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La vie de la liturgie - Louis Bouyer

I. La période baroque

Liturgie baroque : forme publique du culte extérieur de l’Eglise. Conception formaliste de la liturgie,
calquée sur un cérémonial de cour profane.
Trois raisons :
- perte de la culture biblique au profit de la culture gréco-romaine païenne
- exaltation de la vie des sens et de l’esprit
- conservatisme loyaliste aux aspects extérieurs du catholicisme, en réaction aux oppositions
modernes
Csq : liturgie calquée sur l’œuvre culturelle baroque par excellence : l’opéra (négligence de l’Histoire
sainte, prétexte pour une pompe profane, piété sentimentale). La messe est occultée par des
cérémonies qui conviennent mieux aux goûts de l’époque comme l’exposition du Saint Sacrement.
L’avantage de cette période fut toutefois de préserver la substance des rites malgré la vicissitude du
siècle (quoiqu’attifés d’atours au goût du temps).
Principes à retenir : La liturgie est vivante quand elle est comprise en elle-même, et non revêtue par les
modes passagères. Il nous faut donc entrer dans son propre monde spirituel (modes de pensée, de
sentiments et d’expression).

II. La réaction romantique

L’époque baroque fut révoquée pour son néo-classicisme, son naturalisme païen, son abus de la
mythologie. On lui substitua (superficiellement encore) une autre mode ; la mode médiévale, comme
archétype de la culture chrétienne. Par faiblesse intellectuelle toutefois, l’époque romantique souffrit
d’un fidéisme traditionnaliste stérile. La liturgie fut donc marquée par un archéologisme
insatisfaisant, tel que nous le montre Dom Guéranger.
Certes, la restauration de Solesmes est impressionnante par sa dignité et sa noble simplicité. Mais le
culte n’est plus le propre d’une communauté vivante, mais une construction discutable (à la Viollet-le-
Duc) et déconnectée de son temps (la communauté monastique créée ex nihilo de Solesmes). Aussi,
elle est affligée du goût pour la présence sentimentale du Christ (oubliant le caractère mystérique de
la messe). Enfin, elle se livra par traditionnalisme et manque de science à des erreurs notoires. L’école
belge de Dom Lambert Beauduin, disciple Dom Guéranger, le dépassa en élucidant ce principe : la liturgie
traditionnelle est vivante, non archéologique.
L’école allemande de Maria Laach (avec Dom Casel et Dom Herwegen) dépassa Dom Guéranger en
montrant les déficiences de la liturgie médiévale (ses interprétations fantaisistes et les développements
étrangers à sa nature). Ainsi Jungmann a souligné dans son histoire de la liturgie romaine (Missarum
Sollemnia) que la messe a souffert d’une insistance trop unilatérale sur la présence divine dans les
saintes espèces, et son caractère trop sentimental déjà (voire individualiste, comme le dit dom
Herwegen). Pour certains médiévaux, la messe était conçue comme une représentation théâtrale ou
imaginative de la Passion, et non plus comme l’œuvre du salut saisi par la foi. Au contraire, comme l’a
brillament montré dom Casel dans Le mystère du culte chrétien, à la suite des pères de l’Eglise, la
liturgie n’est pas seulement un culte officiel et extérieur, mais l’actualisation de notre salut. Elle ne
s’oppose pas à la piété subjective ; au contraire, elle lui livre l’aliment dont elle a besoin. La liturgie
trouve dans la période patristique le paradigme de l’esprit de la liturgie ; les Pères sont nos maîtres.
Mais afin de ne pas nous restreindre à une imitation infantile et décorative du témoignage des Pères
(le byzantinisme artistique), il nous faut prendre en compte tout le développement organique de la
liturgie (depuis la formation du Peuple de Dieu jusqu’au magistère récent).
III. Du qahal juif à l’ecclesia chrétienne

L’église en prière trouve son annonce dans l’assemblée du Seigneur (Qahal Yahvé). Celle-ci trouve son
unité dans l’accueil de la parole (dans un contexte de louange et de supplication) et le sacrifice. Cf
Moïse au Sinaï (Ex 19), et réforme de Josias (2R23). L’exil voit le sacrifice perdre de son importance : il
cède la place à une prière d’action de grâces, qui marque l’attente de l’Alliance nouvelle et éternelle (2
Esdras 8). La liturgie du Temple voit alors le primat de la liturgie synagogale et domestique.
La communauté chrétienne reprendra cette structure, d’une manière renouvelée. La Parole de Dieu
est désormais présente par la proclamation apostolique et le sacrifice du Christ. La liturgie est le lieu
où la Parole est proclamée, rendue présente et vivifiante. L’Ecriture y trouve son lieu propre, sa source
et sa norme où elle est justement interprétée à la lumière de la Tradition (qui est la vie de la vérité
divine dans l’Eglise). Chaque croyant trouve dans la liturgie son initiation à la vie dans l’Esprit. La
liturgie est hiérarchique par nature, car elle est constituée par Dieu en divers ministères.
Résumé admirable de Mediator Dei (synthèse dogmatique confirmant l’analyse liturgique, patristique
et biblique).

IV. Les problèmes des mouvements liturgiques et la leçon du XVIIe siècle

Le mouvement liturgique est une réaction contre la décadence de la liturgie, favorisant sa


redécouverte intellectuelle et sa renaissance pratique. Deux écueils : fixisme archéologisant ou
idolâtrie de l’esprit du temps.
La réaction liturgique succédant à l’âge médiéval est tombé dans ces deux travers. Par manque de
connaissance, les humanistes de la Renaissance et les réformateurs protestants ont réduit la messe à
un simple mémorial de la Passion, consacrant les innovations récentes du Moyen-Âge (oubli des
autres mystères du salut, sentimentalisme théâtral, exagération du culte eucharistique). La Contre-
Réforme tomba dans les mêmes erreurs.
La via media de l’anglicanisme, entre catholicisme baroque et réforme protestante, nous a légué
quelques pistes. Les « Caroline Divines » ont consacré une liturgie favorisant la participation du
peuple, tout en respectant la hiérarchie ; débarassée des additions tardives afin d’être accessible à son
temps. Toutefois, ce mouvement pécha par élitisme et archéologisme, et surtout par son insuffisante
base théologique (due au flou dogmatique sur le sacrifice eucharistique et la présence réelle).
Un autre mouvement liturgique eut lieu au XVIIe siècle dans l’église gallicane, solidement fondé dans
l’étude. Il fut bloqué par des intringues politiciennes (Mazarin contre de Retz, conduisant à l’interdiction
de la traduction du missel par le Bref d’Alexandre VII en 1661) et la réduction ad Jansenum. Tel est le cas
de l’abbé Jubé, qui avait compris que le mystère chrétien doit être intelligible et vivant. Quoiqu’encore
archaïsant (figé dans l’imaginaire des cinq premiers siècles), il inspira la liturgie romaine
heureusement (promotion de l’Ecriture sainte, purification des hagiographies, préférence pour le
temporal, usage hebdomadaire du psautier).

V. Mouvements liturgiques contemporains


Solesmes, Belgique, Allemagne, France

Dom Guéranger a suscité un véritable amour de la liturgie, en dépit de son conservatisme obtus. Ses
disciples ont été le meilleur correctif de son œuvre, notamment dom Lambert Beauduin, moine du
Mont César. Il avait été précédé par saint Pie X (réforme du bréviaire, promotion de la communion
fréquente, rénovation du chant sacré). Principes de la conférence de Malines (1909) : traduction du
missel, participation à l’office, chant grégorien, retraite auprès des monastères. Il promut cette
réforme, notamment auprès du clergé, par la revue Questions liturgiques et paroissiales et les
« Semaines liturgiques ». Cette œuvre fut féconde, car réaliste (ancrée dans la vie des paroisses) et
filiale (en respectant la liturgie telle que l’Eglise nous la donne pour notre temps). Le missel de Dom
Lefebvre en est un des meilleurs fruits.
Le renouveau allemand fut plus élitiste (monastères de Maria Laach et Beuron), mais plus ancré
théologiquement que Dom Guéranger (grâce à Dom Casel). Il fut complété par l’œuvre plus
populaire de l’école de Klosterneuburg (Pius Pärsch, Jüngmann). La revue Bibel und Liturgie a
notamment permis une compréhension féconde des Ecritures dans leur lieu propre d’interprétation.
En France, le mouvement liturgique d’après-guerre est prometteur, comme le montre l’accueil de la
Semaine Sainte. Toutefois, il risque de se décentrer de la liturgie paroissiale pour des para-liturgies
imprégnées de l’esprit du monde.

VI. La Tradition catholique concernant la forme de l’Eucharistie

La liturgie a pour autorité la Tradition elle-même. Les pasteurs n’ont autorité sur la liturgie que pour
garantir à notre époque ce que l’on considère comme le meilleur instrument capable de maintenir la
tradition apostolique. La Tradition est harmonieusement hiérarchique (tête) et charismatique (corps).
Le rôle de l’Eglise est de chercher activement par l’étude ce qui motive les décisions de l’autorité.

La forme de l’Eucharistie
Toute liturgie comporte quatre éléments réunis en un mystère (c’est-à-dire une action du Christ) :
communion (entre les saints aux choses saintes), sacrifice (de toute l’Eglise au Père par le Christ),
eucharistie et mémorial. Ces quatre éléments doivent être également honorés (non pas seulement
dans les espèces consacrées, mais également dans son aspect de communion hiérarchique et
ecclésiale).

VII. Liturgie et mystère selon Dom Casel

Les mystères païens sont la participation des initiés à la mort et la résurrection d’un dieu. Ces
mystères se réduisent en définitive à un rite lié au cycle de la vie, amplifié par l’histoire. La mort est
une fatalité à laquelle dieu n’échappe pas, mais y retombe sans cesse de manière cyclique. Bref, il laisse
l’homme enfermé dans ce monde naturel.
Le mystère chrétien est une participation cachée (dans la foi) à l’action salvifique du Christ à laquelle
nous sommes rendus présents. Le mystère est un dessein de la sagesse de Dieu, atteint par la
Révélation. Accompli une fois pour toute, il nous arrache définitivement au péché et à la mort, pour
nous incorporer au Christ.

VIII. Le mystère paulinien et sa proclamation


du service synagogal à la missa catechumenorum

Le mystère est une révélation (apocalypsis) de la Sophia divine. Il réside pleinement dans le Christ, en
qui repose la plénitude de la divinité et de l’humanité. Ce mystère est l’agapè que Dieu nous porte
jusqu’à nous assimiler à Lui. Il est révélé par la Parole de Dieu, annonce proposée à notre liberté,
incarnée dans le Christ. Voilà pourquoi le culte juif se centrait avant l’avènement du Sauveur sur les
Ecritures, qui annonçait le grand dessein de Dieu.
Les lectures de l’Eglise se sont naturellement insérées dans le cadre du cycle de lecture synagogal.
L’Ancien Testament a toujours été lu à la lumière du Nouveau, célébré par la louange du peuple, et
récapitulé par la prière de l’Eglise, qui en donne la signification ultime. On peut ainsi regretter dans
le rite tridentin la disparition des lectures de l’AT, la suppression de la lectio continua (conservée dans
la liturgie orientale), la moindre place de la psalmodie, les collectes apposées à des lectures qui ne leur
conviennent pas.

IX. La célébration eucharistique : du judaïsme au christianisme

L’action de grâces suivant la proclamation des lectures dans la synagogue est une annonce du sacrifice
eucharistique. D’abord, elle est prononcée par le chef du peuple ; ensuite, elle est considérée comme
le point culminant de la prière ; enfin, elle récapitule toute l’histoire et l’attente d’Israël. Elle est une
annonce claire de la préface, et se conclut par le Sanctus.
La liturgie domestique annonce aussi tous les éléments du culte chrétien : communion (au sein d’une
même famille, ou communauté fraternelle), sacrifice (de l’agneau), eucharistie (célébration des
bienfaits) et mémorial (rappel des hauts faits divins).
Pages 156 et ss : très belle description de la Sainte Cène achevée par notre Seigneur.

X. L’anaphore (épiclèse et paroles consécratoires)

La préface n’est pas une prière introductive à l’anaphore (ou Canon) ; elle exprime l’eucharistie,
élément fondamental du culte chrétien. Elle désigne une prière dite à haute voix (præfari) pour
accompagner un sacrifice, le consacrer en exposant son sens et son intention. En l’occurence, elle
exprime l’eucharistie. Ainsi, le canon d’Hippolyte de Rome voit la préface directement liée à
l’anaphore puisque le Sanctus en est absent.
L’offrande du sacrifice est une conséquence de l’eucharistie ; elle est la meilleure action de grâces que
l’Eglise puisse offrir au Père. Les oblats sont donc consacrés dans l’eucharistie tout entière ; on ne
peut restreindre leur changement aux seules paroles consécratoires (Occident) ni à l’épiclèse qui peut
les suivre (Orient).
Anamnèse : mémorial des bienfaits reçus (récapitulant Création et Rédemption) après la
consécration.
On peut regretter dans le rite romain la concision de la préface, mais elle est tempérée par la variété
des préfaces possibles. Les prières d’intercession pour les vivants et les défunts semblent une addition
tardive. On pourrait souhaiter encore que la grande doxologie soit chantée par le prêtre.

XI. Les ministres du mystère : les ordinations et la messe

Le ministre (spécialement l’évêque) est le représentant du Christ, son envoyé. Annoncé par les
patriarches et les maîtres spirituels de la synagogue, lui seul peut donc présider l’eucharistie.
L’ordination est donc un rite spécifiquement chrétien, en tant qu’il confère à un homme une dignité
divine. Le sacerdoce païen était au contraire lié à la fonction politique ou à l’hérédité.
L’ordination est célébrée au centre de l’eucharistie car elle y est directement ordonnée. Elle ne trouve
son sens que dans la participation au mystère de notre salut, annoncée par l’Evangile et actualisée
ensuite par le sacrifice eucharistique de l’évêque, configuré au Christ-Tête.
La concélébration n’est pas un usage antique, sinon pour manifester l’unité du sacerdoce autour de
l’évêque. En effet, l’unicité du célébrant manifeste qu’un seul Pontife accomplit le mystère dans
l’Eglise ; le Christ. Ainsi, dans l’Antiquité, les prêtres ne célébraient jamais la prière sacerdotale sans y
mêler le fermentum reçu de la messe épiscopale. Aussi, jusqu’au XVIIIe, les grands ordres devaient
assister à la messe du supérieur les jours de fête et communier de sa main. Les cardinaux en conclave
devaient assister à la messe du doyen jusqu’au XXe siècle. Les prêtres romains en synode doivent
n’assister qu’à la messe papale. Ainsi encore, l’Eglise prescrit-elle aux prêtres le Jeudi saint - sommet de
l’Eucharistie - de concélébrer avec leur évêque.
La pensée des Pères exprime que tout le peuple fidèle est sacerdotal. Cette fonction appartient en
propre à l’évêque, mais elle n’est pas pleinement attribuée aux prêtres du second rang (qui sont plutôt
désignés comme « anciens », c’est-à-dire conseillers). Ceux-ci sont les collaborateurs de l’évêque. Ainsi,
toute l’assemblée est appelée à offrir sa vie en sacrifice saint.

XII. Initiation au mystère : baptême, confirmation et pénitence

La messe est la source de tout l’ordre sacramentel puisqu’elle contient l’œuvre de notre rédemption.
La distinction tardive du septenaire sacramentel tient au fait que l’Eglise a toujours tenu leur unité
intégrante.
La messe étant la participation à l’œuvre du salut ; l’initiation chrétienne est nécessairement une
initiation liturgique. Elle implique un arrachement au pouvoir de la mort, car la nature humaine n’est
pas neutre, mais constituée ennemie de Dieu en tant qu’elle est privée de grâce. Le baptême et la
confirmation n’ont donc leur sens qu’en tant qu’ils introduisent à une pleine participation à
l’Eucharistie. Le catéchumène ne peut donc prier et croire qu’à partir du moment où il a vécu les
scrutins, exorcismes, traditiones symboli et orationis. Les rites insistent sur le fait que seuls le Christ et
son Eglise peuvent associer l’homme au salut. L’onction d’huile, le dépouillement de son vêtement,
l’immersion totale, la chrismation : tout cela signifie une nouvelle naissance reçue d’en-Haut. Ainsi en
va-t-il de la pénitence, qui passe par une ré-intégration dans le culte public. Selon le ponfical romain,
le Jeudi saint, l’évêque va chercher par la main les pénitents pour les admettre dans le lieu saint.

XIII. Les sacrements et bénédictions découlant du mystère

La bénédiction divine étant le fruit de la Rédemption, il est normal qu’elle déborde dans tout l’ordre
de la création : mariage, génération et corruption. Par conséquent, le mariage doit être béni car il est
une image de l’amour du Christ et de l’Eglise, œuvre d’oblation réciproque et féconde. Ainsi, il était
béni à la conclusion de la prière eucharistique dans l’Eglise ancienne. Les infirmes et les mourants
sont aussi bénis pour accomplir dans leur corps l’œuvre de la Rédemption ; voilà pourquoi l’oleum
infirmentorum est bénie à la conclusion de la prière eucharistique le Jeudi Saint par l’évêque.
Toutes les autres bénédictions suivent d’abord le modèle de l’Eucharistie ; elles sont introduites par
un dialogue et développée de manière exultante dans une préface (ordination, eau baptismale,
chrême, consécration des vierges, couronnement d’un roi, dédicace d’une église).
La dignité des sacrements se prend de son terme : la plénitude de la gloire.

XIV. Le mystère de l’année liturgique

Les mystères chrétiens ne sont pas remmémorés lors des fêtes liturgiques, mais actualisés lors du cycle
liturgique. Telle est en effet la pensée des Pères.
Cela convient en effet à notre nature humaine, dont le rythme n’est pas homogène mais cyclique. Il
comprend le cycle quotidien du sommeil et de la journée ; le cycle hebdomadaire de la semaine ; le
cycle des saisons et des grands évènements ; le cycle de l’année, etc. Le mystère chrétien n’est toutefois
pas enfermé dans la courbe de notre vie, vouée en définitive à la mort. Il nous rend participant de
cette plénitude qu’est la vie éternelle. S’il nous dispose à la mort, c’est pour l’unir au sacrifice pascal.

XV. Avent, Noël et Epiphanie


L’Avent n’est pas principalement l’attente de la naissance du Sauveur ; celle-ci a eu lieu une fois pour
toute. Ce temps exprime l’attente de l’Avènement du Sauveur, c’est-à-dire de sa victoire
eschatologique. Elle résonne partout de ce cri qui conclut l’Apocalypse : Maranatha !
La Nativité célèbre non la naissance d’un nouveau-né qui émeut nos sens, mais les prémices de notre
élèvement par l’abaissement de Dieu. L’Eglise célèbre dans la descente de Dieu un évènement qui ne
peut être saisi que par la foi ; le début de notre élévation vers Dieu. La fête de la Nativité est ainsi
intimement liée à celle de l’Epiphanie ; c’est-à-dire à la manifestation glorieuse du Sauveur, qui nous
introduit dans son Règne ; l’annonce du Jour du Seigneur. Ainsi, selon saint Augustin, Pâques est un
sacrement, c’est-à-dire une célébration de notre passage de la vie à la mort ; tandis que Noël est une
commémoration du commencement de l’œuvre divine. Voilà pourquoi la date de Noël est
symbolique (le solstice d’hiver) quand la date de Pâques correspond historiquement à la Pâques juive.
En raison de ce qu’ils annoncent la venue ultime du Jour du Seigneur, il semble que l’Avent, Noël et l’Epiphanie
constituent plus la fin de l’année liturgique que son début. Un indice de cela pourrait être le fait que les derniers
dimanches après la Pentecôte sont tournés vers le Second Avènement. Un autre indice est que la lectio continua
matutinale de la Genèse commence avec la Septuagésime.
L’Avent nous apprend encore combien la connaissance de l’histoire sainte est nécessaire, et d’une
inteprétation eschatologique de celle-ci. En citant sans cesse l’Ancien Testament, la liturgie nous
montre que notre salut passe par l’histoire d’un peuple, dont la compréhension de Dieu est sans cesse
purifiée.

XVI. Le mystère chrétien et la « memoria sanctorum »

Les martyrs actualisent dans leur chair le mystère christique. Voilà pourquoi on a très tôt célébré
l’Eucharistie sur leurs reliques, spécialement lors de leur dies natalis. Ainsi, la tradition africaine
exigeait la dépose de reliques pour consacrer un autel - ce qui fut ajouté à la tradition romaine (qui
consistait en une simple célébration eucharistique) et à la tradition gallicane (de consécration du lieu).
Le martyre est une participation au Christ souffrant, mais aussi glorieux ; c’est ce qui ressort du
témoignage unanime des récits de persécution. La suite du Christ fut ensuite recherchée dans
l’oblation de sa vie par la consécration de tout son être. La Vierge Marie devint naturellement le
modèle d’une vie offerte sans effusion de sang. Cette vérité fut particulièrement mise en relief par les
fêtes de la Présentation de la Vierge et de son Assomption ; de l’Annonciation et récemment de
l’Immaculée Conception.
Un des saints les plus notables du calendrier liturgique est st Jean le Baptiste. Quoique NSJC
recommande lui-même son culte, il est malheureusement tombé dans en désuétude. Pourtant, en st
Jean se vérifie pleinement l’adage des Pères : « Novum testamentum in vetere latet, vetus in novo
patet. » Etre ami de l’Epoux, c’est accepter de voir la hache mise à la racine de l’arbre.

XVII. La louange du mystère : l’office divin

L’office est le principal héritage légué par la Tradition à l’Eglise, spécialement de la tradition
monastique (sanctification des Heures et usage du psautier). L’usage de l’Ancien Testament manifeste
que le dessein bienveillant de Dieu s’est manifesté dès l’origine, tandis que sa réalisation doit devenir
en nous toujours plus profonde et large. Tous ses thèmes restent ancrés dans la vie chrétienne :
louange de la Création, action de grâces pour la Rédemption, détresse des justes, espérance dans le
combat, etc.
Les premiers moines faisaient des psaumes leur prière spontanée et perpétuelle (Cassien). Au Moyen-
Âge, la coutume était fréquente de conclure chaque psaume par un temps de prière personnelle,
conclue par une collecte qui résumait les thèmes de celui-ci.
Les laudes et les vêpres sont l’écho de l’offrande de l’encens matinal et vespéral au Temple. Une très
ancienne tradition, observée par tous les rites catholiques (oubliée depuis le bréviaire de Pie X) donne
comme terminaison invariable aux laudes de chaque jour les Psaumes 148, 149 et 150. Une tradition
aussi ancienne réserve aux vêpres les psaumes du Hallel (ceux du repas pascal). Les heures de tierce,
sexte et none voyaient les moines réciter par cœur les psaumes graduels. Prime et complies sont des
prières ajoutées pour sanctifier le travail et le repos ; elles ne devraient avoir qu’une place secondaire
au regard des grandes heures.
La Vigile est une antique coutume de préparation à la fête. Elle est constituée par une méditation des
Ecritures, accompagnée de prière silencieuse, de psalmodie et de prière collective. Les matines
pourraient ainsi gagner à laisser une plus grande place à lectio continua (usage encore récemment
maintenu chez les chartreux), aux passages centraux de l’Histoire sainte, aux commentaires appropriés
des Pères ; et donner aux vies de saints plus de sobriété et de concision. La prière personnelle y
trouvera alors son aliment et sa place naturels.

XVIII. « Liturgie et non liturgique » :


L’esprit de la liturgie et la dévotion

Pour les anciens, la liturgie était la prière vitale de toute l’Eglise. Chacun y prenait part pour s’unir au
Christ par l’Eglise.
Elle entra en décadence quand elle cessa d’être une pratique vivante, en raison de ce que la culture
dans lesquelles les formes liturgiques avaient été élaborées se détériora. Le peuple ne comprit bientôt
plus le sens littéral des textes liturgiques - le latin étant devenu une langue morte vers la fin du XIIe
siècle. Les grands esprits se tournèrent de leur côté vers la littérature courtoise, la mythologie païenne
ou l’aristotélisme averroïste. Retardant l’idolâtrie moderne, les dominicains permirent
providentiellement une christianisation d’Aristote et de la vie intellectuelle ; les franciscains, une
christianisation du monde populaire et chevaleresque. Mais ils ne purent empêcher la décadence
liturgique, ne lui accordant qu’une importance secondaire. Les franciscains favorisèrent une piété
centrée autour de l’humanité du Christ (crèche, stigmates) ; les dominicains une mystique
intellectuelle. Parallèlement, les bénédictins de Cluny puis de Cîteaux permirent une restauration
admirable du culte liturgique compris selon l’esprit des Pères. Toutefois, leur fécondité auprès du
peuple fut réduite par leur organisation féodale, les coupant du peuple paysan et bourgeois.
L’abandon de la pauvreté et du travail manuel conduisirent à une enflure de prières inorganiques et
secondaires, qui nuisit à une vie liturgique juste. Des dévotions populaires naquirent alors, souvent
peu intégrées dans une vue globale du Mystère ; l’Enfant-Jésus, le Chemin de Croix, la dévotion au
Saint Sacrement (ou plus tard au Sacré-Cœur). Leur sentimentalisme naturel cachait mal l’oubli de la
Résurrection et de la présence du Christ dans la totalité de ses sacrements et de ses mystères. Ces
dévotions sont à respecter car elles nourrirent le peuple en temps de famine. Mais elles contribuèrent
à la Réforme, en promouvant à l’état séminal une conception naturaliste de la religion, une ignorance
de l’entièreté du mystère, une « expérience » religieuse sentimentale à la place du sobre mysticisme
fondé sur la foi.
Toutefois, il ne faut jamais faire table rase du passé. Suivant Mediator Dei, toute pratique que
recommande l’exemple de grands saints et d’une vitalité spirituelle authentique est à conserver. Les
innovations doivent être ramenées à la norme liturgique pour vivre de son esprit, et la servir en fidèle
auxiliaire. Ex : fêter Noël comme le commencement de notre salut et l’annonce de son retour ; conclure le chemin
de croix par un acte de foi en sa Résurrection ; contempler l’Eucharistie non comme notre ami Jésus, mais le
sacrifice perpétuel du Grand-Prêtre éternel ; méditer l’Evangile à travers le Rosaire ; voir dans le Sacré-Cœur
eucharistique non un être souffrant et défait, mais l’abaissement victorieux du Serviteur Souffrant.
La dévotion moderne peut être assumée en ce qu’elle a permis une véritable appropriation
personnelle de la vie d’union à Dieu (emploi de la réflexion systématique et de l’imagination). Il faut
toutefois la subordonner à la vie de foi nourrie par le mystère liturgique.
La première réforme à entreprendre pour permettre un renouveau liturgique est donc de permettre
un large accès aux Ecritures, afin de donner une véritable nourriture spirituelle au peuple chrétien.
En raison de ce que cette méditation doit nous introduire au sacrifice eucharistique (et non à un
vague sentimentalisme), elle devra être vécue selon un véritable ascétisme. Cet ascétisme débordera
alors dans une union vitale au Christ ressuscité. En cela, l’exemplarité monastique est nécessaire.

XIX. Le mystère et le monde

Comment concilier vie liturgique et vie quotidienne ?


Tout d’abord, il faut retrouver une vraie appréhension du monde, selon que la Tradition nous la
donne. Le monde en effet gît au pouvoir du malin, tant qu’il n’a pas accueilli le Christ. Le péché et la
mort ne permetront jamais au Royaume des Cieux de s’établir pleinement avant le Second
Avènement. Toutefois, il appartient au chrétien de permettre au Christ de régner le plus possible dans
les cœurs. Cela implique de soulager les souffrances, obstacles manifestes à l’union à Dieu.
Toutefois, le but premier de la vie chrétienne n’est pas de préserver le monde et nous-mêmes de la
souffrance ; mais de nous sauver nous-mêmes et ceux du monde qui accueillent cette parole par le
moyen de la souffrance.
Le capitalisme et le communisme sont les nouvelles hérésies contemporaines. Elles ont en commun
les postulats suivants : le bonheur consiste dans la jouissance matérielle et la jouissance matérielle doit
être organisée par la science. Le risque pour les chrétiens est d’y voir l’avènement du Règne de Dieu,
auquel il suffirait d’y ajouter un « supplément d’âme ». Elles cherchent à bannir la mort de notre
horizon ; le christianisme au contraire l’embrasse joyeusement car elle est devenue l’instrument de
notre libération.

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