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DOI : 10.4000/books.bibpompidou.1295
Éditeur : Éditions de la Bibliothèque publique d’information
Année d'édition : 2008
Date de mise en ligne : 17 janvier 2014
Collection : Paroles en réseau
ISBN électronique : 9782842462123
http://books.openedition.org
Édition imprimée
ISBN : 9782842461140
Nombre de pages : 53
Référence électronique
BAUER, Anne ; et al. Comprendre la mondialisation III. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Éditions de la
Bibliothèque publique d’information, 2008 (généré le 24 septembre 2019). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org/bibpompidou/1295>. ISBN : 9782842462123. DOI : 10.4000/
books.bibpompidou.1295.
Paroles en
(CYCLE 5 )
réseau
Actes des rencontres de septembre à décembre 2006
Comprendre la mondialisation (cycle 3)
Responsable
Édition/Diffusion
Arielle Rousselle
Ouverture
Anne Bauer
Ouverture
Brice Couturier
Débat
Modérateur : Brice Couturier
Ouverture
Anne Bauer
Anne Bauer *
Notes
* Grand reporter aux Échos, présidente de l’Association des journalistes de l’environnement
(AJE).⁄
1. GODARD Olivier, HENRY Claude, LAGADEC Patrick et KERJAN Erwann Michel,
Traité des nouveaux risques, Paris, Gallimard, 2002.⁄
Yannick Jadot *
Notes
* Directeur des campagnes de Greenpeace France.⁄
1. Registration, Evaluation and Authorization of Chemicals.⁄
2. Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer.⁄
13
S’organiser pour lutter
contre la dégradation
de l’environnement
global
Un pessimisme raisonné
Je ne suis pas très optimiste quant à la capacité qu’a l’humanité de s’organiser
sérieusement pour faire face à temps aux défis planétaires du changement
climatique ou de l’érosion de la biodiversité. Les obstacles à une telle organi-
sation sont importants. Sur la scène internationale nous avons affaire à une
société d’États, sans disposer d’un gouvernement mondial, que chacun
semble redouter plus que tout. Puisque les trois modèles de base évoqués
de façon introductive ne sont pas opérants, tournons le regard dans d’autres
directions. N’y a-t-il pas des voies de passage moins fermées ? Mon sentiment 23
personnel est qu’aucune des alternatives auxquelles on peut songer n’offre Globalisation des enjeux
de solution évidente. environnementaux
À l’échelle de l’histoire, une solution de gouvernance supranationale et mondialisation économique :
a été efficace, celle de l’Empire. Elle se caractérise par le fait qu’un les contradictions
du principe de souveraineté
État puissant voit converger ses intérêts propres de puissance impériale des États-nations
et des intérêts plus larges communs à l’ensemble des États qu’il domine.
Le problème, c’est que l’Empire du moment et celui qui lui succédera
vraisemblablement ne s’intéressent pas vraiment aux problèmes qui nous
occupent, ou du moins ne leur accordent pas la priorité que commanderait
l’urgence de la situation. Une autre solution issue de la théorie des jeux
est de chercher à surmonter le « dilemme du prisonnier » et le problème
« du passager clandestin », en associant la gestion des biens collectifs planétaires
à la production ou distribution de biens privés fortement désirés. Si certains
pays ne voient pas l’intérêt de préserver le climat de la planète ou la bio-
diversité, peut-être seraient-ils intéressés par les retombées de la recherche
scientifique et technique à laquelle l’accès leur serait donné dans des
conditions avantageuses s’ils voulaient bien se joindre à une coalition
proclimat ou probiodiversité ? En ce sens, l’Europe pourrait prendre
une initiative sur le terrain de la recherche partenariale et du transfert
de technologie puisqu’elle a pris le leadership international des fortes
déclarations et des objectifs ambitieux sur les questions environnementales.
Malheureusement, elle n’est pas en très bon état sur le front de la recherche
scientifique et technique, c’est son problème, malgré la stratégie
de Lisbonne. La mise sur pied d’un grand partenariat entre l’Europe, l’Inde,
Notes
* Directeur de recherche au CNRS, professeur à l’École polytechnique, département des
Humanités et sciences sociales.⁄
1. KRUGMAN, Paul, La Mondialisation n’est pas coupable : Vertus et limites du libre-échange,
trad. de l’anglais par Anne Saint Girons et Francisco Vergara, Paris, La Découverte, 1998 ;
2000.⁄
2. LAMY, Pascal, “The emergence of collective preferences in international trade : implications
for regulating globalisation”, Conference on Collective Preferences and Global Governance :
What future for the Multilateral Trading System ?, Bruxelles, 15 Septembre 2004.⁄
Ouverture
Brice Couturier
Débat
Modérateur : Brice Couturier
Brice Couturier *
Notes
* Producteur à France Culture.⁄
1. L’auteure n’a pas souhaité que son intervention soit publiée.⁄
2. DELSOL, Chantal, La Grande Méprise : justice internationale, gouvernement mondial,
guerre juste, Paris, La Table ronde, 2004.⁄
3. FRYDMAN, Benoît, Le Sens des lois : histoire de l’interprétation et de la raison juridique,
Bruxelles, Bruylant, 2005.⁄
4. GAUDU, François, Droit du travail, Paris, Dalloz, 2004.⁄
Benoît Frydman *
Je vais vous montrer le défi que lance la mondialisation à l’ordre des États
qui étaient, depuis quelques siècles, les principaux régulateurs en matière
de droit et de justice.
Brice Couturier : Merci Benoît Frydman. Selon vous, on peut donc attendre
le droit social international aussi longtemps que l’État mondial. Finalement,
vous nous montrez que les mécanismes de surveillance civile sur les entreprises
peuvent fonctionner. Les débats qui ont eu lieu précédemment ici même
nous ont expliqué que la mondialisation avait abouti à transférer le pouvoir
depuis le travail et les salariés du côté du consommateur et de l’actionnaire.
Vous nous donnez deux exemples qui démontrent que l’actionnaire peut
contrôler le côté socialement responsable des financements qu’il concède.
Je pense notamment aux agences de notation ou encore à la reconversion très
spectaculaire de NicoleNotat, qui est passée de la direction d’un syndicat de
travailleurs à la direction d’une agence qui a pour but d’évaluer le caractère
responsable ou non de ces investissements dits socialement responsables.
Il y a bien un contrôle de quota de l’actionnaire, et une autre forme de
contrôle – vous l’avez illustré avec les campagnes de boycott lancées par les
étudiants de Duke sur la qualité du travail et sur les objets qu’ils façonnent.
Quelque part, la logique de la mondialisation est prise à son propre piège
puisque le consommateur et l’actionnaire sont pris à témoin et peuvent
être mobilisés au profit de conditions de travail décentes.
Benoît Frydman : Je suis tout à fait d’accord avec le fait que la mondialisation 36
est prise à son propre jeu, en particulier grâce aux initiatives intelligentes Le défi
ou audacieuses de certains acteurs de terrain comme ces organisations de de la mondialisation
la société civile, ces syndicalistes en activité, ou de simples citoyens comme à l’ordre des États
Marc Kasky. Tout actif peut faire quelque chose s’il joue le jeu. Ce qui
caractérise ces acteurs, c’est leur pragmatisme : ils cherchent à obtenir un
résultat direct et concret sur le terrain, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a
pas une idéologie qui sous-tend leurs entreprises. Il s’agit de comprendre
les règles de la mondialisation afin d’en user pour faire avancer ses propres
objectifs. On pourrait dire par exemple que les logiciels libres agissent
de la même manière avec la propriété intellectuelle : ce sont des gens qui
ont compris la propriété intellectuelle et qui l’utilisent contre elle-même.
Effectivement ce sont des gens qui ont compris les règles du jeu et qui
développent alors des activités partielles, mais qui présentent la particularité
de pouvoir se coordonner. C’est ce que nous appelons la « corégulation ».
Vous avez des initiatives qui sont isolées dans le monde – un campus
à Duke, un ex-employé de NIKE, une ONG présente au Viêtnam, etc. –,
tous ces gens jouent leur partie ; d’une certaine manière ce sont des alliés
objectifs, parfois leurs actions se contrecarrent, parfois leurs actions se
coordonnent, et parfois cela produit des effets de régulation. On pourrait
très bien se demander si l’efficacité de tout cela ne représente pas qu’une
goutte d’eau par rapport à l’océan des problèmes qui se posent, ce ne serait
pas faux, mais si l’on fait un test d’efficacité, il importe de comparer des
choses comparables. Il ne suffit pas de dire qu’on va supprimer le droit social
français pour le remplacer par un système de surveillance de la société civile.
Notes
* Professeur et directeur du Centre Perelman de philosophie du droit à l’Université libre
de Bruxelles. Voir le site internet : http://www.philodroit.be /.⁄
1. La société FTSE Group est le principal fournisseur mondial d’indices.⁄
François Gaudu *
La précarité de l’emploi
Au sujet du développement de la précarité de l’emploi, je souhaiterais évo-
quer trois phénomènes. Je citerai d’abord un phénomène auquel les Français
ne penseraient pas en premier, mais qui est très important dans les pays
intermédiaires entre les plus pauvres et les plus riches, à savoir le dévelop-
pement du secteur informel au détriment du secteur officiel. Le deuxième
phénomène est celui de l’essor de la prestation de service international.
Enfin, j’évoquerai très succinctement la déréglementation.
En ce qui concerne le développement du secteur informel au détri-
ment du secteur officiel, dans certains pays – par exemple dans les pays 41
méditerranéens ou les pays d’Amérique du Sud –, le droit du travail Le droit social
ne s’est jamais appliqué à tout le monde. Une partie seulement de la à l’épreuve
main-d’œuvre était protégée, soit peut-être 60 % en Argentine, 40 % de la mondialisation
au Venezuela ou 10 % dans un pays du Maghreb. Des travailleurs béné-
ficiaient néanmoins d’un vrai droit du travail et il existait également de
vrais syndicats. Or, sous l’effet de la libéralisation des marchés, ce secteur
officiel régresse, parce que les dirigeants d’entreprises n’appliquent pas
toujours le droit en vigueur dans des pays où il n’est pas très difficile de s’y
soustraire. Le même phénomène amène en ce moment l’industrie textile
du Bangladesh au bord de la crise sous l’effet de la concurrence chinoise.
Contrairement au Bangladesh, la Chine ne contient pas de syndicats
indépendants légaux. Le Bangladesh est moins informel que la Chine et,
par conséquent, les produits de Chine sont moins chers. En ce moment,
on est en train de licencier dans les industries textiles du Bengale, l’un des
pays les plus pauvres du monde. Nous ne sommes pas non plus épargnés
par l’illégalité car, comme chacun le sait, une bonne partie de nos contrats
à durée déterminée est irrégulière, le statut du travail à temps partiel est
très largement bafoué dans de très nombreuses entreprises françaises, et
les trois quarts des stagiaires que nous employons bénéficient en réalité de
contrats de travail déguisés en stages.
La prestation de service internationale constitue un autre facteur
d’érosion des statuts. Je vais prendre l’exemple du conflit opposant les
syndicats suédois et la nation suédoise à une entreprise lettone qui voulait
exécuter un chantier sans verser les salaires prévus par la convention
Conclusion
Je voudrais conclure en proposant trois scénarios d’évolution. Le premier
scénario est le statu quo qui signifie un affaissement plus ou moins rapide.
Pour la France, il peut très bien engendrer l’effondrement du droit du travail
parce que les syndicats sont extrêmement faibles et que le droit du travail ne
Brice Couturier : Merci François Gaudu. Puisque vous avez été polémique,
je vais vous poser une question qui ne le sera pas moins. Il me semble que
vous idéalisez beaucoup le droit du travail français. J’anime une émission
de débats quotidiens et, pendant longtemps, une émission sur l’Europe
intitulée « Cause commune ». J’ai observé le droit du travail dans d’autres
pays européens et je poserai une question sous forme d’objection. Chez
nous aussi, la baisse récente du chômage résulte, selon les syndicats, presque
entièrement de la progression des emplois non traditionnels, comme les
CDD et l’intérim. N’est-ce pas la preuve que notre droit du travail est ina-
déquat puisqu’il est contourné et n’est-ce pas la preuve que, dans notre
pays, malgré nos proclamations, se développe un salariat à deux vitesses ?
Ces questions me ramènent à ce que vous disiez précédemment à propos
du droit du travail. Vous affirmiez ainsi que le droit du travail américain et
britannique est en lambeaux. Si tel est le cas, pourquoi ont-ils des salaires
plus élevés que les nôtres et pourquoi se fait-il que le chômage soit aussi
élevé dans notre pays et aussi faible chez eux ? Ne serait-ce pas le signe que
le droit du travail ne peut pas tout et que notre idéalisation de notre droit
du travail nous entraîne vers une impasse économique ?
Brice Couturier : Merci de cette réponse. Je pense qu’il est temps d’ouvrir ce
dialogue avec la salle puisque beaucoup de gens ont eu la patience de nous
écouter jusqu’au bout. J’imagine que beaucoup de réactions se préparent.
Notes
* Professeur de droit privé à l’université Paris I-Sorbonne.⁄
1. Voir Le droit du travail et l’emploi : article du même auteur plus particulièrement axé
sur le cas de la France.⁄
2. Chercheur à la faculté de droit de l’université Renmin du peuple de Pékin.⁄
3. « Gagneurs de pain », naturellement de sexe masculin.⁄
Public : Je suis docteur en droit privé les normes sociales s’élèvent de façon
et en droit pénal. Je suis très étonné à réduire la concurrence.
par le fait que les juristes ne prennent
pas vraiment position au niveau des
débats de société. Je ne vous parlerai Brice Couturier : Ce syndicat
pas d’affaires concrètes telles que mondial me semble représenter une
l’affaire NIKE, mais uniquement tentative intéressante de répondre
d’un événement qui s’est déroulé à la mondialisation sur son propre
il y a une dizaine de jours avec la terrain.
fondation de l’Organisation syndicale
internationale. Cette fondation avait Public : Bonjour. Je souhaiterais
pour ambition de faire converger savoir si, à votre avis, cette impuis-
les intérêts des salariés du Nord et sance des droits internes à faire face à
du Sud. Je n’ai pas besoin d’insister l’ordre international que l’on semble
sur les divergences qui existent constater ne vient pas d’une absence
entre les intérêts économiques du de stratégie des pays occidentaux.
Nord et du Sud. Les délocalisations En prenant l’exemple européen,
d’entreprises privent les salariés du l’absence de mise en place de la
Nord de leur travail au bénéfice des stratégie de Lisbonne, sensée faire de
salariés du Sud. Aucun droit ne pose l’économie européenne l’économie
de limites à cette situation. Il existe la plus compétitive d’ici à 2010, ne
une justice et un syndicat du travail contribue-t-elle pas à ce que le droit
nationaux. Pourquoi parler d’un mondial et globalisé s’impose ?
syndicat international alors que l’on
sait que les intérêts divergent sur Brice Couturier : Cette question me 48
toute la planète ? semble destinée à M. Frydman. Débat