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N OT E S
D U C E N T R E D E P RO S P E C T I V E
ET DE VEILLE SCIENTIFIQUE
n° 14
Normalisation,
construction de l’Europe
et mondialisation
éléments de réflexion
Jean-Pierre Galland
Sommaire
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
Bibliographie indicative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
ouvrages généraux
Les annexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
1 Annexe
Recherches sur la normalisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
2 Annexe
Présentation du numéro 95 des Annales des Ponts et Chaussées . . . . . . . . . . . . . . . . 33
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Introduction
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Normalisation technique,
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encadré ■ 1
« Le 30 Août 1785, Thomas Jefferson, futur Président des Etats-Unis et pour l’heure ministre plénipotentiaire à Paris, signa-
le dans sa correspondance un procédé de fabrication de fusils dont il a entendu parler et qui, pense-t-il, pourrait intéresser
la jeune République d’outre-Atlantique » : ce procédé consiste à fabriquer une pièce si exactement identique aux autres que
chacune peut être utilisée au montage de n’importe quel fusil. Le gouvernement français a étudié et approuvé cette métho-
de : actuellement, on construit une importante manufacture pour son application. L’inventeur a déjà dessiné la platine mais
il continue ses plans. Pensant à l’utilité de cette invention pour les Etats-Unis, je suis allé visiter l’atelier. On m’a présenté
50 platines en pièces détachées : j’en ai monté plusieurs moi-même, en choisissant les pièces au hasard et elles se mon-
tèrent à la perfection. L’inventeur pense qu’en plus des avantages évidents en cas de réparation, son procédé permettrait
de fabriquer des fusils à un prix inférieur à 2 livres au prix actuel ; mais il faut compter deux à trois ans avant qu’il ne puis-
se commencer à fournir »1.
L’essentiel de la « protohistoire de la normalisation »2 est dit dans cette aventure de Jefferson : le moment, - nous sommes
à la fin du XVIIIe siècle, c’est à dire aux débuts de l’industrialisation en Occident ; le contexte, - l’innovation décrite va d’abord
être mise en œuvre à des fins militaires ; le périmètre immédiat de cette mise en œuvre,- nous ne sortons pas (encore) de
la manufacture : les pièces imaginées par notre inventeur sont toutes fabriquées et assemblées sur place.
La plupart des « historiens de la normalisation » s’accordent sur le fait que « le mouvement commença par quelques évé-
nements précurseurs. Au milieu du XVIIIe siècle, l’énorme puissance des bouches à feu appela le recours aux formes les plus
avancées de l’art de l’ingénieur : de 1764 à 1788, Gribeauval publia ses Tables de construction des principaux attirails de
l’artillerie, où l’on trouvait déjà les principes généraux d’interchangeabilité des éléments mécaniques »3.
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sion écologiste, d’autres séries (ISO 14000) nationaux le soin de vérifier la conformité des
axées cette fois sur la préservation de l’envi- produits à ces exigences essentielles.
ronnement se développent rapidement, pour La mise en place de cette nouvelle approche,
des raisons en partie similaires à la série ISO qui s’effectue domaine par domaine constitue
900015. un travail considérable et complexe pour les
organismes de normalisation européens et
Pour la plupart des observateurs, cette inflation nationaux ; de par le contexte directement poli-
normative - d’autres normes (ISO 45 000) tique sur lequel cette démarche s’appuie, c’est
sont, par exemple, destinées à « certifier les un processus unique au monde actuel, qui est
certificateurs » - est liée à la mondialisation des loin d’être achevé.
échanges : les échanges inter-entreprises, de
même que les liens entre producteurs de biens Phase 7 (XXIe siècle)
(voire peut être bientôt de services) et consom- Recomposition ?
mateurs finaux, sont de plus en plus déterrito- A l’aube du XXIe siècle, on ne peut que consta-
rialisés et dépersonnalisés ; d’où la nécessité, ter, dans l’ensemble du champ de l’industrie et
pour les entreprises, de restaurer une certaine des services, dans les grandes entreprises, les
confiance dans les rapports commerciaux16. PME, et même maintenant dans certaines col-
lectivités locales, la montée en puissance et la
Phase 6-2 diversification de la normalisation.
La Nouvelle Approche
européenne17 Les séries de normes en cours risquent fort de
Parallèlement, les années 80 sont marquées continuer à se développer : les normes ISO
par un changement stratégique dans le travail 9000 (qualité) sont en cours de réécriture, les
entrepris déjà depuis plusieurs décennies, de normes ISO 14000 (environnement) gagnent
normalisation européenne, dans le but poli- de nouveaux domaines, on parle d’une « nou-
tique de la création d’un grand marché unique. velle série » OHSAS 18001 s’inspirant du
Le poids des normes nationales avait été rapi- guide anglais BS 8800 destiné à être un réfé-
dement considéré comme susceptible d’entra- rentiel de certification de systèmes de mana-
ver les échanges au sein de l’Union, mais il gement de la sécurité et de la santé au tra-
était vite apparu de grandes difficultés à une vail... en cours de discussion également une
harmonisation forcée et par le « haut » des transposition de la directive Sévéso II en
divers systèmes normatifs nationaux. Après un termes de normes (nouvelles) de gestion des
certain nombre d’échecs en ce sens, la Com- risques technologiques.
mission Européenne adoptait une démarche ori-
ginale, calquée d’une certaine manière sur son Et pendant que se développent ces normes
projet politique (subsidiarité) : avec la Nou- d’un nouveau type, la normalisation ancienne
15 Thomas Reverdy,
L’environnement industriel,
velle Approche (1985), la Commission se manière (compatibilité, standardisation,...)
Un nouvel espace pour la normalisation ?, contente d’exiger, domaine par domaine, pro- continue. La question de l’interopérabilité des
Réglementation, normalisation, et innovation,
Annales des ponts et chaussées n°95, 2000. duit par produit, qu’un certain nombre « d’exi- réseaux, de chemin de fer par exemple, fait
16 Hervé Penan, Hervé Mignot,
« Négociation des normes contractuelles : gences essentielles » axées surtout sur la sécu- l’objet d’un travail intense. Mais peut être ces
la gestion du risque normatif »,
Annales des ponts et chaussées, op. cit.
rité et la santé du consommateur soient res- actions de normalisation « ancienne manière »
17 Cette partie est développée
pectées pour l’organisation du marché intérieur sont elles globalement moins nécessaires de
dans le texte ci-joint
« L’Europe et la normalisation technique ». européen. Mais elle laisse aux organismes nos jours, d’une part à cause du travail déjà
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effectué sur ces sujets dans le passé, et d’autre sécurité du consommateur (plutôt portées par
part du fait du regroupement et de la concen- la normalisation européenne) croisent les exi-
tration actuels des entreprises. gences de qualité (normes ISO 9000), voire
Dans d’autres secteurs (Nouvelles technologies de pour partie les exigences de respect de l’envi-
l’information et de la communication) et s’agis- ronnement. Bon nombre d’industriels clament
sant d’entreprises d’emblée quasi mondiales, les en tout cas que les audits destinés à faire fonc-
processus de normalisation échappent très large- tionner ces divers systèmes normatifs sont lar-
ment aux instances de concertation dont on a vu gement redondants.
la lente montée en puissance lors du XXe siècle :
Microsoft par exemple impose au monde ses L’inflation normative va t ‘elle se recanaliser
« normes de fait » tant qu’il n’est pas confronté sous cette tendance ? Le système normatif lui-
en tout cas aux lois « antitrust ». De manière même va t ‘il se normaliser, c’est à dire, pour
générale, « la normalisation des TIC se fait le plus reprendre la définition même de la norme citée
souvent en dehors du cadre officiel »18. en début de ce texte, se simplifier, s’unifier, se
re-spécifier différemment ?
Il est bien sûr extrêmement difficile, à partir
d’un paysage aussi complexe et aussi évolutif, La question est ouverte mais sans doute loin
d’avoir quelque vision prospective de l’évolu- d’être tranchée dans le sens souhaité par les
tion des systèmes normatifs, pour les années seuls industriels européens (les industriels
ou décennies à venir. américains n’apprécient pas, par exemple,
que les européens tentent de rapprocher nor-
Devant l’inflation normative qui a caractérisé malisation européenne et internationale20). Il
la fin du siècle dernier, un seul constat semble n’est pas évident non plus que ces rapproche-
clair : du côté des industriels (européens), on ments, qui auraient sans doute tendance à
note une volonté de grouper au maximum renforcer les pouvoirs des seuls industriels
les divers systèmes normatifs « modernes » (plus de normes négociées entre eux, et
(qualité, sécurité, environnement) dans une moins de réglementations diverses impo-
approche générale « système de sées), satisfassent totalement les consomma-
management »19. De fait, les exigences de teurs ou les politiques.
2 ■ Constats et questions
L’histoire très schématisée de la normalisation consommateurs. Une variation quasi-infinitési- 18 Richard Hawkins,
« Vers une évolution ou vers une disparition de
résumée ci-dessus amène à formuler un certain male dans tel ou tel seuil quantitatif imposé de la « démocratie technique » ? L’avenir de la
nombre de constats et de questions : fait par une norme internationale (qualité de normalisation dans le domaine des TIC »,
La fabrication des normes,
• d’une part, et ceci est une banalité qu’il faut l’eau par exemple) est susceptible de donner Réseaux n° 102, 2000.
19 Christian Maillard,
néanmoins rappeler, la normalisation, c’est à lieu à la fois à une redistribution notable des « L’approche système de management »,
Préventique n°49, janvier-fevrier 2000.
dire l’élaboration elle-même des normes, contraintes entre les autorités publiques concer- Alain Perroy, « qualité-sécurité-
constitue désormais et sans doute de plus en nées et à un déplacement des marchés entre environnement : quels systèmes de manage-
ment ? », Enjeux n°200, op .cit.
plus un enjeu d’une formidable importance à la les entreprises du secteur. 20 Belinda L. Collins,
« Une infrastructure normative pour l’avenir »,
fois pour les industriels, les Etats, et les • en second lieu, et parce que justement l’éla- Enjeux n°200, op. cit.
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boration des normes constitue à chaque fois un à vis de la mobilisation de certaines formes
enjeu entre, pour schématiser, les sphères d’expertise liées à la normalisation européen-
publique, privée, et la « société civile », la nor- ne : ainsi les laboratoires publics ou privés,
malisation constitue en elle-même, et de plus dans les divers pays composant la CEE, qui sont
en plus, un mode particulier de régulation des en charge, dans tel ou tel domaine, d’attester
rapports entre ces trois sphères. que tel ou tel produit ou procédé est bien
• les questions qui se posent avec le plus conforme à une norme européenne donnée,
d’acuité concernent en fait le rôle des autorités sont en compétition les uns par rapport aux
publiques et singulièrement des Etats (et de autres sur ce marché, nouveau, de l’accrédita-
leurs représentants) dans cette régulation. Jus- tion. Ils sont donc à la fois gardiens de la sécu-
qu’à une période relativement récente, le rôle rité, en ce sens qu’ils « travaillent pour
des instances de normalisation nationales Bruxelles » et pour le bien général des consom-
créées au début du XXe siècle résidait essentiel- mateurs, et acteurs concurrents d’un marché
lement dans la mise au point de normes natio- dont les règles sont complexes ; cette double
nales et dans la défense des intérêts des indus- position n’étant pas sans contradictions21.
triels nationaux (et par là des économies natio-
nales) lors de la mise au point de normes inter- Sur le deuxième registre (mondialisation),
nationales. L’édification de l’Europe d’une part, on peut douter, désormais, que la défense des
et la mondialisation de l’économie d’autre part, intérêts des entreprises « nationales », en tout
qui s’accompagnent donc d’une prolifération cas des plus importantes d’entre elles, serve
normative, changent les données du problème automatiquement au développement des éco-
et affectent les missions des divers représen- nomies nationales. Les entreprises à taille mon-
tants des Etats dans les multiples organismes de diale sont de moins en moins liées aux Etats à
normalisation. partir desquels elles ont historiquement com-
mencé à se développer, et les fusions-acquisi-
Le rôle des autorités officielles tions, la diversification et l’internationalisation
(et des experts) de la normalisation de l’actionnariat contribuent de plus en plus à
Sur le premier registre (construction de l’Eu- couper les liens entre entreprises et Etats : « Il
rope), l’objectif politique de la normalisation y a eu séparation de l’Eglise et de l’Etat à l’au-
européenne est de faciliter la construction d’un be du XXe siècle ; en ce début de XXIe siècle,
« marché intérieur » (à l’Europe) . D’une cer- on assiste à la séparation de l’entreprise et de
taine manière, il s’agit de refaire à l’échelon l’Etat »22. Dans ces conditions, le rôle des
européen ce que chaque pays avait tenté de autorités nationales, publiques ou semi
faire à l’échelle de son propre territoire, pendant publiques, au sein des instances de normalisa-
une bonne partie du XXe siècle. Mais cette géné- tion internationales, est pour le moins réinter-
21 Emmanuel Kessous, ralisation est plus complexe de part les difficultés rogé : alors qu’il y a peu il allait encore de soi
« L’objectivation des qualités industrielles
en discussion ; les acteurs du marché
de confrontation des divers intérêts nationaux que, sous réserves d’un certain nombre de cri-
européen confrontés à l’élaboration plus ou moins stabilisés avec un « intérêt euro- tères proprement scientifiques, il était civique-
de normes communes »,
in La fabrication des normes, péen » qui serait d’un ordre supérieur. ment juste de favoriser, au plan international,
Réseaux n°102, 2000.
22 Patrice Zygband, l’édification des normes qui avaient la préfé-
directeur général d’A.T Kearney,
cité par Martine Royo : « La fin du champion
Par ailleurs, la fragilité politique et la complexi- rence de nos grands industriels nationaux, ce
national ; le couple nation-entreprise en té institutionnelle qui président à l’édification mode de légitimation de l’expertise en matière
instance de divorce »,
Les Echos, 4 octobre 2000. de l’Europe ne sont pas sans conséquences vis de normalisation devient maintenant probléma-
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tique. Il n’est plus évident que l’avantage procédures d’assurance qualité précédemment
concurrentiel obtenu par telle ou telle entrepri- développées, s’ouvrent vers la certification du
se par ce biais profite en retour (en termes service qui porte essentiellement sur le résultat
d’emplois créés par exemple) au pays dont la obtenu par le client, et correspond à un enga-
dite entreprise est historiquement originelle car gement officiel de l’entreprise sur le niveau de
la question des relations entre rayonnement service offert, dans le cadre d’un référentiel de
des entreprises et prospérité des Etats (ou de certification négocié entre l’entreprise, l’autori-
collectivités publiques de niveau inférieur) se té organisatrice, et les représentants des voya-
pose maintenant de manière différente : « Les geurs24.
entreprises se déconnectent de plus en plus de
leur pays d’origine. Et rien ne sert d’invoquer On peut certes voir un progrès dans cette
leur civisme car elles ont besoin de survivre bataille généralisée pour et par la qualité (et sa
dans un environnement de plus en plus concur- reconnaissance officielle) qui semble devoir se
rentiel. L’important pour une nation n’est donc développer et concerner désormais tant les
plus d’offrir à ses grands groupes industriels entreprises25 que les collectivités publiques, les
nationaux aides à la création d’emplois ou cré- services, et finalement peut être l’ensemble
dits à l’exportation bonifiés, c’est de pouvoir des activités humaines. Les entités dûment cer-
attirer les entreprises de toutes nationalités par tifiées fourniront sans aucun doute de
la qualité de ses équipements collectifs et la meilleurs produits, services, un meilleur envi-
matière grise de sa population active »23. ronnement que celles qui ne le seront pas,
pour le plus grand bénéfice des consomma-
La question de la « qualité » teurs ou usagers qui dépendront ou seront les
Avec cette dernière sentence, la notion de clients de ces entités « vertueuses ». Mais la
« qualité » est curieusement utilisée, d’une question, pour l’ensemble des Etats natio-
certaine manière, à front renversé : pour les naux, sera aussi d’évaluer dans quelle mesu-
Etats, l’important ne serait plus tant que « ses re la mise en place progressive de ces procé-
entreprises nationales » se développent à partir dures tire l’ensemble du territoire vers le
de son sol en exportant des produits de « qua- « haut », ou fabrique de nouveaux laissés-
lité » certifiés éventuellement comme tel par pour-compte26 dans ce qui ressemble large-
les diverses instances de normalisation, mais ment pour l’heure à une compétition par l’ac-
plutôt, pour schématiser, que de nouvelles créditation. Pour l’instant, « il faut bien
entreprises « nomades » s’implantent sur son admettre qu’une analyse de la normalisation
territoire en raison de la qualité de l’environne- au niveau macroéconomique est pour le
ment qu’elles y trouvent, environnement tant moins ardue. Il est difficile d’envisager une
physique qu’en termes de main d’œuvre dispo- problématique macroéconomique typique 23 Martine Royo, ibid.
24 Philippe Peronnet,
nible. Certaines collectivités locales ont telle que : « Une normalisation accrue aug- « La certification de la qualité de service
d’ailleurs bien compris cette évolution et se lan- mente t’elle les performances économiques des transports de voyageurs »,
TEC n° 161, septembre-octobre 2000.
cent, en partie pour ces raisons, dans des pro- d’un pays ou d’une région ? ». Il est en 25 Denis Segrestin,
« La normalisation de la qualité et l’évolution
cédures de certification environnementale, par effet difficile d’établir une corrélation entre de la relation de production »,
Réalités industrielles n°75, 1996.
exemple sur la chaîne de traitement de leurs l’ensemble des normes existantes et les per- 26 au sens de Luc Boltanski et Eve Chiapello,
déchets ménagers ; de même que certains ser- formances économiques, sauf à utiliser des Le nouvel esprit du capitalisme,
Gallimard, 1999.
vices de transport de voyageurs, à partir des paramètres strictement définis »27. ■ 27 Richard Hawkins, op. cit.
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Conclusion
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rapides de « boycott » de certains produits, ou bureaucratique et rares sont les non initiés qui
par des recours juridiques de toutes natures se sont aventurés dans ce dédale pour tenter
exploitant d’ailleurs le foisonnement chaotique d’en saisir le sens. La petite bibliographie indi-
des normes et réglementations en vigueur, la quée en annexe de ce texte témoigne toutefois
« société civile » contribue elle aussi et à sa d’une légère inflexion, récente en France, du
manière, en exploitant essentiellement les paradoxe qu’avait formulé le sociologue améri-
thèmes de la sécurité et de la santé, à la régu- cain Marc Olshan en 1993 : « le fonctionne-
lation des échanges. ment des institutions de normalisation et leurs
luttes pour la fixation des normes n’a pas attiré
Reste néanmoins, pour revenir aux questions l’attention des sociologues, alors qu’il constitue
de normalisation stricto sensu, la grande ques- à l’évidence l’un des processus de rationalisation
tion du rôle, et de la nécessaire clarification et sociétale les plus puissants qui puissent
peut être reconfiguration du rôle des instances exister »31. Souhaitons que ce léger et tardif
traditionnelles de normalisation, aux diverses renfort de spécialistes de sciences humaines soit
échelles ou celle-ci s’opérationnalise. L’objectif de nature à amener sur le devant de la scène un
de la construction européenne et la mondialisa- des débats les plus importants des décennies à
tion de l’économie ont sans conteste possible venir : après tout, la norme est un bien collectif32
complexifié les modes de légitimation de ces et il est tout à fait important que ceux qui sont
instances et brouillé le rôle des divers experts chargés de l’élaborer deviennent peu à peu
(notamment ceux qui sont issus de la sphère capables, malgré les difficultés de traduction, de
publique) en charge de ces problèmes. Au rendre des comptes intelligibles aux collectifs qu’ils
moment où ces fonctions semblent plus problé- représentent. En un mot, et pour schématiser un
31 citépar Benoît Lelong et Alexandre Mallard,
La fabrication des normes, « Présentation »,
matiques, et dans le but d’une mise à plat salu- programme ambitieux, il s’agirait de passer pro-
in Réseaux n°102, op. cit.
32 Danièle Benezech,
taire, il est temps de lever le voile qui tradi- gressivement d’un fonctionnement traditionnel des
La norme : une convention structurant tionnellement - et sans que la faute puisse en instances de normalisation, largement dominées
les interrelations technologiques et
industrielles, in Normalisation et organisation être attribuée à quiconque - entoure le fonc- jusqu’ici par le modèle de la « diplomatie tech-
de l’industrie, numéro spécial de
La Revue d’Economie Industrielle, n°75, 1996.
tionnement même des institutions de normali- nique », au profit d’un fonctionnement plus ouvert
33 Richard Hawkins,
sation. Aux yeux des « profanes », ce fonc- et plus transparent correspondant à un modèle à
« Vers une évolution ou vers une disparition de
la « démocratie technique » ? », op. cit. tionnement apparaît en effet complexe et inventer, de « démocratie technique »33. ■
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Bibliographie indicative
ouvrages généraux
■ La normalisation technique
Culture technique n°29,
Editions CRCT, 1994.
■ La normalisation
Jacques Igalens et Hervé Penan,
Que sais-je ? n° 1984, PUF, 1994.
■ La certification
Alain Couret, Jacques Igalens, Hervé Penan,
Que sais-je ? n°3006, PUF, 1995.
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créé en 1928). La question fondamentale alors, sur Suivant les domaines, suivant l’état des mar-
fond de production industrielle mécanisée, est celle chés, suivant les rapports de forces, les divers
de la compatibilité des produits. Il y avait eu beau- produits sont effectivement plus ou moins deve-
coup de discussions et d’innovations par exemple, nus « standard ». Mais parfois, souvent, la
au siècle précédent, sur la normalisation, au sens de normalisation est restée nationale, de sorte que
standardisation, des filetages: il fallait que vis et bou- chaque pays disposait de son ou de ses stan-
lons soient suffisamment normalisés pour être com- dards (écartement des voies de chemin de fer,
patibles et interchangeables1. prises électriques, ...).
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Le point important est le suivant: plutôt que de d’élaborer les spécifications techniques dont
chercher désespérément, dans tel ou tel secteur, les professionnels ont besoin pour produire
à harmoniser l’ensemble des spécifications tech- et mettre sur le marché des produits
niques émanent de l‘ensemble des pays conformes aux exigences essentielles fixées
membres, il s’agit désormais d’établir, secteur par les directives,
par secteur, une véritable législation de sécurité • aucun caractère obligatoire n’est attribué à
qui, de par la séparation entre « exigences essen- ces spécifications techniques, qui conservent
tielles » et spécifications techniques, implique que leur statut de normes volontaires,
les directives européennes soient exprimées en • mais, en même temps, les administrations
termes de performances et non plus en termes de sont obligées de reconnaître aux produits fabri-
spécifications détaillées de fabrication. qués conformément aux normes harmonisées
(ou, à titre provisoire, à des normes nationales)
Les directives européennes se contenteront donc une présomption de conformité aux » exigences
désormais, secteur par secteur, de décrire et de essentielles « établies par la directive (ce qui
promulguer ces « exigences essentielles » signifie que le producteur a la faculté de ne pas
auxquelles les produits devront donc répondre, fabriquer conformément aux normes, mais que,
mais ceci sans pour autant intervenir dans les dans ce cas, la charge de la preuve de la confor-
questions ou problèmes techniques soulevés par mité de ses produits avec les exigences essen-
cette obligation; le résultat, l’objectif affichés tielles de la directive lui incombe).
priment et se détachent des moyens d’atteindre
ces objectif ou résultat. Pour que ce système fonctionne, il faut :
• d’une part que les normes présentent des
Ainsi, la « Résolution du Conseil du 7 mai garanties de qualité eu égard aux « exigences
1985 concernant une nouvelle approche en essentielles » établies par les directives,
matière d’harmonisation technique et de nor- • d’autre part que les autorités publiques
malisation » rend compte dans son annexe 2 maintiennent intacte leur responsabilité en ce
de cette évolution : qui concerne la protection de la sécurité (ou
« Les quatre principes fondateurs sur lesquels d’autres exigences visées) sur leur territoire.
repose la nouvelle approche sont les suivants : …
• l’harmonisation législative est limitée à En suivant ce système d’harmonisation législa-
l’adoption, par des directives fondées sur l’article tive dans tous les domaines où cela sera pos-
100 du traité CEE, des exigences essentielles de sible, la Commission entend pouvoir ainsi arrê-
sécurité (ou d’autres exigences d’intérêt collec- ter la prolifération de directives particulières
tif) auxquels doivent correspondre les produits excessivement techniques, produit par produit.
mis sur le marché, et qui de ce fait doivent béné- Le champ d’application des directives suivant
ficier de la libre circulation dans la Communauté, la formule » renvoi aux normes « devra en
5 Dans le JO des Communautés européennes
• aux organes compétents en matière de nor- effet être défini par5 de larges catégories de n° C 136 (4/06/85)
malisation industrielle est confiée la tâche, en produits et par les types de risques qu’elles qui rend compte de la Résolution longuement
citée ici, il est écrit « par » (2 fois) :
tenant compte de l’état de la technologie, doivent couvrir ». je pense qu’il faut remplacer par « pour ».
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Les « exigences essentielles » pour les jouets On le voit à travers cet exemple, les exigences
sont précisées dans l’annexe 2 de la Directive. essentielles sont quasi exclusivement descrip-
Nombre d’entre elles sont également d’une tives et d’ordre qualitatif (on trouve néanmoins
platitude affligeante pour qui cherche un mini- quelques rares chiffres fixant certains seuils
mum de technicité dans ces documents. Dans dans l’annexe 2 de la Directive « jouets ») ;
le chapitre « risques particuliers », chapitre elles traduisent, en tout cas à ce niveau, une
qui, en tout état de cause, devrait quand même approche avant tout juridique, à partir du souci
être plus précis que le point « principes géné- de la protection du consommateur, de ces ques-
raux » qui le précède, on trouve, au titre des tions de normalisation ou d’harmonisation
exigences essentielles nécessaires du point de européennes.
vue par exemple des propriétés physiques et
mécaniques des jouets, les idées suivantes: La normalisation, selon Emmanuel Kessous6,
« Les jouets et leurs pièces, ainsi que leurs fixa- devient ce faisant un mécanisme de régula-
tions dans le cas de jouets montés, doivent tion procédural, à partir duquel sont rebattues
avoir la résistance mécanique et, le cas échéant, les cartes des rapports entre les divers acteurs
la stabilité requises pour résister aux contraintes de la normalisation, industriels et experts,
6 Emmanuel Kessous,
Le marché et la sécurité ; la prévention
auxquels ils sont soumis lors de leur utilisation organismes de certification nationaux
des risques et la normalisation des qualités sans se briser ou être capables de se déformer type AFNOR dont le rôle est transformé au
dans le marché unique européen,
Thèse de Doctorat, EHESS, Octobre 1997. au risque de provoquer des blessures ». De passage, autorités publiques, associations
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Exigences essentielles de la directive produits de construction : quelles inplications pour la recherche ?
Datée du 21 décembre 1988, la directive « produits de construction » a été l’une des premières mesures techniques de la
Communauté Européenne destinées à lever les obstacles des échanges à l’intérieur du grand marché européen et à faciliter
ainsi la libre circulation des produits. Elle oglige les Etats membres à respecter les exigences essentielles concernant :
• la résistance mécanique et la stabilité des ouvrages (EE.1) ;
• la sécurité en cas d’incendie (EE.2) ;
• l’hygiène, la santé et l’en vironnement (EE.3) ;
• la sécurité d’utilisation (EE.4) ;
• la protection contre le bruit (EE.5) ;
• et enfin les économies d’énergie et l’isolation thermique.
En introduisant un niveau suplémentaire dans le système normatif, la directive « produits de construction » a sensiblement
modifié le jeu des acteurs nationaux et participe à l’apparition de produits nouveaux, en sucitant la recherche et l’innovation.
Parmi ces recherches en amont, nécessaires à la délivrance des agréments ou à l’élaboration des normes en discussion, on
peut citer, par exemple :
• des recherches sur la toxicité des substances nouvelles ou anciennes en relation avec des besoins nouveaux de la régle-
mentation (fibres d’amiante, formaldéhyde, radon, etc.) ;
• celles liées aux problèmes de qualité de l’air à l’extérieur des bâtiments, l’ingénierie du feu dans la construction, le
contrôle de l’énergie ;
• celles enfin liées au développement des réseaux de communication et d’échanges d’information, de données structurées, etc.
Il s’agit aussi de mener des actions en parallèle du type recherche prénormative lorsque les bases scientifiques disponibles
sont manifestement trop faibles ; l’identification en a été organisée à différents niveaux :
• sous l’impulsion des Services de la Commission eurppéenne au niveau des groupes mis en place pour élaborer les docu-
ments interprétatifs déjà cités ;
• également, dans les Comités techniques du CEN travaillant dans le secteur de la construction pour les normes dont les
travaux se trouvaient de ce fait bloqués ;
• au niveau de l’ENBRI (European Network of Building Research Institut) qui regroupe dans cette association les centres
de recherche nationaux et prolonge ainsi les liens qui existent à ce sujet au niveau national.
de consommateurs, et juristes. Et ce sont ces A coup sûr en tout cas, la « nouvelle approche »
derniers qui, le cas échéant, viennent inter- en matière de normalisation européenne consti-
préter les déviances par rapport à ces nou- tue une figure inédite des rapports entre Etats,
velles « normes » et en modifient sensible- Europe en construction, et sociétés civiles : c’est
ment ce faisant la signification, par l’ajout de la raison, essentielle, pour laquelle cette innova-
la jurisprudence. tion mérite toute notre attention. ■
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Annexes
1
Annexe
Recherches sur la normalisation récemment publiées par
le Centre de Prospective et de Veille Scientifique de la DRAST
2
Annexe
Présentation du Numéro des Annales des Ponts et Chaussées
consacré à la normalisation (n° 95, juillet-septembre 2000)
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Annexe 1
Résumé
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mentation plus partenariaux et recherchant des tions de recherche et d’intervention sur le ter-
synergies public-privé soit traditionnellement rain malgré la décentralisation et l’évolution du
(comme aux Pays-Bas) ; soit dans le cadre statut des opérateurs ; tension entre la nécessi-
d’évolutions politiques plus récentes (autres- té de garder une capacité technique forte chez
pays). Les traits caractéristiques à chaque pays les donneurs d’ordre et les responsables publics,
sont très sommairement les suivants : et l’évolution vers une plus grande mise en
concurrence Etat/collectivités territoriales et
Modèle allemand (mots clefs) public/privé dans la mise en œuvre concrète de
Maîtrise par le niveau fédéral des réglementa- la réglementation technique et de son contrôle.
tions fondamentales ; délégation aux Lander
des applications, avec des marges de 2 ■ Cependant, des évolutions externes et internes communes
manœuvre importantes ; double recherche de aux pays étudiés bouleversent les modèles traditionnels, et
consensus entre les Bund et les Lander avec le conduisent a des modeles de normalisation plus cooperatifs
secteur privé ; mais prolifération de textes et On constate trois tendances communes :
encore forte présence de l’Etat fédéral, comme Une évolution vers la décentralisation
d’ailleurs dans les modèles ci-dessous. et/ou la, déconcentration. Il faut traiter les
problèmes plus près du terrain. Plus la norme
Modèle néerlandais est imposée par le haut , plus cela conduit à
La réglementation s’amorce et se développe à des adaptations fortes ou des dérogations au
partir de l’Etat central, mais il y a une tradition niveau du terrain. Ce constat conduit, en réac-
de dialogue et de coopération quotidienne avec tion, aux deux adaptations suivantes :
le secteur privé. Seules au niveau local les • la nécessité de définir des réglementations
grandes villes peuvent s’inscrire dans ce dia- en référence à des situations concrètes de ter-
logue, qui cependant intègre fortement le rain et non « in abstracto » - de ce point de vue
recours aux bureaux d’étude et aux organisa- le pragmatisme hollandais est un modèle ;
tions d’économie mixte ou professionnelles ; • la complexification des relations entre l’Etat
central et les collectivités territoriales dans l’ap-
Modèle anglais plication des différents règlements émis par
Forte présence de l’Etat central en matière de l’un ou les autres, sans toujours vérification de
cadrage de la réglementation, mais mouve- leur compatibilité.
ment récent de dérégulation et de privatisation
rapide et, d’une certaine façon, « sauvage », La France semble le seul pays où la dévolution
des organismes compétents. de compétences aux collectivités territoriales ne
s’accompagne pas de la possibilité pour celles-ci
Modèle espagnol de dialoguer directement avec le secteur privé.
Recherche d’un nouveau partage de compé-
tences entre l’Etat central (santé, sécurité ; des La recherche d’un nouvel équilibre entre sec-
laboratoires pilotes) et les communautés auto- teur public et secteur privé. Ceci se joue à
nomes (libres en fait d’ajouter des contraintes plusieurs niveaux :
spécifiques dans de nombreux domaines). • dans l’élaboration de la réglementation par
un accent mis sur la concertation ex ante.
Modèle français Celle-ci est quasi institutionnelle en Espagne et
Forte prééminence de l’Etat et de ses organisa- « proliférante » en Allemagne. Quelques comi-
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tés existent au Royaume-Uni mais de nom- (sur le principe et dans le vote des lois et la mise
breuses liaisons informelles existent entre les en place des « régulations » qui les traduisent
professions et les membres du Parlement, dans les faits) au Royaume-Uni.
comme une relation de dialogue technique. L’en- En Allemagne comme récemment en Espagne,
jeu de la relation avec les professionnels se ren- le contexte est cependant différent. Il ne s’agit
force au moment où de nouvelles normes, euro- pas de privatiser à tout prix mais de rechercher
péennes, se mettent en place (cf ci-dessous). un nouvel équilibre entre une fonction régle-
mentaire de l’Etat d’une part, des organismes
• dans la dévolution, quasi-générale, des fonc- publics au recours nécessaire par ailleurs ; et la
tions estimées comme non régaliennes de l’Etat, mise en compétition de tâches qui peuvent être
à des organisations à statut quasi-privé ou privé, exercées tant par des organismes publics ou
même si leur capital reste bien souvent public. semi-publics que privés. Cet équilibre semble
L’Etat refuse désormais que certains de ses ser- avoir été trouvé aux Pays-Bas depuis long-
vices puissent faire une « concurrence déloyale » temps. En Allemagne, cela dépend des Lan-
au secteur privé. En Espagne comme au Royau- ders. Au Royaume-Uni, l’Etat central garde une
me-Uni, aux Pays-Bas, voire en Allemagne, des position dominante sur la réglementation tech-
bureaux d’étude ou des organismes d’économie nique de base, même si on envisage de donner
mixte participent à l’élaboration des normes, de à de « grandes régions » des pouvoirs accrus.
la réglementation technique. Au niveau du contrô- En Espagne, où peut-être le pouvoir central a en
le de la réglementation ceci est encore plus net principe concédé de larges pouvoirs aux Com-
dans tous les pays analysés sauf aux Pays-Bas. munautés autonomes, on s’aperçoit que la plu-
part d’entre elles s’alignent sur la réglementa-
Au Royaume-Uni, de grands organismes tion proposée par les laboratoires centraux,
comme le BRE, le TRL et la Highways Agency sauf dans certains domaines (cf sismique en
ont été privatisés. La Highways Agency est Catalogne) où ces Communautés innovent,
passé d’un statut de service interne au Minis- mais alors cela intéresse le pouvoir central qui
tère à un statut d’agence publique. Ces orga- prend le relais pour envisager une extension sur
nismes vivaient principalement, voire exclusive- l’ensemble du territoire.
ment pour certains, de ressources publiques. Ils
sont actuellement mis en concurrence avec La prise en compte des nouvelles
d’autres laboratoires universitaires ou d’ingé- contraintes européennes
nierie et recherche privés. Le recours aux orga- Beaucoup, en France, ont pensé que le contexte
nismes privés s’accroît également en Espagne. « d’européanisation » lié au grand marché inté-
L’exemple de la Catalogne qui développe rieur conduirait à une production de normes nou-
sciemment une concurrence entre des labora- velles s’imposant aux Etats Membres de l’Union
toires publics qu’elle contrôle et des labora- que l’on pourrait traduire en droit national sans
toires extérieurs est à cet égard intéressant. changer fondamentalement le mode de produc-
tion traditionnel de la réglementation technique
On doit être extrêmement prudent lorsqu’on « à la française ». Si les avis divergent, il y a une
recherche les motivations et déterminants de ce très grande majorité tant en France qu’à l’étran-
rééquilibrage ou de cette évolution vers le privé, ger dans les experts interrogés pour estimer qu’il
dans les pays étudiés. D’aucuns y voient d’abord y aura au contraire un lien, voire un impact fort,
un point de vue idéologique libéral. Ceci a pu jouer des réglementations européennes sur la définition,
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la mise en œuvre, le contrôle des réglementations son ouvrage, selon les exigences en termes de
techniques nationales. Un expert nous a, par résultat posées ex ante par le commanditaire,
exemple, indiqué que la « directive ascenseur » mais est libre de choisir les façons, les techniques,
avait été pour lui, à cet égard, « une révélation », les plus adaptées pour remplir ces exigences.
mais bien d’autres directives interpellent les orga-
nismes techniques et entreprises concernés. La nouvelle donne européenne est considérée
dans tous les pays comme un bouleversement
A priori, il n’ y a rien de surprenant à cela pour majeur, probablement parce qu’elle bouscule les
des Etats membres qui ont accepté la mise en habitudes, et qu’elle organise la mise en concur-
place du grand marché intérieur. Celui-ci implique rence généralisée des opérateurs qui n’exercent
(cf arrêts de la Cour de Justice européenne) des pas de fonctions « régaliennes ». Une excep-
normes de protection de la santé et de la sécuri- tion : les Pays-Bas, qui semblent avoir intégré
té du consommateur et de l’usager qui sont com- déjà cette nouvelle donne du fait d’une coopéra-
munes aux Etats, mais postule aussi des formes tion public/privé très efficace sans pour autant
de reconnaissance mutuelle des normes édictées renoncer au prérogatives d’édiction des normes
par les Etats membres (pourquoi ce qui serait et réglementations techniques par l’Etat.
mauvais pour un italien, serait bon pour un alle-
mand et réciproquement ?). 3 ■ Face à ces modèles traditionnels « destabilises » voire
remis en cause, le modèle français doit adapter sa stratégie
Il est intéressant à cet égard de noter la difficulté et son action de terrain de façon nettement plus sélective
des allemands à considérer que leur système de Le réseau technique français est encore puis-
normalisation (DIN en particulier) doit évoluer en sant et efficace, mais les évolutions en cours
fonction de ces principes. Le système allemand risquent de faire de ses atouts des faiblesses.
est ainsi fait que la norme nationale se met en L’Etat a de plus en plus de mal, même lorsqu’il
place difficilement après une multitude de concer- le souhaite, à conserver sous son contrôle direct
tations entre l’Etat et les lânder, et avec les pro- - ou même entretenir à travers des modes de
fessionnels ; ce qui n’empêche pas que ce systè- privatisation qui se cherchent - l’ensemble des
me produise à l’excès de la norme au dire même laboratoires qui fondent l’excellence technique
des allemands. Malgré la puissance et la présen- française ; la question est de savoir ce qui doit
ce des allemands dans les Comités européens de être laissé au jeux du marché et de la concur-
normalisation, il est faiblement probable, pour rence, et ce qui doit être conservé (quel qu’en
cette raison en particulier, que l’Allemagne puisse soit le mode) sous le contrôle de l’Etat pour
imposer ses normes dans tous les domaines. En que soit maintenue une possibilité d’investir
outre, tant le système hollandais que le système dans les secteurs de Recherche-Développement-
allemand s’orientent plus vers la définition de Innovation qui conditionnent l’avenir. Ne fau-
normes en termes de résultats plus qu’en termes drait-il pas concentrer les crédits et les efforts là
de moyens, ce qui débouche sur la promotion de où ils sont indispensables (et où le secteur privé
« système exigenciel ». Il y a donc une évolution ne le fera pas). L’analyse faite dans cette
manifeste. Dans le système « exigenciel », le recherche plaide pour plus de sélectivité.
maître d’œuvre devient entièrement responsable
non seulement de l’exécution, mais aussi de la Il faut donc redéfinir ce qui doit nécessairement
conception et du contrôle. Le maître d’œuvre rester sous l’impulsion de l’Etat et à l’équilibre
devient entièrement responsable de la viabilité de à instaurer entre Etat et collectivités territoriales,
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Annexe 2
L a production de règlements et de
normes techniques est traditionnelle-
ment considérée comme une activité
austère et tatillonne, à l’opposé de la sphère
intensive et bouillonnante de l’innovation
également à favoriser l’innovation, cette fois
organisationnelle.
De plus en plus la question de la normalisation
et la place à accorder à cette activité, font par-
tie de la stratégie des entreprises et des pou-
technologique. voirs publics, dans le cadre de la compétition
L’objet de ce numéro des Annales des Ponts-et- libérale mondiale qui est celle d’aujourd’hui :
Chaussées est d’interroger et de remettre en depuis les normes « de fait » imposées par
cause cette image reçue et trop bien ancrée. certaines grandes multinationales au « lob-
D’un côté, la réglementation elle-même, pour bying » exercé à Bruxelles ou ailleurs en matiè-
coercitive qu’elle soit, ne peut pas être unique- re d’élaboration de normes, la normalisation
ment vue sous son aspect négatif, de frein à accompagne désormais l’innovation, beaucoup
l’innovation : le souci de la sécurité des consom- plus qu’elle ne s’y oppose.
mateurs ou usagers, la prise en compte pro- Les textes inclus dans ce numéro développent et
gressive des problèmes d’environnement, ont présentent certaines facettes des évolutions
sans conteste possible été à l’origine d’innova- récentes sur ces questions, soit de manière trans-
tions diverses de la part des industriels. versale et théorique, soit dans des domaines cir-
De l’autre côté, la production normative qui est conscrits (construction, eau). Ils donnent à voir
en plein essor dans la plupart des pays dévelop- l’hétérogénéité des situations entre divers sec-
pés depuis une vingtaine d’années a considéra- teurs, par rapport au jeu en « triangle », comme
blement évolué. Aux classiques normes de l’appelle Jean-Daniel Merlet, des rapports entre
moyens se substituent de plus en plus de normes normalisation, réglementation, et innovation. Et
de résultats (Nouvelle Approche Européenne l’article qui clôt le dossier, consacré à la sécurité
notamment) qui, par construction, permettent, routière, vient tempérer la force de la thèse défen-
suscitent même, des innovations multiples. due dans ce numéro des Annales : il faut quand
Aux normes de produits s’ajoutent désormais même encore, bien souvent, trop longtemps, pour
des normes de processus, ou des normes d’en- que le « triangle » en question fonctionne aux
treprises (assurance qualité), qui contribuent mieux des intérêts des consommateurs ou usagers.
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Sommaire
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L’environnement industriel :
un nouvel espace pour la normalisation ?
Thomas Reverdy (Maître de Conférences,
Université Pierre Mendès France, Grenoble)
• La préoccupation environnementale des
citoyens a eu pour conséquence de faire prendre
conscience aux industriels que le respect de l’en-
vironnement était indispensable à leur image de
marque donc à leur développement.
Documents
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Normalisation et innovation
par Hervé Penan
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La dynamique de l’innovation
suite de l’article « Normalisation et innovation »
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gressivement transformé pour tenir compte des toute l’Europe. Confortés par cet accord, les
attentes et des exigences des acteurs du réseau plus grands industriels européens du téléphone
dont fait partie l’entreprise, en un mot, pour les ont conçu et diffusé des produits basés sur la
intéresser. Il restitue l’ensemble fini des liens et norme GSM. En 1999, la GSM couvre plus du
des interactions qui s’établissent, se consoli- quart du marché mondial de la radiotéléphonie.
dent, se font et se défont entre les clients Cet exemple illustre clairement les liens entre
potentiels, les acteurs institutionnels, l’entrepri- normalisation et innovation : la construction et
se et ses concurrents. De cette expérimentation l’adoption d’une norme génère la création et la
collective naît une stratégie commune pour sou- diffusion de nouveaux produits qui en exploi-
tenir un ou plusieurs projets communs de tent toutes les fonctionnalités sur les marchés
normes dans le dispositif de normalisation européens et internationaux. La normalisation
national, européen ou international. fixe des objectifs à atteindre, laissant les entre-
prises innover et réaliser les solutions tech-
Le développement de la norme « global system niques nécessaires pour les atteindre. L’entre-
for mobile communications » (GSM) permet prise doit ainsi veiller à ce que tout projet de
d’illustrer la relation existant entre l’innovation recherche et développement s’inscrive dans la
technologique et la normalisation. Le GSM a normalisation existante, ses produits risquant
été créé en 1982 dans les laboratoires du d’être éliminés par ceux des concurrents mieux
centre national d’études des télécommunica- acceptés par le marché parce que mieux accor-
tions, par une équipe d’ingénieurs recherchant dés aux normes en vigueur. Cela est particuliè-
une norme de radiotéléphonie basée sur la rement vrai lorsque les produits en cause sont
transmission de signaux numériques, alors que exportés car, bien souvent, une solution éprou-
le radiotéléphone était encore inexistant à vée conforme à des normes connues est mieux
l’échelle européenne. Il est devenu une norme acceptée qu’une solution innovante sans réfé-
internationale en 1987, avec l’accord de rence normative. Pouvoir se prévaloir de la
Copenhague signé par treize pays qui l’ont conformité à une norme constitue un atout
retenue pour en faire la norme commune à commercial pour un produit innovant.
Temporalités
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les projets de normes à l’étude, mais sur la ristiques d’un produit en développement. Cette
manière dont se distribue un capital immatériel recherche peut encore concerner des éléments
dans un réseau d’innovation. S’intéresser aux de conception d’un produit n’existant pas enco-
normes en développement, c’est suivre les pro- re, à déterminer a priori, parmi plusieurs solu-
moteurs d’un projet d’innovation dans les tions techniques possibles. De même quand
alliances qu’ils concluent, la force des argu- plusieurs normes nationales sont en compéti-
ments qu’ils formalisent pour mettre les tion, la recherche pré-normative doit per-
normes de leur côté. Un dispositif d’intéresse- mettre de sélectionner les meilleures solu-
ment laisse des traces : la normalisation, en tions. Ainsi à une situation dans laquelle les
favorisant la circulation des éléments immaté- produits précédaient la norme, se substitue une
riels de l’entreprise dans son réseau, révèle le tendance inverse où la norme précède le pro-
lien entre son savoir-faire et les exigences du duit, avec lequel elle parvient ainsi simultané-
marché et par extension, rend lisibles ses pro- ment sur le marché.
jets d’innovation. C’est pourquoi la gestion des
projets de normalisation doit être intégrée à S’il est vrai que le point de départ historique de
celle des projets d’innovation. la normalisation est la recherche d’uniformisa-
tion et d’harmonisation d’objets techniques, elle
Cette intégration est en quelque sorte institu- constitue à l’évidence un facteur d’innovation
tionnalisée dans la notion de recherche pré- lorsqu’elle se limite à fixer des objectifs et laisse
normative. Dès novembre 1996, la Commis- un espace de liberté pour les moyens à mettre
sion européenne insistait sur une meilleure arti- en œuvre, ce qui est le cas par exemple des
culation entre l’établissement des normes et le normes d’assurance qualité. La normalisation
développement scientifique et technique. représente le versant positif des processus per-
L’Union Européenne la promeut au travers des manents de destruction de la diversité qui carac-
différents Programmes Communs de Recherche térise l’évolution technologique. Positif puisque
Développement et du programme STAR (Stan- sous de multiples aspects, la normalisation sou-
dardization and Research). De tels pro- tient la coordination et contribue puissamment à
grammes peuvent à titre d’exemple viser l’éta- l’infrastructure technologique des économies
blissement d’une méthode d’essai des caracté- modernes de production et d’échange.
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Directeur de la publication
Jacques Theys
Responsable du Centre de Prospective et de Veille Scientifique
Rédaction
Jean-Pierre Galland
Secrétariat de rédaction
Monique Cavagnara
Maquette et réalisation
Florence Lautié
Impression
SCOP-IDG ISSN 1263-2325