics susceptibles d’acheter ces recueils, mais aussi par
le statut commercial commun à ces objets : ce sont les seuls que les merciers sont autorisés
à débiter dans leurs boutiques.
Toutes les sources documentant les stocks des merciers aux xviie et xviiie siècles
confirment que ces boutiques débitent des livres d’heures au milieu d’objets de quincail-
lerie, de vêtements, de produits pharmaceutiques, relayant ainsi les tirages pharamineux
des imprimeurs de Paris et de province. À Épinal, petite ville dotée d’un collège et
d’administrations relais du pouvoir central, ces marchands sont omniprésents. L’inventaire
après-décès de Jean-François Vatot, imprimeur libraire à Bruyères, signale au chapitre des
dettes actives deux merciers, Campagniard et France, et des marchands comme la veuve
Colin, ou Treullir118 ; tous résident à Épinal. Dans cette ville, au cours du xviiie siècle,
ils sont au moins 11 à vendre, au milieu d’une marchandise hétéroclite, des livres. Ces
marchands généralistes ont un stock de 3,7 titres en moyenne, dans des quantités variables
(un à 40), et les titres nous apprennent qu’il s’agit probablement des livres imprimés, plus
ou moins légalement, dans les Vosges : à nouveau, des Heures, l’Imitation (chez Charles
Bailly), des psautiers et demi-psautiers, l’Histoire de la bible (probablement celle de
Royaumont), chez Joseph Febvrel. Le mercier est sans doute un intermédiaire commode
117 Epinal, AD Vosges : Fonds Friry, 6 I 101. Étudié par P. Heili, « Claude-Nicolas-Emmanuel Laurent (1719-1787) et
les commencements de l’imprimerie à Remiremont », Le Pays de Remiremont, 8 (1986), p. 49-72.
118 Épinal, AD Vosges : 3B 28(2).
10 0 chapitre 2
et moins intimidant que le libraire, pour une population peut-être moins familière du livre.
Ces merciers peuvent être ambulants, comme Philippe Villard, domicilié à Épinal, mais
décédé à La Bresse en effectuant sa tournée, avec, entre autres marchandises, 9 titres, 49
volumes, dont la moitié de livres de piété, Heures, Ange conducteur, etc. L’inventaire de
Jean-François Vivot (1725-1771) dressé à son décès révèle qu’il écoule sa production grâce
à sept colporteurs, dont on ignore l’aire de travail. Il existe donc une intense circulation
du livre à travers les Vosges, entre plaine et montagne, entre le cœur et les marges de la
province.
Ce rôle central des boutiquiers généralistes se confirme justement en zone rurale. Chez
Dominique Dauchey, marchand à Favières, en Lorraine centrale, en 1774, on relève deux
volumes d’Heures parmi 113 volumes, principalement des ABC et rudiments scolaires, ou
des catéchismes et livres d’offices, estimés moins d’une lt pièce. À quelques lieues de là,
chez Claude Rabel qui tient boutique à Vézelise, le stock présente exactement les mêmes
caractéristiques. On y dénombre sept volumes d’Heures royales, estimés 10 sous pièce.
Ce sont malgré tout les livres qui ont la plus grande valeur marchande avec les psautiers,
en comparaison des livres scolaires et des catéchismes119. L’année suivante, chez la veuve
Kayser à Saint-Avold, en Lorraine germanophone, on observe la même marchandise : deux
livres d’heures à neuf sous pièce au milieu d’un fatras de livres scolaires et de manuels de
piété en français et en allemand120.
En l’espace de deux siècles, ainsi, le monde du livre a érigé le livre d’heures en objet
commercial, caractérisé par un lectorat universel, des parentés camouflées avec le livre de
piété et des possibilités de fabrication et de diffusions plus souples. Cette évolution est
essentielle dans la longue histoire des livres d’heures : elle marque le passage d’un ouvrage
au contenu codifié, malgré de nombreuses variations, à une « marque » relativement
dissociée du contenu.
Il reste à évoquer, en changeant radicalement d’échelle, la diffusion coloniale des
livres d’heures produits à Paris ou en province. La Nouvelle-France étant colonie royale,
le commerce des biens de part et d’autre de l’Atlantique y a été particulièrement régle-
menté, d’autant qu’il n’existe pas d’imprimerie dans ce territoire d’Amérique du Nord
avant le régime anglais. Les Français installés à Québec, Montréal et dans les quelques
postes de traite ont les mêmes besoins en livres que leurs compatriotes des villes et des
champs en France ; les missionnaires apportent avec eux des livres pour leur usage ou
pour la conversion des Indiens. Différentes études sur la consommation de livres ou leur
commerce en Nouvelle-France au tournant des xviie et xviiie siècles montrent à la fois
la dépendance de la colonie à la mère patrie, et la transposition des pratiques spirituelles
outre-Atlantique. Les inventaires après décès des nobles canadiens témoignent de lectures
principalement religieuses. Le livre le plus universellement possédé est le livre d’heures :
Heures de vie, Heures de la Congrégation, Heures à l’usage du diocèse de Paris, Heures
119 T. Volpe, « Lectures lorraines sous l’Ancien Régime : l’exemple du Saintois », Annales de l’Est, 55-1 (2005),
p. 97-117.
120 Ph. Martin, « Libraire et/ou épicier. Le commerce du livre dans les campagnes lorraines vers 1770 », in Église,
Éducation, Lumières… Histoires culturelles de la France (1500-1830). En l’honneur de Jean Quéniart, Rennes, PUR,
1999, p. 119-126.
i m p rimer les heur es : la n aissa nce d’une catég orie éditoria le 1 01
à la Reine, Heures royales, etc.121. Dans les ménages non aristocratiques, un foyer sur trois
possède au moins un livre d’heures, toutefois moins important que les vies des saints122.
Tous ces livres viennent de France et sont débités principalement par des marchands
généralistes. Claude Pauperet, berrichon d’origine, fait le voyage transatlantique une
première fois en 1697, puis revient en 1699 et épouse l’hiver suivant la veuve d’un militaire
établi à Champlain. Sa boutique propose à la clientèle une variété de livres d’heures,
dont une paire garnie d’argent, « six paires [de] grandes heures Royalles », ainsi qu’une
douzaine d’autres Heures royales, la moitié garnie de crochet, l’autre reliée de maroquin
rouge – et deux douzaines d’Heures de la Congrégation. Il faut y ajouter sept exemplaires
de l’Office de la semaine sainte, dont six sont exclusivement en latin et l’autre bilingue, une
Imitation de Jésus-Christ, un exemplaire des Méditations de Joannes Busaeus, une douzaine
d’exemplaires de la Conduite de la confession et de la communion, quatorze exemplaire du
Livre de vie et une autre demi-douzaine d’Heures, cette fois, bilingues, français et latin.
En tout, un peu plus de 75 lt d’imprimés. Un autre inventaire de sa boutique daté de 1703
détaille encore pour environ 60 lt de marchandise, entièrement renouvelée, hormis les
œuvres de François de Sales et de Busée. En trois ans, il a donc liquidé les sept offices
de la semaine sainte, les dix-huit Heures royales, et au moins quatorze Heures de la
congrégation123. Cet exemple prouve l’existence d’un flux régulier de marchandises, et
en conséquence, l’adéquation entre l’offre et la demande. Les marchands généralistes
s’imposent comme des interlocuteurs familiers des colons pour toute transaction. Le
livre d’heures figure dans les arrière-boutiques de 32 fonds de commerce en lot moyen
de 30 exemplaires, de manière extrêmement homogène. Dans treize boutiques, le stock
est inférieur à douze unités, et une seule boutique en offre plus de cent. Nicolas-Gaspard
Boucault, ainsi, possède trente Heures et 24 Heures de la Congrégation124. La mise en
marché est discrète. Chez Nicolas Volant, en 1703, les livres d’heures sont dispersés dans
deux magasins sans logique aucune, au milieu de pierres à dégraisser, de plumes et de
tissu, d’aiguilles, de fromages et de faux.
L’approvisionnement se fait au fil des allers et retours de navires entre les ports
atlantiques français et Québec. Le négociant François Berlinguet adresse en 1749 à son
confrère québécois en route pour l’Europe, Guillaume-Joseph Besançon, une commande
et lui remet à cette occasion une somme de 76 lt 19 s. « pour l’employer en Heures de
vie et de la Congrégation »125. Les institutions locales, comme le Séminaire de Québec
ou les armateurs, ne s’approvisionnent pas auprès des marchands locaux ; ils disposent
de procureurs à Paris. Dans seulement cinq cas, on voit ainsi le séminaire acquérir des
Heures pour les domestiques de la maison, les engagés Pierre Guignard (1674) et Jean de
Loizelière dit Lafleur (1682), ainsi que pour les données Anne Cochon (1721) et Marie
Pot (1731 et 1749), parce que c’est une marchandise ordinaire. Il faut enfin souligner le rôle
121 M. Robert, « Le livre et la lecture dans la noblesse canadienne 1670-1764 », Revue d’histoire de l’Amérique
française, 56-1 (2002), p. 3-27.
122 Fr. Mélançon, Le livre à Québec dans le premier xviiie siècle : la migration d’un objet culturel, thèse de doctorat,
Université de Sherbrooke, 2007, p. 138.
123 Ibid., p. 201-202.
124 Ibid., p. 204.
125 Ibid., p. 194.
102 chapitre 2
des voyageurs et des missionnaires, qui serrent dans leurs effets des Heures. En 1535 déjà,
Jacques Cartier avait laissé aux autochtones d’Hochelaga une bible et un livre d’heures
pour les remercier de leur accueil126. Les marins emportent avec eux quelques livres et
les gardent quand ils s’établissent sur place. Les missionnaires aussi emportent des livres,
de France vers la Nouvelle-France, puis de Québec ou Montréal vers le Haut-Mississippi,
tel Jean-François Forget Duverger, qui fait circuler quinze exemplaires du catéchisme du
diocèse de Sens, trois Journées chrétiennes et des Heures chrétiennes dans la mission des
Tamarois. Quand ils en dépendent, ce sont (au xviiie siècle) les Missions Étrangères de
Paris qui fournissent les livres.
La fin de la présence française en Amérique du Nord ne met pas tout à fait un terme à
cette circulation des Heures sur les deux rives de l’Atlantique. Une certaine francophilie, à
Boston, à New York et à Philadelphie, engendre une demande en livres français, renforcée
par l’émigration aristocratique française après 1791. Les imprimeurs anglo-américains et
français installés à Philadelphie produisent ainsi, entre 1791 et 1800, plusieurs livres d’office
français-latin, dont des livres d’heures et leurs avatars, les Etrennes spirituelles127.
126 Brief récit de la navigation de Jacques Cartier, Paris, P. Roffet, 1545, p. 155.
127 C. Hébert, « French publications in Philadelphia in the age of the French Revolution: a bibliographical essay »,
Pennsylvania History, 58-1 (1991), p. 37-61.
128 P. Lançon, « Livres, libraires et lecteurs en Rouergue au xviie siècle », Revue du Rouergue, 63 (2000), p. 49-76,
ici p. 65.
129 Cl. Marquié, « Bibliothèques carcassonnaises dans la seconde moitié du xviiie siècle », in Des moulins à papier
aux bibliothèques. Le livre dans la France méridionale et dans l’Europe méditerranéenne (xvie-xxe siècles), Montpellier,
CHMC, 2003, t. 2, p. 625-648, ici p. 638.
130 R. Chartier, « Lectures paysannes. La bibliothèque de l’enquête Grégoire », Dix-huitième Siècle, 18 (1986),
p. 45-64.
i m p rimer les heur es : la n aissa nce d’une catég orie éditoria le 1 03
131 I. Renaud-Chamska, « Poétique de la Liturgie des Heures. Notes brèves sur le bréviaire », in M. Bercot et
C. Mayaux (éd.), Poésie et Liturgie (xixe-xxe siècles), Berne, Peter Lang, 2006, p. 177-197.
132 B. Petey-Girard, op. cit.
133 A. Mantero, « Avant-propos », in A. Cullière et A. Mantero, La poésie religieuse et ses lecteurs aux xvie et
xviie siècles, Dijon, EUD, 2005, p. 8.
104 chapitre 2
Mais il n’est pas des vers comme de la prose. Car on est tellement lié par les mesures &
par les rymes, qui sont les chaisnes de nostre poësie, & on est resserré dans des bornes
si estroittes lors qu’il faut traduire quatre vers latins en quatre françois, qu’au lieu que
d’une part je défie tous les Jesuites de trouver la moindre expression considérable quelle
qu’elle soit dans toutes les Heures, que l’on n’ait pas traduite en prose selon le mesme
sens du latin avec une exactitude toute entiere, il faut qu’ils reconnoisent de l’autre, que
quelque exact qu’on ait esté dans la version des Hymnes, il y a neantmoins quelques
expressions & épithètes des vers latins, que l’on n’a pas rendues tousjours, & qu’on n’a
pas creu devoir tousjours rendre dans les vers françois, parce que l’élocution françoise
est plus étendue & enferme moins de sens que la latine, qui est courte & seconde en
sens, & que le Traducteur s’estoit obligé par tout à traduire vers pour vers134.
Ce défi de la versification traverse toute la poésie chrétienne du siècle, accusée de
rimaillerie et ses auteurs, de « poètes tourneurs » par certains jésuites135. La poésie doit
entrer dans le champ des arts divins permettant de s’associer aux mystères du dogme et
de la liturgie.
Ces Heures de Port-Royal ont éveillé l’attention de la critique, mais d’autres recueils
sont mis sur le marché tout au long du siècle, traduisant une demande d’un public
d’« ames penitentes » amateurs de vers136. Chose intéressante, elles émanent toujours d’un
cercle laïc de poètes mondains bien vus en cour. Les Heures du chrestien de Jean Magnon
(1620-1662), historiographe du roi, paraissent en 1654, soit quatre ans après les Heures
de Port-Royal et contiennent des « avis, réflexions & méditations » traduites en vers137.
Ces Heures s’adressent à un lectorat parfaitement habitué à la récitation de l’office divin,
comme le suggère l’auteur dans son avis au lecteur : « je n’ay point mis de table en ces
Heures, parce que l’ordre y est bien observé ». Il propose aussi l’apprentissage par cœur des
principales prières et des répons des offices, ce que la versification doit faciliter. Du même
milieu curial que Magnon, et en recherche d’un même lectorat dévot, Claude Sanguin
(† 1680), conseiller et maître d’hôtel du roi puis du duc d’Orléans, met son art poétique
au service de la traduction versifiée des hymnes et prières pour les vingt principales fêtes
de l’année138. Tristan l’Hermite (1601-1655), d’abord protégé de Gaston d’Orléans, auteur
précieux et baroque, donne à son tour en 1664 sa propre mise en vers des Heures139. La
proximité des dates laisse deviner une forme d’émulation dans le travail versificatoire qui
occupe les milieux mondains, les hymnes et prières de l’office offrant un matériau à la fois
connu de tous et suffisamment riche en sens moral et mystique pour donner aux poètes
un travail d’écriture et d’interprétation assez large. Cette concurrence s’exerce dans un
134 Lettre à une personne de condition. Par laquelle on justifie la Traduction des Hymnes en vers François dans les nouvelles
Heures, contre les reproches injurieux du P. Labbé & d’autres jésuites, qui ont accusé le traducteur d’avoir voulu ôter à
Jésus-Christ la qualité de Rédempteur de tous les hommes, s. l., s.n., 1651, p. 6.
135 Ibid., p. 16.
136 L’office de la glorieuse Vierge Marie. Traduit en vers françois. Pour le contentement de ceux qui ont son honneur en
recommandation. Suivent aussi les psalmes penitentiaux & canoniaux pour l’exercice des ames penitentes, Paris,
M. Henault 1621.
137 J. Magnon, Les Heures du chrestien…, op. cit.
138 Cl. Sanguin, Heures en vers francois. Contenant les CL Pseaumes de David, Paris, Jean de La Caille, 1660.
139 T. L’Hermite, Les Heures dédiées à la Sainte Vierge… contenantes les offices de l’Église pour tous les temps de l’année,
accompagnées de prières, méditations et instructions chrestiennes, tant en vers qu’en prose, Paris, J.-B. Loyson, 1664.
i m p rimer les heur es : la n aissa nce d’une catég orie éditoria le 1 05
milieu confiné, celui de la cour et des grands aristocrates, ce qui n’empêche pas ensuite une
appropriation par des cercles plus larges. La proximité de Corneille (1606-1684), dramaturge
d’extraction robine, avec le pouvoir est moins nette mais son engagement littéraire est plus
grand et il reçoit à partir de 1663 des gratifications royales régulières. Quand il publie en
1670 sa traduction de l’office de la Vierge, il est déjà connu pour celle de l’Imitation de
Jésus-Christ presque vingt ans plus tôt. Comme ses prédécesseurs dans cet exercice, il
dédie son œuvre à la reine, ce qui confirme l’hypothèse d’une mode toute curiale de ces
offices en vers140. Ce public trouve ainsi dans ces recueils et dans les pratiques spirituelles
et sociales qu’ils fondent, une manière de se démarquer du tout-venant éditorial tout en
restant fidèle à la récitation des Heures.
Le recueil de Tristan L’Hermite attire aussi notre attention sur une autre dimension de
cette remondanisation d’un genre fortement popularisé. Il est « enrichi de figures dessinées
par le sieur Stella et gravées par Antoine [pour Abraham] Bosse ». La gravure s’empare des
Heures pour réinterpréter au burin les scènes majeures de la vie de la Vierge et du Christ.
La filiation avec les pratiques anciennes, celles des miniaturistes puis des graveurs sur bois
paraît évidente, mais là encore, l’adjonction de gravures semble répondre à un besoin de
diversifier les produits mis sur le marché en faveur d’un public qui ne se reconnaît plus dans
les Heures les plus couramment vendues chez les libraires. Cette démarche commerciale
est d’ailleurs concomitante de la versification savante à la fin du xvie siècle. Elle ne tient
pas seulement à l’évolution des techniques, du bois vers le cuivre. À Metz, ainsi, Abraham
Fabert (1560-1638) donne en 1599 des Heures de Nostre Dame latin-français à l’usage de
Rome qui font l’objet de deux éditions simultanées, l’une ornée de gravures d’Alexandre
Vallée (v. 1558-v. 1618), l’autre avec une planche sur cuivre de Pierre Woeiriot (1532-1599)
datée de 1596, et des gravures sur bois dans le corps de l’ouvrage141. Il s’agit donc bien de
proposer deux produits différents, à des coûts également différents, pour un lectorat bien
différencié pourvu de sensibilités esthétiques éloignées. À partir de la réforme de Pie V,
qui relance d’édition des Heures dans toute l’Europe, des efforts sont faits pour illustrer
certaines éditions. L’apport le plus original est probablement flamand, et plus précisément
anversois, sous l’égide de Christophe Plantin (1520-1589) qui produit pour Philippe II et
les milieux aristocratiques et curiaux espagnols des Heures illustrées. Plantin fait travailler
des artistes anversois, qui explorent et synthétisent des sources d’inspiration variées :
les bordures parisiennes du siècle précédent, les encadrements à l’italienne, les motifs
naturalistes flamands par exemple. À l’inverse, les Heures publiées par Plantin ont une
grande influence formelle sur les manuels publiés en France : l’Officium beatae Mariae
Virginis produit par Guillaume Merlin en 1573, celui de Jacques Kerver de 1573, celui de
Jean Exertier à Besançon en 1591, par exemple, copient de nombreux éléments graphiques
des Heures anversoises142. Ces influences réciproques confirment qu’après plus de deux
siècles, le livre d’heures, produit européen, est toujours à la recherche de ses caractéristiques
esthétiques et formelles.
140 P. Corneille, L’Office de la sainte Vierge, traduit en françois tant en vers qu’en prose avec les sept pseaumes
pénitentiaux, les vespres et complies du dimanche et tous les hymnes du bréviaire romain, Paris, R. Balard, 1670.
141 P. Chenut, Les éditions des Heures de Nostre Dame imprimées à Metz par Abraham Fabert en 1599, Nancy, 1932.
142 K. L. Bowen, Christopher Plantin’s books of Hours: illustration and production, Nieuwkoop, de Graaf Publishers,
1997.
10 6 chapitre 2
143 M. Grivel, Le commerce de l’estampe à Paris au xviie siècle, Genève, Droz, 1986.
144 Ch.-A. Jombert, Catalogue raisonné de l’œuvre de Sébastien Le Clerc, chevalier romain, dessinateur et graveur du
cabinet du roi, Paris, chez l’Auteur, 1774, t. 1, p. 265-266 (éd. de 1680) et p. 324-326 (éd. de 1683).
145 I. de Conihout et Fr. Gabriel (éd.), Poésie et calligraphie imprimée à Paris au xviie siècle : autour de la Chartreuse
de Pierre Perrin, Paris, Bibliothèque Mazarine, 2004, p. 135.
i m p rimer les heur es : la n aissa nce d’une catég orie éditoria le 1 07
Marie, avec plusieurs prières et oraisons (1661), un Petit office de la sainte Vierge (1670), des
Heures nouvelles dédiées à Madame la Dauphine (1685) et enfin des Heures nouvelles tirées de
la Sainte Écriture achevées par sa fille Élisabeth (1690). Le décor, sobre et élégant, limité à
des stylisations florales et des arabesques, a tout pour plaire à un public mondain (Fig. 2.11).
Ces éléments convergent en faveur d’une appropriation différenciée des Heures
selon la situation sociale du lectorat. Conscients de ce marché, éditeurs, poètes et artistes
multiplient les propositions pour permettre à une communauté de lecteurs mondaine,
urbaine, proche de la cour et de la famille royale, de renouer avec la pratique des Heures,
mais aussi de fonder sur ces recueils des pratiques sociales, intimes ou collectives, d’émotion
artistique et littéraire qui ne s’opposent pas, loin s’en faut, à la pratique liturgique privée
ou publique, elle-même porteuse de sentiments et d’expériences sensibles et affectives146.
De telles publications ne dépassent cependant pas les années 1720. Au fil du xviiie siècle,
les éditions se multiplient sans laisser de place à de telles entreprises littéraires et artistiques
et favorisent plutôt la standardisation d’un « produit ».
*
Jusqu’à la fin du xviie siècle, le modèle médiéval persiste dans la structure et le contenu
des Heures, tandis que l’objet imprimé sous ce nom s’impose dans tous les foyers sous
l’effet d’un effort commercial sans équivalent pour d’autres produits à la même époque.
Mais les usages que les fidèles en font n’ont plus guère de rapport avec ceux des lecteurs du
Moyen Âge et du début du xvie siècle. L’objet reste un bien individuel, mais utilisé dans un
cadre communautaire, celui de la messe. En même temps, une série d’ajouts, comme les
prières du matin et du soir ou l’examen de conscience, réactivent le caractère intime de ces
recueils. Cette dualité est une nouveauté. Elle autorise de nouvelles appropriations, dont
nous n’avons guère de traces. Curieusement, l’échantillon d’Heures que nous avons examiné
ne porte pas de marginalia, à l’inverse des livres de piété souvent enrichis de mentions
146 R. McDonald, E. K. Murphy et E. L. Swann (éd.), Sensing the Sacred in Medieval and early modern Culture,
Londres, Routledge, 2018.
10 8 chapitre 2
manuscrites invasives dans les gardes et les marges147. Si le livre d’Heures est, comme il
le prétend par son contenu, le mentor du catholique, il l’est uniquement par le biais d’un
rituel, qui ne suscite pas de confidences dévotes ou de marques d’individualisation. Pour
une partie de la population, les imprimeurs proposent une gamme d’objets favorisant la
distinction sociale, mais dans une bien moindre mesure que ne le permettaient les recueils
médiévaux. Cette standardisation des Heures connait son point culminant à partir des
années 1740, et plus sûrement encore au siècle suivant, quand le terme n’est plus qu’un
outil générique de désignation d’un produit définitivement émancipé des cadres spirituels
et sociaux de l’Ancien Régime.
147 Ph. Martin, « Marginalia : Lire pieusement une plume à la main aux xviiie-xixe siècles », in Ph. Martin et
L. Châtellier (éd.), L’écriture du croyant, Turnhout, Brepols, 2005, p. 101-111.
Chapitre 3
Pour apprécier la production et la nature exacte des livres d’heures mis sur le marché
après 1730, les sources sont délicates d’utilisation. Celles qui documentent la production
sont très inégales, presque inexistantes avant la Révolution, et au contraire abondantes après,
grâce au dépôt légal, de plus en plus efficace au xixe siècle. En outre, la règlementation sur
le livre est transformée en profondeur à partir de la Révolution et la fin des corporations
facilite la mise sous la presse de livres d’heures dans un contexte concurrentiel désormais
non régulé. Il reste évidemment la consultation des livres d’heures, mais l’ampleur de la
production n’autorise que des sondages. La chronologie, par ailleurs, est complexe. La
ligne continue que nous suggérons entre le règne de Louis XV et la Troisième république
est bien évidemment artificielle à certains égards : le fidèle de 1740 n’est pas celui de 1840,
ni celui de 1900. Il faut faire la part entre les continuités et les changements entre l’Ancien
Régime et le catholicisme du xixe siècle. Toute une historiographie a souligné ce que
le xixe siècle emprunte spirituellement à l’âge classique1 et ces emprunts expliquent
sans doute que l’Église ait pu se remettre en deux ou trois décennies de la Révolution.
Mais après la Révolution et l’Empire, les temps ont aussi changé. La pratique liturgique
s’est émancipée des codifications en l’absence de prêtres ; les pratiques hétérodoxes et
superstitieuses, tenues à distance par le clergé tout au long du xviiie siècle, ont regagné
du terrain ; enfin, les grilles d’interprétation de l’ordre politique et social à partir d’une
théologie du pouvoir qui a duré plusieurs siècles sont définitivement caduques2. Le
renouveau catholique du xixe siècle est tout à la fois local et romain ; il est le fait des
structures paroissiales rénovées, du retour progressif des ordres religieux à proximité des
communautés d’habitants, des missions rurales et urbaines et de la fascination qu’exerce
le modèle romain. Pourtant, le livre d’heures d’après 1730 reste fidèle à lui-même pendant
plus d’un siècle et demi. On s’interrogera donc ici sur cette continuité et sur les usages
permis par des livres d’heures en perpétuelle mutation.
Essai de quantification
1 Cl. Savart, Les catholiques en France au xixe siècle. Le témoignage du livre religieux, Paris, Beauchesne, 1985,
p. 519-540.
2 J. Le Goff et R. Rémond (éd.), Histoire de la France religieuse. Du Roi Très-Chrétien à la laïcité républicaine (xviiie
et xixe siècles), Paris, Seuil, 1991, p. 415-452.
110 chapitre 3
imprimeurs sur dix années importantes, celles qui suivent la réforme de la règlementation
du livre de 1777. Celle-ci institue la permission simple, qui dispense les imprimeurs du
cachet du grand sceau et permet de republier un ouvrage qui n’est pas, ou plus, protégé par
un privilège, tels « les livres classiques & usuels comme les auteurs grecs ou latin, sacrés
ou profanes, dont les ouvrages étoient connus avant l’invention de l’imprimerie ; & les
ouvrages de dévotion intitulés : Imitatio Christi, la Journée du chrétien, les Sages entretiens,
l’Ange Conducteur, les Cantiques de l’âme dévote, &c, &c, &c »3. La permission est valable
trois ans et l’imprimeur ne peut en faire usage que dans sa ville d’exercice. Cette réforme est
le point d’aboutissement de la généralisation des permissions tacites, largement multipliées
au milieu du xviiie siècle. Les officines provinciales ont particulièrement tiré bénéfice de
cette nouvelle situation, même si l’on doit soupçonner cette source4 de ne pas refléter avec
exactitude les agissements de la profession – l’absence des hommes du livre lyonnais pose en
effet question. Les registres dénombrent 1780 demandes entre 1777 et 1789, dont seulement
55 émanent d’ateliers parisiens. Ils permettent de quantifier une frange de la production et
donc d’opérer des comparaisons régionales. Le nombre de permissions demandées pour
des livres profanes (52,5%) et des livres religieux (47,5%) est presque équivalent, mais les
tirages, que les imprimeurs doivent signaler au moment de la demande, sont nettement
plus importants pour les livres religieux (67,5%) que pour les ouvrages profanes.
Les Heures représentent 14% des demandes et 279 300 exemplaires au moins mis sur le
marché en 13 ans, étant entendu que les demandeurs pouvaient sans vergogne augmenter
le tirage au moment de l’impression, ce qui resterait invérifiable aux yeux du pouvoir royal.
Le tirage moyen d’un livre d’heures, d’après cette source, est alors de 2387 exemplaires,
ce qui est un peu supérieur à la moyenne des livres de piété (1939 exemplaires). Quelques
entreprises audacieuses dépassent les 5000 exemplaires. Monnoyer, à Neufchâteau dans
les Vosges, demande le 22 juillet 1782 une permission pour des « Heures de cour » in-32
dont il prévoit un tirage de 5000 exemplaires ; la même année, le 4 juillet, Huart à Dinan
(Bretagne) songe à un tirage de 8000 exemplaires pour des « Heures de Notre-Dame à
l’usage de Rennes » in-16o. Ces chiffres indiquent une faible prise de risque : l’impression
de livres d’heures est une affaire nécessairement rentable.
La chronologie des demandes (Doc. 3.1) ne met en évidence aucune tendance à la hausse
ou à la baisse, mais plutôt une grande stabilité, les années où les permissions d’imprimer
des Heures sont moins nombreuses étant immédiatement compensées l’année suivante par
des demandes accrues. Ce rythme traduit vraisemblablement celui du délai pour écouler un
tirage. Des imprimeurs lorrains, et parmi eux vosgiens émanent 80% des demandes. Si les
presses nancéiennes, traditionnellement actives depuis le début du xviiie siècle, émettent
25 demandes en treize ans, depuis les ateliers de Lamort, Haener, Barbier et Leseur, les
officines vosgiennes sont encore plus entreprenantes. La veuve Vivot à Bruyère, redoutable
femme d’affaires5, cumule 18 demandes de permission : le quart de ses demandes concerne
Document 3.1 : Demandes et estimation des tirages pour la réédition d’Heures d’après le registre des
permissions simples (1779-1789)
des Heures et elles ont lieu, en effet, une année sur deux. À Neufchâteau, les Monnoyer
agissent de la même manière. À Épinal, Vautrin et Bugeard exploitent aussi ce marché.
Les autres régions sont très peu représentées, les demandes émanant de Normandie et
de Bretagne principalement. Cette géographie confirme et souligne tout à la fois la place
essentielle de la Lorraine, même et surtout après son rattachement à la France, dans
l’édition religieuse, pour un public sans doute local mais plus encore éloigné. Marchands,
voituriers et colporteurs permettent en effet d’étendre ce commerce au marché extérieur à
la Lorraine, en particulier en direction de la toute proche Franche-Comté mal pourvue en
presses et en imprimeurs6. L’inventaire après décès d’Anselme Dumoulin, d’Épinal, nous
apprend qu’il est en relations avec le libraire Fantel de Besançon7. François Monnoyer, lui,
s’est attaché une clientèle langroise, par le biais d’un accord avec le libraire Pierre Héron,
à qui il vend, entre 1761 et 1774, 19 256 volumes, presque tous livres de piété.
L’abandon du système des privilèges en 1789, et le rétablissement de la censure dès le
Consulat ne change rien à cet état de fait. Les Heures restent le filon traditionnel d’une
économie du livre qui recycle les principaux succès religieux d’avant la Révolution. Suite
au décret du 5 février 1810, le dépôt en préfecture est rendu obligatoire et des registres sont
tenus dans chaque département, mentionnant le nom de l’éditeur, le titre, le tirage, le format,
les dates de la procédure légale et le temps nécessaire à l’impression. Les délais sont très
rapides. Entre la demande d’impression et le dépôt des cinq exemplaires réglementaires
contre le « certificat » qui met en règle l’éditeur, il s’écoule seulement trois à quatre mois. La
situation des Vosges permet de mesurer la continuité des pratiques entre l’Ancien Régime
et l’Empire puis la Restauration8. La firme la plus active dans cette région est sans aucun
6 M. Vernus, « La diffusion du livre en Franche-Comté sous l’Ancien Régime », in F. Barbier et al. (éd.), Réseaux
et pratiques du négoce de la librairie xvie-xixe siècles, Paris, Klincksieck, 1996, p. 173-190.
7 A. Ronsin, « Imprimeurs et libraires à Épinal », op. cit.
8 Épinal, A.D. Vosges, 8 T 11. Cette source a été exploitée par Ph. Martin, « Une piété bleue : le livre de colportage
de Pellerin et la religion (1810-1828) », Revue française d’histoire du livre, 133 (2012), t. 133, p. 167-198.
112 chapitre 3
doute celle de la famille Pellerin à Épinal. Outre pour les images auxquelles ce nom est
associé, Jean-Charles Pellerin dépose 236 demandes de publication auprès de la préfecture
entre 1810 et 1828. Plus d’un tiers (41%) de ces titres relèvent de la religion et évoquent
des publications choisies parmi les textes hagiographiques, catéchétiques et spirituels de
l’âge moderne. Pellerin ne fait qu’élargir une démarche commerciale qui fait ses preuves,
au même moment, avec les textes les plus célèbres de la bibliothèque bleue qu’il republie
alors. Les Heures comptent dans cette stratégie : il formule quatre demandes, en 1810, 1822,
1826 et 1828, pour des « Heures nouvelles », avec un tirage moyen de 3750 exemplaires, ce
qui est supérieur à celui de l’ensemble des livres religieux qu’il publie, mais inférieur à celui
des Étrennes spirituelles (11958 exemplaires), dont le contenu est extrêmement proche des
Heures. Le cas de Pellerin montre à la fois la permanence d’une littérature dévote d’un
siècle à l’autre, et le remplacement progressif des livres d’heures par d’autres recueils,
inflexion essentielle du genre après les années 1820-1830.
À partir des années 1810, on dispose d’une source plus universelle : le dépôt légal, dont
rendent compte les notices catalographiques produites par la BnF. Une extraction des
livres d’heures fait apparaître 1358 éditions différentes entre 1801 et 1897. Ce chiffre est
considérable. Même s’il est peut-être exagéré, les retirages étant probablement nombreux
dans ce décompte, il se publie en moyenne 15 éditions de livres d’heures par an en France
au xixe siècle. Ce chiffre affirme la popularité et le caractère indispensable d’un manuel
qui emprunte au Moyen Âge son titre, et beaucoup moins son contenu.
Au lendemain de la Révolution, les éditions des Heures connaissent une reprise progressive
(Fig. 3.1), qui commence véritablement sous la Restauration, signalant le désir, partagé par
l’épiscopat et les fidèles, de renouer avec les traditions séculaires du catholicisme. Le livre
d’heures participe en somme de la reconstruction religieuse d’autant plus sûrement que
d’une part il réactive des attitudes de prière que les générations nées avant les troubles n’ont
pas abandonnées et qu’il permet d’autre part de donner à ceux que les événements politiques
ont tenu éloignés de l’initiation catholique élémentaire les rudiments de la foi et du culte.
La production est ensuite forte pendant tout le siècle. La courbe est conforme à
d’autres chronologies significatives : celle de la production de livres de piété9, celle du
redéploiement d’une pastorale de l’encadrement, celle enfin de la codification des rites
qui provoque de violents débats, entre particularisme local et centralité romaine10. Cette
période d’expérimentations, de mises en ordre, d’argumentations face à l’anticléricalisme en
train de s’institutionnaliser s’avère donc favorable à la prière des Heures, repère commode
et universel d’un catholicisme de bon aloi.
La production connaît ensuite une régression rapide après le Second Empire, c’est-à-
dire dès lors que le rite romain de la messe finit par s’imposer en France, que les paroisses
traditionnelles éclatent avec l’essor urbain, enfin et peut-être surtout, que la révolution
sociale provoque une lente déchristianisation. Les liens entre ces phénomènes apparaissent
plus clairement si l’on tient compte, comme on le verra plus loin, du contenu des Heures,
qui n’ont plus qu’un très lointain rapport avec celles des ateliers d’enluminure parisiens, de
Vostre ou même de l’âge classique. Dans la poursuite d’une évolution amorcée au xviie siècle
9 Ph. Martin, Une religion des livres (1640-1850), Paris, Ed. du Cerf, 2003.
10 V. Petit, Église et nation : la question liturgique en France au xixe siècle, Rennes, PUR, 2010.
ver s 1730 – vers 1900 : des heures au pa roissien 113
Figure 3.1 : Répartition chronologique des éditions des Heures au xixe siècle. Source : Catalogue général
de la BnF.
Figure 3.2 : Répartition
des éditions de livres
d’heures par format
(1730-1900).
Aubanel, fondée en 1744 par Antoine (1724-1804) qui travaille pour le pape et l’archevêque,
est reprise par son fils, Laurent (1784-1854) qui joint à l’impression l’activité de libraire et de
fondeur de caractères. Il se spécialise dans l’édition religieuse. La maison Aubanel donne des
Heures en 1823, 1852, 1853, 1868, 1873, 1882, 1884. Il faut faire une place, enfin, aux trois grands
centres qui, lentement, s’imposent : Lyon (425 éditions, principalement pour le diocèse),
Paris (151) et Limoges (112). Avant 1840, ces trois villes cumulent 32% de la production,
après 1870 elles pèsent pour 70% de la production. Cette concentration est caractéristique
de l’édition religieuse11. On voit nettement s’affirmer les maisons d’édition qui sont celles
du monde catholique : Mame, Poussielgue, Barbou, Périsse… La plus puissante maison
est Pélagaud (Lyon et Paris) qui, sous ses différentes déclinaisons (Pélagaud & Lesne ou
Pélagaud & Roblot) réalise 12,5% des éditions. Hors du champ des Heures, déjà gigantesque,
cette firme s’impose comme une des plus puissantes maisons de France, la troisième en 1856
avec 105 titres annuels12. Pour autant, ce classement est un peu surprenant car dans l’édition
religieuse du xixe siècle, Lyon occupe la deuxième place derrière Paris et avant Limoges. La
ville se spécialise donc dans le livre d’heures, en particulier au temps où Mgr Bonald, artisan
d’un compromis liturgique avec Rome pour préserver le rite lyonnais de la standardisation
romaine, multiplie les chantiers éditoriaux visant à valoriser le rite « romano-lyonnais »13.
L’ouvrage qui est mis sur le marché est extrêmement homogène matériellement. Il s’agit
d’ouvrages de petit voire de très petit format, comme on les produisait aux deux siècles
précédents (Fig. 3.2). Le choix de ces formats, rapporté à l’ampleur des textes à publier,
engendre de forts volumes, de 430 pages en moyenne mais pouvant parfois compter
jusqu’à 700 pages ou davantage encore. Les Heures royales dédiées à Reine publiées par De
Hansy à Paris en 1780 comptent 563 pages ; les Heures de Noyon latin français publiées à
Saint-Quentin, chez Moureau, en 1844, 1115 pages ; les Heures nouvelles à l’usage de Paris et
de Rome préparées par l’abbé Dassance (1801-1858) et publiées par Curmer en 1841, 800
pages. Cela tient aussi à des choix de mise en page singuliers : les Heures choisies contenant
les prières durant la Sainte Messe… (Tours, A. Mame et Cie, 1863), ne comptent que 15
lignes par page d’un format in-18 et la typographie est particulièrement grosse. Le tout
forme 720 pages. Cette tendance nette à l’amplification a accouché de livres maniables
mais très denses, à l’usage d’un public capable de se repérer dans ces prières touffues. Il
faut s’imaginer de petits et épais recueils d’une facture très sommaire, à la typographie
ordinaire, voire grossière. Les observateurs du temps le déplorent :
A l’exception d’un très petit nombre qui sont revus avec soin dans quelques diocèses,
c’est un fait malheureux, mais reconnu depuis long-temps, que les livres d’usage, et en
général les livres de piété sont exécutés d’une manière pitoyable. C’est un fait si bien
senti, que depuis quelques années plusieurs maisons s’étoient mises en évidence, bien
résolues de faire mieux. Mais l’amélioration qu’elles y ont apportée est un peu plus
sensible, et voilà tout. Rien, ou presque rien, on peut le dire intrinsèquement parlant,
n’est changé dans la fabrication de ce genre de livres […]. Non, rien dans les livres
usuels que répand parmi les fidèles la religion prêchée par les apôtres, ne rappelle
aujourd’hui ni l’humble grandeur du sentiment religieux, ni la sublimité de cette divine
et merveilleuse synthèse chrétienne, qui embrasse l’infini et relie le ciel à la terre. Point
de physionomie particulière, point de couleur locale, de cachet caractéristique qui élève
entre cette grande famille de petits livres saints et les autres familles de livres profanes,
une ligne de démarcation plus ou moins marquée […] Non seulement on a peine à
distinguer un livre d’heures ou de prières d’un livre de littérature ou d’histoire, et souvent
même d’un misérable conte bleu ; mais plus que tout autre encore, ils fourmillent de
fautes d’impression, d’orthographe et de langage ; plus qu’en aucun autre surtout on
y trouve toutes les parties du texte en proie à une multitude d’erreurs grossières et
d’omissions coupables. On diroit, à les feuilleter, qu’éditeur, imprimeur et correcteur
se sont donné la main ; et que cette trinité bibliopolique, au règne d’un jour, s’est élevée
contre la Trinité dont le règne est éternel, en stygmatisant de ses honteuses macules
les monumens liturgiques élevés à la gloire de Dieu, en ne faisant de toutes les feuilles
d’un livre d’usage, rien autre chose qu’un hideux faisceau d’inepties14.
L’auteur anonyme de cette note amère critique ensuite la composition des pages et
l’ajout de lettrines aussi alambiquées qu’inutiles.
Sur la définition même de l’objet, les auteurs du temps s’accordent à rester vagues.
Avant même 1730, le P. Le Bossu, en tête des Heures royales, le décrit comme un « livre
de prières chrétiennes »15. Autour d’une « colonne vertébrale » qui n’est plus qu’un
prétexte à appeler le livre du nom d’Heures, ces recueils connaissent une transformation
essentielle, qui les apparente de plus en plus à un succédané de livre de piété généraliste
Le seul fil conducteur, depuis la fin du xive siècle, tient dans le rapport au temps, que ce
manuel doit exprimer et expliquer. Tous les livres d’heures, au xixe siècle encore, fournissent
des calendriers et des explications des recoupements entre temps astronomique et temps
liturgique. Les Heures paroissiales romaines imprimées à Belfort en 1849 contiennent une
explication de l’année qui est divisée en « 12 mois ou 52 semaines, ce qui fait 365 jours et
environ 6 heures », suivie d’une table des fêtes mobiles, d’une méthode de calcul de la
date de Pâques, et d’un tableau de l’épacte. Le calendrier des saints est donné pour tous
les jours de l’année.
Après ces traditionnelles explications qui assimilent le livre d’heures à une sorte
d’almanach ou d’éphéméride, le corpus des prières s’avère très changeant, à la fois chrono-
logiquement, rapporté à la période précédente, et transversalement. Tous les titres usent
du terme Heures mais la diversité est grande. Les Petites Heures à la Reine Blanche publiées
en 183716 constituent un exemple à la fois aléatoire et symptomatique de cette diversité. Ce
livre d’heures témoigne à la fois de continuités et de changements par rapport à la période
précédente. Quatre thèmes traditionnels restent importants : la messe (12% des pages),
d’abord, pour laquelle le livre propose un accompagnement pour toutes les séquences
du rite avec des prières adéquates, plutôt qu’une traduction-explication qui ne viendra
que bien plus tard dans le siècle. Ensuite, le temps quotidien du fidèle est scandé par des
prières (7,5%) : les litanies du Nom de Jésus le matin sont associées aux prières du lever et
de la consécration de la journée à Dieu ; elles clôturent le cycle de l’oraison dominicale,
salutation angélique, symbole des Apôtres, confession des péchés, invocation de la Vierge,
de l’ange gardien et du saint patron qui ritualisent le début de la journée17. Les prières du
soir sont liées aux litanies de la Vierge ; il est suggéré, à ce moment de la journée, de prier
en famille18. En troisième lieu, le temps est annuel : il exprime la succession des jours et
des semaines, avec des prières pour chaque jour de la semaine (ainsi, le mardi est le jour
de la dévotion à l’ange gardien), des hymnes et des proses pour tous les jours de l’année
(25%). La Fête-Dieu y occupe une place particulière. Enfin, ce livre d’heures, comme bien
d’autres, entretient le sentiment du péché et de la pénitence, en rappelant l’importance de
l’examen de conscience et de la confession (10%). On retrouve encore, comme au Moyen
Âge, les sept psaumes de la pénitence19.
En retrait des permanences, d’autres thèmes traditionnels des Heures tendent à s’effacer.
La figure mariale, à qui les Heures doivent leur succès originel, semble désormais réduite
à une convention dévote, ce qui ne manque pas de surprendre au grand siècle marial qui
a vu apparitions et pèlerinages se multiplier. C’est que la dévotion mariale est désormais
ailleurs, dans des recueils de prières spécialisés, des manuels de pèlerins et des livres de
16 Petites Heures à la Reine Blanche à l’usage de tous les fidèles, Dôle, Prudont, s. d. [1837].
17 Ibid., p. 11-20.
18 Ibid., p. 21-29.
19 Ibid., p. 77-96.
ver s 1730 – vers 1900 : des heures au pa roissien 117
cantiques. Les exercices qui la concernent sont dénaturés par des dévotions annexes ;
ainsi, au chapitre du rosaire, on trouve aussi une neuvaine à saint François-Xavier. Le
livre se finit par les hymnes et proses pour les fêtes de la Vierge (Conception, Purification,
Annonciation, Assomption, Nativité), en lieu et place de l’office particulier aux huit heures
canoniales. Ces Heures, malgré l’évocation médiévale de la « reine Blanche », n’ont plus
aucun lien avec le recueil du xve siècle.
À l’autre extrémité de la période, les Heures à l’usage du diocèse de Lyon publiées en
189720 rendent particulièrement visible l’évolution qui affecte ces livres d’heures. La part des
offices collectifs envahit littéralement le recueil : fêtes du temps et des saints représentent
les quatre cinquièmes du volume, l’assimilant définitivement au Paroissien, ce manuel né
au xviiie siècle pour stimuler la participation des fidèles aux temps liturgiques collectifs.
Le livre d’heures devient donc de plus en plus nettement le compagnon de la prière
collective lors des offices. À ce titre, une autre évolution fondamentale du contenu des
Heures est la présence grandissante des vêpres dominicales, qui deviennent la strate
commune de tous les recueils publiés sous ce titre en lieu et place de l’office de la Vierge.
Dès le xviie siècle, les vêpres en latin entrent dans le livre d’heures, et bientôt les mêmes
textes en français. En effet, les vêpres dominicales et celles des fêtes solennelles sont
vraisemblablement le seul lieu habituel de pratique de l’office divin après Trente. La messe
devient le pivot du culte, reléguant progressivement la liturgie des Heures pratiquée par
les fidèles dans l’ordre des pratiques marginales. Tout y concourait : insistance des évêques
et des curés à l’accomplissement du devoir dominical, stabilité des prières, décorum. Les
vêpres constitueraient la dernière survivance de la liturgie des Heures dans les pratiques
laïques, mais au prix de leur transformation en prière collective et souvent chantée21.
L’auteur des Heures paroissiales publiées à Paris en 1726 expose : « Ce dernier volume des
Heures paroissiales contient les Offices de l’Après-midi, & on a tâché de n’y rien omettre
de ce que peuvent souhaiter ceux qui aiment à faire en publique (sic) ou en particulier les
mêmes prières que l’Église, & qui regardent l’assistance à ses offices comme une partie
essentielle de la piété chrétienne »22. Les offices du milieu de journée sont de moins en
moins développés, voire absents des recueils, alors que ceux du matin et ceux de none,
vêpres et complies sont systématiquement présents, sans doute pour s’adapter aux obli-
gations domestiques et professionnelles des fidèles. On voit ainsi dans les Heures à l’usage
de la chapelle et paroisse du Roy (1750) un effort de relancer la piété en faisant l’économie
d’offices qui sont de toutes façons négligés, en ne conservant que ceux qui font écho aux
préparations spirituelles du matin et du soir. L’office de la Vierge en est totalement absent,
mais les vêpres occupent l’essentiel du volume, selon les dimanches, les fêtes du propre
du temps ou celles du propre des saints23.
20 Heures à l’usage du diocèse de Lyon, selon le rit romano-Lyonnais, Lyon, librairie E. Vitte, 1897.
21 A. Join-Lambert, « Du livre d’heures médiéval au Paroissien du xxe siècle », Revue d’histoire ecclésiastique, 101
(2006), p. 618-655.
22 Heures paroissiales qui contiennent l’office de l’après-midi pour toute l’année à l’usage des laïques, Paris, J. Desaint, 1726,
Avertissement, n.p.
23 Heures à l’usage de la chapelle et paroisse du Roy, contenant les prières qui s’y disent le matin, le soir, & au salut. Avec les
prières de la Messe, les Psaumes de la Pénitences, & les Vêpres des principales fêtes de l’année, selon les usages de Rome et
de Paris, Paris, J.-Fr. Collombat, 1750.
118 chapitre 3
Arguments de vente
24 P. Seigeot, Heures paroissiales romaines à l’usage de tous les fidèles, Belfort, Librairie Pélot, 1849, p. 105.
25 L. H. Hoek, La marque du titre : dispositifs sémiotiques d’une pratique textuelle, Berlin, Walter de Gruyter, 2011,
p. xii.
ver s 1730 – vers 1900 : des heures au pa roissien 119
Intitulation % du corpus
… de cour / royales 7%
… romaines 6%
… universelles 4%
… diocésaines 46%
… paroissiales 12%
… des écoles 16%
… des confréries 9%
L’argument est purement commercial et ne se vérifie pas dans le contenu : les Heures en
question sont le plus souvent des rééditions avec des changements mineurs, voire inexistants.
D’autres qualificatifs permettent aussi de démarquer un produit de l’ensemble du
marché (Doc. 3.2). Jusqu’aux années 1830, le motif monarchique, évoqué par les « Heures
de Cour »26 ou les « Heures royales »27, ou encore les manuels dédicacés dans le titre, est
encore très présent. Heures dédiées à la duchesse d’Angoulême28, à Monseigneur le duc
d’Anjou29, à la duchesse de Berry30, à la Dauphine31, à la Reine32… de tels titres évoquent des
liens avec la famille royale, sans reprendre obligatoirement le contenu des manuels publiés
sous le même titre au xviiie siècle. L’aspect très conservateur de ces ouvrages est manifeste
dans le Journal chrétien ou heures nouvelles, où l’on a joint le testament de Louis XVI33. Ils
disparaissent après la Restauration, marquant ainsi la fin de l’espoir d’effacer l’épisode
révolutionnaire. Tout aussi anachroniques et marginaux sont les recueils qui assimilent
le livre d’heures au journalier, selon une confusion déjà entretenue sous l’Ancien Régime
et qui s’éteint, là encore, avant 183034.
Les éditeurs, renonçant donc à ces procédés de vente, proposent d’autres subterfuges.
Ils tentent, d’abord, de viser un public particulier en adressant les Heures, dès la page de
titre, à un lectorat auquel on prête des besoins particuliers (7,5% du corpus). Les Heures
complètes du prisonnier (Lyon, Guyot frères, 1853) sont dues à l’abbé Jean-Pierre Jouvent
qui veut produire un « recueil d’instructions, de prières, de maximes, de pratiques pieuses,
de cantiques les plus adaptés aux besoins des condamnés ». Les soldats constituent une
catégorie visée de part et d’autre de la Révolution par les éditeurs d’Heures et à ce titre,
révélatrice de cette nouvelle approche éditoriale. Des Heures à l’usage des soldats sont
publiées en 177635. Le livre compte 235 pages, ce qui est assez peu pour un livre d’Heures,
26 Par exemple : Heures de Cour, dédiées à la Noblesse. Nouvelle édition, Le Puy, J. B. La Combe, 1814.
27 Par exemple : Heures Royales. Contenant les Offices qui se disent a l’église…, Saint-Dié, Trotot, 1825.
28 Heures dédiées à Madame, Duchesse d’Angoulême, Paris, Le Fuel, 1814.
29 Heures françaises, dédiées à Monseigneur le Duc d’Anjou. Nouvelle édition, Rodez, Carrère, 1814.
30 Heures dédiées à son Altesse Royale Madame la Duchesse de Berry, Besançon, Outhenin-Chalandre, 1828.
31 Heures nouvelles dédiées à la Dauphine, Saint-Dié, Trotot, 1817.
32 Heures latines et françaises, dédiées à la Reine…, Lyon, Lambert-Gentot, 1824.
33 Journal chrétien ou heures nouvelles, Lyon, Savy, 1816, p. 639-644.
34 Par exemple : chez Perisse frères à Lyon en 1810 ; Lambert-Gontot à Lyon en 1823 ; Juguet-Busseuil à Nantes en
1826.
35 Heures et instructions chrétiennes à l’usage des gens de guerre, Strasbourg, J.-Fr. Le Roux, 1776, p. 76-77.
12 0 chapitre 3
mais qui procède de l’idée qu’un soldat ne peut lire quotidiennement des livres très épais. Le
tiers du texte est spécifique aux gens de guerre et repose sur une série de correspondances
avec des figures militaires de sainteté. Pour plus de commodité, le texte est structuré en
questions / réponses, sur le modèle du catéchisme, genre dont tout un chacun, à la fin du
xviiie siècle, est censé être familier. Les instructions énoncent aussi les devoirs propres
à cette profession. Les obligations de l’officier et celles du simple soldat sont dissociées.
Suivent enfin des conseils qui répondent aux critiques du siècle contre la religion. Les
soldats doivent s’affirmer chrétiens dans leur troupe, même face aux sceptiques36. L’usage
réel de ce recueil pose question. Qui l’a véritablement lu ? Les officiers ? Les aumôniers
chargés d’encadrer les troupes ? Ne s’agit-il pas aussi d’une entreprise de promotion d’un
idéal militaire dans l’opinion ? Quatre-vingts ans plus tard, les Heures du soldat données par
l’abbé Faivre et approuvées par les archevêques de Lyon, Besançon et Bordeaux insistent
à leur tour sur la spécificité du métier de soldat37. Dans son approbation, Mgr Matthieu
(1796-1875), archevêque de Besançon, écrit que le métier des armes est un rude métier ;
« c’était donc une chose grandement utile de leur apprendre à le faire chrétiennement »38.
Le manuel est divisé en 24 « heures » (en réalité des chapitres sans lien avec le temps),
dans lesquelles on retrouve les parties traditionnelles : prières du matin et du soir ; messe ;
explication du Symbole… Il ne s’agit donc pas stricto sensu d’un livre d’heures, mais plutôt
d’un manuel de piété, mais l’appeler « Heures », alors que toute une littérature à l’usage
des soldats est déjà disponible sur le marché, permet d’identifier ce manuel au milieu des
autres, et d’attirer le lecteur.
Hormis ces publics spécifiques, ce sont le plus souvent les femmes ou des membres
de congrégations régulières ou laïques qui sont visés par ces pages de titre, c’est-à-dire des
publics catholiques captifs. Dans ce procédé, il faut toutefois distinguer les enfants, pour
lesquels une part importante des manuels titrés « Heures » sont publiés (16%). Ces manuels,
inexistants avant la Révolution, apparaissent dans les premières années du xixe siècle,
avec les Nouvelles heures à l’usage des enfans (Paris, Maradan, 1801). Ils recèlent des textes
éducatifs pour les mères et les instituteurs, des prières pour le premier âge, des prières
pour les enfants en âge de communier, vers 7 ou 8 ans, l’ordinaire de la messe, un examen
de conscience approprié au jeune âge, prenant en compte par exemple la négligence, la
dissipation au catéchisme, l’impolitesse, les caprices39 ; enfin des méditations formulées à
la première personne du singulier, pour mieux impliquer l’enfant dans l’apprentissage. Ils
tentent de se substituer au catéchisme, comme l’indiquent les titres qui contiennent, dans
10% des cas, le terme « instruction ». On relève dans le corpus une trentaine d’éditions
des Heures à l’usage d’institutions éducatives ciblées : les élèves de l’institut des Frères
de l’Instruction chrétienne fondé en 1819 par Jean-Marie de La Mennais (1780-1860),
vicaire général du diocèse de Saint-Brieuc et actif dans la restauration du catholicisme, et
les Écoles chrétiennes lassalliennes. D’autres livres d’heures visent le lectorat du collège,
sinon comme instruments d’enseignement, au moins comme manuel de piété requis dans
les groupements confraternels des institutions scolaires : entre 1822 et 1878, soit avec une
36 Ibid., p. 137-142.
37 Les heures du soldat, Lyon, Bauchu, 1854, p. xiii.
38 Ibid., p. xix-xx.
39 Nouvelles heures à l’usage des enfans…, Paris, Maradan, 1801, p. 147-154.
ver s 1730 – vers 1900 : des heures au pa roissien 1 21
Document 3.3 : Parentés soulignées dans les pages de titre des livres d’heures avec d’autres genres
liturgiques
Intitulation % du corpus
Référence à des offices 37%
Référence à des exercices particuliers 21%
Référence à un recueil de prières 16,5%
Référence au paroissien 10,5%
Référence à un manuel de piété 7,5%
Référence au psautier 3,5%
Référence au bréviaire 2%
Référence au missel 2%
belle constance, sont diffusées depuis Lyon des Heures à l’usage des Congrégations de la
Sainte Vierge, érigées dans les Collèges, rééditions qui se justifient par l’arrivée annuelle de
nouveaux collégiens qu’il faut munir de ce recueil.
La tendance à préciser le contenu des Heures sur la page de titre va croissant au cours
du siècle : si 61% des éditions le font tout au long du siècle, cette proportion s’élève à 84%
après 1860 ; ainsi, au moment où la production de manuels sous ce titre va décroître, les
éditeurs jugent nécessaire de clarifier le contenu de ce produit « mélangé », qui cultive
les parentés avec des genres liturgiques et paraliturgiques proches (Doc. 3.3). Cela signifie
aussi que le terme « Heures » n’est plus vraiment lisible pour le public et qu’il convient
de le charger de sens nouveaux pour en renouveler l’efficacité commerciale, alors que
d’autres livres concurrencent ce produit dans les librairies.
Il s’agit tout d’abord de produire des manuels complets et mobilisables en toutes
circonstances. C’est ce qu’affirment 7,5% des pages de titres. Dès 1822, les Heures à l’usage
du diocèse de Lyon imprimées par Bohaire dans la capitale des Gaules précisent :
édition complète, et augmentée des Prières pour une Messe Basse (en plus gros carac-
tères) ; des Offices de S. Louis et de S. Vincent de Paul ; des Messes de la Ste. Vierge ;
des Litanies de l’Enfant Jésus ; des Sept Psaumes de la Pénitence, en français ; du
Testament de Louis XVI ; de la Lettre de Marie-Antoinette ; de la Prière de Madame
Élisabeth ; des Neuf Indulgences plénières, perpétuelles ; Indulgence en visitant l’église
de Fourvières (sic) ; etc.
Le livre d’heures se réclame donc de l’immense univers des livres de piété qui, à partir
du xviiie siècle, entend devenir un manuel de formation unique pour le croyant. Même dans
les communautés où le recours à plusieurs livres au fil de la journée est chose habituelle,
par exemple dans les communautés religieuses, il paraît opportun de réunir dans un seul
volume « presque tout ce qu’on peut souhaiter & qu’on ne trouve que dispersé dans plusieurs
autres »40, peut-on lire au seuil des Heures destinées aux religieuses de la Compagnie de
Notre-Dame, ordre enseignant fondé par Jeanne de Lestonnac en 1607. Conçu pour les
40 Heures nouvelles à l’usage des religieuses de la Compagnie de Notre-Dame, Clermont-Ferrand, Pierre Viallanes, 1747
(rééd.), p. viii.
12 2 chapitre 3
novices qu’il doit accompagner durant les douze années précédant l’accession au statut
de Mère, ce volume rassemble des exercices comme l’examen de conscience, les jeûnes et
pénitences de chaque semaine, la prière avant la lecture ; l’office conforme au bréviaire ;
l’office de la Vierge et un digest de pieuses lectures.
Mais les Heures présentent aussi cette différence avec les livres de piété, qu’elles sont
contrôlées par les évêques alors que la littérature de dévotion ne l’est généralement pas.
C’est très net avec les Nouvelles heures à l’usage du diocèse de Lyon contenant un manuel de piété
(Lyon Lambert-Gentot, 1841), publiées sous le patronage de Mgr de Bonald (1787-1870)
archevêque de Lyon. Dans l’avertissement, l’éditeur signale des corrections théologiques
importantes, dont « une expression très inexacte que nous avions employée, en exposant
la doctrine de l’Eglise sur le mystère de la sainte Trinité ». Dans l’approbation, datée du
8 avril 1841, l’archevêque confirme : « après avoir examiné avec soin cette édition, et avoir
prescrit les changements qui y ont été introduits »41. C’est la garantie d’un contenu dévo-
tionnel et dogmatique parfaitement orthodoxe, et pas seulement de formules liturgiques
uniformes. Cette attention épiscopale tient au fait que le livre d’heures entend favoriser
la formation chrétienne chez l’adulte. La première partie en est un manuel de piété « qui
renferme la substance de tout ce qui peut contribuer à ranimer la foi et nourrir la piété »,
à savoir : un abrégé de la doctrine chrétienne rédigé sous la surveillance de Bonald ; une
« manière de sanctifier la journée » ; des « exercices pour la confession suivis des psaumes
de la pénitence » ; un exercice pour la communion ; des exercices pour la confirmation ;
un exercice pour la retraite et une préparation à la mort ; une manière de sanctifier les
maladies ; les principales dévotions du chrétien (sacré Cœur de Jésus, sainte Enfance de
Jésus, Passion…) ; diverses prières « en rapport avec les besoins les plus ordinaires et les
diverses circonstances de la vie » ; deux méthodes pour entendre la messe. Le livre peut
tenir lieu de catéchisme. La seconde partie contient l’ordinaire de la messe et les offices
du dimanche, ainsi que des prières.
Une autre catégorie de titres met en avant la dévotion : soit en liant l’ouvrage à un recueil
de prières (16,5%), soit à des exercices particuliers (21%). Ces prières sont données à lire et
à méditer, dans la veine, à nouveau, des livres de piété qui, au xixe siècle, privilégient cette
proposition dévotionnelle pour la moitié d’entre eux42. Dès le xviiie siècle, on remarque de
tels ouvrages. Les Heures nouvelles imprimées à Lyon en 1780 ne comportent ni calendrier,
ni office de la Vierge ; c’est une compilation de prières pour les différents moments de la
journée, un manuel pour les vêpres des dimanches et des grandes fêtes, enfin un recueil
de méditations sur les dogmes et les devoirs du chrétien. On y trouve ainsi une longue
digression « De l’amour de Dieu »43 qui l’apparente plutôt à un livre de piété. Le même titre,
allongé de « prières choisies », revient tout au long de la première moitié du xixe siècle.
C’est celui que choisit Mame à Angers en 1812 ; Rusand à Lyon ou F. Chambeau à Avignon
en 1816 ; Chambet à Lyon en 1827 ; Courtiat à Aurillac en 1836… Même en dehors de ces
titres explicites, la prière est partout, conformément à un changement de vocation des
Heures qui transcende les formes rhétoriques de la page de titre. La prière peut être liée à
des exercices particuliers. Un des best-sellers du siècle est Heures Catholiques d’Ars : prières
41 Nouvelles heures à l’usage du diocèse de Lyon contenant un manuel de piété…, Lyon Lambert-Gentot, 1841, p. vii.
42 P. Martin, Une religion…, op. cit., p. 277-281.
43 Heures nouvelles ou prières choisies pour rendre la journée sainte, Lyon, Aimé de La Roche, 1780, p. 166-173.
ver s 1730 – vers 1900 : des heures au pa roissien 1 23
d’un serviteur de Dieu… avec des réflexions spirituelles et des prières, dont la 32e édition est
donnée à Lyon, par H. Pélagaud fils et Roblot, en 1875. Ce grand succès est lié à Jean-Marie
Vianney (1786-1859), curé d’Ars, dont la béatification n’est proclamée qu’en 1905. Ce « livre
d’heures » contient des prières composées par le curé d’Ars, c’est-à-dire « son esprit de
piété et les pratiques de dévotion qu’il affectionne d’une prédilection particulière, et
parmi lesquelles on distingue les dévotions au saint Enfant Jésus, au Saint-Esprit, à la
passion de Jésus-Christ, aux douleurs de la très sainte Vierge, à saint Jean-Baptiste, à saint
Joseph, à sainte Philomène, à saint François d’Assise et autres. » L’ouvrage fait clairement
référence au sanctuaire d’Ars décrit avec ses cinq chapelles dans l’église, l’oratoire de la
Providence « d’une beauté remarquable », les statues et les reliquaires « contenant de
précieuses reliques »44. Suit un chapitre sur les « pèlerinages » qui « excitent la ferveur
des fidèles ; ils aident la piété par les sens et la sortent de la routine ; ils nous obtiennent
la protection des saints et les faveurs du ciel »45. Tout cela occupe les 21 premières pages
de l’ouvrage avant que le fidèle entre dans le livre d’heures à proprement parler avec les
prières du matin, du soir, les exercices pénitentiels, etc. Les éditions successives de ce
recueil ont sans doute été rendues nécessaires par le succès dévotionnel du site d’Ars,
lorsque commence la construction de la basilique en 1862, puis sa décoration par Pierre
Bossan, Paul Borel et Charles Dufraine. Ces « Heures » sont autant un manuel de prière
qu’un guide de pèlerinage au sanctuaire qui abrite la dépouille de Jean-Marie Vianney
(1786-1859). Cette mutation montre combien les Heures au xixe siècle accompagnent les
grands changements spirituels et les nouvelles dévotions.
Le livre d’heures est aussi rapproché de livres d’offices, ce terme apparaissant
explicitement sur la page de titre. Il fait parfois référence à l’eucologe, recueil de prières
liturgiques pour le dimanche et les principales fêtes. C’est le cas de l’Eucologe dédié à Marie
ou Heures nouvelles du diocèse de Lyon (Lyon, J.-B. Pélagaud, 1860). D’autres rapportent les
Heures au psautier comme les Heures et petit psautier contenant l’office de l’Eglise à l’usage
des écoles chrétiennes (Marseille, M. Olive, 1853). Ou encore, au bréviaire et au missel. C’est
surtout avec le Paroissien que le livre d’heures tend progressivement à se confondre, et
ce précocement. En 1824, en effet, Jacquet au Puy publie un Paroissien complet, ou heures
nouvelles à l’usage du Diocèse Du Puy, qui combine à la fois la référence à l’exhaustivité
dans un seul manuel (il est « complet »), l’allusion au Paroissien, la nouveauté et l’usage
diocésain. Les titres sont éloquents : Heures nouvelles. Choix de prières contenant tous les
offices de l’église (Limoges, E. Ardant, 1887), Heures paroissiales à l’usage du Diocèse de
Tulle, contenant dans une première partie : tous les offices ordinaires du jour et du Dimanche…
(Tulle, J. Son, 1867).
Les livres d’heures, réactivant la tradition anté-tridentine qui s’était effacée sous l’effet
de la réforme de Pie V, deviennent un instrument de revendication des particularismes
diocésains. Entre 1740 et 1800, 43 éditions portent une mention d’usage local, au profit de
44 Heures Catholiques d’Ars : prières d’un serviteur de Dieu… avec des réflexions spirituelles et des prières, Lyon,
H. Pélagaud fils et Roblot, 1875 (32e édition), p. 2-3.
45 Ibid., p. 4.
12 4 chapitre 3
19 diocèses différents46. Ce chiffre est certainement très sous-estimé. Les Heures révisées
et imprimées par ordre de l’archevêque de Paris, Mgr de Noailles en 1701, donnent lieu à
17 éditions avant la Révolution, et même une après, en 1816, signe d’une réelle continuité
de l’entretien de ce particularisme parisien. À Limoges, Mgr Louis-Charles Du Plessis
d’Argentré (1723-1808) renouvelle les manuels mis entre les mains des fidèles de son
diocèse en 1788, insistant dans son mandement sur la continuité éditoriale en la matière,
ces nouvelles Heures n’étant pas les premières à usage de Limoges. L’imprimeur François
Dalesme, poussant à l’extrême le particularisme local, fait réaliser une suite de gravures
inspirées de l’œuvre de Jean-Pierre et Amy Huault, peintres émailleurs limougeauds47.
Au xixe siècle, les données sont plus sûres et plus éloquentes. Près de la moitié de ces
recueils sont produits à l’usage d’un diocèse. À l’inverse de cette démarche, la mention du
rite romain est quantitativement insignifiante : 5% des titres y font allusion. Ils sont le fait de
prélats ultramontains qui instrumentalisent la publication de livres d’heures pour marquer
le progrès réel ou rêvé de la romanisation liturgique qui finit par triompher à la fin du siècle.
Non sans paradoxes : Mgr André Raess (1794-1887) sur le siège de Strasbourg, est connu
pour ses positions ultramontaines et sa défense de l’infaillibilité pontificale. Il demande
à l’abbé Seigeot de composer les Heures paroissiales romaines (Belfort, Pélot, 1849)48. Il
affirme avec force l’importance de Rome mais il fait ouvrir le livre par le Propre des saints
du diocèse de Strasbourg comme sainte Odile patronne de l’Alsace fêtée le 3 décembre ;
saint Arbogaste patron du diocèse de Strasbourg le 25 juillet ; la fête de la restitution et
réconciliation de la cathédrale de Strasbourg le 23 octobre… Cette contradiction exprime
le rôle essentiel des Heures dans les débats liturgiques du siècle, d’autant mieux que leur
publication est placée sous le contrôle de l’évêque. Elles permettent de résoudre la quadrature
du cercle, entre uniformisation du culte et maintien d’une piété locale intégrée dans le
rite romain qui s’impose – rappelons qu’au début du xixe siècle, seule une douzaine de
diocèses le suit, ils sont 70 en 185949.
Si le diocèse de Lyon occupe une place étonnante dans ce tableau (Fig. 3.3) avec
259 éditions différentes, d’autres cités épiscopales imposent plus modestement des
formes locales de dévotion. À Besançon, Le Mans, Clermont-Ferrand, Séez et Vienne,
les Heures semblent obéir à une véritable offensive de reconstruction diocésaine sur
la base de traditions multiséculaires qu’il convient de restaurer. Le cas de Besançon
est le plus connu50. La Franche-Comté a été l’avant-dernier diocèse français à adopter,
en 1874, la liturgie romaine. Les individus impliqués dans la querelle liturgique sous
l’épiscopat de Mgr Mathieu sont associés à des réseaux d’information, à des relations
hiérarchiques, à des connivences générationnelles qui influent sur leur appréciation du
gallicanisme et de l’ultramontanisme. Ils mobilisent l’histoire pour alimenter la dispute
sur les questions du rapport à l’apostolicité, au siège romain, au concile de Trente,
au jansénisme, etc. L’évêque doit donc s’opposer à la fois à Rome, peu coopérante
Figure 3.3 : Répartition géographique des usages liturgiques des livres d’heures du xixe siècle.
dans les négociations visant à faire approuver un rite romano-bisontin, et à une part
romanisatrice de son clergé, qui a finalement le dessus. C’est bien un débat sur la notion
de tradition qui perdure sous la querelle liturgique. Le cas de Vienne est également
intéressant : ce diocèse n’existe plus en tant que tel, au contraire de ce qu’affirment
les pages de titre des Heures ; il s’agit en réalité du diocèse de Grenoble-Vienne, mais
faire allusion à l’antique cité gauloise attire justement l’attention sur l’héritage glorieux
ainsi revendiqué : celui du premier évêché fondé en Gaule, dès 160 par saint Crescent,
compagnon de saint Paul.
À l’inverse, des cités qui ont diffusé leur usage dans tout le pays, comme Paris, s’estompent
dans l’ensemble de la production. Les usages bretons et flamands disparaissent complètement,
126 chapitre 3
alors qu’ils existaient depuis le xve siècle. Cette redistribution de l’attachement aux Heures
et des particularismes locaux qu’elles permettent est intéressante, quoiqu’elle ne remette
pas fondamentalement en cause la partition nord-sud qui prévaut depuis l’origine même
des livres d’heures. Sous ce nom encore, même s’il cache tout autre chose que l’office de
la Vierge, cet ouvrage de dévotion reste une tradition du nord. Quelques sièges épiscopaux
du sud, comme Albi, Apt, Cahors, Montauban, Carcassonne ou Narbonne, montrent
toutefois une tentative d’appropriation de cet argument à la fois spirituel et économique
que constituent les Heures dans la vitrine d’un libraire.
Ce sont d’abord les prélats qui se montrent sensibles à cet argument. Soucieux de
renforcer l’attachement des populations à ces livres, ils cherchent à contrôler à la fois le
contenu et la production de ces recueils. Trois jours après son intronisation le 4 novembre
1819, Monseigneur Alexis Saussol (1759-1836), évêque de Sées, accorde une permission pour
imprimer des Heures51. L’éditeur, Herfort de Bonnange, reçoit permission « exclusive »
pour ce travail. L’évêque se réserve un droit de regard et l’éditeur ne peut rien « changer,
augmenter, diminuer ou retrancher, que par nous, ou de notre consentement, par écrit ;
sera, la présente Permission, imprimée textuellement en tête de chaque exemplaire desdits
livres ».
Ainsi, au xixe siècle, le livre d’heures présente trois caractéristiques. Il s’oppose
d’abord au livre de piété qui ne dépend pas réglementairement des autorités diocésaines,
alors même que son contenu s’en rapproche de plus en plus, en particulier par l’ampleur
des matières qu’il traite. Il est tout entier entre les mains de l’épiscopat qui y voit, à
raison, un moyen de contrôler les rites et les prières des fidèles. Enfin, il est un moyen
pour l’évêque de se faire connaître et respecter. Les armes des prélats figurent souvent
sur la page de titre, comme l’a souhaité Mgr Guillaume-Aubin de Villèle (1770-1841)
au commencement des Heures du diocèse de Bourges de 1836. Celui-ci, archevêque de
Bourges après avoir été évêque de Verdun (1817-1820), de Soissons (1820-1824), est
aussi primat des Aquitaines (1824-1841) et pair de France où il siège dans la majorité. Il
donne mandement le 23 février 1836 pour l’édition de nouvelles Heures diocésaines52.
Il y rappelle que ces manuels constituent un livre nécessaire, voire indispensable ; or,
les anciennes Heures sont épuisées, signe de leur importance. Il en appelle au clergé :
« Nous vous recommandons de répondre à notre charité pastorale en faisant un usage
fréquent de ce livre ».
Cette emprise épiscopale et locale brouille la notion d’auteur, tant les évêques acca-
parent, au moins sur les pages de titre, la paternité de ces manuels. Seulement 9,2% des
éditions sont placées sous l’autorité d’un auteur spirituel et toutes sont produites avant
1840. Les Heures choisies de la marquise Claude-Agathe Jacquot-Rouhier d’Andelarre
(1769-1820) constituent un exemple patent du travail épiscopal pour capter des textes et
y apposer leur « label ». La première édition est donnée en 1816, la 8e, en 1838. Celle que
produit Barbou, à Limoges en 1847, exploite donc une certaine notoriété. Elle est revue
par François-Nicolas Morlot (1795-1862) ordonné prêtre en 1820 et nommé à Dijon où
il est fait chanoine de la cathédrale en 1833 ; il devient archevêque de Tours en 1842, puis
51 Texte inséré dans Heures nouvelles à l’usage du diocèse de Séez…, Séez, G. C. Herfort de Bonnange, 1820.
52 Texte inséré dans Heures du diocèse de Bourges, Bourges, Manceron, 1836.
ver s 1730 – vers 1900 : des heures au pa roissien 1 27
de Paris en 1857. Le texte de la pieuse marquise est donc repris en main par le clergé, non
sans d’importantes transformations.
D’autres auteurs sont plus connus. Un curé dijonnais compose des Heures eucharis-
tiques, ou Mémorial de l’âme fervente à partir de textes spirituels de Bossuet (1627-1704)53.
Or, Bossuet fut évêque ; il constitue donc un patronage de première importance pour
l’épiscopat français54.
Sous cette forme renouvelée, le livre d’heures joue un rôle certain dans l’élaboration
spirituelle de certains personnages essentiels du xixe siècle catholique. Ainsi, dom
Guéranger (1805-1875), le grand restaurateur de l’ordre bénédictin qui a eu une influence
déterminante dans la liturgie contemporaine, a longuement lu les Heures nouvelles à l’usage
du diocèse du Mans, contenant tous les offices et fêtes de l’année (Fougères, J.-M. Vannier, 1814).
Ultérieurement, il regrettera le temps où les fidèles unissaient leurs voix à celle du clergé,
ce qui souligne, au moins dans l’imaginaire spirituel, l’importance du livre d’heures55. Les
différents mouvements liturgiques du xixe siècle et jusqu’au concile de Vatican II posent
durablement la question des survivances de la liturgie des heures chez les laïcs, quand
même elle serait marginale. Paul Doncœur (1880-1961), ainsi, tente la promotion des vêpres
dominicales, prière essentielle qui permettra, selon ses vœux, « la restauration de la piété
des heures »56. La dernière initiative en la matière est le fait des bénédictins d’En-Calcat,
dans le Tarn, qui publient à l’intention des fidèles un livre d’heures révisé. Mgr Maurice
Feltin (1883-1975), archevêque de Paris, y voit une réponse à une redécouverte de la liturgie
par les fidèles, à rebours des prières moins riches de sens : « La prière officielle de l’Église
prend chaque jour une place plus grande dans la piété des fidèles. Ceux-ci abandonnent
volontiers les formules qui constituaient jadis un Manuel du chrétien, pour adopter des
expressions liturgiques. On ne peut que les en féliciter57. » Pour le clergé, les défis sont
triples. Il s’agit d’inviter les fidèles à la compréhension, et non plus de susciter des formules
mécaniquement récitées ; tout en évitant les formes de piété trop personnalisées, qui
n’auraient plus de rapport avec une prière commune et communautaire ; enfin, il s’agit
d’affirmer à travers cette pratique l’autorité de l’Église sur le laïcat.
L’abbaye bénédictine d’En-Calcat est alors en plein essor. Les vocations affluent ;
la communauté compte 120 moines. L’abbaye est dirigée par le Père Marie de Floris
depuis 1943. La communauté s’investit dans une intense réflexion sur la liturgie. Un
projet d’édition d’un nouveau livre d’heures est mené par un groupe de moines, avec
des traducteurs extérieurs pour certaines sections, comme Mgr Garrone (1901-1994),
archevêque-coadjuteur de Toulouse, pour les psaumes. L’ouvrage est préfacé par le cardinal
Jules-Géraud Saliège (1870-1956), archevêque de Toulouse : « C’est un signe des temps.
53 Heures eucharistiques, ou Mémorial de l’âme fervente textuellement extrait de Bossuet, Auxonne, X.-T. Saunié, 1844.
54 Lettre du 3 novembre 1869 insérée dans A. Réaume, Histoire de Jacques Benigne Bossuet et de ses œuvres, Paris,
Vivès, 1869, tome 3, n.p.
55 P. Lacombe, Livres d’heures imprimés au xve et au xvie siècle conservés dans les bibliothèques publiques de Paris,
Paris, Imprimerie Nationale, 1907, p. xxi.
56 P. Doncoeur, « La liturgie et le monde rural. Nos paroissiens iront-ils à matines dans vingt ans ? », La Maison-
Dieu, 3 (1945), p. 91-97 (citation p. 97).
57 Livre d’heures latin-français, Dourgne, Éditions de l’abbaye d’Encalcat, 1952, Partie Matière de l’office, p. viii-ix,
lettre du 5 juillet 1951.
12 8 chapitre 3
fêtes, une lecture spéciale tirée des Pères de l’Église et, pour chaque jour, un bref rappel
des Saints dont on célèbre en ce jour l’anniversaire »64.
On l’aura compris, cet office rénové n’a qu’un très lointain rapport avec celui qui était
donné à réciter aux fidèles jusqu’au xviie siècle. Il ne s’agit plus de l’office de la Vierge,
mais d’un décalque, à usage laïc, de l’office canonial. Les réactions, en ces années 1950
agitées par des débats qui trouveront leur point culminant au concile de Vatican II, ne se
font pas attendre. Le recenseur de la Nouvelle revue théologique constate :
« L’énorme publicité faite autour de ce livre nous avait plutôt mis en méfiance lorsque
nous avons entamé sa lecture, mais force nous est de reconnaître qu’il s’est avéré
dépasser largement tout le bien qu’en ont annoncé les éditeurs. C’est à la fois un livre
de prière, bien présenté et profond, qui puise aux sources anciennes et modernes de la
piété catholique ; un livre d’heures, qui constitue une introduction dans la grande prière
ininterrompue de l’Église : une livre de méditation avec une excellente introduction »65.
Si le Bulletin critique du livre français se contente pour sa part de souligner le recul du
latin, motif de cette publication66, la Revue thomiste, avec une décennie de recul, reconnaît
que « le livre d’Heures latin-français, réalisé par un groupe de moines d’En-Calcat, connaît
depuis dix ans le succès »67. L’évêque de Châlons le recommande aux militants et militantes
de l’Action catholique, et des réguliers de tous ordres le font connaître à leurs retraitants68.
La nostalgie du gothique
Si le livre d’heures ne se ressemble plus, l’usage de ce titre se justifie malgré tout par
un ensemble de codes graphiques qui rappellent son origine médiévale. Le xixe siècle
renoue avec un Moyen Âge souvent fantasmé, alimenté par les rêveries romantiques et
les relectures nationalistes d’une période censée être la matrice de la nation française, de
sa langue et de ses coutumes. On verra plus loin comment l’érudition médiévaliste s’est
saisie du livre d’heures dès la première moitié du xixe siècle ; mais avant même les grilles
d’interprétation de la science historique ou de l’appréciation artistique des premiers
historiens de l’art, une réappropriation plus sensible et plus immédiate de l’héritage
médiéval est visible dans l’adjonction d’enluminures, voire de miniatures, dans les livres
d’heures imprimés du xixe siècle.
La chromolithographie, inventée en 1808 mais perfectionnée vers 1840, permet de
mettre sur le marché des reproductions convenables des enluminures médiévales. Ces
planches sont le signe de la transition d’une société rurale vers une société industrielle
et mécanisée, et du décloisonnement des milieux sociaux. La miniature est un moyen de
légitimation permettant de dépasser les révolutions en montrant la continuité historique,
y compris revendiquée par des pouvoirs opposés. Comme l’écrit Jean-Michel Leniaud,
« l’attrait que le Moyen Âge exerce s’inscrit comme porteur d’utopie en un siècle qui,
plus qu’un autre, mêle imagination et passé, histoire et idéal »69. Les œuvres produites au
Moyen Âge méritent d’être étudiées et prises comme modèle afin de purifier le goût dans
tous les domaines de la production artistique, le plus monumental et visible étant bien
sûr l’architecture, mais pas seulement : les arts décoratifs également s’inspirent désormais
des réalisations médiévales. L’Église ne peut qu’encourager cette vogue, le Moyen Âge
représentant un âge d’or fondé sur la concorde. Le retour au Moyen Âge est le signe de
ce primitivisme qui marque l’histoire de l’Église, sans renoncer aux acquis du Concile de
Trente. Or, le livre d’heures constitue la synthèse par excellence de cette tension.
Quelques éditeurs font alors le pari du style médiéval pour les Heures qu’ils publient à
partir des années 1840, soit précisément dans ces années où « se joue effectivement le destin
de la renaissance de ‘l’art ogival’ »70 en pleine restauration catholique qui tout à la fois prend
acte de la déperdition de sens qui s’est opérée depuis plusieurs décennies et des possibilités
qu’offre le néo-gothique pour réinvestir de sacré les lieux et objets de la pratique religieuse.
La couleur, en outre, entre dans les stratégies de développement de clientèle des libraires, en
direction des femmes, des enfants, et de toute une bourgeoisie montante. Pour ces publics,
l’usage de la couleur sur les reliures et dans le corps des livres compense le renoncement au luxe
par une extraordinaire diversité visuelle et matérielle de la production71. Les libraires exploitent
de la sorte l’invasion de la couleur dans l’univers quotidien : affiches dans l’espace public,
tissus et papiers peints dans la maison. Par ces rapprochements, le livre en général et le livre
d’heures en particulier confirment leur insertion dans l’univers des biens de consommation.
Pierre-Jules Hetzel (1814-1886), en 1837-1838, met sur le marché des Heures royales
(1837-1838) dans une édition de semi-luxe avec des dessins de Gérard Séguin (1805-1875)
et Daniel Ramé (1806-1887). Aline Guilbert, libraire quai Voltaire, produit à partir de 1843
de petits recueils de missels et heures, soit illustrés, soit à illustrer72, à partir d’échantillons
d’enluminures repérées dans la collection de la Bibliothèque du Roi. Léon Curmer
(1801-1870), éditeur de bibliophilie, publie des Heures nouvelles dont les 800 pages sont
largement illustrées de motifs également empruntés dans les livres d’heures des collections
publiques parisiennes73. Le même éditeur donne ensuite des fac-similés des Heures d’Anne
de Bretagne et d’Étienne Chevalier, contribuant ainsi lui-même à élargir le répertoire des
chromolithographes soucieux d’agrémenter les recueils de prières, tout en s’en tenant
au contenu ancien des Heures. Son stock de modèles est tel qu’il peut encore, en 1890,
mettre sur le marché un Livre d’heures au frontispice chromolithographié, ainsi que 8
illustrations hors texte et toutes les marges des 180 pages. L’allusion au Moyen Âge est, là
encore, purement esthétique : le livre d’heures en question ne comprend pas l’office de
69 J.-M. Leniaud, « Le rêve pour tous : néogothique entre art et industrie », Sociétés & Représentations, 20 (2005),
p. 120-132.
70 Ph. Boutry, « Y a-t-il une spiritualité néogothique ? Réflexions sur un ‘passage à l’acte’ », Sociétés &
Représentations, 20 (2005), 2005, p. 41-58.
71 A. Renonciat, « Les couleurs dans l’édition au xixe siècle : spectaculum horribile visu ? », Romantisme, 157 (2012),
p. 33-52.
72 Livre d’Heures ou Offices de l’Eglise illustrés d’après les Manuscrits de la Bibliothèque du Roi par Mlle A. Guilbert et
publiés sous la direction de M. l’abbé Des Villiers Chanoine honoraire de Langres, Paris, A. Guilbert, 1843.
73 Heures nouvelles. Paroissien complet latin-français, à l’usage de Paris et de Rome, par l’abbé Dassance, Paris,
L. Curmer, 1841.
ver s 1730 – vers 1900 : des heures au pa roissien 1 31
la Vierge, mais les prières pour le matin, le soir, la messe, la confession, la communion, les
vêpres et la messe de mariage, ce qui en fait un cadeau de noces idéal.
En 1860, L. Lesort, éditeur, relieur et libraire parisien publie des Heures choisies des dames
chrétiennes avec l’approbation de l’évêque de Dijon. Il s’agit de 208 chromolithographies
montées sur onglets, affectant la forme du livre d’heures médiéval : le texte en lettres
gothiques, délimité par un filet noir, est encadré sur trois côtés d’enluminures d’inspiration
changeante selon les pages : motifs floraux sur fond d’or, grotesques surgissant d’un décor
végétal, arabesques dorées, motifs héraldiques ou géométriques. On dénombre aussi
cinq miniatures et plusieurs lettres historiées présentant des personnages saints ou le
Saint-Sacrement. L’ensemble compose une théorie hétéroclite de morceaux d’enluminure
de styles et d’époque différents. Le tout a été réalisé par A. Leroy, lithographe installé à
Dijon et spécialisé dans l’illustration religieuse (Fig. 3.4). L’artiste s’est (très librement)
inspiré de « manuscrits du xiie au xviie siècle provenant du Cabinet de M. H. Baudot à
Dijon ». Henri Baudot appartient en effet à une famille de juristes et érudits dijonnais
collectionneurs de documents sur l’histoire de la Bourgogne, mais aussi et surtout d’objets
relatifs au Moyen Âge : peintures, meubles, objets du quotidien, étoffes, ivoires, émaux,
miniatures, etc. Lui-même est archéologue, conservateur du musée de l’académie de
Dijon, président-fondateur du musée de la Commission des antiquités de la Côte-d’Or.
Le catalogue de vente de ses collections, qui ne rend sans doute pas compte de l’étendue
des objets possédés, mentionne effectivement des feuillets enluminés isolés, telle cette
« page de livre d’heures avec la Nativité et l’Annonce aux bergers »74.
Si de telles publications, et notamment celles de Curmer, sont très coûteuses, si on en croit
les souscriptions qui sont lancées avant publication, un nombre grandissant de livres d’heures
ornés de motifs néo-gothiques voient le jour à l’attention d’un public plus modeste auprès
duquel il devient ainsi possible d’imposer les grandes lignes d’un « véritable art chrétien »75.
Le prix baisse dès lors que l’éditeur renonce à la couleur ou limite son usage. Dans le Livre
d’heures selon le rite romain imprimé à Tours en 1855, la chromolithographie est appliquée
seulement à la page de titre et à deux illustrations en pleine page, dues à un des membres de
la dynastie Engelmann, qui a donné beaucoup d’illustrations aux livres d’heures. Les autres
pages sont décorées de bordures monochromes d’inspiration fantaisiste conjuguant éléments
architecturaux gothiques et entrelacs végétaux stylisés. Les 432 pages des Heures de la sainte
Vierge avec figures publiées par Mame en 1878 sont plus simplement illustrées d’enluminures
au trait noir d’inspiration vaguement médiévale, parfois mâtinées de figurations d’inspiration
plus tardive : autour d’une page des matines de l’office de la Vierge, l’enluminure est ainsi
constituée d’un long chapelet qui fait le tour de la page avec les lettres A, V et E d’esthétique
classique (Fig. 3.5)76. Onze planches en couleur rehaussent l’ouvrage, restituant l’iconographie
mariale traditionnelle, Annonciation, Visitation, Nativité, Purification, etc.
74 Voir Catalogue des tableaux et objets d’art et de haute curiosité composant la collection de feu M. Henri Baudot, ancien
président de la Société archéologique de la Côte d’Or, dont la vente aux enchères aura lieu à Dijon du 14 au 24 novembre
1894, Dijon, Impr. Darantière, 1894, no 1213.
75 I. Saint-Martin, « Rêve médiéval et invention contemporaine. Variations sur l’enluminure en France au xixe
siècle », in Th. Coomans et J. de Maeyer (éd.), Nineteeth-Century Belgium Manuscripts and Illuminations from
a European Perspective. The Revival of Medieval Illumination. Renaissance de l’enluminure médiévale. Manuscrits et
enluminures belges du xixe siècle et leur contexte européen, Leuven, Leuven UP, 2007, p. 109-135, ici p. 132.
76 Heures de la sainte Vierge avec figures par A. Queyroy, Tours, A. Mame, 1878, ici p. 75.
132 chapitre 3
Figure 3.4 : Extrait des Heures choisies des dames chrétiennes, Dijon, 1860.
77 Catalogue de livres anciens et modernes dont la vente aura lieu le 24 mars 1875 et jours suivants…, Paris, Bachelin-
Deflorenne, 1875, no 332.
ver s 1730 – vers 1900 : des heures au pa roissien 133
Figure 3.5 : Heures de la sainte Vierge avec figures par A. Queyroy, Tours, A. Mame, 1878.
134 chapitre 3
qui, pendant les xve, xvie et xviie siècles, ont orné les vêtements sacerdotaux »78. À nouveau,
il a fallu solliciter les collectionneurs et l’éditeur a puisé dans la collection de Frédéric Spitzer
(1815-1890), amateur d’art médiéval qui entasse aussi bien les pièces d’orfèvrerie que les
textiles anciens, la verrerie, les tableaux, et plus rarement les livres : au total, 3 350 pièces.
Ses dentelles sont en effet remarquables ; on y trouve des devants d’autels, italiens, français
ou espagnols, et surtout et des vêtements liturgiques, dalmatique, chape, chasubles des xvie
et xviie siècles notamment79. Les décors ont ensuite été gravés par Henri Carot (Fig. 3.6).
Cette inspiration néo-gothique perdure jusqu’à la Première Guerre mondiale, non
sans se mâtiner d’éléments nouveaux, parfois sans grand rapport avec la spiritualité.
Un livre d’heures illustré par des eaux-fortes de Louis Legrand (1863-1951) et publié en
189880, s’apparente davantage au livre d’artiste qu’au livre d’office. Le tirage est limité à
78 L. M. de Flavigny, Livre d’heures de la première communion, contenant les offices du dimanche et des principales fêtes
de l’année, avec des instructions pour le jour…, Tours, A. Mame et Fils, vers 1890.
79 F. de Mély, « La collection Spitzer », Revue de l’art chrétien, 1894. Voir aussi le Résumé du Catalogue des objets
d’art et de haute curiosité antiques du moyen-age et de la Renaissance composant l’importante et précieuse collection
Spitzer dont la Vente publique aura lieu à Paris… du lundi 17 avril au Vendredi 16 Juin 1893, Paris, E. Menard, 1893.
80 L. Legrand, Le livre d’heures, Paris, Gustave Pellet, 1898.
ver s 1730 – vers 1900 : des heures au pa roissien 135
165 exemplaires numérotés. Si la table des fêtes mobiles est encadrée de motifs évoquant
des gargouilles médiévales ou renaissantes, d’autres illustrations paraissent pour le moins
incongrues dans un livres d’heures (Fig. 3.7 et 3.8).
Le recours à l’esthétique néo-gothique ne flatte pas seulement l’œil à l’aide de motifs
assez convenus ; elle unifie dans les esprits une certaine imagerie chrétienne, mariale et
hagiographique le plus souvent, christologique parfois, imposant l’héritage médiéval comme
un horizon indépassable des figurations du sacré. Mais l’ouvrage de Louis Legrand invite
aussi à considérer le livre d’heures à la fois comme un objet familier de tous et comme une
expression accueillante où artistes et écrivains peuvent désormais investir leur créativité.
l’usage spirituel qui en est recommandé et l’idéologie médiévaliste qu’ils véhiculent. À la
même époque, dans le domaine de l’architecture, cette question se pose aux yeux des
observateurs, qui voient dans les églises « néo » une forme de pastiche archéologique
à la fois anachronique et sans rapport avec les réalités médiévales, tant l’interprétation
est grande dans ces édifices81. Or, la citation, y compris liturgique ou iconographique,
est en soi une forme de détournement. Elle concourt à fonder des stéréotypes, formes
d’énonciation inconscientes, et des pastiches, clairement intentionnels. Dès lors, le
livre d’heures s’impose comme un espace de transformation des formes textuelles et
iconographiques.
Or, on doit noter l’émergence, dès le milieu du xviiie siècle et plus massivement,
au xixe siècle, de nombreux détournements du genre des Heures au profit de causes
littéraires, politiques et sociales. C’est que les Heures constituent dans la chrétienté
occidentale un référentiel universel. Le stéréotype ainsi construit autour d’un livre associé
à une récitation mécanique, une obligation pieuse et l’appartenance à une confession en
situation de domination autorise beaucoup de métaphores, compréhensibles sans effort
par l’ensemble de la société.
Le premier avatar de ces détournements, assez isolé dans le temps, est Les Heures
françoises, ou les vêpres de Sicile, et les matines de la Saint-Barthélemy, publié anonymement à
Amsterdam en 1690, sans doute par un membre du Refuge huguenot, un de ces protestants
qui peut « chanter [son] Marot à [son] aise dans des terres étrangères »82. L’auteur explique
le recours au champ lexical des Heures : « Je qualifie cet écrit les Heures françoises,
quoique je ne face mencion que des Matines & des Vepres, conformément aux Chapitres
qui donnent le fruit aux chanoines, pourvu qu’ils assistent à l’un de ces deux offices ». La
charge contre le clergé est immédiate. L’ouvrage rapporte les événements de 1282 en Sicile,
ce soulèvement contre la domination du roi Charles d’Anjou qui occasionna le massacre
des Français et la libération de la tutelle angevine au profit de la dynastie d’Aragon. Il ne
s’agit pourtant pas d’un manuel d’histoire. L’auteur profite de l’évocation de ces faits pour
contester la politique étrangère et militaire de Louis XIV contre l’Espagne et ses incursions
italiennes contre les règlements commerciaux espagnols entre 1675 et 1678. Tout le texte file
la métaphore des Heures : à propos de la domination autrichienne en Sicile, l’auteur écrit
ainsi : « la France essaia de la lui disputer en 1647, mais elle manqua d’i chanter Complies,
& le plus bel exploit que La Feuillade [missionné par le roi en Italie] ait jamais fait, est de
s’en être retiré avant qu’elles ne se chantassent »83.
Au xviiie siècle, la vocation liturgique et spirituelle des Heures autorise de nombreux
détournements au profit de l’antimonachisme qui impose dans la littérature la figure du
moine gourmand, libidineux et sans vocation, cynique parasite social. Souvent outrée,
cette littérature trouve un écho auprès des lettrés acquis à la pensée des Lumières, mais
aussi auprès des polémistes qui suivent de près les affaires jésuites et celles, plus tardives,
de la Commission des Réguliers chargée de rationaliser la population monastique de
France. Sous forme manuscrite circulent des Heures canoniales, à l’usage de l’abbaye de
81 S. Kang, « Les églises en France sous le Second Empire : deux illustrations du type idéalisé », Livraisons de
l’histoire de l’architecture, 17 (2009), p. 107-117.
82 Les Heures françoises ou les vepres de Sicile et les matines de la-Saint-Bartelemi, Amsterdam, A. Michils, 1690.
83 Ibid., p. 9.
ver s 1730 – vers 1900 : des heures au pa roissien 137
Thélème, dédiées à son fondateur, frère Jean des Entomeures, avec une fausse page de titre
situant l’impression à Lanternopolis, chez Panurge, à l’enseigne de la Dive-Bouteille, en
597184. On ignore le contenu de ces « Heures » au titre fort évocateur, qui parodie les
usages monastiques. Les Journée de l’Amour ou Heures de Cythère parodient Le temple de
Gnide de Montesquieu, un recueil poétique écrit en hommage à la maîtresse de l’écrivain,
mademoiselle de Clermont et paru pendant la semaine sainte, ce qui avait attiré la colère
du clergé. L’ouvrage mettait en scène deux bergers, Aristée et Antiloque, échangeant des
vers pompeux et naïfs. Les Heures de Cythère constituent donc un double détournement :
du genre liturgique des Heures, et des vers de Montesquieu. Le temps est découpé en
huit heures, où l’on égrène les huit troubles du cœur amoureux : la nécessité d’aimer ;
l’imagination ; l’absence ; la jalousie, le caprice et les épargnes de l’amour, les reprises ou
souvenirs du premier moment heureux ; l’occasion et la récolte de l’amour ; enfin les glânes.
Chaque Heure est composée d’un discours, d’un appel, d’un ou plusieurs textes, adaptation
très libre des sections de chaque office. À la place des traditionnelles miniatures ou cuivres
qui ornent les livres d’heures, on trouve de charmants culs-de-lampes allégoriques dus au
pinceau de Taunay et au burin de Macret85.
Ce recueil n’a rien de libertin ; mais d’autres exploitent cette veine, comme Les Heures
de Paphos, contes moraux par un sacrificateur de Vénus, publiées en 1787, où la gravure du
frontispice, parfaitement pornographique, donne le ton. Il s’agit d’une suite de textes en
vers et d’images licencieuses. Le titre seul use des Heures comme référence provocatrice
au catholicisme ; le reste n’a aucun rapport avec la liturgie des heures, mais on y trouve
tous les ingrédients traditionnels de l’antimonachisme du xviiie siècle : gourmandise
illimitée, luxure, ignorance, avarice.
Passées la suppression puis la restauration des ordres religieux, cette veine s’épuise.
Elle refait surface un siècle plus tard sous la plume des anticléricaux, qui utilisent cet
objet-marqueur pour développer leurs attaques contre le catholicisme. Un des plus
virulents est Henri Kistemaeckers (1851-1934)86, d’abord commissaire-comptable de la
Compagnie générale de navigation de Londres puis éditeur. Spécialiste de la littérature
naturaliste, il publie Maupassant, Lemonnier ou Huysmans. Il est également connu pour
ses engagements politiques, au nom desquels il produit une série de brochures sur la
Commune de 1871 avant de lancer une « petite bibliothèque socialiste » à un franc le
volume. Enfin, il se fait une réputation sulfureuse avec ses textes érotiques, comme Les
Contes ou les Trois Cents leçons de Lampsaque. Tout ceci lui vaut scandales et procès : il
est mêlé à 18 affaires judiciaires entre 1880 et 1902. C’est dans cette veine qu’il publie
Le livre d’heures satyrique et libertin du xixe siècle (sans doute 1888). La mise en texte et
l’ornementation pourraient le faire confondre avec un véritable livre d’heures, mais ces
éléments graphiques sont aussi détournés. Les décors comprennent des bordures de
fleurs parsemées de médaillons qui cachent aussi un homme en frac observant une femme
nue entrant dans son bain, voire des dessins obscènes. La structure du livre reprend
84 Ce manuscrit aujourd’hui non localisé est cité en 1841 dans le Catalogue des livres composant la bibliothèque de feu
M. Fr. Noel, ancien conseiller de l’université, inspecteur général des études etc., dont la vente se fera le 2 août 1841 et jours
suivants…, Paris, Galliot, 1841, no 552.
85 Journée de l’Amour ou Heures de Cythère, Gnide, 1776.
86 C. Baudet, Grandeur et misère d’un éditeur belge : Henry Kistemaeckers, Bruxelles, Labor, 1986.
138 chapitre 3
toutes les rubriques du livre d’heures, mais en les détournant ; même les pages blanches,
généralement occupées par la liste des événements familiaux, sont ici remplacées par des
« souvenirs d’amour ». Enfin, les prières sont transformées. Le matin, le galant demande :
« Avec tact tu me donneras de la galette abondamment ». Les Litanies des saints débutent
par : « Seigneur, ayez pitié des gens sérieux et des imbéciles ». Le symbole des apôtres
est ainsi pastiché : « Vous me demanderez si je suis très catholique ! Oui. J’aime aussi
les dieux Lath et Nésu. Tartak et Pimpcau me semblent sans réplique. Que dites-vous
encore de Parabavastu ! J’aime Bidi. Khoda me paraît un bon sire. C’est un bon petit
dieu que le dieu Michapous. Mais je hais les cagots, les robins et les cuistres »87. Ce texte
reprend la dédicace de La coupe et les lèvres d’Alfred Musset88. Il cite aussi Voltaire, Théo
Hannon qui voisinent avec les prophètes Ezéchiel, Salomon, Daniel. Cette publication
lui vaut une descente de police, la confiscation des exemplaires et un procès qui s’ouvre
le 26 avril 189089.
Si la veine anticléricale s’épuise, ce n’est pas le cas de l’utilisation du vocable « Heures »
pour de nombreux recueils qui entretiennent un rapport ambigu avec cette littérature
paraliturgique. Les détournements peuvent être classés en deux catégories : les recueils
religieux versifiés qui paraissent sous le titre « Heures » pour entretenir l’ambiguïté avec
les manuels si prisés des catholiques, et les recueils poétiques entièrement profanes.
À un premier degré, des poètes catholiques revisitent les grandes scansions chrétiennes
du temps, annuel ou quotidien, pour reconstruire en vers les sentiments du fidèle. Charles-
Antoine Dujardin (1761-1825), bourguignon, conseiller puis président de chambre à la cour
royale de Dijon, publie en 1823 une Poésie sacrée pour la célébration de l’office divin90. La
poétesse mauricienne Hortense de Céré-Barbé (1766-18 ?), active dans le cercle de la Muse
française, donne des Heures poétiques et religieuses en 1828, jugées par la critique catholique
comme « un volume de beaux vers » dont les sujets « demandaient une profondeur de
pensées et une élévation de style dont les femmes avaient jusque-là fourni peu d’exemples,
et qui distinguent éminemment la plupart des pièces de son recueil »91. Cette poésie pieuse
n’est pas à proprement parler une versification des Heures : elle est plutôt une somme
de poèmes religieux présentés dans un ordre aléatoire, sur des sujets conventionnels : la
Passion, la Vierge, la foi, la mort du juste, le confessionnal, etc.92. En 1857 encore, Édouard
Colomb-Ménard (1799-18 ?), juge au tribunal civil de Lodève, publie les Heures poétiques
du chrétien, somme versifiée des prières traditionnelles du catholicisme93. L’auteur est
connu pour la publication, trois ans plus tôt, d’un Précis en vers de la doctrine chrétienne.
Dans cette opération de versification, une grande liberté d’adaptation est assumée par les
auteurs ; au fond, ces Heures n’en sont pas vraiment.
87 Le livre d’heures satyrique et libertin du xixe siècle, Bruxelles, Kistemaeckers, s. d. p. 17.
88 A. de Musset, Œuvres, Paris, Charpentier, 1867, p. 47.
89 C. Baudet, op. cit., p. 69.
90 Ch.-A. Dujardin, Poésie sacrée, pour la célébration de l’office divin et des saints mystères, ou Heures nouvelles, selon le
rit parisien, Dijon, Douillier, 1823.
91 G. Collombet, Le livre de Marie, Mère de Dieu, t. 2, Lyon, Impr. Sauvignet, 1837, p. 221.
92 H. de Céré-Barbé, Heures poétiques et religieuses dédiées au Roi, Paris, Ladvocat, 1828.
93 É. Colomb-Ménard, Heures poétiques du chrétien. Principales prières romaines, mises en vers français et divisées en
deux parties, Paris, A. Vaton, 1857.
ver s 1730 – vers 1900 : des heures au pa roissien 1 39
avec son Livre d’heures du souvenir, poème. « Les Heures, en leurs robes mauves drapées /
passent ; des cloches pleurent leurs mélopées », écrit-il au seuil d’un recueil tout entier
consacré au chagrin amoureux. Charles Dodeman (1873-1934) donne en 1912 un roman,
Le Secret du livre d’heures illustré par Robida (1848-1926), dont l’intrigue est fondée sur le
déchiffrement d’un code contenu dans un « livre d’heures », en réalité une chronique du
xiie siècle97. Le recueil poétique de Rilke (1875-1926), Das Stundenbuch, vaste interrogation
sur la transcendance, paru pour la première fois en allemand en 1899, renouvelle le succès
de cette expression toute faite et de ses enjeux poétiques.
Ce détour par les pastiches, parodies et détournements montre in fine qu’au terme de
six siècles, l’expression « livre d’heures » est devenue une formule vide et accueillante,
raccourci d’un recueil symbolique qui n’a plus du livre que la forme, conservatoire du
temps qui passe et des sentiments les plus intimes. Au livre d’heures dont l’orant n’était
que le lecteur, s’est substitué celui qui met des mots sur les états d’âme de son auteur.
Le livre d’heures cristallisant une tradition cultuelle s’éteint dans l’espace public pour
n’être plus que l’examen attentif des sentiments de l’individu. Le lien avec le Moyen Âge,
souligné dans les manuels paraliturgiques par le recours à une iconographie néo-gothique,
est évacué dans l’usage lexiculturel de cette expression. Structure vide du christianisme,
le livre d’heures se remplit de tous les questionnements, non sans réduction à une simple
image, un stéréotype occasionnellement religieux, le plus souvent universel.
*
L’historiographie a privilégié, dans la dissémination spectaculaire des livres d’heures
à partir de la fin du xvie siècle, les ruptures plutôt que les continuités. Certes, les Heures
connaissent à partir du xviie siècle deux évolutions sensibles : d’une part l’adjonction de
prières diverses et particulières composant une sorte de formulaire de piété, et d’autre
part, le développement de la partie liturgique avec la place croissante de la messe et du
cycle annuel du temps dans ces recueils, qui s’apparentent, à partir du xviiie siècle et plus
nettement encore au siècle suivant, à l’eucologe, au paroissien et au missel. Mais on peut
tout aussi bien souligner la stabilité d’une partie des Heures au long des siècles : la dévotion
mariale y est restée importante jusqu’au xviiie siècle, et l’organisation des prières selon
les huit offices quotidiens également. Le rapport texte-image, évacué en partie entre 1650
et 1850 pour des raisons commerciales, reste malgré tout un élément constant du « livre
d’heures » comme objet-type. Il est, à travers les siècles, recueil de prières codifiées,
forge et recyclage d’une imagerie religieuse, production de masse, mentor intime, espace
poétique, genre éditorial prospère avant de se fondre dans une expression idiomatique
creuse autorisant les réinvestissements les plus audacieux. Il reste, toujours, un objet à
soi, un miroir de soi, ce dont attestent les efforts de personnalisation dont il fait l’objet ;
un objet caractérisé par son unicité, évoluant vers une catégorie éditoriale englobante et
schématique au sein de laquelle se sont opérés ses renouvellements.
Cette histoire des livres d’heures met en avant trois éléments susceptibles de trans-
former, à un moment ou un autre, le statut de ces livres et de les déplacer des intérieurs
domestiques à l’univers des représentations. En premier lieu, précisément, cette émergence
du livre d’heures non seulement comme objet et comme support de prière, mais aussi
comme catégorie de livres identifiable, qu’il s’agisse d’une simple convention verbale
ou d’une réalité matérielle et économique dans l’ordre des livres. Cette catégorisation
favorise sa notoriété, sa stabilité, sa reconnaissance et le rapprochement, au sein d’une
communauté linguistique donnée, d’une multitude d’avatars au principe premier de ce
qu’est un livre d’heures. Elle conditionne alors un « imaginaire ethnosocioculturel »
décisif dans l’avènement de la mémoire et du patrimoine98. Ensuite, il ressort de cette
histoire un ensemble de faits, de gestes, de producteurs et de consommateurs, c’est-à-dire
un référentiel historique dans le cadre duquel peuvent ensuite s’opérer des distorsions,
des éliminations, des réécritures de l’histoire du livre d’heures. Enfin, la permanence
des livres d’heures et des pratiques spirituelles qu’ils fondent au long de ces six siècles
est en soi un élément remarquable, non seulement en terme de tradition religieuse, mais
aussi et surtout parce qu’elle favorise la prise de mesure des distances temporelles et
culturelles entre la modernité et l’âge médiéval. Objet à la fois fossile et changeant, le livre
d’heures permet la prise de conscience à la fois de ce qui survit au temps, et de l’action
du temps sur l’objet. Ce double mouvement de mise à distance est parfaitement illustré
par le réemploi d’enluminures anciennes dans les Heures contemporaines, démarche
qui relève à la fois de la muséification et de la réappropriation : deux processus essentiels
dans la patrimonialisation. L’affadissement du genre, souligné par les contemporains dès
le xviie siècle, permet aussi un sursaut esthétique et la recherche des caractéristiques
graphiques et typographiques des premiers livres d’heures, dans l’idée d’un retour aux
sources oubliant que dès l’origine, le livre d’heures fut un objet incertain, hybride, en
perpétuelle gestation. En somme, l’histoire éditoriale des Heures contient en elle-même
les possibilités de leur patrimonialisation, voire leurs prémices. Les possibilités seulement,
et non leur développement. Celui-ci a dû conjuguer d’autres facteurs, d’autres dynamiques,
en dehors du monde du livre et des lettres.
En même temps que le livre d’heures continue d’être le compagnon du croyant, il fait
progressivement l’objet d’appréciations nouvelles dont témoignent déjà les réemplois
iconographiques « gothiques » ou les pastiches, qui l’inscrivent dans une temporalité
diffuse. Les observateurs notent bien que le produit éditorial du Grand Siècle, celui
des Lumières ou celui du Second Empire sont très loin des compositions médiévales et
des premiers temps de la typographie. Ces attitudes sont permises par la cohabitation,
dans les bibliothèques un tant soit peu fournies, de livres d’heures très divers, dont le
rapprochement sur les rayons met nécessairement en évidence la disparité et les évolutions.
Armand-Thomas Hue de Miromesnil (1723-1796), président du Parlement de Normandie
avant de devenir garde des sceaux de Louis XVI, possède en 1781 un recueil d’« Heures
anciennes, manuscrites sur vélin, format in-4o, avec des vignettes & les grandes lettres d’or,
écriture du 15. siècle, ancienne reliure », des « Heures à l’usage de Rome, tout au long,
sans rien requérir, avec les figures de la vie de l’homme, & la destruction de Jérusalem,
imprimées à Paris par Gillet Hardouin, sans date in-4o, sur vélin, basane », des « Heures
anciennes à l’usage de Rouen, imprimées à Paris par Germain Hardouin, sans date in 8
avec fig[ures] sur vélin en velours violet » ; enfin, quatre volumes d’heures du xviiie siècle,
à l’usage de Rouen (1735, d’Orléans (1751), « à l’usage des peuples de la campagne, mêlés
parmi les protestants » imprimées à Périgueux en 1777 et un autre enfin sans usage précisé1.
On pourrait y ajouter un « Petit office de la Vierge » gravé par Senault. Ces livres sont
regroupés « dans le premier cabinet au fond de l’alcôve » avec une foule d’autres livres
de théologie, à l’exception du manuscrit qui se trouve dans le second cabinet, et du livre
d’heures à l’usage de Rouen de 1735, relié en maroquin rouge et doré sur tranche, « dans
le petit cabinet de ma chambre »2. Cette disposition dans l’espace domestique pourrait
indiquer une bibliothèque d’apparat, un cabinet de livres rares et, à proximité de la chambre,
les livres à usage quotidien et intime. Quoi qu’il en soit, cet exemple montre bien que le
livre d’heures, à la fin du xviiie siècle encore, perdure sous des formes variées, l’une ne
chassant pas l’autre des coffres et rayonnages, sinon pour la pratique effective des prières
quotidiennes et pour suivre l’office.
Cette stratification, qu’on relève dans bien d’autres bibliothèques nobiliaires ou bour-
geoises du xviiie siècle, ne rend donc pas les livres d’heures indistincts aux yeux de leurs
possesseurs. Les uns et les autres sont intégrés à des usages, des hiérarchies esthétiques,
sociales et spirituelles indiquant, pour certains d’entre eux, une perte d’usage tandis
que d’autres restent « utilisés », y compris symboliquement, pour la tenue d’un diaire
familial par exemple. Ces changements de régime sont complexes à apprécier, tant le livre
d’heures est originellement, la première partie de cet essai l’a démontré, un bien tout à
la fois utilitaire et symbolique, intime et ostentatoire, patrimonial puisqu’il se prête à des
transmissions familiales codifiées, mais aussi destiné à être remplacé au fur et à mesure
du renouvellement de l’offre dans les librairies. Toutefois, la relégation de nombreux
recueils médiévaux, manuscrits ou imprimés, dans des cabinets séparés dont le statut reste
à éclaircir, est un fait nouveau. À défaut de situer dans le temps une « perte d’usage » qui
1 Catalogue des livres qui composent la bibliothèque de Mgr Hue de Miromenil, garde des sceaux de France, Paris, Valade,
1781, no 45, 58, 59, 61, 64, 66.
2 L’exemplaire de la British Library (11902.h.33) porte ces mentions manuscrites en marge des notices, qui sont
vraisemblablement de la main de Hue de Miromesnil, la bibliothèque étant vendue de son vivant.
146 deux i èm e partie.
3 J.-P. Babelon et A. Chastel, La notion de patrimoine, Paris, Liane Lévi, 1994 (1e éd. dans Revue de l’Art, 1980).
4 J.-M. Leniaud, L’utopie française. Essai sur le patrimoine, Paris, Mengès, 1992.
5 D. Poulot, Musée, nation, patrimoine, 1789-1815, Paris, Gallimard, 1997 ; J. Davallon, Le don du patrimoine. Une
approche communicationnelle de la patrimonialisation, Paris, Hermès, 2006.
Chapitre 4
1 D. Grojnowski, « Les usages de la collection dans A rebours », Poétique, 162-2 (2010), p. 167-176.
2 J.-K. Huysmans, L’Oblat, Paris, P.-V. Stock, 1903, p. 92.
3 M. Proust, Le temps retrouvé, Paris, Ed. de la N.R.F., 1927, p. 887.
148 chapitre 4
Dans son célèbre Advis, en 1627, le bibliothécaire Gabriel Naudé (1600-1653) affirme
péremptoirement : « les bibliothèques ne sont dressées ny estimées qu’en considération du
service & de l’utilité que l’on en peut recevoir, & que par conséquent il faut négliger tous
ces livres & Manuscripts qui ne sont prisez que pour le respect de leur antiquité, figures,
peintures, relieures & autres foibles considérations »4. Il donne l’exemple, entre autres
manuscrits, des « Heures que l’on dit bien souvent n’avoir point de prix à cause de leurs
figures & vignettes ». Il existe donc, dès le début du xviie siècle, une quête de ces objets,
mais en marge des canons reconnus et partagés de la collection bibliographique. Cette
remarque invite à chercher, assez tôt dans l’âge moderne, la rupture entre l’usage spirituel
du livre d’heures et sa mise en collection. Pour ce faire, il faut tâtonner dans les sources
susceptibles de la renseigner, sans préjuger du moment où elle a pu se produire. Catalogues
de ventes, inventaires après décès, correspondances et quêtes documentaires d’érudits,
vigilance des premières institutions publiques vouées aux livres peuvent témoigner de ce
moment essentiel où le livre d’heures (mais lequel ? le manuscrit du xve siècle ? l’incunable
orné de bois gravés ? l’imprimé soigné et illustré du Grand Siècle ?) s’affranchit des oratoires
pour rejoindre les cabinets des collectionneurs.
Au siècle encore faste de la production de livres manuscrits et décorés, le xvie siècle,
tout pourrait converger vers un intérêt antiquaire pour le livre d’heures, notamment
le changement de mains de bibliothèques entières à la faveur des guerres de religion
et l’émergence de l’histoire littéraire française, qui suscite une quête de manuscrits
médiévaux5. Et pourtant, l’examen des collections de livres des grands personnages de
la haute robe, de l’élite du Parlement, des secrétaires d’État, indique le contraire. Certes,
les trente-trois inventaires après décès de secrétaires du roi établis entre 1530 et 1600 et
étudiés par Hélène Michaud mentionnent tous ou presque des Heures, plus ou moins
richement confectionnées6. La succession d’Antoine Bohier, en 1566, signale ainsi « une
paire d’heures à pendre, couvert de velours rouge garnies d’or avec une chesne » prisée
soixante-dix livres, et conservée avec l’argenterie et les bijoux du défunt. D’autres livres
4 G. Naudé, Advis pour dresser une bibliotheque. Presenté à Monseigneur le President de Mesme, Paris, F. Targa, 1627,
p. 115-116.
5 I. de Conihout, « Les bibliophiles avant la bibliophilie (xvie-xviie siècles) », Revue d’histoire littéraire de la
France, 115 (2015), p. 49-72.
6 H. Michaud, « Les bibliothèques des secrétaires du roi au xvie siècle », Bibliothèque de l’École des Chartes, 126
(1968), p. 333-376.
le temps des collectionneurs 1 49
d’heures de moindre prix et une Bible, dans un cabinet attenant à la chambre d’Anne de
Poncher, son épouse, sont mentionnés. C’est aussi la logique de Jean de Baillon (mort en
1567), qui range ses Heures recouvertes de velours noir à coins d’or avec son argenterie,
ce qui indique peut-être un changement de statut pour ce livre, passé de l’oratoire aux
biens de famille. Mais d’autres cas tendent plutôt à montrer que les Heures sont encore un
objet du quotidien : André Blondet (mort en 1548) a emporté les siennes lors du voyage
qui lui a été fatal, c’est la raison pour laquelle elles ne figurent pas dans l’inventaire de son
domicile. Et que faut-il penser du Missale et des heures enluminées de Guybert (mort en
1589), qui sont l’un et l’autre qualifiés de « vieilz » ?
Du côté des collectionneurs aujourd’hui identifiés comme tels, les choses sont différentes
mais tout aussi délicates d’interprétation. Beaucoup de ces individus, tels Claude Fauchet
(1530-1602), magistrat et historien, l’humaniste Claude Dupuy (1545-1594), l’évêque de
Chartres Philippe Hurault (1579-1620) ou Nicolas Moreau d’Auteuil (1544-1619), trésorier
de France puis maître d’hôtel ordinaire du roi, n’en ont pas dans l’espace de leur collection :
ils en ont peut-être pour prier, mais ils n’apparaissent pas dans les inventaires7. Le cas de la
célèbre bibliothèque de Paul (1568-1614) puis d’Alexandre Petau (1610-1672), parlementaires et
collectionneurs, est troublant : le catalogue de vente de leurs manuscrits, survenue tardivement
à La Haye en 1722, soit cinquante ans après la mort d’Alexandre, fait état de quelques livres
d’heures seulement8, ce qui ne permet pas de parler véritablement de collection, mais l’examen
de ceux-ci montre un double effort de recherche de ces livres sur le marché du manuscrit
dans la seconde moitié du xviie siècle, et aussi un effort d’appropriation personnelle, comme
pour créer une filiation au cœur de l’objet entre possesseurs non apparentés. Dans les célèbres
« Heures Petau »9, Alexandre a fait repeindre l’encadrement du folio IV, comportant la
miniature représentant les quatre évangélistes, en y apposant dans sa partie supérieure les
armes de la famille. Dans un autre livre d’heures acheté en 1666 au prix de 30 lt, le même
Alexandre s’est contenté d’apposer la date et le prix10, signalant plus sûrement un geste de
collectionneur affichant l’effort consenti pour cette acquisition. L’objet suscite donc des
réflexes très divers, de la dévotion encore active à la fierté de posséder un livre rare. Chez
le chancelier Pierre Séguier (1588-1672), contemporain d’Alexandre Petau et possesseur
de la seconde bibliothèque parisienne après celle de Mazarin11, la situation est toute autre.
7 Voir U. T. Holmes et M. L. Radoff, « Claude Fauchet and his Library », Publications of the Modern Language
Association of America, 1929, p. 229-242 ; J. Delatour, Les livres de Claude Dupuy, une bibliothèque humaniste au
temps des guerres de religion, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 1998 ; M.-P. Laffitte, « Les manuscrits chez les
amateurs, fin xvie-fin xviie siècle », in I. de Conihout et P. Michel (éd.), Mazarin, les Lettres et les arts, Paris,
Saint-Rémy-en l’Eau, Bibliothèque Mazarine et Editions Monelle Hayot, 2006, p. 326-337 ; A. Shapovalova,
« Nicolas Moreau d’Auteuil et ses livres », Bulletin du bibliophile, 1 (2014), p. 7-61. Le détail des livres de
Ph. Hurault se trouve dans H. Omont, Anciens inventaires et catalogues de la Bibliothèque Nationale, Paris,
E. Leroux, 1909, p. 401-429.
8 Bibliothecae Petaviana et Mansartiana ou catalogue des bibliothèques de feu Messieurs Alexandre Petau… et François
Mansart,… auxquelles on a ajouté le cabinet considérable des manuscrits du fameux Justus Lipsius, La Haye, Abraham
de Hondt, 1722, lots 27, 28, 29, 30 et 145.
9 M. Hofmann, « Un chef d’œuvre de Jean Poyet peu connu : les Heures Petau de la collection Weiller », in
M. Boudon-Machuel et P. Charron (éd.), Art et société à Tours au début de la Renaissance, Turnhout, Brepols,
2017, p. 115-127.
10 Genève, BGE, ms. lat. 35. Voir H. Aubert, « Notices sur les manuscrits Petau conservés à la bibliothèque de
Genève (fonds Ami Lullin) », Bibliothèque de l’École des Chartes, 70 (1909), p. 247-302, ici p. 269-270.
11 Y. Nexon, Le chancelier Séguier (1588-1672) : ministre, dévot et mécène au Grand Siècle, Seyssel, Champ Vallon, 2015.
15 0 chapitre 4
Il tient cent vingt manuscrits médiévaux et modernes de son oncle Antoine Séguier. À sa
mort, la section des manuscrits de sa bibliothèque compte plus de 4000 pièces, dont 300
manuscrits à figures, latins ou français, saut quantitatif qui révèle une quête volontaire.
Le catalogue de vente, établi en 1686 visiblement d’après les inventaires rédigés par les
bibliothécaires de Séguier, réserve une section pour les « miniatures »12. On y décompte
tout à la fois des incunables et des manuscrits enluminés. Dix-neuf sont identifiés comme
des « Heures », et plusieurs dizaines comme des « livres de prières » peu décrits, nombre
d’entre eux étant vraisemblablement des livres d’heures au sens admis aujourd’hui. Si la
quantité de manuscrits ainsi rassemblés signale une véritable intention bibliophilique, ces
incohérences bibliographiques montrent aussi l’absence d’une logique de collection, qui
présuppose une connaissance fine de l’objet recherché, pour mieux en apprécier la rareté
et les particularités. Si Claude Boucot († 1699), garde-rôle des offices du roi, conseiller
et secrétaire du roi, possède 36 « paires d’heures » manuscrites et enluminées dans sa
bibliothèque, celui qui en assure la vente en 1699 ne croit visiblement pas à l’existence d’une
demande du côté des amateurs. Il les regroupe en sept lots, sans effort de description ni
d’individualisation des recueils pour faire ressortir l’originalité de chacun13.
Ce qui manque donc finalement pour apprécier le collectionnisme à l’œuvre, ou non,
dans ces bibliothèques du xviie siècle, c’est l’approche des usages, de la mise en scène
pensée par le bibliophile pour mettre en valeur à la fois l’unicité et la série qui font la
collection. On est mieux renseigné, de ce point de vue, pour François-Roger de Gaignières
(1642-1715). Issu d’une famille bourgeoise du Lyonnais, au service de Louis-Joseph de
Guise puis de Marie de Lorraine, nommé par elle gouverneur de Joinville, Gaignières
est un antiquaire. Féru d’histoire de la noblesse et de la monarchie française, il constitue
une collection documentaire exceptionnelle sur les époques médiévale et moderne.
Il multiplie les voyages en province pour amasser sa documentation, principalement
dans le Nord de la France (Île-de-France, Normandie, Picardie, Bretagne, Orléanais,
Touraine, Anjou, Poitou et Champagne). Pour les autres régions, il utilise les services de
correspondants complaisants. En 1711, soucieux du devenir de sa collection, Gaignières en
fait don à Louis XIV, tout en en gardant la jouissance jusqu’à sa mort, contre une rente de
quatre mille livres par an, une autre somme de quatre mille livres remise à la signature du
contrat ainsi qu’une promesse de vingt mille livres supplémentaires à son décès pour ses
héritiers14. Pierre de Clairambault (1651-1740), généalogiste des Ordres du roi, est désigné
pour exécuter le contrat qui stipulait de dresser un état de la collection.
Cet inventaire signale douze livres d’heures manuscrits et enluminés (cotés 15 à
27 dans la collection primitive), avec quelques remarques qui permettent d’en saisir la
logique15. Quand la date d’acquisition est mentionnée, il apparaît systématiquement que
12 Catalogue des manuscrits de la bibliothèque de defunt Monseigneur le chancelier Séguier, Paris, F. le Cointe, 1686, pag.
séparée, 1-24.
13 Catalogue de la bibliothèque de défunt M. Boucot, garde-rolle des offices de France, composée de plus de dix-huit mille
volumes de livres imprimez très bien conditionnez, plusieurs des in-folio étant de grand papier et reliez en maroquin,
de plus de soixante et dix mille estampes entre lesquelles il y a dix-sept mille portraits ; d’un très grand nombre de
livres d’Arts, d’éloges de descriptions, de médailles, d’emblêmes, de plantes et autres remplis de figures ; et de plusieurs
manuscrits en velin ornez de très belles mignatures, [Paris], 1699, p. 31-32 du « catalogue d’estampes ».
14 A. Ritz-Guilbert, La collection Gaignières. Un inventaire du royaume au xviie siècle, Paris, CNRS Éditions, 2016.
15 Paris, BnF, ms. Clairambault, 1032, fol. 333-732.
le temps des collectionneurs 1 51
Clovis jusqu’à Henri IV, non seulement à partir des textes anciens, dont le bénédictin
était familier, mais aussi et surtout – c’est là l’idée novatrice – des « monuments », c’est-
à-dire les vestiges architecturaux, pierres tombales, peintures, portraits, etc., largement
reproduits au fil des cinq volumes24. Il ne cache jamais dans son œuvre sa dette à l’égard
de Gaignières. L’apport des livres d’heures dans son iconographie est toutefois infime :
seulement quatre planches sur les 69 que compte le tome 3 (de Charles V à Louis XI) et
aucune dans le tome 4 (de Charles VIII à François Ier). Il admet pourtant l’abondance et
la qualité – variable – des miniatures à partir du xive siècle :
Ce goût de peinture s’accrût comme un torrent dans les Regnes suivans, où l’on fit
une infinité de Tableaux & de Portraits des Rois, des Princes &c des Grands Seigneurs
des Histoires & des Assemblées en peinture ; des Miniatures à la tête des Livres, &
sur-tout des Heures & des Livres de dévotion, avec la figure de celui qui les a fait faire,
de grands Manuscrits d’Histoires où l’on montre en peinture les actions, les Batailles
les Sièges &c, les autres choses remarquables que les Historiens décrivent. La fin du
quatorziéme & tout le quinzième siècle peuvent fournir une quantité prodigieuse de
ces sortes de Monumens. Ceux qui sont faits depuis le milieu du quinzième siècle
montrent plus d’art & d’élégance, comme approchant du tems où la peinture fut
portée à sa perfection25.
Il le réaffirme plus loin : « Dès le quatorzième siècle & encore plus dans le quinzième
on faisait beaucoup de peintures dans les Livres & dans les Heures parmi lesquelles il s’en
trouve qui sont assez bon goût »26. À la manière de Gaignières, il compare les vêtements,
les traits des visages, les accessoires représentés sur les miniatures pour déterminer
le réalisme des portraits. L’apparence de Jean de France duc de Berry, est restituée
d’après « une paire d’heures faites pour son usage où on le voit debout, tel que nous le
donnons ici [pl. XXVIII.2] »27. Pour le portrait de Charles VII, dont il compare diverses
représentations, il s’interroge sur ses vêtements. « L’espèce de casaque qu’il porte est
verte dans la peinture originale, qui est au commencement d’une paire d’Heures faite
pour Etienne Chevalier, Trésorier général de France sous ce Prince, dit M. de Gagnieres
(sic) »28. [pl. XLVII.1].
Ces efforts érudits utilisant le livre d’heures comme une source historique nous éloignent
quelque peu de l’univers des collectionneurs ; en réalité, ils nous y ramènent aussi, car ils
expliquent le désintérêt des bibliophiles autant que des savants à l’égard de ces recueils de
prières. La miniature ne présente que peu d’intérêt esthétique et documentaire au regard
des peintures d’histoire qui ornent les recueils de chroniques de la fin du Moyen Âge. Le
gothique, période « sans élégance » selon Montfaucon29, a suscité un mépris durable
auprès des collectionneurs.
24 B. de Montfaucon, Les monumens de la monarchie françoise, qui comprennent l’histoire de France avec les figures de
chaque règne que l’injure des tems a épargnées, Paris, J.-M. Gandouin et P.-F. Giffart, 1729-1733, 5 vol.
25 Ibid., t. III, « Au lecteur », n.p.
26 Ibid., t. III, p. 282.
27 Ibid., t. III, p. 182.
28 Ibid., t. III, p. 253.
29 Plan pour les souscriptions aux ‘Monumens de la monarchie françoise’, par le R. P. Dom Bernard de Montfaucon, Paris,
E. Ganeau, 1727.
le temps des collectionneurs 1 53
La transformation de cet état de fait ne pouvait venir que de ceux-là même qui détiennent
l’expertise de ces échelles de valeur concernant la rareté et la singularité des livres, qui les
observent et en régulent la circulation, qui sont dès lors susceptibles de constater la fin
du livre d’heures médiéval comme objet de consommation dévotionnelle, et d’y adosser
d’autres raisons de les posséder. L’indigence et le désordre des notices décrivant les livres
d’heures de Pierre Séguier constituent un indice d’un non-esprit de collection dans le
rassemblement de ces documents. D’autres indices de même nature montrent que les
livres d’heures sont véritablement invisibles sous le regard des observateurs du temps.
Le même Bernard de Montfaucon, pourtant averti de l’intérêt de la miniature de la fin
du Moyen Âge, n’en signale qu’une poignée parmi les milliers de manuscrits recensés
dans sa Bibliotheca Bibliothecarum manuscriptorum nova publiée en 1739, en cinq lieux de
conservation seulement30.
Ce qui frappe aussi, c’est la difficulté lexicographique de s’entendre sur l’expression
« livre d’heures » dans les travaux des bibliographes. On relève, des décennies durant,
nombre de malentendus sur la nature de livres de prières qui sont certainement des
Heures mais ne sont pas signalés comme telles, ou à l’inverse des recueils de prières qui
ne sont pas des Heures, mais auxquels on donne ce nom. Dom Martène et dom Durand,
les célèbres voyageurs bénédictins du début du xviiie siècle, outre qu’ils passent devant
bien des livres d’heures sans les mentionner, se trompent aussi sur ce qu’ils voient. Ils
observent, à Bourges,
l’un des plus curieux manuscrits de la sainte Chapelle, […] celui qu’on appelle les heures
du duc Jean. C’est un pseautier latin avec une version angloise de six ou sept cents ans.
Ceux qui me la montrèrent, croyoient que c’étoit de l’allemand ou de l’hébreu. Mais
si-tôt que je l’eus vû, je connus le caractère anglo-saxon. J’en fus encore plus convaincu,
lorsqu’examinant les litanies qui sont à la fin, je trouvai que la plupart des Saints etoient
d’Angleterre. Ce livre est conservé dans le chartier31.
De toute évidence, ces « Heures » n’en sont pas à proprement parler : elles sont trop
anciennes et leur proximité avec le psautier, ainsi que la présence de litanies, ne suffisent
pas à en faire des Heures. Ces approximations sont amenées à durer longtemps, faute d’un
signalement catalographique correct et d’une véritable expertise bibliographique. Les catalogues
des bibliothèques font aussi involontairement l’aveu de cette relégation dans l’ombre. Dans les
fascicules annonçant les ventes publiques, les livres d’heures manuscrits ou incunables font,
au moins jusqu’au milieu du xviiie siècle, l’objet de notices minimalistes qui ne présentent
ni les particularités de l’ouvrage, ni son histoire, ni son contenu. On découvre ainsi, dans
le catalogue de la vente des livres de Balthasar-Henry de Fourcy, abbé de Saint-Wandrille
30 B. de Montfaucon, Bibliotheca bibliothecarum manuscriptorum nova : ubi, quae innumeris pene manuscriptorum
bibliothecis continentur, ad quodvis litteraturae genus spectantia & notatu digna, describuntur & indicantur, Paris,
Briasson, 1739. Deux à la Bibliothèque du Roi (no 4461, Heures d’Anne de Bretagne enluminées et no 42993,
Heures de Louis de Laval) ; un à l’abbaye Saint-Ouen de Rouen (p. 1237) ; un, en copte, à Saint-Germain-des-Prés
(p. 1045) ; à la Bibliotheca Coisliniana sous les no 889-911 ; enfin chez les oratoriens de Paris (p. 1405).
31 E. Martène et U. Durand, Voyage littéraire de deux religieux bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur, Paris,
Montalant, 1717, 2e partie, p. 29.
15 4 chapitre 4
(1669-1754), en 1737, cinq notices d’Heures manuscrites (lots no 50 à 54) libellées cinq fois
de suite : « Heures anciennes. Ms sur vélin avec des miniatures, in 8 », seule la reliure de
velours ou de maroquin (sans précision de couleur) différenciant les lots32. Le catalogue de
la belle bibliothèque du duc d’Estrées (1660-1737), en 1740, n’est guère plus explicite, avec
trois manuscrits dont la description, peu ou prou, s’apparente à « Heures latines, 8o, ms sur
vélin avec miniatures » (lot 742)33. La vente des manuscrits des bibliophiles normands Jean,
Nicolas et Louis Bigot en 1706 pose la même difficulté. Les descriptions sont très imprécises,
au point que pour le lot no 383, sous le titre « Horae Virginis Deiparae, cum piis orationibus,
in membr[anis] »34, on ne peut déterminer s’il s’agit d’un manuscrit ou d’un incunable sur
vélin. Ces notices sont l’aveu de l’embarras de libraires non compétents pour décrire ces
documents, et peu soucieux de le faire en l’absence d’un public averti.
Le livre d’heures semble aussi avoir un statut mineur dans le vaste ensemble des
manuels liturgiques : parmi les manuscrits de Mazarin (1602-1661), par exemple, on n’en
trouve qu’un, des « Heures latines, avec miniatures ; relliées en velour, avec boucles
d’argent, 8o » (no 1899) alors que les bréviaires, missels et psautiers sont très nombreux,
sans qu’ils impliquent un usage réel35. Le livre d’heures « de François Ier », entré au Louvre
en 2017, ne figure pas dans l’inventaire du cardinal, alors qu’il l’a possédé. Sur le marché du
manuscrit ancien, ces mêmes livres d’offices sont mieux prisés que les Heures. En 1757, le
catalogue de la vente de Girardot de Préfond (1722-1808), riche négociant, annonce deux
livres d’heures manuscrits enluminés, et un incunable orné de miniatures. On trouve au
début du catalogue des « Eclaircissemens sur les ouvrages les plus précieux à la vente »,
dans lesquels ces lots (43-45) ne figurent pas. Par contre, on est surpris de découvrir un
« livre de prières, mss sur velin de l’an 1524, en lettres rondes, orné de 41 miniatures d’une
beauté parfaite & très bien conservées in-4o maroquin bleu » (lot no 42), que les amateurs
font monter à 302 livres et 19 sous alors que les trois autres lots avaient cumulé seulement
40 livres et 1 sou. Il s’agit probablement d’un livre d’heures. Faut-il en conclure que
l’expression « livre d’heures » est dépréciative ou à tout le moins, peu engageante pour
le public et qu’il vaut mieux ne pas l’utiliser pour espérer vendre un manuscrit enluminé ?
Les classifications aussi montrent la difficulté des libraires à intégrer ces lots dans les
ventes. Dans le catalogue de la bibliothèque du cardinal Dubois (1656-1723), les livres
d’heures, qu’ils soient manuscrits, incunables ou modernes, sont rangés en « histoire
ecclésiastique particulière »36. Les hésitations classificatoires sont nombreuses jusqu’au
milieu du siècle, lorsque le consensus s’impose autour de leur insertion dans les « liturgies
32 Catalogue des livres de M.*** dont la vente se fera en détail le Lundy 13 May 1737…, Paris, G. Martin, 1737, p. 4.
33 Catalogue des livres de la bibliothèque de feu Monseigneur le maréchal d’Estrées, pair, premier maréchal et vice-amiral
de France, chevalier des ordres du Roy, Grand d’Espagne, Viceroy de l’Amérique…, t. 1, Paris, J. Guérin, 1740.
34 Bibliotheca Bigotiana. Seu catalogus librorum, quos (dum viverent) summa cura & industria… Joannes, Nicolaus, &
Lud. Emericus Bigotii… Horum fiet auctio die I. mensis Julii 1706, Paris, Osmont, Martin, 1706.
35 Paris, BnF, n.a.f. 5763, Catalogue des Manuscrits de la Bibliothèque de feu Monseigneur le Cardinal Mazarin, fait
par nous Me Pierre de Carcavy et Me François de la Poterie, en conséquence de l’arrest du Conseil d’Estat du
douziesme janvier mil six cens soixante et huict, fol. 142-236. Reproduit dans H. Omont, Anciens inventaires et
catalogues de la Bibliothèque Nationale (tomes I-IV, plus le tome avec l’introduction et les concordances), Paris, B.N.,
1913-1921, vol. 4, p. 280-361. Cet inventaire a été publié en ligne : https://www.unicaen.fr/services/puc/sources/
mazarin/accueil.
36 Bibliotheca Duboisiana : ou catalogue de la Bibliothèque de feu son Eminence Mgr le Cardinal du Bois, recueillie ci
devant par Monsieur l’abbé Bignon. La vente publique se fera le 27 août 1725, La Haye, J. Swart, 1725.
le temps des collectionneurs 1 55
37 Catalogue des livres imprimés et manuscrits, de la bibliotheque de feu monsieur d’Aguesseau, doyen du conseil,
commandeur des ordres du roi, &c. Disposé par ordre des matieres ; avec une table des auteurs, Paris, Gogué & Née de
la Rochelle, 1785.
38 K. Jensen, Revolution and the Antiquarian Book. Reshaping the Past, 1780-1815, Cambridge, Cambridge UP, 2011.
39 J. Häseler, Ein Wanderer zwischen den Welten: Charles Etienne Jordan (1700-1745), Ostfildern, Jan Thorbecke
Verlag, 1993.
40 Ch.-E. Jordan, Histoire d’un voyage littéraire, fait en 1733 en France, en Angleterre, et en Hollande…, La Haye,
A. Moetjens, 1735, p. 40-44.
41 Ibid., p. 47.
42 J. de La Caille, Histoire de l’imprimerie et de la librairie : où l’on voit son origine & son progrès, jusqu’en 1689. Divisée
en deux livres, Paris, J. de La Caille, 1689, p. 78, 83, 101.
43 J. Viardot, « Livres rares et pratiques bibliophiliques », in R. Chartier et H.-J. Martin (éd.) Histoire de
l’édition française, t. II, Le livre triomphant (1660-1830), Paris, Fayard, Ed. du Cercle de la librairie, 1990, p. 588-598.
156 chapitre 4
livre d’heures ; elle ne concerne encore que les manuscrits et premières éditions grecques
et latines, et quelques fictions supposées fondatrices du génie littéraire français. Le livre
dans son ensemble est entré dans le champ des biens symboliques constituant un marché
spécifique, mais le manuscrit enluminé ou l’incunable, s’ils ne sont pas une chronique
historique ou un récit de chevalerie, n’en font pas partie. Le livre d’heures reste confiné
dans le triple sentiment de son caractère barbare, à l’image de la période qui l’a engendré,
de sa banalité et de son inutilité, puisque les livres d’heures modernes, conformes aux
canons esthétiques et dévotionnels du temps, satisfont les besoins spirituels des laïcs.
Toutefois, le rôle grandissant joué par les libraires dans l’émergence d’un marché du livre
rare invite l’historien à observer la sphère de la librairie comme possible « médiatrice »44
des valeurs du livre d’heures hors du champ strictement religieux, à travers les principaux
documents qu’elle produit en vue de construire à la fois son identité sociale et un marché
économique solide et profitable.
rassemblements de livres : la déclinaison d’objets non réductibles les uns aux autres mais
relevant de critères communs, voire – et c’est un indice important – d’une dénomination
commune.
À partir d’un corpus de 346 catalogues choisis aléatoirement dans les riches fonds de la
bibliothèque de l’Arsenal (Paris), aussi représentatifs que possible de la chronologie mise
en évidence par l’enquête de Michel Marion, qui situe dans la seconde moitié du siècle
l’augmentation la plus significative des ventes, ou tout au moins des catalogues produits
pour leur publicité, l’analyse des transactions autour des livres d’heures permet de dégager
quelques éléments importants.
Le corpus, tout d’abord, fait surgir 842 transactions ayant pour objet un livre d’heures,
dont 408 manuscrits et 159 incunables, certains d’entre eux ayant pu passer dans plusieurs
ventes et changer de mains au fil du siècle.
La répartition chronologique de ces transactions (Fig. 4.1) montre qu’un premier
changement quantitatif s’opère vers 1740, avec la coïncidence des ventes du courtisan
Louis-Basile Charost (1674-1742) en 1742 (sept Heures manuscrites), de Jean-Louis Barré
(† 1741), auditeur des comptes, en 1743 (12), de l’abbé Rothelin (1691-1744) en 1746 (14),
du Président Bernard de Rieux (1685-1745) en 1747 (7), suivi d’un nouveau saut à partir
de 1760. D’après cet échantillon, 58% des transactions ont eu lieu après 1760. Le nombre
de transactions augmente mécaniquement du fait d’un plus grand nombre de catalogues
conservés, mais cette évolution profite principalement aux Heures manuscrites, et dans une
moindre mesure aux incunables. Les Heures modernes, elles, omniprésentes dans les ventes
du début du siècle, sont toujours aussi nombreuses mais leur proportion dans l’ensemble
des ventes n’affiche plus de progression. Enfin, il importe de souligner que 48% des ventes
ne comportent aucun livre d’heures, médiéval ou moderne, et que ce pourcentage est
nettement plus important pour la seconde moitié du siècle que pour la première, signe que
si le nombre de ventes de bibliothèques entières ou de « cabinets choisis » augmente, le
nombre de livres d’heures, précieux ou non, ne suit pas cette évolution. Quand les ventes
en comportent, il s’agit rarement d’une réalité massive et visible (Fig. 4.2) : 50 ventes n’en
comportent qu’un, 80 entre deux et cinq. Les collections vendues où il s’en trouve plus
de vingt sont extrêmement rares : c’est le cas de celle du duc de La Vallière (1708-1780),
bibliophile bien connu, de Dufaure gouverneur du Rouergue en 1763, et de l’énigmatique
Picard dont la collection, vendue en 1780, rassemblait 18 livres d’heures manuscrits et
deux incunables. En somme, les possesseurs de livres d’heures ne sont pas, ou rarement,
des collectionneurs, jusqu’aux années 1760 au moins ; la présence de ces objets dans leurs
bibliothèques ne s’explique pas obligatoirement par une quête assidue en fonction de
critères de rareté et de beauté faisant consensus chez les bibliophiles.
D’autres éléments quantitatifs abondent encore dans le sens de ce découpage chrono-
logique. Dans le premier tiers du siècle, il s’écoule en moyenne 7 livres d’heures par vente,
principalement modernes ; seulement 22 manuscrits médiévaux sont vendus, et quelques
incunables. Seule la vente, en 1725, de la bibliothèque de Charles-Jérôme de Cisternay du
Fay (1662-1723), capitaine aux gardes françaises et bibliophile connu dans toute l’Europe,
semble témoigner d’un intérêt particulier pour les Heures, médiévales (5 lots) et incunables
15 8 chapitre 4
(2 lots)47, Dans les trente années suivantes, ce chiffre s’abaisse à 2,1, mais désormais la
moitié de ces lots sont manuscrits. Parmi les ventes les plus importantes de la période, il
faut signaler celle de la bibliothèque de l’évêque de Soissons, Charles-François Le Fevre de
Laubrières (1688-1738), dont le catalogue mentionne huit livres d’heures, tous manuscrits
du xve siècle48. Dans le dernier tiers du siècle enfin, le nombre moyen de livres d’heures
proposés en vente n’augmente guère (2,5) et près de 62% sont des livres d’heures médiévaux,
et 21%, des incunables, alors que ceux-ci ne représentaient que 17% des lots dans le milieu
du siècle. On voit donc le livre d’heures se raréfier dans les ventes au fil du siècle, au profit
d’une marchandise plus choisie, plus précieuse, appelant l’attention des collectionneurs.
L’évolution des prix est à cet égard éloquente. Dans nombre de catalogues, les marges
sont envahies par les valeurs d’adjudication rapportées de manière manuscrite. S’il n’est pas
possible de traiter cette information de manière sérielle, quelques données convergentes
permettent d’observer une mutation dans l’économie du manuscrit dévot médiéval.
En 1742, lors de la vente de la bibliothèque de Charost (1674-1742), les sept volumes
d’Heures manuscrites totalisent 100 lt, et ce grâce aux Heures du Téméraire (no 138) et
celles de François Ier (no 139), vendues respectivement 30 et 36 lt, les cinq autres ayant eu
moins de succès, quand bien même elles ont appartenu à Charles de Bourbon (no 137)
ou Henri II (no 140)49. Quant aux Heures plus ordinaires, elles se vendent pour quelques
livres : la même année, à la vente de la bibliothèque du négociant Coucicaut, les Heures
de Port-Royal dans une édition de 1700 ont la même valeur marchande que des « Heures
latines, ms. sur velin, avec miniatures, in 8. Velours bleu »50 : les acheteurs ont déboursé
4 lt à chaque fois. L’année suivante, à la vente qui suit le décès de Barré, les enchères restent
basses : les Heures manuscrites, même ornées de miniatures, se vendent 7 lt en moyenne.
Les Heures à l’usage d’Avranches (lot 6557), visiblement un incunable, partent pour 19
sous seulement51. Des « Heures sur velin, avec des lettres capitales peintes en miniature
& dorées » présentes à la vente du Président Crozat de Thugny (1696-1751) atteignent
péniblement les 6 lt en leur adjoignant un autre manuscrit de prières indéterminées (lots
104-105)52. En 1753, à la vente de la bibliothèque de Giraud de Moucy, un livre d’heures
manuscrit sur vélin avec miniatures est vendu 7 lt, tandis qu’un post-incunable sur parchemin
est vendu 5 lt et 6 sous. Les Heures du xviie siècle, de facture banale (Heures du chrétien
de 1654 et Heures de la journée chrétienne de 1693) sont vendues une livre chacune, sans
doute sauvées par leur reliure de maroquin rouge ; celles du xviiie siècle, en particulier les
Heures du P. Lebrun de 1729, 5 lt53. Passé le milieu du siècle, les prix s’inversent au profit
du manuscrit ancien. À la vente orchestrée par Guillaume-François de Bure (1732-1782)
pour la dispersion des livres de Gaignat, conseiller du roi et bibliophile renommé, les
47 Bibliotheca Fayana, catalogus librorum bibliothecae ill. viri D. Car. Hieronymi de Cisternay du Fay, gallicanae cohortis
praetorianum militum centurionis, Paris, G. Martin, 1725.
48 Catalogue des livres de la bibliothèque de feu Messire Charles-François Le Fevre de Laubrieres, évêque de Soissons, etc.,
Paris, Barois, 1740.
49 Catalogue des livres de la bibliothèque de feu monsieur le Chevalier de Charost, Paris, Barrois, 1742.
50 Catalogue des livres de M. C****, Paris, G. Martin, 1742. Le possesseur est identifié sur l’exemplaire Delta-856 de la BnF.
51 Catalogue des livres de feu M. Barré, auditeur des comptes… t. 2, Paris, G. Martin, 1743.
52 Catalogue des livres de Monsieur le président Crozat de Tugny…, Paris, Thiboust, 1751.
53 Catalogue des livres de feu M. Giraud de Moucy. Commandant des gardes de feu S A R. Madame la Duchesse d’Orléans,
& Chevalier de S. Lazare. Dont la vente se fera en detail Lundy 12 mars 1753, Paris, Barrois, 1753.
160 chapitre 4
enchères flambent. Le prix initialement fixé est parfois multiplié par deux ou trois pour peu
que le commanditaire du recueil soit une célébrité, ou qu’il présente des caractéristiques
inhabituelles : les Horae beatae Mariae Virginis à l’usage de Rome, manuscrit sur parchemin
du xvie siècle, dont les enchères commencent à 72 lt, partent finalement à 130 lt, sans
doute du fait de sa technique de peinture à base de camaïeu de bleu (lot 198)54. En 1780,
à la vente Picard, le livre d’heures manuscrit se vend 92 lt en moyenne, avec des écarts
considérables : de 4 à 558 lt pour des « Heures, mss, sur vélin, en lettres gothiques, très-bien
conservé, & décoré de XXXIX belles miniatures, avec des cartouches dans lesquels sont
pareillement exécutés différents sujets d’histoire naturelle, in-12 de forme quarrée, relié
en bois, couvert de velours verd » (no 37). La reliure est un élément déterminant : le lot
34 est vendu 161 lt, sans doute grâce à « son ancienne reliure à compartimens », car pour
ses autres caractéristiques, il n’est guère différent des autres55. Les incunables restent peu
prisés : les deux volumes qui figurent au catalogue (lots 46 et 48) sont vendus 10 lt et 19
sous pour le premier, portant la marque de Vostre, et 3 lt pour des Heures de Notre-Dame
en français avec les poèmes de Pierre Gringoire. À la vente Sandras quelques années plus
tôt, on avait déjà pu constater que la présence de figures et la marque d’imprimeurs célèbres
était déterminante dans l’adjudication à la hausse des incunables de dévotion : ceux qui
ont été imprimés pour Simon Vostre, les Hardouin ou De Brie se vendent un peu mieux
que les autres. Les De Bure organisent aussi les différentes vacations d’enchères des livres
de La Vallière. Lors de la première vente en 1767, du vivant même du duc qui souhaitait
se composer une collection plus précieuse, Guillaume-François de Bure avait écoulé 17
manuscrits médiévaux, pour la somme assez modeste de 122 lt ; certains d’entre eux étaient
partis à seulement une lt., à la fois parce que la demande était encore faible sans doute, et
aussi parce que La Vallière se débarrassait à cette occasion de pièces assez grossières ; c’est
le cas du no 276, un petit recueil in-16 relié en veau brun et à fermoirs de cuivre, donc orné
d’une reliure peu précieuse à un moment où celle-ci fait bien souvent le prix d’un livre
d’heures. Seize ans plus tard, après son décès survenu en 1780, Guillaume de Bure aîné
organise une vente événement rassemblant des amateurs de toute l’Europe, avec vingt-six
Heures manuscrites dont la valeur d’adjudication moyenne atteint 331 lt, soit presque trois
fois plus qu’en 1767. Certes, les pièces présentées sont autrement plus prestigieuses, mais
il se trouve aussi dans le public des amateurs sans doute encore peu nombreux lors de la
première vente, et le duc et le libraire ont su aussi largement assurer la publicité autour
de la collection. Les Heures de Louis II d’Anjou atteignent la somme record de 1850 lt.
À l’échelle parisienne donc (les prix restent bas en province), émerge un véritable goût
pour les Heures manuscrites. Celles-ci escamotent les incunables auxquels personne ne
s’intéresse vraiment alors56. Les Heures contemporaines, qui se vendaient assez bien au
début du siècle, ne rapportent qu’une livre ou deux quelques décennies plus tard.
Le cas de la collection de Gaignat éclaire ce changement d’appréciation au tournant des
années 1760. La vente de cette bibliothèque a été administrée par Guillaume-François De
54 Supplément à la Bibliographie instructive, ou catalogue des livres du cabinet de feu M. Louis Jean Gaignat…, Paris,
G.-Fr. De Bure, 1769.
55 Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M. Picard, contenant environ cent mss sur vélin, décorés de miniatures & de
beaucoup d’articles rares et singuliers, Paris, Mérigot, 1780.
56 M. Marion, op. cit., p. 164.
le temps des collectionneurs 1 61
Bure, l’un des plus influents libraires du dernier tiers du xviiie siècle. Il a conçu le catalogue
comme une suite de sa Bibliographie instructive (1763-1768), elle-même censée attirer l’attention
des amateurs de livres sur les pièces les plus rares à collectionner, et fonctionnant ainsi
comme un dispositif de consécration bibliophilique. Or, la section consacrée aux liturgies
est extrêmement maigre, avec seulement 36 entrées choisies dans l’immense maquis des
livres de culte et traités sur les rites. Parmi eux, il attire l’attention sur un « livre de prière »
(no 219) conservé alors dans la bibliothèque de Louis-Jean Gaignat (1697-1768), désigné
comme l’un des plus importants bibliophiles du xviiie siècle, ce qui permettait de faire
languir le public dans l’attente d’une possible vente. Là encore, la terminologie nous trompe,
car il s’agit très vraisemblablement d’un livre d’heures « manuscrit sur vélin, en lettres
rondes, écrit en 1524, & orné de 41 sujets peints en miniature ; de la plus grande beauté &
de la conservation la plus parfaite. Petit vol. in-4o ou grand in-8o, relié en maroquin rouge,
avec dentelles. La beauté singulière de ce Manuscrit, que l’on peut regarder comme un des
plus beaux livres de ce genre, nous le fait annoncer ici comme un article digne de toute
l’attention des Curieux & des Amateurs. » On reconnaît le livre d’heures apparu à la vente de
Girardot de Préfond, autre collectionneur de mérite, ce qui assure au manuscrit un pedigree
auquel nombre de ces livres de prières ne peuvent prétendre. De Bure rédige cette notice
alors que Gaignat n’est pas encore décédé, révélant ainsi des accointances anciennes entre
le libraire, parmi les mieux installés de la corporation, et la famille du conseiller du roi, le
premier étant le principal fournisseur du second et le second, le protecteur du premier57.
De Bure crée ainsi un effet d’annonce susceptible de faire monter les enchères le moment
venu. Le calcul est sans doute bon, car en 1769, lors de la vente, ce manuscrit du xvie siècle
qui constitue le lot no 194 est vendu 751 lt alors qu’il avait été estimé 300 lt. De Bure avait
aussi ajouté, dans sa Bibliographie instructive en 1763 : « il est d’autant plus rare de trouver
de ces sortes de livres dans un degré aussi parfait de beauté, qu’il est plus ordinaire de les
trouver dans la médiocrité & comme le nombre de ces derniers est très considérable, les
Amateurs sont très difficiles à contenter dans ce genre »58. Il témoigne ainsi d’une autre
difficulté, pour convaincre les bibliophiles d’investir dans le livre d’heures médiéval : celle
de faire surgir des pièces d’exception dans une masse de manuscrits, ou tout au moins de
créer cette valeur de rareté et d’exception pour allécher les amateurs. Enfin, la collection
prestigieuse rassemblée par Gaignat est symptomatique de l’ambition culturelle d’une élite
robine, soucieuse de se fabriquer de toutes pièces un passé symbolique, à l’instar de celui de
la noblesse d’épée, en s’enracinant dans le passé grâce à des objets qui ont longtemps été le
propre de l’aristocratie. Ces trois éléments, le rôle des libraires, l’intérêt pour l’enluminure
et l’appartenance à l’élite robine, méritent d’être généralisés.
57 Sur leurs liens, voir J. Viardot, « Un épisode du collectionnisme en fait de livre au xviiie siècle : le Musæum
typographicum ou le goût des raretés superlatives », Littératures classiques, 66 (2008), p. 161-178.
58 G.-Fr. De Bure, Bibliographie instructive ou traité de la connaissance des livres rares et singuliers. Volume de théologie,
Paris, De Bure, 1763, p. 197-198.
162 chapitre 4
livre. Longtemps considérés comme incultes et incapables de discerner les objets rares
du tout-venant dans les ventes de livres, les libraires se saisissent justement de ces ventes
qui, grâce à leur caractère public et aux catalogues produits en amont, leur permettent de
« conquérir leur dignité »59. Parmi les premiers d’entre eux, il faut citer Gabriel Martin, qui a
rédigé 148 catalogues de vente et a fait beaucoup pour attirer les particuliers dans les ventes.
Les officines des De Bure, Barrois, Née de La Rochelle reprennent les grands principes
commerciaux développés par Gabriel Martin (1679-1761) : mise au point d’un classement
universel et lisible ; constructions de tables thématiques ou par auteur dans les catalogues
pour faciliter leur consultation ; annonce des vacations d’enchères par voie d’affichage en
particulier. Ces procédés attirent un public de plus en plus exigeant, pour lequel il devient
nécessaire de mettre en évidence les caractéristiques bibliophiliques des exemplaires, voire
énoncer leur provenance, comme le fait De Bure avec Gaignat. Ces libraires deviennent
les interlocuteurs privilégiés des amateurs de livres. Les libraires parisiens y sont sans
doute poussés par leurs confrères hollandais, qui publient en français, à destination des
bibliophiles de toute l’Europe, des catalogues de vente nettement plus sophistiqués que
ceux qui s’impriment à Paris. Il faut, à l’égard du livre d’heures, réserver une place à part
au libraire hollandais Pierre Gosse (1676-1755), qui participe à l’émergence d’un marché
du manuscrit dévot médiéval par des ventes auxquelles il donne une publicité européenne
grâce aux catalogues diffusés en amont de ces ventes, en 1740 et 174260. La pratique est loin
d’être nouvelle, et elle est même précoce dans les Provinces-Unies. Le caractère publicitaire
de ces recueils est attesté par la précision de la description des livres d’heures, notamment
des graphies manuscrites, des papiers et des reliures, et par la mise en exergue des marques
d’appartenance, enfin par l’effort de datation. Pierre Gosse met ainsi en liquidation, avec
la complicité de son confrère Adriaen Moetjens, les collections réunies par Pierre I Gosse
(1676 ?-1755) et Adriaen II Moetjens (1696 ?-1753), associés jusqu’en 1744. Le catalogue
de la vente de juin 1740 mentionne treize livres d’heures, et non des moindres : celui
d’Isabelle de Castille (no 780), de Catherine de Médicis (no 800) et du connétable Charles
de Bourbon (no 801). Les descriptions sont superlatives : « superbes miniatures, d’un goût
fin et délicat », « d’un grand goût et d’une beauté achevée » pour les Heures de la reine
de Castille ; « d’une délicatesse enchantée » pour les heures de la dame de Salmonsart
(no 781) ; d’une « écriture […] d’une propreté étonnante, enrichi de 10 miniatures d’une
beauté achevée et d’un travail le plus exquis » pour les Heures de Catherine de Médicis. Il
différencie plusieurs techniques de peinture, « fond d’or bruni antique », « lettres grises » par
exemple, et prend le temps d’observer la succession de plusieurs mains au fil des enluminures
d’un même manuscrit (no 806). Il note aussi les particularités de chaque manuscrit ; par
59 J. Viardot, « Qu’est-ce que la bibliophilie ? », Revue d’histoire littéraire de la France, 115 (2015), p. 27-47.
60 P. Gosse, Bibliotheca universalis vetus & nova, complectens libros in omni scientiarum genere selectissimos, & magni
pretii opera horumque optimas editiones. Quibus adhuc accedet appendix exquisitorum librorum, quorum nondum
advectorum pleni tituli dari hic non potuerunt. Omnes vendentur plus offerenti 7. junii & seq. anno 1740. Hagae
Comitum in aedibus Petri Gosse, in Platea, vulgo de Plaats / per Adrianum Moetjens. = Bibliotheque universelle choisie
ancienne & nouvelle, contenant dans chaque faculté les livres les plus capitaux & les meilleurs éditions ; à laquelle
cependant on joindra un supplement de divers articles qui manquent & que l’on attend de divers endroits & dont on n’a
pas pû donner des titres justes. La vente s’en fera à La Haye au plus offrants le 7. juin 1740. dans la maison de Pierre
Gosse, sur la Place, par Adrien Moetjens. Le catalogue publié sous le même titre en 1742 pour la seconde vacation
annonce un seul manuscrit, des Heures latines ayant appartenu à la duchesse de Bourgogne (no 94, p. 40).
le temps des collectionneurs 1 63
exemple, la confection des « Horae ad usum Ecclesiae Romanae » (no 782) repose sur la
présence de miniatures peintes en milieu de page, et les pages non illustrées présentent une
sorte de fenêtre qui permet de voir une image située aux pages antérieures ou postérieures.
Le même procédé, mais sous forme d’ouvertures rondes, est visible aux « Horae ad usum
Ecclesiae Romanae » (no 783). Ce lexique à la fois précis et limité participe de la création
d’un imaginaire du livre d’heures occidental : fraîcheur des miniatures et des coloris,
représentations bucoliques, végétales ou animalières, mise en scène du commanditaire du
manuscrit (il décrit le portrait de Charles de Bourbon), abondance des miniatures, finesse
des ornements et des initiales. Il participe aussi de l’invention de la rareté en matière de
livres, à laquelle Gosse a grandement contribué au milieu du xviiie siècle et pas seulement
pour les manuscrits61. Les libraires parisiens s’emparent de ce modèle hollandais, qui permet
aussi de ne pas laisser les plus belles bibliothèques parisiennes se vendre à l’étranger pour
une meilleure rentabilité. On peut en effet soupçonner que la vente de la collection de
Jean-Jacques Charron marquis de Menard (1643-1718) à La Haye en 1720 relève de cette
logique ; les 12 Heures manuscrites et les 3 incunables sont assortis de longues notices
comme savaient déjà les faire les libraires hollandais62.
Les livres d’heures font donc l’objet de notices nettement plus riches à la fin du siècle
qu’au début, au moins chez les libraires parisiens. À propos du lot no 196 de la vente
Gaignat, Guillaume-François De Bure décrit un « Ancien Livre de Prières, fait à l’usage
de Louis I du nom, Duc d’Anjou, Roi de Hiérusalem & de Sicile. Mss sur vélin exécuté
l’an 1390 & décoré de très belles miniatures ; in-4o, mar[oquin] violet ». Il note : « ce
mss, que l’on peut regarder comme un des plus précieux que l’on connoisse en ce genre,
renferme différens Traités particuliers dont nous allons donner le détail ». Suit toute la
composition du recueil : calendrier, vie de saint Louis, Heures de Notre-Dame, psaumes
de la pénitence, Passion, Heures du saint Esprit, Dit des trois morts et des trois vifs…
Estimé 72 lt, il est finalement vendu 152 lt. Le catalogue de la vente après-décès du duc
de La Vallière est un véritable traité sur l’art de faire des livres d’heures à la fin du Moyen
Âge. De Bure s’y pose en expert de la question. À propos des Heures de Louis II duc
d’Anjou (no 284), il écrit : « parmi le grand nombre d’Heures manuscrites qui nous ont
passé entre les mains, nous n’en avons rencontré qu’une seule qui fût décorée des mêmes
miniatures »63. Le lot suivant, correspondant aux Heures de René d’Anjou, donne lieu
à un répertoire des historiens qui ont utilisé ce manuscrit à des fins codicologiques ou
documentaires, et à une évocation assez précise des autres Heures ayant appartenu à ce
prince et disséminées dans toute l’Europe. Pour chacun des vingt-six manuscrits décrits,
il tente une datation, une description de la graphie, une édition partielle du livre de raison
quand il y en a un, une explication sur les circonstances de son exécution, et s’étend sur
les particularités du dessin, des coloris, des sujets des miniatures, qu’il décrit parfois une à
61 D. McKitterick, The Invention of rare books: private interest and public memory, 1600-1840, Cambridge,
Cambridge UP, 2018, p. 145, 214.
62 Bibliotheca Menarsiana, ou Catalogue de la bibliothèque de feu Messire Jean Jaques Charron, chevalier marquis de
Ménars,… dont la vente publique se fera par Abraham de Hondt le 10 Juin 1720, La Haye, De Hondt, 1720.
63 Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M. le Duc de La Vallière, Première partie, contenant les manuscrits,
les premières éditions, les Livres imprimés sur vélin et sur grand papier, les Livres rares et précieux par leur belle
conservation, les Livres d’Estampes etc., dont la vente se fera dans les premiers jours du mois de décembre 1783, Paris,
G. De Bure aîné, 1783, additions, p. 13.
164 chapitre 4
une. De tels procédés affectent aussi d’autres productions médiévales, comme les romans
de chevalerie, les chroniques et les coutumiers ; le libraire s’ingénie à s’imposer sur le
marché comme le spécialiste des manuscrits médiévaux.
Mais le phénomène est aussi occasionnellement perceptible en province. Un document
d’une nature un peu différente, le catalogue domestique de ses manuscrits que le marquis de
Cambis (1706-1772) publie en 1770 à l’attention de ses amis et avec la complicité du libraire
avignonnais Louis Chambeau, en atteste. Le collectionneur a produit pour chaque manuscrit,
et donc pour chaque livre d’heures, une notice érudite qui témoigne d’une convergence de
pratiques entre ceux qui commercent les livres et ceux qui les assemblent en collection. Il tente
ainsi de trancher la question de savoir, pour le manuscrit XIII, s’il a été écrit à la plume ou au
pinceau. Il relève au manuscrit XVII « les signes du Zodiaque parfaitement représentés »,
signe d’un examen minutieux et savant, voire codicologique, de ces documents64.
Les pages de titre insistent désormais sur la présence de ces produits dans la vente, ainsi
celle de la bibliothèque de Picard, inventoriée par Mérigot, qui présentera « environ cent
mss sur vélin, décorés de miniatures & de beaucoup d’articles rares et singuliers » (1780).
Cinq ans plus tard, lors de la vente de la collection du baron d’Heiss, le catalogue annonce
nombre de « manuscrits sur vélin, avec de superbes miniatures, […] premières éditions,
livres imprimés sur vélin, etc. »65. D’autres catalogues prennent le soin de distinguer les
« bréviaires et livres d’heures » dans une rubrique spéciale. C’est ainsi que procède le
libraire Bertoud à Cambrai en 1775 pour annoncer la vente de la bibliothèque de Mutte,
doyen de la cathédrale, alors qu’il s’agit principalement, une fois n’est pas coutume,
d’incunables66. Le livre d’heures devient un produit important d’une vente aux enchères,
même s’il n’a toujours pas le succès d’un missel ou d’une bible manuscrite, et encore moins
d’un document non liturgique.
Ces notices exploitent un changement d’appréciation de l’art médiéval, en fabriquant
le « gothique » comme valeur esthétique. Un livre d’heures passé en vente à Lille en 1765
en témoigne sous la plume du libraire Jacquez, qui lui consacre une notice spéciale :
Quiconque n’ignore pas combien les Beaux Arts étoient imparfaits dans l’Europe,
avant la renaissance des Lettres, doit s’étonner toutes les fois qu’il découvre des
Monumens dans lesquels le génie ou les talens ont su s’élever au dessus des bornes,
où la barbarie du siècle retenoit le reste des hommes. Quoique dans une multitude
de manuscrits, on admire dans nos ayeux, l’art d’appliquer l’or, & la vivacité de leurs
couleurs, cependant on désire toujours plus de perfection dans leur dessein. On voit
dans les Heures que nous annonçons, des morceaux qui méritent moins le blâme
qu’une infinité d’autres. On y découvre des figures d’une petitesse infinie, on en
remarque quelques unes dont le dessein ne seroit pas désavoué par d’habiles peintres
de notre siècle67.
64 Catalogue raisonné des principaux manuscrits du cabinet de M. Joseph Louis Dominique de Cambis, marquis de
Velleron, seigneur de Cayrane & de Fargues, ancien capitaine des dragons…, Avignon, L. Chambeau, 1770, p. 230-232.
65 Catalogue des livres rares et précieux de M***…, Paris, De Bure, 1785.
66 Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M. Mutte, doyen de l’église métropolitaine de Cambrai, Cambrai,
Bertoud, 1775, p. 32-37.
67 Catalogue des livres de la bibliothèque de feu Monsieur l’abbé Favier, prêtre à Lille, Lille, F. Jacquez, 1765, no 231, notice
p. xii-xiii.
le temps des collectionneurs 1 65
Mieux vaut ainsi attirer l’attention sur une pièce rare que sur un lot indistinct de
manuscrits d’exécution ordinaire. C’est le meilleur moyen, d’un point de vue commercial,
d’éviter une vente médiocre. Cette vente lilloise le prouve : le manuscrit ainsi mis en valeur
est vendu 208 lt, tandis que les six autres recueils manuscrits sur vélin cumulent la somme
plus que modeste de 18 lt et 10 sous. En 1781, lorsque le libraire Mérigot se voit confier la
vente de Doyen de Mondeville (1678-1746), fermier des diligences et des messageries,
il prend le parti de mettre en exergue, dès la page de titre, la présence de « quelques
manuscrits sur vélin, décorés de miniatures », afin d’attirer les amateurs pour écouler les
huit livres d’heures enluminés que comprend cette collection68.
68 [Catalogue de la vente des livres de Doyen de Mondeville, 10 janvier 1781], Paris, Mérigot, [1781], BnF DELTA-1297.
69 Catalogue des livres manuscrits et imprimés et des estampes de la Bibliothèque de M. le duc de Chaulnes, dont la vente se
fera, en son Hôtel, rue d’Enfer, le 19 mars 1770, Paris, Le Clerc, 1770.
70 Catalogue des livres, imprimés et manuscrits, de feu Monseigneur le prince de Soubise, Maréchal de France, Paris,
Leclerc, 1788, lots 593-604.
166 chapitre 4
et soigneusement enluminé, avec des motifs historiques souvent plus prisés que l’imagerie
dévotionnelle classique des mystères de la Vierge et de la vie du Christ71. Sandras, avocat
au Parlement, en possède une douzaine (huit manuscrits et quatre incunables), vendus en
177172. Jean-Philibert Peysson de Bacot († 1770), procureur général de la Cour des monnaies
à Lyon, en détient cinq73. Dans cette opération, les collectionneurs français sont loin d’être
précoces : lorsqu’ils s’emparent des livres d’heures à la fin du xviiie siècle, les anglais ont
sauté le pas depuis plusieurs décennies : un Lord Richard, Vicomte Fitzwilliam, possède
130 manuscrits en 1816, dont 97 livres d’heures74.
Toute cette noblesse de robe et ces négociants fortunés sont en recherche de légitimation
sociale, et la quête de manuscrits gothiques, ceux-là mêmes qui sont plutôt délaissés
par les amateurs traditionnels de livres rares, s’avère une entrée possible dans le milieu
aristocratique. En Hollande, la collection de livres s’est aussi révélée un marqueur de
légitimité pour nombre de parvenus enrichis grâce au négoce. Sur un modèle semblable,
les robins parisiens ont constitué un capital culturel distinctif susceptible de dorer un
blason trop neuf, ou d’associer à une charge parlementaire ou financière un rayonnement
culturel reconnu, que le catalogue de vente vient justement publiciser. Collectionner le
livre d’heures, c’est un peu attirer à soi les valeurs aristocratiques du luxe, de la dévotion
et du mécénat. De Bure sait en jouer, lorsqu’il écrit à propos d’un recueil de « praeces
piae cum calendario », dans le catalogue de vente du duc de La Vallière : « tout y annonce
au suprême degré le luxe qu’on mettoit dans les manuscrits sur la fin de ce siècle [le
xive s.] ; luxe qui fut porté dans le suivant à la plus grande magnificence » (lot 284). En
convoquant dans son discours la notion de luxe75 et en l’appliquant aux livres d’heures,
De Bure fait rentrer ces objets dans une dynamique de consommation somptuaire qui
vise principalement l’aristocratie et la culture matérielle au sein des hôtels particuliers
parisiens, où se copient les usages de la cour.
D’autre part, cette élite robine en mal de reconnaissance exploite non seulement un
champ des « collectionnables » totalement négligé, mais rejoint aussi utilement la quête
des sources médiévales en train de naître dans la France du xviiie siècle. Si le Moyen Âge
s’avère un parfait repoussoir pour les Lumières et l’idée de raison et de progrès, une part de
la société s’intéresse de plus en plus à cette période supposée obscure. Travaux linguistiques
sur l’ancien français, recherche de textes du Moyen Âge tardif, republications, non sans
un toilettage discutable, contribuent à remettre à l’honneur le Moyen Âge76. Il n’est pas
anodin que la plupart des médiévistes du xviiie siècle soient précisément des robins, qui
trouvent dans le Moyen Âge différents arguments permettant de légitimer la place de la
71 Catalogue des livres du cabinet de feu M. Bonnemet, dont la vente se fera en détail, en la manière accoutumée, au plus
offrant & dernier enchérisseur, le lundi 10 février 1772, Paris, Mérigot, 1772, lots 78-82 et 83 pour l’incunable.
72 Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M. Sandras, Avocat en parlement, au nombre de dix mille volumes, la
plupart rares & singuliers. La vente se fera en sa maison, rue de la femme-sans-tête, au coin du quai de Bourbon, Isle S.
Louis, dans le courant du mois de novembre prochain, Paris, J.-B. Gogué, 1771.
73 Catalogue des livres de feu M. Jean-Philibert Peysson de Bacot, Lyon, Jacquenod, 1779, lots 78-82, 86.
74 A. N. L. Munby, Connoisseurs and Medieval Miniatures 1750-1850, Oxford, Clarendon Press, 1972.
75 N. Coquery, « Hôtel, luxe et société de cour : le marché aristocratique parisien au xviiie siècle », Histoire &
Mesure, 10 (1995), p. 339-369.
76 B. G. Keller, The Middle Ages Reconsidered: Attitudes in France from the Eighteenth Century through the Romantic
Movement, New York, Peter Lang, 1994 ; A. Montoya, S. Romburgh et W. Anrooij (éd.), Early Modern
Medievalism. The Interplay Between Schlarly Reflecion and Artistic Production, Leyde-Boston, Brill, 2010.
le temps des collectionneurs 1 67
Ces mutations en croisent une autre, celle qui permet à la bibliophilie de conquérir
sa légitimité au cours du xviiie siècle, après avoir été désignée tout au long du Grand
Siècle comme une fantaisie douteuse79. Les efforts pour attribuer une « valeur » aux livres
d’heures ne sont pas seulement le fait des libraires. Les collectionneurs aussi y réfléchissent
et les traces qu’ils ont laissées concernant la constitution de leurs collections montrent la
constitution empirique de critères de rareté. Antoine René de Voyer d’Argenson, marquis de
Paulmy (1722-1787), fils et petit-fils d’hommes d’État et de lieutenants-généraux de police,
est membre de l’Académie française à partir de 1748, ambassadeur du roi de 1748 à 1768 puis
ministre de la guerre. C’est dans le cadre de ces fonctions qu’il obtient de Louis XV, en 1757,
un logement à l’Arsenal de Paris, où il installe sa bibliothèque. Il y étoffe ses collections, soit
plus de 60 000 volumes, jusqu’à son décès en 1787. Il publie entre 1779 et 1788 les Mélanges
tirés d’une grande bibliothèque, compilation d’extraits de textes, principalement littéraires,
tirés de ses collections80. Il est frappant de constater que Paulmy voit dans les livres d’heures
ce qu’il veut bien y trouver, et non pas ce qu’ils sont intrinsèquement. Il en fait des « livres
de Liturgie à l’usage des Dames et des Laïcs, qui ne savent que leur Langue maternelle »,
contenant certes les prières de l’office, mais aussi « des Almanachs, & l’on y inséroit des
remarques curieuses, que l’on croyoit être d’une grande utilité et d’un grand amusement »81.
Il décrit et cite les quatrains et textes versifiés qui ponctuent ces recueils et les étonnantes
représentations de l’homme anatomique que recèlent les Heures imprimées du tournant des
xve et xvie siècles. Le principal mérite de ces livres tient donc dans ses motifs et contenus
profanes, de même que les notices de libraires insistent sur les animaux, insectes, végétaux
et scènes non religieuses qui figurent dans les manuscrits et les incunables. On le voit au
même moment chez les collectionneurs anglais, tel Charles Spencer (1674-1722) qui juge
les psautiers et les livres d’heures manuscrits et incunables remarquables par leur aspect
formel et esthétique, et non pour leurs offices et litanies82. Trois générations plus tard, Francis
Douce (1757-1834), anticatholique et antimonarchiste, les recherche dans une perspective de
compréhension du Moyen Âge comme temps de peur et de superstition, afin d’appréhender
77 J. Synowiecki, « Écrire l’histoire de la guerre de Cent ans au 18e siècle : les travaux historiques de Denis-François
Secousse », Dix-huitième siècle, 48 (2016), p. 587-605.
78 L. Gossman, Medievalism and the Ideologies of the Enlightenment: the World and Work of La Curne de Sainte-Palaye,
Baltimore, Md. John Hopkins Press, 1968.
79 J.-M. Châtelain, « Bibliophilie et tradition littéraire en France au début du xviiie siècle », Revue d’histoire
littéraire de la France, 115 (2015), p. 91-102.
80 V. Sigu, Médiévisme et Lumières. Le Moyen Âge dans la “Bibliothèque universelle des romans”, Oxford, Voltaire
Foundation, 2013.
81 De la lecture des livres françois. Sixième partie : livres de théologie et de jurisprudence du seizième siècle, Paris, Moutard,
1780, p. 9-10.
82 K. Jensen, op. cit. et K. Swift, « Bibliotheca Sunderlandiana: The Making of an Eighteenth-century Library », in
R. Myers et M. Harris (éd.), Bibliophily, Cambridge, Chadwyck, 1986, p. 63-89.
168 chapitre 4
des comportements populaires que son époque a heureusement rejetés83. Ce regain d’intérêt
pour les productions de la fin du Moyen Âge suit la même chronologie que celui pour la
bibliothèque bleue, rééditée dans des formules éditoriales soignées, à l’usage des élites,
en vantant le sel de ces récits de Mélusine ou des Quatre Fils Aymon, et leur place dans la
généalogie d’une littérature nationale, première étape d’une patrimonialisation certaine84.
La condescendance du marquis de Paulmy est intéressante car elle ne s’exerce pas
indistinctement sur toutes les Heures disponibles sur le marché. Il invente de subtiles
hiérarchies au sein de ce genre. En rédigeant le catalogue de son extraordinaire collection
rassemblée à l’Arsenal, il ajoute des appréciations en marge des titres référencés. À propos
des manuscrits, il nuance :
ce mss et les autres du même genre compris dans ce catalogue sont la plupart assés
beaux et curieux mais en général, les Heures manuscrites sont les manuscrits les plus
communs […] on ne doit rechercher que les plus belles et les plus singulières. Il y en
a ici quelques unes de cette espèce et d’époques assés anciennes, on les reconnaîtra
à l’inspection85.
Et de citer avec gourmandise ses propres trouvailles, des « Heures mss sur vélin avec
ornemens et min[iatures], relié à compartiment » dont il estime que « les devises répétées
sur les feuillets de ce mss et ecrittes sur des rubans peints font une partie du mérite et de la
singularité de l’ouvrage » ; des « Heures avec grand nombre de mignatures et ornemens à
chaque page, ms sur vélin, 2 vol. in-4o, maroquin rouge » qu’il juge « belles, chaque page
est ornée de fleurs en miniature ». Il est moins convaincu par ses « Heures en latin et en
allemand ms in-8o sur vélin, avec mignatures, velours noir » ; il ajoute en marge : « à en
juger par les mignatures qui sont très mal faittes, ce manuscrit doit être ancien ». Il peine
à remettre la main sur ses « Heures mss sur vélin avec ornemens et min[iatures] », et
écrit, contrarié, sous la notice : « Volé dans ma bibliothèque ». Il le regrette car c’est un
« très beau manuscrit surtout pour les mignatures, l’expression des visages et la perfection
des barbes blanches ». Il se montre plus circonspect encore à l’égard des incunables. Les
Heures à l’usage de Rome imprimées par Gillet Hardouin en 1509 sont « assez belles pour
des Heures imprimées ». Si celles qui sont enluminées comme les manuscrits méritent
d’entrer dans sa collection, les bois gravés l’intriguent mais il ne se prononce pas sur leur
caractère artistique, signe de sa perplexité. En marge d’une série de livres d’heures de Simon
Vostre, il note une courte biographie du libraire et remarque : « il a imprimé des Heures
à l’usage de divers diocèses mais toutes sont à peu près les mêmes pour les desseins des
gravures, cartouches, culs de lampe et autres ornements qui sont dans toutes ces Heures très
singulières et en très grand nombre ». Il confesse d’ailleurs qu’il s’intéresse peu aux livres
de théologie, surtout s’ils ne sont pas datés, ce qui a dû le détourner des livres d’heures,
dont le colophon est souvent peu bavard sur l’achevé d’imprimer86.
Son appréciation des Heures modernes est intéressante car elle montre qu’à la fin du
xviiie siècle, une partie de ces livres pourrait devenir collectionnable, pour peu qu’elle
réponde à certains critères. L’édition anversoise de l’Officium Beatae Mariae virginis
Pii V Pont. Max. jussu editum, sortie de la boutique de Plantin-Moretus, lui fait écrire :
« l’impression de ce livre est très belle et les gravures qui sont en très grand nombre
sont ou de Crispin de Parf, ou de Thomas Gal et sont très belles ». Il est plus réticent
devant le Beatae Mariae Virginis Officium (Venise, Pasquali, 1740), relié de maroquin
bleu avec dentelle d’or. « Ce livre a été entièrement gravé aux frais d’un libraire de
Venise avec magnificence mais les figures, quoiqu’assez bien dessinées, ne sont pas
d’ailleurs trop bonnes ». La qualité littéraire du texte rehausse aussi les Heures. Il trouve
un certain charme à l’Exercice spirituel contenant la manière d’employer toutes les heures
du jour au service de Dieu, dont « les traductions des hymnes en vers sont de différents
auteurs anciens et modernes […] Ces Heures sont anciennement dédiées à Mme la
chancelière Séguier, Mrs Cousin et Pelisson y ont travaillé », ce qui dénote une recherche
bibliographique approfondie87. L’office de la Vierge traduit par Corneille, dont il possède
l’édition de 1670, est bien moins intéressant. Il écrit, ironique : « C’est ici la première
édition de ces poésies dévotes qui aussi bien que l’Imitation, furent prescrites au grand
Corneille comme pénitence. L’on voit bien que son génie n’etoit pas à son aise en faisant
ces traductions […]. Ce livre a de très belles gravures ». Sans ces qualités littéraires et
artistiques, ces Heures ne valent rien. L’Office de la très glorieuse Vierge Marie pour les
trois temps de l’année à l’usage de Rome, in-32 imprimé en 1735, est sauvé par sa reliure de
maroquin rouge dans un étui maroquin bleu à dentelle ; en effet, « ce livre d’office n’a
rien d’extraordinaire que l’étuy dans lequel il est renfermé. Il m’a été donné comme un
chef d’œuvre de reliure ». Les Heures nouvelles, d’une méthode extraordinaire par l’ordre
qui y est observé pour les dimanches et fêtes de l’année à l’usage de Paris et à celui de Rome,
utiles à toutes sortes de personnes (Paris, 1699), méritent à peine d’être conservées ; « quoi
qu’en dise le titre, je n’ay rien trouvé d’extraordinaire dans ces Heures ». Quant aux
« Heures de Notre Dame des Hermites par M. Jacquet, 11e édition, Einsiedeln, 1763 »,
elles marquent le sommet de la médiocrité de ces manuels de prières. « Ces Heures
pourront paroitre édifiantes à ceux qui les liront dans de bonnes dispositions, mais
fort ridicules aux autres ». Il est difficile de dire si le marquis de Paulmy exprime ici
une opinion de collectionneur isolé, ou si ses contemporains ont aussi reconsidéré les
Heures illustrées du siècle précédent comme des curiosités bibliographiques. D’autres
sources indiquent un intérêt convergent vers ces réalisations qui attestent la virtuosité
des graveurs du Grand Siècle. Un dictionnaire de calligraphie et de gravure évoque
ainsi Louis Senault :
Cet artiste a donné au public beaucoup d’ouvrages, où la fécondité du génie paroît, où
l’adresse des mains triomphe, où l’on trouve une belle forme de caractères […]. Ce
grand artiste a écrit plusieurs livres d’heures, qui sont extrêmement précieux ; il en est
87 Paulmy possède l’édition de 1735. La première est ainsi libellée : Exercice spirituel, contenant la maniere d’employer
toutes les heures du jour au service de Dieu. Par V. C. P. Dedié à madame la chanceliere, Paris, veuve de D. Foucault,
1682. Le pseudonyme V. C. P. désigne peut-être Louis Cousin pour l’initiale ‘C’ et Paul Pellisson-Fontanier, pour
l’initiale ‘P’. Ces deux auteurs sont explicitement mentionnés comme ayant révisé l’édition de ce texte, dans l’avis
au lecteur de l’édition donnée à Paris par Jacques Collombat en 1719-1720.
170 chapitre 4
un que j’ai vu, lequel m’a surpris par sa correction & sa beauté. Dans le nombre de ceux
que Senault a multipliés par son burin, on trouve que celui qui est dédié à Madame la
Dauphine, mérite beaucoup d’attention88.
La curiosité d’un public averti est donc éveillée face à ces productions d’élite du xviie siècle
et les relectures que les Lumières opèrent du « siècle de Louis XIV » auraient pu favoriser
l’intégration de ces livres d’heures entièrement gravés dans le champ du collectionnable.
Mais à l’inverse des manuscrits à peintures, ces recueils sont restés dépendants de la
fantaisie de quelques amateurs. Après la Révolution, ces Heures modernes disparaissent
complètement du champ de vision des collectionneurs.
Les livres d’heures constituent ainsi dans le marché du livre rare un cas très particulier
en ce qu’ils expriment un rapport paradoxal entre l’offre et la demande. À la différence
des autres manuscrits médiévaux, il existe beaucoup de livres d’heures sur le marché, et
ce n’est donc pas arithmétiquement un objet rare, tant on en a produit entre le xive et le
xvie siècle ; cette offre abondante est canalisée par une demande étroite qui trie ces biens
en fonction de critères très sélectifs. Comme l’a souligné Jean Viardot, « la rareté est une
propriété conférée ; elle est le fait d’un marquage social, d’une opération de violence
symbolique et il faut admettre que ce marquage suppose le partage d’une croyance, la
participation à un culte »89.
Un marché instable
Les catalogues de vente révèlent aussi, quand les notices sont assez précises à ce sujet,
que les livres d’heures passent de main en main entre collectionneurs dont la réputation
valide aussi le caractère possiblement patrimonial de l’objet. Les « Heures de Jeanne
d’Eu », apparues dans la vente de la bibliothèque de Le Fevre de Laubrière en 1740 (no 25),
refont surface en 1780 dans la bibliothèque de Picard à l’occasion de sa dispersion (no 30).
La circulation des Petites Heures du duc de Berry témoigne aussi de ces changements de
mains. Après avoir fait partie de la bibliothèque du duc Charles III de Lorraine, elles
passent entre les mains de Madame du Chasnay, qui les cède à Roger de Gaignères au
commencement du xviiie siècle. Vendues en 1711, elles sont acquises par Gaignat puis
par Le Boullenger de Chaumont. Au décès de celui-ci, en 1763, le manuscrit est acquis par
le duc de La Vallière pour 100 lt, avant d’être remis en vente en 1783, et d’entrer alors à la
Bibliothèque du Roi90. La collection est en effet affaire de réputation : l’origine patricienne
d’un manuscrit renforce son prestige et par contrecoup, celle de ses possesseurs suivants.
Ceux-ci partagent ainsi le sentiment d’appartenir à une chaîne d’amateurs liés entre eux
par la capacité à appréhender l’exceptionnel – et plutôt, de le créer. Pour le collectionneur,
il faut que la valeur de l’objet préexiste à son acquisition, sinon celle-ci serait un simple
caprice. Cette donnée n’est pas propre aux livres d’heures : dans tout l’écosystème de la
88 Pouget, Dictionnaire de chiffres et de lettres ornées, à l’usage de tous les artistes, contenant les vingt-quatre lettres de
l’alphabet, combinées de manière d’y rencontrer tous les noms et surnoms entrelassés, Paris, Tiliard, 1767, p. lxxx.
89 J. Viardot, « La curiosité en fait de livres : phénomène européen ou singularité française ? », in D. Bougé-
Grandon (éd.), Le livre voyageur. Constitution et dissémination des collections livresques dans l’Europe moderne
(1450-1830), Paris, Klincksieck, 2000, p. 195-206.
90 M. Marion, op. cit., p. 428.
le temps des collectionneurs 1 71
91 Catalogue des livres de M ***. Dont la vente se fera le lundi 6 juin 1785, à 4 heures de relevée, en l’une des salles de l’hôtel
de Bullion, rue Plâtrière, Paris, De Bure aîné, 1785, lot 22, p. 7.
92 Abbé Duclos, Dictionnaire bibliographique, historique et critique des livres rares, précieux, singuliers, curieux, estimés
et recherchés qui n’ont aucun prix fixe, tant des auteurs connus que de ceux qui ne le sont pas, soit manuscrits, avant &
depuis l’invention de l’imprimerie ; soit imprimés… avec leur valeur…, Paris, Cailleau et fils, 1791, p. 325-326.
93 Catalogue des livres rares et précieux et des manuscrits composant la bibliothèque de M***, dont la vente se fera le jeudi
22 germinal (12 avril 1804) et jours suivans…, Paris, G. De Bure, 1804.
172 chapitre 4
Régime est toujours actif. À cette occasion sont vendus deux livres d’heures manuscrits
(no 69-70) et deux livres d’heures modernes, l’un entièrement gravé au burin, l’autre étant
les Heures de Port-Royal (no 71). Entre 1790 et 1810, au moins vingt-cinq catalogues de
vente insistent, dès leur page de titre, sur le caractère exceptionnel des articles vendus, en
employant les épithètes « rares » et « précieux » voire « singuliers » pour les qualifier.
C’est le cas pour la vente des collections de Mel de Saint-Ceran (1791), de Bourgevin de
Moligny (1795), de Méon (1803), de Duquesnoy (1803), de Cotte (1804) par exemple.
Ce changement de statut doit compter avec une augmentation exponentielle des
ventes. Les libraires de l’Ancien Régime, tels les De Bure ( Jean-Jacques et Marie-Jacques,
enfants de Guillaume l’aîné), restent très actifs : la librairie familiale organise encore
118 ventes entre 1800 et 1836 ; celle des Barrois, 51 ventes entre 1800 et 1849 ; celle des
Brunet, Thomas puis Jacques-Charles, 77 ventes entre 1800 et 1828. Ils sont toutefois
concurrencés par de nouveaux venus : Antoine-Augustin Renouard (1765-1853), entré
en librairie en l’an II, est le fondateur d’une dynastie spécialisée dans le livre rare. Les
Labitte s’imposent durablement à Paris entre 1807 et 1899 (841 ventes, soit une dizaine
par an), de même que les Techener entre 1828 et 1899 (397 ventes) et enfin Potier (199
ventes entre 1846 et 187294). La librairie parisienne éclipse toujours le marché provincial,
pourtant en plein essor95.
Le marché, toutefois, n’est pas encore fermement stabilisé. En témoigne l’attitude
d’Amans-Alexis Monteil (1769-1850), tout à la fois collectionneur, historien et libraire
amateur, qui exploite à son avantage la faible structuration de l’offre96. Il publie à partir de
1828 une Histoire des Français de divers états aux cinq derniers siècles, qui se veut le contrepied
de l’« histoire-bataille », expression qu’il a forgée et qui a eu la fortune que l’on sait. Il
entend produire une histoire plus proche des peuples, tenant compte des coutumes, des
croyances et des réalités locales. Dès 1833, il engage la vente des sources collectionnées
pour cette œuvre, profitant du succès de son livre pour faire un intéressant bénéfice97.
Cette ruse commerciale repose justement sur l’incertitude du marché. Il ne s’en cache pas,
expliquant avoir fixé la valeur de départ de l’enchère sur l’estimation du papier, du vélin
ou de la reliure, sans préjuger de l’intérêt ; ce sera le rôle des enchères de faire valoir « la
rareté, la valeur historique et monumentaire ». Les notices des quatre livres d’heures qui
s’y trouvent sont pour le moins pittoresques. Les « Heures manuscrites sur papier coton
noir, en lettres d’argent et d’or renfermé dans une boîte de maroquin » (no 410) font
l’objet de ce commentaire : « on présume qu’elles ont appartenu à Charles V dit le Sage. La
notice qui établit cette présomption se trouve dans la boîte ». Il se défausse ainsi de toute
expertise sur des rumeurs et des suppositions. Le lot suivant, décrit parcimonieusement,
est estimé 75 francs ; « ce qui en fait le prix, c’est une des miniatures où le diable, avec
ses griffes, déterre un mort ». Les Heures du xvie siècle signalées sous le no 412 sont
94 Tous ces chiffres sont donnés d’après le Catalogue général de la BnF (consulté le 6 décembre 2018).
95 J.-Y. Mollier (éd.), Le commerce de la librairie en France au xixe siècle. 1789-1914, Paris, IMEC Éditions, Éd. de la
MSH, 1997.
96 J.-L. Lemaître, « Amans-Alexis Monteil (1769-1850) et les manuscrits », Bibliothèque de l’École des Chartes, 164
(2006), p. 227-250.
97 Vente de livres rares et de manuscrits précieux cités dans l’Histoire des Français des divers états…, Silvestre, 1833 : 473
numéros.
le temps des collectionneurs 1 73
« ferrées comme un petit coffre-fort ». Monteil n’est donc pas un libraire et il n’en a pas
les compétences ; il est un bonimenteur sur la scène de la bibliophilie. En 1835, il publie
son Traité de matériaux manuscrits de divers genres d’histoire, ensemble désordonné de
notices de documents ramassés au petit bonheur lors des ventes au poids et au sac des
vestiges archivistiques des monastères d’Ancien Régime. Les descriptions sont, là encore,
indigentes et le ton est celui d’un marchand des Halles. Il écrit ainsi :
Ces Heures sont belles, superbes. Je remarquerai sur celles du xive siècle, qu’au-dessus
de l’évangile secundum Marcum est peint un personnage assis, ayant devant lui un
grand rouleau de bois où se déroule un antique volumen, un long rouleau écrit. Je
parlerai plus longuement de celles du xvie siècle, qui, ainsi qu’on le voit par une petite
pièce des vers de ce temps, ont été données en présent d’amour. La Manufacture de
la Savonnerie me les emprunta, il y a quelques années, pour en copier les bordures ;
véritablement elles sont peintes avec un goût et un éclat dont aujourd’hui même les
gens de l’art sont étonnés. Ces Heures, ou de pareilles Heures, devraient se trouver
en plus ou moins grand nombre dans les bibliothèques des célèbres manufactures,
surtout des manufactures de rubanerie ; aussi me prend-il envie d’écrire au maire de
Saint-Etienne la lettre suivante : « Monsieur le Maire, il est fort singulier, il n’en est
pas moins vrai que les modèles des plus jolis rubans, dans le goût du jour, se trouvent
peints le long des psaumes de l’église à des Heures du xvie siècle qui vont être mises
en vente avec mes autres manuscrits. J’ai l’honneur de vous en prévenir »98.
Il évoque aussi une enluminure où est figuré « le diable sur le bord d’une tombe, qui
avec ses griffes déterre un mort »99, ce qui signifie que ce manuscrit n’a pas trouvé preneur
en 1833. Dans le catalogue dressé pour la vente de sa bibliothèque à son décès en 1851, enfin,
il reste encore un livre d’heures manuscrit et un incunable100.
Cet exemple, pour exceptionnel qu’il soit, indique tout de même une certaine anarchie
dans le marché du document ancien, qu’il relève ou non du collectionnable. Au cours
du xixe siècle, les critères d’appréciation des livres d’heures s’affinent, marginalisant
définitivement les amateurs peu éclairés tel que Monteil. Un corpus de 258 catalogues
publiés entre 1801 et 1914 et choisis pour moitié parmi les membres de la Société des
bibliophiles françois fondée en 1820, et pour l’autre moitié de manière aléatoire, permet
à nouveau de sonder l’offre et la demande.
Jusqu’au milieu du siècle environ, les livres d’heures restent rares dans l’ensemble des
collections privées, confirmant ainsi la tendance observée à la fin du xviiie siècle. L’objet
ne semble pas collectionné massivement chez les amateurs de livres. Sur l’ensemble du
siècle, près d’un quart des collections n’en signalent aucun (Fig. 4.3), et 64 en comptent
moins de cinq, ce qui n’exclut pas l’hypothèse d’une présence purement accidentelle de
ces objets dans les bibliothèques.
Au mieux, le livre d’heures est l’objet de prestige qui rehausse une collection mais n’est
pas en lui-même l’objet de la collection. Abel-Rémusat (1788-1832), professeur de langues
98 A.-A. Monteil, Traité de matériaux manuscrits de divers genres d’histoire, Paris, E. Duverger, 1835, t. 1, p. 47-48.
99 Ibid., p. 49.
100 Catalogue des manuscrits et d’une partie des livres imprimés composant la bibliothèque de feu M. Amans-Alexis
Monteil, Paris, Jannet, 1850, no 10 ; Paris, Jannet, 1851, no 3.
174 chapitre 4
orientales au Collège de France et amateur de livres, a ainsi ajouté à la longue liste des
propriétaires successifs d’un livre d’heures manuscrit : « je tiens ce livre de l’amitié de
mon respectable confrère et ami M. Gossellin, qui me l’a donné en 1823 »101.
Au-delà de six livres d’heures par collection, le nombre d’amateurs va en s’amenuisant.
Passé ce seuil, l’accumulation prend vraiment l’allure d’une collection. Hérisson, ancien juge
et conservateur à la bibliothèque de Chartres, possède ainsi dix Heures, quatre manuscrites
et cinq incunables. Ces collections, déjà célèbres en leur temps, servent d’étalon pour les
amateurs, telles celle de Toussaint Grille (1766-1850) à Angers (17 livres d’heures), dont la
vente est relatée avec force détails dans le Bulletin du bibliophile102, celle du comte de Bruyères
Chalabres (1762-1838, 19 livres d’heures), celle de Félix Solar (1815-1870, 11 livres d’heures) ou
de Charles-Alexandre Sauvageot (1781-1860), conservateur au Louvre (14 livres d’heures). Ces
collections sont également réparties tout au long du siècle, si toutefois on considère la date
de leur dissémination comme un point d’aboutissement. À l’autre extrémité du tableau, les
collections de plus de 50 livres d’heures sont rares (5). Si l’on ajoute les collections connues
mais qui n’ont pas fait l’objet de ventes, comme celle de James de Rothschild (1792-1868), il
apparaît que l’intérêt des collectionneurs pour cet objet trouve son point culminant après
1860. Dans les quatre dernières décennies du xixe siècle percent des collections d’exception,
en quantité (jusqu’alors inégalée) et en qualité, concentrant les livres d’heures, faisant
monter les prix et empêchant aussi mécaniquement d’autres amateurs de les collectionner.
Ce phénomène engendre une certaine homogénéisation du milieu des collectionneurs.
Comme avant la Révolution, le monde de l’érudition et de l’enseignement en est exclu,
hormis quelques figures d’exception comme Constant Leber (1780-1859), historien orléanais,
et Pierre de La Mésangère (1761-1831), co-fondateur et rédacteur principal du Journal des
dames et des modes de 1797 à 1831. Les membres des administrations intermédiaires, si attirés
101 Catalogue des livres, imprimés et manuscrits, composant la bibliothèque de feu M. J.-P. Abel-Rémusat, Paris,
J.-S. Merlin, 1833, lot no 80.
102 Bulletin du bibliophile, 9 (1851), p. 439-443.
le temps des collectionneurs 1 75
par les livres d’heures avant la Révolution, s’en désintéressent après 1840. La famille de
juristes Sensier pouvait encore, jusqu’en 1828, rassembler une vingtaine de livres d’heures
dans sa bibliothèque103 ; à la fin de la Monarchie de Juillet, ce milieu social n’accueille plus de
collectionneurs. En revanche, à la fin du siècle, l’aristocratie s’est ressaisie à la fois du pouvoir,
et ce depuis longtemps, et du livre d’heures dont, un siècle avant, elle se désintéressait.
Cette mutation du marché résulte de la convergence de plusieurs conditions favorables.
Les quelques libraires qui contrôlent la circulation du livre d’heures (dans notre échantillon,
quatre officines se partagent les deux tiers du marché : De Bure, Potier, Techener et Labitte)
ont su mettre au point des procédés commerciaux qui, sans rompre avec ceux d’avant
1789, s’affinent. Le livre d’heures apparaît sur les pages de titre, mention qui consacre
l’importance de cet objet pour les amateurs les plus distingués, et les libraires de moindre
importance s’inspirent ensuite de ce procédé :
Catalogue des livres rares et curieux provenant de la bibliothèque de M. de M***, dont la vente
se fera le lundi 16 mars 1840 et les vingt-deux jours suivants…, Paris, Bohaire, 1840 […]
Les bibliophiles trouveront dans ce catalogue de belles heures manuscrites et des
livres imprimés sur peau-vélin, avec des miniatures peintes en or et en couleur,
des poètes français des xiie, xiiie et xive siècles, des mystères, des romans de
chevalerie, de beaux Elzevirs, reliés et brochés104…
Le contenu des notices se précise également, proposant parfois une description feuillet
par feuillet. La famille De Bure, qui avait tant innové en la matière à la fin du xviiie siècle,
se laisse doubler par de nouveaux libraires plein d’initiatives, tel Techener, qui soigne ses
notices, compare les manuscrits entre eux pour mettre en valeur la singularité de celui
qu’il vend. En 1860, le catalogue qu’il dresse de la bibliothèque du comte de Clinchamp
décrit en marge de la section des manuscrits une pièce phare de la vente, le lot no 23, sur
trois pages105. Sur la page de titre de la vente de la bibliothèque du comte de L***, en 1866,
Aubry se présente comme « libraire-expert ». Bientôt, ces libraires spécialisés, qui savent
s’adresser à des amateurs aux goûts bien délimités, favorisent leur passion en facilitant le
repérage dans les catalogues. La classification s’affine. Pour la vente Chédeau, en 1865, Potier
répartit les 58 livres d’heures selon diverses subdivisions, séparant les Heures manuscrites et
les Heures imprimées, puis distinguant parmi celles-ci les imprimeurs les plus célèbres : « 1.
Ph. Pigouchet et Simon Vostre / 2. Vérard / 3. Les Kerver / 4. Germain et Gilles Hardouin /
5. G. Tory et ses successeurs / 6. Divers libraires de Paris, de Lyon et d’Allemagne »106.
Autre indice, le degré de raffinement des notices. En 1862, lors de la seconde vente de
la bibliothèque de Noël-François Huchet de la Bédoyère (1782-1861), ancien militaire et
légitimiste, Potier convoque tous les critères de la rareté pour attirer l’amateur :
No 24 : Preces Piae cum calendario, grand in-4o, caractères gothiques, mar rouge
compart, tranche dorée, étui. – « Superbe manuscrit sur vélin, orné de 183 miniatures
103 Catalogue des livres rares et précieux composant la bibliothèque de M. S[ensier], membre de la Société des bibliophiles
français, Paris, Galliot, 1828.
104 Nous reproduisons la typographie.
105 Catalogue d’une belle collection de livres rares et précieux…, Paris, Techener, 1860, p. 184-186.
106 Catalogue des livres rares et précieux, manuscrits et imprimés composant la bibliothèque de M. Chedeau, de Saumur,
Paris, Potier, 1865.
176 chapitre 4
Un répertoire de critères de rareté se fait jour aussi, et c’est une évolution importante,
pour les Heures incunables. Cet intérêt nouveau est sans doute le résultat des mutations
que le monde de la chose imprimée connaît à partir des années 1820-1830, en particulier
l’industrialisation de la chaîne du livre. La nostalgie s’empare alors des bibliophiles, qui
accordent une nouvelle considération à l’incunable et la xylogravure. Cette inflexion est
tardive : les collectionneurs français sont parmi les derniers à s’intéresser aux incunables,
alors que les amateurs anglais et italiens les recherchent assidûment depuis le début du
xviiie siècle107. Les Heures échappent à ce mouvement, car elles sont souvent non datées,
or la datation est essentielle aux yeux des collectionneurs.
Quelques amateurs distingués, comme le comte MacCarthy (1744-1811), s’y étaient
intéressés au commencement du xixe siècle, mais cet intérêt relevait de la pure fantaisie
individuelle, et non de la consécration de l’incunable au sein de la bibliophilie. C’est De
Bure lui-même, administrateur de la vente, qui qualifie Mac Carthy de redécouvreur, sans
doute dans un but commercial, pour amplifier la réputation d’une collection atypique. Les
livres d’heures incunables – près de 80 unités – représentent le sixième de cette collection
considérable lors de la dernière vente en 1825 : « tous ne sont pas également remarquables
par leur beauté ; cependant cette classe en renferme d’excessivement rares et curieux »108
vante le libraire, mettant le doigt sur la difficulté de faire une place à ces recueils : innom-
brables, donc possiblement banals, ils doivent encore faire leurs preuves sur le marché du
107 Y. Sordet, « Les incunables chez quelques collectionneurs français des xviie et xviiie siècles : élection,
distinction, manipulation », in Le berceau du livre imprimé…, op. cit., p. 267-286.
108 Catalogue des livres rares et précieux de la bibliothèque de feu M. le comte de Mac-Carthy Reagh, t. 1, Paris, De Bure
frères, libraires du roi et de la bibliothèque du roi, 1825, p. vii.
le temps des collectionneurs 17 7
livre rare. Le libraire souligne d’ailleurs la mise en regard, dans la collection, des Heures
gothiques imprimées et des Heures manuscrites, comme pour évaluer les secondes à
l’aune des premières, mieux connues. Cette incertitude autorise un processus inédit : les
amateurs sont pris de vitesse par les institutions publiques, en particulier la Bibliothèque
du Roi, qui se lance dans une véritable chasse aux « impressions gothiques » et sur vélin.
En 1822, Joseph Van Praet (1754-1837), bibliothécaire et premier organisateur de la Réserve
précieuse, dresse un Catalogue des livres imprimés sur vélin qui se trouvent à la Bibliothèque
du Roi. Il y dénombre 141 livres d’heures. Les dates d’entrée dans la Réserve, quand elles
figurent, révèlent une active politique d’acquisition à la fin de l’Empire et au début de la
Restauration, lors des grandes ventes de MacCarthy ou de Trudaine, entre autres. Van Praet
s’impose comme l’un des premiers experts français des incunables. Il s’attelle ensuite à un
Catalogue de livres imprimés sur vélin qui se trouvent dans des bibliothèques tant publiques que
particulières (1824), dans lequel il signale des mouvements de livres d’heures sur le marché
depuis une quarantaine d’années, avec les prix de vente. La rédaction de ces catalogues
est un moyen de confisquer l’expertise en matière d’incunables au sein de la bibliothèque
censée incarner l’État, alors que la compétence en matière de livres anciens, jusqu’alors,
était le fait de particuliers souvent autoproclamés, libraires ou bibliophiles109.
Cet intérêt pour les Heures gothiques se confirme ensuite. Chedeau à Saumur (43
incunables en 1865), Firmin-Didot à Paris (134 incunables en 1867) constituent simul-
tanément de remarquables collections. En même temps, des outils bibliographiques
facilitent le discernement des amateurs. Le plus complet est indiscutablement le Manuel
de Jacques-Charles Brunet (1780-1867), libraire et lui-même bibliophile. Dans la lignée
de la Bibliographie instructive de De Bure, Brunet a souhaité récapituler à la fois les
éditions anciennes rares et précieuses, et les livres modernes à l’exécution soignée qui
les rend candidats à la collection. Son Manuel est une liste de « livres choisis », et non
un dictionnaire systématique de bibliographie. Toutefois, avec 30 000 notices, il atteint
une certaine exhaustivité. Pour chaque entrée, il donne les éditions intéressantes, leur
valeur, et signale les contrefaçons. Dans la quatrième édition en 1842 (la première datant
de 1814), il ajoute une notice sur les Heures gothiques imprimées à Paris à la fin du
xve siècle et au commencement du xvie, avec une description des ornements gravés sur
bois représentant la danse macabre et d’autres sujets. Il consacre des notices générales à
Simon Vostre, Philippe Pigouchet, Antoine Vérard, les Kerver, les Hardouin, Guillaume
Eustace, Guillaume Godard, François Regnault et quelques libraires secondaires. À chaque
atelier est rattachée une liste des Heures qu’ils ont publiées. Quelques bois sont reproduits,
d’abord à partir d’exemplaires de la librairie Brunet, puis à partir d’exemplaires issus de
la collection de Firmin-Didot. Ce manuel, comme les Catalogues de Van Praet quelques
décennies plus tôt, s’attache principalement aux caractéristiques formelles des Heures
imprimées, reproduisant parfois pages de titres et colophons en respectant la disposition
typographique pour mieux en montrer la beauté et l’équilibre. Il discute la datation et la
complétude des exemplaires. Ces nouveaux instruments d’expertise sont relayés par les
bibliophiles eux-mêmes. Ambroise Firmin-Didot (1790-1876), en 1867, envisage l’édition
109 F. Henryot, L’État bibliophile. Collections publiques et quête des incunables au xixe siècle, Paris, Maisonneuve et
Larose, 2021.
178 chapitre 4
Le monde des collectionneurs de livres d’heures, après 1860, se divise en deux groupes.
Le plus visible et le plus important est celui dont les membres réunissent individuellement
plus de trente recueils. Il est naturellement restreint : les Rothschild, le duc d’Aumale (1822-
1897), la duchesse de Berry (1798-1870), la famille Brödemann et Paul Desq (1816-1877) à
Lyon, Charles-Joseph Van der Halle, le comte de Lignerolles, Nicolas Yemeniz (1781-1871),
et c’est tout. Le second, à peine plus large, est composé d’amateurs dont les moyens ne leur
permettent pas de rivaliser avec ces grands collectionneurs : Gustave Guyot de Villeneuve
(1825-1898), Charles de L’Escalopier (1812-1861), Raoul de Lignerolles, Alexandre Lantelme
(1832-1903) à Grenoble et quelques autres peuvent s’offrir, sur une vie, dix à vingt recueils,
rarement davantage. Ce cercle semble diminuer à mesure que le premier, à la faveur des
ventes, s’empare de trésors. Les quelques collections qui recueillent les livres d’heures,
110 Catalogue raisonné des livres de la bibliothèque de M. Ambroise Firmin Didot. Tome Premier : livres avec figures sur
bois. Solennités. Romans de chevalerie, Paris, A. Firmin-Didot, 1867.
111 J.-Ch. Brunet, Notice sur les Heures gothiques imprimées à Paris à la fin du quinzième siècle et dans une partie du
seizième, Paris, Impr. F. Didot frères, 1864.
112 Catalogue de la bibliothèque de M. N. Yemeniz, membre de la société des Bibliophiles françois, de la société française
d’archéologique…, Paris, Bachelin-Deflorenne, 1867, p. xxii, notice introductive de Le Roux de Lincy.
le temps des collectionneurs 1 79
mais en très grande quantité, en tirent leur prestige, et ce fait est le signe de l’aboutissement
du processus de collectionnabilité. Ce n’est définitivement plus un objet hérité, mais un
objet désiré et protégé. Ce changement de statut tient à des mutations importantes de la
bibliophilie et de ses motifs.
D’abord, la possession de manuscrits et d’imprimés gothiques n’est plus une question
de situation sociale, mais de niveau de fortune. Tous ces collectionneurs comptent parmi
les plus grandes fortunes de France et c’est leur seul point commun : les Brödemann sont
des industriels et des négociants ; le duc d’Aumale, un descendant des rois de France et
héritier de l’immense fortune des princes de Condé ; Yemeniz, un émigré grec devenu
consul en Turquie et en Grèce ; les Rothschild, des banquiers. Les observateurs du marché
soulignent – et parfois regrettent – les « valeurs exorbitantes » (catalogue Dinaux, 1864)
de certains livres rares, les « tournois de ventes de livres » (catalogue Solar, 1860), enfin
la domination des « bibliophiles de la Finance et de l’Aristocratie » qui sont aussi « les
plus passionnés et les plus généreux » selon le mot de Paul Lacroix, plus connu sous le
pseudonyme du Bibliophile Jacob.
Ces fortunes considérables sont mises au service d’une nouvelle idée de la bibliophilie.
À rebours de l’idéal encyclopédique des Lumières et de l’âge romantique, chaque collection-
neur déploie sa passion à travers une logique conductrice de plus en plus étroite. Chez les
Rothschild, famille de banquiers aux vastes ramifications européennes, la collection assure
la respectabilité et fait partie d’une certaine conformité sociale. Ils raisonnent à l’égard des
livres en banquiers. Ferdinand de Rothschild écrit dans ses mémoires : « un commerce
s’est créé en matière d’art, universel, international et systématique comme n’importe quel
autre »113. Anselm-Salomon de Rothschild (1803-1874), de la branche viennoise, a possédé
14 manuscrits enluminés, dont 8 livres d’heures du xvie siècle et des enluminures séparées
provenant de livres de prières. Les deux catalogues de sa collection dressés de part et d’autre
de l’année 1866 montrent qu’après cette date, il s’attache à des manuscrits beaucoup plus
précieux. Ils sont légués par son fils Ferdinand James à la British Library en 1898. James de
Rothschild (1844-1881) et son épouse Thérèse, installés à Paris, affinent aussi leur goût au fil
du temps, et au contact des libraires de Paris et de Londres. James affirme dans une lettre à
Quaritch, antiquaire londonien, son « goût exclusif pour les pièces gothiques »114. En 1873,
un premier inventaire signale vingt livres d’heures imprimés et deux manuscrits. Trente
ans plus tard, Thérèse, devenue veuve et faisant dresser le catalogue de leur collection, en
a acquis encore sept, et des plus précieux. James était plutôt un érudit, il avait constitué
une bibliothèque littéraire ; Thérèse s’intéresse plutôt aux manuscrits à peintures. Elle
en a sans doute aussi récupéré auprès de Charles de Rothschild, son grand-père de la
branche de Francfort, ou auprès de cousins. Leur fils Henri (1872-1947), pédiatre, achète
encore un livre d’heures avant-guerre. Leurs cousins de Naples, en particulier Adolphe
(1823-1900), est connu pour sa joute contre le duc d’Aumale à l’occasion de la vente des
Très riches heures du duc de Berry, dont il sort perdant en 1855. Il parvient à acquérir quatre
remarquables manuscrits entre 1855 et 1884. Un autre James achète les grandes heures de
Bourdichon à la vente Renouard de 1854 (lot no 50) et le livre d’heures Baroncelli-Bandini
113 Cité dans Chr. de Hamel, Les Rothschild, collectionneurs de manuscrits, Paris, Ed. de la BnF, 2004, p. 22.
114 Cité dans ibid., p. 93.
180 chapitre 4
à la vente De Bure en 1853 (lot no 63). Son fils Edmond-James (1845-1934) possédera 45
livres d’heures, italiens, français, anglais, flamands et germaniques parmi 94 manuscrits115.
L’estimation réalisée par un libraire anglais en vue d’un partage équitable entre ses trois
enfants pour sa succession, les évalue à 35 215 livres sterling, alors que l’ensemble des
manuscrits s’élève à 61 298 livres sterling : les livres d’heures se trouvent donc parmi les
pièces les plus précieuses. Les Heures du duc de Berry, achetées à la famille d’Ailly en 1880,
valent 10 000 livres à elles seules, de même que celles de Simon Bening. La numérotation
des manuscrits suivant l’ordre de leur acquisition au fil de la vie d’Edmond-James, il apparaît
que les Heures sont le genre de manuscrits auquel il a été le plus fidèle, puisqu’elles sont
réparties uniformément dans la liste, du no 18 au no 91. Cette frénésie à collectionner les
Heures a eu une influence importante sur le marché : les Rothschild, par leurs pratiques,
ont contribué à réviser l’appréciation de ces manuscrits ; ainsi, certains motifs floraux qui
leur paraissent mièvres font baisser la cote des livres qui en sont ornés, et d’autres décors
font au contraire augmenter les prix s’ils sont appréciés de ces banquiers.
Cette influence des grands amateurs sur le marché montre l’importance du débat
sur la rareté et la préciosité de ces livres. Trois procédés sont convoqués pour l’alimenter
publiquement, en plus des discussions feutrées qu’on imagine dans les librairies et les
salons de ces riches financiers : l’écriture de portraits narrativisés de collectionneurs
amis ; la fréquentation de cercles associatifs spécialisés, enfin l’usage commun d’espaces
de publication dédiés à la bibliophilie. Ces procédés confortent l’existence d’un cercle
d’amateurs capables de se reconnaître entre eux à partir d’objets symboliques. Le livre
d’heures est précisément de ceux-là.
Le premier procédé est celui de la publicisation de la figure du collectionneur, de ses
pratiques et de ses manies, jusqu’à construire un profil type de ces individus qui sacrifie-
raient volontiers femme et enfants à un livre rare. Ce discours renouvelle grandement,
au tournant des xixe et xxe siècles, la figure romantique élaborée par Nodier (1780-1844)
dans les années 1830116. Une série de textes, généralement placés en tête des catalogues de
vente en vue de présenter le collectionneur à l’origine des objets qui vont être dispersés,
participe de cette construction et de cette schématisation de l’« amateur distingué ». Paul
Lacroix (1806-1884) et Le Roux de Lincy (1806-1869) sont les deux auteurs de ces notices
les plus fréquemment rencontrés ; or ils sont eux-mêmes collectionneurs et parlent au nom
d’un groupe en train de se constituer. Ils créent ainsi une posture à la fois collective et
individuelle, celle de l’amateur couronné par son ou ses livre(s) d’heures. Dominique Pety
situe précisément vers 1860 le moment où le collectionneur acquiert une légitimité sociale,
à rebours des représentations caricaturales qu’en avait données le début du xixe siècle117. Ce
discours fonde une hiérarchie et une sorte d’autorité morale, philosophique, matérielle et
esthétique à l’attention du public et des cercles bibliophiliques. C’est tout à fait net sous la
plume du duc d’Aumale, qui use d’un procédé un peu différent, le récit autobiographique.
Le 22 mars 1850, il écrit à son secrétaire particulier : « je m’amuse, dans les soirées, à faire
sur des feuilles volantes le catalogue de mes manuscrits »118. Ce travail aboutit en 1897 et
le catalogue est publié en 1900. Vingt-deux livres d’heures y sont dénombrés et décrits, et
pour plusieurs d’entre eux, le duc rapporte les circonstances dans lesquelles il les a obtenus.
Le récit le plus intéressant concerne le « roi des manuscrits enluminés », selon le mot de
Georges Hulin de Loo (1862-1945)119. Il s’agit des Très Riches Heures du duc de Berry
(ms. 65). Quand le catalogue paraît, le manuscrit a déjà une très grande renommée. Le
duc sait donc que le récit de son acquisition est attendu de tous les amateurs. Il rassemble
alors les ingrédients d’une histoire touchante.
Au mois de décembre 1855, je quittais Twickenham pour aller faire visite à ma
mère, alors malade à Nervi, près de Gênes. Panizzi m’avait mis en mesure de voir
un manuscrit intéressant qui lui était signalé par un de ses amis de Turin. Et je fis
connaissance avec les « Heures du duc de Berry », déposées alors dans un pensionnat
de jeunes demoiselles, villa Pallavicini, banlieue de Gênes. Une rapide inspection
me permit d’apprécier la beauté, le style, l’originalité des miniatures et de toute la
décoration. Je reconnus le portrait du prince, ses armes, le donjon de Vincennes etc.
On me dit, suivant l’usage, que les compétiteurs étaient sérieux ; je ne répondis rien
à cet avertissement, qui me semblait banal et qui était cependant plus fondé que je
ne pensais. Mon parti était pris, et je mis l’affaire aux mains de Panizzi. Au bout d’un
mois, le « livre d’heures avec miniatures, portant sur la couverture les blasons Serra
et Spinola de Gênes » (ainsi défini dans le reçu), était en ma possession, cédé par le
baron Félix de Margherita, de Turin, qui le tenait lui-même par héritage du marquis
Jean-Baptiste Serra, pour la somme principale de 18000 francs. En ajoutant 1280 francs,
commissions, frais d’expertise et d’expédition, on arrive au prix total de 19280 francs
que j’ai réellement déboursés120.
L’histoire est authentique, mais la manière de la tourner met en exergue la mère
malade (et ce n’est pas n’importe qui : Marie-Amélie de Bourbon-Sicile, épouse de
Louis-Philippe), la rencontre dans un lieu insolite où le charme du manuscrit ressort
d’autant mieux, l’attirance au premier regard (« une rapide inspection »), les concurrents
empressés dont le duc ressort vainqueur : le manuscrit est une jeune fille convoitée, c’est le
duc d’Aumale qui l’épouse. Ce genre de récit rapproche les amateurs, ou attise leur envie,
pose un collectionneur.
Les amateurs font corps dans des associations spécialisées qui constituent aussi
une caisse de résonnance à ces postures sociales et esthétiques. C’est particulièrement
vrai de la Société des bibliophiles françois, fondée en 1820 et qui siège à la Bibliothèque
de l’Arsenal. « Instituée pour entretenir & propager le goût des livres, pour publier ou
reproduire des ouvrages inédits ou rares, mais surtout pouvant intéresser l’histoire, la
littérature ou la langue françoise, & pour perpétuer dans ses publications les traditions
de l’ancienne imprimerie françoise » (art. 1er des statuts de la Société), elle rassemble 35
membres, remplacés au fur et à mesure des départs. La Liste des membres publiée en 1911
118 Correspondance du duc d’Aumale et de Cuvillier-Fleury, Paris, Plon et Nourrit, 1910-1914, t. II, p. 60.
119 G. Hulin de Loo, « Les Très Riches Heures de Jean de Berry », Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de
Gand, 11 (1903), p. 1-178.
120 H. d’Orléans, Chantilly. Le cabinet des livres. Manuscrits, t. 1, Paris, Plon et Nourrit, 1900, p. 59-60.
182 chapitre 4
signale 108 bibliophiles occupant ou ayant occupé l’un de ces 35 fauteuils121. Le recrutement
est principalement aristocratique et parisien, sans doute par le principe même de la
cooptation qui impose des amis ou des pairs. C’est un fait important : la noblesse, qui s’était
relativement détournée de la bibliophilie à la fin de l’Ancien Régime, y revient comme
vers un marqueur de son identité nobiliaire. C’est aussi une singularité de cette société, car
en province, la composition sociale de ces cercles bibliophiles est plus nuancée. À Lyon,
ainsi, la Société des bibliophiles lyonnais fondée en 1885 réunit plutôt des bourgeois ou
des héritiers des grandes dynasties industrielles, le profil dominant étant celui de l’érudit
rentier122. La Société parisienne rassemble l’élite de la bibliophilie française et la tournure
que prend la quête de la rareté s’en ressent. Les membres de la Société possèdent douze
livres d’heures en moyenne, pour six chez les collectionneurs qui n’appartiennent pas à
cette association. Parmi les 64 membres pour lesquels on dispose d’un catalogue de leur
collection, 50 ont des livres d’heures et pour certains d’entre eux, en grande quantité.
L’académicien Monmerqué (1780-1860) en possède 11, dont 7 manuscrits, de même que
Charles de L’Escalopier. Le vicomte de Morel-Vindé (1759-1842), qui a acquis la totalité de
la collection de Paignon-Dijonval pour la continuer, en a rassemblé 35, dont 25 manuscrits.
Duriez, de Lille, en possède 74, dont 45 manuscrits et 22 incunables, ce qui a donné lieu
à une vente mémorable en 1827. Ainsi, à travers le siècle et plus encore dans sa seconde
moitié, le livre d’heures est un signe de reconnaissance entre collectionneurs d’exception.
Tous les grands amateurs de cet objet font d’ailleurs partie de la Société, hormis James
de Rothschild : Yemeniz, Brödemann, le duc d’Aumale ancien président d’honneur par
exemple. Les collectionneurs de livres d’heures apparaissent comme l’élite des bibliophiles
et pour le rester, il faut bien qu’ils soient peu nombreux. Paul Lacroix, membre de cette
société, écrit ainsi en 1872 : « Les amateurs de manuscrits à miniatures (ces amateurs-là
ne sont pas nombreux, il est vrai, mais ils ont toute l’ardeur d’une passion qui manque
d’aliments) ne regarderont pas à payer au poids de l’or quelques beaux livres d’heures,
qui pourtant ne sont pas trop chers, eu égard à la beauté des peintures et à la richesse des
ornements »123. Pointant ainsi la rareté du livre d’heures sur le marché, cette remarque
confirme qu’il est aussi un objet d’exception. Les amateurs le savent, qui spectacularisent
leur collection. Chez James de Rothschild, un précieux meuble signé Boulle abrite les
livres royaux, dont les livres d’heures ; Armand Cigongne (1790-1859), lui, a fait faire par
un ébéniste, Fourdinois, un pied d’ébène pour des Heures de la Vierge, « charmant petit
volume […] relié en vermeil, avec ornements d’ivoire et camées, dont aucune description
ne peut rendre exactement la finesse et l’éclat. J’ai entendu dire au possesseur qu’il avait
payé ce bijou trois mille francs ; il en vaudrait aujourd’hui trois fois autant, peut-être plus
encore »124. Alexandre Du Sommerard (1779-1842), qui a littéralement remeublé l’hôtel
121 Liste des membres de la société des Bibliophiles françois fondée en MD CCC XX, suivie de ses statuts et de la liste de ses
publications, Paris, pour les membres de la Société, 1911.
122 D. Galindo, Érudition et bibliophilie en France au xixe siècle : la Société des bibliophiles lyonnais (1885-1914), cénacle
d’amis des livres, société savante et association d’éditeurs amateurs en province sous la Troisième République, thèse de
doctorat, Université Lyon 2, 2008.
123 Catalogue des livres anciens et modernes, rares et curieux de la Librairie Auguste Fontaine, Paris, A. Fontaine, 1872,
p. x-xi.
124 Catalogue des livres manuscrits et imprimés de M. Armand Cigongne, membre de la Société des Bibliophiles, Paris,
L. Potier, 1861, p. xiii.
le temps des collectionneurs 1 83
de Cluny avec ses collections d’objets d’art du Moyen Âge et de la Renaissance, a imaginé
une scénographique un peu rudimentaire, mais visiblement efficace. Les observateurs
contemporains remarquent d’une part qu’on est fort bien reçu chez ce collectionneur
un peu fantasque, et que d’autre part, les objets sont répartis thématiquement selon la
destination initiale de la pièce qui les accueille. Les objets du culte sont à la chapelle, où
« sur de curieux pupitres sont disposés des manuscrits à miniatures, des livres d’heures
et des missels ; et contre les murailles, de précieux tableaux à volets de vieux maîtres ; et
aux croisées, des vitraux éclatants du commencement du xvie siècle »125. Le duc d’Aumale
pousse à l’extrême cette logique. C’est indiscutablement lui qui a fait de ses Très Riches
Heures un mythe, en dévoilant et occultant alternativement le manuscrit pour susciter la
curiosité et l’envie. Le 21 mai 1862, il ouvre Orleans House aux membres du Fine Arts Club
auquel il appartient et publie un petit fascicule à cette occasion. C’est lui qui impose la
dénomination « Très Riches Heures » alors que dans les premières publications qui sont
consacrées à ce manuscrit, notamment celle de Delisle en 1884, il s’agissait des « belles
heures » ou « Heures de Chantilly ».
Dans le petit monde de la bibliophilie, les bibliothèques les plus riches et les plus
curieuses n’ont donc pas besoin de la publicité de la vente pour être connues. La
collection est en effet un espace de sociabilité bibliophilique. La vente publique y est
du reste assez mal vue car elle montre la déliquescence d’une famille ou d’une fortune
obligée de se dessaisir d’un bien ; on préfère les tractations entre collectionneurs, plus
discrètes, avec éventuellement l’intervention d’un marchand. En 1880, ainsi, le comte
Dailly est disposé à se défaire d’un manuscrit précieux, les Très belles heures du duc
de Berry, recueil incomplet dont une partie se retrouvera à Turin, où elle disparaîtra
dans un incendie, et l’autre, à Milan dans les collections des princes Trivulzio. Il entre
en discussion avec le duc d’Aumale qui ne donne pas suite, sans doute parce que le
manuscrit est incomplet et c’est finalement Adolphe de Rothschild qui l’achète126. En
somme, collectionner le manuscrit favorise commerce et plaisir entre soi. Si la vente
aux enchères reste un événement suivi, voire un spectacle, les collectionneurs les plus
exigeants trouvent d’autres biais pour alimenter leur passion. Au début du siècle, le
marquis de Bruyères-Chalabre extorquait à force d’insistance et d’arguments les plus
belles pièces de ses concurrents : « il ne suivait pas seulement la marche ordinaire des
ventes pour y arrêter les belles choses qui s’y présentaient, il pénétrait dans les cabinets
des amateurs et souvent il leur arrachait, à force d’argent, les objets dont ils étaient le
moins disposés à se dessaisir »127 et ces procédés lui avaient permis de rassembler ses
manuscrits, parmi lesquels dix Heures enluminées. Pour éviter la concurrence, Sauvageot
fouine chez les bouquinistes, plutôt que chez les libraires spécialisés, et compte sur leur
ignorance pour les avoir à bon prix :
Si par hasard il rencontrait chez les marchands de bric-à-brac un livre d’heures bien
conservé et d’une bonne exécution, ou tout autre livre orné d’une vieille reliure en
125 L. Batissier, « Salons de M. Du Sommerard dans l’hôtel de Cluny, à Paris », in L’art en province. Cours
d’archéologie nationale, Moulins, Impr. P.-A. Desrosiers, 1836-1837, p. 210-212.
126 Cité par R. Cazelles, Le duc d’Aumale, Paris, Taillandier, 1994.
127 Catalogue des livres imprimés et manuscrits et des autographes composant le cabinet de feu M. de Bruyères Chalabre,
Paris, Merlin, 1833, avertissement.
184 chapitre 4
bon état, il s’en emparait ; mais il le cachait à tous les yeux, afin de ne pas laisser croire
qu’il joignait la manie des livres à celle des curiosités ; ne voulant pas surtout exciter
la convoitise des bibliophiles émérites qu’il pouvait rencontrer128.
Dans ces conditions, la collection relève peut-être d’un certain conformisme. Renouard,
dans le premier catalogue de sa bibliothèque, ne signalait que deux livres d’heures modernes,
assez dédaigneusement d’ailleurs : il écrivait à propos des Heures imprimées sur ordre du
cardinal de Noailles en 1736 et de leur belle reliure en maroquin citron à compartiments :
« malgré tout mon respect pour les choses saintes, j’aimerois autant que cette magnifique
et tout à fait extraordinaire reliure fût sur quelque bonne et vieille édition de l’un des
classiques grecs et latins, ou sur un bon ouvrage de littérature françoise »129. Il y ajoute
cinq incunables, dont deux vénitiens dont le principal intérêt est de sortir de l’atelier aldin ;
enfin, trois manuscrits enluminés. En 1854, dans le catalogue dressé pour la dispersion de
sa bibliothèque après son décès, les livres d’heures ont changé de statut. Ils ne sont pas
plus nombreux, mais font désormais partie de la légende du vieux bibliographe : « nous
avons sous les yeux une note qu’il écrivait, moins d’un mois avant sa mort, sur son fameux
livre d’Heures avec miniatures, la merveille de sa bibliothèque130 ». Cette mention est
d’autant plus intéressante que Renouard n’est pas à proprement parler collectionneur
de livres d’heures : son libraire utilise l’objet pour marquer une posture, une manière de
rejoindre un cercle de fins connaisseurs unis par la recherche de manuscrits raffinés. Ces
éloges bibliographiques et les catalogues qu’ils précèdent montrent à ce titre une rupture
importante avec la période précédente. Ils assurent la publicité autour de cabinets de
référence tout en fermant le cercle de circulation des biens131.
Un autre espace de construction de la posture de l’amateur raffiné est le Bulletin du
bibliophile, fondé en 1834 par Nodier et quelques confrères, sous l’égide du libraire Joseph
Techener (1802-1873), tout en se voulant indépendant du commerce. Cette ambiguïté
souligne combien les liens entre collectionneurs et les agents du commerce du livre, ayant
par ailleurs acquis une véritable expertise sur leur marchandise, s’inscrivent dans un rapport
dialectique, entre concurrence, opposition et encouragement mutuel. Le Bulletin est le lieu
de signalement de ventes d’Heures, et progressivement, de notices érudites sur les plus
beaux manuscrits et incunables qui font surface dans les salles des ventes. Ce qui nous
intéresse ici, c’est surtout l’identité des contributeurs du Bulletin. On y retrouve en effet les
mêmes individus qu’à la Société des Bibliophiles françois : Jacques-Charles Brunet, dont
le Manuel reste la référence indépassable, mais qui ne peut être mis à jour annuellement,
et à qui le Bulletin offre ainsi un espace pour compléter le signalement des livres dignes
d’être collectionnés et pour noter l’évolution de leur cote ; Gabriel Peignot, Paulin-Paris,
Duplessis, Leber, Du Roure, Monmerqué, Nugent, Aimé-Martin, Chalon, Delmotte, Jules
Olivier, Polain, Reiffenberg, Taillandier, Paul de Malden, Arthur Dinaux, Achille Jubinal,
128 Catalogue des livres manuscrits et imprimés composant la bibliothèque de M. Charles Sauvageot,… avec une notice
biographique par M. Le Roux de Lincy, Paris, L. Potier, 1860, p. xxvi.
129 A.-A. Renouard, Catalogue de la bibliothèque d’un amateur, Paris, Renouard, 1819, t. 1, p. 40.
130 Catalogue d’une précieuse collection de livres, manuscrits, autographes, dessins et gravures composant la bibliothèque de
feu M. Antoine-Augustin Renouard, Paris, L. Potier, 1854, p. xii.
131 A. Calderone, « Les bibliothèques d’amateurs au xixe siècle. Œuvres transitoires cherchent mémoire »,
Romantisme, 177 (2017), p. 54-63.
le temps des collectionneurs 1 85
L’exploration du marché
Pour tous ces bibliophiles, les modalités de l’investigation n’ont guère changé. Les
libraires restent leurs interlocuteurs privilégiés, tels Techener ou Potier, ou plus tard
Bachelin-Deflorenne, omniprésent dans le marché du livre ancien à Paris sous le Second
Empire134. Pour les marchands, vendre un manuscrit aux plus prestigieux amateurs confère
une grande crédibilité professionnelle, aussi beaucoup d’entre eux tentent de leur présenter
leur marchandise. Les archives familiales des Rothschild, consultées par Christopher de
Hamel, regorgent de lettres et de propositions flattant le goût de James pour le nombre
élevé d’enluminures dans un livre d’heures, et pour la qualité de l’exécution. Il refuse ainsi
les Heures Farnèse proposées par la librairie Kende de Vienne le 24 mai 1898 car elles sont
trop chères (300 000 francs) mais le libraire lui a envoyé le manuscrit à domicile pour
qu’il puisse l’examiner à son aise. En 1919, Quaritch le tente avec les Heures de Jeanne de
Navarre, ornées de 108 miniatures, il envoie une commission de 12 000 livres au libraire
(lors de la vente Yates Thompson) et emporte le lot pour 11 800 livres. La correspondance
du duc d’Aumale montre toute l’ingéniosité du bibliophile pour accaparer, sans attirer
l’attention de ses concurrents, les pièces les plus intéressantes. Entre le collectionneur,
son secrétaire et agent dans les ventes Cuvillier-Fleury, et enfin les libraires, les relations
sont complexes, entre caprices du premier, choix raisonnables du deuxième et séduction
du dernier. Léon Techener (1832-1888) écrit ainsi au duc, en décembre 1856, alors que
tout le petit monde de la bibliophilie a entendu parler du fabuleux manuscrit qu’il vient
d’acquérir, les Très Riches Heures du duc de Berry :
Monseigneur, j’ai pris la liberté de vous addresser (sic) par la poste, avec l’autorisation
toutefois de Monsieur Cuvillier-Fleury, une petite notice sur un manuscrit précieux
132 G. Guyot de Villeneuve, Notice sur un manuscrit du xive siècle : les Heures du maréchal de Boucicaut, Paris, pour
la Société des bibliophiles françois, 1889.
133 E. Quentin-Bauchart, Le Livre d’heures de Henri II, Paris, pour la Société des bibliophiles françois, 1890.
134 R. Jimenez, « Le Bibliophile français et la librairie Bachelin-Deflorenne », La Nouvelle Revue des Livres Anciens,
2 (2009), p. 59-64.
186 chapitre 4
dont j’ai fait l’acquisition ; ce manuscrit est au prix de 15000 fr (quinze mille francs) et il
a été admiré ces jours-ci par les amateurs et les bibliophiles parisiens. Le Baron Sellières
a offert 12000 fr ; le Baron de Rotschild (sic) n’a pas voulu encore dire son dernier mot.
Ce manuscrit, sans égaler la beauté exceptionnelle et royalle du manuscrit que vous
avez acquis à Gênes, serait digne de figurer cependant à côté, sur la même ligne et dans
la collection des autres manuscrits que vous possédez déjà presque uniquement dans
le monde après les bibliothèques publiques. Il me semble, Monseigneur, qu’il ne peut
pas me passer par les mains un objet aussi précieux, sans que vous en ayez connaissance
et que je n’en dispose qu’après votre refus135.
Le ton suave de la lettre montre bien les efforts de persuasion du libraire, agitant
le spectre de la concurrence pour décider le duc. Mais en la matière, c’est toujours le
collectionneur qui a le dernier mot. Les relations entre le duc d’Aumale et Techener
sont houleuses. Au printemps 1862, le libraire se plaint auprès de Cuvillier-Fleury d’une
« crise financière qui pèse considérablement sur les affaires » et annonce vouloir se
séparer de ses manuscrits pour cette raison. La vente est alors en préparation136. La
séduction n’opère visiblement pas, car il regrette dans une lettre, au lendemain de la
vente, avoir mis de côté des manuscrits pour lesquels le duc avait manifesté son intérêt,
mais qui finalement n’en a pas voulu, ce qui occasionne une perte importante pour le
libraire. La vente en question a fait l’objet d’un catalogue qui a demandé un an de travail
à Techener, et « qui ne contient que des volumes uniques, par cette raison qu’ils sont
manuscrits » et qu’ils constituent « une série remarquable et si variée de documents
historiques les plus intéressants sous le rapport des miniatures, de l’âge et de l’antiquité
des manuscrits »137. Parmi les manuscrits rejetés par le duc figurent peut-être l’un ou
l’autre des huit livres d’heures, dont les Heures de Catherine de Clèves dont il vend
finalement la première partie pour 15 000 fr au duc d’Arenberg à Bruxelles. Techener se
dit déçu, car il a le sentiment que le duc d’Aumale a méprisé son envoi138. Quelques mois
plus tard, l’énervement monte. Il insiste :
J’ai à cœur de contribuer le plus et le mieux possible à la formation de la bibliothèque
du duc d’Aumale, qui lui fera certainement autant honneur que toute autre gloire
politique […] c’est pour la Bibliophilie un grand honneur de pouvoir compter le
Prince pour un de ses mécènes comme l’ont été autrefois François Ier et Grolier (qui
ne serait rien sans cela) […] jusqu’au prince de Soubise et au duc de La Vallière139.
Le libraire ne manque pas d’arguments, mais le duc aime se faire prier. En réalité, le
duc et son secrétaire travaillent aussi avec Potier, Tross et d’autres officines parisiennes,
au grand dam de Techener qui souhaite nouer un lien exclusif avec son illustre client. Le
traçage des livres d’heures imprimés du duc, soit 36 documents, montre la diversité de ses
fournisseurs : treize sont achetés à Paris, 10 à Londres, un à Gand, un en Italie ; trois sont des
140 Chantilly, Musée Condé, Bibliothèque, catalogue sur fiches de la main du duc, avec commentaires.
141 Correspondance du duc d’Aumale…, op. cit., t. II, p. 277.
142 Chantilly, Musée Condé, Archives, 1PA 18, 21 janvier 1856.
143 Correspondance du duc d’Aumale…, op. cit., t. II, p. 286-287.
188 chapitre 4
144 Catalogue des livres rares et précieux, manuscrits et imprimés, de la bibliothèque de feu M. de Bure, Paris, L. Potier,
1853.
145 Correspondance du duc d’Aumale…, op. cit., t. 2, p. 125.
146 Ibid., p. 127.
147 Ibid., p. 137.
le temps des collectionneurs 1 89
La hausse des effets de librairie continue – peut-être pour tenir lieu de celle de la
Bourse. La fureur y est plus que jamais ; la mort des bibliophiles fameux n’y fait rien ;
un bibliophile meurt, vivent les livres ! […] Tant il y a que Potier s’effraie, et à bon
droit, de ce qui s’apprête. Les Anglais se sont mis, à ce qu’il paraît, à s’engouer de cette
vente, et ces bons alliés nous feront une concurrence effroyable148.
Le duc lui donne commission, entre autres, pour le no 50, des « Preces piae cum
calendario » dont les 19 miniatures sont dues au même pinceau que celui qui a décoré les
Heures d’Anne de Bretagne. Le duc demande seulement de s’assurer préalablement de
l’authenticité des miniatures. Personne ne pouvant la prouver, il annonce le 7 décembre
qu’il renonce à l’acheter149.
Pour le duc d’Aumale, comme pour ses concurrents, les outils d’appréciation du marché
restent les mêmes qu’au début du siècle : le Manuel de Brunet, le Bulletin du bibliophile
et ses divers concurrents qui arrivent sur le marché au fil du siècle, comme Le bibliophile
français. La correspondance du duc confirme encore le caractère essentiel du catalogue
comme outil d’investigation à travers un marché surabondant. On le surprend, au fil des
lettres, dans la lecture des catalogues La Bédoyère, Bertin – son ami, ce qui lui arrache des
larmes – Valkenaer et bien d’autres. La bibliothèque du château de Chantilly renferme
plusieurs de ces catalogues annotés de la main du duc. Dès 1836, le prospectus du Bulletin
du bibliophile le soulignait : « Les catalogues de ventes qui se succèdent si promptement à
Paris sont en général exécutés d’une manière fort satisfaisante, et il y en a d’excellens qui
deviennent des trésors de renseignements pour les amateurs »150. Les libraires soignent donc
plus que jamais leurs catalogues et recourent à des dispositifs typographiques très étudiés
pour attirer l’œil de l’amateur. On le voit sur un catalogue de 1914, dont la page de titre
est prometteuse : elle annonce un « Catalogue de livres anciens et curieux (théologie – livres
d’heures – jurisprudence – sciences et arts – belles-lettres – livres illustrés – voyages – histoire
– ouvrages sur le Maine) »151. Cette page de titre est intéressante pour deux raisons. Elle
mêle en effet les catégories bibliographiques traditionnelles et d’autres qui n’en relèvent
pas, comme les livres d’heures, les livres illustrés et le régionalisme, désignant ainsi les
espaces propices à la collection. En outre, elle annonce des livres d’heures, mais on en
trouve seulement trois : il s’agit donc de « piéger » le lecteur avec un produit prestigieux
et recherché. À l’intérieur du catalogue, les livres d’heures sont rangés, selon l’usage, au
sein de la théologie, mais deux d’entre eux se signalent visuellement par l’emploi des
majuscules et des caractères gras. Le troisième, plus quelconque et surtout incomplet,
est présenté avec une typographie plus discrète. D’autres libraires, depuis les années 1860,
autonomisent le livre d’heures jusqu’à publier à part sa description. Les collectionneurs
ont pu ainsi prendre connaissance d’un « superbe manuscrit du xve siècle » avant la
vente de la bibliothèque de Charles de Gauvain (1805-1868) en 1875152. En 1877, le même
libraire récidive avec les notices de trois livres d’heures dans un fascicule séparé du reste
du catalogue153.
L’évolution la plus nette, à partir des années 1860, concerne la systématisation des
cotes, publiées à intervalles réguliers et permettant d’évaluer les objets qui constituent
les meilleurs placements du temps. Gustave Brunet (1805-1896), ainsi, bibliographe
important dans le Paris du second xixe siècle, publie régulièrement des listes de livres qui,
en vente aux enchères, ont dépassé 1000 francs, seuil qui détermine l’appartenance d’un
livre à l’univers du luxe154. Dans la liste de 1867, le prix moyen des livres d’heures ayant
dépassé cette somme est de 1 685 francs ; ils sont apparus dans la vente Yemeniz pour la
plupart. Même sans ces cotes, l’explosion du prix du livre d’heures est sensible. Lors de
la vente Brunet, en 1868, des « Heures à lusage de Rome, Paris, Jehan Dupré, 1488 », seul
exemplaire connu alors et relié en maroquin noir, est emporté 2 050 francs par Fontaine,
contre l’enchère de Firmin Didot. Brunet l’avait acheté chez Techener en 1846 pour 140
francs. En 1888, un manuscrit enluminé de l’école flamande de 209 feuillets réalisé au
xve siècle fait le meilleur score de la vente de la bibliothèque de Laroche-Lacarelle, avec
22 250 francs ; l’ouvrage provenait des bibliothèques de De Bure et de Firmin-Didot. C’est
Eugène Paillet (1829-1906) qui l’emporte à cette occasion. Il est remis en vente en 1902
lors de la dispersion de la bibliothèque de ce dernier et cédé au libraire anglais Quaritch
pour 35 000 francs155. Le tournant des xixe et xxe siècles semble marquer une inflexion.
Sous le triple effet du monopole des très belles pièces par les grands collectionneurs
d’une part, de la hausse des prix qu’il engendre, enfin de la participation des institutions
publiques les collectionneurs moins fortunés doivent se contenter de livres d’heures de
moindre intérêt.
Pour atteindre des sommes pareilles, il faut que les raisons de collectionner ces livres
d’heures soient devenues impérieuses. De fait, on observe un changement majeur dans
le courant du xixe siècle au niveau des pratiques bibliophiliques. La collection répond
désormais à une logique propre et gratuite, et non plus seulement didactique ou sociale.
Elle se prend alors elle-même pour fin156.
On en sait un peu plus, désormais, sur ce qui pousse les amateurs vers les livres d’heures.
Les raisons ne sont pas réductibles les unes aux autres ; chaque collectionneur est guidé
par sa lubie, qui n’est pas celle de son concurrent même si elle les conduit à chasser les
mêmes objets. Malgré cela, plusieurs de ces raisons convergent vers une appréciation du
livre d’heures dans le champ de l’objet d’art, et non pas du livre. Pour les collectionneurs
153 Notice d’un beau manuscrit orné de huit grandes miniatures provenant de la bibliothèque du Duc de La Vallière… et de
deux livres d’heures manuscrits avec miniatures…, Paris, Hôtel des commissaires-priseurs, salle 3, 20 mars 1877, Paris,
Labitte, 1877.
154 G. Brunet, Curiosités bibliographiques et artistiques. Livres, manuscrits et gravures qui, en vente publique, ont dépassé
le prix de mille francs. Tableaux payés plus de cinquante mille francs, Genève, J. Gay, 1867.
155 La Bibliothèque de feu M. Eugène Paillet… Première partie, Paris, Librairie E. Rahir, 1902, lot no 1 (vente à Paris,
Hôtel Drouot, 19-20 mars 1902).
156 B. Vouilloux, « Le collectionnisme vu du xixe siècle », Revue d’histoire littéraire de la France, 109 (2009),
p. 403-417.
le temps des collectionneurs 1 91
d’art médiéval, le livre d’heures prend sa place dans un système d’objets emblématiques
de la période. Anthelme Trimolet (1798-1866), peintre et amateur d’orfèvrerie médiévale,
acquiert ainsi un livre d’heures avec une reliure formant reliquaire pour la singularité de
ce dispositif157. Le livre d’heures est donc considéré comme un bibelot, et les miniatures,
comme des tableautins, flattant le sens esthétique du collectionneur. Dans le même ordre
d’idée, les incunables sont collectionnés pour leur proximité chronologique avec les
commencements de l’imprimerie, et surtout pour leurs bois, qui entrent définitivement
dans le domaine de l’art. Pour Firmin-Didot et les amateurs d’incunables du milieu
puis du second xixe siècle, c’est la reconnaissance de la xylographie comme technique
artistique à part entière, d’ailleurs grandement renouvelée au xixe siècle158, qui les décide
à examiner et rassembler des livres d’heures imprimés du premier siècle typographique.
Jean Masson (1856-1933), industriel amiénois et collectionneur de dessins et d’estampes,
spécialiste reconnu des bois gravés au début du xxe siècle, possède 184 feuillets enluminés,
la majorité tirés de livres d’heures159. À travers ces figures apparaît un trait distinctif de la
réception du livre d’heures chez les collectionneurs : son statut ambigu, d’objet-livre non
reconnu dans le marché de l’art, et d’objet d’art qui dénie sa fonction première de lecture.
D’autres sont attirés vers les livres d’heures du fait de leur goût pour l’histoire, qui doit
s’incarner dans des objets emblématiques et tangibles. C’est la logique de Sauvageot et de
son musée domestique. Il considère les règnes des Valois comme la matrice de la nation et
se pique d’intérêt pour le Moyen Âge et la Renaissance pendant la Terreur, en réaction au
vandalisme révolutionnaire. Sa collection s’ouvre aussi aux meubles, bijoux, vaisselle, etc.,
en plus des 14 livres d’heures qu’elle rassemble et des récits de funérailles princières et
d’entrées royales. La plupart de ses livres d’heures ont appartenu à François Ier ou à des
membres de sa famille160. Sauvageot est loin d’être le seul à avoir construit sa sensibilité
artistique sur le malaise ressenti face aux dégradations révolutionnaires. Le dijonnais Louis-
Bénigne Baudot (1765-1844), le premier d’une dynastie de collectionneurs, est présenté
comme un de ces inquiets que la Révolution, avec ses démolisseurs et ses pragmatiques,
a plongés dans l’angoisse161. Il y a un côté aventureux dans la collection : il faut être celui
qui a l’intuition de ce qu’il faut conserver à contre-courant du discours ambiant. Cette
capacité de discernement fait partie de la mythologie du collectionneur. Alexandre Du
Sommerard en est encore un avatar. Ses collections, rassemblées dans l’Hôtel de Cluny,
dernier vestige de l’architecture civile médiévale à Paris, comportent sept livres d’heures
entiers manuscrits, trois fragments peints et six incunables enluminés162. Sommerard
n’est pas bibliophile, mais il fait partie des redécouvreurs de l’art médiéval dans le Paris
157 N. Hatot, « Anthelme Trimolet, artiste et collectionneur d’émaillerie et d’orfèvrerie médiévale », Bulletin des
Musées de Dijon, 11 (2008-2009), p. 46-59. Le livre d’heures en question est au MBA Dijon, CA T 1381.
158 R. Blachon, La gravure sur bois au xixe siècle. L’âge du bois debout, Paris, Les Éditions de l’Amateur, 2001.
159 V. Leroquais, La donation Jean Masson à l’École des beaux-arts, Macon, Protais, 1928.
160 Catalogue des livres manuscrits et imprimés composant la bibliothèque de M. Charles Sauvageot…, op. cit., notice
p. xxix-xxx.
161 Catalogue de la bibliothèque d’un amateur bourguignon et des manuscrits de feu Louis-Bénigne Baudot… dont la vente
aura lieu à Dijon le mercredi 28 mars 1900, Dijon, E. Nourry, 1900, introduction par Nourry.
162 E. Du Sommerard, Catalogue et description des objets d’art de l’Antiquité du Moyen âge et de la Renaissance exposés
au Musée / [Musée des Thermes et de l’hôtel de Cluny], Paris, 1847 : no 782-788 (livres d’heures), 796, 805, 823
(fragments) ; 818-823 (incunables).
192 chapitre 4
de la Monarchie de Juillet. Le livre d’heures est ainsi un objet ambigu, tenant à la fois de
la pièce de musée et du volume de bibliothèque.
L’objet comporte aussi une forte dimension sociale et symbolique permettant aux
riches banquiers et financiers, à l’image des Rothschild, de se placer dans la filiation
de leurs homologues de la Renaissance, comme les Médicis ou les Strozzi, qui surent
s’imposer aussi comme des mécènes et des protecteurs des arts. Ce désir de légitimer leur
profession de cette manière est d’autant plus intéressante que dans leur cas, l’observance
d’un judaïsme strict s’accordait mal avec l’imagerie chrétienne des livres d’heures. Plusieurs
membres de la famille ont hésité pour ces raisons religieuses. Adolphe de Rothschild,
ainsi, achète le premier volume des Heures de Catherine de Clèves en 1855, parce que
c’est le volume concernant l’Ancien Testament, répugnant à posséder chez lui le cycle
sur le Nouveau Testament. Il faut croire qu’il a changé d’avis, car il s’engage ensuite plus
fermement dans la collection de recueils célébrant les mystères de la Vierge et la vie du
Christ (Heures de Charles le Noble roi de Navarre, Heures de Jeanne d’Évreux et Très
belles heures du duc de Berry). Ces goûts ont pu prêter à reproche, la collection étant
pointée du doigt par les observateurs comme le symptôme du triomphe du matérialisme
sur la spiritualité163. À l’inverse, c’est l’art chrétien qui séduit les Brölemann et a fait
d’eux, par « l’intuition du beau », des « amateurs distingués ». Ce sentiment du beau
s’applique principalement à l’art sacré, à travers les bibles, Heures et livres de dévotion,
emblèmes chrétiens164.
La logique documentaire est nettement plus rare que la logique artistique. Le duc
d’Aumale cherche à rassembler une collection qui a les princes de Condé pour alpha et
oméga, lui qui a pu obtenir la restitution des livres et archives de ses ancêtres, et qui écrit
une histoire de la dynastie. À son secrétaire, qui le gourmande respectueusement en 1850,
il répond : « ne croyez pas, d’ailleurs, que j’achète au hasard : sauf quelques fantaisies,
je ne recherche que des livres qui appareillent mes manuscrits, c’est-à-dire les éditions
imprimées qui s’en rapprochent le plus par la date et le texte, et les livres qui se rattachent
à mes études historiques »165. Il n’est peut-être pas tout à fait sincère. Henri d’Orléans est
en effet duc et fils de roi, comme Jean de Berry. Cette analogie permet au collectionneur
de se situer dans un monde en train de changer complètement ; s’imposer comme mécène
est aussi une façon de copier les manières du célèbre prince du Moyen Âge.
Un seul collectionneur semble voir dans le livre d’heures ce qu’il était à l’origine : un
recueil paraliturgique. C’est le prince Charles-Louis de Bourbon (1799-1883), qui rassemble
dans la seconde moitié du xixe siècle une « bibliothèque liturgique » composée de
missels, de bréviaires, de processionnaux, de rituels et de livres d’heures. Les deux tiers
de sa bibliothèque de 17 000 volumes concernent la liturgie et l’histoire ecclésiastique.
Il possède près d’une centaine de livres d’heures imprimés, dont 79 à usage diocésain et
d’autres pour les ordres religieux. Le bibliothécaire en charge de cette masse documentaire,
Anatole Alès (1840-1903), entreprend une comparaison des figures gravées à la suite du
catalogue imprimé de cette collection. Les livres d’heures sont collectionnés pour eux-
163 D. Pety, op. cit. ; P.-M. de Biasi, « Système et déviances de la collection à l’époque romantique (Le Cousin
Pons) », Romantisme, 27 (1980), p. 77-93.
164 Catalogue des manuscrits & livres rares de la bibliothèque d’Arthur Brölemann, Lyon, A. Rey, 1897, introduction.
165 Correspondance du duc d’Aumale…, op. cit., p. 61-62.
le temps des collectionneurs 1 93
mêmes, en vue d’explorer l’histoire des rites propres à chaque diocèse, notamment les
diocèses disparus166.
Aux antipodes de l’attitude tout à fait marginale du duc de Bourbon, l’exemple de Jean
Masson et de ses feuillets séparés met en évidence une véritable dénaturation du livre
d’heures, à la fois symptôme et condition de sa patrimonialisation. Les collections d’art du
Moyen Âge s’intéressant uniquement à la peinture et aux techniques d’enluminure, elles
dissocient sans vergogne le support (le livre) et les miniatures, donnant lieu au découpage et
à la mise en circulation de pages prélevées organisées en recueils artificiels par un remontage
sur onglet parfois très soigneux. Cette logique est visible dès le xviiie siècle, et se justifie,
si l’on peut dire, par l’approche purement documentaire des Heures d’un Gaignières ou
d’un Montfaucon. Dès cette époque, on voit des livres d’heures, mais aussi des missels et
des bréviaires dépecés pour enrichir des collections d’estampes ou de peintures, ou des
recueils à fonction archivistique, qui évacuent à la fois le contexte de ces enluminures et leur
support originel. Lors de la vente Barré en 1742, on avait pu voir une liasse de « miniatures
en or & couleurs, tirées d’Heures anciennes sur velin », qu’un amateur emporte pour 9 lt.
Dans la bibliothèque de Lamy, expertisée par Renouard en 1808, le lot 2115 consiste en
« 44 miniatures sur vélin, coupées de diverses anciennes heures manuscrites ». Benzon
(1819-1873), magnat de l’industrie de l’acier, citoyen américain résidant à Londres, dont
la bibliothèque est vendue à Paris par Bachelin-Deflorenne en 1875, possède un
recueil de 18 miniatures sur vélin du xve siècle, remontées sur papier de format petit
in-4o, reliure en velours rouge avec 4 fermoirs en métal doré et ciselé, tranche dorée.
Ces miniatures, d’une beauté hors ligne, sont autant de tableaux du XVe et méritent
d’être comparées, pour la composition et l’exécution, aux miniatures du Livre d’heures
d’Anne de Bretagne. Elles proviennent d’un livre d’heures de format grand in-4o et sont
dignes de l’attention des plus grands amateurs. Nous recommandons particulièrement
la Descente de croix, les Trois morts et les trois vifs et la Représentation de la sainte Trinité167.
Le même libraire semble s’être fait une spécialité de l’enquête autour des miniatures
hors contexte. Il s’ingénie à retrouver la provenance de plusieurs peintures découpées :
celle qui porte le no 50, une Conception de la Vierge, serait extraite du livre d’heures
d’Henri IV déposé au Musée des Souverains ; la no 24, une Nativité extraite de la p. 56
des Heures du duc de Bedford et la no 26, une Adoration des mages du même recueil168.
Cette pratique témoigne d’un déplacement de la convoitise des collectionneurs, de
quelques items au sein d’une marée de livres d’heures communs, vers quelques feuillets
au sein d’un volume dont le contenu textuel est tenu pour rébarbatif et redondant. Les
cabinets d’arts graphiques des musées français regorgent de ces enluminures découpées
et cette destination confirme le changement de statut de l’objet, compris comme un objet
d’art, sans prise en compte de son usage originel. À ce titre, il est digne d’être exposé à la vue
de tous, alors même qu’il avait été produit pour un usage intime et privé, hors des regards
166 A. Alès, Bibliothèque liturgique. Description des livres de liturgie imprimés aux xve et xvie siècles faisant partie de la
bibliothèque de Mgr Charles-Louis de Bourbon comte de Villafranca, Paris, A. Hennuyer, 1878.
167 Catalogue des livres rares et précieux, manuscrits et imprimés, provenant de la bibliothèque de feu M. Benzon, Paris,
Bachelin-Deflorenne, 1875, lot 22, p. 10.
168 Ibid.
194 chapitre 4
publics. La destinée des célèbres Heures d’Etienne Chevalier dues au pinceau de Fouquet
entre 1452 et 1460, « dernier mot de l’art français du Moyen Âge » selon l’appréciation de
leur possesseur, le duc d’Aumale, éclaire la réduction du livre d’heures à ses images. Il n’en
subsiste aujourd’hui que 49 feuillets dont 47 peintures : les pages échappant à la destruction
sont donc bien celles qui sont protégées par leur miniature. Ce démembrement commence
au début du xviiie siècle ; en effet, Roger de Gaignières semble l’avoir examiné intact à la fin
du xviie siècle et en a fait copier deux images pour ses dossiers : le Charles VII de l’Adoration
des mages et Étienne Chevalier dans la Présentation à la Vierge. En 1731, Montfaucon ne peut
que se fier aux copies de Gaignières, car le manuscrit original a déjà disparu. Les fragments
qui circulent sont remontés comme de petits tableaux, les parties textuelles étant masquées
par de petits morceaux de parchemin ornés de bordures fleuries issues d’un autre manuscrit,
voire gratté et repeint de fleurs et de motifs religieux. C’est bien le signe d’une dissociation
du texte liturgique et de l’image. Celle-ci, décontextualisée, est considérée comme signifiante
par elle-même et tirant sa valeur de ses caractéristiques artistiques, et non des conditions de
sa production. Quarante de ces feuillets sont ainsi montés sur bois au début de la Révolution,
et passent entre les mains du marchand d’art bâlois Peter Birmann, qui les revend dans les
premières années du xixe siècle au banquier allemand Georg Brentano (1774-1851). Il les
cède pour 250 000 francs au duc d’Aumale en 1891 (Musée Condé, ms. 71), qui les présente
dans son Santuario, petite pièce abritant ses collections les plus précieuses. Les sept autres
feuillets connaissent des tribulations variées, en Angleterre, en France, aux États-Unis, en
Suisse et en Belgique, où ils sont aujourd’hui conservés169. Le dépeçage est une pratique
commune en Europe. Nombre d’antiquaires anglais pratiquent le cutting. John Bagford
(1650-1716), fondateur de l’Antiquarian Society, aurait mutilé 25 000 volumes à lui tout seul.
Les dispersions de collections à la suite de la Révolution apportent de l’eau au moulin des
antiquaires qui trouvent de nouveaux matériaux pour fabriquer de ces petits tableaux qui
plaisent tant aux collectionneurs. John Ruskin (1819-1900) rapporte dans la correspondance
passer des journées entières à découper des missels et des livres d’heures pour les encadrer
ensuite ; une partie forme les collections de la Ruskin Drawing School à Oxford170. Ce n’est
que très récemment que la pratique a été considérée comme du vandalisme. Cette pratique
a ouvert la porte à des entreprises de falsification, la plus célèbre étant l’atelier du Spanish
Forger, dont l’identité reste à ce jour un mystère171.
169 Sur le manuscrit et son dépeçage, parmi une abondante littérature depuis le xixe siècle, voir en dernier lieu Nicole
Reynaud, Jean Fouquet. Les Heures d’Etienne Chevalier, Dijon, Faton, 2006.
170 Cité par R. S. Wieck, « Folia Fugitiva: The Pursuit of the Illuminated Manuscript Leaf », The Journal of the
Walters Art Gallery, 54 (1996), p. 233-254. Sur le même sujet, voir les mises au point de R. Watson, Vandals
and Enthusiasts: views of Illumination in the Nineteenth Century, catalogue de l’exposition au Victoria et Albert
Museum, 21 janvier – 30 avril 1995, Londres, V&A Museum, 1995 ; Chr. de Hamel, Cutting up Manuscripts
for Pleasure and Profit, Charlottesville, Book Arts, 1996 ; S. Hindman, « Reconstructions: Recuperation of
Manuscript Illumination in Nineteenth and twentieth Century America », in S. Hindman et N. Rowe (éd.),
Manuscript Illumination in the Modern Age. Recovery and Reconstruction, Evanston, Northwestern UP, 2001,
p. 215-274.
171 J. Backhouse, « The Spanish Forger », The British Museum Quarterly, 33 (1968), p. 65-71 ; J. Block Friedman,
« Medievalism and a New Leaf by the Spanish Forger », in T. Shippey et M. Arnold (éd.), Appropriating the
Middle Ages: Scholarship, Politics, Fraud, Cambridge, D. S. Brewer, 2001, p. 213-237 ; W M. Voelkle, « The Spanish
Forger. Master of Manuscript Chicanery », in Th. Coomans et J. De Maeyer (éd.), The Revival of Medieval
Illumination. Renaissance de l’enluminure médiévale. Manuscrits et enluminures belges du xixe siècle et leur contexte
européen, Leuven, Leuven UP, 2007, p. 207-226.
le temps des collectionneurs 1 95
Figure 4.4 : Nombre annuel d’articles évoquant des ventes de livres d’heures dans la Bibliothèque de
l’École des Chartes (1861-1939)
et dans l’esprit de la revue, rendre compte des richesses bibliographiques hors de France
entre dans la même logique de repérage et de cartographie : une logique scientifique,
et non bibliophilique. Le Ministère de l’Instruction publique commissionne d’ailleurs,
depuis 1835, différentes missions de signalement de manuscrits intéressant l’histoire et
la littérature françaises conservés à l’étranger. Sous le Second Empire, c’est Paul Meyer
(1840-1917), par ailleurs chartiste et rédacteur assidu dans la BEC, qui assure les missions
bibliographiques. Le signalement n’est pas qu’une opération bibliographique ; il est aussi
une prise de conscience du patrimoine au sens premier du terme, c’est-à-dire des biens que
l’on possède collectivement. La propriété des documents n’est pas seulement juridique,
elle recouvre aussi une dimension symbolique. Plusieurs publications s’attachent ainsi à
inventorier les manuscrits « français » des collections privées britanniques, telles celles de
Thomas Philipps à Cheltenham, celle de Sunderland, de John Soane, de Chatsworth, de
Thomas Brooke ou du comte d’Ashburnham, à partir de visites sur place et de catalogues
publiés178. Les amateurs sont ainsi avertis de possibles redistributions de livres rares à la
faveur d’une possible vente à venir, des livres d’heures étant presque systématiquement
présents non seulement dans les catalogues sur lesquels se fondent les rédacteurs de la
BEC, en particulier Léopold Delisle, Paul Durrieu et Henri Omont, mais aussi dans les
succédanés qu’ils en donnent, signe que cet objet est un critère hautement distinctif. On
repère ainsi, chez Thomas Brooke à Armitage Bridge House, les Heures de Claude de
Lorraine, premier duc de Guise, réalisées en 1527 ; il y en a une douzaine chez Thomas
Philipps.
178 Chatsworth : BEC, 40 (1879), p. 650-652 ; Cheltenham : BEC, 41 (1880), p. 150-154 et 49 (1888), p. 694-703 ; BEC,
50 (1889), p. 381-432 ; Soane : BEC, 41 (1880), p. 316-319 ; Sunderland : BEC, 42 (1881), p. 613-614 ; Brooke : BEC, 53
(1892), p. 182-186 ; Ashburnham : BEC, 44 (1883), p. 202-224.
198 chapitre 4
Enfin, et surtout, cette chronologie montre que le public savant français a une vision
assez juste des changements qui affectent la carte des grandes collections de livres d’heures
à travers le monde. La BEC signale l’arrivée sur le marché de nouveaux collectionneurs très
entreprenants, les riches Américains. Un article anonyme, publié en 1902, rend compte
de l’inquiétude européenne face au drainage des livres rares opéré par les collectionneurs
américains à partir des dernières années du xixe siècle. L’auteur explique :
Les journaux anglais ont jeté un cri d’alarme en voyant les proportions que prend
l’exportation en Amérique des livres rares, manuscrits ou imprimés, qui sont mis en
vente dans les différents pays de l’Europe. En apprenant qu’un milliardaire, M. Pierpont
Morgan, venait d’acquérir d’un collectionneur anglais, pour environ quatre millions
de francs, une collection de sept cents volumes, ils se demandent quel sort est réservé
aux richesses bibliographiques non encore immobilisées dans nos dépôts publics179.
La collection ainsi captée outre-Atlantique compte au moins soixante-dix manuscrits
« français », dont les Heures de Marie Stuart, « plusieurs livres d’heures [qui] se recom-
mandent par d’illustres provenances : l’un a appartenu à Anne et à Françoise de Saligny ;
un autre a été offert à Louis XI ; un troisième a été exécuté par l’ordre de Louis, bâtard
de Bourbon, qui en fit présent à son fils Charles de Roussillon ; il a depuis appartenu
à Louis XIII ». On s’étonne de la coalition franco-anglaise contre les collectionneurs
américains, alors que quelques années plus tôt, les collectionneurs anglais provoquaient
l’inquiétude chez les amateurs français, qui les accusaient de dérober à grand renfort de
livres sterling les plus belles pièces des ventes parisiennes. Du reste, le chauvinisme le cède
vite à la curiosité : dès 1908, Henri Omont est heureux de rendre compte dans la BEC du
catalogue de la bibliothèque de Pierpont Morgan, que ce dernier vient de publier, et qui
comporte 56 livres d’heures manuscrits180.
Une des dernières publications dont Henri Omont rend compte est le monumental
recensement des collections de manuscrits occidentaux situées en Amérique du Nord, due
aux efforts de Seymour de Ricci (1881-1942), personnage cosmopolite né en Angleterre,
formé en France, ayant voyagé en Italie, en Égypte, en Allemagne et en Russie, puis lon-
guement aux États-Unis. Son répertoire, qui prend probablement pour modèle les Reports
on collections of manuscripts of private families, corporations and institutions in Great Britain
and Ireland parus entre 1870 et 1914, offre une photographie saisissante de l’importance
des collections américaines de manuscrits à peintures au milieu des années 1930181.
Le tableau qui s’offre aux observateurs européens est à la fois touffu et hétéroclite. Le
répertoire décrit 442 collections situées dans les cinquante États américains ou au Canada
(Québec, Ontario, Alberta et Provinces-Maritimes uniquement), et en leur sein, 30 310
manuscrits, sans prétention d’exhaustivité. La définition même de la collection pose
question : Seymour de Ricci a visiblement accepté dans son répertoire toute habitation
privée, congrégation religieuse, bibliothèque universitaire ou publique qui héberge au
Figure 4.5 : Répartition géographique des livres d’heures dans des collections de manuscrits européens
signalés dans le Census de Seymour de Ricci.
manuscrits se prêtent beaucoup moins à une délimitation aussi stricte. Seymour de Ricci,
qui n’est pas un spécialiste des manuscrits liturgiques ni de la miniature médiévale, sait
fort bien les signaler sous le vocable « Horae », et se montre beaucoup plus imprécis pour
d’autres types de recueils. Là encore, la réalité varie localement. À l’échelle continentale,
il y aurait 2,5 livres d’heures par collection, mais dans les faits, cette moyenne s’élève à 13
dans le Maryland (217 livres d’heures pour 16 collections), et seulement trois à New York,
pourtant ville des collectionneurs par excellence – le répertoire y dénombre 103 lieux de
collection. Ces chiffres indiquent des attitudes différentes à l’égard du livre d’heures : les
établissements universitaires et publics du Maryland le collectionnent pour lui-même, et
massivement, alors que dans la métropole new yorkaise, chaque collectionneur en possède
un ou deux, parfois plus, comme un signe distinctif permettant d’affirmer une position
bibliophilique, mais n’en fait pas le cœur de sa collection. Il faut faire une exception pour
la Pierpont Morgan Library, qui abrite 155 livres d’heures parmi les 755 manuscrits. C’est la
Walters Art Gallery de Baltimore (Maryland) qui détient le record, avec 185 livres d’heures.
En valeur absolue, ce sont les collectionneurs privés qui rassemblent le plus d’Heures
– quasiment un recueil sur deux se trouve dans une maison privée – mais ces collections
sont plus souvent de petits ensembles documentaires, sauf dans quelques cas illustres,
comme celui d’Henry E. Huntington (1850-1927), new yorkais qui a rassemblé en quelques
années une série de 68 livres d’heures, puis a rendu publique sa collection en Californie182.
Les musées sont en moyenne mieux dotés (17 livres d’heures en moyenne) mais la plupart
de ces institutions doivent leur existence et leurs collections à un ou des legs de la part
de collectionneurs ; ainsi, l’initiative revient toujours à un individu. Les congrégations
religieuses sont peu concernées par ce phénomène, de même que les sociétés savantes
américaines, et les bibliothèques publiques, qui visent souvent d’autres objectifs que la
concentration patrimoniale, n’ont pas fait de la quête des livres rares un objectif.
Rapporté à la diversité des collections, le livre d’heures se trouve fortement relativisé
au milieu d’autres objets, notamment les autographes de personnages célèbres. Ainsi, près
de 24% des manuscrits dans les musées sont des livres d’heures, 20% dans les bibliothèques
publiques, mais cette proportion est seulement de 1,7% dans les collections privées.
Il n’en reste pas moins que la collection privée trouve son point d’aboutissement dans
le livre d’heures ; c’est presque un dénominateur commun de ces ensembles, puisque plus
de la moitié des collections privées mentionnées par Seymour de Ricci en comptent au
moins un, plus ou moins précieux. Parmi celles-ci, la moitié ne renferment que des livres
d’heures, ou presque. Dans cette course aux manuscrits, les femmes ne sont pas en reste,
qu’elles collectionnent pour elles-mêmes ou qu’elles administrent les biens d’un défunt
mari. L’une des plus belles collections de l’Illinois est celle de Coella Lindsay Ricketts
(1859-1941), artiste enlumineure qui possède 29 livres d’heures parmi 319 manuscrits ;
en Californie, Mrs. Milton E. Getz, à Beverly Hills, en possède presque autant (28).
L’ancienneté de ces ensembles est impossible à apprécier sur la seule foi du Census de
Seymour de Ricci ; la majorité des collections paraît de constitution récente, mais certains
visionnaires ont pu commencer à collectionner précocement, tel Rushton M. Dorman,
182 R. O. Schad, « Henry Edwards Huntington: the Founder and the Library », The Huntington Library Bulletin,
1 (1931), p. 3-32.
le temps des collectionneurs 201
dont les manuscrits sont désormais disséminés dans d’autres collections privées quand
est dressé ce répertoire183.
Parmi les bibliothèques publiques, équipement culturel indispensable des villes
américaines dès le xixe siècle, le livre d’heures occupe une place variable. Il est au cœur
de la réserve précieuse lorsqu’une collection importante a été offerte à la ville. C’est le cas
à la Free Library of Philadelphia (Pennsylvania), qui a reçu la collection de John Frederick
Lewis (1860-1932), soit 40 livres d’heures, ou de la New York Public Library, qui en a reçu
41. Les bibliothèques des villes secondaires paraissent moins aptes à recueillir les dons
prestigieux et les livres d’heures y sont en conséquence peu nombreux.
De ces éléments, il ressort que le livre d’heures est l’objet par excellence qui incarne
des valeurs culturelles essentielles pour les Américains du premier tiers du xxe siècle :
l’ancienneté, la rareté (si l’on peut dire, vu l’abondance d’objets que signale Seymour de
Ricci), la capacité à absorber puis réfléchir une certaine idée de l’Occident. Quand le
bibliographe publie ce Census, en effet, l’Amérique s’est littéralement entichée du Moyen
Âge. Tel est le paradoxe en ces années 1935-1936 : cette société du profit, du progrès et de
l’industrie s’est dotée d’institutions propres à l’étude du Moyen Âge, du latin, de la théologie
médiévale, et surtout des matériaux textuels et iconographiques produits entre le ve et
xve siècle. Dans cette logique, le déplacement des manuscrits paraît une nécessité, qu’il
s’agisse d’originaux ou de reproductions. Les Américains, au lendemain de la Première
Guerre mondiale où les soldats ont été frappés par l’ampleur des destructions patrimoniales
dans les villes proches du front, vivent cette fondation des Medieval Studies comme un
véritable transfert de pouvoir entre le Vieux Continent et le Nouveau. Seymour lui-même
observe : « les chercheurs américains ont été les principaux bénéficiaires du processus
migratoire des matériaux de recherche ; ce processus semble loin d’avoir atteint son
sommet […] Un nombre vraiment énorme de manuscrits, livres et œuvres d’art ont été
rendus accessibles pour les chercheurs américains et cela a enrichi la vie intellectuelle des
États-Unis et du Canada. Une telle situation confère cependant une lourde obligation ».
La collecte s’amplifie précisément à partir de la guerre : l’Art Institute de Chicago, voué à
l’histoire de l’enluminure, commence à développer ses collections en 1915. Entre 1926 et
1942, les grandes universités américaines se dotent d’instituts d’études médiévales, afin
de comprendre ce qui s’est passé dans l’histoire de la pensée, schématiquement, entre
Marc-Aurèle et Descartes. Ce regain d’intérêt pour le Moyen Âge, relayé par les institutions
culturelles comme le Cloisters Museum de New York, fondé en 1938 grâce à une donation
de John D. Rockfeller, atteint le grand public, fragilisé par la crise économique et sociale,
en quête de sens et de valeurs, qui trouve dans le passé et dans une certaine idée du
christianisme un refuge184.
Pendant ce temps, dans la vieille Europe, le goût pour les livres d’heures se stabilise.
Certes, il est toujours la pièce phare d’une vente, celle qui attire de manière certaine
les amateurs les plus avertis. Mais il est aussi concurrencé par d’autres types d’objets
illustrés. Dans les années 1930, l’engouement semble se tasser. Le catalogue annonçant
183 S. J. Rogal, The Rushton M. Dorman, Esq. library sale catalogue (1886): the study of the dispersal of a nineteenth-
century American private library, Lewiston, Edwin Mellen Press, 2002.
184 F. Michel, « Le Moyen Âge au Nouveau Monde. L’enjeu culturel des Mediaeval Studies », Archives de sciences
sociales des religions, 149 (2010), p. 9-32.
2 02 chapitre 4
la vente Fonteneau, en 1903, annonce des livres d’heures sur la page de titre ; une section
individualisée du fascicule leur est réservée et comporte 39 numéros. À y regarder de
près, seuls 15 lots sont vraiment des livres d’heures, le reste s’apparente à la dévotion ou
au rite sans relever de la liturgie des heures : Imitation de Jésus Christ, offices de la semaine
sainte, bréviaires par exemple185. Cette confusion s montre que si, au xviiie siècle, les
marchands évitaient soigneusement le terme de « livres d’heures » pour espérer réaliser
une bonne vente, ces recueils étant jugés inférieurs aux missels et bréviaires, cette réalité
s’est inversée 150 ans plus tard : le livre d’heures est le produit d’appel par excellence,
celui qui fera rêver les amateurs et électrisera la vente. Les trois premières décennies du
xxe siècle sont propices aux ventes événement, qui entretiennent, de loin en loin, l’intérêt
des collectionneurs. La dispersion de la bibliothèque d’Édouard Rahir (1862-1924), qui
se déroule en plusieurs épisodes entre 1931 et 1937, en est un exemple. Rahir est une figure
importante de la bibliophilie contemporaine. D’abord commis de librairie chez Morgand
et Fatout, qui s’impose au début de la Troisième république comme un acteur essentiel de
l’expertise du livre rare à Paris, il reprend la librairie à la mort de Damascène Morgand en
1897. La librairie devient le lieu de rendez-vous et de discussion d’un cénacle bibliophile
et littéraire. S’y croisent James de Rothschild, Émile Picot, le prince d’Essling, Ernest
Quentin-Bauchart, Eugène Paillet, La Roche-Lacarelle, Lignerolles, Roger Portalis, Henri
Béraldi, ainsi que des Anglais et des Américains. Le livre d’heures est sans nul doute le
dénominateur commun de tous ces collectionneurs, qui peuvent en consulter de très beaux
à la librairie du Passage. C’est Rahir, ainsi, qui sous la raison commerciale Morgand et
Fatou, organise la vente de la bibliothèque d’Alexandre Lantelme, bibliophile grenoblois,
au cours de laquelle sont présentés 41 livres d’heures, six manuscrits et 34 incunables186.
Dans le catalogue de la vente Rahir, ils sont présentés dans une rubrique propre. Il s’agit
presque uniquement d’incunables dans un parfait état de conservation. La vente a été un
grand succès commercial, le prix atteint étant en moyenne à 410% de la valeur initiale187.
Le lot 326, une rare impression de Kerver, atteint un record ; estimé 2000 francs, il est
vendu 31 000 francs ; le lot 324, une des premières éditions parisiennes de Dupré, estimé
3000 francs, est vendu 39 000. Le lot 332, présenté dans le catalogue comme l’un des chefs
d’œuvre de l’officine de Simon Vostre, est vendu 50 000 francs. Au total, les livres d’heures
rapportent 747 650 francs et se sont vendus en moyenne 29 906 le recueil.
L’heure n’est toutefois plus vraiment aux manuscrits à peintures et aux incunables
illustrés. La littérature contemporaine s’est imposée dans la bibliophilie ; Balzac, Stendhal
ou Hugo, surtout en éditions illustrées, intéressent davantage les collectionneurs. La quête
de livres d’heures relève plutôt de la posture du dandy fortuné que de l’amateur averti188.
185 Bibliothèque de M. H. Fonteneau. Première partie : livres d’heures manuscrits et imprimés. Livres armoriés, Paris,
Durel, 1903.
186 Catalogue de la bibliothèque de M. Alexandre Lantelme de Grenoble. Première partie : beaux manuscrits avec
miniatures, incunables et curiosités typographiques, livres d’heures sur vélin, ouvrages des grands écrivains, livres sur le
Dauphiné, riches reliures anciennes et modernes, Paris, librairie D. Morgand, 1904.
187 La Bibliothèque de feu Edouard Rahir,… Deuxième partie. Livres anciens illustrés des xve et xvie siècles. Livres
d’heures. Riches reliures anciennes et modernes, Paris, F. Lefrançois, 1931, BnF, Réserve précieuse, COLLECT-I-44
(avec les valeurs d’adjudication).
188 G. Lanoé, « Ce sont amis que le vent emporte : quelques réflexions autour des collections privées, des
collectionneurs, du marché du manuscrit », Gazette du livre médiéval, 32 (1998), p. 29-39.
le temps des collectionneurs 2 03
Les Américains trouvent donc une faible concurrence en France pour assouvir leur goût
pour les productions médiévales et renaissantes.
Cette évolution confirme l’aboutissement d’un processus commencé au milieu du
xviiie siècle : le livre d’heures est devenu un produit de luxe, que peu de collectionneurs
peuvent s’offrir, nourrissant ainsi une forme de fétichisation.
Tendances actuelles
189 [En ligne] : https://sdbm.library.upenn.edu/ (les statistiques sont relevées au 14 février 2021).
190 [En ligne] https://www.gazette-drouot.com/ventes-aux-encheres/passees?type=past&isForAgenda=true&isDr
ouotHotel=true&selectedLieux=HOTEL-DROUOT (résultats des ventes recueillis jusqu’en mars 2019).
191 Ces entretiens ont été conduits dans le cadre d’un exercice pédagogique avec les étudiants du master « Cultures
de l’Écrit et de l’Image » en janvier et février 2019. Je les remercie très sincèrement pour l’enthousiasme et le
professionnalisme dont ils ont fait preuve à cette occasion.
2 04 chapitre 4
192 Sans compter les feuillets isolés et les fac-similés produits à partir du xixe siècle.
193 D’après Patrick Sourget, libraire, cité par A. Marolleau, « Les livres rares et anciens et les maisons de vente »,
Le nouvel économiste, 31 mai 2012.
194 Entretien le 20 mars 2019.
le temps des collectionneurs 205
Figure 4.6 : Répartition chronologique des livres d’heures passés en vente à l’Hôtel Drouot (2003-2018)
progressivement d’autres maisons de vente moins solides, comme le fit Sotheby’s en 1964
en rachetant Parke-Bernet Galleries, qui tenait déjà une place non négligeable dans le
marché américain. Mais cette proportion reste sans doute exagérée, faute de tenir compte
du marché français dans son exacte mesure. Christie’s apparaît aussi en bonne place,
en-deçà toujours de Sotheby’s. Avec la galerie Les Enluminures, apparue sur le marché au
début des années 2000 et qui coordonne des ventes entre Paris, Chicago et New York, les
firmes internationales restent puissantes. Mais l’échantillon montre aussi, en dehors d’elles,
l’atomisation du marché qui est certainement une réalité : près de la moitié des ventes est
le fait d’une kyrielle de libraires situés partout en Europe et en Amérique du Nord (l’Asie
restant non concernée sinon par le marché, au moins par le dépouillement à l’origine de
la Schoenberg database). Des ventes sont signalées à Stockholm, à Francfort, à Munich,
dans des villes françaises de province, en Italie, à Amsterdam et à Utrecht, à Bruxelles et
ailleurs. Certains libraires, identifiés comme des spécialistes du livre d’heures et sans doute
mobilisés pour cette raison dans la base de données, y sont très bien représentés, à l’image
de Heribert Tenschert, libraire allemand installé en Suisse, auquel la base attribue 269
ventes de livres d’heures. On doit à ce libraire un catalogue-monument de 1335 pages, de
facture luxueuse, reproduisant en partie 158 livres d’heures imprimés passés en vente dans
sa librairie, avec des notices réalisées par les meilleurs spécialistes195. On ne peut donc pas
parler de confiscation du marché par les grandes firmes, Sotheby’s, Christie’s et Drouot
notamment. Le petit monde de la librairie spécialisée dans le livre rare reste extrêmement
actif, quand bien même le livre d’heures n’apparaît dans ses catalogues qu’une fois tous
les trois à cinq ans, et malgré la concurrence des grandes maisons de vente.
On ne peut compter sur la Schoenberg database pour établir un profil type des
collectionneurs. Selon les libraires interrogés, les particuliers qui achètent des livres
d’heures appartiennent à deux profils différents. Il y a, d’une part, l’individu, homme le
195 H. Tenschert et I. Nettekoven (éd.), Horae B.M.V.: 158 Stundenbuchdrucke der Sammlung Bibermühle, 1490-
1550, Rotthalmünster : H. Tenschert, Ramsen : Antiquariat Bibermühle AG, 2003.
206 chapitre 4
plus souvent, femme parfois, d’origine occidentale, vieillissant, très fortuné et amateur
d’art, assez proche en somme des bibliophiles des générations précédentes196, si ce n’est
qu’il tient à jouir de son bien en toute discrétion, ce qui n’était pas le cas jusqu’aux années
1920-1930. Il appartient au monde des affaires, du patronat, du journalisme, de la politique.
Il y a, d’autre part, l’individu indéterminé, désireux de réaliser un placement. Sur ce point,
les experts sont loin de s’accorder. Plusieurs libraires interrogés évoquent cette possibilité,
tout en restant évasifs, faute sans doute de disposer d’exemples concrets. Alain Ajasse,
expert-conseil en librairie ancienne après avoir été lui-même libraire, suppose qu’« on
peut acheter un lingot d’or comme on peut acheter un livre d’heures »197 et Bernard Le
Borgne, de la librairie L’œil de Mercure à Paris, évoque des spéculateurs qui comptent sur
le livre rare pour faire un confortable bénéfice198. Leur identité est impossible à établir,
puisque « ces gens-là n’avancent pas à découvert ». À défaut de pouvoir établir l’existence
réelle de ces spéculateurs, on peut au moins supposer que la profession a été ébranlée par
les agissements douteux de la société Aristophil, qui a tenté de créer une bulle financière
autour des manuscrits et des autographes à travers un « Musée des manuscrits », et
aujourd’hui en liquidation et jugement pour escroquerie. Sans aller jusqu’à la spéculation,
les libraires les plus spécialisés se fournissent chez des confrères moins réputés, avec la
certitude que le client viendra plus sûrement chez eux que dans une boutique non connue
pour ses manuscrits précieux et ses incunables. Anne Lamort, libraire à Paris, en a fait
l’expérience199. Plus sûrement, les libraires comptent sur la demande des bibliothèques
publiques, surtout quand les prix escomptés sont importants. Ils vont jusqu’à devancer
la demande des établissements200.
C’est l’autre donnée importante et convergente de la Schoenberg Database, des archives
Drouot et des entretiens menés avec les libraires : la cote du livre d’heures paraît extrêmement
haute, au point que l’on peut parler, avec Sandra Hindman, historienne et consultante en
manuscrits précieux, de « bibliophilie hors norme »201. Entre octobre 1987 et mai 1989,
Christie’s est chargé de la vente de la collection Estelle Doheny, collection qui apparaissait
déjà dans le Census de Seymour de Ricci. La firme édite ensuite un index complet des six
catalogues, avec le prix de vente réalisé. Les huit livres d’heures manuscrits ont produit
2 339 413 dollars, le no 174, un recueil du xvie siècle d’origine espagnole admirablement
peint en grisaille ayant été emporté pour 1 605 600 de dollars202. Les archives Drouot,
malheureusement limitées à la période 2002-2019 (ce qui fait tout de même sens en matière
monétaire, puisque toutes les transactions se sont faites en euros), donnent des indications
plus fiables sur les prix, puisque la valeur d’estimation et celle d’adjudication sont toujours
196 Entretien avec Gaia Grizzy, 8 mars 2019. Voir aussi J. Mousseau, Le siècle de Paul-Louis Weiller 1893-1993 : as de
l’aviation de la Grande guerre, pionnier de l’industrie aéronautique, précurseur d’Air France, financier international,
mécène des arts, Paris, Stock, 1998.
197 Entretien avec Alain Ajasse, 23 janvier 2019.
198 Entretien avec Bernard Le Borgne, 1er mars 2019.
199 Entretien avec Anne Lamort, 3 mars 2019.
200 Entretien avec Alain Ajasse, le 23 janvier 2019.
201 S. Hindman, « Les livres d’heures, une bibliophilie hors normes », Le magazine du bibliophile et de l’amateur de
manuscrits & autographes, 2016, no 128, p. 20-25.
202 The Estelle Doheny collection. Index, an alphabetical check-list, with prices realized, of the six sale catalogues of printed
books and manuscripts, New York, Christie, Manson and woods International, 1989.
le temps des collectionneurs 207
précisées. Le total des estimations pour 169 ventes opérées durant cette période s’élève
à 3 949 100 euros ; le produit après enchères, à 17 287 786 euros, soit une marge de 437%,
proche finalement de ce qu’on pouvait constater dans les années 1930. Certes, tous les livres
d’heures ne connaissent pas le destin commercial exceptionnel des Heures Petau, apparues
sur le marché en 2011 sous le marteau de Gros & Delettrez, estimées alors 400 000 euros et
vendues 1,8 millions d’euros, avant de repasser en vente lors de la liquidation de la société
Aristophil, en juin 2018 (maison Aguttes), et vendues 4,29 millions d’euros à un acheteur
inconnu. Le livre d’heures, s’il présente des caractéristiques exceptionnelles, peut ainsi
s’avérer un bon placement, mais seulement cinq transactions, en 16 ans, ont dépassé le
million d’euros. Le prix d’un livre d’heures dépend de nombreux critères, et de cela les
libraires sont parfaitement conscients : leurs propos corroborent ce que disent les chiffres
des archives Drouot. Alain Ajasse estime que le texte est banal, « c’est le même depuis
toujours », et que l’intérêt d’un livre d’heures réside dans son iconographie uniquement.
D’après les chiffres, le premier critère est celui de la technique. Un livre d’heures manuscrit
se vend en moyenne 164 547 euros à Drouot, un incunable, 9964 euros, dans un contexte
globalement peu favorable aux incunables, dont la cote ne cesse de chuter depuis la fin des
années 1990, alors que les imprimés des xviie et xviiie siècles restent des valeurs sûres du
marché203. Ces moyennes recouvrent des réalités variées. La répartition des 101 manuscrits
passés en vente dans l’hôtel parisien montre que « le tout-venant », le produit intermédiaire
et le recueil d’exception se répartissent assez également, si bien que commercialement,
l’affaire reste très aléatoire : voir arriver un livre d’heures manuscrit dans une vente ne
signifie pas obligatoirement faire une excellente affaire. Tout dépend de l’attribution,
confiée aux experts, de la complétude du manuscrit (un recueil incomplet se vend en
moyenne sept fois moins qu’un volume complet, or, 40% des manuscrits qui circulent sont
mutilés), du nombre de miniatures (ceux qui n’en comportent pas se vendent en moyenne
moins de 10 000 euros), de la reliure, du prestige des anciens possesseurs : finalement,
le répertoire de critères de la rareté constitué à la fin du xviiie siècle reste une référence
solide. La branche belge de Million crée l’événement le 25 juin 2011 avec un recueil de
facture très raffinée, attribué à l’atelier de Fouquet (no 26). Le catalogue précise, à propos
de ce « Livre d’heures de sainte Catherine aux Paons » : « Ces heures sont un manuscrit
de la plus haute exception. Jusqu’à ce que notre Cabinet d’expertise ait identifié & avéré
son origine fouquettienne, on pensait qu’il ne pouvait encore exister en mains privées un
si extraordinaire Livre d’heures. Les meilleures collections privées sont démunies d’un
tel manuscrit enluminé ». Ce discours est destiné à attiser la gourmandise des acheteurs
potentiels en mobilisant le vocabulaire de l’événement et de l’extraordinaire. C’est le
signe que la majorité des livres d’heures sur le marché sont a contrario assez quelconques.
D’une manière générale, le principal critère de rareté, et donc de préciosité, est celui de
l’attribution, tant il est rare de pouvoir identifier, même de manière hypothétique, le peintre
qui a réalisé les miniatures. Seulement 27 des livres d’heures manuscrits passés en vente
à Drouot, soit moins d’un tiers, ont fait l’objet d’une attribution, certifiée par un expert ;
pour ceux-là, les prix s’envolent : 545 342 euros en moyenne.
203 Y. Sérane, B. Ancel et J.-M. Arnaud, Essai sur la vente publique des livres anciens, 2012 [En ligne] :
artciboldo.com/lobbying%20livre/publication_ebibliophilie_2012_04.pdf
208 chapitre 4
Document 4.1 : Valeurs d’adjudication des Heures imprimées des xve et xvie siècle selon l’atelier qui les
a produites d’après les Archives Drouot (2002-2019)
Document 4.2 : Valeurs d’adjudication des Heures imprimées des xve et xvie siècle selon leur date
d’édition d’après les Archives Drouot (2002-2019)
Du côté des incunables, les critères de rareté qui attirent les collectionneurs sont un
peu différents. L’atelier qui a commandité l’ouvrage n’est plus décisif (Doc. 4.1). Les livres
sortis de la boutique des Hardouyn, si prisés au temps de Brunet, de Firmin-Didot ou de
Yemeniz, ne font plus recette. Les livres portant la grande marque de Vostre ou de Vérard
ont plus de succès, mais ce critère n’explique pas tout : les six volumes de Guillaume Eustace
doivent leur prix au fait que cinq d’entre eux sont enluminés. Le cas le plus flagrant est celui
de la vente Alde du 2 octobre 2010 (no 20), imprimé par Gillet Couteau pour Guillaume
Eustace en 1513, estimé 30 000 euros et vendu le double, pour ses 18 enluminures. Ces
critères, l’impression sur vélin plutôt que sur papier, la reliure et la condition générale
du volume sont plus importants dans la détermination de l’enchère finale. Ainsi, un livre
d’heures imprimé par Simon de Colines en 1543, passé en vente chez Binoche et Giquello le
7 décembre 2018 (no 90), orné de quatorze gravures (ce qui est faible pour un livre d’heures
imprimé), a été vendu 20 678 euros du fait de son exceptionnelle reliure du xvie siècle.
L’ancienneté serait aussi décisive : les 12 incunables au sens strict et les volumes parus au
tout début du xvie siècle sont mieux prisés que les livres d’heures plus tardifs (Doc. 4.2).
Ce marché est marqué en définitive par une tendance inévitable depuis le xixe siècle :
le nombre d’objets en circulation diminue mécaniquement au fur et à mesure que
les équipements culturels publics, européens d’abord, américains ensuite, accaparent
lentement mais sûrement les livres d’heures qui circulent et les soustraient aux règles
juridiques du commerce, puisqu’ils deviennent inaliénables. C’est un fait important dans
l’histoire de la patrimonialisation : sa reconnaissance non seulement au sein d’un cercle
le temps des collectionneurs 209
d’amateurs que leur fantaisie d’abord, le conformisme ensuite, poussent vers ces objets,
mais aussi par les institutions qui incarnent et manifestent, par leurs collections, une pensée
politique du patrimoine. Dans ce contexte, et pour renouveler le marché, les libraires
et les commissaires-priseurs tentent de déjouer le mécanisme de la patrimonialisation,
nécessairement sélectif, en remettant à l’honneur des biens qui ont d’abord été écartés
par les bibliophiles. À rebours de deux siècles d’une quête de plus en plus exigeante de
livres d’heures, éliminant progressivement les impressions de l’âge moderne et limitant
les incunables aux productions les plus rares et les mieux illustrées, ces professionnels
essaient d’attirer l’attention des amateurs vers les livres d’heures modernes les plus rares,
les mieux reliés et illustrés par les meilleurs graveurs. L’effort porte notamment sur les
livres gravés par Senault. Si on les trouve fréquemment sur le marché, le discours sur
ces recueils évolue depuis dix ans vers une mise en valeur et des estimations de plus en
plus hautes – jusqu’à 2 500 euros – pour persuader l’acheteur qu’il s’agit là d’une pièce
rare. La démarche est évidemment artificielle et les résultats des ventes montrent que le
livre d’heures gravé du xviie siècle ne s’est pas encore tout à fait taillé une place dans le
périmètre des Heures collectionnables ; l’enchère la plus haute s’est élevée à 2 500 euros
chez Kâ-Mondo le 16 juin 2017, pour l’édition de 1680 Heures nouvelles tirées de la Sainte
Écriture, mais cette valeur s’explique surtout par la reliure « maroquin olive, caissons ornés
aux petits fers, pièce de titre rouge, plats ornés d’une large dentelle dorée composée de
feuillages, fleurs et pampres encadrant un rectangle central de maroquin rouge serti d’une
fine roulette dorée, roulette dorée aux coupes et bords des contreplats, doublure de soie
rouge, tranches dorées sur marbrure ». Les experts ne manquent pas de signaler le pedigree
prestigieux des possesseurs du livre, et d’ériger Senault en artiste d’exception du Grand
Siècle. Cette valeur d’adjudication paraît toutefois exceptionnelle : le même ouvrage a été
vendu 1 000 euros chez Oget-Blanchet le 11 octobre 2013, et dépasse rarement 500 euros.
Il est même resté invendu lors de la vente Collin du Bocage du 14 avril 2016. Ces procédés
montrent toutefois que les libraires maintiennent, plus que jamais, leur vigilance sur le
marché du livre et tentent d’y déceler les objets à la fois suffisamment nombreux pour que
leur récurrence dans les ventes attire l’attention des acheteurs, mais point trop pour préserver
leur rareté, et assez singuliers pour motiver leur acquisition auprès des amateurs avertis.
dès lors qu’elles viennent en concurrence des collectionneurs. Le phénomène est connu
en différents lieux d’Europe assez précocement dans le xviiie siècle. Pour ces trois raisons,
les relations et concurrences entre bibliothèques publiques et collectionneurs privés
méritent d’être éclaircies.
Pour ce faire, l’enquête doit nécessairement s’appuyer sur des institutions à la fois
anciennes et riches en livres d’heures. Les deux dépôts parisiens liés administrativement
depuis 1977, la Bibliothèque nationale de France et la bibliothèque de l’Arsenal, se prêtent
bien à l’enquête : on dénombre 397 recueils manuscrits dans la première, et vingt dans la
seconde204. Le comptage sur la base catalographique est plus complexe à mener pour les
incunables et nous n’avons pu le mener à bien. Le croisement des informations contenues
dans les notices des manuscrits, notamment sous la rubrique « Historique de la conserva-
tion » quand elle existe, de la rubrique « Nouvelles acquisitions latines et françaises de la
Bibliothèque nationale » suivie continûment par la Bibliothèque de l’École des Chartes entre
1871 et 1982205, enfin du très précieux Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque impériale
publié en 3 volumes par Léopold Delisle en 1868 permet de reconstituer la stratification
de ces deux collections.
À l’Arsenal, l’histoire est très simple. Dix-huit des vingt livres d’heures qui y sont
conservés proviennent de la collection du marquis de Paulmy, fondateur de la bibliothèque.
La démarche du marquis de Paulmy est originale, d’une part parce qu’il est, en cette fin
du xviiie siècle, l’un des principaux collectionneurs de livres d’heures actif sur le marché,
avec des pratiques hors normes : il est connu pour acheter des bibliothèques entières, telle
celle du baron d’Heiss, capitaine au régiment d’infanterie allemande d’Alsace et résidant
à Paris, pour 100 000 lt, opérant ensuite un tri pour éliminer les doublons et remettre en
vente les éléments inutiles à sa collection. Plus classiquement, il achète des livres d’heures
aux ventes Rothelin, Milsonneau, Picard et La Vallière, circonstances d’approvisionnement
où se sont croisés les plus grands amateurs du temps. Il ouvre sa bibliothèque au public
parisien. En outre, il témoigne d’une réflexion inédite sur le sort d’une collection privée.
En 1785, soucieux de sa pérennisation, il décide de la vendre au comte d’Artois, frère du roi,
pour la somme de 400 000 lt, afin de créer une seconde bibliothèque royale et publique dans
Paris sans faire d’ombre à la Bibliothèque du Roi. Devenue dépôt littéraire à la Révolution
et de la sorte, protégée des déprédations, la bibliothèque de Paulmy est restée relativement
intacte dans les murs de l’Arsenal206. Les livres et manuscrits échus à l’Arsenal au fil des
séquestres de la Révolution n’ont pas enrichi l’apport initial du marquis en matière de livres
d’heures. La politique d’enrichissement de l’établissement ne cible pas, ni au xixe siècle, ni
au siècle suivant, ces documents, s’orientant plutôt vers les archives et œuvres littéraires.
À la Bibliothèque successivement royale, nationale, impériale et à nouveau nationale,
des logiques plus complexes se sont entrecroisées. La chronologie et les modalités d’entrée
des manuscrits sont connues pour 347 volumes, soit 87% de l’ensemble, ce qui paraît tout
à fait représentatif. Le mouvement des dons et des acquisitions suggère une chronologie
inégale, qui épouse en partie celle de l’appréciation bibliophilique des livres d’heures à
partir des années 1760 (Doc. 4.3).
Au moment de la rédaction du catalogue de la Bibliothèque du Roi en 1645 par les frères
Dupuy, on y décompte 12 livres d’heures manuscrits, entrés par des voies indéterminées.
Le règne de Louis XIV est propice aux dons, qui affluent vers la bibliothèque. Grâce au
seul Philippe de Béthune, ce sont 26 livres d’heures qui entrent en 1658, parmi lesquels les
« Heures d’Anne de Bretagne, reyne de France, femme des roys Charles VIII et Louis XII »
(no 43) et celles de Charles de Bourbon (no 48)207. La convention de transfert de manuscrits
de Mazarin vers la bibliothèque du Roi en 1668 en ajoute cinq, puis, en 1700, l’archevêque
de Reims Le Tellier donne en 1700 l’ensemble de ses manuscrits, dont deux Heures latines
(no 138 et 139) de 200 ans environ, les secondes « cum figuris elegantibus »208.
Cette première période est difficile à interpréter. Le nombre de livres d’heures possédés
par Béthune laisse entrevoir une « collection » orientée vers les manuscrits à peintures, ce
qui est, on l’a vu, très marginal au début du xviie siècle, et ce n’est par ailleurs pas le seul
centre d’intérêt du duc, qui collectionne aussi les bronzes, les statues, les tableaux, etc.
En outre, ces transferts ne visent pas les livres d’heures, mais des ensembles savants et
surtout archivistiques de première importance. L’arrivée de ces manuscrits paraît donc
accidentelle.
À partir de 1719, la politique d’enrichissement de la Bibliothèque du Roi change ; elle
renforce cette vocation archivistique d’agrégation de grands ensembles documentaires
produits par les grands commis du royaume, et l’État s’avère prêt à débourser des sommes
importantes pour y parvenir. Dans les négociations, les « manuscrits », qui sont le plus
souvent des archives, sont traités d’un seul bloc à la demande du collectionneur ou
de ses héritiers, à la fois pour simplifier les démarches et aussi parce que la distinction
entre ces deux réalités documentaires est encore artificielle dans la première moitié du
xviiie siècle209. Les tractations pour faire entrer les collections de Baluze, de Colbert ou de
Noailles ne visent pas les manuscrits à peintures, mais les documents politiques, historiques,
fiscaux et juridiques assemblés par ces individus au fil de leur carrière. Trente mille livres
tournois sont ainsi déboursées pour l’acquisition des manuscrits de Baluze, transférés à
la bibliothèque en 1719210, et cent mille écus pour ceux de Colbert en 1732. Même s’ils ne
sont pas visés, les livres d’heures entrent en nombre : 11 dans les collections de Baluze, 37
dans celles de Colbert, 11 encore dans les collections du maréchal de Noailles en 1740. En
somme, ces indications renseignent plus sur un commencement d’intérêt des élites pour
les livres d’heures au tournant des xviie et xviiie siècles, à l’instar du chancelier Séguier,
que sur une active politique d’acquisition de la Bibliothèque du Roi dans le domaine des
manuscrits à peintures.
Dons et acquisitions s’éteignent ensuite entre les années 1740 et 1770 ; quelques documents
entrent accidentellement dans la bibliothèque, par exemple deux livres d’heures dans la
succession tardive de l’évêque d’Avranches Pierre-Daniel Huet (1630-1721), qui avait d’abord
légué sa bibliothèque aux jésuites de Paris. À la fermeture de l’établissement en 1762, les
documents étaient retournés aux héritiers de l’évêque, et Charcigné, neveu de l’évêque,
les donne à la Bibliothèque du Roi en 1764. Il s’y trouve deux livres d’heures. Jusqu’à cette
date, ainsi, l’institution joue un rôle ambigu dans la redécouverte des livres de prière du
Moyen Âge. Sans du tout y manifester d’intérêt, elle confisque dans les collections d’État
près de 150 recueils, soustraits à la curiosité des collectionneurs qui, vers le milieu du siècle,
commencent à s’y intéresser.
À partir des années 1780, l’État se positionne sur le marché des manuscrits précieux,
avec un certain retard par rapport aux collectionneurs, actifs sur ce terrain depuis plus de
dix ans. Il est présent aux ventes La Vallière (1783) et Heiss (1785), emportant sept livres
d’heures parmi de nombreux autres livres. Pressentant ce changement, les libraires se
positionnent en interlocuteurs de la Bibliothèque du Roi. De Bure aîné écrit ainsi aux
commis de l’institution, le 27 novembre 1784 :
J’ai l’honneur de vous envoier cy inclus la première feuille du catalogue de M. le Baron
d’Heiss [effectivement annexé à la lettre] […]. Vous y verrés, Monsieur, au no 16 la
description des Heures du duc d’Alençon et aux no 27 et 28, celle des Heures du Marquis
de Bade. Il est à désirer, Monsieur, que vous fassiés faire l’acquisition de ces Heures
uniques, pour Sa Majesté car il n’y a rien dans ce genre qui lui soit comparable211.
La Révolution interrompt ce mouvement. Les confiscations opérées dans les collections
monastiques et nobiliaires entre 1791 et 1795 rapportent aux collections nationales 88
livres d’heures, prélevés chez les cordeliers, jacobins, bénédictins des Blancs-Manteaux
et de Saint-Germain, à Versailles et rarement, chez les émigrés. Quatre recueils seulement
arrivent par cette voie, venant tous de la bibliothèque de la famille Planelli de Maubec
209 E. Chapron, « The ‘Supplement to All Archives’: the Bibliothèque Royale of Paris in the Eighteenth-Century »,
Storia della storiografia, 68-2 (2015), p. 53-68.
210 L. Auvray, « La Collection Baluze à la Bibliothèque nationale », Bibliothèque de l’École des Chartes, 81 (1920),
p. 93-174.
211 Paris, BnF, Département des manuscrits, Archives d’Ancien Régime, 66, fol. 144.
le temps des collectionneurs 21 3
mise sous séquestre en 1794212, ce qui confirme le fait que les aristocrates, à la fin de
l’Ancien Régime, se sont dessaisis de leurs manuscrits au profit des robins et de la
bourgeoisie. Le livre d’heures, du reste, n’est pas un objet conventuel, ou fort peu. Le cas
de Saint-Germain-des-Prés, haut lieu de l’érudition parisienne depuis le dernier tiers du
xviie siècle, est un peu particulier. Les bénédictins ont su attirer les libéralités, dont celle
de l’évêque Henri-Charles du Cambout de Coislin (1665-1732), aumônier du roi avant ses
prises de positions jansénistes, évêque de Metz et académicien. Héritier des collections
du chancelier Séguier, il rassemble une bibliothèque remarquable, laissée en grande partie
aux bénédictins de Paris. Parmi les cinquante livres d’heures entrés à la Bibliothèque
nationale en 1791 dans les collections de Saint-Germain, 35 portent l’ex-libris du prélat,
peut-être sensibilisé à l’enluminure par Séguier.
Là encore, ces apports ne relèvent pas d’une démarche active à l’égard des livres d’heures,
apparentés aux croyances et aux pratiques que les révolutionnaires cherchent précisément
à éradiquer. Les débats naissants sur le patrimoine, et la masse des documents à traiter,
ont épargné aux livres d’heures et autres manuscrits religieux le mépris qu’on constate
ailleurs pour la littérature dévote, que son support soit ancien ou non. Il est plus intéressant
de souligner trois apports, quoique marginaux. L’administration de Lyon, alors nommée
Ville-Affranchie, envoie en juin-juillet 1794 à Paris quatre livres d’heures prélevés dans les
séquestres des communautés religieuses de la ville, au terme d’une négociation visant à
rassembler à Paris les pièces exceptionnelles repérées dans les dépôts provinciaux213. Dans
le même ordre d’idée, Maugérard (1735-1815), personnage douteux commerçant incunables
et manuscrits entre Meuse et Rhin et participant à ce mouvement centralisateur parisien,
envoie en 1802 à la Bibliothèque un livre d’heures à l’usage de Metz prélevé dans le trésor
de la cathédrale de la cité lorraine214. D’Italie arrivent aussi des caisses de manuscrits
au fur et à mesure de l’avancée de l’armée française dans la péninsule. En 1797, ainsi, 44
manuscrits provenant du cabinet du pape Pie VI sont expédiés à Paris, parmi lesquels un
livre d’heures215. Ces éléments, sans doute minoritaires dans l’ensemble des saisies de
manuscrits en France et en Europe, sont toutefois révélateurs d’une nouvelle appréciation
des livres d’heures hors du petit monde de la bibliophilie parisienne d’Ancien Régime. Les
séquestres portent aussi sur les collections du roi à Versailles, et on y trouve quatre livres
d’heures royaux216, faits pour Anne de Bretagne, Louis XII et Louis XIV.
À partir de l’Empire, et jusqu’en 1860, les entrées de livres d’heures sont rares et toujours
le fait d’acquisitions, signe d’un effort de positionnement de la bibliothèque dans la quête
généralisée de livres d’heures. Sans qu’on puisse le mesurer avec autant de précision, l’effort
a sans doute porté plutôt sur les incunables et les imprimés sur vélin. Sous l’Empire, on
voit arriver quelques recueils après différentes ventes publiques : des Heures de Louise de
Savoie, restées dans les collections royales jusqu’à Louis XIV au moins, puis inexplicablement
arrivées entre les mains de la famille Papillon de La Ferté, sont achetées en 1803 auprès du
212 Paris, BnF, ms. lat. 10549, 10559, 10560, 10561. Voir Département des Manuscrits, Archives Modernes 494.
213 Paris, BnF, ms. lat. 10558, 10543, 10548, 10563, Voir Département des manuscrits, Archives modernes, 493bis, fol. 109.
214 Paris, BnF, ms. lat. 10533, Voir Lat. 17173, fol. 270.
215 Paris, BnF, ms. lat. 10553 ; Voir département des Manuscrits, Archives Modernes 492, registre des acquisitions du
département des Manuscrits an II-an XIV (1793-1805), fol. 48v.
216 Paris, BnF, ms. lat. 9474, 9476, 9477, 10539.
2 14 chapitre 4
Musée des Souverains par Louis Napoléon Bonaparte en 1852, rassemblant des objets
dispersés entre le Garde-meuble, le musée d’Artillerie et la Bibliothèque nationale.
Onze manuscrits passent de la Bibliothèque au Musée, dont les Heures d’Anne de
Bretagne et celles d’Henri II. Ils ne font le chemin inverse qu’à la suppression du Musée
des Souverains en 1872. Mais pendant ces vingt années, deux conservateurs du Louvre
fortement associés à cette entreprise se sont pris de passion pour les enluminures. On a
déjà parlé de Sauvageot, dont les collections firent des envieux jusqu’à Orleans House,
demeure anglaise du duc d’Aumale. Le comte Horace de Viel-Castel, homme de lettres et
amateur d’art, collectionne les miniatures, de préférence précoces, celles du premier âge
gothique, mais aussi occasionnellement plus tardives. Sa collection est principalement
fondée sur des fragments de manuscrits. Il en fait don au Louvre en 1854. Cette donation,
suivie de celle des enluminures de Sauvageot en 1856, donne une inflexion inattendue aux
collections du Louvre et brouille définitivement la frontière entre les deux institutions
publiques. La présence de Paul Durrieu au Louvre, chartiste spécialiste de la peinture aux
xive et xve siècles, a fait le reste. Il fait notamment acheter au Louvre un feuillet des Heures
d’Etienne Chevalier représentant saint Martin partageant son manteau. La principale
ligne de partage, on l’a déjà souligné, consiste dans la conservation, en bibliothèque, de
manuscrits complets ou presque, et en musée, de feuillets découpés. Les donateurs au
Louvre deviennent plus nombreux à la fin du xixe siècle, tel Jules Maciet, dont les libéralités
s’étendent certes à la Bibliothèque nationale, mais qui préfère confier les quatre feuillets
des Très belles Heures de Notre-Dame de Jean de Berry au Louvre. Cette donation montre
que cette répartition entre musées et bibliothèques relève avant tout d’une perception
de collectionneurs, plus que du statut des établissements. À une toute autre échelle, la
ventilation des collections des Rothschild entre le Louvre et la Bibliothèque nationale au
cours du xxe siècle montre aussi que la différence entre musée et bibliothèque est d’abord
affaire de sensibilité. Si Henri de Rothschild préfère la Bibliothèque pour pérenniser la
collection de son père James en 1957, Edmond, avant lui, avait donné ses manuscrits et
enluminures au Louvre, y compris des livres d’heures imprimés et enluminés par Jean
Pichore. Ces dons deviennent rares après 1940.
En somme, la chronologie des entrées d’enluminures au Louvre suit d’assez près celle
des dons à la Bibliothèque nationale. Les mêmes générations de collectionneurs partagent
donc visiblement les mêmes valeurs, mais ont une perception différente des missions
des institutions culturelles publiques. Il convient donc de s’interroger sur les intentions
sous-jacentes au geste du don.
pour se racheter en quelque sorte et situer leur collection dans l’ordre du bien commun.
Le don fait du collectionneur un mécène, et non plus seulement un individu replié sur
son bien, convertissant sa fortune en objets d’art. Plus généralement, le fait de donner ses
livres les plus précieux revient à se substituer au discernement de l’État et de ses agents
pour décréter le rare, l’ancien, le précieux, quand même il y a consensus autour de ces
valeurs. La collection porte à ce titre une dynamique prospective : le collectionneur anticipe
aujourd’hui ce qui intéressera toute la société demain. Krzysztof Pomian l’a montré pour
les musées223, c’est vrai aussi pour la part la plus précieuse des bibliothèques. En passant
d’un statut privé à un statut public, le livre devient un instrument de négociation et de
reconnaissance de ce qui fera ensuite patrimoine à l’échelle nationale224.
Or, la collection qui fait l’objet de la donation est toujours, ou presque, précédée par
une réputation flatteuse, mettant l’État dans l’obligation de l’accepter. Différents procédés
de publicité autour des collections montrent que l’intention du don va avec un besoin
de reconnaissance. Les frères Dutuit, qui ont légué leurs livres et œuvres d’art à la Ville
de Paris, fondant ainsi le noyau du Petit Palais, ont fait montre avant cette donation d’un
sens certain de la mise en scène. Leurs collections ont été exposées à plusieurs reprises
de leur vivant, au Palais de l’industrie par l’Union centrale des Beaux-Arts en 1869 (68
ouvrages), à l’Exposition universelle de 1878, à l’Exposition de l’Union centrale de 1882
(91 ouvrages). En 1899, le catalogue de leurs livres et manuscrits édité avec la complicité
d’E. Rahir confirme ce désir de publicité. Ce catalogue n’est pas seulement un outil de
travail, comme tous ceux de son espèce, c’est un véritable monument, par son poids et
ses dimensions (45 par 30 cm), mais aussi par le luxe de sa confection. Il comprend des
reproductions, certaines en couleur, notamment pour les livres d’heures manuscrits et
incunables. Texte et images prennent place dans une économie de la page qui s’inspire du
livre ancien, avec des fausses réglures rouges225. L’ouvrage doit rendre visible et désirable la
collection, et constituer son exposition pérenne, avant même le transfert à la ville de Paris.
Une troisième raison de donner ses livres d’heures à la Bibliothèque nationale tient à la
reconnaissance de l’institution comme membre à part entière de la sociabilité bibliophilique.
Un livre d’heures d’Anne de Bretagne a ainsi été donné en 1935 « par Hélène Des Vergers,
marquise de Toulongeon, en souvenir de madame Des Vergers, née Firmin-Didot, Gaston
Noël Des Vergers, Ambroise Firmin-Didot »226. En 1989 encore, Maurice de Charnacé
offre des Heures à l’usage de Paris à la Bibliothèque nationale en mémoire de son grand-
père le comte Paul Durrieu227. Dans ce contexte, il s’agit de rattacher la figure de l’érudit
amateur de livres à l’institution par excellence qui a pour vocation de conserver les livres :
les donateurs ou leurs descendants admettent donc l’existence d’un « trésor » protégé
par l’État en vue du bien commun, et cherchent à y rapporter leur propre trajectoire
bibliophilique. La situation du legs Smith-Lesouef se rattache probablement à cette vision
de la bibliothèque. Auguste Lesouef (1829-1906) avait entassé d’importantes collections
223 K. Pomian, « Collection : une typologie historique », Romantisme, 112 (2001), p. 9-22.
224 H. Roued-Cunnliffe, « Collection building amongst heritage amateurs », Collection Building, 36-3 (2017),
p. 108-114.
225 La collection Dutuit : livres et manuscrits, Paris, Damascène Morgand, 1899.
226 Paris, BnF, nouv. acq. lat. 3027.
227 Paris, BnF, nouv. acq. lat. 3203.
le temps des collectionneurs 21 7
228 P. Champion et S. de Ricci, Inventaire sommaire des manuscrits anciens de la Bibliothèque Smith-Lesouëf à Nogent-
sur-Marne, Paris, Lib. H. Champion, 1930.
229 Manuscrits à peintures offerts à la Bibliothèque nationale par le comte Guy du Boisrouvray, catalogue par J. Porcher,
Paris, 1961.
230 V. Long, « Les collectionneurs d’œuvres d’art et la donation au musée à la fin du xixe siècle : l’exemple du Musée
du Louvre », Romantisme, 112 (2001), p. 45-54.
2 18 chapitre 4
français dans toutes ses branches et de l’histoire de ma patrie à des époques de gloire »
doit être géré par un organisme « qui, sans se soustraire aux transformations inévitables
des sociétés, échappe à l’esprit de faction, comme aux secousses trop brusques, conservant
son indépendance au milieu des fluctuations politiques. »231 Ayant vécu dans la douleur
les changements de régime et le renoncement aux espoirs légitimistes, il ne donne pas sa
confiance aux institutions de l’État et préfère s’en remettre à un corps d’Ancien Régime
qui a prouvé sa capacité à surmonter les vicissitudes politiques. Sa décision permet aussi
de protéger pour l’éternité l’ordonnancement de la collection dans son écrin.
Il ne faut toutefois pas être dupe des négociations autour des dons. Quand on peut les
documenter et les faire sortir des discours feutrés officiels, la réalité paraît plus complexe.
Le cas des Très belles Heures de Notre-Dame, passées de la collection de Maurice de
Rothschild (1881-1957) au Département des manuscrits de la Bibliothèque nationale
en 1957232, montre les deux faces de cette négociation. Le baron de Rothschild avait été
spolié de ses collections d’art pendant la Seconde Guerre mondiale. Les opérations de
restitutions lancées après l’armistice lui avaient ensuite permis, en 1948, de recouvrer
la quasi-totalité de ses biens. Seules manquaient à l’appel les Très belles Heures. Elles
sont retrouvées en 1956 et restituées à leur propriétaire. La Bibliothèque nationale, et
particulièrement Jean Porcher (1892-1966) alors conservateur du Département des
manuscrits, l’avaient particulièrement aidé dans ses démarches et réclamations. Avec,
peut-être, une arrière-pensée. Julien Cain (1887-1974) profite de sa correspondance avec
lui et de leur proximité à l’Institut de France, où ils siègent tous deux, pour entretenir le
baron dans l’idée d’un don à la Bibliothèque nationale. Jean Porcher écrit fébrilement à
l’administrateur général, le 14 décembre, à 16h :
Je viens de recevoir un coup de téléphone de Maurice de Rothschild, de Genève : il
donne à la BN les Très belles Heures de Jean de Berry. Les papiers nécessaires seront
adressés dès aujourd’hui à Genève. Je pense que le manuscrit sera chez nous dès lundi.
C’est là une acquisition magnifique, et je ne doute pas que la conversation que vous
avez eue dernièrement n’ait été déterminante dans ce geste inattendu233.
« Geste inattendu » : cette formule laisse entendre que malgré les démarches de Julien
Cain, le vieux baron réservait sa réponse. Le manuscrit a visiblement été extorqué à son
propriétaire. Le 26 décembre, un chef de service de la Conservation des Musées de France
écrit à Julien Cain :
Le geste princier que vient de faire le Baron Maurice de Rothschild en faveur de la
Bibliothèque m’a donné l’occasion d’évoquer avec Monsieur Porcher la conversation
que j’avais eue avec le donateur il y a deux ans. La fidélité de celui-ci dans sa parole a
peut-être à mes yeux presque autant d’importance que son magnifique présent. Vous
connaissez les difficultés que nous avons eues avec lui, les espoirs aussi que, pour ma
part, je conserve et que je continue d’entretenir. S’il était conforme à vos vues de donner
231 E. Toullet, « La Donation de la Bibliothèque du château de Chantilly à l’Institut de France », in R. Mouren
(éd.), « Je lègue ma bibliothèque à … ». Dons et legs dans les bibliothèques publiques, Arles, Atelier Perrousseaux,
2010, p. 141-155.
232 Paris, BnF, nouv. acq. lat. 3093.
233 Paris, BnF, Mission Archives, E46/b157 : don d’un livre d’heures par Maurice de Rothschild (1956-1957).
le temps des collectionneurs 21 9
un certain éclat au geste qu’il vient de faire, notamment dans la presse, et de rappeler
à cette occasion ce que bibliothèques et musées doivent au mécénat de sa famille, les
conséquences dépasseraient peut-être nos prévisions234.
Le don est ainsi le résultat d’une forme de manipulation : en flattant Maurice de
Rothschild, en lui promettant une grande publicité autour de son geste afin d’entretenir
la mythologie familiale, les équipements culturels français peuvent espérer des dons en
chaîne alors même que les relations entre les Rothschild et le Louvre ne sont pas au beau
fixe. Dès le 16 décembre, le Conseil d’administration de la bibliothèque valide ce don
et le manuscrit arrive le lendemain à Paris. Un entrefilet paraît dans Le Monde quelques
jours plus tard, « désolant de brièveté et d’inexactitude », mettant alors Jean Porcher
dans l’inquiétude quant aux réactions du baron ; il négocie avec son administrateur une
dépêche AFP, en argumentant :
« Après des mois d’efforts patients et de diplomatie couronnés par le coup de grâce
donné par vous à l’homme considéré par tous comme le plus difficile qui soit, après
un succès inespéré qui permettait d’autres espoirs […] vous disiez justement qu’il
fallait orchestrer avec grand soin la publicité de ce don ».
La dépêche espérée est publiée le 19 décembre à 14h35 et met en avant « un manuscrit à
peintures de valeur inestimable » dont les « admirables miniatures […] ont été attribuées
aux plus grands maîtres de l’époque ». Des articles relaient l’information dans les jours
suivants, dans Arts, Nouvelles littéraires (par Louis Réau), Le Berry Républicain, Le Lorrain,
Paris Presse, L’Est Républicain, Le Provençal, Nice Matin, Le Figaro littéraire, Combat,
L’Humanité, Connaissance des Arts. Une exposition est organisée du 10 janvier au 9 février
1957 et accompagnée d’une publication présentant 25 reproductions photographiques
des miniatures. Cette exposition est mise au programme des Informations touristiques
diffusées par le Ministère des Travaux Publics, des Transports et du Tourisme, le 10 janvier
1957, démarche assurant une publicité internationale au geste de Maurice de Rothschild.
En septembre de la même année, le manuscrit est encore mis en avant pendant dix jours
dans une vitrine à l’occasion du 23e conseil de la fédération internationale des associations
de bibliothécaires. Le don est commémoré encore jusqu’en novembre 1957, lorsque les
journaux annoncent le décès de Maurice de Rothschild.
Cet exemple – et il y en eut sans doute d’autres – montre que le don ne résulte pas
seulement du bon vouloir d’un donateur bienveillant et philanthrope. La bibliothèque
assume une attitude prospective dans l’espoir d’éveiller l’idée d’un don, et vise explicitement
des pièces connues dans le monde des collectionneurs, en espérant ainsi les soustraire aux
ventes publiques. Les complicités entre institutions patrimoniales, les relations associatives,
la mise en scène dans la presse sont autant d’éléments qui, sous prétexte de mettre en
valeur un geste généreux et désintéressé, profite beaucoup à la bibliothèque destinataire
et permet de poser les bases d’autres dons futurs.
Ainsi, le don de livres d’heures en bibliothèque – ou au musée – n’est pas étranger à
la construction de la figure du bibliophile d’élite, en donnant à cet acte une résonnance
aussi efficace qu’un catalogue de vente. Il construit des accointances avec des institutions
234 Ibid.
220 chapitre 4
*
Le livre d’heures s’est imposé comme un objet de collection, devenu progressivement
parmi les plus discriminants dans les cercles de bibliophiles. La raison d’être, spirituelle
et liturgique, de ces recueils s’est perdue ; ils sont progressivement rassemblés en séries
signifiantes au sein de cabinets d’amateurs qui construisent sur ces collections un rapport
plus collectif qu’il n’y paraît au passé : la fascination qu’inspire la culture aristocratique
pour les robins du xviiie siècle ; l’exercice du pouvoir économique associé au mécénat
artistique et religieux pour les industriels et banquiers du Second Empire et de la Troisième
république ; la captation de l’héritage médiéval européen pour les riches collectionneurs
américains au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ce processus de mise en
collection des livres d’heures a été très progressif. Il a d’abord fallu clarifier les contours
et les définitions de l’objet désirable et faire aboutir une réflexion classificatoire, plus
exclusive qu’inclusive, sur ces manuels de prière. Il en est résulté une mise à l’écart des
livres d’heures modernes. Il a fallu, ensuite, nombre d’initiatives individuelles conjuguées
en réflexes collectifs distinguant et légitimant tout à la fois des groupes sociaux changeants.
Ceux-ci ont trouvé dans le livre d’heures un moyen de se tailler une part dans un imaginaire
collectif en train de se recomposer autour du Moyen Âge. Il a fallu, aussi, l’action décisive
de médiateurs, sans doute opportunistes mais bien informés sur l’offre et la demande :
les libraires qui tentent de diriger les goûts des collectionneurs et d’affiner avec eux les
critères de la rareté, dans une logique de séduction réciproque. Il a fallu, enfin, la mise en
place d’espaces et d’instruments de reconnaissance entre-soi, pour structurer le champ
social de la collection de livres d’heures, au moment décisif, les années 1860 à 1910, où ces
derniers sont devenus l’élément discriminant par excellence d’une collection de livres rares.
La mise en collection des livres d’heures reste en-deçà de la patrimonialisation, en ce
qu’elle ne mobilise que des intérêts individuels, même organisés de manière associative.
Elle constitue toutefois l’amorce de ce processus. D’abord, elle contribue, par la dissémi-
nation du livre, à sa visibilité. C’est d’autant plus important dans le cas du livre d’heures,
qui présente des traits contradictoires. D’une part, par ses dimensions modestes et par sa
vocation à être approprié individuellement et dans le for intérieur, il resterait sans cette
dissémination un objet caché. D’autre part, parce qu’il a été dès l’origine un marqueur
social fort, il est aussi dans sa nature de nourrir des postures culturelles et des hiérarchies
de fortune.
La bibliophilie fonctionne donc comme une instance de validation du caractère
possiblement patrimonial du livre d’heures, en imposant les critères distinguant les objets
dignes d’attention de ceux qui sont plus ordinaires. Ces critères, formels (reliure, vélin) ou
le temps des collectionneurs 221
esthétiques (qualité des miniatures et des xylogravures) ont été décisifs dans l’opération
de dénaturation du livre d’heures, devenu un bibelot précieux et décoratif. On ne saurait
trop insister sur le caractère essentiel de cette étape : à notre connaissance, il n’existe aucun
objet en bibliothèque qui n’ait émergé comme relevant du patrimoine sans avoir d’abord
suscité l’intérêt des collectionneurs privés. Qu’on songe, par exemple, aux fascicules de la
bibliothèque bleue, aux enfantina, aux ephemera, aux manuels de cuisine235.
La bibliophilie constitue une instance de vigilance collective, sous des dehors hautement
individualistes, et d’expérimentation de la capacité d’un objet à absorber des valeurs
communes, en même temps qu’évolue le récit national. Toutefois, à cette étape du processus
de patrimonialisation, le livre d’heures se situe encore en dehors de l’histoire. Il ne fait
pas l’objet d’une appréciation historique, mais seulement esthétique et symbolique. Mais
précisément parce que les critères de la rareté sont formels et esthétiques, ils rencontrent
(ce n’est pas un hasard), l’émergence de disciplines nouvelles, la bibliographie d’abord à
la fin du xviiie siècle, puis la codicologie cent vingt ans plus tard, qui vont trouver dans le
livre d’heures un objet à scruter, à comparer, à dater : en un mot, à expertiser à l’aide d’outils
qui dépassent l’enjeu marchand auquel sont confrontés le libraire et le collectionneur.
235 F. Henryot (éd.), La Fabrique du patrimoine écrit : objets, acteurs, usages sociaux, Villeurbanne, Presses de
l’Enssib, 2019.
Chapitre 5
Le temps de l’érudition
Les bibliophiles restent des spécialistes autoproclamés même si des codes de reconnaissance
existent entre eux et entre le groupe qu’ils constituent et le reste de la société. Avec eux,
mais aussi en dehors d’eux, ce discours d’expertise s’est trouvé consolidé par l’apport de
nouveaux énonciateurs. Toute une production savante a été engendrée par l’intérêt pour
le livre d’heures né dans le courant du xviiie siècle. Il convient donc de déterminer dans
quelle mesure cette expertise a contribué à modifier le statut du livre d’heures dans l’ordre
des biens collectifs et individuels, en assurant aussi la certification et l’authentification des
différents avatars apparaissant sur le marché ou conservé dans les bibliothèques publiques.
La bibliographie rassemblée pour cet essai servira ici de corpus de textes participant
de la réinterprétation du livre d’heures, à l’invitation de Jean Davallon à examiner les
textes comme agents de patrimonialisation1, en particulier ceux qui relèvent des sciences
de référence : la codicologie, la bibliographie, l’histoire du livre et l’histoire de l’art.
Cette démarche fondée sur les textes autorise différentes approches. Elle peut révéler les
principales étapes de l’historiographie des livres d’heures, jamais tentée à notre connais-
sance. Cette enquête serait intéressante en ce qu’elle mettrait en évidence les différents
outils méthodologiques et conceptuels mis en œuvre pour scruter le livre d’heures, et ce
que ces évolutions ont apporté à la construction d’un discours patrimonial. Mais il est
probable que cette historiographie ne serait guère originale, au sens où il n’est pas judicieux
d’isoler les livres de la prière privée de l’ensemble des documents manuscrits, incunables
ou imprimés plus tardifs convoqués dans les études sur la miniature, la gravure sur bois,
la liturgie, etc. Nombre de travaux croisent souvent le livre d’heures et d’autres types de
documents appartenant au même vaste ensemble de la « religion écrite » singularisant
le christianisme dès le Moyen Âge. Aussi, nous nous proposons plutôt d’étudier la par-
ticipation de l’expertise scientifique à la patrimonialisation du livre d’heures d’un point
de vue bibliométrique. Cette approche a le mérite de s’attacher plutôt au positionnement
intellectuel et institutionnel des auteurs, aux réseaux qu’ils forment et au sein desquels
s’élabore une histoire critique de l’objet et avant tout, son identification certaine, ce que
la bibliophilie, on l’a vu, n’a pas vraiment permis.
Pour ce faire, nous avons recensé les publications concernant les livres d’heures depuis
la généralisation de la presse savante, c’est-à-dire depuis le xixe siècle, en interrogeant
différents réservoirs bibliographiques2 dont l’hétérogénéité garantit l’élargissement maximal
1 J. Davallon, Le don du patrimoine. Une approche communicationnelle de la patrimonialisation, Paris, Hermès, 2006,
p. 19.
2 L’argument de recherche est « livre d’heures » et « livres d’heures », en expression exacte. L’occurrence de ces
expressions dans le corps des publications, repérable dans Gallica par exemple, ne suffit pas à en faire le sujet
principal de l’ouvrage. Nous n’avons pas tenu compte des notules de quelques lignes à deux pages, sans contenu
224 chapitre 5
du corpus. Les répertoires bibliographiques spécialisés ont fourni l’essentiel des références
collectées : le Répertoire international de la littérature de l’art (RILA) couvrant les années
1975-1989 et la Bibliography of the History of Art (BHA) constituée de 1990 à 2007 à partir
du dépouillement de 2000 revues disciplinaires3 ; et l’Annual Bibliography of the History
of the Printed Book and Libraries (ABHB) publié entre 1973 et 2000 par la section Rare
and precious books and documents de l’IFLA ; enfin la Bibliographie annuelle de l’histoire de
France (BAHF) compilée sous l’égide du CNRS entre 1953 et 2010. Cette première moisson
a été élargie dans un second temps à des catalogues généralistes : le CCFr qui additionne
les ressources documentaires des bibliothèques municipales et spécialisées françaises de
toutes tailles4, et le Catalogue général de la Bibliothèque nationale de France qui, au double
titre du dépôt légal et de son effort de documentation encyclopédique, a rassemblé une
masse considérable d’imprimés des xixe et xxe siècles5. Dans un troisième temps, nous
avons interrogé des bases d’articles généralistes, dont la conception permet d’explorer
des angles morts des dépouillements des bases spécialisées. Ainsi, l’espace dédié aux
périodiques régionaux dans Gallica permet d’entrer dans des publications peu accessibles
autrement6 ; le portail Persée donne accès à des archives de périodiques francophones
sous forme numérisée7 tandis que le portail Jstor8 ouvre les mêmes perspectives pour les
productions savantes d’outre-Manche et d’outre-Atlantique. La Bibliographie générale du
CTHS pour les années 1887-19149 a permis de contrôler l’exhaustivité des références pour
la fin du xixe siècle et la première moitié du xxe siècle. Les portails universitaires français
et anglo-saxons recensant les thèses et mémoires universitaires10 ont élargi le corpus à la
littérature grise. Ces investigations ont permis de recenser 591 titres.
Ainsi menée, la recherche est à la fois trop précise et trop large. Trop précise car nous
avons exclu les papiers dans lesquels le livre d’heures n’est pas le sujet central, ce qui a
pour effet de surévaluer les études de cas et de laisser de côté les synthèses ou les travaux
où le livre d’heures n’est qu’une source parmi d’autres. Bien sûr, les ouvrages généraux sur
l’enluminure à la fin du Moyen Âge comportent de longs développements sur les livres
d’heures et que ceux-ci servent, à titre de comparaison, à évaluer d’autres manuscrits produits
à la même période. D’un point de vue géographique, et pour rester en cohérence avec
notre ambition qui se limite aux démarches patrimoniales françaises, nous n’avons retenu
que les références se rapportant à des livres d’heures français (quel que soit le lieu de leur
conservation). C’est, du reste, la démarche suivie par les bibliographes de la BAHF. Il est
scientifique réel, résumant des communications publiques dans les académies savantes par exemple. Toutes les
recherches effectuées dans les bases ci-dessous ont été contrôlées le 26 février 2021.
3 Ces deux bases, produites par le Getty Research Institute, sont en cours de fusion dans l’International
bibliography of Art commercialisée par ProQuest. [En ligne] : https://primo.getty.edu/primo-explore/
search?vid=GRI&lang=en_US&fromRedirectFilter=true.
4 https://ccfr.bnf.fr/portailccfr/jsp/public/index.jsp?action=public_formsearch_patrimoine.
5 https://catalogue.bnf.fr/index.do.
6 https://gallica.bnf.fr/accueil/?mode=desktop.
7 https://www.persee.fr/.
8 https://www.jstor.org/.
9 R. de Lasteyrie, E. Lefèvre-Pontalis et al., Bibliographie générale des travaux historiques et archéologiques
publiés par les sociétés savantes de la France, Paris, Imprimerie Nationale, 1887-1940.
10 Pour la France : www.theses.fr et le Système universitaire de documentation : http://sudoc.abes.fr; pour les États-
Unis : Dissertation abstracts [En ligne] : https://dissexpress.proquest.com/search.html.
le temps de l’érudition 225
toutefois évident que cette distinction est artificielle : les frontières ont changé de place à
plusieurs reprises au cours des siècles entre la France, l’Italie, la Flandre et l’Empire, et par
ailleurs, un artiste flamand peut aussi exercer à Paris, ou un artiste français peut travailler
pour des clients anglais, comme le soulignent de nombreuses études contemporaines,
insistant justement sur les influences culturelles dans l’art de l’enluminure11. Par ailleurs,
un chercheur peut étudier tour à tour des livres d’heures français, flamands et germaniques
sans que cela ne fasse rupture dans sa recherche.
Malgré ces limites, le corpus ainsi rassemblé est suffisamment fourni pour permettre
une approche à la fois chronologique et qualitative de l’expertise érudite qui entoure le
livre d’heures, pour clarifier les circonstances de sa naissance et son évolution, et in fine,
sa participation au processus de patrimonialisation de cet objet.
Vue d’ensemble
Ainsi constitué, ce corpus de 591 titres met en évidence quelques tendances fortes et
structurelles dans la construction de ce discours savant. Il montre, d’abord, que la production
scientifique et sa diffusion opèrent comme un nouveau filtre dans la définition commune
du « livre d’heures » qui, partant de la communauté des chercheurs, est ensuite assimilée
par la société. En effet, alors que les collectionneurs avaient éliminé de leurs quêtes les
Heures modernes et néo-gothiques, les spécialistes ont rejeté l’incunable de leurs champs de
recherche, puisqu’il ne représente que 8,5% des travaux (12% si l’on ajoute les publications
qui comparent manuscrits et incunables) même si les études incunabulistes semblent
se renouveler aujourd’hui (Fig. 5.1). En somme, au fil de la construction de ce discours
savant, le livre d’heures n’est plus que médiéval, manuscrit et enluminé, c’est-à-dire un
objet fortement stéréotypé et à ce titre, aisément identifiable.
Le corpus éclaire, ensuite, les modalités de circulation des découvertes et des interprétations
dont le livre d’heures fait l’objet (Fig. 5.2). La voie de prédilection de la communication
scientifique est l’article, de 19 pages en moyenne, et ce de manière constante tout au long
des deux siècles : 80% des références identifiées relèvent de ce type de publication, auquel
s’identifie, depuis le xviiie siècle et la naissance de la presse savante, le « chercheur »12.
Cette donnée est intéressante, car elle montre que le livre d’heures est bel et bien un
objet de recherche scientifique, et non pas seulement de description bibliographique
ou d’émerveillement artistique. L’article prend souvent la suite d’une identification ou
d’une première expertise esquissée dans une notice dans un catalogue d’exposition, un
catalogue de libraire ou une rubrique de revue destinée aux notes courtes par exemple,
11 M. W. Driver, « ‘Me fault faire’: French Makers of Manuscripts for English Patrons », in J. Wogan-Browne
et al. (éd.), Language and Culture in Medieval Britain: The French of England, c. 1100-c. 1500, Suffolk-Rochester, York
Medieval Press / Boydell Press, 2009, p. 420-443 ; M. Lalanne, « Nouvelles identifications concernant trois
enluminures du livre d’heures de Claude d’Urfé (Rome, 1549, Huntington Library, San Marino, HM 1102) », Les
Cahiers de l’École du Louvre, 6 (2015), [En ligne] : https://journals.openedition.org/cel/308.
12 Voir J. Peiffer et J.-P. Vittu, « Les journaux savants, formes de la communication et agents de la construction
des savoirs (17e-18e siècles) », Dix-huitième siècle, 40 (2008), p. 281-300 ; D. A. Kronick, A History of scientific and
technical periodicals, New York, Scarecrow, 1962 ; Ch. Bazerman, Shaping written knowledge: the genre and activity
of the experimental article in science, Madison, University of Wisconsin Press, 1988.
2 26 chapitre 5
Figure 5.1 : Répartition des études sur les Heures selon la technique de fabrication du recueil
(1820-2020).
Figure 5.2 : Origine géographique des auteurs des travaux érudits consacrés aux livres d’heures.
le temps de l’érudition 227
13 P. Rezeau, Les prières aux saints en langue et dialectes d’oil dans les livres d’heures et de prières (xiiie-xvie s.), thèse de
doctorat, Université de Strasbourg, 1980.
14 Par exemple : M. Lortie, La liturgie des Heures : une célébration sacramentelle et mystagogique, mémoire de master,
Université catholique de Paris, 2014.
15 Par exemple : N. Fontanella, Réflexions poïétiques autour du Livre d’heures, comme motif et modèle de parcours
pour une pratique plastique, mémoire de maîtrise, Université de Strasbourg, 1997.
16 F. Manzari, « Les livres d’heures en Italie : réception et diffusion d’un livre d’origine septentrionale », Gazette
du livre médiéval, 45 (2004), p. 1-16.
17 A. D. Rodriguez, Libros de horas del siglo xv en la Biblioteca nacional, Madrid, Fundacion universitaria española,
1979 ; ead, « Libros de Horas de la corona de Castilla. Hacia un estado de la cuestión », Anales de Historia del
Arte, 2000, p. 9-54 ; E. Colomer Amat, « Libros de horas impresos en España en el primer tercio del siglo xvi :
Reseña de una edición perdida », Locus amoenus, 4 (1998), p. 127-135.
228 chapitre 5
Cette continuité implique l’existence de réseaux informels à des époques données, mais
aussi de reconnaissances de filiations avec les érudits des générations précédentes.
Ces parentés sont malgré tout limitées par le choix des canaux de publication, à l’audience
souvent limitée aux communautés scientifiques locales et nationales. Plus d’une publication
sur cinq (22,5%), toutes périodes confondues, a lieu dans une revue régionale à diffusion
nécessairement limitée, du moins au moment de sa parution, la numérisation rétrospective
des revues des sociétés savantes régionales ayant désormais aboli les frontières. Ce chiffre
massif montre que l’érudition autour des livres d’heures est portée aussi bien par des cercles
très réduits, quand même ils font appel aux meilleurs spécialistes, que par des structures
de plus grande ampleur – laboratoires universitaires, institutions érudites comme l’Institut
de France de ce côté de l’Atlantique ; gazettes des Musées et bibliothèques en Amérique
du Nord qui s’imposent comme de véritables lieux de production et de diffusion de la
connaissance. À l’inverse, les publications à rayonnement international (15,1%) sont finalement
peu nombreuses. Ceci dit, on est surpris de constater que la littérature consacrée aux livres
d’heures a très bien circulé dans l’espace, comme les livres d’heures eux-mêmes finalement.
D’après les citations, les chercheurs américains ont eu accès aux notules de chercheurs
français les plus difficiles à trouver, de même que les chercheurs français n’ignorent pas les
publications anglo-saxonnes parues dans des revues à faible diffusion.
Ce sont ces reconnaissances que l’on va reconstruire, en respectant la périodisation
que met en évidence la répartition chronologique de ces publications. Celle-ci montre
(Fig. 5.3) que l’intérêt scientifique pour le livre d’heures n’est guère antérieur à la Troisième
République. Avant les années 1870, en effet, les publications sont rares et clairsemées dans
le temps. On retrouve ici, avec un léger décalage, la rupture chronologique qui affecte aussi
le monde des collectionneurs dans la seconde moitié du xixe siècle. Trois générations
d’historiens s’emparent de ces recueils de prières et commencent à les étudier, mais la
Première Guerre mondiale marque un coup d’arrêt à cette activité érudite, qui reste discrète
le temps de l’érudition 229
jusqu’aux années 1970 environ, avant de connaître une progression spectaculaire, révélant
un intérêt qui ne se dément pas à l’heure actuelle.
18 Carpentras, BM, ms. 1779 ; dans le livre d’heures (BnF nouv. acq. lat. 3145), le savant provençal a porté une note
manuscrite au fol. 2. Sur Peiresc et ses pratiques documentaires, voir P. N. Miller, Peiresc’s Europe: learning and
virtue in the seventeenth century, New Heaven, Yale UP, 2000.
19 Carpentras, BM, ms. 1771.
2 30 chapitre 5
ceux-ci comptent pour peu de chose dans l’ensemble gigantesque des sources mobilisées
par le savant provençal.
Un siècle plus tard, Jean-Gabriel Petit de Montempuys (mort en 1763), professeur
de philosophie au Collège de Plessis-Sorbonne puis recteur de l’Université de Paris,
commet quelques pages sur un livre d’heures non identifié, qu’il a peut-être possédé
personnellement. Ce sont visiblement des notes à usage personnel, non destinées à la
communication scientifique et elles ne sont malheureusement pas datées, si bien qu’on
ne peut pas les situer plus précisément que dans la première moitié du xviiie siècle20. Il
décrit page par page les 134 feuillets du recueil en s’attardant surtout sur les miniatures,
mises en lien avec les prières qu’elles suivent ou précèdent. L’approche reste descriptive ;
conformément à la sensibilité documentaire de son temps, il ne tente aucune hypothèse
sur le ou la commanditaire, les possesseurs, l’atelier d’où est sorti ce recueil. À nouveau,
ces pages ne préjugent aucunement d’une démarche plus ample sur les livres de prières
du Moyen Âge. Elles ne permettent pas non plus de supposer une quelconque approche
scientifique de l’objet, même si la description est extrêmement précise au regard de ce
que feront, deux ou trois décennies plus tard, les bibliographes français. Le théologien
a par ailleurs peu publié, sinon pour nourrir la querelle antijésuite. En somme, rien ne
permet d’affirmer que Montempuys s’est positionné en chercheur face au livre d’heures
qu’il avait sous les yeux.
À peu près au même moment, le 14 novembre 1722, Antoine de Jussieu (1686-1758),
botaniste, donne à l’Académie des Sciences la lecture d’un essai sur les plantes peintes en
marge du livre d’heures d’Anne de Bretagne. Le duc de Brancas, quelques jours plus tard,
témoigne de cette conférence dans sa correspondance avec Mme de Balleroy21. Jussieu a
visiblement pu consulter le manuscrit conservé dans le Cabinet du Roi, avec la complaisance
de Louis XV lui-même et l’aide de l’abbé Bignon. Curieusement le Mercure de France qui
relate la séance du 14 novembre 1722, passe sous silence cette lecture, de même que les
Mémoires de l’Académie. Les registres manuscrits de l’Académie gardent toutefois la trace
de ces Réflexions sur diverses dénominations françoises des plantes qui sont dépeintes dans un
manuscrit du Cabinet du Roi22. Jussieu a su tirer des bordures du manuscrit, ornées de 339
plantes avec leur nom français et latin, une image des connaissances botaniques au xve siècle
et un glossaire des plantes selon leur nom latin, français et leur appellation antique23. La
lecture publique à l’Académie des sciences montre cette fois un effort de communication
savante dans des réseaux constitués à cet effet, devant des érudits réceptifs à ces discours.
L’échec de la publication, que Ludovic Lalanne, publiant le mémoire en 1886, met sur le
compte de l’implication de la personne du roi dans la mise en lumière du manuscrit, limite
toutefois l’impact de ce morceau d’érudition. Qui plus est, le sujet choisi, l’histoire de la
botanique, n’obligeait en rien Antoine de Jussieu à s’interroger sur la nature d’un livre
d’heures (on l’appelle alors « livre de prières de la reine Anne »), sur le miniaturiste à
l’œuvre dans ce recueil, ni sur la datation précise de son exécution et il s’est bien gardé de
se prononcer sur ces questions qui, au début du xviiie siècle, n’intéressent personne. Ce
n’est donc pas un morceau d’histoire, mais de terminologie botanique.
C’est aussi dans une Académie savante, celle de Besançon, qu’en 1770 Eugène Droz
(1735-1805), avocat, conseiller au parlement de Besançon et Secrétaire perpétuel de
l’Académie de la ville, présente devant les membres réunis en séance un livre d’heures
incunable qui lui a été soumis pour expertise par un certain Athalin24. Le volume lui paraît
imprimé avec soin, « orné de gravures en tailles douces enluminées en or et en couleurs
vives ». Il s’agit d’Heures à l’usage de Rome imprimées pour Simon Vostre par Philippe
Pigouchet, et achevées le 16 septembre 1498. L’appréciation porte sur les gravures des
bordures, « exécutées en bois fort délicatement, quelquefois singulières et sans goût,
d’autres fois assés bien ordonnées et allégoriques à ce qui est contenu dans chaque page
souvent grotesques dans le goût de Calot (sic) », dont il donne un détail précis. Les
Sibylles gravées dans les coins avec les attributs de la Passion retiennent particulièrement
son attention, ainsi que l’homme anatomique et les allégories des vertus cardinales et
théologales. Il conclut : « toutes ces figures amusent, et celles des sacremens instruisent,
on y voit la conformité exacte des cérémonies de l’église sans altération malgré le laps
de près de trois siècles qui se sont écoulés depuis cette édition jusqu’à nos jours et les
révolutions intermédiaires »25. La danse macabre lui paraît composer un inventaire
complet de l’habillement au xve siècle : costume du pape, des abbés, de l’astrologue,
des bourgeois, des laboureurs, des marchands, des femmes de toutes conditions par
exemple. Il décrypte enfin devant le public le mystérieux codage de l’almanach, « qui n’a
rien de singulier que les nombres mis à la marge des jours, ils ne passent pas le nombre
19 et vont toujours en rétrogradant mais assés irrégulièrement en sorte qu’au mois de
janvier qui commence par le nombre III, le second jour en est en blanc, le 3e est marqué
X […] ». Il suppose que ces chiffres indiquent « une certaine disposition du nombre
d’or pour indiquer les phases de la lune ou pour rendre l’almanach perpétuel »26. Pour
Eugène Droz, le livre d’heures est moins un monument de l’ancienne France, comme
le voyaient Gaignières ou Monfaucon, qu’un manuel d’iconologie de la fin du Moyen
Âge. Il confirme aussi la parfaite stabilité de l’Église catholique et de l’ordre social,
puisque tous les personnages de la danse macabre peuvent correspondre à une catégorie
d’individus du xviiie siècle. C’est donc un objet à la fois rassurant et savant. Les érudits
improvisés ont sans doute été nombreux, dans les deux dernières décennies de l’Ancien
Régime, à regarder ces curiosités typographiques et à tenter de leur donner un sens.
Dans une livraison de 1780 des Affiches du Poitou, on peut lire une « Note liturgique et
typographique » à propos d’un livre en vélin, d’impression gothique, sorti de l’officine
de Simon Vostre en 1506. Réduite à une colonne et demie, annonçant un article plus
développé qui n’est pas paru, cet articulet voit le livre en question comme une curiosité :
24 Besançon, BM, Ms Académie 7, travaux des membres de l’Académie, t. III : Observations sur le livre imprimé en
vélin en caractères gothiques communiqué à l’Académie par M. Athalin à la séance du 7 février 1770, par M. Droz,
fol. 355-259v.
25 Ibid., fol. 356v.
26 Ibid., fol. 356.
2 32 chapitre 5
27 G. Feyel, « Affiches du Poitou (1773-1789) », in J. Sgard (dir.), Dictionnaire des journaux (1600-1789), Oxford,
Voltaire Foundation, 1991, p. 75-84.
28 J.-J. Rive, [Prospectus d’un ouvrage proposé par souscription], Paris, Didot l’Ainé, 1782.
29 A. Worms, « Reproducing the Middle Ages: Abbé J. Joseph Rive and the shidy of Manuscript Illumination
at the turn of the Early Modern Period », in A. Montoya, S. Romburgh et W. Anrooij (éd.), Early modern
Medievalism. The Interplay between Scholarly Reflection and Artistic Production, Leyden, Brill, 2010, p. 347-390 ;
A. delle Foglie et F. Manzari, Riscoperta e riproduzione della miniatura in Francia nel Settecento. L’abbé Rive e
l’Essai sur l’art de vérifier l’âge des miniatures des manuscrits, Rome, Gangemi editore, 2016.
30 I. Miarelli Mariani, Seroux d’Agincourt e l’histoire de l’art par les monumens : riscoperta del Medioevo, dibattito
storiografico e riproduzione artistica tra fine xviii inizio xix secolo, Rome, Bonsgnori, 2005.
le temps de l’érudition 23 3
exercées dans le grand genre »31. Les références au « livre d’heures » du roi de Hongrie
Mathias Corvin reposent sur une confusion avec un autre livre liturgique. Si Séroux
d’Agincourt, plus encore que l’abbé Rive, contribue à créer dans le public une attente
en termes de représentations visuelles des arts anciens et du Moyen Âge, comme l’avait
fait, à la manière, une part de la littérature des Lumières32, le livre d’heures reste en
dehors de cet imaginaire.
Ainsi, les notules de Peiresc, les bribes de Montempuys, un entrefilet dans la presse
régionale, enfin l’échec du projet éditorial de l’abbé Rive ne sauraient constituer des jalons
efficaces d’une histoire de la redécouverte du livre d’heures. Peut-être tout simplement
que le livre d’heures ancien, encore bien présent dans les intérieurs aristocratiques et
bourgeois à titre dévot ou conservatoire, et son pendant moderne, sont encore trop
familiers au public et aux savants pour devenir autre chose que de vieux livres de prières.
Les premières publications relatives aux livres d’heures au début du xixe siècle marquent
de ce point de vue un tournant, non pas quantitatif – cette production est faible – mais
dans la manière de le considérer.
Le long xixe siècle à peine interrompu par la Grande Guerre, clos par les travaux
bibliographiques de Paul Lacombe en amont du conflit (1911), et ceux de Victor Leroquais
en aval (1927), est marqué par deux périodes, durant lesquelles la production scientifique
sur les livres d’heures est quantitativement inégale : faible d’abord, puis en augmentation
sensible après 1870. Cette production sépare deux moments historiographiques : l’histoire
romantique du premier xixe siècle, qui redécouvre le livre d’heures et l’histoire nationaliste
du second, qui va l’instrumentaliser. L’une comme l’autre sont appelées à participer à
l’édification d’une mémoire collective. La première période, malgré le peu de publications
sur le livre d’heures, s’inscrit tout à fait dans une production historique qui « invente ainsi
des formes de continuité décrochée, d’immédiateté mélancolique, d’empathie distanciée,
voire de rigueur hallucinée, qui lui donnent pour les contemporains comme pour nous
encore le puissant attrait d’une pensée sensible d’un type inédit »33. En pleine époque
romantique, le recours au Moyen Âge est une manière de s’opposer à l’académisme et
à l’art classique, en revendiquant au contraire trois données supposées propres à l’art
médiéval : énergie, couleur, émotions. Cette instrumentalisation du Moyen Âge contribue
à le transfigurer, voire à l’inventer à travers des clichés véhiculés par la littérature, l’art,
l’architecture et la décoration34. Dans ce processus, le livre d’heures présente en effet
plusieurs avantages qui l’intègrent plus sûrement que tout autre document dans le
matériau des historiens.
31 J.-B. Séroux d’Agincourt, Histoire de l’art par les monumens depuis sa décadence au ive siècle jusqu’à son
renouvellement au xvie, Paris, Treuttel et Würtz, 1823, t. 2, p. 83.
32 P. Damian-Grint (éd.), Medievalism and manière gothique in Enlightenment France, Oxford, Voltaire Foundation,
2006.
33 P. Petitier, « Entre concept et hypotypose : l’histoire au xixe siècle », Romantisme, 144-2 (2009), p. 69-80.
34 Fr. Pupil, Le style troubadour ou la nostalgie du bon vieux temps, Nancy, PU Nancy, 1985 ; « Peinture troubadour et
Moyen Âge gothique », Sociétés & Représentations, 20-2 (2005), p. 85-102.
2 34 chapitre 5
où l’or brillait au milieu des plus vives couleurs ; on conviendra que jamais spectacle
plus beau et plus grandiose ne fut offert à l’homme39.
De cette manière, le livre d’heures concourt à l’enjeu essentiel de l’histoire au temps
d’un Guizot ou d’un Michelet, qui est de reconstituer l’état d’une société, lequel seul
explique les événements politiques et les révolutions. Pluquet conclut d’ailleurs :
En voilà assez pour faire sentir combien les anciens livres de prières, qu’on n’avait pour
ainsi dire considérés jusqu’à ce jour que comme de simples objets de curiosité, sont
importants pour l’histoire des arts, du langage, des mœurs et des usages religieux du
Moyen Âge40.
Ensuite, le livre d’heures présente à l’historien l’avantage d’avoir été produit (manuscrits
et incunables) au xve et au commencement du xvie siècle, période désignée comme celle de
la naissance de l’esprit français, et d’une civilisation à laquelle le xixe doit encore l’essentiel
de ses valeurs41. Les livres d’heures, en conséquence, servent une cause nationaliste, en
ce qu’ils témoignent du génie national. Plusieurs notices témoignent de cette relation
affective et politique avec ces manuscrits et ces incunables. La vente des manuscrits précieux
d’Auguste Lebrument (1808-1884), bibliophile réputé, est attendue impatiemment par
les spécialistes. Y figure le livre d’heures du prieuré de Saint-Lô à Rouen. Paulin Paris
(1800-1881), de l’Institut, s’émeut :
Il serait bien à regretter qu’un monument si remarquable de l’ancien art français ne
demeurât pas en France, et je crois pouvoir assurer qu’à peine enlevé par ces grands
accapareurs de l’art du moyen âge, les Anglais, il n’est pas un cabinet d’amateurs
français qui ne se repente de n’avoir pas pris les devants, et de ne l’avoir pas conservé
à la France42.
À propos du livre d’heures de la Maison de Schoenborn, le libraire parisien Antoine
Bachelin-Deflorenne s’enflamme :
Combien il serait douloureux pour tous ceux qui s’intéressent aux chefs-d’œuvre
artistiques du xve siècle et qui ont pu contempler ce manuscrit, unique en son genre,
de le voir enlever par l’Etranger ! Il nous souvient encore de la vente du manuscrit de
Madame la duchesse de Berry où figura le Livre d’heures du roi Henri II. Il fut acquis pour
le Musée des Souverains au prix de 60000 francs contre le British Museum. Dès que la
voix du commissaire-priseur eut annoncé que le Musée des Souverains remportait la
victoire, des bravos enthousiastes éclatèrent dans la salle des ventes, démontrant ainsi
combien le public intelligent et cultivé s’intéresse à ces victoires pacifiques remportées
par les amateurs français sur les amateurs étrangers43.
39 Fr. Pluquet, Notice sur les anciens livres d’heures, Caen, Chalopin, 1822, p. 7.
40 Ibid., p. 29.
41 Chr. Amalvi, Le goût du Moyen Âge, Paris, Plon, 1996.
42 Lettre du 2 septembre 1867, cité par A. Bachelin-Deflorenne.
43 A. Bachelin-Deflorenne, Description du livre d’heures du cardinal Albert de Brandebourg (archevéque
de Mayence, né en 1490, mort en 1545), ayant appartenu depuis à la maison de Schoenborn, Paris, A. Bachelin-
Deflorenne, 1868.
2 36 chapitre 5
Or, ces années 1820 à 1860 sont aussi celles où convergent deux nouvelles tendances
esthétiques et éditoriales affectant le livre d’heures : la production de manuels de piété dans
le genre néo-gothique d’une part, et la mise sur le marché des premiers fac-similés. Ces
deux genres tendent d’abord à se confondre, les Heures mises entre les mains des fidèles
utilisant des motifs pris dans différents recueils médiévaux de la Bibliothèque nationale ;
puis avec la lente extinction des Heures au profit du Paroissien, le fac-similé devient un
outil scientifique. Si le fac-similé a connu une belle carrière dans le domaine de l’étude des
manuscrits médiévaux, il occupe en cette première moitié du xixe siècle un statut différent
et relève plutôt de l’appropriation de modèles esthétiques jugés insurpassables. Frédéric
Pluquet relève ce lien entre l’imagerie hagiographique ancienne et celle de son temps :
44 Chr. Grad et G. Livet (éd.), Régions et régionalisme en France du xviiie siècle à nos jours, Paris, Puf, 1977.
45 A. Bachelin-Deflorenne, Description du livre d’heures du prieuré de Saint Lô de Rouen, Paris, Bachelin-
Deflorenne, 1869.
46 L. Babic, L’interprétation et la représentation du Moyen Âge sous le Second Empire, Paris, L’Harmattan, 2015.
le temps de l’érudition 23 7
son temps qui redécouvrent et réinterprètent le Moyen Âge. Le contexte est de ce point de
vue favorable. Il note lui-même l’importance prise dans le marché du livre par les recueils
dévots illustrés d’anciennes miniatures : « Quant aux Livres d’heures ou de Prières, dits
illustrés, véritable macédoine d’ornements de tous les âges, de tous les pays, accumulés sans
choix ni discernement, et souvent sans goût, le nombre en est trop considérable pour s’y
arrêter ». Malgré tout le mal qu’il pense des livres d’heures en fac-similés de Curmer et
d’autres, il lui prête ses calques pour l’édition en chromolithographie des Heures d’Anne
de Bretagne et celles d’Étienne Chevalier50.
Le travail de Bastard, et les longueurs de réalisation qui le caractérisent, ont créé une
forte attente dans le monde érudit. Parmi les antiquaires qui s’intéressent au Moyen Âge
et à la Renaissance dans la première moitié du xixe siècle, tous ou presque disent attendre
impatiemment les livraisons promises et le corpus qu’elles composeront pour entreprendre
alors des études poussées sur des manuscrits encore méconnus. Durant ce délai, une série
de publications de moindre envergure, et recourant à des procédés de reproduction plus
sommaires, entretient la curiosité pour un Moyen Âge à la fois réaliste et fortement idéalisé.
Réaliste, d’abord, par l’attention portée à la vie quotidienne et aux « choses banales » ;
mais idéalisé, aussi, parce que la représentation, au sens iconographique et mental de
l’expression, du mobilier, du costume ou des décors intérieurs de l’âge gothique contribue
à fonder le stéréotype d’un Moyen Âge confortable et raffiné.
En 1839, la fille de Nicolas-Xavier Willemin (1763-1833), Élisabeth, fait aboutir la
publication des Monuments français inédits pour servir à l’histoire des arts entamée par son
père, avec la complicité du bibliothécaire rouennais André Pottier, qui se charge d’annoter
les planches. Willemin était avant tout un graveur, et occasionnellement un antiquaire.
Les 50 livraisons promises des Monuments dès 1806 doivent couvrir, selon la promesse faite
aux souscripteurs, la période du ixe au début du xviiie siècle, mais le Moyen Âge en forme
la majeure part. Willemin se proposait de construire « le plus exact et le plus magnifique
répertoire qu’on eût consacré dans ces derniers temps à réunir les productions de l’art et
de l’industrie du moyen âge, persuadé que cette collection était destinée à prendre place à
côté des immortels ouvrages de Montfaucon et de D’Agincourt »51. Le prétexte initial se
trouve être le costume français. C’est donc bien une histoire de la vie quotidienne et des
marqueurs sociaux que Willemin a entreprise, en s’inspirant de l’historiographie anglaise,
beaucoup plus avancée, et en conservant la logique documentaire de Gaignières, à qui le
graveur dit avoir beaucoup emprunté. C’est aussi, d’une certaine manière, une réflexion
sur les sources au moment où des champs disciplinaires commencent à s’émanciper
et se circonscrire, avec des enjeux et des épistémologies propres, qui tous, plus tard,
contribueront à fonder les sciences du patrimoine. L’archéologie naissante en est un. Elle
est plus qu’une investigation minutieuse dans le temps passé ; elle est une célébration
de celui-ci, un émerveillement que le hasard des trouvailles favorise aussi. Les vestiges
de la vie quotidienne sont de ce point de vue les plus touchants, parce qu’ils permettent
d’entrer dans l’intime, le vécu.
Dans cette entreprise, l’apport des livres d’heures est mineur, car rares sont les traces
du quotidien dans l’iconographie stéréotypée des cycles marial et christologique, et de
l’immense répertoire hagiographique fondé surtout sur l’emblématique. Mais le travail
de Willemin a favorisé la redécouverte de quelques recueils qui s’imposent comme de
véritables modèles définitoires de ce qu’est un livre d’heures, en même temps que les
libraires affirment leur expertise sur cet objet et contribuent à en délimiter les contours.
Le plus emblématique est indiscutablement le livre d’heures d’Anne de Bretagne conservé
à la Bibliothèque royale. Willemin est catégorique :
Les Heures d’Anne de Bretagne […] semblent clore par le plus éclatant des chefs-
d’œuvre la longue série des productions de cet art [la miniature]. On dirait que celui-ci,
sentant sa fin prochaine, aurait appelé à lui toutes ses ressources et concentré toute
sa puissance, afin de laisser à la postérité un irrécusable témoignage du haut degré de
perfection auquel il lui avait été donné d’atteindre. Il est impossible, à moins de l’avoir
vu, de se faire une idée de tout ce que la miniature, dans le cadre étroit d’un volume
de moins d’un pied de hauteur, peut déployer de luxe et de prestige. Et qu’on ne s’y
méprenne pas, nous ne voulons pas parler ici de cette magnificence, un peu commune
peut-être qui, dans les manuscrits du Moyen Âge, résulte de la profusion et du contraste
de couleurs splendides et de dorures scintillantes, magnificence toute matérielle et
créée seulement pour le plaisir des yeux, mais bien de ce luxe harmonieux et simple
qui, ménageant ses trésors et tempérant son éclat, réussit, par la combinaison savante
des effets, l’accord suave des tons, le choix délicat et varié des détails, à satisfaire l’esprit
encore plus que les yeux52.
À l’en croire, la majorité des livres d’heures sont des colifichets tout juste jolis, mais
celui-ci est une véritable œuvre d’art. Pottier estime même que Willemin aurait dû en
copier l’intégralité. Le détail reproduit, un portrait en pied de la duchesse, montre à la
fois la mise à l’écart de la spécificité du livre d’heures, puisque rien ne permet de voir que
l’illustration provient d’un livre de prières, et l’efficacité d’une image colorée montrant la
silhouette hiératique de la princesse en costume royal (Fig. 5.4b). À vrai dire, Willemin s’est
très librement inspiré de ce qu’il pense être la figuration de la reine dans le livre d’heures.
Son portrait est extrait de la miniature du fol. 3ro (Fig. 5.4a), la partie droite d’un diptyque
montrant Anne en prière, agenouillée mains jointes devant son livre d’heures, devant la
descente de croix, le corps supplicié du Christ étant recueilli par sa mère. Trois saintes
entourent la reine : Anne sa patronne figurée en femme âgée et deux reines couronnées
vêtues d’hermine. Pour composer son portrait royal, Willemin a choisi l’une des saintes
reines, et non pas Anne de Bretagne elle-même. Il lui a fallu par ailleurs compléter la
silhouette un peu cachée par un autre personnage dans la miniature originale et les coloris
ne sont pas rigoureusement les mêmes.
52 Ibid., t. 2, planche 181, « costume royal d’Anne de Bretagne, tiré des Heures de cette reine », p. 19.
240 chapitre 5
Figure 5.4a : Miniature des Grandes Figure 5.4b : « Costume royal d’Anne de Bretagne tiré des
Heures d’Anne de Bretagne par Heures de cette princesse », planche 181 des Monuments
Bourdichon, BnF ms. lat. 9474, fol. 3ro. français inédits pour servir à l’histoire des arts, 1839.
acquiert, sous l’influence protectrice du frère de Charles V, de ce Jean, duc de Berry, dont
les libraires furent si célèbres, le mouvement, la finesse et l’éclat qui brillent déjà dans
les beaux manuscrits dus à ses encouragements »53. Le chapitre VIII est consacré à cette
question. La mort de Du Sommerard, survenue en 1842, ne lui permet pas d’achever ce
travail, et c’est son fils Edmond (1817-1885) qui s’en charge dans le cinquième et dernier
volume, paru en 1846, non sans réduire l’argumentation prévue initialement à de simples
descriptions de planches. Le répertoire étudié est principalement constitué des manuscrits
collectionnés par Alexandre, et disposés dans l’hôtel de Cluny, mais aussi de documents
de la Bibliothèque royale et de collectionneurs amis, comme Debruge-Labarte. Du
Sommerard s’enorgueillit de posséder un livre d’heures dont la planche correspondante
atteste qu’il s’agit d’
un des petits chefs-d’œuvre d’enluminure de la fin du xve siècle. Chacune des pages
initiales est ornée d’un sujet de dimension égale à la reproduction, et la scène est
toujours entourée d’un encadrement varié. Ce petit missel (sic, alors que le début du
commentaire nomme bien un livre d’heures) a été mis en 1574 à l’usage du roi Henri II,
lors de la mort de Marie, princesse de Condé, ainsi qu’en témoignent les ornements
qui décorent la reliure reproduite au milieu de la planche, les flammes et les têtes de
mort mêlées aux fleurs de lys étant devenues les attributs favoris du roi54.
La maladresse est encore visible dans la description de vignettes et miniatures à sujet
religieux qui proviennent très vraisemblablement de livres d’heures, ce qu’Edmond Du
Sommerard ignore visiblement, lui qui met fin à la prospection de ces objets après la mort
de son père pour enrichir l’hôtel de Cluny, désormais propriété de l’État. Il commente
aussi six miniatures reproduites d’un livre d’heures en possession de M. Carrand55,
et un échantillon de celles des Heures d’Anne de Bretagne, « un des livres les plus
remarquables de la fin du xve et du commencement du xvie siècle »56. Sommerard père
et fils contribuent donc également à la redécouverte des livres d’heures comme clef
d’entrée dans l’univers médiéval, avec moins d’efficacité qu’un Willemin, mais dans la
même perspective de recréation du Moyen Âge à partir d’une série d’objets supposés la
permettre. Cette approche culmine avec Jules Labarte (1797-1880), archéologue fasciné
par les « monuments de la vie privée et [les] productions de l’industrie »57 et soucieux de
réhabiliter l’art médiéval, bien plus méritant à son goût que le grandiose louis-quatorzien,
l’ornementation du xviiie siècle, les lourdeurs et des exagérations de l’art impérial. Il se
place dans la lignée des Willemin, Sauvageot, Du Sommerard, mais aussi des amateurs
d’art comme Pourtalès, Brunet-Denon, Debruge-Duménil… La miniature flamande est
pour lui la quintessence de la peinture du xve siècle, elle a ensuite influencé la peinture
italienne, française et germanique. Avec 38 manuscrits cités à travers les bibliothèques et
53 A. et Ed. Du Sommerard, Les arts au moyen âge, en ce qui concerne principalement le palais romain de Paris, l’hôtel
de Cluny… et les objets d’art de la collection classée dans cet hôtel, Paris, Techener, 1838-1846, t. 1, avant-propos, p. 7.
54 Ibid., t. 5, 1846, p. 145-146.
55 Ibid., t. 5, p. 164.
56 Ibid., t. 5, p. 174-176.
57 J. Labarte, Histoire des arts industriels au Moyen Âge et à l’époque de la Renaissance, Paris, A. Morel, 1864, t. 1,
p. xvii.
242 chapitre 5
musées européens, les livres d’heures constituent sans conteste la matérialisation la plus
massive et concrète de cette application de l’art aux objets domestiques.
Ces projets éditoriaux, relativement éloignés finalement de la démarche historique,
nous y ramènent tout de même, car on décèle dans cette production tout un débat sur
le livre d’heures comme marqueur social, débat qui se renforce vers 1850-1860. Vallet de
Viriville, en historien aguerri, examine le livre d’heures d’Isabeau de Bavière du point de
vue non pas de son contenu liturgique, ni de sa décoration artistique, mais de celui des
pratiques bibliophiliques curiales au xve siècle. Il s’est penché moins sur le manuscrit
lui-même, que sur les comptes royaux du règne de Charles VI conservés aux Archives
nationales, pour repérer le mécénat de la princesse et ses dépenses en manuscrits. Il
s’interroge sur les usages du livre, le recours à des coffres pour les ranger, l’organisation
de la collection, l’apprentissage de la lecture à partir de livres de prières, le coût de
fabrication, les frais de réparation répétés sur ce livre d’heures, dont il déduit un usage
plus assidu, enfin les gestes de la lecture, subodorant que les lanternes d’ivoire achetées
par la princesse lui servaient à réciter les heures nocturnement. Cette approche quasi
anthropologique du livre d’heures est extrêmement neuve et plutôt rare au xixe siècle ;
toutefois, elle rejoint un questionnement constant sur le positionnement social des
propriétaires de ces recueils. De ce point de vue, les interprétations divergent. Pour
Amédée Tarbouriech (1834-1870), le livre d’heures est un bien bourgeois, au moins
à la fin du xve et au xvie siècle ; c’est pour cette classe sociale, suppose-t-il, qu’il a été
adapté en langue vulgaire, à la différence du missel, obligatoirement en latin, possédé
exclusivement par des châtelaines et de riches seigneurs ; enfin, le peuple se contente
des Bibles historiées, Miroir de la Mort, Jardin de dévotion, Légende dorée, Imitation de Jésus
Christ et autres « livres enthousiastes légués par le mysticisme du Moyen Âge »58. À partir
de cette segmentation des genres ascétiques et paraliturgiques et des classes sociales,
il échafaude une théorie selon laquelle le livre d’heures aurait été un rempart contre
la culture de cour. La morale scrupuleuse et le souci permanent de la vie future qu’il
véhicule (notamment avec l’apparition de la danse macabre dans les bois des premiers
recueils imprimés) viennent en contrepoint de la futilité aristocratique et de l’ostentation
des missels, dont la riche reliure masque des recueils assez pauvres sur le plan spirituel.
Cette théorie est excessivement simpliste, même si les contemporains ont bien perçu
qu’avec l’imprimerie, le livre d’heures était entré dans une ère de diffusion nouvelle,
touchant désormais un public socialement élargi. À l’inverse, pour nombre d’auteurs,
ces recueils ont été, quel que soit leur mode de fabrication, un produit d’élite, princier
ou seigneurial. Cette appréciation résulte d’un effet de source : les livres d’heures étudiés
sont pour la plupart associés à des possesseurs très prestigieux. Or, les fac-similés de livres
d’heures mis en circulation à partir des années 1840 sont explicitement destinés à une
élite : la liste des souscripteurs du Livre d’heures de la reine Anne de Bretagne mentionne
Napoléon III, le pape Pie IX, le tsar Alexandre II, Isabelle II d’Espagne, Léopold Ier de
Belgique par exemple.
Enfin, une troisième théorie, défendue par Eustache-Hyacinthe Langlois, et plus attentive
au contenu dévotionnel des livres d’heures, fait de ces volumes (notamment imprimés)
58 A. Tarbouriech, Les Livres d’Heures au xvie siècle, Paris, Aubry, 1865, p. 5.
le temps de l’érudition 243
Cette érudition autour du livre d’heures est, en premier lieu, le fait d’un groupe de
spécialistes qui présente une grande cohérence interne. Quatre pôles d’expertise appa-
raissent. Le premier, et le plus important, est celui des agents des institutions culturelles.
Beaucoup d’entre eux ont été formés à l’École nationale des chartes, fondée en 1821, où
l’initiation au manuscrit a dû être une véritable révélation. On ne saurait trop insister sur
l’importance sinon de l’École des Chartes, du moins d’un « drapeau » chartiste unissant
plusieurs générations de spécialistes des manuscrits en France, repoussant l’érudition
désordonnée des bibliophiles et des amateurs d’images et de vélin pour construire une
approche plus raisonnée et méthodique des livres d’heures : les deux tiers des auteurs de
publications sur ce sujet entre 1870 et 1940 sont passés par cette École.
C’est le cas d’Henri Bouchot (1849-1906), auteur d’une étude sur le livre d’heures de
Marguerite de Rohan60, ou d’Alfred Gandihon (1877-1946), archiviste du Tarn-et-Garonne
puis du Cher et auteur d’une analyse d’un fragment de livre d’heures du diocèse de Dax61.
La plupart dirigent un service d’archives, un musée ou une bibliothèque publique. Georges
Ritter (1881-1957), spécialiste des livres d’heures normands62, archiviste-paléographe
(promotion 1907), est d’abord bibliothécaire adjoint de la ville de Rouen, puis conservateur
en chef à la section moderne des archives nationales. On trouve encore, ayant occupé
les mêmes fonctions, Léon Mirot (1870-1946), auteur d’une étude du livre d’heures de
Jean sans peur, ou avant lui, Jacques Meurgey (1891-1973), également chartiste (1920),
conservateur aux Archives nationales, qui fit connaître les « Heures de Tournus »63. Ces
individus font carrière dans les archives aussi bien que dans les bibliothèques. Jules-Marie
Gauthier (1848-1905), ainsi, est archiviste du Doubs et bien introduit dans les sociétés
savantes bisontines, comme tous ses homologues d’ailleurs, qui composent les forces vives
des académies locales. On lui doit divers travaux, parus dans les périodiques régionaux,
sur des livres d’heures franc-comtois64. Du côté des bibliothèques, il faut citer Henri
Jadart (1847-1921), conservateur à la Bibliothèque municipale de Reims et des musées de
peinture et d’archéologie de la même ville, qui fait connaître le livre d’heures de Marie
Stuart65, Alcius Ledieu (1850-1912), bibliothécaire et correspondant du Ministère de
l’Instruction publique66, ou plus tard, Jacques Guignard (1912-1980), conservateur en chef
à l’Arsenal et spécialiste de Bourdichon dans les années 193067. Amédée Boinet (1881-1965),
qui s’intéresse aux livres liturgiques de Picardie68, a été conservateur à la Bibliothèque
Sainte-Geneviève. Enfin, sensibles au statut d’objet d’art du livre d’heures, les directeurs
des musées s’y intéressent également, tel Louis Le Clert (1835-1935), conservateur du musée
archéologique de Troyes, examinant des fermoirs de manuels de prières69. Cette catégorie
de chercheurs est alors connue pour construire une vision du Moyen Âge plutôt catholique
et conservatrice, comme en témoignent les écrits de Léon Gautier (1832-1897), chartiste,
archiviste puis professeur de paléographie à l’École des Chartes pendant vingt-cinq ans.
Ses travaux sur l’épopée médiévale montrent qu’il voit dans le Moyen Âge « un monde
que nous avons perdu et qu’il faut absolument retrouver, voire ressusciter, un idéal à part
60 H. Bouchot, Le livre d’heures de Marguerite de Rohan comtesse d’Angoulême : étude historique et critique, Paris,
H. Leclerc, 1903.
61 A. Gandihon, « Étude sur un livre d’heures du xive siècle : fragment d’un bréviaire du diocèse de Dax »,
Bulletin historique et philologique (1904), p. 631-643.
62 G. Ritter, Manuscrits à peintures de l’école de Rouen. Livres d’heures normands, Rouen, Lestringant, 1913.
63 J. Meurgey, « Les Heures de Tournus. Étude sur un manuscrit du xve siècle aux armes des Visconti, conservé à
l’hôpital de Tournus », Mémoires de la Société des Amis des arts et des sciences de Tournus, 33 (1931), p. 1-18.
64 J.-M. Gauthier, « Le livre d’heures du chancelier Nicolas Perrenot de Granvelle au British Museum », Réunion
des Sociétés des Beaux-Arts des Départements, 20 (1896), p. 104-109 ; « Note sur le livre d’heures de Catherine de
Montbozon », Académie de Besançon (1879), p. 201-212.
65 H. Jadart, « Le Livre d’heures de Marie Stuart à la Bibliothèque de Reims », La bibliofilia, 4 (1902), p. 145-157.
66 A. Ledieu, « Notice sur deux livres d’heures du xive siècle », Revue de l’art chrétien (1891), p. 404-411.
67 J. Guignard, « Quelques œuvres de l’atelier de Bourdichon conservées en Italie », Mélanges d’archéologie et
d’histoire, 56 (1939), p. 356-395.
68 A. Boinet, Notice sur deux livres d’Heures à l’usage d’Amiens et sur un manuscrit à miniatures du xive siècle d’origine
picarde, Amiens, Yvert et Tellier, 1910.
69 L. le Clert, « Note sur les fermoirs armoriés d’un livre d’heures conservé à la bibliothèque de Chaumont-en-
Bassigny », Bulletin archéologique (1903), p. 237-243.
le temps de l’érudition 245
entière sur le plan politique, religieux, social et culturel, un modèle d’inspiration vers
lequel il convient absolument de se trouver pour régénérer une société malade, gangrenée
par la Réforme, les Lumières et naturellement l’œuvre satanique de la Révolution »70. Sa
contribution à l’histoire des livres d’heures porte sur les « dentelles », ces motifs d’une
grande finesse remplissant les bandeaux dans les peintures des livres71. Il est par ailleurs
l’auteur d’un livre de prières conçu comme un florilège de formules dévotes latines tirées
de manuscrits anciens, principalement des livres d’heures72. Le petit format (in-32), les
nombreuses rééditions et le choix d’un éditeur acquis à la cause catholique montrent
l’attachement de l’auteur, par ailleurs érudit critique, au renouveau catholique de la fin
du siècle.
Parmi les auteurs, certains s’imposent comme de véritables spécialistes du livre d’heures
et publient abondamment, le plus emblématique étant sans aucun doute Léopold Delisle
(1826-1910), « incarnation de l’institution chartiste »73, administrateur général de la
Bibliothèque nationale de France de 1874 à 1905, historien du livre normand.
Le goût de Léopold Delisle pour les manuscrits à peintures lui vient de sa femme,
née Laure Burnouf (1828-1905), qui est aussi sa collaboratrice. Il écrit dans ses souvenirs :
« elle ne dissimula jamais son plaisir à admirer les peintures des manuscrits du Moyen
Âge. Elle en appréciait d’autant mieux le mérite qu’elle-même avait pratiqué avec un certain
succès l’art de la miniature »74. Au-delà du souvenir tendre et touchant, cet élément est
intéressant pour notre enquête : le livre d’heures médiéval garde une certaine actualité
pour les miniaturistes du dimanche au xixe siècle75. Léopold a offert à Laure deux livres
d’heures, aujourd’hui à la Bibliothèque nationale de France, pour leur premier anniversaire
de mariage puis pour leurs noces d’argent76. Les travaux de Delisle sur les livres d’heures
sont assez tardifs dans sa carrière, et somme toute peu représentatifs de ses publications :
seulement 4,5% d’entre elles concernent l’histoire de l’enluminure ; ce sont, qui plus est,
des publications « courtes », puisqu’elles ne représentent que 2,2% de la masse totale
publiée, aux antipodes de ses travaux sur la diplomatique (26,6% des pages publiées) ou
sur la bibliothéconomie (22,1%)77. Il observe les livres d’heures en archiviste, cherchant
avant tout à les dater, à identifier les commanditaires et à les situer dans la géographie
diocésaine du Moyen Âge. Il n’a rien d’un historien de l’art, ce que l’historiographie jugera
durement par la suite. Il n’en reste pas moins que Léopold Delisle a joué un rôle essentiel
dans la connaissance des livres d’heures, notamment ceux commandités par Jean de Berry,
70 Chr. Amalvi, « Les deux Moyen Âge des savants dans la seconde moitié du xixe siècle », in L. Kendrick et al.
(éd.), Le Moyen Âge au miroir du xixe siècle (1850-1900), Paris, L’Harmattan, 2003, p. 11-25.
71 L. Gautier, Notice sur le Livre d’Heures illustré d’après les dentelles de toutes les époques et de tous les styles, Tours,
Alfred Mame et fils, 1888.
72 L. Gautier, Choix de prières tirées des manuscrits du xiiie au xvie s. et traduites pour la première fois…, Paris,
V. Palmé, 1861.
73 Fr. Hildesheimer, « Institutions savantes. Les institutions du savoir », in S. Bernard-Griffiths et al. (éd.),
La Fabrique du Moyen Âge au xixe siècle, Paris, Honoré Champion, 2006, p. 86.
74 Fr. Vielliard et G. Désiré dit Gosset (éd.), Léopold Delisle, Saint-Lô, Archives départementales de la Manche,
2007, cité p. 23.
75 Voir chapitre 7.
76 Fr. Avril, « La contribution de Léopold Delisle aux études sur les manuscrits à peintures », in Léopold Delisle,
op. cit., p. 109.
77 Y. Potin, in Léopold Delisle, op. cit., p. 171.
2 46 chapitre 5
en publiant les inventaires des bibliothèques du duc au fil de la publication de son Cabinet
des manuscrits78 : il a ainsi identifié des manuscrits produits par les frères de Limbourg ou
d’autres artistes. C’est d’ailleurs vers lui que se tourne, en janvier et février 1856, le duc
d’Aumale afin de se prononcer sur l’attribution des Très Riches Heures acquises quelques
semaines plus tôt. Léopold Delisle répond obligeamment au prince79, puis publie une
note dans la Gazette des Beaux-Arts80. Si on relève aujourd’hui des inexactitudes dans ses
publications, il reste un des premiers, en France, à élaborer une histoire des manuscrits à
peinture digne de ce nom, fondée sur l’archive et non sur les critères stylistiques, ce qui
sera la marque de fabrique de l’école française d’histoire de l’art.
Il publie dans l’exercice de ses fonctions de très nombreuses notes sur des livres
d’heures, notamment dans les comptes-rendus des séances de l’Académie des Inscriptions
et Belles-Lettres, dans la Bibliothèque de l’École des Chartes et dans diverses revues de
codicologie et d’histoire. Ses travaux examinent principalement des exemplaires conservés
à la Bibliothèque nationale, et il s’impose comme l’un des premiers spécialistes des Heures
d’Anne de Bretagne. Il n’est pas rare, de surcroît, que des collègues étrangers lui proposent
des énigmes bibliographiques ou codicologiques. Wilhelm Meyer (1845-1917), professeur
à Göttingen, ainsi, lui soumet le manuscrit A48 de la bibliothèque de Wernigerode en
Saxe. En conséquence, et en retour de ces échanges de bons procédés, la publication est
une manière de nourrir un réseau savant : Léopold Delisle explique ainsi qu’il a sollicité
de son ami des photographies du manuscrit en question ; à leur réception en France, « je
m’empressai de le remercier en lui annonçant le prochain envoi de quelques publications
relatives à des livres d’heures et à divers manuscrits »81. Bientôt, le confrère allemand
lui expédie le manuscrit lui-même, pour l’expertiser d’abord82, pour l’intégrer dans les
collections françaises ensuite.
Paul Durrieu (1855-1925), un peu plus jeune que Delisle mais qui l’a longuement
fréquenté, inscrit quant à lui le livre d’heures dans l’histoire de l’art, étant, au contraire
de son maître, un spécialiste du sujet, reconnu dans toute l’Europe au début du xxe siècle.
Diplômé de l’École des Chartes en 1878, membre de l’École française de Rome, conservateur
au département des peintures du Louvre, membre du Comité des travaux historiques et
de la Société française de reproduction des manuscrits à peintures, il s’impose comme un
historien de l’art talentueux. Dans les dernières années du xixe siècle, ses travaux passent
de la peinture à l’enluminure, ce qui lui fait croiser les livres d’heures. Durrieu et Delisle
mènent des recherches parallèles et entrecroisées ; c’est grâce à Delisle que Durrieu a pu
produire sa monographie sur les Très riches Heures du duc de Berry83. Mais c’est aussi
78 L. Delisle, Le cabinet des manuscrits de la Bibliothèque impériale [puis nationale] : étude sur la formation de ce dépôt,
comprenant les éléments d’une histoire de la calligraphie, de la miniature, de la reliure et du commerce des livres à Paris
avant l’invention de l’imprimerie, Paris, Imprimerie impériale, 1868-1881, 3 vol.
79 Chantilly, Musée Condé, Bibliothèque, 1PA8, lettre de Léopold Delisle, 14 février [1856].
80 L. Delisle, « Les livres d’heures du duc de Berry », Gazette des Beaux-Arts (1884), p. 97-110.
81 L. Delisle, « Les Heures de Blanche de France, duchesse d’Orléans », Bibliothèque de l’École des Chartes, 66
(1905), p. 489-539, ici p. 491.
82 Léopold Delisle l’évoque dans sa correspondance privée avec sa sœur Stéphanie (lettre du 16 septembre 1905),
publiée dans Fr. Veilliard (éd.), op. cit., p. 284-285. Il discute ensuite du manuscrit avec François Gruyer
(1825-1909), chargé de l’inventaire des peintures à Chantilly puis conservateur du domaine après la mort du duc
d’Aumale.
83 P. Durrieu, Les Très Riches Heures de Jean de France, duc de Berry, Paris, Plon, 1904.
le temps de l’érudition 2 47
84 N. de Wailly, « Notice sur un livre d’heures donné par l’impératrice Marie-Louise à la duchesse de
Montebello », lecture faite à l’Académie des inscriptions et belles-lettres, le 6 mai 1879, Compte-rendu des séances
de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 23 (1879), p. 113-121.
85 Bulletin de la Société française de reproduction des manuscrits à peinture, 1 (1911), liste de sociétaires.
2 48 chapitre 5
86 J.-P. Chaline, Sociabilité et érudition. Les sociétés savantes en France, Paris, Ed. du CTHS, 1995.
87 E. Jouy, « Un livre d’heures du xve siècle à la bibliothèque du séminaire de Meaux, notes et extraits »,
Conférences d’histoire et d’archéologie du diocèse de Meaux (1900), p. 488-523.
88 Sur l’érudition ecclésiastique au xixe siècle, voir Cl. Langlois, « Des études d’histoire ecclésiastique locale à la
sociologie religieuse historique. Réflexions sur un siècle de production historiographique », Revue d’histoire de
l’Église de France, 62 (1976), p. 329-347 ; G. Cholvy, « Clercs érudits et prêtres régionalistes », Revue d’histoire de
l’Église de France, 71 (1985), p. 5-12 et l’ensemble des contributions du même numéro.
89 B. Neveu, « Entre archéologie et romanité : Mgr Xavier Barbier de Montault (1830-1901) », Bibliothèque de l’École
des Chartes, 163 (2005), p. 241-264.
le temps de l’érudition 2 49
regarde le texte lui-même. Toute l’attention des érudits et des chercheurs paraît s’être
portée exclusivement sur l’illustration. Chaque fois qu’ils se sont hasardés à étudier
le contenu du livre d’heures, ils l’ont fait avec crainte et timidité, n’osant s’y attarder
et comme pressés de quitter un terrain peu sûr pour aborder des régions plus faciles à
explorer. C’est l’aspect extérieur du manuscrit qui les a attirés et retenus90.
Il suppose que comme le livre d’heures n’appartient pas à proprement parler aux livres
d’église, bien qu’il soit un ouvrage liturgique, il n’a pas intéressé les liturgistes. Il cherche
ainsi à marquer un tournant dans leur appréciation. Son modèle, en la matière, est anglais,
car il estime que quelques spécialistes anglais ont eu cette intuition d’étudier les Prymers
pour leur contenu dévotionnel et rituel91.
Prennent aussi la plume, çà et là, des membres de sociétés savantes. Ils ne sont pas
nombreux, et ne s’en revendiquent pas spécialistes ; ils écrivent sur des sujets divers et
occasionnellement sur ces objets. C’est le cas d’Hervé de Broc (1848-1916), historien,
président de la Société historique de l’Orne, qui tente une synthèse assez médiocre sur les
livres d’heures dans le Bulletin de la Société historique et archéologique de l’Orne92. Auguste
de Loisne (1853-1943), membre résident du CTHS et de la Commission des monuments
historiques du Pas-de-Calais, observe un livre d’heures flamand du xve siècle, et publie ses
remarques dans une mince brochure de 24 pages en 189593. En réalité, cette segmentation
est un peu artificielle, en ce que les catégories ne sont pas étanches les unes aux autres ;
un conservateur de musée ou de bibliothèque est aussi souvent actif dans les sociétés
savantes, et parfois bibliophile pour lui-même. Ulysse Chevalier (1841-1923), prêtre et
érudit, est ainsi élu à l’Académie des Inscriptions et belles lettres en 1912 ; Paul Lacombe
(1848-1921), l’un des premiers bibliographes français des livres d’heures, bibliothécaire
à la Bibliothèque nationale, est aussi membre de la Société des Amis des livres et de la
Société des bibliophiles françois.
En l’absence de véritable chaire universitaire d’histoire du Moyen Âge avant 1883, des
érudits de postures et d’engagements intellectuels variés ont pu ainsi s’emparer du livre
d’heures, et projeter sur cet objet des questionnements différenciés : prouver la vitalité
du catholicisme local à l’aune de la richesse de son histoire liturgique, faire émerger des
curiosités codicologiques, enfin alimenter la grande fresque historique du Moyen Âge
telle qu’elle se peint alors, avec de nouveaux détails documentaires.
Le fait est qu’au lendemain de la guerre de 1870, l’histoire de l’art peine en France
à s’autonomiser, alors que c’est chose faite en Allemagne depuis longtemps. Elle reste
fortement liée à l’archéologie d’une part, et à la philosophie esthétique d’autre part. En 1882,
toutefois, la fondation de l’École du Louvre suivie, en 1899, de la première chaire d’histoire
de l’art à la Sorbonne, recompose le paysage institutionnel et favorise la transmission de
la discipline. Il faut toutefois attendre 1921 pour que les Français soient vraiment présents
dans les congrès internationaux d’histoire de l’art. Ces jalons chronologiques montrent
combien l’histoire de l’art reste une discipline fragile avant la Première Guerre mondiale.
Or, le xixe siècle a consacré beaucoup d’efforts à l’étude de la Renaissance italienne,
perçue comme brillante, dont Raphaël aurait été l’aboutissement parfait, et à laquelle on
accole très vite une forte dimension normative. C’est précisément contre ce récit historique
que se met en place, en France comme en Allemagne, une histoire d’arts « nationaux ».
Ce contexte est important, car le nationalisme culturel du xixe siècle aura été l’une des
conditions de la genèse d’une histoire de l’art professionnelle, comme l’a magistralement
souligné Michela Passini94 et en provoquant un débat agité autour des notions d’« antique »,
de « médiéval » et de « renaissant », il a fait émerger l’idée de « Primitifs », profondément
politique. Au fond, l’histoire de l’art au tournant des xixe et xxe siècles, c’est-à-dire dans
son premier âge, « étudie, reconstitue, classe et raconte le patrimoine de la nation »95, en ce
qu’elle doit produire le récit de l’art national. Et c’est là que l’on retrouve des bibliothécaires,
en l’espèce Henri Bouchot, Henri Omont (1857-1940), Léopold Delisle et Henry Martin,
chevilles ouvrières (surtout le premier), de l’exposition Primitifs français qui s’est tenue
au Louvre et à la Bibliothèque nationale en 1904, dans laquelle les livres d’heures ont été
mobilisés en vue d’une véritable nationalisation de la culture.
Cette exposition constitue un moment fort de l’écriture de ces histoires nationales,
d’autant qu’elle a suscité ensuite de nombreuses recherches sur ces « Primitifs ». Elle
témoigne de la naissance d’une histoire de l’art universitaire, d’une professionnalisation
rapide du monde des musées et de la mise en œuvre de politiques culturelles et symboliques
qui se saisissent des arts comme d’un enjeu central dans la compétition entre nations.
Elle donne à voir au public un récit historique, et introduit de la sorte un « régime de
publicité de l’art »96. Elle dit aussi, et pour la première fois, l’émergence de modalités
nouvelles d’inscription de l’art dans l’espace du politique. Il y avait eu à Bruges en 1902
une exposition sur les Primitifs flamands, destinée à renforcer la conscience civique dans
un État de récente unification. Parmi les œuvres présentées à Bruges, on en retrouve
quelques-uns deux ans plus tard à Paris, présentées avec une attribution française. Et
pour cause : l’enjeu de ces expositions (une se tient, en 1902 à Düsseldorf sur les Primitifs
rhénans) est de préciser la propriété symbolique d’œuvres prestigieuses. Il s’agit de
démontrer l’existence d’une école artistique française ancienne et puissante au temps
des Valois, entre Charles VI et Henri III (1326-1589), en un temps d’internationalisation
des biens culturels qui s’oppose précisément à cette écriture d’une histoire nationale des
arts. Henri Bouchot, conservateur aux Estampes, principal promoteur de l’exposition, la
conçoit après avoir vu celle de Bruges. L’expression « primitifs français » est alors inusitée ;
elle a suscité beaucoup de réactions et les contemporains ont perçu qu’elle répondait à un
94 M. Passini, La fabrique de l’art national. Le nationalisme et les origines de l’histoire de l’art en France et en Allemagne,
1870-1933, Paris, Éd. de la MSH, 2012.
95 Ibid., p. 3.
96 Ibid., p. 79.
le temps de l’érudition 251
97 H. Bouchot, « L’Exposition des Primitifs français », Revue des Deux Mondes, 20 (1904), p. 420-443.
98 M. Passini, op. cit., p. 79-112 ; ead., « Pour une histoire transnationale des expositions d’art ancien : Les
Primitifs exposés à Bruges, Sienne, Paris et Düsseldorf (1902-1904) », Intermédialités : histoire et théorie des arts,
des lettres et des techniques / Intermediality: History and Theory of the Arts, Literature and Technologies, 15 (2010),
p. 15-32 ; Fr.-R. Martin, « L’administration du génie national. L’exposition des primitifs français de 1904 », in
E. Castelnuovo et A. Monciatti (éd.), Medioevo/Medioevi: Un secolo di esposizioni d’arte medievale, Pise,
Edizioni della Normale, 2008, p. 93-108.
99 D. Thiébaut et al., Primitifs français. Découvertes et redécouvertes, Paris, RMN, 2004, p. 15.
252 chapitre 5
Figure 5.5 : Affiche réalisée par A.-F. Gorguet pour l’exposition Primitifs français, Paris, 1904. BnF,
Département des estampes, ENT DO-1 (GORGUET, Auguste)-ROUL.
le temps de l’érudition 253
100 H. Bouchot et al., Exposition des primitifs français au Palais du Louvre (Pavillon de Marsan) et à la Bibliothèque
nationale. Catalogue, Paris, 1904.
101 Fr. Barbier, « Le livre exposé : le livre et les bibliothèques dans les expositions industrielles, 1850-1914 »,
in Fr. Barbier et I. Monok (éd.), Les bibliothèques centrales et la construction des identités collectives, Leipzig,
Leipziger Universitätverlag, 2005, p. 297-324, ici p. 301.
102 D. Thibaut et al., op. cit., p. 32.
103 H. Bouchot, Exposition…, op. cit., p. 1.
254 chapitre 5
des bibliothèques publiques. Les livres d’heures n’avaient alors pas véritablement trouvé leur
place dans le long récit de l’art français. On ignore combien et quels spécimens étaient
présentés au Petit Palais, mais les observateurs du temps se sont obstinés à ne pas les voir
dans les vitrines, tel Émile Molinier (1857-1906), chartiste et conservateur du département
des Objets d’art au Louvre, qui rend compte de la section des manuscrits dans l’exposition.
À l’en croire, aucun livre d’heures n’y figure, sinon pour le xvie siècle, illustré entre autres
par un recueil de prières prêté par la Bibliothèque publique de Grenoble : « un travail
lourd et sans grâce, où l’artiste a abusé des couleurs brillantes et des lacis d’or ». Celui
de Diane de Poitiers présente des miniatures médiocres, sauvées par le découpage des
pages en forme de fleur de lys104. Rien de tel en 1904 : le livre d’heures est au contraire le
symptôme le plus éclatant, par sa banalité et le renouvellement esthétique constant dont
il témoigne, de l’excellence française en matière d’enluminure et de miniature. La date de
1904 marque donc une rupture essentielle dans la patrimonialisation du livre d’heures,
par la généalogie de textes savants dans laquelle les catalogues s’inscrivent alors, par le
rôle de la Bibliothèque nationale dans ce processus et aussi par la naissance d’une pensée
érudite prenant à témoin l’ensemble des citoyens cultivés, au lieu de se confiner dans les
colonnes des journaux savants.
Tandis que les visiteurs découvrent l’exposition, plusieurs spécialistes interviennent
dans le débat. Paul Durrieu choisit de ne pas dissocier peinture et miniature, faisant
observer que le temps des Valois a laissé davantage de peintures dans les livres que de
panneaux peints. C’est sur l’enluminure qu’il s’appuie pour prouver qu’il y a eu « école »,
c’est-à-dire conscience des artistes d’appartenir au même courant artistique, ce qui est
peut-être discutable mais contribue, en ce début du xxe siècle, à ancrer le concept de
« primitifs français »105. Les Très Riches Heures du duc de Berry cumulent selon lui toutes
les caractéristiques de cette école : née à la cour de Valois, elle est marquée par le réalisme et
le sens du pittoresque. L’ouvrage qu’il donne en 1904 sur la peinture des Primitifs est illustré
pour moitié d’enluminures choisies dans des livres d’heures, à commencer par celle qui
introduit le volume, qui montre Anne de Beaujeu agenouillée avec son manuel de prières.
Dans cette autosatisfaction ambiante – quoique le concept de primitifs français ait
eu aussi ses détracteurs – quelques voix, sans contester l’idée générale d’un style français
ayant façonné ensuite les formes des autres écoles, s’étonnent malgré tout de la difficulté à
médiatiser l’enluminure. Émile Mâle, se réjouissant d’abord de cette première exposition
de miniatures en France, trouve le résultat décevant. Il constate : « jadis on ne les montrait
pas, et maintenant qu’on les montre, elles demeurent presque inconnues ». Il met le doigt
sur la difficulté d’exposer le livre, objet en principe fermé, et dont on ne peut rendre compte
des trois dimensions : « les Heures d’Anne de Bretagne sont ouvertes à une admirable
page mais qui donc pourrait deviner ce qu’il y a, derrière, toutes les fleurs des champs et
des jardins ? »106. Les livres d’heures du xve siècle constituent à ses yeux la quintessence
du genre, « la délicate fleur du vrai Moyen Âge. Certaines pages sont la grâce, la poésie
104 E. Molinier, « L’exposition rétrospective de l’art français. Les manuscrits », Gazette des Beaux-Arts, 24 (1900),
p. 104-121, ici p. 120.
105 P. Durrieu, La peinture à l’Exposition des Primitifs français, Paris, Librairie de l’Art ancien et moderne, 1904,
p. 52-53.
106 É. Mâle, « La miniature à l’exposition des primitifs français », Gazette des Beaux-arts, 32 (1904), p. 41-60, ici p. 42.
le temps de l’érudition 255
même […] il monte de ces pages un arôme léger qui est le génie de l’Île-de-France107 ». Il
tranche avec la même netteté que Bouchot et Durrieu la question des nationalités : « On
entrevoit dans les Heures de Chantilly plus d’un souvenir de l’art italien, mais tout cela
fondu en un tout harmonieux qui est l’art de Paris, au commencement du xve siècle » ;
« toutes ces œuvres, nées à Paris, nous appartiennent »108.
Cette exaltation d’un génie national artistique, dont le livre d’heures est la preuve
ultime et déclinée dans de nombreuses bibliothèques françaises, ce qui permet aux
institutions locales de s’associer à cette reconnaissance, constitue un second répertoire
de valeurs associé à ces livres de prières, parfaitement compatible avec le premier, celui
de l’âge romantique. Si l’historiographie de la miniature a incontestablement évolué, le
livre d’heures reste investi d’imaginaires superposés qui l’enrichissent d’interprétations
nouvelles à chaque génération d’érudits, et favorisent ensuite son instrumentalisation
en vue de constituer des « communautés imaginées »109. Ce nationalisme culturel reste
vivace jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale.
Toutefois, cette étape essentielle de la mobilisation des livres d’heures dans les
représentations du passé n’a pas suscité en France de renouveau érudit. C’est plutôt dans le
monde américain qu’on observe un nouveau foyer d’étude des livres d’heures. Timidement
certes : dans la décennie 1920, on ne trouve qu’un auteur américain, Austin M. Purves, un
financier et mécène qui décrit, sans guère de profondeur, deux nouveaux livres d’heures du
Musée de Pennsylvanie110. Falconer Madan est nettement mieux positionné pour écrire sur
le sujet : il est bibliothécaire à la Bodléienne et historien du livre britannique, président de la
Library Association et de la Bibliographical Society. Il tente un bref essai sur la localisation
des livres d’heures111. Dans la décennie suivante, ils sont deux, et non des moindres :
David M. Robb de l’Université de Pennsylvanie, qui publie un long article sur l’évolution
des représentations de l’Annonciation112 et Erwin Panofsky, familier de la période par ses
travaux sur les primitifs flamands, qui réexamine certaines productions sorties de l’atelier
du Maître des Heures de Rohan à l’aide d’outils iconologiques peu familiers aux chercheurs
français113. C’est surtout après-guerre que la contribution américaine aux études sur les
manuscrits à peintures s’avèrera décisive. Avant-guerre, les échanges sont unilatéraux. Les
Français sont assez bien avertis des publications anglo-saxonnes, répertoriées et résumées
dans des publications spécialisées ; mais l’inverse est moins certain. La bibliographie de
Leroquais fait l’objet d’une seule recension dans une revue anglophone, alors même
qu’il a souligné l’antériorité des chercheurs anglais dans l’approche liturgique des livres
d’heures ; l’ouvrage de Durrieu sur la miniature flamande à la cour de Bourgogne aussi114.
Au terme de cette longue gestation des études sur le livre d’heures, deux évolutions
importantes se sont produites. D’une part, vers 1910, et plus sûrement encore dans les
deux décennies suivantes, s’est constitué au fil des études un référentiel des livres d’heures
constituant une sorte d’archétype de ce qu’est le livre d’heures. Entrent dans ce référentiel
un tout petit nombre de recueils : ceux d’Anne de Bretagne, de Boucicaut, d’Etienne
Chevalier, du duc de Berry principalement, et dans une moindre mesure ceux de Louis
de Laval ou de Jeanne d’Évreux. D’autres sont connus très tôt mais n’y ont jamais trouvé
leur place, telles les Heures de Marguerite de Valois. Ces livres d’heures servent d’étalon
pour mesurer la qualité stylistique et historique des centaines d’autres livres d’heures
conservés dans les bibliothèques publiques ou congréganistes et dans les musées. Ce
référentiel est fixé quasi définitivement : il n’évolue plus jusqu’aux années 2000 et aux
travaux de François Avril renouvelant les attributions et les datations. La construction de
ce référentiel tient à une approche scientifique par objets singuliers, écartelée entre l’item
et la série. Cette démarche rapproche peu, et surtout isole dans le vaste corpus des livres
d’heures quelques objets auxquels elle assigne la valeur de balise (pour l’évolution du
style) ou de pierre de touche (pour l’attribution à un atelier). À l’inverse, une approche
par la série (celle de Leroquais par exemple), qui repose sur la répétitivité relative des
formules et des contenus, optimisée par les ateliers eux-mêmes, a sans doute contribué à
maintenir dans l’indifférence des livres d’heures de facture plus modeste.
D’autre part, l’incunable, entré tardivement dans le champ de vision des collection-
neurs, reste à la porte des cabinets d’érudits, sinon par le biais des études liturgiques qui
connaissent un renouveau spectaculaire à partir de 1860. Plus exactement, l’incunable
fait l’objet de nouveaux chantiers catalographiques à partir des années 1880, de manière
désordonnée d’abord, avant que le ministère de l’Instruction publique ne donne le coup
d’envoi d’une entreprise coordonnée et uniforme dans toutes les bibliothèques publiques.
Sont associés au projet des savants connus par ailleurs pour leurs travaux sur les livres
d’heures : Léopold Delisle, Henri Omont, Paul Lacombe, Ulysse Robert, aux côtés de
spécialistes de l’imprimerie au xve siècle, comme Olgar Thierry-Poux (1838-1894), et de
bibliographes aguerris comme l’infatigable Marie Pellechet, chargée par arrêté du 13 avril
1888 de la rédaction du Catalogue général des incunables. Mais ces travaux ne donnent pas
lieu à une focalisation sur l’importante production d’Heures que ces bibliographes ont
nécessairement croisées. Leur curiosité, un instant éveillée, s’éteint aussitôt la description
catalographique achevée. Si l’incunable connaît une patrimonialisation accélérée dans le
périmètre des bibliothèques publiques au tournant des xixe et xxe siècle, ce processus ne
nourrit pas celui qui affecte les Heures au même moment.
La chronologie des publications après la Seconde Guerre mondiale montre une augmentation
continue (Fig. 5.3) des travaux sur les livres d’heures, modérée jusqu’au début des années 1970
puis forte ensuite : deux tiers des publications relatives aux livres d’heures sont parues après
1970. Cette chronologie recouvre l’évolution de l’histoire médiévale depuis l’après-guerre.
Les médiévistes s’intéressent majoritairement à la ville, à la famille, à la culture populaire, à la
mort, aux images, aux marginaux, à l’oralité ; bref, à tous ces éléments jugés structurants de la
le temps de l’érudition 257
vie des sociétés du passé, dont les livres d’heures offrent une saisissante cristallisation. Mais
ceux-ci, encore aux mains des historiens de l’art préoccupés de construire des répertoires
de styles, ne fait pas son entrée dans l’histoire médiévale. Les 81 publications répertoriées
entre 1945 et 1975 relèvent encore pour la majorité d’entre elles des débats d’attribution, de
description de manuscrits conservés dans les collections américaines pour la plupart. Plus
d’un tiers des travaux de cette période sont dus à des Américains, et prennent place dans
les organes de publication des bibliothèques et des musées de la Côte Est, qui construisent
ainsi leur visibilité institutionnelle et scientifique sur la base d’un objet emblématique. Les
travaux de William F. Wixom ou de Margaret B. Freeman115, par exemple, participent de ce
mouvement à la fois scientifique, en ce qu’ils affinent la connaissance des styles en matière
d’enluminure, et culturel, en situant ces institutions dans l’éventail des interlocuteurs
désormais inévitables des chercheurs français. Les bibliothèques universitaires d’Harvard,
de Princeton, de Chicago, celle du Metropolitan Museum, du Detroit Institute of Arts, et
du Cleveland Museum of Arts s’imposent comme des lieux de recherche complémentaires
des dépôts français, aux côtés des institutions déjà considérées comme telles depuis la fin du
xixe siècle, notamment britanniques. La réception enthousiaste, quoique dans un tout petit
cercle français, des travaux des plus brillants chercheurs américains, révèle que le renouveau
vient justement d’Amérique. Dans le compte-rendu qu’il publie de l’ouvrage de Millard Meiss
(1904-1975), French painting in the time of Jean de Berry (1967), Francis Salet, qui connaît
visiblement bien la littérature, distribue les points entre chercheurs français d’autrefois et
chercheurs américains d’aujourd’hui : à propos des attributions et des datations, il donne
çà et là raison à Delisle ou à Meiss. Il conclut :
C’est à une tâche colossale que s’est attelé depuis quelque trente ans M. Millard Meiss,
[…] Ce monument d’érudition, tel qu’il se présente déjà, suscite l’admiration par sa
densité intellectuelle, par la précision des analyses, par l’abondance de la documentation,
par l’ardeur presque toujours convaincante des conclusions. Il prouve que l’étude de
l’enluminure médiévale qui a connu un si long sommeil entre les premiers pionniers
et le regrétté Jean Porcher, est décidément entrée dans son âge scientifique116.
Les choses changent à la fin des années 1970. En 1974, Léon-Marie Delaissé (1914-1972),
curateur au département des manuscrits de la Bibliothèque royale de Belgique, propose dans
un article important117 une répartition sociale des livres d’heures, en partant du principe
que le degré de raffinement est proportionnel à la fortune et au statut du commanditaire.
Il souligne l’existence de nombreux livres d’heures répondant à une demande bourgeoise,
et non plus aristocratique, obligeant à réviser les méthodes d’appréciation stylistique et
à considérer l’objet du point de vue des pratiques sociales et culturelles au tournant des
xve et xvie siècles. Cette réévaluation des livres d’heures sur des critères qui ne relèvent
plus seulement de l’œil, mais plutôt de la commande et de l’usage, autorise de nouvelles
115 W. F. Wixom, « The Hours of Charles the Noble », Bulletin of Cleveland Museum of Art, 52 (1965), p. 50-83 ; M. B.
Freeman, « A book of Hours made for the Duke of Berry », Bulletin of Metropolitan Museum, 15 (1956), p. 93-104.
116 Fr. Salet, compte-rendu de M. Meiss. French painting in the time of Jean de Berry. The late fourteenth Century and
the patronage of the duke, dans Bulletin Monumental, 127 (1969), p. 60-62.
117 L.-M.-J. Delaissé, « The importance of Books of Hours for the history of medieval books », in Gatherings in
honor of D. E. Miner, Baltimore, The Walters Art Gallery, 1974, p. 203-225.
258 chapitre 5
études, d’autant mieux que l’histoire médiévale, au même moment, s’attache à de nouveaux
questionnements, portant sur la construction (architecturale et par extension, sociale) ; la
structuration des espaces ; les représentations qui remplacent les mentalités ; enfin l’histoire
des parentés. Plusieurs de ces pistes trouvent un écho dans l’exploration des livres d’heures,
vaste corpus auquel on demande désormais de révéler les dynamiques profondes de la
fin du Moyen Âge118. L’analyse de la production savante depuis 1970 met en évidence à
la fois la stabilité des conditions de la production savante, et des changements majeurs.
Trois dynamiques anciennes restent à l’œuvre dans la stimulation des forces érudites
consacrées aux livres d’heures : la mobilisation américaine qui prend la suite naturelle du
collectionnisme dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, le rôle décisif des agents des
bibliothèques, et les manifestations culturelles qui mettent ces manuscrits à l’honneur.
Le renouveau, tout d’abord, est en partie venu d’Amérique et dans une moindre mesure,
de Grande-Bretagne. La moitié ou presque des travaux publiés durant cette période émanent
de ces espaces anglophones. Millard Meiss peut être à bon droit considéré comme le
fondateur de ces études aux États-Unis, au cours de sa carrière universitaire à Columbia, à
Harvard puis à Princeton, et comme conservateur au Fogg Art Museum119. Meiss est aussi
emblématique de l’insertion toute américaine de la recherche dans l’idée d’une urgence de
sauvegarde de la culture européenne. Il s’est impliqué personnellement dans les structures
de recouvrement et de restauration des œuvres mises en péril par les guerres et a été expert
dans le comité de restauration du patrimoine italien suite aux inondations de 1966. Il fait
le lien entre les générations d’avant-guerre, plutôt tournées vers les collections, et celles
d’après-guerre, impliquées dans la recherche.
Or, aux États-Unis, l’étude des livres d’heures bénéficie de deux conditions propices :
d’une part, l’abondance des matériaux rassemblés dans les collections privées et les fondations
publiques120, et d’autre part l’importance des cultural studies, nées dans les années 1960 en
Grande-Bretagne en vue de construire une histoire de la culture de masse et une histoire
sociale de longue durée. Dans les années 1970-1980 se développent des Centers for Medieval
Studies en Grande-Bretagne et aux États-Unis en vue de favoriser l’interdisciplinarité en
matière d’enseignement et de recherche. À ce moment, les Américains font plus volontiers
de l’histoire européenne que les Européens. Les travaux de Stephen Clancy, diplômé de
Cornell University, comparent les influences réciproques entre enluminure flamande et
française121, comme le fera ensuite Susie Nash122, au lieu de s’en tenir à la notion de « foyer »
118 G. T. Clark, et al., « Les manuscrits à peintures au Moyen Âge : bilan et perspectives de la recherche »,
Perspective, 2 (2010), p. 312.
119 J. Cooke, Millard Meiss. Tra Connoisseurship, Iconologia e Kulturgeschichte, Turin, Ledizioni Publishing, 2015.
120 Voir chapitre 4.
121 S. Clancy, Book of hours in the Fouquet style: the relationship of Jean Fouquet and the Hours of Etienne Chevalier
to the French ms. illuminations in the xvth century, PhD, Cornell University, 1988 ; « The illusion of a Fouquet
workshop: the Hours of Charles de France, the Hours of Diane de Croy, and the Hours of Adélaïde de Savoie »,
Zeitschrift für Kunstgeschichte, 57 (1993), p. 207-233 entre autres.
122 S. Nash, Between France and Flanders. Manuscript Illumination in Amiens, Londres, British Library ; Toronto,
Toronto UP, 1999.
le temps de l’érudition 259
123 P. Freedman et G. M. Spiegel, « Medievalisms Old and New: The Rediscovery of Alterity in North American
Medieval Studies », The American Historical Review, 103 (1998), p. 677-704.
124 M. Potter et Y. Gingras, « Des études médiévales à l’histoire médiévale : l’essor d’une spécialité dans les
universités québécoises francophones », Historical Studies in Éducation / Revue d’histoire de l’éducation, 18 (2006),
p. 27-49.
125 E. Guyot, « Les représentations du Moyen Âge au Québec à travers les discours muséaux. Pour une histoire du
goût, du collectionnement et de la mise en exposition de l’art médiéval au Québec », Bulletin du Centre d’études
médiévales d’Auxerre, 20 (2016) [En ligne] https://journals.openedition.org/cem/14378.
126 A. Dunlop (éd.), Antipodean Early Modern: European Art in Australian Collections, c. 1200-1600, Amsterdam,
Rodopi, 2018.
26 0 chapitre 5
scientifique de la profession dans l’analyse des documents qu’elle conserve127. Il n’est qu’à
citer Thierry Delcourt (1959-2011), François Avril, Inès Villela-Petit et Edmond Pognon
(1911-2007) à la BnF, Roger S. Wieck au Department of Medieval and Renaissance
Manuscripts de la Morgan Library (New York). Les travaux de l’anglaise Janet M. Backhouse
(1938-2004), adjointe au département des Manuscrits du British Museum à partir de 1962,
montrent la permanence du regard anglais sur les livres d’heures128. François Avril, chartiste
et ancien membre de l’École française de Rome, qui a fait toute sa carrière au Département
des Manuscrits de la BnF, a construit son autorité sur ses compétences scientifiques mais
aussi sur sa proximité avec les documents. Parmi une abondante bibliographie personnelle,
on lui doit au moins quinze articles ou monographies entièrement consacrés à un ou
plusieurs livres d’heures.
Cette appétence pour le livre de prière illustré se vérifie localement : Philippe Hoch
à Metz, Jean Jenny à Bourges, Prisca Hazebrouck à Abbeville par exemple, ont travaillé à
l’échelle de leurs institutions sur les livres d’heures qui s’y trouvent. Du côté des musées,
apparaissent les noms de Germain Bazin et Nicole Reynaud (Louvre), de Claire de Lalande
(Musée Dobrée de Nantes), de Pierre-Gilles Girault (Blois), de Thomas Kren (Paul Getty
Museum), de Rowan Watson (Victoria & Albert Museum), de Lilian C. Randall (Walters
Gallery)… Cet investissement prolonge l’ambiguïté déjà perceptible avant la Seconde
Guerre mondiale : au fond, ceux qui écrivent sur le livre d’heures sont aussi ceux qui ont
la charge de leur conservation et de leur médiation, cette dernière activité étant de plus
en plus impérative dans les professions de la culture à partir des années 1980 justement. Si
l’expertise savante n’est pas censée être productrice de patrimoine, le cas du livre d’heures
révèle combien les experts peuvent être à la fois juges et parties. Agents de l’État ou des
structures territoriales, ces experts parlent aussi, d’une certaine manière, au nom de la
puissance publique ; le discours savant est un peu celui de l’État.
Il est alors peu surprenant que la recherche, à laquelle participent activement les agents
des bibliothèques et des musées, soit à ce point dépendante des grandes manifestations
culturelles. Elle est aussi largement stimulée par le positionnement des administrations du
patrimoine (bibliothèques, musées et monuments historiques principalement) qui créent
entre le public et les professions de la culture un consensus autour de la valeur patrimoniale
du livre d’heures, celle-ci requérant une certification renouvelée de l’historicité des objets et
de leurs champs d’interprétation. Ce n’est pas la même chose de disséquer un livre d’heures
avant 1900, quand le document intrigue et fascine sans qu’on sache exactement comment
le nommer et expliquer sa place majeure et dans la culture du xve et xvie siècles, et dans
les réserves des bibliothèques, et après 1900 (et plus encore après 1945), quand le livre
d’heures a commencé une brillante carrière dans l’espace des représentations publiques
du patrimoine français, dont il est (ou tout au moins désigné comme) un des fleurons.
Cet avènement dans un espace public non savant est la conséquence d’un important
travail de médiation effectué autour de ces recueils manuscrits, travail qui tout à la fois
restitue les avancées des connaissances sur le livre d’heures et donnent à questionner
de nouvelles pistes de recherche et favorise la célébration collective des œuvres tout en
129 L. Marin, « La célébration des œuvres d’art », Actes de la recherche en sciences sociales, 5-6 (1975), p. 50-64.
130 Illustrious illuminations: Christian manuscripts from the High Gothic to the High Renaissance (1250-1540), Hong-
Kong, University Museum and Art Gallery, 2015.
131 M. M. Manion et Ch. Zika (éd.), Celebrating word and image 1250-1600, illuminated manuscripts from the Kerry
Stokes Collection, exposition, New Korcia Museum and art Gallery, 4 October 2013-17 March 2014.
132 A. Châtelet, « De Jean Porcher à François Avril et Nicole Reynaud : l’enluminure en France entre 1440 et
1520 », Bulletin Monumental, 152 (1994), p. 215-226.
133 J. J. Alexander, J. H. Marrow et L. Freeman Sandler (éd.), The Splendor of the Word. Medieval and
Renaissance Illuminated Manuscripts at the New York Public Library, NY, The NY Public Library / Harvey Miller
Publishers, 2005.
262 chapitre 5
Parmi les 388 publications recensées entre 1975 et 2020 (soit près de neuf publications
par an, ce qui dépasse de loin les valeurs des périodes précédentes), nous pouvons suivre
avec précision la carrière et les réseaux de 247 chercheurs. Une ventilation des titres
selon l’affiliation de celle ou celui qui les a produits met en évidence plusieurs mutations
importantes.
Le premier constat qui s’impose est celui de l’institutionnalisation universitaire d’une
« science des livres d’heures » construite dans les laboratoires de recherche en histoire de
l’art, histoire médiévale, et parfois à l’IRHT fondé en 1937. Près de la moitié des auteurs sont
désormais des (enseignants)-chercheurs ; ils appartiennent à une population de médiévistes
plus nombreuse, et appelée à se renouveler par le jeu des doctorats. Toutefois, malgré un
fort renouvellement des structures de la recherche des deux côtés de l’Atlantique, le livre
d’heures reste l’affaire des historiens de l’art. Les médiévistes au sens strict qui s’intéressent
aux livres d’heures le font de manière marginale : l’objet est abordé latéralement, dans
les accidents d’une recherche consacrée à tout autre chose. Les historiens de l’art sont
nettement plus nombreux à les étudier, et s’en disent plus volontiers spécialistes, à l’instar
de Marc Gil, historien de l’art du Moyen Âge à Lille qui, suite à un doctorat consacré au
milieu des peintres et des enlumineurs de Picardie (1400-1480), travaille sur l’enluminure
dans le nord de la France135, ou Marie-Blanche Cousseau, dont la thèse portait sur l’œuvre
d’Etienne Colaud136.
Les interactions entre chercheurs montrent comment s’établissent des affinités
intellectuelles (à travers les recensions), voire une sociabilité savante (à travers les recueils
d’hommages). Ces modalités de circulation des savoirs et ces espaces de reconnaissance
sont sans commune mesure avec les pratiques académiques observées avant la Seconde
Guerre mondiale ou juste après. Les recensions, en premier lieu, font ressortir la réception
des travaux exogènes et l’européanisation élargie de cette « science des livres d’heures ».
Ainsi, les travaux d’Eberhard König, professeur d’histoire de l’art à l’université libre de
Berlin et principalement publiés en allemand, sont introduits en France par les compte
rendus qu’en donne Albert Châtelet. Le professeur strasbourgeois a été un passeur
historiographique entre la France et l’Allemagne en soulignant à chaque publication le
mérite de König, voire son « audace » de reprendre en les contestant les conclusions de
Paul Durrieu et de Jean Porcher137. Non sans mettre en cause de nombreuses attributions,
par exemple à propos des Très belles Heures de Notre-Dame de Jean de Berry138, ou des
interprétations iconographiques, comme celle que livre König à propos de la miniature
de l’Annonciation dans le fac-similé des Heures de Marguerite d’Orléans139.
Les sommaires de mélanges, d’autre part, témoignent d’un tissu amical et savant et
de la dimension collective de la recherche, malgré le caractère inévitablement formel et
135 M. Gil, « Un livre d’heures inédit de l’atelier de Simon Marmion à Valenciennes », Revue de l’art, 121 (1998),
p. 43-48 ; « D’Italie du nord en Artois, le portrait de saint Bernardin de Sienne des Heures d’Antoine de
Crèvecoeur, vers 1450-55 (Leeds, University Library, The Brotheton Collection, ms. 4) », in J. F. Hamburger et
A. S. Lorteweg (éd.), Tributes in honor of James H. Marrow. Studies in Painting and Manuscript Illumination of the
Late Middle Ages and Northern Renaissance, Londres, H. Miller, 2006, p. 207-218.
136 M.-Bl. Cousseau, Etienne Colaud et l’enluminure parisienne sous le règne de François Ier, Rennes, PUR, 2016.
137 A. Châtelet, compte-rendu de E. König, Französische Buchmalerei um 1450. Der Jouvenel-Maler, der Maler der
Genfer Boccacio und die Anfänge Jean Fouquets, dans Bulletin Monumental, 145 (1987), p. 248-249.
138 A. Châtelet, compte-rendu de E. König, Les Très Belles Heures de Notre-Dame de Jean, duc de Berry (Die Très
Belles Heures de Notre Dame des Herzogs von Berry), Lucerne, Ed. Fac-Similé, 1992, dans Bulletin Monumental, 151
(1993), p. 539-540.
139 A. Châtelet, compte-rendu de Les Heures de Marguerite d’Orléans, E. König (éd.), Paris, Ed. du Cerf/
Bibliothèque nationale, 1991, dans Revue de l’Art, 99 (1993), p. 83.
264 chapitre 5
140 Fr. Waquet, « Les ‘mélanges’ : honneur et gratitude dans l’Université contemporaine », Revue d’histoire moderne
& contemporaine, 53 (2006), p. 100-121.
141 Voir le sommaire de M. Hofmann, E. König et C. Zöhl (éd.), Quand la peinture était dans les livres. Mélanges en
l’honneur de François Avril, Turnhout, Brepols, 2007.
142 J. F. Hamburger et A. Korteweg (éd.), Tributes in Honor of James Marrow. Studies in Painting and Manuscript
Illumination of the Late Middle Ages and Northern Renaissance, Turnhout, Brepols, 2006.
143 P. A. Patton et J. K. Golden (éd.), Tributes to Adelaide Bennett Hagens. Manuscripts, Iconography and the Late
Medieval Viewer, Turnhout, Brepols, 2017.
144 S. L’Engle et G. B. Guest (éd.), Tributes to Jonathan J. G. Alexander. The Making and Meaning of Illuminated
Medieval & Renaissance Manuscripts, Art and Architecture, Turnhout, Brepols, 2006.
145 M. Hofmann et C. Zöhl (éd.), Von Kunst und Temperament. Festschrift für Eberhard König, Turnhout, Brepols,
2007.
146 Voir Le manuscrit enluminé. Études réunies en hommage à Patricia Stirnemann, Paris, Le Léopard d’Or, 2014.
le temps de l’érudition 26 5
147 M. Orth, « Geoffroy Tory et l’enluminure. Deux livres d’heures de la collection Doheny », Revue de l’Art,
50 (1980), p. 40-47 ; « Two books of hours for Jean Lallemand le Jeune », Journal of the Walters Art Gallery, 38
(1980), p. 70-93 ; « French Renaissance Manuscripts: The 1520s Hours Workshop and the Master of the Getty
Epistles », The J. Paul Getty Museum Journal, 16 (1988), p. 33-60 ; « Antwerp Mannerist Model Drawings in French
Renaissance Books of Hours: A Case Study of the 1520s Hours Workshop », The Journal of the Walters Art Gallery,
47 (1989), p. 61-75, 77-90.
148 A. Kupiec, « Qu’est-ce qu’un(e) bibliothécaire ? », Bulletin des bibliothèques de France, 48 (2003), p. 5-9.
149 B. Seibel, Au nom du livre, analyse sociale d’une profession : les bibliothécaires, Paris, La Documentation française,
1988, p. 167-168.
26 6 chapitre 5
150 R. S. Wieck, Time Sanctified: The Book of Hours in Medieval Art and Life, New York, G. Braziller, 2001.
151 R. S. Wieck, « Prayer for the People: The Book of Hours », in R. Hammerling (éd.), A History of Prayer. The
first to the fifteenth century, Leyden, Brill, 2008, p. 389-416.
152 V. Reinburg, French Books of Hours. Making an Archive of Prayer, c. 1400-1600, Cambridge, Cambridge UP, 2012.
153 R. Fulton Brown, The Hours of Virgin, Mary and the Art of Prayer: The Hours of the Virgin in Medieval Christian
Life and Thought, Columbia UP, 2017.
154 I. Nettekoven, Der Meister der Apokalypsenrose der Sainte Chapelle und die Pariser Buchkunst um 1500, Turnhout,
Brepols, 2005.
155 R. Ma et K. Li, « Telling Multifaceted Stories with Humanities Data: Visualizing Book of Hours Manuscripts »,
2000 [En ligne] : https://www.ideals.illinois.edu/handle/2142/106561.
le temps de l’érudition 267
l’IRHT depuis 2018, entend étudier les pratiques religieuses et l’univers mental de la fin du
Moyen Âge à travers les livres d’heures. L’originalité du projet est de combiner fac-similés
numériques, très nombreux mais sous-utilisés, reconnaissance d’écriture manuscrite et
identification automatisée des textes à l’aide de logiciels de détection de plagiat adaptées
aux manuscrits médiévaux. Cette méthode a permis de reconstituer finement la structure
générale du livre d’heures en segmentant les textes156. Les premiers résultats ont permis de
déceler les processus de circulation des textes entre manuels de liturgiques. Par exemple,
l’observation de 772 versions de l’Obsecro Te a fait apparaître l’existence de 21 000 variantes
textuelles que l’ordinateur peut ensuite rassembler en typologies à partir d’une classification
lexico-sémantique construite automatiquement157. L’analyse fait ressortir un maximum
de variations au début du xve siècle, le texte connaissant une certaine standardisation
ensuite. Les Pays-Bas ont été le terrain le plus propice à l’écriture de ces variantes. On
imagine toutes les possibilités offertes par de tels outils dans un avenir proche, en termes
d’identification d’ateliers, de possesseurs, d’influences liturgiques notamment.
*
L’érudition au service du livre d’heures a fortement contribué à la requalification
patrimoniale des livres d’heures, et ce de trois manières.
D’abord, il existe depuis les années 1870 un réseau de spécialistes tirant leur légitimité
de leurs relations professionnelles et amicales et de la fréquentation de lieux consacrant
leur expertise (Académies, bibliothèques, écoles de formation des bibliothécaires,
événements universitaires), et qui a fait du livre d’heures sinon l’objet central de leur
recherche, du moins un morceau de choix de l’écriture d’une histoire de l’art gothique et
renaissant. Ce réseau et les reconnaissances internes et externes qu’il favorise garantissent
en quelque sorte le discours savant ainsi produit. Ce discours a progressivement gagné
en solidité épistémologique et méthodologique, en conjuguant l’approche archivistique
et l’analyse des formes esthétiques, ce qui n’a pas peu contribué à dégager la singularité
du livre d’heures. Ce n’est plus seulement la beauté du manuscrit qui justifie qu’on s’y
intéresse, mais le caractère massif de la production de ces recueils, qui autorise d’infinies
comparaisons et combinaisons. Par ces multiples approches, oscillant entre l’objet et la
série, la production de savoirs s’avère donc une autre instance de validation du caractère
patrimonial du livre d’heures, après, chronologiquement, la mise en collection à titre privé.
Ensuite, l’étude des livres d’heures a mis à distance les césures séculaires traditionnelles
dans le récit national. Dans l’instrumentalisation qui en est faite dès l’âge romantique, par
une série de discours visant à construire un héritage (ne parlons pas encore de patrimoine)
et une mémoire adossée à cet héritage, le xve et le xvie siècle sont associés dans un système
de continuité gommant certains faits majeurs dont il n’est jamais question (la Guerre de
156 A. Hazem et al., « Books of Hours: the First Liturgical Corpus for Text Segmentation », Proceedings of the 12th
Conference on Language Resources and Évaluation, 2020, p. 776-784.
157 A. Hazem et al., « Réutilisation de textes dans les manuscrits anciens », conférence sur le Traitement
automatique des langues naturelles, 2019 [En ligne] : https://www.aclweb.org/anthology/2019.jeptalnrecital-
court.28/; « Towards Automatic Variant Analysis of Ancient Devotional Texts », Proceedings of the First
International Workshop on Computational Approaches to Historical Language Change, p. 240-249 [En ligne] :
https://aclanthology.org/W19-4730/.
26 8 chapitre 5
158 S. Zékian, « Patrimoine littéraire et concurrence mémorielle. Hypothèses sur les usages du passé au lendemain
de la Révolution française », Revue d’histoire du xixe siècle, 2010, t. 40, no 1, p. 11-25, ici p. 23.
159 Voir chapitre 7, en particulier les usages scolaires des livres d’heures.
Chapitre 6
fortement corrélée à son espace de production. Il ne se passe pas une année sans qu’un
livre d’heures, ou plusieurs, entre(nt) dans une collection publique. Cette récurrence forte
s’explique par un vif encouragement à l’enrichissement des collections des bibliothèques
depuis trente ans. Le cas angevin montre que les bibliothèques acquièrent des documents
patrimoniaux avec l’assentiment de leurs tutelles, grâce aux dispositifs d’aide aux acquisitions
précieuses mis en place par l’État, grâce au financement des collectivités, enfin grâce
au levier permis par la préemption au nom de l’État pour intégrer dans les collections
nationales des objets en libre circulation commerciale.
Ces procédures tendent à transformer le rapport de force culturel et économique
entre la puissance publique et la sphère privée des collectionneurs depuis le xixe siècle.
La relation entre ces deux pôles est profondément paradoxale. En effet, la bibliophilie
est une instance de validation de la patrimonialité, mais la régulation du marché, grande
affaire du second xxe siècle, repose sur des logiques contraires : l’entrée en scène de l’État,
qui confisque cette « validation » et doit légitimer cette confiscation d’une part, et le
retrait d’un certain nombre d’objets du marché, entravant leur circulation et figeant leur
caractère patrimonial d’autre part, puisqu’une fois entrés dans les collections publiques,
ces documents deviennent inaliénables4.
Le pouvoir de séduction des livres d’heures dans l’imaginaire bibliophilique et érudit
ne suffit toutefois pas à entraîner automatiquement une reconnaissance patrimoniale
administrative et juridique. La mainmise de l’État et des collectivités sur les manuscrits et les
incunables ne concerne pas tous les objets en circulation, loin s’en faut. C’est précisément
ces logiques de reconnaissance qu’il convient de décrire et d’analyser. Pour ce faire, les
instruments d’action publique permettent « de saisir les mécanismes de construction d’une
action patrimoniale par les acteurs publics »5 à travers des dispositifs juridiques et les
applications et marges d’interprétation qu’ils autorisent. Il importe alors de se pencher
sur les représentations sociales et surtout politiques qui produisent le patrimoine au sein
même de l’appareil d’État et localement, dans les instances publiques qui gouvernent les
bibliothèques6.
Si le livre d’heures est partout, en bibliothèque, au musée, et même parfois aux archives
ou dans les collections à statut privé des bibliothèques congréganistes ou des académies
savantes, on se limitera ici aux procédures de reconnaissance qui affectent les livres et
manuscrits de la sphère privée vers les bibliothèques publiques, sans ignorer que de
semblables logiques font aussi entrer des feuillets de livres d’heures dans les musées, et
que les dépôts d’archives familiales dans les dépôts départementaux renferment parfois
des livres d’heures. Le contexte des bibliothèques est en effet très différent de ce qu’ont
connu musées et archives. Ces deux dernières catégories d’équipements patrimoniaux
n’ont jamais eu à justifier leur mission de collecte et de sauvegarde ; leurs collections sont
patrimoniales depuis la constitution de ces entités. Ce n’est pas le cas des bibliothèques.
Elles ont dû et doivent encore faire une place au patrimoine en leur sein, et l’argumenter
4 R. Moulin, « Patrimoine national et marché international : les dilemmes de l’action publique », Revue française
de sociologie, 38 (1997), p. 465-495.
5 M. Gigot, « Le patrimoine saisi par les instruments d’action publique », Cahiers Construction politique et sociale
des territoires, 1 (2012), p. 33-45, ici p. 36.
6 Comme y invite M. Rautenberg, La rupture patrimoniale, Paris, A la croisée, 2003, p. 118.
le livr e d’heu res, obj et d’attention politique 271
face aux tutelles et aux publics, qui voient dans la conservation et la mise à disposition des
collections patrimoniales un frein à la lecture publique, estimée prioritaire et plus utile
socialement. Dans ce contexte troublé, on cherchera donc depuis quand et pourquoi le
livre d’heures fait l’objet d’une reconnaissance par la puissance publique, et par quels
dispositifs juridiques.
Alors que la Bibliothèque nationale a fait des livres d’heures une priorité d’enri-
chissement dès la Restauration et bénéficie précocement d’experts en manuscrits et en
incunables, à l’image de Van Praet, les bibliothèques municipales ont mis beaucoup plus
de temps à s’approprier cet objet et à y voir autre chose qu’un vieux livre de prières. Les
catalogues des bibliothèques publiques publiés dans la première moitié du xixe siècle
montrent moins les livres d’heures qu’elles possèdent, que les carences bibliographiques
et scientifiques des professionnels qui les conservent. On a dit beaucoup de mal des
bibliothécaires nommés suite aux saisies révolutionnaires, en charge de mettre en place
les premières bibliothèques publiques. À leur décharge, les procédures administratives
édictées entre 1791 et les années 1840 n’ont pas permis de travailler sereinement et
l’érudition des plus savants ne peut que constater l’incurie dans laquelle les collections
nationales ont été maintenues, et faire le deuil de livres et manuscrits précieux. Romain
Duthilloeul (1788-1862), bibliothécaire à Douai dans les années 1840, livre un témoignage
amer mais éclairant sur le statut de ces documents durant les trois premières décennies
suivant les séquestres. À la Révolution, environ 100 000 volumes avaient rejoint le dépôt
littéraire de Douai ; il n’en reste pas un quart en 1830. Dès les années 1790, des manuscrits
sont volés, sans doute parmi les plus beaux, car les pillards sont aussi des connaisseurs,
comme le soulignait l’abbé Grégoire dans son rapport sur le vandalisme. Un bûcher de
livres est allumé en 1794 sur la place publique. Dans la maison des Chartreux, des jeunes
filles sont employées à vendre à l’unité des vignettes et miniatures découpées dans les
manuscrits, dont les habitants de la ville raffolent alors, pour décorer les murs des chambres
et les manteaux de cheminée, ce qui confine l’art gothique à une sorte d’art populaire, au
même titre que l’imagerie xylographique, le plus souvent religieuse, qui envahit depuis
le xve siècle les intérieurs de la petite bourgeoisie, de l’artisanat et de la paysannerie. Des
ventes de livres au poids ou au sac sont organisées, d’abord anarchiquement, puis avec
l’autorisation de l’administration centrale à Paris. Duthilloeul prend à témoin l’opinion
dans l’introduction de son catalogue :
Citons un seul fait qui fera apprécier, mieux qu’une foule d’autres, la perte énorme en
monuments historiques ou bibliographiques causée par ces ventes, tristes effets de
la cupidité et de la plus crasse ignorance. Dans l’une d’elles fut livré aux enchères le
précieux livre d’heures de l’infortunée reine Marie Stuart, pour quelques sols peut-être !
Et le bibliothécaire de décrire le petit in-octavo relié de maroquin rouge, imprimé
par Jacques Kerver en 1574 et annoté par la reine, à partir d’une notice rédigée par un
2 72 chapitre 6
érudit qui l’a eu dans les mains. Il aurait été vendu dès 18017. Pour réparer ces injustices,
Duthilloeul soigne ses descriptions. Les Heures manuscrites figurant sous les numéros
908, 909 et 911 font l’objet de notices détaillées ; des prières en français sont reproduites et
des spéculations sont formulées sur les commanditaires. Toutefois, l’intercalation d’une
notice d’orationes devotissimae (no 910) montre l’incertitude qui plane encore pour identifier
les Heures parmi les manuels de prière médiévaux. Au même moment, Joseph Le Glay
(1785-1863), son collègue lillois, ne se donne pas tant de peine. Les « Heures latines »
portant le no 6 du catalogue ne sont pas décrites précisément, alors qu’elles possèdent
de belles miniatures, non dénombrées ni détaillées, de même que les notices no 7 et 8. Le
numéro 40 consiste en des « Horae antiquae » avec une « reliure primitive » ; le numéro
41 sont des « Preces piae » contenant toutefois les Heures de Notre-Dame, celles de la
Croix et celles du Saint-Esprit ; les ornements du numéro 43 sont « bizarres ». Plusieurs
manuscrits portent sur le dos de la reliure la mention « Heures antiques » sans que cette
dénomination ne soit interrogée8.
Le cas des incunables est tout aussi éloquent. Si Dominique Maillet, bibliothécaire
à Rennes, parvient à produire des notices savantes des livres d’heures manuscrits et
incunables de sa bibliothèque9, on ne peut pas en dire autant de son confrère grenoblois,
Pierre-Amédée Ducoin, qui rédige des notices indigentes, signes de la difficulté pour lui
d’identifier les livres d’heures et de leur attribuer un statut autre que celui que déterminent
les caractéristiques bibliographiques. Par exemple, sous le numéro 1098, il annonce des
« Heures latines imprimées sur vélin, avec gravures. Paris, 1502, in-8 »10. Des notices
inégales, donc, qui témoignent de la lenteur d’appropriation des normes de description et
au-delà, de l’appréciation esthétique et documentaire des livres d’heures hors des cercles
bibliophiliques.
Ce traitement inégal des manuscrits et des incunables, et plus spécifiquement des
Heures jugées communes et souvent redondantes, est peut-être le fait des usages prescrits
du catalogue. Pour le bibliographe, cet outil imprimé n’est pas une œuvre d’érudition,
mais un répertoire qui doit permettre d’identifier vite et bien le document recherché.
C’est le choix explicite du bibliothécaire de Nantes, qui livre dans la rubrique « Heures »
(catégorisation qui dénote une certaine réflexion sur la typologie des manuels liturgiques)
des notices courtissimes, mais qui précise, suite à la notice 1174 « Horae – manuscrit
du xve siècle, sur vélin, in-16 goth[ique], longues lignes 18 à la page, 156 ff., init[iales]
r[ouges] et bl[eues] reh[aussées] d’or, nombr[euses] et jolies miniatures » : « on trouvera
quelques détails sur ces miniatures et sur celles de nos autres manuscrits, dans notre Notice
descriptive des manuscrits, des estampes et des livres les plus précieux de la Bibliothèque de
Nantes, s’il nous est jamais accordé de publier cet ouvrage »11. Il doute, à la notice 1177,
7 R. Duthilloeul, Catalogue descriptif et raisonné des manuscrits de la bibliothèque de Douai, Douai, Ceret-
Carpentier, 1846, p. xix-xx.
8 J. Le Glay, Catalogue descriptif des manuscrits de la bibliothèque de Lille, Lille, Vanackere, 1848.
9 D. Maillet, Catalogue des livres de la bibliothèque publique de Rennes, publié sous l’administration de M. de Lorgeril,
Rennes, Impr. Jausions, t. 1, 1823, no 396-409, 415 (manuscrits) et 410, 416 (imprimés).
10 P.-A. Ducoin, Catalogue des livres que renferme la bibliothèque publique de la ville de Grenoble, Grenoble, Baratier
frères et fils, 1831.
11 É. Péhant, Catalogue méthodique de la bibliothèque publique de la ville de Nantes, Nantes, André Guéraud et Cie,
1859, vol. 1, p. 62.
le livr e d’heu res, obj et d’attention politique 273
12 G. Lavalley, Catalogue des manuscrits de la bibliothèque municipale de Caen, Caen, LeBlanc-Hardel, 1880,
introduction.
13 J. Mangeart, Catalogue descriptif et raisonné des manuscrits de la bibliothèque de Valenciennes, Paris, Techener,
1860, no 137 et 618 pour les Heures.
14 U. Baurmeister, « Marie Pellechet ou ‘l’odyssée bibliothécaresque’ », Bulletin du bibliophile, 1 (2005), p. 91-147.
2 74 chapitre 6
elles avaient peu de chance de les mettre en lumière. En 1924 est lancée une publication
périodique, intitulée Trésors des bibliothèques de France, dont le premier fascicule paraît
en 1925. Cette publication, dirigée successivement par Richard Cantinelli (1870-1932)
et Amédée Boinet (1881-1965), puis Richard Cantinelli et Émile Dacier (1876-1952), est
suspendue après sept volumes et vingt-six fascicules, en 1942. Elle se proposait de faire
connaître l’actualité des collections de tout le pays. Chaque livraison est composée de sept
ou huit articles sur des documents rares. En tout et pour tout, trois articles sont consacrés
aux livres d’heures, dont un seul conservé en province19.
Quelques années plus tard, en 1928, Pol Neveux (1865-1939) et Émile Dacier, conservateurs
à la Bibliothèque nationale, lancent une enquête nationale visant à recenser les richesses
bibliographiques françaises afin d’offrir un outil de travail au chercheur qui voudrait
explorer des fonds non parisiens. Après quatre ans de travail, le résultat est publié sous
la forme de deux forts volumes20. Les notices ont été commandées aux conservateurs
des bibliothèques dans les départements, à partir d’un questionnaire comprenant dix
rubriques : Historique du dépôt, Œuvres d’art, Manuscrits, Livres, Reliures, Musique,
Dessins et gravures, Monnaies et médailles, Fonds local, Spécialités. Les bibliothèques
municipales classées ont d’abord été privilégiées, puis l’enquête a été élargie aux fonds
de plus de 10 000 volumes, y compris dans les bibliothèques universitaires et celles des
grandes écoles. La trame du questionnaire est conservée dans la publication, ce qui permet
de comparer les collections entre elles, non pas dans leur teneur, mais dans la manière
d’en parler et de mettre en exergue les documents supposés les plus prestigieux. Au total,
sont décrites 191 collections. Au fil des notices sont évoqués sommairement 169 livres
d’heures, soit moins d’un par bibliothèque, alors que ces recueils, manuscrits et a fortiori
imprimés, sont légion dans les réserves précieuses ; 117 établissements n’en mentionnent
aucun, et les BMC (déjà classées ou qui le seront à l’avenir) rassemblent 79 de ces livres,
soit 46% de ceux qui sont présentés, alors qu’elles ne forment que 28% des établissements
ayant participé à l’enquête. Certes, le questionnaire ne portait pas explicitement sur les
livres d’heures et les bibliothécaires n’étaient pas tenus de les mentionner. Mais alors que
ces recueils sont extrêmement répandus, le fait que beaucoup de professionnels n’aient
pas jugé utile de les signaler montre que l’appréciation des livres d’heures varie selon
l’établissement et son prestige. Nombre de bibliothèques, ignorent qu’elles en possèdent,
ou le savent mais n’ont pas les ressources scientifiques pour les apprécier. À quelques
exceptions près : à Libourne, par exemple, la notice indique : « parmi les livres d’heures,
les manuscrits 56 et 60, avec miniatures ». Les incunables sont, une fois de plus, très
sous-estimés : ils représentent seulement 11% des livres d’heures mentionnés. Au début
des années 1930, donc, le livre d’heures n’est pas encore identifié comme une pièce qui
donne sens et valeur à un fonds patrimonial.
Les choses ne changent pas véritablement après-guerre, si ce n’est dans des domaines
de la conscience et de la parole bibliothécaires qui laissent peu de traces : les expositions de
19 V. Leroquais, « Un livre d’heures de la collection Dutuit au Petit Palais », t. III, p. 95-111 ; J. Billioud, « Très
anciennes Heures de Thérouanne à la Bibliothèque de Marseille », t. V, p. 165-185 ; J. Guignard, « Livres
d’heures de Germain Hardouyn à la BN », t. VII, p. 30-42.
20 P. Neveux et É. Dacier (éd.), Les Richesses des bibliothèques provinciales de France, Paris, Ed. des Bibliothèques
nationales de France, 1932, 2 vol.
2 76 chapitre 6
fortune, les communications savantes devant le public ou les élites savantes et culturelles
de la ville par exemple. Du reste, les années d’après-guerre confirment l’élan politique en
faveur de la lecture publique, escamotant les collections patrimoniales au profit d’une
approche plus sociale de la consommation de livres par le plus grand nombre21.
On sait toutefois qu’à partir des années 1960, ces documents sont très souvent
exposés, dans des contextes thématiques et scientifiques très différents, ce qui indique
que les professionnels ont conscience de leur présence dans les réserves et du parti qu’ils
peuvent en tirer pour valoriser, à travers eux, toute la bibliothèque et construire ainsi un
discours de légitimation de la collection patrimoniale comme outil de formation du plus
grand nombre22. On sait aussi que la génération des bibliothécaires formée au début des
années 1960 est fortement sensibilisée aux livres d’heures. Le 20 juin 1957, l’Association
des bibliothécaires de France organise une journée d’études en histoire du livre à l’École
nationale des chartes ; une des communications, donnée par Mlle Hébert, est consacrée
aux « xylographies et décoration des livres d’heures »23. Parmi les sujets des épreuves
écrites du Diplôme supérieur de bibliothécaire organisées à Paris du 9 au 14 juin 1960, les
candidats devaient traiter « le livre d’Heures en France du xive au xvie siècle. Caractères
essentiels, ornementation, illustration »24. L’histoire du livre est alors au programme du
concours et il est probable que certains futurs bibliothécaires se soient alors découvert
un intérêt pour la question.
S’il n’est pas possible de mesurer les cycles d’enrichissement de ces réserves non
parisiennes et de la place qu’occupent, en leur sein, les livres d’heures, un état des lieux
actuel est en revanche rendu possible par les progrès spectaculaires du signalement collectif.
Le Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques, avec ses défauts et
ses qualités, permet de prendre la mesure de l’accumulation de livres d’heures dans les
bibliothèques publiques. Initié par Guizot en 1833 par une circulaire aux préfets demandant
aux bibliothécaires de dresser « une liste raisonnée, contenant des indications sommaires
sur les matières traitées dans les manuscrits, sur le nombre des feuilles, sur la conservation
et la beauté des caractères, vignettes, etc., etc. », il n’est pas suivi d’effets concluants. La
plupart des départements n’envoient au Ministère de l’Instruction publique que des listes
très sommaires. En 1841, le successeur de Guizot, Villemain, propose de rédiger, « sur un
plan uniforme, un Catalogue général renfermant le détail sommaire et précis de tous les
manuscrits des bibliothèques communales, avec des extraits de ceux qui présenteraient le
plus d’intérêt ». Il s’agit de « rendre la science plus facile aux érudits de toutes nations qui
ont besoin d’explorer nos dépôts ». Une ordonnance royale est signée le 3 août 1841 pour
lancer le projet. La publication connaît plusieurs phases de progrès et de ralentissement : une
21 D. Lindenberg, « Les bibliothèques dans les politiques éducatives et culturelles », in M. Poulain (éd.),
Histoire des bibliothèques françaises, t. 3 : Les bibliothèques au xxe siècle (1914-1990), Paris, Promodis – Éd. du Cercle
de la librairie, 1992, p. 252-271.
22 Cf. chapitre 8.
23 [En ligne] : https://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1957-06-0482-007
24 [En ligne] : https://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1960-08-0295-003.
le livr e d’heu res, obj et d’attention politique 27 7
Figure 6.1 : Cartographie des livres d’heures manuscrits dans les bibliothèques publiques en 2020 (Paris
excepté). Source : Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France.
première série in-4o, comptant sept volumes, est publiée de 1848 à 1885, puis une série in-8o
commence en 1886 et s’arrête en 1933, au volume 48. En 1951, la Direction des bibliothèques
relance la publication ; les volumes 49 à 59 paraissent jusqu’en 1975. Enfin, depuis 1978, c’est
l’IRHT qui est chargée de la poursuite du Catalogue général des manuscrits25. Au fil d’un siècle
25 F. Plazannet, « Le Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France : la conversion
rétrospective », Bulletin des bibliothèques de France, 48 (2003), p. 74-78 ; Fl. Palluault, « Le Catalogue général
des manuscrits des bibliothèques publiques de France : informatisation et avenir », Bulletin des bibliothèques de
France, 54 (2009), p. 68-72.
2 78 chapitre 6
et demi, les formats de catalogage ont évolué et les notices sont aujourd’hui hétérogènes,
sans compter le problème des corrections et des mises à jour. Entre 2002 et 2008, le catalogue
est progressivement rétroconverti dans une structure en ligne. Cette ressource permet de
cartographier les fonds manuscrits français dans des bibliothèques de toutes tutelles.
Appliquée aux livres d’heures, cette cartographie révèle plusieurs tendances intéressantes
(Fig. 6.1). En l’état actuel du signalement, défavorable aux petites et moyennes bibliothèques,
96 institutions municipales possèdent des livres d’heures, et ces recueils sont au nombre
de 642 à travers la France. Ce chiffre doit être compris comme une estimation basse, car
certaines bibliothèques municipales conservant pourtant des livres d’heures n’apparaissent
pas dans le Catalogue général des manuscrits : celle d’Autun, celle de Chalon-sur-Saône, de
Limoges ou de Saint-Étienne par exemple. Même dans les grandes bibliothèques, comme à
Lyon, l’avancement très progressif du signalement des manuscrits laisse encore actuellement
dans l’ombre des livres d’heures. L’accumulation est évidemment inégale, puisqu’elle tient
à des logiques historiques locales voire micro-locales, mais la présence de livres d’heures
sur tout le territoire, au nord comme au sud, est d’autant plus remarquable, même si la
partie méridionale du pays en conserve moins. Le livre d’heures est donc le document le
plus communément possédé dans les bibliothèques administrant un fonds patrimonial.
Les BMC sont à nouveau les mieux dotées, parce qu’elles disposent de budgets plus
importants, qu’elles ont depuis longtemps du personnel en mesure de surveiller le marché
du livre rare, enfin par leur rôle territorial central qui permet à la population de les identifier
comme les destinataires naturels de dons prestigieux. Ainsi, six établissements cumulent à
eux-seuls le tiers des livres d’heures conservés dans une bibliothèque publique française :
les bibliothèques municipales classées de Besançon, Rouen, Dijon, Lyon, Grenoble et
Carpentras. Mais nombre de bibliothèques aux collections réduites en possèdent aussi.
Un tiers des bibliothèques figurant sur cette carte n’en possèdent qu’un, comme celles de
Tonnerre, Bergues, Loches ou Charleville-Mézières. Le livre d’heures s’avère donc une
composante commune, susceptible de favoriser les reconnaissances, voire les connivences
patrimoniales, d’une institution à une autre. Cette large répartition a contribué à faire du
livre d’heures un objet cristallisant à lui seul la notion de patrimoine des bibliothèques.
La démarcation entre une France du nord plus riche en livres d’heures et une France
du sud où ce type de document se fait rare dans les réserves précieuses, n’est pas sans
rappeler la tradition ancienne et septentrionale de la fabrication et de l’usage diocésain de
livres d’heures à partir de la fin du xiiie siècle. La tension entre l’usage universel romain
et les particularismes régionaux qui travaillent les livres d’heures six siècles durant les ont
confusément assimilés à l’expression d’un régionalisme. Cet argument connaît depuis
trente ans un grand succès dans les négociations budgétaires autour des acquisitions de
livres d’heures.
Les menées de la ville de Besançon, en 2009, en offrent un exemple flagrant. L’acquisition
d’un livre d’heures en vente publique à Paris donne ainsi lieu, en Conseil municipal, au
rapport de l’adjoint Yves-Michel Dahoui, sans doute soufflé par le conservateur de la
bibliothèque et qui insiste sur l’intérêt culturel local de ce livre d’heures, croisé aux autres
critères de l’ancienneté et de la rareté. Il s’agit, expose l’adjoint, d’un
manuscrit médiéval réalisé vers 1470 dans un atelier bisontin pour un personnage
non identifié appartenant à la famille dauphinoise Faure de Vercors. Il s’agit d’un livre
le livr e d’heu res, obj et d’attention politique 279
d’heures à l’usage de Rome comportant douze très belles enluminures. L’artiste qui a
réalisé ces peintures est connu sous le nom du Maître de Charles de Neuchâtel. Trois
autres livres de cet artiste sont conservés dans des collections publiques dont un livre
d’heures à usage de Besançon à la Pierpont Morgan Library de New-York (Ms 28) et
un missel à la Central Library Sir Georges Gray d’Auckland en Nouvelle-Zélande (Ms
14). La bibliothèque de Besançon conserve déjà un pontifical à l’usage de Toul réalisé
pour Antoine de Neuchâtel, évêque de Toul de 1461 à 1495 (Ms 157). Ce livre d’heures
est un des rares témoignages de l’activité de cet atelier bisontin […]. C’est un rare
témoignage de l’activité artistique régnant alors à Besançon à la fin du Moyen Âge26.
La rareté tient à la faible production connue de ce mystérieux miniaturiste ; la
préciosité tient à une sorte d’injustice régionale, la Franche-Comté ne possédant pas de
manuscrit réalisé par ce maître, alors que les Américains et les Néo-Zélandais en ont. Le
manuscrit doit réhabiliter, politiquement, le statut de Besançon comme foyer d’activité
artistique à la fin du Moyen Âge. À l’invitation du Maire, l’adjoint donne quelques clés
d’appréciation « du chef-d’œuvre que nous allons acquérir ». Le verbatim de l’élu, qui a
bien étudié son dossier, est rapporté :
C’est un livre d’heures, c’est-à-dire un livre de dévotion, religieux, personnel à l’usage
des laïques. Ce n’était pas fait spécialement pour les religieux et ce sont des livres qui
étaient commandés dans des ateliers notamment celui-là dans un atelier de Besançon
ce qui est assez rare pour être signalé, on n’a pas beaucoup de réalisation de ce genre, et
qui étaient illustrés par des artistes. […] C’est une œuvre importante, même essentielle
parce qu’elle a été réalisée encore une fois dans cet atelier bisontin et qu’il n’y a pas
d’autres exemples ou peu d’illustrations aussi magnifiques que celle-là. Je vais vous
faire circuler, ça n’a rien à voir évidemment avec l’original, deux planches qui vous
donnent un peu une idée de ce qu’est cette superbe réalisation27.
Ce discours de réintégration des productions régionales dans les bibliothèques des villes
qui les ont vu naître est un poncif de ces argumentaires, jusqu’à n’être plus questionné.
Les marchands de livres rares vont souvent solliciter les bibliothèques des villes auquel
l’usage liturgique fait référence pour tenter de leur vendre un livre d’heures, comme le
concède Alain Ajasse, expert conseil en librairie ancienne :
Et puis le troisième type [d’acheteur], c’est la bibliothèque. Si l’on sait cerner le livre,
de quelle région, de quel atelier vient ce livre, on peut s’adapter. Si l’on découvre qu’il
a été fabriqué dans la région de Lyon, la bibliothèque de Lyon a intérêt à l’avoir plutôt
que de le laisser à la bibliothèque de Paris28.
Ainsi, l’entassement de livres d’heures dans certaines bibliothèques n’est pas le fait du
hasard. Il est le fruit de politiques documentaires à long terme et de patientes négociations
avec l’État et les tutelles pour pouvoir les financer. À Angers, six Heures manuscrites
enluminées à l’usage d’Angers ou d’anciens possesseurs angevins ont été acquises depuis
26 Bulletin officiel de la ville de Besançon, Délibération du Conseil municipal du 12 mai 2010, p. 759.
27 Ibid.
28 Entretien avec Alain Ajasse, 23 janvier 2019.
2 80 chapitre 6
197829, ainsi que trois incunables30. Sans compter les tentatives infructueuses, comme
celle qui visait l’achat des Heures dites de Marie Stuart, attribuées à l’atelier de Fouquet,
passées en vente chez Christie’s à Londres le 6 juillet 2011, et dont l’adjudication finale a
dépassé les possibilités financières de la ville31.
À Poitiers, la Médiathèque François-Mitterrand conserve 43 livres d’heures et 2 psautiers
enluminés (25 manuscrits et 20 imprimés). Une ambitieuse politique documentaire vise
l’acquisition des Heures à l’usage du diocèse de Poitiers ou copiées/enluminées dans les ateliers
poitevins. En vingt ans, l’établissement s’est enrichi de 10 livres d’heures (8 manuscrits et 2
incunables), augmentant ainsi d’un tiers ses collections32. Pour y parvenir, la bibliothèque
s’est montrée active auprès des libraires parisiens où se jouent la quasi-totalité des ventes
françaises de ces documents, et aussi à Londres, en enchérissant à quatre reprises pour
des Heures manuscrites ou incunables chez Christie’s33 ou Sotheby’s34. Cette politique
d’acquisition est justifiée par des programmes d’études scientifiques répétés depuis dix
ans, jusqu’au projet en cours Horae Pictavienses en partenariat avec l’IRHT. La proximité
des Collections d’excellence (CollEx) en civilisation médiévale à l’Université de Poitiers,
soutenues par l’État, n’est sans doute pas étrangère à cette priorité accordée aux Heures.
À Lyon, l’entrée régulière de livres d’heures dans les collections publiques depuis trente
ans n’est pas non plus le fait du hasard. La dernière acquisition a eu lieu en décembre 202035,
et confirme que la Bibliothèque municipale maintient sa vigilance sur la circulation de ce
type d’objet sur le marché du livre rare, espérant même ne laisser passer aucune occasion
d’enrichissement. À nouveau, les critères de sélection sont régionaux : usage lyonnais,
possesseur lyonnais, fabrication lyonnaise sont les points d’attention des services effectuant
une veille sur le marché36. Sur ces critères, quatre livres d’heures manuscrits ont été acquis
depuis 1990, et un incunable, des Heures à l’usage de Rome imprimées par Gillet Hardouin
en 1504, et ayant appartenu à Symphorien Champier (1471-1539), humaniste lyonnais37.
Certes, cette vigilance ne s’attache pas qu’aux livres d’heures. D’autres catégories de
manuscrits liturgiques (missels et bréviaires en particulier) sont susceptibles de répondre à
ces critères et plus généralement, les manuscrits à peinture constituent un moyen efficace de
sensibilisation d’élus par définition non-experts. De belles productions illustrées, en couleur,
dotées d’une histoire souvent touchante, peuvent conduire à réapprécier politiquement
les collections patrimoniales des bibliothèques, souvent le parent pauvre des budgets des
collectivités. La conservatrice de la Bibliothèque municipale de Verdun, se confiant à la
presse à l’occasion de son départ en retraite en 2016, se rappelle avec émotion l’acquisition
d’un livre d’heures à l’usage de Verdun : c’est « le seul exemplaire manuscrit connu », ce
qui peut faire sourire concernant ces documents nécessairement uniques. L’ouvrage était
aux États-Unis et le retour du précieux recueil lui fait dire, trente ans plus tard : « C’est
un de mes plus beaux souvenirs. À partir de là, il y a eu une vraie dynamique et une vraie
prise de conscience des élus de l’importance du fonds extraordinaire de Verdun38. »
Le livre d’heures est donc un objet patrimonial en soi (il répond rigoureusement aux
épithètes canoniques « ancien, rare et précieux ») mais aussi un instrument de négociation
financière et politique. À ce titre, il est un objet d’attention politique, à partir de critères
scientifiques empruntés au monde de l’érudition auquel les bibliothécaires ne sont pas
étrangers et qui trouvent une application dans la catalographie, et cependant, cette attention
est née fortuitement, le livre d’heures étant aussi un moyen de tenir en éveil la capacité des
pouvoirs publics à financer la bibliothèque comme institution. Ce changement, difficile à
dater précisément, a abouti à une capitalisation patrimoniale équivoque : si l’abondance de
biens tend à banaliser le livre d’heures, sorte de « tout-venant » de la réserve précieuse, elle
permet aussi d’identifier à coup sûr une collection patrimoniale. L’observation précise des
mécanismes d’entrée de livres d’heures dans les bibliothèques publiques met en évidence
les discours et les imaginaires culturels portés par ces objets que rien ne prédestinait à cela.
Figure 6.2 : Nombre de livres d’heures acquis annuellement par une bibliothèque publique avec l’aide
financière de l’État.
41 J. Deville, « Les Bibliothèques dans le marché du patrimoine écrit et graphique », Bulletin des bibliothèques de
France, 45 (2000), p. 52-62.
le livr e d’heu res, obj et d’attention politique 2 83
une bibliothèque territoriale s’y trouvent depuis seulement trente ans, voire moins. La
progression spectaculaire des acquisitions au milieu des années 1990 est à mettre en relation
avec l’effervescence érudite qu’entretient la Bibliothèque nationale autour des manuscrits
à peintures. Pour 25 manuscrits médiévaux achetés avec le soutien de la Direction du livre
et de la lecture par les bibliothèques municipales entre 1987 et 1993, on en compte 34 entre
1994 et 1998, après l’exposition organisée par la BnF Quand la peinture était dans les livres
et la publication à laquelle elle a donné lieu42. Le ministère de la Culture n’est pas dupe de
cet engouement. Jean-Sébastien Dupuit, chef du bureau du Patrimoine, observe en 1995 :
Huit manuscrits à peintures des xive et xve siècles, acquis en France et à l’étranger,
auront enrichi, de manière significative, les fonds anciens de plusieurs villes de notre
pays : Lille, Lyon, Périgueux, Rennes, Rouen et Tours. Objets de contemplation, mais
aussi d’étude et de recherche, ces pièces constituent aujourd’hui des témoignages
exceptionnels d’une époque où la peinture et les arts du livre, encore indissociables,
connurent en France d’insignes développements grâce à l’activité de nombreux ateliers
d’artistes qu’abritaient les régions françaises43.
D’ailleurs, de manière constante entre 1986 et 2001, l’illustration en tête du bilan des
acquisitions aidées est, une fois sur deux, une miniature de livre d’heures, désigné donc
comme la quintessence du patrimoine en bibliothèque.
Trente-sept bibliothèques ont profité de ces enrichissements. Les mieux dotées
sont celles qui pouvaient justifier ces acquisitions par une collection déjà riche en livres
d’heures : Rennes en a acquis 17 en trente ans, Troyes 7, Besançon 6, Angers, Le Mans,
Poitiers et Toulouse 5. La collection nourrit la collection, selon un principe élémentaire
de politique documentaire explicite ou non. L’encadrement juridique du patrimoine en
bibliothèque s’attache d’ailleurs à la notion de collection et non pas d’objet, que cette série
soit de constitution ancienne, ou en cours d’enrichissement44. La Bibliothèque municipale
d’Angers utilise précisément cette notion pour défendre ses acquisitions. En septembre
2016, elle doit justifier une nouvelle demande d’aide financière à la région Pays-de-la-Loire
pour un achat de livre d’heures, six mois seulement après celui du ms. 2849. Il s’agit cette
fois d’un livre d’heures manuscrit à l’usage d’Angers, probablement réalisé à Tours vers
1510-1520, comportant cinq enluminures en pleine page et 18 de petite taille, mis en vente
par la galerie Les Enluminures. L’argumentaire précise :
La Ville d’Angers possède 18 livres d’heures manuscrits datés du milieu du xive à la
fin du xve siècle. Si elle possède également 5 livres d’heures imprimés et gravés du
xvie siècle, elle n’en possède aucun de cette période qui soit manuscrit et enluminé.
Ce livre complète chronologiquement la collection d’Angers. Son iconographie
complète également celles des livres d’heures conservés à Angers par la diversité des
décors architecturés et par la présence d’enluminures pour les suffrages des saints (seul
exemplaire à l’usage d’Angers présentant cette particularité).
42 Ibid.
43 Ministère de la Culture, Service du livre et de la lecture, Bureau du Patrimoine : Patrimoine des bibliothèques.
Acquisitions précieuses aidées par le ministère de la culture et de la communication, 1995, édito.
44 Code de la propriété des personnes publiques, art. R111-3.
2 84 chapitre 6
Les livres d’heures acquis sont, sans surprise principalement des manuscrits (73)
mais aussi des incunables (13) et même des imprimés modernes (8). La bibliothèque de
Nancy a ainsi acquis en 2009 des Heures nouvelles imprimées en 1776 dans la cité lorraine ;
la bibliothèque de Rennes, un livre d’office en breton, intitulé Office bihan er uéries (Vannes,
1788). Les productions typographiques locales intéressent en effet les bibliothèques terri-
toriales depuis les grands chantiers catalographiques des années 1970-1980 publiés sous le
titre général de Bibliotheca bibliographica aureliana, recensant les produits typographiques
des villes de province depuis le xvie siècle. Ces chantiers, et la prise de conscience d’une
identité typographique locale ravivée encore par les travaux d’histoire du livre de ces mêmes
années, ont permis de faire surgir nombre d’éditions rares et de médiocre qualité, mais
très intéressantes du point de vue de l’économie régionale du livre avant la Révolution. En
revanche, les innombrables feuillets séparés issus de livres d’heures circulant sur le marché
ne sont pas convoités par les bibliothèques. Cinq seulement entrent dans les collections
publiques. La bibliothèque de Rennes acquiert ainsi en 1986 un feuillet du livre d’heures
Françoise de Dinan, dont elle possède d’autres fragments.
Ces acquisitions représentent des budgets considérables. Aussi, pour s’insérer parmi
les acquéreurs de livres rares, les bibliothèques disposent de plusieurs leviers juridiques
et administratifs, en particulier le droit de préemption et le recours aux Fonds régionaux
d’acquisition des bibliothèques (FRAB). Dans les deux cas, c’est bien l’État qui contrôle le
fonctionnement de la procédure et son application, contribuant ainsi, au niveau territorial,
à fabriquer du patrimoine.
Les FRAB sont nés en 1990, au moment où les bibliothèques territoriales cherchaient
précisément à se ressaisir de leur patrimoine. Après une expérience concluante en Bretagne,
d’autres régions45 se dotent de ces réserves financières impliquant pour moitié l’État, et pour
l’autre moitié, la Région. Ils doivent permettre de « compléter et enrichir les fonds anciens,
rares ou précieux et d’importance nationale de certaines bibliothèques municipales presti-
gieuses, développer les fonds dans le sens de leur spécificité locale ou régionale, accueillir les
productions contemporaines, éditions bibliophiliques, reliures contemporaines, manuscrits
littéraires, estampes ou photographies ». Les FRAB sont au service d’une territorialisation
des patrimoines, qui semble la logique aujourd’hui privilégiée par l’État. Par les compléments
financiers qu’ils apportent, ils suscitent aussi l’intérêt des pouvoirs des autres échelles de
territoire, pour lesquelles les acquisitions onéreuses deviennent envisageables. Il semble en
effet que les villes sont les premières à supporter le coût des acquisitions patrimoniales et
qu’elles dédient un budget à cet effet, stable ou renégocié chaque année, dans un contexte
de consolidation des politiques culturelles municipales46, même si les domaines les plus
exposés aux coupes budgétaires décidées au sein des collectivités territoriales sont les
bibliothèques47. Mais les FRAB constituent sans doute la manière la plus subtile et efficace
de l’État d’assurer son contrôle sur les fonds patrimoniaux, qu’ils lui appartiennent ou non,
en incitant les collectivités à investir dans le patrimoine écrit en multipliant les partenaires
de financement. La Bibliothèque municipale de Lyon a pu doubler son budget patrimonial
en 1995 grâce à des crédits extérieurs : État, région, et partenaires privés (la Lyonnaise de
Banque). Ces fonds ont permis d’acquérir cette année-là plusieurs pièces importantes, dont
un livre d’heures à l’usage de Chalon du début du xvie siècle et un livre d’heures à l’usage
de Rome réalisé vers 145048. Le livre d’heures acquis en décembre 2020 a aussi mobilisé le
FRAB et surtout une aide du fonds d’Acquisition patrimoniale d’intérêt national (APIN).
On peut dire aujourd’hui que ces dispositifs, combinés à d’autres, ont fortement accompagné
le réveil de la vocation patrimoniale des bibliothèques territoriales49.
Les effets de cette incitation sur les acquisitions de livres d’heures sont assez paradoxaux.
En effet, l’appétit des bibliothèques pour ces recueils est bien antérieur aux années 1990 et
a pu se satisfaire, pendant toute la décennie 1980 et peut-être auparavant, de financements
moins formalisés. Entre 1981 et 1990, 24 manuscrits médiévaux sont entrés dans les collec-
tions publiques sans les FRAB (qui n’existaient pas), dont sept livres d’heures (Doc. 6.1).
Ce chiffre est assez faible. À ce moment, de telles acquisitions profitent uniquement à
des bibliothèques municipales classées et à la Bibliothèque nationale. Le livre d’heures
introduit donc des hiérarchies symboliques entre établissements documentaires, entre
ceux qui peuvent en acquérir, et les autres. Le sud de la France est une fois de plus exclu
de ce processus, pour autant que cette liste soit complète.
Toutefois, le rôle des FRAB après 1990 n’est pas nul, et ce à deux titres au moins. D’abord,
en prenant le relais des financements préexistants et en les systématisant localement, ils
ont permis à toutes les régions ou presque de concrétiser cette quête de livres d’heures.
Près de trente ans après la fondation du premier FRAB, il ressort en effet que chaque
région ou presque a pu acheter son ou ses livres d’heures. C’est même le dénominateur
commun de ces dispositifs. Sans minimiser les budgets déployés, il semble que, par les
opérations qu’ils ont pu soutenir, ils ont eu aussi un impact sur les régions dépourvues
de ces dispositifs, qui par mimétisme ont cherché à se procurer aussi des manuscrits
médiévaux prestigieux. Ils ont facilité et stimulé les acquisitions. Les bibliothèques plus
modestes ont pu concourir dans cette course. Celle de Langres a pu acquérir, avec l’aide
du FRAB Champagne-Ardenne, les Heures manuscrites à l’usage de Saint-Mammès de
Langres lors de leur vente à Dijon le 10 mars 200150. Celle de Toul s’est offert en 2003 un
livre d’heures à l’usage de Toul auprès de la Librairie Thomas-Sheler à Paris, puis un autre
en 2006 auprès d’un libraire danois. Les édiles toulois, préparant les demandes d’aide au
47 M. Saint-Marc, Quelles politiques de soutien aux acquisitions patrimoniales des bibliothèques territoriales ?,
mémoire pour le diplôme de conservateur de bibliothèque, Villeurbanne, Enssib, 2019, p. 33, citant une « Note de
conjoncture sur les dépenses culturelles des collectivités territoriales » publiée par l’Observatoire des politiques
culturelles en 2017.
48 P. Guinard, « Pratiques patrimoniales de la bibliothèque municipale de Lyon ». Bulletin des bibliothèques de
France, 37 (1996), p. 36-41.
49 Service du livre et de la lecture, bureau du Patrimoine, Bilan des interventions en ventes publiques, 2015.
50 Ministère de la culture et de la communication, Direction du livre et de la lecture, Patrimoine des bibliothèques.
Acquisitions précieuses aidées par le ministère de la culture et de la communication, 2001, p. 20.
2 86 chapitre 6
Document 6.1 : quelques cas d’acquisitions de livres d’heures entre 1980 et 1990 (source : Trésors de
l’écrit. Dix ans d’enrichissement du patrimoine écrit, Paris, rmn, 1991).
51 Ville de Toul, administration municipale, affaires culturelles, dossier d’acquisition du livre d’heures (2002-2003) ;
note du premier adjoint à destination de la Région et de la DRAC Lorraine.
le livr e d’heu res, obj et d’attention politique 287
demande de financement doit donc d’abord attirer l’attention des pouvoirs publics sur la
petite institution touloise, restée dans l’ombre des grandes bibliothèques classées de Nancy
et de Metz. Elle nourrit ensuite toute une appréciation qui n’a rien de scientifique, mais qui
fonctionne. À l’occasion de la seconde acquisition, en 2006, le ministère de la Culture opine :
« Compte tenu de la place singulière de Toul dans les arts du livre à la fin du Moyen Âge,
l’entrée de ce manuscrit dans les collections publiques me paraît effectivement présenter
un intérêt certain »52. Cette « place singulière » est historiquement plus que discutable.
Elle est sans rapport avec celle de Metz ou de Verdun au xve siècle53. Mais l’entrée d’un
livre d’heures en collection municipale permet de revisiter le passé et de construire une
série d’arguments plus ou moins bien établis, mais efficaces.
Toutefois, l’acquisition de livres d’heures reste l’apanage des bibliothèques qui jouent
un rôle central sur le territoire régional. Sur 99 livres d’heures acquis avec l’aide de l’État
entre 1986 et 2018, 88 le sont pour un établissement classé (Fig. 6.2). Ainsi, en 2001, la
bibliothèque de Rennes parvient à réunir les fonds nécessaires à l’acquisition des Heures
manuscrites à l’usage de Saint-Brieuc, réalisées vers 1430, renfermant 110 miniatures dont
37 grandes peintures, avec des scènes rares comme le Mont-Saint-Michel (fol. 121) ou le
Christ au milieu des docteurs (fol. 58). Le ministère reconnaît : « Il s’agit là sans doute
de la plus belle acquisition réalisée par la bibliothèque de Rennes depuis longtemps »54.
Or, la même année, la bibliothèque de Saint-Brieuc est elle-même candidate à une
subvention du FRAB Bretagne pour acheter les archives littéraires de Louis Guilloux.
Mais le livre d’heures, fût-il à l’usage de Saint-Brieuc, entre dans les collections rennaises.
Ce fait tient sans doute à des aspects purement financiers – la part restante hors FRAB
devait être importante et il fallait la robustesse d’une municipalité comme Rennes pour
l’assumer – mais pas seulement. Cela tient aussi à une représentation politique du livre
d’heures : il doit manifester la centralité de la bibliothèque, son rayonnement régional,
sa solidité culturelle. Cette tendance se confirme encore aujourd’hui. Les acquisitions de
livres d’heures se font toujours au profit de bibliothèques classées d’un vaste septentrion
français : Chartres (2004), Orléans (2004), Troyes (2005), Metz (2006), Rennes (2007),
Reims (2007), Arras (2009), Le Mans (2009), Besançon (2010), Angers (2007 et 2013),
Poitiers (2012), Grenoble (2013), Le Mans (2016)… Les quatre acquisitions toulousaines
de 2002, 2004 et 2013 et 2018 avec l’aide du FRAB Midi-Pyrénées ne changent rien à ce
déséquilibre entre deux France, celle qui fonde son prestige patrimonial sur les livres
d’heures, et celle choisit d’autres objets.
Les FRAB ont en outre eu un effet important sur l’uniformisation du discours de
justification élaboré par les bibliothécaires, décrivant l’achat d’un livre d’heures comme
l’entrée d’un bien d’exception dont le prestige fera finalement celui de la bibliothèque.
Là encore, ce discours préexistait aux FRAB, mais on observe après les années 1990 une
meilleure maîtrise des arguments en fonction des lieux et des situations. Trois raisons
52 Ville de Toul, administration municipale, affaires culturelles, dossier d’acquisition du livre d’heures (2005-2006),
courrier de la DLL du 24 octobre 2005.
53 A.-O. Poilpré et M. Beyssere (dir.), L’écrit et le livre peint en Lorraine, de Saint-Mihiel à Verdun (ixe-xve siècles),
Turnhout, Brepols, 2014.
54 Ministère de la culture et de la communication, Direction du livre et de la lecture, Patrimoine des bibliothèques.
Acquisitions précieuses aidées par le ministère de la culture et de la communication, 2001, p. 33.
2 88 chapitre 6
55 J. Deville, « Typologie des acquisitions patrimoniales effectuées par les bibliothèques municipales avec le
soutien de l’État », in Enrichir le patrimoine des bibliothèques en Région, Rennes, Apogée, 1996, p. 51-58.
56 Ministère de la Culture et de la communication, Service du livre et de la lecture, Patrimoine des bibliothèques.
Acquisitions précieuses aidées par le ministère de la culture et de la communication, 1999, p. 32.
57 Fr. Legendre, dans Enrichir le patrimoine…, op. cit., p. 89-90.
58 En particulier I. Delaunay, « Le manuscrit enluminé à Rouen au temps du cardinal Georges d’Amboise :
l’œuvre de Robert Boyvin et de Jean Serpin », Annales de Normandie, 45 (1995), p. 211-244.
le livr e d’heu res, obj et d’attention politique 289
Le droit de préemption
avec ces pratiques liées aux sources de la création littéraire qui constituent depuis vingt
ans le principal type d’objet écrit acquis par préemption, et aussi parce que celle-ci, dans
l’atmosphère fébrile, voire survoltée des salles des ventes, constitue une chute théâtrale
et spectaculaire participant à la mise en scène de la prérogative patrimoniale de l’État.
L’État met ainsi au service de ses institutions centrales et des bibliothèques régionales
son droit régalien en vue d’enrichir les collections patrimoniales. Si l’on ne peut que dans
de très rares cas (Rennes, Angers, Besançon, Troyes, Lyon) parler de « collections de livres
d’heures » constituées méthodiquement et en mobilisant tous les dispositifs financiers,
juridiques et administratifs possibles, il semble bien que toutes les bibliothèques publiques
françaises aient fait de la quête de livres d’heures un moyen de faire reconnaître une
collection patrimoniale en cours de restructuration. Au milieu de l’ensemble des biens
acquis, le livre d’heures constitue en effet une entité uniforme et identifiable, quand les
brouillons d’un écrivain limougeaud ou une série de cartes postales provençales ne seront
pas strictement comparables à des objets du même ordre dans une bibliothèque alsacienne
ou bretonne. Il est donc un marqueur de la respectabilité patrimoniale d’une bibliothèque.
Mais en finançant ainsi les acquisitions – de livres d’heures ou d’autres objets, l’État impose
aussi sa validation dans le processus de patrimonialisation de l’écrit, confisquant dès lors
l’autorité ancienne des experts du livre rare – bibliophiles, libraires et érudits – à son seul
profit. Les procédures de classement, protection ultime de biens d’exception, confirment
cette capacité de l’État à décréter le patrimoine.
La procédure la plus ancienne et plus pérenne dans le temps d’un point de vue
législatif, consiste à classer un bien mobilier « Monument historique », ce qui a pour
conséquence d’empêcher son aliénation et donc de stabiliser sa conservation. Après la
loi du 30 mars 1887 créant la catégorie des Monuments historiques et enregistrant les
conséquences réglementaires d’un classement sous ce label, la loi du 31 décembre 1913
élargit sa portée, notamment aux objets mobiliers appartenant à des personnes privées,
et fait valoir l’intérêt public plutôt que l’intérêt artistique ou historique national pour
justifier le classement d’un bien. Le consentement des propriétaires n’est plus nécessaire,
qui aurait sans doute été un frein dans la décennie suivant la séparation des Églises et de
l’État. Cette loi déclare aussi imprescriptibles les objets classés et met en place de possibles
contrôles de leur état de conservation et de leur aliénation. Malgré une soixantaine de
retouches, cette loi de 1913 s’est avérée assez robuste pour régler encore aujourd’hui le
fonctionnement du classement au titre des Monuments historiques. Dans sa teneur, puis
au fil des milliers d’applications dont elle a fait l’objet (300 000 objets mobiliers en 2015),
cette loi a entériné l’idée d’un État qui a confisqué à l’érudition historique, archéologique,
artistique, littéraire ou ethnologique la production de discours d’enracinement visant à
prouver l’unité de la nation, à partir d’un double principe : l’usage de l’autorité publique
juridique et administrative, et la possibilité d’intervenir dans la sphère privée.
Ce dernier point est particulièrement important en ce qui concerne les livres d’heures.
Cinquante livres d’heures entiers ou à l’état de fragments ont été classés68, pour partie
avant 1913 selon les principes de la loi de 1887, la plupart après. Neuf d’entre eux relèvent
de la propriété privée ; 17, de la propriété publique au sein d’une collectivité territoriale ;
enfin 21 à l’État, principalement à la suite des séquestres opérés à partir de 1906. C’est donc
entre le clergé et l’État que s’est joué, par épisodes successifs, la prise en main symbolique
65 R. Moulin, op. cit.
66 J. Deville, « Les Bibliothèques dans le marché… », op. cit.
67 R. Moulin, op. cit.
68 Source : Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, Ministère de la Culture et de la
communication, Base Palissy [En ligne] : http://www2.culture.gouv.fr/public/mistral/dapapal_
fr?ACTION=NOUVEAU&USRNAME=nobody&USRPWD=4$4P, (consulté le 16 juillet 2019).
2 92 chapitre 6
de ce petit corpus liturgique par la puissance publique, plaçant désormais ces biens sous
le regard de l’État. La chronologie des classements est révélatrice de l’enchaînement de
plusieurs logiques affectant à la fois les relations entre le religieux et le politique, et d’autre
part, l’élargissement du champ patrimonial à partir des années 1960.
Une périodisation grossière se fait jour (Fig. 6.3). Une première vague de classements
a lieu dans le sillage des séquestres qui suivent les lois de Séparation en 1905-1906, au
sein des fabriques d’églises dont les biens sont devenus propriété de l’État (la loi de 1913
prend précisément ce point en considération) et des séminaires dont les bibliothèques
ont été mises sous séquestre, et confiées parfois à la bonne garde des bibliothèques
municipales69. Même le dossier de classement des deux livres d’heures de la Primatiale
Saint-Jean, à Lyon, validé dès le 21 octobre 1903, est alimenté a posteriori par l’inventaire
des Domaines réalisé le 22 janvier 1906 et jours suivants suite aux lois de Séparation. Le
classement justifie les dizaines de récolements menés ensuite dans les collections de la
Primatiale et renforce l’effet des lois de 1905 (et réciproquement) : un arrêté du 6 mai 1911
impose au clergé le transfert de l’ensemble de la bibliothèque de l’Église métropolitaine
de Lyon à la bibliothèque de la Ville, transfert réalisé le 8 janvier 1913. On y dénombre 33
manuscrits, dont 14 livres d’heures, et 54 imprimés. Seuls deux livres d’heures sont protégés
par classement, sans que l’on sache pourquoi70. À Toulouse, par arrêté du 9 novembre
1906, 17 objets sont classés – d’autres l’avaient été dès juin 1897, d’autres encore suivront
jusqu’aux années 1970. À cette date, le « Missel, manuscrit, orné de miniatures sur vélin,
xive s. », n’est pas perçu comme un livre d’heures ; c’est seulement lors du récolement
du 9 septembre 1921 que l’inspecteur corrige : « livre d’heures, 8 miniatures sur vélin,
xive s. (coffre-fort dans la crypte) » et en observation : « je précise : livre d’heures et
non missel ». Là encore, les séquestres semblent avoir accéléré la prise de conscience
patrimoniale71. À Auxerre, 14 livres d’heures des xve et xvie siècles sont classés le 8 mai
1907, dans le contexte troublé des saisies des biens ecclésiastiques. Les classements se font
aussi par cercles concentriques. Gélis, architecte en chef des Monuments historiques,
venu visiter en 1932 la pharmacie ancienne de l’hôpital de Tournus classée depuis 1903
pour vérifier son état, observe de près un « livre d’heures latin suivant l’usage de Rome,
manuscrit enluminé aux armes des Visconti, art flamand, xve s., reliure moderne », et en
propose le classement, acté le 11 avril 193272. Le renouveau qui s’observe après la Seconde
Guerre mondiale ne doit pas faire illusion : il s’agit en réalité de 17 enluminures conservées
à la cathédrale de Bordeaux. En réalité, entre les années 1930 et les années 1960, le corpus
des livres d’heures classés ou inscrits ne change presque pas. De nouvelles procédures
commencent à partir des années 1970, mais elles sont numériquement trop faibles pour
être vraiment significatives (10 arrêtés depuis 1972). On peut toutefois poser l’hypothèse
que la reprise des classements est consécutive à la mise en route des enquêtes de terrain
sous l’égide de l’Inventaire national à partir de 1964 pour « recenser et décrire l’ensemble
des constructions présentant un intérêt culturel ou artistique ainsi que l’ensemble des
œuvres et objets d’art créés ou conservés en France depuis les origines »73. Les enquêteurs
missionnés auprès des paroisses et édifices religieux ont pu repérer des manuscrits et
suggérer un examen plus approfondi, heureux de croiser autre chose dans les placards
des sacristies que des curés d’Ars en plâtre écaillé.
Elles indiquent toutefois que l’écrit n’est pas absent de la vigilance des services des
Monuments historiques au fil des expertises menées dans les lieux privés ou publics,
ecclésiastiques ou laïcs. Cette attention est intéressante au double titre du caractère sym-
bolique des écrits anciens, qui partagent avec toutes les formes d’inscription une certaine
monumentalité74, et de la situation de ces objets dans un environnement ecclésiastique
qui engendre des conflits sur la manière d’en assurer la conservation. Le cas du trésor de
la cathédrale d’Arras, où l’État pousse son expertise dès les années 1930, est éclairant à cet
égard. Un inventaire du trésor en 1935 signale sous le no 13 des Heures à l’usage de Rome
imprimées par Pigouchet pour Vostre en 1488. Il s’agit d’un incunable sur parchemin
comportant la figure de l’homme anatomique, rehaussé de majuscules d’or sur fond rouge
ou bleu. La première page manque. Il signale aussi, sous le no 47, un psautier-livre d’heures
du xiiie à l’usage de Thérouanne extrêmement mutilé, étudié par l’abbé Leroquais. C’est
ce livre d’heures, et non l’incunable, qui est classé le 14 décembre 1955 avec une longue
série d’objets liturgiques et d’ornements. Or, les biens du trésor appartiennent à l’État
depuis 1905, mais sont laissés sous la garde de l’évêché qui a instauré en 1934 un musée
d’art sacré. Fermé en 1939 sous la menace des combats, il n’a pas rouvert après-guerre.
L’État, au nom de son droit de contrôle sur les objets classés, se fait ouvrir les lieux en
1979, et s’émeut de la dégradation des pièces dans ce local laissé à l’abandon75. C’est aussi
au nom d’une conservation optimale que le clergé n’est pas en mesure d’assurer, qu’un
conflit menace au Puy-en-Velay entre les services de l’État et l’administration diocésaine,
à propos d’une série de manuscrits médiévaux, parmi lesquels figurent les « Heures de
Lobeyrac, parchemin, fin xive ou début xve », classées le 23 octobre 1972. Deux ans plus
tard, le vol d’un des manuscrits, un évangéliaire carolingien, entraîne des recherches pour
clarifier la propriété de ces documents. La correspondance échangée au sein du Ministère
de la Culture montre combien l’affaire est délicate et doit être documentée le plus précisé-
ment possible. L’enquête, qui mobilise archivistes, bibliothécaires et juristes, aboutit à la
conclusion que ces livres appartiennent à l’État puisqu’ils se trouvaient au Grand Séminaire
au moment du séquestre en 190876. S’ensuit une négociation diplomatique pour obtenir
le dépôt des manuscrits à la bibliothèque municipale du Puy sans vexer l’administration
diocésaine. Cette attention à la conservation des biens classés n’a jamais faibli. En 1978,
le livre d’heures de l’hôpital de Tournus est volé la nuit du 13 au 14 décembre. Parce qu’il
s’agit d’un objet classé, le ministère est averti, mais sans hâte : il reçoit l’information le 28
décembre. Il transmet l’information au service des douanes pour organiser le contrôle
aux frontières. Le livre d’heures est retrouvé le 6 mars dans un fossé près de l’hôpital, pas
trop endommagé77.
Les motifs de classement ne sont jamais explicités par des arrêtés toujours très
laconiques. Seul un dossier concernant Alençon donne une idée des raisons qui poussent
l’État à placer un livre d’heures sous son contrôle. Le 7 septembre 1975 sont classés divers
objets mobiliers du couvent des clarisses d’Alençon ayant appartenu à Marguerite de
Lorraine (1461-1521), duchesse d’Alençon et fondatrice de la communauté. Le classement
concerne une toile représentant sainte Claire, un portrait de Marguerite, un coffret, une
ceinture et le livre d’heures de la duchesse réalisé à la fin du xve siècle. Après demande de
consentement – purement formelle – de l’abbesse et de l’évêque de Sées, le classement est
décrété. Le 13 juin 1988, une nouvelle série d’objets, principalement des panneaux peints
et une huile sur toile, sont classés sur suggestion de la Commission départementale des
objets mobiliers de l’Orne qui s’est penchée sur ces œuvres au moment où les Archives
départementales de l’Orne préparaient une exposition sur Marguerite de Lorraine.
L’argument avancé est alors la sauvegarde de « documents historiques liés au souvenir
d’une grande figure religieuse de la contre réforme catholique en Normandie »78, ce qui
n’a guère de sens : la Réforme catholique est bien postérieure au décès de Marguerite
survenu en 1521. Aussi exagérée soit-elle, cette lecture des objets en vue d’en faire les
représentants d’une tradition locale à protéger, au milieu d’autres traditions locales
toutes équivalentes et aussi défendables que l’intérêt national, montre que les temps ont
changé. Comme le souligne Yvon Lamy, les années 1970 sont celles où la monumentalité
a cédé le pas à la patrimonialité, par l’intérêt croissant porté aux objets très localisés, les
79 Y. Lamy, « Du monument au patrimoine. Matériaux pour l’histoire politique d’une protection », Genèses, 11
(1993), p. 50-81, ici p. 67.
2 96 chapitre 6
résulte peut-être une commande du roi de France lui-même pour sa fille, réalisée par
les meilleurs artistes du temps, et susceptible de compléter les collections publiques
françaises qui n’en conservent pas d’équivalent80.
Cet arrêté vise à empêcher que le manuscrit en question quitte le territoire national, alors
qu’il était promis à la vente publique chez Christie’s suite à la liquidation de la succession
Marquet de Vasselot. La Commission consultative des trésors nationaux qui a statué
sur ce « refus de certificat » a aussi élaboré l’argumentaire repris dans cet arrêté et il est
intéressant d’en examiner la rhétorique et la construction. Le manuscrit, d’abord, attire les
superlatifs. Il est « important », de « facture raffinée », d’une « calligraphie soignée », « un
témoin magistral de l’art de cour », réalisé « par les meilleurs artistes ». Ces qualificatifs
se méritent sans doute, mais s’imposent aussi dès lors que l’on veut justifier qu’un objet
entre dans le périmètre des « trésors nationaux ». C’est le classement qui exige cette rafale
d’éloges, plus que le manuscrit lui-même. Dans le même ordre d’idée, l’arrêté signale que
« les collections publiques françaises n’en conservent pas d’équivalent ». Certes, puisque
c’est un manuscrit, une pièce unique. La phrase est donc superflue. Mais cette formule
consacre le trésor national ; elle l’adoube en quelque sorte. Enfin, le livre d’heures serait
le cadeau d’un royal père pour sa fille à l’heure de se marier, ce qui confère au manuscrit
une patine sentimentale qui en rehausse l’intérêt et réévalue le rôle de Charles VII dans le
mécénat des arts. Sauf que des études plus approfondies que celles menées par les experts
de la Commission consultative ont prouvé que le livre d’heures n’a jamais été réalisé pour le
mariage de Jeanne de France, mais pour une sienne cousine, quelques années plus tôt, qui
l’a offert à Jeanne à son mariage en prenant soin de faire modifier les armoiries81. L’argument
sentimental ne tient donc plus aussi bien. Mais son inscription dans un texte administratif
l’impose durablement dans l’appréciation du manuscrit. Ce que contient cet arrêté, au-delà
de sa portée juridique qui empêche effectivement son exportation et permet à l’État de
faire une offre au propriétaire pour l’inclure aux collections nationales, c’est d’une part un
ensemble de critères qui permettent de trier, dans la masse indistincte des livres d’heures
passant en vente après la procédure de la demande de certificat, ceux qui méritent la plus
grande attention : leur appartenance à des personnages de la cour et leur provenance
d’ateliers franciliens ou tourangeaux. D’autre part, cet arrêté signale la patrimonialité de
l’objet par une décision administrative qui a d’importantes conséquences juridiques. En
quelque sorte, que cette décision soit fondée ou non, elle décrète le patrimoine.
Par cette mesure d’exception, la puissance publique se donne le droit d’ordonner le
champ patrimonial et d’assurer aux objets qui le composent la pérennité même de l’État,
c’est-à-dire l’indissolubilité et la non-limitation dans le temps. Elle devient la principale
instance de régulation du patrimoine, au nom du bien public. Le statut de « trésor national »,
consolidé à partir de 1992, en est la manifestation la plus autoritaire.
Avant 1992, en effet, l’État disposait de trois moyens pour s’opposer à la sortie du
territoire national d’un bien culturel : le droit de préemption ; le classement d’office dans
80 JORF no 0145, 24 juin 2011, texte no 28 : Arrêté du 7 juin 2011 refusant le certificat prévu à l’article L 111-2 du Code
du patrimoine.
81 Ph. Contamine et M.-H. Tesnière, « Jeanne de France, duchesse de Bourbon, et son livre d’heures »,
Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot, 92 (2013), p. 5-65.
le livr e d’heu res, obj et d’attention politique 297
la liste des Monuments historiques ; enfin, la loi protectionniste du 23 juin 1941, connue
sous le nom de « loi Carcopino », qui permettait en théorie d’empêcher l’exportation
d’un bien lors de son arrivée à la douane. Des conservateurs étaient alors appelés pour
expertise et disposaient ainsi d’un important pouvoir de sélection. En théorie, parce que
l’Occupation a rendu cette loi inefficace à ses débuts, et après-guerre, jusqu’en 1992, l’État
a fait un usage modéré de ce dispositif, en déclarant seulement 41 prohibitions de sortie,
tous objets confondus. En 1983, ainsi, a été immobilisé aux frontières un livre d’heures à
l’usage de Lisieux, imprimé par Pigouchet pour Simon Vostre, un unicum immédiatement
identifié comme tel. Saisi à cette occasion, il a été acheté par la Bibliothèque municipale
de Caen82.
La loi du 31 décembre 1992, rendue nécessaire par l’ouverture du marché européen le
1er janvier 1993, a abrogé la loi Carcopino et institué une entorse majeure au principe de
libre circulation dans les États membres. Elle renferme dans un même texte la surveillance
des biens culturels aux frontières et la procédure de classement « trésor national ». Selon
le Code du patrimoine,
Sont des trésors nationaux : 1o Les biens appartenant aux collections des musées de
France ; 2o Les archives publiques, […] ; 3o Les biens classés au titre des monuments
historiques […] ; 4o Les autres biens faisant partie du domaine public mobilier, au
sens de l’article L. 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques ; 5o
Les autres biens présentant un intérêt majeur pour le patrimoine national au point de
vue de l’histoire, de l’art ou de l’archéologie. (art. L 111-1).
La procédure est désormais bien rôdée. Les libraires anciens et commissaires-priseurs,
plus rarement des particuliers quittant la France, organisant la vente d’un manuscrit ou
d’un imprimé, déposent une demande de certificat s’il répond à des critères de valeur et
d’ancienneté définis dans le Code du patrimoine83. Ces biens doivent être présents sur le
territoire national depuis au moins cinquante ans. Cette clause indique que la notion de
patrimoine artistique est largement étendue à celle de richesse artistique nationale. Les
demandeurs déposent auprès du ministère de la Culture une demande d’exportation,
principalement dans le cas où un acheteur étranger se présenterait pour l’acquérir. Dans
un délai de quatre mois, le ministère rend un avis motivé pour autoriser l’exportation, ou
la refuser, ce qui revient à classer l’objet « trésor national ». La BnF est consultée pour avis
scientifique pour les livres et manuscrits. Cette procédure, malgré sa lourdeur et combinée
à d’autres instances de vigilance actives sur le marché du livre, permet aussi de repérer les
cas de documents sortis illicitement des collections publiques. Elle a fait surgir celui des
Heures à l’usage de Paris probablement commencées par les frères de Limbourg au début
du xve siècle et jamais achevées, sorties illégalement du territoire français vers Bruxelles
en 2013 pour être vendues aux enchères par la maison Millon. Elles sont alors acquises
par le libraire Heribert Tenschert pour 2,05 millions d’euros. Il tente de les revendre en
2016 à Maastricht pour 12 millions d’euros, ce qui attire l’attention de l’Office Central de
82 Cité par I. Mróz, Trésors de l’écrit : 10 ans d’enrichissement du patrimoine écrit, Paris, RMN, 1991, p. 47.
83 Code du Patrimoine, « Catégories de biens culturels soumises à autorisation d’exportation pour leur sortie du
territoire douanier national » (art. R 111-1).
2 98 chapitre 6
lutte contre le trafic de Biens Culturels. Ces Heures ont été classées trésor national sans
se trouver sur le territoire français, au titre de leur provenance84.
Ce système repose sur une définition complexe et profondément subjective du concept
de « trésor national ». Les critères retenus pour déterminer si un bien est un trésor national
ou non, sont l’importance qu’il revêt pour l’histoire de l’art et la recherche ; ses liens avec
l’histoire nationale ; ses liens avec l’ensemble de l’œuvre d’un artiste ou d’un écrivain
français ; son importance esthétique et littéraire ; l’absence ou la rareté de biens équivalents
dans les collections nationales85. Autant dire que ces critères ne sont guère objectivables.
Du reste, l’analyse des procédures montre que la décision finale de classement obéit à
d’autres logiques. Le cas du livre d’heures de Jeanne de France, documenté par le dossier
d’acquisition classé dans les archives de la BnF86, est très instructif. Il semblerait d’abord
qu’un accord avec Christie’s sans passer par le refus de certificat a été tenté ; il y est fait
allusion dans des échanges entre Jacqueline Samson, directrice générale de la BnF et Denis
Bruckmann, directeur des collections, en avril 2011. Il faut croire que la maison de vente n’a
pas voulu entrer en matière, préférant déposer sa demande de certificat en sachant qu’il
lui serait refusé. Quand la Commission consultative des trésors nationaux est saisie pour
examiner trois pièces de la succession Marquet de Vasselot, dont le livre d’heures, l’avis
qu’elle rendra ne fait aucun doute : sa réunion est une formalité. Le rapport scientifique
sur le manuscrit a été établi par Marie-Françoise Damongeot, tandis que Bruno Racine,
président de la BnF appuie aussi en faveur d’un classement dans un courrier à Marie-
Christine Labourdette, directrice à la Direction générale des patrimoines au ministère de
la Culture. Le rapport scientifique conclut, dans les termes mêmes du rapport concocté
par la BnF, à un « extraordinaire petit volume, chargé d’histoire, […] l’une des réalisations
les plus exquises et les plus raffinées de l’art de cour en Val de Loire sous le règne de
Charles VII […] ». L’artiste est identifié comme un précurseur de Fouquet et le manuscrit
« est assurément l’une des créations les plus raffinées du Maître de Jouvenel ». Même les
traces d’usage (couche picturale légèrement écaillée par endroits, reliure de velours rouge
usée) font patrimoine. Cette vigilance de l’institution à l’égard du livre d’heures de Jeanne
de France est fortement conditionnée par une longue attente, savamment entretenue par
les collectionneurs qui l’ont possédé. Les vendeurs sont en effet les héritiers de Jean-Joseph
Marquet de Vasselot (1871-1946), conservateur au Louvre puis directeur du musée de
Cluny, collectionneur d’art médiéval réputé. Par son mariage avec Jeanne Martin Le Roy,
il est le gendre d’un des plus célèbres collectionneurs d’art ancien, Victor Martin Le Roy
(1842-1918). Le livre d’heures a été parcimonieusement exhibé : il a été exposé lors de
l’Exposition universelle de 1900 à Paris et depuis cette date, la Bibliothèque nationale ne
le quitte plus des yeux. Ce conditionnement explique que dans un contexte de vente très
concurrentiel, le livre d’heures de Jeanne de France ait été classé et non d’autres manuscrits
présentant tout autant « un intérêt majeur pour le patrimoine national au point de vue de
l’histoire, de l’art ou de l’archéologie ». La vente Marquet de Vasselot, en effet, survient
alors que la vente Weiller, événement dans le monde de l’art, fait apparaître les Heures de
Claude de France, et alors que la galerie Les Enluminures propose à la BnF des Heures
de François Ier. Le Département des manuscrits, rue de Richelieu, est alors en ébullition
en ce printemps 2011. Anne-Sophie Delhaye, sa directrice, estime qu’il faudrait très
rapidement faire classer aussi les Heures de Claude de France pour bloquer la vente, tout
en admettant, dépitée, que l’estimation de 400 000 à 600 000 euros, est trop basse et que
l’expertise, et à plus forte raison les enchères, la feront grimper. De fait, ces Heures sont
vendues 2,6 millions d’euros à Drouot le 8 avril 2011. Quant aux Heures de François Ier, la
BnF privilégie l’idée d’une négociation, repoussée par la galerie, qui les vend finalement
au Metropolitan Museum de New York.
La décision de classement est donc nettement subordonnée aux possibilités financières
de l’État pour acquérir l’objet, ce qu’il n’est pas tenu de faire suite à un refus de certificat,
mais qu’il se doit malgré tout de faire pour pousser à son terme cette logique de confiscation
d’un bien du marché. D’autres dossiers d’acquisitions le montrent bien, en particulier
celui des Heures de Châtillon87, compensant pour nous l’impossibilité d’accéder aux
procès-verbaux de la Commission consultative des trésors nationaux. En janvier 1999,
François Avril reçoit pour avis une demande de certificat de libre circulation transmise
à la Direction du livre et de la lecture le 18 décembre 1998. Cette demande concerne les
Heures de Jacques II de Châtillon que Sotheby’s s’apprête à vendre. Le conservateur
argumente en faveur d’un refus de certificat. La BnF n’a pas les moyens de préempter en
vente publique, ni aucune autre institution publique française ; la forte personnalisation
et héraldisation du manuscrit par les Châtillon puis les Roncherolles, l’attribution à un
maître méconnu, le Maître des Heures Collins, artiste amiénois dont aucun manuscrit
n’est conservé en France, sont deux points d’attention qui singularisent ce recueil. Le
certificat est refusé le 1er avril 1999. La famille Chabot, propriétaire du manuscrit, accepte
de négocier avec la BnF, et un compromis est trouvé à hauteur de 20 millions de francs. Il
faut un an et demi de négociations avec le Fonds du Patrimoine et la Direction des Musées
de France, qui acceptent de coopérer. Le manuscrit entre dans les collections nationales
le 22 novembre 200188.
Le refus de certificat a donc d’abord une fonction pragmatique : il permet de bloquer
le document le temps de trouver une solution d’acquisition ; y renoncer évite de léser
le propriétaire si l’État sait qu’il ne pourra pas faire d’offre. Ce n’est donc pas la valeur
patrimoniale des objets qui compte, mais leur possible insertion dans les collections
publiques, en fonction des priorités budgétaires, voire d’équilibres entre services du
ministère (Archives, Musées, bibliothèques). L’examen du marché de l’écrit ancien ces
dernières années le montre encore, à travers l’affaire Aristophil, médiatisée à partir de 2011,
et saturant le marché de manuscrits et d’autographes suite à la liquidation de la société de
Gérard Lhéritier. L’État a obtenu l’étalement des ventes sur six ans pour pouvoir organiser
ses priorités d’achat en contexte de restriction budgétaire. Les « Heures Petau », un des
biens vendus les plus prestigieux, n’ont fait l’objet ni d’un classement, ni d’une préemption,
non pas parce qu’elles ne répondaient pas aux critères énoncés – elles valent bien celles
de Jeanne de France – mais parce que l’État n’était pas en mesure de se positionner sur
87 Paris, BnF, Mission Archives, SJ422 : projet d’acquisition des Heures de Jacques de Châtillon.
88 Paris, BnF, nouv. acq. lat. 3231.
30 0 chapitre 6
une vente dont l’estimation basse était fixée à 700 000 euros, et qui a finalement atteint
10 millions d’euros. Cette application hasardeuse de critères subjectifs n’enlève cependant
rien à un fait essentiel : « le faisceau de critères retenus par les responsables […] pour
définir un trésor national met en évidence les privilèges que l’État collectionneur tient
des prérogatives de l’État protecteur »89.
Cet exemple nous conduit à examiner la place du livre d’heures dans les procédures de
refus de certificat d’exportation. Depuis 1993, 249 biens, quelle que soit leur nature, ont fait
l’objet d’un tel refus, soit une moyenne de 9,2 classements annuels90. Ce chiffre montre à la
fois la vigilance de l’État et l’usage parcimonieux qui est fait de cette confiscation des biens
pour l’intérêt public. Cette vigilance s’exerce surtout sur les arts graphiques et décoratifs,
tandis que le patrimoine écrit et graphique (PEG) est concerné par moins du quart des
arrêtés. À l’intérieur de cette catégorie, qui compte 51 objets, une typologie plus fine montre
la prépondérance des manuscrits littéraires dans les biens ainsi protégés, organisant une
véritable histoire officielle de la littérature nationale. Les manuscrits médiévaux constituent
le tiers de ces classements tandis que les manuscrits modernes et les imprimés ne font
presque jamais l’objet de classement. Cette typologie rend une image quantitativement
inversée de la production écrite depuis le début du Moyen Âge : les imprimés devraient
être beaucoup plus nombreux que les manuscrits si les classements étaient représentatifs
de l’histoire de la culture écrite. Cet état de fait résulte d’une conscience patrimoniale qui
attribue au manuscrit un prestige et une fonction archivistique et mémorielle plus grande
qu’à l’imprimé. L’ancienneté ne compte pas dans cette appréciation, comme l’indique la
place des manuscrits littéraires. Destinés aux bibliothèques publiques dans la majorité
des cas, ces objets redoublent en quelque sorte l’idéaltype qui fonde cette institution : un
lieu où s’élaborent et se conservent le génie littéraire national et les racines chrétiennes de
la civilisation. La procédure du classement ne fait finalement que renforcer cette image
stéréotypée et restrictive de la bibliothèque.
Parmi les manuscrits médiévaux classés trésors nationaux, les livres d’heures représentent
le tiers des biens, soit six objets, auxquels on pourrait ajouter trois autres manuscrits
liturgiques et deux recueils hagiographiques qui montrent le lien opéré entre écrit, sacré et
mémoire dans cette conception pour le moins traditionnelle du patrimoine. Les procédures
de classement de ces six livres d’heures sont très également réparties dans le temps : elles
ont eu lieu en 1995 (psautier-livre d’heures à l’usage de Metz du début du xive siècle),
en 1998 (livre d’heures enluminé par le Maître d’Antoine de Roche, vers 1500), en 1999
(Heures de Jacques II de Châtillon, vers 1440), en 2011 (Heures de Jeanne de France, milieu
du xve siècle), en 2017 (Heures à l’usage de Paris probablement dues aux frères Limbourg,
inachevées) et en 2019 (feuillet des Heures de Louis XII attribué à Bourdichon). Ces six
cas représentent évidemment bien peu de chose par rapport à la vigueur du marché du
manuscrit ; ils montrent que l’État, dans la désignation du champ patrimonial, cherche
finalement une situation de compromis permettant de rassembler dans les collections
publiques des pièces qui jalonnent avec éclat l’histoire de la miniature, à défaut de l’illustrer
89 R. Moulin, op. cit.
90 Ministère de la Culture et de la communication, Liste des trésors nationaux ayant fait l’objet d’un refus de certificat
– État au 30/04/2019 [En ligne] : https://www.culture.gouv.fr/content/download/97673/875581/version/4/file/
Liste%20des%20refus%20de%20certificat%2030-04-2019.pdf.
le livr e d’heu res, obj et d’attention politique 3 01
dans son entier. Et c’est bien de miniature qu’il s’agit : les argumentaires de ces refus de
certificat portent tous sur la valeur artistique des enluminures et des miniatures, et jamais
sur la fonction liturgique du livre d’heures. Les « trésors nationaux » dessinent ainsi un
roman national schématique, voire outré, mettant en exergue des productions stéréotypées
exprimant le génie artistique national. Dans la longue histoire de la culture écrite, le livre
d’heures tient ainsi une place de choix.
La Bibliothèque nationale est la principale dépositaire de ces trésors, ce qui renforce
dans l’espace public sa vocation à la thésaurisation pour le bien commun et ne contribue
pas peu au prestige de l’institution. Mais cette procédure est aussi, plus exceptionnellement,
un moyen pour l’État d’arbitrer les déséquilibres entre territoires et de décréter les missions
des bibliothèques, notamment classées. En 1996, le « psautier-livre d’heures à l’usage de
Metz » classé trésor national et acquis pour 2,5 millions de francs, rejoint la Bibliothèque
municipale de Metz. On ne dispose malheureusement pas de l’argumentaire de refus de
certificat91, mais on peut présumer que l’annonce de l’événement en a repris les grandes
lignes. Le manuscrit est précieux par son ancienneté – il date des premières années du
xive siècle – et par sa réalisation dans un atelier messin « particulièrement brillant […]
dont les rares témoins sont aujourd’hui conservés dans des collections étrangères (Dresde,
Liège, Florence, Londres, Baltimore, Aschaffenburg) ». Le Bureau du Patrimoine au
ministère de la Culture explique ce dépôt inhabituel en province :
Des raisons historiques profondes plaidaient en faveur du maintien en Lorraine de ce
chef-d’œuvre de l’enluminure gothique : la plupart des manuscrits enluminés lorrains ont
été, en effet, détruits ou dispersés par l’histoire, notamment au xviiie siècle et en 1944.
[…] Le Psautier-livre d’heures, désormais conservé à Metz, est exposé actuellement
à la bibliothèque municipale classée de cette ville, et les précieuses miniatures qu’il
recèle devraient être prochainement consultables sur Internet92.
Il s’agit en somme de réparer les injustices de l’histoire. Ville sinistrée, Metz pouvait
revendiquer une remise à niveau de ses collections patrimoniales endommagées pendant
la Seconde Guerre mondiale. Un argument similaire est d’ailleurs avancé la même année
pour l’acquisition des Heures à l’usage de Chartres copiées dans la seconde moitié
du xve siècle, et considérées comme un « témoin très rare de l’enluminure médiévale
chartraine, la quasi-totalité des manuscrits conservés à Chartres ayant été détruite lors
du bombardement du 24 mai 1944 »93.
*
Au fil de l’édification d’un ensemble de dispositifs juridiques et réglementaires complexes,
entre la fin du xixe et le début des années 2000, l’État s’est progressivement imposé dans
le processus patrimonial. Sans évidemment viser explicitement les livres d’heures, ces
91 Jusqu’en juin 2000, les refus de certificat d’exportation ne font pas l’objet d’un arrêté, mais seulement d’une lettre
ministérielle de notification du refus qui n’est pas publiée au Journal officiel.
92 J. Deville, « Acquisitions exceptionnelles de la direction du livre et de la lecture », Bulletin des bibliothèques de
France, (41) 1996, p. 103.
93 Ministère de la Culture et de la Communication, Direction du livre et de la lecture, Patrimoine des bibliothèques.
Acquisitions précieuses aidées par le ministère de la culture et de la communication, 1996, p. 9.
302 chapitre 6
leviers d’action publique, en particulier les procédures de classement, ont conféré au livre
d’heures un statut juridiquement patrimonial, d’abord parce qu’une fois entré dans les
collections publiques, il est nécessairement patrimonial ; ensuite parce que ces acquisitions
ont été suffisamment récurrentes pour que le livre d’heures s’impose comme l’emblème
d’une réserve précieuse digne de ce nom aux yeux de l’État, des bibliothécaires et des élus.
Jean-Paul Oddos rapporte ainsi une anecdote révélatrice de cette métamorphose du
livre d’heures, définitivement sorti des cabinets feutrés de collectionneurs et des cabinets
des érudits. En 1984, un livre d’heures d’un maître troyen doit passer en vente à Drouot.
La notice dans le catalogue de vente a été rédigée par « un expert reconnu, conservateur
au cabinet des manuscrits de la BN » en qui on peut reconnaître François Avril, habitué
à ces sollicitations. Or, il vient de rédiger un catalogue d’exposition où figurent des livres
d’heures troyens et à l’examen de ce nouveau venu, il reconnaît la main d’un maître. Il alerte
alors la Direction du livre et de la lecture au ministère et la bibliothèque de Troyes. Une
négociation s’engage entre l’État et la ville, l’État proposant de préempter puis d’assumer
la moitié du prix de vente. Évidemment, le prix d’adjudication est impossible à prévoir
et la ville hésite à s’engager. L’estimation initiale de 120 000 francs atteint 320 000 francs
au marteau. « Finalement, le conseil municipal au grand complet viendra découvrir ce
manuscrit prodige, avec le recueillement du petit commerçant devant un lingot d’or :
2 000 autres manuscrits médiévaux que conserve la même bibliothèque, n’avaient jamais
provoqué pareille ferveur… » écrit, amusé, Jean-Paul Oddos. Pour l’ancien conservateur,
la conviction s’est imposée auprès de la ville grâce à l’expertise, certes, mais aussi grâce
à la mise en scène de la vente publique, grâce à la pression du calendrier, à l’assentiment
populaire, acquis à Troyes où « la conscience d’une prise en charge effective (j’ai envie de
dire, militante) du patrimoine par la collectivité était déjà forte, appréciable à la hauteur des
sommes engagées » depuis plusieurs années. Il conclut, un peu désabusé : « c’est donner
aux pauvres qui est scandaleux, pas l’inverse ». Puis le livre est soumis à l’approbation
populaire, par une exposition au Musée des Beaux-Arts où « une foule recueillie se
précipita. Par là les autres documents exposés prenaient une valeur nouvelle, les collections
dans leur ensemble se trouvaient éclairées d’un nouveau jour […] la foule chuchotant
dans la pénombre devant le manuscrit éclairé à 50 lux est un de mes meilleurs souvenirs
de bibliothécaire »94. Cette anecdote souligne jusqu’à quel point cette panthéonisation
des livres d’heures en bibliothèque se situe au point de croisement de la certification
érudite, d’un marché extrêmement incertain, des croyances patrimoniales politiques,
de l’adhésion des élites urbaines à la fonction rassembleuse et identitaire de ces recueils,
toutes ces composantes pesant les unes sur les autres jusqu’à provoquer un moment de
forte conviction sur la nécessité de se priver un peu, dans les finances publiques, pour
acquérir beaucoup : beaucoup plus que du parchemin et un peu de couleur, une véritable
communion politique autour d’un objet qui, par sa forme et par les narrations auxquelles
il se prête, permettra de multiples mises en scène. Jean-Paul Oddos introduit ainsi une
nouvelle donnée dans le processus patrimonial : celui de la confrontation avec un public.
Le classement des livres d’heures se fonde sur l’appréciation de leur valeur scientifique
et esthétique, et sur les possibles mises en collection qu’il valide. La reconnaissance de
cette valeur par le public constitue l’ultime temps de la requalification des livres d’heures
dans le public. Elle ne peut être antérieure aux premières années du xxe siècle, lorsque le
livre d’heures quitte les cercles feutrés des bibliophiles, des érudits et des experts de l’État
pour être mis sous les yeux du grand public. Mais leur appropriation n’est pas spontanée.
Elle relève plutôt d’une éducation du public. Comment lui inculquer l’idée que le livre
d’heures est un chef d’œuvre de la peinture du xve siècle, pour lui faire reconnaître dans
tout livre d’heures du xve siècle un chef d’œuvre ?
On ne peut investiguer les pratiques de médiation autour des livres d’heures hier et
aujourd’hui, sans prendre préalablement la mesure du niveau de connaissance du public
sur ce sujet pointu et de son positionnement dans la culture des individus selon leur niveau
d’études, leur milieu social et éventuellement, l’arrière-plan convictionnel où peut s’enraciner
cette connaissance. L’enquête mérite d’être poussée aux véhicules de cette connaissance,
afin de déterminer l’écart entre l’effort de médiation, d’où qu’il vienne, et le niveau de
savoir des individus, sans préjuger de leur fréquentation des institutions culturelles. Qui,
dans le grand public, sait ce qu’est un livre d’heures ? Comment l’a-t-il appris ? En quoi
consiste le système de représentation des publics de cet objet à la fin des années 2010 ?
Méthodologie
Pour s’en tenir à une méthode raisonnable, nous avons mené pendant trois semaines
une sorte de « micro-trottoir » en ligne1 par le biais de comptes personnels et profes-
sionnels sur les réseaux sociaux. Le questionnaire tenait en cinq questions auxquelles
chaque répondant était prié de répondre du tac au tac2. Une minute ou deux devaient
1 Du 23 juin au 10 juillet 2019. Le questionnaire a été relayé sur la page Facebook de l’Enssib.
2 1o Si je vous dis ‘livre d’heures’, à quoi pensez-vous ? Que vous évoque cette expression ? Vous pouvez
simplement mettre les mots qui vous viennent à l’esprit, sans rédiger. Ou dire ‘je ne sais pas’
2o En quelles circonstances avez-vous déjà entendu cette expression, ou vu cet objet ?
3o Vous êtes un homme / une femme
4o Choix d’une tranche d’âge
5o Quelle est votre profession (exprimée librement).
30 8 chapitre 7
suffire pour répondre à ces questions, ou exprimer son ignorance aux deux premières.
La méthode est loin d’être parfaite et elle ne fait pas l’unanimité chez les sociologues.
Elle s’imposait malgré tout, en particulier par sa présence sur le web, permettant d’éviter
les lieux topographiques où se concentrent ceux qui savent nécessairement ce qu’est un
livre d’heures – les cercles professionnels de la culture, les bibliothèques, les salles des
professeurs des établissements secondaires par exemple) ou ceux qui l’ignorent le plus
souvent, comme les grandes surfaces et les commerces de quartier. Elle a permis aussi de
rassembler en quelques jours 427 réponses, ce qui constitue une masse d’informations,
sinon de données, exploitable pour esquisser une photographie de l’idée schématique que
se fait une partie des Français de cet objet documentaire et patrimonial.
Comme il fallait s’y attendre, l’échantillon recueilli n’est guère représentatif de la
société française. La grande majorité (71,9%) des répondants sont des femmes, pour
seulement 28,1% d’hommes, alors que la démographie s’équilibre actuellement à 52% de
femmes et 48% d’hommes3. La pyramide des âges n’est pas non plus respectée : les actifs
sont surreprésentés tandis que les adolescents et jeunes adultes (15-24 ans) ainsi que les
personnes âgées de plus de 60 ans sont sous-représentés (Doc. 7.1).
Le choix du web comme lieu de l’enquête a eu aussi des incidences sur la composition de
l’échantillon. Les frontières nationales y perdent leur sens, tant les communautés se fondent
sur d’autres affinités ; aussi, il n’est pas certain que tous les répondants soient français. En
outre, le choix des réseaux sociaux risquait de privilégier des profils d’individus composant
un ensemble homothétique des pratiques culturelles, savoirs, valeurs et croyances de
l’administratrice de l’enquête : bibliothécaires, universitaires, classes moyennes, etc., tant
les communautés du web épousent les contours des groupes professionnels, convictionnels
et culturels, ces traits identitaires relevant parfois de la revendication4. Une bibliothécaire
qui se rappelle ainsi avoir entendu parler des livres d’heures durant sa formation à l’Enssib
fait ainsi probablement allusion à nos propres cours. Ce biais est partiellement corrigé
par le jeu de relais qui est au fondement de Facebook : le micro-trottoir a été relayé par un
nombre inconnu de personnes, ce qui a pu élargir le panel, comme en atteste la répartition
socioprofessionnelle des personnes interrogées (Doc. 7.2).
3 L’ensemble des données démographiques de la population française ont été recueillies sur le site de l’INSEE [En
ligne] : https://www.insee.fr/fr/statistiques/1912926 (consulté le 11 juillet 2019).
4 F. Granjon et J. Denouël, « Exposition de soi et reconnaissance de singularités subjectives sur les sites de
réseaux sociaux », Sociologie, 1 (2010), p. 25-43.
le livr e d’heur es et le public : histoire d’une rencontre 3 09
Résultats
Un quart des répondants n’a pas la moindre idée de ce que peut être un livre d’heures et
cette proportion semble liée à la catégorie socioprofessionnelle de la personne interrogée.
Parmi les cadres supérieurs et les professions intellectuelles, une personne sur cinq ignore
ce que recouvre cette expression ; parmi les employés, ils sont un sur trois. La catégorie
professionnelle étant le plus souvent corrélée au diplôme, ce sont donc les personnes qui
ont suivi un cycle d’études long qui sont les mieux renseignées, non pas tant du fait de
leurs études que par l’imprégnation culturelle qui résulte de leurs pratiques de loisirs.
Une autre strate des personnes interrogées a proposé une définition fausse du livre
d’heures (14,3%). Il est intéressant de souligner que l’expression est évocatrice en elle-même
d’un rapport au temps et à la lecture. Les propositions suggèrent un registre de pointage des
heures de travail, l’indicateur des chemins de fer, une concordance des fuseaux horaires,
une lecture courte : « un livre qui se lit en une heure » pour une jeune commerciale, ou
une lecture pour insomniaques pour une enseignante. C’est aussi un organisateur, un
« agenda » pour une préparatrice en pharmacie, un journal intime (« écrire ce qui se passe
au fur et à mesure » pour un jeune pharmacien), « un livre pour apprendre à lire l’heure
aux enfants » pour un enseignant, voire un livre de développement personnel, « qui permet
d’être dans des émotions positives » pour une cadre de direction. L’expression peut en
effet suggérer ces images ou ces rapprochements avec des éléments du quotidien connus
des interrogés, qui avouent déduire leur proposition des champs lexicaux liés à « livre »
et à « heures ». Il est plus intéressant encore de constater que parmi ces répondants qui
font erreur, certains se souviennent avoir entendu l’expression en d’autres circonstances.
310 chapitre 7
Une jeune cheffe de projets y associe l’idée de « légendes, contes » et se rappelle une
évocation scolaire de ces « livres d’heures » sans pouvoir préciser son idée. Un pharmacien
en retraite y voit une biographie de personnages historiques importants, en relation avec
l’expression « riches heures du duc de… » qui lui est revenue à l’esprit à l’énoncé de la
question. De même, un enseignant y voit « une forme de calendrier rappelant pour chaque
saison les activités d’un prince, d’un noble ou aristocrate ou d’un clerc », pour en avoir
vu dans ses livres d’écolier et dans les musées. Cette réminiscence n’est pas erronée mais
elle est tronquée. Une infirmière songe à « un livre avec des textes courts », et se rappelle
en avoir entendu parler dans les milieux catholiques qu’elle fréquente. On retrouve enfin,
mais à deux reprises seulement, la confusion attendue entre « livre d’heures » et « livre
d’or », sorte d’album amicorum.
Il reste donc une large part de l’échantillon (60,2%) qui se fait une idée vague ou
précise, mais juste, du livre d’heures. Parmi ces 257 réponses exploitables, des associations
lexicales se font jour. La qualité des définitions est évidemment variable et c’est en cela
que l’enquête est intéressante. Les répondants alignent en moyenne quatre mots-clés par
définition, du simple « livre religieux » à des définitions très complexes. Une enseignante
est capable de répondre sans réfléchir : « Au Moyen Âge ; livre pour méditer, d’abord
pour les clercs, puis pour la noblesse ; textes bibliques et prières – bréviaire ; souvent
agrémenté de très belles miniatures ». Un consultant – qui précise avoir fait dix ans de
séminaire – s’exprime également avec précision : « Un livre servant à la prière quotidienne,
au moyen-âge, richement enluminé (et donc pour un public pieux mais riche). Je me le
représente comme constitué de psaumes et de textes bibliques (et non comme composé
de compositions liturgiques). Mais je suis incertain sur ce point ». L’expression est plus
maladroite chez ce dentiste, qui situe ainsi le livre d’heures : « En fonction de l’heure à
laquelle je consulte le livre je lis un chapitre différent ».
Parmi ceux qui sont capables de donner une définition correcte du livre d’heures, on
trouve des individus relevant des cadres supérieurs et des professions intellectuelles dans
une proportion bien supérieure à leur représentation dans l’échantillon. Ils constituent
57,7% des réponses correctes et parmi eux, les deux tiers relèvent de l’enseignement
secondaire ou des bibliothèques et des musées. Les autres catégories sociales sont toutes
sous-représentées, mais représentées tout de même, ce qui est remarquable et tient, on va
le voir, à la diversité des modes de médiation de cet objet. Cette relative homogénéité des
individus identifiant correctement le livre d’heures montre que cet objet est potentiellement
diviseur, en ce qu’il pointe l’attachement d’une part de la population à une certaine forme
de patrimoine. Le consensus patrimonial est donc tout relatif.
La relative homogénéité des répondants explique sans doute la richesse et l’ampleur
du périmètre lexical convoqué pour qualifier, situer et définir le livre d’heures : 65 termes
différents (Doc. 7.3). Si plus de la moitié n’apparaît qu’une fois, 24 dépassent les 10
occurrences, et 6, les 30 occurrences.
Un livre d’heures se définit par six éléments combinés ou invoqués séparément par
les répondants. C’est avant tout sa fonction qui lui donne son identité : celle de soutenir
la prière inscrite dans le temps quotidien. Le consensus est absolu sur cette définition,
ces deux mots étant non seulement les plus fréquemment notés, mais aussi associés.
Quelques personnes bien informées évoquent des offices (6 occurrences) voire citent
matines, complies, laudes et vêpres et jamais les quatre autres petits offices. Le livre est mis
le livr e d’heur es et le public : histoire d’une rencontre 31 1
Document 7.3 : Nombre d’occurrences des principaux termes pour définir un livre d’heures
en rapport avec les rites (2 occurrences), la dévotion (3 occurrences), le culte (1), la piété
personnelle (1). La Vierge n’est citée qu’une fois, mais la place des psaumes est soulignée
par sept personnes. Le livre véhicule un imaginaire domestique, voire, par confusion
avec le monde monastique, déambulatoire : il est fait « pour prier en se promenant ». En
second lieu, le livre d’heures se caractérise par son appartenance à une famille de livres :
« liturgiques » (37), ce qui le rapproche du bréviaire (13 réponses) et du missel (4).
Ensuite, il se définit par ses usagers, des gens riches et pieux, éventuellement des femmes
(6). Une confusion classique s’opère avec le monde clérical, régulier ou séculier, cité 15
fois. Les laïcs sont assez bien identifiés comme les destinataires des livres d’heures (18
fois), de même que les nobles, les princes, les rois et les reines (14 fois), ce qui évoque
pour une bibliothécaire l’ostentation de la richesse, « hier et aujourd’hui », en référence
sans doute aux collectionneurs. Curieusement, la définition par l’ancrage chronologique
ne prime pas. Le Moyen Âge est évoqué 67 fois seulement, et la Renaissance est à peine
évoquée (3). Une définition par l’aspect formel et la technique de réalisation se fait jour
mais elle reste marginale. Pour un petit nombre de répondants, le livre d’heures évoque
enluminure, peinture, lettrines (2), marges ornées (1)… non sans difficultés lexicales qui
montrent une appropriation très relative de ces procédés iconographiques : l’enluminure
est « illumination » ou « enluminaire », la « mignature » remplace la « miniature »
sous certaines plumes et dans certaines bouches. La petitesse du livre et sa maniabilité
sont évoquées par deux personnes. Paradoxalement, le mode de fabrication manuscrit
est évoqué neuf fois seulement. Enfin, et très rarement, le livre d’heures se définit par sa
valeur patrimoniale : il est précieux (3 occurrences), beau, voire magnifique, splendide (6
occurrences), ancien (4 occurrences), ce qui signifie que les répondants ne l’associent pas
obligatoirement à une pièce de musée ou de bibliothèque.
En outre, ce référentiel est associé aux avatars les plus médiatisés et aux images auxquels
ils donnent lieu dans l’espace public. Le duc de Berry et ses Très Riches Heures s’imposent
dans les esprits dans 22 cas, François Ier deux fois, Jeanne de France, une fois et Anne de
Bretagne, deux fois. D’autres évocations, sans faire la relation avec les Très Riches Heures,
y sont inconsciemment liées : les « villes du royaume », « fortifications » évoquées par
une bibliothécaire viennent probablement du référentiel iconographique de ce fastueux
recueil, de même que les « ouvriers dans les champs » qui naissent dans l’esprit d’une
enseignante ou « les différentes saisons » chez un de ses confrères. Il est étonnant que
312 chapitre 7
le terme « calendrier » soit si peu présent (4 occurrences) alors que c’est cette section
du livre d’heures qui renferme les scènes profanes auxquelles ces réponses font allusion.
Le lecteur / visiteur / auditeur qui se confronte au livre d’heures dans le cadre des
activités d’animation des institutions culturelles vient avec des « compétences » qu’il
« mobilisera lorsqu’il sera engagé dans la compréhension de tout ce qui sera présenté »5. On
le voit avec ce micro-trottoir, malgré ses défauts : le livre d’heures est moins un document
qu’une « image » ou, pour reprendre les termes de Jean Davallon, des « condensations
consistantes de l’ensemble des idées, sentiments, références, que recouvre le thème », voire
un « bruit de fond informe, continuellement présent avec lequel il faut compter »6. Ces
représentations initiales conditionnent la réception de toutes ces activités d’animation,
et imposent parfois à celles-ci de délivrer un discours qui confortera ces représentations
pour séduire le public. Le livre d’heures est moins un objet documentaire qu’une catégorie
symbolique pour le grand public éduqué, en ce qu’il cristallise des valeurs – nationales,
culturelles – mais aussi des croyances du grand système chrétien. Tout en étant un objet
pratique et fonctionnel, il schématise aussi un Moyen Âge chrétien, stable, qui fut à la fois
la naissance de l’art et celle de la Nation. Au-delà de ces images mentales du livre d’heures,
se dessine une appréciation collective qui prend la forme d’une représentation sociale
fondée sur une catégorisation construite7 : le livre d’heures est précieux et non vil, il est
ancien, il est esthétiquement remarquable.
À ce point de sa trajectoire dans l’espace public et dans l’imaginaire, le livre d’heures
se trouve donc définitivement réduit à un objet très standardisé, médiéval, enluminé,
compilant les prières de la journée pour les pieux et riches laïcs. Si cette schématisation a
commencé au xviiie siècle dans les procédures identificatoires des collectionneurs puis,
au siècle suivant, sous la plume des érudits, elle nourrit aussi le jeu d’autres acteurs de
la médiation des savoirs. En effet, les livres d’heures sont partout dans l’espace public
(Doc. 7.4). Ils envahissent les programmes scolaires et les propositions pédagogiques
de l’enseignement secondaire. Ils s’installent dans la presse où un vétérinaire se souvient
avoir vu de nombreux articles consacrés aux livres d’heures, probablement lors des appels
au mécénat populaire de la BnF (2011, livre d’heures de Jeanne de France) et du Musée
du Louvre (2017, livre d’heures de François Ier). Ils forment un consensus culturel par les
références qu’y font romans et films ; plusieurs répondants évoquent Le Nom de la rose (où
en réalité il n’y a pas de livres d’heures, ni dans le roman d’Umberto Eco, ni dans le film),
frère Cadfael, ce moine bénédictin anglais héros de romans policiers historiques dus à la
plume d’Ellis Peters entre 1977 et 1994 ou encore le best-seller Les femmes qui lisent sont
dangereuses de Stefan Bollmann et Laure Adler. Ils figurent aussi dans la presse spécialisée
comme Connaissance des Arts, cité par un répondant. Ils font l’objet de documentaires
télévisuels et d’émissions de radio. Ils font le prestige des musées et, plus rarement, des
bibliothèques. C’est la seconde leçon à tirer de cette enquête : les bibliothèques ne sont
citées que dans 14% des témoignages comme un lieu de confrontation aux livres d’heures,
Figure 7.1 : Évocation des lieux et circonstances où les répondants ont appris ce qu’est un livre d’heures
(% du nombre de réponses hors « je n’en ai jamais entendu parler »).
le musée étant plus naturellement, dans la mémoire des répondants, le lieu où l’on voit
et admire cet objet. Un pharmacien retraité, époux d’une enseignante en histoire, se
souvient de livres d’heures observés de près « à la maison Jacques Cœur à Bourges et
bien sûr dans les musées parisiens ». Les bibliothèques qui sont citées par des répondants
non bibliothécaires sont d’ailleurs sans doute assimilées dans leur esprit à des espaces
muséographiques : une orthophoniste se rappelle en avoir vu au Scriptorial d’Avranches.
L’enquête détermine aussi un point sociologique important dans la constitution d’une
représentation des livres d’heures : l’importance des expériences, témoignages, pratiques
familiales et personnelles (Fig. 7.1). La pratique de l’enluminure amateur ou la collection
de livres rares reste très minoritaire dans les souvenirs d’« initiation » mais elle n’est pas
inexistante : un consultant indépendant évoque « un terme que j’ai entendu adolescent.
Ma mère, libraire de livres anciens, en vendait de temps en temps. Graals de sa profession,
j’ai eu la chance d’en avoir eu en main dans sa librairie ou chez des collègues à elle lors de
jobs de vacances. » Les pratiques professionnelles comptent aussi, toujours marginalement,
dans l’appréhension individuelle du livre d’heures. Des enseignants avouent un faible pour
ces documents dans la préparation des cours ; une restauratrice d’objets métalliques admet
avoir une familiarité particulière avec ces livres, qu’elle doit étudier de près pour son travail.
Au-delà de ces cas peu représentatifs, la part des pratiques religieuses est plus importante
(9%) qu’on aurait pu le penser. Une enseignante, visiblement catholique fervente, confie :
« je prie au quotidien la prière des heures » tandis qu’une infirmière explique : « je le prie
régulièrement ». Cette réalité indique que pour une part des répondants, le livre d’heures
314 chapitre 7
Les volontés politiques l’expriment depuis Guizot et Duruy : l’école est le lieu où se forge
un récit national qui s’appuie sur une imagerie stéréotypée mais efficace : Vercingétorix
déposant ses armes aux pieds de César, le vase de Soissons, Jeanne d’Arc au bûcher, Louis XIV
en majesté, Napoléon à Arcole… Apprendre l’histoire à l’école, c’est aussi accueillir et
mémoriser des images. Si les textes ont le statut de source le plus affirmé, l’iconographie
s’est progressivement taillée une place de choix dans la recherche historique et dans les
manuels scolaires. Or, le livre d’heures ne pouvait trouver sa place dans le segment médiéval
du récit national qu’à travers les images, le corps du texte et les formules liturgiques en latin
ne s’y prêtant pas du tout. On cherchera donc ici à vérifier, dans une perspective historique,
l’inclusion des miniatures de livres d’heures dans les manuels d’histoire du Second Empire
à aujourd’hui et à reconstituer les savoirs et l’imaginaire historiques qu’elles permettent.
Dans l’univers scolaire, l’imagerie historique est partout. Elle s’affiche aux murs des
classes, elle envahit les manuels, elle nourrit toute une économie des supports pédagogiques
visuels à caractère collectif, en particulier par le biais des projections. Mis à part les images
murales, qui sont le plus souvent des images d’interprétation et non des documents
historiques en tant que tels, le livre d’heures a connu une diffusion par l’ensemble de ces
vecteurs. Parmi les plaques de projection pour lanterne magique proposées aux écoles,
une série intitulée Histoire de la miniature, dont la notice descriptive est due à Amédée
Boinet (1881-1965), conservateur à la Bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris, présente six
images issues des Très Riches Heures et des Belles Heures du duc de Berry, des Heures
d’Etienne Chevalier, enfin des Heures d’Henri II9. Dès 1908, date de cette publication, le
monde scolaire puise donc dans le corpus des livres d’heures d’exception pour fasciner
les enfants. Une autre série, intitulée Paris au xve siècle, enrôle deux vues des Très Riches
Heures pour montrer le Louvre et le Palais de Justice dessinés par les frères de Limbourg.
La brochure et sans doute la sélection des images sont cette fois le fait de Paul Cornu (1881-
1914), chartiste et bibliothécaire au musée des arts décoratifs10. Des films d’éducation sont
9 A. Boinet, Histoire de la miniature, Paris, G. Vitry, 1908, brochure accompagnant une série de vues sur verre de la
collection « Enseignement par les projections lumineuses. Notices rédigées sous le patronage de la Commission
des vues instituée près du Musée pédagogique » (Musée national de l’Éducation, Rouen, inv. 0003.00690.18,
0003.00690.19, 0003.00690.21 et 0003.00690.27).
10 P. Cornu, Paris au xve siècle, Paris, G. Vitry, 1912, brochure accompagnant une série de vues sur verre de la collection
« Enseignement par les projections lumineuses. Notices rédigées sous le patronage de la Commission des vues
instituée près du Musée pédagogique » (Musée national de l’Éducation, Rouen, inv. 0003.00955.3 et 0003.00955.6).
316 chapitre 7
mis en circulation dans les années 1930 sous le titre générique L’Histoire par le document.
Différents numéros combinent des miniatures explicitement tirées de livres d’heures :
celui d’Henri IV (curieusement enrôlé dans un film sur Charles VIII), et celui d’Henri II
en particulier. Le spectateur voit les miniatures confrontées à des tapisseries, des tableaux,
des portraits de la famille royale et des vues des châteaux de la Loire11. Mais le support
iconographique le plus courant est sans conteste le manuel scolaire, qui s’ouvre aux images
dès les années 1880.
Les manuels scolaires constituent en effet une source essentielle de l’imaginaire du passé
tel qu’il se construit par rapport à un récit national écrit au nom de l’État, des pratiques
didactiques et des valeurs civilisationnelles et citoyennes au service desquelles elles sont
mises12. L’histoire médiévale, approchée dès l’école primaire, a été enseignée selon les
périodes à des niveaux scolaires différents : Première, Seconde, Troisième, Quatrième,
Cinquième13. À partir de la grande réforme de 1902 qui conduit à fractionner le « lycée »
en deux cycles, l’enseignement de l’histoire médiévale s’installe définitivement en classe
de Cinquième, pour s’y trouver encore aujourd’hui.
Pour comprendre comment l’imagerie des Heures est convoquée dans ces programmes,
nous avons réuni un corpus de 96 manuels scolaires (soit cinq par décennie) publiés
depuis le Second Empire, lorsque les programmes d’histoire connaissent une première
structuration. À partir des années 1950, nous n’avons retenu que les manuels de Cinquième,
tandis qu’avant la Seconde Guerre mondiale, tout manuel de l’enseignement secondaire
portant « Moyen Âge » dans le titre a été retenu dans le corpus. La sélection des ouvrages
est arbitraire, mais reste attentive à s’ouvrir à l’ensemble des firmes éditoriales spécialisées
dans ce produit. Les recherches ont été facilitées par les ressources exceptionnelles de
la Bibliothèque Diderot de Lyon en Sciences de l’éducation, labellisées « Collections
d’excellence », ce qui assure une excellente couverture du domaine. Héritière des collections
patrimoniales de l’ancien Institut national de recherche pédagogique (INRP) – Centre
national de documentation pédagogique (CNDP), et par là, des collections du Musée
pédagogique et de la Bibliothèque centrale de l’enseignement primaire, créés à Paris en
1879 par Ferdinand Buisson, les collections de la Bibliothèque Diderot regroupent entre
autres une collection de 90 000 manuels scolaires14. Pour la seule classe de Cinquième, la
bibliothèque posséderait plus de 900 manuels, parfois en doublons.
Ce corpus montre d’abord que l’inclusion de miniatures tirées de livres d’heures reste
très mesurée. À peine un manuel dédié à l’histoire du Moyen Âge sur cinq comporte une
image de ce type à travers les seize décennies envisagées, mais cette proportion s’accroît
11 L’Histoire par le document. Illustrations par la projection fixe, Paris, impr. Huguet, 1930, no 1505 (livre d’heures
d’Henri IV) et no 1506 (livre d’heures d’Henri II).
12 A. Choppin, « L’histoire des manuels scolaires. Une approche globale », Histoire de l’éducation, 9 (1980), p. 1-25 ;
Chr. Amalvi, De l’art et la manière d’accommoder les héros de l’histoire de France. De Vercingétorix à la Révolution.
Essai de mythologie nationale, Paris, Albin Michel, 1988.
13 E. Hery, Un siècle de leçons d’histoire. L’histoire enseignée au Lycée, 1870-1970, Rennes, PUR, 1999, p. 27 et 316 ;
Ph. Marchand (éd.), L’histoire et la géographie dans l’enseignement secondaire : textes officiels. 1795-1914, Paris,
INRP, 2000.
14 Cl. Giordanengo, « La patrimonialisation des livres scolaires : l’exemple de la Bibliothèque Diderot de Lyon »,
in F. Henryot (dir.), La Fabrique du patrimoine écrit : objets, acteurs, usages sociaux, Villeurbanne, Presses de
l’Enssib, 2019, p. 167-177.
le livr e d’heur es et le public : histoire d’une rencontre 31 7
nettement dans le temps. À partir des années 1970, plus d’un tiers des manuels comprend
une miniature d’un livre d’heures. Cette mutation s’explique d’une part par la forme
de ces livres, longtemps des in-8o de 600 ou 700 pages où le texte, constituant un récit
dense et touffu, cède très peu de place à l’image. Le fameux manuel « Malet-Isaac », écrit
par Albert Malet (1864-1915) et Jules Isaac (1877-1963) sur commande d’Ernest Lavisse
(1842-1922) suite à la réforme des programmes de 1902 et publié, cinquante années durant,
par les éditions Hachette, contribue à normaliser et la forme, et le contenu des manuels
d’histoire : densité du propos, narration très classique dans une langue très littéraire,
mise en avant de la continuité chronologique comme facteur d’explication, organisation
autour d’une galerie de grandes figures nationales et mondiales. L’image y est inexistante,
à l’exception des cartes. Au-delà des explications éditoriales, il s’agit sans doute d’un
choix pédagogique car les manuels du primaire sont au contraire très illustrés à la même
époque15. La mise sous les yeux du grand public de livres d’heures, n’est guère antérieure
à 1904 et à l’exposition parisienne consacrée aux Primitifs français. Ce n’est pas un hasard
si les vues pour projections lumineuses arrivent sur le marché en 1908. Les modalités de
l’enseignement de l’histoire, qui restent magistrales et sans recours aux documents jusqu’aux
années 1970, n’ont pas été propices à une intégration des documents en général, et d’images
médiévales en particulier, dans ces manuels. La réforme de René Haby, en 1975, modifie
la situation. Désormais, les programmes qui en découlent insistent justement sur la place
de l’image dans la transmission des savoirs historiques. Les compétences d’analyse et de
déduction exigées des élèves à partir des années 2000 achèvent de convier l’image dans
l’ensemble des supports pédagogiques pour apprendre l’histoire médiévale. De manière
très progressive, donc, l’image appartient au « langage propre aux manuels scolaires »16.
Cette présence en pointillés des livres d’heures dans l’imagerie scolaire est toutefois
renforcée par une donnée importante : peu d’images sont présentes de manière aussi
continue dans les manuels d’histoire que celles du calendrier des Très Riches Heures du
duc de Berry, si l’on excepte le portrait de Louis XIV en costume de sacre par Hyacinthe
Rigaud et celui de Joffre en généralissime des armées. Ce fait saute aux yeux des observateurs
les plus avertis, les enseignants sollicités pour l’écriture de ces manuels, confrontés au
choix des documents à proposer aux élèves. L’existence d’un corpus attendu d’images
fait visiblement partie des contraintes du rédacteur. Claude Gauvard, sollicitée pour un
manuel scolaire rendu nécessaire par la réforme Chevènement (1987), remarque ainsi :
« Il y a certes les passages obligés que peuvent constituer la statue de Charlemagne ou les
Riches Heures du duc de Berry ; mais la quête de l’iconographie ne doit pas seulement
consister à reprendre les documents du manuel précédent ! »17. Les couleurs saturées du
calendrier du plus fameux manuscrit du monde permettent de nuancer implicitement la
réputation de déclin du xve siècle que les programmes doivent inculquer.
De fait, l’étroitesse du corpus de livres d’heures mobilisés dans cette opération doit être
soulignée. Dans la quasi-totalité des cas, l’image est issue du calendrier des Très Riches
Heures. Tout au plus relève-t-on dans quelques manuels des choix plus originaux, comme
15 Y. Gaulupeau, « Les manuels scolaires par l’image : pour une approche sérielle des contenus », Histoire de
l’éducation, 58 (1993), p. 103-135.
16 Ibid., p. 135.
17 Cl. Gauvard, « Vulgariser le Moyen Âge : entre l’ascèse et l’enthousiasme », Médiévales, 13 (1987), p. 53-59.
318 chapitre 7
les Heures de la duchesse de Bourgogne18, les Grandes Heures de Rohan19 ou les Heures de
Marguerite d’Orléans20. Parmi les douze mois qu’offre ce répertoire d’images, seuls cinq
sont représentés dans les manuels scolaires, et deux miniatures semblent parées de vertus
didactiques exceptionnelles, à en juger par la fréquence de leur mobilisation : ce sont les
images du mois de mars, où l’on voit un paysan labourant les champs à l’aide d’une lourde
charrue tirée par un bœuf au premier plan, le long des murailles du château de Lusignan,
et celle du mois de juin représentant une fenaison en bordure de Seine, l’arrière-plan étant
occupé par le Palais de la Cité. Cette étroitesse réduit donc le manuscrit à quelques images
fortes, à quelques couleurs dominantes – le bleu, le vert, le brun – et à une évocation placide
de la vie paysanne. La reproduction en couleur du manuscrit, qui se généralise dans les
années 1960, renouvelle ce stéréotype mais ces deux images sont déjà visibles, en niveaux
de gris, dans des manuels plus anciens comme le « Malet-Isaac » de quatrième publié en
193221, ou le manuel de cinquième publié par Hatier en 193822.
Cette consécration des Très Riches Heures comme matériel scolaire ne s’est pas faite
sans détourner un peu plus la fonction et la nature du manuscrit. L’usage de ces images à
des fins pédagogiques revient à prêter aux frères de Limbourg un œil ethnologique qu’ils
n’avaient certainement pas. Le calendrier des Très Riches Heures est une combinaison
de figures stylisées et de poncifs sociaux destinés à matérialiser le temps d’un prince, à
faire la synthèse des temps saisonnier, astronomique, astrologique et social. C’est aussi
une compilation d’une imagerie littéraire et historique, tant les douze images empruntent
des thèmes et des motifs graphiques traités dans les romans et les chroniques de la même
époque, en particulier dans les manuscrits non liturgiques commandités par le duc de Berry.
Non réalistes, donc, ces images ne se prêtent pas, en principe, à la lecture schématique qui
en est proposée aux élèves. Ensuite, les légendes sont le plus souvent indigentes et évacuent
toutes les données religieuses. Du reste, comme le constate déjà Véronique Sot en 1987, les
élèves de Cinquième « sont très mal armés pour comprendre la place du religieux dans
les civilisations byzantine, musulmane et chrétienne d’Occident, où tout phénomène
politique, social, culturel voire économique, est aussi un phénomène religieux »23. Une
enquête sur les représentations du Moyen Âge chez les collégiens un an ou deux après la
classe de Cinquième au début des années 1990 observait déjà cette incompréhension24.
Aux yeux des élèves, le Moyen Âge est l’exact opposé de ce vers quoi tend le récit national
construit dans les manuels scolaires : l’avènement de l’instruction, de l’égalité et de la
liberté, notions positives qui sont aussi le fondement de l’école républicaine. Le terme
« Heures » n’est jamais expliqué, ce qui conduit à des usages aberrants de l’image. Dans
18 Histoire : livre de l’élève cycle d’observation Classe de cinquième conforme à l’arrêté du 7 mai 1963, Paris, Lib. Istra,
1964, p. 177.
19 Histoire géographie, 5e : [programme 2010], Paris, Bordas, 2010, p. 35.
20 Histoire géographie, 5e : programme 2010, Paris, Nathan, 2010, p. 84.
21 Le Moyen Âge jusqu’à la guerre de Cent ans : ouvrage rédigé conformément aux programmes officiels du 30 avril 1931
classe de quatrième, Paris, Hachette, 1932, p. 225.
22 Le Moyen-âge : de la fin de l’empire romain au début des temps modernes classe de 5e et première année des E.P.S., Paris,
Hatier, 1938, p. 259.
23 V. Sot, « Le Moyen Âge et les contraintes de la classe de Cinquième », Médiévales, 13 (1987), p. 49-52.
24 D. Lett, « Le Moyen Âge dans l’enseignement secondaire français et sa perception par l’élève : entre mémoire
scolaire et mémoire buissonnière », Revista d’Historia Medieval, 4 (1993), p. 291-310, ici p. 297.
le livr e d’heur es et le public : histoire d’une rencontre 31 9
ces conditions, les élèves n’ont aucun moyen de savoir que les Très Riches Heures, parmi
une vaste production de manuels de prières chrétiennes, constituent au contraire une
marque de la mobilité sociale et d’une première et timide extension de l’accès au livre
dans la société occidentale. À aucun moment, du reste, les élèves ne sont censés restituer
l’idée que le livre, en ces temps-là, est manuscrit et requiert un artisanat particulier, pas
plus qu’on ne leur explique qui sont Jean de Berry et les frères de Limbourg. Ces pratiques
pédagogiques décontextualisantes ont sans doute des vertus didactiques, mais elles ne
permettent certainement pas à l’élève, à quelque niveau scolaire que ce soit, de prendre
conscience de la singularité, voire de l’écrit dans la culture occidentale25.
Ainsi, les Très Riches Heures sont instrumentalisées à des fins documentaires, en vue
d’introduire une approche sociale de l’histoire très schématique et figée. Les intitulés
des chapitres où figurent ces images sont révélateurs de cette restitution de l’histoire
médiévale. Deux cas de figures se présentent. Dans le premier cas, les images doivent
illustrer le principe de la féodalité. Les figurations castrales, opposées aux laborieux
paysans du premier plan, doivent faire surgir immédiatement l’idée de la domination des
suzerains sur leurs serfs. C’est très net dans le manuel publié par Belin en 2010, le discours
étant réitéré dans l’édition 2016, l’image du mois d’août remplaçant celle de juillet. Les
élèves sont invités, en décrivant l’image, à mettre en opposition la vie seigneuriale et la
vie paysanne. Dans le second cas, plus fréquent, l’image doit témoigner de l’économie
rurale au Moyen Âge. Les travaux agricoles sont en effet un point d’attention important de
l’enseignement du Moyen Âge, au point que les souvenirs des élèves sur cette période se
résument très souvent à la notion d’assolement triennal26. En 1963, déjà, le manuel publié
par Delagrave fournit une longue explication sur le principe de la charrue à versoir et les
systèmes d’attelage médiévaux, illustrés par l’image du mois de mars tirée des Très Riches
Heures27. En 2010, les auteurs du manuel commandé par Hachette consacrent un chapitre
à « la vie quotidienne des paysans », illustrée par l’image du mois de février, montrant
l’extérieur et une partie de l’intérieur d’une maison paysanne28. Le manuel Bordas de 2010
entend faire prendre conscience aux élèves des progrès de l’agriculture, et comprendre
le principe de la faux et de la charrue29, tandis que les auteurs du manuel Hatier de 2017,
eux, fondent toute la contextualisation de l’image sur la notion de « progrès ». La même
image de mars, celle où l’on voit la scène de labour, est confrontée à trois autres images ou
textes qui convergent vers l’idée d’avancées techniques spectaculaires au xve siècle, tant
dans le domaine agricole qu’en matière de défrichement, de métallurgie et d’architecture.
La consigne invite ainsi l’élève : « Vous êtes un médiéviste, c’est-à-dire un historien du
Moyen Âge. Le rédacteur en chef du magazine Histoire junior vous demande de rédiger
un article sur les découvertes et inventions dans le monde chrétien en Europe, au Moyen
Âge »30. Les intitulés des chapitres laissent songeur : inviter les élèves à « découvrir la vie
25 V. Castagnet-Lars, « La place du patrimoine écrit dans l’enseignement de l’histoire à l’école primaire (2002-
2018) », in La Fabrique du patrimoine…, op. cit., p. 215-240.
26 D. Lett, op. cit.
27 Histoire : Moyen âge et xvie siècle, cycle d’observation, classe de 5e, Paris, Delagrave, 1963, p. 93.
28 Histoire-géographie 5e, Paris, Hachette, 2010, p. 35.
29 Histoire géographie, 5e : [programme 2010], Paris, Bordas, 2010, p. 35.
30 Histoire géographie, 5e : méthodes et outils pour apprendre, Paris, Hatier, 2017, p. 32.
32 0 chapitre 7
dans les campagnes au Moyen Âge »31 a-t-il du sens quand les écoliers n’ont pas la moindre
idée de la vie dans les campagnes au début du xxie siècle et ne peuvent donc prendre la
mesure du changement, sinon en posant face à face deux stéréotypes aussi douteux l’un
que l’autre ? Cette insistance démesurée sur le monde paysan se justifie certes par le poids
social et économique de la paysannerie à la fin du Moyen Âge, mais pas seulement. Elle
tient aussi à la patrimonialisation progressive des savoir-faire ruraux à partir des années
1970, quand advient la prise de conscience d’une déperdition de savoirs, d’outillages et de
gestes suite à la mécanisation de l’agriculture et à la marginalisation démographique de la
paysannerie. Cette prise de conscience donne lieu à la naissance des premiers écomusées32.
Les adolescents ont une vision à la fois romantique et terrifiante du Moyen Âge, où le
château et la chevalerie sont omniprésents, et où les paysans constituent un repère stable
et rassurant, au contraire de la ville qu’ils évacuent complètement des représentations
mentales. Le Moyen Âge est « un monde que nous avons perdu », ce qui permet de voir
dans cette période un possible « lieu de repos précieux de l’illusion » selon la formule du
psychanalyste Winnicott33. Ces représentations sont moins le fait du programme que des
parasites médiatiques qui troublent cette perception : BD, littérature, et cinéma en particulier.
Les images des manuels de Cinquième « agissent de manière autonome sur l’imaginaire de
l’élève »34. Le manuel, qui dispose d’un fort pouvoir normatif du fait de sa large diffusion,
des artifices de la présentation, de la séduction de l’image, enfin du prestige de l’écrit35,
constitue donc un véritable livre d’images susceptible d’engendrer rêverie et élaboration
d’un imaginaire du Moyen Âge affranchi du discours énoncé en classe. Cette rêverie est
prolongée et renouvelée grâce à l’imagerie d’autres manuels scolaires, tel le célèbre Lagarde
et Michard, dont le volume consacré au Moyen Âge est illustré dès la couverture par deux
enluminures des Très Riches Heures36.
En somme, si la patrimonialisation du livre d’heures profite presque par hasard de
cette mobilisation récurrente de miniatures dans les manuels scolaires, celle des traditions
paysannes est beaucoup plus clairement assumée. D’autant qu’en examinant les images du
calendrier des Très Riches Heures, le collégien ne sait pas forcément qu’il est devant un livre
d’heures, puisque rien ne le lui indique, hormis des légendes sur lesquelles il n’est pas censé
se pencher – elles semblent surtout répondre seulement à l’obligation légale de signaler
l’origine d’un document et les crédits photographiques. Quand il associe ces images à un
livre d’heures, il ne peut que voir en lui un album d’us et coutumes pittoresques et colorés.
Le manuel scolaire joue donc un rôle ambigu dans le processus de patrimonialisation des
livres d’heures ; il en prend acte mais la prolonge peu. Du reste, l’interprétation des images,
en dehors de la contemplation rêveuse que peut en faire le collégien, tient surtout aux
éléments que dispense ou non l’enseignant pour traiter les exercices qui se fondent sur les
miniatures de livres d’heures. Or, on sait combien les professeurs du secondaire se montrent
méfiants à l’égard des manuels, et les malaises que déclenchent les programmes37. Aussi
avons-nous prolongé l’enquête en explorant le matériel pédagogique mis à disposition
par les académies, à l’usage des enseignants du secondaire et parfois du primaire. Sur de
telles sources, l’enquête ne peut être historique : elle exploite des ressources évolutives, qui
s’accroissent et parfois disparaissent en l’espace de quelques mois. Elle permet au moins
d’approcher les manières d’aborder les livres d’heures dans l’enseignement.
Les sites internet des académies proposent en effet des moyens pédagogiques
mutualisés sous forme d’exercices, d’ateliers, de « valisettes » à l’usage d’enseignants.
Pour une interrogation efficace de ces ressources, on s’est limité ici au repérage des usages
pédagogiques des Très Riches Heures du duc de Berry. Mais à la différence des manuels
scolaires, on ne préjuge pas ici du cycle scolaire concerné, ni de la discipline dans laquelle
l’étude des miniatures s’inscrit. Le résultat donne une image moins figée, mais pour le
moins étonnante des instrumentalisations possibles de ces images.
La collecte a permis de réunir douze propositions. Tous les niveaux scolaires sont
concernés, du CE2 à la Seconde, ce qui suggère que le livre d’heures n’est plus guère qu’un
prétexte à fonder des récits et des imaginaires, et non pas à enseigner. Cette hypothèse
est confirmée par la variété des disciplines invitées à se saisir de cette imagerie : lettres,
histoire, histoire de l’art, sciences de la vie et de la terre, arts plastiques, anglais, éducation
musicale, voire informatique… Les disciplines scolaires peuvent d’ailleurs se combiner
entre elles, au nom de l’interdisciplinarité qui est devenue un dogme dans l’enseignement
secondaire38. Dans l’académie de Nantes, un exercice proposé en Cinquième invite les
élèves à s’interroger sur les représentations de l’espace et du temps au Moyen Âge. Il peut
être traité en Français, en histoire ou dans le cours d’arts plastiques. Les documents proposés
à l’analyse sont les Très Riches Heures, aux côtés des vitraux de la cathédrale de Chartres,
d’extraits de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, de fabliaux, de la littérature arthurienne
et de poèmes de troubadours. Tous les poncifs de la culture médiévale se trouvent réunis
dans cette évocation qui doit permettre aux élèves de s’approprier le vocabulaire de l’art
religieux et de reconnaître une œuvre du Moyen Âge39. À Dijon, l’expérience est poussée
encore plus loin : les élèves doivent comprendre le calendrier des Très Riches Heures
comme un « témoignage des conditions de vie et de travail des communautés paysannes et
de l’aristocratie foncière » dans le cadre de la classe d’histoire. La restitution doit prendre
la forme d’un diaporama, permettant de mesurer aussi leurs capacités informatiques40.
Enseigne-t-on encore l’histoire ? Et n’est-ce pas une lecture superficielle des Très riches
Heures que d’y voir un « reportage » sur la condition paysanne et aristocratique à la fin
du Moyen Âge ?
37 N. Lucas, Enseigner l’histoire dans le secondaire. Manuels et enseignement depuis 1902, Rennes, PUR, 2001 ;
P. Legris, Qui écrit les programmes d’histoire ?, Grenoble, PUG, 2014.
38 Fr. Baluteau, « Ce que les dispositifs interdisciplinaires introduisent dans les collèges », Carrefours de
l’éducation, 19 (2005), p. 77-92.
39 Académie de Nantes [En ligne] : https://www.pedagogie.ac-nantes.fr/histoire-des-arts/enseignement/college/
moyen-age-quelle-s-representation-s-du-temps-et-de-l-espace--683622.kjsp?RH=1160493164750.
40 Académie de Dijon [En ligne] : http://histoire-geographie.ac-dijon.fr/spip.php?article369.
32 2 chapitre 7
Les Très Riches Heures sont donc devenues un objet culturel qui se prête alors au
pastiche, à l’imitation, à l’inspiration. Elles sont, du reste, présentées ainsi aux enseignants
et par leur truchement, aux élèves. Il n’y a guère que dans les ressources de l’académie de
Versailles que l’on trouve un exercice, proposé en primaire, qui s’attache aux miniatures pour
ce qu’elles sont : une œuvre artistique située dans le temps, et résultat de techniques et de
matières oubliées41. Dans l’académie de Grenoble, les collégiens, après examen des douze
miniatures du calendrier, doivent proposer un travail d’imitation en classe d’arts plastiques,
de même que dans l’académie de Lyon, les élèves de cinquième peuvent travailler sur les
images du calendrier pour imaginer un scénario de bande dessinée42. Dans l’académie de
Poitiers, les élèves doivent, à partir de l’observation du même corpus, imaginer un récit
sur le mode de vie des seigneurs au Moyen Âge43. Le détournement est plus net encore
dans une proposition pédagogique mise à disposition par l’académie de Paris. Les élèves
de Quatrième sont invités à effectuer un travail transdisciplinaire autour de la chevalerie.
L’exercice combine le visionnage du film Sacré Graal, en anglais de préférence pour évaluer la
compréhension orale des élèves ; la lecture de textes littéraires ; et la réalisation de pastiches
en arts plastiques. La consigne précise que les élèves doivent comparer des films comme
Perceval Le Gallois de Rohmer (1978) et des « enluminures et des images réelles du Moyen
Âge comme les Très riches Heures du duc de Berry des frères Limbourg et la Tapisserie de
Bayeux »44. Outre que le sens de l’expression « images réelles » appliquée au Moyen Âge
pose question, la comparaison entre des miniatures du début du xve siècle et une tapisserie
du xie siècle ne favorise certainement pas les capacités critiques des élèves. L’exercice ne peut
que générer anachronisme et vision caricaturale du Moyen Âge, de même qu’un exercice
proposé dans l’Académie de Besançon sur le thème du travail à partir de films, de musique,
de photographies et d’œuvres picturales, parmi lesquelles figurent les Très Riches Heures45.
En somme, ces amalgames n’invitent pas les élèves à avoir une idée nette de ce qu’est un
livre d’heures, et encore moins une vision critique et nuancée du Moyen Âge. La chronologie
est escamotée, ainsi que les données contextuelles élémentaires (règnes des rois de France,
guerre de Cent Ans par exemple). En revanche, ils contribuent à insérer les Très Riches
Heures dans un ensemble d’images et d’imaginaires médiévaux extrêmement plastiques,
propres à fonder des représentations vigoureuses et colorées du Moyen Âge, qui aurait vu
la naissance de la civilisation moderne, des hiérarchies sociales et de l’imaginaire militaire.
Il manque toujours à ce tableau la place structurante du christianisme dans la civilisation
médiévale. Le meilleur exemple de cette entrée des Très Riches Heures dans l’imaginaire
occidental et dans les représentations du Moyen Âge est le roman policier de Christine
Beigel, L’Assassin du calendrier, écrit à l’intention des collégiens français et publié en 2015 par
le CNRP, et qui prend pour prétexte les Très riches Heures du duc de Berry. Sorti du collège,
l’adolescent français peut convoquer ces réminiscences dans toute évocation du Moyen Âge.
Un objet hérité
Si les feuillets enluminés, voire les manuscrits entiers, sont repérables dans des musées,
certains lieux semblent en concentrer davantage et à ce titre, ont inclus la médiation de
l’enluminure dans l’éventail des thèmes qui fondent leur visibilité. L’essentiel des collections,
en tous lieux, a été constitué par des dons. Les exemples sont légion. Le Musée Condé, à
Chantilly, réunit 27 livres d’heures parmi quelques 200 manuscrits enluminés, tous acquis
par le duc d’Aumale. Il faut y ajouter 36 Heures incunables. Ce cas est un peu particulier tant
le Musée Condé est à la fois un musée, certes, mais aussi une bibliothèque, pensée comme
telle par son propriétaire, et un dépôt d’archives à la fois historiques – celles des princes
de Condé – et familiales. À l’exception des Heures d’Etienne Chevalier, présentées sous
forme de petits tableaux dans le Santuario et à ce titre, perçues par le duc d’Aumale et le
public actuel comme des objets de musée, les autres livres d’heures sont bien des objets de
bibliothèque. Le Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la ville de Paris, est né du legs des
frères Dutuit en 190247. On y décompte trois livres d’heures parmi 19 manuscrits. Là aussi,
l’ambiguïté subsiste : sans doute afin de respecter l’organisation initiale des collections,
les manuscrits, incunables et imprimés sont encore réunis en bibliothèque. Le Musée des
Beaux-Arts de Lyon reçoit en 1870 les Heures manuscrites, puis en 1905 les livres d’heures
incunables d’Henri-Auguste Brölemann (1826-1904), collectionneur lyonnais du milieu du
xixe siècle, ce qui permet au musée de créer un petit département d’objets d’art, compte-
46 Fr. Avril, N. Reynaud et D. Cordellier, Les enluminures du Louvre. Moyen Âge et Renaissance, Paris, Hazan –
Louvre éditions, 2011.
47 J. de Los Llanos, « La collection Dutuit, deux frères, un musée », in Ch. Georgel (éd.), Choisir Paris : les
grandes donations aux musées de la Ville de Paris [En ligne] : https://journals.openedition.org/inha/6913.
32 4 chapitre 7
toujours. Face à ces difficultés, la majorité des musées renonce à montrer leurs manuscrits
à peintures et leurs livres imprimés. Voir des livres d’heures, dans les musées parisiens,
relève de la gageure. Ceux de Jacquemart-André et du Louvre sont invisibles, même si
les Heures de Boucicaut ont été, jusqu’à une période récente, exposées à tout va avant
que la fondation ne préfère les confiner dans les réserves pour limiter les dégradations.
Au Musée Condé, les livres d’heures du duc d’Aumale ne sont pas montrés au public et
le visiteur attiré par la notoriété des Très Riches Heures doit se contenter d’un fac-similé
d’ailleurs présenté sur un pupitre à plusieurs mètres de la barrière qui sépare l’espace de
circulation de la bibliothèque proprement dite, si bien qu’on ne peut que deviner de loin
le décor de la page présentée. Au Louvre, les Heures de François Ier sont conservées au
département des Objets d’art (pour sa reliure orfévrée) et les autres, qui appartiennent à
la collection Edmond de Rothschild, au département des Arts graphiques, dans la mesure
où le donateur voyait lui-même dans ces recueils des livres à peintures. Mais peu importe
pour le visiteur, qui ne les voit pas. Ils sont consultables sur demande dans la salle de lecture
du cabinet des dessins, dont les conditions de communication sont plus ou moins celles
d’une bibliothèque patrimoniale52. Il faut aller au Petit-Palais, au Musée de Cluny et à
Ecouen pour voir des livres d’heures entiers, et à Marmottan pour admirer l’accumulation
des feuillets enluminés aux murs d’une salle dédiée à la collection Wildenstein (Fig. 7.2,
7.3 et 7.4). Le livre d’heures est donc un objet caché ; quand il ne l’est pas, l’atmosphère
feutrée, la pénombre des salles d’exposition destinée à limiter les effets des rayons UV sur les
enluminures et les matériaux de reliure impliquent une grande parcimonie de moyens et de
discours, qui n’est pas à l’avantage des livres d’heures. L’ouverture minimaliste des recueils
ne donne qu’une idée médiocre de leur contenu, tandis que l’exposition de miniatures, par
son organisation visuelle dans les vitrines verticales, ne restitue pas l’idée de livre liturgique
et de continuité entre les images. Surtout quand les enluminures ne sont pas légendées ; à
Marmottan, le visiteur est prié de se reporter à une grande fiche en carton où figurent, en
petits caractères, des éléments d’identification de chaque enluminure à partir de numéros
de repérage. Si le spectacle offert à l’œil est incontestablement agréable, la compréhension
de l’enluminure est à peu près impossible. Cette parcimonie contraste, on le verra, avec
l’essor des expositions en bibliothèque, où l’ostension de livres d’heures est devenue une
véritable tradition professionnelle depuis bientôt cinquante ans53. Musées et bibliothèques
entretiennent donc des réflexes de médiation très différents à l’égard des supports écrits
et des manuscrits peints, prudente chez les premiers, décomplexée chez les secondes.
Faute de pouvoir les montrer, et pour ne pas créer d’effet d’attente auprès du public,
les livres d’heures ne sont pas non plus mis en valeur dans la communication opérée
par les musées via leurs sites web. Dans la rubrique « chefs d’œuvres » ou « à ne pas
manquer », ou encore « collections incontournables », les livres d’heures ne sont jamais
mentionnés. Il est vrai aussi que le discours à y associer paraît technique et ardu. Sur le
site internet du Petit Palais, le seul manuscrit présenté comme une pièce phare du musée,
parmi les 19 donnés par Eugène Dutuit, est le Livre des conquestes et faitz d’Alexandre de
Jean Wauquelin, écrivain à la cour de Philippe le Bon. Il faut fouiller dans la bibliothèque
52 Entretien avec Dominique Cordellier, Conservateur général au département des Arts graphiques, 20 décembre 2019.
53 Voir chapitre 8.
326 chapitre 7
Figure 7.2 : Vue du Santuario au Musée Condé (Chantilly, mars 2019, photo de l’auteur).
numérique – dispositif emprunté au monde des bibliothèques – pour trouver les livres
d’heures54. Les supports de médiation numérique permettraient sans doute de changer
l’approche de l’enluminure et de rapprocher des œuvres qui, par leurs dimensions et leurs
supports, impliquent une médiation et une conservation différentes, comme les vitraux, les
tapisseries, les monnaies, les émaux, les ivoires et les enluminures. Mais ils ne sont guère
utilisés encore, au moins dans les musées que nous venons de citer. C’est, curieusement,
en sortant du musée et en traversant la boutique que le visiteur comprend qu’il a parcouru
un lieu où l’on conserve des miniatures et parfois, des livres. Les présentoirs de cartes
postales, à Cluny, à Marmottan, à Chantilly et au Louvre, proposent des reproductions
de livres d’heures propres à chaque musée et, systématiquement, celles du calendrier
des Très Riches Heures du duc de Berry, ainsi qu’une série de livraisons de la revue Art
de l’enluminure. Les mêmes miniatures sont déclinées en différents goodies et accessoires
décoratifs. À travers ces démarches marchandes, le livre d’heures se trouve résumé à une
douzaine de miniatures emblématiques, reconnaissables entre toutes, non nécessairement
liées aux collections du musée qui les vend. Tel est le paradoxe : les musées ne savent pas
très bien quoi faire de leurs livres d’heures, mais concourent dans les librairies qu’elles
hébergent (mais qu’elles ne gèrent pas) à fabriquer une icône standardisée, une représentation
schématique de ce qu’est un livre d’heures55.
Ces indices donnent à penser que les enluminures, dans les musées, constituent un
héritage pesant, qui trouve mal sa place dans les collections. Dans les Musées de la région
Centre-Val-de-Loire, on dénombre près de 150 manuscrits reçus en legs, et seulement dix
acquis par voie onéreuse56 : il n’existe donc pas de politique d’acquisition active. L’acquisition
du livre d’heures de François Ier par le Louvre en 2017 pourrait bien être le résultat d’un
malentendu dans la veille qu’opèrent les services du ministère de la Culture sur le marché
de l’art. Du reste, la splendide reliure qui l’orne empêche quasiment de l’ouvrir et d’étudier
les miniatures, ce qui en fait plus un bibelot qu’un véritable livre.
L’analyse croisée des catalogues d’exposition où figurent des livres d’heures, des
publications savantes des musées, enfin d’un entretien avec l’administrateur du Musée
national de la Renaissance à Ecouen57, met en évidence quelques données convergentes.
Selon l’expression de Thierry Crépin-Leblond, le livre d’heures constitue en musée
un « non-sujet », à la différence de l’appréhension qu’en ont les bibliothèques, qui
isolent volontiers ces recueils pour des opérations de médiation et d’animation. Les livres
d’heures conservés à Ecouen sont mobilisés dans plusieurs approches complémentaires
de la Renaissance française. Ils constituent tout à la fois une « illustration locomotive » de
l’histoire de l’imprimerie française de la Renaissance, un moyen de mesurer la circulation
des modèles dans l’art au xvie siècle, enfin un indice évocateur des permanences et des
mutations dans la culture entre le Moyen Âge et le début du xviie siècle. Dans l’ancienne
bibliothèque du château, douze vitrines inspirées de la Laurentienne de Florence, font
le bilan thématique de la production imprimée de la Renaissance. C’est, aux dires de
l’administrateur du lieu, le « seul musée où on voit aussi cet aspect de la Renaissance ».
Le livre d’heures est donc saisi comme un indice de réalités culturelles (les progrès de la
lecture), technologiques (l’imprimerie) et artistiques (la production d’enluminures et de
bois gravés), mais n’est jamais présenté pour ce qu’il est nativement : un livre religieux. Le
Musée de Cluny, dans son ancienne configuration, consacrait une vitrine à l’écrit au Moyen
Âge, avec des calames, des bouteilles d’encre, des étuis en cuir et deux livres manuscrits et
imprimé, choisis au hasard dans les collections. Il se trouve qu’il s’agissait de livres d’heures,
mais ce n’est pas pour leur contenu qu’ils avaient été choisis, mais pour les commodités
d’exposition qu’ils offraient. Au Musée de l’imprimerie de Lyon, on pouvait voir dans la
scénographie primitive une vitrine consacrée à l’apparition de l’image dans le livre imprimé,
qui proposait au visiteur de comparer un manuscrit italien d’Aulu-Gelle du xve siècle, deux
exemplaires du Propriétaire des choses de Barthélemy de Glanville, tous deux ouverts sur
la Leçon d’anatomie, coloriée au pochoir dans l’un ; un incunable vénitien de 1477 et trois
livres d’heures imprimés sur vélin58. L’approche par collectionneur ou mécène est également
plébiscitée. En 1991, le Musée d’Ecouen a fait le point sur les livres du connétable Anne
56 P. Charron, M.-É. Gautier et P.-G. Girault (éd.), Trésors enluminés des Musées de France. Pays de la Loire et
Centre, Musée d’Angers et INHA ; exposition au Musée des beaux-arts d’Angers, 16 novembre 2013-16 mars 2014.
57 Entretien avec Thierry Crépin-Leblond, administrateur du Musée national de la Renaissance (Ecouen),
27 septembre 2019.
58 « Le Musée lyonnais de l’imprimerie », Bulletin des bibliothèques de France, 12 (1965), p. 409-415.
le livr e d’heur es et le public : histoire d’une rencontre 3 29
bon état et fort peu retouchées, à la différence de la « grande peinture ». Le livre d’heures,
au milieu d’autres productions manuscrites et incunables, est donc fortement présent dans
le parcours à qui veut bien le voir et reconnaître, dans les pièces exposées pour les jalons
qu’elles posent dans l’histoire du livre, les supports de pratiques de dévotions individuelles
du xve et du xvie siècle.
Le livre d’heures peut devenir un sujet à part entière si on lui applique aussi une
grille de lecture dans laquelle le public retrouvera des éléments de discours attendus.
L’exposition Livres d’heures royaux organisée par le Musée national de la Renaissance en
199360, fondait sur un titre théâtral un propos qui dépassait largement les livres d’heures, et
qui entendait plutôt lutter contre le lieu commun selon lequel l’imprimerie aurait chassé le
manuscrit. Il s’agissait de montrer la permanence de la fabrication de manuscrits de luxe et
d’ateliers importants dans le domaine de la miniature au temps d’Henri II. L’introduction
de Myra D. Orth rappelle que les livres d’heures « sont en tous points l’illustration de
l’extrême raffinement de la Renaissance française et la manifestation de l’adhésion de
leurs commanditaires aux dogmes politiques et religieux du roi et du rayonnement de sa
cour ». La commande royale par excellence reste dans le domaine du manuscrit peint,
qui est particulièrement pertinent pour les livres commémoratifs, cérémoniels ou de
dévotion. On y perçoit le renouveau catholique qui s’amorce à partir des années 1550. Il
s’agit, en somme, d’une entreprise de réhabilitation prenant le contrepied d’un « oubli
injuste » dans l’histoire de la miniature. L’exposition se proposait enfin d’interroger
les usages du livre – livre d’heures ou non – et notamment leur consultation en public
plutôt que dans la sphère strictement intime. Le musée pariait donc sur le fait qu’un
titre mobilisant l’expression « livres d’heures » devait être séduisant pour le public, et
éveiller des représentations mentales fortes, même si le visiteur ne pouvait voir que 10
livres d’heures parmi les 28 manuscrits exposés. Cette exposition avait aussi été imaginée
comme un prolongement de l’exposition Quand la peinture était dans les livres qui se tenait
à la Bibliothèque nationale au même moment. La publication récente d’un inventaire des
livres d’heures imprimés conservés à Ecouen61 montre qu’il est possible de faire de ces
livres le cœur d’une réflexion, qui reste malgré tout enserrée dans des problématiques
artistiques. Au moment où les travaux sur l’identification des peintres, des modèles et
des possesseurs des livres d’heures imprimés se multiplient, mettant en évidence les
échanges formels entre l’imagerie peinte des manuscrits et les bois gravés des incunables,
une telle publication permet de positionner le musée dans une réflexion qu’il a largement
contribué à nourrir62.
Les musées nourrissent donc une relation ambiguë à la miniature. Il n’est qu’à voir
l’exposition présentée au musée de Cluny au dernier trimestre 2019 sur les coffrets décorés
d’estampes63, qui ne fait qu’allusion aux livres d’heures, alors que plusieurs de ces coffrets
60 Livres d’heures royaux. La peinture de manuscrits à la cour de France au temps de Henri II, 23 septembre – 13
décembre 1993, Musée national de la Renaissance, Paris, RMN, 1993.
61 G. Hendel, Les livres d’heures imprimés de la collection du Musée national de la Renaissance, Paris, RMN, 2017.
62 I. Delaunay, « Les Heures d’Ecouen du Musée national de la Renaissance. Échanges entre manuscrits et
imprimés autour de 1500 », Revue du Louvre, 1993-1994, p. 11-24.
63 Musée de Cluny, Mystérieux coffrets. Estampes au temps de la Dame à la Licorne, 18 septembre 2019-6 janvier 2020,
commissariat Michel Huynh, Séverine Lepape et Caroline Vrand.
le livr e d’heur es et le public : histoire d’une rencontre 3 31
ont sans doute été conçus pour les ranger et les transporter, et se muer ensuite en oratoires
domestiques portatifs. Les grandes expositions-dossiers consacrées aux arts à la fin du
Moyen Âge et au début du xvie siècle mobilisent évidemment des livres d’heures, voire
en font le principal objet à contempler. L’exposition Tours 1500. Capitale des Arts organisée
au Musée des Beaux-Arts de la ville en 201264 qui ambitionne de croiser les domaines
d’expression artistique (architecture, peinture, sculpture, tapisserie, vitrail, miniature),
se replie finalement sur les livres d’heures : le catalogue en décrit 21 parmi les 111 pièces
exposées. Il s’agit peut-être d’un choix pragmatique, puisqu’il est plus facile de déplacer
des manuscrits que des sculptures ou des retables de dimensions imposantes. Mais ce choix
ne se fonde pas sur les collections du Musée des Beaux-Arts : aucun feuillet ou recueil
exposé n’en provient, et les commissaires ont sollicité des manuscrits dans les bibliothèques
uniquement, en France (Arsenal, BnF, Bibliothèque Sainte-Geneviève, École nationale
supérieure des Beaux-Arts, bibliothèques municipales de Tours, d’Angers et de Poitiers),
en Angleterre (British Library) et aux États-Unis (Pierpont Morgan Library à New York).
Finalement, les musées possédant des miniatures s’avèrent bien embarrassés pour produire
une médiation réfléchie de ces objets, et ceux qui n’en possèdent pas sont en mesure de
développer des opérations de prestige où les livres d’heures sont abondamment montrés
et commentés. Les musées prolongent aussi l’appréciation du livre d’heures dans le champ
de l’art et non des formes anciennes de lecture. Ils constituent ainsi un maillon important
non seulement dans la vulgarisation historique, mais aussi et surtout dans l’argumentation
patrimoniale, en entretenant une représentation très convenue, colorée et fleurie, des livres
d’heures dans l’esprit du public qui, laissant de côté les attributions et les datations, n’en
retient que l’idée d’images à la fois fragiles et flamboyantes.
64 B. de Chancel-Bardelot et al. (éd.), Tours 1500. Capitale des Arts, exposition au Musée des Beaux-arts de
Tours, 17 mars-17 juin 2012, Paris, Somogy éditions d’art, 2012.
332 chapitre 7
65 Voir chapitre 3.
66 Par exemple : V. Podio, « Feuillets enluminés insérés dans un livre d’heures de la Bibliothèque municipale de
Grenoble, ms. 650 (8) », Scriptorium, 54 (2000), p. 289-297.
67 Catalogue des livres manuscrits et imprimés des peintures, dessins et estampes du cabinet de M. L… Dont la vente se
fera lundi 11 janvier 1808, et jours suivants, à cinq heures très précises de relevée, en la salle de M. Silvestre, rue des Bons-
Enfants, Paris, Renouard, 1808, lot 2117.
le livr e d’heur es et le public : histoire d’une rencontre 333
68 I. Saint-Martin, « Approches du merveilleux dans la culture catholique du xixe siècle », Romantisme, 170
(2015), p. 23-34.
69 Citation sur le site de l’abbaye [En ligne] : https://www.encalcat.com/le-pere-bernard-de-chabannes_886.php.
70 M. Boidequin, « L’imagerie à l’abbaye de Maredret. Une production monastique au xxe siècle », in Imagiers de
paradis. Images de piété populaire du xve au xixe siècle, Bastogne, Musée en Piconrue, 1990, p. 115-136.
71 Échange par messagerie électronique avec le frère Jean-Jacques, 12 août 2019.
72 Paris, BnF, ms. lat. 1173.
73 Paris, BnF, ms. lat. 9471.
74 Chantilly, Musée Condé, ms. 69.
334 chapitre 7
de format 14,7 × 10,5 cm, on ne relève que deux images : une Adoration des Mages issue des
Heures du duc de Berry, sans précision du recueil exact, et une Pentecôte issue d’Heures
à l’usage de Paris. Enfin, les cartes de vœux commercialisées par l’abbaye reprennent le
même corpus que les petites images pieuses, en vue d’une dissémination à la fois spirituelle
et mondaine75. Celle qui a le plus de succès est encore réimprimée : il s’agit de l’Adoration
des Mages des Heures d’Angoulême (C776), aux côtés d’autres images de la même époque
mais non issues des Heures. Pour les moines comme pour le public, cette distinction ne
fait d’ailleurs pas sens : les images appartiennent à un même répertoire iconographique
médiéval, qu’elles soient issues d’Heures, du Psautier d’Ingeburge (C806, I423) ou du
Missel franciscain (C831, C803).
Ainsi, l’imagerie pieuse contemporaine s’appuie sur un corpus très réduit, et n’investit
pas le livre. Les scènes les plus célèbres de l’enfance du Christ et des mystères joyeux sont
privilégiées pour le consensus qu’elles génèrent parmi les catholiques, hors du dolorisme
ou des images de saints moins populaires désormais. Il est vrai aussi que ces images
n’ont cessé de circuler dans l’espace public, dans les expositions et les catalogues qu’elles
génèrent, dans les publications plus ou moins érudites notamment, dans les fac-similés.
Elles constituent aussi une référence importante dans l’exercice de l’enluminure amateur.
Aujourd’hui proposée à longueur d’année par les musées et les bibliothèques, la pratique
de l’art de l’enluminure en amateur a désormais une longue histoire. On se souvient que
l’économie du livre d’heures manuscrit s’est maintenue marginalement au cours des xviie
et xviiie siècles. Elle connaît un certain renouvellement au xixe siècle. Celui-ci s’enracine
dans la redécouverte du Moyen Âge comme ensemble de codes esthétiques et de valeurs
morales et civilisationnelles. Dans la première moitié du xixe siècle, alors que l’Église
catholique est en pleine rénovation, l’art chrétien semble nécessiter une revitalisation et c’est
dans un Moyen Âge fantasmé que les artistes, en réponse aux commandes ecclésiastiques,
puisent des modèles. La peinture religieuse devait permettre de surmonter la rupture avec
le passé en réinventant un langage artistique capable d’exprimer le lien de l’individu avec
la Création et le renouveau de la culture par la religion. Après le mouvement nazaréen
du premier xixe siècle, le « néo-gothique » montre à son tour comment le Moyen Âge
constitue un âge d’or chrétien dans le monde moderne. Enfin, la chromolithographie
naissante permet de diffuser facilement des images en couleur. Le succès de The Illuminated
Books of the Middle Age de Henry Noel Humphreys (1810-1879) avec des planches d’Owen
Jones (1809-1874) en 184976 en témoigne à l’échelle européenne. Pour la critique, le livre
enluminé constitue une véritable « cathédrale de poche »77, joignant de manière non
contradictoire la maniabilité et la monumentalité.
78 Ch. Ribeyrol, « William Morris et les couleurs du Moyen Âge », Romantisme, 157 (2012), 53-64 ; F. Alibert,
Cathédrales de poche ; William Morris et l’art du livre, La Fresnaie-Fayel, Éd. Otrante, 2018.
79 K. Robert, Traité pratique de l’enluminure…, Paris, H. Laurens, 1898 (rééd.), p. 129.
336 chapitre 7
d’enluminure est installé dans l’abbaye80, grâce aux efforts de la mère Agnès Desclée
qui cherche à retrouver les anciennes techniques de peinture. L’essor de cet atelier est le
fait de la mère Marie-Madeleine Kerger (1876-1959). Si une partie de cette production
manuscrite est destinée au clergé, et particulièrement aux bénédictins, notamment
les livres de chœur, de nombreux livres d’heures sont calligraphiés et décorés pour la
noblesse belge.
Ainsi se généralise, au cours du xixe siècle, le goût pour la miniature médiévale
réinterprétée. Cet engouement s’étend à l’ensemble de la société par différents procédés
qui sollicitent la sociabilité mondaine. Les salons et expositions en sont l’exemple le plus
évident. Durant la seule année 1894, se tiennent trois expositions de miniaturistes à Paris,
deux à Lyon, une à Bordeaux, Nice, Nîmes, Périgueux, Sèvres et Toulouse, ainsi qu’à
l’étranger, à Anvers, Barcelone, Genève, Milan, Monte-Carlo, Rotterdam, San-Francisco
et Vienne81. Ces manifestations sont portées par des structures associatives très actives,
à l’instar de la Société des Miniaturistes et Enlumineurs de France, qui expose à Paris,
à la galerie Georges Petit, cette même année 1894. Elle renouvelle ensuite l’expérience
chaque année. La Société entend régénérer l’art de l’enluminure en s’appuyant sur les
réalisations anciennes mais aussi en proposant de nouvelles créations. L’enluminure est
« une formule d’art spéciale […] qui vit surtout par le détail » ; parce qu’elle a donné, au
xve siècle, une image fidèle de la vie, des décors, des costumes, elle est comprise comme
un art réaliste – ce qui est très discutable – et elle est donc, « mieux que l’historiographe,
le véritable chroniqueur du Moyen Âge. Elle a fait les marges des livres plus intéressantes
et plus vivantes que les livres eux-mêmes », selon Armand Silvestre (1837-1901), alors
inspecteur des Beaux-Arts82. Il invite donc les miniaturistes qui exposent à faire comme
Fouquet : peindre leur temps. Le comité de la Société rassemble Alphonse Labitte,
président-fondateur, et autour de lui une série d’artistes et amateurs d’art : Horace de
Callias, Georges de Dubor, Marie Puisoye, Mme Defly… Le bureau rassemble ainsi six
hommes et six femmes. Parmi les membres d’honneur figurent Bastard d’Estang, le comte
de Laborde, Paul Durrieu par exemple, parmi les érudits les plus actifs dans la redécouverte
des livres d’heures au xixe siècle. C’est parmi les membres titulaires que l’on retrouve
quelques représentants de la bibliophilie, tels Jean Masson d’Amiens, Périer-Lefranc,
Léon Roux, Mlle de Crussol d’Uzès. Parmi les 102 membres actifs, on dénombre 73
femmes, signe de la forte féminisation de cet art. La principale activité de la société est
l’organisation de l’exposition annuelle. Le catalogue de 1899 présente 101 compositions,
principalement profanes, relevant du genre du portrait ou de la nature morte. L’inspiration
religieuse, conformément aux injonctions d’Armand Silvestre, y est étouffée. Tout au
plus découvre-t-on un cadre avec huit compositions intitulées Psaumes de la pénitence,
dues au pinceau d’Adolphe Alcan, déjà présent dans les expositions précédentes. Charles
Gilbert, conservateur du Musée de Toul, présente une Annonciation « style xve siècle »
80 D. Vanwijnsberghe, « Un art très ‘monastique’. L’atelier des bénédictines de Maredret de 1893 à 1940 », in
Th. Coomans et J. de Mayer (dir.), Renaissance de l’enluminure médiévale. Manuscrits et enluminures belges du
xixe siècle et leur contexte européen, Louvain, Leuven UP, 2007, p. 294-309.
81 Le coloriste enlumineur, 1er année, no 12, 15 avril 1894.
82 Cinquième exposition de la société des miniaturistes et enlumineurs de France, ouverte du 25 janvier au 6 février 1899 de
10 heures à 6 heures, Paris, E. Bernard et Cie, 1899, p. 7.
le livr e d’heur es et le public : histoire d’une rencontre 337
aux côtés d’une Jeanne d’Arc chez le sire de Baudricourt. La production des amateurs se
répartit en trois catégories : les peintures associées à des événements (menus, faire-part,
diplômes, livres d’or par exemple), celles qui enjolivent des objets du quotidien, comme
des écrans de cheminée ou des éventails ; enfin des livres de prière, principalement des
livres d’heures. À leur usage, des boutiques spécialisées en dessin vendent la « boîte de
l’enlumineur. Contenant le matériel complet nécessaire à l’enluminure et l’ornementation
des livres d’heures ». Des cours sont organisés par des maîtres, notamment Luc-Anatole
Foucher (1851-1923).
Des revues structurent le champ de la pratique amateur. Le Coloriste enlumineur,
publié par Desclée de Brouwer, paraît le 15 de chaque mois, au prix de 15 francs annuels
l’abonnement. Le premier numéro paraît le 15 mai 1893. L’éditeur met à disposition des
lecteurs ses ateliers et ses presses. Il entend instruire les amateurs « soit sur des procédés
inconnus d’eux, soit sur l’outillage qui leur serait nécessaire, soit encore sur les ouvrages
techniques qui pourraient les intéresser »83. Le journal propose des cours séquencés
sur les couleurs, les recettes pour faire l’or bruni, l’outillage, l’organisation de la table de
travail par exemple. Il comporte aussi une rubrique de questions / réponses et propose
des exercices pratiques, avec des planches à peindre, armoiries, lettrines, grandes scènes
ou menues réalisations. Dans la même veine, et sous la houlette d’Alphonse Labitte, paraît
aussi à partir de 1889 L’Enlumineur, dirigé par Joseph Van Driesten (1853-1923), peintre
héraldique alors connu en France pour ses recherches sur les pigments et les recettes de
fabrication des coloris utilisés par les miniaturistes. L’Enlumineur devient l’organe de
la Société des miniaturistes et enlumineurs à sa création. D’ailleurs, le journal relaie le
contenu des cours que Van Driesten donne les mardis et les jeudis matin pour les dames84,
si nombreuses dans la Société. Il décrit le matériel à posséder et organise des concours
pour stimuler la créativité des abonnés.
Le premier numéro, le 1er février 1889, donne le cadre et les ambitions d’un tel pério-
dique. Partant du constat que « l’enluminure reparaît de nos jours avec toute la fraîcheur
de la nouveauté » après un oubli de trois cents ans, il entend tenir à distance les modèles
médiévaux dont la notoriété empêche les artistes de se faire reconnaître comme tels.
Une tribune de Karl Robert donne le ton : il s’agit d’inventer une nouvelle miniature au
xixe siècle. La miniature entend être une réaction contre la grande peinture.
L’Enlumineur croit qu’il est possible de faire de la grande peinture en petit, qu’il est
possible aussi de faire du fini sans être forcément mièvre et mesquin, et qu’un jour
viendra où bien des amateurs préféreront une collection réunie dans un livre à ces
immenses toiles, pétards faits pour attirer l’attention dans nos salons annuels et dont
le moindre défaut est de tenir de la place85.
Cette profession de foi est toutefois battue en brèche par les attentes des lecteurs,
qui cherchent plutôt à reproduire des livres de prières. Pour y répondre, le premier
exercice proposé aux lecteurs est un missel dont les motifs ont été dessinés par Alphonse
Labitte, dit « Missel aux papillons », sans doute pour flatter les envies du public. Un
missel, pas un livre d’heures : cela n’a rien d’étrange au début des années 1890, quand le
livre d’heures disparaît des librairies religieuses au profit de livres d’offices généralistes.
Cette tension entre tradition revendiquée par les praticiens et l’innovation espérée par
les chefs de file de cet art apparaît à toutes les pages de L’Enlumineur et, de manière
plus discrète, du Coloriste Enlumineur. Les livres de culte sont une concession faite au
goût du public, invité par ailleurs à préférer les scènes militaires, les scènes de genre et
les décors héraldiques.
Ces revues, associées à des événements artistiques et à des associations, soutiennent
la pratique de l’enluminure comme un fait social, et non pas seulement comme un
fait dévotionnel plébiscité par les pensionnats pour jeunes filles. En entretenant une
sociabilité mondaine autour de ce loisir, elles font aussi de l’enluminure un objet de
débat. Ce n’est pas le cas des nombreux manuels qui paraissent au même moment. Dans
L’Art de l’enluminure, Alphonse Labitte constate qu’il s’agit surtout d’une occupation
féminine et réserve donc une grande place aux livres d’heures, justement, sans doute,
parce qu’il s’adresse aux femmes dont c’est une forme de spécialité. Au même moment,
Karl Robert publie son Traité pratique de l’enluminure, en 1888 d’abord, puis à nouveau
en 1891 et 1898. Il s’agit, comme le traité de Labitte, d’un ouvrage purement pratique,
fournissant les recettes de la pâte à dorer, du blanc d’Espagne ou du bol d’Arménie.
Prenant acte de l’intérêt pour l’enluminure chez les jeunes filles, initiées à cet art par
les maisons religieuses, il souligne au contraire, parmi les « travaux intéressants », les
« livres d’heures, canons d’autels et images en vue de mariage et de souvenir de première
communion »86. Dans ses « leçons écrites » il signale d’excellentes sources d’inspiration,
en particulier les Heures. Sainte messe et vêpres suivies des cérémonies de la messe de mariage…
publiées à Paris par Bouasse-Lebel et Massin, éditeurs installés rue Saint-Sulpice, au
cœur créatif et marchand d’un nouvel art religieux87. Il fait aussi la publicité du Livre
d’heures d’Aline Guilbert, imprimé chez Gruel et Engelman, imprimé à 500 exemplaires
et 12 sur parchemin, pour être mis ensuite en couleur par leurs acquéreurs88. Il propose
la réalisation d’une page particulièrement représentative et expose : « Pour exécuter la
miniature de cette feuille, on devra commencer par peindre toutes les tiges et les feuilles
des petites plantes qui forment l’ornementation en vert clair, que l’on obtiendra avec
une pointe de vert mélangée à la gouache assez liquide de façon qu’elle ne forme pas
d’épaisseur sur le papier. » Après trois pages de description et une planche en noir et
blanc de modèle, il conclut : « on voit qu’en suivant la même méthode, il est aisé de
peindre les autres feuilles du même ouvrage. Il suffit de modifier le ton local de chaque
feuille et de donner à celle-ci une harmonie particulière ». Labitte aussi recommande
d’utiliser les livres avec dessin au trait vendus par des libraires, en privilégiant ceux qui
sont copiés d’anciens manuscrits, pour éviter les mélanges stylistiques du plus mauvais
effet et fournit des exemples d’encadrements fleuris, de bordures, d’initiales, de bouts-
de-ligne, de grotesques tirés de livres d’heures médiévaux pour nourrir l’ornementation
d’Heures contemporaines.
89 En vente chez Antiquariat INLIBRIS Gilhofer Nfg. GmbH (Vienne, Autriche) (6 août 2019).
90 « Les enluminures du xive siècle proviennent de différents Missels de la vie des Saints de Firmin Didot, du mois
pittoresque et littéraire de l’art de l’enluminure de Labille et du recueil de Guillot » : [livre d’heures], en vente
chez Rulon-Miller Books (St. Paul, MN, États-Unis).
34 0 chapitre 7
évidemment les amateurs de s’y initier. La majorité des artistes qui enseignent aujourd’hui
l’enluminure se revendiquent de cette formation. Ensuite, l’exploration des sites internet
d’enlumineurs révèle l’importance des stages et des ateliers, organisés en partenariat avec
des établissements monastiques ou des équipements culturels, musées et bibliothèques
principalement. L’Atelier de Recherches et d’Application Enluminures Médiévales et
Peintures traditionnelles, situé dans les Vosges, délocalise ses stages à l’abbaye d’Oelenberg
(68), à l’abbaye Notre-Dame de Fidélité (13), à l’abbaye Notre-Dame de Tournay (65), et
au monastère des clarisses de Cormontreuil (51). Marie et Roger Gorrindo, respectivement
enlumineure et calligraphe, sont invités par les musées et bibliothèques de la région
lyonnaise pour initier les publics à leur art.
Les enlumineurs revendiquent de perpétuer, en le renouvelant, une tradition médiévale,
s’inscrivant ainsi consciemment dans l’engouement généralisé pour le Moyen Âge et les
imitations qu’il permet. « Revivez le Moyen Âge » promet Claudine Brunon sur son site,
elle qui se fait d’ailleurs appeler « Dame Chlodyne » pour « faire médiéval ». Thierry
Mesnig, en Alsace, propose ses stages dans le cadre d’une compagnie de reconstitution
historique (les Hanau-Lichtenberg) « permettant ainsi une osmose entre création et
archéologie expérimentale, ce qui me permet de présenter mon travail en costume ou en
‘civil’ tout en collant à l’historique de mon personnage et du matériel reconstitué que j’ai
élaboré », nous a-t-il expliqué91.
Dans ce contexte, la référence aux livres d’heures est extrêmement ambiguë. C’est
l’ouvrage par excellence à copier, mais surtout pour les bordures et les lettrines, qui sont
rarement spécifiques aux Heures ; les miniatures profanes sont parfois reproduites ou
revisitées, comme ce « Repas du Duc » de Martine Saussure-Young qui s’est inspirée d’un
détail de l’image de janvier du calendrier des Très Riches Heures du duc de Berry pour
honorer une commande. D’un format 10 × 10, réalisée sur parchemin avec de la feuille
d’or et des pigments traditionnels (lapis lazuli, azurite, cinabre, indigo, gaude, ocres jaune
et rouge, terre ombre calcinée, noir de fumée, blanc de titane)92, cette image ne permet
pas d’identifier à travers elle la longue tradition des Heures. Leur dimension religieuse
n’est prise en compte que lorsque le stage se déroule dans une maison religieuse ; elle
accompagne alors une démarche spirituelle de prière. Le stage de perfectionnement
proposé par l’atelier Mesnig, en Alsace, dépasse la simple pratique (préparation de la
feuille de parchemin, dessin, pose de l’or…) pour aborder l’iconographie médiévale et
la mise en page, l’art des livres d’heures et la réalisation d’un travail personnel complet. Il
se déroule à l’abbaye Notre-Dame d’Olenberg pendant l’été93. Mireille Ballivet-Gaudin,
enlumineure, prend pour modèle, en 2016, les Belles Heures de Jean de Berry, dont elle
reproduit les psaumes pénitentiels, l’office de la Vierge, les Évangiles et le cycle de sainte
Catherine. L’ensemble de ses travaux s’inscrit dans la tradition religieuse, sans revendication
spirituelle. C’est aussi la démarche de Denis Girard, enlumineur et graveur, qui a reproduit
partiellement les Heures de Simon de Varye, celles de Catherine de Clèves et celles
Figure 7.6 : « Heures, prières choisies », manuscrit réalisé en 1907, composé de 42 pages enluminées ;
travail féminin anonyme (collection privée)
d’Anne de Bretagne pour des expositions94. Finalement, pour les enlumineurs et leurs
stagiaires, le livre d’heures est par excellence le modèle à suivre, mais débarrassé de toute
considération religieuse. Benjamin Rialtey y voit une « inépuisable source d’inspiration
dans les cours et stages que je donne, mais [elles] ne sont qu’une infime partie. En effet,
j’ai tendance à pousser la créativité, ils ne sont là bien souvent qu’en support visuel. Des
outils pour apprendre les drapés, les frises, les ornements dans une veine médiévale »95. Si
les Très Riches Heures du duc de Berry, les Heures de Bedford, de Marguerite d’Orléans
ou de Marguerite de Savoie constituent les références indispensables, elles sont fort peu
contextualisées. Les explications données aux stagiaires – et plus généralement sur les
galeries d’images de sites web d’enlumineurs – ne permettent pas à l’enlumineur amateur
de se faire une idée très précise de ce qu’est un livre d’heures et des usages qu’ils ont
permis au long des siècles, certains formateurs estimant qu’un amateur d’enluminure
sait forcément ce qu’est un livre d’heures, tandis que d’autres, comme Marie Nuel
établie à Valence, considère qu’un cours d’enluminure n’est pas le lieu propice pour une
conférence historique, tout en admettant que les stagiaires ignorent en réalité ce qu’est
un livre d’heures et à quoi il sert96. Certains enlumineurs revendiquent par ailleurs d’être
des passeurs de techniques, et non pas des historiens, et s’estiment non légitimes pour
des exposés sur l’histoire du livre manuscrit, à l’instar d’Annie Bouyer, enlumineure en
Charente97. Le répertoire d’images proposé aux stagiaires, à partir d’images numériques
cueillies sur le web et de planches de fac-similés, doit seulement encourager la créativité
et permettre de nouvelles compositions. Elles ne sont donc qu’un prétexte à s’approprier
des techniques et des gestes, comme le souligne Thierry Mesnig à propos de sa propre
pratique artistique :
Pour preuve, je travaille actuellement sur un nouveau projet s’inspirant du Livre de
Margarete von Rodemachern (Das Gebetbuch der Margarete von Rodemachen Q59
bib de Weimar). Ne voulant pas faire un simple fac-similé de l’ouvrage mais voulant
implanter ma création dans mon espace géographique, j’ai compilé de nombreux
calendriers de psautiers et livres d’heures présents à la BNU afin de recréer un calendrier
à l’usage de Strasbourg pour ma période de prédilection.
Sans aller jusqu’à ce niveau de sophistication, les stagiaires sont invités à dépasser la
copie servile pour proposer une réinterprétation d’images anciennes parmi lesquelles
celles des livres d’heures ne sont pas clairement désignées. Le fractionnement est poussé
à l’extrême, comme en témoigne Sandra Clerbois, enlumineure dans le Tarn-et-Garonne :
« Dans les livres d’heures je peux soit être intéressée par la miniature, soit par la composition,
soit par le décor de marge, soit par les signes astrologiques des calendriers, ils me servent
à illustrer mes propos à proposer des projets pour les élèves, à montrer des modèles »98.
Tous les propos recueillis convergent du reste vers cette approche du livre d’heures, au
même titre que n’importe quel manuscrit enluminé du Moyen Âge. Et quand les stagiaires
choisissent spontanément comme modèle une image tirée d’un livre d’heures, ils ignorent
le plus souvent cette provenance et quand ils la connaissent, elle ne compte pas dans leur
choix, suggère Sylvie Constantin, animatrice de l’atelier Or et Pigments dans le Var99.
Les livres d’heures font l’objet d’une acculturation à travers « les supports de la culture
bricolée, appartenant à des formes légitimées, commercialisées, mais aussi des formes sans
conclusion, ouvertes et délaissées »100, qui tirent leur respectabilité de l’enracinement dans
un Moyen Âge fantasmé.
L’art de l’enluminure pratiqué par des amateurs depuis le xixe siècle a gardé vivace
la force d’évocation de l’expression « livre d’heures », en associant des images fortes
liées en partie au répertoire proposé par l’école, et l’idée d’un travail minutieux et
d’une technique exigeant une longue pratique. Désormais indépendant de tout débat
esthétique ou artistique, il appartient au vaste champ des médiévalismes101 qui invitent
le public, par le biais des reconstitutions architecturales, du maniement des armes
ou des ambiances convenues, à explorer le passé par des expériences sensorielles
et corporelles inédites. Dans un autre ordre d’idée, le succès récent des appels à
financement participatif visant l’acquisition par des institutions nationales de livres
d’heures relève de cette même expérience du Moyen Âge comme période qui fait sens
dans la société contemporaine, et qui doit en expliquer les contradictions religieuses,
culturelles et politiques.
Le rôle des donateurs dans l’enrichissement des bibliothèques et des musées a consacré
très tôt, dès le xviiie siècle et plus encore, à partir du Second Empire, la figure du mécène,
riche et désintéressé, remettant aux mains de l’État tout ou partie de sa collection pour
la nationaliser et en faire profiter le plus grand nombre. Cette opération, on l’a vu, visait
et vise encore à inscrire le nom du bienfaiteur en lettres d’or dans l’univers de la culture
et des biens qui balisent cette culture ; le mécénat est, à ce titre, une véritable opération
de communication. Son importance dès qu’il s’agit de manuscrits médiévaux montre la
force d’évocation de ces objets, qui sont indissolublement liés à l’idée de mécénat, qu’il
soit princier comme au Moyen Âge, ou bancaire et industriel, comme au xixe siècle. Cette
activité concourt à dorer le blason des sociétés de service ou de production de biens en
modifiant positivement leur image. Le cas, très particulier, de la Société des Manuscrits des
assureurs français (SMAF), l’illustre bien. Cette société est créée en 1978 par Guy Verdeil,
alors président de Gan, en coordination avec la direction de la BnF et le Département
des manuscrits. La SMAF rassemble dans son capital une grande partie des sociétés et
mutuelles d’assurance françaises et se propose de coopérer avec l’État pour la gestion
et la préservation du patrimoine national manuscrit, en profitant d’une disposition du
Code des Assurances, selon laquelle le capital de la société et son fonds documentaire
représentent une provision technique au plan fiscal. La conservation et la gestion de la
collection, ainsi que sa tutelle artistique, sont confiées à la Bibliothèque nationale, qui y
trouve un moyen de maintenir en France des manuscrits que l’État ne peut préempter et
que la Bibliothèque ne peut acquérir. Ce partenariat relève donc d’une économie mixte
publique-privée. En 2001, la valeur globale de sa collection est de 13,5 millions de francs.
Parmi les 16 manuscrits médiévaux, ont été acquis 7 livres d’heures et 2 recueils de prières
qui ne contiennent pas l’office de la Vierge, mais tout le reste des Heures (calendrier,
suffrages, extraits des évangiles…)102. Cette société n’est plus active aujourd’hui.
Mais depuis dix ans, une nouvelle forme de mécénat, fortement détournée de son sens
initial, s’est imposée : celle qui sollicite la participation de tous les citoyens. Les musées
ont été les premiers à recourir au crowdfunding et les bibliothèques leur ont emboîté le pas.
Or, ce phénomène repose sur une médiatisation forcée de l’objet qui nécessite un soutien
financier ; il s’agit de séduire la foule des anonymes par une communication de masse, et
susciter en conséquence des dons en vue d’un objectif précis. Le public est désormais habitué
à ces sollicitations. Le crowdfunding au service de la culture a été pointé du doigt comme un
signe de désengagement de l’État dans le financement de la culture et un moyen de pallier
la baisse des budgets103. Si cette baisse est réelle, elle nous semble une explication simpliste
du recours au financement participatif ; celui-ci, en effet, ne vise pas le financement de la
culture, mais l’acquisition ou la restauration de biens culturels. Dans cette perspective, il
conduit à une redistribution des rôles. L’État décrète ce qui entre ou non dans le périmètre
patrimonial, les équipements culturels cherchent ensuite des modes de financement qui
102 SMAF, Manuscrits du Moyen Âge et manuscrits littéraires modernes. La collection de Société des Manuscrits des
Assureurs français, Paris, SMAF, 2001.
103 S. Guesmi et al., « Crowdfunding et préservation du patrimoine culturel », Revue française de gestion, 42 (2016),
p. 89-103.
34 4 chapitre 7
engagent l’État, les finances propres des institutions de conservation, les collectivités
territoriales (parfois), les entreprises et les particuliers sommés de manifester ainsi leur
attachement aux biens patrimoniaux104. Cette procédure de financement semble plutôt un
moyen intentionnel d’impliquer le public dans la gestion patrimoniale en suscitant une
responsabilisation à l’égard de « communs » culturels. Elle est une manière symbolique
de sortir les biens culturels d’un système strictement marchand où l’État ne serait qu’un
client des libraires et des commissaires-priseurs, en associant le public à cette économie.
Si ce procédé ne concerne pas uniquement les livres d’heures, ni, du reste, uniquement
les livres et manuscrits, il nous intéresse ici parce qu’il a été appliqué, à deux reprises au
moins, à des livres d’heures d’exception et il permet donc de mesurer des formes anonymes
d’intérêt et plus encore, d’engagement à l’égard du patrimoine écrit. Cet engagement est
fortement conditionné : le financement participatif repose sur une démarche pédagogique
et communicationnelle forte, obligeant l’opinion à reconnaître des « trésors » là où on
lui dit d’en voir.
Parmi les appels au financement participatif les plus récents, deux cas d’acquisition
de livres d’heures émergent, que tout réunit et que tout oppose. Il s’agit de l’opération
de financement du livre d’heures de Jeanne de France par la BnF en 2012, et de celle qui
visait l’entrée au Louvre du livre d’heures de François Ier en 2017. Tout les rapproche, et si
ces deux campagnes n’ont aucun rapport l’une avec l’autre, il est possible que la première
ait favorisé le succès de la seconde en faisant reconnaître par l’opinion publique la valeur
culturelle d’un livre d’heures et en popularisant l’expression. Ces recueils procèdent tous
deux de commandes princières pour être offertes à des femmes de pouvoir. Le livre d’heures
dit « de François Ier » a été réalisé à la demande du roi pour sa nièce Jeanne d’Albret et
le livre d’heures « de Jeanne de France » a été réalisé dans les milieux curiaux du Val de
Loire pour Marie de Bretagne, et remanié pour sa cousine Jeanne, fille de roi de France,
à l’occasion de son mariage avec Jean de Bourbon. Au-delà de ces similitudes, ces livres
d’heures présentent beaucoup de différences matérielles, historiques et administratives.
Le premier est un bibelot clinquant qui a sans doute peu servi à prier, le second porte des
traces d’usage très visibles, des manques de peinture à l’endroit où les doigts de Marie
puis de Jeanne ont tenu ouvert le livre. Le premier est entré en France après un long
séjour à l’étranger, le second s’y trouve depuis toujours ou presque, et a donc fait l’objet
d’un classement « trésor national ». Le premier a fini sa course en musée, le second
en bibliothèque. Si ces deux institutions jouissent d’une immense notoriété, le Louvre
éveille probablement plus de connivences dans l’opinion, du simple fait qu’il est ouvert
au public sans distinction, alors que l’accès à la BnF est conditionné par une accréditation
et l’obtention d’une carte de lecteur. Les sommes requises, enfin, sont très dissemblables :
le Louvre, alors coutumier de ce genre de sollicitation – c’était alors sa 8e campagne de
mécénat populaire – devait réunir un million d’euros quand la BnF, qui s’emparait de ce
procédé pour la première fois, ne cherchait « que » 250 000 euros. Les moyens, du reste,
ne sont pas les mêmes. Au service des campagnes annuelles « Tous Mécènes », le Louvre
a favorisé l’éclosion d’une véritable start-up, une équipe projet pilotant la campagne de
104 Voir les cas présentés dans N. Bettio et P.-A. Collot (éd.), Le financement privé du patrimoine culturel, Paris,
L’Harmattan, 2018.
le livr e d’heur es et le public : histoire d’une rencontre 3 45
105 Entretiens avec Kara Lennon-Casanova, responsable du mécénat public à la BnF (15 février 2019) et avec Dina
Wajsgrus, son homologue du Louvre (20 mars 2019).
106 C. Bertrand et B. Jakubowski, « Le fric, c’est chic : panorama du crowdfunding en 2016 », Annales des Mines-
Réalités Industrielles, 2016, p. 38-43.
346 chapitre 7
107 Paris, BnF, Mission Archives, 2014/073/292 : acquisition du livre d’heures de Jeanne de France. Compte-rendu
de la campagne de presse.
le livr e d’heur es et le public : histoire d’une rencontre 3 49
modestes, de 5 euros, font figure de geste touchant que l’institution sait mettre en valeur
pour associer au manuscrit de la princesse une chaîne de « bonnes volontés qui s’accumulent
pour permettre de garder un document », selon la formule de Kara Lennon-Casanova. Le
financement participatif nourrit donc fortement la valeur patrimoniale du livre d’heures, au
moins autant qu’il exploite cette valeur. En revanche, le caractère très parisien et francilien
des donateurs montre que la BnF n’est identifiée comme lieu patrimonial que par ceux qui
l’ont sous les yeux. Les quelques régions mieux représentées que les autres – Rhône-Alpes,
Provence-Alpes-Côte d’Azur, Centre, Midi-Pyrénées et Aquitaine, le sont surtout par
l’enracinement urbain des donateurs, tandis que le monde rural est resté peu concerné
par cette affaire108. La hiérarchie des régions d’origine des donateurs semble recouper
celle du PIB par région, ce qui établit un lien entre revenus et capacité à s’impliquer dans
une opération culturelle.
Il est surtout remarquable que le profil des donateurs en faveur du livre d’heures de
François Ier soit à ce point comparable, à cinq ans de distance. Les parisiens et franciliens
ont à nouveau été plus nombreux, à l’image, du reste, du public des expositions du musée,
mais dans une proportion toutefois moindre qu’à la BnF. À l’inverse d’autres opérations
de mécénat populaire, les étrangers n’ont guère participé, sans doute à cause du caractère
très « français » d’un livre de prières royal. En revanche, cette campagne 2017-2018 se
distingue par le nombre important de primo-donateurs, représentant 55% du total des
8 500 participants, signe que le livre d’heures et la Renaissance ont une capacité à frapper
l’imagination bien supérieure à la peinture ou la sculpture.
Les motifs des donateurs restent malheureusement dans l’ombre. Lors de la soirée
de présentation du manuscrit en présence des mécènes et donateurs, le 18 mars 2013, a
eu lieu un micro-trottoir des donateurs. La seule restitution dont nous disposons est
celle que nous a faite oralement Kara Lennon-Casanova. La délégation au mécénat
a tiré de ces entretiens informels quelques éléments décisifs pour le succès de cette
opération. D’abord, elle a repéré l’identification facile entre l’objet et l’institution et,
paradoxalement, le goût du public pour le patrimoine peint plutôt que seulement écrit.
Ces éléments sont confirmés par l’entretien que nous avons eu avec les responsables
du mécénat au Louvre. Le Musée avait craint, en amont de cet appel à mécénat, que
le public ne voit pas dans un livre un objet à destination d’un musée, et a fondé toute
sa campagne sur un objet d’art, « bijou de la Renaissance française », plutôt que sur
un « objet écrit ». Mettre l’accent sur le livre ou l’enluminure aurait certainement
engendré la confusion dans l’esprit du public. Dans les deux cas, les services de
communication ont travaillé sur des images déjà présentes dans l’esprit du public :
la magnificence du règne de François Ier ; la beauté des miniatures du xve siècle. Au
Louvre, l’opération a été habilement menée en parallèle d’une exposition-événement
consacrée à « François Ier et l’art des Pays-Bas » tordant le cou à l’idée d’une fascination
exclusive du roi pour la culture italienne (18 octobre 2017-15 janvier 2018). L’une des
pièces maîtresses de l’exposition était précisément ce livre d’heures, encore propriété
de l’antiquaire londonien. Il était d’autant plus commode de faire naître ces images
dans l’esprit du public.
108 Ibid.
35 0 chapitre 7
Les services de communication ont aussi fait naître, par leur discours, un sentiment
d’urgence, qui n’est pas sans rapport avec les causes charitables qui suscitent la générosité
immédiate et spontanée du public. Tout le discours est fondé sur la réparation, une forme
de justice à faire collectivement pour obtenir l’accès collectif et national à un bien auquel
toute la nation peut s’identifier. Les donateurs se sont volontiers laissé persuader de la
nécessité de reprendre aux Anglais ce qu’ils avaient pris deux siècles plus tôt (dans le cas
du livre d’heures de François Ier), et d’empêcher la fuite d’un bien hors des frontières
nationales ( Jeanne de France). L’institution, qui suscite la confiance des donateurs, n’est
qu’un moyen de porter cette cause. De ce point de vue, le Louvre a identifié très vite le
livre d’heures comme un « sujet à gros potentiel » pour consolider le lien et l’attachement
du public au musée et à ses collections.
Cette extension du périmètre des « trésors nationaux » en situation de communication
institutionnelle montre que l’enjeu d’une opération de financement participatif n’est pas
uniquement financier. Pour lever massivement de l’argent, le mécénat d’entreprise est plus
rentable et nécessite moins de communication, ce que corroborent aussi les archives de
la BnF relatives à l’acquisition du livre d’heures de Jeanne de France. La communication
autour de ces acquisitions permet aussi de renouveler l’image centrale et rassurante des
grandes institutions culturelles nationales, et de recréer le lien avec les publics. Dès lors,
il n’est plus étonnant que les profils des donateurs et des publics du Louvre soient si
ressemblant : ce sont sans doute en grande partie les mêmes personnes (si l’on exclut la
part internationale – estimée à la moitié des entrées annuelles – des visiteurs), à qui l’on
donne alors la possibilité de s’impliquer davantage dans les activités du musée, de manière
plus immédiate et plus fléchée.
*
Au travers de ces démarches sélectives et des instrumentalisations éducatives, religieuses,
sociales et créatives, le livre d’heures, réduit à ses images, connaît une mutation qui n’est
pas sans faire penser à celle qui, sur le plan littéraire, l’a transformé à la fin du xixe siècle
en une expression vide de sens et d’autant plus accueillante. Ni l’école, ni les ateliers
d’enlumineurs, ni les chargés de communication des établissements culturels en quête
de financements, ne le présentent comme un livre, ni comme un support de spiritualité.
Ne restent que des images qui admettent des usages contradictoires. Une bonne part du
public ignore ce qu’est un livre d’heures, ce qui n’empêche pas le succès des opérations de
mécénat populaire. L’Église ne promeut plus les Heures auprès des laïcs, sinon à travers
le recyclage d’images produites il y a plusieurs décennies, mais l’État le transforme, à
travers les manuels scolaires, en témoignage de la vie sociale et économique au Moyen
Âge. Le dispositifs et discours muséaux hésitent à situer le livre d’heures parmi les témoins
magistraux de l’évolution des arts du livre, ou ceux des progrès de la peinture, éliminant
alors toute référence à la forme livresque.
Cette enquête montre alors que le patrimoine n’a rien d’une donnée objective. C’est
précisément la variété des grilles de lecture que l’objet peut supporter qui consacre le
statut patrimonial, non plus décrété administrativement, mais admis collectivement par
le plus grand nombre. Elle montre aussi que le patrimoine se déploie dans un écosystème
complexe, combinant institutions éducatives, structures associatives, équipements culturels,
positionnements individuels, dans des discours tout à la fois économiques, politiques et
le livr e d’heur es et le public : histoire d’une rencontre 3 51
culturels. Chacun de ces pôles contribuent à faire entrer l’imagerie des Heures – et l’imagerie
seulement – dans un « régime de familiarité » qui n’exclut pas des attributions différentes
selon les groupes – classes de collégiens, stagiaires apprenant l’enluminure, visiteurs de
musées par exemple – qui s’y confrontent. C’est aussi un stéréotype qui prend corps à travers
ces discours croisés, assimilant ces images à un Moyen Âge universel, et le Moyen Âge aux
livres d’heures. Ceux-ci étant principalement conservés par les bibliothèques publiques,
la contribution de ces dernières à ce processus de réception et de réinvestissement par le
public mérite d’être analysée, en prenant en compte à la fois la vocation des bibliothèques
dans la construction du patrimoine, et les outils dont elle dispose pour le faire.
Chapitre 8
Une forte ambiguïté pèse sur le patrimoine en bibliothèque. Dans un sens biblio-
théconomique, sa seule raison d’être est la conservation à long terme. À l’inverse du
patrimoine archivistique, qui doit servir de preuve, et du patrimoine des musées, destiné à
être montré, celui des bibliothèques ne sert à rien. Il s’oppose précisément aux collections
courantes en ce qu’il ne peut être éliminé, mais ne se justifie ni par un usage, ni par un
public potentiel. Aussi, valoriser le patrimoine en bibliothèque, c’est opérer sur lui un
transfert, du régime strictement bibliothéconomique à un régime social et politique, en
l’articulant à un ou des public(s), en l’obligeant dès lors à se fondre dans différents récits
qui ne lui préexistent pas.
Valoriser, c’est aussi au sens propre augmenter la valeur, et plus métaphoriquement,
adosser des valeurs que l’objet doit justifier. Celles-ci doivent être relativement objectives
et partageables pour être efficaces. Elles doivent en retour légitimer le soin que l’on met
dans la conservation du patrimoine écrit. Aussi doit-on s’interroger sur les valeurs et les
discours que le livre d’heures vient manifester dans l’ordre du présent, et la teneur narrative
et symbolique du passé qu’il est censé matérialiser.
Le cas du livre d’heures vient éclairer le retournement de ce discours. Depuis quelques
années, le patrimoine a tenté de démontrer son utilité et l’amplitude sociologique des
publics qu’il peut séduire. Parce qu’il est un bien partagé par un très grand nombre de
bibliothèques et qu’il peut générer ainsi des actions collectives, imitées d’un établissement à
un autre ou au contraire en quête d’originalité, il est possible d’analyser à travers lui la nature
et l’efficacité de ce changement de régime, et surtout ses ressorts. La mise en valeur des
livres d’heures est-elle le résultat d’un apostolat de la vulgarisation, ou d’un opportunisme
permettant de justifier le maintien des bibliothèques dans le paysage culturel ?
C’est une chose qu’il y ait des livres d’heures dans les bibliothèques, c’en est une autre
que le public en ait connaissance. Entre l’objet et le public, il y a le bibliothécaire, tour
à tour gardien et médiateur. Le processus de communication entre public et agents des
bibliothèques est tout entier conditionné par la représentation que se font les agents des
bibliothèques de ces objets.
En même temps que s’est opérée une capitalisation spectaculaire de livres d’heures
dans les bibliothèques publiques, cette accumulation arithmétique s’est doublée de
réinterprétations des fonds patrimoniaux en général, et des livres d’heures en particulier,
faisant entrer ceux-ci dans la catégorie des biens symboliques. Comment les bibliothécaires
35 4 chapitre 8
désignent-ils les livres d’heures ? Comment les situent-ils dans l’ensemble parfois modeste,
parfois gigantesque, du patrimoine confié à leur institution ?
Les Heures de Prigent de Coëtivy1 sont « un trésor enluminé de Bretagne » clame
la bibliothèque de Rennes au début de l’hiver 20182. La formule est symptomatique de
l’inclusion des livres d’heures dans le cercle des « trésors », cette catégorie documentaire
reposant sur la notion de valeur plus symbolique que vénale3. Le mot revient sans cesse
sous la plume des bibliothécaires, parce qu’il appartient à un langage recuit, une formule
commode et toute faite rarement interrogée. Le nombre croissant de publications produites
par les bibliothèques sous ce terme témoigne du consensus langagier et culturel qu’il
suscite, mais aussi de nouvelles appréciations des objets qu’on range dans ce « trésor ».
Au moins 49 publications depuis 1960 recourent à cette rhétorique. On se limitera ici à
repérer la place que tiennent les livres d’heures dans cette élection de ce qui est le plus
patrimonial au sein du patrimoine.
Or, le vocabulaire associé aux livres d’heures dans ces publications redouble en
quelque sorte les caractéristiques du trésor. L’exposition Trésors & merveilles de la BMIU
de Clermont-Ferrand, en 1998, présente 60 pièces dont un livre d’heures incunable, des
Heures à l’usaige de Clermont imprimées en 1510 (no 47) et des Horae à l’usage de Rome
copiées vers 1460. Ces secondes sont qualifiées de « joyau du gothique tardif » et « le plus
beau des dix livres d’heures que conserve la BMIU en raison de son abondante illustration
parfaitement conservée ». Les livres d’heures forment la partie la plus remarquable d’un
trésor déjà remarquable, et ce précisément, parce qu’ils donnent à voir, après avoir donné
à prier.
L’efficacité du terme « trésor » tient aussi à la référence constante à un passé collectif.
Le xve siècle semble incarner précisément cette origine commune. Dans le catalogue de
l’exposition énumérant les Trésors des bibliothèques de Picardie, le patrimoine est désigné
comme nécessairement gothique, à l’image des cathédrales picardes. Le patrimoine
livresque doit flatter l’œil, l’imagination, l’esprit, être le « fascinant miroir de notre propre
condition »4.
Certes, toutes les ostensions des trésors ne mettent pas de livres d’heures en exergue,
mais dans la majorité des cas, il se trouve toujours au moins un livre d’heures, et jusqu’à
six quand l’effort de thésaurisation est collectif et régional (Lorraine, 1996, Bretagne,
1989). La manière de les désigner est également très expressive dans le registre du beau,
voire du merveilleux. Les « Riches Heures », terminologie médiévale des Heures les plus
finement enluminées, rejoignent par contamination sémantique le champ du précieux,
5 Fr. Avril, M. Hermant et Fr. Bibolet, Très riches heures de Champagne : l’enluminure en Champagne à la fin du
Moyen âge, catalogue de l’exposition [Châlons-en-Champagne, Troyes et Reims, 2007-2008], Paris, Hazan, 2007.
6 Ville de Toul, administration municipale, affaires culturelles : courrier à la DRAC, 2 septembre 2003.
7 Typologie élaborée par M. Melot, « De l’ostension à l’exposition », Les cahiers de médiologie, 1 (1996), p. 221-233.
356 chapitre 8
Le livre d’heures faisant partie de ce capital symbolique, il doit donc être montré. De
multiples manières de valoriser les documents ont trouvé leur place en bibliothèque. Mais
si la médiation est en principe un ensemble cohérent d’actions réglées par une politique
d’animation, toutes les actions ne reposent ni sur la même logistique, ni sur les mêmes
temporalités, ni sur les mêmes logiques historiques, certaines relevant de pratiques
traditionnelles, d’autres plutôt de l’innovation. Elles ne visent pas non plus les mêmes
publics, et ne permettent pas non plus de tenir les mêmes discours.
Avant de restituer la profondeur historique des différentes manières de faire rencontrer
le trésor et la population auprès de laquelle il constitue ce bien d’exception, il convient
de dresser un répertoire des actions avérées des bibliothèques en matière de valorisation
des livres d’heures, propres à ramener dans la conscience des individus appartenant à des
cercles proches ou éloignés de la bibliothèque une certaine image du livre d’heures et à
travers elle, un sentiment d’appartenance à une civilisation. Pour ce faire, il faut explorer le
matériel communicationnel des bibliothèques, la valorisation comportant obligatoirement,
pour être efficace, une dimension promotionnelle. Nous avons donc multiplié l’exploration
des canaux par lesquels l’information a pu circuler en parfaite connaissance du caractère
lacunaire des résultats rassemblés. Ces canaux peuvent être regroupés en trois catégories.
Nous avons d’abord interrogé les professionnels des bibliothèques via les plateformes
professionnelles d’échanges, en particulier Bibliopat8, orientée vers les métiers du patrimoine
écrit et graphique dont la liste de diffusion rassemble, en juin 2019, 1826 abonnés. Cette
première source s’est révélée assez décevante quantitativement puisque seulement douze
établissements, via leurs personnels abonnés à la liste, ont répondu à mon post9. Ce sont
toutefois les réponses les plus riches, car les collègues se sont donné la peine de répondre
avec beaucoup de précisions, voire ont partagé des documents relatifs à ces opérations.
Le principe même de l’enquête a suscité un indéniable intérêt dans la communauté
bibliothécaire, signe qu’elle se reconnaît dans le livre d’heures.
Ensuite, l’exploration des sites web des bibliothèques et des pages culturelles des villes
et des métropoles, des comptes de ces mêmes instances sur les réseaux sociaux10 s’est
imposée parce que des études ont prouvé que l’animation est la principale thématique
des articles de presse régionale qui parlent des bibliothèques11. Elle a permis d’identifier
126 actions distinctes depuis dix ans. Cette couverture chronologique n’avait pas été
prédéterminée dans la recherche d’information, elle s’est imposée dans les résultats :
seulement deux actions repérées sont antérieures à 2010 (Fig. 8.1).
Cette chronologie, amputée de 39 actions non datées, ne dit pas tant l’activité des
bibliothèques autour de leurs livres d’heures que l’appropriation très progressive
8 Association professionnelle fondée en 2006 [En ligne] : http://www.bibliopat.fr/ (consulté le 18 juin 2019).
9 Mes remerciements vont à Muriel Hoareau (La Rochelle), Marc-Édouard Gautier (Angers), Séverine
Eitenschenk (Clermont-Ferrand), Louisa Torres (Arsenal), Mathilde Siméant (Dijon), Rémy Cordonnier (Saint-
Omer), Nadine Redin (Châteauroux), Julie Lochanski (Carpentras), Yann Kerguenteuil (Lyon), Véronique
Magnol-Malhache (Bibliothèque André-Desguines, département des Hauts-de-Seine).
10 Recherche effectuée les 16 et 17 mai 2021.
11 Cl. Poissenot, « On parle de la bibliothèque », in J.-Ph. Accart (éd.), Communiquer ! Les bibliothécaires, les
décideurs et les journalistes, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2010, p. 31-37.
D e l a médiation comme outil à l’enj eu socia l de la bibliothèque 3 57
Figure 8.1 : Nombre d’actions de valorisation de livres d’heures menées par des bibliothèques et
signalées sur le web : répartition chronologique (actions datées seulement).
qu’elles ont faites du web et des réseaux sociaux. En 2006, les deux tiers seulement des
bibliothèques des grandes villes (plus de 50 000 habitants) disposaient d’un site web12. En
2015, l’enquête annuelle de l’Observatoire de la lecture publique estime à 71% le nombre
d’équipements municipaux disposant d’un site web dédié – et non pas seulement d’une
page sur le site de la collectivité dont elles dépendent. Cette proportion augmente de
manière significative et régulière depuis le début des années 201013. Les données concernant
les réseaux sociaux numériques sont moins précises mais l’animation de communautés
virtuelles de lecteurs est devenue une activité quotidienne dans nombre de bibliothèques,
et l’usage de ces réseaux pour toucher des publics peu présents dans l’espace physique de
la bibliothèque paraît pertinent à la grande majorité des bibliothécaires. La répartition des
actions selon le canal qui les fait connaître sur le web montre à la fois le tableau actuel et
la stratification des modes de communication des bibliothèques publiques : les sites web
des bibliothèques représentent près de la moitié des canaux (47), loin devant les sites des
collectivités (18), les portails documentaires régionaux (6) et les réseaux sociaux (16) et
les blogs de bibliothèques (3). Or, l’écriture de pages de site web institutionnel, de blog
de bibliothèque ou de tweets requièrent des codes rédactionnels et relationnels différents.
Sur les réseaux sociaux, les messages se veulent brefs et incisifs ; ils doivent interloquer, et
non expliquer, à la différence des discours affichés sur les sites web institutionnels. Le ou
la community manager de la Bibliothèque de Valenciennes interpelle ainsi les followers du
12 E. Chevry, « Les sites web des bibliothèques municipales françaises », Bulletin des bibliothèques de France, 51
(2006), p. 16-23.
13 Observatoire de la lecture publique, Bibliothèques municipales. Données d’activité 2015. Synthèse nationale,
Paris, Ministère de la Culture, 2017, p. 21-22.
35 8 chapitre 8
livre d’heures dans leur politique de médiation, qu’elles en possèdent ou non d’ailleurs,
mais quelques-unes s’en sont fait une spécialité : celles d’Angers, de Besançon, de Lyon,
de Reims, de Rennes et de Poitiers communiquent avec beaucoup de vigueur sur les livres
d’heures en général et sur leurs collections en particulier, en cohérence avec des politiques
d’enrichissement très volontaristes.
Cette communication véhicule deux types de discours, quantitativement presque
équivalents. Il y a, d’une part, l’information sur l’existant, c’est-à-dire les collections héritées
et enrichies. Sites web et réseaux sociaux sont particulièrement mobilisés pour évoquer des
livres d’heures d’entrée ancienne ou récente dans les fonds. La ville de Toul, sur la page
dédiée à sa médiathèque, établit un lien symbolique entre la fortification (élément identitaire
de la ville enserrée dans une enceinte édifiée par Vauban) et la lecture, née dans la pierre
et les inscriptions lapidaires. Riche de 10 000 volumes (ce qui n’est pas considérable), la
ville met en exergue « des centaines de manuscrits et incunables » (ce qui est faux), parmi
lesquels « deux livres d’Heures et un volumineux missel, aux riches enluminures »17. La
bibliothèque de Quimperlé, elle, s’enorgueillit de posséder le fac-similé du livre d’heures
d’Anne de Bretagne exécuté par Curmer en 1861, partiellement numérisé. D’une manière
ou d’une autre, et quel que soit l’objet dont on parle, l’expression « livre d’heures » fait
figure de sésame pour les bibliothécaires et pour une partie du public : il condense l’idée
de richesse patrimoniale, même si celle-ci est objectivement limitée.
Cette communication relaie aussi les acquisitions de livres d’heures, réalisées avec
l’argent du contribuable. Cette valorisation non liée à un événement culturel est déjà le
symptôme d’une instrumentalisation des Heures pour légitimer la bibliothèque, ou tout au
moins lui conférer une visibilité qui prouve sa raison d’être. Évoquer le ou les livres d’heures
de la bibliothèque est généralement prétexte à dérouler toute la chaîne documentaire, de
l’acquisition à la médiation, en passant par le signalement, la conservation, la restauration,
l’expertise scientifique et la numérisation. Il s’agit, là encore, d’une spécificité des livres
d’heures ; les autres objets patrimoniaux, en effet, ne valident souvent qu’une partie de la
chaîne, telles la presse ancienne (numérisée massivement) ou la littérature jeunesse, objet
de plans de conservation régionaux. Le livre d’heures permet d’illustrer toutes les missions
de la bibliothèque, des plus traditionnelles aux plus innovantes. Il requiert par ailleurs,
ce qui ne lui nuit pas, une certaine expertise, donc une mise à distance. Ainsi auréolé de
mystère pour le néophyte, il autorise des discours qui augmentent sa « valeur », marchande
ou symbolique. Co-produit par les bibliothécaires et les journalistes, un portrait type du
livre d’heures s’impose dans le public et se trouve conforté à chaque fois qu’il est question,
pour quelque bibliothèque que ce soit, de ce type de document. Le cas du transfert à la
Bibliothèque de Verdun du livre d’heures d’Agnès de la Plume, abbesse des clarisses de la
ville au début du xviie siècle, révèle l’ensemble des ingrédients nécessaires dans les codes
de communication qui entourent les livres d’heures, hormis la valeur marchande, puisque
celui-ci, offert par la Société philomathique de Verdun, n’a rien coûté à la bibliothèque. Les
Heures, d’abord, donnent accès de plain-pied au passé. Le journaliste de l’Est Républicain,
usant de formules éculées, introduit ainsi son article : « Ouvrir un manuscrit médiéval
c’est plonger dans l’histoire. C’est fou, ce qu’un livre peut avoir à raconter ». Si toutefois
on sait le faire parler… « Bien emballé dans sa boîte spécialement conçue pour lui » et
« déposé avec précaution sur un support », il ne peut être manipulé n’importe comment,
ni par n’importe qui. L’expert, en l’espèce Michaël George, responsable du fonds ancien
et patrimonial de la bibliothèque d’études du Grand Verdun, est formel : « C’est un
manuscrit sur parchemin de la fin du xve siècle. C’est un livre d’heures à l’usage de Reims.
Des ouvrages qui étaient souvent destinés à des laïcs ». Parce qu’elle est émise par un
spécialiste, cette définition de dictionnaire qui s’appliquerait, l’usage liturgique mis à part,
à n’importe quel livre d’heures, devient aussi à la fois diagnostic et certification. Cette
certification est précise, gage de sa fiabilité. Michaël George explique : « Les pages sont
richement enluminées. Dans les marges, se trouvent ‘les marginalias’ : essentiellement
des motifs floraux et végétaux avec quelques animaux, des oiseaux ». C’est même, assure
l’expert, à son iconographie que les spécialistes ont pu déterminer qu’il s’agissait d’un livre
d’heures, réalisé par un membre de l’atelier de Maître François, présenté comme un des
plus grands enlumineurs parisiens de la fin du xve siècle. Le recours à un terme technique
renforce la préciosité de l’objet. Il évoque aussi des métiers et des gestes artisanaux disparus
et à travers eux, un rapport au temps dont nous n’avons plus l’expérience. « Il fallait une
trentaine de personnes, de celui qui tue la bête à celui qui pose la feuille d’or », rapporte
l’article en citant le bibliothécaire. Ainsi paré, le livre d’heures est nécessairement beau.
Il doit enfin faire le lien avec le territoire. Agnès de La Plume n’est pas la commanditaire
du recueil, elle l’a acquis en 1599. Elle est la fille d’un apothicaire de la rue Mazel. Ce livre
d’heures nanti de cet ex-libris localement prestigieux est le troisième de la collection
verdunoise, qui en a acquis deux autres en 1950 et en 199018.
Le discours verdunois est à peu près interchangeable avec tous les autres billets, articles
ou pages web consacrés aux livres d’heures conservés dans les bibliothèques françaises et
cette constance à désigner les livres d’heures avec les mêmes caractéristiques : artisanat
de luxe, beauté, ancienneté, ancrage local, concourt à en schématiser la représentation,
chez les bibliothécaires comme dans le public.
Une autre part de cette communication autour des livres d’heures fait connaître des
actions éphémères mais qui revitalisent les collections. Ces actions ne sont pas sans lien
avec ce qui précède : l’acquisition d’un livre d’heures est un événement qu’il faut valoriser
autant que le livre d’heures lui-même. À Verdun toujours, en décembre 2018, suite à l’arrivée
du livre d’heures d’Agnès de La Plume dans les collections, plusieurs manifestations ont
eu lieu, notamment un atelier d’enluminure, l’initiation s’adressant le matin aux enfants et
l’après-midi, aux adultes. Parchemin, pigments et feuilles d’or étaient mis à la disposition
des participants sous la férule d’animateurs pour reproduire sur une page les signes du
zodiaque à l’image de ceux du livre d’heures nouvellement entré dans les collections19.
Les propositions autour des livres d’heures sont extrêmement variées. Le cumul des
données recueillies dans les trois sources n’aurait pas de sens, car certaines actions ont
fait l’objet d’une communication à travers le web, les réseaux sociaux et la presse locale.
Il est toutefois intéressant de constater que les préférences sont concordantes quelle que
soit la source (Doc. 8.1).
Document 8.1 : éventail des actions menées par les bibliothèques autour des livres d’heures d’après les
annonces faites sur Internet et dans la presse (2010-2020)
Le livre d’heures se prête à une multitude d’actions croisées, dont l’efficacité repose
vraisemblablement sur l’empilement des propositions. L’exposition Livres d’heures en
lumière présentée à Poitiers du 3 septembre au 2 novembre 2013 a combiné pendant deux
mois, en parallèle de l’exposition proprement dite, des visites commentées, deux journées
d’études universitaires, deux sessions de « l’heure de la découverte », un concert de musique
médiévale et un spectacle pour enfants20. Il faut toutefois rester prudent sur les finalités de
ces actions. La « culturisation »21 des animations doit légitimer la place de la bibliothèque
dans l’espace public. L’institutionnalisation de l’animation tient finalement assez peu compte
des publics. Les manifestations culturelles ne modifient pas en profondeur le recrutement
social du public traditionnel des bibliothèques. On sait que la part des non-inscrits y est
marginale (moins de 20%) et que l’animation ne touche donc que ceux qui sont déjà des
consommateurs actifs de la bibliothèque. Le livre d’heures, par les codes qu’il requiert
malgré la schématisation dont il fait l’objet, intéresse surtout ceux qui se sentent déjà
proches de l’institution, malgré des efforts, très récents et pour le moins détonnants, de
toucher des publics plus populaires par d’autres biais. Quelques bibliothèques se sont ainsi
associées à des tatoueurs invités à exploiter le répertoire iconographique des documents
qu’elles conservent. Après une première expérience à Bordeaux, plutôt fondée sur les
collections d’estampes, d’autres bibliothèques ont reproduit ou vont reproduire cette
action à partir de motifs de manuscrits, livres d’heures en particulier. La Bibliothèque
municipale de Dijon y songe aussi et a épinglé sur Pinterest des ornements végétaux tirés
de ces recueils de prière22 pour élargir le répertoire des tatoueurs. La démocratisation par
ce biais est artificielle : la sociologie actuelle des tatoués (20% de la population) évolue
vers les classes moyennes à supérieures et ceux qui choisissent de reproduire sur leur
peau un motif tiré d’une enluminure de livre d’heures appartiennent probablement à ces
catégories nouvelles. En poussant cette logique à son terme, on pourrait même considérer,
en attendant d’autres études sur les publics des animations en bibliothèque, que l’action
culturelle engendre finalement une sélection sociale de ses publics. L’étude préliminaire
sur la connaissance des livres d’heures de tout un chacun a montré à la fois que celle-ci
était un marqueur social propre aux populations qui ont accumulé de fortes références
scolaires, et d’autre part que la bibliothèque est relativement peu impliquée dans cet
apprentissage. Ceux qui connaissent le mieux les livres d’heures ne les ont pas rencontrés
à la bibliothèque, mais à l’école, et s’ils sont attirés par cet objet en bibliothèque, c’est
surtout parce qu’ils l’identifient déjà.
Certaines propositions, par la posture d’écoute et d’intériorisation qu’elles requièrent, le
suggèrent, comme les conférences et les expositions, qui sont les deux modes de valorisation
privilégiés dans le cas du livre d’heures (Doc. 8.1). Les conférences sont, la plupart du
temps, données par des conservateurs qui sont à la fois responsables des réserves abritant
ces documents, et rompus à l’exercice d’analyse scientifique des manuscrits. Ainsi, le
30 mai 2012, Sarah Toulouse, directrice adjointe de la BMVR de Rennes, a fait découvrir
au public le livre d’heures de Jean de Montauban. L’annonce racoleuse « Prêts pour une
chasse au dragon ? » n’enlève rien au fait que la conférence restait une affaire de grand
public éduqué23. Le 29 janvier 2016, à la Bibliothèque municipale de Lyon, le public a pu
écouter Pierre Guinard, directeur des collections, à propos du livre d’heures à l’usage de
Chalon enluminé par Guillaume II Leroy, artiste lyonnais du début du xvie siècle dans
le cadre de la programmation « 30 minutes, une œuvre »24. Ces exemples montrent que
l’énonciateur et son public partagent au moins partiellement des codes de compréhension,
même si le conférencier est invité à vulgariser son sujet. C’est plus net encore quand la
conférence prend une dimension spectaculaire qui, au lieu de la rendre plus accessible,
rend encore plus nécessaire la maîtrise de ces codes. Le 3 novembre 2016, une comédienne,
Brigitte Stiévenard et la Compagnie du vent des mots se sont associées à la Bibliothèque
municipale de Bourges pour une lecture théâtralisée des textes littéraires, historiques et
dévotionnels figurant dans la bibliothèque de Jean de Berry25.
Cela ne signifie pas pour autant que les propositions ne renouvellent pas, par leur nature
et par les postures qu’elles impliquent, une nouvelle image des livres d’heures auprès de
ces publics. Les ateliers d’enluminure, qui se sont généralisés dans les bibliothèques depuis
une dizaine d’années, permettent à ceux qui y participent de faire l’expérience sensible
de la fabrication d’un manuscrit en revivant le geste de la calligraphie et du dessin. Ces
ateliers sont presque toujours associés à des livres d’heures conservés dans la bibliothèque
organisatrice, confortant ainsi l’idée d’un produit nécessairement manuscrit et décoré. Si
les stages hors bibliothèques tiennent à distance les livres d’heures, en bibliothèque26 c’est
bien cet objet qui est donné à examiner et copier de préférence à tout autre. Ouest-France
annonce ainsi en janvier 2012 qu’en marge d’une exposition de livres d’heures, un atelier
d’enluminure est organisé à la Bibliothèque municipale de Saint-Renan ; en octobre 2018,
Le Maine libre rend compte du stage proposé par la Bibliothèque de Saint-Calais et une
association patrimoniale locale. Le journaliste rapporte :
Samedi, les élèves pour ce stage, d’Isabelle Quibel, se sont contentés de calli-
graphier leur prénom sur un parchemin et de l’enluminer, en s’inspirant du pré-
cieux livre d’heures conservé à la médiathèque. Et c’est déjà beaucoup, car cela
représente un long et minutieux travail. En tout cas ce fut un moment agréable et plein
d’enseignements pour tous les participants. D’autant qu’ils ont également eu le plaisir
de découvrir […] le fond ancien de la médiathèque. Là où est conservé le livre, dont
ils se sont inspirés pour l’enluminure27.
Cette mise en abîme, de l’objet dans son site de conservation et des interprétations
qu’il autorise, tend à se généraliser. Son efficacité tient surtout dans sa capacité à légitimer
la fonction de la bibliothèque, conservatoire de splendides documents placés sous la
garde d’une profession compétente et soigneuse. Les visites, ainsi, consistent en parcours
découverte au cours desquels c’est toute la bibliothèque qui s’expose. Elles favorisent une
mise en scène de la réserve et du métier de bibliothécaire, lequel s’est préalablement muni
de gants blancs de coton qui renforcent l’idée de gestes minutieux tout en étant par ailleurs
absolument inutiles d’un point de vue conservatoire. La mise en scène est parfois outrée : à
Rouen, en 2010, il fut ainsi proposé aux amateurs de visiter nocturnement la bibliothèque,
lampe torche à la main. Il s’agissait sans doute d’attirer le visiteur par une évocation littéraire
et stéréotypée de la bibliothèque mystérieuse et emplie de documents qui ne se révèlent
qu’aux privilégiés qui savent en forcer l’entrée28. Les livres d’heures y tiennent une place
particulière, comme le souligne Muriel Hoareau à propos de l’expérience de la Bibliothèque
municipale de La Rochelle : « Nos collections sont pauvres en ressources médiévales – nous
n’avons que trois documents enluminés en plus de ces 8 livres d’heures. Nous ne cherchions
donc pas, au début des visites tous publics, à mettre en avant ces ressources. Mais nous
avons remarqué que le public est déçu quand, lors de visites des collections patrimoniales,
nous ne montrons pas d’enluminures médiévales… Il me semble que c’est l’enluminure
qui plaît avant tout, et que le grand public l’associe spontanément aux ‘fonds anciens’ »29.
Dans un autre ordre d’idée, les « produits dérivés » de livres d’heures permettent
la dissémination de cette imagerie : cartes postales, marque-pages, cartes de vœux de la
bibliothèque municipale de Lyon par exemple. Le fait qu’une institution publique utilise
une image de la Nativité (ms. 575) ou de Bethsabée au bain (ms. 6881)30 en contexte
laïc pour souhaiter ses vœux à ses partenaires ne manque pas de surprendre. La BnF,
en 2014, a mis en vente un agenda illustré des miniatures du livre d’heures de Jeanne de
France, jouant sur le rapport au temps, celui des Heures liturgiques rythmant la journée
et celui de l’année civile durant laquelle il est loisible de consigner les rendez-vous et faits
importants dans ce joli carnet31. Un temps abandonnés, ces « goodies » sont à nouveau
mobilisés par les services communication des établissements d’une certaine envergure.
inaugurait une exposition destinée à durer jusqu’au 22 février suivant, et intitulée « Les
livres d’heures de l’Inguimbertine ». Assez modeste dans son déploiement, elle prenait
place dans la « Vitrine patrimoine » de la bibliothèque multimédia située à l’Hôtel-Dieu,
vitrine judicieusement placée en face de la banque d’accueil de la bibliothèque, dont le
contenu est renouvelé tous les trois mois. Si la bibliothèque ne dispose pas de chiffres sur
la fréquentation de cette exposition, les manifestations organisées autour de cette vitrine,
en particulier une conférence intitulée « Secret des collections » a fait salle comble.
Elle permettait au public, avant le montage de l’exposition, d’en savoir plus sur les livres
d’heures et même, chose rare, de feuilleter quelques spécimens37. La presse régionale a
couvert l’événement avec beaucoup d’enthousiasme, montrant une fois de plus à un lectorat
territorialisé l’ardeur des bibliothèques à médiatiser leurs collections les plus prestigieuses.
L’énergie déployée par la profession dans la méditation culturelle aux côtés de tâches
traditionnelles de conservation et de signalement a été décrite38. Si on restreint la focale
aux actions de médiation mobilisant des livres d’heures, il s’avère qu’une proposition sur
quatre est une exposition. Le terme est toutefois équivoque, tant les dispositifs sont variés.
Leur ampleur diffère, de la vitrine unique de l’Inguimbertine dans l’espace d’accueil à la
salle tout entière dédiée aux expositions, avec le matériel ad hoc ; la technologie requise
vise tour à tour la scénographie d’un espace ou la dématérialisation pure et simple de
l’exposition, voire l’association des deux ; enfin les choix de pérennisation divergent, de
leur absence à l’archivage sur le web des notices et des éléments iconographiques, à la
publication d’un catalogue d’exposition.
Or, exposer des livres d’heures n’a rien d’innocent. L’objet soulève différents problèmes
d’interprétation religieuse pour les bibliothécaires comme pour le public, dans un contexte
de laïcité exacerbée39. Leur mise en vitrine constitue en outre une dénaturation de leur
fonction, en les faisant passer du statut de support de lecture et de prière active à celui de
« papillon dans la boîte du naturaliste »40. En troisième lieu, toute activité de médiation
en bibliothèque s’inscrit dans une politique culturelle résultant d’un contrat avec la tutelle
de l’établissement, voire d’une négociation sur la fonction sociale, politique et citoyenne
de la bibliothèque41. L’articulation de cette fonction enracinée dans le présent et de
documents parfaitement anachroniques ne va pas de soi, sauf à imposer aux livres d’heures
des relectures qui en transforment le sens. Enfin, parce qu’il est rare et précieux, le livre
d’heures se prête assez mal à toute exposition, qui met en danger sa bonne conservation42.
Pour comprendre comment les bibliothécaires accommodent ces quatre difficultés, nous
interrogerons le discours politique et professionnel élaboré autour des livres d’heures, et
37 Mes remerciements vont à Julie Lochanski, responsable des fonds patrimoniaux à l’Inguimbertine, pour ses
explications détaillées sur cet événement.
38 B. Huchet (éd.), L’action culturelle en bibliothèque, Paris, Éd. du Cercle de la Librairie, 2008.
39 B. Huchet, « Qui diable saura s’y prendre ? Mise en valeur du patrimoine et laïcité », in F. Henryot (éd.),
Bibliothèques, religions, laïcité, Paris, Maisonneuve et Larose, 2018, p. 61-72.
40 J. Lethève, « Les expositions dans les bibliothèques françaises au cours des cinq dernières années », Bulletin des
bibliothèques de France, 1 (1956), p. 515-529.
41 A.-M. Bertrand, Bibliothèque publique et Public Library : essai de généalogie comparée, Villeurbanne, Presses de
l’Enssib, 2010.
42 Fr. Marini, « Exhibitions in special collections, rare book libraries and archives: Questions to ask ourselves »,
Alexandria, 29 (2019), p. 8-29.
366 chapitre 8
celui qui, délivré au public, doit rendre l’objet intelligible et chargé de sens pertinents pour
assumer sa fonction patrimoniale, c’est-à-dire fonder et légitimer une identité collective.
L’exposition des plus remarquables livres d’heures des grandes bibliothèques parisiennes
pensées dès leur origine comme le creuset de l’identité littéraire nationale, et de quelques
« bibliothèques-musées » de province dotées précocement d’espaces scénographiques,
remonte au xixe siècle mais cette pratique a laissé peu de traces. À la Bibliothèque nationale,
la galerie Mazarine abrite dès le début du xixe siècle quelques travées pour montrer en
permanence des manuscrits précieux43. À partir des années 1870, parallèlement à cette
exposition permanente, des expositions annuelles font connaître au public les acquisitions
récentes des départements des imprimés et des manuscrits. Du mobilier est même acheté
à cet effet et un petit catalogue est publié et mis en vente. Les lieux sont accessibles aux
non-lecteurs les mardi et vendredi de chaque semaine. L’exposition de 1879 montre ainsi
trois livres d’heures incunables sur vélin44.
Les livres d’heures s’exposent aussi hors les murs. C’est le cas au Musée des Souverains
fondé par le prince-président Louis Napoléon Bonaparte le 15 février 1852 pour faire mémoire
des princes ayant régné sur la France. Le Musée emprunte alors à la Bibliothèque nationale
plusieurs manuscrits qui lui sont restitués en 1872 après la chute du Second Empire. En plus
des cinq livres d’heures choisis dans les collections de la B.N., la scénographie en montre
trois qui appartiennent au Louvre. Au total, donc, huit livres d’heures parmi dix-huit
livres dans les collections du Musée des Souverains. Mais ainsi délocalisés et confrontés
à des objets d’art, armures, gisants et objets du quotidien, et placés au fil d’un récit qui
commence aux temps mérovingiens pour s’achever avec l’Empire, ces livres d’heures ne
semblent pas s’être prêtés à une évocation très imaginative du Moyen Âge. Les notices du
catalogue sont très savantes et techniques45. Il faut toutefois souligner que l’ensemble
des livres convoqués dans cette mise en scène de la mythologie monarchique sont presque
aussi anciens que la royauté, puisque l’exposition présente des recueils carolingiens, et
tous religieux (Bible, psautiers, Heures), ancrant ainsi dans le public l’image, constante
au cours d’un millénaire, d’un prince instruit, sage et pieux.
Les premières années du xxe siècle sont marquées par une floraison inédite d’exposi-
tions dans les grandes institutions européennes culturelles, dans l’Empire (Düsseldorf,
Frankfort, Karlsruhe, Krefeld…), en Italie (Turin), en Belgique (Bruges) et en France. Le
Moyen Âge est particulièrement mis à l’honneur, en particulier à Düsseldorf et à Paris,
où sont montrés à ces occasions de nombreux livres d’heures. Aux États-Unis, quelques
villes, appelées à devenir de grands foyers de conservation et de valorisation des livres
d’heures telles Baltimore et Philadelphia, essaient de reproduire ces expositions avec
43 S. Balayé, « Les publics de la Bibliothèque nationale », in D. Varry (éd.), Histoire des bibliothèques françaises,
t. III : Les bibliothèque de la Révolution et du xixe siècle : 189-1914, Paris, Promodis, Éd. du Cercle de la librairie, 1991,
p. 331-332.
44 « Exposition des récentes acquisitions de la Bibliothèque nationale », Bibliothèque de l’École des Chartes, 40
(1879), p. 388-392.
45 H. Barbet de Jouy, Notice des antiquités, objets du Moyen Âge, de la Renaissance et des temps modernes composant le
Musée des Souverains, Paris, Ch. de Mourgues frères, 1856, no 43, 51, 54, 63, 65, 67, 97, 111.
D e l a médiation comme outil à l’enj eu socia l de la bibliothèque 367
l’aide de collectionneurs privés46. Ces événements, même s’ils ont lieu en dehors des
bibliothèques, conditionnent l’attente du public désormais désireux de contempler des
manuscrits anciens et amateur d’évocations médiévales.
Mais l’exposition fondatrice, en matière de livres d’heures, est sans aucun doute celle
intitulée Primitifs français qui s’est tenue au Louvre et à la Bibliothèque nationale en 1904,
dans laquelle les livres d’heures ont été mobilisés, événement sur lequel on ne reviendra
pas. Au début du xxe siècle, donc, les grands traits de la fonction de l’exposition de livres
sont esquissés : faire le lien entre écrit et territoire, fonder et valoriser une identité nationale
ou locale, revendiquer une fonction pédagogique et patrimoniale au moins égale à celle
des musées. Les modèles étrangers, tenant à la fois du musée et de la bibliothèque, sont
particulièrement scrutés, notamment en Grande-Bretagne où la distinction entre les deux
institutions n’a guère de sens. En 1932, ainsi, le British Museum expose 65 manuscrits d’origine
française, en même temps que la Royal Academy of Arts organise son « Exhibition of French
Art 1200-1900 ». Parmi ces manuscrits, 16 sont des livres d’heures et les observateurs français
en dressent une liste scrupuleuse47. De nombreuses institutions copient ces initiatives. La
bibliothèque publique de Lyon organise une exposition de manuscrits à peintures à partir
de ressources régionales et charge Victor Leroquais, alors en train d’expertiser les livres
d’heures manuscrits de la Bibliothèque nationale48, d’en rédiger le catalogue49, d’autant plus
utile que le tiers des manuscrits exposés provient de collections particulières lyonnaises,
qu’on ne reverra pas de sitôt dans un lieu public. Parmi les 56 manuscrits exposés, le visiteur
pouvait admirer onze livres d’heures, dont huit prêtés par des collectionneurs privés.
L’année suivante, en mai 1921, la bibliothèque Sainte-Geneviève expose ses plus beaux
manuscrits, parallèlement à la présentation permanente de reliures précieuses. Les deux
commissaires de l’exposition, Charles Mortet (1852-1927) et Amédée Boinet (1881-1965),
ont choisi presque exclusivement des livres de culte ou paraliturgiques, hormis un Roman
de la Rose, des Grandes chroniques de France et un « livre des propriétés des choses »
de Barthélemy l’Anglais. Le livre d’heures y occupe à nouveau une place importante50.
Cette conception nouvelle de la fonction muséale des bibliothèques croise l’appétit
du public pour ces manifestations d’une part, et pour le Moyen Âge d’autre part. Entre le
19 mai et le 19 juin 1925, la Bibliothèque nationale expose un grand nombre de ses fleurons
parmi les manuscrits à peintures, estampes, médailles, monnaies, objets d’art, livres et
cartes qu’elle conserve51. L’année suivante est organisée « l’exposition du Moyen Âge »
qui aurait attiré 48 000 personnes52. Un contemporain, Louis Gillet (1876-1943), historien
46 G. Fr. Kunz, « The Management and Uses of Expositions », The North American Review, 175 (1902), p. 409-422.
47 J. Cordey, « L’exposition de manuscrits français à miniatures au British Museum », Bibliothèque de l’École des
Chartes, 94 (1933), p. 219-224.
48 V. Leroquais, Les livres d’heures manuscrits de la Bibliothèque nationale, Paris, 1927, 2 vol.
49 V. Leroquais, Exposition de manuscrits à peintures. Catalogue, Lyon, 1920.
50 « Exposition de manuscrits à la bibliothèque Sainte-Geneviève », Bibliothèque de l’École des Chartes, 1921, t. 82,
p. 278-279.
51 P.-R. Roland-Marcel, Catalogue des manuscrits à peintures, estampes, médailles, monnaies, objets d’art, livres et
cartes [exposition, Bibliothèque nationale, 19 mai – 19 juin 1925], Paris, Ed. de la Gazette des Beaux-Arts, 1925.
52 D’après le rapport d’activité de la Bibliothèque nationale, cité par A. Pluchet, « Les expositions organisées à la
Bibliothèque nationale sous l’administration de Julien Cain, 1930-1964 », Revue de la BnF, 49 (2015), p. 50-59, ici
p. 57. Voir Catalogue des manuscrits, estampes, médailles et objets d’art, imprimés exposés du 28 janvier au 28 février
1926, Catalogue de l’exposition du Moyen Âge, Paris, Ed. de la Gazette des Beaux-Arts, 1925.
368 chapitre 8
de l’art chroniqueur dans la Revue des Deux-Mondes, note le succès de cette exposition qui
met en exergue « la mémoire du pays et nos titres de noblesse collective ». Il souligne
le côté mondain de l’acte de visiter ce genre d’exposition, notant non sans ironie que les
Parisiens ne viennent pas voir les expositions permanentes, qui sont gratuites, mais celles
qui ont lieu dans la Galerie Mazarine et qui sont payantes attirent beaucoup de public.
« Aujourd’hui, qui n’est pas un peu l’ami des vieux bouquins ? M. Jourdain sait lire et
M. Poirier est bibliophile » remarque-t-il ironiquement. Mais l’engouement dépasse
largement le conformisme social. Il évoque une « prodigieuse salle, qui contient plus de
rêves que les sépulcres de Mycènes et de Memphis – tout le trésor de notre art et de notre
culture, notre mémoire, nos morts, notre foi, nos sacra. Qui ne sentirait pas la gloire de
descendre d’un tel passé, l’honneur de le transmettre après nous intact et agrandi ? ».
L’amont ultime de ce passé, c’est le Moyen Âge qui a produit ces « livres illustres et
seigneuriaux, cette fleur des volumes célèbres, calligraphiés par l’élite des scribes […]
Voici les Psautiers de saint Louis (l’Arsenal a prêté le sien), les Bibles moralisées, la Cité
de Dieu de Raoul de Presles, les Heures d’Anjou, les Heures de Rohan, le Bréviaire de
Belleville »53. Ce témoignage est révélateur d’une fascination profonde pour le Moyen
Âge, alors que s’achèvent les grands chantiers néo-gothiques à Paris et en province et
que le xve siècle est devenu, dans la relecture des arts, un point de perfectionnement de
la peinture et de l’architecture.
La répétitivité de cette démarche, une fois par décennie environ dans la première
moitié du xxe siècle, indique à la fois l’attrait du public pour ces documents et la nécessité
pour les bibliothèques centrales de rappeler épisodiquement leur existence et leur rôle
dans la définition d’un horizon patrimonial fondé sur l’écrit. L’exposition de 1925 de la
Bibliothèque nationale est réitérée en 1938, avec 18 livres d’heures exposés au milieu de 209
manuscrits – soit deux fois plus que douze ans avant. Cette manifestation constitue une
sorte de revendication de l’autorité naturelle des bibliothèques en matière de manuscrits.
L’année précédente, en effet, l’Exposition rétrospective de l’art français organisée au Musée
du quai de Tokyo avait présenté 53 manuscrits parmi près de 1300 œuvres d’art médiévales.
Les organisateurs avaient privilégié les collections des bibliothèques de province et de
quelques bibliothèques étrangères, tandis que les bibliothèques parisiennes avaient
été d’emblée exclues du périmètre du projet. Pour ne pas être en reste, la Bibliothèque
nationale avait donc organisé cette exposition des « plus beaux manuscrits français » avec
la complicité des autres bibliothèques de la capitale54. La logique de l’exposition était,
une fois encore, iconographique et non livresque, l’attention du visiteur étant focalisée
sur des vignettes ou des miniatures, et non pas sur des livres. Une circulaire édictée par le
ministère de l’Instruction publique en 1922 pour interdire les expositions permanentes de
livres rares et éviter leur dégradation dit assez que ces pratiques étaient alors courantes55.
Du côté des petites et moyennes bibliothèques, la dynamique est plus difficile à saisir,
faute de sources équivalentes. Un bilan pour les années 1950-1955, qui fait aussi figure de
53 L. Gillet, « À la Bibliothèque nationale, l’exposition du Moyen Âge », Revue des Deux Mondes, 31 (1926),
p. 943-946.
54 É. Van Moé, Les plus beaux manuscrits français du viiie au xvie siècle conservés dans les bibliothèques nationales de
Paris, Paris, BN, 1938.
55 Paris, Archives nationales, F17 13498.
D e l a médiation comme outil à l’enj eu socia l de la bibliothèque 36 9
plaidoyer pour les expositions en bibliothèque56, semble affirmer que la pratique fait
consensus parmi les conservateurs et bibliothécaires, mais qu’elle n’a pas vraiment pris
d’ampleur, malgré la « nationalisation » des plus grandes bibliothèques de province par
classement de 54 d’entre elles, et malgré les chantiers de construction ou de rénovation
qui se multiplient alors pour se doter d’équipements dédiés, locaux, vitrines et éclairages
notamment. L’existence d’expositions en province avant la Seconde Guerre mondiale
est incertaine, mais elles se multiplient après-guerre. Celles qui exposent des documents
médiévaux sont les plus goûtées du public et les bibliothèques publiques de Grenoble
(1952), Toulouse (1954), Soissons (1954), Tours (1954), Nantes (1955) et Avranches
(1955) ont répondu à ce « goût de la délectation » qui amène les visiteurs dans ces espaces
d’ostension du livre. Cette chronologie n’est pas anodine : si d’autres sources la confirment,
elle indique que l’après-guerre est l’heure du bilan, alors que de nombreuses bibliothèques
de l’est et de l’ouest de la France ont été sinistrées, et qu’au moins deux millions de livres
ont été détruits57. Montrer ses manuscrits, faire référence au Moyen Âge, c’est d’une
certaine manière braver la destruction et la perte, mettre en évidence qui a survécu, en
même temps que l’identité nationale tente de se reconstruire malgré les clivages politiques
au lendemain de la Libération. Quoi qu’il en soit, ces expositions permettent de poser les
codes du genre, et confirment l’importance du manuscrit comme élément matriciel de la
civilisation écrite, et de l’image.
Variations d’échelles
56 J. Lethève, op. cit.
57 M. Poulain, Livres pillés, lectures surveillées. Les bibliothèques françaises sous l’Occupation, Paris, Gallimard, 2008.
58 J. Porcher, Les Manuscrits à peintures en France du xiiie au xvie siècle, catalogue d’exposition, 17 décembre 1955-
30 septembre 1956, Paris, BN, 1955.
370 chapitre 8
donc les livres d’heures qu’il a prêtés. Contrarié, Jean Porcher fait valoir à Julien Cain, non
sans une immense condescendance à l’égard des institutions de province :
Sans doute il est naturel qu’il désire avoir ses propres manuscrits, mais je les trouve
beaucoup mieux chez nous, au milieu des manuscrits de Jean de Berry, que perdus
dans un ensemble hétéroclite à Bourges. Ils sont utiles ici pour l’histoire de l’art du
début du xve siècle par les comparaisons que l’on peut établir alors qu’à Bourges, ils
seraient isolés et perdraient beaucoup de leur intérêt.
Jenny souhaite aussi disposer d’un manuscrit de la Bibliothèque Mazarine, déjà installé
dans une vitrine de la BN, et Porcher refuse tout net, sans même en référer à l’institution
propriétaire59.
L’exposition conçue quarante ans plus tard par François Avril sous le titre Quand la
peinture était dans les livres, montre que la tradition d’événements culturels de grande
envergure reste active à la BN. Elle contribue au renom de l’institution et permet peut-être
d’attirer des dons60. Au total, plus de 40 000 visiteurs sont venus admirer les manuscrits.
Les archives de l’exposition laissent entrevoir un budget d’au moins 5 205 187 francs et des
valeurs d’assurance estimées à près de 200 millions d’euros. Le scénographe retenu a dû
concevoir neuf modèles de vitrines différents, avec un fonds transparent, translucide ou
opaque pour créer des contrastes différents avec les livres présentés, et dans trois largeurs.
La disposition dans l’espace doit « rendre compte avec le maximum d’exactitude de ce
moment de la civilisation », en organisant deux ambiances différentes, l’une en nef pour
le xve siècle, l’autre plus resserrée, plus intime, pour le xvie siècle61.
Les expositions provinciales n’ont naturellement pas la possibilité matérielle de
présenter autant de documents, et dans des conditions de sécurité et de conservation
aussi satisfaisantes qu’à la Bibliothèque nationale. Elles revêtent pourtant une grande
importance dans le rôle de relais culturel qu’elles assurent entre les documents et les
publics. À partir du milieu des années 1950, tous les prétextes sont bons pour montrer des
livres d’heures – n’en déplaise à Jean Porcher.
Pour prendre la mesure de ce phénomène, nous nous sommes fondés sur le dépouil-
lement de la rubrique « Chroniques » du Bulletin des bibliothèques de France, tenue entre
1957 et 1982 sans interruption62. Il est évidemment regrettable que les années 1980 à 2010
ne soient pas documentées de la même manière mais cette source a au moins le mérite de
l’homogénéité, d’autant qu’elle exclut, par sa chronologie, les expositions virtuelles. Elle est
constituée « sur la base de renseignements ou de documents, transmis à la Rédaction du
Bulletin des bibliothèques de France par les responsables des différents établissements »,
peut-on lire en tête de chaque numéro. Cela signifie que le chroniqueur s’est contenté de
compiler des informations venues jusqu’à lui, sans effort de prospection et il faut en outre
59 Paris, BnF, Mission Archives, E619/b16/2 : archives de l’exposition de Jean Porcher (1955-1956).
60 Fr. Avril et N. Reynaud, Les manuscrits à peintures en France, 1440-1520, [catalogue de l’exposition Quand la
peinture était dans les livres. Les manuscrits enluminés en France, 1440-1520, BN, 16 octobre 1993-16 janvier 1994],
Paris, BN, Flammarion, 1993. Le catalogue présente, parmi 242 manuscrits exposés, 94 livres d’heures, soit 39%
des objets.
61 Paris, BnF, Mission Archives, E619/b627 à E619/b629 : archives de l’exposition Quand la peinture était dans les
livres (1993).
62 [En ligne] : http://bbf.enssib.fr.
D e l a médiation comme outil à l’enj eu socia l de la bibliothèque 3 71
que son correspondant ait signalé, au milieu des objets exposés, la présence ou non de
livres d’heures, ce qui n’est pas certain. Ces biais imposent de prendre la statistique ainsi
établie comme une série de minima. Toutefois, le volontarisme des agents des bibliothèques
de ces trois décennies à signaler les expositions qu’ils organisent est déjà symptomatique
d’une nouvelle conception du métier.
Il y aurait donc eu au moins 55 expositions mobilisant des livres d’heures au cours
de ces vingt-cinq années. La chronologie (Fig. 8.2) montre une série de flux et de reflux
auxquels il est difficile de donner un sens précis. Elle confirme d’abord l’engouement signalé
dès 1956 pour ce genre d’événement63. Si ces expositions restent occasionnelles dans la
première moitié des années 1960, elles deviennent plus nombreuses, et ce durablement,
entre 1965 et 1972, avant de se raréfier, sans toutefois disparaître. Du reste, la baisse des
expositions après 1975 tient peut-être à l’orientation et de la revue, et de sa rubrique
« chronique », qui semble s’essouffler, ce qui pourrait expliquer sa disparition après 1982.
Elle est plus resserrée, et surtout beaucoup moins tournée vers le patrimoine, au bénéfice
des informations concernant des initiatives innovantes en lecture publique, la mise en
place de bibliobus ou de relais de quartier par exemple. Les informations transmises sont
souvent anciennes de plusieurs mois et les bibliothèques universitaires y occupent une
place plus importante, ce qui correspond à une réalité institutionnelle mais escamote les
équipements municipaux qui ne cessent pas d’exister pour autant.
Ces chiffres, ainsi relativisés, montrent que les bibliothécaires font preuve d’une belle
constance dans la valorisation de leurs livres d’heures au cours de ces années. La géographie
de ces expositions est également intéressante. Elle révèle que 36 villes ont hébergé une
exposition montrant un ou plusieurs livres d’heures, toutes situées au nord de la Loire, à
63 J. Lethève, op. cit.
372 chapitre 8
l’exception de Pau (1975), Valence (1972) et Carpentras (1964). Les expositions ont lieu
dans un vaste nord allant de Brest à Colmar, d’Amiens à Lyon. Cette donnée relativise aussi
le centralisme parisien, encore très vigoureux avant-guerre. Les grandes expositions de
la Bibliothèque nationale, et au premier chef celle organisée par Jean Porcher en 1955 ont
pu donner des idées aux conservateurs et bibliothécaires de province, mais l’institution
parisienne n’en a plus le monopole, bien au contraire. En France comme dans le monde
anglophone, les grandes expositions nationales de manuscrits à peintures deviennent rares
durant ces mêmes années 1950-1970.
Les circonstances de l’exposition montrent l’extrême plasticité des livres d’heures. À la
différence des institutions parisiennes, il est extrêmement rare qu’elle soit tout entière
consacrée au Moyen Âge. À Lyon, en 1964, les documents sont exposés pour ce qu’ils sont
et non pour les récits que l’on peut construire à partir d’eux – ce qui n’empêche pas, malgré
tout, de fabriquer d’autres récits. Du 16 septembre au 15 novembre 1963, 3 000 visiteurs
ont pu se familiariser avec « La civilisation du manuscrit ». Parmi les ouvrages exposés
qui offraient un panorama de l’évolution de la décoration du manuscrit français, du xe
au xvie siècle, figurait le livre d’heures de Marie de France et d’Henri VIII d’Angleterre
(ms. 1558).
Puisque le prétexte de l’exposition n’est pas l’évocation du Moyen Âge, c’est qu’il se
situe ailleurs. Le fil conducteur en est le plus souvent le « trésor » (22 cas), c’est-à-dire la
mise en scène des plus belles pièces des collections municipales ou régionales. Du 20 juin
au 13 juillet 1967, la bibliothèque municipale de Rouen présente une exposition de ses
richesses : tablettes babyloniennes, manuscrits javanais, manuscrits enluminés du ixe
au xviiie siècle « parmi lesquels de très beaux livres d’Heures », quelques autographes,
incunables et ouvrages imprimés, un ensemble de monnaies et médailles depuis l’époque
gauloise jusqu’au xxe siècle ; un choix de reliures précieuses, des estampes. La valorisation
des dons et achats récents est en second lieu l’occasion de souligner le rythme des entrées
de pièces prestigieuses dans les collections, et l’actualisation de la notion de patrimoine (3
cas). À Bourges, en 1962, la période de la rentrée est propice à présenter dans les vitrines
du salon d’accueil et de la galerie des périodiques les acquisitions les plus remarquables
de la bibliothèque municipale depuis douze ans : envois de la Direction des bibliothèques,
dons de particuliers, achats en vente publique ou chez des libraires. Parmi ces nouveaux
entrés dans la Réserve, sont présentées des Heures à l’usage de Bourges venant de l’en-
tourage de Jacques Cœur, figure emblématique de la ville. En se faisant les temples de la
capitalisation et de la transmission actives d’un héritage collectif, matérialisé par le livre
d’heures, les bibliothèques affirment aussi leur légitimité. Dans 8 cas enfin, l’exposition
concerne l’histoire locale. La bibliothèque de Calais, en 1962, s’associe avec les archives
municipales pour retracer à travers l’écrit l’histoire du Calaisis. Les visiteurs peuvent
voir, entre autres, plusieurs livres d’heures des xive et xve siècles. Le correspondant du
chroniqueur du Bulletin des bibliothèques de France précise : « On évalue à près de 5.000
le nombre des visiteurs de l’exposition, ouverte du 4 au 16 mai ».
Toutes les autres expositions sont thématiques et la diversité des approches montre
que le livre d’heures peut finalement illustrer n’importe quel sujet. À Bourges, pendant
les mois de décembre 1969 et de janvier 1970, une petite exposition temporaire au premier
étage de la bibliothèque retrace l’histoire des calendriers et almanachs. Les livres d’heures
médiévaux, comportant toujours un calendrier des fêtes des saints et des fêtes mobiles,
D e l a médiation comme outil à l’enj eu socia l de la bibliothèque 3 73
y occupent une place de choix. À Brest en 1978, l’exposition « Le Visage de la mort en
Bretagne et ailleurs », présentant des pièces locales et d’autres prêtées par plusieurs
bibliothèques françaises, donne à voir des danses macabres représentées dans les « Heures
à l’usage de Coutances du xve siècle comportant des miniatures, les Heures de Moulins
du xve siècle, manuscrits à peinture, et les livres d’Heures de Simon Vostre, ouvrages sur
lesquels apparaissaient de superbes illustrations de la représentation de la mort ». À Laon
en 1982, une exposition intitulée « Comme l’oiseau sur la page » (12-27 septembre 1981)
est organisée en marge de la 19e édition du festival des Heures Médiévales de Laon. On
notera au passage l’homonymie entre le nom de la manifestation et les livres de prières
nés précisément au Moyen Âge, cultivant l’ambiguïté dans l’esprit du public. Parmi les
livres présentés, on peut admirer « un chardonneret qui chante dans le buisson de fleurs
ornant la marge d’un livre d’heures de la fin du xve siècle (provenant de l’atelier de Jean
et François Colombe) ».
Le livre d’heures tisse ainsi un réseau de relations sémantiques et esthétiques avec
d’autres documents. À la bibliothèque municipale de Dijon, une exposition consacrée à la
Nativité montre des représentations de Noël « de toutes les époques et de tous les pays :
une très belle annonce aux bergers, enluminure d’un manuscrit de Cîteaux du xiie siècle, un
livre d’heures enluminé du xive siècle, des reproductions de Rembrandt, des gravures du
xixe siècle, la nativité vue par l’imagerie d’Épinal ainsi que des représentations norvégiennes
et éthiopiennes de la naissance du Christ » (20 décembre 1976-9 janvier 1977).
À force d’être ainsi mis en vitrine pour quelques semaines, d’une ville à l’autre, le livre
d’heures dans son expression générique devient l’objet attendu du public. Encore faut-il
connaître la composition de ce public. Plusieurs de ces expositions ont en effet été organisées
à l’occasion d’un congrès professionnel. La bibliothèque de Grenoble, qui accueille du
14 au 16 mai 1971 le Congrès de l’Association des bibliothécaires français, expose ses plus
beaux manuscrits, choisis principalement pour leurs enluminures, en particulier des livres
d’heures du xve siècle. Dans ce cas, l’exposition est présentée par des bibliothécaires pour
des bibliothécaires : elle établit une sorte de connivence sur ce qui fait la valeur d’un fonds
patrimonial. Le même procédé permet de restaurer les liens avec les partenaires traditionnels
de la bibliothèque, en particulier l’école. Le Congrès des inspecteurs primaires du Sud-Est
se tenant à Carpentras en 1964, la Bibliothèque Inguimbertine en profite pour exposer des
pièces fameuses de sa réserve choisies pour les possibilités pédagogiques qu’elles offrent : les
livres religieux y sont, une fois n’est pas coutume, rares, remplacés par des livres d’histoire,
des romans et des recueils de poèmes, des grammaires médiévales, un Ptolémée et, malgré
tout, « quelques livres d’heures du xve siècle ».
En dehors du cercle des agents des bibliothèques, qui identifient l’objet pour sa rareté,
sa préciosité et son ancienneté, les mêmes vitrines soumises au regard d’un plus large
public composent une sorte de spectacle de la bibliothèque en quête de visibilité dans
l’espace urbain. Il n’est pas rare que ces équipements profitent de l’actualité culturelle pour
se faire une place sur la scène municipale. L’exposition « Fleurs et Images » organisée par
la bibliothèque d’Orléans en 1967 se tient en même temps que les Floralies internationales,
« et s’efforce d’y attirer, outre les Orléanais, quelques-uns des nombreux visiteurs passant
par la ville ». Les bordures fleuries des livres d’heures enluminés sont censées manifester un
lien entre l’univers de l’écrit et de la lecture, et la manifestation horticole qui fait la célébrité
de la ville. L’exposition doit finalement valoriser la bibliothèque plus que le livre d’heures.
374 chapitre 8
Pour comprendre comment le livre d’heures ainsi exposé est reçu dans le public, on ne
dispose que des catalogues d’exposition et des dossiers de presse, qui révèlent davantage
l’intention et la conduite de cette réception que la compréhension réelle par les visiteurs.
Il ne reste aucune trace des scénographies adoptées. Or, catalogues et expositions ne se
superposent pas exactement, même si les objets présentés et la problématique développée
sont en principe similaires. Bien souvent, le catalogue est le prolongement scientifique d’une
manifestation où les œuvres présentées sont, in situ, davantage vulgarisées. Le catalogue
n’entend pas restituer l’expérience de la visite ; il est un autre mode de communication
et de médiation de savoirs plus ou moins vulgarisés64. Il démultiplie aussi les possibilités
visuelles en insistant sur les détails, sur ce qui ne se voit pas (dos, intérieurs de reliures,
pages non montrées lors de l’exposition par exemple). Il partage toutefois plusieurs points
communs avec l’exposition qu’il archive : l’ordonnancement des objets selon une logique
à la fois pédagogique et érudite, la fragmentation et le parcours désordonné à la guise du
lecteur, à l’image du visiteur déambulant à son aise dans l’espace de l’exposition. Et du reste,
pour nombre d’expositions d’ambition moyenne, le catalogue se revendique un guide de
visite : il entend donc conduire et la déambulation du visiteur, et la compréhension des
documents sélectionnés. On s’appuiera donc ici sur cette source, faute de mieux, pour
comprendre la teneur d’un imaginaire médiéval construit et conforté autour du manuscrit.
Cette source présente aussi un avantage sur les dossiers logistiques et administratifs des
expositions : celle de poser explicitement, dans les discours d’escorte (avant-propos,
préfaces…), les éléments que les organisateurs souhaitent inculquer au visiteur / lecteur.
Une première approche de ces catalogues consiste à repérer différents degrés dans
l’intelligibilité des objets présentés. Le vocabulaire choisi pour décrire les livres d’heures, sa
technicité, les champs lexicaux explorés, la longueur ou la concision des notices indiquent
les contours d’un imaginaire médiéval que les Heures doivent à la fois fonder et nourrir.
Sur ces critères, il est possible de regrouper les catalogues en trois catégories.
Un premier groupe de catalogues a fait le choix de notices savantes. Dans celui élaboré
par la Bibliothèque municipale de Caen en 1991 à l’occasion de son exposition « Rêves de
livres »65, les notices, rédigées par Monique Dosdat, conservatrice, entreprennent de savants
développements sur l’identification des usages liturgiques. Ainsi, à propos des Heures à
l’usage d’Amiens copiées à la fin du xve siècle66, elle écrit : « ici l’usage d’Amiens est bien
attesté par les antiennes et capitules des offices de prime (O admirabile / Hec est Virgo)
et de none (Germinavit / Per te Dei genitrix) des heures de la Vierge, et par les saints du
calendrier » et plus loin, « ce livre d’heures a été exécuté pour un homme (les formules de
l’Obsecro Te sont masculines) ». La même démonstration est effectuée pour les Heures à
l’usage de Bayeux67 et les Heures à l’usage de Rouen68. Il faut donc que le visiteur / lecteur
ait déjà une idée de la fonction d’un livre d’heures, de la structure de l’office divin, enfin
64 C. Leinman, Les catalogues d’expositions surréalistes à Paris entre 1924 et 1939, Leyden-Amsterdam, Brill, Rodopi,
2015, p. 25-60.
65 Rêve de livres. Richesses des bibliothèques et archives de Basse Normandie, exposition, juillet-août 1991, Conseil
Régional – Abbaye aux Dames, Caen, 1991.
66 Caen, BM, ms. 8o-9.
67 Caen, Musée des Beaux-Arts, coll. Mancel, ms. 239.
68 Cherbourg, BM, ms. 5.
D e l a médiation comme outil à l’enj eu socia l de la bibliothèque 3 75
69 Agence de coopération des bibliothèques de Bretagne, Trésors des bibliothèques de Bretagne, catalogue de
l’exposition au Château des ducs de Rohan, Pontivy, 15 juin-15 septembre 1989, Vannes, ACBB, 1989.
70 Saint-Brieuc, BM, ms. 1.
71 Trésors des bibliothèques de Bretagne…, op. cit., p. 49-63.
72 Ph. Hoch, Trésors des bibliothèques de Lorraine, Paris, ABF, 1998, no 13.
73 Fl. Bandera et al., Trésors des bibliothèques de Picardie…, op. cit., p. 48-51.
376 chapitre 8
Les catalogues, à nouveau, permettent de dégager les grandes lignes de cette matrice,
et les modalités de consolidation d’un imaginaire médiéval partagé par un segment
de population familier de ces événements culturels. Le discours émane de plusieurs
74 D. Rouet (éd.), Trésors du Moyen âge : livres manuscrits des bibliothèques du Havre et de Montivilliers, catalogue
d’exposition, 16 octobre-18 décembre 2004, Le Havre, Bibliothèque municipale Armand Salacrou, 2004, p. 45.
75 M.-P. Dion, Trésors de la Bibliothèque de Valenciennes, Valenciennes, BM, 1995, p. 17 (Heures à l’usage de Rome,
Paris, Pigouchet pour Vostre, 1498).
76 Livres d’heures de Basse-Normandie : manuscrits enluminés et livres à gravures : xive-xvie siècles, Caen, Association
des Amis des bibliothèques de Caen, 1992, p. 46.
77 Y. Jocteur-Montrozier (éd.), Trésors de la bibliothèque municipale de Grenoble. Mille ans d’écrits, Grenoble,
Ed. Glénat, 2000, p. 54-55.
D e l a médiation comme outil à l’enj eu socia l de la bibliothèque 37 7
78 M.-J. Perrat, Trésors manuscrits de la Bibliothèque d’Autun, catalogue d’exposition, 20 juin-12 juillet 1980, Autun,
BM, 1980, n.p.
79 Par exemple : dans Rêve de livres…, op. cit.
80 F. Pierotti, La Couleur. Une passion cinématographique, Paris, Classiques Garnier, p. 135-140.
378 chapitre 8
81 J. R. Tanis (éd.), Leaves of Gold. Manuscript Illumination from Philadelphia Collections, Philadelphia Museum of
Art, 10 mars – 13 mai 2001, Philadelphia, Philadelphia Museum of Art, 2001.
82 Livres d’heures de Basse-Normandie. Manuscrits enluminés et livres à gravure xive-xvie s., Caen, BM, nouvelle éd.
revue, corrigée et augmentée, 1992, préface.
D e l a médiation comme outil à l’enj eu socia l de la bibliothèque 3 79
période de paix et d’abondance qui est le propre des sociétés partagées entre bonheur
naturel et progrès technique. Dans le même ordre d’idée, moins chrétien toutefois, le livre
d’heures est présenté comme un moyen d’élévation intellectuelle et spirituelle, propre à
des individus portés sur les arts et qui trouvent en eux des voies de méditation. Frédéric
Mitterrand, préfaçant le catalogue de l’exposition Splendeur de l’enluminure. Le roi René et
les livres organisée à Angers en 2009, explique : « ce qui n’était, à l’origine, qu’un simple
ornement devient peu à peu le motif principal, un mouvement qui culmine dans les
célèbres ‘livres d’heures’. C’est bien le livre qui réunit alors, plus que jamais, les prestiges
de l’esprit et la splendeur des arts »83. Les organisateurs de ces manifestations prêtent
même au livre d’heures la capacité de civiliser les mœurs et de pacifier le Moyen Âge et,
pour nous qui le contemplons aujourd’hui, d’exorciser notre propre violence. Françoise
Autrand, au seuil du livre accompagnant l’exposition Les Très riches heures du duc de Berry
et l’enluminure en France au début du xve siècle, défend ce point de vue :
Si les miniatures des Très Riches Heures ont gardé leur force d’émotion, ce n’est pas
seulement à cause de la somptuosité de leur or et de leur azur, de l’élégance nostalgique
des scènes de cour ni du charme des images champêtres, mais parce que le génie des
Limbourg a su faire passer à travers les siècles un message de paix que déchiffrent
toujours nos yeux et nos cœurs84.
C’est oublier le rôle militaire de Jean de Berry dans la reconquête du Poitou. Cette
« lecture » des images des livres d’heures, sans tenir compte des textes et de la nature
liturgique de ces recueils, transforme le Moyen Âge en période faste et heureuse.
Le livre d’heures présente ainsi, une fois exposé à la fois dans l’espace physique de
la bibliothèque et dans le catalogue qui rend compte de cette opération, une série de
sens fondés presque exclusivement sur l’image. La miniature est donnée à voir, parfois
décomposée en détails ornementaux, mais elle participe aussi d’une autre image, celle de
la bibliothèque. C’est peu de dire que l’imagerie médiévale est instrumentalisée en vue de
la production d’une image institutionnelle de la bibliothèque. La médiation ainsi déployée
entre le livre d’heures et le public est tout autant affaire de formation du lecteur, qui doit
y gagner une nouvelle lecture du monde qui l’entoure et du passé, que de représentation
de la bibliothèque comme lieu, voire processus de production de normes et de valeurs85.
Visiter l’exposition, c’est d’une certaine manière admettre que la bibliothèque est légitime
pour dispenser cette formation, et donc la reconnaître comme un espace relationnel entre
bibliothécaires et visiteurs qui partagent un monde vécu.
Dans cette logique de mise en visibilité des objets documentaires et des fonctions
de la bibliothèque, la publication est donc essentielle. Catalogues d’expositions, revues
patrimoniales publiées par la bibliothèque, fascicules autopubliés commentant tel ou
tel document rare : avec des échelles de diffusion variées, la mise en circulation de livres
d’heures rééditorialisés contribue très largement à imposer la bibliothèque, depuis les
83 M.-Éd. Gautier (éd.), Splendeur de l’enluminure. Le roi René et les livres, Angers ; Arles, Actes Sud, 2009, p. 9.
84 P. Stirnemann et I. Villela-Petit, Les Très riches heures du duc de Berry et l’enluminure en France au début du xve
siècle, Paris, Somogy, 2004, p. 6.
85 I. Fabre, C. Gardiès et V. Liquète, « Faut-il reconsidérer la médiation documentaire ? », Les enjeux de
l’information et de la communication, 11 (2010), p. 43-57.
380 chapitre 8
années 1960, comme un espace de spectacle patrimonial dans l’ensemble des équipements
culturels. Elle participe aussi à la dissémination des images, en participant – de loin – à
l’économie des fac-similés pour lesquels elle fournit l’original et garantit son authenticité
et espère en retour une forme de prestige, et surtout en mettant en circulation une masse
considérable d’images numérisées.
utilisation des fichiers en question, pour quelque usage que ce soit, projetant ainsi sur les
bibliothèques publiques une éthique et des missions distinctes de celles qu’elles-mêmes
revendiquent autour des concepts de « national » et de « privé », de « libre » et de
« payant »89. C’est dire combien la numérisation, qui occupe tant les bibliothèques
aujourd’hui, est plébiscitée par le public et combien les fichiers mis à disposition sont aussi
susceptibles de circulation, appropriations, rééditorialisations qui dépassent largement
l’étude scientifique ou la production de beaux livres. Tanguy propose ainsi : « J’ouvre
un restaurant à thème médiéval. Pour la déco, j’utilise des copies d’œuvres de l’époque.
Ça ne fait de mal à personne, certainement pas à leurs auteurs qui sont morts depuis des
siècles. Mais si je veux utiliser une illustration de ce manuscrit-là, je dois payer la BnF ?
Et les gens qui prennent des photos de mon restaurant ? »
Ainsi, de tous les dispositifs de valorisation et de dissémination, la production de
substituts numériques et leur mise en circulation constituent d’une part celui qui a
l’histoire la plus courte – elle a à peine trente ans – et d’autre part celle qui favorise en
principe le mieux l’infusion documentaire dans l’ensemble de la société. La principale
révolution induite par le numérique dans les pratiques patrimoniales est précisément les
possibilités de dispersion, décontextualisation et réinvestissement de sens offertes par les
fichiers ainsi produits. On questionnera donc ici les promesses faites par le numérique de
faciliter la rencontre entre les livres d’heures et le public et, ce faisant, la manière dont il
est susceptible de transformer leur statut patrimonial.
Pour établir un état des lieux cohérent et homogène de la disponibilité sur le web des
livres d’heures des bibliothèques publiques, on se limitera aux manuscrits, dont le pouvoir
d’évocation et le degré de patrimonialité sont perçus comme supérieurs aux imprimés
aux yeux du public et des bibliothécaires. Trois types de mise en collection doivent être
évaluées : les bibliothèques numériques développées par les bibliothèques territoriales, la
plateforme centrale que constitue Gallica, désormais destinée à moissonner et rassembler
aussi les collections de bibliothèques françaises autres que la BnF ; enfin les bases de
données d’enluminures auxquelles contribuent les bibliothèques publiques.
Les bibliothèques municipales, depuis la fin des années 1990, ont commencé à alimenter
des bibliothèques numériques miroir de leurs collections patrimoniales, en dématérialisant
celles-ci. Elles se sont muées de la sorte en « bibliothèques hybrides qui tentent, sur des
principes séculaires d’organisation de documents, d’associer le matériel à l’immatériel, le
local au distant et le visible à l’invisible »90. En 2019, 140 bibliothèques municipales ont
participé à un programme de numérisation, voire en ont piloté un. C’est plus de deux
fois plus qu’en 2006, où elles étaient 51 seulement91. Les livres d’heures constituent une
89 L. Maurel, « Quel modèle économique pour une numérisation patrimoniale respectueuse du domaine
public ? », in L. Dujol (éd.), Communs du savoir et bibliothèques, Paris, Éd. du Cercle de la Librairie, 2017,
p. 73-84.
90 F. Pepy, « Les bibliothèques numériques peuvent-elles être des bibliothèques ? », Communication et langages, 161
(2009), p. 33-35.
91 E. Chevry, Stratégies numériques. Numérisation et exploitation du patrimoine écrit et iconographique, Paris, Hermes,
2011, p. 38.
382 chapitre 8
part infime des fichiers produits et mis en ligne, et une comparaison quantitative avec
d’autres types de corpus numérisés n’aurait aucun sens. Dans ce contexte d’accélération
de la dématérialisation, les bibliothèques municipales classées ont précocement élaboré
des bibliothèques numériques plus construites et plus ambitieuses, aujourd’hui largement
soutenues par le programme national des Bibliothèques numérique de référence (BNR)
dont elles sont les principales bénéficiaires92. La consultation des bibliothèques numériques
des 54 BMC, qu’elles soient concernées ou non par le label BNR, fait apparaître 265 livres
d’heures numérisés en tout ou en partie, sans compter les 1472 enluminures disponibles
sur Numelyo, la bibliothèque numérique de la métropole de Lyon. Rapporté aux 642
livres d’heures conservés en région (dont les 4/5e dans une BMC), ce chiffre montre
que l’effort fourni est déjà considérable. Peu d’objets, à l’exception de la presse régionale
et des fonds de cartes postales, peuvent prétendre à une pareille couverture numérique.
Ce chiffre masque certes des choix techniques et scientifiques hétérogènes, mais il est
suffisamment massif pour témoigner de nouvelles instrumentalisations de ces documents
par les bibliothèques. La numérisation des livres d’heures vise en effet leur conservation,
le document de substitution permettant de ne plus communiquer l’original aux lecteurs,
mais pas seulement. Les manuscrits médiévaux constituent dans nombre de bibliothèques
numériques un produit d’appel rehaussant le prestige des collections et de l’institution, et
favorisant la visibilité de celles-ci. La priorité mise sur les manuscrits permet aussi d’éviter
les redondances d’une bibliothèque à l’autre, critère essentiel au développement d’une
bibliothèque patrimoniale cohérente, et est largement simplifiée par le fait que les fonds
manuscrits sont aussi ceux qui sont les mieux balisés et signalés dans les bibliothèques,
ce qui permet de prendre très vite la mesure du travail à réaliser.
À une toute autre échelle, Gallica, bibliothèque numérique de la Bibliothèque
nationale de France et ses partenaires, propose en accès libre depuis 1997 des documents
issus des collections de la BnF d’abord, mais pas seulement. Au titre de la coopération
documentaire qui est une des missions principales de la BnF, Gallica entend aussi fédérer
les efforts des bibliothèques françaises en matière de numérisation, soit en proposant
son infrastructure à ses partenaires en vue de la mise en ligne de leurs propres fichiers,
soit par moissonnage des métadonnées de bibliothèques numériques partenaires. On
accède ainsi aux fichiers numérisés de la bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence, la
bibliothèque numérique du Périgord, les bibliothèques municipales de Laon et de
Chambéry, la Bibliothèque Mazarine, ou Occitanica depuis Gallica. Son périmètre, vu
du côté de l’usager, dépasse donc largement les collections de la BnF. Ainsi, une requête
« heures » limitée aux manuscrits donne accès à 339 manuscrits de la BnF – soit la
quasi-totalité des recueils du Département des manuscrits, ceux de l’Arsenal ne sont pas
concernés – mais aussi d’une multitude de bibliothèques municipales ou intercommunales
(Doc. 8.2), et de quelques structures universitaires. L’efficacité d’une telle plateforme
est double : centraliser l’accès à des ressources géographiquement dispersées, et rendre
celles-ci visibles, ce qui est d’autant plus nécessaire quand les corpus de manuscrits
sont aussi réduits.
Document 8.2 : Livres d’heures numérisés référencés par Gallica (10 mai 2021).
Les livres d’heures sont enfin enrôlés dans des bases de données spécialisées dans
l’enluminure médiévale. Deux ressources coexistent. La base Enluminures, coproduite par
le Ministère de la Culture et l’IRHT à partir de sa base de recherche Initiale, donne accès en
ligne aux manuscrits médiévaux enluminés conservés dans les bibliothèques municipales93.
Elle compte plus de 80 000 images à ce jour, toutes décrites scientifiquement et à l’aide d’une
indexation pointue. Elle permet de diffuser les images de livres d’heures de bibliothèques
municipales non classées, qui n’auraient le plus souvent aucune visibilité sans cette plate-
forme : ainsi, les manuscrits de Tonnerre, Riom, Meaux, Châteaudun, Loches, par exemple,
ont été traités dans cette base grâce à des financements nationaux. Le Département des
manuscrits de la BnF a développé de son côté Mandragore, permettant la consultation de
plus de 170 000 notices analysant le décor figuré ou aniconique de manuscrits occidentaux
ou orientaux de toutes périodes historiques94. On peut enfin citer pour mémoire Liber
floridus, principalement alimentée par la Bibliothèque Mazarine et la Bibliothèque Sainte-
Geneviève, qui donnait accès en ligne aux manuscrits médiévaux enluminés conservés
dans les bibliothèques de l’enseignement supérieur, avant son inexplicable disparition. Ces
bases de données pratiquent numériquement le cutting prisé des collectionneurs d’autrefois,
en voyant dans le manuscrit à peintures une œuvre d’art du fait des peintures, alors que la
majorité des bibliothèques numériques s’attachent au document manuscrit, qui fait sens dans
sa globalité. Dans les deux cas, le livre d’heures est un objet construit : l’usager (à commencer
par le documentaliste) construit l’objet en document, puis lui attribue une certaine valeur,
ce que le travail d’indexation des images manifeste explicitement. Aucune de ces bases ne
permet toutefois de cibler les livres d’heures parmi la masse d’images proposées, car les
critères de recherche sont fondés sur l’indexation des images, et tiennent assez peu compte
du contexte de celles-ci et de leur disposition dans un livre.
Une masse non négligeable d’images, de textes, de détails et de volumes dans leur
globalité circulent donc sur le web. D’un point de vue strictement quantitatif, cette masse
peut favoriser la curiosité, la compréhension et l’appropriation de ces objets par tout un
chacun. Le statut même du livre d’heures y invite, tant il s’insère à la fois dans les cultures
quotidiennes, en tant qu’objet intime et domestique, et dans la culture muséifiée, fondée
sur les biens prestigieux et au statut artistique avéré. Cette masse de livres d’heures et
d’images constitue un « maillage numérique d’objets prenant une dimension non pas
(forcément) inédite mais pertinente […] sur lesquels se projettent de nouveaux intérêts
sociaux et économiques dont l’avenir et la perpétuation n’ont rien de tracé »95. Mais
l’hétérogénéité des échelles documentaires retenues, de la portion de page à la totalité
d’un recueil restitué dans son organisation propre, ajoutée à la sélection opérée par
les coordinateurs scientifiques de ces projets de numérisation, engendre une difficulté
certaine à se représenter le livre d’heures. L’amateur éclairé trouve sans doute du plaisir
à feuilleter les bases d’images, mais ne peut replacer correctement les pages et les détails
mis à sa disposition dans l’économie globale du manuscrit dont ils sont issus ; à l’inverse,
le feuilletage d’un livre d’heures dans son entier n’est guère plus pertinent, tant le texte
liturgique et les écritures sont difficiles à déchiffrer et à interpréter.
95 G. Régimbeau, « Du patrimoine aux collections numériques : pratiques, discours et objets de recherche », Les
enjeux de l’information et de la communication, 16 (2015), p. 15-27, ici p. 19.
D e l a médiation comme outil à l’enj eu socia l de la bibliothèque 3 85
le moteur de recherche et son efficacité, la présentation des notices des documents, les
critères techniques de la numérisation, les possibilités de navigation, enfin les possibilités
d’exploitation des documents par l’usager. L’analyse est évidemment biaisée par le fait que
l’usager moyen n’a pas les habitudes et la dextérité de recherche que quinze ans de métier
nous ont données. Il ne s’agit pas ici de décerner la palme de la bibliothèque numérique la
plus réussie, mais de comprendre, à travers la modélisation de ces ressources et la prise en
compte de l’usager, en quoi la numérisation a pu, ou non, prolonger la trajectoire du livre
d’heures dans l’espace patrimonial, et non plus seulement artistique ou documentaire.
La comparaison des propositions d’exploration dans ces treize infrastructures numé-
riques montre la convergence des choix techniques des bibliothèques qui les ont conçues,
et les principes de médiation qui les sous-tendent. Ces bibliothèques numériques sont
très ressemblantes les unes avec les autres, ce qui s’explique à la fois par la coordination
des projets à l’échelle nationale et le petit nombre de solutions logicielles disponibles sur
le marché. Ce premier point n’est pas seulement technique : l’habitué des bibliothèques
numériques se trouve d’autant plus facilement familier d’une ressource qu’il utilise pour
la première fois, les interfaces d’interrogation et de visualisation étant très semblables.
L’entrée dans les ressources se fait de deux manières. Un moteur de recherche est
systématiquement associé à l’archive des documents, permettant d’exploiter les métadon-
nées afin d’identifier les références correspondant à une requête donnée. Ce moteur de
recherche, dans son fonctionnement, est extrêmement proche des interfaces des catalogues
de bibliothèques, quand il ne fait pas qu’un avec lui, comme c’est le cas dans l’infrastructure
de Châlons-en-Champagne : l’usager interroge tout le catalogue, puis filtre les résultats en
sélectionnant dans un second temps « Patrimoine en ligne ». Cette concordance entre
OPAC96 et interface de la bibliothèque numérique est sans doute commode pour l’usager
habitué des recherches plus ou moins expertes dans les ressources documentaires. Elle
préjuge cependant des compétences informationnelles de l’usager moyen, qui éprouve le
plus souvent d’immenses difficultés à utiliser le catalogue de la bibliothèque. Ces données
dessinent le profil de l’utilisateur de ces outils : un lecteur chevronné, capable de se repérer
par lui-même dans la terminologie bibliothéconomique et de construire une requête croisant
plusieurs critères à partir de cette terminologie – d’autant que le terme « Heures » est
extrêmement équivoque et ne peut donc être utilisé seul. L’autre modalité d’exploration
repose sur des parcours construits thématiquement par le bibliothécaire. Il ne s’agit plus
de se fier aux métadonnées, mais d’imposer aux documents des catégorisations simples ou
multiples, permettant à l’usager de laisser sa curiosité le mener selon l’attrait des parcours.
CommUlysse cible dès la page d’accueil les livres d’heures (Fig. 8.3).
Overnia donne aussi accès à ses livres d’heures regroupés dans une même rubrique,
mais la navigation s’effectue dans un cadre de classement assez profond, quoique plutôt
intuitif (Fig. 8.4a, b, c, d). L’usager est invité à consulter la « bibliothèque médiévale »,
puis la rubrique « religion », puis celle de la « liturgie », enfin les « livres d’heures »
distingués des lectionnaires, antiphonaires, graduels et autres livres liturgiques.
Deux infrastructures dans lesquelles les manuscrits sont réduits à leurs enluminures
regroupent également celles-ci dans des catégories distinctes : la bibliothèque numérique
97 B. de Chancel-Bardelot et al. (éd.), Tours 1500, capitale des arts, catalogue d’exposition, Tours, Musée des
beaux-arts, 17 mars-17 juin 2012, Paris, Somogy, 2012.
D e l a médiation comme outil à l’enj eu socia l de la bibliothèque 391
98 C. Malwe, « L’image du patrimoine culturel public. Usages et appropriations d’un outil de mise en valeur
touristique », in J.-M. Breton (éd.), Patrimoine culturel et tourisme alternatif, Paris, Karthala, 2009, p. 17-40, ici p. 24.
392 chapitre 8
est pour le moins ambiguë, si elle ne s’appuie pas sur la mise à disposition d’espaces
personnels paramétrables.
Ces choix montrent ce qu’est finalement une bibliothèque numérique : une instance
d’énonciation en recherche d’autorité qui doit légitimer la procédure de sélection, de
hiérarchisation, de présentation, celle-ci combinant des données bibliographiques, des
images, des métadonnées, des liens, des technologies complexes. Les parcours suggérés
ne sont pas seulement des itinéraires, ils ont aussi un caractère prescriptif. La sélection
des documents est une prescription de fait ; numériser des livres d’heures, c’est déjà leur
reconnaître de la valeur ; leur mise en ligne est une prescription de consultation. La mise
en écran des éléments de visualisation – notice et document – constitue des « dispositifs
de confiance »99 authentifiant le document produit comme conforme à l’original. La
bibliothèque numérique est un objet relationnel visant à construire un lien à sens unique avec
le lecteur, conditionné pour voir dans l’institution un intermédiaire savant et prescripteur.
La médiation documentaire est d’abord une médiation des savoirs. Or, les savoirs autour
du livre d’heures, au fil de 150 années de prospections et d’approfondissements, ont été
largement digérés, disséminés au-delà des cercles savants, et jusque dans la profession de
bibliothécaire, tenue de les restituer au plus grand nombre dans la logique de valorisation
et de diffusion qui est désormais la règle. Que reste-t-il de ces savoirs, et pour qui sont-ils
mis à disposition ?
Il paraît d’abord certain que l’ensemble de ces ressources ne tiennent pas compte des
publics, et en tous cas du public « non expert », alors même que celui-ci est devenu, dans
la majorité des équipements culturels et de leurs propositions de médiation, au cœur
de la démarche. Le nom même des bibliothèques numériques, fondées sur l’identité
locale, montre combien ces dispositifs s’inquiètent peu du grand public : les consonances
latines sont intimidantes, telle Carlopolis à Compiègne, Rotomagus à Rouen, Petrocoria-
num à Périgueux, Camberi@ à Chambéry et les allusions littéraires comme celle que
contient CommUlysse (Angers) ne sont guère plus transparentes à celui qui ne connaît
pas ces codes. Ces dénominations montrent bien le désir d’un entre-soi érudit dans la
navigation au sein de cet espace virtuel. Le livre d’heures confirme « l’incohérence entre
les volets documentaire, technique et relationnel » relevée par les spécialistes, malgré les
possibilités d’élargissement des publics que permet la numérisation100. La numérisation
est un impératif communicationnel, un service standard que les bibliothèques se doivent
de proposer, mais la logique de service y est finalement peu développée. Outre que l’offre
documentaire dématérialisée rate complètement le projet de démocratisation qui est au
cœur du développement des bibliothèques numériques, le livre d’heures n’y voit guère
sa valeur patrimoniale augmenter. Il est numérisé parce qu’il est admis comme un fleuron
des réserves, une justification des politiques culturelles en faveur des bibliothèques, mais
cette opération ne transforme pas en profondeur son statut patrimonial. Au contraire, il
semble même mis à distance, plutôt qu’à proximité du lecteur, à moins que celui-ci ne soit
un spécialiste capable de juger par lui-même de l’intérêt du document. Ces bibliothèques
99 N. Malais, « Prescrire à Babel : prescription et numérisation du patrimoine », Communication & langages, 179
(2014), p. 91-104, ici p. 97.
100 M. Costes, « Les sites de manuscrits numérisés : quelle prise en compte du public non expert ? », Les enjeux de
l’information et de la communication, 16 (2015), p. 53-67.
D e l a médiation comme outil à l’enj eu socia l de la bibliothèque 393
101 M. Ihadjadene et B. Saou-Dufrêne, « La médiation documentaire dans les institutions patrimoniales : une
approche par la notion de service », Culture & Musées, 21 (2013), p. 119.
394 chapitre 8
elle est la condition d’une appropriation universelle des livres d’heures. En somme, la
patrimonialisation dans son point ultime, celui des usages sociaux, n’est possible qu’en
déniant au document son intégrité. Les pastiches et recueils de poèmes publiés sous le
titre d’« Heures » à partir de la seconde moitié du xixe siècle en étaient déjà le signe ; et
la numérisation, sur un autre mode, la permet aussi, mais d’une manière non anticipée
par les bibliothèques, en dehors des sentiers balisés par les infrastructures numériques.
Ceci explique le palmarès de consultation de certains livres d’heures dans Gallica : en
2013, parmi les cinq manuscrits les plus consultés au cours de l’année, figuraient trois
livres d’heures, ceux d’Anne de Bretagne, de Jeanne de France et de René d’Anjou102. Si
les chercheurs ne sont sans doute pas absents de ces requêtes, la majorité des connexions
provient vraisemblablement d’amateurs poussés vers ces documents par les billets, tweets,
images vagabondes et autres posts que la BnF, relayée ensuite par d’autres acteurs de la
prescription, horizontale cette fois, a mis en ligne pour promouvoir ces manuscrits. En
2013, ainsi, la BnF a mis en ligne sur Pinterest un « calendrier de l’avent » qui proposait
chaque jour de décembre une image ; celle du 16 décembre était tirée des Heures de
Jeanne de France103. Les réemplois de cette image par d’autres abonnés sont incalculables.
Gallica compte sur cette plateforme 16 000 abonnés, mais il n’est pas nécessaire de l’être
pour récupérer l’image dans son propre album. L’image promue par la bibliothèque lui
échappe donc très rapidement. L’exposition Très riches heures de Champagne réalisée en
2007 par Interbibly sous la double forme physique (et itinérante) et virtuelle, favorise
aussi la dissémination des contenus, en proposant 6 fonds d’écrans à partir de miniatures
de livres d’heures104.
Dans ces bibliothèques numériques, il faut réserver une place à part aux entrées
thématiques qui constituent de petites expositions virtuelles à l’intérieur de l’ensemble
des ressources brutes. Il s’agit là de proposer à l’usager un parcours dans un petit nombre
de documents choisis et commentés, d’en proposer une lecture et de regrouper sous cette
sélection des savoirs vulgarisés. Cette proposition est rare : nous ne l’avons identifiée
que trois fois. La bibliothèque numérique élaborée par la bibliothèque de Nancy est
entièrement consacrée à la Renaissance, à l’exclusion de tout autre thème ou contenu.
Trois livres d’heures y sont présentés dans une rubrique dédiée à « la permanence de
l’enluminure »105. La thématisation est efficace et l’argumentaire convainc le lecteur que
le passage du manuscrit à l’imprimé s’est fait sans rupture. Les trois livres d’heures qui
illustrent « une conception médiévale qui plaçait les productions de la main de l’homme
au-dessus de celles issues des arts mécaniques » sont bien choisis. Ils sont consultables en
entier, mais à travers un outil qui fait défiler les pages verticalement, ce qui est extrêmement
troublant, ramenant en quelque sorte le codex à l’âge du volumen. L’effort est minimaliste
aussi dans Numelyo qui propose un dossier consacré aux figurations des Rois Mages à travers
six images seulement106, sans texte pour expliquer le sens de l’anecdote évangélique et la
dévotion aux Rois Mages aux âges médiéval et moderne. Le résultat est plus convaincant
à Rennes, où les Tablettes rennaises proposent, en plus de la recherche dans toutes les
ressources, un dossier thématique intitulé « Bestiaire des livres d’heures107 ». Après une
introduction brève et efficace présentant la fonction du livre d’heures et la coexistence,
dans ses pages, d’illustrations religieuses et profanes, le dossier donne accès à 8 animaux
et à 41 images. Le tout forme un véritable manuel d’emblématique chrétienne à la portée
de tous, à la fois ludique et pédagogique. Le lecteur retient qu’au Moyen Âge, les cultures
chrétienne et profane ne sont pas étanches, que les animaux sont des êtres ambivalents,
amis du diable et du bon Dieu, symbolisant à la fois des hiérarchies sociales et des vertus
morales. Il peut aussi se questionner sur le rapport des individus du xxie siècle avec le
monde animal.
*
Qu’est-ce que la valorisation des livres d’heures ajoute à leur patrimonialisation ?
La réponse à cette question est paradoxale. Il n’est pas discutable que les opérations de
valorisation relèvent à la fois de la sauvegarde, de la science, de l’identité, de la mémoire, de
l’information, de la culture et du divertissement, voire de la publicité : toutes dimensions
qui sont partie prenante du processus patrimonial dans des temporalités différenciées.
Comme l’écrit Gérard Régimbeau, « les fins et les moyens n’ont cessé de retrouver ce qui
tisse l’histoire patrimoniale dans ses évidences et ses replis »108.
La mise en valeur consacre publiquement leur statut patrimonial. Ce ne sont pas des
livres d’heures qui sont exposés, mais des livres d’heures comme objets patrimoniaux
appartenant à l’ensemble de la communauté desservie par les outils et les animations
développés par la bibliothèque. À ce titre au moins, la médiation joue un rôle important
dans le processus patrimonial, et ce depuis les années 1960. Le livre d’heures y a trouvé une
véritable consécration publique dont les effets, combinés à l’action de l’école, des musées
et d’autres espaces de diffusion artistique, se font ressentir dans l’horizon mental d’une
part non négligeable de la population, capable d’identifier un livre d’heures et surtout, de
lui reconnaître sa patrimonialité. Ce processus a aussi profité aux bibliothèques. En effet,
à travers les livres d’heures et d’autres objets emblématiques des réserves précieuses, en
prenant le prétexte du public et d’une logique relationnelle plus soutenue qu’elle ne l’avait
jamais été, les bibliothèques ont aussi fabriqué un discours institutionnel d’autolégitimation
fondé sur la démocratisation de la culture et l’encouragement des citoyens à s’emparer
des biens patrimoniaux.
Finalement, l’apport de la médiation à la patrimonialisation n’est pas si important qu’on
aurait pu le penser. D’une part, parce que les modalités retenues par les bibliothèques ont
confiné le livre d’heures parmi les marottes des chercheurs : bibliothèques numériques
et conférences, en particulier, reproduisent dans les auditoriums ou sur le net le public
traditionnel des salles « étude et patrimoine » des bibliothèques : universitaires, agents du
patrimoine principalement. Ces modalités ne permettent pas, ou mal, le déploiement de
discours investissant le livre d’heures de valeurs civilisationnelles puissantes. En revanche,
les outils retenus, pour peu qu’ils se fondent sur des objets numériques produits à partir
de livres d’heures, ont largement favorisé la dissémination des images – les textes étant
définitivement escamotés des livres d’heures – et leur réemploi dans les contextes les
plus variés, publics et privés. Cette dissémination est d’autant plus difficile à mesurer que
les miniatures, dans ces conditions, ne sont plus référencées à partir d’un objet originel.
Comment, alors, tracer toutes les images issues des Heures d’Anne de Bretagne sur le
web, dans l’imagerie pieuse, sur des marque-pages ou des cartes postales, sur les comptes
personnels de réseaux sociaux accessibles sur des terminaux mobiles ? Par ce biais,
curieusement, le livre d’heures – mais ce n’est plus le même – est redevenu un objet de
l’intime, un objet à soi, un objet sur soi.
Conclusion
« Jacques [Prévert] me demanda quel film j’entendais faire… J’avouai ne pas en avoir la
moindre idée… Afin d’éviter, autant que faire se pouvait, la censure de Vichy, il pensait
que nous aurions intérêt à nous réfugier dans le passé : nous pourrions ainsi jouir d’une
plus grande liberté… […] – Tu as une préférence pour une époque ? me demanda
Jacques. J’hésitai un moment avant de répondre : – Je crois que je serais à l’aise dans le
Moyen Âge… Le style flamboyant me plairait assez… Celui des Très Riches Heures du
duc de Berry… – C’est pas c.. dit Jacques. […] Ainsi naquirent Les Visiteurs du soir. »
Ainsi s’exprime Marcel Carné (1906-1996) dans ses souvenirs1. Il rapporte ensuite
les échanges avec le décorateur, Georges Wakhevitch. Même si la critique a parlé de
« décors en carton pâte », tant la blancheur des éléments architecturaux, à l’image des
représentations figurant dans le calendrier du « prince des manuscrits », tranchait avec
les partis-pris de décors des films historiques de l’époque, l’œuvre de Carné est fondée
sur une imagerie somptueuse avec des plans larges inspirés des miniatures des Très Riches
Heures2. Mais qui, en visionnant ce film, fait le rapprochement ? Et qui, parmi les centaines
de millions de visiteurs des parcs touristiques Disneyland à travers le monde, reconnaît
dans le château de la Belle au bois dormant une synthèse des châteaux de Saumur, visible
sur la miniature illustrant le mois de septembre, et du Louvre représenté sur l’image du
mois d’octobre ? Walt Disney (1901-1966) a visité Chantilly en 1935 et s’était émerveillé
devant le manuscrit, et les représentations castrales, comme celles de la nature dans les
dessins animés s’en inspirent fortement3.
Ces deux exemples, par la diffusion massive qu’ils ont connue et leur place dans les
« classiques » du cinéma, montrent le point d’aboutissement d’un processus qui commence
au xive siècle et dont la particularité est de se jouer des mots. Sous un terme unique, en effet,
déjà repérable dans les inventaires de coffres à livres à la fin du xive siècle, ont été regroupés
des manuels de contenu variable et de forme changeante. L’intitulation « Heures » est parfois
tardive : les « Grandes Heures d’Anne de Bretagne » sont nommées, jusqu’à la Révolution,
« livre de prières de la reine Anne » ; les bibliographes de l’âge moderne, et jusque tard
parfois dans le xixe siècle, sont bien en peine de décider si un manuel de prières est un
livre d’heures ou non et il faudra les « fiches anthropométriques » proposées par Victor
Leroquais en 1927 pour mettre de l’ordre dans cette production médiévale difficilement
identifiable. Les libraires de l’âge moderne, produisant des Heures à la demande des évêques,
ou sous leur surveillance, hésitent aussi entre plusieurs titres, de l’Officium beatae Virginis
Mariae au Journalier chrétien, et choisissent finalement le vocable « Heures » pour réunir
tout manuel de piété fondé sur la spiritualisation du temps, créant ainsi une catégorie
éditoriale commode, évocatrice pour la clientèle et faisant référence à une production
imprimée déjà deux fois séculaire. La « fabrique du titre » n’a rien d’anodine, qu’elle
concerne des œuvres littéraires ou artistiques : elle situe ces œuvres dans le champ social
et conditionne leur réception, tout en favorisant l’émergence de stéréotypes liés au titre4.
Rapporter le « livre de prières de la reine Anne » à la production d’Heures à usage princier,
ce qu’il fut sans conteste, c’est aussi en faire une nouvelle lecture au moment où commence
à s’écrire une histoire romantique et fortement imagée du Moyen Âge. La désignation des
recueils par des noms d’usage qui ne figurent sur aucune page de titre, telles les « Heures
de Bedford », « Heures de Jeanne de France », « Heures Petau », « Heures du maréchal
de Boucicaut » ou « Heures d’Etienne Chevalier », sans parler des « Très Riches Heures
du duc de Berry », titre inventé de toutes pièces par le duc d’Aumale, ont indiscutablement
favorisé la circulation d’une vision tout à la fois globalisante et fondée sur des documents
uniques de ce que sont les Heures, dans la sphère savante comme dans l’opinion publique.
« Livre d’heures » est donc devenu une expression commune qui recouvre, d’un point
de vue patrimonial, des réalités diverses. Reportage ethnologique sur la vie paysanne
au Moyen Âge dans les manuels scolaires, consécration d’une collection de livres rares
dans le monde des collectionneurs, « star » des salles des ventes, corpus commode et
inépuisable pour les historiens de l’art médiéval, fantasme d’élu désireux de se positionner
par une politique culturelle forte, « trésor » de bibliothèque publique, matérialisation
d’une identité régionale ancienne, répertoire de modèles graphiques pour les enlumineurs
du dimanche, le livre d’heures est tout cela à la fois. Cette polysémie s’est faite au prix
de deux renoncements. D’abord, le genre liturgique des Heures a été amputé de ses
prolongements renaissants, modernes et contemporains, non sans une distorsion des
césures chronologiques traditionnelles, en prolongeant jusque tard dans le xvie siècle un
Moyen Âge imaginé comme la ligne de fuite de la culture occidentale. Le livre d’heures,
dès lors, se résume à trois mots : médiéval, manuscrit, enluminé, ce qui ne correspond pas
à la réalité historique et laisse dans l’ombre toute une production plus tardive, imprimée
et plus rarement illustrée, pourtant numériquement plus importante que celle des ateliers
de copie et d’enluminure actifs entre le xive et le milieu du xvie siècle.
Ensuite, cette polysémie repose sur l’évacuation pure et simple de tout le contenu
dévotionnel et liturgique des Heures, réduites à des albums d’images où se succèdent
scènes touchantes de la sainte Famille, anges aux ailes déployées, crucifixions hiératiques,
spectaculaires images macabres et martyres sanglants, dans un décor gothique ponctué
d’arcs brisés, de riches tentures et d’objets du quotidien qui le rendent à la fois vaguement
familier et profondément anachronique : tout un répertoire qui n’implique que rarement
4 P.-M. de Biasi, M. Jakobi et S. Le Men (éd.), La fabrique du titre : nommer les œuvres d’art, Paris, CNRS Éditions,
2012.
conclusion 399
l’identification des scènes présentées et plus encore, la croyance dans les mystères chrétiens.
Ce contenu liturgique a disparu dès lors que le livre d’heures médiéval a quitté son étui
de cuir, son coffre ou son prie dieu pour s’insérer dans des pratiques collectionnistes
interrogeant avec de nouveaux critères ces objets étranges dont l’utilité spirituelle s’était
perdue. On pourrait en dire autant d’autres objets écrits et graphiques que leur patrimo-
nialisation a transformés : collections de cartes postales vouées à circuler, et désormais
confinées dans des albums, fascicules de la bibliothèque bleue reliés à grand prix et vendus
à prix d’or chez des marchands spécialisés dans la littérature de colportage, alors qu’ils se
distinguaient originellement par leur grossière couverture d’attente et leur faible coût ;
dictionnaires d’abord conçus pour des usages pragmatiques du bien-dire et du bien-écrire,
et désormais monumentalisés dans les bibliothèques ; ephemera reliés ensemble en vue
d’une conservation pérenne, alors que l’économie de ces imprimés repose sur un cycle de
vie très court. Cette dénaturation résulte aussi d’un déplacement de lieu, « de l’oratoire
privé à la bibliothèque publique » et, occasionnellement, aux réserves des musées, en
passant par le salon du collectionneur, l’exposition privée ou publique, la salle des ventes,
le cabinet de l’érudit – on songe à Léopold Delisle et à sa table de travail occupée par des
manuscrits que lui prêtent pour examen des bibliothèques européennes – l’atelier du
chromolithographe ou de l’enlumineur amateur à partir de reproductions poussées par
une exigence grandissante de fidélité.
Évoquer les Heures, donc, c’est faire référence à une catégorie culturelle, un bien
économique, un objet patrimonial et reléguer dans l’ombre plusieurs siècles d’usage, de
prière dévote, solitaire ou collective, de méditation émerveillée ou distraite, d’ostentation,
de transmission au sein des lignages. Pourtant, la rupture entre les usages traditionnels et
les usages patrimoniaux n’est pas si nette. D’abord, le livre d’heures ainsi réduit à ses avatars
luxueux du Moyen Âge a été dès l’origine un bien pensé comme patrimonial, et le fait est
suffisamment rare pour être souligné : aucun objet, ou presque, ne naît patrimonial5. Inclus
dans des systèmes de transmission complexes au sein des familles, destiné à supporter la
mémoire familiale et à manifester la magnificence aristocratique, le livre d’heures est dès
le temps de sa fabrication un bien destiné à une conservation pérenne et le support d’une
identité personnelle, lignagère et sociale forte. Chaque transmission intergénérationnelle
réactive cette valeur patrimoniale, et le passage d’une famille à une autre engendre un
réinvestissement patrimonial pour mieux faire du recueil un bien familial. Ensuite, le livre
d’heures est considéré dès l’origine comme une forme de capitalisation de biens immatériels
susceptibles de fonder à la fois croyances et lien social. Pie V, dans le motu proprio qui
rénove les livres d’heures en 1571, y voit un « trésor spirituel » tandis que les bibliothèques
publiques le désignent aujourd’hui comme un « trésor » méritant une conservation jalouse
et secrète, ponctuée d’ostensions destinées à valider cette élection par le public. Enfin, si
le livre d’heures est incontestablement un objet vécu au temps où il fonde la prière et la
démonstration de la réussite sociale, il l’est encore dans la part patrimoniale de son existence.
Pour les collectionneurs, il est un moyen de revendiquer un héritage et d’inventer de toutes
pièces un lien avec le temps des aristocrates à la fois dévots et mécènes, tout en s’attirant les
5 À l’exception peut-être des livres d’artiste : M. Hannoosh, et al., The dialogue between painting and poetry: livres
d’artistes 1874-1999, Cambridge, Black Apollo Press, 2001.
400 con c lus i o n
Ce processus s’inscrit dans une histoire longue, voire très longue, où les strates
temporelles sont discontinues et parfois confondues. Qu’on en juge par le célèbre tableau
Léopoldine au livre d’heures, portrait de la fille préférée de Victor Hugo (1802-1885) au
jour de sa communion, peint par Auguste de Châtillon (1808-1881) en 1836 (Fig. 9.1)6. La
jeune fille est représentée avec un gigantesque livre d’heures enluminé ouvert entre les
mains. Tout, dans ce tableau, pose question7. Le livre est ouvert au commencement de
l’office des complies, illustré par la Dormition de la Vierge, comme l’attestent plusieurs
manuscrits et incunables à la fin du xve siècle. Le sujet sied à une toute jeune fille qui
vient de vivre une étape importante de l’initiation chrétienne. La jeune Léopoldine
avait-elle, dans l’atelier du peintre, un authentique livre d’heures enluminé du xve siècle
entre les mains, ou le penchant romantique de son père l’avait-il conduit à demander à
Figure 9.1 : Auguste de Châtillon, Léopoldine au livre d’heures (1836) – Guernesey, Maison de Victor
Hugo, Hauteville House, inv. 768.
Châtillon de représenter sa fille avec cet accessoire, au nom de son pouvoir d’évocation
d’un Moyen Âge fantasmé, alors que les livres d’heures imprimés, cadeau traditionnel
aux communiants, n’ont jamais été aussi nombreux sur le marché ? Que représente le livre
d’heures dans les milieux littéraires du xixe siècle et quelles connivences entretient-il avec
4 02 con c lus i o n
8 P. Durand, « L’aura et la chose écrite. Une mise au point », in P. Piret (éd.), La littérature à l’ère de la
reproductibilité technique : réponses littéraires aux nouveaux dispositifs représentatifs créés par les médias modernes,
Paris, L’Harmattan, 2007, p. 15-28.
conclusion 403
l’assentiment, dans cette démarche, des élus facilement conquis par le caractère indubi-
tablement « ancien, rare et précieux » des livres d’heures, et facilitant donc l’acquisition
de manuscrits puis leur médiation dans l’espoir de rendre leur bibliothèque visible et
identifiée comme un espace patrimonial à l’échelle régionale, voire nationale. Dans cette
opération, le livre d’heures est doublement instrumentalisé : parce qu’il sert une cause
politique d’une part, et parce qu’il est en réalité relativement interchangeable avec tout
autre document également caractérisé par une provenance locale et une possible mise en
collection d’autre part. Cette instrumentalisation justifie à son tour une importante activité
de médiation. Si le livre d’heures n’est pas nécessairement au cœur de celle-ci, il constitue
le dénominateur commun de la médiation du patrimoine dans toutes les bibliothèques
publiques françaises. Laquelle n’a pas, depuis quarante ans, exposé son ou ses livre(s)
d’heures ? Cette médiation contribue renforcer dans l’espace public une représentation
que le public s’est forgée ailleurs : à l’école, au musée, dans la presse qui constitue une
caisse de résonnance forte des pratiques muséales et bibliothécaires autour des livres
d’heures, enfin dans la circulation de nombreux modèles, extraits, citations d’images
issues d’Heures qui conditionnent la réception de cet objet par le public. Cette médiation,
qui repose encore sur des procédés traditionnels (exposition, conférences, publications
vulgarisées ou savantes, accueil des publics scolaires, visites de réserves précieuses), ne
fait finalement que conforter un public déjà familier de ces objets dans l’idée qu’il s’en
fait, sans renouveler ni les moyens, ni les objectifs de cette médiation.
Cette médiation limitée est toutefois dépassée par l’essor de la numérisation, depuis le
début des années 2000, qui conduit à la production par les bibliothèques de « nouveaux »
livres d’heures, les artefacts numériques n’ayant guère de rapport matériel, fonctionnel
et symbolique avec les documents originaux. Ces objets numériques favorisent des
appropriations inattendues dans le public, grâce à une importante circulation sur le web.
Ce n’est plus seulement l’expression « livre d’heures » qui, vidée de son sens dès la fin
du xixe siècle, est devenue accueillante et mouvante ; c’est aussi le répertoire d’images
qui y est associé. Tout un chacun peut bricoler un faire-part de mariage ou une invitation
d’anniversaire à l’aide d’une miniature tirée d’un livre d’heures, dans la plus grande
ignorance de cette provenance. La patrimonialisation du livre d’heures a ainsi produit des
icônes reconnaissables entre toutes, et surtout autonomes, indépendantes de tout contexte
historique et documentaire. Ces « peintures des siècles sans peinture », selon l’expression
d’André Malraux (1901-1976), sont devenues des images circulantes à l’âge de l’image
omniprésente. Les bibliothèques, au sein de l’écosystème qui les conditionne et qu’elles
polarisent, ont ainsi poussé à leur terme la logique des modèles iconographiques nés à la
fin du Moyen Âge et destinés dès l’origine à circuler, à être reproduits et à se transformer.
Ce succès des livres d’heures tient précisément à la combinaison de plusieurs référentiels.
Les revivals médiévalistes qui se succèdent depuis le début du xixe siècle ont assuré à
ces livres une belle postérité. « Peut-être n’existe-il pas une autre époque historique qui
fournisse au monde contemporain autant de matériel pour nourrir son imaginaire », suggère
Tommaso du Carpegna Falconieri9. Le médiévalisme n’est pas seulement un divertissement
9 T. du Carpegna Falconieri, Médiéval et militant. Penser le contemporain à travers le Moyen Âge, Paris,
Publications de la Sorbonne, 2015, p. 15.
conclusion 405
pour amateurs de fantasy et de voyages dans le temps, « il instaure au contraire de solides
liens avec l’action publique », sans commune mesure avec l’instrumentalisation du monde
antique ou de l’âge classique. « La politique contemporaine trouve dans le Moyen Âge,
temps historique ou sorte d’ailleurs symbolique, un lieu de prédilection d’où extraire des
allégories clarificatrices, des exemples toujours d’actualité, des modèles »10. Le Moyen Âge
est un mythe essentiellement non historique : il renvoie au présent. À ce titre, il est un fait
communicationnel et social, ce que prouve assez l’exemple du livre d’heures, instrumentalisé
par tous ceux qui s’en sont saisis pour défendre une position, une légitimité, une vision du
monde. En synthétisant par son imagerie les deux versants du Moyen Âge (l’inégalité et
l’arbitraire du pouvoir, la violence, l’omniprésence de la mort d’un côté, les symboles, les
valeurs chevaleresques et paysannes, une certaine idée de la féminité, l’art, la patrie, la foi et
l’héroïsme, la force des terroirs et des liens familiaux), le livre d’heures a permis la création
d’une tradition, sinon d’une mémoire, d’autant plus efficace qu’elle peut se communiquer à
tout l’occident, sur les deux rives de l’Atlantique. Quant au référentiel chrétien, extrêmement
diffus et jamais (ou presque) revendiqué comme tel, il joue sans doute malgré tout un rôle
dans ce succès, en situant le livre d’heures dans l’immense vivier culturel et touristique
des « lieux de mémoire » à consonance religieuse, églises romanes, cathédrales gothiques,
dômes baroques ou néo-byzantins par exemple. Là encore, il s’agit d’exploiter une tradition,
l’imaginaire d’un âge d’or stable et chrétien, simplement rassurant pour les uns, et rendant
possible un renouveau catholique pour les autres. La sacralité émane moins des scènes
représentées, quoiqu’elles soient éminemment chrétiennes, que de ces vestiges du temps
passé que constituent les livres d’heures, vus comme des reliques d’un âge révolu, et à ce
titre, susceptibles de créer du lien entre individus au sein d’une communauté donnée. La
distance temporelle qui se creuse à partir du xviie siècle, invitant à considérer l’authenticité
des recueils – question qui ne se posait pas pour l’orant ou sa descendance – provoque aussi
un déplacement dans l’espace social des usages du livre d’heures. Il autorise une forme
sécularisée de « religion du livre », avec des dogmes, une éthique, un culte, des formes
de communion et de ferveur autour d’une « origine perdue » mais rendue furtivement
présente par les objets en situation de communication. Le livre d’heures constitue à la fois
une trace du Moyen Âge, dont les pouvoirs et le public peuvent activement se saisir, et la
possibilité d’une médiévophanie, si on veut bien nous permettre ce barbarisme.
10 Ibid.
406 con c lus i o n
vers les réserves précieuses des bibliothèques publiques11. Les critères de patrimonialisation
mis ici en évidence – collectionnisme, érudition, protection administrative, circulation
de reproductions, entrée dans les institutions publiques ou reconsidération de leur place
en leur sein, médiation à destination de tous les publics – pourraient être appliqués à ces
objets pour les situer dans une trajectoire inscrite dans une temporalité. Il en ressortirait
des patrimonialisations abouties, partielles ou manquées, triomphantes ou éteintes à peine
commencées. Les pistes déjà explorées montrent que certains éléments opérants pour le livre
d’heures (l’unicité et la rareté du manuscrit ancien) ne sont pas une condition obligatoire
de réussite de la patrimonialisation : les brochures de la bibliothèque bleue ou les livres
de cuisine, productions imprimées à grand tirage, jouissent aujourd’hui d’une grande
notoriété patrimoniale12. Une comparaison transnationale serait également bienvenue.
Hormis les cadres règlementaires produits par les États, et donc changeants d’un pays à
l’autre, toutes les autres composantes du processus se vérifieraient ailleurs qu’en France, en
Angleterre, en Belgique, en Italie notamment. Les frontières sont d’ailleurs brouillées sous
l’action des collectionneurs explorant l’offre en livres rares dans un marché international ;
des érudits de toute nationalité communiant dans une même exigence de recherche ; et
des bibliothécaires lorsqu’ils organisent de grandes manifestations culturelles autour des
livres d’heures. Ceux-ci donnent sens à une communauté d’amateurs, de spécialistes et
d’agents du patrimoine tout autour du monde.
Cette trajectoire prend sens à travers une série de récits qui affleurent dans la multiplicité
des sources convoquées pour documenter cette patrimonialisation. Les requalifications
successives du livre d’heures s’adossent à une « mise en histoire », avec tous les artifices
rhétoriques, voire littéraires, requis pour la rendre efficace. Le cas du livre d’heures de Jeanne
de France est particulièrement éclairant. Son entrée en scène dans les bibliothèques et dans
l’espace publics s’est faite – et s’est aussi justifiée par – différentes constructions narratives :
l’histoire prodigieuse d’un manuscrit longtemps confisqué par de célèbres collectionneurs
parisiens, l’histoire intime et attendrissante d’une princesse attachée à un livre de prière
déposé par son royal père dans la corbeille de noces, l’histoire touchante d’un consensus
national pour permettre à la BnF d’acquérir le livre. Ces trois récits croisés ont construit
la réputation patrimoniale du manuscrit. Il n’est pas un livre d’heures qui ne soit pas situé
sur une trame et des ressorts narratifs qui rehaussent son intérêt : les Très belles Heures de
Notre-Dame partiellement détruites dans l’incendie de la bibliothèque de Turin en 1904, les
Heures d’Anne de Bretagne pieusement conservées par les rois de France dans les collections
royales, la concurrence entre le duc d’Aumale et Alphonse de Rothschild pour l’acquisition
de tel manuscrit précieux, la ferveur à la fois érudite et amoureuse de Laure Delisle à l’égard
des livres d’heures enluminés et de son savant époux… tous ces récits se situent entre
absence et présence, entre ruine et monumentalisation, entre appréciation privée et intérêt
public. C’est à ce titre qu’ils constituent l’indice le plus net de la patrimonialisation. Ainsi
enrôlés dans des récits, les livres d’heures nourrissent une mémoire sensible revitalisée à
chaque nouvel acte de communication autour de ces objets dans l’espace public.
11 F. Henryot, « Le patrimoine au prisme des publications des bibliothèques municipales (1945-2020) », Sociétés et
Représentations, 53 (2022), à paraître.
12 F. Henryot (éd.), La Fabrique du patrimoine écrit : objets, acteurs, usages sociaux, Villeurbanne, Presses de
l’Enssib, 2019.
Sources
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Les collections célèbres d’œuvres d’art dessinées et gravées d’après les originaux par Edouard Lièvre ;
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Duclos Abbé, Dictionnaire bibliographique, historique et critique des livres rares, précieux,
singuliers, curieux, estimés et recherchés qui n’ont aucun prix fixe, tant des auteurs connus que
de ceux qui ne le sont pas, soit manuscrits, avant & depuis l’invention de l’imprimerie ; soit
imprimés… avec leur valeur… Auxquels on a ajouté des observations & des notes pour faciliter
la connoissance exacte & certaine des editions originales, & des remarques pour les distinguer
des editions contrefaites. Suivi d’un Essai de bibliographie, où il est traité de la connoissance et de
l’amour des livres, Paris, Cailleau et fils, 1791.
Dunn-Lardeau (Brenda) éd., Catalogue raisonné des livres d’heures conservés au Québec,
Montréal, Presses de l’Université du Québec, 2018.
Du Sommerard (Edmond), Catalogue et description des objets d’art de l’Antiquité du Moyen âge
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Higman (Francis M.), Censorship and the Sorbonne. A bibliographical study of books in French
censured by the Faculty of Theology of the University of Paris 1520-1551, Genève, Droz, 1979.
410 s ourc es
Heures a lusaige de Romme tout au long sans rien requerir. Avec ung commun antiennes suffrages et
oraisons de plusieurs sainctz et sainctes selon ledit usaige et plusieurs autres comme on verra en la
table, Imprimees a Paris par Gillet Hardouyn libraire demourant au bout du pont nostre Dame
devant sainct Denis de la chartre a lenseigne de la Rose [ca 1509].
Les p[re]sentes heures a lusaige de Tournay au long sans req[ue]rir…, [Paris], Simon Vostre, 1512.
Hortulus animae, denvo repurgatus : in quo Horae beatissimae Virginis Mariae secundum usum
romanum continentur : cum plurimis orationibus devote dicendis, Paris, Jehan Langloys, 1545.
Paraphrase sur les Heures de Nostre Dame selon l’usage de Rome, traduittes du latin en francoys par
frère Gilles Cailleau. Avec autres choses concernans la forme de vivre des chrestiens en tous estatz,
Poitiers, J. Marnef, 1552.
Heures à l’usage de Mascon toutes au long, avec les vespres de la sepmaine, complies, et plusier oraisons
de nouveau dioustees et diligemment revues, Lyon, T. Payen, 1554.
Heures de nostre Dame à l’usage de Rome en Latin & en François, Paris, Charles Angelier, 1558.
Heures à l’usaige de Sainct Malo, toutes au long sans rien requerir, avec les suffraiges et plusieurs belles
hystoires et oraisons, tant en latin qu’en françoys, Rennes, P. Le Bret, 1560.
Heures de Nostre Dame, à l’usage de Besançon… Lyon, Guillaume Roville, 1574.
Heures de Nostre Dame à l’usage d’Angers. toutes au long sans rien requérir avec plusieurs oraisons
tant en latin qu’en françois, remises en meilleur ordre que auparavant. Le tout reveu, corrigé et
augmenté selon le commandement de R. P. en Dieu monsieur l’évesque d’Angers, par M. François
Grandin, Paris, pour P. Elys, 1577.
Heures nostre Dame a lusaige de Rouen toutes au long sans rien requerir : Enrichies de plusieurs
histoires & quadrains. Avec les suffrages & oraisons des sainctz & sainctes de tous les moys de lan,
Rouen, chez Robert Mallard libraire, a la grand Nef, rue de Lorloge [1580].
Heures de Nostre Dame a l’usage de Romme selon la réformation de Nostre S. Père Pape Pie V, Paris,
Jamet Mettayer, 1583.
Heures de notsre Dame / a lusage de Lymoges toutes au long : avec plusieurs belles oraisons en latin &
et en francoys. Et y a este adjoute la confession generalle, Limoges, H. Barbou, 1589.
Heures de Nostre Dame à l’usage de Rome en latin et en françois…, Paris, Gilles Robinot, 1596 (rééd.).
L’Office de la Vierge Marie, à l’usage de l’Eglise Catholique, Apostolique & Romaine, avec les Vigiles,
Pseaumes graduels, Penitentiaux, & plusieurs prieres, & Oraisons, Paris, J. Mettayer, 1596.
Heures de Nostre Dame a l’usage de Chartres. Corrigées, & de nouveau augmentées de plusieurs belles
& devotes prieres & oraisons, avec les suffrages des saincts… Plus une instruction chrestienne en
forme de catechisme, Paris, E. Foucault, 1604.
Officium beatae Mariae Virginis, nuper reformatum et Pii V Pont. Max. iussu editum, Paris, Eustache
Foucault [1618].
L’office de la glorieuse Vierge Marie. Traduit en vers françois. Pour le contentement de ceux qui ont son
honneur en recommandation. Suivent aussi les psalmes penitentiaux & canoniaux pour l’exercice
des ames penitentes, Paris, Mathurain Henault 1621.
Heures de Nostre-Dame à l’usage de Rome en latin & en François, par feu M. René Benoist. Avec les
pseaumes de la version de M. Regnaud de Beaune, archevesque de bourges. Avec un formulaire du
P. Coton, de la compagnie de Jésus. Dédiées à la Reyne, Paris, Augustin Courbé, 1634.
Parva christianae pietatis officia, per christianissimum Regem Ludovicum XIII ordinata, Paris,
S. Chappelet, 1640.
412 s ourc es
Office de l’Église et de la Vierge en latin et en français avec les hymnes traduites en vers [Heures de
Port-Royal], Paris, Pierre Le Petit, 1650.
[Magnon ( Jean)], Les Heures du chrestien divisées en trois journées qui sont la journée de la
Pénitence, la journée de la Grâce, & la journée de la Gloire. Où sont compris tous les offices, avec
plusieurs prières, avis, réflexions & méditations tirées des S. Écritures & des Pères de l’Eglise.
Le tout fidèlement traduit en vers & en prose, selon la diversité des matières, Paris, Louis
Chamhoudry, 1654.
Sanguin (Claude), Heures en vers françois contenant les CL pseaumes de David selon l’ordre de
l’Eglise…, Paris, Jean de la Caille, 1655.
Heures particulières à l’usage des femmes enceintes, s. l. [Paris], s.n, 1657.
Heures de la sainte Vierge, en meilleur ordre qu’auparavant. Pour tous les temps de l’Année, avec le
Calendrier Historial de la Vierge, celuy du vieux testament, & le catalogue des saints de toutes
sortes d’Estats & de conditions ; avec les Petits Offices, & autres prières. Enrichies de planches,
vignettes, fleurons, & lettres grises gravées. Dédiées à son Altesse sérénissime Madame la princesse
de Conty, Paris, Jean Piot, Jean Guignard, Rolin de La Haye, 1657.
L’Hermite (Tristan), Les Heures dédiées à la Sainte Vierge… contenantes les offices de l’Église pour
tous les temps de l’année, accompagnées de prières, méditations et instructions chrestiennes, tant en
vers qu’en prose, Paris, J.-B. Loyson, 1664.
Corneille (Pierre), L’Office de la sainte Vierge, traduit en françois tant en vers qu’en prose avec les
sept pseaumes pénitentiaux, les vespres et complies du dimanche et tous les hymnes du bréviaire
romain, Paris, R. Balard, 1670.
Heures nouvelles tirées de la Saint Ecriture, escrites & gravées par L. Sénault, Paris, chez l’auteur,
1680.
Pomey (François), Heures saintes, divisées en deux parties. La première contient une méthode très
solide et très chrétienne pour faire saintement les actions ordinaires de chaque jour : avec une
instruction fort utile pour se bien confesser, & pour communier dignement. La seconde partie n’est
qu’un recueil de divers offices de dévotion, autorisez et consacrez par l’usage commun de la sainte
Eglise, Lyon, Louis Servant, 1687.
Heures saintes divisées en deux parties…, Lyon, Louis Servant, 1688 (rééd.).
Heures nouvelles dédiées à Madame la Dauphine contenant les Offices, Vespres, Hymnes & Proses de
l’Église, avec les Exercices du matin et du soir, l’Entretien durant la Sainte Messe, les Prières pour
les sept jours de la semaine, & la méthode de se bien confesser et communier, Paris, Jean Pohier,
Pierre Le Mercier, 1689.
Office de la Glorieuse Vierge Marie avec l’office des mors, psalmes, graduels, pénitentiaux…,
Carpentras, François Tissot, 1690.
Heures Françoises ou matière d’occupation saintes pour les ames dévotes, Francfort, Walther, 1697.
Heures royales dédiées à Monseigneur Duc de Bourgogne contenant les offices, vespres…, Paris,
Claude De Hansy, 1701.
Les Heures de la journée chrétienne où sont enseignées les voyes du Salut, Paris, Jean Bodot, 1705.
Heures contenant l’Office de l’Eglise… imprimées par ordre de M. le Cardinal de Noailles, Paris/
Liège, J. F. Broncart, 1707.
Heures à l’usage de ceux qui assistent au service de l’Eglise contenant les Messes…, Paris, Claude de
Hansy, 1711.
Heures, prières et offices à l’usage et dévotion particulièrement des demoiselles de la Maison Royale de
saint Louis à saint Cyr, Paris, Jacques Collombat, 1714.
sources 41 3
Heures imprimées par l’ordre de Monseigneur le cardinal de Noailles…, Paris, Louis Josse, 1715.
Heures paroissiales qui contiennent l’office de l’après-midi pour toute l’année à l’usage des laïques,
Paris, Jean Dessaint, 1726.
Heures nouvelles imprimées par l’ordre de Monseigneur le Cardinal de Noailles à l’usage de son
diocèse, Paris, Jean-Baptiste Delespine, 1728 (rééd.).
Heures nouvelles dédiées au Roy contenant les messes…, Paris, Etienne-François Savoye, 1739.
Lefebvre, Heures du calvaire dédiées à Monseigneur l’Evêque d’Arras…, Douay, Jacques-
Fr. Willerval, 1741.
Heures nouvelles à l’usage du diocèse de Bayeux, Suivant les nouveaux missel et bréviaire, imprimées
par l’ordre de Monseigneur… Paul d’Albert de Luynes, évêque de Bayeux, Bayeux, J. C. Pyron,
1745.
Heures nouvelles à l’usage des religieuses de la Compagnie de Notre-Dame contenant des pratiques
pour toutes les principales actions chrétiennes, divers offices…, Clermont-Ferrand, Pierre
Viallanes, 1747 (rééd.).
Heures à l’usage de la chapelle et paroisse du Roy, contenant les prières qui s’y disent le matin, le soir,
& au salut. Avec les prières de la Messe, les Psaumes de la Pénitences, & les Vêpres des principales
fêtes de l’année, selon les usages de Rome et de Paris, Paris, Jacques-François Collombat, 1750.
Heures de Penitens contenant tous les offices qui se doivent dire pendant le cours de l’année par toutes
les Compagnies de Penitens…, Aix, Vve J. David & Esprit David, 1755.
Heures nouvelles à l’usage de la confrérie du Tres Saint Sacrement érigée en 1707 dans l’église
paroissiale de Saint-Louis…, Strasbourg, Jean-François Le Roux, 1759.
Heures de la Sainte Vierge en meilleur ordre qu’auparavant pour tous les temps de l’année…, Paris,
Jean Piot, 1757.
Heures nouvelles, Selon le Nouveau Bréviaire de l’Eglise Métropolitaine de Reims,… Pour l’usage des
Ecoles…, Reims, B. Multeau, 1763.
Nouvelles heures paroissiales à l’usage du diocèse de Besançon…, Besançon, Frères & Sœurs
Charmet, 1770.
Heures à l’usage des demoiselles pensionnaires et congréganistes de l’Immaculée Conception de la
B. Vierge Marie…, Strasbourg, François Levrault, 1772 (rééd.).
Heures de la journée chrétienne en latin et en françois…, Amiens, Louis-Charles Caron, 1773.
Journal chrétien ou heures nouvelels et conduite pour sanctifier les principales actions de la vie
chrétienne, Lyon, Etienne Rusand, 1775 (rééd.).
Heures et instructions chrétiennes à l’usage des gens de guerre, Strasbourg, Jean-François Le Roux,
1776.
Heures royales dédiées à la Reine contenant les Offices qui se disent à l’Eglise pendant l’année…, Paris,
De Hansy, 1778.
Heures nouvelles ou prières choisies pour rendre la journée sainte, Lyon, Aimé de La Roche, 1780.
Heures de Cour, contenant les prières du Matin & du Soir…, Vienne, François Léopold, 1787.
Nouvelles heures à l’usage des enfans depuis l’âge de cinq ans jusqu’à douze…, Paris, Maradan, 1801.
Heures nouvelles ou prières choisies…, Avignon, Vve Guichard, 1805 (rééd.)
Heures impériales et royales à l’usage de la Cour…, Paris, Lefuel, 1809.
Heures de Cour, dédiées à la Noblesse. Nouvelle édition, Le Puy, J. B. La Combe, 1814.
Heures dédiées à Madame, Duchesse d’Angoulême, Paris, Le Fuel, 1814.
Heures françaises, dédiées à Monseigneur le Duc d’Anjou. Nouvelle édition, Rodez, Carrère, 1814.
Journal chrétien ou heures nouvelles, Lyon, Savy, 1816.
414 s ourc es
Heures de la sainte Vierge avec figures par A. Queyroy, Tours, A. Mame, 1878.
Année céleste, ou Heures romaines contenant l’office de tous les dimanches et des principales fêtes de
l’année, des instructions, méditations… des messes pour tous les jours de la semaine et les diverses
situations de la vie, Dijon, Pellet et Marchet, 1880.
Graduel romain comprenant les messes et les petites heures… ainsi que l’office de la nuit de Noël,
Paris, V. Lecoffre, 1882.
Heures et petit Psautier à l’usage des écoles des soeurs de l’instruction chrétienne, Vanne, Lafolye, 1885.
Flavigny (Louise Mathilde de), Livre d’heures de la première communion, contenant les offices du
dimanche et des principales fêtes de l’année, avec des instructions pour le jour…, Tours, Alfred
Mame et Fils, vers 1890.
Heures à l’usage du diocèse de Lyon, selon le rit romano-Lyonnais, Lyon, librairie E. Vitte, 1897.
Livre d’heures, français, composé par les moines de l’abbaye d’En-Calcat, Dourgne, Abbaye d’En-
Calcat, 1954.
Bibliotheca Fayana, catalogus librorum bibliothecae ill. viri D. Car. Hieronymi de Cisternay du Fay,
gallicanae cohortis praetorianum militum centurionis, Paris, G. Martin, 1725.
Catalogue des livres de la bibliothèque de feu Monseigneur le Marechal de Huxelles, qui sera vendue à
lamiable [mardi 18e] jour du mois de Juillet 1730, Paris, Robinot, 1730.
Catalogue des livres du cabinet de M. *** [Jean Pierre Imbert Châtre de Cangé], Paris, Guérin, 1733.
Catalogue des livres de M.*** [Fourcy, abbé de Saint-Wandrille] dont la vente se fera en détail le
Lundy 13 May 1737…, Paris, G. Martin, 1737.
Catalogue des livres de feue madame la comtesse de Verruë, Paris, Gabriel Martin, 1737.
Catalogue de la bibliotheque de feu monsieur Leschassier, conseiller au Grand-Conseil, Paris, Charles
Moette, 1738.
Catalogus librorum bibliothecae illustrissimi viri Caroli Henrici Comitis de Hoym, olim regis Poloniae
Augusti II. Apud regem christianissimum legati extraordinarii. Digestus et discriptus à Gabriele
Martin bibliopola parisiensi cum indice auctorum alphabetico, Paris, G. Martin, 1738.
Catalogue des livres de la bibliothèque de M. de M. T. L. [Montal, avocat au Parlement] dont la vente
se fera… le lundi 30 juin 1738, Paris, Rollin, 1738.
Catalogue des livres de la bibliothèque de feu Monseigneur le maréchal d’Estrées, pair, premier
maréchal et vice-amiral de France, chevalier des ordres du Roy, Grand d’Espagne, Viceroy de
l’Amérique…, t. 1, Paris, Jacques Guérin, 1740.
Catalogue des livres de feu M. Bellanger, trésorier général du sceau de France, Paris, G. et C. Martin,
1740.
Pierre Gosse, Bibliotheca universalis vetus & nova, complectens libros in omni scientiarum genere
selectissimos, & magni pretii opera horumque optimas editiones. Quibus adhuc accedet appendix
exquisitorum librorum, quorum nondum advectorum pleni tituli dari hic non potuerunt. Omnes
vendentur plus offerenti 7. junii & seq. anno 1740. Hagae Comitum in aedibus Petri Gosse, in
Platea, vulgo de Plaats / per Adrianum Moetjens. = Bibliotheque universelle choisie ancienne
& nouvelle, contenant dans chaque faculté les livres les plus capitaux & les meilleurs éditions ; à
laquelle cependant on joindra un supplement de divers articles qui manquent & que l’on attend
de divers endroits & dont on n’a pas pû donner des titres justes. La vente s’en fera à La Haye au
plus offrants le 7. juin 1740. dans la maison de Pierre Gosse, sur la Place, par Adrien Moetjens, La
Haye, A. Moetjens, 1740 et 1742.
Catalogue des livres de la bibliothèque de feu Messire Charles-François Le Fevre de Laubrieres, évêque
de Soissons, etc., Paris, Barois, 1740.
Catalogue des livres de la bibliothèque de M*** [Adrien-Maurice de Noailles] dont la vente se fera…
le 11 Juillet 1740, Paris, P. Gandouin et P. Piget, 1740.
Catalogue des livres de la bibliothèque de M. Magueux, écuyer, ancien avocat au parlement, Paris,
Jacques Barois fils, 1741.
Catalogus librorum bibliothecae quae fuit primum… D. Caroli Le Goux de La Berchere… Posteà…
D. Ren. Francisci de Beauveau, Toulouse, N. Caranove, 1741.
Catalogue des livres de feu M. Le Peletier des Forts, ministre d’Etat, &c, Paris, Jacques Barois, 1741.
Catalogue des livres de feu M. Lancelot, de l’Academie Royale des Belles-Lettres, Paris, G. Martin,
1741.
Bibliotheca S****** [Seviana] sive Catalogus librorum bibliothecae… D. P. [Petri] D. S*** [Seve],
Lyon, Périsse, Duplain, 1741
Catalogue des livres de la bibliothèque de feu monsieur le Chevalier de Charost, Paris, Barrois, 1742.
Catalogue des livres de M. C*** [Coucicaut], Paris, G. Martin, 1742.
sources 41 7
Livres et estampes du cabinet de feu M. Hallée, dont la vente commencera le 26 février 1742, Paris,
Piget, 1742.
Catalogue des livres de feu M. Barré, auditeur des comptes… t. 2, Paris, Gabriel Martin, 1743.
Catalogue des livres de la bibliothèque de M. Adrien Maillard,…dont la vente se fera le lundi 29 juillet
1743, Paris, Osmont, 1743.
Catalogue des livres de la bibliothèque de M*** [Turgot de St Clair] dont la vente se fera… le Janvier
1744, Paris, Piget, 1744.
Catalogue des livres de feu M. L’abbé d’Orléans de Rothelin, Paris, G. Martin, 1746.
Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M. Le Président Bernard de Rieux, Paris, Barrois, 1747.
Catalogue des livres de feu M. Garnier, ancien avocat au Parlement, Paris, G. Martin, 1747.
Catalogue des livres de la bibliothèque de feu Monsieur Larchevesque, docteur en médecine, aggrégé au
collège des médecins de Rouen, Rouen, N. Le Boucher, Paris, Barrois, 1749.
Catalogue des livres de feu Mr. Du Bos, ancien avocat au parlement, dont la vente se fera le lundy 9 mars,
& jours suivans, deux heures de relevée, rue des Marmouzets, en la Cité, Paris, Bauche, 1750.
Catalogue des livres de Monsieur le président Crozat de Tugny…, Paris, Thiboust, 1751.
Catalogue des livres de feu M. Giraud de Moucy. Commandant des gardes de feu S A R. Madame la
Duchesse d’Orléans, & Chevalier de S. Lazare. Dont la vente se fera en detail Lundy 12 mars 1753,
Paris, Barrois, 1753.
Catalogue des livres du cabinet de M. de Boze, Paris, G. Martin, 1753.
Catalogue des livres de feu Mr. Basset, président en la Cour des Monnoyes, &c, Lyon, Duplain, 1753.
Catalogue des livres de feu Monsieur de Hericourt, ancien avocat au Parlement, Paris, G. Martin,
1753.
Catalogue des livres de feu monsieur de Vougny, conseiller au Parlement, chanoine de l’eglise de Paris,
dont la vente se fera Cloître Notre-Dame, près de la salle du Chapitre, & sera indiquée par affiches,
Paris, Damonneville, 1754.
Catalogue des livres de feu M Paillet des Brunieres, avocat au Parlement, dont la vente se fera au plus
offrant & dernier enchérisseur en la maniere accoutumée, lundy vingt-deux avril 1754. depuis deux
heures de relevée jusqu’au soir, en sa maison, Paris, De Bure, 1754.
Catalogue des livres de la bibliotheque de M. Secousse, avocat en Parlement, de l’Académie Roïale des
Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, Barrois, 1755.
Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M. Bernard de Chantaut, conseiller au Parlement de
Dijon, Paris, Guylin, Dijon, Desventes, 1755.
Catalogue des livres de la bibliothèque de Monsieur l’abbé Delan,… dont la vente commencera Lundi
17 Février 1755, Paris, Barrois, 1755.
Catalogue des livres et estampes de la bibliothèque de feu Monsieur Pajot…, Paris, G. Martin, Michel
Damonneville, 1756.
Catalogue des livres de feu Monsieur l’abbé de Fleury, chanoine de l’Eglise de Paris, dont la vente se
fera en détail mardi 27. avril 1756 & jours suivans, de relevée, Paris, G. Martin, 1756.
Catalogue des livres de monsieur **** [Isenghien, Louis de Gaud de Mérode de Montmorency (Prince
d’)] dont la vente se fera en détail le mardi 15 juin 1756. & jours suivans de relevée, rue de Grenelle,
au coin de la rue du Bacq, Paris, G. Martin, 1756.
Catalogue des livres de la bibliothèque de M. Benacé, Paris, G. Martin, 1757.
Catalogue des livres de feu M. Bocquet de La Tour, avocat en Parlement, dont la vente se fera en détail,
au plus offrant et dernier enchérisseur, le lundi 16 mai 1757 et jours suivants, deux heures de relevée
jusqu’au soir, Paris, Damonneville, 1757.
418 s ourc es
Catalogue des livres du cabinet de M. G… D… P… [Girardot de Préfond], Paris, G. Fr. De Bure,
1757.
Catalogue des livres de feu M. le président Le Cousturier de Mauregard, Paris, G. Martin, 1758.
Catalogue des livres de feu M. Herbert dont la vente se fera… le lundi 3 juillet 1758, Paris, Pissot,
1758.
Catalogue des livres de feu monsieur de La Vigne, docteur régent de la faculté de médecine de Paris,
conseiller d’Etat, premier médecin de la Reine, & médecin ordinaire de Madame la Dauphine,
Paris, G. Martin, 1759.
Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M. J. B. Denis Guyon, chevalier, seigneur de Sardière,
ancien capitaine au Régiment du Roi, & l’un des seigneurs du Canal de Briare, Paris, Barrois,
1759.
Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M. de Selle, trésorier général de la Marine, Paris, Barrois
et Davitz, 1761.
Catalogue des livres de feu Monsieur Mignot de Montigny, président des trésoriers de France. Dont la
vente se fera en détail, au plus offrant & dernier enchérisseur, mardi 3 mars 1761 & jours suivans, en
sa maison, rue Cloche Perche, au Marais, Paris, Davits, 1761.
Catalogue des tableaux, estampes en livres & en feuilles, cartes manuscrites & gravées, montées
à gorges & rouleaux, du cabinet de feu messire Germain-Louis Chauvelin, ministre d’état,
commandeur des ordres du Roi, & ancien garde des sceaux, dont la vente se fera le lundi 21 juin
[1762] & jours suivans… en l’hôtel de M. Chauvelin, Paris, Lottin, 1762.
Catalogue des livres de feu M. Imbert, ecuyer et premier apothicaire du corps du Roi, Paris, Davidts,
1763.
Catalogue des livres de feu M. Dufaure, Gouverneur et Sénéchal de Rouergue, Paris, Barrois, 1763.
[Catalogue des livres de la bibliothèque de Le Boullenger de Chaumont], Paris, Davits [1763].
Catalogue des livres de M. le maréchal duc de Luxembourg, Paris, Pissot, 1764.
Catalogue des livres de la bibliothèque de feu Monsieur l’abbé Favier, prêtre à Lille, Lille, F. Jacquez,
1765.
Catalogue des livres de la bibliothèque de feue Mme la M.ise de Pompadour, dame du palais de la
Reine, Paris, J. T. Hérissant, 1765.
Catalogue des livres de la bibliothèque de feu Monseigneur de Saint-Albin, archevêque duc de
Cambrai, Cambrai, S. Berthoud, 1766.
Bibliotheca Senicurtiana sive Catalogus librorum quos collegerat Joan. Franciscus de Senicourt, in
Suprema Curia parisiensi patronus, Paris, J. B. Musier, 1766.
Catalogue des livres de la bibliotheque de feu M. Dezalier d’Argenville, maître des comptes et membre
des sociétés royales des sciences de Londres & de Montpellier, Paris, De Bure père, 1766.
Supplément à la Bibliographie instructive, ou catalogue des livres du cabinet de feu M. Louis Jean
Gaignat…, Paris, Guillaume-François De Bure, 1769.
Catalogue des livres manuscrits et imprimés et des estampes de la Bibliothèque de M. le duc de
Chaulnes, dont la vente se fera, en son Hôtel, rue d’Enfer, le 19 mars 1770, Paris, Le Clerc, 1770.
Catalogue d’une collection de livres choisis, provenans du cabinet de M*** [le duc de Brancas de
Lauraguais], Paris, De Bure, 1770.
Catalogue raisonné des principaux manuscrits du cabinet de M. Joseph Louis Dominique de Cambis,
marquis de Velleron, seigneur de Cayrane & de Fargues, ancien capitaine des dragons…,
Avignon, Louis Chambeau, 1770.
Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M. G*** [Gayot de Bellombre], Paris, G. de Bure, 1770.
sources 41 9
Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M. Sandras, Avocat en parlement, au nombre de dix
mille volumes, la plupart rares & singuliers. La vente se fera en sa maison, rue de la femme-sans-
tête, au coin du quai de Bourbon, Isle S. Louis, dans le courant du mois de novembre prochain,
Paris, Jean-Baptiste Gogué, 1771.
Catalogue des livres du cabinet de feu M. Bonnemet, dont la vente se fera en détail, en la manière
accoutumée, au plus offrant & dernier enchérisseur, le lundi 10 février 1772, Paris, Mérigot, 1772.
Catalogue des livres de la bibliothèque de madame la marquise de Mancini, dont la vente se fera lundi,
26 juillet 1773, Paris, Saillant et Nyon, 1773.
Catalogue des livres de la bibliothèque de feu Monsieur de La Condamine… dont la vente se fera… le
16 mai 1774, Paris, Dubois, 1774.
Catalogue des livres de feu M. de Rochebrune commissaire au Châtelet de Paris. La vente s’en fera, au
plus offrant et dernier enchérisseur, en sa maison, rue Geoffroy-l’Asnier, Paris, Musier, 1774.
Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M. Mutte, doyen de l’église métropolitaine de Cambrai,
Cambrai, Bertoud, 1775.
Catalogue des livres de feu M. le marquis de Narbonne de Pelet, lieutenant-général des armées du Roi,
Lyon, Claude Jacquenod, 1775.
Catalogue des livres et estampes de la bibliothèque de feu Monsieur Perrot, maître des comptes, disposé
dans un ordre différent de celui observé jusqu’à ce jour [vente 22 janvier 1776], Paris, Gogué et
Néé de La Rochelle, 1776.
Catalogue des livres de la bibliothèque de M. Deloynes, Orléans, Jacob, 1777.
Catalogue des livres du cabinet de feu M. Randon de Boisset, receveur général des finances, Paris, De
Bure aîné, 1777.
Catalogue des livres de la bibliothèque de M. Buch’oz, médecin botaniste…, Paris, De Bure, 1778.
Catalogue des livres de feu M. le Berche, ancien avocat au Parlement. Dont la vente commencera le
lundi 30. Mars 1778. & continuera les jours suivans, en sa maison, Paris, Barrois, 1778.
Catalogue des livres de la bibliothèque de feû M. Chrestien, avocat au Parlement. Dont la vente se fera
en sa maison, rue des Juifs, derriere le petit S. Antoine, le mardi 13 janvier 1778, & jours suivans,
Paris, Onfroy, 1778.
Catalogue des livres de feu M. Jean-Philibert Peysson de Bacot, Lyon, Jacquenod, 1779.
Catalogue des livres rares et singuliers du cabinet de M. Filheul, précédé de quelques éclaircissemens sur
les articles importans ou peu connus et suivi d’une table alphabétique des auteurs, Paris, Dessain,
1779.
Notice des principaux articles de la bibliothèque de feu M. Berginière, avocat en Parlement, dont la
vente se fera le lundi 25 janvier 1779, et jours suivants, de relevé, en sa maison, rue Christine, Paris,
Prault, 1779.
Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M. Picard, contenant environ cent mss sur vélin, décorés
de miniatures & de beaucoup d’articles rares et singuliers, Paris, Mérigot, 1780.
Catalogue des livres qui composent la bibliothèque de Mgr Hue de Miromenil, garde des sceaux de
France, Paris, Valade, 1781.
Catalogue des livres de feu M. Millet seigneur de Montarbi, ecuyer, conseiller du roi, contrôleur général
du Marc d’or…, Paris, Lamy, 1781.
[Catalogue de la vente des livres de Doyen de Mondeville, 10 janvier 1781], Paris, Mérigot,
[1781].
Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M. de Querlon, dont la vente commencera le lundi
12 mars 1781, Paris, Gobreau, 1781.
420 s ourc es
Catalogue des livres rares et précieux de la bibliothèque de feu M. J. L. A. Coste, Paris, Potier, 1854.
Catalogue des livres en partie rares et précieux… M. G. Duplessis, Paris, Potier, 1856.
Catalogue des livres de… Chavin de Malan,… dont la vente aura lieu le lundi 18 janvier et jours
sui[vants], Paris, François 1857.
Catalogue d’une belle collection de livres rares et précieux [du Comte de Clinchamp]…, Paris,
Techener, 1860.
Catalogue des livres manuscrits et imprimés composant la bibliothèque de M. Charles Sauvageot,…
avec une notice biographique par M. Le Roux de Lincy, Paris, L. Potier, 1860.
Catalogue des livres et manuscrits composant la bibliothèque de M. Félix Solar, Paris, Firmin Didot,
1860.
Catalogue des livres, imprimés, manuscrits, lettres autographes, dessins et estampes provenant de
la bibliothèque de M. C. Leber,… La vente aura lieu le samedi 3 novembre 1860, Paris, Potier,
1860.
Catalogue des livres manuscrits et imprimés de M. Armand Cigongne, membre de la Société des
Bibliophiles, Paris, L. Potier, 1861.
Catalogue d’un choix de livres anciens et modernes composant la bibliothèque de M. le Baron E.
de V*** (Ernouf) dont la vente aura lieu le 4 juin et jours suivants, Paris, J. Techener, 1861 ;
A most choice collection of books, forming the library of Mons. Le Baron Ernouf, de la Société des
Bibliophiles Français; in which will be found a valuable selection of works in the Greek, Latin,
French, Italian, Spanish and other languages, London, Sotheby’s, 1861.
Description raisonnée d’une collection choisie d’anciens manuscrits, de documents historiques et de
chartes réunis par les soins de M. J. Techener, Paris, Techener, 1862.
Catalogue de la bibliothèque de feu M. Arthur Dinaux, Paris, Bachelin-Deflorenne, 1864-1865.
Catalogue des livres rares et précieux, manuscrits et imprimés composant la bibliothèque de
M. Chedeau, de Saumur, Paris, Potier, 1865.
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bibliog ra phie 47 1
Abel-Rémusat, Jean-Pierre (1788-1832) : 173 Bertin, Armand (1801-1854) : 137, 188, 189
Adam, Jean (1608-1684) : 95 Bigot, frères ( Jean, Nicolas, Louis) : 34, 154
Ajasse, Alain : 206, 207, 279 Blanche de Navarre (1331-1398) : 55
Alès, Anatole (1840-1903) : 192 Blaquière, Paul († 1868) : 139
Alexander, Jonathan G. : 264 Boinet, Amédée (1881-1965) : 244, 247, 275,
Anabat, Guillaume : 64, 155 315, 324, 367
André, Édouard (1833-1894) : 324 Bonald, Louis-Jacques-Maurice (1787-
Antoine du Saint-Sacrement (1601-1676) : 88 1870) : 114, 122, 274
Armaing, Germaine d’ (1664-1699) : 88 Bonaparte, Louis-Napoléon
Ashburnham, Bertram (1797-1878): 197 Napoléon III
Aubanel (imprimeurs à Avignon) : 114 Bonhomme, Yolande († 1557) : 65, 71, 286
Audéoud, Maurice (1864-1907) : 214 Bosse, Abraham (1602-1676) : 105
Aumale, duc d’ voir Orléans, Henri d’ Bossuet, Jacques-Bénigne (1627-1704) : 127
Avril, François : 214, 256, 260, 261, 264, 299, Bouchot, Henri (1849-1906) : 244, 247, 250,
302, 370 251, 253, 255
Bachelin-Deflorenne, Antoine (1835-19 ?) : Boucicaut, Maréchal de Le Meingre,
132, 185, 193, 195, 235, 236 Jean
Backhouse, Janet M. (1938-2004) : 260 Boucot, Claude († 1699) : 150, 151
Bagford, John (1650-1716) : 194 Boudot, Jean (1651-1706) : 96
Ballivet-Gaudin, Mireille : 340 Bouhier, Jean (1673-1746) : 286, 289
Balthazar, Nicolas (1669-1738) : 95 Bourbon, Charles-Louis de (1799-1883) :
Baluze, Etienne (1630-1718) : 212 192, 193
Barbier de Montault, Xavier de (1831-1901) : Bourbon-Sicile, Marie-Caroline, duchesse
248 de Berry (1798-1870) : 181
Barbou (imprimeurs à Limoges) : 114, 126 Bourdichon, Jean (1456-1520) : 35, 36, 179,
Barré, Jean-Louis († 1741) : 157, 159, 193 240, 244, 300
Bastard d’Estang, Auguste (1792-1883) : Bouyer, Annie : 342
33-, 337 Boyvin, Robert (actif 1480-1536) : 37, 288
Baudot, Louis-Bénigne (1765-1844) : 191 Brentano, Georg (1774-1851) : 194
Beaujeu, Anne de (1461-1522) : 30, 254, 286 Breton, Richard († 1571) : 76
Benard, Guillaume : 65 Brölemann, Henri-Auguste (1826-1904) :
Benzon, Edmund (1819-1873) : 193 192, 323
Béraldi, Henri (1849-1931) : 202 Brooke, Thomas (1830-1908) : 197
Bernard de Rieux, Gabriel (1685-1745) : 157 Brunet, Gustave (1805-1896) : 190
Berry, Jean de (1340-1416) : 35, 55, 192, 215, Brunet, Jacques-Charles (1780-1867) : 177,
218, 245, 257, 263, 319, 340, 362, 370, 379 178, 184, 189, 190
474 i n dex des n oms de p er son n e
Langlois, Eustache-Hyacinthe (1777-1837) : Maître de Boucicaut : 30, 31, 35, 37, 44, 49,
234, 242, 243 247, 256, 324, 325, 398
Lantelme Alexandre (1832-1903) : 178, 202 Maître de Fastolf : 37
Laurent, Claude-Nicolas-Emmanuel (1719- Maître de Jacques de Rambures : 37
1787) : 99 Maître de l’Échevinage de Rouen : 37, 288
Lavalley, Gaston (1834-1924) : 273 Maître de Rohan : 35
Le Bossu, Simon († 1665) : 95, 115 Maître de Spencer 6 : 37
Le Clerc, Sébastien (1637-1714) : 106 Maître de Talbot : 37
Le Clert, Louis (1835-1935) : 244 Maître des Heures Collins : 37, 299
Le Fevre de Laubrières, Charles-François Maître du Cardinal de Bourbon : 67
(1688-1738) : 159, 170 Maître du Jouvenel des Ursins : 36, 246
Le Glay, Joseph (1785-1863) : 272 Maître du Pierre Michault de Guyot II Le
Le Maistre, Antoine (1608-1558) : 81 Peley : 31
Le Meingre, Jean (1364-1421) : 31, 44 Maître François : 360
Le Tourneux, Nicolas (1640-1686) : 96 Mâle Emile (1862-1954) : 253, 254
Leber, Constant (1780-1859) : 174, 184 Malet, Albert (1864-1915) : 317, 318
Lebrument, Auguste (1808-1884) : 235 Malouel, Jean († 1415) : 35
Ledieu, Alcius (1850-1912) : 244 Malraux, André (1901-1976) : 404
Legendre, Françoise : 288 Mame, Alfred (1811-1893) : 114, 115, 122, 131, 133
Legrand, Louis (1863-1951) : 134, 135 Mancel, Bernard (1798-1872) : 324
Lehman Robert (1892-1969) : 195 Mangeart, Jacques (1805-1874) : 273
Leroquais, Victor (1875-1946) : 38, 39, 41-43, Marguerite de Lorraine, duchesse
233, 248, 255, 256, 265, 293, 3-7, 398 d’Alençon (1461-1521) : 247, 294
Leroux de Lincy, Antoine (1806-1869) : 180 Marie de Floris (abbé d’En-Calcat entre
Léry, Jean de (1536-1613) : 47 1943 et 1952) : 127
Lesouef, Auguste (1829-1906) : 214, 216 Marie de Médicis (1575-1642) : 16
Lewis, John Frederick (1860-1932) : 201 Marmion, Simon (1425-1489) : 36, 37
Limbourg, Pol, Herman et Jean (v. 1380- Marquet de Vasselot, Jean-Joseph (1871-
1416) : 35, 246, 297, 300, 315, 318, 319, 322, 1946) : 296, 298
346, 379 Marrow, James: 264
Loisne, Auguste de (1853-1943) : 249 Martène, Edmond (1654-1739) : 153
Loménie de Brienne, Etienne-Charles Martin Le Roy, Victor (1842-1918) : 298
((1727-1794) : 165 Martin, Gabriel (1679-1761) : 162
Lonhy, Antoine de (actif 1454-1460) : 38 Martin, Henry (1852-1928): 247
Louis XI (1423-1483) : 30, 36, 44, 46, 152, Masson, Jean (1856-1933) : 191, 193, 336
198, 329 Mathieu, Césaire (archevêque de
Louis-Charles Du Plessis d’Argentré (1723- Besançon, 1796-1875) : 124
1808) : 124 Maugérard, Jean-Baptiste (1735-1815) : 213
Mac-Carthy-Reagh, Justin (1744-1811) : 176, Mazarin (1602-1661) : 16, 149, 154, 211, 347
177 Mead, Richard (1673-1754) : 16
Maciet, Jules (1846-1911) :215, 324 Meiss, Millard (1904-1975) : 257-258
Magnon, Jean (1620-1662) : 104 Menard, Jean-Jacques Charron de (1643-
Maheu, Didier († 1546) : 74 1718) : 163
Maignan, Albert (1845-1908) : 324 Mérigot, Jacques-François (†1799) : 164,
Maître d’Antoine de Roche : 300 165
478 i n dex des n oms de p er son n e
Belles Heures du duc de Berry (New York, Metropolitan Museum of Arts, Acc. No. 54.1.1) : 35,
315, 340
Grandes Heures d’Anne de Bretagne (Paris, BnF, ms. lat. 9474) : 36, 40, 193, 211, 213, 230
Grandes Heures de Rohan (Paris, BnF, ms. lat. 9471) : 40, 318
Heures d’Angoulême (Paris, BnF, ms. lat. 1173) : 244, 333, 334
Heures d’Anne de Beaujeu (New York, Pierpont Morgan library, ms. 677) : 30, 254
Heures d’Antoine Bourdin (Carpentras, BM, ms. 59) : 47
Heures d’Etienne Chevalier (Chantilly, Musée Condé, fragments) : 44, 130, 152, 194-195, 215, 238,
247, 315, 323, 398
Heures d’Henri II (Paris, BnF, ms. lat. 1429) : 185, 315
Heures d’Henri IV (Paris, BnF, ms. lat. 1171) : 193
Heures d’Oiselet (La Haye, Bibliothèque royale, ms. 77L60) : 48
Heures de Béthune (Chantilly, Musée Condé, ms. 69) : 211, 214, 333
Heures de Bourbon-Vendôme (Paris, Arsenal, ms. 417) : 34
Heures de Catherine d’Armagnac (Los Angeles, JP Getty Museum, ms. 6) : 36
Heures de Catherine de Médicis (Paris, BnF, ms. nal. 82) : 162
Heures de Charles le Téméraire (Vienne, Nationalbibliothek, ms. 1856) : 55
Heures de Charlotte Garnier (New Haven, Yale University, Beinecke Library, 217) : 33
Heures de Claude de France (coll. privée, vente Gros & Delettrez, 8 avril 2011, n° 548) : 299
Heures de Copenhague (Copenhague, Bibliothèque royale, ms ; Thott 541.4°) : 36
Heures de Diane de Poitiers (Amiens, ms. Lescalopier 501) : 38, 254
Heures de Florimond Ier Robertet d’Alluye (Baltimore, Walters Art Museum, W 452) : 30
Heures de Francfort (Francfort, Musée des Arts appliqués, LM 48) : 35, 36
Heures de François Ier (New York, Metropolitan Museum of Arts, Cloisters, 2011.353) : 159, 299
Heures de François Ier (Paris, Musée du Louvre, RFML.OA.2018.1.1.1) : 13, 16-18, 154, 312, 325, 328,
344-350
Heures de Frédéric III d’Aragon (Paris, BnF, ms. lat. 10532) : 36
Heures de Jacques Cœur (Munich, Bayerische Staatbibliothek, ms. c.l.m. 1013) : 30, 251
Heures de Jacques de Langeac (Lyon, BM, ms. 5154) : 51, 52
Heures de Jacques II de Châtillon (Paris, BnF, nal. 3231) : 299, 300
Heures de Jean Charpentier (Angers, BM, Rés. Ms. 2048) : 390
Heures de Jean de L’Aigle (Avranches, BM, ms. 94-1-1) : 31
Heures de Jean de Montauban (Rennes, BM, ms. 1834) : 47, 362
Heures de Jeanne Bessonneau (Paris, BnF, ms. lat. 1161) : 35
Heures de Jeanne d’Évreux (New York, Metropolitan Museum of Arts, 54.1.2) : 192, 256
Heures de Jeanne de France (Paris, BnF, ms. nal 3244) : 36, 295-300, 311-312, 344-350, 394, 398
482 i n dex des n oms de p er son n e