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Sciences n éthique
MARDI 2 DÉCEMBRE 2008

SOMMAIRE f DOSSIER : La « patate », arme de souveraineté alimentaire ? P. 13 à 15


f L’IMAGE : Une mosaïque paléochrétienne découverte à Marseille P. 15 f CHRONIQUE de Fabrice Nicolino P. 16

La pomme de terre
« L’humble tubercule » pourrait être une solution
pour remédier à la malnutrition dans les pays
en voie de développement, et prévenir
les problèmes de diététique des Occidentaux

peut-elle nourrir le monde ?


V
COMMENTAIRE
Michel
Kubler

Pomme
de concorde
Il doit en avoir gros sur
la… patate, ce tubercule
à la fois si modeste et si
précieux, mais si peu
récompensé de ses mé-
rites : le seul sens figuré
donné à son appellation
populaire désigne, se-
lon le dictionnaire, « une
personne niaise, stupide » !
Stupides et niais, d’abord,
ceux qui prétendraient en-
core que la pomme de terre
n’a pas grand intérêt sous
prétexte que, depuis plus
de quatre siècles où nos
latitudes l’ont adoptée,
elle n’a guère été comblée
URSUL A MEISSNER/L AIF/RE A

d’honneurs. Sauf ceux de


nos tables, bien sûr, pré-
parée sous les formes les
plus variées, mais toujours
en second rôle… Seuls les
enfants, une fois encore,
savent rendre justice à la
Sur un marché au Burundi. La pomme de terre ou Solanum tuberosum a de réelles vertus, tant agronomiques qu’alimentaires.

D
vérité et saluer à l’heure
des frites l’immensité de

«
ses mérites.
Héroïne déjà au temps elle de croître. Mais encore faut-il fait venir des variétés françaises En revanche, ils pratiquent la lutte
de Parmentier d’une mon- avoir choisi ou pouvoir disposer de haute qualité sanitaire qu’elle biologique face aux chenilles défo-
dialisation qui ne portait de “bonnes ressources génétiques”, sélectionne sur place, de façon à liatrices, aux termites, aux criquets
pas encore ce nom – le des espèces ou des variétés adaptées ce que le semencier ou le paysan en ayant recours au margousier ou
parcours planétaire de ce ans le co- aux conditions agro-pédo-climati- ne garde que celles qui s’adaptent neem, l’« arbre qui guérit tous les
féculent légendaire a les chon, tout ques locales parmi les milliers qui le mieux aux difficiles conditions maux ». Il s’agit d’un arbre, origi-
contours d’une saga ! –, la est bon », existent », explique Bernard Jouan, du milieu. Elle les cultive ensuite naire d’Inde et introduit en Afrique
pomme de terre bénéficie disait-on directeur de recherche honoraire selon un système durable, voire de l’Ouest, dont les feuilles et les
aujourd’hui d’un regain de autrefois. Cet adage rural pour- à l’Inra, qui travaille aujourd’hui biologique, en utilisant le moins graines produisent une substance
reconnaissance en termes, rait bien un jour s’appliquer à la pour l’ONG Agro sans frontière possible d’intrants artificiels naturelle volatile – l’azadirachtine,
précisément, de globalisa- pomme de terre. Car de même (ASF). « D’autant plus qu’au Mali, importés d’Occident (engrais, appartenant à la famille des terpè-
tion. La communication que dans l’animal on consomme Niger ou Burkina Faso, les problè- produits phytosanitaires) mais nes – qui repousse les « pestes ». On
facilitée des idées et des aussi la carcasse, la tête et les mes parasitaires (champignons utilise ses services en le plantant en
produits a fait connaître pattes, de même dans « l’humble comme le mildiou, vers comme les La pomme de terre bordure des champs cultivés car il
ses vertus en des con- tubercule » le plus apprécié au nématodes, arthropodes comme a tendance à épuiser le sol, ou bien
trées où la malnutrition monde, l’homme mange 85 % de les acariens, flétrissement bacté- se contente de peu d’eau : en épandant des tourteaux (restes
fait encore des ravages,
et permis de lui décou-
la plante, contre seulement 50 %
pour les céréales. C’est là l’un des
rien, virus Y de la frisolée) et de
conservation sont bien plus im-
une micro-irrigation de graines dont on a extrait l’huile)
de neem sur les pieds de pommes
vrir des qualités jusqu’ici messages que proclament l’Agence portants qu’en France », poursuit lui suffit. de terre. Contre les virus, on ne
insoupçonnées. Le saviez- des Nations unies pour l’agricul- l’ingénieur agronome, fils de petit peut qu’agir indirectement en
vous ? Notre chère patate ture et l’alimentation (FAO) et les paysan breton. En France, où la en fertilisant les sols au moyen de pulvérisant le feuillage des plants
dispose d’un profil diététi- professionnels en cette Année majeure partie de la production est phosphates locaux naturels et de avec des huiles minérales (extraites
que quasi irréprochable (y internationale de la pomme de conduite en intensif, on utilise des matière organique issue de com- du pétrole), ce qui a pour effet de
compris, mais oui, contre terre. engrais (azote, phosphore, potasse) postage. « Dans les pays du Sud, nettoyer les stylets des pucerons
le cholestérol !) pour apai- La pomme de terre ou Solanum et on traite les fléaux au moyen de on est assez proche des conditions piqueurs et donc… de diminuer la
ser nos angoisses occiden- tuberosum a donc de réelles ver- produits phytosanitaires : jusqu’à du biologique », précise Bernard transmission virale ! « En combinant
tales. Et surtout, elle laisse tus. Agronomiques tout d’abord. 19 traitements, tous produits con- Jouan. toutes ces pratiques et techniques, on
espérer pour les pays du Elle se contente de peu d’eau : une fondus, alors que les céréales (blé, Au Sahel, il n’y a pas de mildiou, peut atteindre des rendements de 30
Sud un remède fiable et micro-irrigation lui suffit. Ainsi « en orge, maïs) se contentent de 3 à 6, mais dans les pays d’Afrique hu- à 40 tonnes par hectare, y compris
accessible face à la crise Afrique pendant la saison sèche, à selon les enquêtes de pratiques mides où sévit le champignon, les aux confins du désert, ce qui per-
alimentaire. De quoi la différence de biens d’autres plan- culturales Agreste 2006 du minis- paysans font appel au sucrate de met aux familles de cultivateurs de
faire, enfin, l’unanimité tes vivrières comme le sorgho ou le tère de l’agriculture. En Afrique, cuivre, la bouillie bordelaise, auto- vivre », affirme Bernard Jouan. f
en sa faveur ? mil, la pomme de terre continue-t- pour limiter les maladies, l’ONG risée par l’agriculture biologique. (Lire suite p. 14)
14 I Sciences n éthique I I MARDI 2 DÉCEMBRE 2008
I
F La pomme de terre peut-elle nourrir le monde ?
f « En Jamaïque, au joue un rôle bénéfique sur
Rwanda et, bien évidem- le métabolisme lipidique.
ment, dans les Andes, la Grâce à ses fibres, à ses
région dont elle est na- éléments anti-oxydants
tive, on continue aussi à (caroténoïdes, polyphé-
sélectionner de nouvelles nols) et sa vitamine C,
variétés de pommes de sa consommation dimi-
terre, explique Ruth nue les risques de for-
Egger. Là-bas, on trouve mation de caillots dans
des champs de pommes les vaisseaux constitués
de terre jusqu’à 4 500 m par le dépôt de « mau-
d’altitude, elle consomme
moins d’eau que la canne
à sucre », poursuit la prési- Il faut savoir
dente du conseil d’admi-
nistration du Centre in-
que « la pomme
ternational de la pomme de terre ne fait
de terre. Pour faciliter
l’amélioration génétique pas grossir ».
de la pomme de terre, ce
dernier a d’ailleurs créé vais cholestérol ». Enfin
une banque qui, à ce le fruit chéri de Parmen-
jour, rassemble 4 000 à tier prévient l’ostéopo-
5 000 variétés dites nati- rose et stimule l’excré-
ves ainsi que 200 espè- tion rénale, évitant ainsi
ces sauvages. « L’accès à la formation de calculs ré-
ces ressources génétiques naux. Bref, « nutritionnel-
à des fins de recherche lement parlant, la pomme
et de développement est de terre n’a pratiquement
ouvert à tout le monde », que des avantages, même
insiste Ruth Egger. Ainsi, par rapport aux céréales et
par exemple, existe-t-il aux légumineuses, assure
STEPHAN ELLERINGMANN/L AIF/RE A

une variété de pomme Patrick-Pierre Sabatier. Et


de terre chevelue qui a le risque diététique associé
l’avantage de repousser aux chips et aux frites tient
les attaques d’insectes essentiellement à l’excès de
nuisibles. Ou bien une consommation et à l’ajout
autre, mexicaine, qui a un de graisses et de sel », pour-
rendement de 25 tonnes suit le nutritionniste.
par hectare ! Avec un tel bilan éner-
Dans les pays du Sud gétique et nutritionnel,
comme dans ceux du Culture in vitro de plants de pomme de terre. Ceux-ci contiennent un gène de résistance au nématode, un ver parasitaire. la pomme de terre devrait
Nord, la pomme de terre être plus diffusée dans les
a également un rôle à jouer dans “tô”, une sorte de bouillie à base de la famille des racines et tubercules et, de terre trois heures avant une pays du Sud, et plus consommée en
l’alimentation des hommes. Aliment pomme de terre, mais c’est un pro- de surcroît, est riche en vitamine C, compétition améliore la contrac- prévention dans les pays riches. En
complémentaire, elle contribue à ré- duit plus cher que le mil », témoigne potassium, fer, et, grâce à ses fibres, tion musculaire, évite l’hypogly- tout cas, « pour les pays en voie de
tablir une ration de base équilibrée. Bernard Jouan. De plus, il faut sa- donne une impression de satiété », cémie et facilite la récupération développement, la pomme de terre
Au Sahel en effet, le repas quotidien voir que « la pomme de terre ne fait résume Patrick-Pierre Sabatier, après l’effort. Autre avantage dié- est une bonne réponse à la crise
est plutôt à base de mil, de sorgho pas grossir », insiste Ruth Egger. Du médecin nutritionniste au service tétique, démontré par les nutrition- alimentaire », affirme Jean-Louis
ou de manioc. « Il est indispensable point de vue nutritif en effet, « la pa- de physiologie sportive de la Pitié- nistes de l’Inra de Clermont-Ferrand Duval, ancien dirigeant d’entre-
que ces populations améliorent leur tate est riche en glucides (amidon), Salpêtrière. Avec le docteur Gilbert cette fois : chez le rat, animal dont le prise semencière et actuellement
régime alimentaire en le diversifiant. recèle la plus haute teneur en pro- Pérès, ce chercheur a d’ailleurs dé- métabolisme ressemble beaucoup à consultant en Afghanistan.
Au Burkina, les gens se régalent du téines (2 % en poids frais) de toute montré que l’ingestion de pomme celui de l’homme, la pomme de terre DENIS SERGENT

REPÈRES De la table des pauvres aux cuisines des trois étoiles


L
Un trésor enfoui es Portugais l’appellent batata, donc espagnole, plantée vers les rire. La pomme de terre appartient De là à se muer en produit de
d Appartenant à la même les Espagnols et les Italiens années 1570. Elle se répand en à l’ordinaire des repas. Mieux, sous mode, sinon de luxe, il y a un pas
famille que la tomate patata, les Anglais potato, les Italie, en Belgique, ainsi qu’en l’impulsion d’émérites gastronomes qui fut vite franchi, amplifié par
ou l’aubergine, Solanum Allemands Kartoffel, les Russes Angleterre et en Irlande – grâce, du XIXe siècle, elle a gagné sa place l’action des producteurs et in-
tuberosum est une plante kartofiel… C’est la quechua papa dit-on, à sir Francis Drake et à dans la grande cuisine française : dustriels, multipliant les variétés.
herbacée aux fleurs des Andins, la pomme de terre sir Walter Raleigh qui s’en sont dès 1808, dans le Manuel des Am- Dans Géopolitique de l’alimenta-
blanches ou pourpres. des Français. En à peine quatre emparés sur les bateaux pris aux phitryons, Grimod de la Reynière tion (1), Gilles Fumey, enseignant
Le tubercule figure, par siècles, ce modeste tubercule a Espagnols. L’Allemagne et l’Europe invite les maîtres de maison à met- à Paris IV-Sorbonne, relève que
sa richesse en amidon, réussi le tour de force de s’impo- du Nord suivent. tre les pommes de terre à l’italienne le prix moyen du kilo de pomme
au 4e rang des cultures ser sur toute la planète, quatrième La France, elle, demeure sur la à leur menu. Alors qu’Alexandre de terre a augmenté de 1 780 % en
vivrières (après maïs, blé production de culture vivrière au réserve. Au XVIIIe siècle, Parmen- Dumas en propose 15 recettes France entre 2001 et 2007, sans
et riz). Elle comprend plus plan mondial. tier, après d’autres, tente de la po- dans son Grand Dictionnaire de qu’on enregistre une baisse de sa
de 1 000 espèces. Son histoire est bien plus an- pulariser. Malgré ses efforts pour cuisine, en 1873, Joseph Favre, de consommation !
d Parfaitement adaptée cienne, pourtant. Si certains exciter la curiosité (il fait garder son réputation internationale, en pré- Mais aux côtés des nouvelles
aux sites où les terres sont archéologues n’hésitent pas à la champ par une troupe armée !) et le variétés, ratte du Touquet, Chérie
limitées mais où la main- faire remonter au Néolithique, sa soutien du roi qui s’en fait servir à En 1785, elle souffre bretonne ou Amandine de l’île de
d’œuvre abonde, elle produit
davantage de nourriture
culture débute réellement il y a
quelque 10 000 ans, quelque part
sa table en 1785, la pomme de terre
souffre d’une image désastreuse : encore d’une image Ré arborant des allures aristocrati-
ques, la pomme de terre n’en a pas
nutritive sur moins de surface
et dans des climats plus
dans la cordillère des Andes, à plus
de 4 000 mètres d’altitude. Sauvage
elle n’est qu’une racine que l’on
déterre, un produit pour misé-
désastreuse : elle n’est pour autant répudié son caractère
populaire, synonyme de soupe,
rudes que toute autre grande d’abord, elle est domestiquée par reux, une immondice, « dont on qu’une racine que l’on de chips ou de frites pour fêtes
culture. Si sa consommation
a baissé en Europe (93 kg/an
les Incas. Elle est alors très amère.
Pour la consommer, une méthode
nourrissait alors les pourceaux et les
forçats », comme l’écrit Hugo dans déterre, un produit foraines. C’est sans doute là son
miracle. Comme l’écrivait déjà en
et par habitant), elle a
augmenté dans les pays en
originale est mise au point : les
pommes de terre sont plongées
L’Homme qui rit… dont l’action se
déroule au début des années 1700.
pour miséreux. 1835 Henri-Paul Pellaprat, éminent
professeur à la célèbre école du
développement (de moins dans l’eau. Le froid les gèle. Elles Son seul intérêt est de se révéler un sente une cinquantaine dans son Cordon-bleu, dans son Art culinaire
de 10 kg en 1963 à 21,5 kg sont alors retirées et exposées à produit de substitution parfait en Dictionnaire universel de cuisine moderne publié en 1936 : « Voilà, de
en 2003). En Europe, les l’air sec jusqu’à complète déshy- cas de disette. La Révolution l’a pratique, douze ans plus tard : pom- tous les légumes, celui qui peut re-
variétés Annabelle (raclette), dratation. bien compris qui transforme le mes de terre négresse, en jabot, en cevoir le plus d’accommodements
Charlotte (vapeur), Mélodie Rien n’affirme que les conquis- jardin des Tuileries en champ de vermicelle, au cidre, au vin blanc, divers. C’est le légume ménager
(frites), Roseval ou Bintje tadors l’apprécieront ainsi. Ce pommes de terre. Mais de là à en frites tire-bouchon… Mais c’est à par excellence, et si démocratique
coûtent environ 1,50 €/kg. qui est sûr, c’est qu’ils y voient faire son ordinaire ! On raconte que l’orée du XXIe siècle que la pomme qu’il soit, il a accès sur les tables les
d À lire : Marc de Ferrière, aussitôt une plante nourrissante, Parmentier se présentant à une de terre acquiert définitivement ses plus somptueuses. »
La Saga de la pomme de terre, facile à transporter et à conserver élection municipale, une femme lettres de noblesse, choyée par les DIDIER MÉREUZE
Éd. Cercle d’Art, 2008 ; sur les bateaux. Ils la rapportent s’écria : « Ah non ! Il nous ferait chefs triplement étoilés : Ducasse,
Sophie Doré, La Pomme en Europe. La première pomme manger des patates tous les jours. » Passard ou Robuchon à la fameuse
de terre, Éd. Plon, 2008. de terre du Vieux Continent est Aujourd’hui, l’anecdote fait sou- purée ! (1) Éd. Sciences humaines, 128 p., 10 €.
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V
V L’IMAGE
DÉBAT
La pomme de terre
peut-elle assurer
la souveraineté alimentaire ?
« Il y a d’autres urgences à régler »
Il faut que les pouvoirs publics
Bernard Ndjonga encouragent cette culture : le
Président de l’Association maïs pousse partout et tout le
citoyenne de défense monde peut le cultiver à partir
des intérêts collectifs de semences paysannes. On pour-
(Acdic) au Cameroun rait aisément augmenter la pro-
et du réseau d’associations duction en améliorant la qualité
Dynamiques africaines des semences et en utilisant la
« Au Cameroun et dans les pays fumure organique (notamment
d’Afrique centrale, la pomme de les fientes de poules). D’autant
terre reste un aliment de luxe, que les besoins augmentent,
comparé aux céréales et autres notamment avec le développe-
féculents tels le manioc ou le ment de la filière avicole. Ne pas
plantain. On pourrait développer soutenir le maïs, c’est mettre en
sa culture et en faire un aliment péril l’élevage de poulets. Or le
populaire. Il faudrait au préa- sauvetage et le développement
lable mener des recherches sur de cet élevage sont l’une de nos
des semences adaptées à nos en- victoires. Les importations mas-
vironnements. Mais il est vrai que sives de poulet congelé, exonérées
nous avons bien d’autres urgences de TVA, décimaient nos élevages
à régler auparavant. Ainsi demain locaux depuis le milieu des an-
nous publions un livre blanc sur nées 1990. Leur limitation, par
DENIS GLIKSMAN/INR AP

le maïs. Car l’on voit pointer la la restauration de la TVA et la


crise du maïs à l’horizon. Les im- création de taxes, puis leur in-
portations s’élèvent cette année à terdiction en 2006, a permis à la
60 000 tonnes pour le Cameroun. filière avicole nationale de décol-
Elles doubleront l’an prochain, si ler. Aujourd’hui le Cameroun est
rien n’est fait pour soutenir la pro- autosuffisant en poulets. Son
duction nationale. Or le maïs est combat pionnier contre le pou-

Une splendide mosaïque


stratégique pour la sécurité et la let congelé a fait école. Le Sénégal
souveraineté alimentaire du pays et la Côte d’Ivoire ont aussi pris
et pour lutter contre la pauvreté. des mesures pour contingenter
C’est en effet la première céréale ces importations.
en termes de production et de con-
sommation. Elle est cultivée par
une multitude de paysans : 98 %
des producteurs la cultivent sur
Il nous reste encore beaucoup
d’autres combats à mener. Après
le maïs viendra le tour du riz dont
la culture a été abandonnée : on
du Ve siècle exhumée à Marseille
moins d’un hectare et assurent importe aujourd’hui 90 % du riz L’archéologie préventive a permis bouquets d’acanthe et deux paires de paons au plumage
90 % de la production nationale, consommé. » multicolore se faisant face et séparés par une tige de rose,
soit un million de tonnes dédiées, RECUEILLI PAR
de mettre au jour une mosaïque typiques de l’iconographie paléochrétienne du Ve siècle,
à 85 %, à l’autoconsommation. MARIE VERDIER paléochrétienne faisant partie précise Françoise Paone. Ce dessin est encadré de tres-
de l’ancien palais épiscopal ses polychromes et de roues formant des compositions

« Il faut que chaque pays soit maître MARSEILLE (Bouches-du-Rhône)


géométriques symétriques. »
D’après l’étude stylistique, cette mosaïque est analo-

de ses cultures vivrières » De notre envoyé spécial gue à celle découverte par les archéologues de l’Inrap
en 1994 dans l’église primitive (la Vieille Major). Ce qui
«
C
ette nouvelle découverte montre que Marseille signifie que les deux œuvres datent très probablement
20 t/ha, la culture d’un demi-hec- abritait l’une des premières et plus importan- de la même époque et ont été réalisées par le même
Bernard Jouan tare suffit à nourrir une famille tes communautés chrétiennes des Gaules », atelier. « Cette découverte est très importante, insiste
Directeur de recherche de 5-6 personnes, la moitié de la s’enthousiasme Jean Guyon, historien au CNRS Jean Guyon, car il est rare que l’on fouille les abords des
honoraire à l’INRA, production étant vendue, l’autre d’Aix-Marseille, spécialiste de l’Antiquité tardive et cathédrales. Toutefois, on peut dire que l’ensemble des
membre de l’ONG consommée. Enfin, la pomme de de l’époque paléochrétienne. Situé à environ 80 cm bâtiments religieux de Marseille ressemble à celui de Ge-
Agro sans frontières (1) terre est considérée comme un sous le trottoir qu’ont emprunté des millions de nève et à celui de Trêves (Trier, en Allemagne). L’esplanade
« La pomme de terre a joué un produit familial, et non pas mon- personnes depuis près de vingt siècles, cet ensemble de la Major montre l’exceptionnelle richesse de Marseille
rôle considérable dans les pays du dial. Et à ce titre n’est pas coté au de bases de murs, de pièces et de canalisations a été au Ve siècle, le boom économique de l’époque ayant été
Nord depuis son introduction par marché de Chicago comme le blé mis au jour par les fouilleurs de l’Institut national de propice à l’explosion de monuments religieux. »
Parmentier en 1785, et il n’y a plus ou le maïs. Une chance pour les recherches archéologiques préventives (Inrap) alors Au cours de ces fouilles, les spécialistes ont également
eu de famine en France depuis son petits paysans ! Il faut que cha- qu’ils étaient occupés à déblayer une zone destinée à trouvé, au-dessus de la couche paléochrétienne, un
développement. Aujourd’hui, elle que pays devienne maître de ses un jardin d’agrément. cimetière médiéval (XIIe-XIIIe s.) bien conservé, regrou-
est en forte progression dans les cultures vivrières. Un objectif qui On est aux pieds de la cathédrale, la Nouvelle Major, pant pour l’essentiel des tombes en pleine terre orien-
pays du Sud, en Chine – premier ne s’accorde pas vraiment avec construite en 1852, de l’église primitive (la Vieille Major) tées est-ouest, mais également des cercueils en bois.
producteur mondial –, tandis que une tendance à laquelle on assiste et du baptistère paléochrétien du Ve siècle après J.-C., Ils sont aussi tombés sur une énorme fosse commune
l’Afrique a pris du retard, à la fois de plus en plus dans le monde : la des soubassements de la chapelle des Pénitents blancs renfermant une centaine de squelettes empilés dans la
dans la production et dans la con- location, par bail de 99 ans, des (XVIe s.) et du Grand Séminaire (XIXe s.), juste en face précipitation au XVIIIe siècle. Il s’agit d’une sépulture
sommation. La pomme de terre terres agricoles des pays en déve- d’un lieu que les Marseillais appellent depuis la nuit dite « de catastrophe », probablement due à la grande
est une production à double fin loppement. Ainsi, un pays riche des temps « L’Évêché » et qui est en fait… la préfecture épidémie de peste bubonique (transmise par la puce
comme disent les économistes : comme Dubaï a-t-il loué près de de police. du rat) qui toucha Marseille en 1720. Propagée à partir
autoconsommation et vente, et 10 000 hectares de terres au Pa- « L’ensemble appartient à l’ancien palais épiscopal, du Grand-Saint-Antoine, navire marchand chargé de
c’est souvent la culture la plus kistan afin de fournir sa propre installé sur un tissu urbain grec datant du Ve-IVe siècle soieries et théoriquement obligé de respecter une qua-
rentable. Elle ne vient pas en population en pommes de terre. avant Jésus-Christ, qu’on n’avait pas encore clairement rantaine au large de Marseille, cette épidémie fit 40 000
concurrence avec les cultures Une sorte de “néocolonialisme localisé jusqu’à présent », indique Françoise Paone, ar- victimes, soit près du tiers de la population citadine.
vivrières traditionnelles et fournit agraire ou agricole” qui, si ce chéologue, responsable scientifique des opérations. Des Que va-t-il advenir de tous ces vestiges archéologi-
une occupation, à la fois du sol système s’étend, risque d’abou- locaux en terre battue – dont un, avec sa couche de terre ques ? « En 2 600 ans d’histoire, il y a deux points forts
et pour les hommes, pendant la tir à la production de pommes de rougeâtre, indique la présence d’un foyer – voisinent à Marseille : les VI-Ve s. avant J.-C., avec l’arrivée des
saison sèche. Enfin, il n’y a pas de terre pour les riches d’un côté et la avec d’autres pièces : l’une est équipée d’un système de colons, et les V-VIe s. après J.-C., avec les Phocéens et
réticence de la population pour culture de pommes de terre pour canalisations d’eau chaude souterraine (hypocauste), les premiers chrétiens. De l’époque grecque, on a re-
sa consommation. Seules limites : les pauvres de l’autre. » une autre abrite la fameuse mosaïque, le joyau de cette trouvé et fait restaurer de beaux navires qui sont, pour
son coût et sa disponibilité limitée RECUEILLI PAR découverte. le moment, malheureusement invisibles au grand
sur l’année. Cette analyse peut DENIS SERGENT Œuvre de 3 mètres sur 5, la mosaïque est constituée public et, aujourd’hui, vient d’être mise au jour cette
être transposée à d’autres régions de milliers de tesselles, petits cubes de verres artificiels, mosaïque paléochrétienne. Je plaide pour que tous ces
connaissant ou risquant de con- (1) Jusqu’au 13 décembre, l’asso- ou de minéraux naturels de couleur noire, blanche, trésors historiques soient exposés dans un musée qui
naître des déficits alimentaires. ciation organise près de Rennes, ocre, jaune, rouge, bleu ciel ou vert cuivre. Le tout pourrait être inauguré en 2013 par exemple, année où
Dans les montagnes du Kirghi- à Pacé, une série d’animations sur appuyé sur un « béton romain » constitué de briques Marseille sera capitale mondiale de la culture », insiste
zstan, on considère qu’avec deux la pomme de terre. pilées liées par un mortier à la chaux. « Au centre du Jean Guyon.
récoltes par an et un rendement de RENS. : 02.99.60.14.72. tapis mosaïqué, on observe des vases d’où s’échappent des D. S.

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