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Deuxième partie

Le nây
Chapitre I

Etude organologique

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Nous consacrons cette partie de la thèse à l’étude organologique du nây.
Nous y abordons l’historique puis la morphologie de l’instrument (le tuyau, les
trous de jeu et leur répartition, l’embouchure), la facture du nây (le matériau, la
coupe, le perçage des trous) en plus d’une brève approche acoustique, le tâqim
et les différents nây-s qui le constituent (dénominations, dimensions, les notes,
les échelles et les maqâm-s qu’ils permettent de jouer) nous décrivons aussi les
techniques de jeu spécifiques au nây.

I. Dénomination de l’instrument

Le nây est un terme dérivé du persan qui désigne le roseau. C’est la


matière dont est faite cette flûte oblique qui tient une grande place dans le
répertoire classique de la tradition musicale arabe, turque et persane. Il est
employé sous un nom presque identique aussi bien chez les turcs que chez les
iraniens mais dont ne varie que la prononciation. Ainsi l’instrument est dit ney
chez les Turcs et les Persans et nây chez les Arabes. Christian Poché fait
remarquer que « cette dénomination n’est pas antérieure aux écrits du Xème
siècle ». Il ajoute « Elle est signalée à cette époque, où l’instrument est voué à
des tâches agricoles, celle de faire surgir l’eau de la terre par le timbre du jeu, tel
que le consigne par écrit, un traité sur l’agriculture d’Ibn Washiya ». (1)

Dans diverses traditions musicales populaires propres au monde arabo-


musulman nous retrouvons une large palette d’instruments apparentés au nây. Ils sont
désignés selon le lieu par des vocables spécifiques. Marc Honneger cite : « "souffâra",
"salamiya", "qaoval" (Egypte), "shabbâba" (Syrie-Liban), "kaval" (Turquie),
"zumbara" (Soudan), "kasbah" (Afrique du Nord) ». (2) Al-djouak ou juwwâq, al-
aouadda, al-fhal et al-gasba (littéralement roseau) sont tous des instruments
maghrébins. Al-qawwal ou al-qawalah se retrouvent en Egypte et al-blur en Iraq.

1) POCHÉ (Christian), Nây d’autrefois, nây d’aujourd’hui, in : Flûtes du monde, du Moyen Orient au
Maghreb, op. cit., p. 52.
2) HONNEGER (Marc), Ney ou Nay, in : Dictionnaire de la musique, sciences de la musique, formes,
technique, instruments, L-Z, Paris, Bordas, 1976, p. 659.

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Certains de ces instruments diffèrent du nây par le nombre et la
disposition des trous de jeu ainsi que par les dimensions. Il arrive aussi que le
matériau employé dans la fabrication de l’instrument ne soit plus le roseau mais
emprunté à diverses arbres voire du métal. En évoquant le ney persan, Jean
During fait bien la différence entre l’instrument savant et son congénère
populaire. Il note : « Il faut cependant se garder de désigner sous le vocable ney
toute flûte en roseau de ce type, car le ney proprement dit est une flûte propre à
la musique savante. Il ne se distingue pas, à première vue, du ney populaire, sauf
par sa longueur, en général supérieure, et par la disposition de ses trous. Alors
que le ney populaire est percé empiriquement (les trous sont souvent
équidistants) et donne des intervalles approximatifs, un bon ney savant est
beaucoup plus précis. De plus il permet le jeu sur deux octaves et demie, dans
tous les modes de la musique savante. Enfin son timbre, dû pour une bonne part
à une technique raffinée est plus doux, et le bruit du souffle ne s’y mêle pas
comme dans le ney populaire ». (1)

II. Approche historique

Les flûtes et autres aérophones ont un passé extrêmement lointain. Quand


on remonte aux temps préhistoriques, nous retrouvons dans les spécimens
archéologiques des flûtes en os. Alexandre Buchner cite : « Les simples sifflets
en os percé apparaissant dès l’âge de pierre sont les plus anciens de tous les
instruments de musique connus ». (2) Il donne l’exemple du fragment de sifflet
en os à trois trous, retrouvé dans la grotte d’Istùriz dans les Pyrénées et qui
appartient à la troisième couche aurignacienne (environ 18 000 avant J.-C.),
Buchner pense que cet aérophone « ne se différencie que faiblement des flûtes
qui lui sont postérieures de plusieurs millénaires ». (3)

1) DURING (Jean), La musique iranienne, tradition et évolution, Paris, éd., Recherche sur les
Civilisations, 1984, p. 67.
2) BUCHNER (Alexandre), Encyclopédie des instruments de musique, Paris, Gründ, 1980, p. 20.
3) BUCHNER (Alexandre), op. cit., p. 20.

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Les fouilles archéologiques ont également révélé de nombreux spécimens
assez bien conservés et qui attestent de l’importance de ces instruments dans la
vie quotidienne préhistorique. C’est le cas de la flûte découverte dans la caverne
du Salzofen (Toten Gebirge), datant de l’âge protéolytique où l’os était utilisé
comme matière première. « Cette flûte obéit à un principe extrêmement simple
d’émission du son : le souffle se brise sur le bord du tuyau et met ainsi en
vibration la colonne d’air qui se trouve à l’intérieur de l’instrument ». (1) Nous
retrouvons ce même principe d’émission du son dans le nây.

Outre les flûtes en os, une flûte en bois renne, à perce longitudinale, fut
découverte par des archéologues soviétiques dans le site paléolithique de
Moldova (région de Tchernovtsy). (2) Ce sont les matériaux les plus durs qui ont
été les mieux conservés. Comme nous savons que le roseau est une matière
beaucoup plus périssable que l’os et la pierre, nous pouvons supposer que
l’homme primitif a tenté de façonner des flûtes en bois ou en roseau et qui ont
disparu à travers le temps.

Sifflet en os de renne : Paléolithique, env. 15000 av. J.-C. (3)

Illustration n° 3

Dans l’antiquité, divers types de flûtes ont été utilisés aussi bien en
Egypte dès l’ancien empire qu’en Assyrie. La flûte occupa alors le rôle
d’instrument sacré. Les plus vieux documents iconographiques ainsi que les
divers objets retrouvés à la suite de fouilles archéologiques sont sumériens et
égyptiens. Ils constituent une mine d’informations sur les instruments en usage
dans cette époque.

1) BRAGARD (Roger) et DE HEN (Fred. J.), Les instruments de musique dans l’art et
l’histoire, Bruxelles, Albert De Visscher/Compagnie Belge d’Editions S.P.R.L., 1973, p. 12.
2) BUCHNER (Alexandre), op. cit., p. 20.
3) Illustration tirée de l’ouvrage d’Alexandre Buchner, op. cit., p. 21.

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(1)

A Saqqara, de nombreux bas-reliefs nous dévoilent la vie quotidienne à


l’ancien Empire. Tandis que le flûtiste joue, le chanteur qui l’accompagne
met sa main sur son oreille pour mieux s’entendre et contrôler sa voix.

Illustration n° 4

La flûte en roseau figure parmi les instruments découverts en


Mésopotamie. Alexander Buchner souligne que : « la littérature nous apprend
l’existence d’une flûte dont le nom sumérien gi-gid (gi : roseau) indique
clairement de quel matériau les bergers la faisaient originellement ». (2)

La Saïbit (3) fut la flûte de l’Egypte antique, apparue au quatrième


millénaire avant J-C. Cette flûte à embouchure et arête de jeu terminales est
attestée en Egypte par sa représentation dans les tombeaux des Pharaons. « Elle
est constituée d’un simple tuyau ouvert de ses deux extrémités et que l’on tenait
obliquement. (…) D’usage essentiellement domestique, elle était jouée avec la
harpe et accompagnait chants et danses ». (4) Le détail d’un relief, du mastaba
ou tombeau d’Akhout-hétep, vers 2500 avant J.C. (5e dynastie) montre les
"Musiciens d’un banquet". On y voit harpe, flûte "oblique", chanteurs, danseurs
(Paris, Musée du Louvre). (5)

Parmi les témoignages les plus significatifs, gravés sur la pierre : La


représentation d’une scène musicale dans la tombe de Kadawa, Guizèh (2600

1) Illustration extraite de l’ouvrage de KOENIG (Viviane), L’Egypte au temps des Pharaons, paris,
éditions Fernand Nathan, 1986, p. 41.
2) BUCHNER (Alexander), op. cit., p. 30.
3) LE GONIDEC (Marie-Barbara), Les flûtes à embouchure et arête de jeu terminales dans le monde
arabo-musulman, in : Flûtes du monde, du Moyen Orient au Maghreb, op. cit., p. 31.
4) TRANCHEFORT (François-René), Les instruments de musique dans le monde, t. II, Paris, Seuil,
1980, p. 16.
5) TRIPP (Charles), Egypte, Les flûtes des temps pharaoniques à nos jours, in : Flûtes du monde, du
Moyen Orient au Maghreb, Belfort, Association Flûtes du Monde, 1996, p. 134.

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avant J.C., fin de la 5e dynastie). Nous y retrouvons une section "bois" avec
« deux joueurs de "chalumeau" (instrument à anche) et deux flûtistes, chacun
des musiciens faisant face à un chanteur chironome ». (1) A propos de la
représentation de la flûte "oblique", que certains historiens ont confondue avec
la flûte traversière, Raymond Meylan, dans son ouvrage "La Flûte", note : « ce
que l’on distingue clairement, c’est la tête (de l’instrument) posée sur la bouche,
comme pour être sucée ». (2)

Outre la riche documentation iconographique qui est d’une très grande


valeur scientifique, les fouilles archéologiques nous ont révélé un grand nombre
d’instruments retrouvés notamment dans les tombeaux pharaoniques. Ce sont
essentiellement : « clochettes, planchettes à entrechoquer, castagnettes en ivoire
d’hippopotame ou d’éléphant, un luth pourvu encore de ses cordes originales,
lyres intentionnellement brisées afin qu’elles ne puissent plus servir après avoir
été utilisées par le défunt, trompettes d’or et d’argent du Pharaon Toutankhamon
découvertes intactes. » (3) Les flûtes, en bon état de conservation, retrouvées
dans une tombe de Beni Hassan et datant du Moyen Empire (vers 2000 avant
J.C.) viennent compléter une collection des plus impressionnantes. Ces flûtes
sont vraisemblablement les premiers nây-s utilisés en Egypte et Christiane
Ziegler affirme que la "flûte à jeu oblique", jouée actuellement sous le nom de
"nây" dans le monde arabo-persan, est apparue dans l’Egypte antique dès
l’Ancien Empire (mastaba du rez-de-chaussée). (4)

Nous retrouvons quelques uns de ces instruments millénaires dans les


collections d’instruments antiques appartenant à divers musées, notamment le
musée du Caire, celui du Louvre ainsi que le British Museum. De tous les
instruments collectés seules quelques flûtes sont restées intactes et ont conservé

1) TRIPP (Charles), Egypte, Les flûtes des temps pharaoniques à nos jours, in : Flûtes du monde, du
Moyen Orient au Maghreb, op. cit., p. 134.
2) Cité par Charles Tripp, op. cit., p. 134.
3) TRIPP (Charles), Ibid. p. 134.
4) ZIEGLER (Christiane), Les instruments de musique égyptiens au Musée du Louvre, Catalogue des
instruments de musique égyptiens, Réunion des Musées nationaux, Paris, 1979. p. 8.

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leurs caractéristiques physiques. Ces instruments ont fait l’objet d’études
organologiques détaillées, ils ont été répertoriés et identifiés comme étant des nây-
s. Les nây-s antiques ont par ailleurs servi aux diverses tentatives expérimentales de
reconstitution des échelles et gammes musicales égyptiennes antiques. (1)

Illustration n° 5
Les instruments à vent disponibles au musée du Caire (à l’exception des
trompettes du roi Toutankhamon) sont regroupés dans une vitrine comme le
montre ce document photographique.

Illustration n° 6
Cette collection comprend vingt-quatre instruments à vent : des
aérophones à anches de type clarinette ou hautbois et des flûtes. Cette dernière
catégorie qui nous intéresse compte six flûtes (C.G.69814 à 69819). Deux flûtes
courtes : une en bois (C.G. 69818), une en bronze (C.G.69819). Les quatre

1) Voir la communication scientifique faite au Congrès Mondial d’Egyptologie de Turin en 1991 : "On
the discovery of the ancient Egyptian musical scale", extrait d’"INFORMATICA ED
EGITTOLOGIA". Cette communication a été reprise dans : "Le Monde copte" n° 27-28, revue
encyclopédique de culture égyptienne, 1997.

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autres (C.G. 69814 - 69817), sont fabriqués en bambou du Nil et rappellent les
nây-s utilisés de nos jours par les musiciens égyptiens. (1)

Les flûtes antiques en bambou ont fait l’objet d’examens particuliers et les
diverses mesures effectuées ont été consignées dans le tableau suivant :

Un certain nombre d’expérimentations (2) sur les quatre flûtes en bambou


(réalisation de copies d’instruments, jeu et enregistrement de notes produites par les
instruments originaux et leurs répliques, analyse subjective et analyse fréquentielle
des résultats obtenus) a permis de constater entre autres que la gamme fournie par
la flûte numéro C.G.69815, découverte à Saqqara, est heptatonique et sensiblement
identique à celle employée, de nos jours, dans la musique arabe.

Ces instruments antiques présents dans de nombreuses scènes musicales


de l’Ancien Empire ont survécu au Moyen et Nouvel Empire et continuent à
jouer un rôle important dans la vie musicale de la période contemporaine.

Marie-Barbara Le Gonidec pense que « les flûtes de roseau, alors appelées


saïbit en Egypte et ti-gi en Mésopotamie, auraient circulé à l’Est du croissant

1) Informations recueillies auprès du site : reconstitution de la musique des pharaons, www. ART,
Egypte. com, consulté le 25 07 2001.
2) Réalisées par une équipe constituée de : Fathi Saleh (musicologue, informaticien et chef du projet),
Sania Abdel Aal (égyptologue, directrice assistante du musée du Caire), Robert Cribbs (scientifique
américain), Mahmoud ‘Iffat (musicien et flûtiste égyptien). Cf. site susmentionné.

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fertile vers la Perse et de l’Egypte vers la péninsule arabique ». et ajoute : « on
les retrouve au Xe siècle dans un poème du Persan Ferdôsi, qui chante
l’instrument connu alors sous son vocable actuel : "ney" ». (1) Le nây s’est en
effet répandu dans toute la région du Moyen Orient et après l’avènement de
l’Islam, l’instrument favori des bergers a conquis le droit de cité dans le rituel
musulman pour remplir une fonction sacrée au sein de certaines confréries. Jean
Claude Chabrier pense que « L’expansion du nây a été encouragée spécialement
par la civilisation islamique où il est devenu, non seulement populaire et
classique, mais aussi sacré ». (2) C’est précisément grâce à Mawlânâ Jalâl al-
Dîn al-Rûmî (XIIIème siècle), fondateur de l’ordre des Mevlevis que le ney
devint le symbole du mysticisme et l’instrument de prédilection des derviches
tourneurs originaires de Konya (Turquie). Selon Christian Poché, ce sont les
Mevlévis qui vont répandre le ney dans le monde arabe à partir de leurs
monastères qui seront de « véritables conservatoires de musique et feront le
relaie entre le monde turc et arabe ». (3) During partage cet avis en notant : « La
haute tradition du ney est donc à rechercher en Turquie d’où elle rayonna vers la
Syrie, l’Irak et peut-être la Perse ». (4) Le ney est représenté, dès le XVème
siècle, sur les miniatures persanes, alors que le ney rustique se retrouve dans des
représentations plus anciennes (XIIème et XIIIème siècles).

L’instrument favori des soufis s’intégra dans l’ensemble de musique


profane, il est signalé dans un takht par les médecins anglais Patrick et
Alexandre Russel vers 1725 à Alep. (5)

Le nây fera l’objet d’une étude organologique détaillée de la part de


Guillaume-André Villoteau. Cet éminent membre de l’expédition française de

1) LE GONIDEC (Marie-Barbara), Les flûtes en roseau du pourtour oriental de la méditerranée, in :


Le roseau et la musique, op. cit., p. 19.
2) CHABRIER (Jean Claude), Langage musical du monde arabo-irano-turc, Paris, Arabesques, 1984.
3) POCHE (Christian), Nây d’autrefois, nây d’aujourd’hui, in : Flûtes du monde, du Moyen Orient au
Maghreb, op. cit., p. 52.
4) DURING (Jean), La musique iranienne, tradition et évolution, op. cit., p. 67.
5) Information rapportée par Christian Poché, Nây d’autrefois, nây d’aujourd’hui, in : Flûtes du
monde, du Moyen Orient au Maghreb,op. cit., p. 52.

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Bonaparte en Egypte (1798-1801) nota : « Les derviches ou foqarâ ont leur espèce
de nây; les mendiants ont aussi le leur, et les musiciens de profession ont également,
pour leurs concerts, une certaine espèce de nây qu’ils préfèrent aux autres ». (1)

III. Classification organologique

D’un point de vue organologique, le nây est défini comme étant un


aérophone du type flûte à embouchure et arête de jeu terminales. Il est souvent
considéré comme étant une flûte oblique, du fait de sa tenue inclinée (oblique)
pendant le jeu. (nây arabo-turc et persan)

IV. Aspect et morphologie du nây

Le nây ou ney est l’unique instrument à vent retenu dans la musique savante
arabe, turque et persane. C’est un instrument exclusivement réservé aux hommes.
Constitué d’un tube creux très légèrement conique, son embouchure ne présente ni
bec ni anche. Le son est obtenu par le souffle vibrant sur le bord du roseau. Les
trous situés dans la partie inférieure du tube permettent de moduler le son.

IV.1. Le nây arabe

Il s’agit d’un simple tube en roseau, de dimensions variables, ouvert à ses


deux extrémités, comportant huit nœuds et neuf segments. Généralement,
l’instrument comprend plutôt sept segments ou entre-nœuds entiers et deux demi
segments (réduits parfois au quart ou à une petite portion de segment) à chaque
extrémité du tuyau. La longueur du nây dépend de celle des segments qui le
constituent. Nous trouvons une large palette d’instruments, ayant des dimensions
allant de 33 à 80 cm et produisant différentes notes fondamentales couvrant ainsi
divers registres. Dans la tradition musicale savante arabe, le nâyâtî (joueur de
nây) fait appel à un ensemble variable de nây-s (généralement sept) appelé tâqim,
les deux plus importants sont respectivement le nây dûkâh et le nây nawâ. (2)

1) VILLOTEAU (Guillaume-André), Description historique, technique et littéraire des instruments de


musique des Orientaux, Description de l’Egypte, t. XIII, Paris, éd. Panckoucke, 1823, p. 440.
2) Voir plus loin la composition d’un tâqim.

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Le tube du nây, de perce légèrement conique, est doté de sept trous de jeu
dont six sont pratiqués dans la partie inférieure du tube sur la face avant, quant
au septième trou, il figure au milieu du tube, sur la face postérieure. Les six
ouvertures de devant sont réparties en deux groupes de trois trous équidistants.
Les deux groupes étant séparés par une distance double de celle qui sépare les
trous de chaque groupe. Cette répartition des trous ainsi que leur nombre permet
d’obtenir, à l’aide d’une technique de jeu particulière, l’ensemble des degrés
constitutifs des échelles relatives aux divers maqâm-s en usage dans la musique
savante arabe. Généralement la perce des orifices est circulaire et ils ont tous le
même diamètre. Cependant le diamètre et l’emplacement des trous peuvent faire
l’objet d’éventuelles modifications afin d’ajuster l’instrument.

Le nây est pourvu d’une embouchure rudimentaire. Elle est constituée de


l’une des extrémités du tube, celle opposée à la plus proche des trous de jeu. Sa
circonférence est légèrement plus grande que celle de l’autre bout du fait de la
perce légèrement conique du tube. Il s’agit d’une simple embouchure de section
circulaire, dépourvue de bec et d’encoche et qui est chanfreinée sur toute sa
circonférence. Le chanfrein est pratiqué sur la paroi extérieure de l’embouchure
qui devient ainsi biseautée. L’embouchure est dite à biseau externe. Selon Le
Gonidec : « La qualité du biseau a une incidence directe sur la sonorité de
l’instrument et sur le jeu : plus le biseau est fin, moins on entend le frottement
du souffle contre le rebord ». (1)

Embouchure à biseau externe

Illustration n° 7 Illustration n° 8

1) LE GONIDEC (Marie-Barbara), Les flûtes à embouchure et arête de jeu terminales dans le monde
arabo-musulman, in : flûtes du monde, du Moyen Orient au Maghreb, op. cit., p. 32.

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Le nây arabe

Embouchure à biseau
externe

Segment ou phalange

Nœud

7 Trou postérieur ou dorsal

6
5
4
Trous de face
3
2
1

Ouverture inférieure

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IV.2. Le ney turc

Le ney turc est identique au nây arabe. C’est un segment de roseau qui
compte neuf segments et huit nœuds et comporte sept trous de jeu : un trou
postérieur situé au milieu du tube, à égale distance des deux extrémités, et six
orifices antérieurs répartis en deux groupes de trois. La seule différence avec le
nây arabe réside dans l’emploi d’un embouchoir tronconique appelé bash-pare.
Le bash-pare se présente sous différentes tailles qui varient selon le diamètre de
l’embouchure du ney.
"Başpâre", bash-pare (1)

Illustration n° 9
Cet embout en ivoire, en bois blanc, en plastique ou en corne, est
enchâssé à l’ouverture supérieure du tube. Cet embouchoir spécifique au ney
turc permet de réduire le diamètre de l’embouchure de l’instrument (2) et facilite
ainsi le jeu. Le musicien (neyzen) souffle dans le ney en posant l’embout en
oblique contre ses lèvres, (technique labiale). Enfin le ney peut être doté à son
extrémité inférieure d’une bague métallique afin de consolider cette terminaison
souvent fragilisée par la condensation du souffle.
Ney turc (3)

Illustration n° 10

1) Illustration extraite de l’ouvrage de Marie-Barbara Le Gonidec, Organologie et typologie des flûtes


à embouchure et arête de jeu terminales, op. cit., p. 13.
2) Les ney-s de grande taille sont souvent dotés d’embouchures de grand diamètre. Ces embouchures
sont difficilement couvertes par les lèvres de l’instrumentiste.
3) Illustration tirée de l’ouvrage de Marie-Barbara Le Gonidec, Organologie et typologie des flûtes à
embouchure et arête de jeu terminales, op. cit., p. 117.

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IV.3. Le ney persan

Le ney persan diffère du nây turco-arabe par le nombre de segments et de


nœuds ainsi que par le nombre de trous de jeu. C’est un tube de roseau (d’une
longueur variant de 40 à 80 cm) de forme légèrement conique comportant six
nœuds et sept segments. Il est dit ney-e haft band, à cause des sept portions
d’inter-nœuds qui le composent. Le ney persan est percé de six trous dont un est
situé sur la face postérieure du tube. Les cinq autres exécutés sur la face
antérieure sont répartis en deux groupes de trois et deux trous.

L’embouchure du ney persan est biseautée sur la paroi interne. Le biseau


n’est donc pas visible de l’extérieur puisque le chanfrein est taillé sur le bord
interne de la paroi. Il en résulte une technique de jeu particulière dite dentale et
qui diffère de la technique labiale courante. Cette technique qui fut, semble-t-il,
empruntée aux Turkmènes consiste à placer le bord aminci du tuyau entre les
dents, soit entre deux incisives, soit entre une canine et une incisive. « Un
certain écart entre les incisives est souhaitable, et si la nature ne les en pas
doués, certains joueurs ont recours au dentiste ». (1) Le rôle de la langue est de
ménager un espace en se plaçant derrière les dents sans les toucher et aussi de
diriger l’air envoyé par le fond de la gorge vers le bord tranchant du tuyau.

Le bord aminci du tuyau, étant fragilisé et (3)

usé par le contact avec les dents, il est garni le


plus souvent d’une bague en métal amovible. (2) Illustration n° 11

Cette technique de jeu dentale permet des inflexions du souffle offrant un


plus grand choix de modulations et donne un timbre différent de celui émis par
la technique labiale utilisée dans le nây arabo-turc. Le Gonidec ajoute : « La
langue permet en effet les attaques brusques du son et les staccatos. Cela

1) CARON (Nelly) et SAFVATE (Dariouche), Iran : Les traditions musicales, Paris, Buchet/Chastel,
1966, p. 176.
2) DURING (Jean), La musique iranienne, tradition et évolution, op. cit., p. 69.
3) Illustration extraite de l’ouvrage de Marie-Barbara Le Gonidec, Organologie et typologie des flûtes
à embouchure et arête de jeu terminales, op. cit., p. 134.

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n’empêche pas de réaliser mélismes et nuances. Aussi est-ce avant tout par une
dynamique élevée, des contrastes brusques du niveau sonore et du registre, et
surtout par un traitement particulier du rythme que le ney persan se caractérise ». (1)

Le ney persan peut être monté d’une autre bague placée à son extrémité
inférieure, qui sert soit à le protéger soit à rectifier sa longueur, dans le cas où
les proportions ne sont pas rigoureusement exactes. (2)

le nây arabo-turc et le ney persan (3) Le ney persan (4)

Illustration n° 12 Illustration n° 13

1) LE GONIDEC (Marie Barbara), Le ney persan, Structure, pratique, fonction, in : Flûtes du Monde,
du Moyen Orient au Maghreb, Belfort, Association Flûtes du Monde, 1996, p. 62.
2) DURING (Jean), La musique iranienne, tradition et évolution, op. cit., p. 69.
3) Planche extraite de l’ouvrage de Jean During, La musique iranienne, tradition et évolution, op. cit., p. 68.
4) Illustration tirée de l’ouvrage de Marie-Barbara Le Gonidec, Organologie et typologie des flûtes à
embouchure et arête de jeu terminales, op. cit., p. 110.

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V. Le principe de fonctionnement du nây (approche acoustique)

Le nây étant un instrument à vent, il comporte comme tous les instruments


un système excitateur et un corps sonore.

Le système excitateur est la lame d’air émise par le musicien. Ce dernier


règle la forme et la direction de la lame d’air et modifie continuellement le
système d’excitation qui agit directement sur le fonctionnement du tuyau. Le
corps sonore est le tube qui est le siège d’ondes stationnaires périodiques.

Nous remarquons tout d’abord que dans la palette d’instruments utilisés,


les nây-s les plus longs et de plus gros diamètre favorisent l’émission des sons
graves ; par contre, les plus courts et de diamètre plus réduit favorisent
l’émission des sons aigus.

Nous savons que le son émis par un tuyau est d’autant plus grave que ce
tuyau est long. Les lois physiques qui régissent ce phénomène furent
découvertes et expliquées par Daniel Bernoulli (fin du 18ème siècle) qui en établit
les équations élémentaires.

Pour un tube ouvert aux deux extrémités, la loi de Bernoulli se traduit par :
V
f =
2L
- f est la fréquence propre du tube.
- L est la longueur du tube.
- V est la vitesse du son dans l’air à 20o C et qui est de l’ordre de 340 m/s.

Cette loi nous permet de calculer la hauteur du son donné par un tuyau
ouvert aux deux bouts. (1) Emile Leipp fait remarquer que les lois de Bernoulli
(pour les tuyaux semi ouverts et ouverts des deux bouts) restent valables en
théorie et que les valeurs obtenues par ces formules sont théoriques. En pratique
et dès qu’on excite un tuyau en soufflant dedans des phénomènes compliqués se

1) LEIPP (Emile), Acoustique et musique, Paris, Masson, 4ème édition, 1984, p. 223.

91
produisent et « l’expérience montre que les mesures et les calculs ne
correspondent pas rigoureusement ». (1)

V.1. Le principe de mise en vibration

L’énergie étant fournie par l’air comprimé émanant des poumons et qui
sort par l’ouverture de la bouche. Le musicien applique ses lèvres sur
l’embouchure de manière à produire une lame d’air. Cette lame d’air déclenche
une onde de compression qui circule dans le tuyau et heurte la colonne d’air qui
s’y trouve. Elle se dirige vers l’extrémité inférieure du tube. Réfléchie par l’air
ambiant extérieur, elle change de signe et de direction pour devenir une onde de
dépression et remonter vers l’embouchure. Au contact du jet d’air insufflé par le
musicien, l’onde en question provoque l’aspiration de ce jet d’air à l’intérieur du
tube et redevient de nouveau une onde de compression en changeant de signe.
Une fois aspiré, le jet d’air est repoussé vers l’extérieur et une synchronisation
entre ses oscillations et celle de la colonne d’air s’établit. Le Gonidec ajoute que
« l’oscillation du jet d’air au contact de l’arête peut se répéter indéfiniment, car
elle est conditionnée et régulée par l’alternance compression/dépression de
l’onde interne qui voyage dans le tuyau, elle-même alimentée en énergie par le
jet d’air ». (2) Le jet d’air doit être soumis à une certaine pression et à un débit
assez précis et c’est au musicien d’assurer cette régulation.

V.2. Les modes vibratoires du nây

Les différents modes vibratoires du nây, dits également régimes


correspondent à divers registres. Le premier régime étant celui de la
fondamentale du tube (partiel 1), le second étant à l’octave (octaviement), le
troisième est à la douzième de la fondamentale (quintoiement) et le quatrième
régime est à la double octave de la fondamentale (double octaviement).

1) LEIPP (Emile), op. cit., p. 223.


2) LE GONIDEC (Marie-Barbara), Organologie et typologie des flûtes à embouchure et arête de jeu
terminales, op. cit., p. 48.

92
L’obtention de ces différents modes vibratoires s’effectue dans le cas du
nây, en agissant directement sur les oscillations de la lame d’air par modification
de la section de la lumière ainsi que la longueur et le volume de l’espace entre
lumière et arête. (1) Ainsi par un jeu de resserrement des lèvres le musicien
réduit la section de la lumière et augmente la pression du jet d’air.

Sur certains nây-s et notamment ceux qui sont de grande


taille et dont le diamètre est exceptionnellement réduit (2), on
parvient à atteindre le cinquième registre qui correspond à
l’émission de la tierce majeur à partir du partiel 4. Les
harmoniques du nây dûkâh (ré) se présentent ainsi :

Emile Leipp rappelle que : « La série des partiels obtenus en forçant le


souffle se rapproche d’autant plus de la série harmonique du fondamental du
tuyau entier que la taille (rapport longueur/diamètre) est plus grande ». (3)

V.3. La chambre d’harmonie

La chambre d’harmonie est cet espace interne du tube situé entre


l’embouchure et la première cloison de nœud. Rappelons que cette première
cloison, dans le nây turco-arabe, n’est pas entièrement dégagée mais ouverte
partiellement au milieu du disque membraneux comme le montre l’illustration
ci-dessous. Cette chambre d’harmonie a un rôle acoustique important ; elle
facilite l’émission des partiels aigus.

Première cloison percée partiellement Perforation totale des autres cloisons

Chambre Illustration Illustration


d’harmonie n° 14 n° 15

1) LE GONIDEC (Marie-Barbara), Organologie et typologie des flûtes à embouchure et arête de jeu


terminales, op. cit., p. 49.
2) Généralement, plus le nây est long, plus son diamètre est grand. Cependant, nous pouvons trouver des
roseaux, ayant des ventres (inter-nœuds) relativement étalées et dont le diamètre n’est pas trop grand.
3) LEIPP (Emile), op. cit., p. 226.

93
VI. La facture du nây arabe

La facture du nây est relativement facile si nous la comparons à celle


d’autres instruments de musique. Le nây est fabriqué de manière artisanale par
le musicien lui-même ou par un facteur d’instruments. Ce dernier, même s’il
n’est pas un musicien professionnel, doit savoir jouer de l’instrument et cerner
certains détails - liés à la technique de jeu et au système musical - dont il devra
tenir compte lors de la facture instrumentale. La facture du nây se fait toutefois
en plusieurs étapes dont nous allons décrire les principales dans la partie qui
succèdera au choix du roseau.

VI.1. Le choix du roseau

Le choix du roseau constitue un élément important dans la fabrication du


nây et seul un roseau parmi un très grand nombre servira à la construction d’un
instrument correct. En effet, le roseau doit présenter certaines caractéristiques
et une physionomie particulière afin de pouvoir en réaliser un instrument
savant. Il doit être parfaitement mûr, sec, droit et présenter des nœuds
équidistants.

Le roseau est une plante qui pousse en abondance au bord des grands
fleuves (le Tigre, l’Euphrate, le Nil, l’Indus, etc.) et dans certaines régions à
climat tempéré chaud notamment celles du pourtour oriental du bassin
méditerranéen. Il existe une grande variété de roseaux dont certains sont utilisés
dans la fabrication des instruments de musique. Al-qaçab al-fârisî (le roseau
perse) est une variété connue aussi bien en Iraq qu’en Egypte. Charles Tripp
souligne que : « le matériau utilisé en Egypte, pour la fabrication des flûtes à
embouchure et arête de jeu terminales, c’est le roseau du Nil, désigné par le
terme de farsi pour les dimensions réduites de la plante (flûte de taille moyenne)
et le gharb, quand le roseau est plus long et de section plus large, convenant à la

94
production de sons graves ». (1) Al-qaçab al-tarâbulsî, provenant de la région de
"Tarâblus" (Liban) est le type préféré des facteurs syriens et libanais. Il semble
que le type de roseau, le plus apprécié, qui entre dans la facture des instruments
de musique est, selon Jean-Pierre Lafitte (2), l’Arundo Donax, couramment
appelé, en France, roseau de Provence ou canne de Provence. C’est une plante
robuste, à grosse tige ligneuse, pouvant atteindre cinq mètres de long et qui
fleurit pendant les mois de septembre et d’octobre. Charles Tripp nous fournit de
nombreuses informations sur cette plante. (3) Rappelons simplement qu’une
année suffit au roseau pour pousser et atteindre sa hauteur maximale. La coupe
s’opère entre les mois d’octobre et décembre. Le roseau est par la suite exposé
régulièrement au soleil, disposé verticalement, pendant une longue période,
pouvant atteindre deux ans, afin d’être séché. (4)

Dans un article consacré aux flûtes du Maroc (5), Louis Soret évoque
l’Arundo Donax qui, par suite de son abondance au Maroc, est utilisé pour la
facture des nây-s, en plus de son exploitation pour la fabrication de clôtures,
claies, cloisons, nattes, paniers, jusqu’à de petits abris saisonniers ou des pièces
de mobilier.

VI.2. La coupe du roseau

Une fois séché, le facteur procède à la coupe des différents tubes qui
constitueront les nây-s. Ce sont essentiellement les extrémités supérieures des
longs roseaux sélectionnés qui sont retenues pour la fabrication d’instruments.
Elles présentent l’avantage d’être plus rectilignes et comportant des nœuds
équidistants. Chaque tube, coupé net à ses deux extrémités, doit comporter les

1) TRIPP (Charles), Egypte, Les flûtes des temps pharaoniques à nos jours, in : Flûtes du
monde, du Moyen Orient au Maghreb, op. cit., p. 135.
2) Cité par Charles Tripp, Le roseau, Flûte et calame, musique et écriture, in : Flûtes du monde, du
Moyen Orient au Maghreb, Belfort, Association Flûtes du Monde, 1996, p. 10.
3) TRIPP (Charles), ibid., p. 9.
4) Entretient avec Saleh al-Dîn al-Manaa, facteur et joueur de nây. (mars 2005)
5) SORET (Louis), Les flûtes au Maroc, in : Flûtes du Monde, du Moyen Orient au Maghreb, Belfort,
Association Flûtes du Monde, 1996, op. cit., p. 166.

95
nombres immuables de nœuds et de sections, à savoir huit nœuds et neuf entre-
nœuds ou sections.

VI.3. Le nettoyage du tube

Le facteur commence par nettoyer avec soin l’extérieur de la tige, à l’aide


de papier de verre fin, afin de la débarrasser des éventuelles inflorescences qui
ont poussé à proximité des nœuds. Dans une deuxième étape il faut évider
complètement le tube de l’intérieur en lui ôtant la moelle et les cloisons internes
correspondant aux nœuds. En effet l’intérieur du tube n’est pas creux, il
comporte des disques membraneux transversaux, régulièrement espacés, qui en
obstruent le canal au niveau des nœuds.

C’est à laide d’une tige de fer chauffé au rouge et tout récemment d’une
perceuse électrique que le facteur débarrasse le tube des cloisons nodales
internes. Les nœuds seront ainsi évidés à l’intérieur du roseau à l’exception du
nœud supérieur (celui situé du côté de l’embouchure) qui ne devrait pas être
rabattu à fond. Le segment inter-nodal devrait être perforé en son centre afin de
permettre le passage de l’air et de réaliser ainsi une chambre d’harmonie
"khazna".

VI.4. La disposition et l’exécution des trous

La tige du roseau étant un tube de perce légèrement conique. C’est


précisément dans la moitié du tube qui est la moins évasée que vont figurer les
trous de jeu de l’instrument. Le facteur procède dans un premier temps au
repérage et au marquage de l’emplacement des trous. Le perçage s’opérait
autrefois à l’aide d’une tige de fer incandescente, de nos jours l’emploi d’une
perceuse électrique, dotée d’une mèche au diamètre appropriée, s’est généralisé.
Pour un même nây les sept trous ont le même diamètre. Ce diamètre varie en
revanche d’un instrument à l’autre et de manière proportionnelle avec les
dimensions du tube.

96
VI.4.1. La disposition des trous

Pour certains facteurs traditionnels l’exécution des trous ne tient pas au


hasard, mais obéit à des lois bien précises et s’opère selon une succession
d’étapes bien déterminées. A cet égard Reinhard souligne que « les sept trous,
dont un se trouve au-dessous, sont placés selon des règles anciennes, peut-être
même à l’origine suivant des lois numériques symboliques ». (1) Raouf Yekta
apporte quelques éclaircissements sur la disposition des trous du ney mansour,
constitué d’une tige de roseau, ayant une longueur normale de 806 millimètres :
« Cette tige est divisée avec une précision mathématique en 26 segments, (…),
le milieu de sa longueur, situé au treizième segment, est marqué d’un trou à la
partie inférieure au moyen duquel on obtient la note fa. (…) De ce point à
l’extrémité, on compte encore six trous placés à la partie supérieure de
l’instrument aux quatrième, cinquième, sixième, huitième, neuvième et dixième
segments ». (1) Le schéma suivant illustre les mesures adaptées pour la perce
des trous de jeu du ney mansour. (2)

Illustration n° 16

Le nombre et la répartition des trous de jeu peuvent être déterminés par de


savants calculs sur le plan théorique, mais dans la pratique cette répartition est le
fruit de mesures empiriques. C’est le résultat d’une longue expérience basée
essentiellement sur l’essai de différentes configurations et l’imitation d’un

1) REINHARD (Kurt et Ursula), Turquie : Les traditions musicales, op. cit., p. 104.
1) YEKTA (Raouf), La musique turque, in : Encyclopédie de la musique et Dictionnaire du
Conservatoire, op. cit., p. 3018.
2) Ce schéma est extrait de l’ouvrage de Süleyman Erguner, Ney metod, (Méthode de ney), op. cit., p.
50.

97
modèle réussi. En évoquant la fabrication du ney persan, Caron et Safvate
soulignent qu’autrefois en Iran il n’y avaient pas de règles définies et que
chaque facteur avait ses mesures et obtenait des instruments parfois inexacts
mais qu’un effort a été fait pour remédier à cet état de choses. (1)

La méthode adoptée en Tunisie et qui fut, selon Manoubi Snoussi, (2)


initiée par al-Shaykh ‘Alî al-Darwîsh à ses disciples, pendant son séjour à Tunis,
peut être explicitée à l’aide du schéma (3) ci-après qui indique les proportions et
les rapports entre les différentes longueurs.

D 1D 2 D 3D 4 A1= 4B
C = 2/3 B
C1 C2 C3 D = C/2
7

1 2 3 4 5 6

B1 B2 B3 B4

A1 A2
Illustration n° 17

Cette méthode consiste à percer dans un premier temps un trou au milieu


du tube. Ce trou qui divise le tube en deux parties égales A1 et A2, sera le
septième et occupera la face postérieure du nây.

Le facteur divise, par la suite, la partie inférieure du tube (A1) en quatre


parties égales : B1-B2-B3-B4, afin de repérer l’emplacement de deux trous
extrêmes (trou n° 1 et trou n° 6). Ces deux trous coïncident avec les deux
extrémités, respectivement droite et gauche des deux parties B1 et B4.
L’intervalle entre ces deux trous extrêmes sera, à son tour, divisé en trois parties

1) CARON (Nelly) et SAFVATE (Dariouche), Iran, Les traditions musicales, op. cit., p. 177.
2) SNOUSSI (Manoubi), op. cit., p. 93.
3) Ce schéma est tiré de l’ouvrage de : MAHDI (Salah El-), La musique arabe, Paris, Alphonse Leduc,
1972, p. 62. Il figure aussi dans le livre de : GUETTAT (Mahmoud), La musique classique du
Maghreb, op. cit., p. 248.

98
égales : C1-C2-C3. Deux orifices (trou n° 3 et trou n° 4) viennent se positionner
sur les deux extrémités de la partie C2.

Dans une troisième étape, le facteur divise chacun des deux intervalles C1
et C3 en deux parties équidistantes, donnant respectivement : D1 - D2 où sera
exécuté le trou n°2 et D3 - D4 pour le trou n°5. Le cinquième trou sera donc
logé au milieu de C3 et le deuxième au milieu de C1.

Ainsi on obtient six trous alignés sur la face du tube et un septième au-dessous.

La répartition des trous dans le tube qui respecte les proportions


traditionnelles est l’héritage de l’expérience séculaire des musiciens. Compte
tenu des irrégularités naturelles du matériau, de nombreux essais sont
indispensables afin de trouver la répartition idéale des trous mélodiques. Ainsi,
il suffit d’avoir un roseau au nombre de nœuds requis pour qu’il soit possible de
répartir les trous comme nous l’avons indiqué précédemment.

Sur le schéma qui suit nous avons indiqué la succession d’intervalles


résultant de cette disposition de trous.

1 ton 1/2 1/4 3/4 1/2 1/2 1+1/2

Dans son article "Les flûtes en roseau du pourtour oriental de la


méditerranée" (1), Marie-Barbara Le Gonidec donne un schéma où elle indique
les premières notes de l’échelle musicale produites à l’aide d’un nây arabo-turc
dont la fondamentale est la note do.

Illustration n° 18

1) LE GONIDEC (Marie-Barbara), Les flûtes en roseau du pourtour oriental de la méditerranée, in :


Le roseau et la musique, op. cit., p. 23.

99
Ce schéma comporte en effet certaines erreurs notamment dans l’intervalle
séparant les trous, n° 1 et n° 3, (ré - mi demi bémol) qui est un intervalle de trois
quarts de ton et non un ton entier. L’intervalle entre le trou n° 2 (mi bémol ou ré
#) et le trou n° 3 (mi demi bémol) n’est pas non plus un demi ton, mais plutôt un
quart de ton. Enfin, entre le troisième trou (mi demi bémol) et le quatrième (fa)
il y a bien un intervalle de trois quarts de ton et pas un demi ton comme
l’indique Le Gonidec dans son schéma.

Les divers intervalles entre la note fondamentale (tous les trous obturés) et
celles obtenues respectivement en obturant à chaque fois et successivement l’un
des autres trous figurent sur ce schéma.

Seconde majeure

Tierce mineure
Tierce médiane
Quarte juste
Quarte augmentée
Quinte juste
Septième mineure

VI.5. Les segments extrêmes

Le nây étant pourvu d’une embouchure rudimentaire, obtenue par


simple sectionnement du tube. Un chanfrein est taillé sur le bord de tout le
pourtour externe, dotant ainsi l’embouchure d’un biseau externe. Marie-
Barbara Le Gonidec apporte quelques précisions sur la manière de
chanfreiner l’embouchure afin d’obtenir un instrument opérationnel :
« L’oblique du biseau est obtenue en enlevant, en biais, un peu de matière du
pourtour supérieur externe du tuyau, généralement à l’aide d’une lame.

100
Ensuite, cette surface inclinée est souvent limée et poncée pour offrir un
biseau net et lisse ». (1)

L’une ou même les deux extrémités du nây peuvent enfin être


consolidées, afin d’éviter leur éclatement, soit par une bague de métal, soit par
un fil métallique ou en coton, enroulé sur une largeur de 1 à 2 cm.

Extrémités supérieures

Illustration n° 19 Illustration n° 20 Illustration n° 21

Extrémités inférieures

Illustration n° 22 Illustration n° 23 Illustration n° 24

Avant d’utiliser son instrument, il est préférable que le musicien le trempe


dans de l’huile d’amende afin d’en tirer une meilleure qualité de son.

VI.6. L’entretien du nây

L’instrumentiste doit de temps à autres nourrir son nây en l’enduisant


d’huile d’amandes. Comme c’est le cas de tous les instruments à vents, le nây
connaît l’inévitable problème de condensation du souffle qui produit de l’eau à
l’intérieur du tube. La condensation du souffle affecte la tessiture et peut
fragiliser l’instrument. Bien que cette eau s’écoule naturellement et
instantanément du fait de la tenue inclinée de l’instrument, une certaine quantité
reste fixée à la paroi interne qui n’est pas lisse et uniforme. Le nây doit par
conséquent être huilé ou graissé de l’intérieur (huile de lin, d’amandes ou autre
végétal) afin de permettre un meilleur écoulement de l’eau.

1) LE GONIDEC (Marie-Barbara), Organologie et typologie des flûtes à embouchure et arête de jeu


terminales, op. cit., P. 12.

101
Les différentes étapes dans la réalisation d’un nây

1. Plante et racine 2. Roseau planté en lignes 3. Après une année


parallèles d’implantation

4. Tiges de roseau coupé 5. Enlèvement des 6. Nettoyage extérieur du


ramifications et des feuilles roseau

7. Repérage des portions du 8. Mesures et repérage 9. Coupe du roseau après le


roseau dotées de nœuds relevé des mesures.
équidistants

10. Portions utiles servant à 11. Séchage des futurs 12. Nettoyage du roseau
fabriquer des nây-s instruments après séchage

102
13. perforation des cloisons 14. Traçage du trou postérieur 15. Repérage des
du roseau emplacements des trous

16. Traçage des trous de face 17. Perce des trous frontaux 18. Perce du trou dorsal

19. Affûtage de 20. Amincissement du bord 21. Amincissement de la


l’embouchure en vue de créer extérieur de l’embouchure paroi interne de
un biseau externe biseautée avec du papier l’embouchure avec du papier
abrasif abrasif

22. Nettoyage du nây après le 23. Consolidation des 24. Graissage du nây avec de
perçage des trous extrémités du nây. l’huile d’amende.
Planche n° 1

103

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