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Le tour de France

Staps 1ère année


Le tour de France

Le tour de France est la plus grande course cycliste du monde. Crée en 1903
par Henri DESGRANGE, directeur du journal l’auto, elle est aussi la première du
genre, devançant le Giro (1909) et la Vuelta (1935). Loin de n’être qu’une course
cycliste ordinaire, c’est une épreuve qui fonctionne comme un mythe et qui est
profondément inscrite dans notre culture. On l’a qualifié de « saga », d’épopée, de
passion nationale… . Fondé sur un récit mettant en scène des héros valeureux,
lancés dans une épreuve exceptionnelle et incarnant des valeurs auprès desquelles
le grand public va immédiatement trouver du sens, ce mythe moderne révèle les
représentations et les valeurs collectives de notre société.
Le tour de France

L’invention du tour de France est


à mettre à l’actif du journal l’Auto et de
son directeur Henri Desgrange. Il s’agit
pour lui d’exploiter journalistiquement
et financièrement le spectacle sportif
qu’il met en scène. Desgrange, ancien
clerc de notaire et recordman du
l’heure cycliste, cherche à organiser une
compétition sportive grandiose, tout
simplement pour accroitre les ventes de
son journal et triompher de son
concurrent le Vélo (qui lui-même fût
créé en 1891 à la suite de la course
Paris-Brest-Paris et tire à 25 000
exemplaires).
Le tour de France

La rudesse et la longueur de la course


vont rapidement séduire et impressionner un
large public. Très vite, l’entreprise dépasse les
prévisions. Le tirage du journal passe
brusquement de 20000 exemplaires par jour à
plus de 60000, tandis que le Vélo perd des
lecteurs. En 1913, l’Auto vend 200 000
exemplaires et amplifie son succès par la vente
d’espaces publicitaires. Alcyon, Peugeot, La
française achètent dans l’Auto, dès les
premières étapes de 1903 des publicités pleine
page exaltent les champions qui défendent leur
marque. Peu à peu, des fêtes sont organisées
sur le parcours. L’engouement collectif est
systématique aux arrivées d’étapes. La course
s’impose comme aucun autre événement et
rapidement son organisation annuelle se
transforme en tradition.
Le tour de France

Les premiers tours regroupent au départ de l’épreuve des coureurs


professionnel et des amateurs. Les professionnels qui visent la victoire finale
sont d’abord issus du prolétariat parisien, puis urbain.

NOM VAINQUEUR ANCIEN METIER

GARIN 1903-1904 (déclassé) RAMONEUR

TROUSSELIER 1905 FLEURISTE

POTTIER 1906 APPRENTI BOUCHER

PETIT-BRETON 1907-1908 GROOM

FABER 1909 DOCKER

LAPIZE 1910 EMPLOYE DE BUREAU

GARRIGOU 1911 FRUITIER A PANTIN


Le tour de France

Après la seconde guerre mondiale arrivent des coureurs issus des milieux
ruraux (ouvriers ou paysans). Les amateurs vivaient leur participation comme une
aventure et cherchaient seulement à aller au bout de l’épreuve ce qui déjà
constituait un exploit (en 1903, sur les 77 partants seulement 14 finissent le tour).
Ces amateurs étaient divisés en deux groupes: quelques dilettantes fortunés et
beaucoup de passionnés possédant une forte connaissance technique. Les
bourgeois s’équipent à leurs frais, tandis que certains de ces amateurs sont
« sponsorisés » par leur village, leur canton ou leur département qui organise une
collecte afin de leur permettre de prendre le départ à Paris.
Jusqu’en 1914, court qui veut le tour de France. Les meilleurs coureurs sont
cependant les professionnels équipés par des marques de cycles pour lesquelles ils
courent tout au long de l’année. Les amateurs sont toutefois les plus nombreux à
prendre le départ (110 sur 136 coureurs en 1910).
Le tour de France

Très rapidement, le tour cycliste s’impose comme aucun autre


événement et rapidement son organisation annuelle semble faire partie des
traditions les mieux ancrées dans la culture du pays. Et, si le tour cycliste
apparaît naturel et presque intemporel dès ses origines, c’est notamment
parce que Desgrange l’organise en exploitant principalement trois dimensions
symboliques qui se sont superposées dans l’histoire et dans la culture du pays
au travers des différents « tours de France ». Ce faisant, il inscrit son épreuve
dans la continuité d’une longue tradition.
Tout d’abord, il existe une tradition monarchique qui était de visiter les
provinces, afin de montrer le prestige et la puissance du Roi. Il s’agissait là
d’une sorte de tour du propriétaire, solennel et offert aux acclamations du
peuple.
Le tour de France

Desgrange inscrit son épreuve dans la tradition du tour de France des


compagnons, qui associe perfectionnement professionnel et voyage
d’initiation. Du tour des compagnons, la course adopte son premier
parcours (Paris, Lyon , Marseille, Toulouse, Nantes, Paris). Elle adopte surtout
l’image de l’ouvrier du devoir, livré à lui même, chargé sur le trajet de
pourvoir à sa subsistance. Les coureurs partent encore en 1926, avec trois
boyaux de rechange sur le dos, la provision de rayon sur le cadre. Ils doivent
réparer seuls leur machine accidentée. Aucune aide n’est tolérée.
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Enfin, depuis 1877, s’est imposé dans les programmes de l’école


républicaine, un best-seller qui a formé des générations d’écolier à la lecture
d’une sorte de visite édifiante du pays. « Le Tour de France par deux enfants »,
propose le récit aventureux de deux orphelins, fuyant l’Alsace-Lorraine annexée,
et partant à la recherche d’un oncle, parcourent l’ensemble des régions
françaises. Autonomes, absorbés par les risques et les difficultés de la route, ils
semblent abandonnés sur leur chemin initiatique. Le livre, devenu indispensable
aux pédagogue et tiré à plus de 6 millions d’exemplaires en 1903, souligne,
étapes après étapes, la beauté et la diversité de nos paysages. On y célèbre
aussi, au passage, les célébrités locales qui ont fait la grandeur du pays et
construit son unité.
Du tour pédagogique, la course cycliste garde la volonté d’illustrer le
territoire, d’affermir un sentiment d’appartenance communautaire. L’ambition
d’informer et surtout d’exhiber « les plus belles régions que comte la France »
(L’Auto, 9 juillet 1903) y est partout présente. Ainsi, sans reprendre avec autant
de force l’ambition du livre de présenter la patrie sous ses traits les plus nobles,
L’Auto avoue une ambition pédagogique et semble reprendre le rêve
pédagogique d’enseigner le pays.
Le tour de France

Le tour ne fait toutefois pas seulement référence au passé. Il est


également une image du présent, innovant et progressiste. Il concilie
merveilleusement la tradition et la nouveauté.
Cette mixité trouve son expression dans l’analogie qui est faite entre le
cycliste et le cavalier. En 1894, Léon Baudry de Saunier, premier historien de la
bicyclette révèle ce parallèle : « Le cavalier cycliste, comme le cavalier
équestre, a envers le public, ce me semble, une obligation, celle de
l’élégance » (L’Art de bien monter à bicyclette). La bicyclette est le cheval
moderne, « animal rageur et obstiné qu’il faut arracher à la boue, aiguillonner
dans les côtes, retenir aux descentes et qui se cabre sur les pavés » (G .ROZET,
1911). La bicyclette s’impose désormais sur les itinéraires que dominaient
avant les chevaux, avec cette conviction qu’il apporte un gain décisif dans la
technique et la rapidité. Il semble incarner une « espérance industrielle » au
sein de la société française.
Le tour de France
Ce faisant, le tour
recouvre un projet
pédagogique moderne. l’Auto
n’ambitionne pas seulement
d’informer sur les régions,
elle prétend encore les
transformer. Le vélo est alors
au service d’une croisade en
faveur du progrès, de la
découverte. Il s’agit d’amener
la modernité dans les coins
les plus reculés du pays. Ainsi,
peut-on lire dans l’Auto du 09
juillet 1903 : « Dans le
hameau le plus calme, dans la
plus oubliée des chaumières,
les coureurs vont jeter le
principe de la vie nouvelle,
apprendre ou rappeler que
nos conditions d’existence se
modifient chaque jour ».
Départ du Tour, 1906
Source : Gallica
Le tour de France

Le tour, c’est aussi la


confrontation de l’homme
seul à la machine. Cette « fée
bicyclette » dont le journal
l’Auto fait l’éloge et qui est
« le premier effort de l’être
intelligent pour s’affranchir
des lois de la pesanteur » (10
juillet 1911) participe à une
mécanisation et à une
instrumentation de l’homme.
Ainsi, les rouages de la
machine « réduisent le corps
humain en formules
algébriques » (G. ROZET,
1911). Il est en parfaite
cohérence avec les repères du
monde ouvrier confronté à la
machinisation de l’appareil
productif et les exigences
d’une industrialisation
grandissante.
Dernière étape, 1909
Source : Gallica
Le tour de France

Dès 1911, Georges Rozet, journaliste au temps qui a suivi l’épreuve en


1908, la définit comme une « propriété nationale » ( Défense et illustration de
la race française, Paris, 1911). Plus qu’une course, il semble s’agir d’un bien,
d’un patrimoine commun. Dès ses débuts, le tour est plus qu’une course, une
institution qui s’adresse aux références communautaires, à la conscience
collective, à l’édification de la nation. Son terrain, c’est en effet la nation elle-
même, son espace. Son décor est le territoire, il s’y enracine et croise la
mémoire du sol. Le tour trace les frontières d’une nation. S’il apparaît
intemporel, si ses origines semblent lointaines dès ses débuts, c’est parce que
son histoire s’enracine dans celle du pays. Ses origines sont celle de la nation :
il en est l’un des symboles.
Le tour de France

Ainsi, dès 1903, Desgrange donne du


tour une image évocatrice : « un anneau
qui enserre complètement la France »
(L’Auto, 20 janvier 1903). Le tour, c’est une
représentation du sol national, de ses
limites, de ses richesses. Une
représentation valorisée, comme celle qui
en était alors donné à l’école primaire.
Comme celle qu’en donne par exemple
Ferdinand Buisson dans son Dictionnaire
de pédagogie et d’instruction primaire en
1887 : « symétrique, proportionné et
régulière ». Une France de la tradition aux
contours géographiques clairs, réguliers,
propres à refléter l’image populaire et
flatteuse du pays.
Le tour de France

L’une des fonctions du tour est de désigner un territoire, de magnifier


ses caractéristiques et de rappeler ses frontières. Il joue avec sa symbolique et
accentue trois de ses qualités : l’immensité, la beauté et les défenses
naturelles.
L’immensité, c’est celle de la France qui dépasse et efface les frontières
locales. Les coureurs vont vers des destinations lointaines et invisibles pour
mieux rappeler qu’elles sont partie intégrante de la nation.
La symbolique de la nation joue également sur les effets esthétiques. La
France traversée est toujours magnifiée. Elle est une suite de cartes postales
et confirme le discours de l’école primaire qui révèle la beauté quasi éternelle
de la France.
Le tour de France

La France apparaît ainsi comme une création


quasi-naturelle et la montagne joue à cet égard un
rôle particulier ; elle impressionne comme elle
inquiète. « Les Alpes sont là qui dressent leurs pics
élevés et semés de routes en corniches, montant
d’une manière effroyable ou descendant en lacets
d’une vertigineuse façon » (L’Auto, 13 juillet 1909).
Mais, surtout, rempart naturel, elle protège. Le
thème des frontières naturelles est incontournable.
En effet, si les deux premiers tours suivent le circuit
du compagnonnage, très vite le trajet s’étend aux
limites territoriales, incluant les cols des Alpes
(1905) et ceux des Pyrénées (1910). La montagne,
quasi infranchissable, atteste de la légitimité des
frontières naturelles. Entre mers et montagnes, la
France acquiert une homogénéité, une unité que la
nature lui a donné. Le tour est une valorisation de
l’état nation par la géographie qui dépasse l’unité
promue par la langue ou par les mœurs.
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En outre, avant 1914, dans un contexte qui associe dégénérescence


physique et perte de l’Alsace Lorraine, le passage des coureurs par les
territoires annexés prend un sens particulier. Entre 1906 et 1911, le trajet
passe en effet par l’Alsace et la Lorraine et chaque incursion devient
l’occasion d’une réappropriation symbolique du territoire. Le parcours est
balisé en français, quelques audacieux chantent la Marseillaise . Devant ce
phénomène, les allemands refusent le passage dès 1912.
Le tour de France
Il ne suffit pas de délimiter la nation par
son sol. Encore faut-il en suggérer l’ancienneté
pour mieux en attester la légitimité. Le tour
n’exhibe pas seulement les limites du pays, il en
rencontre aussi la mémoire. Chaque site
traversé devient une occasion d’évoquer le
passé de la France. Le territoire s’enracine dans
un passé que font resurgir les péripéties et les
tracés des étapes. C’est souvent la référence à
Napoléon et à la grande armée que choisit
Desgrange : « La foule battra des mains à leur
passage comme la foule saluait jadis, retour
d’Espagne ou d’Autriche, les vieux grognards de
Napoléon » (L’Auto, 15 juillet 1903). Plus
récemment, c’est la Révolution Française qui est
évoquée lors de la dernière étape du tour 1989 :
« 27 km entre Versailles et les Champs-Elysées,
associés aux Tuileries pour mieux commémorer
le bicentenaire de la révolution française » (Le
Monde, 22 octobre 1988).
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Les articles font plus que raconter la course, ils créent une épopée. « Il faut des
héros » écrit Desgrange ( L’Auto, 4 juillet 1907). Ainsi, s’élabore un ressort fondamental de la
course : la création d’un espace mythique. Cette stratégie visant à alimenter une légende
populaire passe par une héroïsation des hommes que l’on désigne comme les géants de la
route, les forçats. Pour cela, le journal l’Auto n’hésite pas à échafauder une dramatique de la
course. Il la crée parfois de toute pièce, au travers de récits de course dont le but est de
susciter et d’orienter l’admiration du coureur envers ces êtres qui seraient « d’un autre sang,
d’une autre chair que la notre » (L’Auto, 1 juillet 1904). Ainsi, alors que la première étape du
tour 1904, courue entre Paris et Lyon se soit déroulée sans faits notables, Desgrange révèle
dans son texte, des incidents, des attaques. Garin, vainqueur en 1903 et favori de l’épreuve y
est présenté comme un coureur héroïque, répondant sans faillir à « une véritable meute qui,
la nuit, l’attaque sans cesse, le tâte, guette ses défaillances » (L’Auto, 27 juillet 1904). Il est
ainsi qualifié de « superbe bête de combat » (Ibid), car, écrit encore Desgrange, « il faut des
héros » (Ibid).
Ainsi, les hommes sont régulièrement magnifiés, tel Pottier, vainqueur au ballon
d’Alsace en 1906, immortalisé par un monument que Desgrange fait ériger au sommet du col
deux ans plus tard.
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deviennent que plus populaires. Témoin


Christophe, brisant sa fourche dans l’avant
dernière étape du tour 1919 alors qu’il est en tête
de l’épreuve. Il perd le tour. « De grands nuages
gris et sales courent à l’horizon. La nature semble
en deuil » commente l’Auto du 26 juillet. Le drame
est vécu comme une injustice, d’autant plus que
Christophe avait déjà été victime de la même
mésaventure en 1913, dans la descente du
Tourmalet et qu’il avait du réparer sa fourche chez
le forgeron de Sainte-Marie de Campan. Devant
tant d’injustice, une souscription est lancée pour
compenser le « désespoir du pauvre Christophe »
(26 juillet 1919). La somme collectée dépasse
largement celle acquise par le vainqueur final.
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La légende se construit également au travers d’une mise en valeur systématique de


la difficulté du parcours qui fonde la valeur des héros. Le reporter Albert Londe, envoyé
spécial sur le tour du Petit journal dans les années 30 qualifiera l’épreuve de tour des
souffrances et désignera les coureurs comme des « forçats de la route ». Appellation
d’autant plus signifiante que Londe avait visité les bagnes de Cayenne. Desgranges
s’employait d’ailleurs à maintenir la difficulté de la course et la douleur des coureurs à son
niveau le plus élevé. Ainsi, inventé depuis longtemps, le dérailleur fut banni du tour car
critiqué comme un moyen trop facile de gravir les côtes et les cols de montagne. Réservé
aux femmes, aux enfants, aux vieillards, le changement de vitesse ne pouvait
« qu’émasculer » l’épreuve et atténuer le mythe du champion.
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C’est pourquoi, les étapes


de montagne sont toujours
dramatisées, les faits de course
étant toujours exploité en ce
sens. Ainsi, en 1910, Lapize,
alors en tête de la course lance
aux organisateurs : « vous êtes
des criminels » alors qu’il
franchit à pied, épuisé le col de
l’Aubisque.
Le tour de France

Cette légende se construit encore


dans les duels que se livrent les
champions. Le suspens est une des clés
de la dramatisation du spectacle et du
succès populaire du tour.
Comme en 1964 lorsque Anquetil,
le favori est d’abord distancé dans les
Alpes, mais il refait son retard dans
l’étape Hyère-Toulon. L’Equipe titre : « la
chevauchée fantastique » (01 juillet
1964). Après les Pyrénées, le duel avec
Poulidor atteint son paroxysme dans
l'étape du puy de Dôme. Au sommet,
seulement 14 secondes séparent le futur
vainqueur de son dauphin.
Le tour de France

Les quelques épreuves qui ont été particulièrement indécises au


niveau de l’incertitude du classement final renforcent l’intérêt du
public. Comme en 1947, lorsque Robic gagne lors de la dernière étape
et surtout lorsque Lemon souffle la victoire à Fignon de quelques
secondes sur les Champs- Elysées en 1989
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Cette légende du tour se nourrit encore des monuments qui sur son
parcours racontent les faits de course. Ainsi, une plaque est installée à
Sainte-Marie de Campan, rappelant l’accident de Christophe et sa
réparation solitaire. Une autre, rappelle la mort de Simpson dans le
Ventoux. Desgranges lui-même est honoré par une tour de pierre érigée
au sommet du Galibier en sa mémoire.
Le tour de France

Mais surtout, cette anthologie de l’épreuve ne retient que les faits


glorieux ou merveilleux. Ainsi, sont systématiquement gommés de la mémoire
les faits de course les plus noirs, les moins nobles. Ainsi, les agressions subies
par certains coureurs durant l’édition de 1904, au col de la République, sont
soigneusement oubliées dans les historiques qui ont suivi. Les incidents sont
pourtant sérieux puisque Gerbi eut un doigt arraché et César, modeste
coureur nîmois, resta dans le coma, à la suite de brutalités commanditées par
leurs propres adversaires. De même sont gommés les empoisonnements
graves dont quelques favoris furent victimes ; mais plus encore les
marchandages entre équipes ou coureurs faussant l’équité de la course. De
même, seront longtemps cachés les accidents causés par la prise de drogue ou
de produits dopants. Ces faits obscurs, inavouables sont oubliés car
l’entreprise d’héroïsation de la course ne peut s’en accommoder.
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Dans les années trente, le tour prend un virage important. C’est la


création des équipes nationales à la place des équipes de marques,
soupçonnées de fausser la course. L’épreuve devient un affrontement entre
pays. Les commentaires du journal deviennent alors autant d’allusions
politiques qui font de l’épreuve un échos affaibli des débats internationaux.
Parfois, les luttes entre équipes sont agressives, mais le cadre de la course
est conçu sur l’image d’un sport conciliateur. Témoin le départ du tour 1930
qui emprunte les champs Elysées fait naître le commentaire suivant : « Des
nations amies et sœurs grimpant vers l’arche triomphante » (L’Auto, 3 juillet
1930).
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Le développement du tour va passer par l’utilisation de nouveaux médias. Dès 1929,
une information régulière sur le tour est donnée par la radio. D’heure en heure, les auditeurs
peuvent alors suivre la course, ses rebondissements.
D’autre part, la disparition des équipes de marque, donne lieu à la mise en place d’un
nouveau dispositif : l’instauration d’une caravane, rétribuant l’organisateur pour diffuser, sur
le parcours, messages et signaux publicitaires. Par exemple, le camion du chocolat Meunier
précède dès 1930 la course, distribuant plusieurs tonnes de chocolat en tablette et diffusant
500 000 chapeaux en papier frappés au nom de la marque. La caravane accentue le
caractère festif du tour et change le sens de la tête. Le projet pédagogique et moral du début
est remplacé par un projet commercial dans lequel les marques rencontrent et sollicitent le
consommateur sur l’air tapageur d’une abondance industrielle.
Le tour devient progressivement un divertissement associé aux vacances et au temps
libre . Jacques Goddet, directeur de l’épreuve, qui célèbre le cinquantenaire du tour en 1963
le confirme : « C’est une fête dans le sens absolu du terme » ( cité par Marchand, Pour le
tour de France, 1967).
Peu à peu, la présence de la télévision accentue l’exploitation publicitaire de
l’épreuve. Elle enregistre les arrivées depuis 1948 et retransmet en direct les passages de
cols depuis 1958. Depuis 1962, elle peut suivre les trente derniers kilomètres grâce à des
caméras sans fils juchés sur des motos. Du coup, la publicité trouve de nouveaux supports
comme le maillot des coureurs . En 1962, les équipes nationales disparaissent sous la
pression d’annonceurs finançant leurs propres équipes.

Le tour de France

1912
Source : Gallica

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