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le moi et l’altérité

Jean Paul Sartre, Huis clos, 1944

Problématique : Dans quelle mesure le rapport à l’altérité est-il salvateur


pour le « moi » ?

1- Le rapport conflictuel à l’autre

Dans une optique solipsiste, le moi pensant constitue notre seule réalité, le
reste ne serait que représentations. Ainsi, en s’emmurant dans cet
individualisme réducteur, les autres ne peuvent qu’être dépréciés. Ils sont
synonyme d’erreur, d’étrangéité inquiétante et d’aliénation. Ce rejet s’explique
d’abord par le fait que l’existence de l’autre n’est pas assurée par la certitude
de la subjectivité. Le cogito cartésien est formellement réfractaire à l’altérité.
Cette dépréciation est expliquée également par Todorov. En effet, il l’associe à
un déni de l’autre résultant d’une prétendue supériorité du moi sur tout ce qui
lui est différent : « on considère son propre cadre de référence comme étant
unique ». Dès lors, les autres constituent un danger pour notre identité. Ils font
planer la menace de l’aliénation identitaire et par conséquent se font rejeter.
Dans la pièce de théâtre Huis clos, l’autre, dont la présence est oppressante et
le regard indiscret et pénétrant, est clairement un enfer. L’enfermement
n’entraine pas la solitude et l’obscurité mais plutôt une transparence
angoissante de soi-même vis-à-vis de l’autre. Inès résume parfaitement leur
condition quand elle dit : « Le bourreau, c'est chacun de nous pour les deux
autres. ». Le regard de l’autre, en particulier est impitoyablement aliénant.
Estelle est à la merci du regard Inès, son image et par conséquent son identité
en dépend. Ce regard miroir dépossède Estelle de son corps, il cherche à la
dominer et à l’assujettir. La plaque rouge qu’Ines prétend voir sur la joue
d’Estelle ne pourrait disparaitre que si Estelle se soumet à la volonté d’Ines et
consent à la tutoyer.

2- L’altérité : le pénible chemin vers soi même


Si le rapport à autrui s’inscrit sous le signe de la tension et du danger, il n’en
demeure pas moins qu’il est une nécessité ontologique qui conditionne notre
identité et nous révèle à soi-même. Le moi est constamment habité par autrui.
En effet, aussi difficile soit elle, cette confrontation avec autrui est salvatrice
dans la mesure où elle nous permet de s’extraire d’un mensonge tenace à
savoir celui que nous tissons autour de notre propre personne. Garcin se
présente comme un héros qui s’est sacrifié au nom de son idéal pacifiste mais il
est vu par Inès comme un lâche qui a déserté la guerre. Cette vérité percutante
et pénible que reflète Inès à Garcin a du moins l’avantage de dévoiler Garcin à
lui-même. Le motif justifiant son acte n’est en réalité qu’un déguisement
auquel recourt sa conscience pour s’apaiser mais Inès dénonce
impitoyablement cette tricherie. Sa méchanceté est celle de la vérité qui
blesse, elle s’explique par un manque de complaisance à l’égard de Garcin :
« tu es un lâche, Garcin, un lâche parce que je le veux ». Le regard que porte
Inès sur Garcin est celui d’un miroir qui sonde nos profondeurs et c’est en cela
qu’elle le définit et conditionne son être. On comprend alors pourquoi Garcin
cherche à la convaincre : « si tu me crois, tu me sauves ». Mais Inès se complait
dans cette vérité hostile qu’elle détient et qui définit Garcin comme un lâche.
L’enfer de Garcin est donc cette rencontre avec lui-même, cette nudité de
tout son être exposé par Inès.

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