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du rosicrucianisme

au martinisme
ordre de la rose-croix

les rose-croix
des origines à nos jours

KaBBale et rose-croix
Qui sont-ils vraiment ?
deux voies tradiionnelles

rose-croix et alchimie
l’art de la transmutaion

salons de la rose-croix
un idéal de beauté

n° hs 1 - janvier-février 2010 - 6,20 E

Belgique : 7,00 E / luxemBourg : 7,00 E / dom : 6,20 E / suisse : 11,00 chf / canada : 8,25 cad / grece : 7,00 E / portugal cont. : 7,00 E
SOmmAIRE
n Les salons de la Rose-Croix : si le rosicrucianisme est
n Editorial : Qui sont les rose-Croix, p. 3 avant tout une quête de connaissance et de sagesse, il
est aussi une quête d’esthéisme. C’est ce qui moiva
les salons de la rose-Croix, organisés à Paris en 1892,
n L’Ordre de la Rose-Croix, des origines à nos jours : avec la présence des plus grands peintres symbolistes
s’il remonte au Xviième siècle, sur le plan historique, de l’époque, p. 32
ses origines semblent beaucoup plus anciennes, sur
le plan tradiionnel, p. 4
n Université Rose-Croix internaionale -
Le monothéisme en égype ancienne : Depuis
n kabbale et Rose-Croix : les rosicruciens ont le début du XXème siècle, l’a.M.O.r.C. parraine une
toujours accordé un grand intérêt à l’étude de université interne dont les travaux donnent lieu
l’ésotérisme juif, tel qu’il s’exprime à travers les régulièrement à des conférences, des séminaires et
textes kabbalisiques, p. 13 des livres accessibles au public, p. 36

n Rose-Croix et alchimie : les alchimistes rosicruciens, n Entreien avec Serge toussaint, actuel
qui avaient fait de la rose le symbole de la Pierre Grand maître de la juridicion francophone de
philosophale, s’adonnaient à une alchimie spirituelle l’A.m.O.R.C., p. 40
ayant pour but de puriier leur personnalité en vue de
connaître l’illuminaion, p. 16

n Revue Rose-Croix - Le Souisme : voie mysique


n L’émergence de l’A.m.O.R.C. : Harvey Spencer de l’Islam : reprise d’un aricle publié dernièrement
Lewis, un rénovateur du rosicrucianisme, p. 20 dans cete revue, p. 46

n Les Etats-Unis d’Europe : ce texte, paru dans la


Revue Rose-Croix de juin 1929, montre que les rose- n Le marinisme : nombre de rosicruciens font
Croix se sont toujours intéressés à l’évoluion de la parie de l’Ordre Mariniste tradiionnel, mouvement
société et qu’ils ont souvent été précurseurs, p. 28 philosophique qui se ratache à Louis-Claude de Saint-
Marin et dont le but est de perptuer l’ésotérisme
judéo-chréien, tel que lui-même et ses iniiateurs
n Entreien avec Chrisian bernard, responsable l’ont compris et transmis à travers les âges, p. 51
mondial de l’A.m.O.R.C., p. 30

Actualité de l’Histoire mystérieuse


est une revue des éditions Darnétalaises Ont participé à la rédaction de ce numéro : Photos de couverture
siège social : 22 rue Pierre Lefèbvre - 76160 Darnétal image centrale : F-X Seren - Photos12.com
Christian Rebisse, vignettes : Portrait imaginaire de Christian Rosenkreutz (Document
Tél. : +33 (0)5 61 84 29 85 - fax +33 (0)5 61 99 33 46 A.M.O.R.C.) ; Planche extraite de l’ouvrage « Amphitheatrum » (1603)
E-mail : edito@actualite-histoire.org François Carnot, Huguette Lefort,
www.actualite-histoire.net Yves Barré, Albert Coudsy. (Document A.M.O.R.C.) ; Le paradigme des alchimistes rosicruciens
(Document A.M.O.R.C.) ; Afiche du premier Salon de la Rose-Croix ; (1892)
(Document A.M.O.R.C.
Des interviews de :
Gérant, Directeur de la publication : Jean-Luc Garnier
Christian Bernard,
Rédacteurs en chef : Guy Les Baux et Serge Toussaint.
et Eric Garnier
Secrétaire général des rédactions des Editions Iconographie ROSE-CROIX
Darnétalaises : Jean-Luc Garnier A.M.O.R.C., Photo12.com, ET MARTINISTES
fonds DAH/AHM, éd. Darnétalaises, LE MARTINISME
des origines
archives des auteurs, à nos jours

Principaux associés : J. Gosselin, V. Allard, collections particulières – droits réservés.


L. Dumarcet et Artes Média

LE MARTINISME
ISSN 1951-195 hors-série de 1249-948X
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un héritage commun

La Rédacion n’assume pas la responsabilité des opinions


carnet d’adresses :
DÉVOILÉ…
émises sous leur signature par les auteurs. Les itres, inter A.M.O.R.C., château d’Omonville, KABBALE ET MARTINISME
la voie du coeur
itres et présentaions des aricles, sont de la rédacion. La
reproducion, même parielle, des aricles ne peut être faite 27110 Le Tremblay
qu’avec autorisaion écrite et sous réserve de menionner toutes Tél. 33 (0) 2.32.35.41.28
références uiles. Les manuscrits non insérés ne sont pas rendus.
Fax : 33 (0) 2.32.35.66.03
Mise en pages : Marie-Laure Daudet
Imprimé en France par : ETC Internet : www.rose-croix.org ORDRE
MARTINISME N° HS 37 – JANVIER-FÉVRIER 2010 – 6,20 �

76190 Sainte-Marie-des-Champs Courriel : amorc@rose-croix.org TRADITIONNEL M 03396 - 25 - F: 6,20 E - RD


entretien
Dépôt légal : janvier 2010 avec le Souverain
Grand Maître
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Editorial
L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

qui sont les Rose-CRoiX ?


d epuis leur émergence au xViième
siècle, les rose-croix ont donné
lieu à des milliers de livres et
de revues à travers le monde, ce qui
montre à quel point ils n’ont jamais
laissé indiférent. S’ils œuvraient
à l’origine sous le sceau du secret,
ceux qui se réclament aujourd’hui de
leur héritage mènent leurs acivités
ouvertement, selon une méthode qui
leur est propre. ils ont en commun de
revendiquer et de perpétuer un huma-
nisme spiritualiste, ou si l’on préfère,
une spiritualité humaniste. Souvent
en bute aux pouvoirs poliiques et reli-
gieux en raison de leur indépendance,
ils se disent penseurs libres plutôt que
libres penseurs.
il existe de nos jours divers courants
rosicruciens, certains plus légiimes
que d’autres au regard de l’authenique

(document A.m.O.R.C.)
tradiion rose-Croix. Le plus acif
actuellement est l’ancien et Mysique
ordre de la rose-croix, qui réunit à Symbole extrait du livre « Les Symboles secrets des Rosicruciens
travers le monde des membres de des XvI et XvII siècles » ème ème

tous horizons. C’est donc à travers lui


que nous avons choisi de vous présenter le rosicrucianisme contemporain. en outre,
l’a.M.O.r.C. parraine depuis le début du XXème siècle un mouvement iniiaique encore
moins connu : l’Ordre Mariniste Tradiionnel, dont l’origine remonte à Louis-Claude
de Saint-Marin, philosophe français du Xviiième siècle.
certains historiens de l’ésotérisme ont dit que les rose-croix du passé ont marqué la
tradiion occidentale et la culture européenne. force est de constater qu’ils en font
toujours parie, ce qui jusiie ce numéro spécial qui leur est consacré.

« Considérés dans la perspective paracelsienne, les premiers « Le mystère de la Rose-Croix n’a pas encore été percé. La lé-
écrits rosicruciens apparaissent, non point comme un ludibrium, gende se mêle étroitement à la vérité historique… L’Ordre de
au rang desquels Andreae, par prudence, tenta postérieurement la Rose-Croix est une confrérie de savants, d’alchimistes et de
de ramener les “Noces Chymiques”, mais bien comme un essai chercheurs en ésotérisme qui se manifesta au XVIIème siècle. Les
de solution des graves problèmes qui se posaient aux hommes adeptes étaient liés d’une manière très informelle, mais la lé-
de ce temps-là, dans les domaines de la religion, de la politique, gende qui les entourait fut et reste très prenante ».
de la philosophie et de la science ». André Nataf
Roland Edighoffer
« Si l’existence d’un Ordre des Rose-Croix ne peut être prou-
« Il est très dificile de soulever le voile épais qui recouvre l’histoire vée au XVIIème siècle, il semble probable que sous ce nom se
réelle des Rose-Croix. Conservateurs d’une Tradition secrète qui soit abrité tout un courant ésotérique européen représenté à la
fut donnée au monde par les Brahmanes de l’Inde, Hermès Tris- fois par des utopistes, tels les anglais Thomas More et Francis
mégiste en Égypte et Orphée en Grèce, leurs arcanes, de par leur Bacon, ainsi que l’italien Tommaso Campanella – eux-mêmes
caractère même, n’ont jamais eu de partie exotérique. De grandes inspirés par Joachim de Flore, peut-être le prototype de Rosen-
igures comme Paracelse, Boehme, van Helmont, Andreae, Bacon, kreutz –, et par des alchimistes naturalistes et mystiques comme
Coménius, Boyle, Locke, Saint-Germain occupent une place im- Paracelse et ses disciples, tel Heinrich Khunrath, dont l’Am-
portante, aussi bien dans l’histoire générale de l’humanité que phithéâtre de la Sagesse éternelle contient l’image d’une rose
dans celle des Rose-Croix ». portant une forme humaine les bras en croix ».
Frantz Wittemans Jacques Brosse

jAnvIER-févRIER 2010 3
DOSSIER

L’Ordre de la Rose-Croix
des origines à nos jours
L’ordre de la Rose-Croix est considéré par certains historiens de l’ésotérisme
comme le ème
« Joyau de l’ésotérisme occidental ». sur le plan historique, il remonte
au XVii siècle, avec la paruion des fameux Manifestes. Mais sur le plan
tradiionnel, les origines du Rosicrucianisme semblent beaucoup plus anciennes,
puisqu’il prendrait sa source dans la tradiion Primordiale, dont l’Égypte anique
fut le berceau symbolique…
Par un beau matin de l’année 1623,
les Parisiens ont la surprise de décou-
vrir une étrange afiche. Elle annonce :
« Nous, Députés du Collège principal
des Frères de la Rose-Croix, faisons
séjour visible et invisible en cette ville,
par la grâce du Très-Haut, vers lequel
se tourne le cœur des Justes. Nous
montrons et enseignons sans livres ni
marques à parler toutes sortes de lan-
gues des pays où nous voulons être,
pour tirer les hommes, nos semblables,
d’erreur de mort. »
Cette afiche est bientôt suivie d’une se-
conde, invitant les chercheurs à rejoindre
la fraternité rosicrucienne. L’événement
a un retentissement considérable au
point que Gabriel Naudé parle « d’un
ouragan souflant sur toute la France
à l’annonce de l’arrivée de la mysté-
rieuse fraternité venue d’Allemagne »
(Instruction à la France sur la Vérité de
l’Histoire des Frères de la Roze-Croix,
1623). La coïncidence de ces événe-
ments avec le retour en France de René
Descartes sufit à échauffer les imagi-
nations. On murmure que le philosophe
est entré dans la fraternité rosicrucienne
et qu’il est à l’origine des mystérieuses
afiches.
Mais qu’est-ce que le rosicrucianisme ?
D’où vient-il ? Pour tenter de compren-
dre ce qu’est ce mouvement initiatique
et spiritualiste, nous parcourrons trois
phases représentatives de son histoire.
Nous évoquerons d’abord ses sources
antiques et son émergence au début du
xviième siècle ; ensuite nous aborderons
une phase transitoire de son existence,
celle des xviiième et xixème siècles, pé-
riode pendant laquelle la rose côtoie
l’équerre et le compas ; enin nous
(document A.m.O.R.C.)

aborderons la troisième phase de son


histoire, l’époque moderne, où le rosi-
crucianisme s’émancipe pour aficher
le visage que nous lui connaissons sur un plan purement historique, l’ordre de la Rose-Croix remonte au XViième siècle, avec la
aujourd’hui à travers de grands mou- paruion des trois Manifestes («Fama», «Confessio» et «noces chymiques»). Mais comme
vements comme l’Ancien et Mystique l’airmait déjà Michael Maier, célèbre Rose-Croix de cete époque, la tradiion rosicrucienne
Ordre de la Rose-Croix. prend sa source dans les Écoles de Mystères de l’ancienne Égypte, dont l’existence est désormais
admise par la plupart des égyptologues.
L’héritage de l’Antiquité
des chercheurs s’accordent pour situer se de ce mouvement dans un passé plus
On s’est beaucoup interrogé sur les ori- ses débuts historiques au XVIIème siè- lointain. Michael Maier a été l’un des
gines du Rosicrucianisme. Si la plupart cle, on peut néanmoins déceler la genè- premiers à la situer bien avant l’époque

4 DOSSIER D’ACtUALIté DE L’hIStOIRE l hORS-SERIE n° 1


L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

où furent publiés les Manifestes rosi- d’Abdère, Platon, Plutarque, Jambli- Cette refondation prend place dans un
cruciens. Il prétendait que les origines que... vinrent chercher la connaissance contexte historique particulier qu’il est
du rosicrucianisme sont « égyptiennes, auprès des sages égyptiens, et beaucoup important d’évoquer pour comprendre
brahmaniques, issues des Mystères d’entre eux furent initiés à leurs Mystè- l’impact qu’eut l’émergence de la Ro-
d’Eleusis et de Samothrace, des Ma- res. Cet héritage, dont les origines sont se-Croix au XVIIème siècle.
ges de Perse, des Pythagoriciens et probablement antérieures à l’Égypte
des Arabes » (Silencium post clamores, (par exemple Babylone), s’est perpétué La crise de conscience
1617). Hermann Fictuld, dans Aure- à travers la Grèce et nous a été transmis européenne du XvIIème siècle
rum Vellus (1749), prétendait que la ensuite par le monde arabe au Moyen
doctrine rosicrucienne était l’héritière Age. Mais c’est surtout après la chute L’Europe traverse à cette époque une
de l’Ordre de la Toison d’Or, fondé à de Constantinople (1453), à la Renais- crise importante. On assiste à l’écroule-
Bruges en 1429 par Philippe le Bon. sance, qu’il s’est répandu en Europe, ment de ce qui, jusqu’à présent, consti-
Cependant, les Manifestes rosicruciens après s’être enrichi de l’ésotérisme juif tuait ses valeurs fondamentales. Les
précisent eux-mêmes leur source : et avoir enfanté la kabbale chrétienne. nombreuses découvertes scientiiques
« Notre philosophie n’est rien de nou- L’ésotérisme occidental puise ses (l’héliocentrisme, la lunette astronomi-
veau, elle est conforme à celle dont sources dans un passé lointain, une que, le microscope, les Amériques...)
Adam hérita après la Chute, et que Tradition Primordiale dont l’Égypte ont bouleversé l’image que l’homme
pratiquèrent Moïse et Salomon ». représente le pôle symbolique. Les Ma- se faisait du monde. L’Europe fait
Ces éléments, Adam, l’Égypte et l’An- nifestes font peu référence à l’Égypte, également face à une crise religieuse.
tiquité, font référence à un concept éta- mais la notion de Tradition Primordiale La Réforme protestante a donné lieu
bli au XVème siècle, celui de Tradition y tient une place importante. Si la dé- à des troubles qui ensanglantent plu-
Primordiale. Cette notion a fait son ap- couverte de Casaubon fait disparaître sieurs pays. À cette crise s’ajoutent des
parition en Italie, à la Renaissance. À Hermès Trismégiste, elle a aussi pour épidémies de peste et des conditions
cette époque, on redécouvre le Corpus conséquence indirecte un renouvelle- climatiques particulièrement défavora-
Hermeticum, un ensemble de textes ment, une refondation de l’ésotérisme bles qui entraînent la famine. Ces élé-
attribués à un prêtre égyptien, Her- occidental sous les auspices d’un nou- ments contribuent à l’instauration d’un
mès Trismégiste. La publication de veau Maître : Christian Rosenkreutz. climat de in des temps, et ce n’est pas
ce Corpus en 1471 a un retentissement
très important. Elle amène certains phi-
losophes à considérer qu’il y eut, dans
les temps antiques, une « Révélation
Primordiale » dont une succession de
sages, d’initiés, se seraient transmis la
connaissance à travers les âges.
En 1474, Marsile Ficin, dans Theolo-
gia Platonica, établit une généalogie
des philosophes : Hermès Trismégiste,
Moïse, Zoroastre, Orphée, Aglao-
phème, Pythagore, Platon... qui furent
les héritiers de cette Philosophia Pe-
rennis, de cette Tradition Primordiale.
Le Corpus Hermeticum, ensemble de
textes fortement teintés d’ésotérisme,
de magie et d’astrologie, fut en grande
partie à l’origine du renouveau de l’éso-
térisme à la Renaissance. Tous les ma-
ges de cette époque, comme Cornelius
Agrippa ou John Dee, y puisèrent une
grande partie de leurs connaissances.
À la veille de la publication des Ma-
nifestes rosicruciens, l’origine de ces
textes est remise en question. En 1610,
Isaac Casaubon date le Corpus Her-
meticum des IIème et IIIème siècles. Cette
découverte marqua la in de l’essor de
l’hermétisme de la Renaissance. S’il
est vrai que le Corpus comporte peu
d’éléments égyptiens authentiques, les
analyses récentes montrent malgré tout
qu’il fut écrit par des prêtres égyptiens
soumis à l’hellénisation. Contraints à
s’exprimer dans une culture chrétienne,
ils expriment une nostalgie de l’ancien-
(document A.m.O.R.C.)

ne religion dont ils ne révèlent que des


bribes. Quelles que soient les origines
de ce Corpus, il n’est que « l’arbre qui
cache la forêt », car l’histoire montre Portrait imaginaire de Chrisian Rosenkreutz, qui aurait vécu au XVème siècle et aurait fondé la
que la culture des Egyptiens est l’un des Fraternité rosicrucienne. en réalité, ce nom symbolique n’a jamais désigné une personne ayant
fondements de la culture occidentale. existé. Dans le passé, l’ordre de la Rose-Croix foncionnait par cycles d’acivité suivis chaque
Les grands sages de la Grèce : Solon, fois d’une période de sommeil. lorsque le moment était venu de le réaciver, on faisait savoir
Thalès de Millet, Hippocrate, Anaxa- qu’il était temps de procéder à l’ouverture d’un tombeau dans lequel se trouvait le corps d’un
gore, Pythagore, Orphée, Démocrite mystérieux « Grand maître C.R.C. ».

jAnvIER-févRIER 2010 5
DOSSIER

par hasard si les prophéties de Joachim


de Flore sont si populaires à cette épo-
que. Ce moine du XIIème siècle avait
développé une théorie selon laquelle
l’histoire du monde devait se dérouler
en trois ères. D’abord celle du Père, dé-
butée avec Adam ; ensuite celle du Fils,
initiée avec Jésus-Christ, et enin celle
du Saint-Esprit, qui devait marquer la
in des temps.
Au XVIème siècle, nombreux étaient
ceux qui pensaient que l’ère du Saint-
Esprit était proche, et cette théorie
sera évoquée dans les Manifestes ro-
sicruciens. Luther lui-même, dans
Supputatio annorum mundi (1540),
reprend la Prophétie d’Elie et estime
que la in des temps est toute proche.
Les Manifestes rosicruciens feront
eux-mêmes référence à cette prophétie
à propos de « l’allumage prochain du
sixième candélabre », ainsi qu’à une
autre prophétie qui marqua cette épo-
que, celle du Lion de Septentrion. Le
ciel annonce cependant un avenir plus
radieux. En 1603, Jupiter et Saturne
sont en trigone. Cet aspect planétaire,
qui s’inscrit dans le Trigone de feu
(Bélier, Lion, Sagittaire), suscite quel-
ques espoirs. Les Manifestes feront
bientôt référence à ce trigone qui « al-
lumera l’ultime incendie qui va embra-
ser le monde ». À la veille de l’édition
des Manifestes rosicruciens, l’inquié-
tude règne en Allemagne. On sait que

(document A.m.O.R.C.)
la Réforme protestante n’a rien réglé,
et chacun attend la venue d’une « nou-
velle Réforme ». C’est dans ce contexte
que la Rose-Croix fera son apparition. Bien que l’ordre de la Rose-Croix ne soit apparu qu’au XViième siècle, la tradiion fait de Paracelse
(1493-1541), médecin et alchimiste, l’un des premiers Rose-Croix, d’où ce «Portrait du Rose-
La Fama Fraternitatis Croix», extrait d’un livre publié en 1566.
En 1614, paraît à Cassel, sans nom de partage qui règne chez ces initiés. dans le texte de la Fama, qui se ter-
d’auteur, la Fama Fraternitatis, ou Après ce périple initiatique, Christian mine par une invitation aux hommes
l’écho de la fraternité ou confrérie du Rosenkreutz rentre en Europe et s’ar- de science à se joindre à la Fraternité
très louable Ordre de la Rose-Croix. rête en Espagne pour proposer aux pour partager cette connaissance réfor-
Ce texte constitue le premier Manifeste penseurs de son temps de partager matrice. Autant le préciser, ce récit ne
rosicrucien. À l’inverse des grands trai- ce savoir. Cependant, il se rend vite raconte pas la biographie d’un hom-
tés qui règnent en maître à l’époque, la compte qu’ils ne souhaitent pas remet- me ayant existé. Dans le tombeau de
Fama se présente comme un texte de tre en question leurs connaissances. Christian Rosenkreutz, qui serait mort
quelques pages. D’entrée, l’ouvrage Déçu, il rentre en Allemagne et s’en- en 1484, les Frères découvriront le Vo-
critique gravement la situation spi- toure de trois disciples avec lesquels cabulaire de Paracelse, né en 1493.
rituelle de l’Europe et propose une il entreprend de mettre par écrit l’hé- Ce détail, comme beaucoup d’autres,
« Réforme universelle ». Dans cette ritage recueilli en Orient. Ainsi naît la montre à quel point le récit de la Fama
perspective, elle offre une « Science Fraternité de la Rose-Croix. Tout en est une allégorie. La découverte d’un
universelle » qui plonge ses racines aux restant discrète, elle compte bientôt tombeau contenant des manuscrits
premiers temps de la Création. Cette quelques nouveaux membres. En 1604, était d’ailleurs un thème fréquent dans
connaissance aurait été recueillie par un longtemps après la mort de ce premier la littérature du Moyen Age. La Ta-
personnage mystérieux, le Frère Chris- groupe de rosicruciens, les Frères re- bula Chemica, un texte alchimique
tian Rosenkreutz. trouvent la tombe de Christian Rosen- du XIIIème siècle, raconte la découverte
La Fama nous raconte l’histoire de ce kreutz. Dans ce caveau, conçu comme d’un tel tombeau dans lequel se trouvait
personnage parti en 1394, à l’âge de un mémorial, ils découvrent une quan- un vieillard tenant dans ses mains un
seize ans, faire un voyage vers Jérusa- tité d’objets scientiiques, jusqu’alors livre imagé. La même légende existe à
lem. Détourné de ce but, il rencontre inconnus, et des textes contenant tout propos de la découverte de la tombe de
des mages à Damcar et à Fez. Pendant le savoir recueilli jadis par leur Maître. Basile Valentin (XIVème siècle).
ses différents séjours, il recueille des Cette connaissance audacieuse rejette
connaissances en médecine, en magie, Aristote et Galien, et s’oppose aux pré- La Confessio Fraternitatis
en kabbale, et on lui enseigne les se- tentions des théologiens.
crets du Livre du Monde, de l’harmonie Forts de cet héritage, les disciples de L’année suivante, l’Ordre de la Rose-
entre le macrocosme et le microcosme. Christian Rosenkreutz décident de pro- Croix publie un deuxième Manifeste :
Ce qui impressionne particulièrement clamer leur découverte. Tels sont les Confessio Fraternitatis, ou Confession
Christian Rosenkreutz, c’est l’esprit éléments fondamentaux qui igurent de l’insigne confrérie du très honoré

6 DOSSIER D’ACtUALIté DE L’hIStOIRE l hORS-SERIE n° 1


L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

Rose-Croix à l’adresse des hommes de les plus diverses ont été faites sur leur remarque un commentaire des planches
science de l’Europe, (1615 à Cassel). auteur. En 1699, G. Arnold fait de Jean de l’Amphitheatrum Sapientiae Aeternae
Ce deuxième texte, publié sans nom Valentin Andreae l’auteur des trois de Kunrath et de l’un des textes de piété
d’auteur, se veut le prolongement de Manifestes (Histoire de l’Eglise et des les plus lus jusqu’au XIXème siècle : Les
la Fama. Cependant, il s’en différentie hérétiques). Cette théorie fera référence Quatre Livres du vrai christianisme.
par son caractère prophétique. Il souli- pour longtemps. La plupart des spécia- Dans ses livres, il développe l’idée d’une
gne que l’humanité arrive à la in d’un listes actuels s’accordent à penser qu’ils l’alchimie intérieure, d’une renaissance
cycle et que la révélation du « sixième ne sont pas l’œuvre d’un homme, mais intérieure. Il élabore ce qui, à partir de
temps » est imminente. L’Ordre se pré- d’un petit groupe, le Cercle de Tübin- lui, s’appellera la « théologie mystique »,
sente comme missionné pour révéler gen, qui comprenait une vingtaine de qui tente d’intégrer l’héritage paracelsien
une « nouvelle forteresse de la Vérité », personnes passionnées d’alchimie, à la théologie médiévale. Ces éléments
un antidote à l’ancienne philosophie de kabbale et de mystique chrétienne, sont très présents dans les Manifestes.
moribonde qui a conduit la Chrétienté parmi lesquels Tobias Hess, Christo- Andreae, l’un des auteurs supposés des
européenne au chaos. Dans cette pers- phe Besold, Wense, Johann Arndt, Manifestes, considérait J. Arndt comme
pective, il prédit l’écrasement de la pa- Johann Valentin Andreae... son père spirituel.
pauté, symbole d’un christianisme dé- D’une manière générale, la Fama et
voyé. La Confessio indique que l’Ordre Sources et thèmes la Confessio puisent essentiellement à
est sur le point de révéler une partie du des manifestes trois courants de la Tradition : le para-
langage adamique ou énochien, lequel celsisme, le joachisme, et l’hermétisme
permet de découvrir le sens voilé de la En fait, l’exploration des thèmes qui de la Renaissance. Ce n’est pas par ha-
Bible et de lire les lettres gravées par igurent dans les Manifestes conduit sard si Paracelse est le seul auteur loué
Dieu dans le Grand Livre de la Nature. à connaître leur auteurs. Ces textes par les Manifestes. Il constitue en effet
Il précise que les Rose-Croix enseignent empruntent à diverses sources. Tout une source essentielle des idées qu’ils
une science totale dont la inalité est la d’abord à l’époque médiévale ; présentent. Bien qu’il soit impossible
régénération de l’homme, et souligne l’axiomatique infaillible à laquelle se de développer ici tous ces points, nous
la nécessité d’une telle régénération réfèrent les Manifestes évoque l’Ars nous contenterons d’évoquer quelques-
pour accéder à cette science salvatrice. Magna de Raymond Lulle. La mystique uns de ceux que Roland Edighoffer a
Ce Manifeste prend aussi ses distances rhénane a beaucoup inluencé les parfaitement mis en évidence dans ses
avec la mode alchimique qui prévaut auteurs des premiers écrits rosicruciens, écrits.
au XVIème. En déinitive, la Confessio particulièrement à travers Johann Arndt Dès le début, la Fama évoque « l’épo-
est un nouvel appel lancé à ceux qui (1555-1621), pasteur, théologien, médecin que heureuse où la moitié du monde in-
veulent collaborer à la restauration de et alchimiste. Passionné par Tauler connu et caché a été découvert ». Cette
la Connaissance. et Valentin Weigel, vulgarisateur de notion est empruntée presque mot pour
l’Imitation de Jésus-Christ, il est l’auteur mot à Paracelse. L’idée selon laquelle
les noces chymiques de nombreux ouvrages, parmi lesquels on il est nécessaire de mettre en commun
les connaissances acquises en divers
Un an plus tard, en 1616, un autre texte lieux du monde s’inspire du Liber Pa-
faisant référence à la Rose-Croix est ragranum. De même, la désignation
publié à Strasbourg : Les Noces Chy- « habitants des mondes élémentaires »
miques de Christian Rosenkreutz. Bien renvoie au Liber de nymphis, pygmoeis
qu’il fut publié anonymement, nous et salamandris et de coeteris spiritibus.
savons que son auteur est Johann Va- Quant à la métaphore du « pépin qui
lentin Andreae (1586-1654). Ce troi- contient l’arbre ou le fruit tout entier »,
sième Manifeste est très différent de elle est reprise du Philosophia sagax.
la Fama et de la Confessio : c’est un Dans le thème du Livre M., le Liber
roman. Il raconte l’histoire des noces Mundi, on trouve là encore un aspect
d’un roi et d’une reine auxquelles est essentiel de la pensée de Paracelse.
convié un Christian Rosenkreutz qui Pour lui, le seul livre fondamental avec
ne ressemble pas à celui évoqué dans la Bible, c’est le « livre de la Nature ».
les deux premiers Manifestes. Ici, ce Dans ce Livre, on peut lire « les gran-
n’est plus un jeune homme qui va être des lettres et caractères que Dieu le
initié lors d’un voyage en Orient, mais Seigneur a gravés sur l’édiice du ciel
un vieillard qui va l’être au cours d’un et de la terre ». L’idée selon laquelle la
mariage. L’auteur nous décrit les sept Nature est la clef de tout ce qui existe,
journées de ces noces en utilisant des qu’elle n’est pas un système mécanique
(document A.m.O.R.C.)

allégories puisées dans la symbolique de lois, mais une réalité vivante avec la-
alchimique. quelle l’homme doit entrer en dialogue
Dans l’épigraphe des Noces, l’auteur dans un but de « co-naissance », est
reprend un passage de l’Amphitheatrum empruntée à Paracelse. Enin, lorsque
Sapientiae Aeternae de H. Khunrath la «Fama Fraternitais», Manifeste publié celui-ci, dans son Liber resurrectione
et utilise le sceau de la Monade Hiéro- en 1614, s’adresse aux dirigeants poliiques et corporum gloriicatione (1533), fait
glyphique de John Dee. Un an après sa et religieux, ainsi qu’aux scieniiques de un parallèle entre la résurrection du
publication, en 1617, l’alchimiste R. l’époque. tout en dressant un constat Christ et la transmutation alchimique,
Brotofferr publiera une interprétation plutôt négaif sur la situaion générale en comment ne pas voir de sa part une al-
alchimique de ce roman (1617), dans europe, elle révèle l’existence de l’ordre de lusion au symbolisme de la Rose et de
laquelle il met en relation les sept jour- la Rose-Croix à travers l’histoire allégorique la Croix !
nées avec les sept étapes du Grand Œu- de Chrisian Rosenkreutz, depuis le périple Le joachimiste, deuxième source ma-
vre. Cette explication est probablement qu’il mena à travers le monde, jusqu’à jeure qui inluença les Manifestes rosi-
excessive, car ce texte est plus un ro- la découverte de son tombeau. tout en cruciens, est constitué par les théories
man initiatique qu’un traité d’alchimie. rapportant comment fut fondée la Fraternité de J. de Flore, que la Confessio évoque
Les deux premiers Manifestes ont été rosicrucienne, ce Manifeste en appelle à une indirectement à propos de « l’allumage
édités anonymement et les spéculations « Réforme universelle ». du sixième candélabre et du sixième

jAnvIER-févRIER 2010 7
DOSSIER

Manifeste. Il avait guéri Valentin An- son temps à instaurer une société plus
dreae d’une terrible ièvre, et ce dernier juste. Comme le précise Roland Edi-
l’admirait beaucoup. C’est lui qui pro- ghoffer, les premiers écrits rosicruciens
nonça son oraison funèbre. Le texte de apparaissent non pas comme une farce,
cette oraison fut imprimé par la suite, mais bien « comme un essai de solution
et curieusement il comporte deux mots aux graves problèmes qui se posaient
en italique (les seuls du livre) : « Tobias aux hommes de ce temps dans les do-
Hess » et « Fama », comme pour sou- maines de la religion, de la politique,
ligner un lien entre les deux ! Même si de la philosophie, des sciences » (Les
« l’auteur » des Manifestes garde son Rose-Croix et la crise de conscience
secret, il est certain que dans le Cercle européenne au xviième siècle). Dans
de Tübingen, Johann Valentin Andreae une société en pleine crise, le projet
a joué un rôle fondamental pour l’édi- rosicrucien était de mettre le savoir
tion des Manifestes. De même, il est au service de l’homme. Il proposait
évident que dans ce groupe, Tobias Hess que les progrès réalisés par la science,
et Johann Arndt ont eu une inluence additionnés aux connaissances tenant
considérable. Ajoutons que la liberté de l’ésotérisme, soient mis à proit
d’édition n’existait pas à cette époque pour le bien commun. À l’esprit de
(document A.m.O.R.C.)

et qu’il est probable que le Landgrave concurrence entre les peuples, les ro-
de Hesse-Cassel ait été partie prenante sicruciens opposaient celui de la colla-
dans le projet rosicrucien. boration, de la fraternité et du partage.
la «Confessio Fraternitais», Manifeste Même si ce projet restait un peu lou,
publié en 1615, complète la «Fama», d’une Rayonnement il attira de nombreux chercheurs, et les
part en insistant sur la nécessité pour du rosicrucianisme Manifestes connurent un succès consi-
l’homme et la société de se régénérer, et dérable en Europe. Leur publication
d’autre part en indiquant que les Rose- Aussitôt après la publication des Ma- entraîna l’édition de très nombreux
Croix possèdent une science philosophique nifestes, Johann Valentin Andreæ fut ouvrages. Pour la période qui s’étend
permetant d’opérer cete régénéraion. en suspecté d’en être l’auteur. Il s’en de 1614 au xviiième siècle, on ne compte
cela, elle s’adresse avant tout aux chercheurs défendit aussitôt, présentant la Rose- pas moins de neuf cents livres qui ex-
désireux de pariciper aux travaux de l’ordre Croix comme un Lidibrium, une farce. priment les opinions des partisans et
et d’œuvrer au bonheur de l’humanité. L’historienne Frances Yates a montré des adversaires du projet rosicrucien.
l’aspect prophéique de ce Manifeste intrigua que dans la bouche de ce personnage, En Angleterre, Robert Fludd défend les
beaucoup les érudits de l’époque. ce mot n’avait pas un sens péjoratif (cf. Rose-Croix des critiques d’Andreas
La Lumière des Rose-Croix). Andreae Libavius. En Allemagne, Michael
temps ». Par ailleurs, la biographie de est d’ailleurs l’auteur de nombreux tex- Maier fait l’apologie de la Fraternité,
J. de Flore n’est pas sans rappeler celle tes, de récits symboliques, par lesquels et en France René Descartes pousse
de Christian Rosenkreutz et constitue il a tenté de conduire les hommes de la curiosité jusqu’à partir à la recher-
une sorte de prototype du Père des che des Rose-Croix. L’élan rosicru-
Rose-Croix. Enin, la dernière source cien est cependant brisé dès 1618 par
majeure, bien que moins importante, la guerre de Trente Ans, qui disperse
est celle de l’Hermétisme, c’est-à-dire ses partisans. Plusieurs d’entre eux se
l’héritage de l’ésotérisme de la Renais- réfugient en Hollande ou en Angleter-
sance : magie, kabbale chrétienne et re. On peut souligner que la présence
science des nombres. N’oublions pas à Londres d’un personnage comme
que la kabbale chrétienne, sous l’im- Jan Amos Comenius (1592-1670), un
pulsion de J. Reuchlin, s’était beau- ami de Johann Valentin Andreæ très
coup développée en Allemagne. marqué par les idées rosicruciennes de
D’autres inluences sont également « collège universel du savoir », ne sera
apparentes, comme celle du temps pas étrangère à la formation de la Royal
présenté comme cyclique, qui pourrait Society. On retrouve en effet une partie
fort bien se référer à l’ismaélisme, dont des idéaux des Manifestes de la Rose-
Damcar était l’un des foyers. Faut-il voir Croix dans cette institution.
là un héritage islamique dont le voyage
à Damcar serait le symbole ? Les sages Rose-Croix
de l’Arabie Heureuse n’étaient-ils pas et franc-maçonnerie
réputés pour avoir préservé le Corpus
Hermeticum ? En résumé, on peut dire Après cette période, l’Ordre entre dans
(document A.m.O.R.C.)

que les Manifestes cristallisent les mul- une période de transition qui voit le
tiples tendances de l’ésotérisme venant rosicrucianisme leurir à travers divers
des Mystères antiques, du judaïsme, du mouvements ésotériques, comme par
christianisme et de l’islam. exemple la Franc-Maçonnerie. Cette
Parmi les membres du Cercle de Tübin- les « noces chymiques de Chrisian dernière organisation prend corps aux
gen, Tobias Hess (1558-1614) est celui Rosenkreutz », Manifeste publié en 1616, alentours de l’année 1717. Ses pre-
qui semble synthétiser le mieux ces relate un périple iniiaique qui représente miers membres, comme Elias Ashmo-
divers courants. Membre de l’univer- la quête de l’illuminaion. Ce périple de sept le (1617-1692), s’intéressaient de très
sité de Tübingen, médecin paracelsiste, jours se déroule en grande parie dans un près au rosicrucianisme. Même si The
kabbaliste, philosophe, admirateur de mystérieux château où doivent être célébrées Muse, un poème d’Adamson (1638),
S. Studion et de Joachim de Flore, il les noces d’un roi et d’une reine. en termes ou un article publié dans le Daily Jour-
joua probablement un rôle fondamen- symboliques, les « noces chymiques » nal en 1730, laissent entendre que les
tal dans la rédaction de la Fama et de évoquent en fait le cheminement spirituel qui Maçons anglais se sont inspirés du
la Confessio. Tobias Hess est mort conduit tout iniié à réaliser l’union entre son rosicrucianisme, il faut souligner que
l’année de la publication du premier âme (l’épouse) et Dieu (l’époux). leurs symboliques sont relativement

8 DOSSIER D’ACtUALIté DE L’hIStOIRE l hORS-SERIE n° 1


L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

scène un Rose-Croix. Pendant cette


période marquée par la montée du spi-
ritisme et de l’occultisme, le rosicru-
cianisme s’éloigne un peu plus de la
Franc-Maçonnerie. L’une des organisa-
tions les plus marquantes qui naissent à
cette époque est la Societas Rosicrucia-
na In Anglia (ou S.R.I.A.), fondée dans
les années 1866-1867. Robert Wen-
tworth Little (1840-1878) et William
Wynn Westcott (1848-1925), qui en
seront les animateurs essentiels, restent
cependant très marqués par la Maçon-
nerie. Leur intérêt pour les recherches
sur les phénomènes psychiques et le
spiritisme les pousse à s’intéresser aux
pratiques ésotériques initiatiques des
siècles précédents, et en particulier à
la kabbale chrétienne et sa magie évo-
catoire. Cette tendance s’accentue à
travers une autre société initiatique, la

(document A.m.O.R.C.)
Golden Dawn, où ces pratiques devien-
nent importantes.

l’Amphithéâtre de la sagesse éternelle d’Heinrich Kunrath, 1603. La Golden Dawn


différentes. À titre d’exemple, on re- est relancé par un roman, Zanoni. Ce L’Hermetic Order of the Golden Dawn,
marquera que la Maçonnerie élabore texte, publié en Angleterre par Sir Ed- appelé aussi Golden Dawn, a été fon-
son système autour de spéculations sur ward Bulwer-Lytton en 1842, met en dé par des membres de la S.R.I.A. En
le temple de Salomon, alors que ce der-
nier ne joue aucun rôle dans le mythe
rosicrucien. Au contraire, dans la mou-
vance rosicrucienne du xviièmesiècle,
c’est le temple d’Ézéchiel qui joue un
rôle considérable (par exemple dans la
Naometria de Simon Studion). D’un
côté on médite sur le temple d’avant
le christianisme, celui de Salomon, de
l’autre sur celui qui viendra dans un
temps futur. Malgré cela, autour des
années 1760, la Franc-Maçonnerie va
créer un grade Rose-Croix. Bien qu’il
ne fasse aucune référence à la symboli-
que et à la thématique rosicrucienne du
xviième siècle, ce grade jouira d’un grand
prestige.
À la in du xviiième siècle, le rosicru-
cianisme va commencer à prendre ses
distances avec la Franc-Maçonnerie
traditionnelle. C’est le cas avec un
mouvement tel que la Societas Roseæ
et Aureæ Crucis ou Fraternité de la Ro-
se-Croix d’Or d’Ancien Système, qui
se forme en Bavière autour de Johann
Rudilp von Bischoffswerder (1714-
1803) et de Johann Christoph Wöll-
ner (1732-1800). Ce mouvement ma-
çonnique est très marqué par l’alchimie
rosicrucienne, qui occupe d’ailleurs
une place fondamentale dans sa sym-
bolique. Cette société est à l’origine
de plusieurs publications importantes,
comme les Symboles secrets des Ro-
(document A.m.O.R.C.)

sicruciens des xviième et xviiième siècles,


(1785 et 1788). Après les Manifestes,
c’est la publication rosicrucienne la
plus importante.

Zanoni, un roman rosicrucien Portrait de Jean Valenin Andreæ (1586-1654), auquel on a longtemps atribué les trois
Manifestes parus au XViième siècle : la «Fama Fraternitais», la «Confessio Fraternitais» et les
À la in de la première moitié du xix ème
«noces chymiques de Chrisian Rosenkreutz». Désormais, on sait que ces trois Manifestes furent
siècle, l’intérêt pour le rosicrucianisme rédigés par un collège de Rose-Croix : le Cercle de tübingen.

jAnvIER-févRIER 2010 9
DOSSIER

1887, William Wynn Westcott aurait des personnalités aussi illustres que sance en 1887 à l’Ordre Kabbalistique
recueilli des manuscrits comportant des William Butler Yeats, futur prix No- de la Rose-Croix, animé par Stanislas
rituels codés ayant appartenu à Ba’al bel de littérature en 1923 ; Constance de Guaita (1861-1897) et Joséphin Pé-
Shem Tov, puis à Éliphas Lévi. La Marz, l’épouse d’Oscar Wilde ; Gé- ladan (1858-1918). Ce dernier, hostile à
légende veut que ces documents com- rard Kelly, président de la Royal Aca- l’occultisme, se sépare assez vite de ce
portaient l’adresse d’une représentante demy... Cependant, l’Ordre connaîtra mouvement pour créer en 1891 l’Ordre
de l’Ordre de la Rose-Croix en Allema- de nombreux schismes qui donneront de la Rose-Croix Catholique du Temple
gne : Anna Sprengel (personnage dont naissance à des organisations comme et du Graal. Cet Ordre tout à fait ori-
l’existence n’a jamais été démontrée). Stella Matutina avec William Butler ginal s’oppose à la montée du matéria-
Après être entrés en contact avec cette Yeats, Alpha Omega, The Inner Light lisme en organisant à Paris des exposi-
femme, William Wynn Westcott, Sa- avec Violet Firth (alias Dion Fortune), tions de peinture restées célèbres dans
muel Liddell Mathers, et R. William et The Fellowship of the Rosy-Cross l’histoire de l’art : les Salons de la Ro-
Woodman fondent à Londres la Loge avec Arthur Edward Waite. Ajoutons se-Croix. Joséphin Péladan pensait en
Isis-Urania. à cela le cas d’Aleister Crowley, le effet que la contemplation de la beauté
La Golden Dawn possède des caracté- mage noir qui fonda l’Astrum Argen- était l’un des moyens les plus eficaces
ristiques qui semblent l’éloigner du ro- tinum. pour porter un autre regard sur le mon-
sicrucianisme des XVIIème et XVIIIème de, pour pressentir la présence du Divin
siècles. En effet, ses rituels mettent La Rose-Croix à toulouse en toutes choses. Erik Satie composera
en oeuvre une théurgie et des théories pour cet Ordre des œuvres comme Les
qui empruntent beaucoup à la magie et Parallèlement, une autre forme de ro- Sonneries de la Rose-Croix, qui font
aux kabbalistes chrétiens de la Renais- sicrucianisme a survécu hors de l’in- partie intégrante du patrimoine musical
sance ; autant de pratiques délaissées luence de la Franc-Maçonnerie et des français.
par les rosicruciens du passé au proit mouvement occultistes. On en trouve
d’une mystique basée sur l’alchimie des traces dans le sud de la France, à Le rosicrucianisme moderne
spirituelle. Sous la direction de Samuel Toulouse, autour du vicomte Lapas-
Mathers (le beau-frère du philosophe se (1792-1867), de Firmin Boissin, Après cette époque, le rosicrucianisme
Henry Bergson), la Golden Dawn l’auteur des Excentriques disparus entre dans une nouvelle phase. Tota-
connaît un succès immédiat et devient, (1890), et des frères Adrien et José- lement dégagé des inluences maçon-
entre 1888 et 1900, une organisation phin Péladan. Ces derniers ont tou- niques, il s’ouvre aussi à des formes
importante. De nombreux Francs-Ma- jours afirmé que le rosicrucianisme de spiritualité venues de l’Orient et
çons et Théosophes fréquentent ses Lo- n’avait rien à voir avec la Franc-Ma- s’émancipe de la tradition judéo-chré-
ges, qui comptent parmi ses membres çonnerie. Ce petit groupe donne nais- tienne. Il s’éloigne également de l’oc-
cultisme occidental en intégrant des
pratiques et des doctrines nouvelles.
C’est sur une nouvelle terre, les États-
Unis, que s’opère cette transformation.
Ce pays regroupe des hommes et des
femmes venus de multiples nations
dont les cultures s’interpénètrent. On
y trouve des communautés chrétiennes
très diverses, parmi lesquelles igurent
d’ailleurs des piétistes allemands qui
ont apporté avec eux des textes rosicru-
ciens. Les religions d’Orient, boudd-
hisme et hindouisme, y sont également
implantées. Le magnétisme, introduit
vers 1836 par Charles Poyan, un dis-
ciple de Puységur, s’y est développé
d’une manière considérable. Comme
en Angleterre, il donne naissance à des
sociétés d’études psychiques qui ten-
tent de découvrir les aspects les plus
mystérieux de l’homme. À la in de
l’année 1875, le colonel Henry Olcott
et Helena Petrovna Blavatsky créent
à New York la Société Théosophique,
qui va contribuer à populariser certai-
nes doctrines venues d’Orient, comme
Photos12.com - ARj (ARj00001_C2891)

la réincarnation, le karma et certaines


formes de méditation. Comme en té-
moigne un texte aussi curieux que le
Kybalion, publié en 1908, ces éléments
vont enrichir l’héritage reçu de l’ésoté-
risme occidental.

s’il n’est pas l’auteur de l’aiche parisienne de 1623, les relaions de René Descartes avec la Deux mouvements
mouvance rosicrucienne ne font aucun doute. Des découvertes récentes montrent que lors de son rosicruciens majeurs
voyage en Allemagne, il rencontra Johann Faulhaber (1580-1635), un mathémaicien connu pour
l’intérêt qu’il porta au rosicrucianisme. Cette époque est celle où naissent aux
États-Unis plusieurs mouvements ro-
sur ce point, voir : Édouard Mehl, Descartes en Allemagne, strasbourg, Presses universitaires sicruciens qui vont marquer l’histoire.
de strasbourg, 2001, et Amir, D. Aczel, Le Carnet de Descartes, Paris, J.C. latès, 2006. Parmi ceux-là, nous en retiendrons

10 DOSSIER D’ACtUALIté DE L’hIStOIRE l hORS-SERIE n° 1


L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

ou moins sincères, ont voulu s’appro-


prier cet héritage. Notre propos n’était
pas de présenter une histoire exhaus-
tive de la tradition rosicrucienne, mais
d’exposer ses origines en montrant les
valeurs qu’elle véhicule.
Dès le xviième siècle, les Rose-Croix ont
bousculé les convictions de leur épo-
que en soulignant combien le monde
gagnerait si les hommes coopéraient
entre eux dans un esprit de tolérance,
de partage des connaissances et de fra-
ternité. Ces idées, qui sont défendues
par les rosicruciens actuels, conservent
aujourd’hui toute leur valeur. Conscient
de la diversité des cultures qui com-
posent notre monde, ce mouvement
initiatique prône une spiritualité non
dogmatique et tente de synthétiser ce
qu’il y a de meilleur dans toutes les tra-
ditions, dans un esprit d’ouverture et de
tolérance.
Christian Rebisse

Source bibliographique
YATES, Frances : La Lumière des Rose-
Croix , Retz, 1985.
EDiGHOFFER, Roland : Les Rose-Croix,
Puf, col. « Que sais-je ? », 1982.
(document A.m.O.R.C.) EDiGHOFFER, Roland : Les Rose-Croix
et la crise de conscience européenne
au XVIIème siècle, Dervy, 1998.
FAivRE, Antoine : Accès de l’ésotérisme
occidental, Tomes I et II, Gallimard,
extrait de la naometria, de simon studion, 1604. 1996.
deux : l’Association Rosicrucienne de York, un Ordre rosicrucien qui acquiert REBiSSE, Christian, Rose-Croix, histoire
Max Heindel et l’Ancien et Mystique une stature internationale dès les années et mystères, Diffusion traditionelle,
Ordre de la Rose-Croix. Le premier 1920. L’Ordre propose un cheminement 2003.
a été fondé par Max Heindel (1865- original où se côtoient d’une manière HUTiN, Serge : Rose-Croix d’hier et
1919), un membre allemand de la non dogmatique des principes venus d’aujourd’hui, Louise Courteau, 1997.
Société Théosophique, installé à Los des traditions spirituelles occidentales Les Symboles secrets des Rose-Croix
Angeles. La doctrine de ce mouve- et orientales. Il rassemble des hommes des XVIème et XVIIème siècles, Diffusion
ment, exposée dans The Rosicrucian et des femmes sans distinction de race, Rosicrucienne, 1997.
Cosmo-Conception (1909) est marquée de classe sociale ni de religion, dans un Hermès Trismégiste, les trois révéla-
par celle d’Helena Blavatsky. Après esprit de fraternité, d’humanisme et de tions, Belles Lettres, 1998.
la mort du fondateur de l’Association spiritualité. Parfois jalousé et critiqué
Rosicrucienne, son épouse, Augusta pour son dynamisme, il est souvent
Fross, accentuera la place de l’astrolo- considéré comme l’un des mouvements
gie dans les enseignements de l’Ordre. ésotériques les plus novateurs de notre
Plus tard, en 1924, le responsable de cet époque. Précisons que l’A.M.O.R.C.
Ordre pour les Pays-Bas, Jan Leene a publié en 2001 un Manifeste intitulé
(1896-1968), plus connu sous le nom Positio Fraternitatis Rosae Crucis, que
de Jan Van Rijckenborg, fonde un des historiens de l’ésotérisme situent
nouveau courant rosicrucien : le Lec- dans la lignée des trois Manifestes pa-
torium Rosicrucianum. Ce dernier est rus au xviième siècle.
devenu par la suite la Rose-Croix d’Or, Au terme de cette présentation, on
une école spirituelle gnostique qui se comprend mieux les grandes étapes
veut à la croisée du Rosicrucianisme et de l’histoire du rosicrucianisme, de-
du Catharisme. puis son émergence au xviième siècle,
L’Ancien et Mystique Ordre de la Ro- son voisinage avec les grands courants
se-Croix est le mouvement rosicrucien ésotériques du Siècle des lumières, et
le plus important actuellement. Il a son émancipation à l’époque moderne.
été fondé par Harvey Spencer Lewis Certes, nous n’avons évoqué ici que
(1883-1939). Ce dernier, après avoir quelques-uns des mouvements qui
(document A.m.O.R.C.)

participé à des sociétés de recherches se sont présentés comme les héritiers


comme le New York Institute for Psy- du rosicrucianisme d’antan, laissant
chical Research, est venu dans le sud d’autres de côté qui auraient peut-être
de la France en 1909 pour y recevoir mérité d’être cités. Il faut aussi souli- Représentaion ancienne de la Rose-Croix,
l’initiation rosicrucienne. Fort de cet gner qu’à travers le temps, nombreux qui intègre la Croix ansée, symbole de la Vie
héritage, il a fondé en 1915, à New furent ceux qui, avec des mobiles plus éternelle en Égypte anique.

jAnvIER-févRIER 2010 11
DOSSIER

« qui donc a marié la rose à la


croix ? », écrivit Goethe. nul ne le
sait vraiment. Quoi qu’il en soit, et
contrairement à ce que l’on pourrait
penser a priori, la Rose-Croix n’est
pas un symbole religieux et n’a pas
de connotaion chréienne. La croix
représente le corps physique de
l’homme, et la rose son âme qui évo-
lue de vie en vie vers la Perfecion.
Autrement dit, elle symbolise la dua-
lité de l’être humain, vu sous un an-
gle spiritualiste. Dans l’A.m.O.R.C.,

(document A.m.O.R.C.)
les douze lobes de la croix corres-
pondent aux douze degrés de l’en-
seignement. le collège de la Fraternité, d’après le Speculum Sophicum Rhodo-Stauricum,
de theophilus schweighard (Daniel Mögling), 1618

Les auteurs de ces citations ont été membres de l’Ordre de la Rose-Croix ou en contact étroit avec lui.

« De même que le soleil brille sur nous du haut des cieux, de même
les talents dont les germes existent dans le cœur humain doivent
être développés aux rayons du soleil de la divine Sagesse. »
Théophraste Paracelse (1496-1541)
Médecin et alchimiste
(D.R.)

« La plus grande erreur de toutes consiste à se méprendre sur le


but véritable de la connaissance... Peu sont poussés vers elle pour
se servir du don divin de la raison dans l’intérêt de l’humanité. »
Francis Bacon (1561-1626)
Philosophe et homme d’État
Photos12.com

« Il y a, caché en l’homme, un trésor si remarquable et merveilleux


que les sages ont estimé que la parfaite sagesse consiste pour lui
à se connaître, c’est-à-dire à découvrir le mystère secret qui se
cache au-dedans de lui. »
Robert Fludd (1574-1637)
Philosophe
(D.R.)

12 DOSSIER D’ACtUALIté DE L’hIStOIRE l hORS-SERIE n° 1


L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

kabbale et Rose-Croix
A priori, la Kabbale est beaucoup plus ancienne que la Rose-Croix. Pourtant,
certains auteurs font état d’un lien tradiionnel entre ces deux voies de
connaissance. quoi qu’il en soit, on ne peut nier que les rosicruciens ont toujours
accordé un grand intérêt à l’étude de l’ésotérisme juif, tel qu’il s’exprime à travers
les textes kabbalisiques.

Le mot « Kabbale » vient du terme


hébreu « Qabalah », qui signiie « Ce
qui est reçu », et par extension « Ce
qui se perpétue ». La tradition orale
fait remonter son origine à Moïse, qui,
dans le Sinaï, aurait reçu les Tables
de la Loi, gravées dans la pierre par
Yahvé Lui-même. Constatant que son
peuple s’était fourvoyé en son absence
(le Veau d’or), il détruisit ces Tables, le
jugeant indigne de recevoir la connais-
sance qu’elles contenaient. On rap-
porte alors qu’il retourna chercher de
nouvelles Tables, mieux adaptées au
niveau de conscience des Hébreux.
Depuis, on considère qu’il existe deux
Torah : la Torah orale (« Shebealpe »),
réservée aux Initiés, et la Torah écrite
(« Shebikhtav »), destinée à tous. Celle-
ci s’apparente à l’Ancien Testament,
étant entendu que le texte a été codé de
manière à pouvoir être interprété à qua-
tre niveaux : le sens littéral (« P’shat »),
le sens allusif (« Remez »), le sens allé-
gorique (« D’rash ») et le sens secret
(« Sod »). Il faut noter que les premiè-
res lettres de ces quatre mots forment
« Pardes », qui signiie « Paradis ».
À partir de 70 après J.-C., divers rabbins
se réunissent en Israël et interdisent tou-
te interprétation ésotérique de la Torah.
Mais malgré cette interdiction, certains
érudits mènent des études secrètes.
C’est ainsi qu’on voit apparaître des
ouvrages comme le «Sepher Yetsirah»,
le «Sepher Habahir»... À partir du
XIIème siècle émergent des écoles rab-
biniques réputées, dont celle d’Éléazar
de Worms, qui écrit le « Sod Maase
(document A.m.O.R.C.)

Bereshit », un commentaire du « Sepher


Yetsirah ». Au XIIIème siècle, en France,
le Languedoc est une terre de grande
tolérance. Plusieurs confessions s’y
côtoient en parfaite harmonie : catha- schéma kabbalisique
res, catholiques, juifs orthodoxes, juifs
ésotéristes, musulmans... Abraham de son disciple, écrit plusieurs ouvrages ditionnelles aux Écoles de Mystères
Posquières y fonde une école talmu- kabbalistiques à partir des idées de de l’Égypte ancienne, à l’époque
dique, et son ils, Isaac l’Aveugle, de- son maître. Il énonce quatre notions d’Akhenaton, qui régna jusqu’en 1350
viendra lui-même un grand Kabbaliste. fondamentales : le « Tsimtsoum » (ré- avant J.-C. Nous avons vu précédem-
Puis la Kabbale passe en Espagne, tractation), la « Chevira » (brisure des ment que la Kabbale, quant à elle, re-
où des écoles sépharades se créent. vases), le « Gilgul » (réincarnation), et monte traditionnellement à l’époque
Moïse de León écrit le « Zohar », et le « Tikoun » (réparation). de Moïse. Selon la Tradition rosicru-
Abraham Aboulaia fonde une école cienne, il aurait été contemporain du
purement kabbalistique. Après l’ex- moïse et Akhenaton jeune pharaon. Rosicrucianisme et
pulsion des juifs d’Espagne, en 1492, kabbalisme ont-ils donc des origines
plusieurs Kabbalistes se rendent en Si l’A.M.O.R.C. se rattache histori- communes ? Pour répondre à cette
Israël, parmi lesquels Isaac Ashkenazi quement aux Rose-Croix du XVIIème question, nous devons d’abord revenir
Louria, surnommé Ari. Hayim Vital, siècle, il fait remonter ses origines tra- sur les liens qui auraient existé entre

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DOSSIER

Moïse et Akhenaton. La Bible (Livre cette Terre archaïque vinrent des grands
de l’Exode) mentionne que Moïse a Vénérables : l’océan primordial, l’in-
été élevé par la ille de Pharaon, ce qui ini, les ténèbres, le mystère. Puis vint
suppose qu’il était très au fait des cou- la naissance d’un lotus illuminant le
tumes égyptiennes. Mais fut-il égyptien pays de ses rayons : Rê, le Soleil. Des
lui-même ? Notons déjà que le nom hé- amours de Rê naquit un ibis, Thot, qui
breu de Moïse est « Moshe », composé créa la vie ». Or, il est écrit dans la
des lettres Mem, Shin et Hé. Ce nom Genèse : « Au commencement, Dieu
peut être lu « Mose », mot égyptien qui créa le Ciel et la Terre. La Terre était
signiie « né de... » ou « ils de... », d’où vague et vide. Les ténèbres couvraient
les noms Thoutmose / Thoutmosis, l’abîme. L’Esprit de Dieu planait sur
Ramose / Ramsès, Amose / Amosis... les eaux... ». Chacun conviendra qu’il
Par ailleurs, la Tradition rosicrucienne existe des analogies entre ces deux
rapporte, non seulement que Moïse fut textes. Par ailleurs, le « Livre des
contemporain d’Akhenaton, mais éga- morts » (XIIIème dynastie) présente des
lement qu’il fut missionné par lui pour similitudes avec les « dix commande-
guider le peuple hébreu jusqu’à Canaan ments » de l’Ancien Testament. Enin,

(document A.m.O.R.C.)
et lui inculquer durant ce périple la nous trouvons dans le « Psaume 104 »
croyance en un Dieu unique. Étant don- de David de nombreuses ressemblan-
né que la Bible (Deutéronome) indique ces avec l’« Hymne à Aton » d’Akhe-
que Moïse mourut à 120 ans après avoir naton :
passé 40 ans dans le désert, on peut en
déduire qu’il serait parti d’Égypte à Dans la Kabbale, l’Arbre des sephiroth
l’âge de 80 ans. Pour qu’il ait connu hymne à Aton représente les diférents plans de la Créaion,
Akhenaton, il aurait fallu que ce départ depuis le monde céleste (Kether), jusqu’au
se produise vers 1295, ce qui est tout à
« ... La Terre est dans l’obscurité et semble monde terrestre (Malkuth).
morte... Tous les lions sortent de leurs
fait possible. Il serait né alors en 1375 repaires... Puis Tu réapparais et la Terre
et aurait eu 20 ans en 1355. Dès lors, s’éclaircit de nouveau... Les hommes s’éveillent
il aurait pu connaître Akhenaton durant et se iennent sur leurs pieds... Les poissons,
sa jeunesse et avoir été initié par ce par-dessus le leuve, se metent à sauter vers
dernier à l’existence d’un Dieu unique, Ta face... Tu as créé la Terre selon Ton cœur
auquel les Hébreux donneront le nom alors que Tu étais seul, ainsi que les hommes,
les troupeaux et toutes les bêtes sauvages... ».
de Yahvé. De leur côté, les historiens
pensent que l’Exode a eu lieu sous le Psaume 104
règne de Ramsès II, c’est-à-dire entre
1298 et 1232 avant J.-C., mais n’en ont « ... Tu amènes les ténèbres et c’est la nuit...
aucune preuve absolue. Alors les lionceaux rugissent après leur proie...
Autres faits troublants : dans le Puis le soleil se lève et ils se reirent... L’homme
Judaïsme, YHWH, le Tétragramme sa- sort pour sa tâche, pour son travail jusqu’au
cré représentant le Nom de Dieu, n’est soir... Voici la mer, grande et vaste en tous sens
jamais prononcé par les juifs. Il est ; là se remuent sans nombre des animaux peits
remplacé par le mot « Adonaï », dont et grands... Que Tes œuvres sont nombreuses
! Tu les is toutes avec sagesse. La Terre est
l’ancienne forme était « Adon ». Or, ce remplie de Tes créatures... ».
terme est très proche phonétiquement
du mot « Aton ». D’autre part, la Bible
nous indique que Moshe (Moïse) signi- Plusieurs témoignages historiques
ie « Tiré des eaux ». Si c’est vraiment conirment les liens entre Moïse et
la ille de Pharaon qui lui donna ce Akhenaton. C’est ainsi que dans son
nom, cela veut dire qu’elle connaissait traité « Contre Apion », l’historien (document A.m.O.R.C.)

l’hébreu, ce qui est peu probable. Dans Flavius Josèphe (Ier siècle après
cet ordre d’idée, le Livre de l’Exode J.-C.) parle de Manéthon, prêtre
précise que Moïse était un mauvais égyptien d’Héliopolis (IIIème siè-
orateur [« Ma bouche est inhabile et cle avant J.-C.), qui aurait écrit une
ma langue pesante » (Ex. 4.10)] et que « Histoire de l’Égypte » dans laquelle l’Adam Kadmon, archétype spirituel
Aaron parlait pour Moïse [« Aaron ré- il cite un certain Moïse, prêtre égyp- de l’Humanité, selon la Kabbale.
pétait tout ce que Dieu disait à Moïse » tien qui aurait fait sortir les Hébreux
(Ex. 4.29)]. On peut donc penser que d’Égypte. Ceci est conirmé par la Bible, alors qu’il régnait une grande
Moïse était en fait égyptien et qu’il ne deux autres historiens : Chérémon tolérance à l’égard des étrangers.
connaissait pas l’hébreu, d’où la néces- et Lysimaque, cités par Flavius
sité pour lui de faire appel à un inter- Josèphe. Par ailleurs, plusieurs ouvra- kabbalisme et rosicrucianisme
prète : Aaron. Dans cette hypothèse, ges du XXème siècle vont dans ce sens.
Moïse aurait eu des liens privilégiés Citons « L’Homme Moïse et le mono- Indépendamment de ces recoupements
avec les Lévites, tribu ayant un régime théisme », de Sigmund Freud (1939), historiques, on trouve de nombreux
de faveur par rapport aux autres. « Moïse et Akhenaton », de Philippe points communs entre le kabbalisme
Nous constatons également qu’il existe Aziz (1979), « Néfertiti, reine du Nil », et le rosicrucianisme. En effet, l’étude
des similitudes troublantes dans cer- de Guy Rachet (1998)... Il faut savoir de la Kabbale repose en grande partie
tains textes. Dans la mythologie du également que le mot « esclaves » est sur la prière et la méditation. À titre
dieu Thot, associé à la ville d’Achmou- absent de la Torah. On y trouve le mot d’exemple, Abraham Aboulaia re-
nein, en face de la cité d’Aton, la créa- « serviteurs », lequel désignait proba- commandait de méditer sur les lettres
tion du monde est présentée ainsi : « Au blement les « Apirous », c’est-à-dire hébraïques, qui constituent selon lui un
départ, il y eut un Chaos indistinct, les Hébreux arrivés en Égypte à l’épo- lien entre l’homme et la Divinité. Cette
primordial, d’où émergea la Terre. Sur que des Hyksos, celle de Joseph dans technique (« Tsérouf »), qu’il qualiiait

14 DOSSIER D’ACtUALIté DE L’hIStOIRE l hORS-SERIE n° 1


L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

d’« Union mystique », était fondée sur


certaines pratiques mystiques : respi-
ration profonde et concentration sur
divers organes et parties du corps, ain
d’éveiller la « nefesh », l’âme vitale.
Ceci fait naturellement penser à l’éveil
de la conscience psychique pratiqué
par les rosicruciens. Les kabbalistes
employaient également des vocalisa-
tions toniques, proches des sons vo-
caux rosicruciens, suivies d’une médi-
tation passive pendant laquelle ils res-
taient réceptifs aux impressions venues
du monde spirituel.
Dans la Kabbale, la méditation
est souvent associée à la notion
d’« Hitbodedouth », énoncée dès
le XIIIème siècle de notre ère par
Abraham Aboulaia. Ce terme signiie
« isolement » et correspond à la pé-
riode de sanctum qui nous est si chère.
Comme l’indique Aboulaia dans son
livre « H’ayé Haolam Haba » : « Il te
faudra t’apprêter par l’union du cœur
et la puriication du corps. Un lieu
particulier et préservé doit être choisi
où ta voix ne sera entendue de per-
sonne. Installe-toi complètement seul

(document A.m.O.R.C.)
et retire-toi dans l’hitboded. Tu dois
être assis en ce lieu préservé, qui peut
être une pièce ou une cellule, mais
surtout ne révèle ce secret à person-
ne. Éloigne de ton esprit les vanités Planche extraite de l’ouvrage « Amphitheatrum » (1603), de Henrich Kunrath,
de ce monde, car c’est l’instant où tu où se mêlent signes kabbalisiques et références chréiennes.
vas parler avec ton Créateur, de qui tu
souhaites connaître la Grandeur... ».
De même, Éliezer Azikri, disciple Comme le montrent ces quelques ré- primordiale. Si elles ont quelque peu
d’Isaac Louria, parle de cette pratique lexions, il existe effectivement des divergé au cours des âges, leur but res-
dans son livre « Sefer Ha-H’aredim » : points communs entre Kabbale et te cependant le même : permettre une
« Tu te livreras à l’étude un jour par Rose-Croix, ce qui laisse supposer une plus grande prise de conscience de la
semaine, et te retireras de la compa- iliation entre Moïse et Akhenaton. Présence divine en l’homme, et le gui-
gnie des hommes. Là, dans l’intimité Quoi qu’il en soit, ces deux voies de der sur le chemin de la Réintégration...
de ton Créateur, tu Lui consacreras ta réalisation ont très certainement une
méditation, comme si tu te tenais dans origine commune, à savoir la Tradition François Carnot
Sa Présence au jour du Jugement ».

La Rose-Croix hermétique
Comment ne pas mentionner égale- Créée vers 1888, cete
ment l’existence de la Rose-Croix her- Rose-Croix herméique
métique, trait d’union entre la Kabbale réunit, non seulement
et la Rose-Croix ? Ce symbole se les trois grands princi-
compose d’une grande Rose-Croix au pes alchimiques et les
centre de laquelle se trouve une petite “sept planètes” de la
Rose-Croix, la première symbolisant tradiion, mais aussi les
l’univers, le macrocosme, la seconde quatre éléments (terre,
l’homme, le microcosme. La petite eau, air et feu). sa
croix est au centre d’une rose dont les paricularité est d’inté-
pétales correspondent aux vingt-deux grer en son centre une
lettres de l’alphabet hébreu. Sur chaque Rose-Croix plus peite,
branche de la grande croix sont inscrits placée au milieu d’une
les trois symboles alchimiques du mer- rose dont les vingt-deux
cure, du soufre et du sel. À proximité pétales sont marqués
de ces symboles alchimiques se trouve d’une letre hébraïque.
un pentagramme, soit quatre au total, D’une manière généra-
entouré des quatre éléments (terre, eau, le, l’ensemble symboli-
air, feu) et d’une roue, symbole de la se les liens matériels et
quintessence. Sur la partie inférieure de spirituels existant entre
la branche verticale se trouvent égale- le microcosme (la peite
ment les “ sept planètes ” de la Tradition, Rose-Croix) et le macro-
(document A.m.O.R.C.)

à savoir Saturne, Mercure, Vénus, cosme (la grande Rose-


la Lune, Mars, Jupiter et le Soleil. Croix), entre l’homme
et la Créaion.

jAnvIER-févRIER 2010 15
DOSSIER

Rose-Croix et alchimie
Comme chacun sait, les alchimistes d’antan cherchaient à transformer les métaux
vils, tels le plomb et l’étain, en or. Mais parallèlement à cete alchimie matérielle,
nombre d’entre eux s’adonnaient à une alchimie spirituelle ayant pour but de puriier
leur personnalité en vue de connaître l’illuminaion. tel était notamment le cas des
alchimistes rosicruciens, qui avaient fait de la rose le symbole de la Pierre philosophale.

Pénétrer les arcanes qui mènent au Égypte n’a jamais cessé d’avoir des plans supérieurs et de maîtriser les lois
cœur des phénomènes naturels, tel était adeptes. Fort heureusement, le lam- de la nature. Finalement, ils découvri-
l’objet de l’Art Royal ; tel était le but du beau de leurs connaissances est parve- rent la Pierre Philosophale, clé de
Grand Œuvre. Saint Paul a dit : « La nu jusqu’à nous. Derrière leur langage voûte du « Temple de l’Homme », au
nature est le mystérieux miroir de la volontairement abscons se cachait, non sens symbolique de cette expression.
Vérité pure ». Découvrir cette Vérité, seulement une profonde sagesse, mais En effet, l’homme, point de rencontre
seule Réalité incorruptible que voilent aussi un savoir fondamental nullement entre le spirituel et le matériel, entre
les apparences, était l’essence même contradictoire avec celui que la science le céleste et le terrestre, est un Temple
de la Science hermétique, cette Science dispense aujourd’hui. Les alchimistes vivant, car c’est au plus profond de lui-
des Mystères dont l’alchimie se récla- rosicruciens du Moyen-Âge faisaient même que la pierre brute se transforme
mait. partie de ces Initiés. Soutenus par une en Pierre Philosophale, ultime étape de
La Science hermétique enseignée dans grande ferveur et animés par une inten- la Réalisation intérieure.
les centres initiatiques de l’ancienne tion pure, ils s’efforçaient de s’unir aux
Montrer la voie qui conduit à la
Réalisation était précisément l’objet
de la Science hermétique, que résume
la Table d’Émeraude attribuée à Thot-
Hermès, qui fut l’instructeur prodi-
gieux des anciens Égyptiens. Cette
Table afirme que toute chose est issue
de l’UN et que ce UN doit se conce-
voir comme Intelligence universelle et
créative, quelles que soient les formes
qu’Elle emprunte pour se manifester.
Étant donnée la réversibilité des phéno-
mènes qui caractérisent le monde phy-
sique, les alchimistes pensaient qu’il
devait être possible de remonter de la
multiplicité à l’Unité primordiale au
moyen de transmutations successives.
Par extension, ils étaient convaincus
que l’homme lui-même peut recouvrer
son Unité divine en œuvrant à son pro-
pre perfectionnement au moyen d’une
alchimie spirituelle appropriée. Cette
vision des choses prit au XVIIème siè-
cle une forme particulière. C’est ainsi
qu’en 1623, les murs de Paris se couvri-
rent d’afiches dont nous connaissons
le texte. À l’époque, ces afiches furent
considérées par bien des gens comme
une mauvaise plaisanterie. Pourtant,
elles relétaient une initiation certaine.
Qui donc étaient ces fameux Rose-
Croix ? Parler d’eux est d’autant plus
dificile qu’ils formaient, selon leurs
propres termes, une fraternité invisible.
Pourquoi choisirent-ils Paris pour an-
noncer leur présence, et pourquoi cette
année plutôt qu’une autre ? Nous en
sommes réduits aux hypothèses.
Le choix de Paris s’explique. Centre
d’activités culturelles et spirituelles de-
(document A.m.O.R.C.)

puis des temps forts reculés, cette ville


fut à l’origine la cité des Parisii. Or, les
Parisii étaient considérés comme étant
Extrait de « Cabala speculum aris et naturae in Alchymia » les gardiens de la parole d’Isis, la dées-
de stephan Michelspacher, 1616. se des forces de la nature. Ils vénéraient

16 DOSSIER D’ACtUALIté DE L’hIStOIRE l hORS-SERIE n° 1


L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

se distinguer d’eux autrement que par les alchimistes rosicruciens appelaient


le rayonnement intérieur de ceux qui « Élie l’Artiste », « Élie l’Infaillible »
cheminent à la découverte de la Pierre et « Élie l’Immortel ». Mais ces trois
Philosophale, aboutissement du Grand étapes s’appliquent aux trois plans de
Œuvre et clé de voûte de l’Art Royal. notre être, c’est-à-dire au corps, à l’âme
Bien que les écrits qui traitent de la et à l’esprit. C’est pourquoi le nombre
Science hermétique soient volontaire- 9 est celui de l’achèvement. L’ennéade
ment voilés, il est pourtant possible de ou neuvaine se retrouve d’ailleurs dans
les comprendre, à condition de ne pas les neuf mois de gestation nécessaires
se laisser égarer par le sens donné ha- au fœtus humain, les neuf Muses de
bituellement aux mots. Parfois phoné- la mythologie grecque, les neuf incar-
tiques, parfois analogiques et toujours nations successives de Vishnu, etc.
symboliques, ils revêtent une signiica- Rappelons-nous également que les
tion cohérente qu’il s’agit d’interpréter. Évangiles nous apprennent que Jésus,
C’est ainsi que les « trois coctions » sur la croix, mourut à la neuvième heu-
nécessaires pour « cuire la Pierre » re pour inalement ressusciter.
symbolisent les trois étapes qui condui- Faire évoluer le Germe divin en nous,
sent l’homme de l’imperfection à la accorder le rythme de notre âme indivi-
Perfection, c’est-à-dire de la pierre bru- duelle au rythme de l’Âme du Monde,
te à la Pierre Philosophale. Quelles sont réaliser les Noces chymiques avec
ces trois étapes ? La première corres- la Divinité, tel était l’objet du Grand
pond à la soumission à la Loi divine ; la Œuvre. Convaincus de cela, et sachant
deuxième à l’accomplissement de la Loi que « ce qui est en haut est comme ce
(document A.m.O.R.C.)

divine ; la troisième à la maîtrise de la qui est en bas », et que « ce qui est en


Loi divine. On peut rapprocher ces trois bas est comme ce qui est en haut », les
étapes de la Trinité que forment le Père, alchimistes rosicruciens tenaient pour
le Fils et le Saint-Esprit, Trinité que une évidence la transmutation possible
Planche rosicrucienne du XViième siècle
extraite de l’ouvrage « symboles secrets des
rosicruciens des XVième et XViième siècles»,
cete planche symbolise un alchimiste en
méditaion dans son oratoire, encadré des
quatre éléments (terre, air, eau et feu) et
des deux piliers de la Connaissance, associés
respecivement aux polarités masculine et
féminine de la nature, représentées dans le
règne humain par l’homme et la femme.
on notera également que ce sage
est tourné vers l’orient, lieu symbolique
où se trouve la Connaissance.
également le dieu Lug. Plus connu
sous le nom de Logos, ce dieu per-
sonniiait la Loi divine, ainsi que son
accomplissement. Certes, la « Fama
Fraternitatis », premier document at-
tribué à la Fraternité rosicrucienne, ne
parut qu’en 1614, en Allemagne. Mais
en réalité, l’antique sagesse à laquelle
elle se réfère était connue depuis l’aube
des temps, tant par certaines fraterni-
tés hermétistes de l’ancienne Égypte,
que par les Esséniens qui la propagè-
rent en Judée. Quant à l’année 1623,
elle ne fut pas choisie au hasard. Elle
marquait en effet le paroxysme de
l’anarchie en Europe : celle-ci était
déchirée par les guerres de religion et
les guerres d’État. La société était en
déliquescence. L’élite dirigeante ne
répandait pas la lumière que le peuple
attendait. L’obscurantisme gagnait tou-
tes les couches de la population et la su-
perstition s’étendait. L’heure semblait
donc propice à rappeler au monde que
la Rose leurit au centre de la Croix, et
que seule cette loraison peut récon-
(document A.m.O.R.C.)

cilier l’homme avec lui-même et lui


ouvrir les portails du bonheur. Diffuser
la Connaissance, telle fut la mission des
frères aînés de la Rose-Croix, qui vi-
vaient alors au milieu des hommes sans l’alchimiste, peinture de H. spencer lewis.

jAnvIER-févRIER 2010 17
DOSSIER

d’un élément en un autre. La Force vi-


tale étant l’agent de toute croissance,
ils utilisaient cette Force pour agir sur
certaines substances et les transformer
en d’autres, depuis les cristallisations
minérales jusqu’aux mutations végé-
tales. Parallèlement, ils œuvraient à leur
réalisation intérieure. Ils savaient en
effet que l’homme, point d’union de la
Rose et de la Croix, est en fait le creuset
le plus sacré du Grand Œuvre. En cela,
ils étaient conscients que l’alchimie ma-
térielle à laquelle ils s’adonnaient n’était
que la contrepartie d’une alchimie spiri-
tuelle ininiment plus subtile, celle qui
conduit à la Perfection de l’être.
Pour des raisons évidentes, les alchimis-
tes rosicruciens ont choisi la rose pour

(document A.m.O.R.C.)
symboliser l’homme réalisé. Cette leur
n’est- elle pas le symbole de la beauté
et de l’amour ? Blanche à l’origine des
temps, elle se teinta du sang d’Aphro- Ce symbole représente le paradigme que les alchimistes rosicruciens uilisèrent à parir
dite qui se piqua au doigt lorsqu’elle ac- du XViième siècle. la rose symbolisait pour eux l’accomplissement du Grand Œuvre,
courut pour soulager Adonis, expirant tant sur le plan matériel que spirituel.
des suites de ses blessures. Lorsqu’elle
est rose, elle igure l’Initié sur la Voie ;
lorsqu’elle est rouge, elle représente le
Maître. Rose mystique pour l’islam,
rose d’or pour le christianisme, son par-
fum manifeste la sublimation de la ma-
tière, c’est-à-dire son essence. Elle est à
l’Occident ce que le lotus est à l’Orient.
Paracelse l’appelait la « lumière de la
nature ». En Inde, elle représente la Mère
cosmique. L’églantine à cinq pétales est
la plus élémentaire des roses, mais le
nombre 5 participe au nombre 10, nom-
bre de la Perfection. N’oublions pas non
plus que l’étoile à cinq branches était le
symbole d’Hator chez les Égyptiens et
d’Aphrodite chez les Grecs, toutes deux
déesses de la génération. En outre, 5 est
le nombre de l’homme qui, iguré par la
rose au centre de la croix, est le maître
des quatre éléments constitutifs de la
matière, éléments qui se situent sur les
axes vertical et horizontal de la croix :
le Feu en haut, la Terre en bas, l’Air à
droite et l’Eau à gauche.
Chez les Égyptiens, l’hiéroglyphe dési-
gnant le cœur avait la forme d’une coupe,
car ils voyaient en lui le centre de la vita-
lité chez l’homme. C’est aussi dans une
coupe que les alchimistes recueillaient
« la Rosée de Mai », eau viviiante qui
transmet son énergie aux végétaux, mais
dont l’usage était également nécessaire
à un moment donné du processus al-
chimique. Par ailleurs, la rose s’ouvre
au soleil naissant de l’aurore. Or, en
alchimie, « l’Aurore surgissante » est
annonciatrice d’une clarté que l’on ne
(document A.m.O.R.C.)

trouve qu’au mois de mai, mois durant


lequel la terre se couvre de leurs, cette
loraison portant en elle tout l’éclat de la
Force vitale. Le nom même de « Mai »
tire son origine de « Maïa », appelée
ultérieurement « Isis », antique déesse
des cycles de la fécondité. D’après la Planche d’un manuscrit du XViiième siècle, initulé « theosophia f.f. R.R. Ros = Cruc ».
légende, Maïa-Isis, déesse des forces la connotaion alchimique de cete planche est évidente, avec notamment la représentaion
de la nature, fut instruite en magie par de deux aigles à deux têtes tenant l’un le soleil, l’autre la lune, lanqués l’un et l’autre du soufre,
un naja, serpent qui symbolise l’initia- du sel, et du mercure. on y retrouve une croix alchimique marquée de ces trois éléments
et des “sept planètes” de la tradiion.

18 DOSSIER D’ACtUALIté DE L’hIStOIRE l hORS-SERIE n° 1


L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

Les alchimistes rosicruciens agis-


saient pour que triomphent le Beau,
le Bien et le Vrai, dans l’amour de
l’Unique. Leur but était d’enseigner
à ceux qui étaient dignes l’éternelle
Sagesse de la Tradition Primordiale.
Comme nous l’avons rappelé précé-
demment, ils irent de la rose le sym-
bole de la Pierre Philosophale et de la
Perfection. À ceux qui recherchaient
la Connaissance, ils transmirent l’Art
de vivre, cet Art qui jette un pont entre
le matériel et le spirituel, entre l’illu-
sion et la vérité, entre la multiplicité
et l’unité, entre le parergon et l’ergon.
« Ora et labora ! » (Prie et travaille !),
telle était leur devise, ain que s’opè-
rent la régénération de l’homme et la
victoire individuelle de chacun sur
soi-même. Enfants de Lumière, ils

(document A.m.O.R.C.)
possédaient la Vie éternelle, celle qui
permet de « mourir vivant », à l’ins-
tar de Jésus qui déclara : « Laissez les
morts enterrer les morts ! ». Et rappe-
Dessin alchimique de Michael Maier, 1617. lons que certains Rose-Croix tradui-
saient les quatre lettres INRI par :
tion sur le pschent, coiffure du pharaon. du mésencosme et du macrocosme, ce « Igne Nitrium Rosaris Invenitur » :
Cette déesse fut aussi la mère d’Her- qui nous ramène à la Science herméti- « Par le Feu se découvre le Nitre de
mès Trismégiste, instructeur trois fois que. La boucle est bouclée, et le cercle la Rosée »...
Maître, puisque Maître du microcosme, d’or, sceau des Rose-Croix, se ferme. Huguette Lefort

« L’âme humaine est l’image de l’Âme divine. Mais il ne sufit pas


que l’univers se relète en elle ; il faut encore qu’elle en prenne
conscience. Pour cela, il faut que notre intelligence, non seulement
se pense elle-même, mais aussi qu’elle pense tout ce qui est en
dehors d’elle. »
Jean-Baptiste van Helmont (1577-1644)
Médecin et philosophe
(D.R.)
« Si nous considérons que la connaissance, la morale et la foi
coïncident, alors nous comprenons qu’être attentifs au but de la
Création, porter notre regard sur l’essence de notre âme, et nous
intéresser au bien-être des autres, se rejoignent. »
Coménius (1592-1670)
Philosophe, considéré par certains comme père spirituel de l’UNESCO
(D.R.)

« Comment serait-il possible que je puisse savoir que je doute,


c’est-à-dire qu’il me manque quelque chose et que je ne suis pas
parfait, si je n’avais en moi aucune idée d’un Être plus parfait que
le mien, par la comparaison duquel je peux connaître les défauts
de ma nature. »
René Descartes (1596-1650)
(D.R.)

Philosophe
« Même si le chemin conduisant à l’âme semble très dificile,
encore peut-il être trouvé. Et s’il est parfois dificile à trouver,
c’est parce qu’il est trop peu cherché... En cela, tout ce qui est
noble est aussi dificile que rare. »
Baruch Spinoza (1632-1677)
Philosophe
(D.R.)

jAnvIER-févRIER 2010 19
DOSSIER

L’émergence de l’AmORC
harvey Spencer Lewis
un rénovateur du rosicrucianisme
En 1909, Harvey spencer lewis, un ésotérique américain, se rend à toulouse, où il
rencontre les responsables d’un ordre rosicrucien qui était sur le point d’entrer en
sommeil. Après l’avoir iniié, ils lui conient la mission de procéder à la résurgence
de cet ordre aux États-unis. Ainsi naquit l’Ancien et Mysique ordre de la Rose-
Croix, désormais acif dans le monde enier.

Il peut sembler présomptueux de vou- jusqu’alors. D’origine galloise, ses L’éveil mystique
loir retracer en quelques lignes la bio- ancêtres sont venus s’installer en
graphie d’un homme tel que Harvey Virginie avant la Révolution amé- L’environnement familial de H. Spencer
Spencer Lewis, tant sa personnalité est ricaine. Le grand-père d’Harvey, Lewis contribue beaucoup au dévelop-
riche et complexe ; telle n’est pas notre Samuel Lewis, né en 1816, est le pement de sa sensibilité mystique. Chez
ambition. Nous souhaitons néanmoins descendant de fermiers ayant défriché les Lewis, on ne se contente pas d’aller
présenter les étapes essentielles de sa le sol de la Pennsylvanie. Son père, chaque dimanche au temple métho-
vie, en insistant sur les relations qu’il a Aaron Rittenhouse Lewis, excel- diste ; on lit et on commente également
entretenues avec les milieux initiatiques lent calligraphe, s’était associé avec la Bible. Jusqu’à sa seizième année, le
de son époque, éléments souvent mal Daniel T. Ames, un chimiste spécia- jeune garçon participe avec enthou-
connus, quand ils ne sont pas déformés. lisé dans l’analyse de l’encre et du pa- siasme aux activités du temple métro-
Le 25 novembre 1883 naît Harvey pier. Ensemble, ils avaient ouvert un politain de New York. Il aime chanter
Spencer Lewis, un personnage éton- cabinet d’expertise en documents et dans la chorale et écouter les exposés du
nant et hors du commun qui va écritures à New York. Le jeune hom- pasteur, le Dr S. Parkes. Il proite sou-
donner au Rosicrucianisme une di- me héritera des talents de dessinateur vent de moments de liberté pour venir
mension qu’il n’avait jamais connue de son père. méditer dans ce temple. C’est là qu’il
connaît ses premières expériences mys-
tiques, saisissements de l’âme qui vont
le conduire à s’interroger sur la nature
profonde de l’homme, sur la possibilité
d’un dialogue entre l’âme et les mondes
supérieurs.
En 1900, il termine sa scolarité et
trouve un emploi aux éditions Baker et
Taylors. Ce travail lui permet d’avoir
à sa disposition la quantité de livres
nécessaire à son insatiable curiosité.
Depuis l’introduction du mesmérisme
aux États-Unis par Charles Poyen, un
disciple de Puységur, en 1836, l’Amé-
rique, et plus spécialement la ville de
New York, se passionne pour le sur-
naturel, le magnétisme et le spiritisme.
De cet engouement sont nés la New
Thought (Pensée Nouvelle) et l’Ins-
titut de Recherches Psychiques, deux
courants d’idées qui vont marquer les
années de jeunesse d’Harvey Spencer
Lewis.

Les recherches psychiques


Contrairement à la Société théosophi-
que, créée aux États-Unis en 1875 par
(document A.m.O.R.C.)

Helena Petrovna Blavatsky, la New


Thought rejette l’occultisme pur. Elle
propose une voie d’épanouissement in-
dividuel, orientée vers la réalisation du
moi à travers des applications concrètes
Harvey spencer lewis (1883-1939). destinées à résoudre les problèmes quo-

20 DOSSIER D’ACtUALIté DE L’hIStOIRE l hORS-SERIE n° 1


L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

tidiens. Les recherches sur les facultés Working Hypothesis for the Systematic
inconnues de l’homme intéressent Study of Hypnotism, Spiritism, Mental
aussi la communauté scientiique. En Therapeutics… (La Loi des phénomè-
1884, le célèbre psychologue américain nes psychiques... ). H. Spencer Lewis
William James crée à Boston l’Ame- lit aussi les livres de Sir Oliver Lodge,
rican Society for Psychical Research, comme La Survivance humaine, qui
iliale d’une société du même type exis- étudie des facultés non encore recon-
tant à Londres. En 1905, à la suite du nues, ou Au-delà de la philosophie et
décès de son directeur, le Dr Richard des livres, des ouvrages plus orientés
Hodgson, cette société de recher- vers la psychologie.
ches psychiques cesse ses activités.
Cependant, depuis quelques années, La rencontre avec
d’autres groupes s’étaient formés, com- mrs may banks-Stacey
me la Ligue d’Investigation Psychique
de New York, à laquelle H. Spencer Pendant les années 1906-1907, H.
Lewis adhérait depuis 1902. Bien qu’il Spencer Lewis délaisse les recherches
n’eut alors que vingt ans, il fut nommé psychiques, qu’il juge stériles. Cette
président de cette association. époque est pour lui une période de ré-
En mars 1903, il épouse Mollie lexion. Se livrant quotidiennement à
Goldsmith, qui lui donne un ils, Ralph la méditation, il remarque qu’à travers
Maxwell, l’année suivante. H. Spencer cette pratique il trouve des réponses
Lewis est alors chargé de la rédaction aux questions touchant les mystères de

(document A.m.O.R.C.)
artistique de l’Evening Herald de New l’être. Intrigué, il se conie à une per-
York et préside le comité d’inspection sonne dont il a fait la connaissance à
des médiums, créé par ce journal. C’est l’Institut de Recherches Psychiques de
avec l’aide de ce quotidien qu’il crée New York, Mrs May Banks-Stacey May Banks stacey (1842-1919)
le New York Institute for Psychical (1846-1919).
Research. Ce groupe est composé de Cette femme étonnante, veuve du co- dont il possède le catalogue. Il reçoit
scientiiques et de médecins. Parmi les lonel Stacey May Humphreys (1837- bientôt cette réponse : « Si vous veniez
membres de l’Institut igurent des per- 1886), était membre de la Société à Paris et si vous ne voyiez pas d’in-
sonnalités comme l’écrivain et poétesse théosophique et du Theosophist Inner convénient à passer au studio de M. ...,
Ella Wheeler Wilcox (1850-1919) et Circle, le cercle intérieur et ésotérique professeur de langues, résidant n° ...,
le Dr Isaac Kauffmann Funk (1839- de cette société. Passionnée par l’Orient, boulevard Saint-Germain, il pourrait
1919), bien connu pour ses ouvrages elle avait étudié les enseignements de peut-être vous dire quelque chose au
sur les sciences psychiques comme : Swami Vivekananda (1862-1902). sujet du cercle sur lequel vous enquêtez.
The Widow’s Mite and Other Psychic Elle avait aussi fréquenté l’Eastern Star Il serait bon de lui remettre ce billet. »
Phenomena (Le Denier de la veuve et (l’Étoile d’Orient), l’une des plus an- Sa femme Mollie vient de mettre au
autres phénomènes psychiques, 1904) ciennes obédiences maçonniques mix- monde une petite ille, Vivian Sybil,
ou The Psychic Riddle (L’Énigme psy- tes, et le Manhattan Mystic Circle, rite et la situation inancière d’H. Spencer
chique, 1907). maçonnique d’adoption, dont elle sem- Lewis ne lui permet pas d’envisager un
Sous la direction d’H. Spencer Lewis, ble avoir été l’instigatrice en 1898. Mrs voyage à l’étranger. Cependant, une oc-
le New York Institute for Psychical May Banks-Stacey est très versée dans casion inattendue se présente. Son père,
Research procède à des recherches vi- l’ésotérisme, notamment en astrologie Aaron Lewis, expert en documents
sant à contrôler les réelles capacités des et en chiromancie. Lors de l’un de ses mais aussi généalogiste réputé, a besoin
médiums, ce qui le conduit à démasquer voyages en Orient, elle aurait rencontré d’un assistant pour mener en France
plus de cinquante simulateurs. Pendant des Rose-Croix. C’est par la bouche de des recherches pour le compte de la
cette période, H. Spencer Lewis pu- cette femme qu’H. Spencer Lewis en- famille Rockefeller. Le 24 juillet 1909,
blie plusieurs articles concernant ces tend parler d’eux pour la première fois. les deux hommes embarquent à bord
investigations dans différents jour- Vivement intéressé, il commence alors de l’Amerika, de l’Hamburg Amerika
naux, comme le New York Herald et le à faire des recherches sur cette mysté- Line, en direction de l’Europe. Arrivé à
New York World. L’un d’eux, intitulé rieuse fraternité. Paris, H. Spencer Lewis rend visite au
« Greatest Psychic Wonder of 1906 » professeur de langues et au bouquiniste
(« Le plus grand phénomène psychique L’initiation avec lesquels il était entré en contact.
de 1906 »), publié en janvier 1907 dans Finalement, c’est dans le Sud de la
le New York Sunday World, évoque Au printemps de l’année 1908, le jeudi France, à Toulouse, qu’il va poursuivre
les expériences faites par le New York qui suit Pâques, alors qu’il est installé sa quête. On se souviendra que la Rose-
Institute for Psychical Research avec sur un banc pour y méditer, il connaît Croix rénovée par Joséphin Péladan
un jeune médium indien. une expérience mystique qui va déci- et Stanislas de Guaita, créée en 1887,
Ces recherches ne satisfont pas der du reste de son existence. Au cours c’est-à-dire l’Ordre Kabbalistique de
H. Spencer Lewis, car contrairement à de cette expérience, il comprend que la la Rose-Croix, trouvait également sa
ce qui est alors admis, il ne croit guère connaissance à laquelle il aspire ne se source dans un mystérieux cercle rosi-
que les phénomènes produits par les trouve pas dans les livres, mais au plus crucien toulousain, dont l’histoire n’a
médiums proviennent de la manifesta- profond de lui-même. Il acquiert égale- guère retenu que les noms du vicomte
tion d’esprits. Il est persuadé qu’ils trou- ment la conviction qu’il doit se rendre de Lapasse et de Firmin Boissin.
vent leur origine dans des facultés de en France pour entrer en contact avec Pierre Dujols (1862-1926) ne dit-
l’esprit encore inconnues. Pour parfaire l’Ordre de la Rose-Croix. Cette expé- il pas dans son livre La Chevalerie
ses connaissances, il étudie les textes de rience mystique marque profondément amoureuse, troubadours, félibriges et
Thomson Jay Hudson (1834-1903). H. Spencer Lewis et devient le point de Rose-Croix, que « des gens bien infor-
Cet auteur, docteur en philosophie, jouit départ de son « pèlerinage vers l’Est ». més parlent encore, sous le manteau,
d’une renommée internationale depuis Dans l’espoir d’obtenir des informa- des modernes Rose-Croix de Toulouse
la publication en 1893 de son premier tions sur le rosicrucianisme en France, » ? Mais est-ce avec des membres de
livre, Law of Psychic Phenomena, a il décide d’écrire à un libraire parisien ce groupe que H. Spencer Lewis entre

jAnvIER-févRIER 2010 21
DOSSIER

en relation ? Cela reste mystérieux. Loge martiniste installée en Égypte. cles sur la philosophie et la mystique
Toujours est-il que le 12 août 1909, il Avant de s’établir au Caire, ce marti- rosicruciennes pour cette revue, qui,
est conduit dans un petit hameau situé à niste parisien avait fréquenté les grou- au cours du temps, changera plusieurs
la périphérie de Toulouse, où il rencon- pes dirigés par Papus. Dans une lettre fois de nom pour devenir en 1929 The
tre Raynaud E. de Bellcastle-Ligne. datée du 23 juillet 1913, Eugène Dupré Rosicrucian Digest. Outre les articles
Ce dernier, un homme de soixante-dix- expédie à H. Spencer Lewis les rituels qu’il écrira sur des thèmes en relation
huit ans, lui fait visiter la Loge rosicru- et certiicats d’initiations nécessaires à avec la spiritualité, H. Spencer Lewis y
cienne dont il est le gardien et qui est la création d’une Loge martiniste aux exprimera parfois ses opinions sur les
en sommeil depuis les années 1850. États-Unis. Il semble que l’arrivée de différents acteurs du monde de l’ésoté-
Après l’avoir longuement interrogé la guerre de 1914-1918 ait empêché risme. C’est ainsi que dès 1916, il cri-
sur ses recherches et ses motivations, il l’aboutissement de ce projet. tiquera sévèrement Aleister Crowley,
l’initie dans l’Ordre de la Rose-Croix. En décembre 1913, H. Spencer Lewis qu’il présente comme un magicien noir
À l’issue de cette réception, son initia- conie aux membres du New York n’ayant rien à voir avec le rosicrucia-
teur lui signiie qu’il doit maintenant Institute for Psychical Research son nisme (American Rosae Crucis, octo-
installer l’Ordre aux États-Unis. intention d’établir l’Ordre de la Rose- bre 1916, p. 22-23).
Croix en Amérique et les invite à se
La rénovation joindre à lui. Il lui faudra cependant at- Les relations internationales
du rosicrucianisme tendre encore quelque temps pour voir
ce projet aboutir. Au milieu de l’année L’A.M.O.R.C. regroupe des hommes
Il faudra à H. Spencer Lewis plusieurs 1914, après une période dificile, H. et des femmes de tous horizons, et on
années pour préparer la résurgence Spencer Lewis se remarie avec Martha y trouve des membres appartenant à
américaine de l’Ordre. Pendant cette Morier, une jeune femme dont il avait la Société Théosophique ou à diverses
période, ses activités professionnelles fait la connaissance quelques mois plus obédiences maçonniques. En 1917,
évoluent, et à partir de 1912, il devient tôt. Cette épouse compréhensive va le H. Spencer Lewis reçoit l’initiation
chef de publicité à l’American Voltite seconder discrètement dans son grand maçonnique aux grades d’Apprenti
Company. Il écrit également quel- projet : la restauration du rosicrucia- et de Compagnon à la Normal Lodge
ques articles, comme « The Modern nisme. Quelques mois plus tard, les n° 523 de New York. Son afiliation
School of Science » (L’école moderne choses se précisent, et c’est à l’issue
er
maçonnique sera de courte durée, et il
de la science), qui paraît en octobre d’une réunion tenue le jeudi 1 avril s’en détourne déinitivement au bout
1912 dans l’American Philomathic 1915 que naît oficiellement l’Ancien de quelques mois. C’est tout naturel-
Journal. Cette revue le présente com- et Mystique Ordre de la Rose-Croix en lement qu’il prend cette décision, car
me l’ancien président du New York Amérique. H. Spencer Lewis est élu à l’Ordre de la Rose-Croix est alors en
Institute for Psychical Research, en tant la tête de cet Ordre, qui, sous sa direc- pleine extension. Déjà, depuis la in
que « Lecturer, Columbia Scientiic tion, connaît un développement rapide. de l’année 1916, il n’arrive plus à as-
Academy, Metropolitan Institute of Dans les mois qui suivent, on assiste à sumer ses activités professionnelles et
Sciences, and Vice-President, Psycho- la naissance de Loges rosicruciennes décide de se consacrer exclusivement à
Legal Society ». à New York, Pittsburgh, Philadelphie, la Rose-Croix. L’Ordre s’organise pe-
En mai 1913, H. Spencer Lewis a la Boston, Wilmerding, Altona, Rochester, tit à petit, et pour faciliter le travail des
douleur de perdre son épouse. Il fut Harlan, Détroit… Rosicruciens, H. Spencer Lewis écrit
profondément affecté par cette dispa- En janvier 1916, H. Spencer Lewis de nombreux textes destinés à l’ensei-
rition qui brisait sa vie familiale. Au lance The American Rosae Crucis, gnement des membres.
cours de la même année, à la suite de un mensuel destiné aux rosicruciens, À cette époque, l’Europe est en pleine
circonstances qui restent mal connues, consacré à la science, à la philosophie guerre mondiale, et H. Spencer Lewis
il entre en relation avec Eugène Dupré, et à la religion. Jusqu’à sa mort, en sait que les activités rosicruciennes
secrétaire du Temple d’Essénie, une 1939, il écrira régulièrement des arti- ont été réduites à néant sur le Vieux
Continent. Une fois la paix revenue, il
tente à plusieurs reprises de reconstrui-
re l’unité mondiale de la Rose-Croix en
recherchant les rosicruciens européens
ayant survécu au conlit. En juin 1921,
il entre en contact avec Theodor Reuss,
qui vivait alors à Munich. Ce dernier,
successeur de John Yarker pour le
rite de Memphis-Misraïm et de l’Ordo
Templi Orientis (O.T.O.), poursuit le
même projet. Theodor Reuss présente
l’O.T.O. comme un Ordre descendant
des Rose-Croix allemands du XVIIème
siècle. H. Spencer Lewis, qui ignore
tout de la nature exacte de l’O.T.O.,
semble le croire. Comment pourrait-il
en effet mettre en doute la sincérité de
celui qui se présente à la fois comme le
successeur de John Yarker et le conti-
nuateur de Papus ?
Un projet de collaboration prend
forme, et Theodor Reuss offre au di-
rigeant de l’A.M.O.R.C. une charte
(document A.m.O.R.C.)

lui conférant, à titre honoriique, les


grades de 33ème, 90èmeet 95ème pour le
rite de Memphis-Misraïm, et de VIIème
esquisse réalisée par Harvey spencer lewis, représentant le lieu de son iniiaion. pour l’O.T.O. Comme l’indique la

22 DOSSIER D’ACtUALIté DE L’hIStOIRE l hORS-SERIE n° 1


L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

charte rédigée pour la circonstance, H.


Spencer Lewis est « a honorary mem-
ber of our Sovereign Sanctuary for
Switzerland, Germany,.
Austria and to
represent our Sov. . Sanctuary as Gage
of Amity
.
near
. .
the. Supreme
.
Council of
the A. .M. .O. .R. .C. . at San Francisco
(California) ». Il s’agit d’une charte
purement honoriique, le nommant
ambassadeur de l’O.T.O. auprès de
l’A.M.O.R.C. pour la Californie, où
le siège de l’Ordre s’était installé de-
puis 1919 (quelques années plus tard,
en 1925, il déménagera pour Tampa,
en Floride). Précisons que H. Spencer
Lewis ne sera alors initié ni dans le rite
de Memphis-Misraïm ni dans l’O.T.O.,
et que jamais il ne participera à des
tenues rituelles des Ordres dirigés par
Theodor Reuss. Les relations entre le
dirigeant de l’A.M.O.R.C. et celui de
l’O.T.O. ne tiennent que quelques mois.
En septembre 1921, se rendant compte
que les idéaux et les projets de Theodor
Reuss sont incompatibles avec ceux
du rosicrucianisme, H. Spencer Lewis
rompt déinitivement toute relation
avec cet interlocuteur et son groupe.

Une réception
au Grand Orient à Paris
Au cours de l’année 1926, H. Spencer
Lewis entre en relation avec plusieurs
personnalités du monde de l’ésotéris-
me européen. Le premier d’entre eux

(document A.m.O.R.C.)
est François Jollivet-Castelot, ancien
compagnon de Papus et président de la
Société alchimique de France. Ce per-
sonnage, qui publie depuis 1920 une re- Charte de fondaion de l’A.M.o.R.C.
vue consacrée à l’alchimie, intitulée La
Rose-Croix, devient alors membre ho-
noraire de l’A.M.O.R.C. Par l’intermé- mes élevés, lui souhaite la bienvenue, le vue de l’A.M.O.R.C., fait référence aux
diaire d’un musicien français installé aux remercie de sa visite et le prie de pren- activités radiophoniques de l’Ordre.
États-Unis, Maurice Jacquet (1886- dre place à l’Est, où, par sa présence, Une fois de plus, H. Spencer Lewis fait
1954), H. Spencer Lewis entre aussi en il honorera cette importante tenue réu- preuve de créativité en introduisant un
contact avec les plus hautes autorités de nissant les représentants de tous les style nouveau, par exemple en faisant
la Franc-Maçonnerie française, en par- Chapitres de la Fédération ». Précisons intervenir les auditeurs en direct par
ticulier avec Camille Savoire (1861- que c’est probablement à titre honorii- l’intermédiaire du téléphone, et avec
1951), Grand Commandeur du Grand que qu’on le qualiie alors de 33ème, car d’autres innovations qui seront ensuite
Collège des rites du Grand Orient. il ne possède pas ce grade maçonnique. copiées par de nombreuses radios.
Des relations amicales s’instaurent, et
l’année suivante, lorsque l’Imperator La technique au service nicolas Roerich
de l’A.M.O.R.C. vient en France pour de l’idéal
y rencontrer les rosicruciens qui, sous Depuis novembre 1927, l’A.M.O.R.C.
sa direction, posent alors les bases de Tandis qu’il est de retour aux États- a quitté la Floride pour s’installer à
la rénovation du rosicrucianisme dans Unis, H. Spencer Lewis, esprit sans San Jose, en Californie. C’est le
ce pays, il est reçu chaleureusement par cesse en ébullition, entreprend de nou- début des activités du Rosicrucian
les autorités maçonniques parisiennes. velles activités. Il a en effet pour projet Park, dont l’architecture s’inspire
Camille Savoire invite H. Spencer de créer une station de radio émettant du style de l’Égypte ancienne. Dès
Lewis à participer à une cérémonie des programmes spéciiques. Il ne veut 1930, H. Spencer Lewis s’emploie
exceptionnelle réunissant le 20 septem- pas faire une radio de propagande pour à y faire bâtir un musée égyptien.
bre 1926 les Francs-Maçons titulaires l’A.M.O.R.C., mais un instrument Reconnu par le Conseil International
du 18ème degré, celui de Rose-Croix. consacré aux arts, à la culture et à la spi- des Musées (ICOM) et par le Musée
Comme le précise le Bulletin du Grand ritualité en général. Dès 1903, il avait National Égyptien du Caire, celui-ci
Orient, au cours de la réunion : « Le construit lui-même un appareil radio, et reçoit encore aujourd’hui un public
Très Illustre Frère Spencer Lewis, 33ème, en novembre 1912, avait obtenu une li- très nombreux et reste le plus grand
Imperator des Rose-Croix des États- cence d’opérateur. Il était donc en pos- musée égyptien de la côte ouest des
Unis à Tampa (Floride), est introduit au session de tous les éléments permettant États-Unis.
Grand Chapitre avec les honneurs dus de mettre cette expérience au service de Au début des années 1930, l’Ordre de
à son rang. Reçu solennellement par le son idéal. La radio ne tarde pas à émet- la Rose-Croix est devenu un mouve-
Grand Commandeur qui, dans des ter- tre, et en avril 1927, The Triangle, la re- ment très important. Son rénovateur,

jAnvIER-févRIER 2010 23
DOSSIER

H. Spencer Lewis, en est l’Impera-


tor, le dirigeant sur un plan mondial.
Il juge donc nécessaire d’établir un
Conseil Suprême International, le
World Council, composé de ceux qui
dirigent l’Ordre dans les différentes
parties du monde (France, Danemark,
Hollande, Canada, Puerto Rico, Bolivie,
Australie, Suède, Angleterre, Chine,
Pologne…). Parmi ses membres, on
remarque la présence du peintre russe
Nicolas Roerich (1874-1947). Ce
dernier était en effet rosicrucien de-
puis 1929, époque où il fut proposé
comme candidat au Prix Nobel de
la paix. H. Spencer Lewis et Nicolas
Roerich nouèrent des relations ami-
cales, et le peintre fut nommé Légat
de l’A.M.O.R.C. En 1934, lors d’un
voyage en Chine et en Mongolie pour
trouver des plantes susceptibles de
combattre la désertiication de la prai-
rie américaine, Nicolas Roerich s’ar-
rête à Kharbin pour y rencontrer les
rosicruciens. La presse locale relatera
les activités rosicruciennes auxquelles
il participa lors de ce séjour en Chine.

L’écrivain, le conférencier
et l’artiste
Au cours de l’année 1929, H. Spencer
Lewis publie plusieurs livres, parmi
lesquels Rosicrucian Questions and
Answers (Questions-réponses rosi-
cruciennes), qui présente l’Ordre à
travers une série de questions-répon-
ses, puis The Mystical Life of Jesus
(La Vie mystique de Jésus), un essai
sur la vie mystique du Christ, thème
sur lequel il reviendra dans une pu-
blication ultérieure. Toujours pré-
occupé d’adapter les enseignements

(document A.m.O.R.C.)
traditionnels à la vie moderne, il écrit
également Self Mastery and Fate with
the Cycles of Life (La Maîtrise de soi
et le destin avec les cycles de la vie), extraits d’une letre de Camille savoire à Harvey spencer lewis (12 juillet 1928).
un ouvrage original qui propose une
méthode à la portée de tous, permet-
tant de régler sa vie en utilisant les
cycles planétaires et biologiques qui
ponctuent l’existence humaine.
Doué d’une pensée profonde sans
cesse en éveil, Harvey Spencer Lewis
n’était pas dénué d’humour, et lors de
ses conférences, il aimait à placer des
maximes humoristiques qui déclen-
chaient des salves de rires. Homme
au grand cœur, il avait su garder une
simplicité exemplaire malgré ses res-
ponsabilités importantes. Musicien à
ses heures, il jouait avec talent du vio-
loncelle et du piano. C’était également
un excellent peintre qui réalisa des
tableaux dont les thèmes sont intime-
ment liés à ses centres d’intérêt. Ainsi,
l’un des plus anciens qui nous soient
parvenus, Arabian Nights (1917), évo-
(document A.m.O.R.C.)

que l’Orient. L’Égypte est pour lui une


source d’inspiration inépuisable, et il
y consacre plusieurs tableaux comme
la loge de new York. The Love Idol ou encore Entrance to

24 DOSSIER D’ACtUALIté DE L’hIStOIRE l hORS-SERIE n° 1


L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

et de la Croix. Entre les deux guerres


mondiales, les Polaires rassemblent de
nombreux occultistes français, comme
René Guénon, Maurice Magre, Jean
Chaboseau, Fernand Divoire, ou l’al-
chimiste Eugène Canseliet. Cet Ordre
va devenir l’un des groupes majeurs de
la Fédération Universelle des Ordres et
Sociétés initiatiques, appelé plus com-
munément la F.U.D.O.S.I.
Dans les années qui précèdent la
Seconde Guerre mondiale, la plus gran-
de confusion règne dans le domaine
des Organisations ésotériques. Certains
s’en inquiètent, notamment au sein
des mouvements rosicruciens créés en
Belgique par Émile Dantinne, tels
l’Ordre de la Rose-Croix universitaire
et l’Ordre Hermétiste Tétramégiste et
Mystique (O::H::T::M::) fondés res-
pectivement en 1923 et 1927. Sur les
conseils de François Wittemans, Jean
Mallinger (1904-1982), un proche
collaborateur d’Émile Dantinne, écrit
à Harvey Spencer Lewis le 11 janvier
1933 : « Nous serions très honorés de
pouvoir nous afilier à l’éminent Ordre
rosicrucien, dont vous êtes le Chef et le
Guide [...] nous serions très heureux
de pouvoir collaborer aux activités de
l’A.M.O.R.C... »
H. Spencer Lewis accueille favora-
blement la requête des rosicruciens
européens. En août 1934, il se rend à
Bruxelles pour participer à la création
de la F.U.D.O.S.I., fédération desti-
(document A.m.O.R.C.)

née à regrouper les Ordres initiatiques


authentiques. Il devient l’un des trois
dirigeants de cette Organisation mon-
diale. Ce sera là pour lui l’occasion de
letre de sâr Hiéronymus (Émile Daninne) renouer avec la Tradition martiniste.
à Harvey spencer lewis. En effet, lors de ce premier congrès
de la F.U.D.O.S.I., Victor Blanchard,
Karnak Temple, Luxor, qu’il peint sur éléments distinctifs de l’individualité ». dirigeant de l’Ordre Martiniste et
place en 1929 au cours d’un voyage. Dans un article consacré à la question Synarchique, lui confère les initiations
L’ésotérisme n’est pas absent de ses toi- des races dans le Rosicrucian Forum, et l’autorité nécessaires à l’établisse-
les, comme en témoigne The Alchemist, une publication réservée aux mem- ment du Martinisme aux États-Unis.
terminé quelques mois avant sa mort. bres de l’Ordre, il afirmait qu’en tant Durant son voyage en Europe, H.
que rosicruciens : « Nous ne pouvons Spencer Lewis avait eu l’occasion de
humanisme et fraternité concevoir qu’une quelconque distinc- visiter le planétarium Zeiss à Munich.
tion soit faite dans notre organisation
H. Spencer Lewis accordait à la fra- en ce qui concerne la race ou la couleur
ternité une importance particulière et de peau. » (Rosicrucian Forum, « The
avait une conscience aiguë de l’égalité race question », juin 1931, p. 187).
entre tous les hommes et les femmes,
quelles que soient leurs origines. À plu- Une fédération internationale
sieurs reprises, il s’est exprimé sur ce
point dans ses écrits. Dès 1929, dans La Parallèlement à ses activités à la di-
Maîtrise de la vie, une brochure d’in- rection de l’A.M.O.R.C., H. Spencer
formation sur l’A.M.O.R.C., il souli- Lewis continue à entretenir des re-
gne « qu’il n’existe pas de supériorité lations avec d’autres personnalités
raciale ». Dans Mansions of the Soul du monde de l’ésotérisme. Au cours
(Les Demeures de l’âme) 1930, un li- du mois de septembre 1930, il entre
vre traitant des origines et de la nature en contact avec Cesare Accomani,
de l’âme humaine, il précise que : « la alias Zam Bhotiva, le dirigeant des
commune iliation de tous les êtres hu- Polaires. Cet Ordre initiatique étrange
(document A.m.O.R.C.)

mains établit le fait que tous sont frères prétend être guidé par le « Centre ini-
et sœurs, relevant d’un seul Créateur tiatique rosicrucien de l’Asie mysté-
et de la même essence, de la même rieuse » et se donne pour mission de
vitalité et de la même conscience, in- reconstruire la « fraternité polaire »,
dépendamment de toute question de dans le but de préparer l’avènement
race, de croyance, de couleur ou autres de l’Esprit sous le signe de la Rose symbole oiciel de l’A.M.o.R.C.

jAnvIER-févRIER 2010 25
DOSSIER

De retour à San Jose, il consacre toute perfectionner grâce aux recherches et des hommes et des femmes de
son énergie à dessiner les plans et à aux travaux de ses dirigeants et de ses toutes nationalités, de toutes classes
mettre au point le mécanisme de ce qui membres. Conformément à la volonté sociales et de toutes religions, dans
allait devenir bientôt le premier pla- de son rénovateur, les enseignements un esprit de fraternité, d’humanisme
nétarium construit par un Américain. eux-mêmes ont été enrichis et sont et de spiritualité, et constitue de
En juillet 1936, le bâtiment de style constamment actualisés, ain d’être nos jours l’un des mouvements
byzantin construit pour abriter ce pla- toujours adaptés à l’évolution des ésotériques les plus dynamiques et
nétarium est inauguré. Cette création consciences, de la science et de la les plus novateurs.
audacieuse témoigne du génie de son société. Un siècle après sa résurgence,
concepteur. l’Ordre de la Rose-Croix rassemble Christian Rebisse
H. Spencer Lewis était un humaniste
et il fut membre de nombreuses socié-
tés et associations philanthropiques.
Malgré ses activités incessantes et les
nombreux voyages qu’il effectue au
service de l’A.M.O.R.C., il trouve en-
core le temps de se consacrer à l’écri-
ture. En 1936, il publie The Symbolic
Prophecy of the Great Pyramid (La
Prophétie symbolique de la grande
pyramide), un livre qui évoque les
connaissances mystérieuses des
Égyptiens. Au cours de l’année sui-
vante, il publie encore deux ouvrages.
Dans le premier, The Secret Doctrines
of Jesus (Les Doctrines secrètes de
Jésus, 1937), il poursuit une rélexion
engagée dans un ouvrage précédent.
Dans le second, Mental Poisoning
(L’Empoisonnement mental), il dé-
nonce les méfaits des suggestions né-
gatives et des croyances superstitieu-
ses. Il montre comment les lois liées
à l’activité du subconscient condition-
nent notre vie, et propose des clés per-
mettant non seulement de se libérer
de toutes formes d’empoisonnement
mental, mais aussi d’utiliser la sug-
gestion dans un but constructif.

Le départ vers la Lumière


Quelque temps après son retour d’un
voyage en Europe où il avait participé
à un congrès de la F.U.D.O.S.I. réunis-
sant les dirigeants mondiaux du rosi-
crucianisme, la santé d’Harvey Spencer
Lewis déclina. S’il s’était dépensé sans
compter au service des autres pendant
tant d’années, il commençait à en payer
le prix. Comme toutes les personnes
hors du commun, il fut naturellement
critiqué et calomnié, mais il œuvra
toujours avec ardeur et conviction au
service de son idéal. Il s’éteignit le
2 août 1939, à l’âge de 56 ans. Ainsi
disparaissait celui qui, à la suite d’une
longue quête, avait réussi à donner une
force nouvelle au rosicrucianisme à tra-
vers l’Ancien et Mystique Ordre de la
Rose-Croix. C’est pourquoi, sans tom-
ber dans le culte de la personnalité, qui
est contraire à l’éthique rosicrucienne,
les membres et les dirigeants actuels de
l’A.M.O.R.C. lui sont reconnaissants
pour le travail accompli.
Si Harvey Spencer Lewis donna à
(document A.m.O.R.C.)

l’A.M.O.R.C. une note particulière,


il faut cependant souligner que
l’Ordre a beaucoup évolué depuis.
En fait, ce mouvement philosophique
et initiatique n’a jamais cessé de se Peinture de Harvey spencer lewis.

26 DOSSIER D’ACtUALIté DE L’hIStOIRE l hORS-SERIE n° 1


L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

LES « noCes CHYMiques » et un seul pouvoir interdisaient toute divergence de pensée


Et LA LIttéRAtURE InItIAtIQUE ou d’action.
Les auteurs d’ouvrages ésotériques mettaient à disposition
Les « Noces chymiques » évoquent plusieurs textes initia- du public une Connaissance plus ancienne que celle oficiel-
tiques et alchimiques, notamment : « La Divine Comédie » lement diffusée par le christianisme et les religions issues de
de Dante Alighieri, le « Songe de Poliphile » de François la Bible. C’est la raison pour laquelle ces auteurs, ain de ne
Colonna (1499), le « Cinquième Livre » de François Rabe- pas être taxés de paganisme ou de satanisme, durent user de
lais (1564), le « Voyage des Îles Fortunées » de Béroalde de dissimulation. Ce stratagème ne trompait pas grand monde,
Verville (1610), lesquels prennent eux-mêmes leur source mais se révélait assez eficace pour contrer la censure or-
dans les grands textes médiévaux du cycle arthurien, les na- dinaire. On le remarque notamment dans les romans arthu-
vigations extraordinaires (« Voyage de Saint-Brendan »), ou riens : chaque réunion des chevaliers de la Table Ronde a
des cycles héroïques comme l’« Or du Rhin ». lieu la veille de la Pentecôte, symbole de l’initiation solaire.
Toutes ces œuvres sont redevables aux mythes celtes, nordi-
ques, grecs et romains (Homère, Hésiode, Ovide, Virgile), De même, au premier jour des Noces, Christian Rosenkreutz
terreau dans lequel puisèrent, consciemment ou non, les let- est visité la veille de Pâques. Or, Pâques annonce le com-
trés et les ésotéristes de la Renaissance. Ainsi, le personnage mencement de l’Œuvre au noir (transmutation de la mort),
de Christian Rosenkreutz fut non seulement une création dont le produit inal est proche du Graal. Plus cultivés que
symbolique relevant de cette tradition littéraire, mais égale- les juges ordinaires, les jésuites comprirent le danger que re-
ment un “nom couleur de muraille” comme le furent ceux de présentait cette littérature qui se transmettait de chevalier à
Chrétien de Troyes et de Michel de Notre-Dame (Nostra- initié, d’initié à alchimiste, d’alchimiste à Rose-Croix puis à
damus), dans une société où un seul Dieu, une seule doctrine Francs-Maçons, en se jouant des censures oficielles.

AffIChE DE 1623 LA tOISOn D’OR


Nous, députés du Collège principal des Un bélier ailé à la Toison d’Or fut en-
frères de la Rose-Croix, faisons séjour voyé par Héra pour sauver Phrixos du
visible et invisible en cette ville par la sacriice et l’emmener en Colchide,
grâce du Très-Haut, vers Lequel se tour- chez le roi Aiétès. Une fois sauvé,
ne le coeur des Justes. Nous montrons Phrixos sacriia le bélier, puis accro-
et enseignons, sans livres ni marques, à cha sa Toison d’Or dans le temple
parler toutes sortes de langues des pays d’Arès et la lui consacra. Dès lors, elle
où nous voulons être, pour tirer les hom- fut gardée par un dragon crachant des
mes, nos semblables, d’erreur de mort. lammes.
S’il prend envie à quelqu’un de nous La quête de la Toison d’Or est l’un
voir par curiosité seulement, il ne com- des plus grands mythes grecs. Elle
muniquera jamais avec nous. Mais si la symbolise la puissance, la fécondité et
volonté le porte réellement à s’inscrire la Connaissance. Par la suite, elle fut
sur le registre de notre Confraternité, utilisée pour représenter la Chevalerie
nous, qui jugeons des pensées, lui ferons occidentale, les degrés supérieurs des
voir la vérité de nos promesses : telle- Ordres initiatiques, et une phase su-
ment que nous ne mettons point le lieu prême de l’Art Royal.
de notre demeure en cette cité, puisque Au terme du Grand Œuvre, notons
les pensées, jointes à la volonté réelle que Christian Rosenkreutz, à l’instar
du lecteur, seront capables de nous faire de Phrixos, offre à Dieu sa Toison
connaître à lui, et lui à nous. d’Or.

LA CRYPtOGRAPhIE méthode consistait à décaler les lettres de l’alphabet d’un ou


OU L’ARt DE CODER LES éCRItS plusieurs crans en avant ou en arrière, de sorte que la lettre M
devenait alors un N ou un O (si l’on décalait d’un ou de deux
Si Jean Trithème, pseudonyme de Johann von Heiden- crans en avant), ou un L ou un K (si l’on décalait d’un ou de
berg, né à Trittenheim, près de Trèves (1462-1516), ne fut deux crans en arrière). Les mots d’une missive pouvaient
pas l’inventeur de la cryptographie, il est certain que cet aussi prendre la valeur d’un lettre, tel que pain = a, maison
abbé bénédictin en fut le premier divulgateur. Penseur et = c, chat = m, selon un codage dont quelques-uns seulement
écrivain, mais aussi astrologue et alchimiste, féru de kab- avaient la clé.
bale et de magie, c’est lui qui perfectionna le procédé, au Parmi les fervents de la cryptographie se remarquent no-
point que l’on utilisa pendant plusieurs siècles ses métho- tamment Valentin Andreae, qui utilisa le procédé dans ses
des révélées dans deux de ses ouvrages, « Polygraphie » et « Noces chymiques », Roger Bacon, qui écrivit un traité à ce
« Stéganographie », parus en 1518, deux ans après sa mort, sujet et en émailla certaines de ses œuvres, Agrippa, Para-
à Wurzburg. celse, et naturellement bon nombre de rosicruciens, qui tous,
peu ou prou, introduisirent dans leurs œuvres, « Confessio »
Ces deux ouvrages donnaient la manière de transmettre des et « Fama Fraternitatis » notamment, des éléments de cette
messages à l’intérieur de textes ou de lettres concernant tout science qui fut très prisée des lettrés des XVIème et XVIIème
autre chose que le sujet que l’on ne désirait divulguer qu’à siècles, au point qu’elle devint aussi un jeu de salon qui
un nombre restreint de personnes. Interdite en 1609, cette aiguisait les meilleurs esprits.

jAnvIER-févRIER 2010 27
DOSSIER

Les états-Unis d’Europe


Une idée d’avant-garde
Dans la Revue Rose-Croix de juin 1929, placée sous la direcion de François Jollivet
Castelot, on peut lire un texte initulé «Les états-Unis d’Europe». Ce texte, qu’il faut
naturellement replacer dans le contexte historique, poliique et économique de
l’époque, montre bien que les Rose-Croix se sont toujours intéressés à l’évoluion de la
société et qu’ils ont souvent été précurseurs.
Si l’on veut éviter le grave péril et la ré- économique et même géographique. Les mais il y aurait déjà, de ce fait, une chance
gression qui menacent le monde entier et intérêts peuvent et doivent donc se coor- de paix et d’équilibre mondial.
l’Europe tout particulièrement, il faut à tout donner pour former une Europe unie et Elle établirait une organisation économique
prix abandonner la politique nationaliste qui supérieure, riche et calme, à l’intérieur de et industrielle entre ces nations confédérées :
sévit depuis la guerre, plus que jamais, pour laquelle les pays comme les individus trou- le libre échange au lieu de protectionnisme,
adhérer sans retour à la politique internatio- veraient la sécurité dans l’ordre, le bonheur, l’abolition progressive des douanes. La
naliste ou tout au moins confédérative. tout au moins relatif, dans le travail assuré concurrence, jointe à la franchise des mar-
Évidemment, il ne saurait être question et sous des formes gouvernementales, réel- chandises, favoriserait la richesse, l’aug-
de constituer à très brève échéance les lement démocratiques, c’est-à-dire met- menterait, permettrait aux industries de se
États-Unis d’Europe. Une telle hypo- tant en œuvre les forces constructives du développer en dehors de toute contrainte
thèse apparaîtrait chimérique, car l’équi- Socialisme coopératif. Nous n’avons point des États.
libre des principales nations est tout à fait à songer, pour le moment, aux Amériques Ces principes seraient appliqués – étudiés
compromis. Néanmoins, comme l’afirme qui forment une partie du Monde séparée, sans cesse et remaniés suivant les besoins
le dicton : Après la pluie, le beau temps. non plus qu’aux contrées asiatiques dont les changeants des nations – par une assemblée
L’ordre survient toujours à la suite du dé- races et les cultes sont encore trop advers fédérale, une sorte de Constituante compo-
sordre et le désordre s’accentue à tel point pour pouvoir participer à nos propres des- sée de délégués de chaque pays, ainsi que
qu’il amènera une nouvelle catastrophe tinées autrement qu’en ne se livrant point à l’ont très bien préconisé MM. Duplessix
mondiale, à moins que l’on n’y remédie des invasions chez nous. et Arnaud, deux paciistes éminents. Ces
par une vigoureuse contre-attaque, encore Mais on ne doit point néanmoins considérer délégués pris parmi les juristes, les écono-
susceptible peut-être d’enrayer la descen- les États-Unis d’Europe comme autre chose mistes, les hommes politiques conscients de
te dans l’abîme et la marche vers de nou- qu’un cheminement vers les États-Unis du la tâche entreprise, s’occuperaient du Code
veaux carnages. Monde, but suprême de la Politique supé- de droit international public applicable à
Les socialistes et les paciistes convaincus rieure. tous les pays, de l’organisation et du méca-
– et il y en a encore quoiqu’on dise – ne doi- Ain de former les États-Unis d’Europe, que nisme d’une autorité internationale, etc. Des
vent pas se laisser intimider par la situation faudrait-il donc faire ? De l’avis unanime comités respectifs auraient pour mission
actuelle, contre laquelle ils doivent lutter de tous les grands penseurs et sociologues, d’établir les règlements administratifs, de
avec une énergie et un courage indompta- de Fourier, d’Auguste Comte, à Bebel et légiférer, de veiller à l’observation du traité
bles, car il y va du salut ou de la perte de Jaurès, il faudrait instituer une Constitution international, d’assurer l’exécution des ar-
notre humanité. Le militarisme et le chau- internationale. Il va de soi que ce nouveau rêts, d’appliquer les sanctions prononcées
vinisme ne sauraient durer, car ils sont point de vue nécessite l’existence d’un vas- par la Cour de Justice quant aux différends
ruineux. La paix internationale seule est te mouvement d’opinion publique dans les entre les États.
féconde. Les peuples tendent vers elle en divers pays, mais c’est au progrès du socia- La Fédération des peuples en États-Unis
dépit de leurs gouvernements. Ils l’attein- lisme dans les masses que l’on sera redeva- d’Europe n’entraverait ainsi en rien l’in-
dront en dépit du fascisme et des dictatures ble de ce bienfait, car il s’agit de remplacer dépendance de chaque nation, mais elle
qui veulent les courber sous un esclavage par des idées paciiques l’égoïsme national permettrait d’éviter les guerres ruineuses,
honteux. Ce but est à la fois noble et utile. Il seul admis jusqu’ici en politique. dévastatrices, transformatrices incessantes
convient donc de le poursuivre sans répit ni C’est le règne de la Force brutale, de l’Auto- et capricieuses de frontières ; elle sauvegar-
lassitude. Tenons haut et ferme le drapeau rité aveugle et tyrannique qui doit laisser derait les limites territoriales généralement
de la Fédération. place à celui de la Loi, de la Liberté et de reconnues, mais empêcherait toute conquê-
La réalisation d’un semblable effort so- l’Arbitrage. te nouvelle, c’est-à-dire tout brigandage.
cial et politique consisterait à grouper, en Une Constitution internationale serait chose Inappréciable félicité pour les humains !
leur laissant leur autonomie réciproque, la possible, elle ne nuirait en rien au dévelop- En ce qui concerne le Code International,
France, l’Allemagne, la Pologne, la Russie, pement naturel et licite de chaque nation, il a été esquissé entre autres par M. A.
l’Autriche, l’Italie, la Grèce, la Hollande, mais il va de soi qu’il faudrait qu’elle fonc- Arnaud(1). Quelques articles sont à relever
la Belgique, l’Angleterre, la Norvège et tionne autrement et dans un tout autre or- ici : nul n’ayant le droit, dit-il, de se faire
la Suède, le Danemark, la Suisse, l’Espa- dre d’esprit que la trop célèbre Société des justice lui-même, aucune nation ne doit dé-
gne, le Portugal (République Ibérique), la Nations où s’épanouit une diplomatie hypo- clarer la guerre à une autre. Tout différend
Belgique, la Roumanie, la Yougoslavie, la crite, secrète et conservatrice. entre Nations, non résolu à l’amiable, doit
Tchécoslovaquie, ainsi que la Bulgarie. Cette Constitution internationale ne viserait être réglé par voie juridique. Les Nations
Les races ne sont point, aujourd’hui, telle- qu’à empêcher l’empiètement d’un pays sur ont le droit de légitime défense – les Nations
ment différentes, qu’elles soient contraintes l’autre, la domination immorale par droit du sont solidaires les unes des autres.
de s’exclure ou de se combattre au sein de plus fort. Elle commencerait, en conséquen- Le Code examine et déinit les limites du
l’Europe. Bien que contraire, elles ont un ce, par limiter les armements : ce serait la Territoire, les prescriptions territoriales, la
patrimoine et des idées dont le fond est paix relative avant d’avoir la paix durable, protection internationale des individus et
commun en raison de l’évolution ethnique, les armées moyennes avant les milices ; des peuples, les obligations internationales,

28 DOSSIER D’ACtUALIté DE L’hIStOIRE l hORS-SERIE n° 1


L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

les conlits internationaux. En cas de conlit On voit néanmoins que les États-Unis d’Eu- Prolétariat luttant pour l’internationalisme,
international, le litige doit être soumis soit rope ne présentent rien de chimérique. Ils mais aussi à l’élite des penseurs et des intel-
à l’arbitrage, soit à un tribunal internatio- marquent – si l’histoire a une direction lo- lectuels qui, malheureusement, ont presque
nal. À défaut de convention spéciale, il sera gique, et elle en a une – l’étape naturelle de tous trahi la cause de l’idéal en faveur d’un
procédé conformément à la Convention de l’évolution des Peuples et des Races. réalisme brutal et gros de danger immédiat.
la Haye pour le règlement paciique des De même que s’est produite la fédération Au nationalisme générateur de guerres,
conlits internationaux. Si l’une des Nations lente des provinces d’un pays, à travers d’obscurantisme et de barbarie, il faut op-
en conlit refusait d’exécuter une sentence les âges, de même les États arriveront à se poser sans trêve la Fédération d’où sortira
arbitrale, l’autre Nation serait autorisée à grouper dans un avenir plus ou moins rap- la genèse d’un monde nouveau et à coup sûr
recourir à la rétorsion, aux représailles ou à proché, sous l’inluence des besoins d’une meilleur que l’ancien.
l’embargo. humanité plus raisonnable et mieux avertie. F. J. C.
Nous sommes encore loin, semble-t-il, de Telle est la tâche de régénération sociale et
cette législation, qui mettrait in à la barba- morale qui s’impose, ou qui devrait s’im- Code Internaional public, préparé par Em. Arnaud,
(1)

rie moderne. poser, non seulement à la grande armée du brochure, Berne 43, Luisentrasse.

(document A.m.O.R.C.)

jAnvIER-févRIER 2010 29
DOSSIER

EntrEtiEn
CHriStiAn BErnArD, responsable mondial de l’A.M.O.R.C.

D
« Le monde a besoin d’un esprit d’ouverture »
e nos jours, le mouvement rosicrucien le plus dynamique est l’Ancien
et Mysique ordre de la Rose-Croix, dont les fondements furent
posés en 1909, lors de la venue en France d’un ésotériste américain,
Harvey spencer lewis (1883-1939). Pour en savoir plus sur la situaion actuelle

(photo amorc)
de l’A.M.o.R.C., nous avons pris contact avec Chrisian Bernard qui, en tant
qu’Imperator, assume la responsabilité de ce mouvement sur un plan mondial.

A.H.M. : Chrisian Bernard, vous êtes de Guaita, était quasiment inactif. Quant à l’Ordre n’a cessé de rayonner, de sorte qu’il
l’imperator actuel de l’A.M.o.R.C. l’Ordre de la Rose-Croix du Temple et du est désormais actif dans le monde entier.
Pouvez-vous nous dire en quoi consiste Graal, créé en 1891 par Joséphin Péladan,
cete foncion ? il était en sommeil. Cela dit, on sait que ces l’A.M.o.R.C. a-t-il fait parie de la fameu-
C.B. : Tout d’abord, je voudrais préciser deux mouvements avaient pris leur source se Fédéraion universelle Des ordres et
que le mot «Imperator» ne veut pas dire dans une mouvance rosicrucienne qui, tant sociétés iniiaiques, desinée à protéger
«Empereur», comme on pourrait le penser. bien que mal, continuait à mener discrète- les mouvements tradiionnels et iniiai-
Il vient de l’expression traditionnelle «Im- ment ses activités dans la région de Toulou- ques de l’époque ?
perare sibi», qui veut dire «Maître de soi». se. C’est avec des membres de cette mou- Oui. Harvey Spencer Lewis en fut d’ailleurs
Ce titre symbolique, qui était déjà employé vance qu’Harvey Spencer Lewis est entré l’un des responsables. Après avoir mené à
par les Rosicruciens au xviiième siècle, dé- en contact lors de sa venue en France. bien sa mission, la F.U.D.O.S.I., fondée en
signe le responsable de l’A.M.O.R.C. pour 1934, fut mise en sommeil en 1951, lors
le monde. Mon rôle consiste à superviser et ensuite ? d’une réunion tenue à Bruxelles.
les activités de toutes les Grandes Loges Le 12 août 1909, Harvey Spencer Lewis fut
et à favoriser les relations en elles. Cha- initié par un collège de Rosicruciens dans Comment les rosicruciens actuels perçoi-
que année, je préside le Conseil Suprême, un château situé dans la banlieue de Tou- vent-ils Harvey spencer lewis ?
qui regroupe les Grands Maîtres de toutes louse. Après la cérémonie, ces rosicruciens Ceux qui se sont intéressés à sa vie et à son
les juridictions. Comme moi-même, ils ont lui conièrent pour mission de faire renaître œuvre savent que l’A.M.O.R.C. lui doit
tous été élus à leur fonction. l’Ordre de la Rose-Croix en Amérique. À beaucoup. Par ailleurs, il fut un personnage
cet effet, ils lui conièrent des manuscrits, novateur et d’avant-garde. Rappelons en
il y a un siècle, Harvey spencer lewis, des livres et des documents divers. effet qu’il créa le premier planétarium et
fondateur de l’A.M.o.R.C., est venu en le premier musée d’Égyptologie de la côte
France depuis les États-unis. Pouvez-vous De retour aux États-Unis, et conformément ouest des États-Unis. Quelques années
revenir sur cet événement et sur la place à ce qui lui avait été demandé, Harvey auparavant, il avait fondé l’une des premiè-
qu’il occupe dans l’histoire de votre Spencer Lewis procéda à la résurgence de res radios privées de New-York, consacrée
mouvement ? l’Ordre, sous le nom d’«Ancien et Mystique en grande partie à des programmes d’ordre
Tout d’abord, il faut rappeler qu’à l’époque, Ordre de la Rose-Croix». Parallèlement, il culturel et philosophique. À cela, il faut
Harvey Spencer Lewis était très impliqué posa les bases d’un enseignement initiatique ajouter les nombreuses peintures qu’il réa-
dans l’étude de l’ésotérisme en général et du qui fut transmis d’abord oralement, puis par lisa sur des thèmes ésotériques et symboli-
rosicrucianisme en particulier. Il s’intéressait écrit, sous forme de monographies. Natu- ques, certaines ayant acquis une renommée
également beaucoup aux phénomènes para- rellement, cet enseignement a été enrichi et nationale. Il fut aussi membre de nombreu-
normaux, au point d’avoir fondé un Institut actualisé depuis, et ne cesse de l’être. ses sociétés et associations philanthropi-
de recherches psychiques, composé essentiel- ques. Cela étant, Harvey Spencer Lewis
lement de scientiiques et de médecins. Pour quelles raisons des rosicruciens n’est pas considéré comme un “gourou”
de France ont-ils conié à un Américain la dans l’A.M.O.R.C.
En 1909, il écrivit à un libraire parisien dont mission de faire renaître l’ordre
il avait reçu le catalogue, ain d’avoir des de la Rose-Croix aux États-unis ? Dans certains livres, l’A.M.o.R.C. est
renseignements sur la Rose-Croix. Nous pen- A priori, ces rosicruciens avaient prévu la présenté comme un mouvement
sons qu’il s’agit d’Henri Durville, qui était Première Guerre mondiale, avec tout ce d’inspiraion maçonnique.
spécialisé dans les livres traitant d’ésotérisme. qui en résulterait en termes de malheurs et qu’en dites-vous ?
Quoi qu’il en soit, ce libraire lui répondit et lui de destructions en France et en Europe. En Que c’est inexact. L’A.M.O.R.C. est un
suggéra de venir en France. C’est ce qu’il it coniant leurs archives à un Américain, ils mouvement qui se rattache traditionnel-
en juillet de la même année. Finalement, de présumaient qu’elles seraient préservées lement à la mouvance rosicrucienne qui
rencontre en rencontre, on lui conseilla de se de la tourmente et que Harvey Spencer émergea dès le début du XVIIème siècle en
rendre à Toulouse, où il entra en contact avec Lewis en ferait bon usage. C’est ce qu’il Allemagne, en France et en Angleterre. La
des rosicruciens. it, à tel point que l’A.M.O.R.C. comptait confusion vient peut-être du fait que certai-
déjà plusieurs centaines de membres dans nes obédiences maçonniques ont parmi leurs
que sait-on à propos de ces rosicruciens ? les années 30. La paix revenue, des Gran- grades celui de «Chevalier Rose-Croix».
À cette époque, l’Ordre kabbalistique de des Loges furent fondées en divers pays Cela dit, il y avait au début du XXème siècle
la Rose-Croix, fondé en 1887 par Stanislas européens, dont la France, en 1931. Depuis, de bonnes relations entre l’A.M.O.R.C. et

30 DOSSIER D’ACtUALIté DE L’hIStOIRE l hORS-SERIE n° 1


L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

la Franc-Maçonnerie, à tel point que Harvey Spencer Lewis fut reçu


avec les honneurs lors d’une tenue de Grand Chapitre, qui se déroula Quelques symboles extraits du livre
en 1926 à Paris, sous la conduite de Camille Savoir. « ème
les symboles secrets des Rosicruciens
des XVi et XViième siècles » : Les quatre éléments,
et de nos jours, quelles relaions entretenez-vous avec les Francs- coeur Dieu, terre et spiritualité
Maçons ?
Aucune relation particulière. Naturellement, il y a des Rosicruciens
francs-maçons, tout comme il y a des Rosicruciens chrétiens, juifs,
musulmans, bouddhistes, et même agnostiques. Mais il n’y a pas de
contacts privilégiés entre l’A.M.O.R.C. et la Franc-Maçonnerie en
tant que telle. De nos jours, ces deux mouvements poursuivent leurs
activités selon une méthodologie qui leur est propre. Et puis, rappe-
lons que nous avons pour devise : « La plus large tolérance dans la
plus stricte indépendance ».

l’A.M.o.R.C. s’implique-t-il sur le plan poliique ?


Non, il est depuis toujours apolitique, de sorte qu’il y a parmi ses
membres des personnes qui ont des opinions politiques très différen-
tes. Naturellement, chacun d’eux est entièrement libre, en tant que
citoyen, de s’impliquer dans ce domaine.
Mais le fait que l’A.M.O.R.C. soit apolitique ne veut pas dire qu’il
n’accorde aucun intérêt à la marche du monde. En 2001, il a d’ailleurs
publié un Manifeste dans lequel ses dirigeants donnent leur position
sur divers sujets de société. Plus récemment, en 2005, il a fait paraître
une Déclaration des devoirs de l’Homme, saluée par de nombreuses
personnalités civiles, politiques et religieuses.

qu’est-ce qui, selon vous, fait la spéciicité de l’A.M.o.R.C. ?


En premier lieu, il est une Fraternité ouverte aux hommes et aux fem-
mes de toutes races, de toutes nationalités, de toutes classes sociales
et de toutes religions. Très sincèrement, je connais peu de mouve-
ments aussi ouverts. Or, le monde a plus que jamais besoin d’un tel
esprit d’ouverture.

En second lieu, l’A.M.O.R.C. perpétue un enseignement écrit, que


ses membres reçoivent chez eux sous forme de manuscrits, et un en-
seignement oral, pour ceux qui souhaitent se rendre dans une Loge
et participer à des travaux collectifs. J’ajouterai que cet enseignement
n’est pas spéculatif, mais pratique. Son but est de permettre à chacun
de mieux maîtriser sa vie.

quelle est, sur un plan d’ensemble, la situaion actuelle de


l’A.M.o.R.C.?
Il est actif dans le monde entier et œuvre actuellement à travers une
quinzaine de juridictions de langue française, mais aussi anglaise, al-
lemande, espagnole, italienne, japonaise, russe, tchèque, portugaise,
scandinave, etc., chaque juridiction étant dirigée par un Grand Maître
élu pour un mandat renouvelable de cinq ans.

Dans chaque juridiction, l’A.M.O.R.C. est au service de ses membres


pour répondre à leur désir de sagesse et de connaissance, que ce soit
à travers son enseignement écrit ou oral. Parallèlement, il contribue à
l’éveil des consciences en prônant une approche à la fois humaniste
et spiritualiste de l’existence. De notre point de vue, il s’agit d’une né-
cessité en cette époque excessivement individualiste et matérialiste.

en ce début de nouvelle année, que souhaitez-vous


pour le monde ?
Il n’est nul besoin d’être prophète pour voir que l’humanité va mal et
qu’elle se cherche désespérément. Sous l’effet de la mondialisation,
l’avenir de toutes les nations, qu’elles soient puissantes ou faibles, est
intimement lié. En termes mystiques, leur karma se confond, peut-
être pour la première fois dans l’Histoire. Cela est particulièrement
évident sur le plan écologique, puisqu’il en va du futur de notre pla-
nète, et donc de tous ceux qui l’habitent. Par conséquent, et cela n’est
pas très original, je souhaite à tous les hommes et à tous ceux qui
dirigent le monde de faire preuve de davantage de sagesse dans leur
choix et dans leur comportement, et de prendre enin conscience que
l’humanité est une et indivisible.
(documents A.m.O.R.C.)

Propos recueillis par la Rédaction

jAnvIER-févRIER 2010 31
DOSSIER

Les salons de la Rose-Croix


Si le rosicrucianisme est avant tout une quête de connaissance et de sagesse, il est
aussi une quête d’esthéisme. Dans cete perspecive, le but de l’art en général et de
la peinture en pariculier est de manifester la beauté. C’est précisément ce qui moiva
les salons de la Rose-Croix, organisés à Paris en 1892, en la présence des plus grands
peintres symbolistes de l’époque.

Le 10 mars 1892, les Grands Boulevards losophes, mystiques et artistes s’inquiè-


parisiens sont bloqués par un gigantes- tent des perspectives réductrices qu’of-
que embouteillage. Près de trois cents fre ce progrès. Cette tendance s’afirme
équipages, auxquels s’est jointe une particulièrement chez les symbolistes,
foule de curieux, se pressent vers la rue un mouvement qui regroupe des artis-
Lepelletier. Que cherchent-ils si avide- tes de toutes disciplines.
ment ? Ils veulent voir une exposition Critique d’art, Joséphin Péladan colla-
de peinture, celle des « Salons de la bore depuis 1881 à L’Artiste, premier
Rose-Croix ». En effet, le Tout-Paris journal français exclusivement consa-
est là pour assister à ce que Rémy de cré à l’art. Il écrit aussi dans la Jeune
Gourmont désigne comme « la grande Belgique, la revue de Max Weller. Il
manifestation artistique de l’année » tiendra également des chroniques dans
(Mercure de France). L’organisateur La Plume, Le Mercure de France, La
de cette exposition, Joséphin Péladan, Gazette artistique et Studio, où il assu-
grand maître de l’Ordre de la Rose- rera pendant quatorze ans la critique des
Croix, a instauré ces Salons pour inci- salons. En 1884, il quitte Nîmes pour
ter ses contemporains à porter un autre Paris, et publie son premier livre : Le
regard sur le monde. Vice suprême. Ce roman met en scène
En cette in du XIXème siècle où la un mage de la Rose-Croix. Bénéiciant
science triomphe, chacun pense que d’une préface de Barbey d’Aurevilly,
la modernité va apporter le bonheur. l’ouvrage connaît un succès qui apporte
Joséphin Péladan (1858-1918) s’inter- une célébrité immédiate à son auteur.
roge : « La vitesse matérielle accélère-
t-elle la vie intérieure, et l’homme avec La renaissance
des ailes n’aura-t-il pas le même cœur de la Rose-Croix
et les mêmes peines1 ? » Quelques phi-
À Paris, le jeune écrivain fréquente la li-
brairie de l’Art indépendant, où aiment

(document A.m.O.R.C.)
à se retrouver les artistes. D’abord, des
écrivains comme Stéphane Mallarmé,
Joris-Karl Huysmans, Auguste Joséphin Péladan.
Villiers de L’Isle-Adam, mais égale-
ment des musiciens comme Claude Grâce à l’aide de Papus, qui vient de
Debussy, Erik Satie ou les peintres lancer la revue L’Initiation, l’Ordre
Odilon Redon et Toulouse-Lautrec. connaît un développement rapide.
La librairie est aussi fréquentée par Cependant Joséphin Péladan repro-
quelques poètes attirés par l’occul- che à ses collaborateurs un goût trop
tisme, comme Stanislas de Guaita. prononcé pour l’occultisme et la kab-
Ce dernier a été très marqué par les bale. Il rejette aussi l’aspect maçon-
allusions au rosicrucianisme présentes nique que ses amis veulent donner à
dans le roman de Joséphin Péladan. Il la Rose-Croix. Joséphin Péladan veut
sympathise rapidement avec l’écrivain promouvoir la culture chrétienne. À
qui lui propose bientôt de faire revivre peine l’organisation est-elle créée qu’il
l’antique fraternité de la Rose-Croix2. préfère s’en écarter pour œuvrer d’une
Joséphin Péladan prétendait avoir été manière indépendante. C’est ainsi
initié par son frère Adrien (1844-1885) qu’en mai 1891, Le Figaro annonce la
dans une branche toulousaine de la naissance d’un nouveau mouvement
Rose-Croix. Parmi les membres de ce : l’Ordre de la Rose-Croix du Temple
groupe iguraient le vicomte Louis- et du Graal (appelé aussi Ordre de la
Charles-Edouard de Lapasse (1792- Rose+Croix catholique du Temple et
1867), médecin et alchimiste toulou- du Graal), dont Joséphin Péladan, de-
sain, et l’écrivain Simon Brugal3. venu le « Sar Mérodack Péladan », est
Joséphin se présente comme l’un des le grand maître4.
derniers membres de l’Ordre fondé au Le mouvement instauré par Joséphin
XVIIème siècle sous l’égide de Christian Péladan est moins une société initiati-
Photo12.com - ARj

Rosenkreutz. Ainsi, l’antique fraternité que qu’un ordre rassemblant des artis-
renaît-elle en 1888 sous le nom d’Ordre tes. Son fondateur le déinit d’ailleurs
Gustave Moreau, Œdipe et le sphinx. kabbalistique de la Rose-Croix. comme « une confrérie de charité

32 DOSSIER D’ACtUALIté DE L’hIStOIRE l hORS-SERIE n° 1


L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

intellectuelle, consacrée à l’accom- a pas d’autre vérité que Dieu, il n’y a de Saint-Pol Roux (dit justement le
plissement des œuvres de miséricorde pas d’autre beauté que Dieu7 ». Pour Magniique, écrivain proclamé par les
selon le Saint-Esprit, dont il s’efforce lui, l’art n’est autre que la recherche de surréalistes comme l’un des maîtres
d’augmenter la Gloire et de préparer Dieu par la beauté. C’est la partie mé- de l’art moderne).
le Règne5 ». Son but est de restaurer le diane de la religion, entre la physique
culte de l’idéal avec la tradition pour et le métaphysique. Dans son ouvrage Erik Satie, musicien officiel
base et la beauté pour moyen. Il juge la Comment on devient artiste, il expose de l’Ordre
civilisation latine en état de dégénéres- ses théories sur l’esthétique. Pour lui,
cence. Contrairement à Papus qui veut l’art a une mission divine ; aussi l’œu- L’exposition ouvre ses portes le 10
ériger l’occultisme en science, démon- vre parfaite ne doit pas seulement sa- mars 1892, à la galerie Durand-Ruel,
trant par là les lacunes du positivisme, tisfaire l’intellect, mais être un tremplin rue Lepelletier à Paris. Soixante artis-
Joséphin Péladan estime que seule pour l’âme. Dans son livre L’Art idéa- tes ont répondu à l’appel rosicrucien, et
la magie de l’art peut encore sauver liste et mystique, il précise que l’artiste le catalogue de l’exposition comprend
l’Occident du désastre vers lequel le véritable est celui qui possède la faculté 250 œuvres.
conduira inéluctablement un matéria- de sentir, par la contemplation, l’inlux Le Salon est inauguré avec cérémonial,
lisme excessif. céleste du Verbe créateur pour en faire sur une musique spécialement écrite
une œuvre d’art. « Artiste, tu es prêtre : par Erik Satie, compositeur oficiel de
Le culte de la beauté l’art est le grand mystère, et lorsque ton l’Ordre. L’artiste a composé pour la cir-
effort aboutit au chef-d’œuvre, un rayon constance plusieurs pièces, comme Les
Le projet rosicrucien s’inscrit dans la divin descend comme sur un autel8. » Sonneries de la Rose-Croix et L’Air
mouvance symboliste6. Les peintres de Pour Joséphin Péladan, la mission de du grand maître, autant d’œuvres qui
ce groupe veulent devenir les mystiques la Rose-Croix n’est pas d’enseigner un depuis appartiennent au répertoire de
de l’art. S’opposant au réalisme aca- occultisme dépassé, mais de conduire la musique française10. Les journées
démique, ils exposent dans des salons l’humanité à lever les yeux vers le di- sont prolongées par les Soirées de la
privés, en marge des manifestations of- vin par le biais de l’art. Il veut donc Rose+Croix, consacrées à la musique
icielles. Joséphin Péladan, à l’instar de que l’activité essentielle de l’Ordre de et au théâtre. Joséphin Péladan y pré-
John Ruskin pour les préraphaélites la Rose-Croix du Temple et du Graal sente des conférences sur la mystique
anglais, veut se donner le rôle de men- soit consacrée à l’organisation d’expo- et l’art.
tor des peintres français. Il veut ruiner sitions et de soirées dédiées aux beaux- Dans ces soirées, la musique occupe
le réalisme dans l’esthétique en créant arts. Ainsi furent créés les Salons de la une place importante. On y écoute des
un mouvement d’art idéaliste, propre à Rose-Croix, ces grandes manifestations œuvres de Vincent d’Indy, de César
élever l’âme de ses compatriotes. artistiques qui ont marqué l’histoire de Franck, de Richard Wagner, de
Joséphin Péladan prône une doctrine la peinture. Palestrina et d’Erik Satie. Joséphin
platonisante en afirmant qu’il « n’y Péladan rêvait de redonner au théâtre sa
fonction antique de drame initiatique,
Le premier Salon dont l’exemple le plus remarquable
de la Rose-Croix était pour lui les Mystères d’Eleusis.
Il écrivit lui-même quelques drames :
La première manifestation des Salons Le Prince de Byzance, Babylone, et Le
de la Rose-Croix, qualiiée de « pre- Fils des étoiles, une pièce agrémentée
mier geste esthétique », est annoncée de musiques d’Erik Satie.
pour le 10 mars 1892. Dans un arti- Même si les œuvres exposées aux
cle publié dans Le Figaro, Joséphin Salons de la Rose-Croix ne furent
Péladan convie les artistes à proposer pas toutes à la hauteur des espérances
leurs œuvres, car pour être acceptées, de Joséphin Péladan, plusieurs d’en-
elles doivent répondre à des caractéris- tre elles connurent un certain succès.
tiques déinies par un règlement strict Ce fut le cas des toiles de Fernand
qui bannit certaines représentations : Khnopff, d’Edmond Aman-Jean, de
les scènes militaires ou historiques, Ferdinand Hodler, de Jean Delville,
les animaux domestiques, les repré- Jan Toorop, des sculptures d’Antoine
sentations de la vie quotidienne et les Bourdelle, des bois gravés de Félix
« accessoires et autres exercices que Vallotton… Joséphin fut affecté par
les peintres ont d’ordinaire l’insolence l’absence de grands peintres symbolis-
d’exposer9 ». L’allégorie et les sujets tes comme Burnes Jones et Gustave
qui élèvent l’âme sont privilégiés. Les Moreau, qui eut peur des humeurs de
créatures androgynes, sphinges, anges, l’Institut et se contenta d’envoyer ses
vierges aux lys et les héros de la mytho- élèves ; Puvis de Chavanne, lui, se
logie, comme Orphée, dominent. désista au dernier moment. Il composa
La sélection est assurée par un jury cependant le frontispice de l’édition de
dont les membres portent le ti- la partition des Sonneries de la Rose-
tre de « Magniique ». Il se com- Croix d’Erik Satie.
pose de personnalités, dont les plus Malgré ce handicap, le premier Salon de
connues sont le comte Antoine de la Rose-Croix connaît un succès consi-
La Rochefoucauld (qui est le inan- dérable. Après la fermeture des portes,
cier des Salons et deviendra bientôt on compte plus de 22 000 visiteurs et la
le protecteur des Nabis), le comte de présence d’artistes étrangers lui donne
(document A.m.O.R.C.)

Larmandie (qui fut pendant long- un retentissement international11.


temps secrétaire des Gens de Lettres
en France), d’Élémir Bourges (de La presse couvre largement l’évé-
l’Académie Goncourt, écrivain dont nement, car il faut dire que Joséphin
sceau du Graal certaines œuvres, comme La Nef, sont Péladan est un homme qui ne laisse
Dessin de François Mérinier pour le salon empreintes des idées de J. Péladan), et personne indifférent. Personnage haut
de la Rose-Croix de 1893.

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DOSSIER

fondateur des Salons de la Rose-Croix téraire de Raymond Nyst, qui était


avait élaboré toute une philosophie de le consul du Sar Péladan à Bruxelles.
l’art vestimentaire basée sur ce qu’il En France, la revue Entretiens idéalis-
appelait la kaloprosopie12. Cette idée tes, fondée in 1906 par Paul Vulliaud,
voulait qu’on exprime par sa tenue admirateur de Joséphin Péladan, tentera
l’harmonie et les qualités auxquelles on en 1907 de donner une suite aux Salons
aspire, pour mieux les acquérir. Même en créant l’Exposition des peintres et
s’il abandonnera par la suite ces accou- sculpteurs idéalistes. De cette tentative
trements, l’histoire ne retiendra hélas de sans lendemain naquit la Confrérie de
lui que cette image réductrice de dandy. la Rosace, fondée en mars 1908 par le
frère Angel, qui œuvre dans le même
L’hexade esthétique esprit que J. Péladan, mais avec des
moyens très modestes. J. Péladan ne
Le succès du premier Salon avait été s’intéressa pas à ce groupe qui ne ras-
tel qu’il fut décidé d’en faire une ma- sembla guère plus de quatre disciples.
nifestation annuelle. C’est ainsi que six Cette confrérie organisa une première
expositions se succédèrent. Chacune exposition en mai 1909, une deuxième
d’entre elles était placée sous les aus- en mai 1911 et une troisième en octobre
pices d’un dieu chaldéen : Samas 1912, puis cessa d’exister.
(Soleil) pour l’exposition de 1892,
Nergal (Mars) pour celle de 1893, joséphin Péladan écrivain
Mérodack (Jupiter) pour celle de 1894,
Nebo (Mercure) pour celle de 1895, Après les Salons de la Rose-Croix,
Istar (Vénus) pour celle de 1896, et Sin Joséphin Péladan continue ses confé-
(Lune) pour le sixième et dernier Salon, rences sur l’art, en Europe et plus
en 1897. Cette manifestation eut pour particulièrement en Belgique, où il
cadre la prestigieuse galerie Georges- jouissait d’un prestige considéra-
Petit. Devant l’afluence des deman- ble. Il se consacre essentiellement à
des, il fallut organiser un vernissage l’écriture. Le Sar Joséphin Péladan
particulier pour les 191 critiques d’art était devenu plus modeste, et lorsque
et chroniqueurs. Le lendemain, 15 000 Alexandra David-Neel le rencontra
visiteurs déilèrent dans ce « temple de plus tard au Mercure de France, il
l’art ». n’était plus question de « Sar » et de
tenues excentriques, mais simplement
Après le sixième Salon, le grand maître de Monsieur Joséphin Péladan. Il
prononça la mise en sommeil de l’Or- continua son activité littéraire jusqu’à
dre. Il faut dire que les autorités, gênées sa mort le 27 juin 1918. Auteur d’une
par le succès répété des Salons rosi- multitude d’articles pour des revues
(document A.m.O.R.C.)

cruciens, faisaient tout pour empêcher artistiques, l’ensemble de son œuvre


qu’ils ne se tiennent. « Je rends les ar- ne comporte pas moins de quatre-
mes, dira Joséphin Péladan, la formule vingt-dix volumes incluant romans,
d’art que j’ai défendue est maintenant pièces de théâtre14, études sur l’art ou
admise partout, et pourquoi se souvien- l’ésotérisme. Trois de ses ouvrages
Aiche du premier salon de la Rose-Croix drait-on du guide qui a montré le gué, seront couronnés par l’académie fran-
(1892), Carlos schwabe. Réalisée dans une puisque le leuve est passé. » çaise et en 1917, à une voix près, il
tonalité de bleus, elle évoque le rêve. les faillit succéder à Octave Mirebeau à
trois femmes symbolisent la composiion
ternaire de l’homme (esprit, âme et corps).
L’apogée du symbolisme l’Académie Goncourt. Paul Verlaine
lui trouvait un talent considérable et
la première, enchaînée dans des eaux Son effort ne demeura pas vain. Anatole France voyait en lui un écri-
fangeuses, regarde un escalier décoré de lys Comme le précise Pierre Jullian, vain de race. D’autres comme Alfred
blancs et de roses, qui monte vers la lumière. « dans l’ensemble, les symbolistes, en Jarry, Paul Valéry, André Breton,
Cete femme enchaînée dans la boue dépit de quelques différences de métier, Raymond Queneau, Montherlant
représente l’âme engluée dans la maière ne s’écartèrent pas trop des édits de ou Kandinsky appréciaient son œu-
et aspirant à la libéraion. la seconde vient Péladan : point d’anecdotes, de natu- vre. Parallèlement à ses romans et à
de se dégager de ses chaînes et commence res mortes, de paysages pittoresques ; ses livres d’ésotérisme, il consacrera
à gravir l’escalier. elle igure l’éveil, le mais la peinture religieuse fut entière- plusieurs études à des peintres comme
cheminement de l’âme vers la lumière. la ment renouvelée13 ». Curieusement, en Rembrandt, Dürer, Herbert, Frans
troisième, transparente de lumière, reçoit du 1898, année qui suivit le dernier Salon Hals, etc. Son ouvrage, Léonard de
ciel un cœur. elle représente l’âme illuminée, rosicrucien, le mouvement symboliste Vinci, textes choisis, lui valut le prix
reliée au divin. commença à décliner. Charles Blanc de l’Académie fran-
en couleur, il portait barbe et cheveux Joséphin Péladan avait chargé Jean çaise.
taillés à l’assyrienne, s’habillait de ve- Delville de poursuivre son œuvre esthé- Personnage étrange et excentrique,
lours violet, de gilets ornés de dorures. tique en Belgique, et il y eut à Bruxelles Joséphin Péladan it preuve d’origina-
Il revêtait volontiers un burnous en poils une sorte de suite aux Salons de la Rose- lité en utilisant l’art pour bousculer les
de chameau et se chaussait de bottes de Croix : le Salon d’art idéaliste. Les convictions matérialistes de son épo-
daim souple. Cette tenue lui valut bien symbolistes étaient très actifs dans ce que. Si ses convictions semblent loin
des caricatures. Elle n’était pas seule- pays, et Joséphin Péladan eut souvent de celles de nos artistes contemporains,
ment pour lui un moyen de marquer sa l’occasion de s’y rendre pour donner elles peuvent cependant contribuer à
distance avec son époque, mais corres- des conférences. Il entretenait des re- nourrir notre rélexion sur le rôle de l’art
pondait à toute une philosophie. lations étroites avec le cercle artistique dans une société où le matérialisme est
Comme les préraphaélites, qui faisaient Pour l’Art, animé par Jean Delville, sans commune mesure avec celui qui
de l’habillement un « art portable », le de même qu’avec le mouvement lit- prévalait à l’époque des symbolistes.

34 DOSSIER D’ACtUALIté DE L’hIStOIRE l hORS-SERIE n° 1


L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

Ajoutons que l’esprit qui animait les risme, Grenoble, jérôme Millon, 1998.
Salons d’antan est toujours présent dans 1
joséphin Péladan, fronispice des
3
firmin Boissin, en 1869, dans
le rosicrucianisme moderne, puisque Amants de Pise, Paris, flammarion, 1911. Visionnaires et Illuminés, paris,
l’Ancien et Mystique Ordre de la Rose- 2
Sur les origines de cet ordre, voir Liepmannssohn et Dufour, p. 17, pré-
Croix en perpétue la tradition en orga- Rose-Croix, histoire et mystè- sente le vicomte de Lapasse comme
nisant régulièrement des expositions à res, Chrisian rebisse, Le Tremblay, « le dernier membre de cete confrérie
Paris, à l’Espace Saint-Martin (au 199 Difusion Tradiionnelle, 2003, et sur célèbre » et précise qu’il « ne négli-
bis de la rue Saint-Martin). le personnage central de cet aricle, geait jamais l’occasion de réhabiliter les
Christophe BeaUfiLS, Joséphin Péladan, rose-Croix ». Dans un autre ouvrage,
Christian Rebisse 1858-1918, essai sur une maladie du ly- Excentriques disparus, 1890, il indique
que le prince Balbiani iniia Lapasse
dans la rose-Croix. jusqu’à ce jour, il n’a
pas été possible de démontrer que ce
prince ait réellement existé ! dans son
livre Essai sur la conservaion de la vie,
Paris, 1860, victor Masson, p. 59, le vi-
comte de Lapasse parle lui-même des
« rose-croix, société secrète dont il
reste de nos jours quelques adeptes »,
mais ne se présente pas lui-même
comme membre de cete société.
4
Le 22 septembre 1891, Le Figaro pu-
blia le Manifeste de la Rose-Croix.
5
Consituion de la Rose-Croix, le
Temple et le Graal, Paris, 1893, aricle
1, p. 21.
6
Sur ce mouvement, qui sort de l’om-
bre depuis quelques années, voir José
pierre, L’Univers symboliste, in de siè-
cle et décadence, Paris, Somogy, 1991.
7
L’Art idéaliste et mysique, doctrine
de l’Ordre et du Salon annuel des
Rose+Croix, Paris, 1894, Chamuel, p.
33.
8
introducion du Catalogue du premier
Salon de la rose-Croix, Paris, Dentu,
1892.
9
Les Salons de la Rose-Croix, règles et
monitoires, Paris, Dentu, 1891.
10
Signalons l’édiion récente (2006)
d’une belle adaptaion pour instru-
ments orientaux de ces œuvres, sous
le itre Saie en Orient par l’ensemble
Saraband.
11
Léonce de Larmandie, collaborateur
de j. Péladan, dans Entr’acte idéal,
paris, chacornac, 1903, a retracé l’his-
toire des divers Salons.
12
Sur ce concept, voir joséphin Péladan,
L’Art idéaliste et mysique, « les sept
arts ou modes réalisateurs de la beau-
té, les arts de la personnalité », paris,
Chamuel, 1894, p. 55.
13
pierre Jullian, Les Symbolistes, paris,
La Bibliothèque des arts, 1973, p. 47.
14
Sa pièce Œdipe et le Sphinx fut créée
Photo12.com - ARj (ARj01197_3649)

au théâtre anique d’Orange le 1er août


1903, et l’année suivante, au même
endroit, on donna Sémiramis, avec le
concours d’acteurs de la comédie fran-
çaise, comme Madame Segond-Weber.
edmond François Aman-Jean – la jeune ille au paon.

« Cet arrangement aussi extraordinaire du Soleil, des planètes


et des comètes n’a pu avoir pour source que le dessein d’un Être
intelligent et puissant, qui gouverne tout et que l’on pourrait
appeler “Gouverneur universel”. »
Isaac Newton (1642-1727)
Photos12.com

Savant et philosophe

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DOSSIER

Université Rose-Croix Internationale


Le monothéisme
en Egypte ancienne
Depuis le début du XXème siècle, l’A.M.o.R.C. parraine une université interne, connue
sous le nom d’«université Rose-Croix internaionale». Composée esseniellement
de rosicruciens spécialisés dans divers domaines du savoir, cete université sert de
cadre à des recherches efectuées dans des branches aussi diférentes que l’art,
l’écologie, la médecine, l’astronomie, l’égyptologie, la psychologie, la musique, les
tradiions ésotériques du passé, les sciences physiques, etc. ses travaux donnent lieu
régulièrement à des conférences, des séminaires et des livres accessibles au public.
Aborder le thème du monothéisme en La frontière entre polythéisme et mono-
Égypte ancienne est un exercice aussi théisme n’est pas simple à déterminer
passionnant que périlleux. Si les spé- pour un observateur athée ou stricte-
cialistes sont d’accord sur de nombreux ment neutre. C’est ainsi que le mono-
points, leurs conclusions divergent théisme chrétien ne présente pas des
sensiblement, et nous n’avons pas la caractéristiques d’une rigueur absolue.
prétention de donner ici une réponse La notion de Trinité, par exemple, pose
déinitive, mais seulement de proposer problème. Le catholique ordinaire lui-
quelques éléments de rélexion. Ap- même a souvent du mal à comprendre
partenant nous-mêmes à un monde ju- la nature exacte de Dieu le Père. Les
déo-chrétien, certains préjugés peuvent différences qui existent entre Dieu, Jé-
nous empêcher d’analyser sainement sus, le Christ et le Sacré Cœur sont pour
d’autres formes de pensée religieuse lui des plus confuses. Il considère sim-
que la nôtre. Les spécialistes ont sou- plement que « tout cela, c’est un peu
vent eux-mêmes une religion et jugent pareil ». De même, on pourrait trouver
celles des autres avec condescendance. une connotation polythéiste à la véné-
D’un autre côté, il serait également vain ration des saints ou au culte différencié
de vouloir à tout prix faire de l’Égypte de Notre-Dame de Paris, Notre-Dame
ce que nous voudrions qu’elle soit. de Lourdes, ou encore Notre-Dame de
Mieux vaut la prendre telle qu’elle est : Fatima. Pourtant, le catholique n’y voit
elle a bien plus à nous apprendre ainsi. que des représentations différentes de la
seule et unique Vierge Marie, ce qui est
Le monothéisme en général tout à fait respectable. Même l’islam,
pour qui l’Unicité divine est évidente,
D’après les dictionnaires, le mono- se réfère à Dieu sous 99 adjectifs. Dans

Photo12.com (ARj97198_13099)
théisme désigne la forme de religion le judaïsme, Il est désigné également
selon laquelle il n’existe qu’un Dieu sous des noms divers. Ces quelques re-
unique, ce qui exclut explicitement tout marques montrent bien que polythéis-
autre dieu. L’histoire des religions ne me et monothéisme recouvrent des
retient généralement que trois grandes notions qui ne sont pas nécessairement
religions monothéistes : le judaïsme, le contradictoires dans le fond. Akhenaton, promoteur du monothéisme.
christianisme et l’islam. Le polythéis-
me, lui, admet l’existence de plusieurs De nombreux égyptologues ont vu l’Instruction pour le roi Mérikarê, on
dieux. Mais cette dernière déinition dans les textes “polythéistes” qu’ils trouve encore : « Dieu connaît celui qui
est celle des monothéistes eux-mêmes, étudiaient des tournures inattendues. agit pour Lui ». Plus surprenant encore :
qui lui ont presque toujours donné une Quand on lit les fameux « Livres de bien avant Akhenaton, le pharaon mys-
connotation négative. En fait, ils ont Sagesse » qui furent rédigés depuis tique et monothéiste, les « Textes des
cherché le plus souvent à rejeter et à l’Ancien Empire jusqu’à l’époque pto- Pyramides » déclarent que le dieu Né-
ridiculiser des formes de pensées dif- lémaïque, on est stupéfait de constater fertoum (le lotus primordial) est « sans
férentes auxquelles ils ne comprenaient que les auteurs parlent simplement de égal ». Plus loin, de nombreux hymnes
pas grand-chose mais qui étaient ce- « Dieu » au singulier, sans autre pré- à des dieux très divers s’adressent à eux
pendant très riches, et à imposer par la cision. Étienne Drioton va jusqu’à dans ces termes : « Dieu unique qui n’a
force l’idée de leur « vrai Dieu ». Par penser que « le monothéisme est en fait pas son égal ! ». Sous Amenhotep II
ailleurs, ils ont souvent fait l’amalgame l’apanage des Livres de Sagesse ». Par (1430 avant J.-C.), le fameux hymne à
entre croyances populaires, certes gros- exemple, on lit dans les Maximes de Amon-Rê conservé au Caire déclare :
sières, et systèmes de pensée où l’hom- Ptahhotep, vers 2500 avant J.-C. : « Ce « Il est l’Unique, il n’y en a pas d’autre
me communiait avec les grandes forces ne sont pas les dispositions des hom- à part Lui parmi les dieux ». Et plus
de l’univers, manifestations multiples mes qui se réalisent, mais le dessein loin, à deux reprises, Amon est appelé
d’un Principe unique. de Dieu ». Sous la Xème dynastie, dans « Unique des Uniques ».

36 DOSSIER D’ACtUALIté DE L’hIStOIRE l hORS-SERIE n° 1


L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

Le monothéisme égyptien sion du Divin. Rê, c’est le dieu solaire


par excellence, dieu de la renaissance
Pour l’Égyptien, aucune contradiction éternelle à travers le cycle solaire, et
dans tout cela. Pour lui, chaque divinité, Osiris, souverain de l’éternité, celui
en un instant précis, est le Dieu unique de la renaissance éternelle à travers les
sans égal, car chaque dieu n’est que cycles terrestres et végétaux. Les forces
l’un des aspects du Divin tout entier. de la lumière et celles de l’obscurité de
Il n’est pas possible de Le réduire à la terre se complètent donc et se fon-
un seul nom, à un seul aspect, à une dent totalement les unes dans les autres
seule déinition. Max Guilmot parlait tout en gardant leur identité propre :
de « monothéisme à facettes ». Quant deux divinités réunies pour manifester
à Serge Sauneron, il déclara : « Ainsi une grande loi de l’univers.
y eut-il toujours en Égypte, à l’arrière-
plan du polythéisme incontestable, la Enin, une dernière citation pour mon-
croyance très générale en l’universalité trer comment l’Unique se manifeste
et l’unicité d’un Être divin, sans nom, dans le Multiple, selon une conception
sans forme, mais susceptible de les datant de l’époque de Ramsès II et qui
revêtir toutes ». Cette forme de pensée présente un caractère évident de parenté
où chaque dieu est compris comme avec le concept chrétien de la Trinité :
unique peut surprendre, mais elle cache « Trois sont tous les dieux : Amon, Rê,
une grande sagesse, car à tout moment, et Ptah. Ils n’ont pas leur semblable,
« un idèle égyptien pouvait créditer Son nom est caché en tant qu’Amon,
de tous les attributs du pouvoir divin Son visage, c’est Rê, et Son corps,
une quelconque divinité qui était à ses c’est Ptah... Ainsi donc, Amon, Rê et
yeux le dieu le plus important, un dieu Ptah, cela fait trois ». Il est question

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qui pour lui signiie tout à un moment de trois dieux, mais l’adjectif possessif
précis ». Son est employé comme s’il s’agissait
d’une seule entité. Ici, on est tenté de
Un autre phénomène très intéressant comparer Amon au Noûs et à Dieu le
attire l’attention de tout égyptologue : Père, Ptah au Logos et au Fils-Verbe, et
le syncrétisme. Contrairement à une Rê au Pneuma et à l’Esprit-Saint, bien le Dieu unique Aton, répandant son rayonne-
idée reçue, l’Égypte et sa religion ont que de tels rapprochements n’aient pas ment et sa vitalité vers toutes les créatures.
beaucoup évolué au cours des siècles, de caractère vraiment scientiique. On
et les théologiens ont tenté, souvent peut seulement évoquer un air de pa- complémentaires. Le dieu Amon
avec un grand bonheur, de réunir plu- renté... devient proscrit et son nom effacé,
sieurs divinités en une seule lorsqu’ils martelé, jusqu’au sommet des obélis-
leur trouvaient des fonctions proches La religion d’Akhenaton ques. Tous les dieux ancestraux sont
ou complémentaires. C’est ainsi que éliminés pour n’en conserver qu’un
l’on voit des représentations de Hathor Dans toute étude sur le monothéisme, seul, le dieu solaire Aton, représenté
(coiffée de cornes enserrant un soleil) la religion d’Akhenaton, qui régna de par un soleil dont les rayons se termi-
avec un texte hiéroglyphique d’accom- 1371 à 1354 environ avant notre ère, nent par des mains. Devant les narines
pagnement la décrivant sans ambiguïté prend toujours une dimension parti- des personnages royaux, les rayons
comme étant Isis. Nombreuses sont les culière. Son histoire reste aujourd’hui présentent des croix de Vie éternelle.
représentations de Hathor allaitant Ho- très méconnue et pose de nombreu- Aton, Père et Mère des hommes, se
rus, alors que ce rôle devrait être dévolu ses énigmes. Il reste encore à fouiller manifeste en tant que tels dans le roi
à Isis. Le Soleil lui même, pourtant uni- plus des deux tiers du site où il a vécu. et dans la reine Néfertiti. Cette nou-
que dans son aspect, est appelé « Khé- Dans cette XVIIIème dynastie qui a fait velle religion s’inspire fortement de
pri » à son lever, « Rê » lorsqu’il atteint d’Amon, dieu jusqu’alors assez obscur, la théologie d’Héliopolis, la « Cité du
son zénith et « Atoum » à son coucher. la divinité prédominante de l’État, les Soleil », mais elle présente une carac-
On sent bien ici que l’Égyptien a besoin prêtres ont acquis une puissance telle, téristique révolutionnaire : il existe un
de multiplier les noms et les qualiica- par manque de vigilance des rois, qu’ils Dieu solaire unique, toutes les autres
tifs d’un dieu pour mieux en compren- empêchent le pharaon de régner comme divinités étant ignorées. Sans vouloir
dre la nature, tout comme les chrétiens il le voudrait. Amenhotep III et son entrer dans des polémiques de spécia-
conçoivent la nature de Dieu à travers ils Amenhotep IV sont d’accord pour listes, nous pouvons admettre qu’il
le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Selon mettre un terme à ce pouvoir excessif et s’agit bien là de monothéisme.
le même processus, certaines peintures inacceptable, et qui d’ailleurs n’existe
égyptiennes nous montrent une divinité que par décision royale. En l’an 5 ou Fait exceptionnel, la déinition théo-
aux attributs composites, dont les textes 6 de son règne, Amenhotep IV aban- logique du nom d’Aton est inscrite
nous disent qu’il s’agit de Ptah-Sokaris- donne Thèbes, la capitale traditionnelle dans deux cartouches, comme pour
Osiris. Trois en un, en quelque sorte. de la dynastie, et fonde en plein désert un roi terrestre qui célèbre son jubilé.
une ville nouvelle où il va demeurer : Au cours des huit premières années
Une scène de la merveilleuse tombe de Akhetaton (l’Horizon d’Aton). Puis il du règne d’Akhenaton, ces cartou-
la reine Néfertari, épouse de Ramsès dépossède le clergé d’Amon, le privant ches déclarent : « Il est vivant, Rê-
II, montre Isis et Nephtys protégeant de ses privilèges, de ses biens et de son Horakhty, qui se réjouit à l’horizon
Osiris, dont la tête est curieusement autorité. en son nom de Chou qui est dans le
celle du bélier solaire. Mais le plus ex- Disque solaire ». Nous y trouvons les
traordinaire est la légende qui encadre Fait unique jusqu’alors dans le passé noms de Rê, d’Horus et de Chou (la
la scène. À droite, on peut lire : « C’est égyptien, il change également son Lumière). Rê et Horus sont associés
Rê qui repose en Osiris» et à gauche : nom d’Amenhotep (Amon est satis- par syncrétisme pour former Rê-Ho-
« C’est Osiris qui repose en Rê ». Voilà fait) en celui d’Akhenaton (Serviable rus-de-l’Horizon, en égyptien : Rê-
bien un texte des plus admirables où envers Aton ou encore Âme divine Horakhty. Cette première constata-
l’Égypte nous montre sa compréhen- d’Aton), les deux traductions étant tion n’incite pas à penser qu’il s’agit

jAnvIER-févRIER 2010 37
DOSSIER

d’un monothéisme très rigoureux. vant, Rê, Souverain de l’Horizon, qui du roi adoptent ses idées et suivent
Par ailleurs, Akhenaton fait souvent se réjouit à l’horizon en son nom de ses enseignements souvent par sim-
suivre son premier cartouche de Rê, le Père, qui vient dans le Disque ple opportunisme, mais parfois aussi
l’expression « vivant selon Maât », solaire ». Cette fois, les noms d’Ho- avec sincérité et conviction. Quant
car Maât, ille de Rê, est toujours à rus et de Chou disparaissent, mais à la masse populaire, elle ne com-
l’honneur en sa qualité de Justice, de celui de Rê subsiste. En fait, seul est prend rien à ces réformes et continue
Vérité et d’Équilibre cosmique. De adoré le Principe divin universel : Rê, à adorer discrètement les divinités
plus, à cette époque, elle symbolise Créateur et Père de tous les hommes. qui lui étaient familières. Toutefois,
aussi le Soufle vital. Il faut encore Aton, le Disque solaire, en est la ma- Akhenaton ne sévit pas. Les fouilles
ajouter qu’une des stèles frontières nifestation visible sur toute la surface d’Amarna ont montré l’existence de
qui entourent le site de Tell-el-Amar- de la Terre, et accessible à tous les sanctuaires privés consacrés à Amon
na déclare : « La tombe du taureau peuples. Ainsi donc, le Soleil, Aton, au sein même de la cité d’Aton.
Mnévis sera creusée dans la monta- fait l’objet d’un culte parce que le
gne orientale de l’Horizon d’Aton, et Principe absolu divin, Rê, le Père, Cette brève expérience de dix-sept
il y sera enterré ». vient s’y manifester. ans environ, goutte d’eau dans l’océan
de l’Histoire, va pourtant marquer les
Rê, Horus, Chou, Maât, ille de Rê, Seul le pharaon connaît les desseins siècles futurs d’une façon profonde,
et le taureau Mnévis, que d’élé- de ce Dieu qui n’est même pas nommé même si les successeurs d’Akhena-
ments insolites et troublants dans un « Netjer » comme les autres divinités. ton, surtout à partir de Ramsès II,
contexte que nous avons déclaré mo- « Tu es dans mon cœur, et personne ont tout fait pour en détruire la mé-
nothéiste ! Cette remarque n’aurait ne Te connaît, excepté Ton ils Nefer- moire. Précurseur de la pensée de
pas échappé à Akhenaton lui-même, Kheperou-Rê Wa-en-Rê, car Tu l’as Moïse, de Jésus et de Mahomet, son
car il a dû agir progressivement pour rendu savant dans la connaissance de amour de Dieu et des hommes fas-
préparer l’Égypte à une nouvelle Tes plans et de Ta puissance ». Akhe- cine les mystiques d’aujourd’hui et
étape, celle qui commence en l’an 9 naton est donc le seul intermédiaire tous les hommes épris de tolérance et
de son règne. En effet, la théologie entre Dieu et les hommes, et c’est à de paix. Les rosicruciens lui vouent
évolue et deux nouveaux cartouches ce titre qu’il dispense un enseigne- une admiration particulière, car ils
pour Aton apparaissent : « Il est vi- ment. On pourrait dire : « il n’y a pas voient en lui, non seulement le fon-
d’autre Dieu qu’Aton et Akhenaton dateur du monothéisme, mais égale-
est son intermédiaire ». Longtemps ment l’un des Initiés qui marquèrent
après, l’Islam adoptera une profes- le plus leur Tradition. Quoi qu’il en
sion de foi fort similaire. Le Christ soit, le meilleur hommage qu’on
lui-même s’exprimera en termes pres- puisse rendre à Akhenaton consiste à
que identiques : « Je suis le Chemin, mieux s’informer encore sur sa vie et
la Vérité et la Vie. Nul ne va au Père son œuvre, et surtout à s’inspirer des
que par moi. Si vous me connaissez, qualités morales dont il a fait preuve
vous connaîtrez aussi mon Père ». « en vivant selon Maât ».
Un point cependant qui ne peut que
surprendre, voire créer un certain ma- Il nous reste à tirer les leçons que
laise : la religion amarnienne ignore, nous propose ce prodigieux passé.
comme on s’en doute, le dieu Osiris. Dieu ne peut être limité à un seul
Et si Akhenaton se fait représenter en concept, et personne ne peut afirmer
posture osirienne, l’au-delà ne semble que l’idée qu’il se fait de Lui est la
montrer rien d’autre que le pharaon meilleure. Pendant trois millénai-
lui-même, toujours intermédiaire en- res, l’Égypte n’a pas connu de gra-
tre Dieu et les hommes. ves guerres de religion. Dans notre
monde qui a souffert tant de maux du
Un pharaon mystique fait de persécutions religieuses, qui
a inventé l’Inquisition et le bûcher
Akhenaton s’adonne entièrement à pour les “hérétiques”, qui a converti
l’Amour divin et init par négliger les des peuples dits “païens” au “vrai
affaires de l’état. Il s’illustre surtout Dieu” par la force, on est encore ca-
en déclarant que le Soleil brille pour pable aujourd’hui d’emprisonner et
tout le monde, que tous les hommes de tuer d’autres êtres humains pour
sont égaux, même si les races présen- des motifs religieux. Par ailleurs, des
tent des caractères spéciiques. C’est intégristes de tous ordres distillent
le premier homme de l’Histoire, sur- de par le monde le détestable venin
tout en tant que chef d’État, à avoir de leur intolérance et de leur fanatis-
proclamé l’égalité de tous les hom- me. Dans ce domaine, la civilisation
mes devant Dieu : « Tous les pays égyptienne nous offre un modèle à
étrangers, Tu fais qu’ils vivent, car suivre. Elle nous apprend aussi que
Tu as placé un Nil dans le ciel pour la seule approche intellectuelle n’ap-
qu’il descende sur eux et forme des porte pas une connaissance sufisante
vagues pour irriguer leurs champs de Dieu. Que de noms, que d’épithè-
dans leurs territoires ». Son plus tes, que de périphrases pour tenter de
beau titre de gloire est peut-être celui Le décrire ! « Le cœur de l’homme
d’« humaniste ». Autre élément im- est son propre Dieu», énonce un an-
portant et positif de sa nouvelle reli- cien adage. C’est effectivement dans
gion : la tolérance. Cela s’inscrit bien notre cœur que se trouve la clé de
dans la tradition égyptienne. Akhe- l’énigme du Divin ».
Photo12.com

naton dépossède les prêtres d’Amon,


statuete de roi ofrant la déesse Maât. mais ne les fait pas tuer. Les proches Jean-Yves Barré

38 DOSSIER D’ACtUALIté DE L’hIStOIRE l hORS-SERIE n° 1


L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

COnfESSIOn DE mAÂt Positio FRAteRnitAtis RosAe CRuCis


(2001)
Ayant franchi le seuil de l’au-delà, le défunt était sou-
mis au Jugement d’Osiris, auquel il devait déclamer la
« Confession de Maât ».

Hommage à Toi, Grand Dieu, Maître de toute Vérité !


Je viens à Toi, mon Dieu, et je me mets en Ta présence
ain de prendre conscience de Tes décrets. Je Te connais
et je communie avec Toi et Tes Deux et Quarante lois
qui existent avec Toi dans cette Chambre de Maât...
C’est dans la Vérité que je viens communier avec Toi,
et Maât est présente en ma pensée et en mon âme.
J’ai détruit la méchanceté pour Toi.
Je n’ai pas fait de mal à l’humanité.
Je n’ai pas opprimé les membres de ma famille.
Je n’ai pas forgé le mal au lieu de la Justice et de la
Vérité.
Je n’ai pas traité avec des hommes indignes. Quelques extraits signiicatifs :
Je n’ai pas demandé à être considéré le premier. « Nous souhaitons qu’il existe un jour un Gou-
vernement mondial représentatif de toutes les
Je n’ai pas obligé quiconque à un travail excessif pour nations, dont l’O.N.U. n’est qu’un embryon ».
moi.
Je n’ai pas mis mon nom en avant pour être élevé aux « Nous pensons que la rationalisation excessive
honneurs. de la science est un danger réel qui menace l’hu-
manité à moyen et peut-être à court terme ».
Je n’ai pas frustré les opprimés de leurs biens.
« Selon nous, le problème posé actuellement par
Je n’ai fait souffrir aucun homme de la faim. la technologie provient du fait qu’elle a évolué
beaucoup plus vite que la conscience humaine ».
Je n’ai fait pleurer aucun homme.
Je n’ai inligé aucune souffrance à un homme ou à un « Nous pensons que la disparition des grandes
animal. religions est inéluctable et que sous l’effet de la
mondialisation des consciences, elles donneront
Je n’ai pas frustré les temples de leurs oblations. naissance à une Religion universelle ».

Je n’ai pas diminué le boisseau. « Pour nous, la morale se rapporte avant tout au
respect que tout individu devrait avoir à l’égard
Je n’ai pas empiété sur les terrains d’autrui. de lui-même, d’autrui et de l’environnement ».
Je n’ai pas dérobé de terre. « Nous pensons que les arts doivent puiser leur
Je n’ai pas augmenté les poids sur la balance pour trom- inspiration dans les archétypes naturels, ce qui
per le vendeur. implique que les artistes “s’élèvent” vers ces
archétypes, plutôt que de “descendre” vers les
Je n’ai pas faussé l’indication de l’aiguille pour tromper stéréotypes les plus communs ».
l’acheteur.
« Nous défendons la cause d’une Fraternité
Je n’ai pas enlevé le lait de la bouche des enfants. humaine faisant de tout individu un Citoyen du
monde, ce qui suppose de mettre in à toute discri-
Je n’ai pas détourné l’eau au moment où elle devait mination ou ségrégation d’ordre racial, ethnique,
couler. social, religieux, politique ou autre ».
Je n’ai pas éteint la lamme quand elle devait brûler. « Nous pensons que les animaux sont également
Je n’ai pas repoussé Dieu dans Ses manifestations. des véhicules de l’Âme divine, et nous allons
même jusqu’à considérer que les plus évolués
Je suis pur ! Je suis pur ! Je suis pur ! d’entre eux sont des hommes en devenir ».

Ma pureté est la pureté de la Divinité du Saint Temple. « Nous considérons que l’univers et l’homme ont
C’est pourquoi le mal ne m’atteindra pas en ce monde, besoin l’un de l’autre pour se connaître et même
parce que moi, même moi, je connais les lois de Dieu se reconnaître, ce qui n’est pas sans rappeler
qui sont Dieu. le célèbre adage : “Connais-toi toi-même et tu
connaîtras l’univers et les dieux ».
Cro-Maât !

jAnvIER-févRIER 2010 39
DOSSIER

EntrEtiEn
SErGE tOUSSAint, Grand Maître de la juridiction francophone
de l’A.M.O.R.C.

« Le monde en général est devenu

P
trop individualiste et trop matérialiste »
résent dans le monde enier, l’A.M.o.R.C. mène ses acivités à travers
diverses juridicions de langue : anglais, allemand, espagnol, italien, russe,
portugais, japonais, grec, etc. tous les membres de l’ordre reçoivent le même
enseignement et disposent des mêmes prérogaives. À l’occasion de ce numéro spécial,

(D.R.)
nous avons rencontré serge toussaint, Grand Maître pour les pays francophones.
A.H.M. : sur le plan historique, nous dans le monde et d’assumer pleinement à la fois un philosophe et un mystique
savons que c’est au XViie siècle que les son statut de citoyen. Pour paraphraser dans l’âme, quels que soient sa forma-
Rose-Croix se sont fait connaître pour un adage bien connu, «un Rosicrucien tion et son niveau d’études.
la première fois. À cete époque, ils a la tête dans le ciel, mais les pieds sur
ne formaient pas une Fraternité aussi terre». Pouvez-vous déinir en quelques mots
structurée que l’A.M.o.R.C. quelle est le but de l’A.M.o.R.C. ?
l’uilité d’une telle structure ? Comme chacun sait, nous vivons Son but est de perpétuer l’enseignement
S.T. : Effectivement, l’A.M.O.R.C. est une époque plutôt individualiste que les Rose-Croix se sont transmis
de nos jours une organisation, au sens qui ne favorise pas l’adhésion aux à travers les siècles. De nos jours, cet
qu’il s’apparente à un mouvement or- organisaions dûment établies, enseignement se présente sous forme
ganisé autour d’un idéal, d’un ensei- qu’elles soient d’ailleurs religieuses, de monographies qui couvrent douze
gnement et d’une philosophie. C’est poliiques, philosophiques ou autres. degrés et que les membres de l’Ordre
précisément ce qui fait de lui un Ordre Cela ne pose-t-il pas un problème à reçoivent à leur domicile. Ceux qui le
fraternel qui réunit à travers le monde l’A.M.o.R.C. ? souhaitent peuvent également se rendre
des hommes et des femmes de toute Il est vrai que de nos jours, les person- dans des Loges et bénéicier en plus
race, de toute nationalité, de toute reli- nes intéressées par l’ésotérisme ou le d’un enseignement oral.
gion, de toute classe sociale, etc. mysticisme ont tendance à mener leur
quête individuellement, en lisant des li- Étant donné que cet enseignement
Au XXième siècle, le mot « ordre » est- vres, en assistant à des conférences, en prend sa source dans un lointain
il toujours approprié pour qualiier un “surfant” sur Internet… Par ailleurs, el- passé, on peut se demander s’il est
mouvement philosophique ? n’est-il les veulent des résultats immédiats et si toujours actuel ?
pas quelque peu suranné ? possible faciles à obtenir, à l’image de Les lois naturelles, universelles et spiri-
Non, je ne le pense pas. Ce mot fait ce que prône la société actuelle. Pour- tuelles qui régissent la vie, l’évolution
partie de l’appellation traditionnelle et tant, je pense sincèrement qu’une quête et la destinée de l’homme sont immua-
historique de l’Ordre de la Rose-Croix. philosophique digne de ce nom néces- bles. Ce que l’Ordre enseigne à leur su-
Il n’y a donc aucune raison de le chan- site du temps et du travail, et qu’elle est jet ne peut donc être suranné. Dans bien
ger. Se pose-t-on la question en ce qui plus eficace si elle est menée dans le des domaines, l’enseignement rosicru-
concerne l’Ordre des Médecins, l’Or- cadre d’une organisation structurée. cien reste même précurseur. Comme
dre des Avocats, l’Ordre des Architec- le dit un ancien adage : «les grandes
tes, ou encore l’Ordre des Chevaliers À titre de comparaison, il est possible, vérités sont éternelles». Néanmoins,
de la Légion d’Honneur ? L’Ordre des dans l’absolu, d’apprendre seul à lire et la manière d’expliquer ces vérités doit
Rosicruciens n’est autre qu’une Frater- à écrire. Cela dit, il est beaucoup mieux être adaptée à l’époque. L’A.M.O.R.C.
nité mondiale regroupant des personnes de le faire à l’école, sous la conduite l’a toujours fait, à tel point que son en-
qui s’intéressent à la philosophie et au d’un professeur dûment formé dans ce seignement est désormais accessible
mysticisme. but. par Internet.

Précisément, le mysicisme n’a-t-il l’A.M.o.R.C. se déinit comme un qu’en est-il de la philosophie rosicru-
pas une connotaion péjoraive ? mouvement philosophique. or, cienne en tant que telle ?
souvent, on pense qu’un mysique est nombre de personnes pensent que la Parallèlement à ce qu’ils étudient à
éloigné de la réalité, qu’il vit dans un philosophie est un domaine réservé travers les monographies ou les réu-
monde à part… à une élite intellectuelle. qu’en dites- nions tenues en Loge, les Rose-Croix
Il est un fait que le mot «mysticisme» vous ? mènent une quête de sagesse. Autre-
est souvent employé dans un sens péjo- Il est évident que tout le monde ne s’in- ment dit, ils travaillent sur eux-mê-
ratif. Pourtant, il remonte à la plus hau- téresse pas à la philosophie. Cela dit, la mes pour maîtriser leurs faiblesses et
te antiquité et veut dire «connaissance plupart des gens en ont une fausse idée. exprimer ce qu’il y a de meilleur en
des mystères». Par extension, un mysti- En fait, le mot « philosophie » est d’ori- eux. De toute évidence, le monde va
que est quelqu’un qui s’intéresse à cette gine grecque et signiie « amour de mal. Mais le seul moyen de l’amélio-
connaissance et qui cherche à compren- la sagesse ». Cela veut dire que toute rer est de s’améliorer soi-même. Tel
dre le sens profond de l’existence. Mais personne qui aspire à la sagesse et s’in- est le fondement de la philosophie ro-
cela ne l’empêche nullement de vivre téresse aux mystères de l’existence est sicrucienne.

40 DOSSIER D’ACtUALIté DE L’hIStOIRE l hORS-SERIE n° 1


L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

À propos du monde, quel regard sirs sensoriels, parfois jusqu’au pa- lité, quant à elle, s’apparente à une
portez-vous sur lui ? roxysme. Malheureusement, ce type quête mystique menée librement.
Comme chacun peut le constater, il de comportement cultive le désir de J’ajouterais que les religions sont des
est confronté à une crise sans précé- posséder, de dominer, de paraître, voies de croyance. Or, le seul fait de
dent, et ce, dans de nombreux domai- etc., ce qui renforce l’individualisme croire en Dieu ne rend pas l’homme
nes : économique, politique, social, et l’égotisme. meilleur. Pour s’en convaincre, il
moral, religieux, scientiique, écolo- sufit de penser aux intégrismes re-
gique, etc. Les Rosicruciens pensent, que préconisez-vous donc ? ligieux qui se manifestent un peu
et ils ne sont pas les seuls, que cette Si nous voulons construire un monde partout dans le monde. L’idéal est
crise est due au fait que le monde en meilleur, nous devons au contraire donc de mener une quête spirituelle
général est devenu trop individualis- éveiller ce qu’il y a de plus noble ayant pour fondement l’aspiration à
te et trop matérialiste. Comme je l’ai dans la nature humaine, ce qui re- la connaissance, ce qui nécessite une
écrit dans une lettre ouverte, il de- vient à développer les vertus dont grande ouverture d’esprit, une gran-
vient donc urgent de lui donner une Socrate aimait tant à parler, à savoir de tolérance.
orientation plus humaniste et plus l’humilité, l’intégrité, la générosité,
spiritualiste. le détachement, la tolérance, la non- Au cours de cet entreien, vous
violence, etc. Or, d’un point de vue avez dit tantôt «Rose-Croix»,
qu’entendez-vous exactement par rosicrucien, ces vertus sont des attri- tantôt «Rosicrucien». Ces deux
«plus humaniste» ? buts de l’âme et sont donc de nature mots ont-ils donc le même sens ?
Aussi paradoxal que cela paraisse, spirituelle. En fait, non. Si l’on veut être précis,
les hommes ont créé un monde dont le mot «Rosicrucien» désigne un
ils se sont eux-mêmes exclus. Ils se et pour vous, qu’est-ce que membre de l’Ordre, c’est-à-dire un
sont rendus trop dépendants de la la spiritualité ? étudiant de l’enseignement rosicru-
technologie et des machines, qui ont C’est la conviction que tout être cien. Dans l’absolu, un Rose-Croix
ini par les remplacer où cela n’était humain possède une âme et que est un Rosicrucien qui, grâce à cette
ni utile ni nécessaire. Ce faisant, ils le but de la vie est de rendre cette étude et au travail accompli sur lui-
ont déshumanisé la société et ont âme meilleure au contact des autres. même, a atteint la maîtrise de la vie,
fait de l’individualisme une culture, C’est également la conviction que la sagesse. De toute évidence, et mal-
celle du chacun pour soi. Résultat : l’univers n’est pas le fruit du hasard, heureusement, il y a beaucoup plus
peu de personnes sont vraiment heu- mais qu’il s’inscrit au contraire dans de Rosicruciens que de Rose-Croix
reuses. Pour inverser cette tendance, un Plan divin et qu’il obéit à une in en ce monde…
nous devons replacer l’homme au métaphysique.
centre de nos préoccupations, ce qui Propos recueillis par la rédaction
suppose de mettre à son service tous les Rosicruciens croient donc en
les secteurs de l’activité humaine, et Dieu ?
non l’inverse, comme cela a été fait Tout dépend de ce que vous enten-
jusqu’à présent. dez par «croire en Dieu». Dans la
plupart des religions, Il est présenté
Pour ce qui est de «rendre le mon- comme un Surhomme qui siège dans
de plus spiritualiste», cela n’est-il les cieux et qui décide du sort des
pas en contradicion avec le prin- hommes, y compris du moment de
cipe de la laïcité ? leur mort. Au regard de l’Ontologie
Non, car il ne s’agit pas de trans- rosicrucienne, Dieu est plutôt l’Intel-
former les États en théocraties ou ligence, la Conscience, l’Énergie, la
d’adapter leurs institutions à telle ou Force, peu importe le terme, qui est
telle religion dominante. En cela, la à l’origine de toute la Création. En
laïcité est une nécessité pour garan- tant que tel, Il est initelligible, mais Il
tir une indépendance mutuelle entre se manifeste dans l’univers, la nature
le pouvoir politique et la sphère reli- et l’homme selon des lois qu’il est
gieuse. Soit dit en passant, je regrette possible de connaître, ce qui suppose
néanmoins que certains confondent de les étudier. Vu sous cet angle, un
«laïcité» et «athéisme», au point de Rosicrucien se situe davantage dans
combattre la spiritualité et de pro- le domaine de la spiritualité que dans
mouvoir un laïcisme pur et dur. celui de la religiosité.
Comme je l’ai dit précédemment,
les sociétés modernes sont devenues si j’ai bien compris, vous faites une
trop matérialistes, en ce sens que les diférence entre la spiritualité et la
gens se comportent comme si le seul religiosité ?
but de l’existence était d’accroître Oui. La religiosité est le propre des Serge Toussaint, L’idéal éthique des Rose-Croix
toujours plus leurs biens matériels religions et repose sur les dogmes en douze vertus, Difusion rosicrucienne, 1998,
et de jouir le plus possible des plai- qui leur sont propres. La spiritua- 126 p., 14,50 E

« Avancer vers la perfection ; voilà le vrai bien. Et le vrai bien,


c’est le but de notre destinée. Être vertueux, c’est aspirer à une
ressemblance avec la Divinité ; c’est se rapprocher de la vocation
de l’homme ; c’est avancer vers l’unité de la créature et du
Créateur. »
Karl von Eckartshausen (1752-1803)
(D.R.)

Philosophe

jAnvIER-févRIER 2010 41
DOSSIER

LES ème
SIX RÈGLES DE L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX Noël, date de naissance du Christ, ou le jour de l’anni-
(XvI siècle) versaire de Christian Rosenkreutz).

4 – Obligation à chaque frère de trouver et d’instruire un


1 – Interdiction d’exercer une autre profession que la successeur pour éviter une carence en cas de décès.
guérison gratuite des malades.
5 – Les lettres CR seront utilisées comme sceau et com-
2 – Interdiction de porter les vêtements de la Confrérie, me signe de reconnaissance.
mais se conformer partout aux usages locaux.
6 – Les membres de la Confrérie jurent assistance, idé-
3 – Obligation de revenir une fois par an dans la demeure lité et secret, et s’engagent à ne pas révéler l’existence de
du Saint-Esprit, au jour C (vraisemblablement le jour de l’Ordre de la Rose-Croix avant un siècle.

OntOLOGIE DES ROSE-CROIX l L’homme est un être double dans sa nature et triple dans
sa manifestation.
L’enseignement rosicrucien couvre douze degrés qui nécessi-
tent plusieurs années d’étude. Il est donc impossible de le ré- l L’âme s’incarne dans le corps de l’enfant au moment où il
sumer en quelques lignes. Néanmoins, on peut s’en faire une inspire pour la première fois, faisant de lui un être vivant et
idée générale à travers douze lois ontologiques majeures, conscient.
étant entendu qu’elles n’ont aucun caractère dogmatique :
l Le destin de tout être humain est déterminé par la manière
l Dieu est l’Intelligence universelle qui a pensé, manifesté dont il applique son libre arbitre et par le karma qui en ré-
et animé toute la Création selon des lois immuables et par- sulte.
faites.
l La mort se produit au moment où l’homme rend son der-
lToute la Création est imprégnée d’une Âme universelle qui nier soufle et se traduit par la séparation déinitive entre le
évolue vers la perfection de sa propre nature. corps et l’âme.
l La vie est le support de l’Évolution cosmique, telle qu’elle lL’évolution spirituelle de l’homme est régie par la réincar-
se manifeste dans l’univers et sur la Terre. nation et a pour but ultime d’atteindre la Perfection.

l La matière doit son existence à une énergie vibratoire qui lIl existe un règne supra-humain, formé de toutes les âmes
se propage dans tout l’univers et dont chaque atome est im- désincarnées qui peuplent le monde invisible.
prégné.
l À l’issue de son évolution spirituelle, l’âme de tout être
lLe temps et l’espace sont des états de conscience et n’ont humain réintègre l’Âme universelle en toute pureté et vit en
aucune réalité matérielle indépendante de l’homme. pleine conscience dans l’Immanence divine.

éthIQUE DES ROSE-CROIX l Sois détaché, car le détachement est un gage de liberté
et cultive la richesse intérieure.
En application de leur philosophie, les Rose-Croix ac-
cordent une grande importance à la nécessité de s’amé- l Sois généreux, car la générosité fait autant de bien à
liorer par un travail constant sur soi-même. Adeptes de celui qui donne qu’à celui qui reçoit.
l’alchimie spirituelle, ils s’emploient à transmuter leurs
défauts en leurs qualités opposées, ain de manifester l Sois intègre, car l’intégrité est le garant d’une bonne
leur idéal éthique dans leur comportement, d’où ce code conscience et apporte la sérénité.
de vie rosicrucien :
l Sois humble, car l’humilité grandit celui qui en fait
preuve et lui vaut le respect des autres.
lSois patient, car la patience nourrit l’espérance et fait
du temps un allié sur le sentier de la vie. l Sois courageux, car le courage construit au quotidien et
rend fort dans l’adversité.
l Sois coniant, car la coniance en soi est une source
d’épanouissement, et celle qu’on accorde aux autres une l Sois non violent, car la non-violence génère l’harmonie
source d’amitié. intérieure et répand la paix entre les êtres.

l Sois tempéré, car la tempérance évite de tomber dans lSois bienveillant, car la bienveillance réjouit le cœur et
les excès et procure l’apaisement. embellit l’âme.
l Sois tolérant, car la tolérance élargit l’esprit et favorise l Étant cela, on pourra dire de toi que tu es sage, car la
les relations humaines. sagesse est l’application de ces vertus...

42 DOSSIER D’ACtUALIté DE L’hIStOIRE l hORS-SERIE n° 1


L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

(document A.m.O.R.C.)

Ce texte, édité par l’A.M.O.R.C. en septembre 2005, a reçu la reconnaissance de diverses personnalités civiles, politiques
et religieuses à travers le monde. Par ailleurs, il a été publié dans des journaux et des magazines de premier plan.

jAnvIER-févRIER 2010 43
DOSSIER

« L’âme humaine a une tendance perpétuelle vers la beauté et


l’ordre. L’ordre moral ou spirituel, de même que l’ordre physique
ou naturel, constituent cette Beauté divine avec laquelle elle a une
éternelle sympathie. »
Joséphin Péladan (1858-1918)
Écrivain
(D.R.)

« Le plus grand ennemi de l’homme n’est autre que son propre


ego, car celui-ci, tant qu’il n’est pas maîtrisé, le rend sourd et
aveugle au bien. Mais Dieu a donné à l’homme une précieuse
amie, son âme elle-même, qui n’a de cesse que de se faire entendre
à lui et de le guider. »
Marie Corelli (1864-1924)
Écrivain

(D.R.)
« Ce n’est qu’en agissant au proit des autres que nous agissons
en mode d’évolution, d’éclaircissement ; tandis qu’en agissant
à notre seul proit, nous agissons en mode d’involution,
d’obscurcissement. »
Gérard Encausse/Papus (1864-1916)
Philosophe
(D.R.)

« La nature peut être assimilée au corps de l’Être immense que


nous appelons Dieu et que nous concevons comme Inini et Éternel.
Elle réalise donc la Pensée divine. Nous pouvons dire que Dieu
travaille dans la nature et parle par elle, car la nature est Son
Grand Livre. »
François-Jollivet Castelot (1868-1937)
(D.R.)

Alchimiste

« Nous pouvons être de réels coopérateurs de l’Évolution. En


cela, la connaissance véritable est basée sur la tolérance réelle ;
de cette tolérance réelle vient la compréhension absolue ; de la
compréhension absolue naît l’enthousiasme pour la paix, qui
éclaire et puriie. »
Nicolas Roerich (1874-1947)
Artiste et philosophe
(D.R.)

« Le véritable mystique se reconnaît, entre autres vertus, à ce qu’il


donne l’exemple, sinon du silence, au moins de la tempérance
verbale. Il ne parle qu’à bon escient, c’est-à-dire rarement, et les
paroles qu’il prononce sont riches d’un sens profond. »
Jeanne Guesdon (1884-1955)
Philosophe
(D.R.)

44 DOSSIER D’ACtUALIté DE L’hIStOIRE l hORS-SERIE n° 1


L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

UtOPIE ROSICRUCIEnnE Dieu de tous les hommes, Dieu de toute vie,

En mars 2001, l’A.M.O.R.C. a publié la « Positio Fra- Dans l’Humanité dont nous rêvons :
ternitatis Rosae Crucis », Manifeste que des historiens
de l’ésotérisme situent dans la lignée des trois Manifes- Les politiciens sont profondément humanistes et œuvrent
tes parus au xviième siècle. Sur la couverture, on peut lire au service du bien commun,
la déclaration suivante :
Les économistes gèrent les inances des États avec dis-
« En cette première année du troisième millénaire, sous cernement et dans l’intérêt de tous,
le regard du Dieu de tous les hommes et de toute vie,
nous, députés du Conseil suprême de la Fraternité rosi- Les savants sont spiritualistes et cherchent leur inspira-
crucienne, avons jugé que l’heure était venue d’allumer tion dans le Livre de la Nature,
le quatrième Flambeau R+C, ain de révéler notre posi-
tion sur la situation actuelle de l’Humanité et mettre en Les artistes sont inspirés et expriment dans leurs œuvres
lumière les menaces qui pèsent sur elle, mais aussi les la beauté et la pureté du Plan divin,
espoirs que nous plaçons en elle ».
Les médecins sont animés par l’amour de leur prochain
La « Positio » se termine par un texte intitulé « Utopie et soignent aussi bien les âmes que les corps,
rosicrucienne », non sans avoir rappelé que Platon dé-
clara dans la « République » : «L’Utopie est la forme de Il n’y a plus de misère ni de pauvreté, car chacun a ce
Société idéale. Peut-être est-il impossible de la réaliser dont il a besoin pour vivre heureux,
sur Terre, mais c’est en elle qu’un sage doit placer tous
ses espoirs». Le travail n’est pas vécu comme une contrainte, mais
comme une source d’épanouissement et de bien-être,
La nature est considérée comme le plus beau des temples
et les animaux comme nos frères en voie d’évolution,

Il existe un Gouvernement mondial formé par les diri-


geants de toutes les nations, œuvrant dans l’intérêt de
toute l’Humanité,
La Spiritualité est un idéal et un mode de vie qui pren-
nent leur source dans une Religion universelle, basée da-
vantage sur la connaissance des lois divines que sur la
croyance en Dieu,

Les relations humaines sont fondées sur l’amour, l’ami-


tié et la fraternité, de sorte que le monde entier vit dans
la paix et l’harmonie.

COntRIbUtIOn ROSICRUCIEnnE À LA PAIX l Je contribue à la paix lorsque j’utilise le dialogue


plutôt que la force pour régler tout conlit.
Ainsi qu’en témoigne sa célèbre « bannière de la paix »,
Nicolas Roerich (1874-1947), éminent membre de l Je contribue à la paix lorsque je respecte la nature
l’A.M.O.R.C., consacra une grande partie de sa vie à et la préserve pour les générations futures.
œuvrer au service de la culture, mais aussi de la paix.
Cet idéal est toujours très présent dans la littérature rosi- l Je contribue à la paix lorsque je ne cherche pas à
crucienne, comme le montre ce texte : imposer aux autres ma conception de Dieu.

l Je contribue à la paix lorsque je m’évertue à ex- l Je contribue à la paix lorsque je fais de la paix le
primer le meilleur de moi-même dans mes relations fondement de mon idéal et de ma philosophie.
avec autrui.
l Je contribue à la paix lorsque je mets mon intelli-
gence et mes compétences au service du Bien.
l Je contribue à la paix lorsque j’éprouve de la com-

passion à l’égard de tous ceux qui souffrent.


l Je contribue à la paix lorsque je considère tous les
êtres humains comme mes frères et sœurs, quelles
que soient leur race, leur culture et leur religion.

l Je contribue à la paix lorsque je me réjouis du


bonheur des autres et prie pour leur bien-être.
l Je contribue à la paix lorsque j’écoute avec respect

et tolérance des opinions qui divergent des miennes


ou même qui s’y opposent.

jAnvIER-févRIER 2010 45
DOSSIER

Dans la Revue Rose-Croix


Le Souisme : voie
mysique de l’islam
L’A.M.o.R.C. publie chaque trimestre la Revue Rose-Croix, dont les aricles traitent de
sujets culturels, scieniiques et philosophiques très variés. les membres de l’ordre la
reçoivent régulièrement avec les monographies qui leur sont adressées,
mais elle ne leur est pas exclusivement réservée. toute personne intéressée peut donc
se la procurer. À itre d’exemple, voici un aricle publié dernièrement dans cete Revue.
meure attaché à la signiication spirituelle des êtres, Ainsi, l’un des grands Chaykhs du souisme, al-
de leurs rôles et de leurs actes. Quchayri (Abul-Qâçem, Abdul-Karim ibn Hawâ-
Nietzche disait que la grandeur d’un homme, c’est zen al-Quchayri, né en 376 Hg., mort en 465 Hg.
d’être un pont. Et la réalisation d’un mystique, c’est à Nishâpûr), commenté par le Chaykh-ul-islam Za-
de devenir un pont par lequel les frères humains re- kariya al-Ansâri, reporte la formation de la souiya
trouvent la voie de Dieu et s’y engagent. Et le pont à la perpétuation du savoir mohammadien par ses
est construit avec l’amour de Dieu ; il ne tient que compagnons dits sahâbah. Ensuite vint la seconde
par le mortier de l’amour des hommes. Ceci est génération, ceux qui ont été les compagnons de ces
le secret de la mystique islamique, et en est aussi premiers et qui furent appelés tâbi’în, puis ceux qui
l’aboutissement. leur succédèrent, appelés atbâa at-tâbt în (les sui-
La voie mystique en islam, notamment après avoir vants des suivants). Plus tard surgirent des dissen-
été désignée par le mot tasawwuf (souisme), est de- sions et des différences d’appréciation ; on en vint à
venue l’attribut des connaissants, âlimûn, les gens appeler ceux qui étaient très attachés à la religion les
de la connaissance, et maarifa, cette connaissance : zuhhâd (ascètes) et les oubbâd (orants). Finalement
cette voie et méthode d’accès est une gnose, à apparurent des sectes qui prétendaient à ces quali-
condition d’entendre par ce terme non pas un savoir tés : alors les vrais tenants de l’ascèse, ceux qui en
transmis et acquis, mais une connaissance révélée, étaient les privilégiés prirent le nom de tasawwuf
dévoilée et expérimentée, vécue jaillie au cœur du pour leur pratique et furent connus comme tels,
cherchant en éclairs fulgurants, puis parfois en tor- ce qui n’arriva qu’environ 200 ans après l’Hégire
rents de lumière, pour rejaillir sur les champs de la (donc vers les années 820/825 de l’ère chrétienne,
(document A.m.O.R.C.)

tradition et de la religion et les imprégner des traces en pleine période abbasside).


de vérité qu’elles relètent dans les cœurs des autres Si l’on interroge le Littré qui orthographie Soi ou
croyants, à la mesure de leur propre ouverture. Sophi (pour Soui), il attribue ce terme à des phi-
Le Livre saint, le Qor’an, ne dit-il pas dans la Sou- losophes musulmans qui ont établi une école pan-
En islam, le Livre de Vérité est le Qor’an, la parole rate 2, dite de « La Vache », verset 269 : « Il dote de théiste et dont les principes essentiels sont que Dieu
de Dieu relayée par l’Ange Jibril et exprimée par la la sagesse qui Il veut ; et celui qui a été doté de la seul existe, qu’Il est dans tout et que tout est Lui-
bouche de l’Envoyé, Mohammad, missionné pour sagesse a déjà reçu un bien immense ». Cette appro- même ; que tous les êtres visibles et invisibles en
rappeler les hommes à Dieu, à la rectitude du che- che qor’anique recèle une notion d’élection. Mais sont une émanation ; que le paradis, l’enfer et tous
min de la Lumière révélée aux hommes depuis le elle est tempérée par cet autre verset qui rappelle les dogmes des religions positives ne sont que des
commencement des temps. Et Dieu dit ainsi dans la aux croyants qu’ils sont égaux au regard de Dieu, allégories dont le soi a la clef ; qu’il n’existe pas
sourate 41, verset 53 : « Nous leur ferons voir Nos que ne les différencie que leur degré de piété. Il en réellement de différence entre le bien et le mal, puis-
signes dans les horizons et dans leurs âmes jusqu’à découle que c’est par la piété que s’opère l’œuvre de que tout se réduit à l’unité, et qu’ainsi Dieu est en
ce qu’ils discernent que Là est le Vrai ». « proximité » : là est le point originel des commenta- réalité l’auteur des actions de l’homme ; que l’âme
L’ensemble des écoles du mysticisme islamique a teurs et exégètes qui ont placé la voie mystique dans est préexistante au corps et s’y trouve enfermée
trouvé dans cette ouverture le chemin conduisant l’islam des premiers temps et de leurs continuateurs comme dans une cage ; que la mort, qui doit être
à la reconnaissance de l’Œuvre divine dans le ma- immédiats. souhaitée, est l’anéantissement en Dieu ; que c’est
nifesté, Création dont l’éclat et la beauté doivent par la métempsychose que les âmes sont puriiées
conduire le croyant jusque dans le sein de Dieu. À et obtiennent d’être réunies à Dieu, et que la prin-
cette source tous ont convergé et se sont désaltérés cipale occupation du soi doit être de méditer sur
de la saveur de la quête, cheminant vers le stade de l’unité et de s’avancer par les divers degrés de la
la «proximité». perfection spirituelle. On voit, au travers de cette
Un mystique islamique de notre temps, Bahrâm référence combien notre Occident, il y a à peine 150
Elâhi, tente de cadrer la perspective de la voie mys- ans, connaissait l’islam avec de bien larges approxi-
tique en islam : « Cette voie est universelle ; elle est mations. Avec le XXème siècle, nombreux furent les
ici, dans notre univers de la matérialité, mais elle érudits occidentaux et orientalistes à se pénétrer de
est également là-bas, dans l’univers de la spiritua- la pensée islamique et à l’approcher avec dignité et
lité. [...] Cette école est universelle, [...] n’a pas de intégrité, notamment en France ; citons, parmi les
couleur, n’a pas de territoire, n’est pas fermée. C’est plus grands noms, Blachère, Massignon, Guénor
une école pour ceux qui ont soif de l’Esprit, qui dési- Berque, De Vitray-Meyerovitch, Corbin, Der-
rent Dieu pour Dieu ». menghem, Laoust et bien d’autres.
Le souisme intéresse aujourd’hui en Occident bien
Définitions de la voie mystique en islam des personnes attirées par la spiritualité, des gens
qui ont effectivement mis de côté les contraintes des
Le mysticisme est à la fois une voie, une doctrine obligations religieuses qui leur semblent réduire leur
(in Revue Rose-Croix n° 228 - A.m.O.R.C.)

et un état: doctrine, il prête un sens caché aux révé- liberté de comportement et de croyance. Ces gens
lations des Écritures et aux choses ; voie, il prétend recherchent assidûment le moyen de vivre une expé-
conduire à la connaissance de choses divines sans rience intérieure de communion spirituelle profonde
intermédiaire, à pénétrer les mystères, et par un dé- répondant à leurs aspirations, à travers une nouvelle
voilement atteindre aux réalités transcendantes face naissance, qui évolue en leur conscience d’une ma-
à face ; état, c’est un comportement spirituel issu de nière parfois perceptible, parfois souterraine, ain de
l’étude de la théologie et de la théogonie, et qui de- qâf, la montagne cosmique. vivre une relation avec le Divin. Or, en déinitive,

46 DOSSIER D’ACtUALIté DE L’hIStOIRE l hORS-SERIE n° 1


L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

Livre de l’Épreuve : « Qu’est-ce que l’amour ? En effet, nous trouvons sous la plume d’Eva de Vi-
L’océan à partir d’une goutte ! ». Ce symbole de la tray-Meyerovitch : « Le rôle des Souis n’est pas de
goutte qui se perd dans l’océan, cet océan se retrou- guérir les cœurs et d’éliminer tout ce qui voile l’œil
ve dans toutes les traditions mystiques. Le voyage, intérieur. Ils s’efforcent d’établir leur demeure en
chez Attâr, trouve l’océan en lui-même et arrive au l’Esprit, devant la face de Celui qui est la Très Hau-
point où la voie vers Dieu s’arrête, où commence te Vérité, jusqu’à ce qu’ils soient, par Lui, retirés de
le voyage en Dieu, selon la belle formule de Anne- tout ce qui est autre, leurs essences s’étant éteintes
marie Schimmel (préface au Livre de l’Épreuve, en Son Essence et leurs qualités en Ses Qualités ».
traduit par Isabelle de Gastines). Elle ajoute plus loin : « Cœur vivant de l’islam, [...]
Ibn ‘Arabi, le Chaykh ul-akbar (le plus grand des intériorisation vécue d’un donné révélé, [...], certes,

(in Revue Rose-Croix n° 228 - document A.m.O.R.C.)


Chaykhs) (né à Murcie en 1165 – mort à Damas le tasawwuf c’est cela ».
en 1241), celui qui a déini la doctrine de l’Unité Abul Hassan Ali al-Hajwîrî, un illustre Soui
(tawhîd) et de la solitude (ahadiyya), au sommet de afghan disciple de Hallaj, écrit au XIème siècle à La-
tout l’édiice soui, a écrit dans son Diwân un poème hore, dans son ouvrage « Kashf-ul-mahjoub li-arbâb
où sa profession de foi en l’Amour réunit en son ul-qulûb » : « Soui est un terme dont on désigne et
cœur toutes les données du monde et des religions : qui a désigné, jadis, les saints et adeptes spirituels ».
« Jusqu’à ce jour, je récusais mon compagnon L’un des Maîtres a dit : « Celui qui est puriié par
Car mon cœur ne professait pas la même foi ; l’amour est pur, et celui qui est absorbé dans le
Cet idéogramme, qui signiie « Voyage en Mais il est aujourd’hui devenu capable de toutes Bien-Aimé et a renoncé à tout le reste est un Soui ».
Dieu », fait parie des supports visuels choses, Il ajoute : « Ce nom n’a pas de racine répondant
que les souis uilisent régulièrement Il est aussi bien tendre prairies pour les gazelles aux normes de l’étymologie, car le souisme est trop
pour s’unir à Dieu. Qu’un havre pour les moines chrétiens, sublime pour être dérivé ».
Qu’un temple pour l’idolâtre, et Kaaba du pèlerin, Jalal-ud-Din Rûmî joue sur les métaphores :
à quoi se résout la voie souie ? « À voir Dieu en Les Tables de la Thora et le Livre du Qor’an ; « O toi qui t’es endormi dans le bateau du corps,
chaque chose », ce qui est bien la doctrine de l’Unité Car je professe la religion d’amour, Tu as vu l’eau : contemple l’Eau de l’eau ;
(tawhîd) et unicité de l’être ou de l’existence (tawhîd Et quelqu’Orient où va sa monture L’eau a une Eau qui la pousse,
ul-wujûd) ; ceci est-il panthéiste ? D’une certaine L’amour restera ma religion et ma foi ! ». L’esprit un Esprit qui l’appelle ».
façon, oui, car dans sa transformation continuelle
et progressive, dans son ravissement intérieur et sa Zhu n-nûn al-Masri et Abu-Bakr Shibli clament
lucidité extérieure, l’homme de Dieu, le Soui, entre au IXème siècle que l’ascète soui est un homme qui
« ivresse du divin » et « sobriété » vit les mystères s’est détaché du monde. Mais, en déinitive, la piété
d’une spiritualité profonde, tire une jouissance in- islamique qui est pratique d’obligations et de prière,
tense de la vie et de ses actions extérieures, impré- ascèse en elle-même, conduit par la “crainte” de
gnée d’altérité, avec cette saveur inexprimable qui Dieu à le préférer à toutes choses de ce bas-monde.
naît dans le « cœur » de celui qui se rapproche du « Cette ascèse religieuse est une expression du mysti-
secret » de LUI. cisme islamique, elle s’accompagne d’un détache-
Un adepte soui, notre contemporain Faouzi Sqâli ment puis d’un renoncement, mais elle demeure
tente de décrire l’approche et le contenu de la quête piétisme et quiétisme. La voie souie conduit ses
mystique en islam : « Selon le Qor’an, Dieu se ma- adeptes au-delà de ce portail, vers les réalités divi-
nifeste aux hommes à la fois comme le Tout-Autre, nes, la transcendance spirituelle où Dieu est amour
l’Inini, l’Illimité, et comme Celui qui nous est plus et où la perspective, par le dévoilement, est fusion et
proche que notre veine jugulaire. L’expérience de demeure, par ces trois degrés, dans la « proximité »
l’Amour (divin) en islam est celle de la perplexité divine (kachf, fan baqa’).
qui naît de cette proximité-éloignement de ce qui ne
nous a jamais quittés, mais que l’on cherche sans Apparition et développement de la voie soufie
cesse à retrouver. La lumière qui jaillit de cette per-
plexité est la «Connaissance», la perception subtile Beaucoup d’arguments ont été discutés et présentés
(in Revue Rose-Croix n° 228 - A.m.O.R.C.)

de la manifestation de l’Être divin dans notre cœur. pour déterminer l’origine de la mystique en islam.
Ainsi, la sainteté en islam est l’état de celui dont «la En déinitive les uns et les autres en arrivent à la
ine pointe de l’être» s’est plongée dans sa source conclusion invitant le chercheur à ne plus chercher
divine. Ses vertus, son amour et sa sagesse ne sont le contenu dans les termes mais à se cantonner à la
que les manifestations spontanées d’une réalité substance : c’est ce à quoi aboutit al-Hajwîrî déjà
intérieure, de cette pauvreté essentielle ». Sqâli dit cité disant : « ce nom n’a pas de racine répondant
par ailleurs que cette pauvreté n’est que la cpauvreté le soui (Peinture de H. spencer lewis). aux normes de l’étymologie…» et ce après avoir
dans l’esprit » dont parlait Jésus, la réalisation de ce passé en revue diverses acceptions et rattachements
détachement intérieur, obtenu dans le dévoilement Vers la même époque, Ibn al-Fâridh (né en 1181 au du terme. Revoyons un peu la chose.
divin, créant cette ivresse perpétuelle au travers de Caire, mort au Caire en 1235), considéré comme le Les Chaykhs ayant traité de cette étymologie cher-
laquelle et dans la clarté du cœur, tout l’univers, les plus grand poète arabe soui, rédigeait sa Khamriyya chent à rester dans les limites de la religion islami-
choses créées sont ressenties comme une émanation (Ode du Vin mystique) où il décrit l’ivresse dans que, ille de la révélation mohammadienne. Et ils
de Dieu, où il n’y a plus la distinction réductrice en- l’amour divin. Toujours au XIIIème siècle, Jalal- ont leurs raisons, historiquement parlant, car les
tre profane et sacré, cette distinction qui provient de ud-Din Rûmî, poète persan et fondateur de l’école Souis qui ont adopté cette désignation ont trop rapi-
la limitation de notre conscience concrète, mais où souie des Derviches tourneurs (né à Balkh en 1210, dement glissé vers des “dérives” néo-platoniciennes
la réalité, dans son unité essentielle, est tout intégra- mort à Konieh en 1273) illustre par son Methnévi, et panthéistes, et dès le milieu du IXème siècle, ils ont
lement sacrée. Car, dit le Qor’an, « la in ultime se poème de 56000 vers, décrit les Souis : été accusés d’hérésie et combattus : al-Hallaj a été
trouve en ton Seigneur », « Il est le Premier et le « Les Souis : ils sont sans livres, sans études, sans torturé et cruciié en 922 à Baghdad, après avoir été
Dernier », « Il est l’Apparent et le Caché ». érudition renié par le grand Junayd et ses disciples. La in du
La voie souie, voie de la gnose, est aussi une voie Mais ils ont poli leurs cœurs Xème siècle avait vu leurir la confrérie secrète des
du désir, car elle est une voie d’amour, en cela une Les ont puriiés du désir, de la cupidité, de l’avarice Frères de la Pureté et a vu leur occultation et leur
voie de la douleur passionnelle, chantée par Hallaj et de la haine. dispersion. Entre le XIème et le XIIème siècles, al-
au Xème siècle, mort cruciié pour avoir clamé sa Cette pureté du miroir est certes le cœur relétant Ghazzâli (né à Tûs, Khorassan en 1058 - mort à Tûs
« découverte », pour avoir crié sa certitude de fusion toutes images, en 1111) prend le nécessaire lambeau du redresse-
en Dieu : «Ana l-Haqq !» (Je suis le Vrai, le Vrai, L’entendement ici devient silence pour n’induire ment orthodoxe de la souiyya, qui est arabisée en
LUI). Au XIIème siècle, Fariduddin al-Attâr (mort erreur tasawwuf ; il réconcilie les pratiques du mysticisme
vers 1220), poète et mystique persan, incarnait, Car le cœur est Avec Dieu, ou plutôt le cœur est en les rendant inséparables des pratiques religieuses
selon ses propres termes, « la voie de la douleur » LUI. et en les y fondant, édiiant une synthèse entre la spé-
ainsi qu’il l’a évoqué à la in de son Langage des Ceux au cœur poli ont échappé aux parfums et aux culation traditionnaliste des théologiens et l’intuition
Oiseaux, et son désir ardent et sa nostalgie ont fait couleurs, transcendantale des Souis : en ce sens, al-Ghazzali
dire de lui par Shustâri (vers 1600) qu’il était « la Ils contemplent la beauté de chaque instant, représente le nouveau fondement de la science du
chandelle de la chambre nocturne de son temps, Ils ont abandonné la forme et l’écorce du savoir, tasawwuf. Toute déviation subséquente a été répri-
baignant dans la mer de la connaissance, perdu Ils ont tenu l’essence dans l’océan de la connais- mée, telle la mise en accusation et la liquidation de
dans l’océan de la plénitude ». Et Attâr dit dans son sance mystique ». Sohrawardi (à Alep) en 1191 ; sous le règne de Sa-

jAnvIER-févRIER 2010 47
DOSSIER

ladin ; telle aussi la mise en accusation du grand Ibn alexandrine, et manichéenne, qu’elle soit en laine universelle, simultanément particulière à l’islam et
‘Arabi (1165-1241), ce moniste intégral de la doc- (le proverbe populaire bédouin ne dit-il pas « ce qui universelle dans son orientation dans la sacralité, la
trine de l’Unité et de l’Unicité de l’Être, parce que, protège du froid, protège du chaud » ?) ou en lin, recherche de la sainteté, l’approche de la pureté et de
malgré le fait qu’il ait réfuté la révolte d’un Hallaj, il selon les pays et les matières textiles. Aujourd’hui, la transcendance, de la perfection, le ihsân ou précel-
avait repris certaines vues œcuméniques des Frères c’est surtout le coton qui prévaut en Orient... lence, pour parvenir au Divin.
de la Pureté et les vues panthéistes des néo-platoni- D’ailleurs, l’arabisation des termes ayant caractère Pour résumer, rejoignons encore Martin Lings qui
ciens et du prophétisme de la Présence. de néo-logisme est courante dans le monde arabe : trouve une image du particularisme et de l’univer-
Dans cette revue doctrinale rapide réside tout le dès le VIIIème siècle, ceux de faylasouf pour philo- salisme du Souisme en le comparant au rayon
souisme historique, depuis ses origines controver- sophe, et falasifa (pluriel) et falsafa pour philoso- d’une roue : « particulier en ce qu’il est distinct
sées, jusqu’à ce qu’il retrempe ses antennes dans sa phie ont été adoptés. Pourquoi pas souiyya pour de chacun des autres rayons représentant d’autres
double source vitale. En effet, il a été dit que soui sophia ? De même, masoniah et far-masniah (pour mysticismes, et universel parce que, comme eux,
venait de souf (laine), vêtement adopté par humilité Franc-maçonnerie) ont été adoptés, ainsi que radio, il conduit au Centre unique ». Il ajoute, et c’est
et macération par les adeptes de la mystique islami- telviziôn ou telefôn. important : « Notre image [du rayon de la roue]
que, mais pourquoi la couleur blanche et pourquoi Ceci n’ôte rien à la gloire et à la lumière que la voie dans son ensemble révèle clairement cette vérité :
seulement deux siècles après les débuts de l’islam ? souie a manifesté pour les siècles de la civilisation lorsqu’ un chemin mystique approche de son But,
Le Soui a aussi été ramené à la notion de rang, islamique et à l’avancement que les grands adeptes il est plus proche des autres mysticismes qu’à son
par allusion au premier rang parmi les idèles en souis ont permis en leur domaine spirituel spéci- départ ». Mais il souligne aussi cette autre vérité,
mosquée, rang où voulaient se regrouper les plus ique, ainsi qu’à l’avancement que leurs écrits ont disant : « Cette image révèle aussi, incidemment,
proches disciples de Mohammad, immédiatement offert à la théologie médiévale chrétienne autant que l’ineficacité du dilettantisme qui correspond à une
derrière leur imâm, conduisant la prière collective ; juive. En effet, si les plus éclairés parmi les moines ligne sinueuse, qui parfois se dirige vers le centre et,
ce fut l’allusion au saff-el-awwal : explication im- et hommes de savoir des pays d’Occident ont puisé parfois, s’en éloigne, croisant et recroisant différents
probable, puisqu’elle n’apparaît que plus de deux à foison dans les œuvres des savants et mystiques rayons mais n’en suivant aucun avec constance,
cents plus tard. musulmans d’Espagne et d’Orient, l’ensemble de tout en prétendant embrasser la synthèse de tous ».
L’origine des Souis a également été présentée com- la Qabbale juive ne s’est édiiée qu’au travers des
me une perpétuation de ceux des idèles et proches écrits de Maîmonide (abu Umrân Mûsa ibn-May Les caractéristiques de la voie soufie
mûn, 1135 Cordoue - 1204 Le Caire), de Avicebron
(Salmon ibn Gabirol, Malaga 1020 - Valence 1058) Elles sont multiples et, sans les commenter, car cela
pour ne citer que ceux-là, et dont les œuvres furent demanderait de réécrire des volumes que l’on est
pour la plupart rédigées en arabe. susceptible de nos jours de trouver dans des éditions
Un auteur de la dimension d’Émile Dermenghem occidentales, notamment en français, nous nous
n’hésite pas à souligner, dans son ouvrage Maho- contenterons de les évoquer :
met et la Tradition islamique, que « le souisme
représente une protestation contre le formalisme l Le Souisme se rattache au Livre saint de l’is-
juridique en même temps que contre la mondanité lam : le Qor’an, récapitulation de la Parole incréée
résultant des conquêtes. Il donne la primauté à la de Dieu. Les Souis pratiquent cette lecture comme
religion du cœur, à l’amour de Dieu, aux valeurs une remémoration continuelle de Dieu, cherchant
de contemplation et d’ascèse, [...] une méthode de à s’y noyer (istighrâq), ain que s’en imprégnant
réalisation spirituelle, très originale malgré son ils puissent accéder à devenir cette parole, en s’y
caractère traditionnel et les inluences adventistes « anéantissant » (fana). Les souis ont trouvé cer-
chrétiennes, néo-platoniciennes et hindouistes ». tains versets plus particulièrement orientés vers leur
La voie mystique en islam est notamment témoi- quête intérieure : « Répondez à l’appel de votre Sei-
gnée et illustrée par le Souisme. L’Orient islami- gneur », « Toutes choses ne retournent-elles pas à
que, où cette voie gnostique connaît un renouveau Dieu ? », « Octroie-nous le chemin de rectitude »,
certain, s’y intéresse toujours, en dépit de l’occi- « Nous sommes à Dieu et à Lui nous retournons ».
dentalisation croissante de la vie quotidienne et de
(in Revue Rose-Croix n° 228 - A.m.O.R.C.)

certaines valeurs qu’elle introduit. Mais en Occi- l Le Souisme est une voie, un chemin, et le ta-
dent ? Cet Occident chrétien où les valeurs de la sawwuf est le fait d’avoir pris ce chemin de « rec-
foi s’essouflent, cet univers du matérialisme et du titude » ; cette voie est aussi une méthode, une
progrès technique ? Comment expliquer l’intérêt tarîqah. Elle est conduite par un Chaykh, un notable
que suscite le désir de savoir ce qu’est le Souisme, du mysticisme. Louis Massignon, dans l’Encyclo-
sinon une curiosité teintée d’exotisme ? Martin pédie de l’islam, article «Tariqah», lui donne deux
la mosquée (Peinture de H. spencer lewis). Lings afirme que cet intérêt présuppose au moins acceptions : «Dans sa première acception, le mot
un pressentiment de la possibilité d’une perception tariqah désigne une méthode de psychologie mo-
de Mohammad qui avaient pratiquement élu domi- intérieure directe, pressentiment qui pourrait devenir rale pour guider chaque vocation individuelle, en
cile sur la saffa, banquette construite le long du mur germe d’aspiration, ou, à tout le moins, dit-il encore, traçant un itinerarium mentis ad Deum, menant à
du fond de la première mosquée et sur laquelle l’on « il demande que l’âme ne soit pas fermée à cette travers diverses étapes de la pratique littérale de la
s’asseyait ; c’est ce que l’on appelle encore de nos possibilité ».
jours une saffa ou une mastaba. Ces ashâb us-saffa
étaient exemplaires par leur piété et leur attache- Le contenu du soufisme
ment à Mohammad et à ses enseignements. Il a de
plus été également avancé, assez tardivement il est Une prière en forme de poème que récitait souvent
vrai, comme pour y camouler l’appellation de cette le Chaykh ul-akbar Ibn ‘Arabi disait : « Fais-moi
Confrérie des Frères de la Pureté, que soui se rat- entrer, Seigneur, dans les profondeurs de l’océan in-
tachait à safa, la pureté, cette qualité spéciique qui ini de Ton Unité ! ». Tout le contenu du Souisme
doit inspirer les actes et pensées de tout mystique. est en ces quelques mots. C’est à la fois la voie et
Pour désigner un adepte de la soiyya, on n’a pas la manière de l’entreprendre, de la suivre, de la par-
manqué non plus de rapprocher le terme soui, courir et d’aboutir à cette fusion dans l’ininitude
devenu un qualiicatif et un substantif arabe, tout inexprimable du Divin, l’Un, l’Unique, le Seul, l’Un
simplement du terme sophia (sagesse), du grec des et le Tout, pour autant que Un et Tout puissent être
néo-platoniciens arabisé par la conquête islamique, perçus et exprimés par nos termes humains, sortis
comme cela est inévitable dans l’ensemble des pays de notre imagerie physique.
de ce Proche-Orient hellénisé depuis de nombreux Il nous faut souligner ici qu’en dépit de certains
siècles, et qui prenait une revanche de reconquête apports des autres voies de sagesse et d’ascèse, des
intellectuelle et spirituelle sur son conquérant, lui emprunts conceptuels que certains grands chaykhs
(in Revue Rose-Croix n° 228 - A.m.O.R.C.)

permettant ainsi de faire un bond en avant et de se ont pu faire à d’autres traditions, le souisme a été
hisser sur les sommets de la pensée humaine. On et demeure une voie mystique enracinée dans l’is-
s’adonnait à la sophia, étude de la sagesse et voie de lam, tirant son origine dans la révélation moham-
transcendance ; on devenait sophia (comme le laisse madienne, imprégnée de l’islam, esprit et théologie,
entendre le Littré) et l’on revêtait la robe blanche, religion et pratique, donc une voie particulière dont
comme c’en était l’usage dans les traditions égyp- les moyens ne sont qu’en islam, ne sont émanés que
tienne, mazdéenne, pythagoricienne, essénienne, de l’islam. Mais le Souisme est également une voie l’ascension du Prophète.

48 DOSSIER D’ACtUALIté DE L’hIStOIRE l hORS-SERIE n° 1


L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

l Tout Chaykh doit avoir reçu une autorisation une source qui jaillit en dehors des normes et des
sacrée (izhn) de transmission de la voie initiati- règles. On retrouve là l’opposition dialectique, bien
que, autorisation qui assure la chaîne (silsila) de connue des scientiiques, entre la rationalisation et
transmission ininterrompue, laquelle doit remon- la transgression. Sans transgression, la science ou
ter de Chaykh en Chaykh reconnus transmetteurs la religion piétinent et se sclérosent ; et inversement,
jusqu’aux premiers chaînons qui débouchent sur sans règles et sans ordre, la transgression se perd
Ali, le cousin et successeur de Mohammad et donc dans les nuages et l’incommunicable ».
au Prophète lui-même. Ainsi, le Chaykh est autorisé
et véridique, et son enseignement comporte une Il n’y a de mystique que le mystère, le cherchant
initiation. s’aventure dans l’invisibilité, le ghayb ; mais il tâ-
tonne avec cette certitude, le yaqîn, de trouver, du
l La pratique initiatique consiste en commentaires moins de pressentir le secret, le sirr, en son moi
explicatifs et en séances communes de récitation de profond où, progressivement, mais par à-coups suc-
louange à Dieu, de poèmes chantés à la louange de cessifs et involontaires, s’offrent des dévoilements,
son Envoyé et de la Lumière mohammadienne, de le kachf, introduisant en sa conscience intérieure la
musique et de danse sacrée à l’école mevlevi des connaissance intime, la maarifa, dans ce que l’un
(in Revue Rose-Croix n° 228 - A.m.O.R.C.) Derviches tourneurs, le samaa. Ces séances sont des grands mystiques ismaéliens, Molla Sadra
zhikr, ou recollection de Dieu. Mais le Chaykh choi- Shirâzi, a appelé nour alnour, « une lumière sur la
sit et donne à chacun de ses murîd un mot à méditer, lumière ». Mais s’agit-il inalement de lumière dans
à répéter pour en faire son zhikr personnel, une man- le secret de la « ténèbre » divine ? Je vous laisse le
ducation ou mot de puissance, et en revoit les effets soin de conclure, car chacun ne le fait que pour lui et
lors d’entretiens personnels ; il le changera d’étape à sa manière. La conscience est un puits noir où ne
en étape selon l’évolution de son disciple. vous éclairent que vos propres étoiles.
Prière et méditaion autour du Coran. l Lorsque le murîd est devenu adepte, son Chaykh Albert Coudsy
Loi révélée (shari’a) jusqu’à la Réalité divine (ha- lui donne la khirqah, (dépouille vestimentaire), sym-
qîqa). Il en est ainsi aux IXème et Xème siècles de notre bole du manteau, de l’habit qui habille et habilite.
ère et les noms des grands Souis, Junayd, Hallaj, Souvent, le Chaykh envoie aussi ses disciples voya-
Sarraj, Quchayri, Hujwîri, sont ceux de Maîtres ger vers d’autres Maîtres. Le sentier ainsi ouvert ne
en mystique. Dans sa seconde acception, le terme connaît plus que des étapes. Et le disciple les par-
de tarîqa (pluriel turuq) désigne, à partir du XIème court enin seul : la Lumière est toujours au bout du
siècle, l’ensemble des rites d’entraînement spirituel chemin, mais d’horizon en horizon, le chemin est
préconisés pour la vie commune dans les diverses celui d’une vie entière, la in demeure en Dieu car
congrégations musulmanes qui commencent dès c’est Lui qui ouvre la voie et en qui est la in, et c’est
lors à se fonder. Par extension, il est devenu syno- Lui qui octroie la Sagesse à qui sont Ses élus.
nyme de confrérie, et il désigne une vie commune,
fondée sur des prescriptions spéciales, sous l’auto- Sur un sujet aussi varié et variable où tant d’ouvra-
rité d’un Maître commun ». ges véridiques ont amoncelé leurs lumières, est-il
convenant de conclure ? La réponse est dans le cœur
l Le Chaykh, c’est le Maître commun, on se le de chacun, car c’est une voie cardiaque. L’intellec-
choisit en allant frapper à sa zawiyah, à l’origine un tion n’est que pour lever les obstacles des mots ; en-
« coin » de mosquée où des disciples se rassemblent suite, il n’y a que des effets d’ombre et de lumière.
autour de l’enseignement d’un Chaykh, ayant fondé Les dévoilements sont personnels ; les mots ne ser-
école ; mais le Chaykh vous choisit, car seuls trou- vent qu’à en estomper les couleurs, en déformer la
vent agrément chez lui ceux chez qui il pressent le clarté.
désir réel et l’esprit d’abnégation, assez de bonne Avec Henri Brune, homme de désir, enseignant ca-
tholique, je dirai ceci : « Rien ne paraît plus dificile

(in Revue Rose-Croix n° 228 - A.m.O.R.C.)


volonté, de vraie humilité, celle dont doit faire preu-
ve tout « demandeur » (taleb) qui, une fois agréé et périlleux que de parler, simplement et clairement,
devient murîd,: « volontaire, disciple acceptant dis- de mystique. Dificile parce qu’il faut appréhender
cipline ». C’est pourquoi il est soumis à l’épreuve une réalité qui transcende nos modes de pensée or-
du silence, de la ségrégation (il est tenu loin) et du dinaires, que les mots que l’on utilise risquent d’être
service (il doit s’acquitter des tâches ménagères et ambigus, piégés, détournés de leur sens. Périlleux
de l’entretien de la communauté) pendant quelque- parce que le mystique est souvent un objet de scan-
fois plusieurs années. dale pour les tenants de sa propre religion : c’est Peinture de H. spencer lewis.

« Je suis coupable de guerre quand j’imagine que ma race et moi-


même devons être privilégiés par rapport aux autres, quand je
pense que le pays où un homme est né est celui où il doit vivre,
quand je crois que ma conception de Dieu est celle que les autres
doivent accepter. »
Ralph Maxwell Lewis (1904-1987)
Philosophe
(D.R.)

« L’homme est poussé à l’espoir et à l’optimisme par une injonction


de sa nature divine et par un instinct biologique de survie. En cela,
l’aspiration à la Transcendance apparaît comme une exigence
vitale de l’espèce humaine. »
Extrait de la « Positio F.R.C. » (2001)

jAnvIER-févRIER 2010 49
DOSSIER

(document A.m.O.R.C.)

Couverture de la revue «Rose+Croix» publiée en janvier 1935, dans laquelle un lien est établi entre l’Ancien et Mysique ordre de la Rose-Croix,
et l’ordre intérieur et invisible de la Rose-Croix, dont la consituion fut rédigée en 1885.

50 DOSSIER D’ACtUALIté DE L’hIStOIRE l hORS-SERIE n° 1


L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

Le marinisme
L’Ordre mariniste tradiionnel
Nombre de Rosicruciens font parie de l’ordre Mariniste tradiionnel, mouvement
philosophique qui se ratache à louis-Claude de saint-Marin (1743-1803) et dont le
but est de perpétuer l’ésotérisme judéo-chréien, tel que lui-même et ses iniiateurs
l’ont compris et transmis à travers les âges. Parrainé par l’A.M.o.R.C. depuis sa
créaion en 1931, l’o.M.t. est de nos jours la voie mariniste la plus acive.
« Le Martinisme et la Rose-Croix qu’il faut chercher la Connaissance, Les élus-Cohens
constituent deux forces complémen- grâce à une lecture en profondeur,
taires » disait Stanislas de Guaita ésotérique, des textes religieux. Ce C’est dans l’un des courants les plus
en 18901, il en est encore de même que l’on appelle l’Illuminisme, c’est importants de l’Illuminisme, l’Ordre
des Chevaliers Maçons Elus-Cohens
ème
aujourd’hui. On associe souvent le donc l’ésotérisme du XVIII siècle.
Martinisme à l’occultisme de la Belle La quête que ces chercheurs préco- de l’Univers, que le Martinisme prend
Époque, c’est-à-dire à un ésotérisme nisent est une recherche mystique du ses origines. Le fondateur de cet Ordre
qui « sent un peu le soufre ». Les énor- sens véritable de l’existence. Ce qui est Martinès de Pasqually (1710(?)-
mes volumes de Papus, consacrés à la la caractérise le mieux, c’est qu’elle 1774), un thaumaturge dont la vie
magie et aux sciences occultes ont, il est vise essentiellement à appréhender le reste énigmatique. Sa philosophie a
vrai, beaucoup contribué à laisser cette Divin par l’expérience intérieure. pour fondement essentiel un mythe.
image s’imposer. Mais le Martinisme
est-il vraiment cela ?

Lumière et Illuminisme
Comme tout Ordre initiatique, l’Or-
dre Martiniste Traditionnel puise
ses origines dans des éléments que
l’on peut classer en deux catégories :
d’abord historiques et ensuite mythi-
ques, car ses origines le rattachentèmeà
un passé mythique. C’est au XVIII
siècle que le Martinisme trouve ses
origines. À cette époque, deux cou-
rants de pensée opposés apparaissent
en France : le Scepticisme et l’Illu-
minisme. Ce siècle est passé à la pos-
térité sous le nom de « Siècle des lu-
mières ». Cette époque, qui précède
la Révolution française, est celle où
triomphe le culte de la raison, de la
connaissance intellectuelle.
Les progrès énormes réalisés par les
sciences à cette époque ont conduit
l’homme à dédaigner la religion,
qu’il considère comme une survivan-
ce des temps où l’humanité, encore
dans l’enfance, attribuait à des dieux
imaginaires les phénomènes naturels
et les maux dont il souffrait. Les cou-
rants les plus représentatifs de cette
attitude sont le Sensualisme et l’En-
cyclopédisme. Quelques penseurs se
sont inquiétés de ce basculement vers
le rationalisme. Parmi eux, on trouve
les mystiques que l’on regroupe sous
la bannière de l’Illuminisme.
En effet, l’Illuminisme s’est posé
(document A.m.O.R.C.)

à contre-courant de ce mouvement
qui reléguait au rang de supersti-
tion, ce qui, jusqu’à présent, don-
nait un sens à l’existence. Pour ces
penseurs, c’est au-delà de la religion symbole des Élus-Cohens.

jAnvIER-févRIER 2010 51
DOSSIER

Martinès associe l’origine de l’huma- rent, comme la civilisation babylonien-


nité à une mission que l’homme aurait ne, dans lesquelles la théurgie occupait
reçue. Cette tâche serait de ramener une place importante.
l’équilibre et la paix dans la Création Ces rites marginalisés pendant des siè-
universelle, dont l’harmonie primor- cles retrouvèrent une nouvelle vie à
diale aurait été rompue. la Renaissance avec les Kabbalistes
Selon Martinès, l’homme fut doté de chrétiens, dont Pic de la Mirandole,
pouvoirs divins pour mener à bien cette J. Reuchlin, Cornélius Agrippa ou
mission. Martinès appelle ce premier John Dee sont les représentants les
homme : le Réau, c’est-à-dire « l’Hom- plus connus. La magie angélique des
me-Dieu de la Terre ». Cet Homme Kabbalistes chrétiens de la Renaissance
primordial n’était pas un être de chair, est en effet très proche de celle ensei-
mais de lumière ; son corps était un gnée par Martinès de Pasqually.
corps glorieux. Hélas, il délaissa sa La théurgie de Martinès était d’une
mission et sombra dans le monde de la grande complexité. Celui qui s’enga-
matière. De céleste qu’il était, il devint geait sur cette voie ne pouvait plus me-
terrestre, avec un corps de chair. Ce ner une vie profane normale tant elle
nouvel état ne modiia en rien sa mis- réclamait de préparation et de disponi-
sion. Cependant, les choses devinrent bilité. Cette technique mettait en action
plus dificiles pour lui, car il lui fallait des énergies psychiques considérables
maintenant retrouver sa place originelle qui pouvaient être dangereuses pour des
avant d’être en mesure d’accomplir sa disciples mal préparés. C’est la raison
mission. pour laquelle Martinès de Pasqually ne

(D.R. - source A.m.O.R.C.)


Pour pallier à cette situation, l’Homme donna les clés de cette science qu’à un
primordial fut doté d’une connaissance très petit nombre d’initiés.
propre à lui permettre de retrouver son La formation dispensée dans l’Ordre
état glorieux. Selon la Tradition mar- des Elus-Cohens avait pour but de
tiniste, c’est par l’intermédiaire d’un conduire le disciple vers le plus haut louis-Claude de saint-Marin.
messager divin, un ange, que cette degré de sa hiérarchie initiatique, celui
connaissance fut transmise à Énoch, de Réau-Croix, c’est-à-dire d’en faire en œuvre une voie de réalisation plus
c’est-à-dire le ils de Seth, lui-même un être ayant retrouvé sa perfection. simple et sans danger. Il intériorisa
troisième enfant d’Adam. Cet héritage On peut tout à fait comparer l’état de donc la méthode de son premier maître.
se serait transmis par la suite de géné- Réau-Croix, d’homme totalement ré- Non seulement la pratique qu’il recom-
ration en génération, d’initié en initié, généré, à celui de Rose-Croix. Ce but mandait était sans danger, mais en plus
et c’est ainsi que Martinès de Pasqually était d’ailleurs celui que se proposaient elle permettait une évolution mystique
s’est trouvé être lui-même l’un des hé- les auteurs des premiers Manifestes ro- plus profonde que celle préconisée par
ritiers de ce savoir plus que millénaire. sicruciens dans la Fama Fraternitatis Martinès.
Ce point est-il à considérer comme re- et la Confessio. De nombreux auteurs
levant du mythe ou de l’histoire ? Il est rosicruciens comme Robertème Fludd Une voie cardiaque
dificile de trancher dans un sens ou dans ou Michael Maier, au XVII siècle,
l’autre. Cependant, de nombreux aspects prétendaient aussi redonner à l’homme Pour Louis-Claude de Saint-Martin, la
des enseignements de Martinès montrent la Connaissance perdue par la faute régénération mystique doit se produire,
qu’on peut rattacher
ème
le Martinisme bien d’Adam. non pas lors d’un rituel magique faisant
au-delà du XVIII siècle. appel à des puissances intermédiaires
Les successeurs comme les anges, mais par une ascèse
La théurgie intérieure. Cette transformation doit
La disparition prématurée de Martinès prendre racine au centre de notre être.
Les études les plus récentes montrent de Pasqually en 1774, c’est-à-dire
que les enseignements de Martinès sont quelques années avant la Révolution
très voisins de ceux des judéo-chré- française, conduisit l’Ordre des Elus-
tiens,ème
c’est-à-dire des chrétiens d’avant Cohens au sommeil. Deux de ses dis-
le III siècle. À cette époque, qui pré- ciples, Jean-Baptiste Willermoz et
cède la dogmatisation du christianisme Louis-Claude de Saint-Martin, ten-
par les premiers Conciles, existaient des tèrent de poursuivre l’œuvre de leur
groupes très divers dont les idées et cer- maître, chacun à leur manière. Jean-
taines pratiques rituelles étaient très pro- Baptiste Willermoz adapta la philoso-
ches de celles qu’enseignera Martinès phie de Martinès à la Franc-Maçonnerie
de Pasqually. en créant les Chevaliers Bienfaisants
Parmi les enseignements pratiques de de la Cité Sainte. Contrairement à ce
Martinès, le rituel occupe une place fon- qui est dit trop souvent, Jean-Baptiste
damentale. En effet, Martinès proposait Willermoz ne transmit pas à ce rite ma-
à ses disciples une forme de travail mys- çonnique la théurgie de Martinès, mais
tique très particulière, une « théurgie », uniquement ses enseignements philoso-
Photo12.com - Ann Ronan Picture Library (ARP03098_005342)

c’est-à-dire une magie cérémonielle phiques.


dont le but était de mettre l’homme en Louis-Claude de Saint-Martin avait été
contact avec les mondes angéliques. le plus proche disciple de Martinès ; il
Cette pratique permettait à l’homme de fut son secrétaire personnel. Après avoir
trouver l’appui nécessaire à son avan- été nourri de la lecture des œuvres du
cement spirituel. Cette caractéristique mystique allemand Jacob Boehme, il
rattache le Martinisme ancien, non seu- décida de simpliier la technique initia-
lement au Christianisme primitif, mais tique de Martinès. Il en transforma les
également aux traditions qui le précédè- pratiques rituelles, de manière à mettre Jacob Boehme.

52 DOSSIER D’ACtUALIté DE L’hIStOIRE l hORS-SERIE n° 1


L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

abusivement la succession de Papus.


Lassés par ces agissements, les anciens
compagnons de Papus décidèrent de
redonner vie à l’Ordre authentique,
dont ils étaient les seuls héritiers légi-
times à prétendre poursuivre les activi-
tés. C’est sous l’impulsion d’Augustin
Chaboseau, qui avait été le cofonda-
teur de l’Ordre avec Papus, que l’Or-
dre se réorganisa en 1931. Pour se
distinguer des quelques groupes qui
utilisaient abusivement le nom d’Or-
dre Martiniste, ils ajoutèrent le quali-
icatif « Traditionnel » à ce nom, ain
de souligner son authenticité. L’Ordre
Martiniste Traditionnel était né.
Grâceauxeffortsd’AugustinChaboseau,
le Martinisme se réorganisa. Des Loges
s’établirent en France et à l’étranger, et
Ralph Lewis, Imperator de l’Ancien et
Mystique Ordre de la Rose-Croix, après
avoir été reçu dans le Martinisme lors
d’une réunion de la F.U.D.O.S.I., ins-
talla l’O.M.T. aux États-Unis.

(D.R. - source A.m.O.R.C.)


Hélas, en 1939, une nouvelle épreuve
affecta profondément l’Europe : la
Deuxième Guerre mondiale. Le gou-
Gérard encausse (Papus). vernement de Vichy interdit toutes
les activités des Ordres initiatiques,
Pour lui, ce centre est le cœur de l’hom- Papus et A. Chaboseau et l’Ordre Martiniste Traditionnel
me. Saint-Martin ne fonda pas d’Ordre dut rentrer dans la clandestinité. À
initiatique, au sens où nous l’entendons Après le décès de Saint-Martin en 1803, la in de la guerre, la mort d’Augus-
aujourd’hui, mais quelques disciples se quelques-uns de ses disciples prirent tin Chaboseau et celle de nombreux
groupèrent autour de lui pour travailler soin de transmettre ses enseignements. membres laissèrent l’Ordre totale-
à la spiritualité la plus pure. Ainsi, Papus et Augustin Chaboseau, ment désorganisé. Heureusement, la
Louis-Claude de Saint-Martin a écrit, 80 ans après la mort de Saint-Martin, lumière martiniste brillait au-delà de
sous le pseudonyme de « Philosophe se trouvèrent être les dépositaires de l’Atlantique, car grâce aux efforts de
inconnu », des livres d’une grande pro- cette tradition. Face à une époque où le Ralph Maxwell Lewis, les activités
fondeur, mais d’un ésotérisme quelque- matérialisme triomphe, tous deux pri- de l’Ordre s’étaient organisées aux
fois déroutant. Ils constituent encore rent conscience de l’urgence à orienter États-Unis. Bénéiciant du soutien de
une source d’inspiration fondamentale leurs contemporains vers la spiritualité. l’A.M.O.R.C., l’O.M.T. put de nou-
pour les Martinistes de notre époque. Ils décidèrent donc de transmettre les veau s’installer en France quelques
Ces livres restent malgré tout dificiles enseignements qu’ils avaient reçus à années plus tard.
à comprendre pour un lecteur profane, d’autres chercheurs, et fondèrent pour
car Saint-Martin s’y exprime d’une ma- cela un Ordre initiatique auquel ils La voie martiniste
nière voilée. Il utilise des allégories que donnèrent le nom d’Ordre Martiniste.
seul l’initié, et particulièrement celui C’est donc à cette époque, c’est-à-dire Voyons maintenant ce qui caracté-
qui est familier des thèses de Martinès en 1889, qu’est né le premier Ordre rise la voie martiniste. D’une certaine
de Pasqually, peut reconnaître. portant ce nom. manière, on pourrait déinir l’Ordre
Papus devint le premier Grand Maître Martiniste Traditionnel de la manière
de l’Ordre Martiniste. C’était un très suivante : « École de Sagesse, qui, sous
bon organisateur, et grâce à son travail, le voile de symboles, guide ses membres
le Martinisme connut un développe- vers le Temple de l’éternelle Lumière ».
ment très rapide. Des Loges furent En effet, le symbolisme occupe dans le
créées un peu partout en France et Martinisme une place très importante.
dans de nombreux pays. Cependant, la Cette symbolique prend sa source
guerre mondiale de 1914-1918 affecta dans la mystique judéo-chrétienne, qui
grandement la croissance de l’Ordre. constitue pour les Martinistes un cor-
En 1916, Papus mourut en accomplis- pus essentiel. Les grands mythes judéo-
sant son devoir de médecin militaire. chrétiens forment une grille de lecture,
Beaucoup de membres disparurent un système symbolique au travers du-
aussi pendant cette terrible épreuve, et quel ils tentent de découvrir les lois de
à la in de la guerre, l’Ordre Martiniste, la Création et de comprendre la place
complètement désorganisé, tomba en de l’homme dans l’univers.
sommeil. Selon la Tradition martiniste, l’univers
et l’homme ne sont plus dans leur état
naissance de l’Ordre normal, car l’harmonie qui caractérisait
martiniste traditionnel la Création à ses origines a été rompue.
(D.R. - source A.m.O.R.C.)

Contrairement à ce que l’on croit trop


À cette époque, plusieurs branches souvent, il ne s’agit pas là d’un mythe
martinistes irent leur apparition, car propre au judéo-christianisme. Comme
Augusin Chaboseau. différentes personnes revendiquèrent l’ont souligné les études de mythologie

jAnvIER-févRIER 2010 53
DOSSIER

Martin. C’est ce qui fait la spéciicité l’Être suprême, a été particulièrement


du Martinisme par rapport à d’autres mise en évidence par Henri Corbin
voies initiatiques. dans sa théorie du monde imaginal.
Elle se trouvait déjà en substance chez
nécessité du symbolisme de nombreux mystiques du passé, com-
me Jacob Boehme, car les Maîtres du
Jusqu’à une date assez récente, on passé connaissaient parfaitement la va-
considérait volontiers le symbolisme leur fondamentale du symbolisme.
comme une fonction destinée à sup-
pléer à l’incapacité d’expliquer les cho- La tête et le cœur
ses d’une manière précise, rationnelle.
C’est à la psychologie que l’on doit le Le cœur occupe une place particulière
regain d’intérêt des penseurs modernes dans le Martinisme, que l’on qualiie
pour le symbolisme. Les travaux de souvent de « voie cardiaque ». Il est en
Carl Gustav Jung et de Mircea Eliade effet le creuset dans lequel le Martiniste
ont en effet montré que la pensée sym- opère son Grand-Œuvre. C’est la pierre
bolique constitue une caractéristique sur laquelle il élève son temple. En
essentielle du psychisme de l’huma- cela, l’un des points les plus originaux
nité. Leurs études ont révélé que les de la philosophie de Louis-Claude de
images, les symboles et les mythes ne Saint-Martin est l’image qu’il utilise
sont pas des créations irresponsables pour décrire le dérèglement de l’hom-
de la pensée, mais qu’ils répondent à me. Pour lui, ce dérèglement est dû à
une nécessité. Ils ont pour fonction de la séparation qui existe entre son intel-
nous permettre d’appréhender les as- ligence et son cœur. Il nous dit : « C’est
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pects de la réalité qui échappent à notre parce que sa tête et son cœur ne sont
entendement. De même, leurs travaux plus liés que l’homme s’égare et com-
ont montré que le symbole est essentiel met tant d’erreurs dans sa vie. Quand,
l’ermite, tel l’Homme de Désir, chemine parce qu’il est un facteur d’équilibre au contraire, son esprit et son cœur
en quête de la plus Grande lumière. dans notre vie psychique. sont liés, Dieu s’unit naturellement à
Comme Jung le disait lui-même : les lui, et dans cette expérience d’Amour,
comparée de Mircea Eliade, les my- symboles n’expliquent pas ; ils ren- l’homme peut contempler tous les mys-
thes de l’« Age d’Or » et du « Paradis voient en dehors d’eux-mêmes vers un tères de la Création. »
perdu » constituent des points com- sens encore dans l’au-delà, insaisissa- Si le cœur occupe une place importante
muns à de nombreuses traditions. ble. La caractéristique essentielle du dans la quête martiniste, il ne faut ce-
Si les récits traditionnels, comme ceux symbole réside dans sa capacité à nous pendant pas en conclure que cette voie
relatés dans la Bible, constituent une appeler à une participation en profon- donne dans le quiétisme. Le Martiniste
source de méditation intéressante, ils deur, à une transformation. Il nous per- n’est pas un mystique passif qui attend
sont bien sûr à lire avec les yeux de l’es- met de dépasser le savoir intellectuel l’Illumination en méditant vaguement
prit ; mieux encore, avec ceux du cœur. pour franchir nos limites individuelles sur des symboles. Le Martinisme est
L’interprétation que font les Martinistes et accéder à la Connaissance, c’est-à- une voie de volonté où l’on s’efforce
de ces récits symboliques repose essen- dire au monde des réalités cosmiques, de retrouver le pilier central qui relie
tiellement sur les enseignements et sur celui de l’éternité. Cette théorie, qui fait le cœur et la tête. Car l’étude et la ré-
l’expérience spirituelle de Martinès de de l’image un intermédiaire magique lexion sont des outils qu’il ne faut pas
Pasqually et de Louis-Claude de Saint- entre la pensée individuelle et Dieu, négliger pour progresser dans l’initia-
tion. Cependant, le Martiniste sait que
dans son voyage initiatique, le cœur
doit être son gouvernail. Saint-Martin
ne disait-il pas : « Primitivement, la tête
devait être réglée par le cœur ; elle ne
devait servir qu’à l’agrandir...2 » De
toute évidence, de grands changements
se produiraient dans le monde si tous
les hommes réglaient leur existence
sur leur cœur ; tout serait différent.
Gardons-nous cependant des simplii-
cations, car comme le dit un proverbe
chinois : « Le fond du cœur est plus loin
que le bout du monde ».

Les enseignements martinistes


Si l’initiation et la pratique rituelle
qu’elle implique constituent des as-
pects fondamentaux de la voie marti-
niste, c’est aussi par l’étude de ses en-
seignements que le Martiniste acquiert
les notions nécessaires à sa formation.
(document A.m.O.R.C.)

Voyons rapidement quelques-uns des


sujets abordés dans ces études. En de-
hors des éléments propres à l’initiation
Ceriicat d’iniiaion de Ralph Maxwell lewis martiniste, dont il est impossible, bien
il fut iniié dans l’ordre Mariniste tradiionnel le 1er septembre 1939. sûr, de donner ici le détail, ces enseigne-

54 DOSSIER D’ACtUALIté DE L’hIStOIRE l hORS-SERIE n° 1


L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

ments abordent les grands thèmes de la me avant d’exister dans aucun Livre. jamais dite dans les études de litté-
Tradition, comme le symbolisme, dont L’homme est en quelque sorte le « livre rature, c’est que les thèmes majeurs
quelques aspects ont déjà été évoqués primitif » de la Création ; c’est donc en de l’éthique baudelairienne provien-
plus haut, la kabbale, les nombres, les lui-même qu’il doit chercher les prin- nent du Martinisme. Baudelaire en
hiérarchies angéliques et les différents cipes de son évolution. Et entrer en recueillit les données fondamentales
plans de la Création universelle. soi-même, c’est retrouver les archéty- par Joseph de Maistre, un disciple de
Les enseignements martinistes abor- pes, les structures fondamentales de la Martinès. Quant à Gérard de Nerval,
dent également un thème passionnant, Création tout entière. ses livres, comme ceux de Balzac,
celui des rêves. Dans Aurélia, Gérard Au Livre de l’Homme, les Martinistes sont profondément inspirés des écrits
de Nerval nous dit : associent un autre volume tout aussi de Saint-Martin. Cette vision marti-
« Le rêve est une seconde vie. Je n’ai précieux : « le Livre de la Nature ». niste de la nature a eu une profonde
pu percer sans frémir ces portes d’ivoi- Rappelons le poème de Baudelaire, répercussion sur la littérature. Elle
re ou de corne qui nous séparent du Correspondances : est en grande partie ce qu’Auguste
monde invisible. Les premiers instants « La Nature est un temple où de vivants Viatte appelle la « source occulte du
du sommeil sont l’image de la mort ; piliers romantisme6 ».
un engourdissement nébuleux saisit Laissent parfois sortir de confuses pa- Chacun connaît la célèbre maxime :
notre pensée et nous ne pouvons déter- roles ; « Connais-toi toi-même ». Saint-
miner l’instant précis où le moi, sous L’homme y passe à travers des forêts Martin, qui aimait les aphorismes,
une autre forme, continue l’œuvre de de symboles ajoute une précision qui synthétise la
l’existence3. » Qui l’observent avec des regards fami- démarche martiniste et sur laquelle
Le rêve constitue en effet une porte par- liers4. » se terminera cette présentation :
ticulière entre notre monde et les sphè- Comme le dit si bien Baudelaire, la « C’est un grand travail que de cher-
res invisibles. C’est donc un moyen nature est en effet un temple rempli de cher à nous connaître tels que nous
très puissant pour dialoguer avec notre symboles. C’est à dessein qu’ils sont sommes ; mais il faut ensuite tra-
moi profond et capter les efluves des placés là, face à l’homme, pour lui po- vailler à nous connaître tels que nous
mondes invisibles. Les enseignements ser des énigmes, l’inciter à la rélexion, devrions être. Ces deux sciences sont
martinistes, s’appuyant sur les données lui enseigner que dans la Création tout liées et doivent continuellement nous
les plus récentes de la psychologie jun- est rythme, harmonie, beauté, que cha- occuper. Une troisième science vient
gienne, donnent certaines clés pour uti- que chose a sa raison d’être. Après après ces deux, et est sans doute la
liser ce moyen extrêmement eficace de Baudelaire, comment résister à citer plus dificile de toutes. C’est qu’après
dialogue intérieur. Vers dorés, ce magniique poème dans avoir appris à connaître ce que nous
L’étude de l’homme constitue le thème lequel Gérard de Nerval nous dit : devrions être, il faut travailler sans
préféré des Martinistes. Elle rejoint « Chaque leur est une âme à la Nature relâche à le devenir7. »
la préoccupation essentielle de Saint- éclose ;
Martin : « expliquer les choses par Un mystère d’amour dans le métal re- Christian Rebisse
l’homme et non pas expliquer l’homme pose :
par les choses ». Cette étude montre Tout est sensible ; Et tout ton être est
l’analogie qui existe entre l’homme, puissant ! Essais de sciences maudites, I, Au seuil du
le microcosme, et l’univers, le macro- Crains dans le mur aveugle un regard mystère, éd. Georges Carré, Paris, 1890,
cosme. Elle conduit également à exa- qui t’épie : p. 158.
miner les grands cycles de l’histoire A la matière même un verbe est atta- 2
Mon livre vert, cariscript, paris, 1991,
de l’humanité. Cet examen montre les ché… n° 58.
correspondances que l’on trouve entre Ne la fais pas servir à quelque usage 3
nerval, Œuvres complètes, « aurélia »,
les différentes parties du corps humain, impie. Bibliothèque de la pléiade, paris, 1952,
les différents plans de la Création, et le Souvent, dans l’être obscur habite un tome 1, p. 363.
schéma idéal d’une organisation socia- Dieu caché ; 4
Baudelaire, Œuvres complètes, « corres-
le équilibrée, l’humanité étant considé- Et, comme un œil naissant, couvert par pondances », Bibliothèque de la pléiade,
rée comme un grand corps dont chaque ses paupières, Paris, 1961, p. 11.
partie est essentielle au fonctionnement Un pur esprit s’accroît sous l’écorce 5
nerval, Œuvres complètes, « Les Chimè-
de l’ensemble. des pierres5.» res, Vers dorés », Bibliothèque de la pléia-
Dans ses études, le Martiniste privilé- Si Baudelaire et de Nerval évoquent de, Paris, 1951, t.1, p. 38-39.
gie donc l’étude d’un Livre fondamen- si bien cette conception du Livre 6
a. viate, Les Sources occultes du roman-
tal, le « Livre de l’homme ». C’est, de la Nature, c’est parce que tous isme, Illuminisme, Théosophie, tomes i et
selon la tradition martiniste, le Livre deux ont été très inluencés par les ii, éd. Honoré Champion, Paris 1979.
le plus essentiel à son avancement. En textes de Martinès de Pasqually et 7
Mon livre vert, op. cit., paris, 1991,
effet, toutes les lois fondamentales de de Louis-Claude de Saint-Martin. n° 93.
la Création sont inscrites dans l’hom- D’ailleurs, s’il est une chose qui n’est

« Au sens purement historique, le rosicrucianisme représente une phase de la culture


européenne, intermédiaire entre la Renaissance et la prétendue révolution scientiique du
XVIIème siècle. C’est la phase au cours de laquelle la Tradition hermétique / cabaliste de la
Renaissance a reçu l’apport d’une autre Tradition hermétique, celle de l’Alchimie ».
Frances A. Yates

jAnvIER-févRIER 2010 55
DOSSIER

L’EnSEIGnEmEnt ROSICRUCIEn par mois), ils sont invités à écouter un entreien dont la durée ne dépasse pas trente
minutes. ensuite, un forum s’instaure entre les paricipants, de sorte qu’ils peuvent
n L’enseignement écrit poser des quesions et faire des commentaires. en fait, le but de ces réunions facul-
dans les siècles passés, l’enseignement rosicrucien était transmis uniquement taives est de permetre à chaque membre d’échanger avec d’autres sa compréhen-
de bouche à oreille, dans des lieux tenus secrets. au tout début du XXème siècle, sion de l’enseignement rosicrucien, dans un cadre fraternel et convivial.
il a été mis par écrit et se présente désormais sous la forme de monographies qui Parmi les sujets exposés et discutés en Loge, citons entre autres :
sont adressées chaque mois aux membres de l’a.M.O.r.C. Ces monographies, qui — les cycles de la vie
consistent en des fascicules allant de six à seize pages, couvrent douze degrés, — le mystère de la naissance
chacun d’eux étant consacré à l’étude de sujets philosophiques et mysiques ma- — le mystère de la mort
jeurs : — l’équilibre vital
— l’origine de l’univers — la prévenion des maladies
— la structure et la inalité de la maière — le bien et le mal
— le temps et l’espace — l’aura
— les lois de la vie — les rêves
— les phases de la conscience — le karma
— les phénomènes psychiques — la quête du bonheur
— la nature des rêves — la méditaion
— les sons mysiques (les mantras) — le libre arbitre
— le concept de dieu — le pouvoir de la parole
— l’Âme universelle — la relaion espace-temps
— l’âme humaine et ses atributs — la réincarnaion
— le but de l’évoluion — la pensée posiive
— le libre arbitre et le karma — l’inluence spirituelle de la musique
— les mystères de la mort et de l’après-vie — la connaissance de soi
— la réincarnaion — etc.
— le symbolisme tradiionnel comme c’est le cas de l’enseignement écrit, l’enseignement oral n’est en aucun cas
— la science des nombres dogmaique. il consitue avant tout une base de rélexion et de méditaion. C’est
— etc. ainsi qu’il est demandé à chaque membre, dès son ailiaion à l’Ordre, de toujours
L’enseignement rosicrucien n’étant pas spéculaif, il comporte également des ex- rester un “vivant point d’interrogaion” vis-à-vis de ce qui lui est enseigné, que ce
périences consacrées à l’apprenissage de techniques fondamentales en maière soit à travers les monographies qu’il étudie chez lui ou les entreiens présentés en
de mysicisme. Le but de ces expériences est de permetre à chaque membre de Loge. Cete liberté de conscience est le fondement même de la philosophie rosi-
prendre davantage conscience de sa dimension intérieure et de s’épanouir sur les crucienne, car son but est davantage de susciter des quesions que d’apporter des
diférents plans de son être. fondées sur des lois et des principes naturels, elles réponses déiniives sur les sujets traités.
n’ont aucun caractère occulte, magique ou théurgique :
— la relaxaion
— la concentraion
— la visualisaion
— la créaion mentale
— la méditaion
— la prière
— la régénéraion
— l’éveil psychique
— l’alchimie spirituelle
— etc.

(document A.m.O.R.C.)
n L’enseignement oral
parallèlement aux monographies qui leur sont adressées chaque mois dans le cadre
de l’enseignement écrit, les rosicruciens qui le souhaitent peuvent se rendre dans
une Loge et bénéicier de l’enseignement oral de l’Ordre. À chaque réunion (deux une loge de l’A.M.o.R.C.

L’EnSEIGnEmEnt mARtInIStE — La symbolique céleste


— L’alchimie des rêves
Comme c’est le cas de l’enseignement rosicrucien, l’enseignement mariniste est — La prière
transmis à la fois par écrit, sous forme de monographies, et oralement, lors des — La réintégraion des êtres
réunions tenues dans les Heptades et les ateliers de l’O.M.T. Précisons que c’est la — etc.
forme orale qui est la plus conforme à la Tradiion mariniste, car elle s’inscrit dans Dans leurs travaux, les Marinistes n’emploient ni théurgie ni magie, car ils se
un processus iniiaique ininterrompu depuis Louis-Claude de Saint-Marin. Parmi conforment à l’idéal du philosophe inconnu : « Conduire l’esprit de l’homme par
les sujets traités, citons, entre autres : une voie naturelle aux choses surnaturelles qui lui appariennent de droit, mais
— Le Grand architecte de l’Univers dont il a perdu totalement l’idée, soit par sa dégradaion, soit par l’instrucion
— L’adam Kadmon fausse de ses insituteurs ».
— La Chute de l’Homme
— Les origines de la Créaion
— Le Temple universel
— Le Temple de Salomon
— La Sophia
— La science des nombres
— Les arcanes de la Kabbale
— L’ancien Testament
— Le nouveau Testament
— Les évangiles apocryphes
— Le Livre de la nature
(document A.m.O.R.C.)

— Le Livre de l’Homme
— La mission du Christ
— Les cycles de l’humanité
— Le monde invisible
— Les anges un temple mariniste

56 DOSSIER D’ACtUALIté DE L’hIStOIRE l hORS-SERIE n° 1


L’ORDRE DE LA ROSE-CROIX

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l Michel Armengaud, Le Pèlerinage à Compostelle : une sciences secrètes, Diffusion Rosicrucienne, 2003.

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DOSSIER

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