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Il y a de nombreuses façons d’expliquer ce roi des mantras secrets. De nos jours, tout
le monde – à commencer par ces jeunes moines qui, à peine capables de serrer leur
ceinture, effectuent des services rituels à gauche et à droite, y compris pour les
animaux d’élevage des riches propriétaires – récite les syllabes de ce mantra, en se
vantant et en affirmant toutes sortes de choses. Toutefois, il sembleraient que ces
gens n’ont pas même une once de certitude à l’égard de la signification du mantra. Je
l’expliquerai donc en termes familiers, m’exprimant de façon concise et facile à
comprendre. Je ne m’adresse pas ici aux grands pratiquants érudits des tantras
nyingma, ni aux lettrés orthodoxes qui adhèrent aux mots creux des intellectualistes
querelleurs. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une analyse systématique ; nulle grille de
pointage, ici. J’écris pour les nombreux mantrins citadins, ni moines ni bönpos, qui
confondent les principes essentiels des mantras secrets avec des mantras de leur
propre invention. Ceux d’entre vous dont l’intelligence est faible, incapables de
comprendre des notions complexes et élaborées, mais souhaitant réciter ce mantra –
vous qui n’êtes pas du genre intellectuel, tendez donc l’oreille et accueillez les
quelques propos absurdes qui vont suivre.
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2. Le supplier [avec siddhi hūṃ] d’exaucer tous nos souhaits, parfaitement et
entièrement
La signification de la syllabe oṃ
« Oṃ » fait référence au corps de vajra de tous les bouddhas. Bien qu’en général,
tous les corps formels des bouddhas soient adamantins, c’est principalement le
« oṃ » que les écritures appellent « le vent de sagesse tournoyant dans l’espace
fondamental ». En d’autres mots, le vent peut être le pur support de la grande félicité
de la sagesse coémergente ; et quand il a gagné en force et qu’il est parvenu à
maturité, il peut devenir d’une même essence avec l’esprit inné de grande félicité.
Dans le système extraordinaire des mantras insurpassables, les corps grossier et
subtil sont divisés en trois : 1) le corps grossier interne ; 2) le corps grossier externe ;
3) le corps subtil avec ses trois mille subdivisions, le long desquelles circule l’élément
du vent. Quand tous ces vents sont pacifiés au sein de la totale pureté de l’espace
fondamental, le vent inné émerge comme le mudrā du filet magique [de l’union] des
apparences et de la vacuité. Cela est appelé « le vajrakāya du corps d’arc-en-ciel du
grand transfert ».
La signification de la syllabe āh
« Āḥ » fait référence à la parole adamantine. De plus, comme il est enseigné dans le
Filet magique4 :
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Dans le centre du cœur, il rayonne,
Indestructible et pur, comme une lampe ;
Immuable et des plus subtils –
« A », le seigneur sacré.
Par conséquent, on dit à juste titre que l’ensemble des vastes qualités des trois vajras
des tathāgatas est entièrement parfait au sein de la nature de la roue perpétuelle et
ornementale des trois secrets du Seigneur Padmākara. Il va sans dire qu’il y a aussi
les points profonds et extraordinaires des systèmes des sūtras et des tantras en
général, ceux du système insurpassable des mantras secrets en particulier, et tout
spécialement ceux de notre système de la Grande Perfection naturelle. Si un imbécile
immature comme moi tentait de les expliquer, il pourrait sans doute produire toute
une pile de volumes inutiles… Mais, comme je l’ai dit, le présent texte n’est qu’une
introduction destinée aux jeunes vénérables de ma génération, et aux gens simples et
plus âgés.
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Pour que ce Grand Héros, expert en moyens habiles,
Puisse mener les êtres à leur pleine maturité,
Le Vainqueur s’est manifesté sous l’aspect du Bouddha
Dans des millions et millions de mondes.
En cet instant même, ô Guide,
Tu déploies ainsi de nombreux bouddhas.
Tout d’abord, quand Padmākara fut investi du pouvoir sacré et royal sur l’Oḍḍiyāna,
le royaume d’Indrabhūti, roi riche et aveugle, ce fut comme lorsque le glorieux
Saraha se fit initier à l’essence du Buddhakapāla-tantra8 . Grâce à son entraînement
antérieur, il put parfaire naturellement, dans le cadre de cette même vie, la voie de
l’accumulation – la phase de développement des profonds mantras – et la voie de la
jonction – la phase d’achèvement où s’appliquent les points essentiels relatifs aux
trois emplacements adamantins.
La principale cause de ce « poids » est qu’il ne peut jamais être détruit par les taches
adventices de la pensée empreinte d’illusions. On parle donc d’esprit adamantin ou
inné et indestructible – la base lumineuse, la grande libération, la base du corps du
vase de jouvence. Les conditions coémergentes requises pour que cela se produise
sont 1) la profonde phase de génération : la voie dont l’aspect est similaire à la
sagesse subtile de la clarté intérieure, le véritable état de la base, l’aube spontanée [de
l’union] des apparences et de la vacuité ; et 2) l’extraordinaire phase d’achèvement :
la réalisation que les trois mondes du saṃsāra ont toujours été libres. Grâce à ces
moyens et d’autres encore, le résultat – les trois vajras des bouddhas – est mis en
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œuvre, et l’on parle alors de « l’insurpassable voie adamantine ».
Quelles sont ces qualités, essentiellement ? En s’en remettant aux moyens habiles de
la voie adamantine – la sagesse de la base de vajra –, la sphère objective devient la
nature innée de la luminosité qui se connaît elle-même, la vastitude illimitée, libre de
toute contrainte. Au sein de ce même espace, le sujet, la sagesse indestructible de la
grande perfection parvenue aux six qualités spéciales12, est parachevé en tant
qu’essence des qualités adamantines, entières et spontanément présentes. C’est
précisément le sens du terme « vajra ».
1.2. Une description du nom du guru [Padma] qui possède ces qualités
Qui possède donc un tel océan de qualités merveilleuses, secrètes et inégalées ? Dans
le contexte de cet enseignement, il s’agit de celui qui est reconnu comme le « Parfait
Bouddha Padma » dans les infinies terres pures des bouddhas des trois kāyas.
Pourquoi l’appelle-t-on « Padma » ? Tout d’abord, il naquit miraculeusement sur le
pistil d’un padma, c’est-à-dire d’une fleur de lotus, et fut donc nommé d’après ses
origines. Comme Padma est la manifestation magique de la sagesse omnisciente du
cœur d’Amitābha, tathāgata de la famille du lotus, le nom « Padma » s’applique
également à cette même essence de sagesse. On peut aussi considérer que ce nom
s’applique à toute la famille. Un texte dit :
Effectivement, le nom de Padma aurait aussi pu s’appliquer parce qu’il est le seigneur
de la jouissance qui a accompli l’union, c’est-à-dire le niveau d’un grand Vajradhara,
en s’en remettant au padma de la reine adamantine. Ce nom pourrait aussi
s’expliquer en termes de fonction – le fait qu’il soit affranchi du désir –, puisque la
manifestation de son rūpakāya illusoire apparaît aux êtres ordinaires comme le reflet
de la lune sur l’eau, de la même façon qu’un lotus émerge de la boue sans être entaché
par elle. Un nom peut donc être donné pour de nombreuses raisons, ayant trait 1) aux
origines, comme dans le cas de « Né d’une Matrice dorée »14 ; 2) à la famille, comme
dans le cas de « Grand Dieu »15 ; 3) à la jouissance, comme quand on parle des
« dégustateurs de fleurs »16 ; ou 4) à la fonction, comme quand on dit « l’ennemi des
lotus »17. Dans le cas qui nous intéresse ici, [Guru Rinpoché] a reçu divers noms,
comme Grand Maître Padmākara, Padmasambhava et Né-du-Lotus (padma skyes). S’il
est bien connu que la plupart de ces noms reflètent le premier type d’appellation18,
les quatre justifications s’appliquent au nom « Padma ».
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pas comme des idiots ! Les bodhisattvas comme Gaganagañja et Vajrapāṇi ont une
compassion incommensurable, mais ils ont reçu des noms différents en raison des
différentes histoires relatant leur vie et leur libération. De même, le noble
Avalokiteśvara – le seigneur qui regarde tous les êtres –, a reçu ce nom précisément
en raison de cette qualité.
Les « siddhis ordinaires » font référence aux accomplissements partagés par les
pratiquants de la phase de développement, tels que les huit accomplissements et les
douze capacités. Grâce à eux, on gagne provisoirement le contrôle sur les multiples
disciplines yogiques en lien avec les quatre activités éveillées.
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cette personne accèdera promptement et sans effort à l’union au-delà de
l’apprentissage – le niveau du souverain Vajradhāra. C’est pourquoi l’on dit ici,
« voilà ce que je désire ! ».
En conclusion, si vous avez été initié dans les insurpassables mantras, ces
explications raffermiront votre foi dans les syllabes de ce mantra particulier. Pour
ceux dont les facultés sont moindres, cet enseignement n’offrira qu’un aperçu de la
signification des syllabes. Si cela est encore au-dessus de vos capacités, je dirais
simplement que ce mantra pourrait se traduire ainsi : « Toi qui incarnes les trois
vajras (ou toi qui est chargé et plein des merveilleuses et incommensurables qualités
des trois vajras), nous t’invoquons, ô Padma, Seigneur des Vainqueurs ! Accorde-
nous tes bénédictions ! »
Les trois vajras sont le corps, la parole et l’esprit éveillés. C’est ce qu’indiquent les
syllabes Oṃ, āḥ hūṃ vajra. « Chargé de qualités » évoque les marques majeures et
mineures de son corps, le timbre et le caractère exhaustif de sa parole, et
l’omniscience de son esprit éveillé. Ce « poids » n’a rien à voir avec celui d’une pièce
de monnaie : il est lourd comme la Terre ! Qui démontre [pareille merveille] ? Le
« guru », appellation qui condense les termes guṇa et ru. « Padma » est facile à
comprendre : c’est le nom du Grand Maître. Quant à ce qu’on appelle
« accomplissement », il y a beau y en avoir de nombreuses sortes, suprêmes et
ordinaires, il faudrait peut-être l’expliquer d’une façon qui interpelle les gens
d’aujourd’hui dont l’esprit est aussi étroit que le chas d’une aiguille. On pourrait
donc envisager plus de nourriture, plus de yaks, des rendements plus élevés parmi les
moutons et les bovins, pas de perte ou de malchance à l’occasion de la pleine lune ou
de la nouvelle lune… Hūṃ est une invocation par laquelle on demande l’octroi de ces
siddhis ou accomplissements.
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mis par écrit ce qui me venait à l’esprit, un peu comme on tape dans un sac de
tsampa. C’est l’œuvre d’un simplet borné, pas de doute là-dessus.
| Traduit en français par Vincent Thibault (2023) sur la base de la traduction anglaise de Samye
Translations (Peter Woods et Stefan Mang, révisions par Libby Hogg, 2019).
Bibliographie
Édition tibétaine
'jigs med bstan pa'i nyi ma. “gu ru siddhi'i rnam bshad ku mu ta'i phreng ba.” dans
gsung ‘bum, glegs bam ca pa (5), 54b-61a. 'bras ljongs : sgang tog, 2000.
Sources secondaires
Achard, Jean-Luc. 2005. “Le mode d’émergence du Réel — les manifestations de la
Base (gzhi snang) selon les conceptions de la Grande Perfection” dans Revue d’études
tibétaines, numéro 7 (avril 2005).
Gyurme Dorje. 1987. “The Guhyagarbhatantra and its XIVth Century Tibetan
Commentary, phyogs bcu mun sel.” Thèse de doctorat. University of London.
Jikme Lingpa, Patrul Rinpoche et Getse Mahapandita. 2006. Deity, Mantra and
Wisdom. Traduit par le Dharmachakra Translation Committee. Ithaca : Snow Lion
Publications.
Nyoshul Khenpo. 2005. A Marvelous Garland of Rare Gems. Traduit par Richard
Barron. Junction City : Padma Publishing. (À noter qu’un premier tome est paru en
9
français en 2017 aux éditions Padmakara, sous le titre L’Avènement de la Grande
Perfection naturelle : La Merveilleuse Guirlande de joyau des lignées de vidyadaras,
Volume 1).
Padmasambhava. 2004. Light of Wisdom Vol. 1. Traduit par Erik Pema Kunsang.
Kathmandu : Rangjung Yeshe Publications.
Sá nchez, Pedro M.C. 2011. “e Indian Buddhist Dhā raṇ ı:̄ An Introduction to its
History, Meanings and Functions.” Maîtrise en études bouddhistes. University of
Sunderland.
Version : 1.1-20230626
2. La roue de jouissance (longs spyod ‘khor lo) est le nom du chakra qu’on estime
se trouver dans la gorge. ↩
5. C’est-à-dire la parole. ↩
8. Saraha serait l’auteur de quatre ouvrages (Tōh. 1652, 1655, 1656 et 1657) sur le
Buddhakapāla-tantra (Tōh. 424, sangs rgyas thod pa'i rgyud). ↩
10
vie de Padmākara auxquels on fait ici allusion, voir Jamgön Kongtrul, The Life
and Liberation of Padmākara, the Second Buddha. ↩
10. Cette citation vient du chapitre 5 du Lé’ou Dünma : La Prière sollicitée par
Nanam Dordjé Düdjom. ↩
11. Contrairement à ce qu’on dit ici, dans la plupart des textes le vidyādhara du
Mahāmudrā est associé à la voie de la méditation (sgom lam). Pour une
explication détaillée des niveaux de vidyādhara et de leurs correspondances
avec la progression du Mahāyāna, voir Jigmé Lingpa, 2004, pages 56–67, et
Padmasambhava, 2004, pages 179–180. ↩
12. Ces six points, attributs ou dharmas spéciaux (khyad chos drug) décrivent le
processus de la réalisation au sein de la base, selon les enseignements de
l’Atiyoga. Ce sont : 1) le jaillissement de la présence éveillée à partir de la base ;
2) la perception de sa propre manifestation ; 3) sa distinction de tout état de
confusion ; 4) la libération au sein de cette distinction ; 5) le fait que sa présence
ne dépende pas de conditions externes ; 6) le repos dans sa propre lucidité
naturelle. Voir Nyoshul Khenpo (2005) : note 104, et Jean-Luc Achard, 2005,
pages 84–85 (http://www.digitalhimalaya.com/collections/journals/ret/). ↩
13. Benjamin Bogin explique que Jigmé Lingpa, par exemple, a proposé un
rapprochement entre, d’une part, le roi rākṣasa Rāvaṇa, adversaire de Rāma
dans le Rāmāyaṇa, célèbre épopée de Vālmīki, et d’autre part, le roi rākṣasa
Tötrengtsal, que Padmākara a vaincu à son arrivée à la Montagne cuivrée
(Bogin, 2014 : p. 12). ↩
14. Une épithète de Brahmā, dont on dit qu’il est né d’un œuf d’or. ↩
19. Dans la mythologie hindoue, Kaṃsa était un démon asura qui fut tué par
Viṣṇu/Kṛṣṇa. ↩
20. Péma Lédrol (padma las grol) est un des noms de Longchenpa. ↩
21. « Quintessence » (hṛdaya, snying po) fait ici référence à une incantation
(dhāraṇī, gzungs) que l’on considère incarner l’essence d’une déité. Cela
représente une méthode essentielle pour atteindre un résultat surnaturel. Il
peut s’agir d’une unique syllabe, comme c’est ici le cas avec hūṃ. Pour plus de
11
détails sur les hṛdayas, voir Sánchez, 2011 : p. 37. ↩
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