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DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-11105-4.p.0141
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INTRODUCTION
est donc prise dans une tension entre son caractère synthétique et sa
dimension innovante4. Les actions des papes et des évêques grégoriens
trouvent leurs racines dans des courants antérieurs et il faut parvenir
à montrer en quoi le tout institutionnel dépasse la somme des parties
réformatrices. Pour cela, il est possible d ’employer la notion de révolu-
tion symbolique en c onsidérant que la réforme grégorienne introduit
des modèles de pensée, c’est-à-dire des modèles de classification, de
définition du monde qui, une fois mis en place, posent l ’Ecclesia comme
modèle d ’ordonnancement du monde à Dieu, une théonomie davantage
qu’une théocratie5. C’est ainsi le cas de la distinction entre clerc et laïc,
de l’unité établie entre Rome et l’Église, etc.
Aborder la réforme grégorienne par les différentes transformations
symboliques qu’elle opère revient à étudier les différentes propositions
qu’elle produit, c’est-à-dire autant d’énoncés qui se donnent comme
des faits du monde et qui, une fois intégrés, empêchent de penser les
situations antérieures dans leur c ontexte initial. La révolution sym-
bolique associe l’ordre du discours et l’ordre du monde : c omment le
discours grégorien devient-il un discours efficace ? Pour cela, certains
aspects pratiques sont à observer, comme les recours plus fréquents à
Rome par l’épiscopat, mais auxquels il faut ajouter un rôle particulier
de l’autorité pontificale qui peut être associé à la référence à l’Esprit.
Ce sont les différentes étapes de la c onstitution de ce discours que nous
proposons d’examiner. Les deux points de départ de ce travail sont la
redéfinition de la simonie telle q u’elle s ’opère au xie siècle et la valorisation
de l’homme spirituel. L’Esprit devient alors, dans les textes pontificaux,
un outil de défense de l’immunité, accordée en raison de l’inspiration
divine qui caractérise les c ommunautés recevant ce privilège. Enfin, ces
mêmes communautés s ’approprient le discours pontifical et participent
à la constitution d’une nouvelle conception de l’histoire, définie comme
un progrès en Dieu inspiré par l’Esprit.
LA PNEUMATOLOGIE RÉFORMATRICE
Vers l’ecclésiologie grégorienne
GRÉGOIRE VII
Le pape, prophète de l’Esprit
pas à son opinion mais aux décisions des antiques Pères exposant les
paroles de l’Esprit Saint et que le devoir du pape est de les rendre
publiques15. Dans ce premier temps, Grégoire VII se présente c omme
l’intermédiaire entre l ’autorité patristique, inspirée par l’Esprit Saint et
l’Église de son temps. Cependant, un an plus tard, s ’adressant à l ’évêque
Henri de Liège à propos d’une excommunication, après avoir mentionné
les Pères de l’Église, le même Grégoire VII fait usage d’une formule plus
ramassée et indique seulement que ce n’est pas lui qui s’exprime mais
qu’il ne fait que suivre la parole de l’Esprit16. En 1078, s’adressant au
duc Welf, Grégoire VII donne un sens différent à la référence à l’Esprit
Saint. Il rappelle, c omme précédemment q u’il n ’agit pas de sa propre
volonté mais q u’il suit la voie des Pères, ce qui le c onduit alors à affirmer
que l’Esprit Saint s’exprime à travers lui lors du synode17. La parole du
pape devient identique à celle des Pères de l’Église, c’est-à-dire q u’elle
est la parole de l ’Esprit Saint, ce qui lui donne une position particulière
au sein de l’Église et en dehors de celle-ci. Une dernière formule nous
semble révélatrice, lorsqu’en 1080 le pape s’adresse aux suffragants de
l’Église de Reims à propos de l’excommunication de leur archevêque,
Grégoire VII identifie son jugement à celui de l’Esprit18.
Dans un premier temps, les c ondamnations c ontre ceux qui s ’opposent
à la volonté pontificale permettent d ’identifier l ’autorité de l ’Esprit, qui
fonde l’excommunication et la déposition, avec celle du siège apostolique
qui la prononce. Cela s’insère dans une conception de la simonie comme
crime contre l’Esprit dans le sens où l’Esprit organise la hiérarchie de
l’Église, ce qui explique les dépositions d’évêques faites en son nom.
Dans un second temps, toujours en s’appuyant sur la référence à l’Esprit
Saint, le pape peut associer ses décisions elles-mêmes et la volonté divine.
Le pape met ainsi en pratique les distinctions théoriques opérées et sa
pratique associe ces distinctions à l’action et à la personne du pape.
Héritiers de cette conception théorique unissant la parole du pape et
celle de l’Esprit, les successeurs de Grégoire VII vont en étendre le
champ d ’application pratique.
33 Itaque non minoris aestimandum est meriti, hanc vitam Ecclesiae primitivam aspirante et prosequente
Domini spiritu sustentare, quam florentem monachorum religionem ejusdem spiritus perseverantia
custodire. (PL151, col. 338 C-D).
34 PL 151, col. 360 B.
35 PL 151, col. 408 C.
À première vue, et c ’est ainsi que plusieurs auteurs l ’ont lu, ce court
texte semble être un manifeste en faveur de la liberté individuelle contre
la hiérarchie ecclésiastique. Il faut souligner la grande proximité qui
existe entre ce document et celui qui c oncerne les chanoines. Dans les
deux cas, ce qui fonde l ’action c ’est « l’instinctu sancti Spiritus » qui sus-
cite aussi bien le renouveau des chanoines réguliers que les vocations
monastiques. Faut-il conclure de cette référence qu’elle donne une
certaine liberté aux clercs ? Uniquement dans le sens médiéval d’une
liberté conçue c omme un privilège à l ’égard d ’une autorité supérieure,
mais qui ne peut être c onféré que par une autre autorité, ici, celle du
pape. La dernière phrase, présente dans toutes les versions, rappelle que
le clerc est libre de l ’autorité de l ’évêque, grâce à l ’autorité pontificale. À
nouveau, le lien entre la pratique pontificale et la référence à l’Esprit Saint,
36 Titus Lenherr, « Zur Überlieferung des Kapitels Duae sunt », Archiv für katholisches
Kirchenrecht, t. 168, 1999, p. 369-374 et Kenneth Pennington, « Gratian, Causa 19, and
the Birth of Canonical Jurisprudence », La c ultura giuridico-canonica medioevale : Premesse
per un dialogo ecumenico, Rome, Giuffrè, 2003, p. 215-236.
LES CHRONIQUEURS
DU RENOUVEAU APOSTOLIQUE
37 Otton de Freising, Chronica sive historia de duabus civitatibus, MGH., Scriptores in usum
scholarium Hanovre, 1912, Livre 5, prologue, p. 226.
livre, il dit que les peuples de l’ouest ont été inspirés par l’Esprit du
Dieu pèlerin38.
Le chanoine régulier Gerhoh de Reichersberg (1093-1169) présente
dans le De investigatione antechristi la réforme de l’Église lors de la fin
des Temps. La présence du Christ et l’action de l’Esprit se manifeste-
ront avant l’ultime venue du Christ, par des hommes spirituels qui
réformeront l’institution selon l’ancienne perfection apostolique39. Dans
son c ommentaire des Psaumes, Gerhoh c onfirme le rôle q u’il accorde à
l’Esprit Saint dans la refondation de l’Église qui adviendra à la fin des
temps : il rend gloire au Père d’avoir créé la matière, au Fils qui a, avec le
Père, créé l’Église à partir de la matière et à l’Esprit Saint qui a consacré
les fondations de l’Église et qui à la fin consacrera toute la structure40.
Anselme de Havelberg (1100-1158) dans l ’Anticimenon (1149) présente
les ordres nouveaux comme le résultat de l’inspiration de l’Esprit, en
paraphrasant 1 Cor 12, 11 : « En toute ces choses, si divines, si saintes
et si bonnes, en diverses époques et en divers ordres, œuvre un seul et
même Esprit, les distribuant à chacun c omme il lui plaît41 ». Pour rappel,
le destinataire de l’Anticinemon est Eugène III qui, vers 1150, parle à
Henri, archevêque de Mayence, des clercs qui se réforment par la vertu
de l’Esprit Saint42. L’altération de la citation paulinienne par Anselme
de Havelberg résume d ’une certaine manière la transformation du sens
de la référence à l’Esprit qui a eu lieu au xie siècle : un double passage
de l ’individuel à l’ecclésiologique et de la pneumatologie à l’Histoire. Là
où Paul définissait la relation entre le chrétien et l’Esprit, source de tous
les dons spirituels, Anselme fait de l’Esprit l’acteur historique – dans
le sens où son action s’accomplit progressivement dans le temps – du
perfectionnement de la c ommunauté chrétienne.
38 Otton de Freising, Gesta Frederici I Imp., MGH, Scriptores in usum scholarium Hanovre,
1912, Livre 1, prologue, p. 10.
39 Gerhoh de Reichersberg, De investigatione Antechristi, Livre 1, MGH Libelli de Litte 3,
p. 352.
40 Gerhoh de Reichersberg, Commentarium in Psalmos, PL 193, col. 1285 A.
41 PL, 188, col. 1157 A.
42 PL 180, col. 1440 D.
LIBERTÉ DE L ’ESPRIT,
LIBERTÉ DU MONASTÈRE
CONCLUSION
Alexis Fontbonne
Césor