Vous êtes sur la page 1sur 167

Le manuel pratique

de la méthode Montessori
Ouvrages de Maria Montessori
chez Desclée de Brouwer

De l’Enfant à l’adolescent (préface de J.F. Hutin).


L’Enfant dans la famille.
La Découverte de l’enfant. Pédagogie scientifique, tome I.
L’Éducation élémentaire. Pédagogie scientifique, tome II.
L’Enfant (préface de J.F. Hutin).
Éduquer le potentiel humain.
Psycho géométrie. L’étude de la géométrie fondée sur la psychologie de l’enfant.
Éducation pour un nouveau monde.
Les Étapes de l’éducation.
La Formation de l’homme (préface de Renilde Montessori).
L’Esprit absorbant de l’enfant.
L’Éducation et la paix (préface de Pierre Calame).
Maria Montessori

Le manuel pratique
de la méthode Montessori
Manual practico del método Montessori,
traduit de l’espagnol par Charlotte Poussin
Troisième édition corrigée et notablement étayée par Maria Montessori en 1939,
à partir de la version anglaise originale de 1914, Dr Montessori’s own handbook.

Le matériel Montessori photographié a été majoritairement fabriqué par ©Nienhuis.

Les photos en couleur ont été prises par Charlotte Poussin à l’école Montessori à Paris,
à l’école bilingue Montessori de Reuil-Malmaison et à l’ISMM, les photos historiques en
noir et blanc en annexe ont été fournies par l’AMI.

Tous droits réservés pour la France et les pays francophones.

Pour l’édition originale


Copyright © The Montessori-Pierson Publishing Company, 1914
Copyright in the 2016 translation
© The Montessori-Pierson Publishing Company, 2016
ASSOCIATION
MONTESSORI
INTERNATIONALE

AMI
Le présent logo de l’Association Montessori Internationale (AMI) indique que la
traduction en français a été approuvée par un relecteur de l’AMI.
L’Association Montessori Internationale a été fondée par Maria Montessori en 1929.
Elle est dépositaire de l’histoire du mouvement Montessori, et de l’intégrité de l’héritage de
Maria Montessori. Ainsi, l’AMI se charge de veiller à l’articulation de la philosophie et de
l’application Montessori, afin de répondre aux besoins des enfants et d’influencer les
systèmes éducatifs dans un monde en mutation constante.

© 2016, Groupe Artège


Éditions Desclée de Brouwer
10, rue Mercoeur - 75011 Paris
9, espace Méditerranée - 66000 Perpignan

www.editionsddb.fr

ISBN : 978-2-220-08267-7
ISBN pdf : 978-2-220-08536-4
AVANT-PROPOS
À l’heure où les guides pratiques sur la méthode Montessori se multi-
plient, celui qui a été écrit par Maria Montessori elle-même se devait de voir
le jour en français, de façon inédite. Ce fut passionnant de le traduire en le
méditant, comme on soigne les détails d’une enluminure, car ce guide ne se
contente pas d’être pratique, il alterne les descriptions concrètes et les
­réflexions fondamentales sur lesquelles repose la pédagogie Montessori.
C’est un guide intense, synthétique, qui a gardé toute son actualité au point
d’être force de réflexion et de proposition pour notre société, qui s’interroge
à juste titre sur son école républicaine, son fonctionnement et son avenir.
Il s’agit d’une version historique et j’ai fait le choix de présenter les deux
préfaces que Maria Montessori a rédigées pour ce manuel qu’elle a écrit deux
fois, dans deux langues. La première version fut écrite en anglais, suite à un
cycle de conférences qu’elle fit aux États-Unis et la seconde, largement en-
richie et étayée, en espagnol, alors qu’elle résidait en Espagne. Hasard de
l’histoire, ces deux parutions eurent lieu à l’aube des deux grands conflits
mondiaux du XXe, précisément en 1914 puis 1939. Cela explique certaine-
ment le fait que ce livre ait mis du temps à parvenir en France. C’est enfin le
cas aujourd’hui, plus de cent ans après sa première édition ! Cette traduction
a été faite depuis la version e­ spagnole, écrite il y a 78 ans, alors que Maria
Montessori avait déjà publié L’Enfant, et à une période où elle prononçait de
nombreux discours sur la Paix, donnant lieu à la parution de L’Éducation et la
Paix. On sent dans ce manuel que son but n’est pas uniquement de décrire le
matériel et les activités proposées par la pédagogie Montessori, mais bien
d’en présenter l’objectif fi­ nal : celui de servir la Paix, la sérénité de chaque
enfant devenant autonome grâce à la manipulation d’un matériel choisi dans
un environnement préparé et bienveillant, et l’apaisement qui en découle
entre lui et ses pairs, entre lui et l’adulte, pacifiant ainsi l’insidieux conflit de
générations auquel Maria M ­ ontessori souhaitait ardemment mettre un terme.
Elle affirmait que l’éducation était la meilleure arme pour la Paix. De nos
jours, cette vision est d’une actualité saisissante, et sa prise en compte néces-
saire.
Autre particularité de ce livre, c’est le seul qu’elle ait illustré de photos
­personnelles soigneusement choisies. Reprendre les photos équivalentes et
les mettre en parallèle avec les clichés historiques comme cela est fait en

7
a­ nnexe, permet de mettre en lumière le fait qu’en dépit du siècle qui s’est
écoulé depuis l’ouverture de la première « Maison des Enfants », et malgré
toutes les évolutions de la méthode qui n’est ni figée ni passéiste, l’essentiel est
resté identique, ce qui à nos yeux en garantit la qualité. Car s’il est primordial
de faire évoluer les pratiques et de moderniser toute démarche pour qu’elle
s’améliore et soit adaptée à son temps, il n’est pas utile de réinventer la roue.
Les recherches actuelles en psychologie cognitive et en neurosciences
viennent aujourd’hui confirmer les intuitions de Maria Montessori qui
étaient déjà le résultat de démarches scientifiques. Et nous nous réjouissons
de ces démonstrations qui viennent corroborer nos convictions montesso-
riennes.
Le message de Maria Montessori est clair : il s’agit de considérer l’enfant
comme le guide de sa propre éducation. Qui mieux que lui-même sait ce qui
est bon pour son propre développement ? Il est le père de l’homme de ­demain.
Il s’agit simplement de lui faire confiance et de lui donner les moyens de deve-
nir lui-même. Maria Montessori écrit dans les pages qui suivent : « Aider la
vie ce n’est pas l’endiguer mais toujours chercher à en faciliter le développe-
ment ou à la protéger contre les dangers qui pourraient l’appauvrir ». Dans
l’éducation, « c’est donc l’enfant que nous devons considérer avant tout ; il
s’agit de le libérer des obstacles qui entravent son développement et de l’aider
à vivre. Une fois ce principe compris, on constate un changement ­radical dans
le comportement de l’adulte vis-à-vis de l’enfant ».

Charlotte Poussin

8
PRÉFACE DE 1914
Si le rôle d’une préface est de mettre en lumière le contenu d’un ouvrage,
je choisis des personnalités plutôt que des mots pour illustrer ce petit livre
­destiné à entrer dans des familles où grandissent des enfants. Je pense parti-
culièrement à deux personnes qui m’ont beaucoup appris par leur exemple et
qui, aux yeux du monde entier, sont des symboles vivants du miracle de
­l’éducation : Helen Keller et Anne Sullivan Macy.
Helen Keller est en effet un merveilleux exemple d’un phénomène com-
mun à tous les êtres humains : l’éducation sensorielle offre la possibilité de
libérer l’esprit emprisonné de l’Homme. La méthode d’éducation que pré-
sente ­succinctement ce livre s’appuie sur ce fondement.
Si un seul sens a suffi à Helen Keller pour devenir une femme d’une culture
exceptionnelle et un écrivain remarquable, qui mieux qu’elle prouve le poten-
tiel de cette méthode d’éducation qui repose sur les sens ? Si Helen Keller a su
accéder à une conception élevée du monde, grâce à des talents naturels re-
marquables, qui mieux qu’elle illustre qu’au plus profond de chaque être hu-
main réside le potentiel qu’il a de se révéler lui-même ?
Chère Helen, serre ces petits enfants sur ton cœur, puisqu’ils te com-
prennent mieux que quiconque. Tout comme toi, lorsqu’ils explorent avec
leurs petites mains, les yeux bandés et en silence, des impressions profondes
s’élèvent dans leur conscience, et c’est avec une nouvelle forme de bonheur
qu’ils s’exclament : « Je vois avec mes mains. » Eux seuls peuvent pleinement
ressentir le mystérieux privilège que ton âme a connu. Lorsque, dans l’obscu-
rité et le s­ ilence, leur esprit est rendu libre de se développer et que leur éner-
gie intellectuelle redouble, ils deviennent capables de lire et d’écrire sans
avoir appris, comme par intuition ; eux seuls peuvent en partie comprendre
l’extase que Dieu t’a accordée sur la voie lumineuse de l’apprentissage.

Maria Montessori

9
PRÉFACE DE 1939
Ce livre, écrit il y a des années, expose certains des concepts fondateurs sur
lesquels repose la pédagogie développée dans les Maisons des Enfants. Il se pro-
pose en outre d’aider les professeurs comme un guide pratique condensé.
La première édition fut dédiée à un célèbre professeur, qui fait encore à ce
jour la fierté des enseignants : Helen Keller, docteur couronné de lauriers par
l’université de Columbia. Excellent écrivain, sensible, Helen Keller est privée
des sens intellectuels auxquels ce livre se réfère constamment. En effet, elle
est malheureusement aveugle et sourde ; ce n’est qu’à travers le toucher qu’elle
peut communiquer avec le monde extérieur.
Helen Keller, qui symbolise l’origine même de l’éducation telle que nous la
préconisons, accorde au toucher et au sens musculaire un rôle éminent dans
le développement de l’intelligence de l’enfant. L’Homme n’apprend pas
­seulement avec la tête ou le cerveau ; il apprend aussi avec la main, si l’on
considère le sens du toucher comme l’agent intellectuel qui coopère avec la
vue. Nous considérons la main, lors de l’activité, comme un organe qui
­accompagne tout le processus de développement mental et facilite de ­manière
surprenante le développement de l’individualité de l’enfant.
Aujourd’hui, après des dizaines d’années d’expérimentation, la méthode
­initiée dans les Maisons des Enfants s’est développée de façon inattendue, à
presque tous les niveaux de la culture. Les recherches en psychologie qui ont
été menées sur l’enfant et ses activités ont ouvert de vastes horizons sur la
compréhension de la nature humaine.
Ces conséquences ne doivent cependant pas nous faire oublier leurs sources.
Ces éléments fondamentaux seront toujours considérés comme la partie la
plus subtile, certaine et fascinante, de la longue histoire de nos travaux.
C’est pour cette raison que je n’ai pas jugé nécessaire de totalement réécrire
ce livre, ni d’y insérer des considérations sociales ou des lois de dévelop­
pement psychologique, qui ont par ailleurs été dûment évoquées dans mon
récent ouvrage intitulé L’Enfant.

Maria Montessori

11
REMARQUES
PRÉLIMINAIRES
Remarques préliminaires

L’erreur
À une époque révolue qui n’est pas si lointaine, on ne pratiquait pas
­l’hygiène infantile comme on le fait aujourd’hui : comparer les mesures du
corps de ­l’enfant aux courbes de croissance, le nourrir de façon rationnelle,
veiller à la qualité de l’air, le protéger contre les insidieuses sources de mala-
dies… Ces savoirs ­restaient marginaux et n’étaient pas appliqués au quoti-
dien. L’adulte prenait l’enfant dans ses bras, le berçait, l’embrassait, le com-
blait de caresses, le nourrissait sans règle ni méthode, l’exposant
inconsciemment aux infections ; la mortalité infantile faisait par conséquent
des ravages.
De quoi se souciaient donc les adultes qui prenaient soin d’enfants ? Ils se
préoccupaient de les emmailloter dans des langes serrés pour que leurs ­petites
jambes se développent bien droites, ils ne leur ôtaient pas leurs bonnets afin
que leurs oreilles ne se décollent pas, ils leur touchaient continuellement le
nez pour qu’il ne soit pas proéminent. En un mot, toutes ces préoccupations
physiques occultaient la question centrale de la mortalité infantile.
Il en est de même aujourd’hui concernant la vie psychique de l’enfant.
Beaucoup de choses nous préoccupent : développer son intelligence, cultiver
ses sentiments et renforcer son caractère ; en revanche, nous ne soignons pas
l’essentiel, bien qu’il s’agisse d’une question de vie ou de mort, en tout cas
pour l’esprit (ou d’un point de vue psychique).
Nous ne considérons pas la question de la vie spirituelle ; la personnalité
de l’enfant reste complètement négligée et déconsidérée.

L’éducation et l’enfant
Concernant le traitement psychique de l’enfant, ce n’est pas de l’éduca-
tion mais bien de l’enfant lui-même qu’il faut se préoccuper ; d’autant que ce
dernier, en pratique, disparaît en tant qu’individu face à l’éducation ; et cela
n’est pas seulement le cas dans les écoles mais partout où se pose la question
de l’éducation : à la maison, en famille et dans tous les lieux où l’on prend soin
d’enfants et où l’on en a la responsabilité. On peut dire que, même dans les
mentalités, la question de l’éducation prend la place qui devrait être attribuée
à l’enfant.

14
Remarques préliminaires

Quand je parle d’éducation, je me réfère à tous les systèmes, sans faire de


­distinction entre les bonnes et les mauvaises méthodes, parce que toutes
­représentent des courants d’une même éducation. Ma démarche est beau-
coup plus simple que de comparer les méthodes entre elles, leurs principes
philosophiques et leurs applications, ce qui constituerait par ailleurs un
­immense travail.
Je souhaite justement renoncer à tout cela et simplifier la démarche en
­plaçant l’enfant au centre, tel qu’il est, si pur et si simple.
Sans aucun doute, nous avons inconsciemment participé à l’émergence de
cette nouvelle pousse humaine, pure et chargée d’énergie ; et nous nous
sommes placés au-dessus d’elle sans admettre l’existence de ses nécessités
d’épanouissement spirituel.
« L’âme de l’enfant » est pour ainsi dire restée complètement enfouie,
presque éclipsée par l’égoïsme inconscient de l’adulte. Si j’affirmais que,
­souvent, l’adulte est un obstacle plutôt qu’une aide au développement de
l’enfant, on dirait que j’exagère. Ce que nous avons le plus de difficultés à
­admettre, c’est que nos soins « excessifs » soient précisément ce qui empêche
l’enfant d’exercer ses propres activités et, par conséquent, de développer sa
propre personnalité. Mais celui qui approfondit cette question comprend
tout de suite où réside le problème.
L’adulte doit aider l’enfant à agir et à s’exprimer, mais sans jamais agir à sa
place à moins que cela ne soit absolument nécessaire. Chaque fois qu’un
adulte aide un enfant alors que c’est inutile, il entrave son développement et
risque même – conséquence grave d’une erreur apparemment légère et
­insignifiante – de l’interrompre ou de le faire dévier quelque peu.
Cela arrive lorsque, avec les meilleures intentions et la plus sincère volonté
d’aider l’enfant, nous faisons tout à sa place, le lavons, l’habillons, l’asseyons
sur un fauteuil, le nourrissons, le plaçons dans cette espèce de cage que l’on
appelle berceau, etc. Et plus tard, lorsqu’il passe de la petite enfance à
­l’enfance, nous répétons la même erreur parce que nous le considérons
­toujours incapable de faire les choses sans être aidé, nous le rassasions de
« nourriture intellectuelle », nous le clouons sur des bancs d’école, nous
tentons de corriger ses défauts moraux et de contrecarrer sa volonté,
­
­convaincus que c’est ainsi qu’il deviendra meilleur. Nous procédons toujours
ainsi et c’est ce que nous appelons éduquer.

15
Remarques préliminaires

Une telle conception de l’éducation résulte de notre orgueil instinctif.


Plus nous sommes capables de prendre conscience de ce phénomène, qui a
de si grandes répercussions sur la vie de l’individu et de la société, plus il nous
­surprend.
Nous croyons que nous devons tout faire pour l’enfant, et, quand nous
l’avons fait, nous nous considérons comme ses créateurs. Nous voulons créer
son intelligence, ses sentiments et son caractère. C’est une vaine illusion qui
­s’oppose non seulement à nos affirmations les plus habituelles, mais aussi à
notre connaissance et notre expérience de la vie en général. Celles-ci nous
enseignent que nous ne sommes pas en mesure de créer mais simplement
d’aider !
Aider la vie ce n’est pas l’endiguer mais toujours chercher à en faciliter le
­développement ou à la protéger contre les dangers qui pourraient l’appauvrir.
Autrement dit, la création revient à Dieu, tout comme la Providence qui la
maintient ; et ce qui nous incombe, c’est la « charité » et le fait de pouvoir
« aider ». C’est donc l’enfant que nous devons considérer avant tout ; il s’agit
de le libérer des obstacles qui entravent son développement et de l’aider à
vivre. Une fois ce principe compris, on constate un changement radical dans
le comportement de l’adulte vis-à-vis de l’enfant. Ses soins ne diminuent pas
en intensité mais deviennent plus réfléchis et élevés. L’adulte doit aider
­l’enfant à tout faire par lui-même, autant que possible. Ainsi, au lieu de
­l’habiller, lui apprendre à s’habiller ; au lieu de le laver, lui montrer comment
se laver ; plutôt que de le nourrir, l’inciter à s’alimenter seul de manière
­toujours plus correcte, et ainsi de suite dans tous les domaines. Dès qu’on
laisse libre cours à son propre schéma de développement, l’enfant fait preuve
d’une activité surprenante et d’une capacité véritablement merveilleuse à
perfectionner ses actes. Mais les objets qui l’entourent ne sont proportionnés
ni à sa force ni à sa taille ; « l’environnement » constitue par conséquent un
obstacle à son activité. Quand l’adulte ne se substitue pas à l’enfant et que celui-ci
agit par lui-même, il est alors nécessaire de préparer un environnement adapté.
On a pour cela besoin de petites chaises basses, d’une petite table pour le
­repas, de ­portemanteaux fixés à la bonne hauteur, d’un joli petit lavabo, d’un
petit lit bas, de petits tapis faciles à entretenir, de vêtements simples à enfiler,
de ­petites bassines pour laver, de petits vases pour les fleurs et autant d’autres
éléments qui représentent les premiers « outils » grâce auxquels l’enfant peut
réaliser et déployer une activité ordonnée qui tend vers un but précis.

16
Remarques préliminaires

Ce qu’on doit modifier vis-à-vis de l’enfant peut donc se résumer en deux


points : la façon dont l’adulte s’occupe de lui et l’environnement qu’on lui
offre.

L’école
Cette conception transposée au lieu de vie collective de l’enfance que
nous appelons « École » se répercute immédiatement sur deux éléments :
la ­maîtresse et l’environnement.
« L’enfant » est à la fois la cause et le guide de cette transformation. Notre
objectif est de placer sa personnalité au centre, de le laisser « agir »,
de ­permettre, ou plutôt de faciliter un développement libre et harmonieux,
conformément aux lois de sa propre vie.
La fierté de la nouvelle maîtresse doit résider dans le fait d’avoir aidé
­l’enfant à agir par lui-même et d’avoir favorisé son cheminement spontané en
supprimant les principaux obstacles qui auraient pu l’entraver. Son âme aspire
à l’humilité agissante et glorieuse de saint Jean, le précurseur : « Il faut qu’il
grandisse et que je diminue. »

La sagesse antique
Le succès de l’éducation nouvelle réside donc dans le fait d’aider les
grandes énergies vitales à agir et à s’exprimer. Ce concept n’est pas nouveau ;
bien au contraire, il s’agit de la plus ancienne conception théorique de l’édu-
cation. Le terme éducation signifie en effet faire jaillir, c’est-à-dire aider le
dévelop­pement de ce qui est caché dans les mystères de l’âme, sachant que
l’intérêt de toute force potentielle est de réussir à s’accomplir. Il est évident
qu’une ­méprise s’est progressivement installée, au point de se cristalliser ces
derniers temps. Dans la pratique, l’éducation est réduite à une façon d’incul-
quer des notions dans l’intelligence de l’enfant, en perdant de vue le concept
même qui avait donné naissance au mot « éduquer ». C’est ainsi que nous
nous sommes habitués à désigner par le mot éducation le fait de « mettre »
plutôt que de « faire jaillir ». Par conséquent, la méthode que nous présen-
tons ­aujourd’hui, et qui dérange les conceptions actuelles, relève plus d’une

17
Remarques préliminaires

r­enaissance que d’un véritable renouveau. Saint Thomas d’Aquin disait en


effet que le rôle du maître devrait être d’alimenter l’élan qui pousse l’enfant à
développer ses énergies intérieures.
Mais concrètement, il est assez difficile de repérer et d’utiliser les énergies
­intérieures des enfants. Si l’on n’était pas parvenu à entrevoir l’âme de ­l’enfant,
longtemps demeurée tel un écrin fermé et mystérieux, le principe même de
­l’éducation serait resté un pur idéal, voire une utopie.

Les âmes entrevues


La psychologie de l’enfant émet un scintillement si rare et si fugace que
seules les personnes simples et aimantes parviennent à y déceler les caracté-
ristiques profondes de l’âme enfantine. Voici, en guise d’exemple, une
­description du merveilleux épisode qui surprit tant Pestalozzi et l’ensemble
des éducateurs de son époque :
« Ceux qui ont assisté à mes cours, dit Pestalozzi, se sont émerveillés du
­succès obtenu. En vérité, ce fut comme un éclair qui éblouit avant de dispa-
raître. Personne ne parvenait à comprendre le sens profond de ma manière de
procéder, pas même moi. Elle résultait d’une idée simple qui existait en mon
esprit sans que j’en aie une conscience claire.
C’était une prodigieuse tentative qui aurait effrayé tout homme perspi-
cace, comme je l’aurais été si je n’avais pas eu la chance d’être aveuglé. Je ne
suis même pas certain de comprendre aujourd’hui comment j’y suis parvenu.
La sensation de fatigue, qui s’observe dans toutes les écoles, avait disparu
dans la mienne comme par enchantement. Les élèves voulaient et pouvaient ;
ils persévéraient dans leur travail, réussissaient et se montraient heureux
­plutôt qu’accablés par l’étude ; on disait d’eux qu’ils étaient d’une “autre
­espèce” » (Pestalozzi, école de Stans).
Pestalozzi écrivait aussi :
« Les hommes ne savent pas ce que Dieu a fait pour eux ; ils n’accordent
­aucune importance à l’influence de la nature sur l’éducation et, en revanche,
se vantent de toutes les petites choses qui s’ajoutent à son action toute-­
puissante, comme si tout le progrès du genre humain ne dépendait pas de la
nature, mais de sa propre bonté. Plus j’ai suivi les enfants à la trace, plus je me
suis efforcé de m’adapter à eux et plus j’ai été persuadé du fait que leurs

18
Remarques préliminaires

p­ rogrès sont immenses et qu’ils ont en eux-mêmes la force nécessaire pour


se perfectionner.
Le seul moment où je me suis senti important, c’est quand je voulais
­m’approprier la direction d’une machine, qui, une fois enclenchée, fonction-
nait par elle-même. »
La grandeur de Pestalozzi réside seulement dans le fait d’avoir « entrevu »
l’âme de l’enfant « agissant par lui-même » en faisant d’« immenses ­progrès »
et d’avoir révélé l’importance déterminante de l’attitude de l’« adulte » vis-à-
vis de cette force qui « fonctionnait par elle-même ».
Ce ne fut qu’un épisode dans la vie de Pestalozzi, « un éclair qui éblouit
avant de disparaître », une prodigieuse tentative dont les résultats ne dépen-
daient pas de sa volonté et qui ne serait pas arrivée s’il n’avait pas été aveuglé :
« Je ne sais pas si j’arrive à comprendre comment j’ai pu y parvenir. »
Néanmoins, ce « fait » entraperçu est la preuve de l’existence réelle d’une
merveilleuse énergie latente chez les enfants. Ce fut un épisode spontané
dont les conditions ne purent, par conséquent, pas être étudiées ni repro-
duites. Toute la valeur de l’œuvre de Pestalozzi réside en ceci : avoir mis
­l’enfant en avant, plutôt que l’éducation.
C’est lui qui a découvert « l’or », bien qu’il n’ait pas su ni pu l’extraire et le
purifier pour propager dans le monde sa précieuse richesse.
Les plus grands pédagogues ont toujours « aspiré » à découvrir l’âme de
l’enfant ; ce sont des gens qui ont la foi et qui feraient n’importe quel sacrifice
pour entrevoir cet « or » spirituel.
Ce fut le cas de Tolstoï. Sa fille Tatiana m’a raconté que la première inten-
tion de son cher père avait été de libérer l’âme enfantine. Rabindranath
­Tagore, dans ses écoles en Inde, poursuit cette même inspiration. La pureté
d’un poème, la profondeur d’un roman, sans l’exprimer clairement, invitent à
­explorer l’âme humaine et ce qui s’y joue pendant l’enfance.
Ce qu’on entend par « pédagogie » est complètement étranger à ce grand
sentiment. Ce terme désigne l’ensemble de toutes les petites choses dont
l’homme se vante, comme si le progrès du genre humain dépendait de son
« savoir-faire ».
La vision pestalozzienne de l’école de Stans nous rappelle sans doute une
­réalité. Les enfants qui travaillent beaucoup sans s’éparpiller, qui « veulent,
peuvent, persévèrent et réussissent », heureux plutôt qu’accablés par l’effort,
sont les enfants qui ont la possibilité de se développer psychiquement sans

19
Remarques préliminaires

obstacles, en obéissant à leurs lois internes ; ce sont les « nouveaux enfants »,


et, comme le dit Pestalozzi, ils semblent être d’une autre espèce.
Il s’agit de phénomènes normaux et naturels qui ne peuvent cependant
pas se manifester chez l’enfant s’il est placé dans un contexte social compli-
qué et entièrement dirigé par l’adulte, et s’il ne trouve pas des conditions
­exceptionnelles permettant leurs manifestations.
Comme tous les phénomènes naturels, ceux-ci requièrent des « condi-
tions extérieures favorables » pour pouvoir se révéler. Et de tous les
­phénomènes naturels, ceux qui concernent les manifestations psychiques de
­l’enfant sont ceux qui échappent le plus souvent à la recherche, car il est
­extrêmement facile de les réprimer et, par conséquent, de les ignorer.

Notre œuvre
Pour donner un aperçu de ce que représente ma méthode, on pourrait
p­ artir d’un phénomène semblable à celui de Pestalozzi, bien qu’il se soit
­produit dans des circonstances très différentes, dans la Maison des Enfants,
il y a une trentaine d’années. Ce phénomène, outre le fait de s’être révélé,
nous a ­permis de fixer les conditions nécessaires à sa stabilité, en créant un
environnement favorable aux manifestations psychiques naturelles de l’en-
fant.
L’étude de l’environnement et des conditions extérieures nécessaires au
bon développement psychique se précise peu à peu. Cette étude soulève des
­questions essentielles et détermine toujours mieux les éléments propices au
déploiement des énergies spontanées de l’enfant. C’est ainsi que nos écoles
sont devenues des officines, des laboratoires où s’étudie une nouvelle psycho-
logie, qui libère la personnalité de l’enfant de façon concrète, simple et
­accessible à tous.
Nous avons démontré que l’éducation se trompait jusqu’alors, sans la
­critiquer ni lui opposer de nouveaux idéaux. Nous avons juste rendu possible
une nouvelle éducation ; or il n’y a pas de preuve plus dénonciatrice de ­l’erreur
que de voir une solution alternative réussie et de constater ses bienfaits.

20
Remarques préliminaires

La défense
Toutes sortes de gens plus ou moins instruits ont diffusé de nombreuses
­interprétations erronées au sujet de la psychologie de l’enfant.
Les caractéristiques de « l’ancien enfant », incompris et inhibé dans une
ambiance semée d’obstacles, étaient considérées comme des caractéristiques
normales. Pourtant, la plupart du temps, il s’agissait seulement de manifes­
tations de défense ou d’expression d’un affaiblissement spirituel. Celles-ci
étaient dues au fait que cette ambiance ne pourvoyait pas les moyens néces-
saires à son développement. De telles caractéristiques sont : l’instabilité de
l’attention, la vaine rêverie, l’incapacité de coordonner les mouvements à des
fins utiles amenant à des réactions telles que les caprices, colères, attaques
convulsives, etc. Beaucoup d’autres réactions de défense ou de déviation
peuvent se manifester comme l’égoïsme, l’attachement excessif à la propriété
de choses matérielles, la prépondérance accordée aux besoins du corps
­humain, le mensonge, la timidité, la peur, etc. Tout ce qu’il y a de beau et de
grand dans l’âme humaine restait caché et refoulé, comme dans une réserve
oubliée. De cette manière, la personnalité de l’enfant demeurait inconnue.
L’enjeu concret de l’éducation consiste à fournir à l’âme de l’enfant un envi-
ronnement dépourvu d’obstacles. Les réactions de défense se dissipent alors et
les caractères de ce « nouvel enfant » se révèlent progressivement dans les
recoins de son âme.

L’environnement
Notre méthode a rompu avec les vieilles traditions. Elle a aboli le banc,
parce que l’enfant ne doit pas rester immobile à écouter les leçons que
­prodigue la maîtresse. Elle a aboli l’estrade, parce que la maîtresse n’a pas à
donner de ­leçons collectives comme dans les méthodes habituelles. Ceci est
le premier acte extérieur d’une transformation plus profonde, qui consiste à
laisser ­l’enfant libre, de manière à ce qu’il agisse selon ses tendances natu-
relles, sans aucune contrainte obligatoire, ni programme quelconque, et sans
suivre les préceptes pédagogiques fondés sur les principes « hérités » des
anciennes conceptions scolaires.

21
Remarques préliminaires

Pour remplacer les leçons collectives par l’activité spontanée de l’enfant,


il est nécessaire de lui fournir des supports extérieurs afin que cette activité
puisse s’exercer. C’est la raison pour laquelle nous avons, en premier lieu,
transformé les classes en véritables petites maisons pour enfants, meublées
avec des o­ bjets adaptés à leur taille et à leurs forces : des petites chaises, des
petites tables, des petits lavabos, des coiffeuses miniatures et des petits néces-
saires de beauté, des tapis, des étagères et des meubles de rangement, du linge
de table et des objets en cristal, tout ceci non seulement de petite taille mais
aussi ­assez léger pour qu’un enfant de trois ou quatre ans puisse le déplacer et
le transporter dans le jardin ou sur la terrasse. De plus, ces éléments sont
simples en vue d’être adaptés au corps de l’enfant, plus petit que le nôtre, et à
sa ­mentalité, moins compliquée que la nôtre.
La grande erreur des jouets – des armoires de poupées aux armes ou aux
­châteaux – réside précisément dans le fait qu’ils offrent aux enfants des repro-
ductions miniatures de nos objets complexes, créés pour correspondre à nos
mentalités. Les enfants, en revanche, préfèrent les objets plus simples et
conçus différemment des nôtres. En témoigne le fait qu’ils privilégient
­souvent les objets qu’ils ont fabriqués eux-mêmes.
Mettez un joli petit rideau à la place des volets, des petits guéridons faciles
à transporter ou des petites boîtes au lieu des armoires, des petites tables, des
meubles composés de morceaux de bois recouverts d’une nappe pour
­permettre de les monter et de les démonter. Vous constaterez alors qu’un
­véritable enthousiasme propice à l’activité anime la petite communauté des
enfants. Tout ceci fait de l’école un lieu agréable plutôt qu’un lieu de tour-
ments. De plus, cela a le grand avantage de réduire au minimum le besoin de
ménage dans les classes, ce qui diminue considérablement les dépenses par
rapport aux énormes bancs, fabriqués en bois lourd et en fer, aux immenses
pupitres, aux tribunes, aux trop grandes estrades, tous ces équipements
conçus pour épuiser les énergies de nos chers enfants.
Une fois l’école équipée de ces jolis petits meubles, nous devons inciter
­l’enfant à les utiliser tous, à les déplacer de part et d’autre, à les reconstruire
après les avoir démontés, à les épousseter, à les laver et à les astiquer, mettant
ainsi en place un travail particulier. L’expérience a montré que les jeunes
­enfants s’appliquent à ce travail d’une manière surprenante. En effet, ils lavent
et organisent les objets d’eux-mêmes, avec un véritable plaisir. Ils acquièrent,
ce faisant, des aptitudes précoces qui paraissent presque miraculeuses. Pour

22
Remarques préliminaires

nous, qui ne leur avions jamais donné l’occasion d’exercer ces activités de
manière habile et intelligente, c’est une véritable révélation, car auparavant,
lorsque l’enfant souhaitait utiliser autre chose que ses jouets, il entendait
­aussitôt : « Tiens-toi tranquille ! Ne touche pas à cela ! », répété de façon plus
ou moins catégorique, à chaque fois que ses petites mains se dirigeaient vers
nos objets. Seuls quelques enfants défavorisés avaient le privilège d’imiter
(en cachette ou en usant d’une certaine ruse bien sûr) leur mère qui travaillait
dans la cuisine ou lavait du linge. C’est pourquoi dans les Maisons des E ­ nfants,
où ils ont à leur disposition tant de petits objets simples, avec lesquels ils
peuvent faire un travail sérieux, jusqu’à mettre la table, servir le repas, laver les
assiettes et les verres, les jeunes enfants se trouvent dans un lieu de vie joyeux
dans lequel ils arrivent à se perfectionner, grâce à l’attirance qu’ils ressentent
pour ces objets presque sacrés qu’ils n’avaient auparavant le droit ni d’utiliser,
ni même de toucher. Ils apprennent à déplacer les objets sans les entrecho-
quer, à les déplacer sans les abîmer, à se nourrir sans se tacher, à se laver les
mains sans mouiller leurs vêtements. Ainsi, les objets pour lesquels on
­craignait tant sont maintenus intacts malgré leur fragilité et le fait d’être à la
disposition des enfants, que la plupart considèrent comme des destructeurs.
Les principales raisons de l’immense succès que ma méthode a suscité
dans le monde entier sont : la joie que ressentent les enfants dans nos écoles,
le fait qu’ils s’appliquent à leurs activités et qu’ils maintiennent les objets qui
les entourent en bon état, au lieu de s’employer à des travaux qui poussent à
­gaspiller autant d’objets que d’énergie (comme c’était le cas avec de nom-
breux travaux de Fröbel, aujourd’hui abolis, principale cause d’une myopie
diffuse durant l’enfance).

*
Notre travail et notre proposition ne se sont pas contentés de procurer un
environnement et des occupations matérielles adaptées aux enfants, ils ont
aussi, par analogie, permis l’étude du développement intellectuel.
En bougeant continuellement, l’enfant apprend constamment. Notre plus
grande découverte fut justement cette nécessité que l’enfant a d’une activité
psychique concrète, aussi importante que son activité motrice. Par ailleurs, sa
manière d’apprendre ne peut être guidée pas à pas par l’adulte, parce que ce
n’est pas ce dernier mais bien la nature elle-même qui détermine ses diffé-
rentes aptitudes, en fonction de son âge. Ainsi, dans notre méthode, ce n’est

23
Remarques préliminaires

pas la maîtresse qui guide l’enfant en choisissant pour lui les objets qu’il doit
utiliser (comme c’est le cas, par exemple, dans la méthode de Fröbel, avec ce
qu’on appelle les « dons de Fröbel »). C’est l’enfant lui-même qui choisit
l’objet qu’il utilise « selon ce que lui dicte son esprit créateur ». La maîtresse
cultive un nouvel art et, au lieu d’inculquer des notions dans l’esprit de
­l’enfant, le guide dans son environnement en fonction de ses besoins inté-
rieurs, spécifiques à son âge. Il ne peut y avoir de développement intellectuel
sans exercice, ni d’exercice sans objets externes sur lesquels s’exercer. Il est
pour cette raison nécessaire de préparer pour l’enfant un environnement qui
lui offre des aides au développement (qui ont été déterminées lors d’expé-
riences scientifiques préalables). Il faut aussi laisser l’enfant libre d’évoluer
dans cet environnement, de sorte qu’il puisse se construire avec ces aides.
Chaque enfant exerce donc des choix et pratique des exercices avec du
­matériel scientifique qui lui permet de progresser pas à pas.
Ce qu’il faut en retenir, c’est que la nature dote chaque enfant d’un instinct
qui guide son développement psychique et lui permet de réaliser des travaux
très importants avec enthousiasme et sans fatigue, selon son âge, travaux
qu’aucun maître n’aurait eu l’audace de lui demander.

La grande question
La grande question de l’éducation réside donc dans le respect de la person­
nalité de l’enfant et dans le fait de laisser libre cours à son activité spontanée
au lieu de la contraindre et de la maîtriser. Mais, pour répondre à cette
­question, il ne suffit pas de poser des principes qui pourraient avoir un effet
négatif, comme abandonner l’enfant à lui-même en le laissant suivre n’im-
porte quelle envie. Non, la réponse réside dans une construction positive qui
peut s’énoncer ainsi : pour laisser à l’enfant sa liberté d’action, il est nécessaire
de préparer en amont un environnement adapté à son développement.
Une telle réponse implique la recherche d’aides au développement néces-
saires et adaptées aux besoins psychiques de l’enfant. De cette manière
­l’environnement assume une partie du travail qui, auparavant, incombait
­exclusivement à la maîtresse ; et plus celle-ci laissera l’environnement jouer ce
rôle éducatif, plus l’enfant se développera de façon active et spontanée.
La maîtresse devient alors un trait d’union entre l’enfant et l’environnement.

24
Remarques préliminaires

Elle soigne donc principalement cet environnement car elle en connaît l’im-
portance concrète et sait comment en tirer profit.
Préparer une ambiance psychologiquement adaptée au développement
de l’enfant est un travail scientifique qui fait penser à celui des laboratoires de
psychologie expérimentale, bien qu’il soit essentiellement différent. En effet,
dans les laboratoires de psychologie, la personne véritablement ­active est
celle qui expérimente et qui fait des essais sur les sujets qui se prêtent patiem-
ment à l’exercice, alors que dans l’environnement des enfants, ce sont ces
­derniers qui choisissent eux-mêmes les objets sur lesquels ils interagissent
­librement. La maîtresse est d’autant plus habile qu’elle parvient à faire en
sorte que sa volonté n’influence pas l’activité de l’enfant, car l’autre point
­essentiel est de libérer l’enfant de l’oppression et du joug d’une volonté supé-
rieure, exercée par l’adulte sur le germe caché et délicat qui pousse depuis les
nébulosités de son subconscient.
L’enfant, dans son environnement, est comparable au germe vivant qui est
enfermé dans le cocon que, dans sa sagesse, la nature a conçu pour le protéger
et répondre à ses besoins vitaux.

Les locaux
Étant donné que l’enfant est extrêmement actif de nature, les locaux
doivent avant tout répondre à cette nécessité essentielle et donc offrir suffi-
samment d’espace pour que les enfants de la classe puissent se déplacer libre-
ment. Dans les méthodes traditionnelles, au contraire, l’espace correspondait
plus ou moins au nombre d’enfants assis ou debout et, par souci d’hygiène,
on prévoyait un volume, c’est-à-dire une hauteur de plafond adéquate, afin
que la classe contienne la quantité d’air suffisante pour éviter les dommages
dus à une atmosphère raréfiée, préjudiciable aux voies respiratoires. Dans
notre méthode, nous considérons plutôt la superficie de la pièce que son
­volume – sachant que l’on peut ouvrir les fenêtres pour faire circuler l’air.
C’est pour cela qu’il faut autant d’espace libre que celui que tous les enfants
occupent lorsqu’ils sont assis, afin de faciliter le déplacement des personnes
et des ­objets. Ceci est la première différence entre la Maison des Enfants et les
autres écoles : l’environnement accorde plus d’importance à l’âme de l’enfant
qu’à son corps.

25
Remarques préliminaires

Le nouveau concept
Une autre différence consiste à isoler les groupes d’enfants (les classes),
non seulement en leur affectant à chacun une salle, comme cela se fait dans les
écoles ordinaires, mais en faisant aussi en sorte qu’elles puissent fonctionner
de manière autonome et indépendante. Cela implique de diminuer la taille
des grosses écoles ordinaires où des centaines d’enfants s’accumulent dans
une promiscuité chaotique. Partout où il y a du terrain disponible et les
moyens économiques qui le permettent, il serait souhaitable de construire
pour chaque groupe d’enfants de véritables petites maisons isolées. On y
­accéderait par de petits escaliers, il y aurait des petites fenêtres, dont les volets
permettraient à un enfant de trois ans de regarder à l’extérieur tout en étant
assis dans la classe, ainsi que des portes légères et de simples rideaux faciles à
ouvrir. Et si cet idéal n’est pas réalisable, il faut au moins faire en sorte que
chaque groupe soit indépendant des autres, de telle sorte que, tout en étant à
l’intérieur des mêmes locaux, il ne soit pas nécessaire que tous empruntent le
même escalier, partagent des salles communes, etc., en s’inspirant des m ­ aisons
modernes qui se construisent de manière à ce que chaque famille ait au moins
sa propre entrée, un escalier et un jardin séparés de ceux des autres f­amilles
vivant dans le même bâtiment. On peut ainsi améliorer la vie collective, parce
que si un groupe humain n’a pas la possibilité de s’enfermer dans ses propres
limites, il ne peut pas s’organiser, et les individus qui le composent ne trouvent
pas la tranquillité et l’ordre indispensables au développement de leurs
­énergies.
De surcroît, il importe de disposer d’autres locaux, outre ceux des classes,
comme, par exemple, des petites pièces pour faire des salons de lecture ou de
repos, une cuisine, une salle à manger, des galeries, un jardin. Ces ajouts ne
sont pas indispensables mais utiles puisque nous cherchons à créer un lieu de
vie pour l’enfant, c’est-à-dire fonder « le monde » des enfants qui, jusqu’à
présent, n’étaient pas reconnus comme étant des petits hommes avec des
­besoins plus délicats et plus importants que ceux des adultes. Quand il y a
plusieurs classes dans les mêmes locaux, une seule cuisine peut suffire,
­pourvu que les repas soient servis à chaque groupe séparément pour que les
­enfants aient la sensation d’être en famille et non dans la cantine d’une
­auberge bondée. En ce qui concerne les petits salons, on peut couper les
angles avec des murets ornés de fenêtres fleuries, de manière à ce que les

26
Remarques préliminaires

classes soient octogonales, ce qui est une forme plus esthétique et chaleu-
reuse que celle de l’inévitable rectangle qui nous accompagne du berceau au
tombeau.

L’aménagement
L’intérieur de la grande pièce de travail (la salle de classe) doit être joyeux
et agréable. De petites tables claires, de petites chaises légères, des guéridons,
des armoires, des étagères, des vases de fleurs, des tableaux, de petites statues
et des rideaux de couleurs variées, autant d’éléments qui forment le cadre
dans lequel on dispose des objets d’usage pratique. Ce matériel de ­travail
­répond à une réelle et véritable nécessité indispensable, parce que ces objets
sont précisément ce qui permet à l’enfant de choisir une activité en se fixant
un objectif intelligent et formateur.

Le travail d’entretien
Le travail qui, selon notre expérience, se révèle être adéquat pour l’enfant
de trois à quatre ans, consiste à conserver les objets existants et non pas à en
produire d’autres. Les activités manuelles qui lui sont proposées ont été
­sélectionnées entre les nombreux travaux nécessaires à l’entretien d’un
­environnement propre et ordonné – comme, par exemple, balayer le sol,
épousseter, mettre les objets à leur place, etc. –, ou le soin de la personne et
l’hygiène – comme se laver, se coiffer, se vêtir ou se dévêtir – et, enfin, les
­activités complexes par excellence : dresser la table, manger correctement,
débarrasser la table, laver la vaisselle et les couverts et tout remettre en ordre.

L’ordre
Les mots « remettre chaque chose à sa place » s’inspirent de l’un des
­principes essentiels qui caractérisent notre environnement. En effet, remettre
chaque objet à sa place suppose qu’une place lui ait été préalablement
­assignée. Mieux on remplit cette condition dans l’environnement, plus

27
Remarques préliminaires

c­ elui-ci aura sur les actions des enfants le pouvoir ordonnateur qui lui est
propre. Cette indication suffit pour comprendre que l’environnement guide
l’ordre et l’organisation sociale.

Les limites
Il en découle une autre condition, purement psychologique, à savoir :
d­ éterminer la quantité d’objets que l’enfant utilise réellement dans ses activi-
tés et que sa mémoire est capable de localiser dans son environnement ; d’où
la nécessité de limiter la quantité d’objets présents. L’enfant qui entre dans sa
« Maison » pour travailler doit, pour ainsi dire, en avoir en tête une photo-
graphie exacte et expérimenter la satisfaction de déjà connaître tous les objets
et la place que chacun occupe. À partir de ce point, si plaisant et tranquilli-
sant, se forme la propriété intellectuelle de l’enfant étant donné que, à cet
égard, il possède en lui-même l’ambiance dans laquelle il est amené à vivre.

L’organisation
Toute action qui amène l’enfant à se servir des objets et, par conséquent,
à les déplacer, doit se terminer en les remettant non seulement à leur place
mais aussi en bon état et comme il les a trouvés. Ainsi, par exemple, après
avoir utilisé un tapis, il le brossera avant de le remettre à sa place ; et s’il a
mouillé une quelconque carafe en changeant l’eau des fleurs, il l’essuiera
­ensuite ­soigneusement. Mais comme les objets qui lui ont servi pour essuyer
et b­ rosser ont aussi une place attitrée et qu’il faut les maintenir propres, les
­actions s’enchaînent les unes aux autres, ce qui conduit l’enfant à organiser sa
propre pensée, qui est celle qui doit le diriger.

La simplicité
Les objets d’usage doivent être adaptés à l’enfant par leurs dimensions et
leur poids, mais aussi par la simplicité avec laquelle ils ont été conçus. Si les
chaises et les meubles étaient trop sophistiqués ou ornés, il serait difficile et

28
Remarques préliminaires

fatigant de les dépoussiérer ; si les commodes s’ouvraient d’une manière


compliquée ou avaient des tiroirs qui ne coulissent pas facilement, il est fort
probable que l’enfant perdrait tout intérêt et renoncerait à les ouvrir. C’est
pour cela que la simplicité doit être une caractéristique de tous les objets qui
sont à la portée de l’enfant.

La beauté
Il faut également prendre en compte la beauté et l’esthétique des choses,
qui ont une très grande importance. Tout objet, aussi insignifiant soit-il, doit
avoir son attrait particulier. Les chiffons qui servent à dépoussiérer, par
exemple, doivent être de différentes couleurs, bordés d’un ruban et munis
d’une boucle pour les suspendre à une accroche reluisante ou à tout autre
crochet, chacun devant pouvoir être rangé à une place distincte. Le moindre
balai doit avoir un joli manche, décoré avec des anneaux de différentes
­couleurs ou avec des fleurs, pourvu qu’il soit attrayant ; et ce jusqu’à la pelle à
balayures qui doit être un objet aussi reluisant qu’un miroir, ou tout autre
instrument qui attire l’attention de l’enfant et l’invite à en prendre soin.
De la sorte, les motifs d’activité rationnelle, qui incitent l’enfant à atteindre
un but déterminé, l’entourent de toutes parts, et, pour ainsi dire, dotent les
­objets d’une voix pour captiver son attention.

La voix des objets


Tandis que, dans les écoles ordinaires, l’enfant n’entend pas le banc sombre
et immobile qui le déprime, il entend continuellement la douce voix de la
petite table légère, claire et reluisante. Elle attire son attention sur la moindre
tache, poussière ou tout ce qui est inutilement posé sur elle. « Viens, semble-
t-elle dire à l’enfant, retire cette feuille qui est posée sur moi ; sèche cette
goutte d’eau qui me mouille ; retire la couche de poussière qui atténue ma
beauté. » L’enfant rend alors service au bel objet et, à force de répéter ces
services, il s’y attache et l’entoure de soins attentionnés.

29
Remarques préliminaires

Les petites chaises légères se renversent facilement si l’enfant agité les


heurte, la voix des objets lui dit alors : « Je suis tombée ! Tu m’as offensée ! »
L’enfant la redresse et se déplace ensuite plus prudemment.

Le contrôle de l’erreur
Le fait que les meubles légers se renversent ou se déplacent au moindre
­ ouvement désordonné, que l’objet fragile se brise quand il tombe, que la
m
tache soit visible sur un fond clair, que la poussière ternisse le lustre d’un
meuble, ces faits donnent voix aux objets qui signalent qu’une erreur a été
commise. « Tu m’as détruit ! » dit le joli vase délicat qui a volé en éclats,
or l’enfant est aussi sensible à ce reproche que s’il avait brutalement été
­réprimandé par le maître. Le vase brisé, gisant là, immobile, semble aussi faire
de la peine à l’enfant. Souvent, des pleurs inconsolables jaillissent alors, nous
­avertissant, nous les adultes, que notre mission devrait alors se résumer à
consoler et réconforter. Lorsque l’adulte fait à ce moment-là un reproche à
l’enfant, son âme sensible risque de se rebeller, ce qui n’arrive jamais vis-à-vis
des objets passifs, inertes tels des victimes muettes ; or c’est justement cette
vulnérabilité qui touche les fibres les plus profondes et délicates de l’âme
­enfantine.

L’élan intérieur
Il est surprenant de voir à quel point l’enfant s’intéresse aux exercices de
vie pratique. Il ne le fait pas comme nous le ferions nous ; il ne se contente pas
seulement d’atteindre le but externe qu’il s’était fixé ; nous le voyons souvent
nettoyer scrupuleusement un objet, cherchant de nouveaux angles et de nou-
veaux recoins à laver, faisant tout son possible pour faire durer ce n­ ettoyage.
Parfois, il cherche sous la table un peu plus de poussière que celle qu’il vient
d’épousseter. Il arrive que l’enfant semble déçu lorsque le vase qu’il astiquait
est devenu si brillant qu’il n’y a plus rien à nettoyer. Nous le voyons courir de
toutes parts vers ce qui est en désordre. La tache lui donne envie de la ­nettoyer,
sans même qu’il cherche à savoir qui l’a faite. Lorsqu’une chaise tombe, un
enfant accourt sans être responsable de ce désordre. Les enfants agissent alors

30
Remarques préliminaires

de façon consciencieuse, même s’il n’est pas certain qu’ils y soient pour
quelque chose. Un jour, un enfant se déplaçait en laissant tomber des gouttes
qui salissaient le sol ; un jeune enfant arriva aussitôt pour les nettoyer,
­réprimandant en même temps l’auteur de ce dégât, mais dès que ce dernier
eut terminé de salir le sol, un autre lui dit : « Pourquoi ne mets-tu pas quelques
gouttes par ici ? » C’est évidemment le goût du travail qui motive l’enfant et
non l’objectif extérieur qu’il cherche à atteindre. Il nettoie, travaille avec soin
et patience, en proie à une impérieuse sollicitation intérieure qui le pousse à
agir. C’est l’enfant et non l’environnement qui éprouve le besoin d’une telle
activité. C’est l’enfant qui tient à manipuler des objets pour organiser et
­coordonner ses mouvements. Poursuivre un objectif est une activité com-
plexe qui implique toute sa personne et permet son bon développement.
Le travail des enfants est de construire des hommes. Le but de leurs actions
externes est vital.
Ceci s’observe chez les enfants dès leurs premières années. Un jour, dans
le parc public de Rome appelé el Pincio, j’ai vu un jeune enfant, d’environ un
an et demi, magnifique et rieur. Il portait un seau vide et une petite pelle et
s’évertuait à recueillir des gravillons de l’allée pour remplir son seau. Il était
accompagné par une nourrice très soignée, enjouée, pleine de bonne volonté
pour prendre soin de cet enfant avec affection et sollicitude. Il était déjà
l’heure de rentrer chez soi et la nourrice exhortait patiemment le petit de
laisser son travail et de revenir dans la poussette. Mais, comme ces ­exhortations
restaient infructueuses face à l’obstination de l’enfant, elle se mit à r­emplir
elle-même le seau de petits cailloux, prit le jeune enfant dans ses bras, ­l’installa
dans la poussette et plaça le seau à côté de lui, convaincue qu’elle l’avait satis-
fait. Les hurlements de l’enfant et l’expression de protestation que je vis alors
sur son visage, face à la violence et à l’injustice, retinrent mon a­ ttention. Ce
que souhaitait le jeune enfant n’était pas que le seau soit plein de petits gra-
viers, mais faire lui-même le nécessaire pour le remplir, ­répondant ainsi à un
besoin intérieur. L’objectif qu’il poursuivait était sa ­formation ­intérieure. Le si
vif attachement au monde extérieur n’était qu’une ­apparence : il s’agissait
d’un élan vital impérieux. En effet, s’il avait rempli le seau, il ­l’aurait vidé aus-
sitôt pour recommencer à le remplir plusieurs fois, jusqu’à ce que cet élan soit
comblé.
Les enfants ne sont pas compris, parce que l’adulte les juge pour eux-
mêmes et, croyant qu’ils choisissent des buts extérieurs, les aide amoureuse-

31
Remarques préliminaires

ment à les atteindre, sans comprendre que l’objectif primordial de l’enfant


n’est autre que celui de se développer. Le charmant petit enfant du Pincio
voulait coordonner ses propres mouvements volontaires, exercer ses forces
musculaires en soulevant des objets, sa vue pour calculer les distances,
son ­intelligence grâce au raisonnement nécessaire pour remplir le seau, et
l’exercice de sa propre volonté dans la réalisation d’une action. La nourrice,
croyant que ce qu’il désirait était d’avoir un seau rempli de gravillons, l’avait
déçu au lieu de le contenter.

La direction
On déduit de tout ce qui vient d’être exposé que, dans la Maison des
­Enfants, conformément à son organisation, c’est une maîtresse bien préparée
qui ­dirige le développement des activités de l’enfant. Sa principale tâche
consiste à maintenir l’environnement dans un ordre parfait, en conservant les
objets intacts et en veillant à ce qu’ils soient correctement rangés. « Tout
objet a sa place spécifique, et tout objet doit retourner à la place qu’il
­occupait. »
Une fois ce principe posé, le devoir de la maîtresse consiste à initier
­progressivement les enfants à l’usage de tous les objets qu’il y a dans l’environ­
nement. Parce que, bien que les enfants soient toujours désireux de faire
quelque chose et qu’ils aient à portée de main les objets les plus attrayants et
adaptés à leurs désirs, ils ne peuvent pas deviner la manière dont ceux-ci s’uti-
lisent. De cela découle la nécessité de l’initiation de chaque activité et de
chaque travail. Mais lorsque les enfants apprennent en observant ceux de leur
âge, ou lorsque les plus grands initient suffisamment les plus jeunes, la
­maîtresse doit s’abstenir d’intervenir, satisfaite et certaine que sa discrétion
est la clé d’un plus grand succès.
Une fois initié avec suffisamment d’exactitude à un exercice, l’enfant n’a
plus besoin de leçons ni d’injonctions et continue son travail selon son propre
­jugement, l’adaptant de temps en temps aux circonstances, tout comme nous,
les adultes, nous répétons les tâches coutumières et quotidiennes en oubliant
qu’on nous a jadis appris à les faire ou que nous les avons vu faire.

32
Remarques préliminaires

Le nouvel état esprit


Il est important d’exprimer ici quel doit être le nouvel état d’esprit de la
­maîtresse qui dirige une classe, soignant l’environnement et s’efforçant
­purement et simplement de mettre les enfants en relation avec lui.
Cet état d’esprit diffère radicalement de celui des anciennes maîtresses,
qui se considéraient comme le centre d’intérêt pour les enfants et la source de
leur éducation.
En effet, notre matériel n’est pas un auxiliaire didactique pour que les
­enfants comprennent mieux les enseignements des maîtresses, comme dans
les ­anciennes leçons de choses. Et l’environnement n’a pas pour objectif de
­faciliter à la maîtresse l’éducation des enfants qui lui sont confiés. Les leçons
de choses considèrent les objets comme un pont tendu entre l’esprit de la
maîtresse et celui des enfants et sont par là même un trait d’union entre
­l’enseignant et le disciple ; par conséquent, au lieu de remplacer la transmis-
sion traditionnelle de l’adulte à l’enfant, elles confortent la place centrale
qu’occupe la maîtresse dans l’éducation en traitant les enfants comme des
réceptacles passifs. Les leçons de choses ont certainement soulagé la fatigue
éprouvée par les élèves pour comprendre les enseignements, mais elles conti-
nuent à réprimer les impulsions spontanées de la personnalité de l’enfant et
l’empêchent de prendre des initiatives.
Ce serait donc une très grande erreur que de considérer l’environnement
comme un support matériel à l’instar des objets dans les leçons de choses.
Il faut bien comprendre que, dans notre méthode, il ne s’agit pas de pourvoir
l’ancienne maîtresse de nouveaux moyens d’enseigner, mais qu’il s’agit bien
d’abolir l’esprit intrusif de l’ancienne maîtresse.
C’est l’environnement qui contient les moyens de développement et c’est
à lui que revient la tâche d’éduquer ; la maîtresse n’est rien de plus que le trait
d’union entre l’enfant et l’environnement.
C’est l’enfant qui choisit et s’exerce, mais il a pour cela besoin d’une aide
­extérieure et doit être initié au matériel pour le connaître et savoir s’en servir,
et c’est à cela que se limite l’enseignement de la maîtresse.

33
Remarques préliminaires

Les cadres à lacer et à boutonner

La pratique
La maîtresse qui s’est bien imprégnée de ces principes possède la clé pour
savoir comment procéder dans les premiers pas de l’éducation active.
Si l’on prive l’enfant de guide, il est désordonné dans ses mouvements, et
ce désordre est la caractéristique spécifique des petits. En effet, « ils ne sont
jamais calmes », « ils touchent à tout », ce que nous avons l’habitude de
qualifier de « travers et de méchanceté ».
Les adultes aimeraient leur interdire de faire ces mouvements, scandant
l’avertissement monotone et inutile : « Reste calme, ne touche pas à ça »,
tandis que l’enfant cherche dans ses divers exercices l’occasion d’organiser et
de coordonner les mouvements qui lui sont utiles en tant que petit d’Homme.
Nous devons par conséquent renoncer à la vaine tentation de réduire
l’enfant à l’immobilité ; il faut l’aider à organiser ses mouvements, en le
dirigeant vers des activités qui motivent ses efforts.
Tel est l’objectif de l’éducation motrice à cet âge. Une fois qu’on a orienté
l’enfant vers un objectif bien défini, ses mouvements sont ordonnés et il
grandit tranquille et content. Il devient ainsi un travailleur actif, un être
paisible et rempli de joie.
L’éducation des mouvements est l’un des principaux aspects de l’apparence
extérieure de la « discipline » que l’on observe dans les Maisons des Enfants.

34
Remarques préliminaires

La mission de la maîtresse consiste, par conséquent, à organiser le travail


d’une façon adaptée à cette petite société.

Les exercices de vie ­pratique


Les occupations de la vie pratique qui sont accessibles aux petits sont
­variées et toutes se réfèrent aux soins de la personne ou de l’environnement.
Dans le soin de la personne, le plus difficile est d’apprendre à s’habiller et
se déshabiller, parce que cela requiert des mouvements délicats et précis pour
joindre les différentes parties du vêtement au moyen de boutons, rubans, etc.
Pour faciliter l’apprentissage de tout ceci, il y a dans mon matériel didac-
tique une collection de cadres d’habillage qui sont faits de pans de tissus, de
cuir, etc. Ceux-ci peuvent se fermer, à la main, avec des boutons, des lacets, en
fait par toutes sortes de moyens que notre civilisation a inventés pour nouer
nos vêtements, chaussures etc.
La maîtresse, assise à côté du siège de l’enfant, fait les mouvements de
doigts nécessaires, très lentement et scrupuleusement, marquant des pauses
entre ses mouvements, pour en souligner les différentes étapes, les rendant
claires et minutieuses.
Une des premières actions sera de réunir les deux pans de toile, de manière
à ce que les bords soient joints pour pouvoir être boutonnés ou lacés. Puis, s’il
s’agit du cadre d’habillage des boutons1, la maîtresse montrera à l’enfant les
différentes étapes de cette action. Elle prendra le côté des boutonnières, les
placera en face des boutons et disposera les boutonnières sur les boutons de
manière ajustée et avec attention. De la même manière, comme pour
­apprendre à un enfant à nouer, elle distinguera le moment pendant lequel elle
noue les rubans de celui où elle fait les boucles.
Ces leçons ne sont pas nécessaires pour tous les enfants ; ils s’enseignent
les uns les autres et, de leur propre gré, entrent dans l’analyse des m
­ ouvements
avec une grande patience en faisant des gestes bien séparés, très lents et
­soignés.

1. Les cadres d’habillage ont été étoffés pour répondre aux vêtements contemporains et s’adapter aux
mécanismes actuels d’habillage (fermeture à glissière, velcro, boutons pressions, boucles etc.).

35
Remarques préliminaires

Enfants en train de manipuler des cadres d’habillage

L’enfant peut s’asseoir dans la position la plus confortable et placer son


cadre sur une table. Comme il ferme et ouvre le même cadre d’habillage à de
­nombreuses reprises et avec grand intérêt, il acquiert une souplesse inhabi-
tuelle de la main et nourrit le désir de fermer des vêtements pour de vrai dès
qu’il en aura l’occasion. Nous voyons des enfants plus petits désirant ­s’habiller
par eux-mêmes et habiller leurs compagnons. Ils recherchent ce type d’occu-
pation et se défendent de toutes leurs forces quand l’adulte intervient pour les
aider.
De la même manière, pour l’enseignement d’autres mouvements moins
­compliqués comme se laver les mains, par exemple, la maîtresse doit inter­
venir au début, n’employant que les mots strictement nécessaires pour attirer
l’attention de l’enfant, mais avec des gestes très précis, parce qu’un discours
inutile distrait celui-ci de l’objectif qu’il poursuit.
« Apprendre à se mouvoir » est la clé pour obtenir dans la classe la
­discipline et l’ordre. Plus on enseigne de mouvements, plus on tend vers la

36
Remarques préliminaires

finalité qui est de permettre à l’activité de l’enfant de se développer de m


­ anière
­ordonnée.
Pour cela, la maîtresse doit également enseigner les mouvements les plus
­fréquents du quotidien comme, par exemple, se lever et s’asseoir, prendre et
poser des objets, ramasser ce qui est tombé et bien le remettre à sa place,
­remettre les objets à une autre personne, ouvrir et fermer des portes, céder le
passage, et ainsi de suite.
De la même manière et avec le même soin, la maîtresse enseignera l’usage
des objets les plus communs et l’exécution des actions nécessaires de la vie
­pratique, comme nettoyer des taches, rincer le sol détrempé, dépoussiérer les
meubles et les tapis, étendre ceux-ci sans les froisser, etc.
Mais en tout ceci, l’enseignement de la maîtresse doit seulement consister
en une indication, en une touche qui suffit pour que l’enfant apprenne à faire
ce qu’il doit faire.

37
Remarques préliminaires

Le travail le plus complexe, celui qui exige la plus grande attention de


la part de la maîtresse, est de servir le repas, parce que dans ce travail un autre
­élément intervient, celui de la répartition du travail ; si ceux qui préparent
sont peu nombreux, ceux qui profitent de cette préparation, eux, sont nom-
breux. Il est par conséquent nécessaire d’organiser un roulement pour les
fonctions de serveurs. Ceux qui vont jouer ce rôle doivent prendre leur repas
avant la ­communauté et revêtir des tabliers différents de ceux de leurs cama-
rades. Lorsque la table est mise et que chaque convive s’est installé à sa place,
les petits serveurs passent en faisant le service de la soupe ou d’un autre plat
­préparé pour le repas des enfants. Une fois le repas terminé, un autre groupe
de petits s’occupent de débarrasser la table, retirer les nappes et remettre
chaque chose à sa place.
Pour cela, la maîtresse doit enseigner toutes les actions avec la plus grande
exactitude, pour que les enfants sachent poser les assiettes sur la table sans
faire de bruit, porter les plateaux de verres sans qu’ils se choquent les uns les
autres, placer les serviettes et les couverts sur la table et, surtout, se servir des
couverts et se nourrir en se tenant bien, sans salir les nappes ni tacher leurs
vêtements.

Les travaux manuels


Les exercices d’appropriation et les travaux de conservation de l’objet sont
tout à fait adaptés pour les petits enfants, qui les apprécient instantanément ;
ce goût inscrit dans la durée devient une habitude acquise.
Bien que ces travaux soient caractéristiques des Maisons des Enfants, ils
n’y sont pas la seule occupation manuelle. Les travaux de jardinage, de
­semailles et de récolte, ainsi que d’autres activités de ce type, pourraient aussi
être i­ntroduits dans la vie du groupe parce qu’ils sont particulièrement
­adaptés aux enfants de cinq à six ans.
Dans le domaine du travail manuel reproductif de construction d’objets,
c’est avec succès que nous avons proposé des activités avec de l’argile, c’est-à-
dire la fabrication de petits pots et d’objets faits de glaise, grâce à l’utilisation
d’instruments simples. Ces objets, une fois peints, durcissent en séchant à la
chaleur du four. Dans le même genre, on peut proposer la fabrication de
briques, dont la taille fait le quart des briques habituelles, utilisées dans la

38
Remarques préliminaires

construction de petites maisons ; et pour les carrelages on suit le même


­procédé, les carreaux étant vernis et durcis au four.
Les enfants apprennent à revêtir les murs avec du carrelage brillant, blanc,
uni ou avec différents dessins, et à paver le sol avec des briques, en utilisant du
mortier et un maillet. Ils ouvrent aussi de petites tranchées pour les fonda-
tions et lèvent des murs porteurs, ils participent même à la construction de
petites cabanes pour les volailles.

Les moyens et les procédés d’un


perfectionnement ­collectif
Le perfectionnement des mouvements ne s’atteint pas uniquement en
r­épétant exactement les exercices de la vie pratique. Dans les Maisons des
Enfants, les exercices de gymnastique, qui plaisent tant aux petits, contri-
buent grandement à l’atteinte de cet objectif.
Les exercices auxquels je vais me référer requièrent, contrairement à ce
que nous avons dit au sujet des autres exercices, l’intervention constante de la
maîtresse et la collaboration de groupes d’enfants, voire de toute la classe.
Ce sont des exercices collectifs qui s’ajoutent à l’activité multiforme, indivi-
duelle et spontanée des enfants, qui, d’ordinaire, se soucient uniquement de
leurs propres occupations.
La maîtresse sort alors de son attitude passive de gardienne de l’ambiance
et s’éloigne du type d’enseignement individuel lors duquel elle initie l’enfant,
faisant mine de lui révéler un secret que lui seul s’apprête à connaître.
La ­maîtresse donne dans ce cas des leçons « collectives », bien que très
simples et recourant plus aux mimes qu’aux paroles.
L’un de ces exercices consiste à marcher sur la ligne et a pour objectif
­d’apprendre à garder l’équilibre et perfectionner la démarche, ce qui est la clé
de la coordination des mouvements les plus variés, parce que tous présup-
posent le fait primordial que la personne doit avoir un bon équilibre.
Un autre exercice collectif, qui exige la collaboration parfaite de tous les
élèves, s’appelle « la leçon de silence ». Cela consiste en un effort progressif
de chaque enfant pour atteindre en même temps que ses compagnons une
immobilité complète. Et comme tout bruit ou toute rumeur va de pair avec

39
Remarques préliminaires

un mouvement, la caractéristique de cet exercice est le « silence ». Celui-ci


résulte d’un effort accompli et représente un des moyens le plus surprenant
pour atteindre le calme et la discipline.

L’exercice sur la ligne


On trace sur le sol de la classe (avec une craie ou, mieux encore, avec de la
peinture pour que cela dure plus longtemps) une ligne de forme elliptique,
sur laquelle on peut marcher, en posant bien le pied dessus de manière à ce
que la ligne soit située sous la plante du pied. La précision de la mise en place
du pied est la première chose qu’il faut enseigner : il s’agit d’aligner la pointe
et le talon. Quand on essaye de marcher de cette façon, on a l’impression
qu’on va tomber : c’est bien la preuve que cet exercice demande un effort
pour garder l’équilibre. Lorsque l’enfant commence à savoir marcher de cette
manière, on lui apprend à surmonter une autre difficulté, à savoir : avancer de
sorte que la pointe d’un pied touche le talon de l’autre pied. Cet exercice est
un bon entraînement pour garder l’équilibre et faire attention à l’emplace-
ment des pieds. De plus, il se fonde sur l’élan instinctif qu’ont tous les enfants
de marcher sur une poutre ou sur une barre quelconque. Cet instinct explique
le grand intérêt que les petits ont pour cet exercice de marcher sur la ligne et
pourquoi ils l’ont adopté avec tant d’enthousiasme dans nos écoles.
La maîtresse, pendant ce temps, joue au piano, au violon ou à un autre
instrument à corde, non pas pour que les enfants fassent des exercices ryth-
miques accompagnés de musique, mais pour animer le mouvement, ce qui
est très utile quand il faut faire un effort.

Les exercices concomitants


Parmi le matériel de nos écoles se trouve une série de petits drapeaux de
­différentes couleurs qui plaisent beaucoup aux enfants. Ceux qui marchent
sur la ligne, dès qu’ils ont surmonté les premières difficultés – c’est-à-dire
­parvenir à garder l’équilibre –, peuvent prendre un de ces petits drapeaux,
pourvu qu’ils sachent le maintenir en l’air. Si l’enfant ne fait pas très attention
en tenant son bras très haut, le drapeau se détend peu à peu, détournant le

40
Remarques préliminaires

point d’attention. Lors de cet exercice, l’enfant doit répartir sa vigilence :


il doit à la fois placer ses pieds avec soin sur la ligne et ne pas bouger le bras
avec lequel il soutient le petit drapeau.
Les exercices que l’on fait par la suite pour perfectionner l’assurance des
­mouvements sont de plus en plus difficiles et minutieux. Il s’agit par exemple
de marcher sur la ligne en portant dans les mains un verre rempli presque
jusqu’à ras bord, avec un liquide coloré, sans que celui-ci ne déborde ; ou une
clochette que l’on prendra en passant et qui doit rester immobile, droite,
­perpendiculaire tandis que l’on marche sur la ligne sans produire le moindre
son : la clochette (si elle tinte) signale instantanément toute maladresse ou
tout manque d’attention.
Ces exercices stimulent les petits ; ils trouvent en eux un très grand intérêt.
Cette gymnastique si amusante les rend peu à peu maîtres de tous leurs
­mouvements et nourrit la confiance qu’ils ont en eux-mêmes. J’ai vu des
­enfants portant plusieurs cubes superposés parcourir toute l’ellipse sans
qu’un seul ne tombe ; j’en ai vu d’autres tenir une clochette sans jamais la faire
tinter.

Le silence
À l’inverse de toutes les tentatives jusqu’alors réalisées dans les pratiques
é­ ducatives, l’exercice que je décris ici ne consiste pas à produire, mais à
­éliminer tous les sons et les bruits, autant que faire se peut. Ma « leçon de
­silence » a été très appliquée, même dans les écoles où le reste de ma ­méthode
n’a pas été exploitée. Cela s’explique sans doute par son effet pratique sur la
discipline des enfants.
Dans cet exercice, on enseigne aux enfants à ne pas se mouvoir ; à inhiber
leurs moindres impulsions motrices qui peuvent jaillir à tout moment et,
pour les inciter à cette réelle immobilité, on les initie au préalable à l’observa-
tion de tous leurs mouvements. Le maître ne se contente pas alors de leur
dire : « Restez calmes », mais il leur montre l’exemple, en se tenant lui-même
­parfaitement calme, c’est-à-dire les pieds immobiles, les bras immobiles, la
tête immobile. Les mouvements respiratoires s’effectuent aussi sans produire
le moindre son.

41
Remarques préliminaires

La façon dont on termine cet exercice doit aussi être enseignée aux en-
fants. Il faut absolument pour cela être dans une position confortable, c’est-à-
dire une position d’équilibre. S’ils sont assis pour cet exercice, sur une petite
chaise ou au sol, ils doivent le rester jusqu’à la fin de l’exercice. Une fois
­l’immobilité obtenue, on laisse la pièce dans une semi obscurité, ou bien les
enfants f­ erment les yeux, ou les recouvrent de leurs mains.
Il est facile de percevoir l’intérêt que les enfants portent au « silence » :
on voit qu’ils essayent spontanément de s’initier à quelque chose qui
­ressemble à un commencement de méditation. Progressivement, chaque
­enfant, en s’observant lui-même, devient de plus en plus calme ; le silence
s’installe au point de devenir absolu, comme le crépuscule qui descend peu à
peu jusqu’au moment où le soleil se couche.
C’est alors qu’on entend les sons les plus ténus, ceux qui étaient jusqu’alors
inaudibles : le tic-tac de l’horloge, le pépiement des moineaux dans le jardin,
le vol du papillon…
Le monde se remplit de sons imperceptibles qui envahissent le silence
croissant, sans pour autant le perturber, de la même façon que les étoiles
brillent dans le ciel noir sans amoindrir l’obscurité de la nuit.
En découvrant ce nouveau monde, on se repose de notre environnement,
comme quand le crépuscule succède aux bruits assourdissants et aux c­ lameurs
qui accablent l’esprit. Ce dernier se sent alors libre et s’ouvre, tout comme les
corolles des campanules s’ouvrent une fois la nuit tombée.
Cessons les métaphores pour revenir à la réalité des faits : lorsque cessent
complètement toutes les impressions vives, la brillance et le tumulte de la
journée, sommes-nous capables de résorber en nous-mêmes les sentiments
qui nous habitent ? Non. Il ne s’agit pas de regretter le jour, mais de libérer
notre esprit. On devient alors plus sensible aux émotions spontanées,
­devenues fortes et persistantes, changeantes mais sereines.

« À l’heure où le marin se sentait isolé, le cœur sensible, il voulait le dilater. »


Dante

La leçon de silence se termine par un appel général du prénom de tous les


enfants. La maîtresse, ou l’un des enfants, se place dans la classe ou dans une
pièce à côté, puis appelle les enfants, un par un, par leur prénom : l’appel se
fait à voix très basse, presque sans produire de sons. Cela requiert une grande

42
Remarques préliminaires

attention de la part de l’enfant qui veut entendre son prénom. Quand il a été
appelé, il doit se lever et aller vers la maîtresse : ses mouvements doivent être
rapides et vigilants ; il lui faut être maître de lui-même « pour ne pas faire de
bruit ».
Lorsque les enfants arrivent à bien faire « le silence », leur ouïe a acquis
une grande finesse de perception des sons. Les bruits retentissants leur sont
de plus en plus désagréables une fois qu’ils connaissent le monde du silence
et des sons délicats. Dès lors, spontanément, les enfants se perfectionnent
peu à peu. Ils marchent lentement, veillent à ne pas cogner les meubles, à
déplacer leur chaise sans bruit et à poser les objets sur les tables avec soin.
Le résultat de tout cela se perçoit dans la grâce de leurs mouvements ; cela
enchante toute l’ambiance. Il ne s’agit pas d’une grâce extérieure inculquée
pour s’afficher, mais d’une grâce née du plaisir qu’a ressenti l’esprit dans
­l’immobilité et le silence. L’âme de l’enfant désire se libérer elle-même de la
gêne occasionnée par les bruits trop assourdissants qui sont des obstacles à la
paix de l’esprit pendant le travail. Ces enfants, gracieux comme les pages d’un
prince, se rendent service à eux-mêmes, et à leur propre esprit.
Cet exercice développe tout spécialement l’esprit social, plus que toute
autre leçon ou situation. On peut toujours obtenir un silence profond, même
avec cinquante enfants, dans un petit espace, si on donne à tous les enfants le
moyen d’être calme et si on leur enseigne ce qu’il y a à faire pour cela. Mais la
turbulence d’un seul enfant est capable de rompre tout le charme.
Cela démontre qu’il est nécessaire que tous les membres d’une commu-
nauté coopèrent pour atteindre un but commun. Les enfants développent
progressivement un pouvoir d’inhibition croissant ; certains d’entre eux,
pour ne pas troubler le silence, évitent de chasser une mouche posée sur leur
nez ou se retiennent de tousser ou d’éternuer.
La qualité de cette activité collective s’apprécie à la manière dont les en-
fants se déplacent pour ne pas faire de bruit pendant toute la durée du travail.
Le soin avec lequel ils marchent sur la pointe des pieds, la grâce avec laquelle
ils vont chercher un verre ou placent un objet sur une table, sont des qualités
qui doivent être acquises par tous afin que l’ambiance devienne tranquille et
­paisible. Il suffit d’un rebelle pour ne pas obtenir un tel résultat : un enfant
bruyant, lorsqu’il marche ou qu’il ouvre la porte, peut perturber l’atmosphère
paisible de toute la petite communauté.
LISTE
DES EXERCICES
LIÉS À LA VIE
PRATIQUE
Liste des exercices liés à la vie pratique

Exercices adaptés aux enfants


de quatre à cinq ans
Verser de l’eau d’un récipient à un autre (par exemple d’une bouteille à un
verre, une tasse ou une timbale) en prenant soin de ne pas verser de l’eau sur
le sol et sans toucher le rebord des récipients.
Remplir d’eau une bouteille ou un pichet, en ouvrant et fermant bien le robi-
net pendant que le récipient est en dessous, en veillant à ne rien renverser sur
le sol et sans remplir le contenant jusqu’à ras bord.

Applications
Se laver les mains dans une cuvette, dans laquelle on verse de l’eau depuis un
broc, puis vider l’eau sale dans un récipient.
Mettre de l’eau en carafe pour la servir à table ; servir de l’eau dans les verres
des convives.

Laver une table


• Laver la surface d’une table en utilisant :
- un récipient d’eau ;
- du savon ;
- une éponge ;
- un chiffon pour sécher.
• Ne pas verser de l’eau sur le sol.
• Ne pas se mouiller les manches ni le tablier.
• Laver les chiffons de nettoyage avec du savon dans un petit lavoir ou dans le
lavabo, avec une planche de lavage en bois ou un autre ustensile ­semblable.

Laver et sécher
• Essorer et étendre le linge propre.
• Laver des verres et les sécher.
• Laver des assiettes et les sécher.
• Laver les vitres des fenêtres ou des cadres, avec les méthodes adéquates
selon les coutumes de chaque pays (avec des moyens mécaniques ou des

46
Liste des exercices liés à la vie pratique

substances chimiques), tout en veillant à ce qu’elles ne présentent aucun


danger pour la santé des enfants.

Changer l’eau des fleurs


• Couper et disposer des fleurs.
• Utiliser un vase pour les mettre en valeur.
• Couper la partie inférieure des tiges.
• Ôter les fleurs et les feuilles fanées.
• Arroser les plantes d’intérieur qui sont en pot.

Transporter et repositionner
• Transporter des petits colis.
• Déplacer des pots et des vases de fleurs de l’intérieur vers l’extérieur, le
jardin, la terrasse, etc.
• Transporter des objets sur un plateau : du pain, des verres, des assiettes, etc.
• Transporter du linge déjà repassé dans des paniers appropriés.
• Replacer les objets qu’on a utilisés sur l’étagère.
• Placer des vêtements dans une penderie, en les plaçant sur des cintres.
• Suspendre les casquettes et les chapeaux sur les crochets adéquats.

Ouvrir et fermer
•  uvrir et fermer des portes et fenêtres en les accompagnant de la main
O
pour ne pas faire de bruit.
• Ouvrir et fermer d’une manière similaire les portes des armoires et
­placards.
• Ouvrir et fermer des boîtes et étuis.
• Ouvrir des boîtes particulières comme, par exemple, des boîtes de cirage,
de pâte dentifrice2, etc.
• Savoir utiliser différents mécanismes de fermeture tels que verrous,
­serrures, poignées, etc.

2. Le dentifrice ne se conditionne plus en boîte de nos jours, on utilise aujourd’hui des boîtes courantes dans
la vie quotidienne, telles que des pots de crème hydratante, des pots de confiture miniatures, etc.

47
Liste des exercices liés à la vie pratique

• Ouvrir des boîtes avec un code secret.


• Savoir utiliser les dispositifs de fixation des persiennes, des glissières, des
­loquets, etc.

Plier
•  lier avec soin et exactitude les nappes, les serviettes, les chiffons de
P
­nettoyage, etc.
• Repasser en utilisant des outils qui ne soient pas dangereux3.

Couper
•  ouper avec une paire de petits ciseaux des rubans ou des petits cordons,
C
comme ceux qui servent dans les commerces pour attacher des paquets.
• Couper les tiges des fleurs.
• Couper les branches sèches et les fleurs fanées.
• Couper des morceaux de carton pour recouvrir les verres de la table4.
• Couper des cartons dessinés au préalable, en suivant les contours, pour
les placer sur la table, en guise de sous-verres.

Couper avec un couteau


• Utiliser des couteaux sans pointe et dont la lame est élimée.
• Utiliser un couteau pour éplucher des pommes de terre, des radis, des
navets ou autres légumes.
• Couper le pain avec un couteau, ou avec une machine si on en a une.

Applications diverses
• Ordonner les objets de la classe.
• Balayer.
• Épousseter.
• Dresser la table pour le repas.

3. Comme des fers à repasser chauffant très peu.


4. En guise de décoration.

48
Liste des exercices liés à la vie pratique

e pour le repas
de dresser la tabl
Enfants en train

• Servir la nourriture.
• Se nourrir en se tenant bien.
• Se lever de table.
• Prendre soin des nappes.
• Plier les nappes et les serviettes.
• Remettre chaque chose à sa place.

Dans la cuisine
• Faire tremper des graines.
• Broyer des ingrédients dans le mortier.
• Battre des œufs.
• Faire des mélanges pour préparer des sauces.
• Éplucher et couper des légumes.
• Préparer des salades.
• Faire des purées simples.
• Faire la distinction entre les fruits et les légumes.
• Préparer des pots pour la confiture.
• Faire du beurre à partir du lait.
• Tamiser la farine.
• Couper des pommes de terre, des tomates, des carottes, etc.

49
Liste des exercices liés à la vie pratique

Travail de jardinage
• Ôter les mauvaises herbes.
• Humidifier les plantes dont les
feuilles sont sèches.
• Balayer les feuilles mortes.
• Ratisser.
• Arroser.
• Engraisser la terre.
• Débarrasser les fruits des insectes.
• Enlever les petits asticots et les
parasites.
• Récolter les fruits dans des
paniers appropriés.
• Faire sécher les fruits au soleil.
• Placer des tuteurs pour les
rdinage
plantes arboricoles. aux travaux de ja
Enfants occupés
• Récolter les plantes et les
légumes.
• Récupérer les œufs du poulailler et les conserver.
• Nourrir les poules et les pigeons.

Prendre soin de sa personne


• Se laver les mains.
• Se laver les dents.
• Prendre un bain.
• Prendre une douche.
• Se coiffer.
• Se laver les cheveux.
• Se rincer la bouche fréquemment.
• Brosser ses habits.
• Faire briller ses chaussures.
• Mettre et plier des vêtements.
• Utiliser les toilettes correctement.

50
Liste des exercices liés à la vie pratique

L’analyse des mouvements


• Ouvrir et fermer des tiroirs.
• Ouvrir des portes et des volets, avec ou sans clé.
• Se lever et s’asseoir.
• Transporter des objets.
• Transvaser des liquides.
• Poser des objets avec délicatesse.
• Couper les feuilles d’un livre5.
• Allumer des bougies.

Les bonnes manières en société6


• Saluer.
• Offrir.
• Inviter quelqu’un à entrer ou à sortir.
• Céder le passage.
• Ramasser des objets tombés sur le sol.
• Réparer les dommages causés par inadvertance par d’autres camarades.
• Accompagner quelqu’un.
• Présenter ses excuses.
• Éviter de gêner en passant devant quelqu’un.
• Se moucher sans faire de bruit désagréable.
• Ne pas se présenter à quelqu’un sans s’être préparé au préalable (en
s’étant lavé, coiffé, en ayant ajusté ses vêtements, etc.)
• Se laver les mains avant le repas.
• Ne pas toucher malencontreusement les personnes.
Ces exercices de grâce et courtoisie doivent être enseignés à l’enfant
parce qu’il ne peut les connaître autrement, mais une fois qu’il les maîtrise, il
s’agit de le laisser libre de les appliquer quand cela lui paraît pertinent dans les
diverses circonstances de sa vie quotidienne, sans le reprendre s’il ne les
­utilise pas correctement ni en l’invitant à les utiliser s’il oublie de le faire.

5. Ceci n’est plus une activité nécessaire, elle peut être remplacée par ouvrir une enveloppe par exemple.
6. Ce que nous nommons « Les exercices de grâce et courtoisie ».
LES DÉTAILS
DE LA VIE
PRATIQUE
Les détails de la vie pratique

Tous les objets servant à une même série d’exercices sont disposés dans un
ordre précis dans un panier ou sur un plateau, toujours placé au même ­endroit,
afin que l’enfant le trouve toujours avec facilité lorsqu’il le cherche, pour ne
pas altérer son enthousiasme. Les objets sont soigneusement remis à leur
place après chaque exercice.
Il est souhaitable que tout le mobilier soit construit dans des matériaux
peu denses afin que les meubles soient légers et facilement déplaçables, ce qui
permettra de les transporter au jardin et de pouvoir y travailler lors des belles
journées d’hiver et dès que le temps le permet, en particulier lors des exer-
cices qui impliquent l’utilisation de l’eau.
Il est aussi souhaitable que l’enfant, quelle que soit l’occupation à laquelle
il se consacre, puisse être assis pendant qu’il travaille, ce qui lui donnera une
­sensation de repos, permettant à son système nerveux de se trouver dans un
parfait état de tranquillité. Ainsi peut-il dédier toute son attention à son
­travail.
L’environnement doit être soigné de manière à ce que l’enfant puisse se
consacrer successivement à différents travaux ; cependant, il n’est pas néces-
saire que ceux-ci soient répétés de manière régulière. Ces travaux offrent un
champ étendu d’activités et, surtout, une magnifique stimulation au désir de
FAIRE de l’enfant. Si, en plus, les objets utilisés pour les exercices sont
­préparés, obtenus ou élaborés de manière à être jolis et attractifs et que les
exercices deviennent collectifs, l’enfant se révélera être un travailleur
­infatigable. Il est incroyable de voir la qualité et la quantité de travail dont ils
viennent à bout à un si jeune âge !
Deux enfants de quatre à cinq ans peuvent laver les assiettes d’un petit
­déjeuner de trente convives ; six à huit enfants du même âge peuvent laver
tout le mobilier de l’école.
Il est fréquent que l’enfant continue de s’exercer longuement à des travaux
même lorsque ces derniers sont déjà terminés (par exemple : laver la table qui
a déjà été lavée, faire briller des chaussures qui sont déjà suffisamment
­brillantes). En aucun cas il ne faut l’interrompre ni lui faire des observations
inopportunes au risque d’affecter son enthousiasme ou de paralyser son
­activité.

54
Les détails de la vie pratique

L’hygiène personnelle

Se laver les mains


Il s’agit d’un travail qui plaît généralement beaucoup à l’enfant ; c’est pour
cette raison qu’il faut lui permettre de le faire autant de fois qu’il en exprime
le désir.

Le matériel
Une petite cuvette ou bassine, disposée à une hauteur convenable, avec un
broc pour l’eau (en aluminium si possible parce que ce matériau est le plus
léger et le moins cassable de surcroît), une petite soucoupe pour le ­savon, ou
mieux encore un porte-savon, et une autre petite coupelle pour les petites
brosses (en hiver il est souhaitable d’utiliser de l’eau chaude, et si le climat est
soumis à de brusques refroidissements, pour éviter les ­crevasses, on doit
­appliquer une crème pour adoucir la peau). Il faut, enfin, disposer d’un seau
ou d’un récipient pour l’eau usée.
Il est très utile d’aménager ces lave-mains dans la classe même, plutôt que
dans une pièce à part avec un lavabo ; certes, celui-ci est agrémenté d’un
­robinet mais il n’offre pas à l’enfant la possibilité de verser l’eau d’un récipient
à un autre, ce qui, par conséquent, fait perdre tout son intérêt à l’exercice ;
l’enfant ne sent pas dans ce cas le désir de le faire plus souvent que quand le
professeur le lui demande ni de lui-même comme c’est le cas normalement.
La leçon comment se laver les mains est l’une des plus importantes et doit
être répétée par les enfants le plus fréquemment possible. Chaque objet
­nécessaire pour cette activité doit être préparé avec soin ; l’enfant choisit alors
cet exercice spontanément et il est probable qu’il se lave les mains, même
quand ce n’est pas absolument nécessaire, en les frottant avec du savon et en
les ­brossant même quand elles sont déjà propres.

L’analyse des mouvements


Prendre le broc à deux mains et l’incliner lentement ; verser l’eau dans la
cuvette, se retrousser les manches afin de ne pas les mouiller ni les salir.
Mettre les mains dans l’eau, les retirer de la cuvette et les secouer ou les
­égoutter. Prendre le savon ; se savonner les mains ; remettre le savon à sa
place ; se frotter les mains l’une contre l’autre ; mettre la brosse dans l’eau et

55
Les détails de la vie pratique

l’en sortir, après s’être brossé les ongles avec, la remettre à sa place et recom-
mencer ; se sécher les mains en les frottant soigneusement (en particulier les
extrémités, qui doivent rester très propres et lustrées) ; verser l’eau usée dans
la cuvette ; nettoyer la cuvette avec un chiffon approprié et s’assurer que
chaque objet est bien remis à sa place avant de remplir la jarre d’eau,
pour qu’elle soit prête à resservir.
Se laver les mains fréquemment est l’exercice que les enfants semblent
­préférer.

Se laver les dents


Une petite brosse est nécessaire pour cet exercice. Il faut éventuellement
un verre pour chaque enfant, ainsi qu’une petite serviette. Chaque petite
brosse à dents doit être marquée aux initiales d’un enfant. Il faut aussi une
cuvette pour l’eau usée et du dentifrice. Afin que l’exercice soit le plus at-
trayant possible, on changera de temps en temps le type de dentifrice. Il ­serait
mieux que le lavabo soit facilement transportable pour qu’à la belle saison cet
exercice puisse être fait dans le jardin, et si ceci n’est pas possible pour des
raisons météorologiques, cela pourra être réalisé dans la pièce de toilette ou
dans la classe ; les plus jeunes effectuent cette activité en arrivant à l’école,
ceux de trois ans ont tendance à répéter cette activité deux à trois fois pendant
la classe.
Il faut leur montrer comment on frotte les dents avec la brosse, notam-
ment les molaires, en veillant à ce que les mouvements de la brosse agissent
sur toute la superficie des dents en frottant soigneusement. Il faut montrer
que l’on n’avale pas l’eau.
Les enfants aiment encore plus faire cette activité s’ils peuvent la faire en
se regardant dans un miroir. Ils la font alors avec un plus grand intérêt.

Se coiffer
Chaque enfant aura sa brosse et son peigne soigneusement marqués. Un
miroir avec une petite chaise et, si possible, une petite console, sur laquelle on
trouve tous ces objets et tout ce qui est nécessaire pour se nettoyer les ongles.
Généralement, les enfants ont beaucoup de plaisir à se coiffer, surtout
quand ils arrivent à bien lisser leurs cheveux emmêlés et décoiffés.

56
Les détails de la vie pratique

s chaussures
Le nettoyage de

Prendre soin de ses ongles


Une lime, de la crème pour les mains et une peau de chamois7, sur la table
de toilette ou près du lavabo ; dans ce cas, il faut aussi disposer d’une petite
serviette pour se sécher les mains.

Brosser ses habits


Pour cette activité, il faut qu’il y ait une brosse dans chaque pièce, ou au
moins dans la classe et dans le vestiaire. La bonne manière de l’utiliser peut
être montrée en leçon collective.

Nettoyer ses chaussures


On dispose au moins d’une caisse avec tout le nécessaire, à savoir : une
brosse rugueuse pour enlever la boue, une brosse pour étaler le cirage, une
autre pour faire briller et une boîte de cirage. Ces objets sont placés dans le
vestiaire ou dans la classe. Si cette opération se pratique dans la classe, mieux
vaut pouvoir disposer d’une petite table recouverte d’une toile cirée et d’une
petite caisse pour contenir les objets mentionnés.
Pour mener à bien cette opération, il est préférable que l’enfant se
déchausse. On peut montrer comment utiliser ces objets lors d’une leçon

7. Maria Montessori recommandait l’utilisation d’un morceau de tissu en daim, appelé peau de chamois, on
utilise plutôt une brosse à ongles aujourd’hui.

57
Les détails de la vie pratique

c­ ollective. On veille à toujours conserver ces objets en bon état de propreté


pour que ce travail ne devienne pas une activité sale et désagréable, sans au-
cune valeur éducative.
On veille également à ce que les brosses aient un aspect attrayant et que la
boîte à ­cirage puisse se fermer et s’ouvrir facilement.

L’entretien de la classe

Balayer
Il doit y avoir des balais et un collecteur ou une pelle à balayures ; si on
utilise cette dernière, elle doit être recouverte en sa moitié pour faciliter le
travail car, sinon, les petits jettent les saletés sur les côtés ; si la pelle est recou-
verte, cela évite aussi que la poussière ne se répande dans la classe. On montre
comment on balaye jusqu’à ce qu’il ne reste pas un morceau de papier ou tout
autre type de saleté sur le sol. Les enfants ressentent un grand plaisir à balayer,
on ­observe qu’après un certain temps, ils vont par eux-mêmes à la recherche
de la p­ oussière, dès qu’ils se rendent compte que le sol n’est pas tout à fait
propre.

Dépoussiérer
On s’efforce de trouver des plumeaux composés de plumes de différentes
couleurs, afin qu’ils aient un aspect le plus attrayant possible. On montre de
manière pratique comment il faut enlever la poussière et comment cette
­dernière a tendance à se déposer le plus souvent dans les angles, dans les stries
et sur les reliefs des meubles ; on constate alors à quel point les petits doigts
des enfants sont beaucoup plus habiles que ceux des adultes ; on utilise un
pinceau pour enlever la poussière des meubles dans les recoins peu ­accessibles.

Nettoyer des meubles


Cette opération, qui plaît souvent particulièrement à l’élève, n’est possible
que si les meubles sont vernis (on en trouve qui le sont tels quels même dans
des coloris attractifs, agréables et clairs).

58
Les détails de la vie pratique

Pour cet exercice on a besoin d’une éponge, d’une peau de chamois et


d’un petit tablier en toile cirée ou en caoutchouc, pour travailler avec de l’eau
et du s­avon. En premier on applique le savon, en imprégnant un chiffon
­humide jusqu’à obtenir de la mousse ; avec ce chiffon, ainsi légèrement
­savonné, on frotte la table en s’efforçant de ne pas la rayer, en nettoyant toute
la saleté qu’il peut y avoir à la surface du vernis ; ensuite on rince avec de l’eau
propre et, finalement, on sèche la table en frottant énergiquement avec la
peau de ­chamois8 jusqu’à ce que la table soit lustrée comme avant l’exercice.
Une fois que la table est propre, on y replace les objets qu’on avait préala-
blement mis de côté. On veille à ce que les habits ne se mouillent pas et à ce
que le sol ne devienne pas une mare pendant cette activité, car un exercice au
cours duquel on utilise de l’eau a moins de valeur éducative s’il se transforme
en inondation.

Faire briller des objets de métal


On met tout ce qui est nécessaire à ce travail dans un panier avec de jolies
couleurs, le liquide pour polir dans une petite bouteille (à moins que ce ne
soit un tube), une petite soucoupe pour y verser une petite quantité de ­liquide
ou de pâte et une peau de chamois ou un tissu de laine usé pour faire briller.
En plus, un petit tablier ciré. On fait une leçon collective la plus complète
possible.
L’objectif est atteint lorsque l’objet resplendit comme s’il était neuf ; son
­aspect attractif fait oublier les efforts que l’enfant a fournis en exécutant ce
travail. On peut polir de la sorte les couverts, les robinets, les boutons de
­métal et tous les objets métalliques qui sont susceptibles d’être polis.

Nettoyer les vitres


On nettoie les vitres de la classe, les verres des cadres, les miroirs. C’est
aussi un travail qui attire beaucoup les enfants pour les résultats obtenus ;
il doit être exécuté avec grand soin ; ce sont souvent les plus grands qui le

8. De nos jours, nous utilisons plutôt un chiffon pour sécher la table.

59
Les détails de la vie pratique

préfèrent. Pour le réaliser, on utilise des chiffons usés, doux et très secs pour
faire briller (il est souhaitable de mélanger un petit peu d’alcool9 à de l’eau).

Nettoyer les tapisseries, tapis et rideaux


Il est souhaitable de faire cet exercice à l’extérieur en tapant les tapis de
n­ ombreuses fois des deux côtés avec des perches ou des bâtons de bois
flexibles.

Laver et repasser du linge


Cet exercice s’effectue si possible dans le jardin et on a besoin d’un petit
lavoir pour le réaliser, d’une grande bassine pour rincer, d’un panier pour
­transporter le linge, de cordes pour l’étendre et de pinces à linge en bois, de
savon solide et de savon en poudre.
On peut laver tout le linge qui est utilisé dans l’école : les nappes, les ser-
viettes de table, les serviettes, les chiffons, les tabliers, etc.
Une fois égoutté et sec, le linge se repasse avec un fer électrique, en veillant
à ce que sa manipulation ne puisse pas entraîner de problèmes du fait d’un
manque d’attention ou d’une humidité excessive.

Préparer des aliments


Avant de commencer toute activité culinaire ou liée aux aliments, il faut se
laver les mains soigneusement et toujours préparer un nombre suffisant
­d’assiettes. Car on ne doit pas mélanger les légumes déjà préparés avec ceux
qui ne le sont pas encore. Il faut prendre en compte le fait que, pour ce type
de travail, la propreté et l’exactitude augmentent considérablement l’intérêt
de l’enfant. Les aliments doivent être préparés en évitant d’être trop tripotés.
On veille à utiliser des petites cuillères spéciales pour les boissons chaudes
ou le sucre.

9. L’alcool n’est plus en usage de nos jours, on mélange de l’eau à du produit nettoyant pour vitre.

60
Les détails de la vie pratique

Laver et couper des légumes


On utilise des couteaux de petite taille et sans pointe, une planche pour
c­ ouper les légumes, des assiettes pour placer ceux qui sont déjà coupés, et, en
plus, un récipient pour mettre les déchets ; une assiette avec de l’eau et un
chiffon bien propre, pour frotter certains légumes (comme les pommes de
terre, les radis, les navets, etc.). On veille à ce qu’aucune pelure ou autre type
de déchet ne tombe sur le sol.

Tartiner
On peut étendre du beurre ou de la confiture sur du pain. On peut aussi
éventuellement couper des petits oignons ou des radis en morceaux et les
disposer sur le pain. Afin de donner plus d’attrait à la préparation et à la pré-
sentation de l’assiette, on peut placer sous le pain un petit carton de couleur
attractive que l’on a découpé.
D’autres exercices peuvent être envisagés, comme râper du chocolat,
­couper des citrons et les presser pour préparer des limonades, etc.

Dresser et desservir la table


Ceci est un travail très compliqué qui requiert une grande attention. Il a
par ailleurs une valeur éducative importante. Celui qui le fait doit constam-
ment s’efforcer de se rappeler l’ordre dans lequel doivent être placés les diffé-
rents objets qui sont utilisés pendant le service ; comment placer ceci ou
cela ? Cela revient finalement à disposer les objets pour obtenir la symétrie
recherchée.
Les nappes, les serviettes de table, les ronds de serviette, les fourchettes,
les cuillères, les couteaux, les petites cuillères à café et à dessert, les petits
­drapeaux, les verres et les coupes pour l’eau et le vin, les panières, les assiettes
à dessert, etc. Les salières et les autres accessoires d’un service minutieux
peuvent être placés de manière amusante afin de rendre le travail plus attrac-
tif, spécialement si cela permet aux enfants de prendre des initiatives et de
suivre leur propre intuition et leur goût personnel. Les nappes pliées en
quatre se placent avec méthode, tenues à chaque extrémité par un enfant, de
sorte qu’elles restent bien étendues, recouvrant complètement la table, sans
qu’il y ait plus de tissu d’un côté que de l’autre. On y place ensuite les assiettes

61
Les détails de la vie pratique

comme le montre le professeur, puis les couverts de part et d’autre de l’as-


siette, la cuillère, la fourchette, le verre et la serviette ; les enfants continueront
la tâche par eux-mêmes, exerçant leur goût pour choisir là où ils vont placer
les a­ ccessoires tels que les petits drapeaux, les vases, etc.

Servir à table
Les petits serveurs portent des petits tabliers spéciaux et, si possible,
prennent leur repas avant les autres. Puis ils se lavent les mains et se recoiffent ;
en un mot, ils se préparent à rendre ce service de la manière la plus digne
possible. Les assiettes sont servies à la gauche du convive, mais on servira
seulement les plus petits ; les autres se serviront eux-mêmes. Les serveurs
veilleront à débarrasser les assiettes vides, de manière à ce qu’aucun enfant
n’ait à les ­appeler ou à les attendre. Chaque serveur doit porter une petite
serviette pour sécher, si nécessaire, un verre ou une bouteille renversée pen-
dant le service.
Les objets utilisés sont placés sur un plateau prévu à cet effet et sont trans­
portés vers l’endroit où ils sont lavés. Avec une brosse ou une petite balayette,
on enlève les miettes avant de replier les nappes en suivant les mêmes plis.
Ce travail est réalisé par deux enfants. Enfin, le sol est balayé autour de la table.

Laver les assiettes


Les ustensiles nécessaires : un évier portatif et une cuvette pour rincer ;
d’un côté une petite table pour les assiettes sales, de l’autre un égouttoir, une
brosse et des torchons pour sécher. Il est bien entendu plus facile de laver les
assiettes du petit déjeuner que celles des autres repas. Un ou deux enfants
peuvent ­laver et deux autres peuvent sécher.
Si c’est possible, mieux vaut être assis pendant que l’on sèche. Les usten-
siles secs doivent être rangés en évitant les mouvements superflus.

62
Les détails de la vie pratique

Enfants en train de laver la vaisselle

Faire briller les couteaux


On a besoin pour cette activité de poudre à polir préparée en amont ; elle
peut être issue d’une pierre ponce finement pulvérisée, ainsi que des acces-
soires que l’on pense nécessaires10. Le plus important est que tous ces usten-
siles soient réunis dans un petit panier. Avant de commencer le travail, on
place une toile cirée sur la table pour éviter de la salir.

10. Il faut resituer ces exemples dans leur contexte historique. On n’utilise plus ce genre de produits de nos
jours et on choisit des activités adaptées à notre temps.

63
Les détails de la vie pratique

Le soin des plantes et des animaux

Les plantes en pot


Avant d’arroser, surtout en hiver, il est important de toucher la terre avec
le doigt pour vérifier son degré de sécheresse. Peu après avoir arrosé, on
égoutte l’eau qui sort par le petit trou du fond du pot qui serait resté en excès
dans la coupelle. On peut éventuellement humecter la plante avec un pulvéri-
sateur ou en l’éclaboussant avec les doigts, obtenant ainsi une plus grande
fraîcheur des fleurs. Les grandes feuilles peuvent être nettoyées avec une
­petite brosse11.

Les grandes fleurs


On n’en met pas trop dans le même vase ; on change l’eau des fleurs, soit
tous les jours, soit tous les deux ou trois jours, afin que les fleurs puissent
­résister quelques jours supplémentaires ; on les sort une à une du vase et on
les i­ mmerge dans de l’eau fraîche, on coupe l’extrémité de leur tige et on retire
avec soin les éléments fanés, tant des fleurs que des branches.

L’aquarium
On place dans chaque classe un petit aquarium avec des petits poissons et
des plantes aquatiques. On nourrit les poissons un jour sur deux et on change
l’eau deux fois par semaine en procédant de la sorte : en plongeant l’extrémité
d’un tube de plastique dans l’eau de l’aquarium et en aspirant à l’autre extré-
mité, on crée un vide qui produit un débit d’eau continue, que l’on peut verser
dans un récipient préalablement prévu pour récupérer la quantité d’eau que
l’on ­souhaite changer.
Ensuite on verse lentement de l’eau propre dans l’aquarium en la laissant
­couler sur la main et de celle-ci à l’aquarium.
Par ailleurs, on peut avoir d’autres petits animaux qui sauront toujours
­éveiller l’intérêt des enfants : des grenouilles, des grillons, des lézards, etc.

11. De nos jours, on utilise une petite éponge.

64
Les détails de la vie pratique

On peut même avoir une fourmilière dans une boîte soigneusement protégée
par une vitre.

Conclusion sur les activités


de vie pratique
Pourquoi inciter l’enfant à exécuter ces travaux liés à la vie pratique ? Parce
qu’ils répondent parfaitement à son intense désir d’agir. Le jeune enfant fait
ses premières expériences en utilisant les ustensiles qui sont à sa portée et qui
attirent constamment son attention, formant la base de son environnement
quotidien. Il a tous les jours l’opportunité de faire des actions simples et de
répéter des séries de mouvements organisés et simultanés ; il étudie ainsi
leurs effets sur ses membres (cf. mon livre intitulé L’Enfant).
Le petit enfant qui a appris à marcher aime se déplacer d’un endroit à un
autre en transportant des objets ; il fait alors ses premières tentatives pour
modifier son environnement. Vers trois ans, il commence à s’intéresser aux
travaux évoqués précédemment.
Après une brève présentation, le petit peut choisir d’effectuer lui-même
ses travaux. Il n’a aucun besoin des conseils ni de l’aide de l’adulte ; son travail
et ses résultats lui appartiennent et procèdent de son initiative.
On peut comparer cela à ce qu’on appelle les travaux manuels qui sont
­aujourd’hui proposés en priorité aux enfants de cet âge ; pour les réaliser, le
petit a constamment besoin d’aide et de conseils de la part de l’adulte, et avec
cela on prétend développer son expression artistique ! Il serait vraiment
­nécessaire que les éducateurs se mettent à observer l’enfant directement au
lieu de se perdre dans un océan de théories philosophiques d’une valeur
­douteuse.
Le résultat de toutes ces activités de vie pratique est bien visible : des
chaussures lustrées, des assiettes propres, des objets de métal reluisants, des
­vêtements soignés, autant de preuves manifestes du travail exécuté. Ces
­travaux donnent par ailleurs à l’enfant l’occasion d’exercer sa force, ce qui est
pour lui une nécessité physiologique.
L AIDE
AU DÉVELOPPEMENT
INTELLECTUEL
L’aide au développement intellectuel

Pour aider au développement intellectuel, avant de lui présenter ce que


l’on appelle généralement la culture, on offre à l’enfant des moyens naturels
relatifs à deux points essentiels : la capacité de s’orienter dans son environ­
nement, d’une part, et le cheminement mental vers le passage à l’abstraction,
d’autre part. Ce développement mental n’est pas, comme on le croit générale-
ment, uniquement mécanique : les stimulations laissent une impression sur
les sens, mais elles suscitent également une activité intérieure constructive
qui possède des pouvoirs particulièrement importants pendant les premières
années de vie. C’est précisément ces potentiels que nous appelons les périodes
sensibles, phases où l’enfant est en mesure d’acquérir et de reconnaître
­d’innombrables images qui l’entourent, et ainsi de conquérir psychiquement
le monde extérieur. De telles conquêtes lui permettent d’ordonner son ­activité
psychique, c’est-à-dire que l’enfant ne se borne pas à récolter des images,
il ­organise aussi son activité par leur biais en fonction de leur stimulation.
Lorsque l’enfant vient au monde, il se trouve dans un état de vide absolu
quant aux stimulations des sens. Il entre violemment dans une existence satu-
rée de stimulations éparses : tactiles, auditives, visuelles, o­ lfactives et gusta-
tives qui sont prodiguées de manière chaotique par l’environnement exté-
rieur ; toutes ces sensations l’assaillent et le sollicitent de toutes parts, suscitant
son attention. Son premier travail est de se construire, de se former une
conscience du monde extérieur et de collecter les sensations, telles qu’elles se
présentent dans son environnement par le biais des objets ; chacun d’entre
eux présente, on peut même dire illustre, selon ses qualités, un ensemble de
stimulations. C’est ainsi que l’enfant prend peu à peu conscience de tout ce
qui l’entoure.
Ce n’est que plus tard que l’esprit est en mesure de sélectionner l’objet, les
qualités ou caractéristiques qui lui sont inhérentes, et ceci par un phénomène
naturel qui permet le passage de la sensation à l’abstraction.
C’est à ce moment que la catégorisation des sensations acquiert toute son
importance. C’est ce que nous appelons, de manière impropre, le raffinement
des sens.
C’est dans la formation de ce plan supérieur que l’école peut efficacement
aider l’enfant à établir un ordre fondamental entre les différentes perceptions
des odeurs, des sons, des formes, des impressions tactiles, en appréciant leurs
intensités et en établissant des comparaisons entre leurs différents degrés.

68
L’aide au développement intellectuel

On pourrait appeler cela l’aide à la construction mentale, à l’abstraction.


Il s’agit d’une véritable orientation intérieure.
Cependant, rien, aucun élément matériel ne correspond à ce travail dans
le monde extérieur, parce que tout objet regroupe différentes qualités.
Il n’existe pas un seul corps dans la Nature qui réunisse à lui seul toutes les
gammes possibles d’une couleur, qui contienne toute la palette chromatique,
ni aucun objet capable de reproduire l’infinité des sons, c’est pourquoi il est
nécessaire de faciliter l’appréhension de ces sensations au moyen de stimula-
tions abstraites, dans un ordre intérieur.
C’est la raison pour laquelle nous nommons ces activités le matériel des
abstractions matérialisées. Il est nécessaire de représenter les différentes
­stimulations au moyen d’objets qui, puisqu’ils sont concrets, possèdent les
qualités capables de réveiller cette abstraction ; ce problème se résout en
construisant une série d’objets à première vue identiques, mais qui, en réalité,
contiennent la progression de toute une gamme graduée d’intensités ou de
quantités.
Ces objets sont les plus importants de tous ceux que nous trouvons dans
l’environnement de l’enfant de cet âge (de quatre ans, quatre ans et demi).
Nous les appelons, dans leur ensemble, le matériel pour l’éducation sensorielle12.
Ce matériel aide l’esprit à s’organiser, ce qui arriverait de toute manière, mais
avec moins de précision.
L’utilisation de notre matériel permet à l’intelligence de l’enfant de s’exer-
cer de façon systématique ; il l’oblige à effectuer un travail de comparaison et
de sélection qui lui permet de reconnaître et d’identifier les différentes
nuances de couleurs, de qualités, de quantités, de mettre en lien les contrastes,
de construire des gradations nuancées de diverses perceptions, et, en consé-
quence, de rectifier de lui-même les erreurs qu’il aurait commises. Et tout ce
résultat s’obtient au moyen et avec la collaboration du mouvement, parce que
même dans le développement de ces exercices, l’élève se voit obligé de m ­ anier,
placer et déplacer les différents objets de façon précise.
De tels exercices l’obligent ainsi à acquérir, avec une énergie enthousiaste
les éléments fondamentaux de la culture : lire, écrire et compter, au moyen
d’objets qui ont une même signification, c’est-à-dire qu’ils représentent ces
abstractions que sont le langage et la science du nombre.

12. Aujourd’hui, ce matériel est appelé le matériel sensoriel.

69
L’aide au développement intellectuel

C’est pour cette raison que les Maisons des Enfants sont de véritables
écoles dans la mesure où l’on y apprend des enseignements considérés comme
indispensables. Pour autant, ce n’est pas une école à l’ancienne qui évoque un
lieu de martyre, de torture et d’esclavage cruel, dont on garde un très mauvais
souvenir, comme une espèce de calvaire nécessaire pour se racheter des
­ténèbres de l’ignorance13.
Dans la Maison des Enfants, grâce aux exercices spontanés que les enfants
choisissent et réalisent librement en suivant leurs intuitions personnelles, ils
développent leur intelligence, leur personnalité et leur dextérité en utilisant le
­matériel. Ils acquièrent de surcroît des habiletés et des aptitudes qui les
poussent à faire de nouveaux efforts toujours plus importants. L’apprentis-
sage de l’écriture devient une conquête enthousiasmante, un exercice dont
l’attraction est irrésistible, et l’enfant, joyeux et triomphant, surmonte le
­timide obstacle rencontré au seuil de l’instruction.
Les moyens de développement, que nous décrivons plus loin ont été
­élaborés en s’inspirant des orientations de la psychologie. Celles-ci requièrent
des expériences de laboratoire qui visent à observer les réactions des sujets
aux stimuli externes qui peuvent se mesurer et être gradués. Bien que se ­basant
sur ces premières recherches, le matériel que nous utilisons dans notre
­méthode a été en partie inspiré par les fameuses méthodes éducatives
­élaborées par les médecins Itard et Seguin qui s’étaient employés à améliorer
les conditions psychiques des enfants nerveux et déficients.
C’est en faisant des expériences, suivant ces orientations pour normaliser
la vie psychique des enfants non déficients, que nous avons progressivement
élaboré et complété de façon systématique une série de matériels. Ces outils
contribuent admirablement au développement de l’intelligence de l’enfant,
tout en permettant à sa personnalité de s’épanouir harmonieusement,
­déployant pleinement ses énergies. Les bénéfices d’une vie qui se développe
normalement, dans un environnement préparé pour répondre aux besoins
psychiques des enfants, sont nombreux : la facilité et la précocité de l’appren-
tissage, la capacité d’observation, la concentration de l’attention, la constance
dans le travail, la confiance en soi, la sérénité, la joie, la beauté, l’épanouisse-
ment spontané, le raffinement des mouvements et même la santé corporelle.

13. Rappelons-nous que ce texte a été écrit en 1914 et repris en 1939.

70
L’aide au développement intellectuel

Le « matériel » évoqué est, dans son ensemble, un instrument systéma-


tique de psychologie qui peut se comparer à une palestre de gymnastique de
l’esprit, permettant à l’enfant de s’exercer spontanément, de progresser dans
son développement et, par conséquent, dans l’acquisition de sa culture.
Bien que le matériel ait été déterminé au cours d’expériences scientifiques,
la maîtresse ne sait pas nécessairement comment il a été conçu : il lui suffit de
bien le connaître et de le présenter de façon exacte, selon les règles indiquées
par la méthode.
Dans cette tâche, ce que la maîtresse doit surtout prendre en compte, c’est
l’environnement. Sa mission essentielle est d’ordonner le matériel, de
­remettre tous les objets à leur place et de veiller à ce que les enfants en
prennent soin. Vient ensuite, comme pour toutes les activités précédemment
décrites, la nécessité d’initier les enfants à l’utilisation du matériel, afin que
celui-ci soit pour eux un moyen de développement et de perfectionnement et
non pas l’occasion d’un exercice inutile, comme ce serait certainement le cas
s’il était utilisé d’une façon tout à fait différente de celle qui leur a été m
­ ontrée.
Mais cela dit, le matériel est soumis au « libre choix » des enfants. À cet
effet, il est disposé à leur portée sur des étagères accessibles tout autour de la
pièce.
Les enfants peuvent ainsi l’utiliser indéfiniment, selon leurs goûts. Mais la
maîtresse doit observer avec la plus grande attention le choix et l’utilisation
qu’ils en font, en intervenant de façon opportune si elle voit un enfant
­découragé ou ayant besoin de conseils.
La maîtresse doit avoir en tête, comme une photo mentale, une connais-
sance très exacte du matériel et de sa progression, ainsi que de l’âge moyen
auquel il correspond. À ce besoin absolu, il faut ajouter la capacité pratique
d’anticiper les réactions des enfants, les activités utiles et productives et celles
qui, au contraire, gaspillent leur énergie. Elle peut ainsi diriger et aider avec
assurance l’admirable petite communauté de travailleurs concentrés sur leur
ouvrage.
DESCRIPTION
DU MATÉRIEL
SENSORIEL
Description du matériel sensoriel

L’initiation
Au début de l’année, il ne faut en aucun cas mettre le matériel sensoriel en
évidence ; au contraire, il vaut mieux qu’il ne soit même pas visible. Il est en
effet nécessaire d’avoir fait auparavant un grand nombre d’exercices et de
­travaux de vie pratique et d’avoir acquis de ce fait une capacité suffisante à
contrôler ses mouvements.
Ce contrôle du mouvement et l’exercice de l’attention développent la
­capacité de concentration dont l’enfant a besoin pour utiliser correctement le
matériel.
Après deux ou trois semaines – voire un mois – uniquement consacrées à
ce type d’exercices, on commence à présenter à l’enfant le matériel sensoriel
de façon graduelle et progressive. On laisse uniquement à sa disposition le
matériel qui lui a été présenté par la maîtresse et on lui fait découvrir le reste
du matériel au fur et à mesure de ses progrès.
On n’obtiendrait pas un travail spontané, paisible et serein, si tout le maté-
riel était présent dès le début, et moins encore avant d’être connu. Une fois
qu’il lui a été présenté, l’enfant peut le choisir de nouveau afin de mener à
bien son travail.
La mission de l’enseignant consiste à présenter de nouveaux matériels
quand il remarque chez l’enfant un désir de changer d’occupation, ou quand
le travail que l’enfant exécute est trop difficile, compte tenu de ses capacités
du ­moment. Pour cette raison, l’enseignant devra toujours prendre en compte
l’ordre dans lequel il doit présenter le matériel, ainsi que les difficultés et les
facilités ­psychiques de chaque élève. Il est donc souhaitable qu’il ait toujours
à sa ­portée de quoi noter les utilisations successives du matériel.

Les ajustements de solides 14

Les trois premiers objets qui attirent l’attention du petit de deux ans et
demi à trois ans sont trois blocs de bois, dans chacun desquels est insérée une
série de dix petits cylindres ou disques, tous pourvus d’un bouton de préhen-
sion. Dans le premier cas, il y a une série de cylindres de la même hauteur,

14. Communément appelés les blocs de cylindres ou les emboîtements cylindriques.

74
Description du matériel sensoriel

Cylindres qui décroissent seulement en diamètre

Cylindres qui décroissent en diamètre et en hauteur

Cylindres qui décroisent seulement en hauteur

mais avec un diamètre qui décroît, du plus épais au plus fin ; dans le second,
il y a des cylindres qui décroissent dans toutes les dimensions, et vont de
grand à petit, mais toujours avec la même forme. Enfin, dans le troisième cas,
les cylindres ont le même diamètre mais varient en hauteur, c’est-à-dire qu’ils
diminuent en taille. Les cylindres diminuent graduellement jusqu’à prendre
la forme d’un petit disque.
Les premiers cylindres varient en deux dimensions (en diamètre). Les
deuxièmes en trois dimensions (en diamètre et en hauteur). Les troisièmes
en une seule dimension (en hauteur). L’ordre dans lequel je les ai donnés se
réfère au degré de facilité avec lequel les enfants font ces exercices15.

15. Il existe désormais un quatrième bloc de cylindres, avec des cylindres


qui varient aussi en diamètre et en hauteur mais dans le sens inverse du premier.

75
Description du matériel sensoriel

L’exercice consiste à sortir les cylindres, les mélanger puis les replacer un à
un à leur place. L’enfant le fait confortablement installé à une petite table.
Il exerce ainsi ses mains en saisissant le bouton de préhension et en faisant de
petits mouvements de main et de bras pour mélanger les cylindres, sans les
renverser ni faire trop de bruit ; ensuite il les remet chacun à leur place.
Dans ces exercices, la maîtresse peut intervenir au tout d­ ébut, en sortant
­simplement les cylindres, en les mélangeant précautionneusement sur la
table et en montrant à l’enfant comment les placer debout, sans qu’elle ait
­besoin de le faire pour tous. Cette intervention, néanmoins, est presque tou-
jours inutile parce que les enfants voient leurs compagnons réaliser ce travail
et décident ensuite de les imiter. Ce qu’ils aiment, c’est le faire seul : ils le font
même parfois en cachette, craignant une aide importune.
Mais comment l’enfant peut-il trouver la bonne place pour chacun de ces
petits ­cylindres qui sont mélangés sur la table ? Il commence par faire des
­essais. Il déplace certains cylindres, en prend d’autres, jusqu’à ce que le
­cylindre soit bien placé. Parfois il peut arriver le contraire, c’est-à-dire que le
cylindre rentre trop facilement dans le trou dans lequel il y a beaucoup trop
d’espace pour lui. Dans un tel cas, il l’a mis dans un espace qui n’est pas le sien
mais celui d’un cylindre plus grand. À la fin de l’exercice, un ­cylindre sera hors
de sa place et ne trouvera pas de trou dans lequel il puisse être placé. L’enfant
ne voit pas tout de suite son erreur de manière concrète. Il est perplexe : ce
problème éveille intensément sa jeune intelligence. Alors qu’avant tous les
cylindres rentraient, il y en a maintenant un qui ne rentre pas. Le petit s’arrête,
fronce sérieusement les sourcils, très préoccupé. Il c­ ommence à toucher les
boutons de préhension et se rend compte que certains cylindres ont trop
d’espace. Il comprend alors que certains ne sont peut-être pas à leur place et
parvient à les replacer correctement. Il répète le processus de nombreuses
fois et finit par réussir. C’est à ce moment-là qu’il ressent le plaisir du succès.
L’exercice construit l’intelligence de l’enfant : il doit répéter ce qu’il a bien
fait, mais depuis le début ; il lui vient à l’esprit de faire ses propres expériences.
Des petits de trois ans et demi ont répété l’exercice jusqu’à quarante fois sans
que leur intérêt ne faiblisse.
Si on leur présente la seconde série de cylindres, puis la troisième, le chan-
gement de modèle frappe l’enfant et relance son intérêt.
Le matériel décrit sert à éduquer la vue et à appréhender les différences de
dimensions, jusqu’à ce que l’enfant soit instantanément capable de recon-

76
Description du matériel sensoriel

naître le trou le plus grand ou le plus petit, celui qui coïncide exactement avec
le cylindre qu’il s’apprête à replacer.
Le processus éducatif est favorisé par le contrôle de l’erreur qui réside dans
le matériel lui-même et que l’enfant acquiert comme une évidence concrète.
Le désir de l’enfant d’atteindre un objectif qui lui est familier le pousse à se
corriger lui-même. Ce n’est pas le professeur qui lui fait remarquer son erreur
et qui lui montre comment la corriger. C’est bien un travail intellectuel
­complet que fait l’enfant pour arriver à ce résultat. C’est là le point de départ
de l’auto-éducation. Le but n’est pas le travail externe, c’est-à-dire le fait
­d’apprendre où il faut placer les cylindres, ni même de savoir comment l’exer-
cice doit se faire. Le but est plus ambitieux : il réside dans le fait que l’enfant
s’exerce de lui-même à observer, à faire spontanément des comparaisons
entre objets, à former son jugement, à raisonner et à prendre des décisions.
C’est grâce à la répétition infinie de tels exercices d’attention et d’intelligence
que le développement de cette dernière prend véritablement effet.

Enfants utilisant les emboîtements cylindriques

77
Description du matériel sensoriel

Les 3 séries de formes


géométriques solides
Les séries d’objets qui sont présentés après les blocs de cylindres
comportent trois collections de formes géométriques solides qui sont :

1/ Dix cubes de bois de couleur rose : la taille de ces cubes varie en


diminuant toujours d’1 cm de côté, passant de 10 cm à 1 cm de côté.
Les enfants font une tour avec ces cubes, en plaçant d’abord le cube le plus
grand sur le sol ou sur un petit tapis et en superposant tous les autres sur celui-
ci, par ordre de taille, jusqu’au plus petit.
Quand il a construit la tour, l’enfant, tout à coup, la déconstruit consciencieuse-
ment puis éparpille les cubes sur le petit tapis avant de se mettre à la reconstruire.

2/ Une autre série se compose de dix prismes de bois de couleur foncée.


La longueur des prismes est de 20 cm et la section carrée diminue toujours
d’1 cm de côté, passant de 10 cm de côté pour le plus grand, à 1 cm pour le
plus petit.
L’enfant répartit les dix pièces de bois sur une natte ou un tapis. Il s’emploie à
les placer en escalier en construisant une gradation, en commençant parfois
par le prisme le plus large, d’autres fois par le plus mince.

3/ La troisième collection de la série comporte dix barres qui sont soit


vertes, soit alternativement colorées de rouge et de bleu16, et toutes ces barres
ont la même section de 4 cm de côté, variant en longueur de 10 cm en 10 cm.
La plus longue mesure 100 cm, soit 1 mètre.
L’enfant répartit les 10 barres de bois sur le tapis, les mélange, et en les
comparant les unes aux autres, les ordonne en fonction de leur longueur,
c’est-à-dire en diminuant, tels les tuyaux de l’orgue d’une église.

16. Aujourd’hui, celles qui sont ici décrites comme vertes sont rouges dans la plupart des écoles Montessori,
au point d’être communément appelées les barres rouges ; cette première série de barres rouges permet à
l’enfant d’appréhender la notion de longueur. La série rouge et bleue, divisée en sections de 10 cm, permet
d’aborder la notion de quantité et d’apprendre à compter. On les appelle les barres rouges et bleues ou les
barres numériques. Parce qu’il s’agit d’une édition historique, nous avons ici représenté les barres rouges et
bleues, comme dans la version originale, mais l’exercice décrit plus loin se fait avec les barres rouges.

78
Description du matériel sensoriel

Escalier large17

Escalier long18
La tour

En général, la maîtresse fait le premier exercice elle-même, en montrant à


l’enfant comment il faut placer les pièces de chaque collection, mais le petit
peut aussi le faire de lui-même car il a appris sans elle en observant ses petits
compagnons.
Elle peut toujours, cependant, continuer à observer l’enfant, en prenant
note de ses efforts ; et ses interventions viseront plutôt à éviter qu’il ne se
fasse mal ou qu’il utilise le matériel de manière inadéquate, que d’éviter
l’erreur que l’enfant pourrait faire en plaçant les barres dans l’ordre de
gradation.
La raison de cela est que les erreurs que fait l’enfant, en plaçant, par
exemple, un petit cube après un grand cube, sont causées par le manque de
développement. C’est la répétition de l’exercice qui, en affinant son pouvoir
d’observation, permet à l’enfant de se corriger lui-même. Il arrive parfois que
l’enfant, en travaillant avec les barres rouges et bleues, commette des fautes
évidentes. Mais ce qui importe en définitive, ce n’est pas le fait que les barres
soient ou non placées dans le bon ordre de gradation, mais plutôt que l’enfant
se soit exercé lui-même ; il n’est pas nécessaire d’intervenir pour corriger les-
dites erreurs.
Un jour, l’enfant disposera toutes les barres de bois dans le bon ordre, et,
plein de joie, appellera la maîtresse pour qu’elle vienne vite l’admirer. L’objet
de l’exercice sera alors atteint.

17. L’escalier large est communément appelé l’escalier marron.


18. L’escalier long est communément appelé les barres rouges et bleues.

79
Description du matériel sensoriel

de jouer avec une tour


ob serve un de s enfants en train
On

Ces trois séries, les cubes, les prismes et les barres de bois, invitent l’enfant
à se mouvoir pour soulever et déplacer les objets, parce qu’avec ses petites
mains, il lui est difficile d’en prendre plusieurs à la fois. De cette manière, il
répète aussi l’exercice visuel, pour reconnaître les différences de taille entre
des éléments qui se ressemblent. Puis l’exercice deviendra aussi facile que
celui des encastrements de solides19 d’un point de vue sensoriel. Mais en réa-
lité, la difficulté est plus grande parce que, dans cette série d’activités, il n’y a
pas de contrôle de l’erreur dans le matériel lui-même. C’est la vue de l’enfant qui
lui permet de s’auto-corriger. La différence entre les objets est uniquement
appréciée par la vue ; c’est pour cette raison qu’on utilise de plus grands
objets. Et la discrimination visuelle nécessaire présuppose une préparation
antérieure, acquise avec les blocs de cylindres.

Les exercices de toucher


Dans le matériel, se trouve une petite tablette de bois, de forme rectangu-
laire et dont la surface est divisée en deux parties, l’une rugueuse et l’autre
lisse. Pour que les sensations ne soient pas trop atténuées, du fait d’une
mauvaise circulation sanguine due au froid, il faut « préparer l’organisme »
en immergeant et massant rapidement les mains de l’enfant dans de l’eau
tiède avant de les sécher en frottant le bout des doigts avec fermeté.
On montre ensuite à l’enfant comment toucher les deux surfaces lisse et
rugueuse du bout des doigts, le plus légèrement possible, pour qu’il puisse bien
les distinguer. Ce mouvement délicat qui consiste à caresser la surface d’un
léger va-et-vient est un excellent exercice de vérification. La petite main de

19. Les blocs de cylindres.

80
Description du matériel sensoriel

l’enfant, préalablement lavée à l’eau tiède, gagne en grâce et en beauté. Cet


exercice est le premier qui concerne l’éducation du toucher, sens qui occupe
une place si importante dans ma méthode.

Tablette avec des surfaces lisse et rugueuse

Lorsque le maître initie l’enfant à l’éducation du sens du toucher, il doit


toujours prendre une part active au début ; il ne doit pas se contenter de
montrer à l’enfant « comment on fait », mais intervenir d’une façon bien
définie : il touche avec sa main puis guide l’enfant pour qu’il effleure les
surfaces du bout des doigts, le plus délicatement possible. Il ne doit pas
donner d’explication ; ses mots ne servent qu’à encourager l’enfant à perce-
voir les différentes sensations. Quand celui-ci les aura perçues, il pourra
répéter l’activité de lui-même, aussi délicatement qu’on la lui aura montrée.
Après cette tablette aux deux différentes surfaces, on en présente une autre
à l’enfant, sur laquelle se trouve une gradation de bandelettes de papier de
verre passant du doux au rugueux.
On lui présente aussi des séries graduées de papier de verre. L’enfant
s’entraîne par des exercices de toucher sur ces surfaces, affinant ainsi son
aptitude à percevoir les différences tactiles qui sont de plus en plus subtiles,
tout en perfectionnant ses mouvements. Ceux-ci gagnent en maîtrise et en
agilité.

81
Description du matériel sensoriel

Tablette avec des bandes de papier de verre

Ensuite, pour exercer le toucher à reconnaître les objets communs, inter-


vient un matériel contenant des séries de différents types d’étoffes : velours,
satin, soie, laine, coton, des textures fines et des textures épaisses. Il y a deux
exemplaires identiques de chaque type de tissu, qui sont par ailleurs de
couleur vive et soutenue.
On enseigne alors à l’enfant de nouveaux mouvements. Alors que
jusqu’alors il touchait seulement des surfaces, il doit maintenant manipuler
des étoffes ; et, selon le degré de rugosité ou de douceur entre un coton
grossier et une soie fine, il aura des mouvements plus ou moins fermes ou
délicats.
Une fois que l’enfant maîtrise habilement ce geste, il trouve un grand
plaisir à toucher ces étoffes au point de fermer instinctivement les yeux, afin
de mieux apprécier ses sensations tactiles. Ensuite, pour économiser des ef-
forts d’attention, il se bande les yeux avec un foulard blanc et touche les étoffes
en les plaçant de manière ordonnée, par paire, l’une sur l’autre. Puis il ôte son
foulard pour vérifier lui-même qu’il ne s’est pas trompé.
Cet exercice de toucher et d’appréciation est particulièrement attractif
pour l’enfant ; il l’incite à chercher des expériences similaires dans son
environnement. Un jour, un petit enfant, attiré par la belle étoffe du costume
d’un visiteur, voulut aller la voir et la palper ; il se mit alors à toucher longue-
ment le tissu du costume avec une délicatesse infinie, et une expression
d’immense satisfaction et d’intérêt.
Peu après, nous voyons les enfants s’intéresser par eux-mêmes à des
exercices beaucoup plus difficiles. Il y a dans le matériel des petites tablettes

82
Description du matériel sensoriel

rectangulaires, toutes de même taille, faites de bois de différentes qualités.


Elles ne diffèrent qu’en poids et en couleur, selon les propriétés des bois
utilisés. L’enfant prend une petite tablette et la place délicatement sur ses
quatre doigts pour en apprécier le poids. Cet exercice apprend par ailleurs à
avoir des mouvements délicats.

Tablettes de bois de différents poids

La main se déplace de haut en bas en soupesant l’objet mais ce mouve-


ment doit être le plus imperceptible possible.
Ces petits mouvements diminueront au fur et à mesure qu’augmentent
l’attention et la capacité de percevoir le poids de l’objet ; l’exercice deviendra
parfait lorsque l’enfant arrivera à apprécier les poids sans faire le moindre
mouvement de la main. Il n’y a qu’en répétant ses efforts qu’il peut obtenir ce
résultat.
Quand les enfants sont initiés par le maître, ils ferment les yeux et répètent
d’eux-mêmes les exercices du sens « baryque20 ». Ils placent par exemple les
petites tablettes de bois les plus lourdes à leur droite et les plus légères à leur
gauche. Lorsqu’ils retirent le bandeau de leurs yeux, ils peuvent voir, rien qu’à
la couleur du bois, s’ils ont commis une erreur ou pas.

20. Expression propre à la pédagogie Montessori, signifiant le sens de la perception du poids.

83
Description du matériel sensoriel

La perception des couleurs


Bien avant cet exercice, et pendant la période où les enfants travaillent avec les
trois classes de solides géométriques et les tablettes de surfaces lisses et rugueuses,
ils peuvent s’exercer par eux-mêmes avec un matériel qui est très attrayant.
Il s’agit d’une collection de petites tablettes entourées de fils de soie de
couleurs nuancées. La collection comprend deux boîtes séparées contenant
chacune soixante-quatre couleurs, c’est-à-dire huit tons différents de huit
nuances soigneusement dégradées21.
Le premier exercice consiste à faire des paires de couleurs, c’est-à-dire à
rechercher, parmi les couleurs mélangées, les deux petites tablettes qui sont
identiques, pour les placer côte à côte. Naturellement, le maître ne donne pas
à l’enfant les cent vingt-huit tablettes de soie en même temps, mais il en
choisit seulement quelques-unes parmi les couleurs les plus vives : rouge,
bleu et jaune par exemple ; il en prépare trois ou quatre paires. Ensuite, il
prend une petite tablette, par exemple la couleur incarnat22, et demande à
l’enfant de chercher celle qui est identique. Une fois cela fait, le maître prend
la paire et la place sur la table. Il fait ensuite la même chose avec une autre
couleur, le bleu par exemple, et invite l’enfant à former une paire. Le maître
mélange de nouveau toutes les petites tablettes pour que l’enfant répète
l’exercice seul, c’est-à-dire pour qu’il choisisse les deux tablettes rouges,
les deux bleues et les deux jaunes pour les mettre côte à côte, etc.
Ensuite, on peut augmenter le nombre de paires jusqu’à quatre ou cinq.
Les petits de trois ans arrivent à composer jusqu’à dix ou douze paires de
tablettes préalablement mélangées.
Lorsque l’enfant a suffisamment exercé sa vue, en reconnaissant des paires
de couleurs, on lui propose de reconnaître les nuances d’une seule couleur.

Le maître les place les unes contre les autres en commençant par la tablette
la plus sombre avec pour seul objectif de montrer à l’enfant « comment on

21. Actuellement on utilise trois différentes boîtes de couleur. Une boîte avec des paires de couleurs primaires,
une seconde avec onze paires et la troisième ici illustrée avec neuf couleurs graduées en huit nuances et
non plus huit couleurs comme évoqué ici.
22. Sorte de rouge, d’une couleur vive entre le rose et le rouge franc, rappelant la couleur de la chair.

84
Description du matériel sensoriel

Boîtes de couleurs

procède ». Il laisse aussitôt l’enfant seul pour qu’il puisse s’exercer de manière
spontanée.
L’enfant se trompe fréquemment. S’il a compris l’idée et qu’il commet
une erreur, c’est un signe que, malgré tout, pour lui, le moment de percevoir les
différences entre les nuances d’une gradation de couleur n’est pas encore arrivé.
Mais la répétition de l’exercice permet à l’enfant d’accroître sa capacité à
distinguer les plus subtiles différences, et c’est pour cela que nous le laissons
essayer par lui-même.
Nous pouvons cependant, pour l’aider, lui faire deux suggestions. On
l’incite premièrement à toujours choisir la couleur la plus sombre de la sélec-
tion. Cela l’aide grandement à bien construire la gradation. En second lieu, on
l’invite à observer deux couleurs qui sont proches, pour les comparer
ensemble, puis séparément avec les autres couleurs. De cette manière, l’enfant
ne place aucune petite tablette sans une comparaison attentive avec celle qui
est juste à côté.
Finalement, l’enfant prend plaisir à mélanger les soixante-quatre couleurs,
puis à les arranger en huit colonnes de jolies nuances. Cet exercice éduque la
main de l’enfant à faire des mouvements fins et délicats et construit aussi son

85
Description du matériel sensoriel

intelligence par une attention accrue. Mais en disposant les petites tablettes, il
ne faut pas les juxtaposer bord à bord par leurs extrémités de bois. On doit les
disposer de façon très précise les unes contre les autres, pour former une
suite de couleurs nuancées, formant ainsi comme un joli ruban. Cet exercice
nécessite une habileté manuelle qui s’acquiert seulement grâce à une très
longue pratique.
Ces exercices du sens chromatique pour les enfants les plus grands
­favorisent le développement de la mémoire des couleurs. Un enfant qui aura
soigneusement regardé les couleurs peut être invité par un de ses camarades à
en ­observer une en particulier, puis à chercher cette même couleur dans un
autre lot de tablettes, sans garder en main la première qui pourrait lui servir de
­repère. C’est donc de mémoire qu’il reconnaît la couleur car il ne peut pas la
comparer avec la couleur d’origine qu’il n’a plus sous les yeux. Il n’en a qu’une
image mentale. Les enfants apprécient beaucoup cet exercice de mémoire des
couleurs. Ils font une curieuse sélection de couleurs et se promènent dans la
classe avec l’image mentale des couleurs choisies, en cherchant dans leur
­environnement des objets qui ont les mêmes couleurs. C’est un véritable
triomphe pour eux lorsqu’ils associent l’idée à la réalité correspondante, et
qu’ils peuvent saisir de leurs mains la preuve de la compétence mentale qu’ils
ont acquise.

La distinction des formes


géométriques planes
Le matériel que nous allons maintenant décrire, que nous appelons le
­matériel des formes planes, a pour objectif de conduire le tout jeune enfant, en
suivant son élan spontané, à observer et comparer de façon systématique
­plusieurs figures géométriques. On utilise pour cela un meuble avec six tiroirs
superposés. Dans chacun de ces tiroirs, se trouvent six petites planchettes de
bois placées les unes contre les autres.

86
Description du matériel sensoriel

Cabinet avec les tiroirs pour garder les formes géométriques23

Une forme géométrique peinte en bleu et dotée d’un petit bouton de


­préhension pour la saisir est insérée au centre de chaque petite planchette.
Chaque petit plateau de bois est intérieurement recouvert d’un papier bleu,
de manière à ce que, quand on sort les figures géométriques, on puisse les voir
reproduites sur le fond, exactement de la même forme, même avec le bouton.
Chaque tiroir contient un plateau qui regroupe les figures géométriques ayant
des caractéristiques communes :
1. Six cercles de diamètres décroissants ;
2. Un carré et à ses côtés cinq rectangles, dont la longueur est toujours la
même, tandis que la largeur décroît graduellement ;
3. Six triangles dont la forme ou les angles varient : un équilatéral, un iso-
cèle, un scalène, un rectangle, un obtusangle et un acutangle ;
4. Six polygones réguliers de cinq à dix côtés : un pentagone, un hexa-
gone, un heptagone, un octogone, un ennéagone et un décagone ;
5. Six figures irrégulières : un ovale, un ove24, un losange, un parallélo-
gramme, un trapèze et un trapèze rectangle ;
6. Quatre petites planchettes de bois sans aucune figure géométrique et
par conséquent sans bouton de préhension, ainsi que deux figures
­géométriques irrégulières ;

23. Communément appelé le cabinet de géométrie.


24. Communément appelé ellipse.

87
Description du matériel sensoriel

Jeu des six cercles Jeu des six rectangles

Jeu des six triangles Jeu des six polygones

Jeu des six figures irrégulières Jeu de deux figures irrégulières


et de quatre planchettes vierges

88
Description du matériel sensoriel

On utilise avec ce matériel un plateau de bois, sur lequel se trouve une


espèce de grille qui peut s’enlever comme un couvercle, et qui sert, quand elle
est placée, à maintenir les planchettes et les figures insérées, bien fermement
à leur place.

Cadre pour contenir les formes géométriques

Ce plateau s’utilise pour la préparation de la première présentation à l’enfant


des formes géométriques planes.
Le maître choisit certaines formes parmi les séries disponibles, celles qui,
selon son jugement, lui paraissent les plus simples.
Au début, mieux vaut montrer à l’enfant un nombre restreint de figures
qui diffèrent très clairement les unes des autres. Lors de l’exercice suivant, on
peut lui présenter un plus grand nombre de figures ; puis, consécutivement,
des figures plus ou moins ressemblantes.
Les premières figures qui se placent sur le plateau de présentation sont, par
exemple, le cercle et le triangle équilatéral ; ou bien le cercle, le triangle et le
carré. Les espaces vides sont recouverts avec les planchettes de bois plein. On
complète le plateau de présentation graduellement, en augmentant le nombre
de figures ; d’abord avec des figures très différentes, par exemple : un carré, un
rectangle très étroit, un triangle, un cercle, une ellipse et un hexagone, ou
toute autre combinaison.
Ensuite, le maître doit proposer de placer les figures semblables sur le
plateau de présentation ; par exemple, la collection des six rectangles, ou des
six triangles ou des six cercles de différentes tailles, etc.

89
Description du matériel sensoriel

Cet exercice est similaire à celui des cylindres. On sort les formes de leur
­emplacement en les prenant par les boutons. On les mélange sur la table et on
invite l’enfant à les remettre chacune à leur place. Là encore, le contrôle de
l’erreur est inclus dans le matériel, car les figures ne peuvent pas s’ajuster
­parfaitement si elles ne sont pas à leur place. On réalise ainsi une série d’expé-
riences, de tentatives, qui conduisent à la victoire. L’enfant a tendance à
­comparer les différentes formes ; il réalise cette comparaison de manière
concrète au moment où il cherche à placer une figure par erreur dans un
­emplacement dans lequel elle n’entre pas. Il exerce ainsi sa vue à la reconnais-
sance des formes.
Le nouveau mouvement de la main que l’enfant doit exécuter est d’une
­importance particulière.
On lui montre comment toucher le contour des figures géométriques du
bout de son index et de son majeur de la main droite (ou de la main gauche
s’il est ambidextre) ; l’enfant prend l’habitude de toucher non seulement le
bord de la forme mais aussi le contour de l’emplacement qui lui correspond ;
puis, après avoir touché l’un puis l’autre, il insère la forme à sa place.
L’enfant parvient ainsi très facilement à reconnaître les formes. Ceux qui
n’identifient pas encore les formes à vue d’œil, et qui font de vains efforts pour
positionner les figures les plus diverses dans un mauvais emplacement,
­reconnaissent les formes après en avoir tracé les contours. Ils les placent ­ensuite
plus rapidement de manière adéquate.
L’objet sert ainsi de guide concret à la main de l’enfant durant cet exercice
qui consiste à toucher le contour des figures géométriques. En effet, ce qui est
certain, c’est que quand il touche la forme géométrique, ses doigts n’ont qu’à
suivre le contour de cette forme qui apparaît comme une difficulté, mais qui,
en réalité, le guide véritablement. Le maître doit toujours intervenir au début,
pour montrer soigneusement les mouvements qui auront tant d’importance
dans le futur.
Il doit toujours montrer à l’enfant comment il faut toucher, non seulement
en faisant les mouvements lui-même, lentement et clairement, mais aussi en
­guidant la main de l’enfant pendant ses premières tentatives, jusqu’à ce qu’il
soit certain que l’enfant apprécie tous les détails de la forme : les angles et les
côtés. Lorsque sa main a appris à effectuer ces mouvements avec précision et
finesse, il sera véritablement capable de suivre le contour de la forme géomé-
trique, et de nombreuses répétitions de l’exercice lui permettront donc de

90
Description du matériel sensoriel

coordonner les mouvements nécessaires pour délimiter sa forme de façon


exacte.
On peut dire que cet exercice est une véritable préparation indirecte au
dessin. C’est une excellente préparation de la main pour tracer une forme
fermée. La petite main de l’enfant, en touchant, perçoit et expérimente qu’il
faut suivre une certaine direction du tracé, se préparant ainsi inconsciemment
à l’écriture.
Les enfants persévèrent à toucher les contours des figures géométriques
avec finesse et précision. Eux-mêmes ont eu l’idée de faire l’exercice en se
bandant les yeux et de reconnaître les figures géométriques seulement en les
touchant, en les prenant et en les replaçant au bon endroit sans les voir.

étriques
fant s palpant des figures géom
En

91
Description du matériel sensoriel

Chaque forme géométrique plane est exactement représentée sous forme


de figure géométrique de même dimension sur trois cartes carrées de carton
blanc. Ces cartes se rangent dans trois compartiments.
Il y a trois séries de cartes, représentant les mêmes formes géométriques
que celles du cabinet de géométrie.
Dans la première série, les formes sont complètes, c’est-à-dire qu’elles ont
été découpées dans du papier bleu et collées sur la carte ; dans la seconde
­série, il y a seulement un contour de la figure, large d’un demi-centimètre,
découpé dans le même papier bleu et collé sur la carte ; dans la troisième série
en revanche, il y a seulement le contour de la figure géométrique tracée d’une
ligne continue de couleur noire25.
Lors de l’utilisation de ce matériel, on exerce progressivement la vue à la
reconnaissance des « formes planes ».
En effet, le contrôle de l’erreur est moins concret avec ce matériel qu’avec
celui des formes de bois, car ici l’enfant n’évalue que visuellement l’identité
des formes, et non plus en insérant les ajustements géométriques de bois dans
leurs emplacements respectifs. Il les place simplement sur la figure dessinée.
Le raffinement du pouvoir discriminant de la vue augmente à chaque fois
que l’enfant passe d’une série de cartes à la suivante ; et quand il parvient à la
troisième série, il peut voir la relation entre les objets de bois qu’il saisit avec
ses mains et les figures aux contours dessinés ; il peut ainsi faire le lien entre la
réalité concrète et l’abstraction. La ligne prend alors à ses yeux une signifi­
cation bien définie. Et il s’habitue de lui-même à reconnaître, à interpréter et
à juger les formes contenues dans une simple ligne.
Les exercices sont variés et les enfants en inventent eux-mêmes, avec beau-
coup de plaisir. Par exemple : ils sortent un certain nombre de formes
­d’encastrements géométriques et, avant même de les regarder, prennent une
poignée de cartes, les mélangent comme s’ils jouaient aux cartes, les étalent
rapidement et choisissent les figures qui correspondent aux formes en bois.
Ensuite, comme pour vérifier de façon spontanée, ils placent les pièces de
bois sur les figures des cartes. Pendant cet exercice, ils recouvrent souvent les
tables superposant les formes de bois sur chaque figure ; ils alignent verticale-
ment les trois types de figures correspondant à chaque série de cartes.

25. Ces cartes sont de nos jours utilisées dans une version imprimée, de couleur bleue, identique à celle des
figures du cabinet de géométrie.

92
Description du matériel sensoriel

Série des cartes avec les formes géométriques

Un autre jeu inventé par les enfants consiste à mélanger toutes les cartes
des trois séries en les plaçant sur deux ou trois tables mises bout à bout.
­L’enfant prend alors une forme géométrique de bois et doit la placer le plus rapi-
dement possible sur les cartes correspondantes repérées parmi toutes les autres.
Un autre jeu se fait à quatre ou cinq enfants. Lorsque l’un d’entre eux a
trouvé, par exemple, la figure entièrement peinte correspondant à la forme en
bois et qu’il l’a placée avec attention et précision sur cette carte, un autre
­enfant prend à son tour d’un autre endroit la carte qui a la même forme mais

93
Description du matériel sensoriel

avec le contour noir et la place à côté de la précédente. Ce jeu suggère quelque


chose du jeu d’échecs.
Beaucoup d’enfants, sans indication ni suggestion d’aucune sorte, tracent
avec les doigts les contours des figures des trois séries de cartes, avec sérieux,
intérêt et persévérance.
Nous apprenons aux enfants à nommer toutes les formes des ajustements
de figures planes.
Au début, je pensais que je devais limiter mon enseignement aux noms
des figures les plus importantes, comme le carré, le rectangle et le cercle. Mais
les enfants avaient besoin de connaître tous les noms, et ils ressentaient même
du plaisir à prononcer les noms les plus difficiles, comme le trapèze ou le
­décagone. Ils aimaient aussi entendre la prononciation exacte des mots
­nouveaux et les répétaient. En effet, l’enfance est l’âge pendant lequel le
­langage se construit. C’est aussi une période pendant laquelle les sons d’une
langue étrangère peuvent être parfaitement appris.

La généralisation
Quand les enfants ont longuement manipulé le matériel de développe-
ment, ils commencent à faire des découvertes autour d’eux, reconnaissent
des formes, des couleurs et des qualités autrefois inconnues. C’est souvent le
résultat de la pratique des exercices sensoriels. Un sentiment d’enthousiasme
germe alors en eux. La reconnaissance du monde qui les entoure se trans-
forme alors en une source de plaisir. Un jour, un petit, marchant seul sur la
terrasse, se répétait à lui-même avec une mine satisfaite : « Le ciel est bleu !
Le ciel est bleu ! » Une autre fois un cardinal, admirateur des enfants de
l’école située sur la vía Giusti, eut envie d’apporter aux enfants de petites
­galettes et d’apprécier le spectacle du plaisir que ces biscuits procureraient
aux enfants. Quand il eut fini sa distribution, au lieu de voir les enfants les
porter avidement à leur bouche, il constata avec une grande surprise que les
enfants les examinaient avant toute chose en disant : « Un triangle ! Un cercle !
Un rectangle ! » En effet, les galettes étaient faites de formes géométriques.
Dans une maison de gens du peuple, chez des personnes originaires de
Milan, une maman alors qu’elle préparait de la nourriture dans la ­cuisine, prit
une tartine qu’elle était en train de faire avec du pain et du beurre. Son petit

94
Description du matériel sensoriel

de quatre ans, qui était avec elle, s’exclama : « Ceci est un ­rectangle. » La
femme coupa un coin de la tartine avec le couteau et l’enfant s’exclama :
« Ceci est un triangle. » Elle mit alors le morceau dans l’assiette et l’enfant,
regardant l’autre morceau, s’exclama encore plus fort qu’avant : « ­Maintenant,
c’est un trapèze. »
Le père, un ouvrier qui assistait à la scène, fut impressionné par ce petit
épisode. Il voulut voir la maîtresse pour lui demander une explication. Après
avoir vu l’école, il s’exclama : « Si j’avais été éduqué de cette manière, je ne
serais pas aujourd’hui un simple exécutant. » Il incita finalement les autres
ouvriers des habitations voisines à s’intéresser à l’école. Ils offrirent tous
­ensemble à la maîtresse un parchemin artistique qu’ils avaient peint eux-
mêmes, et sur lequel, parmi les peintures des petits enfants, ils avaient placé
tous les types de formes géométriques.
En ce qui concerne le toucher des objets pour la reconnaissance des
formes, les enfants eux-mêmes font une infinité de découvertes autour d’eux.
On a vu des enfants contempler un beau pilier de statue, debout, bien en face,
puis après l’avoir admiré, fermer les yeux, avec une expression de béatitude et
de plaisir, poser longuement leurs mains sur les reliefs du pilier pour les sentir.
Une de nos maîtresses emmena un jour deux petits frères de l’école de la
vía Giusti à l’église. Ils étaient debout, en train de regarder les petites colonnes
qui soutiennent l’autel. Progressivement, le plus grand des deux s’approcha
des ­colonnes et commença à les toucher quand, comme s’il souhaitait que
son petit frère éprouve le même plaisir, il l’invita à s’approcher, prit délicate-
ment sa main, la fit glisser autour de la jolie surface polie des colonnes. Mais
le s­ acristain entra à ce moment-là et les jeta dehors en disant : « Ah, ces en-
fants ! qu’ils sont pénibles de toucher à tout ! »

Le sens stéréognostique
Le grand plaisir que les enfants éprouvent à reconnaître des objets, en en
touchant les formes, est en soi un exercice sensoriel.
Beaucoup de psychologues ont parlé du sens stéréognostique, qui est la
capacité de reconnaître les formes par le mouvement des muscles, en suivant
les contours des objets solides.

95
Description du matériel sensoriel

Ce sens n’est pas uniquement le sens du toucher, parce que la sensation


tactile est uniquement celle qui permet de percevoir les différences qualita-
tives des surfaces (ex : lisse, rugueux). La perception des formes suppose la
combinaison des sensations tactiles et des sensations musculaires, c’est-à-
dire des sensations de mouvement. Ce que nous appelons pour les aveugles le
sens du toucher est en réalité le sens stéréognostique. Autrement dit, les
aveugles perçoivent les formes des corps par l’intermédiaire de leurs mains.
L’enfant de trois à six ans traverse une période sensible du mouvement, ce
qui stimule sa propre activité musculaire et l’utilisation du sens stéréognos-
tique. Lorsque les enfants ferment spontanément les yeux en cherchant à
­reconnaître différents objets, comme des formes géométriques et des solides,
c’est ce sens qu’ils exercent.
Il existe de nombreux exercices qui invitent à reconnaître, les yeux fermés,
des objets de formes particulières, comme, par exemple, les petites briques et
les cubes de Fröbel, des petits cailloux, des pièces de monnaie, des graines,
des petits pois, etc. On peut même proposer une sélection d’objets différents
tout en étant ressemblants, que l’on mélange avant d’inviter l’enfant à les trier
en les classant en différents groupes.

Les solides géométriques


Dans le matériel de développement, se trouvent aussi des solides géomé-
triques de couleur bleu clair : une sphère, un cube, un prisme, une pyramide,
un cône et un cylindre. Le moyen le plus attrayant de montrer à l’enfant
­comment reconnaître ces formes consiste à les lui faire toucher avec les yeux
fermés, tout en les nommant avec les mots qu’il apprend de la façon décrite
en amont. Après un tel exercice, c’est avec un vif intérêt que l’enfant observe
à nouveau les formes avec les yeux ouverts. Une autre ­manière de l’intéresser
aux solides géométriques consiste à l’inviter à les faire bouger. Par exemple, la
sphère roule dans toutes les directions ; le cylindre, dans une seule direction ;
le cône tourne autour de lui-même ; le prisme et la pyramide, en revanche,
sont très stables, même si le prisme tombe avec plus de facilité que la ­pyramide.
Il suffira d’une simple suggestion pour rendre visible l’analogie qui existe
entre les solides géométriques et les éléments présents dans notre environ­
nement, comme, par exemple, celle qu’il y a entre un cylindre et une colonne

96
Description du matériel sensoriel

Les boîtes à bruits

ou entre une sphère et une tête humaine, etc. La capacité que les enfants ont
à trouver ces analogies nous surprendra.

Les bruits
On souhaite mettre à la disposition des enfants des objets qui produisent
des bruits gradués afin qu’ils puissent les reconnaître et les comparer.
On fabrique pour cela des boîtes à bruits, avec des cylindres en carton ou,
encore mieux, en bois, que l’on remplit d’objets divers en plus ou moins
grande quantité, de sorte que, lorsqu’on les secoue, elles produisent des bruits
différents : du plus fort produit avec des petits cailloux, jusqu’au plus doux
produit avec des grains de sable plus ou moins gros. Il y a deux séries identiques
de six boîtes graduées, du bruit fort jusqu’au bruit sourd.
L’exercice consiste, dans un premier temps, à reconnaître des bruits de
même intensité, en plaçant les boîtes cylindriques par paires. L’exercice sui-
vant consiste à comparer les bruits les uns avec les autres. L’enfant ordonne
les six boîtes à bruits d’une même série, selon l’intensité des bruits qu’elles
produisent.
L’exercice est le même que celui qui se fait avec les couleurs, c’est-à-dire
qu’il s’agit de faire des mises en paires puis des gradations. Dans ce cas aussi,

97
Description du matériel sensoriel

l’enfant fait l’exercice confortablement assis à une table. Après une explica-
tion préliminaire de la maîtresse, l’enfant répète l’exercice seul, les yeux
­fermés, pour mieux concentrer son attention.

Les sensations musicales


Pour commencer l’éducation du sens musical, nous utilisons un matériel
qui fut expérimenté par Itard ; l’utilisation populaire et ancienne des
­clochettes témoigne du fait qu’elles sont très propices à l’éveil des sensations
musicales.
Il s’agit d’une double série de clochettes qui forment une octave avec des
tons et des demi-tons. Ces clochettes sont placées sur une petite base de bois
rectangulaire ; elles sont en apparence toutes identiques, mais, quand on les
frappe avec une petite mailloche de bois, elles produisent des sons qui corres-
pondent aux notes do, ré, mi, fa, sol, la, si, do.
Les séries de clochettes sont placées par ordre de sons sur une large table, sur
laquelle ont été peints des espaces rectangulaires blancs et noirs de la même taille
que les bases qui supportent les clochettes. Comme sur les touches d’un piano, les
espaces blancs correspondent aux tons et les noirs aux demi-tons.

Les clochettes musicales

98
Description du matériel sensoriel

Au début il faut seulement placer les supports de bois qui correspondent


aux tons : on les place sur les espaces blancs dans l’ordre des notes musicales
do, ré, mi, fa, sol, la, si, do.
Pour faire le premier exercice, l’enfant frappe avec une petite mailloche la
première note des séries, qui est le do. Ensuite, il frappe l’une après l’autre les
clochettes de la seconde série qui sont mélangées sur la table, mais sans les
demi-tons, jusqu’à ce qu’il trouve le son identique à celui qu’il a trouvé au
début (do). Quand il a réussi à trouver ce son, il met sur la table cette clo-
chette à côté de la première. Ensuite il frappe la seconde, ré, une ou deux fois :
il fait des essais sur toutes les clochettes qui sont mélangées jusqu’à ce qu’il
reconnaisse celle qui correspond au ré ; il la place alors à côté de la seconde
­clochette de la série ordonnée. Il continue de la même manière de la gauche
vers la droite, en recherchant l’identité des sons, et en formant des paires,
comme dans l’exercice des boîtes à bruits, des couleurs, etc.
Pour finir, l’enfant apprend l’ordre des sons de la gamme musicale en
­frappant successivement et rapidement les clochettes classées en ordre tout
en nommant les sons : do, ré, mi, fa, sol, la, si, do. Lorsqu’il est capable de
­reconnaître les sons et de se les rappeler, l’enfant prend les huit clochettes, et,
après les avoir mélangées, il cherche, en les frappant avec la petite mailloche,
d’abord à trouver le do, puis le ré, etc. À chaque fois qu’il prend une nouvelle
note, il frappe, depuis le début, toutes les clochettes, jusqu’à ce qu’il recon-
naisse et place en ordre : do ré ; do ré mi ; do ré mi fa ; do ré mi fa sol. Il par-
vient ainsi à la fin, c’est-à-dire à placer toutes les clochettes dans l’ordre de la
gamme, guidé uniquement par son ouïe ; une fois qu’il a réussi, il frappe
toutes les notes les unes après les autres, en montant et en descendant la
gamme. Cet exercice est fascinant pour les enfants de cinq ans et plus.
Bien que les objets ainsi décrits constituent le matériel didactique pour
l’initiation à une éducation méthodique du sens auditif, je ne souhaite pas y
voir uniquement un processus éducatif. Dans la pratique, il est très important
et complexe d’éduquer l’oreille, comme le révèlent les méthodes reconnues
pour le traitement de l’ouïe et la physiologie moderne de l’éducation m ­ usicale.
Dans beaucoup de mes écoles, on utilise aussi des séries de diapasons qui
donnent des sons purs, à la différence des clochettes qui émettent des accords.
On dispose aussi de simples instruments à cordes construits spécialement,
comme des violons ou des petites harpes avec lesquelles les enfants peuvent
reconnaître les sons musicaux et reproduire les mélodies qu’ils ont apprises.

99
Description du matériel sensoriel

Guide technique pour


la présentation du matériel
sensoriel
A/ L’ordre des présentations successives
La règle générale, autrement dit la procédure pour bien diriger l’éducation
des sens, est la suivante :
1. Reconnaissance des identités (mise en paires d’objets identiques et
­encastrement d’objets solides dans des emplacements qui leur corres-
pondent).
2. Reconnaissance des contrastes (présentation des extrêmes d’une série
d’objets).
3. Reconnaissance des similitudes (mise en ordre d’une suite d’objets
­gradués).

B/ Préparation à la concentration
1. Isolation de la perception. Pour concentrer l’attention de l’enfant sur les
stimulations sensorielles, il est nécessaire autant que possible d’isoler la
perception : il faut pour cela, par exemple, fermer les yeux quand l’exer-
cice ne se ­rapporte pas à l’éducation du sens de la vue et, par ailleurs,
obtenir le silence dans la classe pour tous les ­exercices.
2. Isolation de la stimulation. Il est nécessaire que sur la table, le tapis, ou
l’espace où l’on présente le matériel pour montrer comment l’utiliser,
il n’y ait pas d’autres objets que celui que l’on souhaite
­présenter. La ­maîtresse doit préparer le lieu avant de commencer la
­présentation. Le matériel sensoriel réalise de lui-même l’isolation des
différentes qualités en les séparant les unes des autres, c’est-à-dire en
isolant les ­couleurs, les formes, les sons, etc.

100
Description du matériel sensoriel

L’expérience individuelle
Finalement, nous conseillons à ceux qui veulent guider les enfants dans
ces exercices sensoriels de commencer par travailler eux-mêmes avec le
­matériel en question. L’expérience leur donnera une idée de ce que l’enfant
doit ressentir, des difficultés qu’il rencontrera, etc. Quiconque fait des
­expériences par lui-même sera surpris du fait qu’avec les yeux bandés, toutes
les sensations tactiles et auditives lui paraissent réellement plus aigües et plus
faciles à percevoir. Ne fût-ce que pour cette raison, il ne faut pas dédaigner
l’intérêt qu’éveille cette expérience.
Mais, pour que le maître soit bien éclairé sur le véritable intérêt que
­procure la manipulation du matériel, le mieux est qu’il l’ait lui-même utilisé
comme s’il était un enfant, c’est-à-dire en répétant de nombreuses fois le
même exercice, en y concentrant toute son attention, et ce une fois qu’il a
vérifié la différence qu’il y a entre son propre exercice et celui de l’enfant.
Le maître se lassera très rapidement et aura besoin de faire un grand effort
pour répéter l’activité quarante fois ou davantage, de sorte qu’il pourra appré-
cier en creux la puissance de l’énergie enfantine.
De la même manière, le maître ne pourra pas dédier à l’exercice la concen-
tration totale et intense que l’enfant y met, en s’isolant de toutes les autres
­stimulations de son environnement.
Il est évident, néanmoins, que le maître ne pourrait enseigner ce qu’il est
incapable de faire lui-même ; il peut initier puis laisser faire. De même que, le
maître et l’enfant étant à des niveaux différents de développement, l’enfant ne
pourra pas faire la même chose que le maître, et ce dernier ne peut pas réaliser
ce que l’enfant fait. Cet incontestable constat place l’éducation et l’éducateur
à leurs justes places respectives. Il ne s’agit pas pour le maître d’enseigner et
pour l’enfant d’apprendre, mais que chacun cherche son véritable chemin.
L’adulte peut aider, mais rien de plus ; l’enfant a besoin de rester libre pour se
débrouiller dans la mesure de ses propres limites.
LES LEÇONS
EN TROIS TEMPS
Les leçons en trois temps

Nous appelons « initiation » les procédures simples qu’utilise la m­ aîtresse


pour présenter le matériel de développement à l’enfant ; cette appellation
désigne quelque chose de très différent de ce que nous appelons « les ­leçons »,
à savoir un autre type d’intervention de la maîtresse, qui a pour objectif de
fixer les idées de l’enfant en lui apprenant une nomenclature exacte.
Bien que nous les appelions « les leçons », elles se déroulent très
­différemment des leçons ordinaires qui cherchent à inculquer les connais-
sances à l’aide de discours illustrés. Dans notre méthode, ces connaissances
sont acquises par l’enfant de façon spontanée, grâce à ses propres efforts, en
manipulant le matériel. La mission de la maîtresse ne peut être plus simple :
nommer de façon très précise chaque connaissance acquise.
1/ Les leçons sont extrêmement brèves et ont d’autant plus de portée
qu’elles utilisent peu de mots.
2/ Elles sont simples parce qu’elles se limitent à nommer de façon exacte
les objets réels et présents.
3/ Leur but est d’être objectives, comme l’est un projecteur que l’on dirige
vers la chose que l’on souhaite mettre en lumière et en valeur. On évite,
comme c’est le cas dans les écoles ordinaires, que la personnalité de la
maîtresse prédomine lors de leçons académiques éloquentes, parce
que le but n’est pas d’attirer l’attention de l’enfant, même si c’est fait
avec art, sur la personne qui enseigne.
En conséquence, la leçon est comme une initiation, une nouvelle manière
d’attirer l’enfant vers la réalité de son environnement.
Seguin, dans sa méthode éducative pour les déficients, utilisait un procédé
psychologique pour enseigner le nom des objets, procédé qui est très p­ ratique
et efficace, même utilisé avec des enfants non déficients. Cette méthode
transplantée dans nos écoles s’appelle la leçon en trois temps.
Premier temps. Donner le nom précis de l’objet.
Supposons, par exemple, que la maîtresse veuille enseigner le nom des
couleurs. Elle cherche avant tout à attirer l’attention de l’enfant sur l’objet
­indiqué. « Regarde, lui dit-elle, après l’avoir appelé par son prénom, sois
­attentif. » En lui montrant les couleurs, elle ajoute : « C’est rouge » (en
­prononçant le mot « rouge » à voix haute, lentement, en insistant sur chaque
syllabe). Puis elle lui montre une autre couleur et dit : « Ceci est bleu » en
répétant plusieurs fois le mot jusqu’au moment où elle montre l’objet : « Bleu,
bleu, bleu. »

104
Les leçons en trois temps

Deuxième temps. Elle doit maintenant s’assurer que l’enfant a bien c­ ompris.
Pour ce faire, elle dit : « Donne-moi le rouge », « Donne-moi le bleu ». Et si
l’essai est probant, elle continue, comme en blaguant, en lui demandant les
objets, en insistant plusieurs fois de suite pour qu’il lui donne toujours le
même parce que l’enfant, croyant qu’elle va lui demander alternativement le
rouge et le bleu, sera surpris et amusé comme s’il était en train de jouer, alors
que l’exercice l’aide à apprendre des noms et à les mémoriser. Ce deuxième
temps est superflu s’il s’agit de mots très simples et déjà connus, mais quand
il s’agit d’enseigner d’autres mots plus difficiles et moins courants, comme
trapèze, pentagone, etc. il est certain que ce temps donne à la maîtresse
­l’opportunité de répéter les mots qu’elle cherche à graver dans l’esprit de
­l’enfant.
Troisième temps. Finalement, il faut vérifier si l’enfant a appris le nom de
l’objet, parce qu’il peut très bien « reconnaître » le mot sans l’avoir vraiment
appris, ce qui lui suffirait pour le répéter volontairement. C’est pourquoi la
maîtresse demande alors à l’enfant, en lui montrant un des objets : « Qu’est-
ce que c’est ? » et si l’enfant répond immédiatement : « rouge », « bleu »,
etc., cela prouve que la leçon a été profitable.
La leçon en trois temps est rigoureusement individuelle et ressemble à
une conversation entre la maîtresse et l’enfant.
Dans chaque exercice, lorsque l’enfant a reconnu les différences entre les
qualités des objets, la maîtresse fixe le concept de cette qualité avec un mot.
C’est-à-dire qu’une fois que l’enfant a construit et reconstruit plusieurs fois,
par exemple, la tour de cubes roses, au moment opportun la maîtresse s’ap-
proche de lui et, choisissant les deux cubes extrêmes, le plus grand et le plus
petit, dit en les désignant : « Ceci est grand », « Ceci est petit ». Ces deux
mots-là isolés : « grand » et « petit », se prononcent distinctement plusieurs
fois : « Ceci est grand, grand, grand. » Suit un moment de pause. Puis la maî-
tresse, pour voir si l’enfant a compris, l’interroge en lui disant : « Donne-moi
le grand », « Donne-moi le petit ». Ensuite, une autre fois : « Le grand »,
« Maintenant le petit », « Donne-moi le grand ». Enfin, la maîtresse, t­ oujours
en montrant les objets, recommence à poser des questions : « Qu’est-ce que
c’est ? » L’enfant, s’il a appris, répond correctement : « Le grand » ou
« Le petit ». La maîtresse insiste alors en répétant les mots, toujours le plus
clairement possible en accentuant : « Quel est celui-ci ? », « Le grand »,

105
Les leçons en trois temps

« Et ­celui-ci ? », « Le petit », « Concentre-toi bien, quel est celui-ci ? »,


« Le grand », etc.
Les objets grands et petits diffèrent en taille mais pas en forme, c’est-à-dire
que leurs trois dimensions varient plus au moins proportionnellement. Ainsi,
on dit qu’une maison est « grande », et qu’une chose est « petite ». Lorsque
deux gravures représentent le même objet de différentes dimensions, on peut
dire que l’une est un agrandissement de l’autre.
Cependant, quand seules les dimensions de référence de la section de
l’objet varient, et que la longueur reste la même, les objets s’appellent
« épais » et « fin ». On dirait ainsi de deux poteaux de même hauteur, mais
dont les diamètres diffèrent, que l’un est épais et l’autre fin. L’enseignant,
pour autant, doit donner une leçon de langage sur les prismes, semblable à
celle qu’il a donnée pour les cubes, en la divisant en trois temps, comme nous
l’avons décrit :
Première période. Le mot. « Ceci est épais », « Ceci est fin ».
Seconde période. La reconnaissance. « Donne-moi épais », « Donne-moi
fin ».
Troisième période. La prononciation du mot. « Qu’est-ce que c’est ? »
Il y a un moyen d’aider l’enfant à reconnaître les différences de dimensions
et à ordonner les objets en gradation. Par exemple, après la leçon décrite, le
maître place des prismes peints de couleur sombre sur un petit tapis et dit à
l’enfant : « Donne-moi le plus épais de tous. » Puis il place l’objet que lui a
donné l’enfant sur la table. Ensuite, il invite à nouveau l’enfant à chercher le
plus épais de ceux qui sont restés sur le sol, et à chaque fois la pièce choisie se
place sur la table, à côté de la précédente, juxtaposée. De cette manière, l’en-
fant s’habitue toujours à chercher le plus épais ou le plus fin parmi ce qu’il
reste. Il s’initie ainsi à construire une gradation par lui-même. Quand il n’y a
qu’une dimension qui varie, comme c’est le cas des barres de bois26, les objets
s’appellent « long » et « court », car la dimension qui varie est uniquement
une dimension de longueur. Quand la dimension qui varie est la hauteur, les
objets s’appellent « haut » et « bas » et si c’est la largeur, ils s’appellent
« large » et « étroit ».
On fait à l’enfant une leçon fondamentale au sujet de ces trois séries qui
concernent les variations en dimension. On lui montre les différences en

26. Les barres rouges cf. p.78

106
Les leçons en trois temps

u­ tilisant « les trois temps » pour qu’il choisisse dans le lot le plus long et le
plus court.
L’enfant acquiert ainsi un vocabulaire riche et précis.
Un jour, une maîtresse avait écrit sur un tableau avec des lignes très fines.
Un enfant s’exclama : « Comme ces lignes sont petites ! » Un autre le reprit
en disant : « Elles ne sont pas petites ; elles sont fines. »
Lorsque les mots enseignés lors de ces leçons se réfèrent aux couleurs ou
aux formes, il n’est pas aussi important d’insister avec emphase sur le contraste
entre les extrêmes ; le maître peut donner plus de deux noms à la fois : « Ceci
est rouge », « Ceci est bleu », « Ceci est jaune ». Ou bien : « Ceci est un
carré », « Ceci est un triangle », « Ceci est un cercle ». Dans le cas d’une
gradation cependant, le maître choisira (s’il est en train d’enseigner les cou-
leurs) les deux extrêmes, sombre et clair, en choisissant toujours le plus
sombre et le plus clair.
Grâce à ces leçons, l’enfant peut maîtriser de nombreux mots : grand,
­petit ; épais ; fin ; long, court ; sombre, clair ; lisse, rugueux ; lourd, léger ;
chaud, froid, tiède, et les noms de beaucoup de couleurs et de formes géomé-
triques.
Ces mots ne se réfèrent à aucun objet en particulier, sinon aux perceptions
psychiques des sensations de l’enfant. En effet, on donne les noms après un
long exercice pendant lequel l’enfant, concentrant son attention sur les
­différentes qualités des objets, a fait des comparaisons, en raisonnant et en
formant son jugement, au point d’acquérir un pouvoir de différenciation qu’il
ne possédait pas auparavant : il a affiné ses sens. Son observation des objets a
été intense et constructive : il s’est perfectionné.

L’enfant observateur
Il en résulte que l’enfant trouve, pour les mêmes mots, d’autres qualités
psychiques subtiles et rapides. Ses capacités à observer et à reconnaître ont
augmenté. Par la suite, les images mentales qui se succèdent ne se confondent
pas car elles sont toutes classifiées : les formes sont distinctes des dimensions
et les dimensions sont ordonnées selon les qualités qui en résultent. Tout ceci
est différent des gradations. Les couleurs sont divisées selon leur teinte et leur
nuance ; le silence est distinct de l’absence de silence ; les bruits distincts des

107
Les leçons en trois temps

sons, et chaque chose a un nom exact et précis. L’enfant a alors développé en


lui-même non seulement une aptitude particulière à l’observation et au
­jugement, mais aussi la connaissance des objets qu’il observe, c’est-à-dire
qu’ils sont, dans son esprit, chacun à leur place, dans un ordre établi et
­classifié, précisément, en fonction de leur nom.
N’est-ce pas justement ce qui arrive à l’homme cultivé, l’étudiant en
sciences expérimentales par exemple, lorsqu’il doit se préparer lui-même à
observer le monde extérieur ? Il trouve beaucoup plus facilement que
l’homme inculte des sujets d’observation, parmi les éléments naturels les plus
divers. Mais il se différencie surtout de ce dernier par ses qualités spéciales
d’observation. S’il a l’habitude d’observer avec un microscope, il voit des
­particularités qu’un homme quelconque ne distingue pas. S’il est astronome,
il voit beaucoup plus de choses et de manière beaucoup plus claire. Le bota-
niste et le promeneur sont entourés par les mêmes plantes, mais le botaniste
voit immédiatement en chaque plante ses qualités qui sont classifiées dans
son esprit, et attribue à chacune d’entre elles sa place dans l’ordre naturel.
Cette capacité à situer la plante dans une classification ordonnée complexe
est ce qui distingue le botaniste du jardinier ordinaire ; c’est le vocabulaire
exact et scientifique qui caractérise l’observateur spécialisé.
Toutefois, le savant qui a développé d’excellentes qualités d’observation et
qui sait classifier des objets externes, est un homme qui fera des découvertes
scientifiques. Celui qui se promène parmi les plantes ou en contemplant le
ciel étoilé, sans préparation ni ordre, n’en fera jamais.
C’est là que réside la différence entre nos enfants et ceux qui n’ont pas
l’opportunité de classifier leurs perceptions du monde extérieur de manière
ordonnée, autrement dit, ceux qui sont dans un véritable chaos.
En effet, nos petits donnent l’impression de « faire des découvertes » en
permanence dans le monde qui les entoure, ce qui leur procure une immense
joie. Ils extraient du monde une connaissance ordonnée qui leur inspire de
l’enthousiasme. Dans leurs intelligences, il y a de la « ­création » et non du
« chaos », et ceci est pour eux une véritable source de joie.

108
Les leçons en trois temps
LA LIBERTÉ
La liberté

Si la mission du maître est de guider l’enfant dans son développement, son


succès est intimement lié à son intervention plus ou moins délicate ; il doit
guider l’enfant sans trop lui faire sentir sa présence. Il doit toujours savoir
­reconnaître le moment où l’enfant a besoin d’aide et ne doit jamais être un
obstacle entre l’enfant et son expérience.
De la même façon qu’une « leçon » à l’ancienne peut refroidir l’enthou-
siasme des adultes, elle peut refroidir l’enthousiasme de l’enfant pour la
connaissance des choses.
Le secret de la véritable direction du travail scolaire est de susciter
­l’enthousiasme, de le protéger et de le conserver et ce n’est pas une tâche
­difficile, car l’attitude qu’il faut conserver vis-à-vis des actes d’un enfant doit
être faite de respect, de calme et d’attention. Il faut le laisser libre de ses
­mouvements et respecter ses expérimentations.
Nous comprenons alors que l’enfant a une personnalité en développe-
ment : il fait preuve d’initiative, il choisit son propre travail, il persiste à le faire
en suivant ses élans innés ; il ne refuse pas l’effort, il va de lui-même le ­chercher
et le surmonte selon ses capacités avec une grande joie. Il est sociable, recon-
naît son besoin d’aide, partage chacun de ses succès, de ses découvertes et de
ses petits triomphes. Tout ceci remplace le besoin de notre intervention.
« Il a besoin qu’on l’observe. » Ceci doit être le point de départ et le moteur
de la réflexion de tout éducateur.
Nous espérons, et rapidement, que grâce aux expérimentations de ­l’enfant,
nous finirons par partager avec lui les joies et les difficultés. Il réclame notre
sympathie et nous devons y répondre pleinement, avec entrain. Prenons
­patience vis-à-vis de ses lenteurs et petits progrès, montrons à l’enfant de
­l’enthousiasme et de la joie lors de ses succès. Si nous arrivons à dire : « Ma
manière d’être est respectueuse et courtoise avec les enfants, je les traite
comme j’aimerais être traité », alors nous sommes certains de dominer un
grand principe éducatif et nous donnons sans aucun doute « un exemple de
bonne éducation ».
Tout ce que nous souhaitons pour nous-mêmes : ne pas être dérangé dans
notre travail, ne pas rencontrer d’obstacles à nos efforts, avoir de bons amis
prêts à nous aider en cas de besoin, les voir se réjouir avec nous, ressentir
­vis-à-vis d’eux une égalité fraternelle, pouvoir se confier à eux et compter sur
eux, c’est de tout cela dont nous avons besoin pour nous sentir en bonne
compagnie. De la même manière nos enfants, ces petits êtres humains

112
La liberté

c­ réanciers de notre respect, sont supérieurs à nous par leur innocence même
et par leur immense potentialité à venir. Ce que nous désirons, eux aussi le
désirent.
Cependant, en général, nous ne respectons pas les enfants. Nous avons
l’habitude de les obliger à nous suivre, sans veiller à leurs nécessités spéci-
fiques. Nous sommes des dominateurs vis-à-vis d’eux et, en plus, sévères.
Nous voulons qu’ils soient obséquieux et mesurés sans même voir combien
fort est leur instinct d’imitation vis-à-vis de nous. Ils veulent nous imiter à
tout moment. Traitons-les donc avec cette bonté que nous aimerions voir se
développer en eux.
Et par le mot bonté il ne faut pas entendre les câlins. Qui considérons-
nous comme bon ? Celui qui nous embrasse dès le premier instant même s’il
est sévère, vulgaire et méchant ? Ou celui qui vient à notre secours ?
La bonté est un traitement courtois et respectueux et, par-dessus tout, une
attention que l’on porte aux désirs de l’autre avec la volonté de se soumettre à
ses désirs en oubliant les nôtres. Telle est la bonté que nous devons enseigner
aux enfants.
Pour comprendre les désirs des enfants, nous devons les étudier scientifi-
quement, car leurs désirs sont tout d’abord inconscients. Ils portent en eux
l’expression vitale qu’ils tentent d’exprimer par des voies mystérieuses. Nous
savons très peu sur les façons dont celle-ci se manifeste. Assurément, dans
­l’enfant qui se transforme en homme, s’exprime la force de l’action divine,
semblable à celle qui, à partir de rien, a formé un enfant pour la première fois.
Notre intervention dans ce merveilleux processus doit être indirecte :
nous ­devons seulement offrir à cette vie naissante les moyens nécessaires à sa
réalisation. Conscients de cela, nous devons attendre et suivre ce
­développement avec respect.
Par bonté, laissons la vie s’épanouir librement et observons le développe-
ment de cette vie innée. Ceci est toute notre mission. Quand nous observons,
peut-être pourrions-nous penser aux paroles prononcées par Celui qui fut au
sommet de la bonté : « Laissez venir à moi les petits enfants. » Ce qui veut
dire : « Ne les empêchez pas de venir, s’ils sont libres, ils viendront à moi. »

113
La liberté

La préparation pour le progrès


L’enfant qui parvient à faire tous les exercices que nous venons de décrire
a environ cinq ans.
Ce n’est pas surprenant : on a rencontré des enfants qui ont réussi à faire
ces divers exercices par eux-mêmes alors qu’ils étaient différents d’un point
de vue intellectuel, non seulement par leur nature, mais aussi par les
­circonstances dans lesquelles ils s’étaient spontanément formés.
L’éducation a déterminé un environnement pour nos enfants. Les diffé-
rences individuelles que l’on rencontre chez eux peuvent être attribuées à
leurs personnalités respectives. En fonction de son environnement, qui lui a
offert des moyens adaptés et des mesures pour répondre aux nécessités de
son développement, chaque enfant a trouvé, choisi et utilisé ce dont il avait
besoin pour développer sa propre personnalité et a agi conformément à ce
que lui a dicté sa nature psychique. Il s’agit dans l’ensemble d’un nouveau
type d’enfants qui se sont hissés au-dessus de l’état infantile connu jusqu’alors.
En ce sens, une éducation libre, dans un environnement préparé, renforce les
nouveaux caractères qu’ils ont acquis.
Ils ont coordonné leurs mouvements dans les différents types de travaux
manuels de la maison ; ils ont acquis une indépendance d’action caractéris-
tique ainsi qu’un sens de l’initiative pour adapter leurs activités à leur envi-
ronnement. De tout cela émerge une personnalité, qui fait de ces enfants des
petits hommes ayant confiance en leurs propres forces.
L’attention particulière qui est nécessaire pour porter des petits objets
­fragiles sans les casser, ou pour déplacer des choses lourdes sans faire de bruit,
a permis que les mouvements acquièrent une grâce et une légèreté qui carac-
térisent nos enfants. Un profond sentiment de responsabilité, atteignant un
haut degré de perfection, a jailli en eux. Par exemple, quand ils transportent
trois ou quatre verres en cristal en même temps ou la soupière avec la soupe
chaude, ils savent qu’ils sont responsables, non seulement des objets mais
aussi de l’action qu’ils sont en train d’exécuter. De la même manière, chaque
enfant sent qu’il a une part de responsabilité pour que règne le silence et pour
prévenir les bruits désagréables ; il sait comment il doit coopérer à une atmos-
phère de bonté et de tranquillité, faisant en sorte que l’ambiance soit non
seulement ordonnée mais aussi calme et sereine. Nos enfants ont indubita-
blement trouvé le moyen d’être maîtres d’eux-mêmes.

114
La liberté

Leur formation est due au travail psychologique approfondi qu’ils ont fait
auparavant grâce à l’éducation sensorielle. Ils ont ordonné, outre leur propre
personne et leur environnement, également le monde inné de leurs intelli-
gences.
Le matériel de développement, en effet, n’offre pas à l’enfant le contenu de
ses intelligences, mais plutôt l’ordre pour acquérir ce contenu. Il leur permet
de distinguer des identités, des différences, des extrêmes, des gradations, et
leur donne ainsi le moyen de classifier, à l’aide de concepts de qualité et de
quantité, les sensations les plus variées qui appartiennent aux objets : les
­couleurs, les dimensions, les formes et les sons. L’esprit de l’enfant s’est formé
lui-même grâce à l’exercice de son attention : en observant, en comparant et
en classifiant.
L’aptitude mentale acquise au travers de chacun de ces exercices conduit
l’enfant à faire des observations ordonnées de son environnement, observa-
tions qui corroborent ses intéressantes découvertes. En se formant dans son
esprit, le langage fixe alors, au moyen de mots précis, les idées que l’intelli-
gence a enregistrées. Ces mots sont peu nombreux ; ils se réfèrent non pas à la
séparation externe des objets, mais à l’ordre interne des idées qui se sont
­formées dans l’esprit. De cette manière, les enfants sont capables de trouver
par eux-mêmes, dans le monde des choses et des mots qui les entoure, un
guide naturel qui leur permet d’être des explorateurs actifs et intelligents
­plutôt que des voyageurs errant dans un monde inconnu.

La culture
Cependant, les avantages de l’éducation ne se limitent pas à telle ou telle
acquisition. Les enfants se sont préparés aux progrès à venir avec des a­ ptitudes
variées qui les prédisposent à de nouvelles conquêtes ; ils ont des capacités
élémentaires qui les incitent à des applications ultérieures ; il existe un lien,
une « vis à ergot », une force propulsive qui les pousse.
Ce sont des enfants qui, en très peu de temps, parfois même en quelques
jours, apprennent à écrire et à faire les premières opérations d’arithmétique.
Cela vient du fait que les esprits et les mains de nos enfants sont réellement
préparés pour écrire ; les idées de quantité, d’identité, de différence et de
­gradation, qui forment la base de tout calcul, ont mûri en eux depuis long-

115
La liberté

temps. On peut dire, indubitablement, que toute l’éducation initiale est une
préparation pour les premières études d’une culture fondamentale – lecture,
écriture et calcul –, et que la connaissance découle facilement, spontanément
et par voie de conséquence logique de cette préparation ; elle en est même la
conclusion naturelle.
Nous avons déjà vu que l’objet du travail est de fixer les idées et de faciliter
la compréhension élémentaire des choses. De la même manière, l’écriture et
l’arithmétique fixent désormais les acquisitions complexes de la pensée qui
est continuellement en train de s’enrichir de nouvelles observations.
Nos enfants ont longtemps préparé leurs mains à l’écriture. En faisant tous
les exercices sensoriels, la main, coopérant avec l’intelligence dans ses efforts
et dans son travail de formation, s’est préparée à son propre avenir. Quand la
main a appris à se placer d’elle-même sur un plan horizontal pour toucher les
surfaces lisses et rugueuses, quand elle prenait les cylindres pour les ajuster
dans leur emplacement, quand elle touchait les contours des formes géomé-
triques, elle était en train de coordonner ses mouvements, qui, comme nous
le verrons, sont des gestes qui préparent à ceux de l’écriture.

L’écriture analysée
Dans les méthodes ordinaires pour apprendre à écrire, il y a une progres-
sion qui commence par les bâtons et des courbes jusqu’à ce que l’on trace la
lettre entière, c’est-à-dire des traits les plus simples jusqu’aux traits les plus
complexes, autrement dit on fait une analyse des signes alphabétiques.
Dans notre méthode, au contraire, on évite de telles considérations
­extérieures et, au lieu d’analyser les signes alphabétiques (l’objet), on analyse
les mouvements que la main doit exécuter lorsqu’elle écrit. Ainsi donc, par le
biais d’exercices intéressants et agréables qui ne sont pas de l’écriture à propre-
ment parler, les différents mouvements qu’elle implique s’exercent
­séparément. Il s’agit d’une méthode qui conduit l’enfant à écrire par des voies
indirectes.
Le point essentiel réside dans la préparation du sujet et, une fois que
­celui-ci est indirectement préparé à exécuter tous les mouvements nécessaires
pour écrire, l’écriture ne présente plus aucune difficulté et les pénibles

116
La liberté

p­ rogressions artificielles qui sont toujours utilisées dans les écoles ordinaires
deviennent inutiles.
L’idée de la préparation indirecte des capacités motrices m’est venue en
observant une fille de 12 ans, déficiente, qui avait un mouvement et une force
de la main tout à fait normaux, mais qui cependant ne parvenait pas à
­apprendre à coudre, même si on lui enseignait avec persévérance ce qu’il y a
de plus simple, comme faufiler ou faire des ourlets. J’ai donc proposé à la
jeune fille le tissage de Fröbel, qui consiste à entrelacer de manière transver-
sale des bandelettes de papier, glissées dessus dessous sur un métier à tisser.
Quand elle a bien su faire ce tissage, je l’ai mise à coudre et j’ai observé qu’elle
le faisait facilement et avec un véritable plaisir. Le mouvement de la main
avait été préparé à la couture, sans coudre.
D’autres mouvements peuvent aussi être indirectement préparés. On peut
acquérir une grande adresse à exécuter un travail sans l’avoir fait directement
et le réaliser à la perfection presque dès le premier essai. Il est logique que la
préparation d’une action ne consiste pas à la faire. Ce que l’on appelle prépa-
ration ne peut pas être l’objet pour lequel on se prépare. Dans la nature, par
exemple, l’enfant se prépare à manger pendant l’allaitement, et à marcher en
rampant sur le sol et en faisant ses premiers pas ; et lorsqu’un jour il parvient
à tenir en équilibre, ce n’est pas parce qu’il s’est au préalable exercé à marcher
mais parce qu’il a terminé la préparation de son organisme pour la marche.

La période de préparation
Cette nouvelle mission de l’éducation ouvre donc des voies jusqu’alors
insoupçonnées pour aider au développement de l’enfant. Ces nouvelles voies
ont des conséquences immédiates sur l’apprentissage de l’écriture. En effet,
une fois que les enfants non porteurs de handicap ont touché les contours des
formes géométriques des ajustements plans, il n’y a plus qu’à leur faire ­toucher
les figures que forment les lettres de l’alphabet pour préparer leurs mains à les
tracer.

117
La liberté

Les étapes de l’écriture préparées


sans écrire
Nous allons maintenant aborder l’analyse des étapes de l’écriture.
L’écriture comporte plusieurs difficultés qui peuvent être regroupées et
surmontées grâce à divers exercices. En effet, certaines difficultés sont pure-
ment mécaniques : elles concernent l’exécution, comme le fait de tenir une
plume ou un instrument d’écriture et de tracer les lettres de l’alphabet.
D’autres difficultés, en revanche, mettent en jeu l’intelligence, qui doit
­reconnaître, grâce aux signes graphiques, les mots qui, eux, révèlent des idées.
En regroupant toutes les difficultés indiquées, on en vient à bout à l’aide de
­matériels et de différents exercices :
1 - Un dessin particulier, dont l’objet est celui de détendre la main lors du
maniement de l’instrument d’écriture et de maîtriser les mouvements pour
que l’écriture tienne dans des espaces définis. Grâce à cette préparation de la
main, écrire entre deux lignes largement ou étroitement espacées revient au
même.
2 - Un exercice consiste à toucher avec l’index et le majeur de la main droite
les lettres de l’alphabet en papier de verre. Cet exercice fixe les mouvements
du bras et de la main qui sont nécessaires pour écrire les lettres de l’alphabet,
quelle que soit leur forme.
3 - Un exercice consiste à composer des mots avec un alphabet mobile,
travail de comparaison et de mémoire absolument indispensable pour les
mécanismes moteurs de la mémoire. En effet, la main se contente de prendre
les lettres dans les boîtes et de les placer sur le pupitre d’une table ou sur un
tapis étendu au sol. Cet exercice est très efficace pour surmonter les difficultés
orthographiques.
Remarquez que l’agilité de la main, la belle calligraphie et l’orthographe
correcte peuvent ainsi être parfaitement acquises sans écrire.

118
La liberté

Les exercices pour le maniement de l’in-


strument d’écriture

Dans le matériel de développement il y a deux pupitres de bois sur lesquels


sont placés cinq cadres indépendants de métal peint en rose. Dans chaque
cadre est ajustée une forme géométrique qui ressemble à celles des ajuste-
ments des formes géométriques. Ces formes de métal sont également
pourvues d’un petit bouton de préhension, pour les extraire du cadre.
Avec ce matériel, nous utilisons une boîte de dix crayons de couleur et un
petit livret regroupant des dessins qui ont été préparés après de nombreuses
expériences et observations des enfants et qui sont, par conséquent, bien clas-
sés par ordre graduel de difficulté. Ce matériel permet en premier lieu de faire
des combinaisons de figures géométriques puis de figures et de paysages.
J’ai choisi et classé ces dessins en fonction de l’usage que les enfants font
des formes à dessin.
Façon de procéder avec les dessins de formes. Les deux pupitres se placent en
continuité, alignés, y sont exposés les dix « ajustements » complets, c’est-à-
dire les petits cadres avec les formes géométriques insérées. On donne à l’en-
fant une feuille de papier blanc et quelques crayons de couleur. Ensuite il
choisit un des dix ajustements, qui sont placés en ligne, à une certaine distance
les uns des autres.

Planches coulissantes pour présenter les formes à dessin

119
La liberté

On enseigne à l’enfant la procédure suivante : il place le cadre de l’ajuste-


ment de métal27 sur la feuille de papier, en le tenant fermement d’une main, et
trace de l’autre main son contour intérieur avec un crayon de couleur. Ensuite,
il retire le cadre de métal et découvre qu’il a dessiné sur le papier une figure
géométrique fermée : un triangle, un cercle, un hexagone, etc. En faisant cela,
l’enfant n’a pas fait un nouvel exercice parce qu’il a déjà pratiqué tous ces
mouvements quand il touchait les contours des formes géométriques de
bois ; l’unique nouveauté de cet exercice, c’est qu’il suit le contour des formes
non pas avec le doigt mais avec un crayon. C’est-à-dire qu’il a dessiné, suivi une
trace de son mouvement.
L’enfant trouve cet exercice facile et très intéressant et, de la même m
­ anière
qu’il a tracé les contours la première fois, il place cette fois la pièce géomé-
trique de métal peinte en bleu sur la figure tracée et constate qu’elle corres-
pond à son dessin. Ceci est un exercice qui ressemble assez à celui qu’il a fait
quand il plaçait les formes géométriques de bois sur les cartes dessinées de la
troisième série, sur laquelle les figures étaient représentées par une simple
ligne.
Maintenant que l’enfant a placé la forme sur la ligne tracée, il prend un
crayon d’une autre couleur et dessine de nouveau le contour de la forme géo-
métrique peinte en bleu.
Quand il soulève la forme, si le dessin est bien fait, il trouve sur le papier
une figure géométrique représentée par deux lignes de couleur superposées ;
s’il les a bien choisies le résultat est très esthétique et l’enfant, qui a déjà bien
aiguisé son sens chromatique, s’intéresse beaucoup à cela.
Ces détails peuvent paraître inutiles, mais ce qui est certain, c’est qu’en
pratique, ils sont tous nécessaires. Par exemple, si au lieu de placer les dix
ajustements de métal en file, le maître les donne séparément aux enfants, sans
tous les enseigner, les exercices sont très limités. En revanche, si on les leur
enseigne au préalable, ils sentent le désir de les dessiner tous, les uns après les
autres, et le nombre d’exercices peut se multiplier. Les deux lignes colorées
font naître chez l’enfant le désir de chercher d’autres combinaisons de
­couleurs, et ainsi de renouveler l’expérience. La variété des formes et des
­couleurs stimule en effet le travail qui nous mènera au succès final.

27. Sans la forme.

120
La liberté

C’est là que commence le véritable mouvement préparatoire à l’écriture.


Quand l’enfant a dessiné la figure avec ces doubles traits (celui du contour
intérieur et celui de l’encastrement), il prend un crayon, comme si c’était une
plume pour écrire, et remplit la figure avec des traits de haut en bas, jusqu’à ce
qu’elle soit complètement colorée. De cette manière, il y a sur le papier une
figure qui ressemble à celle de la première série de cartes, mais représentée en
différentes couleurs. Au début, l’enfant remplit les figures de n’importe quelle
manière, sans regarder les bords, en faisant des lignes inégales et sans parallé-
lisme. Mais peu à peu le dessin se perfectionne, s’ajuste aux lignes qui
marquent les bords et les lignes sont de plus en plus fines, régulières et égales,
de plus en plus parallèles.
Une fois que l’enfant a commencé à faire ces exercices, il aime les
­continuer ; il dessine toujours les bords des figures et les remplit avec des
traits. Chaque enfant finit par avoir un nombre considérable de dessins, qu’il
garde dans son petit tiroir personnel. C’est ainsi qu’il commence à organiser
le mouvement de l’écriture par le maniement du crayon. Ce mouvement est
remplacé dans les méthodes classiques par des pratiques obsolètes qui
consistent à tracer des bâtons ou par de laborieux efforts élémentaires qui ne
préparent pas à ce mouvement.

Les dessins de forme


L’organisation de ce mouvement, qui commence par le guidage de la main
par la pièce de métal, est encore imparfaite. C’est pour cela que l’enfant passe
aussitôt à une activité qui consiste à suivre les designs préparés dans son petit
album. Ils sont extraits du livre, un par un, dans l’ordre de progression dans
lequel ils ont été placés, et l’enfant les enlumine avec des crayons de couleur,
de la même manière que précédemment. Là, le choix des couleurs est une
autre occupation intelligente qui incite l’enfant à multiplier ses travaux.
Il choisit lui-même les couleurs, parfois avec une grande sensibilité. La délica-
tesse des nuances qu’il choisit et l’harmonie avec laquelle il les utilise dans ses
dessins, nous montre à quel point la croyance répandue selon laquelle les
enfants aiment surtout les couleurs criardes et vives est fausse. Cette idée
­résulte seulement de l’observation d’enfants sans éducation, abandonnés aux
impressions fortes et exacerbées d’un environnement qui ne leur est pas
adapté.

121
La liberté

L’éducation du sens chromatique devient alors un raffinement sensoriel


qui stimule le mouvement de la main, la préparant à l’écriture.
Les dessins de forme incitent d’eux-mêmes, de différentes manières, la li-
mitation de la longueur des traits utilisés pour remplir les figures.
L’enfant parvient à remplir les dessins des figures géométriques, grandes
et petites, selon un modèle : soit des fleurs et des plantes, soit un animal ou un
paysage aux détails variés. De cette manière, la main s’habitue d’elle-même,
non seulement à exécuter des actions générales, mais aussi à définir le mouve-
ment en respectant différentes limites.
Ainsi, l’enfant est préparé à écrire indifféremment en grands ou en petits
caractères. Son écriture définitive sera sans doute intermédiaire entre celle
qu’il utilise quand il écrit entre les lignes du tableau et celle qu’il utilise sur
l’étroit interligne des cahiers qu’ont généralement les enfants plus âgés.

Exercice pour l’écriture des lettres


de l’alphabet
Lorsque l’enfant est avancé en dessin de formes, on lui donne des petites
fiches cartonnées et très lisses sur lesquelles on a collé des lettres découpées
dans du papier de verre. Il y a aussi de grands panneaux sur lesquels on a collé
plusieurs lettres, regroupées selon leurs analogies de formes.

Lettre isolée en papier de verre Groupe de lettres en papier de verre

122
La liberté

Groupe de lettres en papier de verre

Les enfants « doivent tracer avec les doigts » ces lettres alphabétiques
comme s’ils les écrivaient. Ils les touchent avec les extrémités de l’index et du
majeur, de la même manière qu’ils touchent les ajustements de bois, avec la
main légère, comme lorsqu’ils touchent les surfaces lisses et rugueuses.
Le maître aussi touche les lettres, pour montrer à l’enfant comment se fait le
mouvement, et l’enfant, s’il a déjà suffisamment pratiqué avec les formes de
bois, imite le maître avec facilité et joie. Sans cette première pratique, la main
de l’enfant ne peut pas suivre les lettres avec précision. Cela permet de
comprendre l’importance de la préparation motrice à l’écriture faite précé-
demment et démontre l’immense effort auquel nous soumettons les enfants
quand nous leur demandons directement d’écrire sans une éducation motrice
de la main.
On voit que l’enfant de quatre ans et demi ressent de la joie en traçant les
lettres rugueuses.

123
La liberté

Les leçons
Pendant que l’enfant trace une lettre, le maître prononce le son de cette
dernière ; puis il fait une leçon en utilisant le procédé de la leçon en trois
temps. Premièrement, par exemple, en lui présentent les deux voyelles « i »
et « o », il fait en sorte que l’enfant les trace doucement et avec précision, et
répète leurs sons, l’un après l’autre au moment où l’enfant les trace : « i, i, i, »,
« o, o, o ». Il dit alors à l’enfant : « Donne-moi le i. Donne-moi le o ! » Puis il
arrive finalement à la question : « Qu’est-ce que c’est ? », question à laquelle
l’enfant répond « i », « o ». Il faut faire de même avec toutes les autres lettres,
en utilisant, dans le cas des consonnes, non pas le nom de la lettre, mais
­uniquement le son. L’enfant trace alors les lettres de lui-même, encore et
­encore, sur les petites fiches sur lesquelles elles sont séparées, ou sur les grands
panneaux où plusieurs d’entre elles sont regroupées. L’enfant réalise ainsi les
mouvements nécessaires pour tracer les lettres alphabétiques. Il imprime
­simultanément dans son esprit l’image visuelle de la lettre. Ce processus
constitue la première préparation, non seulement à l’écriture mais aussi à la
lecture. Car il est évident que lorsque l’enfant trace les lettres, il fait le mouve-
ment qui correspond à celui de l’écriture de ces lettres et, tout en les
­reconnaissant, il apprend l’alphabet.
En effet, l’enfant a ainsi préparé tous les mouvements nécessaires pour
écrire : ensuite il est en mesure d’écrire. Cette grande conquête est le résultat
d’une longue période de formation intérieure, réalisée par l’enfant sans qu’il
s’en rende vraiment compte. Mais bientôt arrive le jour où il écrira, et ce jour
sera une grande surprise pour lui, car il bénéficiera de la merveilleuse récolte
de mystérieuses semences.
On lui propose un alphabet comportant des lettres mobiles qui servent à
composer des mots : ce sont des lettres coupées dans du carton coloré et
conservées dans une boîte spécifique avec des compartiments.

124
La liberté

Alphabet mobile

Avec une langue phonétique comme l’espagnol ou l’italien, il suffit de


­prononcer clairement les différentes composantes d’un mot (par exemple m,
a, n, o) pour que l’enfant, dont l’ouïe a déjà été éduquée, puisse reconnaître
un par un, les sons qui le composent. Il regarde alors quels signes corres-
pondent à chacun de ces sons dans l’alphabet mobile, et il les place les uns à la
suite des autres, composant ainsi le mot. Il devient peu à peu capable de faire
la même chose avec de nombreux mots qu’il choisit lui-même. Il y arrive en
décomposant leurs sons et en les traduisant en suites de signes.
Lorsque l’enfant a composé des mots de cette façon, il sait déjà ce qu’il
faut faire pour lire. Pour autant, dans cette méthode, tous les différents
­procédés conduisent à l’écriture et à la lecture.
Si la langue n’est pas phonétique, le maître peut composer des mots
­séparés avec l’alphabet mobile, tout en les prononçant, invitant l’enfant à
­refaire de lui-même l’exercice de disposition des lettres et de lecture de
­nouveaux mots.
Dans le matériel, il y a deux alphabets mobiles. L’un d’eux comporte de
grandes lettres réparties dans deux boîtes, chacune des deux contenant des
voyelles. Cet alphabet s’utilise pour les premiers exercices, lors desquels

125
La liberté

l­ ’enfant a besoin de très grands supports pour reconnaître les lettres. Lorsqu’il
connaît la moitié des consonnes, il peut commencer à composer des mots
pour lesquels une seule partie de l’alphabet suffit.
Le second alphabet mobile comporte des lettres plus petites contenues
dans une seule boîte. Il est donné à ceux qui ont déjà fait les premières ­activités
de composition de mots et qui connaissent déjà tout l’alphabet.
Après ces exercices avec l’alphabet mobile, l’enfant est déjà capable d’écrire
des mots entiers. Ce phénomène est généralement inattendu, et, par consé-
quent, celui qui a au préalable fait quelques gribouillis ou tracé une lettre sur
un papier, écrit successivement plusieurs mots. Ce phénomène a parfois un
caractère explosif. À partir de ce moment-là, l’enfant n’a de cesse d’écrire, en
s’autoperfectionnant constamment et graduellement.
Cette écriture spontanée a les mêmes caractéristiques que tout phéno-
mène naturel : l’enfant qui a écrit son premier mot continue à écrire ; c’est
comme pour le langage, après avoir prononcé son premier mot, il continue à
parler, et pour la marche, après avoir fait son premier pas, il continue à
­marcher. La formation personnelle et le phénomène d’apparition de l’écri-
ture suivent la même orientation que celle du progrès à venir : toujours tendre
vers la perfection.
L’enfant ainsi préparé est entré dans le cours de son propre dévelop­
pement, qui va bien sûr de pair avec la croissance de son corps ; de la même
manière que le développement des fonctions de son esprit va de pair avec le
développement de sa vie.
En ce qui concerne l’intérêt et le phénomène complexe du dévelop­pement
de l’écriture et, par conséquent, de la lecture, je suggère de se référer à mes
autres ouvrages plus importants.
La description suivante est extraite de mon livre La Méthode de la pédago-
gie scientifique appliquée à l’éducation de l’enfant dans les Maisons des Enfants28.

28. Titre actuel aux Éditions DDB : La Découverte de l’enfant, Pédagogie scientifique : Tome 1.

126
La liberté

L’enthousiasme suscité par l’écriture


C’était une journée de décembre très ensoleillée et nous étions sortis sur
la terrasse avec les enfants. Ils jouaient en courant librement. Certains
­restaient à mes côtés. Moi, qui m’étais assise près du conduit de la cheminée,
je dis à un enfant de cinq ans qui était près de moi : « Dessine cette chemi-
née. » Le petit, obéissant, s’est agenouillé, et a dessiné la cheminée sur le sol
avec un certain réalisme et, selon l’habitude dans ces cas, j’ai applaudi en
­exclamations élogieuses.
L’enfant me regarda, sourit, resta un moment comme s’il était sur le point
de s’abandonner à un excès de joie, puis il cria : « Je sais écrire, je sais écrire ! »
Il se remit à genoux, écrivit le mot « main » (mano) et, enthousiasmé, il
­écrivit aussi : « cheminée », « toit ». Tout en le faisant, il continuait à s’écrier :
« Je sais écrire, je sais écrire ! », avec une telle force que les autres enfants,
attirés par ses cris, accoururent et, en formant un cercle autour de lui, le regar-
daient impressionnés.
Deux ou trois d’entre eux me dirent avec émotion : « Donnez-moi la
craie ! Moi aussi je sais écrire ! » et ils écrivirent en effet « maman », « main »
et d’autres mots29.
Aucun d’entre eux n’avait jamais pris la craie ni aucun autre instrument
pour écrire : c’était la première fois qu’ils écrivaient.
Les premiers jours ils étaient émus, enchantés, parce qu’il leur semblait
qu’ils assistaient à un miracle. L’enfant qui écrivait pour la première fois un
mot, appelait les autres pour qu’ils le voient, et si un enfant manquait à l’appel
pour assister à ce spectacle, il le tirait par le vêtement et l’obligeait à venir : il
était nécessaire que tous se mettent en cercle autour du mot écrit et qu’ils
unissent leurs exclamations de surprise aux cris de joie de l’heureux auteur.

29. Maman et main sont phonétiques en italien.


LA LECTURE
30

30. Titre d’origine : La lecture sans syllabaire. Le syllabaire est un manuel pour apprendre à lire en découpant des
mots en syllabes.
La lecture

Les exercices préparatoires ont initié conjointement la lecture et l’écriture


parce que, en présentant les lettres rugueuses, le fait de les tracer est un geste
embryonnaire de l’écriture, le fait de les voir et de les reconnaître prépare la
lecture. Toucher et voir, c’est-à-dire écrire et lire, sont des actes qui se
confondent. On peut dire la même chose au sujet de la composition de mots
avec l’alphabet mobile. L’enfant qui compose un mot en plaçant les lettres de
l’alphabet les unes après les autres, fait un exercice complet, qui comprend
aussi la lecture du mot. Ces exercices permettent assurément de surpasser
toutes les difficultés que les syllabaires sont censés résoudre.
Cependant, il faut distinguer ces périodes préparatoires de la véritable
­lecture, qui, indépendante de l’écriture, se différencie beaucoup de celle-ci.
La lecture consiste à recevoir une idée du mot écrit. Comprise ainsi, elle
ne se développe pas en même temps que l’écriture, comme sa genèse le laisse-
rait supposer. Dans notre méthode, l’écriture précède la lecture, et ceci est un
autre contraste avec les méthodes ordinaires. En y pensant bien, dans les
­exercices préparatoires à l’écriture, les mécanismes psychomoteurs, qui sont
extraordinairement actifs dans la première enfance, prévalent ; tandis que
pour la lecture, un travail purement intellectuel intervient, qui est pour autant
adapté à une période avancée du développement psychique.
Les exercices spéciaux de lecture sont les suivants :
Sur une feuille de papier d’écriture, on trace, en italique31, un mot très
connu ou qui représente un objet parmi ceux qui sont à portée de vue. Si le
mot se réfère aux objets présents, il faut les mettre bien en évidence, pour
­faciliter à l’enfant l’interprétation des mots. Il ne faut pas se préoccuper de
savoir s’ils sont simples ou difficiles, car étant donné que les enfants ont déjà
réalisé beaucoup d’exercices de composition de mots, ils considèrent les mots
comme des compositions de sons, ce qui ne représente pour eux aucune
­difficulté. La lecture, par conséquent, revient à fournir le petit effort supplé-
mentaire qui permet de comprendre la signification, c’est-à-dire de saisir
l’idée en plus de déchiffrer des sons.
L’enfant fait ce travail très lentement et en vient à bout à force de
­persévérance ; mais lorsqu’il finit par comprendre, il manifeste une intense
satisfaction.

31. C’est-à-dire en écriture attachée ou cursive.

130
La lecture

L’association du mot écrit (lu) avec l’objet qui lui correspond, constitue
au début un véritable jeu de lecture.

Le jeu pour la lecture de mots


On place sur la table des objets attrayants, la plupart du temps des petits
jouets, et dans un panier ou une petite boîte des bandes de papier enroulées,
qui contiennent les mots. Comme dans une loterie, l’enfant qui sait lire le
papier qu’il a tiré au sort le présente comme un billet qui lui donne le droit de
choisir le jouet correspondant.
Par la suite, ce jeu s’est transformé en un exercice individuel qui consiste à
prendre un groupe de jouets et de petits papiers correspondants qui, après
avoir été lus, doivent être associés à l’objet qui leur correspond. Encore
­aujourd’hui, pour les langues qui ne sont pas phonétiques, ceci constitue un
exercice essentiel pour la lecture.
Dans nos écoles de langue italienne et de langue espagnole, qui sont
­phonétiques par excellence, les enfants ont rapidement délaissé les jouets
pour avoir la plus grande quantité possible de petits papiers, pour le simple
plaisir de les lire. Ce fait surprenant démontre que les enfants préfèrent lire
plutôt que de toucher les jouets. Le chemin le plus sûr est celui qui mène aux
connaissances, sans se préoccuper de chercher des artifices inutiles.
Convaincue de cela depuis mes premières expériences, je recommandai à
la maîtresse qu’elle poursuive et présente aussi l’écriture avec des caractères
d’imprimerie, préparant à cet effet quelques tickets avec les mots manuscrits
et en caractères d’imprimerie. Les enfants avaient anticipé. Il y avait dans la
classe un almanach avec beaucoup de mots en caractères d’imprimerie et
d’autres en écriture gothique et, à notre grande surprise, de nombreux ­enfants
se mirent à lire les deux types de caractères sans aucune aide. Ensuite, j’ai
constaté que les enfants ne progressaient pas de façon linéaire, comme nous
le supposions, mais en faisant des bonds et en dépassant de nombreuses
­difficultés, surtout lorsque le désir de savoir les pousse, désir qui aiguise leur
pouvoir intuitif.

131
La lecture

La lecture de phrases
La description qui suit est extraite du livre précédemment cité :
« Un jour, en pleine conversation, quatre enfants se levèrent tous en même
temps, avec une expression de joie, et écrivirent sur le tableau des phrases de
ce type : “Je suis content parce qu’il y a des fleurs dans le jardin.” Ce fut pour
nous une surprise immense et émouvante : ils avaient spontanément réussi à
faire de la “composition”, de la même manière qu’ils avaient spontanément
écrit leur premier mot.
Je compris que le moment de procéder à la lecture de phrases était arrivé,
et j’eus recours aux mêmes moyens, c’est-à-dire que j’écrivis des phrases sur
le tableau “Vous m’aimez beaucoup ? Les enfants lurent doucement et
­s’exclamèrent ensuite à tue-tête : « oui, oui ! » Je continuai en écrivant :
“Alors, taisez-vous et soyez calmes.” Ils lurent ces mots presque en criant, et, à
peine terminée la lecture, un silence solennel s’installa, juste interrompu par
quelques petits bruits de chaise, occasionnés par les mouvements que les
­enfants faisaient pour maintenir leur position.
C’est ainsi qu’une correspondance écrite commença entre eux et moi… »
Ces expériences m’inspiraient le matériel qu’il fallait utiliser pour les
­exercices de lecture de phrases.
Il s’agit de petites bandelettes en papier avec de longues phrases qui dé-
crivent des actions que les enfants doivent réaliser, par exemple : « Ferme les
volets de la fenêtre et ensuite ouvre la porte d’entrée. » Ou bien : « Veille à ce
que huit de tes compagnons abandonnent leur place et forment une file deux
par deux. »
Les enfants prennent les bandelettes, vont dans un coin pour les lire en
­silence puis font ce qu’elles indiquent. Ces exercices de lecture se font de
­façon individuelle. Chaque enfant choisit cette activité, comme quand il
s’exerce avec un autre matériel. L’intérêt qu’il met dans l’exercice lui-même
indique que l’enfant a bien lu les phrases et la maîtresse n’a pas à se p­ réoccuper
de savoir si l’enfant a fait ou non ce que disait la bandelette, puisque rien ne
l’oblige à en prendre une en particulier et que ces exercices ­individuels n’inté-
ressent personne d’autre que lui. S’il ne savait pas lire, il n’aurait aucun intérêt
à choisir ce matériel.
Lorsqu’il y a plusieurs enfants qui choisissent cette activité indépendam-
ment les uns des autres, une étrange animation prend place dans la classe :

132
La lecture

l’un se promène de-ci de-là ; un autre ferme les fenêtres ; celui-ci fait marcher
ou chanter ses compagnons ; celui-là sort les objets des armoires. C’est un
mouvement provoqué par une grande conquête : des voix silencieuses
­parviennent à leur intelligence, les dirigeant mystérieusement en leur d­ onnant
des ordres ou des commandements.
ENSEIGNEMENT DE LA
NUMÉRATION ET
CHEMINEMENT VERS
L ARITHMÉTIQUE
Enseignement de la numération et cheminement vers l’arithmétique

Le matériel qui s’emploie pour la numération est la série des dix barres
de longueur que l’on utilise pour l’éducation sensorielle. Ces barres ont une
relation de 1 à 10, car la plus courte mesure 10 cm, celle qui suit 20 cm, et
ainsi de suite jusqu’à la dixième qui fait 100 cm de long, c’est-à-dire 1 m.
Les segments de 10 cm sont peints alternativement de rouge et de bleu, et
peuvent être distingués et comptés en chaque section. Si la première de ces
barres représente la quantité 1, les autres représentent successivement 2, 3, 4,
5, 6, 7, 8, 9, 10. L’avantage de ce matériel réside dans le fait qu’il représente
ensemble les unités qui composent chacun des nombres que ces barres
­permettent d’appréhender, bien qu’elles soient distinctes et dénombrables.
La barre de 5, par exemple, est d’une seule pièce qui correspond à ce nombre ;
les cinq unités sont distinguées au moyen des couleurs. Une très grande
­difficulté est ainsi surmontée : celle qui existe dans la numération qui se fait
en ajoutant, séparément, une unité à une autre. Si les unités sont utilisées
pour compter des petits objets, comme des petits cubes identiques, pourquoi
dirions-nous « un » en prenant le premier, et « deux » en en ajoutant un
autre et ainsi de suite ? L’enfant a tendance à dire « un » en relation à chaque
nouvel objet qu’il ajoute, soit : « un, un, un, un, un » et non « un, deux, trois,
quatre et cinq ».
Le fait que le groupe augmente avec l’addition d’une nouvelle unité et que
l’on doive considérer cet ensemble qui va grandissant, constitue précisément
l’obstacle qui rend la numération compliquée pour des enfants de trois à
quatre ans. Le regroupement en un ensemble des unités qui sont en réalité
séparées entre elles, est un travail mental qui est initialement inaccessible à
l’enfant. En effet, beaucoup de petits comptent en récitant de mémoire la
comptine des nombres ; mais ils restent perplexes face aux quantités
­correspondant à ces nombres. L’esprit de l’enfant, extrêmement concret et
exact, a besoin d’une aide claire et précise. Lorsqu’on présente aux enfants les
barres numériques, on remarque que même les plus petits s’y intéressent vi-
vement.
Les barres correspondent aux nombres et augmentent graduellement en
longueur et d’une unité et, par conséquent, indiquent la valeur absolue ainsi
que sa relativité. Les proportions étudiées en amont dans les exercices
sensoriels sont ici mathématiquement déterminées, donnant lieu aux
­
­premiers exercices d’arithmétique. Les nombres maniables et comparables,
grâce à la manipulation de ces barres, se prêtent aussitôt à des combinaisons

136
Enseignement de la numération et cheminement vers l’arithmétique

et des comparaisons. Par exemple, en juxtaposant les barres du 1 et du 2,


on obtient une longueur égale à celle de la barre du 3 ; de l’union des barres
du 3 et du 2, on obtient une longueur égale à celle du 5. Toutefois, l’exercice
le plus intéressant consiste à construire la gradation, c’est-à-dire à mettre les
barres de longueur successives l’une à la suite de l’autre, comme on disposait
toute la série dans les exercices sensoriels. Il en résulte ainsi une disposition
semblable à celle des tuyaux d’un orgue et les couleurs rouge et bleu se
­correspondent en formant de jolies lignes transversales. En plaçant alors la
barre du 1 à côté de celle du 9 (autrement dit en plaçant à côté de la barre la
plus proche de la barre du 10 la plus éloignée de celle-ci) et ainsi de suite :
la barre du 2 avec celle du 8 ; celle du 3 avec celle du 7 et celle du 4 avec celle
du 6, on compose ainsi des longueurs égales à celle de la barre du 10. Que
sont ces mouvements et ces combinaisons de quantités sinon le début des
opérations d’arithmétique ? Et en même temps c’est un jeu plaisant que celui
de changer la place des objets. L’enfant progresse dans l’acquisition de ces
notions autant que le lui permet son âge.

Les chiffres
Lorsque l’enfant a commencé à lire et à écrire, il lui est très facile
­d’apprendre aussi les chiffres qui représentent les nombres. Nous donnons
dans nos écoles, en même temps que l’alphabet, des tablettes lisses sur
­lesquelles ont été collées les figures des nombres découpées dans du papier
de verre. Les enfants touchent les chiffres rugueux dans le sens de leur é­ criture
et ils les nomment en même temps. Chaque tablette est placée sur la barre de
quantité à laquelle elle correspond. L’association des chiffres écrits et des
quantités qu’ils représentent est un exercice analogue à celui qui consiste à
associer le nom écrit à l’objet correspondant32. Commence ensuite un travail
que l’enfant peut continuer par lui-même. Les sommes des barres peuvent
être écrites conformément au modèle des chiffres placés sur les barres ; et il y
a des enfants de cinq ans qui remplissent des cahiers entiers de petites
sommes.

32. Dans les exercices de lecture.

137
Enseignement de la numération et cheminement vers l’arithmétique

Les unités distinctes


Bien que les barres soient les principaux objets pour initier l’enfant à
l’arithmétique, il y en a deux autres qui font partie du matériel destiné à cette
étude. L’un d’eux sert à dénombrer des unités séparées, à préparer l’esprit de
l’enfant au concept des groupes numériques et à fixer en même temps, sous
ses yeux, la suite des signes 0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9. Ce matériel, appelé « la
boîte des fuseaux », comporte plusieurs compartiments dans lesquels un
chiffre est peint ; l’enfant place dans chaque compartiment le nombre corres-
pondant de fuseaux, c’est-à-dire qu’il réunit les unités.

La boîte des fuseaux

Les sommes sont :


9 + 1 = 10,
8 + 2 = 10,
7 + 3 = 10,
6 + 4 = 1033

33. « Omettre » aurait ici été indiqué à la main sur le manuscrit par Maria Montessori en vue d’une
nouvelle édition. Nous avons fait le choix de laisser ces passages mais en effet, quand on fait cette
activité aujourd’hui, on ne propose plus de noter les additions à ce stade.

138
Enseignement de la numération et cheminement vers l’arithmétique

L’autre matériel, évoqué plus haut, est constitué d’une série de petits
­cartons placés dans une boîte qui contient des petits carrés34 de couleur. Les
cartons, sur lesquels sont écrits les dix numéros du 0 au 935, sont mélangés.
L’enfant doit ensuite les placer par lui-même, montrant ainsi qu’il a appris la
série numérique et qu’il reconnaît les chiffres qui représentent les nombres.
Sous chaque chiffre, il place la quantité correspondante de jetons, en les
­ordonnant deux par deux, c’est-à-dire par paire les uns sous les autres, de
­manière à ce que l’on voie bien la différence entre les nombres pairs et les
nombres impairs.
Voilà le matériel que nous avons considéré nécessaire pour transmettre les
fondamentaux de la numération et des opérations arithmétiques.

Les jeux et les farces autour du zéro


Pour que les enfants comprennent ce que signifie « rien », je fais le jeu
suivant. Je me place au milieu d’eux, assis sur leurs petites chaises, je me dirige
vers l’un, qui a déjà fait les exercices des nombres et lui dis : « Viens ici zéro
fois. » L’enfant s’approche presque à chaque fois de moi et retourne aussitôt
à sa place. « Mais, lui dis-je, tu es venu une fois et moi je t’ai dit de venir zéro
fois. » C’est alors que commence l’étonnement. « Mais que dois-je faire ? »
« Rien ; zéro, c’est rien. » « Et comment fait-on rien ? » « On ne le fait pas.
Tu aurais dû rester tranquille, ne pas quitter ta place ni venir une fois, parce
que zéro fois cela signifie aucune fois. »
Je répète l’exercice : « Toi, mon cher, envoie-moi du bout des doigts zéro
bisou. » L’enfant rit et reste immobile. « Mais tu n’as pas entendu ? répété-je,
insinuante. Envoie-moi zéro bisou. » Immobilité. Éclat de rire général. J’élève
la voix, comme énervée par leurs rires, et j’appelle l’un d’entre eux sévère-
ment, de manière menaçante : « Toi, viens ici zéro fois ! Tu comprends ?
Viens zéro fois ! Tout de suite ! » Il ne bouge pas. Les rires augmentent et sont
de plus en plus bruyants, excités par mon attitude qui, de suppliante, est
devenue menaçante. « Mais, pourquoi ne viens-tu pas ? Pourquoi ne
­
­m’envoies-tu pas de bisou ? » Et tous crient, les pupilles brillantes et

34. Des jetons.


35. Actuellement de 1 à 10.

139
Enseignement de la numération et cheminement vers l’arithmétique

l­ armoyantes de rires et de joie : « Zéro c’est rien ! Zéro c’est rien ! » « Ah ! Ah


bon ! dis-je en souriant paisiblement. Bon, alors venez tous à moi une fois »
et tous se pressent pour m’entourer.

Les exercices pour mémoriser


des nombres
Lorsque les enfants reconnaissent les chiffres écrits et comprennent leur
signification numérique, je fais l’exercice suivant :
Je dispose de nombreux petits papiers qui comportent un chiffre de 0 à 9
imprimé ou manuscrit (je me sers souvent des feuilles de l’almanach mural,
en coupant les parties supérieures et inférieures sur ­lesquelles il y a des mots
imprimés, et je choisis de préférence les nombres rouges). Je plie les petits
papiers, les place dans une boîte et commence le tirage au sort. L’enfant
pioche un petit papier, retourne à sa place, le lit en cachette, le replie et le
garde secret. Ensuite, un par un, et même par groupes, les enfants qui ­détiennent
un petit papier (naturellement, ce sont les plus grands, ceux qui connaissent
déjà les chiffres) s’approchent de la grande table de la maîtresse, sur laquelle
il y a une foule d’objets – des cubes, des briques de Fröbel ou mes tablettes
pour les exercices du sens baryque – et chacun prend la quantité d’objets qui
correspond au numéro qu’il a pioché. Le petit papier a été laissé par chaque
enfant à sa place, et il doit par conséquent se souvenir de son nombre, non
seulement pendant les mouvements qu’il fait parmi ses camarades pour
­s’approcher de la table, mais aussi pendant qu’il choisit et rassemble les
­objets, en les comptant un à un. La maîtresse peut faire des observations indi-
viduelles intéressantes sur la façon dont les enfants retiennent les nombres.
Quand l’enfant a récolté ses objets, il les place sur la petite table.
Au début du jeu, il arrive fréquemment que l’enfant prenne plus d’objets
que ceux qui correspondent au nombre qu’il a, non parce qu’il a oublié le
chiffre, mais plutôt par désir d’en avoir plus. Ruse de l’instinct primitif et
­inculte qui veut avoir un pécule. La maîtresse fera alors remarquer aux enfants
qu’il est inutile d’avoir autant de choses sur la petite table, parce que le but du
jeu consiste à deviner la quantité exacte d’objets que chacun a sur son petit
papier. Peu à peu les enfants s’habituent à cette idée, mais pas aussi facilement
qu’on pourrait le croire. C’est un véritable effort de volonté qui contient

140
Enseignement de la numération et cheminement vers l’arithmétique

l­’enfant dans les limites nécessaires et lui fait prendre seulement un ou deux
objets parmi tous ceux qui sont amoncelés sur la table à sa disposition, tandis
que ses compagnons en prennent plusieurs. L’enfant qui a pioché le zéro ne
bouge pas de sa place et regarde ses compagnons qui ont pioché des nombres
se lever, se déplacer et prendre librement des objets parmi le tas qui lui semble
éloigné et inaccessible. Le zéro tombe fréquemment sur un enfant qui sait
compter facilement et qui se réjouirait tant d’aller chercher de nombreux
objets, de les ordonner sur la petite table et d’attendre la vérification avec
confiance et fierté.
Il est très intéressant d’étudier l’expression du visage de ceux qui ont
­pioché le zéro. Les différences que l’on remarque d’un individu à l’autre sont
révélatrices du caractère de chacun. Certains restent impassibles, avec un air
fier pour dissimuler leur déception, ceux-ci manifestent par des gestes leur
impression de mécontentement, ceux-là ne peuvent retenir un sourire motivé
par le sentiment de vivre une situation singulière qui éveillera la curiosité des
camarades, d’autres encore suivent des yeux les mouvements de leurs compa-
gnons jusqu’à la fin de l’exercice, presqu’envieux et d’autres enfin se montrent
résignés.
Dix et au-delà36. Zéro est rien, mais il est placé juste avant le un, pour que
nous puissions continuer à compter en passant de 9 à 10.
Si au lieu de la pièce 1, nous allions prendre des pièces grandes comme la
barre de 10, nous compterions 10, 20, 30, 40, 50, 60, 70, 80, 90. Nous procé-
dons graduellement, c’est-à-dire d’unité en unité, d’une dizaine à l’autre. Pour
le premier exercice, on peut utiliser les barres qui présentent les quantités ; et
pour montrer comment on procède avec un nombre à deux chiffres, il est très
utile d’avoir un matériel qui contient des petits cadres et des petits cartons sur
lesquels les dizaines sont écrites les unes sous les autres.
Ces nombres sont fixes sur le cadre, de manière à ce que les autres chiffres,
du 1 au 9, puissent être glissés sur les dizaines en cachant uniquement les
­zéros. On procède de la manière suivante :
Quand nous commençons avec la première dizaine du cadre, nous p­ laçons
à côté du 10 la barre de 10 décimètres. Ensuite nous plaçons dans son prolon-
gement la plus petite barre, celle d’un décimètre, et au même moment nous

36. Concernant cette activité, « omettre » aurait été indiqué de la main de Maria Montessori en vue d’une
nouvelle édition. Nous avons fait le choix de laisser ces passages car il s’agit d’une édition historique.

141
Enseignement de la numération et cheminement vers l’arithmétique

La table de Seguin

faisons glisser la pièce du chiffre 1 sur celui du nombre 10, en recouvrant le


zéro37. Ensuite, on enlève la barre de 1 et le chiffre 1 du cadre, et on met à sa
place la barre de 2, dans la continuité de celle du 10, pour former 12, et, on fait
glisser la pièce de 2 sur le 0 du 10 pour faire apparaître 12 aussi dans le cadre ;
et ainsi successivement jusqu’à 9. Pour aller plus loin, on aurait besoin d’uti-
liser deux baguettes de 10 pour faire 2038.

37. Le nombre 11 apparaît.


38. On utilise aujourd’hui, plutôt que les barres numériques, des perles à l’unité et des barrettes de dix perles
pour représenter les quantités lors de cet exercice qui s’appelle : les tables de Seguin. C’est en effet un

142
Enseignement de la numération et cheminement vers l’arithmétique

C’est ainsi que la nécessité d’avoir du matériel plus abondant se présente


pour accumuler des dizaines, et on entre dans la période de l’instruction élé-
mentaire dans laquelle le matériel adéquat conduit au calcul et aux quatre
opérations39.

matériel inspiré de celui du docteur Édouard Seguin.


39. Le matériel évoqué ici est maintenant utilisé dans la classe des enfants de 3 à 6 ans.
LES FACTEURS
MORAUX
Les facteurs moraux

Nos résultats ont été surprenants, car les enfants ont montré un amour du
travail qu’on ne soupçonnait pas en eux et ils ont atteint une quiétude et un
ordre dans leurs mouvements qui dépassait les limites de la « correction »
pour entrer dans celles de la « grâce ». La discipline spontanée, l’obéissance
qui s’est manifestée dans toutes les classes constituent les résultats les plus
brillants de notre méthode.
À bien y penser, les tendances que nous appelons mauvaises chez les petits
enfants de trois à six ans sont parfois simplement celles qui nous gênent, nous
adultes, quand, faute de comprendre leur nécessité, nous évitons aux enfants
chaque mouvement, chaque tentative pour se guider par eux-mêmes dans les
­expérimentations du monde qui les entoure (en touchant les choses, etc.)
Cependant, suivant ses réflexes naturels, l’enfant a tendance à coordonner
ses mouvements et à recueillir des impressions, spécialement des sensations
tactiles. Si ces réflexes et ces tendances sont contrés, cela produit en lui une
révolte que nous qualifions de méchante et d’espiègle.
Comme il serait étrange, donc, que sa méchanceté disparaisse quand nous
lui offrons de véritables moyens pour se développer et quand, l’enfant étant
conduit à une pleine liberté, la révolte n’a plus de raison d’être !
De plus, si des explosions de joie succèdent aux anciennes explosions de
rage, la physionomie morale de l’enfant s’imprègne d’une quiétude et d’une
grâce qui le font apparaître comme un être différent.
Nous, les adultes, nous étions ceux qui provoquions chez les enfants les
manifestations violentes d’une véritable lutte pour exister selon les nécessités de
leur développement physique. Les enfants s’inspiraient parfois de nous en
­prenant ce qui leur paraissait nécessaire à cette fin, ou ils luttaient parfois
contre d’autres enfants pour leur arracher les objets qu’ils désiraient. D’autre
part, si nous donnons aux enfants les moyens d’exister, la lutte disparaît et une
vigoureuse pulsion de vie la remplace. Cela tient à un principe hygiénique lié
au système nerveux pendant la difficile période de croissance et il serait de
grand intérêt pour les spécialistes des maladies infantiles et des dérèglements
nerveux de l’étudier. La vie intérieure de l’homme et les commencements de
son intelligence sont soumis à des lois spécifiques qui ne doivent pas être
oubliées, si nous souhaitons aider à la vie de l’humanité.
Pour cette raison, une méthode éducative qui cultive et protège l’activité
intérieure de l’enfant a un intérêt qui n’est pas limité à l’école et aux maîtres :
c’est une question universelle.

146
Les facteurs moraux

Notre réussite tient à deux conditions confirmées par nos pratiques, à


­savoir : une organisation du travail adaptée à l’environnement et une grande
liberté d’action individuelle.
L’organisation rigoureuse du travail permet le développement personnel
et l’émergence de ses propres énergies. Cela procure à chaque enfant une
­satisfaction bénéfique et paisible. Dans de telles conditions de travail, la liberté
conduit au perfectionnement des activités et à l’obtention d’une belle
­discipline, résultant de la tranquillité et de la sérénité qui se sont développées
en lui.
Sans l’organisation du travail, la liberté serait inutile. L’enfant laissé en
­liberté sans moyen de travailler, se laisserait abîmer comme le nouveau-né,
qui, laissé libre sans alimentation, mourrait de faim. L’organisation du travail,
par conséquent, est la fondation de la nouvelle construction de la bonté : mais
cette organisation serait vaine sans la « liberté » de l’utiliser, c’est-à-dire si on
ne donnait pas libre cours à toutes les énergies qui découlent de la satisfaction
des activités infantiles les plus élevées.
Nous pouvons affirmer que nous avons pratiquement contribué à
­l’épanouissement normal de la bonté et du progrès des enfants en levant les
obstacles qui étaient la cause inconsciente de violences et de rébellions et qui
inhibaient le déploiement de leur personnalité. Mais avec cette affirmation,
nous ne prétendons pas pour autant, que la vie morale et l’élévation du genre
­humain s’appuient exclusivement sur ces facteurs. Nous avons seulement
­étudié le côté naturel du problème et défini une hygiène psychique pour aider
le nouvel homme à développer un caractère impartial et la tranquillité d­ ’esprit.
Nous rendons donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.
Aujourd’hui, on distingue deux natures de l’enfant. L’une découle de ce
que la psychologie courante considère comme la norme du fait de l’univer­
salité de ses caractères. L’autre est celle qui se manifeste dans des conditions
particulières élaborées dans les premières Maisons des Enfants et qui, elles,
sont véritablement normales. Cette seconde nature peut être considérée
comme une vraie guérison de la déviation psychique. Cette déviation se
­présente généralement chez l’enfant comme la conséquence d’un mauvais
développement, que ce soit à cause d’un environnement inadéquat, c’est-à-
dire d’un manque d’adaptation de celui-ci aux facultés innées de l’enfant, ou
qu’il s’agisse de la répression qui s’exerce de la part de l’adulte incapable de le

147
Les facteurs moraux

comprendre et, par conséquent, de répondre d’une manière véritablement


efficace aux réactions mentales de l’enfant.
Ces conditions déficientes sont de caractère général ; il en découle que
tous les enfants et, par conséquent, tous les hommes, possèdent des carac-
tères psychiques déviés de la normalité.
Mais il s’avère que l’enfant ainsi dévié, replacé dans un environnement
adéquat, bénéficie de son influence bienfaisante et se « normalise », pourvu
que cet environnement lui permette de développer librement ses activités.
Ses nouvelles caractéristiques contrastent avec celles qu’il abandonne.
Il i­ ncarne un nouvel Enfant.
« L’enfant normalisé » apprécie le silence et l’ordre, il obéit régulière-
ment, travaille spontanément avec enthousiasme, une constance surprenante
et une grande précision. Il écrit et lit avant d’avoir cinq ans. Cela représente
une revalorisation de l’Homme qui est de la plus grande importance. C’est
l’ouverture d’une nouvelle voie non seulement pour l’éducation, mais aussi
pour la construction d’une nouvelle société.
ANNEXE
Annexe

Les cadres à lacer et à boutonner

Enfants en train de manipuler des cadres d’habillage

Enfants en train de dresser la table pour le repas

153
Annexe

Enfants occupés aux travaux de jardinage

Le nettoyage des chaussures

Enfants en train de laver la vaisselle

154
Annexe

Emboîtements cylindriques

Enfant utilisant les emboîtements cylindriques

Tour

Escalier large, escalier long

155
Annexe

On observe un des enfants en train de jouer avec une tour

Tablette avec des surfaces lisse et rugueuse

Tablette avec des bandes de papier de verre

156
Annexe

Tablettes de bois de différents poids

Boîtes de couleurs

Cabinet avec les tiroirs pour garder les formes géométriques

Jeu des six cercles

157
Annexe

Jeu des six rectangles

Jeu des six triangles

Jeu des six polygones

Jeu des six figures irrégulières

158
Annexe

Jeu de deux figures irrégulières et de quatre planchettes vierges

Cadre pour contenir les formes géométriques

Les boîtes à bruits

Les clochettes musicales

159
Annexe

Planches coulissantes pour présenter les formes à dessin

Lettre isolée en papier de verre

Groupes de lettres en papier de verre

160
Annexe

Alphabet mobile

La boîte des fuseaux

La table de Seguin

161
Table des matières

Avant-propos........................................................................................................... 7

Préface de 1914...................................................................................................... 9

Préface de 1939....................................................................................................11

Remarques préliminaires...............................................................................13
L’erreur.............................................................................................................14
L’éducation et l’enfant..................................................................................14
L’école..............................................................................................................17
La sagesse antique.........................................................................................17
Les âmes entrevues.......................................................................................18
Notre œuvre...................................................................................................20
La défense.......................................................................................................21
L’environnement............................................................................................21
La grande question........................................................................................24
Les locaux........................................................................................................25
Le nouveau concept......................................................................................26
L’aménagement..............................................................................................27
Le travail d’entretien.....................................................................................27
L’ordre..............................................................................................................27
Les limites.......................................................................................................28
L’organisation.................................................................................................28
La simplicité...................................................................................................28
La beauté.........................................................................................................29
La voix des objets..........................................................................................29
Le contrôle de l’erreur..................................................................................30
L’élan intérieur...............................................................................................30
La direction.....................................................................................................32
Le nouvel état esprit......................................................................................33
La pratique......................................................................................................34
Les exercices de vie ­pratique.......................................................................35
Les travaux manuels......................................................................................38
Les moyens et les procédés d’un perfectionnement ­collectif...............39
L’exercice sur la ligne....................................................................................40
Les exercices concomitants.........................................................................40
Le silence.........................................................................................................41

163
Table des matières

Liste des exercices liés à la vie pratique..............................................45


Exercices adaptés aux enfants de quatre à cinq ans................................46
Applications...............................................................................................46
Laver une table...........................................................................................46
Laver et sécher............................................................................................46
Changer l’eau des fleurs............................................................................47
Transporter et repositionner.....................................................................47
Ouvrir et fermer.........................................................................................47
Plier.............................................................................................................48
Couper........................................................................................................48
Couper avec un couteau............................................................................48
Applications diverses.................................................................................48
Dans la cuisine...........................................................................................49
Travail de jardinage..................................................................................50
Prendre soin de sa personne......................................................................50
L’analyse des mouvements........................................................................51
Les bonnes manières en société.................................................................51

Les détails de la vie pratique......................................................................53


L’hygiène personnelle..................................................................................55
Se laver les mains.......................................................................................55
Se laver les dents........................................................................................56
Se coiffer......................................................................................................56
Prendre soin de ses ongles..........................................................................57
Brosser ses habits.......................................................................................57
Nettoyer ses chaussures..............................................................................57
L’entretien de la classe..................................................................................58
Balayer........................................................................................................58
Dépoussiérer...............................................................................................58
Nettoyer des meubles.................................................................................58
Faire briller des objets de métal................................................................59
Nettoyer les vitres.......................................................................................59
Nettoyer les tapisseries, tapis et rideaux..................................................60
Laver et repasser du linge..........................................................................60
Préparer des aliments................................................................................60
Laver et couper des légumes......................................................................61
Tartiner ......................................................................................................61
Dresser et desservir la table.......................................................................61
Servir à table..............................................................................................62

164
Table des matières

Laver les assiettes.......................................................................................62


Faire briller les couteaux...........................................................................63
Le soin des plantes et des animaux............................................................64
Les plantes en pot.......................................................................................64
Les grandes fleurs.......................................................................................64
L’aquarium.................................................................................................64
Conclusion sur les activités de vie pratique.............................................65

l’aide au développement intellectuel...................................................67

Description du matériel sensoriel..........................................................73


L’initiation......................................................................................................74
Les ajustements de solides ..........................................................................74
Les 3 séries de formes géométriques solides...........................................78
Les exercices de toucher...............................................................................80
La perception des couleurs..........................................................................84
La distinction des formes géométriques planes......................................86
La généralisation............................................................................................94
Le sens stéréognostique...............................................................................95
Les solides géométriques.............................................................................96
Les bruits.........................................................................................................97
Les sensations musicales..............................................................................98
Guide technique pour la présentation du matériel sensoriel............. 100
L’expérience individuelle.......................................................................... 101

Les leçons en trois temps............................................................................ 103


L’enfant observateur................................................................................... 107

La liberté............................................................................................................. 111
La préparation pour le progrès................................................................ 114
La culture..................................................................................................... 115
L’écriture analysée...................................................................................... 116
La période de préparation........................................................................ 117
Les étapes de l’écriture préparées sans écrire........................................ 118
Les exercices pour le maniement de l’instrument d’écriture............... 119
Exercice pour l’écriture des lettres de l’alphabet.................................. 122
Les leçons..................................................................................................... 124
L’enthousiasme suscité par l’écriture...................................................... 127
Table des matières

La lecture........................................................................................................... 129
Le jeu pour la lecture de mots.................................................................. 131
La lecture de phrases.................................................................................. 132

Enseignement de la numération
et cheminement vers l’arithmétique.................................................... 135
Les chiffres................................................................................................... 137
Les unités distinctes................................................................................... 138
Les jeux et les farces autour du zéro........................................................ 139
Les exercices pour mémoriser des nombres......................................... 140

Les facteurs moraux...................................................................................... 145

annexe.................................................................................................................... 151

166
Achevé d’imprimer par SEPEC,
en septembre 2016
N° d’imprimeur : XXX

Dépôt légal : Octobre 2016

Imprimé en France

Vous aimerez peut-être aussi