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Brzezinski établit un véritable calendrier géopolitique pour le XXIe 

siècle.
Présentant la réalité internationale comme un grand jeu d’échecs, ce dernier
émet plusieurs pronostics, que nous pouvons aujourd’hui comparer à la réalité,
étant arrivés à l’issue des phases du calendrier géopolitique.
L’auteur précise toutefois dans son ouvrage que son analyse n’a rien de définitif
et qu’elle est amenée à évoluer selon les circonstances. Il publie ainsi une
version actualisée du Grand Échiquier, à la suite des attentats du 11 septembre
2001. Dans Le Vrai Choix. Les États-Unis et le reste du monde (2004),
Brzezinski se focalise plus particulièrement sur la question du terrorisme et des
évolutions sociétales contemporaines.

Ce qu’il faut retenir :


L’hégémonie américaine est devenue totale après la chute de l’URSS en 1991.
Comparée aux autres exemples historiques, cette hégémonie est d’un type
particulier, alliant pluralisme et globalité. Les États-Unis doivent travailler pour
maintenir leur puissance, avec pour terrain d’action dans cette partie d’échecs,
le continent eurasiatique. En Eurasie se concentrent en effet l’essentiel des
ressources humaines et naturelles ainsi que les éventuels rivaux de la
suprématie américaine, qu’il convient de maîtriser. Autrement dit, qui contrôle
l’Eurasie contrôle le monde.
Les forces américaines doivent se concentrer sur des points stratégiques du
continent, que l’auteur répartit entre « acteurs géostratégiques » (France,
Allemagne, Russie, Chine, Inde) et « pivots géostratégiques » (Ukraine,
Azerbaïdjan, Corée, Turquie, Iran). Il s’agit d’orienter ces derniers afin, d’une
part, d’établir deux « têtes de pont » sous égide américaine à chaque extrémité
de l’Eurasie (l’Union européenne à l’ouest, une « Confédération chinoise » à
l’est), d’autre part de pousser la Russie à se joindre à l’Europe, et enfin d’ouvrir
les Balkans eurasiens et ses ressources au marché mondial.

Biographie de l’auteur
Zbigniew Brzezinski (1928-2017) est un expert en géopolitique américain
d’origine polonaise. Il est le fils d’un diplomate qui, à la veille de la Seconde
Guerre mondiale, se trouve en poste à Montréal. En 1939, alors que la Pologne
est envahie presque simultanément par l’Allemagne et l’URSS, ce dernier prend
la décision de demeurer au Canada où Zbigniew Brzezinski débutera son cursus
universitaire à l’université McGill avant de rejoindre l’université de Harvard.
Suivant avec intérêt l’évolution de la guerre puis l’actualité de la Pologne au
sein du bloc soviétique, il rédige une thèse sur le totalitarisme soviétique,
publiée en 1953. Son implication politique ainsi que sa position de professeur
spécialisé dans les questions soviétiques à l’université de Harvard (1953-1960),
confèrent progressivement à ses analyses une grande légitimité auprès d’une
large audience d’hommes politiques américains.
Il est, en effet, proche du parti démocrate et entretient d’étroites relations avec
les gouvernements de la plupart des Présidents démocrates, et parfois aussi de
certains candidats républicains comme Ronald Reagan. Il sera, entre autres,
conseiller politique, participant aux campagnes présidentielles, puis conseiller à
la sécurité nationale.
Avertissement : Ce document est une synthèse de l’ouvrage de référence
susvisé, réalisé par les équipes d’Élucid ; il a vocation à retranscrire les
grandes idées de cet ouvrage et n’a pas pour finalité de reproduire son
contenu. Pour approfondir vos connaissances sur ce sujet, nous vous invitons à
acheter l’ouvrage de référence chez votre libraire. La couverture, les images, le
titre et autres informations relatives à l’ouvrage de référence susvisé restent la
propriété de son éditeur.

Plan de l’ouvrage
Préface
Chapitre I. Une hégémonie d’un type nouveau
Chapitre II. L’échiquier eurasien
Chapitre III. La tête de pont de la démocratie
Chapitre IV. Le trou noir
Chapitre V. Les Balkans Eurasiens
Chapitre VI. Un point d’ancrage en Extrême-Orient
Conclusion

Synthèse de l’ouvrage

Préface
Réalisée par Gérard Chaliand, directeur du Centre d’Étude des Conflits, la
préface retrace brièvement l’histoire des États-Unis depuis l’indépendance des
treize colonies américaines en 1783, jusqu’à leur accession au statut de dernier
empire universel depuis 1991.
Malgré la pression exercée par les puissances européennes, les colonies
américaines n’ont cessé de s’étendre jusqu’au XIXe siècle. Le Kentucky est
intégré en 1782 et les derniers États américains (Utah, Nevada et Nouveau-
Mexique) en 1848. L’Alaska rejoint les États-Unis après avoir été acheté à la
Russie en 1867. Ayant peu d’États frontaliers, les États-Unis ne se préoccupent
guère des subtilités des relations interétatiques.
À partir de la seconde moitié du XIXe siècle se développe le concept de « 
Manifest Destiny » (1845) selon lequel les États-Unis ont une mission
civilisatrice et doivent servir de modèle au monde. Les premières
manifestations de l’expansionnisme américain hors du continent apparaissent à
cette même époque. Cette politique, sous-tendue par le principe paradoxal de
lutte contre l’impérialisme européen, justifie l’ingérence dans la guerre
d’indépendance de Cuba face au Royaume d’Espagne ainsi que plusieurs
interventions dans les îles de l’océan Pacifique.
Avant la Première Guerre mondiale, l’influence américaine est marginale face à
l’hégémonie européenne – malgré le fait qu’ils représentent 32 % du PNB
mondial. Cependant, l’intervention américaine en 1917, aboutissant à une
victoire totale des Alliés, assoit l’idée du rôle messianique des États-Unis. À
l’issue de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis représentent 50 % du
PNB mondial et partagent avec l’URSS l’hégémonie planétaire. Si la paix est
maintenue par la menace nucléaire durant la Guerre froide, les États-Unis se
trouvent cependant confrontés pour la première fois à la nécessité d’établir une
véritable stratégie de politique étrangère.
L’objectif américain était alors de réduire l’influence idéologique communiste
et de limiter son expansion, notamment au Moyen-Orient et en Amérique du
Sud. Le gouvernement Carter (avec l’aide de Brzezinski entre 1977 et 1981)
développe alors une politique de communication fondée sur l’association entre
la doctrine américaine et les Droits de l’homme. Le gouvernement soutient ainsi
des mouvements de déstabilisation, comme au Nicaragua ou en Afghanistan.
Après l’effondrement « soudain » de l’URSS et grâce à cette politique, les
États-Unis se placent à la tête d’un Nouvel Ordre Mondial, en tant qu’unique
puissance globale.

Chapitre I. Une hégémonie d’un type nouveau


L’expansion des États-Unis en dehors de l’Amérique souligne leur désir
d’accomplir l’idéologie de la Destinée Manifeste. Le développement d’une
réelle présence navale, concurrençant les Britanniques, constitue la première
étape de cette volonté de s’affirmer sur la scène internationale, tant du point de
vue militaire que commercial.
La Première Guerre mondiale permet aux États-Unis de déployer leur idéologie
au-delà de leurs frontières pour la première fois, cela en influant sur la
résolution de la guerre – notamment par les « 14 points de Wilson ». Pourtant,
dans l’entre-deux-guerres, face à la montée du totalitarisme, les États-Unis
restent à l’écart des affaires européennes.
Il faut attendre la Seconde Guerre mondiale, pour que le pays accède au rang de
puissance mondiale, aux côtés de l’URSS. Les deux pays disposent alors à la
fois d’une large sphère d’influence et d’une force centrifuge idéologique
suffisante pour renforcer cette domination. La stratégie américaine à l’encontre
du bloc soviétique durant la Guerre froide sera celle du « containement », qui
consiste à empêcher l’expansion de la sphère d’influence soviétique. De 1947 à
1991, cette stratégie s’exerça sur trois fronts : à l’ouest, à Berlin ; au sud, dans
les Balkans ; et, à l’est, en Corée. L’URSS subissait en outre une intense
fragilisation idéologique tandis que le bloc de l’Ouest, centré sur les États-Unis,
conservait une forte attractivité en matière de culture, de valeurs politiques et de
dynamisme économique.
En 1991, l’hégémonie américaine devient totale. Son ossature, tout en s’en
distinguant, s’inscrit dans le prolongement d’autres structures impériales
historiques – l’Empire romain, l’Empire chinois Han, l’Empire mongol et
l’hégémonie européenne.
Concernant l’Empire romain, sa puissance régionale reposait sur des capacités
de déploiement militaire rapide, ayant permis à la fois l’expansion du territoire
romain et sa sécurisation. Il disposait d’une structure administrative centralisée
ainsi que d’une forte attractivité culturelle. Sa chute trouve ses origines dans la
scission politique entre l’Orient et l’Occident, et dans l’affaiblissement de son
dynamisme économique et culturel.
L’Empire Han, apparu à partir de 140 avant notre ère, rassemblait les territoires
actuels de la Chine, la Mongolie et la Corée. Fondé sur un pouvoir militaire
répressif, il fut divisé en trois royaumes distincts vers l'an 220. Ces derniers se
regroupèrent plusieurs fois par la suite de sorte que cet empire atteignit son
apogée au XVIIIe siècle sous la dynastie Qing. Il comportait alors 300 millions
de sujets, reposait sur une structure centralisée en termes d’éducation, de
sécurité, de finances et de commerce reposant sur l’idéologie confucéenne.
La structure de l’Empire mongol (1206-1405) se rapproche le plus de celle
d’une puissance mondiale. Recouvrant la quasi-totalité de l’Eurasie, cet empire
dépourvu d’idéologie reposait uniquement sur les conquêtes territoriales.
L’absence d’une communauté de croyance engendra un phénomène
d’acculturation des dirigeants auprès des peuples conquis, entraînant la
dislocation de l’empire.
La puissance européenne apparaît au XVe siècle avec le développement des
expéditions commerciales et scientifiques. Les rivalités entre États européens ne
permirent cependant pas d’établir une réelle suprématie européenne à partir
d’un centre unique – bien que le Royaume d’Espagne, de France et l’Empire
britannique aient exercé successivement, une relative prédominance.
La puissance américaine se distingue de ces empires historiques par son
pluralisme d’une part, et par son caractère global, d’autre part. Elle rassemble
sous sa sphère d’influence une grande diversité de sociétés et de systèmes
politiques, lesquels furent intégrés par un phénomène de cooptation et
d’incorporation des États vaincus. Sa présence militaire aux pôles stratégiques
de l’Eurasie, son dynamisme politique, économique et technologique ainsi que
sa grande attractivité culturelle lui ont conféré ce caractère global. Ces éléments
permettent d’expliquer le consentement des États à l’hégémonie américaine.
En 1997, les États-Unis sont sans rivale et constituent ainsi le centre d’un vaste
réseau d’organisations internationales encadrant le système mondial (FMI,
Banque mondiale, OTAN, etc.)

Chapitre II. L’échiquier eurasien


Parce qu’exerçant leur influence sur le monde, les États-Unis sont ainsi
responsables de la stabilité mondiale, du développement de la démocratie et du
maintien du bien-être du niveau de vie des Américains.
En Eurasie, cette influence américaine est indirecte. Elle se fait par le biais de la
diplomatie, des coalitions, de la cooptation et de la communication. Ce
territoire, divisé en quatre secteurs (Europe, Russie, Balkans et Asie orientale)
représente 60 % du PNB mondial, deux-tiers des régions les plus productives et
75 % de la population mondiale. Le contrôle de ces régions est essentiel pour
les Américains afin de, à court et moyen terme, maintenir leur hégémonie et, à
long terme, d’établir une « coopération mondiale institutionnalisée ».
L’Eurasie est constituée d’« acteurs géostratégiques » ainsi que de « pivots
géostratégiques ». Les premiers représentent les États ayant la volonté et la
capacité d’exercer une influence au-delà de leurs frontières – France,
Allemagne, Russie, Chine, Inde. Les seconds sont ceux qui, par leurs ressources
ou leur emplacement géographique, ainsi que par leur relative faiblesse
politique, peuvent être utilisés par les acteurs géostratégiques – Ukraine,
Azerbaïdjan, Corée, Turquie, Iran.
Ces acteurs géostratégiques présentent diverses caractéristiques. La France, en
premier lieu, souhaite s’affirmer auprès des pays francophones. Afin de peser
sur certaines négociations, elle n’hésite généralement pas à entretenir des
relations ambivalentes avec la Grande-Bretagne et la Russie notamment.
L’Allemagne constitue quant à elle l’acteur économique principal en Europe, en
particulier depuis la Réunification. Elle a néanmoins besoin de la protection
américaine.
La puissance russe, encore capable d’influencer tous les pays de l’ex-URSS, est
en latence, indéterminée entre le ralliement à l’ouest ou une alliance à l’est. La
Chine est en voie de devenir une puissance économique de première importance
et porte son attention sur les États postsoviétiques. L’Inde a également
l’ambition de s’affirmer en tant que puissance régionale, d’autant qu’elle
constitue l’une des rares démocraties asiatiques et est, officieusement,
détentrice de l’arme nucléaire. Elle ne constitue cependant pas un réel défi à
l’heure actuelle.
Les pivots géostratégiques ont également leurs caractéristiques propres.
L’Ukraine représente un atout déterminant dans la reconstitution d’un empire
soviétique en Eurasie. Cependant, en se maintenant dans la sphère d’influence
américaine, l’État ukrainien peut également servir à affaiblir les liens entre la
Russie et les Balkans eurasiens. L’Azerbaïdjan est à la fois riche en ressources
naturelles et possède un accès à la mer Caspienne et ainsi à l’Asie centrale,
autrefois entièrement soviétique. Pour l’instant indépendant, l’Azerbaïdjan
(avec ses ressources) pourrait être intégré aux marchés occidentaux.
La Turquie sert de point d’ancrage à l’OTAN et de contrepoids à la Russie.
L’Iran possède quant à elle une forte indépendance. Bien qu’elle reste hostile
aux États-Unis, sa présence protège les intérêts américains de la menace russe
dans le Golfe Persique. La Corée, enfin, par ses liens étroits avec les États-Unis,
sert à restreindre les aspirations à l’indépendance du Japon, principale base
militaire américaine en Asie orientale.
Cette situation géopolitique pose différents défis pour l’avenir. Les États-Unis
doivent en apparence soutenir la construction européenne, tout en privilégiant le
leadership allemand plutôt que français, moins contrôlable. Cependant si
l’objectif affiché est d’aboutir à un partage de la suprématie américaine, cela
signifierait un élargissement des pouvoirs politiques de l’Europe et donc une
restructuration du leadership de l’OTAN, ce que les États-Unis ne sont pas prêts
à accepter. Cela pose également la question de l’élargissement de l’UE et de
l’OTAN.
En ce qui concerne la Russie, la question du soutien à la reconstruction du pays
est également épineuse. Cela pourrait autant la rapprocher des perspectives
européennes, objectif américain, que raviver ses anciennes ambitions
impériales. L’orientation de la Russie doit donc être induite par le
comportement des États des Balkans eurasiens. Cependant, la Chine nourrit
également l’ambition d’exercer une domination régionale sur les Balkans et la
Corée du Sud (en échange de sa réunification). Une telle situation provoquerait
l’éjection des États-Unis de l’Extrême-Orient et de l’Asie orientale.
Par ailleurs, l’émergence de plusieurs coalitions anti-hégémoniques pourrait
voir le jour sur le continent eurasien : Russie-Chine-Iran ; Japon-Chine ou
encore un réalignement de l’Europe contre les États-Unis.

Chapitre III. La tête de pont de la démocratie


L’Europe est l’allié naturel des États-Unis, partageant avec eux les valeurs
chrétiennes et démocratiques. Une construction européenne sous égide
américaine serait un moyen de renforcer l’hégémonie américaine en Eurasie par
l’attraction que l’UE exerce sur les États postsoviétiques. Cependant,
l’unification politique et idéologique européenne s’essouffle. Le contexte
social, également, se détériore en raison de l’affaiblissement des systèmes
économiques et sociaux déconstruits par l’intégration économique.
Les États-Unis doivent donc soutenir la construction, mais selon la position
allemande et non française pour plusieurs raisons. En premier lieu, l’Allemagne
a une large sphère d’influence englobant une grande partie de l’Europe de l’Est
et représente la principale puissance économique européenne. En outre,
l’implication européenne de l’Allemagne s’inscrit dans un processus de
« rédemption » de ses exactions passées, ce qui permet de prévenir toute
opposition de leur part. Enfin, l’Allemagne est favorable à l’élargissement de
l’Europe et recherche la protection militaire américaine – contrairement à la
France, qui manifeste fréquemment sa volonté de préserver son libre arbitre et
préfère l’approfondissement à l’élargissement de l’Europe.
La gestion de la construction européenne est une question délicate pour les
États-Unis. Un manque de dynamisme économique et politique en Europe
favoriserait la stagnation du projet européen et, par conséquent, son délitement.
Cela aurait certainement pour conséquence un rapprochement des intérêts
allemands et russes, ou l’apparition d’une puissance unilatérale de l’Allemagne
sur l’Europe.
Cependant, un approfondissement de l’unification européenne risquerait de
concurrencer les États-Unis. Ces derniers doivent ainsi veiller à soutenir la
construction tout en envisageant une coopération d’égal à égal entre l’UE et
l’OTAN. En parallèle, des organismes intermédiaires pourront être développés
(UEO, GFIM sous l’égide de l’OTAN) auxquels seront progressivement
intégrés les États frontaliers de la Russie.
L’attractivité économique et politique que l’Europe exerce déjà sur les États
voisins permet d’envisager un élargissement progressif à l’UE puis à l’OTAN :
entre 1999 et 2003 serait intégrés l’Europe centrale et les États baltes, puis,
entre 2005 et 2010, les États scandinaves puis l’Ukraine. Même à l’égard de la
Russie, l’Europe devra toujours garder une attitude ouverte concernant son
intégration.

Chapitre IV. Le trou noir


Avec l’effondrement de l’URSS, de multiples États se retrouvèrent
soudainement confrontés à la gestion de leur propre souveraineté et à la
nécessité d’affirmer leur identité. La Russie quant à elle fit face à une crise à la
fois politique, économique, sociale et idéologique, se retrouvant réduite à l’état
d’une puissance régionale du tiers-monde. En Europe, seule la Biélorussie
demeura proche de l’influence russe. L’Ukraine, en revanche, s’éloigna,
entraînant une perte significative en termes de ressources, d’identité et de
position stratégique.
L’Ukraine constituait en effet le principal point d’ancrage européen de la
suprématie russe et partageait avec elle les mêmes racines slaves. Par ailleurs,
alors que l’URSS avait englobé la totalité de mer Caspienne et l’Asie centrale,
la Russie devait désormais partager la région caucasienne avec trois États
indépendants, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan. L’influence sur
ce territoire est d’autant plus difficile à acquérir que les lobbies pétroliers
occidentaux dans ces États soutiennent intensément les courants nationalistes
des Balkans eurasiens.
Il devint ainsi impératif pour la Russie, minée par une grave crise identitaire, de
redéfinir ses perspectives géopolitiques. Trois options s’offraient alors à elle.
La première apparut parallèlement à l’effondrement de l’Union soviétique et
commandait l’occidentalisation de la Russie. Elle reposait sur le slogan
américain du « partenariat géostratégique responsable » selon lequel la Russie
pourrait partager la suprématie mondiale avec les États-Unis. Cette conviction
se révéla rapidement fausse, ce qui provoqua un affaiblissement du courant
favorable à l’occidentalisation ainsi qu’une hostilité grandissante vis-à-vis de
l’Amérique et de l’OTAN. L’incertitude politique qui succéda à la dislocation
de l’URSS contribua à renforcer les courants nationalistes russes des États
baltes et des Balkans.
À partir de 1992, la deuxième option qui se développa proposait un
rapprochement des États postsoviétiques afin de créer une puissance
concurrente aux États-Unis et à l’Europe. Ce mouvement se fondait sur le
concept de « l’étranger proche ». En parallèle, une ancienne doctrine réapparut,
destinée à doter la stratégie géopolitique de la Russie d’un support
philosophique, voire mystique : l’Eurasianisme. Selon cette doctrine, la culture,
spiritualité, et l'origine ethnique russes seraient eurasiennes, c’est-à-dire ni
européennes ni asiatiques. Cependant, l’attachement des États postsoviétique,
spécialement l’Ukraine, à leur indépendance, constituait un obstacle majeur au
projet d’union eurasienne.
La troisième option serait pour la Russie de réaliser une coalition anti-
hégémonique contre les États-Unis avec l’Iran et la Chine, à laquelle
s’ajouterait l’Allemagne ou la France. Néanmoins, une alliance avec la Russie
signifierait se couper du marché mondial, sans que les Russes, compte tenu de
leur faiblesse économique et politique, puissent proposer de contrepartie. En
outre, cet objectif ne pourrait être atteint qu’à la condition que les Américains
enchaînent les erreurs stratégiques.
En définitive, la seule véritable option stratégique pour la Russie réside dans
l’européanisation du pays, sous l’égide américaine, par l’acceptation des valeurs
démocratiques et d’une économie plus moderne et mondialisée. Cette option
nécessiterait cependant que la Russie renonce définitivement à toute visée
expansionniste, et qu’elle ne s’oppose à l’entrée d’aucun autre État dans la
sphère américaine (en particulier les Balkans).
À cette fin, les États-Unis doivent soutenir et encourager l’indépendance des
États postsoviétiques et plus spécialement de l’Ukraine, de l’Ouzbékistan et de
l’Azerbaïdjan. Ce dernier État fournit en outre un accès à la mer Caspienne et
donc aux ressources pétrolières de l’Asie centrale sans avoir à passer par la
Russie ou l’Iran. L’élargissement parallèle de l’UE et de l’OTAN doit permettre
à terme de proposer une intégration européenne à la Russie.

Chapitre V. Les Balkans Eurasiens


Les Balkans eurasiens rassemblent les trois États caucasiens (Arménie, Géorgie,
Azerbaïdjan), les cinq États postsoviétiques (Kazakhstan, Ouzbékistan,
Turkménistan, Kirghizistan, Tadjikistan) et deux États politiquement et
économiquement stables (Turquie, Iran). Parce qu’aucun État ne recouvre une
ethnie spécifique, cette région est caractérisée par son instabilité et de
nombreux conflits ethniques. Les intérêts et les enjeux sont multiples et
complexes.
L’Ouzbékistan représente le seul État possédant à la fois une population
relativement homogène, mais également un ancrage historique profond, ainsi
qu’un important potentiel économique grâce à ses ressources naturelles et
touristiques. Ces caractéristiques lui permettent de prétendre à une position de
leader régional. C’est pourquoi les États-Unis choisissent de se rapprocher de
cet État.
Bien que source d’instabilité, la forte hétérogénéité ethnique de la région
favorise également l’idée fédératrice d’une « communauté islamique » au sein
de ces populations qui serait alors dirigée contre la Russie infidèle. Un tel
mouvement religieux deviendrait un facteur de déstabilisation pour la Russie
dont 20 millions d’habitants sont musulmans.
La Turquie et l’Iran sont des éléments stabilisateurs de la région, cependant leur
position politique demeure incertaine. Bien que la Turquie soit tournée vers
l’Europe, la tradition islamique pourrait l’inciter à se diriger vers les États du
Sud, tandis que les mouvements nationalistes l’inviteraient quant à eux à
rétablir une sphère d’influence sur les anciennes régions turcophones issues de
l’ancien Empire ottoman.
L’Iran possède quant à elle une population très hétérogène, mais également liée
par un fort sentiment patriotique. Alors qu’elle est actuellement tournée vers la
Russie, corollaire de sa forte hostilité à l’encontre des États-Unis, cette situation
n’est pas définitive et pourrait se modifier en cas de crise politique. L’intérêt de
l’Iran se tourne également vers l’Azerbaïdjan et l’Afghanistan ainsi que vers les
musulmans vivant en Russie.
Ces multiples intérêts peuvent entrer en collision avec ceux des voisins de la
Russie. L’histoire soviétique justifie aux yeux de la Russie la prétention à une
sphère d’influence couvrant la région des Balkans. En parallèle, la Chine
considère la proximité de ces États indépendants comme un risque pour la
stabilité de ses propres régions de l’ouest, bien que cette indépendance soit
préférable à une domination par la Russie.
La crainte des États des Balkans vis-à-vis des velléités de domination russe
encourage finalement un éloignement de ces derniers de la Communauté des
États Indépendants. La création de pipelines subventionnés par des lobbies
occidentaux est à ce titre révélatrice de l’intégration des Balkans au marché
mondial selon la géopolitique des États-Unis.
Les États-Unis dans cette région doivent ainsi s’efforcer d’éviter que l’un de ces
États impose sa suprématie sur la région. L’ouverture des économies
notamment celles de l’Ukraine, de l’Ouzbékistan, de l’Azerbaïdjan et dans une
moindre mesure du Kazakhstan, vers l’Occident, bénéficie donc d’un soutien
économique. Parallèlement, les États-Unis doivent veiller à améliorer leurs
relations avec l’Iran, à maintenir les perspectives d’intégration de la Turquie à
l’Europe afin de garder les États caucasiens hors de l’influence russe.

Chapitre VI. Un point d’ancrage en Extrême-Orient


Les États-Unis ont, en Extrême-Orient, une base militaire au Japon – pays avec
lequel leurs relations politiques sont similaires à celles d’un protectorat.
Cependant, si le Japon a besoin de la protection américaine face à la menace
chinoise, il manifeste de plus en plus une volonté d’affirmation politique au
niveau international. Malgré cette base asiatique et afin de maintenir leur
hégémonie sur l’Eurasie, les États-Unis doivent également prendre en compte la
montée en puissance économique de la Chine, pays comptant désormais
1,2 milliard d’habitants. Contrairement aux Balkans, cette région bénéficie
d’une grande rigidité politique. Dans ces conditions, il est essentiel pour les
Américains de réfléchir non seulement au degré de puissance chinoise
acceptable, mais aussi à la gestion des velléités d’indépendance du Japon.
Par ailleurs, plusieurs situations conflictuelles minent la région : l’indépendance
de Taïwan, celle des îles Paracels et Spartly, l’archipel Shenkaku, la partition de
la Corée, les îles Kouriles et les frontières conflictuelles entre la Chine, d'une
part, et la Russie, le Japon, le Vietnam, et l’Inde, d'autre part.
La nation chinoise s’inscrit dans une tradition impériale de domination d’un
vaste territoire, qui jusqu’au XVIIe siècle exerçait une domination à la fois
économique, politique et culturelle sur une large proportion du continent
eurasien. Il s’agit d’un peuple fier et nationaliste pour qui la chute de l’empire
fut vécue comme une humiliation. Les responsables de cette détérioration — la
Grande-Bretagne, la Russie, le Japon et les États-Unis — entretiendront par
conséquent des relations toujours conflictuelles avec la Chine.
En 1997, la croissance économique de la Chine est telle qu’elle serait en mesure
de devenir une puissante globale en Extrême-Orient d’ici une vingtaine
d’années, y compris en termes militaires. Elle rivaliserait alors avec la
puissance américaine. En interne, une telle évolution économique serait
cependant révélatrice de divers maux, notamment de la forte disparité de
croissance entre les régions, les inégalités de richesse, mais aussi une rigidité
bureaucratique incompatible avec l’ampleur de l’économie chinoise. Face au
développement des revendications sociales, l’instauration de la démocratie
deviendrait alors inévitable.
Toutefois, trois éléments limiteront cette montée en puissance. Pour des raisons
à la fois historiques, géographiques et culturelles, la Chine s’attachera à
reconstituer une sphère d’influence régionale plus ou moins similaire aux
frontières de l’Empire chinois. La Chine souhaitera ainsi récupérer Taïwan et
s’opposera alors aux États-Unis. Elle s’attachera également à recréer des
alliances avec la Birmanie, le détroit de Malacca, Singapour, et le Pakistan, ce
qui créera des tensions avec l’Inde, le Vietnam et l’Indonésie. Elle souhaitera
sans doute affirmer ses intérêts géostratégiques en Asie centrale et vis-à-vis de
la réunification de la Corée. Dans ces deux cas, la Chine risque d’entrer en
confrontation avec la Russie ou les États-Unis. Enfin, le développement d’un
espace d’échanges commerciaux en Asie du Nord-Est risquerait de provoquer
un déséquilibre économique défavorable à la Russie.
Ainsi, la quête d’une sphère d’influence régionale risque d’entraver les relations
de la Chine au niveau international. Sachant cela, il lui sera plus profitable
d’éviter toute confrontation directe. Selon les préceptes d’un célèbre stratège
chinois, la Chine s’attachera donc, plus probablement, à affaiblir de manière
progressive la position des États-Unis dans la région, notamment dans ses
relations avec le Japon. En effet, cette stratégie rendra par opposition la
présence d’une Chine puissante, indispensable aux yeux des États-Unis pour
contrôler l’Asie orientale.
À l’inverse, le Japon occupe une position régionale délicate en Asie. Ayant
privilégié sa reconstruction économique à toute ambition expansionniste, il
constitue une puissance économique importante et représente par conséquent
une potentielle menace pour ses partenaires asiatiques. Par ailleurs, après la
Seconde Guerre mondiale et le début de relations très étroites avec les États-
Unis, le Japon a adopté les valeurs et les codes occidentaux, ce qui provoque
une certaine animosité de la part des États asiatiques. Depuis 1950, la politique
japonaise suit quatre principes : la priorité donnée au développement
économique, le refus de s’engager lors de conflits internationaux (le Japon
dispose ainsi d’un faible armement), le suivisme derrière le leadership
américain et sa protection militaire, l’engagement dans des relations
diplomatiques et de coopération au niveau international.
Toutefois depuis le début des années 1990, se sont développés des courants de
pensée cherchant à définir un nouveau rôle pour le Japon au niveau régional.
Ces derniers ne rassemblent cependant que peu d’adeptes et n’apportent pas
d’alternatives comparables à celle du protectorat américain en matière de
sécurité de l’approvisionnement en pétrole et de l’indépendance vis-à-vis de la
Chine.
En demeurant sous l’égide américaine et en abandonnant ses prétentions
régionales, le Japon pourrait alors poursuivre trois objectifs : favoriser
l’émergence d’une coopération en Asie, réduire la domination politique des
États-Unis et affirmer sa réputation aux yeux de ses voisins asiatiques par un
certain contrôle des actions américaines vis-à-vis de la Chine.
L’objectif des États-Unis consiste ainsi à contenir les ambitions internationales
du Japon et engager la Chine à se satisfaire d’une puissance régionale. Par le
biais de cooptations et de coopérations au sein d’organismes internationaux, il
s’agirait ainsi de créer le pendant de l’Europe en Asie. Les options chinoises
demeurent en effet relativement réduites en raison de sa forte dépendance
envers les échanges extérieurs.
La participation à une coalition anti-hégémonique la lierait par ailleurs à des
partenaires commerciaux pauvres et n’offrirait pas de perspectives mondiales. Il
s’agit ici de mettre en évidence les intérêts communs de la Chine et des États-
Unis concernant les ressources pétrolières, la maîtrise de la Russie et de l’Inde,
mais de rester ferme en ce qui concerne l’Asie du Sud-Est et l’indépendance de
Taïwan en particulier.
Il serait par ailleurs nécessaire que les États-Unis satisfassent les ambitions
internationales du Japon par l’établissement de coopérations internationales
telles qu’une zone de libre-échange, afin d’éviter que celle-ci ne se détourne de
ses relations avec les États-Unis au profit de partenariats régionaux en Asie. Les
États-Unis devraient finalement se positionner en faveur d’une « Grande
Chine », laquelle servirait à approfondir l’ancrage américain à l’est de l’Eurasie
et à pratiquer une politique d’intimidation vis-à-vis de la Russie.

Conclusion
Les États-Unis sont une puissance hégémonique dont l’essentiel des forces se
concentre sur le continent eurasien. La stabilité et la longévité de la suprématie
américaine dépendent de sa faculté à manipuler et satisfaire les acteurs et les
pivots géostratégiques. L’objectif est double et consiste à l’ouest à élargir et
approfondir l’unification européenne, et à l’Est à établir un consensus entre les
États-Unis, la puissance chinoise et la Russie, selon les perspectives
géopolitiques qu’ils auront choisies. En parallèle, il s’agira de créer les
conditions adéquates dans les Balkans eurasiens qui contribueront à orienter la
Russie vers l’Europe.
Cependant, ce processus n’ira pas sans heurts et dépendra de la capacité à
surmonter les facteurs déstabilisateurs que sont les phénomènes migratoires de
masse, vecteurs de conflits ethniques, et le développement du chômage en
Europe. Ces éléments favoriseront l’émergence des nationalismes et de
situations de graves mouvements sociaux.
La puissance américaine allant en se détériorant, il est nécessaire à court terme
de favoriser le pluralisme politique dans les Balkans et en Asie ; à moyen terme
de coopter les puissances montantes ; à long terme de créer une structure de
coopération politique mondiale. L’élargissement de l’UE et de l’OTAN doit
permettre d’étendre la sphère d’influence américaine auprès des Balkans ce qui
leur assurerait à la fois la prospérité économique et la sécurité. Pour ne pas
risquer de concurrencer la puissance américaine, il est bon que l’unification
européenne progresse tout en restant incomplète d’un point de vue politique.
L’objectif demeure d’inclure à terme la Russie dans l’organisme européen sous
l’égide américaine. Elle doit pour cela ouvrir son économie et abandonner ses
visées impérialistes. Dans cette optique, il est nécessaire que les États-Unis
soutiennent les perspectives européennes de la Turquie et améliorent leurs
relations avec l’Iran. En ce qui concerne la Chine, les États-Unis doivent
favoriser la création d’une sphère d’influence régionale de la Chine à
l’exception de certains territoires stratégiques et préserver, en parallèle, une
relation militaire et politique très étroite avec le Japon. Il sera alors possible
d’envisager la création d’un « système de sécurité transeurasien » entre les
États-Unis, l’Europe, la Russie, la Chine, le Japon et l’Inde.
Cependant, le renforcement du multiculturalisme de la société américaine ainsi
que sa tendance à l’hédonisme affaiblissent le consensus autour de l’idée de
Destinée manifeste, laquelle est nécessaire à l’accomplissement de son
hégémonie. Par ailleurs, la diffusion de l’information due à la multiplication des
canaux de communication rend l’exercice d’une domination mondiale de plus
en plus difficile. En outre, l’acceptation de la domination d’une nation sur une
autre qui fut simplifiée par le caractère hétéroclite des États-Unis se
confronterait à une forte opposition en cas de nation américaine homogène.
Dans ces conditions, il est possible que la superpuissance américaine soit la
dernière superpuissance mondiale émanant d’un État-nation. Deux options
s’offrent alors aux États-Unis : soit l’acceptation et la réduction de son
implication politique et militaire au niveau mondial, soit la création d’un
organisme politique multilatéral international au sein duquel ils perdraient une
part de leur souveraineté. En attendant de devoir prendre cette décision, les
États-Unis doivent assurer la stabilité mondiale, rétablir la confiance de
l’Occident en l’avenir et répandre les valeurs occidentales universelles.
*

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