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L'imaginaire social de la montagne


DES MONTS ET DES MYTHES
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Responsable de collection
Françoise GERBAUX, chargée de recherches CNRS-Cerat, Ins-
titut d'études politiques de Grenoble

Comité éditorial:
J.-P. BOZONNET, maître de conférence, UFR Sciences de
l'homme et de la société, département de sociologie, uni-
versité Pierre Mendès France, de Grenoble.
H. GUMUCHIAN, professeur, directeur de l'Institut de géographie
alpine, université Joseph Fourier de Grenoble.
J. PERRET, chargé d'études, CEMAGREF (Centre d'étude du
machinisme agricole, du génie rural, des eaux et forêts),
Institut national d'études rurales montagnardes.
F. SERVOIN, maître de conférence, directeur du centre de droit
du tourisme, vice-président de l'université Pierre Mendès
France de Grenoble.
G. TUAILLON, professeur, centre de dialectologie, université
Stendhal de Grenoble.
J.-L. TUAILLON, directeur de l'Association nationale pour
l'étude de la neige et des avalanches de Grenoble.

La collection «Montagnes»

Sous les cimes, la montagne habitée ... mais par qui? Comment
gérer cet espace à la fois urbain et rural ? Quels types d'élus
pour cette gestion? Quelles analyses-faire des nouveaux dyna-
mismes économiques locaux qui émergent? Quelles nouvelles
pratiques sociales et professionnelles se dessinent ? L'espace
montagnard ne révèle-t-il pas, de façon plus brutale qu'ailleurs,
certaines questions de notre société contemporaine? Evolutions
qui ne s'arrêtent pas aux frontières nationales: dans la Commu-
nauté économique européenne, Italie et Allemagne, ou en Suis-
se et en Autriche, se retrouvent en partie des situations ana-
logues.
L'objectif de la collection est de rendre compte de ces évolu-
tions et de ces questions.
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Jean-Paul BOZONNET

DES MONTS ET DES MYTHES


L'imaginaire social de la montagne

Ouvrage publié avec le concours


de l'université Pierre Mendès France de Grenoble

Presses Universitaires de Grenoble


1992
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Déjà parus dans la même collection

Bernard DEBARBIEUX
Chamonix Mont-Blanc.' les coulisses de l'aménagement
1990

Pierre KUKAWKA, Pierre PRÉAU,


François SERVOIN, Robert VIVIAN
Albertville 92 .' les enjeux olympiques
1991

A paraître .'
Danièle DAilLY, Pierre KUKAWKA, Pierre PRÉAU,
François SERVOIN, Robert VIVIAN
Albertville 92 .' l'espace olympique

Je remercie Françoise Gerbaux et Jean-Olivier Majastre .' sans


leurs encouragements ce livre n'aurait pas vu le jour. Merci
aussi à Hervé Gumuchian et Gaston Tuaillon qui m'ont fourni
une aide précieuse par la relecture critique du manuscrit.

Presses Universitaires de Grenoble


BP 47 - 38040 Grenoble cedex 9
Tél: 76 82 56 51
ISBN 2 706104589
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INTRODUCTION

Pourquoi la montagne ne se réduit-elle pas simplement à un acci-


dent de la géomorphologie? Objet scientifique, pourquoi ne peu-
telle rester neutre et ennuyeuse comme n'importe quel autre
objet scientifique? En quoi cette portion de la lithosphère, bom-
bée, hérissée, craquelée par les diaclases et les subductions,
devient-elle historiquement un espace désirable ou haïssable? Au
point que pendant des millénaires certaines civilisations en ont
fait tantôt des Monts-Affreux, hantés par les barbares ou les
démons, tantôt des Monts-Sublimes, résidence divine, parfois
peuplée de bons sauvages? Au point aussi que des millions de
touristes dépensent beaucoup d'énergie et un peu d'argent pour
voir, toucher, grimper sur la montagne? Au point enfin que des
militaires, des capitaines d'industrie ou des promoteurs y inves-
tissent leur honneur ou leur fortune, et des militants écologistes
au contraire militent pour protéger ce lieu comme un saint
sacrement! Bref, par quel mystère la montagne physique se
charge-t-elle de sens au point de se muer en espace mythique?
Il existe de multiples voies pour conférer du sens et nous
nous proposons d'en investir une particulière, celle de l'imagi-
naire social, lequel passe nécessairement par le discours. Or, au
cours des vingt dernières années, le thème de la montagne a fait
couler beaucoup d'encre, tant dans les gazettes que dans les
administrations ou les enceintes politiques. L'espace monta-
gnard est devenu un enjeu pour la société française, notamment
entre les tenants de l'aménagement touristique, et les partisans
de la protection de la nature et du maintien d'une certaine auto-
nomie locale. Cette opposition a son pendant au sein du petit
monde des sports alpins, divisé depuis le XIXe siècle entre pra-
tiquants agressifs et contemplatifs. Débat contemporain qui
s'inscrit dans une problématique beaucoup plus ancienne:
depuis Rousseau au moins, la controverse est permanente entre
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6 DES MONTS ET DES MYTHES

d'un côté les industrialistes et les aménageurs, de l'autre ceux


qui veulent maintenir intactes, la montagne naturelle, l'agricul-
ture, et la communauté alpine avec ses traditions.
Le but de ce livre n'est pas de faire le point sur les derniers
développements de l'actualité montagnarde, mais sa portée est
à la fois plus modeste et plus générale: il se propose de collec-
ter et organiser les images contenues dans les différents dis-
cours sur la montagne et de les réinsérer dans l 'histoire longue,
afin d'en saisir la logique et d'en.décrypter le sens.
L'hypothèse centrale qui préside à cette recension est la sui-
vante: les représentations de la montagne ne sont pas le pur
reflet de l'oecoumène, mais elles révèlent tout autant la pensée
de ceux qui les produisent. Ainsi dévoilent-elles des cadres
sociaux de la perception, et une constellation imaginaire dotée
d'une certaine cohérence. Evidemment, ce système de repré-
sentation varie selon les individus, les groupes sociaux, les cul-
tures et les époques, en fonction de l'expérience et de l'histoire
de chacun; en fonction de sa position sociale et de ses intérêts
aussi. Mais ces variations s'appuient sur une structure imagi-
naire de base suffisamment permanente et générale pour être
comprise de tous, et se retrouver dans les cultures les plus éloi-
gnées et les situations les plus diverses. En somme notre objec-
tif est d'explorer les différentes représentations de la montagne,
d'en dresser l'inventaire en dégageant les concepts clés, et
notamment les constantes interculturelles, d'expliquer enfin
leur incarnation historique en fonction des rapports que les
hommes entretiennent avec cet espace.
L'imaginaire apparaît comme une clé essentielle pour com-
prendre les attitudes vis-à-vis de la montagne. Parmi ces der-
nières, deux semblent plus fondamentales: l'agressivité
conquérante, et la contemplation apaisée, symbolisées l'une par
le mythe chthonien de Prométhée, l'autre par le mythe ouranien
d'Icare. Nous retrouverons ces deux modes d'être aussi bien
dans la littérature alpine, la publicité, que dans les pratiques
aménageuses ou touristiques. Mais surtout, si l'imaginaire de la
montagne ressortit incontestablement au champ artistique et
poétique, nous montrerons qu'il s'inscrit aussi dans une histoire
qui lui donne un sens différent à chaque époque, et par là même
une dimension sociale et politique.
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INTRODUCfION 7

L'objectif de ce travail est d'effectuer une synthèse,


puisqu'il vise à montrer une logique des images, présente dans
les discours les plus divers sur la montagne. Une partie en a été
réalisée dans les années soixante-dix pour une étude du
CTGREF, commanditée par le ministère de l'Environnement l ;
pour le reste notre dette est grande vis-à-vis de ces auteurs de
référence que sont John Grand-Carteret, Samivel, Michel Balle-
rini, ou René Jantzen.
Le plan choisi nous fera d'abord voyager dans les très loin-
taines et très anciennes mythologies des peuples archaïques.
Puis, dans une deuxième partie, franchissant les millénaires, nous
parcourrons la littérature alpine apparue depuis le XVIlle siècle.
Parvenu aux rivages de la société contemporaine, nous nous
emploierons dans la troisième partie à déchiffrer le sens de la
montagne dans la publicité française aujourd 'hui. Enfin dans
les quatrième et cinquième parties, nous terminerons par une
fresque historique: toujours avec la même grille de lecture,
nous ferons voir comment l'imaginaire social marque - et
davantage encore motive - les attitudes des acteurs sociaux,
voyageurs et guerriers, industriels et aménageurs, touristes ou
autochtones, dans leurs rapports à la montagne.
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PREMIÈRE PARTIE

LA MONTAGNE
DANS L'ANTHROPOLOGIE

La montagne est une fabrication de l'esprit


RogerCANAc

Afin de comprendre d'où vient le discours actuel sur la mon-


tagne, nous devons faire un long détour par l'anthropologie.
Anthropologie physique d'abord, la plus triviale, celle qui traite
du corps et des gestes, puis l'anthropologie réputée plus noble,
qui collecte les innombrables conceptions mythiques de la
montagne chez les peuples de la terre. Pour accomplir ce voya-
ge, nous suivrons la route théorique déjà tracée par Sarnivel
dans son beau livre, Hommes, cimes et dieux 2 , où nous pui-
serons une grande partie de nos références mythologiques.
Mais avant d'aller plus loin, un minimum de définition et de
justification théorique s'impose.

Pour une définition subjective de la montagne

La coutume veut qu'un travail à prétention scientifique clarifie


sa terminologie. Or la montagne est un mot trop usité, dans des
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10 DES MONTS ET DES MYTHES

contextes trop différents pour désigner une notion simple et


commune à tous. La recherche d'une définition permettra de
dissiper des malentendus, et même de chasser quelques idées
reçues.
Définir la montagne, mais comment? Si l'on s'en tient au
sens commun, le terme est parfaitement équivoque. Un Parisien
à Grenoble a souvent le sentiment de se trouver en montagne.
Peut-être aussi un Grenoblois à Albertville, mais certainement
pas un habitant des hauts versants de Tarentaise! La montagne
serait-elle une impression subjective?
Il existe néanmoins des espaces officiellement situés en
zone de montagne: nomenclature dûment établie en 1961 et
confirmée en 1975 par les directives de la CEE3 au titre de
zone «défavorisée». Mais deux objections s'imposent immé-
diatement face à cette délimitation administrative. Première-
ment, elle vise presque exclusivement l'agriculture de mon-
tagne, ce qui en fait une définition partielle. Par ailleurs cette
appellation d'agriculture de montagne, qui nous paraît
aujourd'hui si naturelle, est un bel exemple de l'invention poli-
tique d'une entité territoriale: elle a vu le jour à partir des
années soixante, lorsque la disparité devint croissante avec
l'agriculture de plaine4 • Autrefois, la différence était mal per-
çue, les paysans ne s'en préoccupaient guère, et les géographes
eux-mêmes découvraient non pas une zone défavorisée, mais
une «discrète opulence rurale» sur les hauts versants 5 • Deuxiè-
mement, ces limites officielles sont loin de faire l'unanimité.
Elles fluctuent au gré d'intérêts pécuniaires ou électoraux tels
que la prime à la vache tondeuse, lesquels ont peu de rapports
avec les critères naturels, et d'ailleurs elles ont déjà été modi-
fiées depuis 1975.
Mais peut-être les géographes, plus heureux en cela que les
hommes politiques, jouissent-ils d'une définition sereine et
unanime de la montagne? Il n'en est rien. En effet, si le critère
de l'altitude semble aller de soi, Lucien Febvre remarquait déjà
autrefois qu'il manque de précision: on nomme «montagne»
aussi bien les Alpes de Chamonix que le mont Cassel, dans le
Nord de la France, à 173 mètres6 • Pour être moins vague, il faut
inclure dans la définition les aspects multiples d'une réalité
physique complexe: géologie, pente, latitude, orientation,
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fonne du relief! C'est pourquoi des géographes contemporains


s'en tiendront plutôt à des types de relief tels que haute mon-
tagne, moyenne montagne, plateaux, collines, et plaines7 •
Ces définitions cependant, limitées à la réalité physique,
sont trop étriquées; elle ne satisfont guère les géographes, qui
voient aussi dans l'espace montagnard une végétation particu-
lière, un type d'agriculture, d'industrie, de tourisme, ou d'habi-
tat, bref de ce que Lucien Febvre nommait un genre de vie.
Mais alors, on perd en clarté ce qu'on gagne en complexité. Un
village sur les hauteurs, à la périphérie de Grenoble ou d' Aruie-
cy, conservera peut-être une agriculture dite montagnarde, mais
sa structure socio-professionnelle sera urbaine et tertiaire! Bien
plus, avec cette définition, les lieux vont changer de nature au
cours de l'histoire: l'ancienne bourgade de l'Hôpital n'était
qu'un nœud routier, lié à une fonction de passage typiquement
alpine au XIXe siècle. Peut-on encore en dire autant de la
moderne Albertville?
Les géographes ont du mal à trouver un consensus, et faire
entrer le concept de montagne dans un paradigme commun.
Impossible de tracer les contours définitifs d'un territoire sans
le lier à un environnement ou une époque donnés; impossible
de définir l'alpe sans référence à son inverse et complément, le
plat pays. Certains l'ont compris qui décrivent la montagne
comme une plaine dont les conditions naturelles seraient exces-
sives 8 ; lieu plus pentu que la plaine, plus haut, plus froid, aux
écarts de température plus importants, aux sols et à la vé-
gétation plus fragiles, aux travaux agricoles ou industriels plus
pénibles et coûteux, l'espace montagnard ne comporte pas de
traits spécifiques; seulement leur intensité est à son maximum.
En somme la montagne est un milieu terrestre extrême.
Définition relative donc. Mais la variation des conditions du
milieu n'en demeure pas moins un continuum, où fixera-t-on
alors la césure et selon quelle légitimité? En réalité, faire de la
montagne une entité relative, cela signifie que la coupure
d'avec la plaine ne peut être opérée que d'un point de vue parti-
culier, en rapport avec un acteur social, un sujet historique
donné, qu'elle est donc a priori une réalité subjective, et des
chercheurs contemporains n'ont pas tort de conclure «A chacun
sa montagne9 ».
12
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Dès l'origine, et en dépit des apparences, la montagne ap-


paraît donc non pas tant comme une réalité physique qu'une
construction mentale, relative, subjective. Appropriée par des
groupes sociaux ou des acteurs politiques, elle varie selon les
représentations collectives de chacun d'eux. Ainsi, cet exercice
de définition rituel devrait suffire à légitimer le fait que nous
commencions d'emblée à parler de la montagne en termes
d'imaginaire social.
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CHAPITRE PREMIER

Corps montagneux
et montagnes corporelles

La parole sur l'espace dépend de la position que l'acteur y


occupe, et la dépendance la plus profonde se situe au plan phy-
sique. Le sens premier de la géographie, telle que les savants la
conçoivent dans les livres, leur est livré par l'expérience du
corps telle que nous-mêmes la vivons au quotidien; c'est pour-
quoi la montagne est aussi affaire de gestuelle et d'anatomie.

Le geste vertical

La montagne physique est d'abord reliée au geste vertical. Les


archéologues nous enseignentlO que, lorsque nos ancêtres pas-
sèrent de la jungle à la savane, leurs organes de préhension
furent libérés, et ils purent adopter la station verticale: condi-
tions décisives pour le développement de l'encéphale. Le trait
biologique déterminant dans la genèse de l'espèce est d'être
«homo erectus» ; le fait d'être debout signe la sortie de l'anima-
lité; ainsi la verticalité est-elle profondément valorisée par le
psychisme humain, et ce dans toutes les civilisations.
Valorisation renforcée l l encore par la distribution des
organes le long de la colonne vertébrale, avec le commande-
ment encéphalique au sommet; par la croissance en hauteur
de l'enfant, et aussi par l'érection du phallus. Certains
psychologues enfin ont mis en évidence un «réflexe de la gra-
vitation» qui montre la «primauté du schéma verticalisant 12».
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Cette expérience sensori-motrice originale donne immédiate-


ment du sens aux différentes positions du corps, à la kines-
thésie.
Inversement, tout geste orienté vers le bas, est affecté du
signe négatif: dans les jeux du cirque à Rome par exemple, le
pouce tourné vers le sol signifiait la mort pour les vaincus.
Corollaire de cette péjoration, la partie du corps située au-des-
sous de la ceinture est systématiquement dévalorisée.

Microcosme et macrocosme

La valorisation des gestes et des zones corporelles retentit sur


la manlere de considérer l'espace environnant. Tradi-
tionnellement, les peuples ont vu - et voient encore - l'univers
global, le macrocosme, à l'image du corps humain, le micro-
cosme. Ainsi, dans la mythologie chinoise, l'œuf du chaos pri-
mordial donna naissance à P'an-Kou; à sa mort les morceaux
de son corps devinrent les parties du monde, sa tête fut la mon-
tagne du Levant, ses pieds la montagne du Couchant, ses
larmes les fleuves et les rivières, son souffle devint le vent, tan-
dis que ses yeux donnèrent les éclairs 13. Chez les anciens Ger-
mains, toute chose sur la terre jaillit de la dépouille du géant
Imir; son sang nourrit les fleuves, sa cervelle fait s'étaler les
nuages, ses os structurent les montagnes 14 •
En France, de nombreuses éminences sont des restes glo-
rieux de Gargantua: les Trois Pucelles, près de Grenoble, se
nommaient jadis «Dents de Gargan», de même l'aiguille de
Quaix serait une vulgaire défécation du géant, abandonnée au-
dessus du Grésivaudan; un jour les bretelles de sa hotte ayant
lâché, le contenu s'en répandit, et les débris formèrent le
Colomby de Gex ... ou le Salève 15 selon les cas.
Les analogies formelles entre la montagne et l'anatomie
humaine, incitent à lui donner un sexe. Nombre de sommets
pointus seront investis d'une signification phallique; afin de ré-
générer le monde, les dieux de l'Inde, sur le conseil de Vichnou,
doivent baratter la mer avec un immense bâton, qui n'est autre
que le mont Mérou 16. Fonction génératrice qui en d'innom-
brables lieux de France s'incarne dans les pierres levées: la
LA MONTAGNE DANS L'ANTHROPOLOGIE 15
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femme stérile doit effectuer une visite rituelle à la «pierre indé-


cente», au «chillou laid», ou au «gros vilain 17 », autant de
rochers de fécondité.
A l'inverse, il n'est pas rare de rencontrer des montagnes
creuses ou accoucheuses, images du sein maternel: certains In-
diens du Canada racontent qu'une montagne s'est gonflée et a
donné naissance à de vigoureux jeunes gens 18 • Enfin toute in-
tégrité est provocante, et la montagne, milieu naturel relati-
vement préservé, incite au viol symbolique: fouler le sol vier-
ge, entailler la glace ou perforer le rocher peuvent être
interprétés comme des formes contrites de sadisme. Et la litté-
rature alpine n'en finit pas de tisser son discours sur l'amour ou
la passion de la montagne, comme l'on parle d'une femme 19 •
Déjà la montagne livre une image complexe, tantôt mascu-
line, tantôt féminine. La culture chinoise exprime cette ambi-
valence à sa façon: les eaux, la neige, la lune, la nuit, la femme
sont Yin, tandis que les rochers, le ciel, le soleil, le masculin,
sont Yang, mais la montagne relève des deux principes, simul-
tanément2o.
Ainsi donc, la géographie mythique se présente-t-elle comme
un agrandissement merveilleux du corps humain, et les diffé-
rentes parties en seront idéalisées ou dévalorisées de la même
manière. Il y a chez nos ancêtres une vision unitaire du monde,
qui relie theos, cosmos et anthropos; et la pensée mythique joue
sans cesse de cette homologie entre microcosme et macrocosme,
entre montagnes corporelles et corps montagneux.

La structuration imaginaire de l'espace et ses raisons

Les animaux, immergés dans la nature, évoluent sans conscien-


ce d'eux-mêmes, sans cette capacité à se regarder qui fait la spé-
cificité de l'être humain. Ce dernier au contraire, accédant à la
conscience en même temps qu'il se libère du sol par la verticali-
té, se perçoit comme un être distinct, détaché de l'espace
environnant; à partir de ce moment, il s'inscrit dans la tempora-
lité au présent, entre un passé et un avenir. Dès l'origine, homo
erectus est arraché à son milieu, séparé de la mère nature: mor-
cellement de l'espace entre le haut et le bas, le proche et le
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lointain, l'en-deça et l'au-delà, et contradicùons du temps entre


regret des origines et angoisse de l'heure dernière. Dans la phy-
logenèse par ses origines préhistoriques, comme dans l' ontoge-
nèse par le traumaùsme de la naissance, l'être humain est saisi
par l'inquiétude métaphysique21 •
C'est pour conjurer cette angoisse existenÙelle que, dès
l'origine, l'espace et le temps sont représentés et mis en récit
par le mythe. La géographie et l 'histoire modernes perpétuent
cette représentaùon du monde. Les animaux se contentent de
délimiter leur milieu vital par des comportements, et chez eux
l'être vivant s'idenùfie plus ou moins avec son territoire22 , ce
dernier pouvant apparaître comme un quasi-prolongement bio-
logique. L'espèce humaine au contraire a rompu ses attaches
avec la nature; elle doit donc définir son rapport à l' environne-
ment par des représentaùons organisées en un discours. Le récit
mythique, en structurant l'espace et le temps en un univers
ordonné lui donne du sens, et permet de lutter contre l'angoisse
primordiale du chaos.
C'est ainsi que le mythe va s'attacher à définir un centre
pour le groupe qui s'entoure d'un territoire, lequel est consÙtué
de l'environnement facilement accessible, fermé par une fron-
tière, au-delà de laquelle s'étend le non-territoire, chaoùque. A
l'intérieur du territoire on circule sans grands risques ni précau-
tions particulières. En revanche le monde extérieur est inconnu.
Lieu de séjour des étrangers par définition, agresseurs éven-
tuels, il est peuplé d'êtres dangereux; on ne le fréquente que
rarement et avec circonspecùon.
Cette structuraùon primordiale, et donc les premières re-
présentaùons de l'espace sont une mise en ordre de l'univers.
Elles ont pour foncùon de rassurer, en jetant un pont par-dessus
le vide béant des contradicùons originelles, insupportables sans
le mythe. C'est pourquoi le discours mythique établit un mini-
mum de raùonalité; ainsi il découvre une étiologie à la montagne
et propose des signes tangibles de la véracité des événements de
jadis: tel sommet sera par exemple à l'origine du feu, ou de
l'eau, ou le résultat des hauts faits d'un héros, et l'on en montrera
les traces encore visibles aujourd'hui. D'ailleurs les orogénies de
la science moderne, avec les avatars de la dérive des conÙnents
sont le prolongement épique de cette cosmologie primiùve.
LA MONTAGNE DANS L'ANTHROPOLOGIE 17
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Destiné à penser et à euphémiser des contradictions, le


mythe ne les abolit pas pour autant, mais les transcende en les
intégrant dans l'univers symbolique. Le discours mythique sur
l'espace n'en est pas moins foncièrement unitaire. Ainsi la
montagne des mythes ne prendra son sens que dans une vision
totale du monde comme espace organisé: elle sera toujours
représentée en rapport avec la plaine, la mer, le ciel ou le
monde souterrain. L'unité du macrocosme est affirmée
d'emblée.
Enfin la structuration anthropologique de l'espace n'est pas
limitée à une ethnie ou à une zone particulière, mais présente sur
les cinq continents. Bien plus, des systèmes de représentation
analogues structurent aussi bien les légendes des origines de
l'humanité que les idéologies contemporaines. Ces grilles
d'interprétation de l'espace sont intégrées au langage lui-même
de façon quasi inconsciente; on les découvrira dans les jargons
aussi divers en apparence que ceux de la religion, de l'adminis-
tration ou de la publicité. Samivel recense quelques expressions
où la langue traduit la supériorité du haut sur le bas; il est
remarquable que ces oppositions figurent dans les domaines les
plus variés 23 :
- la santé: «il remonte la pente», mais «il a bien baissé» ;
- l a politique: «altesse», «rencontre au sommet»;
- la structure sociale: «en haut lieu», «les catégories supé-
rieures», mais «les bas-fonds de la société»;
- l a morale: «bien élever un enfant», mais «un calcul bas»,
ou «les basses œuvres» ;
- la pensée: «une haute idée», mais «une imagination
plate».
Peut-être cette universalité plonge-t-elle ses racines dans la
physiologie. Quoi qu'il en soit, des ensembles imaginaires
structurés et permanents surgissent dès la simple évocation de
l'un ou l'autre des grands thèmes de la géographie: ainsi la
montagne symbolise immédiatement la grandeur, la per-
manence, la difficulté ... et entre donc à ce titre comme un élé-
ment essentiel de la conception mythique de l'univers.
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CHAPITRE DEUXIÈME

Géographie imaginaire
de la montagne

Le corps et les gestes sont le ressort caché et la clé pour com-


prendre l'imaginaire de l'espace tel que nous le dévoilent les
mythes recueillis par l'ethnographe. Du fait de leur ancrage
dans la physiologie, les grands principes de cette géographie
fabuleuse qui a bercé l'enfance des peuples, traversent la plu-
part des cultures; nous nous proposons ici de les résumer en
une architecture schématique, qui servira de base à une géogra-
phie fantastique de la montagne.
Dans l'imaginaire archaïque, l'univers comprend le plus
souvent trois étages superposés: la surface terrestre, monde des
humains, intercalé entre la voûte céleste, demeure des dieux, et
le monde souterrain, repaire des démons et des êtres nocturnes.
Quelle est la position de la montagne dans ce système cos-
mique? D'abord elle correspond au geste de l'élévation; elle
trône alors généralement au centre: position extrême à la surfa-
ce de la terre, elle établit un pont avec le niveau céleste. Mais la
montagne peut être regardée également comme une ligne
concave, un ventre, un réceptacle creux, invite au geste vers le
bas, et à la descente: elle est alors le lieu extrême qui ouvre sur
le monde infernal. Enfin, en analogie avec le geste d' éioigner,
elle peut aussi définir la ligne d 'horizon, ériger une barrière
lointaine, périphérique, frontière avec le monde des étrangers.
Au plan mythologique, alors que la plaine apparaît comme
le lieu proche, facile et familier du quotidien, la montagne se
présente comme un espace extrême, difficile à atteindre. La fi-
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gure mythique reJomt ici la définition socio-géographique


énoncée plus haut, et la montagne peut être vue comme une
frontière qui sépare le territoire des ténèbres extérieures. Ses
représentations en feront un espace charnière, qui recouvre un
ensemble de caractéristiques opposées deux à deux: à la fois
centre et périphérie, divine et infernale, céleste et tellurique,
masculine et féminine... De même elle sera fréquentée sur le
mode agressif ou contemplatif; frontière, elle ouvre et ferme en
même temps. Elle est pour «1 ' homme le signe de la prise de
possession des limites de son domaine ( ... ). Sans elle nous
courrions le risque de la dispersion et des confusions, elle nous
définit24 .»

Toucher le ciel

Pour les peuples archaïques, comme pour la sémantique


contemporaine, la montagne évoque d'abord l'altitude et
l'ascension, le contact avec l'au-delà; en Mésopotamie par
exemple, le «Mont du Pays» unit le Ciel et la Terre en un ac-
couplement cosmique25 • Espace frontière, la montagne permet
de ménager un passage, difficile certes, entre les mortels et le
monde d'en haut, et Mircea Eliade constate qu'il s'agit là d'une
croyance générale.
«Le ciel révèle directement sa transcendance, sa sacralité26» ;
immensité, ubiquité, intemporalité, immatérialité, inaccessibili-
té contribuent à cette sacralisation. D'ailleurs la montagne
évoque physiquement la puissance: c'est l'objet le plus massif
et le plus imposant qui se puisse rencontrer à la surface du
globe. En outre, l' arrivée au sommet engendre un «complexe
de supériorité», ce sentiment de domination que Bachelard qua-
lifiait de «monarchique27 » vis-à-vis des fourmis humaines per-
çues de Sirius.
Les sommets, si proches du ciel, entrent facilement en ré-
sonance avec les astres. Le soleil jaillit chaque matin de la
montagne du Levant, comme le dieu Râ du mont Manu en
Egypte 28 . En France l'oronymie a conservé les racines Belen et
Gargan, appellations locales de l'ancien dieu solaire29 •
D'ailleurs, beaucoup d'alpinistes naguère gravissaient les som-
LA MONTAGNE DANS L'ANTHROPOLOGIE 21
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mets pour voir se lever le soleil. D'autres astres sont parfois


associés à la montagne: au Tanganika s'élèvent les légendaires
monts de la Lune, tandis que plus près de nous, le massif de
Belledonne héberge un plus modeste pic de la Belle Etoile.
Cette proximité des astres et de la montagne est logique
avec l'imaginaire des peuples qui établit un lien naturel entre
l'élévation et la lumière, composantes schizomorphes du régi-
me diurne 3o• Sur nombre de sommets 31 une flamme est censée
brûler qui est le but de l'ascension: le Christ est transfiguré au
mont Thabor et les représentations de Michel-Ange nous mon-
trent Moïse descendant du Sinaï irradié de cornes lumineuses.
La montagne, corps solide, trop nettement éclairé, est ouranien-
ne et tellurique à la fois, elle tient du caillou transparent et de
l'air solidifié, elle véhicule aussi les images de dureté et de
réveil 32 •
La quête de la lumière s'accompagne du contact rugueux
avec le rocher, et fait de l'ascension le symbole de l'idéal moral,
lequel s'enracine dans l'expérience physique elle-même: au fur
et à mesure de la progression en altitude, la couverture forestière
ou herbagère se déchire, dévoilant le roc ou la glace nus. Les
mouvements divers de la plaine laissent place à l'immobilité, les
bruits sont étouffés, tandis que l'éventail des couleurs se resserre
autour du bleu du ciel, et du blanc des neiges éternelles, «équi-
valent plastique du silence33 ». L'espace vécu est ici proche de
celui du désert. L'ascensionniste accède alors à l'intelligence
profonde des choses, aux vérités premières: ainsi Dante, parve-
nu au sommet de l'Empyrée, découvre-t-il la sagesse. Mais la
libération des pesanteurs et des fausses apparences d'en bas, ne
se mérite que par l'effort d'une catharsis.
Lieux de la puissance, de la lumière, de la purification mora-
le et de la plénitude métaphysique, on ne s'étonnera pas que les
dieux de nos ancêtres aient choisi les montagnes pour demeure.
Les divinités grecques siégeaient dans l'Olympe, et presque
tous les peuples ont, sur ce même modèle, des résidences en
altitude 34 • Le mont Liban abritait Baal, le Kai1as thibétain Çiva,
saint Bernard, au col qui porte aujourd 'hui son nom, a évincé
un ancien dieu Penn, même le Puy-de-Dôme hébergeait un
Mercure Arverne moins connu 35 • En somme la montagne dans
la géographie mythique est d'abord liée au geste vertical et à
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l'acte de monter: elle prend son sens comme lieu de passage


extrême vers le domaine sacré.

Joindre le centre

Quand elle opère sa jonction avec le ciel, la montagne constitue


un axe autour duquel s'organise le monde. Les lignes de force
du paysage, éclatées dans la plaine, se simplifient peu à peu
lors de l'ascension, et convergent au point nodal de la cime,
lieu de l'unité. Ainsi dans la tradition bouddhique, la création
part d'une montagne; après l'avoir gravie, le Bodhisattva se
proclame «à la pointe du monde», et «l'aîné du monde», ce qui
signifie que cette cime est au centre de l'espace et à l'origine
des temps36. Les mythes de jadis placent évidemment leur mon-
tagne cosmique, frontière et passage, à l'endroit le plus central
du territoire.
Ce centre correspond à une aire sacrée dans l'organisation
ancienne de l'espace, le territoire perdant peu à peu de sa sain-
teté au fur et à mesure que l'on s'en éloigne pour se réduire au
profane, et s'inverser dans le surnaturel négatif, à la périphérie
au-delà des frontières. Le sacré suscite deux attitudes contradic-
toires, attirance et répulsion, et il risque même de provoquer la
mort, toutes caractéristiques qui s'appliquent bien à la haute
altitude.
D'innombrables peuples ont élu une montagne centrale sa-
crée: citons pêle-mêle le mont Mérou en Inde, le mont Thabor
en Palestine, Himingbjorg en Germanie, Sumbur chez les Bou-
riates de l'Altaï. Aujourd 'hui les Japonais se recueillent au pied
du Fuji-Yama, tandis que les touristes viennent contempler le
mont Blanc qui joue peu ou prou ce rôle de «grand clou» du
monde pour les Européens actuels.
L'axe central constitue aussi le point fort, le soutien du
macrocosme: au niveau du microcosme, la montagne sera com-
parée au pilier dans l'architecture de la maison ou à la colonne
vertébrale dans le corps humain. C'est ainsi du moins que les
Chinois, comme les Mayas, voyaient les choses, de même
l'Odyssée ou le Rig Véda qui évoquent les «colonnes» pour
soutenir le cieP7. Au XVIIIe encore, les géographes filent la
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LA MONTAGNE DANS L'ANTHROPOLOGIE 23

même métaphore anthropomorphe que les peuples de jadis;


Palissy compare la montagne au squelette destiné à affermir
l'anatomie plutôt molle du globe en général38 , tandis que le
pasteur Elie Bertrand écrit en 1754: «Les montagnes avec leurs
fondements et leurs cimes sont les piliers de la terre, comme les
bases de cet édifice superbe39 .» L'Encyclopédie elle-même rap-
pelle à l'article «montagnes»: «On peut comparer les mon-
tagnes à des ossements qui servent d'appui à notre globe, ( ... )
de même que les os dans le corps humain servent d'appui aux
chairs4o .»
Centralité et puissance font de la montagne un élément de la
géographie imaginaire tout à fait exceptionnel; si l'on y ajoute
la composante lumineuse et astrale étudiée plus haut, on com-
prendra alors la valeur sacrée de ce lieu, indispensable à l'éco-
nomie spatiale du territoire, du moins dans la tradition. Cette
nécessité est tellement impérieuse que, en cas d'absence maté-
rielle de la montagne, les mythologies lui découvrent des sub-
stituts: des pierres comme l'Omphalos de Delphes, nombril du
monde, ou comme la pierre noire enfouie dans la Kaaba des
Musulmans à La Mecque, un arbre comme le célèbre frêne
y ggdrasil des anciens Germains. Ailleurs pour accéder au ciel,
on se sert de poteaux cérémoniels comme les chamanes de
Sibérie, ou d'échelles comme celle dont a rêvé Jacob, mais les
ascensions symboliques s'effectuent aussi à l'aide de cordes, de
fils d'araignée, de cerfs-volants, d'une chaîne de flèches, de
cocotiers, d'un cep de vigne ... 41 ; enfin des monuments comme
les Ziqqurat sumériennes, ou la cité interdite en Chine sont
autant de montagnes cosmiques miniaturisées42 • C'est pourquoi
aussi la résidence divine, le temple, par définition lieu de
convergence des niveaux du sacré et du profane, est en analogie
profonde avec la montagne; lorsque celle-ci n'existait pas, nos
ancêtres avaient compris qu'il fallait l'inventer.

Périphérie et profondeur: les hauteurs béantes

Les gestes opposés à l'élévation, l'abaissement, le blottis-


sement et la chute, correspondent eux aussi à une aire spé-
cifique dans la géographie imaginaire: le monde souterrain43 •
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24 DES MONTS ET DES MYTHES

Frontière avec le ciel, la montagne est l'axe central qui perce la


croûte terrestre et entrouvre sur la vie inférieure des êtres noc-
turnes; axe cosmique, elle correspond au mundus latin, tran-
chée enterrée qui fonde le territoire, le monde44 • Le sommet a
pour antithèse l'abîme, régi par le schème de la chute, tandis
qu'à la convexité de la proéminence s'oppose nécessairement
la concavité de la caverne, qui relève du schème du blottisse-
ment. Ainsi la montagne constitue un symbole complexe, une
coincidentia oppositorum dont les différentes composantes sont
en contradiction dialectique, point par point.
La montagne creuse, «versant d'ombre45 », est chargée de
connotations négatives; à l'inverse du sommet dur et lumineux,
les grottes et les gouffres sont marqués par la confusion et
l'obscurité, les eaux souterraines, les feux telluriques crachés
de temps à autre par les volcans. Ainsi Dante représente-t-il
l'enfer sous une montagne, le mont Sion, et comme un cône
creux sous la terre, marqué de plusieurs degrés de profondeur
selon la rigueur du châtiment.
A la marche fusionnelle vers le centre, s'oppose le geste de
l'éloignement centrifuge, opposition qui se traduit également
dans la structure du territoire: la montagne correspondra alors à
la ligne d 'horizon, point de fuite, frontière, espace extrême qui
nous distingue des étrangers. Selon une carte thibétaine, la terre
est entourée d'une muraille de fer, montagne circulaire nommée
Loka-Loka qui sépare le monde créé du chaos46 • Les Russes
nommaient l'Oural «ceinture du monde et de la terre», tandis
que le Qaf, montagne sacrée des Arabes, a le sens à la fois
d'axe cosmique central et d'anneau de montagnes entourant la
terre, ce qui témoigne de la coexistence des deux types de per-
ception dans la géographie symbolique. L'idée de montagne
frontière a fait un long usage au cours des siècles; elle impré-
gnait tellement les esprits au XVIIIe siècle qu'un géographe de
l'époque, Buache, décrète que toutes les nations doivent être
séparées par des montagnes, et lorsqu'elles manquent, il les
invente47 .
Perçue à travers l 'horizon crénelé et ses enchevêtrements
indistincts, la montagne périphérique apparaît comme un espa-
ce chaotique, parsemé de roches, de séracs, de crevasses, lieu
de la multiplicité, antinomie de la montagne sommitale où
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LA MONTAGNE DANS L'ANTHROPOLOGIE

toutes les lignes concourent à l'unité. Certains phénomènes


atmosphériques ou telluriques ajoutent à cette vision péjorative:
tonnerre, éclairs, ravinements torrentiels, avalanches ... Nous
verrons plus loin que dans l'imaginaire social, ces zones dés-
ordonnées du territoire s'offrent logiquement comme espace à
conquérir, domestiquer et à coloniser.

Monstres, démons et champ des morts

Lorsqu'elle donne sur la périphérie ou le monde souterrain, la


montagne loge des êtres surnaturels, mais affectés de valeurs
négatives. Ceux-ci peuvent n'être que des animaux té-
ratomorphes, à mi-chemin entre le vraisemblable et l'extraordi-
naire. Chez de nombreux peuples, le dragon, assemblage hété-
roclite d'organes empruntés aux espèces les plus diverses, est
un hôte traditionnel de la montagne; au Moyen Age, les Alpins
en rencontraient plus souvent qu'ils ne le voulaient. Un natura-
liste tel que Scheuchzer en recense encore une bonne douzaine
d'espèces dans les glacières helvétiques du XVIIIe siècle, qu'il
s'attache à décrire scientifiquement d'après les récits locaux;
les témoignages continuent d'ailleurs d'affluer jusque dans les
années trente, malgré les indignations et les objurgations des
scientifiques48 , tant vouivres et basilics sont des hôtes naturels
de la montagne profonde.
Les êtres spécifiquement montagnards, sont le plus souvent
hypertrophiés, à l'image de cet espace extrême où ils ont sé-
journé: en témoignent les énormes chiens Saint-Bernard du cé-
lèbre hospice. En Allevard même, les légendes populaires rap-
portent les rencontres avec les Maifolats, sortes de grands
singes velus, qui hantaient les vallées profondes49 • En Oisans
aussi on racontait l'histoire d'êtres mi-singes mi-hommes qui
séjournaient dans la forêt. Le tératomorphisme alpestre se per-
pétue aujourd'hui encore dans l'imagination populaire: le Yéti
ou son équivalent a été vu, ou suivi à la trace aussi bien du côté
du Tibet que dans les montagnes des deux Amériques. Et le
dahu, thème de canular aux dépens des touristes, appartient
bien à cette race d'êtres difformes à force de suradaptation au
milieu: chacun sait que cette marmotte fabuleuse possède deux
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pattes latérales plus courtes, à force de courir au flanc des


pentes.
Le bestiaire des êtres fantastiques conforte l'idée que la
montage est le repaire des démons. Au Puy-de-Dôme, il existait
une chapelle au Moyen Age, où, dit-on, se tenaient tous les sab-
bats, une réunion de sorcières5o. Les volcans surtout sont une
preuve spectaculaire de l'enfer: Saint-Brandan avec ses
moines-soldats déclare avoir vu le diable jaillissant d'une mon-
tagne de feu dans les mers d'Islande au VIe siècle51 . L'orony-
mie témoigne encore de la diabolisation de la montagne péri-
phérique et dangereuse: «trou du diable», «cheminée du
diable», «pont du diable», «val maudit», «val mauvais», «via
mala» , «malaval», «enfer», «infemets», «vaudaine», ... autant
d'appellations alpestres qui évoquent Lucifer et ses œuvres.
Entre les anges déchus et les âmes mortes, la distance n'est
pas si grande. Et l'imagination populaire n 'hésite pas à placer
dans les montagnes creuses le séjour des défunts. Au Tibet, la
cime d'une montagne est un lieu effrayant formé de l'accumu-
lation de squelettes; en Chine, le pays des morts est situé au
pied du pic sacré de Taï Shan: les sages y descendent, et ressus-
citent par le haut de la montagne 52 • En Suisse, au Righi, la grot-
te du Fiznan était considérée par les bergers comme une
demeure mortuaire.
Les disparus dans la montagne ne sont d'ailleurs pas tou-
jours des fantômes sinistres. Ainsi à l'Untersberg, près de Salz-
bourg, c'est Charlemagne avec sa suite de gaillards ripailleurs
qui habite l'intérieur de la paroi rocheuse. Pareillement, en
Basse-Saxe, dans la cité de Hamelin, le joueur de flûte emmène
les enfants dans la montagne de Coppenberg qui se referme; la
nuit de Noël, celui qui colle son oreille au rocher peut entendre
les enfants chanter et rire.
Apparaît ici une structure de récit mythique très générale,
liée à à l'angoisse devant le monde souterrain. Des commu-
nautés entières peuvent être enfouies sous les montagnes. Al-
fred Wills rapporte que près du Giffre, un village, Entre-Deux-
Nants, a été enseveli par un éboulement en 160253 • On s'y rend
au XIXe en pèlerinage. Peut-être est-ce là une catastrophe histo-
rique, mais la plupart des villages engloutis sont de purs pro-
duits de l'imagination, tels ceux qui existeraient sous le lac du
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LA MONTAGNE DANS L'ANTHROPOLOGIE 27

Lauvitel en Oisans, ou le lac de Paladru en Bas-Dauphiné, et


dont on peut entendre sonner les cloches le soir de Noë1 54 • Nos-
talgie et angoisse sont encore bien présentes après la recouverte
plus récente des barrages de Chambon, de Tignes, ou de Serre-
Ponçon.
Monde souterrain et montagne périphérique sont apparentés
par les créatures qui les habitent, issues des ténèbres extérieures
dans les deux cas, et signes du monde infernal. Par anticipation
on y enverra d'ailleurs volontiers les hérétiques et les margi-
naux les plus divers au cours des siècles. En somme, la géogra-
phie mythique situe la montagne aux marges du territoire,
comme un lieu de passage difficile pour accéder soit aux esprits
supérieurs ou divins, soit aux êtres louches ou démoniaques
d'en bas.
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CHAPITRE TROISIÈME

Histoire mythique de la montagne

Pour nous qui séparons spontanément le cosmos de


[' anthropos, il paraît surprenant de lier une entité géographique
minérale comme la montagne au tissu vivant de l'histoire. Pour
la pensée archaïque au contraire ce lien va de soi. La géogra-
phie imaginaire n'existe pas sans une vision cosmique plus
vaste qui inclut aussi l'évolution de l'univers et le devenir des
hommes. L'organisation de l'espace n'est que la structure à un
moment donnée de l'action historique. Le geste originel prend
place dans la durée du récit et aboutit à la geste mythique, épo-
pée imaginaire qui est aussi une philosophie de l 'histoire et une
cosmogonie. Quelle place tient alors la montagne dans cette
reconstruction du monde?
Contrairement à l' œuvre des hommes, ou même à la couver-
ture végétale, la montagne est ce qui dure; indestructible à
l'échelle humaine, elle devient image de la permanence. C'est
pourquoi elle offre un passage possible vers l'ère primordiale
de la création, mais aussi vers le temps à venir de la fin du
monde. Jonction temporelle entre le passé le plus ancien, et le
futur le plus lointain, frontière entre l'origine et la fin, la mon-
tagne, à l'instar de tous les symboles ascensionnels, est une
«échelle dressée contre le temps et la mort 55 ».

La survivance des édens

Selon Ezéchiel, l'Eden était perché sur une montagne; ailleurs,


les traditions basques situent le jardin merveilleux au pic d'Anie;
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DES MONTS ET DES MYTHES

Dante quant à lui place un sommet central et édénique au milieu


de l'océan austral. Dans nombre de vallées reculées des Alpes,
on a cru découvrir le paradis terrestre à un moment ou à un autre.
En situant son modèle social primitif dans le Valais, Rousseau
n'a fait que laïciser en philosophi.e de l'histoire une démarche
mythique que bien des peuples avaient inaugurée avant lui.
La montagne édénique est généralement l'aboutissement
d'un long récit. En Egypte, aux temps primordiaux, seul un
tertre primitif émergeait de l'océan de Noun, qui a ensuite
donné naissance à la terre habitée; c'est cette île où commença
la création que les Pharaons rappelleront en érigeant les Pyra-
mides. Il est significatif de noter que les théories géologiques,
qui peuvent être regardées comme les cosmogonies de la
modernité, utilisent le même scénario mythique: les natu-
ralistes du XVllle, par exemple Fontanelle, Varenius, Wood-
ward et Scheuchzer, soutiennent que le monde commence avec
le surgissement d'une tertre au sein d'un Océan primitif. Ainsi
la montagne est-elle synonyme d'origine du monde. Par ses dé-
bordements, ses catastrophes, elle évoque d'ailleurs le chaos
primordial avant l'institution du territoire.
La montagne creuse, caverne effrayante et repaire de mort,
peut donc être euphémisée en giron protecteur, évocateur des
origines maternelles 56 ; le geste correspondant au niveau cor-
porel est alors le blottissement, le repliement fœtal dans une
montagne matrice. L'Eden, réduit à une miniature microcos-
mique, devient ventre maternel. La montagne fécondatrice est
un lieu de naissance privilégié: Zeus voit le jour au mont
Lycée en Arcadie 57 , les Leptchos du Sikkim font naître leur
premier homme et leur première femme au sommet du Kant-
chenzoïnga; le toit du monde, auquel les Britanniques ont
donné le nom de l'un des leurs, l'officier topographe George
Everest, est appelé par les Tibétains «Chomolunga», ce qui
signifie «déesse mère du monde».

La montagne source et origine des eaux

Pour nos ancêtres la montagne était dispensatrice de la vie.


Château d'eau inexpliqué, on lui attribuait l'origine des eaux:
LA MONTAGNE DANS L'ANTHROPOLOGIE 31
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les peuples de l'Altaï pensaient que l'Iénisséi vient des cieux


par une grande montagne; en Chine, la puissance ordonnatrice
des saisons, incarnée par l'empereur, se sert des quatres mon-
tagnes cardinales pour distribuer le soleil et la pluie58 • Cette
image est une modalité dérivée de l'alpe édénique: lieu préser-
vé, elle a en effet conservé la puissance et la pureté de l'aube
des temps, tandis que le bas pays était soumis à l'entropie du
temps dévorant.
La métaphore de la source revient comme un leitmotiv jusque
dans les écrits contemporains les plus banalisés: lors d'un
congrès sur l'économie alpestre, un orateur59 décrit la montagne
comme un <<réservoir d'eau, mais aussi d 'hommes, de faune,
d'herbages, un capital». Un autre affIrme que la montagne four-
nit de nombreux biens à la plaine: «énergie électrique, eau
domestique, oxygène, c'est une pépinière d'hommes~>. Le haut
fonctionnaire se réapproprie sous une forme scientifIquement
acceptable l'imaginaire de la montagne archaïque qui génère
les eaux et les hommes: de la source, il passe à la réserve de
nature, de force de travail et de capital. Les discours adminis-
tratif, politique ou écologique qui justifIent aujourd'hui
l'implantation des réserves ou des parcs naturels en montagne,
faisant de celle-ci un «poumon vert» de la plaine et des villes,
s'appuient à l'évidence sur cette structure imaginaire de base.

Le dernier refuge

Le chaos primordial ressemble étrangement au résultat de la


catastrophe fInale: c'est pourquoi la montagne, du fait de sa
permanence, évoque aussi la fIn du monde. Rappel des ori-
gines, elle est également prémonition de l'eschatologie.
Les fIns dernières peuvent revêtir plusieurs formes, et celle
où la montagne joue le rôle le plus signifIcatif est in-
contestablement le déluge. La cime originelle en effet produit
les eaux, mais constitue aussi la dernière portion du territoire à
être submergée en cas d'inondation. En général, les mythes
nous apprennent qu'un élu, après avoir embarqué sur un bateau
et emmené une femme et un échantillon des principaux ani-
maux, se réfugie sur une montagne où sa coque échoue en at-
32 DES MONTS ET DES MYTHES
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tendant la décrue. Un très grand nombre de récits ainsi struc-


turés ont été recensés61 : treize en Asie, cinq en Afrique, neuf
en Océanie, trente-sept en Amérique, sans compter les mythes
européens. Voici quelques exemples de montagnes célèbres
ayant servi à recueillir les survivants: le mont Ararat est le plus
connu, où depuis un siècle, on a périodiquement recherché - et
parfois retrouvé! - les restes de l'Arche de Noé; mais le mont
Ancasmarca au Pérou, le Tendong au Sikkim, le Watzmann en
Autriche, et le Grand-Paradis dans les Alpes Aostines sont
aussi des cimes du déluge. Les Alpes françaises du Nord comp-
tent même quelques sommets où l'Arche se serait arrêtée: Cha-
mechaude dans la Chartreuse près de Grenoble62 , à Montmin,
près du Lac d'Annecy63; à la cime du mont Aiguille également,
la tradition plaçait des «bêtes du déluge64».
Le déluge fait table rase de l'œuvre humaine accumulée
dans les plaines, afin de la nettoyer de ses impuretés; cette
structure du mythe diluvien où s'entrecroisent géographie et
histoire mythiques, se retrouve aujourd 'hui chez nombre de
sectes. Périodiquement quelque prédicateur enflammé annonce
la fin du monde pour une date prochaine, et recommande de se
réfugier sur un sommet. Sarnivel cite65 cet évêque mormon qui
en 1949 déclare en chaire que l 'humanité va bientôt dispa-
raître, excepté les habitants de la montagne que sont... les Mor-
mons eux-mêmes, le mot «utah» signifiant «montagne» dans
les dialectes indiens des Rocheuses. Plus près de nous, en
1960, le journal Le Dauphiné Libéré, rapporte qu'une petite
secte, rassemblée au pied du mont Blanc, y attendait la fin du
monde par submersion. En même temps que tertre primitif de
la création, la montagne est bien le refuge final face aux eaux
destructrices.

La pétrification

Il arrive que la roue du temps s'arrête brusquement; d'ailleurs


pour la pensée archaïque, le monde minéral témoigne ainsi
d'une vie momentanément figée. La montagne eschatologique
est le lieu privilégié, et parfois même le sujet de cette sus-
pension temporaire de l'histoire. Le froid intense, la pesanteur,
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LA MONTAGNE DANS L'ANTHROPOLOGIE 33

condamnent à l'immobilité, symbole de la mort; la glace, le


rocher sont les signes de ce mouvement de pétrification.
La pierre a été interprétée par l'imagination primitive comme
une matière vivante, cristallisée ultérieurement par quelque arti-
fice divin. Le principe de la pétrification explique les nombreux
mythes qui évoquent les métaux précieux au fond des grottes et
les trésors cachés dans la montagne: le métal, en effet, est une
substance à l'état pur, gelée alors qu'elle était au paroxysme de
la fusion. Inversement gemmes et minerais, s'ils ne sont que des
concrétions temporaires, peuvent encore mener une vie végétati-
ve, invisible au témoin ordinaire, mais les mineurs ont long-
temps eu le sentiment qu'ils «repoussaient» après une exploita-
tion séculaire; un naturaliste du XVIIIe comme Fontanelle croit
pouvoir déceler cette fécondité latente66 •
L'immobilisation temporaire de la vie dans le minéral est
parfois valorisée parce qu'elle conserve intactes les vertus
d'une époque privilégiée: ainsi en est-il des trésors divers
enfouis dans les cavernes. Le cristal est alors le symbole mi-
niaturisé de la montagne qui emprisonne la vie, mais permet
d'attendre une libération éventuelle de l'énergie condensée
qu'il recèle. C'est ce potentiel -vital qui fait la valeur des
gemmes: elles cumulent les qualités de la pierre, pesanteur,
dureté, et de l'éther, transparence, luminosité, limpidité.
L'homologie avec les formes alpestres, à la fois ouraniennes et
telluriques, explique que les cristaux deviennent des «mon-
tagnes portatives», des objets fétiches 67 • Comme la montagne
elle-même, elles ont la faculté de pénétrer dans l'au-delà du ter-
ritoire, de conserver la mémoire du passé primordial, et par
conséquent donner à lire le futur. Et c'est pourquoi les voyantes
extra lucides, aujourd'hui encore, interrogent l'avenir dans une
boule de cristal.
Cependant la pétrification est en général vécue comme une
forme de mort. Atlas, le géant de la mythologie grecque, avait,
dit-on, mal accueilli Persée: celui-ci lui se vengea en lui pré-
sentant la tête de Méduse qu'il venait de trancher, et le pétrifia
en une montagne qui garda son nom. Dans le célèbre conte
d'Hoffmann, Les mines de Falun 68 , il est question d'un mineur
enseveli dont on retrouve le corps intact vingt ans après sa
mort. A période régulière, les médias évoquent aujourd 'hui les
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34 DES MONTS ET DES MYTHES

aspects les plus sinistres de la pétrification lorsque des acciden-


tés meurent dans les glaciers et qu'après des décennies, ceux-ci
régurgitent leur trésor macabre.
Le poids et le gel sont le plus souvent affectés de conno-
tations négatives; dans l'enfer de Dante par exemple, ils sont
l'indice de la présence du diable. La montagne est aussi cette
force qui pèse et écrase. C'est Atlas encore qui fut condamné à
porter le ciel, et par extension le monde sur ses épaules. Aux
antipodes de la légèreté ouranienne, qui s'apparente au mythe
d'Icare, la pesanteur tellurique de la masse ressortit donc au
complexe d'Atlas. L'imaginaire de la pétrification transforme
facilement la montagne en tombe; les âmes en peine seront in-
capables de la soulever et de venir tourmenter les vivants: près
du Mont-Saint-Michel, le rocher de Tombelaine, pourrait être la
tombe de Belen, ancien dieu solaire des Gaulois 69 • Ainsi la
montagne apparaît-elle comme la synthèse symbolique du
champ des morts, de la pierre tombale, et du lieu du soleil cou-
chant. Le tombeau est une montagne funéraire en miniature:
dans le petit cimetière de Saint-Christophe-en-Oisans, les al-
pinistes morts accidentellement, attendent la résurrection sous
un marbre sculpté de la forme de la montagne qui les a tués.
En définitive, l'imaginaire archaïque ne conçoit pas la pierre
comme un objet inerte, mais un être en devenir, soumis à la dia-
lectique de la pétrification, laquelle est à la fois conservation du
passé primordial, mais aussi entropie qui mène inéluctablement
aux fins dernières. Nous retrouvons ici la même complexité et
les mêmes contradictions que celles qui apparaissaient entre la
montagne ouranienne et tellurique, masculine et féminine, créa-
trice et mortifère. Contrairement aux êtres simples de la science
de la matière, son devenir n'est pas prédéterminé, mais sa pré-
sence entretient un suspense sur l'issue de l'action, et la mon-
tagne physique elle-même peut figurer, de droit, dans le temps
du récit, comme un acteur de plein exercice.
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CHAPI1RE QUATRIÈME

Sociologie imaginaire
de la montagne

La montagne remplit donc une fonction particulière au cœur du


récit mythique: elle permet d'accéder aux lieux surnaturels,
hors de la géographie et de l 'histoire quotidiennes et profanes.
Plus qu'un simple décor, elle oriente l'action, soit en bien, soit
en mal; elle influencera donc nécessairement les acteurs, et
remplira une fonction sociale. Dans la conception mythique du
monde, l'espace montagnard confère des traits distinctifs à ses
habitants ou ses visiteurs, et constitue des groupes sociaux par-
ticuliers: ainsi la géographie n'est-elle pas séparable d'une
sociologie des montagnards.

Les effets bio-psychiques de l'ascension

Les caractères que la montagne imprime aux hommes, pro-


viennent des expériences propres à sa fréquentation. L'altitude
est le siège de quelques phénomènes psycho-physiologiques
qui corroborent le sentiment d'être hors-territoire et facilitent
l'éclosion du surnaturel.
On regroupe souvent les effets de l'altitude sur l'organisme
sous le vocable, vague, de «mal des montagnes». Ce syndrome
ne doit pas être confondu avec le vertige qui n'est qu'une
attraction-répulsion pour le vide. Le mal des montagnes se
manifeste au-delà d'une altitude donnée par des maux de têtes
surtout frontaux, une lassitude et une faiblesse anormales, des
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36 DES MONTS ET DES MYTHES

insomnies, de l'inappétence et des nausées, un pouls et une res-


piration rapides 7o• Ces défaillances sont essentiellement dues au
manque d'oxygène, mais probablement aussi à l'augmentation
considérable des radiations solaires et cosmiques, à la diminu-
tion de la pesanteur, à la purification de l'air, à la baisse du
degré hygrométrique, et elles peuvent s'aggraver jusqu'à
l' œdème pulmonaire ou cérébral. Sur le plan psychique, il y a
altération de la mémoire, de la volonté et de l'intelligence
déductive. L'individu perd une partie de son sens critique; à
cela il faut ajouter les longues marches, et le martèlement répé-
té des coups de talons sur les roches ou les pierriers qui insensi-
bilise les points de localisation du jugement7l • Les militaires
savent d'ailleurs que l'institution du pas de l'oie réduit effica-
cement les velléités de résistance du soldat.
Le mal des montagnes ne présente pourtant pas que des as-
pects négatifs. En s'adaptant, l'organisme devient beaucoup
plus résistant. C'est pourquoi certaines stations de haute mon-
tagne se spécialisent dans l'entraînement intensif pour le tennis
estival, et quelques équipes de football effectuent un stage en
altitude avant d'affronter les championnats en pIaille. Ce type
de séjour stimule l'organisme en accroissant la production de
globules rouges, lesquels demeurent actifs plusieurs semailles
après leur apparition, et permettent un surcroît de vigueur et
d'endurance.
De même au plan psychologique, l'altération de l'intelli-
gence déductive et du sens critique est compensée par la sti-
mulation de l'intuition et de l'imagination ainsi que par une
émotivité débordante. Déjà Saussure l'avait constaté lors de
son séjour prolongé au col du Géant: «Il nous parut que nous
avions le genre nerveux plus irritable, que nous étions plus
sujets à l'impatience, et même à des mouvements de colère:
nous étions sensiblement plus altérés; la faim paraissait plus
inquiétante et plus impérieuse ... D'ailleurs, il nous semblait à
mon fils et à moi, que dans nos travaux d'observation, nous
avions l'esprit sensiblement plus libre, plus actif, et moins
facile à fatiguer: je dirais même plus inventif que dans la plai-
ne 72». Le développement des états émotifs s'accompagne sou-
vent d'euphorie, surtout avec la fatigue: Scheuchzer affirme
que «la difficulté de respiration qu'on éprouve çà et là est plu-
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LA MONTAGNE DANS L'ANTHROPOLOGIE 37

tôt accompagnée de bien-être73 ». Cet état de fatigue enivrante,


tout en stimulant l'acuité intellectuelle, est légèrement hallu-
cinant.
Comme droguées, les victimes de l'altitude peuvent être la
proie du rêve éveillé ou des hallucinations. Beaucoup d'alpi-
nistes revenus d'expéditions himalayennes, rapportent les senti-
ments étranges ressentis à haute altitude, en particulier
l'impression lancinante d'être suivi par quelqu'un. Le silence,
la solitude, les vastes espaces déserts, soit qu'ils induisent une
privation sensorielle, soit qu'ils favorisent simplement la récep-
tivité, sont propices à l'éclosion des phantasmes, aux visions et
prémonitions. A quoi s'ajoutent les effets des phénomènes
météorologiques mal expliqués, plus fréquents qu'ailleurs du
fait des jeux de la lumière et des brouillards; on comprend
mieux alors cette magie des hauts lieux qui pouvait saisir les
habitants et les alpinistes. Même les plus positivistes et les plus
blasés d'entre eux, voient de ces apparitions mi-surnaturelles,
mi-météorologiques, et sont sujets à de soudaines terreurs.
Whymper, peu après son accident au Cervin, décrit l'un de ces
phénomènes qui lui a laissé une impression durable74 •
La propension de la montagne à héberger des êtres extraor-
dinaires, et aussi sa proximité avec le ciel et l'espace inter-
sidéral, en font un espace propice aux OVNI, ou aux extrater-
restres; dans le film des années soixante-dix, Rencontre du
troisième type, la jonction entre les savants de la planète Terre
et les humanoïdes venus d'ailleurs s'effectue sur un sommet cé-
lèbre des Etats-Unis, la Devil's Tower. Cet exemple récent il-
lustre la fonction mythique de la montagne qui, grâce à l'ascen-
sion, permet d'accéder aux mondes supérieurs.

La régénération

Les phénomènes météorologiques exceptionnels, les effets phy-


siologiques de l'altitude, ainsi que les dispositions psychiques
qui en découlent, entraînent une coupure avec le quotidien lors
de la pénétration en montagne. Dans la mythologie traditionnel-
le, l'ascension correspond à un changement radical d'état, qui
permet de transcender la condition humaine75 : le passage dans
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38 DES MONTS ET DES MYTHES

une zone sacrée hors du territoire profane est vécu comme une
rupture de niveau cosmique.
L'ascension est du même ordre que le vol magique pratiqué
par les chamanes76 • Le mythe traduit ainsi plastiquement la
capacité qu'ont certains individus de quitter leur corps, de
voyager dans les différents niveaux cosmiques, et de participer
à la vie des «esprits». Mircea Eliade ajoute que le vol signifie
l'intelligence des choses secrètes et des vérités métaphysiques,
qu'il a une double intentionalité, la transcendance et la liberté:
valeurs cardinales que l'on attri.bue à la pratique de la mon-
tagne. Dante, par exemple, lorsqu'il parvient à la montagne
axiale, débute son ascension par mille difficultés, puis il se libè-
re peu à peu par un allégement progressif du corps.
L'entrée en altitude traduit une double rupture de niveau
cosmique dans l "espace et dans le temps: non seulement il y a
rejet du monde profane d'en bas, mais abolition du présent,
temps dégradé77 ; elle fait éclater les situations sans issue, pour
retrouver les temps primordiaux de la création, et régénère
l'être tout entier. Dans certains contes amérindiens la montagne
absorbe les vieillards pour les restituer sous fonne de jeunes
gens. Cette légende ne doit pas étonner puisque nous avons vu
que la montagne, du fait de son indestructibilité et de son
immortalité, pouvait forcer les portes de la prison du temps;
qu'elle était un sas temporel à travers lequel nous pouvions
renouer avec nos origines. L'alpinisme moderne est souvent
vécu sur ce mode: Guido Lammer, dans les années vingt,
n'hésitait pas à intituler son livre sur la montagne, Jungborn, ce
qui signifie «fontaine de Jouvence78».
La régénération se répètera autant de fois que nécessaire:
chaque ascension est une réactualisation de l'expérience primi-
tive, qui ragaillardit les corps et raffermit les âmes. Le symbole
ascensionnel est utilisé par certaines écoles de psychanalyse qui
se servent de la montagne ou de ses substituts pour retrouver la
fraîcheur perdue de la petite enfance. Desoille en particulier,
qui travaillait avec la technique du rêve éveillé, demandait à ses
patients d'imaginer l'ascension d'un sommet ou d'un escalier79 •
L'idéologie contemporaine, qui fait de la montagne une source
de santé, s'appuie sur le même fonds symbolique. Pour les
ascensionnistes de jadis comme les grimpeurs modernes,
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LA MONTAGNE DANS L'ANTHROPOLOGIE 39

l'ascension n'est pas simplement un acte physique, mais un


geste qui prend son sens au sein d'un récit: elle doit être racon-
tée pour exister. Il est alors souvent question de guérison, de
réhabilitation, de constitution du moi ou d'intégrité personnelle,
bref la régénération est un problème d'identité.

Le parcours initiatique

Chez nos ancêtres, les adolescents devaient subir un certain


nombre d'épreuves rituelles plus ou moins rigoureuses. Durant
cette période, l'âme de l'initié est censée voyager au Ciel ou
aux Enfers, lieux évidemment interdits d'ordinaire aux
humains. C'est ici qu'intervient fréquemment la montagne
comme moyen temporaire de passage dans l'autre monde.
Espace extrême, elle est en effet difficile et dangereuse à appro-
cher. L'ascension est jalonnée d'écueils, autant de tests pour
juger de la valeur de qui la gravit. Le mythe sacralise cet
affrontement matériel avec les éléments, sublimant les obs-
tacles à franchir en autant de seuils des différents niveaux cos-
miques. L'ascension est donc une épreuve initiatique, par
laquelle l'individu se régénère, mais qui oblige à souffrir pour
mériter la promesse d'un état nouveau.
Comment s'opère le processus de la régénération? Les pas-
sages difficiles apparaissent comme autant de morts rituelles à
subir. Constat logique puisque la montagne, nous l'avons vu, est
un lieu de séjour funéraire, mais constat dramatique aussi, car
chez les peuples archaïques, l'initiation est dangereuse; par la
chute, elle peut entraîner le sujet dans la zone funèbre des préci-
pices et des catacombes. Lorsque la difficulté est surmontée,
l'ascension équivaut seulement à une mort symbolique à l'ancien
monde, avec retour momentané à la situation primordiale, résur-
rection qui ramènera ici-bas un homme nouveau, retrempé aux
sources divines. La montagne imaginée apparaît dans sa com-
plexité dialectique, à la fois lieu d'ombre, chthonien, et de lumiè-
re, ouranien; signe de l'abolition de l'espace et du temps, elle
fonctionne dans la contradiction de la mort et de la résurrection.
C'est d'ailleurs pourquoi le symbolisme de l'ascension est
particulièrement exalté dans le discours et la pratique reli-
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40 DES MONTS ET DES MYTHES

gieuses: la montée douloureuse au Golgotha illustre ce par-


cours régénérateur, succession d'épreuves qui culminent avec
la crucifixion et la résurrection. Le pèlerinage en est une autre
forme qui, par un ressourcement aux origines, doit guérir et for-
tifier l'âme, et souvent le corps. L'ascension du pèlerin est pure
et dure: c'est à ce prix qu ' elle aura une action cathartique,
qu'elle libérera de la vie d'en bas, et permettra de rencontrer la
divinité. Chemins de croix et pèlerinages, en s'inscrivant dans
la géographie et l'histoire symboliques, sont des réactualisa-
tions de l'expérience religieuse primitive.
Le déroulement de l'initiation exige des signes spécifiques: la
première communiante est vêtue d'une aube blanche et l'appelé
au service national a les cheveux coupés court. A un degré
moindre, l'entrée dans un champ de ski, une séance d'escalade
en falaise, ou une course en haute montagne réclament des
tenues spéciales8o, rarement justifiées par la seule nécessité tech-
nique. L'initiation marque l'impétrant parmi le commun des mor-
tels; le pèlerin qui a fait ses dévotions à la Kaaba de La Mecque
peut ajouter le prestigieux préfixe de «Hadj» à son nom. Le
guide de haute montagne dont la fonction héroïque a été magni-
fiée par les médias, doit subir préalablement de dures épreuves
initiatiques81 : le médaillon en témoigne plus ou moins discrète-
ment. Pour les skieurs, le bronzage hivernal semble bien remplir
cette fonction. Bien entendu, les mythologies interdisent les pri-
vilèges initiatiques au quidam, les réservant à quelques êtres
exceptionnels, de l'étoffe des héros. Il n'empêche qu'aujourd'hui
une bonne partie de la fréquentation touristique en montagne est
fondée sur cette idée d'initiation; elle porte encore la trace
purificatrice de ses origines religieuses et politiques, rafraîchie de
connotations écologistes actuelles. Nous verrons 82 que tout le cli-
matisme, une bonne partie du thermalisme - situé pour l' essen-
tiel en zone de montagne - comme l 'hygiénisme et la pratique
sportive, se fondent sur cet imaginaire régénérateur.

Icare ou Prométhée

Par les mythes de l'altitude, la montagne évoque la légèreté


ouranienne, mais par les mythes eschatologiques et les phan-
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LA MONTAGNE DANS L'ANTHROPOLOGIE 41

tasmes de pétrification, elle est lourde de symboles telluriques;


claire ou sombre, elle tient à la fois de l'air et de la pierre. De la
même manière, l'ascension sera toujours sous-tendue par deux
motivations antagoniques, l'agression et la contemplation,
illustrées par les mythes d'Icare et de Prométhée.
Lumière, légèreté, transparence, immatérialité, telles sont les
qualités de l'élément aérien auquel participe le geste ascension-
nel. Vivifiant et détaché des attaches terrestres: Ramond de Car-
bonnières nous en a rapporté dès le XVIIIe les premières impres-
sions, en décrivant la cime du mont Perdu qui, «toute
resplendissante de célestes clartés, ne semblait plus appartenir à
la terre83 ». L'ascension est ici motivée par la contemplation.
Monter, c'est se défaire des attaches terrestres pour gagner
les zones éthérées. Certains scientifiques ont mis en évidence
une tendance universelle, l'ourano-tropisme, qui est désir de
s'élever, de voler, propre à l'espèce, et qui agit dans le sens
inverse du géo-tropisme84 • Toute ascension rappelle un peu le
rêve archaïque de l'envol, dont l'archétype est le mythe d'Icare:
Dédale, retenu prisonnier par le Minotaure en Crète dans le
labyrinthe qu'il construisit de ses propres mains, décida de
s'enfuir. Il fabriqua pour lui-même et son fils Icare, des ailes
qu'ils se fixèrent sur le corps avec de la cire. Malheureusement
lors du survol de la mer, Icare s'étant approché trop près du
soleil, la cire fondit, les ailes se détachèrent et l'enfant s'abîma
dans les flots. L'élévation icarienne est pure, facile, aérienne,
délivrée des contraintes terrestres. Appliquée à la montagne,
cette image évoquera le grimpeur qui progresse sans efforts et
sans outillage, oubliant le rocher pour se fondre avec le ciel
dont il devient un familier, tel un ange.
Mais la montagne est aussi faite de pierre, et l'ascension
chargée des notions de pesanteur, d'opacité, de matérialité,
d'inertie, d'obscurité, de froid, de rugosité ... bref l'opposé de la
facilité ouranienne. De même que l'air et le ciel suggèrent la
contemplation, la pierre et les roches incitent à l'action et à
l'agression. Selon Bachelard, le rocher fait partie de la préhis-
toire de l'imagination: il donne dans son immobilité même une
impression de surgissement, d 'hostilité, il «met une terreur dans
le paysage85 ». Mais l'auteur ajoute que c'est aussi un grand
moraliste, que le rocher est un maître de courage; la muraille
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42 DES MONTS ET DES MYTHES

rocheuse, comme toute zone résistante du monde matériel, pro-


voque une volonté incisive. Ajoutons à cela le fait de s'élever
en altitude, geste «monarchique» qui procure un sentiment de
domination, et l'on saisit pourquoi l'ascension relève égale-
ment du complexe de Prométhée.
En effet, Icare a son modèle antinomique qui le poursuit
comme son ombre: Prométhée, fils de Titan, dérobe le feu à
Héphaïstos, lequel avait établi ses forges dans le volcan de l'île
de Lemnos. D'ailleurs l'anthropologue James Frazer a montré
que les mythes de vol du feu sont nombreux à se produire dans
une montagne chthonienne86 • L'ascension est ici un acte de
courage offensif, qui suppose une colère. Or le rocher constitue
un défi, provoque au viol, comme le suggèrent les connotations
phalliques du piolet. La motivation essentielle est alors l'agres-
sion et l'ascension se résume ici à l'effort inouï du surhomme
qui affronte l'ennemi démesuré avec le courage du désespoir.
En contact permanent avec la mort, le héros ne s'évanouit pas
dans l'éther comme l'ange icarien, mais lorsqu'il meurt, c'est
écrasé sous la montagne, tel un Atlas des temps modernes.
Deux motivations contradictoires poussent donc à gravir la
montagne, incarnées dans deux modèles d'ascension. Elles
plongent leurs racines dans les aspects opposés de la montagne
symbolique, en rapport direct avec le milieu physique élémen-
taire, l'air et la pierre. Elles sont étroitement liées aussi au sta-
tut mythique de l'espace montagnard, siège du surnaturel, le-
quel suscite toujours deux attitudes contraires: l'effroi et
l'attirance. Mais, dans la pratique, cette distinction entre les
motivations est artificielle, car l'expérience ascensionnelle
concrète les contient toutes deux inextricablement liées: on
attaque dans l'effort inquiétant, pour mieux jouir ensuite dans
la sérénité contemplative.
Ces deux motivations s'incarnent de façon caricaturale dans
les figures historiques de l'alpinisme87 : ainsi Whymper sera-t-il
un chef de file prométhéen, tandis que Ruskin restera le défen-
seur acharné de la contemplation. Mais ces tendances profondes
marquent plus largement le rapport à l'espace montagnard en
général. De fait les pratiques touristiques contemporaines relè-
vent de la dominante tantôt icarienne comme le parapente, tan-
tôt prométhéenne comme la moto verte. Les pratiques aména-
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geuses88 enfin peuvent être classées selon cette double mo-


tivation: l'entreprise colonisatrice des militaires en montagne
au cours des siècles, ou les ambitions des promoteurs se ran-
gent sous la bannière de Prométhée. Inversement, la commu-
nion rousseauiste avec la nature alpestre, et la protection des
sites aujourd 'hui appartiennent au mythe fusionnel icarien.
Chacune des motivations se distingue par de nombreux traits
particuliers, mais l'un des plus significatifs est le rapport à la
technique. D'un côté, le héros prométhéen investit dans une
débauche de matériels lourds, de l'autre le tenant de la pratique
icarienne réduira au minimum la médiation technique avec la
nature, privilégiant le rapport direct du corps à la montagne. Ce
critère sera pertinent aussi bien pour les acteurs historiques, les
sportifs de haut niveau, les différents types d'aménageurs, que
le touriste de base.

Les élus et les exclus

L'initiation, qu'elle se réalise sous l'égide d'Icare ou de Promé-


thée, est la forme privilégiée de l'institution du social et du
politique. Elle ne fonctionne pas seulement comme mode
d'intégration à la vie adulte; elle s'avère également nécessaire
pour consacrer les êtres hors du commun tels que chefs ou
héros divers. D'une manière générale, l'habitant du territoire
qui fréquente cet espace privilégié est marqué. Il déroge à la loi
commune laquelle stipule que l'on doit se cantonner au ter-
ritoire familier.
Mythes et grandes religions rapportent souvent l'entrevue du
héros avec la divinité dans la montagne, lieu de rencontre natu-
rel puisqu'il est ordinairement la résidence des dieux. Le récit
biblique a perpétué la mémoire de Moïse allant se faire
remettre les Tables de la Loi au Sinaï, au milieu du feu, du ton-
nerre de Yahvé. Samivel signale plusieurs rencontres du même
type à Ceylan, au Cambodge ou en Navarre: dans ce dernier
cas, le dieu local dicte sa loi au sommet du mont Aralar89 • Ainsi
se dévoile la fonction sanctificatrice de la fréquentation de
l'espace montagnard, à l'origine de la régénération profane. La
sainteté provient d'une ascension cathartique, qui a délesté le
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DES MONTS ET DES MYTHES

héros de son péché toujours associé à la pesanteur. On com-


prend pourquoi certains saints, ou leurs disciples se révèlent
comme tels par cette pratique ascensionnelle qu'est la
lévitation90 •
Dans l'ordre politique, la sanctification par l'altitude se
manifeste lors de la consécration des souverains, rois, chefs
militaires. Minos, le roi de Crète, allait tous les neuf ans renou-
veler ses pouvoirs sur le mont Jouktas; les premiers monarques
Incas, fils du Soleil, descendaient du mont Huanacanti, au sud
de CUZC091 • La montagne cependant est aussi une zone périphé-
rique, plus ou moins sauvage et soumise aux forces obscures.
Dans ce cas le fait de la gravir aura un effet civilisateur, en
l'annexant symboliquement au territoire et en chassant les
esprits mauvais.
Le double statut de l'espace montagnard, zone tantôt cen-
trale et sacrée, tantôt périphérique et diabolique, est lié aux
contradictions inhérentes à l'initiation qui est une entreprise
aléatoire: elle redonne la vie, mais se solde parfois par l'échec
ou la mort. Ainsi les chefs ou les princes ne sont-ils jamais cer-
tains d'être consacrés dans la montagne: Sébillot cite un
conte92 de Basse-Bretagne où la «fille du roi de France» doit
gravir un sommet abrupt, au milieu des éléments déchaînés,
afin de capturer «l'Oiseau de Vérité»; en cas d'échec, elle sera
statufiée en pierre. Cruelle dialectique de la montagne vivifian-
te et pétrifiante! Même la sanctification est loin d'être assurée:
l'ermite dans la montagne peut se révéler un ange noir, ou plus
prosaïquement un hérétique. Les vallées reculées ont été peu-
plées de camisards, de vaudois et autres huguenots.
Les héros sportifs contemporains eux aussi sont soumis aux
aléas de la fréquentation initiatique, et cette incertitude vient de
loin. Dans les sociétés traditionnelles, la montagne du fait de sa
position hors territoire, est fortement déconseillée à l'habitant
ordinaire. Jadis en Chine, l'ascension d'un sommet, sans motif
valable, était interdite. Dans l'Europe du XIXe siècle, la fré-
quentation de la haute montagne n'est plus vraiment sacrilège,
mais toujours considérée comme une dangereuse lubie.
De nos jours encore, les alpinistes sont perçus par une partie
de l'opinion comme des équilibristes masochistes et plus ou
moins asociaux93 . D'ailleurs, lors de chaque accident notoire,
LA MONTAGNE DANS L'ANTHROPOLOGIE 45
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des voix s'élèvent pour suggérer des restrictions ou même des


interdictions afin de réglementer la pratique de la montagne. Il
serait donc faux de croire qu'aux siècles d'intolérance ont suc-
cédé l'indifférence et la permissivité. En réalité, le processus
initiatique est plus complexe: c'est l'interdit qui permet juste-
ment la jouissance et, de surcroît, charge le héros de sa gloire.
Le skieur qui s'aventure hors des pistes ou les visiteurs du
dimanche en chaussures à talon sur les sentiers ne sont que
d'imprudents irresponsables. En revanche, le sportif reconnu
qui s'adonne au ski extrême ou le guide célèbre qui enchaîne
les grandes classiques sont ipso facto métamorphosés en héros.
Et la gloire des uns ne va pas sans la flétrissure des autres: bien
mieux, celle-ci est nécessaire pour l'élévation des grands
hommes, et la fréquentation de la montagne ne devient le signe
de l'élection de quelques-uns que parce qu'elle exclut le plus
grand nombre. S'ils viennent à perdre la vie dans l'ascension,
les uns subissent une fin dérisoire, tandis que les autres sont
crédités du sacrifice sublime.
Il est une autre catégorie sociale marquée dialectiquement
par l'altitude: les habitants de la montagne. En effet, territoire
et non-territoire peuvent être analysés en termes de nature et de
culture. L'extérieur, propice aux débordements, où règne le
chaos des origines, relève de la nature. En revanche, le territoi-
re policé, espace connu et structuré, ressortit à l'ordre de la cul-
ture. Tantôt, le désordre naturel est valorisé comme lieu d'un
ordre caché, paradis primitif; tantôt il est déconsidéré en tant
qu'espace chaotique, no man's land à coloniser. La culture éga-
lement est appréhendée de manière contradictoire: soit positi-
ve, objet de la sollicitude des dieux qui l'ont créée, soit négati-
ve, comme civilisation «usée», lieu de la décadence. On
s'explique alors mieux le statut mythique des habitants de la
montagne, parangon de nature: elle sera habitée selon les cas,
soit par le barbare à civiliser, soit par le bon sauvage, modèle
originel pour restaurer la civilisation perdue.
Nous verrons au cours de l'histoire l'une ou l'autre in-
terprétation dominer, ou même coexister, parfois sous une
modalité quelque peu différente: ainsi la montagne sera-t-elle
dévolue à certaines époques aux détrousseurs et aux brigands,
lesquels seront ensuite accommodés en justiciers ou en bandits
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sociaux. De même elle servira de repaire aux rebelles, et aux


révolutionnaires: ils seront consacrés en autant de résistants et
héros fondateurs. La société montagnarde sera promue modèle
de communisme primitif, mais aussi, et souvent en même
temps, méprisée comme ramassis de crétins, de cagots et de
goitreux.
Cette sociologie populaire va fournir les critères de base
pour justifier l'action des urbains sur la montagne au cours de
1'histoire. Ici nous retrouverons les deux grandes motivations
décrites précédemment dans les rapports à la montagne: les
aménageurs prométhéens pour qui les autochtones seront les
barbares à civiliser, au besoin par la force. Les contemplateurs
rousseauistes pour qui les montagnards seront une précieuse
communauté à protéger, soit des vices de la grande ville, soit
des pollutions diverses amenées par l'industrie touristique.
Ainsi le mythe en conférant un statut collectif imaginaire
aux autochtones, fonde une sociologie populaire de la mon-
tagne. Il sert de base aux appréhensions anciennes et au dis-
cours moderne sur la montagne. Il donne la clé de la fréquenta-
tion touristique, tant du thermalisme que de l'alpinisme; enfin,
il interroge sur la manière dont sont fabriqués les héros, et plus
près de nous les stars médiatiques de la grimpe ou du ski. Le
mythe dévoile aussi cette chose essentielle: les relations des
hommes à la montagne sont d'abord des rapports sociaux avant
que d'être des rapports à la nature. Ils sont structurés de façon
dialectique: ils sont régis par le principe de contradiction
puisque c'est le même mouvement qui produit à la fois l'exclu-
sion et l'élection, et que l'une comme l'autre peuvent se
transformer en leur contraire. Enfin cette contradiction apparaît
régulière et structurelle, processus inhérent aux rapports au ter-
ritoire, et non événement accidentel.
D'une manière générale, le fait d'entrer en contact avec
l'espace montagnard, confère des caractères particuliers à son
auteur. La pratique ascensionnelle est une catharsis: la montée
en altitude purifie des souillures d'en bas et elle est intrinsèque-
ment associée à des rites de coupure. Gilbert Durand générali-
sera en liant l'ascension au geste postural de la verticalité, et au
schème diaïrétique de séparation du bon et du mauvais 94 : du
point de vue symbolique, elle s'apparente au baptême, à la cir-
LA MONTAGNE DANS L'ANTHROPOLOGIE 47
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concision ou la crémation. L'initiation permet de trier le bon


grain de l'ivraie: l'épreuve couronne le héros et condamne
l'imposteur.
La montagne permet de juger qui est digne de figurer dans le
lot restreint des «vrais» hommes et des héros, les élus, et qui est
appelé à la médiocrité, à la déchéance, voire à la malédiction,
les exclus. La fréquentation des hauts lieux est une forme
moderne d'ordalie. Une angoissante interrogation est donc pré-
sente dans toute ascension: celle-ci engendre à la fois l'élection
et sa face cachée, l'exclusion. La montagne est un espace cri-
tique. L'ascension, et plus généralement les rapports à la mon-
tagne sont le moyen d'établir des différences, de justifier un
ordre social. En somme, la géographie et 1'histoire symboliques
servent de support à une sociologie imaginaire.
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DEUXIÈME PARTIE

SCÉNARIOS ET MÉTAPHORES
Figures littéraires de la montagne

Ce dont on ne peut parler iIfaut le taire


Ludwig WITIGENSTEIN

Toutes ces figures de la montagne conçues par l'imagination


fertile de nos ancêtres appartiennent-elles définitivement au
passé? Ne survivent-elles pas encore dans les sociétés contem-
poraines sous des fonnes secrètes ou marginales?
De nos jours, sans doute pense-t-on avoir chassé la folle du
logis du propos sérieux, celui de la science, de l'économie ou
de l'aménagement. Mais il est des zones du discours social où
on la tolère encore ouvertement à titre d'exutoire: chez les
artistes, les romanciers par exemple, ou même les publicitaires.
C'est ici que nous poursuivrons notre quête d'images, en com-
mençant par la littérature, laquelle secrète les métaphores de la
montagne, et les scénarios qui lui donnent son sens aujourd 'hui.
Divers auteurs font autorité en matière de littérature alpine:
Claire Eliane Engel l autrefois, Michel Ballerini2 et René Jantzen
plus récemment3 • Ce dernier montre d'ailleurs que le discours
littéraire sur la montagne reproduit assez fidèlement la logique
des structures imaginaires mises à jour dans l'étude des mythes.
50
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Sans reprendre tous les apports de ces travaux que nous cite-
rons abondamment, nous nous proposons de montrer ici la
signification sociale et politique des représentations symbo-
liques émergentes. Par littérature enfin, nous entendons
l'ensemble des écrits qui s'en réclament, indépendamment de la
valeur artistique que les critiques leur attribuent. Le corpus tou-
tefois sera limité aux écrivains de langue française, sans nous
attarder sur les dix dernières années.
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CHAPITRE PREMIER

Genres littéraires
et rapports à la montagne

Les anthologies de la littérature alpine commencent par citer les


ascensions de Pétrarque au Ventoux, de Dante, Montaigne ou
même Rabelais ... Introduction rituelle, mais écrits occasionnels
d'œuvres qui par ailleurs ne sont pas centrées sur la montagne.
En réalité, le discours sur l'alpe est lié à la pratique, et la littéra-
ture alpine s'est développée avec l'aménagement, et surtout le
tourisme.
Le premier texte entièrement consacré aux Alpes qui nous
est resté est De prisca ac vera A/pina Rhaetiae, rédigé en 1538
par le naturaliste Aegidius Tschudi. Mais le plus connu des ou-
vrages anciens est celui de Josias Simler, Vallesiae descriptio,
paru en 1574, où il peint les mœurs et la géographie des Alpes;
efflorescence littéraire du XVIe siècle liée à la découverte et au
début de fréquentation des Alpes suisses à cette époque.
Les œuvres anciennes sont syncrétiques: à la fois récit de
voyage ou d'ascension, rapport scientifique et réflexion po-
litique ou philosophique, sans oublier la dimension poétique,
voire mystique. Comme les voyageurs d'alors, elles s'intéres-
sent presque exclusivement à la moyenne montagne: lacs, cas-
cades, alpages, glacières... Voici Haller en 1732, médecin et
botaniste bernois, qui publie ses poèmes, Die A/pen: il y fait
l'éloge des montagnards, de leurs mœurs, de leurs chants, des
danses, des veillées ... Beaucoup lu et traduit à l'époque, il sera
l'inspirateur de Rousseau.
52 DES MONTS ET DES MYTHES
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Relations de voyage, science et récits d'ascension

De ces auteurs complets selon l'idéal de l'honnête homme,


d'autres vont se détacher progressivement et infléchir le thème
de la montagne vers des genres littéraires particuliers. Voici
Windham, qui publie l'une des premières relations de voyage
en 1741, racontant sa visite à Chamouni. Ce jeune Britannique
inaugure un genre prolifique, qui va s'épanouir au XIXe et ins-
pirer des milliers de successeurs, illustres ou non; Cha-
teaubriand, Alexandre Dumas, Victor Hugo, George Sand, la-
quelle adhérera au Club alpin, Stendhal, Taine, Flaubert,
Colette et bien d'autres4 , n'ont pu s'empêcher de sacrifier au
rite: ils publieront leurs souvenirs des Alpes ou des Pyrénées
comme n'importe quel bourgeois de l'époque. La relation de
voyage est un genre qui ne s'est pas tari, mais de plus en plus,
elle est réservée aux aventures lointaines. Et aujourd'hui c'est
en feuilletant le papier glacé des revues exotiques qu'on en
découvre les variantes andines ou tibétaines.
Aux origines, la relation de voyage contient souvent un
compte rendu d'exploration à prétention sérieuse. De là un
autre genre littéraire va se détacher: l'essai scientifique. Horace
Benedict de Saussure en est le plus célèbre représentant, avec
son Voyage dans les Alpes, dont la publication commence en
1779. Saussure aura son pendant dans les Pyrénées en la per-
sonne de Ramond de Carbonnières5 • Cette veine scientifique va
s'étoffer et servir de stimulant, puis de simple justification à
l'alpinisme durant le XIXe siècle: les figures de proue en seront
les Suisses Agassiz6 et Desor, les Britanniques Forbes et Tyndall,
tous géologues et glaciologues fervents ... et prompts à la contro-
verse. Peut-être devrait-on citer ici Michelet, dont l'ouvrage est à
mi-chemin entre géographie et poésie7 • Pourtant vers 1900, les
articles scientifiques des revues alpines déclinent8 , à mesure que
s'éteignent les préoccupations savantes des alpinistes.
A partir du moment où les touristes s'aventurent en haute
montagne, une branche parente de la relation de voyage va di-
verger et donner naissance au récit d'ascension. Un des initia-
teurs en est Marc-Théodore Bourrit, chantre à la cathédrale de
Genève et chroniqueur dithyrambique: il fut un des premiers à
user des procédés littéraires de dramatisation pour mettre en
SCÉNARIOS ET MÉTAPHORES 53
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valeur ses trop modestes courses chamoniardes9 • Le récit


d'ascension connaîtra une belle carrière chez les pratiquants de
l'alpinisme jusqu'à devenir le genre majeur de la littérature alpi-
ne. Les Britanniques surtout y excellent au XIXe, reflet de leur
domination dans l'exploration: citons les pionniers que sont
Wills, Moore, Dent, Conway, Stephen, Whymper, Mummery... lO.
A partir des années trente jusqu'à nos jours, ce sont les Français,
les Italiens et les Germaniques qui tiennent le haut du pavé,
comme dans l'alpinisme; les plus connus sont Pierre Allain,
Gusto Gervasutti, Anderl Heckmair, Maurice Herzog, Gaston
Rebuffat, Louis Lachenal, Georges Livanos, Hermann Buhl,
Lionnel Terray, Walter Bonatti, René Demaison, Pierre Mazeaud,
Yannick Seigneur, Reinhod Messner, Pierre Béghin... ll . En dépit
de sa mort moult fois annoncée, et depuis longtemps12, le récit
d'ascension reste le genre littéraire aujourd'hui encore le plus
pratiqué, tant sous la forme brève de l'article que celle des longs
ouvrages que tout alpiniste médiatique se doit d'avoir publié.

Poésie et genres mineurs

Le grandiose et le sublime ne font pas bon ménage avec la plai-


santerie et l'ironie: c'est sans doute pourquoi la satire et
l 'humour, genres plutôt rares et tardifs, conviennent mal à la
montagne. Ils ne sont malgré tout pas totalement absents :
Rodolphe Topffer publie Voyages en Zig-zag, en 1844, recueil
de nouvelles plaisantes sur les montagnes Suisses. Mais c'est
Tartarin sur les Alpes, mis en histoire par Alphonse Daudet en
1885 13 qui est passé à la postérité: l'auteur ridiculise les alpi-
nistes, le «Club des Alpines», et surtout la Suisse, ses fêtes
locales, ses hôtels sinistres où l'on «vole honnêtement» le
gogo, sa morgue du Grand Saint-Bernard, ses circuits sur-
équipés (déjà!) de trains à crémaillères, bref ce havre de liberté
où l'on emprisonne si facilement. .. Daudet, on le voit, prend
allègrement les poncifs à contre-pied. Plus près de nous
quelques-uns se sont essayés au récit humoristique 14 , avec un
succès mitigé. Ce sont les livres de Samive11 5 qui témoignent
de la plus belle inspiration: romans ou essais sont imprégnés
d'un humour discret mêlé d'émotion, jamais sarcastique.
54 DES MONTS ET DES MYTHES
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La montagne, en revanche, a inspiré abondamment les


poètes, et pas toujours pour le meilleur. Presque tous les grands
ont produit quelques bouts rimés à l'adresse de l'alpe: Chénier
dans ses Epîtres, Lamartine dans Jocelyn et les Méditations,
Hugo dans La légende des siècles, ou Les feuilles d'automne 16 •
Mais les œuvres poétiques alpines qui comptent véritablement
aujourd 'hui, du moins aux yeux des critiques, sont celles des
Britanniques: Byron, Shelley, au début du XIXe, peut-être Rus-
kin par la suite. Il faut y ajouter le Guillaume Tell de Schiller en
1804, chef-d'œuvre - un peu isolé - du théâtre alpestre. Il ne
semble pas cependant que le genre poétique en tant que tel ait
fait florès; peut-être la muse a-t-elle migré dans les œuvres
composites, plus guère lues aujourd 'hui, comme celles d'Emile
Javelle, Guido Rey, Paul Guiton, ou Max Aldebert 17 , à la fois
biographies, méditations, voire philosophie sociale. La poésie
est certainement présente en tout cas dans la géographie lyrique
de Micheletl 8 , chez l'alpiniste philosophe Guido Lammer 19 , ou
La montagne magique de Thomas Mann20 , et aussi dans
l'œuvre romanesque et humoristique de Samivel.

QUELQUES REPÈRES mSTORIQUES SUR LA GÉNÉALOGIE


DES GENRES LITfÉRAIRES DE LA MONTAGNE

Ancêtres
Josias Simler (1574)
... Haller (1732)
,-------,--- ---- ----.----------,----------------,
1.1 1. L. 1
: Relations : Philosophie SOCiale :
: de voyage : et roman :
: Windham (1741) : Rousseau (1761) :
1 1 1 " 1
1 1 1 rl.~ ,--------..:..--1

Essai ~cientifiqJe
1
Récit diascension :1 Théâtre Poésie
Saussure: Bourrit - - ï : Schiller Byron
1
(1779): (1773):: (1804) (1816)
1 1 1
Humour Différents
Topffer types
(1844) de romans
1
1
1
55
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SCÉNARIOS ET MÉTAPHORES

Le roman de montagne

Relation de voyage ou récit d'ascension sont souvent classés


dans les genres mineurs. TI arrive toutefois que l'auteur insère
l'exploit sportif ou la description paysagère dans une intrigue,
forgeant ainsi une nouvelle, laquelle peut s'allonger et accéder
au genre noble du roman. Dès le XVIIIe siècle, la veine explo-
ratoire et exotique trouve à s'exprimer dans les premières
formes romanesques; ainsi Rousseau exploite le thème de
l'alpe dans La nouvelle Héloïse en 1761; encore ne s'agit-il pas
d'un roman de montagne à proprement parler; ici le Valais tient
lieu seulement de décor, et les Valaisans, modèles de bons sau-
vages, ne sont que des figurants pour illustrer les thèses poli-
tiques et sociales de Jean-Jacques. Assez rapidement d'ailleurs
la phllosophie sociale alpestre sera abandonnée, du moins par
les littérateurs qui se veulent sérieux. En revanche, le roman de
montagne va entreprendre une carrière assez discrète, mais
continue jusqu'à nos jours.
Rousseau a fait de nombreux émules dans les décennies qui
ont suivi: ici les obscurs sont légion21 , Bernardin de Saint-Pierre
cependant, avec Paul et Virginie 22 , est resté dans les annales. Par
la suite, les grands romanciers ont peint pour leur héros des
tableaux alpestres avec talent, quoique sans grande originalité :
Cinq-Mars de Vigny, Le médecin de campagne de Balzac, Henri
Brulard de Stendhal, Valvèdre de George Sand23 , évoluent parmi
lacs, cascades et fleurettes. Dans cette uniformité descriptive,
deux œuvres aux extrémités du siècle, tranchent par leur étrange-
té et leur force: Obermann de Senancour qui baigne dans le
spleen romantique, et L'Auberge de Maupassant24 , court drame
de la folie, dans une montagne froide et sinistre. En somme,
après avoir servi de faire-valoir à une théorie sociale, la mon-
tagne se réduit peu à peu en simple cadre de l'intrigue: sauf
exception, les descriptions restent excessivement convention-
nelles, à la manière des peintures de rochers médiévales. Ce
décorum est le reflet d'émerveillements sincères, mais aussi des
pratiques touristiques bourgeoises obligées de l'époque.
A la charnière des deux siècles, le nombre des romans va
croissant à la meSure de la fréquentation. En outre le genre se
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56 DES MONTS ET DES MYTHES

diversifie: l'alpe reste un inépuisable décor pour d'innom-


brables romans d' amour25 dont Henry Bordeaux fournit le pro-
totype: adultère à 1'hôtel sur fond de paysages savoyards. Le
roman d'aventure se développe aussi: Paul Hervieu publie
L'alpe homicide en 188626, recueil de nouvelles avec tous les
poncifs morbides des corps rendus par les glaciers.
Toutefois, dans la première moitié du siècle, c'est le roman
«autochtone» qui fera la gloire des maîtres de la littérature
montagnarde: André Chamson27 , la voix des Préalpes ou des
Cévennes, Henri Pourrat avec la geste de Gaspard des mon-
tagnes 28 et de l'Auvergne profonde; Jean Proal29 qui fait vivre
au quotidien des paysans farouches, recrus de labeur et tra-
giques; Giono 30 et Ramuz 3! évidemment, le premier généreux
et amer, rivé aux collines arides de Provence, le second plus
austère, borné aux rives du Léman, soumises à la fatalité bruta-
le des montagnes valaisannes.
A côté des grands noms, la veine paysanne va nourrir une
production abondante mais inégale32. Elle s'enracine dans la
thématique rousseauiste qu'elle prolonge en cette période de
retour aux valeurs du terroir. Elle est liée au courant naturaliste
qui rejette l'industrialisation, et l'aménagement prométhéen.
Cette inspiration va s'épuiser dans les années cinquante malgré
le rebond des dernières décennies avec le retour de l' écologis-
me33 , et le thème du conflit entre touristes et autochtones, dont
le Le fou d'Edenberg de SamiveP4, est un bon exemple.
Dans le même temps, une autre branche littéraire se déploie:
le récit d'ascension romancé, différent du récit classique.
Edouard Estaunié, Georges Sonnier ou Saint-Loup35, ont laissé
des œuvres encore connues aujourd'hui mais ce sont surtout
Joseph Peyré36 et Sarnive}37, qui s'élèvent au-dessus d'un océan
d'œuvres moyennes 38 . L'essentiel du propos consiste générale-
ment en une aventure; parfois celle-ci tourne au roman policier
avec Accident à la Meije d'Etienne Bruhl39 par exemple; parfois
elle exhale un parfum d'exotisme. Joseph Peyré publie ainsi
Mont-Everesf4 0 , et Frison-Roche raconte les montagnes du Saha-
ra dans La Piste oubliée, ou de Laponie dans Le rapf41, tandis
que Saint-Loup magnifie les Andes dans Montagnes sans dieu4 2 •
Enfin le récit d'ascension vire facilement à l'hagiographie,
et plus encore lorsqu'il est romancé: Joseph Peyré publie Mal-
SCÉNARIOS ET MÉTAPHORES 57
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lory et son dieu 43 , dans lequel il retrace l'ascension christique


du grand alpiniste achevant sa destinée terrestre par une montée
aux cieux. Sans être aussi visionnaire, le récit de Dieterlen, qui
perpétue la mémoire de Zwinglestein et de son épopée44 , relève
de la même démarche. D'ailleurs le roman d'ascension tend
naturellement vers l'allégorie métaphysique: Jean Morin publie
Les royaumes du monde45 où les ascensions sont prétexte à une
ardente quête intérieure; encore plus singulier, proche du
roman d'anticipation, le Mont-Analogue 46 de René Daumal est
l'apologue d'une expédition fabuleuse et rédemptrice vers un
sommet imaginaire.
En vérité, la distinction entre roman autochtone et roman
d'ascension n'e~t pas toujours tranchée. Plusieurs auteurs vont
marier les deux thèmes: Joseph Peyré dans Matterhorn par
exemple, inaugure le récit de l'ascension par la procession de la
Fête-Dieu à Zermatt; Pierre Scize également joue sur les deux
registres dans son recueil de nouvelles, Gens des cimes47 ; mais
c'est surtout Frison-Roche, qui passera maître dans cet art. Pre-
mier de cordée (1941), La grande crevasse (1947), Retour à la
montagne (1957)48, réaliseront l'union intime de l'ascension
alpine d'une part et de la vie des montagnards d'autre part avec
ses moments de bravoure: la montée à l'alpage, l'orage, le
monde des porteurs et des gardiens de refuge, la longue attente
des femmes, les accidents mortels et les sauvetages, dans un
heureux mélange de jargon alpiniste et de patois savoyard.
C'est d'ailleurs à cette époque que le roman alpin atteint son
apogée en France, tandis que la montagne est parée d'une aura
médiatique considérable. Frison-Roche tirera Premier de cor-
dée à plus d'un million d'exemplaires, La grande crevasse à
460 000, et Retour à la montagne à près de 200 000, tandis que
le livre de Maurice Herzog en 1950 se vendra à deux millions
et demi d'exemplaires. Ces chiffres iront en déclinant par la
suite; le roman de montagne se fait plutôt rare aujourd'hui, et
son lectorat confidentiel.
Les succès de cette époque rappellent toutes choses égales
par ailleurs, celui de La Nouvelle Héloïse. Héroïsme ascension-
nel, montagnards sains de corps et d'esprit, prosélytisme et
volonté éducatrice, sous le roman de Frison-Roche, percent
Haller et Rousseau. Depuis le XVIIIe, le genre s'est adapté, tan-
58
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tôt romantisme d'Obermann, tantôt réalisme de Maupassant,


Giono ou Ramuz, mais la continuité des thèmes est frappante,
et la problématique sociologique constante autour de ces
personnages princeps que sont l'alpiniste et l'autochtone. C'est
sans doute la raison pour laquelle la littérature alpestre naît
avec le tourisme au XVIIIe siècle et change avec lui.
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CHAPITRE DEUXIÈME

Marquer l'espace et le temps :


Les métaphores de la montagne

La montagne sans phrases n'existe pas. L'objet territorial est


créé par le discours littéraire ou géographique, au fur et à
mesure de son exploration scientifique, militaire, touristique,
et des pratiques liées. Dans le moment même où les mots sont
énoncés, il se trouve un cadre prêt où insérer cette portion du
territoire: ainsi la montagne sera immédiatement centrale ou
périphérique, sommitale ou caverneuse, ouranienne ou chtho-
nienne, divine ou infernale... Ce cadre archaïque, partie de
l'imaginaire social, est hérité de l'anthropologie, et conière une
pré-signification à l'espace montagnard. Nous nous proposons
ici de recenser les métaphores littéraires par lequel ce sens
advient.

Métaphores des confins et du chaos

Strabon déjà prétendait que ceux qui faisaient l'ascension de


l'Argaios, pouvaient contempler à la fois la mer du Pont et celle
d'Issos, ce qui, à l'expérience, est paraît-il absolument impos-
sible. Espace extrême, la montagne est d'emblée soumise à
l'exagération. Plus que de la métaphore, son traitement litté-
raire relève de l'hyperbole.
Les romanciers majorent l'altitude, mais aggravent aussi les
conditions climatiques ou topographiques. Pierre Seize place
Saint-Véran à l'ubac afin que les habitants grelottent da-
vantage49 • Chollier et Lesbros insistent sur «ce Vercors rude où
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60 DES MONTS ET DES MYTHES

les moindres champs se dressent en pentes abruptes au flanc de


la montagne, où les hivers n'en finissent pas 50» pour désigner le
paysage agricole d'Autrans, ce qui ne correspond manifes-
tement ni à l'expérience des géographes, ni à celle des paysans.
Dans un registre moins grave, on ne sera pas surpris que la
Suisse de Tartarin soit le pays des pluies diluviennes et perma-
nentes, et qu'elles s'obstinent à tomber dru sur notre héros.
Mais l'exagération géologique est sans doute la plus insi-
dieuse: beaucoup d'écrivains transforment le calcaire en gra-
nite afin de durcir encore, s'il se peut, l'âpre relief des mon-
tagnes. Pierre Scize décèle des «pointes granitiques» dans le
Néron 51 , et Marcel Rouff parle d'un «dos de granite» dans le
massif des Bornes, là où le calcaire suffit; la rhétorique
rejoint ici la démarche des peintres ou graveurs qui représen-
taient jadis des pics acérés et même recourbés en forme de
hameçon.
Versants plus abrupts, froid plus intense, rochers plus durs,
sommets plus pointus, toutes ces figures hyperboliques concou-
rent à mettre en évidence la montagne comme lieu de la nature,
non encore disciplinée par la culture. «De quelque côté que l'on
se tourne, rien n'est en vue que les montagnes-objets: de
l'herbe, de la terre, l'amas des rochers, l'amas des glaces de
toutes parts 52» , tel est l'état de nature pour l'œil froid de
Ramuz. Mais les romanciers se sont jadis laissés aller à une
fantasmagorie chaotique: ainsi Lantier53 voit la Mer de Glace
«se mouvoir, s'élever, s'abaisser, charrier ses blocs, ses
moraines. Des précipices s'ouvrent, d'autres se referment.» Ici
encore la prosopopée coïncide avec les représentations pictu-
rales qui rendent la même idée de chaos monstrueux.
Dans cet espace extrême, l ' homme fait défaut, d'où les
métaphores de l'absence et du désert. Marcel Rouff décrit «une
longue et morne falaise droite, déserte, muette, un mur sans fin
de rochers, ourlé d'énormes gibbosités de gazon brûlé et ras,
coupé de feuilles et qui dévalent vers les solitudes d'une vallée
perdue54 ». Défaut de végétation, de vie, et donc absence de son
également: «Le silence de la haute montagne, ( ... ) c'était
comme si aucune chose n'existait nulle part, de nous à l'autre
bout du monde, de nous jusqu'au fond du ciel. Rien, le néant, le
vide, la perfection du vide; une cessation totale de l'être,
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SCÉNARIOS ET MÉTAPHORES 61

comme si le monde n'était pas créé, ou ne l'était plus55 .»


Ramuz introduit ici l'absence du temps, qui n'est qu'un autre
aspect de l'éternité, déjà observé autrefois par Senancour dans
le val de Chamonix: «Là, dit-il, sur ces monts déserts où le ciel
est plus immense, où l'air est plus fixe, et le temps moins rapi-
de, et la vie plus permanente; là la nature exprime plus élo-
quemment un ordre plus grand, une harmonie plus visible, un
ordre éterneI56 .»
Chaos, absence, éternité, toutes ces images évoquent les
lieux où commence et finit l'espace habité, d'où la figure de la
frontière. Voici Lamartine:
«Il fallait ou passer ou tourner la montagne;
Mais elle s'étendait si loin dans la campagne,
Que sa ligne d'azur, interceptant les cieux,
Leur opposait partout le même obstacle aux yeux 57 .»
La montagne qui ouvre sur l'en-haut, ferme aussi le terri-
toire; du fait de l'altitude, elle se fait muraille:
«Rien ne peut faire sentir le caractère d'interdiction absolue
que présente cette barrière colossale qui réunit la terre au ciel,
et qui, ( ... ) sans faille ni fissure, semble arrêter à son flanc
l'univers 58 .» Pour le Mermoz de Kessel, l'héroïsme prométhéen
consistera à surmonter ce défi majeur. Idée de l'interdit tou-
jours, signifiée par les métaphores du bâti militaire; et les
romanciers de multiplier tours, châteaux forts ou bastions hos-
tiles. Voici La Tournette par exemple imaginée par Theuriet :
«La géante du lac, domine tout le paysage avec ses tours en
ruine et ses formidables épaulements 59 .» Ou encore: «A
gauche, les dents aiguës, les bastions aériens de la Toumette60.»
Mais rien n'est plus social que l'imaginaire de la frontière,
qui divise ceux du territoire et les autres. Ramuz souligne ce
particularisme des hautes vallées:
«C'est qu'il y a ceux qui sont de l'autre côté de la chaîne,
ceux de là-bas, ceux d'au-delà du col, du côté du Nord: alors là-
bas ils parlent une autre langue, ils croient à un autre Dieu61 .»
Barrière construite délibérément par les hommes, car toute
l'expérience historique prouve que rien ne liait plus les habi-
tants des différentes vallées que les crêtes et les hauts cols.
Métaphore de frontière donc.
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62 DES MONTS ET DES MYTHES

Répulsion et phantasmes mortifères

La montagne est le témoin archaïque du sacré; c'est pourquoi


elle tend à être démesurément grossie par les phantasmes de
gigantisation, à la manière du Christ Pantocrator de l'Orient62 ;
figure de l'hyperbole toujours qui caractérise la montagne litté-
raire, telle mont Blanc de Victor Hugo:
«Il nous protège tous et tous il nous dépasse;
Il est l'enchantement splendide de l'espace;

L'immensité le baise et le prend pour amant;

Il est plus haut, plus pur, plus grand que nous ne sommes63 »
Notre poète national se coule ici dans le mythe du géant
chthonien épousant le Ciel.
Le processus de gigantisation se réalise souvent à travers les
métaphores thériomorphes. Henry Bordeaux devine dans le
Granier, «quelque prodigieux lion couché qui relève la tête, un
lion d'une carrure de six mille pieds. Sa crinière est faite d'une
forêt de sapins noirs qui s'arrête à l'encolure car le visage déga-
gé est une muraille perpendiculaire de sept à huit cents
mètres64 .» L'image des grands fauves plaît aux romanciers:
Michel Dentan voit le «Le mont Joly, paresseusement allongé
comme un félin de l'autre côté de la rivière65 .» Le phantasme
thériomorphe éveille la peur de la montagne: en Beaufortin,
«les masses surgissaient, hautes de trois mille mètres, voilées
dans la nuit naissante, ( ... ) et ébauchaient je ne sais quelles
mains monstrueuses, écarquillées, suspendues et prêtes à vous
peser de toute la lourdeur sur le crâne66.»
La gigantisation suscite l'inquiétude le plus souvent et la
répulsion. Un certain nombre de personnalités littéraires ont
pris ainsi à contre-pied les stéréotypes du rousseauisme
ambiant. Chateaubriand donne le ton; comme ses collègues
romantiques, il se fait obligation d'un voyage aux «glacières»,
mais il n'apprécie guère «les grandes draperies des Alpes, ( ... )
qui noircissent tout ce qui les environne». La Mer de Glace lui
apparaît comme «une carrière de chaux et de plâtre» et «les
SCÉNARIOS ET MÉTAPHORES 63
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couches de glace appuyées contre le roc» ressemblent à de


«gros verres de bouteilles67 ».
Le grossissement des parois alpines évoque l'élévation de
murs démesurés, et provoque la claustrophobie. Proal a le senti-
ment pénible d'être «au fond d'un puits que le ciel bouche d'un
bloc sans fissure68 ». Et l'étreinte de ce paysage fermé donne à
Chateaubriand l'impression de suffoquer: «les hautes montagnes
m'étouffent. J'aime à ne pas sentir ma chétive existence si fort
pressée entre ces lourdes masses 69 .» Les hauts versants aussi à
l 'horizon dégagé sont parfois redoutés, même par des familiers
comme Saussure: «le repos et le profond silence de cette vaste
étendue m'inspiraient une sorte de terreur7D». Epouvante secrète
et profonde que Ramuz sait mieux faire partager: «et l'angoisse
se loge dans votre poitrine où il y a comme une main qui se re-
ferme peu à peu autour du cœur71 ».
Les métaphores d'inéluctable muraille et du désert, condui-
sent à l'idée de mort; évocation classique pour la montagne
mythique, qui vient naturellement sous la plume du savant et
mystique Tyndall: «Le monde de la vie va bientôt faire place
au monde de la mort72 .» Et Ramuz compare le ciel à une «dalle
de brouillard» qui recouvre un «pays où règne la mort73 ». Proal
redit ce propos lancinant avec les mots fatalistes des paysans:
«De là-haut ne viennent que des forces de mort: l'avalanche et
la tourmente de neige, la foudre et les COUpS74.»
Les métaphores du funèbre qui enveloppent le paysage al-
pin, s'accordent à merveille avec l'appareil macabre de nombre
de romans de montagne, et la complaisance avec laquelle cer-
tains romanciers racontent les accidents, ou même les assassi-
nats sur les parois et les glaciers75 . Tout se passe comme si la
montagne libérait les phantasmes mortifères dans la littérature
laquelle n'est finalement pas très différente des masS médias
contemporains: eux aussi ont une prédilection morbide pour les
catastrophes et les faits divers alpins.

Eros chez les montagnards

A la répulsion s'oppose évidemment l'attirance. On ne parle


guère d'amour pour la mer, la plaine, ou d'autres lieux géogra-
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DES MONTS ET DES MYTHES

phiques, mais cette métaphore affective est tellement courante


pour la montagne qu'elle est passée dans le sens commun; c'est
d'ailleurs le sentiment le mieux partagé par les écrivains depuis
Rousseau. Amour maternel pour cette source de vie mythique
qu'est la montagne: «Who goes to the hills, goes to his mother»
écrit Rudyard Kipling. Et Frison-Roche songe à cette image
quand il décrit les sentiments du grimpeur: «Oh le doux de la
roche qui l'enserre et le retient C'est comme lorsque tout enfant,
il se réfugiait peureusement contre le sein de sa mère76.»
Mais on ne prête pas suffisamment d'attention à la force du
vocabulaire, lorsqu'on parle d'amour de la montagne; car ce
dont il s'agit c'est de la figure d'Eros et c'est bien ainsi que l'ont
compris nombre de romanciers qui disent l'histoire d'hommes
mystérieusement subjugués. Estaunié étudie l'envoûtement pro-
gressif d'un alpiniste par la Meije: «Jamais il n'avait aimé de la
sorte, avec cette profondeur, ces extases, dans ce silence. Enfin
il avait connu des jalousies d'amant77 .» Et voici ce qu'Henry
Bordeaux dit d'Emile Javelle et sa montagne: «Il l'aima
comme une femme et commença par la regarder longtemps de
loin, avant d'oser l'approcher78 .» Jean Secret se fait théoricien
et considère l'alpinisme comme un désir érotique dérivé79 • Pour
Henry Russel enfin les Pyrénées sont comme des «femmes élé-
gantes». Au sujet du Vignemale, il avoue: «A force d'y vivre,
j'en suis devenu tout-à-fait amoureux», et ajoute avec un
humour tout britannique, qu' «explorer plusieurs montagnes,
c'est de la polygamie80 !»
D'ailleurs les écrivains comparent souvent la découverte
soudaine de la montagne à un «coup de foudre 8!». Expérience
déjà ressentie jadis par le jeune Saussure: «Pour moi, je me
rappelle encore le saisissement que j'éprouvais la première fois
que mes mains touchèrent les rochers du Salève, et que mes
yeux jouirent de ses points de vue82 .» Et certains pensent expli-
citement à l'intimité de l'amour charnel puisqu'aussi bien le
contact de l'alpiniste avec la montagne est une étreinte phy-
sique; celui-ci reconnaîtra sans peine chez Giono des émotions
informulées: «Arrivé en haut ( ... ), il y a, le long de tous les
muscles, la sensation d'un corps immense qu'on a tenu et qui a
été sympathique à tous les plis de votre COrps83.» Marcel Rouff
file la métaphore de façon beaucoup plus systématique:
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SCÉNARIOS ET MÉTAPHORES 65

«Comme son rocher terrible devait être bon et chaud à


étreindre, à violer, à posséder! Quelle volupté sauvage de le
sentir palpiter contre son cœur, de l'enlacer de ses jambes,
d'érafler son denne de granit avec les clous de ses souliers, de
fouiller ses blessures du bout des doigts 84 .»
Poètes et romanciers ont tiré toutes les conséquences rhé-
toriques de ce délire, y compris sociales. En effet, le désir de
l'alpe implique aussi le délaissement des êtres de chair, comme
le constate Aldebert: «lI y a, par le monde, des mâ1es qui lais-
seraient tomber toutes les femelles, et donneraient bien des
femmes pour se coucher sur ce pan de granit et le serrer entre
leurs cuisses dures, comme une belle jambe musclée85 .» Et le
corollaire de cette passion amoureuse pour la montagne est la
misogynie couramment affichée par les auteurs: «La montagne
n'aime pas les femmes 86 .»
Pulsion de mort, ou amour, Eros ou Thanatos, la montagne
suscite à la fois une irrépressible aversion, et une inexplicable
attirance; ce sont les deux sentiments contradictoires tradition-
nellement éprouvés face au sacré. Cela n'est pas pour sur-
prendre puisqu'en tant qu'espace frontière la montagne ouvre
sur l'au-delà. Voilà qui corrobore aussi les deux visions anta-
goniques, l'une péjorative, comme lieu horrible, l'autre lauda-
tive, comme espace désirable.

Métaphores de l'éden et de la géhenne

Par les métaphores du chaos et de la frontière, la montagne


introduit à la fois aux lieux surnaturels, paradisiaques ou infer-
naux, et aux limites extrêmes du temps historique, âge d'or ou
apocalypse.
Amas de glace ou de rocher, gouffres et grottes, autant
d'images du chaos qui évoquent l'enfer. Comme les moines
tibétains, madame de Staël imagine le séjour des damnés dans
la montagne d'hiver: «Comme ils avançaient vers le mont
Cenis, toute la nature semblait prendre un caractère plus ter-
rible; la neige tombait en abondance sur la terre déjà couverte
de neige; on eût dit qu'on entrait dans l'enfer de glace si bien
décrit par Dante87 .» Ramuz nous rappelle que la nature est ici
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66 DES MONTS ET DES MYTHES

au «comble de la violence», au «comble de l'instabilité». «Elle


n'est que ruine et que chutes»; et il conclut que les montagnes
«nous prédisent notre propre fin 88 ». Retour au néant donc qui
suggère l'apocalypse à fois par le tohu-bohu des éléments, et
par la barrière ultime des hautes parois: «vers le fond, c'est une
sorte de fin du monde, les cimes avec leurs neiges et leurs
glaces paraissent infranchissables89 ».
De l'espace extrême la métaphore glisse aux temps derniers;
mais le désordre final n'est pas si différent du chaos primordial,
et de même qu'Eros était suivi par Thanatos comme son
ombre, la montagne apocalyptique cache une vision paradi-
siaque. La littérature renoue avec le mythe de la montagne
source de vie, proche de l'image de la terre-mère. Paul et Vir-
ginie par exemple y trouvent un merveilleux réservoir naturel
qui offre ses ressources à qui veut bien l'habiter90. Et Michelet
imagine les Alpes comme le «château d'eau de l'Europe», d'où
partent les «fleuves immenses» qui lui «versent la vie91 ». La
référence mythique est si forte chez cet auteur qu'il rêve de
faire de la Suisse le Mont Sacré de l'Europe, comparant le
Saint-Gothard qui arrose l'Allemagne, l'Alsace, la Hollande, au
«Mont Sacré de la Perse, qui versait ainsi ses quatre fleuves
aux quatre côtés du monde92». Cumulant les images de source
et de centralité la montagne devient aisément ce que Femandat
appelle le «printemps du monde des poètes93 ».
Exubérance de la vie primitive, qui émerveille Estaunié au
Lautaret: «au-delà de la Romanche, à terre un tapis d'Orient
s'étalait, féerique. L'herbe moirée était constellée de gentianes
bleues, de soldanelles et de pensées. C'était partout des anco-
lies d'or sur un col mince, une frén€sie de plantes, une ivresse
de parfums94 .» Le lion côtoie la gazelle, et Vigny95 évoque
brièvement dans Cinq-Mars, les mœurs des ours et des isards
des Pyrénées. Vision édénique dont Pierre Scize donne un aper-
çu dans les armées trente: «Le Valgaudmar, hier encore était
une de ces oasis alpines, un séjour farouche et préservé, mira-
culeusement sauvé de la gangrène de la civilisation» ( ... ). On y
trouvait une grande exaltation de l'âme troquée contre tout
confort, des nuits divines et de la paille pour dormir», ( ... ) «des
eaux sonnantes et pas de quoi faire sa toilette», ( ... ) la plus
grande affabilité des hôtes, mais l'hospitalité la plus primitive,
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SCÉNARIOS ET MÉTAPHORES 67

l'aspiration vers les cimes et l'emprisonnement dans les fonds


d'une basse vallée96.» Même les géographes sérieux sont mar-
qués par le mythe de l'éden; Jules Blache par exemple, voit
dans la montagne un condensé spatial de toutes les richesses de
l'univers: «Défiant l'espace, la montagne magique, musée de
tous les climats, de tous les arbres, de toutes les herbes, de
toutes les formes de l'activité humaine, évoque le monde entier
dans un coin des Alpes 97 .»
Les métaphores de l'éden et de l'enfer, de l'ordre primordial
et du chaos se superposent. Il y a certes ici une contradiction,
mais c'est justement grâce à celle-ci que l'anthropologie, nous
l'avons vu, donnait du sens à la montagne: le chaos primitif est
paradoxalement le lieu où surgit le paradis terrestre, tandis que
le cataclysme final est aussi le temps de la purification et de la
réorganisation du monde.
Ainsi, par les métaphores littéraires, un discours sur la mon-
tagne s'élabore, qui consiste en autant de marques sur l'espace.
Une logique imaginaire s'en dégage, bâtie sur les oppositions
entre les valeurs antagoniques de la frontière, ouverte ou fer-
mée, ou du chaos, espace de mort ou source de vie, éden ou
géhenne. Cette logique sous-jacente au propos des romanciers
et des poètes est le fidèle décalque de celle de la pensée
archaïque.
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CHAPITRE TROISIÈME

La fabrication du héros . le scénario

Le marquage métaphorique de l'espace conière du sens aux dif-


férents lieux géographiques en les valorisant ou en les dis-
créditant. En outre la logique spatiale des images s'inscrit dans
une histoire, et le discours est toujours structuré en un récit
minimal que l'on peut appréhender concrètement grâce à son
scénario. Cette structure existe aussi bien dans le roman
autochtone ou la poésie, mais c'est dans le récit d'ascension
qu'elle est la plus significative, et c'est donc ce genre littéraire
que nous approfondirons en mettant en évidence ses implica-
tions sociales. Nous nous proposons de montrer que l'un des
objectifs essentiels de la rhétorique du récit d'ascension est de
produire le héros.

Hauts lieux et bas-fonds: le héros se détache

Deux acteurs élémentaires, mais fondamentaux animent le récit


dans la littérature montagnarde: le premier, l'ascensionniste se
constitue en héros en s'opposant au second, la foule. Cette dua-
lité n'est possible que parce que les métaphores littéraires ont
préalablement donné sens au territoire en y inscrivant la dicho-
tomie entre le haut et le bas.
Voici Senancour opposant l'atmosphère corrompue et factice
des bas-fonds, à l'authenticité des hauteurs: «Sur les terres
basses, c'est une nécessité que l'homme naturel soit toujours
altéré en respirant cette atmosphère sociale si épaisse, si orageu-
se, si pleine de fermentations. ( ...) Sur les monts déserts, ( ... ) il
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70 DES MONTS ET DES MYTHES

respire l'air sauvage, loin des émanations sociales98 .» Le héros


de Lamartine quant à lui, voit surtout dans la rude droiture des
hauts lieux, la sécurité: «A l'abri de ces flots, de ces rocs, de ces
neiges», il ne craint «des mortels ni surprise ni pièges99 » ... Par-
fois l'opposition est moins manichéenne: sous le regard aigu de
Giono, c'est la dualité entre travail ingrat d'un côté et richesse
inquiète de l'autre qui s'impose dans les Alpes du Sud: «Il y a à
travers la plaine un grand banc de rochers agglutinés, bosselés
comme du fer battu et aussi durs. Pour les fermes qui y sont
dessus, c'est malgré le travail et la sueur, et malgré les jurons et
les yeux éperdus jetés aux quatre coins du ciel, c'est la pauvreté
et le pain dur, et la vaste table toujours vide, et la femme qui
s'assèche dans son reproche muet. Pour les fermes assises dans
le limon comme des truies dans la boue, c'est la graisse et les
grands pots dans les placards et les pétrins au couvercle en
oblique, et l'inquiétude pour les planches fatiguées des gre-
niers. Dans celles-là les femmes sont ballottantes de chair,
comme construites d'eau 1OO.»
Ces quelques échantillons littéraires prouvent suffisamment
l'antagonisme entre les hauts lieux et les bas-fonds. Certains
écrivains conservent encore la vision chaotique des monts
affreux, mais la plupart depuis Rousseau, valorisent sys-
tématiquement la montagne. Et cette défense de l'alpe com-
mence toujours par une dépréciation de la plaine et des villes.
Barrès reprend à son compte l'opposition mythologique entre le
fleuve et le sommet: il dénonce «la plaine pécheresse», lieu de
la «volupté triste et lascive de l 'Eurotas», qu'il oppose à la
«force et à la grandeur du Taygète 101 ». Senancour encore se
plaint de «l'agitation des vallées où l'homme se consume, sem-
blable à un insecte 102». C'est d'ailleurs la métaphore de la four-
milière qui vient immédiatement à l'esprit de qui gravit la mon-
tagne, et qui conforte le sentiment «monarchique» de
l'ascension; Gervasutti «éprouve une grande commisération
pour les petits hommes qui peinent, enfermés dans la prison
que la société est arrivée à construire contre le ciellibre103 >>. Et
il est difficile à qui revient d'une belle course de renouer avec
la mesquinerie des gens d'en bas: «Les hommes, nous arrivons
d'un autre monde que le leur. Nous en avions oublié
l'espèce 104 .»
SCÉNARIOS ET MÉTAPHORES 71
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Le terrain géographique a été suffisamment travaillé par la


métaphore, pour que l'ascensionniste, opposé à la foule, soit
désormais naturellement perçu comme un héros. L'essentiel des
récits d'ascension est en général construit autour de la promo-
tion du grand homme, soit par lui-même soit par un romancier
biographe. La plus grande partie de la littérature montagnarde
peut d'ailleurs être considérée comme axée sur la fabrication
des héros. Ainsi, dès le XIXe siècle, Alexandre Dumas et Victor
Hugo écrivent chacun une vie de Jacques Balmat. Au XX e ,
d'autres se sont spécialisés dans les hagiographies: Henri de
Segogne publie par exemple un ouvrage de ce type, Les alpi-
nistes célèbres en 1956 105 • Enfin de nombreux articles nécrolo-
giques contribuent aussi à canoniser des héros, en fixant leurs
hauts faits dans la mémoire historique des alpinistes.
La construction des récits d'ascension dans les romans ou
les articles de revue, est échafaudée sur un ensemble d'artifices
littéraires destinés à produire le héros. Avant le départ, on fait
dialoguer le futur ascensionniste avec des habitants du lieu qui
lui déconseillent fortement l'entreprise, ou bien doutent de ses
possibilités. Le narrateur montre ensuite la face à conquérir
sous ses divers aspects, tous plus ou moins terrifiants. Even-
tuellement on rappelle les échecs ou même les tragédies anté-
rieures. Puis toute la narration est rythmée par quelques opposi-
tions, qui sont autant de variations sur la dualité entre le haut et
le bas: plaine débonnaire/montagne rigoureuse, chaleur du
lit/froideur du petit matin, ténèbresllumière ... L'ascension pro-
prement dite est une succession d'étapes obligées, à quelques
variantes près: le départ du refuge à la frontale, le côtoiement
nocturne des gouffres, les labyrinthes, les cheminées, les dévoi-
lements progressifs de la voie, et finalement l'émergence au
sommet dans la pleine lumière. L'art du récit consiste égale-
ment à tenir le lecteur en haleine par les passages clés, qui sont
autant d'événements, attendus ou non, remettant en question
l'issue finale de l'aventure, et contribuant au mérite du héros.
Enfin, quelle que soit la structure précise du récit, l'ascension
consiste toujours à abandonner les «lois d'en bas», pour les
«lois d'en haut 106».
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DES MONTS ET DES MYTHES

Libérer la volonté de puissance

Une fois les deux principaux acteurs mis en place, le scénario


doit préciser la nature de l'action: celle-ci peut être résumée par
le concept de libération. En effet, le marquage symbolique de
l'espace a défini le bas comme haïssable et la civilisation
comme une prison: «Enfin je m'échappais des plaines mono-
tones et surtout de la prison que toute ville est pour moi 107.»
Pour la littérature comme pour la pensée archaïque, le départ en
montagne consiste d'abord à briser les chaînes des contraintes
routinières, à opérer une rupture avec le quotidien. La démarche
physique sur l'espace exprime une action sociale.
La libération peut être prométhéenne. L'élévation corres-
pond alors à l'affranchissement du corps, des manières trop po-
licées de la plaine, de la cuirasse sociale qui entrave gestes et
sentiments dans la société d'en bas. La rupture libère l'individu
en lui permettant de renouer avec les passions brutes des ori-
gines, l'éclatement de tous les sens, «l'ivresse de l'action qui
ne connaît pas d'obstacle» selon les termes de Lammer. En par-
ticulier elle déchaîne la volonté de puissance et l'alpiniste laisse
libre cours à l'instinct d'agression. Ecoutons les confidences de
Comici dans le feu de l'action: «Orgueil intime de se sentir
assez fort pour dominer, tout seul, le vide et le surplomb. Quel-
le volupté! ( ... ) Mais je me battais. C'était bien contre un enne-
mi. OUi 108.»
Le geste ascensionnel est ici valorisé, mais pas la montagne
même, qui dans ce cas de figure peut être combattue comme
territoire à conquérir. Problématique colonisatrice où ce sont les
Monts-Affreux qui motivent l'action du conquérant, en s'offrant
comme terrain de jeu avec la mort. L'ascensionniste éprouve
d'abord le plaisir de frôler le danger et Guido Lammer théorise
longuement cette jouissance exaltée: «Sur les champs de neige,
tu pousses un cri d'allégresse et de confiance en la vie après
avoir nié la vie et la volonté dans la triste plaine.» Il considère
«la douleur elle-même comme une forme particulièrement déli-
cate de volupté. ( ... ) Elle donne des joies insoupçonnables du
pâle jouisseur109.» La familiarité avec la mort va de pair avec
une exaltation du moi. Le danger permet au héros de s'évaluer
et de se grandir, et l'angoisse elle-même est un élément essen-
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SCÉNARIOS ET MÉTAPHORES 73

tiel du jeu. Lionnel Terray implore: «Ne m'enlevez pas ma


peur, et ma lutte héroïque contre elle, car l'existence ne serait
bonne tout au plus qu'à dégoûter de vivre llO .» Le danger fonde
aussi l'esthétique de l'ascension: «La suprême beauté de l'alpi-
nisme vient de la fraternité avec la mort l l l .» Plus profondé-
ment, l'horizon de la mort est nécessaire pour exister, et il parti-
cipe comme tel à la construction de l'identité personnelle. C'est
peut-être pourquoi l'alpinisme prométhéen est une fréquenta-
tion ombrageuse et solitaire.
Parfois l'exaltation du moi se fait pathologique, désir de
réussir à n'importe quel prix. Héritier des idées de Nietzsche, et
des grimpeurs austro-allemands des années trente, le héros de
Saint-Loup par exemple, entreprend l'Olan en solitaire, jeu vio-
lent et terrible, «combat dont on ne sort que par les portes de la
victoire ou de la mort1l2 ». Sentiment d'omnipotence aussi qui
fait s'écrier Guido Lammer: «Chaque fois que j'ai fait une pre-
mière, je me suis dit: te voilà plus fort que la toute-puissance
divine ll3 .» En réalité, cet orgueil blasphématoire est l'expres-
sion paroxystique d'une domination qui n'est autre que celle
des autres hommes. L'américain Ullman constate beaucoup
plus prosaïquement que «les hommes gravissent les montagnes
parce que la plupart ne les gravissent pas 1l4 ». Le goût du pou-
voir commence à s'exprimer d'abord par la distinction. Et
l'ascension est le moyen privilégié de se démarquer, de se
constituer comme élite en se différenciant du commun des mor-
tels. Ainsi se pourrait-il que dans le scénario d'ascension,
l'enjeu majeur de l'action prométhéenne soit la domination.

Sublimation, oubli, extase

Les récits d'ascension cependant privilégient un second type


d'action libératrice encore plus fréquent, non plus agressive
mais contemplative, que l'on peut résumer par le concept de
sublimation. La base géographique de la démarche reste la
même que dans l'action prométhéenne, avec la métaphore litté-
raire de la prison dorée: «Il faut se lever et partir: ( ... ) parce
que cette vie trop facile a trop duré et que j'en ai assez de ma
prison, parce que mon sang est lourd et charrie des désirs mau-
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74 DES MONTS ET DES MYTHES

vais, parce que je suis rassasié des caresses de cette femme qui
m'enchaîne llS .» Délivré de la médiocrité de la vie des plaines
et des villes, l'ascensionniste va troquer la grisaille du quoti-
dien contre la blancheur des cimes. Cependant le scénario
contemplatif se différencie sur deux points; d'abord la mon-
tagne n'est plus agressée, mais sacralisée en une communion
panthéiste avec la nature, et surtout l'action ne consistera plus
en une libération des passions, mais en une délivrance de
l'âme.
L'action spécifique consiste ici à se dégager de la pesanteur.
Elévation icarienne, douce, elle renoue avec l'idée primitive du
voyage de l'âme, thème spirituel qui fournit le plus clair de la
poésie alpine: «Partir donc, franchir le col. En route. Et dès les
premières montées, j'appartiens déjà à ce nouveau monde116.»
En s'élevant, l'ascensionniste se débarrasse des scories et des
dépouilles diverses du vieil homme d'en bas. Confirmant ici
encore la pensée archaïque, l'ascension se révèle démarche
cathartique.
Le grimpeur abandonne d'abord son enveloppe corporelle.
Au contraire de l'alpiniste agressif, il s'affranchit des sens et
des passions: Rousseau note qu' «il y a élévation au-dessus des
sentiments bas et terrestres 117». Libération au profit de l'âme,
légère, et retour sur soi comme le poète au Ventoux: «Je restais
stupéfait, écrit Pétrarque, irrité contre moi-même parce que
j'admirais à ce moment-là des choses de la terre quand, depuis
longtemps déjà, j'aurais dû apprendre des philosophes païens
eux-mêmes, qu'il n'existe rien d'admirable sauf l'âme 1l8 ... »
Quatre siècles plus tard, le savant Saussure fera la même expé-
rience: «l'âme s'élève et les vues de l'esprit semblent grandies
en altitude 1l9.» En répudiant les passions, le héros contemplatif
s'échappe de la temporalité profane pour toucher à l'éternité:
«L'âme semble se rendre indépendante de sa prison et trouver
dans la mort des sens un avant-goût de l'immortalité 12o.»
Abandon du corps au profit de l'esprit, la purification spiri-
tuelle est un processus analogue à la guérison physique laquelle
est évacuation des déchets et des microbes. L'ascension se
donne comme une thérapeutique de l'âme, et les romanciers
établissent sans hésiter des hypothèses hardies sur les
connexions physiques et morales comme le fait Proal: «L' oxy-
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SCÉNARIOS ET MÉTAPHORES 75

gène de l'altitude brûlait les poumons mieux aérés, les scories


mentales, allégeait l'esprit et le cœur comme le sang 121 .»
A ce sujet d'ailleurs, une fonction spécifique de la montagne
littéraire mérite d'être signalée: en soulageant des passions,
elle guérit les chagrins d'amour et même les désespoirs sans
cause dont sont régulièrement victimes les Romantiques. Après
Rousseau, Byron viendra chercher un allégement à sa douleur
ontologique au pied des Alpes. Et c'est un chagrin d'amour,
dit-on, qui conduisit Ramond de Carbonnières aux Pyrénées en
1777. Quelques années plus tard, A. de Sarrasin 122 écrit un
roman dont le scénario est digne d'une aventure post-soixante-
hui tarde : un jeune homme atteint de spleen se rend à
Lauterbrunnen pour y guérir, y devient pâtre, et rencontre l'âme
aimée en gardant ses chèvres ... Certains sites alpestres sont des
remèdes particulièrement prisés: après avoir consolé Lamarti-
ne, le lac du Bourget remplit encore son office auprès d'un
héros de Balzac, dans son roman La peau de chagrin 123 .
«Ce fut là que je démêlai sensiblement dans la pureté de
l'air où je me trouvais, la véritable cause du changement de
mon humeur et du retour de cette paix intérieure que j'avais
perdue depuis si longtemps124.» C'est Rousseau encore qui ré-
vèle le premier cette expérience fondatrice de pacification de
l'âme. Par la montée en altitude, les tensions et les conflits du
quotidien sont réduits à l'échelle microscopique des choses
d'en bas, et progressivement gommés: «Le déchirement du
cœur est adouci et comme attendri par la rêverie contemplative
de la nature 125 .» Ce processus de sublimation par élévation est
le canevas de nombreux romans dont les acteurs sont à la
recherche de la paix intérieure: le héros de Claire Sainte-Soline
qui se réfugie en Grande-Chartreuse après la mort de sa femme,
celui de Marcelle Savoy qui se refait une santé morale sur les
hauteurs de Modane ou encore le médecin de Georges Son-
nier l26 lequel revient exercer sur les contreforts austères de
l'Oisans. Tous romans du XXe siècle, reproduisant les scénarios
classiques du XIXe, si nombreux que Madame de Gauthier
s'étonnait à l'époque «que ces montagnes ne soient pas peu-
plées d'amants trahis et de femmes au désespoir 127 ».
La délivrance des appétits et des attaches terrestres implique
un effort et une ascèse. L'entrée dans la montagne décape les
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DES MONTS ET DES MYTHES

pensées accessoires ou accidentelles pour révéler la vérité


essentielle, laquelle est conquête par delà les apparences trom-
peuses de la vie d'en bas. Et Nietzsche de comparer l'idéal
auquel doit aspirer le philosophe à «l'ascension d'une mon-
tagne où, au contact d'un air pur, sec comme l'air des hauteurs,
toute animalité se spiritualise 128)).
Enfin en s'arrachant à l'agitation et aux tourments du quoti-
dien, l'ascensionniste en arrive à les . rayer totalement de sa
mémoire; une fois de plus une citation du grand ancêtre Jean-
Jacques s'impose ici en dépit de sa banalité: «On oublie tOUD),
«on s'oublie soi-même)), «on ne sait plus où on est 129 .)) Mon-
tagne amnésie et analgésie donc. Mais la fonction de l'ascen-
sion n'est pas que soulager, elle procure aussi du plaisir et
Freud n'interprète-t-il pas le rêve d'envol comme le symbole de
l'orgasme? D'ailleurs les filtres de la sublimation cachent si
mal son origine charnelle que le poète pudique ressent quelque
culpabilité à la reconnaître: «Ah les beaux moments, et l'indi-
cible plaisir! L'oiseau peut-il avoir autant de jouissance? ( ... )
Peut-être dois-je l'avouer à ma honte ... 13o.)) Tout à la fois médi-
cation et plaisir, la montagne est comparable à la drogue. Déri-
vatif, pratique compensatoire, la montée en altitude provoque
une «étrange ivresse, voisine de la folie 131 )) vivement ressentie
par Lionnel Terray: «J'ai maintenant atteint cet état de transe,
cette fureur sacrée qui fait oublier le danger, décuple les forces
et rend possibles les miracles132.)) Plaisir, drogue, transe, tous
éléments rituels qui appartiennent au mystique et conduisent
droit à la contemplation du divin et à l'extase; c'est du moins
ce à quoi prétend le poète: «Montagne terrible et muette, j' ado-
rais l'Invisible seul 133.))

Anges et surhommes

Deux types d'action, prométhéenne et contemplative, sont


apparues dans les scénarios des récits d'ascension; elle vont
permettre de définir deux catégories de héros, l'ange icarien, ou
le surhomme.
On n'a guère de peine à faire voir le côté dominateur du
héros prométhéen. Glorification du corps, son effort laborieux
SCÉNARIOS ET MÉTAPHORES 77
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et agressif laisse des traces sur la montagne; et surtout, la


recherche du pouvoir est hautement revendiquée. Il n'a pas de
compte à rendre à la société, surtout pas aux êtres inférieurs;
«les philistins qui n'ont jamais ressenti les obscures pulsions ne
sont pas qualifiés pour porter un jugement sur une entreprise
dont ils ne comprennent pas les mobiles 134 .» Dans les romans
de Saint-Loup la montagne doit former les «représentants d'une
humanité supérieure», et comme le souligne Gusto Gervasutti,
«la bataille qu'on mène là-haut est un travail digne des vrais
hommes 135 .»
En revanche, il est plus malaisé d'apercevoir la dimension
sociale de la fréquentation contemplative. Au lieu de s'accro-
cher aux parois, le héros se réclame ici du vol magique, tant
dans l'alpinisme que dans le ski, et reproduit la figure ouranien-
ne de l'ange. Certains romanciers, comme Henri Troyat, ont été
frappés par ce rapport éthéré à la montagne: «Parfois en abor-
dant une bosse, elle décollait du sol, avec, au cœur, un pince-
ment d'angoisse et de plaisir. ( ... ) Plus loin, elle volait dans un
infini d'ondulations molles et scintillantes 136.» Avec l'aisance
gracieuse du survol, avec l'ascèse et la contemplation, l'ascen-
sion se présente non plus comme domination mais se fait sou-
mission, et les écrivains se récrient: «Le montagnard n'est pas
orgueilleux, mais il s 'humilie137.»
Cependant la démarche ascétique elle-même est lourde
d'implications sociales, nouveau <<péché de la connaissance» se-
lon Pierre Dalloz; cet auteur nous met sur la piste dans son
célèbre texte, Zénith: «Pour elles (les montagnes), nous dé-
laissâmes les jeux de la jeunesse, nous retranchâmes de nous tout
le sensible et le féminin, décidés à rester forts et intacts, soucieux
de nous préserver de corps et d'âme contre les défaillances de la
chair et contre le commerce des hommes qui avilit. Avec quelle
vigilante jalousie nous fîmes de la dureté notre règle ... 138.» Ces
quelques feuillets sont souvent tenus pour le manifeste de la
jeune génération d'alpinistes parisiens des années vingt, qui se
jetèrent dans l'aventure alpine, venus trop tard pour s'engager
dans la grande guerre. Ils montrent assez que l'ascension
contemplative, sous une forme et avec des sentiments différents,
est mue par le même ressort social que l'agression prométhéen-
ne. Les forts et les purs, qui ont le privilège de participer à ces
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plaisirs ineffables, ont bien conscience d'être retranchés du com-


mun des mortels: ainsi Lucien Devies et son compagnon, en arri-
vant au refuge après une première à l'Olan, ne livrent même pas
«à ceux d'en bas» leur victoire, mais la gardent secrète pour eux,
car, disent-ils, «nous n'étions pas encore redevenus comme les
autres ... pas encore 139 ».
Héros icariens, ils sont aussi séparés, élite retranchée d'avec
le gros du troupeau; non pas tant pour écraser les autres
hommes, que pour s'offrir en sacrifice à leur place. Le scénario
littéraire rejoint ici celui des mythes ou religions qui magnifient
le rôle rédempteur du Juste 140. La structure du récit de Joseph
Peyré, Mal/ory et son dieu est exemplaire: la disparition de l'élu
sur la pente sommitale ressemble étrangement à la crucifixion et
à une remise entre les mains d'un Père mystérieux, l'Everest
L'Agneau sacrifié se situe sans conteste au-dessus de la foule
inculte, pécheresse, incapable de saisir la spiritualité du héros. A
un niveau moins élaboré, d'autres alpinistes contemplatifs seront
l'objet de biographies avec le même type de scénario: Zwingle-
stein raconté par Dieterlen, Hennann Buhl par lui-même ou
encore de temps à autre, quelque moderne grimpeur à mains nues
comme la Californie en a le secret. En somme l'action du deuxiè-
me type, l'ascension contemplative, à côté de sa valeur spirituel-
le, est aussi bien œuvre de distinction sociale.

Montagne éducative: les saints et les braves

Prométhéens ou contemplatifs, mais à quoi servent donc les


héros de la montagne? Poésie et romans alpins baignent dans
une atmosphère profondément morale sur laquelle l'opinion de
l'époque ne s'est pas trompée. Voici un commentaire critique
lors de la parution de Premier de cordée: «Il est rare de trouver
un héros équilibré, robuste, ayant du cœur au ventre, parmi les
théories de petits crevés dont le roman contemporain nous a
inondés 141 .» Ainsi chez Frison-Roche une veine souterraine
réapparaît, qui n'a jamais véritablement déserté la littérature
alpine depuis Rousseau: l'inspiration éducatrice et moralisatri-
ce. Une des fonctions essentielles du héros dans le récit
d'ascension est de servir de modèle éducatif.
SCÉNARIOS ET MÉTAPHORES 79
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Certains ouvrages y font explicitement référence: le livre de


Jules Payot Les Alpes éducatrices, mon Chamonix, en 1935, ou
celui de Pierre Puiseux, Où le père est passé, dans lequel il se
déclare partisan de la transmission de père en fils de l' «éducation
des cimes». Moralisme vilipendé par d'autres: «Je n'aime pas les
montagnes. Les montagnes ont l'air de nous faire la morale 142.»
Gide repoussait en bloc tout ce qui touche aux Alpes comme
relevant de l'éthique helvético-protestante, et Barthes à sa suite
comme «un mixte de naturisme et de puritanisme 143».
L'éducation morale par la montagne, même lorsqu'elle vise
les classes populaires, est toujours fondée sur la problématique
de l'élection. Il s'agit d'opérer une sélection sociale pour for-
mer des élites, processus qui relève de l'initiation. De nom-
breux auteurs, alpinistes ou romanciers, revendiquent d'ailleurs
cette dimension initiatique qui fait l'intérêt essentiel de la pra-
tique alpine; écoutons Gusto Gervasutti: «Cependant nous
sommes quelques-uns à savoir qu'il a existé, et qu'il existe
peut-être encore, un ordre secret de la montagne, ouvert au petit
nombre de ceux qui ont découvert, goûté et reconnu là-haut le
pain de leurs rêves l44 .»
Depuis Rousseau, le modèle du héros alpestre, tient à la fois
du montagnard et du touriste: c'est un homme des villes qui
vient à la montagne. C'est pourquoi les œuvres qui remplissent
le mieux cette fonction éducatrice et morale sont les romans
des années vingt à soixante, dont Frison-Roche fournit les
meilleurs exemples, et qui réalisent la symbiose entre au-
tochtones et alpinistes laquelle passe d'ailleurs souvent par les
guides; ces médiateurs tiennent une place de choix dans les
romans de montagne de cette période 145 • Le guide est le pro-
totype du courage, de la droiture, de l'abnégation; son action
témoigne à la fois du mépris du danger, et de la voie de la vé-
rité. Ainsi représentera-t-il un modèle de redressement moral
face à l'aveulissement des gens des plaines, et il servira de
porte-drapeau aux revendications nationales, allant parfois
jusqu'à la défense de l'Occident! «Nous les alpinistes, nous
sommes les heureux qui avons trouvé et gardons un trésor ( ... ).
L'Europe sera une société de criminels si ne naissent immédia-
tement une nouvelle éthique avec deux soleils étincelants: la
Beauté et l'Héroïsme ( ... ). En apparence nous sommes des
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chevaliers Don Quichotte. En réalité nous sommes les nou-


veaux guides de la nouvelle éthique occidentale l46 .»
Dans l'optique prométhéenne, le réarmement moral est une
forme de la volonté de puissance. C'est pourquoi l'armée reprend
à son compte la fonction éducatrice de la montagne, et promeut
le héros militaire, le brave. Quelques romans sont inspirés de
cette idéologie, développée depuis la fit) du XIXe siècle: Paul et
Victor Margueritte 147 publient le Poste des neiges, où la pratique
alpine apparaît comme un excellente école pour former des sol-
dats. Dans Les deux routes, Casella met en scène un adolescent
transformé progressivement en homme par la montagne: «Sévè-
re et hautaine elle l'avait façonné à son école ( ... ). li évoqua la
famille qu'il lui faudrait défendre ( ... ) et les monts et les plaines
qui sont l'âme et le visage de la patrie148.» Cependant la morale
militaire dérive parfois vers le nationalisme et l'alpinisme cocar-
dier. Sous-jacents à beaucoup de romans de montagne, courent
les thèmes de l'éducation collective et du nationalisme, les ques-
tions de la race et de la guerre. Le modèle du guide héros n'est
donc pas un hasard: le mot se prononce führer, duce ou caudillo
chez nos voisins européens des années quarante.
Dans l'optique contemplative, la régénération morale par la
montagne sera mise au service de l'éducation religieuse. Forme
de sublimation, l'alpinisme est en effet introduction à la spiri-
tualité. Benjamin Vallotton, par exemple 149 , bâtit tout son
roman sur l'opposition entre le salubre et tonique Val de Freis-
sinières et la ville corrompue, cloaque de l'irréligion. Emile
Javelle, le «prêtre de la montagne», dans ses Souvenirs d'un
alpiniste se fixe pour mission de conduire les jeunes gens en
montagne. Paul Guiton explique en effet que l'effort requis,
conduit à l'effacement du moi et à l'abnégation, car ici «le mar-
cheur s'intègre à la nature, s'oublie et se donne 150». En même
temps, la fréquentation de l'alpe a une valeur apologétique, car
elle permet de reconnaître la création dans sa fraîcheur édé-
nique, et donc le créateur. Démonstration vivante de l'existence
de Dieu par conséquent: «Le spectacle sublime des larges hori-
zons élève notre esprit jusqu'à Dieu, auteur et souverain de la
naturel 51.»
Quelques œuvres littéraires mêlent le religieux et le mi-
litaire. Paul Achard 152 dans Le soldat de la neige, exalte le don
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LA MONTAGNE DANS L'ANTHROPOLOGIE

de soi et le goût de l'effort dans une perspective chrétienne:


alliance du «sabre et du goupillon». Dans un registre proche, on
peut ranger aussi la montagne des scouts et des militants. Un
roman de Robert Claude, La lumière de la montagne 153 , raconte
l ' histoire d'un jeune tyrolien de la campagne, franc, sain et
militant, qui, dans le milieu dépravé de Vienne, fonde un grou-
pe de Jécistes. Ainsi la fabrication du héros dans la littérature
montagnarde, et plus précisément le récit d'ascension, prend ici
tout son sens social et politique. Ceux qui sont promus sont les
saints et les braves, modèles offerts aux prêtres et aux soldats ;
en somme, le récit d'ascension se présente comme une moder-
ne promotion de la fonction religieuse et militaire, deux termes
essentiels de l'idéologie de la trifonctionnalité au sens où
Dumézil l' a définie l54 •
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CHAPITRE QUATRIÈME

Le statut imaginaire des autochtones


Les marques sur le territoire ont une fonction distinctive, puis-
qu'elles permettent au récit d'ascension de définir le héros
opposé à la foule d'en bas. Elles contèrent également un statut
aux autochtones dès l'origine. En effet, le roman alpestre met
les montagnards en scène et tente de gérer leurs difficiles rap-
ports avec les visiteurs urbains. Le discours littéraire cherchera
alors soit à magnifier, soit à dénigrer chacun de ces protago-
nistes, en les inscrivant dans une problématique territoriale
grâce aux figures du barbare et du bon sauvage.

Métaphores, métonymies et autres prosopopées ...

Le spectateur de la montagne, nous l'avons vu, est sans cesse


tenté de projeter des images de bêtes sauvages ou de monstres
sur les rochers ou les falaises. Littérature et discours populaire,
grâce à la figure de la prosopopée, font parler et personnalisent
les sommets, comme le montrent l' oronymie, et surtout les
délires des romanciers: pour le héros de Jean Château, la mon-
tagne «était une bonne fille qui s'offrait à lui sans hésiter ( ... ),
qui pour lui se découvrait, se dénudait, riait de toutes ses fos-
settes de ravins, de toutes ses joues d'alpages, de toutes ses
dents de roches 155 ». Mais le processus inverse d'introjection est
aussi remarquable: Taine, en visite aux Pyrénées, note chez les
habitants «leurs os saillants et leurs grands traits tourmentés
comme ceux des montagnes 156» , et Proal conclut: «Le pays fait
l'homme et le commande 157 .» Ainsi le rapport imaginaire de
l'homme à la montagne est-il constitué d'un double mouve-
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ment dialectique de projection et d'introjection. Certains écri-


vains d'ailleurs tentent d'expliquer cette interaction: Georges
Sonnier reconnaît que «ceux de la montagne ( ... ) sont plus durs.
De la dureté de la roche: j'entends par là que pour tenir tête à
leur pays, il faut se mettre à lui ressembler, bon gré mal gré 158 .»
Ces processus psychologiques complexes se traduisent au
plan linguistique et littéraire par les tropes. Grâce à la métapho-
re, corps humain et montagne sont sans cesse mis en analogie.
D'ailleurs la métaphore peut être assez intense pour impliquer
un mimétisme de l'acteur; ainsi l'image de la puissance et de la
permanence de la montagne en arrive à déteindre en entêtement
sur le montagnard: «la force têtue de la montagne qui ne cède
jamais, qui peut avoir l'air d'attendre, mais qui finit toujours
par se déclencher, est devenue chez l'homme de la montagne
cette obstination 159 .»
Mais la métonymie est encore plus efficace au plan littéraire;
avec cette figure, montagne et montagnards sont assimilés rhé-
toriquement comme tout ou partie l'un de l'autre. Ici la dialec-
tique entre l 'homme et le milieu revient en force; tantôt la pro-
jection, la montagne étant le territoire d'expansion de
l'individu, ainsi que l'explique Proal: «Comme sa terre pour le
paysan, la montagne est pour le montagnard une partie de lui-
même. C'est un prolongement de son être l60 .» Tantôt l'introjec-
tion au contraire, la montagne étant inviscérée dans le corps
humain, comme le ressent un personnage de Giono: «Moi, dit
Comand, c'est bien simple, je n'ai pas une odeur d'homme, j'ai
une odeur de montagne. Ma peau sent la montagne 161 .»
Un double résultat naît de cette interaction symbiotique.
D'une part le milieu est humanisé: où que le regard porte, on
reconnaît «un peu de vie, accrochée à force, éperdument collée,
cramponnée à la carcasse de la montagne 162». Il y a objectiva-
tion de la sueur de générations d'hommes et de femmes, de leur
travail investi sur le territoire. D'autre part, le corps est marqué
par le milieu, territorialisation qui définit l'habitant dans sa
chair. Métaphores et métonymies sont la traduction littéraire de
la symbiose entre les hommes et la montagne, processus discur-
sif qui produit la figure imaginaire des montagnards.
SCÉNARIOS ET MÉTAPHORES 85
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Affrontements et réconciliations

Dans cette interaction entre l 'homme et le milieu, la littérature


est amenée à parler du lien social; c'est alors qu'elle va magni-
fier la solidarité ou à l'inverse les batailles prométhéennes dans
la montagne.
La perspective contemplative introduit le plus souvent à la
réconciliation, au moins entre pratiquants ou habitants, et cette
image irénique va de pair avec le mythe de la montagne paradi-
siaque. Il y a oubli des dissensions dont le côté mesquin apparaît
progressivement au fur et à mesure que l'on monte en altitude et
que le monde d'en bas se fait fourmilière microscopique. Mais
surtout la solidarité renaît de la nécessité de s'unir contre les
difficultés du milieu; ainsi la montagne procure la force qui
purifie en obligeant à surmonter les bas instincts. «Lorsque
l'homme s'éloigne des aises et des soins de la vie civilisée, et
affronte la sauvage simplicité de l'alpe, le sens même de la soli-
darité se renouvelle en lui; il abandonne les fictions et les
égoïsmes qui l'ont affaibli et corrompu, il se raffermit dans les
fatigues, se purifie dans le périI 163 .» C'est la même idée qui
incite Marthe Meyer à faire l'éloge du gardien de refuge lequel
accueille aussi bien les contrebandiers que les douaniers, «qui-
conque est mal pris en montagne l64 ».
La camaraderie de la cordée est un des ingrédients du
roman, et Frison-Roche montre à l'envi la solidarité des gens
de la montagne, en particulier lors des sauvetages. Elle s'impo-
se même aux esprits les plus rétifs; Joseph Peyré raconte
l'ascension romancée de l'Everest par un Suisse, un Ecossais et
un Hindou, qui après avoir entretenu des rapports détestables
entre eux, finissent par se réconcilier à cinq mille mètres d'alti-
tude. Mais la vanité des querelles humaines n'apparaît jamais
aussi nettement que dans les romans de guerre 165 , où l'impassi-
bilité de la montagne manifeste l'absurdité des combats.
La réconciliation face aux éléments hostiles conduit im-
manquablement au thème central du discours sur les monta-
gnards: la cohésion de la communauté alpine. Mirage d'une so-
ciété non violente tel que la dépeint André Chamson: «l'ai
autrefois rêvé d'un pays dont la frontière idéale serait tracée à
huit ou neuf cent mètres d'altitude. Discontinu, incapable de
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DES MONTS ET DES MYTHES

menacer ses voisins, voué par sa constitution même à ne jamais


faire de conquêtes, il serait au-dessus du monde, le royaume
des hautes terres l66.» Le relief serait le garant du droit et des
solidarités politiques; éternelle résurgence de l'utopie rous-
seauiste.
Au rêve contemplatif de réconciliation, s'opposent comme
toujours les affrontements prométhéens. La montagne en effet
peut être un stimulant et exacerber les conflits. La lutte contre
le milieu est le prélude au combat contre les autres hommes,
alpinistes concurrents ou nations étrangères. De nombreux
romans illustrent aussi cette tendance, dont ceux de Saint-Loup,
ou de Henri Troyat. Ce n'est plus alors la cordée qui est glori-
fiée, mais le héros solitaire. Ainsi Maurice Constantin-Weyer
met aux prises dans son roman, deux prétendants pour la même
promise qui s'affrontent quasi physiquement, lors d'une ascen-
sion. Joseph Desservetaz noue une intrigue analogue 167 , mais
cette fois avec un sommet himalayen. Outre que la montagne
est ici le symbole de l'enjeu féminin, elle pousse directement à
l'agression.
En somme, l'image de la fréquentation alpine oscille sans
cesse entre les conflits et les réconciliations spectaculaires selon
l'attitude prométhéenne ou contemplative des pratiquants. Par ce
biais, la littérature va conférer un statut positif ou négatif aux
montagnards en général, touristes aussi bien qu'habitants; et
c'est dans l'interaction imaginaire avec le territoire que se nouent
les relations de concorde ou de discorde, que la signification
politique de la montagne et de la pratique alpine prend corps.

Montagnes barbares

La littérature, comme la mythologie, conçoivent volontiers que


l'espace montagnard soit le siège de la communauté primitive.
Sur cette métaphore de base, les écrivains vont greffer l'antique
dichotomie entre le refuge des bons sauvages et le repaire des
barbares; d'un côté la vision contemplative et le modèle de
solidarité pour la plaine; de l'autre l'optique prométhéenne, et
les tribus vouées aux guerres intestines qui appellent l'aména-
gement civilisateur.
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SCÉNARIOS ET MÉTAPHORES 87

«D 'horribles rois sont là, la montagne en est noire.


( ... )
Ils ont de leurs donjons couvert la chaîne entière;
( ... )
Ils sont maîtres des cols et maîtres des sommets 168 .»
Victor Hugo donne le ton, sur le registre romantique. Mais
cette image de la montagne barbare est une idée encore populaire
au XVllIe et XIXe, parfois reprise et intégrée dans les théories
sci~ntifiques de l'époque l69 • Elle survivra dans la littérature, sur
le mode mineur, mais bien présente jusqu'à nos jours. Les
romanciers vont peindre les montagnards en descendants des
hordes des grandes invasions, ou encore des peuplements les plus
primitifs. Ainsi Géniaux phantasme sur les origines pré-romaines
des habitants du Haut-Var et de la Tinée, et croit déceler «des
paysans ligures, crapoussins à face de Mongols et jambes
arquées ... » Plus loin, il décrit une «servante naine, petite Ligure
au large bassin, ( ... ) et face camarde d'un rouge de radis», ou
encore un «jeune Ligure qui ressemblait à un coffre monté sur
bottes 170». De façon beaucoup plus banale, Germaine Acremant
fait descendre les habitants de Tarentaise des Sarrasins, et elle
trouve même que les femmes du pays ont le type 171 ! Pierre Scize
croit découvrir une origine identique l72 pour ceux de la Maurien-
ne. La nécessité littéraire de transformer les autochtones en bar-
bares conduit parfois à des contresens historiques flagrants. Pier-
re Scize toujours, fait des habitants de Saint-Véran, dont on sait
qu'ils se louaient comme instituteurs jadis, des ignares: «Pas de
géographie, fait-il dire au maire, j'ai besoin qu'ils sachent que la
route descend à Château, le col à Saluces en Italie, la traversière
en Ubaye, et c'est tout 173.»
La métaphore de la barbarie s'appuie sur les difficultés
propres aux rapports à la montagne. La littérature s'empare du
thème de la vie précaire, éléments déchaînés, inondations, la-
vanches et autres éboulements catastrophiques. La vie misé-
rable des montagnards est perçue comme un perpétuel combat
contre une montagne dévastatrice. Cette vision de déréliction
s'inspire des plaintes immémoriales des habitants eux-mêmes,
dont le seul discours connu à l'extérieur n'a longtemps été que
la longue doléance vis-à-vis du fisc et des représentants du pou-
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88 DES MONTS ET DES MYTHES

voir. L'un de ces derniers, Carrère, recueille au XVIIIe siècle en


Haut-Dauphiné, une liste de malheurs: «La plupart des terres
sont naturellement maigres, elles sont exposées à être délavées
fréquemment par les débordements des rivières, par la chute
des torrents, par les arrosages souvent répétés 174 ... »
Les romanciers n'ont plus qu'à mettre en forme ce discours
traditionnel. Voici Manabréa devant le tableau pitoyable d'un
village de Savoie: «Environ cent habitants et c'était bien de
trop; ils avaient assez de peine à vivre sur le pays. Le sol de
leurs champs en pente était dur et froid; il fallait que pendant
de rares jours favorables ils le remuent terriblement, femmes,
enfants, tous ensemble pour en tirer le seigle de leur pain 175 .»
Cette logique misérabiliste pousse les écrivains à la caricature
des mœurs: le pain cuit une fois l'an que l'on est obligé de cou-
per l 'hiver à la hache; les morts entreposés sous le toit en atten-
dant le dégel. Sous la plume des littéraires, les montagnards
deviennent des «êtres farouches, hors du temps, une poignée
d'humains vivant l'existence dure et âpre de nos ancêtres 176».
Survivance anachronique des premiers âges, ces hordes sont
perçues comme étant proches de l'existence animale. La quasi-
symbiose avec les animaux domestiques frappe les esprits,
voyageurs et chroniqueurs, comme Dhellancourt: «Les habi-
tants ne brûlent que de la fiente des bestiaux, desséchée. ( ... )
L'hiver ils n'ont d'autres ressources pour se soustraire au froid
que de se réunir dans les écuries ou les étables avec les bes-
tiaux l77 .» Mais ce sont surtout les romanciers qui s'appesantis-
sent sur les images de la bestialité. Voici les habitants de Cha-
monix dépeints par Marcel Rouff: «Pendant l'hiver, les
hommes sont enfermés à mille mètres dans les granges à foin,
et pendant des mois, perdus dans les hautes neiges, ils restent
enfouis avec les vaches dans l'étable du rez-de-chaussée, puan-
te et fienteuse, mais chaude de la chaleur humaine, engourdis,
immobiles, au milieu de l'éternel mouvement de rumina-
tion 178 .» C'est évidemment faire bon marché de la réalité de
Chamonix dans les années trente, et de l'histoire des Alpes en
général qui montre au contraire les habitants d'autrefois se
déplaçant sans cesse l'hiver 179 ; cependant la métaphore des
bêtes sert la thèse de la barbarie, parfois assimilée par les
autochtones eux-mêmes. «On n'avait jamais connu d'autre vie.
SCÉNARIOS ET MÉTAPHORES 89
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Les vieux avaient vécu, nous vivions, on ne savait pas qu'on


vivait comme des bêtes 180.» Mots excessivement durs que
Troyat place dans la bouche naïve du montagnard, mais qui
montre parfaitement comment celui-ci se voit dans le miroir
tendu par l'homme des villes.

Pathologies physiques et sociales

Chateàubriand n'a trouvé dans les «fameux chalets» que «de


méchantes cabanes remplies du fumier des troupeaux, de
l'odeur des fromages et du lait fermenté 181 .» Et l'auteur d'Atala
n'est pas tendre pour Rousseau; il rétablit un tableau réaliste de
la communauté alpine: «On ne croit plus à ces sociétés de ber-
gers qui passent leurs jours dans l'innocence. ( ... ) On sait que
ces honnêtes bergers se font la guerre entre eux pour manger
les moutons de leurs voisins. Leurs grottes ne sont ni tapissées
de vignes, ni embaumées du parfum des fleurs; on y est étouffé
par la fumée et suffoqué par l'odeur des laitages 182.» Chateau-
briand découvrait dans les Alpes, non pas le haut lieu de la
pureté et de la santé, mais une société sous-développée, sordide
et indigente.
En dépit des réminiscences rousseauistes, beaucoup de
voyageurs seront comme lui, ne pouvant s'empêcher de remar-
quer les malades et les infirmes mendiant aux abords de Cha-
monix. Gustave Doré caricaturera les goitreux, et Hugo entre-
prendra une longue méditation sur la singularité d'un crétin
contemplant le mont Blanc. Contrairement à l'idée communé-
ment admise aujourd 'hui, la montagne a longtemps figuré dans
l'imaginaire social comme un lieu pathologique qui engendrait
les déchets de l 'humanité. Alphonse Daudet, qui prend les eaux
à Allevard, comme n'importe quel Monsieur Homais de
l'époque, signale «l'apparition au seuil des maisons misérables,
de quelque horrible crétin mâle ou femelle, étalant un goitre
hideux, une grosse figure hébétée la bouche ouverte et gro-
gnante ... » Rien d'original dans cette description, mais, beau-
coup plus significatif, il y va de son hypothèse sur l'origine du
mal: «Il semble que la Nature soit trop forte ici pour l'homme,
( ... ) que cette eau des cimes le glace, comme ces pauvres
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arbres, qu'on voit pousser, rabougris, entre deux roches 183 .»


Ainsi c'est la proximité du milieu qui fait du montagnard un
individu souffreteux; c'est la métaphore avec la végétation
rachitique qui permet de penser l'interaction négative de
l 'homme et du milieu.
Aux déficiences physiologiques s'ajoute la pathologie so-
ciale. Certains poètes ou romanciers ne voient que les contre-
bandiers, les braconniers, ou les marginaux divers. Dans cette
perspective, bien loin d'être irénique, la montagne est le lieu
des contradictions et des frictions. Les hautes parois résonnent
tout au long de l 'histoire des procès, des batailles rangées et des
meurtres pour s'approprier les alpages. La montagne n'échappe
même pas à la malédiction des classes sociales: Saussure
montre par exemple comment l'apparente égalité de jouissance
des communaux profite aux habitants les plus riches l84 •
Quelques écrits contemporains, moins conformistes que les
autres, font d'ailleurs état de ces conflits internes; Juliette
d'Airel, dans un roman paru juste après guerre, a retracé l'his-
toire d'une institutrice en butte aux sarcasmes des montagnards
dans un village de Savoie 185 , ce qui n'est pas sans rappeler les
rapports parfois orageux entre autochtones et résidents secon-
daires d'aujourd'hui. Plus récemment, dans son auto-
biographie 186, Emilie CarIes n'est pas tendre pour les paysans
de son enfance dans la vallée de la Clarée.
Rivalités de clochers, guerres pichrocholines, nombre de
romanciers soulignent la petitesse d'esprit des montagnards qui
«ne conçoivent rien au-delà de leur horizon étroit 187 ». Et ce
constat conduit naturellement à la légende de l'autarcie: en-
fermés sur des hauts versants, ou dans des fonds de vallée re-
culés, les montagnards auraient vécu jusqu'à nos jours totale-
ment coupés du reste du monde, hors des rapports marchands.
Il s'agit là évidemment d'un travestissement de l'histoire, les
échanges d'hommes, d'idées et de marchandises ayant été au
moins aussi précoces qu'ailleurs en montagne. Si même un
écrivain aussi averti que Ramuz donne dans ce poncif de
l'autarcie 188 , c'est que celle-ci remplit son office dans l'imagi-
naire social: il faut que cette communauté soit véritablement
primitive, donc sans contacts extérieurs, pour servir soit de
repoussoir, soit de modèle à la société urbaine.
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Dans cette optique négative, la pauvreté n'est qu'un misé-


rabilisme: elle ne conduit pas à la liberté, mais au con~e à
l'esclavage du montagnard: «Sa vie en altitude est, à l'origine,
un servage véritable: pour s'affranchir de l'homme, il a troqué
sa servitude contre une autre, ( ... ) et accepté de se plier aux lois
de la nature la plus implacable. Comment s'étonner après cela
que cet être ne lève pas la tête 189 ?» Cette idée vient de loin; dès
la fin du XIXe siècle, certains anthropogéographes, appliquant
mécaniquement les théories de Darwin, fondent l'esprit de ser-
vitude des montagnards sur les lois inexorables du milieu: ainsi
la «morgue flamande» des gens du plat pays viendrait du fait
qu'ils peuvent scruter l'horizon à loisir, tandis que les monta-
gnards qui doivent étudier le sol pour éviter les chutes demeu-
rent tête basse l90 ! La métonymie vient se loger dans le raison-
nement darwinien, et c'est ainsi que l'imaginaire social modèle
même la pensée scientifique.
L'image de la montagne barbare fait le lit de l'aménagement
prométhéen. L'indigence et l'absence d 'hygiène constatées
dans les vallées alpines par les touristes au XIXe siècle donnent
lieu au même discours «socialisant» que le spectacle de la
misère dans les faubourgs prolétariens de l'époque. On retrouve
ce mélange de peur, d'apitoiement et de projets d'assistance
dans les relations de voyage et les récits de course des revues
alpines. Et il apparaît alors naturel de promouvoir l'hygiène, les
méthodes agricoles modernes et l'industrie dans ces commu-
nautés archaïques. Dans ce contexte, les visiteurs aisés auront
bonne conscience de faire de la montagne le «terrain de jeu de
l'Europe» selon l'expression de Leslie Stephen, puisqu'avec le
tourisme, ils apportent l'argent et un mode de vie nouveau.
C'est pourquoi aussi certains écrivains feront l'éloge de l'amé-
nagement prométhéen, inspirés par la houille blanche en parti-
culier; les travaux titanesques de domestication de la mon-
tagne, sont magnifiés et personnifiés par le roman: «Dans un
vallon de montagne, on maçonna un barrage épais dans le lit du
torrent; pris à ce piège, le Doron serait bien obligé de se jeter
dans la gueule noire de cet énorme tube chargé désormais de le
conduire en bas, au lieu du ravin rocheux et sombre, où, depuis
que le monde est monde, il coulait191 .» Autre thème littéraire
prométhéen: la route. Ainsi Emile Thévenet publie en 1937, La
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DES MONTS ET DES MYTHES

202, où il célèbre l'ouverture du col de l'Iseran. Mais il faut


bien admettre que la littérature est peu encline à glorifier
l'industrialisation; elle trouve plutôt son confort dans les rumi-
nations nostalgiques de la tradition.

Communisme édénique

La plupart des romanciers en effet, comme les journalistes ou les


essayistes, sont beaucoup plus à 1'aise avec le discours contem-
platif et nostalgique de la montagne «colonisée», «dénaturée»,
voire «assassinée» par les aménageurs et les promoteurs. Cette
problématique protectrice et rousseauiste s'appuie sur une
métaphore de base: la montagne édénique.
Espace préservé des origines, elle est censée transmettre
jusqu'à nous le paradis primitif; les romans dans la veine de
Rousseau, tels que Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pier-
re, Le Spleen de Adrien de Sarrazin, Le Chalet des Hautes-
Alpes de Madame de Montolieu, sont autant de reproductions
du mythe de l'âge d'or. Nous avons étudié l'imaginaire géogra-
phique de l'éden, mais ce dernier comporte aussi de fortes
implications sociales. Il fait parvenir jusqu'à nous la pureté des
mœurs originelles: Pierre Scize trouve encore intact chez les
habitants de Saint-Véran «le sens d'une grandeur à l'échelle
des monts et d'une pureté comparable à celle des glaciers 192».
Métaphore de la transparence sociale puisée dans les représen-
tations du cristal et de la glace. La communauté archaïque per-
pétue également le lien social solide, dont témoigne la penna-
nence des traditions. Peyré, Proal, Ramuz, Frison-Roche ...
dépeignent à l'envi les fêtes religieuses, les processions, les
nuits de la Saint-Jean, les mariages, les rites mortuaires, les
veillées, la montée à l'alpage ...
Société irénique où les animaux vivent en harmonie avec les
âmes pieuses, comme les avait trouvées saint François de Sales,
lors de sa visite à Chamouny en 1606: «J'ai rencontré Dieu
plein de douceurs et de suavité parmi nos plus hautes et nos
plus âpres montagnes, où beaucoup d'âmes simples l'adoraient
en toute sincérité et vérité, où les chevreuils et les chamois cou-
raient çà et là parmi les effroyables glaces pour annoncer ses
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SCÉNARIOS ET MÉTAPHORES

louanges 193 .» La métaphore de l'éden vaut surtout par la solipa-


rité sans faille qu'elle implique. Pour un poète comme Javelle,
les montagnards forment «une grande famille de travailleurs
heureux» ; il Y règne une «entente et une cordialité qu'on trouve
peu souvent ailleurs», et cela provient de la «bonté naturelle de
leur caractère 194 ». Pour le romancier aussi: madame Georges
Renard dépeint «l'alliance amicale ( ... ) des paysans de Salenfe
qui mettent travail et joie en commun, et où les plaisirs impro-
visés font les heures douces 195 .»
La force du lien social, on le voit d'emblée, apporte le bon-
heur. La vie quotidienne, hors du temps profane, sera une fête
perpétuelle, marquée par le plaisir, comme il paraît naturel à
Lamartine:
«Et pour qui sur ces hauts précipices,
Dieu créa-t-il un jour ce vallon de délices 196 ?»
La béatitude céleste, ne lasse certes pas les bienheureux; le
jardin des délices montagnard en revanche, paraît plutôt morne
et mièvre à la lecture de certains romans: «Le fermier, ses
enfants, et ses domestiques, habillés en bergers galans, servi-
rent eux-mêmes nos amis; et les guides se mirent à danser au
son d'un rebec, sur lequel un paysan suisse jouait l'air si chéri
des Suisses intitulé le Ranz des Vaches 197 .»

Contre les philistins et les aménageurs

Les métaphores de la montagne édénique, bien loin d'être de


simples caprices littéraires, sont le produit d'un désir puissant
de maintenir la société montagnarde en l'état, contre les
atteintes des pollueurs, des industriels, des aménageurs, ou des
vulgaires touristes. Il faut à tout prix préserver le modèle social
de la montagne; c'est pourquoi la métaphore paradisiaque va
de pair avec le discours écologiste.
Romanciers et poètes contemplatifs sont ulcérés de retrouver
les désagréments de la ville en montagne. Rousseau déjà
cherche à s'isoler dans la Robaila, en un lieu dont il se plaisait
à imaginer qu'i! était foulé pour la première fois; quelle n'est
pas sa surprise d'entendre «un certain cliquetis», et d'aperce-
voir «une manufacture de bas 198 » ! Topffer, à la cascade de Pis-
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DES MONTS ET DES MYTHES

sevache, peste contre la présence d'une «scierie, symbole spiri-


tuellement choisi de ce progrès qui assiège tout l99 ». Plus près
de nous, Jean Château est saisi d'une sainte colère lorsqu'au
retour d'une ascension, il entend «un pick-up qui déroule des
voix enrouées2OO ». Imagine-t-on la rage du malheureux avec les
transistors d' aujourd 'hui!
A la fin du XIXe siècle, nombre d'écrivains s'élèvent contre
les aménagements touristiques ou les implantations in-
dustrielles. Daudet ne se prive pas de dauber sur les équipe-
ments de la Suisse, et Béraldi201 déplore l'exploitation effrénée
des Pyrénées, sans espoir d'ailleurs d'y mettre un frein: «C'est
fini» conclut-il nostalgiquement. Mais certains ne se laissent
pas abattre aussi facilement et s'engagent avec passion: Schor-
deret, au début du siècle écrit une pièce en trois actes, Le Cer-
vin se défend pour protester contre le projet de chemin de fer
tandis qu'Elisée Reclus milite contre les funiculaires; quelques
années plus tard, Joseph Peyré, dans Matterhorn, critique Zer-
matt qui exploite tout ce qui touche au Cervin, y compris les
morts et les disparus.
La problématique protectrice est même partie intégrante de
quelques romans, qui mettent en scène des montagnards oppo-
sés à la modernisation. Paul Hervieu dans une nouvelle, Le
chemin de fer à Crans 202 , décrit un homme résistant à l'inva-
sion de l'industrie. Edouard Rod construit un scénario analogue
dans son roman Là-haut203 publié en 1897, tandis qu'Henry
Bordeaux, dans Le barrage, en 1926, insiste sur les maux et les
difficultés apportés par cette construction. Sarnivel enfin, dans
une œuvre plus récente, Le fou d'Edenberg publié en 1967,
romance la résistance des montagnards expropriés par les
promoteurs.
La montagne primitive, qui doit être protégée des ravages de
la modernité, est certes un paradis écologique, une réserve de
faune et de flore, mais surtout un modèle sociologique. Si
Emile Javelle regrette «l'inexorable marée du progrès et des
mœurs modernes», c'est que «les mœurs antiques, les traditions
de simplicité, et trop souvent aussi d 'honnêteté, reculent et
s'évanouissent.» Et notre auteur voudrait arrêter le temps pour
conserver les montagnards tels qu'ils sont, sans les sortir de
«leur atmosphère naturelle» où ils ont «les meilleures condi-
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tions de santé morale et physique204 ». Giono et Ramuz, se raI)-


geront aussi du côté des humbles et des vieux, pour fustiger les
transfonnations industrielles et surtout touristiques de la mon-
tagne. Sous la bannière de l'écologie la préoccupation est
essentiellement morale: la métaphore de l'éden est au service
de l'ordre social.

Catastrophe, ressentiment et apocalypse

La volonté farouche de préserver l'image de la montagne tradi-


tionnelle et édénique est motivée par le désir d'ordre. Motiva-
tion sociale corroborée par tous les phantasmes littéraires nés
de l'imaginaire de la catastrophe.
La montagne en effet, imaginée comme une excroissance
chaotique de l'univers, est le lieu de bouleversements majeurs;
genèse dramatique des territoires ou désorganisation finale sti-
mulent l'imaginaire catastrophiste des poètes comme des géo-
logues: «Une roche après l'autre, muraille après muraille, tout
dévale, tout s'écroule dans l'abîme; et jamais rien ne
remontera205 .» Inéluctable destin de l'entropie géologique!
Charles Lenthéric estime que depuis notre ère moderne, la
seule action des sources thennales a creusé de dangereuses
cavernes sous les montagnes, lesquelles ne «pourront toujours
se maintenir sur des fondations aussi minées» ; elles finiront par
s'effondrer «dans ces abîmes au-dessus desquels elles sont en
quelque sorte suspendues206». Et l'auteur, à l'appui de sa
démonstration, cite les nombreux «monts-pourris» auxquels il
aurait pu ajouter, les «clapiers», les «vaudaines» et autres
«grandes ruines» ... Oronymie populaire qui témoigne d'une
conscience de la montagne précaire, bien loin de l'idée de per-
manence et de solidité. Hantise que l'on retrouve chez la
romancière Gennaine Acremant à propos de Sainte Foy: «La
montagne s'écroule. Déjà le clocher de l'église est tout penché.
Les maisons se lézardent sans cesse. Un jour ou l'autre les
habitants seront avalés par un trou qui s'ouvrira sous leurs
pieds. Il ne sont pas loin de l'endroit où l'on pouvait voir jadis,
un village comme le leur dont il n'y a plus aujourd'hui que
quelques cheminées émergeant du so1207.»
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Mais ce sentiment de la précarité géologique ne serait


qu'une curiosité psychologique sans conséquence, si elle n'était
relayée par une explication sociale plus profonde: en effet,
lorsqu'il y a catastrophe, c'est que la montagne se venge, ce qui
suppose l'existence d'un coupable. Le thème du déboisement
est un bon exemple de cette recherche en culpabilité. Certes la
déforestation fut un véritable problème dans certaines zones de
montagne aux XVIIIe et XIXe siècles et Ramond déjà se plaint
de la «mauvaise administration qui, dans les Pyrénées, détruit
les bois sans les remplacer, multiplie ainsi les calamités
qu'entraînent les débordements et la chute des lavanges,
dépouille la terre de sa parure, repousse au loin, dans les vallées
basses, les troupeaux et les habitations208 .>> L'idée cependant a
été retenue par les forestiers et les intellectuels de l'époque, et
reprise par les romanciers, qui en ont fait un véritable lieu com-
mun. L'imagination romanesque d'Augustin Filon, par
exemple, situe des hameaux abandonnés à un endroit où il
serait totalement impossible d'habiter, sur la pente est du Mou-
cherotte «dont les moutons ont fait un désert209». La légende du
déboisement apparaît ici comme un substitut scientifique de la
catastrophe primitive mythique, qui aurait détruit le paradis
écologique. Cette intégration au mythe fait de ce poncif de la
déforestation plus qu'un préjugé littéraire tenace; elle l'insère
dans un récit et lui donne une dimension sociale en mettant sur
la piste d'un coupable, sinon d'un sujet historique.
D'une manière générale, les romanciers contemplatifs et
protecteurs se présentent comme les apologues du mode de vie
traditionnel. Certains, plus habiles, font parler les habitants
qu'ils ont institués préservateurs des valeurs régénératrices.
Autant ce type de discours fait l'éloge de la solidarité et de
l'aménité entre montagnards, autant il s'élève contre les mœurs
dépravées des habitants des plaines: ainsi Marcel Rouff voit les
«rudes montagnards, encore mal habitués à cette proximité du
snobisme», éprouver un «invincible instinct de répulsion» face
à cette «cohue cosmopolite et élégante», composée d'une «jeu-
nesse légère» et d'une «vieillesse indifférente, toutes deux
obsédées de flirt, de danse et de bridge». L'éloge de la pratique
alpine pure et dure s'accompagne souvent de la misogynie la
plus triviale, et ces défenseurs de la montagne établie s'en pren-
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SCÉNARIOS ET MÉTAPHORES

nent surtout aux «femmes en cheveux, largement décolletées,


brinqueballant des colliers de perles, des boucles d'oreilles
longues comme les stalactites des grottes alpestres210». Ressen-
timent tout à fait explicable pour celui qui est «amoureux» de la
montagne; quoi qu'il en soit, c'est sur les femmes qu'est repor-
tée la vindicte aigre pour cause de montagne dénaturée.
Ces propos des romanciers de début de siècle ne font que
reproduire les railleries ou le mépris à l'égard des touristes d'un
Michelet ou d'un Daudet au XIXe; ils seront renouvelés
constamment dans la littérature - et dans les écrits moins pres-
tigieux - jusqu'à nos jours. Les stations à la mode sont particu-
lièrement maltraitées, mais le tourisme populaire n'échappe pas
à cet opprobre: c'est devenu un lieu commun que de tourner en
dérision les hordes familiales qui s'essaient sur les glaciers en
petites chaussures. Tout se passe comme si le touriste en mon-
tagne ne supportait pas l'image de son double dans la fréquen-
tation de masse; pour lutter contre la dégradation de l'idée
régénératrice que présente ce miroir tendu par l'autre et mainte-
nir l'illusion du héros, il est obligé de renier ces faux frères: il
n'est pire ennemi du touriste que le touriste lui-même.
C'est pourquoi la vénération écologiste de la montagne se
double fréquemment d'une irrésistible envie d'en interdire la
fréquentation au populaire. Guido Rey autrefois suggérait
d' «entourer certaines montagnes de barbelés et de n 'y laisser
monter que les vrais alpinistes 211 ». Parfois quelque romander
laisse déraper sa plume un peu loin: «A cette heure même où
Paris existe, ( ... ) des hommes existent aussi qui ne connaissent
rien de l'horrible médiocrité dans laquelle les civilisations, les
philosophes, les discuteurs et les bavards ont abaissé la vie
humaine. Des hommes sains, propres et forts (durs, purs et sûrs
comme dit l'autre). Ils vivent leur vie d'aventures. Ils connais-
sent seuls la joie du monde et sa tristesse. Et c'est justice.» Et
l'auteur de Chant du monde, en 1934, finit sur ces mots qui
après coup laissent un goût de cendre: «Les hommes véritables
monteront de la mer, du fleuve et de la montagne plus impla-
cables et plus amers que les herbes de l'apocalypse212 .» Ici la
défense de la pureté autochtone se mue en haine de Sodome et
Gomorrhe. La montagne, gardienne des valeurs sûres, est le
lieu où se prépare l'assaut contre le cosmopolitisme des plaines
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et des villes. Sous l'idéologie protectrice et le maintien des tra-


ditions montagnardes, perce la violence parfois mal contenue
de l'exclusion sociale.

La montagne comme modèle politique

Il arrive que la volonté de préserver l'alpe originelle, et la lutte


contre l'aménagement se muent en revendication politique.
C'est que la société montagnarde est un symbole traditionnel de
liberté. Michelet, après Rousseau se fera le chantre de cette
société, dont l'archétype est le modèle suisse, qui séduit pour
avoir su préserver solidarité, égalité et libertés politiques, et
demeurer un refuge de civisme et de démocratie.
Schiller a su mettre en poésie ces vertus politiques dans son
fameux Guillaume Te/P.l3 :
«Walter - Père existe-t-il des pays sans montagnes?
Tell - Lorsqu'on descend de ces hauteurs, lorsqu'on des-
cend toujours en suivant les torrents, on atteint une contrée
plate où les fleuves coulent avec une paisible lenteur; là on
voit librement tout l'horizon, le blé mûrit dans de grandes et
belles plaines et le pays que l'on aperçoit est comme un jar-
din.
Walter - Alors père pourquoi ne descendons-nous pas tout de
suite vers ce beau pays, au lieu de nous inquiéter et de nous
tourmenter ici ?
Tell - Ce pays-là est beau et fertile comme le ciel, ce-
pendant, ceux qui le cultivent ne profitent pas de ses bien-
faits.
Walter - - Ne sont-ils pas libres comme toi sur leur héritage?
Tell - Le champ appartient à l'évêque ou au roi.
Walter - Père, je me sentirais mal à l'aise dans un pays si
vaste, j'aime mieux habiter sous l'avalanche.
Tell - Oui enfant, il vaut mieux avoir dans son dos des
glaciers que des hommes méchants.»
Pauvreté et liberté contre richesse et servitude, opposition
classique qu'un paysan de Benjamin Vallotton résume par le
dicton: «Vante la plaine, tiens-toi à la montagne 214 .» Et qu'un
autre romancier, Giovanni, exprime de façon plus triviale: «Si
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SCÉNARIOS ET MÉTAPHORES 99

dans la société des vallées, il existe mille manières de vivre (à


plat ventre, à genoux, à quatre pattes, mi-tortue, mi-reptile), en
haute montagne, ceux qui vivaient, vivaient debout21S .»
L'alpe édénique préserve aussi le lien social, et la montagne
devient du fait même, un parangon de solidarité. Sans souscrire
à la naïveté des thèses rousseauistes, les écrivains tels que
Saussure, Topffer, Ramuz, Chamson ou Sonnier ont été frappés
par les témoignages concrets d'entraide: répartition des tâches
communales, partage du bois et des alpages, organisation de
l'irrigation ... Il est instructif d'examiner dans le détail comment
les thèmes mythiques de la liberté et de la solidarité prennent
place dans les idéologies politiques contemporaines grâce au
roman. Ainsi on notera les hésitations de Ramuz vis-à-vis du
communisme. D'un côté, l'image d'une montagne rétive à tout
asservissement, et donc à la collectivisation, dans la mesure où
celle-ci est soumission uniforme à l'autorité: «Le communisme
ne veut pas de nous. ( ... ) La plaine, quelle qu'elle soit, est émi-
nemment favorable à la collectivisation de la propriété et du
travail: que va-t-il se passer dans nos montagnes?» D'un autre
côté, la référence à la communauté primitive, qui fait s'interro-
ger Ramuz sur 1'hypothèse inverse quelques pages plus loin: et
si, du fait de la «nivelIation des fortunes» dans nos montagnes,
nous étions «plus communistes que les Russes 216»?
Le rêve des montagnards solidaires, forts et libres, parce que
proches de la nature, autarciques et donc dépourvus de média-
tions marchandes, cet indéracinable rêve se retrouvera sous-
jacent dans le discours d'aménagement des années post-soixan-
te-huit. De nombreux écrits ont relaté les expériences
exemplaires de villages de montagne, offertes en modèles de
développement plus ou moins alternatif, avec la plupart des
ingrédients du mythe. L'un d'entre eux, Bonneval-sur-Arc en
Savoie, fut largement mis à contribution, y compris dans des
revues dites scientifiques217 •
Les romanciers, moins prudents que les scientifiques et les
aménageurs, vont beaucoup plus loin et laissent la bride sur le
cou à l'imaginaire politique. Saint-Loup, par exemple, met en
scène la rupture violente et totale avec la modernité dans La
peau de l'aurochs218 , en 1954: il raconte les aventures d'une
communauté valdôtaine aux prises avec l'industrialisation,
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100

pourchassée, et qui renoue avec les coutumes ancestrales. La


préservation des mœurs originelles se traduit par un régionalis-
me exacerbé et la sécession politique. Le même auteur, dans un
autre roman, imagine une entiré politique composée des
Savoies, du Valais et du Val d'Aoste: «L'unité de nos trois
patries ne peut se faire que dans un souci permanent de pauvre-
té. Alors ressuscitera la beauté des hauts lieux débarrassés des
papiers gras219 .» Mélange d'écologie, de régionalisme, cette
société utopique actualise le grand rêve de Rousseau. On ima-
gine sans peine l'exclusion implacable des capitalistes, des pro-
moteurs, de la faune cosmopolite des touristes et des étrangers;
règnent la pauvreté, la rigueur, la propreté, bref une anticipation
du modèle politique albanais.
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CHAPITRE CINQUIÈME

De la difficulté d'écrire
sur la montagne

Réduite à sa dimension physique ou géographique, la montagne


est une réalité froide et incertaine; elle ne suffit ni à émouvoir ni
à convaincre, et ne peut donc motiver ni les pratiques touristiques
alpines, ni les entreprises aménageuses ou guerrières. Pour cela,
il faut que l'alpe se métamorphose en un lieu de lumière ou de
ténèbres, un paradis primordial ou un enfer, une société barbare à
civiliser ou un modèle politique à imiter, bref, il faut une mon-
tagne imaginée. Et ce sont les mythes archaïques qui fournissent
le matériau pour cette édifice imaginaire.
Dans nos sociétés, cette construction se réalise, entre autres,
par le canal de la littérature qui met en œuvre tout un arsenal
rhétorique: métaphores, métonymies, prosopopées... Ces
figures métabolisent l'imaginaire de l'alpe en structurant socia-
lement le territoire, notamment grâce à la double interaction
projective et introjective qu'elles introduisent dans les rapports
de l'homme à la montagne. Mais c'est surtout en intégrant les
thèmes archaïques dans la trame d'un récit, donc en fabriquant
des scénarios littéraires en particulier par le roman, que la litté-
rature produit des héros et transforme les images archaïques en
une production symbolique, c'est-à-dire socialement et histori-
quement définie. C'est ainsi que le discours des écrivains expri-
me un imaginaire social, qui fait des habitants tantôt des bar-
bares tantôt des bons sauvages. Ce discours est lié à des
pratiques sociales à l'origine de la fréquentation touristique, de
l'aménagement ou du «développement» de la montagne; il a
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102 DES MONTS ET DES MYTHES

été le support enfin de diverses idéologies, voire de projets


politiques concrets.

Fonction initiatique de l'écrit sur la montagne

Pour terminer, nous approfondirons quelque peu le concept de


symbole en essayant de répondre à la question si souvent posée
par les écrivains ou les critiques: pourquoi est-il aussi difficile
d'écrire - bien - sur la montagne?
Difficile de décrire plutôt. En effet nombre de critiques220
s'accordent sur le fait que la littérature alpine est pour le moins
médiocre, excepté quelques noms comme Senancour, Proal,
Giono, ou Ramuz. La plupart des grands de la littérature fran-
çaise, les Romantiques en particulier, en sont absents. Tous ont
pourtant sacrifié rituellement à la visite aux glacières, et en ont
rapporté quelques vers, ou quelque scène alpestre, mais le plus
souvent des descriptions sans intérêt.
Et cependant, Allemands et Britanniques ont produit une lit-
térature alpine reconnue au XIXe siècle, notamment quelques
œuvres poétiques majeures. Mais, aussi bien les exceptions
françaises que les écrivains étrangers ont finalement peu décrit
la montagne elle-même, et de façon toujours indirecte et méta-
phorique; ils l'ont abordée par le biais de la poésie. En somme,
ils ne se sont pas trop attardés sur l'objet alpestre même, mais
sur le référent au-delà de la réalité sensible qu'il évoque.
Non seulement les œuvres littéraires alpines sont souvent
quelconques, mais, nous l'avons vu, elles sont stéréotypées,
répétitives. Le récit d'ascension notamment se perpétue,
immuable, bien qu'on annonce sa mort depuis près d'un siècle.
En 1904 déjà, la revue du Club alpin français croit constater
que le récit de course est périmé, que ce genre littéraire a épuisé
ses possibilités. Le même constat présidera au lancement de la
revue Passage en 1977221 , et pourtant il remplit encore les
revues d'alpinisme aujourd'hui, guère différent dans ses struc-
tures du modèle d'origine. Il faut croire qu'un genre littéraire
qui à la vie aussi dure, doit à d'autres raisons qu'à sa seule
valeur artistique de s'être perpétué, et qu'il répond à des impé-
ratifs idéologiques forts pour survivre ainsi aux condamnations
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SCÉNARIOS ET MÉTAPHORES 103

successives. De fait nous avons vu qu'il remplit une fonction


sociale, en produisant et en entretenant l'imaginaire du héros. Il
s'agit là en effet d'un exercice professionnel, qui tient souvent
de la biographie, ou même de l'hagiographie, nécessaire à
l'alpiniste médiatique d'aujourd'hui. L'ascension pour exister
doit être racontée, et dans le même mouvement avec lequel le
conquérant trace des itinéraires originaux sur les parois, il doit
donner sens par le discours à cette action héroïque. Constate-t-
on un déclin récent du roman de montagne et des collections
alpines des grandes maisons d'édition? Celui-ci provient sans
doute du déplacement du récit vers l'audiovisuel, puisque le
héros désormais est suivi pas à pas dans son ascension par les
caméras et les hélicoptères.
Même si cette littérature est médiocre, elle n'en conserve
pas moins sa fonction sociale puisqu'elle a toujours un lectorat
- ou des spectateurs - qui ne se lassent pas des mêmes hauts
faits cent mille fois racontés. La lecture de ces livres, depuis
deux siècles, tient lieu de découverte initiatique à nombre
d'alpinistes. Ainsi Guido Rey fut séduit par Bourrit comme
Ruskin par Saussure, et Guido Rey lui-même, par son rayon-
nement, influença quantité de jeunes recrues au début du siècle.
Enfin Whymper, Welzenbach, Lammer, Gervasutti, Terray,
Buhl, Bonatti, Messner et bien d'autres firent des livres qui
devinrent en leur temps la bible de générations de grimpeurs 222 •

Ineffable, secret, symbole

Quoi qu'il en soit, cette abondance d'écrits ne facilite en rien la


description littéraire de la montagne. Les pratiquants ressentent
un bien-être sans cause: «A ce niveau d'altitude, l'existence
était belle sans raison. Le bonheur n'avait pas de cause. Tout
était clair et sûr sans qu'il fût possible d'expliquer pourquoi223 .»
Cette incapacité peut provenir du fait, comme le suggère un
grimpeur, que «ce qui caractérise l'état d'âme d'un alpiniste
vers trois ou quatre mille mètres, c'est le vide de la pensée224 .»
Boutade de l'homme d'action plutôt que tentative d'explication.
En réalité, il est d'autres raisons qui font que la parole est si
difficile lorsque l'ascensionniste atteint son but. Le sommet de
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104 DES MONTS ET DES MYTHES

la montagne est le monde de l'absence, du blanc, du silence, ce


que corrobore le caractère taciturne de qui passe pour un véri-
table montagnard. Par ailleurs beaucoup de critiques considè-
rent qu'il n'existe pas d'œuvres marquantes de peintures
alpestres 225 et attribuent cette médiocrité au fait de «l'énormité
du spectacle», qui «écrase ou déconcerte le sentiment de pro-
portion pittoresque» et anéantit «tout désir de création226».
L'aspect grandiose de la montagne, ses formes schizoïdes,
interdiraient la richesse de la représentation picturale, du moins
dans l'art traditionnel, car les tracés géométriques et dépouillés
de l'art moderne seraient mieux adaptés à sa mise en valeur. Ce
qui fait dire à Théophile Gautier: «L'art s'arrête là où la derniè-
re fleur meurt en frissonnant 227 .» Et de fait, pour une Montagne
Sainte-Victoire de Cézanne - qui n'en est d'ailleurs pas une
pour les alpinistes! - on ne compte pas les croûtes du style
pompier! Cette explication n'est toutefois pas totalement satis-
faisante. En effet, comme pour la littérature, on trouve chez les
Anglo-Saxons et les Flamands des œuvres picturales de pre-
mier plan: Bruegel, Friedrich, Turner sont les plus connus.
Si la parole se dérobe à l'alpiniste peintre ou écrivain, ce
n'est pas seulement pour une raison de technique artistique,
c'est aussi que l'artiste est confronté à la rencontre du vide et
de l'absence dont témoigne la montagne et qui doit être si-
gnifiée comme telle, et donc à ce paradoxe qu'il lui faut ex-
primer l'ineffable. «Le montagnard ramène de la montagne
l'impossibilité finale d'exprimer avec des mots
l'inexprimable228 », écrit Marthe Meyer, ce que confirme Roger
Canac : «La montagne et les sentiments qu'elle développe sont
indicibles229 .» Incapacité donc de décrire véritablement ce qui
est, et ce qu'on ressent lors de l'arrivée au sommet. Celle-ci
symbolise en effet, peu ou prou, l'entrée dans le monde divin,
l'extase, or l'on sait que Yahvé déjà ne pouvait être nommé.
L'ineffable serait la trace contemporaine, pas toujours
consciente, de l'immense et terrible confrontation de jadis
avec le sacré. Certains mettent cette impossibilité sur le comp-
te des insuffisances de la langue : Dante, par exemple, affir-
mait qu' «il y a des choses que celui qui revient de là-haut ne
sait pas redire», mais aussi un alpiniste fort peu porté à la mys-
tique comme Alfred Wills: «J'avouerai que les expressions
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SCÉNARIOS ET MÉTAPHORES

admiratives me font défaut pour peindre la magnificence de ce


singulier spectacle230 .»
Quelques écrivains ont une conscience aiguë de cette im-
possibilité, si bien qu'ils tentent de formuler leur sentiment de
façon négative, en proclamant leur refus de tout discours, tel
Michelet par exemple: «Les livres même religieux, mystiques,
sont ici de trop231.» D'autres s'emploient à expliquer longue-
ment qu'ils ne peuvent rien dire, comme Achille Ratti au som-
met du mont Rose: «Je ne tenterai pas un mot pour décrire ce
moment inoubliable et ce que nous vîmes et ressenûmes.» Mais
le paradoxe de l'ineffable est tel que le futur pape ne peut
s'empêcher de poursuivre: «A ceux qui en ont l'expérience, le
souvenir d'instants semblables parle avec une incomparable
éloquence: aux autres, aucune parole ne pourrait suffire et
paraître croyable232.» Ici l'ineffable montre le bout de l'oreille:
ce que l'on croyait pure impossibilité langagière ou mystique
devient sociale. En effet, Senancour précise que l'indicible l'est
seulement lorsqu'il est rapporté à ceux d'en bas: «Je ne saurais
exprimer la permanence des monts dans le langage des
plaines233 .» Autrement dit, les sentiments de l'ascensionniste
sont impossibles à communiquer au vulgaire, et il ne peut que
faire miroiter l'expérience vécue à ce dernier: «La traversée du
mauvais pas fut une des plus belles heures de ma vie et je n'ai
jamais éprouvé une émotion aussi profonde... mais pourquoi
tenter de vous exprimer l'inexprimable: il faut avoir vécu ces
instants pour les comprendre234 .» Ce qui est une manière de se
solidariser avec ses pairs, mais aussi de refuser au non-initié la
possibilité de partager la jouissance de cette connaissance
secrète.
Quelques-uns enfin conviennent qu'il s'agit non seulement
d'une impossibilité, mais d'un refus. Ce que fit Pétrarque au
Ventoux par exemple: «Alors, rassasié du spectacle des mon-
tagnes, je tournais vers moi-même mes regards intérieurs et on
ne m'entendit plus parler235 .» Le moderne Jacques Lagarde est
plus direct: «Il est tout à fait exceptionnel que le véritable alpi-
niste n'ait pas une insurmontable répugnance à s'exprimer236 .»
Les sentiments éprouvés, comme la qualité du paysage, ne
peuvent être compris par le vulgaire. Mystique ou esthétique
suprêmes, elles relèvent de l'ineffable, impossibilité sociale
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106 DES MONTS ET DES MYTHES

plus qu'artistique. En effet, l'ineffable, outre qu'il est pa-


radoxalement un langage, et en particulier celui de la descrip-
tion du divin, est aussi le moyen de parer toute contestation par
les non-initiés, les philistins. On ne peut pas moquer quelque
chose que l'on ne vous décrit pas. Il faut l'expérimenter pour
avoir ce privilège, et l'effort de la fréquentation fonctionnant
comme une initiation, l'impétrant reproduira à son tour le dis-
cours de l'ineffable, hors de portée de ceux d'en bas, prenant
place ainsi dans le petit cercle des élus ...
Que se passe-t-il lorsqu'un ascensionniste naïf se laisse aller
à décrire longuement ses sentiments dans un récit d'ascension
lors de l'arrivée au sommet? D'abord il trahit le secret initia-
tique, perd l'habilitation de ses pairs, et se déconsidère
puisqu'il ne peut être le «véritable alpiniste» tel que le définit
Lagarde. C'est peut-être ainsi qu'il faut comprendre l'ironie qui
accueille l'excès de médiatisation des exploits alpins
aujourd 'hui encore. Mais surtout le charme est rompu, et le
secret, une fois publié, perd toute saveur et tout intérêt comme
ces formules magiques d'autrefois qui paraissent d'une banalité
extrême lorsqu'elles passent dans le domaine public. Ces deux
conséquences ne sont sans doute pas pour rien dans l'inanité
d'innombrables récits d'ascension ou romans de montagne.
En somme le paradoxe de l'expression de l'ineffable conduit
à une difficulté majeure. En effet, il y a nécessité de faire
connaître l'ascension, laquelle ne peut contribuer à la définition
du héros qu'en étant relatée, et c'est pourquoi, malgré l'inef-
fable et tout ce qui en est dit, les alpinistes se racontent beau-
coup. Cependant, le contenu initiatique doit rester secret pour
que le mythe de la montagne continue à fonctionner. Et c'est
pourquoi les écrivains qui ont le sentiment de la platitude du
discours sur la beauté du panorama ou l'intensité du vécu se
livrent avec réticence et renoncent à proclamer autre chose que
l'ineffable.
Dire ou ne pas dire, telle est la question. Et cette contradic-
tion n'est pas propre à l'imaginaire social de la montagne, mais
constitutive du symbole en général. Elle est aussi l'indice que,
malgré sa médiocrité artistique, le discours sur la montagne
produit du symbole véritable, c'est-à-dire encore efficace. En
effet, le symbole répond à la nécessité d'exprimer et de com-
SCÉNARIOS ET MÉTAPHORES 107
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muniquer avec des mots - lorsqu'il s'agit de littérature - mais


en même temps, il est fondé sur un signifié au premier degré
qui devient signifiant lui-même d'un autre signifié au second
degré; le complexe de signification ainsi produit n'est pas
réductible au signe linguistique, et renvoie à un référent tou-
jours au-delà du simple objet désigné, impossible à emprison-
ner dans la langue, à l'ineffable justement. Le symbole traduit
d'abord une absence: c'est au moment où le marcheur n'est
plus là que son empreinte apparaît dans la poussière. Le mot,
selon Hegel, implique le sacrifice de la chose. Et c'est pour-
quoi, grâce à l'ineffable, la montagne physique se mue en signe
symbolique et se dote d'un sens.
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TROISIÈME PARTIE

LA MONTAGNE RÊVÉE
PAR LA PUBLICITÉl
.. .Rêves bleus flottant au-dessus des plaines ...
SAMIVEL

Dans notre société, l'imaginaire est véhiculé par plusieurs


canaux, dont chacun est porteur d'une influence spécifique.
Ainsi, la littérature engendre une fabuleuse constellation
d'images, extrêmement élaborées et longuement explicitées au
long de milliers de pages, grâce aux subtilités rhétoriques de la
langue. Cependant il est un autre support médiatique, la pu-
blicité, qui habille la montagne d'images plus concrètes mais
aussi plus sommaires et plus floues, images qui agissent quasi-
ment comme des «flashes» au niveau infralinguistique2 •
Pourquoi étudier la publicité? D'abord elle transporte des
représentations dont l'influence est beaucoup plus massive que
celle de la littérature. Mais surtout, l'imaginaire publicitaire
projette en condensé le sens qui «colle» sans doute le mieux
aux pratiques sociales actuelles. En effet, parole marchande,
payante, la publicité doit impérieusement être efficace et
contemporaine, faute de quoi elle perdrait ses commanditaires.
Cette troisième partie s'inscrit dans la même problématique
que les précédentes, avec un double objectif toutefois. Le pre-
mier consistera à explorer la galaxie publicitaire pour montrer
comment le sens vient à la montagne, et par là même comment
110 DES MONTS ET DES MYTHES
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naissent les motivations pour les pratiques alpines. Parallèle-


ment un second objectif sera poursuivi, l'approfondissement
théorique de l'imaginaire social.
La méthode mise en œuvre ici consistera en une analyse
qualitative de contenu de l'image. Pour ce qui concerne le ma-
tériau utilisé, nous avons sélectionné uniquement des publicités
issues des médias grand public, et parues depuis 1970 sauf
exception. Nous avons éliminé celles qui sont promues par les
stations elles-mêmes ou dans les revues alpines, car beaucoup
trop conscientes, et trop étroitement ciblées; élaborées pour des
lecteurs qui connaissent déjà le milieu, elles spéficient l'image
d'une station ou d'un produit, plutôt qu'elles ne proposent une
image de la montagne. La liste des encarts publicitaires du cor-
pus figure en annexe de l'ouvrage.
Pour comprendre la démarche suivie ici, il convient de se
livrer à une analyse sommaire de l'image, en se fondant sur ses
caractéristiques élémentaires. La publicité en effet, comme
beaucoup d'autres représentations imagées, fonctionne avec
deux degrés de signification. Le premier, explicite, met en
avant un produit à vendre, avec une accroche, phrase courte et
incisive qui oriente immédiatement le sens global de l'encart.
Une publicité pour l'eau minérale par exemple proclamera :
«Donnez-lui beaucoup d'Evian» [Image nO 16)3. Le second
degré est implicite, infralinguistique, il mobilise l'image elle-
même en tant que symbole. Ainsi, ce même encart montrera
une mère avec son bébé sur un fond de montagnes neigeuses. Il
indiquera ainsi que l'eau minérale en question provient d'un
lieu pur et frais, qualités hautement souhaitables pour un tel
produit; mais il le signifiera concrètement, sans le secours de la
langue, de façon indirecte, par un raisonnement non formel.
Cette structure de l'image à deux «étages» de signification
n'est pas sans conséquences sur la méthode. Ainsi convient-il
de différencier deux types de publicités: l'une qui vend la mon-
tagne, directement, et l'autre qui vend n'importe quel produit, à
l'aide de l'image de la montagne.
La première propose la montagne au premier degré de signi-
fication, et la plupart du temps, ce type de publicité consiste à
vendre des séjours ou des objets touristiques. On pourrait croire
qu'elle serait la mieux appropriée pour étudier l'imaginaire
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LA MONTAGNE R~VÉE PAR LA PUBLICITÉ 111

alpin, et surtout la motivation des pratiques alpines. li n'en est


rien. Image artificielle, préfabriquée, elle relève d'une neutre et
sympathique banalité; au mieux elle manipule le calembour ou
le jeu de mots. Mais elle est beaucoup trop explicite, volontai-
rement orientée, et consciemment travaillée dans les officines,
pour donner autre chose qu'une version suspecte de l'image.
En revanche, la publicité qui vend non plus du tourisme en
montagne, mais quantité d'autres produits a priori sans rapport
avec elle, est extrêmement intéressante, car elle met en jeu le
second degré de signification; ici l'argumentaire vise un autre
objectif que la montagne, et s'appuie donc sur des images
alpines qui vont nécessairement de soi, puisqu'elles doivent
être comprises par tous, sans le secours de la langue. Images
plus générales, plus fortes aussi, car intelligibles et admises
comme «naturelles» par tout un chacun.
C'est par là que, dans un premier chapitre, nous commence-
rons à saisir, indirectement, les rapports à la montagne; à ce
niveau du non-dit, beaucoup plus efficace pour restituer la co-
hérence de l'imaginaire social, nous découvrirons comment les
images de la montagne s'organisent en constellations séman-
tiques. En même temps nous verrons se mettre en place une lo-
gique de ces images, qui donne sens à cet espace particulier sur
le territoire.
Dans un deuxième chapitre, tout en restant au second degré
de signification, nous montrerons comment la logique des
images donne sens, non seulement à l'espace, mais aux pra-
tiques alpines qui s'y développent; ainsi sera dévoilé le ressort
caché qui anime les rapports à la montagne, à travers différents
objets de consommation, qui témoignent d'une prédilection
pour la santé, ou la technique. Ici nous découvrirons le méca-
nisme de la motivation du signe symbolique.
Enfin dans un troisième chapitre, nous traiterons du premier
degré de signification, plus évident, et nous verrons comment le
mythe «éternel» est actualisé aujourd 'hui; nous ferons des
hypothèses en particulier sur les mobiles qui font courir les tou-
ristes sur les sommets, eux qui sont une des cibles principales
visées par cette publicité alpine. Cette étude nous conduira à la
théorie de l'actualisation historique du symbole, avec l'articula-
tion de deux degrés de signification de l'image.
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CHAPITRE PREMIER

La logique des images


de la montagne
Chaque encart publicitaire comporte donc un niveau infra-
linguistique, fondé sur la signification «naturelle» - ou plus
précisément motivée - de l'image. Or celle-ci n'est pas livrée
au désordre, en dépit de la réputation de celle que les philo-
sophes ont appelée la «folle du logis». Au contraire, l'étude
permettra de dégager une logique des images qui se love, sans
difficulté, dans les schèmes symboliques que véhiculent mythes
archaïques ou littérature.

L'altitude schizoïde

Voici une première image, célèbre par sa large diffusion au début


des années quatre-vingt: Evian l'eau de là-haut. [Image nO 1]
Le sommet englacé d'une montagne jaillit de la mer de
nuages: l'alpiniste chamoniard y reconnaîtra sans peine
l'aiguille du Chardonnet. Simple et parfaite reproduction pho-
tographique à propos de laquelle il n'y aurait rien à dire que
d'objectif? Pas du tout. Nous pressentons au contraire que cette
seule publicité, en dépit de son apparence d'exactitude, contient
déjà un discours complet sur la montagne.
De fait, l'image ne reflète pas exactement l'aiguille du Char-
donnet, mais celle-ci a été étirée dans le sens de la hauteur,
pour faire plus élancé. Les photographes ne sont pas plus ob-
jectifs que les anciens peintres de la montagne qui aiguisaient
et recourbaient les sommets pour les rendre plus agressifs.
Cette déformation optique, somme toute mineure de la pho-
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114 DES MONTS ET DES MYTHES

tographie, s'inscrit dans une logique de représentation; logique


implicite certes, mais la description détaillée de cette image va
dévoiler sa cohérence cachée, et la «philosophie» sous-jacente
de cette représentation. Enumérons-en les caractères essentiels:
- dominance de la couleur bleue, qui est aussi celle du ciel.
Même la neige et le rocher sont imprégnés de tons bleutés;
- dominance de la lumière; toute l'image est fortement
éclairée;
- simplicité des formes: très peu de choses représentées,
quasi-absence d'objets, limpidité du ciel, uniformité de la mer
de nuages, unicité du triangle sommital... ;
- netteté des contours: pas de flou, ni d'approximation.
C'est la vue qui est privilégiée par les publicités sur la mon-
tagne dont nous verrons par ailleurs, qu'elle sert de faire-valoir
pour vendre des pellicules ou des appareils photographiques;
- aspect géométrique, angulaire: lignes brisées, angles vifs,
pas de courbes, apparence squelettique de la représentation.
Absence de rondeurs, de galbes ...
En conséquence deux impressions se dégagent ici : la pureté,
signifiée par la blancheur, la netteté, l'aspect sans bavures et
sans scories ... Rarement le poncif de «cime inviolée» aura été
mieux mérité. Ensuite la dureté: les angles vifs en témoignent,
ainsi que la froideur du bleu.
Ces propriétés ne sont pas propres à cette image, bien que
celle-ci ait été choisie pour son caractère exemplaire, mais elles
sont statistiquement repérables dans la majorité des publicités
sur la montagne. Elles ne sont pas dues au hasard, mais se
constituent en traits distinctifs d'un régime de l'imaginaire spé-
cifique, que nous résumerons sous l'appellation de régime diur-
ne ou schizoïde4 •
Remarquons enfin que les traits distinctifs de l'image de
montagne, qui impliquent la clarté, la dureté, la précision, sont
les mêmes que pour l'image de la techniqueS. C'est sans doute
pourquoi la montagne est si souvent utilisée pour vendre des
produits de haute technologie, même sans lien apparent avec
elle: ainsi un annonceur, Gould Electronique, met en scène
deux cadres, lors d'une randonnée à skis devant le Cervin,
devisant sur la rigueur des normes de leur produit!
LA MONTAGNE R~VÉE PAR LA PUBLICITÉ 115
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Le vertical idéalisé

Ebauchons une interprétation en nous laissant porter par la


logique de ce système d'images. En effet, par leur seule des-
cription, elles s'insèrent dans un type de discours séculaire, le
même que celui des mythes, et vont faire surgir une gerbe de
correspondances symboliques.
Ce pic, mis en publicité par Evian, est une montagne cen-
trale, à la manière de tous ces sommets auxquels se sont iden-
tifiés les peuples autrefois, comme le Sinaï de Moïse, ou
l'Olympe des Grecs. En cela, elle est immédiatement valorisée
comme point nodal du territoire, réminiscence du lieu saint par
excellence, celui justement où l'on édifie les temples. Pourquoi
cette analogie de la montagne avec le sacré? Quoique so-
lidement ancré dans la terre, le pic traverse les nuages, et
touche le ciel: il permet de communiquer avec l'en-haut, lieu
de passage vers le paradis et la demeure des dieux. Triangle,
forme divine, le pic participe enfin à la mystique du nombre
trois, symbole de la totalité; à ce titre il est lui-même une méta-
phore du divin.
Laissons courir encore l'imagination jusqu'à la psychanalyse,
et nous découvrons sans trop de peine les résonances phalliques
de cette pointe dressée, saillie perçant la couche nuageuse.
D'ailleurs, c'est un lieu commun que de situer le plaisir
d'amour dans les couches supérieures de la stratosphère, ce que
corrobore l'expression populaire «s'envoyer en l'air». Dans
plusieurs religions, le paradis est plein de connotations
sexuelles, et la publicité joue sans vergogne sur ces métaphores
rebattues; ainsi Air Canada attire le chaland avec une accroche
intitulée «Septième ciel», sous des images de montagnes vues
d'avion.
En somme la simple représentation de la verticalité, virile,
est immédiatement une valorisation de ce qui est élevé par rap-
port à l'en-bas; en tant que résultat d'un geste vers le haut, de
l'élévation, la moindre éminence géographique s'inscrit dans
un réseau de significations, qui lui donne un sens positif sur le
territoire. C'est pourquoi la montagne, en tant que sommet, va
connoter favorablement tout ce qu'on lui fera symboliser; et
l'altitude en particulier va signifier l'excellence technique; un
116 DES MONTS ET DES MYTHES
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annonceur dans le domaine de l'équipement pour l'habitat,


Technibel, se proclame «Le sommet de la climatisation», au-
dessus de pointes enneigées dans un ciel d'azur.
Ainsi, la seule représentation des traits distinctifs de l'image
de montagne lui donne un sens, en valorisant de façon quasi
immédiate la verticalité. Cette valorisation s'enracine dans les
analogies avec le corps ou les connotations paradisiaques de la
voûte céleste, mais ce ne sont pas là des raisons suffisantes pour
rendre compte du côté «naturellement» positif du vertical. li faut
en chercher les causes dans les relations de la montagne avec les
autres parties du territoire, plaine, souterrains, périphérie ...

Montagne noire ou rouge de l'enfer

C'était le sommet, côté convexe. Pourtant la montagne peut


être regardée de son côté concave, intérieur, et nous découvri-
rons alors non pas la pointe, mais le creux ou la grotte, non pas
l'altitude, mais la profondeur. Le réseau de significations po-
sitives engendre son double virtuel, négatif.
Quelques images publicitaires s'appuient sur cette percep-
tion de la montagne défavorable. V élosolex par exemple,
[Image n° 2] construit toute son argumentation autour de la
vision romantique de la montagne: tours crénelées du château
sur le sommet; non plus éclat solaire dans l'azur, mais lueurs
blafardes de la lune à travers les nuées, juste suffisante pour
découper la dentelle noire des crêtes, surplombant des abîmes ...
Et un individu à cape noire, sur son Vélosolex noir: «Le noir
c'est triste, c'est ça qui est drôle».
Certes le libellé de l'accroche confirme que cette montagne
sinistre est à prendre avec humour, mais tous les ingrédients du
régime nocturne de l'imaginaire sont ici présents: une recen-
sion précise montre une opposition point par point aux traits
distinctifs mis en évidence précédemment: noir plutôt que
blanc, sombre et non pas clair, flou et non pas net... bien que
l'on retrouve les lignes géométrisées de la montagne schizoïde.
La démarche est fondamentalement la même, puisque l'altitude
est là aussi espace étrange, aux marges du territoire, propice au
surnaturel; non pas cependant voué aux êtres divins de pleine
LA MONTAGNE RaYÉE PAR LA PUBLICITÉ 117
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lumière, mais aux créatures de ténèbres. Non plus dépaysement


paradisiaque, mais frisson provoqué par l'évocation de Lucifer.
Ce jeu publicitaire sur les plaisirs paradisiaques ou le délicieux
effroi suscité par les puissances infernales, reprend sans le
savoir les thèmes anthropologiques les plus anciens des mythes
de la montagne, tantôt édénique, tantôt infernale.
Le pic central et sacré, éminence capitale sur le territoire,
était l'analogue géographique de la têt~, ou du sexe dressé, par-
ties nobles du corps. La montagne noire, qui ouvre sur le monde
souterrain, évoque les zones corporelles viles. Une publicité
pour Montadent en donne un bel exemple; entre les gencives
roses et une rangée de dents blanches, le tartre, en surimpres-
sion, s'accumule comme une chaîne de montagne noire, et, nous
dit-on, dangereuse: «Faites quelque chose contre le tartre, avant
qu'il ne vous en fasse une montagne» [Image nO 3]. Montagnes
de crasse, pelves, tas, dépattures ou défécations comme en
abandonnait de temps à autre le géant Gargantua sur le paysage
de nos ancêtres 6 .
A la composante ouranienne de la montagne s'oppose donc
l'élément tellurique. Ce dernier est mis à profit pour renforcer
la valeur technique des produits. Voici l'argumentaire d'une
publicité pour Orient Watch: une sorcière sur un sommet, en
son Sabbat, et en pleine alchimie [Image nO 37]. Le feu, puis-
sance des forces chthoniennes, luit sous son chaudron. Ici s'éla-
borent les secrets de la mécanique horlogère dont témoignent,
au premier plan, les deux montres exposées sur la roche brute;
celle-ci est une lave volcanique, pleine et ronde, et non plus
squelettique et schizoïde. Réminiscences d'Héphaïstos dans son
antre. Eminence noire, point par point opposée au sommet
lumineux, et pourtant c'est encore la montagne: même virant
au gris, la dominante bleue demeure. La lave volcanique,
contient la puissance incluse du chaos en fusion, mais refroidi,
dompté par la durée: c'est pourquoi les annonceurs de l'horlo-
gerie ont une prédilection pour les images de roches, symboles
géologiques des temps infinis.
La publicité nous emmène jusqu'au cœur de l'enfer où se
forge la technicité. Voici Schott, qui signe «N° 1 européen des
verres spéciaux» et intitule son encart «Duel à lOOO°C»: deux
bras cuirassés exposent des morceaux de verre, au-dessus d'un
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torrent de laves incandescentes, [Image nO 4] issues d'une mon-


tagne volcanique bleutée. Et voici Rover, qui présente sa «Série
2000 16 soupapes» au design rigoureux, dans un désert brûlé et
caillouteux, devant un paysage de montagnes rougies par le
soleil; ou encore Peugeot qui vend sa 309, [Image n° 5] avec la
même mise en scène dans une poussière de feu. Métal 5, pro-
duit d'entretien des moteurs, use encore du même procédé: un
flacon géant du remétallisant gît au travers d'une route béton-
née quelque part dans le désert, sur fond de montagnes embra-
sées. L'argument majeur est ici la solidité et la fiabilité.
Ainsi aux lignes pures de la montagne ouranienne, s'oppose
le chaos d'une montagne terrible, celle des gouffres telluriques
et du feu. De ces Monts-Affreux, la publicité fait le creuset
infernal des technologies.

Montagne périphérique

Le sommet évoque l'ascension, l'abîme implique la descente et


chaque particularité géographique a sa réplique dans ce mi-
crocosme qu'est le corps. Au geste de montrer et d'étendre le
bras correspondent la périphérie, les marges du territoire, lignes
bleues sur l'horizon: ici aussi se dressent des montagnes, chao-
tiques, lointaines, à coloniser.
Les premiers alpinistes furent jadis des explorateurs. Coolidge
et Mummery sont les dignes émules de Stanley et autres Brazza:
aux uns les jungles d'Afrique, aux autres les glacières de Suisse
et de Savoie. C'est pourquoi aujourd'hui le pratiquant alpin
reste un brin colonial: 33 Export met en scène ce type d'alpinis-
te harnaché de cordes et bardé de quincaillerie, [Image n° 6] en
pleine action dans un milieu hostile. Mac Douglas propose man-
teaux et sacs de daim sur fond de montagnes nordiques. Espace
sauvage, froid, dont l'âpreté a imprégné les fourrures et les
peaux, lesquelles acquièrent ainsi par métonymie une capacité
défensive, et se muent en vêtures protectrices. Plus prosaïque-
ment, Les 3 Suisses mettent en scène [Image nO 7] un jeune
enfant cramponné à la perche du remonte-pente qui le traîne: la
dureté des conditions montagnardes est un gage de solidité pour
sa combinaison de ski.
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LA MONTAGNE R~YÉE PAR LA PUBLICI1É 119

Mais la technologie automobile, s'empare également du


thème de la montagne périphérique. Renault expose ses Jeep
américaines dans l'ambiance noire d'une forêt alpine: «par
monts et par vaux», «avec sa solide réputation d'aventurière»,
«puissante, [Image n° 8] elle ne craint pas les terrains acciden-
tés». Ou encore dans la blancheur hivernale des pentes nei-
geuses: sa «rage de vaincre», son «esprit fougueux», la pous-
sent à «sortir des sentiers battus» et à «affronter les contrées les
plus sauvages». La montagne par sa rudesse supposée, loin du
territoire central permet de sélectionner les produits technique-
ment valables. Cela explique sans doute pourquoi les construc-
teurs présentent si souvent leur voiture dans les montagnes nei-
geuses ou fangeuses: l'image publicitaire a la même fonction
de test que les routes sinueuses des rallyes. Moins banal, Nis-
san exploite le même jeu scénique mais avec une montagne
blanche et cotonneuse, [Image nO 9] et il ajoute un rien d'étran-
ge en opposant sa voiture 4 x 4 à une immense et malfaisante
fée surgissant des tours crénelées de la montagne: «Rien ne
peut arrêter la Prairie, pas même une abominable tempête de
neige». Version modernisée de la mort blanche.
L'avilissement de la montagne comme espace périphérique
contribue à valoriser par contrecoup l'espace central habité. Un
encart pour Johnnie Walker tire parti de cette opposition: «Le
jour s'éloigne, Johnnie Walker approche». Les collines noires au-
dessus du lac, zone de mystère vaguement menaçante sinon dan-
gereuse, sont délaissées au profit de la chaleur douce et de la
lumière rassurante d'une maison éclairée à la nuit tombante.
L'antinomie entre montagne hostile et havre de civilisation est
fréquente: voici une publicité pour Hilton. L'image est occupée
par une immense montagne glacée, froide à «couper le souffle»,
et deux minuscules individus se rapprochent de l'hélicoptère qui
les reconduira à l'hôtel, «douce perspective» après «la difficile
mission qui les avait conduits jusqu'ici» [Image nO 18].
La rudesse de la colonisation est parfois compensée par le
charme de l'exotisme, et la sauvagerie de la montagne est eu-
phémisée en un lieu d'évasion excentrique. Le whisky J&B
présente un tableau insolite: un couple en tenue de soirée, est
assis sur le toit d'un train [Image nO 10] qui se dirige vers des
sommets enneigés dans le crépuscule avec cette invite festive:
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«Ne rentrez pas chez vous ce soir.» Le même annonceur récidi-


ve dans un autre encart en montrant deux explorateurs au repos
près d'une tente, dans la savane rougie par le couchant, au pied
du Kilimandjaro. Mise en scène analogue aux célèbres publici-
tés pour Marlboro: le pionnier goûte la cigarette du soir près du
brasier, [Image nO Il] et son rêve se perd dans les ronds de
fumée avec en toile de fond les nuées qui enflamment les pre-
miers sommets des Rocheuses.
Image teintée de nostalgie coloniale qui ramène au sens pro-
fond de la montagne périphérique, espace à civiliser. Bien qu'il
n'y soit jamais question directement de tourisme, nous retrou-
vons cependant ici le fondement de la fréquentation promé-
théenne. Exploration et colonisation du territoire en arrière-
fond, non pas revendiquées, mais inscrites dans le réseau
sémantique au second degré, ce qui impose cette signification
comme allant de soi.

La montagne réserve et capital

Ouranienne et lumineuse, noire et chthonienne, lointaine et


indécise, tels sont les traits géographiques polymorphes de
l'image de la montagne. L'inventaire serait incomplet si l'on ne
précisait que ceux-ci résultent d'une histoire. Les mythes ensei-
gnent que le monde créé provient d'un tertre primitif émergeant
des eaux, et inversement, la fin du monde est souvent située sur
un sommet élevé, cime échappant au déluge quelquefois, en
tout cas lieu privilégié pour joindre l'au-delà.
Espace préservé des origines, les montagnes sont au-
jourd'hui encore, considérées comme des sources d'eau, d'air
pur et de chlorophylle, de main-d'œuvre... Montagne recours,
réserve et capital en somme. Voici une banque, le CCF, qui pré-
sente un gigantesque barrage au milieu d'un cirque de mon-
tagnes, avec en sous-titre cette accroche: «Nos actions en
action», et un texte où l'on invite le lecteur à devenir actionnai-
re du CCE L'argumentaire de Florilège Loisirs est plus trivial:
«De l'argent haut placé qui va vous rapporter»; et l'annonceur
reproduit, ébauchée à grands traits, une rangée de sommets en
noir et blanc, dans laquelle est fiché un panonceau «à vendre».
LA MONTAGNE R~VÉE PAR LA PUBLICITÉ 121
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Montagnes marchandises, entassées comme à l'étal, caricatu-


rales, plus capitalistes que nature.
Montagne stock ou capital, cette série sémantique vulgaire
est assez peu représentée à l'état brut dans le corpus publici-
taire. En revanche, l'image de la montagne source sera extrê-
mement fréquente à l'état élaboré, lorsqu'elle sera le support
d'une invite à la régénération.

La production du sens par la structure sémantique

Ainsi la seule description des représentations alpestres dans la


publicité permet de discerner une logique des images, qui
donne son sens à la montagne. Image transcendante de la mon-
tagne centrale et lumineuse, image terrible des montagnes
creuses et infernales, où se forgent les technologies. Image sau-
vage des montagnes périphériques, qui garantissent des pro-
duits solides, et restent offertes à l'épopée coloniale des héros
de Mac Douglas, Hilton ou Marlboro. Image de la source et du
capital enfin. D'emblée cet espace géographique qu'est la mon-
tagne est saturé de sens.
Et de fait, le décryptage des représentations dévoile une
organisation sémantique pré-structurée en catégories sponta-
nées, séries de dualités, d'oppositions, d'alternances ... Dans la
constellation schizoïde, les droites s'opposent aux courbes, les
formes simples aux complexes, le net au flou, le géométrique à
la plénitude des couleurs, et le régime diurne en général à la
structure du régime nocturne. Le sommet lumineux, pur et dur
n'est défini comme tel que parce qu'il fait contraste avec
l'abîme noir et sinistre des profondeurs souterraines. De même
la montagne originelle n'acquiert son aura fabuleuse qu'au re-
gard de la décadence de la plaine. C'est le réseau d'éléments
reliés entre eux qui, en créant le système, contère une valeur
sémantique à chacun d'eux, et les constitue en signe.
Notons d'emblée que cette logique n'est pas celle du tiers
exclu. Nous retrouvons ici ce qu'avait déjà montré l'étude an-
thropologique: la montagne comme symbole n'est pas uni-
voque, mais dépositaire de gestes contradictoires, tels que se
lever ou tomber, ou d'organes opposés, phallus ou ventre
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maternel. Elle peut être positive, sommet dressé vers le ciel, ou


négative, antre béant sur les enfers; élévation ou chute, régéné-
ration ou anéantissement. Bref cette logique symbolique est ex-
cessivement complexe et contradictoire, déjà elle ébauche la
dialectique des Monts-Affreux et des Monts-Sublimes.
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CHAPI1RE DEUXIÈME

Santé, régénération
et ascension sociale

Ainsi l'espace physique prend du sens par l'investissement


imaginaire qui introduit un ordre dans le chaos apparent des
représentations alpines. Tout en restant au second degré, im-
plicite, de la signification de l'image, nous montrerons dans ce
second chapitre que la logique imaginaire donne sens non seu-
lement aux lieux géographiques abstraits, mais aux pratiques
qui s'y développent. C'est ainsi que vont se révéler les mobiles
qui sous-tendent les rapports des acteurs sociaux à la montagne;
mobiles qui peuvent être résumés avec le concept clé de régé-
nération, que celle-ci consiste à retrouver la santé physique ou
traduise le désir d'ascension sociale.

Corporéité et incorporation

Si l'imaginaire de la montagne ne donnait sens qu'à l'espace


géographique, il resterait anecdotique; en réalité, les lieux ne se
chargent de signification que parce qu'ils sont en rapport étroit
avec les humains, et d'abord avec leur corps. Celui-ci, dans la
conception archaïque du monde, est un microcosme à l'image de
l'univers, lui-même macrocosme. L'un et l'autre nouent des rela-
tions d'analogie. Ainsi la topographie mythique entretient un
réseau de correspondances complexes avec l'anatomie humaine.
L'imaginaire investit par projection la montagne, qui
d'emblée est personnalisée: elle «sourit», elle «tue», elle «par-
124 DES MONTS ET DES MYTHES
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donne» ... Les discours des écrivains, des journalistes, ou de la


conversation quotidienne, ne parviennent pas à éviter cette
figure de rhétorique qu'est la prosopopée7 • D'ailleurs l'imagi-
nation populaire découvre volontiers dans le profil des falaises
ou autres protubérances biscornues, des diables, des christs, des
bêtes, des têtes de personnages ... Phantasmes réalisés aux USA,
où les portraits géants des premiers présidents ont été sculptés
dans des faces rocheuses, immortalisant ainsi les pères fonda-
teurs de la patrie. Une publicité pour Siemens [Image nO 12] se
sert de cette projection fantastique pour exalter la puissance de
la firme informatique.
A ce mouvement de corporalisation de la montagne s'oppo-
se un processus psychique inverse d'introjection, d'incorpora-
tion de la montagne dans l'humain. Le corps - mais aussi
l'esprit - est investi par l'imaginaire cosmique et ainsi doté des
qualités de l'alpe. Une publicité pour Levi's en donne un
exemple original: une juxtaposition de postérieurs vêtus de
jeans forme un paysage collinaire, [Image nO 13] où l'on voit
s'élancer un couple minuscule habillé de blanc.
Mais c'est Evian encore qui offre l'exemple le plus remar-
quable de ce processus, sous la forme d'une page de bande des-
sinée, [Image nO 14] laquelle reprend intégralement l'épopée de
l'histoire mythique de l'alpe: «Au commencement, toutes les
eaux étaient pures», puis, après la pollution généralisée, seules
les Alpes conservèrent cette innocence originelle; aujourd 'hui
elles filtrent et enrichissent l'eau grâce à laquelle nos orga-
nismes sont purifiés; l'avant-dernière image se termine sur
l'intérieur d'un corps humain fait de strates géologiques et de
circuits complexes de circulation et de purification. La publicité
se constitue ainsi en pédagogie pour démonter les mécanismes
par lesquels les qualités régénératrices de l'alpe sont incorpo-
rées et assimilées par le corps humain.
Cette dialectique de la projection et de l'introjection, de la
corporéité et de l'incorporation, sera l'une des clés pour com-
prendre les rapports complexes de l'homme à l'espace monta-
gnard.
LA MONTAGNE R~VÉE PAR LA PUBLICITÉ 125
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Renaissance et catharsis

L'ascension en effet pennettra de s'approprier et de s'incorpo-


rer certaines qualités uniques de la montagne, en tant qu'espace
préservé des origines. Le contact avec l'alpe signifie tout parti-
culièrement renouvellement du corps et de l'esprit.
La montagne originelle est en résonance profonde avec la
création et la naissance; c'est d'ailleurs pour cette raison que
l'étable de Noël est traditionnellement représentée par une grot-
te dans les mises en scène de la Nativité. Jacquemaire, le pro-
ducteur de blédine et d'aliments pour bébés, s'approprie ce
symbole mi-familial mi-religieux: un nouveau-né, se serre
contre sa mère, image sulpicienne au creux d'un village lui-
même blotti au cœur de montagnes hivernales. [Image nO 15]
L'évocation des origines, séduisante par elle-même, reste
cependant d'un intérêt limité. En réalité, la montagne est sur-
tout importante comme facteur de régénération, comme agent
de santé physique et morale. Nombreuses sont les finnes qui
jouent sur ce thème, et en particulier les eaux minérales, du fait
de leurs connotations hygiéniques et médicales. Les encarts
pour Evian, qui sont nombreux à utiliser la montagne, en font
leur argument de base; en voici un exemple déjà ancien qui
présente l'image de la mère à l'enfant sur fond alpestre, [Image
nO 16] avec cette accroche: «vous qui vivez en ville», «allez
vivre à la montagne, ou donnez-lui beaucoup d'Evian». Cette
même marque s'appuie sur le principe de la régénération dans
une série d'encarts avec divers personnages, dont une femme
enceinte [Image nO 17]. Tous jaillissent des nuages, vivants
symboles des corps éclatants de santé.
Mais la santé justement est l'expression d'une action plus
qu'un état: il s'agit d'expulser microbes et miasmes des bas-
fonds. -Cet assainissement qui est une lutte contre les agents
pathologiques, tant physiques que moraux, nécessite une force
purificatoire. Catharsis et puissance sont donc les deux proprié-
tés essentielles de la régénération présentes dans les rapports à
la montagne et signifiés par l'ascension.
Blancheur, bleuité, simplicité des traits et angularité des
lignes, les fonnes et les couleurs schizoïdes sont aussi celles
qui correspondent le mieux à la démarche cathartique. Timotei,
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126 DES MONTS ET DES MYTHES

marque de shampooing, offre ainsi une image archétypale de


l'alpe: les cimes blanchies par la neige se reflètent dans un
lac, tandis qu'une jeune fille blonde, tout de blanc vêtue, se
tient au milieu d'un parterre de fleurs blanches également.
Cette constellation d'images d'extrême pureté est soutenue
par un texte qui affirme son aide financière au parc de la
Vanoise: la publicité vend ici l'écologie, dont les principes
sont les mêmes que ceux de la régénération. La pureté est
supposée être acquise par incorporation, processus de trans-
fert du référent symbolique au produit vendu, puis à la per-
sonne: c'est Evian toujours qui regroupe en une seule bulle
transparente la montagne immaculée et les crèmes hydratantes
ou les brumisateurs, lesquels transmettront l'action purifica-
trice aux consommateurs.
Mais l'enracinement cosmique dans la montagne est un schè-
me symbolique qui peut s'appliquer à toute naissance, et la publi-
cité n'hésite pas à l'extrapoler même à des objets inanimés:
Ilford présente en gros plan un rouleau géant de pellicule, en
forme de cylindre posé comme un sommet parmi d'autres dans
un paysage de montagnes, avec cette accroche: «Ilford, la nou-
velle couleur du monde». La montagne est le lieu symbolique
propice à la genèse des produits nouveaux.

Gigantisme et puissance

Le rêve schizoïde confine au délire monarchique que Bachelard


décelait dans l'ascension8 • L'encart de NCR, un des majors de
l'informatique, joue sur ce registre ouranien et impérial, pour
proclamer sa puissance: un aigle à la tête lumineuse survole
des sommets neigeux, eux-mêmes pointant au-dessus d'une
mer de nuages, avec cette accroche sans ambiguïté «NCR, né
pour gagner». Dans la publicité, comme dans l'art de jadis, la
montagne conduit à la gigantisation, isomorphisme de la trans-
cendance9 : nous avons déjà cité l'encart de Ilford, qui impose
au premier plan un rouleau de pellicule géant, aussi colossal
que les autres sommets; Minolta [Image n° 20] use du même
procédé en faisant émerger des montagnes un monstrueux
appareil-photo. Ces objets sont liés à la vue; la montagne silen-
LA MONTAGNE RËVÉE PAR LA PUBLICITÉ 127
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cieuse privilégie toujours celui parmi les cinq sens qui est asso-
cié au panorama et au spectaculaire.
L'ascension, fondée sur la valorisation du vertical, signifie
d'emblée la puissance, et ce n'est pas un hasard si les courbes
de croissance des firmes industrielles, production, ventes,
chiffre d'affaires ou bénéfices sont toujours présentées de façon
ascendante. Un encart pour Hewlett-Packard concrétise cette
métaphore: il reproduit une courbe de croissance, angularisée
en forme de pointes montagneuses, avec un himalayiste en
passe de conquérir le sommet le plus haut.
Par le processus d'incorporation des qualités alpines, la fami-
liarité avec la montagne déteint sur l'habitant: c'est ainsi que
l'imagination populaire explique la taille géante des chiens Saint-
Bernard. Une marque d'aliments pour animaux, Loyal, s'empare
de cette figure théromorphe, et présente un énorme chien blanc
dans un alpage sur fond de montagnes, [Image n° 21] avec cette
accroche: «Un chien nature c'est fort comme ça.» Mais la dia-
lectique des relations entre l'être vivant et la montagne n'est
souvent pas si simple. Une publicité pour le lait donne un aper-
çu de sa complexité; elle met en scène un skieur en pleine
action, sur une pente immaculée, avec cet exergue: «Mangez
du lait, ça fortifie les os.» L'image du skieur dans une position
spectaculaire est signe d'une grande vitalité, de même l'immen-
se pente immaculée évoque la blancheur du lait: montagne qui
confère la force donc. En même temps, le texte retourne l'argu-
ment et insiste sur la nécessité d'une grande robustesse, de
l'ossature en particulier, pour pratiquer certains sports tels que
le ski.

Initiation et ascension sociale

Par la catharsis et l'incorporation de la puissance, la fréquenta-


tion de la montagne conduit à la régénération de l'être. Déjà les
anthropologues avaient montré que l'ascension ou la pénétra-
tion dans la montagne caverneuse était une démarche initia-
tique. Or l'initiation est régénération du corps, de l'esprit, mais
surtout insertion ou réhabilitation sociale. La naissance phy-
sique n'est rien sans la reconnaissance de la société. L'initiation
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consiste aussi à reconnaître, elle est rite d'agrégation de l'indi-


vidu au groupe. Ainsi la santé physique ou morale est insépa-
rable de la santé sociale. Et celle-ci se réalise à plusieurs
degrés, de la simple intégration au choix électif des meilleurs.
En prolongeant la logique des images étudiée plus haut, on
aboutira à une série de nouvelles oppositions structurales: la
santé n'existe que par la pathologie, l'intégration par l'anomie,
et l'élection des meilleurs, par l'exclusion des moins bons.
Cette structure initiatique fait de l'ascension un signe de la
réussite sociale. La langue trahit directement ce symbolisme de
base lorsque l'on parle d' «ascension» sociale, ou que l'on
«grimpe» ou «gravit» les «échelons» justement, et les publici-
taires en usent régulièrement pour magnifier le travail en entre-
prise. Cette mise en scène est particulièrement adaptée aux
annonces de recrutement: Ecco se place sous l'égide d'un falai-
siste en pleine action pour séduire des candidats qui fassent
preuve de «volonté, d'initiative, d'assurance, d'efficacité»,
pour «diriger» et «atteindre les sommets de la réussite». Gravir
une montagne est l'image du pouvoir. Sur le même thème, Bull
[Image nO 33] affiche une tout autre ambition, et avec une
image autrement complexe: des traces en forme de logo sur
une arête neigeuse très aérienne, au-dessus d'une mer de
nuages, et dans le lointain la cordée qui va attaquer la pente
sommitale; l'objectif annoncé, «Mission leader», est ici de
recruter des cadres, et il est question de «révolution technolo-
gique» aux «enjeux titanesques», de «la puissance d'un grand
groupe», «pour une aventure exaltante». L'armée enfin est une
grande utilisatrice de la symbolique alpestre pour son recrute-
ment; un soldat harnaché sur une paroi amène ce commentaire:
«une carrière de cadre où s'expriment le goût de l'action et des
relations humaines, l'exercice de responsabilités».
Mais la montagne est aussi au service de la firme elle-même,
sans qu'il soit nécessairement question de recrutement: voici
Rhône-Poulenc qui met en scène deux minuscules personnages
sur le sommet d'une falaise enneigée, dans un immense paysa-
ge bleuâtre; l'accroche proclame «Bienvenue dans un monde
de défi, de dépassement, d'exploit,» et se propose d' «aller plus
loin», dans la «découverte de l'infiniment petit», «les biotech-
nologies» ... Ici l'on magnifie l'action collective de la cordée,
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112
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l'KXJVEill-CUINtt.
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TOUJOURS PARTANTE!

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l'HISTOIRE DE
L'EAU MINEAALE
D'EVIAN

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allez vivre à la montagne!..

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Loyal. !: a1imentation du chien nature.

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20
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MARQUES DI MONTAGNES.

S,PImCIEUStS.
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Plan d ' Ep-1LLgne Populaire

Hautes Alpes: les Alpes vraies. _..;'iT.""'ItO


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LA MONTAGNE R~VÉE PAR LA PUBLICITÉ 129
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ailleurs c'est l'engagement personnel qui est glorifié: la banque


Bruxelles Lambert [Image nO 22] montre un cadre en costume
cravate, parapluie et porte-documents pendus au bras, en train
de s'accrocher agressivement aux rochers d'une haute mon-
tagne dominant des glaciers: «Une prise solide pour accéder
aux sommets». La Seita [Image nO 23] elle-même tente de se
donner une image de battant en mettant en scène un grimpeur
sur une falaise, avec cette accroche «L'audace pour se réaliser»,
et sous cette signature «L'esprit d'entreprise».
Plusieurs rrrmes tentent de valoriser la qualité de leurs pro-
duits, garantis par la confrontation avec le milieu extrême qu'est
la montagne, et mettre en avant leur avance technologique.
Rhône-Poulenc encore donne à voir un surprenant duo entre un
himalayiste bardé de cordes et de crampons, [Image nO 24]
lequel baise la main d'une élégante chanteuse d'opéra: ren-
contre pas si incongrue au demeurant puisque la doudoune dont
l'un est emmitouflé, et la robe légère dont l'autre est drapée,
sont tissées dans la même fibre issue des mêmes technologies,
qui «affrontent le froid, le vent, la neige ... ». Enfin Sacilor, en
mal de défis technologiques [Image nO 25], montre un tra-
vailleur de haute altitude, perché sur un câble au-dessus des
neiges; là aussi le texte retombe dans la banalité publicitaire
avec «l'innovation permanente» qui propulse la firme dans «le
peloton de tête des producteurs mondiaux».
Bull, Seita, Rhône-Poulenc, Sacilor, l'armée, tous ces an-
nonceurs sont des organisations d'Etat, souffrant d'une image
d'immobilisme, et qui mettent donc en avant les mots d'ordre
de dépassement, défi, hardiesse, initiative. Ici la démarche de
l'alpiniste n'est plus seulement sollicitée comme reproduction
ludique de la force de travail, simple régénération, mais elle est
invoquée pour inciter à sortir de l'action routinière, stimuler la
concurrence, fourbir les armes du jeune cadre compétitif, pour
encourager la prise de pouvoir même. Image d'une pratique
alpine prométhéenne qui tire sa force et son efficacité de la
confrontation à la montagne et donne à celle-ci son sens po-
litique.
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DES MONTS ET DES MYTHES

La production du sens par la motivation du signe

La seule logique des images ne suffit pas à créer le sens de la


montagne, ni surtout à justifier les entreprises des acteurs
sociaux sur cet espace. En réalité, les mobiles de l'action rési-
dent dans un investissement imaginaire, lui-même fondé sur
l'expérience humaine, en particulier le vécu corporel. En effet,
toutes les figurations de la montagne s'enracinent dans le corps.
De par le double processus de projection et d'introjection, la
cosmographie est un reflet fantastique de la gestuelle; plus pré-
cisément le statut géographique de la montagne est une extra-
polation de l'humble geste d' homo erectus.
Ceci n'est pas sans conséquences sur l'étude de l'image.
Ainsi microcosme organique et espace géographique sont per-
çus comme des univers en correspondance. Bien plus, les
caractères distinctifs de l'image, les traits schizoïdes en l' occur-
rence, ne sont pas seulement coupés, opposés par séries duales
en une logique de l'imaginaire; mais constitués en discours, ils
sont le miroir, l'analogon, de la chose. Ainsi l'imaginaire de la
montagne est-il fondé sur des analogies fortes avec le monde
organique et matériel. Les images sont donc des signes moti-
vés, des symboles selon la définition de Saussure 10, et la
motivation, en reliant l'image-signe à son référent, contribue
également à l'élaboration du sens.
C'est encore la motivation du signe qui fait des figurations
de la montagne des structures quasi intemporelles et uni-
verselles: en effet l'expérience physique et biologique sur
laquelle est fondée la motivation, est assez proche d'une culture
à l'autre, si bien que l'on peut considérer que c'est là une sub-
struction universelle de l'image.
Qu'il soit créé par la motivation du symbole ou par la
logique des images, le sens demeure infralinguistique, enfoui
au second degré de la signification. A ce niveau, le discours
s'énonce en images - d'où la dénomination d'imaginaire - et
celles-ci peuvent être considérées comme autant de signes
motivés compris immédiatement: du fait de l'expérience vécue
sous-jacente, il ne nécessite jamais une convention préalable
comme l'exige le signe arbitraire. Ce niveau de discours échap-
pe donc au contrôle de la conscience qui reste somnolente. La
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LA MONTAGNE R~VÉE PAR LA PUBLICITÉ 131

relation analogique entre l'image-signe et son référent n'est


donc guère réfléchie, jamais interrogée, et considérée comme
allant de soi. C'est ce qui fonde son efficacité symbolique en
particulier dans la représentation publicitaire.
Au second degré de la signification, et sans que cela relève
d'un choix délibéré, la publicité reconstruit ainsi l'histoire sym-
bolique de la montagne, telle qu'elle apparaît dans l'anthropo-
logie. C'est elle qui gouverne les rapports de l'acteur social à la
montagne, et donne les raisons de son action. Celles-ci peuvent
être résumées sous le concept de régénération, dont le sens est
d'abord médical - la montagne guérit - mais aussi moral, puis-
qu'elle ranime la vie intérieure et purifie l'âme; et surtout
social car elle procure la force nécessaire pour maîtriser les
relations, et par l'initiation fonner des hommes de pouvoir.
L'image de la montagne n'est pas innocente sur le plan poli-
tique.
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CHAPITRE TROISIÈME

Le touriste rattrapé par l'histoire

Ainsi l'image publicitaire de la montagne était fondée sur le


même canevas imaginaire que le discours des mythes autrefois,
et nous avons mis en évidence dans la presse contemporaine un
certain nombre de structures déjà présentes dans la pensée
archaïque l l . Mais les archétypes éternels de la montagne
n'existent pas à l'état pur dans la réalité; ce sont des abstrac-
tions reconstruites grâce à l'étude des représentations. Dans
l'image concrète, ces archétypes sont toujours incarnés par des
symboles complexes, orientés dans un sens ou dans l'autre par
le contexte historique.
Sur l'imaginaire intemporel, se greffe donc le symbolique,
façonné par l'histoire. Ainsi, très classiquement, dans la publicité,
la montagne s'est révélée, tantôt comme les Monts-Affreux tantôt
comme les Monts-Sublimes: cet objet symbolique peut être
investi soit par l'archétype de l'ascension, soit par celui de la
chute. Et nous verrons le touriste balancer sans cesse entre le
conquérant prométhéen, et le contemplateur rousseauiste.
Le symbole, pouvant être orienté selon différents sens pos-
sibles, il n'est pas seulement un signe motivé, mais contient
déjà une part d'arbitraire, c'est-à-dire de choix soumis aux
aléas de l'histoire. Nous entrons alors dans le premier degré de
la signification de l'image. Tandis que l'imaginaire archétypal
restait implicite, ici la conscience se réveille. C'est pourquoi
nous étudierons dans cette partie les encarts publicitaires qui
sont explicitement consacrés au tourisme; ceux-ci vendent la
montagne avec son image historique contemporaine, préfabri-
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134 DES MONTS ET DES MYTHES

quée, pensée par le marketing et les «créatifs» des agences.


Comme par ailleurs cette vente directe de la montagne concer-
ne essentiellement des séjours ou des objets touristiques, nous
découvrirons le sens que donnent les touristes aujourd 'hui à
leur activité alpine. Rattrapés par l'histoire, ils entrent ici direc-
tement en scène, pour réactualiser le rite intemporel de la régé-
nération.

Univocité de la montagne touristique

Au second degré de signification, nous avions encore vu des


alpinistes geler ou transpirer dans la montagne: l'objectif était
de vendre non pas du tourisme, mais de la bière, des voitures,
ou une carrière professionnelle. En revanche au premier degré,
nous trouverons toujours le touriste dans une montagne iré-
nique, uniformément et naturellement bonne.
Voici une publicité pour les Hautes-Alpes [Image nO 38].
L'annonceur conseille au lecteur de se «méfier des imitations»
et présente sur deux pages la dichotomie entre les «Alpes
fausses», à gauche, et les «Alpes vraies», à droite; d'un côté un
crassier gris foncé sous un ciel de plomb, de l'autre un sommet
de neige éclatante sous l'azur, avec un minuscule couple de
skieurs. Montagne noire contre montagne blanche. Tradition-
nellement l'initiation comportait les deux côtés, bénéfique et
maléfique, du monde alpin. Dans la publicité, il y a amputation
du côté négatif, la montagne est figurée de façon univoque: le
visiteur moderne ignorera les affres de la montagne tragique
pour ne conserver que le versant positif de l'initiation, la vision
rousseauiste. Il sera toujours du côté des Alpes blanches.
Ainsi toute la publicité pour les sports d'hiver par exemple
passe sous silence les risques quotidiens de la fréquentation,
ainsi que les petits côtés désagréables, tout en valorisant les
dangers extrêmes, que le client ordinaire des stations a peu de
chance de rencontrer. Ceci permet malgré tout de conserver en
imagination l'aspect initiatique, tout en préservant une sécurité
quasi absolue 12 •
LA MONTAGNE R~VÉE PAR LA PUBLICITÉ 135
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Personnalisation et intimité familiale

Naguère les publicités alpines présentaient une montagne


rocheuse ou glaciaire, située ou non, mais enfin qui s'imposait
au touriste comme l'alpe unique, archétypale. Aujourd'hui la
montagne publicitaire reste stéréotypée, mais le touriste est le
client roi, et un éventail de stéréotypes possibles s'offrent à son
choix: Bertrand Vacances [Image nO 26] propose de «visiter
tous les sommets en deux heures», et sur la même image se
bousculent, syncrétiques, les Alpes, le Jura, le Massif Central,
les Pyrénées, les Vosges,... La montagne est personnalisée,
adaptée à l'acheteur; la puissance de la firme commerciale
s'affirme par sa capacité à offrir la régénération à la carte.
La publicité soumet la montagne aux caprices du touriste.
Celui-ci est considéré dans son état de monade inaliénable;
retour en force de l'individualisme qui transparaît dans l'encart
de Trappeur [Image n° 27] : cette marque présente une série de
sommets différents, de l'Everest au Ventoux, en passant par
l'aiguille de la République, et sous chacun d'eux, la paire de
chaussures adaptée. A chacun sa montagne.
Jadis la réclame exhibait des vedettes de ski, ou des héros
accrochés aux parois, ou encore l'inévitable cordée sur la pente
neigeuse. Désormais c'est la pratique alpine débonnaire qui est
valorisée, et le refuge dans le giron de la petite famille. Pierre
et Vacances [Image nO 28] montre une succession de sommets
côte-à-côte qui portent arbitrairement des noms de stations
prestigieuses, Alpe-d'Huez, Avoriaz, Belle Plagne, Chamonix.
Le chaland peut choisir et l'annonceur proclamer sa «liberté to-
tale». Ce n'est plus la cordée qui est représentée sur les som-
mets, mais la famille nucléaire, père, mère et enfant, image inti-
miste, réminiscence lointaine de la nativité.

Déterritorialisation

L'objet vendu comme produit tounstlque est complexe: il


englobe certes la montagne elle-même, mais comprend égale-
ment le paysage, l'air pur, le silence, la fraîcheur, le repos ... et
le produit touristique consiste aussi en logement, équipement
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DES MONTS ET DES MYTHES

sportif et objets divers. On l'a parfois défini comme le séjour 13 ;


en réalité, il semblerait plus juste de le considérer comme un
pur bien symbolique 14 : ce que vient chercher le touriste à la
montagne, ce pour quoi il consent à payer en argent et de sa
personne, c'est avant tout la régénération, sous ses différentes
formes, physique, morale et sociale.
Bien que cette renaissance soit immatérielle en son principe,
nous avons vu que le symbole, pour être efficace, doit être
motivé, c'est-à-dire enraciné dans le référent matériel. Autre-
ment dit l'image doit représenter une montagne repérable, suf-
fisamment située et datée, pour être crédible. Or, la publicité,
en insistant sur les aspects annexes du produit, immobilier ou
prestations touristiques diverses, tend à «déterritorialiser» la
montagne, c'est-à-dire à lui faire perdre ses attaches avec un
territoire concret.
Un encart du groupe Pelège présente une petite image enva-
hie par un immense immeuble à l'Alpe d'Huez, avec un long
texte où le terme de montagne n'est cité qu'une seule fois, tout
le reste étant consacré aux avantages fiscaux et au taux de ren-
tabilité ... Une publicité pour le promoteur Ribourel est construi-
te exactement de la même manière; le texte évoque essentielle-
ment les avantages de la station skis aux pieds, les
caractéristiques de l'appartement et son prix; la montagne, qui
a quasiment disparu de l'image, est seulement rappelée par
l'insistance sur le respect des «traditions», et le matériau «bois»
de la construction.
Quand elle n'est pas évacuée, la montagne est située de
façon extravagante, sans rapport avec la géographie. Une publi-
cité pour les stations de Flaine, Tignes, et La Plagne [Image
n° 29] présente un alpage fleuri, un petit lac, et un immense
Cervin enneigé affublé de lunettes noires et coiffé d'un parasol
rouge. L'intention de dérision est évidente, et cette déterritoria-
lisation fantaisiste correspond assez bien à l'interprétation de la
publicité contemporaine comme discours frivole 15 • La déterrito-
rialisation facilite la fréquentation en dédramatisant la mon-
tagne, et en permettant une rationalisation du séjour touristique.
Cependant elle comporte des risques pour le produit lui-même:
en supprimant le contact avec la matérialité du territoire, la pra-
tique alpine devient de plus en plus abstraite, et, le symbole
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LA MONTAGNE R~VÉE PAR LA PUBLICITÉ 137

étant progressivement démotivé, il perd de son efficace et la


régénération devient problématique.

De la santé à l'hédonisme

Beaucoup de réclames de jadis ressemblaient à cette publicité


pour le Trentino qui vante le «Grand air absolument pur»,
«pour se débarrasser de la tension et de la pollution de la vie en
ville .... » Problématique rousseauiste agrémentée de quelques
sommets vaguement ébauchés, d'un lac, et d'un chalet, qui
conclut: «Le Trentino, c'est aussi la santé». De fait nous enre-
gistrons ici le sens le plus trivial de la régénération.
Autre banalité, le thème de la montagne évasion. Une pu-
blicité pour Andorre [Image n° 30] propose «l'escapade», avec
une accroche en très gros caractères: «Oubliez tout»; au premier
plan, en contre-jour, le profil romantique d'un jeune homme,
sombre sur un sommet, face à l'immense horizon des montagnes
ouraniennes. Ici c'est le rêve purement contemplatif qui habite le
touriste, tandis qu'ailleurs il se comporte de manière agressive.
Mais la santé, comme l'évasion, étaient classiquement pré-
sentées d'une manière sérieuse, un peu hiératique même, quand
il s'agissait de la montagne. Catharsis et initiation devaient pas-
ser pour des pratiques dures, sélectives. Désormais ces deux
thèmes ont été rattrapés par l'hédonisme ambiant. De la rigueur
sanitaire, Evian passe à une notion plus soft, «l'équilibre»: une
série de publicités présentent successivement une femme, une
jeune fille et une fillette, debout sur une jambe, à côté d'un
verre d'eau minérale en équilibre sur le sommet d'une mon-
tagne [Image nO 31]. Dans un registre voisin, le tour operator
Vacances 2000 montre un skieur effleurant la poudreuse;
l'arrachement prométhéen pour se dégager des lourdeurs de
l'en-bas est euphémisé en vol magique. La publicité
d 'aujourd 'hui n'insiste pas sur l'effort mais la facilité. Un
encart pour le thermalisme s'affiche même sous l'accroche sui-
vante: «L'Auvergne pour la santé ou pour le plaisir ?», et
l'annonceur met en scène un couple de retraités souriants; il ne
montre pas de montagnes, mais se contente de parler de
l' «environnement somptueux».
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138 DES MONTS ET DES MYTHES

L'initiation pure et dure se fait désormais cocooning. Un


encart pour Les Arcs [Image nO 39] est significatif: l'essentiel de
l'image est occupé par la vue sur un appartement à travers une
verrière. Intérieur doucement éclairé, aux tons jaune d'or, sur
fond de montagne froide, et cette accroche: «Nous n'avons pas
eu assez de place ici pour représenter le domaine skiable ... »
Entrer dans la montagne, c'est aussi pénétrer dans un espace
exceptionnel, hors du quotidien ou même du profane. Le lointain
souvenir de la montagne sacrée n'est pas totalement éteint, et le
sacré est toujours parent avec l'interdit. Aujourd'hui encore la
pratique alpine est parfois perçue comme un jeu avec les choses
défendues. On devine déjà cet argument chez Salomon: après le
«vivre plus fort», les «autres horizons», les «autres émotions», la
marque de fixations de ski invoque «l'envie d'oser», et le «bon-
heur d'avoir osé». Et en gros plan, les chaussures du skieur en
action, suspendues sur la neige comme en un vol magique [Image
n° 19]. Technicité encore qui permet de dépasser l'interdit, et
réminiscence du dieu Hermès avec ses ailettes attachées au talon.
Cependant, le voyage interdit par excellence est celui de la
drogue, le trip. Une publicité pour la vallée d'Aoste [Image
nO 37] évoque explicitement cette vision «planante» de la pra-
tique alpine: des images de poudreuse, de châteaux, de bleu
intense, somme toute assez classique, mais aussi un visage en
gros plan de jeune fille qui se mord les doigts dans un état de
plaisir extrême, comme égarée, et le texte parfaitement clair :
«Glisse de rêve, folie solaire. Mont Blanc, mont Rose, Cervin,
Grand-Paradis des sports d'hiver. Je plonge dans leur sourire.
Le temps déchausse. Tout doux. Je fonds ... » Une variante de
More en somme, mais en drogue douce.
Ainsi l'imaginaire fondateur des mythes se reproduit quasi à
l'identique dans les publicités d'aujourd'hui. Mais la symbo-
lique montagnarde, en réintégrant l 'histoire, est infléchie vers
des orientations particulières, et le touriste contemporain est
soumis à ces pressions sociales: le voyage à la montagne est
fondé sur la structure initiatique toujours, mais amputée de son
aspect négatif; la régénération sociale s'opère non plus par la
soumission de l'individu à la montagne, mais de la montagne à
l'individu, non plus par la cordée, mais par la famille; non plus
sur le ton grave de jadis, mais sur le mode badin de la publicité.
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LA MONTAGNE R~YÉE PAR LA PUBLICITÉ 139

Le principe de la régénération est bien toujours au centre de la


pratique alpine, mais celle-ci n'est plus présentée avec le
sérieux de l'impératif sanitaire, mais la désinvolture des pra-
tiques de loisir, la permissivité, voire un rien de bravade.
Cependant toutes ces inflexions du temps présent font courir
des risques à la régénération: elle est menacée de perdre son
efficacité symbolique pour cause d 'hédonisme et de déterrito-
rialisation.

Deux degrés de signification de l'image

En somme, le premier degré de signification de l'image restitue


quelques grandes tendances de la société contemporaine à
laquelle le tourisme n'échappe pas: individualisme, euphémi-
sation, insistance sur le corps, hédonisme ... Mais ce niveau de
discours ne prend sens qu'articulé sur le second degré de signi-
fication, au niveau infralinguistique, lequel est fondé sur les
structures anthropologiques de l'imaginaire. Ce constat conduit
à quelques réflexions théoriques concernant la nature du sym-
bole et de l'imaginaire.
La mobilisation de l'imaginaire dans la publicité implique
une mise en jeu complexe de l'image avec au moins deux
niveaux de discours. En tant que symbole, elle est signe de
signe, ce que Roland Barthes exprimait à sa manière comme un
«mythe», lequel comprend au moins deux degrés de significa-
tion pour être efficace 16 • Sans adhérer complètement à la théo-
rie de Barthes, nous retiendrons et expliciterons cette double
structure sémiologique.
Considérons l'exemple d'une image de montagne destinée à
vendre de l'eau minérale. Il existe une signification au premier
degré, où l'annonceur relie le produit à l'alpe pour justifier sa
provenance. L'eau est alors définie délibérément comme signi-
fiant de la montagne; la part de conventionnel et d'arbitraire est
ici importante, puisqu'aussi bien l'eau pourrait provenir de
quantité d'autres lieux différents. A ce premier niveau, le dis-
cours est d'ordre linguistique, il doit être conscient, explicite.
Mais ce propos conscient s'arrête à la montagne: de celle-ci
l'annonceur ne dit mot. On s'interdirait toutefois de com-
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140 DES MONTS ET DES MYTHES

prendre le message publicitaire si l'on ne postulait pas un autre


signifié implicite de pureté, de fraîcheur, de santé... implicite
derrière le premier signifié de montagne. Et ce second signifié
est saisi immédiatement, sans qu'il soit besoin d'un texte pour
le rendre manifeste. Ainsi «au-dessous» du premier niveau de
signification, s'en cache un second, où le signifié «montagne»
se métamorphose lui-même en signifiant, de santé, pureté ... Ce
second niveau ne nécessite plus le soutien du texte, puisqu'il
repose sur l'analogie, qui fait de l'image de la montagne un
signe naturellement et immédiatement motivé, c'est-à-dire un
symbole.

SCHÉMA DU DOUBLE NIVEAU DE SIGNIFICATION IMPLIQUÉ DANS


L'IMAGE PUBLICITAIRE.

Signification au 1er degré


Signe conventionnel
(Exemple : eau)
coupure arbitraire
L.. sens explicite
SIGNIFIÉ 1

Signification au 2 d degré
SIGNIFIANT 2
- - aÏ1aïogie- - - Signe motivé (symbole)
fondé sur l'analogie
SIGNIFIÉ 2
(pureté, santé,
etc.)
L.. sens implicite

Cette double structure sémiologique confère une force par-


ticulière à l'image publicitaire; inutile de préciser que l'eau est
pure, fraîche, bonne à la santé ... Il suffit de la renvoyer au réfé-
rent montagne et l'image parlera d'elle-même, en quelque sorte
«naturellement» du fait de la motivation du signe. L'efficacité
de la publicité repose ainsi sur l'image, à un niveau infralin-
guistique, qui fonde son pouvoir de conviction.
Simple chimère ou construction mensongère? Ces questions
n'appellent pas de réponse scientifique. Sans doute peut-on re-
mettre en cause la démarche publicitaire ' elle-même, mais il
LA MONTAGNE RtVÉE PAR LA PUBLICITÉ 141
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convient de remarquer que cette structure discursive, avec ses


deux degrés de signification, couvre un champ beaucoup plus
vaste que la seule publicité, ou même que la propagande; on
peut sans trop de risque l'extrapoler à la structure de l'image en
général, dans la mesure où celle-ci permet de communiquer et
où elle est fondatrice de l'action. En définitive, l'image ici est
discours; à ce titre elle appartient à l'idéologie, elle en a la
consistance et participe à son statut de mensonge nécessaire.
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CHAPITRE QUATRIÈME

Libres interprétations

Après avoir développé quelques aspects systématiques de


l'imaginaire publicitaire, nous abordons ici une série d'encarts
qui utilisent la montagne, mais qui traitent ce thème de manière
originale, et n'ont pas tous été étudiés plus haut. Nous en pro-
posons une libre interprétation à l'aide des clefs imaginaires
mises au point au cours des pages précédentes.

Image nO 32, Gauloises blondes


L'altitude, introduction au mystère du tabac

Au premier plan un menhir de granit noir, à peine éclairé par


le soleil, dressé à la verticale et en équilibre sur sa pointe
étroite, quasi en lévitation. Le sol est également noir et grenu,
collinaire.
Au fond, centrée derrière les deux sujets principaux, la lueur
du couchant, entouré de nuées jaunes-rougeâtres, sur fond bleu.
A droite, deux paquets de Gauloises blondes, bleus sombres,
signalés par le logo du casque ailé; le second est ouvert, et lais-
se se dresser deux cigarettes, répliques de l'étrange menhir.
D'ailleurs tout ici est mystère. Pas de texte hors le nom du
produit en exergue, et toutes les interprétations peuvent se don-
ner libre cours.
L'idée générale d'altitude accentue le côté ésotérique. On a
le sentiment de se trouver sur un sommet, près du ciel, devant
un corps à la fois familier et mystérieux qui s'élève à la maniè-
re d'un OVNI. La lumière solaire et le fond bleu soulignent
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144 DES MONTS ET DES MYTHES

l'atmosphère ouranienne. Tous les objets sont orientés vertica-


lement. Menhir suspendu dans le vide, et casques ailés ajoutent
à cet aspect ouranien.
Globalement, les formes de l'image relèvent bien de l'imagi-
naire de l'altitude : simples, géométriques, sans surcharge, très
peu d'objets présentés. Elles appartiennent au régime diurne.
L'atmosphère de clair-obscur, et le jeu du contre-jour ajoute
au mystère. Temps et espace de transition qui rappellent ici une
des fonctions symboliques essentielles de la montagne, celle de
passage vers un monde autre. Les Gauloises blondes y sont une
invite discrète.
Celles-ci portent avec elles un imaginaire social chargé: la
pierre levée est évidemment phallique, comme les cigarettes
pointées vers le ciel. Le tout respire le vieux fond celte: la
fumerie se passe entre hommes, et l'imagination vagabonde du
côté des légendes gaéliques et des associations druidiques se-
crètes. La Gauloise convie le fumeur au passage initiatique vers
la société des vrais hommes, monde d'en-haut où s'élève la
fumée, comme nous l'enseignaient déjà les mythes amérindiens
de la découverte du tabac l7 .

Image nO 33. Bull


L'ascension, consécration du leader

Ex abrupto, le lecteur débouche sur une arête glaciaire. Au pre-


mier plan, les traces de l'arbre fétiche de Bull sont régu-
lièrement imprimées dans la neige, comme autant de répliques
du logo de la rrrme, situé en bas à droite.
Ces marques suivent la crête et se prolongent vers un sommet ·
en forme de pyramide pointue, que s'apprêtent à gravir quatre
individus minuscules. C'est la zone la plus nette du paysage.
A l 'horizon, des brouillards cotonneux et tourbillonnants
d'où pointent quelques sommets blanchâtres. Tout au fond, le
ciel d'abord bleu clair, puis uniformément bleu sombre où
s'imprime le texte.
L'image est construite de telle sorte que l'on ne peut échap-
per à ce sentiment de domination «monarchique» qu'évoquait
Bachelard. La thématique générale est issue de l'imaginaire de
LA MONTAGNE R~VÉE PAR LA PUBLICITÉ 145
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l'altitude, ciel et sommets; le lecteur lui-même est mis dans


une position aérienne, au-dessus du vide, comme les alpinistes
qui sont passés par là.
L'analyse fonnelle de l'image révèle les constantes du schè-
me schizoïde: ensemble bleu et blanc modulé selon l'éclairage,
courbes simples quasi géométriques, vides d'objets, blanchies
par la lumière.
Les lignes de fuite du paysage convergent toutes vers ce
sommet montagneux sur la droite; seul objet coloré, il est à
l'évidence le but à atteindre: toute l'image est donc bien orien-
tée vers l'ascension. Et l'accroche «Mission leader», en grosses
lettres blanches en relief, planant dans le ciel à la manière
d'objets volants, suffit à donner le sens de cette ascension:
c'est une métaphore de carrière professionnelle.
Cette image raconte donc une histoire de pouvoir. D'emblée
l'altitude signifie ici les sommets de la société; la montagne
opère sa fonction de tri aristocratique des meilleurs. Le modèle
initiatique de l'ascension est une invite pressante à rejoindre ce
groupe industriel à la technologie de pointe.
Le texte en petits caractères en haut de l'image ne fait que
confinner de façon plus concrète les impressions qu'avaient
fournies l'image: on y parle «d'objectif ambitieux», de «grands
leaders mondiaux de l'infonnatique», d'«enjeux titanesques»,
et effectivement la montagne est une image de défi extrême.
L'annonceur propose au jeune diplômé «l'une des grandes
aventures de la fin de ce siècle» ; enfin on l'engage à faire par-
tie de «l'équipage», «réussite en tête», poncifs qui ne sont que
des variations sur le thème de la cordée.

Image nO 34, Cantal


La montagne syncrétique ou fromagère

Au premier plan, en bas à droite, un fromage. Une tranche a


été découpée, bien éclairée, qui laisse voir une belle couleur
jaune d'or.
Puis, couvrant les deux pleines pages, un paysage, flou. On
devine au premier plan des bocages dans une unifonne couleur
brune. Ensuite, par tranches successives, des zones de plus en
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DES MONTS ET DES MYTHES

plus claires, qui s'étagent vers le haut, et finissent en horizons


montagneux, brumeux et monotones.
La démarche sémiologique centrale consiste ici à établir
l'analogie entre d'un côté le produit, le fromage, et de l'autre le
terroir, le paysage, l'un étant la réplique de l'autre. Mais cette
analogie n'est pas simple, on pourrait même dire contre nature,
car les deux termes de la comparaison, fromage et paysage,
relèvent de régimes différents de l'imaginaire. Il a donc fallu
forcer chacun d'eux pour les obliger à se rencontrer.
Ainsi la montagne relève du régime diurne, céleste et solaire:
la simplicité des lignes quasi parallèles du paysage, l'impression
générale de clarté, l'absence quasi totale d'objets, confirment
bien qu'il s'agit ici d'un paysage schizoïde. Ce dernier va
imprégner le fromage de qualités typiquement montagnardes
que signale d'ailleurs le texte: «nature», «rudesse», «goût»,
«caractère rebelle»... Ces qualités appartiennent certes au
registre du mythe alpestre, et le produit laitier peut jouer sur
des réminiscences d'alpage et le sentiment de la nature. Mais
globalement, elles sont inadaptées pour un produit alimentaire,
ce qui explique d'ailleurs la faible proportion de publicités uti-
lisant ce schème imaginaire pour ce type de produit. Pourtant
ici l'annonceur est contraint: le label «appellation contrôlée»
n'a que le terroir et donc la montagne pour argumenter; faisant
de nécessité vertu, il va donc jouer sur ce décalage, et vanter
ces qualités peu ordinaires, en valorisant la différence avec les
autres fromages issus des gras pâturages de plaine.
Toutefois, il ne peut aller trop loin dans la «montagnisation»
de son produit, et annoncer un Cantal «pointu», ou «grossier»
comme l'exigerait la comparaison intégrale. Le fromage restera
donc «rond» et «affiné», et il aura la «douceur des pâturages
cantaliens». Bien plus, les valeurs fromagères ne sont pas celles,
hygiéniques, de l'eau minérale, pureté ou transparence bleutée,
mais elles relèvent de l'imaginaire digestif, du régime nocturne.
C'est pourquoi le publicitaire affiche au premier plan la couleur
jaune d'or de la coupe, et la croûte marron et grenue. Et afin de
conserver l'analogie avec le paysage de montagne, il va inflé-
chir en retour l'image de celle-ci. Aux classiques sommets
alpins effilés, il substituera donc en toute logique les dômes
arrondis des volcans d'Auvergne ; mais surtout, aux sommets
LA MONTAGNE R~VÉE PAR LA PUBLICITÉ 147
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trop nets, il donnera les contours flous des paysages de plaine, et


plutôt que de mettre en valeur les couleurs vertes ou bleues de
l'alpe, il la fera baigner dans une lumière mordorée.

Caractéristiques de l'imaginaire
régime diurne régime nocturne

Produit (image infléchie) (image normale)


(Fromage) Goût, caractère couleur jaune-marron
rebelle, douceur, rondeur

Paysage (image normale) (image infléchie)


(Montagne) sommets nets, pointus, dômes arrondis
couleur verte, bleue couleur mordorée

Ainsi le publicitaire, obligé ici de vendre du fromage avec


l'image de la montagne, est conduit à créer une analogie entre
deux régimes imaginaires contradictoires. Il est amené à inflé-
chir la représentaùon de la montagne en un syncréùsme de
l'imaginaire schizoïde et digesùf.

Image nO 35, Orient Watch Co Ltd


Montagne magique et technique horlogère
Au premier plan, deux montres, l'une blanche, avec bracelet de
cuir, l'autre noire, avec bracelet métallique, toutes deux à la
même heure et disposées en un parallélisme rigoureux. Elles
sont comme dressées sur un gros rocher gris tacheté.
La scène du second plan est totalement noire. Sur une émi-
nence, une sorcière officie, hiéraùquement debout avec son
bâton; son chaudron luit au-dessus d'une flamme rouge.
Le fond de l'image est uniformément bleu sombre; en gros
caractères l'accroche: <<Lignes nouvelles, concept tradiùonnel».
Sur quel mythe se fonde cette mise en scène publicitaire?
Immédiatement la sorcellerie vient à l'esprit, et les réminis-
cences du feu sur la montagne et de l'enfer 18. Or dans les so-
ciétés tradiùonnelles ce sont les forgerons, premiers artisans de
la technique, à la fois craints et méprisés, qui sont toujours
soupçonnés d'être plus ou moins en relaùon avec le diable.
148 DES MONTS ET DES MYTHES
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Le mythe de référence est ICI celui d'Héphaïstos; ce for-


geron laid et boiteux hantait les volcans des îles grecques, mais,
dieu de la métallurgie, il avait le génie pour forger les armes
des héros tels qu'Achille ou Héraclès. Magie des métaux en
fusion, montagne infernale, de laquelle ne reste au premier plan
que la lave couleur de cendre, et ces objets de haute technolo-
gie, que sont les deux montres noire et blanche, les deux cou-
leurs de la magie; signes discrets de leur origine traditionnelle,
malgré un look délibérément contemporain.

Image nO 36, Caisse d'Epargne Ecureuil


Des montagnes d'argent

Au premier plan, sur les plus grosses montagnes, l'accroche, en


épais caractères, blanc sur fond violet sombre: «PEP Ecureuil,
L'Epargne claire et nette d'impôt». Puis, refluant vers l'hori-
zon, des vagues successives de sommets violets plus clairs,
blanchis par les nuages.
Au fond, un ciel d'aurore rose pale, de plus en plus clair
vers le haut de l'image.
La montagne est bien le sujet essentiel; on y retrouve
d'ailleurs les traits schizoïdes propres à l'imaginaire diurne:
simplicité des formes quasi géométriques, unicité des teintes
peu diversifiées, mouvement général vers la clarté, pauvreté de
l'image. Une idée contenue dans l'accroche frappe immédiate-
ment: netteté. L'altitude en est le support: on voit loin, et clair,
puisqu'on est sur un sommet, et que l'on domine le paysage.
Les ondulations collinaires sont elles-mêmes sombres au
premier plan. Montagnes-tas, «pelves» comme disaient les pay-
sans de jadis, «étrons de Gargantua», comme en rigolaient nos
ancêtres les Gaulois. Depuis, Freud est passé par là, et le psy-
chanalyste y verra l'amas scatologique de l'argent. Domaine du
non-dit, des dissimulations fiscales, des petits profits in-
avouables, des origines douteuses, de l'obscur s'il en est. On
accepte difficilement de parler de son argent, même avec son
banquier! Ici la Caisse d'Epargne interpelle le client: «Je suis
clair et net, voyez: je suis montagne!»
LA MONTAGNE R~VÉE PAR LA PUBLICI"Œ 149
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Effectivement l 'horizon est dégagé, le placement a une


bonne «visibilité» comme disent les financiers. La montagne
chthonienne qui plonge ses racines troubles dans le monde sou-
terrain, lieu des enfers, est sublimée par ses sommets qui se
fondent dans le ciel. Sublimation alpestre, qui est aussi recy-
clage d'un argent jamais vraiment propre, même lorsqu'il est
populaire.
Le même annonceur a fait paraître d'autres encarts à la
même époque dans d'autres revues. Ils complètent ce premier
thème. On y trouve une image assez proche, et l'accroche sui-
vante: «L'ami financier vous ouvre de nouveaux horizons», et
peut donc satisfaire les exigences, les attentes ou les projets
propres à chacun. La montagne est non seulement le symbole
de la clarification dans les rapports à l'argent, mais elle incite à
la réalisation de projets personnels. On rejoint ici les autres
thèmes classiques de la carrière individuelle, dont l'ascension
est la projection spatiale.

Image nO 37, vallée d'Aoste


Délire et trip alpestre

Le but de cette publicité est de vendre des séjours de neige dans


le val d'Aoste. L'encart est fait d'un puzzle de multiples
images, que l'on peut globalement diviser en deux parties: à
droite, gros plan sur le visage extasié d'une jeune fille, et en-
dessous le texte. A gauche, une succession d'images de sports
d 'hiver, avec au centre la carte indiquant le lieu du séjour tou-
ristique.
Le regard est tout d'abord frappé par le visage de la jeune
fille. A la fois souriant et étrangement saisi, bouche entrouverte
qui mord les doigts, proche de l'extase ou de l'égarement.
Le texte fournit les clés de l'interprétation. «Glisse de rêve.
Folie solaire», le ton est donné, nous sommes plongés dans le
délire. «La neige s'amuse sous mes planches. Mont Blanc,
mont Rose, Cervin, Grand-Paradis des sports d'hiver» : à tra-
vers les gerbes de poudreuse sous ses skis, le lecteur voit tour-
noyer le feu d'artifice des sommets prestigieux du val d'Aoste.
Géographie étourdissante qui mélange les pays et les sens:
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DES MONTS ET DES MYTHES

«L'italie dans les yeux, le français au bord des lèvres». Qui fait
perdre aussi le contact avec le quotidien: «Je plonge dans leur
sourire. Le temps déchausse. Tout doux. Je fonds.» Ici
s'accomplit l'extase. La montagne est bien le sas mythique qui
introduit au-delà du temps et de l'espace, à la manière de la
démarche soft des héros ouraniens. L'altitude est une drogue, et
le vol magique à skis un trip; celui qui y aura goûté ne pourra
plus s'en passer, et le rêve lancinant viendra indéfiniment le
tourmenter: «Encore et encore me laisser valdorloter».
Un kaléidoscope d'images sur la gauche donne un contenu
concret à ces phantasmes: en haut trois skieurs volent dans la
poudreuse, au-dessous deux jeunes fùles embrassent deux
énormes chiens de traîneaux pelucheux comme des nounours;
plus loin un grand bâtiment sous la neige fournit un indice pré-
cis de ce lieu paradisiaque qu'est le val d'Aoste, mais se laisse
imaginer aussi comme un château de contes de fées; en bas
enfin des pentes glacées majestueuses se fondent dans un ciel
d'azur profond, en quelques images uniformément bleues.

Image n° 38, Hautes-Alpes


Le critère de vérité

Deux pages de publicité comparative. Les deux images sont


construites formellement sur le même modèle, symétriques:
chacune voit converger en son centre un sommet sur fond de
ciel, et une accroche située en haut donne en deux mots le sens
de la comparaison: à gauche les «Alpes fausses»; à droite -
comme il se doit -les «Alpes vraies».
Quelques détails permettent d'identifier la nature des pay-
sages: à droite, deux minuscules skieurs, homme et femme,
indiquent un sommet enneigé, au-dessus d'une mer de nuages à
1'horizon. A gauche, en forçant le regard, on distingue au pre-
mier plan un bâtiment usinier, et des pylônes: l'alpe se révèle
crassier.
Toutes deux sont pourtant formellement montagnes: iden-
tiques, les lignes de force du paysage allient la simplicité schi-
zoïde des thèmes de l'altitude, à la composante ouranienne et à
la dominance du bleu. A tel point que l'on pourrait s'y tromper
LA MONTAGNE R~VÉE PAR LA PUBLICITÉ 151
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et que l'annonceur conseille: «Méfiez-vous des imitations». Et


pourtant la différence entre les deux images est bien marquée :
à gauche, sous la couleur sombre du crassier, le ciel noirci par
les nuées est à l'orage; à droite, la montagne est immaculée,
sous un vaste azur et une accroche rouge vif, qui métamorphose
l'image en bannière tricolore. Dans les deux cas c'est bien
l'imaginaire alpestre qui est à l'œuvre: monde autre, étranger
au quotidien, lequel n'est jamais ni aussi noir, ni aussi brillant.
Et cependant à l'éminence triste et sombre s'oppose point par
point, le sommet éclatant. Dialectique de la montagne noire ou
blanche, négative ou positive, infernale ou paradisiaque.
Cet encart enfin est riche d'enseignement sur le tourisme
aujourd 'hui. En opposant les Alpes vraies aux fausses, il té-
moigne aussi de l'euphémisation de la pratique alpine. La pub
renoue avec le thème de l'ascension comme critère de vérité:
exercice cathartique, elle dévoile le vrai par delà les apparences
trompeuses et surfaites de la plaine. Mais contrairement au
mythe, le discours moderne sur la montagne gomme son envers
maléfique, pour ne retenir que la composante positive de l'ini-
tiation. Fonction consumériste de la pratique contemporaine: la
montagne est vécue par procuration, dépouillée de ses dangers,
et de ses secrètes indignités.

Image nO 39, Les Arcs


Cocoon ...

Toute l'image est construite sur un contraste entre l'intérieur


chaleureux du premier plan, et le fond clair et froid de la mon-
tagne.
Tout devant, un appartement présenté comme un chalet de
bois, dont la couleur brune est soulignée par des résidus de
neige. Le regard se porte sur le balcon et une vaste baie vitrée
qui découvre un intérieur totalement éclairé. Tout indique
l'ambiance chaude de l'appartement: la dominante des boise-
ries et des couleurs jaunes, les coussins sur le sofa, la cuisine, la
salle de bains, les pommes sur la table ... Quoique douillet, le
mobilier garde un rien de rustique: lignes modernes et simples
des lits, des tables et du tabouret. De même deux zones bleues,
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152 DES MONTS ET DES MYTHES

l'une dans la salle de bains, l'autre sur le divan, constituent des


rappels de l'extérieur montagnard.
Au second plan, à demi cachés par les sapins enneigés, une
vue extérieure sur les immeubles de bois, dans la montagne du
soir. Et tout autour de ces intérieurs que l'on devine paisibles,
les champs de neige gagnés par l'ombre. Au fond, les sommets
montagneux baignés de la lueur à peine rose et froide du cou-
chant, et le ciel uniformément bleu, couleur de la nuit qui
tombe.
Le schéma ci-dessous résume les caractères opposés des
deux types d'espace :

MICROCOSME MACROCOSME
Intérieur Extérieur
«Intérieur externe» «Extérieur interne»
Appartement Montagne
Eclairé par la Ombres du soir par
lumière artificielle absence de lumière naturelle
Zones d'ombre ... Zones éclairées ...
Ocre-Jaune-Marron Bleu-Blanc
Chaleureux Froid
... bleues ... marron
Mobilier anguleux
Soleil couchant
Appartement spacieux Domaine skiable immense

Ainsi le contraste entre les deux plans, appartement et mon-


tagne, oppose un certain nombre de traits distinctifs, en un
ensemble structural, du même type que celui que Bourdieu par .
exemple découvre par l'analyse de la maison kabyle 19 •
Tous ces traits distinctifs sont opposés deux à deux selon les
deux régimes antithétiques de l'imaginaire diurne et nocturne,
lesquels donnent les clés de la signification structurale de
l'image: celle-ci s'ordonne selon la dialectique microcosme-
appartement, macrocosme-montagne, qui recouvre une op-
position plus complexe que la simple antithèse. D'abord l'inté-
rieur du microcosme contient nombre de répliques de la
montagne extérieure, comme les zones d'ombre bleues, ou
LA MONTAGNE R~VÉE PAR LA PUBLICITÉ 153
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l'angularité du mobilier. Mais surtout le macrocosme évoque


aussi le régime diurne avec le soleil couchant et les immeubles
éclairés. Ensuite, contrairement à l'anthropologie classique, où
la lumière règne à l'extérieur, tandis que l'intérieur est noctur-
ne, ici c'est la maison qui est illuminée, et la montagne qui est
le royaume de l'ombre.

Image nO 40, Volkswagen


Refuge, contrebande et technologie automobile

Au premier plan, une Golf parisienne, bleu sombre. Elle


s'engage sous la barrière, tandis que le douanier souriant lui fait
signe de passer. Le panneau «Suisse» indique assez le lieu où
se déroule la scène.
Au second plan, la route vire et ouvre sur un large panorama
de montagnes mi-rochers mi-alpages, taché d'ombres nua-
geuses. C'est une confirmation: il s'agit bien de la Suisse, du
moins telle que la donnent à voir les cartes postales.
Enfin le fond est occupé par un glacier lointain, entouré de
nuées roses, sous un vaste ciel clair.
Immédiatement le regard est capté par la montagne: elle est
effectivement l'objet principal de l'image, celui qui donne sens
à l'ensemble de l'encart publicitaire. Mais cette signification
est ici induite par un processus complexe d'analogies et d'allu-
sions successives.
Premier analogon, l'ouverture sur la montagne qui veut dire
entrée en Suisse. L'image est certes explicite, mais pour que nul
n'en ignore, le panneau indicateur est là avec le nom du pays.
Le lecteur est aussi voyageur. Démarche quasi initiatique
avec ses rites et ses symboles: douanier en uniforme, glaciers
de l'Helvétie. Le touriste va franchir un seuil et la barrière se
lève sur un type de paysage célèbre, tellement codé qu'il en est
caricatural, trop conforme pour être honnête. On pressent que le
publicitaire fait un clin d' œil, qu'il veut signifier autre chose.
Et effectivement, l'accroche au bas de l'image, «Valeur refu-
ge», nous aiguille vers un autre analogon: le stéréotype de la
montagne, havre pour les opprimés certes, mais aussi le refuge
moins avouable qu'est le paradis fiscal. Les deux valeurs, Suis-
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se et montagne, indiquent suffisamment que nous nous trou-


vons devant un tourisme d'affaires particulier qui consiste à
mettre ses valeurs à l'abri. Seul le gabelou souriant feint de
l'ignorer.
Mais c'est là encore un scénario classique et le texte achève
de pulvériser toutes ces hypothèses en donnant son statut
définitif à cette image trop banale. Le lecteur est mis dans la
confidence: il s'agit d'un «type» qui passe une Golf pour la
sixième fois. Valeur exceptionnelle s'il en est, voiture où «tout
est à déclarer» et l'annonceur ne nous fait grâce d'aucun des
avantages technologiques extrêmes de cette voiture: «arbre à
cames en tête», «circuit de freinage en diagonale», «vilebrequin
à cinq paliers» ...
Ici le thème de la montagne enchaîne une cascade de signi-
fications: tourisme, Suisse, refuge, contrebande... Emboîte-
ments d'analogies à la manière de poupées russes , qui finissent
par justifier les qualités techniques sans failles d'une auto-
mobile de fabrication allemande.
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QUATRIÈME PARTIE

IMAGINAIRE DES USAGERS


ET USAGERS IMAGINAIRES
DE LA MONTAGNE

L'étude des mythes, de la littérature, de la publicité a permis de


classer les grands thèmes montagnards en une architecture
symbolique cohérente. Nous verrons comment celle-ci structure
les rapports des hommes au territoire alpestre, dans leur extra-
ordinaire diversité, depuis le pèlerinage jusqu'au tourisme, en
passant par l'éducation ou la conquête militaire. De chacune de
ces pratiques, nous tenterons d'extraire les images de la mon-
tagne dont elle est porteuse, tant dans l'histoire ancienne qu'à
l'époque contemporaine. Ainsi l'imaginaire social devrait éclai-
rer les motivations latentes des différents groupes en activité
sur l'espace montagnard. Nous choisirons nos illustrations dans
la montagne française pour l'essentiel, privilégiant les Alpes du
Nord, en ce qu'elles font l'objet des représentations les plus
exemplaires.
Ce document est la propriété exclusive de Tristan Regaud (regaudt@gmail.com) - mercredi 04 octobre 2023 à 22h58
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CHAPITRE PREMIER

Les montagnards
sur la scène de l'histoire

Espace cntlque, la montagne crée la différence dans l'ordre


social. Elle marque les êtres dans leur rapport au territoire en une
dialectique de l'exclusion et de l'élection; elle confère à ses
habitants une image spécifique tantôt favorable, tantôt péjorative.
Montagne repaire, elle sera hantée par les barbares, les brigands
ou les rebelles; montagne refuge, elle hébergera les proscrits et
les communautés préservées des miasmes de la civilisation.

Le repaire des brigands

Sur la scène de l'histoire, les habitants des montagnes ont sou-


vent fait figure de brigands. Les Romains les percevaient ainsi.
D'après Claudien ceux qui se cachent dans les montagnes ont
des tanières dont les animaux ne voudraient pas, ce sont des
pillards. Strabon partageait cet avis, et traitait les «Baskous»
des Pyrénées de «cannibales l ».
Image des montagnes barbares qui s'atténue avec les beaux
jours de l'Empire, mais s'impose de nouveau et avec force dès
le Haut Moyen Age. Les Alpes, comme une grande partie de la
France d'alors sont hantées par la peur des «Sarrasins». Ils
sévissent particulièrement sur les hauteurs du Briançonnais, où,
en 972, ils capturent l'abbé de Cluny en personne, saint Maïeul.
L'insécurité généralisée fait que les monts se hérissent de forts,
les villages perchés s'entourent de remparts et se dissimulent
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aux regards. Comme on ne prête qu'aux riches, la légende a


beaucoup attribué aux Sarrasins: des lieux, des tours, des hauts
faits - ou de basses œuvres - et l'oronyllÙe traduit encore ces
terreurs ancestrales dans les Alpes du Nord. D'ailleurs lors du
processus de christianisation, le qualificatif de sarrasin ou de
maure, où l'étymologie populaire voit l'origine de la Maurien-
ne2 , est attribué sans distinction à toute population qui résiste
tant soit peu aux zélateurs de la religion nouvelle 3 •
De cette montagne où se terrent les païens, le chroniqueur
Lambert au XIIIe siècle écrit qu'elle recèle «des horreurs qui ne
se peuvent transcrire, tant sont stupéfiantes, et qui doivent res-
ter à jamais cachées pour ne pas enlever tout courage à ceux
qui par nécessité, ou pour tenir leur promesse, auront à parcou-
rir les monts escarpés4 ». La triste réalité sociale déteint sur la
perception du paysage, et à l'époque, on trouve les montagnes
vraiment laides; les voici dépeintes par un voyageur italien en
1483: «Autant les montagnes sont horribles et dangereuses par
le froid et la violence du soleil, cachant leurs sommets dans les
nuages, autant les plaines sont délicieuses à parcourir et consti-
tuent véritablement le paradis sur terreS.»

Le refuge des proscrits

Mais les montagnes, sous toutes les latitudes, recueillent aussi


les minorités chassées des plaines lors des invasions. Les avan-
tages stratégiques du relief servent la résistance des ethnies
vaincues ou opprimées. Si les Romains haïssaient tant les tribus
des Alpes, ils avaient leurs raisons; les hauteurs constituaient
un refuge pennanent pour des irréductibles, non inféodés à la
pax romana et qui entravaient le passage des légions: ainsi les
habitants du val d'Aoste ne cessèrent de leur barrer la route que
lorsqu'ils eurent tous été pris et vendus à l'encan. Par la suite,
pour éviter les combats coûteux, Rome pactisa avec le roi Cot-
tius, maître des cols de Maurienne6 , et les tribus des Alpes du
Nord conservèrent longtemps une part d'autonomie sous
l'Empire. La multiplicité des petits Etats alpins qui virent
ensuite le jour, du Moyen Age à l'ère moderne, témoigne du
particularisme tenace de ces peuples.
IMAGINAIRE DES USAGERS ET USAGERS IMAGINAIRES 159
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Avec la Renaissance, et plus encore au XVIIIe siècle,


l'image de la montagne s'améliore, voire s'inverse. Et pourtant
les malandrins n'en continuent pas moins d'écumer sporadique-
ment les zones montueuses: les bandits corses ou calabrais, les
Haïdoucs des Balkans, les bandoleros des Andes, Mandrin en
Dauphiné7 , ont marqué durablement l'imaginaire collectif. Sur-
tout, avec les Etats modernes, les montagnes servent de refuge
pour les proscrits et les boucs émissaires. En France, l'Inquisi-
tion, puis l'édit de Nantes, y ont déplacé des populations
jusqu'à la Révolution de 1789; les camisards se retranchent
dans les Cévennes, les vaudois font retraite dans le Briançon-
nais, les huguenots dans l'Oisans. Enfin durant de longs siècles,
les montagnards se sont livrés à la migration temporaire, se
louant, commerçant, ou vaguant dans les plaines. Ouvriers agri-
coles, colporteurs, ramoneurs, mendiants... mille métiers de
l'aventure et de l'errance qui ont donné une image encore plus
sauvage aux habitants des hautes vallées.

Du hors-la-loi au héros

De nos jours, la stratégie de la guérilla a remis à l'honneur la


montagne comme repaire et refuge. En France. sous l'Occupa-
tion, les Alpes du Nord ont été des hauts lieux de la Résistance
avec le maquis du Vercors ou des Glières. La guerre d'Algérie
a pris naissance sur les hauteurs de la Kabylie et des Aurès, tan-
dis qu'en Indochine, le Viet-Cong agissait depuis les Hauts Pla-
teaux; de même les guérilleros péruviens ou boliviens s'embus-
quent dans les Andes, et ceux du Nicaragua et du Salvador dans
les montagnes d'Amérique centrale. Pour ces rebelles, le terrain
s'est identifié à leur action même: fuir dans la montagne signi-
fie se mettre hors-la-loi, comme «prendre le maquis».
Bandits, bannis. rebelles. marginaux, hérétiques divers, tous
ceux qui hantent la montagne, sont ipso facto exclus de la
société des «honnêtes gens». Mais cette exclusion contient sa
propre révocation: Mandrin ne tardera pas à devenir un bandit
social chanté et vénéré, et les Haïdoucs des vengeurs du peuple.
L'ambivalence est encore plus frappante dans le cas des exclus
de la première heure que sont les maquisards, futurs héros de la
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Résistance, ou des rebelles algériens transformés en martyrs de


la Révolution. De repaire négatif, la montagne devient positive,
refuge. Elle est le creuset initiatique où s'effectue la métamor-
phose du hors-la-loi en héros, où celui-ci passe de la mort
sociale à l'élection; contradiction dialectique déjà présente
dans l'imaginaire archaïque, mais qui s'actualise au gré des
époques et des groupes sociaux, en une image symbolique
dégradante ou héroïque des montagnards.

Barbares et bons sauvages des philosophes

L'image actuelle des gens de la montagne n'est pas très diffé-


rente de celle des mythes primordiaux, profondément enfouis
dans la mémoire collective, ou des métaphores véhiculées par
la littérature. Dans l'imaginaire social contemporain, elle oscil-
le entre la figure du barbare et celle du bon sauvage.
On devine sans peine cet imaginaire sous-jacent chez les
philosophes du XVIIIe siècle qui louent les montagnards pour
la pureté de leurs mœurs et leur liberté politique; même un
esprit aussi scientifique et pondéré que Montesquieu, reprenant
les théories d'Hippocrate et de Jean Bodin, se fait un devoir
d'expliquer pourquoi les habitants des montagnes échappent
plus que les autres à la servitude. Soumis à la rigueur du froid,
ils seraient plus dynamiques, courageux au travail et à la guerre;
en outre, le relief nuit à l'agresseur, favorise la défense et entra-
ve l'extension des empires; enfin la stérilité des terres rend les
hommes plus sobres, et l'absence de richesses décourage les
prédateurs éventuels et toutes formes de domination écono-
mique: en montagne, «la liberté est le seul bien qui mérite
qu'on le défende8 ». Voilà traduits dans les termes d'une socio-
logie déjà sérieuse les phantasmes valaisans de Rousseau. et les
premières ébauches d'une théorie du communisme primitif.
Mais. outre les bons sauvages, les sommités scientifiques du
XVIIIe ont aussi leurs montagnards barbares. Non plus les sar-
rasins ou les ligures, mais leur progéniture: Ramond de Car-
bonnières croit déceler dans les cagots des Pyrénées centrales,
les descendants dégénérés des Wisigoths. Pour Théodore Bour-
rit, les habitants du val d'Anniviers seraient issus des Huns,
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IMAGINAIRE DES USAGERS ET USAGERS IMAGINAIRES 161

repoussés et réfugiés dans cette vallée d'accès difficile9 • Et


Maugiron n'a retenu de ses pérégrinations dans les Alpes que
les glacières de Chamonix et les crétins du Valais lO •

Les primitifs d'aujourd'hui

De nos jours, l'ethnocentrisme est plus subtil; pourtant, malgré


mille précautions scientifiques et interdits idéologiques, la per-
ception des montagnards s'appuie toujours sur la même ambi-
valence exclusion-élection. Une enquête des années soixante-
dix le confirme de manière éloquente: en voici les principaux
résultats ll . Tout d'abord, un seul sur la cinquantaine d'enquêtés
considère que les montagnards sont «comme nous». Tous les
autres investissent dans l'image de l'autochtone des qualités et
des défauts très particuliers, ils en font un être différent, et cela
tient au territoire alpestre même. Le plus remarquable est que
même les autochtones interviewés emploient la troisième per-
sonne pour parler des montagnards, et que systématiquement ils
situent ceux-ci plus en amont dans les vallées: on trouve tou-
jours plus «montagnard» que soi.
La moitié des enquêtés environ émettent des jugements dé-
favorables sur les autochtones. Comme leur montagne, ceux-ci
sont «durs», car «ils prennent le caractère de leur terre» ;
comme elle, ils sont «lents», aussi bien de corps que d'esprit;
comme le climat enfin ils sont «froids». C'est pourquoi ils ne
sont pas «gracieux», et «n'ont pas le sourire commercial».
Avec eux, «on ne peut pas rigoler, pas dire ce qu'on pense».
Mutisme, méfiance, qu'on attribue volontiers à leur isolement:
«ils ne sortent pas».
Par rapport au citadin, ils font figure de «paumés». Le grou-
pe est autarcique, impénétrable: «Ils n'acceptent pas que des
jeunes s'installent, ne vendent pas leurs maisons ... et préfèrent
qu'elle s'écroule». Certains enquêtés sont frappés par l'endoga-
mie: «ils se marient tous entre cousins et sont tous parents». Ce
repli sur soi favoriserait la naïveté - ils ne sont «pas malins» -
et l'ignorance, même de leur milieu: «les gens d'ici connais-
sent moins bien la montagne que les citadins, car ils ne sortent
pas du village !» Etroitesse d'esprit également: «ils ont des
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162 DES MONTS ET DES MYTHES

siècles de traditions, difficiles à modifier, et sont peu réceptifs


aux techniques modernes». Aussi sont-ils peu entreprenants,
souvent jugés incapables de tirer parti de l'implantation d'une
station touristique; apathie qui les confine dans leur condition
misérable. Un enquêté résume l'impression générale: «les gens
sont un peu sauvages ici, ils ne sont pas du tout sociables. lis
nous regardent d'un air hébété». Sous les mots d'aujourd'hui,
on reconnaît sans mal le barbare d'antan.

Les vrais montagnards


Inversement, une autre moitié des personnes interrogées ne
tarissent pas d'éloges pour les montagnards. Comme précédem-
ment, ceux-ci sont censés se fondre avec l'environnement, mais
ici le mimétisme paysager est considéré comme bénéfique.
D'abord ils «font partie du décor», donc «ils ne l'abîment pas» :
ils sont crédités d'une conduite naturellement écologique. Ils
sont également endurcis par la montagne: «même Grenoble
subit cette influence et est peuplée de gens rudes». Plus solides
physiquement, les autochtones «sont comme la montagne, ils
sont baraqués !», et on les dit moins sujets aux maladies. Pour-
tant l'influence est surtout morale, ils acquièrent «une sûreté de
comportement et de jugement, une confiance en eux».
Si les montagnards parlent peu, les enquêtés mettent cela sur
le compte d'une certaine «philosophie» : face à la vie trépidante
des villes et la naïveté des touristes, ils conservent un recul
méditatif. Leurs silences cachent sur les gens et sur les choses
un savoir profond: «je me rappelle d'un berger qui m'avait
appris des trucs incroyables au point de vue climat». Bien
entendu, «ce ne sera pas les cinq premières minutes qu'il (le
montagnard) vous livrera beaucoup de secrets, mais si vous
arrivez à vous en faire un ami, il vous dira tout et même plus
que vous n'en demandez». La réticence bourrue des premiers
échanges proviendrait d'une timidité, d'un sentiment d'infério-
rité: «ils ont peur des gens des villes. Ils préfèrent se «renfer-
mer quand on vient leur parler et se retirer car ils ne sont pas
instruits pour répondre aux questions».
Quand ils s'expriment, la rudesse du discours est un franc
parler, ce qui ne signifie pas déficience de l'accueil: «si vous
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IMAGINAIRE DES USAGERS ET USAGERS IMAGINAIRES 163

voulez être bien reçus, il faut aller en haute montagne, là les


gens savent ce que c'est que la misère; ils vous gardent à cou-
cher, il donnent tous à manger, et à mesure que vous descendez
vers la civilisation, ils ne donnent plus, c'est automatique.» On
les dit «désintéressés» : «l'argent pour eux n'a pas de valeur, la
moindre chose est une richesse alors qu'elle nous paraît insigni-
fiante». Détachement des biens d'ici-bas qui réduit leurs
besoins: «ils se suffisent à eux-mêmes, ils sont leur propre
patron à la montagne.» L'innocence permet de retrouver la
sérénité des origines: «ils ne connaissent pas l'angoisse.» La
pauvreté resserre les liens sociaux et réconcilie les êtres divisés
- et grincheux - de la plaine: plusieurs touristes enquêtés se
disent frappés qu'on les salue lors de promenades en montagne.
Ces bribes d'interviews de Français moyens sont insuffi-
santes pour une étude complète de la perception des monta-
gnards. Mais il est frappant de constater que nous retrouvons
sans peine les valeurs de la symbolique alpestre telle qu'elle
apparaît dans l'imaginaire mythique: soit des montagnards in-
cultes et asociaux, soit des êtres qui ont l'intelligence profonde
des choses, le détachement des biens d'ici-bas, le sens de la
vraie sociabilité ... Bien loin d'être originaux, tous ces thèmes
correspondent étroitement aux poncifs littéraires étudiés plus
haut; sans doute reflètent-ils aussi l'influence des médias sur
l'opinion, sans que l'on en puisse mesurer l'exacte importance.
Cependant, il est certain qu'un lien existe entre perception des
autochtones d'un côté, discours et pratiques touristiques de
l'autre; comme l'enquête l'a montré, ceux qui voient des
autochtones barbares sont en majorité favorables à l'aménage-
ment intensif, et aux pratiques touristiques agressives, ceux qui
au contraire magnifient des montagnards «bons sauvages», .
inclinent plutôt à la protection de la montagne et s'adonnent au
tourisme contemplatif.
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CHAPITRE DEUXIÈME

L'Alpe prométhéenne

Les habitants sont perçus en fonction d'une image globale de la


montagne; image liée elle-même à un contexte historique, à des
pratiques militaires, aménageuses ou touristiques, image
variable donc selon les époques, mais qui toujours plonge ses
racines dans le terreau mythique. Ainsi pour une part, les rap-
ports à la montagne dépendront de l'imaginaire prométhéen:
l'espace alpestre sera alors périphérie à traverser et à conquérir
pour les armées, à explorer pour la science, puis à aménager
pour l'industrie et le tourisme. Images et pratiques de la mon-
tagne définiront donc des profils sociologiques, celui du traver-
seur ou du colonisateur militaire, de l'explorateur, du scienti-
fique, de l'entrepreneur, ou du promoteur... Bref, de territorial,
l'imaginaire devient social.

Les héros primordiaux nécessaires à l'initiation

Précédé de neuf pèlerins, Bernard de Menthon ferme la


marche: c'est sur le dernier de la colonne que les brigands
tombaient à l'improviste. Et cette vallée des Alpes au Xe
siècle était infestée de pillards - et de païens. Mais heureu-
sement il y a un dieu pour les ascensionnistes, et après avoir
renversé les idoles du mont Joux, celui qui deviendra Saint-
Bernard parvenait à fonder l 'hospice qui porte aujourd 'hui en-
core son nom. Cette maîtrise d'un passage clé sur la route de
Rome et de l'Italie fit une forte impression sur tout l'Occident
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166 DES MONTS ET DES MYTHES

ecclésial et seigneurial. Voici la leçon qu'en tire Richard, le


successeur de Saint-Bernard:
«Les rochers et les précipices y sont devenus accessibles,
une éclatante lumière en a dispersé les ténèbres: le voyageur y
trouve un lit de repos. Les chants d'allégresse ont succédé aux
cris de l'angoisse; l'abondance est venue s'y fixer, les frimas
ont disparu, il y règne un printemps perpétuel. Les démons ont
été contraints d'abandonner ce désert aux légions célestes: au
lieu d'un enfer vous y trouverez un paradis 12.»
Par ses hauts faits, le conquérant prométhéen intègre de
force au territoire la montagne périphérique et barbare, il la
métamorphose en éden. La geste médiévale reproduit ici le
récit mythique dans toute sa complexité, en particulier avec la
dialectique de l'élection et de l'exclusion. En effet la montagne
est à l'époque une zone dangereuse, y pénétrer peut être fatal à
l'être faible. D'ailleurs il arrive qu'elle soit interdite: en 1387,
six prêtres de Lucerne seront mis en prison quelques années
pour avoir seulement projeté de gravir le mont Pilate. La haute
montagne est réservée aux marginaux et aux têtes brûlées.
En revanche, lorsque ces derniers réussissent, malgré, ou à
cause de la transgression des interdits, ils sont transformés en
héros. Ainsi en 1492, Antoine de Ville, seigneur Dom lullien
de Beaupré, se fait mandater par Charles VIII, et gravit avec
force échelles et grappins, le mont Aiguille, alors nommé Mons
Inaccessibilis. Parvenu au sommet, il fait dire une messe, et
planter trois croix; au retour, il prend la précaution de faire
dresser un constat d'huissier prouvant son ascension, et après
avoir recueilli l'approbation de l'évêque de Grenoble, il change
le nom de la montagne en Eguille-Fort.
L'ascension d'Antoine de Ville est souvent considérée
comme la première course d'alpinisme, elle est aussi un modèle
de fréquentation prométhéenne. Le fait de fouler le sol de cet
espace chaotique a un effet colonisateur: l'exploration permet
de l'annexer symboliquement au territoire, et ceci l'année
même où Christophe Colomb découvre l'Amérique. Dans ce
contexte, la montagne n'est qu'un obstacle à vaincre; l'image
en est toujours défavorable lorsqu'elle reste à l'état de nature,
mais elle s'améliore une fois aménagée. Il faut civiliser l'espa-
ce sauvage et donc le baptiser: aujourd'hui encore les promo-
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IMAGINAIRE DES USAGERS ET USAGERS IMAGINAIRES

teurs le font pour une piste de ski, et n'importe quel falaisiste


signe sa voie. Dans ce rite d'incorporation au territoire se pro-
duit la métamorphose initiatique du héros. Mais la caution de
l'institution est nécessaire; sans elle, le nouveau Prométhée
pourrait bien n'être qu'un vulgaire violateur de cimes.

La montagne des militaires et des patriotes


Il est symptomatique qu'Antoine de Ville soit un seigneur, et
les compagnons de Saint-Bernard des moines combattants: le
rapport à la montagne le plus typiquement prométhéen nous est
foumi par le militaire. La montagne frontière, «ligne bleue des
Vosges» à la périphérie du territoire, est un lieu de veille straté-
gique obligé pour les armées, sans compter que les lois de la
topographie font de toute éminence un repaire ou une forteresse
en puissance.
L'Antiquité grecque et romaine connaissait presque unique-
ment cet usage de la montagne. Xénophon rapporte déjà com-
ment les soldats passent les cols dans le brouillard parmi les
précipices, il note les bivouacs en altitude et les dégâts causés
par la cécité des neiges I3 • De même les Romains voyaient dans
les Alpes surtout un passage difficile mais obligatoire pour les
légions; Hannibal se chargea de leur prouver qu'elles étaient
une zone stratégique; il fallait donc les contrôler et les aména-
ger, ce qui fut fait. Pourtant nous avons vu qu'à la fin de
l'Empire, les montagnes sont livrées aux barbares et aux bri-
gands et renouent avec leur image détestable.
Arrive le Moyen Age et la constitution progressive des Etats
nationaux. La montagne est de nouveau traversée par les
armées, mais cette fois les Alpes le sont du Nord vers le Sud:
Germains et Français envahissent l'Italie. L'épopée de Napo-
léon au Saint-Gothard est une répétition millénaire de celle
d'Hannibal; elle alimente l'imagerie d'Epinal durant tout le
XIXe et elle sera suivie de bien d'autres tentatives héroïques
mille fois recommencées dans l'histoire contemporaine. On
retiendra la bataille de Caporetto, région de haute montagne où
les Austro-Hongrois battirent les Italiens en 1917, ou encore
l'assaut du Caucase en 1942 par les Allemands qui montèrent
des pièces d'artillerie jusqu'à 4 500 mètres d'altitude.
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168 DES MONTS ET DES MYTHES

Images de guerre en montagne encore vivantes dans la mé-


moire du XXe siècle et qui ont marqué aussi les troupes alpines.
A l'époque romaine il existait déjà des «cohortes de mon-
tagne 14 ». En 1744, Louis XV instituera les «fusiliers de mon-
tagne» ; puis avec Louis XVI, la Révolution, l'Empire, on assis-
tera à l'apparition éphémère de «chasseurs» ou de «grenadiers»
des Alpes ou des Pyrénées. Mais c'est en 1888 qu'une loi de la
République créera les bataillons de «chasseurs alpins». Les
Alpini italiens les ont déjà précédés en 1873 ainsi que les N or-
végiens. Beaucoup d'autres ont suivi: les Autrichiens, le
Gebirgskorps Allemand, les Soviétiques, les Américains, ...
Toutes ces troupes sont généralement considérées comme des
corps d'élite dans leur pays, et sont recherchées par les jeunes
recrues. Là encore l'image de la montagne définit un groupe
social électif, et l'armée entretient le culte du héros; nombre de
premières dans les Alpes ou ailleurs ont été réalisées par des
militaires ou des gendarmes. De très grands alpinistes contem-
porains comme Christophe Profit ou Eric Escoffier ont «fait
leurs classes» dans le Groupe militaire de haute montagne.
En France même, l'image de la montagne est inséparable de
l'institution militaire. Dès la fin du XIXe, les chasseurs alpins
introduisent le ski, inaugurant même en 1903 à Briançon une
«école normale» dédiée à ce sport; c'est sous le patronage de
l'armée que se déroule le premier concours international de ski
au Mont-Genèvre, en 1907. L'idéologie militaire imprègne
toute la pratique de l'alpinisme à la fin du XIXe siècle: en
témoigne la devise du CAF, «Pour la patrie par la mont~gne».
Sans doute faut-il voir là un honorable prétexte pour un loisir
encore mal accepté, mais la justification est d'autant plus ef-
ficace qu'à l'époque toutes les énergies sont mobilisées vers la
récupération de l'Alsace-Lorraine. Et l'armée elle-même y
trouvait son compte: il n'est pas rare de découvrir dans les
colonnes de l'annuaire du CAF, d'ardentes exhortations à la
pratique alpine afin de produire les hommes forts qui dans les
années à venir, «régénéreront la race 15 ••• »
Patriotisme voisine avec nationalisme. L'alpinisme de
l'entre-deux-guerres s'est signalé par les entreprises nationales-
socialistes des Austro-Allemands : plusieurs cordées de Ba-
varois et d'Autrichiens vinrent périr par vagues successives
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IMAGINAIRE DES USAGERS ET USAGERS IMAGINAIRES 169

dans les parois des Grandes Jorasses et de l'Eigerwand. Le


Nanga Parbat surtout obséda: parnù 155 alpinistes, appartenant
à 18 expéditions, 35 y trouvèrent la mort avant qu'il soit
conquis. L'alpinisme prométhéen, on le voit, n'est pas avare de
vies humaines ! Les Français eurent aussi leur accès de fièvre
lors de la compétition pour l'Everest après 1945, compensation
nationaliste après les durs revers de la guerre. C'est ainsi que
Maurice Herzog devint un héros national en atteignant le pre-
mier un sommet de 8 000 mètres, l'Annapurna, en 1950, mais
la victoire sur le toit du monde devait revenir à une équipe bri-
tannique deux ans plus tard. Cette conquête de ce qu'on croyait
être le sommet de la planète reste un symbole nationaliste
aujourd'hui encore bien vivant, puisque des Américains y ont
planté la bannière étoilée pour célébrer le deux-centième anni-
versaire de l'Indépendance, et que l'organisation séparatiste
basque, l'ETA, y a également hissé son drapeau en 1980.
Doit-on ranger sous la même rubrique nationaliste le fais-
ceau de pics du Pamir qui portaient le nom de héros de l'Union
soviétique? Le point culminant s'appelait le pic Staline comme
il se doit, avant de devenir le Pic du communisme. Et celui-ci
règne sur un groupe de sommets secondaires, le pic Lénine évi-
demment, mais aussi le pic Moscou-Pékin, le pic du XIXe
Congrès, le pic du XXVle Commissaire de Bakou ... Cette sanc-
tification prométhéenne des montagnes existe aussi aux USA
où le portrait géant de quelques grands fondateurs a été sculpté
dans les falaises de l'Ouest américain 16 •

Explorateurs et scientifiques
Juin 1741. Huit jeunes Anglais partent de Genève avec leurs
cinq serviteurs et à leur tête Windham et Pococke. Après trois
jours de voyage, ils parviennent aux environs de Chamonix.
«Ils regardaient sans doute cette vallée comme un repaire de
brigands, car ils y allèrent armés jusqu'aux dents ... n'osaient
entrer dans aucune maison; ils campèrent sous des tentes qu'ils
avaient portées et ils tinrent des feux allumés et des sentinelles
en garde pendant toute la nuit. Les vieillards de Chamouni s'en
souviennent, et ils rient encore des craintes de ces voyageurs et
de leurs précautions inutiles 17 .»
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170 DES MONTS ET DES MYTHES

Ainsi les Alpes entraient dans l'ère colonisatrice. Avec


l'industrialisation, la prolifération des villes, toutes les «terras
incognitas» se muent en colonies potentielles. Depuis long-
temps, la montagne était ce no man's land aux franges du terri-
toire mais sa position stratégique lui avait permis d'échapper à
l'annexion. Désormais elle constitue une marge territoriale
offerte à la conquête prométhéenne 18 • Or le premier acte du
colonisateur consiste à explorer.
L'image de l'inexploré est généralement peu flatteuse; la
grande vague colonisatrice s'appuie sur la vision des M onts-
Affreux du XVIIe siècle, époque où «les théologiens recher-
chaient les raisons qui avaient pu amener le Créateur à semer la
terre de ces obstacles néfastes 19». François, un géographe de ce
temps, reproche aux montagnes de nuire à la rotondité du
globe, de le rendre «bossu» et «contrefait2o». L'image de la
montagne difforme rejoint celle de la montagne barbare. La
conquête prométhéenne se veut rationalisation; il s'agit d'inté-
grer ces zones qui «blessent le désir d'ordre, d'équilibre et de
raison qui règne tout-puissant sur les esprits de l'âge
classique21 ».
Les pionniers du tourisme, à la fin du XVIIIe siècle, vien-
nent donc à la montagne en explorateurs, expédition plutôt que
voyage d'agrément. D'ailleurs l'exploration se réalise souvent
dans le sillage des armées; à cette époque le général Bourcet
cartographie méticuleusement l'Oisans, dont les cartes ne par-
viendront jamais entre les mains des ci vils; Bouguer et La
Condamine, envoyés par le Roi, effectuent des relevés géodé-
siques dans les Andes. Mais dans les Alpes comme en Afrique,
les Britanniques surtout sont entreprenants: au XI Xe, Whym-
per, Mummery, Coolidge seront les pendants en Europe des
Clapperstone, Stanley ou Livingstone aux colonies; figures les
plus célèbres de l'âge d'or de l'alpinisme, apogée de la décou-
verte. Au XXe siècle, l'exploration des montagnes s'étendra à
l'ensemble de la planète, Maghreb, Oural, Andes, Himalaya, et
cette pulsion aventurière reste une motivation bien vivante dans
l'alpinisme aujourd 'hui.
La fréquentation exploratoire culmine avec le concept de
«première» lequel a évolué au cours du temps; à la trop simple
conquête du sommet ont succédé la voie, puis «l'hivernale», la
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IMAGINAIRE DES USAGERS ET USAGERS IMAGINAIRES

«solitaire», avant les «enchaînements» aujourd'hui. Mais la


«première» sous toutes ses formes reste l'archétype, l' expérien-
ce primordiale dont rêve tout alpiniste et qu'il tente de repro-
duire.
L'exploration est présente sous une forme atténuée dans la
reconnaissance scientifique du territoire: «marcher, grimper,
c'est cartographier22», et le géographe le premier bénéficie de
l'exploration. Mais tous les secteurs de la science peuvent servir
de couverture honorable pour justifier ces facéties suspectes qui
consistent alors à gravir les montagnes. Saussure, un des pre-
miers à sillonner les Alpes, et le second au Mont-Blanc en 1787,
était physicien et géologue. Au XIXe, des scientifiques recon-
nus, tels que le naturaliste Agassiz, les physiciens Forbes et Tyn-
dall, seront des grands noms de l'alpinisme, mais bien d'autres,
moins célèbres casseront régulièrement des baromètres pour
faire avancer la recherche. Au début du XXe siècle, l'alpinisme
est complètement émancipé du prétexte scientifique, et pourtant
en 1905 encore, lors de la création de la revue La Montagne,
son rédacteur en chef affirme que c'est un lieu de «décou-
vertes linguistiques, sociologiques, économiques, météo-
rologiques, géophysiques, glaciologiques, géologiques, topo-
graphiques, géodésiques et botaniques23 ». Vaste programme
que propose un Club alpin œcuménique! Cela ne rebute pas
Helbronner qui s'y attelle sans plus tarder dans un article de la
même revue: il donne des conseils aux promeneurs du week-
end qui veulent s'adonner à la topographie en amateur24 •
Aujourd'hui ce tourisme à prétention scientifique n'est pas
mort; il se perpétue dans les stations et près des parcs naturels
où sont organisés des safaris photos, et des promenades sur sen-
tiers dits «éducatifs» ou «écologiques».
Pour l'explorateur, comme pour le scientifique, la montagne
est le terrain vierge sur lequel ils impriment leur propre loi,
celle de la science ou de la civilisation colonisatrice. Tous deux
violent la montagne: leur motivation, prométhéenne, est
l'agression. Tous deux se distinguent par un ensemble de rites
et de stigmates: les scientifiques forment des cercles où se
retrouvent en leur jargon ceux qui pensent savoir; les aventu-
riers, ayant pénétré les zones dangereuses, reviennent basanés,
avec des cicatrices, traces visibles de leur courage. L'exigence
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172 DES MONTS ET DES MYTHES

du bronzage est une forme symbolique atténuée de la vaillance


acquise dans les séjours lointains. Tous deux sont donc sociale-
ment marqués par la montagne.
Pionniers, pères fondateurs, leur expérience primordiale, va
constituer la base mythologique indispensable pour alimenter
les innombrables répétitions ultérieures. Afin que nul n'oublie
que chaque ascension n'est que la réactualisation, par un rituel
initiatique, de cette lointaine «première» entrée dans l'histoire,
on a baptisé de leurs noms les voies ou les sommets qu'ils ont
conquis. Scientifiques et explorateurs demeurent évidemment
une catégorie peu étoffée; mais en tant que héros prométhéens
primordiaux, ils proposent une expérience modèle du rapport à
la montagne, que tenteront plus ou moins consciemment d'imi-
ter les futurs initiés, nos modestes héros touristiques.

Les ouvreurs de routes

Sauvage et dangereuse, la montagne périphérique doit être sou-


mise; il faut donc l'irriguer de routes, la protéger des catas-
trophes, et si possible en tirer parti, en un mot l'humaniser.
Cette motivation, liée à l'imaginaire prométhéen, donnera nais-
sance à un autre acteur social, qui entretient des rapports spéci-
fiques à la montagne: l'aménageur. Aux origines, sa parenté
avec le militaire et le religieux est étroite. Les légions, premiers
traverseurs de montagnes, nous ont laissé des pavements de
voies romaines et quelques trophées commémoratifs. Après
l'éclipse des grandes invasions, ce sont les moines qui qua-
drillent le territoire montagnard de chartreuses, de trappes et
autres abbayes, non seulement centres de prière mais foyers de
développement agricole et industriel. Cependant la montagne
est d'abord espace extrême, frontière et lieu de passage: l' amé-
nagement primordial concernera donc les communications.
Les moines couvrent les Alpes, le Massif central, les Py-
rénées d' «albergeries» pour secourir et guider les voyageurs.
Outre l'hospice du Saint-Bernard déjà cité, bien d'autres res-
teront célèbres: Saint-Bonnet-de-Froid pour le passage de
l'Auvergne, la Madeleine pour le Lautaret, le sanctuaire de la
Madone de Fenêtre-en-Vésubie, ou le monastère du mont Ser-
IMAGINAIRE DES USAGERS ET USAGERS IMAGINAIRES 173
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rat en Catalogne. Au Moyen Age, la montagne traîne encore


l'image d'un espace mal maîtrisé. Et d'ailleurs, elle est périodi-
quement traversée de bandes armées ou de seigneurs qui vont
guerroyant en troupes. Pourtant nombreux sont déjà les pèlerins
qui se rendent à Rome ou Saint-Jacques-de-Compostelle, et en
période de paix, quelques marchands de Frise ou de Londres
s 'y hasardent. Mais cette fréquentation héroïque reste faible et
intermittente.
A la Renaissance elle va se régularisant et s'étoffant. C'est
que la situation des montagnes européennes s'est profondément
modifiée. Depuis l'an mil, du fait du réchauffement climatique
et d'une spécialisation précoce dans l'élevage, les communau-
tés alpines connaissent une certaine prospérité et une stabilité
politique et sociale. Au XIVe siècle, tandis que le bas pays est
décimé par les grandes pestes et par les guerres, les montagnes
demeurent des havres de sécurité relative25 •
Le bras séculier relaie les monastères pour contrôler, dé-
gager, et exploiter les voies de passage. Ainsi, dès 1239, Ay-
mon de Savoie fonde l'Hôtel-Dieu de Villeneuve; les textes
rapportent26 que chaque jour des caravanes de Bourguignons,
de Flamands, et même d'Anglais s 'y arrêtent, pour prendre
l'escorte - obligatoire - fournie par les gens du lieu. Certains
seigneurs distinguent encore mal entre impôt et rançon, et se
contentent de saigner le voyageur comme le font parfois les
sires de Briançon ou de Tarentaise. Mais d'autres, tels les ducs
du Tyrol, de Savoie, ou les comtes de Gruyère, adoptent des
vues plus larges et organisent les passages afin de justifier les
droits de douane ou les péages. A cette époque, ceux que Rabe-
lais appelle les «gryphons et marrons des montaignes de
Savoye, Dauphiné et Hyperborées 27 », se spécialisent déjà dans
ce qui deviendra le métier de guide.
L'aménagement routier de la montagne prend corps. Des
routes sont jalonnées de «soustes», avec auberge et entrepôts,
comme celle du Grimsel. Dès le XVe siècle un tunnel est si-
gnalé au mont Viso que Grand-Carteret attribue au marquis de
Saluces, et en 1515 Signot publie un petit livre sur les prin-
cipaux cols des Alpes. Parmi ces derniers, certains sont
d'ailleurs très fréquentés: un comptage effectué du 28 mars au
2 avril 1453 dénombre 360 chevaux au Saint-Gothard28 • Aux
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pèlerins et aux soldats, s'ajoutent désormais les magistrats, les


savants, les artistes, et surtout les marchands.
Les guerres de religion, puis entre nations au XVIIe siècle
ralentiront le développement des communications en montagne,
mais celui-ci reprendra de plus belle pour ne plus s'arrêter
désormais. Les cols pourtant demeurent nombreux et parfois
très difficiles, tel celui de Griès entre Valais et Val Formazza,
qui comportait un glacier de crête: mais ces communications
presque acrobatiques restent d'intérêt local. A partir du XIXe,
l'intensification des échanges impose des routes carrossables et
un investissement conséquent, donc réservé aux Etats, ce qui
sélectionne impitoyablement les grands passages. C'est Napo-
léon encore qui ouvre la route du Simplon en 1805, puis celle
du mont Cenis et du mont Genèvre en 1807. En 1854, la pre-
mière ligne de chemin de fer en montagne est inaugurée au
Semmering en Autriche, en 1862 Bagnères-de-Bigorre est
reliée à la vallée, en 1901 c'est Chamonix. En même temps des
tunnels sont creusés: le Fréjus en 1871, celui du Saint-Gothard
en 1882, qui mesure 15 km. Au XXe siècle, la technique ferro-
viaire se perfectionne, avec funiculaires et trains à crémaillère.
L'ensemble des villages des Alpes sont progressivement désen-
clavés par rattachement au réseau routier29 . Enfin après 1945,
les montagnes d'Europe se couvrent de téléphériques et de
remontées mécaniques diverses, tandis qu'elles sont systémati-
quement percées et traversées par les autoroutes.
En domptant la montagne, l'aménageur acquiert l'étoffe du
héros. Ainsi Charles-Emmanuel II demeure-t-il dans la mémoi-
re des contemporains le prince «à qui rien ne paraissait impos-
sible et qui entreprenait et exécutait heureusement et avec
d'autant plus d'ardeur tout ce que les autres regardaient au-des-
sus de leurs forces 3D ». Les ouvrages d'art impressionnent parti-
culièrement le commun et séduisent même les artistes: le
fameux Teufelsbrück, «Pont du Diable» sur la route du Saint-
Gothard est peint par Turner; les routes nouvelles taillées dans
les montagnes pour franchir les cols font l'objet d'innom-
brables gravures au XI Xe siècle; Whymper dans ses mémoires
d'ascensionniste, ne peut s'empêcher de glisser une re-
présentation pleine page de la machine à forer les tunnels de
Sommeiller31 • Une véritable mystique de la route accompagne
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le désenclavement des villages: Marthe Meyer réédite une belle


page de littérature à la gloire de ces travailleurs qui piochent,
percent, taillent laborieusement la montagne 32 • On devine sans
peine les réminiscences saint-simoniennes sous la rhétorique
prométhéenne. Dans les années soixante une chanson de
Hugues Aufray constitue une survivance tardive de la même
veine épique:
«Cette montagne que tu vois,
On en viendra à bout mon gars,
Un bulldozer et deux cents bras,
Et passera la route ... »

Capitaines d'industrie et promoteurs

Au XVIIIe siècle, la montagne périphérique n'est plus seule-


ment une frontière à stabiliser pour être traversée, mais un
espace à incorporer au territoire en y introduisant la civilisation
industrielle. Cette motivation prométhéenne transforme l'image
de la montagne en un espace naturel à domestiquer, un réser-
voir, une source, en somme un capital à exploiter.
Depuis le Moyen Age, les zones montagneuses étaient truf-
fées de mines. Les ruptures de couches géologiques facilitent
l'accès aux filons et l' oronymie rappelle cette vocation minière:
les Plombières, Argentières, Ferrières ne sont pas rares en mon-
tagne. D'ailleurs, en même temps qu'ils défrichaient, bénédic-
tins et chartreux développaient la métallurgie: ils avaient instal-
lé des martinets et des forges à Saint-Hugon, fabriquaient des
clous à Aillon dans les Bauges par exemple. Mais c'est au
XVIIIe que la montagne industrielle prend son essor et avec elle
le discours prométhéen. Coxe, un des premiers touristes anglais,
s'émerveille des «manufactures de toiles, de mousseline, de bro-
deries» de Saint-Gall, de la «perfection des arts mécaniques» de
La Chaux-de-Fonds; et à Locle dans le Haut-Jura, «on évalue à
quarante mille le nombre de montres qui sortent annuellement
de leurs ateliers. ( ... ) La population s'accroît, l'agriculture décli-
ne, mais nulle part on ne trouve autant de gens aisés 33 .» En éco-
nomiste libéral visionnaire, Coxe entrevoit la métamorphose
d'une montagne misérable en un espace prospère.
176 DES MONTS ET DES MYTHES
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Au XI Xe l'industrialisation suscite l'enthousiasme d'une


nature domptée au service de l'homme: les mines sont floris-
santes dans le Massif central, les filatures dans les Vosges, la
toumerie dans le Jura, la métallurgie dans les Alpes, ... Mais
jamais la mystique prométhéenne ne sera aussi exaltée qu'au
XXe siècle avec la découverte de la houille blanche et son
exploitation à grande échelle. L'image de la montagne source
de vie est alors à son apogée. L'exposition de Grenoble de 1925
consacre «les turbines d' aujourd 'hui, fulgurants rouets
modernes; ils filent dans l'air de nos monts l'immense réseau
métallique qui va porter au loin la puissance et la gloire de cette
Houille Blanche, fille et reine des Alpes 34 .» Aujourd'hui encore
les barrages figurent sur les dépliants touristiques et les
immenses linceuls de béton nourrissent l'imaginaire promé-
théen: EDF renforce ce sentiment en organisant des visites et
en énumérant des litanies de millions de mètres cubes et de
kilowatts-heures conquis sur la nature. Le capitaine d'industrie
se range également parmi les héros modernes, capables de
dompter la sauvagerie alpestre: à Lancey, dans l'Isère, un
monument du centre ville perpétue la mémoire d'Aristide Ber-
gès, l'un des inventeurs de la houille blanche.
Les promoteurs de stations de sports d'hiver, dans les années
soixante et soixante-dix, incarnent eux aussi un grand moment
de l'imaginaire prométhéen. Honnis par une partie de l'opinion
pour avoir réalisé des «super-profits» et «colonisé» la mon-
tagne 35 , ils étaient hantés par le «mythe de l'or blanc»; mais
cette expression masque plus qu'elle n'éclaire leur motivation
profonde, qui n'était pas que désir d'argent. En effet, Maurice
Michaud, le chef d'orchestre du fameux Plan-Neige, n'affir-
mait-il pas que «le premier danger en montagne, c'est l'affecti-
vité36»? Autrement dit, ce grand aménageur - que l'on ne peut
certes pas soupçonner de naïveté! - reconnaissait que les pro-
moteurs étaient mus par l' «amour» de la montagne, beaucoup
plus que par la recherche rationnelle du gain au sens où l'enten-
dent les économistes. D'ailleurs en fait de «super-profits»,
beaucoup d'entre eux subirent des échecs retentissants au point
d'engloutir leur fortune dans l'aventure37 •
Mais que faut-il entendre précisément par «amour de la
montagne», et pourquoi idéaliser ainsi cet espace? Ces promo-
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teurs malchanceux sont-ils seulement «une dizaine de pigeons»


qui se sont laissés «piéger», comme l'affIrmait jadis un direc-
teur de La Plagne38 ? En réalité ils ne furent pas des gogos vic-
times de la mode, ou trompés par des administratifs retors.
Eux-mêmes reconnaissaient que leur succès aurait été infIni-
ment mieux assuré par l'investissement dans les ~M de ban-
lieue. Mais l 'histoire des stations intégrées françaises montre
un côté passionnel et saint-simonien dans l'émergence de ces
villes à la montagne des années soixante. A La Plagne, la clien-
tèle est d'abord recrutée de bouche à oreille dans le milieu des
polytechniciens. Aux Arcs, la recherche de clientèle se confond
avec le prosélytisme: le promoteur cherche à attirer des action-
naires en leur proposant une rémunération en nature.
Et ces promoteurs, pour justifIer leurs interventions si ris-
quées en montagne, invoquent un maître-argument: la liberté
de créer une cité à partir d'un espace vierge, d'autant plus origi-
nale voire utopique qu'elle est destinée aux 10isirs39 • Evidem-
ment, lors de la réalisation, les contraintes physiques et écono-
miques réduisent à la portion congrue cette liberté, mais le
discours visionnaire qui préside au lancement des stations est
bien mû par les valeurs prométhéennes: modeler l'espace à sa
guise selon le caprice du grand architecte. Calcul rationnel ?
Amour du gain? Peut-être, mais il en est de l'or blanc comme
de la «ruée vers l'or» de jadis: les aventuriers visent la fortune
au double sens de profIt énorme et de chance, de signe du des-
tin. Volonté de puissance surtout et griserie du démiurge, en
somme le mythe à l'état pur.

L'Etat aménageur prométhéen

Mais chacun sait que les promoteurs du Plan neige en France,


n'étaient que le «bras armé» de la volonté de l'Etat aménageur,
et la rationalité planifIcatrice a-t-elle encore à voir avec le
mythe de la montagne?
Cette politique naît dans l'immédiat après-guerre avec le
lancement de Courchevel qui servira de banc d'essai. Et voici
le rapport Sibué qui proclame en 1945 l'intention du conseil
général de Savoie de mettre en valeur et de récupérer à son pro-
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MONTS ET DES MYTHES

fit les «ressources immenses de la neige». On y préconise de


«voir grand et beau» pour parvenir à faire non seulement «les
plus belles stations de sports d 'hiver de France, mais les plus
belles stations d'Europe4 0 ». L'Etat, par le canal du service
d'études et d'aménagement touristique de la montagne qui en
est l'émanation directe, élargira ce projet à la France entière
dans les années soixante, fixant progressivement une «doctrine-
neige»; ses objectifs affichés seront le sauvetage de l'économie
montagnarde, en équipant les sites adaptés au ski alpin. Les
énormes investissements - et quelques libertés prises avec la loi
- ont été justifiés par le fait que «nous détenons dans les Alpes
du Nord les plus grands et les plus beaux domaines de sports
d 'hiver de la planète41 ».
Rhétorique grandiose proclamée au plus fort des projets
gaulliens qui reprennent en les amplifiant les visées de la re-
construction de 1945; elle s'inscrit dans un contexte de concur-
rence économique avec la Suisse et l'Autriche, mais peut-être
plus encore dans une perspective cocardière, le gaullisme
n'ayant pas pour habitude de se cantonner aux problèmes
d'intendance. Ici la montagne ne se réduit pas à une occasion
de profit, ni même à un espace à intégrer rationnellement au
territoire, mais elle devient un lieu de hauts faits et de conquête
symbolique. Elle ravive par là même la mémoire de la mon-
tagne militaire, et renvoie aux confrontations nationalistes plus
mesquines - parce que moins chargées d'enjeux économiques -
que sont les compétitions sportives; c'est l'époque où les
champions de ski, Killy ou les sœurs Goitschell, sont des porte-
drapeaux reconnus au plan national. L'Etat aménageur, peut-
être plus encore que les autres acteurs sociaux, est mû par
l'imaginaire prométhéen.
Le stéréotype des autochtones barbares épouse l'idéologie
aménageuse. La barbarie en effet appelle inexorablement la ci-
vilisation. Saint-Bernard déjà doit vaincre des païens, et tous
les traverseurs jusqu' au XIXe, craignent les bandits ou la solda-
tesque locale. Ce n'est qu'une fois conquis, intégrés au territoi-
re, «développés», qu ' ils se hissent au rang des civilisés: rappe-
lons Coxe faisant l'éloge des montagnards industrialisés. Mais
les accusations de «barbarie» ou de «sous-développement» sont
toujours relatives, elles reviennent périodiquement au cours de
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l'histoire, et une attention un peu curieuse n'aurait guère de


peine à les débusquer au sein du discours d'aménagement
contemporain: dans un rapport sur l'équipement des stations,
un haut fonctionnaire stigmatise «l'isolement et la pauvreté des
vieux», «la gaucherie et l'inconfort» des jeunes montagnards
comparés à l'aisance supposée des citadins; et des promoteurs
n'ont pas hésité à employer le terme de «colonisation intelli-
gente» à ce propos42. En cet espace propice à l'action héroïque,
militaires, explorateurs, aménageurs, tous enfants de Promé-
thée, s'ingénient à fabriquer les vrais hommes, maîtres et habi-
tants du territoire.
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CHAPITRE TROISIÈME

L'Alpe régénératrice

Al' action prométhéenne s'oppose un autre type de rapport à la


montagne, que résume le mythe d'Icare. La montagne n'est
plus périphérie à conquérir par la violence, mais espace sacré,
dans lequel 1'initié se régénère par la communion avec le divin.
Fondée non sur l'agression mais la contemplation, cette relation
à l'environnement se rencontrera dans la religion, le thermalis-
me, la protection de la nature; elle spécifiera d'autres acteurs
sociaux: les pèlerins, les curistes, les écologistes ...

Montagne et pratiques religieuses

L'exercice religieux consiste à rompre avec la vie profane et


reprendre contact en un lieu consacré avec la divinité. Comme
le désert, la montagne est un lieu d'accès difficile, elle exige un
effort, elle purifie des scories qui encrassent les âmes de la plai-
ne, elle a donc une fonction cathartique, propice au recueille-
ment et à la contemplation. Mais l'altitude promet davantage:
elle met directement au contact de la transcendance et offre la
proximité divine. D'ailleurs celle-ci est tellement nécessaire
qu'en son absence, le stylite doit élire domicile sur une colon-
ne. Réserves de sacralité, les zones montagneuses sont tout par-
ticulièrement indiquées pour la régénération spirituelle.
Ce n'est donc pas par hasard que les monastères sont ins-
tallés sur les montagnes. Anachorètes ou cénobites, les moines
ont une prédilection à leur endroit. Ainsi le monachisme médié-
val a essaimé dans les principales montagnes d'Europe: Raoul
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Blanchard par exemple compte trente grandes abbayes dans les


Alpes du Nord, non compris les petits prieurés43 • Selon les
ordres auxquels ils appartiennent, les moines fondent des hos-
pices, défrichent, ou créent des industries. La vocation contem-
plative, on l'a vu, n'est pas exempte de scories prométhéennes.
L'implantation des monastères prouve que la symbolique de
la montagne et du parcours ascensionnel est à l'œuvre au
Moyen Age. Mais la forme historique la plus proche de celle
des récits mythiques est le pèlerinage. Nous avons montré que
le chemin de croix, avec la montée au Golgotha, en était
l'archétype, et que ce modèle canonique se retrouvait sous di-
verses formes dans nombre de religions. Ainsi dans les hautes
vallées, on se contentera souvent de christianiser des pratiques
païennes: les anciens dieux sont diabolisés et exorcisés, et pour
commémorer ces victoires, des croix ou des oratoires sont éri-
gés à la place des monuments antérieurs; on changera l'orony-
mie tout en conservant les rituels d'ascension et de purification.
L'histoire de Saint-Bernard en est un bel exemple, mais le folk-
loriste Van Gennep décrit nombre d'autres cas44 , et c'est ainsi
que la montagne se peuple de «vierges noires» et de «fontaines
bénites» à la place des anciens lieux de culte.
De nombreux centres religieux montagnards attirent encore
les pèlerins aujourd'hui: Lourdes, le plus fréquenté en France en
accueille des centaines de milliers chaque année. Les Alpes aussi
en sont constellées: La Salette en Isère, Notre-Dame-de-Myans
près de Chambéry, le sommet de Rochemelon au-dessus de Bes-
sans, et d'innombrables petits sanctuaires locaux à la fré-
quentation confidentielle. Le pèlerinage est un retrempage dans
le temps primordial de la création qui raffermit la foi du croyant,
mais lui confère aussi un statut social considéré, lequel découle
de la fonction initiatique de la pérégrination45 . Celle-ci a son
envers négatif, elle est toujours un exercice pénible et dange-
reux : au Moyen Age on risquait de ne jamais revenir du voyage
à travers la montagne. Sans être aussi périlleux que jadis, le pèle-
rinage conserve aujourd'hui un aspect pénitentiel et mortifiant: il
arrive que des pèlerins de La Salette parcourent encore les pieds
nus la dizaine de kilomètres qui mènent au sanctuaire.
Si les pèlerinage tels qu'ils existaient jadis tombent quelque
peu en désuétude, la fonction religieuse de la montagne n'en a
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IMAGINAIRE DES USAGERS ET USAGERS IMAGINAIRES

pas disparu pour autant. Tout d'abord la littérature maintient


vivante la flamme du mythe: les écrits religieux sont pétris du
symbolisme de la montagne, et inversement les livres de mon-
tagne sont imprégnés de religiosité. D'ailleurs, la montagne sert
pour sa valeur apologétique: «Là-haut, ( ... ) le vent prêche sur la
moraine4 6 » ; représentation privilégiée de la nature et témoigna-
ge des origines, elle apporte une preuve de la création et de
l'existence de Dieu. Beaucoup de récits d'ascension mention-
nent ce sentiment, témoin le cri arraché au futur pape Pie XI au
sommet du mont Rose: «Révélation de l'omnipotence et de la
majesté de Dieu: Jéhovah consacre les cimes du monde47 .»
Mais surtout la religion est intimement liée à la pratique de
l'alpinisme. En effet, la fonction cathartique de la montagne en
fait un exercice tout indiqué pour l'ascèse. Mortification salu-
taire qui, après avoir distrait l'initié des vices d'en bas, l'oriente
vers la contemplation du Tout-Puissant. Ainsi les initiés doivent
mourir à leur condition pécheresse, ce qui permet de sélection-
ner les «purs» et les «durs» de la foi, face aux païens laxistes
ou aux croyants tièdes de la plaine. Ce processus régénérateur a
été présent plus ou moins consciemment dans l'histoire de
l'alpinisme. Les pionniers furent effectivement des puritains
anglais de l'ère victorienne, assistés de guides calvinistes
suisses. L'Eglise catholique n'a pas tardé à saisir la significa-
tion profonde de cette pratique touristique: les abbés Clément,
Horash, Farinetti, sont, tout comme le pasteur Coolidge, des
alpinistes de la première heure, et perpétuent la lointaine tradi-
tion de la montagne religieuse. En 1923, le pape Pie XI, connu
auparavant comme alpiniste sous le nom d'Achille Ratti, donne
un saint patron aux montagnards, Bernard de Menthon, consa-
crant et encourageant ainsi les sports alpins.
De nos jours encore, la pratique de la montagne est un exer-
cice privilégié par beaucoup d'ecclésiastiques, y compris avec
le ski. Sa valeur apologétique, ajoutée à la morale de l'effort en
fait un instrument de choix pour l'éducation religieuse. Nombre
d'organismes d'inspiration chrétienne ont multiplié les colonies
de vacances, les camps scouts et d'adolescents à la montagne.
Il paraît aujourd'hui naturel que le pape Jean-Paul II, fervent
des courses alpines, se fasse déposer par hélicoptère sur un
sommet. Les musulmans aussi semblent avoir découvert les
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DES MONTS ET DES MYTHES

vertus cathartiques de l'ascension moderne: ainsi l'ayatollah


Khomeiny, dans le Petit Guide du parfait musulman distribué
aux Iraniens en 1980, au chapitre de la culture physique,
recommande vivement les courses en montagne4 8•••

Pratiques thermales et curistes

Dans la dimension religieuse de la montagne, le mythe se


donne certes à l'état pur, mais les pratiques sont anciennes et
somme toute marginales, ce qui inciterait à les considérer
comme négligeables. Grave erreur! En effet, la fréquentation
religieuse est un modèle: elle permet de comprendre nombre
d'autres motivations qui se présentent comme profanes, mais
qui en réalité sont seulement sécularisées; enfoui dans les pro-
fondeurs de l' inconscient, le mythe y est dissimulé. On accepte
sans peine que ce dernier soit à l'origine de la pratique reli-
gieuse de la montagne, mais peut-on admettre qu'il soit aussi
une composante du thermalisme, du climatisme, de la
fréquentation sportive et hygiénique, voire de la démarche éco-
logique?
Qu'en est-il tout d'abord du thermalisme? Les avocats de la
crénothérapie49 - terme médical qui désigne le fait de soigner
par les eaux thermales ou minérales - la recommandent contre
les maladies chroniques, la prévention des rechutes ou le traite-
ment des suites d'affections très diverses, chaque station étant
spécialisée dans l'une ou l'autre indication. Ces thérapies, déjà
pratiquées dans l'Antiquité, aujourd 'hui remboursées par la
Sécurité sociale, bénéficient en somme d'une reconnaissance
officielle de la Faculté.
Et pourtant l'efficacité du thermalisme ne va pas de soi. La
médecine postule une relation directe entre la composition
minérale des eaux et leurs effets sur l'organisme. Mais bien que
le principe en soit généralement accepté, cette relation biochi-
mique reste mystérieuse, et ce malgré de nombreuses tentatives
pour percer le secret de la guérison par les différents types de
sources. Le fait médical lui-même semble donc difficile à éluci-
der, tant et si bien que dans sa définition des eaux thermales,
l'académie de médecine a opté en 1977 pour la formule suivan-
IMAGINAIRE DES USAGERS ET USAGERS IMAGINAIRES 185
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te: non pas «eaux douées de propriétés thérapeutiques, mais


«eaux auxquelles on attribue des propriétés thérapeutiques so».
Cette restriction témoigne du scepticisme d'une partie du corps
médical. La crénothérapie demeure une médecine purement
empirique, et l'administration de la preuve selon l'épistémolo-
gie médicale est toujours aussi malaisée. Ses partisans doivent
encore convaincre.
Par ailleurs il est instructif de jeter un regard sur les condi-
tions historiques dans lesquelles une source thermale est décré-
tée d'intérêt public. On constate alors que les pouvoirs théra-
peutiques d'une eau sont extrêmement controversés et
dépendent largement de circonstances fort éloignées de la
science médicale. Enfin, un autre indice oblige à s'interroger
sur la nature de cette thérapie: jusqu'à la dernière guerre, une
partie de la clientèle n'était que faiblement motivée par la cure
elle-même, et venait «aux eaux» autant par snobisme ou par
goût des relations mondaines. Ainsi les facteurs physiologiques
semblent insuffisants pour expliquer et la fréquentation des sta-
tions, et la guérison des malades. Pour saisir la signification du
phénomène, il faut s'enquérir de son enjeu symbolique.
Tout d'abord un coup d'œil sur la carte des stations ther-
males françaises montre que la plupart d'entre elles sont situées
sur les reliefs. Le thermalisme a donc physiquement à voir avec
l'altitude, et la cure commence par un voyage à la montagne,
avec toute la charge affective et les connotations de retour à la
nature qui y sont investies. Elle n'a donc pas de peine à s'agré-
ger certains éléments du symbolisme ascensionnel. D'ailleurs
la cure de santé au temps jadis, était étroitement imbriquée dans
le pèlerinage. Ainsi les habitants de la vallée malsaine de
l'Arve montaient depuis la nuit des temps pour se faire guérir
par Jean d'Espagne - ou son prédécesseur gaulois - à la Bénite
Fontaine dans le haut val du Reposoirsl . Mais la cure thermale
consiste surtout en un retrempage au sens propre dans les eaux
purificatrices, une plongée microbicide. Les eaux régénèrent en
permettant de retrouver l'intégrité des premiers moments de la
créations2 • L'immersion est un baptême qui refait les hommes
nouveaux: il est d'ailleurs symptomatique que le pèlerinage de
Lourdes par exemple se double d'un bain dans les eaux glacées
du torrent.
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DES MONTS ET DES MYTHES

D'une manière générale, la cure thermale est loin d'être un


séjour d'agrément: bains de boue, traitements médicaux, em-
plois du temps et régimes astreignants ... Dans certains cas l'eau
à une odeur d'œuf pourri, et il faut la boire et l'inhaler; écou-
tons Daudet nous décrire les curistes d'Allevard: « ... séparées
de la route par un mur bas, des têtes dont on ne voit pas les
corps se renversent en arrière, contorsionnées d'efforts, grima-
çantes au soleil, la bouche grande ouverte. Une illustration de
l'Enfer de Dante, les damnés du Gargarisme53 .» Toutes
épreuves qui évoquent irrésistiblement l'aspect initiatique de la
régénération.
Le voyage «aux eaux» pourrait bien être un syncrétisme de
la symbolique ascensionnelle et de celle de l'immersion, les-
quelles sont toutes deux classées par Gilbert Durand dans le
même régime imaginaire54; mais ici le complexe rituel est
complètement dépouillé de ses aspects spirituels et de sa sa-
cralité. Cette dernière a dû être remplacée par de laborieuses et
peu convaincantes justifications scientifiques. De la régé-
nération symbolique, on n'a conservé que la guérison des
corps. Cependant il est peu probable que celle-ci puisse se réa-
liser sans le mythe et les rites dissimulés sous l'épais manteau
du discours médical.

Climatisme et régénération symbolique

Proche du thermalisme au plan économique et social, le clima-


tisme est aussi une activité fondée sur la régénération par la
montagne. Ce type de séjour s'est développé à partir du constat
empirique de l'efficacité thérapeutique de l'altitude sur cer-
taines affections: tuberculose, asthme, anémies, neurasthénies,
rachitisme, surmenage ... Ainsi de nombreuses stations sont dis-
persées dans les massifs, qui offrent maisons de repos ou de
convalescence: Saint-Hilaire-du-Touvet, Passy, Megève dans
les Alpes du Nord, Pau dans les Pyrénées ...
Bien entendu les arguments thérapeutiques s'appuient sur le
principe physique du climat: on invoque la composition de l'air
et sa pureté, la luminosité, voire les rayonnements cosmiques
mal connus au demeurant. Mais ce ne sont là que des hypothèses,
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IMAGINAIRE DES USAGERS ET USAGERS IMAGINAIRES

et pas toujours bien étayées. De fait, non seulement les résultats


sont parfois loin de répondre aux espoirs des patients - ce qui
n'est pas rare dans le monde médical - mais surtout les méca-
nismes de la causalité demeurent désespérément obscurs.
Cette «scientificité» incertaine du climatisme incite à s'inter-
roger sur les conditions sociales de la création des stations. Le
cas de Pau a été bien étudié; Michel Chadefaud a montré que le
climatisme y est né d'une sédimentation de discours de méde-
cins, de professionnels de la villégiature et d'élus locaux au
milieu du XIXe siècle, qu'après avoir été reconnu officiellement
pendant un siècle, il a progressivement perdu de sa légitimité
lorsque son importance socio-économique eut fléchi 55 •
L'histoire de Villars-de-Lans, dans le Vercors, est aussi ins-
tructive. Ici, c'est un médecin étranger qui en 1922 crée de
façon plus ou moins occulte un sanatorium. Apprenant la
chose, la municipalité, très hostile à la présence de tuberculeux
sur la commune, rachète l'établissement pour en chasser les
malades. Mais chez les édiles, le sens des affaires a été mis en
éveil par cette tentative malheureuse, et sous l'égide de
quelques personnalités, une formule de station climatique est
lancée. La cure y sera recommandée pour toutes sortes d'affec-
tions, particulièrement celles concernant les enfants; pour la
tuberculose pulmonaire en revanche, elle est formellement
contre-indiquée par l'autorité médicale elle-même56 ! Rarement
contre-indication aura été plus politique. A quelques kilo-
mètres, Saint-Hilaire-du-Touvet est au contraire conseillé pour
la même maladie: vérité en deçà du Grésivaudan, erreur au
delà! Le site de Passy en Haute Savoie est également recom-
mandé, mais il n'en a pas toujours été ainsi. Ce sont deux mé-
decins de la fondation Rockfeller qui découvrent le plateau
d'Assy en 1922; immédiatement c'est la levée de boucliers
dans la vallée, et les notables locaux trouvent des défenseurs in-
fluents en la personne d'un médecin connu de l'époque, le doc-
teur Lépine, et d'une personnalité régionale, le géographe
Raoul Blanchard. Ces voix autorisées contestent le choix du
lieu pour des raisons médicales et climatiques. Il faut croire que
la Fondation présentera des arguments plus convaincants -
peut-être sonnants et trébuchants - puisque le premier sana sera
inauguré en 1926, et que ce centre sera habilité par la Faculté.
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Quoi qu'il en soit, ces démêlés historiques montrent que


l'influence physiologique du climat fut pour le moins discutée.
Si la controverse s'est apaisée, ce n'est pas que ce problème ait
été résolu. Simplement la tuberculose est mieux maîtrisée
aujourd'hui et le climatisme ne joue plus qu'un rôle secondaire
dans le tourisme alpin, mais ses effets thérapeutiques ne sont
guère plus clairs; et d'ailleurs le débat est toujours ouvert pour
savoir quelle est la part du «psychologique» dans ce phé-
nomène. Il est permis de penser que la symbolique alpestre joue
un rôle tant dans la confiance des patients que la conviction des
médecins, et que la cure d'altitude, voyage et séjour à la mon-
tagne, est vécue comme une expérience régénératrice.
N'est-ce pas une hypothèse aventurée que de prétendre que
l'efficacité curative du thermalisme et du climatisme soit fon-
dée sur le mythe? En réalité, il faut bien reconnaître que la
forme des pratiques modernes ressemble étrangement aux
anciens rites mythico-religieux, à cette différence près qu'elles
sont sécularisées, totalement dépouillées de référence au
surnaturel: contrairement au récit des ascensionnistes
mythiques, le discours médical officiel prétend en couvrir de
droit toute l'étiologie. Cette hypothèse au demeurant n'interdit
pas une explication biologique si celle-ci doit recueillir le
consensus médical quelque jour. Enfin elle ne déconsidère
absolument pas les thérapies en question, simplement en
recherchant leur efficacité au niveau symbolique, elle a l'auda-
ce naïve de prendre le mythe au sérieux.
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CHAPITRE QUATRIÈME

L'imaginaire
de la montagne écologiste

Religieuses ou sanitaires, toutes les expériences régénératrices


s'inscrivent dans un rapport à l'espace plus large, opposé à
l'attitude prométhéenne, et que l'on condense habituellement
dans le terme de rousseauisme. En effet, l'amour de la mon-
tagne, et les voyages touristiques qu'il motive, ne sont qu'une
forme exaltée du sentiment de la nature, lequel prend son essor
à partir du XVIIIe siècle, et ira grandissant jusqu'à ce jour.
Nous nous proposons de montrer ici que ces sentiments et les
pratiques qui y sont liées s'enracinent en profondeur dans le
mythe de la montagne.

Les hauts et les bas de la montagne rousseauiste

Jusqu'au XVIIIe siècle, l'alpe était une marâtre et les rapports


que les hommes entretenaient avec elle avaient plus à voir avec
l'agression que la tendresse. Il y eut pourtant, de temps à autre,
des périodes plus amènes, avec des tentatives d'apprivoisement
suffisamment significatives pour être retenues.
Ainsi les Romains exécraient la haute montagne. Mais au
plus fort de l'Empire, une fois les Alpes traversées et
conquises, quelques esprits s'y intéressèrent: Ammien Marcel-
lin par exemple s'essaie à décrire poétiquement le passage du
mont Cenis, il cite déjà les refuges et le plaisir des descentes en
ramasse. Les «sites sauvages des montagnes» sont alors recher-
chés par certains non-conformistes que Sénèque n'hésite pas à
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190 DES MONTS ET DES MYTHES

traiter d' «inconstants» et de «blasés57 ». Le goût pour le voyage


à l'alpe est sans doute stimulé par la présence des eaux ther-
males: Sidoine Apollinaire au Ve siècle apprécie la Limagne et
les bains du Mont-Dore.
Après l'éclipse du Moyen Age, cet intérêt se manifeste à
nouveau. Le Dauphin Humbert II viendra à Brandes-en-Oisans
faire une cure d'air au XIVe siècle58 • Le poète Pétrarque, dans
un accès de fièvre méditative, gravira le mont Ventoux, en
1336: le récit qu'il en rapporte est un texte rousseauiste avant
la lettre. A la Renaissance, la montagne est de nouveau amé-
nagée et suscite un véritable engouement, en dépit des guerres
de religion. Ceci est surtout vrai en Suisse, où parmi les nom-
breux naturalistes de l'époque, on retiendra Josias Simler, ou
Sébastien Munster. Mais le mouvement touche également les
montagnes françaises; Jacques Pelletier du Mans consacre à
la Savoie tout un poème; et la célèbre satire du XVe siècle,
«les 15 joies du mariage», propose un pèlerinage d'agrément
au Puy ou à Rochemadour59 . A cette époque d'ailleurs, dans
toute l'Europe, les bains sont réaménagés: Montaigne, qui
souffrait de la gravelle se rend à Plombières, Luques et Bade,
Henri IV fréquente les Eaux-Bonnes. Prémices historiques du
rousseauisme, ces modes de fréquentation comportent deux
caractères constants: d'abord c'est toujours la moyenne mon-
tagne qui est la plus prisée, ensuite ils ne voient timidement le
jour que dans les périodes «post-prométhéennes», après que
l'alpe eût été suffisamment soumise, aménagée et intégrée au
territoire.
Avec le XVIIe, petit âge glaciaire, l'image de la montagne
en France subit un gauchissement et se dévalorise. La plaine
retrouve une place privilégiée dans les esprits; entre-temps,
guerres, maladies, et rébellions se sont déplacées sur les hau-
teurs60 • Les géographes, nous l'avons vu, considéraient ces der-
nières comme des difformités; d'une façon générale, l'honnête
homme de l'âge classique préfère les alignements des jardins à
la française; il n'a que mépris pour le chaos grandiose de la
nature, rabaissé à l'inconvenance du sauvage. Ce reflux du
XVIIe est toutefois temporaire, et le siècle suivant ouvrira toute
grande la porte au courant rousseauiste, lequel va s'implanter
solidement dans les mentalités et dans les pratiques.
IMAGINAIRE DES USAGERS ET USAGERS lMAGINAIRESE 191
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D'où provient ce retour d'affection pour la montagne? In-


séparable des bouleversements économiques qui se produisent
alors, il naît avec la société industrielle. En effet la faiblesse des
moyens humains de jadis face au déchaînement des forces natu-
relles incitait au courage, voire à l'agression, contre une mon-
tagne vécue comme «Monts-Affreux». En revanche, avec
l'urbanisation et le déploiement de la technique moderne, la
nature est progressivement arraisonnée, mise à disposition, et la
puissance de 1'homme paraît à son tour disproportionnée. C'est
en réaction contre cet excès de domination que le rousseauisme
va éclore au XVIIIe, ainsi que les visites aux glacières de Suisse
et de Chamonix. Un fait majeur conforte cette hypothèse: les
premiers touristes viennent de Grande-Bretagne, le seul pays
alors véritablement engagé dans l'épopée industrielle. Ce senti-
ment de la nature, incarné dans la vogue du tourisme, ira
s'amplifiant avec le romantisme au XIXe, et fera le terreau où
s'enracinent les pousses successives de l'écologisme jusqu'à
nos jours.
Bien qu'il domine chez les intellectuels de la fin du XVIIIe,
le courant rousseauiste est loin d'être adopté par toutes les
couches sociales de l'époque. Sans parler des autochtones et
des populations modestes, toute une frange de l'élite résiste, et
un vif débat s'instaure entre ses partisans et ceux de l'aménage-
ment et du développement industriel. Ainsi Saussure, de même
que le voyageur anglais Coxe, tenants de l'économie libérale,
sont favorables à l'introduction des manufactures et à la multi-
plication des équipements touristiques dans les Alpes; Ramond
en revanche, y est hostile: imbu de rousseauisme, il appartient
à l'école physiocrate qui ne jure que par la terre et ses vertus
paysannes61 .
A partir de cette date, le débat entre l'aménagement ou la
protection de la montagne deviendra permanent, avec des pous-
sées de fièvre périodiques au cours de 1'histoire. Placide Ram-
baud par exemple le met en évidence pour la Maurienne dans la
première moitié du XIXe62. Une vague écologiste avant la lettre
monte à la fin de ce siècle, réaction contre la débâcle de la peti-
te production marchande, sinistrée par l'ouverture des routes et
l'intégration à l'économie nationale63 . Elle coïncide avec le
regain des idéologies de droite, anti-dreyfusardes et le repli
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DES MONTS ET DES MYTHES

protectionniste frileux sur l'Empire de la fin du siècle64: c'est


l'époque de Méline. C'est aussi la période où le corps des Eaux
et Forêts s'approprie l'espace montagnard pour reboiser6 5 • Les
articles indignés face à l'aménagement touristique remplissent
déjà les colonnes de l'annuaire du CAF, et la presse suisse de
l'époque fourmille de caricatures et de satires contre les aména-
geurs et les trains à crémaillère66 • En 1905, on trouve ce couplet
anonyme contre la construction d'un nouvel hôtel dans un villa-
ge, faute écologique pourtant vénielle au vu des stations
d'aujourd'hui: «Nombre d'alpinistes vont crier à la profana-
tion. Au lieu de goûter à la poésie des solitudes alpestres, on
passera les soirées à danser. Il y aura les foules élégantes. Nous
les purs, nous saurons nous refuser les plaisirs capouanesques
pour nous retirer et dormir sous une grosse pierre en altitude.»
Cette passion protectrice va laisser sa marque sur le territoire,
avec la création en 1913, à l'initiative d'un conservateur des
Eaux et Forêts grenoblois, du premier «parc national de la Bé-
rarde» lequel deviendra «parc national du Pelvoux» en 1923.
Une autre vague écologiste déferle dans les années trente
après le déclenchement de la crise. En 1933 par exemple un
mouvement d'opinion prend corps contre le projet de construire
un téléphérique à la Meije, ce qui, par réaction, va déclencher
le classement du site67 • Là aussi la résurgence naturaliste coïn-
cide avec l'apologie du retour à la terre en matière agricole et
l'exaspération des partis d'extrême droite.
Si durant les Trente Glorieuses, l'idéologie rousseauiste est
mise sous le boisseau, elle refait surface à la fin des années
soixante. Dès 1963, un décret ministériel institue le premier
parc national de France en Vanoise, mais cette instauration
reste assez discrète; la défense écologiste de la montagne se
manifestera au grand jour en 1969. Cette année-là en effet, le
promoteur de Val-Thorens, se propose d'équiper le glacier de
Chavière et de créer avec la ville de Modane une station dans le
parc de la Vanoise. Un vaste mouvement de protestation se
déclenche, et, en dépit de l'approbation du conseil général de la
Savoie et du conseil d'administration du Parc, le gouvernement
tranchera en 1971 en faveur des défenseurs de la Vanoise. Il est
vrai qu'entre-temps, les avalanches de l'hiver 1969-1970
avaient tué: 39 morts à Val-d'Isère, 72 au plateau d'Assy. Ces
IMAGINAIRE DES USAGERS ET USAGERS IMAGINAIRES 193
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catastrophes meurtrières ont démontré que la maîtrise technique


sur la montagne était loin d'être aussi totale que le croyaient les
aménageurs à tous crins, et ont sensibilisé l'opinion aux excès
de l'entreprise prométhéenne.
C'est alors que d'autres politiques d'aménagement de la mon-
tagne sont suggérées par Laurent Chappis68 notamment, qui mili-
te pour un retour aux séjours de moyenne altitude, tout en ména-
geant des accès aux domaines skiables; par Philippe Lamom<i9
également, qui préconisait de greffer les stations sur les villages
existants en maintenant les exploitations agricoles, et en évitant
ainsi de défigurer la montagne. Ces idées feront leur chemin
jusqu'aux sphères gouvernementales. En 1973, le ministre de
l'Environnement, Robert Poujade, estime que l'on a suffisam-
ment construit en haute altitude, et qu'il convient désormais de
privilégier les parcs nationaux et le tourisme en moyenne mon-
tagne70 • En 1977, le président de la République, Valéry Giscard
d'Estaing, lors de son discours de Vallouise, prenait une position
ferme sur l'interdiction de construire des stations à plus de 1 600
mètres. En outre, les projets d'Unités touristiques nouvelles
(U1N), devront passer devant un comité administratif national qui
n'accordera son avis favorable qu'après avoir pris des assurances
sur l'impact écologique et l'intégration au site. En 1981 encore, le
ministre de l'Environnement, Michel Crépeau, interdira l' équipe-
ment du site de Carlaveyron dans la vallée de Chamonix ...
Dans cette même décennie, les parcs nationaux sont créés,
en montagne pour l'essentiel, aux fins de la protection de la
nature: parc des Cévennes, des Ecrins, des Pyrénées, du Mer-
cantour. On constitue également des réserves naturelles dont
certaines sont très étendues: celles de la Haute-Savoie par
exemple, autour de la vallée de Chamonix, Aiguilles Rouges,
les Contamines, Sixt, Passy couvrent plus de dix mille hectares.
Enfin la loi définit aussi les parcs naturels régionaux qui outre
la protection du milieu ont pour mission de consolider et stimu-
ler l'économie locale. D'une manière générale nombre de dis-
positions légales des années soixante-dix sont prises dans le but
de maintenir des «jardiniers de la montagne»; la «prime à la
vache tondeuse» ou à l'installation des jeunes agriculteurs relè-
vent de cette politique: «il faut conserver le capital écologique
dont les citadins ont de plus en plus besoin71 .»
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194 DES MONTS ET DES MYTHES

Ces interdits protecteurs, auxquels s'ajoute celui de la dépo-


se de touristes par hélicoptère sur les sommets, marquent un
coup d'arrêt à la construction d'équipements et d'hébergements
à tout va. Cependant les années quatre-vingt verront une nou-
velle poussée de l'aménagement touristique en montagne. Elle
se réalisera dans le respect des dispositions restrictives de la
décennie précédente et dans le cadre légal des UTN; mais les
lois de décentralisation, et la nouvelle directive montagne au
début des années quatre-vingt, permettront aux collectivités
locales de multiplier les capacités touristiques des stations déjà
installées, sous la bannière officielle de «l' auto-développe-
ment». Et les équipements se décideront désormais au gré des
rapports de force entre la pression des aménageurs, et celle plus
diffuse des lobbies écologistes, souvent appuyés par les rési-
dents secondaires.
Ce rapide survol historique permet un regard distancié sur
les rapports passionnels à la montagne, alternance de diastoles
et de systoles: aux poussées successives de l'aménagement
prométhéen, des vagues de réactions rousseauistes répondent.
Ces deux pôles idéologiques ne se succèdent pas rigoureuse-
ment, mais ils s'entremêlent, et leur importance varie au gré
des époques et selon les catégories sociales qui en sont por-
teuses; cependant, au cours de l'histoire, l'un ou l'autre do-
minent tour à tour.
Enf'm les accès de rousseauisme au cours des siècles ne sont
que le ressac des lames de fond prométhéennes: l' écologisme est
toujours polémique, il est réactionnel. Il ne progresse pas en
fonction de critères naturels, et n'est pas proportionnel aux dom-
mages physiques: les blessures infligées à l'environnement dans
les années cinquante étaient infiniment plus graves que dans les
années 1900, et pourtant le courant rousseauiste était moins vif.
En réalité celui-ci se développe en réaction contre la montagne
mutilée, mais selon des critères relatifs à un état de la société; les
atteintes physiques à la nature sont vécues comme le signe d'une
agression contre ce qui représente à la fois un bien commun, et
une part de soi. La réaction écologiste exprime un désir de réap-
propriation de l'espace, et touche, nous le verrons, à l'identité
territoriale; non plus constitution du moi héroïque comme le
suggérait l'attitude prométhéenne, mais préservation de son inté-
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IMAGINAIRE DES USAGERS ET USAGERS IMAGINAIRES 195

grité. Autrement dit, l'écologisme semble bien une réponse de


même nature que l'offensive prométhéenne; ses ressorts histo-
riques s'enracinent aussi dans le mythe.

Les principes de l'aménagement soft

Le rousseauisme est une réaction de rejet de la «civilisation» :


celle-ci est vécue comme un présent dégradé, chargé de tous les
maux accumulés au cours de l 'histoire, tandis que le passé, où
la nature n'avait pas encore été avilie, est idéalisé. De là naît le
désir de retour au sauvage, à l'inexploré, à la pureté des ori-
gines, à l'état de nature en somme. Ici se dévoile la double tem-
poralité propre au récit mythique72 •
Cette double temporalité s'imprime sur l'espace: d'un côté
la plaine où s'étendent les villes et la décadence babylonienne,
de l'autre la montagne. Celle-ci ne sera plus la difformité géo-
graphique ou la monstruosité qui terrifiait les voyageurs médié-
vaux, mais un refuge primordial, contemporain de l'enfance du
monde et vierge des souillures de l'histoire. Toutefois cette sur-
vivance des premiers âges est fragile, il convient de la protéger
des tares et des dangers de la civilisation.
Réaction de rejet, le rousseauisme se développe dans le pro-
longement immédiat des bouleversements techniques, écono-
miques ou sociaux. Ce qui était vrai pour le XVIIIe siècle l'est
encore pour la montagne des années soixante-dix. Le discours
écologique est alors porté par les associations et quelques per-
sonnalités ou élus locaux; mouvement de refus, entrée en rébel-
lion contre le «tout tourisme» d'hiver, l'écologisme monta-
gnard rejoint une partie de l'opinion et des médias: tous
s'insurgent contre les stations intégrées, traitées d' «usines à
skis», de «Sarcelles-des-neiges», de «skiotières» et autres
«lunaparks», et nombreux sont ceux qui dénoncent «le grand
cirque blanc». Les tours, le béton, tout ce qui rappelle l'urbain,
est pris en grippe, tandis que les stations-villages telles que la
Suisse et l'Autriche ont su en préserver l'image, nourrissent la
nostalgie de l'éden perdu.
En réalité, les grands bouleversements en question n'ont pas
dérangé que l'écosystème, mais également les cadres idéolo-
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196 DES MONTS ET DES MYTHES

giques OU plus prosaïquement les habitudes de pensée; créant


des incertitudes profondes, ils ont déchiré la fibre identitaire.
Les âmes souffrent du manque de racines, et sont en quête de
réassurance; la nature va les satisfaire, elle qui tient lieu à la
fois de paradis originel et de sein maternel. Ancrage dans
l'incontestable, elle sera la référence solide pour une régénéra-
tion future.
Ainsi les thèmes rousseauistes nous renvoient-ils l'essentiel
de la démarche mythique. Or le mythe n'a pas pour objet prin-
cipalla connaissance, mais il est le nerf de l'action. Et ce sont
les projets et les pratiques d'aménagement des années soixante-
dix qui vont dévoiler la structure même du discours écologiste.
Nous en déduirons un certain nombre de principes cohérents
dont nous nous proposons d'établir la liste.
Ce discours est d'abord polémique. Ses principes, somme de
défenses et de refus, sont élaborés point par point, contre le
modèle dominant de l'aménagement prométhéen des années
soixante. Ce dernier privilégiait la ville et prétendait «civiliseD>
la montagne en y instaurant les pratiques urbaines et des stations
en altitude qui seraient des répliques idéales de l'urbs. Tout le
projet écologique au contraire est fondé sur l'idéalisation de la
nature dont le symbole pratique est d'abord la campagne.
De cette idéalisation découle un premier principe: le retour
à la proximité du milieu physique. Ce choix se manifestera
dans les activités touristiques: ski de fond l'hiver, randonnées
pédestres ou promenades herborisantes l'été en seront des
exemples types; par leur faible médiation technique, au
contraire du ski alpin, elles mettent directement au contact de
l'alpage ou de la forêt. Cette gamme de pratiques alpines im-
plique des choix d'aménagement qui trouvent un début de réali-
sation sur le terrain: en 1980, les communes des Alpes du Nord
aménagées seulement pour le ski de fond sont au nombre de 43,
alors qu'elles étaient quasi inexistantes en 197073 • Le même
principe oriente aussi l'architecture; il impose ainsi les ma-
tériaux bruts74 censés provenir du lieu, notamment le bois: iro-
nie de l 'histoire quand on sait que les maisons traditionnelles
du Beaufortain ou de l'Oisans par exemple n'en comportent
que fort peu. Les dépliants publicitaires manifestent à l'envi cet
enracinement dans le rustique. C'est l'époque aussi de la créa-
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IMAGINAIRE DES USAGERS ET USAGERS IMAGINAIRES

tion des parcs nationaux. Conçus comme de véritables sanc-


tuaires, espaces quasi-sacrés dans l'esprit des visiteurs et par-
fois même des concepteurs, ils doivent préserver la nature à
l'état originel. Investis d'une fonction éducative, le pèlerin s'y
ressource et ravive la fibre militante pour aller dispenser ensui-
te la bonne parole dans les bas-fonds pollués des villes 75 •
Mais la nature primordiale, le climax au sens de l'écologie
scientifique, n'existent plus. La proximité recherchée sera donc
celle d'une nature largement transformée, humanisée. De fait le
projet écologiste va «naturaliser» en partie l'environnement
humain passé: il agrège à l'ordre de la nature les paysages,
l'architecture, les objets de jadis, et surtout les habitants de la
montagne eux-mêmes, qui deviendront les «naturels». Ainsi
cherchera-t-on à préserver ou à réhabiliter les traditions monta-
gnardes par le retour aux foires et marchés locaux, aux fêtes
patronales, aux processions et aux cérémonies religieuses76 .
Dans certaines stations, des groupes de jeunes locaux organise-
ront des soirées d'initiation au patois local pour le touriste;
celui-ci sera d'ailleurs invité à participer aux travaux des
champs. Il existe une clientèle à la recherche du rustique, du
lait frais, de l'artisanat montagnard, des valeurs simples77 • Ce
principe de défense des traditions est si prégnant que les
grandes stations l'ont repris à leur compte pour satisfaire leur
clientèle. Rémi Knafou cite le cas de Montchavin, véritable vil-
lage montagnard d'opérette, avec four à pain sur la place de
l'église, ferme modèle destinée aux enfants, et garde champêtre
faisant office de radio intérieure78 . Ainsi l'opinion écologiste
affirme un second principe: la réhabilitation de certaines tradi-
tions locales comme partie intégrante du patrimoine à conser-
ver. Et les tenants de la «modernisation» lui reprocheront d'être
attachée plus au maintien des choses en l'état, y compris au
plan social, qu'à l'intégrité de la nature en tant qu'écosystème
biophysique.
Chercher la proximité de la nature amène encore à défendre
un troisième principe: le refus des médiations techniques nou-
velles. En effet les techniques de production ou de consomma-
tion modernes éloignent considérablement du milieu physique;
en allongeant la médiation, elles obscurcissent le rapport à la
nature; enfin elles obligent à détruire l'environnement et
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198 DES MONTS ET DES MYTHES

condamnent l'ordre social traditionnel. On comprend alors


pourquoi la lutte des écologistes contre le tourisme de masse, la
prolifération immobilière, les remontées mécaniques, les routes
et les barrages, se fonde sur des mobiles beaucoup plus pro-
fonds que la seule atteinte à l'esthétique paysagère. Contre la
technique lourde, l'écologie politique va privilégier des moyens
soft, et donc une médiation si légère, si transparente, que
l'acteur social aura la sensation immédiate de la nature. D'où le
mot d'ordre célèbre de cette décennie soixante-dix, qui n'est
qu'une autre manière d'affirmer le même principe: «Small is
beautifu(79)> .
Ce principe présente plusieurs conséquences majeures pour
l'action, et d'abord la lenteur de l'aménagement; impératif cité
en premier par un leader d'opinion de l'époque, inspirateur du
parc de la Vanoise et maire de la petite commune de Bonneval-
sur-Arc en Haute-Maurienne, laquelle constituait un modèle
d'aménagement altematifSo. L'innovation technique doit être
distillée à dose homéopathique; il faut refuser le changement
brutal, artificiel et rentable à court terme, de façon à «rester soi-
même». Les mesures juridiques de protection de la nature per-
mettront d'atteindre ces objectifs par un gel territorial qui
empêche tout bouleversement dans l'oecoumène. Et Bonneval
a utilisé presque tout l'arsenal des interdits protecteurs: parc
naturel de la Vanoise, réserve naturelle, zone en site classé, et
même label «monument historique» pour un hameau en altitude
ainsi que pour le clocher du village.
Enfin le projet écologiste revendique encore un autre princi-
pe: s'il insiste tant sur les changements mineurs qui impliquent
des moyens limités, c'est que ceux-ci doivent être accessibles
sinon à tous, du moins à la petite propriété autochtone. Ce prin-
cipe implique d'abord un refus de la dépendance à l'égard des
promoteurs extérieurs ou de l'Etat, lequel est perçu à travers les
grandes bureaucraties aménageuses que sont la DDE, la DDA
ou EDF; mais aussi à l'égard de la mono-activité touristique
qui met la communauté montagnarde dans une position écono-
mique dangereuse. Il implique ensuite une revendication: les
autochtones doivent recouvrer la mainmise sur leur patrimoine
lorsque celui-ci a été aliéné, I"t l'écologisme s'allie alors avec le
renouveau de l'identité régionale.
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IMAGINAIRE DES USAGERS ET USAGERS IMAGINAIRES 199

Efficacité du mythe ou coïncidence historique? Cette re-


vendication écologiste se concrétisera en partie par un désenga-
gement de l'Etat du tourisme alpin, et par le retour à la maîtrise
des collectivités locales: soit elles récupèrent la gestion des
remontées mécaniques à l'occasion de la défaillance des pro-
moteurs ou de l'élection d'une nouvelle équipe municipale, soit
elles s'engagent elles-mêmes dans l'équipement touristique.
Dans ce dernier cas, il s'agit bien de petite propriété: en 1980,
les communes qui avaient commencé à s'équiper durant la
décennie écoulée, ne disposaient en moyenne que de 1 070 lits
touristiques, ce qui est très peu comparé à la moyenne de 4 790
lits des grandes stations des années soixante; et la plupart de
ces petites stations nouvelles étaient situées en moyenne mon-
tagne 81 ; elles réalisaient ainsi, parfois à leur corps défendant,
les vœux des prophètes de l'aménagement soft qu'étaient Lau-
rent Chappis ou Philippe Lamour.

Sous l'écologie, le social

On ne retient souvent de la pensée écologiste que la défense de


la nature. C'est là une vision trop étroite car le rousseauisme ne
se limite pas à proposer de nouveaux rapports à la montagne.
De même que l'imaginaire prométhéen englobait les épopées
colonisatrices et les hauts faits militaires, de même l'écologis-
me jette aussi les bases d'un nouvel ordre social.
Le social était déjà présent dans le principe énoncé plus haut
de la défense des traditions lesquelles ne sont que les rapports
humains de jadis naturalisés. Il est évidemment au cœur du
principe de la petite propriété, de l'indépendance économique,
qui sont des revendications politiques. Il gît dans le paysage
lui-même enfin, œuvre humaine plutôt que produit naturel, du
fait des transformations subies au cours des millénaires.
En somme le rousseauisme ne veut pas restaurer seulement
le milieu physique, pollué par les activités humaines, mais aussi
et même surtout, la société, pourrie par la civilisation. Une nou-
velle morale s'élabore, et surtout une nouvelle visée politique,
fondée sur la liberté et la vertu, mise en discours durant le
siècle des Lumières 82•
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200 DES MONTS ET DES MYTHES

Si Saussure ou Coxe applaudissent à l'idée d'industrialiser


les hautes vallées, cet enthousiasme est loin d'être partagé à
leur époque. Les autorités valaisannes par exemple sont plus
que réservées: «Un grand concours d'étrangers servirait à
introduire et naturaliser le luxe chez les habitants du pays, et
détruirait insensiblement cette simplicité de mœurs qui dis-
tingue si avantageusement les Valaisans83 .» Ramond lui-même
juge les manufactures nuisibles en montagne. Elles apportent
certes de l'argent, mais corrompent les habitants, et leur font
perdre leurs antiques vertus, le courage au physique comme au
moral: «Les montagnes seules ne trompent point leurs habi-
tants; elles sont les garants éternels de leur richesse et de leur
liberté.» Enfin Ramond ajoute un argument repris par nombre
d'opposants à l'aménagement des années soixante-dix: l'indus-
trialisation déchire le tissu social en introduisant les conflits
d'intérêt, «provoquant l'inégalité de fortune et l'oppression84 ».
Avant de réformer la société des villes, il convient donc de
préserver les restes des communautés saines; pour cela il faut
protéger les montagnards des périls du siècle, notamment des
vices de la grande cité babylonienne. C'est exactement dans cet
esprit que le clergé de certaines paroisses savoyardes s'est
opposé à la création des stations et à la dissolution des mœurs.
Tout un pan du discours des années soixante-dix est une mise
en garde morale contre le tourisme d'hiver, l'argent facile, et
les loisirs frelatés des boîtes de nuit. Et l'on cite le cas de
parents qui interdisaient à leurs iIlles de monter travailler en
station, craignant les risques de dépravation morale.
Quant à la fréquentation de l'alpe, elle doit permettre de
retrouver rituellement, au contact des autochtones, les authen-
tiques vertus de l'homme à l'état de nature. C'est ainsi qu'il
faut comprendre le discours purificateur sur la montagne, et la
soif de rigueur morale qui l'accompagne. Rhétorique de
l'effort, de la sublimation, qui convient au comportement spar-
tiate du soldat et du sportif, ainsi qu'au puritanisme protestant.
La même motivation cathartique inspire le développement des
pratiques alpines comme prévention de la délinquance; camps
de vacances dans les vallées isolées, sorties en montagne et
compétitions d'escalade indoor à Vaux-en-Velin. En septembre
1991, un groupe de jeunes condammés de Fleury-Mérogis attei-
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IMAGINAIRE DES USAGERS ET USAGERS IMAGINAIRES 201

gnent le mont Blanc encadrés par le peloton de gendarmerie de


montagne.
Le rousseauisme est donc aussi fondé sur l'antinomie entre
élection et exclusion. D'un côté on rejette, outre les pollutions,
les êtres décadents qui végètent dans le cloaque des plaines et
des villes. De l'autre, on loue les habitants des montagnes, forts
et libres parce que restés proches de la nature; autarciques,
dépourvus de relations marchandes, ils n'ont pas encore com-
mis le péché originel de la lutte des classes. Les communautés
alpestres seront considérées comme des modèles d'égalitarisme
pour les peuples d'en bas. Affirmation d'une solidarité territo-
riale fondée sur les vertus du sol, souvent reprise d'ailleurs par
les tenants de l'auto-développement, et par les élus locaux.
Incantation pour préserver l 'homogénéité du groupe, elle a
besoin pour être revendiquée du repoussoir de la société urbai-
ne et de l'Etat. La logique de l'exclusion, ostensiblement niée à
l'intérieur, est reportée à l'extérieur de l'espace montagnard.
Les rites de communion avec la nature inclus dans la fré-
quentation moderne confèrent un pouvoir social particulier: ils
renforcent la fraternité communautaire. Nous avons noté que le
thème de l'alpe réconciliatrice, traditionnel dans la littérature,
se retrouve constamment dans les réponses aux enquêtes touris-
tiques. Cette motivation est si puissante que les stations
contemporaines essaient de recréer la solidarité mythique du
village de jadis, en s'efforçant de gommer tous les signes de
statut social, de classes d'âge, et même de sexe: les accessoires
du skieur dissimulent têtes et visages, l'uniformité des vête-
ments gonflants masquent les poitrines. Cette volonté de nier
les différences est plus particulièrement marquée dans la classe
moyenne. Celle-ci fournit les gros bataillons des touristes en
montagne, et surtout, c'est dans ses rangs que l'écologie poli-
tique recrute le plus clair de ses militants et de ses sympathi-
sants 85 •
Cette socialisation temporaire de l' homo turisticus est un
autre aspect de la montagne initiatique. Le voyage en Suisse ou
aux «glacières», tient lieu de régénération sociale périodique
depuis le XVIIIe avec Rousseau jusqu'à nos jours: il faut revi-
gorer le corps et l'esprit bien entendu, mais il faut également
exorciser les démons politiques. Un des premiers voyages
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d'Alexandre Soljenitsyne après son expulsion en Occident, sera


une visite en Suisse; il se rendra dans le petit canton d'Appen-
zell, lors des élections locales sur la place de la ville, pour
assister au spectacle exemplaire de la démocratie.
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CINQUIÈME PARTIE

IMAGINAIRE
DES PRATIQUES TOURISTIQUES

Depuis longtemps marketeurs et publicitaires savent que la fré-


quentation touristique est fondée sur le rêve. Le séjour à la
montagne, pompeusement appelé «produit touristique», com-
prend évidemment des objets physiques, tels que les apparte-
ments ou le matériel sportif, mais ce ne sont là que des moyens
banals pour atteindre une fin plus essentielle: celle-ci réside
dans le vécu des usagers, fait de sentiments et de désirs,
d'attentes comblées ou non, de paysages idéaux, bref d'imagi-
naire.
En faisant l'inventaire des pratiques touristiques l , et en creu-
sant lems motivations, nous allons redécouvrir les grands
thèmes de l'anthropologie. En acte.
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CHAPITRE PREMIER

L'initiation et ses modèles éducatifs


L'ascension, mère de toutes les pratiques alpines, se donne pour
une démarche initiatique. Au plan imaginaire, les sports alpins
seront donc source de régénération physique, mais aussi mora-
le, et surtout sociale; c'est pourquoi nombre d'institutions vont
s'emparer de la montagne à des fins éducatives.

Sports alpins, risque et régénération

«Un jour de randonnée, dix jours de santé», tel est le slogan


affiché par certain dépliant publicitaire2• Les rapports à la mon-
tagne touchent d'abord le corps et les sports alpins ont une
valeur hygiénique reconnue par la médecine: ils suractivent les
fonctions de l'organisme, respiration, circulation, élimination.
Aussi se rangent-ils parmi les activités régénératrices au même
titre que le thermalisme ou le climatisme. Mais sont-ils moti-
vés, comme ces derniers, par l'imaginaire de la montagne?
Notons tout d'abord que la fréquentation sportive n'amène
pas que des effets bénéfiques. Les sports alpins sont parmi les
plus dangereux qui soient: chaque année en France, plusieurs
dizaines de milliers de skieurs sont blessés, une centaine d'alpi-
nistes ou de randonneurs à ski meurent en course. Depuis long-
temps certains observateurs critiques ont fait remarquer que les
ambulanciers et les médecins prospèrent au pied des pistes3 • Si
l'on en croit les organismes de secours, même les plus anodines
promenades sur sentiers sont meurtrières. Une simple recension
suffit ainsi à dévoiler l'envers dramatique des pratiques alpines.
Ce n'est donc pas seulement la recherche de la santé qui
motive le voyage touristique ou l'ascension, mais plutôt une
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idée que l'on se fait de la montagne, une relation imaginaire à


cet espace. Sans cela, la fréquentation apparaîtrait pour ce
qu'elle est: une activité dont les conséquences nocives, sta-
tistiquement mesurables, égalent au moins les effets béné-
fiques, difficiles à évaluer. Bien plus, ces derniers ne sont peut-
être obtenus que grâce à la croyance en la valeur symbolique de
la montagne.
La santé pourrait bien n'être que le mobile apparent d'une
quête spirituelle; non pas chimère, mais régénération efficace
parce qu'elle active les schèmes de l'imaginaire et du sacré.
Dimension soigneusement dissimulée sous les motifs rationnels
invoqués dans le discours touristique contemporain, dénué le
plus souvent de toute référence explicite au mythe; textes,
images et rites sont désacralisés, et ne parlent que de santé ou
d'équilibre psychique.

L'envers dramatique de l'initiation

L'imaginaire des pratiques montagnardes possède une dimen-


sion sociale. Leur aspect périlleux évoque de manière frappante
l'ambivalence initiatique4 lors de la pénétration dans l'espace
sacré, à la fois attirance et répulsion. Et, de fait, les enquêtes5
montrent d'un côté la séduction irrésistible des lieux paradi-
siaques, propices à la régénération et à l'héroïsme exalté de
l'ascension; de l'autre, le parcours de tous les dangers, la hanti-
se de la chute, les risques de blessure et de mort; et même
l 'humiliation pour les imprudents ou pour ceux qui abandon-
nent avant le sommet. En somme la dramatique alternative
entre le héros et l'être déchu.
Les médias s'appuient sur l'imaginaire social de manière
assez ambiguë. Toute la publicité pour les sports d'hiver par
exemple passe sous silence les risques quotidiens de la fré-
quentation; elle élimine les aspects désagréables du climat et la
météo elle-même devient tabou: on comprend sans peine que
les tours operators répugnent à effrayer le chaland. En re-
vanche, les journaux font une grande place aux accidents spec-
taculaires et aux tragédies alpines: cette insistance sur le dan-
ger de pratiques rares comme l'escalade permet de valoriser à
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peu de frais le touriste moyen qui, sur les pistes larges ou les
sentiers balisés, a le sentiment de participer à l'action héroïque.
La double intention de gommer les petits risques réels et d'exal-
ter les grands dangers imaginaires est liée à la pratique de plus en
plus massive, et à une initiation de plus en plus édulcorée.
Malgré tout, même dans les comportements de masse
contemporains, la difficulté initiatique est encore présente. Le
premier contact avec la montagne n'est pas une démarche ano-
dine pour le touriste. Les études de marché6 soulignent le frein
à la fréquentation que représentent les seules embûches du tra-
jet jusqu'à une station. S'il prend le train, le voyageur doit
transborder un lourd sac à dos en été, des skis encombrants en
hiver; difficile d'attraper les correspondances dans les wagons
bondés avec ces chargements. Même s'il est bien accueilli à
l'arrivée, il a quelque chance de trouver la pluie ou le
brouillard, et la neige sale des bords de route, au lieu du man-
teau immaculé sous le soleil. Le mauvais temps et le froid sont
des épouvantails pour la fréquentation; d'ailleurs les profes-
sionnels sont si convaincus de ce contentieux latent de leur
clientèle avec la montagne, qu'ils ne craignent rien tant que la
concurrence des destinations chaudes de la mer ou des îles.
Mais les tribulations de notre skieur néophyte ne font que
commencer. Il lui sera pénible ne serait-ce que de marcher dans
les rues enneigées, empêtré dans d'éléphantesques chaussures
rigides. A plus forte raison lorsqu'il lui faudra jouer des coudes
dans la queue au remonte-pente, puis se cramponner à la perche,
risquer la chute - et les quolibets - sous l' œil goguenard des
habitués. Encore cela n'est-il rien en comparaison de la peur au
ventre lorsque, se laissant guider docilement par son moniteur, il
parviendra soudain en haut d'un mur gelé au petit matin ...
Bref, l'apprentissage du ski est particulièrement rebutant,
malgré les progrès dans la pédagogie et le matériel de mieux en
mieux adapté aux débutants. L'escalade, bien entendu, est enco-
re plus difficile d'accès. Même la banale promenade sur sentier
se solde par des ampoules, et les brûlures inégales du soleil
d'altitude; elle est souvent vécue comme une chemin de croix
par les nouveaux venus à la montagne.
Ces difficultés constituent un handicap à la fréquentation;
elles conservent une valeur d'épreuve initiatique, et dissuadent
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nombre de vacanciers occasionnels d'aller plus avant dans la


découverte de la montagne. En revanche elles gratifient ceux
qui ont été capables de les surmonter du sentiment d'appartenir
au groupe des initiés. Ainsi s'explique la bruyante solidarité de
ceux qui «partent à la montagne» dans les gares. Et aussi
l'admiration ou l'incompréhension des béotiens. Même les tria-
listes se considèrent parfois comme des incompris, non sans
quelque indulgence envers eux-mêmes: «Nous ne nous com-
prenons qu'entre nous, on est un peu spéciaux?» Processus ini-
tiatique enfin qui donne quelque fierté à exhiber un visage
bronzé au retour des vacances d'hiver. D'ailleurs, les parents
enquêtés, qui ne pratiquent pas eux-mêmes le ski, le souhaitent
pour leurs enfants: l'épreuve une fois dépassée apporte les
signes distinctifs d'une promotion sociale.

Galerie des portraits 1: l'héroïsme hard 8

Fondée sur la démarche initiatique, la pratique alpine a toujours


l'héroïsme pour horizon; plus que les autres sports, elle se doit
d'offrir des modèles. C'est pourquoi toute l'histoire de l'alpi-
nisme se confond avec celle de ses héros. Mais ces deux siècles
d'épopée sont marqués par deux sortes de modèles qui révèlent
aussi des manières d'être différentes par rapport à la montagne:
l'une agressive, l'autre contemplative. Pour chacune des deux,
nous présenterons une galerie des portraits, et ses principaux
traits de caractères. Commençons par les chefs de file de l'alpi-
nisme prométhéen, de l'héroïsme hard.
«Where there's a will, there's a way» , «Là où il y a une
volonté, il y a un passage»: telle fut la devise popularisée par
deux Britanniques, Hudson et Kennedy, les deux premiers à
réussir sans guide l'ascension du mont Blanc en 1855, innova-
tion d'une audace extrême pour l'époque. Eloge du volontaris-
me, la formule a été latinisée par les fondateurs français du
Groupe de haute montagne: «Ubi volontas, ubi via».
D'ailleurs, dans ce milieu, on parle volontiers de «l'esprit
d'entreprise» des «conquérants de l'inutile9 » ; écoutons Lionnel
Terray prononcer l'oraison funèbre de l'un de ses compagnons
de cordée, Robert Guillaume en 1961 : «Il avait la force,
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l'adresse, le courage des plus habiles varappeurs, la résistance,


le sens de la montagne, la capacité de souffrance et le sens de
l'organisation des meilleurs alpinistes, mais aussi le goût
d'entreprendre, la volonté de vaincre et l'art de réussir, qui,
seuls, engendrent des prodiges lO .» Condensé du rêve promé-
théen, qualités physiques et morales qui siéraient aussi bien à
un soldat.
Guido Lammer en est un exemple caricatural, chez qui le cou-
rage se mue en volonté de puissance. Dans son livre Fontaine de
Jouvence, publié en 1922, il creuse les mobiles profonds de
l'alpinisme en même temps qu'il expose ses aventures: apologie
du danger et mystique cruelle du surhomme nietzschéen bra-
vant la mort et niant la souffrance; lui-même prêche d'exemple
avec ses ascensions en loup solitaire, et parfois ses échecs tra-
giques.
L'éthique prométhéenne impose un but différent au grim-
peur: il ne s'agit plus seulement d'atteindre le sommet, mais de
considérer l'itinéraire. Edouard Whymper, le vainqueur du Cer-
vin en 1865, fut l'un des premiers à définir sciemment ces nou-
velles règles du jeu après que les principaux sommets des
Alpes eurent été conquis. La difficulté devient le critère décisif
pour juger de la qualité d'une course, ce qui relègue au second
plan la contemplation, et déclenche des polémiques avec Rus-
kin le poète marcheur. D'ailleurs un contemporain, Mummery,
reconnaît tout haut ce que les nouveaux membres de l'Alpine
Club pensent déjà tout bas: «Je suis bien libre d'avouer que,
quant à moi, je grimperais encore, même s'il n'y avait plus de
paysages à voir ll .» On privilégie les conditions subjectives plus
que le parcours physique, ce qui explique qu'un itinéraire puis-
se se dévaloriser. Ainsi, en 1881, Mummery conquiert le Gré-
pon, et lorsque onze ans plus tard il y retourne, il énonce son
fameux théorème sur l'évolution de la difficulté d'une voie:
«Un pic inaccessible, la plus difficile escalade des Alpes, une
course facile pour dames».
Dans cette optique, la pratique est toujours de l'ordre de la
compétition. Il faut alors évaluer, étalonner, mesurer, et l'alpi-
nisme prométhéen table sur le quantitatif. Voici le célèbre pas-
teur W.A.B. Coolidge. Alpiniste plutôt moyen en dépit de
grandes ambitions, il ne lui restait à conquérir que des sommets
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difficiles dans les Alpes suisses et le massif du Mont-Blanc. Sa


passion, très rationnelle, lui fit contourner logiquement le pro-
blème : il se rabattit sur les massifs secondaires où il compensa
la qualité par la quantité. C'est ainsi qu'avec sa tante Miss Bre-
voort et sa chienne Tschingel, Coolidge écuma pendant trente
ans les Alpes du Dauphiné encore peu fréquentées, où il pou-
vait accumuler des premières faciles; Pic central de la Meije,
Ailefroide, Olan, Bans, Pavé, Grande Ruine, Râteau, Aiguilles
d'Arves, Pic Coolidge ... tombèrent les uns après les autres. Lui-
même tint le compte méticuleux de son palmarès et recensa
plus de 1 700 ascensions! Insatiable, calculateur, et scrupuleux
en même temps, tel est l'explorateur prométhéen! A la fin du
siècle, Coolidge mit un terme à sa carrière alpine, et finit ses
jours en historien des Alpes aussi prolixe qu'il avait été avide
de sommets.
Et voici les années vingt avec Willi Welzenbach, ingénieur de
formation, qui rêve d'introduire la rationalité dans cette discipli-
ne approximative que lui semble l'alpinisme. Il en a les moyens:
ses nombreuses premières attestent de son audace et de ses capa-
cités, si bien qu'il devient rapidement président du très sélectif
Club alpin académique de Munich. L'éthique de Welzenbach
impose les directissimes, voies les plus logiques, mais aussi les
plus dures. En 1925, il va élaborer la fameuse échelle de difficul-
té avec ses six degrés, l'instrument qui manquait encore à l'alpi-
nisme pour être mesurable dans la compétition. Welzenbach
subira le destin tragique du héros prométhéen, mourant dans des
conditions atroces au Nanga Parbat en 1934.
Chez nombre de grimpeurs aujourd 'hui, le prestige média-
tique s'évalue par le nombre de «8000». Il arrive que toute une
carrière d'alpiniste se résume en chiffres; en 1976, comme le
vieux Coolidgeen fin de carrière, Georges Livanos rappelle non
sans humour la «statistique» de ses quarante ans de production
de haut niveau: «9000 heures d'escalades pour 250 000 mètres
du IV au VI, 25 000 pitons, 1 500 rappels, 450 premières dans
les calanques, 60 en montagne, 90 bivouacs 12 ••• »
L'éthique prométhéenne de la conquête s'appuie aussi sur la
science et la technique. Il y a longtemps que ce type de grim-
peur traîne une odeur de poudre: quelques membres de la fa-
mille Maquignaz, tailleurs de pierre et grands guides valdôtains
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devant l'Eternel, furent accusés en 1882 d'avoir fait sauter le


rocher à l'explosif pour faciliter le passage de clients à la Dent
du Géant. Sans les assimiler à ces casseurs, peut-être pourrait-
on ranger les grands innovateurs dans cette catégorie de héros.
Ainsi devrait-on citer Jean Charlet, qui inventa le rappel en
1876? Ou encore Hans Dülfer, étoile de l'alpinisme allemand
au début du siècle, mort à 25 ans, premier utilisateur sinon
inventeur des pitons et des mousquetons?
Incontestablement il faut parler de Pierre Allain, qui, après
la dernière guerre, propose une méthode «scientifique» pour
l'alpinisme. Passionné par la question du matériel, il invente et
lance sur le marché des innovations techniques remarquables:
le descendeur pour faciliter les rappels, et les premiers mous-
quetons légers en dural. Le titre de son livre, Alpinisme et com-
pétition, indique assez l'esprit dans lequel il conçoit la pratique
de la montagne: à l'opposé de la solitaire contemplative, il pri-
vilégie la grimpe prométhéenne.
Cette pratique culmine dans les années cinquante et soixan-
te. Voici Guiseppe De Francesch, alpiniste italien tenant de
l'école «technologique». Il préconise l'emploi à tout va des
pitons à expansion, pour ouvrir les voies sous les surplombs les
plus rebondis, et réalise de grandes premières dans les Do-
lomites. Et voici Cesare Maestri: en 1971, lors d'une tentative
au Cerro Torre, dans les Andes de Patagonie, il fore les trous
des pitons avec un marteau-piqueur qu'il a hissé à l'aide de
treuils dans la paroi! Mais déjà ce type de pratique se heurte
aux vives critiques des tenants de l'écologie.
L'alpinisme prométhéen n'est pas toujours regardant sur la
moyens. En 1958, W. Harding et ses compagnons se livrent à
un véritable siège pour vaincre le Capitan par la voie du Nose
dans le Yosemite: avec des cordes fixes et un matériel lourd
- 800 pitons furent plantés! - ils mettent quarante-cinq jours
effectifs sur plus de dix-huit mois avant de parvenir au sommet l
En 1967, les deux premiers Français firent la même voie en
6 jours, avec 80 kilos de matériel, et manquèrent mourir de soif!
Mais les expéditions traditionnelles surtout sont des en-
treprises lourdes: celle conduite par G. Dyhrenfurth pour la
première traversée de l'Everest en 1963, comprenait dix-neuf
participants américains. On dut établir six camps sur l'itinéraire
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du col Sud, et cinq sur l'arête Ouest, et on embaucha près de


neuf cents porteurs pour acheminer le matériel!

Galerie des portraits II: l'héroïsme soft

A cette anthologie des grimpeurs prométhéens s'oppose la liste


aussi impressionnante des alpinistes contemplatifs, et le conflit
entre les deux tendances se réveille régulièrement avec une
intensité variable selon les périodes.
Dès la fin du XIXe siècle, les membres de l'Alpine Club
trouvent en travers de leur route John Ruskin géologue, peintre
et poète. Les montagnes lui inspirent davantage une exaltation
mystique que sportive. Il est excédé par les exploits de ces nou-
veaux conquérants qui ont transformé les «cathédrales de la
terre», en «mâts de cocagne savonnés auxquels s'agrippent les
hommes pour conquérir le prix mesquin qui est pendu au som-
met 13 ». Sa pratique consistait, outre quelques courses faciles, à
de longues rêveries contemplatives devant les sommets, ce dont
témoigne encore la «Pierre à Ruskin» près de Chamonix.
A la même époque, un autre Britannique, Henry Russel, se
signalait par ses excentricités contemplatives, mais dans les
Pyrénées cette fois. Tombé amoureux de ce massif, il y réalisa
de nombreuses ascensions. Mais surtout, loin de l'esprit de
conquête, il s'était donné pour règle de demeurer le plus long-
temps possible au cœur même de la montagne; il aménagea
donc de multiples grottes jusque sous le sommet du Vignemale,
et s'y installa à demeure, au moins en été! Si bien que la com-
mune lui accorda la concession du sommet! Il raconta sa pas-
sion dans son livre Souvenirs d'un montagnard, apologie d'un
véritable monachisme sans Dieu! D'ailleurs Russel ne signait-
il pas «l'ermite du Vignemale»?
Le héros contemplatif appartient au domaine de la littérature
ou des arts, plus qu'au sport. Parmi les grands noms, il faudrait
citer Emile Javelle, poète du XIXe, plutôt qu'alpiniste, et pour
qui les courses étaient davantage une quête mystique qu'un
exploit sportif. Ou encore Guido Rey, au début de ce siècle,
qui, sans être un alpiniste de haut niveau, eut une grande
influence morale. Du fond de sa retraite, face au Cervin dont il
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était amoureux, il écrivit plusieurs ouvrages, qui sont autant de


classiques de la littérature alpine.
Même lorsqu'il ne fait pas profession de littérature, le héros
contemplatif considère l'alpinisme comme un art. Mallory, au
début du siècle voyait dans l'ascension une symphonie.
D'ailleurs, lorsqu'il meurt en montagne, le héros contemplatif
ne se débat pas en un combat de géant à la manière de Promé-
thée, mais s'évanouit dans les nuées, comme emporté par les
dieux, tel Mallory lors de son ultime tentative à l' Everest en
1924; tandis qu'avec lrvine il approchait du sommet, leur ca-
marade Odell qui les suivait à la jumelle, les perdit de vue dans
un nuage, et nul ne les revit jamais. Envol mystérieux, cette fin
étrange a suscité une légende autour de Mallory, et inspiré plu-
sieurs romans dont celui de Joseph Peyré 14 •
Plus proche de nous, Lionnel Terray disait de son compa-
gnon Lachenal qu'il était un «danseur des cimes», et au-
jourd ' hui cette image plaît à l'élite des grimpeurs de falaise.
Sans pousser la métaphore aussi loin, tout un courant de l'alpi-
nisme privilégie la forme de l'itinéraire et la manière de grim-
per. Le héros prométhéen visait les directissimes et jugeait une
voie sur sa logique, l'alpinisme icarien y ajoute l'élégance.
Sans doute devrait-on faire figurer parmi les grands ancêtres de
ce courant Angelo Dibona, le bien prénommé, lui qui, dès avant
1914, ouvrit tant d'itinéraires réputés aussi bien dans les Dolo-
mites qu'en Dauphiné. Ou encore Emilio Comici, pour qui la
première idéale devait être «droite comme la goutte d'eau qui
tombe».
Mais si l'on tient compte de l'esthétique des voies ouvertes,
en même temps que de leur difficulté, il faudrait citer aussi
Giusto Gervasutti dans les années quarante, ou même Walter
Bonatti vingt ans plus tard : bien que ce dernier ait sacrifié à
l'escalade artificielle, il a servi de modèle à toute une généra-
tion, avec ses grandes hivernales en solitaires. Pour tous deux,
la pratique alpine était l'expression d'exigences intérieures plus
que sportives ou médiatiques, et par certains côtés d'aspirations
icariennes.
Art et spiritualité s'accommodent mal de la technique. Le
vol magique ne doit rien laisser transparaître ni du rictus de
l'effort, ni de la lourdeur des équipements. Notre galerie de
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portraits se doit d'évoquer ici ce phare de l'alpinisme que fut


Paul Preuss au début du siècle. Membre éminent de l'école
munichoise, il se fit l'apôtre d'une éthique rigoureuse, d'où
l'artifice était banni: il s'interdit non seulement l'usage des
pitons qui commençait à se répandre, mais aussi celui de la
corde! Ce qui ne l'empêcha nullement d'ouvrir des voies très
difficiles comme celle qui porte son nom au Campanile Basso,
gravie en solitaire. Chef de file de l'escalade libre, il s'opposa à
Dü1fer, qui lui militait pour introduire les techniques modernes.
Ce refus coïncide souvent avec celui de l'innovation et le désir
de maintenir ou de retrouver la pureté des traditions. Et la
défense sans concession de ces principes est parfois difficile à
assumer pour un grimpeur: ainsi Armand Charlet dans l' entre-
deux-guerres, pour n'avoir jamais voulu des pitons, s'interdit
probablement la conquête de la face Nord des Grandes-
Jorasses, qui eût été à sa portée.
Paul Preuss fut l'inspirateur de nombre de grimpeurs ger-
maniques et italiens tout au long du siècle. Par ailleurs le refus
de l'équipement technique s'accompagne d'un éloge de la pau-
vreté et de l'humilité médiatique, proche du monachisme. Voici
Hermann Buhl par exemple, un grand parmi les grands dans
cette lignée de héros. De constitution faible, il compense sa fra-
gilité par le courage. Dès 1948, il répète nombre de courses
extrêmement difficiles en solitaire, dont la face Est du Watz-
mann en hiver et la nuit! Le 6 juillet 1952, il part en vélo
d'Innsbruck jusqu ' à Bergell, et gravit seul la face Nord-Est du
Badile en quatre heures et demie; reparti le soir même, il
s'endort de fatigue sur sa bicyclette, et fait une chute dans
l'Inn, mais réussit cependant à rentrer à la maison le lendemain
matin. En 1953, il fait partie de l'expédition au Nanga Parbat;
le 3 juillet, il quitte le dernier camp, et pour aller plus vite, il
abandonne son sac! Il atteindra le sommet à la nuit, mais devra
bivouaquer sans tente ni duvet, sans manger ni boire à plus de
8 000 mètres d ' altitude! Il ne rejoindra ses camarades que le
lendemain soir. Conscience claire mais désarmée face au dan-
ger, manque d'argent, peu ou pas de matériel, telles sont les
conditions dans lesquels Buhl deviendra un héros. Et pourtant
jamais il ne fera le moindre prosélytisme, ne cherchera quelque
profit financier, ni même la notoriété. Sans se mêler aux polé-
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miques du moment, avec une infinie modestie, il surplombe


l'alpinisme de son temps, en véritable figure du héros icarien.
Contrastant avec l'alpinisme de rentier de la fin du siècle,
cette éthique met l'héroïsme à la portée des classes modestes.
Rappelons Zwinglestein, le «Chemineau de la montagne» dans
les années trente; ou Gary Hemming, cette étoile médiatique
d'un moment, étudiant de philosophie et «beatnik des cimes»
dont le souvenir demeure encore. En 1966, accompagné de
deux autres bénévoles, il parvint sur les lîeux plus rapidement
que les secours officiels pour sauver deux Allemands bloqués
dans les Drus. Durant les dernières décennies, nombre de
jeunes alpinistes ont flirté avec la bohème, laquelle ne discon-
vient pas à l'éthique icarienne.
Le rejet de la technique se manifeste aussi dans les courses
lointaines. Mallory déjà s'opposait à l'utilisation de l'oxygène
en Himalaya. Mais c'est Hermann Buhl qui le premier inaugura
l'expédition légère. En 1957, il part en autocar avec seulement
trois compagnons dans l'intention de gravir le Broad Peak au
Karakoram, et tous quatre atteignent le sommet, sans porteur
d'altitude. Mais quelques jours plus tard, trompé par le
brouillard, Buhl disparaît à travers une corniche. Vingt ans
après, l'Italien Reinhold Messner, par ses grandes premières au
Nanga Parbat et au Manaslu, systématise le raid léger, moins
coûteux et écologique. Désormais, l'himalayisme sans porteurs,
sans camps d'altitude, et même sans oxygène s'impose comme
la norme.
Les innovations de Messner cependant ne se limitent pas à
l 'Himalaya. Le maestro, par la rigueur de sa pratique, a remis
en honneur les principes de Preuss autrefois. Aujourd 'hui la
perfection des techniques matérielles permet de gravir n'impor-
te quelle voie, sans nécessairement faire preuve de génie. C'est
pourquoi Messner considère que l'imposition de limites plU des
règles rigoureuses, peut encore préserver l'intérêt d'une pra-
tique alpine de haut niveau. C'est l'époque où se répandent les
coinceurs, qui n'abîment pas le rocher comme les pitons à ex-
pansion; où se diffuse aussi l'escalade totalement libre, légère
et rapide. Suite logique de ces prises de position, à la fin des
années quatre-vingts, Messner est à la tête d'un mouvement
pour la création d'un parc naturel international du Mont-Blanc.
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DES MONTS ET DES MYTHES

Ainsi s'opère la jonction officielle entre l'alpinisme icarien, et


la revendication écologiste.
L'opposition entre la pratique agressive et contemplative,
déjà présente dans les attaques de Ruskin contre Whymper, a
repris avec la polémique entre Preuss et Dülfer, avant de
s'éteindre à nouveau; elle s'est rallumée avec virulence au
milieu des années soixante-dix: la mode de l'escalade «propre»
venue des USA rejetait la quincaillerie de plus en plus sophis-
tiquée utilisée par les grimpeurs. Aujourd'hui un modus viven-
di s'instaure et le clivage entre grimpeurs hard et soft tend à
s'estomper. Pas tout à fait cependant: une viaferrata, mise en
place au mont Aiguille en 1990, en prévision du cinq-centième
anniversaire de sa conquête, vient d'être systématiquement
déboulonnée par les défenseurs de la montagne vierge.

La participation institutionnalisée à l'histoire

Cette courte anthologie ne peut citer tous les héros de l'alpe,


même parmi les plus grands. En effet, beaucoup participent à la
fois de l'angélisme icarien et de l' agressi vité prométhéenne.
Ainsi Hans Dülfer fut certes l'ardent propagandiste de l'alpinis-
me technicisé, mais ses compagnons disaient de lui qu'il grim-
pait «en effleurant et en caressant le rocher». Et Cesare Maestri,
1'homme qui perfora le Cerro Torre au compresseur, fut durant
la première partie de sa carrière un adepte de l'alpinisme sans
assurance, à l'image du grand ancêtre Preuss : comme ce der-
nier, il ad' ailleurs entrepris à la descente des voies extrême-
ment difficiles, qu'il a été le seul à réaliser; il y a gagné le sur-
nom d'«Araignée des Dolomites», évocation icarienne s'il en
est. Afortiori, le touriste moyen participe peu ou prou aux deux·
types de rapports à la montagne, mi-Icare, mi-Prométhée.
Cette histoire de l'alpinisme n'est pas qu'affaire d'histo-
riens. Discours élaboré depuis plus d'un siècle, elle accumule,
en couches successives, les récits d'ascension publiés dans les
revues ou les ouvrages de montagne; ces micro-histoires se
complètent peu à peu comme les pièces d'un puzzle pour se
constituer en biographies, elles-mêmes cristallisées en une
macro-histoire officielle.
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Les touristes ordinaires, sans toujours connaître exactement


ces héros de légende, revivent leur saga. D'ailleurs ceux-ci les
y ont aidé puisque la plupart des alpinistes célèbres ont écrit
leur propre livre sur la montagne: les aventures de Lionnel
Terray, Walter Bonatti, René Demaison, Reinhold Messner, et
de bien d'autres ont bercé l'enfance des montagnards
d'aujourd'hui, et ont fait jaillir l'illumination initiatique lS • Des
générations de grimpeurs y ont puisé leur nourriture imaginaire
et beaucoup de touristes, en effectuant la plus modeste prome-
nade, y participent peu ou prou. Les ancêtres mythiques sont
donc des modèles qui motivent les pratiques actuelles dont cha-
cune peut être considérée, de droit, comme une tentative de
réactualisation symbolique.
Sans doute objectera-t-on que cette fonne de tourisme ini-
tiatique est propre à l'alpinisme. Il est vrai que celui-ci se pré-
sente comme l'archétype des rapports à la montagne, et qu'il
est donc le plus significatif bien qu'il touche une clientèle
réduite. Cependant, ce principe de participation symbolique
peut être étendu au ski, même s'il est moins marqué: les cham-
pions de ski alpin servent de modèles auxquels s'identifient les
pratiquants ordinaires. C'est d'ailleurs pourquoi chaque station
s'est longtemps attaché le nom d'un héros, comme Val-d'Isère
par exemple avec Jean-Claude Killy16.
Mais l'histoire officielle ne se construit pas seule, et la parti-
cipation aux valeurs de cette histoire ne va pas de soi. Si la
dimension initiatique touche aujourd'hui les pratiques alpines
les plus banales, cela est dû au fait qu'un grand nombre d'insti-
tutions officielles s'en sont emparées, se sont réapproprié juste-
ment cette histoire et l'ont diffusée massivement. L'imaginaire
passe par les appareils qui décuplent son efficacité sociale.
C'est ainsi que le mythe de la montagne a été récupéré par les
armées, les églises, les écoles, et les organisations sportives. Il
sera même enrôlé dans l'éducation en général, pour fonder
l'institution familiale ou sélectionner les élites.
Par sa fonction initiatique en effet, la montagne est édu-
catrice. Il faut que les jeunes gens soient livrés un temps à eux-
mêmes dans une zone dangereuse, afin de connaître le prix de
l'existence sécurisée du territoire et d'en sentir la précarité: ce
processus initiatique, nous l'avons vu, intéresse l'armée.
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DES MONTS ET DES MYTHES

L'ascension, on le sait est aussi un rite baptismal, lequel efface


les souillures de la plaine et introduit dans l'assemblée des élus:
en cela elle favorise l'éducation chrétienne, et intéresse les
églises 17.
Ces mécanisines de régénération, dépouillés de leur conno-
tations religieuses ou militaires, sont réinvestis par l'école,
l'institution majeure qui contrôle aujourd'hui le passage de
l'enfance à l'âge adulte. Aux organismes de vacances patronnés
par l'Education nationale, qui gèrent colonies et camps de
jeunes à la montagne, s'ajoutent désormais les activités para-
scolaires, classes de neige ou classes vertes.
De ce fait, les habitus scolaires imprègnent les pratiques
elles-mêmes; l'apprentissage de l'alpinisme, et surtout du ski,
adopte les formes et les méthodes de l'école avec la leçon, le
cursus et les degrés sanctionnés par les diplômes. Il suffit
d'ailleurs de voir le pourcentage d'enseignants parmi les moni-
teurs ou les guides 18 pour se convaincre de la prégnance de
l'appareil scolaire. Enfin, d'une façon plus générale, la mon-
tagne devient un lieu tout à fait indiqué pour la rééducation et
la réhabilitation des marginaux les plus divers: déficients men-
taux, handicapés physiques ou cas sociaux; ainsi en 1978, un
département montagneux tel que la Lozère comptait plus de
1 800 places dans des internats pour des inadaptés divers, soit
2,5% de sa population 19 •
Enfin les sports alpins sont une synthèse des différents
modes d'institutionnalisation. Aux militaires, le sport, dérivé
ludique du combat, emprunte son caractère martial. De la reli-
gion il tire ses règles puritaines: ascétisme de l'entraînement et
abstinence, rien de plus sobre que le montagnard, de plus dis-
cipliné que la cordée. A la montagne hygiénique et thérapeu-
tique, le sport emprunte la notion de santé. Mais pour le sportif,
la montagne est surtout un terrain de jeu, de luttes et de compé-
tition même si cela n'est pas toujours revendiqué ouvertement.
Les pratiques alpines, sélectives, empruntent les formes du
rituel initiatique, qui permettent aux sportifs de s'affirmer
comme les meilleurs: leur langage spécifique circonscrit de
manière précise le petit groupe des initiés. Et un certain nombre
d'institutions ont mis en tutelle l'activité sportive: organismes
et associations, syndicats de professionnels, guides ou moni-
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teurs, écoles spécialisées telle que l'ENSA de Chamonix, le


tout coiffé par le ministère de la Jeunesse et des Sports, le bras
de l'Etat.

Les célibataires, les mâles et la famille

L'initiation par la montagne sert aussi l'institution familiale.


Les pratiques alpines en effet attirent essentiellement la gent
masculine. Caractère «musculaire» ou agressif du rapport à la
montagne? Explication douteuse ou insuffisante, car l'alpinis-
me nous l'avons vu, peut être aussi contemplatif. Mais une
autre interprétation paraît plus intéressante: le besoin d'initia-
tion est beaucoup plus grand pour le sexe mâle qui doit faire la
preuve de son identité, et accessoirement de sa capacité à
défendre et à protéger2o• L'Alpine Club avait exclu les femmes,
de même le Club alpin suisse, tout naturellement. D'ailleurs si
quelques-unes figurent dans les hagiographies historiques, ce
n'est qu'au titre de glorieuses exceptions. Aujourd'hui encore
elles restent minoritaires, et surtout beaucoup moins aventu-
rières dans la fréquentation, tant sur les parois et les sentiers
que sur les pistes de ski. D'ailleurs la littérature alpine montrait
déjà un discours sur la montagne empreint de misogynie21 •
La pratique alpine, en tant que rite initiatique sexualisé se
déroule dans le milieu familial, les camps d'adolescents ou les
groupes de pairs en général. Hantée par les dragons et les enne-
mis démesurés, la montagne est le lieu chaotique de la nature
où l'on réalise des hauts faits, espace rêvé pour les chevaliers
servants. La lutte contre la nature se double d'une compétition
latente pour séduire la belle, promise au vainqueur: type de
scénario qui abonde dans les romans de montagne. Celle-ci est
le lieu d'affrontements difficiles qui permettront de désigner
l'élu parmi la masse indifférenciée des postulants.
L'alpe est donc aussi un champ clos pour les célibataires, ou
plus exactement pour les groupes de célibataires, puisque les
études touristiques montrent qu'elle est fréquentée collec-
tivement. Mais peu à peu, ceux-ci se désagrègent en couples,
et, à mesure que les liens se tissent entre futurs époux, ils se
défont avec la montagne. Ce n'est qu'une fois la trentaine pas-
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DES MONTS ET DES MYTHES

sée que les pères de famille referont épisodiquement quelque


pèlerinage débonnaire aux lieux de leurs premières amours.
Cette évolution de la fréquentation avec l'âge n'est-elle pas
observée par les guides? Leur clientèle connaît un «trou» entre
17 -18 ans et 25-30 ans, durant le temps du flirt aux débuts du
mariage, et avant la période installée de la trentaine où le client
reviendra avec un guide22 • Ainsi la fonction initiatique de la
montagne joue-t-elle ici au service de l'institution familiale.

Une pratique de classe?

Les pratiques alpines, une fois institutionnalisées, ne sont plus


réservées à quelques originaux; en donnant accès aux marges
du territoire, zone difficultueuse et dangereuse, elles sont cen-
sées forger le caractère, et se présentent comme de précieux
auxiliaires de l'éducation. Ces propriétés pédagogiques les font
s'étendre désormais à de larges couches de la population.
Toutes les catégories sociales cependant ne sont pas éga-
lement concernées. Certains historiens considèrent l'alpinisme
comme une «invention de la bourgeoisie23 » : la relation entre
l'ascensionniste et son guide au XI Xe siècle perpétuerait le rap-
port hiérarchique entre maître et valets. Voilà sans doute un
signe, mais qui ne dit pas pourquoi l'alpinisme attire pré-
cisément le bourgeois. Roland Barthes croit en connaître la rai-
son24 : le bourgeois serait obligé d'acheter l'effort pour acquérir
les bénéfices de la régénération par la montagne, ce dont la
noblesse, forte de sa distinction naturelle, n'aurait nul besoin.
Pierre Bourdieu25 recense plus précisément les catégories
socio-professionnelles, professions intellectuelles, enseignants,
qui donnent dans l'ascétisme montagnard: il y voit le désir de
satisfaire aux normes morales et esthétiques de la classe domi-
nante, pour une petite bourgeoisie en mal d'ascension sociale
justement, et qui rêve d'appartenir à la grande! Sans doute
cette sociologie de la distinction ne suffit-elle pas à rendre
compte de la richesse des motivations de la pratique alpine
actuelle; mais elle illustre assez bien comment l'imaginaire
alpestre remplit ici la fonction initiatique d'introduction à la
classe supérieure.
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L'idée de promotion sociale par le sport n'est pas propre aux


pratiques alpines, mais touche de nombreuses autres disciplines
telles que la boxe ou le football. Elle est profondément ancrée
dans les esprits, si bien que les jeunes montagnards ont souvent
rêvé du destin des champions de ski. On a écrit26 que c'est cet
espoir d'ascension sociale qui a suscité les skieurs exception-
nels des années cinquante ou soixante, tant en France qu'en
Autriche, tandis que par la suite, l'embourgeoisement des
hautes vallées touristiques en tarissait le renouvellement.
La fonction éducatrice, source de dignité morale autant que
de promotion sociale, a été reprise par le discours sur l'aména-
gement de la montagne. Dès 1945, le rapport Sibué27 au conseil
général de la Savoie, encourage la fréquentation des Alpes non
pour le profit matériel, mais pour la «joie et la santé» qu'elles
procurent; il préconisera justement le gel des terres afin de
combattre l'immoralité de la spéculation foncière. C'est là
l'embryon de la «vocation» populaire de la montagne, qui sera
constamment réaffirmée par les professions de foi des aména-
geurs publics. Ce thème fera résurgence au niveau des col-
lectivités locales dans les chartes de financement de Cham-
rousse, des Sept-Laux, mais aussi des Deux-Alpes, de
Valmorel, des Karellis! Toutes ces stations et bien d'autres ont
été proclamées à quelque moment de leur histoire stations
populaires. Idéal évidemment hors d'atteinte! Ce qui n'a pas
empêché les organismes de tourisme social, épaulés par les
comités d'entreprises, et les organisations de jeunesse, de beau-
coup investir dans la montagne.
Ainsi n'est-ce pas seulement la détente banale qui est re-
cherchée par la fréquentation de la montagne, mais le discours
des organisations populaires vise une idée plus haute du loisir.
La reproduction de la force de travail, prosaïque et matérialiste,
est transfigurée en régénération sociale du travailleur. La fonc-
tion initiatique et éducative de l'alpe sert ici de support imagi-
naire de la fréquentation de masse.
Lorsqu'il sert de justification à la «démocratisation» de la
montagne, le mythe rencontre une contradiction de fond. En
effet, la volonté politique de généraliser l'accès des classes
modestes aux pratiques alpines, heurte de front la démarche ini-
tiatique, qui est dans son principe désignation élitiste des élus.
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En réalité le discours de «démocratisation» correspond à un


double processus de distinction sociale que nous avons déjà
rencontré à l'œuvre. D'une part les différences entre prati-
quants, y compris corporelles, sont niées à l'intérieur des sta-
tions; depuis longtemps on a souligné ce phénomène d' aban-
don des tenues guindées et des attitudes distinctives, où se
mêlent chirurgiens ou notaires dans le même accoutrement fes-
tif que les «congés payés28 ». Ainsi les anciennes différences de
classe sont gommées, et les stations fermées de sports d'hiver
suggèrent l'utopie d'une société réconciliée. Les rites d'agréga-
tion à la communauté se déroulent dans l'abolition des normes
quotidiennes. Mais d'autre part les différences sont accentuées
vis-à-vis de l'extérieur: le bronzage d'hiver demeure un signe
envié lors du retour de vacances; les stigmates de la transfor-
mation sociale sont mis en évidence pour témoigner de l' appar-
tenance au groupe nouveau. En définitive, le discours déjà
ancien sur l'accès démocratique à la montagne, notamment aux
sports d'hiver, a jusqu'à présent été voué à l'échec, ce que
reconnaissent volontiers ses auteurs. Il est vraisemblable qu'il
correspond plutôt à l'intronisation de catégories sociales nou-
velles dans la classe moyenne, la fonction initiatique de la mon-
tagne tenant lieu de sanction idéologique d'une mobilité sociale
ascendante.
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CHAPITRE DEUXIÈME

Hard ou soft
deux rapports pratiques à la montagne
L'idéal de la pratique alpine consiste à reproduire l'action des
héros. Hauts faits des grands de l'alpinisme ou du ski, mais
aussi des acteurs historiques de l'aménagement: la participa-
tion au mythe de la montagne fera de chaque touriste un protec-
teur ou un aménageur au petit pied. Pourtant avec la fréquenta-
tion de masse, ce ressort de la motivation touristique perd de sa
force, et la consommation de la montagne par procuration
risque de porter un coup fatal au mythe ...

Petits héros de la grimpe et de la glisse

La pénétration touristique en montagne s'apparente à une ini-


tiation: sans que le touriste soit nécessairement métamorphosé
en héros, elle imprime les stigmates d'une différenciation
sociale, y compris sur le physique des pratiquants. Ceux-ci se
font reconnaître grâce au langage, aux signes vestimentaires et,
pour les plus engagés d'entre eux, aux traits du visage, à la
«dégaine». L'imaginaire s'enracine donc dans le corps et le rap-
port matériel à l'espace.
Et de fait, la montagne s'offre comme territoire à arpenter, in-
vite permanente à ces dynamiques gestuelles que sont la «grim-
pe» ou la «glisse»: ici encore transparaît la double orientation an-
thropologique, prométhéenne ou icarienne, d'un côté l'accroche
agressive, de l'autre l'abandon contemplatif. Dans ce rapport
contradictoire à l'espace, antinomie de la griffe et de l'aile, l'ima-
ginaire modèle profondément le sport et le tourisme alpin.
224 DES MONTS ET DES MYTHES
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Il existe des pratiques dures; Guido Magnone, dans la face


Ouest des Drus, évoque ainsi les sentiments du plein effort pro-
méthéen:
«Je commence à m'énerver. Je matraque fébrilement un
clou, puis un second, un troisième, et côte à côte, une multitude
d'autres. Je frappe presque sans conscience. Je suis tout à
l'exaltation de compter les coups que j'assène sur la tête des
pitons. Une bonne chaleur m'envahit le cœur29 .»
Alpinisme charpentier, idéal type de la pratique hard, avec les
pitons, les marteaux, les chaussures hérissées de crampons, et
une débauche de quincaillerie pendante à la ceinture. Beaucoup
d'autres activités moins élitistes relèvent de la même attitude, tels
le trial ou la moto dite «verte», mais surtout le ski de piste: un
enquêté aime à «faire rugir ses spatules dans les virages30». A un
niveau plus banal encore, les automobilistes du week-end se
contentent prosaïquement de «faire un col» en voiture.
Inversement il existe des pratiques soft, «planantes» . Un
autre alpiniste des années cinquante, Lionnel Terray, en offre un
bel exemple. Ecoutons-le à l'éperon de la Walker, au summum
de son art:
«Je m'élance, le corps renversé sur le vide absolu; je n'éprou-
ve aucune crainte, mais la sensation merveilleuse d'être dégagé
des lois de la pesanteur... je ne suis plus le même homme. Les
liens de la terre sont rompus; je n'ai plus ni peur ni fatigue, je me
sens comme porté par les airs; je suis invincible3l ».
Désir inconscient de voler, libération des attaches terrestres,
pur mythe d'Icare.
Retour aux sentiments du héros contemplatif, dont l'éthique
devient légitime en même temps que monte la revendication
écologiste. D'autres pratiques appartiennent au même registre
de l'imaginaire icarien: le deltaplane bien entendu, ou le para-
pente, qui évoquent la légèreté du vol magique. A un niveau
plus commun, la diffusion du ski de fond est fondée sur des
motivations analogues de communion avec la nature: «On est
plus près du paysage, dans la forêt, on va à son rythme et où on
veut3 2 .» Reviennent comme un leitmotiv la proximité du milieu
physique, la liberté, ainsi que la «dimension humaine» déjà ren-
contrées plus haut dans les théories de l'aménagement. Pour
certaines activités triviales, comme la promenade, les senti-
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IMAGINAIRE DES PRATIQUES TOURISTIQUES

ments sont généralement moins vifs, mais ils expriment le


même bonheur contemplatif. Enfin les pratiques nouvelles
telles que le surf des neiges, ou même le skifun, magnifient au-
jourd 'hui les notions de libération et de légèreté, le mythe de
l'envol.

Le touriste aménageur et protecteur

Le pratiquant des sports alpins, en s'identifiant plus ou moins


consciemment aux héros, se range parmi les agresseurs ou les
défenseurs de la nature; ce faisant, il cherche à adopter, sans
toujours y parvenir, un système de représentations cohérentes
avec sa pratique, pour penser les rapports à la montagne en
général: ainsi n'a-t-on aucune peine à trouver dans les en-
quêtes, des touristes de tempérament aménageur et d'autres
protecteurs.
Un fort pourcentage de visiteurs ne viennent en montagne
que pour la jouissance prométhéenne de l'alpe dominée, essayer
un nouveau tunnel, une nouvelle route, ou découvrir un bar-
rage ... EDF profite au demeurant de cette demande latente pour
vendre l'aménagement prométhéen des centrales électriques: il
cherche à canaliser ces visiteurs, en leur proposant des musées
de l'électricité. D'ailleurs les pratiques sportives «dures»
n'offrent jamais un contact direct avec la nature. Elles réclament
une importante médiation du matériel, et souvent, une infra-
structure lourde: le ski de piste en particulier exige des remon-
tées mécaniques coûteuses. Elles cumulent donc l'investisse-
ment agressif et les conséquences mutilantes pour le paysage.
Cependant la plupart de ces pratiquants n'ont pas conscience
de la fragilité du milieu alpin. Ils ont le sentiment au contraire
d'un espace immense, dans lequel s'ébattre à loisir, et à qui la
minuscule action de l 'homme ne fait courir aucun risque 33 :
flore ou faune ne leur paraissent pas devoir être protégées. Leur
attitude rejoint celle de beaucoup d'habitants permanents qui
s'offusquent de ce que l'on puisse interdire de cueillir des
fleurs: ils estiment que le lys martagon ou la vulnéraire sont
autant, sinon plus abondants qu'autrefois, et se plaignent de ce
que marmottes et rhododendrons envahissent les alpages 34 •
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226 DES MONTS ET DES MYTHES

Interrogés sur leurs préférences, ces touristes choisissent une


montagne équipée, aménagée, quitte à ce qu'elle perde ses tra-
ditions. Ils font valoir le «progrès» inexorable, les aspects misé-
rables de la vie de jadis et invoquent la «démocratisation» :
ainsi lorsqu'on leur demande ce qu'ils penseraient d'une route
au Mont-Blanc, beaucoup considèrent que ce serait une bonne
initiative, puisqu'elle permettrait à tous, même aux handicapés,
de jouir d'un sommet célèbre35 • Leur rapport à l'espace est
celui de l'agression tranquille, il coïncide logiquement avec
l'optimisme aménageur.
Inversement les tenants des pratiques douces cherchent à
évacuer le plus possible la médiation technique dans le rapport
à la nature. Leur volonté rejoint en cela les principes de l' amé-
nagement écologique. Leur discours, capté dans les enquêtes,
magnifie la montagne en tant que lieu paradisiaque, mais déna-
turé par les rapports marchands: «C'est quelque chose de pur,
de gratuit, d'offert à tous, mais il faut éviter cette question
d'argent qui avilit tout36.» Il y a eu dépréciation générale des
valeurs attachées à cet espace: «La montagne? Ils l'ont bien
esquintée, il n'y a plus rien de natureP7 ... »
Nombre de ces enquêtés nourrissent un noir pessimisme: la
montagne est déjà gangrenée, et même les hivers sans neige
sont mis sur le compte de la pollution. Certains propos laissent
augurer une sourde vengeance de la nature bafouée: l'œuvre
sacrilège des hommes, pour audacieuse qu'elle soit, risque
d •être anéantie de retour. Et ils interprètent les avalanches
comme un rappel périodique que la maîtrise sur cet espace
n'est pas aussi garantie qu'on l'imagine. Malgré les appa-
rences, la nature conserve sa réserve de puissance et ses secrets,
fondamentalement hors de l'emprise des hommes; bonne mère
certes, elle n'en punit pas moins les apprentis sorciers.
Ce discours catastrophiste amène avec lui une solution ré-
currente, l'interdit: ne pas cueillir de fleurs, limiter la chasse,
mettre un terme au développement des remontées mécaniques;
contre les voitures, les parkings, les stations intégrées, le touris-
me de masse ... Et l'interdit appelle la répression: dans certains
cantons suisses par exemple, l'autorité publique délègue à de
simples citoyens zélés le soin de surveiller les délinquants. La
restauration de la nature passe donc par une lutte sociale.
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IMAGINAIRE DES PRATIQUES TOURISTIQUES

D'ailleurs «les promoteurs» sont la cible désignée à la vengean-


ce de la nature: ils cumulent le double défaut de porter atteinte
à l'environnement et d'introduire les rapports marchands.
Ainsi deux types d'attitudes s'opposent dans la perception de
l'espace montagnard, et tendent à se constituer en systèmes d'opi-
nion cohérents. Tendent seulement .. car la plupart des réponses
ne sont pas aussi univoques, mais mêlées et nuancées; dans
chaque montagnard d'occasion dort un aménageur potentiel, mais
souvent aussi ce même touriste qui vient s'abreuver aux sources
de la régénération, peut tenir sur certains points un discours pro-
tecteur rigoureux. Plus que deux types opposés, il s'agit d'une
contradiction interne à l'expérience touristique elle-même.

Les représentations fantastiques de la montagne

Types de pratiques alpines et attitudes vis-à-vis de l'aménage-


ment correspondent aussi à une perception et à des re-
présentations particulières de la montagne. Celles-ci, tantôt
hostiles, tantôt favorables, participent de près ou de loin à
l'imaginaire prométhéen, ou contemplatif. C'est du moins ce
que montrent les enquêtes38 •
«J e pensais que c'était un grand mur encore plus élevé, et
les cols des passerelles entre deux montagnes, les gorges des
trous très profonds. C'est triste. Je ne m'y habituerais pas. On
est entouré de murs, on s'y croirait prisonnier.»
Cauchemar d'un enquêté du plat pays! D'autres comme lui
voient en la montagne un milieu hostile. Les dimensions
inhabituelles et l'altitude surprennent d'abord : tout est «très
grand», «énorme», <<immense». Vision d'un espace «dispropor-
tionné», et donc domaine «lointain», voire «inaccessible».
A la démesure par la taille, s'ajoute le sentiment d'une force
«imposante», «impressionnante»: «on se sent dépassé». Les
adjectifs «froid», «dur», <<rude» reviennent le plus souvent dans
la bouche de ces enquêtés. La montagne est perçue comme une
«barrière», une «muraille», une «forteresse», architecture agres-
sive qui inquiète: «Je ne suis pas bien dans la montagne, cela
m'angoisse»; «dans un chalet entouré de montagnes, je fais de la
dépression.» Montagne dangereuse, qui va parfois jusqu'à «tuer»
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228 DES MONTS ET DES MYTHES

ceux qui s'y aventurent. On comprend que pour cette catégorie


de touristes, elle soit un territoire à apprivoiser, sinon à conquérir.
Par ailleurs la montagne est perçue comme un lieu vide, une
absence: c'est le «désert», le «coin perdu», où l'on s'ennuie:
«la montagne, je ne sais pas quoi en faire», dira un enquêté.
Enfin, tout le monde s'accorde pour décrire la montagne
comme «sauvage», mais chez ceux qui sont hostiles, cela
devient l'«inconnu», donc l'imprévisible, qui suscite la crainte,
et un certain malaise.
Pour d'autres au contraire, cette surprise est positive: ils
dépeignent la montagne comme «majestueuse», «grandiose»,
ce qui ramène l'individu à un sentiment de petitesse: «On se
sent minuscule à côté». Plutôt que dangereuse, elle donne
l'impression de solidité protectrice: «sans montagne autour de
moi, je suis mal à l'aise». Bien entendu cette familiarité ras-
surante est davantage ressentie par les autochtones ou par ceux
qui la fréquentent de longue date.
Elle est également perçue comme le lieu de l'absence, mais
ce qui était vécu comme néant pour la montagne hostile,
devient ici purification des scories qui encombrent le paysage
d'en bas: silence, paix, loin de l'agitation des foules. Enfin la
dimension sauvage n'est plus un défaut, elle valorise au
contraire le «bout du monde», «loin des grands axes», là où
règne encore l'aventure.

SYNTHÈSE DES REPRÉSENTATIONS


HOSTILES OU FAVORABLES À LA MONTAGNE

Idées Représentations de la montagne:


générales HOSTILES FAVORABLES

Taille «Enorme» «Majestueuse» ,


et altitude «disproportionné» «grandiose»
Force «Muraille» , Solidité,
et permanence angoissante sécurité
Absence «Désert», «coin perdu» Silence, calme
Inconnu Imprévisible, Aventure
sauvage dangereuse stimulante
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IMAGINAIRE DES PRATIQUES TOURISTIQUES 229

Ces représentations n'ont évidemment rien d'objectif puis-


qu'elles consistent en interprétations favorables ou hostiles de
la montagne. Mais toutes deux sont fondées sur des ca-
ractéristiques de base identiques: très grande taille et altitude,
force et permanence, désert, sauvagerie et inconnu ... Quoique
banales, ces idées ne sont pas arbitraires: on ne cite jamais la
douceur ou la facilité à propos de la montagne. Elles appartien-
nent donc à un régime déterminé de l'imaginaire, lequel définit
d'emblée, avant toute réflexion, les cadres de la perception. Et
ce cadre se révèle prêt à accueillir deux images contradictoires,
prométhéenne ou contemplative, selon les rapports individuels
et collectifs à la montagne.

Contradictions et compromis

Pourtant cette dichotomie ne recoupe pas de façon rigoureuse


les deux types de pratiques décrits plus haut. Et même la plu-
part des enquêtés ne tiennent pas toujours un discours uni-
voque. C'est là une conséquence de la complexité de la symbo-
lique montagnarde lorsque les contradictions surgissent à la
surface du discours.
Ainsi la contemplation va de pair avec la revendication éco-
logique, et traîne avec elle l'interdit protecteur; en même temps
l'imaginaire montagnard nourrit les phantasmes de la liberté
absolue dans un espace hors du quotidien. Ainsi, lorsqu'on les
interroge sur les pratiques polluantes telles que le trial ou les
voitures tout terrain, les enquêtés sont écartelés entre leur désir
de préserver la nature, et la répugnance à interdire. Ils résolvent
cette contradiction en proposant un compromis, le zonage, tout
comme le font les technocrates: une part de montagne réservée
aux sports motorisés, et une autre pour la conservation de
l'espace vierge 39 •
De la même façon, la revendication égalitaire impose l'idée
selon laquelle tout un chacun devrait pouvoir «profiter» de la
montagne. Ce principe démocratique oblige à aménager des
accès, routes, téléphériques ... Mais en même temps l'imaginai-
re social de la montagne fonctionne sur le mode élitiste: l'ini-
tiation est réservée à quelques-uns, ceux qui ont eu le courage
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230 DES MONTS ET DES MYTHES

ou la chance de surmonter les obstacles à la fréquentation. Pour


savoir comment réagissent les enquêtés, face à cette contradic-
tion, on a réalisé un test40 : il leur a été demandé de choisir entre
différents équipements pour accéder à un point de vue intéres-
sant, au sein d'une gamme allant d'une large route goudronnée,
à l'absence totale d'aménagement afin de protéger le site et
d'en conserver la difficulté d'accès. La plupart de ceux qui ont
répondu se sont réfugiés au centre de la gamme, dans le com-
promis: ils ont opté pour la petite route avec parking à un kilo-
mètre du site, afin de terminer à pied ... Difficile de trancher
entre la préservation de la qualité initiatique du lieu, et un mini-
mum de démocratie.
Mais les contradictions les plus fortes sont celles entre les
discours et les pratiques. L'imaginaire en effet tend à idéaliser
la montagne et à systématiser les représentations qui devien-
nent alors extrêmement difficiles à concilier avec les comporte-
ments concrets: ceux-ci contredisent sans cesse les aspirations.
Ainsi les touristes rêvent d'une montagne qui serait préservée
de toute trace humaine, mais exigent les mêmes services de
proximité qu'à la ville: «montagne habitée pour y vivre, mais
déserte pour s'y promener4 1». Ils ne mesurent pas toujours les
antinomies pratiques contenues dans les souhaits qu'ils formu-
lent: beaucoup aimeraient une résidence secondaire isolée afin
de jouir d'un paysage «sauvage», sans songer que leur propre
construction est elle-même une atteinte à la nature vierge.
Les écarts entre discours et pratiques sont encore plus dou-
loureux dans les activités touristiques: ainsi une forte propor-
tion d'enquêtés n'affiche que mépris pour les larges boulevards
de neige chargés de skieurs; discours à la fois naturaliste et éli-
tiste, qui fait l'éloge des petites pistes forestières et sinueuses
plus conformes à l'idée que l'on se fait d'un espace monta-
gnard vierge; et pourtant ces pistes sont de loin les moins fré-
quentées. De même une majorité d'enquêtés fait preuve de
condescendance pour les pique-niqueurs des bords de route,
avec chaises pliantes et transistors; ils valorisent le fait d'entrer
profondément dans la forêt, de goûter la solitude et le silence.
Or en creusant un tant soit peu les motivations, on s'aperçoit
que c'est là un discours confl"rmiste, totalement démenti par les
pratiques: non seulement peu d'enquêtés s'enfoncent réelle-
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IMAGINAIRE DES PRATIQUES TOURISTIQUES 231

ment dans la forêt, mais beaucoup de ceux qui le font avouent


au bout du compte qu'ils s'ennuient42 ... Cruel constat que
l'impossibilité de tirer une jouissance de ce que l'on défend
pourtant comme un idéal à atteindre!
Il Y a donc loin de la coupe aux lèvres; ces contradictions
reflètent la prégnance de certains stéréotypes rousseauistes
aujourd 'hui. Les schèmes imaginaires sous-jacents constituent
le ressort de principes idéologiques, qui s'imposent comme une
morale écologiste aux enquêtés contemplatifs. Mais, soit qu'ils
s'entrechoquent avec d'autres schèmes, soit que les exigences
matérielles restent les plus fortes, ce discours est souvent en
porte-à-faux avec les pratiques, et celles-ci sont obligées de se
réfugier dans les compromis plus ou moins satisfaisants.

La rationalité et ses effets indésirables

Il est une contradiction majeure de la pratique touristique qui


suscite des compromis encore plus précaires: c'est l'antinomie
entre la participation imaginaire au mythe de la montagne, et la
rationalisation des activités.
En effet, la quête de la rationalité s'est emparée du tourisme
montagnard, tant estival qu 'hivernal, et ce pour trois raisons
principales. D'abord ce tourisme s'inscrit toujours plus étroite-
ment dans le système économique global, régi par le profit, ou
simplement par la concurrence des pays du soleil; et les pra-
tiques alpines, massives, brassent des sommes considérables,
mettant en jeu des milliers d'emplois. Ensuite le tourisme
n'échappe pas à la recherche obsessionnelle de la sécurité qui
est le propre des sociétés contemporaines. Enfin, phénomène
plus fondamental, peut-être notre société a-t-elle opéré un choix
culturel pour l'activité rationnelle en tant que telle.
Ces trois raisons font que l'on cherche désormais à obtenir
un produit touristique bien visible, lisse, et surtout à en garantir
la qualité. Or nous avons montré que ce produit est fondé en
dernière instance sur l'imaginaire social, que son intérêt spéci-
fique réside dans la valeur initiatique de l'ascension qui en
constitue le modèle. En termes anthropologiques, garantir la
qualité du produit n'est rien d'autre qu'assurer le succès du
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232 DES MONTS ET DES MYTHES

passage lllinanque, et de la métamorphose sociale qui lui est


liée. Ce désir de rationalité va se manifester par la mise en
œuvre d'un certain nombre de moyens qui sont autant d'impé-
ratifs.
Ainsi, compte tenu des difficultés de la fréquentation de la
montagne, on cherche à gommer ou compenser les irrégularités
du milieu physique: modelage et entretien des pistes de ski,
création de refuges sur les sentiers de randonnée, équipement
des voies d'escalade... On tente aussi de prévenir les caprices
du climat grâce à la neige artificielle, ou les activités de substi-
tution. Cette volonté de mettre de l'ordre dans le chaos de la
nature met à contribution les techniques les plus pointues,
comme dans le cas de l'escalade ou de la glisse: chaussures
plastiques, ski en matériau composite, vêtements testés en souf-
flerie ... A cela s'ajoutent les remontées mécaniques qui annihi-
lent l'effort de la montée. Sans doute le succès des pratiques
montagnardes est ainsi mieux garanti, de même que l'ouverture
au plus grand nombre, mais une contradiction apparaît alors: la
montagne est peu à peu «déterritorialisée» par la maîtrise tech-
nique, elle devient une réalité de plus en plus lointaine et irréel-
le pour le touriste qui perd le contact avec elle.
La multiplication des moyens techniques contribue égale-
ment à la sécurité, tant pour l'accès à la montagne, que pour
l 'hébergement ou les pratiques touristiques: ouvrages pare-ava-
lanches, balises de détresse, hélicoptères sont aujourd'hui des
objets familiers pour les montagnards. Avec le même objectif
sécuritaire, la réglementation se resserre: les guides, les moni-
teurs, mais aussi les maires des petites communes, sont traînés
devant les tribunaux par les clients accidentés. Maîtrise tech-
nique et règlements draconiens limitent certes les accidents,
mais là encore une contradiction se fait jour: la fréquentation
de masse, gérée par les appareils touristiques interdit désormais
l'échec dans les rapports à la montagne, et va édulcorer jusqu'à
la rendre insipide l'épreuve initiatique elle-même.
Enfin, la nécessité impérieuse de satisfaire la clientèle impo-
se l'intégration fonctionnelle dans l'aménagement des stations.
Celles-ci sont construites comme de véritables utopies ur-
baines, coupées du monde auquel elles demeurent reliées par le
cordon ombilical d'une route unique. Les réseaux sont orga-
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IMAGINAIRE DES PRATIQUES TOURISTIQUES

nisés autour d'une «grenouillère» au pied des pistes; l'architec-


ture a été homogénéisée, l'information et l'animation centrali-
sées. Bien plus, l'exploitation industrielle de la neige oblige à
normaliser la consommation: on vend désormais un séjour
complet qui comprend aussi bien les frais de remontée méca-
nique que les cours de tennis. Les lits sont banalisés et le
confort mis au standard des normes internationales, tandis que
les saisons sont découpées en tranches de séjour homogènes
facilitant les échanges éventuels. La prise en charge est totale
depuis l'arrivée à la station. L'organisation rationnelle du séjour
garantit un minimum de succès dans le rapport à la montagne;
toutefois, là encore elle secrète une contradiction difficile à
résoudre: cette forme d'encadrement bureaucratique43 qui est
une extension à la montagne de rapports sociaux que le touriste
voudrait quitter avec la plaine, réintroduit l'uniformité et
l'absence d'initiative propres à la société, incompatibles avec
l'imaginaire de la communauté.
Perte de contact avec le milieu, obsession de la sécurité,
intégration fonctionnelle, ces différents aspects de la rationalité
sont lourds de conséquences inattendues, et pas toujours dési-
rées, sur la pratique touristique.
Le premier effet, majeur, de la rationalisation est la perte du
contact avec le milieu physique, le territoire. Le principe même
de la rationalité, technicisation du voyage et du séjour à la
montagne, prétend reléguer au second plan l'imaginaire social
qui en est le fondement, au profit des moyens matériels: pro-
grès dans la gestion du séjour et dans .les techniques de grimpe
ou de glisse, auxquelles tend à se réduire le «produit touris-
tique». Ainsi la consommation se réalise au travers d'une
médiation technique de plus en plus épaisse, les fins étant
progressivement dévorées par les moyens.
Dans le contexte actuel, le rite ascensionnel se concrétise
sous la forme d'une consommation du produit touristique, et
celui-ci est de plus en plus évanescent: il ne peut même plus
s'appuyer sur le support d'une résidence fixe, mais, avec la
propriété spatio-temporelle44 , le touriste n'est plus propriétaire
que d'une tranche de séjour, échangeable avec d'autres à la
mer, ou ailleurs. S'y l'on y ajoute l'intégration fonctionnelle,
l'uniformisation de l'architecture ou des standards hôteliers, le
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234 DES MONTS ET DES MYTHES

voyage à la montagne se réduit à une simple monnaie, et entre


alors dans le règne marchand de l'équivalence.
L'intention première était de faciliter la démarche ini-
tiatique. Mais en voulant gérer rationnellement la régénération
symbolique, on en est arrivé à gommer toute originalité.
L'espace touristique s'est banalisé à tel point que les touristes
ignorent les noms traditionnels des villages ou des vallées dans
lesquelles ils séjournent pour ne conserver que celui des sta-
tions, artificiellement créé4 5. Cette ignorance sanctionne la
banalisation et la perte de la spécificité de l'espace montagnard.
Cet effet de la rationalisation contredit un aspect essentiel de
l'imaginaire des pratiques, et affaiblit la motivation touristique:
les rapports à la montagne deviennent homogènes, prévisibles;
elle perd sa qualité d'espace hors territoire, de terre de liberté et
d'aventure, loin du quotidien.

Euphémisation et consommation par procuration


Ces trois aspects de la rationalité que sont la perte des liens
avec le territoire, l'obsession sécuritaire et l'intégration fonc-
tionnelle, transforment profondément le produit touristique, au
point d'en mettre en jeu l'essentiel: sa fonction initiatique et
régénératrice.
En effet, le milieu montagnard s'efface progressivement, et
du coup l'engagement physique du touriste lui-même tend à
disparaître. La régénération était vécue intensément par les
pionniers de l'alpinisme ou du ski parce qu'elle était profon-
dément enracinée dans le milieu physique et inscrite dans le
corps: nous avons vu que l'imaginaire, fondé sur le geste, ne
pouvait être efficace qu'à cette condition. Or la régénération,
médiatisée par une épaisse couche technique, s'est réfugiée
dans les régions immatérielles du symbole. Détachée du terri-
toire, nécessitant moins d'effort, elle se réduit à un produit tou-
ristique standard et rationnel, «usiné» et calibré par l'institu-
tion. La soumission à l'organisation, qui programme toutes les
activités dans les stations intégrées, fait des touristes actuels
des êtres de plus en plus passifs.
Et surtout, la rationalisation tend à rendre l'ascension de
plus en plus exempte de risque, et même de toute incertitude.
IMAGINAIRE DES PRATIQUES TOURISTIQUES 235
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Ou lorsque le danger est encore évoqué, c'est sous sa fonne ir-


réelle, improbable. La régénération symbolique aujourd 'hui of-
ferte sur le marché est euphémisée: elle ne conserve que le ver-
sant positif de l'initiation, tandis que le versant négatif, lié aux
risques encourus tend à disparaître. La rationalité a amputé
l'initiation de son principal intérêt, le jeu avec la vie, avec la
mort. Une pratique demeure, inoffensive certes, mais édulco-
rée. Ce qui fut autrefois un rite ascensionnel fort, se réduit pro-
gressivement à une régénération automatique, sans efforts. Non
plus réactualisation d'une démarche vitale, mais simple répéti-
tion dans un univers totalement connu et maîtrisé.
Sécurité, passivité, absence de toute surprise, la rationa-
lisation du produit touristique se révèle incompatible avec
l'imaginaire alpestre fondé sur la démarche initiatique. Dans les
pratiques, ce conflit de valeurs tend à se résoudre par la procu-
ration: la régénération se réfugie dans la seule évocation, cou-
pée de ses dangereuses attaches avec le territoire, et le touriste
ne participe plus que de loin en loin au mythe de la montagne.
Ce document est la propriété exclusive de Tristan Regaud (regaudt@gmail.com) - mercredi 04 octobre 2023 à 22h58
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CONCLUSION
Montagne, imaginaire, symbole
La montagne ment. Monumentalement.
Jean-Olivier MAJASTRE

Comment cet espace extrême et chaotique qu'est la montagne


s'intègre-t-il au sein d'une vision du monde cohérente? Com-
ment est-il approprié par les différents acteurs sur le territoire,
habitants, touristes, promoteurs, protecteurs ... ? Enfin par quel
mystère acquiert-il du sens? Telle est en résumé la question
centrale à laquelle nous avons cherché à répondre tout au long
de ce travail, en étudiant l 'imaginaire social de la montagne.
Celui-ci conière du sens de deux manières, d'abord en motivant
le signe, ensuite en créant un système signifiant.

Motivation du signe et imaginaire éternel

L'étude anthropologique de la montagne nous a plongé


d'emblée dans les grandes cosmologies de la tradition. Le
mythe donne à voir le cosmos comme le miroir du corps
humain; géographie dynamique, mouvement qui se fait histoire
et reflet d'une gestuelle. Le sommet correspondrait au lever ou
à la montée, le gouffre à l'abaissement ou à la chute, la grotte
au blottissement et la périphérie du territoire au geste d'éloi~
gner. Inversement, le corps est conçu comme une image
condensée du vaste monde.
Ainsi dans l ' imaginaire primitif, corps et cosmos peuvent-ils
être décrits comme des parties mutuelles d'un tout, et des
signes l ' un de l'autre; mais des signes motivés, c'est-à-dire,
selon Ferdinand de Saussure, qu'il est possible de prévoir au
moins en partie le signifié à partir du signifiant. Et de fait, tout
se passe comme si le signe était le reflet, la trace, une partie du
238
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DES MONTS ET DES MYTHES

référent ou son dédoublement, bref le symbolon grec, portion


de bâton rompu dont on peut retrouver l'autre moitié.
L'analogie, rapport motivé entre le signe cosmique et son
référent corporel, conrere du sens à l'espace neutre. En effet,
les différents éléments géographiques, en évoquant des régions
anatomiques précises, ravivent le souvenir d'expériences cor-
porelles vécues. On comprend alors que les sommets soient
valorisés, tandis que les bas-fonds sont réprouvés. Réflexion
magique du corps dans les lieux, qui fait le monde enchanté de
nos ancêtres et leurs objets quotidiens habités par l'esprit.
La relation entre corps et cosmos est présente dans toutes les
images de la montagne, des plus anciennes ou classiques aux
plus contemporaines, de la littérature à la publicité. Cette géné-
ralité, relativement indépendante du support de l'image, tient à
la nature psychologique des processus mis en jeu, à la dialec-
tique de la projection et de l'introjection: l'esprit s'investit
dans l'environnement, pendant que les qualités climatiques ou
paysagères sont inviscérées dans les êtres humains.
Ainsi les gestes se muent en ébauches de signes, et, ceux-ci,
organisés en un système structuré, forment une constellation
imaginaire à la base des discours sur l'espace: le haut, le bas, le
loin, le profond ... Derrière chaque geste se profilent un ou plu-
sieurs archétypes, le sommet, l'abîme, la périphérie... dont la
valeur sémantique est suffisamment générale pour que l'on
puisse la considérer comme universelle. Au-delà de l'apparent
fouillis des représentations archaïques ou actuelles de la mon-
tagne, un ordre se dessine donc, fondé sur des structures
constantes: paires, alternatives, oppositions. Partout nous
découvrons les mêmes images de la montagne contemplative
ou prométhéenne, paradisiaque ou infernale.

Système signifiant: imaginaire social et politique

Cette quasi-universalité du sens, fondée sur la motivation, est


certes séduisante pour l'esprit, mais elle constitue un scandale
pour l' ethnologue47 ou l'historien.
En effet, elle nie toute différenciation entre les cultures,
puisque toutes ou presque parlent ce même langage imaginaire.
CONCLUSION: MONTAGNE, IMAGINAIRE, SYMBOLE 239
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Bien plus, en privilégiant des schèmes identiques depuis la nuit


des temps, elle témoignerait d'une immobilité fondamentale
des sociétés dont tous les avatars ne seraient que les différentes
modalités d'une même permanence. N'a-t-on pas raison alors
d'accuser ces archétypes éternels d'être la négation de l'eth-
nique et de l'histoire? Et de réitérer les dénonciations déjà
anciennes formulées par Jacques Lacan et Edmond Ortigues48 :
la méthode des archétypes, plus ou moins directement héritée
de Jung, confondrait l'imaginaire, soumis aux lois du psychis-
me individuel, avec le symbolique, produit culturel.
C'est d'ailleurs pourquoi cette logique binaire des structures
imaginaires apparaît comme trop générale et englobante. Fon-
dée sur la raison dialectique, elle répond mal au test poppérien
de réfutabilité et peut être taxée de tautologie. Clef ouvrant
toutes les portes, elle encourt le reproche de se réduire à un
concept passe-partout, n'ouvrant que des espaces vides.
Et pourtant, cette structure imaginaire de base est une «pro-
duction» sociale. Le principe du dédoublement de l'image sur
lequel elle repose est aussi le fondement de la démarche sym-
bolique; et les processus psychologiques complexes de pro-
jection et d'introjection, tant dans les images concrètes que
dans la rhétorique, ne peuvent se réaliser qu'au travers du lan-
gage. Or le fait langagier - c'est un truisme - traduit des rela-
tions entre les hommes. Quant au contenu sémantique de
l'image, il parle toujours de différences ou d'homologies: nous
avons vu que la montagne, espace critique, fonctionnait sur le
double mode de l'élection et de l'exclusion, que les évocations
mystiques n'étaient jamais très éloignées des choix politiques
concrets.
En somme, le sens fourni par les structures imaginaires de
base, serait à la fois motivé par la géographie naturelle, et
socialement défini. Bien que promu au rang des productions de
la société, l'imaginaire demeurerait donc universel; peut-être
même relèverait-il d'une hypothétique société naturelle plutôt
que de la culture. Quoi qu'il en soit, ces explications évacue-
raient les choix ethniques ou historiques lesquels n'auraient
plus de raison d'être pour la détermination du sens.
En réalité, ce sont là des hypothèses qui impliquent une
grande transparence de ce phénomène langagier qu'est l'imagi-
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naire. Or, considéré dans toute son épaisseur, celui-ci se révèle


suffisamment complexe pour comprendre au moins deux
niveaux. Le premier serait constitué par la structure de base,
universelle, mais suffisamment abstraite pour ne jamais se ren-
contrer telle quelle dans la réalité. Lorsqu'elle s'incarne dans
un mythe concret, elle définit un second niveau, et se charge
alors d'une multitude de valeurs particulières qui font de ce
mythe un récit historiquement unique. Le sommet par exemple
sera toujours lumineux et ouranien, et le gouffre toujours
sombre et chthonien : ce sont là des généralités du premier
niveau. Mais gouffres et sommets s'incarnent nécessairement
dans une réalité concrète, la montagne, laquelle comprend de
façon indissociable ces deux valeurs antagoniques que sont la
chute et l'ascension. C'est ainsi que s'éclaire la contradiction
entre une universalité des images, empiriquement vérifiable, et
la reconnaissance de la dimension ethnique et historique de la
culture.
Pour caractériser ces deux niveaux, Gilbert Durand49 re-
prend la distinction entre imaginaire et symbolique. D'un côté
les archétypes, dont on est bien obligé de constater qu'ils sont
une réalité dépassant de loin les frontières d'une seule culture;
imaginaire lié au psychisme profond et aux gestes abstraits, et
qui nous a fait découvrir partout les mêmes structures anthropo-
logiques propres à l'ascension, à la chute, au blottissement...
De l'autre le symbole, objet concret dans lequel s'incarne la
richesse des traits culturels contradictoires: la montagne par
exemple relève aussi bien du régime diurne en tant qu'éminen-
ce céleste, que du régime nocturne en tant que forme creuse.
Claude Lévi-Strauss propose une solution voisine pour ré-
soudre cette contradiction entre universel imaginaire et sin-
gulier culturel. Il utilise la métaphore du jeu: chaque civi-
lisation joue avec les mêmes cartes, mais chacune reçoit une
donne différente. Pourtant, objectera-t-on, les valeurs sont en
petit nombre? Mais n'en va-t-il pas de même pour l'alphabet
qui, avec peu de lettres, engendre une diversité quasi infinie du
discours? En tout cas, c'est le système, en tant qu'ensemble
organisé d'éléments culturels, qui se constitue en structure
signifiante par delà l'imaginaire de base, et dote l'espace d'un
sens spécifique au sein d'une culture donnée.
CONCLUSION: MONTAGNE, IMAGINAIRE, SYMBOLE 241
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Roland Barthes enfin a développé une analyse assez proche


pour ce qu'il appelle le «mythe», et que nous avons étudié sous
le terme d'imaginaire dans la publicité. Au premier niveau, le
plus profond, infralinguistique - qui correspond au second
degré de signification - le discours publicitaire est fondé sur
l'imaginaire «éternel» de la montagne. Au-dessus, se trouve un
niveau supérieur, premier degré de la signification, plus explici-
te, lequel met directement en jeu une parole contemporaine et
efficace. Ce second niveau renoue avec le signe arbitraire: rien
ne permet de dire à l'avance si les Monts doivent être affreux
ou bien sublimes. Ce sont des choix aléatoires qui sanctionnent
les retrouvailles avec l 'histoire et avec l'ethnique; ici le sens
est créé par un système signifiant, qui résulte de conventions
fixées par un sujet historique.
A ce second niveau enfin, réapparaissent les incarnations
successives de la montagne historique. Ainsi avons-nous trouvé
la montagne tarItôt comme lieu édénique et modèle rousseauis-
te, tantôt comme repaire de brigands ou de barbares à civiliser.
Al' époque contemporaine, nous voyons se succéder les vagues
d'aménagement prométhéen et les réactions rousseauistes de
protection. C'est alors que la symbolique montagnarde parle
directement de pouvoir et d'identité collective.

L'imaginaire, point de vue transversal


Les structures de l'imaginaire s'appliquent aux domaines les
plus divers: discours mythique, littéraire, publicitaire, discours
historique des aménageurs, des défenseurs de la nature ou des
touristes. Les mêmes zones colorées et affectives de la géogra-
phie mythique réapparaissent constamment avec leurs analo-
gies corporelles, mais aussi toujours les mêmes concepts clés
avec leur dimension sociale et politique: l'imaginaire évoque
sans cesse l'initiation, l'exclusion, le choix électif, la régénéra-
tion, tantôt prométhéenne, agressive et colonisatrice, tantôt
contemplative, réactionnelle et protectrice... Cette présence
transversale de l'imaginaire social exige quelques explications
sur le statut même de ce concept.
Sa transversalité a d'abord le mérite de faire prendre au
sérieux l'imaginaire: elle interdit de s'en protéger en le canton-
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nant dans le registre anodin de la littérature ou en le renvoyant


à l'époque préhistorique des mythes. Elle le montre à l'œuvre
non seulement dans les réactions parfois émotionnelles de
l'écologisme, mais dans l'exploration scientifique, et dans les
entreprises les plus rationnelles de l'action aménageuse. Sur-
tout elle permet de préciser sa place actuelle par rapport à la
tradition: la société moderne a voulu expulser l'imaginaire de
la pensée sérieuse au profit de l'explication scientifique. En
l'excluant du discours de l'économie, de l'aménagement ou de
la santé, elle a cherché à le rejeter dans les activités périphé-
riques, considérées comme subalternes, l'art, les loisirs, les
résidus du religieux, lesquels seraient encore mal maîtrisés par
la rationalité. En réalité, l'imaginaire n'a pas été éliminé, mais
seulement enfoui, et nous n'avons pas eu grand mal à déceler
sa présence, underground, sous la logique lisse du discours
aménageur ou scientifique.
Cette transversalité montre ensuite que l'imaginaire social
n'est pas un nouveau secteur du domaine montagnard non
encore étudié, mais une approche particulière des différents
secteurs, un regard original jeté sur un espace spécifique, ses
acteurs et ses pratiques. Ce type d'investigation ne relève pas
pour autant de l'art ou de l'approximation «littéraire», mais
bien de la rigueur de la démarche scientifique; en témoignent le
fait que l'intensité des régimes de l'imaginaire schizoïde ou
nocturne est mesurable avec précision. En témoigne surtout la
réfutabilité des propositions énoncées sur les représentations de
la montagne à chaque époque historique. L'investigation imagi-
naire est donc bien un point de vue, parti pris délibéré, qui ne
prétend nullement épuiser l'objet; mais les épistémologues
savent aujourd'hui que la démarche scientifique renonce dès le
départ à cette tentation présomptueuse qui voudrait dévoiler
exhaustivement et définitivement le réel.
On ne reprochera pas alors à l'étude de l'imaginaire social
de vouloir remplacer les facteurs matériels de détermination par
d'autres plus sociaux, plus humains, voire plus spirituels. Il est
vrai que la démarche transversale, en recoupant l'ensemble des
divers discours sur la montagne donne parfois le sentiment de
totalisation: l'imaginaire poursuivrait son œuvre toute-puissan-
te et souterraine dans la société. Cette impression n'est qu'un
CONCLUSION: MONTAGNE, IMAGINAIRE, SYMBOLE 243
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effet d'optique, le résultat de la logique perspectiviste et du


point de vue systématique adopté. Cela signifie au bout du
compte que l'approche imaginaire est aussi légitime que les
autres, mais pas davantage; qu'elle est bornée par les limites de
la méthode mise en œuvre, lesquelles définissent a priori les
frontières de sa validité.
Ni facteur déterminant, ni jugement réductionniste porté sur
les approches multiples de la montagne, l'imaginaire social ne
fournit donc pas de recettes pour l'action. Il n'autorise pas à
préférer tel choix d'aménagement ou telle politique de la mon-
tagne, fût-elle protectrice. li n'est d'aucun secours pour
conseiller le prince. S'il fallait absolument lui trouver une «uti-
lité», nous pourrions invoquer l'autre regard qu'il permet de
porter sur les rapports des hommes à la montagne, l'œil distan-
cié de l'anthropologue.

Le mythe est mort. Vive le mythe!

Enfin le statut théorique de l'imaginaire social doit être défini


par rapport au concept d'idéologie, système d'idées «agis-
santes», parfois considéré comme mythe désacralisé. Et de fait
nous avons découvert l'imaginaire de la montagne caché sous le
discours rationnel. Mais en perdant sa place au soleil de la
conscience claire, il a été également privé de la dimension sacra-
le au sein de laquelle il baignait jadis. Les discours économiques
de l'aménageur ou aseptisés de l'autorité médicale, s'interdisent
toute incartade hors des étroites limites de leur champ discipli-
naire; depuis leur rupture épistémologique d'origine, ils sont
tenus d'ignorer par principe toute référence à leur préhistoire, et
à l'empreinte imaginaire de leurs concepts fondateurs.
Par ailleurs, nous avons également souligné que le signe est
de plus en plus démotivé; en effet, les rapports à la montagne
chaotique nuisent à son exploitation rationnelle. La médiation
de la technique et de l'organisation bureaucratique cherche à
lisser les aléas climatiques et gommer l'insécurité. Ce faisant
elle éloigne l'individu de la nature brute, originelle, seul garan-
te de la régénération; déterritorialisation particulièrement nette
dans les stations intégrées. Ainsi pratiques aménageuses et tou-
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ristiques coupent tout lien avec le territoire; en tant que rap-


ports imaginaires à l'espace, elles sont progressivement privées
de leur enracinement physique; en tant que symboles, elles sont
démotivées.
Si la pratique touristique s'affadit, c'est peut-être que le
mythe de la montagne est mal en point. Désacralisation et
déterritorialisation conduisent en effet à la perte de l'efficacité
symbolique. Le symbole devient alors. un mot creux, et le
mythe, défini comme un agencement de symboles en un récit
organisé, perd sa crédibilité. Dans le cas de la montagne, il se
réduirait à un discours marchand technocratique ou sanitaire.
On comprend dès lors la condamnation sans appel d'auteurs
tels que Roland Barthes. Expression mystificatrice, de droite de
préférence, vol du langage50 , le mythe serait pure aliénation.
Ainsi conviendrait-il d'éradiquer définitivement toute trace de
cette parole mensongère dans notre société moderne.
Mais doit-on vraiment tuer ce qui reste du mythe de la mon-
tagne? En réalité ce dernier est beaucoup plus que cette mani-
pulation idéologique à laquelle le réduit Barthes, et qui n'appa-
raît telle que parce qu'il s'adresse à un mythe mort justement.
Non réductible à de douces chimères ou aux mornes justifica-
tions de l'ordre établi, le mythe est la source de la distinction
sociale, de la connaissance, et même le moteur de l'action.
Aussi doit-on y regarder à deux fois avant d'éliminer ce fauteur
de mensonge. Plus que simple représentation, le symbole est
partie intégrante d'un récit mythique vivant; celui qui fait rêver
les peintres et les romanciers, lesquels reconstruisent l'alpe
avec leurs peurs, leurs nostalgies et leurs phantasmes poli-
tiques. Mais aussi celui qui pousse les acteurs à agir: c'est
l'imaginaire de la montagne qui motive les capitaines d'indus-
trie, ragaillardit les militaires et nourrit le sentiment national.
C'est lui qui stimule les états d'âme romantiques des touristes,
et fait vendre les stations grâce à l'image publicitaire.
Nous avons insisté sur les entreprises prométhéennes ra-
tionnelles des techniciens et des savants, qui croient réduire la
montagne à une simple proéminence géologique. On leur a fait
reproche d'abolir les terreurs et les extases qui s'emparaient des
ascensionnistes, d'avoir désenchanté le monde alpestre. Et pour-
tant, malgré la mort proclamée du mythe, nous avons décelé ces
CONCLUSION: MONTAGNE, IMAGINAIRE, SYMBOLE 245
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structures symboliques sous les discours les plus contemporains,


bureaucratiques, ceux-mêmes qui annoncent sa condamnation.
Bien plus, l'expansion de la seule rationalité conduit à ses
propres contradictions en déterritorialisant, et en faisant perdre à
la pratique montagnarde son sel et sa valeur initiatique. D'où le
retour périodique aux grandes réactions cathartiques qui exigent
un contact plus étroit avec la nature, et les revendications écolo-
gistes qui cherchent à renouer avec la motivation du signe. Il
n'est pas sûr que le mythe puisse mourir.
Notre conclusion s'achèvera donc sur ce constat paradoxal:
le mythe est sans doute la pire des idéologies, à l'exception de
toutes les autres. L'inadéquation du symbole avec le réel est
sans doute inévitable, mais la machinerie linguistique fondée
sur le seul arbitraire du signe ne peut remplacer totalement le
récit mythique. Le mythe de la montagne ment, d'un mensonge
très contestable et très nécessaire.
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NOTES

INTRODUCTION ET PREMIÈRE PARTIE


1. Jean-Paul Bozonnet, La perception de l'espace montagnard,
CTGREF, Groupement de Grenoble, ministère de la Culture et de
l'Environnement, Etude n° 117, 1977.
2. Samivel, Hommes, cimes et dieux, Grenoble, Arthaud, 1973.
3. Appartient à la zone de montagne toute commune dont 80% du terri-
toire se trouve à plus de 600 mètres d'altitude. Cf Jean Brocart, Pour
que la montagne vive, Rapport au gouvernement, Paris, La Documen-
tation Française, 1975, p. 138.
4. Françoise Gerbaux, La genèse de la politique de la montagne, thèse
de doctorat de troisième cycle «Sociologie de l'administration», lEP,
université des Sciences sociales de Grenoble, 1983, pp. 25-30.
5. Raoul Blanchard, Les Alpes occidentales, tome 1, Les préalpes fran -
çaises du Nord, Grenoble, Arthaud, 1944, p. 291.
6. Lucien Febvre, La terre et l'évolution humaine, Paris, Albin Michel,
1970, p. 209.
7. Pierre Birot, Précis de géographie physique générale, Paris, Armand
Colin, 1965, pp. 109-110.
8. M. Cépède et E. S. Abensour, La vie rurale dans l'arc alpin, ONU-
FAO, Rome, 1960, p. 15.
9. Jean-Paul Zuanon, La protection de la montagne, Des discours aux
politiques, des mythes aux réalités, Grenoble, CERAT-IEP, Juillet
1980, p. 4.
10. André Leroi-Gourhan, Le geste et la parole, technique et langage,
Paris, Albin Michel, 1964, p. 91 et sq.
11. Samivel, Hommes, cimes et dieux, op. cit. p. 15.
12. Kofflen, Gibson et Mauret, cités par G. Durand, Structures anthropo-
logiques de l'imaginaire, Paris, Bordas, 1959, p. 139.
13. Cité par René Demaison, Protégeons la montagne, Paris, Fernand
Nathan, 1978, pp. 26-30.
14. Mircea Eliade, Traité d' histoire des religions, Paris, Payot, 1968,
p.9.
15. Henri Dontenville, Mythologiefrançaise , Paris, Payot, 1973, p. 58.
16. Samivel, Hommes, cimes et dieux, op. cit., p. 28.
17. Henri Dontenville, Mythologiefrançaise , op. cit., p. 60.
18. Samivel, Hommes, cimes et dieux, op. cit., p. 65.
19. Voir plus loin, Seconde partie, chapitre 3.
20. Samivel, Hommes, cimes et dieux, op. cit., p. 322.
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21. Cela est si vrai que dès le Néandertal, on a la certitude que nos
ancêtres enterraient déjà leurs morts, cf André Leroi-Gourhan,
op. cit., p. 158.
22. Cf Konrad Lorenz, L' agression, Paris, Flammarion, 1969; cf en par-
ticulier le chapitre ID, p. 32 et sq.
23. Nous empruntons ces exemples à Samivel qui en donne un tableau
synoptique détaillé Hommes, cimes et dieux, op. cit. p. 334.
24. Marthe Meyer, L' homme devant la montagne, Paris, Durel, 1949,
p. 11.
25. Mircea Eliade, Traité d' histoire des religions, op. cit., p. 92.
26. Mircea Eliade, Traité d' histoire des religions, op. cit., p. 46.
27. Gaston Bachelard, La terre et les rêveries de la volonté, Paris, Librai-
rie José Corti, 1965, p. 384.
28. Samivel, Hommes , cimes et dieux, op. cit., p. 35.
29. Henri Dontenville, Mythologiefrançaise, op. cit., pp. 98-127.
30. Gilbert Durand, Les structures anthropologiques de l'imaginaire,
op. cit., p. 163.
31. Samivel, Hommes, cimes et dieux, op. cit. pp. 56-57.
32. Gaston Bachelard, La terre et les rêveries de la volonté, op. cit., p. 72.
33. Gilbert Durand, «Psychanalyse de la neige», Mercure de France,
août 1953, p. 618.
34. Mircea Eliade, Traité d' histoire des religions, op. cit., p. 92.
35. John Grand-Carteret, La montagne à travers les dges, Grenoble,
H. Falque et Perrin, 1903, tome 1, p. 33.
36. Mircea Eliade, Traité d' histoire des religions, op. cit., p. 318.
37. Samivel, Hommes , cimes et dieux, op. cit., p. 31 et sq.
38. Numa Broc, Les montagnes vues par les géographes et les natura-
listes de langue française au XVIII- siècl~, Paris, Bibliothèque natio-
nale, 1969, p. 56.
39. Elie Bertrand, Essai sur les usages de la montagne, Zurich, 1754,
pp. 14-15.
40. L'Encyclopédie, article «Montagne», Neuchâtel, S. Fauche et Cie,
1765, p. 31 et sq.
41. Mircea Eliade, Traité d' histoire des religions, op. cit., p . 95.
42. Mircea Eliade, Traité d' histoire des religions, op. cit., p. 93.
43 . Paul Sébillot, La terre et le monde souterrain, Paris, Ed. Imago,
1983, pp. 247-315.
44. Mircea Eliade, Traité d' histoire des religions, op. cit., p. 200 et 315.
45 . Cf Jean-Olivier Majastre , «La montagne inversée», Imaginaires de
la haute montagne, Centre alpin et rhodanien d'ethnologie, Glénat,
Grenoble, 1987, pp. 173-186.
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NOTES

46. Samivel, Hommes, cimes et dieux, op. cit., p. 28 et sq., ainsi que
p.313.
47. Lucien Febvre, La terre et l'évolution humaine, op. cit., p. 14.
48. Samivel, Hommes, cimes et dieux, op. cit., p. 327 et sq.
49. Claude Muller, Coutumes et traditions du Dauphiné, Grenoble, Ed.
des Quatre Seigneurs-Edo de Bellande, 1977, pp. 129-130.
50. John Grand-Carteret, La montagne à travers les âges, op. cit., p. 132.
51. Samivel, Hommes, cimes et dieux, op. cit., p. 75 et sq., avec de nom-
breux autres exemples.
52. Samivel, Hommes, cimes et dieux, op. cit., p. 75 et sq.
53. Alfred Wills, Le nid d'aigle et l'ascension du Wetterhorn, Paris,
Meyrnéis, 1864, p. 57.
54. John Grand-Carteret, La montagne à travers les âges, tome 1,
op. cit., p. 136.
55. Gilbert Durand, Structures anthropologiques de l'imaginaire, op. cit.,
p.14O.
56. Gilbert Durand, Structures anthropologiques de l'imaginaire, op. cit.,
pp. 219-224, et p. 274 et sq.
57. Les exemples qui suivent sont tirés du livre de Samivel, Hommes,
cimes et dieux, op. cit., p. 63 et sq.
58. René Demaison, Protégeons la montagne, op. cit. p. 32.
59. Jean-Roger Vignaud, «Sauver la montagne», Bulletin de la Fédéra-
tion Française d'Economie Montagnarde, nO 13, 1962-1963,
pp. 495-500.
60. Lucien Gachon, «Pour un statut de la montagne», Bulletin de la
Fédération Française d'Economie Montagnarde, n° 15, 1964-1965,
p.252.
61. Samivel en donne une liste impressionnante, Hommes, cimes et
dieux, op. cit., p. 63 et sq.
62. Elysée Reclus, Histoire d'une montagne, Paris, J. Hetzel et Cie, (non
daté), p. 210.
63. Jean-Pierre Noraz, «Les Bornes, montagnes variées et sans limites»,
Montagnes-Magazines, Grenoble, janvier 1980, p. 49.
64. A. Chollier, cité par Samivel, Hommes, cimes et dieux, op. cit.,
p.316.
65. Ces deux exemples sont aussi empruntés à Samivel, Hommes, cimes
et dieux, op. cit., p. 316.
66. Numa Broc, Les montagnes vues par les géographes et les natura-
listes de langue française au XVIII- siècle, op. cit., p. 99.
67. G. Bachelard, La terre et les rêveries de la volonté, op. cit., p. 193 et
199.
68. E.T.A. Hoffmann, Les mines de Falun, Paris, Ed. Colbert, tome 1.
69. Henri Dontenville, Mythologiefrançaise, op. cit., pp. 49-50.
250
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DES MONTS ET DES MYTHES

70. Grande Encyclopédie de la montagne, article «Oxygène», Paris,


Ed. Atlas, Vol. 7, p. 1908 et sq.
71. J.A. Léger, «Solo», revue Passage, Cahiers de l'Alpinisme, nO 5,
Paris, 1980, p . 42.
72. Horace Benedict Saussure, Voyage dans les Alpes, Neuchâtel,
Samuel Fauche, 4 tomes de 1779 à 1796, tome IV, p. 138.
73. Scheuchzer, in Camena d'Almeida, Les Pyrénées, développement de la
connaissance géographique de la chaîne, cité par Numa Broc, op. cit.,
p.221.
74. Edouard Whymper, Escalades dans les Alpes, Paris, Hachette, 1877,
p.399.
75. Mircea Eliade, Traité d' histoire des religions, op. cit. p. 94.
76. Mircea Eliade, Mythes, rêves et mystères, Paris, Gallimard, 1957,
p. 126 et sq.
77. Mircea Eliade, Traité d' histoire des religions, op. cit. p. 146.
78. Guido Lammer, Fontaine de Jouvence, Chamonix, Jean Landru,
1931.
79. R. Desoille, Le rêve éveillé en psychothérapie, Paris, PUF, 1945,
pp. 297-300.
80. Cf Jean-Paul Bozonnet, «Les allumés de la grimpe, images et lan-
gages de la génération 80 dans les médias», Imaginaires de la haute
montagne, Centre alpin et rhodanien d'ethnologie, Glénat, Grenoble,
1987, pp. 135-148.
81. Jean-Olivier Majastre, Guides de haute-montagne, Grenoble, Glénat,
1988, p. 83 et sq.
82. Cf en particulier la cinquième partie.
83. Ramond de Carbonnières, Voyage au Mont-Perdu, Paris, Belin, 1801,
pp. 81-82.
84. G. Viaud, Les tropismes, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1968.
85. Gaston Bachelard, La terre et les rêveries de la volonté, op. cit.
p. 193 et 199.
86. James Frazer, Mythes sur [' origine du feu, Paris, payot, 1969, 245 p.
87. Voir sur ce point la cinquième partie.
88. Voir sur ce point la quatrième partie.
89. Samivel, Hommes, cimes et dieux, op. cit., p. 49 et sq.
90. Mircea Eliade, Traité d' histoire des religions, op. cit. p. 99.
91. Samivel, Hommes, cimes et dieux, op. cit., p. 58 et sq.
92. Paul Sébillot, Folklore de France, Paris, Guilmote, 1904-1907, p. 349.
93. Cf Jean-Paul Bozonnet, La perception de /' espace montagnard,
op. cit. p. 139.
94. Gilbert Durand, Les structures anthropologiques de /' imaginaire,
op. cit., p. 172 et sq.
NOTES 251
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DEUXIÈME PARTIE

1. Claire-Eliane Engel, La littérature alpestre en France en Angleterre


aux XVIIIe et XIXe siècles, Chambéry, Ed. Dardel, 1930. Avec
Charles Vallot, Ces Monts-Affreux ... (1650-1810), et Ces Monts-
Sublimes ... (1803-1895), Paris, Delagrave, 1934 et 1936. TI faut
signaler aussi l'ouvrage de Margaret T. Phytian, La géographie des
Alpes françaises dans les romanciers contemporains, Grenoble, Imp.
Allier, 1938.
2. Michel Ballerini, Le roman de montagne en France, Grenoble,
Arthaud, 1973.
3. René Jantzen, Montagnes et symboles, Lyon, Presses Universitaires
de Lyon, 1988.
4. François-René de Chateaubriand, Voyage au mont Blanc, Paris, Lad-
vocat, 1827, George Sand, Le géant Yéous, Toulouse, Privat, 1940,
Stendhal, Mémoires d'un touriste, Lausanne, Ed. Rencontre, 1961,
Hippolyte Taine, Voyage aux Pyrénées, Paris, Hachette, 1858, Flau-
bert, Préface du Géant Yéous, de George Sand, op. cit., Colette, Le
voyage égoïste, Paris, J. Férenczi, 1930.
5. Ramond de Carbonnières, Observations sur les Pyrénées, Paris,
Belin, 1789, Voyage au Mont-Perdu, op. cit.
6. Louis Agassiz, Nouvelles études et expériences sur les glaciers
actuels, Paris, Masson, 1857, Edouard Desor, Excursions et séjours
dans les glaciers et les hautes régions des Alpes, Paris, Maison,
1844, James David Forbes, Travels through the Alps of Savoy, Edim-
burgh, Adam and Charles Black, 1845, John Tyndall, The glaciers of
the Alps, London, John Murray, 1860.
7. Jules Michelet, La montagne, Paris, Librairie Internationale, 1868.
8. Dominique Lejeune, Les alpinistes en France (1875-1919), Paris,
Ed. du CHTS, 1988, p. 177 et sq.
9. Théodore Bourrit, Description des cols ou passages des Alpes,
Genève, Genève, Mauget, 1803.
10. Alfred Wills, Le nid d'aigle, op. cit., A.W. Moore, The Alps in 1864,
Edimburgh, David Douglas, 1902, C. T. Dent, Above the snow line,
Londres, Longmans, 1885, M. Conway, The Alps from the en to end,
London, Nelson, 1895, Leslie Stephen, The playground of Europe,
London, Longmans, 1894, Edward Whymper, Escalades dans les
Alpes, op. cit., A. F. Mummery, Mes escalades dans les Alpes et le
Caucase, Paris, Lucien Laveur, (non daté).
Il. Pierre Allain, Alpinisme et compétition, Grenoble, Arthaud, 1949,
Giusto Gervasutti, Montagnes ma vie, Genève, Ed. Slatkine, 1978,
Maurice Herzog, Annapurna, premier 8 000, Grenoble, Arthaud,
1950, Anderl Heckmair, Les trois derniers problèmes des Alpes, Gre-
noble, Arthaud, 1951, Gaston Rebuffat, Etoiles et tempêtes : six
252 DES MONTS ET DES MYTHES
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faces Nord, Grenoble, Arthaud, 1954, Louis Lachenal, Carnets du


vertige, Paris, Pierre Horay, 1956, Georges Livanos, Au-delà de la
verticale, Paris, Arthaud, 1987, Hennann Buhl, Buhl du Nanga Par-
bat, Grenoble, Arthaud, 1959, Lionne1 Terray, Les conquérants de
l'inutile, Paris, Gallimard, 1961, Walter Bonatti, A mes montagnes,
Grenoble, Arthaud, 1966, René Demaison, La montagne à mains
nues, Paris, Flammarion, 1971, Pierre Mazeaud, Montagne pour un
homme nu, Grenoble, Arthaud, 1971, Yannick Seigneur et Robert
Paragot, Makalu, pilier Ouest, Grenoble, Arthaud, 1972.
12. Voir le chapitre cinquième.
13. Alphonse Daudet, Tartarin sur les Alpes, Paris, Calmann-Lévy, 1885.
14. Par exemple Raoul Audibert, dans un nouvelle intitulée «La dent de
la truite», Montagnes, Paris, Redier, 1930, Etienne Bruhl, Variantes,
Grenoble, Arthaud, 1951, ou encore Pierre Mélon, Le grand vertige,
Neuchâtel, Paris, Attinger, 1951, qui est une parodie de roman de
montagne.
15. Voir la liste des ouvrages dans le paragraphe suivant sur le roman de
montagne.
16. André Chénier, Poésies, EpEIres, in Œuvres complètes, Gallimard, La
Pléiade, 1966, Alphonse de Lamartine, Jocelyn, in Œuvres Poétiques
complètes, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1965, Méditations, Paris,
Garnier Frères, 1968, Victor Hugo, Œuvres poétiques, Paris, Galli-
mard, La Pléiade, 1967, 1968.
17. Emile Javelle, Souvenirs d'un alpiniste, Paris-Lausanne, payot, 1920,
Paul Guiton, Idylles alpines, Paris, Arthaud, 1946, Guido Rey, Alpi-
nisme acrobatique, Chambéry, Dardel, 1919, et Le mont Cervin,
Chambéry, Dardel, 1949, Max Aldebert, Le Royaume des hautes
terres, Paris, Durel, 1950.
18. Jules Michelet, La montagne, op. cit.
19. Eugen Guido Lammer, Fontaine de Jouvence, op. cit.
20. Thomas Mann, La montagne magique, Pans, Fayard, 1931.
21. Michel Ballerini cite quelques-uns d'entre eux: Florian, Claudine,
«nouvelle savoyarde», 1792, Ducray-Duminil, Célina ou l'enfant du
mystère, 1799, Lantier, Les voyageurs en Suisse, 1803, Adrien de
Sarrazin, Le Spleen, Paris, Schoell, 1813, Madame de Montolieu, Le
chalet des Hautes Alpes, 1814, Astolphe de Custine, Aloys ou le reli-
gieux du mont Saint-Bernard, 1829, Nodier, Les aveugles de Cha-
mouny, 1853.
22. J. H. Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie, Paris, Gallimard,
1990.
23. Alfred de Vigny, Cinq-Mars, in Œuvres complètes, Paris, Delagrave,
1906, Honoré de Balzac, Le médecin de campagne, Paris, Gallimard,
1974, Stendhal, Vie de Henri Brulard, in Œuvres intimes, Gallimard,
La Pléiade, 1966, George Sand, Valvèdre, Paris, Lévy Frères, 1861.
NOTES 253
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24. Senancour, Obermann, Paris, Cérioux, 1804, Guy de Maupassant,


«L'auberge», Le Hor/a, Paris, Albin Michel, 1887.
25. Michel Ballerini cite André Theuriet, Amour d'automne, Paris,
Lemerre, 1888, Eugène Montfort, Le chalet dans la montagne, Paris,
Fasquelle, 1905, Jean Rameau, L'ami des montagnes, Paris, Ollen-
dof, 1908, Pierre de Cardonne, Le retour éternel, Chambéry, Dardel,
1922, et une cinquantaine de romans ou nouvelles d'Henry Bor-
deaux. Le genre se perpétue durant les années trente avec Raoul
Audibert, Montagnes, op. cit., Jean Gaut, Le Pic Maudit, Toulouse,
Tolosa, 1938.
26. Paul Hervieu, L'alpe homicide, Paris, A. Laurent, 1886. Citons aussi
Georges Casella, Le vertige des cimes, Paris, Ollendorf, 1907, ou
VaIréas, Une ascension dramatique au Mont-Blanc, Paris, Paulin,
1903.
27. André Chamson, Castanet, le camisard de l'Aigoual, Paris, Plon,
1979, Roux le bandit, Paris, Grasset, 1925, Le royaume des hautes
terres, Paris, Durel éditeurs, 1950.
28. Henri Pourrat, Gaspard des montagnes, Paris, Albin Michel, 1922.
29. Jean Proal, Le maître du jeu, Paris, Denoël et Steele, 1933, Les
Arnaud, Paris, Denoël, 1941, Où souffle la lombarde, Paris, Denoël,
1943, Au pays du chamois, Paris, Albin Mich~l, 1948.
30. Jean Giono, Œuvres romanesques complètes, Paris, Gallimard, La
Pléiade, 3 tomes, 1971-1974 ; parmi ces œuvres, on peut citer
Batailles dans la montagne, Le chant du monde, Que ma joie demeu-
re ou Manosque des plateaux.
31. Ramuz a écrit une cinquantaine de romans, presque tous liés à la
montagne. Citons Le village dans la montagne, Lausanne, Payot,
1908, La grande peur dans la montagne, Paris, Grasset, 1925, Der-
borence, Paris, Grasset, 1936, Besoin de grandeur, Paris, Grasset,
1938, Présence de la mort, in Œuvres complètes, Ed. Rencontres,
1967, La séparation des races, Paris, Nouvelles Editions Oswald,
1979.
32. Citons quelques exemples non exhaustifs: Manabréa, Le muletier et
son mulet, Paris, Grasset, 1910, Une brillante affaire, Paris, Stock,
1913, mais aussi Claire Sainte-Soline, Le haut du seuil, Paris, Rieder,
1938, Benjamin Vallotton, Sur le roc, Paris, Payot, 1924, ou Romain
Roussel, La vallée sans printemps, Paris, Plon, 1937.
33. Voir la quatrième partie.
34. Samivel, Le fou d' Edenberg, Paris, Albin Michel, 1967.
35. Edouard Estaunié, Le cas de Jean Bunant, in Le silence dans la cam-
pagne, Paris, Perrin, 1926, Georges Sonnier, Où règne la lumière,
Paris, Albin Michel, 1946, Meije, Paris, Librairie des Alpes, André
Wahl, 1952, Saint-Loup, Face nord, Grenoble, Arthaud, 1946, La
République du Mont-Blanc, Paris, La table ronde, 1982.
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36. Joseph Peyré, Matterhorn, Paris, Grasset, 1939.


37. Parmi ses nombreux ouvrages, Samivel a publié plusieurs nouvelles
ou romans d'ascension, en particulier Contes à pic" Paris, Arthaud,
1951, L'amateur d'abîmes, Paris, Stock, 1940, «Refuge Punkett» ,
Contes des brillantes montagnes avant la nuit, Paris, Arthaud,
1980 ...
38. Michel Ballerini en recense un grand nombre: Alphonse Gautier, Le
Mont-AnOnyme, Paris, Polgar, 1933, Vindry, La Cordée, Paris, Galli-
mard, 1935, Maurice Constantin-Weyer, La Demoiselle de la Mort,
Paris, Librairie des Champs-Elysées, 1936, Noël Herbert Wùd, La
paroi de glace, Paris, Ed. de France, 1937, Jean Puech, Alpages ;
Contes et nouvelles du pays d'en-haut, Grenoble, Cahiers de l'Alpe,
1939, (Auteur anonyme), L'avalanche, Lyon, Ed. Sève, 1945, Gérard
Herzog, La voie Jackson, Paris, Arthaud, 1976.
39. Etienne Bruhl, Accident à la Meije, Paris, Susse, 1946 ; voir aussi
Marcelle Savoy, Un homme dans la rafale, Paris, Ed. de la Nouvelle
Critique, 1931, José Giovanni, Meurtre au sommet, Paris, Gallimard,
1964.
40. Joseph Peyré, Mont-Everest, Paris, Grasset, 1942.
41. Roger Frison-Roche, La piste oubliée, Grenoble, Arthaud, 1953 ; Le
rapt, Grenoble, Arthaud.
42. Saint-Loup, Montagne sans dieu, Paris, Amiot-Dumont, 1955.
43 . Joseph Peyré, Mallory et son Dieu, Genève, Ed. du Milieu du monde,
1947.
44. Jacques Dieterlen, Le chemineau de la montagne, Paris, Flammarion,
1933.
45. Jean Morin, Les royaumes du monde, Paris, Seuil, 1954.
46. René Daumal, Le Mont-Analogue, Paris, Gallimard, 1952.
47. Pierre Seize, Gens des cimes, Grenoble., Didier Richard, 1933.
48. Roger Frison-Roche, Premier de cordée, Grenoble, Arthaud, 1941,
La grande crevasse, Grenoble, Arthaud, 1948, Retour à la montagne,
Grenoble, Arthaud, 1957.
49. Pierre Scize, Gens des cimes, op. cit., p. 42.
50. A. Chollier et H. Lesbros, Le fiel du calice, Paris, Ed. de la Vraie
France, 1927,p. 150.
51. Pierre Scize op. cit.
52. Ramuz, Présence de la mort, op. cit., p. 367.
53. Etienne François de Lantier, Les voyageurs en Suisse, op. cit.
54. Marcel Rouff, L' homme et la montagne, Paris, Emile Paul Frères,
1925.
55. Ramuz, Derborence, op. cit., p. 5.
56. Senancour, Obermann , op. cit.
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57. Lamartine, La chute d'un ange, cité par R . Jantzen, op. cit., p. 13
58. Joseph Kessel, Mermoz, cité par R. Jantzen, op. cit., p. 16.
59. André Theuriet, Amour d'automne, op. cit., p. 7.
60. André Theuriet, Cœurs meurtris, Paris, Calmann-Lévy, p. 14.
61. Ramuz, La séparation des races, op. cit. , p. 13.
62. Cf Durand, Les structures anthropologiques de l'imaginaire, op. cit.,
p.212.
63. Victor Hugo, La légende des siècles, XL, Les montagnes, Désintéres-
sement, in Œuvres poétiques, cité par René Jantzen, op. cit., p. 123 .
64. Henry Bordeaux, La peur de vivre, Paris, Fayard, 1933.
65. Michel Dentan, Devant les cimes blanches, Paris, Redier, 1929,
pp. 39-40.
66. Henri Manabréa, Le muletier et son mulet, op. cit., pp. 38-41.
67. Chateaubriand, Œuvres complètes, tome VU, Voyage au mont Blanc,
1805, Paris, Ladvocat, 1827, pp. 308-309.
68. Jean Proal, Où souffle la lombarde , op. cit., p. 45 .
69. Chateaubriand, Correspondance à Madame de Staël du Jer septembre
J805 , cité par René Jantzen, op. cit., p. 69.
70. Saussure, Voyages dans les Alpes, op. cit.
71. Ramuz, Derborence, op. cit., p. 5.
72. John Tyndall, Dans la montagne, Paris, Paris, Hetzel, (sans date),
pp. 24-25.
73. Ramuz, Derborence, op. cit., pp. 101-102.
74. Jean Proal, Les Arnaud, op. cit.
75. Frison-Roche fait d'un accident mortel un temps fort de La grande
crevasse, op. cit. ; voir aussi une nouvelle de Marie Forestier, Une
mort stupide, dans Les trois personnes, Paris, Gallimard, 1962,
Charles Gos, Tragédies alpestres, Paris, 1940, José Giovanni,
Meurtre au sommet, op. cit. , Alphonse Gauthier, Le mont-Anonyme,
op. cit.
76. Roger Frison-Roche, Premier de cordée, op. cit., p. 200.
77. Estaunié, Le cas de Jean Bunant, op. cit., p. 153.
78. Henry Bordeaux, Emile Javelle et la littérature alpestre, Préface de
Souvenirs d'un alpiniste, de Emile Javelle, op. cit., p. 14.
79. Jean Secret, L'alpiniste, Bordeaux, Delmas, 1937.
80. Henry Russel, Souvenirs d' un montagnard, (1858- 1888), Pau, Imp.
Vignancour,1888,p.90.
81. Roger Canac, La montagne, op. cit., p. 5.
82. Saussure, Voyage dans les Alpes, op. cit., tome 1, p. X.
83. Jean Giono, L'eau vive, Mlle Amandine, in Œuvres romanesques, La
Pléiade, tome ID, p. 138.
256 DES MONTS ET DES MYTHES
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84. Marcel Rouff, L' homme et la montagne, op. cit., p. 169.


85. Max Aldebert, Le Royaume des hautes terres, op. Cil. pp. 54-55.
86. C'est le sous-titre du roman anonyme, L'avalanche, op. cit.
87. Madame de Staël, Corinne, Paris, 1807.
88. Ramuz, Besoin de grandeur, op. cit., p. 52.
89. Albert Marchon, Le bachelier sans vergogne, Paris, Grasset, 1925,
p.52.
90. Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie, op. cit.
91. Jules Michelet, La montagne, op. cit., p. 43.
92. Jules Michelet, La montagne, op. cit., p. 60.
93. René Fernandat, La montagne mystique, Les Camers de l'Alpe, Gre-
noble, 1939, p. 6.
94. E. Estaunié, Le cas de Jean Bunant, op. cit.
95. Alfred de Vigny, Cinq-Mars, op. cit.
96. Pierre Seize, Gens des cimes, op. cit., p. 163.
97. Jules Blache, L' homme et la montagne, Paris, Gallimard, 1933,
p.173.
98. Senancour, Obermann, L. vrn, op. cit.
99. Lamartine, Jocelyn, grotte des Aigles, op. cit., p. 607.
100. Giono, Manosque des plateaux, op. cit., pp. 11-12.
101. Maurice Barrès, Le voyage de Sparte, Paris, Félix Juven, 1906,
pp. 235-236.
102. Senancour, Obermann, op. cit.
103. Giusto Gervasutti, Montagnes ma vie, op. cit., p. 227.
104. Paul Guiton, Idylles alpines, op. cit., p. 37.
105. Henri de Segogne et Jean de Couz y, Les alpinistes célèbres, Paris,
Ed. Lucien Mazenot, 1956.
106. René Ferlet et Guy Poulet, Victoire sur ['Aconcagua, Paris, Flamma-
rion, 1955, p. 123.
107. Alexandra David-Néel, A l'ouest barbare de la vaste Chine, Paris,
Plon, 1947, p. 114.
108. Emilio Comici, Alpinisme héroïque, cité par Bertrand Kempf, «La
littérature de montagne», La montagne, Paris, Larousse, 1956, p. 415
et sq.
109. Guido Lammer, Fontaine de Jouvence, cité par Bertrand Kempf, «La
littérature de montagne», op. cit., p. 400.
110. Cité par Jean Gautrat, Dictionnaire de la montagne, Paris, Seuil,
1970.
111. Maurice Constantin-Weyer, La demoiselle de la mort, op. cit.
112. Saint-Loup, Les copains de la belle étoile, op. cit.
113. Guido Lammer, Fontaine de jouvence, op. cit.
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114. Cité par Jean Escarra, «La montagne et la littérature», La montagne,


Paris, Larousse, 1956, p. 380.
115. Michel Barrault, Le dieu des cimes, Paris, Grenoble, Arthaud, 1946,
p.70.
116. Paul Guiton, Idylles alpines, op. cit., p. 239.
117. Jean-Jacques Rousseau, La Nouvelle Héloïse, Première partie, Lettre
XXIII, Œuvres complètes, La Pléiade, tome II.
118. Cité par André Chamson, Introduction de L' homme devant la mon-
tagne, Marthe Meyer, op. cit., p. 8.
119. Saussure, Voyages dans les Alpes, op. cit.
120. Ramond de Carbonnières, Observations faites sur les Pyrénées,
op. cit.
121. Jean Proal, Au pays du chamois, op. cit., p. 223.
122. Adrien de Sarrazin, Le spleen, op. cit.
123. Honoré de Balzac, La peau de chagrin, Paris, 1831.
124. Jean-Jacques Rousseau, La Nouvelle Héloïse, op. cit., p. 78.
125. Georges Sand, Avant-propos à une réédition de Obermann de Senan-
cour, op. cit.
126. Claire Sainte-Soline, Le haut du seuil, op. cit., Marcelle Savoy, Un
homme dans la rafale, op. cit., Georges Sonnier, Un médecin de
montagne, Paris, Albin Michel, 1963.
127. Cité par Jean Escarra, La montagne et la littérature, op. cit., p. 379.
128. Nietzsche, Préface du Gai savoir, in Œuvres philosophiques com-
plètes, Paris, Gallimard, 1978.
129. Rousseau, La Nouvelle Héloïse, op. cit., p. 79.
130. Emile Javelle, Souvenirs d' un alpiniste, op. cit. p. 286.
131. Han Suyn, La montagne est jeune, Paris, Stock, 1976, p. 49.
132. Les conquérants de l'inutile, cité par Jean Gautrat, Dictionnaire de la
montagne, op. cit. article «Vertige».
133. Coleridge, Hymne before sunrise in the vale of Chamonix, 1802, cité
par Escarra, La montagne et la littérature, op. cit., p. 385.
134. Guido Lammer, Fontaine de jouvence, op. cit.
135. Cité par Bertrand Kempf, «La littérature de montagne», op. cit.,
p.415.
136. Henri Troyat, Tendre et violente Elisabeth, Paris, Plon, 1957, cité par
Michel Ballerini, op. cit., p. 144.
137. Marthe Meyer, L'homme devant la montagne, op. cit., p. 71.
138. Pierre Dalloz, Rochers, neiges et sables, Paris, Fernand Lanore,
1978, p. 171.
139. Revue Alpinisme, 1935.
140. Mircea Eliade, Aspects du mythe, Paris, Gallimard, 1963, p. 222 et sq.
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258 DES MONTS ET DES MYTHES

141. G. Blachère, Revue Alpinisme, décembre 1941.


142. Pierre-Jean Jouve, La scène capitale, cité par Bachelard, La terre et
les rêveries de la volonté, op. cit., p. 376. Bachelard cite également
D. H. Lawrence, dont un héros de roman déteste les montagnes et
«leur hauteur arrogante».
143. Roland Barthes, Mythologies, op. cit, p. 121 et sq.
144. Gusto Gervasutti, Revue alpine, nO 97, pp. 283-284.
145. Outre Premier de cordée, citons Matterhorn de peyré, Les guides et
leur étoile de Guy Belzacq, (Avignon, Aubanel, 1957), La neige en
deuil, de Henri Troyat (Paris, Flammarion, 1952), Celui qui va
devant, de Max Liotier, (Grenoble, Arthaud).
146. Guido Lammer, Fontaine de Jouvence, op. cit., p. 1 et 2.
147. Paul et Victor Margueritte, Le poste des Neiges, Barcelone, Richar-
din Lamm, Paris, Librairie Nilson, 1899.
148. Georges Casella, Les deux routes, Paris, Flammarion, 1919.
149. Benjamin Vallotton, Sur le roc, op. cit.
150. Paul Guiton, Idylles alpines, op. cit., pp. 13-15.
151. Pie XI (de son nom d'alpiniste Achille Ratti), cité par Charles Gos,
Alpinisme anecdotique, Paris, Attinger, 1934, p. 12. Voir sur ce point
le chapitre troisième de la quatrième partie.
152. Paul Achard, Le soldat de la neige, Paris, Ed. de la Nouvelle France,
1945.
153. Robert Claude, La lumière de la montagne, Louvain, Coll. Jécistes,
1934,206 p.
154. Georges Dumézil, Mythe et épopée, Tome I, L'idéologie des trois
fonctions dans les épopées des peuples indo-européens, Paris, Galli-
mard,1968.
155. Jean Château, Le chemin de Clarabide, Paris, Arthaud, 1963 p. 198.
156. Hippolyte Taine, cité par Claire-Eliane Engel, Ces Monts-Sublimes,
op. cit., p. 184.
157. Jean Proal, Le maître du jeu, op. cit.
158. Georges Sonnier, La montagne et l'homme, Paris, Albin Michel,
1970, p. 57.
159. Jean Proal, Les Arnaud, op. cit.
160. Jean Proal, Où souffle la lombarde, op. cit., p. 49.
161. Jean Giono, L'eau vive, Entrée du Printemps, in Œuvres roma-
nesques complètes, La Pléiade, tome IV, p. 241.
162. Jean Proal, Les Arnaud, op. cit., p. 16.
163. Guido Rey, Alpinisme acrobatique, op. cit., p. 257.
164. Marthe Meyer, L' homme devant la montagne, op. cit., p. 153.
NOTES 259
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165. Voir Frison-Roche, Les montagnards de la nuit, Grenoble, Arthaud,


1968, ou Jacques BoeIl, SES, Eclaireurs-skieurs au combat, Gre-
noble, Arthaud, 1946.
166. André Chamson, Le royaume des hautes terres, op. cit., p. 23.
167. Maurice Constantin-Weyer, La demoiselle de la mort, op. cit., Joseph
Desservetaz, La déesse inconnue, Bourg-en-Bresse, Ed. Bressanes,
1956.
168. Victor Hugo, La légende des siècles, XXI, Le cycle pyrénéen, II,
«Masferrer», cité par René Jantzen, op. tit., p. 42.
169. Voir le chapitre premier de la quatrième partie.
170. Charles Géniaux, Les feux s'éteignent, Paris, Flammarion, 1926,
p. 25,41 et 96.
171. Germaine Acremant, La Sarrasine, Paris, Plon, 1926, p. 69.
172. Pierre Scize, Gens de là-haut, op. cit., p. 163.
173. Pierre Seize, Gens de là-haut, op. cit., p. 143.
174. Carrère, Description de la province du Dauphiné, manuscrit, Biblio-
thèque municipale de Grenoble, pp. 260-261.
175. Henri Manabréa, Le muletier et son mulet, op. cit., pp. 68-69.
176. Pierre Seize, Gens des cimes, op. cit., p. 50.
177. Dhellancourt, «Observations minéralogiques faites en Dauphiné en
1778», Annuaire de la Société des Touristes du Dauphiné, 1891,
p.523.
178. Marcel Rouff, L'L' homme et la montagne, op. cit., p. 32.
179. Hervé Gumuchian, La neige dans les Alpes françaises du Nord, Gre-
noble, Ed. des Cahiers de l'Alpe, 1983, p. 157 et sq.
180. Henri Troyat, La neige en deuil, op. cit., p. 134.
181. Chateaubriand, Voyage au mont Blanc, 1805, op. cit.
182. Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem et de Jérusalem à Paris,
in Œuvres romanesques et voyages, La Pléiade, tome II, p. 1143.
183. Cité par Georges Salamand, Alphonse Daudet à Allevard, Grenoble,
1976, Ed. Jacques Glénat, pp. 58-59.
184. Saussure, Voyages dans les Alpes, op. cit., tome 2, p. 161.
185. Juliette d'Airel, Trente planes, Grenoble, Arthaud, 1948.
186. Emilie CarIes, Une soupe aux herbes sauvages, Paris, Jean-Claude
Simoën, 1977.
187. Georges Sonnier, Un médecin de campagne, Paris, Albin Michel,
1963, p. 132.
188. Ramuz, Le village dans la montagne, op. cit., p. 25.
189. Georges Sonnier, La montagne et l' homme, op. cit., p. 19.
190. Cité par Lucien Febvre, La terre et l'évolution humaine, op. cit .•
p. 118.
260 DES MONTS ET DES MYTHES
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191. Manabréa, Une brillante affaire, op. cit., pp. 87-106.


192. Pierre Scize, Gens des cimes, op. cit.
193. Cité par John Grand-Carteret, op. cit., p. 201.
194. Emile Javelle, Souvenirs d'un alpiniste, op. cit., pp. 231-232.
195. Georges Renard, La montagne aux neiges éternelles, Paris, Hachette,
1914, cité par Ballerini, op. cit., p. 61.
196. Alphonse de Lamartine, Jocelyn, grotte des aigles, op. cit., p. 606.
197. Ducray-Duminil, Célina ou l'enfant du mystère, Paris, Le Prieur,
1799, cité par Michel Ballerini, op. cit. p. 23.
198. Jean-Jacques Rousseau, Rêverie d'un promeneur solitaire, 7 e prome-
nade.
199. Rodolphe Tt>pffer, Voyage autour du mont Blanc, Paris, Fayard,
1979, p. 35.
200. Jean Château, Le chemin de Clarabide, op. cit., p. 261.
201. Cent ans aux Pyrénées, 7 volumes écrits entre 1898 et 1912.
202. Paul Hervieu, L'alpe homicide, op. cit.
203. Edouard Rod, Là-haut, Paris, Perrin, 1897.
204. Emile Javelle, Souvenirs d'un alpiniste, op. cit., pp. 245-246.
205. Paul Guiton, Idylles alpines, op. cit., p. 162.
206. Charles Lenthéric, L' homme devant les Alpes, Paris, Plon, 1896,
p.65.
207. Germaine Acremant, La Sarrasine, op. cit. p. 23.
208. Ramond de Carbonnières, Carnets pyrénéens, Le Bondidier,
Lourdes, 4 vol., publiés de 1931 à 1939.
209. Augustin Filon, Le chemin qui monte, Paris, Hachette, 1893, p. 128.
210. Marcel Rouff, L' homme et la montagne, op. cit., pp. 27-28.
211. Guido Rey, Mont-Cervin, op. cit.
212. Jean Giono, Prière d'insérer au Chant du monde, in Œuvres roma-
nesques complètes, La Pléiade, Tome II, pp. 12-83.
213. Schiller, Guillaume Tell, 1804.
214. Benjamin Vallotton, Sur le roc, op. cit., p. 36.
215. José Giovanni, Meurtre au sommet, op. cit.
216. Ramuz, Besoin de grandeur, op. cit., p. 160 et 162.
217. Citons l'exemple de l'article d'un géographe Yves Lacoste, «Expé-
rience originale et exemplaire du village montagnard de Bonneval-
sur-Arc (Savoie)>>, L'aménagement de la montagne, compte-rendu du
me Colloque franco-polonais de géographie, mai 1969, Académie
polonaise des Sciences, Centre scientifique à Paris, pp. 127-137.
218. Saint-Loup, La peau de l'aurochs, Paris, Plon, 1954; dans le même
registre, on trouve aussi Eyrimah de J. H. Rosny, Paris, Plon, 1938.
219. Saint-Loup, La République du Mont-Blanc, op. cit., p. 64.
NOTES 261
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220. Michel Ballerini, Le roman de montagne en France, op. cit., p. 211.


221. Revue Passage, Cahiers de l'Alpinisme, Paris, Ed. Fernand Lanore,
nO 1, pp. 12-13.
222. Voir cinquième partie sur l'initiation.
223. Henri Troyat, La neige en deuil, op. cit.
224. Luc Cenize, Revue La montagne, décembre 1969.
225. Pierre Courthion, «La montagne et la peinture», La montagne,
Larousse, op. cit., p. 435.
226. Henri Delaborde, Revue des Deux MofJ.{ies, 15 février 1865.
227. Théophile Gautier, cité par François Fosca, La montagne et les
peintres, Paris, La Bibliothèque des Arts, 1960, p. 51.
228. Marthe Meyer, L' homme devant la montagne, op. cit., p. Il.
229. Roger Canac, La montagne, op. cit., p. 11.
230. Wills, Le nid d'aigle, op. cit., p. 167.
231. Michelet, La montagne, op. cit.
232. Achille Ratti, Pie XI, Ascensions, Chambéry, Dardel, (non daté),
p.49.
233. Senancour, Obermann, op. cit.
234. Jean Secret, L'alpiniste, op. cit.
235. Cité par André Chamson, Introduction de L' homme devant la mon-
tagne, Marthe Meyer, op. cit., p. 8.
236. Cité par Jean Escarra, La montagne et la littérature, op. cit., p. 380.

TROISIÈME PARTIE

1. Cette partie est le développement de deux articles parus précédem-


ment dans la Revue de Géographie alpine, de l'IGA, université
Joseph Fourier de Grenoble.
2. Roland Barthes, «Rhétorique de l'image», revue Communications,
nO 4, 1964.
3. Le numéro de l'image entre crochets renvoie au cahier hors-texte et à
la liste des illustrations située en annexe de l'ouvrage.
4. Gilbert Durand, Les structures anthropologiques de l'imaginaire, op.
cit., pp. 135-224. Nous avons déjà rencontré ces traits distinctifs de
l'image dans l'étude anthropologique de la montagne.
5. Voir sur ce point, Jean-Paul Bozonnet, Comment le sens vient aux
ordinateurs, micro-informatique au quotidien, Rapport de recherche
pour la Mission du patrimoine ethnologique, ministère de la Culture
et de la Communication, GRB, université des Sciences sociales de
Grenoble, décembre 1989.
6. Voir Henri Dontenville, Mythologiefrançaise, op. cit., p. 59.
7. Voir le chapitre quatrième de la deuxième partie.
262 DES MONTS ET DES MYTHES
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8. Gaston Bachelard, La terre et les rêveries de la volonté, op. cit.,


p.384.
9. Gilbert Durand, Les structures anthropologiques de l'imaginaire,
op. cit., p. 212.
10. Ferdinand Saussure, Cours de linguistique générale, Payot, Paris,
1974, pp. 98-99.
11. Ce point a .été développé par Anne Sauvageot dans Figures de la
publicité,figures du monde, Paris, PUF, 1987.
12. Voir sur ce point la cinquième partie, L'envers dramatique de l'initia-
tion et la participation par procuration.
13. Rémi Knafou, Les stations intégrées de sports d' hiver des Alpes
françaises, Paris, Masson, 1978, p. 210 et sq.
14. Jean-Paul Bozonnet, Orologiques, Sociologie et mythe de la mon-
tagne, thèse de troisième cycle, 1984, université des Sciences
sociales de Grenoble, p. 242.
15. Gilles Lipovetsky, «La pub sort ses griffes», Le Débat, janvier-mars
1987, pp. 126-140.
16. Roland Barthes, Mythologies, Paris, Seuil, 1957, p. 193 et sq.
17. Claude Lévi-Strauss, Mythologiques, le cru et le cuit, Paris, Plon,
1964, pp. 108-109.
18. Voir sur ce point le chapitre deux de la première partie.
19. Pierre Bourdieu, La maison ou le monde renversé, esquisse d'une
théorie de la pratique, Genève, Lib. Droz, 1972, pp. 45-69.

QUATRIÈME PARTIE

1. John Grand-Carteret, La montagne à travers les âges, op. cit., tome 1,


p.8.
2. Monsieur Gaston Tuaillon précise que le toponyme «Morigena»
apparaît dès le VIe siècle.
3. Henri Dontenville, Mythologiefrançaise, op. cit., p. 234.
4. John Grand-Carteret, La montagne à travers les âges, tome 1, op. cit.,
p.98.
5. John Grand-Carteret, La montagne à travers les âges, tome 1, op. cit., .
p. l00.
6. Jean Prieur, La province romaine des Alpes cottiennes, thèse pour le
doctorat ès Lettres, université de Lyon, Imp. Gauthier, Villeurbanne,
1968.
7. Cf Eric Hobsbawn, Les bandits, Paris, Ed. Maspero, 1972.
8. Montesquieu, L'esprit des lois, Paris, Garnier, 1961, tome 1, pp. 239-
286.
9. Numa Broc, Les montagnes vues par les géographes et les natura-
listes de langue française au XVIIIe siècle, op. cit., p. 232.
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NOTES 263

10. «Lettres et mélange de dissertation écrite à la Société Royale de


Lyon», Revue alpine, 1896, p . 111 .
11. Enquête réalisée en 1976 par l'auteur dans les Alpes du Nord, avec
48 entretiens non-directifs auprès d'un échantillon de touristes en
montagne et de résidents locaux. Les citations entre guillemets sont
extraites des entretiens non-directifs. Les résultats principaux de cette
enquête sont consignés dans le rapport de Jean-Paul Bozonnet, La
perception de l'espace montagnard, op. cit.
12. John Grand-Carteret, La montagne à travers les âges, op. cit., tome 1,
p. 162.
13. Daniel May, Les alpinistes célèbres, sous la direction de Henri de
Segogne, Paris, 1956, Ed. Lucien Mazenot, pp. 12-13.
14. Encyclopédie de la montagne, article «Troupes de montagnes»,
op. cit., vol. 8, pp. 22-86 et sq.
15. Maurice Paillon, «La montagne-programme», La montagne, revue du
CAF, nO 1, janvier 1905, p. 1.
16. Voir sur ce point, le chapitre deuxième de la troisième partie.
17. Horace Benedict Saussure, Voyages dans les Alpes, op. cit., tome II,
p.l44.
18. Paul Veyne, «L'alpinisme, une invention de la bourgeoisie», L' histoire,
nO 11, avril 1979, p. 41.
19. Claire-Eliane Engel, La littérature alpestre en France et en Angleter-
re aux XVI/le et XIXe siècles, op. cit., p. 9.
20. François, La science de la géographie, cité par Numa Broc, Les mon-
tagnes vues par les géographes et les naturalistes de langue françai-
se au XVI/le siècle, op. cit., p. 15.
21. Claire-Eliane Engel, La littérature alpestre en France et en Angleter-
re aux XVI/le et XIXe siècles, Chambéry, op. cit., p. 13.
22. René Siestrunk, «Notes sur la géographie spontanée des pionniers du
tourisme en haute montagne», Passages, Cahiers de l'alpinisme,
nO4, Paris, Editions Passage, 1980, p . 48.
23 . Maurice Paillon, La montagne-programme, op. cit. p. 1.
24. M. P. Helbronner, «Sciences et arts», La montagne, op. cit., pp. 42-
44. Un peu plus loin, Henri Vallot quant à lui, propose «La mesure
des hauteurs grâce à la chute des corps» (op . cit., pp. 26-31) .
25. Jean-François Bergier, «Le cycle médiéval: des sociétés féodales
aux états territoriaux» , in Histoire et civilisation des Alpes , Privat-
Toulouse et Payot-Lausanne, 1980, tome 1, pp. 197-222.
26. John Grand-Carteret, La montagne à travers les âges, op. cit., tome 1,
p . 102.
27 . F. Rabelais, Pronostication pantagruélique, cité par John Grand-
Carteret, La montagne à travers les âges, op. cit., tome 1, p . 97.
264
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DES MONTS ET DES MYTHES

28. John Grand-Carteret, La montagne à travers les dges, op. cit., tome 1,
p. 103.
29. Roger Canac, La montagne, op. cit., p. 92.
30. Theatrum statuum Sabaudiae Ducis, 1682, cité par John Grand-Car-
teret, La montagne à travers les dges, op. cit., tome 1, p. 197.
31. Edouard Whymper, Escalades dans les Alpes, op. cit.
32. Marthe Meyer, L' homme devant la montagne, op. cit.
33. Coxe, cité par Numa Broc, Les montagnes vues par les géographes
et les naturalistes de langue française au XVIII- siècle, op. cit.,
p. 253 et sq.
34. Antoine Chollier, Ceux de l'Alpe, Paris, Ed. des Horizons de France,
1937, p. 125.
35. Voir sur ce point Jacky Clapier et Bruno Perrier, L'aménagement tou-
ristique de la montagne, le cas des stations intégrées. Une urbanisa-
tion de l'exception, université TI, Grenoble, UER Urbanisation et
aménagement, novembre 1972, thèse de 3 e cycle, 3 tomes de 160, 74
et 200 p., ainsi que Bruno Cognat, La montagne colonisée, Paris,
Cerf, 1973,94 p.
36. Jacky Clapier et Bruno Perrier, L'aménagement touristique de la
montagne, op. cit., pp. 36-52.
37. Rémi Knafou , Les stations intégrées de sports d' hiver des Alpes
françaises, Paris, Masson, 1978, p. 295 et sq.
38. Danielle Arnaud, La neige empoisonnée, Paris, Ed. Alain Moreau,
1975, p. 38.
39. Rémi Knafou, Les stations intégrées de sports d' hiver des Alpes
françaises, op. cit., p. 130.
40. BETURE, Les nouvelles stations de sports d' hiver. Doctrine de
l'aménagement et aménagement de la doctrine, département socio-
économique, Trappes, octobre 1973, 93 p., présenté par A. Pitrou.
41. Joseph Fontanet, cité par Danielle Arnaud, La neige empoisonnée,
op. cit., p. 30.
42. BETURE, Les nouvelles stations de sports d' hiver, op. cit., p. 40 et
85.
43. Raoul Blanchard, Les Alpes occidentales, op. cit., p. 12.
44. Arnold Van Gennep, Culte populaire des saints en Savoie, Archives
d'ethnologie française, Paris, G.P. Maisonneuve et Larose, 1973.
45 . Voir sur ce point le chapitre quatrième de la première partie.
46. Henrik Ibsen, Brand, Paris, Perrin, 1916, p. 36. Voir sur ce point le
chapitre troisième de la deuxième partie.
47. Achille Ratti, Ascensions, op. cit., p. 56.
48. JMDS, «Le petit guide du parfait musulman», Le Monde, 4 janvier
1980, p. 6.
NOTES 265
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49. Du grec krénè, qui signifie «source».


50. «Une médecine connue mais qui doit convaincre», Le Monde du
21 février 1979, p. 15.
51. Arnold Van Gennep, Culte populaire des saints en Savoie, op. cit.,
pp. 95-104.
52. Mircea Eliade, Traité d' histoire des religions, op. cit., p. 170.
53. Alphonse Daudet, cité par Georges Salamand, Alphonse Daudet et
Allevard, op. cit., p. 31.
54. Gilbert Durand, Les structures anthropologiques de l'imaginaire,
op. cit.
55. Michel Chadefaud, Du climat au climatisme: le cas de Pau, station
hivernale, Université de Pau et des Pays de l'Adour, REGOA, avril
1985.
56. Larousse médical illustré, article Villars-de-Lans, Paris, Larousse,
1972, p. 1194.
57. Cité par John Grand-Carteret, La montagne à travers les âges, op. cit.,
tome 1, p. 13.
58. John Grand-Carteret, La montagne à travers les âges, op. cit.,
tome 1, p . 110.
59. Cité par John Grand-Carteret, La montagne à travers les âges, op. cit.,
tome 1, p. 178.
60. Paul Guichonnet, «Le partage politique des Alpes : les Alpes occi-
dentales franco-italiennes», Histoire et civilisation des Alpes, op. cit.,
p. 282 et sq.
61. Numa Broc, Les montagnes vues par les géographes et les natura-
listes de langue française au XVIIIe siècle, op. cit., p. 253 et sq.
62. Placide Rambaud et Monique Vincienne, Les transformations d'une
société rurale, La Maurienne (1561-1962), Paris, Armand Colin,
1964, p. 100 et sq.
63. Raoul Blanchard, Les Alpes Occidentales, op. cit., p. 13.
64. Histoire de la France rurale, sous la direction de Georges Duby et
Armand Vallon, Paris, Seuil, 1976, p. 28 et sq.
65. Bernard Kalaora et Antoine Savoye, «La protection des régions de
montagne au XIXe siècle», Protection de la nature et idéologie,
Paris, L'Harmattan, 1985, p. 8 et sq.
66. John Grand-Carteret en fournit de nombreux exemples dans son
ouvrage, La montagne à travers les âges, op. cir.
67. Gabrielle Sentis, L'Oisans, histoire et traditions, légendes, Grenoble,
Ed. G. Sentis, 1976, p. 149.
68. Architecte, collaborateur de Maurice Michaud pendant un temps,
notamment lors de la construction de Courchevel.
69. Philippe Lamour fut l'un des responsables de l'aménagement de la
côte du Languedoc, et fut maire de la station de Ceillac dans le
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266 DES MONTS ET DES MYTHES

Queyras, souvent présentée comme un modèle d'aménagement tou-


ristique dans les années soixante-dix.
70. BETURE, Les rwuvelles stations de sports d' hiver, op. cit., pp. 68-72.
71. Rapport Jean Brocart, op. cit., p. 14.
72. F. Dumont, Les idéologies, PUF, Paris, pp. 55-57.
73. Jean-Paul Bozonnet, Orologiques, sociologie et mythe de la mon-
tagne, op. cit. p. 511 .
74. Hervé Gumuchian, La neige dans les Alpes françaises du nord,
op. cit., p. 96.
75. Des entretiens réalisés par l'auteur de ces lignes dans la réserve des
Aiguilles Rouges dans le massif du mont Blanc à cette époque
montre cet état d'esprit présent chez de nombreux visiteurs
enseignants.
76. Hervé Gumuchian, La neige dans les Alpes françaises du nord,
op. cit., p. 204.
77. CREARGIE, Etude prospective ; les séjours touristiques en haute
montagne, SEATM-ALGOE, 1976, Paris, pp. 30-33.
78. Rémi Knafou, Les stations intégrées de sports de sports d' hiver des
Alpesfrançaises, op. cit., p. 312.
79. E. F. Schumacher, Small is beautiful, Une société à la mesure de
l' homme, Paris, Seuil, 1978.
80. Entretien avec Gilbert André, réalisé en novembre 1978, à Bonneval.
81. Jean-Paul Bozonnet, Orologiques, op. cit., p. 498 et 513.
82. Voir le chapitre premier de cette quatrième partie.
83. Coxe, Lettres sur la Suisse, Tome l, p. 316.
84. Ramond de Carbonnières, cité par Numa Broc, op. cit., p. 253 et sq.
85. Hans-Magnus Enzensberger, «Une critique de l'écologie politique»,
L'idéologie de/dans la science, Paris, Seuil, 1977, p. 195.

CINQUIÈME PARTIE ET CONCLUSION


1. Toutes les citations entre guillemets dans ce chapitre, et dont la sour-
ce n'est pas précisée, sont tirées de l'enquête sur les motivations de
la fréquentation montagnarde, de Jean-Paul Bozonnet, La perception
de l'espace montagnard, op. cit.
2. Topoguide pour le sentier de grande randonnée de l'Oisans, Gre-
noble, Ed. Didier et Richard, non daté.
3. Danielle Arnaud, La neige empoisonnée, op. cit., p. 127.
4. Voir le chapitre quatrième de la première partie.
5. Cf Jean-Paul Bozonnet, La perception de l'espace montagnard,
op. cit., p. 120 et sq.
6. SEMA, Les vacances d' hiver, Commissariat général au Tourisme,
Paris, non daté, p. 6 et sq.
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NOTES 267

7. Jean-Paul Bozonnet, La perception de l'espace montagnard, op. cit.,


p . 134.
8. Les renseignements pour ces portraits sont tirés de la Grande ency-
clopédie de la montagne ~ op. cit.
9. Titre du livre de Lionnel Terray.
10. Cité par l'Encyclopédie de la montagne, op. cit., p. 1379.
Il . Cité par l'Encyclopédie de la montagne, op. cit., p. 1829.
12. Cité par l'Encyclopédie de la montagne, op. cit., p. 1679.
13. Cité par Guido Rey, Le mont Cervin, op. cit., pp. 31 -32.
14. Joseph Peyré, Mal/ory et son dieu, op. cit.
15. Jean-Olivier Majastre et Erik Decamp, Guides de haute montagne,
op. cit., p. 92.
16. Jean-Paul Bozonnet, Orologiques, op. cit., pp. 475-476.
17. Sur l'éducation militaire et religieuse par la montagne, voir aussi le
chapitre troisième de la deuxième partie.
18. En 1986, 13 % des guides avaient pour profession complémentaire le
métier d'enseignant. Cf Jean-Paul Bozonnet, «Le métier de guide en
chiffres», APRIAM, Adaptation de l'économie des services, le
métier de guide de haute montagne, rapport de recherche pour le
Syndicat national des guides de montagne, Chamonix, 1986.
19. Pierre Boiral et Jean-Pierre Brouat, «En Lozère, l'''industrie des
débiles", revue Autrement, juin 1978, pp. 157- 160.
20. Margaret Mead, L'un et /' autre sexe, Denoël-Gonthier, Paris, 1966,
pp. 148-149.
21. Voir sur ce point le deuxième chapitre de la deuxième partie.
22. Jean-Olivier Majastre, «Besoins et motivations de la clientèle du
guide», colloque sur le métier de guide, Syndicat national des guides
de montagne, Cassis, 11-13 octobre 1972, p. 13.
23 . Paul Veyne, «L'alpinisme: une invention de la bourgeoisie», op. cit.,
pp. 41-49.
24. Roland Barthes, Mythologies, op. cit., p. 122.
25. Pierre Bourdieu, La distinction, critique sociale du jugement, Paris,
Editions de Minuit, 1979, p. 301.
26. F. Di Ruzza et B. Gerbier, Ski en crise, le grand cirque blanc : du
profit à la compétition, Grenoble, Presses Universitaires, 1977.
27. BETURE, op. cit., p. 5.
28. Gilbert Durand, Psychanalyse de la neige, op. cit.
29. Cité par Bertrand Kempf, «La littérature de montagne», La
montagne, op. cit., p. 415 et sq.
30. Jean-Paul Bozonnet, La perception de la montagne, op. cit., p. 133.
31. Cité par Bertrand Kempf, La littérature de montagne, op. cit., p. 415
et sq.
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268

32. Jean-Paul Bozonnet, La perception de la montagne, op. cit., p. 135.


33. Jean-Paul Zuanon, La protection de la montagne, op. cit., p. 41 et sq.
34. Jean-Paul Bozonnet, La perception de l'espace montagnard, op. cit.,
p. 121 et sq.
35. Jean-Paul Bozonnet, La perception de l'espace montagnard, op. cit.,
p. 141 et sq.
36. Jean-Paul Bozonnet, La perception de l'espace montagnard, op. cit.,
p. 142 et sq.
37. Jean-Paul Bozonnet, La perception de l'espace montagnard, op. cit.,
p. 142 et sq.
38. Ce paragraphe reprend les résultats de l'enquête CfGREF, Jean-Paul
Bozonnet, La perception de l'espace montagnard, op. cit., p. 127 et
sq.
39. Jean-Paul Bozonnet, La perception de l'espace montagnard, op. cit.,
p. 139.
40. Jean-Paul Bozonnet, La perception de l'espace montagnard, op. cit.,
pp. 143-144.
41. Jean-Paul Bozonnet, La perception de l'espace montagnard, op. cit.,
p.145 .
42. R. Baillon et C. BeHan, Attitudes par rapport à la forêt et conformis-
me social, avril 1974, nO 1100474, Ecole polytechnique, Paris.
43. Bureaucratie non au sens de paperasserie, ou de contrainte étatique,
mais au sens originel du terme, c'est-à-dire introduction de la ratio-
nalité dans les activités tertiaires.
44. Sous ses différentes formes de «multi-propriété», ou de «pluri-pro-
priété» ...
45. Voir Hervé Gumuchian, La neige dans les Alpes françaises du nord,
op. cit., p . 118.
46. Jean-Paul Bozonnet, «Les allumés de la grimpe», Imaginaires de la
haute montagne, Centre Alpin et Rhodanien d'ethnologie, Grenoble,
Glénat, 1987, pp. 135-148.
47 . C'est une des critiques que Gérard CoHomb adresse à ce type de rai-
sonnement «trans-ethnique» déjà tenu sur la société montagnarde en
général, in «Une sociabilité "alpine" ? Promenades villageoises ... »,
Les hommes et les Alpes, C01RAO, région Piémont, Thrin, 1991,
pp. 97-106.
48. Edmond Ortigues, Le discours et le symbole, Paris, Aubier Mon-
taigne, 1962, p. 188 et sq.
49. Gilbert Durand, Les structures anthropologiques de l'imaginaire,
op. cit., pp. 438-460.
50. Roland Barthes, Mythologies, op. cit., p. 224 et sq.
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LISTE DES ll..LUSTRATIONS

1. Evian 21. Loyal


2. Motobécane 22. BBL
3. Mentadent 23. Seita
4. Schott 24. Rhône-Poulenc
5. Peugeot 25. Sacilor
6. "33" export 26. Bertrand Vacances
7. Les 3 Suisses 27. Trappeur
8. Renault 28. Pierre & Vacances
9. Nissan 29. Tignes - Flaine
- La Plagne
10. J &B
30. Andorra
Il . Marlboro
31. Evian
12. Siemens
32. Gauloises blondes
13. Levi's
33. Bull
14. Evian
34. Le Cantal
15. Blédina
35. Orient
16. Evian
36. P.E.P. Ecureuil
17. Evian
37. Vallée d'Aoste
18. Hilton
38. Hautes-Alpes
19. Salomon
39. Les Arcs
20. Minolta
40. Volkswagen
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INDEX THÉMATIQUE

A brigands, 159, 165


abîme, 24 bronzage, 172,222
abolition bureaucratie, 233
- des nonnes, 222
- du présent, 38 c
absence, 60, 104,228 capital, 120, 175
accident, 44, 206 catastrophe, 95, 96, 226
agression, 41,42,72,137,191,226 catharsis, 40, 43, 46, 74, 125, 181
aliénation, 244 caverne, 24, 30, 33,116
alpinisme prométhéen, 86, 169, 208, célibat, 219
209,211 chaos, 30,31,45, 61, 66
aménagement, 99, 172, 174, 191, chute, 23, 39
221 ciel, 20, 22, 41,144
- écologique, 198, 199,226 classe, 90
- prométhéen, 91,194,196 - bourgeoise, 220
- routier, 91, 172, 173 - moyenne, 201, 222
- touristique, 192, 194 climatisme, 186, 188
âme, 74 cocooning,138
amour, 63,75 colonisation, 72, 119, 166, 170
analogie, 131, 140,238 communauté, 85, 89, 233
apologétique, 80, 183 communications, 172
archétypes, 133,238 communion avec la nature, 74, 224
art, 104,213 communisme, 46, 99
ascension, 20, 39, 41, 47, 71, 74, - primitif, 160
186,205 compétition, 209, 210, 218, 219
- sociale, 123, 149,208,221,222 conflits, 80, 86
ascétisme, 75, 183,218,220 conquête, 166, 178
Atlas, 33, 34 consommation, 233
attirance et répulsion, 22, 42 contemplation, 41, 73, 77,137,181
attitude prométhéenne, 72, 73, 120, contradiction, 24, 34, 39, 44, 46,
171,175, 177, 194 122,227,229,230,231,232,233
autarcie, 90, 161 cordée, 85, 135, 145
auto-développement, 194,201 corps, 19,22,72,74,123,223
autochtones, 45 , 83, 161, 162, 191 cosmique (axe), 24
aventure, 228 cosmogonie, 29, 30, 130
création, 29, 32, 38, 183
B crétin, 89
banalisation, 234 cristal, 33
barbare, 45, 86, 87, 157, 160, 162, crucifixion, 40
170
béatitude, 93
Belen, 20, 34 D
blottissement, 30 dange~ 72,205,206,209,227
bon sauvage, 45, 86, 160 Dante, 24, 30, 34, 38, 51,104
286 INDEX
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déboisement, 96 exaltation du moi, 72


décadence, 45, 195 expéditions, 211
décentralisation, 194 expérience primordiale, 171, 172
déluge, 31 exploration, 118, 120, 166, 170
démocratisation, 221, 226 extase, 76, 104, 149
démocratie, 202, 229 extraterrestres, 37
démons,26,34,166
désacralisation, 206, 243 F
désert, 60 famille, 135,219
déterritorialisation, 136, 232, 233, fin du monde, 29,31,32,65
243 foule, 69
dialectique fréquentation
- de l'élection et de l'exclusion, - masculine, 219
45,46,79,98,128,157,159, - de masse, 221
160,161,166,201 frontière,20,24,61,65,172
- de la projection et de l'intro-
jection, 83, 84, 123, 124, 130, G
238 Gargan, 20
distinction sociale, 73, 78, 220, 222 gel,34
domination, 20, 42, 73,160,191 gemmes, 33
drogue, 76, 138, 150 genres littéraires, 52
dureté,114 geste, 19,29,72, 130,234,237
gigantisation, 62, 126
E guérison, 39
écologie politique, 201 guide, 40, 79,173,220
écologisme, 93, 95, 126, 191, 194, Guillaume, Robert, 208
195,196,198,199,215,224,229
éden,30,31,67,92,93 H
EDF,225 hagiographies, 71
éducation religieuse, 80, 183,218 hallucinations, 37
élite, 78, 79 Hannibal, 167
endogamie, 161 hédonisme, 137
enfer, 26, 166 Héphaïstos, 42,117,148
entropie, 31, 34 hérétique, 44
épreuve initiatique, 39, 207, 232 Hermès, 138
espace héroïsme, 208
- critique, 47 héros, 40,43,45,69, 71, 78, 79,160,
- extrême, 19, 24, 25, 39, 59, 166, 167,168,169,174,208,217
172,227,237 - contemplatif, 212, 213, 224
esthétique, 73, 213 -icarien, 76,77,78, 215
Etat - prométhéen, 41, 76, 165, 167,
- aménageur, 177, 198 169,172,175,210
- (désengagement de), 199 histoire, 29, 32,120,133,195,217
éthique prométhéenne, 209, 210 houille blanche, 91, 176
euphémisation, 151,235 hyperbole, 59, 62
euphorie, 36
DES MONTS ET DES MYTHES 287
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1 libre (escalade), 215


Icare, 34, 41, 181,224 littérature, 49
identité, 39,73,219 logique des images, 67,113, 130
- territoriale, 194, 198 lumière, 21,114
idéologie, 140, 141,243
imaginaire, 110, 139, 152,239 M
-wume, 21, 114, 144, 146, 148, 152 mal des montagnes, 35
- nocturne, 116, 146 marchands (rapports), 90, 234
- et symbolique, 240 marginaux, 27
- prométhéen, 176, 178, 199 métallurgie, 175
immortalité,74 métaphore, 49, 70, 71, 73,84
incorporation, 126, 127 métonymie, 84
inwvidualisme, 135 migration, 159
industrialisation, 92, 99, 170, 176, milieu hostile, 227
militaire, 61, 80, 158, 159, 160, 167,
191,200
ineffable, 104, 106 170, ln, 178,209
mines, 33, 175
infralinguistique, 139
Minos, 44
initiation, 40, 43, 44, 47, 79, 106,
misogynie, 65,96,219
127, 134, 138, 144, 145, 151,
monachisme, 181, 214
167, 182, 201, 205, 206, 207,
monstre, 25, 62
217, 219, 220, 221, 222, 229,
montagne
231,234 - astrale, 20
innocence, 163 - bleue, 114
insti tutionnalisation, 218 - centrale, 22, 115
intégration fonctionnelle, 232 - wfforme, 170
intelligence, 38 - éducatrice, 78, 197,205,217,
interwt, 45, 61,138, 166,225,226 218,221
- protecteur, 229, 194, 198 - évasion, 137
- fécondatrice, 30
J - noire, 117, 134
jouissance, n, 231 - périphérique, 19, 22, 27, 44,
- prométhéenne, 225 119, 120, 165
- phallique, 42, 115, 144
K - politique, 44, 81, 86, 98, 199,
Kaaba, 23, 40 202,221
- tas, 117, 148
L morale,78,199,200,231
labyrinthe, 41 mort,26,29,33,44,63,72
Lachenal,213 mystère, 143
langage, 223 mythe, 243, 244
légèreté ouranienne, 40 - de l'or blanc, 176, 177
libération, n, 73, 74
liberté, 38, 98, 177, 199, 200, 224, N
229 nationalisme, 80,168,169,178
- politique, 160 nativité, 135
288 INDEX THÉMATIQUE
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nature, 60, 196, 197, 226 proscrits, 159


- et culture, 45 prosopopée, 60, 83
netteté, 114, 148 protection de la nature, 193, 198
proximité du milieu physique, 196,
o 224
objectivation, 84 puissance, 20, 125, 127
objets volants, 145 pureté,92, 114, 126
obscurité, 24 purification, 74, 228
ordalie, 47 puritanisme protestant, 200
ordre social, 47, 199
origines, 120 Q
oronymie, 20, 26, 95,158,175,182 quantitatif, 209
quête spirituelle, 206
P
paix intérieure, 75 R
paradis, 12, 158, 166,196 race, 80
parc naturel, 31, 192, 193 rationalisation, 136,210,231,233
particularisme, 158 rationalité planificatrice, 177
passage,20,29,39, 144,172 réactualisation, 38,40, 172,217
- difficile, 27 réappropriation, 194
pathologie sociale, 73, 90 récit d'ascension, 29, 35, 39, 69, 71,
pauvreté, 163 73,78,102
paysage, 146, 158, 199 réconciliation, 85,201,222
pèlerinage, 40, 182, 185 référent, 102
permanence, 29 refuge, 153, 157, 158, 160, 195
pesanteur, 34, 41 régénération, 38, 39, 43, 123, 125,
pessimisme, 226 127, 131, 134, 135, 136, 137,
petitesse (sentiment de), 228 181, 186, 188, 205, 206, 218,
pétrification,33,34 220,234,235
pierre levée, 144 - sociale, 138,201,221
pilier, 22 régionalisme, 100, 198
Plan neige, 177 réglementation, 232
pouvoir, 77, 128,129, 131, 145 réhabilitation sociale, 127
- des collectivités locales, 199 relation de voyage, 52
pratique (écart entre discours et), 230 religion, 39, 43,172,181,182,200
première, 170 repaire, 157
prémonitions, 37 répétition, 235
prévention de la délinquance, 200 représentations, 227, 229
prison, 72, 73 reproduction de la force de travail,
privation sensorielle, 37 129,221
procuration, 151,235 réserve, 31
produit touristique, 135, 203, 231, résurrection, 40
233,234 réussite sociale, 128
progrès, 226 rite, 134, 171, 172,222
promoteurs, 176, 227 - d'incorporation au territoire,
propriété, 198, 199 167
DES MONTS ET DES MYTHES 289
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- initiatique sexualisé, 219 symbole, 106, 133, 139, 140,239


- de coupure, 46 système, 121
rousseauisme, 189, 191, 192, 195,
199,201 T
rupture, 37, 38, 72 technique, 43, 114, 115, 117, 118,
119, 129, 138, 145, 148, 154,
S 193, 196, 198, 210, 211, 213,
sacré, 20, 22, 23, 26, 65, 104, 115, 215,226,232,233
138,206 tellurique, 24, 117
sacrifice, 45, 78 temple, 23
saint-simonisme, 175, 177 temps, 32, 38, 61
sanctuaires, 197 temporalité (double), 195
santé, 38, 74, 137,205,206 territorialisation, 84
- morale, 95 thérapeutique, 74
- sociale, 128 thermalisme, 137, 184, 185
scénario, 49,69, 72, 73, 74 tombe,34
schizoïdes (formes), 104, 114, 125, totalité, 115
126, 145, 146 tourisme, 133, 151,163, 198,203
science, 91,171,210 - social, 221
- médicale, 185 traditions, 92,197, 199
sectes, 32 transcendance,38,126
sécularisation, 188 transe, 76
sécurité, 134,231,232 trésors, 33
sens,39,69,130, 237
- critique, 36 u
servitude, 91,160 uniformité,233
signe universalité, 239
- arbitraire, 133, 139
- démotivé, 137,243 V
- (double structure du), 140 valorisation du venical, 13, 115, 116
- motivé, 130, 136, 140 vérité, 76,151
signifiant, 107 vol
signifié, 107 - du feu, 42
simplicité des formes, 114 - magique, 38, 77, 137, 138, 150,
sociologie des montagnards, 35, 46 213,224
solidarité, 85, 86, 93, 99, 201 volcan, 24, 26, 42
solidité, 228 volonté de puissance, 72, 80, 126,
soumission, 77, 234 177,209
source, 31,66, 120, 175, 176
souterrain, 23, 26, 117 y
spons alpins, 205, 218 Yéti,25
stigmates, 171
sublimation, 73, 75, 149,200 z
surhomme, 76 Zeus, 30
surnaturel, 35,42, 116 Ziqqurat, 23
symbiose, 84 wnage,229
Ce document est la propriété exclusive de Tristan Regaud (regaudt@gmail.com) - mercredi 04 octobre 2023 à 22h58
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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION 5

PREMIÈRE PARTIE
LA MONTAGNE DANS L'ANTHROPOLOGIE 9
1. Corps montagneux et montagnes corporelles
Le geste vertical 13
Microcosme et macrocosme 14
La structuration imaginaire de l'espace et ses raisons 15
II. Géographie imaginaire de la montagne 19
Toucher le ciel 20
Joindre le centre 22
Périphérie et profondeur: les hauteurs béantes 23
Monstres, démons et champ des morts 25
III. Histoire mythique de la montagne 29
La survivance des édens 29
La montagne source et origine des eaux 30
Le dernier refuge 31
La pétrification 32
IV. Sociologie imaginaire de la montagne 35
Les effets bio-psychiques de l'ascension 35
La régénération 37
Le parcours initiatique 39
Icare ou Prométhée 40
Les élus et les exclus 43

DEUXIÈME PARTIE
SCÉNARIOS ET MÉTAPHORES
FIGURES LITTÉRAIRES DE LA MONTAGNE 49
1. Genres littéraires et rapports à la montagne 51
Relations de voyage, science et récits d'ascension 52
Poésie et genres mineurs 53
Le roman de montagne 55
292 TABLE DES MATIÈRES
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II. Marquer l'espace et le temps:


les métaphores de la montagne 59
Métaphores des confins et du chaos 59
Répulsion et phantasmes mortifères 62
Eros chez les montagnards 63
Métaphores de l'éden et de la géhenne 65
III. La fabrication du héros: le scénario 69
Hauts lieux et bas-fonds: le héros se détache 69
Libérer la volonté de puissance 72
Sublimation, oubli, extase 73
Anges et surhommes 76
Montagne éducative: les saints et les braves 78
IV. Le statut imaginaire des autochtones 83
Métaphores, métonymies et autres prosopées... 83
Affrontements et réconciliations 85
Montagnes barbares 86
Pathologies physiques et sociales 89
Communisme édénique 92
Contre les philistins et les aménageurs 93
Catastrophe, ressentiment et apocalypse 95
La montagne comme modèle politique 98
V. De la difficulté d'écrire sur la montagne 101
Fonction initiatique de l'écrit sur la montagne 102
Ineffable, secret, symbole 103

TROISIÈME PARTIE
LA MONTAGNE RÊVÉE PAR LA PUBLICITÉ 109

I. La logique des images de la montagne 113


L'altitude schizoïde 113
Le vertical idéalisé 115
Montagne noire ou rouge de l'enfer 116
Montagne périphérique 118
La montagne réserve et capital 120
La production du sens par la structure sémantique 121
II. Santé, régénération et ascension sociale 123
Corporéité et incorporation 123
Renaissance et catharsis 125
TABLE DES MATIÈRES 293
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Gigantisme et puissance 126


Initiation et ascension sociale 127
La production du sens par la motivation du signe 130
III. Le touriste rattrapé par l'histoire 133
Univocité de la montagne touristique 134
Personnalisation et intimité familiale 135
Déterritorialisation 135
De la santé à 1'hédonisme 137
Deux degrés de signification de l'image 139
IV. Libres interprétations 143
L'altitude, introduction au mystère du tabac 143
L'ascension, consécration du leader 144
La montagne syncrétique ou fromagère 145
Montagne magique et technique horlogère 147
Des montagnes d'argent 148
Délire et trip alpestre 149
Le critère de vérité 150
Cocoon... 151
Refuge, contrebande et technologie automobile 153

QUATRIÈME PARTIE
IMAGINAIRE DES USAGERS
ET USAGERS IMAGINAIRES DE LA MONTAGNE 155

1. Les montagnards sur la scène de l'histoire 157


Le repaire des brigands 157
Le refuge des proscrits 158
Du hors-la-loi au héros 159
Barbares et bons sauvages des philosophes 160
Les primitifs d'aujourd'hui 161
~ Les vrais montagnards 162
II. L'Alpe prométhéenne 165
Les héros primordiaux nécessaires à l'initiation 165
La montagne des militaires et des patriotes 167
Explorateurs et scientifiques 169
Les ouvreurs de routes 172
Capitaines d'industrie et promoteurs 175
L'Etat aménageur prométhéen 177
294 TABLE DES MATIÈRES
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III. L'Alpe régénératrice 181


Montagne et pratiques religieuses 181
Pratiques thermales et curistes 184
Climatisme et régénération symbolique 186
IV. L'imaginaire de la montagne écologiste 189
Les hauts et les bas de la montagne rousseauiste 189
Les principes de l'aménagement soft 195
Sous l'écologie, le social 199

CINQUIÈME PARTIE
IMAGINAIRE DES PRATIQUES TOURISTIQUES 203

I. L'initiation et ses modèles éducatifs 205


Sports alpins, risque et régénération 205
L'envers dramatique de l'initiation 206
Galerie des portraits 1 : l'héroïsme hard 208
Galerie des portraits II: l'héroïsme soft 212
La participation institutionnalisée à l'histoire 216
Les célibataires, les mâles et la famille 219
Une pratique de classe? 220
II. Hard ou soft, deux rapports pratiques à la montagne 223
Petits héros de la grimpe et de la glisse 223
Le touriste aménageur et protecteur 225
Les représentations fantastiques de la montagne 227
Contradictions et compromis 229
La rationalité et ses effets indésirables 231
Euphémisation et consommation par procuration 234

CONCLUSION: MONTAGNE, IMAGINAIRE, SYMBOLE 237


Motivation du signe et imaginaire éternel 237
Système signifiant: imaginaire social et politique 238
L'imaginaire, point de vue transversal 241
Le mythe est mort. Vive le mythe! 243
NOTES 247
BIBLIOGRAPHIE DES OUVRAGES CITÉS 269
LISTE DES ILLUSTRATIONS 283
INDEX 284
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AVEC LES FILMS FOURNIS


CET OUVRAGE A ÉTÉ

ACHEVÉ D' IM PRIMER EN AVRIL 1992


SUR LES PRESSES .,l·~ DE L'IMPR IM ERIE
LIENHART & C" A -1\\"'" AUBENAS D'ARDÈCHE

DÉPOT LÉGAL : Avril 1992

N° 5574. Imprimé en France


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