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Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

Les représentants du personnel. De la démocratie en


entreprise ?

Remerciements :
Avant toute chose, je remercie profondément les membres de l’équipe pédagogique pour m’avoir
permis d’intégrer cette formation et pour leur implication auprès de chacun de ses étudiants.
Merci aussi à l’ensemble de mes camarades dont le contact prolongé m’aura servi d’école. Merci à Luc
Lefort, Tim Salzer et Pauline Liochon. Merci à Camille Hugo. Merci à Théo Régniez, Pierre Yves Galzi et
Augusto Diaz.
Merci toujours à Thibault Dietschie pour parvenir à commenter mon travail et préparer son agrégation
d’Histoire.
Merci encore à Arnaud Mias pour son accompagnement tout au long de l’année et à Jean-Michel Denis
pour prendre le temps de la lecture de ce travail.
Enfin, merci à mon père pour la confiance qu’il m’a porté à l’égard des informations qu’il m’a rendu
possible de recueillir.

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Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

Sommaire :
Remerciements.........................................................................................................................1
Sommaire....................................................................................................................................2
Introduction...............................................................................................................................3

Partie 1. Un papa délégué syndical dans le nettoyage industriel : la belle


affaire ?......................................................................................................................................10

A) Une brève présentation du père par rapport au terrain.....................................................13


B) Un fiston largement bien accueilli.....................................................................................16
C) « Fils de » mais pas que !..................................................................................................18
D) Des entretiens plus ou moins riches selon l’étiquette endossée.........................................22
E) Et le papa dans tout ça ?....................................................................................................23

Partie 2. Le décor de l’enquête : les élections................................................................25

A) Les enjeux des élections professionnelles...........................................................................25


B) Positionnement des agents des différents groupes parties prenantes selon le type de
candidat............................................................................................................................31
1) Candidat partenaire....................................................................................................31
2) Candidat contestataire................................................................................................33
3) Une indifférence des syndicats....................................................................................34
4) Oppositions des motivations et intérêts entre salariés et direction.............................36
C) Le vote aux élections professionnelles................................................................................37
D) Faire campagne..................................................................................................................41
1) Lutter contre la distanciation géographique et sociale..................................................42
a) Malgré la distanciation géographique....................................................................42
a.1) Le réseau...................................................................................................42
a.2) Se présenter sur les chantiers....................................................................43
b) Malgré une distanciation sociale............................................................................45
2) S’assurer le bulletin des salariés...................................................................................47
a) En tant qu’élu........................................................................................................48
b) En tant que chef d’équipe.......................................................................................50
c) Par le biais de l’appui de la direction.......................................................................51

Partie 3. Les représentants du personnel. Des oligarques chez les salariés ?...56

A) La constitution des listes....................................................................................................57


1) Des organisations syndicales à la pèche aux candidats.................................................58
2) Une direction qui prend les devants.............................................................................58
3) Les élus : principaux recruteurs....................................................................................64
B) Les élus : un groupe au croisement des diverses logiques de sélection...............................71

Conclusion.................................................................................................................................83
Bibliographie............................................................................................................................85
Annexes.....................................................................................................................................87

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Introduction

Livia est technicienne de surface salariée de l’entreprise C’est Du Propre (CDP). Elle connait une
situation de mise en souffrance, selon ses propres termes, par sa cheffe d’équipe entre 2017 et 2018.
Sur une longue période, on lui confie les taches les plus ingrates et l’empresse de reprendre le travail
en période de pause. Des temps de repos sont distribués à ses collègues quand celle-ci doit continuer
à travailler. Un représentant du personnel me résume son cas en quelque mot : « C’est la Cosette » de
son équipe. Le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) est convoqué pour
mener une enquête et rédiger un rapport. En entretien, Livia, désormais Responsable de Section
Syndicale (RSS) à la CFDT, revient sur cet épisode et souligne une limite dans le fonctionnement des
Instances de Représentation du Personnel (IRP) :

-Depuis cette année c’est CGT. L’année dernière (avant les élections) c’était FO. Mais
ce sont les mêmes personnes en fait. Et si tu veux c’est des pourries. Tu vois, moi,
j’ai été victime de souffrance au travail, j’ai été mise en souffrance au travail. Ça a
été assez loin, et quand il y a eu une enquête du CHSCT qui a été demandé, bah
l’enquête du CHSCT, elle a été complétement bâclée. On m’a convoqué, on avait des
questions toutes prêtes. [...] Je ne pouvais même pas m’exprimer au niveau de mon
problème parce que (ne termine pas sa phrase) ... il y a toujours le pourquoi du
comment. Alors eux ils avaient des questions toutes prêtes …

Et les élus du CHSCT étaient de la liste de FO ?

-Ouais. C’était eux qui étaient là et donc ils m’ont posé des questions mais c’était
déjà (ne termine pas sa phrase) … Si tu veux j’avais aucun droit. Alors après à la fin
je leur ai dit. Je leur dis : « mais attendez, avec les questions que vous me posez et
tout, ça n’encadre pas mon problème ». Et alors ils m’ont dit que c’était comme ça
et que ça se passait comme ça. Premier mensonge. Alors toi, quand tu es novice [et]
que tu as le CHSCT devant toi, tu dis bon d’accord, c’est que ça se passe comme ça.
Tu ne connais rien. Je lui dis : « Ouais mais alors moi je ne peux pas vous expliquer ».
Elle me dit : « Si si ! Vous pouvez nous raconter votre problème, comment ça s’est
passé, le pourquoi du comment, mais on en tiendra par compte dans le rapport.
C’est-à-dire qu’on vous écoute, on est là pour vous écouter mais on n’en tiendra pas
compte dans le rapport. »

Mais c’est qui cette personne ?

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-Bah c’était Amir.

Il n’y avait pas Amina ?

-Amina, ils ont bien attendu qu’elle ne soit pas là. Parce que elle, elle ne se fait pas
trop acheter par le directeur, alors ils ont bien attendu qu’elle ne soit pas là pour
déclencher l’enquête. Voila. Donc elle n’était pas là.

Le problème rencontré par Livia dans la prise en charge de son cas par le CHSCT réside dans les
membres qui le composent. Ils refusent de tenir compte du problème de Livia dans leur rapport. Que
des représentants n’assurent pas volontairement leur fonction questionne sur les processus les ayant
sélectionnés. Comment sont donc choisis les représentants du personnel en entreprise ? Depuis la loi
de 2008 portant rénovation à la démocratie sociale, l’ensemble des représentants du personnel
(Délégué du Personnel (DP), membre du CHSCT, membre du Comité d’entreprise (CE), Délégué
Syndical) doit justifier de sa légitimité au travers de scrutins. Pour le CHSCT, le collège électoral à la
particularité de ne réunir que les membres du comité d’entreprise et les délégués du personnel et ne
fait donc pas directement appel aux salariés. Cependant, la loi travail de 2017 a fusionné ces différentes
instances – et par conséquent leur scrutin – en une seule : le Comité social et économique (CSE).
Désormais, tous les représentants1 (Membre du CSE et Délégué syndical) sont choisis par les salariés
de leur collège respectif. Le vote en démocratie est supposé être l’arme des mandants pour maintenir
un contrôle sur les délégués. Les représentants du personnel seraient dans l’obligation d’accomplir au
mieux leurs missions au risque de se voir sanctionner par les salariés lors des prochaines élections.
Pourtant, comme l’informe Livia, les protagonistes de son récit sont parvenus à se faire réélire sous
une autre étiquette. Représentants attachés à FO au moment de l’enquête, ils le sont désormais à la
CGT. De nouveau, le fait que des « vendus », aux yeux de Livia, changent d’organisation syndicale pour
une autre réputée combative, la CGT, interroge. Les organisations syndicales sont parties prenantes
des élections professionnelles puisqu’elles y jouent leur représentativité aux différentes échelles.
Néanmoins, l’entente entre ces agents des relations professionnelles (les représentants du récit et la
CGT) semble surprenante du fait de motivations a priori divergentes. Apparait ici l’un des principaux
problèmes aux élections professionnelles : bien que seuls des salariés de l’entreprise ne puissent se
présenter, elles impliquent d’autre parties prenantes aux motivations et intérêts divergents ou
extérieurs. Elles obligent alors chacun à se positionner par rapport aux autres. J’ai distingué quatre
groupes parties prenantes dans le cadre de mon enquête : les salariés, les candidats, les organisations
syndicales et la direction de l’entreprise. Les alliances qui prennent forme afin de faire prévaloir leurs

1
Exception des représentants de section syndicale dont le pouvoir est bien moindre.

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propres intérêts et motivations font partie de ce que j’appelle le jeu des relations professionnelles dont
les élections en sont un moment cardinal. En effet, elles déterminent les agents qui, au nom des
travailleurs, participeront à la construction et aux négociations des pratiques et des règles « dans une
entreprise, une branche, une région ou l'économie tout entière, [qui] structurent les rapports entre les
salariés, les employeurs et l’État » (Lallement, 2008, p.1).

Ce travail de mémoire repose sur une enquête dans une entreprise de nettoyage industriel,
principalement auprès des représentants du personnel et au sujet des élections. C’est grâce à mon
père, ayant joué un rôle de « complice »2, que j’ai pu pleinement intégrer ce terrain. Il est aujourd’hui
Délégué syndical (DS) et possède la plus longue expérience de Représentant du personnel (RP) de son
entreprise. J’appréhende les élections essentiellement au travers d’entretiens réalisés auprès des
agents des relations professionnelles qui y concourent. Cette position donne à percevoir les résultats
aux élections comme le fruit des stratégies de campagne. Le vote est alors considéré comme
« l’expression des capacités de mobilisation différenciées des [agents] qui le sollicitent, le suscitent et
l’encadrent » (Béroud et Yon, 2014, p.24). A partir de ce cadre d’analyse, la compréhension des
résultats révèle alors les positions particulières des candidats et des élus dans le champ de leur
entreprise et celui des relations professionnelles.

Avoir mon père comme « complice » et comme enquêté fut une chance pour le développement
de l’enquête et la production de cet écrit. Cependant, cette proximité peu courante avec le terrain a
souvent questionné les individus auxquels j’avais présenté mes travaux. Je reviens sur celle-ci lors d’un
retour réflexif dans une première partie. Je crois que celui-ci est « la seule manière d’échapper au
soupçon de trahison et de partialité » (Rose-Marie Lagrave in Landour, 2013, p.12) que peuvent nourrir
les lecteurs à mon égard.

J’entrerai par la suite dans le vif du sujet avec une présentation générale des élections
professionnelles. Cette seconde partie prend soin de cibler et de définir les élections dont il est
question dans l’entreprise étudiée. Elle introduit l’ensemble de ses parties prenantes avec leurs
motivations et intérêts. Elle revient ultérieurement sur les élections dans leur pratique : d’abord en les
distinguant de l’idéal qu’elles incarnent pour le législateur par une analyse critique du vote comme de
l’expression des salariés ; puis par une présentation des pratiques et stratégies déployées par les
candidats lors des campagnes. Il en ressort qu’une dotation spécifique de ressources mobilisables chez

2
Je reprends l’expression employée par Nicolas Bué : une personne qui « ouvre des portes » sur le terrain. Voir Bué N (2010).
« Gérer les relations d’enquête en terrains imbriqués ». Revue internationale de politique comparée, 2010/4 Vol. 17, p 77-91.

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les candidats et les listes est alors nécessaire pour leur garantir de l’emporter. Les données recueillies
sur le niveau de qualification et d’ancienneté de l’ensemble des salariés de CDP soulignent la spécificité
des candidats, puis des élus par rapport au reste des salariés.

Les processus de sélection à l’origine des caractéristiques observées chez les candidats et les élus
sont l’objet de la dernière partie. L’entrée en lice, à l’instar du vote, n’émane pas de la volonté propre
des salariés. Elle est le produit du recrutement des agents des relations professionnelles, parmi
lesquels un corps d’élus solidement implantés. La représentation en entreprise, en organisant les
salariés au travers d’élections pour se munir de délégués, participe à entériner la loi d’airain de Roberto
Michels. « Qui dit organisation, dit oligarchie » (Michels, 1914, p.15). Le recrutement des agents
intègre trois critères de sélection et possède pour première fonction de faire prévaloir leurs intérêts
et motivations. Pour les élus, celui-ci consiste avant tout en leur propre réélection. La sélection cible
une même population de salariés, en partie suggérée par la base de données, bien mieux intégrée dans
l’entreprise et correspondant au noyau dur de CDP.

Encadré 1 : CDP et le secteur de la propreté. Présentation du terrain d’enquête.

Présentation du secteur de la propreté.

Le secteur de la propreté a largement déjà été présenté par Jean-Michel Denis (2009, 2013). Ce
sont principalement sur ses travaux que se construit cet encadré.

« Le marché du nettoyage se décompose en trois segments : le nettoyage classique, le nettoyage


spécialisé et les services connexes. Le premier, qui représente l’activité principale de la branche, est
réalisé essentiellement dans le domaine tertiaire et industriel. Le second concerne les secteurs
industriels (agro-alimentaire, nucléaire, etc.) et de la santé (milieu hospitalier). Le troisième
correspond aux services offerts dans le cadre d’une demande globale de la part des donneurs
d’ordre » (Denis, 2019, p5).

Le secteur de la propreté 3 est structuré par trois caractéristiques essentielles. « Le fait : que les
entreprises de propreté soient des entreprises prestataires au service d’autres entreprises (ou
administrations) donneuses d’ordre ; que l’activité exercée soit essentiellement une activité de

3
Jean-Michel Denis (2014) consacre toute une partie sur la présentation du secteur dans un papier dédié à la
compréhension des enjeux de représentations dans le secteur. J’invite le lecteur en quête de plus d’information à s’y
diriger.

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main-d’œuvre qui s’effectue sur des sites éclatés et de taille très diverse ; que les salariés de la
propreté soient essentiellement des agents d’exécution souvent marqués par une grande précarité
professionnelle et sociale ». (Denis, 2013 in Béroud et all, 2013, p58).

Dans sa présentation du secteur, Jean-Michel Denis (2013) évoque aussi quelques tensions
auxquelles celui-ci est soumis. En premier lieu, une tension économique, à la fois liée « au
mouvement de concentration capitalistique des entreprises de propreté mais aussi au contexte de
crise qui frappe le secteur apparemment depuis 2009 ». Au regard des chiffres clés de 2019 sur le
secteur présentés par la FEP (Le monde de la propreté, 2019), il apparait que la crise ne soit plus
d’actualité. Le chiffre d’affaire, le nombre de salariés et le nombre d’entreprises sont tous les trois
à la hausse. Pour autant, la concentration capitalistique perdure. Les 50 premières entreprises –
dans un secteur regroupant près de 12 000 entreprises – représentent 45% du chiffre d’affaire total
et plus de 41 % de la part des salariés. Cette concentration s’explique avant tout par des économies
d’échelles permises aux plus grosses entreprises. La répartition des parts de marché ne peut
dépendre que très peu de la capacité des entreprises à proposer du nettoyage spécialisé puisque
la part de ce type de prestation, réellement « spécialisées »4, ne représente qu’une faible partie du
marché5. La concurrence se fait plutôt par le biais d’appels d’offre où le prix est un critère cardinal
dans le choix du donneur d’ordre. Elle pèse très lourdement sur celui-ci, et est d’autant plus rude
que la durée des contrats – avant remise en concurrence – est faible. Elle est en moyenne de 4.6
ans dans le privé (mais de moins de 2 ans pour 26% des marchés privés), et de 2.9 ans dans le public
(et de moins de 2 ans pour 19% des marchés publics). Les taux de marge sont globalement faibles
pour toutes les entreprises du secteur (« En raison de la part importante des salaires dans la valeur
ajoutée » (10 %) (Insee, 2018)). Cependant, les plus grosses entreprises sont en mesure de tirer
encore un peu plus sur cette marge et de gagner en compétitivité. « En moyenne, plus la taille des
entreprises augmente, plus leurs marges sont faibles » (Le monde de la propreté, 2019).

Néanmoins, cette recherche de compétitivité pour obtenir des parts de marché et synonyme pour
les salariés de moins disant social. « L'intensité capitalistique6 du secteur du nettoyage est faible

4
Par exemple une désinfection pour cause de suspicion d’un travailleur atteint du covid-19 en période de crise ne recourt
pas à des salariés spécialement formés bien qu’il intègre – selon l’INSEE – le « nettoyage spécialisé ».
5
Moins de ¼ selon l’Insee.
6
« L'intensité capitalistique mesure, pour une unité, les actifs nécessaires pour générer un revenu. Elle se calcule en
rapportant des immobilisations corporelles brutes à l'effectif salarié en équivalent temps plein (ETP) » (définition de l’INSEE).
L’intensité capitalistique est une statistique qui à l’échelle d’un secteur permet d’estimer le besoin des immobilisations brutes
et des fonds de roulement nécessaire pour être un compétiteur sur le marché. « Elle est par ailleurs moins élevée dans le
nettoyage courant de bâtiments (environ 5 000 euros) que dans le nettoyage spécialisé (17 000 euros) (figure 4). En effet,
peu d’équipements sont nécessaires pour effectuer les prestations courantes de nettoyage de bureaux ou d’immeubles »
(INSEE, 2018).

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(11 000 euros contre 76 000 euros dans les services aux entreprises) » (Insee, 2018) ; les salariés,
bien que précaires, représentent 80% du coût de la prestation (Le monde de la propreté, 2017).
C’est donc en premier lieu sur eux que se répercute les renégociations à la baisse des contrats
passés. Ils sont globalement peu qualifiés (plus de 50% sans formation initiale) et vieillissant, 90%
sont des agents de service, 65% des femmes, plus de 30% sont de nationalité étrangère et plus de
75% en contrats à temps partiel (mais du fait du phénomène de multi-employeurs 35% sont à 35
heures ou plus) (Le monde de la propreté, 2019). Leur salaire annuel brut médian est de
19 600 euros en 2015 (en équivalent temps plein), ce qui est nettement en deçà du salaire médian
des services aux entreprises de 27 700 euros (Insee, 2018).

La faible ancienneté (53% ont une ancienneté de 5ans) et l’importance du phénomène de multi-
employeurs s’expliquent en partie par les changements d’employeurs au grès des passations de
marché. L’article 7 de la convention collective des entreprises de propreté et services associés
garanti cependant une « continuité du contrat de travail du personnel en cas de changement de
prestataire » (Conventions collectives, entreprises de propreté et services associés, 2016). En
d’autres mots, il est supposé être maintenu le niveau de salaire, la qualification, etc.

De toutes ces caractéristiques il ressort plusieurs difficultés par rapport à la représentation des
salariés du secteur.

A l’égard du choix des représentants deux problèmes se posent a minima. Premièrement, « les
salariés issus du nettoyage ne posséderaient pas forcément les capitaux indispensables pour devenir
des « bons » représentants, en particulier du fait des clivages ethniques (et sexués) importants dans
la profession. » (Denis in Béroud et al, 2013, p.74). Secondement, l’éclatement géographique et les
clivages ethniques – de nouveau – compliquent le bon déroulement d’élections voulues
démocratiques. De manière plus générale ils sont des freins à toutes communautés de travail ou
d’organisations collectives dont le syndicalisme (Denis, 2009).

Ensuite, les intérêts et motivations de la direction et des salariés dans les entreprises sont
particulièrement antagonistes. La survie et les profits des entreprises dépendent de leur
compétitivité sur le marché. Mais cette quête se traduit pour les salariés en moins disant social. Ils
n’ont rien à gagner ou à perdre à être dans une entreprise plus ou moins compétitive, pas même

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leur emploi, du fait de l’article 7 de leur convention collective. Ainsi, sur les chantiers les salariés
sont parfois plus stables que les prestataires puisqu’ils passent d’un employeur à un autre, en
conservant leur contrat de travail, au grès des passations de marché.

Présentation de CDP.

CDP fait partie des entreprises qui dominent le secteur. L’agence dans laquelle l’enquête fut menée
se situe dans la ville de FC en province. Son secteur d’activité s’étend sur deux départements. Elle
comporte en février 2020, 362 salariés, parmi lesquels de nombreux individus de communautés
portugaise et d’Afrique du nord. Le manque de candidat pour le deuxième collège (ingénieurs, chefs
de service, techniciens, agents de maitrise et assimilés) réduit les élections professionnelles à celles
du premier (ouvriers et employés). Néanmoins, cela change peu l’ampleur des élections puisque
seulement 5 salariés n’appartiennent pas au premier collège : quatre inspecteurs (qui se divisent la
gestion du secteur de l’agence en quatre) et le directeur d’agence. Sept sièges de titulaires et sept
de suppléants sont à pourvoir. Avec un taux de femmes de 82.13% dans le collège, les listes ne
peuvent être composées que d’un seul homme (titulaires et suppléants forment deux listes).

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Partie 1. Un papa délégué syndical dans le nettoyage industriel : la belle


affaire ?

Les élections ont deux principaux enjeux : décider des représentants du personnel dans
l'entreprise et de la représentativité des syndicats aux différentes échelles (Fervaques, 2016). C’est
donc un moment important – et exceptionnel (tous les quatre ans) – des relations professionnelles.
Elles déterminent les agents qui, au nom des travailleurs, participeront à la construction et aux
négociations des pratiques et des règles « dans une entreprise, une branche, une région ou l'économie
tout entière, [qui] structurent les rapports entre les salariés, les employeurs et l’État » (Lallement, 2008,
p.1). C’est une période intéressante puisqu’elle force les agents parties prenantes de ces pratiques et
règles à se mobiliser et à se disputer les suffrages (Béroud et Yon, 2014) afin de faire prévaloir et
légitimer au mieux leurs propres intérêts et motivations.

J’ai distingué dans le cadre de mon terrain quatre groupes parties prenantes aux élections : les
salariés, les candidats, les organisations syndicales (au nombre de trois), la direction de l’entreprise.
Les résultats des élections n’ont pas été appréhendés par une sociologie des « votants ». Les
nombreuses études déjà menées sur le vote permettent de considérer comme acquis le fait que celui-
ci ne soit pas « une expression individuelle [...] informée et rationnellement construite » (Taghavi, 2016,
p.6) de la part des électeurs. Dans le cas du vote professionnel, la thèse de Tristan Haute permet aussi
de rappeler qu’il serait naïf de le considérer comme un « vote sur enjeux ». Il m’a donc semblé
pertinent de rechercher à expliquer les résultats des élections en étudiant les agents qui s’y disputent
les suffrages et les candidats qui incarnent in fine leurs différents intérêts et motivations.

L’enquête qualitative permet de restituer l’ensemble de ces éléments dans le jeu des relations
existant entre chacun de ces agents. L’intégration sur le terrain a été grandement facilitée par mon
père qui a joué un rôle de « complice »7. Les matériaux recueillis sont tirés de moments de
participation, d’observations, de données récoltées sur l’ensemble des salariés CDP, d’entretiens
informels (discussions) et d’entretiens ethnographiques8. 9. Ces derniers constituent le cœur de mon
travail. Ma population d’enquêtés se constitue pour l’essentiel des personnes interrogées dans ce

7
Je reprends l’expression employée par Nicolas Bué : une personne qui « ouvre des portes » sur le terrain. Voir Bué N (2010).
« Gérer les relations d’enquête en terrains imbriqués ». Revue internationale de politique comparée, 2010/4 Vol. 17, p 77 à
91.
8
Entendus comme des entretiens non directifs dans lesquels l’enquêté se sent libre d’enchainer ses idées sans craindre de
coupure imposée par un guide. Il prend la forme d’une discussion orientée à partir de trames de fond décidés par
l’enquêteur.
9
Entendus comme des entretiens non directifs dans lesquels l’enquêté se sent libre d’enchainer ses idées sans craindre de
coupure imposée par un guide. Il prend la forme d’une discussion orientée à partir de trames de fond décidés par
l’enquêteur.

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cadre. La taille de l’entreprise m’a permis de m’entretenir avec une bonne partie des agents participant
aux relations professionnelles.

Encadré 2 : Population d’enquêtés.

J’ai pu mener des entretiens ethnographiques auprès de :

- Trois représentants de la CGT :

• Juan, ancien délégué syndical (n’a jamais été sur la même liste que les personnes
suivantes).

• Amir, DS et élu titulaire au Comité social et économique, anciennement sur la liste


de FO.

• François, élu suppléant au Comité social, anciennement sur la liste CFDT.

- Deux représentants de FO :

• Amina, secrétaire syndicale, délégué syndicale et élue titulaire CSE forcée à la


démission de ces fonctions10.

• Paul, secrétaire syndical.

- Six Représentants de la CFDT :

• Cristina, élue titulaire au Comité social et économique et secrétaire.

• Carla, élue titulaire au Comité social et économique et trésorière.

• Nathalie, élue suppléante au Comité social et économique.

• Louis et sa femme. Louis est élu titulaire au Comité social et économique. Mais sa
femme, Sylvie, est très investie dans le travail l’activité syndicale de la liste.

• Mon père, élu suppléant au Comité social et délégué syndical.

• Jacques, secrétaire syndical à la CFDT.

10
Amina est aussi élue dans une autre entreprise. Une procédure judiciaire l’a forcé à démissionner de ces fonctions d’élue.

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- Un Représentant de la direction :

• Pierre, ancien inspecteur de CDP.

- Deux salariées :

• Justine, salariée sur le site de Amir.

• Ivana, salariée sur le site de Amir.

Le lien familial me liant avec mon terrain pose nécessairement la question des biais qu’une trop grande
proximité peut engendrer sur un travail à prétention scientifique. Il apparait obligatoire de rendre
visibles les conditions de sa production (Landour, 2013). C’est, comme le souligne Rose-Marie Lagrave,
« la seule manière d’échapper au soupçon de trahison et de partialité » (in Landour, 2013, p.12).
Néanmoins, si le caractère exceptionnel de ma position exacerbe ce devoir d’élucidation, je crois
pertinent de rappeler que le chercheur est pourtant systématiquement situé par rapport à son objet
d’étude.

Au commencement de mon enquête j’envisageais deux conséquences problématiques au fait


d’avoir mon père comme complice :

• Un risque d’« enclicage 11» , c’est à dire d’être associé à mon père par les agents du terrain,
restreignant mon acceptation à sa seule liste syndicale.
• Un contrôle dans les propos tenus par les enquêtés méfiant que leurs paroles reviennent aux
oreilles de mon père – s’appliquant également à la liste CFDT à laquelle il appartient.

Dans ces circonstances, il m’aurait été difficile de prendre la distance nécessaire par rapport au
discours de mon père pour la réalisation de l’enquête (Beaud et Weber, 2010). Ces craintes étaient
alimentées par mon père lui-même qui m’a longtemps incité à me présenter sous le nom de ma mère
à mes enquêtés. Le développement de l’enquête a démontré que ces inquiétudes méritaient
largement d’être apaisées. Les caractéristiques du terrain – la structuration du secteur, le profil des
enquêtés, l’état des relations professionnelles – et la position de mon complice dans celui-ci ont
concouru à fortement minimiser les difficultés que j’avais pu envisager. Être le « fils de » s’est révélé
particulièrement avantageux sans que je n’aie à payer le coût de la proximité que cela aurait pu induire.

11
« Fait d’être associé à une clique locale, par laquelle s’est faite l’entrée dans le milieu étudié » (Bué, 2010).

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Il est question ici de présenter les effets de ma position vis-à-vis des enquêtés sur le déroulement de
mon enquête, à savoir son influence sur mon acceptation auprès des enquêtés et ses effets sur les
propos recueillis. Cette position est bien entendu fortement dépendante de l’étiquette que je revêts
face aux enquêtés, et en conséquence d'être le "fils de". Je présenterai aussi rapidement la
particularité de mon rapport enquêteur-enquêté entretenu avec mon père.

Mon terrain d’étude partage quelques caractéristiques – et risques associés – avec celui de Nicolas
Bué dans son enquête sur une coalition municipale d’union de gauche. Il est « démultiplié en plusieurs
espaces sociaux, à la fois imbriqués, interdépendants et concurrents » (Bué, 2010, p.3). C’est le propre
des relations professionnelles. Chacun des groupes parties prenantes aux élections peut être considéré
dans un sous champ comme celui de l’entreprise ou celui des organisations représentatives. « Une
telle configuration, où les partis se concurrencent dans le cadre de leur alliance, exacerbe le risque
d’enclicage ». Risque d’enclicage d’autant plus important lorsqu’on y entre par le biais d’un complice
déjà positionné dans son champ. L’extrême proximité de la relation père-fils me semble renforcer cette
affirmation. La difficulté à se dissocier de son complice dans les interactions avec les autres agents
projette le chercheur dans les rapports et relations préexistants à son entrée. Comprendre ma position
vis-à-vis de mes enquêtés requiert donc de connaitre celles qu’ils occupent par rapport à mon père, et
réciproquement. C’est pourquoi je commencerai ce travail réflexif par une présentation de la position
sociale de mon père au sein de son entreprise.

A) Une brève présentation du père par rapport au terrain.

Mon père a été embauché dans l’entreprise à l’âge de 21 ans, en 1986. Il est présent sur la liste
syndicale marquant la première implantation d’une section dans l’entreprise. C’est son collègue
Montaigne qui lui propose d’en faire partie. Il accepte. Il souhaite aller à la CGT mais Montaigne lui
explique que ce n’est pas possible. Il n’en cherche pas la raison. L’idée d’une section syndicale a été
soufflée à son collègue par la direction. C’est la CFDT qui est privilégiée – ce qui semble faire sens au
regard des préférences habituelles des employeurs (Giraud et al, 2018). Avec le temps, à mesure que
mon père prenne de l’assurance – en partie grâce à l’entrée de nouveaux représentants du personnel
attachés à la CGT dans le jeu des relations professionnelles–, il s’affranchit de Montaigne. Mon père
m’explique avoir accumulé de la colère envers son délégué syndical par rapport à ce qu’il considère
être de l’abus de pouvoir. Ce dernier utilise l’argent du fonctionnement du Comité d’entreprise (CE) à
des fins personnelles. Mon père pose un ultimatum à son secrétaire syndical. C’est lui ou Montaigne.
Ça sera Montaigne, tandis que lui se lance dans une campagne sans étiquette contre son ancien
collègue. Mais le rattachement à un syndicat est tout de même utile. Lorsqu’on lui demande de revenir
quatre ans plus tard il acceptera et y restera. Aujourd’hui délégué syndical – Montaigne n’étant plus
13
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

salarié –, il est fermement attaché à la CFDT. Il est d’ailleurs le seul de sa liste à y tenir. Il justifie son
attachement en premier lieu par le nombre important de permanences juridiques de l’organisation
(cardinales dans le secteur du nettoyage (Denis, 2009)). Mais la raison principale, moins souvent
évoquée, est l’efficacité de son secrétaire. Il épaule mon père dans les taches qui lui sont difficiles en
raison de son importante dyslexie et d'un manque de compétence scolaire (nécessaire à la rédaction
de courrier, étude de textes juridiques, etc.). En échange de cette aide mon père lui est loyal.

En fait, il n’a été jamais question pour lui d’être un représentant de la CFDT. Il est un représentant à la
CFDT. Sous-entendre une relation avec son syndicat autre qu’utilitaire est vécu comme une tare pour
lui comme pour le reste de son équipe – une élue n’y possède même pas sa carte. Cette relation
utilitaire avec son syndicat semble être la norme plutôt que l’exception dans l’entreprise – expliquant
les mouvements de l’un à l’autre entre deux élections. Il faut bien comprendre ici que « dans le
nettoyage, on ne fait pas du syndicalisme comme chez Renault » (Denis, 2009). C’est un syndicalisme
qui parvient difficilement à porter des revendications collectives à l’échelle de l’entreprise. Les salariés
sont éparpillés sur une grande quantité de chantiers (à l’échelle de deux départements dans le cas de
l’entreprise étudiée), sont peu qualifiés et ne parlent pas tous le français (30% des salariés du secteur
sont d’ailleurs de nationalité étrangère)12, et changent d’employeur au gré des passations des contrats
de prestations – chose qui n’est pas rare puisque la durée entre deux remises de contrat est en
moyenne de 4,6 ans dans le privé et 2,9 ans dans le public13. Il est en conséquence difficile d’y faire
vivre une quelconque communauté de travail14.

Parce que dans le nettoyage, les salariés ne se voient pas. Ils ne se connaissent même
pas. Ils ne savent même pas leur entreprise. Tu demandes aux gens vous travaillez
où ? Bah ils vont te dire « je travaille à Sainte-Marie ». Pour qui ? « Pour Sainte-
Marie ». Alors que pas du tout. Il travaille pour une entreprise [de nettoyage].
(Jacques, Secrétaire syndical de la CFDT)

Le syndicalisme dans l’entreprise se résume alors souvent à des règlements de litiges individuels, à
s’assurer d’abord du bon respect du droit du travail. Il s’agit de comprendre que malgré la présence de
trois sections syndicales différentes aujourd’hui, il n’y a pas d’animosité partisane entre les élus liée à

12
Fédération des Entreprises de propreté, Chiffres clés, édition 2019
13
ibid.
14
Une des causes du déplacement des négociations collectives à l’échelle de la branche.

14
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

leur organisation d’appartenance. Par exemple, il n’est pas rare lors des Négociations annuelles
obligatoires (NAO) que les listes s’organisent en liste commune15.

L: Voila. C’est ton père qui les faisait et Amir (délégué syndicale de la CGT) il
disait « oui oui c’est bon. Oui oui c’est bon ». Pour tous les candidats. Enfin pour
toutes les listes.

S : Ah oui. Ah oui. Alors moi quand j’ai appris ça. Je suis tombée des nues là. Il faisait
ça pour toutes les organisations syndicales. C’est-à-dire que… Les NAO c’est très
personnel pour une organisation syndicale, parce que on n’a pas les mêmes objectifs
selon une organisation syndicale à une autre euh. La CGT et la CFDT enfin c’est deux
choses complètement différentes parce qu’un moment donné, le délégué syndical il
représente une organisation syndicale. Donc il y a des directives syndicales… enfin
eux, je ne suis pas sûre qu’ils en tiennent beaucoup compte…

L: On s’en fout, nous. Tout ce qu’on demande c’est du fric. (Louis, Titulaire CSE à la
CFDT, et Sylvie, sa compagne très investie dans le travail l’activité syndicale de la
liste.)

Malgré le manque d’animosité syndicale, les élus restent néanmoins adversaires sur bien des points.
La bataille électorale qu’ils se livrent les élections venues ne manque pas de le rappeler. Cependant, la
nature et l'état de leurs relations, bien souvent volatiles, comme leur appartenance à une liste (tout
aussi volatile) plutôt qu’à une autre, se comprennent au travers d’éléments plus personnels. Le poids
des rapports interpersonnels se superpose d’autant plus à celui des rapports inter-organisationnels
que le nombre des représentants est faible et qu’ils se connaissent depuis longtemps16. Seuls sept
17
postes de titulaire sont à pourvoir au Comité social et économique (CSE) et seuls six élus
appartiennent au corps d’élus historiquement implantés18.

La perception que les autres enquêtés ont de mon père est donc principalement d’ordre personnel,
construite sur une longue relation interpersonnelle ou simplement professionnelle. Son appartenance
syndicale a peu d’influence en soi. Il en ressort que la plupart des élus lui reconnaissent une certaine

15
Les NAO sont des négociations entre l’employeur et les représentants syndicaux que le premier à l’obligation d’organiser
au minimum une fois par an. Cette année la CGT n’a pas été conviée à la liste commune, non pour des raisons syndicales
mais pour un conflit, voire une haine, envers son délégué syndical considéré comme vendu par l’ensemble des élus des
autres listes.
16
L’ancienneté moyenne des salariés sur les listes est nettement supérieure à l’ancienneté moyenne dans l’entreprise, et
beaucoup d’élus enchainent les mandats.
17
Ce nombre est dépendant de la masse salariale calculée à partir du nombre d’heures travaillées dans l’entreprise.
18
Tous en sont à leur troisième mandat minimum. Ce sont les têtes de listes de la dernière campagne électorale.

15
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

intégrité. Je crois que celle-ci trouve également appui sur des actes comme sa démission de la CFDT
par rapport à Montaigne, sa démission de ses responsabilités de chef d’équipe– en désaccord avec la
politique de réduction du coût du travail par l’entreprise –, ou simplement sa capacité à faire fi des
adversités de listes dans le fonctionnement des instances de représentation. A cet égard, mon père
entretenait d’ailleurs avec Juan, élu et délégué syndical emblématique de la CGT à la retraite, de
bonnes relations en dehors de la sphère du travail.

B) Un fiston largement bien accueilli.

Être le « fils de » n’a pas seulement facilité mon acceptation auprès des membres de la liste de
mon père, mais également avec la plupart de ses supposés adversaires. Du moins, puisque la relation
d’adversaire est souvent dissociée de toute animosité partisane. J’ai été dans ce contexte souvent
traité comme un invité – on m’offrait le café, voire me conviait à domicile pour déjeuner. La confiance
qui m’a été accordée m’a permis de toujours pouvoir enregistrer les entretiens. A cette confiance,
s’ajoutent les caractéristiques particulières des représentants du personnel19 qui ont également
participé à faciliter mes entretiens. Ils parlent, sans me montrer la distance que mes diplômes auraient
pu induire. Ce n’est pas nécessairement surprenant puisque l’expérience de leur mandat suppose de
ne pas craindre la confrontation avec un supérieur hiérarchique (C. Gray, 2011). Ce sont « des grandes
gueules ». Ils parlent même de mon père, et les reproches qu’ils lui adressent m’assureront par la suite
une prise de distance envers ses propos.

Les désaccords que les représentants interrogés peuvent avoir avec mon père s’inscrivent dans leur
manière de faire du syndicalisme. Par exemple, leur exigence à l'égard de l'application assidue du droit
diffère. Certains chercheront son application systématique – avec des exceptions pour eux-mêmes –
au détriment de certains des salariés20. Mais les clivages prennent le plus souvent appui sur la manière
de gérer les conflits avec la direction21, ou les méthodes utilisées par chacun pour parvenir à ses fins.
Dans le cadre des élections, la moralité ou la légalité de ces méthodes peut faire débat. Ce point est
alors source d’étonnement pour le chercheur tant la triche est affaire commune et peut prendre des
proportions rocambolesques. Elle est si commune qu’un secrétaire syndical de la CFDT refuse de me

19
Ils parlent français, possèdent une meilleure maitrise du droit que leurs collègues, un niveau de qualification moyen
supérieur au niveau moyen de l’entreprise.
20
L’exemple typique est celui de l'application du plafond du temps de travail. Beaucoup des salariés sont multi-employeurs.
Cela leur permet de passer outre le plafond légal du nombre d’heures travaillées. Certains élus ferment les yeux. Soit parce
qu'ils en profitent eux-mêmes, soit avec l'idée que les gens ne travaillent pas par plaisir. D’autres considérerons que ces
heures de travail illégales correspondent à un emploi supplémentaire potentiel non pourvu.
21
Certains privilégieraient les procédures, d’autres la confrontation directe avec la direction. Néanmoins, le manque de
connaissances que tous ont sur l’action des élus des listes adverses ne permet pas d'extraire d'information objective à ce
sujet.

16
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

parler de stratégie « malhonnête » pour les qualifier. Tout n’est que stratégie, parfois déplorable, mais
pas malhonnête :

Il n’y a pas de « malhonnête ». Dans une entreprise, alors là on a fait mieux. Dans
une entreprise, un jour à minuit du soir, la déléguée syndicale m’appelle. Elle me dit,
« putain dis donc sur internet mon adversaire est en train de monter un coup pour
mon enlèvement ». Sur internet. Ok on regarde le truc machin. On y passe toute la
nuit machin. On retrouve tous ceux qui avaient manigancé l’enlèvement, on appelle
les flics, en disant « voilà… ». Les flics ils disent « ok », ils commencent à mener leur
enquête. Ils ont trouvé donc comment allait se passer l’enlèvement. Ils ont trouvé la
cabane où elle allait être séquestrée. Hein, parce que ce qu’ils voulaient, c’est qu’elle
ne soit pas présente dans l’entreprise pour les élections. Et bah ils ont tout trouvé.
La fille, elle a été poursuivie de chez elle à chez l’entreprise tous les quatre matins.
Ils lui ont bousillé sa voiture 5-6 fois, ils lui ont crevé les pneus, ils ont tout fait ! Héhé
(rire).

[…]

Chacun emploie ses armes. Et là aujourd’hui la personne qui a fait ça, elle a été élue.
Elle est majoritaire. Haha (rire). (Jacques, secrétaire de la CFDT)

Les qualificatifs de « barbares » ou de « sauvages » d’Andolfatto (1992) pour qualifier les élections
professionnelles paraissent régulièrement très justement employés. Dans l’entreprise étudiée,
chacune des listes et chacun des candidats font aussi appel à leurs armes afin s’assurer de suffrages.
Ces moyens contestables sur le plan moral voire légal sont souvent riches d’informations sur les profils
des listes et des candidats en mesure d'y recourir. Les enquêtés n’ont pas de mal à aborder ces sujets :
ils ne me cachent pas ce dont on les accuse, ils s’en justifient ou en nuancent la teneur. En fait, ils
peuvent difficilement faire autrement. En tant que « fils de », je suis à la fois familiarisé aux
nombreuses pratiques du milieu et aux agents le composant. Mes enquêtés ne me sont pas inconnus,
et en ont pleinement conscience. Nous sommes en entretien dans une situation de double asymétrie
d’informations. Je ne connais pas les réponses de mes enquêtés a priori. Ils ne connaissent pas a priori
mon niveau de connaissances à leur sujet et des anecdotes qu’ils me narrent. Le risque de se voir
démenti les dissuade de me tromper éhontément. Ils me livrent alors plutôt un contre-discours aux
critiques que mon père aurait pu leur adresser. Ils se justifient des polémiques à leur sujet, du
bienfondé de leur démarche, et de la plus grande efficacité de leurs méthodes par rapport aux siennes.
Lorsque cette double asymétrie d’informations n’est pas évidente pour mon enquêté et pourtant

17
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

existante, je ne manque pas de lui la faire ressentir en évoquant moi-même certaines anecdotes qui
lui sont aussi familières. Elles recentrent également la discussion sur « une situation sociale vécue qui
permet de placer immédiatement l'entretien du côté des pratiques sociales en vigueur dans le milieu »
(Beaud, 1996, p.18). Il n’est pas pour autant question de le culpabiliser. J’adopte à son égard une
position systématiquement empathique. Je comprends ses actions, réactions, motivations…

C) « Fils de » mais pas que !

Evidemment, cette explication des récits de mes enquêtés à partir de la double asymétrie
d’informations induite par mon étiquette de « fils de » reste une hypothèse interprétative. Je la crois
pertinente à l’égard des différences perçues avec des entretiens réalisés en tant que simple « étudiant
parisien en socio-économie ». Les mêmes raisons qui empêchent une communauté de travail d’exister
dans l’entreprise, permettent de s’y présenter sous diverses étiquettes sans risquer d’être
« démasqué ». Au commencement de l’enquête, mon père ne croyait pas que certains de ses
adversaires accepteraient de s’entretenir avec moi, ou qu’ils oseraient me parler librement, et dire du
mal de lui. Lorsque je suis allé rencontrer les élus de la CGT, j’avais compté omettre mon nom de famille
dans une présentation rapide où serait plutôt accentuée ma qualité d’étudiant parisien. Mon père
voue une profonde aversion à la tête de liste et DS 22. Je sonne au local. On entrouvre la porte. La
première demande consiste à me présenter. La seconde, à spécifier mon nom. Pris de court, je donne
celui de ma mère – comme mon père avait persisté à me le conseiller. La porte m’est alors grandement
ouverte, et je suis accueilli avec enthousiasme par François le suppléant de Amir : Amir, le DS, travaille.
Mais François me donne son numéro et m’encourage à aller sur son chantier à la suite de notre
entretien. Je m’exécute. Être introduit à Amir par un membre de sa liste est une chance que je ne
pensais pas avoir. Arrivé sur son chantier, il délaisse son poste de chef d’équipe pour m’accorder un
entretien – son téléphone sonne à plusieurs reprises et il repousse systématiquement les demandes
qu’on lui adresse à la fin de notre rencontre. Lui aussi semble être méfiant au premier abord. Il me
questionne sur mon lien avec mon terrain. Je mens encore. J’avance que je me suis intéressé à la
question à la suite d'une discussion avec un agent du nettoyage dans le magasin où j’ai travaillé l’été
précédent. L’histoire est crédible, elle n’est pas entièrement fausse, commence alors l’entretien.

Amir n’a pas pris de son temps pour me justifier les décisions polémiques que le jeu des relations
professionnelles aurait pu le conduire à prendre. J’ai plutôt l’impression d’être pris comme un censeur,
ou comme un prétexte pour conforter une image valorisante de sa propre personne. Il me paie le café

22
Amir est accusé par les autres élus d’être « vendu à la direction », mais aussi de harcèlement moral et sexuel sur son
chantier.

18
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

sans en prendre lui-même. Il m’appelle parfois monsieur23, quelques moments en deviennent


théâtraux :

La campagne, moi je vous dis, la campagne monsieur c’est toute l’année. Il ne faut
pas attendre monsieur qu’il y ait les élections. Le salarié il a besoin de nous toute
l’année. Toute l’année. Ce n’est pas… Parce que moi j’en connais plein des gens qui
attendent, « putain, il reste un mois avant les élections, il faut que je bouge ». Non
monsieur. Il ne faut pas attendre les élections pour bouger. (Amir, titulaire CSE et DS
à la CGT).24

La manière dont il recherche dans ses réponses mon approbation m’amuse également. Il me répond
toujours en fonction de l’insinuation que pourrait induire mes questions. A propos des heures de
délégation, quand la question sous-entend qu’elles sont une chance, il ne les prend pas toutes. Lorsque
l’on parle plus tard de la quantité de travail imposée par ses missions de représentant du personnel, il
n’a pas assez d’heures de délégation. A mesure que l’entretien avance, les contradictions dans son
récit se font de plus en plus évidentes :

(A propos de la composition des listes)

- Il faut avoir des gens déjà qui connaissent les lois.

Donc vous les gens ils connaissent les lois dans votre groupe.

- Bah moi non. J’ai pris une fille elle avait un problème hein… sur un site. Pour la
protéger je l’ai mise avec moi. Parce que je ne voulais pas qu’elle ait des problèmes
avec C’est du Propre. Pour la protéger je l’ai mise avec moi, je ne le cache pas.

(2mn 19 plus tard)

Et il y a aucune stratégie sur la liste ? Vous faites une liste de gens qui veulent venir.

- Stratégie attend… Les gens qui veulent, les gens qui connaissent les lois. Les gens
sur qui je compte. Moi je ne mets pas quelqu’un parce qu’il veut se mettre le….
Excuse-moi l’expression … le cul au chaud. Non non non. Moi je veux des gens qui

23
J’ai 23 ans et des traits qui amènent de nombreux inconnus à me penser plus jeune que je ne le suis. Amir a 53 ans. Ses
"monsieur" participent à une forme de mise en scène.
24
Amir est algérien. Son français n’est pas correct. J’ai corrigé les fautes de français de chacun de mes enquêtés afin de pas
reproduire la domination sociale qu’elle contient dans le cadre de ce travail.

19
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

veulent [aussi s’investir à] défendre [les salariés] pour plus tard. Parce que moi je ne
vais pas rester. Hé attend j’ai 53 ans d’ici 4 ans j’en aurais presque 57. Je peux plus.
(Amir, titulaire CSE et DS à la CGT).

En tant qu’enquêteur, quand je suis un inconnu pour mon enquêté, le récit est vidé de toute sa
substance polémique. Il est lisse, marqué par une sorte de naïveté. Les polémiques, les « magouilles »
sont toujours liées aux autres. C’est aussi très présent dans le discours de François – suppléant de Amir.
Mais ce dernier n’est pas central dans le jeu des relations professionnelles et sa candeur semble plutôt
s’expliquer simplement par une méconnaissance réelle de l’état de celles-ci. Dans chacun de mes
entretiens l’engagement syndical est présenté comme répondant à un besoin altruiste d’aider son
prochain. Néanmoins, ce supposé altruisme est ici caricaturé à l’extrême. Amir refuse de m’exprimer
le moindre avantage personnel qu’il tirerait de sa position d’élu. Ils sont pourtant objectivement très
importants dans son cas25. Il nie et dément également les limites dans le fonctionnement des instances,
ce qui lui permet aussi de se prémunir de tout aveu d’en profiter lui-même. Bien que tous les agents
avec lesquels je me sois entretenu admettent que la triche soit monnaie courante, pour Amir, elle est
impossible :

Mais à CDP, il y en a qui font ça ? qui récupèrent les identifiants26 des gens ?

- Comment ils font !? Sauf si la personne elle est conne. Mais comment elle fait ?

Je ne sais pas, vous êtes …

- Explique-moi, [le vote] électronique, comment vous faites ?

Bah sans vous dire son nom, j’ai entendu quelqu’un qui le faisait. […]. Des personnes
qui ne savent pas utiliser le matériel et qui du coup donnent leurs identifiants pour
qu’on vote à leur place.

- Tu ne peux pas. Parce que le vote électronique… Parce que déjà tu vas recevoir une
lettre avec ton mot de passe et un autre truc. Il y a ton mot de passe et un code.

25
Amir a le droit à 39 heures de délégation par mois. De plus, il a la chance d’être en temps complet dans l’entreprise. Ses
heures de délégations ne sont pas comptabilisées en heures complémentaires – comme pour les représentants du personnel
en temps partiel – mais en heures supplémentaires. Une fois le plafond des 190 heures supplémentaires dépassé, toute heure
de plus ouvre le droit à une heure de repos compensatoire. En d’autres termes, être élu pour Amir signifie une possible
augmentation de revenu correspondant à 468 heures par an (12x39) auxquelles s’ajoutent jusqu’à 278 heures de repos
compensatoire (468-190), soit pour un contrat de 35 heures l’équivalent de 8 semaines de congés payés (278/35=7.94).
26
La participation aux élections se fait par bulletin électronique. Des codes et identifiants sont envoyés à chacun pour voter.
La meilleure façon de récolter les suffrages est donc de voter pour les autres...

20
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

Après. Parce qu’ils demandent ta date de naissance et le numéro de sécu…


Comment tu vas les avoir ? Comment tu fais ? Parce que quand tu vas faire le truc,
moi il m’a demandé le numéro de sécurité sociale, et la date de naissance. Comment
tu vas le … ?

Bah moi je ne sais pas. Mais j’ai cru comprendre que …

- Non mais… Comprendre ? Avec [le vote] électronique c’est …

...Impossible pour vous de tricher ?

- Moi, moi, moi ce que je vois c’est impossible… (Amir, titulaire CSE et DS à la CGT).

Aucune aspérité à son rôle ne m’est avoué. Peut-être est-ce par manque de confiance. Je ne suis qu’un
inconnu à ses yeux. Ou peut-être en profite-t-il justement pour idéaliser sa représentation de soi en
tant que syndicaliste (Goffman, 1956). Il tairait dans ce second cas ses consommations secrètes
inadéquates avec une représentation socialement établie de son rôle. D’ailleurs Amir va encore plus
loin. Lorsque je signale ma volonté d’élargir mon cercle d’enquêtés aux autres têtes de liste, il anticipe
et décrédibilise leur parole protégeant à minima la cohérence de la sienne :

Après je vais aller faire mon tour auprès de monsieur Hebert, de madame Amina…

- Bah euh. Après tu sais les syndicats…Maintenant. Avant on travaillait bien avec les
syndicats, maintenant il n’y a pas d'entente. […] Ils racontent n’importe quoi sur les
autres. N’importe quoi. Des fois moi j’… S’il n’y avait pas des salariés qui méritaient
que je reste pour eux, j’aurais démissionné. (Amir, titulaire CSE et DS à la CGT).

Ou encore, en toute fin d’entretien :

Après je vais essayer de voir les salariés, discuter avec eux… Mais c’est la campagne
qui m’intéresse.

-Attendez pour les salariés, est-ce que vous êtes autorisé ? Bah oui c’est l’hôpital.
Est-ce qu’ils vont vous laisser, est-ce que vous avez un laisser-passer ? C’est ça aussi.
A l’hôpital on n’y tourne pas comme ça. Même dans les autres sites hein. Tu vas à
EauDeSource ils ne vont pas te laisser rentrer, tu vas à Trebard ils ne te laissent pas
rentrer hein. Moi je suis sympa je suis venu te voir mais euh… vous n’avez pas le
droit.

21
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

Vous avez des numéros d’employés que je pourrais contacter en dehors de leur
travail ?

-On ne peut pas donner leur numéro de téléphone. Vous le savez ça. Je croyais que
vous vous étiez bien renseignés (sur un ton insidieux). On ne peut pas. Même quand
on va défendre un salarié, on ne donne pas son nom au patron. Parce que sinon il va
lui faire la misère. Imagine, vous vous êtes un patron… (Amir, titulaire CSE et DS à la
CGT).

D’une certaine manière, il m’impose son récit en me privant de celui des autres. J’ai cependant pu
rentrer en contact avec les autres têtes de liste, et des salariés de son chantier – deux qui étaient aussi
sur sa liste. Leurs propos rentraient en effet en contradiction avec ceux de Amir.

D) Des entretiens plus ou moins riches selon l’étiquette endossée

Mon premier contact sur le terrain s’est caractérisé par un changement d’étiquette au cours d’une
conversation informelle. Je me suis rendu au local de la CFDT pour essayer d’obtenir un entretien avec
la secrétaire générale de l’union. Celle-ci n’est pas en bonne entente avec mon père. Je décide d’éviter
dans la mesure du possible de donner mon nom. A mon arrivée, je rencontre Nathalie, à l’accueil. Je
lui expose ma requête. Une discussion commence autour de mon sujet d’étude encore peu défini. La
conversation est d’abord convenue, lisse, épurée. Mais Nathalie se rend compte que je suis bien
informé des conflictualités internes à l’organisation. Elle me demande d’où proviennent toutes mes
informations. Elle s’inquiète de la présence d’une « taupe ». Je change alors d’étiquette en me
présentant en tant que « fils de ». Bien qu’elle ne mette pas de visage sur le nom, l’appartenance de
mon père à l’organisation la rassure. Elle accroit la confiance qu’elle m’accorde, et les paroles qu’elles
me délivrent sont d’un tout autre niveau de richesse.

Ainsi, ces deux étiquettes permettent de souligner deux mises en récits légèrement différentes. De
façon générale, les élus s’approprient les caractéristiques socialement valorisantes de leur engament
lors de mes entretiens. Leurs mises en récit partagent des similitudes avec celles des policiers décrites
par Geneviève Pruvost : « La première consiste à lisser son propos pour le rendre acceptable et neutre,
la seconde, à l’inverse, à grossir le trait, à héroïser et enchanter le monde. Ces deux veines narratives,
aussi antinomiques soient-elles, procèdent d’une même logique. Il s’agit d’anticiper une éventuelle
réception négative du récit » (Pruvost, 2008, p.7). Lorsque je suis inconnu à mon enquêté, celui-ci peut
alors utiliser la négation, le mensonge, l’omission afin de lisser son propos. Comme avec Amir,
l’enquêté se croit dans une asymétrie d’informations unidirectionnelle, et ne craint pas, ou du moins

22
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

peu, d’être démenti. Il me livre en entretien une représentation idéalisée (Goffman, 1956). Cependant,
à la différence des entretiens de Geneviève Pruvost, cette opération de mise en récit lissé n’est pas
aussi centrale chez les représentants du personnel – ou syndicaux – que chez les policiers. Elle laisse
en conséquence apparaitre d’évidentes incohérences. Mais dans les deux cas « la tendance au lissage
est indissociable de l’entreprise de glorification » (Pruvost, 2008, p.10). La double asymétrie
d’information, qu’être le « fils de » fait ressentir à mon enquêté, le rend plus prudent dans cette
entreprise. En fonction de son estimation de mon niveau de connaissance à son sujet, de son rapport
avec mon père27 et de la confiance qu’il me porte, il privilégiera la justification pour rendre ses propos
acceptables. Cette double asymétrie d’informations me permet aussi d’évoquer des situations
anecdotiques concernant mes enquêtés sans passer pour un « fouineur ». Elles permettent de
recentrer la discussion sur des pratiques concrètes et de passer parfois outre ce « que la censure
sociale ordinaire interdit » (Beaud, 1996, p.19). Cela produit alors des entretiens très riches puisqu’ils
admettent finalement des pratiques et des motivations normalement difficiles à objectiver puisque
généralement utilisées pour décrire « les autres ». Par exemple, Jean-Michel Denis à partir de ses
entretiens n’a pas pu être en mesure d’affirmer la réalité de l’instrumentalisation des salariés par la
direction lors des élections pour favoriser une équipe syndicale plus favorable à l’entreprise : « La
suppression de la présomption irréfragable conduirait les employeurs à privilégier davantage
qu’auparavant certaines équipes syndicales plutôt que d’autres. Phénomène relativement courant dans
les chantiers au sein desquelles les conditions d’exploitation des salariés sont telles que cela les rend
particulièrement malléables, et où la régulation peut être d’ordre communautaire compte tenu du
caractère ethniquement marqué de leur composition, ces derniers seraient instrumentalisés par leur
chef d’équipe ou par les inspecteurs (chargés de faire le tour des chantiers d’une entreprise) dans un
sens favorable à l’entreprise. Fantasme ou réalité ? Nous ne le savons pas » (Denis, 2013, p.87). C’est
typiquement ce dont mes enquêtés admettent eux-mêmes avoir personnellement bénéficié (dont
mon père), ou avoir exploité à leur tour (dont encore mon père).

E) Et le papa dans tout ça ?

Enfin, la dernière grande problématique d’avoir son père comme complice est celle de parvenir à
le traiter aussi comme un enquêté. Il a toujours naturellement partagé le contenu de ses journées en
rentrant du travail, ou autour des repas. Ses missions de représentant du personnel lui prennent du
temps et le préoccupent au quotidien, en parler avec sa famille est une des manières qu’il a
d’extérioriser ses soucis. Au commencement de mon enquête, il s’est d’abord fortement impliqué.

27
Par exemple, le choix du directeur de ne pas répondre à mes questions est parfaitement en accord avec la relation qu’il
entretient avec mon père. L’entretien s’étant passé par téléphone et n’ayant pas souhaité répondre à mes questions, je ne
l’ai pas intégré dans le cœur de mes enquêtés.

23
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

Mon enquête était perçue comme la mobilisation de mon statut d’étudiant pour lutter à ses côtés. Il
dissociait alors peu les témoignages qu’il récolte lui-même en tant que délégué syndical à des fins de
preuve juridique, de mes entretiens sociologiques. Le récit qu’il me livrait en entretien formel était très
pauvre, car limité à ce qu’il pensait être en mesure de prouver juridiquement. J’ai donc privilégié des
entretiens informels que je menais lorsqu’il me parlait de lui-même des problématiques liées à son
travail. Puis, au cours du développement de mon étude, j’ai vu en sa personne le moyen d’éclaircir
certaines de mes incompréhensions, ou même de confronter certaines de mes hypothèses et thèses
au travers de discussions anecdotiques. Ainsi, le recours à la loi d'airain de Roberto Michels pour
décrire le processus à l'origine du corps d'élus solidement implanté a pu bénéficier de son approbation.

Finalement, il m’est donc apparu au cours de mon enquête que mon lien de parenté avec mon
complice n’impliquait pas nécessairement les problématiques que j’avais pu craindre a priori. Sa
centralité sur mon terrain, le rapport qu’il entretient avec les autres enquêtés, et certaines des
caractéristiques propres à l’entreprise et à son secteur ont fortement contribué à minimiser le risque
d’enclicage. J'ai d’abord pu facilement être accepté par l'ensemble des groupes parties prenantes aux
élections – direction compris – en tant que « fils de » ou simple « étudiant en socio-économie ». Ma
position de « fils de » a quant à elle plutôt participé à obliger les enquêtés à aborder des sujets
polémiques les concernant. Leurs justifications, appelant la plupart du temps une comparaison avec
mon père, m’ont fortement aidé à prendre de la distance envers ce dernier. Le franc-parler de certains
également. Il a été intéressant de constater l'influence de cette étiquette de « fils de », grâce à la
comparaison avec les récits qui m’étaient faits sous celle de « simple étudiant ». La richesse des
entretiens permise par la première souligne finalement la pauvreté des seconds. La capacité des
enquêtés à démentir, plutôt qu’à justifier, a été prise en compte dans l’argumentation de la thèse
développée. Les récits obtenus sous la seule étiquette « d’étudiant » sont globalement moins utilisés
que les autres.

24
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

Partie 2. Le décor de l’enquête : les élections.


Les élections professionnelles à CDP ont été au centre des entretiens. Elles ont été l’objet d’étude
ayant permis la sociologie des représentants développée dans le cadre de ce travail. Il y est proposé ici
une description. Cette partie commence par un cadrage des élections en question puisque le terme
désigne par lui-même une pluralité de suffrages. Elle introduit l’ensemble des groupes parties
prenantes avec leurs motivations et intérêts. Il est ensuite entrepris de schématiser leurs
compatibilités, puisque pour se voir représentés aux élections, ils ont l’obligation de s’aligner in fine
derrière des candidats. Enfin, cette présentation revient sur les élections dans leur pratique. Elle les
distingue d’abord de l’idéal démocratique qu’elles incarnent pour le législateur par une analyse
critique du vote comme de l’expression des salariés ; puis présente les pratiques et stratégies
déployées par les candidats lors des campagnes. La conclusion qui s’en extrait, également suggérée
par le traitement de données recueillies sur l’ensemble des salariés de CDP, est celle d’un besoin de
dotation en ressources particulières chez les candidats pour concourir aux élections.

A) Les enjeux des élections professionnelles

Le terme d’élections professionnelles désigne un ensemble de scrutins impliquant les travailleurs


(définis ici comme personnes occupant une forme d’emplois rémunéré et déclaré) ayant vocation à
élire des représentants qui siègeront dans différentes instances et à différentes échelles.

Depuis la loi du 20 aout 2008 concernant le secteur marchand et celle du 5 juillet 2010 pour la
fonction publique, les élections professionnelles participent toutes à définir la représentativité des
organisations syndicales. Cette loi de 2008 « portant rénovation à la démocratie sociale », met fin à la
logique de représentativité essentialiste revendiquée par les organisations considérées comme
représentatives jusqu’alors. Le système de représentativité décidé au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale – dans la continuation de celui qui le précédait (Farvaque, 2016) – considérait comme
principal critère de représentativité l’ « effectif » des organisations, à savoir le nombre d’adhérents.
Aucun seuil n’était pour autant fixé, la reconnaissance de la représentativité était octroyée et
descendante. Le statut d’organisation « représentative » était conféré par l’Etat à partir d’une
estimation arbitraire s’appuyant sur un ensemble de critères cumulatifs28, dont le nombre d’adhérents
était le principal. La réforme de 2008 rompt avec cette logique « pour instituer une représentativité
réglée, ascendante et temporaire, désormais organisée autour d'un principe cardinal : le vote des

28
L’ensemble de ces critères définis par la loi du 12 mars sont : « l’effectif » qui correspond au nombre d’adhérents ; «
l’indépendance » du syndicat vis à vis de l’employeur ; « les cotisations » versées par les adhérents aux syndicats ; «
l’expérience » et « l’ancienneté » du syndicat ; « l’attitude patriotique pendant l’occupation ». (Farvaque, 2016)

25
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

salariés » (Giraud et al., 2018, p.83). Les agents élus pour participer au dialogue social trouveraient
alors une légitimation démocratique, d’où l’emploi du terme de « démocratie sociale » pour qualifier
ce nouveau système.

Un rapport de 2006 (rapport Hadas-Lebel in Farvaque, 2016) proposait un calcul de l’audience


électorale des différentes organisations à partir des scrutins des élections du personnel ou des
élections prud’homales (qui n’existent plus aujourd’hui). Des organisations –l’UNSA par exemple– se
présenteront plutôt en faveur des élections prud’homales (Farvaque, 2016) pour les limites évidentes
que posent les élections du personnel pour évaluer la représentativité des organisations syndicales.
Avant tout, elle suggère qu’un seul scrutin permette aux salariés de se prononcer univoquement sur
deux enjeux différents. Mais le lien avec la démocratie est d’autant plus fragile que les transformations
structurelles du marché ne permettent pas à de nombreux travailleurs de s’exprimer par le vote
(Giraud et al., 2018), que bien des électeurs méconnaissent les enjeux, que l’offre syndicale est
différente selon l’entreprise où ont lieu les élections (Haute, 2019), que des discriminations syndicales
persistent au sein des entreprises (Breda, 2016) et que celles-ci sont structurées par des rapports de
force internes entre les partis prenantes aux élections (Gantois, 2014). Malgré cela, « la solution
finalement retenue a consisté à mettre en place une mesure fondée sur l'agrégation des résultats des
élections professionnelles existantes [les élections du personnel], assortie de deux dispositifs
subsidiaires : le vote des salariés agricoles aux chambres départementales d'agriculture et un scrutin
ad hoc pour les salariés des très petites entreprises (TPE : particuliers employeurs et entreprises ou
associations de moins de 11 salariés), celles-ci n'étant légalement pas contraintes d'organiser des
élections du personnel » (Giraud et all, 2018, p.83). En plus de la représentativité, l’audience électorale
des organisations détermine « l'accès et le poids des syndicats dans la négociation collective. Elle
conditionne le bénéfice des financements (publics et mutualisés) du Fonds paritaire pour le dialogue
social institué en 2014» et «sert aussi de référence pour désigner les représentants syndicaux dans de
multiples instances du dialogue social 29» (Giraud et all, 2018, p.84) A noter également que le résultat
des élections dans la fonction publique ne participe pas à la détermination de la représentativité
syndicale au niveau national interprofessionnel, puisque les négociations sont régies de manière
distincte entre secteur marchand et fonction publique.

Les élections professionnelles regroupent donc aujourd’hui quatre types de scrutin. Cependant,
lorsque celles-ci sont évoquées, c’est principalement aux scrutins obligatoires se déroulant dans les

29
« Telles que les commissions paritaires régionales interprofessionnelles (censées représenter les salariés des TPE), le
Conseil économique, social et environnemental (CESE), les CESE régionaux, l'association de gestion du fonds paritaire pour
le dialogue social, les conseillers prud'hommes (la fin des élections ayant été actée en 2014), etc ». (Giraud et all, 2018)

26
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

entreprises de plus de 11 salariés que l’on fait allusion. Premièrement parce que le résultat y « compte
pour plus de 90% dans le total des suffrages exprimés » dans la détermination de la représentativité
des organisations (Giraud et al., 2018, p.89). Deuxièmement, parce que ces élections préexistaient à la
loi du 20 Aout 2008. Aussi appelées « élections du personnel », les employeurs dont l’entreprise
dépasse les 11 salariés étaient déjà dans l’obligation de les organiser afin de permettre à de potentiels
représentants du personnel de pouvoir être élus . « D’ailleurs, l’élection de représentants du personnel
vise bel et bien d’abord à se choisir des représentants, c'est-à-dire des personnes, avant de choisir des
syndicats » (Farvaque, 2016, p.36). C’est d’autant plus vrai que certains travaux indiquent une
tendance chez les listes présentées pour les élections du personnel à être affiliées à des syndicats pour
des raisons fonctionnelles (Dufour et Hege, 2008). « Pour peser davantage face à l’employeur, pour
veiller au respect des droits des salariés, pour résister à la répression patronale… des élus franchissent
le pas de la syndicalisation, la plupart du temps sans construire des relations suivies avec les
organisations syndicales » (Dufour et Hege, 2008, p.24). Jean-Michel Denis (2009) semble confirmer
cette affirmation pour le secteur du nettoyage : « L’étiquette syndicale compte finalement peu dans le
choix effectué par ces salariés » (p.19). L’affiliation avec une organisation permet également aux
représentants d’élargir leurs prérogatives. Ils peuvent bénéficier de conseils d’une structure
supérieure, de permanences juridiques et surtout prétendre au poste de Délégué syndical qui leur
ouvre le droit à des heures de délégation supplémentaires et de négocier avec l’employeur. A propos
de ce droit de participer aux négociations, la loi de 2008 renverse la relation de dépendance entre les
élus locaux et les organisations syndicales pour l’obtenir en réclamant des organisations de justifier de
leur légitimité par une audience minimale dans les entreprises. Jacques, secrétaire syndical de la CFDT,
souligne ce renversement par l’obligation désormais de gagner les élections lorsque la participation
était précédemment optionnelle – « Ah là on n’a pas le choix on est obligé de gagner ».

En d’autres termes, les organisations syndicales sont devenues pleinement et directement parties
prenantes du scrutin aux élections du personnel, et entrainent avec leur entrée en lice une
augmentation de la concurrence.

Depuis la réforme du code du travail de 2017, les élus composent ensemble la délégation du
personnel au Comité Social et Economique (CSE). Le CSE est une instance représentative du personnel
fusionnant toutes celles lui précédant, à savoir les délégués du personnel, le comité d’entreprise et le
comité d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail. A travers lui, les représentants du personnel
sont à la charge d’une large palette de missions. Un premier obstacle à la bonne réalisation de celles-
ci dans le nettoyage réside dans la faiblesse des moyens attribués aux élus. Le nombre de
représentants et le budget alloué à l’instance sont établis à partir de la masse salariale en euros – et

Erreur : nbre de représentant dépend de la masse salariale


en heures. 27
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

pas partir du nombre de salariés. Par conséquent, du fait des basses rémunérations du secteur et de
la part importante de salariés en temps partiel, les moyens par salarié dédiés aux fonctions du CSE sont
faibles. On peut classer ces fonctions en deux catégories qui ne requièrent pas nécessairement les
mêmes qualités de la part des représentants.

La première concerne la gestion des activités sociales et culturelles. Elle intègre ce que la Cour de
Cassation appelle « l’œuvre sociale ». Celle-ci est définie comme « toute activité non obligatoire
légalement, quels qu’en soient sa dénomination, la date de sa création et son mode de financement,
exercée principalement au bénéfice du personnel de l’entreprise, sans discrimination, en vue
d’améliorer les conditions collectives d’emploi, de travail et de vie du personnel au sein de l’entreprise
» (Cass. soc., 13 nov. 1975, n° 73-14.848). C’est par exemple en vue de cette mission que se sont
engagées sur les listes la plupart des nouveaux élus de la CFDT – Christina, Carla et Nathalie.

La seconde fait plus directement écho aux fonctions de Représentant du personnel à proprement
parler. Là encore, l’éventail est important : « La délégation du personnel au CSE a pour mission de
présenter à l'employeur les réclamations individuelles ou collectives relatives aux salaires, à
l'application du code du travail et des autres dispositions légales concernant notamment la protection
sociale, ainsi que des conventions et accords applicables dans l'entreprise. Elle contribue à promouvoir
la santé, la sécurité et les conditions de travail dans l'entreprise et réalise des enquêtes en matière
d'accidents du travail ou de maladies professionnelles ou à caractère professionnel » (site internet du
ministère du travail). Chacun de ses éléments pouvant être considéré comme un coût pour
l’entreprise, le CSE peut en fait être considéré comme l’interface de dialogue entre les intérêts et
motivations antagonistes de l’employeur et des salariés. Dans le cadre du secteur du nettoyage, cette
opposition des intérêts est particulièrement frappante (voir l’encadré 1 pour plus de détails). La masse
salariale, bien que peu qualifiée, représente en moyenne 80% du cout de la prestation. « L’élévation
du rythme de passation des marchés [...] imprime une tension entre les entreprises qui se livrent une
concurrence effrénée » menant de manière systématique à du « moins-disant social » (Denis, 2009,
p.6) alors que les salariés sont déjà économiquement et socialement précaire – sept jours de carence,
clause de mobilité, faible rémunération et reconnaissance sociale, etc. La précarité les rendant
dépendants et malléables par la direction, les litiges individuels sont fréquents et accaparent la plupart
du temps des représentants du personnel. Cette fonction est souvent portée par des représentants
plus expérimentés qui entretiennent un lien plus étroit avec une organisation syndicale. Dans la liste
CFDT, elle revient principalement à mon père (Délégué syndical), Louis (enchainant sur son 3eme
mandat) et Livia (Représentante de la section syndicale). Balayer les abus +
Saphia doumec

28
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

Afin de mener au mieux ces différentes missions, les représentants du personnel se voient attribuer
plusieurs prérogatives : des heures de délégation, un droit de déplacement et de circulation dans
(incluant les sites des entreprises donneuses d’ordres) et hors de l’entreprise (Code du travail, Article
L 2315-14 30), un accès à un panneau d’affichage et à des formations en santé, sécurité et conditions
de travail31, etc. Elles peuvent être assimilées à des « avantages ». Les heures de délégation –
comptabilisées comme du temps de travail – permettent une rentrée d’argent et ouvrent pour les élus
à temps pleins dans l’entreprise le droit à des heures de repos compensateur32. La protection accordée
aux élus peut aussi leur permettre « de se mettre le cul au chaud » (Amir) – comprendre se protéger
de la direction au-delà de ce que son rôle de représentant requiert. Si certains élus admettent en effet
y avoir recours, le caractère protecteur de la fonction mérite d’être nuancé : il ne protège pas d’un
licenciement pour fautes. Bien que pour être licencié, l’employeur ait besoin de l’autorisation
préalable de l’inspection du travail, celle-ci la donne dans plus de 80% des cas 33(Breda, 2016). Les élus
du nettoyage ne cherchent pas à se protéger d’un licenciement. Ils souhaitent se prémunir des
contrariétés que pourrait leur imposer la direction. Sur le motif d’une réorganisation du travail, la
direction est en mesure de déplacer un salarié de chantier à son souhait34. Le besoin de son accord
pour la modification de son contrat de travail immunise le représentant de ce genre de menace.
Néanmoins, ces « avantages » sont rarement la première motivation des élus, qui les découvrent
parfois seulement avec leur entrée en fonction. Carla, Christina et Nathalie ne croyait pas qu’elles
seraient élues. Deux d’entre elles m’ont narré qu’elles n’avaient pas connaissance qu’elles pourraient
y gagner des heures de délégation payées. Dans le cas de Nathalie qui n’est que suppléante, ce sont
ses camarades qui partagent leurs heures avec elle.

Il semble que la motivation première des élus ne soit pas liée à l’appât matériel mais plutôt aux sens
que peut revêtir la position de représentant·e du personnel – de progression professionnelle, carrière

30
Article L 2315-14 du code du travail : « Pour l'exercice de leurs fonctions, les membres élus de la délégation du personnel
du comité social et économique et les représentants syndicaux au comité peuvent, durant les heures de délégation, se
déplacer hors de l'entreprise. Ils peuvent également, tant durant les heures de délégation qu'en dehors de leurs heures
habituelles de travail, circuler librement dans l'entreprise et y prendre tous contacts nécessaires à l'accomplissement de leur
mission, notamment auprès d'un salarié à son poste de travail, sous réserve de ne pas apporter de gêne importante à
l'accomplissement du travail des salariés. ». Dans le secteur du nettoyage, « Afin qu’il ne soit pas fait obstacle à l’exercice de
leur mission », une attestation est délivrée aux représentants leur permettant d’accéder à chacun des chantiers (Article 2.1.2
de la conventions collectives Entreprises de propreté et services associés, 26 juillet 2011)
31
Voir : https://travail-emploi.gouv.fr/dialogue-social/le-comite-social-et-economique/article/cse-fonctionnement-et-
moyens-d-actions
32
Passé les 190heures supplémentaires, toute heure supplémentaire ouvre le droit à une heure de repos compensateur.
33
Taux calculé en début des années 2000. « En outre, très rare que les salariés contestent la décision de licenciement et
exercent un recours hiérarchique : ils le font dans moins de 2 % des cas. Les employeurs contestent en revanche beaucoup
plus fréquemment les refus de licenciement, environ une fois sur trois. Lorsqu’ils exercent un recours, les salariés comme les
employeurs obtiennent l’annulation de la décision initiale de l’Inspection du travail dans environ 25 % des cas »
34
Les sites de travail sont inscrits dans les contrats de travail mais sont souvent suivit d’une clause de mobilité. « Cette clause
est dangereuse pour le salarié qui peut faire l’objet de nombreuses mutations contraignantes et difficilement conciliables
avec sa vie personnelle et familiale. » (CGT Finances publiques de Paris et al. ,2015)

29 Malamine invite certains


salariés à la signé sur
certains site.
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

syndicale, position d’autorité, d’action sociale ou morale (Amina va jusqu’à faire référence à sa foi :
« Je me dis, déjà par rapport à ma religion, “j’ai aidé quelqu’un” ».) –, à l’enrichissement intellectuel
qu’elle peut apporter, ou simplement aux plaisirs éprouvés de pouvoir travailler en groupe, de créer
un lien avec des collègues. Il ressort finalement de mes entretiens que ce qui est initialement recherché
soit principalement ce qui, dans leur quotidien de salariés, leur fait défaut.

Ça permet si tu veux de travailler autrement. Parce que le nettoyage bon bah, tu ne


réfléchis pas trop. Tu fais ton boulot et puis voilà.

Ouais donc ça permet de faire des choses intéressantes

Oui voilà. Réfléchir ensemble. Et puis même les réunions c’est sympa. Parce que nous
on est un bon petit groupe. Donc c’est sympa et... et apprendre pleins de choses, on
apprend pleins de choses. (Nathalie, élue suppléante au CSE)

Les élections professionnelles apparaissent ainsi comme un moment central pour les relations
professionnelles dans leur ensemble puisqu’elles fixent les rapports de forces des agents qui, au nom
des travailleurs, participeront à la construction et aux négociations des pratiques et des règles « dans
une entreprise, une branche, une région ou l'économie tout entière, [qui] structurent les rapports entre
les salariés, les employeurs et l’État » (Lallement, 2008, p.1). En liant les enjeux locaux aux enjeux de
branches et nationaux, la loi de 2008 accroit le nombre de groupe parties prenantes dans les élections.
Salariés, organisations syndicales, employeur et candidats au rôle de représentants du personnel ont
chacun à y gagner ou perdre en fonction de leur motivation :

- Les salariés en tant que mandants sont appelés à voter pour les candidats qui
représenteront au mieux leurs intérêts.
- Les organisations syndicales qui y voient se déterminer leur droit à participer aux
négociations collectives, des sièges dans différentes instances du dialogue social et une
part du Fonds paritaire pour le dialogue social.
- L’employeur pour qui la bonne représentation des salariés peut représenter un coût.
- Les candidats dont les prérogatives ou les sens de la fonction peuvent satisfaire des
motivations personnelles plurielles (protection face à l’employeur, gain économique,
progression de carrière, reconnaissance dans le travail...).

Malgré cette pluralité de groupes parties prenantes, toutes les motivations et intérêts doivent, pour
prétendre à exister lors des élections, être portés par des candidats.

30
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

B) Positionnement des agents des différents groupes parties prenantes selon le type
de candidat.

Les compatibilités des intérêts selon les motivations entre agents de groupes différents se laissent
caricaturer par un simple tableau.

Tableau 1 : Préférences des agents parties prenantes aux élections selon le type de candidats :

Candidat partenaire Candidat contestataire

Organisations syndicales X X

Direction X

Salariés X

Cette partie présente ce qui est entendu par « partenaire » et « contestataire » puis revient sur les
liens entre ces derniers et le reste des parties prenantes.

1) Candidat partenaire

La première colonne correspond aux candidats pouvant être considérés comme des partenaires
de la direction. Ils perçoivent plutôt leur mission comme consistant à parvenir à « mettre d’accord
grâce aux vertus pacificatrices du dialogue social, des parties aux intérêts distincts 35» (Benquet, 2013,
p.1). Parmi mes enquêtés, il semble que ce soient des salariés mettant l’accent en premier lieu sur la
gestion des activités sociales et culturelles plutôt que sur les confrontations avec l’employeur – par
préférence ou méconnaissance des litiges. Carla de la CFDT, élue titulaire et trésorière au CSE, est l’une
d’entre eux. Elle s’investit depuis longtemps pour arranger au mieux les salariés depuis sa position de
chef d’équipe dans l’entreprise. Carla est aussi portugaise et coopte largement des personnes de la
même origine –qui pour beaucoup ne parlent pas correctement français. Elle joue ensuite un rôle
d’intermédiaire entre ces derniers et les responsables. Ainsi, pour elle, son investissement social ne
date pas de la prise de ses fonctions au CSE. Ses rapports avec les responsables sont cordiaux, voire
amicaux, et elle s’appuie sur eux pour répondre aux besoins des salariés – heures, formations, lieux de
travail, etc. Elle ne peut pas se permettre de confrontation directe qui mettrait en péril le système par
lequel elle passe pour la bonne réalisation des missions sociales dont elle se sent investie.

35
Je m’approprie l’opposition des définitions des syndicats formulé par Benquet, pour formuler une opposition
des définitions du CSE.

31
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

J’ai besoin d’eux pour beaucoup de choses, et que du coup, eux ils ont besoin de
moi, mais moi aussi j’ai besoin d’eux pour tous mes petites gens : « Il y a un problème
de paye ? t’as pas eu le... » Voila. Je vais les appeler. « Isabelle, il y a eu ci, il y a eu
ça ». (Carla, élue titulaire CSE et trésorière)

Elle m’explique qu’elle n’apprécie pas les motivations belliqueuses ou revanchardes de certains
candidats à l’encontre de la direction, comme celles que peut avoir sa Responsable de section
syndicale, Deo, dont l’engagement fait suite à une affaire de harcèlement à son encontre (voir
introduction).

Moi avec mon réseau de portugais, je vais être là pour leur bien-être. Elle, elle vient
juste, entre guillemets, pour venir ouvrir sa gueule devant le directeur. Moi ce n’est
pas mon cas. Moi je vais dire, je vais aller dans la douce, je vais aller voir Nicolas,
celui qui s’occupe des formations, « j’ai besoin d’une formation qu’est-ce qu’on peut
faire » voilà. « Fais quelque chose, elle le mérite, elle est ancienne... » Voila. Elle non.
Elle c’est pour aller à l’attaque avec Eric (le directeur de l’agence). Moi ce n’est pas
mon truc. (Carla, élue titulaire CSE et trésorière)

Plus largement, dans les litiges individuels elle ne me cache pas qu’elle se trouve parfois « du côté du
patron ».

Il est là pour nous, on travaille pour lui, il a notre paye à la fin du mois et il y a
certaines choses aussi qui ne doivent pas se faire. Je suis peut-être très réglo, peut-
être. Il y a eu ce cas de vol avec une nana à Cora qui a été licenciée. C’est moi même
qui suis venue avec Lacroix, devant GrandMagasin pour faire sa mise à pied.
D’accord ? donc. Ils l’ont défendue. Elle c’est une nana qui est à l’autre agence, parce
qu’ils l’ont basculé à l’autre agence, elle dit à tout le monde « oh faites des conneries,
moi j’en ai fait, et je suis toujours là et j’ai été défendue ». Et bah. Je je. Et surtout
qu’elle a volé pour 2euros. En gros pour une misère. Et bah. Hmmm. Tu vois alors ça
a été, je sais que ton père il s’est battu sur le fait que par rapport aux caméras ce
n’était pas marqué dans le contrat de [travail] machin machin machin. [...] Et bah
moi une fille comme ça je ne la défendrais pas. (Carla, élue titulaire CSE et
trésorière)

Pour les affaires les plus graves, comme un problème d’agression sexuelle, elle admet le besoin d’un
collègue apte à s’en charger.

32
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

Autant j’ai les reins solides pour tout le reste, enfin reins solides... j’espère. Je n’en
sais rien mais pour ça je ne suis pas encore assez prête, ou je ne serais pas encore
assez... (Carla, élue titulaire CSE et trésorière)

Cette présentation de Carla a vocation à souligner que la distinction proposée entre candidats
partenaires et contestataire n’est pas manichéenne 36. Carla, bien que partenaire, semble mue par des
motivations sociales et collectives et s’investit largement dans ce sens. Les élus dit « vendus » ou
« achetés » ne sont qu’un type particulier de partenaire pour la direction – une caricature a priori de
celui-ci. Bien que Carla se dit parfois du côté du patron, elle doit être complément dissociée de ces
qualificatifs. Lorsqu’ils sont employés lors des entretiens, ils servent plutôt à qualifier des candidats
de la CGT.

2) Candidat contestataire

La seconde colonne correspond aux candidats contestataires. Ce sont ceux que l’on me décrit
comme allant « au charbon », motivé pour « faire chier » ou « ouvrir sa gueule devant le directeur ».
A l’exception de Livia, dont l’engagement est vécu et présenté comme une revanche, ces candidats
sont tous devenus contestataires. Ce n’est pas leur premier mandat, et c’est par l’expérience ou
l’exemplarité d’un pair qu’ils le sont devenus. Ainsi, mon père se décrit dans ces premières réunions
comme naïf et ingénu par rapport à son directeur. Pour ces élus éprouvés, les intérêts des salariés et
ceux de la direction sont par nature antagonistes.

Moi, je l’ai dit, je le redis, il n’y a pas de directeur gentil. Il n’y a pas. Et s’il y a un
directeur gentil, il ne restera pas (Amina, élue titulaire au CSE et nommé DS à FO).

Ils insistent tous sur le besoin des nouveaux à apprendre, comme ils l’ont fait eux même, à endosser
leur rôle. Amina, Juan, mon père, se sentent sur des points investit d’une mission de mentor vis à vis

Revenir des nouveaux entrant (« quand je parle-moi au directeur, les autres ils prennent en force. Ils disent,
avec
« puisqu’elle elle peut lui parler comme ça, nous on parle pareil » (Amina, élue titulaire au CSE et
mon
père nommée DS par FO))
sur la
négo
pour Défendre les intérêts des salariés reviendrait alors nécessairement à s’opposer aux motivations de la
l'augme
ntation direction. L’affiliation à une organisation permet à ces candidats d’être mieux armés dans leur
du
budget confrontation avec la direction et le poste de Délégué syndical est souvent occupé par l’un d’entre eux.
avec
directeu
r 36
régional Comme peut paraitre la typologie de Thomas Breda (2016) entre « planqué », « acheté » et « engagé », où ce dernier
pour serait le seul mu par l’intérêt collectif.
nuancer
33
et
introduir
e l'idée
de
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

3) Une indifférence des syndicats

37
Certains syndicalistes dans le secteur du nettoyage voient dans l’adhésion consumériste des
salariés – qui cherchent à régler des litiges personnels – une potentielle porte d’entrée vers
l’engagement militant (Denis, 2009). Il semblerait que cela reste néanmoins exceptionnel. Jacques, le
secrétaire de la liste CFDT présente à CDP, m’explique ainsi toute la difficulté qu’a l’organisation à
conserver ces adhérents passagers. Pour sûr, l’institutionnalisation progressive des syndicats a rendu
optionnel ce besoin d’adhérents : « Si l’on admet que le syndicalisme agit “par procuration”, il peut
donc s’accommoder d’une seule dimension institutionnelle, sinon virtuelle et il n’a plus besoin
d’adhérents. Ainsi, les syndicats paraissent s’adapter assez bien à une situation de faible
syndicalisation. Jamais les organisations n’ont été aussi nombreuses et dotées de moyens, matériels ou
humains, aussi importants. [...] De même, jamais l’implication des organisations syndicales dans les
multiples organismes du paritarisme et de l’administration consultative n’a été aussi étendue »
(Andolfatto et Labbé, 2006, p.14). La loi du 20 aout 2008 ne modifie pas cela. Au contraire, elle
confirme la tendance, en supprimant le nombre d’adhérents comme critère cardinal de la légitimité
des organisations en le remplaçant par un seuil minimal à atteindre aux scrutins des élections
professionnelles. C’est donc intuitivement que l’on comprend, une fois affranchis de toute utilité à A nuancer
avec le
posséder des adhérents non nécessaires au fonctionnement de l’organisation, que les candidats aux syndicat
IDF
élections n’ont plus qu’une fonction utilitaire pour le syndicat : celle d’assurer de bonnes audiences
aux scrutins.

Les entretiens menés suggèrent que les secrétaires syndicaux, comme les candidats, ont pleinement
conscience de ce rapport fonctionnel et réciproque qu’ils entretiennent les uns avec les autres. Pour
les candidats, « la syndicalisation, affranchie de toute dimension identitaire, se comprend au service
des seules préoccupations locales » (Dufour et Hege, 2008, p. 18). Elle offre des prérogatives
supplémentaires aux listes – accès au premier tour du scrutin, possibilité de faire des tracts, des heures
de délégations supplémentaires, droit de négociations, accès à des informations, etc 38. Pour Jacques,
secrétaire syndical de la CFDT, il est évident que les nouveaux militants n’adhèrent pas pour des raisons
identitaires :

Oh franchement, honnêtement, les gens qui viennent pour les valeurs, moi je ne
connais pas. Quand les gens viennent ou qu’ils adhèrent, tu leur dis « Pourquoi
t’adhères ? », « Bah parce que je vais me présenter aux élections ». Ah d’accord.

37
Adhésion dans l’unique but de pouvoir bénéficier des services proposés aux adhérents.
38
Pour les nouveaux entrants sur les listes des élections professionnelles, l’utilité d’adhérer à un syndicat pour concourir les
élections n’est pas forcement perçus comme utile. Mais cela s’explique en premier lieu par un manque d’expérience.

34
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

Mais pour les valeurs …euh [...] Et puis même je vais te dire, celui qui me dit
aujourd’hui qu’il vient pour les valeurs de la CFDT…. (Pause)… au contraire il me
prend pour un con hein…. Non mais les gens ils ne viennent pas pour ça » (Jacques,
secrétaire syndical CFDT)

Mais cela n’est pas un réel problème puisqu’il en joue lui-même pour s’assurer une représentativité
dans les entreprises.

-Alors oui. Avant on prenait des gens qui avait des valeurs. Aujourd’hui on prend
des gens qui amènent du monde.

Ah oui, ça change tout.

-Ah bah oui. Moi j’ai une entreprise par exemple, dans un service, de la même
famille, ils sont je crois 19 ou 20 donc forcément il m’en faut un de cette famille-là.
Parce que déjà dans le service tu sais qu’il y en a 19 qui vont voter pour lui.

N’importe quoi, ha ha.

-Bah si ! haha ! Et donc c’est déjà... Par rapport à l’effectif de l’entreprise, 10% c’est
déjà pas mal.

Ouais. Ça peut être un gros con, il fait 10%.

-Voila. (Jacques, secrétaire syndical de la CFDT)

Les candidats sont aussi bien conscients que cet aspect purement pragmatique du lien qu’ils
entretiennent avec l’organisation est réciproque.

Les syndicats ils sont contents d’avoir des syndiqués qu’ils soient bons ou mauvais.
Pour eux un syndiqué c’est un syndiqué ». (Amina, élue titulaire CSE et DS à FO)

Ainsi, les listes ne réunissent pas des travailleurs partageant une vision politique commune. Elles se
construisent plutôt à partir de rapports interpersonnels que nouent les salariés. Dans notre cas, c’est
la volatilité de ces rapports qui explique les phénomènes de nomadisme d’une organisation à une
autre.

35
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

Encadré 3 : Le nomadisme syndical des élus :

Parmi les élus, six n’en sont pas à leur premier mandat. Chacun d’entre eux a déjà connu un
changement d’étiquette :

- Mon père est entré à la CFDT, l’a quittée pour un mandat sans étiquette et y est
revenu.

- François a commencé à la CFDT, il est désormais à la CGT.

- Amina a d’abord intégré la CGT, et a par la suite rejoint FO.

- Louis s’est engagé sous l’étiquette de FO, avant de rallier la CFDT.

- Amir et Maïssa ont tous les deux débuté chez FO, et ont rejoint dernièrement la
CGT.

Ces déplacements sont d’autant plus faciles que très peu de candidats, à savoir Amina et mon père,
sont attachés à leur organisation. Leur attachement s’explique avant tout par leur engagement en tant
que délégués syndicaux qui les a obligés à entretenir et densifier des liens avec la structure comme à
leur apporter davantage de rétributions symboliques (Giraud et al., 2018).

Finalement, l’indifférence réciproque entre organisations syndicales et candidats participe à


accentuer de nouveau que les élections professionnelles soient avant tout des élections du
personnel dans le cadre local de l’entreprise.

4) Oppositions des motivations et intérêts entre salariés et direction.

Le tableau présenté suggère une opposition des intérêts entre les salariés et la direction. Cet
antagonisme a déjà été présenté dans l’encadré 1 sur le secteur du nettoyage en introduction. Afin de
pouvoir jouer le plus librement sur la masse salariale – son principal coût dans un secteur marqué par
une forte concurrence – la direction a naturellement une préférence pour les élus coopératifs, aptes à
lui laisser du lest. Mais de façon plus générale, « si l’on s’en tient stricto sensu au partage des rentes, il
est clair que les intérêts des détenteurs du capital et des travailleurs sont antagonistes » (Breda, 2016,
p.80) – et les travaux de théorie de l’agence n’ont pas manqué de souligné la capacité de contrôle de
ces détenteurs sur les managers.

36
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

Lors d’une discussion avec le directeur de l’agence, celui-ci confirme la chose en décrivant le CSE
comme une instance de dialogue pour avancer collectivement. Les oppositions n’ont pour lui pas lieu
d’être puisqu’il nie une divergence d’intérêts. Ce discours est à rapporter à l’intérêt de la direction à
tempérer l’antagonisme inhérent et à encourager les représentants à travailler comme partenaires.

Néanmoins, les salariés, ont tout intérêt à se positionner derrière les élus contestataires puisque c’est
sur eux que se répercute la baisse des prix impulsés par le poids de la concurrence alors même que
l’article 7 de leur convention est sensé les en prévenir.

Nous on dit à chaque fois qu’on perd un chantier signé pas à la baisse, pourtant on
est les premiers à le faire quand on reprend un chantier. (Pierre, Inspecteur dans
une entreprise concurrente et ancien inspecteur à CDP)

Se munir de représentants aptes à aller se confronter à la direction pour garantir le respect de leur
droit est donc théoriquement au mieux de leurs intérêts. En tant qu’électeurs ils sont censées pouvoir
assurer l’élection de ces derniers au détriment des candidats plus favorables à la direction. Cependant,
les conditions du vote en entreprise ne sont pas sans poser quelques limites à la théorie.

C) Le vote aux élections professionnelles

La loi du 20 aout 2008 vient confirmer la foi du législateur en l’outil qu’est le vote pour légitimer
des représentants. Est appliqué pour déterminer les représentants des salariés, un mécanisme
similaire à celui utilisé pour désigner les représentants politiques en démocratie : une élection. Ce
choix repose sur l’hypothèse ad hoc que l’électeur exprimerait son opinion au travers de son bulletin ;
que le vote serait un acte rationnel et informé à propos des enjeux qui s’y jouent. Le vote permettrait
également un contrôle des représentants par les électeurs. La temporalité des mandats forcerait les
élus à rester fidèle aux intérêts de leurs mandants pour espérer une réélection. La logique du
raisonnement voudrait ainsi que le résultat des élections reflète les intérêts des électeurs pris dans
leur globalité. Cela signifierait, au moins dans le secteur du nettoyage, où l’antagonisme des intérêts
est particulièrement frappant entre direction et salariés, que les électeurs tendraient à élire les
représentants contestataires, plutôt que partenaires avec la direction. A CDP la stabilité des activités
sociales et culturelles39 malgré l’alternance des élus aux commandes participe d’autant plus à resituer

39
C’était la première année qu’une liste proposait de modifier le système de fonctionnement des activités sociales et culturel
en les rendant accessibles en lignes pour que puissent en bénéficier l’ensemble des salariés des deux départements. Cela a
participé à accroitre l’éventail de l’offre, mais aussi à augmenter certains des prix (ticket de cinéma). La décision s’est trouvée
confortée par la non-pérennité du système précédent où les salariés se déplaçaient au local de la permanence pour jouir de
leurs avantages. Les budgets par personne ayant diminué en cours d’année et les nombreux abus (les droits par salariés
n’était pas respectés) ne permettait plus de rentrer dans le budget alloué à l’œuvre social.

37
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

les enjeux du scrutin sur les missions de représentations des salariés face à la direction. Ce n’est en
rien ni spécifique au secteur, ni à l’entreprise. « Dans la très grande majorité des CE et quelle que soit
l’appartenance syndicale, le contenu et le périmètre de ces activités n’entraîne pas de débat : on
reproduit l’existant, soit un socle incontournable de prestations marchandes, de distributions de
chèques-cadeaux et l’organisation d’un arbre de Noël » (Béroud et Duchêne, 2018, p.21).

Cependant, l’hypothèse ad hoc a été infirmée par les des travaux de sociologie du vote. Ce dernier ne
peut pas être considéré comme une « expression individuelle politiquement informée et
rationnellement construite » (Taghavi, 2016, p.6) mais doit plutôt se comprendre au travers des
multiples réseaux de sociabilité – familiale, amicale, professionnelle – dans lesquels s’inscrivent les
électeurs. De plus, « le vote dans le champ professionnel est une pratique qui s’inscrit dans le cadre du
rapport salarial, ce qui [...] le rend particulièrement dépendant des contextes et des conditions de
travail et d’emploi » (Haute, 2019 p11).

Dans le cadre du nettoyage, les caractéristiques du secteur ajoutent de nombreux freins


supplémentaires à la possibilité d’un vote rationnel. Ce sont pour l’essentiel les mêmes entraves
posées aux syndicalismes décrites par Jean-Michel Denis (2009, 2013). Les employés sont disséminés
– sur deux départements pour CDP. « Aucun moyen de communication ne permet d’atteindre tous les
salariés d’une même entreprise et aucun endroit n’est prévu pour les rassembler » (Denis, 2009 p.8).

De nombreux chantiers ne verront passer aucun ou peu de candidats lors de la campagne. Seuls les
gros chantiers et a fortiori ceux centrés autour de l’agence reçoivent le passage de membres de
plusieurs listes avant les scrutins. Dans le secteur, les salariés sont géographiquement et socialement
éloignés les uns des autres. Cette distance persiste par la suite entre les candidats ou les élus et les
électeurs ou mandants. Géographiquement d’abord, du fait de la dissémination des chantiers 40.
Socialement ensuite – en partie à cause du clivage ethnique – car les fonctions qu’ils occupent
nécessitent des dispositions que tous les salariés n’ont pas : savoir lire, écrire et parler en français,
connaitre leurs droits... Cette distanciation rend le jeu des relations professionnelles particulièrement
opaque pour les salariés. Ils ne savent pas ce qu’il se joue lors des réunions. Le CSE est presque associé
aux seuls avantages matériels dont ils bénéficient au travers des œuvres sociales – réduction de prix,
chèques de fin d’année, etc.

Mais souvent les salariés n’ont que la vision des activités sociales et culturelles. Ils
voient eux les places de cinéma, les cadeaux qu’ils vont avoir à Noël. Et c’est bien

40
Les élus titulaires sont tous dans le même département est à une distance raisonnable de l’agence et du local. Cela se
comprend par le besoin d’être présent pour les réunions, les permanences, les rencontres avec l’employeur...

38
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

dommage. C’est très bien. Les CSE sont là aussi pour apporter des petits plus aux
salariés. Des petites choses en plus qu’ils n’auraient pas la possibilité de se payer
autrement. Mais c’est beaucoup plus que ça. Pour moi, les activités sociales et
culturelles dans une entreprise, c’est qu’une infime partie de ce qu’on doit faire dans
un CSE par rapport aux missions dévolues aux représentants du personnel. (Sylvie,
conjointe de Louis, élu titulaire au CSE)

La fusion des instances – principalement la disparition du CHSCT – participe, selon certains enquêtés,
à l’opacité sur le reste des fonctions du CSE. Il faut encore ajouter à cela le peu de retours sur les
problématiques liés aux fonctionnements de l’instance et à l’état des relations professionnelles dans
l’entreprise – le peu d’heures de délégation par rapport aux nombres de salariés, l’éclatement
géographique, la barrière de la langue jouent encore ici. Les informations qui parviennent sur les
chantiers proviennent généralement du fait qu’un des élus y travaille lui-même. Mais l’information
qu’il transmet est naturellement dépendante de sa position vis à vis des autres membres de la
délégation du CSE. Pour les salariés, c’est cependant et souvent la seule source d’information, et n’est
par conséquent, pas contestable.

Par exemple, les dernières affaires ayant remué des salariés de CDP par rapport au CSE concernent la
baisse du montant du chèque de fin d’année et la montée des prix des tickets de cinéma. Des salariés
s’en sont offusqués et ont porté la faute directement sur la liste aux commandes des activités sociales
et culturelles (la CFDT). Cet agacement est entretenu par des élus CGT sur leur chantier et lors de leur
permanence – ils n’appliquent pas systématiquement les nouveaux tarifs. Cependant, et pour avoir
géré la trésorerie lors de leurs mandats passés, ces élus sont pleinement conscients que la baisse des
moyens ne peut pas être imputée à leur liste adversaire. Le budget par personne s’est trouvé réduit
en cours d’année. CDP a gagné de nouveaux marchés, et avec eux les salariés qui y étaient attachés 41.
Le budget de fonctionnement du CSE ayant été calculé à partir d’une masse salariale qui a augmenté
en cours d’année, les moyens par personne ont par conséquent été réduit.

Le fait qu’on ait eu cinquante salariés de plus au mois d’octobre. Et bah forcement
cinquante salariés on ne croirait pas mais... et qu’on est obligé de donner
exactement pareil pour tout le monde. Et bah ça m’a baissé ma somme pour les 300
à la base. Et là c’est quelque chose que moi... je je je je n’aurais jamais cru. Je ne
savais pas qu’il y avait ce monde-là. Moi même si je n’avais pas été là-dedans cette

41
L’article 7 de la convention impose avec le transfert du marché, le transfert des contrats de travail de l’entreprise
prestataire sortante à l’entreprise entrante prestataire.

39
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

année, j’aurais critiqué entre guillemets CDP ou le CE en disant « c’est des enfoirés
ils m’ont donné quarante euros (au lieu de cinquante l’an passé) et pourquoi ? » Ce
qui est le cas de tout le monde. Beaucoup de gens. Et alors maintenant aujourd’hui
j’ai compris le pourquoi du comment. (Carla, élue titulaire CSE et trésorière)

La méconnaissance du fonctionnement de l’instance étant forte, les salariés pointent du doigt les élus.

En parallèle, les litiges individuels touchent moins de salariés et ont du mal à parvenir à ceux qui ne
sont pas directement concernés. Les accusations de complaisance avec la direction (morceau
d’entretien introductif), d’harcèlement moral et sexuel à l’encontre d’élus ont ainsi tendance à rester
confinées. De nouveau, l’éclatement géographique et social des salariés rend complexe la
transformation de problèmes systémiques vécus à l’échelle individuelle en causes communes.

Afin de limiter les effets de cette distance géographique lors des élections, le vote électronique
ou par correspondance se trouvent largement utilisés dans le secteur. Lors du dernier scrutin, les
salariés de CDP se sont essayés au vote électronique. Cependant, son usage ne modifie en rien
l’incapacité d’un vote rationnel sur enjeux. Il rend avant tout l’acte de voter physiquement possible en Plus qu'il
ne requérant pas des salariés qu’ils se déplacent parfois sur plusieurs centaines de kilomètres. Il ne l'était
du moins
permet simplement d’accroitre la participation à un scrutin où le quorum n’a encore jamais été atteint
dans l’entreprise. Chacun des salariés reçoit par courrier des identifiants lui permettant de voter d’où
qu’il soit. A première vue, ce mode opératoire semble pratique et peu coûteux à mettre en place.
Cependant, il retire à l’électeur la protection de l’isoloir et renforce par conséquent le poids des
rapports inhérents aux salariats – et décuplés par la précarité – sur le résultat des élections, puisqu’il
rend possible de voter pour ou au côté d’autrui. L’usage et l’efficacité des rapports internes à
l’entreprise dans le contrôle de « l’expression des salariés » se sont trouvés parfaitement illustrés par
les travaux de Maïlys Gantois (2014) 42. L’obligation de passer par un isoloir afin de voter offrait des
garde-fous à l’emploi de telles pratiques pour influencer les résultats du scrutin.

Pourrait Bien que chacune des listes m’explique mener campagne en présentant un programme aux
être
interessant salariés qu’elles rencontrent, les caractéristiques de l’entreprise ne permettent au corps électoral ni
de
comparer de voir le vrai du faux, ni de pouvoir comparer les programmes, ni de juger sur un bilan passé, ni d’être
les tacts

42
Dans une étude ethnographique, elle décrit comment la direction d’une entreprise de transport participe aux élections
professionnelles et joue du rapport hiérarchique et, partant de la dépendance de ses travailleurs à son égard, pour contrôler
« l’expression des salariés ». En réponse à une manifestation publique devant le siège de l’entreprise pour protester contre
des tentatives de licenciement, «des salariés manifestent [une semaine plus tard] leur soutien au PDG au même endroit, [...]
distribuant une « lettre ouverte » signée par près de 200 salariés de la PME », démontrant par là même l’inquiétante ampleur
de cette capacité.

40
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

critique envers les candidats. Les électeurs ne connaissent ni le fonctionnement, ni les missions du CSE,
ni le rôle ni les prérogatives des statuts qu’ils décernent aux salariés élus – CSE comme Délégué
Syndical.

En conséquence toute analyse des résultats aux scrutins comme l’expression des motivations des
salariés néglige « les conditions matérielles d’organisation des scrutins et de mobilisation des
électeurs » (Giraud et all, 2018, p.106). Le vote est « avant tout l’expression des capacités de
mobilisation différenciées des organisations qui le sollicitent, le suscitent et l’encadrent [...] Tous ces
éléments permettent de souligner combien le vote est moins un vecteur de démocratisation de
l’entreprise ou du syndicalisme qu’un instrument disputé de légitimation des stratégies tant syndicales
que patronales. Autrement dit, loin d’être une procédure neutre servant à l’expression d’intérêts ou
d’opinions préconstitués, le déroulement même de l’élection joue un rôle central dans la détermination
des intérêts et des opinions légitimes » (Béroud et Yon, 2014, p.24) 43.

Les moyens à disposition pour « susciter » le vote renseignent également sur la position du candidat
dans l’entreprise et à l’égard des autres parties prenantes aux élections. La dernière sous-partie
présente quelques-unes des ressources de ces derniers pour mener campagne voire contrôler, eux
aussi, « l’expression des salariés ».

D) Faire campagne.

Les candidats ont bien intériorisé qu’il ne suffisait pas de défendre leur bilan ou leur programme
afin de remporter des voix. Le contexte dans lequel se déroule les élections dans l’entreprise ne permet
pas à l’élection professionnelle de s’accomplir dans les mêmes conditions que nos élections
démocratiques en principe44. Ils s’appuient alors sur des ressources qui laissent transparaitre leur
position dans l’entreprise et trahissent leur rapport avec le reste des parties prenantes aux élections.
Dans une sémantique plus bourdieusienne, le champ des possibles des candidats lors des campagnes
dépend à la fois de leurs positions dans le champ des relations professionnelles et dans celui de
l’entreprise. L’utilisation de ces ressources à deux fins spécifiques : lutter contre la distanciation
géographique et sociale, s’assurer le bulletin de salariés.

43
Cette citation est empruntée à un texte discutant de la représentativité syndicale. L’approche dans ce travail élargit les
parties prenantes aux élections. Je ne crois pas que la phrase perde de sa justesse en remplaçant le terme « des
organisations » par « des agents des différents groupes parties prenantes et concourant aux élections » incluant ainsi la
direction, les candidats voire certains électeurs.
44
La démocratie sociale se réfère à un idéale théorique de l’élection politique démocratique, qui en pratique connait aussi de
nombreuses critiques (vote irrationnel, non informé, inégalité entre candidats, etc)

41
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

Du fait de la forte abstention et forte concurrence (trois sections syndicales), les sièges se jouent à très
peu de voix (voir annexe) :

- CFDT : 3 sièges avec une moyenne de 46.43 voix par candidat.


- CGT : 3 sièges avec une moyenne de 41.43 voix par candidat.
- FO : 1 siège avec une moyenne de 12.2 voix par candidat.

A une voix près, FO concédait son siège et une majorité à la CFDT. En conséquence, chaque voix
compte, et c’est avec cette idée en tête que les candidats mobilisent toutes les ressources que leur
offrent leurs différentes positions dans l’entreprise et dans le jeu des relations professionnelles. Cette
partie permet d’appréhender pleinement les capacités d’influence sur le scrutin des différentes parties
prenantes aux élections.

1) Lutter contre la distanciation géographique et sociale

Chacune des listes présente des candidats permettant de limiter l’influence de la distance à la fois
géographique et sociale sur leur résultat. Cette distance doit être réduite puisqu’elle est génératrice
de méfiance ou de désintérêt. Il faut approcher les salariés isolés, créer un lien avec eux, essayer de
produire un collectif dans un secteur où celui-ci a du mal à exister. Les entretiens menés montrent que
les candidats ont de nombreuses ressources pour y parvenir, suggérant des caractéristiques et une
position dans l’entreprise a priori particulière.

a) Malgré la distanciation géographique

Afin de pouvoir rentrer en contact avec les travailleurs de différents chantiers, les candidats n’ont
d’autres choix que de faire fonctionner un réseau et/ou de passer sur les sites afin d’y rencontrer les
salariés.

a.1) Le réseau.

Faire fonctionner un réseau requiert d’avoir pu le construire. Carla est à la CFDT la personne au
réseau le plus important. Elle le doit à une importante ancienneté mais aussi à un fort investissement
pour CDP – « En tout cas si je m’engage je le fais à fond. Je le fais à fond mais pour tout. Que ce soit
pour le travail, pour mes collègues, pour madame Pinto, pour Flavio, pour machinchin. Ils peuvent
m’appeler à tout moment entre guillemets [...], mais je suis comme ça, je m’engage à fond, je suis très
fidèle ». N’oublions pas non plus son appartenance à une communauté portugaise dont elle parle la
langue et à laquelle font partie de nombreux salariés.

42
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

Moi j’ai un réseau. Alors moi je. Ce qui ce passe c’est que moi je travaille pour Lacroix
à la base mais j’ai travaillé longtemps pour Bertin. Donc je connais beaucoup de gens.
Parce que comme ça fait 30 ans que je suis là, il y a des moments on m’envoie à tel
ou tel endroit. Du coup ça me permet de connaitre beaucoup de gens. En plus de ça,
euh, je connais beaucoup de Portugais. (Carla, élue titulaire et trésorière au CSE)

Les élus qui concourent à leur réélection peuvent également compter sur leur fonction pour la création
d’un réseau mobilisable. Les salariés viennent tout au long de leur mandat à leur rencontre pour
profiter des avantages offerts par les instances de représentation45. Lors d’un entretien avec un
secrétaire de FO, celui-ci m’explique que la loi de 2008 a rendu les élections « permanentes ». Les élus
aux cours de leur mandat, agissent en prévision du prochain scrutin. Toutes ces rencontres sont
l’occasion pour eux de créer un réseau mobilisable, et une dépendance des salariés à leur égard (partie
2) S’assurer des bulletins de salariés). Par exemple, Amina m’indique qu’à Tout Est Propre, où elle est
déléguée syndicale, elle organise des fêtes pour distribuer les bons cadeaux de fin d’année. C’est un
moment propice à se présenter à de nombreux salariés. Contrairement à un envoi par courrier, ces
derniers créent aussi plus facilement un lien entre le bon reçu et la personne de Amina, qui en profite
également pour échanger son numéro de téléphone avec beaucoup d’entre eux.

a.2) Se présenter sur les chantiers.

Pour pouvoir passer sur des chantiers disséminés sur deux départements il faut, en plus de temps,
posséder un laisser-passer. Il n’y a que trois façons d’avoir une autorisation : être déjà élu, avoir le
soutien du responsable de secteur (direction) ou y travailler.

Les élus se représentant aux élections bénéficient aussi à des fins de campagne de leur droit de
circulation sur les sites des prestataires. Les heures de délégation sont prises pour faire campagne.
C’est un prétexte. Elles ne sont pas réellement de la délégation, et ne sont pas non plus prises sur leur
quota d’heures payées. La quasi-totalité des élus font plus d’heures de délégation qu’ils n’en sont
payés mensuellement. Les campagnes ne font qu’amplifier cette tendance. C’est un moment
éprouvant pour les candidats qui prennent beaucoup de temps pour passer sur les chantiers à des
plages horaires précises – afin d’y croiser leurs collègues. Amina, afin de mener sa campagne à Tout
Est Propre a même pris des vacances à CDP. Il en remonte certaines critiques de la part des salariés qui
se plaignent de ne rencontrer les élus que lors des périodes d’élection, alors qu’il semble que ce soit

45
Par instances de représentation, j’entends les organisations représentatives, les CSE ou celles qui les ont
précédés (CHSCT, DP, CE).

43
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

plutôt la faiblesse des quotas d’heures de délégations qui ne permette pas leurs passages en temps
normal.

L’appui de la direction facilite également l’accès aux chantiers et la rencontre avec les salariés.
Plusieurs de mes enquêtés me confient en avoir déjà bénéficié, parmi lesquels, mon père lorsqu’il a
mené campagne sans étiquette (d’où la préférence de la direction pour sa personne) contre son ancien
camarade de la CFDT, Montaigne :

Et tu avais accepté ?

-Ah bah ! Tu m’étonnes ! Pour couillonner Franck !

Ah ! Quand tu étais en liste sans étiquette.

-Ah oui ! Moi je suis allé avec Saldias. Avec Saldias je suis allé à Sainte Marie. Il m’a
présenté à toutes les femmes. Il leur a dit : « Euh voilà … Le syndicat… Mr Hebert…
tatati tatata. » Ah, il m’a présenté toutes les femmes.

Si tu veux on ne peut pas connaitre tous les chantiers. Donc le fait d’aller avec un
inspecteur, tu perds moins de temps. J’étais allé à pleins de trucs avec Saldias. (Mon
père, élu suppléant au CSE et DS)

La pratique semble largement répandue. Aux dernières élections, un autre inspecteur se serait fait
prendre à faire de même avec Amir, et lors de mon entretien avec Carla, celle-ci me livre avec le plus
grand naturel, qu’une offre similaire lui a été faite par Bertin (encore un inspecteur) après que, prise
de colère, elle émette la possibilité de faire sa propre liste aux prochains scrutins :

« Mais Nathalie, aussitôt que vous voulez venir dans mes chantiers, vous avez qu’à
me contacter ». Et puis il me dit comme ça, « Quand vous voulez aller à
EauDeSource, vous appelez Agnès ». Agnès, c’est sa femme. Elle était mon
inspectrice avant que ce soit Lacroix. Il me dit « Vous appelez Agnès, vous allez boire
un café là-bas, tranquille, pas de soucis. Si vous voulez aller à Laboratoire, vous me
le dites » parce que faut mettre... faut dire la personne qui va y aller. « Et elles seront
ravies de vous rencontrer ». (Carla, élue titulaire et trésorière au CSE)

Autrement, les candidats n’ont de libre accès qu’aux chantiers où ils travaillent eux-mêmes. Amir et
Nadjat – les têtes de liste de la CGT – sont tous les deux à temps plein sur un chantier très important

44
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

(autour de 25 salariés). C’est un réservoir à voix sur lequel ils peuvent compter sans « perdre » de
temps en dehors de leur travail. Mais Louis (CFDT) est de loin celui dont le contrat de travail permet
de rentrer en contact avec le plus grand nombre. Il est laveur de vitres, « travaille sur plusieurs sites et
départements » et « est libre de ses vacations ». C’est-à-dire qu’il est libre d’organiser sa semaine de
travail comme il le souhaite – exception faite de demandes particulières d’un client lui imposant un
jour et un horaire. Cela lui permet en période de campagne de pouvoir rencontrer beaucoup de
salariés, notamment dans le département éloigné de l’agence – et par conséquent, des autres
candidats.

Ces déplacements à l’échelle de deux départements, en plus de prendre du temps, engendrent


nécessairement des coûts. Le contrat de Louis lui donne également accès à une voiture de fonction, ce
qui bénéficie également aux autres membres de la liste.

b) Malgré une distanciation sociale

Le premier et principal facteur de distance sociale entre les salariés du nettoyage est la multiplicité
des origines ethniques et des langues pratiquées. A CDP, aux dires des enquêtés, on trouve deux grands
groupes ethniques : d’un côté de Portugais, de l’autre de personnes originaires d’Afrique du Nord –
qualifié « d’Arabes » par les enquêtés. Ce clivage semble aussi être tout autant producteur de méfiance
entre collègues que l’éclatement spatial.

Appartenir soi-même à l’un de ces groupes – comme Carla – est un avantage décisif pour créer de la
confiance et obtenir des bulletins. Cette relation de méfiance/confiance a priori selon le « groupe
ethnique d’appartenance » apparait clairement dans les propos de Sarah – rapportés par Carla – à la
fois approché par Amina et Carla pour voter. Sarah, agacée par ce qu’elle décrit à Carla comme du
harcèlement de la part de Amina, lui aurait confié :

« De toute façon, je vais voter pour une portugaise, pas pour une arabe » ah ah ah.
Voila. C’est resté comme ça. (Carla, élue titulaire et trésorière au CSE)

Les membres de la liste CFDT m’explique l’existence d’un vote communautaire arabe pour la liste de
Amir et Nadjia ou de Amina. Sans trop pouvoir en affirmer la véracité, Amina prétend également que
Amir jouerait de sa pratique de l’Islam à défaut de la sienne pour se démarquer d’elle auprès de cette
population. Il est impossible pour autant de pouvoir le confirmer. Cependant, les enquêtés de la liste
CFDT ont été très explicites sur l’utilisation de leurs caractéristiques propres à des fins de stratégies
communautaires dans l’entreprise.

45
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

Comment ça, concrètement, ça se réalise ?

-Eh bien tu as plus confiance quand c’est quelqu’un qui est de ta patrie. Par exemple,
moi qui suis portugaise, et bien, si je vais sur des chantiers et que les filles elles ne
parlent pas français ou quelles ont des problèmes et bien elles vont se confier plus
facilement.

Mais ça, ça se réalise comment ? Parce que ça ne se voit pas forcement


physiquement que tu es Portugaise.

-Ah mais je me présente en tant que Portugaise.

Ah mais tu te présentes en tant que Portugaise.

-Voila. C’est-à-dire que je rencontre une personne. Je le sens tout de suite si elle est
Portugaise ou pas. Tu vois, moi je n’ai pas d’accent. Mais il y en a, elles ont l’accent.
De tout façon je commence : « Tu es de quelle nationalité ? » Alors elle me dit : « Je
suis Portugaise » « moi aussi je suis Portugaise ».

Enorme.

-Eh oui. Du coup le fait que tu sois de la même patrie que cette personne. Eh bah ça
va faire tomber des barrières. (Livia, nommée RSS par la CFDT)

L’appui d’un syndicat peut aussi participer à réduire la distanciation sociale entre candidats et salariés,
notamment lorsqu’ils ne partagent pas la même langue. Un secrétaire de FO m’a ainsi informé avoir
déjà rédigé des tracts en arabe afin de toucher une population de salariés ne parlant que cette langue.
Néanmoins, dans le cadre de l’entreprise CDP les syndicats n’ont jamais réellement participé aux
campagnes.

[Chez] CDP j’ai un délégué syndical, donc c’est lui qui le fait. Après eux la campagne
qu’ils font, moi je ne leur demande pas… euh… C’est eux qui gèrent leur campagne
parce que c’est eux qui ont la main sur l’entreprise parce que… Moi je ne peux pas
aller dans les entreprises, parce que du privé on n’a pas le droit, ce n’est pas comme
dans le public là où on peut aller visiter tout ce que l’on veut. Non, nous dans le privé
on n’a pas le droit. (Jacques, secrétaire syndical de la CFDT)

46
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

A tel point que pour la liste CFDT, les cartes qui ont été distribuées aux salariés en période d’élection
ont été faites par Louis, Sylvie (et à leurs frais) et mon père. Le poids de l’appartenance syndicale joue
donc un rôle mineur dans les résultats aux élections, mais il existe pour autant. Il est porteur de valeurs
auxquelles les candidats tentent parfois de s’identifier ou de s’y dissocier. C’est assez marquant
notamment avec les listes CGT et CFDT : alors que la liste CGT est souvent associée à la direction par
les enquêtés, François ne manque pas de s’enorgueillir du contraire en faisant appel à la réputation
nationale du syndicat :

Soi-disant entre guillemets on dit que la CFDT est pour les patrons et que la CGT est
pour les ouvriers et contre les patrons. Ce sont des grands négociateurs on sait bien
la CGT. On ne lui marche pas sur les pieds comme ça. (François, élu suppléant au
CSE)

Pour les représentants de la liste CFDT, au contraire, la tendance est à se dissocier au maximum de
l’image que peut renvoyer leur confédération. Sur la carte qu’ils distribuent aux salariés le logo CFDT
Ils = les est réduit – « parce qu’ils s’en foutent » – au profit de celui de CDP. L’intention est d’associer leur nom
salarié.es
et numéro à l’entreprise qui marque le quotidien des salariés – « pour pas qu’ils ne la perdent » –
plutôt qu’à la CFDT.

Plus concrètement, Carla m’indique avoir voté pour une liste à Tout Est Propre – où elle ne connaissait
Souligne
également personne – en fonction des appartenances syndicales des candidats de CDP. Cette pratique peu
la façon
dont le courante souligne néanmoins la confiance ou la méfiance que peut produire une étiquette syndicale à
syndicat
est des inconnu·es.
identifié au
travers
des
personnes
qu'on y Approcher des salariés est le premier pas évident pour les convaincre de voter pour soi. Si les
connait et
non pas le difficultés sont plus fortes dans un secteur marqué par l’atomisation des salariés en groupes distants
contraire
géographiquement et socialement, les listes semblent néanmoins être en mesure de pénétrer chacune
de ces sphères. Pour autant, si produire un lien entre eux et les salariés est un prérequis pour obtenir
leur vote, il ne l’assure pas.

2) S’assurer le bulletin des salariés

Parmi les candidats aux dernières élections on décompte plusieurs salariés qui étaient déjà
représentants du personnel – élus ou nommés – et de nombreux chefs d’équipe. Ces deux postes
induisent un rapport non neutre avec le reste des salariés. Ceux-ci sont à certains égards dans une

47
Campagne mené avec le malgache. Je n'ai vu que le malgache
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

situation de dépendance par rapport aux personnes qui les occupent. Cette dépendance, le candidat
peut en jouer de diverses manières lors des élections pour garantir l’obtention du vote d’un salarié.

a) En tant qu’élu

Les salariés sont dépendants des élus au niveau des droits et avantages auxquels donnent accès
les Instances de représentation. Cette dépendance est accrue par la méconnaissance des salariés de
ces instances et de leurs droits salariaux. Elle ouvre la porte à des moyens de pression aux mains des
élus pour s’assurer des voix. La pression que peuvent exercer ces élus n’est pas toujours perçue comme
telle par ces derniers. Amina est accusé de harcèlement moral à Tout Est Propre et à CDP. Elle s’en
défend. Mais le récit de ses campagnes à Tout Est Propre – où l’on vote par correspondance46– permet
de comprendre les motifs des accusations :

-[Une salariée] m’a dit qu’elle ne savait pas où elle a mis ses enveloppes. Bah … Après
moi je suis comme ça. Ça passe ou ça casse. Je me suis énervée. J’ai dit, « écoutez,
quand vous avez besoin de renseignement, de truc, j’étais là. Vous, aujourd’hui vous
ne trouvez pas les enveloppes. On va dire, vous ne les trouvez pas, l’autre elle ne les
trouve pas, l’autre elle ne les trouve pas non plus. Du coup je ne serai pas élue. Et
bah vous allez vous adresser ailleurs. Si on vous répond ». Et bah elle a rappelé
l’agence. On lui a renvoyé des enveloppes. Et elle a voté. [...] Après ce que je fais-
moi au moment, tu sais, au jour du dépouillement, je suis très attentive. Celui qui a
voté, celui qui n’a pas voté. Après les salariés je les connais hein. Et je les appelle.
« Tu as vu, tu m’as dit et après… »

Tu mets des savons ? Tu rappelles à l’ordre ?

-Ah oui. Ah oui. Après chacun il fait comme il veut. Je suis comme ça. C’est … c’est
mon caractère. C’est mon caractère. Je suis comme ça. Je n’y vais pas gentiment
machin. Non.

Je vais te dire, je vais être honnête aussi, moi ce que j’ai entendu. On m’a dit,
« Amina, c’est sans doute la meilleure, mais durant les élections pas de pitié. Durant
les élections c’est la guerre. Elle se bat pour le moindre vote ».

46
Plutôt que des identifiants permettant de voter depuis une plateforme en ligne, les salariés reçoivent dans ce cas une
enveloppe contenant le bulletin de vote qu’ils peuvent expédier par la poste.

48
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

-Pour le moindre vote c’est normal. [...] Je vais te donner un exemple, j’en avais une
à SuperMarché qui avait des problèmes avec l’agent de maitrise, à qui j’ai réglé pas
mal de problème. Et après c’est vrai, ça arrive, que à SuperMarché nos salariés
votent pour eux, ils ont plus d’avantage qu’avec nous a Tout Est Propre47. Et la
salariée qui m’appelle et qui me dit « Amina je suis désolé, je ne vote pas pour Tout
Est Propre, je vote pour SuperMarché parce que chez SuperMarché il y a ceci, il y a
cela ». Je l’appelle. Je lui dis « Tu te fous de ma gueule !? », j’ai dit « quand t’avais
des problèmes t’as pas été voir SuperMarché, tu es venue me voir ». [...] J’ai dit
« écoute hein. Je vais te dire. Je ne suis pas à une voix de près. Mais maintenant, moi
je te dis que ta voix je ne la veux pas ». [...] Elle me dit « ma sœur c’est un CDD, elle
ne peut pas voter pour SuperMarché, si tu veux elle vote pour toi ». J’ai dit « je ne
veux ni de ta voix, ni de celle de ta sœur. Puisqu’on en est arrivé là, je n’en veux
pas. » [...] Et je ne les ai pas pris. Il y a des gens qui commencent à chipoter un petit
peu je les laisse hein. Je lui ai dit ses quatre vérités « Le jour où tu auras besoin tu ne
viens pas vers moi ». (Amina, élue titulaire au CSE et nommée DS par FO)

Dans ce passage, il est important de souligner comment Amina connait et entretient la dépendance
des salariés à son égard. Ce sont des précaires qui n’ont pas les moyens de se défendre seuls. Le « si
on vous répond » suggère qu’elle est l’unique à pouvoir les aider. Ils sont ou se sentent dépendants
d’elle ce qui lui permet de monnayer son aide – qui est en réalité un devoir lié au poste d’élu –, en
échange de voix. Si dans ce cas l’échange annoncé ressemble à une menace, il peut parfois prendre la
forme d’un soudoiement, c’est à dire d’attention particulière en échange de la faveur d’un potentiel
électeur. En terme général, cela consiste simplement en un passe-droit au CSE au bénéfice du salarié.
Concrètement, ce sont de petites choses telles que de ne pas faire payer le tarif complet des tickets de
cinéma ou permettre à un salarié de bénéficier de plus de places que ne le prévoit le règlement. La
banalité et la facilité de ces infractions au règlement me sont expliquées par mon père :

-Moi je l’ai fait. Je donnais des places de cinéma ou du parc d’attraction. Enfin
j’étais plus malin. Je faisais un chèque à mon nom et on me remboursait.

Pour avoir des voix ?

-Bah oui. Pour avoir des voix. (Mon père, élu suppléant au CSE et nommé DS par
la CFDT)

47
Les salariés ont le choix entre participer aux élections de l’entreprise prestataire ou de l’entreprise donneuse d’ordre. Ils
jouissent des avantages du CSE de l’entreprise où ils ont voté.

49
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

b) En tant que chef d’équipe

Le chef d’équipe est un ouvrier et partage le même collège électoral que les salariés sous sa tutelle.
Cependant il joue l’intermédiaire entre son équipe et l’inspecteur. C’est à lui que peut revenir
l’organisation du travail sur le chantier, le recrutement ou encore le partage des heures
supplémentaires/complémentaires. Cela produit donc également une relation de dépendance des
salariés à son égard dont il peut jouer pour les élections. Dans le cas d’Amir, l’important chantier sur
lequel il est chef d’équipe est considéré en conséquence comme son réservoir à voix quasi exclusif par
les autres candidats.

Amir, les votes qu’il a eus, c’était ceux d’Hôpital. Celles d’Hôpital, elles m’ont dit,
« c’est lui qui nous donne les heures, si demain il arrête de nous donner les heures,
et tout ça … ». Aujourd’hui je vois encore les filles et elles regrettent. (Amina, élue
titulaire au CSE et nommée DS par FO)

De nouveau, le chef d’équipe n’est pas forcé de recourir à la menace pour s’assurer du vote de ses
salariés, de petites attentions peuvent suffire. Un salarié sur le chantier de Christina (CFDT) lui a par
exemple troqué son vote contre des bottes.48 de sécurité

Ce lien de dépendance peut être exacerbé par des chefs d’équipe mettant à profit leurs prérogatives
pour coopter des membres de communautés étrangères auxquelles ils appartiennent et avec lesquels
ils doivent par la suite gérer l’inhabilité à parler français dans leur interactions quotidiennes au travail.
C’est le cas de Carla et de « [s]es petits portugais » sur lesquels elle a pu compter à l’arrivée des
élections :

Comme les chefs du coup, que ce soit Bertin ou Lacroix, bah le portugais c’est
compliqué. A chaque fois qu’ils ont un problème avec une personne x ou y qui est
Portugais, ils m’appellent moi. [...] Donc forcément, eux ils voient par moi. Pas
forcément pour le chef49. [...] Et bah du coup ce réseau-là, je leur ai dit « bah écoutez,
ce sont les votes, je suis dans la liste, votez ». Donc il y en avait qui m’ont dit « ah je
vote que pour toi !? ». J’ai dit « Non non. Votez pour le groupe ». (Carla, élue titulaire
et trésorière au CSE)

48
Il est intéressant de constater comment certains salariés parviennent à profiter du besoin de bulletins des
candidats pour obtenir du matériel.
49
Elle coopte sur d’autres chantier que les siens également

50
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

c) Par le biais de l’appui de la direction.

De nouveau il apparait qu’avoir les préférences de la direction apporte un avantage comparatif


certain aux candidats qui les reçoivent. Amir a pu revenir une semaine après son premier passage sur
le chantier de Christina (CFDT), avec des gilets qui manquaient aux salariés. Cette fonction aurait dû
revenir à l’inspecteur, Saldias – celui-là même qui, par le passé, s’était déjà impliqué pour épauler la
campagne de mon père.

-Et en plus il leur a ramené des polaires.

Mais comment tu sais tout ça ?

-Et bah parce que ce sont les filles qui le racontent. Elles le disent après. Tu
comprends il leur a donné des polaires. Alors qu’il faut qu’on se batte. Normalement,
tu dois avoir une tenue complète pour le travail, tous les ans renouvelée. [Dans les
faits] par exemple, moi qui suis actuellement à Limagrain, il faut 3 ou 4 ans avant
qu’elles aient une polaire [les employées à Limagrain], les chaussures de sécurité il
faut se battre pour en avoir.

Donc j’imagine que pour avoir des polaires ….

-Voila. Donc elles étaient contentes, c’était le petit cadeau. Mais d’où viennent les
polaires !? Je veux dire ! Ce n’est pas lui qui va les acheter en grande surface !? C’est
CDP pas
des polaires GSF. Elles ont l’insigne. Ce sont des polaires qui n’ont que GSF. Avec les GSF
couleurs GSF et tout. Et il est arrivé avec [élève la voie] une polaire chacune à leur
taille ! [Tape du poing sur la table pour marquer l’exclamation]. C’est quand même
bizarre. Où c’est qu’il a été cherché ces polaires !? [Retape du poing sur la table] et
avec les tailles et tout des nanas ?! Hein ? Explique-moi !

Mais à part ça ce n’est pas... Voila. Alors ça, pareil, c’est l’inspecteur [qui est supposé
s’assurer que les salariés aient bien tout leur équipement]. Voila ! Commandées
bien sûr par le directeur pour favoriser l’élection [de la liste opposante]. (Livia,
nommée RSE par la CFDT)

Ainsi, il ne fait plus de doute, que le vote ne résulte pas d’un acte rationnel, mais bien plus souvent
d’une démarche du candidat à l’endroit de l’« électeur ». D’ailleurs, l’usage de menaces ou de

51
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

pressions s’accompagne souvent de démarches visant à voler les identifiants du salarié, ou tout
simplement d’un accompagnement lors du dépôt du bulletin. Mais de manière plus générale, du fait
des difficultés à voter électroniquement – en raison d’un illectronisme ou d’une incapacité à lire le
français chez les salariés – toutes les listes récupèrent des identifiants. A la CFDT, c’est Sylvie, la femme
de Louis qui s’est trouvée en charge de les centraliser.

L : Voilà. Ils nous appellent. Nous il n’y a jamais eu de pression de … Voila. Ils nous
appellent, ils nous disent « bon bah tiens, débrouille-toi »

Carla
S : Bah beaucoup par Nathalie d’ailleurs.

L : Beaucoup par Nathalie. Beaucoup par... bah... On a voté pour 23 personnes je


crois ou 27 personnes. Donc toutes les personnes nous disaient « tiens, j’ai peur de
faire une connerie », puisque ma femme était en permanence …

S : … On avait fait une organisation béton. J’étais devant l’ordinateur. Et et et …

L : et tous les gens euh…

S : … et tout le monde appelait « voilà le code, le mot de passe » et tactactac. Je


votais.

L : et on votait voilà… (Louis, élu titulaire CSE, et Sylvie, sa compagne)

Sylvie prétend avoir voté pour 23 à 27 personnes et les candidats titulaires de la CFDT ont obtenu entre
44 et 52 voix... Lorsque j’ai cherché à obtenir plus d’informations sur la banalité de cette pratique,
Nathalie, à l’accueil de la CFDT me fait part de son manque de surprise. « Il n’y pas qu’a CDP qu’on se
balade avec des ordinateurs [...]. Tu viens avec tes identifiants et je vote pour toi ». Il semble donc que
tous les agents expérimentés des élections soient conscients des limites de celles-ci et se trouvent dans
« l’obligation » d’agir en conséquence pour espérer les remporter50. Mettre la main sur les identifiants
ou voter au côté d’un salarié sont les manières les plus simples, les plus sures, les plus systématiques
par lesquelles on s’assure des voix.

[Suite de l’extrait de l’entretien avec Louis et Sylvie]

50
A contrario de Maria, nouvelle dans le jeu des relations professionnelles, qui se refusait à cela par crainte d’être pointée
du doigt.

52
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

S : Parce que ! ça a été même plus loin que ça. Des salariés qui voulait voter pour la
liste de ton père et Louis. Euuuh Amina est passée. Ils avaient leur feuille de vote sur
eux. Ce sont des Portugais puisque, puisque Nathalie…

L : … Ils ont donné les codes à deux syndicats en fait.

S : … Non enfin. Ils ont montré la feuille et Amina a pris la feuille en photo avec les
codes et les mots de passe. Et le matin du deuxième tour (tactac), a 10heure pile
(tactac), elle était devant son ordinateur. Quand j’ai essayé de faire passer les codes
à 10h03 elle avait déjà voté pour eux.

C’est bon ça haha.

S : Ah ouais ouais. Ah non mais bah c’est la guerre. C’est chacun pour soi et Dieu
pour tous hein ! En avant hein. (Louis, élu titulaire CSE, et Sylvie, sa compagne).

L’ensemble de ces pratiques peut aussi être prolongé par les agents des différents groupes
parties prenantes appuyant des candidats. Par exemple Sarah, chef d’équipe assurant son
soutien à Carla, lui promet également les votes des salariés de son chantier.

Donc Il semble également juste de remarquer que bien des caractéristiques présentées pour
certains gagner une élection – capacité de mobilité, pratique de langues étrangères, etc. – sont aussi
besoin
électoraux grandement utiles à la bonne réalisation des missions de représentant. Pour représenter les
participe
en fait salariés il faut en effet d’abord être en mesure de les entendre et de les comprendre. Lorsque
également Amina décroche son téléphone lors de mon entretien pour des raisons professionnelles, son
à la bonne
représentat interlocuteur s’adresse à elle directement en arabe... Force est de constater que ce salarié ne
ion des
salariés pourra trouver personne à son écoute à la CFDT.

Dans cette seconde partie, j’ai cherché à planter le décor de mon enquête. Les élections
professionnelles sont des scrutins aux enjeux multiples et centraux dans la détermination des intérêts
légitimes dans le jeu des relations professionnelles aux différentes échelles. L’ensemble des différentes
parties prenantes doit in fine se positionner derrière les candidats concourant aux élections selon la
compatibilité de leurs motivations. Les candidats se retrouvent alors positionnés à la fois dans le champ

53
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

de leur entreprise en tant que salariés, et dans le champ des relations professionnelles en tant que
potentiels futurs représentants. C’est à partir des ressources que chacune de ces positions suggèrent
qu’ils mènent alors campagne. Afin d’obtenir des voix, elles doivent permettre de surmonter les
difficultés que représentent la distance géographique et sociale – caractéristiques du secteur – et
donner des moyens de produire le vote.

C’est sans surprise qu’une analyse de données sur les salariés permet de rendre compte – de manière
partielle certes – de la particularité des candidats et des élus dans l’entreprise. On constate dans le
tableau 2 que leur ancienneté et niveau de qualification se situent nettement au-dessus à la moyenne
de l’entreprise51.
Tableau 2 : Niveau de qualification et ancienneté52 :

Niveau de
qualification Dans l’entreprise Parmi les candidats Parmi les élus
(ordre
croissant)
Nombre Pourcentage Nombre Pourcentage Nombre Pourcentage
AS1 14 4.0 0 0 0 0
AS2 207 58.8 76.7 5 20 32 2 14.3 14.3
AS3 49 13.9 3 12 0 0
AQS1 20 5.7 2 8 1 7.15
AQS2 10 2.8 9.4 0 0 8 0 0 7.15
AQS3 3 0.9 0 0 0 0
ATQS1 6 1.7 2 8 1 7.15
ATQS2 1 0.3 3.4 0 0 12 0 14.3
ATQS3 5 1.4 1 4 1 7.15
CE1** 25 7.1 8 32 5 35.7
CE2 6 1.7 10.5 3 12 48 3 21.4 64.25
CE3 6 1.7 1 4 1 7.15
Total 352 100 25* 100 14 100
Ancienneté
Pas dans
moyenne au 5 ans 6 mois et 16 jours 15 ans 1 mois et 18 jours 17 ans 8 mois et 21 jours
la branche,
dans 1er février
l'entreprise 2020.
*Ils étaient 26. Une personne de la CGT a quitté l’entreprise entre les élections et la date de la liste
du personnel.
**CE est l’acronyme de Chef d’Equipe.

51
J’aurais souhaité pouvoir réaliser un travail sur les groupes ethnique à partir des noms ou prénom des
salariés. Cependant beaucoup de noms sont commun en portugais et en Arabe (eg : Fatima).
52
Les données datent de fin janvier 2020. Le document n’étant pas daté, j’ai dû me reposer sur les dates d’entrée
des salariés les plus récentes. Première limite du tableau : il ne correspond pas aux effectifs aux moments des
élections. Il n’empêche qu’il donne tout de même un aperçu de la situation. Afin de pouvoir traiter les données,
j’ai sorti des salariés les travailleurs n’appartenant pas aux premiers collèges (les inspecteurs et le chef d’agence)
ainsi que les alternants, et les secrétaires (qui ne rentraient pas dans l’échelle des qualifications présentés). Au

54
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

Les écarts entre la colonne « candidats » et « élus » poussent à donner du crédit aux ressources
apportées par l’ancienneté – expérience, confiance, réseau – et par la position de chefs d’équipe dans
la captation des voix.

Mais ce tableau ne rend pas compte des raisons de ce fossé. Il est nécessaire de questionner les
processus à l’origine de la surreprésentation de personnes plus qualifiées et anciennes que la moyenne
des salariés sur les listes. Légalement « sont éligibles les électeurs âgés de 18 ans révolus au moins
ayant travaillé dans l'entreprise depuis un an au moins, à l'exception des conjoint, partenaire d'un
PACS, concubin, ascendants, descendants, frères, sœurs et alliés au même degré de l'employeur » (Site
du ministère du travail). Cependant, le tableau semble indiquer un processus de sélection répondant
à des critères plus exigeants que celui d’une ancienneté minimale. Se pourrait-il que ce processus soit
le résultat d’un alignement des ambitions subjectives sur les possibilités objectives des salariés à
parvenir à être élu – menant les salariés les moins avantagés pour les campagnes à ne pas même
songer à participer ? L’enquête semble infirmer cette hypothèse. Il semblerait que la logique d’entrée
sur une liste soit, de même que pour les votes, impulsée par les parties prenantes aux élections déjà
en place– élus, direction, organisations syndicales. Parmi les enquêtés, peu ont intégré une liste par
eux-mêmes. Les principaux agents allant démarcher de nouvelles têtes sont les élus eux-mêmes. Ce
processus de sélection des nouveaux entrants par les agents en place mène à peu de rotation chez les
représentants, et favorise en conséquence la production d’un corps stable d’élus.

La dernière partie revient sur ces processus de sélection des nouveaux entrants. Le corps dirigeant
d’élus y sera présenté comme une élite caractéristique de toutes organisations (loi d’Airain de Roberto
Michels). Le processus de sélection suivant des critères, il permet également de compléter et nuancer
la typographie présentée plutôt.

total cela représente 9 personnes sur 361. Les chefs de site (2 personnes) sont des chefs d’équipes ayant une
formation supplémentaire (). Je les ai ajoutés aux CE3.

55
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

Partie 3. Les représentants du personnel. Des oligarques chez les salariés ?

Selon Roberto Michels, « qui dit organisation, dit tendance à l’oligarchie » (p.15). Cette thèse qu’il
développe dans Les partis politique, essai sur les tendances oligarchiques des démocraties (1914)
participe à donner du sens aux résultats de cette enquête. « La démocratie », nous dit Michels, « ne se
conçoit pas sans organisation » (p.5). C’est par elles-mêmes que les élections professionnelles sont
supposées organiser les salariés et élire au sein de leur rang des représentants mus par la volonté
collective du groupe. L’organisation est le moyen des plus démunis de pouvoir lutter contre
« l'exploitation de ceux qui sont économiquement plus forts » (p.6). Les élus qui portent la parole du
collectif sont présumés être sous le contrôle de ses mandants. « L'idéal pratique de la démocratie
consiste dans le self-government des masses » (p.8). Cependant, celui-ci repose sur de nombreuses
conditions qui n’ont pas les moyens d’exister en pratique. Par exemple, il requière des membres, ici
les salariés, qu’ils soient tous égalitaires. « Le principe démocratique entend garantir à tous, dans la
gestion des intérêts communs, une influence et une participation égales. Tous sont électeurs, tous
éligibles » (p.10). La seconde partie de ce mémoire s’est déjà attachée à infirmer cette idée. Cette
troisième partie vient souligner la « non-éligibilité » de tous les salariés. Quelques-unes des raisons
avancées par Michels ont déjà été discutées précédemment. Il insiste par exemple sur la nécessité de
transparence au sein de l’organisation afin d’éviter que ne se répande une méfiance à l’égard des
délégués et de permettre à chacun de se maintenir au courant pour être apte à endosser à son tour
cette responsabilité. Or, l’un des problèmes rencontrés au bon fonctionnement des élections est
justement l’opacité des relations professionnelles pour les salariés. Paradoxalement, cette opacité est
selon Michels le résultat du développement de toutes les organisations. Quand bien même elles
poursuivent des ambitions démocratiques à leurs débuts, leur développement mène intrinsèquement
à une perte de contrôle des délégués de la part des mandants (p.17). Cette perte de contrôle est
redoublée par le besoin d’aptitude spécifique à la bonne réalisation de la tâche que tous ne possèdent
pas. Alors, les délégués « qui n'étaient au début que les organes exécutifs de la volonté collective, ne
tardent pas à devenir indépendants de la masse, en se soustrayant à son contrôle » (p.15).

Ainsi, l’idéal démocratique serait incompatible avec les organisations, puisque celles-ci mènent au
transfert du pouvoir de décision (parfois jusqu’au vote lui-même (voir Partie 1I)) de la masse aux
délégués. L’organisation des salariés à CDP pour décider des représentants qui siégeront dans les
instances de représentation ne fait pas défaut à la règle de Michels. Elle « a pour effet de diviser [...]
en une minorité dirigeante et une majorité dirigée » (p.16). Cette division s’aperçoit dès la construction
des listes aux élections. L’entrée en lice est à l’instar du vote, analysée ici comme le produit d’un
démarchage plutôt que d’une volonté individuelle. C’est en prévision des élections que les agents des

56
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

relations professionnelles partent à la recherche de candidats qui pourront les aider à faire prévaloir
leurs motivations ou intérêts. Ce processus de sélection est réalisé à partir de critères qui mènent à la
surreprésentation de certaines caractéristiques partiellement présentées dans le tableau 2.
Paradoxalement, alors que les candidats sont recrutés à partir de critères différents, ils se laissent
capturer par un élément commun : un rapport particulier avec la sphère professionnelle.

A) La constitution des listes.

La constitution des listes est la première étape des élections. Elle est le produit de recrutement
Depuis
des agents des relations professionnelles déjà en place parmi les salariés (une organisation syndicale, l'arrivée
de
la direction, un candidat ou élu). En effet chacun des élus, à l’exception d’un seul, a intégré le jeu des l'implanta
relations professionnelles par l’intermédiaire de l’un de ces agents. Le manque d’alternance aux postes tion de
la
d’élus tend à faire des salariés occupant les sièges des agents stables des relations professionnelles. A première
liste.
ce corps solidement implanté viennent se greffer de nouveaux salariés. Leur recrutement se fait en
fonction de trois types de critères :

- Personnels. L’agent des relations professionnelles dépêche le salarié du fait d’une affinité
particulière. Les raisons du recrutement sont variées. Il peut être avancé un besoin de
protection du salarié, une définition partagée du rôle des représentants du personnel, des
caractéristiques permettant d’accroitre la légitimité des motivations de l’agent, etc.
- Électoraux. Le salarié peut être recruté pour son apport de voix aux élections. Lorsque ce
critère est l’unique motif de recrutement, le candidat est réduit à n’être qu’un simple agent
électoral.

- Juridiques. Le cadre légal ajoute des critères d’enrôlement. Tout candidat doit avoir au moins
dix-huit ans et travaillé au moins un an dans l’entreprise. La loi (Article L.2314-13 et L. 2314-
29 du code du travail) réserve également un nombre de sièges aux hommes et aux femmes
correspondant à la proportion que chacun représente dans leur collège53 dans l’entreprise.
Enfin, les listes doivent alterner des candidats de chaque sexe jusqu’à épuisement des
candidats d’un des sexes. A CDP, le taux de femme est de 82.13%, six des sept sièges leur sont
réservés ainsi que la tête de liste.

53
Les élections professionnelles dans l’entreprise sont découpées en collège. Il y a une élection dans le collège « Ouvriers et
employés », et une autre, mais sans candidat, dans le collège « Ingénieurs, techniciens, agents de maitrise, cadres et
assimilés. Je n’ai pas pu comprendre l’implication de la direction dans le collège « ouvriers et employées » et le siège vacant
dans l’autre collège.

57
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

1) Des organisations syndicales à la pèche aux candidats.

A CDP, je n’ai jamais entendu parler de l’implantation d’une section syndicale par un mouvement
Différent de l’organisation elle-même. De nouveau, la participation des syndicats dans les élections du personnel
de ce
que j'ai semble faible. Cela peut s’expliquer par la taille de l’entreprise. Bien qu’elle se soit étoffée suit à
pu voir à
la fédé l’arrivée des salariés des nouveaux marchés gagnés, l’agence de CDP compte seulement 361 salariés
en janvier 2020. Les organisations syndicales préfèrent peut-être investir leur énergie et temps à
s’implanter dans des entreprises plus grandes afin de jouer au mieux la représentativité à l’échelle
nationale. Car la pratique de démarchage de candidats pour concourir aux élections locales sur une
liste affiliée à leur organisation existe. Lors d’un entretien avec un secrétaire de FO, celui-ci m’en
informe des modalités. Lorsqu’il apprend qu’une entreprise qu’il souhaite intégrer va entrer ou entre
en période d’élection, il cherche à mettre la main sur la liste du personnel afin de faire un appel à
candidatures. L’organisation « va à la pèche ». Elle ne connait pas les candidats. Elle a besoin d’un
candidat afin de pouvoir jouer la représentativité à des échelles supérieures à celle de l’entreprise et
accéder à différents sièges d’institution encadrant le dialogue social. Les critères de sélection sont alors
en premier lieu les seuls critères juridiques, puisque le principal problème des syndicats est de
manquer de candidats.

2) Une direction qui prend les devants.

A CDP, l’entrée de la première section syndicale, la CFDT (entre 2002 et 2004), fut impulsée par la
direction elle-même.

Mon directeur il a été voir Montaigne, Franck là tu sais, et il lui a dit « il faut monter
un truc sinon la CGT va nous emmerder ». Franck il est venu me voir, il est venu voir
moi et François et il nous a dit on va monter une liste. (Mon père, élu suppléant au
CSE et nommé DS par la CFDT)54

Cet encouragement au développement d’une première section syndicale s’est fait dans l’intention d’en
contrôler l’identité. La CFDT s’est vue conviée par la direction au risque de voir la CGT s’inviter. De
façon plus générale, « la CFDT réussit d'autant mieux à se déployer qu'elle est souvent plus facilement
acceptée des employeurs. A contrario, si la renommée de la CGT facilite son identification par les
salariés [...] c'est plutôt sa « mauvaise réputation » qui la précède auprès des chefs d'entreprise. »

54
Je n’ai pas pu avoir d’entretien directement avec Franck. Je donne cependant du crédit au propos de mon père, du fait
qu’il soit mon père, qu’ils soient crédibles, et que ces derniers ne participent pas à construire une image idéalisée de son
histoire en tant que syndicaliste.

58
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

(Giraud et al, 2018). Comme le souligne Nicolas, le secrétaire de FO, lors de notre entretien, la présence
d’une section syndicale dans une entreprise rend d’autant plus complexe l’implantation d’une autre
organisation.

Remarque : Il semble de nouveau que ces agents – la direction par l’usage de cette stratégie, et
l’organisation syndicale par le biais de Nicolas – aient intériorisé l’improbabilité que des salariés
montent une liste et s’affilient à un autre syndicat par eux-mêmes.

En 2011, afin de limiter les entraves causées par des candidats contestataires dans les instances de
représentation, la direction de CDP s’attelle de nouveau à démarcher des salariés pour apaiser le
dialogue social. Ce besoin souligne les limites de la première intervention de la direction dans la mise
en place de candidats. Est malgré tout parvenue à s’implanter une section syndicale de la CGT, portée
par Juan, nommé DS en 2005, un personnage emblématique de l’histoire des relations professionnelles
de CDP. Il est l’unique élu qui soit rentré dans le jeu des relations professionnelles par lui-même
seulement. A ce sujet, il est aussi le seul à s’identifier précisément comme militant syndical plutôt que
comme représentant du personnel. Chacun des candidats formant le corps d’élus solidement installé,
me le présente comme une référence du type de représentant contestataire. De plus, comme il a déjà
été mentionné, les représentants apprennent à entrer en confrontation avec la direction. Avec
l’expérience – la compréhension du jeu des relations professionnelles –, et au côté de Juan, les élus de
la CFDT ont aussi eu tendance à devenir de plus en plus en combatifs.

Franck il s’est associé avec Juan. [...] Parce que Franck il était comme moi [...], il ne
disait rien, il faisait son taf, comme moi quoi. Seulement, on s’est aperçu que… bah
on était d’accord avec Juan quoi. (Mon père, élu suppléant au CSE et nommé DS par
la CFDT).

Les rapports entre représentants et direction se sont alors tendus, au point d’être en partie
responsables de la démission du directeur de l’agence au cours du mandat de 2007 à 2011.

Ainsi, en 2011, la direction dépêche de nouveaux salariés afin de dissoudre le « bloc » qui s’était
constitué contre elle. Pierre était inspecteur à CDP. Il me raconte cette période en entretien :

Enfin sur les dernières années où j’y étais, tu avais toujours ton père, tu avais Juan.
Juan qui était le trublion qui foutait le bordel un peu partout. Et en fait ils ont décidé
qu’il fallait un contrepouvoir surtout à Juan. Donc qu’est-ce qu’ils ont été faire ? Ils

59
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

ont été prendre quelqu’un qui se mette FO. Le chef d’équipe de l’hôpital. Je sais plus,
je sais plus comment il s’appelle.

[...]

Amir ?

Amir ! Ils sont allés le chercher...

[...]

Parce qu’en plus j’étais plus à Clermont, j’étais à Cournon. Mais de temps en temps,
quand tu rentrais boire le café avec tes collègues, tu discutes. Et bien tu entends.
Amir il a été mis là, parce qu’il a été mis là. Parce que Juan faisait chier, machin faisait
chier, il fallait un autre syndicat. CGT et CFDT c’était trop. Parce qu’en plus, même si
au début ça emmerdait la CFDT (l’arrivée de Juan) [...], finalement avec les procès et
le grattage que faisait à droite à gauche Juan pour choper les informations, ils ont
compris que finalement, il n’était pas si con que ça en fait. [...] Mais après la
direction : « lui il est toujours en train de casser les pieds, lui il est toujours en train
de casser les pieds... ». Donc tu regardes vu qu’il était tout seul et qu’il n’y avait pas
grand monde sur sa liste, il fallait un autre syndicat pour essayer qu’il soit
minoritaire. Tu comprends ce que je veux dire ? comme ça tout ce qui est vote,
ffffiout ! On n’en parle plus. Après il fait du bruit il fait du bruit. Bah oui. (Pierre,
ancien inspecteur à CDP)

Le recrutement de la direction en 2011 m’est encore confirmé par Louis et son entrée dans le jeu des
relations professionnelles :

S : Tu devrais lui demander pourquoi il est devenu représentant du personnel.

Ahahah

S : Et tu vas voir, tout va découler derrière.

L : Parce que CDP m’a forcé de le faire. Enfin m’a forcé, non. M’a demandé de le
faire pour pourvoir contrer quelqu’un qui dérangé. Au début. Au départ.

D’ailleurs c’était qui ce quelqu’un ? C’était Juan ?

60
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

L : C’était Juan Mensot ouais. (Louis, élu titulaire au CSE et Sylvie, sa compagne)

En plus de dépêcher des candidats pour défendre ses intérêts, la direction peut aussi participer à
la sélection des représentants du personnel en cherchant à en évincer certains des instances de
dialogue, voire de l’entreprise. Les méthodes sont dépendantes du contexte et des moyens que
l’entreprise est prête à investir – en temps, en argent, en soucis – pour se débarrasser du représentant.
Par exemple, Amina a fait sa campagne tout en sachant qu’elle était hors la loi. Déjà élue et déléguée
syndicale à Tout Est Propre, elle ne pouvait pas légalement se représenter dans une autre entreprise.

Et bah je me suis présentée par, principe ! Pour dire à l’entreprise, je m’excuse le


terme, « je vous emmerde », « j’ai peur de rien ». [...] Mon syndicat il a pris une
amende de 800 euros.

[...]

J’ai été obligée (de partir). J’ai été convoquée au tribunal. J’ai donné ma démission.
Au tribunal. (Amina, élue titulaire au CSE et nommée DS à FO)

Le dépositaire de la plainte n’est pas connu. Les enquêtés ont tendance à me pointer Amir ou la
direction de CDP. La question a pu être posée à chacun des deux. Cependant, le directeur d’agence
m’indique qu’il ne peut divulguer ces informations, et la réponse de Amir s’est avérée peu
convaincante par son hésitation – « Ah bah c’est euh c’est euh c’est bah c’est euh. c’est CDP… ».

Pour autant, si le dépositaire de la plainte est incertain, il fait peu de doute que l’origine de la démarche
semble provenir de la direction. Selon mon père, pour y avoir lui-même fait face, si Amir est le
dépositaire c’est sur les incitations de la direction – « « Ce n’est pas bien ce qu’elle fait monsieur
Hebert. C’est interdit. Je porterais plainte à votre place… » » (Mon père, élu suppléant au CSE et
nommé DS par la CFDT).

Dans cette situation, l’engagement de la direction est minimal. La mise à l’écart est facile. Néanmoins,
en d’autres occasions, celle-ci est prête à consacrer beaucoup plus de ressources afin de se séparer
d’un représentant. J’aimerais évoquer ici les accusations de harcèlement moral et sexuel à l’encontre
de Juan. Je ne peux pas affirmer la fausseté des actes bien que selon mon père et ses camarades celle
si soit évidente – « Le jour où ça s’est passé, on a eu une réunion sans Juan, ou on nous a dit « Juan à
essayer de violer une fille ». Tout de suite avec Montaigne, on a dit « non, ce n’est pas possible, c’est
un coup monté ». Et d’ailleurs la preuve, ça n’a pas donné suite cette histoire » » (mon père) – En soi,
cette assurance d’un coup monté informe déjà sur les rapports entre la direction et les représentants.

61
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

J’ai eu une enquête sociale, une enquête du CHSCT sur mon dos. J’étais marié, père
de quatre gosses. Ça a été monté par CDP ça.

Et ça cette enquête là c’était pour te faire sauter ?

Non c’... Si le CHSCT avait conclu positivement, CDP avait le droit de me licencier, et
la bonne femme qui a fait ça avait le droit de porter plainte contre moi au civil pour
harcèlement sexuel. [...] Cette affaire-là elle a été montée par CDP, Mancini, Mato,
Rotano et Montaigne. Après je me suis battu pour savoir si les autres membres de la
CFDT étaient au courant. Montaigne j’avais aucun doute. Parce qu’il bouffait avec
les autres, avec Mato et Mancini. Au bout de six mois, il a fallu quand même que ma
femme elle soit courageuse, qu’elle ne croit pas à cette affaire. Imagine-toi, ta
femme croit à l’affaire, et elle te met la valise dehors. Tu sais ce que je leur ai dit
quand ils ont rendu le rapport ? « Vous avez de la chance ». Je leur ai dit direct « Ma
femme m’aurait quitté, il n’y aurait plus personne dans cette salle, même vous », je
me suis tourné vers les représentants du personnel, « il n’y aurait personne dans
cette salle, il n’y aurait plus personne ». [...] Et après j’ai trouvé une autre preuve
que j’ai montrée à ton père. J’ai dit « regarde », elle s’appelle Maria la fille. Maria
Dasusa, « elle travaille à Anvers, elles sont deux, elle est chef d’équipe. Alors
qu’avant l’affaire elle n’était pas chef d’équipe ». J’ai découvert que sa mère… Un
jour sa mère à l’époque des cadeaux, le chèque. Donc on avait le chèque par rapport
à l’ancienneté. Un jour elle arrive, c’était moi, surprise. « Tiens bonjour,
[bredouille]... ah tiens vous travaillez toujours à CDP ? » « Ouais ouais. Ouais mais je
viens vous voir parce que j’ai un problème on m’a donné un chèque de 5 ans, alors
que ça fait 26 ans que je travaille à CDP ». « Ah bon ? [...] Attendez bougez pas ». Je
prends ma liste, madame Dasusa machin, « regardez, c’est marqué 5 ans, 6 ans c’est
marqué. Donc on donne le chèque de 5 ans, comment ça fait que vous avez 26
ans ? ». [...] Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. J’ai mené mon enquête. Hé
ouais mon gars. Sa mère a été licenciée pour le coup sur le chantier de Groupama
siège. Elle avait 26 ans d’ancienneté. Elle avait balancé... Elle avait tapé une
portugaise avec la serpillère, avec eu... avec le truc du rasant, dans les chiottes ! Et
ils ont été obligé de la licencier mais ce dossier là... il ne nous est pas apparu ce
dossier. On n’a jamais eu à discuter de ce dossier. Ça s’est fait en secret, surement,
ça ne s’est jamais su. Donc. En compensation du service rendu par cette fameuse
Maria, on a réembauché sa mère. (Juan, ancien DS de la CGT)

62
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

Bien que dans cette affaire il soit compliqué de tirer le vrai du faux, la quête d’attestation par la
direction pour nuire à des élus est une pratique qui s’est vérifiée. Alors que Louis et mon père
cherchaient du matériel pour donner du poids aux accusations faites à l’encontre d’un inspecteur, leur
passage au près des salariés du site de Rooper s’est retourné contre Louis.

S : Louis avait dit à une fille qui bossait sur le site de Rooper, « et bah écoute, s’il
continue à t’emmerder un jour qu’il te parle mal machin bidule, tu dégrafes les
boutons de ton chemisier, et puis tu cries au viol. »

L : Non parce que non, « tu lui mets un coup de poing par la tête » parce que
c’était une boxeuse.

S : Ah oui elle était boxeuse, c’est ça.

L : je rigolais hein (à mon adresse).

S : « Tu lui mets un coup de poing par la tête, puis après tu craques les boutons de
ton chemisier et puis tu cries au viol ».

C’était-il y a 4 ans ça.

S et L : Ouais.

S : et un mois derrière, Louis est convoqué en CHSCT pour avoir …

L : Non j’avais déclenché une enquête pour ce site…

S : Oui, il avait déclenché une enquête sur ce site-là à Riom.

L : par rapport aux insultes (d’un inspecteur sur les salariés) et …

S : à l’époque il était au CHSCT.

L : Voilà. Aux insultes qu’il y avait eues et voilà. Ça s’est retourné contre moi en
fait. Ils ont fait faire des attestations, par les salariés comme quoi j’avais dit ça et
tout ça.

S : Et un des salariés qui leur faisait une attestation pour dire que l’inspecteur se
comportait mal, ils sont venus le voir et il avait fait une attestation contre Louis. Donc

63
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

il avait deux attestations. Une dans un sens, une dans l’autre. (Louis, titulaire au CSE,
et sa conjointe, Sylvie)

L’enquête menée contre Louis n’a pas non plus mené aux conclusions espérées par la
direction. Mon père qui était présent avec lui lors des évènements à formellement nié les
faits, ne permettant pas de conclure à leur véracité.

Enfin, lorsque l’entreprise possède les ressources économiques suffisantes, elle peut décider
de négocier le départ du représentant. Ce type de rupture de contrat a été rendu possible
par l’introduction « de la possibilité d’une rupture conventionnelle. Dans les conditions fixées
par les articles L. 1237-11 à L. 1237-16 du Code du travail, issus de la loi no 2008-596 du 25
juin 2008 « portant modernisation du marché du travail » (JO du 26 juin), l’employeur et le
salarié peuvent convenir d’un commun accord des conditions de la rupture du contrat de
travail à durée indéterminée qui les lie » (Breda, 2016). C’est par ce biais que l’entreprise est
parvenue à se séparer de Juan – au prix de cinquante mille euros –, puis de sa femme, et de
Montaigne.

On remarque que le critère « être contestataire » n’implique pas nécessairement une


réponse répressive de la part de la direction, et que le degré de celle-ci varie selon les
représentants.

Ainsi, le premier critère de sélection des candidats par la direction est « personnel ». Elle
recherche avant toute chose des élus qui seront compatibles avec ses propres motivations,
qui ne s’opposeront pas à ses desseins, qui ne représenteront pas un cout. Afin de voir ces
élus nommés, elle est également obligée d’inclure les critères de sélection juridiques et
électoraux (critère électoral qui reste cependant secondaire puisque son appui garantit déjà
en soi un avantage lors de la campagne).

3) Les élus : principaux recruteurs

Le corps d’élus solidement implanté dans l’entreprise est, comme pour chaque nouvel entrant,
également le résultat d’un processus de recrutement antérieur. Néanmoins, ces salariés se sont pris
au jeu des relations professionnelles. La sociologie du militantisme55 permet de prendre pour acquis
que cet engagement militant dépend en grande partie de la « densité des liens affectifs » développés
par les salariés et par « les rétributions symboliques qu’ils ont le sentiment d’[en] retirer » (Giraud et al,

55
A ce sujet, voir Gaxie, 2005

64
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

2018 p.132). Ce sentiment de rétributions dépend en premier lieu de la définition qu’ils donnent du
« jeu » des relations professionnelles et des cartes qu’ils ont en possession afin de jouer la partie. En
d’autres termes, pour pouvoir tirer des satisfactions symboliques de leur position, ils ont besoin de
pouvoir répondre à la définition qu’ils se font d’un « bon élu ». Pour cela, l’engagement militant dans
l’instance requiert des salariés qu’ils soient dotés de ressources permettant de l’assumer. Certaines de
ces ressources sont similaires à celles déployées en période de campagne. Par exemple, la pratique
d’une langue étrangère peut permettre de recueillir la parole d’un plus grand nombre de salariés.
Cependant, la capacité des élus à endosser correctement le rôle de représentant du personnel dépend
de bien d’autres caractéristiques : parler français pour prendre part aux réunions, savoir écrire pour
occuper le poste de secrétaire, posséder des connaissances juridiques, une certaine force de caractère
pour défier l’autorité d’un employeur dans l’illégalité (Gray, 2011), etc. Ludovic Jamet et Arnaud Mias
(2012), quant au CHSCT absorbé par le CSE, expliquent de façon plus générale que « la maîtrise des
connaissances (techniques, médicales, légales) et, plus largement, le rapport au savoir apparaissent
décisifs » à l’efficacité des élus dans leur mission. Ils ajoutent, que ces connaissances, comme « la
densité des liens affectifs » (p.3), ne s’acquièrent ou ne se développent qu’avec la pratique des salariés
aux postes de représentant. C’est aussi par l’expérience que se découvrent pleinement les prérogatives
liées aux statut et l’ensemble des satisfactions pouvant en découler – matérielles, symboliques,
opportunités d’avancement professionnel, etc.

Ainsi, plus un salarié a de l’expérience comme représentant et plus il est à même de s’y engager et
d’en retirer des rétributions. Plus généralement la densité des liens affectifs et les connaissances
s’accroissent avec l’engagement et la pratique ; et l’engagement et la pratique avec la densité des liens
affectifs et des connaissances. Lorsque le mandat arrive à son terme, les salariés les plus désireux
d’endosser les fonctions de représentant sont alors les représentants du cycle précédent. Depuis leur
position d’élus, en tant qu’agents des relations professionnelles, ils possèdent également un avantage
certain par rapport au reste des salariés pour y parvenir.

C’est eux qui sont à l’initiative de la construction des listes dont leur réélection est la première des
causes qu’elles doivent servir. Ils commencent par s’y répartir selon les relations interpersonnelles
qu’ils nouent les uns avec les autres et selon leur attachement à leur organisation. Ils occupent sur les
listes les positions les plus favorables à leur réélection, c’est à dire, aux rangs les plus hauts que le
cadre légal leur permette56, et se réservent la position de délégué syndical.

56
Les lois pour la parité (L.2314-29 du code du travail) recherchent une parité sur les listes égale à celle dans
l’entreprise. Avec 82.13% de femmes dans l’entreprise le nombre d’hommes est fortement limité et la tête de
liste a l’obligation d’être une femme. Plus le candidat est haut sur la liste, plus il est éligible. A nombre de voix

65
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

Comme le souligne Michels « L'élection faite en vue d'un but déterminé devient une charge à vie.
L'habitude se transforme en droit. L'individu régulièrement délégué pour une certaine durée finit par
prétendre que la délégation constitue sa propriété. » (p.26)

Le nombre de représentants solidement implantés tend à s’approcher du nombre de sièges non


cumulables dans l’entreprise57. En deçà, cela laisse la place de s’installer à de nouveaux représentants,
au-dessus, il ne permet pas d’assurer à chacun une réélection. Pour les nouveaux, en dehors d’un
espace produit par une évolution des relations entre les agents, l’unique moyen pour faire sa place
dans les institutions de représentations est de passer par la création d’une nouvelle section syndicale58
– comme semble l’avoir fait la direction et les candidats qu’elle a dépêchés chez FO.

Aux dernières élections, les corps stables d’élus étaient composés de seulement cinq – voire six 59–
salariés répartis en trois sections syndicales :
Tableau 3 : Répartition du corps d’élus solidement implanté sur les listes.
CFDT CGT FO
Rang Titulaire Suppléant* Titulaire Suppléant Titulaire Suppléant
dans la
liste
1 ** ** Nadjia ** Amina (DS)
2 Louis Mon père (DS) Amir (DS) François
3
4
5
6
7
*Les listes des titulaires et des suppléants sont deux listes séparées. Les enjeux sur les listes suppléant
sont moindres. Les élus sont protégés comme les titulaires mais ne participent pas nécessairement aux
relations professionnelles. Mon père y est présent puisqu’il a besoin de recueillir au moins 10% afin
d’être nommé DS.
**Les lois sur la parité, imposent une parité sur les listes correspondant à celle de l’entreprise et une
alternance des genres. A CDP, afin qu’il puisse y avoir une alternance, le premier nom sur la liste doit
être de sexe féminin.

égales c’est le rang sur la liste qui détermine qui est élu. Les électeurs peuvent décider de barrer des noms sur la
liste pour laquelle ils votent (En annexe sont présentés les résultats au second tour qui illustre ces propos ).
57
Ce nombre est de 4 dans le système précédant au CSE dans l’entreprise. Il y avait 4 délégués du personnel, 4
membres du comité d’entreprise, 3 nommés au CHSCT. Mais ces 3 fonctions étaient cumulables.
58
L’explication de la répartition des sièges selon les résultats en annexe apporte des éléments de réponse à cette
affirmation.
59
François prend part au jeu des relations professionnelles depuis la création de la première section syndicale
dans l’entreprise. Cependant, il y est passif. En entretien, il m’exprime son désintérêt à avoir plus d’influence. Il
s’est fait éjecter de la CFDT du fait de la contrainte du nombre d’hommes maximale. J’ai donc un peu de difficulté
à l’intégrer complétement aux corps d’élus stables.

66
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

Ces salariés, sont les « têtes pensantes » des listes – à défaut de pouvoir être les têtes de listes. Ils se
chargent du recrutement au sein de leur réseau ou de celui de leurs alliés, de mener campagne en
dehors de ce réseau ou de leur lieu de travail et une fois nommés de donner des conseils, des directives
aux nouveaux entrants qui, ne maitrisant pas entièrement les règles du jeu, sont alors en partie
malléables. Ce sont les candidats les plus engagés et les plus expérimentés.

Une fois répartis entre les différentes listes, le recrutement s’ouvre donc au reste des salariés de
l’entreprise. Cette action des agents déjà en place vers les salariés, et non le contraire, est soulignée
par les expressions utilisées par les enquêtés : « monter sa liste », « faire sa liste », « recruter ».
L’enrôlement s’opère dans les réseaux des candidats ou de leurs alliés. Le passage au CSE et les lois sur
la parité l’ont rendu particulièrement important. Le CSE a accru le nombre de sièges non cumulables
dans l’entreprise. La taille des listes s’est agrandie. En parallèle, les lois sur la parité ont obligé les listes
à remplacer certains candidats habituels par de nouvelles candidates.

Le nombre d’hommes par listes à CDP ne peut être que de deux. Ainsi les candidats concourant à leur
réélection à la CFDT et CGT occupent déjà toutes les places disponibles pour les hommes. C’est
d’ailleurs, du fait de cette limitation que François est passé de la CFDT à la CGT. L’augmentation de la
taille des listes et des critères juridiques a obligé les représentants à renouveler les candidats sur leur
liste.

Dans un premier temps, le recrutement continue de suivre une logique électorale et fait rapidement
face à des limites. Peu de salariés sont enclins à rejoindre une liste. Ce nombre est encore diminué par
les obligations légales à remplir : un salarié ne peut pas être élu dans deux entreprises et le taux
d’hommes et de femmes sur la liste doit respecter celui de l’entreprise. Les critères électoraux
amoindrissent d’autant plus la quantité de salariés aptes à être recrutés. A l’égard de ce qui est requis
pour remporter une campagne, l’archétype du candidat recherché est une femme cheffe d’équipe60
avec de l’ancienneté dans l’entreprise, un réseau interne important et encline à intégrer une liste. Carla
remplit chacune de ces exigences, et c’est pour cette raison que malgré la définition de partenaire
qu’elle donne au représentant du personnel, Louis et mon père – contestataire – l’ont dépêchée.

Pourquoi Louis t’a dit qu’il faudrait prendre Carla ?

-Bah devine ? Pourquoi il m’a dit Carla. Parce que Carla elle apportait des voix. Je ne
peux pas te dire mieux. [...] Enfin les gens qu’elle a ramenés on les connaissait. Mais

60
De façon amusante, j’ai pu entendre de la part de délégués de la CFDT et de la CGT que chacun avait mis des chefs
d’équipes sur sa liste seulement à des fins électorales.

67
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

avec elle on était sûrs qu’ils viendraient. (Mon père, élu suppléant au CSE et nommé
DS par la CFDT)

Sans surprise, les entretiens menés révèlent qu’elle fut aussi invitée à rejoindre la liste de Amir (CGT)
et de Amina (FO). D’ailleurs, le recrutement de Amina par Juan par le passé, est aussi en parti lié à des
motivations électorales – bien que moins centrales :

-Je pensais qu’elle pouvait ramener quelques voix. Qu’elle pouvait ... et puis il fallait
remplir cette liste. Il fallait faire une liste complète.

Je suis un pas naïf pardon, mais tu pensais qu’elle allait t’apporter quel type de voix
Amina ?

-Bah comme je t’ai dit des magrébins. Quelques magrébins. Parce que les français je
ne pense pas, parce qu’elle est... Les français tu sais comment ça marche. Il y en a
beaucoup des étrangers ... (Juan, ancien DS à la CGT)

C’est après l’expérience acquise par son premier mandat qu’elle s’est émancipée en quittant la CGT et
Juan pour rejoindre FO. Emancipation dont Carla m’a aussi évoqué l’idée pour les prochaines élections.

Les constructions de liste à des fins de réélection s’observent concrètement dans le résultat du scrutin.
Toutes les têtes pensantes sont parvenues à être réélues. Ces réélections et le processus de sélection
pour y parvenir produisent une résistance face aux lois en faveur d’une parité (des caractéristiques
recherchées ont tendance à être surreprésentées chez les hommes comme le niveau de qualification
ou l’inclinaison à accepter). En effet, alors que le nombre de candidats hommes sur les listes est limité
à un seul, cinq des six hommes candidats ont été élus. La proportion d’élus de sexe masculin est alors
de 5/14 (35.71%) alors que les hommes ne représentent que 17.87% des salariés de l’entreprise.

Une sélection sur critères électoraux seuls ne permet pas de remplir une liste. Les têtes pensantes
procèdent également à un recrutement à partir de critères personnels, comme pour protéger un
salarié, une définition des représentants du personnel partagée ou de caractéristiques chez un salarié
permettant de renforcer la légitimité de leur propre définition. A CDP, ce type de recrutement a
concerné Livia pour la CFDT, dont la nomination comme responsable de section syndicale est une
conséquence à sa non-élection. La défense de son cas lors du mandat précédent par Louis et mon père
a participé à les unir dans leurs idées. Livia est revancharde – c’est à dire dans une optique de
contestation – et s’investit en conséquence pleinement depuis sa position de responsable de section
syndicale. Mon père me fait régulièrement part de son souhait de lui confier son poste de délégué

68
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

syndical une fois parti. Ce type de salarié est ajouté à la liste non pas pour remporter les élections mais
pour être élu. Lorsqu’il est aussi attendu du candidat qu’il soit actif – pas simplement protégé –, celui-
ci à naturellement tendance à se situer sur la liste des titulaires – mais les heures de délégations
peuvent aussi être reparties pour diviser le travail entre titulaires et suppléants comme avec Nathalie.
Ils se situent sur les listes aux positions les plus avantageuses après le placement des membres du
corps d’élus solidement implantés.
Tableau 4 : Répartition des élus recrutés sur des critères personnels
CFDT CGT FO
Rang Titulaire Suppléant Titulaire Suppléant Titulaire Suppléant
dans la
liste
1 Livia Elisabeth* Nadjia Fabienne* Amina (DS)
2 Louis Mon père (DS) Amir (DS) François
3 Fabienne*
4
5
6
7 Positionner miranda #carla
*Je n’ai pas eu dans mes entretiens de confirmation sur les motifs des positions de Elisabeth et de
Fabienne. Cependant, Elisabeth est salariée sur le chantier de Nadjia et Amir. Elle était sur leur liste aux
dernières élections des membres du Comité d’entreprise. Je sais de mon père qu’elle a rejoint la liste de
la CFDT du fait de sa mésentente avec Amir et Nadjia qu’elle partage avec lui et Louis. Le placement de
Fabienne quant à lui laisse peu de place au doute : il a vocation à la faire élire comme titulaire ou
suppléante. C’est un choix très intéressant car Fabienne est la chef d’équipe sur laquelle ont porté les
accusations de harcèlement à l’égard de Livia (voir extrait d’entretien dans l’introduction). Il est donc fort
probable que sa présence sur la liste de Amir et Nadjia suive la même logique que l’intégration de Livia
sur la liste de la CFDT.

Les recrutements sur motifs électoraux et personnels réunis ne permettent pas non plus de posséder
une liste complète. Afin d’y remédier, les critères de sélection sont abaissés, voire inexistants.
Commencent à être acceptés tous les salariés – plus ou moins- enclins à entrer sur une liste qui
répondent au mieux aux critères juridiques et pour lesquels il n’existe aucune aversion particulière des
membres déjà présents. C’est le processus de sélection par lequel sont passés les salariés sur la liste
de Amina (FO).

J’ai fait une proposition à ton père. Je viens avec vous. On fera le travail. On enlève
le pouvoir a l’autre con, qui est avec le patron. Après je vous laisse et moi je
m’occupe de Tout Est Propre. Il m’a dit je te rends la réponse. Il m’a rendu la réponse
deux jours avant qu’on pose la liste. Deux jours. Ça ne m’a pas laissé le temps. J’ai

69
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

pris n’importe qui. Tout ce que j’ai trouvé. 61(Amina, élue titulaire au CSE et nommée
DS à FO)

Ce « remplissage de liste » poursuit la même ambition électorale que la sélection sur critères
électoraux. Les candidats et leurs proches appartenant à une liste ont tendance62 à voter pour celle-ci
ce qui corrèle la taille des listes à leur résultat au scrutin. Paradoxalement, les candidats recrutés afin
de répondre au besoin de recueillir des voix pour remporter les élections n’ont pas vocation à être
élus, comme cela était le cas de Carla. Leur positionnement sur les listes parmi les places restantes
dépend alors principalement de leurs inclinaisons ou de leur envie à le devenir. Par exemple, la position
de Nathalie en bas de la liste des suppléants de la CFDT répond à son souhait de ne pas être élue.

De façon générale, le positionnement des candidats sur les listes renseigne sur les motifs de leur
présence, à savoir, les critères de sélection par lesquels ils sont passés et leur volonté d’être réellement
élus. Parmi les nouveaux entrants, les élus, fort de l’expérience qu’ils seront amenés à avoir, auront la
possibilité aux prochaines élections de participer comme leurs ainés à la construction des listes. Carla,
Cristina et Nathalie semblent ne pas être simplement de passage dans les instances de représentation.
Leur intégration au corps des élus solidement implantés aura été facilitée par les transformations du
cadre juridique des instances de représentation.

Ainsi, les agents des relations professionnelles recrutent de nouveaux candidats selon des
processus de sélection similaires. L’idéal type est pour chacun le même : un salarié qui possède les
ressources afin d’être élu (sélection sur critères électoraux), qui défendra aux mieux les intérêts et les
motivations de l’agent l’ayant dépêché (sélection sur critères personnels) et qui remplit chacun des
critères légaux (sélection sur critères juridiques). Cependant, l’importance de chacun de ces éléments
varie selon les agents du fait de leur position dans le jeu des relations professionnelles.

- Les organisations syndicales prennent peu part aux recrutements sur les listes.
Lorsqu’elles le font c’est principalement au moment de l’implantation de la section.
Être en lice aux moments des élections est la première des priorités, qu’importe le
salarié – en partie par manque de choix (les salariés ne s’y pressent pas). Les écarts
entre les motivations des salariés et du syndicat semblent être intériorisés par

61
Les critères juridiques ont aussi été vu à la baisse. Les lois en faveur d’une parité n’ont pas été respectés
(deux hommes sont sur la liste des titulaires (voir annexe)), et Amina a dû démissionner de son poste du fait
qu’elle était déjà élue à Tout Est Propre.
62
Un entretien m’ayant apporté l’assurance que ce n’était pas systématique.

70
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

chacun (voir partie 1.B)3)). Si le salarié a des chances de remporter les élections c’est
un plus. Un classement selon la préoccupation accordée à chacun des éléments
donnerait ceci :

Juridiques > électoraux > personnels

- La direction participe au recrutement pour s’assurer que ses intérêts soient les mieux
représentés. Elle n’a pas besoin de recommencer avant chaque élection. Tant que
ses élus ne lui sont pas devenus hostiles, et qu’elle n’est pas prête à engager des
procédures pour se défaire des autres, elle peut rester en dehors de ce processus.
Les critères électoraux sont une préoccupation secondaire puisqu’elle possède les
ressources nécessaires pour assurer des bulletins à ses candidats. Les critères
juridiques ne passent au premier plan qu’afin de terminer de remplir la liste.

Personnels > Electoraux > Juridiques.

- Pour le corps solidement implanté des représentants le recrutement est un


processus ayant lieu avant chaque élection – bien que spécialement important pour
les dernières. La priorité des listes est de leur assurer une réélection. Lorsque ce
critère de sélection est épuisé, le second leur permet d’intégrer sur les listes des
candidats qu’ils apprécieraient voir comme élus à leurs côtés. Enfin, la sélection tend
à se rabaisser au seul critère juridique à des seules fins de remplissage de listes.

Electoraux > Personnels > Juridiques.

B) Les élus : un groupe au croisement des diverses logiques de sélection.

Les écarts entre les deux premières colonnes du tableau 2 présenté en fin de seconde partie sont
le résultat des processus présentés précédemment. Cette affirmation peut encore être appuyée par
les différences entre les caractéristiques renseignées des salariés sur la liste de Amina (FO) ,bien moins
sélectionnés – « J’ai pris n’importe qui » –, et ceux sur les listes de la CGT et de la CFDT. En effet les
candidats sur la liste de FO ont une ancienneté et un niveau de qualification moins élevé.

71
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

Tableau 5 : Niveau de qualification et ancienneté par liste.

Niveau de
qualification FO CGT CFDT
(ordre
croissant)
Nombre Pourcentage Nombre Pourcentage Nombre Pourcentage
AS1 0 0 0 0 0
AS2 2 33.33 50 1 11.11 11.11 2 20 40
AS3 1 16.67 0 0 2 20
AQS1 1 16.67 1 11.11 0 0
AQS2 0 16.67 0 0 11.11 0 0 0
AQS3 0 0 0 0 0
ATQS1 0 1 11.11 1 10
ATQS2 0 0 0 11.11 0 0 20
ATQS3 0 0 0 1 10
CE1 1 16.67 4 44.44 3 30
CE2 0 33.34* 2 22.22 66.66 1 10 40
CE3 1 16.67 0 0 0 0
Total 6 100 9 100 10 100
Ancienneté
moyenne au 8 ans 3 mois et 20 jours 16ans 11 mois et 23 17 ans 4mois et 3 jours
1er février jours
2020.
*Attention, Amina fut à la charge du recrutement. Elle est CE3 et représente donc 16.67% des chefs
d’équipes de sa liste. Le tableau 5bis se charge de sortir les agents recruteurs des listes.

72
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

Tableau 5bis : Niveau de qualification et ancienneté par liste des candidats recrutés

(Sont ici sortis par rapport au tableau 5 les cinq représentants du personnel solidement implantés
et actifs aussi identifiés comme des agents recruteurs)

Niveau de
qualification FO CGT CFDT
(ordre
croissant)
Nombre Pourcentage Nombre Pourcentage Nombre Pourcentage
AS1 0 0 0 0 0 0
AS2 2 40 60 1 14.29 14.29 2 20 50
AS3 1 20 0 0 2 20
AQS1 1 20 1 14.29 0 0
AQS2 0 0 20 0 0 14.29 0 0 0
AQS3 0 0 0 0 0 0
ATQS1 0 0 1 14.29 0 0
ATQS2 0 0 0 0 0 14.29 0 0 0
ATQS3 0 0 0 0 0 0
CE1 1 20 3 42.85 3 30
CE2 0 0 20 1 14.29 57.14 1 10 50
CE3 0 0 0 0 0 0
Total 5 100 7 100 8 100
Ancienneté
moyenne au 6 ans 7 mois et 30jours 16ans et 24 jours 14 ans 4mois et 25 jours
1er février
2020.

Les écarts entre la seconde et la troisième colonne du tableau 2 trouvent également leur
explication dans les stratégies de recrutement, puisque le choix des rangs sur la liste – et donc des
candidats éligibles et des non-éligibles – fait partie intégrante du processus de sélection des
représentants. Bien entendu, pour que celui soit un succès, il est requis que les candidats aux rangs
inférieurs ne reçoivent pas plus de voix que les candidats aux rangs supérieurs. En d’autres termes,
que les électeurs ne barrent pas de noms sur leur bulletin de vote. Cela n’a pas été le cas (voir annexes).
Les élus de la CFDT ne respectent pas les rangs des candidats sur la liste. Carla, cinquième sur la liste
des titulaires, a été élue au détriment de Livia, la tête de liste. Quant à la liste des suppléants, les
candidats élus ont été les numéros deux (mon père), quatre et sept (Nathalie).

Les écarts de voix entre les différents candidats sont importants relativement aux autres listes ou aux
dernières élections du comité d’entreprise. Deux hypothèses peuvent être envisagées. La première
serait une manœuvre de la direction pour favoriser certains candidats au détriment d’autres. C’est

73
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

l’hypothèse avancée par les enquêtés de la liste CFDT interrogés qui évoquent une préférence pour
Carla – aux relations cordiales avec la direction – par rapport à Livia – vindicative.

Elle (Livia) c’est pour aller à l’attaque avec Éric (le directeur). Moi ce n’est pas mon
truc. Et donc il y a des problèmes avec elle, et je pense qu’ils ne voulaient pas qu’elle
soit en haut de la liste. C’est pour ça que, il y eu des on-dit. Je ne sais pas si c’est vrai
[...]

Bartin (un inspecteur) je pense qu’il est passé derrière pour deux ou trois choses.
Pas pour beaucoup. Mais oui, il y a eu. Et certainement par rapport à moi et Livia.
(Carla, élue titulaire CSE et trésorière)

Sans douter de la possibilité de cette option, cela ne suffit pas à rendre raison des écarts sur la liste. Il
n’y a qu’une voix entre Carla et Livia alors qu’il y en a jusqu’à sept entre cette dernière et Louis pour
lequel la direction ne voue pas moins d’hostilité (voir Partie 3.A)2)). D’ailleurs, c’est Louis qui a obtenu
le plus de voix sur la liste des titulaires, et mon père sur celle des suppléants. Tous les deux sont
également contestataires vis-à-vis de la direction et possèdent plus d’expérience que Livia – et lui sont
donc a priori plus dangereux. C’est pourquoi, aux vues d’une étude plus générale des résultats
l’hypothèse d’une manœuvre de la direction pour évincer des candidats pouvant lui nuire ne me parait
pas satisfaisante.

La seconde hypothèse serait qu’afin de garantir l’élection de Louis – et peut être de mon père
également –, Louis et Sylvie aient barré volontairement des noms sur les bulletins qui leur avaient été
confiés à leur avantage63. C’est une supposition plausible, du fait de la forte angoisse dont était pris
Louis en période d’élection face au risque de ne pas être réélu – et de perdre la protection et les heures
liées au poste. Cependant, je n’ai pas pu lui poser directement la question. J’ai fait part de cette
réflexion à mon père et me suis rendu compte qu’il l’avait déjà envisagée. C’est l’unique moment où
je me suis retrouvé en conflit d’intérêt entre ma position d’enquêteur et de « fils de ».

Il y a des questions dont il ne vaut mieux pas avoir les réponses. Il va te dire que c’est
faux de toute façon. Ça voudrait dire qu’il a magouillé au sein du groupe. (Mon père,
élu suppléant au CSE et nommé DS à la CFDT)

63
D’ailleurs, la différence de voix sur la liste de Amina peut peut-être s’expliquer de la même façon. Sur la liste des titulaires
tous les candidats de FO ont reçu 12 voix sauf elle qui en a eu 13. Sur la liste des suppléants, où elle n’y est pas, tous les
candidats ont obtenu 13 voix. Je crois qu’elle a barré le nom de ses camarades sur son bulletin afin d’être sure qu’elle soit
celle avec le plus de voix sur sa liste.

74
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

Cependant, malgré la part d’aléa dans la distribution des voix sur les listes, les
caractéristiques renseignées des élus ne changent pas fondamentalement entre ceux qui
auraient dû l’être et ceux qui le sont.

Tableau 6 : Niveau de qualification et ancienneté des élus et des têtes de listes qui auraient dû
l’être.

Niveau de
qualification Parmi les candidats qui auraient dû être
(ordre Parmi les élus élu selon l’ordre des listes*
croissant)
Nombre Pourcentage Nombre Pourcentage
AS1 0 0 0 0
AS2 2 14.3 14.3 1 7.15 14.3
AS3 0 0 1 7.15
AQS1 1 7.15 1 7.15
AQS2 0 0 7.15 0 0 7.15
AQS3 0 0 0 0
ATQS1 1 7.15 1 7.15
ATQS2 0 0 14.3 0 0 14.3
ATQS3 1 7.15 1 7.15
CE1** 5 35.7 5 35.7
CE2 3 21.4 64.25 3 21.4 64.25
CE3 1 7.15 1 7.15
Total 14 100 14 100
Ancienneté
moyenne au 17 ans 8 mois et 21 jours 17 ans 8 mois et 7 jours
er
1 février
2020.
*C’est à dire les 3 premiers des listes CFDT, les 3 premiers des listes CGT et les premiers
des listes FO.

De fait, bien que les candidats n’aient pas tous été sélectionnés sur la base des mêmes
critères (quand ils l’ont été), et que les motivations, les définitions du rôle de représentant,
et les rapports entretenus avec la direction soient divergents entre les groupes, les tableaux
5 et 6 tendent à rendre compte qu’ils partagent néanmoins des caractéristiques communes.
Même lorsque l’ordre de la liste n’est pas respecté les élus à l’ancienneté et au niveau de
qualification élevés restent surreprésentés.

Les données quantitatives récoltées ne permettent pas d’approfondir le lien qui unit les
candidats recrutés sur critères électoraux aux candidats recrutés sur critères personnels.
Cependant, les propos recueillis en entretien laissent apercevoir une piste qui suit le niveau
d’ancienneté et de qualification élevé constaté en commun. Il apparait clairement qu’a

75
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

contrario des ouvriers habituellement décrit du secteur, les élus ne sont pas des salariés
précaires. Pour la plupart :

- Ils ne craignent pas de se faire renvoyer. Ils apportent des bénéfices à CDP ou/et
sont en mesure de rester élus et protégés ou/et ne sont pas dépendants de
l’entreprise.
- Ils sont aptes à faire valoir des exigences – des primes, une augmentation de leur
niveau de qualification, des conditions de travail, etc.
- Ils possèdent des revenus et autres avantagent plus importants que ce que leur
profession pourrait laisser suggérer.

Généralement, les bonus que parviennent à obtenir les représentants du personnel vis à vis du reste
des salariés sont attribués à leur complaisance avec la direction. Il proviendrait de l’échange d’un laissé
faire contre quelques avantages. Cela existe, néanmoins, ce raisonnement ne prend en considération
les élus que dans leur rapport en tant que représentants des salariés avec la direction. La présentions
des différents processus de sélection permet de rendre compte que les élus – et candidats – se
définissent en pratique dans des rapports multiples. Par exemple, l’inégale répression de la direction
contre les élus contestataires peut laisser supposer que ces derniers ne sont pas que les représentants
d’un groupe aux intérêts antagonistes aux siens. Ils sont aussi des salariés qui participent à l’activité
productrice, à la création de richesses pour l’entreprise. Selon moi, les élus non complaisant avec la
direction ne connaissent pas la précarité de leurs camarades du fait d’un rapport au travail et à
l’entreprise différents. Ce sont des acharnés du travail. Ils s’y investissent à des degrés supérieurs que
le commun des salariés. Ils accumulent les heures, dépassent les plafonds légaux dans l’entreprise, ou
en dehors. Par exemple, Nathalie et Carla ont su développer une clientèle chez des particuliers ce qui
tend à réduire leur dépendance vis-à-vis de CDP. A cela, s’ajoute une « conscience professionnelle »,
des exigences quant à leur propre travail garantissant une certaine qualité de prestation des services
de l’entreprise. Certains ont pleinement connaissance des compétences qu’ils peuvent offrir à
l’entreprise et s’affranchissent alors totalement de la pression hiérarchique.

Moi je ne suis pas dépendante de CDP. Demain je ne suis pas bien, je me casse [...].
Aujourd’hui avec 45 ou 46 ans. Aujourd’hui je ne veux pas me prendre la tête.
J’aurais 20 ans... moi j’avais 20 ans, j’étais obligée de dire amen entre guillemets à
tout. Aujourd’hui je sais ce que je vaux, ou ce que je travaille, ou ce que je fais. Je
suis valorisée plus ou moins de partout chez mes particuliers. Ils m’adorent.
D’accord ? Donc je sais que même si je pars de CDP. Je vais chez Tout Est Propre je
trouverais du travail. Je leur dis voilà, j’ai des formations, j’ai ceux-ci j’ai cela. Je
76
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

trouverais du travail. Donc moi je n’ai pas peur par rapport au travail. Avec toute
l’ancienneté que j’ai de CDP et tout le travail accompli, je sais que je trouverais du
travail. Surtout dans ce métier. Dans le ménage tu trouves toujours du travail. Et du
coup finalement ça les emmerdes un petit peu. Moi de toute façon faut pas
m’emmerder. (Carla, élue titulaire CSE et trésorière)

Je m’en fous de me protéger. Par exemple, CDP aujourd’hui il me vire, les entreprises
de nettoyage elles sont nombreuses, du moment où on fait notre travail, je pense
que le travail dans le nettoyage aujourd’hui au contraire, ils ont du mal à trouver des
gens qui travaillent, et qui travaillent sérieusement quoi. (Amina, élue titulaire CSE
et nommée DS à FO)

D’autres ne paraissent pas avoir moins conscience des bénéfices qu’ils apportent à l’entreprise. Pour
mon père, par exemple, les élections sont un moment éprouvant, car il craint de ne plus être protégé.
Pourtant, d’un regard extérieur, l’ensemble de ses échanges avec l’entreprise sont gagnants-gagnants.
Il ne réclame pas d’augmentation de qualification par crainte que le reste des employés y voient un
privilège. Il n’y pas de chef d’équipe sur ses chantiers. Il est autonome, efficace et garantit une
prestation de services de qualité. Par exemple, il passe dix heures par mois et ramène ses propres
outils pour assurer l’entretien de l’extérieur de l’agence de CDP, contre trente heures pour le salarié
précédent parti à la retraite. En période de confinement, le directeur de l’entreprise donneuse d’ordres
d’un chantier de mon père a salué au directeur de CDP la qualité du travail de ses salariés. Celui-ci n’a
pas fait redescendre l’information. L’avarie en compliments de l’agence se comprend, puisque la
parfaite substitution du personnel lui garantit un contrôle des travailleurs. Elle explique peut-être aussi
les craintes et les doutes de mon père. Pourtant les récompenses sont visibles. L’aspirateur utilisé à la
maison est de CDP, la monobrosse utilisée pour nettoyer la terrasse est de CDP, l’autolaveuse pour
nettoyer la salle de notre club de sport est de CDP, etc. Tous les salariés ne peuvent pas prétendre
bénéficier de dons frauduleux de l’entreprise à leur égard.

Parmi les nombreuses discussions avec mon père, il lui arrive aussi parfois de considérer son travail
comme meilleur que celui de la plupart de ses collègues.

Les gens dans le nettoyage ils gagnent où se barrent. Alors quand ils restent ils font
juste pour leur argent. Ils font juste ce qu’on leur demande. Ils ne font pas plus. Il y
a plus de conscience professionnelle comment avant. (Mon père, élu suppléant au
CSE et nommé DS par la CFDT)

77
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

Il prend le soin d’avancer des explications essentiellement structurelles à cette dégradation du travail.
Le moins disant social qui résulte du jeu de la concurrence se concrétise souvent par une augmentation
des cadences et du cahier des charges en parallèle à une diminution des moyens. Les salariés sont
toujours plus exploités. Ils font moins car ils y gagnent moins. « Ils font juste pour leur argent ». A
l’opposé, les salariés d’antan sont rentrés dans l’entreprise à une époque où les conditions de travail
étaient bien différentes.

Il y avait le temps [...] Il y avait du matos, du matériel, tu étais considéré. Et tu gagnais


de l’argent. [...] Il y avait un suivit énorme avec l’encadrement, ça ne parlait pas
rentabilité à l’époque. Aujourd’hui ça parle que rentabilité. [...] Les jours fériés, les
trois dimanches de noël, voilà comment ça se passait. C’était hors la loi. [...]

Sauf que à l’époque, je pense que l’Etat était moins regardant et puis les entreprises
aussi. On travaillait, donc il y avait un accord, on disait si on était d’accord hein. Il
nous proposait « est ce que vous êtes d’accord pour travailler les trois dimanches
d’affilés ? » Oui ou Non. Celui qui ne voulait pas il ne travaillait pas, mais celui qui
voulait, [si]. Moi j’habitais FC. Je faisais les trois dimanches de noël. Et les trois
dimanches de noël ils étaient payés par trois. Donc tu faisais 5 heures à l’époque.
C’était payé 15heures. Tu venais un dimanche tu faisais 5heures, tu étais payé
15heures. Bah ça apporte, bah voilà. L’inspecteur venait nous voir le dimanche.
Même des fois il amenait les croissants, à 9 heures, tu sais quand on finissait. Tu
mangeais le croissant, ils étaient contents, ils facturaient aux clients. Moi je me
souviens quand une machine tombait en panne, tu téléphonais. Tu téléphonais à
l’inspecteur. Il t’apportait dix personnes avec la serpillère ! Tu sabotais mais tu le
faisais à la serpillère. Ah ouais. A l’époque de Dumas, quand ... C’était il y 30 ans
parce qu’il y avait encore Dumas. Il t’amenait dix personnes. Et tu faisais... Tu sais il
y avait de l’argent, donc le chantier était propre. Aujourd’hui tout est tiré à coup de
lance pierres. Voila. Ce sont les appels d’offres qui ont tout cassé. Les budgets voilà.
[...] Les remises en état c’était le top du top. Tu gagnais de l’argent mon pauvre... Les
mecs ils faisaient leur journée, ils attaquaient à cinq heures, ils finissaient le soir à 8h
et demi... Et tous ces gens-là je les revois maintenant. C’est eux qui ont des maisons.
C’est eux qui ont des maisons. Ce sont des gens comme ça. Il y a Sanchez, il y a
Pradier, il y a Juan, il y a Carla, il y en a pleins des gens comme ça. Il y a François, il y
a Carla, il y a moi. Tous ces gens-là ils ont des barraques. Aujourd’hui tu peux plus
faire ça. Tu es limité à un nombre d’heures qu’ils ont encore gratté. Descendu. Tu

78
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

vois bien, à 5 heures à Casino, on était sept à 5 heures. Aujourd’hui on est deux ou
trois. Moi j’ai 4 heures, il y en a un qui a 3 heures et demie, et François il a 8 heures
mais il fait les réserves, il fait pleins de trucs. Enfin il a 7heures. Tout a changé. Il y a
eu un... a ouais. Moi j’allais travailler les dimanches. Tu te rends compte ? Payé
15heures. [...] C’était toujours les mêmes pratiquement qui faisaient les remises en
état. Puis il a y des gens qui ne voulaient pas en faire hein. [...] On arrangeait notre
patron. C’est ça en fin de compte. Nous notre patron on savait très bien qu’on était
hors la loi. C’est interdit de le faire. C’est pour ça qu’il nous payait en forfait, en
prime. Des primes des primes.

[...] [Aujourd’hui] Je ne peux pas dire que ce sont les jeunes qui... non, ça serait une
parole de vieux ça. Je ne vais pas dire ça. Non, je ne vais pas dire que ce sont les
jeunes qui en veulent moins. Bah les jeunes ne sont pas... Une chose que je peux
dire, les jeunes ne sont pas... on leur... enfin nous, les cadres, l’encadrement on était
une équipe avec l’encadrement. Aujourd’hui les jeunes ils arrivent tac tac tac ça
court, les gamins ils sont écœurés. Ils sont écœurés du boulot. L’approche du
nettoyage elle plus comme avant. Avant, je te dis, ouais, une semaine. Le gars il
venait avec moi, il se barrait, il revenait, « ouais, tac tac, tu vois ça, tac tac. » On ne
courrait pas. On avait le temps. Donc j’ai pu apprendre mon métier correctement.
Aujourd’hui tu peux plus travailler correctement, ni apprendre ton métier
correctement. C’est le temps. Aujourd’hui on manque de temps. Ça va que nous
avec l’ancienneté on voit ce tout ce qu’on peut faire. Tu vois on arrive à ... mais un
jeune, s’il a cahier des charges, il essaie de faire tout et il se plante. Ils y arrivent plus.
(Mon père, élu suppléant au CSE et nommé DS à la CFDT)

Finalement, les salariés avec de l’ancienneté sont entrés dans l’entreprise lorsque les conditions de
travail permettaient de mieux s’y intégrer et de s’engager personnellement dans le travail. Il semble
que ce soit un engagement qui ait perduré et qui les amènent encore aujourd’hui à avoir des exigences
élevées quant à leurs prestations. Aujourd’hui, les prix du marché ne permettent souvent plus à CDP
d’assurer par elle-même la qualité du service qu’elle vend. Elle doit se reposer sur ces quelques
salariés, investis et engagés dans leur travail – au-delà de ce que les conditions actuelles devraient le
supposer – pour la garantir64. Je qualifierais ce groupe de salariés de « noyau dur » en référence à une

64
C’est ici encore une thèse sur laquelle s’accorde mon père. Il ajoute cependant une notion de chance. Certains chantiers
sont tellement tirés à la baisse qu’il est strictement impossible, et pour quiconque, de répondre au cahier des charges.

79
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

dynamique similaire présentée par Nicolas Jounin (2009) dans le BTP 65. L’entreprise ne peut pas se
séparer d’eux aussi facilement que des autres salariés, plus précaires. D’autant plus que leur
investissement dans la sphère professionnelle – et leurs ressources –, les ont dotés d’informations
pouvant nuire à l’entreprise (elle n’est pas toujours dans la légalité) et leur a permis une meilleure
maitrise de leurs droits, qu’ils sont plus aptes à faire respecter. Par exemple, le droit aux heures de
repos compensateur ne commence à n’être appliqué qu’après que Juan en ait trouvé l’existence dans
la convention collective. Les rapports qu’ils ont développé avec leur encadrement sont plus égalitaires
et leur ouvrent jusqu’a la possibilité de négocier des arrangements

Chez Tout Est Propre j’ai eu la qualification échelon 3, c’est moi qui ai négocié le
marché pour Tout Est Propre. Et j’ai obtenu le prix que Tout Est Propre a voulu. Et
c’était un deal avec le directeur. Ils savent que je m’entends très bien avec la cliente.
La cliente me fait confiance. Il m’a dit « tu me passes le prix, je t’augmente la
qualification ». D’accord. Je suis partie voir la cliente. Je lui ai dit, « Si vous voulez du
bon travail machin voilà. C’est moi qui vais venir ». Elle a accepté et ma qualification
elle est montée comme ça sinon elle ne monte pas non plus hein. (Amina, élue
titulaire au CSE et nommée DS à FO)

Ils savent comment je suis. Parce qu’ils savent aussi que du coup, tu ne me donnes
pas de quoi travailler : je demande le droit de retrait. L’autre jour j’étais allée faire
une remise en état au centre St Nicolas pour Saldias. T’as Saldias, il me prend une
paire de gants et il me les balance comme ça : « Tiens votre inspecteur préféré il m’a
dit qu’il fallait prendre ces gants pour vous sinon vous n’auriez pas travaillé ». Ohoh
punaise. Je l’ai regardé j’ai dit « oui effectivement ». J’ai dit « j’prends pas des gants
jetables, ça pose un problème ? ». J’ai dit « parce que si ça pose un problème, je
retourne d’où je viens ». Voila. Mais voilà. Ça fait un petit peu... ça embête un peu
le monde. Mais ils savent. Après ils savent, de toute façon, je suis là, je travaille que
c’est à fond. (Carla, élue titulaire CSE et trésorière)

CDP ce qui s’est passé c’est que quand je leur ai mis le procès machin, ils ont vu qu’ils
n’étaient pas en droit avec les tacherons. Ils m’ont proposé un contrat à 151heures
fixes que j’ai négocié. Mais je n’ai jamais voulu descendre en dessous de mon salaire.
Donc à cette époque-là mon salaire était de 2600euros. Sans les heures de

65
Voir chapitre 5 : « Intérimaires fidélisés contre travailleurs détachés » de son livre Chantier interdit au public: enquête
parmi les travailleurs du bâtiment de son livre

80
Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

délégation. Avec les heures de délégation je touchais 3200euros, 3300euros par


mois. Donc j’ai négocié, ils n’avaient pas le choix. (Juan, ancien DS à la CGT)

En conséquence, il me semble raisonnable d’expliquer que les processus de sélection des


représentants, bien qu’ils se fassent sur des critères différents, recherchent la même population de
salariés : celle du noyau dur, particulièrement investis dans leur vie professionnelle – du fait des
conditions de travail qu’ils ont connues et de caractéristiques personnelles l’ayant rendu possible.
Représentants partenaires comme représentant contestataires partagent alors pour trait commun
d’être de précieux ouvriers pour la direction. C’est ainsi que Pierre – inspecteur – ne manque pas de
rattacher les gains obtenus par Juan en tant que représentant à sa personne en tant que salarié.

Juan pourquoi il a eu tellement de..? Parce que déjà c’est une grande gueule à la
base, mais pourquoi il a eu tellement de trucs ? Parce qu’en fait c’étaient des gars
qui acceptaient tout. De faire tout et n’importe quoi. C’étaient des polyvalents.
(Pierre, ancien inspecteur de CDP)

Cependant, avec le temps, certains les élus devenus contestataires ont tendance à substituer la
protection que leur accordait leur engagement personnel dans le travail par celle offerte par leur statut
de représentant. Ils ne sont alors plus qu’un coût pour l’entreprise. Il réside ici, selon moi, l’explication
à l’inégale répression des représentants contestataires par la direction. Juan et Louis, en plus d’être
hostiles, s’avèrent également connus pour le peu de conscience professionnelle qu’ils ont cultivé au
cours de leur carrière.

Je te garantis. Des fois même moi je lui disais. « Putain. Mon salop... C’est
dégueulasse ce que tu fais ».

[...]

Je savais quand Juan il était passé. Il y avait des couleurs partout sur les carreaux.
Puis il disait, il me disait, « vas-y prends la raclette ». [...] Voilà, il y avait plus je dirais
cette conscience qu’ils avaient au début quoi66. Je n’ai jamais vu quelqu’un lui
envoyer un courrier recommandé comme quoi il faisait mal son boulot. Pourtant ça
braillait. (Pierre, ancien inspecteur de CDP)

66
Je crois qu’il inclut Louis par l’usage de « ils ».

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Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

Louis, il y a beaucoup de choses qui ne sont pas correctes. Il n’est pas correct au
niveau des horaires, il ne respecte pas le nombre d’heures, il a... Et ça les inspecteurs
sont très en colère contre lui. D’ailleurs du coup maintenant il a très peu d’heures à
CDP de FC. S’ils ont voulu le virer, bah à plusieurs reprises, bah je pense qu’il y avait
aussi des raisons. (Carla, élue titulaire CSE et trésorière)

Remarque : L’investissement personnel des élus dans leur sphère professionnelle implique souvent
également celui de la sphère familiale. Sylvie, l’épouse de Louis, est considérée comme un membre
à part entière de l’équipe. Elle possède des connaissances juridiques, informatiques, rédactionnelles
qu’elle met régulièrement au service du groupe. Néanmoins, elle n’est pas la seule conjointe à
participer. Lorsque mon père était secrétaire, c’est ma mère qui avait la charge de la rédaction des
procès-verbaux ; et chez Carla, c’est aujourd’hui son partenaire qui s’occupe de sa messagerie. Ils
n’ont pas assez de temps. Le travail occupe une place plus que centrale. Il accapare le salarié
d’autant plus que celui s’y investit. Pour Amina, son investissement professionnel s’est traduit par
des difficultés familiales. Ses enfants lui en font le reproche, et avec son mari, des procédures de
divorces ont été entamées

Cette troisième partie s’est attachée à mettre en lumière les mécaniques menant à l’implantation
de représentants qui perdurent au-delà de la durée des mandats. Les salariés ne se présentent pas par
eux-mêmes pour concourir aux élections. Ils sont recrutés par des agents des relations professionnelles
déjà installés, dont et principalement les élus du corps solidement implanté qui doivent compléter leur
nouvelle liste à chaque début de campagne. Ces listes ont pour première fonction d’assurer leur
réélection. Les critères de sélection privilégiés sont d’ordre électoral ou personnel. Cependant, les
salariés répondant à l’un ou l’autre partagent une caractéristique commune, à savoir un
investissement fort envers l’entreprise rendu possible par des conditions plus favorables par le passé.
Cet investissement personnel dans la sphère professionnelles est au bénéfice de l’entreprise et se voit
récompensé par une position plus stable et privilégiée que la majeure partie des salariés du secteur.

Ainsi, tous les salariés de l’entreprise ne peuvent pas prétendre à être éligible. Cette affirmation est
confirmée par le besoin de répondre à des critères de sélection pour pouvoir concourir et la capacité
des représentants à garantir leur réélection. Finalement, l’élection qui avait pour but d’organiser
démocratiquement les travailleurs vient renforcer les inégalités qui les séparent. Celles-ci sont
cristallisées par l’organisation dans les pouvoirs que le scrutin confère aux représentants qu’il désigne.

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Conclusion

Il a été exposé dans ce mémoire un travail d’enquête sociologique au sein d’une entreprise à
laquelle appartient mon père comme salarié et représentant du personnel. Ce rapport particulier au
terrain s’est avéré riche à l’égard de l’objet d’étude choisi : les élections professionnelles. En effet, j’ai
pu réaliser des entretiens auprès des différents groupes parties prenantes et recueillir du matériel
précisément sur les relations qu’entretiennent les agents des relations professionnelles (représentants
du personnel, organisations syndicales, direction, voire certains salariés particulièrement investis
(exemple de Carla)). Le principal motif de ces agents pour participer aux alliances qui s’opèrent au
moment des élections professionnelles est de parvenir à faire prévaloir leurs intérêts et motivations
sur les résultats. Afin d’être en lice, chacun doit in fine être incarné par des candidats. Le choix d’étudier
les agents concourant – directement ou indirectement – aux élections plutôt que les électeurs a alors
permis de renseigner sur les profils des représentants et d’en proposer une sociologie. Ces derniers
sont doublement le produit du jeu des relations professionnelles. En premier lieu, puisque leur
positionnement à l’égard des autres agents détermine, avec la place qu’ils occupent dans l’entreprise,
les moyens à leur disposition à des fins électorales. Ainsi, travailler sur une multitude de chantiers,
posséder un laissez-passer sur les sites de la part des responsables ou un droit de circulation en tant
que représentants permet en partie de gérer l’éclatement géographique des salariés. Une étiquette
syndicale, la pratique des langues natives des salariés ou l’appartenance à une communauté peuvent
à leur tour participer à réduire le poids de certains clivages sociaux sur les élections. De même, la
dépendance des salariés envers leurs supérieurs, intermédiaires avec la direction et représentants du
personnel sont aussi des atouts employés par les candidats afin de s’assurer des votes des électeurs.
En second, car l’entrée en lice des candidats – et donc des ressources dont ils sont dotés – est aussi le
produit de stratégies des agents déjà en place qui anticipent la bataille électorale à venir. En effet,
devenir candidat n’est pas le fait de la volonté propre des salariés à participer aux jeux des relations
professionnelles. Il est l’émanation du recrutement des organisations syndicales, de la direction et
principalement, des salariés déjà implantés. Paradoxalement, il apparait alors en pratique que les
rênes des élections ne sont pas aux mains des électeurs mais plutôt dans celles des agents qui y
concourent. Les processus de sélections qui s’appliquent aux salariés lors des phases de recrutement,
bien qu’ils intègrent plusieurs critères et diffèrent selon l’agent qui les orchestre, tendent à privilégier
les salariés du noyau dur de l’entreprise qui, plus investis et intégrés, sont aussi plus à même de
remporter les élections et de se maintenir à cette position nouvellement acquise. En conséquence,
comme le laissait présager le récit de Livia en introduction, la qualité des salariés à correctement
endosser les devoirs de représentant a peu d’influence sur les résultats des élections.

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Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

Cependant, les conclusions tirées dans ce travail doivent être mises en perspective avec les limites de
celui-ci. Restreindre le terrain d’étude à une seule entreprise rend les relations entre chacun des agents
bien plus palpables. Leur nombre réduit permet de réaliser des entretiens auprès des différents
groupes dans lesquels ils se réfèrent à des évènements communs. Ainsi l’analyse présentée laisse aussi
transparaitre l’état des liens entre chacun des agents qui constituent le réseau des relations
professionnelles à l’échelle de l’entreprise. Pour autant, la petitesse de l’échantillon impose une
certaine prudence à l’égard des conclusions. Une étude sur un groupe de salariés et d’entreprises plus
important permettrait de les renforcer ou de les infirmer.

Néanmoins ce travail n’invite pas seulement à un approfondissement de ses résultats. J’ai avancé, dans
la présentation des élections professionnelles, que la loi de 2008 encourageait d’autant plus des
relations de nature utilitaire entre les organisations syndicales et les représentants locaux. Elle
renforce ainsi l’indépendance des enjeux locaux et nationaux bien qu’elle en suggère le contraire. Il
pourrait être intéressant de questionner la légitimité de la représentativité acquise par les
organisations syndicales dans ce contexte, puisque celle-ci est déterminée à partir d’une base – les
représentants du personnel – apparemment idéologiquement indépendante du reste de la structure.

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Timoté Hebert Mémoire de Master2 17/06/2020

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Annexes :

Les résultats au second tour :

Résultats des listes des titulaires :

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Tableau 7 : Explication de la colonne « attributions des sièges restant à pourvoir ».

Les sièges sont attribués au groupe dont le rapport V/(K+1) renseigné dans chaque case est le plus élevé
(alors en gras).

Siège 1 Siège 2 Siège 3 Siège 4 Siège 5 Siège 6 Siège 7

V/(K+1) de la CFDT 46.43 23.21 23.21 15.48 15.48* 11.61 11.61

V/(K+1) de la CGT 41.43 41.43 20.71 20.61 13.81 13.81 10.36

V/(K+1) de FO 12.20 12.20 12.20 12.20 12.20 12.20 12.20**

Attributions des sièges CFDT CGT CFDT CGT CFDT CGT FO


*V est la moyenne des voix de la liste = 46.43. K est le nombre de sièges déjà attribués à la liste = 2. Donc
V/(K+1) = 46.43/3 = 15.48
** FO remporte le dernier siège à une voix prêt.

Résultats des listes des suppléants :

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