Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Darrouzès Jean. Le Père Vitalien Laurent (1896-1973). In: Revue des études byzantines, tome 32, 1974. pp. 3-14;
https://www.persee.fr/doc/rebyz_0766-5598_1974_num_32_1_1479
Ressources associées :
Vitalien Laurent
Vitalien LAURENT
(1896-1973)
LE PÈRE VITALIEN LAURENT
La carrière
d'un dévouement égal à la même œuvre avec des qualités et des compétences
très différentes. Mais l'initiation directe aux études byzantines se fit à
l'Institut pontifical oriental de Rome, qui lui décerna le seul grade universitaire
qu'il ait conquis, la licence es sciences ecclésiastiques orientales ; la thèse
de doctorat sur le patriarche Jean Beccos resta en chantier. Aussi
importants certes pour l'orientation scientifique furent les contacts journaliers
avec les trois anciens des Echos d'Orient établis à Rome, le canoniste Ro-
muald Souarn, le théologien Martin Jugie, l'historien Siméon Vailhé ; Louis
Petit revenait aussi à Rome en mai 1926, mais mourait l'année suivante.
Dans cette ambiance si favorable à l'intelligence des projets et des
moyens d'étude, le P. Laurent s'est formé presque en autodidacte.
Deux années après son retour à Kadiköy, le P. Laurent prenait, au début
de 1930, la direction des Echos d'Orient pour remplacer le P. Sévérien
Salaville, que son état de santé réduisait chroniquement à l'inactivité. Tout
en étendant ses recherches autour du patriarche Jean Beccos au point
d'annoncer dès 1932 une édition critique de Pachymère, le nouveau directeur
s'installait avec l'assurance d'un maître dans la fonction qu'il assuma
pendant près de quarante ans. D'emblée il s'imposait à l'attention du monde
savant par l'étendue de son information, la rigueur de la critique et cette
pointe d'agressivité, éclose, dans la pure tradition des moines du désert,
sous la lumière de l'Orient. L'ancien projet d'une refonte de VOriens
Christianus reprenait corps et suscitait l'élaboration de nouveaux plans de
recherche en vue de réaliser les instruments de travail tant attendus :
projets sur projets, mais aussi intense activité de recherche en toutes
directions, qu'il fallait concilier avec la rédaction régulière d'une revue et
diverses tâches matérielles.
Quoiqu 'admirablement situé dans la banlieue asiatique de l'ancienne
capitale byzantine, l'Institut de Kadiköy souffrait de sa position, surtout à
la suite des changements politiques qui modifièrent notablement les
conditions de vie des savants étrangers et des religieux en particulier, au point
qu'il fallut envisager le départ. Le transfert à Athènes s'étant heurté en
1935 au veto du gouvernement grec, Bucarest offrit toutes les conditions
souhaitées pour une nouvelle installation, de préférence à Jérusalem et
Strasbourg : local neuf et bien adapté, maintien d'un contact avec l'Orient,
accueil flatteur et généreux des autorités. Pour le P. Laurent, qui faisait
reconnaître le titre officiel d'Institut français d'Etudes byzantines,
l'inauguration constituait un succès personnel plein de promesses (n° 143)1. La
1. Les quelques numéros cités ici renvoient aux articles de la bibliographie publiée
ci-après.
LE PÈRE VITALIEN LAURENT VII
Héritier d'une tradition plutôt que disciple d'une école, c'est de Louis
Petit que Vitalien Laurent pouvait légitimement se réclamer. Il suffit de
relire l'esquisse de la carrière du premier composée par le second (n° 234)
pour retrouver les traits communs : passion de la recherche, capacité de
travail, étendue de l'information, sûreté de la critique. Siméon Vailhé,
collaborateur et ami de Louis Petit, disait plaisamment à son sujet qu'il
conçut et mit à exécution plus de projets qu'il n'en entra jamais dans le
cerveau de toute une équipe d'académiciens. Sous ce rapport aussi, quoi-
LE PÈRE VITALIEN LAURENT IX
toutes les copies existant en manuscrit. Les actes dispersés dans les manuscrits
les plus divers demandent autant de temps pour être localisés que pour être
reproduits ; mais s'il était déjà ardu de repérer des actes dans les catalogues,
ou seulement de repérer les manuscrits à inventorier, il y avait aussi les
fonds de bibliothèques aux portes closes et aux entrées réservées, les
collections sans catalogues. Le microfilm simplifia bien des choses, mais il
fallait aller le tirer soi-même, car son emploi n'était pas tellement répandu
avant la guerre, et de toute façon les photographies partielles exigeaient
l'examen préalable du manuscrit. Le P. Laurent se fit donc photographe
— il ne fut jamais orfèvre en la matière, bien qu'ayant employé beaucoup
de pellicule — et visita principalement les fonds grecs, romains et parisiens.
Le nombre d'inédits décrits, sinon toujours révélés par les Regestes, donne
une idée de l'effort accompli pour cette collecte. Photographies, copies et
collations restent à l'état documentaire, attendant d'être exploitées.
Géographie ecclésiastique et Corpus Notitiarum. Ces deux titres, issus
d'un éclatement de YOriens Christianus projeté, correspondent, comme les
deux précédents, à un partage logique des recherches et des ouvrages
concernant la répartition des sièges ecclésiastiques. La connaissance des lieux,
indispensable à ce genre d'études, désignait particulièrement le P. Raymond
Janin pour participer à l'œuvre. Ayant gardé jusqu'à l'âge le plus avancé
la mémoire des lieux comme d'une ville natale, l'auteur résuma en deux
ouvrages l'expérience d'une génération, tandis que le P. Laurent tendait à
y ajouter d'autres dimensions par le dépouillement et la critique des sources.
A Kadiköy, en effet, l'attention aux monuments et aux découvertes,
favorisée par le voisinage des sites et l'affluence des archéologues, ne pouvait
remplacer absolument la formation technique requise en plusieurs branches
de l'archéologie. Sans aucun doute, les rédacteurs des Echos d'Orient
n'adoptèrent pas la méthode de leur confrère, Bernardin Menthon,
desservant de l'église catholique de Brousse, qui identifiait à l'aide du pendule
les sites monastiques de l'Olympe et, à l'occasion, expertisait des monnaies ;
les publications occasionnelles d'inscriptions et les études de topographie
(nos 23, 59, 74, 114, 124, 147) relèvent d'une tout autre méthode.
Dans les dossiers de H. Gelzer, E. Gerland et L. Petit dont il devint
dépositaire, le P. Laurent trouvait un matériel disparate, souvent de seconde
main, relatif aux Notitiae episcopatuum et aux listes conciliaires. Inachevées
ou périmées, surtout après les éditions critiques d'E. Schwartz, les études
de textes demandaient un remaniement complet et de nouvelles collations,
dans la mesure où les recherches antérieures n'avaient pas atteint tous les
témoins ou dépendaient de plusieurs intermédiaires. Le contrôle effectué
XII LE PÈRE VITALIEN LAURENT
L'unité de la vie du P. Laurent, à travers les succès et les échecs, les rêves
et les réalités de l'existence, repose avant tout sur la consécration à une
œuvre noble et désintéressée, et s'il ne m'appartient pas à ce niveau déjuger
l'homme, je suis du moins en mesure de témoigner que si son œuvre reste
inachevée, ce ne fut ni faute de cœur, ni faute de volonté. S'il fut exigeant
dans la critique, ambitieux dans les projets, à la fois avide d'étendre les
possessions du savoir et généreux dans ses dons, c'est au nom d'un idéal
qu'il a défini mieux que personne en le reconnaissant chez ses confrères
les plus proches et chez des collègues plus lointains dans l'adieu lucide et
ému qu'il leur a dédié. Ces amitiés qu'il a cultivées durant sa vie comme
celles qui le suivent malgré la mort assureront à son nom la fidélité du
souvenir et à son œuvre des promesses de durée.
Jean Darrouzès