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Être homme injuste ou être homme divin ?

L’enjeu élenctique de Socrate dans l’Ion


부정의한 자가 될 것인가 ; 신적인 자가 될 것인가?

저자 Kim, Iouseok
(Authors)

출처 서양고전학연구 32, 2008.06, 57-78(22 pages)


(Source) The Journal of Greco-Roman Studies 32, 2008.06, 57-78(22 pages)

한국서양고전학회
발행처
The Korean Society of Greco-Roman Studies
(Publisher)

URL http://www.dbpia.co.kr/journal/articleDetail?nodeId=NODE02224359

APA Style Kim, Iouseok (2008). Être homme injuste ou être homme divin ?. 서양고전
학연구, 32, 57-78

이용정보 숭실대학교
203.253.***.153
(Accessed) 2019/10/30 21:06 (KST)

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Être homme injuste ou être homme divin ?
– L’enjeu élenctique de Socrate dans l’Ion –

Kim, Iouseok
(Soongsil University)

1. Introduction

Dans l’Ion, Socrate s’attaque aux poètes et aux rhapsodes en les considérant comme les
détenteurs d’une pseudo-technique. Il est pourtant à remarquer que la réfutation qui y est
développée ne correspond pas exactement à celle des autres dialogues de jeunesse. On voit
que, dans les premiers dialogues, Socrate s’occupe de réfuter telle ou telle opinion morale
soutenue par ses interlocuteurs. Le Socrate de l’Ion critique aussi une opinion populaire de
son temps selon laquelle « le rhapsode possède une tekhnê ». Mais, cette opinion n’est pas
proposée par Ion lui-même. C’est plutôt Socrate qui propose cette opinion et encourage
Ion à la prendre. Tout au long du dialogue, Ion ne prétend pas être le détenteur d’une thèse.
Il n’a pas l’air non plus de s’efforcer de défendre sa conviction sur la rhapsodie. Quant à la
forme d’argumentation, la réfutation de Socrate ne vise pas à dévoiler la contradiction
entre les premises.1) En revanche, Socrate s’efforce de révéler le fait que le rhapsode n’a
pas son propre objet de sa technique. En ce qui concerne l’effet élenctique, il ne semble
pas que la conclusion de Socrate – « le rhapsode peut réciter non par une tekhnê qui lui est
propre, mais grâce à une possession divine » – soit sérieusement acceptée par Ion.2) À la
fin du dialogue, Ion accepte cette conclusion en disant que « jugé d’être l’homme divin est
mieux (que jugé d’être l’homme injuste) ». Mais, cela relève moins du fait qu’Ion soit
persuadé par le processus argumentatif, mais qu’il est forcé de choisir entre homme divin
et homme injuste. Autrement dit, Ion semble admettre la conclusion de Socrate tout
simplement pour éviter la mauvaise réputation. Certes, Socrate a gagné le débat. Mais sa

1) Pour la structure argumentative de l’elenchos socratique, cf. G. Vlastos (1994), p. 1-37 ; L.-A.
Dorion (1990), p. 311-344 ; L.-A. Dorion (2004), p. 55-66.
2) À ce propos, cf. C.H. Kahn (1993), p. 376 ; C.H. Kahn (1996), p. 110-111.

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victoire n’est pas réalisée par une force argumentative. En effet, l’Ion ne nous montre pas
un elenchos standard, mais un enjeu dialectique de Socrate au cours duquel il s’efforce de
dévoiler la puissance pesudo-technique des poètes à son entourage. Afin de réaliser son
intention critique, Socrate n’hésite pas à utiliser la personnalité d’Ion en stimulant son
caractère arrogant. Quant à nous, pour mieux comprendre l’efficacité de la réfutation
socratique développée dans l’Ion, il vaut la peine de considérer la relation interactive entre
le mouvement argumentatif de la réfutation et le mouvement émotionnel du personnage.
Le présent travail se veut donc être une étude sur le rôle des caractères dramatiques dans
l’elenchos socratique de l’Ion.

2. Le portrait d’Ion

Tout ce que nous connaissons sur Ion vient du dialogue éponyme. En ce qui concerne
son portrait extérieur, les informations que le dialogue nous offre sont les suivantes : Ion
est originaire d’Éphèse ; il est rhapsode et sa spécialité est les œuvres d’Homère. Vêtus de
beaux costumes, il récite les poèmes homériques devant le public. Mais la performance
des rhapsodes ne se borne pas à la récitation. Ils sont en même temps les commentateurs
des poèmes homériques. Cette caractéristique n’est pas sans importance, car, c’est par leur
connaissance interprétative que les rhapsodes peuvent prétendre être le transmetteur de la
valeur morale des poèmes traditionnels. En effet, la réfutation de Socrate vise exactement
à cet aspect moral et éducatif des rhapsodes. Dans notre dialogue, Ion prétend être le
meilleur interprète des poèmes homériques. Par ailleurs, en tant que rhapsode itinérant, il
parcourt quotidiennement les diverses cités grecques pour participer aux concours des
rhapsodes. Dans notre dialogue, il vient d’arriver à Athènes après avoir remporté le
premier prix au concours organisé dans la fête d’Asclépios à Épidaure.
Qu’il soit une personne historique ou fictive, rien n’est certain. Néanmoins, il est bien
probable que les descriptions de son portrait et de son activité ne sont pas très éloignées de
ce que fût la culture populaire au cinquième siècle en Grèce. En effet, on sait que le
rhapsode – dont le nom consiste en « rhaptein (faire le coude ensemble) » et « ôidê

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(chant) » – était le récitant professionnel des poésies surtout des poèmes d’Homère.3) Son
existence était un phénomène familier en Grèce et Asie mineur. On ne peut pas sous-
estimer le fait que leur performance jouait un rôle important dans l’éducation morale de
l’antiquité. En effet, il est bien assuré que l’activité professionnelle des rhapsodes était l’un
des moyens principaux de transmettre la morale traditionnelle d’une génération à une
autre. Si l’on imagine qu’à l’époque, peu de gens avaient la chance d’accéder au livre, la
récitation des rhapsodes sur les poèmes traditionnels était sans doute l’un des moyens les
plus importants de diffuser la morale traditionnelle parmi le peuple.4) Ainsi, le rôle des
rhapsodes consiste à lui donner le moyen d’accès à la culture principalement par l’écoute
et non par la lecture. En ce cas, nous pouvons supposer que, par la création du personnage
d’Ion, Platon a voulu constituer le représentant du héros de la culture populaire. Il va sans
dire que, par la création de ce héros, Platon a voulu examiner leur compétence morale et
critiquer leur influence redoutable sur l’éducation.
Alors que le portrait extérieur d’Ion nous apparaît refléter, de façon objective, l’un des
aspects de la culture grecque, la description de son caractère intérieur est trop caricaturée,
de sorte qu’il a l’air d’être plus ou moins dramatisé par l’auteur. Ainsi, on se demande
souvent si la morale d’Ion représente sérieusement celle des rhapsodes en général. Il est
vrai que, parmi les interlocuteurs du corpus platonicien, Ion nous apparaît comme le
personnage le plus simple, le plus naïf et le plus stupide, c’est-à-dire, comme un
interlocuteur marginal dans l’entretien philosophique. Au début du dialogue, Ion ne saisit
pas ce que Socrate veut dire à propos de son métier (530c7-d9). Il n’est également pas
habitué à la règle de l’entretien philosophique, car, au cours du dialogue, il n’hésite pas à
rejeter ses accords précédents, lorsque ceux-ci lui semble devenir des éléments

3) Probablement, on pourrait distinguer les rhapsodes des aèdes (aoidoi) du fait que ceux-ci
chantent leurs propres poèmes, tandis que ceux-là ont la tendance de chanter les poèmes des
autres, surtout les poèmes d’Homère. Mais, cette distinction n’est pas très claire. Par exemple,
Penelope Murray (1996, p. 96-97) remarque que les anciens ont souvent considéré les
rhapsodes comme chanteur de leur propre poème. Entre autres, cf. Diogène Laërce, Vies et
doctrines… IX. 18. 8-11 : « Il [sc. Xénophane] écrivit des poèmes en épique, des élégies et des
iambes contre Hésiode et Homère, en dénonçant ce qu’ils disent sur les dieux. Mais il récitait
aussi lui-même ses propres poèmes (alla kai autos errapsôidei ta heautou) » (trad. J.
Brunschwig). Il est tout de même indubitable qu’Ion est spécialiste d’Homère C’est aussi en ce
sens qu’il prétend être le meilleur des Homérides (cf. 530d7-8).
4) Cf. J. Beversluis (2000), p. 77-78.

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défavorables pour sa réputation (536d4-7). À la fin du dialogue, Ion n’a pas l’air d’être
affecté par la réfutation, même s’il est forcé de s’accorder avec la proposition de Socrate
(542b1-4). Autrement dit, Ion n’est pas bénéficié de l’effet d’elenchos. Il ne semble même
pas saisir la moquerie de Socrate tout au long du dialogue. Voilà pourquoi M. Canto-
Sperber affirme que « Ion est sans doute un des personnages les plus antidialectiques des
dialogues platoniciens. Il est tout à fait irresponsable de ce qu’il dit et ne se sent nullement
obligé par les points d’accord établis en commun ».5)
Pourtant, la description de son caractère simple et stupide ne nous empêche pas de
suggérer qu’Ion est décrit comme le représentant de la culture populaire, si nous
considérons le statut social du rhapsode à l’époque. Dans l’Antiquité grecque – où il n’y
avait pas aucun moyen de mass media –, les fêtes religieuses organisées par les cités
étaient l’une des rares occasions populaires de transmettre la culture. Le peuple s’y
réunissait non seulement pour voir le concours des athlètes, mais aussi pour jouir des
diverses performances artistiques. N’est-ce pas que, dans la République I, Socrate lui-
même quitte son passe-temps habituel pour assister aux fêtes des habitants du Pirée ?6) Si
les fêtes étaient l’unique moment, pour les gens ordinaires, de régaler leurs désirs culturels,
il n’est pas difficile de supposer que le rhapsode était considéré – avec les athlètes, les
poètes et les autres performateurs artistiques – comme l’une des vedettes de la fête.
D’ailleurs, on peut aisément imaginer que le champion du concours de rhapsodie –
comme l’a été Ion – soit confiant et plein d’arrogance. Dans le domaine de la culture
populaire, Ion n’est pas n’importe qui. Il est une superstar dont la performance exerce une
grande influence émotionnelle sur les auditeurs, c’est-à-dire, le peuple qui a toujours soif
de la culture.7) Il est vrai que Platon, en décrivant la personnalité d’Ion, tourne au ridicule
ses caractères simples et naïfs. Mais, ces caractères exagérés ne nous semblent pas être

5) Cf. M. Canto-Sperber (1989), p. 20.


6) Cf. République I, 327a1-b1 : « J’étais descendu hier au Pirée, en compagnie de Glaucon, fils
d’Ariston, pour faire mes prières à la déesse, et j’étais en même temps désireux d’assister à la
fête. De quelle manière allaient-ils la célébrer, puisqu’ils le faisaient pour la première fois (kai
hama tên heortên boulomenos theasasthai tina tropon poiêsousin hate nun prôton agontes) ?
Bien sûr, j’ai trouvé la procession des gens du lieu fort belle, mais la manière dont défilèrent les
Thraces ne me parut pas moins convenir à la célébration » (trad. G. Leroux). Voir aussi 328a1-9.
7) Pour la capacité d’émouvoir l’émotion des auditeurs, voir Ion, 535e1-3 : « Du haut de mon
estrade, je les [sc. auditeurs] vois chaque fois qui jettent des regards stupéfaits et qui sont saisis
d’effroi à l’écoute de mes récits […] » (trad. J.-F. Pradeau).

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aliénés au contexte dialogique, si nous considérons la particularité de son métier – c’est-à-


dire, un rhapsode idolâtré dans le domaine de la culture populaire dans l’antiquité grecque.
Alors, on aurait raison de suggérer que, au même titre que son portrait, son caractère
campe l’archétype du rhapsode de cette époque.8)

3. La louange ironique dans l’elenchos socratique


En observant l’attitude d’Ion, on peut remarquer tout de suite qu’il est rempli
d’arrogance et d’estime de soi. Ion est un homme qui est très fier de son métier et de sa
compétence de rhapsodie. Ainsi, il n’est pas étonnant de voir que, dès le début du dialogue,
Socrate s’attache à souligner l’arrogance d’Ion par sa fameuse flatterie ironique. Notons ici
les étapes successives au cours desquelles Socrate attire son interlocuteur dans l’examen
philosophique :
(1) L’effacement d’une distance psychologique par l’usage de la première personne du
pluriel. Après avoir écouté sa participation au concours des rhapsodes, Socrate demande à
Ion : « Ti oun ; êgônizou ti hêmin ; kai pôs ti êgônisô ; – Ta prôta tôn athlôn
ênengkametha, ô Sôkrates. – Eu legeis · age dê hopôs kai ta Panathênaia nikêsomen ».9)

8) Il est à noter que le Socrate de l’Hipparque, le dialogue pseudo-platonicien, parle de l’origine de


la performance rhapsodique à l’Athènes (228b6-9) : « […] entre autres beaux témoignages qu’il
[sc. Hipparque] a en foule produits de son savoir, c’est lui qui le premier importa dans ces pays-
ci les épopées d’Homère, et il obligea les rhapsodes à les réciter de bout en autre aux
Panathénées (kai ênangkase tous rhapsôidous Panathênaiois ex hupolêpseôs ephexês auta
diieenai), encore aujourd’hui […]. » (trad. L. Robin, c’est nous qui soulignons). Selon le
témoignage de Diogène Laërce, c’est Solon qui donne la loi sur la performance
rhapsodique (Vies et doctrines… I. 57. 6-10) : « il décréta par écrit (gegraphe rhapsôideisthai)
que les rhapsodies d’Homère devaient être récitées l’une à la suite de l’autre […] » (trad. R.
Goulet, c’est nous qui soulignons). Nous ne savons pas qui est le véritable fondateur de la
performance rhapsodique à l’Athènes. Mais, il est au moins indéniable que cette performance
était l’un des jeux officiels dans la fête des Panathénées et qu’elle est autorisée par la loi
coutumière. À ce propos, cf. G. Nagy (2002), p. 12-13.
9) Ion, 530a8-b3 : « Alors, comment cela s’est-il passé ? Dis-nous, as-tu pris parts au concours ? et
comment t’en es-tu sorti ? – Nous avons remporté les premiers prix, Socrate ! – Comme c’est
bien dit ! Allons, tâchons aussi de remporter la victoire aux fêtes des Panathénées ! » (c’est nous
qui soulignons).

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Considérons d’abord « hêmin ». D’une part, cette expression, avec l’occurrence du même
terme au 530a1,10) nous permet de suggérer qu’il y a d’autres auditeurs que Socrate dans le
champ de l’entretien. Cela dit, il est bien probable que leur entretien peut être écouté et
jugé par les gens qui s’y présentent. D’autre part, il est aussi remarquable que le terme
« hêmin » est ici employé comme « datif d’intérêt », c’est-à-dire le datif qui indique
l’intérêt ou la curiosité de l’interrogateur à propos de ce qui est dit.11) En ce cas, on peut le
traduire « Prenais-tu quelque part au concours ? Dis-nous ». 12 ) Par l’emploi de ce
« hêmin », Socrate semble produire la nuance de sa « familiarité » avec Ion. En effet,
comme l’a bien remarqué M. Canto-Sperber, l’emploi de la première personne du pluriel
est la forme de l’expression habituelle dans la récitation rhapsodique.13) La réaction d’Ion
est immédiate. Il répond lui aussi de la même façon en disant que « nous avons remporté
(ênengkasometha) les premiers prix ». On sait qu’il n’y a aucune familiarité entre Socrate
et Ion : ni dans leur citoyenneté (athénienne/éphésienne), ni dans leur métier
(philosophe/rhapsode) ou dans leur manière de mener leur vie quotidienne
(sédentaire/itinérant). Mais, c’est par son association au groupe des poètes que Socrate
peut mieux attirer l’intérêt de son interlocuteur. Enfin, il encourage Ion, comme le fait un
maître envers son élève, en disant que « fais bien pour que nous puissions gagner la
victoire (nikêsomen) aussi dans le concours de Panathénées ! ». En usant ici encore de la
première personne du pluriel, Socrate semble réussir à effacer une distance psychologique
entre lui et Ion. Ainsi Ion, moins méfiant vis-à-vis de Socrate, n’hésitera pas alors à lui
faire franchement part de ses états d’âme. Pour Socrate, il sera désormais plus facile de lui
faire dire « ce qu’il pense vraiment » – la condition préalable à l’examen élenctique.14)

10) Ion, 530a1-2 : « Salut, Ion ! D’où nous (hêmin) arrives-tu à présent ? ».
11) Cf. P. Murray (1996), p. 100.
12) Ou bien « Dis pour nous ». J.-F. Pradeau (2001) traduit ce mot par la première personne
singulière : « Mais dis-moi, as-tu pris part au concours ? ». En revanche, L. Méridier et L.
Robin ne le traduisent pas.
13) Cf. M. Canto (1989), p. 134, n. 6 : « Par ailleurs, on remarquera la familiarité du « dis-nous »
(par quoi nous traduisons le datif d’intérêt hêmin), sans doute ironique de la part de Socrate si
c’est là une manière de singer la forme d’expression habituelle aux rhapsodes, lesquels devaient
souvent employer le pluriel de majesté ».
14) La prétention de cette filiation n’est pas un phénomène étrange dans la société grecque. Pour
établir une relation amicale l’un entre l’autre, les anciens ont souvent recours à une filiation
intime (par exemple, le sang, la relation des familles ou le lien ancestral). C’est aussi le cas des

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Une fois que cette distance émotionnelle soit enlevée, Socrate commence à faire sa
fameuse louange à propos du métier d’Ion.
(2) L’aveu de l’envie (zêlos). La flatterie que Socrate adresse à Ion porte sur son
apparence extérieure, puis sa compétence intérieure. Il loue d’abord la belle apparence des
rhapsodes, ensuite leur comportement habituel et enfin leur capacité à comprendre la
pensée des poètes. Il est remarquable que sa louange ironique ait pour forme de son
« envie » (zêlos).15) Socrate avoue qu’il a toujours envié (ezêlôsa) le métier (tekhnê) des
rhapsodes. Il envie tout d’abord leur corps somptueusement vêtu (sôma kekosmêsthai) lors
de leur récitation publique (530b6-8). Ensuite, le fait qu’ils passent leur temps (diatribein)
à étudier un grand nombre d’excellents poètes, en particulier Homère (530b8-10) et d’en
apprendre la pensée (tên toutou dianoian ekmanthanein) afin d’être le meilleur interprète
(hermanea) de sa pensée (530b10-c6). Cet aveu de Socrate est sans doute ironique. On
sait bien qu’il n’éprouve aucun intérêt à porter de beaux vêtements, à se frotter aux poètes
ou à suivre leur pensée. En effet, l’aveu de Socrate n’est pas sans relation avec sa stratégie
de s’associer à Ion. Après avoir levé la distance émotionnelle qu’il y avait entre eux,
Socrate lui fait croire, grâce à cet aveu ironique, qu’il est tout à fait fasciné par les
rhapsodes. L’efficacité de cette flatterie sur Ion est incontestable : celui-ci se réjouit que
Socrate soit envieux.
Afin de séduire Ion dans son examen, Socrate lui demande l’exposé de façon indirecte :
« Bien dit, Ion ! Évidemment, tu ne seras pas jaloux de m’en faire une démonstration (ou
phthonêseis moi epideixai) » (530d4-5). L’expression de « jalousie » (phthonein) est ici
particulièrement intéressante. À la différence de « zêlos » qui a le sens neutre, le mot
« phthonos » est souvent employé au sens négatif. Selon l’explication du Philèbe, le
« phthonos » est une disposition psychique mêlant douleur et plaisir. La jalousie réside
exclusivement dans l’âme et influe sur les trois espèces de l’âme – la raison, l’ardeur et
l’appétit.16) C’est par la jalousie qu’on ressent de la douleur face au bien des autres et du

dialogues de Platon : par exemple, le Lachès, 180d4-181c9 (la relation amicale entre
Lysimaque et Sophronisque, le père de Socrate) et le Timée, 21e1-22a4 (la relation ancestrale
entre les Egyptiens et les Athéniens).
15) On voit trois occurrences du terme « envier » dans l’Ion, 530b5 (ezêlôsa), c1 (zêlousthai) et 6
(zêlôton).
16) Pour la différence entre le mot « zêlos » et le mot « phthonos », cf. L. Brisson, « La notion de
phthónos chez Platon », in L. Brisson (2000), p. 220-221.

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plaisir face à leur Malheur.17) Dans le domaine de l’éducation, la jalousie est la cause qui
empêche la transmission du savoir : à cause de la jalousie, celui qui possède un savoir a la
tendance à refuser de le transmettre aux autres.18) La question de Socrate est ici bien
intentionnelle. Comme Ion prétend que sa compétence rhapsodique est incontestée par
rapport aux autres rhapsodes, il n’aura pas besoin de cacher son talent de peur que son
exposé rende Socrate plus compétent que lui-même. En faisant cela, Socrate s’est
parfaitement associé à Ion. Pleinement gonflé par sa louange, Ion prétend qu’il peut
montrer comment il peut embellir les poèmes d’Homère.
(3) Le prétexte du « (manque de) loisir (skholê/askholia) ». Jusque-là, Socrate a réussi
d’attirer Ion au champ de dialogue grâce à sa louange ironique. Pourtant, on sait que
Socrate n’a pas l’intention d’écouter l’exposé d’Ion. Dans l’entretien qui suit, il s’occupera
de révéler la nature des poètes. Pour ce faire, Socrate doit changer l’orientation du
dialogue. Face au désir d’Ion de montrer sa capacité à embellir la parole d’Homère,
Socrate a recours à son fameux prétexte de loisir (skholê). Comme nous l’avons remarqué
plus haut, ce terme a une importance particulière, car, dans les dialogues de jeunesse, le
loisir est considéré comme condition extérieure à l’occupation (diatribê) philosophique.
De plus, nous avons aussi remarqué que Socrate utilise ce terme dans son entretien
élenctique. Lorsque le discours de son interlocuteur est loin de ce dont il veut traiter,
Socrate rejette sa réponse de façon euphémique sous le prétexte du manque de loisir
(askholia). C’est aussi le cas de notre dialogue. Face à la prétention d’Ion, Socrate ne doit
pas laisser s’égarer son enquête. Mais, en même temps, il ne doit pas non plus détruire leur
association psychologique. Dans de telles conditions, la meilleure solution est de lui
promettre de « prendre le temps de l’écouter une autre fois (kai mên egô eti poiêsomai
skholên akroasasthai sou) » (530d9-531a1). En faisant cela, Socrate peut échapper non

17) Par exemple, Philèbe, 49d3-50a9, surtout 50a7-9 : « […] nous sommes convenus que la
jalousie est une douleur de l’âme (ton gar phthonon hômologêsthai lupên psukhês hêmin
palai) quand le rire en est un plaisir, et touts deux naisse ici en même temps » (trad. J.-F.
Pradeau).
18) Comme l’a bien remarqué L. Brisson, les raisons en sont deux : « ou bien, parce qu’il éprouve
un sentiment d’inquiétude à l’idée de partager un avantage, et même de rendre quelqu’un plus
savant que lui (Euthyphron, 3c2-d2) ; ou bien parce qu’il a peur d’éveiller chez son
interlocuteur un sentiment de jalousie. C’est cette crainte qui a poussé les sophistes à
dissimuler leur art sous des voiles divers (Protagoras, 316d3-e5) ». Cf. L. Brisson (2000), p.
227.

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seulement à la tirade d’Ion, mais aussi au risque de détruire leur familiarité émotionnelle
qu’il a soigneusement formée par la louange. L’exposé rhapsodique étant renvoyé à plus
tard, « maintenant » (nun de), Socrate peut s’occuper de ce qu’il veut examiner.

4. Le sens ambigu du mot « deinos »

Une fois que Socrate a réussi à attirer Ion, il s’occupera d’examiner la nature de la
compétence des rhapsodes et des poètes. Pour mener à bien cet objectif, Socrate s’efforce
de distinguer le métier poétique des autres métiers artisanaux. Le mouvement argumentatif
consiste en deux temps : premièrement, Socrate affirme que le travail poétique ne relève
pas d’un métier technique (530d9-533c3) et que la compétence poétique est dû à une
inspiration divine et non à une technique (533c4-536d3) ; deuxièmement, face à Ion qui
refuse l’idée que la puissance des rhapsodes n’est qu’une folie divine, Socrate s’efforce de
le persuader en comparant la nature des arts techniques et celle des métiers poétiques
(536d4-542b4). En effet, le but et le processus de ses arguments sont assez simples.
Socrate veut montrer que le succès d’Ion en tant que rhapsode n’est pas dû à son art
(tekhnê), mais à son inspiration divine. Pour élucider sa thèse, Socrate prend pour exemple
l’image de la pierre de Magnésie. Cette pierre attire l’anneau en fer lequel attire à son tour
les autres anneaux. De la même façon, c’est la Muse qui transmet l’inspiration poétique au
poète qui, à son tour, la transmet au rhapsode. Enfin, c’est le rhapsode qui la transmet aux
auditeurs.19) S’il en est ainsi, le poète et le rhapsode ne sont que des instruments passifs
que la Muse utilise comme le véhicule de la transmission de l’inspiration poétique.
D’ailleurs, cette analogie permet à Socrate de remarquer le caractère « non-cognitif » du
talent des poètes et des rhapsodes. À l’instar des Corybantes, ce n’est pas grâce à un art ou
une science qu’ils composent (ou chantent) les poèmes, mais par un délire divin ou un don
du dieu.20) Par l’assimilation du talent poétique à la folie divine, l’intention de Socrate est
évidente : en dépouillant le caractère technique des métiers poétiques, il dévalorise la
poésie et remet ainsi en cause son statut traditionnel de moyen d’accès à l’éducation dans
la cité. En somme, Socrate a voulu détruire la perspective répandue, c’est-à-dire que les

19) Ion, 533c9-536c1.


20) Ion, 533e5-534a7, 536c1-6.

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poètes et les rhapsodes sont les sages (sophoi)21) si bien qu’ils méritent de jouer le rôle des
éducateurs de la cité. L’intention critique de Socrate n’est pas indifférente de la critique
platonicienne des poèmes traditionnels que l’on retrouvera dans les dialogues postérieurs
et surtout dans la République. Mais, dans l’Ion, il semble que Socrate se contente de
révéler le caractère non cognitif des métiers poétiques.
Ce qui nous semble remarquable, c’est plus la manière particulière dont Ion réagit que
l’argumentation en elle-même. Alors que, dans les autres premiers dialogues, la réaction
des interlocuteurs correspond au mouvement argumentatif, dans l’Ion, elle ne correspond
pas tout à fait au développement des arguments. Cette particularité nous apparaît dès le
début de l’enquête :

« [Soc.] Est-ce seulement à propos d’Homère que tu es habile, ou bien l’es-tu aussi à
propos de d’Hésiode et d’Archiloque ? – [Ion] Nullement, mais à propos d’Homère
seulement. Cela me semble suffisant ».22)

L’intention de Socrate est évidente. Comme Socrate connaît déjà la spécialité d’Ion, il
veut faire remarquer par cette question que, si la rhapsodie était une vraie technique, Ion
devrait être habile non seulement à propos d’Homère, mais aussi sur les autres poètes. Or,
Ion répond qu’il n’a d’habilité qu’au récit des poèmes homériques. Ainsi, Socrate n’a
aucune difficulté d’affirmer que la rhapsodie ne peut être une vraie technique, mais une
pseudo-technique. Il est très probable que Socrate ait déjà suggéré ce que répondra son
interlocuteur. Ce qui nous semble intéressant, c’est qu’à la différence d’autres
interlocuteurs, Ion ne prétend pas être omniscient ou polymathe. Au contraire, il n’hésite
pas à avouer que sa compétence est limitée aux poèmes homériques. L’argument principal
qui domine le reste du dialogue se fonde sur cette réponse d’Ion. Si Ion prétendait qu’il est
capable de réciter les œuvres de n’importe quel poète, le mouvement argumentatif

21) Cf. Apologie, 22b9-c3 : « Ce n’est pas en vertu d’un savoir (sophiai) qu’ils composent ce qu’ils
composent, mais en vertu d’une disposition naturelle et d’une possession divine (phusei tini kai
enthousiazontes) à la manière de ceux qui font des prophéties et de ceux qui rendent des
oracles ; ces gens-là aussi en effet disent beaucoup de choses admirables, mais ils ne savent
rien des choses dont ils parlent » (trad. L. Brisson).
22) Ion, 531a1-4 : « poteron peri Homêrou monon deinos ei ê kai peri Hêsiodou kai Arkhilokhou ;
– Oudamôs alla peri Homêrou monon · hikanon gar moi dokei einai ».

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Être homme injuste ou être homme divin ? 67

prendrait une toute autre direction. Il est intéressant de se demander pourquoi Ion avoue
sans aucune hésitation qu’il n’est pas habile (deinos) à tous les poètes.
Il semble qu’il y ait un malentendu entre les interlocuteurs autour de terme « deinos »
(« habile », « redoutable » ou « compétent »). C’est plutôt Ion qui entend mal l’intention
de Socrate. Son malentendu provient du sens ambigu du terme de « deinos ». À propos de
la réponse d’Ion, c’est-à-dire qu’« il n’est pas deinos à propos des autres poètes », Socrate
entend que « Ion n’a pas la connaissance sur les poèmes non homériques ». En revanche,
en répondant à Socrate, Ion entend qu’« il ne s’intéresse à aucun autre poète qu’Homère ».
En effet, la dernière phrase de sa réponse rendra plus claire l’intention d’Ion. Il veut dire
par là qu’« il lui est suffisant (hikanos) d’être compétent au récit d’Homère ». Le fait
qu’Ion ne s’intéresse qu’à Homère n’est pas chose étonnante, car, comme Socrate l’a déjà
affirmé, Homère est considéré comme « le meilleur et le plus divin parmi les poètes (tôi
aristôi kai theiotatôi tôn poiêtôn) » (530b10). D’ailleurs, on voit qu’Ion affirme la
supériorité d’Homère par rapport aux autres poètes23). En effet, Homère est considéré
comme le poète le plus privilégié dans le monde grec. Ainsi, l’aveu d’Ion ne doit pas être
compris au pied de lettre. Au contraire, son aveu renvoie à son attitude arrogante du début
du dialogue. Ion est le champion du concours des rhapsodes. Il ne chante pas les poèmes
de n’importe qui, puisqu’il est le spécialiste des poèmes d’Homère, c’est-à-dire, le
meilleur poète du monde. Voilà pourquoi il affirme sans hésitation qu’il est suffisant d’être
deinos sur les poèmes homériques.
La différence de leurs réceptions du sens de « deinos » n’est pas sans importance. Pour
Socrate, l’aveu d’Ion signifie qu’il n’a aucune compétence à réciter d’autres poètes. Cette
imperfection n’est rien d’autre que le manque de savoir technique. Cela permettra à
Socrate d’affirmer que la rhapsodie n’est pas un art technique. En revanche, pour Ion, son
manque de deinos équivaut à son manque d’intérêt pour les autres poètes et non à un
manque de compétence. Comme il ne s’intéresse pas aux autres poètes, il ne s’en occupe
pas, de sorte qu’il n’est pas deinos pour le récit des poèmes non homériques. Si Ion
saisissait bien l’intention de Socrate, il aurait réagi tout autrement et on pourrait constituer

23) Ion, 531d4-11 : « Mais, les autres poètes ne traitent-ils pas ces mêmes sujets ? – Si, Socrate,
mais ils n’ont pas fait œuvre poétique de la même manière (oukh homoiôs) qu’Homère. –
Comment cela ? Plus mal (kakion) ? – Beaucoup plus mal (polu ge). – Et Homère a-t-il fait
mieux (ameinon) ? – Bien mieux par Zeus (ameinon mentoi nê Dia) ! ».

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la défense virtuelle d’Ion de la façon suivante : « Bien, Socrate, c’est vrai que je ne suis pas
deinos sur les autres poètes. Mais, tu aurais tort d’affirmer que je suis incompétent dans
mon métier. Je ne suis pas deinos à propos d’eux tout simplement parce qu’ils ne
m’intéressent pas. Si j’en avais l’envie, je m’occuperais des poèmes non homériques et je
serais bientôt deinos aussi bien sur les autres poètes que sur Homère ». Mais, comme Ion
ne saisit pas l’intention de Socrate, il ne pourra pas sortir de ses attaques successives
concernant le manque de savoir technique.
Effectivement, nous remarquons qu’au cours du dialogue, Ion ne résiste guère aux
arguments de Socrate. Bien qu’il ait l’air quelque peu gêné ou plutôt embarrassé par la
parole de ce dernier, ses réactions ne sont pas considérables dans le dialogue, mais
adoucies rapidement par la réplique de Socrate24). Au contraire, Ion n’hésite pas à
exprimer son assentiment à la remarque de Socrate. De plus, il n’hésite pas non plus à
avouer qu’il ne sait pas pourquoi sa compétence se borne aux poèmes homériques (533c4-
8). En effet, le dialogue nous fait voir qu’Ion partage à un certain niveau la même idée que
Socrate, à savoir le fait que « le travail poétique est dû à l’inspiration divine ou par la
possession du dieu ». Cette idée n’est pas étrange dans la Grèce ancienne.
Traditionnellement, les poètes invoquent les dieux ou les Muses avant de chanter leur
poème. Plus précisément, ce n’est pas les poètes qui chantent, mais les dieux ou les êtres
divins qui chantent par la bouche des poètes. Dans ce sens, il n’est pas étonnant qu’Ion ne
s’oppose pas à Socrate concernant la possession divine. Pourtant, ce n’est qu’un accord
partiel. En fait, la perspective socratique de l’inspiration poétique est radicalement
différente de la perspective traditionnelle. Même si les poètes admettent que leur chanson
vient de leur possession par les dieux, cette inspiration divine n’exclue pas le savoir
technique sur les poèmes. Autrement dit, selon la perspective traditionnelle, la compétence
poétique comprend non seulement l’inspiration divine, mais aussi le savoir technique de
son travail. Socrate, lui, exclue sévèrement les éléments de savoir technique du domaine

24) Par exemple, Ion, 532d1-e4 : « Quand on considère n’importe laquelle des techniques dans son
ensemble, la même méthode d’examen vaut-elle pour toutes les techniques ? Ce que je veux
dire ainsi, Ion, as-tu besoin que je te le fasse entendre ? – Par Zeus, oui Socrate ! Car j’ai du
plaisir à vous écouter, vous les savants (Nai ma ton Dia, ô Sôkrates egôge · khairô gar akouôn
humôn tôn sophôn). – J’aimerais que tu dises vrai, Ion (Bouloimên an se alêthê legein ô Iôn) !
Mais les savants, ce sont vous, les rhapsodes, les acteurs et ceux dont vous chantez les poèmes.
Mois, je ne dis rien d’autre que la vérité, comme c’est naturel pour un profane. […] ».

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Être homme injuste ou être homme divin ? 69

poétique. D’après Socrate, lorsque les poètes chantent ou récitent, ils ne le font pas
volontairement en usant de leur savoir technique. Les poètes ne sont que le véhicule passif
des dieux25). Au moment de leur travail, ils ne sont pas conscients de ce qu’ils font. D’où
la conclusion de Socrate : les poètes inspirés par les dieux sont dépourvus de la raison.
Comme les gens pris du délire des Corybantes, les poètes sont aussi une espèce de fous.
Ion n’est pas libre de la même situation, car le rhapsode ne peut chanter qu’à travers la
possession divine26). Mais, c’est à cette conclusion qu’Ion éprouve son antipathie de façon
ouverte.

« Tu parles bien, Socrate, mais je serais toutefois émerveillé si tu parlais assez bien
pour me persuader que je suis possédé ou fou lorsque je fais l’éloge d’Homère (hôs egô
katekhomenos kai mainomenos Homêron epainô). Je ne crois pas que tu le penserais toi-
même, si tu m’entendais parler d’Homère » (536d4-7).

Ion s’efforce de résister à la conclusion de Socrate. Même s’il admet volontairement


l’inspiration divine dans l’œuvre poétique, il ne veut pas être considéré comme fou. Ce
passage nous fait remarquer la différence fondamentale entre Socrate et Ion. Selon Socrate,
« être inspiré par les dieux » équivaut à « être dépourvu de raison » ou, tout simplement, à
« être fou ». Ion, pour sa part, pense que les deux choses sont complètement différentes et
que le propos de Socrate est une qualification désagréable pour son métier. La dernière
phrase de ce passage montre bien son état d’âme : il ne croit pas que l’excellence de la
récitation de l’œuvre homérique puisse être réduite à un délire. Mais, Socrate ne lui donne
même pas la chance d’exposer sa compétence rhapsodique (kai mên ethelô ge akousai, ou
mentoi proteron prin an moi apokrinêi tode, 536d8-e1)27). Il s’efforce de persuader Ion en
lui exposant le principe de correspondance entre la tekhnê et son objet, c’est-à-dire que

25) Cf. J. Beversluis (2000), p. 86.


26) Ion, 536c1-d2.
27) Même si Socrate permet à Ion la performance rhapsodique, en lui demandant de réciter le
conseil que donne Nestor à Antiloque sur la course des chevaux (537a5-7), il n’accepte pas
qu’Ion continue son récit autant qu’il veut : « Il suffit (Arkei) ! Ion, qui peut le mieux juger si,
dans ces vers, Homère parle comme il convient ? Un médecin ou un conducteur de char ? »
(536c1-3, trad. J.-F. Pradeau). Cf. P. Murray (1996), p. 127 : « Arkei suggests that Ion could go
on indefinitely unless stopped ». Voir aussi G. Nagy (2002), p. 23.

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« chaque tekhnê doit avoir son propre objet ». Ce principe permet à Socrate d’affirmer que
« ce que nous connaissons par une technique, nous ne le connaîtrons pas par une autre »
(ha têi heterai tekhnêi gignôskomen, ou gnôsometha têi heterai, 537d2). Dans le reste du
dialogue, Socrate applique ce principe aux divers passages des poèmes homériques.
Chaque fois que le poète parle de différentes techniques, on voit qu’il existe toujours des
experts qui sont en réalité plus compétents que le poète à propos des techniques
concernées. Le poète (et le rhapsode) n’a donc aucun objet qui correspond à sa propre
technique. Il s’ensuit donc que ni les poètes ni les rhapsodes ne possèdent un art bien à
eux28). Mais, Ion n’accepte pas cette conclusion et prétend même que son domaine de
compétence est de l’art de la stratégie, c’est-à-dire un art remarquable pour le citoyen libre,
qui est très souvent mentionné par Homère (540d1-541c6). C’est à cette étape-là que
Socrate s’arrête tout brusquement de le critiquer et prépare la clôture de dialogue.

5. Conclusion : « être homme injuste ou être homme divin ? »

Au lieu de poursuivre son argumentation, Socrate reproche à Ion de dissimuler son


savoir technique sur Homère. Ce faisant, il lui propose deux alternatives : « si tu a une
vraie tekhnê à propos d’Homère, tu seras un homme injuste (adikos), parce que tu essaie
de nous tromper (exapatais) en nous la cachant ; en revanche, si tu admets que tu es
inspiré par les dieux au moment de récitation, tu ne nous tromperas pas, si bien que tu ne
seras pas injuste (ouden adikeis) »29). Face à ce choix, Ion choisit la dernière proposition,
qui lui semble l’alternative plus attirante et moins honteuse que la première. En fait, la
raison pour laquelle Ion accepte facilement le propos de Socrate est liée au fait que ce
dernier ne s’efforce plus de le convaincre, mais lui impose brusquement de faire un choix.
Il est vrai qu’Ion est presque poussé au bout d’une falaise par les questions de Socrate. Il
n’a aucun autre moyen argumentatif de soutenir sa position. Plus Ion résiste à Socrate, plus
il se montre ridiculisé par ses questions. Pourtant, face à la série d’attaques de Socrate, Ion
n’a pas l’air d’abandonner sa position. Il ne fait aucun doute que sa compétence
rhapsodique relève d’un savoir technique. Mais, il ne peut reculer en acceptant que le

28) Pour la correspondance entre l’art et son objet, cf. C.H. Kahn (1996), p. 106.
29) Ion, 541e1-542a7.

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Être homme injuste ou être homme divin ? 71

rhapsode soit un homme fou et dépourvu de raison, car, en tant que personnalité
importante du monde de la culture populaire, cette concession impliquera la destruction de
sa réputation. Par cette situation, on peut suggérer qu’Ion n’acceptera en aucune façon la
conclusion de Socrate. Et cela implique qu’il ne sera plus possible de mener une
argumentation normale.
De la part de Socrate, il saisit non seulement le fait que son argument n’avancera plus à
cause de l’obstination d’Ion, mais aussi le fait que la source de ce blocage n’est rien
d’autre que l’estime que Ion se porte à lui-même. Socrate n’a pas besoin de détruire cette
fierté. Il lui est suffisant de montrer que la compétence rhapsodique n’est pas, en réalité, le
vrai savoir technique. Il ne faut pas oublier que, dans le champ de dialogue, il y a non
seulement nos deux interlocuteurs, mais aussi les autres auditeurs muets. Par l’échange de
questions et réponses, Socrate leur a suffisamment montré que la compétence poétique ne
vient pas d’un art « tekhnê », mais d’une possession divine irrationnelle. En ce sens, le
dernier propos qu’il adresse à Ion, c’est-à-dire, le choix entre « être injuste » et « être
divin », est bien stratégique. En lui proposant de choisir l’une des deux alternatives,
Socrate n’emploie aucune expression relevant de la folie (« fou » ou « dépourvu de
raison »). Ce faisant, Socrate semble offrir à Ion une issue de secours. Si Ion persistait dans
sa position, il serait un homme injuste (adikos anêr), du fait qu’il cache sa vraie technique
et trompe non seulement Socrate mais surtout les autres auditeurs qui veulent l’écouter.
Par contre, s’il reconnaissait que sa compétence est le fait d’une inspiration divine et non
d’une technique, il serait considéré comme homme divin (theios anêr). Quant à Ion qui est
complètement bloqué par les attaques successives de Socrate, cette proposition serait la
dernière chance pour sortir de cette impasse. Ion est incapable de justifier l’existence de sa
propre technique. Il ne peut pas non plus avouer qu’il soit un homme fou. En revanche, il
peut admettre être homme inspiré par les dieux, parce que la possession divine n’est pas
une conception étrange ni honteuse pour les poètes traditionnels. En choisissant cette
alternative, il serait considéré comme « homme divin », la qualification incomparable par
rapport à « homme injuste ». Voilà pourquoi Ion n’hésite pas à répondre qu’« il est bien
plus beau d’être jugé divin » (polu gar kallion to theion nomizesthai, 542b1-2). Il pense
avoir fait le choix plus attirant et moins honteux. Mais, tout le monde (Socrate, auditeurs
muets et même nous, les lecteurs) sait bien que cela revient au même, c’est-à-dire que la
possession divine équivaut à la dépossession de la raison.

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Dans ce petit dialogue, Platon affirme que les œuvres poétiques n’ont aucune relation
avec le savoir technique et qu’il ne faut donc pas leur confier le rôle de l’éducation de la
cité. Comme l’a bien remarqué G. Nagy, au moment où le rhapsode récite les poèmes
homériques pour gagner la compétition rhapsodique, il devient Homère lui-même30).
Autrement dit, c’est par la performance des rhapsodes qu’Homère revient à la vie et se
trouve devant les auditeurs. En ce cas, il va sans dire que les rhapsodes, en tant que
transmetteur oral d’Homère, joue le rôle de transmettre la valeur morale basée sur le
poème traditionnel. Dans notre dialogue, la critique de Socrate est soigneusement
dramatisée par le portrait d’un champion de rhapsodie qui est gonflé de fierté de soi,
comme une vedette des fêtes traditionnelles. Le dialogue avec une telle personne nous
rend plus compréhensible la culture populaire de l’époque. Et c’est la réaction obstinée
d’Ion qui nous reflète particulièrement l’un des aspects de la moralité de l’époque, c’est-à-
dire, l’évaluation traditionnelle des poètes.

30) Cf. G. Nagy (2002), p. 33 : « […] when the rhapsode epainei ‘quotes’ Homer in the context of
a debate, applying the poet’s epê ‘word’ at a given moment, he expects to win that debate. […]
After all, the rhapsode is the definitive speaker of Homer’s words; when he speaks them, he
even becomes Homer himself ».

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Être homme injuste ou être homme divin ? 73

Bibliographie

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Être homme injuste ou être homme divin ? 75

[Résumé]

En observant la nature de la poésie, le Socrate de l’Ion s’efforce de réfuter la thèse selon


laquelle la rhapsodie fait partie d’un art, plus précisément, de l’art poétique et que le
rhapsode est un technicien. D’après Socrate, ni la rhapsodie, ni la poésie n’appartiennent
aucunement à l’art. Elles nous sont transmises des Muses grâce à une inspiration divine.
En ce cas, les poètes et les rhapsodes ne sont pas le détenteur d’une science, mais un
instrument qui nous transmet la voix divine. Tout comme le devin, épris par les dieux, ils
chantent les beaux poèmes en ne sachant pas ce qu’ils récitent. Par cette remarque,
l’intention de Socrate est claire : en dépouillant le caractère technique des métiers
poétiques, il veut remettre en cause leur statut traditionnel de moyen d’accès à l’éducation
dans la cité. Autrement dit, Socrate veut détruire la perspective répandue selon laquelle les
poètes et les rhapsodes sont les sages, de telle sorte qu’ils méritent de jouer le rôle des
éducateurs de la cité. En ce cas, l’intention critique de Socrate n’est pas indifférente de la
critique platonicienne des poèmes traditionnels que l’on retrouvera dans les dialogues
postérieurs et surtout dans la République. Mais, il est à remarquer que la façon de réfuter
Ion n’est pas même que l’on trouve dans les autres dialogues de jeunesse. Dans les autres
dialogues, les interlocuteurs de Socrate se prétendent le détenteur d’une science morale.
Ainsi, ils n’hésitent pas à déclarer savoir la nature de telle ou telle vertu. L’objectif de la
réfutation socratique n’est donc rien d’autre que le dévoilement de leur fausse croyance
morale. En revanche, la réfutation de l’Ion ne semble pas exactement correspondre à celle
qui est développée dans les autres dialogues de jeunesse. Tout au long du dialogue, Ion ne
prétend pas être le détenteur d’une thèse morale. C’est plutôt Socrate qui propose la thèse
sur la rhapsodie et encourage Ion à la prendre. Quant à sa structure argumentative, la
réfutation d’Ion ne ressemble pas au prétendu elenchos standard lequel s’occupe de
révéler la contradiction entre la thèse proposée et les prémisses qui en sont déduites. En
effet, l’Ion nous fait voir un enjeu dialectique fondé sur l’argument ad hominem au cours
duquel il s’efforce de dévoiler la puissance pesudo-technique des poètes à son entourage.
Pour ce faire, Socrate a recours non seulement à l’argumentation elle-même, mais aussi au
caractère dramatique du personnage. En ce cas, pour mieux comprendre la critique
socratique de l’Ion, il vaut la peine de considérer la relation interactive entre le mouvement
argumentatif de la réfutation et le mouvement émotionnel du personnage. Le présent

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76 Kim, Iouseok

travail se veut donc être une étude sur le rôle des caractères dramatiques dans l’elenchos
socratique de l’Ion.

[Mots-clés] Socrate, Ion, rhapsode, poète, réfutation (elenchos), redoutable (deinos), envie
(zêlos), jalousie (phthonos), art (tekhnê), inspiration divine, délire

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부정의한 자가 될 것인가 ; 신적인 자가 될 것인가?

[국문초록]

소크라테스는 『 이온 』 에서 시의 본성을 검토하면서 시인(詩人)들과


가인(歌人)들의 능력이 기술에 속한다는 전통적인 견해를 비판한다. 그
에 따르면, 시와 노래는 기술을 통해 만들어지는 것이 아니라, 신적인
영감에 의해 무사 여신들로부터 우리에게 전달되는 것이다. 그러므로
시인들과 가인들은 특정한 지식의 담지자가 아니라 신의 목소리를 매
개해주는 도구에 불과하며, 이 경우에 그들은 마치 신녀들이 그런 것
처럼 신들린 상태에서 자신들이 무슨 말을 하는 지도 모르는 채 시와
노래를 전해준다는 것이다. 이런 비판을 통해, 시인들과 가인들의 일이
기술적 지식에 기반한 것이 아니라고 밝힘으로써, 소크라테스는 시인
들이 도시의 교육을 담당할 자격이 없음을 지적한다. 그런데 여기서
주목할 점은 『이온 』에서 이루어진 소크라테스의 비판이 여느 초기
대화편들에서 볼 수 있는 논박술과는 몇 가지 점에서 차이를 보인다는
사실이다. 대부분의 초기 대화편들에서 대화자들은 하나같이 특정한
덕이나 윤리적 지식의 담지자임을 자처하며, 그것들의 본성을 잘 알고
있다고 확신한다. 소크라테스 논박술의 목표는 당연하게도 이들이 겪
고 있는 이중의 무지, 즉 사실은 이들이 덕의 본성에 대하여 무지할
뿐만 아니라, 자신들이 무지하다는 사실 조차도 모르고 있음을 자각시
키고, 또 이로부터 이들에게 앎에의 열망을 불러일으키는 데 있다고
할 수 있다. 그런데 『이온 』의 경우, 소크라테스의 논박술이 다른 초
기 대화편의 논박술과는 여러 가지 면에서 다르게 전개된다. 우선, 이
온은 대화 내내 특정 도덕적 지식의 담지자임을 자처하지 않으며, 특
정한 주장을 내세우지도 않는다. 그는 완고하긴 해도, 시종일관 솔직하
고 협조적인 태도를 보이며 소크라테스의 물음에 응한다. 우리는 거꾸
로 소크라테스에게서 시인들과 가인들의 본성에 관한 논제를 제기할
뿐더러, 이온이 그 주장을 취하도록 고무하는 모습을 볼 수 있다. 논변
의 구조와 관련하여, 소크라테스의 논박술은 다른 초기 대화편들에서
볼 수 있는 소위 ‘표준화된’ 논박술의 형태, 즉 대화자의 주장과 그 주
장으로부터 연역된 전제들 간의 모순을 비판하는 형태를 띠지 않는다.

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78 Kim, Iouseok

오히려 『이온 』에 전개된 소크라테스의 비판은 어느 정도는 대인논


변(ad hominem)에 기댄 수사적 논박의 성격을 띰을 볼 수 있다. 시인
들과 가인들이 수행해온 – 또 그렇게 믿고 있는 – 교육자로서의 역할
을 비판하기 위하여, 소크라테스가 그저 논박의 논리적 성격에만 의존
하는 대신에, 대화자인 이온의 성격과 감정을 적절히 이용한다. 비록
대화편에서 이온의 성격이 어느 정도는 희화화되고 과장되게 묘사되고
있지만, 우리는 소크라테스의 대인논변을 분석하는 속에서, 이온이 드
러내는 성격과 감정들이 단순히 개인적인 차원에 국한되는 게 아니라,
당시의 시인들과 가인들에 대한 사회적 시선과 가치관을 반영한 것임
을 보게 될 것이다. 요컨대, 소크라테스가 수행한 비판은, 이온이라는
한 개인에 대한 공격이 아니라, 이온으로 대표되는 당대의 대중예술가
들 및 그들을 교육자로 받아들이는 사회적 시선에 대한 비판이라고 볼
수 있을 것이다.

[주요어] 소크라테스, 이온, 가인 (rhapsôidos), 시인, 논박술 (elenchos), 대단함 (deinos),


부러움 (zêlos), 질투 (phthonos), 기술 (tekhnê), 신적 영감, 광기

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