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L’UTMB, sommet mondial de l’ultra-trail,

célèbre ses 20 ans sur fond de polémique


environnementale
Pour cette édition anniversaire, l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, course phare de la discipline, a associé son
nom à celui du constructeur automobile Dacia, s’attirant les foudres d’une partie des coureurs et attisant
l’hostilité de nombreux Chamoniards.

Par Jean-Philippe Lefief

Publié le 01 septembre 2023 à 11h48, modifié le 01 septembre 2023 à 11h53

Temps de Lecture 5 min.

L’Espagnol Pau Capell, lors de l’ascension de la Voie romaine (Haute-Savoie), au cours de la


19ᵉ édition de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, le 27 août 2022. JEFF PACHOUD / AFP

C’est à l’ultra-trail ce que la finale de la Coupe du monde est au football. L’événement à ne pas rater,
celui dont rêvent les passionnés, la locomotive d’une discipline en progression constante depuis sa
création, dont le succès ne cesse de croître, voire d’enfler, au risque d’y perdre ce qui a fait son prestige.

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Parce qu’à l’instar du Mondial l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB) est aujourd’hui un label
commercial à part entière, une source de revenus considérables, une marque florissante exportée dans le
monde entier et un support promotionnel très convoité. Mais dans lequel certains ne reconnaissent plus
les valeurs de simplicité, de générosité, de partage et de respect de la nature qui lui ont donné naissance,
il y a tout juste vingt ans.

Du lundi 28 août au dimanche 3 septembre, 10 000 coureurs de 118 nationalités et 100 000 spectateurs
sont attendus dans les 18 communes de France, de Suisse et d’Italie traversées par les huit épreuves de
15 à 300 kilomètres que compte désormais l’événement. Les 2 300 inscrits à la course phare et
historique, avec ses 171 kilomètres pour 10 000 mètres de dénivelé positif – soit quatre marathons bout
à bout agrémentés de l’équivalent de deux ascensions de l’Everest en partant du camp de base –,
s’élanceront vendredi 1er septembre à 18 heures de Chamonix (Haute-Savoie). Les premiers sont
attendus une vingtaine d’heures plus tard au même endroit et les derniers, dimanche à 16 h 30, après
deux jours et deux nuits d’efforts.

Le 30 août 2003 au petit matin, sur la place de l’église de Chamonix, 663 « ultrafondus » d’une
vingtaine de nationalités étaient au départ. Soixante-sept seulement rallièrent l’arrivée, sous le regard
d’un public à la fois clairsemé et médusé. Beaucoup, à l’instar du chroniqueur du Dauphiné libéré, n’ont
alors vu dans ce « laminoir des cimes » qu’une « addition de souffrances », mais les rescapés peuvent se
targuer d’avoir contribué à la naissance d’un mythe.

Les sirènes du profit


En trois éditions seulement, le nombre de coureurs a triplé et celui des « finishers » a été multiplié par
dix. Dix ans plus tard, celui des trails hexagonaux inspiré de cet exemple aura fait la même culbute,
passant de 150 à 1 500. Pour ses vingt ans, « la course aux mille vainqueurs », dont le dernier est
célébré aussi triomphalement que le premier, suscite plus de convoitises que jamais. Pourtant, les
conditions ont changé.

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En 2007, les 2 377 dossards disponibles se sont arrachés en huit minutes et près de 5 000 demandes ont
été rejetées. « Nous sommes passés de faiseurs à briseurs de rêves », déplore la patronne d’UTMB
France, Isabelle Viseux-Poletti, la fille de la fondatrice de l’épreuve, Catherine Poletti. Un tirage au sort
a remplacé, l’année suivante, la règle du premier arrivé, premier-servi, de nouvelles épreuves sont
venues étoffer l’offre au fil des ans, puis un système de qualification par points, à glaner dans d’autres
courses, a dû être ajouté au processus de sélection. Depuis 2022, le sésame est réservé à ceux qui ont été
performants dans d’autres épreuves labélisées UTMB – il en existe désormais 38, réparties sur tous les
continents. Une exclusivité qui fait parfois grincer des dents. Les promoteurs des valeurs fondatrices de
l’ultra-trail ont-ils cédé aux sirènes du profit ?

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« L’idée, c’était de développer la marque déposée dès 2004 et, petit à petit, on l’a fait vivre, on l’a
défendue, reconnaît sans ambages Catherine Poletti, mais nous ne sommes qu’une PME de 70 salariés. »
Reste que la « petite » entreprise, qui a réalisé en 2022 plus de 10 millions d’euros de chiffre d’affaires,
est désormais associée à hauteur de 40 % à la multinationale Ironman Group, promotrice, entre autres,
du label le plus prestigieux et le plus lucratif du triathlon, rachetée en 2020 pour 670 millions d’euros.
Une pétition contre le partenariat avec Dacia
Le montant des partenariats conclus avec les nombreuses marques associées à l’UTMB n’est pas connu.
L’un d’eux, scellé avec le constructeur automobile roumain Dacia, dont le nom est venu s’ajouter cette
année à celui de l’événement chamoniard qui se veut un exemple d’écoresponsabilité, passe plus mal
que les autres.

« En tant que plus grand ultra-marathon du monde, l’UTMB dispose d’une visibilité énorme mais,
plutôt que de l’utiliser pour faire évoluer les choses de façons positives, [les organisateurs] se contentent
de belles paroles et d’accorder la priorité au profit plutôt qu’aux individus et à la planète », écrit, dans
une pétition en ligne contre ce partenariat, l’ultra-traileuse britannique Jasmin Paris, sixième de
l’épreuve en 2017 et cofondatrice de l’association Green Runners.

Kilian Jornet à l’approche du col des Montets, proche du 155ᵉ kilomètre de l’UTMB, le 27 août 2022.
JEFF PACHOUD / AFP

« Les endroits où l’on pratique nos activités changent drastiquement du fait du changement climatique
et de la pollution (…). Le rôle des athlètes de l’élite, des fédérations et des organisateurs de gros
événements va au-delà de nos propres activités et les conséquences futures sont aussi de notre
responsabilité », renchérit sur Instagram l’Espagnol Kilian Jornet, figure tutélaire de la discipline et
quadruple vainqueur de la course, qu’une blessure empêchera cette année de défendre son titre.

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incroyable. Dans les négociations, j’ai appris à ne rien lâcher »
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« Ce sont des gens de notre communauté, on est donc sensibles à ce qu’ils nous disent », répond
Frédéric Lénart, directeur général d’UTMB Group, autrefois aux commandes des 24 Heures du Mans,
qui est allé à la rencontre des contestataires, la semaine dernière. « On n’est pas tout à fait d’accord
mais le dialogue est établi. Nous préférons promouvoir une marque responsable, qui propose des
véhicules significativement plus légers que les modèles concurrents, accessible au plus grand nombre,
qui permet quelque part de réduire l’impact carbone », justifie-t-il, en soulignant l’ampleur du « plan
transport », fort de 200 bus, déployé pour permettre aux coureurs et à leurs accompagnateurs de se
passer de leurs véhicules.

« On n’a qu’une envie, c’est de partir »


Ce partenariat avec Dacia vient en outre attiser la franche hostilité d’une partie des Chamoniards à
l’égard de la course. « Au départ, en 2003, toute la ville avait envie d’accueillir les gens ou d’être
bénévole parce qu’on trouvait ça chouette. L’exploit nous semblait fou, alors que, maintenant, on n’a
qu’une envie, c’est de partir. D’ailleurs, c’est ce que je fais », explique une commerçante qui a souhaité
rester anonyme. « C’est quand même très invasif, très agressif, poursuit-elle, évoquant l’afflux de
coureurs et d’accompagnateurs étrangers. Ce qui me choque, c’est le bilan carbone de tout ce
déplacement mondial. Ça me rend malade. Est-ce que ces gens aiment vraiment la nature ? Je me pose
la question… »

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traileurs
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« J’étais bénévole pour le balisage des sentiers comme de nombreux amis à moi. Et puis il y a eu toute
cette marchandisation autour du trail, la multiplication des courses et un développement sans limites de
l’événement, c’est devenu une course au pognon », s’indigne, lui aussi, Timothée Mottin, président de
l’association chamoniarde Boutch à boutch, dans un article intitulé « L’Ultra-trail du Mont-Blanc
asphyxie la vallée de Chamonix », publié par le magazine écologiste Reporterre.

« L’an dernier, on a organisé une fresque du climat [un atelier de sensibilisation au changement
climatique] à laquelle les membres de l’UTMB ont participé, ce qui nous a donné l’occasion de
proposer des solutions, explique Xavier Thévenard, vainqueur de toutes les courses individuelles de
l’UTMB. On a suggéré d’organiser une édition internationale tous les quatre ans seulement, comme les
Jeux olympiques, et une version annuelle plus limitée géographiquement en privilégiant les coureurs qui
utilisent des mobilités douces. Il y a un tel engouement que l’organisation n’y perdrait rien mais, quand
on voit le partenariat avec Dacia, on se dit qu’on a manqué de persuasion. » Le traileur jurassien refuse
désormais de prendre l’avion pour des raisons écologiques.

Jean-Philippe Lefief

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