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24 images

Le musical hollywoodien II
Paradoxes de l’opéra filmique américain
Réal La Rochelle

Le montage
Numéro 77, été 1995

URI : https://id.erudit.org/iderudit/25090ac

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Éditeur(s)
24/30 I/S

ISSN
0707-9389 (imprimé)
1923-5097 (numérique)

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Citer cet article


La Rochelle, R. (1995). Le musical hollywoodien II : paradoxes de l’opéra
filmique américain. 24 images, (77), 30–32.

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LE MUSICAL HOLLYWOODIEN

II

P A R A D O X E S DE L'OPÉRA F I L M I Q U E A M É R I C A I N
p a r Real La Rochelle

P oursuivant l'exploration du
film musical aux États-
Unis,depuis lafindesannées 20
teurs,quedecrimesentonnom!),
apparaîtplutôt comme sombrant
dans l'anti-musical filmique. Ses
jusqu'à récemment (en gros jus- n ai pas envie de m e t t r e des grandes machines crypto-choré-
qu'à Mo'Better Blues de Spike f r o n t i è r e s e n t r e ce q u i e s t m u s i c a l d e graphiques sont avant tout des
Lee),ilest intéressant d'y exami- parades et des «pageants» de ty-
nerlestensionsentre lesréminis- B r o a d w a y , opérette, o u opéra. pemilitaire(c'est làque Berkeley
cencesoulesempruntsauxformes A l a i n Resnais, A l ' é c r a n ,
a reçu sa formation, comme il
européennes du vieil opéra (dont l'explique), tout à fait à l'opposé
legenre décroît àla fin du XIX e Radio-Canada FM, 2 6 décembre 1994. del'esprit etdelalettredeladan-
siècle), et la construction petit à se, et qui ressemblent davantage
petit d'un drame musical filmi- àdesspectaclesdelaPoliceMon-
que fondé sur la matrice afro- Wahlgren, La chasse au Ballet garde,parexemple les Staviskyet téecanadienne,auxdéfilés améri-
américaine du jazz,puis du rock. mécanique, présenté au récent / Want to Go Home de Resnais, cains du 4 juillet ou àceux de la
Un des premiers musicals Festival du film sur l'art. Après danslesquelsbien descinéphiles, Garderépublicainefrançaise. Ber-
filmiques significatif des années coup, Dudley Murphy signa en malgré les propos clairs du ci- keley a sans doute apporté à ce
30 est The Emperor Jones de 1929 àHollywood deux extraor- néaste,n'arrivent pasàreconnaître «genre» militariste d'y aligner
DudleyMurphy. Encoremalcon- dinaires courts métrages de jazz, de véritables filmopéras. plein de filles là où on ne voit
nu des cinéphiles, et pas du tout St.LouisBluesetBlack andTan, TheEmperor Jones, mettant généralement que du mâle, des
des mordus du musical, ce film dont lesbandessonores intégrales en vedette le comédien-chanteur tonnesdefemmes-objets etautres
étonnant, par un descinéastesles existent sur disque. Ces films, Paul Robeson, qui reviendradans accessoireshétéroclites.Maisilne
plus énigmatiques d'Hollywood métissant déjà lafictionet laper- Show Boat, construit un alliage faut pasconfondre surréalisme et
et de l'histoire du cinéma, vient formance musicale, apparaissent, très subtil et discret entre drame maladie esthétique de ['elephan-
enfin de recevoir son édition en encetteaubedu filmique sonore, et musique, et rejoint en cela les tiasis (expression de David Vau-
vidéodisque.Ilétait temps.Figure commed'authentiquesfilmopéras conceptions mises de l'avant par ghan dans Sight a n d Sound
singulièreetétoilefilantedufilm américains. le compositeur Kurt Weill tout d'août 1956).
musical américain, Dudley Mur- Vint ensuite The Emperor autant que par les meilleurs ci- La fin des années 30 se clôt
phy atoutducinéaste mystérieux Jones, d'après lapiècede Eugene néastesde musicals, Rouben Ma- sur le plus bizarroïde des fil-
et maudit. Il est disparu tôt des O'Neill, avantqueson réalisateur moulian,VincenteMinnelli,Otto mopérasaméricains,que certains
studios, les chercheurs les plus ne s'enfonce dans la nuit des Preminger,ouencore l'extraordi- chercheurs ne reconnaissent pas
acharnésont touteslesmisèresdu temps. Ce long métrage, que je naireForman de Hair et d'Ama- nonplus,leF a n t a s i a deDisney,
mondeàtracer sa carrière, on n'est m'entête àconsidérer comme un deus. qui faillit ruiner son célèbre pro-
même pas sûr d'avoir une bonne véritable musical, n'est générale- ducteur. Fantasia véhicule une
photo de lui. ment pas retenu dans les nom- Auteurs ou sortedemalaiseoude répugnance
Ilparticipa en 1923au Bal- breuxouvragesconsacrésaugen- colonels? qui paradoxalement fascine et
let mécanique de Fernand Léger re.On doitsansdoutepenserqu'il Enrevanche,unedesgrandes retient l'attention, comme le
comme caméraman et assistant. nesemoule pas assezaux formes gloires commerciales des années regard hébété sur les monstres.
La partition de ce film d'avant- du musical, que c'est peut-être 30, Busby Berkeley, chorégraphe Certes, c'est une entreprise cou-
garde fut écrite par le composi- seulement un film dramatique et réalisateur, que certains cher- rageuse de faire connaître les
teur américain George Antheil, avecmusique d'accompagnement. cheurs américains, dans leur en- grands classiques de la musique
une musique récemment exhu- Danscetteoptiquediffractée, The thousiasmeexcessifet déformant, européenne àun largepublic po-
méecomme lemontre lepassion- Emperor Jones subit le même sont arrivés à qualifier d'auteur pulaireaméricain, maisen même
nant essai du Suédois Anders sort que d'autres films d'avant- surréaliste (ô politique des au- temps il s'agit d'un sommet iné-

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gale du kitsch, une esthétique
démente du chromé. Ce qui
m'attache à ce produit baroque
— àcette belle laideur — est sa
manière de disséminer le classi-
que opératique en le torturant
(donc en lemétamorphosant), en
lui mettant les fers pour l'accou-
cherdanslesformesdu musicalde
Broadway et en faire un enfant
qui neressembleplusniàmèreni
àpère. Encesens,Fantasia, qui C a r m e n J o n e s (1954) d'Otto Preminger, «le meilleur filmopéra des années 50 à H o l l y w o o d .
afêtésoncinquantenaireen 1990,
apparaît encorecomme un indes-
tructible filmopéra frankenstei-
nien. autoréflexive sur le théâtre mu- Cesfameux lyrics,qui expri- talisme, trahit Borodine qui ne
sicaldeBroadway,enmontrant le ment ici toute uneesthétique du logeait pasàcette enseigne. Kis-
Je n e m e l a s s e p a s caractère forcené et articifiel du filmopéra américain moderne, met ressemble quelque part à
de The B a n d «grand»artdramatiqueauxEtats- sont ceux-là mêmes qui seront Fantasia, mais dans le hideux
W a g o n (Resnais) Unis (incluant le Grand Opera repris, déformés, dans les That's seulement, et non pas dans une
L'âged'ordu musical,durant européen), face à une forme de Entertainment deMGM,dontle certaine fantaisie débridée qui
les années 50-60, manifeste au théâtre musical simplifié, épuré second,en 1976,encoreplusmas- peut naîtremalgrétoutdu kitsch.
plushautdegrélescontradictions dans le creuset du brassage des sacrant que le premier, trahit la Le meilleur filmopéra des
hollywoodiennes entre les rémi- nouvelles cultures américaines, poésie musicale de The B a n d années 50 à Hollywood, dans les
niscencesdu vieilopéra européen principalement new-yorkaises. Wagon jusqu'à la caricature, en tentatives de symbiose entre les
et le perfectionnement d'un au- TheBand Wagon estun feu rou- réduisant le musical à de petites deux mondes, reste Carmen
thentique et novateur filmopéra lant,désopilant,degagssur l'An- tranches de hits plutôt qu'à un JonesdePreminger,grâced'abord
américain. C'est à cette époque cien et le Nouveau Monde cul- largeensembledramatiquecohé- au talent du librettiste Oscar
que Rouben Mamoulian réalise turel, où triomphent bien sûr le rentdeparoles,demusiquesetde Hammerstein II, qui transforme
son dernier chef-d'œuvre musi- bon senset lapoésie musicale de danses. defond encomblelapartition de
cal, Silk Stockings (voir le pre- la quotidienneté moderne. C'est Dans Kismet, unéchecpour Carmen deBizet,larespecte mu-
mier volet de cette trilogie dans dans ce film que les Comden/ Minnelli, c'est d'abord le ratage sicalement tout en transposant
24 images n° 76). Minnelli, de Green ont inventé les lyrics de la d'unecertaineaméricanisation de radicalement sonsujet à l'époque
son côté, zigzague entre le fil- célèbre chanson That's Enter- l'opéra européen qui fait problè- contemporaine, avec un casting
mopéraemblématique et l'ersatz. tainment qui, en paraphrasant à me. Adapté de l'opéra Leprince entièrement afro-américain. Chef-
Entre TheBand Wagon(195 3) et juste titre Shakespeare, milite en Igor,du Russe Borodine, Kismet d'œuvre insurpassé, qui n'a pas
Kismet (1955), par exemple, se faveur de la passion naturelle et trahit lasymbiose russo-orientale jusqu'àcejourprisuneseuleride,
creuse un large fossé séparant poétique d'une réalité qui est decelivretetdecettemusiqueen Carmen Jones témoigne de ce
deuxmanièresdeconcevoir l'opé- autant unescènesymbolique que un conte cliché des Mille et une que Kurt Weill appelait l'adap-
ra filmique américain. le théâtre et le film. nuits, exotisme post-colonial se tation del'opéra théâtral auciné-
Le premier, sur un scénario Everything that happens in life déroulant dans une Bagdad de maparlebiais d'une transposition
emblématique des Comden/ can happen in a show... pacotille. De cette manière, Kis- profonde baséesurlesloiset l'écri-
Green et une prestation qui ne The world isa stage met reprend les vieilleries de ture du cinéma sonore, ici par-
l'est pas moins de Fred Astaire, Thestage isa worldof l'opéra du XIX e sièclequi trem- faitement maîtrisée par Pre-
tisse une remarquable histoire entertainment paient danslateinture de l'orien- minger.

24 IMAGES N°77 31
d'agitation nerveuse qui anime
Fosse et le rend inattentif aux
courbes de la dynamique musi-
cale.
Brian de Palma, scénariste
et réalisateur du Phantom ofthe
Paradise, réussit enrevanchetrès
bien dans ce domaine et ne cède
pas au clipage superficiel de la
musique rock.Sanscompter qu'il
reprend le thème de l'opéra
Faust, un des plus cités dans les
musicals américains, etqui réap-
paraîtpériodiquement commeun
leitmotiv culturel incrusté. En
transformant Faust en opéra-
rock, Brian de Palma réalise le
meilleur Fantôme de l'Opéra de
tout lecinémaaméticain et inter-
national, en respecte la théma-
tique tout en la métamorphosant
dans ladynamique rock.
L'opéra régénéré du Phan-
tom of the Paradise rejoint en
qualité eten mûrissement ceque
Carmen Jones de Preminger
Faire v o i r et Come, hear the music play l'attention etdela contemplation avait donné à l'émergence d'un
écouter la m u s i q u e Life is a cabaret, old chum... face à la musique. Ce n'est pas le nouveau filmopéra profondément
Durant ledéclin du musical Cabaret me paraît plus fai- langageclipqui en lui-même est américain, en accord aveclevéri-
américain,aprèslesannées60,les ble au niveau de son éctiture fil- lacausedecet inconfort (Forman table «Entertainment» program-
brassages opérés par la musique mique. Bob Fosse multiplie les l'utilisera avec doigté et équili- matique élaboré par The Band
rock et le filmique clip com- montages clip, qui éloignent de bre dans Hair), mais une sorte Wagon. •
mencent à s'imposer. Deux
exemples, parus la même année D l S C O - V I D É O G R A P H I E ET R É F É R E N C E S D O C U M E N T A I R E S
1974, Cabaret (Bob Fosse) et
Phantom ofthe Paradise (Brian
de Palma). BlackJazzand Blues. TheFirstSound Films, 1 CD ChaplinetDanielMelnick), Turner MGM/UAHome
Cabaret opère une rupture de SandyHook RecordsS.H.2068,1983. Comprendles Video,1988, CLV, couleur,2h09.
tramesdesdeuxcourtsmétragesde DudleyMurphy, ain- Kismet (1955,VincenteMinnelli), Turner MGM/UA
assez nette avec le modèle du si que celles de Symphony in Black (1935) et de
musicaloùétaitvisée l'intégration HomeVideo, 1983, CLV, format «Letterbox», couleur,
Jitterbug Party (1934). lh58.Complémentdelabande-annonceoriginale.
hatmonieuse des dialogues, du
The Emperor Jones (1933, Dudley Murphy), The CarmenJones (1954, Otto Preminger), CBS/FOX
chantetdela danse. Ilne s'éloigne CriterionCollection, 1993, CLV, noiret blanc, lhl2. En
toutefois pascomplètement dela Video, «Special Wide Screen Edition.», 1982,CLV,
complément,le documentaire PaulRobeson: Tribute couleur,lh45. Complémentd'images nonsonoriséesde
structuredudrameavecmusique to an Artist (1980),couleur,30min. lapremièredu film.
(une des formes de l'opéra mo- TheBusbyBerkeley Disc, produit sousla directionde
derneprévuepar Kurt Weill), où Cabaret (1972, Bob Fosse),Warnet Home Video,
George Feltenstein, 1992, Turner/MGM/UA Home «WideScreen Edition»,1993, CLVetCAVpourla face
alternentpartiesdialoguéesetpar- Video,2disquesCLVennoiret blanc, 2h56. Comprend 3,couleur,stéréo, 2h04.
ties musicales. La musique elle- lesgrands numérosdeBerkeleyextraitsdeneuf films
mêmeet la dansesontréservéesau musicauxdes années30. Phantom of the Paradise (1974, Brian de Palma),
CBS/FoxVideo ,1989, CLV, couleur, lh32. Le format
club «Cabaret» de Berlin, elles Fantasia ([1940],Walt Disney),Walt DisneyHome original de l'image nesembleêtreconservéquepour
n'interviennent jamaisdansledé- Video 1132 AS, [1990], CLV, couleuretstéréo,2h00, quelquesbrefsplansutilisant l'écrandouble.
veloppement dramatique comme àpartirdu film restauré,réimpriméen70mm.
Pascal Huynh, Kurt Weill de Berlin à Broadway,
tel. Ce film si attachant, avecses The Band Wagon (1953, Vincente Minnelli), Paris,Éditions Plume, 199.3. Comptendl'ensemble des
belles musiques de Jon Kander, MGM/UAHome Video, 1987, CLV, couleur,lh52. textes du compositeur, traduits et offerts ici pour la
sait reprendre l'esprit des Com- That's Entertainment, Part H (1976, nouvelles premièrefois en français.Voir en particulierletextede
den/ Green dans The Band Wa- séquencesdirigéespar Gene Kelly,productionde Saul 1930,Filmparlant, opéra-filmé,film-opéra, p. 75 ss.
gon:

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