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HGGSP 6 : L’ENJEU DE LA CONNAISSANCE

AXE 2 LA CONNAISSANCE, ENJEU POLITIQUE ET GEOPOLITIQUE

Introduction : Le renseignement est défini par le géopolitologue Pascal Le Pautremat comme « l’action de réunir des
informations d'importance stratégique pour le pouvoir, d'apporter des éléments destinés à orienter une politique
particulière, une action économique ou militaire, combinée ou non » Au XXe siècle, la connaissance de l’ennemi
politique et militaire est devenue un outil important dans la guerre, au point de faire des espions des héros, des mythes
de la guerre froide. La connaissance est aussi un fondement du développement économique pour une puissance en
construction comme l’Inde qui, en s’appuyant sur la force de sa formation universitaire, a déployé une stratégie de
croissance et d’essor économique basée sur les transferts de technologies et sur ses étudiants.
Problématique : Pourquoi la maîtrise des connaissances est-elle un enjeu dans la concurrence économique,
politique et géopolitique entre les puissances ?

I. Le renseignement au service des États : les services secrets soviétiques et


américains durant la guerre froide.

A. Le renseignement, enjeu politique majeur de la guerre froide.

Le renseignement au cœur de la guerre : La pratique du renseignement est très ancienne et est indissociable de la
pratique du pouvoir militaire et diplomatique d’un état : Les pharaons, les Empereurs romains et chinois consacrent
déjà des moyens pour collecter du renseignement sur les adversaires et ennemis. Avec la construction des états
modernes, le domaine du renseignement s’organise mais reste centré sur la connaissance militaire (effectifs) et
géographique de l’ennemi. Les conflits du XXe siècle bouleversent la notion de renseignement qui devient « la guerre
de l’ombre ». Le Royaume-Uni créé le MI 5 (military intelligence, service V) en 1916. La révolution russe et la guerre
civile qui suit donnent des pouvoirs importants à la Tcheka, la police politique qui devient ensuite le Guépéou puis le
NKVD. Les régimes totalitaires mettent en place des services de renseignements particulièrement efficaces. Durant la
Seconde guerre mondiale, l’attaque surprise de Pearl Harbor démontre aux États-Unis la nécessité de construire des
services de renseignement compétitifs.
La naissance de la CIA : Les États-Unis s’appuient sur leur allié britannique et notamment l’espion Ian Fleming (père
du célèbre 007) pour développer des services de renseignements efficaces : c’est la naissance de l’office of strategic
services (OSS) en juin 1942. A la fin de la guerre, l’OSS est dissoute mais les tensions avec « l’allié » soviétique poussent
Truman à promulguer le National Security Act qui donne naissance en 1947 à la Central Intelligence Agency, la CIA,
dont l’objectif principal est d’empêcher la diffusion du communisme dans le monde (endiguement ou Containment)
en collectant des informations et en menant des opérations d’espionnage. La CIA se développe sur la scène
internationale alors que le territoire des États-Unis est pris en charge par le FBI (Federal Bureau of Investigation) qui a
en charge les affaires intérieures. C’est le FBI qui arrête les époux Rosenberg, espions soviétiques accusés d’avoir
transmis des informations sur la bombe atomique. Exécutés en 1953, ils sont à l’origine d’une violente campagne
anticommuniste illustrée par le sénateur conservateur McCarthy avec l’aide du FBI (le Maccarthysme).
La naissance du KGB : L’URSS s’appuie dès sa création sur des services de renseignement développés et efficaces qui
lui permettent d’infiltrer de nombreux pays. Ainsi, pendant la seconde guerre mondiale, les avancées du projet
Manhattan sont en partie connues à Moscou. En 1946, le NKVD disparaît au profit du NKGB. En 1954, les services
secrets soviétiques sont réorganisés et le KGB (comité de sécurité d’état) devient le seul organe de renseignement
directement relié au Politburo, cœur du pouvoir soviétique. Il regroupe alors le renseignement intérieur, le
renseignement extérieur, la sécurité de l’État et la lutte contre les opposants. Fort de sa devise « Loyauté au Parti,
loyauté à la Patrie », le KGB ne rend des comptes qu’au secrétaire général du PCUS, le chef de l’état soviétique. Il
devient un état dans l’état.

B. CIA Vs KGB : missions et actions.


Collecter des informations : La principale mission des services de renseignements est la collecte d’informations. Fort
d’effectifs allant de 500 000 à 700 000 agents, le KGB infiltre tous les pays avec entre 1 et 5 millions d’informateurs
dans le monde. Tous les pays sont infiltrés à des degrés divers et le KGB s’appuie sur des partisans du communisme.
C’est le cas du groupe des « Cinq de Cambridge » : recrutés dans les années 30 par le NKVD, ces cinq étudiants de
Cambridge intègrent les sphères du pouvoir politique et économique britannique et deviennent de véritables agents
doubles. De leur côté, les services secrets américains et britanniques développent dès 1943 un travail de décodage
des codes de communication soviétiques, ce qui leur permet de décrypter près de 3000 messages et de découvrir le
réseau des Cinq de Cambridge (projet Venona). Durant la guerre froide, Berlin devient le cœur du renseignement
mondial. Berlin Ouest est enclavée au sein de la RDA et les espions américains et soviétiques pullulent dans les deux
parties de la ville : ils obtiennent des informations et en échangent. Berlin est alors un espace de surveillance et de
dialogue durant la guerre froide symbolisé par le pont de Glienicke surnommé le pont des espions.
Mener une guerre secrète : Face aux tensions croissantes, les deux agences utilisent tous les moyens disponibles, se
lançant dans une course technologique. Les États-Unis, conscients de leur méconnaissance du territoire soviétique,
lancent un vaste programme d’espionnage aérien, le projet Moby Dick. En 1956, le premier avion-U2 entre en service.
Capable en théorie de survoler le territoire soviétique et de prendre des photos sans être repéré, il est néanmoins
intercepté et abattu en 1960 au -dessus de l’URSS. Les U2 permettent aux États-Unis de prendre des photos des sites
de lancement de missiles nucléaires à Cuba, poussant les deux superpuissances et le monde au bord de la guerre en
1962. La CIA et le KGB multiplient les interventions dans les pays des deux blocs : coups d’état, soutiens militaires aux
rebellions, envoi de troupes spéciales… Ainsi, la CIA est l’un des principaux artisans de la chute du premier ministre
iranien Mossadegh, accusé d’être trop proche de l’URSS. De son côté, le KGB œuvre activement en Afghanistan dès
1978 dans le renversement des gouvernements opposés à l’URSS avant de pousser les dirigeants soviétiques à
l’invasion du pays en 1979.

C. CIA, KGB, des états dans l’état ?


La CIA au cœur de la tourmente : Avec la détente qui marque les années 70, les premières enquêtes sur le rôle de la
CIA se développent aux États-Unis. Les premières commissions parlementaires dénoncent un état dans l’état qui ont
tenté d’assassiner de nombreux chefs d’état dont Fidel Castro, le leader cubain. La CIA est aussi accusée d’espionner
des citoyens américains en toute illégalité. Ses interventions en soutien du dictateur Pinochet au Chili sont aussi
condamnées. Après le choc américain de la guerre du Vietnam et le scandale du Watergate, la CIA est encadrée plus
étroitement par le pouvoir politique avec la création de deux commissions de contrôle au Congrès (1977). L’agence de
renseignements reste très puissante dans les années 80 comme en témoigne l’envoi de mercenaires entraînés et
armés par la CIA pour soutenir la guérilla au Nicaragua. Son échec après la guerre froide dans la lutte contre le
terrorisme est incarné par son incapacité à prévoir les attentats du 11 septembre.
Le KGB, puissance, décadence et renaissance : Le KGB reste particulièrement puissant dans les années 70 et 80. Il
multiplie les tentatives de désinformation mais, comme la CIA, le KGB voit son importance décliner. En plus des
renseignements classiques, le KGB est aussi une police politique chargée de lutter contre « les ennemis du peuple ».
A ce titre, le KGB est responsable de la disparition de plusieurs milliers de personnes. Face à l’effondrement de l’URSS,
les services secrets tentent de réagir. Le directeur du KGB aide les putschistes qui cherchent à se débarrasser de
Gorbatchev en 1991. Arrêté, il est remplacé par un général ayant pour mission de dissoudre le KGB. Celui-ci est dissout
quelques jours avant la disparition de l’URSS, en décembre 1991. Le successeur du KGB, le FSB est essentiellement
chargé de la sécurité intérieure. Mais l’ombre du KGB reste forte en Russie, notamment au travers de Vladimir Poutine,
ancien du KGB et du FSB, qui utilise encore largement les anciens réseaux. Plus que jamais, avec la renaissance de la
puissance russe, les services secrets du FSB s’illustrent : tentatives d’assassinats contre Sergueï Skripal (2018) ou Alexeï
Navalny (2020).

II. Circulation et formation des étudiants, transferts de technologie et puissance


économique : l’exemple de l’Inde.

A. La connaissance, principal outil de développement économique de l’Inde ?

L’éducation, un pilier du développement indien : L’Inde est la plus grande démocratie au monde et le 2e pays le plus
peuplé, juste derrière la Chine avec 1,4 milliard d’habitants. Ce géant démographique a dû faire face à d’immenses
défis de développement. Depuis les années 60, elle a réussi à faire reculer la malnutrition avec sa « Révolution verte » :
mécanisation, utilisation intensive d’engrais, sélection de semences et plus récemment OGM. Alors que les guerres
avec le Pakistan se poursuivent, l’Inde développe un programme nucléaire qui lui permet de devenir la 6 e puissance
nucléaire en 1974. Le pays développe dès les années 70 un programme spatial de lanceur de satellites avec l’aide de
l’URSS. Le système universitaire indien, développé dès la période coloniale et renforcé après l’indépendance, se divise
entre la voie universitaire, incarnée par les collèges et les universités, et la voie scientifique et technologique, la plus
prestigieuse, avec des grandes écoles qui forment chaque année 350 000 ingénieurs. Avec plus de 35 millions
d’étudiants (26 millions en 2010), l’Inde représente en 2019 la 3e population étudiante au monde après les États-Unis
et la Chine.
La « fuite » des cerveaux indiens : Chaque année, ce sont environ 800 000 jeunes indiens qui quittent leur pays pour
étudier à l’étranger. Fort de leur maîtrise de l’anglais, les étudiants indiens se rendent massivement aux États-Unis et
au Canada (210 000), en Australie (100 000), au Royaume Uni (55 000). Ces pays offrent aux étudiants indiens des
débouchés professionnels majeurs (ingénierie et informatique) et ils peuvent s’appuyer sur une diaspora importante.
Enfin, le système universitaire indien est parfaitement compatible avec le système des pays anglo-saxons et de
nombreux programmes de coopération universitaires se sont développés (coopération entre les Indian Institute of
Technology (ITT) et le Michigan Institute of Technology (MIT). C’est le brain drain, la fuite des cerveaux qui pénalise le
système universitaire indien : manque de professeurs, manque de moyens pour le système universitaire public et
développement d’un enseignement privé toujours plus cher.
Les étudiants, instrument du soft power indien : La diaspora indienne s’élève à près de 28 millions de personnes.
Cette population, d’un niveau économique relativement élevé, se concentre dans les pays du Golfe Persique et les
pays anglo-saxons. Dans ces derniers, et particulièrement aux États-Unis où ils sont plus de 2 millions, les membres de
la diaspora indienne permettent un transfert financier majeur (78 milliards de dollars en 2018). Le personnage symbole
de cette réussite indienne, c’est le PDG d’Alphabet, la maison mère de Google, Sundar Pichai. Issu d’un milieu modeste,
diplômé de l’ITT de Kharagpur, l’une des écoles les plus prestigieuses en Inde, Pichai intègre l’université de Stanford.
Les membres de cette diaspora exercent une influence et participent au soft power indien : ils permettent la mise en
place de législations favorables à l’Inde et diffusent les éléments de la culture indienne (nourriture, yoga…).

B. L’Inde, une puissance industrielle et technologique en construction.

L’Inde, une économie en forte croissance : Si une partie importante des étudiants s’expatrie, l’Inde reste néanmoins
un territoire particulièrement attractif pour les IDE et les délocalisations des FTN qui peuvent s’appuyer sur une main
d’œuvre d’excellente qualité, anglophone et bon marché. En 2018, Samsung inaugure la plus grande usine de
fabrication de smartphones au monde dans la banlieue de New Delhi. En arrivant au pouvoir en 2014, Narendra Modi
lance le programme Make in India. Il s’agit de diversifier le paysage économique indien, largement centré sur les
activités informatiques et de services en attirant les entreprises étrangères dans 25 secteurs industriels innovants dont
l’automobile, l’aéronautique, le textile ou encore la chimie. Le pays est devenu le principal fabricant de médicaments
et de vaccins dans le monde. L’Inde est aujourd’hui la 5e puissance économique mondiale, devançant la France et le
Royaume Uni, et devrait être la 3e puissance économique mondiale d’ici 10 ans.
Les transferts de technologie : L’un des enjeux économiques majeurs pour l’Inde est le transfert de technologie. Il
s’agit pour un pays d’acquérir (ou de donner) un savoir-faire, de techniques de fabrication ou d’équipements, de
connaissances. La forte croissance économique indienne a permis la naissance de FTN puissantes en Inde incarnées
par les groupes Tata, Arcelor-Mittal, Mahindra. Ces FTN participent aux transferts de technologie par le rachat de
groupes occidentaux. Ainsi, le rachat d’Arcelor par le groupe Mittal en 2006 a permis au groupe indien de devenir le
2e groupe mondial de production d’acier. Il a surtout acquis des technologies de pointe dans la production d’acier. Le
gouvernement indien pousse aussi aux transferts de technologie dans le cadre de contrats d’équipements et de
construction d’infrastructures : le groupe français a acquis le marché pour les métros et Delhi et Mumbai en produisant
les rames en Inde. L’acquisition par l’Inde de sous-marins ou de chasseurs Rafale se font aussi sous conditions de
transferts de technologies.
Le Brain gain : Le ville de Bangalore est devenue un centre universitaire et économique majeur de l’Inde. Qualifiée de
Silicon Valley indienne, la ville connait un développement important dans les domaines de l’électronique et des hautes
technologies. Cette forte croissance attire de nombreux étudiants indiens formés à l’étranger qui obtiennent à
Bangalore des opportunités de carrière plus intéressantes. Ce mouvement de retour des cerveaux est appelé Brain
Gain ou « Back to Bangalore ». Le gouvernement indien cherche à faire revenir cette élite intellectuelle pour faire
bénéficier des compétences acquises par ces populations à l’étranger au développement économique de l’Inde et
développer un transfert de compétences scientifiques et de connaissances.
Conclusion :
La connaissance est donc au cœur des enjeux géopolitiques et des relations internationales. Le renseignement est
central entre puissance rivales : connaître et analyser les informations des autres puissances permet d’établir des
stratégies politiques. Cette bataille du renseignement est devenue centrale durant la période de la guerre froide qui a
élevé les espions au rang de héros voire de mythes. Le développement de la connaissance est au cœur des stratégies
de développement économique mises en place par les états pour développer leur puissance : la connaissance et le
savoir sont au service de l’économie indienne pour lui permettre de développer les outils géopolitiques de la puissance
qu’elle entend être au XXIe siècle : les étudiants indiens, qu’ils partent ou qu’ils reviennent, constituent un pilier
majeur de la politique de Modi qui rêve de faire de son pays « le cerveau du monde ».

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