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MARAICHAGE EN PAYS DE FRANCE

Depuis quelques années, il nous est conseillé de consommer 5 fruits et


légumes par jour. Ce qui aurait été très facile il y a quelques années, décennies
voire même siècles, est devenu compliqué par les exigences d’avoir toujours à
disposition des légumes et des fruits pas toujours de saison sous nos latitudes,
et à des prix accessibles au plus grand nombre de personnes.

Le Moyen-Âge avait compris la nécessité de pouvoir fournir aux populations


parisiennes une qualité et une quantité de fruits et de légumes indispensables
à leur alimentation.

La pratique du maraîchage à Paris et en région parisienne est très ancienne. En


1154, le chapitre de Sainte Opportune a donné la moitié des marais situés à
l’emplacement de l’ancien bras de la Seine, pour qu’ils soient asséchés et mis
en culture. Vingt ans plus tard, le roi Louis VII confirma la mise en culture de
tout « le marais qui se trouve entre Paris et le Mont des Martyrs (Montmartre)
qui commence à la Bastille et se termine à Chaillot ».

La définition du mot « maraischer », « jardinier qui cultive un marais, qui est


fermier d’un marais » (dictionnaire le Furetière 1690). Le « Dictionnaire
historique de la langue française » de 2010 évoque le quartier du Marais
dénommé ainsi en 1643 et précise que le terme de marais désigne
particulièrement à partir de 1680 un terrain bas, situé dans l’enceinte ou à
l’entour de Paris et propre à la culture maraîchère au cours des siècles, que
nous nommions le « marais » devint le lieu de prédilection des agriculteurs
maraîchers.

Bien avant ces dictionnaires, le docteur Mizauld publia en 1605 un ouvrage sur
les usages et la culture de plantes potagères connus à cette époque (1). Les
artichauts ou chardons de France, asperges, aulx, basilic, melons, lavande,
poireaux, romarin, thym, etc….

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Les jardiniers formaient une communauté. Celle des jardiniers de Paris remonte
à 1473, date de leurs statuts les plus anciens. La communauté composée de 1
200 maîtres jardiniers fut supprimée en 1776.

Il semblerait que le choix du maître maraîcher soit assortie de prendre une


épouse, l’exploitation maraîchère reposant sur une activité de couple. La
commercialisation des récoltes revenant aux épouses, celles-ci effectuent de
très bonne heure chaque matin l’acheminement de la voiture chargée de la
production de la veille vers le marché local ou les halles parisiennes et
procèdent à la vente.

Les travaux les plus durs revenant à l’homme, ils arrosent, font les paillassons,
transportent la terre, les fumiers.(Paillasson: natte ou claie de paille destinée à
protéger certaines cultures, sous châssis ou serres des intempéries).Cette
complicité, pour ne pas dire duplicité dans le couple faisait que l’homogamie
existait dans cette corporation, ou est-ce cette organisation du travail qui
engendrait cette homogamie.

Au cours des siècles, le nombre des jardiniers-maraîchers fût en constante


augmentation jusqu’au début de la 1ère guerre mondiale. Leur nombre était de
763 en 1809, 1804 en 1859, et 2450 en 1912 (2). Il pourrait être évalué à 300
de nos jours (2).

Zola, dans son ouvrage « Le ventre de Paris », évoque le travail des maraîchers
aux halles de Paris.

Le marché aux légumes (3)


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« Un tombereau de choux et un tombereau de pois, au pont de Neuilly,


s’étaient joints aux huit voitures de navets et de carottes qui descendaient de
Nanterre. Les chevaux allaient seuls; en haut sur les légumes, les charretiers
sommeillaient ».

Dans le périmètre du «Pays de France», de nombreuses communes sont


affectées au maraîchage. Celles du nord-est de Paris, la Plaine Saint-Denis, la
Plaine des Vertus dont le nom vient de Notre Dame des Vertus, église située à
Aubervilliers, donnera son nom à un des « carreaux » des Halles de Paris.
Aubervilliers, Bonneuil en France, Gonesse, Bobigny, sont des centres très
importants de production réputés pour la qualité de leurs « oingnons, poiriauz,
naviauz, civos» « dits aussi cive, petite ciboule ».

Le chou Milan des Vertus était le gros légume : celui qui tient au ventre pour la
soupe et le bouillon. Entre 1852 et 1874, la plaine des Vertus représentait
environs 1 000 hectares et 500 ménages de laboureurs de légumes. Ne dit on
pas : « Qu’ Aubervilliers vaut bien Paris chou pour chou, pour dire qu’il croit
plus de choux à Aubervilliers qu’à Paris » (Furetière 1690).

Autre chou, dont la production fut importante celle du chou Milan de Pontoise
encore existante de nos jours. Aujourd’hui un quartier de Pontoise situé sur la
route d’Auvers sur Oise porte le nom de Quartier au Chou.

Autre spécialité albertivillarienne, la culture des navets ronds à chair blanche,


tendre et sucrée. Le navet de Viarmes a encore de nos jours une bonne
réputation, de nombreuses variétés semblent avoir disparues, telles que le
navet de Montmagny, de Meaux, de Saint-Germain-en-Laye.

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De nombreux vestiges d’habitations de maraîchers subsistent encore à


Aubervilliers, rue Chapon N° 3, la ferme Mazières au 70 rue Heurtault à
Bobigny.Dans la rue de la République, 2 maisons existent encore.

La Courneuve a fait l’objet d’un recensement des anciennes demeures


maraîchères, au 8 et 2 rue Edgar-Quinet, au 4 rue Villot et au 11 rue de
l’Abreuvoir où fut créé le Musée des Cultures Légumières, aujourd’hui fermé.

A Noisy le Sec, au hameau de Merlan, situé 55 rue de Merlan, on peut voir les
restes de la cour pavée.

Stains, (Stains du latin stagna = étang) et Saint-Denis, avec leur limite


communale, la rue dite du « Pavé d’Amiens » furent un centre important
d’exploitation de cultures maraîchères.

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Le long de celle-ci, des citernes revêtues de goudron sont les dernières traces
de cette activité. Un des derniers maraîchers produit encore sur 12 hectares en
Seine Saint-Denis et sur une vingtaine d’hectares partagés entre le Val d’Oise et
l’Oise.

L’engrais utilisé par les maraîchers était le fumier des nourrisseurs d’animaux
(fournisseurs de lait) et des nombreuses écuries d’entreprises ou de particuliers
de la région parisienne. Ce fumier et autres « boues d’aisance » étaient
ramenés au retour des halles par les tombereaux, suivant nécessité.

Une loi, uniquement en usage en région parisienne, n’autorisant pas le droit de


pacage aux maraîchers, ceux-ci pouvaient prélever gratuitement les boues de
Paris. En 1773, le lieutenant-général de police de Paris, Antoine de Sartine,
dans un but d’assainissement, décida la mise en place de l’enlèvement des
boues par adjudication, les entrepreneurs adjudicataires firent payer un droit
d’enlèvement aux maraîchers. De nombreuses contestations s’élevèrent, elles
furent tellement fortes qu’elles furent rapportées dans les cahiers de
doléances.

A Sarcelles, au XIXème siècle, un maraîcher s’était spécialisé dans la production


de fruits peu courants sous nos latitudes tels que melon, ananas. Une

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production importante celle du « 42 de Sarcelles » variété de petits pois, autre

culture,celle du pissenlit dit « de Montmagny » ou « le demi-blanc de


Montmagny ». Cette culture se faisait entre les rangs de pois. Autant de kilos
de pissenlit que de tomates se vendaient aux Halles de Paris en 1875.

Garges, Arnouville étaient aussi spécialisés dans la culture des petits pois.
Gonesse, Thieux, Dugny, Goussainville avaient pu grâce à leur réseau
hydraulique favoriser la cressiculture.

En 1956, des expropriations de maraîchers eurent lieu suite à la construction


du grand ensemble de Sarcelles-Lochères. Le même sort fut réservé, avec
l’urbanisation galopante, aux maraîchers courneuviens avec la construction des
4 000, et celles du clos Saint-Lazare à Stains. Si en 1970, le maraîchage ne
représentait plus que 11 000 hectares dans la première couronne parisienne,
en 1998 la surface cultivée ne dépassait pas les 4 000 hectares, soit une baisse
de 64 % en 30 ans.

Nous pouvons mentionner qu’en dehors du « Pays de France », d’autres lieux


de productions maraîchères importants existaient et pour certains existent
encore : Croissy, Pontoise, Senlis, Argenteuil ,le sud de la région parisienne, les
cressonnières de Méréville.

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Marcoussis produisait toutes sortes de légumes, dont les haricots à grains


rouges de Marcoussis, dans les années 20 plus de 30 hectares étaient consacrés
à la culture des crosnes. En raison des petites surfaces de culture, de la
concurrence des autres régions, et du non remplacement des maraîchers âgés,
il n’y a pratiquement plus de cultures maraîchères à Marcoussis. (AHM
Association Historique de Marcoussis).

Tout comme les pigeonniers étaient des signes de distinction sociale,


l’entretien de potagers au XVIIème siècle était le privilège de la noblesse, de la
bourgeoisie et des ecclésiastiques.

La culture maraîchère, de proximité a eu un essor très important jusqu’aux


années 1960, la surpopulation banlieusarde l’en a chassée.

Aujourd’hui, quelques maraîchers produisent encore des légumes de qualité


dont la rareté, et le prix élevé sont bien souvent destinés aux classes sociales
aisées. Si l’on y adjoint le phénomène des « locavores » né aux Etats-Unis, à San
Francisco en 2005, la boucle est bouclée. De la même manière, les jardins de
nos grands et arrières grands-parents, qui pour beaucoup avaient disparus,
reviennent plus par nécessité financière que par l’effet de mode.

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Aujourd’hui sont remis au goût du jour les légumes oubliés depuis plusieurs
générations. Les jardins ouvriers sont créés en 1896, sous le nom de Fédération
Nationale des Jardins Familiaux et Collectifs : « leur objectif est de mettre à
disposition du chef de famille un coin de terre pour y cultiver des légumes
nécessaires à la consommation de foyer ». Cent vingt ans plus tard, si le besoin
alimentaire subsiste, les jardins familiaux ont réinvesti le cœur de ville avec une
autre mission : créer et renforcer le lien social.

Je finirai cette modeste étude sur un regrettable constat, la fermeture depuis


1998, après 15 ans d’existence, du Musée des Cultures Légumières situé à la
Courneuve. D’après Isabelle Meurisse « cette ville possède en plus la plus
grande collection publique d’outillage de France sur la thématique du jardinage
(entre 6 000 et 8 000 objets) ». S’ajoutera bientôt à ces outils, une collection
importante datant des années 1950 – 1960, donnée par l’une des dernières
familles d’agriculteurs de la Courneuve. La municipalité veut offrir un écrin à
ces collections, qui raconte l’histoire du territoire et de ses habitants » (4).

Alain TANNEUR ©

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BIBLIOGRAPHIE

1 – Manuel pratique de culture maraichère par COURTOIS-GERARD Paris, 1863.

2 – Savez-vous planter les choux ? Exposition promenade dans le parc de


Bagatelle, du 12 juin au 4 novembre 2012

3 – Victor Gabriel Gilbert

4 – Regards : le journal de la Courneuve N° 354 du jeudi 15 au mercredi 28


mars 2012.

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