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L’entretien clinique

à distance
Collection « Cybercultures »
dirigée par Lise Haddouk et Xanthie Vlachopoulou

À l’ère de la cyberculture, les relations intersubjectives média-


tisées par ordinateur concernent toutes les générations d’utili-
sateurs. Ces pratiques interrogent les chercheurs et les profes-
sionnels de l’éducation et du soin. La collection « Cyber-
cultures » s’intéresse aux usages du numérique en psychologie,
notamment dans le champ de la santé mentale. Elle est aussi
ouverte aux travaux situés à l’interface du numérique, de la
culture et des sciences humaines.
En sciences humaines, différents éclairages sont apportés sur
ces phénomènes, par exemple dans le champ de la psycho-
logie. Il apparaît que, loin d’un positionnement peu fécond se
résumant à être « pour » ou « contre » ces techniques, il peut
être utile de s’inscrire dans une considération plus humaniste
de la culture numérique.
Lise Haddouk

L’entretien clinique
à distance
Manuel de visioconsultation

Préface de Yolande Govindama


Postface de Stéphane Bouchard
Conception de la couverture :
Anne Hébert

ISBN : 978-2-7492-5253-7
CF - 1500
© Éditions érès 2016
33, avenue Marcel-Dassault, 31500 Toulouse
www.editions-eres.com

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Préface

L’ouvrage de Lise Haddouk est le fruit d’une


recherche de terrain approfondie sur l’usage des techno-
logies de l’information et de la communication (TIC)
et de l’entretien clinique d’inspiration psychanalytique
comme méthode dans la visioconsultation. Cette étude
a le mérite de s’inscrire à la charnière de la psychologie,
de la psychanalyse, de l’anthropologie culturelle au tra-
vers de la cyberculture et de la fonction symbolique de
la culture, selon la définition de Mauss (1923-1924 ;
Mauss et Hubert, 1899) et de Lévi-Strauss (1850).
C’est un ouvrage original qui vient combler une
lacune, puisque les travaux connus dans le domaine
du virtuel, qui introduisent le débat souvent contro-
versé quant à son efficacité symbolique tant sur le plan
thérapeutique, sur le plan imaginaire dans l’interaction
avec son avatar, que sur les méfaits qui conduisent à la
dépendance à l’objet dans une relation aliénante, n’ont
pas introduit l’aspect humanisant ou déshumanisant
de l’usage de l’outil à partir de la définition que don-
nent les anthropologues de la notion de culture. Par
ailleurs, l’originalité de ce travail réside aussi dans la
8 L’entretien clinique à distance

conception même de l’outil de la visioconsultation,


avec les principes éthiques et déontologiques, pour
garantir le secret professionnel, inhérent à la fonction
du clinicien, et le cadre permettant l’accès à la symbo-
lisation des interactions humanisantes.
Au-delà de la spécificité de cette pratique de la
visioconsulation, présentée dans cet ouvrage, c’est la
fonction symbolique du virtuel qui est interrogée en son
aspect humanisant ou psychotisant, dans une société
postmoderne fondée sur le culte du narcissisme au
regard de la lecture qu’en donne le philosophe américain
Lasch (1979).
Diplômée d’un DESS de psychologie clinique et
de psychopathologie interculturelle en 1998, Lise
Haddouk s’engage durant une dizaine d’années dans
une consultation clinique à distance, à travers la télé-
phonie sociale, dans le cadre de la protection de l’en-
fance. Expérience clinique laborieuse, pour une
psychologue clinicienne débutante, mais très originale
et qui va lui permettre d’expérimenter l’entretien cli-
nique d’inspiration psychanalytique en se privant de
l’observation des comportements (langage non verbal)
au profit d’une écoute aiguisée, non seulement du
verbe mais de la sonorité et de l’intonation de la voix
du patient, pour décoder les affects, les émotions, et
repérer l’émergence de la subjectivité à travers la nature
du transfert. Cette expérience la motive pour élaborer,
en 2006, un projet de thèse sur l’émergence de la sub-
jectivité et la gestion du transfert et du contre-transfert
au travers de la visioconsultation, thèse dans laquelle
elle met à l’épreuve l’outil au niveau aussi bien de la
technique à partir de la construction d’un prototype,
que de l’entretien clinique. Sa double formation
Préface 9

(ethnologue et psychologue) et la spécificité de son


DESS lui ont permis d’interroger la culture numérique
au travers des technologies de l’information et de la
communication, dans sa fonction symbolique et thé-
rapeutique, à partir de la technique de l’entretien cli-
nique et de son cadre. En effet, c’est à partir de la
régulation de la demande différée du rendez-vous, du
paiement de l’acte, du temps de séance, de la manière
d’instaurer le setting au sens winnicottien, qui gère la
frustration et le manque du patient, pour que le sujet
advienne comme sujet désirant, et non en favorisant
la dépendance à l’outil, l’attachement à l’objet, au réel
du besoin, que l’auteure montre l’efficacité symbolique
et thérapeutique.
La fiabilité du cadre ne pouvait pas empêcher les
aléas techniques avec des coupures de sons, coupures
ayant un impact sur le transfert, bien que des relais
aient été prévus. La dimension de l’écoute s’ajoute à
l’observation de l’image par le thérapeute mais aussi
par le patient, qui choisit de donner à voir la partie du
corps qu’il souhaite montrer, ou encore le lieu du
déroulement de la séance, mais cette image obéit à une
auto-mise en scène, au sens où l’entendent Jean Rouch
et Claudine de France, dans le cinéma anthropologique.
Il s’agit d’une rencontre des corps entre le thérapeute
et le patient dans une relation spéculaire qui demande
à être prise en compte dans l’entretien psycho-dyna-
mique. Cette régression archaïque chez le patient
semble être favorisée par l’outil qui mobilise le regard-
miroir dans sa fonction captative, spéculaire, dans
l’identification au semblable, qui demande une analyse
pertinente du transfert pour ne pas entretenir cette
dimension imaginaire chez le patient, et lui permettre
10 L’entretien clinique à distance

d’expérimenter l’accès à la symbolisation, au travers


du manque, de la réalité, de l’éprouvé subjectif.
Dans cet ouvrage qui est la restitution de son par-
cours professionnel et de recherche, Lise Haddouk,
qui est devenue une pionnière dans le domaine de la
cyberpsychologie en France, introduit un état des lieux
des recherches aussi bien en cyberpsychologie qu’en
psychologie clinique, pour situer sa pensée et sa pra-
tique dans une perspective humanisante et symbolisa-
trice, au travers de la rencontre clinique au niveau de
la visioconsultation.

L’auteure développe un chapitre : « Transfert vir-


tuel et réalité psychique », pour prendre en compte les
aspects régressifs rapides et singuliers dans l’analyse du
contre-transfert afin d’introduire le manque (la réalité)
et ne pas œuvrer du côté de la complétude fusionnelle
d’une relation transférentielle psychotisante fondée sur
le réel du besoin. Ce n’est qu’à ce prix que le cadre peut
devenir opérant, nous dit l’auteure, dans une perspec-
tive tiercéisante et symbolisatrice ; ce qui vient faire
limite à la jouissance absolue destructrice, et soutenir
le désir du sujet plutôt que sa dépendance à l’Autre
tout-puissant.
L’auteure montre ensuite comment elle a exploité
les particularités spécifiques de cette rencontre dans la
visioconsultation, telles que la place du corps et du
regard, dans la régression transférentielle, la mobilisation
des aspects archaïques dans le contre-transfert, la ren-
contre intersubjective donnant lieu après coup à une
analyse minutieuse pour éviter tout passage à l’acte.
Dans un chapitre réservé au cadre de la visio-
consultation, l’auteure, qui avait construit un proto-
Préface 11

type de l’outil pour sa thèse, décrit la plateforme iPSY ;


celle-ci présente d’une manière détaillée le cadre et la
théorie implicite qui le sous-tend, celle de la tech-
nique psychodynamique de l’entretien. L’importance
qu’accorde l’auteure aux principes éthiques et déonto-
logiques du cadre fait partie de l’entretien clinique.
Cet aspect est non négligeable dans la pratique cli-
nique, lorsque nous savons combien un site peut être
infiltré de différentes manières, ce qui met en péril le
secret professionnel.
L’auteure prend ainsi le parti de montrer que dans
une société postmoderne où le culte du narcissisme est
privilégié, au sens où l’entend le philosophe américain
Lasch, impliquant une certaine colonisation du moi,
voire entretenant la dépendance à l’Autre, les TIC qui
font partie de la culture sociétale ne peuvent pas être
exclues. Elles peuvent être utilisées à bon escient en
visioconsultation, dans une perspective thérapeutique
tout à fait efficace au même titre qu’une consultation
dans un cabinet de clinicien mais à condition de ne
pas favoriser la dépendance à l’outil, au thérapeute,
comme la culture sociétale tend à le faire. C’est alors
que l’auteure s’interroge sur toutes les formes de « thé-
rapies sauvages » qui circulent sur internet et leur effi-
cacité, sur la notion de virtuel qui tend à déshumaniser
la relation humaine au profit d’une phobie de l’autre
humain, l’autre qui confronte au manque, à la réalité,
ce qu’exercerait le rôle de l’avatar dans la relation vir-
tuelle comme un double, double qui pourrait soutenir
la quête d’une immortalité au-delà de celle du narcis-
sisme primaire dans l’idéologie du même.
Or ce terme « avatar », ou avatára, vient du sans-
krit et désigne, dans la culture hindoue, « descente »
12 L’entretien clinique à distance

par transformation d’une divinité pour lui permettre


d’accomplir une tâche terrestre afin de sauver l’huma-
nité d’un grand péril. Par exemple Krishna serait la hui-
tième incarnation de Vihsnu, dieu de la trinité védique
(Brahman, Vishnu, Shiva), chargé d’apporter une
réponse aux humains sur ce que représente la mort
dans la Bhagavad-Gita (évangile krishnaïte) et leur per-
mettre de mieux accepter leur condition humaine (être
mortel). Il s’agit en même temps de rappeler aux
humains que seuls les dieux sont immortels. Ainsi
l’avatar ne s’adresse qu’à des divinités immortelles et
jamais à des humains. Que signifie l’usage de ce
concept dans la culture numérique d’une société qui,
de surcroît, cultive le culte du narcissisme et le déni de
la mort, ainsi que le décrit Thomas (1979), si ce n’est
une quête d’immortalité ? Ce déni de la condition
humaine impliquerait celui de la généalogie comme
objet universel de transmission alors qu’il est le garant
des tabous fondamentaux de l’humanité (le tabou de
meurtre et d’inceste ; Legendre, 1985 ; Govindama,
2000, 2006)), une désymbolisation du lien filial au
profit d’un fantasme d’autoengendrement mettant en
cause la fonction symbolique de la culture.
La préoccupation de Lise Haddouk semble
rejoindre celle des auteurs contemporains qui dressent
des États du symbolique sous la direction de Wolkowicz
(2014), ouvrage dans lequel Nassikas Kostas introduit
la question de la fonction de l’avatar. L’ouvrage col-
lectif sous la direction de Godelier, La mort et ses au-
delà (2014), donne une représentation de la mort et
du destin de l’âme, mettant en évidence les invariants
dans la diversité culturelle, sans traiter le déni de la
mort dans notre société et sa désymbolisation, comme
Préface 13

le démontre Thomas. C’est à cette question fonda-


mentale (la fonction symbolique de la culture) que
Lise Haddouk entend s’attaquer, dans le débat sur la
culture du virtuel, d’une manière générale. L’auteure
semble suggérer que l’évolution de la culture post-
moderne individualiste favorise la quête du semblable
et non de l’altérité ; ce qui conduit à une véritable
question sur la fonction symbolique de la culture
définie par Marcel Mauss (1923-1924 ; Mauss et
Hubert, 1899) et Lévi-Strauss (1950), et celle des rites
de passage (Van Gennep, 1909) qui garantissent la
transmission de la généalogie (Govindama, 2000,
2006).

Yolande Govindama
Psychologue clinicienne, docteur en psychologie,
professeur des universités,
université de Rouen, Sciences humaines et sociales
Introduction

L’entretien est l’un des principaux outils du psycho-


logue et son apprentissage a été la base de ma forma-
tion en clinique psychodynamique.
Dans mon parcours professionnel, j’ai rencontré
une pratique particulière : celle des lieux d’écoute pro-
posés à distance, au téléphone. Cette expérience en
téléphonie sociale a contribué à motiver une recherche
portant sur l’élaboration d’un cadre permettant la réa-
lisation d’entretiens cliniques à distance via internet :
la « visioconsultation 1 ». Le présent ouvrage va décrire
cette expérience, sous forme d’un manuel de visio-
consultation.
À l’origine de ce projet, plusieurs facteurs ont eu
une influence. Ma pratique pendant plusieurs années
dans un service de téléphonie sociale disponible sans
la moindre interruption 2, m’a permis d’appréhender

1. Entretien clinique à distance en visioconférence, réalisé via le


dispositif en ligne iPSY.
2. SNATED : Service national d’accueil téléphonique pour l’enfance
en danger.
16 L’entretien clinique à distance

l’écoute clinique à distance, avec pour seul vecteur de


communication la voix des usagers au téléphone. Je
remarquais toutefois que peu de travaux de recherche
portaient sur la téléphonie sociale depuis son appari-
tion en France, dans les années 1960 (Boisset, 1993 ;
Fassin, 2004 ; Chauvière, 2004, 2009). Ainsi, ce type
de recherche poserait à la fois des problèmes tech-
niques et éthiques, comme ceux portant sur l’usage des
technologies de l’information et de la communication
(TIC) en sciences humaines, en général. La téléphonie
sociale constituerait une innovation technique en
même temps qu’une mutation culturelle dans le travail
social, bien que, pour des raisons techniques évidentes,
la téléphonie ne puisse s’inscrire dans la réciprocité du
face-à-face (Chauvière, 2004).
Certains écrits (Holleaux et Da Silva, 2009 ;
Cadéac et Lauru, 2007 ; Montheil, 2009 ; Comblez,
2009) traitent des phénomènes transférentiels au télé-
phone et soulignent notamment l’importance de poser
des limites, par exemple avec les « phonophiles 3 ». La
moindre réalité matérielle que prend l’écoutant pour
l’appelant, puisque le professionnel n’est perçu que par
une seule modalité sensorielle – celle de la voix –,
aurait par ailleurs des effets sur le transfert. L’espace de
l’entretien téléphonique est ainsi défini comme celui
du « non-voir » (Comblez, 2009, p. 43). De plus, l’en-
tretien au téléphone comporterait certaines caractéris-
tiques spécifiques, comme le fait qu’il n’y ait pas le sas
de la salle d’attente, pas de regard soutenant du théra-

3. Les phonophiles (qui aiment les voix) sont des appelants mani-
pulateurs qui ont un usage excessif et parfois sexuel des plateformes
de téléphonie sociale.
Introduction 17

peute pour débuter l’échange, aucune possibilité de


parler avec son corps pour se raconter autrement, pas
de bureau, de régularité dans la durée ou la fréquence
des séances, pas d’honoraires, ni de contact physique
(Comblez, 2009). Une rencontre avec un inconnu
serait alors possible sans se déplacer, gratuitement,
dans l’instant de la demande, tout en limitant le côté
potentiellement dangereux de l’intimité d’une relation.
Cependant, l’interaction de deux personnes, aussi
« virtuelles » soient-elles, serait bien réelle et constitue-
rait en cela un cadre (ibid.). Bien qu’une « téléphonie
clinique » soit envisagée (Cadéac et Lauru, 2007,
p. 23), il serait erroné d’assimiler ce lien au transfert
opérant dans la thérapie, en grande partie à cause de
l’anonymat des personnes impliquées dans l’entretien,
mais aussi à cause du cadre temporel non défini dans
ce contexte, marqué par l’immédiateté dans l’accès à
l’écoute.
Tous ces éléments, ainsi que ma pratique parallèle
en cabinet libéral, m’ont beaucoup aidée à réfléchir au
cadre de la visioconsultation, à le concevoir et à réaliser
cette expérience. Comme le téléphone, la visioconfé-
rence permet la réalisation d’entretiens cliniques à dis-
tance, mais elle permet aussi aux interlocuteurs de se
voir, ce qui constitue une différence majeure. Plusieurs
modalités sensorielles y sont mobilisées, les deux parti-
cipants ayant ainsi accès à leurs regards réciproques et
à certaines expressions corporelles visibles, en fonction
du cadrage choisi lors de l’entretien. Le fait de se voir
limite d’emblée l’anonymat des utilisateurs, la « pré-
sence » des corps constituant un point de différence
essentiel par rapport à l’écoute proposée au téléphone
et aux phénomènes transférentiels pouvant émerger
18 L’entretien clinique à distance

dans ce cadre. Ces éléments ont représenté pour moi


des avantages apportés par la technologie, qui ont
motivé ma volonté de mettre en œuvre cette expé-
rience.
Nous verrons qu’en visioconsultation, une régu-
larité a été instaurée concernant la durée et la fré-
quence des séances, comme cela est préconisé dans un
cadre plus classique d’entretien. Sur le plan de l’orga-
nisation temporelle, un espace de salle d’attente avant
les entretiens a été créé sur le site iPSY 4 et un agenda
sert à la prise de rendez-vous, qui n’ont donc pas lieu
dans l’« immédiateté » de la demande. La pratique
d’honoraires est également permise en ligne. Ainsi,
l’élaboration d’un cadre fiable et sérieux, directement
inspiré des règles de l’entretien clinique en face-à-face
(Chiland, 1984), plus que la technique de visio-
conférence en elle-même, se trouve au cœur de ce
travail de recherche.
L’apport de l’anthropologie dans l’analyse de phé-
nomènes psychologiques constitue un autre aspect de
ma formation 5 et de ma réflexion. Ainsi, l’impact de
l’environnement sur le développement de l’individu
peut se traduire en termes de culture et son influence
sur le psychisme humain est essentielle, comme le
démontre l’approche complémentariste de Devereux
(1951, 1970). La coordination des méthodologies
anthropologique et psychologique permet ainsi d’éviter
l’écueil d’un déterminisme unique dans le champ des
sciences humaines.

4. http ://www.ipsy.fr
5. Je suis titulaire d’une licence d’anthropologie et d’un DESS de
psychologie clinique et psychopathologique interculturelle.
Introduction 19

Mon expérience en visioconsultation avec un outil


numérique a pris forme dans un contexte socioculturel
plus global qui est celui de la cyberculture. La cyber-
culture 6 désigne usuellement une certaine forme de
culture qui se développe autour d’internet. Selon la
Wikipédia, la cyberculture englobe des productions très
diverses présentant un lien avec les TIC, notamment le
multimédia, dont les œuvres mélangent image, son et
programmation. Mais la notion de cyberculture va au-
delà d’un genre culturel. Elle désignerait « un nouveau
rapport au savoir, une transformation profonde de la
notion même de culture » (Lévy, 1997), voire une intel-
ligence collective, dont la Wikipédia pourrait justement
servir d’exemple. Cette révolution culturelle marquerait
aussi « l’avènement de la culture-monde » (Breton et
Proulx, 2002, p. 189) ou encore de la « World philo-
sophie » (Lévy, 2000).
Ainsi, les TIC font pleinement partie de notre pay-
sage social, de notre environnement culturel, depuis
plusieurs décennies. Internet est né dans le contexte
socioculturel des sociétés occidentales décrites comme
« postmodernes » (Lasch, 1984). Cela exprime « le
consensus grandissant selon lequel l’impulsion moder-
niste s’est épuisée, sans toutefois se risquer à prédire
où va notre culture ni ce qui va remplacer le moder-
nisme » (ibid., p. 164).
Internet est un outil de communication de masse
et un instrument de la mondialisation, tant sur le plan
économique qu’au niveau culturel et anthropologique.

6. Terme apparu au début des années 1990.


20 L’entretien clinique à distance

Aux origines du « culte de l’internet » (Breton, 1999),


on trouve aussi le culte de l’information, créé par la
cybernétique. Les travaux de Wiener et plus tard
McLuhan (1964, 1967) ont influencé tant les cher-
cheurs militaires que les artistes, dès la fin des années
1950. Cette théorie a offert une nouvelle façon de
modeler le monde, mais aussi de concevoir la relation
intersubjective, la redéfinissant comme un échange
informationnel.
Certains auteurs (Breton et Proulx, 2002) font
un parallèle entre la naissance d’internet et celle du
« paradigme informationnel ». La généalogie de ce
paradigme renvoie directement à la cybernétique et à
la théorie de l’information. Ainsi, l’information sous
forme d’un mouvement continu, susceptible de
quitter l’ordinateur pour se répandre via un réseau de
transmissions, conféra d’emblée au web une fonction
de communication. Cette conception de l’information
n’est pas étrangère aux préoccupations de Von Neu-
mann, qui construisit le premier ordinateur en 1946
et dont la pensée était proche de celle de Wiener
(1954), mathématicien fondateur de la cybernétique.
On note que le modèle explicite qui permit de conce-
voir l’ordinateur fut le cerveau humain, l’un des objec-
tifs étant peut-être de pouvoir rivaliser avec la nature
humaine.
Internet serait né « de la rencontre improbable
entre deux cultures » (Breton et Proulx, 2002, p. 289).
D’un côté, la culture de l’innovation technique portée
par l’« establishment » scientifique et militaire améri-
cain, et de l’autre la « culture de la liberté » (ibid.), par-
tagée sur les campus des universités américaines par
de jeunes « hackers » en informatique, porteurs de
Introduction 21

« l’utopie de la communication » (Breton, 1990). Cer-


tains auteurs (ibid.) notent dans cette « utopie » une
imprégnation des valeurs d’autonomie individuelle, de
partage et de coopération, qui avaient fleuri pendant
la décennie 1960, en particulier sur la côte ouest amé-
ricaine. Cela s’illustre notamment dans le parcours de
Stewart Brandt, fondateur du WELL 7, « ancêtre » des
réseaux sociaux. Ainsi, la cyberculture prend aussi ses
racines dans la contre-culture (Derry, 1997 ; Turner,
2006). Selon Mc Luhan (1964), l’homme aurait quitté
une ère typographique pour entrer dans une ère élec-
tronique, avec une abolition de l’espace et du temps ;
le média électronique relierait tous les êtres humains
dans un « village global ». Cela apporte un éclairage
intéressant sur le retour vers un certain tribalisme new
age et l’apparition de nouvelles formes de commu-
nautés 8.
Cependant, l’influence de la théorie cybernétique
– où le biologique et le technologique sont des miroirs
l’un de l’autre – sur le contexte plus global de la cyber-
culture peut avoir rendu perméables les limites entre
l’individu et la communauté, les frontières entre le
social et le biologique, entre les esprits et les corps
(Turner, 2006, p. 68). Ainsi, les sociétés postmodernes
auraient développé une « culture du narcissisme »
(Lasch, 1984), dans laquelle un monde fiable composé
d’objets aurait été remplacé par un monde d’images
floues et où il serait de plus en plus difficile de distin-
guer la réalité du fantasme. Une culture de la consom-

7. Whole Earth’Lectronic Link, fondé en 1985.


8. On note l’influence de Bateson, fondateur de l’école de Palo-
Alto, sur la pensée de McLuhan.
22 L’entretien clinique à distance

mation remplacerait le monde des choses substantielles


par un monde d’images, et effacerait ainsi les frontières
entre le moi et son environnement : « L’effet de miroir
transforme le sujet en objet ; dans le même temps, il
fait du monde des objets une extension ou une pro-
jection du moi » (ibid., p. 25). Ainsi, « le consomma-
teur n’est pas tant entouré de choses que de fantasmes.
Il vit dans un monde dépourvu d’existence objective
ou indépendante, ayant pour seule raison d’être la
satisfaction ou la frustration de ses désirs » (ibid.). On
note que cet effet de miroir est souvent évoqué par
rapport aux images et aux écrans, devenus supports de
projection. Cela s’illustre notamment dans les problé-
matiques addictives, souvent dénoncées quant aux
usages des TIC 9.
La crise d’identité moderne serait donc liée à une
confusion entre identité et rôles sociaux (Lasch, 1984),
ce qui générerait un « moi assiégé » (ibid.) et un
manque de repère entre la dimension individuelle et
collective. L’article de Turkle (1996) intitulé : « Who
am We ? » souligne la même confusion, qui opère aussi
entre le vivant et le non-vivant, entre l’humain et la
machine, et ce particulièrement chez les enfants natifs
de la génération digitale 10. Avec les identités plurielles
adoptées notamment par les utilisateurs des mondes
textuels des multi-user dungeon (MUD), la culture infor-
matique et internet en particulier permettent de faire
rimer identité et multiplicité, et d’envisager « un moi
qui, pour se construire, passe par de nombreuses iden-

9. Voir à ce propos les travaux de Young (1998) et la question de


l’inclusion au DSM de troubles spécifiques à l’usage des TIC et au
jeu compulsif, jusqu’à présent non reconnus comme tels.
10. Cf. chapitre 2, « Transfert virtuel et réalité psychique ».
Introduction 23

tités » (Civin, 2002, p. 47). Une interrogation émerge


alors sur le sens que peut prendre « le concept de rela-
tion dans le contexte de l’informatique et, en particulier,
dans le système de communication par ordinateur »
(ibid., p. 32). Cette question m’a particulièrement inté-
ressée pour mon travail en visioconsultation. Peut-on
considérer que la relation intersubjective se résume à un
échange informationnel ? Qu’en est-il de la dimension
émotionnelle, corporelle ? Le vaste réseau relationnel
caractéristique des technologies utilisées par les sociétés
postmodernes, dont internet est l’outil principal, ren-
voie aussi à un certain « paradoxe communicationnel » :
celui d’une société ultracommunicante, où les individus
seraient de plus en plus isolés (Turkle, 2011). Certains
évoquent le « tabou de la rencontre », dans une société
où « pour communiquer, il faut se séparer » (Breton,
2000).
Au sujet de l’identité moderne, Freud écrivait en
1910 dans son texte intitulé : « Perspectives d’avenir
de la thérapeutique analytique », que l’une des causes
essentielles de l’accroissement du nombre de névroses
« doit être l’appauvrissement du moi dû à l’immense
effort de refoulement qu’exige de tout individu notre
civilisation » (Freud, 1910, p. 28).
Mauss (1899, 1950) a défini la culture comme
assurant une fonction symbolique qui se transmet à
travers les mythes, les rites et les croyances. Le mythe
fondateur propre à chaque civilisation amènerait une
notion transcendantale : celle d’un absent introduisant
un ordre symbolique entre les générations et matéria-
lisé par des signifiants culturels tels que le rite (Govin-
dama, 2000). Le triptyque mythe-rite-croyance pose
implicitement la question de l’efficacité symbolique
24 L’entretien clinique à distance

de la culture, qui participe au processus de refoule-


ment (Lévi-Strauss, 1958).
Depuis l’émergence de la cyberculture, de mul-
tiples domaines de la vie des humains se sont trouvés
modifiés avec l’usage des TIC. Cela concerne aujour-
d’hui plusieurs générations d’utilisateurs. Mais si l’on
considère que l’accès à internet s’est ouvert au grand
public en 1995, avec la commercialisation du World
Wide Web par Microsoft et la création du logiciel
« internet Explorer 11 », cela représente finalement assez
peu de temps pour avoir du recul sur les pratiques et
les usages observables de cet outil novateur.
Ainsi, les changements apparus sont perçus par
certains comme une véritable révolution anthropo-
logique. Peut-on y voir plutôt une évolution 12 et y
retrouver les éléments fondateurs de la culture selon
Mauss (Haddouk, 2013b) ? Comment envisager l’ef-
ficacité symbolique de la cyberculture ? S’agit-il d’une
culture de l’outil (Breton, 1999), une culture du nar-
cissisme (Lash, 1979) ?
Serait-il possible d’envisager un usage plus
« humaniste » des technologies (Breton, 2000), loin

11. L’application hypertexte World Wild Web (« www »») de par-


tage de l’information au moyen de l’informatique fut inventée en
1990 par le britannique Berners-Lee, et par le belge Caillau. Ce
logiciel a été distribué gratuitement sur internet en 1991. Plusieurs
hackers ont alors créé leurs propres navigateurs, sur la base du tra-
vail de Berners-Lee. Le premier logiciel commercial de navigation
distribué fut Netscape en 1994, qui connut un succès foudroyant.
En 1995, Microsoft commercialise son propre logiciel concurrent :
internet Explorer, qui va finalement s’imposer, notamment grâce
à son intégration dans Windows.
12. Cf. colloque APPEA, « Enfants mut@nts ? Révolution numé-
rique et variations de l’enfance », 2013.
Introduction 25

de toute « fétichisation 13 » ? Pourrait-on trouver une


« voie du milieu », entre technophilie et techno-
phobie 14, un usage raisonné des techniques, établissant
des frontières plus strictes entre le monde de la techno-
logie et celui de l’humain ?
Toutes ces questions ont contribué à ma réflexion
sur la visioconsultation, bien que l’étude approfondie
des caractéristiques évolutives de la cyberculture mérite
d’être développée dans un autre travail, que j’espère
pouvoir réaliser à l’avenir.
D’autre part, le champ de la santé a lui aussi
beaucoup évolué depuis vingt ans, notamment en
télémédecine. L’apparition de la cyberpsychologie et
des soins psychothérapeutiques médiatisés par les
technologies numériques interroge sur une potentielle
révolution clinique, ou bien une simple évolution
du champ de la médiation psychothérapeutique 15, à
l’heure actuelle. Il semblait important, dans ce manuel
de visioconsultation, de présenter la cyberpsychologie
dans un premier chapitre, puis de situer la recherche
en visioconsultation dans ce nouveau champ théorique
et pratique en psychologie.

13. C’est dans cette approche que j’ai fait le choix de ne pas utiliser
de majuscule pour écrire le mot « internet », qui en bénéficie sou-
vent alors qu’il ne s’agit pas d’un nom propre.
14. Ces deux approches antagonistes révèlent une « fausse alter-
native » (Breton, 2000) très visible à la fin des années 1990, qui
se résumait à être pour ou contre internet. Les technophiles sont
les militants du « nouveau culte » et du « tout internet », les
technophobes expriment quant à eux des résistances face à la
vague des TIC, pour différentes raisons.
15. Cf. Colloque de l’Institut du virtuel Seine Ouest : « Les média-
tions numériques », juin 2013, Boulogne.
26 L’entretien clinique à distance

Parmi les nouveaux outils utilisés en cyberpsycho-


logie, tant dans des travaux de recherche que sur le ter-
rain, une question m’a particulièrement intéressée :
celle des évolutions possibles du cadre de l’entretien
clinique. Ainsi, comme le stipule le Code de déonto-
logie des psychologues au sujet du professionnel :
« Son principal outil demeure l’entretien 16. » Ma pro-
blématique a donc consisté à adapter cet outil aux
univers numériques, à travers l’élaboration d’une
méthodologie spécifique : la visioconsultation (Had-
douk, 2011 ; Haddouk et coll., 2013).
La visioconsultation se définit comme la réalisa-
tion d’entretiens cliniques en visioconférence, via un
dispositif élaboré de façon à s’approcher le plus pos-
sible du cadre classique 17. Le but de la visioconsulta-
tion n’est pas de remplacer la consultation dans le
bureau du psychologue, mais d’augmenter l’accessibi-
lité à une écoute clinique, dans des situations où elle
est limitée, ce pour diverses raisons.
Sur le plan de la recherche, ce travail s’inscrit
dans le champ de la psychologie clinique psycho-
dynamique du numérique, tout en bénéficiant des
apports complémentaires de la psychologie cognitivo-
comportementale, des neurosciences, de la psycho-
logie sociale et de l’anthropologie, dans une approche
intégrative.
L’expérience en visioconsultation m’a menée à
poursuivre une réflexion sur différents concepts théo-
riques, notamment le concept de virtuel et la notion de

16. Cf. article 3 du titre I (Définition de la profession).


17. http ://www.ipsy.fr
Introduction 27

présence 18. Cette réflexion sera présentée dans le


deuxième chapitre de l’ouvrage, ainsi que l’idée de rela-
tion(s) digitale(s), qui se trouve au cœur de mon travail
de recherche. Cette réflexion interroge la fonction de
l’écran-miroir, potentiellement symbolique, tiercéisante,
dans l’intersubjectivité à distance. Ainsi, comment tra-
vailler avec la réalité psychique à distance sans tomber
dans le piège d’une relation en miroir ? Comment
adapter un rite de la vie moderne 19 à la relation assistée
par ordinateur, tout en préservant la dimension symbo-
lique de l’échange dans un espace tiers ?
Dans le troisième chapitre, l’observation de la
place du corps et de celle du regard en visioconsulta-
tion sera décrite, ainsi que l’apport complémentaire
qu’elle représente pour l’analyse des différents niveaux
d’interaction. Cela permettra d’aborder ensuite la
question de la subjectivité et de l’accès à l’intersubjec-
tivité en visioconsultation, en lien avec l’observation
et l’analyse des processus transféro-contre-transféren-
tiels apparaissant dans ce cadre.
Le quatrième chapitre sera consacré au setting en
visioconsultation. Après avoir rappelé quelques prin-
cipes essentiels et fondateurs du cadre de l’entretien
clinique classique d’inspiration psychanalytique, nous
décrirons ensuite le site internet iPSY, qui reprend ces
principes dans une adaptation en ligne. Le site a été
développé de façon méthodologique pour des psycho-

18. Deux termes que l’on trouvait déjà dans le titre de l’ouvrage
de Missonnier et Lisandre (2003) ; voir également Haddouk
(2015).
19. Celui de la consultation chez le psychologue ; voir Haddouk
(2013).
28 L’entretien clinique à distance

logues, pas des informaticiens, il est donc très simple


d’usage et intuitif. Parmi les contraintes propres au tra-
vail de développement du site, certaines précautions
indispensables ont été prises, concernant notamment
le respect des règles éthiques et déontologiques en psy-
chologie. La complexité de leur transposition en ligne
témoigne de la volonté d’un travail sérieux et de qua-
lité, comme le montre également la description de la
méthodologie utilisée et des résultats obtenus.
Enfin, dans le dernier chapitre, après un rappel
des hypothèses générales de la recherche, les choix
méthodologiques seront expliqués, ainsi que leur uti-
lité potentielle pour les professionnels de la psycho-
logie. La méthodologie utilisée pour la recherche, puis
les résultats obtenus seront présentés. Ils montrent les
bénéfices d’un tel dispositif pour beaucoup de sujets
qui peuvent être en difficulté pour accéder aux lieux
d’écoute, pour des raisons liées à leur réalité physique
ou psychique. La discussion des résultats par rapport
aux hypothèses de recherche soulignera donc l’intérêt
de continuer à poursuivre l’utilisation et l’amélioration
du logiciel iPSY.
1
Cyberpsychologie et entretien clinique

La cyberpsychologie est définie comme étant la


psychologie qui a pour objet d’étude « les effets du
cyberespace sur le comportement humain et la société
en général 1 ». De plus, ce champ d’étude entend par
cyberespace un espace psychologique, c’est-à-dire un
espace transitionnel ou une simple extension du
monde psychique d’un individu. On pourrait aujour-
d’hui étendre la notion de cyberespace aux techno-
logies informatiques et plus particulièrement internet.
Pour introduire la question de l’entretien clinique
en cyberpsychologie, présentons tout d’abord un
rapide état de l’art sur ces questions.

ÉTAT DES LIEUX DES RECHERCHES


ET DES PROTOCOLES PSYCHOTHÉRAPEUTIQUES
EXISTANTS

La psychologie cognitive étudie les grandes


fonctions psychologiques de l’être humain telles que

1. Grand Dictionnaire terminologique de la langue française, 2000.


30 L’entretien clinique à distance

la mémoire, le langage, l’intelligence, le raisonnement,


la résolution de problèmes, la perception ou l’atten-
tion. Dans ce domaine particulier de la recherche,
mais aussi plus généralement dans les recherches scien-
tifiques, internet est utilisé depuis longtemps pour
faire passer des questionnaires en ligne et récolter des
données quantitatives. Ces données sont alors direc-
tement utilisables pour engager une analyse statistique,
grâce à des logiciels qui permettent de calculer très
rapidement les corrélations ou les prévalences. Les
données sont stockées sur des serveurs, ce qui repré-
sente un gain de temps et d’espace important. Les pro-
tocoles de recherche utilisant ce type de méthodologie
sont aujourd’hui extrêmement nombreux, sur des
thématiques très variées. Ils présentent un avantage
considérable, notamment en termes de nombre de
professionnels mobilisés.
Hormis cet aspect qui concerne la facilitation du
recueil et du traitement des données et de l’informa-
tion dans la recherche grâce aux TIC, beaucoup de tra-
vaux à visée thérapeutique en psychologie utilisent
aujourd’hui ces technologies, notamment dans le
domaine des thérapies cognitivo-comportementales.
Des études pionnières ont été menées par le Labo-
ratoire de cyberpsychologie à l’université du Québec en
Outaouais (UQO 2). Dirigé et créé par Stéphane Bou-
chard, fondateur de la première chaire en cyberpsycho-
logie clinique en 2003, ce laboratoire s’est d’abord
intéressé au traitement des troubles anxieux à caractère
phobique (Bouchard et coll., 2003).

2. Voir à ce sujet le documentaire réalisé par Amelot et coll., 2013.


Cyberpsychologie et entretien clinique 31

Depuis 1995, un collectif international de cher-


cheurs en psychologie : iActor (International Associa-
tion of CyberPsychology, Training and Rehabilitation),
au sein de l’Interactive Media Institute, organise des tra-
vaux de recherche, des rencontres et des publications
sur le champ théorique de la cyberpsychologie et les
applications pratiques en cyberthérapie.
Ces avancées innovantes sur le plan de la
recherche utilisent l’immersion en « réalité virtuelle »
grâce à des outils technologiques spécifiques depuis
une vingtaine d’années, avec par exemple les travaux
pionniers sur le traitement de la phobie des hauteurs
assisté par ordinateur (Rothbaum et Hodges, 1995).
Par définition, la « réalité virtuelle » est « l’application
qui permet à l’utilisateur de naviguer et d’interagir en
temps réel avec un environnement en trois dimensions
généré par un ordinateur » (Pratt et coll., 1995). Elle
n’expose donc pas le patient à des situations « réelles »,
ce qui pourrait réduire le sentiment de peur ou
d’anxiété du patient phobique avant l’exposition, et
donc faciliter l’accès au lieu de soin. Le patient est
immergé dans un univers numérique en trois dimen-
sions, à l’aide de l’écran mais aussi d’un équipement
technique particulier : gants de données, visiocasques,
capteurs de localisation, etc. Il interagit alors avec son
environnement, le but étant de réduire son anxiété par
un procédé d’habituation aux objets ou aux situations
anxiogènes. L’exposition à ces situations est progressive
et se déroule dans le cabinet du psychothérapeute
(Bouchard et coll., 2003). Un entretien clinique est
souvent mené avant et après chaque immersion et dans
ce type de protocole, les entretiens peuvent être menés
en visioconférence, notamment à l’UQO.
32 L’entretien clinique à distance

En France, le professeur Jouvent pratique depuis


plusieurs années, à l’hôpital de la Salpêtrière, des expo-
sitions en réalité virtuelle, avec des patients atteints de
phobie, d’autisme ou encore de schizophrénie.
Ainsi, la découverte des bases neurales de la simu-
lation, grâce à des techniques d’imagerie cérébrale, a
montré que l’être humain activait les mêmes zones du
cerveau (aires motrices) lorsqu’il exécute réellement
une action et lorsqu’il la simule mentalement (Fuchs,
2006). Cela signifierait que l’exposition en « réalité
virtuelle » reviendrait pour le cerveau à une exposition
in vivo. Diverses recherches ont montré que les expo-
sitions en « réalité virtuelle » sont aussi efficaces que
celles utilisées lors de thérapies cognitivo-comporte-
mentales (TCC ) classiques, dans le monde « réel ». La
même « réalité psychique » serait donc sollicitée dans
ces deux types de situations.
Le succès des techniques d’immersion pourrait
être expliqué par le phénomène de présence, dont la
définition demeure néanmoins assez floue. Selon
Mestre 3, on peut définir l’immersion comme les capa-
cités du système à isoler l’utilisateur du monde réel, à
délivrer une information riche, multisensorielle et
cohérente. L’immersion est fondamentalement liée à
la notion d’interaction en temps réel avec un « envi-
ronnement virtuel (EV) ». L’« immersivité » du monde
virtuel relèverait plutôt du chercheur, en fonction de
ses conceptions théoriques et des contraintes tech-
niques. Par contre, le sentiment de présence serait un
concept subjectif, « bi-stable », cherchant à décrire le

3. Colloque Psychologie et réalité virtuelle organisé par le labora-


toire PSY-NCA, Rouen, mai 2014.
Cyberpsychologie et entretien clinique 33

sentiment du sujet d’être dans le monde réel et/ou


dans le monde virtuel.
D’autres auteurs (Slater et Wilbur, 1997) suggè-
rent que la présence dans un environnement virtuel
est intrinsèquement une fonction psychologique de
l’utilisateur, qui représente la zone dans laquelle un
individu expérimente le cadre virtuel comme celui
dans lequel il est consciemment présent. D’autre part,
l’immersion peut être considérée comme une qualité
du système technologique, une mesure objective de la
zone dans laquelle le système présente un environne-
ment virtuel saisissant, tout en empêchant la réalité
physique. Ainsi, le niveau technologique d’immersion
offert par l’EV facilite le niveau de présence psycho-
logique. Cette relation a donc des implications sur la
façon dont un EV pourrait être conçu opérationnelle-
ment, pour une présence accrue.
Aujourd’hui, les évolutions technologiques per-
mettent de créer des environnements virtuels dont les
capacités techniques favorisant l’immersion sont
importantes, notamment en termes de richesse des sti-
mulations multisensorielles et d’interactivité « natu-
relle ». Les déterminants immersifs des technologies
utilisées dans les protocoles de recherche et de soin en
psychologie sollicitent ainsi de plus en plus le corps
des participants. L’usage de lunettes, de gants pourvus
de capteurs sensoriels, voire plus récemment d’odeurs,
agréables ou non (Quintana et coll., 2014), évoque
cette recherche d’optimisation de la sensorialité dans
les interactions avec les technologies numériques.
D’autre part, certains travaux (Hoffmann, 2004)
montrent l’efficacité de l’immersion et de la présence
dans des environnements virtuels sur la diminution
34 L’entretien clinique à distance

de la sensation physique de douleur chez les grands


brûlés. Ici encore, on voit bien que le cerveau, le fonc-
tionnement psychique et le corps sont intimement liés.
Néanmoins, la présence reste un concept relati-
vement peu défini qui, au-delà de ses déterminants
technologiques, possède évidemment des composantes
psychologiques et contextuelles. Ainsi, il semble que
malgré des approches quantitatives en cyberpsycho-
logie, le concept de présence soit aussi lié à la subjec-
tivité des patients et donc à des facteurs plus qualitatifs
dans la méthodologie de la recherche. Cela présente
un intérêt pour mon étude en visio-consultation, l’ap-
port du concept de présence y étant essentiel.

Après avoir souligné l’importance des concepts


d’immersion et de présence en cyberpsychologie, pas-
sons en revue les nombreux champs qui sont explorés
en psychopathologie via des technologies numériques.
Bien qu’il soit difficile de les citer tous, on peut men-
tionner les troubles anxieux à caractère phobique, dont
la prise en charge par immersion en réalité virtuelle est
aujourd’hui intégrée dans de nombreux programmes.
Certains ont été développés pour répondre à des pro-
blématiques diverses, comme l’arachnophobie (Bou-
chard et coll., 2007), l’agoraphobie (Vincelli et coll.,
2002), l’acrophobie (Bouchard et coll., 2003), etc.
De nos jours, certaines recherches visent à adapter
ces thérapies au traitement des troubles des conduites
alimentaires, avec des logiciels de réalité virtuelle pour
soigner la boulimie (Pla-Sanjuanelo et coll., 2015).
La prise en charge des syndromes post-trauma-
tiques est également proposée par immersion dans des
environnements virtuels (Wiederhold, 2010).
Cyberpsychologie et entretien clinique 35

Le champ des addictions fait aussi partie des


psychopathologies explorées avec des techniques
immersives, par exemple pour l’addiction à la nicotine
(Gérard et coll., 2009). On trouve aussi des applications
visant à aider les personnes souffrant d’une compulsion
aux jeux d’argent (Giroux et coll., 2011).
D’autres travaux portent sur la régulation des
comportements des auteurs d’agressions sexuelles
(Renaud et coll., 2010).
À côté des projets utilisant l’immersion dans des
environnements virtuels, les travaux assistés par ordi-
nateurs dans le domaine de la dépression sont aussi
nombreux (Muñoz et coll., 2011).
Les champs de la « technologie positive » et de la
« psychologie positive » concernent le traitement du
stress (Wiederhold et coll., 2014), avec notamment des
applications téléchargeables sur des médias mobiles, tels
que les téléphones portables ou les tablettes.
D’autres recherches en cyberpsychologie portent
sur le handicap, physique et psychique. Des applica-
tions ont été développées et utilisées dans des situa-
tions de handicap telles que l’autisme (Parsons et coll.,
2015), les sujets mal voyants (Rovira et coll., 2014),
ou encore les personnes souffrant de la maladie
d’Alzheimer (Plancher et coll., 2012).
D’une manière générale, les études réalisées
aujourd’hui suggèrent que les TIC peuvent apporter un
réel bénéfice dans le domaine de la neuropsychologie,
tant dans la compréhension du fonctionnement dit
normal que dans l’étude des troubles cognitifs
(Lecouvey et coll., 2012).
Sur le plan de la recherche en psychologie cogni-
tivo-comportementale, on retrouve beaucoup de fac-
36 L’entretien clinique à distance

teurs spontanés dans les travaux « in virtuo », comme


la peur dans le traitement de la phobie. Cela représente
un avantage par rapport à d’autres environnements où
les stimuli opérants sont présentés aux sujets dans les
TCC.
Sur le plan thérapeutique, il existe plusieurs cli-
niques du virtuel aujourd’hui dans le monde 4, qui uti-
lisent les technologies d’immersion et sont surtout
spécialisées dans le traitement des troubles de l’anxiété.
Aux États-Unis, beaucoup d’assurances rembourseraient
ce type de traitement, ce qui est aujourd’hui aussi le cas
en France dans certaines institutions, depuis le décret
du 19 octobre 2010 relatif à la télémédecine.
Les applications thérapeutiques visant à l’immer-
sion des sujets dans des univers numériques sont déve-
loppées pour tous les âges de la vie, allant du jeune
enfant au senior 5 et du normal au pathologique.
Un autre domaine semble en pleine expansion
depuis quelques années : celui des serious games ou
« jeux sérieux », définis comme un : « type d’applica-
tion théorique dont l’intention initiale est de combiner
avec cohérence à la fois des aspects sérieux […] avec
des ressorts ludiques issus des jeux vidéo » (Alvarez,
2007). Le Flow (Csikszentmihalyi, 2005, 2007) est un
état mental correspondant à une profonde implication
dans une activité pour laquelle nous ressentons un fort
intérêt. Il existe deux dimensions du Flow : le senti-
ment de contrôle et le bien-être. Certains serious games
sont conçus pour aider à l’attention conjointe par
exemple, d’autres nécessitent des outils particuliers

4. Par exemple les Virtual Reality Medical Institutes.


5. Voir à ce propos les travaux de G. Riva et coll. (2007).
Cyberpsychologie et entretien clinique 37

(lunettes, gants, etc.). Ces applications sont générale-


ment largement diffusées, notamment par le biais de
supports mobiles.
D’autre part, certaines recherches ont comparé
l’efficacité de la TCC en visioconférence et en face-à-
face (Bouchard et coll., 2004 ; Allard et coll., 2007),
pour des patients atteints de troubles paniques avec
agoraphobie (TPA). La cyberpsychologie au moyen de
visioconférence permettrait de développer, chez les
personnes atteintes de troubles anxieux, une bonne
relation thérapeutique et une efficacité comparable
avec celles observées en thérapie traditionnelle en face-
à-face (Bouchard et coll., 2010).
De nouveaux axes de recherche sont développés,
utilisant des procédures innovantes comme des exer-
cices interactifs multimédias visant à déterminer, via
une caméra détectant les expressions du visage d’un
sujet, les émotions ressenties par la personne (Bai-
lenson et Yee, 2009).
Le centre de psychophysiologie appliquée 6 propose
des formations en biofeedback et des soins à l’aide d’ou-
tils technologiques dans différents domaines, allant de
la souffrance physique au soutien psychologique.
À l’University of Southern California, dans le
cadre du programme de recherche SimSensei (Rizzo,
Morency, 2011), on propose des entretiens avec des
avatars psychologues à des patients. Plusieurs données
psycho-physiologiques sont évaluées (rythme car-
diaque, micro-expressions, discours…) au cours de
l’entretien, afin de déterminer la réponse de « l’avatar

6. East Carolina University (ECU), dirigé par le docteur Carmen


Russioniello.
38 L’entretien clinique à distance

psychologue ». Ce programme est utilisé avec une visée


diagnostique 7 et pas encore psychothérapeutique.
Dans le champ nouveau de la cyberpsychologie,
les recherches et les avancées technologiques sont tel-
lement rapides que l’on a souvent un « temps de
retard » en étudiant les phénomènes mettant en lien
la psychologie avec les univers numériques. Tous les
travaux précédemment cités illustrent cependant une
évolution scientifique notable, voire une révolution
dans le champ de la santé mentale. Ainsi, ce qui est
remarquable et potentiellement dangereux, c’est
que dans certaines de ces applications, l’interaction de
deux humains ne semble plus être la priorité. Le cer-
veau et le corps du sujet participant sont en interaction
avec un « cerveau technologique », ces interactions
étant parfois médiatisées par un ou plusieurs humains.
On peut s’interroger sur une forme de rivalité entre le
cerveau biologique et le cerveau technologique,
induite par les chercheurs.
Par ailleurs, il apparaît que les recherches en
psychologie « quantitative » utilisent les TIC depuis
longtemps, ce qui correspond aussi à la facilité pour
un ordinateur de traiter ce type de données, par rap-
port à des données plus qualitatives, comme celles
pouvant relever des émotions. C’est pourquoi l’apport
de la psychologie clinique psychodynamique semble
pertinent, afin d’observer l’aspect plus qualitatif du
fonctionnement psychique et de la relation humaine,
intersubjective, médiatisée par des outils numériques.

7. http ://ict.usc.edu/prototypes/simsensei/
Cyberpsychologie et entretien clinique 39

USAGES DES TIC EN PSYCHOLOGIE CLINIQUE :


COMMENT PRÉSERVER LA DIMENSION HUMAINE
DANS LES INTERACTIONS ?

La dimension humaine dans la relation inter-


subjective est au cœur des préoccupations en psycho-
logie clinique psychodynamique, car cette discipline
s’intéresse à l’aspect émotionnel et personnel plutôt
qu’au fonctionnement cognitif ou comportemental en
psychologie.
C’est pourquoi les apports de ce champ théorique
sont essentiels dans la réflexion sur la place et les usages
des TIC en psychologie. Alors que les « théories de l’es-
prit » en psychologie ont investi le champ des TIC
depuis longtemps, la psychologie clinique d’orienta-
tion psychodynamique reste de nos jours encore assez
éloignée des technologies.
Certaines interrogations émergent face aux phé-
nomènes communautaires en ligne (Turkle, 1995,
2011), avec le paradoxe d’un isolement physique des
individus et d’une recherche concomitante de relation
à distance, via ces communautés. Cette « culture de
la simulation », propre à la génération des natifs du
numérique, aurait pénétré notre civilisation aussi
sûrement que l’ordinateur et avant lui la télévision
avaient investi notre vie quotidienne. La simulation
semble donc faire partie des valeurs de la cyberculture,
ce qui se retrouve dans de nombreux usages des TIC,
allant du jeu vidéo au soin psychothérapeutique. On
parle alors de « réalité virtuelle » et ses usages sont
multiples.
Dès 1985, Turkle s’est intéressée au « second self »
de ces générations, dans un ouvrage traduit sous le
40 L’entretien clinique à distance

titre Les enfants de l’ordinateur. Elle a fondé, en 2001,


l’initiative MIT sur la technologie et le Moi 8. Elle
adopte une attitude de « scepticisme sain » envers qui-
conque propose des scénarios simples à propos de
« l’impact de l’ordinateur sur la société » (McCorduck,
1996).
Selon cet auteur, l’énigme de l’esprit a pris un
nouveau caractère d’urgence. Sous la pression de l’or-
dinateur, « le problème du rapport entre l’esprit et la
machine est en train de devenir une préoccupation
culturelle essentielle » (Turkle, 1985, p. 274). Pour
elle, l’ordinateur postule le rôle de « frère le plus
proche dans l’univers connu », à la place des animaux :
« Alors que nous étions autrefois des animaux ration-
nels, aujourd’hui nous nous sentons pareils à des ordi-
nateurs, des machines émotionnelles » (ibid.).
Ainsi, nous assisterions depuis quelques années à
un affaiblissement de la métaphore de l’intériorité
pour penser l’individu, et à son remplacement par la
métaphore du « programme ». La vision freudienne
traditionnelle de l’inconscient, qui était devenue une
figure populaire de la métaphore de l’intériorité,
deviendrait, dans l’univers nord-américain, caduque
et serait remplacée par des métaphores information-
nelles : « L’acharnement contre la psychanalyse irait de
pair avec le nouveau culte de la communication sans
intériorité. L’engouement pour le postmodernisme et
la mort du “sujet” complètent ce tableau pessimiste »
(ibid., p. 69).

8. MIT Initiative on Technology and Self.


Cyberpsychologie et entretien clinique 41

Dans Alone together (2011), le troisième ouvrage


de sa « trilogie » après Life on the screen (1995) et The
Second Self (1985), Turkle encourage ses lecteurs à un
examen critique de ce que chacun de nous prend pour
acquis à propos de « l’ordinateur ». Elle note un cer-
tain paradoxe : celui d’une société ultracommunicante,
où les individus seraient de plus en plus isolés, où ils
sont « seuls ensemble ».
Ces changements importants en matière de lien
social et de relations intersubjectives interrogent,
notamment face à l’émergence des humanoïdes et à l’in-
timité grandissante des êtres humains avec les robots.
Alone together est l’aboutissement d’une pensée longue-
ment travaillée sur ces questions, et de recherches
menées parmi des populations diverses et nombreuses
sur le long terme. Turkle associe un aspect longitudinal
de la recherche avec un aspect qualitatif, qu’elle consi-
dère comme primordial.
D’autre part, on note qu’une partie des travaux
émergeant dans le domaine de la psychologie clinique
psychodynamique du numérique sont français, le
corpus théorique psychanalytique demeurant une réfé-
rence importante en psychologie.
Parmi ces travaux, certains, comme ceux de Mis-
sonnier (2003, 2004, 2006, 2009) ou de Tisseron
(2006, 2008), ouvrent des pistes de réflexion intéres-
santes sur le plan théorique.
Tisseron s’intéresse aux conséquences de ces nou-
veaux usages sur la construction de la personnalité et
ses dysfonctionnements. Au travers de ses réflexions
sur le passage de la télévision à l’ordinateur puis à
internet, avec pour grande différence l’interactivité, il
s’interroge sur les « mythologies » du virtuel ainsi que
42 L’entretien clinique à distance

les usages observés et sur les enjeux qui y sont liés en


termes de relation. Concernant les gains narcissiques
relatifs aux usages d’internet, il évoque une dynamique
d’approbation et d’écho, visible par exemple sur les
sites ayant vocation de réseaux sociaux ou autres blogs.
Il définit le « désir d’extimité » comme « celui de
rendre publiques des parties intimes de soi » (Tisseron,
2008, p. 39), et qui s’illustre par exemple dans le fait
que les internautes proposent à la notation des photos
d’eux-mêmes. Mais comme celui des jeux vidéo, l’es-
pace virtuel d’internet ne serait ni « bon » ni « mau-
vais » en soi pour le narcissisme. Cet espace peut ainsi
être investi pour alimenter la fuite vers une représen-
tation inaccessible de soi, mais aussi souvent « pour
permettre une confrontation salutaire avec la réalité »
(Tisseron, 2006, p. 25). L’immersion, l’interaction, la
quête narcissique et enfin les rencontres représente-
raient, selon cet auteur, les quatre forces attractives des
espaces virtuels. Il insiste sur le danger que constitue
un manque de communication au sujet des jeux vidéo,
entre les parents et leurs enfants9.
Missonnier note le désintérêt des philosophes,
puis des cliniciens se référant à la psychopathologie
psychanalytique, pour les objets usuels, sachant que
les TIC font aujourd’hui pleinement partie de notre
quotidien. Selon Searles, « l’élément non humain de
l’environnement de l’homme forme l’un des consti-
tuants les plus fondamentaux de la vie psychique [...]
trop de psychanalystes, centrés seulement sur le champ

9. Serge Tisseron est coauteur du rapport de l’Académie des


sciences : « L’enfant et les écrans » (2013).
Cyberpsychologie et entretien clinique 43

interpersonnel, négligent ce moment crucial de l’indi-


viduation où l’enfant commence à se sentir distinct de
son entourage non humain » (Searles, 1960). Dans la
conception de Leroi-Gourhan, les outils occuperaient
une place d’« organes artificiels » (Leroi-Gourhan,
1964). Ainsi, avec ce référentiel théorique, les TIC
constituent une part essentielle de notre culture et
détermineraient donc notre identité.
Il y aurait en outre une spécificité française à cette
méconnaissance (Missonnier, 2006) de la dynamique
dans laquelle la société produit des objets qui, en retour,
la transforment (Perriault, 1998). Il semble toutefois
important d’envisager la réciprocité des médiations
entre l’homme et les objets, à l’abri d’un certain clivage.
Civin (2002) analyse ainsi les Computer Mediated Rela-
tions (CRM) avec des références psychanalytiques solides,
telles que les théories de Winnicott, Klein ou Bion.
Il émet l’hypothèse qu’internet serait une source de
processus de transformation créatifs, à certaines condi-
tions seulement. Chez certains utilisateurs, les CRM
induiraient la répétition d’un clivage aliénant, qui
signe une relation d’objet partiel projective, et seraient
donc pathologiques.
D’autres travaux en psychologie clinique propo-
sent des tentatives de mise en application thérapeu-
tiques « pratiques », utilisant les TIC comme des outils
de médiation.
Stora (2005, 2006) décrit son expérience avec
l’utilisation des jeux vidéo comme outils thérapeu-
tiques. Il a mis en place, dès 2002, des ateliers jeux
vidéo en institution (centre médico-psychologique),
avec une population d’enfants et de jeunes adolescents
et en leur proposant une demi-heure de psychothérapie
44 L’entretien clinique à distance

de groupe et une heure de jeu sur des consoles. Il a


constaté que, d’une manière générale, au bout de
quelques mois de pratique, le jeu et les temps de parole
entre enfants et thérapeutes créaient ces allers-retours
nécessaires entre des moments de vie réelle et ceux du
jeu, durant lequel chaque enfant projette selon son
histoire et intériorise des affects et des expériences
motrices qui semblent avoir une valeur thérapeutique.
L’espace numérique leur donnerait accès à leur propre
inconscient et le rôle du thérapeute serait donc d’aider
par sa présence à ce qu’ils y accèdent, même si cela
passe par un scénario agressif. Le bilan que tire Stora
de cette pratique est que les jeux vidéo utilisés dans ces
ateliers auraient permis aux enfants qui les ont fré-
quentés un entraînement symbolique avec un travail
non négligeable sur soi et sur les « imagos parentales »,
c’est-à-dire la manière dont l’enfant se représente ses
parents. Par ailleurs, Stora a créé, en 2000, l’Observa-
toire des mondes numériques en sciences humaines
(OMNSH).
D’autres recherches qualitatives portent sur
l’image de soi, ou la relation aux pairs à l’adolescence
à travers l’étude des usages des réseaux sociaux
(Gozlan, 2013 ; Rodriguez, 2013).

Huerre est le fondateur de l’Institut du virtuel


Seine Ouest (IVSO) et il a notamment dirigé un
ouvrage collectif Faut-il avoir peur des écrans ? (2013).
Il y est question de mieux cerner ce que peuvent
apporter les outils numériques sur les plans thérapeu-
tique, éducatif, pédagogique… et ludique, sans
négliger les risques que certains de leurs usages com-
portent pour les plus vulnérables.
Cyberpsychologie et entretien clinique 45

Beaucoup de travaux soulignent les changements,


les spécificités observées chez les enfants issus de la
« digital native generation » (Tapscott, 2009) ou « géné-
ration des natifs du numérique ». Ce terme désigne les
enfants qui ont toujours connu internet et l’ère du
numérique, du multimédia et de l’information instan-
tanée. Ils se différencient ainsi de la génération de leurs
parents, dénommés « immigrants », dans leurs usages
des TIC. Ils se déclinent en génération X, Y, Z 10.
Selon Mateo (2009, p. 14), le décalage n’a jamais
été et ne sera jamais aussi clair que maintenant. Peut-
être que dans quelques années, le gouffre sera moins
grand entre les parents « immigrants » et les enfants
« natifs ». Ces enfants appartiennent à une génération
révolutionnaire, car elle porte un modèle de société
inconnue de leurs parents. En France, presque aucun
de ces enfants n’est tenu à l’écart de la reconfiguration
du quotidien imposée par les nouvelles technologies
(ibid., p. 17).
Le colloque international : « Enfants mut@nts ?
Révolution numérique et variations de l’enfance 11 »,
a souligné l’importance de la psychologie comme une
discipline incontournable pour apprécier les effets des
outils informatiques et de la cyberculture sur le déve-
loppement affectif, intellectuel, social, scolaire des

10. La génération « Y » (1980-1995) a connu l’émergence d’in-


ternet dans le grand public, et la génération « Z » (dès 1995) vit
avec les réseaux sociaux.
11. Colloque organisé par l’APPEA (Association francophone de
psychologie et psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent),
les 17, 18 et 19 octobre 2013 à la Cité des sciences, Paris. J’ai eu
l’honneur de faire partie du comité de pilotage de cet événement
scientifique.
46 L’entretien clinique à distance

enfants. Par la confrontation de points de vue théo-


riques différents (psychologie du développement,
neurosciences, psychanalyse, sociologie, pédagogie) et
d’expériences de terrain (recherches, outils didac-
tiques, approches cliniques et thérapeutiques), il
s’agissait d’éclairer et de préciser la question de l’im-
pact du numérique sur les jeunes utilisateurs. Les
multiples contributions scientifiques de cet événe-
ment ont souligné que, si mutation il y a, elle désigne
une évolution non pas génétique mais sociétale.
Voici un extrait de la synthèse du colloque : « Nos
enfants vivront et vivent déjà dans un monde radicale-
ment différent. À l’émerveillement devant la révolution
numérique et l’accès de tous aux connaissances et aux
interactions intercontinentales mondialisées, répondent
des craintes sur les effets néfastes supposés ou vérifiés
des écrans et du Web, depuis l’appauvrissement culturel
jusqu’aux addictions en passant par les menaces pesant
sur l’intimité, sans oublier les dangers entraînés par
l’exaltation du narcissisme et la dispersion.
« Devant l’expression de ces enthousiasmes et de
ces inquiétudes, et malgré les difficultés, il apparaît
urgent et impératif de favoriser l’évaluation scienti-
fique et non idéologique de l’ère numérique, sans
catastrophisme ni angélisme.
« La psychologie et les psychologues ne peuvent
se tenir éloignés des débats nationaux sur ces thèmes.
Ils ne le désirent pas, pas plus d’ailleurs que les méde-
cins. Cette démarche s’initie déjà à l’étranger, notam-
ment aux États-Unis et au Québec, tandis que la
France accuse un retard très préoccupant.
« L’enjeu exige d’accompagner au mieux, avec une
constante exigence d’écoute et de respect, les nouvelles
Cyberpsychologie et entretien clinique 47

générations dans ces transformations rapides et irré-


versibles de notre quotidien comme de nos modes de
pensée. Il impose également de veiller à ce que l’ex-
plosion numérique actuelle représente pour tous une
réelle opportunité d’épanouissement, et non un risque
d’aliénation pour les sujets les plus vulnérables, notam-
ment les enfants 12. »
Le changement pour les jeunes générations est
donc évoqué tant en matière d’apprentissage que de
comportement et d’expression des émotions. Comment
envisager alors l’évolution du concept de relation ?
À travers ces exemples sur les usages des TIC en
psychologie clinique, nous avons noté l’apparition plus
récente de travaux d’orientation psychodynamique
autour du numérique. Ces réflexions promettent des
apports riches, ainsi que des perspectives intéressantes
pour les recherches à venir. Voyons maintenant quelles
sont les méthodes utilisées en cyberpsychologie et les
différents types de communication numérique pro-
posés pour médiatiser la relation entre le patient et le
psychologue.

LE CHOIX DE LA VISIOCONFÉRENCE
COMME OUTIL

Les techniques envisageables pour communiquer


à distance avec un patient sont variées. Elles influen-
cent probablement la qualité de la communication, de
la relation établie à distance. Pour mieux comprendre

12. Synthèse rédigée par Nicole Catheline, Agnès Florain et Marie-


Luce Verdier-Gibello, coordonnée par Jean-François Marmion,
Claire Meljac (2013).
48 L’entretien clinique à distance

le choix de la visioconférence dans ma recherche, par-


tons d’un rapide état des lieux des solutions existantes.
Certaines applications utilisent les TIC en psycho-
logie clinique, pour la plupart avec une population
d’enfants et d’adolescents.
Ainsi, un forum sur le suicide a été créé en Suisse,
à l’hôpital universitaire de Genève (Projet Children
Action). Ce forum serait un outil utile 13, car l’accès aux
adolescents suicidants dans le cadre clinique classique
est très limité. Ce site internet est un forum mis à la
disposition des adolescents ayant des questions tou-
chant au suicide, ce qui implique une réponse différée
de la part des professionnels et autres participants.
Des projets pilotes de forums en institution hospi-
talière existent par ailleurs, mis à disposition des jeunes
patients afin d’obtenir des réponses écrites de leur
psychologue ou psychiatre référent. Ainsi, dans le
cadre du dispositif thérapeutique Serena pour les ado-
lescents à Marseille, ce type de communication à dis-
tance entre le patient et son thérapeute a été mis en
place (Fabre, 2008). L’Adosphère, maison virtuelle des
adolescents, est un projet dans le réseau de toutes les
maisons des adolescents.
On trouve aussi des forums qui ajoutent à la com-
munication écrite la possibilité d’interagir avec des
avatars. Ainsi, l’association Fil santé jeunes a créé un
forum sur Habbo, un site internet qui regroupe des
communautés en ligne, pour la plupart adolescentes,
sous forme d’avatars. Ce projet constituerait « le déve-
loppement d’une nouvelle forme de clinique, mettant

13. Colloque organisé par l’École des parents et des éducateurs en


octobre 2008. Actes parus en mars 2009.
Cyberpsychologie et entretien clinique 49

la technologie au service des jeunes et favorisant l’accès


à des professionnels » (Guardiola, 2008).
Un autre exemple de protocole utilisant les TIC
en psychologie clinique a été réalisé par Parentel asso-
ciation service acceuil jeunes (PASAJ). Cette association
propose, depuis 2008, un accueil téléphonique pour
les 12-25 ans, en soirée. Mais elle propose aussi l’uti-
lisation d’e-mails et de SMS pour communiquer avec
les jeunes. Très peu de sollicitations initiales arrive-
raient par téléphone, des échanges écrits étalés sur plu-
sieurs mois étant souvent nécessaires avant qu’un
appelant accepte de parler de vive voix. Ce dispositif
d’écoute permettrait de passer d’une position supposée
de retrait à la mise en mots de problématiques subjec-
tives ouvrant vers de possibles rencontres avec soi-
même et par la suite avec l’autre (Quidelleur, 2008).
Néanmoins, l’ouverture d’un espace d’expression « vir-
tuel » physiquement illimité impliquerait une absence
de limites spatio-temporelles pouvant s’avérer dange-
reuse, en fonction de la structure psychique de ces
jeunes.
Certains travaux de recherche (Reynolds, 2013 ;
Shalom, 2015) sur les thérapies en ligne par texte sug-
gèrent une facilitation du contact initial par écrit, pour
des patients anxieux.
D’autres recherches (Rauch et coll., 2014) mon-
trent que les sujets souffrant d’anxiété sociale sont plus
anxieux lors d’une rencontre physique en face-à-face
avec une personne précédemment « rencontrée » sur
Facebook avec des échanges écrits, que lors d’une ren-
contre classique.
Si l’on compare la communication écrite avec la
visioconférence, un premier élément qui apparaît est
50 L’entretien clinique à distance

la possibilité d’un contact « œil à œil » en visioconfé-


rence. Celui-ci est primordial dans les interactions
humaines en général, et les dysfonctionnements de ce
type de contact sont d’ailleurs observables dans de graves
psychopathologies, telles que l’autisme ou la schizo-
phrénie.
Selon Senju, neuroscientifique cognitif qui étudie
les aspects biologiques et culturels du contact visuel14,
les émoticons dans les textos et e-mails « peuvent être
un effort inconscient pour établir un contact visuel
[...] Mais cela n’a pas le même effet, poids ou portée
[...] Seul le réel contact visuel active ces parties du cer-
veau qui nous permettent d’interpréter plus intensé-
ment et plus précisément les sentiments et intentions
d’une autre personne. Pensez-y comme un déclen-
cheur cognitif qui se produit à chaque fois que vous
regardez quelqu’un dans les yeux, qu’il soit en face de
vous ou à travers une pièce bondée [...] Un mode de
communication plus riche est possible après avoir
établi un contact visuel » (Murphy, 2014).
Pour Hills, psychologue et chercheur sur le
contact visuel 15, les yeux sont la meilleure caractéris-
tique pour différencier les gens, et le contact visuel a
une énorme importance dans le fait de pouvoir recon-
naître les gens (ibid.).
Des études en neuropsychologie mettent en rap-
port le développement du lobe frontal et l’activité des
adolescents face aux écrans. Les jeunes qui entrent
dans l’adolescence auraient du mal à reconnaître les

14. Birkbeck (University of London’s Center for Brain and Cognitive


Development).
15. Anglia Ruskin University à Cambridge, Angleterre
Cyberpsychologie et entretien clinique 51

émotions d’une autre personne : « L’obsession d’au-


jourd’hui pour les ordinateurs et les jeux vidéo paraît
bloquer le développement du lobe frontal chez de
nombreux adolescents, empêchant leurs habilités
sociales et de raisonnement » (McGivern et coll.,
2002). Les capacités d’empathie seraient ainsi réduites
par manque de stimulations produites par le visage
humain.
D’après Small (2008), les différentes formes de
thérapies par la parole peuvent influencer les modèles
d’activation du cerveau. Chez les patients déprimés, la
psychothérapie stimule certaines régions connues pour
contrôler l’humeur. L’insight psychologique gagné en
discutant de ses pensées personnelles, sentiments et
problèmes avec un thérapeute formé, peut activer de
nouvelles régions du cerveau qui contrôlent la pensée
et la résolution de problèmes (lobe frontal) ainsi que
la mémoire et les émotions (lobe temporal). Toutes ces
interventions psychothérapeutiques impliquent le lan-
gage et le contact en face-à-face, ce qui contraste avec
une stimulation du cerveau venant de l’exposition à
un ordinateur ou à un écran.
Cependant, la visioconférence permet de retrouver
la dimension visuelle et le regard, propres à la commu-
nication entre deux humains, même si les interactions
sont médiatisées par des machines. Certaines spécifi-
cités dans le contact « œil à œil » existent toutefois en
visioconférence : le décalage du regard en est un
exemple 16. Mais ce phénomène annule-t-il pour autant
la dimension intersubjective de l’échange ?

16. Cf. chapitre 3, « La place du corps et celle du regard en visio-


consultation ».
52 L’entretien clinique à distance

Si on la compare à un échange écrit de type e-mail,


SMS ou tchat, la visioconférence présente un aspect plus
« humanisé », notamment grâce à l’implication corpo-
relle des participants 17. Les corps sont ainsi visibles au
cours des interactions et le dialogue verbal est possible.
En comparant ce type d’interactions avec celles réali-
sables avec un avatar, on peut supposer que l’image du
corps humain influence différemment la qualité de
l’interaction 18, de la relation.
La visioconférence peut être utilisée dans le cadre
de TCC pour réaliser des entretiens de soutien, ce qui
permettrait de développer, chez les personnes atteintes
de troubles anxieux, une bonne relation thérapeutique
et une efficacité comparables avec celles observées en
thérapie traditionnelle en face-à-face (Bouchard et
coll., 2010).
Toutefois, il n’existe pas à l’heure actuelle de réelle
méthodologie pratique de l’entretien clinique à dis-
tance en visioconférence, notamment en psychologie
clinique psychodynamique.
Cette technique demeure une méthode nouvelle
à explorer, et beaucoup de professionnels de la psycho-
logie clinique font déjà usage des logiciels de visiocon-
férence que nous avons à disposition sur nos
ordinateurs, tels que Skype ou MSN. Cela présente en
effet un intérêt pratique évident en termes de gestion
de la distance, par exemple en situation d’éloignement
géographique entre le patient et le psychothérapeute.
Dans des cadres divers de suivi ponctuel ou de super-
vision, ces techniques sont donc utilisées, mais chacun

17. Ibid.
18. Voir à ce propos les travaux de Chanoni (2013) sur l’interaction
des enfants avec des avatars.
Cyberpsychologie et entretien clinique 53

semble le faire « dans son coin », ce qui souligne le


besoin de disposer d’une méthodologie propre à ce
contexte de travail.
J’ai fait le choix, dès le début de mon étude, de
ne pas utiliser de logiciels tels que Skype, car ils ne
garantissent pas une sécurisation suffisante concernant
l’échange ou le stockage des données. De plus, ce type
de logiciel est souvent réservé à un usage relevant des
sphères amicale ou familiale. Leur utilisation est donc
problématique par rapport à la réalisation d’entretiens
cliniques. Ainsi, le patient peut facilement voir quand
le psychothérapeute est en ligne, lui envoyer à loisir des
messages textuels ou l’appeler en dehors des temps fixés
pour les rencontres. Le patient et le thérapeute peuvent
être dérangés par d’autres appels ou messages pendant
une séance. Ma recherche sur la visioconsultation s’ins-
crit au contraire dans une volonté d’élaborer un cadre
propre à l’entretien clinique en psychologie.
Malgré les difficultés et les freins idéologiques
pouvant exister, notamment dans le champ de la
psychologie clinique psychodynamique, la psycho-
logie s’ouvre de nos jours à un univers technologique.
L’utilisation de forums, e-mails ou SMS pour créer un
lien relationnel écrit avec les patients, ou encore des
jeux vidéo comme support de la communication sem-
blent se développer. Ces pratiques forment les pré-
mices d’un nouveau champ de recherche passionnant,
bien que les applications techniques spécifiques restent
assez rares en psychologie clinique. Après avoir pré-
senté l’entretien clinique en cyberpsychologie et les
différentes modalités techniques existantes, passons à
l’analyse de concepts théoriques plus fondamentaux
ayant émergé dans ma recherche en visioconsultation.
2
Transfert virtuel et réalité psychique

Les résultats de travaux de recherches en cyber-


psychologie (Bouchard et coll. 2010) démontrent, avec
une méthodologie quantitative, qu’aucune différence
significative, n’a été évaluée par les patients quant à
l’alliance thérapeutique avec le psychologue, en face-à-
face et en visioconférence.
Dans ma recherche en visioconsultation, nous
verrons que les résultats obtenus 1 ont montré des
similarités importantes entre les échanges établis avec
les patients dans ce cadre et dans un cadre plus clas-
sique d’entretien, notamment sur le plan des pro-
cessus transféro-contre-transférentiels à l’œuvre dans
la relation. Ainsi, peut-on vraiment opposer le
concept de virtuel à celui de réel, ce qui signifierait
que les émotions ressenties et la vie psychique des
sujets en interaction ne seraient pas « réelles », ou
« vraies », en visioconsultation ? S’agirait-il d’un

1. Cf. chapitre 5, « Intersubjectivité en visioconsultation ».


56 L’entretien clinique à distance

transfert « virtuel » ? Pour aborder cette question,


commençons par revenir à la définition du concept
de virtuel, appliqué au champ des TIC.

VIRTUEL VERSUS RÉEL

Environnement virtuel et réalité psychique


Le terme « virtuel » est souvent utilisé pour qua-
lifier tout ce qui se passe sur internet. Lévy (1995) rap-
pelle que ce mot vient du latin médiéval virtualis,
dérivant lui-même de virtus qui signifie force, puis-
sance. Mais selon Wood (1998), l’étymologie de l’ad-
jectif « virtuel » fait surgir plus d’ambivalences qu’elle
n’apporte d’éclaircissements, et cela explique en partie
la grande variabilité de son sens et la confusion qu’elle
entraîne. Proulx s’interroge : « Que veut dire exacte-
ment ce terme, parfois brandi comme une incantation
plutôt que défini avec précision ? » (Breton et Proulx,
2002, p. 296).
Si l’on considère que le virtuel est « ce qui n’est
tel qu’en puissance 2 », il l’est donc par rapport à une
actualisation qui peut survenir ou non. En ce sens, le
virtuel est réel, mais « non actuel » (Deleuze, 1996).
Par ailleurs, virtus signifie aussi vertu (Quéau,
1993 ; Cadoz, 1994) au sens primaire de « qualité »
ou « pouvoir ». Ce chevauchement sémantique serait
relevé surtout par les auteurs de langue anglaise.
Wilbur (1997) considère ainsi que la notion de virtua-
lité s’enracine profondément dans une « vision reli-
gieuse du monde dans laquelle pouvoir et bien moral
sont unis dans la vertu », ce qui renvoie à certaines

2. Dictionnaire Le Robert.
Transfert virtuel et réalité psychique 57

formes de religiosité associées à internet et à son


« culte » (Breton, 2000).
Doel et Clarke (1999) évoquent trois approches
du virtuel, qui se distinguent par le type de rapport
qu’elles posent entre le réel et le virtuel.
Dans la première approche, le virtuel est subor-
donné au réel et renvoie à la simulation et donc à la
« fausse approximation » de la réalité. Cette dernière
est perçue comme une copie du réel, mais forcément
dégradée, un « simulacre » ou un « double » du réel
(Baudrillard, 1978, 1996).
Totalement opposée à ce discours de dénigre-
ment, la deuxième approche envisage la virtualité
comme la résolution d’un monde plein d’imperfec-
tions, du fait même de son actualité. Ici, le virtuel
serait au réel ce que le parfait est à l’imparfait. Dans
un monde plein d’imperfections, du fait même de son
actualité, le réel résulte d’un processus de réduction
des possibles et donc d’appauvrissement inéluctable.
Lévy (1995) considère que l’entité virtuelle remonte à
l’essence, à la matrice des actualisations possibles. Dans
la même idée, le réseau internet libère les utilisateurs
de certaines contraintes liées à la matière, à l’espace et
au temps, et ouvre d’autres possibilités. En ce sens, les
technologies du virtuel sont perçues comme « libéra-
trices » par rapport au réel.
On note donc, dans ces deux mouvements, une
distinction claire entre le virtuel et le réel. De plus, ils
sont tous deux marqués par un certain déterminisme
technologique, car le virtuel n’apparaît qu’avec le pro-
grès technologique. Or, on peut supposer que le virtuel
n’est pas tributaire d’un quelconque appareillage tech-
nique pour exister.
58 L’entretien clinique à distance

La troisième approche est d’inspiration « deleu-


zienne » et renvoie à l’hybridation du réel et du virtuel,
ou plus exactement à l’immanence du virtuel dans le
réel et à une conception du réel dans lequel l’actuel et
le virtuel sont en interrelation circulaire et productive ;
de leur interaction jaillit un réel en constante « créa-
tion et expérimentation 3 ». Il est intéressant de noter
ici les liens entre l’actuel et le virtuel, décrits comme
deux dimensions en interaction. Deleuze (1968, 1996)
reconnaît ainsi au virtuel « une pleine réalité » (Mis-
sonnier, 2003, p. 23).
L’opposition entre le virtuel et le réel s’illustre donc
depuis longtemps dans la littérature, malgré le fait que
l’on rencontre, paradoxalement et depuis 1989, l’appel-
lation « réalité virtuelle 4 ». Ce terme est d’ailleurs sou-
vent utilisé dans les recherches en cyberpsychologie,
pour qualifier des environnements numériques immer-
sifs 5. Rappelons que la cyberpsychologie considère le
cyberespace comme un espace psychologique, c’est-
à-dire comme un espace transitionnel ou comme une
simple extension du monde psychique individuel 6.
Peut-on alors considérer que le virtuel ne s’oppose
pas au réel ? On pourrait ainsi envisager que l’espace

3. Selon Deleuze (1996, p. 185) : « Les actuels impliquent des


individus déjà constitués, et des déterminations par points ordi-
naires ; tandis que le rapport de l’actuel et du virtuel forme une
individuation en acte ou une singularisation par points remar-
quables à déterminer dans chaque cas. »
4. Appellation créée par Lanier et Fisher, dans Woolley (1992).
5. La réalité virtuelle est définie comme « l’application qui permet
à l’utilisateur de naviguer et d’interagir en temps réel avec
un environnement en trois dimensions généré par un ordinateur »
(Pratt et coll., 1995).
6. Grand Dictionnaire terminologique de la langue française, 2000.
Transfert virtuel et réalité psychique 59

« virtuel » d’internet permettrait d’accéder, en visio-


consultation, à des interactions bien « réelles », sur le
plan de la dynamique psychique des sujets en « pré-
sence ». Il semble que, dans ce cadre, le terme de « vir-
tuel » ne convienne pas. Ainsi, il me paraît préférable
d’utiliser le terme « numérique », ou « digital », plutôt
que « virtuel », pour qualifier le dispositif permettant
aux personnes d’entrer en relation, en visioconsultation.
Selon Marty (1998), le « jeu virtuel » serait « un
espace de médiation entre corps et psyché, entre res-
senti et émotion élaborée. Dans cette perspective, l’ac-
tuel et le virtuel sont liés l’un à l’autre comme les deux
faces d’une même réalité sensible, celle de la réalité
psychique. Le virtuel apparaît alors comme une voie
de passage ». On voit ici la notion de médiation pos-
sible entre deux aspects de la même interface : la réalité
psychique.
La recherche en psychologie clinique nous mène à
travailler sur les affects et les représentations. L’expé-
rience en visioconsultation soulève donc des interroga-
tions quant à la mise en opposition de la réalité et du
« virtuel ». Dans cette rencontre clinique, il s’agit bien
de la « réalité » psychique, du monde interne du sujet.
Il est donc difficile d’envisager que cette réalité soit vir-
tuelle, qu’elle soit non actuelle. C’est bien la même réa-
lité psychique que le sujet amène en entretien.
En revanche, ce qui change en visioconsultation,
c’est la distance des corps qu’implique le dispositif en
lui-même. Mais cette distance est relativisée par
l’image des corps en interaction que permet la visio-
conférence, alors que le corps disparaît dans les
échanges écrits tel que le tchat, les e-mails, les tweets,
etc. L’utilisation d’avatars dans les interactions peut
60 L’entretien clinique à distance

permettre une forme de projection de l’image du corps


en ligne, mais elle est différente de l’image des corps
« réels » en visioconférence.
Ainsi, la place du corps demeure essentielle au
cours de l’entretien clinique et tout particulièrement
dans les échanges de regards, possibles en visioconsul-
tation malgré certaines spécificités. Ce cadre permet
donc d’envisager une rencontre, avec des interactions
sensorielles impliquant le corps de l’analyste et celui
du patient, ce qui favorise la possibilité d’accéder aux
registres conscient et inconscient du discours.
Un autre aspect du débat et de la réflexion sur le
virtuel, le réel et les relations interpersonnelles à dis-
tance via internet, porte sur les communautés vir-
tuelles. L’expression « communauté virtuelle » serait
apparue comme une synthèse entre, d’une part la fas-
cination croissante qu’exerçait le mot même de virtua-
lité, et d’autre part le terme de online community,
apparu à la fin des années 1960 pour désigner des
communautés d’intérêt (Breton et Proulx, 2002). L’in-
fluence du contexte de la « contre-culture » de
l’époque sur ces communautés et l’idée de vivre des
expériences similaires à la vie quotidienne, tout en
« laissant le corps physique derrière soi », furent pré-
sentes dans les premiers groupes en ligne, comme le
WELL 7.
On peut décliner les trois approches du virtuel de
Doel et Clarke (1999) à la réflexion sur la « réalité »
des communautés virtuelles, en retrouvant les mêmes
axes principaux (Breton et Proulx, 2002). Ainsi, cer-
taines interrogations émergent face à ces phénomènes

7. Whole Earth’Lectronic Link.


Transfert virtuel et réalité psychique 61

communautaires, comme Turkle (1995, 2001) le sou-


ligne au travers du paradoxe d’un isolement physique
des individus et d’une recherche concomitante de
relation à distance via ces communautés, dans une
« culture de la simulation » où nous serions « seuls
ensemble ». D’autres auteurs s’inquiètent du fait que
ces communautés ne viennent remplacer les « vraies »
(Heim, 1993). La notion d’intersubjectivité est par
ailleurs envisagée dans des recherches sur ces commu-
nautés en ligne, avec notamment la distinction entre
les « cyber-espaces » et « cyber-lieux » (Galimberti et
coll., 2010).
Tisseron (2006) définit quant à lui trois signifi-
cations possibles du virtuel : le sens temporel renverrait
à un futur aléatoire, ou « en puissance » ; le sens spatial
s’illustrerait dans une présence ailleurs et une absence
ici ; le sens spirituel serait celui d’une présence imma-
térielle, « comme si ». Cette présence s’opposerait au
charnel, avec une modalité platonique du corps, au tra-
vers du regard. Cela permettrait le refoulement provi-
soire de ce qui est angoissant dans la sexualité. L’auteur
souligne que « chacun de ces trois cadres de référence
correspond à une préoccupation de l’adolescence »
(ibid., p. 93), et que « le virtuel est une forme de rela-
tion » (ibid., p. 96). Tisseron préfère l’appellation d’objet
virtuel à une équivalence entre réalité psychique, maté-
rielle et virtuelle. L’objet virtuel aurait ainsi une modalité
particulière de présence : « Il n’est présent que par son
image et d’aucune autre façon » (ibid., p. 103). Toute-
fois, il comporterait deux spécificités : les implications
sensorielles (audition, sens tactile, motricité) et le fait
que ces espaces peuvent générer des scénarios imprévi-
sibles. Dans cette analyse du « virtuel », on note tout
62 L’entretien clinique à distance

d’abord que l’auteur s’intéresse surtout à l’usage des jeux


vidéo par les adolescents.
Ensuite, parmi les usages des jeux vidéo, on peut
discuter une telle conception de la présence, car la
notion de présence à distance dans une relation impli-
quant deux acteurs humains est complexe et elle se dis-
tingue des utilisations de programmes où l’on interagit
avec un logiciel. Par ailleurs, on peut supposer que la
place du corps est différemment investie lorsque les
utilisateurs communiquent via des avatars ou en visio-
conférence. C’est peut-être pour cela qu’il est difficile
de faire des généralités sur « le virtuel », car il englobe
des usages et des pratiques presque aussi variés que les
utilisateurs. Il serait tout d’abord utile de remettre ces
outils à leur place d’outils, modulables et malléables
en fonction des souhaits des acteurs humains, qu’ils
peuvent d’ailleurs parfois révéler.
Enfin, comme on l’a vu avec la réflexion sur le
concept de virtuel, il semble nécessaire de commencer
à réfléchir à une terminologie plus adaptée aux phé-
nomènes que nous voulons décrire en psychologie,
quand nous évoquons les médias numériques. Cela
semble aussi être le cas lorsque nous abordons la ques-
tion de la distance, qui caractérise les diverses formes
de communication passant par le réseau internet.

Une distance psychique « suffisamment bonne »


Mon expérience en visioconsultation m’a menée
à un questionnement sur la notion de distance, qui
s’articule naturellement avec la réflexion sur le concept
de présence. Ainsi, malgré la distance physique qui
sépare les utilisateurs en visioconsultation, il est tout
Transfert virtuel et réalité psychique 63

de même nécessaire de trouver une distance psychique


« suffisamment bonne 8 », un certain degré d’« inti-
mité », afin de pouvoir réaliser l’entretien clinique.
Cette intimité se distingue du « désir d’extimité »,
défini comme « celui de rendre publiques des parties
intimes de soi » (Tisseron, 2008, p. 39) et qui s’illustre
dans certains usages des TIC, notamment dans le fait
que les internautes proposent à la notation des photos
d’eux-mêmes, sur différents supports en ligne. Ce
« désir d’extimité » rejoint le concept de narcissisme et
l’utilisation de l’écran comme un miroir potentiel 9.
Cependant, l’objectif dans l’entretien clinique et en
visioconsultation est d’établir une relation à valeur
objectale avec un autre, et non de favoriser un aspect
spéculaire dans la relation, et ce malgré l’usage de
l’écran.
Selon Missonnier (1999), dans le soin à distance,
« le processus de virtualisation met en œuvre un
fécond exode du “devenir autre”, un projet où le sujet
“se sort de là”, de l’immédiat ici et maintenant. La vir-
tualisation du présent par le langage, des actes phy-
siques par la technique et de la violence par le contrat,
sont les piliers de l’hominisation. Le réseau internet,
pour le meilleur et pour le pire, est assurément un
espace actuel de cette constante virtualisation ». Cela
renforce l’idée que le virtuel ne s’oppose pas au réel,
dans une invitation aux cliniciens à conjuguer leur
expérience clinique à celle de la « médiologie 10 » : un

8. En référence à l’expression de Winnicott (1951), concernant la


mère.
9. Ce que j’ai pris en compte en visioconsultation, notamment
avec l’option miroir.
10. Telle que la définit Perriault (1998).
64 L’entretien clinique à distance

discours raisonné sur la fonction symbolique des


médiations. Il semble donc que la visioconsultation
s’inscrive dans le champ des médiations numériques
en psychologie, avec une réflexion constante sur la
dimension éthique et déontologique.
Pour certains auteurs (Tisseron, 1997), l’image
serait le véritable contenant de nos premiers contenus
psychiques. Nos objets quotidiens, dont font aujour-
d’hui partie les ordinateurs et autres outils connectés à
internet, médiatiseraient à la fois notre subjectivité et
notre socialisation en assurant de multiples transitions
entre faits psychiques et faits sociaux (Tisseron, 1999).
La reconnaissance de leur rôle permettrait donc de
dépasser des oppositions « stériles, entre “technique” et
“symbolique” d’un côté et entre “individuel” et “col-
lectif” de l’autre » (ibid., p. 63).
Dans l’usage de la visioconsultation, le but est au
contraire de favoriser la dimension subjective et de
limiter la confusion « moi/non-moi » pouvant être
induite par la communication médiatisée par ordina-
teur, le réseau, la collectivité.
Quant à l’opposition entre « technique » et
« symbolique », elle semble rejoindre celle entre le
« réel » et le « virtuel ». À ce propos, une note fort inté-
ressante se trouve dans une définition du virtuel
(Lalande, 1926, p. 1211) qui précise, sur le plan his-
torique, que « dans la langue scolastique [virtuel] s’op-
pose à formel : il marque ce qu’est une chose en
essence ou en puissance, bien qu’elle ne soit pas telle
formaliter ou in actu 11. D’où les théologiens ont tiré la
distinction entre une présence “virtuelle” et une pré-

11. Traduction du latin, « formellement ou dans les faits ».


Transfert virtuel et réalité psychique 65

sence “réelle” du Christ dans l’Eucharistie ». Cette


note est intéressante car elle fait référence à l’absence
du corps, ici du corps christique, qui se trouve repré-
senté dans l’hostie et le vin, en tant que corps virtuels.
Cela évoque donc une compréhension du terme « vir-
tuel » qui s’oppose non pas au réel, mais au charnel et
qui renvoie plutôt à l’absence du corps. Or, cette
absence n’est pas totale en visioconsultation, notam-
ment grâce à l’image du corps et à l’échange verbal que
permet cette technique.
Ainsi, l’opposition du virtuel au charnel associe
plutôt le virtuel au registre du symbolique. En psycho-
logie clinique, nous travaillons bien avec le registre du
symbolique et avec la réalité psychique des patients,
ainsi que la nôtre. Le concept de virtuel ne s’oppose
donc pas à celui de réalité psychique. Le cadre de la
visioconsultation ne constitue donc pas une contre-indi-
cation pour notre objet de travail, qui s’inscrit dans le
registre du symbolique. L’absence de corps physique,
charnel, n’empêche pas la mise en place d’une relation
clinique où les représentations psychiques occupent une
place centrale. Dans mon expérience, les restrictions
sensorielles induites par le cadre de la visioconsultation
n’ont pas empêché l’occurrence des interactions com-
portementales, affectives et fantasmatiques (Lebovici et
Stoléru, 1983), comme dans tout entretien clinique.
Dans cette mesure, l’opposition virtuel-réel n’existe
pas. Retenons donc l’idée de la distance comme carac-
térisant davantage le cadre de la visioconsultation que
sa virtualité, car ce terme peut toujours porter à confu-
sion et renvoyer à une opposition avec la réalité. Dans
la mesure où l’opposition « virtuel »/« réel » n’est pas
adaptée, le cheminement vers la symbolisation pourrait
66 L’entretien clinique à distance

être rendu possible avec un outil « virtuel », ou plutôt


« numérique », qui constituerait alors une aire de
transitionnalité, un espace potentiel dans l’environne-
ment, mais visant à soutenir la réalité psychique.
Toutefois, il faut remarquer que bien que l’outil
n’empêche pas ce travail de symbolisation, il ne suffit
pas non plus à le réaliser. Pour accroître les chances
qu’un tel travail se mette en œuvre, il est utile de faire
référence à un cadre définissant l’usage que l’on peut
faire de l’outil. Ainsi, les espaces numériques sont
modulables en fonction des souhaits des concepteurs,
malléables et transformables, tels des objets transforma-
tionnels (Bollas, 1989).
J’ai réfléchi à l’adaptation numérique des condi-
tions « réelles » de l’entretien clinique sur le plan
méthodologique. Les résultats de mes recherches
(Haddouk, 2011 ; Haddouk et coll., 2013) montrent
que le cadre défini a fortement contribué à l’établisse-
ment de l’alliance thérapeutique, puis à la poursuite
d’un travail de suivi clinique. C’est pourquoi les élé-
ments méthodologiques sont nécessaires à intégrer
dans la mise en place d’une écoute psychologique à
distance. Proposer des consultations psychologiques
sur internet sans avoir défini un cadre méthodologique
au préalable représente une forme de « psychothérapie
sauvage sur internet ». Cela comporte des risques
considérables sur les plans éthique et déontologique,
pourtant au cœur de la profession de psychologue.
Ainsi, on ne peut pas se satisfaire uniquement de la
technique de visioconférence pour envisager l’usage
particulier de l’entretien clinique.
Partant du social vers le psychologique, puis du
narcissisme vers la subjectivité, mon questionnement
Transfert virtuel et réalité psychique 67

se trouve au croisement de problématiques sociocultu-


relles et psychologiques. L’usage particulier d’internet
en visioconsultation est directement lié à l’adaptation
du cadre de l’entretien clinique, ce qui m’a permis de
revisiter les principes fondateurs de ce type de relation.
Dans cette mesure, l’objectif est de pouvoir redonner
son importance au caractère personnel et individuel
du sujet par rapport à la collectivité du réseau, afin
d’établir une « distance psychique suffisamment
bonne », nécessaire au bon déroulement de l’entretien.
La relation intersubjective devient alors possible,
malgré la distance physique des sujets en interaction.

UNE PRÉSENCE À DISTANCE :


LA RELATION DIGITALE

La relation digitale
L’adaptation du cadre de l’entretien clinique en
ligne pourrait ainsi aider à trouver une « distance psy-
chique suffisamment bonne » dans les interactions
médiatisées par l’écran. Cela permettrait à la relation
intersubjective d’émerger et d’avoir une vraie réalité
psychique pour les sujets impliqués. L’une des ques-
tions soulevée par les usages des TIC dans nos sociétés
postmodernes concerne les caractéristiques de la rela-
tion intersubjective, lorsqu’elle se joue dans la distance
des corps et qu’elle est médiatisée par un outil numé-
rique. L’expérience en visioconsultation peut apporter
des éléments quant à cette réflexion sur ce que j’appelle
« la relation digitale ».
Le « culte de l’internet » (Breton, 2000) prend ses
racines dans le culte de l’information, créé par la cyber-
68 L’entretien clinique à distance

nétique. La nouvelle vision du monde défendue par


Wiener (1954) se présente, sans qu’il le formule direc-
tement, comme une approche « antimétaphysique » en
ce qu’elle postule qu’il n’y a en quelque sorte rien der-
rière le réel qui se trouve ramené à l’échange permanent
et visible des informations qui le constituent. Ainsi, « le
nouveau paradigme est une pensée de la relation qui
enferme le réel dans le relationnel, et le relationnel dans
l’informationnel » (Breton, 2000, p. 37).
Cependant dans le cadre d’un entretien clinique,
on peut mesurer toute la complexité des facteurs défi-
nissant la relation entre deux êtres humains. En visio-
consultation, la relation médiatisée par ordinateur ne
semble donc pas se réduire à un échange informa-
tionnel, les facteurs affectifs, émotionnels et inter-
subjectifs y étant essentiels. Il faut alors pouvoir
considérer aussi ces facteurs intervenant dans les
relations en ligne, au-delà du simple échange d’infor-
mations.
En travaillant sur la dimension plus émotionnelle
de l’échange, il apparaît que la réalité psychique est
une interface où le virtuel et le réel ne s’opposent pas,
car elle est mobilisée de façon similaire en visioconsul-
tation et lors d’un entretien clinique classique. C’est
bien de la même réalité psychique qu’il s’agit, média-
tisée par la relation intersubjective établie à distance,
en visioconsultation.
Ces éléments mènent finalement à une réflexion
sur la notion de relation à l’ère de la cyberculture et sur
ses nouvelles modalités, qui restent encore à définir.
Pour certains auteurs (Le Breton, 1999, p. 190),
« une religiosité de la machine s’impose sur le fond
d’un dénigrement de l’homme et d’un mépris de la
Transfert virtuel et réalité psychique 69

condition corporelle qui lui est inhérente ». Pour


d’autres (Breton, 2000), le « tabou de la rencontre »
questionne la gestion de la violence dans cette même
rencontre. Ainsi, « le prix de la paix est une double
séparation, d’une part entre le corps et l’esprit, d’autre
part entre les corps eux-mêmes » (ibid., p. 92). Cet
oubli du corps dans les relations médiatisées par des
outils numériques a posé des interrogations fonda-
mentales pour les recherches sur la visioconsultation.
D’une part, ce phénomène est modéré par l’image du
corps en visioconférence, et d’autre part, la rencontre
des corps reste la plupart du temps possible dans un
cadre psychothérapeutique classique, comme alter-
native aux séances en ligne.
Certains auteurs décrivent la société américaine de
la fin des années 1960 comme une « culture du narcis-
sisme » (Lasch, 1979). C’est à cette période que fut créé
le réseau ARPA 12, l’ancêtre d’internet. L’aspect narcis-
sique de la culture postmoderne (Lasch, 1979) rappelle
les propos de Devereux (1951, 1970) sur l’individua-
lisme de nos sociétés actuelles. Selon Lasch (1979,
p. 83), les conditions sociales qui prédominent tendent
à faire surgir les traits narcissiques présents, à différents

12. Le réseau ARPA (Advanced Research Projects Agency) fut créé en


1958 par le département américain de la Défense, pour encourager
l’innovation technique aux États-Unis. Au sein de cette agence,
via l’un de ses départements orienté vers l’innovation en informa-
tique (Information Processing Techniques Office, IPTO), fut mis au
point à partir de 1965-1966 le projet Arpanet, destiné à améliorer
la performance des centres informatiques et des groupes de
recherche de l’ARPA, en les reliant en réseau. À partir de 1969, on
réussit à connecter les groupes travaillant sur les quatre campus
universitaires impliqués dans ce programme de recherche.
70 L’entretien clinique à distance

degrés, en chacun de nous. Il mentionne à ce sujet les


nombreuses modifications des structures familiales
dans les sociétés postmodernes, l’affaiblissement des
liens sociaux et les troubles liés à l’isolement. Ces élé-
ments sont importants à considérer pour appréhender
les particularités des « relations digitales ».
Pour sortir de l’impasse du narcissisme, Lasch
(1984) fait appel à la théorie des « objets transition-
nels » (Winnicott, 1951). Ainsi, les objets transition-
nels aident l’enfant à reconnaître le monde extérieur
comme quelque chose de distinct de lui, bien que relié
à lui. Mais ce caractère transitionnel serait manquant
dans les sociétés de consommation, qui ne laisseraient
que rarement une place à la frustration et au manque,
facteurs contribuant à l’élaboration de la pensée. Cette
théorie est très utile pour analyser les usages actuels
des TIC. Ainsi, favoriser le caractère transitionnel d’in-
ternet se distinguerait d’un « usage narcissique » de
cette technologie. Un tel usage serait en effet problé-
matique pour une expérience en psychologie clinique,
telle que la visioconsultation.
Le regard socio-anthropologique de Lasch sur les
sociétés postmodernes d’une part apporte des éléments
de compréhension sur l’environnement culturel dans
lequel est né l’outil internet, et d’autre part il éclaire
certains des usages qui sont faits des TIC aujourd’hui.
L’écran peut ainsi être utilisé comme un miroir dans
la relation qu’il permet d’établir avec les autres, « vir-
tuels ». Dans ce cas, l’aspect narcissique risque de pré-
dominer sur la relation, pouvant entraîner diverses
conséquences, telles que la dépendance à cet « écran-
miroir », ou encore le renforcement de l’isolement des
utilisateurs, dans une forme d’autosatisfaction. On
Transfert virtuel et réalité psychique 71

pourrait alors parler des risques de la « relation digitale


non objectale », ou « relation digitale narcissique ».
Ainsi, la culture de la simulation a pénétré notre
civilisation aussi sûrement que l’ordinateur et avant lui
la télévision ont investi notre vie quotidienne. La
simulation s’illustre dans de nombreux usages des TIC,
allant du jeu vidéo au soin psychothérapeutique, et
qu’on désigne souvent comme « réalité virtuelle ».
Mais alors que l’on parle de « réalité virtuelle » sur
internet, on s’intéresse à la réalité psychique dans le
contexte de l’entretien psychothérapeutique. Alors que
sur internet, certains usages rendent floue la notion de
temporalité, ainsi que la barrière traditionnelle entre
la vie privée et la vie publique, l’entretien psycho-
thérapeutique a au contraire sa propre temporalité et
implique un niveau de confidentialité qui respecte la
sphère privée. C’est pourquoi l’adaptation en ligne du
cadre de l’entretien clinique devrait être basée sur une
réflexion incluant tous ces paramètres éthiques et
méthodologiques.
Ainsi, la relation à distance peut aussi inclure un
tiers humain symboliquement présent, et s’illustrer dans
un échange interactif et intersubjectif, que l’on peut
qualifier de « relation digitale objectale », ou « relation
digitale intersubjective ». L’objectif de l’expérience en
visioconsultation a été, dès la conception du dispositif,
de favoriser l’établissement d’une relation d’objet à dis-
tance, ce qui a semblé possible dès les premiers résultats
(Haddouk, 2011). Ce type de relation paraît occuper
une pleine réalité, notamment sur le plan psychique, et
on ne peut donc pas la qualifier de « virtuelle ».
Les relations digitales sont par ailleurs proba-
blement influencées par les supports et le cadre dans
72 L’entretien clinique à distance

lesquels elles émergent. Elles apparaissent ainsi dans


de multiples contextes, qui mobilisent probablement
des mécanismes psychiques particuliers que nous
connaissons encore peu. Après avoir défini la « relation
digitale », passons à un autre concept essentiel en cyber-
psychologie et dans la recherché en visioconsultation :
celui de présence.

La présence
Le sentiment de présence est évoqué dans de
nombreux travaux en cyberpsychologie et il représente
l’un des vecteurs par lesquels on pourrait évaluer la
qualité de la relation digitale.
Le sentiment de présence et l’immersion sont deux
concepts qui intéressent de plus en plus de chercheurs
en « réalité virtuelle ». La « présence » évoque souvent
un sentiment associé à l’immersion en « réalité vir-
tuelle » et encouragé par cet environnement (Winnicott
et Singer, 1998). La capacité de la personne à se sentir
« enveloppée » ou « présente » dans un « environnement
virtuel » semble être nécessaire, particulièrement en
psychologie, afin d’offrir des services thérapeutiques de
qualité par l’entremise de la « réalité virtuelle ». La pré-
sence est traditionnellement définie par la perception
psychologique d’être « là », à l’intérieur de l’environne-
ment virtuel dans lequel la personne est immergée. Mais
bien que les chercheurs s’entendent sur cette définition,
chacun ajoute des nuances quelque peu différentes à
celle-ci.
Pour certains (Jouvent, 2009), la découverte des
bases neurales de la simulation, grâce à des techniques
d’imagerie cérébrale, a montré que l’être humain active
Transfert virtuel et réalité psychique 73

les mêmes zones du cerveau (aires motrices) lorsqu’il


exécute réellement une action et lorsqu’il la simule
mentalement (Fuchs, 2006). Cela signifierait que l’ex-
position en « réalité virtuelle » reviendrait, pour le cer-
veau, à une exposition in vivo. Différentes recherches
(Vincelli et coll., 2002 ; Bouchard et coll., 2003,
2007) ont montré que, pour des patients phobiques,
les expositions en « réalité virtuelle » sont aussi effi-
caces que dans le monde réel, lorsqu’elles sont utilisées
dans des thérapies cognitivo-comportementales clas-
siques. Ce succès pourrait être expliqué par le phéno-
mène de présence. Plus le patient se sent présent dans
un univers numérique, moins il sera susceptible
d’éprouver des effets secondaires dus à la cinétose 13
(Witner et Singer, 1998).
Le sentiment de présence peut donc être lié au
concept d’immersion dans un univers numérique.
Mais il semble toutefois s’en distinguer, car l’immersion
serait plutôt liée à des facteurs sensoriels et physio-
logiques, en rapport avec les propriétés physiques et
objectives de l’environnement numérique, alors que le
sentiment de présence serait, de par son appellation
même, plus psychologique (Slater, 1999) et donc sub-
jectif.
Certaines recherches (Bouchard et coll., 2011)
montrent que le sentiment de présence serait aussi très
lié à l’intensité émotionnelle du vécu et de l’échange
que le sujet peut établir avec un autre participant
humain, par exemple lors d’un entretien clinique.
Ainsi, « deux corps en présence sont déjà en commu-
nication » (Rogers, 1961). L’échange de regards serait

13. Symptômes du mal des transports.


74 L’entretien clinique à distance

la forme la plus humaine de compréhension d’autrui


et favoriserait l’empathie. En visioconsultation, le sen-
timent de présence peut être renforcé par l’image des
corps en interaction, ainsi que par les échanges de
regard. Dans ce contexte de « relation digitale », la dis-
tance des corps n’empêche pas la présence psychique.
Il semble donc que la psychologie clinique puisse
apporter des éléments intéressants dans la réflexion sur
les facteurs émotionnels, personnels et intrapsychiques
pouvant influer sur le sentiment de présence. Cela
pourrait aussi éclairer la dimension intersubjective en
jeu dans l’interaction de deux sujets humains. Ainsi,
même si la « relation digitale » est médiatisée par des
tiers technologiques non humains, elle n’est pas pour
autant déshumanisée.
Les résultats en visioconsultation dévoilent des
interactions qui sont en partie similaires et connues par
rapport au cadre d’un entretien « classique ». Mais un
autre aspect reste particulier et probablement spécifique,
car nouveau. Il reste à découvrir, à mieux connaître, et
la visioconsultation est un outil permettant de contri-
buer à des recherches allant dans cette direction. Il
semble ainsi que la construction de l’intersubjectivité se
produise partiellement de la même façon qu’en face-à-
face et aussi selon des processus qui doivent encore être
expliqués. L’étude des « relations digitales » ouvre donc
un nouvel espace psychique à explorer. C’est pourquoi
il semble important de réfléchir à une terminologie
adaptée à ces phénomènes particuliers, notamment en
ce qui concerne les définitions des notions de distance
et de présence.
Comme nous l’avons vu, la relation en visio-
consultation a pour objectif de s’inscrire dans une
Transfert virtuel et réalité psychique 75

« relation digitale objectale » ou « relation digitale


intersubjective ». Pour cela, il est important d’envi-
sager la visioconsultation comme un espace tiers, à
vocation transitionnelle.

LA VISIOCONSULTATION : UN ESPACE TIERS

Transitionnalité en visioconsultation
Pour définir le concept de transitionnalité, rap-
pelons que l’un des apports majeurs de la théorie de
Winnicott est que la relation d’objet implique la
notion de perte et celle de manque. Dès 1951, il
« introduit les expressions “objet transitionnel” et
“phénomènes transitionnels” pour désigner la zone
d’expérience qui est intermédiaire entre le pouce et
l’ours en peluche, entre l’érotisme oral et la relation
objectale vraie, entre l’activité créatrice primaire et la
projection de ce qui a déjà été introjecté, entre l’igno-
rance primaire de la dette et la reconnaissance de cette
dette (dis “merci”) » (Winnicott, 1951, p. 170). Les
phénomènes transitionnels désignent des activités ou
des objets qui ne font pas partie du corps du nour-
risson et qu’il ne reconnaît pas encore comme appar-
tenant à la réalité extérieure. Dans cette « aire
intermédiaire […] la réalité intérieure et la vie exté-
rieure contribuent l’une et l’autre au vécu » (ibid.,
p. 171).
Winnicott distingue l’objet transitionnel de
l’objet interne (Klein, 1937, 1957), car l’objet transi-
tionnel serait une possession, bien que n’étant pas un
objet externe. Cette première possession du « non-
moi » permet à l’enfant d’affronter sa réalité intérieure,
76 L’entretien clinique à distance

projetée sur le monde externe dans un processus de


différenciation, et de développer la relation objectale.
Mais l’objet interne dépend des qualités de l’objet
externe, et si celui-ci est mauvais, « l’objet interne n’a
pas de sens pour l’enfant et l’objet transitionnel perd
donc sa signification » (Winnicott, 1951, p. 172). On
note qu’« il n’existe parfois pas d’objet transitionnel,
si ce n’est la mère elle-même » (ibid., p. 174).
L’enfant n’a donc aucun moyen de passer du prin-
cipe de plaisir à celui de réalité, à moins que la mère
ne soit suffisamment bonne (ibid.). Dans les premiers
stades de l’usage de l’illusion, l’enfant tète le sein qu’il
a créé, qui fait partie de lui-même. La mère devra
désillusionner l’enfant avant le sevrage, pour qu’il
puisse accepter la réalité. Mais cette acceptation serait
toujours inachevée et l’effort de l’individu pour séparer
la réalité interne et la réalité externe s’atténue ensuite
dans une aire intermédiaire d’expérience, où se situent
des productions culturelles telles que l’art et la religion,
en continuité avec le domaine ludique de l’enfant.
Winnicott accorde donc une valeur positive à l’illu-
sion. Toutefois, la question de l’universalité de l’objet
transitionnel est soulevée dans des travaux de
recherche actuels (Govindama, 2005).
Les apports de la « relecture » de Winnicott
(1975) sur l’objet transitionnel montrent qu’au-delà
de cet objet, il y a l’espace potentiel : un espace de
« jeu 14 » où le bébé joue d’abord en relation avec sa
mère, puis tout seul. Cet espace constitue le lieu du
déploiement des activités permettant à l’enfant de se
séparer de la mère. C’est « une troisième aire d’expé-

14. En anglais : playing.


Transfert virtuel et réalité psychique 77

rience », ni interne, ni externe au sujet, qui instaure


aussi une « aire de séparation ». La notion d’espace
potentiel inclurait donc l’environnement mais soutien-
drait aussi la réalité psychique. Cette dialectique fort
intéressante montre un intérêt supplémentaire lors-
qu’elle est évoquée à la lumière des phénomènes appa-
raissant sur le « réseau » (la toile, internet), qui peut
lui aussi apparaître comme un espace potentiel. Il
semble donc que le processus de différenciation, de
séparation, s’oppose aux mécanismes en lien avec le
narcissisme. Ainsi, « chez les deux sexes, le narcissisme
rejette la solution œdipienne au problème de la sépa-
ration » (Lasch, 1984, p. 188). L’angoisse de castration
ne serait donc qu’une forme tardive de l’angoisse de la
séparation, d’abord vécue face à l’objet maternel. La
difficulté à élaborer la séparation serait un phénomène
accru dans les sociétés postmodernes. Elle renvoie à la
question de l’absence, de la distance, nécessaire à
l’émergence de la subjectivité.
La conception de la visioconsultation comme un
espace tiers renvoie donc à la notion de transitionna-
lité, que l’on peut entendre à plusieurs niveaux. Dans
nos résultats 15, l’usage possible de l’écran comme un
miroir, pouvant refléter un aspect narcissique de la per-
sonnalité 16, n’a pas empêché la communication et
l’accès aux registres conscients et inconscients du dis-
cours. Ainsi, la visioconsultation représente un espace
tiers, entre deux sujets individués sur le plan psy-
chique, dans une rencontre à distance médiatisée par
un outil technologique.

15. Cf. chapitre 5, « Intersubjectivité en visioconsultation ».


16. Notamment au travers de l’usage de l’option-miroir.
78 L’entretien clinique à distance

D’autre part, dans ce cadre expérimental, il n’a


pas été question de nier la séparation, il s’est agi plutôt
d’investir la distance comme un espace potentiel d’éla-
boration psychique de la séparation, afin de laisser
émerger la subjectivité. L’aspect transitionnel de la
visioconsultation est ainsi lié au cadre et au fait qu’il
soit médiatisé par un tiers numérique. Il peut être uti-
lisé comme un espace de création entre deux poten-
tialités psychiques, tout comme un entretien clinique
classique. La prise en compte des phénomènes trans-
féro-contre-transférentiels ainsi que le cadre peuvent
contribuer à éviter une relation de dépendance psy-
chique dans l’usage subjectif qui est fait de cet outil.
De plus, la visioconsultation demeure un espace
ouvert entre la consultation classique et l’entretien à
distance. Ainsi, les psychologues travaillant en visio-
consultation ont aussi une pratique classique en
cabinet. Cela permet au patient de naviguer dans cet
espace à vocation transitionnelle et de pouvoir s’ins-
crire, d’emblée ou progressivement, dans un suivi
psychothérapeutique plus classique. Cela dépend des
phénomènes intersubjectifs en jeu : la demande du
patient, le cadre défini par le professionnel, la qualité
des interactions des participants, etc.
Le passage d’un contexte d’entretien à un autre
est souvent chargé de sens, sur le plan concret mais
aussi symbolique. La visioconsultation est donc un
espace créé avec une vocation transitionnelle. L’étude
des phénomènes cliniques apparaissant dans cette pra-
tique est riche en paramètres nouveaux à explorer. Cela
ouvre également des perspectives sur les évolutions
potentielles du métier de psychologue.
Transfert virtuel et réalité psychique 79

Les évolutions du métier de psychologue


La cyberpsychologie compte un domaine qui est
celui de la télépsychologie, et qui définit les contours
du métier de psychologue avec l’usage du numérique.
Les valeurs de la cyberculture influencent notre repré-
sentation de l’être humain, ce qui doit être pris en
compte par les professionnels de la psychologie.
Une partie de l’effort intellectuel mis en œuvre
par les « fondamentalistes » d’internet aurait ainsi
consisté à construire et à imposer une « nouvelle repré-
sentation de l’homme » (Breton, 2000, p. 68), que l’on
entrevoit par exemple dans le titre de l’ouvrage
L’homme numérique (Negroponte, 1995). Cette repré-
sentation impliquerait un décentrement par rapport
aux représentations et aux pratiques usuelles. Elle valo-
riserait (Breton, 2000) trois traits essentiels : la com-
parabilité entre l’humain et la machine, l’interactivité
et le privilège donné à l’esprit, au détriment du corps
et de l’intériorité.
La comparaison entre l’humain et la machine est
une idée déjà présente dans la pensée de celui (Von
Neumann, 1946, 1958) qui conçut l’ordinateur sur le
modèle du cerveau humain. Rappelons la proximité
entre ces études et la cybernétique (Wiener, 1954),
une théorie selon laquelle les « machines intelligentes »
seraient les égales de l’homme. Cette comparabilité se
retrouve de nos jours dans de multiples travaux, par-
fois assez étonnants, comme ceux envisageant l’amour
et le sexe avec les robots comme l’évolution des rela-
tions humain-robot dans le futur (Levy, 2007).
La notion d’interactivité désignerait « un ensemble
de pratiques que leurs auteurs appelleraient “collecti-
80 L’entretien clinique à distance

vistes” s’ils n’avaient pas peur des connotations négatives


acquises par ce mot depuis les dérives du commu-
nisme » (Breton, 2000, p. 73). Ainsi, le prix de l’inter-
activité du nouveau collectivisme auquel aspirent
nombre d’internautes serait le renoncement majeur à la
rencontre, à la présence physique, à l’échange d’une
parole incarnée (ibid., p. 74). Une telle « société »
deviendrait une société mondiale « non pas parce que
les échanges auraient lieu dans un même “village
planétaire 17” mais parce que chacun deviendrait à lui-
même son propre monde. Voilà peut-être le sens le
plus approprié qu’il faut donner aujourd’hui à la
notion de “mondialisation” » (ibid., p. 105). Cette
citation est intéressante et elle évoque à nouveau le
caractère « narcissique » des sociétés postmodernes
(Lasch, 1979, 1984).
Ainsi, ce que certains vivent subjectivement comme
le début d’une grande révolution permanente n’est peut-
être que l’effet d’aboutissement et de maturité d’un pro-
cessus en cours depuis maintenant une cinquantaine
d’années (Breton, 2000, p. 113). Internet serait donc
« le cheval de Troie de valeurs profondément antihuma-
nistes, traversées par le fantasme de la mort de l’homme.
Le succès de la nouvelle religiosité intervient sur un fond
de crise des valeurs et du lien social, problèmes récur-
rents posés par la permanence d’une violence destruc-
trice. Le culte de l’internet se présente le plus souvent
comme une alternative de civilisation, face à des vieilles
valeurs humanistes qui auraient fait faillite » (ibid.,
p. 119).

17. Selon l’expression de McLuhan et Flore (1967).


Transfert virtuel et réalité psychique 81

Le privilège donné à l’esprit au détriment du


corps se traduit en effet par l’absence du corps phy-
sique dans les relations médiatisées par ordinateur. Le
corps numérique des avatars 18 est utilisé principale-
ment dans les jeux vidéo, où le joueur est incarné dans
une image, figure héroïque souvent idéalisée et non
mortelle (Vlachopoulou et coll., 2013). De façon plus
générale, le fantasme d’une immortalité devenue réa-
lité « virtuelle » illustre la place du corps dans les TIC,
qui tendrait à échapper aux contraintes inhérentes à
l’existence physique, notamment au vieillissement et
à la mort.
D’autre part, le développement des robots avec
un corps humanisé est au cœur des évolutions actuelles
et à venir de la cyberculture. L’aspect incarné du robot
par rapport à l’écran va probablement renforcer la
comparabilité humain-machine, d’autant plus quand
il sera fabriqué sous forme humanoïde. Dès à présent,
on note l’apparition de projets comme Jibo 19, « le pre-
mier robot familial au monde », pas encore huma-
noïde, qui aspire à occuper la place d’un membre de
la famille. Selon sa créatrice 20, le projet consiste à
inventer un robot qui traite non seulement les infor-
mations, mais aussi les émotions des utilisateurs. Cette
technologie traiterait les utilisateurs « comme des êtres
humains », l’objectif étant « d’humaniser la techno-
logie » et de proposer « un partenaire plutôt qu’un
outil ». Cela peut interroger quant à la demande

18. Cf. chapitre 3, « La place du corps et celle du regard en visio-


consultation ».
19. http ://www.myjibo.com/
20. Le docteur Breazeal, du Massachusetts Institute of Technology.
82 L’entretien clinique à distance

actuelle des utilisateurs envers la technologie. Cela


pose aussi question par rapport à la notion de relation
intersubjective, qui semble s’actualiser ici au profit
d’une relation avec le robot. Ce projet paraît « officia-
liser » le fait que la machine devienne un nouveau
membre de la famille, car cela semble déjà le cas par-
fois pour les ordinateurs, tablettes, téléphones por-
tables et autres outils de technologie présents dans tous
les foyers d’aujourd’hui, pour toutes les générations.
Cela est visible notamment avec les phénomènes d’at-
tachement apparaissant à l’égard de ces outils techno-
logiques et les angoisses de séparation qui y sont
afférentes (Clayton et coll., 2015). Comment pour-
rait-on alors qualifier ces types de relation digitale ?
Selon Turkle (2011), nos usages d’internet nous
ont préparé au « moment robotique » actuel. En ligne,
le privilège est accordé à notre capacité à partager nos
idées, mais nous oublions facilement l’importance de
l’écoute, des silences, du sens d’une hésitation. Les satis-
factions « comme si » du « moment robotique » inter-
rogent sur le fait qu’en devenant amis avec les robots,
nous perdrions de notre humanité. L’investissement
massif des robots de compagnie nous conduirait à un
« voyage vers l’oubli » des valeurs fondamentales de
notre humanité car, par essence, le robot ne mourra
jamais. Ainsi, « l’artificiel permet de créer un attache-
ment sans risques » (ibid.) et nous éloigne donc de ce
qui caractérise les relations humaines, fondamentale-
ment marquées par le manque, la mort et la séparation.
Ces interrogations actuelles sur les robots rappel-
lent les propos de Freud (1930), dans Le malaise dans
la culture, sur les objets techniques de son temps, qu’il
appelait des « organes auxiliaires » (ibid., p. 24). Ainsi,
Transfert virtuel et réalité psychique 83

« l’évolution technique s’impose comme un substitut


et un prolongement de l’évolution biologique » (Leroi-
Gourhan, 1964, p. 151). Les machines deviendraient
des prolongements du corps, véritables « organes arti-
ficiels ». Or, les robots « sociaux » seraient des organes
technologiques avec qui nous pourrions entrer en rela-
tion, ce qui soulève des questions sur la définition de
la relation et du caractère profondément intersubjectif
de celle-ci.
L’adaptation de la ritualité psychothérapeutique
sur iPSY a laissé une place essentielle à l’humain utili-
sant la machine, sans pouvoir être remplacé par elle.
Ainsi, lorsque des rites de la « vraie vie » sont exportés
sur la toile, certaines conditions permettent de consi-
dérer que « la greffe prend » (Haddouk, 2013). Au-
delà de vouloir « humaniser la technologie », il faudrait
donc pouvoir arriver à un usage plus humaniste des
techniques, loin de toute technophobie ou techno-
philie (Breton, 2000). La place du psychologue dans
une telle entreprise semble essentielle, puisque sa for-
mation et sa pratique portent sur les processus définis-
sant le fonctionnement psychique humain, individuel
et intersubjectif. Selon le Code de déontologie des psy-
chologues, « la mission fondamentale du psychologue
est de faire reconnaître et respecter la personne dans sa
dimension psychique. Son activité porte sur les com-
posantes psychologiques des individus considérés
isolément ou collectivement et situés dans leur
contexte 21. »

21. http ://www.codededeontologiedespsychologues.fr/LECODE.


html, chap. 1, article 2.
84 L’entretien clinique à distance

Toutefois, il semble que l’on commence déjà à


imaginer que la place du psychologue soit « remplacée »
par celle d’un robot ou d’une autre technologie. Le
programme de recherche SimSensei 22 propose ainsi des
entretiens avec des avatars psychologues, dans le cadre
d’expérimentations où plusieurs données psycho-
physiologiques sont évaluées chez les participants
(rythme cardiaque, micro-expressions, discours). Ces
informations relatives à l’état corporel du sujet et révé-
lant potentiellement son état émotionnel, ainsi qu’un
programme d’analyse de son discours vont déterminer
la réponse de « l’avatar psychologue » au cours de l’en-
tretien. Ces entretiens sont réalisés avec une visée
diagnostique.
On peut en effet supposer qu’en intégrant les
classifications des maladies mentales et en recueillant
certaines des données requises pour établir un dia-
gnostic, un logiciel pourrait contribuer à cet exercice,
peut-être en complément d’un interlocuteur humain.
Il semble pourtant plus difficile d’imaginer la prise
en charge d’un suivi psychothérapeutique par un
logiciel, le facteur humain y étant essentiel. Dans
l’approche psychodynamique, la rencontre intersubjec-
tive lors de l’entretien, ainsi que le cheminement du
sujet au cours des séances semblent être des éléments
liés fondamentalement à l’humanité du psychologue.
C’est pourquoi il peut être intéressant d’utiliser les outils
technologiques comme des médias ouvrant de nouvelles
possibilités dans l’évolution du cadre psychothérapeu-
tique, mais on ne peut considérer ces avancées que
comme des compléments au travail du psychologue,

22. USC (University of Southern California).


Transfert virtuel et réalité psychique 85

et plus difficilement comme des thérapeutes auto-


nomes, qui remplaceraient les professionnels.
C’est de cette façon que les choses ont été envisa-
gées en visioconsultation, car le dispositif apporte un
complément intéressant à une pratique psychothéra-
peutique en cabinet libéral, voire dans un cadre insti-
tutionnel. Diverses situations ont contribué à la
demande des sujets en visioconsultation, comme le
manque de mobilité des personnes pour des raisons
psychiques ou somatiques, ou encore l’éloignement
géographique. Ces éléments rappellent d’ailleurs cer-
taines motivations des personnes ayant recours à l’en-
tretien avec un psychologue à domicile, bien que cette
pratique ne soit pas véritablement cadrée sur le plan
méthodologique.
Il semble par ailleurs important de mettre en
garde les professionnels quant à la « psychothérapie
sauvage » sur internet, car on voit aujourd’hui appa-
raître sur la toile de plus en plus de sites ou de pages
internet proposant l’écoute d’un psychologue, souvent
via Skype. Cependant, la technologie ne suffit pas à
définir un cadre méthodologique pour l’entretien cli-
nique en visioconférence. Les questions éthiques sont
fondamentales dans ce type de prise en charge et elles
restent encore à définir et à connaître mieux, avec une
approche scientifique. L’usage de la visioconférence en
visioconsultation a ainsi été délimité sur le plan
éthique et conformément au Code de déontologie des
psychologues, ainsi qu’au décret sur la télémédecine
en France 23. La formation des professionnels de la
psychologie travaillant à distance apparaît alors comme

23. Cf. chapitre 4, « Le setting en visioconsultation ».


86 L’entretien clinique à distance

une démarche complémentaire évidente et vouée à se


développer pour ce genre de nouvelle méthode.
On note toutefois que l’article 27 du Code de
déontologie des psychologues, relatif aux modalités
techniques de l’exercice professionnel recommande de
« privilégier la rencontre effective sur toute autre forme
de communication à distance, et ce quelle que soit la
technologie de communication employée 24 ». Cela est
motivé « du fait de la nature virtuelle de la communi-
cation ». Cet article mérite probablement que l’on s’at-
tarde sur la définition du terme « virtuel 25 ». Par
ailleurs, il est possible que des modifications soient
apportées au Code de déontologie dans les années à
venir, étant donné les évolutions des pratiques des
psychologues et l’ouverture du champ de la psycho-
logie au numérique.
Ainsi, « la télépsychothérapie risque d’avoir un
impact sur la profession de psychologue. Une réflexion
éthique et déontologique à cet égard s’impose donc,
et des démarches en ce sens ont déjà été entreprises au
Québec et ailleurs » (Bouchard et coll., 2011).
On note en effet que l’American Psychological
Association (APA) a publié, en 2013, un Guide de
pratique concernant l’exercice de la télépsychologie 26,
traduit la même année par l’Ordre des psychologues du
Québec 27. Dans ce guide, la télépsychologie est définie
comme « la prestation de services psychologiques à l’aide

24. 2012, chap. III, article 27.


25. Cf. chapitre 2, « Transfert virtuel et réalité psychique ».
26. http ://www.apa.org/practice/guidelines/telepsychology.aspx
27. https ://www.ordrepsy.qc.ca/sn_uploads/2013_Guide_de_
pratique_concernant_lexercice_de_la_telepsychologie.pdf
Transfert virtuel et réalité psychique 87

de technologies de télécommunications ». Cela inclut


différents types de communication à distance, comme
les échanges écrits (tchat, e-mails, SMS), les échanges
verbaux (téléphone, VoIP) ou la visioconférence.
Les technologies peuvent s’ajouter aux services
classiques de personne à personne (par exemple, la
remise de documents psycho-éducatifs en ligne après
une séance de thérapie) ou être utilisées seules (par
exemple, thérapie proposée en visioconférence). Dif-
férentes technologies peuvent être utilisées selon dif-
férentes combinaisons et à différentes fins, lorsque l’on
offre des services à distance.
Ces travaux amorcés au niveau international sou-
lignent l’importance d’une réflexion méthodologique,
également en France et en Europe, concernant ces
nouvelles pratiques psychothérapeutiques.
Selon Bouchard (2011), la télépsychothérapie ne
doit pas être considérée comme une façon d’offrir des
services uniquement aux patients en régions éloignées.
Ils pourront peut-être un jour consulter le profes-
sionnel de leur choix, peu importe où chacun d’eux se
trouvera. Il est probable que nous assisterons à ces évo-
lutions du métier de psychologue et la dimension
éthique se révèlera toujours primordiale dans les
recherches sur l’entretien psychothérapeutique en
visioconférence, comme cela a été le cas dans ma
recherche.
L’outil iPSY a été conceptualisé, puis testé dans le
cadre d’un travail de doctorat. Il avait dès lors pour
vocation de devenir une plateforme utilisée par des
psychologues professionnels, ce qui est le cas aujour-
d’hui. Le travail des professionnels sur iPSY conserve
jusqu’à présent un aspect expérimental et scientifique.
88 L’entretien clinique à distance

L’objectif est de pouvoir développer une méthodo-


logie, à partir des spécificités dégagées par les profes-
sionnels dans cette forme de relation digitale, à
caractère transféro-contre-transférentiel. Un autre
aspect important de la veille scientifique sur iPSY
concerne la connaissance plus approfondie des indica-
tions et des contre-indications pour ce type de prise
en charge. Des projets sont actuellement en cours avec
différents types de populations, comme les victimes de
traumas, des populations éloignées des lieux de soin
ou encore les grands adolescents. Mais le travail qui
reste à accomplir est important et il nécessite la parti-
cipation de nombreux psychologues.
Dans ce chapitre, nous avons vu en quoi certains
concepts semblent essentiels à mieux définir, dans le
nouveau champ de recherche qu’est la cyberpsycho-
logie. L’apport de la psychologie clinique psychodyna-
mique est essentiel à cette réflexion pluridisciplinaire,
qui inclut aussi les valeurs de la cyberculture. Parmi
ces valeurs et dans l’expérience en visioconsultation,
un autre aspect est important à considérer : celui de la
place du corps, dans ce type de relation digitale.
3
La place du corps et celle du regard
en visioconsultation

Le contexte d’émergence de la cyberculture est


celui des sociétés postmodernes, dans lesquelles de
nombreux auteurs ont observé des processus évoquant
une certaine « désymbolisation » (Devereux, 1951,
1970 ; Lasch, 1979, 1984). Au-delà de l’idéologie du
progrès technique qui contribuerait à « l’évolution »
de l’homme, beaucoup de travaux dénoncent des
aspects régressifs dans les usages de ces techniques, qui
valorisent l’objet au détriment de valeurs définissant
l’humanité. Le lien social est très souvent médiatisé
par les technologies numériques, ce qui redessine
l’intersubjectivité dans la relation, notamment en
fonction du média. Le choix de la visioconférence dans
ma recherche est ainsi lié au fait que cette technologie
permet de « remettre du corps » là où il est souvent
absent : sur l’écran.
90 L’entretien clinique à distance

LE CORPS EN VISIOCONSULTATION

L’oubli du corps dans les relations à distance peut


représenter un obstacle à l’instauration d’un lien psycho-
thérapeutique, car le corps rappelle « la réalité de l’autre
en tant que tiers » (Haddouk, 2013). Réintroduire du
corps, c’est réintroduire du « réel », dans le sens de
l’intersubjectivité et au détriment de la dimension
narcissique. Tout comme le corps est impliqué dans le
rite qui fait tiers, permettant à la fonction symbolique
(Mauss, 1899, 1950) de s’exercer, comment recréer un
tiers absent mais agissant sur le plan symbolique dans
le cadre de l’entretien clinique à distance, afin qu’il soit
opérant ?
La visioconsultation est une illustration de la cor-
poréité dans une ritualité numérique, appliquée au
cadre de la consultation psychothérapeutique. Ainsi, il
est important de repérer la place du corps dans l’expor-
tation sur la toile d’un rite de la vie moderne : l’entretien
clinique avec le psychothérapeute. Cela a fait partie de
nos objectifs dans l’élaboration et l’utilisation du dispo-
sitif de visioconsultation créé sur iPSY, en favorisant tant
que possible le caractère humain et interpersonnel de la
relation en ligne à visée psychothérapeutique.
Mais le corps numérique s’actualise aussi dans
l’utilisation de l’avatar, terme qui signifie « dans la reli-
gion hindoue, chacune des incarnations du dieu
Vishnu » et au sens figuré, « métamorphose, transfor-
mation 1 ». Dans le champ des TIC en psychologie, on
trouve cette définition : « L’apparence virtuelle sous

1. Dictionnaire Le Robert, 2010.


La place du corps et celle du regard en visioconsultation 91

laquelle un joueur apparaît sur l’écran » (Tisseron et


coll., 2006, p. 10). Ces représentations de soi numé-
risées sont utilisées principalement dans les jeux vidéo,
dont les MMORPG 2. On peut supposer que l’avatar soit
une image idéalisée du corps de l’utilisateur, plus ou
moins éloignée de celle d’un corps humain, en fonc-
tion des jeux (Vlachopoulou et coll., 2013).
Dans des univers numériques infinis et intempo-
rels, certains usages des avatars peuvent renvoyer à une
forme de déni de la mort, mais aussi de la différence
des sexes et des générations. Pour l’utilisateur, cela
pourrait favoriser une prédominance du fantasme sur
la réalité. « Ce qui distingue les univers virtuels, dans
lesquels évoluent les avatars, de la vie réelle, c’est
d’abord le fait que la mort n’y est qu’un événement
secondaire, fréquent et nullement irréversible » (Stora,
2005, p. 190).
Mais au-delà des « mondes persistants », le fan-
tasme d’une immortalité devenue réalité « virtuelle »
renvoie de façon plus générale à la place du corps dans
les TIC, qui tendrait à échapper aux contraintes inhé-
rentes à l’existence physique, dont notre condition de
mortels. Cette tentative pourrait s’expliquer en partie
parce que ces contraintes seraient perçues comme une
limitation de l’expansion et de la toute-puissance de la

2. Massively Multiplayers Online Role Play Games ou jeux de rôle


massivement multijoueurs. Les MMORPG sont des jeux qui ne s’ar-
rêtent jamais : des « mondes persistants », où l’univers numérique
continue à évoluer lorsque le joueur n’est pas connecté. Ainsi, la
notion de temporalité y est bousculée par rapport à un jeu que
l’on lance et qui s’arrête quand on s’arrête de jouer. Cela modifie
probablement la notion de perception des limites temporelles dans
le monde du jeu.
92 L’entretien clinique à distance

pensée (Lasch, 1984). Néanmoins, la clinique psycha-


nalytique démontre tout le contraire, ce pourquoi il fut
particulièrement important de prendre en compte ces
réflexions dès la conceptualisation du site iPSY, afin
d’amoindrir autant que possible cette tendance à la
« déshumanisation » de la relation dans les usages des
TIC.
L’image du corps réel, non « avatarisé », est ainsi
l’un des points importants dans la pratique en visio-
consultation. Dans ce contexte d’entretien, cette
image, bien qu’introduisant la réalité corporelle d’un
« autre », reste soumise à la subjectivité de l’individu,
qui procède ainsi à une « auto-mise en scène » à travers
l’usage qu’il fait du dispositif 3.
Dans les univers numériques, le corps renvoie
aussi à l’apparition des robots et à leur place, impor-
tante et grandissante, dans la cyberculture. La série
télévisée Real Humans 4 traite des relations humains-
robots dans la société occidentale contemporaine. Le
corps humanisé des robots semble se situer au cœur
des évolutions actuelles et à venir de la cyberculture.
Ainsi, à la différence de l’écran que nous avons tou-
jours connu à l’ère du numérique, le robot est une
sorte d’ordinateur incarné.
Devereux (1951, 1970) intégrait dans son modèle
théorique toutes les sociétés, y compris l’occidentale. Il
signalait, dans les sociétés postmodernes, un processus
d’acculturation antagoniste qui contribuerait, dans un
excès d’individualisme, à une déshumanisation de la

3. Cf. chapitre 5, « Intersubjectivité en visioconsultation ».


4. Série télévisée dramatique suédoise créée par Lars Lundström
(2012).
La place du corps et celle du regard en visioconsultation 93

relation humaine au profit d’un monde d’objets, qui


fabriquerait au XXIe siècle des structures schizoïdes. On
retrouve ici l’idée d’un défaut d’élaboration de la perte
et de la séparation, propre à notre environnement cul-
turel actuel, et influençant les modalités relationnelles
intersubjectives. L’usage des écrans peut ainsi révéler un
caractère narcissique dans les relations établies via ces
médias, utilisés alors comme des « miroirs ».
Pour envisager un usage psychothérapeutique de la
visioconférence, rappelons que ce moyen de communi-
cation implique le corps et la sensorialité autrement
qu’un échange écrit ou téléphonique, même s’il est
question de l’image du corps et de relations à distance.
De plus, la distance physique ne semble pas être a priori
une contre-indication à l’écoute psychothérapeutique.
L’un des buts premiers a été de favoriser la prise en
compte de la dimension individuelle et subjective, afin
de limiter autant que possible la confusion « moi-
non-moi » pouvant être induite par la communication
médiatisée par le réseau. L’un des principaux objectifs,
au cours de l’élaboration du cadre méthodologique de
la recherche, a été de « ré-humaniser » la relation. En
visioconférence, le sujet peut ainsi identifier les émo-
tions et les expressions sur le visage de son interlocuteur,
ce qui est très différent de l’interaction qu’il pourrait
avoir avec d’autres utilisateurs, dans le cadre d’un tchat
écrit par exemple. « Le cerveau humain n’a pas un
bouton on/off pour lui dire de traiter les choses diffé-
remment juste parce qu’il voit un visage sur un écran
d’ordinateur plutôt qu’en personne » (Small, 2008,
p. 186). Il est donc possible que l’usage de la visio-

14. Small (2008, p. 186).


94 L’entretien clinique à distance

consultation n’influe pas négativement sur les capacités


du sujet liées à l’empathie, bien au contraire.
Le thème du miroir potentiel que constitue
l’écran conduit à une réflexion qui prend ses racines
théoriques dans la psychanalyse : celle du stade du
miroir. Lacan (1949) décrit un moment constitutif où
l’enfant âgé de 6 à 18 mois, placé devant un miroir,
reconnaît sa propre image. À 6 mois, il y a une anti-
cipation imaginaire de l’unité corporelle, qui est une
spéculation de la part de l’enfant. À 18 mois, l’assomp-
tion jubilatoire s’actualise dans le miroir : le stade du
« je », qui va conditionner l’altérité. L’enfant s’identifie
à l’image qu’il perçoit jusqu’à ce que son moi par-
vienne à se dégager de ce reflet spéculaire. Ainsi,
l’image vue dans le miroir constitue un « moi prothé-
tique », qui n’est pas encore advenu et qui reste aliéné
au regard de l’autre. Winnicott considère, quant à lui,
le regard comme le premier miroir des expressions
psychiques : « Que voit le bébé quand il tourne son
regard vers le visage de sa mère ? Généralement, c’est
lui-même » (Winnicott, 1971, p. 205). Cette avancée
théorique souligne le rôle primordial de l’environne-
ment et l’aspect transitionnel du regard, qui se dis-
tingue du spéculaire. Le regard occupe ici une fonction
de passerelle entre le moi et le monde extérieur, une
première prise de conscience de l’altérité et du tiers
symbolique.
Le dispositif de recherche en visioconsultation a
été créé dans le but d’introduire un tiers et de travailler
la relation en miroir dans son aspect spéculaire, au tra-
vers du transfert et du contre-transfert, pour ne pas
favoriser la captation dans le miroir de l’image. Le but
était de faire émerger la subjectivité du patient au
La place du corps et celle du regard en visioconsultation 95

travers de l’usage qu’il faisait dans le transfert : de


l’image, de la fonction du miroir, de l’enveloppe
sonore, du regard du psychologue. L’expérimentation
a permis d’analyser finement les modalités relation-
nelles observables lors des entretiens en visioconfé-
rence réalisés sur iPSY.
Le corps, dans ses aspects sensoriels, semble donc
bien mobilisé en visioconsultation, tout comme dans
d’autres travaux de recherche en cyberpsychologie, où
la dimension sensorielle est de plus en plus impor-
tante 5. En visioconsultation, l’un des sens directement
mobilisé est le regard.

L’IMPORTANCE DU REGARD

Sans être confronté au regard de ses patients,


Freud (1913) expliquait pouvoir se laisser aller à ses
pensées inconscientes au cours des séances et ne pas
souhaiter que l’expression de son visage puisse fournir
au patient certaines indications qu’il pourrait inter-
préter, ou qui influenceraient ses dires. Cette mesure
« a pour but et pour résultat d’empêcher toute immix-
tion, même imperceptible, du transfert dans les asso-
ciations du patient et d’isoler le transfert, de telle sorte
qu’on le voit apparaître à l’état de résistance, à un
moment donné » (ibid., p. 93). Toutefois, on peut
remarquer que certains éléments propres à l’analyste
interviennent parfois dans le transfert. Ainsi le phéno-
type (Devereux, 1951), la voix de l’analyste ou encore
l’aspect de la pièce où ont lieu les séances, sa décora-

5. Cf. chapitre 1, « Cyberpsychologie et entretien clinique ».


96 L’entretien clinique à distance

tion, etc., sont des éléments influençant probablement


le transfert.
Par ailleurs, l’expérience en visioconsultation a
pour but de ramener une part de « réalité » dans la
communication à distance, de « ré-humaniser » ce
type de relations, et il semble que pour cela, l’image
du corps de l’autre joue un rôle important. L’une des
spécificités en visioconférence est de pouvoir prendre
en compte la place du regard et des interactions sen-
sorielles impliquant le corps du psychothérapeute et
celui du patient. Le regard y est mobilisé de façon par-
ticulière, notamment à travers l’usage de la caméra. La
présence de l’« œil » de la caméra, son influence sur la
relation à distance entre le psychologue et le patient,
sont des éléments à considérer. Cet objet tiers, supplé-
mentaire mais nécessaire dans ce contexte pour per-
mettre la relation entre le patient et le thérapeute, peut
induire différents phénomènes.
L’intérêt des observations filmiques est notam-
ment souligné en psychologie interculturelle (Rouch,
1968, 1979 ; Comolli, 1983). Dans son étude des rites
religieux en milieu hindou réunionnais, Govindama
(2000) évoque les problèmes rencontrés lors de l’in-
troduction de la caméra dans l’espace rituel, tout en
mentionnant les difficultés, dans sa recherche, à se
passer de l’outil que constitue la caméra. « La restitu-
tion du contenu filmique ressemble à un miroir que
seule la caméra nous offre et sur lequel peut être tenu
un tout autre discours : celui de l’ethnologue, comme
ceux du psychologue ou du psychanalyste » (ibid.,
p. 44). La technique de l’observation filmique en
milieu naturel constitue une méthode utilisée depuis
la fin du XIXe siècle par les cinéastes et, très rapidement,
La place du corps et celle du regard en visioconsultation 97

des principes éthiques furent introduits, consistant à


ne pas filmer les gens à l’improviste, mais à développer
une véritable collaboration avec les personnes filmées,
basée sur un respect mutuel (Flaherty, 1920). Dans les
aspects éthique et déontologique de la recherche en
visioconsultation, le respect des personnes est lié à
celui de leur image.
Le concept d’« auto-mise en scène » (France,
1982) en anthropologie désigne le fait que les per-
sonnes filmées soulignent d’elles-mêmes certains
aspects ou certaines phases de leurs actions. Un phé-
nomène similaire a été observé en visioconsultation,
puis intégré à l’analyse des données et des éventuels
phénomènes transférentiels pouvant apparaître dans
ce contexte. Ainsi en visioconsultation, les sujets sont
filmés dans leur milieu naturel, puisqu’ils sont géné-
ralement chez eux. Ces éléments peuvent varier en
fonction des personnes et ils sont essentiels à prendre
en compte dans l’analyse de l’entretien. Le concept
« d’auto-mise en scène » semble particulièrement per-
tinent dans le cadre du travail en visioconsultation, où
la « mise en image de soi » pourrait renvoyer à ce que
le patient donne à voir dans le transfert.
D’autre part, la crainte du « mauvais œil »
(Govindama, 2000) par rapport à l’utilisation de la
caméra renvoie à nouveau à la question de la place du
regard et à ce qu’elle peut entraîner sur le plan psy-
chique, notamment dans un registre projectif et per-
sécutif, tout particulièrement dans le cadre d’un
entretien clinique. Ainsi, le fait que les interlocuteurs
se voient par l’intermédiaire d’une caméra a amené
une réflexion sur la place du regard. On suppose tou-
tefois que le cadre élaboré sur iPSY ne favorise pas la
98 L’entretien clinique à distance

mise en place d’une situation narcissique, ou en


miroir. Bien au contraire, il ferait fonction d’espace
tiers dans la relation duelle entre patient et clinicien,
permettant ainsi la triangulation de la relation et l’éla-
boration de la séparation.
Le cadre expérimenté avait pour but de se rappro-
cher le plus possible de celui de l’entretien clinique clas-
sique. Dans le contexte de la visioconsultation, la place
du regard fut aussi essentielle que dans tout entretien
clinique en face-à-face. Bien que les interlocuteurs puis-
sent se voir, ce qui représente un avantage que permet
la visioconférence, il serait toutefois inexact d’avancer
que les conditions sont identiques à celles d’un entretien
en face-à-face classique, lorsque les corps du patient et
du psychologue sont dans la même pièce. Les spécifi-
cités de l’entretien en visioconférence, notamment sur
le plan du regard et de la caméra, n’ont pas été ignorées,
sans toutefois être considérées comme des obstacles ren-
dant les entretiens impossibles. Comment la présence
de la caméra peut-elle influencer la relation à distance
entre le psychologue clinicien et le sujet ?
La pratique de la visioconférence amène une pre-
mière remarque sur la façon dont les interlocuteurs se
voient. Ainsi, le regard « réfléchit ce moment fonda-
teur de l’échange qui renvoie au miroir » (Chiland,
1983, p. 76). En visioconsultation, c’est la webcam qui
permet l’échange de regards. Mais la webcam est placée
la plupart du temps sur la partie supérieure de l’écran
de l’ordinateur. Cela produit un effet particulier, qui
est lié au fait que l’utilisateur regarde en général son
écran lorsqu’il utilise son ordinateur, et non pas la
partie supérieure de son écran, où est située la caméra.
Pour voir son interlocuteur en visioconférence et
La place du corps et celle du regard en visioconsultation 99

parfois aussi sa propre image, l’utilisateur doit donc


regarder dans la direction de son écran, ce qui produit
un effet de « décalage du regard ». Cet effet a pour
conséquence que les deux personnes en visioconfé-
rence ne se regardent pas « dans les yeux », mais regar-
dent plutôt « à côté ». Dans les débuts de l’utilisation
du logiciel, j’ai été assez surprise par cet effet, qui sem-
blait gênant par rapport aux conditions de l’entretien
« classique ». J’ai même réfléchi à des dispositifs per-
mettant d’annuler cet effet, et qui consisteraient par
exemple à placer la webcam au centre de l’écran et non
au-dessus. Mais ce type de dispositif n’existe pas encore
aujourd’hui sur le marché et il a donc fallu travailler
avec ce léger « décalage du regard » lors des entretiens,
et l’intégrer ensuite à l’analyse des données, en tant
que facteur spécifique.
D’autre part, une spécificité technique liée à
l’usage de la caméra concerne le fait que l’image appa-
raisse inversée à l’écran. De la sorte, si l’un des inter-
locuteurs lève la main droite, c’est sa main gauche qui
se lèvera à l’écran. Cet effet, qui est le même que celui
visible dans les photographies, a été intégré à l’analyse.
Une autre spécificité du regard en visioconsulta-
tion est relative à « l’option miroir ». Cette option, dis-
ponible sur tous les logiciels de visioconférence, a été
proposée sur iPSY pour permettre au patient de choisir
de voir son image ou pas pendant les entretiens. Cet
élément fut intégré à l’analyse des données, en com-
plément du discours, des actes manqués, des rêves et
des symptômes.
La question du narcissisme, de la place du regard
et de l’image (Lasch, 1979, 1984), m’a menée à porter
une attention particulière à « l’option-miroir » et à son
100 L’entretien clinique à distance

utilisation par les sujets, qui semble particulièrement


pertinente dans le cadre du travail en visioconsulta-
tion. Cela renvoie à la problématique du regard sur
le plan du narcissisme, en référence au sens mytho-
logique : l’écran pourrait faire office de miroir, si le
sujet le choisit. Ce miroir réfléchirait alors la propre
image du sujet, tout en lui permettant de voir son
interlocuteur pendant l’échange. En visioconsultation,
l’utilisation d’une telle option peut avoir différents
motifs. Mis à part le fait de « se regarder », renvoyant
à un usage spéculaire du miroir de l’œil de la caméra
ou de celui de son interlocuteur, il pourrait aussi
répondre à une volonté de vérifier son image, son
cadrage, au cours de l’entretien : l’usage de cette
option dépend des utilisateurs.
Avec « l’option miroir », l’analyse de la place du
regard en visioconsultation comprend donc le regard
de l’autre sur soi, mais aussi le regard du sujet sur
lui-même. Prendre en compte ce facteur dans l’éla-
boration de l’outil puis dans l’analyse des données
recueillies a visé à réduire autant que possible la
dimension du « miroir », pour « ré-humaniser » la rela-
tion à distance. Ainsi, le regard de la mère représente
le premier miroir pour l’enfant (Winnicott, 1971), lui
permettant de laisser émerger sa subjectivité. On peut
donc supposer que, dans le cadre de la visioconsulta-
tion, l’image que l’outil renvoie au patient pourrait
modifier son image subjective, dans sa relation à la
mère, actualisée dans le transfert et le contre-transfert,
et ce même à distance. On suppose que la captation
dans le miroir en tant qu’image du semblable dans le
transfert ou à travers l’image de soi dans « l’option
miroir » permet de gérer le contre-transfert de manière
La place du corps et celle du regard en visioconsultation 101

à instaurer l’outil comme un espace transitionnel. Ce


transfert peut être culturel, social, avant de passer par
le transfert analytique, ce qui implique la rencontre
des corps.
En visioconsultation, la caméra rend possible la
réalisation de l’entretien. Elle est d’emblée introduite
comme une nécessité pour permettre la communica-
tion entre le clinicien et le patient, ce qui influe pro-
bablement sur le rapport que les deux intervenants
développent à « l’objet caméra », et sur l’usage qu’ils
en font. Les participants à la recherche étaient
informés du fait que l’utilisation du logiciel impliquait
intrinsèquement la présence d’une caméra. On peut
donc considérer que cet élément a contribué à motiver
leur participation ou leur refus du cadre particulier
proposé, en fonction de leur problématique. J’ai
intégré à l’analyse de données le rapport des sujets à la
caméra et la façon dont ils la percevaient dans le dis-
positif de visioconsultation.
Par ailleurs, visionner une deuxième fois l’enre-
gistrement vidéo a permis une analyse approfondie,
grâce à l’analyse de contenu du discours et à l’analyse
partielle de la communication non verbale. Partielle,
car le cadrage ne permet de voir qu’une partie du
corps, c’est-à-dire le visage et le haut du corps. J’ai été
particulièrement attentive à la question du cadrage et
de ses effets, pour le patient et le psychologue. J’ai tra-
vaillé avec ma caméra en position fixe et un cadrage
en grand angle, avec un fond blanc, en référence au
principe de neutralité du psychologue.
Ainsi, l’utilisation même de la caméra implique le
choix du cadrage, qui est probablement en lien avec ce
que l’on « donne à voir » à l’autre en visioconférence,
102 L’entretien clinique à distance

où il s’agit d’une « observation directe ». En visio-


consultation, le choix de ce que le sujet laisse voir de
lui-même et de son environnement peut éclairer de
manière complémentaire le sens de ce qui est amené en
entretien, de façon verbale et non verbale. La pièce où
le sujet se trouve, le cadrage qu’il choisit, laissant voir
son visage sous un certain angle et éventuellement une
partie de son corps, sont des éléments à intégrer à l’ana-
lyse en tant que spécificités liées au cadre. Bien que
limitant la vision de l’autre par rapport à un face-à-face
« classique », ces spécificités peuvent amener d’autres
informations auxquelles nous n’aurions pas accès dans
un autre contexte que celui de la visioconsultation.
Ainsi, cette « auto-mise en scène » relative à l’outil uti-
lisé pourrait permettre de voir la scène psychique se
déployer à travers l’image qu’offre la visioconsultation.
L’« auto-mise en scène » du corps ou d’une partie du
corps par le sujet deviendrait alors langage, dans l’ob-
servation. Les éventuels effets de cadrage observés
durant les entretiens en visioconférence ont ainsi été
considérés comme une variable pouvant éclairer les
phénomènes se jouant dans ces entretiens, notamment
sur le plan transféro-contre-transférentiel.
De façon générale, l’utilisation de l’espace est
signifiante dans un entretien clinique (Chiland, 1983).
La position des sièges dans un cabinet indique d’em-
blée la situation réciproque du clinicien et du consul-
tant, avec par exemple l’usage d’un bureau ou pas. En
visioconsultation, la question de l’utilisation de l’es-
pace ne se pose pas de la même façon. Ainsi, l’absence
des corps physiques implique que le clinicien et le sujet
ne partagent pas la même pièce durant l’entretien.
L’aménagement de l’espace offert en visioconsultation
La place du corps et celle du regard en visioconsultation 103

peut néanmoins apporter des éléments intéressants,


avec les spécificités de ce contexte. Les effets de cadrage
sont un exemple de cette dimension spatiale particu-
lière, dans l’espace à vocation de tiers proposé sur iPSY.
Le sujet filmé est en principe chez lui, c’est-à-dire qu’il
se trouve dans son espace, son cadre naturel. Pour cer-
tains sujets, cela peut renforcer une forme de maîtrise
sur l’objet, qui leur permet d’entrer en relation, par
exemple pour des patients très inhibés.
En visioconsultation, le regard mobilisé par la
caméra et l’image propres aident à prendre en compte
la place du corps. Cela permet d’enrichir l’analyse des
interactions dans ce contexte.

L’ANALYSE DES DIFFÉRENTS NIVEAUX


D’INTERACTION

Le concept d’interaction est évoqué dans de mul-


tiples champs de la psychologie. Il est souvent utilisé
par des psychologues d’orientation comportementa-
liste et de nombreux travaux enrichissent la littéra-
ture dans ce domaine. La psychologie clinique
psychodynamique apporte également des éléments
intéressants à intégrer pour l’analyse des phénomènes
apparaissant en visioconsultation.
La méthode de l’observation a souvent été utilisée
par des psychanalystes travaillant sur les interactions pré-
coces entre le bébé et son environnement. Ainsi, Bick a
introduit, dès 1948, une méthode consistant à observer
régulièrement le nourrisson dans sa famille durant les
deux premières années de la vie, en essayant de ne pas
influencer le cours normal des interactions du bébé avec
ses parents. Cette technique a apporté de nombreux
104 L’entretien clinique à distance

enrichissements aux professionnels, notamment en ce


qui concerne la prise de conscience des mouvements
contre-transférentiels et leur maniement.
Lebovici (1994) a beaucoup travaillé sur l’obser-
vation du bébé, en utilisant notamment l’enregis-
trement vidéo pour analyser les interactions. Les
schèmes interactifs qu’il définit comprennent trois
niveaux d’interaction : les interactions comporte-
mentales ; les interactions affectives ; les interactions
fantasmatiques.
L’interaction comportementale (ou corporelle)
s’illustre dans trois principaux registres : corporel,
visuel, vocal. Le registre corporel fait référence au hol-
ding physique et psychique, ainsi qu’au handling
(Winnicott, 1956). En visionnant à nouveau les entre-
tiens réalisés sur iPSY, l’importance de ces interactions
fut notable au travers des mouvements du corps
observés et du langage échangé. Le registre visuel
concerne le dialogue œil à œil, ou encore la rencontre
des regards, et renvoie à ce que Winnicott (1971)
décrit quant au regard de la mère comme miroir pour
la constitution du sujet psychique, au travers de la pre-
mière relation d’objet. Le regard, sollicité de façon par-
ticulière en visioconsultation, a été analysé au travers
de spécificités comme l’utilisation du cadrage ou de
l’option-miroir par les sujets. Les interactions vocales
sont un mode privilégié de communication, traduisant
des besoins et des affects chez le bébé et lui permettant
d’exprimer ses ressentis. Les cris et les pleurs sont le
premier langage du nourrisson. La voix donne un
tempo à l’interaction qui va permettre à l’enfant
d’anticiper et de s’organiser. Les interactions vocales
sont importantes pour l’harmonisation de la relation.
La place du corps et celle du regard en visioconsultation 105

Elles ont également pu être observées durant les entre-


tiens sur iPSY, grâce aux enregistrements audio.
L’interaction affective relève du climat émo-
tionnel de l’interaction. Cette dimension a été
observée en visioconsultation au travers du langage,
verbal ou non verbal, des sujets en interaction, dont
on pouvait percevoir le climat émotionnel.
Enfin, l’interaction fantasmatique concerne l’in-
fluence réciproque du déroulement de la vie psychique de
la mère et de celle de son bébé, aussi bien dans leurs
aspects imaginaires, conscients, que fantasmatiques,
inconscients. Elle donne sens à l’interaction compor-
tementale. En visioconsultation, l’accès au registre fan-
tasmatique des interactions a apporté des éléments
éclairants quant à l’émergence de la subjectivité du
patient et aux manifestations transféro-contre-trans-
férentielles au cours des entretiens.
Les schèmes interactifs définis par Lebovici ont
été intégrés à la grille thématique utilisée pour l’analyse
des entretiens 6. Ainsi, les différents niveaux d’interac-
tion ont été observés en visioconsultation. Cela permet
d’aborder maintenant les questions importantes de la
subjectivité et de l’accès à l’intersubjectivité en visio-
consultation, que nous pourrons ensuite mettre en lien
avec l’observation et l’analyse des processus transféro-
contre-transférentiels apparaissant dans ce cadre.

6. Cf. chapitre 5, « Intersubjectivité en visioconférence ».


106 L’entretien clinique à distance

L’ACCÈS À L’INTERSUBJECTIVITÉ

La subjectivité
Les nombreux auteurs ayant réfléchi au concept
de subjectivité semblent situer l’accès au statut de sujet
psychique dans la continuité du processus de sépara-
tion. Même si Freud n’a pas utilisé directement le
terme de subjectivité, on peut supposer qu’il en traite
malgré tout, de par l’importance accordée aux élé-
ments personnels de l’histoire du sujet, subjectivité qui
s’illustre par exemple dans l’interprétation des rêves.
Pour Lacan, la notion de sujet est centrale. Elle
est liée à sa conception de l’Œdipe qui permet l’accès
au symbolique. « L’objet humain se constitue toujours
par l’intermédiaire d’une première perte ; rien de
fécond n’a lieu sinon par l’intermédiaire d’une perte
d’objet » (Mijolla, 1996, p. 186). Ce manque laisse
donc de la place pour autre chose : « Avec Lacan, la
dimension du désir apparaît comme intrinsèquement
liée à un manque qui ne peut être comblé par aucun
objet réel, le désir n’a pas d’objet dans la réalité, ce
serait imaginairement que se produit le désir » (ibid.).
Le symbolique serait produit par le psychique et le réel
serait difficilement accessible à la symbolisation.
La conception du « Je » chez Lacan est liée au
miroir. L’enfant s’identifie à l’image qu’il perçoit dans
le miroir, jusqu’à ce que son moi parvienne à se dégager
de ce reflet spéculaire. Mais ce moi demeure à jamais lié
à son origine imaginaire, inaccessible au sujet, et il est
donc bien différent du « moi » considéré comme une
instance régulatrice, adaptatrice de la personne dans des
théories comme l’egopsychology. Le stade du miroir
La place du corps et celle du regard en visioconsultation 107

remplit donc la fonction d’assurer une relation entre


l’interne et l’externe, mais cet interne est fait d’images
morcelées du corps, tandis que l’image spéculaire
impose une forme « orthopédique » de sa totalité. Cette
forme se situe avant toute espèce de relation sociale, et
en parallèle du stade du miroir, se met en place un autre
type d’identification, cette fois-ci au semblable. Dans
cette identification à l’autre, il y a une évolution du
jeune enfant, allant d’une certaine indifférenciation à
des réactions de prestance et de parade. Il y a tout
d’abord « une captation par l’image de la forme
humaine » (Lacan, 1949, p. 113). Le Moi renvoie à
ses identifications, qu’il s’agisse de l’autre ou de l’image
dans le miroir : « Je est un autre. »
Selon Lacan (1946, p. 178) « l’histoire du sujet se
développe en une série plus ou moins typique d’iden-
tifications idéales qui représentent les plus purs des
phénomènes psychiques en ceci qu’ils relèvent essen-
tiellement de la fonction de l’image ». Ce qui est nou-
veau par rapport à Freud, c’est de souligner que l’effet
de cette image est l’aliénation du sujet. Cette captation
identificatrice par l’image est centrale dans la critique
qu’opère Lacan à l’égard de la notion de sujet. Cette
piste semble intéressante par rapport à la visioconsul-
tation, car l’image y joue un rôle central. La captation
par l’image face au miroir pourrait-elle se retrouver
dans ce cadre de recherche, pour une identification
dans le réel permettant d’accéder à l’altérité dans la
relation clinique ?
Par la suite, le sujet se constitue par le fait qu’il
parle. Comme il s’était aliéné dans l’image, il se média-
tise dans le langage, renvoyant dans l’inconscient ce
qui ne passe pas dans le discours. Le sujet s’inscrit donc
108 L’entretien clinique à distance

dans le registre de l’échange. En visioconsultation,


l’image s’accompagne du langage dans l’échange parlé
entre le sujet et le clinicien. Cela peut donc contribuer
à aider le patient à entrer dans le circuit de l’échange.
D’autres auteurs ont une conception différente de
l’accès à la condition de sujet. Mahler (1968) évoque le
processus à l’œuvre dans la relation mère-enfant, allant
de la symbiose à la séparation, puis à l’individuation.
Ce modèle de différenciation mère-enfant est égale-
ment appliqué pour décrire le processus adolescent,
dans lequel les problématiques infantiles sont réac-
tivées. Cette individuation passe par la conquête de
l’autonomie sexuée et du sentiment d’être séparé
psychiquement des objets parentaux infantiles. Dans
cette conception, le moi doit avoir un développement
suffisamment stable et cohérent, pour que puisse
s’établir le « sentiment d’identité ». À l’inverse, c’est
la perturbation de ce processus qui s’illustrerait dans
la psychose infantile, pour laquelle est émise une hypo-
thèse symbiotique. L’individuation, ou l’accès à l’auto-
nomie psychique, constituerait donc une mise à
l’épreuve de la dépendance.
Suite aux apports de Klein (1937, 1957) sur l’or-
ganisation précoce de la subjectivité au cours des
phases schizo-paranoïde puis dépressive, Winnicott
(1956) envisage la constitution du self au travers des
phénomènes transitionnels, ainsi que les capacités de
la mère « suffisamment bonne » telles que holding,
handling, object presenting.
Pour décrire la constitution du sujet psychique,
Winnicott (1971) a également discuté le stade du
miroir, en y apportant un sens différent de celui de
Lacan (1949). Ainsi, l’espace potentiel créé entre le
La place du corps et celle du regard en visioconsultation 109

regard de la mère comme miroir et l’enfant constitue


un espace de création du sujet. Cet espace potentiel est
aussi une « aire de séparation », qui permet d’aller à la
rencontre du « soi ». Le premier miroir, c’est donc le
visage de la mère.
La question du miroir et celle de l’accès à la sub-
jectivité paraissent centrales par rapport à l’expérience
en visioconsultation, car on peut les mettre en lien
avec l’image sous-tendue par le dispositif. Notre inter-
rogation concernant cette image est l’accès qu’elle
permet, ou pas, à l’altérité : à la rencontre clinique.
Pour cela, plusieurs points sont à considérer : le regard
échangé en visioconsultation peut renvoyer au regard
de la mère, de l’autre sur soi, qui permet de devenir
sujet. On peut donc supposer que l’image renvoyée au
patient par l’outil pourrait modifier son image subjec-
tive dans sa relation à la mère, actualisée dans le trans-
fert et le contre-transfert, ce même à distance.
Toutefois, dans le contexte particulier de la visio-
consultation, l’écran peut aussi faire office de miroir,
dans lequel le patient peut se regarder.
Les données obtenues grâce à la mise en place de
l’option-miroir sur iPSY sont relatives à la question
d’une possible interaction « en miroir », dans le sens
d’une relation spéculaire, une relation « au même ».
J’ai souhaité évaluer l’importance du cadre posé en
visioconsultation, en référence au cadre de l’entretien
clinique, ainsi que ses effets potentiels sur la dimension
narcissique, souvent évoquée dans la littérature au
sujet des relations humaines médiatisées par des ordi-
nateurs.
Notre environnement culturel rempli d’images
favoriserait une certaine confusion moi non-moi, ainsi
110 L’entretien clinique à distance

que la recrudescence de personnalités à composante


narcissique (Lasch, 1979, 1984). Certains usages des
TIC sont comparés à ceux de « miroirs », dans le rela-
tionnel établi avec les « autres virtuels » (Gonzales et
Hancock, 2011). Dans cette mesure, la dimension du
miroir et l’utilisation de l’option-miroir en visio-
consultation pourraient éclairer un aspect narcissique,
qui risquerait d’empêcher la communication et l’accès
aux registres conscients et inconscients du discours.
Cette spécificité propre à l’outil permet d’obtenir des
informations auxquelles nous aurions accès autrement
dans le cadre classique de l’entretien. Mais l’objectif
en visioconsultation est au contraire de favoriser l’éta-
blissement d’une relation d’objet à distance, de trouver
cette « distance suffisamment bonne », permettant une
écoute psychothérapeutique contenante. Cette dis-
tance psychique peut permettre l’émergence de phé-
nomènes transférentiels et contre-transférentiels, ainsi
que leur prise en compte dans l’analyse des entretiens.
Dans cette mesure, la distance physique ne serait pas
un obstacle à l’accès à la subjectivité et à l’altérité. On
suppose donc que la référence symbolique au cadre
peut établir une limite à l’aspect spéculaire du miroir,
de l’image, de l’écran. En outre, l’image présente sur
l’écran renvoie un visage humain, un regard, tout
comme le visage et le regard de la mère sont des images
dans le miroir. La présence d’un autre au travers de
l’écran renvoie donc un regard tiers, pouvant aider le
patient à accéder à la subjectivité et à l’intersubjec-
tivité, au travers du transfert et du contre-transfert.
La place du corps et celle du regard en visioconsultation 111

Intersubjectivité et cyberpsychologie
Dans le champ de la cyberpsychologie, on trouve
le concept d’intersubjectivité dans différents travaux
portant sur les relations digitales.
En psychologie sociale, des recherches (Galim-
berti et coll., 2010) éclairent la notion d’intersubjec-
tivité dans le contexte de communautés en ligne ou de
« cyber-lieux » construits par les utilisateurs. Ici, la sub-
jectivité est façonnée comme une image proposée au
monde extérieur par les sujets, en fonction du lieu
investi. L’usage d’un avatar est possible dans les inter-
actions, mais pas la visioconférence. Chaque interac-
tion sociale est caractérisée par une combinaison
unique de subjectivités créées dans un contexte spéci-
fique à un moment, une combinaison qui génère
l’intersubjectivité. L’intersubjectivité se réfère à un
cadre spécifique d’interaction, constituant un monde
partagé pour les sujets, dans lequel jouer. La coréfé-
rence à des mondes partagés serait un signal pour une
référence aux acteurs eux mêmes (Jacques, 1985),
c’est-à-dire que quand les acteurs parlent des objets
présents dans leur monde, ils donnent toujours de l’in-
formation sur eux-mêmes, laissant des indices, des
signes de la subjectivité qui est élaborée durant l’inter-
action (Cantamesse, 2008). Les micro-chaînes inter-
actives seraient utilisées dans un environnement virtuel
(EV) pour collaborer avec succès et pour construire une
représentation partagée du monde, des objets et de
leur position : l’intersubjectivité résulte du sens réci-
proque de la présence sociale des acteurs, de ce qu’ils
font, leurs façons d’agir négociées et des issues de telles
actions. Les interactions dans l’EV sont centrées sur la
112 L’entretien clinique à distance

co-construction du sens et sont articulées sur trois dif-


férents niveaux, dont un niveau dialogal basé sur la
présence partagée et réciproque des acteurs. On
retrouve à ce niveau des éléments importants en visio-
consultation, comme le sentiment de présence et la
notion de dialogue.
D’un point de vue psychosocial, les interactions
médiatisées font partie des « cyber-lieux », plus que des
« cyber-espaces » : les lieux virtuels construits grâce aux
technologies, mais faits de relations et de sens sociaux
coproduits par leurs utilisateurs.
À partir d’interactions enregistrées (audio et vidéo)
pour analyser l’information visuelle et les conversations
entre les participants avec une analyse de contenu, cer-
taines recherches (Galimberti et coll., 2010) indiquent
que les interactions se façonnent en miroir entre les
utilisateurs et leurs avatars. En tant que représentation
partielle du self, les avatars agissent comme des repré-
sentations du corps dans un EV. En « ramenant le
corps » dans l’EV, les avatars permettent aux partici-
pants d’investir l’environnement lui-même, émotion-
nellement et relationnellement, transformant de
simples « cyber-espaces » en « cyber-lieux », des envi-
ronnements faits de sens coproduits de façon inter-
subjective. Ce phénomène rappelle les choix
méthodologiques faits en visioconsultation, où l’ob-
jectif est également de « ramener le corps » dans les
interactions à distance, mais en passant directement
par l’image du corps des participants et non par un
avatar.
Les cyber-espaces ont été considérés pendant
longtemps par rapport à leurs caractéristiques techno-
logiques, mais pour qu’ils deviennent vivants avec les
La place du corps et celle du regard en visioconsultation 113

gens, ils doivent devenir des « cyber-lieux » où les


dynamiques sociales sont soutenues : « Avec le clic
d’une souris, les gens peuvent interagir avec divers
autres dans une multiplicité de lieux produits sociale-
ment, ce qui offre un contexte pour l’émergence
d’identités simultanément anonymes mais significa-
tives personnellement, situées dans un contexte géo-
graphiquement sans espace » (Waskul, 2003). On note
ici une différence importante par rapport à l’implica-
tion subjective des personnes en visioconsultation.
Ainsi, à la différence de l’avatar, l’image du corps en
visioconférence atténue fortement la notion d’ano-
nymat et engage les sujets à un autre niveau identitaire,
donc intersubjectif.
Certains auteurs recommandent que les processus
intersubjectifs soient ancrés dans la conception des EV,
pour permettre aux futurs utilisateurs de construire
leurs intersubjectivités. La dimension intersubjective
a ainsi été fortement prise en compte pour la concep-
tion et la réalisation du site iPSY 7.
D’autres recherches en psychologie sociale
(Galimberti et coll., 2011) analysent en quoi le fait
que le chercheur participe au setting mis en place dans
un espace numérique influence les résultats de la
recherche. Trois dimensions apparaissent centrales
dans ce processus :
– intersubjective : le chercheur est impliqué avec le
participant pour créer des significations et l’EV lui-
même ;

7. Cf. chapitre 4, « Le setting en visioconsultation ».


114 L’entretien clinique à distance

– pragmatique : pour comprendre l’environnement de


la recherche, les chercheurs doivent y prendre un rôle
actif ;
– symbolique : le média est riche de sens tant pour les
participants que pour le chercheur et un tel sens affecte
le setting de la recherche et la production de données.
La présence des chercheurs dans le setting peut
donc avoir un impact sur la production de données et
cela peut révéler des aspects importants sur le fonction-
nement des EV. Ainsi, plutôt que ces EV soient des
cyber-espaces conçus comme un ensemble d’outils qui
permettent à internet de fonctionner, les résultats pous-
sent à les considérer comme des cyber-lieux, en recon-
naissant en eux la co-construction de sens et la gestion
des interactions des personnes qui agissent dans ces
lieux. Il s’agirait de contextes où la construction de
l’intersubjectivité se produirait partiellement de la
même façon qu’en face-à-face, et partiellement selon
des processus qui doivent encore être expliqués. Cela
rejoint certains résultats obtenus en visioconsultation
(Haddouk, 2014a, 2014b), notamment avec le concept
de « relation digitale 8 ».
Les aspects symboliques du média ont des effets
sur la recherche. La charge symbolique d’un réseau
social ou d’un environnement en réalité virtuelle peut
influencer les narrations produites et coproduites par
les individus et les groupes de l’étude, ainsi que leurs
interactions médiatisées. C’est pourquoi, sur iPSY, nous
avons opté pour une conception « neutre » et simple,
en référence au cadre de l’entretien clinique classique.

8. Cf. chapitre 2 : « Transfert virtuel et réalité psychique ».


La place du corps et celle du regard en visioconsultation 115

En psychologie clinique, on peut faire des paral-


lèles avec ces travaux en psychologie sociale sur la posi-
tion du chercheur dans un EV. Certains phénomènes
relatifs à l’utilisation du dispositif par le chercheur
semblent révéler des processus contre-transférentiels à
l’œuvre, non seulement à l’égard du sujet avec qui l’en-
tretien est réalisé, mais aussi à l’égard du dispositif
technologique en lui-même. Ces représentations res-
tent à travailler, mais l’intégration de l’apport de
concepts cliniques tels que les processus transféro-
contre-transférentiels paraît essentielle à ces réflexions.
Ainsi, en référence à la méthodologie évoquée en
cyberpsychologie sociale (Galimberti et coll., 2011),
le setting numérique de l’outil iPSY a bien consisté à
créer un environnement, un contexte permettant
l’étude d’un objet de recherche particulier : les inter-
actions médiatisées dans ce « cyber-lieu ».
Toutefois, ce qui caractérise mon étude est l’analyse
de l’intersubjectivité dans un contexte précis, qui est
celui de l’entretien clinique. Il s’agit donc non pas d’une
communauté mais d’un rapport duel entre le clinicien
et son patient, dans un cadre spécifique de relation digi-
tale, conçu en référence à l’entretien clinique (Chiland,
1983).
D’autres recherches en cyberpsychologie ont
porté spécifiquement sur l’aspect psychothérapeutique
des interactions à distance.
Ainsi, l’efficacité de la thérapie cognitive compor-
tementale (TCC) du trouble panique avec agoraphobie
(TPA) a été comparée en visioconférence et en face-
à-face (Bouchard et coll., 2004 ; Allard et coll., 2007).
Les sujets participaient à douze sessions de TCC
individuelle en visioconférence ou en face-à-face.
116 L’entretien clinique à distance

Les mesures objectives ont montré une amélioration


cliniquement et statistiquement significative après le
traitement en visioconférence et après le traitement en
face-à-face. Les analyses n’ont révélé aucune différence
significative entre l’efficacité des deux modes de thé-
rapie, suggérant que la visioconférence permet d’offrir
à distance un traitement psychologique efficace.
Cette évaluation quantitative d’un traitement
administré via des entretiens en visioconférence avec le
psychologue s’est accompagnée de l’évaluation d’un
élément fondamental de la thérapie : l’alliance théra-
peutique, considérée dans les deux cadres. Aucune
différence significative n’est apparue concernant
l’évaluation de l’alliance thérapeutique par les patients,
en face-à-face et en visioconférence. Malgré les réserves
de certains professionnels à l’égard de la télépsycho-
thérapie, les résultats de ces recherches montrent que
la visioconférence s’est avérée propice à l’établissement
d’une bonne alliance et d’un climat thérapeutique
efficace.
On note que, dans ces études, le ressenti du
psychologue, ou encore l’aspect contre-transférentiel
des échanges, n’a pas été évalué. On verra comment
cette dimension a été prise en compte dans la recherche
en visioconsultation.
Les facteurs sous-jacents au fait que les participants
développent une excellente alliance thérapeutique avec
un psychologue, même s’ils ne se rencontrent jamais
physiquement, restent à explorer. Bouchard (2000)
note que le fait de bien voir le thérapeute sur un grand
écran, d’interagir en temps réel et de discuter d’infor-
mations chargées émotionnellement, permettrait
d’oublier que celui-ci n’est pas physiquement présent.
La place du corps et celle du regard en visioconsultation 117

Il évoque aussi le fait que l’être humain tend à déve-


lopper facilement des relations d’attachement, et ce
malgré l’imposition de contraintes telles que la visio-
conférence. Cette question a aussi été envisagée suite
aux résultats obtenus dans ma recherche en visiocon-
sultation9, et elle se situe pleinement dans le champ de
réflexion actuel et à venir sur la relation digitale 10.
Enfin, la clientèle et le type de thérapie impliqués
dans cette étude (Bouchard et coll., 2004) pourraient
aussi contribuer à ces résultats. Les auteurs ont utilisé
la TCC, alors que l’approche psychodynamique a été
utilisée en visioconsultation avec iPSY. Concernant la
clientèle, bien que le TPA soit exclusivement traité dans
la recherche mentionnée (Bouchard et coll., 2004),
d’autres travaux sur les TCC en visioconférence ont été
réalisés pour le trouble de stress post-traumatique
(Bouchard et coll., 2010) et l’anxiété généralisée
(Allard et coll., 2007). Ces résultats portent à croire
qu’ils pourront se généraliser à d’autres populations et
à d’autres contextes.
D’autre part, il semble que, pour certaines per-
sonnes, la distance qui les sépare de leur thérapeute ait
un effet positif. Certains participants indiqueraient
que la visioconférence contribue à améliorer l’alliance
thérapeutique (Simpson, 2001). Ils considéreraient se
sentir moins conscients d’eux-mêmes lorsqu’ils sont
en thérapie par visioconférence, pouvoir plus se
concentrer sur la thérapie et focaliser leur énergie sur
la relation et le processus thérapeutique. D’autres par-
ticipants rapportent que grâce à la visioconférence, ils

9. Cf. chapitre 5, « Intersubjectivité en visioconsultation ».


10. Cf. chapitre 2, « Transfert virtuel et réalité psychique ».
118 L’entretien clinique à distance

ont trouvé l’interaction avec le thérapeute moins inti-


midante qu’en face-à-face et qu’ils avaient un plus
grand sentiment de contrôle de leur espace (Simpson
et coll., 2005). Au contraire, d’autre études relatent
que certains participants ont rapporté avoir trouvé
étrange d’exprimer leurs émotions à une « télévision »
(Mitchell et coll., 2003). Toutes ces informations
montrent l’importance de poursuivre les recherches,
pour enrichir les connaissances sur les caractéristiques
des patients pour qui la prise en charge en visioconfé-
rence est une orientation favorable. Cela fait partie des
objectifs d’iPSY, en considérant d’une part le ressenti
et les caractéristiques psychologiques des utilisateurs,
et d’autre part en ayant pour objectif de rassembler les
professionnels autour d’un cadre méthodologique.
Cela permettrait de recueillir suffisamment de données
qualitatives et quantitatives afin d’enrichir les connais-
sances sur les caractéristiques et les personnalités des
sujets pour qui la visioconsultation constitue une indi-
cation thérapeutique pertinente.
Rappelons que le but premier de l’utilisation de la
visioconférence pour offrir des services psychologiques
n’est pas de surpasser ni de remplacer la thérapie tradi-
tionnelle, mais plutôt de pallier des désavantages pra-
tiques, plus particulièrement en termes d’accessibilité
aux services psychothérapeutiques. La voie « huma-
niste » de réflexion sur l’usage des TIC (Breton, 2000)
est la direction dans laquelle s’inscrit le travail de
recherche en visioconsultation, où il ne s’agit pas de
remplacer l’humain par la machine, mais bien d’étendre
l’écoute psychothérapeutique usuelle aux univers numé-
riques et de faciliter leur accès dans des situations où
cela peut s’avérer utile aux sujets.
La place du corps et celle du regard en visioconsultation 119

Ainsi, la psychothérapie en visioconférence, lors-


qu’elle est utilisée dans un contexte encadré et avec
une technologie performante et sécuritaire, constitue
une méthode utile, valable et efficace, pour offrir de
la thérapie à distance pour le trouble panique avec
agoraphobie, cette approche restant à valider systéma-
tiquement pour les autres maladies mentales (Allard
et coll., 2007). En visioconsultation, on a aussi insisté
sur l’importance du cadre, dans le contexte où ont lieu
les entretiens en visioconférence. Il fut essentiel que la
technologie soit performante et sécuritaire, notam-
ment concernant les échanges via la plateforme 11.
Dans le protocole de recherche décrit par Allard et
ses collaborateurs (2007), de nombreux points ont
rejoint celui utilisé en visioconsultation, comme la com-
paraison intergroupe, avec des modalités légèrement
différentes pour les entretiens réalisés dans un cadre
classique 12. Un petit nombre de psychologues ont réa-
lisé les entretiens, afin de pouvoir comparer leur tra-
vail. Dans ma recherche de doctorat, j’ai réalisé les
entretiens seule, afin d’analyser plus finement les pro-
cessus transféro-contre-transférentiels à l’œuvre en
visioconsultation.
D’autres points se sont distingués de la méthodo-
logie utilisée dans ma recherche : les sujets participant
à la recherche québécoise étaient dans un bureau à
l’hôpital pour leurs séances en visioconférence, alors
que les patients suivis sur iPSY étaient à leur domicile.

11. Cf. chapitre 4, « Le setting en visioconsultation ».


12. Dans la recherche d’Allard et ses collaborateurs (2007) avec
des patients suivis dans le cadre classique ou à distance, pour nous
avec des patients suivis en cabinet et à distance, ou uniquement à
distance.
120 L’entretien clinique à distance

La méthode de traitement utilisée dans la recherche


était la TCC, alors que j’ai utilisé une méthode psycho-
dynamique. Les échelles utilisées étaient plus nom-
breuses : trois échelles d’évaluation du TPA (et
dépression), deux mesures de processus pour évaluer
l’évolution du trouble, deux échelles pour évaluer l’al-
liance thérapeutique 13. Une seule échelle quantitative
a été intégrée à mon protocole, les autres outils d’éva-
luation étant plus qualitatifs 14.
Enfin, le système de visioconférence utilisé 15
(Bouchard, 2004 ; Allard et coll., 2007) permettait de
voir l’interlocuteur en grande taille (32 pouces), alors
que ce facteur n’a pas été contrôlé en visioconsultation,
car les patients paramétraient librement la taille de leur
écran. L’affichage permis par le logiciel iPSY est de deux
sortes : taille normale (un tiers d’écran) ou plein écran.
Le système de visioconférence utilisé dans les
recherches québécoises (ibid.) comprenait simplement
la possibilité de déclencher la visioconférence avec une
bonne qualité d’image et de sécurisation des données.
Il ne comprenait pas d’options similaires à celles éla-
borées sur iPSY 16.
Une dernière recherche est importante à men-
tionner, car elle comporte des résultats très intéressants

13. Les questionnaires d’alliance thérapeutique ont été complétés


après la cinquième session de thérapie, puis mis dans une enve-
loppe scellée, et postés à l’Ordre des psychologues du Québec.
Cette procédure visait à réduire la désirabilité sociale des parti-
cipants qui, dans une certaine mesure, pourraient hésiter à évaluer
négativement leur thérapeute.
14. Cf. chapitre 5 : « Intersubjectivité en visioconsultation ».
15. Vision 2000 et Vision 5000.
16. Cf. chapitre 4, « Le setting en visioconsultation ».
La place du corps et celle du regard en visioconsultation 121

sur le phénomène de présence en visioconférence


(Bouchard et coll., 2011).
Cette étude avait pour but d’évaluer l’impact de
l’intensité de l’engagement émotionnel sur le senti-
ment de présence en visioconférence. Dans cette hypo-
thèse, les émotions et la présence étaient directement
corrélées. Les résultats ont confirmé que la manipula-
tion de la valeur émotionnelle des échanges verbaux
entre deux personnes qui se rencontrent en visio-
conférence, a un impact direct sur le sentiment sub-
jectif de présence. Ces résultats sont cohérents avec les
découvertes dans le champ de l’immersion en réalité
virtuelle (Baños et coll., 2004 ; Riva et coll., 2007),
où un environnement chargé émotionnellement
conduit à un sentiment de présence plus fort qu’un
environnement neutre.
Ces résultats offrent une explication potentielle
au fait que le sentiment de présence et l’alliance théra-
peutique sont si forts en télépsychothérapie. Pour la
visioconsultation, ces résultats renforcent l’idée que le
sentiment de présence est favorisé par la qualité des
échanges lors des entretiens cliniques, où la dimension
émotionnelle est essentielle, les sujets évoquant leur
histoire personnelle et leur vie intrapsychique. De plus,
la mobilisation des phénomènes transféro-contre-
transférentiels peut aussi favoriser le sentiment de pré-
sence, une partie des interactions étant liée à des
processus fantasmatiques, inconscients. Il semble donc
essentiel de prendre en compte cette dimension de
l’échange dès la conception du cadre, mis en place
comme un tiers symbolique dans l’écoute à distance
et favorisant la construction d’une relation inter-
subjective, à caractère psychothérapeutique. L’analyse
122 L’entretien clinique à distance

des données recueillies en lien avec ces processus a éga-


lement été intégrée à la méthodologie 17.
Mais avant de décrire le protocole utilisé en visio-
consultation, il semblait important de revenir aux
notions théoriques de transfert et de contre-transfert et
de souligner leur apport essentiel dans mes recherches,
notamment par rapport à la qualité de la relation en
visioconsultation.

TRANSFERT - CONTRE-TRANSFERT
EN VISIOCONSULTATION

Le transfert
Le concept de transfert a évolué tout au long de
l’œuvre freudienne. Il a d’abord été désigné comme ne
faisant pas partie de l’essence de la relation thérapeu-
tique (Freud, 1895). Il est par la suite apparu comme
un mécanisme du rêve illustrant le « principe associa-
tioniste » dans le fonctionnement psychique en
général 18.
L’intégration progressive de la découverte du
complexe d’Œdipe a retenti sur la façon dont Freud
comprenait le transfert, le patient faisant inconsciem-
ment jouer au médecin le rôle des figures parentales,
aimées ou craintes. Ainsi, les imagos paternelles,
maternelles ou encore fraternelles, influencent la
forme que prend le transfert. Ce qui caractérise le
transfert et lui donne « son aspect particulier, c’est le

17. Cf. chapitre 5, « Intersubjectivité en visioconsultation ».


18. Principe qui veut que « toutes les représentations qui sont déjà
étroitement associées à d’autres se refusent à contracter des asso-
ciations nouvelles » (Freud, 1900, p. 478-479).
La place du corps et celle du regard en visioconsultation 123

fait qu’il dépasse la mesure et s’écarte, de par son carac-


tère même et son intensité, de ce qui serait normal,
rationnel » (Freud, 1912b, p. 52). Ces particularités
du transfert seraient l’expression de la névrose elle-
même.
Freud (1912b, p. 52) considère l’intensité et la
durée d’un transfert comme la conséquence et l’expres-
sion de la résistance. Il fait une distinction entre diffé-
rents transferts et mentionne « deux sortes de transfert,
l’un “positif“, l’autre “négatif ”, un transfert de senti-
ments tendres et un transfert de sentiments hostiles,
et l’on se voit obligé de traiter séparément ces deux
variétés de sentiments qui ont pour objet le médecin »
(ibid., p. 57). Néanmoins, étant lié aux imagos paren-
tales, le transfert présente toujours un caractère ambi-
valent 19.
L’importance du transfert est soulignée en tant que
moteur de la cure, dans la mesure où il permet à la résis-
tance à la fois de se manifester et d’être surmontée à
partir de son analyse. Le caractère ambivalent du trans-
fert, faisant coexister à un degré élevé le transfert négatif
et le transfert positif, serait « l’apanage des névrosés »
(ibid., p. 58). À la fin de son œuvre, Freud donne cette
définition de l’ambivalence : « L’ambivalence appar-
tient à l’essence de la relation au père » (Freud, 1939,
p. 240).
Ainsi, le phénomène de répétition semble avoir
un lien avec le transfert et la résistance : « Le transfert
n’est lui-même qu’un fragment de répétition et la
répétition est le transfert du passé oublié, non seulement
à la personne du médecin, mais aussi à tous les autres

19. D’après l’expression de Bleuler (1911).


124 L’entretien clinique à distance

domaines de la situation présente » (Freud, 1914,


p. 109), dont le cadre fait pleinement partie. En mettant
en évidence cette compulsion à la répétition, Freud
démontre que la maladie du patient doit être traitée non
comme un événement du passé mais comme une force
actuellement agissante. L’état morbide est apporté dans
le champ d’action du traitement par fragments, et tandis
que le malade le ressent comme quelque chose de réel
et d’actuel, la tâche de l’analyste consiste principalement
à rapporter ce qu’il observe au passé, dans un travail de
mise en lien. Ainsi, plus la résistance sera grande, plus
la mise en acte ou la répétition se substituera au sou-
venir. C’est « dans le maniement du transfert que l’on
trouve le principal moyen d’enrayer la compulsion de
répétition et de la transformer en une raison de se sou-
venir » (ibid., p. 113).
Cette extension de la notion de transfert, qui en
fait un processus structurant l’ensemble de la cure sur
le prototype des conflits infantiles, aboutit au dégage-
ment de la notion de névrose de transfert. Ainsi, au
sujet de la compulsion de répétition, Freud écrit : « Le
transfert crée de la sorte un domaine intermédiaire
entre la maladie et la vie réelle, domaine à travers lequel
s’effectue le passage de l’une à l’autre » (ibid.).
Un autre élément important concernant le trans-
fert est le rapport qu’il peut avoir avec les interpréta-
tions de l’analyste. Freud (1913) donne des indications
importantes concernant le maniement du transfert. Il
précise que tout ce qui relève de la situation présente,
correspond à un transfert sur l’analyste et peut servir
de résistance. La prise en compte des phénomènes
transférentiels dans le cadre de la cure permet ainsi à
l’analyste de pouvoir les identifier, afin d’élaborer son
La place du corps et celle du regard en visioconsultation 125

interprétation de la situation problématique qui lui est


amenée. Cependant, la question du transfert, sujet « le
plus épineux de tous » (ibid., p. 99), ne doit être
abordée qu’une fois que le transfert s’est mué en résis-
tance. L’interprétation de l’analyste ne peut être for-
mulée qu’une fois « qu’un transfert sûr, un rapport
favorable, aient été établis chez le patient » (ibid.). Ce
but premier de l’analyse, qui est d’établir le transfert,
peut être atteint avec le temps et l’intérêt que l’analyste
porte à son patient, lui permettant de supprimer les
premières résistances qui surgissent. Le patient s’at-
tache, dans ces conditions, « de lui-même à l’analyste
et le range parmi les imagos de ceux dont il avait accou-
tumé d’être aimé » (ibid.).
Un autre point concerne les facteurs réels de l’en-
tourage analytique, qui favoriseraient l’émergence du
transfert. Ainsi, la constance des conditions, l’état de
frustration du patient et la position infantile dans
laquelle il se retrouve de par sa demande sont autant
de facteurs de réalité pouvant influencer le transfert.
Toutefois, on note que le cadre défini par Freud a
connu par la suite de nombreuses évolutions et
variantes, en fonction notamment des problématiques
des patients.
Selon Freud (1915), le maniement du transfert
constitue pour le psychanalyste débutant un travail
plus difficile que l’interprétation des associations du
patient. Freud (1905) a donc fait du transfert, initia-
lement obstacle, un allié précieux dans la cure.
De nombreux travaux ultérieurs ont porté sur le
transfert. En fonction des types de personnalité, de
la dynamique psychique du patient dans la cure, le
transfert varie et comporte des spécificités. Ainsi,
126 L’entretien clinique à distance

dans l’œuvre de Klein, 1937, 1957), la notion de rela-


tion d’objet se trouve mêlée au transfert, où se jouent
les modalités privilégiées des relations du sujet à ses
différents types d’objets, partiels ou totaux. Des méca-
nismes tels que l’identification projective, peuvent se
manifester dans le transfert de patients présentant une
structure de personnalité limite ou psychotique.
La place du corps dans le transfert est une théma-
tique importante qui fut discutée par certains auteurs,
mais pas par Freud. Dans la situation de « transfert
colonial » à l’égard du chercheur, décrit par Devereux
(1951) face à l’Indien des Plaines 20, le phénotype de
l’analyste, son corps, a déterminé le transfert négatif
de l’indien, qui l’assimile à l’agresseur. Face à cette
découverte, l’importance du corps de l’analyste est
soulignée concernant la mise en œuvre des processus
transférentiels. Ainsi, la prise en compte de cette alté-
rité visible sur le corps, tant du patient que du théra-
peute, est essentielle (Govindama, 2000, 2003, 2007).
Winnicott (1960, p. 351) donne cette définition
du transfert : « La caractéristique de la technique psy-
chanalytique est cet emploi du terme et de la névrose
de transfert. Le transfert n’est pas seulement une ques-
tion de rapport ou de relations. Il concerne la manifes-
tation répétée, dans l’analyse, d’un phénomène très
subjectif. La psychanalyse est, en grande partie, la mise
en place des conditions nécessaires au développement
de ces phénomènes et à leur interprétation à point
nommé. » Winnicott insiste ici sur la perception du

20. Ce patient avait exprimé un transfert négatif à l’égard de Deve-


reux, en raison de l’apparence physique du clinicien, qui avait un
phénotype lui rappelant celui des hommes ayant commis un géno-
cide sur son peuple.
La place du corps et celle du regard en visioconsultation 127

transfert par l’analyste, qui est liée à son contre-transfert,


concept que nous allons à présent tenter de définir.

Le contre-transfert
C’est en 1910 que Freud publie pour la première
fois sur le contre-transfert. Dans « Perspectives d’avenir
de la thérapeutique analytique », il note une innovation
d’ordre technique : « Le “contre-transfert” s’établit chez
le médecin par suite de l’influence qu’exerce le patient
sur les sentiments inconscients de son analyste » (Freud,
1910, p. 27). Il remarque que « tout analyste ne peut
mener à bien ses traitements qu’autant que ses propres
complexes et ses résistances intérieures le lui permet-
tent » (ibid.). C’est pourquoi l’analyste doit commencer
par subir une analyse et ne cesse jamais d’approfondir
celle-ci, même lorsqu’il applique des traitements à autrui
(Freud, 1912a). Pour cela, l’analyste doit se soumettre
à une certaine « condition psychologique » (ibid., p. 66)
qui lui permet de se servir de son propre inconscient
comme d’un « instrument ». Ses propres résistances et
complexes risqueraient sinon d’introduire une défor-
mation dans l’analyse et de gêner sa compréhension
des propos de l’analysé. Cette nécessaire « purifica-
tion psychanalytique » (ibid., p. 67), s’articule avec
le contre-transfert en tant qu’« ensemble des réac-
tions inconscientes de l’analyste à la personne de
l’analysé et plus particulièrement au transfert de
celui-ci » (Laplanche et Pontalis, 1967, p. 103). L’ana-
lyse préalable doit ainsi permettre au professionnel de
repérer et d’analyser ces réactions inconscientes, afin
qu’elles ne soient pas dommageables au bon déroule-
ment de la cure.
128 L’entretien clinique à distance

Les écrits de Freud restent discrets sur la question


du contre-transfert, même s’il lui reconnaît son impor-
tance et sa dangerosité. Le contre-transfert constitue
le pendant du transfert, tout comme le pendant des
associations libres du patient est l’attention flottante
de l’analyste. Mais dans la dyade transfert-contre-
transfert, l’un et l’autre sont avant tout d’ordre libi-
dinal, ce qui donne lieu à des émergences pulsionnelles
puissantes et violentes, véritables matières « explo-
sives » (Freud, 1915, p. 130). Cela confirme l’idée que
le contre-transfert est à la fois une limite et un instru-
ment puissant dans la cure analytique, mais qu’il
constitue un phénomène inévitable, induit par toute
situation clinique. Ce sont donc surtout les dévelop-
pements post-freudiens, qui traiteront du contre-
transfert.
La question de l’activité de l’analyste, évoquée par
Ferenczi (1928) et mentionnée par Freud (1918) sera
reprise et développée, notamment par Klein (1957).
Le travail en analyse avec les enfants a exposé les psy-
chothérapeutes à des composantes plus archaïques de
la personnalité, dans un transfert où se jouait la répé-
tition des relations précoces, pouvant mettre l’analyste
dans une position maternelle. Ainsi, le mécanisme
d’identification projective serait à l’œuvre dans un
transfert clivant et correspondrait à une relation
d’objet partiel 21. Face à ce type de phénomène massif,
le contre-transfert représente un outil irremplaçable,

21. Ce clivage du moi est doublé d’une projection sur un objet


partiel, lui-même clivé. Puis, dans un deuxième temps, le moi
s’identifie à cet objet, récupérant ainsi l’omnipotence à laquelle il
ne veut pas renoncer.
La place du corps et celle du regard en visioconsultation 129

notamment avec des enfants mutiques ou psycho-


tiques, car il constitue parfois le seul moyen de donner
un sens au matériel infra-verbal fourni par l’enfant. À
partir de la prise de conscience des aspects de son
contre-transfert, l’analyste peut contenir et élaborer les
projections de l’enfant, tout en s’en protégeant.
Ainsi, beaucoup de travaux sur le contre-transfert
évoquent des situations cliniques avec des patients
psychotiques. Dans « La haine dans le contre-transfert »,
Winnicott (1947) aborde un thème assez peu évoqué
auparavant dans les travaux psychanalytiques. Après le
cas particulier de l’amour de transfert et de ce qu’il peut
susciter en termes de contre-transfert chez l’analyste
(Freud, 1915), le cas de la haine ressentie par l’analyste
dans son contre-transfert est ici traité. Ainsi, dans le
cadre particulier des analyses de patients psychotiques,
le travail devient « impossible si la propre haine de l’ana-
lyste n’est pas extrêmement bien dégagée et consciente »
(Winnicott, 1947, p. 72). Plus le « chercheur en psy-
chanalyse » (ibid., p. 73), est conscient de son contre-
transfert et de la haine qu’il peut éprouver parfois envers
ses patients, « moins il laissera la haine et la crainte
déterminer ce qu’il leur fait » (ibid.).
Pour illustrer ce phénomène, Winnicott (1947)
fait allusion à une position maternelle de l’analyste et
à l’ambivalence des sentiments maternels, ce qui est
également nouveau par rapport à la théorie freudienne
(Freud, 1939), où l’ambivalence est plutôt liée à l’es-
sence de la relation paternelle. Ainsi, « l’analyse des
psychotiques et dans les tout derniers stades de l’ana-
lyse, même celle d’une personne normale, doit placer
l’analyste dans une position comparable à celle de la
mère d’un nouveau-né » (Winnicott, 1947, p. 81).
130 L’entretien clinique à distance

Concernant l’attitude du soignant : « Le psycho-


thérapeute doit rester vulnérable tout en sachant
conserver, au cours de ses heures de travail, une atti-
tude professionnelle » (Winnicott, 1960, p. 352). La
signification du mot contre-transfert peut donc être
« élargie » (ibid., p. 350) : « La signification du mot
contre-transfert réside seulement dans les éléments
névrotiques qui gênent l’attitude professionnelle et
perturbent le cours du processus analytique tel qu’il
est déterminé par le patient. À mon avis, cette attitude
n’est valable que dans les cas où le diagnostic relatif au
patient répond à certaines données » (ibid., p. 354).
Dans les situations « limites », comme dans le récit d’un
cas de patient ayant une tendance antisociale, « pour
que le vrai self caché prenne la place qui est la sienne, le
patient passera par un effondrement (breakdown) qui
sera partie intégrante du traitement, et l’analyste devra
être capable d’assumer le rôle de la mère envers le
patient redevenu nourrisson » (ibid., p. 356). Cela
constitue une évolution majeure de la pratique analy-
tique, l’analyste s’autorisant à éprouver des sentiments
maternels dans son contre-transfert, à recevoir et à
contenir des affects, là où la parole est désinvestie.
Searles (1960) évoque la possibilité de traiter le
patient comme non humain dans le contre-transfert,
en réaction au transfert du patient qui traite son théra-
peute comme non humain. Ce phénomène contre-
transférentiel éclaire le clinicien face au statut du moi
de ses patients schizophrènes, en régression profonde.
On note l’influence de Ferenczi sur la pensée de
Searles, concernant notamment l’activité et l’attitude
plus ou moins consciente du thérapeute sur le plan
contre-transférentiel. Ainsi, il serait difficile pour l’ana-
La place du corps et celle du regard en visioconsultation 131

lyste d’utiliser uniquement les principes de neutralité


bienveillante et d’attention flottante auprès de patients
psychotiques, et l’analyste ne pourrait alors que tra-
vailler sur, et à partir de, ce que son patient induit en
lui d’émotions, de haine, de jalousie, de culpabilité et
d’espoir, voire de folie (Searles, 1979). Le contre-trans-
fert serait alors l’instrument par excellence du traite-
ment, encourageant tous les analystes à s’interroger sur
leurs motivations profondes à vouloir guérir leurs sem-
blables, mais d’abord leurs parents. L’implication de
l’analyste dans la compréhension de ce qui se mobilise
en lui face à un patient est le pilier sur lequel il va s’ap-
puyer pour pouvoir aider le patient à mieux com-
prendre ses mouvements intérieurs.
Certaines théories du transfert ou du contre-trans-
fert envisagent ces phénomènes comme une globalité.
Lacan (1958) ne distingue pas les deux processus, qu’il
englobe dans la notion du « sujet supposé savoir ». « Le
transfert est un phénomène où sont inclus ensemble le
sujet et le psychanalyste. Le diviser dans les termes de
transfert et de contre-transfert, quelle que soit la har-
diesse, la désinvolture des propos qu’on se permet sur
ce thème, n’est jamais qu’une façon d’éluder ce dont il
s’agit » (Lacan, 1964, p. 210). De même, la résistance à
l’œuvre dans la cure serait celle de l’analyste.
Enfin, Devereux (1951) a démontré la nécessité
de prendre en compte la différence introduite par le
phénotype, comme figure d’altérité. Il a ainsi dégagé
l’importance cruciale du contre-transfert dans les
sciences du comportement et il a démontré que l’étude
de l’observateur plus que de l’observé permet l’accès à
l’essence de la situation étudiée : « Freud a établi que
le transfert est la donnée la plus fondamentale de la
132 L’entretien clinique à distance

psychanalyse, considérée comme méthode d’investi-


gation […] j’affirme que c’est le contre-transfert,
plutôt que le transfert, qui constitue la donnée la plus
cruciale de toute science du comportement, parce que
l’information fournie par le transfert peut en général
être obtenue par d’autres moyens, tandis que ce n’est
pas le cas pour celle que livre le contre-transfert »
(Devereux, 1967, p. 15). Ainsi, la confrontation à une
autre culture peut engendrer de l’angoisse, parce
qu’elle a des moyens de sublimation et de refoulement
propres. Des mécanismes de défense professionnels et
socioculturels provoquent donc des « déformations
ethnocentriques caractéristiques dues à la culture à
laquelle on appartient, et qui sont inévitables » (ibid.,
p. 188). Elles sont également provoquées par le sexe,
l’âge, l’appartenance de classe, les études et la person-
nalité elle-même du thérapeute. L’observateur en tant
qu’individu avec ses angoisses, ses mécanismes de
défense et le fait qu’il est porteur de sa propre culture,
est donc placé au cœur du dispositif et il va recueillir
des informations différentes de celles d’un autre obser-
vateur. Ainsi, l’altérité est à prendre en compte dans
toute rencontre clinique et notamment interculturelle,
en ce qu’elle assigne aussi bien le patient que le théra-
peute à une place dans la différence des générations,
des sexes et des cultures.
Cette situation est encore plus flagrante en cli-
nique interculturelle, où malgré tout, la neutralité doit
pouvoir rester un principe pour que la situation
demeure analysable (Govindama, 2000). Le contre-
transfert culturel peut alors devenir un outil et non un
obstacle. Avant même de rencontrer un patient
étranger, il est indispensable de connaître ses propres
La place du corps et celle du regard en visioconsultation 133

marques, ses propres repères dans les foisonnements


des représentations idéologiques, politiques, que les
patients migrants amènent avec eux. Cette situation
est fondamentalement différente de la rencontre cli-
nique habituelle et classique, dans laquelle le patient
et le thérapeute partagent globalement les mêmes
implicites 22.
Toutefois, l’importance accordée à l’analyse du
contre-transfert concerne aussi les rencontres « intra-
culturelles ». Devereux (1951, 1967) élargit la notion
de contre-transfert qu’il applique au domaine général
des sciences du comportement. Il serait ainsi possible
de décrire un transfert et un contre-transfert dans
toutes les situations où il existe un échange véritable
entre une personne et une autre, au titre du soin ou
de la recherche. Il définit le contre-transfert comme « la
somme totale des déformations qui affectent la per-
ception et les réactions de l’analyste envers son
patient ; ces déformations consistent en ce que l’ana-
lyste répond à son patient comme si celui-ci consti-
tuait un imago primitif, et se comporte dans la
situation analytique en fonction de ses propres
besoins, souhaits et fantasmes inconscients – d’ordi-
naire infantiles » (Devereux, 1967, p. 75). Ces phéno-
mènes se produisent également entre le chercheur et
son objet, car toute donnée scientifique suscite de l’an-
goisse, surtout au moment où les faits sont transformés
en données. Ainsi, tout chercheur en sciences
humaines courrait un risque à vouloir nier le contre-

22. Même s’ils divergent, voire s’opposent, dans certaines appré-


ciations, opinions, croyances, etc., ils le font dans un cadre culturel
relativement défini.
134 L’entretien clinique à distance

transfert dans la recherche propre aux sciences du


comportement : le matériel recueilli pourrait s’en
trouver affecté, ainsi que l’interprétation des données
(ibid.). Cette remarque semble très pertinente, c’est
pourquoi j’ai tenu à intégrer les éléments d’ordre
contre-transférentiel à mon analyse de données, dans
le cadre des échanges ayant lieu en visioconsultation 23.
Après avoir donné des repères théoriques sur les
concepts fondamentaux du transfert et du contre-
transfert, passons maintenant à l’observation de ces
phénomènes en visioconsultation.

Transfert et contre-transfert en visioconsultation


La prise en compte de la dimension transféro-
contre-transférentielle et des phénomènes pouvant en
être l’expression en visioconsultation représente l’un
des facteurs essentiels de ma recherche. Rappelons que
le cadre de la visioconsultation n’est pas celui de la cure
analytique définie par Freud, mais une adaptation du
cadre de l’entretien clinique en face-à-face, d’inspira-
tion psychodynamique (Chiland, 1983). Comment ce
dispositif peut-il permettre à la subjectivité du patient
d’émerger, dans une relation transférentielle ?
Pour tenter de répondre à cette question, il faut
tout d’abord considérer les « effets du cadre et ceux de
la rencontre entre le sujet et le clinicien sur les mouve-
ments transférentiels et contre-transférentiels » (Govin-
dama, 2003, p. 192). Ainsi, l’altérité est amenée par le
corps dans toute rencontre clinique, et inclut ainsi la
différence des générations, des sexes et des cultures

23. Cf. chapitre 5, « Intersubjectivité en visioconsultation ».


La place du corps et celle du regard en visioconsultation 135

(Devereux, 1967). Le phénotype du thérapeute comme


celui du patient influencent les processus transféro-
contre-transférentiels. C’est pourquoi il a été essentiel
de préserver la dimension corporelle dans le dispositif
de visioconsultation, même à distance. Dans cette
mesure, l’écoute clinique et les processus en jeu dans la
relation intersubjective propre à l’entretien clinique peu-
vent être comparables. L’instauration d’un cadre permet
ainsi d’assurer une fonction tierce, favorisant l’accès à la
subjectivité, et non une relation de l’ordre du « même ».
Il est donc important de considérer la contribu-
tion du matériel relatif à la relation thérapeutique
(Searles, 1960, p. 317). Dans certains phénomènes
transférentiels, « le patient traite le thérapeute comme
non humain » (ibid.). Cette réflexion, qui concerne
des patients psychotiques, m’a semblé intéressante par
rapport à mon objet d’étude, qui implique des facteurs
non humains médiatisant la relation entre les utilisa-
teurs, sans pour autant favoriser l’établissement d’une
relation « déshumanisée ». Je me suis questionnée sur
la possibilité de transposer sur internet des éléments fai-
sant partie de la réalité du cadre de l’entretien clinique
d’inspiration psychanalytique, comme la constance
des conditions dans la durée des entretiens relative
au facteur temporel, ou encore l’état de frustration
du patient.
Dans une approche inductive, mon travail de
recherche est parti du terrain, avec un questionnement
lié à une pratique particulière, mais déjà existante en
psychologie : l’écoute clinique « à distance ». Dans
quelle mesure envisager d’adapter certains éléments
fondateurs du cadre de l’entretien clinique dans la dis-
tance, afin de permettre l’émergence et l’analyse de la
136 L’entretien clinique à distance

subjectivité et des phénomènes transféro-contre-trans-


férentiels ?
Ces interrogations m’ont progressivement
conduite vers l’élaboration d’un cadre d’entretien,
dans un cheminement assez long et complexe. L’éla-
boration de l’outil permettant la visioconsultation,
sous la forme d’un site internet, a mêlé des aspects
purement techniques à une réflexion théorique et
éthique autour du cadre de l’entretien clinique. Dans
l’adaptation de ce cadre en ligne, la mise en place de
différentes options a permis de supposer que le dispo-
sitif pouvait permettre une rencontre en face-à-face
comparable à une situation de cabinet.
La place du regard et les interactions sensorielles
impliquant le corps de l’analyste et celui du patient
ont pu favoriser la possibilité d’accéder aux registres
conscient et inconscient du discours, grâce à l’analyse
des actes manqués, des rêves, des symptômes, ainsi que
des phénomènes subjectifs au travers du transfert et
du contre transfert.
Ce que j’ai appelé « visioconsultation » est donc
le fruit d’une conceptualisation théorique, puis d’une
construction technique qui a constitué une première
partie, essentielle, du travail. Ce travail repose sur les
fondements méthodologiques de l’entretien clinique,
qu’il est important de rappeler, afin de présenter le
setting en visioconsultation.
4
Le setting en visioconsultation

Avant de pouvoir envisager la mise en place


d’entretiens cliniques en visioconférence, il a fallu dans
un premier temps revenir sur la définition même de l’en-
tretien clinique, le but étant de rester au plus près de ses
principes, afin de pouvoir les adapter en ligne. L’entretien
clinique en face-à-face est la pratique utilisée en visio-
consultation et elle reprend les fondements de la tech-
nique psychanalytique. C’est pourquoi il est important
de rappeler les éléments principaux de cette méthode.

L’ENTRETIEN CLINIQUE ET L’OBSERVATION CLINIQUE


À L’ÉPREUVE DE LA VISIOCONFÉRENCE

La « méthode de traitement » psychanalytique


Dans La technique psychanalytique (Freud, 1953),
les textes freudiens recueillis concernent principalement
la « méthode de traitement 1 » psychanalytique.

1. Cette expression fut employée par Freud dans un article paru


en 1923 et intitulé « Psycho-analysis » dans Résultats, idées, pro-
blèmes, II, Paris, Puf, 1985, p. 154.
138 L’entretien clinique à distance

« Cette thérapeutique se fonde sur l’idée que les


représentations inconscientes – ou mieux, l’incons-
cience de certains processus psychiques – sont les
causes immédiates des symptômes morbides (Freud,
1904, p. 18). Donc, « la traduction de cet inconscient
en conscient dans le psychisme du patient doit avoir
pour résultat de ramener ce dernier à la normale et de
supprimer la contrainte à laquelle est soumise sa vie
psychique » (ibid., p. 20).
Le traitement décrit comporte deux parties : le
médecin se livre à un travail de déduction et fait part
au patient de ce qu’il a déduit, et par ailleurs, le patient
retravaille ce que lui a dit le médecin. Cette aide intel-
lectuelle va faciliter la levée des résistances entre le
conscient et l’inconscient, bien que ce ne soit pas là le
seul mécanisme utilisé dans la cure psychanalytique.
Un autre, « bien plus puissant », est dénommé « le
transfert » (Freud, 1910, p. 24).
La psychanalyse est ainsi définie comme le « tra-
vail qui consiste à ramener jusqu’au conscient du
malade les éléments psychiques refoulés » (Freud,
1918, p. 132). Après avoir rejeté la suggestion, Freud
rejette également l’hypnose et traite désormais ses
malades de la façon suivante : « Sans chercher à les
influencer d’autre manière, il les fait s’étendre com-
modément sur un divan, tandis que lui-même, sous-
trait à leurs regards, s’assied derrière eux. Il ne leur
demande pas de fermer les yeux et évite de les toucher,
comme d’employer tout autre procédé capable de rap-
peler l’hypnose. Ce type de séance se passe à la manière
d’un entretien entre deux personnes en état de veille,
dont l’une se voit épargner tout effort musculaire,
toute impression sensorielle, capables de détourner son
Le setting en visioconsultation 139

attention de sa propre activité psychique » (Freud,


1904, p. 2). On note l’importance accordée à la dimi-
nution voulue des « impressions sensorielles » du
patient, particulièrement le toucher, en opposition
avec l’hypnose. Ainsi se trouve également posée la
question de la distance physique des corps de l’analyste
et du patient, qui converge avec la règle d’abstinence,
même si ces corps sont « en présence » dans la même
pièce. Cela paraît tout à fait intéressant par rapport à
mon objet d’étude, car on pourrait a priori considérer
cette même distance des corps entre le psychologue et
le patient comme un obstacle dans le cadre de la visio-
consultation, alors qu’elle fait, dans une certaine
mesure, partie de la définition du cadre psychanaly-
tique en lui-même.
Selon Freud (1913, p. 93), il est important « que
le malade s’étende sur un divan et que le médecin soit
assis derrière lui de façon à ne pouvoir être regardé ».
Cet usage représente un vestige de la méthode hypno-
tique, origine de la psychanalyse. Il devrait être
conservé notamment pour « un motif personnel, mais
probablement valable pour d’autres que moi : je ne
supporte pas que l’on me regarde pendant huit heures
par jour (ou davantage) » (ibid.). Ces propos semblent
intéressants à prendre en considération et à discuter
dans le cadre de la pratique en visioconsultation, où
la place du regard est centrale, ainsi que l’« auto-mise
en scène » (France, 1982) ou la « mise en image 2 » des
participants. En visioconsultation, face au regard de

2. Cf. chapitre 3, « La place du corps et celle du regard en visio-


consultation ».
140 L’entretien clinique à distance

l’autre et à « l’œil de la caméra », la place du regard a


été un point important à intégrer et à discuter dans la
réflexion.
Selon Freud, le moyen plus efficace est « d’agir
sur le moral d’un sujet par des moyens moraux, c’est-
à-dire psychiques » (Freud, 1904, p. 12). Le concept
de l’inconscient, central dans la théorie psychanaly-
tique, aide ainsi à comprendre « l’étrange possibilité
dont disposent ces malades de parvenir à concilier une
prise de connaissance consciente avec l’ignorance »
(Freud, 1913, p. 102). Ce phénomène constitue pour-
tant l’une des meilleures confirmations de la théorie
des différences topographiques entre processus psy-
chiques : « Par la pensée, les malades ont perçu l’inci-
dent refoulé, mais le lien entre cette pensée et le point
où se trouve en quelque sorte renfermé le souvenir
refoulé leur échappe » (ibid.).
La révélation consciente du refoulé au malade est
donc une étape importante du traitement, mais elle ne
permet pas à elle seule la suppression des symptômes.
Elle entraîne cependant d’autres conséquences : « Elle
commence par provoquer des résistances, mais une fois
celles-ci vaincues, elle suscite un processus psychique au
cours duquel l’influence escomptée agit finalement sur
le souvenir inconscient » (ibid.). Aucun changement ne
se produit, jusqu’au moment où le processus mental
conscient peut pénétrer jusqu’à ce point pour y vaincre
les résistances du refoulement. On note que le sens de
cette affirmation de Freud reste le même, après le rema-
niement de sa théorie de l’appareil psychique sur le plan
topique. Ainsi « la psychanalyse est un outil qui doit
donner au moi la possibilité de conquérir progressive-
ment le ça » (Freud, 1923a, p. 301).
Le setting en visioconsultation 141

Freud a progressivement abandonné toute tech-


nique hypnotique au profit de la parole, favorisée par
les associations libres et la découverte de l’interpréta-
tion des rêves, qui permettent l’accès à l’inconscient.
Par l’hystérie, Freud a été amené à entendre le langage
du corps. L’association libre est une tâche qui consiste,
pour le patient, à raconter tout ce qui lui passe par
l’esprit, en éliminant toute objection logique et affec-
tive qui le pousserait à choisir. L’autre « pendant » de
la technique analytique, qui concerne cette fois l’ana-
lyste, est le principe de l’attention flottante. L’atten-
tion flottante et l’association libre visent toutes deux
à permettre l’émergence des processus inconscients et
elles établissent conjointement la « règle psychanaly-
tique fondamentale » (Freud, 1912a, p. 62). L’atten-
tion flottante, ou « attention en égal suspens », est
expliquée ainsi : « Nous ne devons attacher d’impor-
tance à rien de ce que nous entendons et il convient
que nous prêtions à tout la même attention “flot-
tante” » (ibid.). L’analyste doit ainsi porter son atten-
tion sur tout d’une égale façon, laissant en suspens ses
propres sentiments et convictions. Seule cette attitude
permet d’entendre pleinement, sans interférer, ce que
dit librement l’analysé. La technique d’attention flot-
tante exige que l’analyste ait pris suffisamment de dis-
tance à l’égard de ses propres résistances, grâce à une
analyse didactique qu’il ne doit jamais cesser d’appro-
fondir (Freud, 1910, p. 27).
Un autre point important concerne la « froideur »
de l’analyste, qui est en lien avec la règle d’abstinence.
« Pour l’analysé, le médecin doit demeurer impénétrable
et, à la manière d’un miroir, ne faire que refléter ce
qu’on lui montre » (Freud, 1912a, p. 68). Cette expli-
142 L’entretien clinique à distance

cation semble tout à fait pertinente dans le cadre du tra-


vail en visioconsultation, où l’auto-mise en scène de soi
peut renvoyer à ce que le patient donne à voir dans le
transfert.
Au-delà de cette indifférence, il est recommandé
au psychanalyste de maintenir durant la cure un état
de frustration chez le patient (Freud, 1918). La vio-
lence de cette frustration est contenue par le cadre,
forme de contrat réglant le temps, l’espace et le paie-
ment des séances.
Ainsi, certaines indications sont relatives à deux
questions importantes dans la méthode de traitement
psychanalytique : celle du temps et celle de l’argent. En
ce qui concerne le temps, il est recommandé de fixer
une heure et un jour déterminés (Freud, 1913). La
durée de chaque séance est d’environ une heure et doit
être régulière. Concernant la durée du traitement, il est
difficilement possible de l’évaluer par avance, étant
donné « l’intemporalité de nos processus inconscients »
(ibid., p. 88). Pour les questions d’argent, il est recom-
mandé à l’analyste d’en traiter devant le patient, avec
autant de franchise naturelle qu’il en exige lui-même
de son patient pour ce qui touche à la sexualité. « L’ab-
sence de l’influence corrective du paiement présente de
graves désavantages ; l’ensemble des relations échappe
au monde réel ; privé d’un bon motif, le patient n’a
plus la même volonté de terminer le traitement » (ibid.,
p. 92). J’ai donc été attentive aux questions relatives au
temps et à l’argent dans la conceptualisation, puis la
pratique de la visioconsultation.
En appliquant la « règle psychanalytique fonda-
mentale » à la méthode de l’interprétation élaborée
pour les symptômes, Freud a découvert l’interpréta-
Le setting en visioconsultation 143

tion des rêves, qui ouvre selon lui l’accès direct de la


connaissance de l’inconscient 3.
Le travail du rêve, son élaboration subjective, est
le processus de transformation du contenu latent en
contenu manifeste. Il apparaît donc essentiel de ne pas
confondre le rêve manifeste avec les pensées latentes
du rêve. Freud mentionne deux procédés essentiels
œuvrant dans le travail du rêve : la condensation et le
déplacement. La condensation relève des processus
psychiques primaires qui renvoient, par des ramifica-
tions complexes, chaque élément du rêve vers des
restes diurnes et des éléments de la vie du rêveur,
actuels ou infantiles. Le déplacement relève lui aussi
des processus psychiques primaires et « fait appel à
l’hypothèse économique d’une énergie d’investissement
susceptible de se détacher des représentations et de glisser
le long des voies associatives » (Laplanche et Pontalis,
1967, p. 117). Les rêves sont « des accomplissements
voilés de désirs refoulés » (Freud, 1901, p. 118). Le rêve
est donc, comme le symptôme et l’acte manqué, un
compromis psychique qui gère l’adaptation à la réalité.
L’interprétation des actes manqués et des lapsus
dans le discours ou l’écoute, fait également partie de la
technique psychanalytique. Freud a montré que les actes
manqués étaient « comme les symptômes, des forma-
tions de compromis entre l’intention consciente du
sujet et le refoulé » ((Laplache et Pontalis, 1967, p. 6).
Ces formations symptomatiques motrices propres à la
vie courante aboutissent ainsi à un autre agissement

3. C’est dans L’interprétation des rêves, en 1900, qu’il expose large-


ment cette technique, que l’on retrouve par la suite tout au long
de son œuvre.
144 L’entretien clinique à distance

que celui visé consciemment. Il peut s’agir d’actes pro-


prement dits, mais aussi de lapsus, d’erreurs et d’oublis,
qui constituent de véritables retours du refoulé et sont
le résultat d’un compromis. Ils témoignent, tout comme
les rêves, d’un désir inconscient sous-jacent. Freud pra-
tique la même méthode d’interprétation pour ces dif-
férents « compromis », prouvant ainsi l’existence de
l’inconscient chez le sujet « sain », comme chez le sujet
névrosé. Dans le cadre de mon étude en visioconsulta-
tion, j’ai porté une attention particulière à ces éléments,
auxquels j’ai eu accès et que j’ai donc pu intégrer à mon
analyse.
La méthode de l’interprétation s’applique enfin aux
phénomènes transférentiels et contre-transférentiels
dans la cure. Le transfert est l’un des piliers de la cure
et il désigne « le processus par lequel les désirs incons-
cients s’actualisent sur certains objets dans le cadre
d’un certain type de relation établi avec eux et émi-
nemment dans le cadre de la relation analytique. Il
s’agit là d’une répétition de prototypes infantiles vécue
avec un sentiment d’actualité marqué » (ibid., p. 492).
Le contre-transfert renvoie à « l’ensemble des réactions
de l’analyste à la personne de l’analysé et plus particu-
lièrement au transfert de celui-ci » (ibid., p. 103). Ces
deux phénomènes constituent des références essen-
tielles pour mon étude et mes hypothèses, puisque j’ai
tenté d’évaluer les manifestations transféro-contre-
transférentielles dans le cadre de la visioconsultation 4.

4. Cf. chapitre 3, « La place du corps et celle du regard en visio-


consultation ».
Le setting en visioconsultation 145

Mais la pratique de l’interprétation ne se résume


pas uniquement à rendre conscient un matériel
inconscient, et l’un des processus permettant de sur-
monter les résistances dans la cure analytique est, selon
Freud, la perlaboration : « Il s’agirait là d’une sorte de
travail psychique qui permet au sujet d’accepter cer-
tains éléments refoulés et de se dégager de l’emprise
des mécanismes répétitifs » (ibid., p. 305). Du point
de vue technique, la perlaboration est favorisée par des
interprétations de l’analyste, consistant notamment à
montrer comment les significations en cause se retrou-
vent dans des contextes différents, mettant ainsi en
lumière le processus de répétition. Cependant, le fait
de nommer une résistance ne permet pas pour autant
de la faire disparaître immédiatement (Freud, 1914).
La perlaboration serait ainsi constante dans la cure,
mais plus particulièrement à l’œuvre dans certaines
phases où le traitement paraît stagner et où une résis-
tance, bien qu’interprétée, persiste. Ainsi, « cette per-
laboration des résistances peut, pour l’analysé,
constituer, dans la pratique, une tâche ardue et être
pour le psychanalyste une épreuve de patience. De
toutes les parties du travail analytique, elle est pourtant
celle qui exerce sur les patients la plus grande influence
modificatrice, celle aussi qui différencie le travail
analytique de tous les genres de traitements par sug-
gestion » (ibid., p. 115). Freud souligne le caractère
essentiel de la perlaboration dans la cure, en tant que
facteur de changement dans un processus pathologique
de répétition.
Concernant les travaux de recherche en psycha-
nalyse, Freud (1912a, p. 65) précise que « l’analyste
devra […] ne soumettre les matériaux acquis à un
146 L’entretien clinique à distance

travail de synthèse qu’une fois l’analyse terminée ». J’ai


suivi cette préconisation pour mon étude et la sélec-
tion des données à analyser.
Selon Freud, la nature même de la méthode psy-
chanalytique implique des indications et des contre-
indications, suivant les personnes à traiter et le tableau
clinique. La psychanalyse pourrait venir en aide aux
« personnalités les plus évoluées » (Freud, 1904, p. 18),
ce qui semble exclure les structures de personnalité
psychotiques du champ de la cure psychanalytique.
Une autre indication concerne la phase prélimi-
naire de la cure, qui apparaît comme nécessaire (Freud,
1913). Cette étape constitue déjà le début d’une ana-
lyse et doit se conformer aux règles qui la régissent. Ce
court traitement d’essai devrait durer de une à deux
semaines ; il présente aussi l’avantage de « faciliter le
diagnostic » (Freud, 1913, p. 81) et d’identifier
notamment des pathologies d’ordre psychotique. J’ai
conservé cette pratique préliminaire dans les entretiens
réalisés sur iPSY.
Dans une dernière remarque sur l’avenir de la
thérapeutique psychanalytique, Freud (1918) conclut :
« Tout porte à croire que, vu l’application massive de
notre thérapeutique, nous serons obligés de mêler à
l’or pur de l’analyse une quantité considérable du
plomb de la suggestion directe. Parfois même, nous
devrons, comme dans le traitement des névroses de
guerre, faire usage de l’influence hypnotique. Mais
quelle que soit la forme de cette psychothérapie popu-
laire et de ses éléments, les parties les plus importantes,
les plus actives, demeureront celles empruntées à la
stricte psychanalyse dénuée de tout parti pris » (ibid.,
p. 141). Cette réflexion m’a fortement inspirée pour
Le setting en visioconsultation 147

mon étude, car malgré toutes les différences notables


entre la visioconsultation et la cure analytique décrite
par Freud, cette dernière a représenté le point de départ
et la base sur laquelle j’ai pu m’appuyer tout au long de
mon travail de recherche. Ainsi, comment envisager de
mélanger à l’or pur de la psychanalyse le silicium de nos
ordinateurs ?

L’entretien clinique en face-à-face,


d’inspiration psychanalytique
Bien qu’inspirée de la méthode psychanalytique,
la visioconsultation correspond d’avantage au cadre de
l’entretien clinique d’inspiration psychanalytique en
face-à-face, défini comme un entretien en face-à-face,
non-directif, ou de recherche (Chiland, 1983), où
serait toujours présent le principe de neutralité bien-
veillante. Il s’agit d’une « conception de l’entretien cli-
nique où à l’invite à la liberté de parole du patient
correspond “l’attention flottante”, la liberté d’écoute
et d’association du clinicien » (ibid., p. 26).
L’entretien clinique, réalisé en face-à-face, permet
aux interlocuteurs de se regarder et au patient de cher-
cher à « lire sur le visage du clinicien » (ibid., p. 18).
Alors que le dispositif du divan permet à l’analyste de
rester hors de la vue du patient, dans le respect du
principe de neutralité, Chiland précise que la neutra-
lité « ce n’est pas seulement ne pas laisser paraître ce
qu’on éprouve, c’est prendre conscience de ce qu’on
éprouve et n’être pas gouverné par les réactions non
contrôlées dans la compréhension du patient et dans
la réponse qu’on lui donnera » (ibid.). Pour parvenir à
cela, un « parti pris de bienveillance » (ibid.) est néces-
148 L’entretien clinique à distance

saire chez le clinicien, qui « s’efforce, par un travail per-


sonnel, à une neutralité bienveillante qui permette au
client une parole aussi libre qu’il le peut et le déploie-
ment de ses problèmes » (ibid., p. 19). Dans l’entretien
non directif, le clinicien invite à parler et ne pose pas
de questions.
La demande du sujet dans une démarche psycho-
thérapeutique est un autre élément important de l’en-
tretien clinique : « Parfois, malgré une absence initiale
de demande consciente, la rencontre a lieu et le client
se sent compris et s’étonne de ce qu’il a trouvé. Parfois,
quelles que soient les qualités du clinicien, la commu-
nication ne s’établit pas ; sans qu’on puisse le savoir,
une étape peut néanmoins avoir été franchie, un jalon
posé qui permettra au client de tirer un meilleur parti
d’un entretien ultérieur avec un autre clinicien » (ibid.,
p. 27). Dans cette rencontre « aucun clinicien ne peut
convenir à tous » (ibid.). Dans mon protocole de
recherche en visioconsultation, j’ai été particulière-
ment attentive aux facteurs relatifs à la demande des
sujets. Ainsi, bien que le cadre expérimenté ait pour
but de se rapprocher le plus possible de celui de l’en-
tretien clinique classique, il n’en demeure pas moins
que la visioconsultation comporte des spécificités qui
peuvent influencer la demande des sujets. Cette
variable a donc été intégrée à l’analyse des phénomènes
transférentiels pouvant apparaître dans ce cadre
d’entretien 5.
L’alliance thérapeutique est un concept qui fut beau-
coup utilisé à l’origine dans la pratique avec des parents
et des jeunes enfants en état de carence et de troubles

5. Cf. chapitre 5, « Intersubjectivité en visioconsultation ».


Le setting en visioconsultation 149

graves de la parentalité (Fraiberg, 1989). Dans ce


contexte, « c’est bien le transfert qui donne accès à l’ex-
périence émotionnelle précoce et au souvenir, à travers ce
qui se répète dans la relation au bébé » (ibid., p. XI).
D’autre part, lorsque Devereux (1951) « applique le
corpus psychanalytique et la thérapie duelle avec
l’Indien des Plaines, cela lui permet de repérer le
“transfert colonial” pour créer une alliance sur le mode
empathique avec celui-ci, avant l’interprétation du
transfert psychanalytique » (Govindama, 2007, p. 202).
La notion d’alliance thérapeutique se retrouve égale-
ment dans « les modifications de la technique qui
s’imposent dans l’analyse des états-limites et des
psychotiques » (Fraiberg, 1989, p. XI). On utilise ce
concept pour désigner l’engagement réciproque, basé
sur la confiance, dans lequel le patient et le psycho-
thérapeute s’allient contre la souffrance amenée par le
sujet dans sa demande. On note toutefois que l’expres-
sion « alliance thérapeutique » est souvent utilisée dans
des cadres de pensée éloignés du corpus psychanaly-
tique, ce qui peut mener à une confusion quant à l’ac-
ception de ce terme. Un élément essentiel pour établir
cette confiance préalable au traitement réside dans le
fait que le patient soit suffisamment informé et donne
son consentement éclairé aux soins. Dans la recherche
en visioconsultation, l’accord préalable des sujets,
informés au mieux sur la méthode, est en effet essentiel
à la réalisation des entretiens.
Au cours de l’entretien clinique, la communication
verbale s’accompagne toujours d’une communication
non verbale, et ces deux modes de communication
peuvent s’accorder ou se contredire (Chiland, 1983).
En visioconsultation, on peut avoir accès à une forme de
150 L’entretien clinique à distance

communication verbale et se parler en temps réel, et non


verbale avec l’image vidéo associée à l’échange parlé. Ces
deux types de communication s’articulent avec l’écoute
du clinicien, qui se situe dans un double registre : celui
du contenu manifeste et celui du contenu latent du
discours 6.
Un autre élément important dans la rencontre cli-
nique concerne la place du corps. Ainsi, « deux corps
en présence sont déjà en communication » (Rogers,
1961), le regard aidant à développer l’empathie.
D’autre part, l’altérité est introduite par le corps, en
psychologie interculturelle et dans toute rencontre cli-
nique (Govindama, 2003). Ces remarques peuvent
également s’appliquer aux entretiens cliniques menés
en visioconsultation. Ainsi, on peut supposer qu’une
certaine mise en présence des corps, même à distance,
assurerait déjà une forme de communication. Au tra-
vers de l’échange de regards, la visioconsultation peut
également permettre de développer une certaine
empathie. Et puisque les deux interlocuteurs se voient,
le phénotype du psychologue va probablement
influencer le cours de la séance.
La distance physique qu’implique la visioconfé-
rence ne semble pas être, en soi, une contre-indication
pour l’entretien clinique. Mais, au-delà de cette dis-
tance physique, il s’agit de trouver une « distance psy-
chique suffisamment bonne », par exemple en
respectant l’aménagement défensif du sujet et en ten-
tant de ne pas y faire effraction par des interventions
et des interprétations. Cela repose sur le respect de la

6. En référence au vocabulaire utilisé par Freud dans l’étude des


rêves (1900, 1901).
Le setting en visioconsultation 151

méthode de l’entretien clinique, que nous avons


décrite ici. Voyons à présent comment cette méthode
a pu être adaptée en ligne, avec la création du site iPSY.

LA PLATEFORME iPSY

De l’expérimentation à la recherche-action
L’objectif de ma recherche a été d’évaluer dans
quelle mesure les principes de l’entretien clinique pou-
vaient être adaptés en ligne, dans le cadre de la visio-
consultation. Cela a nécessité la création d’un outil,
puis son expérimentation avec des sujets. Le travail
d’élaboration de l’outil a été influencé par des facteurs
théoriques, tels que la prise en compte d’une dimen-
sion socio-anthropologique dans l’analyse des usages
actuels des TIC et des valeurs de la cyberculture, et
d’une dimension psychologique, sur les plans théo-
rique et méthodologique.
Ma réflexion théorique sur les usages des TIC dans
nos sociétés postmodernes et leurs liens avec des dyna-
miques psychiques allant du narcissisme à la subjecti-
vité, s’est conjuguée à la mise en place, en référence au
cadre d’inspiration psychanalytique, d’un outil qui
proposerait une alternative différente quant aux usages
que nous connaissions des TIC.
La particularité de cette étude, qui impliquait la
création d’un nouvel outil sans véritables repères préa-
lables ainsi que son essai avec des participants, m’a
amenée à combiner l’action et la réflexion, la théorie
et la pratique. Ce projet comportait donc un double
objectif : transformer la réalité et produire des connais-
sances concernant ces transformations.
152 L’entretien clinique à distance

L’élaboration puis l’évaluation de l’outil ont


demandé un certain temps et un travail de distancia-
tion par rapport aux usages que je connaissais des TIC.
Dans cette mesure, la conception de l’outil a constitué
la phase initiale et la plus longue de l’étude. Je vais
tenter d’en décrire brièvement le déroulement, avant
d’arriver aux fonctionnalités actuelles du site internet.
La possibilité de réaliser des entretiens cliniques
d’inspiration psychanalytique en visioconférence m’a
semblé pouvoir offrir une plus grande accessibilité à
une écoute pour des personnes en souffrance. L’ob-
jectif était donc de mettre en place une structure qui
puisse fonctionner sur le plan technique et qui puisse
correspondre au travail du psychologue clinicien, sur
le plan déontologique.
Pour cela, il a toutefois fallu attendre que la tech-
nologie de la visioconférence soit plus accessible, ce qui
n’était pas le cas quand j’ai commencé à réfléchir à ce
projet, au début des années 2000. Ainsi, à l’époque, les
nouvelles technologies de l’information et de la com-
munication 7 offraient des taux de transfert internet bien
inférieurs à aujourd’hui, et les solutions de visioconfé-
rence étaient donc réduites. Seules des structures déjà
équipées en fibre optique, comme des hôpitaux prati-
quant la télémédecine, possédaient du matériel permet-
tant une connexion numérique de haute qualité pour
pratiquer des consultations en temps réel.
J’ai fait le choix d’envisager ce projet novateur dans
le cadre d’une thèse de doctorat, consciente des diffi-
cultés que j’aurai à surmonter avec un tel sujet d’étude.
Mais n’ayant à l’époque pas d’outil créé pour pouvoir

7. NTIC, devenues depuis TIC.


Le setting en visioconsultation 153

envisager un recueil de données, la partie méthodo-


logique de mon travail était incertaine. Je me suis inté-
ressée aux nouvelles solutions de visioconférence qui
étaient proposées sur le marché, et j’ai commencé à
réfléchir aux fonctionnalités techniques nécessaires pour
le dispositif. La technologie évoluait très vite et les taux
de connexion augmentaient rapidement, favorisant
l’accès à la visioconférence pour les particuliers. Mais le
développement de l’outil représentait un coût impor-
tant et j’ignorais si je pourrais le mener à terme.
Je suis passée initialement par un prestataire
extérieur pour réaliser les premiers entretiens en
visioconférence, en 2005. J’ai travaillé en collabora-
tion avec le développeur de ce logiciel européen pour
la France, ce qui m’apportait un sentiment de sécurité
quant au stockage des données confidentielles échan-
gées, contrairement aux autres solutions de visio-
conférence de l’époque. Ainsi, sur le plan éthique, il
est difficile d’envisager la réalisation d’un entretien cli-
nique en visioconférence si la confidentialité des don-
nées échangées n’est pas assurée. L’avantage de la
solution logicielle choisie initialement était la petite
taille des serveurs utilisés pour ce logiciel, nouveau sur
le marché européen. Néanmoins, les données échan-
gées restaient bien stockées sur les serveurs du logiciel.
De plus, l’ergonomie des espaces de visioconfé-
rence n’était pas vraiment adaptée à l’usage que je vou-
lais en faire. J’ai toutefois pratiqué des tests, dans une
phase exploratoire, avec des sujets volontaires informés
des débuts de ma recherche. Cela me permit de
recueillir un premier matériel clinique, fort intéressant
car très nouveau. Je remarquais que les sujets parti-
cipants étaient des personnes de cultures différentes,
154 L’entretien clinique à distance

issues de tous milieux socioculturels, et affirmant ne


pas rencontrer de psychothérapeute dans le cadre cli-
nique habituel. J’ai par ailleurs remarqué la volonté de
certains sujets de communiquer par écrit ou tchat,
alors que la consigne que je donnais était de réaliser
les entretiens en visioconférence, en utilisant donc la
webcam et le micro. Il m’apparaissait déjà essentiel, en
2005, de ne pas inclure l’utilisation de la communi-
cation écrite dans l’entretien, mais de privilégier la
visioconférence, pour être au plus près du cadre de
l’entretien clinique classique. Le fait d’écrire semblait
solliciter des processus psychiques différents, particu-
lièrement dans le cadre d’un entretien clinique. Le tra-
vail en visioconférence était en outre tellement
nouveau que je préférais, après réflexion, ne pas inclure
une variable supplémentaire comme l’écrit, dans les
interactions avec les participants.
Un premier bilan de cette pratique après quelques
mois m’amena finalement à constater que ce support
ne correspondait pas complètement à mes attentes,
tant sur le plan technique que sur le plan éthique. Je
me suis donc orientée vers la création d’un site auto-
nome, incluant une solution de visioconférence et
nécessitant l’implication de plusieurs experts. J’ai ren-
contré un développeur qui fut intéressé par le projet
et qui l’accompagne jusqu’à aujourd’hui : Emmanuel
Faure. Son expérience en création et développement
de solutions de diffusion audiovisuelle sur internet
(IVM : internet vidéo mobile), ainsi que pour la mise
en place de systèmes de traitement de l’information et
sites internet, fut précieuse. Le nom « iPSY » fut choisi
pour l’acquisition du nom de domaine, cela pouvant
signifier « internet psychologie ». Nous avons rédigé
Le setting en visioconsultation 155

un cahier des charges, représentant la masse de travail


à effectuer pour la réalisation du site internet.
La première étape de conception graphique fut
réalisée en partenariat avec un autre intervenant, qui
travailla avec nous sur la conception d’un logo, d’une
charte graphique et d’animations pour le site internet.
En parallèle, nous avons commencé à structurer le site,
définissant ainsi le nombre de pages, leur contenu et
les différentes fonctions. L’hébergement du site en lui-
même souleva à nouveau la question du serveur par
lequel devaient transiter les vidéos, et donc celle de
leur confidentialité. Rappelons qu’en 2006, l’héberge-
ment de données vidéo n’était pas proposé par tous les
hébergeurs comme c’est le cas aujourd’hui, car cette
technologie était moins utilisée. Il fallut donc trouver
un hébergeur particulier pour pouvoir stocker les don-
nées vidéo. Afin de maximiser autant que possible la
confidentialité des données échangées, nous avions
choisi d’ôter les vidéos du serveur après réalisation des
entretiens, pour les stocker sur un disque externe, et
ce malgré le fait que le serveur soit privé.
Nous avons intégré un module de visioconférence
sur le site iPSY avec le lecteur Flash, qui était à l’époque
déjà installé sur 90 % des ordinateurs et aujourd’hui sur
plus de 99 % en Europe et en Amérique du Nord 8. Il
était important que les usagers n’aient pas à installer de
programme sur leur ordinateur pour bénéficier du ser-
vice, car cela rendait l’utilisation du site iPSY beaucoup
plus simple. Nous obtenions ainsi deux cadres pour la
visioconférence, réservés l’un au psychologue et l’autre

8. Étude faite par Milward Brown, 2011. http ://www.adobe.


com/fr/products/flashplatformruntimes/statistics.html
156 L’entretien clinique à distance

au sujet, agencés selon nos souhaits concernant leur


taille et leur visibilité sur la page.
Ces éléments, qui font partie de l’histoire d’iPSY,
montrent que beaucoup de tâches ont dû être accom-
plies pour concevoir l’outil, avant même de pouvoir le
tester en ligne. Il n’existait alors pas de référence pour
ce projet spécifique et nous avons donc dû élaborer un
cadre permettant de tester ce protocole, tout en garan-
tissant la sécurité des sujets et le bon fonctionnement
technique de l’outil. C’est pourquoi il était important
de décrire toutes ces démarches dans l’historique du
projet. On peut également rappeler que l’évolution des
moyens techniques, avec l’accessibilité plus grande à la
visioconférence, ainsi que l’évolution des « mentalités »,
c’est-à-dire à la fois sur le plan culturel mais aussi sur le
plan des usages qui sont faits des technologies, sont des
facteurs qui ont rendu possible le développement du
site iPSY et son utilisation dans ma recherche.
Une fois ces étapes franchies, il a été possible d’en-
visager la mise en ligne du site dans une version « Beta »
ou « test ». Ce travail préparatoire avait pris environ
deux ans, nous avions alors déjà élaboré neuf versions
majeures du logiciel iPSY à partir de nos tests et environ
vingt versions mineures. La conception du site a été très
longue, en raison à la fois des limitations techniques de
l’époque, de la nouveauté d’un cadre qui restait totale-
ment à élaborer, et de nos moyens financiers limités.
La première mise en ligne du site complet avec
notre propre serveur d’hébergement des données et de
diffusion des vidéos eut lieu en 2007. C’est à partir de
ce moment que j’ai pu commencer à tester le proto-
type d’outil élaboré avec des sujets. Entre décembre
2007 et aujourd’hui, le site a beaucoup évolué, notam-
Le setting en visioconsultation 157

ment grâce aux différents problèmes qui ne pouvaient


apparaître qu’en utilisant l’outil. Ces allers-retours
entre le terrain et la recherche ont amené des réamé-
nagements successifs et nous avons produit environ
une vingtaine de versions majeures du premier logiciel
iPSY. La version utilisée pour le travail de doctorat a
été modifiée en tout une cinquantaine de fois, ce qui
est en fait normal pour tout logiciel. L’outil iPSY a ainsi
évolué tout au long des différentes phases de son expé-
rimentation, notamment grâce à la contribution des
sujets participants et à travers les situations particu-
lières qui se sont présentées en visioconsultation.
Dès le début de la recherche, le paiement des entre-
tiens a constitué un point important, car il fait partie
du cadre classique de l’entretien clinique d’inspiration
psychanalytique, que j’ai tenté d’adapter en ligne. Après
réflexion au cours du doctorat, il a été décidé de rendre
les séances payantes, contrairement aux tout débuts du
projet, où les entretiens étaient gratuits. Durant la
recherche de doctorat, correspondant à la phase de test
de l’outil, les tarifs ont été fixés à un prix assez bas, tout
en prévenant les utilisateurs que les risques de difficultés
techniques étaient plus importants durant cette période.
Depuis la refonte du site initial en plateforme, les pro-
fessionnels fixent eux-mêmes le prix de la séance qu’ils
réalisent avec leurs patients.
Comme dans le cadre psychanalytique (Freud,
1913), le paiement sur iPSY semblait pouvoir contribuer
à la motivation des sujets à « terminer le traitement ».
Dans le cadre particulier de la visioconsultation, le paie-
ment intervenait d’autant plus comme un élément de
réalité qu’il était essentiel de renforcer dans un espace
d’écoute en ligne et à distance. Le paiement est donc
158 L’entretien clinique à distance

l’un des éléments du cadre sur lesquels j’ai pu prendre


appui dans ma pratique en visioconsultation. La parti-
cularité est qu’à la différence d’une séance en cabinet,
le paiement en ligne a lieu avant la séance et non pas
après. Cela est lié au dispositif technique et cela a été
mis en place afin d’éviter qu’un patient ne se déconnecte
avant la fin de l’entretien, sans avoir réglé sa séance. Sur
iPSY, le psychothérapeute fixe le prix de sa séance pré-
liminaire, celui des autres séances, et il peut adapter ses
tarifs en fonction de ses patients.
L’annulation d’un rendez-vous a été autorisée au
minimum quarante huit heures avant la date prévue, la
séance étant sinon considérée comme due. Cette condi-
tion renvoie également au cadre classique de l’entretien
clinique. Il a semblé important de mettre en place « des
limites » en visioconsultation, qui incluent ces questions
liées au temps. Ces conditions particulières sont reprises
dans les conditions générales d’utilisation que les utili-
sateurs doivent valider pour s’inscrire. On trouve aussi
dans ce document des précisions concernant les retards :
le psychologue s’engage à être en ligne à l’heure prévue
du début de la séance, mais si le sujet est en retard, la
durée de la séance ne s’en trouvera pas prolongée, sauf
si le thérapeute le décide.
La durée des séances constitue un point important
du cadre de l’entretien clinique, classique ou sur la toile.
Ainsi, j’ai suivi la recommandation freudienne d’une
durée régulière pour les séances, même si j’avais imaginé
au départ que les entretiens seraient peut-être plus
courts en visioconférence, ou qu’ils s’aménageraient dif-
féremment au niveau du temps et des échanges entre
les interlocuteurs. Après avoir expérimenté la visio-
consultation avec différentes personnes, j’ai constaté
Le setting en visioconsultation 159

que la durée des entretiens avait finalement assez peu


varié et se situait aux alentours de quarante-cinq
minutes, comme dans ma pratique clinique « clas-
sique ». J’ai donc conservé cette durée pour les entre-
tiens, les inscrivant dans une temporalité similaire à
celle de mon activité en cabinet libéral.
D’autre part, un espace d’attente a été prévu sur le
site pour faire patienter le sujet avant que le psychologue
ne déclenche le début de la séance. On retrouve encore
ici une référence évidente au cabinet du psychologue,
la salle d’attente faisant souvent partie du cadre.
Ainsi, cette recherche confronte différentes problé-
matiques et se situe « à la croisée des chemins », entre
préoccupations techniques, légales et psychologiques,
avec un questionnement anthropologique associé. Ce
projet n’aurait pas pu voir le jour sans la contribution
des différents acteurs, chacun avec sa spécificité et sa
formation propre. Les interventions extérieures ont
aussi représenté un coût, qui a peut-être ralenti l’évo-
lution de la plateforme, vu les moyens limités dont je
disposais. Mais je souhaitais aussi garder une certaine
autonomie par rapport à ce projet, sans contrainte de
rentabilité et dans une démarche scientifique, ce qui
rendait la recherche de fonds difficile à cette étape.
Dans cette recherche-action, j’ai tâtonné pendant un
certain temps, jusqu’à aboutir à un outil fonctionnel
depuis sa mise en ligne en 2007, mais qui a continué
d’être amélioré au fil de son usage.
Le nouveau site internet, totalement refondu et
re-conceptualisé après la fin du doctorat, a été mis en
ligne fin 2013, pour une version de test réservée à un
premier groupe pilote d’utilisateurs psychologues. La
principale différence entre la première version d’iPSY,
160 L’entretien clinique à distance

prototype ayant servi pour le travail de doctorat, et


celle-ci est que la version actuelle s’adresse à de nom-
breux professionnels, en tant que plateforme. Elle est
une déclinaison du premier outil, destinée à un usage
plus large, avec une visée professionnelle, institution-
nelle et de recherche, ce qui faisait déjà partie des
objectifs au cours du doctorat. Passons donc à la pré-
sentation de cette nouvelle version du site iPSY.
Description et usage de l’outil
Afin d’exposer au mieux le fonctionnement du
site internet, nous allons reprendre le parcours de l’uti-
lisateur qui se connecte à iPSY et présenter le logiciel
« pas-à-pas ». Ce processus est très descriptif, mais il
permet de voir les différentes étapes à suivre avant d’ar-
river au « cœur » même du travail accompli sur le site :
les visioconsultations.
Il faut préciser que le site internet comporte deux
aspects distincts. Tout d’abord, le côté « patient », qui
est la version du site à laquelle ont accès toutes les per-
sonnes qui s’y connectent et qui affiche des icônes de
couleur verte dans le menu. Ensuite, le côté « psycho-
logue » représente l’autre « face » du site, à laquelle se
connectent uniquement les professionnels pour
accéder à la plateforme de visioconférence du côté
« psychologue ». Les icônes sont ici en violet. Ainsi,
une différenciation graphique est immédiatement
visible pour se situer sur la plateforme. Les pages de
la partie « patient » sont accessibles directement sur
http ://www.ipsy.fr 9.

9. Certaines pages ne sont accessibles qu’après inscription préalable


de l’utilisateur.
Le setting en visioconsultation 161

iPSY.fr. côté patient


– Page d’accueil général
En arrivant sur le site internet, on trouve en haut
de page le logo iPSY, qui reprend les deux couleurs des
menus « patient » et « psychothérapeute », symbolisés
par deux sphères de chaque côté d’un écran gris. La
phrase : « Votre lieu d’écoute » est inscrite à droite. On
trouve en haut au centre, une mention à l’objet prin-
cipal du site : la visioconsultation.
Il est important que la page d’accueil permette
d’identifier les services proposés par le site, et l’utilisa-
tion du terme « lieu d’écoute » laisse envisager l’usage
qui peut être fait du site iPSY. À ce propos, on peut
rappeler qu’au départ, le terme « lieu virtuel d’écoute »
était utilisé. Le qualificatif « virtuel » a disparu dès
2007, car le terme pouvait laisser supposer un glisse-
ment vers le « non-réel », voire le « non-actuel ».
L’écoute en visioconsultation, bien qu’elle passe par un
dispositif technologique particulier, était bien réelle,
et la rencontre entre les interlocuteurs semblait bien
actuelle 10. Cela illustre l’évolution de ma pensée tout
au long de ce travail de recherche, notamment grâce à
l’expérimentation de cet outil.
La page d’accueil informe les utilisateurs de la
spécificité du service proposé sur le site. Elle propose
aux personnes de suivre la procédure d’inscription si
elles le souhaitent et d’avoir accès à des entretiens en
ligne ; ou bien de s’identifier grâce à un identifiant et
un mot de passe, pour accéder à leur compte si elles

10. Cf. chapitre 2, « Transfert virtuel et réalité psychique ».


162 L’entretien clinique à distance

sont déjà inscrites. Afin de rendre l’utilisation du site


plus simple, l’identifiant est l’adresse e-mail de la per-
sonne.
Un menu composé de cinq icônes est également
présent dans la partie supérieure de cette page. Il
permet à l’utilisateur non inscrit d’accéder à des infor-
mations sur iPSY, dans un index qui reprend les ques-
tions fréquentes sur le dispositif, son utilisation et
l’inscription.
L’onglet « Pour qui ? » précise que « iPSY s’adresse
à toute personne ressentant le besoin d’un soutien ou
d’un conseil psychologique ». Il est aussi écrit ici que
ce service en ligne pourrait s’adresser à des personnes
n’osant peut-être pas faire cette démarche dans un
cadre classique.
L’onglet « Qui sommes-nous ? » présente les pro-
fessionnels, ainsi que le cadre universitaire dans lequel
s’est inscrit ce projet initialement.
La section « Comment ça marche ? » donne des
précisions sur la finalisation de l’inscription sur iPSY :
l’utilisateur doit pour cela et s’il le souhaite, compléter
la fiche d’informations, effectuer certains tests tech-
niques relatifs à la bonne qualité du service, choisir un
psychologue dans l’annuaire, enfin prendre rendez-
vous avec ce psychologue en utilisant l’agenda inter-
actif en ligne. La webcam et le micro sont nécessaires
et permettent d’assurer une situation de face-à-face
avec une communication verbale simultanée.
Sur la page d’accueil figurent également des infor-
mations pratiques pour les utilisateurs, dans un diapo-
rama composé de sept pages. Elles expliquent à quoi
sert le site, comment ça marche, le fait que le service
et les consultations sont payants et les différentes
Le setting en visioconsultation 163

étapes permettant d’accéder à l’objet de cette plate-


forme : la rencontre avec le psychothérapeute.
Un dernier élément qui se trouve en bas de la
page d’accueil concerne les mentions légales relatives
au site, et il s’agit d’un bouton ou lien renvoyant aux
conditions générales d’utilisation (CGU). Nous avons
mis ce lien sur toutes les pages du site, afin que les uti-
lisateurs puissent accéder à tout moment à ces CGU qui
posent un cadre légal pour l’usage du logiciel 11.
Pour naviguer sur le site après cette page d’accueil,
l’utilisateur doit indiquer s’il est inscrit ou non. S’il
n’est pas inscrit, il peut accéder aux actualités d’iPSY et
au menu dans la partie supérieure de la page. S’il
clique sur le bouton « Je m’inscris 12 », il accède à une
page d’explications concernant l’inscription, qui est
gratuite et pour laquelle il devra remplir un formulaire
et valider les CGU. Après avoir pris connaissance des
différentes informations, l’utilisateur peut, s’il le sou-
haite, cliquer sur le bouton « Commencer l’inscrip-
tion », ce qui lui permet de poursuivre la procédure
d’inscription. L’inscription sur le site implique donc
une démarche volontaire des sujets, avant la réalisation
des entretiens.
– Inscription utilisateur patient
Pour commencer son inscription, l’utilisateur doit
remplir un formulaire. Certaines informations deman-
dées sont obligatoires : les nom, prénom, sexe, date de
naissance, e-mail (qui sera l’identifiant) et mot de

11. Voir, dans ce chapitre, « Principes éthiques et déontologiques ».


12. En termes de navigation sur le site, un seul « clic » suffit à l’uti-
lisateur pour arriver au formulaire d’inscription.
164 L’entretien clinique à distance

passe. Précisons qu’une condition particulière est posée


dans les CGU pour les utilisateurs mineurs, ce qui
explique le caractère obligatoire de la date de nais-
sance 13.
D’autres informations sont optionnelles : le
numéro de téléphone, l’adresse, le code postal, la ville,
le pays. L’utilisateur peut aussi, s’il le souhaite, préciser
ses motivations pour consulter un psychothérapeute,
dans un champ libre laissé à cet effet. On retrouve ici
l’idée de la formulation d’une « demande », qu’il est
essentiel de prendre en compte tout au long du travail
en visioconsultation, comme dans le cadre classique
de l’entretien clinique.
Le fait d’achever le recueil de données par des ques-
tions plus ouvertes est lié à une volonté de permettre
aux utilisateurs d’exprimer librement leur ressenti au
cours de l’inscription. Cela permet également d’accéder
à des données plus qualitatives sur la situation des per-
sonnes souhaitant s’inscrire sur le site.
Il est précisé en bas de page que seul le(s) psycho-
thérapeute(s) avec qui le patient aura pris rendez-vous
aura(ont) accès à leurs informations personnelles.
Dans la dernière partie de l’inscription, l’utilisa-
teur doit valider les CGU et il a la possibilité de les
imprimer.
Après cela, l’utilisateur accède à une page lui indi-
quant qu’un e-mail lui a été envoyé, avec un lien de
validation lui permettant d’accéder au service, sur
lequel il doit simplement cliquer.

13. Voir, dans ce chapitre, « Principes éthiques et déontologiques ».


Le setting en visioconsultation 165

Lorsque l’utilisateur est inscrit, il peut s’identifier


sur la page d’accueil du site et accéder directement à
son espace personnel.
– Sommaire de l’utilisateur patient inscrit 14
On retrouve le logo en haut à gauche de la page,
et un menu similaire à celui de la page d’accueil, mais
comportant à présent huit icônes, toujours principa-
lement de couleur verte 15. Le menu est accessible sur
toutes les pages du site, à l’exception du moment où
le patient est en visioconsultation et où il est donc
nécessaire qu’il reste sur la même page internet.
Le premier bouton permet de revenir à l’accueil
au cours de la navigation sur le site.
Le bouton suivant est intitulé : « Mes informations
personnelles. » En cliquant sur ce bouton, l’utilisateur
peut accéder à ses coordonnées et aux informations per-
sonnelles indiquées lors de son inscription. Il peut aussi
les modifier s’il le souhaite.
L’« Annuaire des psychothérapeutes » est une page
où l’on peut découvrir les professionnels inscrits sur
iPSY. Le patient peut également effectuer une recherche
par différents critères (localisation géographique, nom,
langue) et entrer en contact avec le professionnel choisi
pour prévoir un rendez-vous. Il peut le désigner
comme thérapeute référent et ne peut en avoir qu’un
à la fois sur le site. Après l’avoir choisi, il pourra
consulter l’agenda du professionnel et avoir accès à ses
disponibilités.

14. Cette page est celle vers laquelle sont dirigés les utilisateurs ins-
crits, après avoir indiqué leurs identifiant et mot de passe.
15. Le vert représente le côté patient du site et le violet le côté
psychothérapeute.
166 L’entretien clinique à distance

En cliquant sur le nom du psychologue dans l’an-


nuaire, l’utilisateur ouvre une autre page, sur laquelle
figurent certaines informations. C’est la page de pré-
sentation du psychothérapeute, petit curriculum vitae
qui comporte une photo du psychologue et qui
indique ses titres, ses spécialités, les langues parlées. Le
patient peut aussi trouver des informations relatives à
la formation du psychologue, à son expérience profes-
sionnelle, à ses éventuelles productions scientifiques.
Précisons ici que la photo, bien que réductrice, permet
cependant d’introduire la dimension corporelle dans
l’échange à distance, ce qui fait partie des objectifs de
ce projet. L’image du corps réel, non « avatarisé »,
représente ainsi un point important dans la pratique
en visioconsultation. Cependant, l’ajout de la photo
n’est pas obligatoire dans la présentation du psycho-
logue, certains professionnels réservant l’image aux
moments de rencontre en visioconférence.
Le patient trouve ensuite des informations concer-
nant les aspects plus pratiques du cadre : la durée indi-
cative des séances, le tarif de la première séance, la
politique tarifaire et les modalités d’annulation de
rendez-vous définis par le psychologue. Toutes ces infor-
mations sont indiquées (ou pas) par le professionnel sur
sa fiche, à sa libre appréciation. Il est toutefois recom-
mandé que le patient puisse disposer d’un minimum
d’informations avant de prendre rendez-vous.
Le patient peut alors choisir un psychologue
comme référent et accéder à l’agenda en ligne du pro-
fessionnel. Cet agenda, qui est l’un des éléments essen-
tiels du logiciel, est interactif et comporte ainsi deux
« faces » ou interfaces : l’une pour l’utilisateur « patient »
et l’autre pour l’utilisateur « psychologue ».
Le setting en visioconsultation 167

L’agenda que visualise l’utilisateur patient com-


porte le nom du psychologue référent et permet de
voir quelles plages horaires sont proposées pour des
entretiens en visioconférence. Les plages libres figu-
rent sur l’agenda hebdomadaire dans une couleur dif-
férente, ce qui permet de les sélectionner. Il est écrit
au-dessus de l’agenda qu’il faut cliquer sur les plages
de couleur pour sélectionner l’horaire du prochain
rendez-vous et le réserver. Lorsque l’utilisateur clique
sur une plage qu’il a choisie, une fenêtre s’ouvre réca-
pitulant l’heure et le jour du rendez-vous, le tarif de
la séance, et un lien permet de réserver ce rendez-
vous. Si le choix est confirmé, la page comprenant le
module de paiement s’ouvre. Rappelons que le paie-
ment s’effectue avant la séance, ce qui est une spéci-
ficité du cadre en visioconsultation. Cependant, cela
reste en finalité à l’appréciation du professionnel, qui
fixe les tarifs des séances et les modalités de paiement
(le paiement par chèque est notamment possible).
Lorsque le patient paye avec sa carte bleue, il passe
par un module Paypal qui lui permet de réserver la
séance. Après avoir réglé sa séance, l’utilisateur peut
retourner sur son sommaire, où il voit alors s’afficher
la date et l’heure de son prochain rendez-vous, que le
psychothérapeute doit confirmer. Le patient trouve
aussi la recommandation de venir légèrement en
avance, afin de pouvoir régler sa webcam avant l’en-
tretien. Ainsi, le sommaire de chaque utilisateur est
personnalisé et évolue en fonction de l’usage qu’il fait
du site.
L’« Agenda des rendez-vous » est le bouton sui-
vant du menu de l’utilisateur patient inscrit. Le patient
peut ici consulter l’agenda du psychothérapeute qu’il
168 L’entretien clinique à distance

a choisi comme référent, afin de réserver un prochain


rendez-vous.
Le bouton « Accès visioconsultation » permet
d’accéder à la séance réservée. Le patient passe par la
salle d’attente avant d’arriver dans le cabinet du psycho-
logue préalablement choisi. En cliquant sur ce bouton,
l’utilisateur arrive sur une page du site intitulée
« Préparation de votre séance », qui récapitule les don-
nées relatives à son prochain rendez-vous. Une heure
avant l’horaire prévue du rendez-vous, l’accès à la page
de salle d’attente est ouvert au patient. La page sur
laquelle il arrive constitue une sorte de vestibule qui
mène à la séance en visioconférence. Dans cet espace
de transition, l’utilisateur peut avoir accès à différentes
informations. Il voit la date et l’heure de son prochain
rendez-vous, ainsi que le nom du psychologue. Il peut
à tout moment revenir aux paramètres du lecteur
vidéo dans le navigateur, qui permettent entre autres
de régler le son et l’image. Une fois que l’utilisateur a
autorisé l’accès du site iPSY à la webcam et au micro, et
si son matériel fonctionne correctement, son image
s’affiche au centre de la page de salle d’attente. Il est
recommandé ici au patient de veiller à ne pas être
dérangé durant la séance, ce qui implique de choisir
un endroit calme, où il peut s’isoler pour réaliser l’en-
tretien.
Une dernière option est proposée sur cette page :
« l’option miroir ». Elle permet à l’utilisateur de choisir,
en cochant une case, s’il souhaite ou pas avoir un retour
image pendant les entretiens en visioconférence. Cela
implique qu’il se verra et qu’il verra aussi le psycho-
logue, ou bien qu’il verra seulement l’image du psycho-
logue, comme dans une conversation classique, où l’on
Le setting en visioconsultation 169

ne voit généralement que le visage de son interlocuteur


et pas le sien. La mise à disposition de cette « option
miroir » s’explique au départ par une capacité tech-
nique du logiciel de visioconférence utilisé. Ainsi, on
obtient avec ce logiciel deux cadres pour la visiocon-
férence, réservés l’un au psychologue et l’autre au
sujet. Cette possibilité technique qu’offre la visiocon-
férence de se voir pendant l’entretien a d’emblée
attiré mon attention. On trouve ici une spécificité du
cadre pouvant avoir une incidence particulière sur le
déroulement de la séance. Le fait de se voir pendant
une conversation n’est ainsi pas un phénomène familier
dans une interaction « classique » entre deux personnes.
Le cadre de l’entretien à distance en visioconférence
rend ce phénomène possible, ce qui pourrait d’ailleurs
constituer un écueil pour cette pratique. Je me suis
donc questionnée sur le fait de supprimer complète-
ment cette option, afin de rester au plus près des
conditions de l’entretien classique, ou bien de prendre
en compte l’usage que feraient les sujets de cette
option, si elle était proposée. Au fil de l’utilisation de
l’outil, un lien m’est apparu entre le questionnement
autour du narcissisme et des TIC et l’usage potentiel
de cette « option miroir ». J’ai finalement choisi de
l’inclure comme une donnée supplémentaire dans le
recueil et l’analyse16, pour le travail de doctorat et par
la suite sur la nouvelle plateforme iPSY, en considérant
cette particularité comme un enrichissement et non
plus comme une embûche.
Afin de prendre en compte l’utilisation de cette
option, il a fallu développer dans le site internet diffé-

16. Cf. chapitre 5, « Intersubjectivité en visioconsultation ».


170 L’entretien clinique à distance

rents outils permettant au sujet d’avoir le choix de se


voir ou pas et au psychologue de connaître, en début
de séance, le choix fait par le patient. Cela a constitué
une des évolutions du site, qui ne comportait pas cette
option au départ. Sur la « page d’attente », l’utilisateur
peut donc voir sa propre image affichée au centre de
l’écran et sur la droite un message qui lui indique
qu’en cochant la case visible en dessous, il ne verra pas
sa propre image durant la séance. Il a ainsi la possibi-
lité, sur cette page d’attente où il se trouve « face à lui-
même » ou plutôt face à sa propre image, d’avoir un
avant-goût de ce que ce reflet lui procure comme effet.
Il peut ainsi faire son choix, que le psychologue
prendra en compte de « l’autre côté » de l’interface de
visioconsultation.
Après avoir fait son choix, qu’il ne pourra pas
modifier pendant la séance, le sujet reste en salle d’at-
tente quelques instants, jusqu’à ce que le psychologue
vienne le chercher lorsqu’il déclenche l’entretien. Une
animation graphique s’affiche alors pendant quelques
secondes et l’utilisateur se retrouve sur la page conte-
nant la plateforme de visioconférence : le « Cabinet de
visioconsultation » du psychologue référent.
– Plateforme de visioconsultation
côté utilisateur patient inscrit
Cette partie du site est essentielle, car il s’agit du
lieu de rencontre entre le patient et le psychologue :
l’espace de visioconsultation. Elle comporte différents
aspects, tant du point de vue technique que clinique.
Du point de vue technique, sur cette page, l’uti-
lisateur patient n’a accès qu’à un seul bouton, qui lui
permet de régler les paramètres de son lecteur vidéo.
Le setting en visioconsultation 171

Cette option est importante car il peut être utile de


régler son micro ou sa webcam au cours d’un entretien
en visioconférence, ce pour les deux interlocuteurs.
Aucune autre option n’est visible d’emblée sur cette
page, afin de simplifier au maximum l’usage de l’outil.
De plus, il paraissait important de ne pas détourner
l’attention de l’utilisateur en proposant plusieurs
autres options sur cette page. Il fallait au contraire
recentrer son attention sur l’objet principal de sa
démarche : l’entretien en visioconférence avec le
psychologue clinicien, ou visioconsultation.
L’agencement des cadres sur la page de visiocon-
sultation a aussi fait l’objet d’une réflexion. Ainsi, la
taille des écrans ou de l’écran visible par l’utilisateur,
en fonction de son utilisation de « l’option-miroir »,
a été évaluée de façon à ce que l’image soit suffisam-
ment grande pour être visible, tout en restant de
bonne qualité. Concernant la disposition des cadres
sur la page, il a été décidé de mettre les deux cadres de
taille identique, correspondant respectivement au
patient et au psychologue, côte à côte sur la page
internet 17. Le fait d’avoir un cadre plus grand que
l’autre, ou un cadre situé au-dessus de l’autre, aurait
pu donner une impression de déséquilibre et de supé-
riorité, ou d’infériorité, à l’un ou l’autre des utilisa-
teurs. Cela ne semblait pas souhaitable, en référence
au principe de « neutralité » dans l’entretien clinique
en face-à-face.
Une autre spécificité concerne les problèmes tech-
niques éventuels pouvant survenir durant l’entretien.

17. Dans l’hypothèse où le sujet aurait choisi de se voir durant


l’entretien, sans être en plein écran.
172 L’entretien clinique à distance

Les participants avaient été prévenus que les risques


de dysfonctionnements techniques étaient plus impor-
tants durant la période test de la recherche. La parti-
cularité de ce cadre de travail m’a amenée à penser que
les coupures de son ou d’image rendraient l’établisse-
ment de l’alliance thérapeutique plus difficile. Après
l’utilisation de cet outil durant plusieurs années, je
peux dire aujourd’hui que les problèmes de coupures
que je craignais initialement n’ont finalement pas été
très fréquents, le dispositif technique étant d’assez
bonne qualité pour les éviter. Néanmoins, j’ai égale-
ment pris le parti d’intégrer les difficultés techniques
relatives à ce cadre particulier de travail, lorsqu’elles se
présentaient. Ainsi, il a pu arriver que les problèmes
techniques comme des coupures que rencontraient
certains sujets dans l’utilisation du logiciel soient por-
teurs de sens et puissent être analysés comme faisant
partie des phénomènes transférentiels 18.
D’autre part, un dispositif particulier a été mis en
place pour ce type de situations. Ainsi, en cas de cou-
pure de son, le clinicien qui consulte sur iPSY a la pos-
sibilité de déclencher un « module d’urgence », qui lui
permet de communiquer par écrit avec le sujet, évitant
ainsi la rupture totale de communication au cours de
l’entretien.
À la fin de l’entretien et après que le psychologue
y a mis un terme en cliquant sur le bouton « Terminer
la séance » prévu à cet effet, le patient est redirigé vers
une page où s’affiche le logo iPSY, ainsi que la date et
l’heure de son prochain rendez-vous en visioconsul-

18. Cf. chapitre 5, « Intersubjectivité en visioconsultation ».


Le setting en visioconsultation 173

tation. Il peut retourner au sommaire en cliquant sur


l’unique bouton visible sur cette page. Rappelons que
le sommaire des utilisateurs inscrits comporte des don-
nées personnalisées et que le sujet peut ainsi y voir
notamment la date de son prochain rendez-vous et le
nom de son psychologue référent. Dans le menu du
sommaire des patients inscrits, le bouton « Mes visio-
consultations » renvoie à une page récapitulative des
rendez-vous passés ou à venir et des paiements effectués.
Le bouton « Tests techniques » permet d’effectuer
des tests avec le micro et la caméra, dans le but d’as-
surer une utilisation optimale du service. Cette recom-
mandation aide à limiter les problèmes techniques
pouvant empiéter sur le temps de l’entretien. Ainsi,
après utilisation de l’outil, il apparaît que les difficultés
techniques rencontrées avec différents sujets étaient
principalement dues à des effets de cadrage, ou parfois
à des coupures d’image ou de son19.
En cliquant sur le bouton « Tests techniques »,
l’utilisateur accède à une page où figurent des recom-
mandations écrites : venir un peu à l’avance pour
régler le matériel, vérifier que la caméra, le casque et
le micro sont branchés. L’utilisation d’un casque est
vivement recommandée pour éviter l’écho. L’utilisa-
teur peut ensuite commencer le test, qui lui permet
tout d’abord de vérifier sa caméra. L’utilisateur doit
autoriser l’activation de la caméra via notre site, en cli-
quant sur la case correspondante lorsque la requête
s’affiche. En suivant cette procédure, l’utilisateur doit
voir s’afficher son image au centre de l’écran, ce qui
témoigne du bon fonctionnement de sa webcam.

19. Cf. chapitre 5, « Intersubjectivité en visioconsultation ».


174 L’entretien clinique à distance

L’utilisateur peut ensuite accéder au test de son, qui


permet de vérifier qu’il entend bien le son sur son ordi-
nateur et qui lui recommande de régler son volume si
cela n’est pas le cas. Il peut ensuite tester son micro-
phone, en enregistrant une phrase, puis en la réécou-
tant. Il peut également afficher et régler les paramètres
du micro dans le lecteur utilisé sur le site.
Le dernier bouton du sommaire « Aide-FAQ 20 »
permet d’accéder aux questions fréquemment posées
par les patients pour l’utilisation du site iPSY, et à une
série de questions-réponses qui concernent l’utilisation
du logiciel. Elles reprennent par exemple le déroule-
ment de l’inscription, les problèmes techniques pou-
vant éventuellement être rencontrés par l’utilisateur,
les moyens de paiements possibles, etc.
En bas de page, on retrouve un lien « Nous
contacter », qui permet d’envoyer un e-mail à l’équipe
d’iPSY. Cet espace de messagerie est réservé aux pro-
blèmes techniques ou aux demandes d’informations
des personnes ayant eu connaissance du site. Cette
option ne concerne donc pas l’envoi de messages
concernant les difficultés personnelles rencontrées par
les sujets.
On trouve aussi en bas de page les conditions
générales d’utilisation, qui restent consultables à tout
moment, sauf au cours des visioconsultations.
La page d’accueil de l’utilisateur patient inscrit
apparaît sous le menu composé d’icônes, et affiche des
informations propres au patient, notamment le nom
du psychologue référent et la date du prochain rendez-

20. FAQ : Frequently Asked Questions, traduit souvent en français,


sur internet, par « Foire aux questions ».
Le setting en visioconsultation 175

vous réservé. En bas de page, le patient a accès aux


actualités, qui correspondent aux derniers événements
(colloques, articles, etc.) en lien avec iPSY et la visio-
consultation. Ces sujets alimentent les réflexions sur
ce nouveau champ de recherche.
Après avoir décrit le site du côté du patient,
nous allons passer à la description de « l’autre côté »
de l’interface : celui du psychologue qui utilise iPSY.
Le site internet comporte ainsi deux aspects distincts :
tout d’abord, le côté « patient », qui est accessible à
toutes les personnes qui se connectent sur le site.
Ensuite, le côté « psychologue » qui est en réalité
l’autre « face » du site, celle à laquelle se connectent
seulement les professionnels. Cette notion d’interface
renvoie à l’interactivité propre à l’outil internet 21.

iPSY.fr. côté psychothérapeute


Le psychologue qui souhaite utiliser iPSY se rend
sur la même page internet : ipsy.fr, mais il doit ensuite
cliquer sur un lien situé en bas à droite de la page, de
couleur violet et indiquant : « Vous êtes un psycho-
thérapeute professionnel. » Il accède alors à une page
similaire à la page d’accueil côté « patient », mais où
le menu apparaît en violet.
– Page d’accueil psychologue
On retrouve en haut de page le logo iPSY et des
éléments similaires à ceux composant la page d’accueil
générale décrite précédemment.

21. À laquelle Civin (2002) fait référence comme « l’interface de


Janus », aux deux visages.
176 L’entretien clinique à distance

Un menu composé de quatre icônes est également


présent dans la partie supérieure de cette page. Il
permet à l’utilisateur non inscrit d’accéder à des infor-
mations sur iPSY pour les professionnels, dans un index
qui reprend les questions fréquentes sur le dispositif,
sa description, ses avantages, les conditions d’adhésion,
les modalités de fonctionnement, les modalités de
paiement, l’environnement technologique, les engage-
ments d’iPSY, la confidentialité, les engagements des
psychothérapeutes, la recherche scientifique. Les autres
boutons du menu pour les professionnels non inscrits
sont un bouton de retour à l’accueil, un bouton
« Contact » permettant d’envoyer un e-mail à l’équipe
d’iPSY, et un bouton « Tests techniques ».
Pour naviguer sur le site après cette page d’accueil,
l’utilisateur professionnel doit préciser s’il est inscrit
ou non. S’il n’est pas inscrit, il peut accéder aux actua-
lités d’iPSY et au menu dans la partie supérieure de la
page. S’il clique sur le bouton « Je m’inscris », il accède
à une page d’explications concernant l’inscription.
Cette page indique que l’inscription pour les uti-
lisateurs psychologues ne peut être validée qu’après
attestation de leur statut de professionnel. Cette pro-
cédure se fait par l’envoi de la copie du diplôme, de
l’attestation de numéro ADELI et du numéro de SIRET.
Il est également précisé que pour procéder à l’ins-
cription, le psychologue devra indiquer ses coordon-
nées, choisir une formule d’abonnement, fournir les
documents demandés et valider les CGU.
Après avoir pris connaissance des différentes
informations, l’utilisateur peut cliquer, s’il le souhaite,
sur le bouton « Commencer l’inscription ».
Le setting en visioconsultation 177

– Inscription utilisateur psychologue


Pour commencer son inscription, le psychologue
doit remplir un formulaire où des informations obli-
gatoires lui sont demandées : ses nom, prénom, sexe,
date de naissance, numéro de téléphone, adresse,
numéro ADELI, numéro de SIRET, e-mail, mot de passe.
Ces informations sont accessibles uniquement pour
l’équipe d’iPSY.
Une fois ces informations indiquées, le profes-
sionnel clique pour continuer son inscription et
accéder au choix de sa formule d’abonnement. Diffé-
rents montants sont proposés, sur le principe de base
de location d’un cabinet numérique et en fonction de
l’utilisation plus ou moins régulière que le profes-
sionnel fait du service.
Après avoir choisi la formule d’abonnement, une
page apparaît avec la liste des documents demandés :
photocopie de pièce d’identité, copie du diplôme, attes-
tation du numéro ADELI, attestation du numéro de
SIRET. Le professionnel peut envoyer ces documents à
l’équipe d’iPSY par courrier postal ou électronique. L’ins-
cription ne peut être validée qu’après réception et véri-
fication de ces documents. La dernière étape de
l’inscription des psychologues est la validation des CGU,
qui reprennent le cadre légal d’utilisation du service iPSY.
Après cela, l’utilisateur reçoit un e-mail avec un
lien de validation lui permettant d’accéder au service,
sur lequel il doit simplement cliquer. Lorsqu’il a cliqué
sur ce lien, il peut s’identifier sur la page d’accueil du
site et accéder à son espace personnel.
S’il est déjà inscrit, l’utilisateur professionnel peut
s’identifier sur la page d’accueil. Deux cadres sont à
178 L’entretien clinique à distance

remplir : l’identifiant et le mot de passe. Après les avoir


indiqués, l’utilisateur professionnel arrive sur son
« Tableau de bord ». Il y trouve des informations qui
lui permettent de commencer à utiliser iPSY.
Le professionnel doit remplir sa présentation dans
la partie « Mes informations » du menu située en haut
de page. Il indique son cursus de formation, ses thé-
matiques particulières de travail et ses expériences. Il
paramètre également ses modalités de séance, sa poli-
tique tarifaire. Il peut, s’il le souhaite, ajouter une
photo à sa présentation.
Pour recevoir les paiements de ses patients via
Paypal, le psychologue doit posséder un compte pro-
fessionnel Paypal et le configurer afin qu’il commu-
nique avec le site iPSY. Une fois le compte créé 22, le
psychologue l’indique dans son interface iPSY et un
lien lui permet d’accéder à la page Paypal reliant ce
compte au site iPSY. Cela rend possible sur iPSY le
paiement direct du patient vers le compte Paypal du
psychothérapeute, sans passer par un compte tiers, de
vérifier que le paiement a bien eu lieu, et d’annuler le
paiement.
Il est ensuite recommandé au professionnel de pro-
céder aux tests techniques afin de vérifier son matériel.
Un dernier élément de cette page concerne l’acti-
vation du compte du psychologue et de son abonne-
ment. Pour cela, le psychologue doit indiquer le code
d’activation reçu après vérification et validation de son
inscription par l’équipe d’iPSY. Une fois l’inscription
du psychologue validée, son tableau de bord com-
prend plusieurs rubriques : les informations sur les

22. L’ouverture du compte Paypal est gratuite.


Le setting en visioconsultation 179

rendez-vous, les actualités, la possibilité de signaler un


problème, d’accéder aux FAQ, ou encore de consulter
l’annuaire des psychothérapeutes.
– Sommaire de l’utilisateur psychologue inscrit
Cette page est celle sur laquelle sont dirigés les
utilisateurs professionnels inscrits, après avoir indiqué
leurs identifiant et mot de passe.
En haut de page, on retrouve le logo à gauche et
un menu similaire à celui de la page d’accueil, mais
comportant à présent neuf icônes au lieu de quatre,
toujours principalement en violet. Le menu est acces-
sible sur toutes les pages du site, à l’exception du
moment où le psychologue est en visioconsultation
et où la disposition du menu et son contenu sont dif-
férents.
Le premier bouton permet de revenir à l’accueil
sur le site.
Le bouton suivant est intitulé « Mes informa-
tions ». En cliquant dessus, l’utilisateur peut accéder à
ses coordonnées et aux informations personnelles indi-
quées lors de son inscription, et les modifier, s’il le sou-
haite. Il peut remplir sa page de présentation et
préciser ses titres, ses spécialités, les langues parlées. Il
peut rédiger un texte de présentation et noter des
informations relatives à sa formation, à son expérience
professionnelle, à ses éventuelles productions scienti-
fiques. Il peut choisir une photo, qui apparaîtra dans
sa fiche sur l’annuaire des psychothérapeutes.
Un deuxième onglet permet au psychologue
d’indiquer les modalités de séance et la politique tari-
faire qu’il souhaite définir pour son activité en visio-
consultation : la durée des séances, le tarif de la
180 L’entretien clinique à distance

première séance, le tarif des séances suivantes, les


modalités d’annulation des séances. Le psychologue
peut ensuite sauvegarder ces informations et les modi-
fier ultérieurement.
Le bouton « Mon agenda », permet à l’utilisateur
psychologue inscrit de consulter son agenda hebdo-
madaire en ligne, afin d’indiquer ses disponibilités
pour de prochains rendez-vous, sur plusieurs semaines.
Il peut aussi configurer son amplitude horaire, ce qui
modifiera l’apparence de l’agenda, qui est donc modu-
lable et personnalisable.
En cliquant sur les horaires et les jours où il sou-
haite consulter sur iPSY, les plages sélectionnées chan-
gent de couleur et un menu s’ouvre sur le côté, qui
reprend la date et l’heure du rendez-vous, et propose
d’en modifier la durée par rapport à celle indiquée
dans « Mes informations ». L’utilisateur peut ajouter
une plage disponible, qui sera affichée de l’autre côté
de l’interface, c’est-à-dire sur l’agenda auquel les utili-
sateurs patients auront accès via le site. Ces plages
horaires pourront alors être réservées par les utilisa-
teurs inscrits pour un rendez-vous avec le psychologue
choisi. Après réservation d’une plage horaire par un
patient, le psychologue doit confirmer qu’il accepte le
rendez-vous, et ainsi valider le paiement en ligne
effectué via Paypal. S’il ne confirme pas, le paiement
est annulé, sans aucun frais.
Sur l’agenda, le professionnel peut aussi insérer
un rendez-vous avec l’un de ses patients existants en
« bloquant » la plage horaire. Le psychologue peut éga-
lement choisir le mode de paiement de son patient.
Il peut enfin insérer un autre rendez-vous hors
iPSY, cette dernière option offrant la possibilité aux uti-
Le setting en visioconsultation 181

lisateurs professionnels d’utiliser l’agenda iPSY comme


leur propre agenda en ligne, et d’y inscrire leurs visio-
consultations et leurs autres rendez-vous quotidiens.
L’icône suivant du menu est celui des « Dossiers
patients ». Ce bouton permet d’accéder à la liste des
patients dont le psychologue est référent. En cliquant
sur le nom du patient, il consulte sa fiche où se trou-
vent les coordonnées indiquées par le patient, la date
des séances réalisées, celle du prochain rendez-vous. Il
peut aussi modifier le tarif de séance et choisir un tarif
spécifique pour ce patient 23. Il peut enfin accéder aux
notes éventuellement prises au cours des séances. Il est
précisé sur le site que ces notes sont confidentielles et
réservées à la consultation exclusive du psychologue.
– Plateforme de visioconsultation
côté psychologue inscrit
Le bouton suivant du menu « Cabinet de consul-
tation », permet au psychologue d’accéder à la plate-
forme de visioconférence. Cette page constitue le cœur
de l’activité particulière sur iPSY : la visioconsultation.
Cette page est interactive et évolutive en fonction de
son utilisation, et elle comporte différents éléments.
En haut de page, on retrouve le logo iPSY ainsi que
l’intitulé « Cabinet de visioconsultation de… », avec
le nom du professionnel connecté. On trouve aussi un
bouton de retour à la page d’accueil, ainsi qu’une
petite horloge indiquant l’heure. L’élément temporel
est en effet important dans la pratique du psychologue,
notamment pour commencer et achever les entretiens.

23. Une option permettant de rendre la séance gratuite est égale-


ment disponible.
182 L’entretien clinique à distance

En arrivant sur la plateforme de visioconférence,


l’utilisateur professionnel voit s’afficher, au centre de
la page, la fenêtre des paramètres du lecteur vidéo, qui
est la même que celle que voit l’utilisateur patient ins-
crit sur les pages de salle d’attente ou de test de la
webcam. Il doit alors autoriser iPSY à accéder à son
micro et à sa webcam via le lecteur, en cliquant sur
« Autoriser 24 ». Il peut voir sa propre image s’afficher
sur la plateforme de visioconférence. Deux cadres de
taille égale sont visibles, l’un est violet et situé à droite
de l’écran ; l’autre est encadré en vert, situé à gauche
de l’écran. Dans le cadre de droite, le psychologue
voit son retour image, et un bouton « Masquer » lui
permet de ne plus se voir. Il peut ensuite cliquer sur
le même bouton, indiquant « Rétablir », s’il souhaite
voir sa propre image à nouveau. Dans le cadre de
gauche, un texte apparaît : « Lors de la séance, l’image
du patient apparaît ici. Pour démarrer une séance,
choisissez un patient présent dans la salle d’attente et
cliquez sur “Commencer la séance”. » Ces consignes
permettent à l’utilisateur de pouvoir démarrer sa
séance quand il le souhaite, s’il a un rendez-vous
prévu avec un patient.
Sous le cadre violet où s’affiche le retour image
du psychologue, se trouve un menu composé de cinq
icônes. Un cadre explicatif informe l’utilisateur qu’il
peut cliquer sur les boutons de ce menu pendant la
séance, et une légende écrite explique chaque icône.

24. S’il n’autorise pas le fonctionnement de la caméra, un message


apparaît lui rappelant qu’il doit utiliser la caméra pour pratiquer
la visioconsultation, et lui propose de la réactiver.
Le setting en visioconsultation 183

Le premier bouton permet de prendre des notes. Il est


activé pendant les séances ; en cliquant dessus, une
fenêtre apparaît avec la date et l’heure, pour noter les
informations souhaitées. Cette fiche renseignée sera
par la suite stockée dans les « Dossiers patients ».
La deuxième icône du menu s’intitule « Module
de tchat ». Cette option, ajoutée très tôt au dispositif
mais n’y figurant pas au départ, est importante à expli-
quer. Elle permet au psychologue de déclencher un
module de tchat ou messagerie instantanée, c’est-
à-dire une communication par écrit, avec le patient en
visioconsultation. Cela constitue une « procédure d’ur-
gence » mise en place pour pallier les éventuelles cou-
pures d’image ou de son qui perturbent le cours de
l’entretien. Afin d’éviter que la communication avec
le sujet ne soit totalement rompue en cas de difficulté
technique, ce qui peut être assez violent dans le cadre
d’un entretien clinique, il a semblé préférable, en der-
nier recours, d’avoir la possibilité de communiquer par
écrit et de garder ainsi le contact avec le sujet, le temps
que le problème technique soit résolu. Cette option
permet aussi de donner des indications au patient afin
de résoudre le problème technique qu’il rencontre.
Ainsi, en cliquant sur le bouton « Module de tchat »,
le psychologue déclenche un nouveau module sur sa
plateforme de visioconsultation. Un cadre apparaît sur
la droite de l’écran, portant l’intitulé « Messagerie ins-
tantanée ». Une zone de saisie de texte s’affiche sous
ce cadre et permet d’envoyer des messages écrits.
Ainsi, ce module peut garantir la continuité de la
communication avec le patient, en cas de difficulté tech-
nique empêchant le bon déroulement de l’entretien.
Bien qu’ayant choisi de ne pas favoriser la communi-
184 L’entretien clinique à distance

cation écrite dans ma recherche, la solution du module


de tchat est la seule que j’ai trouvée pour pallier les dif-
ficultés techniques provoquant des coupures d’image et
de son, et éviter que la communication ne soit totale-
ment rompue avec le sujet. Cette idée de continuité
dans l’entretien nous renvoie au cadre classique, dans
lequel une telle rupture serait probablement très difficile
à vivre pour le patient comme pour le psychologue, et
pourrait même constituer une contre-indication à l’en-
tretien clinique. La continuité de l’échange, dans le
temps de l’entretien, a donc semblé être une priorité si
essentielle qu’elle justifiait le passage, provisoire, à l’écrit.
Le cadre fixé pour cet échange écrit, que seul le psycho-
logue peut initier, a donc pour but de se limiter à des
questions relatives au fonctionnement technique du
logiciel. Ainsi, la communication écrite doit cesser dès
que le problème technique est résolu, pour revenir à une
interaction verbale en face-à-face, une relation inter-
subjective en visioconsultation. Pour cela, le psycho-
logue voit le bouton « Lancer le tchat » se transformer
en « Arrêter le tchat », ce qui lui permet d’interrompre
ce module au moment voulu, qui disparaît alors instan-
tanément des écrans du psychologue et du patient.
La troisième icône du menu s’intitule « Agenda
partagé » et permet au psychologue de consulter son
agenda en ligne sans quitter la page de son cabinet de
visioconsultation. En fin de séance, par exemple, le
psychologue et le patient peuvent donc convenir d’un
prochain rendez-vous, en le réservant directement sur
l’agenda. Le paiement se fera alors, s’il y a lieu, après
la séance en cours.
Le bouton suivant permet d’accéder au « Module
aide technique », c’est-à-dire de pouvoir procéder à des
Le setting en visioconsultation 185

tests techniques et trouver des réponses écrites sur un


index, sans avoir à quitter la page du cabinet de visio-
consultation. Cela peut être utile si un problème sur-
vient en cours de séance, ou encore pour guider un
patient en difficulté avec l’utilisation du dispositif.
Le dernier bouton de ce menu s’intitule « Dossier
patient » et permet d’accéder au contenu du dossier
patient sans quitter la page de visioconsultation, par
exemple avant une première séance prévue avec un
patient, ou encore si le professionnel souhaite consulter
ses notes sur un patient déjà connu.
En bas à gauche de l’écran, sous le cadre entouré
de vert, le psychologue peut voir son emploi du temps
du jour, avec les horaires réservés pour la journée. Il
voit également le nom des personnes avec qui il a
rendez-vous, sur la plage horaire qui leur correspond.
Deux onglets apparaissent à côté de l’agenda du
jour, indiquant « En consultation » et « En salle d’at-
tente ». Cette partie de la page change lorsque le patient
arrive en salle d’attente, de l’autre côté de l’interface.
Ainsi, quand le patient arrive en salle d’attente, le
psychologue voit son nom s’afficher instantanément
sous l’onglet correspondant, ce qui lui permet de savoir
que son patient est bien connecté sur le site et prêt à
commencer l’entretien. Cette information est cruciale,
et il est donc préférable que le professionnel arrive
quelques minutes avant l’entretien pour pouvoir lui
aussi vérifier que son matériel audio et vidéo fonctionne
bien, avant de déclencher la séance. Pour commencer
l’entretien, il procède à une petite manipulation, qui
consiste en deux « clics ». Il clique d’abord sur le bouton
« Commencer la séance » qui est apparu à côté du nom
du patient. Puis, un message lui demande de confirmer
186 L’entretien clinique à distance

qu’il souhaite bien démarrer la séance avec ce patient,


ce qui déclenche la visioconsultation et fait passer le
nom du patient dans l’onglet « En consultation ».
Ainsi, c’est le professionnel qui reste garant du cadre et
non pas le logiciel qui ferait commencer la séance auto-
matiquement à une heure donnée. C’est à ce moment-
là qu’une animation graphique se déclenche du côté de
l’utilisateur patient inscrit et le conduit vers la plate-
forme de visioconsultation.
Du côté du psychologue, la page où il se trouve
se modifie et plusieurs éléments nouveaux apparais-
sent. Tout d’abord, un message indique « OK », ce qui
signifie que le flux de transmission de données en
visioconférence est ouvert des deux côtés : celui du
psychologue et celui du patient. Ensuite, le profes-
sionnel voit l’image de la personne avec qui il a rendez-
vous s’afficher à côté du cadre où il peut voir sa propre
image. Le psychologue a toutefois la possibilité de
passer en plein écran pour voir son patient. Il peut
alors avoir un retour caméra dans une fenêtre plus
petite, située en bas de page, ou pas s’il souhaite fermer
cette petite fenêtre. Le psychologue a lui aussi, d’une
certaine façon, accès à « l’option miroir ». Le retour
image au cours des séances peut lui permettre de véri-
fier que le système fonctionne bien techniquement, au
niveau tant de la transmission des données vidéo, que
du cadrage. Il est intéressant d’intégrer cette remarque
technique au travail d’analyse clinique, en particulier
dans le cadre de phénomènes contre-transférentiels
apparus dans la pratique en visioconsultation.
Dans l’onglet « En consultation », s’affichent le
nom du patient et l’heure prévue du rendez-vous,
l’heure exacte du début de l’entretien, ainsi que
Le setting en visioconsultation 187

l’information concernant le retour caméra du sujet.


Cela constitue l’autre côté, le pendant de « l’option-
miroir » évoquée précédemment. Le psychologue peut
donc connaître, dès le début de l’entretien, le choix du
patient quant à « l’option-miroir ».
Dès qu’une visioconsultation est enclenchée, le
bouton « Commencer la séance » change et indique
« Terminer la séance ». En cliquant sur ce bouton en fin
de séance, le psychologue met un terme à l’entretien.
C’est donc le psychologue qui détermine le début
et la fin de la séance, ce qui nous renvoie au cadre clas-
sique. La temporalité participe ainsi à la dynamique
psychothérapeutique, avec aussi l’importance de la
régularité en termes de durée et de fréquence des
séances. Cela a été pris en compte dans l’élaboration
du cadre, puis dans la pratique en visioconsultation.
Ainsi, il semble que la gestion du temps de l’entretien
par le psychologue sur iPSY soit un élément qui
contribue à « faire cadre » dans l’espace numérique de
ce logiciel, et à rendre le psychologue garant de ce
cadre, tout comme dans les conditions classiques de
l’entretien clinique.
Après avoir mis fin à l’entretien, le psychologue
peut voir l’heure exacte de début et de fin de l’entretien,
ce qui lui permet d’en connaître la durée. Il peut alors
rester sur la plateforme de visioconsultation et attendre
par exemple son prochain rendez-vous avec un autre
patient, ou bien retourner à son sommaire en cliquant
sur le bouton correspondant, situé en haut de page.
Sur le menu du sommaire, le bouton « Histo-
rique des consultations » lui permet de voir les dates
des séances qu’il a réalisées et le nom des patients ren-
contrés.
188 L’entretien clinique à distance

Le bouton suivant « Mon abonnement » permet


au professionnel de consulter et de gérer sa formule
d’abonnement sur le site iPSY.
Enfin, les boutons « Tests techniques » et « Aide/
FAQ » sont les mêmes que ceux du menu de la page
d’accueil des psychologues.
Cette partie tente de décrire l’histoire et le fonc-
tionnement d’une expérience ayant débuté il y a plu-
sieurs années et qui partait d’un questionnement
mettant en lien la place des TIC dans nos sociétés post-
modernes et les usages de ces technologies en psycho-
logie. Le but étant de créer de nouveaux usages visant
à « réhumaniser » la relation, ou encore à redonner son
importance au caractère personnel et individuel du
sujet par rapport à la collectivité du réseau, l’outil a été
élaboré avec cette préoccupation et en intégrant les
règles éthiques particulières à l’écoute en psychologie
clinique. L’espace proposé sur iPSY peut ainsi constituer
une forme d’espace tiers, permettant au sujet d’amorcer
un travail d’élaboration psychique. Ce travail peut être
régulier, ou plus ponctuel, et peut permettre le passage
à un suivi plus classique. Après avoir décrit ce chemi-
nement concernant l’élaboration de l’outil utilisé pour
la recherche, on peut dire aujourd’hui que nous avons
continuellement cherché à l’améliorer. Après les dix-
sept versions majeures et la cinquantaine de versions
totales mises en ligne du logiciel, la refonte totale du
site pour aboutir à la plateforme actuelle a nécessité de
nombreux changements et beaucoup de travail. Ce
travail se poursuit aujourd’hui en équipe, l’interactivité
de l’outil se conjuguant avec la pluralité des inter-
venants, psychologues et professionnels qui y contri-
buent en l’utilisant.
Le setting en visioconsultation 189

Tout au long de l’élaboration du dispositif de


visioconsultation, puis dans son utilisation, un aspect
essentiel fut à considérer : celui des principes éthiques
et déontologiques.

PRINCIPES ÉTHIQUES ET DÉONTOLOGIQUES

Dans la recherche en visioconsultation, les ques-


tions éthiques se sont présentées dans l’élaboration du
protocole créé afin de mettre à l’épreuve les hypothèses
générales tout en respectant les principes déonto-
logiques propres au cadre de la psychologie clinique,
que nous allons rappeler.

L’éthique en psychologie
Le but d’une recherche en général et de cette
recherche en particulier est d’enrichir et d’étendre le
savoir généralisable avec des renseignements qui se
fondent et sont vérifiables par une méthode scienti-
fique d’observation (Bourguignon, 1995), de type
inductif dans notre cas. Pour éviter les risques de
déshumanisation et d’instrumentalisation du sujet,
certaines précautions ont été prises dans l’élaboration
de ce projet, en référence aux recommandations du
Code de déontologie des psychologues et à celles de
Bourguignon 25.
Il semblait important de réfléchir à la place que
peut occuper le psychologue dans l’univers des TIC de

25. À qui j’ai eu la chance de présenter le projet dans ses débuts et


que je remercie de m’avoir aidée à valider le cadre que je mettais
alors en place, sur le plan éthique.
190 L’entretien clinique à distance

façon scientifique, en référence notamment au Code


de déontologie des psychologues, qui précise : « Le
psychologue a une responsabilité dans la diffusion de
la psychologie auprès du public et des médias. Il fait
de la psychologie et de ses applications une présenta-
tion en accord avec les règles déontologiques de la pro-
fession. Il use de son droit de rectification pour
contribuer au sérieux des informations communiquées
au public 26. »
Afin de faire du sujet un partenaire de la
recherche, un formulaire de consentement éclairé a été
remis à toute personne souhaitant y participer, avec la
possibilité de pouvoir arrêter à tout moment cette par-
ticipation, ou encore de bénéficier du service de visio-
consultation, sans pour autant faire partie de la
population d’étude. Ce formulaire de consentement
fut signé de façon manuscrite par les sujets durant la
recherche de doctorat 27, en plus de l’acceptation des
CGU, qui s’effectue par « cochage » sur le site. Cette
précaution illustre une préoccupation constante du
respect de la déontologie 28 dans ce protocole de
recherche. Rappelons que, dans le décret d’octobre
2010 relatif à la télémédecine, seule la signature numé-

26. Chapitre V, article 32 du Code de déontologie des psycho-


logues.
27. Et envoyé par courrier par les personnes rencontrées unique-
ment en visioconférence, en référence à l’article 46 (titre III) du
Code de déontologie des psychologues, qui précise que l’accord
des sujets doit être donné de façon explicite, si possible par écrit,
dans la recherche en psychologie.
28. Chapitre II, article 9 du Code de déontologie des psycho-
logues.
Le setting en visioconsultation 191

rique est demandée aux patients. Selon le Code civil,


« en validant les conditions générales d’utilisation d’un
site ou d’un logiciel, le “clic” du client constitue une
signature électronique qui a valeur de signature
manuscrite, et vaut acceptation des présentes condi-
tions générales et particulières et engagement irrévo-
cable, conformément aux dispositions des articles
1316 et suivants du Code civil ».
En référence aux principes éthiques, l’étude devait
par ailleurs être justifiée, et pas seulement pour le cher-
cheur. Il me semblait que ce travail pouvait représenter
une avancée pratique (avec la mise en place d’un
nouvel outil) et théorique (avec l’observation et l’ana-
lyse des données obtenues), en accord avec l’évolution
technologique et la place importante qu’elle occupe
dans nos sociétés actuelles.
Il existe par ailleurs dans cette étude des bénéfices
thérapeutiques possibles pour le sujet lui-même,
comme l’accès à un soutien psychologique pour des
personnes étant isolées, ou ne disposant pas de la
liberté d’action nécessaire pour faire cette démarche
dans un contexte « classique ».
Il existe aussi des bénéfices possibles pour la
société : l’étude est en lien avec les progrès techno-
logiques, elle permet de proposer une écoute clinique
à des sujets résidant dans des lieux isolés, à l’étranger,
ou ayant des difficultés à faire une démarche de même
type dans le cadre habituel, pour différentes raisons.
Il existe enfin des bénéfices possibles pour l’enri-
chissement des connaissances en elles-mêmes : cette
étude peut ainsi ouvrir un nouveau champ d’applica-
tion pour la recherche française, sachant que d’autres
pays s’intéressent déjà à ces questions.
192 L’entretien clinique à distance

Si l’on fait à présent référence aux questions énon-


cées dans le rapport, publié en 2014, des trois conseils
du Canada sur l’éthique de la recherche avec des êtres
humains, on peut aborder la question de la validité
scientifique de la recherche. À ce propos, le question-
nement de cette recherche paraît fondé, en vertu des
évolutions sociales et psychologiques liées aux nou-
veaux usages qui sont faits des TIC.
Concernant la valeur générale de la recherche, on
peut supposer qu’elle est suffisante, car c’est une
recherche nouvelle et qui, à ma connaissance, n’a pas
encore été faite en France.
Il semble enfin que les sujets ayant accepté de par-
ticiper à la recherche ont été traités avec respect et
dignité et que leur intégrité physique et psychique a
été ménagée.
D’autre part, le rapport Belmont (1978) men-
tionne trois principes qui permettent l’utilisation
moralement acceptable de la recherche en sciences
humaines. J’ai ainsi fait à attention en premier lieu au
principe de respect de la personne, dans le but de
reconnaître et de protéger l’autonomie des personnes.
C’est pourquoi un formulaire de consentement libre
et éclairé, ainsi qu’une information sur la recherche,
alors disponible sur le site iPSY, ont été mis en place.
En référence au principe de bienfaisance, l’ob-
jectif a aussi été d’évaluer les bénéfices thérapeutiques
escomptés et de minimiser les inconvénients prévi-
sibles, notamment en protégeant la confidentialité des
données.
Enfin, le principe de justice semble avoir été res-
pecté, puisque les critères de sélection des sujets étaient
très larges dans cette recherche. Un groupe de sujets
Le setting en visioconsultation 193

était composé de personnes qui ont d’abord librement


souhaité faire une démarche via le site internet, puis à
qui on a ensuite proposé de participer à l’étude.
Voyons à présent quelles ont été les spécificités
éthiques de la recherche en visioconsultation.

Spécificités éthiques en visioconsultation


En visioconsultation, certaines précautions sont
apparues comme indispensables et importantes à avoir
à l’esprit, afin de mettre en place le cadre des entretiens.
Concernant les principes éthiques spécifiques liés
à l’image et en référence à la loi de 1978 sur l’infor-
matique, nous avons rempli une déclaration normale
auprès de la Commission nationale de l’informatique
et des libertés (CNIL). Cette déclaration indique le type
de données recueillies sur les personnes, leur circula-
tion éventuelle et la sécurisation des données sur le site
internet.
D’autre part, plusieurs principes ont été mis en
place pour permettre une sécurité maximum : la non-
identification des sujets pour la recherche, le stockage
des données identifiantes sur une base de données
accessible uniquement par l’investigateur principal.
Ainsi, les enregistrements vidéo des entretiens réalisés
en visioconférence ont transité via un serveur sécurisé
pour être immédiatement stockés sur des supports
externes tels que des disques durs, puis conservés en
sécurité.
Il a donc été essentiel de pouvoir bénéficier de ser-
veurs privés de stockage et de diffusion des données
échangées via le site. Dès la première mise en ligne
d’iPSY, le site bénéficiait de ses propres serveurs. Le fait
194 L’entretien clinique à distance

de gérer les serveurs vidéo a représenté une avancée


importante car elle répond au principe de confiden-
tialité, nécessaire dans toute recherche en psycho-
logie 29. Cela assure aussi une certaine autonomie du
dispositif, ainsi qu’un bon niveau de sécurisation des
données échangées.
Aujourd’hui, iPSY opère au travers de deux ser-
veurs : un serveur web et base de données et un serveur
vidéo qui contient toutes les données vidéos. Les deux
serveurs sont hébergés par un opérateur professionnel,
qui garantit une grande qualité de service (QoS) de
99,9 %, gère la sécurité avec des outils appropriés et
s’occupe également des sauvegardes et de la mainte-
nance des machines. Les patients et les professionnels
bénéficient d’un accès sécurisé au service. Le serveur
établit une connexion sécurisée par le standard SSL
(Secure Sockets Layer), qui garantit la confidentialité
des échanges.
Étant donné que le terrain de recherche se situe
sur « la toile », les recommandations de la Netiquette 30
ont été prises en considération par rapport à l’aspect
éthique de ce travail. Concernant la communication
de personne à personne, on y recommande de la consi-
dérer « comme celle dans laquelle une personne com-
munique avec une autre, comme dans un face-à-face :
un dialogue ». Les règles habituelles de courtoisie
devraient être de mise en toutes circonstances dans les

29. Article 50, titre III du Code de déontologie des psychologues.


30. La Netiquette est en premier lieu une règle informelle, puis
une charte qui définit les règles de conduite et de politesse recom-
mandées sur les premiers médias de communication mis à dispo-
sition par internet.
Le setting en visioconsultation 195

rapports entre les gens, mais elles seraient doublement


importantes sur internet, « là où, par exemple, l’ex-
pression corporelle et le ton de la voix doivent être
déduits 31 ».
Une grande partie du travail lié à l’éthique dans
ce projet relève de la rédaction des CGU, ou mentions
légales relatives au site. Cela a nécessité la recherche
d’informations légales sur la dimension éthique sur
internet, qui étaient moins nombreuses au début de la
recherche. Je me suis également inspirée des CGU de
différents sites ou logiciels impliquant la communication
entre plusieurs personnes, mais sans en trouver aucune
pouvant correspondre à l’activité envisagée sur iPSY, ce
qui posait problème sur le plan déontologique. J’ai uti-
lisé en parallèle le Code de déontologie des psycho-
logues, afin que le projet bénéficie d’un cadre légal sur
le plan de la rigueur méthodologique et de la protec-
tion des personnes et de leur image dans ce protocole
qui était nouveau. J’ai dû faire appel à un expert juriste
pour cette partie du travail qui semblait essentielle
mais impossible à réaliser seule. J’ai expliqué à ce pro-
fessionnel quels étaient les objectifs du site et princi-
palement la mise en place d’entretiens cliniques en
visioconférence. Il a ainsi élaboré un cadre légal par
rapport au service proposé sur iPSY et à la recherche
entamée, avec les particularités relatives à cet outil et
à son objet. La validation des CGU est obligatoire pour
s’inscrire sur le site.

31. On note l’utilisation des termes « dialogue » ou « face-à-face »


pour des recommandations qui concernaient uniquement la com-
munication par écrit, les règles de la Netiquette étant rédigées pour
l’utilisation des e-mails et des messageries instantanées.
196 L’entretien clinique à distance

L’expert juriste a également permis de valider la


propriété intellectuelle concernant l’usage de la plate-
forme, tout en respectant tous les principes éthiques
et déontologiques. Nous avons ainsi effectué des
démarches auprès de l’Institut national de la propriété
industrielle (INPI) permettant de prouver la propriété
intellectuelle du dispositif développé. Le premier
article des CGU précise que les données présentes sur
le site, telles que logos, créations graphiques, codes
sources, photos, texte, vidéos sont protégées par le
droit de la propriété intellectuelle, notamment droits
d’auteur et droits des marques.
Le second article des CGU concerne les informa-
tions personnelles. Un premier point mentionne la fia-
bilité relative du recueil d’informations identifiantes en
ce qui concerne la véracité des informations déposées.
Ainsi, il n’a jamais été question pour nous d’identifier
les personnes « malgré elles », mais il n’a jamais été ques-
tion non plus de travailler dans l’anonymat. Bien que
les utilisateurs puissent mentir en remplissant le formu-
laire, comme dans toute inscription sur la toile, ils peu-
vent aussi le faire, dans une certaine mesure, dans le
cabinet du psychologue. Le sous-titre « Véracité » des
CGU indique que l’utilisateur doit transmettre des don-
nées exactes et à jour. Il est précisé que dans l’hypothèse
contraire, iPSY serait en droit de suspendre ou de résilier
le compte de l’utilisateur. Un cadre est donc posé au
sujet des informations contenues dans la fiche d’inscrip-
tion. À ce jour, aucune résiliation de compte n’a été faite
sur iPSY.
Concernant la base de données où sont stockées
les informations identifiantes contenues dans la fiche
d’inscription, les CGU d’iPSY précisent que, conformé-
Le setting en visioconsultation 197

ment à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, dite loi


Informatique et liberté, les sujets disposent d’un droit
de consultation, de modification et de retrait de toutes
données personnelles portées à la connaissance du ser-
vice. Rappelons que la base de données est située sur
un serveur privé d’hébergement, ce qui permet une
sécurisation maximale des données qui y sont stockées.
À ce jour, aucun utilisateur n’a demandé le retrait de
ses informations personnelles de la base de données.
Une remarque est à formuler concernant une close
particulière des CGU, intitulée « Utilisation des adresses
IP ». Elle stipule : « Nous nous réservons le droit d’uti-
liser les adresses IP collectées conformément aux dispo-
sitions contenues dans notre centre d’informations sur
les données personnelles tant pour identifier les inter-
nautes lorsque nous y sommes contraints par une auto-
rité judiciaire, des autorités de police, par toute autorité
administrative indépendante et de manière générale par
toute autorité administrative habilitée par la loi, que
pour identifier les internautes qui contreviendraient
aux présentes conditions générales d’utilisation de
notre site et de nos services. Dans cette dernière hypo-
thèse, nous serons ainsi en mesure de transmettre votre
adresse IP aux fournisseurs d’accès aux fins d’identifi-
cation (et obtenir ainsi votre radiation éventuelle),
voire, si nous l’estimons nécessaire compte tenu de la
nature du non-respect des présentes, transmettre votre
adresse IP directement auprès des autorités compé-
tentes. » Cette clause, qui s’inscrit totalement dans un
champ légal, fait référence à des contenus que nous
serions dans l’obligation de transmettre aux institutions
compétentes, comme ceux à connotation pédophile.
Cela illustre la dimension éthique particulière de notre
198 L’entretien clinique à distance

démarche de recherche et l’obligation d’adapter le cadre


de l’entretien clinique à l’outil utilisé, c’est-à-dire
internet. Il était difficile d’éviter la référence au cadre
légal en matière d’usage des TIC, bien que ce cadre par-
ticulier du droit français et international évolue très
rapidement. Mais jusqu’à aujourd’hui, aucune situa-
tion nécessitant la saisie d’une autorité judiciaire n’a été
rencontrée.
Dans le cadre de la recherche initiale, un point
important concernait le stockage des données échan-
gées lors des entretiens en visioconférence. Le vision-
nage a posteriori des entretiens a permis d’analyser les
données recueillies en visioconsultation. Des serveurs
de stockage ont été utilisés et un outil a été développé
permettant de récupérer, après chaque entretien, les
vidéos correspondantes, avant de les supprimer défini-
tivement du serveur pour les conserver sur un support
extérieur de type disque dur. Dans le formulaire de
consentement libre et éclairé remis aux participants, il
était précisé que les entretiens seraient enregistrés,
puis conservés de façon anonyme et confidentielle,
comme les données relatives à l’utilisation d’un ques-
tionnaire au cours de la recherche, selon les disposi-
tions légales en vigueur et conformément au code de
déontologie des psychologues 32.
Sur le site actuel, les informations identifiantes et
les notes prises par les psychologues sont conservées
de façon confidentielle.
Dans le troisième article des CGU figurent
notamment des conditions particulières concernant

32. Article 20 du Code de déontologie des psychologues.


Le setting en visioconsultation 199

l’utilisation du logiciel par des sujets mineurs. Elles


indiquent que, pour finaliser l’inscription des
mineurs de moins de 15 ans, une autorisation par
courrier manuscrite de l’un des représentants légaux
est nécessaire. Ces précautions répondent à une autre
tant légale que déontologique 33. Il était nécessaire de
faire respecter les mêmes dispositions en visioconsul-
tation, la dimension éthique étant primordiale.
Il est précisé à la fin des CGU, qu’elles sont sou-
mises aux tribunaux compétents. Ces conditions
concernent pour l’instant le droit français.
Un autre point relatif à l’éthique touche l’inscrip-
tion des professionnels psychologues sur iPSY
aujourd’hui. Ainsi, nous avons repris les conditions
définies par la loi relative à l’usage professionnel du
titre de psychologue et aux connaissances théoriques
et méthodologiques acquises 34. Cela explique les docu-
ments demandés pour l’inscription du psychologue sur
la plateforme iPSY. Toutefois, en respect du même
principe, « chaque psychologue est garant de ses qua-
lifications particulières » (ibid.).
D’autre part, le professionnel fixe librement le
montant de ses honoraires sur iPSY, en référence au
Code de déontologie : « Le psychologue exerçant en
libéral fixe librement ses honoraires, informe ses clients
de leur montant dès le premier entretien et s’assure de
leur accord 35. »

33. Article 10 et article 49 du Code de déontologie des psycho-


logues.
34. Principe 2 du Code de déontologie, relatif à la compétence des
professionnels.
35. Article 28, chapitre III.
200 L’entretien clinique à distance

« Lorsque plusieurs psychologues interviennent


dans un même lieu professionnel ou auprès de la
même personne, ils se concertent pour préciser le cadre
et l’articulation de leurs interventions 36. » Nous avons
eu l’idée d’adapter ce principe en constituant une
communauté professionnelle de réflexion sur la visio-
consultation, permettant aux psychologues partageant
cette pratique d’échanger pour la connaître mieux. On
peut aussi mentionner la création d’une instance
depuis la mise en ligne de la nouvelle plateforme iPSY
fin 2013, qui constitue le comité d’éthique d’iPSY. Ce
petit groupe est composé de praticiens et de cher-
cheurs expérimentés, qui peuvent apporter, en cas de
besoin, un éclairage particulier sur une question
éthique relative à un patient ou à un professionnel.
Enfin, on peut commenter rapidement un article
du Code de déontologie des psychologues : « Le psycho-
logue privilégie la rencontre effective sur toute autre
forme de communication à distance et ce quelle que
soit la technologie de communication employée. Le
psychologue utilisant différents moyens télématiques
(téléphone, ordinateur, messagerie instantanée, cyber-
caméra) et du fait de la nature virtuelle de la commu-
nication, énonce, explique la nature et les conditions
de ses interventions, sa spécificité de psychologue et
ses limites 37. » La spécificité du psychologue semble
clairement énoncée sur iPSY. Cependant, on peut dis-
cuter la « nature virtuelle » de la communication, dans
le sens où en visioconsultation, la nature des échanges

36. Article 31, chapitre IV.


37. Article 27, chapitre III.
Le setting en visioconsultation 201

semble relever de la même réalité psychique que dans


un autre type d’entretien clinique, où les corps sont
« en présence 38 ».
À travers l’analyse de la dimension éthique du
projet iPSY et des spécificités relatives à son usage dans
la recherche, on peut envisager que le modèle utilisé
pour la recherche initiale soit repris dans de futurs tra-
vaux utilisant la plateforme, notamment en ce qui
concerne le stockage de données vidéo et l’inclusion
d’outils plus quantitatifs dans la méthodologie.
Enfin, le développement de la télémédecine fait
aujourd’hui de ces pratiques de réels protocoles médi-
caux, avec un statut légal spécifique. En France, le
décret du 19 octobre 2010 relatif à la télémédecine est
pris en application de l’article L6316-1 du Code de la
santé publique, issu de la loi du 21 juillet 2009. Cette
loi qui porte sur la réforme de l’hôpital, est relative aux
patients, à la santé et aux territoires. Le décret procède
donc à la définition des actes de télémédecine, à leurs
conditions de mise en œuvre et à leur organisation,
notamment territoriale.
Bien qu’il ne s’applique pas à la profession et à
l’exercice du psychologue, qui ne s’inscrit pas dans la
pratique de la médecine en France, j’ai réfléchi à la
conformité potentielle du dispositif iPSY à ce décret.
D’après l’article 1 du décret, la « téléconsultation »
constitue un acte de télémédecine et « a pour objet de
permettre à un professionnel médical de donner une
consultation à distance à un patient ». Il semble que la
visioconsultation se situe aussi dans ce cadre.

38. Cf. chapitre 2, « Transfert virtuel et réalité psychique ».


202 L’entretien clinique à distance

La section 2 mentionne le consentement libre et


éclairé nécessaire, que l’on a décrit pour iPSY.
Les actes de télémédecine doivent être réalisés
dans des conditions garantissant : l’authentification
des professionnels de santé intervenant dans l’acte, ce
qui est prévu sur iPSY avec l’annuaire des psychologues
et les fiches psychologue ; l’identification du patient,
ce qui est prévu dès l’inscription et dans les fiches
patient ; lorsque la situation l’impose, la formation ou
la préparation du patient à l’utilisation du dispositif
de télémédecine. Le site iPSY comporte ainsi des expli-
cations nécessaires à son utilisation par les patients et
des tests techniques.
La date et l’heure de l’acte doivent être connus.
Cela figure dans l’historique du professionnel sur iPSY.
Enfin, la section 3 sur l’organisation mentionne
que « les organismes et les professionnels libéraux de
santé qui organisent une activité de télémédecine s’as-
surent que les professionnels de santé et les psycho-
logues participant aux activités de télémédecine ont
la formation et les compétences techniques requises
pour l’utilisation des dispositifs correspondants. »
Cela souligne la nécessité de formation des profes-
sionnels, qui est prévue sur iPSY.
Le consentement exprès de la personne peut être
exprimé par voie électronique, ce qui correspond
aujourd’hui à l’acceptation des CGU sur le site iPSY.
Tous ces questionnements illustrent l’aspect dyna-
mique et changeant des usages des TIC, notamment
dans le champ de la santé. La dimension éthique et
légale demeure ainsi essentielle à élaborer de façon
continue sur ces nouveaux terrains de pratique clinique
et de recherche en psychologie (Eveillard, 2002).
Le setting en visioconsultation 203

Après avoir présenté les fondements théoriques


relatifs au cadre de l’entretien clinique et qui ont
constitué la base de notre réflexion sur l’élaboration
du cadre de la visioconsultation, nous avons décrit
l’outil iPSY en lui-même et enfin les spécificités
éthiques qu’il comporte. Passons maintenant à la pré-
sentation de la méthodologie de la première recherche
en visioconsultation, et des résultats obtenus. Ainsi,
nous pourrons voir comment l’élaboration de l’outil
iPSY a servi pour le recueil et le traitement des données,
dans une recherche visant à observer les relations inter-
personnelles en visioconsultation.
5
Intersubjectivité en visioconsultation

La méthodologie choisie pour la première recher-


che en visioconsultation avait pour objectif d’éprouver
deux hypothèses générales, que nous allons rappeler.
Tout d’abord, l’hypothèse que l’outil permet une
rencontre en face-à-face comparable mais pas iden-
tique à une situation de cabinet, avec des interactions
sensorielles impliquant le corps de l’analyste et celui
du patient. Cela favorise la possibilité d’accéder aux
registres conscient et inconscient du discours (avec
l’analyse des actes manqués par exemple, des rêves,
etc.), ce qui permet de repérer l’émergence de la sub-
jectivité du patient pour en saisir sa problématique, et
de mieux manier le transfert et le contre-transfert.
Cette hypothèse s’illustre par le fait que l’« auto-
mise en scène » du corps, ou d’une partie cadrée du
corps du patient, devient langage dans l’observation.
De plus, le discours et le positionnement du regard et
du corps permettent d’accéder au registre conscient et
inconscient, ainsi que la prise en compte du transfert
et du contre-transfert.
206 L’entretien clinique à distance

La seconde hypothèse générale est que le dispo-


sitif, inscrit dans le cadre de l’entretien clinique clas-
sique, ne favorise pas la dépendance à l’outil et
n’engendre pas la mise en place d’une situation narcis-
sique, par un effet de miroir. Bien au contraire, il fait
fonction d’espace tiers dans la relation duelle entre
patient et clinicien.
Cette hypothèse s’illustre par le fait que l’outil
implique la relation à distance qui permet de gérer la
relation duelle, du côté tant du transfert que du
contre-transfert, mais à condition que dans le contre-
transfert, l’analyste ne se laisse pas capter par l’image
qui lui est renvoyée dans le transfert culturel, social
et psychanalytique. Ainsi, en visioconsultation, la
caméra pourrait représenter le « double » de l’œil du
clinicien.
De plus, la captation dans le miroir en tant
qu’image du semblable dans le transfert, ou à travers
l’image de soi dans « l’option miroir », permet de gérer
le contre-transfert de manière à instaurer l’outil comme
un espace transitionnel. Ce transfert peut être un trans-
fert culturel, social, avant de passer par le transfert ana-
lytique, ce qui implique la rencontre des corps.
La méthodologie choisie pour mettre à l’épreuve
les hypothèses de recherche était principalement qua-
litative, car les phénomènes observés étaient de nature
interpersonnelle, intersubjective. C’est pourquoi nous
avons utilisé une grille d’analyse thématique des entre-
tiens en visioconsultation.
L’analyse des relations interpersonnelles, ou phé-
nomènes intersubjectifs à l’œuvre en visioconsultation,
a été faite en observant deux groupes de sujets, avec
une méthodologie comparative.
Intersubjectivité en visioconsultation 207

La recherche présentait un aspect longitudinal,


car pour évaluer les relations établies en visioconsulta-
tion et leur caractère transféro-contre-transférentiel,
l’analyse a porté sur des séries d’entretiens suivis avec
les participants.
La méthodologie de la recherche était croisée,
puisque nous avons également utilisé un outil quanti-
tatif visant à évaluer, de façon plus statistique, l’anxiété
sociale.
Cette méthodologie illustre les possibilités variées
qu’apporte l’outil iPSY dans la recherche en psycho-
logie. Ainsi, même si le cœur du travail reste l’entretien
clinique, permettant de recueillir des données de
nature plutôt qualitative, il est facile de compléter le
recueil grâce à l’introduction d’outils quantitatifs ou
statistiques sur la plateforme. Cela montre l’intérêt
d’un dispositif spécifique à l’usage des psychologues,
pour la pratique clinique et la recherche en visio-
consultation, qui s’inscrit dans le champ de la télé-
psychologie.

MÉTHODOLOGIE

Échantillon de population

Présentation de la population générale


La population générale de l’étude se compose de
trente sujets, qui se sont tous inscrits sur le site
internet 1 et ont librement accepté de participer à la
recherche. Le recrutement des sujets a été fait de

1. www.ipsy.fr
208 L’entretien clinique à distance

« bouche à oreille », en diffusant l’information par le


biais de personnes ressources susceptibles de connaître,
dans leur réseau, des sujets intéressés par ce protocole
de recherche. La visioconsultation a également été pro-
posée à des personnes que j’avais rencontrées dans un
cadre « classique » d’entretien, en cabinet libéral.
Le passage du cadre classique à la visioconsultation a
été envisagé dans différentes circonstances.
Le choix d’un mode de communication restreint
pour le recrutement de l’échantillon de population
était lié au souhait d’éviter les débordements pouvant
être consécutifs à une diffusion massive de l’informa-
tion via des sites internet, tels que des réseaux sociaux
en ligne.
Parmi cette population « tout-venant » qui fut
recrutée, il me semblait que l’outil pouvait faciliter
l’accès à une écoute psychologique pour des personnes
souffrant d’un problème de mobilité, comme des per-
sonnes handicapées ou des personnes âgées. Il pouvait
également intéresser des personnes isolées géographi-
quement, ou ne bénéficiant pas de la liberté d’action
nécessaire pour effectuer cette démarche par ailleurs.
Cette technique pouvait aussi permettre de solliciter
une population d’adolescents ou de jeunes adultes avec
un usage excessif des écrans, afin de les amener à
prendre conscience des conséquences de leur attitude
sur leur développement personnel et leur insertion
sociale. Le cadre proposé sur iPSY pouvait d’autre part
intéresser des personnes francophones se trouvant à
l’étranger, mais souhaitant accéder à un conseil psycho-
logique dans leur langue.
L’échantillon de population de l’étude était
composé de sujets « tout-venant ». Ainsi, il semblait
Intersubjectivité en visioconsultation 209

pertinent de recueillir, dans un premier temps, des


données cliniques permettant d’évaluer les possibilités
offertes par un tel dispositif méthodologique. En
fonction du matériel recueilli, les hypothèses se sont
articulées avec la réalité clinique. Certains critères
d’inclusion et d’exclusion ont toutefois été appliqués.
Parmi les trente sujets inscrits sur iPSY, deux ont
été exclus de l’étude parce que leur suivi était encore
en cours.
Parmi les sujets restants, huit ont été suivis en
visioconsultation et ont formé les deux groupes de
l’échantillon. Il s’agissait de cinq femmes et trois
hommes.
Concernant l’âge des sujets, les huit personnes qui
composent les deux groupes étaient âgées de 18 à 40 ans
au moment du recueil des données. L’échantillon ne
comporte pas de sujets âgés, parce que cela ne s’est pas
présenté. Les jeunes enfants ont par ailleurs été exclus
de l’échantillon, dans un souci d’homogénéité des don-
nées recueillies.
D’autres critères d’exclusion ont été appliqués.
Des problèmes d’ordre somatique chez les sujets pou-
vaient représenter un obstacle à leur bonne utilisation
du logiciel. Par exemple, des personnes mal voyantes
ou souffrant de surdité ne pouvaient a priori pas uti-
liser iPSY et participer à un entretien clinique en visio-
consultation. D’autre part, certains problèmes
psychologiques rendaient difficile l’inclusion de sujets
dans l’échantillon, pour le premier ou le deuxième
groupe. Ainsi, en référence aux indications du cadre
psychanalytique, la psychanalyse peut venir en aide
aux « personnalités les plus évoluées » (Freud, 1904,
p. 18). L’une des contre-indications à la psychanalyse
210 L’entretien clinique à distance

freudienne est donc le fait que le patient présente un


état psychotique. Cette contre-indication a été retenue
dans le cadre de la recherche en visioconsultation.
Sur iPSY, comme dans l’entretien clinique clas-
sique, une phase préliminaire au suivi des sujets a été
réalisée. Cette indication du cadre psychanalytique qui
a pu être adaptée en ligne, a permis d’évaluer la possi-
bilité de réaliser des entretiens en visioconsultation
avec les sujets « tout-venant ». Dans « Le début du
traitement », Freud précise que ce court mais néces-
saire traitement d’essai présente l’avantage de « faciliter
le diagnostic » (Freud, 1913b, p. 81), en permettant
notamment de réaliser un diagnostic différentiel avec
des pathologies d’ordre psychotique. De la même
manière, sur iPSY, la phase préliminaire permet de faire
connaissance avec le sujet, de déterminer si sa structure
de personnalité permet le travail clinique en face-à-
face et si ce type de travail peut aider le sujet.
Pour cette première recherche, il a semblé difficile
de pouvoir intégrer à l’analyse des données recueillies
par d’autres psychologues durant des entretiens cli-
niques. Cela aurait pu constituer un biais important
pour cette étude, particulièrement en ce qui concerne
l’analyse des phénomènes transférentiels et contre-
transférentiels en visioconsultation, qui était au cœur
de mon travail de doctorat. C’est pourquoi le choix
méthodologique a été fait de réaliser seule les entre-
tiens pour cette étude. Cela a eu pour effet de limiter
les capacités de recueil de données, et a probablement
réduit le nombre de cas analysés, car il a fallu travailler
dans le temps limité de la durée de la thèse. Les sujets
participants rencontrés au cours de cette période n’ont
pas tous bénéficié du même nombre d’entretiens, ni
Intersubjectivité en visioconsultation 211

de la même durée de suivi en ligne. Mais la clinique


est aussi un art du singulier, du cas par cas.
Le matériel recueilli auprès de la population de la
recherche se compose de cent trente-neuf enregistre-
ments vidéo.

Premier groupe
Pour la constitution du premier groupe, ma pra-
tique en cabinet libéral m’a permis de proposer le cadre
de la visioconsultation à des personnes que j’avais déjà
rencontrées dans un contexte clinique « classique ».
Ces personnes étaient informées de l’étude et du fait
que nous pouvions utiliser le logiciel iPSY pour nous
rencontrer, si elles le souhaitaient.
Des situations particulières ont favorisé l’accep-
tation de certains sujets d’expérimenter ce cadre nou-
veau. Ainsi, des situations d’éloignement géographique
temporaire, ou encore des motifs liés à l’état de santé
des personnes sur le plan somatique, ont contribué au
choix de la visioconsultation. Notons que ces facteurs
provoquant l’éloignement sont intervenus tant de mon
côté que de celui des sujets.
Le premier groupe est constitué de quatre sujets
déjà « connus » : quatre femmes, âgées de 18 à 40 ans.
Leur demande était liée à une situation d’éloignement
prolongé intervenant au cours d’un suivi en cabinet. Ces
quatre sujets n’avaient pas un rapport à la réalité altéré.

Deuxième groupe
Le deuxième groupe est composé de sujets ayant
souhaité bénéficier d’un conseil psychologique via
iPSY, mais que je ne connaissais pas auparavant.
212 L’entretien clinique à distance

J’ai procédé au recrutement des sujets de ce


groupe en diffusant l’information à des personnes res-
sources pouvant connaître dans leur réseau des sujets
intéressés par le protocole de recherche. J’ai eu quel-
ques difficultés à recruter les sujets du deuxième
groupe et mes choix méthodologique et déonto-
logique ont probablement contribué à la taille réduite
de l’échantillon pour ce groupe. J’ai néanmoins fait
ce choix plutôt que de procéder à une diffusion mas-
sive de l’information et de risquer une dérive de
l’usage de l’outil avant même son expérimentation et
la validation de certains principes théoriques, en réfé-
rence à cette nouvelle pratique.
Le deuxième groupe est composé de quatre sujets.
Il s’agit de trois hommes et une femme, âgés de 20 à
39 ans. Leur demande était liée à différents motifs,
comme l’éloignement, l’isolement ou la curiosité. Ces
quatre sujets ne semblaient pas avoir un rapport à la
réalité altéré.
Après avoir présenté les éléments relatifs à l’échan-
tillon de population, passons à présent à la description
de la méthodologie utilisée pour la recherche.

Méthodologie qualitative
Afin de pouvoir analyser l’émergence des phéno-
mènes transféro-contre-transférentiels aux différents
niveaux d’interaction en visioconsultation, des outils
spécifiques ont été développés.

La visioconsultation
L’outil central utilisé dans la recherche est l’entre-
tien clinique réalisé en visioconférence via le dispositif
Intersubjectivité en visioconsultation 213

iPSY, ou visioconsultation. Au fil des rencontres avec


des sujets via ce logiciel et de son utilisation, des ques-
tions se sont posées et ont fait évoluer ma probléma-
tique initiale, ainsi que les représentations que je me
faisais de ce nouveau cadre avant de l’expérimenter.
J’ai choisi d’inclure à mon analyse certains de ces ques-
tionnements, qui me paraissaient importants pour
l’évaluation de l’outil.
Le protocole de recherche comporte l’analyse de
plusieurs entretiens cliniques réalisés à distance et enre-
gistrés, dans le but d’illustrer les problématiques parti-
culières apparues au fil de ces rencontres. Lors de la
phase exploratoire de la recherche, l’évaluation du cadre
proposé était parallèle à l’analyse des données recueillies
et mon interrogation première a concerné la possibilité
d’une rencontre en face-à-face comparable, mais pas
identique à une situation de cabinet avec des inter-
actions sensorielles impliquant le corps de l’analyste et
celui du patient. Cela favoriserait la possibilité d’accéder
aux registres conscient et inconscient du discours, ce qui
permettrait de repérer l’émergence de la subjectivité du
patient pour saisir sa problématique, et de mieux manier
le transfert et le contre-transfert.
Cette hypothèse a été confrontée à une méthodo-
logie qualitative, avec la réalisation d’entretiens cliniques
non directifs. Le repérage et l’analyse d’éventuels phé-
nomènes transférentiels et contre-transférentiels ont
permis d’évaluer la pertinence du cadre proposé pour
la réalisation d’entretiens cliniques d’inspiration psy-
chanalytique.
Les entretiens réalisés pour cette étude avaient
une visée thérapeutique, bien que s’inscrivant dans une
démarche de recherche.
214 L’entretien clinique à distance

Les éléments relatifs aux dimensions verbale et


non verbale de l’échange ont été intégrés à l’analyse.
On retrouve ce type d’analyse dans les travaux réalisés
à partir d’entretiens enregistrés, car la pratique de la
visioconsultation implique l’enregistrement filmé d’un
entretien clinique « réel ». Cet « instrument de travail
privilégié pour la formation des étudiants » (Chiland,
1983, p. 168) confronte l’étudiant avec la « réalité cli-
nique ». Il est intéressant de noter l’emploi répété de
la référence au concept de réalité au sujet d’un travail
sur l’image. Cela conforte l’hypothèse que ce qui peut
se jouer en ligne dans le cadre de la visioconsultation
renvoie également à une forme de réalité clinique, psy-
chique, un échange entre deux interlocuteurs, même
à distance. Avec l’utilisation de la vidéo, « la présence
de l’image met en évidence de façon privilégiée les
aspects non verbaux de l’entretien » (ibid., p. 169). La
communication non verbale dans l’entretien filmé
inclurait donc des interactions sensorielles impliquant
le corps de l’analyste et celui du patient.

L’observation et le non-verbal
La méthode de l’observation a souvent été utilisée
par des psychanalystes intéressés par les interactions
précoces du bébé avec son environnement (Bick,
1948 ; Lebovici, 1989, 1994). Mais la place centrale
de l’enregistrement filmé en visioconsultation renvoie
à la question plus générale de l’utilisation de la caméra
et du film en psychologie et en sciences humaines.
Ainsi, l’apport complémentaire de l’observation fil-
mique en anthropologie et du concept d’« auto-mise
en scène » (France, 1982, p. 32) a été utile, notamment
pour l’analyse des phénomènes transférentiels.
Intersubjectivité en visioconsultation 215

Grille d’analyse thématique


pour les entretiens cliniques et les observations
Les entretiens cliniques analysés s’inspirent du
cadre psychodynamique classique. Ils ont été menés
dans le principe de neutralité et de bienveillance de la
part du psychologue et celui d’association libre de la
part du patient. Afin d’analyser les données recueillies
en visioconsultation, il fallait se référer à des observa-
tions susceptibles de pouvoir lier les données classiques
de la symptomatologie, de l’anamnèse, de l’histoire
familiale, avec des données plus psychodynamiques
rendant compte de l’évolution du suivi et des enjeux
transférentiels et contre-transférentiels. Il fallait aussi
pouvoir analyser les éléments spécifiques au cadre de
la visioconsultation. Ainsi, j’ai choisi de réaliser une
analyse thématique, afin de mettre en perspective ces
éléments avec les enjeux thérapeutiques. Pour cela, il
fallait disposer du contenu détaillé de plusieurs
séances, ainsi que de suivis relativement longs. On
note une différence entre les sujets du premier et du
deuxième groupe pour qui moins d’éléments cliniques
ont été recueillis, car ces personnes n’étaient pas
connues auparavant.
La grille d’analyse thématique utilisée pour les
données recueillies en visioconsultation comporte
douze items.
– Éléments anamnestiques
Le premier point de la grille d’analyse concerne
les éléments d’anamnèse du sujet, recueillis en se
basant sur son discours, mais aussi sur les éléments
enregistrés durant la procédure d’inscription.
216 L’entretien clinique à distance

Après avoir décrit globalement les symptômes et


certains éléments de l’histoire du patient, l’objectif
dans l’analyse était de travailler sur la reconstruction
des faits psychiques à partir des associations du sujet.
Le travail sur cette « réalité » a permis de voir com-
ment des liens psychiques pouvaient éclairer autre-
ment des faits jusqu’alors hétérogènes.
– Motifs de visioconsultation - Demande
La demande fait partie du processus psycho-
thérapeutique et sa prise en compte permet d’accéder
aux registres conscients et inconscients du discours,
ainsi qu’à la dimension transférentielle.
La procédure d’inscription sur iPSY a été
construite de façon à percevoir au mieux la demande
du sujet, ainsi que son consentement. Des fiches
d’information avaient été élaborées 2 afin de permettre
aux sujets de préciser leur demande préalablement aux
entretiens, s’ils le souhaitaient. Cette pratique s’est
révélée particulièrement utile pour les sujets du
deuxième groupe.
Les entretiens en visioconférence ont constitué
l’élément central permettant d’entendre la demande
et de l’intégrer à l’analyse d’éventuels phénomènes
transférentiels et contre-transférentiels 3.

2. Dans le cadre de la recherche de doctorat seulement, pas sur la


plateforme iPSY actuelle.
3. Ainsi, la question de ma propre demande, liée au fait que je
devais recueillir des données pour mon étude, s’est posée différem-
ment pour les deux groupes de participants.
Intersubjectivité en visioconsultation 217

– Observation des interactions comportementales,


affectives et non verbales
Au cours de ces interactions, le corps du clinicien
et celui du patient sont impliqués dans l’entretien,
bien que celui-ci se déroule dans le registre du langage.
La visioconsultation permet ainsi une communi-
cation verbale en temps réel ; et non verbale, l’image
vidéo étant associée à cet échange parlé. L’observation
des éléments verbaux et non verbaux du discours ren-
voie donc à l’écoute du clinicien, qui se situe dans un
double registre : celui du contenu manifeste et celui
du contenu latent du discours. C’est l’accès à ce double
discours qui permet au clinicien de faire des inter-
prétations.
Notons que plusieurs éléments interviennent
dans la communication non verbale durant l’entretien
clinique. Tout d’abord, la mimique des interlocuteurs
est intéressante à prendre en compte, en parallèle du
discours tenu. D’autres aspects de la communication
non verbale sont importants dans le cadre de l’entre-
tien clinique. La visioconsultation permet d’accéder
aux informations relatives aux expressions de la bouche
du sujet, ainsi qu’à la combinatoire yeux-bouche. La
gestuelle et les postures sont aussi des éléments impor-
tants au cours de l’entretien clinique. À ce propos, rap-
pelons que la visioconsultation ne donne accès qu’à
une vision partielle du corps des participants, à cause
des effets de cadrage.
Les manifestations neurovégétatives, telles que la
rougeur, la pâleur, la sudation, les pleurs, les rires,
témoignent souvent de l’intensité des processus psy-
chiques mis en cause et de leur caractère non maîtrisé.
218 L’entretien clinique à distance

Les actes automatiques et souvent inconscients, tel que


les tics, suçotement, grattage, toux, représentent
des témoins de décharges pulsionnelles non élaborées.
Ce type de manifestations a pu être observé en visio-
consultation et a été intégré à l’analyse de données.
Enfin, les aspects non verbaux du langage tels que
l’intensité vocale, la hauteur, l’intonation, ou encore
le débit, le rythme du discours, sont autant d’indica-
teurs importants à considérer dans l’entretien clinique,
qui ont pu être observés en visioconsultation. Il en va
de même pour ce qui apparaît comme « le plus non
verbal » des éléments non verbaux du langage, mais
qui est souvent lourd de sens : le silence, qui rythme
la parole. En visioconsultation, les aspects non verbaux
du langage ont pu être observés ainsi que les silences,
même si la particularité de ce cadre de travail pouvait
parfois évoquer, en cas de silence, un dysfonctionne-
ment technique provoquant une coupure ou un déca-
lage dans le son.
– Regard
En visioconsultation, la place du regard est aussi
essentielle que dans tout entretien clinique en face-à-
face et le fait que les interlocuteurs puissent se voir
représente un avantage de la visioconférence. Toutefois,
la visioconsultation comporte certaines spécificités,
notamment sur le plan du regard, comme le décalage
du regard et l’usage de l’option-miroir 4.

4. Cf. chapitre 3, « La place du corps et celle du regard en visio-


consultation ».
Intersubjectivité en visioconsultation 219

– Caméra-cadrage
L’utilisation de la caméra fut un élément essentiel
à considérer au cours des entretiens en visioconsul-
tation (ibid.). Ainsi, la caméra constitue un instrument
tiers dans l’espace de la vie privée (Rouch, 1968,
1979). L’enregistrement vidéo permet l’analyse appro-
fondie du contenu du discours et l’analyse partielle de
la communication non verbale, le cadrage ne permet-
tant de voir qu’une partie du corps. C’est pourquoi
l’usage du dispositif m’a également amenée à être
attentive à la question du cadrage et de ses effets. Je
me suis présentée durant les entretiens devant un fond
blanc, avec un cadrage allant du visage aux épaules, ce
qui représentait selon moi une forme de neutralité.
Cela a ainsi fait partie de l’élaboration de mon cadre
de travail et aussi probablement, de mes réactions
contre-transférentielles, non pas aux sujets participants,
mais au cadre de la visioconsultation en lui-même. J’ai
donc considéré les éventuels effets de cadrage observés
durant les entretiens en visioconférence comme une
variable pouvant éclairer les phénomènes liés au trans-
fert et au contre-transfert.
Dans sa vision futuriste de la visioconférence,
Azimov (1957), évoque le fait de « visionner » l’autre
plutôt que de le voir, ce qui rappelle le phénomène
d’« auto-mise en scène » (France, 1982) en anthropo-
logie filmique. Le fait que les personnes filmées souli-
gnent d’elles-mêmes certains aspects ou certaines
phases de leurs actions fut intégré à l’analyse des don-
nées, en résonance avec les phénomènes transféro-
contre-transférentiels.
220 L’entretien clinique à distance

– Gestion de la distance
En référence au principe d’abstinence, l’une des
recommandations importantes définissant le cadre
psychothérapeutique est la distance physique séparant
le psychologue de son patient. Le fait de se trouver
« à distance » ne semble donc pas être une contre-
indication à la réalisation d’un entretien clinique. La
visioconsultation implique une distance géographique
qui peut donner l’illusion d’une distance psychique et
d’une mise à distance de la relation duelle.
Mais au-delà de la distance physique, qui est
médiatisée par l’outil, il s’agit probablement de trouver
la bonne distance psychique. Cette « distance suffi-
samment bonne » doit être trouvée dans un cadre cli-
nique classique, comme en visioconsultation.
Toutefois, la distance implicite au cadre de la visio-
consultation est à interroger en tant qu’élément pou-
vant amener du sens et éclairer certains phénomènes
transférentiels et contre-transférentiels. Au cours du tra-
vail d’analyse des données, j’ai observé qu’un ensemble
de réactions pouvait parfois émerger face au cadre par-
ticulier proposé, et à la distance des corps qu’il
implique. Mais cela pouvait aussi entrer en résonance
avec une problématique psychique individuelle, tant
du côté du patient que de celui du clinicien. Ainsi,
en visioconsultation, la distance des corps ne signifie
pas leur absence totale ou leur déni, car l’image des
corps permet de créer une relation entre ceux-ci. L’ob-
jectif sur iPSY a été au contraire, de favoriser une forme
de « réalité » au travers de l’engagement des partenaires
dans une relation qui soit la plus similaire possible à
celle établie dans un entretien clinique classique.
Intersubjectivité en visioconsultation 221

Une réflexion sur l’impact de la distance physique


propre au dispositif pourrait amener des avancées sur
l’expression de la violence à distance, ou l’absence de
corps réel dans la rencontre thérapeutique. Par ailleurs,
tout au long de mon étude et dans la mesure du pos-
sible, une rencontre physique en cabinet a été proposée
comme une alternative, ou une continuité au travail
accompli en visioconsultation.
On peut alors considérer la visioconsultation
comme un espace tiers permettant au sujet un travail
d’élaboration psychique. Dans cette perspective, je me
suis demandé si la distance pouvait favoriser l’accès à
la consultation. J’ai donc intégré à ma grille de lecture
thématique des entretiens les raisons qui ont amené
les sujets à la visioconsultation, dont la distance pou-
vait faire partie.
– Difficultés techniques et interférences
dans les processus de transfert et de contre-transfert
Les difficultés techniques sont une autre spécificité
du cadre, qui fut intégrée à l’analyse. Il s’agit principa-
lement des coupures d’image et de son. L’expérience a
fait évoluer l’outil, avec notamment la création du
module de tchat pour pallier ces difficultés 5. Cette
option a peut-être aussi été mise au point dans l’ob-
jectif plus ou moins conscient de pallier les biais
propres à ma méthodologie, entrant probablement en
résonance avec des phénomènes contre-transférentiels
en lien avec le cadre de la visioconsultation. La vio-
lence des « coupures » s’est ainsi trouvée atténuée par
le contact maintenu à l’écrit. Le module de tchat fut

5. Cf. chapitre 4, « Le setting en visioconsultation ».


222 L’entretien clinique à distance

utilisé comme « procédure d’urgence », afin d’éviter que


la communication avec le sujet ne soit totalement
rompue. L’objectif était de limiter au maximum l’utili-
sation de la communication écrite, car la réalité du corps
de l’autre s’impose dans l’échange en visioconférence,
alors qu’elle disparaît derrière l’écrit.
Ainsi, j’ai été attentive à cette difficulté que repré-
sentait le risque de « coupure » dans le cadre de la
visioconsultation, et qu’il m’était difficile de transposer
dans le cadre classique. Cette coupure liée à des pro-
blèmes techniques sur iPSY était différente d’autres
types de « coupures » pouvant survenir dans un entre-
tien clinique et liées aux personnes participant à l’en-
tretien : les ruptures possibles de communication sur
iPSY pouvaient être dues à l’outil en lui-même.
D’autre part, les motifs à l’origine des coupures
d’image ou de son étaient parfois liés à des difficultés
d’utilisation du logiciel par les sujets. Ces « coupures »
pouvaient alors véhiculer du sens et être analysées
comme faisant partie des phénomènes transférentiels,
dans le cadre particulier de la visioconsultation. J’ai
observé l’influence du manque introduit dans la rela-
tion au travers de ces coupures, ce qui me permettait
d’apprécier le transfert et le contre-transfert, ainsi que
l’alliance thérapeutique.
Une autre difficulté technique rencontrée fréquem-
ment en visioconsultation était le décalage de son. Ce
phénomène, lié au taux de connexion internet en visio-
conférence, a donc été intégré à l’analyse des données.
Au travers de l’analyse des difficultés techniques
en visioconsultation, je supposais trouver des éléments
sur la gestion de la relation duelle établie via cet outil
qui implique la distance et le manque. Ces éléments
Intersubjectivité en visioconsultation 223

pourraient éclairer les phénomènes transféro-contre-


transférentiels à l’œuvre en visioconsultation.
– Dépendance
L’une des hypothèses de cette recherche est que
l’usage de l’outil, posé au travers d’un cadre élaboré en
référence au cadre de l’entretien clinique classique, ne
favoriserait pas la dépendance à l’objet. Ce dispositif
n’engendrerait donc pas la mise en place d’une situation
à caractère narcissique, ou en miroir, mais ferait office
d’espace tiers dans la relation duelle entre le thérapeute
et le patient. Dans cette mesure, le « virtuel » ne rem-
placerait donc pas l’objet.
En visioconsultation, la distance permet de créer
le manque et ce manque permet d’introduire l’outil
comme un espace tiers. La distance psychique dans
laquelle va se jouer la relation thérapeutique, contribue
à ce que l’outil occupe une place de tiers.
D’autre part, rappelons le choix méthodologique
de ne pas réaliser les entretiens dans « l’immédiateté »
et de préconiser un léger délai entre la prise de rendez-
vous et l’entretien. Cette temporalité est venue s’ins-
crire comme un nouvel élément de réalité permettant
d’introduire le manque et de soutenir la fonction de
tiers symbolique du cadre.
– Culture
Étant formée à l’anthropologie psychanalytique
et pratiquant l’entretien clinique avec une ouverture
interculturelle depuis de nombreuses années, cela s’est
retrouvé dans mon écoute sur iPSY. J’ai tenté de
prendre en compte le sujet dans sa singularité et son
historicité, en intégrant la dimension des traumatismes
224 L’entretien clinique à distance

collectifs, intergénérationnels ou réels, ainsi que la


dimension anthropologie-culture dans une « double
écoute » (Govindama, 2003, 2007). L’importance du
phénotype du psychologue ou de son appartenance à
un groupe a été intégrée dans l’analyse de la mise en
place du transfert et du contre-transfert.
– Inconscient et subjectivité
Le cadre de la visioconsultation permet de prendre
en compte des éléments relatifs à la communication
verbale et non verbale. Il vise à pouvoir considérer le
registre conscient et inconscient du discours.
Dans cette mesure, j’ai été attentive aux actes
manqués pouvant apparaître de façon verbale ou agie
au fil des entretiens, de la part des patients ou de la
mienne. J’ai aussi relevé les lapsus qui sont apparus en
visioconsultation. J’ai considéré les associations du
patient ainsi que la symptomatologie amenée, comme
dans un cadre classique d’entretien.
– Phénomènes transférentiels
L’identification, la projection, le transfert et le
contre-transfert et enfin la place des groupes d’appar-
tenance des deux interlocuteurs dans leur relation dans
l’entretien font partie des principaux processus psy-
chiques qui touchent les deux partenaires dans l’entre-
tien clinique (Chiland, 1983). L’objectif a été de
vérifier la présence ou l’absence de ces phénomènes en
visioconsultation, afin de situer ce nouveau cadre par
rapport à celui de l’entretien clinique classique.
– Phénomènes contre-transférentiels
Corrélativement aux phénomènes transférentiels,
l’observation de mes propres ressentis en visioconsul-
Intersubjectivité en visioconsultation 225

tation constitue un élément essentiel de la méthode


d’analyse. En finalité, l’outil principal du clinicien cher-
cheur reste toujours son propre appareil psychique.
C’est donc dans et par l’analyse du transfert et du
contre-transfert que le clinicien chercheur gagne en
objectivité. Dans ma recherche, la variable commune
à tous les entretiens est l’utilisation du dispositif iPSY,
mais aussi l’utilisation de « l’instrument que je suis »
en tant que psychologue. L’observation des phéno-
mènes contre-transférentiels 6 permet ainsi la prise de
conscience et le dépassement de ce qui risque de faire
obstacle à la communication.
Pour analyser ces éléments, le fait de visionner à
nouveau les vidéos d’entretiens a permis d’observer les
aspects non verbaux et verbaux de l’entretien,
ensemble ou séparément, ainsi que leur corrélation. Il
a également été possible de voir les deux interlocuteurs
séparément ou ensemble, lors de la retranscription et
de l’analyse des entretiens.
Le fait de revoir plusieurs fois la vidéo et d’isoler
éventuellement les moments-clés de l’entretien a
permis d’effectuer de façon plus fine et approfondie
une analyse du contenu, sur le plan du contenu formel
de l’entretien, mais aussi des interventions du clini-
cien, de leur type (question, relance, reformulation,
interprétation, réassurance, etc.) et de leur place dans
l’entretien. Cela a permis d’entrevoir la dynamique
même de l’entretien et l’interaction des deux discours,
ainsi que leur évolution au cours de l’entretien et du

6. Cf. chapitre 3, « La place du corps et celle du regard en visio-


consultation ».
226 L’entretien clinique à distance

suivi, en lien avec les phénomènes transférentiels pou-


vant apparaître en visioconsultation.
Sur le plan contre-transférentiel, une remarque
concerne le fait que je n’étais pas vraiment familière
avec la visioconférence aux débuts de mon projet. La
dimension du miroir et de l’image, spécifique à ce
cadre, s’est ajoutée à mes réajustements aux transferts
des patients. Cette situation d’entretien était particu-
lière et nouvelle, ce que j’ai tenté de considérer plei-
nement. Les repères méthodologiques propres au cadre
de l’entretien clinique m’ont aidée à conserver certains
repères et à « gérer mon angoisse 7 ».
J’ai donc utilisé cette grille thématique pour ana-
lyser les entretiens en visioconsultation, en lien avec
l’évaluation de mon dispositif sur le plan clinique, face
à des personnalités et à des problématiques indivi-
duelles différentes. Étant donné le nombre réduit de
cas étudiés et de rencontres, les analyses réalisées n’ont
valeur que d’hypothèses. Après avoir présenté la grille
d’analyse thématique, passons maintenant à la descrip-
tion de la partie plus quantitative de la méthodologie
utilisée dans la recherche.

Méthodologie quantitative
Apport complémentaire
du recueil de données quantitatives
(Social Avoidance and Distress Scale)
Dans la configuration du site iPSY pendant la
recherche de doctorat, l’utilisateur qui validait le

7. Au sens de Devereux (1967) : pour le chercheur face à son objet.


Intersubjectivité en visioconsultation 227

troisième volet du formulaire d’inscription était dirigé


vers une nouvelle page de questionnaire, qui consti-
tuait une dernière partie de la procédure d’inscription.
L’introduction d’un questionnaire dans la
méthodologie de la recherche fait référence à l’histoire
du projet, concernant un stage réalisé au cours de
mon doctorat à l’université de Stanford 8. Après la tra-
duction en anglais du site, j’ai pu présenter mon travail
de recherche et les remarques et apports de l’équipe
m’ont amenée à utiliser le questionnaire Social Avoi-
dance and Distress Scale [Échelle d’évitement social et
de détresse] (Watson et Friend, 1969). Cette échelle
pouvait apporter des éléments intéressants concernant
la population qui utilisait iPSY. Ainsi, elle pouvait
aider à évaluer une tendance à être en difficulté dans
le champ des relations sociales, chez les personnes uti-
lisant iPSY pour bénéficier d’un conseil psychologique
à distance.
Par ailleurs, l’utilisation du dispositif en ligne pré-
sentait l’avantage de pouvoir effectuer un recueil de
données quantitatives très facilement, via le site
internet. Bien que n’étant pas familière avec ce type
d’outil, je trouvais fort intéressant de pouvoir ouvrir
mon travail à une méthodologie croisée, et d’inclure à
l’analyse qualitative des données quantitatives obte-
nues grâce à une échelle.
La passation de ce questionnaire était donc obli-
gatoire pour valider l’inscription, au cours de la
recherche de doctorat. Il était précisé sur le site que les

8. J’ai été accueillie dans le laboratoire « Culture et émotions »,


dirigé par le professeur Tsai, à l’université de Stanford en Cali-
fornie, pendant plusieurs mois.
228 L’entretien clinique à distance

informations recueillies seraient utilisées pour la


recherche et anonymisées. J’ai traduit en français le
questionnaire et les indications, ainsi que la consigne.
Présentons rapidement cette échelle : le SADS,
Social Avoidance and Distress Scale, que j’ai traduit par
Échelle d’évitement social et de détresse. Développée
par D. Watson et R. Friend en 1969, cette échelle com-
porte vingt-huit items, qui doivent être cotés comme
vrais ou faux par le sujet. Sa création est basée sur la
confusion de l’époque concernant l’anxiété sociale,
définie comme une expérience de détresse, d’inconfort,
de peur, d’anxiété dans les situations sociales, puis
comme l’évitement délibéré de situations sociales, et
finalement comme la peur de recevoir des évaluations
négatives de la part des autres. Les deux premiers
aspects furent combinés pour créer une échelle d’évi-
tement social et de détresse sociale, et le dernier facteur
fut utilisé pour créer l’échelle Fear of Negative Evalua-
tion (FNE), que l’on peut traduire par l’échelle de peur
d’une évaluation négative. Ces deux échelles furent
donc développées en même temps et présentées dans
le même article (Watson et Friend, 1969).
Je n’ai utilisé que le SADS pour mon étude, afin
d’évaluer plus particulièrement les deux premiers
aspects. Il est divisé en deux sous-échelles : évitement
social et détresse sociale. L’évitement social est défini
comme le fait de s’abstenir d’être avec les autres, de
leur parler, ou encore de les fuir pour n’importe quelle
raison (ibid.). L’instance opposée serait un simple
manque d’évitement, mais pas le désir de s’affilier à un
groupe ou à une personne. La détresse sociale est
définie comme l’expérience rapportée d’une émotion
négative, l’impression d’être bouleversé, en détresse,
Intersubjectivité en visioconsultation 229

tendu ou anxieux dans les interactions sociales. L’ins-


tance opposée est le manque de tristesse, mais pas la
présence d’émotion positive 9.
Les personnes qui ont un score élevé au SADS
sont supposées être mal à l’aise dans les situations
sociales et préférer être seules. Le projet même d’avoir
des interactions sociales à venir pourrait les rendre
anxieuses. Ces personnes chercheraient plus à se faire
bien voir et se conformeraient plus. Ainsi, le SADS pour-
rait être utile dans l’étude des interactions sociales.
Les auteurs se sont interrogés sur la façon dont
les caractéristiques de l’évaluateur peuvent affecter le
niveau d’anxiété d’une personne dans les situations de

9. Les deux sous-échelles du SAD excluent les items concernant les


signes physiologiques de ces émotions. Elles sont corrélées à .75
entre elles et l’indice d’homogénéité KR-20 est de .94. Dans
l’échantillon de départ, la distribution du SAD est asymétrique : la
plus petite modalité est zéro, le score moyen est 7 et l’écart-type
est 8,01. Il s’agit d’une asymétrie positive.
L’analyse séparée des sous-échelles d’évitement social et de détresse
sociale indique que la distribution de l’évitement social est plus
asymétrique. Les scores élevés au SADS étaient ainsi plus rares que
les scores du FNE.
D’autre part, les scores élevés au SADS seraient plus pathologiques.
Les variables qui déterminent un retrait social extrême ou de la
détresse, qui pourraient être appelées schizoïdes, ne sont pas nor-
malement distribuées parmi la population générale, ce qui expli-
querait l’asymétrie dans les données du SAD. Ce manque de
normalité dans le SAD pourrait faciliter la tâche d’identification
précoce de ceux qui montreront plus tard des réactions schizoïdes.
Des différences en fonction des genres ont été observées avec
l’échelle SAD. Les scores moyens pour les garçons (N=60) étaient
de 11,20 et pour les filles (N=145) de 8,24. Cette différence est
significative (t = 2.64, p<.01). Les garçons ont donc signalé plus
d’évitement social et de détresse que les filles.
230 L’entretien clinique à distance

test. Ils se sont aussi interrogés sur la façon dont le


comportement d’une personne anxieuse pouvait
affecter le jugement de l’évaluateur. On note à ce
propos que dans la recherche en visioconsultation, ces
facteurs ont probablement peu influé, puisque la per-
sonne n’était pas en présence de l’évaluateur quand elle
remplissait le questionnaire en ligne.
L’évitement social et la détresse, mesurés par le
SADS, pourraient renvoyer à une réaction générale pour
certaines personnes, alors que pour d’autres elle pour-
rait être spécifique dans certaines situations, comme
avoir affaire aux autorités ou aux personnes du sexe
opposé.
La quantité d’anxiété sociale pourrait être liée à
une frustration préalable dans les interactions sociales.
Les auteurs précisent que les motifs déterminant une
anxiété sociale et une détresse ne seraient pas clairs.
Une personne avec une anxiété sociale et une détresse
élevées serait très isolée et souvent craintive. La relation
entre l’anxiété sociale et la psychopathologie est ici
sous-entendue : le SADS pourrait rendre possible
l’étude de types normaux ou schizoïdes, mais aussi de
types intermédiaires, autour de la question d’être seul
ou ensemble.
Concernant le recueil de données, la passation du
SADS est assez simple, les vingt-huit questions appelant
une réponse par « cochage » (vrai ou faux) et donnant
un score total de vingt-huit au maximum après cota-
tion, chaque item équivalant à un point.
Précisons également que le recueil de données ne
s’est pas effectué au même moment pour tous les sujets
de l’étude. Ainsi, certains sujets du deuxième groupe
ont rempli le questionnaire au cours de leur inscription,
Intersubjectivité en visioconsultation 231

c’est-à-dire avant la rencontre en entretien. Pour


d’autres sujets, en particulier ceux du premier groupe,
le questionnaire avait été rempli après plusieurs entre-
tiens. Cela constitue probablement un biais dans le
recueil de données, car on peut supposer que l’état
psychologique des personnes n’était pas le même à ces
différents moments. Il serait donc intéressant de
rendre le recueil des données quantitatives plus homo-
gène à l’avenir.
Ainsi, les données quantitatives recueillies dans
cette recherche ne peuvent apporter qu’un éclairage
indicatif et sont difficilement généralisables, étant
donné les conditions de recueil et la taille réduite de
l’échantillon de population.
Toutefois, l’évaluation de l’évitement social était
intéressante pour la recherche en visioconsultation,
puisqu’elle pouvait nous renseigner sur la disposition
psychique des participants dans leurs relations avec des
tiers. Les éventuelles difficultés observées à ce niveau
pouvaient donc permettre d’envisager un lien entre le
choix de la visioconsultation, qui implique la distance
des corps, et une problématique où le sujet « garderait
ses distances » avec les autres.
D’autre part, l’anxiété sociale pourrait être un
symptôme de l’addiction (McDougall, 1982). Cette
difficulté de relation à l’autre, voire d’accès à l’autre,
pouvait donc indiquer en visioconsultation la possible
mise en place d’une relation en miroir, voire d’une
dépendance à l’outil, ce pourquoi les éléments com-
plémentaires apportés par le SADS ont été utiles.
Passons maintenant à la présentation de la
méthode utilisée pour l’analyse des données quanti-
tatives.
232 L’entretien clinique à distance

Méthode d’analyse du questionnaire SAD


L’utilisation du questionnaire SAD est donc venue
compléter les données qualitatives recueillies en visio-
consultation, en y apportant un éclairage quantitatif.
Les vingt-huit sujets de la population globale ont
rempli le questionnaire SAD.
Les résultats de la cohorte des vingt sujets qui
n’ont pas été suivis en visioconsultation, mais se sont
tout de même inscrits sur le site et ont rempli le ques-
tionnaire, ont été analysés. Une moyenne des résultats
de ce groupe a été réalisée, afin de le situer par rapport
à la distribution des résultats (Watson et Friend,
1969). Ces résultats ont apporté des indications rela-
tives à la demande des sujets. Ce groupe a ainsi été
considéré comme un groupe témoin.
Puis les résultats des huit sujets qui ont composé
les deux groupes généraux ont été analysés. Rappelons
que les sujets du premier groupe ont été vus en
cabinet, puis en visioconsultation. Les sujets du
deuxième groupe ont été d’abord rencontrés en visio-
consultation.
Une analyse des résultats au SADS de chaque sujet
des deux groupes a été effectuée, en tentant de les
situer par rapport à la distribution des auteurs et à la
question de l’évitement social et du sentiment de
détresse pouvant y être associé.
Enfin, une analyse des notes moyennes obtenues
pour chacun des deux groupes a été effectuée, toujours
par rapport à la distribution des auteurs (ibid.). Cette
analyse est donc comparative.
Étant donné la faible taille de l’échantillon de
sujets, aucune régression statistique n’a été réalisée.
Intersubjectivité en visioconsultation 233

Passons maintenant à la présentation des résultats,


de façon qualitative et quantitative. Pour cela, des élé-
ments cliniques relatifs à un sujet de chaque groupe
illustreront des usages singuliers de la visioconsulta-
tion. En référence aux recommandations freudiennes
pour la recherche en psychanalyse (Freud, 1912a), rap-
pelons que seuls les sujets n’étant plus suivis ont été
inclus dans l’échantillon.

ILLUSTRATION CLINIQUE : ANNE

Anne fait partie du groupe 1. Elle est âgée de


39 ans, artiste et enseignante en arts plastiques, céli-
bataire et sans enfant, bien qu’ayant été mariée et
divorcée deux fois. Le passage du cadre classique à la
visioconsultation est lié pour elle à deux événements :
une pathologie somatique rendant ses déplacements
difficiles et le décès de sa mère qui précède de quelques
jours la première visioconsultation. Sa demande s’étaye
sur la difficulté qu’elle éprouve alors à se déplacer.
L’observation des schèmes interactifs lors des ren-
contres à distance avec Anne permet de noter que les
silences, assez peu nombreux, surviennent parfois lors-
qu’elle évoque l’objet maternel : « C’est à elle que je
pouvais dire : “J’ai froid” et… (silence) j’avais personne
d’autre. » Ces rares pauses dans la chaîne associative
évoquent le processus de deuil en cours. Face à mes
silences, Anne réagit parfois en craignant de ne plus
m’entendre, ce qui semble l’inquiéter. Elle exprime
alors, de façon verbale et non verbale, une angoisse de
séparation dans ce cadre spécifique d’entretien. Anne
sourit largement lorsqu’elle me voit apparaître à
l’écran, bien qu’elle ait peu ri par ailleurs au cours des
234 L’entretien clinique à distance

entretiens. Ce phénomène évoque le plaisir qu’a le jeune


enfant de voir le visage de la mère ou encore le sien, dans
le miroir. Concernant les aspects verbaux du discours,
Anne parle très fort, ce qui m’oblige à mettre le volume
au minimum pour visionner à nouveau les entretiens.
Elle semble s’en rendre compte : « J’ai l’impression que
je crie quand je parle, je vous fais pas trop mal aux
oreilles ? » Après mes interventions, son débit de parole
se calme et elle reprend à voix basse, comme si la voix
du clinicien pouvait avoir une fonction contenante,
même à distance. Ces cris, dont Anne semble avoir
conscience, seraient-ils en lien avec l’impression qu’elle
a de ne pas être entendue, comme elle le dit plusieurs
fois au cours des entretiens ?
L’analyse des effets liés à la présence de la caméra
et au cadrage a permis d’évaluer la dimension du
regard en tant que miroir spéculaire ou menant à
l’intersubjectivité. Anne active l’option-miroir dès la
première visioconsultation. Elle fait un commentaire
sur son apparence et dit ne pas se trouver belle sur
l’écran, alors que devant son miroir elle se trouve
« pas mal ». Cela illustre la façon dont elle perçoit
l’œil de la caméra, lui renvoyant une image d’elle-
même altérée en tant que « double » de l’œil du cli-
nicien et évoquant peut-être le regard maternel, dans
une dimension persécutive. Elle cadre son visage en
gros plan, ne laissant voir ni ses épaules ni ses mains,
sauf quand elles bougent et passent devant la caméra
en ponctuant son discours, signe d’une agitation déjà
observée lors de nos rencontres en cabinet. La proxi-
mité avec l’objectif de la caméra est-elle un signe de
la distance relationnelle qu’Anne établit dans ses rela-
tions avec des tiers ?
Intersubjectivité en visioconsultation 235

Sur le plan transféro-contre-transférentiel, des élé-


ments supplémentaires apparaissent dans l’usage
qu’elle fait du dispositif. Au fil des visioconsultations,
il semble que Anne tente d’aménager un espace pour
les entretiens : elle vérifie que le son fonctionne en
début d’entretien, puis elle éteint son téléphone qui
avait sonné lors d’une des premières rencontres « à dis-
tance ». Anne met aussi le cadre à l’épreuve, par
exemple au travers de certains questionnements tech-
niques. La récurrence d’une « panne » où elle n’entend
plus, alors que tout semble fonctionner technique-
ment, peut révéler, dans une forme de projection
transférentielle persécutive spécifique au dispositif, sa
souffrance quant au sentiment plus général, de ne pas
être entendue. Un certain nombre d’actes manqués
ponctuent les rencontres, surtout au travers des
absences aux rendez-vous. Dans l’après-coup, je
constate qu’elle a manqué nos entretiens à la même
fréquence dans les deux cadres de rencontre.
Après plusieurs entretiens sur iPSY, une évolution
de son état psychique est notable. Suite à un moment
à connotation dépressive dans la poursuite de son tra-
vail de deuil, elle peut faire la transition entre la mère
vivante et la mère morte, dans cet espace à vocation
transitionnelle. Le dispositif de visioconsultation a
permis une certaine continuité dans nos échanges à un
moment particulier de sa vie, et la poursuite d’un tra-
vail d’élaboration psychique.
Ainsi, certaines formulations évoquent un
aspect persécutif de l’imago maternelle : « On était
très différentes… moi, j’aime pas le mensonge. »
Anne associe ces propos avec le souvenir d’avoir sou-
vent été gardée par des nounous, car ses deux parents
236 L’entretien clinique à distance

travaillaient beaucoup. Elle révèle alors avoir été vic-


time de mauvais traitements : « On avait des bonnes
femmes qui nous gardaient qui nous battaient à
mort », « elle avait des rapports sexuels avec son…
copain devant nous. » Ces violences physiques, psycho-
logiques et l’exposition précoce à une sexualité adulte
constituent des traumas infantiles ayant fait intrusion
dans le psychisme de Anne comme autant de « com-
motions psychiques » (Ferenczi, 1932, 1934), sa place
d’enfant n’ayant pas été respectée. La violence, d’abord
subie par Anne, s’est répétée à l’égard de l’objet
maternel et dans d’autres relations ultérieures, révélant
son désir de maîtrise sur l’objet. Le choix d’une théra-
peute de genre féminin a pu entrer en résonance avec
l’imago maternelle dans le transfert, une certaine ambi-
valence s’exprimant alors et révélant une dimension
persécutive. Cette violence s’est trouvée déplacée du
cabinet en visioconsultation, en empruntant alors des
traits spécifiques, comme les problèmes techniques
récurrents. Anne semblait, plus ou moins consciem-
ment, utiliser le cadre pour signifier quelque chose de
sa demande.
Ce que j’ai retenu de mes réactions aux processus
transférentiels exprimés par Anne lors de nos entre-
tiens, était marqué par la violence et l’agressivité
qu’elle semblait projeter. Cela pouvait provoquer en
moi une certaine agressivité, sur laquelle j’ai dû tra-
vailler afin de me réajuster pour être neutre et « tenir
le coup » dans le contre-transfert. Je ressentais ainsi
une forme de mise à l’épreuve, comme celle que
j’avais observée envers le cadre de la part de Anne,
dans le transfert. Mes réactions contre-transféren-
tielles visaient à rester calme dans mes interventions
Intersubjectivité en visioconsultation 237

et à ne pas élever la voix comme elle le faisait. Ainsi,


dans un processus de réajustement contre-transférentiel,
son agitation m’amenait à être plus calme, pour pré-
server le cadre et l’alliance thérapeutique qui semblait
établie entre nous.
Il m’était parfois difficile de prendre la parole et
d’intervenir, surtout lorsque Anne entrait dans un état
d’agitation, le ton de sa voix montant progressivement.
Elle semblait alors ne pas m’entendre, ce qui renvoie à
une forme de projection dans le transfert de ce qu’elle
disait ressentir dans ses relations avec les autres. Je ten-
tais alors, dans un réajustement contre-transférentiel,
de me faire entendre, parfois en répétant mon inter-
vention, et je constatais qu’après ma prise de parole,
elle se calmait pour m’écouter.
À d’autres moments où Anne disait ne pas m’en-
tendre à cause de problèmes techniques, j’ai remarqué
que mes propositions de relancer techniquement la
séance semblaient calmer son angoisse. J’utilisais alors
cette référence au cadre de la visioconsultation pour
permettre la continuité de l’échange avec la patiente,
dans un moment où elle semblait ne pas pouvoir
m’entendre.
J’ai remarqué que la violence exprimée par Anne
dans son discours, se manifestait dans les deux cadres
de nos entretiens. Grâce au cadre de l’entretien cli-
nique, j’ai pu faire face à cette agressivité, qui s’expri-
mait parfois dans le transfert. J’ai ainsi remarqué, en
analysant les entretiens, que je faisais souvent référence
au cadre, par exemple au temps de la séance qui avan-
çait, probablement afin d’éviter les débordements, ce
que Anne semblait accepter.
238 L’entretien clinique à distance

ILLUSTRATION CLINIQUE : FRÉDÉRIC

Frédéric, sujet du groupe 2, âgé de 32 ans, à la


recherche d’un emploi dans l’infographie, formule
assez clairement une demande centrée sur un symp-
tôme qu’il nomme « phobie de l’eau ». Il dit préférer
avoir recours à la visioconsultation, car il lui est diffi-
cile de quitter son domicile.
L’observation des schèmes interactifs révèle que
les silences de Frédéric s’accompagnent souvent de la
même expression sur son visage : un pincement de
bouche, comme s’il empêchait les mots de sortir, signe
d’inhibition face à certains thèmes abordés dans les
entretiens. Il rit souvent lorsqu’il évoque des souvenirs
à caractère traumatique, comme celui où il a vu son
père se noyer. Cela peut marquer l’émergence de méca-
nismes défensifs : tourner en dérision sa propre souf-
france lui permettrait de la mettre à distance, de
refouler les affects liés aux traumatismes. Par ailleurs,
Frédéric place ses mains de façon particulière : il les
met souvent devant sa bouche, notamment lorsqu’il
évoque des souvenirs traumatiques de violences que
lui infligeait son grand frère.
Cette position des mains est très visible au cours
des premiers entretiens et beaucoup moins par la suite.
À d’autres moments, ses mains se délient et bougent,
surtout lorsqu’il arrive à parler de lui ou de ce qu’il se
représente de son fonctionnement psychique. Sur le
plan verbal, il a une tonalité de voix très basse, le ton
étant plutôt monocorde. Cela évolue au fil des entre-
tiens, comme le signe d’une levée progressive de méca-
nismes défensifs, observable sur le plan langagier.
Lors d’une des rencontres suivantes, il peut exprimer
Intersubjectivité en visioconsultation 239

verbalement sa colère en évoquant sa relation à sa mère


et dire : « Ça m’énerve. »
L’analyse des effets liés à la présence de la caméra
et au cadrage révèle que Frédéric a utilisé l’option
miroir en choisissant de ne pas se voir. Son image le
gênait peut-être, mais il a aussi pu faire ce choix pour
être au plus près des conditions d’un entretien clas-
sique. Le cadrage qu’il choisit est toujours identique,
montrant son visage et le haut de son corps. La
lumière de la pièce où il se trouve laisse voir son visage
à contre-jour, ce qui évoque une certaine fuite du
regard de l’autre vécu comme menaçant. Lors des der-
niers entretiens, l’arrière-plan change car il se trouve
dans une autre pièce de son appartement, beaucoup
plus éclairée. L’évolution de sa « mise en image » peut
révéler une certaine dynamique psychique et trans-
férentielle. Il a souvent les yeux baissés quand il parle,
mais à certains moments, par exemple en évoquant sa
relation avec sa mère, il lève les yeux et regarde son
écran pour voir le visage du clinicien et chercher son
regard, comme il aurait regardé son interlocuteur dans
un entretien classique. Le phénotype et le genre du
thérapeute ont pu mobiliser le regard de Frédéric sur
le plan transférentiel, constituant des points d’appui
sur un tiers pouvant lui permettre d’élaborer une tran-
sition, une séparation. Frédéric a peut-être cherché une
femme « sécure » pouvant l’aider à sortir de la relation
fusionnelle avec sa mère.
Certaines questions ont émergé concernant la
demande de ce sujet, qui présentait une problématique
marquée par l’inhibition. Est-il possible que la distance
des corps induite par la visioconsultation l’ait rassuré,
lui permettant d’échapper à un sentiment d’intrusion,
240 L’entretien clinique à distance

une proximité « dangereuse » des corps sexués, en


accédant malgré tout à un lieu d’écoute ?
Il décrit un symptôme nommé « phobie de l’eau »
et dit ressentir depuis le début de son adolescence une
peur panique dans l’eau, souvent liée à la représentation
d’un requin. Il associe d’abord l’apparition de ce
trouble avec le film Les dents de la mer, qu’il aurait vu
à l’âge de 12 ans. Puis, il mentionne des rêves récur-
rents depuis la période pubertaire, où il se trouve dans
des « décors paradisiaques » et où le requin apparaît
alors que Frédéric est sur le point de surfer, de
« monter sur la mer ». On peut entendre dans le signi-
fiant « mer » la « mère », dans ces deux exemples.
Les rêves qui obéissent à la compulsion de répé-
tition trouvent leur appui dans le désir de faire
resurgir le refoulé (Freud, 1920). Frédéric associe des
souvenirs à caractère traumatique au danger dans
l’eau, comme sa propre noyade à l’âge de 6 ans. L’an-
goisse de ne plus pouvoir respirer est liée aux mauvais
traitements que son frère lui infligeait. Ces éléments
évoquent la répétition inconsciente d’un traumatisme
psychique infantile, marquant l’action de la pulsion
de mort. Le complexe d’Œdipe fraternel ou complexe
de Caïn, est un concept proposé par Baudouin en
1932 (Scelles, 2004). Ce mythe peut être analysé dans
une perspective de rivalité préœdipienne ou œdi-
pienne, puisque le fratricide peut être lu comme un
temps inaugural d’individuation (Marty, 2000), ou
comme la mise en acte des fantasmes parentaux
inconscients (Houssier, 2000). La rivalité semblant se
jouer entre Frédéric et son frère était ainsi marquée
par une violence agie, sans limites suffisantes posées
par des adultes protecteurs.
Intersubjectivité en visioconsultation 241

Lorsqu’il mentionne ses parents, les propos de


Frédéric évoquent une certaine confusion génération-
nelle : « Ils couchent plus ensemble… avec ma mère…
on a parlé de trucs… comme si j’étais son pote quoi…
son confident. » Ces propos illustrent l’inversion des
générations, qui peut avoir pour conséquence d’exposer
l’enfant à une violence traumatique (Govindama,
1999). Si la différence des sexes et des générations n’est
pas bien marquée, la place de l’enfant n’est pas res-
pectée. Dans le premier rêve que Frédéric raconte en
visioconsultation, sa mère est violée par des « voyous »,
ce qui peut révéler l’émergence d’une problématique
incestuelle. Il associe ensuite avec un souvenir trauma-
tique où il a vu le sexe de sa mère alors qu’il était en
pleine puberté : « Ça avait attisé ma curiosité cette
vision là…et (silence)… il y a un truc qui me vient à
l’esprit…c’est que… j’avais trouvé… son… sexe
vachement…grand. » La formulation évoque une peur
de la dévoration ou de l’engloutissement par une
imago maternelle menaçante. Ainsi, ce fantasme du
« grand » sexe de la mère par rapport au « petit » sexe
de l’enfant garçon peut constituer une atteinte narcis-
sique (Horney, 1932). Pour Frédéric, l’émergence de
l’imago maternelle s’est ainsi révélée dans les phéno-
mènes transférentiels en visioconsultation.
Comme pour les autres sujets, le fait de visionner
à nouveau les entretiens avec Frédéric a été d’une grande
aide pour l’analyse des phénomènes contre-transfé-
rentiels. J’ai tout d’abord ressenti un état particulier, à
la vue de ces entretiens et au contact de Frédéric. Ainsi,
j’ai éprouvé une sensation de fatigue, probablement en
réaction à des phénomènes transférentiels et au matériel
« lourd, pesant », qu’il amenait en séance.
242 L’entretien clinique à distance

J’ai par ailleurs constaté une certaine « passivité »


ou « docilité » de Frédéric se jouant dans le transfert,
comme la réactualisation d’une position infantile face
aux objets fraternel et maternel. J’ai donc tenté, dans
mes réactions contre-transférentielles, de permettre à
la subjectivité du patient d’émerger, en favorisant ses
associations et en lui laissant « sa place ». Le ressenti
du vécu traumatique de ce sujet victime a donc peut-
être favorisé chez moi l’adoption d’une position plus
douce, plus rassurante, plus contenante.
J’ai tenté de l’aider à faire des liens entre les repré-
sentations et les affects pouvant y être liés, ceux-ci
étant probablement en rapport avec ses symptômes
actuels. Ainsi, l’expression de son sentiment de colère
a été importante à noter dans l’évolution de son état
psychologique.
Un autre élément intéressant que j’ai remarqué
dans le discours du sujet concernait le « coup de
baguette magique » qu’il disait attendre d’une femme,
pour être réparé. Sur le plan contre-transférentiel, il
est possible que cette représentation m’ait mise au
départ en difficulté, car je ne pouvais bien évidemment
pas répondre à cette demande du sujet. Néanmoins,
ce type de formulation m’a aidée à intervenir dans les
entretiens, afin d’orienter les associations du patient
vers l’objet maternel. Il est possible que dans un pre-
mier temps, Frédéric ne l’ait pas évoqué parce que je
ne l’avais pas perçu, caché derrière l’omniprésence des
souvenirs liés à son frère dans son discours. Le rêve du
viol raconté par Frédéric à la fin d’une visioconsultation
m’a également interpellée, et c’est pourquoi j’ai réagi en
lui proposant alors, s’il était d’accord, de parler de sa
relation à sa mère lors de notre prochaine rencontre.
Intersubjectivité en visioconsultation 243

C’est au début de l’entretien suivant qu’il rapporta le


souvenir traumatique de sa vision du vagin maternel,
pouvant révéler un fantasme de « vagin denté » (ibid.).
On peut donc penser que l’intervention et le question-
nement sur l’imago maternelle étaient appropriés.

Dans les différents cas analysés au cours de la


recherche, le cadre a pu induire une certaine frustration
et établir la séparation, le manque, constituant alors un
soutien à la subjectivité et à l’intersubjectivité, sans ren-
forcer un aspect spéculaire. Le manque, accentué par la
distance physique séparant les interlocuteurs en visio-
consultation, est une spécificité qui a représenté un
avantage pour certains, mais une difficulté pour
d’autres. Les sujets ont fait usage de cet outil de façon
différente en fonction de leur problématique, de leur
histoire, de leur identité culturelle et de genre. C’est là
que s’observe l’émergence de leur subjectivité : dans la
façon dont ils se sont approprié le dispositif.
Après ces vignettes cliniques, présentons d’autres
résultats de la recherche en visioconsultation.

AUTRES RÉSULTATS

Nous allons décrire dans cette partie les résultats


quantitatifs de la recherche, ainsi qu’une analyse com-
parative des données qualitatives et quantitatives.

Analyse quantitative des données recueillies avec le


Social Avoidance and Distress Scale (SADS)
La moyenne des scores obtenus au SADS par les
sujets de l’échantillon global est de 15,3, ce qui repré-
sente un score assez élevé par rapport au score moyen
244 L’entretien clinique à distance

pour cette échelle, qui est de 7. L’écart-type est de 8,01


(Watson et friend, 1969), ce qui situe les résultats de
l’échantillon global dans les scores très élevés, appelés
« schizoïdes » par les auteurs. Les scores moyens de la
cohorte sont légèrement plus élevés que ceux du pre-
mier groupe, et largement plus élevés que ceux du
deuxième groupe.
Ainsi, les scores élevés au SADS seraient plus
pathologiques (ibid.). Les variables qui déterminent
un retrait social extrême ou de la détresse, pouvant être
appelées schizoïdes, ne sont pas normalement distri-
buées parmi la population générale. Cela pourrait
signifier que les personnes qui se sont inscrites sur iPSY,
sans pousser cette démarche jusqu’à la visioconsulta-
tion, présentaient des troubles plus importants, au
niveau de l’évitement social, que les sujets que j’ai ren-
contrés sur iPSY. Cela soutient l’hypothèse que l’outil
permet une rencontre en face-à-face comparable mais
pas identique à une situation de cabinet, avec des
interactions sensorielles impliquant le corps de l’ana-
lyste et celui du patient. La rencontre des corps semble
donc bien avoir lieu en visioconsultation.

Scores individuels
– Premier groupe
Anne = 20/28 : score très élevé. En considérant
que les auteurs du SADS pensent pouvoir évaluer un
aspect schizoïde de la personnalité avec les scores
élevés, on peut donc intégrer cet élément supplémen-
taire dans le cas de Anne. On note également que l’évi-
tement social et la détresse semblent être élevés. Ce
résultat est bien supérieur à la moyenne du premier
Intersubjectivité en visioconsultation 245

groupe, qui est de 14,75. Les résultats moyens sont


élevés dans le premier groupe et se situent légèrement
en dessous de la partie supérieure de la courbe des
résultats (score de 15,1).
– Deuxième groupe
Frédéric = 4/28 : score très bas, qui le situe en
dessous de la moyenne de la courbe de distribution,
qui est de 7. Ce résultat, légèrement supérieur à la
moyenne du deuxième groupe, qui est de 3, peut être
surprenant dans sa faiblesse, compte tenu de la symp-
tomatologie de Frédéric, qui présentait des traits de
personnalité phobiques. Il pourrait être le signe d’un
mouvement défensif lors de la passation.
Les résultats moyens du deuxième groupe sont
faibles, mais ils se situent au-dessus de la partie infé-
rieure de la courbe des résultats (score de 0).

Analyse comparative
L’analyse comparative des données quantitatives
obtenues pour les deux groupes de sujets ne semble
pas assez significative pour la présenter ici, au vu du
faible nombre de sujets dans l’échantillon.
Passons donc à la présentation des résultats obtenus
par l’analyse comparative des données qualitatives, avec
une analyse comparative des sujets des deux groupes en
fonction des différents thèmes de la grille.
Concernant la demande, pour le premier groupe,
le passage à la visioconsultation s’est fait pour différents
motifs en fonction des sujets. On retient l’éloignement
géographique et les problèmes somatiques comme rai-
sons pratiques majeures justifiant ce passage. Mais,
notamment pour Anne, le passage du cabinet à la visio-
246 L’entretien clinique à distance

consultation, bien que s’appuyant sur des motifs soma-


tiques, était aussi relatif à son état psychique.
La demande des sujets du deuxième groupe sem-
blait liée à différents motifs : l’éloignement géo-
graphique, le « manque de temps », la difficulté à sortir
de chez lui pour Frédéric. Pour les sujets du second
groupe aussi, l’usage de la visioconsultation a été
variable, en lien avec leur demande plus ou moins
consciente.
La dimension du regard a été essentielle pour les
huit sujets des deux groupes. Grâce à l’observation
des usages de l’« option-miroir » et de leur évolution
éventuelle au cours des entretiens, j’ai pu évaluer la
captation dans une image du semblable ou celle d’un
tiers, dans le transfert. Cela m’a permis, dans le contre-
transfert, de prendre en compte cette dimension afin
de pouvoir rétablir un espace à vocation transition-
nelle, grâce à l’outil. On note que la dimension spé-
culaire est plus grande en visioconsultation, de par le
dispositif technique en lui-même. Dans cette mesure,
il a été intéressant d’observer comment les sujets
avaient utilisé cette dimension, ce qu’ils en avaient fait.
Ainsi, Frédéric n’a pas utilisé cette option car il sou-
haitait peut-être éviter de rejouer, en visionnant sa
propre image, le regard intrusif de sa mère sur lui.
D’autres sujets jouaient avec leur image en faisant des
grimaces dans le miroir que constituait alors l’écran,
ou en utilisant de façon alternative cette option, en
fonction de leur état psychique. Anne est allée progres-
sivement de la captation narcissique vers l’altérité, sur
le plan tant verbal que non verbal dans nos échanges.
À mon niveau, j’ai tenté de ne pas me laisser capter
dans l’image qui m’était renvoyée dans le transfert
Intersubjectivité en visioconsultation 247

culturel, social et psychologique, tout comme en situa-


tion d’entretien en cabinet.
Les effets liés à la présence de la caméra et au
cadrage ont amené des éléments intéressants pour
chacun des huit sujets, permettant d’observer le lan-
gage corporel mis en valeur par le dispositif. La posture
régressive de certains sujets en entretien, les change-
ments de pièce, semblaient prendre du sens dans le
transfert. L’« auto-mise en scène » des sujets a apporté
des informations relatives aux mécanismes conscients
et inconscients à l’œuvre.
La distance impliquée par le cadre pouvait être
accompagnée d’une grande distance géographique entre
les sujets et moi-même, notamment lors d’éloignements
provisoires. Mais cette distance géographique ne semble
pas avoir induit une distance psychique empêchant la
mise en place d’une relation à caractère clinique, dans
le cadre de la visioconsultation.
Les difficultés techniques sont venues rappeler la
distance géographique séparant les interlocuteurs,
notamment au travers des phénomènes de coupure.
L’apparition, l’éventuelle répétition et la résolution de
ces phénomènes pouvaient aussi révéler quelque chose
de la dynamique transférentielle en jeu. Sur le plan
contre-transférentiel, j’ai souvent été amenée à réagir à
une angoisse manifestée par certains sujets face aux cou-
pures, ou à m’adapter à des problèmes récurrents comme
ceux que rencontrait Anne, m’amenant à relancer la
séance, ce qui faisait disparaître ses problèmes de son et
la rendait plus calme. Ainsi, malgré ces problèmes tech-
niques venant rappeler la distance géographique, il fut
possible de créer un espace transitionnel à valeur conte-
nante, permettant une continuité dans l’écoute.
248 L’entretien clinique à distance

Le thème de la dépendance est apparu de diffé-


rentes façons au fil des visioconsultations. J’ai souvent
retrouvé parmi les sujets, des problématiques en lien
avec un aspect fusionnel, dont ils cherchaient peut-
être à se débarrasser. Dans cette mesure, il est possible
que la distance induite par l’outil ait aidé à gérer la
relation duelle, du côté tant du transfert que du
contre-transfert.
Néanmoins, aucun des sujets de l’échantillon n’a
semblé présenter de dépendance à l’outil iPSY. Ainsi,
l’effet potentiel de captation par l’image a pu être géré
dans la relation transféro-contre-transférentielle, per-
mettant d’instaurer l’outil comme un espace tiers.
Au sujet de la culture, certains éléments ont été
livrés par les différents sujets des deux groupes. Anne
évoquait sa pratique religieuse juive orthodoxe et ses
demandes formulées auprès de rabbins pour trouver un
conjoint. Une autre participante était en période de
jeun pendant le ramadan lors d’une des visioconsulta-
tions et elle associait sur cette pratique culturelle dans
l’entretien. Frédéric évoquait son passage du boud-
dhisme au christianisme, au fil de nos rencontres.
J’ai pu observer l’émergence de processus incons-
cients en visioconsultation, comme les lapsus de Anne
ou le rendez-vous manqué de Frédéric. Des rêves ou
des souvenirs traumatiques ont constitué un matériel
inconscient amené par les sujets des deux groupes,
dans le transfert.
D’autre part, au vu des résultats, des questions
ont émergé sur la définition des types de personnalités
pouvant adhérer au cadre proposé sur iPSY.
Certains sujets présentaient une problématique
en lien avec la fusion et la recherche d’un espace tiers,
Intersubjectivité en visioconsultation 249

pour aller vers la subjectivité. Cette problématique


pouvait être en lien avec une histoire infantile, dans
laquelle certaines zones traumatiques étaient parfois
réactivées par des événements extérieurs. Notons
toutefois que ce type de questionnements se retrouve
aussi en cabinet, avec les patients rencontrés.
Comment pouvons-nous alors qualifier les spéci-
ficités du cadre de la visioconsultation, sur le plan du
transfert ? J’ai noté certains éléments particuliers,
comme le fait que souvent, les sujets des deux groupes
me demandaient avant toute chose si je les entendais.
Ils ne demandaient pas si je les voyais, ce qui peut être
assez significatif. Pourrait-on penser que les sujets
venant en visioconsultation avaient pour demande
d’être entendus, l’aspect spéculaire de l’image n’étant
pas « au premier plan » dans cette démarche ? Bien que
l’observation du langage infraverbal et du corps dans
le cadrage ait apporté de nombreux éléments sur la
dynamique transféro-contre-transférentielle en cours,
j’ai constaté que les huit sujets semblaient venir
chercher une écoute clinique dans l’espace de la
visioconsultation. Dans cette recherche, il s’agissait
peut-être aussi d’aller vers un tiers, de ré-intérioriser
une parole subjective, dans un cadre de rencontre.
Sur le plan contre-transférentiel, j’ai essayé d’être
aussi attentive aux spécificités de ce cadre que j’avais
conceptualisé. Il est vrai que je n’étais pas très à l’aise
avec la visioconférence, au début du projet. J’ai dû
m’adapter à ce contexte et me former progressivement
à cette pratique, en l’appliquant. J’ai veillé à être dis-
ponible pour les visioconsultations dans un environ-
nement adéquat, et à ce que le cadrage soit le plus
« neutre » possible. J’ai par ailleurs noté, avec les sujets
250 L’entretien clinique à distance

du premier groupe, que j’intervenais plus souvent en


visioconsultation qu’en cabinet. Cela pouvait être dû
à une certaine angoisse que j’éprouvais face à l’outil,
surtout les premiers temps, angoisse liée au fait que je
ne voulais pas mettre les sujets en difficulté. Au fil du
temps, j’ai modulé ma pratique et trouvé certains
repères dans le cadre que j’expérimentais. Toutefois,
d’autres éléments méthodologiques restent encore à
réfléchir et à élaborer dans cette nouvelle pratique.
Après avoir présenté les résultats de la recherche,
nous allons passer à leur discussion.

DISCUSSION

Les résultats vont à présent être discutés, par rap-


port aux deux hypothèses générales.
Première hypothèse : l’outil permet une rencontre
en face-à-face comparable mais pas identique à une
situation de cabinet, avec des interactions sensorielles
impliquant le corps de l’analyste et celui du patient.
Cela favoriserait la possibilité d’accéder aux registres
conscient et inconscient du discours (avec notamment
l’analyse des actes manqués, des rêves, etc.), ce qui
permet de repérer l’émergence de la subjectivité du
patient pour en saisir sa problématique, et de mieux
manier le transfert et le contre-transfert.
Cette hypothèse a été validée par les résultats
obtenus grâce aux analyses des entretiens réalisés avec
les deux groupes. Ainsi, les sujets du premier groupe
ont pu échanger en visioconsultation de façon com-
parable mais pas identique aux rencontres en cabinet.
En fonction des problématiques de chacun, le cadre
de la visioconsultation a permis d’assurer la continuité
Intersubjectivité en visioconsultation 251

du suivi dans des circonstances différentes. Le dis-


cours amené en visioconsultation était accompagné
des échanges au niveau corporel, à travers l’image spé-
cifique au cadre.
La spécificité des phénomènes transférentiels en
visioconsultation est ainsi en partie liée à l’image et à
son utilisation dans ce contexte. La « mise en image »
favorisée par la caméra devient alors langage dans l’ob-
servation. Ainsi, l’utilisation de la caméra par les sujets
et la façon dont ils se sont appropriés le dispositif en
ligne ont été différentes, en fonction de leur person-
nalité. L’usage a souvent amené du sens quant à ce qui
se jouait dans la relation transféro-contre-transféren-
tielle.
Le regard a aussi eu une place primordiale dans les
interactions. Dans l’entretien clinique classique, la
dimension du corps est présente mais son observation
est différente. Sur l’écran, l’image cadrée met en valeur
certains éléments du corps et de l’environnement du
sujet. Les échanges de regards en visioconsultation pas-
saient, pour Frédéric, de l’évitement à la recherche de
ce contact, qui constituait peut-être un lien pouvant le
mener vers la subjectivité et l’intersubjectivité. D’autres
interactions se manifestaient sur le plan gestuel, par
moments et en fonction des sujets : Anne, en particulier,
illustrait souvent son propos par des mouvements des
mains.
Les échanges avaient lieu sur le plan verbal, et
dans le discours des rêves pouvaient être amenés,
comme ceux de Frédéric, marqués par la répétition.
J’ai également remarqué l’occurrence d’actes manqués,
comme la panne de webcam d’un participant à l’heure
de notre rendez-vous. Tous ces éléments m’ont permis
252 L’entretien clinique à distance

d’accéder aux registres conscient et inconscient du dis-


cours des sujets. Au fil des entretiens, j’ai ainsi pu repérer
l’émergence de leur subjectivité, ce qui m’a permis de
mieux saisir leur problématique. Les restrictions senso-
rielles induites par le cadre de la visioconsultation n’ont
donc pas empêché le cours des interactions comporte-
mentales, affectives et fantasmatiques.
Certains sujets étaient suivis depuis longtemps.
Pour d’autres, l’évolution au fil des rencontres sur la
toile révélait certains traits de leur problématique, ce
qui m’a permis de travailler avec la dimension trans-
féro-contre-transférentielle perceptible dans ce cadre
particulier. Dans le cas de Anne, les rencontres en
visioconsultation semblent lui avoir permis d’aller vers
sa subjectivité dans des moments de bouleversements
de son environnement. Frédéric a recommencé à sortir
de chez lui et a trouvé un emploi. Ainsi, j’ai apprécié
les différents intérêts de l’outil pour les deux groupes
de sujets, dans des situations aussi variées que peuvent
l’être les situations cliniques en général.
Pour certains sujets du premier groupe, comme
Anne, la même tonalité émotionnelle sur le plan trans-
féro-contre-transférentiel a été observée dans les deux
cadres d’entretiens.
L’analyse de ces huit cas cliniques m’a donc permis
de constater qu’un soutien psychothérapeutique apporté
à distance et dans un cadre conçu pour être au plus près
de l’entretien clinique classique, dans le respect des
règles éthiques, pouvait sur de nombreux points être
comparable à un suivi psychothérapeutique en cabinet.
On peut donc conclure, pour la majorité de ces
cas cliniques, à l’efficacité du dispositif dans le champ
spécifique du transfert et du contre-transfert.
Intersubjectivité en visioconsultation 253

Concernant les apports de ce cadre d’entretien, il


semble que la possibilité de gérer le transfert et le contre-
transfert à distance soit une piste intéressante à explorer.
Dans certaines situations, liées par exemple à l’impossi-
bilité de se déplacer pour le sujet, ou à l’éloignement du
patient et du thérapeute, il peut-être utile d’avoir
recours à ce type de dispositif. L’idée n’est pas de rem-
placer le travail pouvant se faire dans une rencontre en
cabinet, mais de proposer un outil complémentaire,
offrant une plus grande accessibilité à l’écoute clinique,
dans des cas où cela peut être nécessaire.
Il ne s’agit pas non plus de proposer cette écoute
dans une forme d’immédiateté, annulant les contraintes
temporo-spatiales, en référence à ce qui est décrit
comme l’un des traits de la cyberculture (Breton et
Proulx, 2002). Ainsi, la difficulté à accepter la réalité
du vieillissement, de la perte et du manque, propre aux
valeurs d’internet dans une forme de « jeunisme »
(Breton, 2000), renvoie au déni de la mort décrit au
sujet des technologies de pointe (Lasch, 1984). Cela
illustrerait une tendance de nos sociétés à ne pas
accepter de vivre avec des limitations. Sur internet, ce
phénomène peut-être renforcé par les capacités com-
municationnelles de l’outil, permettant d’entrer en
relation à tout moment, avec tout endroit de la planète
relié au réseau. Pour certains auteurs, l’absence de ces
contraintes peut être perçue comme « libératrice » par
rapport au réel (Breton et Proulx, 2002). Par ailleurs,
ces éléments rappellent « l’intemporalité de nos pro-
cessus inconscients » (Freud, 1913b, p. 88).
Ce qui pouvait donc faire contrepoids à cette
extension déréalisante de l’espace et du temps sur
internet, était l’introduction d’un cadre rappelant
254 L’entretien clinique à distance

justement des éléments de la réalité. Les contraintes de


temps et l’obligation de paiement en sont des points
essentiels. Ainsi, l’influence corrective du paiement
encourage le patient à terminer sa cure et permet
d’éviter que « l’ensemble des relations échappe au
monde réel » (ibid., p. 92). La durée et la fréquence des
entretiens font également partie du cadre, en tant que
limites définissant un espace de travail. Ces éléments
importants ont donc été pleinement intégrés au dispo-
sitif iPSY.
Le cadre, en tant que limite, amène une certaine
frustration et établit la séparation, le manque, qui font
partie intégrante du travail psychothérapeutique. Ces
éléments aident à renforcer la subjectivité grâce à l’accès
à l’altérité, par rapport à un mouvement d’ordre nar-
cissique. La dimension du manque semble renforcée
par la distance physique qui sépare les interlocuteurs
en visioconsultation. Cette spécificité a pu représenter
un avantage pour certains sujets, par exemple pour
Frédéric qui disait ne pas pouvoir sortir de chez lui
pour engager un travail psychothérapeutique, ou pour
des participants se trouvant à l’étranger, mais qui
recherchaient un clinicien francophone. Pour d’autres
sujets, la dimension du manque, introduite de façon
particulière en visioconsultation, a peut-être représenté
une difficulté. Il serait intéressant de mieux com-
prendre, à l’avenir, comment utiliser ce manque et avec
quel(s) type(s) de personnalité(s) il pourrait représenter
un levier thérapeutique.
D’autre part, le fait que les personnes soient dans
un environnement familier au moment des entretiens
représente un changement important entre le cadre
classique et la visioconsultation. Cela n’engage pas le
Intersubjectivité en visioconsultation 255

sujet de la même façon que lorsqu’il se rend physique-


ment dans le bureau du clinicien. Mais pour certaines
personnes, il s’agit peut-être d’une économie psychique
nécessaire, leur permettant de prendre confiance en
elles et de pouvoir s’appuyer sur des éléments structurés
de leur personnalité déjà existants pour aller vers la ren-
contre avec le clinicien, en visioconsultation ou dans
un cadre plus classique. J’ai ainsi remarqué que les
sujets suivis en visioconsultation avaient tous une cer-
taine « structure », ainsi que des possibilités d’accès à
la subjectivité malgré les états de souffrance psychique
plus ou moins intenses qu’ils traversaient.
Le cadre est aussi basé sur l’éthique et le respect
du sujet, qui implique en premier lieu la confidentia-
lité des échanges lors des entretiens. Sur ce point, j’ai
éprouvé les craintes évoquées dans la littérature au
sujet de « situations perverses » dans lesquelles « à
notre insu, et peut-être à l’insu du patient, des témoins
partageront ces moments qui auraient dû rester une
rencontre singulière » (Ladame, 2011, p. 234). C’est
pour cela que j’ai réfléchi et investi du temps dans la
recherche d’un dispositif assurant en priorité cette
sécurité, au niveau maximum.
Bien que la facilité d’accès aux outils de visiocon-
férence puisse expliquer l’envie de « tenter l’expé-
rience » chez de nombreux professionnels, cette
pratique comporte certains risques, déjà dénoncés au
sujet de l’utilisation de Skype ou de Facebook par les
cliniciens (ibid.). Toutefois, confondre l’outil internet
et les usages qui en sont faits serait une erreur. Ainsi
dans mon expérience, les dangers me semblaient trop
importants pour travailler avec des logiciels de visio-
conférence destinés au grand public, car ils n’assurent
256 L’entretien clinique à distance

pas de confidentialité des données. C’est pourquoi j’ai


créé un outil qui me semblait « au plus près » des
conditions requises pour ce travail particulier qu’est
l’entretien clinique, en m’assurant tout d’abord que les
données échangées transitaient avec une sécurité maxi-
male. Cet outil a été modifié depuis sa première ver-
sion et il reste encore à améliorer, mais certaines bases
essentielles pour favoriser une écoute clinique y sont
posées. Dans cette mesure, pourquoi refuser d’envi-
sager tout usage clinique des technologies ?
Par ailleurs, j’ai noté que le cadre posé sur iPSY
avait été respecté par tous les sujets rencontrés en visio-
consultation. Aucun d’entre eux ne s’est servi, par
exemple, de la messagerie technique du site pour trans-
mettre des informations concernant une souffrance
personnelle. Je n’ai donc pas été confrontée à des
débordements concernant le cadre fixé pour ces
échanges écrits, ce qui paraît intéressant par rapport
aux visioconsultations où les échanges se sont situés
dans un champ beaucoup plus intime. Les mises à
l’épreuve du cadre prenaient aussi du sens dans le
transfert, sans pour autant déborder outre mesure sur
les modalités prévues pour les entretiens.
On peut ainsi noter une forme de différenciation
des espaces et de respect du cadre, même dans un envi-
ronnement se trouvant sur la toile. Cela est probable-
ment lié au cadre spécifique, réservé à l’écoute,
proposé sur iPSY. iPSY se distingue ainsi des logiciels de
messagerie, qui sont en général destinés à un usage
concernant le cercle privé des relations et non pas à la
relation établie avec le clinicien. Ainsi, le cadre posé
en ligne semble influer sur le type de relation digitale
établie à distance.
Intersubjectivité en visioconsultation 257

Cela souligne l’importance d’accorder une place


majeure à la question du cadre posé dans ce projet, et
cela explique aussi le long travail de réflexion et d’ex-
périmentation qui y est associé. Toutefois, malgré la
référence importante à la méthode psychanalytique,
cette expérience constitue une forme d’évolution de ce
cadre, une psychologie clinique « hors des murs », pre-
nant en compte le changement induit dans nos vies
quotidiennes par l’usage des TIC.
Ces résultats vont donc à l’encontre des propos
de certains auteurs (ibid.), craignant des attitudes
transgressives par rapport au cadre dans les consulta-
tions à distance, par exemple avec l’idée que les sujets
se trouveraient dans des endroits inadaptés à la confi-
dentialité de la séance. Dans mon expérience, aucun
des sujets des deux groupes ne s’est trouvé à l’extérieur
de chez lui pour une visioconsultation. Tous ont amé-
nagé un espace propre à la visioconsultation en tant
que lieu d’écoute et d’échange intersubjectif, ce qui a
permis une rencontre en face-à-face comparable à une
situation de cabinet. On peut néanmoins supposer que
certaines personnalités ont mieux adhéré à ce cadre et
ont pu s’inscrire dans un travail psychothérapeutique
à distance, peut-être dans une rencontre entre leur
problématique singulière et ce dispositif spécifique.
Cela leur a permis d’exprimer, dans ce lieu marqué
par la distance, quelque chose qui ne pouvait pas se
dire ailleurs. Mais ces résultats ne sont pas encore
généralisables, et il semble donc important de conti-
nuer à explorer cette piste, afin de mieux déterminer
à qui convient la visioconsultation et à qui elle ne
convient pas, tant du côté des patients que de celui
des cliniciens.
258 L’entretien clinique à distance

Deuxième hypothèse : le dispositif inscrit dans le


cadre de l’entretien clinique classique ne favorise pas
la dépendance à l’outil et n’engendre pas la mise en
place d’une situation narcissique par un effet de
miroir. Bien au contraire, il fait fonction d’espace tiers
dans la relation duelle entre patient et clinicien.
Cette hypothèse a été validée, comme le montrent
les résultats issus des analyses des données qualitatives
et quantitatives.
J’ai tout d’abord été attentive à l’utilisation de
l’« option-miroir » par les sujets sur iPSY. Cette option
pouvait parfois être utilisée de façon à renvoyer au
sujet une image spéculaire. Ainsi, l’utilisation de
l’« option-miroir » pouvait illustrer ce que Lacan
(1949) décrit du miroir et de l’image « prothétique »
qu’il renvoie au sujet en constitution. Toutefois, l’un
des buts en visioconsultation était justement de ne pas
favoriser l’établissement d’une relation « en miroir »,
d’une situation à caractère narcissique, spéculaire, blo-
quant l’accès à l’altérité propre à la rencontre clinique.
À d’autres moments en visioconsultation, l’écran
devenait le reflet de l’image d’un autre et de son regard
qui, dans l’échange, pouvait alors faire office de miroir,
constituant ainsi un espace transitionnel, pouvant
aider le sujet à reconnaître l’altérité et lui permettant
d’asseoir sa propre individualité. Nous expérimentions
alors l’aspect transitionnel du miroir, décrit par Win-
nicott (1971) au sujet du regard de la mère, qui aide
le sujet à construire une assise narcissique suffisam-
ment forte pour aller vers la subjectivité et l’altérité.
Dans ce type d’usage de l’« option-miroir », il s’agis-
sait non plus de l’écran-miroir, mais plutôt du corps-
miroir du clinicien. Je me suis ainsi interrogée sur les
Intersubjectivité en visioconsultation 259

façons dont l’image que le dispositif renvoyait au


sujet aurait pu modifier l’image qu’il avait de lui-
même, tout comme le regard de la mère peut faire
office d’espace de création et d’élaboration pour le
sujet (ibid.).
Le passage à l’écran a révélé la façon dont chacun
s’y projetait, mais en même temps il semble avoir
permis aux sujets d’intérioriser quelque chose, pour
aller vers un tiers incarné et non vers une image spé-
culaire. Ainsi la voix, le regard, le corps de l’autre,
visibles dans le cadrage, ont probablement favorisé les
échanges. Rappelons que tous les sujets demandaient
en début d’entretien ou en cas de problème tech-
nique : « Est-ce que vous m’entendez ? » et ils ne
demandaient pas s’ils étaient vus. Dans leur démarche
en visioconsultation, la dimension de la parole primait
sur celle de l’image, notamment dans les moments où
leur regard quittait l’écran.
Cette réflexion autour du regard et du miroir en
psychanalyse, ses liens possibles avec la dépendance ou
l’autonomie, a ainsi rejoint une première thématique,
plus sociale, qui est celle des usages des écrans et plus
généralement des TIC. Ainsi, nous évoluons dans un
contexte socioculturel où le narcissisme prime et où
l’image joue un rôle essentiel (Lasch, 1979). Les usages
faits des TIC, par les immigrants ou les natifs de la géné-
ration digitale, reflètent une tendance plus générale et
plus sociale à l’ère de la mondialisation et dans les
sociétés postmodernes, que certains auteurs (Devereux,
1970 ; Lasch, 1979) dénoncent comme un excès
d’individualisme, une déshumanisation de la relation
favorisant la création de structures autistiques ou
schizoïdes, dans une culture du narcissisme.
260 L’entretien clinique à distance

Sur le plan méthodologique, dans ma recherche,


cette problématique s’est notamment illustrée dans
l’attention particulière que j’ai accordé à ce qui n’était
au départ qu’une caractéristique technique du logiciel
de visioconférence. Le retour image prévu dans le logi-
ciel et permettant aux utilisateurs de se voir durant
leur interaction avec une autre personne, a d’abord
constitué un écueil dans l’élaboration du cadre de la
visioconsultation. J’ai finalement choisi d’intégrer
cette spécificité liée à la technique utilisée comme une
variable supplémentaire dans l’analyse des données
recueillies. Pour cela, il a fallu développer un outil par-
ticulier sur le site internet, « l’option-miroir ».
Contrairement à un tchat ou à un jeu avec un
avatar, la visioconférence permet d’identifier les expres-
sions d’un visage humain et favorise les échanges de
regard, même si l’écran médiatise l’interaction. L’option-
miroir a donc constitué un indicateur de cet échange
par le regard. Le manque d’empathie qui serait carac-
téristique des digital natives est souvent corrélé avec
leurs usages des TIC (Small, 2008). Cela interroge par
rapport à l’usage de la visioconférence pratiqué en
visioconsultation. Ainsi, la visioconsultation a permis
une rencontre avec un tiers, marquée par la différence
des sexes, des générations et des cultures. Dans cette
mesure, il ne s’agissait pas d’une relation « en miroir »,
mais bien d’une interaction à distance avec une autre
personne : une relation intersubjective.
La distance des corps induite par le cadre a peut-
être aidé certaines personnes à sortir d’une « relation
au même », grâce au miroir que proposait le dispositif,
tout en impliquant le regard d’un tiers. L’usage spécu-
laire de l’outil, qui pouvait faire écran à la possibilité
Intersubjectivité en visioconsultation 261

du transfert, ne s’est finalement pas illustré dans l’uti-


lisation de l’« option-miroir » par les sujets. Mais l’ana-
lyse de l’utilisation de cette option a aidé à évaluer
notre seconde hypothèse, concernant une éventuelle
relation « en miroir », en visioconsultation.
Ainsi, l’espace d’internet est bien une aire de tran-
sitionnalité qui correspond à la description princeps
de Winnicott (1951), mais sous certaines conditions 10.
Certains styles d’usages défensifs des TIC, que décrit
Civin (2002), illustrent des formes de déni de la vie
psychique qui accompagneraient des relations d’objet
partiel. Or, la vertu défensive du cyberespace est jus-
tement d’offrir l’illusion d’un objet total, dans les cas
que l’auteur présente. Dans ce type d’usages, tous les
échanges médiatisés par l’ordinateur, considérés
comme une extension narcissique des capacités de
l’utilisateur et de ses communautés d’appartenance,
amplifieraient et révéleraient ses potentialités défen-
sives schizoparanoïdes. C’est aussi ce que décrit Young
(1998), qui associe internet avec l’addiction.
Au travers de l’analyse des cas étudiés dans ma
recherche, il est vrai que j’ai pu noter un certain rap-
port à la distance et à la séparation chez les sujets.
L’usage de l’outil iPSY a permis à certains de cheminer
dans une évolution semblant aller de la fusion vers la
séparation et la subjectivité. Ainsi, Frédéric a peut-être
pu échapper au regard envahissant de sa mère, pour
aller vers celui d’un tiers dans le transfert et s’inscrire
à nouveau dans une vie sociale et affective. Anne a pu
intérioriser un regard qui était initialement spéculaire
et fermé sur sa problématique.

10. Comme le dit Civin (2002) en discutant Turkle (1985).


262 L’entretien clinique à distance

J’ai été attentive à une éventuelle relation de


dépendance pouvant se rejouer dans le transfert en
visioconsultation, bien que la relation d’emprise puisse
plus facilement s’établir dans la relation transféren-
tielle, où se rejoue l’illusion de l’emprise sur l’objet
maternel. J’ai finalement remarqué que j’étais plus pré-
occupée par la question de la dépendance avant la mise
en ligne du site, car par la suite, je n’ai observé aucun
débordement en lien avec une addiction au dispositif,
dans mon expérience avec les sujets.
Cela m’a menée à une autre réflexion : l’outil
pouvait-il s’avérer bénéfique dans le travail avec des
personnes présentant une problématique marquée par
une quête de fusion avec l’objet ? Pouvait-on utiliser
l’image tout en maintenant la distance et en évitant de
tomber dans le spéculaire, dans la dépendance à l’autre
en tant que « partie de soi » ?
Parmi les deux groupes, certains sujets de l’échan-
tillon, avec des problématiques en lien avec la dépen-
dance, sont ainsi peut-être allés sur iPSY dans une
recherche de fusion avec l’image. Mais l’émergence du
transfert et le travail dans le contre-transfert, qui
consistait à ne pas se laisser capter par l’image qui
m’était renvoyée dans le transfert, leur ont permis de
se « décoller » progressivement et justement dans la
distance. L’outil semble avoir fait office d’espace tiers,
leur permettant d’évoluer vers leur subjectivité.
D’autre part, contrairement à certaines attentes
initiales et à ce qu’annoncent certains auteurs (ibid.),
je n’ai pas retrouvé de population d’adolescents
devenus dépendants du « virtuel », parmi les partici-
pants. Cet outil ne semble donc pas les avoir parti-
culièrement attirés, bien que l’échantillon ne soit pas
Intersubjectivité en visioconsultation 263

représentatif et que les résultats ne soient donc pas


généralisables. Rappelons toutefois que ce type de
dépendance pourrait être lié au processus adolescent
plus qu’à l’outil internet en tant que tel (Tisseron,
2006).
Les mondes numériques ne constituent donc des
espaces transitionnels qu’à certaines conditions 11. En
ce qui concerne un éventuel usage narcissique du dis-
positif iPSY, on pourrait faire ce même constat : à tra-
vers les résultats de l’étude, ces conditions ont semblé
dépendre des individus et des usages qu’ils ont faits de
l’outil. Mais la création d’un espace transitionnel
dépend aussi du cadre proposé par le dispositif en lui-
même, qui peut favoriser ou non un usage à caractère
narcissique.
Dans mon projet, je me suis questionnée sur la
possibilité de transposer sur la toile des éléments fai-
sant partie de la réalité du cadre psychothérapeutique.
Ce cadre a probablement favorisé la rencontre inter-
subjective, même sur internet. L’usage du dispositif,
observé dans les résultats, allait à l’encontre du principe
de « renoncement majeur à la rencontre » (Breton,
2000, p. 74), dans la collectivité du réseau.
Au vu de nos résultats, peut-on envisager que les
processus transféro-contre-transférentiels décrits en
visioconsultation aient été « virtuels » ? Ou bien doit-
on plutôt les considérer comme l’expression de la réa-
lité psychique des sujets en interaction ?

11. Pour Civin (2002), en réponse à Turkle (1985, 1995).


Conclusion

Au cours de l’expérience, l’efficacité symbolique


et thérapeutique du dispositif iPSY a été démontrée en
visioconsultation. Il ne semble donc pas que l’outil
internet empêche l’élaboration de la perte, ni la recon-
naissance de l’altérité. Alors que l’entretien télépho-
nique est évoqué comme l’espace du : « non-voir »
(Comblez, 2009, p. 43), la visioconsultation pourrait
être un espace du « voir », sans toutefois tomber dans
l’aspect spéculaire du miroir. L’écran-miroir peut ainsi
devenir un espace à vocation transitionnelle, si l’usage
qui en est fait favorise la dimension intersubjective de
l’échange entre les participants.
Ainsi, la « relation digitale » entre deux utilisa-
teurs humains s’inscrit dans le champ de notre réalité
psychique, incluant une dimension émotionnelle et
inconsciente. C’est un des éléments qui la distinguent
de l’interaction que nous pouvons avoir avec une
technologie, un logiciel, ou un robot.
Cependant, certaines questions sont soulevées et
essentielles à poser : allons-nous vers une nouvelle
définition de la relation ? Quels sont les différents
266 L’entretien clinique à distance

aspects de la « relation digitale 1 » ? Cela reste à


explorer, tout comme les spécificités des relations
intersubjectives en ligne (Galimberti et coll., 2011).
Des recherches en psychologie basées sur des entre-
tiens en visioconférence ont déjà émis l’hypothèse d’une
forte influence du facteur émotionnel dans l’établisse-
ment de l’alliance thérapeutique (Bouchard et coll.,
2000) et sur le sentiment de présence entre un psycho-
logue et son patient, dans une relation à distance. Ces
recherches se situent pour la plupart dans le champ des
thérapies cognitivo-comportementales, et les résultats
obtenus sont majoritairement d’ordre quantitatif. L’ana-
lyse thématique de contenu à laquelle j’ai procédé dans
ma recherche, avec des fondements théoriques psycho-
dynamiques, a apporté un nouvel éclairage sur les pro-
cessus en jeu dans les entretiens en visioconférence,
notamment sur la relation intersubjective et sur la
dimension transféro-contre-transférentielle.
L’apport de la clinique psychodynamique s’est éga-
lement illustré dans la conception du cadre de la visio-
consultation et du site iPSY. Ainsi, l’adaptation en ligne
des principes permettant l’élaboration d’un cadre
méthodologique pour l’entretien a fortement contribué
à l’établissement d’une rencontre intersubjective, même
à distance.
La construction d’une méthodologie particulière
à cette nouvelle modulation du cadre clinique pourra
certainement aider à éviter les risques de la « psycho-
thérapie sauvage sur internet ». Une réflexion éthique

1. Cf. chapitre 2, « Transfert virtuel et réalité psychique ».


Conclusion 267

et déontologique se révèle donc primordiale dans les


recherches sur l’entretien psychothérapeutique en visio-
conférence. C’est pourquoi une grande partie de mon
travail de doctorat y a été consacrée, et cette réflexion
continue à accompagner la pratique actuelle en visio-
consultation.
L’apport potentiel de la psychodynamique aux
recherches en cyberpsychologie se situe également au
niveau éthique, dans une démarche visant à mieux
délimiter les frontières entre l’humain et la machine
(Breton, 2000). Par exemple, les recherches utilisant
la technologie du biofeedback sont de plus en plus
nombreuses en psychologie. L’usage de cette tech-
nique, qui permet de prendre en compte la dimension
corporelle dans une interaction à distance, pourrait
bénéficier des considérations éthiques de la psycho-
logie clinique. Cela illustre de manière plus générale
l’intérêt des méthodologies scientifiques croisées et de
leur richesse.
L’expérience en visioconsultation souligne par
ailleurs le déterminisme de l’usage dans l’étude des TIC.
Certains usages semblent s’inscrire dans une forme de
ritualisation, et soutenir ainsi l’émergence de la fonc-
tion symbolique (Mauss, 1899). La visioconsultation
serait donc une adaptation en ligne d’un rite de la vie
moderne (Haddouk, 2013), une aire transitionnelle et
un espace d’élaboration psychique. Ce type d’usages
s’oppose à d’autres, renvoyant à une forme de com-
pulsion à caractère narcissique, comme dans les pro-
blématiques addictives souvent décrites quant aux
usages des TIC. Il est cependant difficile d’imaginer que
l’usage soit déterminé par l’outil. Il semble refléter au
contraire des aspects de l’utilisateur sur le plan tant de
268 L’entretien clinique à distance

sa personnalité que de sa culture et de son environne-


ment social.
La rencontre rendue possible en visioconsultation
a ainsi pleinement fait partie de la réalité psychique des
participants, comme cela a été démontré dans cette pre-
mière recherche. Cela illustre le fait que dans ce
contexte, le « virtuel » ne s’oppose pas au « réel », puis-
qu’il a été question en visioconsultation de la même réa-
lité psychique que dans un entretien classique. La
différence principale entre ces deux cadres est la distance
séparant les corps. L’inexactitude de l’opposition entre
le virtuel et le réel, dans ce contexte, souligne l’impor-
tance de poursuivre une réflexion sur le concept théo-
rique de « virtuel » afin de mieux en définir les contours,
ce que j’espère pouvoir faire à l’avenir.
D’autres concepts soulèvent des questions termino-
logiques et paraissent importants à réinterroger à l’ère
de la cyberculture, ou culture du numérique, et à
l’issue de mon premier travail de recherche en visio-
consultation.
Ainsi, le concept de relation bénéficierait d’une
réflexion sur ce que j’appelle les relations digitales, et
sur l’intersubjectivité des corps à distance (Haddouk,
2016).
La place centrale du corps dans l’interaction reste
à interroger. Même si la sensorialité limitée en visio-
consultation n’a pas empêché l’intersubjectivité, cela
peut être différent dans d’autres types de relations à
distance, où l’élaboration psychique n’est pas au cœur
de la relation. La réflexion sur les spécificités de la
relation digitale en visioconsultation doit se pour-
suivre, notamment avec un nombre plus important
de sujets.
Conclusion 269

Par ailleurs, le concept de présence à l’ère du


numérique semble mériter un travail d’approfondisse-
ment théorique, sous plusieurs aspects. Comment
mieux définir la présence ressentie par deux humains
qui communiquent à distance via des médias numé-
riques ? Quels processus psychiques particuliers peu-
vent être en jeu dans ce type de relation digitale ?
Comment appréhender la « corporéisation » des
ordinateurs, avec le développement des robots huma-
noïdes ? Quelles évolutions peut connaître le champ
de la relation dans les interactions des humains avec
des robots ? Certaines fictions apportent déjà des élé-
ments de réponse passionnants 2.
Bien que la vitesse à laquelle avancent les progrès
technologiques produise inévitablement un décalage
avec les résultats des recherches, obtenus parfois avec
un léger temps de retard, il semble nécessaire de mettre
en œuvre l’exploration de toutes ces pistes de
recherche, et de bien d’autres. Cela justifie pleinement
aujourd’hui la création d’un véritable Laboratoire de
cyberpsychologie, ou de psychologie du numérique,
en France.
Enfin, rappelons que la psychothérapie sauvage
sur internet comporte des risques, tant pour les
patients que pour les professionnels, ce qui représente
aujourd’hui une véritable question de santé publique.
Cette formidable ouverture apportée par les TIC dans
le champ de la santé mentale, apporte de même un for-
midable risque de dérive si aucune réflexion méthodo-
logique n’est engagée par les professionnels de la
psychologie, cliniciens et chercheurs.

2. Comme les séries Real Humans (2012), ou Black Mirror (2011).


270 L’entretien clinique à distance

D’autre part, la visioconsultation a été développée


non pas pour remplacer la psychothérapie classique,
mais bien pour augmenter les possibilités d’accès aux
lieux d’écoute, et compléter le travail psychothérapeu-
tique dans des zones où il se trouve carencé, pour
diverses raisons. Cet outil vient donc s’ajouter à la
palette des outils du psychologue comme une possibi-
lité supplémentaire. La plateforme iPSY représente
donc une innovation de rupture, en optimisant les
tâches que nous cherchons déjà à accomplir et en
ouvrant de nouveaux marchés.
Ainsi, cet exemple d’articulation entre les sciences
humaines et les technologies montre la richesse de l’ap-
port de la psychologie à l’usage de ces techniques. La
rencontre intersubjective possible en visioconsultation
souligne le fait que les psychologues cliniciens fonc-
tionnent non pas en mode « binaire » mais plutôt en
mode « tertiaire ». Les limites actuelles de la technique,
basée sur le paradigme informationnel et la cyber-
nétique, comme l’analyse des émotions, le démontrent.
Les progrès informatiques annoncés avec la techno-
logie quantique changeront peut-être cela. Néan-
moins, il est dès à présent essentiel que les
professionnels soient formés à la cyberpsychologie, ce
qui commence à s’organiser en France aujourd’hui,
notamment sur le plan universitaire.
Postface
L’entretien clinique à distance :
enjeux importants

Appliquer la psychothérapie relève à la fois de la


science et de l’art. La science nous guide pour com-
prendre les facteurs étiologiques et les variables qui
contribuent au maintien des maladies mentales ou aux
problèmes des personnes qui consultent, ainsi que les
interventions thérapeutiques dont l’efficacité s’avère la
plus probante. Par ailleurs, l’art de la psychothérapie
se manifeste dans la façon d’appliquer la science au
vécu de chacun et à chaque processus thérapeutique.
On retrouve dans l’ouvrage de Lise Haddouk beau-
coup plus qu’un simple manuel pour utiliser les res-
sources de la télésanté. J’y ai trouvé un réel désir
d’intégrer science et art, recherche et pratique, enjeux
théoriques et pratiques. Cela s’observe tant dans le
style dans lequel est rédigé ce livre que dans la
démarche personnelle de colliger des observations sys-
tématiques pour nourrir la réflexion.
Le fait d’offrir des services de psychothérapie à
distance à l’aide des technologies de l’information peut
272 L’entretien clinique à distance

sembler relativement nouveau pour plusieurs profes-


sionnels alors que pour d’autres, souvent plus jeunes,
cela paraît tout à fait naturel. Il existe un corpus
d’études empiriques suffisamment élaboré pour pou-
voir statuer sur l’efficacité manifeste des psychothéra-
pies appliquées en visioconférence. Déjà à l’époque de
Freud, la correspondance par lettre pouvait permettre
un certain contact à distance. Plus récemment, le télé-
phone a souvent été utilisé par les professionnels en
santé mentale pour prodiguer des soins à distance, et
pour offrir des services de support en période de crise.
On peut penser tout naturellement aux services d’aide
et d’écoute pour les personnes en crise suicidaire.
La nouveauté des idées abordées dans le livre de Lise
Haddouk repose sur la puissance des technologies de
communications actuelles.
Ainsi, les prouesses de l’informatique et de l’info-
graphie permettent maintenant d’immerger les gens
dans des univers complètement artificiels que les pro-
fessionnels peuvent contrôler à leur guise afin de créer
des espaces émotionnels favorisant de profonds chan-
gements cognitifs, comportementaux et psychiques.
La réalité virtuelle permet de contrôler l’émergence
d’expériences émotionnelles correctives et curatives.
Dans un autre registre technologique, la télésanté
permet des échanges audio et vidéo de qualité suffisante
pour des entretiens cliniques convenables sans que le
patient ait à se déplacer dans le bureau du professionnel.
Mais surtout, la technologie peut être utilisée dans l’en-
semble du processus psychothérapeutique, contraire-
ment aux ponctuels contacts téléphoniques avec lesquels
les psychothérapeutes sont familiers.
Les réflexions de l’auteure alternent parfois entre
deux types de technologies : la psychothérapie appli-
Postface 273

quée en visioconférence et la réalité virtuelle. Ces deux


applications de la cyberpsychologie partagent un point
commun qui nourrit les réflexions de l’auteure.
Notamment, ces technologies permettent d’interagir
dans un cyberespace où l’on peut vivre des relations
transformationnelles. Les chercheurs en réalité vir-
tuelle inscrivent ce phénomène dans la notion de sen-
timent de présence ; ceux œuvrant en visioconférence
se réfèrent à la téléprésence ; d’autres y voient un
contexte permettant l’intersubjectivité.
Ces innovations soulèvent bien des questions et
l’auteure les aborde dans le cadre d’une réflexion mûrie
et appuyée sur des écrits scientifiques. J’ai beaucoup
aimé la lecture de ce manuscrit justement parce qu’il
repose à la fois sur une réflexion personnelle et sur le
recours à des données empiriques. La réflexion de l’au-
teure tire profit de sa connaissance des études publiées
par d’autres chercheurs, mais également de données
quantitatives et qualitatives qu’elle a elle-même obte-
nues dans le cadre de recherches directement avec des
patients utilisant la plateforme iPSY, qu’elle a d’ailleurs
contribué à développer. J’y ai retrouvé un travail
méthodique, rigoureux et centré premièrement sur la
qualité du travail psychothérapeutique à effectuer avec
les patients.
Ce livre déboulonne plusieurs mythes qui pour-
raient freiner les psychothérapeutes et laisser croire que
le cyberespace dénature les relations interpersonnelles
qui s’établissent entre les professionnels et leurs patients.
Les ingrédients chers à plusieurs psychothérapeutes,
comme les phénomènes de relation thérapeutique et
de transfert, s’observent manifestement en télépsy-
chothérapie et lors d’immersions en réalité virtuelle.
274 L’entretien clinique à distance

Les psychologues, médecins, psychiatres et autres


professionnels de la santé mentale doivent accueillir
ces nouvelles technologies afin de les intégrer dans leur
pratique, lorsque cela s’avère nécessaire et utile pour
leurs patients. En intégrant dans sa pratique les
notions abordées dans les différents chapitres du livre,
on peut mieux maîtriser les forces et les limites de ces
nouveaux outils. D’autant plus qu’ils ne remplacent
pas le professionnel et sa maîtrise de l’art de la psycho-
thérapie. Du moins tant que les professionnels seront
proactifs pour intégrer le meilleur de ces technologies
à leur pratique clinique…
Le recours à la cyberpsychologie soulève aussi des
questions liées au fonctionnement psychique. Com-
ment se peut-il qu’interagir avec des humains virtuels,
ou s’engager dans un processus psychothérapeutique
sans jamais partager le même espace physique que le
patient, puissent mener à des changements aussi signi-
ficatifs ? La réponse n’est pas encore tout à fait claire et
démontrée. Mais Lise Haddouk aborde les principaux
morceaux du puzzle, notamment les notions d’espace,
d’agentivité, d’illusions perceptuelles liées à l’intégration
multisensorielle, d’expérience incarnée (embodied
experience en anglais), d’intersubjectivité, de présence
et de téléprésence, de conscience versus d’automatisme,
et de propension naturelle des humains à développer
des relations d’attachement lors de processus psycho-
thérapeutiques.
Le livre offre plusieurs informations importantes
à considérer lors de la mise en place d’un service de
télépsychothérapie, allant des considérations éthiques
et déontologiques aux suggestions pratiques pour favo-
riser un entretien de qualité. L’auteure s’intéresse à plu-
Postface 275

sieurs enjeux pratiques, comme la taille des écrans et


les options offertes par les interfaces utilisateur, le
contexte où de déroule les entretiens, les défis que pose
la caméra web pour se regarder directement dans les
yeux, etc. Le lecteur tire ainsi profit de ce livre pour
guider diverses décisions pratiques qu’il aura à prendre
lors de visioconsultations.
Toutefois, ce qui distingue le plus ce livre des autres
écrits, tant en français qu’en anglais, c’est la réflexion
psychodynamique de l’auteure. La majorité des
recherches empiriques et des écrits sur le sujet provien-
nent d’auteurs d’orientation cognitive comportemen-
tale. Les informations que ces autres sources apportent
aux discussions sur la télésanté et sur la cyberpsychologie
s’avèrent cruciales. Mais Lise Haddouk jette un regard
différent, complémentaire, sensible aux enjeux socio-
logiques, aux notions de transfert et de contre-transfert,
d’intersubjectivité, de relations d’objet, et faisant une
place importante aux auteurs psychanalytiques.
Il faut orienter notre regard dans la même direction
que celui de Lise Haddouk. Les technologies s’insèrent
inéluctablement dans notre culture contemporaine. Les
professionnels de la santé mentale ne peuvent que tirer
avantage de s’approprier ces applications plutôt que de
les rejeter. Visons à tirer le maximum des outils de la
cyberpsychologie, le tout dans le cadre d’une pratique
rigoureuse de la psychothérapie, et tentons même d’in-
fluencer le développement des applications dans des
directions qui sont les plus saines et utiles possible.
Stéphane Bouchard
Professeur, université du Québec en Outaouais,
département de psychoéducation et de psychologie ;
chaire de recherche du Canada en cyberpsychologie clinique.
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and Sons.
Remerciements

Je remercie vivement toutes les personnes qui


m’ont soutenue dans ce projet, depuis plusieurs
années. Tout d’abord, mon conjoint, mes enfants, ma
famille et mes proches, qui tous les jours m’apportent
de la joie et de l’énergie pour avancer dans mes
recherches.
Ensuite, ma directrice de thèse, Yolande Govin-
dama, avec qui je continue à prendre plaisir à travailler
et qui m’a transmis les bases essentielles de mon acti-
vité de clinicienne.
Je remercie également les éditions érès de leur
confiance, ainsi que l’équipe de l’Institut du virtuel
Seine Ouest, qui m’a soutenue dans ma longue rédac-
tion.
Enfin, je remercie Stéphane Bouchard, qui repré-
sente pour moi un modèle tant sur le plan scientifique
que sur le plan humain, et dont les nombreuses et
riches recherches en cyberpsychologie continuent à
nourrir ma réflexion.
Table des matières

PRÉFACE, Yolande Govindama ..................................................... 7

INTRODUCTION ........................................................................................... 15

1. CYBERPSYCHOLOGIE ET ENTRETIEN CLINIQUE ..... 29


État des lieux des recherches et des protocoles
psychothérapeutiques existants ..................................... 29
Usages des TIC en psychologie clinique :
comment préserver la dimension humaine
dans les interactions ? ............................................................... 39
Le choix de la visioconférence comme outil ..... 47

2. TRANSFERT VIRTUEL ET RÉALITÉ PSYCHIQUE ....... 55


Virtuel versus réel ........................................................................... 56
Environnement virtuel et réalité psychique ... 56
Une distance psychique
« suffisamment bonne » ..................................................... 62
Une présence à distance : la relation digitale. 67
La relation digitale ................................................................. 67
La présence ...................................................................................... 72
300 L’entretien clinique à distance

La visioconsultation : un espace tiers ..................... 75


Transitionnalité et visioconsultation .................... 75
Les évolutions du métier de psychologue............ 79

3. LA PLACE DU CORPS ET CELLE DU REGARD


EN VISIOCONSULTATION .............................................................. 89
Le corps en visioconsultation .......................................... 90
L’importance du regard .......................................................... 95
L’analyse des différents niveaux d’interaction.... 103
L’accès à l’intersubjectivité ................................................ 106
La subjectivité .............................................................................. 106
Intersubjectivité et cyberpsychologie ....................... 111
Transfert – contre-transfert
en visioconsultation .................................................................... 122
Le transfert ...................................................................................... 122
Le contre-transfert.................................................................... 127
Transfert et contre-transfert
en visioconsultation ................................................................ 134

4. LE SETTING EN VISIOCONSULTATION............................. 137


L’entretien clinique et l’observation clinique
à l’épreuve de la visioconférence .................................. 137
La « méthode de traitement »
psychanalytique .......................................................................... 137
L’entretien clinique en face-à-face,
d’inspiration psychanalytique ...................................... 147
La plateforme iPSY ........................................................................ 151
De l’expérimentation à la recherche-action ... 151
Description et usage de l’outil ...................................... 160
Table des matières 301

Principes éthiques et déontologiques ..................... 189


L’éthique en psychologie...................................................... 189
Spécificités éthiques en visioconsultation .......... 193

5. INTERSUBJECTIVITÉ EN VISIOCONSULTATION ...... 205


Méthodologie .................................................................................... 207
Échantillon de population............................................... 207
Méthodologie qualitative.................................................. 212
Méthodologie quantitative.............................................. 226
Illustration clinique : Anne................................................ 233
Illustration clinique : Frédéric ........................................ 238
Autres résultats ................................................................................. 243
Analyse quantitative des données recueillies
avec le Social Avoidance and Distress
Scale (SADS) ................................................................................... 243
Analyse comparative .............................................................. 245
Discussion.............................................................................................. 250

CONCLUSION.................................................................................................. 265

POSTFACE. L’ENTRETIEN CLINIQUE À DISTANCE :


ENJEUX IMPORTANTS, Stéphane Bouchard ....................... 271

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................. 277

REMERCIEMENTS ........................................................................................ 297


Déjà parus
en érès poche « Santé mentale »

Marie-Christine Cabié et Luc Isebaert


Pour une thérapie brève
Claude de Tychey
Violence subie et résilience
L’équipe Delta et Jean-Pierre Lebrun
Soins palliatifs : le dernier manteau
Une clinique du détail
Catherine Potel
Le corps et l’eau
Une médiation en psychomotricité
Pierre Delion
Le packing
avec les enfants autistes et psychotiques
Benjamin Jacobi
Cent mots pour l’entretien clinique
Sous la direction de Geneviève Morel
Clinique du suicide
Éric Trappeniers
La psychothérapie du lien couple, famille, institution
Gaetano Benedetti
Psychothérapie de la schizophrénie
Existence et transfert
Marcel Sassolas
La psychose à rebrousse-poil
Pierre Delion
Séminaire sur l’autisme et la psychose infantile
Jay Haley
Stratégies de la psychothérapie

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