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Sciences n éthique
MARDI 2 DÉCEMBRE 2008
La pomme de terre
« L’humble tubercule » pourrait être une solution
pour remédier à la malnutrition dans les pays
en voie de développement, et prévenir
les problèmes de diététique des Occidentaux
Pomme
de concorde
Il doit en avoir gros sur
la… patate, ce tubercule
à la fois si modeste et si
précieux, mais si peu
récompensé de ses mé-
rites : le seul sens figuré
donné à son appellation
populaire désigne, se-
lon le dictionnaire, « une
personne niaise, stupide » !
Stupides et niais, d’abord,
ceux qui prétendraient en-
core que la pomme de terre
n’a pas grand intérêt sous
prétexte que, depuis plus
de quatre siècles où nos
latitudes l’ont adoptée,
elle n’a guère été comblée
URSUL A MEISSNER/L AIF/RE A
D
vérité et saluer à l’heure
des frites l’immensité de
«
ses mérites.
Héroïne déjà au temps elle de croître. Mais encore faut-il fait venir des variétés françaises En revanche, ils pratiquent la lutte
de Parmentier d’une mon- avoir choisi ou pouvoir disposer de haute qualité sanitaire qu’elle biologique face aux chenilles défo-
dialisation qui ne portait de “bonnes ressources génétiques”, sélectionne sur place, de façon à liatrices, aux termites, aux criquets
pas encore ce nom – le des espèces ou des variétés adaptées ce que le semencier ou le paysan en ayant recours au margousier ou
parcours planétaire de ce ans le co- aux conditions agro-pédo-climati- ne garde que celles qui s’adaptent neem, l’« arbre qui guérit tous les
féculent légendaire a les chon, tout ques locales parmi les milliers qui le mieux aux difficiles conditions maux ». Il s’agit d’un arbre, origi-
contours d’une saga ! –, la est bon », existent », explique Bernard Jouan, du milieu. Elle les cultive ensuite naire d’Inde et introduit en Afrique
pomme de terre bénéficie disait-on directeur de recherche honoraire selon un système durable, voire de l’Ouest, dont les feuilles et les
aujourd’hui d’un regain de autrefois. Cet adage rural pour- à l’Inra, qui travaille aujourd’hui biologique, en utilisant le moins graines produisent une substance
reconnaissance en termes, rait bien un jour s’appliquer à la pour l’ONG Agro sans frontière possible d’intrants artificiels naturelle volatile – l’azadirachtine,
précisément, de globalisa- pomme de terre. Car de même (ASF). « D’autant plus qu’au Mali, importés d’Occident (engrais, appartenant à la famille des terpè-
tion. La communication que dans l’animal on consomme Niger ou Burkina Faso, les problè- produits phytosanitaires) mais nes – qui repousse les « pestes ». On
facilitée des idées et des aussi la carcasse, la tête et les mes parasitaires (champignons utilise ses services en le plantant en
produits a fait connaître pattes, de même dans « l’humble comme le mildiou, vers comme les La pomme de terre bordure des champs cultivés car il
ses vertus en des con- tubercule » le plus apprécié au nématodes, arthropodes comme a tendance à épuiser le sol, ou bien
trées où la malnutrition monde, l’homme mange 85 % de les acariens, flétrissement bacté- se contente de peu d’eau : en épandant des tourteaux (restes
fait encore des ravages,
et permis de lui décou-
la plante, contre seulement 50 %
pour les céréales. C’est là l’un des
rien, virus Y de la frisolée) et de
conservation sont bien plus im-
une micro-irrigation de graines dont on a extrait l’huile)
de neem sur les pieds de pommes
vrir des qualités jusqu’ici messages que proclament l’Agence portants qu’en France », poursuit lui suffit. de terre. Contre les virus, on ne
insoupçonnées. Le saviez- des Nations unies pour l’agricul- l’ingénieur agronome, fils de petit peut qu’agir indirectement en
vous ? Notre chère patate ture et l’alimentation (FAO) et les paysan breton. En France, où la en fertilisant les sols au moyen de pulvérisant le feuillage des plants
dispose d’un profil diététi- professionnels en cette Année majeure partie de la production est phosphates locaux naturels et de avec des huiles minérales (extraites
que quasi irréprochable (y internationale de la pomme de conduite en intensif, on utilise des matière organique issue de com- du pétrole), ce qui a pour effet de
compris, mais oui, contre terre. engrais (azote, phosphore, potasse) postage. « Dans les pays du Sud, nettoyer les stylets des pucerons
le cholestérol !) pour apai- La pomme de terre ou Solanum et on traite les fléaux au moyen de on est assez proche des conditions piqueurs et donc… de diminuer la
ser nos angoisses occiden- tuberosum a donc de réelles ver- produits phytosanitaires : jusqu’à du biologique », précise Bernard transmission virale ! « En combinant
tales. Et surtout, elle laisse tus. Agronomiques tout d’abord. 19 traitements, tous produits con- Jouan. toutes ces pratiques et techniques, on
espérer pour les pays du Elle se contente de peu d’eau : une fondus, alors que les céréales (blé, Au Sahel, il n’y a pas de mildiou, peut atteindre des rendements de 30
Sud un remède fiable et micro-irrigation lui suffit. Ainsi « en orge, maïs) se contentent de 3 à 6, mais dans les pays d’Afrique hu- à 40 tonnes par hectare, y compris
accessible face à la crise Afrique pendant la saison sèche, à selon les enquêtes de pratiques mides où sévit le champignon, les aux confins du désert, ce qui per-
alimentaire. De quoi la différence de biens d’autres plan- culturales Agreste 2006 du minis- paysans font appel au sucrate de met aux familles de cultivateurs de
faire, enfin, l’unanimité tes vivrières comme le sorgho ou le tère de l’agriculture. En Afrique, cuivre, la bouillie bordelaise, auto- vivre », affirme Bernard Jouan. f
en sa faveur ? mil, la pomme de terre continue-t- pour limiter les maladies, l’ONG risée par l’agriculture biologique. (Lire suite p. 14)
14 I Sciences n éthique I I MARDI 2 DÉCEMBRE 2008
I
F La pomme de terre peut-elle nourrir le monde ?
f « En Jamaïque, au joue un rôle bénéfique sur
Rwanda et, bien évidem- le métabolisme lipidique.
ment, dans les Andes, la Grâce à ses fibres, à ses
région dont elle est na- éléments anti-oxydants
tive, on continue aussi à (caroténoïdes, polyphé-
sélectionner de nouvelles nols) et sa vitamine C,
variétés de pommes de sa consommation dimi-
terre, explique Ruth nue les risques de for-
Egger. Là-bas, on trouve mation de caillots dans
des champs de pommes les vaisseaux constitués
de terre jusqu’à 4 500 m par le dépôt de « mau-
d’altitude, elle consomme
moins d’eau que la canne
à sucre », poursuit la prési- Il faut savoir
dente du conseil d’admi-
nistration du Centre in-
que « la pomme
ternational de la pomme de terre ne fait
de terre. Pour faciliter
l’amélioration génétique pas grossir ».
de la pomme de terre, ce
dernier a d’ailleurs créé vais cholestérol ». Enfin
une banque qui, à ce le fruit chéri de Parmen-
jour, rassemble 4 000 à tier prévient l’ostéopo-
5 000 variétés dites nati- rose et stimule l’excré-
ves ainsi que 200 espè- tion rénale, évitant ainsi
ces sauvages. « L’accès à la formation de calculs ré-
ces ressources génétiques naux. Bref, « nutritionnel-
à des fins de recherche lement parlant, la pomme
et de développement est de terre n’a pratiquement
ouvert à tout le monde », que des avantages, même
insiste Ruth Egger. Ainsi, par rapport aux céréales et
par exemple, existe-t-il aux légumineuses, assure
STEPHAN ELLERINGMANN/L AIF/RE A
de ses cultures vivrières » De notre envoyé spécial gue à celle découverte par les archéologues de l’Inrap
en 1994 dans l’église primitive (la Vieille Major). Ce qui
«
C
ette nouvelle découverte montre que Marseille signifie que les deux œuvres datent très probablement
20 t/ha, la culture d’un demi-hec- abritait l’une des premières et plus importan- de la même époque et ont été réalisées par le même
Bernard Jouan tare suffit à nourrir une famille tes communautés chrétiennes des Gaules », atelier. « Cette découverte est très importante, insiste
Directeur de recherche de 5-6 personnes, la moitié de la s’enthousiasme Jean Guyon, historien au CNRS Jean Guyon, car il est rare que l’on fouille les abords des
honoraire à l’INRA, production étant vendue, l’autre d’Aix-Marseille, spécialiste de l’Antiquité tardive et cathédrales. Toutefois, on peut dire que l’ensemble des
membre de l’ONG consommée. Enfin, la pomme de de l’époque paléochrétienne. Situé à environ 80 cm bâtiments religieux de Marseille ressemble à celui de Ge-
Agro sans frontières (1) terre est considérée comme un sous le trottoir qu’ont emprunté des millions de nève et à celui de Trêves (Trier, en Allemagne). L’esplanade
« La pomme de terre a joué un produit familial, et non pas mon- personnes depuis près de vingt siècles, cet ensemble de la Major montre l’exceptionnelle richesse de Marseille
rôle considérable dans les pays du dial. Et à ce titre n’est pas coté au de bases de murs, de pièces et de canalisations a été au Ve siècle, le boom économique de l’époque ayant été
Nord depuis son introduction par marché de Chicago comme le blé mis au jour par les fouilleurs de l’Institut national de propice à l’explosion de monuments religieux. »
Parmentier en 1785, et il n’y a plus ou le maïs. Une chance pour les recherches archéologiques préventives (Inrap) alors Au cours de ces fouilles, les spécialistes ont également
eu de famine en France depuis son petits paysans ! Il faut que cha- qu’ils étaient occupés à déblayer une zone destinée à trouvé, au-dessus de la couche paléochrétienne, un
développement. Aujourd’hui, elle que pays devienne maître de ses un jardin d’agrément. cimetière médiéval (XIIe-XIIIe s.) bien conservé, regrou-
est en forte progression dans les cultures vivrières. Un objectif qui On est aux pieds de la cathédrale, la Nouvelle Major, pant pour l’essentiel des tombes en pleine terre orien-
pays du Sud, en Chine – premier ne s’accorde pas vraiment avec construite en 1852, de l’église primitive (la Vieille Major) tées est-ouest, mais également des cercueils en bois.
producteur mondial –, tandis que une tendance à laquelle on assiste et du baptistère paléochrétien du Ve siècle après J.-C., Ils sont aussi tombés sur une énorme fosse commune
l’Afrique a pris du retard, à la fois de plus en plus dans le monde : la des soubassements de la chapelle des Pénitents blancs renfermant une centaine de squelettes empilés dans la
dans la production et dans la con- location, par bail de 99 ans, des (XVIe s.) et du Grand Séminaire (XIXe s.), juste en face précipitation au XVIIIe siècle. Il s’agit d’une sépulture
sommation. La pomme de terre terres agricoles des pays en déve- d’un lieu que les Marseillais appellent depuis la nuit dite « de catastrophe », probablement due à la grande
est une production à double fin loppement. Ainsi, un pays riche des temps « L’Évêché » et qui est en fait… la préfecture épidémie de peste bubonique (transmise par la puce
comme disent les économistes : comme Dubaï a-t-il loué près de de police. du rat) qui toucha Marseille en 1720. Propagée à partir
autoconsommation et vente, et 10 000 hectares de terres au Pa- « L’ensemble appartient à l’ancien palais épiscopal, du Grand-Saint-Antoine, navire marchand chargé de
c’est souvent la culture la plus kistan afin de fournir sa propre installé sur un tissu urbain grec datant du Ve-IVe siècle soieries et théoriquement obligé de respecter une qua-
rentable. Elle ne vient pas en population en pommes de terre. avant Jésus-Christ, qu’on n’avait pas encore clairement rantaine au large de Marseille, cette épidémie fit 40 000
concurrence avec les cultures Une sorte de “néocolonialisme localisé jusqu’à présent », indique Françoise Paone, ar- victimes, soit près du tiers de la population citadine.
vivrières traditionnelles et fournit agraire ou agricole” qui, si ce chéologue, responsable scientifique des opérations. Des Que va-t-il advenir de tous ces vestiges archéologi-
une occupation, à la fois du sol système s’étend, risque d’abou- locaux en terre battue – dont un, avec sa couche de terre ques ? « En 2 600 ans d’histoire, il y a deux points forts
et pour les hommes, pendant la tir à la production de pommes de rougeâtre, indique la présence d’un foyer – voisinent à Marseille : les VI-Ve s. avant J.-C., avec l’arrivée des
saison sèche. Enfin, il n’y a pas de terre pour les riches d’un côté et la avec d’autres pièces : l’une est équipée d’un système de colons, et les V-VIe s. après J.-C., avec les Phocéens et
réticence de la population pour culture de pommes de terre pour canalisations d’eau chaude souterraine (hypocauste), les premiers chrétiens. De l’époque grecque, on a re-
sa consommation. Seules limites : les pauvres de l’autre. » une autre abrite la fameuse mosaïque, le joyau de cette trouvé et fait restaurer de beaux navires qui sont, pour
son coût et sa disponibilité limitée RECUEILLI PAR découverte. le moment, malheureusement invisibles au grand
sur l’année. Cette analyse peut DENIS SERGENT Œuvre de 3 mètres sur 5, la mosaïque est constituée public et, aujourd’hui, vient d’être mise au jour cette
être transposée à d’autres régions de milliers de tesselles, petits cubes de verres artificiels, mosaïque paléochrétienne. Je plaide pour que tous ces
connaissant ou risquant de con- (1) Jusqu’au 13 décembre, l’asso- ou de minéraux naturels de couleur noire, blanche, trésors historiques soient exposés dans un musée qui
naître des déficits alimentaires. ciation organise près de Rennes, ocre, jaune, rouge, bleu ciel ou vert cuivre. Le tout pourrait être inauguré en 2013 par exemple, année où
Dans les montagnes du Kirghi- à Pacé, une série d’animations sur appuyé sur un « béton romain » constitué de briques Marseille sera capitale mondiale de la culture », insiste
zstan, on considère qu’avec deux la pomme de terre. pilées liées par un mortier à la chaux. « Au centre du Jean Guyon.
récoltes par an et un rendement de RENS. : 02.99.60.14.72. tapis mosaïqué, on observe des vases d’où s’échappent des D. S.