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Revue des études byzantines

Le Père Vitalien Laurent (1896-1973)


Jean Darrouzès

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Darrouzès Jean. Le Père Vitalien Laurent (1896-1973). In: Revue des études byzantines, tome 32, 1974. pp. 3-14;

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Vitalien LAURENT
(1896-1973)
LE PÈRE VITALIEN LAURENT

Par sa soudaineté le décès du Père Vitalien Laurent, dont les forces


paraissaient intactes malgré l'usure de l'âge, a surpris ses nombreux amis
et lecteurs et frappé ceux qui suivaient de plus près le déroulement de ses
jours sans soupçonner l'imminence du dénouement. Sa production
scientifique, moins dispersée depuis quelque temps dans les revues, atteignait un
apogée tardif avec la publication d 'œuvres longuement mûries : Regestes
et Mémoires de Syropoulos (1971), Corpus des Sceaux (1964, 1966 et 1972).
Il laissait sur sa table de travail le tome II du corpus, dont il ne lui restait
à dactylographier qu'une dizaine de pages, et il est tombé après une journée
de travail ordinaire, résumé des travaux de toute une vie. Quelques ennuis
de santé, en donnant le signal d'alarme (début 1973), avaient ajouté à la
fièvre du travail urgent cette sourde inquiétude devant l'éventualité d'une
fin brutale et le drame de l'œuvre interrompue.

La carrière

La destinée du P. Laurent s'était fixée contre vents et marées dès sa


nomination aux Echos d'Orient en 1924. Hormis son goût pour les travaux
intellectuels, rien ne le désignait particulièrement pour une spécialisation
dans les études byzantines, ni ses origines terriennes et bretonnes, ni sa
formation heurtée de 1909 à 1923 dans des écoles de Belgique et du
Luxembourg pendant une période de bouleversements. La revue et l'œuvre
auxquelles il était affecté, après de brillants débuts, souffraient de la dispersion
de la première équipe et peinaient pour retrouver leur niveau. La flambée
d'optimisme, née au contact des savants français qui vinrent en Orient avec
l'Armée d'occupation, allait s'éteindre sans l'intervention d'un ancien
missionnaire devenu supérieur général, le P. Gervais Quénard, dont la
largeur de vues et l'expérience des besoins locaux favorisaient le renouveau
des entreprises. L'ordination sacerdotale du P. Vitalien à Kadiköy, le 27 juin
1924, avait pour témoins deux aînés, Raymond Janin et Venance Grumel,
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d'un dévouement égal à la même œuvre avec des qualités et des compétences
très différentes. Mais l'initiation directe aux études byzantines se fit à
l'Institut pontifical oriental de Rome, qui lui décerna le seul grade universitaire
qu'il ait conquis, la licence es sciences ecclésiastiques orientales ; la thèse
de doctorat sur le patriarche Jean Beccos resta en chantier. Aussi
importants certes pour l'orientation scientifique furent les contacts journaliers
avec les trois anciens des Echos d'Orient établis à Rome, le canoniste Ro-
muald Souarn, le théologien Martin Jugie, l'historien Siméon Vailhé ; Louis
Petit revenait aussi à Rome en mai 1926, mais mourait l'année suivante.
Dans cette ambiance si favorable à l'intelligence des projets et des
moyens d'étude, le P. Laurent s'est formé presque en autodidacte.
Deux années après son retour à Kadiköy, le P. Laurent prenait, au début
de 1930, la direction des Echos d'Orient pour remplacer le P. Sévérien
Salaville, que son état de santé réduisait chroniquement à l'inactivité. Tout
en étendant ses recherches autour du patriarche Jean Beccos au point
d'annoncer dès 1932 une édition critique de Pachymère, le nouveau directeur
s'installait avec l'assurance d'un maître dans la fonction qu'il assuma
pendant près de quarante ans. D'emblée il s'imposait à l'attention du monde
savant par l'étendue de son information, la rigueur de la critique et cette
pointe d'agressivité, éclose, dans la pure tradition des moines du désert,
sous la lumière de l'Orient. L'ancien projet d'une refonte de VOriens
Christianus reprenait corps et suscitait l'élaboration de nouveaux plans de
recherche en vue de réaliser les instruments de travail tant attendus :
projets sur projets, mais aussi intense activité de recherche en toutes
directions, qu'il fallait concilier avec la rédaction régulière d'une revue et
diverses tâches matérielles.
Quoiqu 'admirablement situé dans la banlieue asiatique de l'ancienne
capitale byzantine, l'Institut de Kadiköy souffrait de sa position, surtout à
la suite des changements politiques qui modifièrent notablement les
conditions de vie des savants étrangers et des religieux en particulier, au point
qu'il fallut envisager le départ. Le transfert à Athènes s'étant heurté en
1935 au veto du gouvernement grec, Bucarest offrit toutes les conditions
souhaitées pour une nouvelle installation, de préférence à Jérusalem et
Strasbourg : local neuf et bien adapté, maintien d'un contact avec l'Orient,
accueil flatteur et généreux des autorités. Pour le P. Laurent, qui faisait
reconnaître le titre officiel d'Institut français d'Etudes byzantines,
l'inauguration constituait un succès personnel plein de promesses (n° 143)1. La

1. Les quelques numéros cités ici renvoient aux articles de la bibliographie publiée
ci-après.
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Roumanie, temporairement à l'abri du bouleversement européen, offrit


aux talents du directeur de nouvelles occasions de s'épanouir, sans trop se
disperser : ce qui à la longue aurait pu se produire par l'effet d'un
enseignement plutôt académique. Tout en cédant aux invitations des milieux
universitaires roumains, traditionnellement ouverts et hospitaliers, et malgré
/'aggravation progressive des difficultés, il ne perdait pas de vue les
entreprises fondamentales : témoins le catalogue de la collection Orghidan,
rédigé durant la guerre, et celui des sceaux de la collection Shaw (800
pages dactylographiées) qui allait servir de cadre pour le corpus
définitif déjà envisagé.
Autant l'accueil de la Roumanie à l'œuvre des Echos d'Orient avait été
empressé, autant fut expéditive l'expulsion — départ volontaire, selon la
pièce signée — des membres de l'Institut, en novembre 1947. Après plus
de vingt ans de séjour en Orient, le P. Laurent se retrouvait à Paris, avec une
petite valise d'émigré et l'appréhension du lendemain. Le rapatriement des
biens français prit plus de deux ans, pendant lesquels le directeur dut renouer
les fils et rétablir une situation bien compromise ; le prestige du savant et
la valeur intrinsèque de la bibliothèque, réinstallée rue François-Ier,
facilitèrent bien des choses. Sans avoir à retoucher les objectifs propres de
l'activité du groupe, le directeur devait cependant faire accepter à l'intérieur
et à l'extérieur l'insertion de l'œuvre dans un nouveau milieu. Issue d'un
mouvement missionnaire, l'équipe des Echos d'Orient s'était dégagée peu
à peu des objectifs d'une action immédiate — propagande selon les uns,
œcuménisme selon les autres — , en prenant conscience des impératifs de la
recherche scientifique. Et l'Institut byzantin revivait et devait résoudre,
pour garder sa personnalité, ces problèmes si byzantins des rapports entre
le monachisme et la hiérarchie, entre la science sacrée et la science profane,
entre l'Eglise et l'Etat : position souvent inconfortable que de devoir
osciller entre l'opportunisme et l'intransigeance et s'affirmer breton à
Istanbul et Bucarest, byzantin à Paris.
La seconde étape de la carrière du P. Laurent se poursuivit donc à Paris,
où il résida désormais continuellement, sauf quelques mois de mission aux
Etats-Unis pour son enquête sigillographique et quelques périodes de travail
au Vatican, où il assuma de 1952 à 1959 la charge de conservateur du
Médaillier pontifical, le temps de rédiger le catalogue des sceaux byzantins
(n° 7). C'est d'ailleurs la sigillographie qui absorbait de plus en plus son
temps, après que le CNRS eut donné son agrément à la publication d'un
corpus. Nommé maître de recherche à un âge où beaucoup d'autres rêvent
aux loisirs d'une retraite gagnée tant bien que mal, il compensait ce retard
VIII LE PÈRE VITALIEN LAURENT

par des journées de travail de douze à quinze heures et tout au long de


l'année, ignorant les jours fériés, les « ponts », les vacances et bien entendu
les grèves de la civilisation des loisirs. Ceux-ci consistaient pour le P. Laurent
à passer d'une collation de texte à une description de sceau, d'une notitia
des évêchés à une demande de renseignements, d'un rapport urgent à la
compilation de nouvelles fiches. Assidu aux Congrès d'études byzantines
jusqu'à celui de Munich (1958, voir n° 360), il fallait par la suite beaucoup
de sollicitations pour l'arracher à ses occupations ordinaires : ceux qui l'ont
invité le savent aussi bien que ceux qui ont entendu les annonces réitérées
d'un départ imminent qui ne se produisait pas.
On aurait pu reprocher au savant de thésauriser la pièce rare et le
document inédit, d'accumuler au risque d'enfler seulement un dossier, si
d'autre part il n'avait montré une véritable libéralité à l'égard des entreprises
byzantines et de leurs auteurs. Dès sa première entrevue avec F. Dölger
s'établit une correspondance continue entre les deux savants, attelés au
même joug des Regestes et des Actes (n° 100) ; les fiches signalétiques
fournies à la revue de Munich jusqu'à cette année en donnent la preuve
la plus tangible. Contraint par la pénurie chronique et les circonstances à
souvent quémander, le P. Laurent savait aussi offrir et donner ; le temps
journalier réservé à la correspondance lui a demandé autant de soin et de
recherches que bien des notes erudites et d'articles de dictionnaire. En plus
des byzantinistes réputés pour leur enseignement ou dans leur spécialité,
bien des débutants trouvèrent en lui plus que de vagues conseils. Froid et
guindé au premier abord, autant par concentration d'esprit que par réserve
de tempérament, il s'entourait volontiers, surtout dans la dernière période
de sa vie, d'une certaine solennité qui drapait sa silhouette comme elle
inspirait la recherche du style et l'enchâssement de ses productions dans un
ensemble architectural, rehaussé par l'amplitude des titres et parsemé de
pierres d'attente en prévision des prolongements.

Les projets et les réalisations

Héritier d'une tradition plutôt que disciple d'une école, c'est de Louis
Petit que Vitalien Laurent pouvait légitimement se réclamer. Il suffit de
relire l'esquisse de la carrière du premier composée par le second (n° 234)
pour retrouver les traits communs : passion de la recherche, capacité de
travail, étendue de l'information, sûreté de la critique. Siméon Vailhé,
collaborateur et ami de Louis Petit, disait plaisamment à son sujet qu'il
conçut et mit à exécution plus de projets qu'il n'en entra jamais dans le
cerveau de toute une équipe d'académiciens. Sous ce rapport aussi, quoi-
LE PÈRE VITALIEN LAURENT IX

qu'en proportion différente de durée, de réussites et d'échecs, s'est


manifestée leur parenté. Le P. Laurent héritait surtout du grand projet de refonte
de YOriens Christianus lancé en 1902, dont les matériaux, périmés avant
d'avoir pu être utilisés, attendaient une nouvelle main.

Les premières études du P. Laurent, axées sur la personne de Jean Beccos,


étaient de nature à fixer une vocation ; inspirées au départ par un spécialiste
de la théologie orientale, Martin Jugie, elles n'aboutirent pas au but qui
était de définir la position doctrinale du patriarche unioniste, mais elles
apprirent au chercheur d'une part la nécessité de parvenir aux sources
authentiques, d'autre part la difficulté de les atteindre. Le manuscrit de
cette thèse, dont la partie doctrinale est encore passablement conservée,
tombe littéralement en morceaux par endroits : ce sont les chapitres
consacrés à la tradition des œuvres, à la description et à l'analyse des manuscrits.
Au fur et à mesure que s'étendit l'investigation, de la personne du patriarche
à son entourage et à son époque, le champ de recherches s'élargit, les feuilles
et les cahiers s'accumulèrent. Un projet assorti d'un contrat avec la maison
d'édition Paul Geuthner prévoyait, en 1930, la publication d'une Bibliothèque
byzantine et néo-grecque (n° 42), dont aucun volume ne parut sous le titre
annoncé, en particulier l'ouvrage de 520 pages sur Jean Beccos. Les premiers
articles proviennent de cette prise de contact avec le xme siècle byzantin,
qui ne cessa d'avoir la prédilection du savant jusqu'à la parution du fasci^
cule iv des Regestes, où après tant d'études sur les documents, la chronologie,
la topographie, les événements et les personnes, il condensa tout le résultat
d'une longue moisson, sans épuiser ses réserves.
Maître sans doctorat, le P. Laurent prit donc en 1930 la direction des
Echos d'Orient ; il était déjà dans le sillage, puisque, après avoir rencontré
Heisenberg et Dölger (octobre 1929), il publiait dès la première année de
direction le plan des sources à consulter pour l'établissement des listes
episcopates du patriarcat byzantin (n° 58 : reproduisant le rapport présenté
au Congrès d'Athènes, le 13 octobre 1930). Le bilan des travaux antérieurs
avait fait ressortir la nécessité d'une nouvelle enquête ; il s'agissait de
dépasser les éditions et les compilations et d'atteindre toutes les sources des
listes : sources liturgiques, diplomatiques, littéraires, monumentales et
épigraphiques. Cette présentation méthodique du projet de YOriens Chris-
tianus, tout en révélant au monde savant la personnalité de l'auteur,
engageait définitivement son activité et celle de ses collaborateurs vers la
réalisation des instruments de travail fondamentaux pour l'histoire de
l'Eglise byzantine. Dans un rapport d'une lucidité incisive (inédit, vers 1924),
V. Grumel accusait lui-même la dispersion des travaux de l'équipe en divers
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dictionnaires au détriment d'une œuvre cohérente et originale. L'expérience


des devanciers pesa donc d'un bon poids dans la fixation du programme des
recherches.
Mais ce qui n'avait guère changé, à l'arrivée du P. Laurent, c'est le nombre
des membres de l'équipe, qui ne compta jamais que quatre ou cinq
personnes, sans personnel auxiliaire. On peut évaluer le travail que suppose
la simple publication des articles de revue et d'encyclopédie d'après leur
nombre, leur qualité et leur étendue, de 1929 à 1940. Le même devait
accomplir la plupart des opérations du travail scientifique depuis la
recherche du document jusqu'à sa publication, en passant par la copie, la
rédaction et la correction des épreuves, qui faisaient chaque fois le trajet
d'Istanbul à Paris ; il fallait aussi visiter les fonds de manuscrits,
photographier, administrer, et surtout économiser.
Néanmoins au moment de l'installation à Bucarest, après dix années
d'activité, le P. Laurent avait tracé les plans et entrepris la réalisation de
six projets : Regestes, Recueil des Actes, Corpus Notitiarum, Corpus des
Sceaux, Géographie ecclésiastique, Prosopographie. Puisque ces titres ne
correspondent pas tous à des collections réellement inaugurées par une
publication, il importe, au moment où le maître ouvrier a disparu, de
connaître quelle somme de travail il y a consacrée malgré les difficultés
techniques et les vicissitudes du temps.
Regestes. De même que le projet d'Oriens Christianus avait débouché
pour L. Petit sur la publication des Actes de VAthos, à la suite de son
exploration des bibliothèques athonites, de même la révision des listes épisco-
pales imposa presque immédiatement la nécessité d'un catalogue des actes
dont le protocole, le contenu et la signature sont la source première des noms
d'évêques et d'évêchés. La période ancienne trouva en Venance Grumel
l'auteur le mieux préparé : théologien et historien, il se mouvait avec autant
d'aisance parmi les subtilités dogmatiques que dans le dédale de la
chronologie. Bien qu'ayant de la peine à rédiger deux fiches de même format,
de dossiers invraisemblables il tirait des notices lumineuses, et il était de
taille à achever l'œuvre, si les circonstances n'en avaient contrarié
l'achèvement ; le troisième fascicule achevé par le P. Grumel en 1939 ne put être
publié qu'en 1947. Le quatrième fascicule, correspondant à la période dont
le P. Laurent fut le meilleur connaisseur, ne put être achevé par lui qu'en
1970. Et le rédacteur de la suite se rend compte à son tour que le chemin
de l'auteur au lecteur peut être plus long que prévu.
Recueil des Actes. La rédaction des regestes, qui repose sur la forme
authentique du document, présuppose naturellement la connaissance de
LE PERE VITALIEN LAURENT XI

toutes les copies existant en manuscrit. Les actes dispersés dans les manuscrits
les plus divers demandent autant de temps pour être localisés que pour être
reproduits ; mais s'il était déjà ardu de repérer des actes dans les catalogues,
ou seulement de repérer les manuscrits à inventorier, il y avait aussi les
fonds de bibliothèques aux portes closes et aux entrées réservées, les
collections sans catalogues. Le microfilm simplifia bien des choses, mais il
fallait aller le tirer soi-même, car son emploi n'était pas tellement répandu
avant la guerre, et de toute façon les photographies partielles exigeaient
l'examen préalable du manuscrit. Le P. Laurent se fit donc photographe
— il ne fut jamais orfèvre en la matière, bien qu'ayant employé beaucoup
de pellicule — et visita principalement les fonds grecs, romains et parisiens.
Le nombre d'inédits décrits, sinon toujours révélés par les Regestes, donne
une idée de l'effort accompli pour cette collecte. Photographies, copies et
collations restent à l'état documentaire, attendant d'être exploitées.
Géographie ecclésiastique et Corpus Notitiarum. Ces deux titres, issus
d'un éclatement de YOriens Christianus projeté, correspondent, comme les
deux précédents, à un partage logique des recherches et des ouvrages
concernant la répartition des sièges ecclésiastiques. La connaissance des lieux,
indispensable à ce genre d'études, désignait particulièrement le P. Raymond
Janin pour participer à l'œuvre. Ayant gardé jusqu'à l'âge le plus avancé
la mémoire des lieux comme d'une ville natale, l'auteur résuma en deux
ouvrages l'expérience d'une génération, tandis que le P. Laurent tendait à
y ajouter d'autres dimensions par le dépouillement et la critique des sources.
A Kadiköy, en effet, l'attention aux monuments et aux découvertes,
favorisée par le voisinage des sites et l'affluence des archéologues, ne pouvait
remplacer absolument la formation technique requise en plusieurs branches
de l'archéologie. Sans aucun doute, les rédacteurs des Echos d'Orient
n'adoptèrent pas la méthode de leur confrère, Bernardin Menthon,
desservant de l'église catholique de Brousse, qui identifiait à l'aide du pendule
les sites monastiques de l'Olympe et, à l'occasion, expertisait des monnaies ;
les publications occasionnelles d'inscriptions et les études de topographie
(nos 23, 59, 74, 114, 124, 147) relèvent d'une tout autre méthode.
Dans les dossiers de H. Gelzer, E. Gerland et L. Petit dont il devint
dépositaire, le P. Laurent trouvait un matériel disparate, souvent de seconde
main, relatif aux Notitiae episcopatuum et aux listes conciliaires. Inachevées
ou périmées, surtout après les éditions critiques d'E. Schwartz, les études
de textes demandaient un remaniement complet et de nouvelles collations,
dans la mesure où les recherches antérieures n'avaient pas atteint tous les
témoins ou dépendaient de plusieurs intermédiaires. Le contrôle effectué
XII LE PÈRE VITALIEN LAURENT

pour certaines rédactions (n° 112 : Basile de Jalimbana ; n° 139 : Nil


Doxapatris ; n° 220 : Notitia d'Antioche) montrait à l'évidence l'étendue
et la complexité des collations à effectuer pour l'édition de ces opuscules
géographiques. Les dossiers annexes des listes de patriarches utilisés pour
la chronologie (nos 121, 248, 455, 458) et celui des transferts ne sont pas
moins complexes. De même, après la publication du fascicule π des Noti-
tiae (n° 2), l'enchevêtrement des matériaux empêcha l'auteur de mener à
terme la rédaction des fascicules suivants. En fin de compte la progression
dans ce maquis n'a pas suivi les prévisions trop optimistes des débuts,
mais ce n'est pas faute d'y avoir consacré bien des efforts.
Prosopographie. L'urgence d'un recueil onomastique et patronymique
des personnages de l'empire byzantin n'était pas à démontrer lorsque le
P. Laurent publia le plan de l'entreprise avec un spécimen de notice (n° 98) ;
il n'est pas de byzantiniste qui n'ait éprouvé ce besoin en composant son
fichier personnel et en constatant les lacunes des dictionnaires, limités soit
à l'âge classique, soit à la période patristique. De tout temps, l'équipe des
Echos d'Orient (L. Petit, V. Grumel, puis V. Laurent) fut la pourvoyeuse
des notices byzantines qui prolongeaient dans le domaine biographique et
littéraire la grande synthèse de Krumbacher. Le projet de prosopographie
byzantine, relancé au Congrès de Bruxelles en 1948 (n° 233), prit une
nouvelle extension après le Congrès des études classiques de Paris, en 1950
(n° 257), grâce à l'intervention des professeurs J.-R. Palanque et H.-I.
Marrou, qui avaient publié leur projet d'une prosopographie du Bas-
Empire. A partir de cette date, le P. Laurent, qui n'avait jamais cessé de
relever sur fiches tous les noms qu'il rencontrait, commença d'établir un
nouveau fichier en trois séries : les noms de baptême, les patronymes et
les noms d'évêques (par siège episcopal). La raison qui le détermina aussi
à poursuivre jusqu'à sa mort une collaboration à la bibliographie de la
Β Ζ était, de son propre aveu, de s'obliger à suivre les productions diverses
et la publication des sources. Mais il y a loin d'un fichier, aussi important
soit-il et redoutable pour les auteurs superficiels et les éditeurs trop pressés,
à la publication d'une prosopographie embrassant une dizaine de siècles.
Le seul classement de ces fiches et leur vérification demandera des mois
de travail, avec le seul espoir d'une utilisation à long terme.
Sigillographie. Après un premier bulletin de sigillographie byzantine
(n° 25), témoin d'une maîtrise précoce dans cette spécialité, l'éditeur de
sceaux reconnut promptement l'inanité d'une publication des pièces
inédites, au nombre encore incalculable alors. Le recueil des légendes
métriques (n° 1 : les tirés à part, retrouvés à Athènes par le P. Nowack, ne
LE PÈRE VITALIEN LAURENT XIII

furent mis en volume qu'en 1952) dénote le souci de parvenir au recueil


systématique. Tout s'enchaînait aussi à partir du moment où l'on voulait
seulement établir des listes complètes des évêchés, puisque les légendes
sigillographiques sont restées bien souvent l'unique mention d'un évêché,
d'un évêque ou d'un fonctionnaire ; quand la chance s'en mêle, la
conservation des sceaux d'un même personnage constitue pour l'historien une
précieuse source de renseignements. Au delà des publications dispersées,
le P. Laurent entrevoyait surtout l'incomparable service qui serait rendu aux
sciences byzantines, si cette source, pratiquement inexplorée en comparaison
de la numismatique, venait à être canalisée dans un recueil et dans un manuel.
L'avantage des séries, amplement démontré dans le domaine des monnaies,
des inscriptions et partout ailleurs, resterait insoupçonné tant qu'un corpus
n'aurait pas réuni un nombre suffisant d'exemplaires.
C'est au Collège de France que revient le mérite d'avoir reconnu et
soutenu, par l'entremise de G. Millet, puis de P. Lemerle, ce projet qui
lançait le P. Laurent sur les traces de Schlumberger. Il s'agissait d'abord,
tout en contrôlant les découvertes tant fortuites qu'organisées, d'inventorier
les collections éparses en vue de la rédaction éventuelle de leur catalogue,
indispensable pour la composition d'un corpus des sceaux. De 1935 à 1940,
les contacts directs avec plusieurs musées et les collectionneurs privés, en
permettant une première estimation du nombre et de la qualité des pièces,
mirent aussi en évidence les difficultés propres à la spécialité et multipliées
encore par le particularisme des collectionneurs ; rares étaient d'ailleurs
les spécialistes capables de s'attaquer à de tels catalogues. Dans une seconde
période, le P. Laurent rédigea lui-même trois catalogues : collection Orghi-
dan, Médaillier du Vatican, collection Shaw (ce dernier non publié). Vingt
ans après les premières approches méthodiques, devant l'accumulation
des matériaux et malgré la fermeture plus ou moins hermétique de plusieurs
collections — qu'elles appartinssent ou non à un régime libéral— , il apparut
nécessaire d'élargir le cadre. Le projet initial, selon les indications de G.
Millet, envisageait une refonte de la Sigillographie byzantine de G.
Schlumberger, dont le plan devait être communiqué au Congrès d'Alger (1939).
Le nouveau rapport, soumis au CNRS en 1955 sous forme administrative,
puis au Congrès de Munich en 1958 (n° 360) en rédaction plus solennelle,
annonçait la parution prochaine de la partie la plus avancée, le tome V,
réservé à l'Eglise. De la part d'un savant qui était à la fois promoteur et
seul exécutant, la prévision des dates était quelque peu optimiste, mais
la parution effective de cette partie en 1 680 pages, le double de ce qui était
estimé nécessaire en 1955, justifie le dépassement des délais.
XIV LE PERE VITALIEN LAURENT

On imagine le nombre d'années et la somme de travail encore nécessaires


pour l'achèvement de ce seul Corpus, en constatant qu'un minimum de
deux ans, après la finition du tome V (n° 1 1), fut employé pour la mise au
net du tome II (Bureaux d'Etat : 1239 numéros dans l'état actuel du manuscrit
achevé).
L'ouvrier est tombé en plein travail, sur un sol littéralement jonché de
sceaux, terrassé par ce « vil métal » dont il s'est épuisé à extraire le trésor
de l'érudition. Cette fin soudaine, après une période finale étonnamment
féconde qui portait les fruits de longues saisons, laisse aussi inachevé le
monument principal qui aurait suffi à remplir sa vie et à perpétuer son nom.

L'unité de la vie du P. Laurent, à travers les succès et les échecs, les rêves
et les réalités de l'existence, repose avant tout sur la consécration à une
œuvre noble et désintéressée, et s'il ne m'appartient pas à ce niveau déjuger
l'homme, je suis du moins en mesure de témoigner que si son œuvre reste
inachevée, ce ne fut ni faute de cœur, ni faute de volonté. S'il fut exigeant
dans la critique, ambitieux dans les projets, à la fois avide d'étendre les
possessions du savoir et généreux dans ses dons, c'est au nom d'un idéal
qu'il a défini mieux que personne en le reconnaissant chez ses confrères
les plus proches et chez des collègues plus lointains dans l'adieu lucide et
ému qu'il leur a dédié. Ces amitiés qu'il a cultivées durant sa vie comme
celles qui le suivent malgré la mort assureront à son nom la fidélité du
souvenir et à son œuvre des promesses de durée.
Jean Darrouzès

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