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Entretien avec SEBASTIEN LAPAQUE, auteur de BERNANOS ENCORE UNE FOIS - 2002

Parutions.com : À quelle occasion ou par quel hasard avez vous la première fois entendu la voix de Bernanos ?
Sébastien Lapaque : J’ai découvert par hasard La Liberté pourquoi faire ?, le dernier livre de Bernanos. Puis ce fut
Les Grands Cimetières sous la lune, c’est à dire le Bernanos « de gauche », antifasciste. J’ai alors remonté le fil de son
œuvre à l’envers, jusqu’au Bernanos nationaliste, ce qui sans doute m’a aidé a mieux comprendre la cohérence
de l’ensemble. De voir des gens considérer qu’il y a un vrai Bernanos de droite, catholique, et un traître, le Bernanos
démocrate, m’a décidé à écrire ce livre.
P.com: À quelle génération appartient Bernanos ?
SL : La génération de Bernanos a été formée au carrefour de trois influences : chrétienne, monarchiste et social-
syndicaliste, à savoir : Maurras, Péguy, Proudhon. La partie maurrassienne a été assez tôt élaguée, dès 1912 (après
l’infructueuse tentative de restauration monarchiste au Portugal). Le péguysme, c’est-à-dire le catholicisme mystique, il y
croit jusqu’au bout. Quand au social-syndicalisme proudhonien de sa jeunesse, Bernanos y restera toujours fidèle. On le
retrouve dans son mode de vie en Amérique latine, lorsqu’il fonde un phalanstère d’inspiration chrétienne.
P.com : Un portrait rapide de Bernanos se résumerait à un monarchiste catholique et un anticapitaliste. On n’est plus
habitué à la conjonction des deux…
SL : Après 1917, la pensée léniniste a réussi à imposer l’idée que l’anticapitalisme était de gauche. En réalité, Bernanos a
incarné une vieille tradition anticapitaliste chrétienne empruntant à Thomas d’Aquin, Bossuet, Bourdaloue (cf. Malheur aux
riches, anthologie présentée par Sébastien Lapaque, J'ai Lu), et qui est bien antérieure à celle des antimondialistes actuels.
Mais attention, Bernanos refuse non pas le capital, mais le fruit usuraire du capital.
P.com : Pour aller plus loin dans cette direction, Je voudrais que vous nous parliez de "l’esprit d’enfance", ce mot d’ordre de
Bernanos. Aujourd’hui, le mot "jeunesse" et son appendice "jeune" (bref, le jeunisme), sont omniprésents. Quelle différence?

SL : J’ai souvent réfléchi à ce point. Je pense que Bernanos aime vraiment l’enfance, qui est presque une pureté, et sans
doute une référence au baptême. Or, ce dont on parle aujourd’hui ce sont les adolescents, c-à-d à la fois une caricature
d’adulte et une caricature d’enfant. En fait, l’esprit d’enfance, c’est la pureté, la quête de l’origine, par opposition au jeunisme
qui est une synthèse de l’irresponsabilité de l’enfant et de la violence de l’adulte.
P.com : Dans le petit monde littéraire, on trouve généralement Bernanos suranné et un brin vulgaire. Pouvez-vous rappeler
la réception de Bernanos de son vivant ?
SL: Bernanos était en général très apprécié des écrivains de son temps – même de ceux avec lesquels il avait de violentes
polémiques, comme Mauriac et Claudel. Quand à son style… Il y a deux sortes d’écrivains : ceux du style, de l’écriture, et
ceux de la voix. Bernanos, c’est une voix ! Dans les années 30 en France, il y a une école de la ligne claire, comme
Chardonne, Giraudoux, Morand. Bernanos, c’est tout le contraire, puisqu’il est de la manière noire, comme Simenon, Céline,
Giono… ce qui les a d’ailleurs souvent fait accuser de vulgarité.
P.com : Point incontournable : l’antisémitisme de Bernanos.
SL : Cet antisémitisme correspond à l’anti-judaïsme chrétien, totalement théologique et absolument pas racial. Ce n’est
d’ailleurs pas un élément central ou obsessionnel chez Bernanos. Et, à partir du milieu des années 30, Bernanos en
comprend l’ambiguïté meurtrière, avant de le condamner. Ainsi à propos de Bagatelles pour un massacre (1938), il écrira :
"Cette fois-ci Céline s’est trompé d’urinoir."
P.com : Aujourd’hui la France de Saint Louis, de Jean-Marie Vianney et de Jeanne d’Arc – l’univers de Bernanos – sonne
disons, désuet. Alors, quel intérêt a-t-on à le lire ?
SL : Je me suis rendu compte que les gens qui m’ont parlé avec le plus d’enthousiasme de mon livre sont précisément ceux
qui sont les plus éloignés de cet univers. On retrouve chez Bernanos un formidable sens de la liberté, de l’intransigeance,
et une fascinante puissance d’arrachement aux préjugés de son milieu. Dénoncer les injustices des siens – ce qu’il a fait –
est autrement plus difficile que critiquer celles des autres. Autre point essentiel, son refus de la réciprocité, un peu sur
le mode de la lecture de l’Évangile par René Girard (Celui par qui le scandale arrive), est exceptionnel dans le contexte
de la Guerre d’Espagne : les exactions des communistes ne justifient pas celles des franquistes, tel est le message de
Bernanos. Tout cela est très moderne, et ses références lointaines n’empêchent pas aujourd’hui la réception de ses idées.
P.com : Vous avez suivi les traces de Bernanos en Amérique Latine, en quête de sa " France idéale". Cet exil volontaire
l’a-t-il conforté, ou rendu plus encore décalé ?
SL : Cet exil l’a beaucoup changé, lui a fait prendre toujours plus de distance par rapport aux droites françaises. Il a compris,
lui, le monarchiste, qu’il y avait de grandes pages impériales et républicaines françaises. Au Brésil, il s’est rendu compte que
la France était à la fois fille aînée de l’Eglise et héritière de 1789, il a compris toutes les dimensions de la France en en étant
physiquement éloigné. Bernanos a mieux compris la France dans les yeux des Brésiliens.

Propos recueillis par Vianney Delourme, mis en ligne le 21/05/2002

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