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Jean-Pierre Bayard
Qui se souvient encore aujourd'hui de Serge Hutin (né le 2 avril 1929 à Paris et mort
le 1er novembre 1997 à Prades, Pyrénées-Orientales) ?
Bien trop peu de monde malheureusement. Alors que pour moi il a été l'un des grands
érudits de la maçonnerie au 20ème siècle pour tout ce qui
concerne l'initiation, l'ésotérisme, la gnose, l'hermétisme, l'occultisme et la
spiritualité en général.
Il faut dire que son érudition est phénoménale. Tant sur le plan historique que
symbolique... voire magique !
Serge Hutin est un écrivain prolixe et surtout - ce qui pour moi n'est en rien
péjoratif bien au contraire ! - un vulgarisateur hors pair. Un conteur extraordinaire
comme me l'on rapporté ceux qui ont eu la chance de le connaître ainsi qu'un écrivain
merveilleux, et parfois même un écrivain du merveilleux ce qui est encore mieux !
J'ai entendu prononcé pour la première fois le nom de Serge Hutin par mon ami,
frère et très regretté François Rognon.
François Rognon a en effet été initié le 3 mars 1975 au sein de la Respectable Loge
N°355 "Art et travail" de la Grande Loge de France, et il a eu la grande chance, le
grand bonheur d'avoir Serge Hutin comme second surveillant. Et François de me
raconter par le menu leurs merveilleuses séances d'instructions avec lui ! Et la
richesse de leurs débats comme la connaissance de Serge. Serge a donné à François
le goût de connaître et de chercher. Sans Serge Hutin il n'y aurait pas eu François
Rognon, en tout cas pas le François Rognon historien et chercheur que nous avons
connu et aimé.
Alors, depuis, comment ne pas aimer celui que François Rognon considérait comme
son Maître ?!
C'est dans ce même atelier - "Art et travail" - que Serge Hutin a été initié franc-
maçon le 9 février 1966. Il est passé compagnon le 22 mai 1967, et est élevé maître
le 30 septembre 1968. Il est également 30ème degré du Rite Ecossais Ancien et
Accepté. Il fréquente également de très nombreux autres ateliers !
Serge Hutin est licencié de philosophie à la Sorbonne alors qu'il n'a que 20 ans et
l'année suivante, en 1950, il est diplômé d'Etudes supérieures de philosophie et en
1951 diplômé de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes (5ème section, sciences
religieuses), pour son mémoire sur Robert Fludd.
Enfin en 1958 il obtient son Doctorat ès lettres d'Etat (Sorbonne). Sa thèse principale
étant Henry More et les Platoniciens de Cambridge avec une thèse complémentaire
sur Les disciples anglais de Jacob Boehme aux 17ème et 18ème siècles.
Peut-être est-ce d'ailleurs pour cela qu'on ne se souvient plus de Serge Hutin
aujourd'hui. Peut-être cultive-t-on trop de nos jours l'entre-soi et la promotion de la
réussite matérielle - et donc profane ? Y compris au sein de notre Ordre qui se veut
pourtant un ordre initiatique et traditionnel fondé sur la fraternité. Peut-être Serge
Hutin ne coche-t-il pas toutes les cases qu'il faut aujourd'hui ? Il n'a jamais été un
notable. Ni à Paris, ni en province. Ce sont des questions que je me pose sans trouver
de réelles réponses. Mais ce que je sais c'est qu'il a toujours été un cherchant, un
chercheur de Lumière, un véritable initié. Serge Hutin est en tout cas de ceux qui ne
s'assigne aucune limite dans la recherche de la vérité et de la justice.
Car nous le savons bien, même en cette période, le pire ennemi de la maçonnerie
n'est pas le Covid19, mais l'ennui, le conformisme, l'autoritarisme déréglé et le
préchi-précha qui font fuir les frères plus sûrement que la maladie. Or Serge Hutin
nous propose à la fois du savoir - historique et symbolique notamment - mais aussi
de l'évasion, du rêve, du merveilleux, de l'Amour. Bref tout ce qui donne envie de
venir en loge et de maçonner !
Ce que je sais aussi, c'est que l'ésotériste, le symboliste et le frère Serge Hutin nous
manque et que nous manquons cruellement de nouveaux Serge Hutin aujourd'hui. De
frères "différents", de frères qui "ne rentrent pas dans les bonnes cases". Serge
détonait déjà un peu de son temps. Il détonerait encore plus aujourd'hui ! Peut-être
détonerait-il trop ?
" Si « le fantôme de sa mère l'accompagne » cet être dépassé par notre civilisation
matérialiste n'a que son inaltérable soif du merveilleux, sa bonté naturelle. Cet
errant était en quête d'un sourire, d'une sensible amitié. A-t-on été assez réceptif
à la détresse de celui qui a donné avec amour? " écrit Jean-Pierre Bayard dans son
article consacré aux écrits maçonniques de Serge Hutin.
Et il est un grand - un très grand ! - vulgarisateur. Et moi c'est aussi (et surtout?)
ce Serge Hutin là que j'adore !
Voici ce qu'écrit Jacques Fabry dans son article intitulé " La théosophie selon Serge
Hutin" : " Dans son ouvrage Théosophie, A la recherche de Dieu paru en 1977 aux
Editions Dangles, Serge Nutin cite une belle formule de Paracelse que je voudrais à
mon tour mettre en exergue à cette communication : "L'imagination mène la vie de
l'homme. S'il pense au feu, il est en feu; s'il pense à la guerre, il fera la guerre. Tout
dépend du désir de l'homme d'être soleil, c'est-à-dire d'être totalement ce qu'il veut
être".
De complexion plutôt lunaire, Serge Hutin, sans nul doute, a néanmoins été ce soleil
de rêve. Je l'ai peu connu, peut-être l'ai-je rencontré tout au plus une dizaine de
fois dans les années soixante, mais je garde de lui le souvenir d'un homme très bon
et indulgent. Il avait même, si l'on veut bien me passer cette expression un peu
insolite, "quelque chose d'un ange". Son ouvrage sur la théosophie n'a certes pas la
qualité de ses premiers travaux universitaires, mais il y a au moins deux raisons à
cela. La première, c'est qu'il avait décidé d'écrire pour un large public et non
pour des spécialistes. La deuxième, c'est qu'il avait un esprit si ouvert et si
tolérant qu'il accueillait, dans un large sourire, du bon et du moins bon, d'où parfois
un certain flou de sa pensée ou, à tout le moins, un manque de rigueur. C'est le cas
de l'ouvrage que je voudrais résumer et commenter ". Avant de conclure : "C'est
pourquoi, son travail sur la théosophie, si riche d'aperçus brillants et de citations
judicieusement choisies, s'apparente davantage à une toile impressionniste qu'aux
contours léchés et précis d'un tableau de Philipp Otto Runge, le chantre pictural de
la Naturphilosophie romantique allemande. Il n'en est pas moins précieux et cher au
cœur de tous ceux qui ont connu son auteur soit personnellement, soit par le biais
d'un message qui ne saurait laisser quiconque indifférent". Fin de citation.
Oui comme nous l'avons vu, Serge Hutin s'était établi à Prades, en maison de retraite,
quasiment sans ressources. Il a été désargenté toute sa vie ou presque. Je dois ici
rendre hommage à tous les frères de la loge N°1122 "Harmonie Solidarité" de la
Grande Loge de France qui continuent de faire vivre la mémoire et l'œuvre de Serge
Hutin. La sépulture de notre Frère Serge avait été financé, lors de son décès, par un
ancien Vénérable Maître de la Loge, le Très Regretté Frère Louis ROCHMAN, qui l'a
soutenu, moralement et financièrement, jusqu’à la fin. Merci à l'ancien Vénérable
Maître de la Loge, Daniel L de s'être rendu au cimetière de Prades et de m'avoir fait
parvenir cette photo par l'intermédiaire de notre frère Michel Brewer, Premier
Grand-Maître adjoint de la Grande Loge de France.
Qu'il nous semble loin aujourd'hui le Grand Colloque organisé par la Grande Loge de
France le 6 mai 1998 en mémoire du frère Serge Hutin et de son œuvre ! Qu'ils nous
semblent loin les deux numéros de Points de Vue Initiatiques (113 et 114) de 1998,
pratiquement entièrement consacrés à notre frère Serge !
Serge a écrit des livres merveilleux sur les sujets qui nous passionnent : les franc-
maçonnerie, l'alchimie, les rose-croix, l'initiation, les sociétés secrètes, l'ésotérisme,
l'initiation, le symbolisme ! Ne vous privez pas, ne vous privez plus de ces lectures
passionnantes !
Mes chers amis, prenez le temps de lire cet article même s'il est un peu long.
Serge Hutin en vaut la peine. Vraiment.
Et surtout, lisez encore et toujours les livre de Serge Hutin, ils sont magnifiques !
J'aurais réussi mon pari si je vous donne - avec cet article un peu trop long - envie
de lire et de relire Serge Hutin !
Jean-Laurent Turbet
Hommage à Serge Hutin
Par Jean-Pierre Bayard.
EDITORIAL
A notre Frère Serge Hutin
Serge Hutin est décédé le le> novembre 1997. Cet écrivain fécond, qui a publié tant
d'ouvrages, s'est éteint sans ressources dans la maison de retraite de Prades
(Pyrénées-Orientales). Cet homme confiant et bon enfant était dépassé par notre vie
matérialiste idéaliste, adepte du mystère, il ne savait lutter contre les rigueurs de
la vie.
Puis à la mort de sa mère, paralysée durant de longues années, leur pavillon est
vendu au profit de l'Assistance Publique.
Serge Hutin est seul, privé de son seul secours. Si « le fantôme de sa mère
l'accompagne », il n'a plus de domicile et dépend souvent du bon vouloir de ses amis.
Il entre bientôt à la Grande Loge de France. Initié en 1966 à la loge Art et Travail, il
fréquente bien d'autres ateliers, y trouvant un refuge, un lieu où il peut s'exprimer
dans un climat de compréhension mutuelle.
Malgré ses abondants écrits, livres et articles, ses nombreuses conférences, il reçoit
peu d'argent. Il quête un repas, une amitié et pendant un certain temps il a été un
invité de la Fraternelle des Journalistes et Ecrivains.
Il conserve le pouvoir de rêver... Accompagnant des amis qui lui sont dévoués, il
s'installe à Prades où finalement il rejoint la maison de retraite.
Serge Hutin ne se plaint pas, sauf parfois contre quelques éditeurs qui oublient de
lui régler ses droits d'auteur. Plus spécialement depuis deux ans il subit la grave crise
de l'édition qui accuse une perte de 30% du chiffre d'affaire dans la catégorie de
l'ésotérisme.
En juillet 1997 il s'était cassé le bras droit ; début octobre il avait été soigné d'une
embolie pulmonaire à l'hôpital de Montpellier et m'écrivait le 9 octobre «j'ai bien
failli passer de «l'autre côté». Cela n'eût-il pas mieux valu, la vie m'ayant si peu gâté
?».
Avant « la gentille lettre qui va droit au cœur » , Serge Flutin avait eu le grand plaisir
de voir la publication de deux de ses ouvrages Saint-Germain, Cag!iostro, la princesse
de Lamballe aux éditions Bélisane et la réédition revue et corrigée de Rose-Croix
d'hier et d'aujourd'hui aux éditions Louise Courteau au Canada.
C'est ce sourire d'enfant que j'évoque car cet excellent conférencianer, cet auteur
souvent cité qui a voulu avec ses moyens servir la pensée spirituelle à tous les degrés,
est toujours resté dans sa simplicité, excusant les erreurs des autres, bienveillant
envers tous : je ne l'ai jamais entendu médire de quelqu'un, mais, sans se plaindre,
très humblement, il a accepté son sort avec résignation, ne nous faisant guère
connaître son déchirement intérieur.
Jean-Pierre Bayard.
Hommage publié dans Points de Vue Initiatiques - Les Cahiers de la Grande Loge de
France, N°109. Mars/Avril/Mai 1998
Nous avons reçu une lettre de I' « Association Partage et Équilibre » qui, sous la
direction de son président Daniel Leeuwerck et grâce à la participation de nombreux
amis (dont nous fûmes), a pu donner à notre frère Serge Hutin, passé le 31 octobre
dernier à l'Orient Éternel, une sépulture décente au cimetière nouveau de Prades,
dans les Pyrénées-Orientales.
Une concession de cinquante ans a été acquise et, sur le caveau, a été placée une
plaque de marbre de Carrare sur laquelle est sculptée et rendue à la feuille d'or
l'inscription suivante :
ln Eternam Frater
Ici Repose Serge Hutin
1929-1997
Écrivain
accompagnée de la Croix pattée avec en son centre la Rose rouge qui figure sur la
couverture de son dernier ouvrage. D'autre part, nos frères de Prades ont commencé
la réalisation d'un espace Serge Hutin et la bibliothèque portera son nom. Notre
revue adresse ses plus fraternels remerciements aux frères de Prades qui se sont si
prestement et si fraternellement acquittés de cette mission .
Le mercredi 6 mai 1998 s'est tenu en l'Hôtel de la Grande Loge de France, 8 rue
Puteaux à Paris un colloque à la mémoire de la personne et de l'œuvre de Serge Hutin
(1929-1997). Ce colloque, coorganisé par la loge n° 1130 "Les Maçons Ecossais" et par
son Vénérable Maître, Célestin Houédénou Eba, et honoré par la présence
de Bernard Platon, Grand Chancelier adjoint de la Grande Loge de France, réunit la
collaboration de plusieurs conférenciers.
Les numéros 113 et 114 de Points de Vue Initiatiques, de 1998 - que j'ai évidemment
dans ma bibliothèque - , ont rendu-compte de ce colloque et ont donné lieu à la
publication d'interventions majeures.
"Les textes ainsi réunis dégagent le caractère ambivalent de l'œuvre de Serge Hutin
où les ouvrages académiques, techniquement rigoureux et objectifs, contrastent
étrangement avec des écrits où une imagination débridée sollicite des conclusions
rationnellement incroyables au risque de se discréditer auprès du lecteur
bienveillant et intellectuellement ouvert mais exigeant. Désormais définitivement
fixée puisque son auteur disparu ne peut plus la retoucher, cette œuvre de
l'ésotériste Serge Hutin se propose aujourd'hui à nous pour que nous découvrions par
delà toute corroboration ou toute critique qui demeurent les tâches individuelles
de tout lecteur, de quel universel elle fut et demeure le signe historial"
écrivait Patrick Négrier, alors directeur de la revue.
Ces deux numéros 113 et 114 de PVI contiennent environ 10 articles
merveilleux. Je publie ici quelques extraits d'articles in extenso :
Lettre de Robert Amadou
Nous avons été compagnons. Je l'ai connu dans les années 50 et j'assistais, seul
spectateur (il n'avait pu surmonter sa timidité et inviter d'autres camarades) à sa
soutenance de thèse sur Henry More, le platonicien de Cambridge, et le règlement
exigeant à l'époque une thèse subsidiaire sur Les Disciples anglais de Jacob
Boehme.
Serge Hutin demeura dans l'ombre ou dans la lumière de notre Tour Saint-Jacques,
du début à la fin, collaborateur modèle.
Après avoir assuré un temps la suppléance de Koyré à l'E.P.H.E., Serge Hutin choisit
la carrière de littérateur, de conférencier, de journaliste.
Votre colloque analysera son œuvre écrite et rappellera, peut-être grâce à des
témoignages directs, son œuvre orale, au sein du monde profane et au sein du monde
maçonnique, mais aussi martiniste et au sein de I' AMORC.
Partout, toujours, Serge Hutin faisait de son mieux, avec la plus grande conviction
et la plus grande gentillesse.
Robert Amadou
Nous n'aurons plus la joie de lire sur une enveloppe la légendaire écriture, enfantine
et massive à la fois, de Serge Hutin. L'ésotériste français est passé à l'orient éternel.
Il n'était pas encore franc-maçon lorsque, cette même année, à l'âge de trente et un
ans, il publia une excellente présentation d'ensemble de la franc-maçonnerie dans
la collection Points aux éditions du Seuil, Six ans plus tard, en 1966, il publia en
Allemagne, chez Georges Olms, sa thèse de doctorat ès-lettres consacrée à Henry
More (1614-1687) et aux doctrines théosophiques des platoniciens de Cambridge.
Ayant enfin achevé ses études, c'est alors que Serge Hutin posa sa candidature à la
Grande Loge de France pour être reçu maçon. C'est à l'atelier "Art et travail" n° 355
qu'il fut initié le 9 février 1966, passé compagnon le 22 mai 1967, et élevé maître le
30 septembre 1968.
Il appartiendra aux lecteurs de la vingtaine d'ouvrages laissés par Serge Hutin de faire
le point critique sur son œuvre.
Serge Hutin était un ésotériste authentique pour deux raisons d'abord parce qu'il
était compétent (même si ses lecteurs les plus exigeants réfutent avec raison
certains de ses résultats induits par une naïveté invincible tant dans la méthode que
dans le jugement), et ensuite parce qu'il était sincère (guénonien convaincu, ii
croyait à la Tradition primordiale et ne publia ni pour l'argent - il était très pauvre -
ni pour la renommée, ses travaux alimentaires ont largement contribué à
amoindrir son rayonnement).
Serge Hutin était un homme humble sans artifice ni calcul. Sa candeur jointe à sa
bienveillance inspira du respect à ceux qui surent l'apprécier à sa juste valeur.
Comme écrivain, il préférait le langage simple et clair au jargon professionnel, et
son style écrit n'était, comme son style oral, jamais négligé ni vulgaire.
Lorsque je lui demandai quel livre de lui il préférait, il me répondit aussitôt sans
aucune hésitation
L'Amour magique. Ce livre en effet lui rappelait la femme avec laquelle il avait
partagé, selon ses dires, deux mois d'un bonheur total avant que la mort ne mette
fin à cette idylle en 1972. Cette jeune femme, Serge Hutin l'a évoquée dans son livre
sur Les Sociétés secrètes en Chine, paru chez Laffont en 1976. Elle était
niçoise, s'appelait Marie-Rose Baleron de Brauwer, et était "l'une des rares femmes
à occuper en France des responsabilités importantes dans le contre-espionnage" (p.
147). " Chef de division au ministère français de l'Intérieur" (p. 148), elle mourut "le
27 octobre 1972 dans une assez mystérieuse catastrophe aérienne" (p. 147).
C'est à cette femme aimée qu'un an plus tard, en 1973, Hutin dédia son livre sur le
mage Aleister Crowley.
Les dernières années de Serge Hutin se déroulèrent dans les Pyrénées orientales, à
Prades, assombries par des hospitalisations qui lui inspirèrent de son propre aveu le
sentiment aigu de vivre ici-bas dans la vallée des larmes.
Il s'installait alors pendant la durée de ses séjours à l'hôtel Riquet. dans le X19ème
arrondissement.
Etonné qu'un auteur, diplômé comme il l'était, ait consenti à écrire des livres
d'intérêt plus que secondaire et même dénués de discernement critique, je lui
demandai amicalement un jour pourquoi il avait publié ces ouvrages d'occultisme sur
l'insolite, le mystérieux. Je compris à sa réponse défensive que lui-même justifiait
ces écrits douteux, et que son attrait pour le merveilleux et l'irrationnel était
irrépressible. C'est
cette double facette de l'œuvre de Serge Hutin qui la fait ressembler à une cité aux
remparts affaiblis par d'immenses brèches, même si au cœur de cette cité subsiste
ce qu'il y a de plus valable et de plus beau
dans son œuvre.
C'est plutôt en historien que Serge Hutin explorait les divers secteurs de l'ésotérisme,
mais il ne fut pas toujours fidèle à la rigueur méthodologique qui fait la force de la
discipline historique. Et s'il se laissa attirer tant par les phénomènes extérieurs de
l'étrange et du paranormal que par les expressions littéraires modernes (le plus
souvent non traditionnelles) de l'occulte comme certaine poésie ou les
romans fantastiques, c'est à la fois parce qu'il n'était pas un philosophe au
sens technique de ce mot, et qu'il travailla à une époque où l'influence
du surréalisme était encore active et où les manifestations publiques de
ce mouvement faisaient encore du surréalisme un modèle explicite du vivre et du
sentir, toujours revendiqué comme tel.
J'achèverai cette notice en soulignant que Serge Hutin avait porté à leur point le
plus haut deux vertus maçonniques par excellence : la parfaite abstention de
toute médisance, et le culte de l'amitié.
Que ces deux vertus de notre ami Serge Mutin rayonnent sur nous.
Patrick Négrier
L'ésotériste Serge Hutin a consacré deux livres au tantrisme, non seulement par
intérêt personnel pour cette doctrine et cette pratique, mais aussi parce que le
tantrisme relève de l'ésotérisme. Ses principales
sources d'information en ce domaine furent Arthur Avalon (La Puissance du serpent),
Julius Evola (Le Yoga tantrique). et Ajit Mookerjee (Tantra asana).
Dans Les Secrets du tantrisme. Serge Hutin fonde le rôle de la sexualité dans le
tantrisme sur la complémentarité psychique et physique de l'homme et de la femme.
Or si dans le tantrisme la femme apparaît bien comme le complément psychique de
l'homme, c'est parce qu'en tant que femme elle personnifie l'Esprit. En effet la
doctrine tantrique a été synthétisée par la symbolique du Shrî-yantra. Dans ce
diagramme cosmologique, les quatre côtés orientés aux quatre points cardinaux
symbolisent les quatre états de conscience de l'homme de désir.
Or ces quatre états de conscience de l'homme de désir ne sont eux-mêmes que les
effets des quatre modalités distinctes de l'Esprit symbolisées par quatre femmes-
parèdres.
a) La première de ces parèdres, qu'il s'agisse de Lakshmî (déesse de
l'abondance), de Sâvitrî ("incitatrice") ou de Shâkambharî ("Potagère"),
symbolise le réel qui, n'ayant pas exaucé les désirs humains non peccamineux
mais réalisables, oblige l'homme à réorienter ces désirs vers la seule porte qui
s'ouvrira et exaucera ces désirs.
c) Dûrga, qui élimine le buffle sauvage9, symbolise le réel qui envoie à l'homme
des signes pour le dissuader de mettre à exécution les péchés capitaux, c'est à
dire mortels.
d) Enfin Kali ("noire"), qui porte un collier de crânes-humains ramassés dans les
cimetières, qui se lacère et se décapite elle-même, et qui brandit une coupe
pleine de sang11, symbolise le réel qui fait connaître à l'homme la conséquence
de ses péchés capitaux (la mort à plus ou moins brève échéance, ou au
contraire l'exemption de mort prématurée), et oblige par là l'homme à ne pas
recommencer à commettre
un péché capital.
Ainsi, si c'est à titre de personnification des quatre modalités de l'Esprit que la femme
est dans le tantrisme le complément psychique de l'homme, c'est donc que le
véritable complément psychique de l'homme c'est l'Esprit dont la femme n'est,
comme tout maître spirituel, que le représentant et le substitut. Et c'est pourquoi
ce n'est pas de l'homme en tant que mâle, mais de l'homme en tant que créature
humaine, que la femme/Esprit est le complément psychique. Ce fait est déterminant
il nous permet de comprendre que si la femme joue un rôle dans le tantrisme, c'est
uniquement pour exercer vis à vis de l'homme les quatre rôles que remplit
ordinairement, l'Esprit. Dans ce contexte bien précis, quel rôle joue dans le
tantrisme la sexualité?
Serge Hutin cite trois textes tantriques qu'il interprète en croyant que le tantrisme
prescrit les actes de perdition, la satisfaction de tous les désirs, la boisson alcoolisée,
etc... Or cela est impossible puisque, comme nous venons de le voir, la parèdre Dûrga
a pour but de dissuader l'homme de réaliser les péchés capitaux, et que la parèdre
Kali fait connaître à l'homme en état de péché mortel la redoutable conséquence de
ses péchés. La parèdre la plus puissante est Kali, car c'est elle seule qui, en
confrontant l'homme à la mort provoquée par ses péchés, a en cela même le pouvoir
d'inspirer au pécheur une horreur et une détresse assez fortes pour le détourner
définitivement des péchés mortels. On comprend à la lumière de cette dialectique
que le tantrisme ne pouvait prescrire des péchés mortels auxquels il avait pour but
d'arracher les hommes. La présence de Kali dans le tantrisme montre que ce dernier,
loin de recommander la transgression, s'adresse en fait aux hommes déjà
transgresseurs pour leur signifier que s'ils s'entêtent à commettre des péchés
mortels, ils feront au cœur même de leurs péchés l'horrible et déprimante
expérience de la confrontation à la mort seule susceptible de les détourner
définitivement des péchés capitaux, si toutefois ces pécheurs ont eu la chance de
survivre au risque de mort prématurée impliqué dans ces péchés ! Comme l'écrit Jean
Varenne "Si le but est de s'en libérer, le combat, pense t-on le plus
souvent, consistera à l'affronter directement en faisant tout pour diminuer
son emprise, jusqu'à l'abolir".
Enfin n'oublions pas que cette dialectique entre péchés mortels et libération
spirituelle n'est pas propre au tantrisme. Elle se retrouve dans toutes les traditions,
y compris dans la Bible qui l'illustre par le pouvoir qu'eut la mort des premiers-nés
d'Egypte de libérer les hébreux du joug de pharaon (Ex. 11-15).
Une fois dégoûté et définitivement détourné des péchés capitaux, l'homme est prêt
à respecter la loi du non-désir : il mortifie en lui les désirs peccamineux, et c'est
cette mortification des désirs peccamineux que symbolise dans le Shri-yantra,
analoguée à la position centrale et fixe de l'étoile polaire, la position centrale et par
conséquent fixe de kama : le "désir"'.
Si l'acte sexuel ne pouvait logiquement pas faire l'objet d'une prescription par les
rituels tantriques, comment expliquer malgré cela l'existence de rites sexuels dans
le tantrisme dit "de la main gauche", lequel est effectivement attesté par J. Varenne
comme une réalité historique à prendre au pied de la lettre ? A cette question deux
réponses se proposent.
D'abord les indications fournies par Varenne nous suggèrent, à la lumière de tout ce
que nous venons de dire, que si des partenaires féminines jouèrent bien un rôle dans
certains rituels tantriques, c'était pour tenter les tantrikas, et tester ainsi leur
résistance et leur degré de purification.
Ensuite le fait que les rites sexuels du tantrisme ont été et sont encore aujourd'hui
en Inde l'objet de la réprobation publique suffit à attester que ces rites sexuels ont
été introduits dans le tantrisme par suite de la dégénérescence de ce dernier, et
qu'ils constituent à cet égard une perversion qui ne peut servir de critère pour définir
l'essence véritable du tantrisme orthodoxe.
C'est là un point fondamental que Serge Hutin n'a pas soupçonné, et qui a conduit
l'ésotériste français à développer sur le tantrisme des vues non traditionnelles
pourtant fondées sur des informations objectives authentiques.
Patrick NEGRIER
Bibliographie (incomplète ?)
° Presses Universitaires de France Collection "Que Sais-je ?" :
- L'alchimie
- Les sociétés secrètes
- La philosophie anglaise et américaine
- Les gnostiques
° Gallimard-NRF
° Denoël :
° Marabout
° Fayard :
° Pierre Belfond :
° Le Seuil :
- Les alchimistes (avec M. Caron)
- Les Francs-Maçons (rééditée par Bélisane en 1977).
° Le courrier du Livre :
° Albin Michel :
- L'amour magique (révélations sur le tantrisme) réédité par Savoir pour être
- Des mondes souterrains au roi du monde.
° Montorgueil :
- L 'immortalité alchimique.
° Bélisane :
° Le Rocher :
° Hachette :
° Dangles :
° Jean Boully :
° La Table Ronde :
- Paracelse (1966).
° Le Prisme :
° Dervy :
° Ed. du Marais :
° Camion Noir :
Je n'ai pas répertorié ici les très nombreux articles de Serge Hutin dans de
multiples revues...