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La France en Algérie
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Collection Chroniques

En couverture :
Vue de la rue Bab-Azoun à Alger en 1900.
© Rue des Archives/Varma.

Conception graphique :
François Junot

© Vendémiaire 2012
Toute reproduction ou représentation
intégrale ou partielle, par quelque procédé
que ce soit, du texte contenu dans le présent
ouvrage, et qui est la propriété de l’Éditeur,
est strictement interdite.

ISBN 978-2-36358-086-3
Vendémiaire Éditions
155, rue de Belleville 75019 Paris
www.editions-vendemiaire.com
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La France
en Algérie
1830-1954

GUY PERVILLÉ

« Hommes de l’avenir, souvenez-vous de moi »


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Avant-propos
En 1992, l’histoire de l’Algérie coloniale et de la guerre d’Algérie
retenait encore peu l’attention du public, et d’autant moins que
l’État français n’avait aucune politique commémorative de ce qui
avait été le plus grand échec de la colonisation française. Depuis
trente ans, la France avait envers son ancienne colonie une poli-
tique de l’oubli qui contrastait fortement avec la politique mémo-
rielle qu’elle réservait à ses deux guerres mondiales. Pourtant, des
historiens plus nombreux qu’on le pensait travaillaient depuis de
nombreuses années à mettre à jour l’histoire de sa colonisation
algérienne, et celle du mouvement national dont elle avait invo-
lontairement provoqué la naissance et l’essor. Au moment où l’ou-
verture des archives de la guerre d’Algérie, à partir du 1er juillet
1992, allait rendre enfin possible la recherche historique sur cette
guerre dans ses limites chronologiques propres, de 1954 à 1962, il
m’avait semblé utile d’essayer de faire le point des connaissances
produites par trente ans de recherches sur la période antérieure.
Tel était le projet que j’avais tenté de réaliser, tout particuliè-
rement, dans les trois premiers chapitres de ce livre, où j’avais

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

proposé une synthèse des acquis des principaux travaux réa-


lisés sur la politique algérienne de la France et sur l’émergence
du nationalisme algérien de 1830 à 1943, date de la première
contestation radicale, par la majorité des élites « indigènes », de
la politique suivie par la France depuis 1830. Ces trois premiers
chapitres étaient fondés principalement sur des travaux antérieurs
d’autres auteurs ; les sources d’archives n’y apparaissaient que tar-
divement, à partir de 1936 pour l’essentiel. En les rédigeant, j’avais
voulu trouver un moyen terme entre les deux ouvrages si diffé-
rents publiés sous un même titre (Histoire de l’Algérie contempo-
raine) par les Presses universitaires de France : le « Que-sais-je ? »
de Charles-Robert Ageron, et les deux gros volumes dus à Charles-
André Julien et au premier cité de ces deux auteurs1. Mais, dans
les chapitres suivants, j’avais utilisé systématiquement des docu-
ments d’archives rendant compte de la première tentative faite
par un gouvernement français (le Comité français de libération
nationale, présidé par le général de Gaulle) pour élaborer une poli-
tique algérienne globale, susceptible de satisfaire non seulement
les élites mais aussi l’ensemble de la population dite indigène, par
des réformes politiques, économiques et sociales. Ce programme
de réformes était connu depuis longtemps grâce à ces archives
rassemblées et publiées sous forme imprimée ; et pourtant il avait
été largement oublié, et presque effacé par la mémoire de l’insur-
rection nationaliste du 8 mai 1945. C’est pourquoi j’ai jugé utile et
même nécessaire de le tirer de l’oubli, à l’occasion de mon habi-
litation à diriger des recherches, soutenue en janvier 1993. Mais
par manque de temps, je n’ai pas pu achever ce projet, que j’avais
réalisé aux trois quarts. J’avais néanmoins traité la suite (de 1945
à 1954) dans plusieurs publications.
Durant les années suivantes, une attention nouvelle fut accor-
dée à la guerre d’Algérie (1954-1962), et la multiplication de

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AVANT-PROPOS

polémiques plus politiques qu’historiques autour d’événements


remettant en question la bonne conscience française accapara
l’attention au détriment d’une approche propre à l’histoire. Le
problème que j’avais étudié entre 1980 et 1992 me sembla de
plus en plus éloigné des préoccupations actuelles. Mais la part
croissante du 8 mai 1945 et de sa répression dans la mémoire
de la guerre d’Algérie m’a incité à reprendre et à compléter ma
première enquête, en tenant compte des recherches qui se sont
multipliées depuis2.
J’espère que cette publication sera utile pour remettre en pers-
pective les épisodes tragiques de mai 1945 et de la guerre d’Algé-
rie proprement dite, de 1954 à 1962. Et surtout pour montrer que
l’histoire peut fournir d’autres perspectives de réflexion que les
querelles mémorielles qui ont malheureusement pris une ampleur
sans précédent, en Algérie et en France, après 1992.

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Introduction
« Une antinomie interne marque l’histoire de ce pays depuis 1830. Deux
principes s’affrontent. D’une part, pendant soixante-dix ans, nous sommes
venus coloniser, c’est-à-dire prendre les terres. D’autre part, depuis soixante
ans, nous prétendons civiliser, c’est-à-dire affiner, améliorer, hausser jusqu’à
nous. Nous donnons de nouveaux besoins, sans cesse accrus, à un peuple
que nous avons ruiné. Voilà l’antinomie à résoudre. »
Augustin Berque, directeur des Affaires indigènes (16 octobre 1940)

« La politique d’assimilation et d’intégration doit être poursuivie en


Algérie si l’on ne veut pas arriver à un conflit qui nous obligerait à donner
ultérieurement à ce pays un statut de dominion ou qui aboutirait à une
situation analogue à celle qui prévaut actuellement au Liban. »
Général Catroux (10 décembre 1943)

L’histoire de l’Algérie contemporaine a été profondément renou-


velée depuis l’indépendance de ce pays, par la publication de
plusieurs ouvrages fondamentaux, dont plusieurs thèses monu-
mentales3. Leur tendance générale vise à « décoloniser l’histoire »

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

de l’Algérie en la recentrant sur l’évolution de la population algé-


rienne (« indigène » ou musulmane) trop longtemps reléguée à
l’arrière-plan dans l’historiographie coloniale. Cette tendance est
particulièrement nette en ce qui concerne les mouvements antico-
lonialistes et nationalistes : toute une série d’études ont été consa-
crées au nationalisme algérien, à son courant le plus radical et
à ses autres composantes, par des auteurs algériens et français
principalement4.
Mais cette volonté de rééquilibrage risque d’entraîner un nou-
veau déséquilibre, au détriment de l’étude de la politique algé-
rienne de la France. De plus, alors que les historiens français ont
minutieusement réévalué la phase conquérante et triomphante de
la colonisation française (de 1830 à 1919 ou 1930), ils n’ont pas
encore aussi systématiquement réexaminé son déclin et sa chute.
Paradoxalement, ce sont surtout des auteurs étrangers à la France
qui se sont intéressés à sa politique algérienne des années cru-
ciales, si l’on en juge d’après quelques titres significatifs5.
Cette situation s’explique sans doute, chez les historiens fran-
çais, par la crainte de retomber dans le franco-centrisme de l’his-
toriographie coloniale (qui domine encore l’historiographie de la
guerre d’Algérie), et par des scrupules méthodologiques envers
l’histoire très contemporaine. Mais elle est en train de changer. La
politique algérienne de la France a été abordée lors du colloque
organisé par l’Institut d’histoire du temps présent en octobre 1984
sur Les prodromes de la décolonisation de l’Empire colonial français,
ainsi que par plusieurs colloques d’histoire politique française6.
Un autre colloque de l’IHTP, en décembre 1988, a été entière-
ment consacré à La guerre d’Algérie et les Français, en excluant la
guerre sur le terrain et la prise des décisions au sommet à cause
de la fermeture des archives publiques7. En décembre 1990, la
publication d’une grande Histoire de la France coloniale, avec la

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INTRODUCTION

participation de plusieurs historiens de l’Algérie contemporaine


(Charles-Robert Ageron, Gilbert Meynier, Annie Rey-Goldzeiguer)
a manifesté leur souci de redonner la priorité à l’étude du centre
de l’Empire, « le centre qui impulsait la périphérie, un centre qui
reste mal connu » (Charles-Robert Ageron)8. Enfin, l’ouverture des
archives publiques militaires et civiles de la guerre d’Algérie à
partir du 1er juillet 1992 (suivant les conditions fixées par la loi
du 3 janvier et le décret du 3 décembre 1979) permet d’espérer un
grand essor des recherches sur la politique de la France en Algé-
rie, depuis son début jusqu’à son terme9.
La politique algérienne de la France (de 1830 à 1962) pose à
l’histoire deux grandes questions : la France avait-elle une poli-
tique algérienne ? Comment celle-ci était-elle déterminée ?
La première question peut sembler paradoxale. Elle s’explique
si l’on prend le mot « politique » non pas dans un sens large
(manière de gouverner) mais dans le sens précis d’une ligne de
conduite rationnellement conçue en fonction d’un but à atteindre
par des moyens appropriés. La diversité des réponses fournies
à cette question par différents auteurs (même parmi les histo-
riens) est déconcertante. Selon les experts coloniaux du début du
XXe siècle, la politique algérienne de la France était un compromis
entre quatre doctrines : l’assujettissement, l’assimilation, l’asso-
ciation, et l’autonomie. Selon les « Jeunes Algériens » musulmans
formés par l’enseignement français, la France hésitait entre deux
politiques contradictoires, ce qui leur faisait croire à l’existence
de deux France distinctes, l’une colonialiste et oppressive, l’autre
démocratique et libératrice. Au contraire, les nationalistes algé-
riens et les anticolonialistes français les plus radicaux affirmèrent
à partir de 1943 que celle-ci n’avait pratiqué qu’une seule politique
en Algérie, la colonisation, « c’est-à-dire l’annexion et l’exploita-
tion d’un peuple par un autre », et que la prétendue « politique

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

d’assimilation étendue aux autochtones » était une duperie, « une


machine dangereuse mise au service de la colonisation10. » Néan-
moins, l’historien allemand Wolfgang Ohneck a nié que la France
ait eu la moindre politique algérienne entre 1919 et 1939.
La réponse de l’histoire à cette première question ne saurait
être unique : elle doit être fonction des moments et des situations.
Il paraît clair qu’en lançant l’expédition d’Alger en 1830 la France
n’avait aucune politique algérienne définie. Ses gouvernements
successifs se laissèrent entraîner dans un engrenage de décisions
partielles, dont l’enchaînement créa une somme de faits accom-
plis difficilement réversibles. Cependant, la présence française
n’aurait pu se maintenir si longtemps en Algérie sans donner un
minimum de cohérence à son action. On peut donc juger vraisem-
blable l’élaboration d’une quasi-politique algérienne de la France.
Il convient d’en montrer la logique, en analysant les décisions
fondamentales qui l’ont constituée : celles de conquérir militaire-
ment toute l’Algérie, de l’annexer politiquement et juridiquement
au territoire français, et d’en faire effectivement un prolongement
de la métropole par une colonisation de peuplement européen,
et par une « politique indigène » tendant vers l’assimilation pro-
gressive des vaincus. Mais il convient aussi d’en montrer l’inadap-
tation croissante à l’évolution imprévue des réalités algériennes,
qui devint flagrante à la fin de la IIIe République. Et plus encore
pendant la Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle, en
février 1943, le Manifeste du Peuple algérien présenté par Ferhat
Abbas et la plupart des élus indigènes condamna la politique fran-
çaise de colonisation et de pseudo-assimilation.
C’est alors que pour la première fois un gouvernement fran-
çais, le CFLN siégeant à Alger de 1943 à 1944, décida de réviser la
politique algérienne de la France pour prendre de vitesse le natio-
nalisme algérien en plein essor. En décembre 1943, il chargea une

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INTRODUCTION

commission d’élaborer un ensemble cohérent de mesures poli-


tiques, économiques et sociales, tendant à réaliser en vingt ans
l’assimilation totale de l’Algérie à la France. Les propositions de
cette commission devaient être soumises pour décision au CFLN
et à son successeur le GPRF, puis ratifiées par la future Assemblée
nationale constituante de la France libérée.
Cette politique de réformes, lorsqu’elle n’est pas totalement
oubliée, est le plus souvent identifiée à l’ordonnance du 7 mars
1944, qui avait tenté de satisfaire toutes les revendications de
droits politiques soutenues par les musulmans algériens dans les
dernières années de la IIIe République, afin de détourner les élites
et les masses du Manifeste11. Mais l’on a oublié que cette politique
se voulait beaucoup plus large. Elle était présentée en ces termes
par le général Catroux, commissaire d’État chargé des affaires
musulmanes et gouverneur général de l’Algérie, le 12 avril 1944 :
« Dès maintenant, le Comité de Libération est saisi d’un véritable
programme d’ascension sociale et de progrès économique établi
au profit des indigènes musulmans, et dont les parties diverses
procèdent d’une seule […] inspiration […], la même que celle qui
a dicté les réformes proprement politiques. Le but de la France
est d’assimiler effectivement les indigènes, d’en faire des Français
par l’esprit, c’est-à-dire par une forme appropriée d’enseignement
public, et des Français par le nivellement social et économique.
Ceci suppose une large diffusion de l’instruction strictement don-
née dans la langue française. Ceci suppose également la mise
des indigènes à la parité des non-musulmans en ce qui touche
les œuvres d’hygiène et d’assistance, les conditions de travail, le
bénéfice des lois sociales, l’habitat, le crédit et le minimum vital
à tirer soit des exploitations industrielles soit de celles de la terre.
En d’autres termes, la politique d’assimilation postule une poli-
tique d’égalité sociale, que requiert d’ailleurs avec force le sens

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

proprement humain de la nation française. C’est sur ces nécessités


fondamentales, auxquelles s’ajoutent les exigences d’un dévelop-
pement démographique dont on connaît l’ampleur, que la com-
mission des réformes musulmanes a fondé ses conclusions12. »
On pourra s’étonner qu’une politique apparemment si auda-
cieuse ait laissé si peu de traces dans la mémoire des peuples
concernés. C’est pourquoi le but de cette partie est double : tirer
de l’oubli l’élaboration de cette politique, et expliquer comment
et pourquoi elle a pu sombrer dans cet oubli. Il n’est pas diffi-
cile d’imaginer une hypothèse très vraisemblable pour en rendre
compte.
De 1944 à 1954, et au-delà, une course de vitesse a opposé à la
politique réformiste de la France la préparation d’une insurrection
armée voulue par une minorité motivée et organisée. La politique
des réformes a perdu cette course une première fois, en s’avérant
incapable de prévenir la tentative d’insurrection de mai 1945.
Puis elle l’a perdue une deuxième fois à partir du 1er novembre
1954, malgré l’effort sans précédent que les gouvernements de la
IVe République ont consenti pour relancer cette politique « d’assi-
milation ou d’intégration », rebaptisée seulement « politique d’inté-
gration » par le dernier gouverneur général de l’Algérie, le gaulliste
Jacques Soustelle. Quant au général de Gaulle, qui était mieux
placé que tout autre (hormis le général Catroux) pour s’en sou-
venir, il a choisi de ne pas lui donner suite pour des raisons qu’il
avait eues tout le temps de méditer durant sa traversée du désert.
À partir de 1955, l’explosion de l’insurrection vint donner au
problème algérien une dimension supplémentaire, celle d’un
conflit international compliqué d’interférences extérieures et de
guerres civiles induites, entre Algériens et entre Français. Alors
seulement se produisit la prise de conscience de l’opinion publique
métropolitaine. Encore fallut-il un changement de Constitution en

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INTRODUCTION

1958 et l’action personnelle du général de Gaulle pour en faire une


force capable d’imposer une révision déchirante de la politique
algérienne de la France.
Cet épisode offre à l’histoire une occasion exceptionnelle
(apparemment sans précédent) d’étudier la définition intégrale
d’une politique globale et planifiée. Mais aussi d’analyser le pro-
cessus de la décision politique : information et propositions par
une commission d’élus et de hauts fonctionnaires, délibérations
et décisions par le gouvernement et par le Parlement, application
par le Gouvernement général de l’Algérie en collaboration avec
les ministères concernés et les assemblées locales. Néanmoins les
décisions et les réalisations furent inférieures aux propositions, et
insuffisantes pour prévenir l’explosion du conflit franco-algérien.
Cette politique ayant donc échoué, il importe d’en faire l’autopsie
à partir des traces que son élaboration a laissées dans les archives
publiques et privées, dans les publications officielles, dans la
presse, dans les Mémoires ou dans la mémoire des responsables.
Les instances décisionnelles du « pays légal » ne peuvent être
considérées isolément des « forces profondes » du « pays réel ». Étu-
dier exhaustivement la politique algérienne de la France implique-
rait d’examiner les réactions de toutes les parties constituantes de
la nation : groupements représentatifs d’idéologies ou d’intérêts,
organes d’information, opinion publique inorganisée, en distin-
guant suivant les lieux et suivant les milieux sociaux et culturels.
Mais on peut admettre que toutes ces forces convergent normale-
ment vers le pouvoir central de décision politique, instance incon-
tournable dans la nation centralisée qu’est la France. De plus,
l’extériorité de l’Algérie par rapport à la métropole l’excluait en pra-
tique des préoccupations de la masse des citoyens avant 1955. Les
décisions fondamentales avaient été prises de 1830 à 1848 par des
gouvernements non démocratiques, avant d’être entérinées par la

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

IIe et la IIIe République. Le CFLN lui-même était un gouvernement


provisoire de fait, siégeant hors de la France occupée. Jusqu’en
1954, la politique algérienne de la France resta l’apanage de petits
groupes de hauts fonctionnaires, de représentants des intérêts
concernés, et de rares spécialistes dans les partis métropolitains.
Mais cette politique enfouie dans l’oubli des peuples concernés
est-elle restée effacée de la mémoire des historiens ? Gardons-nous
de le supposer. J’en ai été informé par la lecture de deux ouvrages
historiques dès la fin des années 1970. D’abord, la thèse d’un his-
torien allemand, Thankmar Freiherr Von Münchhausen, intitulée
Kolonialismus und Demokratie, Die französische Algerienpolitik
von 1945-1962, publiée en 1976 aux éditions Weltforum Verlag
de Munich13. La politique algérienne du Gouvernement provi-
soire de la République française y était traitée dans le chapitre 6
(pp. 77-84), qui avait attiré ma curiosité sans que je puisse le lire,
faute d’avoir appris l’allemand. Puis quelques pages de la thèse
de l'historien algérien Mahfoud Kaddache et surtout plusieurs
passages du grand ouvrage de Charles-Robert Ageron, Histoire
de l’Algérie contemporaine, t. 2 : 1871-1954, m’avaient davantage
éclairé, mais incomplètement dans la mesure où les réformes poli-
tiques d’une part et les réformes économiques et sociales d’autre
part y étaient traitées dans des chapitres séparés14. Plus tard un
autre historien français, Daniel Lefeuvre, a abordé ce sujet dans
sa thèse Chère Algérie, La France et sa colonie (1930-1962), publiée
d’abord en 1997 par la Société française d’histoire d’outre-mer : il y
étudiait ces réformes dans une perspective économique de longue
durée15. J’avais commencé à étudier les traces de cette politique,
dont la plupart étaient déjà regroupées aux Archives d’Outre-mer
à Aix-en-Provence, dès l’été de 1980, et j’en avais présenté une pre-
mière vue d’ensemble dans les actes du colloque de 1984 Les Che-
mins de la décolonisation de l’Empire colonial français, 1936-195616.

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INTRODUCTION

Ce sujet n’est donc pas absolument ignoré, mais il mérite d’être


bien mieux exposé, afin de rééquilibrer des connaissances iné-
gales depuis les années 1990 par une attention de plus en plus forte
accordée à l’insurrection et surtout à la répression de mai 1945,
trop longtemps sous-estimée en France17. Sans vouloir la faire de
nouveau oublier, il convient de la remettre à sa juste place dans
l’évolution de la politique algérienne de la France et des débats
qu’elle a suscités entre 1943 et 1954. Mais il n’est pas non plus
indifférent de savoir que, dès le 10 décembre 1943, Catroux avait
signalé au général de Gaulle que la France allait jouer la dernière
chance de la politique d’assimilation ou d’intégration, et que, si
elle échouait, il faudrait « donner ultérieurement à ce pays un sta-
tut de dominion ou qui aboutirait à une situation analogue à celle
qui prévaut actuellement au Liban », c’est-à-dire à l’indépendance
dans la coopération des communautés.
La politique nouvelle inaugurée en 1944 fut donc une étape
dans l’évolution de cette politique algérienne, dont elle révisa les
moyens sans en changer le but. Mais l’assimilation de l’Algérie
à la France avait déjà échoué en 1954, avant même le déclenche-
ment de l’insurrection, pour des raisons que cette étude se pro-
pose d’élucider. Pourtant, la même politique reparut alors comme
une idée neuve, sous le nouveau nom d’intégration. « La France a
fait un choix, ce choix s’appelle l’intégration », proclama le gouver-
neur général Jacques Soustelle devant l’Assemblée algérienne le
23 février 1955. Mais un choix fait au nom de la France à l’insu de
la masse des Français ne pouvait être irrévocable.
Du débarquement de l’armée française le 14 juin 1830 à Sidi
Ferruch au débarquement anglo-américain du 8 novembre 1942,
aucune puissance étrangère ne vint disputer à la France la pos-
session du territoire algérien. Elle put donc y développer sans
entrave sa politique de colonisation pendant cent douze ans. C’est

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

pourquoi, le 10 février 1943, les signataires du Manifeste du peuple


algérien estimèrent le moment venu de « juger l’œuvre dans ses
résultats ». Ils condamnèrent sans appel la colonisation, « c’est-à-
dire l’annexion et l’exploitation d’un peuple par un autre », « forme
collective de l’esclavage individuel du Moyen Âge », étant donné
que la colonisation « est, dans son essence même, un phénomène
impérialiste », et, comme telle, « exige pour se développer l’exis-
tence simultanée de deux sociétés, l’une opprimant l’autre ». Tou-
tefois, ils reconnaissaient que « cet asservissement n’a[vait] pas
été prémédité par la France », déclarant : « il s’est imposé à elle
par la force des choses, comme résultat inéluctable du système
de peuplement européen défini par le maréchal Bugeaud » afin de
consolider et de perpétuer la conquête.
Pourquoi donc, en effet, la France a-t-elle entrepris la conquête
de l’Algérie ? Quand on recherche les causes et les buts de cet évé-
nement majeur, on est surpris de ne pas les trouver à sa mesure :
au lieu d’une grande cause, on en trouve plusieurs petites, et pas
de but prédéfini. C’est que la décision ne fut pas prise en une seule
fois, ni en pleine conscience de ses conséquences. Un enchaîne-
ment fortuit de décisions partielles produisit un fait accompli pra-
tiquement irréversible, qu’il fallut justifier en lui donnant un but
après coup.
Mais cette période de tâtonnements fut relativement brève. En
un peu plus de dix ans, entre le déclenchement de l’expédition
d’Alger en 1830 et la nomination du général Bugeaud à la fin de
1840, furent prises toutes les décisions fondamentales : celles de
conquérir Alger, puis l’Algérie entière, de l’annexer au territoire
français, et de la coloniser par un peuplement européen aussi nom-
breux que possible pour en faire effectivement un prolongement
de la métropole. Ces décisions orientèrent pour plus d’un siècle
la politique algérienne de la France, et lui donnèrent le minimum

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INTRODUCTION

de cohérence qui lui avait manqué au départ. Un seul régime se


singularisa en imaginant une autre politique, le « royaume arabe »
de Napoléon III : brève expérience (1860-1870) qui fut dénoncée
comme une aberration pendant toute la IIIe République. Celle-ci
reprit comme un dogme la politique de colonisation et d’assimi-
lation, mais son inadaptation croissante aux réalités algériennes
aboutit à des contradictions insurmontables. Incapable de leur
trouver une solution, la République vaincue en juin 1940 laissa
la place au régime dictatorial de Vichy, qui renia l’héritage du
régime déchu mais ne sut pas définir une politique réellement
novatrice, avant que l’intervention anglo-américaine permette la
libre expression des revendications indigènes.

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Le temps
des choix fondamentaux
Trois régimes politiques successifs engagèrent la France dans des
choix pratiquement irréversibles au sujet de ses rapports avec
l’Algérie. La Restauration rompit avec la politique traditionnelle
de la France en décidant la prise d’Alger (1830). La monarchie de
Juillet quant à elle prit les décisions les plus lourdes de consé-
quences : non-évacuation d’Alger, occupation restreinte (1834)
puis conquête totale (1840) et colonisation du territoire algérien.
La IIe République enfin consacra les faits accomplis en procla-
mant l’Algérie partie intégrante du territoire national dans la
Constitution de 1848.
Le Second Empire, à travers maintes hésitations, démontra
l’irréversibilité de ces choix fondamentaux en échouant à impo-
ser une autre politique, pourtant mieux adaptée aux réalités algé-
riennes et métropolitaines : le « royaume arabe » de Napoléon III.
Dès mars 1870, six mois avant la chute de l’Empereur, l’assimila-
tion de l’Algérie à la France était redevenue le dogme de la poli-
tique française dans ce pays.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Les aléas des relations franco-algériennes


La monarchie restaurée en 1814 et en 1815 avait commencé par
rétablir les relations traditionnellement pacifiques entre la France
et l’Algérie, perturbées par les initiatives de Napoléon Bona-
parte18. Mais elle laissa s’envenimer ses litiges avec le pouvoir
turc d’Alger, et finit par reprendre à son compte les projets d’in-
tervention militaire du régime précédent, sans mesurer les incal-
culables conséquences de sa décision.
Les relations de la monarchie française avec la régence
turque d’Alger s’inscrivaient depuis le règne de François 1er dans
le cadre de l’alliance franco-ottomane qui rapportait à la France
des avantages stratégiques (alliance de revers contre la mai-
son d’Autriche sur terre et sur mer) ; économique (monopole du
commerce et de la navigation et droit d’établissement dans les
« échelles du Levant » garanti par les capitulations) ; et moraux
(protectorat des lieux saints et des catholiques orientaux)19. En
conséquence de cette alliance, la France avait plusieurs fois coo-
péré avec les flottes « barbaresques » contre les Espagnols et leurs
alliés. Elle avait établi un consulat à Alger dès 1564, et reçu en
même temps le monopole de la pêche du corail sur la côte est et
le droit d’y établir des comptoirs de commerce entre Collo, Bône
et la Calle.
Pourtant, de nombreux incidents avaient opposé les corsaires
d’Alger (indociles à l’autorité du sultan) aux navires marchands de
Marseille, qu’ils accusaient de couvrir de leur pavillon des navires
étrangers. Une longue guerre de course, entrecoupée de trêves et
de représailles, avait opposé la France et la régence d’Alger de
1603 à 1689, et perturbé les relations franco-ottomanes.
Mais une paix de cent ans avait été signée en 1689, et renou-
velée en 1789. Moyennant des redevances aux autorités turques
d’Alger, les Français avaient le droit de naviguer en sûreté et de

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LE TEMPS DES CHOIX FONDAMENTAUX

commercer. La « Compagnie d’Afrique », organisée en 1741 pour


exploiter les comptoirs de l’est algérien, exportait surtout des blés
et des cuirs (ainsi que le corail) contre des piastres espagnoles.
Les commerçants marseillais tiraient leurs profits de la revente
des produits algériens en France.
La Révolution n’avait rien changé à ces relations. En 1793, le
dey Hassan avait reconnu la République française, et autorisé des
exportations de blé qui se répétèrent de 1793 à 1798, par l’inter-
médiaire de négociants juifs livournais établis à Alger, les Bacri
et Busnach.
L’irruption de Napoléon Bonaparte dans l’histoire de la France
en bouleversa la traditionnelle politique ottomane 20. En 1798,
le Directoire décida d’envoyer le général Bonaparte (vainqueur
des Autrichiens en Italie) conquérir l’Égypte pour menacer les
intérêts anglais dans l’Inde, suivant un projet conçu par le duc
de Choiseul, ministre de Louis XV. Contrairement aux prévi-
sions du ministre des Relations extérieures Talleyrand, l’expé-
dition d’Égypte poussa le sultan ottoman à déclarer la guerre à
la France et à s’allier aux Anglais et aux Russes. Le dey d’Alger
Mustapha suivit l’exemple de son suzerain le sultan, par crainte
de subir le sort des beys mamelouks d’Égypte, et par respect de la
suprématie navale anglaise, prouvée par la victoire de Nelson sur
la flotte française en rade d’Aboukir. Il saisit donc les comptoirs
français, et reprit la guerre de course contre la France.
Après la paix franco-turque d’octobre 1801, Napoléon envoya
des missions diplomatiques dans toutes les régences barba-
resques. L’accord franco-algérien du 17 décembre 1801 rendit à
la France ses comptoirs d’Afrique et ses privilèges commerciaux.
Mais les relations franco-algériennes restèrent difficiles. Napo-
léon traitait les États barbaresques avec hauteur, n’hésitant pas
à menacer de les détruire comme il avait détruit le pouvoir des

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

mamelouks d’Égypte. Dès janvier 1802, après une insulte au


pavillon français, il fit étudier un débarquement par le consul
Jean-Bon Saint-André, qui choisit la baie de Sidi Ferruch à l’ouest
d’Alger ; mais le dey Mustapha céda après une démonstration
navale. Par ailleurs, le dey s’estimait lésé par le non-règlement
des créances des négociants Bacri et Busnach pour les livraisons
de blé à la France, dont une part lui revenait. Après l’assassinat
du dey Mustapha par les janissaires mécontents de leur solde, et
après la défaite navale française face à la flotte de Nelson à Tra-
falgar, le nouveau dey Ahmed rompit avec la France et remit ses
comptoirs aux Anglais en 1806. Napoléon riposta en faisant arrê-
ter les sujets algériens de passage en France. Après un accord sur
la restitution des prisonniers, en 1808, le commandant du génie
Boutin fut envoyé pour étudier un débarquement et un plan de
prise d’Alger, qui fut exécuté avec succès en 1830. Mais l’Empe-
reur, aux prises avec des ennemis plus redoutables en Europe,
n’eut jamais l’occasion de le réaliser.
Dès juillet 1814, le gouvernement du roi Louis XVIII entreprit
de restaurer les bonnes relations traditionnelles de la France avec
les Turcs d’Alger. Pour obtenir la restitution des comptoirs de l’an-
cienne Compagnie d’Afrique transférés aux Anglais, elle s’abstint
de soutenir la démonstration navale faite contre Alger en 1816 par
la flotte de Lord Exmouth, chargé par le congrès de Vienne d’exi-
ger la fin de la course et la libération de tous les esclaves chrétiens.
En échange de sa neutralité, elle se fit restituer les comptoirs en
1817, moyennant le paiement d’une redevance de 214 000 francs
par la nouvelle Compagnie d’Afrique. Mais, les négociants mar-
seillais jugeant ce montant trop élevé, le gouvernement français
proposa en vain de le réduire à 80 000 francs. En 1819, la France,
réadmise dans la quintuple alliance au congrès d’Aix-la-Cha-
pelle, se laissa entraîner dans une nouvelle démonstration navale

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LE TEMPS DES CHOIX FONDAMENTAUX

franco-britannique et en profita pour imposer au dey Hussein la


diminution du montant de la redevance en 1820.
Le contentieux financier sur le règlement des créances Bacri-
Busnach ne reçut pas de solution satisfaisante pour le dey. Napo-
léon avait refusé de payer ces créances, gonflées artificiellement
à 14 millions de francs avec la complicité du ministre Talleyrand.
En 1816, le gouvernement de Louis XVIII versa un acompte de
478 000 francs destiné au dey, qui fut détourné par le consul
Deval, nommé à Alger par le même Talleyrand en 1815. Le traité
de 1817 réduisit la dette de la France à sept millions de francs,
contre l’augmentation, non appliquée, de la redevance de la Com-
pagnie d’Afrique. Le dey s’estima dupé.
D’autres contentieux s’ajoutèrent à ceux-là. En 1824, les conces-
sions françaises de la côte est vendirent des armes à des tribus
rebelles en échange de leurs produits. Le dey ordonna des per-
quisitions, et fit payer un droit de 10 % sur les exportations. Le
vice-consul à Bône (neveu de Deval) fortifia les comptoirs et les
munit de canons. Aux protestations du dey, la France opposa la
prétention d’être souveraine « de temps immémorial » sur la côte
du corail.
Le dey avait profité de l’insurrection de la Grèce contre le sultan
ottoman pour relancer la course en Méditerranée afin d’accroître
ses revenus. Mais la France couvrit de son pavillon les navires de
la Toscane et des États pontificaux, et intervint officiellement en
leur faveur en 1826.
La dégradation des relations franco-algériennes empêcha
tout règlement du contentieux sur les créances Bacri-Busnach.
Impatienté de ne recevoir aucune réponse du roi de France à ses
demandes réitérées, le dey Hussein s’emporta contre l’insolence
du consul Deval et lui donna deux coups de son chasse-mouches
le 29 avril 1827. Le gouvernement français exigea des excuses le

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

12 juin, ainsi que la fin de la course contre les navires naviguant


sous le pavillon français, le respect des marchandises françaises et
l’application des capitulations ottomanes en Algérie. Le dey refusa
en rappelant ses trois griefs : créances Bacri-Busnach, fortification
des comptoirs, protection accordée à des navires étrangers. La
flotte française commença le blocus des côtes algériennes. Le dey
ordonna la destruction des comptoirs et la reprise de la course
contre les navires français.

« Pour prendre Alger, je n’ai consulté


que la dignité de la France »
Le conflit se prolongea pendant trois ans parce que l’intervention
franco-anglo-russe au secours des Grecs insurgés contre le sultan
ottoman mobilisa le gros de la flotte française en Orient, depuis la
bataille de Navarin d’octobre 1827 jusqu’à la paix d’Andrinople de
septembre 1829.
Effectué par une petite division navale, le blocus des côtes
algériennes s’avéra inefficace, et ne dispensa pas les navires fran-
çais de naviguer en convoi pour se protéger des corsaires. C’est
pourquoi des propositions de débarquement furent émises dès
1827, par le consul Deval, par des officiers de marine comme Col-
let ou Dupetit-Thouars, et par des militaires : le général Loverdo,
et le comte de Clermont-Tonnerre, ministre de la Guerre. Le gou-
vernement de Villèle les écarta en octobre 1827. Mais elles furent
ensuite reprises par la chambre de commerce et par les députés
de Marseille, dont l’activité souffrait de la course et de la perte
des comptoirs. Dans les Chambres, les opposants saisirent l’oc-
casion de critiquer l’inefficacité ou l’injustice de la politique du
gouvernement.
Pour sortir de l’impasse, le ministère Martignac fit une der-
nière offre de négociation que le dey repoussa. Alors que les

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LE TEMPS DES CHOIX FONDAMENTAUX

parlementaires français regagnaient le navire La Provence, les


batteries du port d’Alger les canonnèrent (sans ordre du dey) le
3 août 1829. Or, la fin de la guerre en Orient allait permettre à la
France de venger ce nouvel affront.
L’intervention militaire fut décidée par le nouveau ministère
formé le 8 août 1829 sous la direction du prince Jules de Polignac,
ami du roi Charles X. Composé d’« ultras » rêvant de rétablir l’abso-
lutisme, il symbolisait tout ce que détestait l’opposition libérale :
« Coblentz, Waterloo, 181521. » Plus que tout autre gouvernement
de ce régime issu des désastres de 1814 et 1815, il avait besoin de
prestige à l’extérieur pour dissiper son impopularité et faire taire
ses opposants. Dans cette intention, Polignac avait proposé lors de
la paix d’Andrinople un grand projet tendant à rendre pacifique-
ment à la France la rive gauche du Rhin par un échange de terri-
toires entre les États européens aux dépens de l’Empire ottoman.
Rebuté par les autres puissances, Polignac tenta de faire aboutir
son projet en commençant par régler la question d’Alger.
Il proposa au sultan d’autoriser son vassal Mehemet Ali, pacha
d’Égypte, à conquérir Alger22. Ce dernier fit traîner les négocia-
tions en réclamant de l’argent et des navires pour reconstituer ses
forces armées, mises à mal par l’intervention française en Grèce.
Polignac proposa ensuite un partage des tâches : Alger à la France,
Tunis et Tripoli au pacha d’Égypte ; mais celui-ci refusa. Pendant
ce temps, le sultan, soutenu par l’Angleterre et par l’Autriche, pro-
posait d’envoyer un nouveau pacha turc pour reprendre en main
la régence d’Alger et négocier un arrangement avec la France à
la place du dey Hussein. L’Espagne et le Piémont-Sardaigne crai-
gnaient un renforcement de la puissance française en Méditerra-
née. Mais la Russie, la Prusse, les États du Nord et les petits États
italiens approuvaient le projet français d’intervention, qui garanti-
rait la sécurité de la navigation.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Le conseil des ministres du 31 janvier 1830 décida l’expédi-


tion d’Alger afin de relever le prestige du roi en vengeant l’hon-
neur national et en tenant tête à l’Angleterre, dans l’espoir de
gagner les prochaines élections et de restaurer l’absolutisme. Le
7 février 1830, Charles X ordonna la mobilisation de l’armée et
de la marine. Le 2 mars, il annonça officiellement l’expédition à
l’ouverture de la session des Chambres. Son commandement fut
confié à l’homme le plus impopulaire du ministère, le ministre de
la Guerre, Bourmont.
Pendant la discussion de l’adresse à la Chambre des députés,
l’opposition contesta violemment la justice, l’utilité, et la légali-
té de l’expédition. Le 16 mars, 221 députés sur 402 votèrent une
adresse de défiance au gouvernement. Le 18 mars, le roi prorogea
la Chambre jusqu’au 3 septembre. Le 16 mai, elle fut dissoute, et
la date des élections fixée au 23 juin dans les départements et au
3 juillet à Paris. Elles furent ensuite repoussées au 13 et au 19 juil-
let, pour attendre le plein succès de l’expédition.
Ces décisions firent de l’expédition d’Alger un enjeu de poli-
tique intérieure : le gouvernement comptait sur une victoire
militaire pour gagner les élections, alors que l’opposition se
déchaînait contre « l’expédition liberticide ». Les soucis partisans
primaient sur les considérations nationales invoquées par le roi.
Le National, journal libéral, affirmait que l’expédition ne portait
pas les espoirs de la nation, mais « les illusions d’une faction,
d’une coterie, d’une poignée de courtisans », et qu’elle visait à
« rechercher de la gloire pour un homme qui n’a plus même de
considération [Bourmont], et qui leur a promis qu’avec de la
gloire il ferait taire la liberté qui les gêne, la presse qui les accuse,
le cri de misère qui leur demande des économies23 ». Au contraire,
La Quotidienne, gazette gouvernementale, stigmatisait l’hypocri-
sie de l’opposition : « Le parti qui se dit si national, si populaire, si

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LE TEMPS DES CHOIX FONDAMENTAUX

français, un barème à la main, se met à calculer ce que doit coû-


ter l’expédition d’Alger [...]. Tous les charlatans d’honneur natio-
nal qui nous parlent sans cesse des gloires de l’Empire et de la
Révolution ont-ils jamais pensé à demander compte à Bonaparte
de ses victoires ? Le drapeau tricolore avait-il seul le droit de pro-
diguer l’or et le sang de la France24 ? »
Quant au sort d’Alger et des Algériens, il était relégué au der-
nier rang des préoccupations.
Ce fut un succès militaire, grâce au plan de Boutin et mal-
gré le médiocre commandement de Bourmont. Partis de Tou-
lon le 12 mai sur 675 bâtiments, 37 000 hommes débarquèrent
à Sidi Ferruch le 14 juin et surprirent une armée de 30 000 à
40 000 Turcs, Arabes et Kabyles. Le corps expéditionnaire gagna
la dure bataille de Staoueli, et marcha sur le Fort L’Empereur, mal
entretenu et mal défendu, qui se fit sauter. Alger sans défense,
et désertée par une partie de ses habitants, ne résista pas : les
janissaires turcs proposèrent à Bourmont de lui apporter la tête
du dey, et les bourgeois maures négocièrent les termes de la capi-
tulation, qui fut signée le 5 juillet 1830. Elle garantissait au dey
et aux Turcs le droit de s’exiler en emportant leurs biens, et aux
habitants le respect de leur religion et de leurs propriétés. Pour-
tant de honteuses scènes de pillage se produisirent. Confisqué
au profit de l’État français, le trésor de la Casbah fut à moitié
détourné.
Le sort d’Alger n’était pas pour autant fixé. Résistant aux pres-
sions britanniques, Charles X avait toujours refusé de s’engager à
évacuer sa conquête et de « prendre aucun engagement contraire
à sa dignité et aux intérêts de la France25 ». Il avait désapprouvé
le texte des proclamations en arabe diffusées par Bourmont, qui
avaient fait croire que les Français ne voulaient que libérer les
habitants d’Alger de leur tyran, le dey26. Il répéta à l’ambassadeur

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

anglais : « Pour prendre Alger, je n’ai consulté que la dignité de


la France ; pour la garder ou la rendre, je ne consulterai que son
intérêt. »
Polignac n’avait pas renoncé à son grand projet de conférence
internationale. Dans cette perspective, il avait envisagé toutes les
hypothèses concevables d’évacuation ou de conservation de la
conquête, assortie d’un partage du territoire avec les autres puis-
sances de la Méditerranée, y compris l’Angleterre27. Il proposa
des négociations au sultan, sur la base de la remise d’Alger à
celui-ci, contre la reconnaissance de la souveraineté française sur
la côte est, autour de Bône.
Mais déjà Marseille réclamait l’annexion, afin de développer
son commerce sans entrave par la « civilisation » de l’Afrique28.
Bourmont, au nom des sacrifices de l’armée, se prononçait pour
garder Alger et assurait que l’occupation du reste du pays serait
facile. Il fit occuper les ports de Bône et d’Oran, marcha d’Al-
ger sur Blida, que la résistance des populations arabes l’obligea
d’évacuer précipitamment. En représailles, il expulsa les derniers
Turcs d’Alger. Déjà les faits accomplis restreignaient la liberté de
décision du gouvernement.
Cependant, celui-ci restait accaparé par les soucis de politique
intérieure. Sur ce plan, l’expédition manqua totalement son but.
Le pari électoral du gouvernement ne réussit qu’à Marseille. Les
221 opposants revinrent 274 dans la nouvelle Chambre des dépu-
tés. En réponse, le roi signa les quatre ordonnances du 25 juillet :
rétablissement de la censure, dissolution de la Chambre à peine
élue, restriction du corps électoral et convocation de ce nouveau
corps pour de nouvelles élections. Les protestations des journa-
listes déclenchèrent les « trois Glorieuses » journées insurrection-
nelles des 26, 27 et 28 juillet 1830, au terme desquelles Charles X
abdiqua et s’enfuit vers l’Angleterre.

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LE TEMPS DES CHOIX FONDAMENTAUX

L’armée de Bourmont était trop éloignée pour intervenir. Son


chef songea pourtant à débarquer à Toulon ; puis il se résigna à
faire connaître aux troupes l’abdication du roi, et s’exila vers l’Es-
pagne, un mois après le départ du dey.
Néanmoins une armée française restait à Alger, dernière
conquête de la Restauration. Sans l’avoir prévu ni voulu, ses der-
niers gouvernements avaient fait les premiers pas de la conquête
de l’Algérie et d’un vaste empire colonial africain. Rarement vit-on
une telle disproportion entre la petitesse des causes et la grandeur
de leurs conséquences. Charles-André Julien l’a fort bien exprimé :
« Une louche affaire menée par les tout-puissants négociants juifs
d’Alger avec la complicité de politiciens tarés de Paris ; un incident
provoqué par un diplomate suspect ; une expédition médiocre-
ment conduite par un général discrédité ; une victoire accueillie
avec indifférence par l’opinion publique et suivie de la chute de
la dynastie qui en revendiquait le mérite ; tels furent les débuts
singuliers de la conquête de l’Algérie par la France29. »
Paradoxalement, c’est la monarchie de Juillet, née de l’opposi-
tion à l’expédition d’Alger, qui en consolida et paracheva le résul-
tat, en décidant la conquête et la colonisation de l’Algérie. Mais
ses décisions furent lentes et fragmentées : il fallut plus de dix ans
pour qu’elles atteignent un point de non-retour.

Évacuer l’Algérie ou la conquérir totalement


La première décision de la monarchie de Juillet fut une non-déci-
sion. Le nouveau régime, accaparé par les complications interna-
tionales de la révolution belge, avait besoin de s’assurer l’appui
britannique, et de rapatrier ses troupes d’Alger pour faire face au
risque de guerre en Europe. Mais il n’osa pas frustrer le sentiment
national des fruits d’une victoire acquise par le régime précé-
dent. Le gouvernement britannique crut l’évacuation imminente

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

jusqu’à la mi-septembre. Puis il se résigna à tolérer l’occupation


d’Alger contre la renonciation de la France à l’annexion de la
Belgique30.
Pendant quatre ans se succédèrent cinq généraux comman-
dants en chef, qui s’efforcèrent de garder Alger et de contrôler
les provinces de l’intérieur à travers des chefs indigènes vas-
saux (comme l’avaient fait les Turcs), avec des moyens militaires
réduits et sans instructions claires sur l’avenir de la conquête.
À partir de novembre 1830, les débats parlementaires mirent
aux prises des minorités convaincues de « colonistes » et d’« anti-
colonistes », sans parvenir à trancher la question. En juillet 1833,
le gouvernement chargea une commission spéciale d’aller enquê-
ter sur place. Son rapport jugea très sévèrement les abus des auto-
rités responsables depuis la prise d’Alger, mais il conclut pourtant
à son occupation définitive, « concession arrachée en quelque
sorte par le cri public », étant donné « l’aveugle engouement des
Français pour leur conquête31 ». Complétée en décembre 1833 par
cinq députés et trois pairs, la commission conclut définitivement
trois mois plus tard à la conservation des « possessions françaises
de la côte septentrionale d’Afrique », tout en écartant la conquête
totale du pays. Ce fut en vain que le bourgeois maure Si Hamdan
Khodja fit publier en français Le Miroir, aperçu historique et
statistique sur la Régence d’Alger, plaidoyer pour l’application à
l’Algérie du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes32. Le gou-
vernement attendit néanmoins plusieurs mois pour prendre sa
décision définitive.
Enfin, l’ordonnance du 22 juillet 1834 proclama pour la pre-
mière fois l’annexion des « possessions françaises dans le Nord de
l’Afrique », et en organisa l’administration sous l’autorité d’un gou-
verneur général militaire, subordonné au ministre de la Guerre.
Le gouvernement y assumait le pouvoir législatif sous forme

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LE TEMPS DES CHOIX FONDAMENTAUX

d’ordonnances, et se réservait le droit de le déléguer au gouver-


neur général, comme dans les comptoirs du Sénégal et de l’Inde.
En dehors des environs d’Alger – l’ancien Dar es Soltan soumis
au gouvernement direct des deys – et de quelques ports à l’est
et à l’ouest, la France continuait à vouloir exercer une domina-
tion indirecte sur l’intérieur par l’intermédiaire de chefs indigènes
vassaux, pour s’épargner les frais et les sacrifices de la conquête
totale. Mais cette politique aboutit à une contradiction insurmon-
table. Il fallait sans cesse intervenir, pour soutenir des fantoches
sans prestige, ou pour s’opposer au renforcement de vrais chefs
capables d’unifier les musulmans d’Algérie contre l’occupation
française : Ahmed, Bey de Constantine, à l’est, et le jeune émir
arabe Abd el-Kader à l’ouest.
Ainsi, le premier gouverneur général, Drouet d’Erlon, désavoua
le traité trop généreux accordé à l’émir par le général Desmichels,
commandant à Oran, et le remplaça par le général Trézel, qui fut
battu. Le deuxième gouverneur général, Clauzel (ancien comman-
dant en chef à Alger) dévasta la capitale de l’émir, Mascara, mais
échoua devant Constantine et fut contraint à une coûteuse retraite
en 1836. Son successeur, Damrémont, désapprouva (sans pouvoir
l’annuler) le traité de la Tafna par lequel le général Bugeaud avait
concédé à l’émir Abd el-Kader la majeure partie des provinces
d’Oran et du Titteri (Sud algérois), jusqu’à une limite mal définie
à l’est33. Damrémont vengea l’échec de son prédécesseur en pre-
nant d’assaut Constantine, au prix de sa vie, en 1837. Son succes-
seur, Valée, organisa la province de Constantine en la partageant
entre des chefs indigènes, et la relia à Alger, en traversant le défilé
des « Portes de fer » en 1839. Mais l’émir Abd el-Kader, résolu à
reprendre la guerre sainte pour chasser les occupants, en tira pré-
texte pour ouvrir les hostilités et envahir la plaine de la Mitidja
jusqu’aux faubourgs d’Alger en novembre 1839.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Ainsi l’occupation restreinte n’avait produit qu’une guerre per-


manente sans résultat décisif.
Au début de 1840, l’échec de l’occupation restreinte imposait
un choix simple : évacuer l’Algérie (ainsi dénommée officielle-
ment depuis 1839) ou la conquérir totalement. Le 15 janvier 1840,
le général Bugeaud, ancien négociateur du traité de la Tafna et
député de la Dordogne, expliqua devant la Chambre pourquoi il
s’était converti à la dernière solution. D’après lui, l’abandon était
impossible, « parce que la France officielle […], c’est-à-dire les
écrivains, l’aristocratie de l’écritoire, n’en veut pas », et qu’aucun
gouvernement n’était assez fort pour l’imposer34. L’occupation
maritime, pratiquée par les Anglais à Gibraltar, était également
impossible parce que les villes côtières occupées avaient besoin
d’un large périmètre de sécurité pour nourrir leurs importantes
populations, et parce qu’elles seraient bloquées et assiégées par
la « nationalité arabe » organisée par l’émir Abd el-Kader. Il restait
donc une seule possibilité : « la domination absolue, la soumis-
sion du pays » par une « grande invasion militaire », suivie par
une colonisation massive et militairement constituée pour garder
la conquête. Tout en se montant profondément convaincu que
l’Algérie était « le plus funeste des présents que la Restauration
ait fait à la monarchie de Juillet », il affirmait : « Oui, à mon avis,
la possession d’Alger est une faute, mais puisque vous voulez la
faire, puisqu’il est impossible que vous ne la fassiez pas, il faut
que vous la fassiez grandement, car c’est le seul moyen d’en obte-
nir quelque fruit35. »
Le gouvernement présidé par Thiers à partir du 1er mars 1840
approuva les vues de Bugeaud et projeta de le nommer à la place
de Valée. Mais il fut trop occupé par le conflit turco-égyptien
et par ses conséquences en Europe. Isolée par son soutien au
pacha d’Égypte contre le sultan, la France fut menacée par une

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LE TEMPS DES CHOIX FONDAMENTAUX

nouvelle coalition des quatre grandes puissances (Angleterre,


Prusse, Autriche, Russie) et contrainte d’abandonner son allié
Mehemet Ali pour éviter la guerre. Après le renvoi de Thiers, le
nouveau gouvernement dirigé par Soult et par Guizot décida le
29 décembre 1840 de nommer Bugeaud gouverneur général de
l’Algérie, avec tous les moyens militaires nécessaires pour venir
à bout de l’émir Abd el-Kader au plus vite. Humiliée face à l’Eu-
rope, la France devait prendre sa revanche en Algérie.
De retour d’un voyage fait sur place en 1841, le député Alexis
de Tocqueville approuva ce choix fondamental, pour des raisons
qu’il exprima en termes éloquents : « Je ne crois pas que la France
puisse songer sérieusement à quitter l’Algérie. L’abandon qu’elle
en ferait serait aux yeux du monde l’annonce certaine de sa déca-
dence […]. Si la France reculait devant une entreprise où elle
n’a devant elle que les difficultés naturelles du pays et l’opposi-
tion des petites tribus barbares qui l’habitent, elle paraîtrait aux
yeux du monde plier sous sa propre impuissance et succomber
par son défaut de cœur. Tout peuple qui lâche aisément ce qu’il a
pris et se retire de lui-même dans ses anciennes limites proclame
que les beaux temps de son histoire sont passés. Si jamais la
France abandonne l’Algérie, il est évident qu’elle ne peut le faire
qu’au moment où on la verra entreprendre de grandes choses en
Europe et non pas dans un temps comme le nôtre où elle semble
descendre au second rang et paraît résignée à laisser passer en
d’autres mains la direction des affaires européennes36. »
Pendant six ans, Bugeaud mobilisa le tiers de l’armée fran-
çaise (83 000 hommes en 1842, 108 000 en 1846) pour soumettre
la « nationalité arabe » par tous les moyens efficaces : combattre les
troupes de l’émir, détruire ses villes, empêcher les tribus insou-
mises de semer et de récolter, enlever leurs troupeaux, couper
leurs arbres fruitiers et même enfumer les « rebelles » récalcitrants

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

dans les grottes où ils se réfugiaient ; moyens justifiés à ses yeux


par les intérêts supérieurs de la nation française et de la « civili-
sation ». Le gouvernement de Soult et de Guizot lui apporta son
plein appui contre les reproches humanitaires des derniers anti-
colonistes. Une majorité croissante approuvait tous les moyens
susceptibles de hâter la fin de la guerre37. L’enjeu des débats se
déplaçait vers les modalités de la colonisation et les rapports entre
les pouvoirs militaire et civil.

« La conquête serait stérile sans la colonisation »


Dans son sens originel, l’établissement d’un peuplement nouveau
pour cultiver et habiter définitivement un pays, elle avait été prô-
née dès 1830 par les partisans de l’annexion. Mais elle ne se réa-
lisa sur une grande échelle qu’après la conquête totale.
Dès les premiers mois, une immigration spontanée, venue de
France mais surtout des pays méditerranéens voisins (voire de
Suisse et d’Allemagne du Sud) se dirigea vers Alger. Beaucoup
de ces immigrants étaient des spéculateurs avides de s’enrichir
en s’emparant d’immeubles et de terres abandonnés ou au sta-
tut incertain pour les revendre. D’autres s’établissaient dans les
petits métiers urbains (boutiquiers, cabaretiers) ou dans le jardi-
nage de banlieue. Quelques gentilshommes et bourgeois dotés de
gros capitaux (les « colons en gants jaunes ») agirent en véritables
entrepreneurs de colonisation : ils créèrent de grands domaines,
employèrent des métayers indigènes et installèrent des familles de
paysans européens38.
Les autorités militaires et civiles n’avaient pas de politique
cohérente et continue. Si les commandants en chef Clauzel (1830-
1831) et Rovigo (1831-1833) furent des « colonistes » ardents39,
le général Berthezène (1831) et l’intendant civil Pichon s’oppo-
sèrent aux appétits du « parti exploiteur et exterminateur40 ». Les

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LE TEMPS DES CHOIX FONDAMENTAUX

gouvernements optèrent pour une colonisation prudente, enfer-


mée dans les limites de l’occupation militaire, et confiée de pré-
férence aux initiatives privées.
Cette première colonisation, limitée aux environs d’Alger (col-
lines du Sahel et plaine de la Mitidja, jusqu’aux insalubres marais
de Boufarik), fut presque anéantie par l’offensive de l’émir Abd
el-Kader à la fin de 1839. Le général Bugeaud en fit alors un bilan
très sévère. « Nous nous agitons depuis dix ans pour faire les
choses du monde, je ne dirai pas les plus futiles, mais les plus
infructueuses », déclara-t-il à la Chambre le 15 janvier 1840.
Un an plus tard, devenu gouverneur général, il n’avait pas chan-
gé d’avis, selon son secrétaire Louis Veuillot : « Après dix années
d’efforts, […] la colonisation était nulle. Aucune terre n’était culti-
vée nulle part, à moins que l’on n’accorde le nom de terre culti-
vée à quelques jardinets situés sous le fusil des remparts, où l’on
récoltait un peu de légumes et des salades qui se vendaient à prix
d’or. Lorsqu’on lui parlait de la colonisation et des colons d’Alger,
son bon sens n’y pouvait tenir. Il se répandait en railleries poi-
gnantes contre ce mensonge criant ; à peu d’exceptions près, il n’y
avait guère dans l’Algérie d’autres colons que les fonctionnaires,
les agioteurs et les cabaretiers41. »
Bugeaud fit admettre la colonisation comme une nécessité mili-
taire et politique, à la fois indispensable moyen de consolider la
conquête et véritable but de celle-ci. « Oui, il faut coloniser », affir-
ma-t-il à la Chambre le 15 janvier 1840, « parce que vous ne pou-
vez pas conserver en Afrique l’armée qui aurait fait la conquête
et qui serait nécessaire pour la conserver si vous n’y aviez pas
une colonisation puissante. Vous ne pouvez retirer la plus grande
partie de cette armée qu’en établissant une population fortement
et militairement constituée […]. Oui, Messieurs, il vous faut des
colons militaires […] ou civils si vous voulez, mais organisez-les

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

militairement, car il faut que les colons soient très guerriers dans
un pareil pays. »
Il le répéta en 1847 : « Ah, s’il n’y avait pas d’Arabes en Algé-
rie ou s’ils ressemblaient à ces peuples efféminés de l’Inde, je me
serais bien gardé de conseiller à mon pays de faire, à coup de
budget, une base de colonisation, avec l’élément militaire. Mais
l’existence de cette nation si vigoureuse, si bien préparée pour
la guerre, si supérieure à ce point aux masses européennes que
nous pourrions introduire dans le pays, nous impose l’obligation
absolue d’établir devant elle, à côté d’elle, la population la plus
vigoureuse possible42. »
Inversement, seule la colonisation pourrait donner à la conquête
le but positif et la justification dont elle manquait. Dans sa pre-
mière proclamation aux habitants de l’Algérie, le 22 février 1841,
le nouveau gouverneur général affirmait : « La guerre indispen-
sable aujourd’hui n’est pas le but. La conquête serait stérile sans la
colonisation. Je serai donc colonisateur ardent, car j’attache moins
ma gloire à vaincre dans les combats qu’à fonder quelque chose
d’utilement durable pour la France […]. Alors la France aura véri-
tablement fondé une colonie et recueillera le prix des sacrifices
qu’elle aura faits43. »
Ce raisonnement convainquit la majorité des milieux poli-
tiques. On en trouve la confirmation implicite dans le Travail sur
l’Algérie d’Alexis de Tocqueville. Celui-ci y démontrait « qu’il ne
faut point séparer la domination de la colonisation et vice versa ».
En effet, la domination sans colonisation (comme celle des Anglais
en Inde) serait moins difficilement acceptable, mais « toujours
improductive et précaire », de même que la colonisation sans la
domination resterait précaire et incomplète. « Aussi la domination
n’est-elle pas le but que doit se proposer la France, c’est le moyen
nécessaire qu’elle emploie pour arriver à la possession tranquille

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LE TEMPS DES CHOIX FONDAMENTAUX

du littoral et à la colonisation d’une partie du territoire, but réel et


sérieux de ses efforts44. »
Au-delà de ce consensus, les opinions restaient divergentes sur
les moyens susceptibles d’attirer et de fixer en Algérie la masse
de colons jugée nécessaire. Selon Bugeaud, dans son discours du
14 mai 1840, la colonisation spontanée ne pouvait suffire à cause
de l’insalubrité du climat et du péril arabe : « Vous serez obligés
d’y appeler des colons par l’appétit de la propriété et par les faci-
lités que vous leur donnerez […]. Il faut des colons que vous pla-
cerez dans les situations les plus favorables. Pour les avoir, il faut
faire un appel séduisant ; car sans cela, vous n’en aurez pas. Il
faut qu’une ordonnance royale leur promette des terres dans la
meilleure situation […]. Partout où il y aura des bonnes eaux et
des terres fertiles, c’est là qu’il faut placer les colons, sans s’infor-
mer à qui appartiennent les terres ; il faut les leur distribuer en
toute propriété. »
Cette formule expéditive semblait approuver ceux qui voulaient
refouler les indigènes, comme des bêtes féroces, vers les sables
du Sahara45. En fait, Bugeaud admettait dans le même discours
qu’il y avait assez de terrain pour placer des colons européens
à côté des Arabes, comme son prédécesseur Valée. Tocqueville
avait exprimé la même idée en 1837 ; il n’en jugeait pas moins
nécessaire, en 1841, de consolider la propriété au profit des colons
en séquestrant définitivement les terres des tribus hostiles et en
expropriant (contre une généreuse indemnité) presque toutes les
propriétés foncières des citadins maures46.
Après la conquête, les ordonnances de 1844 et de 1846 ten-
tèrent de mettre de l’ordre dans le régime foncier en attribuant
des titres de propriété. Mais l’expropriation pour cause d’incul-
ture permit une quasi-spoliation des tribus semi-nomades. Dans
la région d’Alger, sur 168 000 hectares vérifiés, 95 000 revinrent à

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

l’État, 37 000 à des Européens, et seulement 11 500 à des musul-


mans auxquels la commission des transactions et partages en ren-
dit plus tard 22 00047. Toutefois Bugeaud s’opposa à la spoliation
complète, et les « bureaux arabes » tentèrent de sédentariser les tri-
bus sur leurs territoires résiduels par une « colonisation indigène ».
Le rôle de l’État, distributeur de concessions de terres gra-
tuites et créateur de villages, fut généralement approuvé ; mais les
conditions matérielles d’accueil ne furent pas à la hauteur des pro-
messes. La colonisation militaire par d’anciens soldats travaillant
en commun et militairement organisés, suivant l’exemple romain
des colonies de vétérans, recommandée par Bugeaud, fut limitée à
trois villages et rapidement abandonnée. D’autres systèmes collec-
tivistes furent proposés par le saint-simonien Enfantin (dont les
vues inspirèrent en partie les plans de colonisation des généraux
Lamoricière et Bedeau), et par les fouriéristes, qui tentèrent de
fonder un phalanstère à Saint-Denis du Sig48. Toutefois, les plus
grandes réussites furent celles de grands colons capitalistes éta-
blis sur de grandes concessions.
Selon Tocqueville, dans son Travail sur l’Algérie de 1841, les
clés de la réussite se trouvaient à l’opposé des conceptions milita-
ristes ou socialistes. L’exemple de toutes les colonies européennes
lui prouvait que celles-ci ne pouvaient se développer sans l’attrait
de la liberté et de la propriété individuelles : « Pour faire venir des
habitants dans un tel pays, il faut d’abord leur donner de grandes
chances d’y faire fortune ; il faut secondement qu’ils y rencontrent
un état de société conforme à leurs habitudes et à leurs goûts49. »
Ces deux conditions impliquaient « qu’il [fallait] faire un pont d’or
à ceux qui vont en Afrique », en les aidant à s’établir et à trouver
des débouchés pour leurs produits ; et qu’il fallait leur offrir les
garanties juridiques et les droits politiques dont ils avaient bénéfi-
cié dans la métropole.

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LE TEMPS DES CHOIX FONDAMENTAUX

Ce programme, appelé politique d’assimilation, devint rapide-


ment celui des colons d’Algérie, qui supportaient de plus en plus
impatiemment l’autorité arbitraire du régime militaire.

Peupler l’Algérie de colons français


Pourtant les débats sur les moyens et les conditions de la coloni-
sation laissaient de côté la question essentielle : la France avait-
elle les moyens démographiques de peupler l’Algérie ? Bugeaud
l’avait reconnu dès le 15 janvier 1840 : « Il serait insensé de tenter
la conquête absolue sans avoir les moyens de faire la colonisa-
tion, seul moyen raisonnable de garder le pays conquis. » Mais
il pensait, comme Guizot, et comme Tocqueville, que les colons
français pourraient, avec le temps, devenir majoritaires. Cette
perspective hypothétique dépendait des évolutions respectives
des deux populations50.
La population de l’Algérie en 1830 faisait l’objet d’évalua-
tions très variées ; l’historien Xavier Yacono en a déduit qu’elle
devait approcher de trois millions d’habitants51. Une minorité
vivait dans les villes ; la grande majorité se composait de tribus
arabes nomades ou semi-nomades, et de tribus berbères séden-
taires établies dans les montagnes. À l’exception des banlieues
maraîchères des villes, les plaines étaient vouées à l’élevage et
à une céréaliculture itinérante. Elles semblaient vides aux yeux
des Européens. Certains en déduisaient que le pays était aussi
vacant que l’Amérique du Nord ; et d’autres, comme Tocqueville
en 1837, qu’il y avait assez de place pour faire coexister deux
populations : « La population arabe est donc fort clairsemée, elle
occupe beaucoup plus de terrain qu’elle n’en peut ensemencer
tous les ans. La conséquence de ceci est que les Arabes vendent
aisément et à bas prix la terre, et qu’une population étrangère
peut sans peine s’établir à côté d’eux sans qu’ils en souffrent52. »

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

En réalité, les tribus avaient besoin de tout leur territoire,


et résistèrent de toutes leurs forces à l’intrusion étrangère. Les
pertes, dues aux combats, aux massacres, aux destructions, à la
désorganisation de l’économie traditionnelle, aux épidémies, et à
l’émigration volontaire d’une partie des vaincus en terre d’Islam,
firent certainement diminuer la population indigène estimée à
2,5 millions d’habitants en 1851. Rien ne faisait prévoir alors une
croissance accélérée.
La France était l’un des États les plus peuplés de l’Europe
occidentale. Bien que les Français eussent toujours fourni moins
d’émigrants que les autres peuples européens, les fortes densités
rurales et les tensions sociales créées dans les villes par la révolu-
tion industrielle faisaient croire aux dirigeants de la monarchie de
Juillet que le pays était surpeuplé, et qu’il pourrait aisément peu-
pler l’Algérie en détournant le flux d’immigrants français et étran-
gers qui s’embarquaient dans ses ports vers le Nouveau Monde. À
partir de 1846, la crise agricole et industrielle renforça l’idée que
l’Algérie pourrait servir d’exutoire à la surpopulation française et
régler la question sociale en évacuant les « classes dangereuses ».
« La France possède une population surabondante, ses frontières
sont devenues trop étroites, elle a besoin d’étendre son territoire,
et par une faveur providentielle le désert algérien est à ses portes
[…]. La question algérienne est en définitive une question de
population. Hâtons-nous d’établir un grand courant d’émigration.
Le succès de la colonisation est le gage de l’ordre public […] ; alors
peut-être il n’y aura plus de misère en France53. »
La IIe République mit en œuvre cette idée. Après la liquida-
tion de l’expérience des Ateliers nationaux et la répression de l’in-
surrection ouvrière de juin 1848, l’Assemblée vota un crédit de
50 millions de francs pour établir en Algérie des villages d’agricul-
teurs libres. Près de 100 000 candidatures parvinrent des régions

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LE TEMPS DES CHOIX FONDAMENTAUX

les plus touchées par la crise. 20 000 émigrants (dont 15 000 Pari-
siens) partirent pour fonder 42 villages. La majorité n’avait aucune
expérience agricole et fut découragée par les mauvaises condi-
tions d’accueil ; 3 000 d’entre eux moururent, 7 000 rentrèrent en
France, mais 10 000 restèrent en Algérie. La République ne jugea
pas nécessaire de poursuivre l’expérience. En 1851, l’Algérie
comptait 33 000 colons ruraux sur 131 000 Européens, parmi les-
quels, pour la première fois, 66 000 Français dépassaient de peu
65 000 étrangers.
Le retour de la prospérité économique, à partir de 1852, dissipa
l’impression d’un surpeuplement de la France. Puis la comparai-
son des résultats des recensements de 1846 et de 1856 montra que
la population française ne s’était pas accrue en dix ans, à cause
des effets des crises économiques, des guerres, et des épidémies
de choléra sur la mortalité et sur la natalité54.
La même année 1856, le nombre des naissances dépassa pour la
première fois celui des décès dans la population européenne d’Algé-
rie. On en conclut qu’un peuple nouveau s’y était enraciné. Mais,
étant donné que la poursuite d’une immigration française massive
était improbable, on pouvait supposer que l’Algérie deviendrait une
colonie de plus en plus européenne et de moins en moins française.
Nul n’imaginait qu’elle ne serait en définitive ni l’une, ni l’autre.

Le choix équivoque de l’assimilation


En 1848, la IIe République confirma les choix du régime précé-
dent, rendus irrévocables par la défaite et la soumission de l’émir
Abd-el Kader et d’Ahmed Bey. Elle les dépassa même en procla-
mant le rattachement de l’Algérie au territoire national. Mais cette
« assimilation » ne profita qu’à la minorité française, qui aspirait à
s’émanciper de l’autorité militaire pour développer la colonisation
sans entraves.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Après le coup d’État du 2 décembre 1851, le régime bonapar-


tiste hésita entre une politique d’assimilation au profit de la colo-
nisation et une politique d’association visant à maintenir un juste
équilibre entre les intérêts des indigènes et ceux des colons. La
colonisation à outrance triompha dès 1870, avant même la chute
de l’Empire.
Dès le début, les immigrants avaient mal supporté l’autorité
arbitraire du régime militaire en Algérie. Dans son Travail sur l’Al-
gérie de 1841, Tocqueville s’était fait l’écho de leurs revendications :
consolidation de la propriété suivant le droit civil français, garan-
ties judiciaires et droits politiques conformes à ceux dont béné-
ficiaient les habitants de la métropole. Contre l’avis de Bugeaud,
qui démissionna en 1847, le gouvernement de Guizot avait com-
mencé à leur donner des satisfactions partielles : l’ordonnance du
28 septembre 1847 avait prévu la création de municipalités, avec
des maires et adjoints nommés, et une représentation minoritaire
des étrangers et des indigènes, dans les principaux centres des
territoires civils délimités en 1845. Mais une délégation des colons
algériens à Paris avait réclamé davantage : introduire les lois de la
France en Algérie, « terre à jamais française », constituer les ter-
ritoires civils en trois départements formés d’arrondissements et
de communes dotés de conseils élus, tout en maintenant les terri-
toires militaires sous un état de siège permanent55.
Le gouvernement provisoire républicain reprit ce programme
à son compte. Dès le 2 mars 1848, il adressa une proclamation
aux colons d’Algérie ; imputant au régime déchu « l’incerti-
tude qui jusqu’ici a pesé sur l’avenir de l’Algérie », il leur pro-
mit ceci : « La République défendra l’Algérie comme le sol même
de la France. Vos intérêts matériels et moraux seront étudiés et
satisfaits. L’assimilation progressive des institutions algériennes
à celles de la métropole est dans la pensée du gouvernement

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LE TEMPS DES CHOIX FONDAMENTAUX

provisoire : elle sera l’objet des plus sérieuses délibérations de


l’Assemblée nationale. »
Le décret du 5 mars 1848 confia la tâche de déterminer le
mode de représentation de l’Algérie et des colonies à l’Assemblée
constituante. Mais le ministre de l’intérieur, Ledru Rollin, se lais-
sa convaincre d’accorder immédiatement quatre sièges à l’Algérie
dans cette Assemblée. Celle-ci tint les promesses du gouverne-
ment provisoire. En août 1848, des arrêtés du général Cavaignac
(ancien gouverneur général de l’Algérie, devenu chef du pouvoir
exécutif de la République en juin 1848) rattachèrent plusieurs ser-
vices de l’administration algérienne aux ministères métropolitains
correspondants, les autres restant subordonnés au ministère de la
Guerre. Un arrêté du 16 août 1848 décida de constituer tout le
territoire civil en communes gérées par des conseils municipaux,
élus par les citoyens français majeurs ainsi que par les étrangers
et les indigènes remplissant certaines conditions de résidence
et d’imposition, votant dans un seul collège. Toutefois, les non-
citoyens ne pouvaient élire plus du tiers des conseillers, ni leurs
élus accéder aux fonctions de maire et d’adjoint.
Enfin, la Constitution du 12 novembre 1848 fit de l’Algérie et
des autres colonies un « territoire français », régi par des lois par-
ticulières « jusqu’à ce qu’une loi spéciale la place sous le régime
de la présente Constitution ». Ainsi la première assemblée démo-
cratiquement élue ratifia une conquête sur laquelle le peuple fran-
çais n’avait jamais été consulté. En application de ce principe,
les décrets des 9 et 16 décembre 1848 constituèrent les territoires
civils en trois départements, subdivisés en arrondissements et en
communes, administrés par des préfets, des sous-préfets et des
maires. Les premiers seraient assistés par des conseils de préfec-
ture et par des conseils généraux élus qui ne furent pas créés.
Ils communiqueraient directement avec le ministre de la Guerre

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

pour l’administration générale, et avec les ministres responsables


des services rattachés, sans passer par le gouverneur général mili-
taire qui restait seul responsable de l’administration des indigènes
dans les territoires militaires. Cette organisation complexe répon-
dait aux vœux formulés par la délégation des colons en 1847.
Cette première expérience d’assimilation ne dura guère. Les
pouvoirs publics métropolitains, orientés à droite depuis les élec-
tions présidentielle et législative de décembre 1848 et mai 1849, se
méfièrent du républicanisme de plus en plus radical des citoyens
français d’Algérie, et suspendirent l’une après l’autre toutes leurs
municipalités élues. Un conflit d’autorité permanent opposa les
gouverneurs généraux et les généraux de division aux préfets, qui
durent se soumettre. Après le coup d’État du 2 décembre 1851, l’Al-
gérie se singularisa par une adhésion très réticente56. La Constitu-
tion du 14 janvier 1852 lui retira sa représentation parlementaire et
confia sa législation au Sénat. Le gouverneur général retrouva son
autorité sur les préfets, et les municipalités perdirent leur carac-
tère électif. Mais la politique d’assimilation, à demi désavouée, ne
s’en identifia que davantage à la tradition républicaine.
Contrairement aux « vieilles colonies », dont tous les habitants,
y compris les anciens esclaves émancipés par le gouvernement
provisoire, furent admis à la citoyenneté aux mêmes condi-
tions que les habitants de la métropole, en Algérie la politique
d’assimilation ne bénéficia qu’à la minorité française d’origine
ou par naturalisation57. La masse à peine soumise des indigènes
resta assujettie au régime militaire. Seuls les citadins indigènes
des six villes érigées en commune par l’ordonnance du 28 sep-
tembre 1847 et par l’arrêté du 16 août 1848 avaient obtenu le droit
à une représentation minoritaire, et exclue des fonctions de maire
et d’adjoint. Mais la manipulation des électeurs indigènes par
les autorités fournit des arguments aux citoyens français qui les

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LE TEMPS DES CHOIX FONDAMENTAUX

jugeaient « peu dignes du droit électoral », et qui le leur firent reti-


rer dès 1850. Ainsi le suffrage universel se dénatura en devenant
le privilège d’une minorité.
Ce constat est rétrospectivement évident ; mais il ne l’était pas
aux yeux des contemporains. En effet, les Français et les musul-
mans formaient deux sociétés étrangères l’une à l’autre, qui ne
pouvaient relever, semblait-il, du même régime. Certains colons,
même parmi les républicains les plus avancés, tels que le doc-
teur Bodichon, croyaient pouvoir rétablir l’unité de législation en
refoulant les Arabes vers le désert, comme les pionniers nord-amé-
ricains refoulaient les Indiens vers le Far West58. Plus avisés, des
responsables militaires comme le général Valée s’étaient donné
pour but d’« amener les deux races à vivre en paix juxtaposées »,
en préparant des terres pour recevoir les tribus dépossédées par
la colonisation, en attendant que, peut-être, la « fusion des races »
s’accomplisse avec le temps, au moyen de l’« absorption par indi-
vidus59 ». De même, le général Bugeaud, très expéditif dans son
discours du 15 janvier 1840, avait défini quatre ans plus tard une
politique à long terme : « Nous avons fait sentir notre force et notre
puissance aux tribus d’Afrique. Il faut leur faire connaître main-
tenant notre bonté et notre justice. Ainsi, nous pourrons espérer
de leur faire d’abord supporter notre domination, de les y accou-
tumer plus tard et, à la longue, de les identifier avec nous, de
manière à ne former qu’un seul et même peuple, sous le gouver-
nement paternel du roi de France60. »
Très sceptique sur cette perspective, Alexis de Tocqueville se
prononçait dès 1841 pour une politique d’assimilation réservée
aux Européens : « La population musulmane tend sans cesse à
décroître, tandis que la population chrétienne se développe sans
cesse. La fusion de ces deux populations est une chimère […].
Il peut donc et il doit donc y avoir deux législations distinctes

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

parce qu’il s’y trouve deux sociétés très séparées. Rien n’empêche
absolument, quand il s’agit des Européens, de les traiter comme
s’ils étaient seuls, les règles qu’on fait pour eux ne devant jamais
s’appliquer qu’à eux61. »
Néanmoins, dans son rapport fait au nom de la commission
parlementaire d’enquête de 1847, il s’attacha également à définir
une politique indigène. Condamnant avec la même force « l’extré-
mité de la bienveillance » et celle de la rigueur, il recommandait
une domination à la fois ferme et juste, afin de favoriser la colo-
nisation sans léser les indigènes, en indemnisant les propriétaires
ou usufruitiers dépossédés, en resserrant les tribus sur une partie
de leur territoire au lieu de les transporter ailleurs, et en contrô-
lant les transactions immobilières avec les Européens. Son but ne
devait pas être l’assimilation, mais l’association entre les intérêts
de deux peuples différents : « Il serait aussi dangereux qu’inutile
de vouloir leur suggérer nos mœurs, nos idées, nos usages. Ce
n’est pas dans la voie de notre civilisation européenne qu’il faut
les pousser, mais dans le sens de celle qui leur est propre […]. Il
serait peu sage de croire que nous parviendrons à nous lier aux
indigènes par la communauté des idées et des usages, mais nous
pouvons espérer le faire par la communauté des intérêts. » Don-
nant en exemple les relations commerciales et de travail entre
les colons et leurs voisins, il concluait que « de notre manière
de traiter les indigènes dépend surtout l’avenir de notre domi-
nation en Afrique », et que si au contraire « nous agissions de
manière à montrer qu’à nos yeux les anciens habitants de l’Algé-
rie ne sont qu’un obstacle qu’il faut écarter ou fouler aux pieds
[…], la question de vie ou de mort se poserait entre les deux
races. L’Algérie deviendrait, tôt ou tard […] un champ clos […]
où les deux peuples devraient combattre sans merci, et où l’un
des deux devrait mourir62 ». Paroles apparemment prophétiques ;

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LE TEMPS DES CHOIX FONDAMENTAUX

le contexte montre toutefois que Tocqueville imaginait, non pas


la décolonisation de l’Algérie, mais au contraire la répétition de
la conquête de l’Amérique, entachée de « sanglants exemples que
l’opinion du genre humain a flétris ».
Ainsi la IIe République ne pouvait songer à étendre aux indi-
gènes la politique d’assimilation qu’elle destinait aux colons fran-
çais. Les visionnaires les plus audacieux n’imaginaient pour leur
part la « fusion des races » qu’à très long terme. Les observateurs
les plus lucides se contentaient de vouloir substituer progressive-
ment à la domination française l’association des intérêts de deux
peuples distincts. Mais le mot « assimilation » appliqué à l’Algérie
garda une fâcheuse ambiguïté qui abusa plusieurs générations de
républicains.

Les hésitations de Napoléon III


Louis-Napoléon Bonaparte, maître absolu de la France après
son coup d’État du 2 décembre 1851 et devenu l’empereur Napo-
léon III un an plus tard, fut le premier chef de l’État français à
visiter l’Algérie et à tenter d’y imposer une politique originale,
s’écartant délibérément des options antérieures, sans succès
durable cependant.
Louis-Napoléon Bonaparte eut longtemps des idées contradic-
toires sur le problème algérien. Adepte du principe des nationa-
lités, il ne pouvait approuver la conquête et la domination de la
« nationalité arabe » par la France. Comme son oncle et modèle
Napoléon Ier, il était sensible au mirage de l’Orient, et il suivait
avec sympathie la « régénération de la race arabe » entreprise en
Égypte avec l’aide française par Mehemet Ali. « L’Algérie est un
boulet attaché aux pieds de la France » ; « on perd l’Algérie par
une guerre sans but », écrivait-il à ses correspondants pendant la
conquête. Il ne croyait pas en l’utilité de la colonisation esclavagiste

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

traditionnelle : « Ces possessions lointaines, onéreuses en temps


de paix, désastreuses en temps de guerre, sont une cause d’affai-
blissement au lieu d’être un germe de prospérité. » Mais, en bon
disciple des économistes libéraux et des saint-simoniens, il n’était
pas hostile aux entreprises de colonisation conçues comme la
mise en valeur de territoires incultes. Dans sa prison de Ham, en
1844, il avait lu et approuvé le livre d’Enfantin sur La Colonisation
de l’Algérie, qui proposait de la peupler et de la cultiver au moyen
de grandes associations de capitaux63.
Devenu seul maître du pouvoir à la fin de 1851, il ne formu-
la pas d’emblée une politique claire. Le républicanisme de plus
en plus radical des Français d’Algérie et leur faible adhésion au
coup d’État lui inspirèrent une méfiance et une rancune qui le
poussèrent à y rétablir le pouvoir militaire et à y déporter les
opposants. Au contraire, il tint la promesse du duc d’Aumale en
laissant l’émir Abd el-Kader libre de se retirer à Damas avec une
pension. Pourtant, dans son discours-programme de Bordeaux, le
12 octobre 1852, il déclarait : « Nous avons, en face de Marseille,
un vaste royaume à assimiler à la France. »
De 1852 à 1858, l’Algérie fut pour l’Empereur un camp d’entraî-
nement militaire et un réservoir de troupes aguerries. Ce fut aussi
un moyen de récompenser les services rendus en distribuant de
hautes fonctions ou de grandes concessions de terres. Il fut même
question d’en faire une vice-royauté distincte de la métropole, au
bénéfice du prince impérial né en 1856, ou de l’ancien héritier pré-
somptif, le « cousin bien-aimé », Napoléon-Jérôme.
Le maréchal Randon reçut le gouvernement général en récom-
pense pour avoir cédé le ministère de la Guerre à Saint-Arnaud
peu avant le coup d’État. Il acheva la conquête de l’Algérie du
Nord par la soumission de la Grande Kabylie en 1857. Il tenta de
maintenir un équilibre entre les intérêts de la colonisation et ceux

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LE TEMPS DES CHOIX FONDAMENTAUX

de la population indigène. Dans le cadre de la loi de 1851 visant à


garantir les droits de propriété et de jouissance, il étendit la colo-
nisation au moyen du cantonnement, opération consistant à déli-
vrer des titres de propriété aux tribus contre cession d’une part de
leurs territoires à l’État. En dix ans, 250 000 hectares furent concé-
dés à la petite colonisation, et 56 villages fondés. Mais l’Empereur
fit attribuer 50 000 hectares à de grandes sociétés capitalistes, qui
éludèrent leurs engagements d’installer des colons. Cependant
les « bureaux arabes » tentèrent de faire participer les indigènes à
l’essor économique du pays en améliorant leur élevage et en inten-
sifiant leur agriculture. Ils réorganisèrent la justice musulmane.
Pourtant, le « régime du sabre » restait très impopulaire chez
les Français d’Algérie, dont l’esprit d’opposition était entretenu
par les transportés républicains de 1852, renforcés en 1858 par
les victimes de la « loi de sûreté générale ». Le procès pour exac-
tions et assassinat du capitaine Doineau à Oran permit à l’avocat
républicain Jules Favre de faire le procès des bureaux arabes,
appelés « bourreaux d’Arabes », et du régime militaire dans son
ensemble64.
Ému par le scandale, Napoléon III décida en juin 1858 de
supprimer le régime militaire et le gouvernement général, pour
confier l’Algérie à son cousin Napoléon-Jérôme. À l’idée impé-
riale d’une vice-royauté d’Alger, celui-ci préféra un ministère de
l’Algérie et des colonies siégeant à Paris, et dirigeant à distance
les services administratifs, sauf l’instruction et les cultes, directe-
ment rattachés au ministère compétent. Démocrate, anticlérical et
antimilitariste, il tenta une expérience d’assimilation plus poussée
que celle de 1848, conformément aux vœux des colons algériens.
Il créa les trois conseils généraux prévus en 1848, et six sous-
préfectures, doubla l’extension du territoire civil, fit surveiller
les bureaux arabes par des commissions disciplinaires, autorisa

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

les transactions immobilières sans restriction et prépara un décret


sur le cantonnement des terres tribales. Pour la première fois,
l’assimilation visait la société indigène : « Nous sommes en pré-
sence d’une nationalité armée et vivace, qu’il faut éteindre par
l’assimilation65. » Son but était « la dislocation du peuple arabe et la
fusion », par l’abaissement des grands chefs, la désagrégation des
tribus, la rupture des liens entre les métayers (khammès) et leurs
patrons. Après la démission du prince qui avoua : « On m’a fait
faire bien des bêtises », son successeur le comte de Chasseloup-
Laubat continua sa politique, en supprimant la justice musulmane
au profit des tribunaux français.
Alarmées par ces atteintes à leurs intérêts et à leurs traditions,
les tribus recommencèrent à s’agiter. Alerté par les bureaux arabes
et par les chefs militaires, soucieux de ne pas compromettre l’in-
fluence de la France dans le monde arabe et musulman par une
révolte en Algérie, Napoléon III décida de venir s’informer sur
place et de prendre en main la politique algérienne66.

« Je suis aussi bien l’Empereur des Arabes


que l’Empereur des Français »
Arrivant à Alger le 19 septembre 1860, Napoléon III salua le cou-
rage et la persévérance de l’armée, puis il définit la conquête
comme une « rédemption » : « Notre premier devoir est de nous
occuper du bonheur des trois millions d’Arabes que le sort des
armes a fait passer sous notre domination. La Providence nous
a appelés à répandre sur cette terre les bienfaits de la civilisation
[…]. Élever les Arabes à la dignité d’hommes libres, répandre sur
eux l’instruction tout en respectant leur religion, améliorer leur
existence en faisant sortir de cette terre tous les trésors que la
Providence y a enfouis et qu’un mauvais gouvernement laisserait
stériles, telle est notre mission ; nous n’y faillirons pas. » Enfin,

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LE TEMPS DES CHOIX FONDAMENTAUX

il assura les « hardis colons » de la « protection de la métropole67 ».


Ainsi, pour la première fois depuis 1830, la « civilisation des indi-
gènes » recevait la priorité sur la colonisation parmi les buts de la
politique française en Algérie.
Le 26 novembre 1860, l’Empereur supprima le ministère de
l’Algérie et des colonies et rétablit le gouvernement général. Mais
il commit l’erreur de le confier au maréchal Pélissier, duc de
Malakoff, vieux soudard très sensible à l’influence de son entou-
rage et du milieu colonial. Informé par des « indigénophiles »,
militaires ou civils (le conseiller de gouvernement Thomas Ismaïl
Urbain, ancien saint-simonien, et l’ancien préfet d’Alger Frédéric
Lacroix), Napoléon III tenta vainement de rallier son représentant
officiel à sa politique. Le 1er novembre 1861, il écrivit au gouver-
neur que « l’élément arabe est l’élément vital de la colonisation »,
parce que « l’Algérie n’est pas une colonie ordinaire, mais un
royaume arabe ». Il valait mieux « attacher les Arabes au sol en
leur donnant des titres de propriété » que « dépenser des millions
pour avoir quelques milliers de colons qui ne sont ni acclimatés,
ni cultivateurs, ni soldats ». Il fallait donc « donner une impulsion
toute contraire à celle qui existait jusqu’à ce jour […] ; au lieu de
suivre l’exemple des Américains du Nord qui poussent devant eux
jusqu’à ce qu’elle soit éteinte la race abâtardie des Indiens, il faut
suivre celui des Espagnols au Mexique, qui se sont assimilés tous
les peuples indigènes68 ».
Le 6 février 1863, il lui écrivit de nouveau pour justifier le
retrait du projet de cantonnement élaboré par son directeur géné-
ral des affaires civiles, Mercier Lacombe, et la présentation au
Sénat d’un projet de sénatus-consulte visant à « rendre les tribus,
ou fractions de tribus, propriétaires incommutables des terri-
toires qu’elles occupent à demeure fixe et dont elles ont la jouis-
sance traditionnelle, à quelque titre que ce soit ». La colonisation

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

ne manquait pas de terres : « Sur les 420 000 hectares concédés


aux colons, une grande partie a été soit revendue, soit louée aux
Arabes par les concessionnaires, et le reste est loin d’être entiè-
rement mis en valeur. » Il n’y avait donc pas « utilité à cantonner
les indigènes, c’est-à-dire prendre une certaine portion de leurs
terres pour accroître la part de la colonisation ». Il valait mieux
« convaincre les Arabes que nous ne sommes pas venus en Algé-
rie pour les opprimer et les spolier, mais pour leur apporter les
bienfaits de la civilisation » en respectant leurs droits, de façon
à « nous concilier cette race intelligente, fière, guerrière, et agri-
cole ». La reconnaissance de la propriété des tribus, puis sa divi-
sion en douars, seraient des étapes vers la constitution prudente
de la propriété individuelle et vers la liberté des transactions. La
mise en valeur de l’Algérie se ferait suivant un partage des tâches :
– « aux indigènes l’élevage des chevaux et du bétail, les cultures
naturelles du sol » ;
– aux Européens, les exploitations forestières et minières,
les grands travaux hydrauliques, les cultures perfectionnées, les
industries liées à l’agriculture ;
– au gouvernement local, la responsabilité des intérêts géné-
raux, suivant les conceptions libérales. « En outre, il favorisera les
grandes associations de capitaux européens, en évitant désormais
de se faire entrepreneur d’émigration et de colonisation, comme
de soutenir péniblement des individus sans ressources, attirés par
des concessions gratuites. »
Napoléon III répétait sa formule favorite : « L’Algérie n’est pas
une colonie proprement dite, mais un royaume arabe. Les indi-
gènes comme les colons ont un droit égal à ma protection, et je suis
aussi bien l’Empereur des Arabes que l’Empereur des Français69. »
Ces projets suscitèrent une violente agitation dans les milieux
colonistes, orchestrée à Alger par l’ancien saint-simonien Warnier

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LE TEMPS DES CHOIX FONDAMENTAUX

(ennemi d’Ismaïl Urbain), et relayée à Paris par l’ancien fouriériste


Jules Duval. Ils ne purent empêcher le vote du sénatus-consulte du
22 avril 1863, conforme à la volonté impériale. Mais l’ambiguïté de
son texte, reconnaissant la propriété individuelle comme fin à long
terme, permettait de le détourner de son but immédiat par une
application précipitée. Les tribus ne furent donc pas rassurées. La
révolte des Ouled Sidi Cheikh, partie du sud oranais, s’étendit à la
plus grande partie de l’ouest algérien en 1864 et 1865.
L’Empereur réorganisa les pouvoirs au profit des militaires et
du nouveau gouverneur général, le maréchal Mac Mahon. Celui-
ci donna la priorité au rétablissement de l’ordre, et chercha à se
concilier les colons. Troublé par les obstacles auxquels se heur-
tait sa politique, Napoléon III fit un second voyage d’enquête en
mai et juin 1865. Ses premières déclarations furent en retrait sur
celles de 1860. Il s’adressa d’abord aux colons habitants de l’Algé-
rie pour les encourager à considérer le pays comme une « nouvelle
patrie » et les Arabes comme des « compatriotes ». Puis il rappela
au « peuple arabe » que la France n’était pas venue « détruire la
nationalité d’un peuple », mais « affranchir ce peuple d’une oppres-
sion séculaire ». Sans lui reprocher sa résistance, il l’invita à suivre
l’exemple des Gaulois vaincus qui s’étaient assimilés aux Romains
vainqueurs : « Qui sait si un jour la race arabe, confondue avec la
race française, ne retrouvera pas une puissante individualité ? »
Ainsi l’Empereur se plaçait dans la perspective de l’assimilation et
de la « fusion des races », comme ses adversaires colonistes.
Il tira les leçons de son voyage dans une Lettre de l’Empereur
au Maréchal de Mac Mahon qu’il fit publier. Partant d’une défi-
nition modifiée (« ce pays est à la fois un royaume arabe, une
colonie européenne, et un camp français »), il critiquait sévère-
ment toutes les erreurs commises, mais en déduisait des propo-
sitions modérées, « des demi-mesures pour concilier les intérêts

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

inconciliables70 ». Il entendait à la fois garantir les droits des indi-


vidus en proclamant la nationalité française de tous les habitants
natifs de l’Algérie, protéger la société musulmane contre une dis-
sociation trop rapide, cantonner la colonisation dans un périmètre
délimité et la développer par un apport massif de capitaux et de
crédits, réduire enfin les effectifs militaires à 50 000 hommes en
recourant davantage aux auxiliaires indigènes.
Des mesures suivirent. Le sénatus-consulte du 14 juillet 1865
proclama que l’indigène musulman était français (article 1) mais
qu’il resterait soumis à son statut personnel musulman ou berbère
en matière de droit privé. Cependant il pourrait sur sa demande
être admis à jouir des droits du citoyen français, à condition de
renoncer à son statut personnel pour se soumettre au code civil.
Dans le cas contraire, l’indigène pourrait accéder à certains
emplois publics, dont la liste, fixée par le décret impérial du
21 avril 1866, était très en deçà des intentions de l’Empereur71. Les
musulmans furent dotés d’une représentation dans les douars-
communes des territoires militaires, et dans les communes de
plein exercice et les conseils généraux en territoire civil. La justice
musulmane fut reconstituée, les chefs religieux traités avec cer-
tains égards, l’enseignement primaire et secondaire arabe-fran-
çais développé, et une école normale créée à Alger pour 20 élèves
français et 10 musulmans. Mais, comme le sénatus-consulte
du 22 avril 1863, ces mesures furent souvent appliquées d’une
manière autoritaire ou restrictive, qui ne rassura pas les popula-
tions concernées sur leur avenir.
Inversement, les Européens furent mécontentés par l’arrêt de
la politique de peuplement et des concessions gratuites, et scan-
dalisés par les privilèges accordés à de grandes sociétés capi-
talistes comme la Société générale algérienne, qui négligea ses
obligations de grands travaux publics et de prêts aux colons72.

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LE TEMPS DES CHOIX FONDAMENTAUX

Ils joignirent leurs critiques à celles des opposants républicains


et libéraux en France.

L’échec du royaume arabe


À partir de 1867, une succession de calamités naturelles réduisit
la société indigène, affaiblie par sa désorganisation, à la famine,
qui causa une tragique régression démographique. Les colonistes
incriminèrent la politique impériale, qui avait selon eux parqué
les indigènes à l’écart de la colonisation bienfaisante, sous le joug
du « communisme » et de la « féodalité » arabes.
En même temps, les difficultés extérieures sur le Rhin, à Rome
et au Mexique affaiblissaient l’autorité de l’Empereur, et l’obli-
geaient à multiplier les concessions à ses opposants. La propa-
gande coloniste, relayée par les anciens déportés républicains, sut
convaincre toutes les oppositions, républicaine, libérale et même
catholique, que la politique d’assimilation était la seule conforme
aux intérêts de la France et de la civilisation73. En 1868, le livre
du journaliste libéral Prévost-Paradol, La France nouvelle, rem-
porta un énorme succès. Inquiet du très faible accroissement de la
population française, face au dynamisme de l’Allemagne en for-
mation, des États anglo-saxons et de l’Empire russe, il l’expliquait
bizarrement par le manque d’espace disponible, et croyait trouver
en Algérie la dernière chance de « multiplier rapidement le nombre
des Français et de nous maintenir en quantité respectable sur
la terre ». Il appelait de ses vœux « ce jour où nos concitoyens, à
l’étroit dans notre France africaine, déborderont sur le Maroc et la
Tunisie et fonderont enfin cet empire méditerranéen qui sera cer-
tainement la dernière ressource de notre grandeur ». Pour réaliser
ce rêve, il prétendait trouver une voie moyenne, entre la politique
de refoulement systématique et « le procédé opposé qui consiste
à sacrifier, par un respect exagéré des préjugés et de la faiblesse

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

des Arabes, les intérêts légitimes des colons et le besoin si pres-


sant de la France de jeter des racines profondes en Afrique. Il est
temps de faire passer ce grand intérêt avant tous les autres, d’éta-
blir en Afrique des lois uniquement conçues en vue de l’exten-
sion de la colonisation française, et de laisser ensuite les Arabes
se tirer comme ils le pourront, à armes égales, de la bataille de
la vie. L’Afrique ne doit pas être pour nous un comptoir comme
l’Inde, ni seulement un camp et un champ d’exercice pour notre
armée, encore moins un champ d’expérience pour nos philan-
thropes ; c’est une terre française qui doit être le plus tôt possible
peuplée, possédée et cultivée par des Français, si nous voulons
qu’elle puisse un jour peser de notre côté dans l’arrangement des
affaires humaines74. »
Menacé par la convergence des oppositions en faveur des
thèses colonistes, le gouvernement chargea en mai 1869 une com-
mission, présidée par le maréchal Randon, de préparer un projet
de sénatus-consulte pour donner une Constitution à l’Algérie. Elle
aboutit à un rapport (présenté par Armand Béhic) proposant une
Algérie gouvernée par un chef militaire ou civil, dotée de l’auto-
nomie budgétaire, composée de départements civils et de départe-
ments indigènes, pourvus d’assemblées élues par les Français, les
étrangers et les indigènes, et d’une représentation parlementaire
élue par les mêmes catégories de la population dans un collège
unique.
Les colonistes algériens lancèrent une nouvelle campagne de
pétitions et d’articles de presse, exigeant « plus de gouvernement
d’exception, plus de régime militaire, plus de distinctions entre
les Européens et les Indigènes, si ce n’est en matière politique »,
et refusant de voir « l’Algérie séparée de la France par une Consti-
tution différente75 ». Ils réclamèrent le dessaisissement du Sénat
au profit du Corps législatif. Malgré la décision de l’Empereur,

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LE TEMPS DES CHOIX FONDAMENTAUX

le gouvernement d’Émile Ollivier laissa le Corps législatif discuter


de la question algérienne du 7 au 9 mars 1870. Le 8 mars, le répu-
blicain Jules Favre fit voter par une majorité de 242 voix un ordre
du jour selon lequel « l’avènement du régime civil [paraissait]
concilier les intérêts des Européens et des Indigènes ». Le 9 mars,
Émile Ollivier l’accepta. Après le plébiscite du 8 mai 1870, vic-
toire du régime impérial en France, mais défaite en Algérie, Napo-
léon III fit de nouvelles concessions par les décrets des 31 mai et
11 juin 1870 : évolution vers le régime civil, et vers la propriété
individuelle des terres arabes, élection des conseils généraux en
territoire civil76.
Avant même la chute du Second Empire, le « royaume arabe »
avait connu son Sedan. Son échec avait démontré la quasi-impos-
sibilité de remettre en question les choix décisifs effectués par la
politique algérienne de la France dans la décennie 1840. À cause
de la puissance des intérêts créés par la colonisation, mais aussi à
cause de l’emprise des arguments patriotiques et de « civilisation »
sur l’opinion des milieux politiques métropolitains. La grande
idée de Napoléon III venait trop tard pour maîtriser le dynamisme
d’une colonisation en plein essor, et trop tôt pour que soit évidente
la fatalité de son déclin. Mais elle avait au moins eu le mérite de
prendre en considération un fait primordial : que la population
musulmane était et resterait très largement majoritaire en Algérie.

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L’immobilisme
de la Troisième République
La IIIe République, née de la débâcle du Second Empire en sep-
tembre 1870, hérita de la confusion entre la tradition républicaine
et la politique d’assimilation, qui prétendait faire de l’Algérie un
prolongement de la France.
Pendant soixante-dix ans, elle maintint ce principe comme
un dogme intangible. Elle fit pourtant preuve d’une certaine
capacité d’adaptation en accordant l’autonomie budgétaire à l’Al-
gérie pour satisfaire les revendications du jeune « peuple algé-
rien » d’origine européenne. Mais elle fut incapable de réviser sa
politique indigène de façon à prendre en compte les aspirations
de la population musulmane, qui resta et devint de plus en plus
majoritaire.
De 1870 à 1940, l’Algérie fut considérée comme un prolon-
gement de la métropole, en droit sinon toujours en fait. Les
fondateurs de la IIIe République croyaient pouvoir réaliser le pro-
gramme de Prévost-Paradol : faire de l’Algérie « une terre fran-
çaise, peuplée, possédée et cultivée par des Français ».

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

« Une terre française »


Il ne fut pas nécessaire de proclamer une nouvelle fois la souve-
raineté de la France sur l’Algérie, qui n’avait jamais été formelle-
ment remise en question depuis la Constitution de 1848. Il n’était
pas non plus possible de soumettre immédiatement toutes les
populations algériennes au droit commun de la métropole. Les
lois votées par le Parlement ne s’appliquèrent à l’Algérie que si
elles le mentionnaient explicitement ; pour le reste, le régime des
décrets fondé par l’ordonnance de juillet 1834 resta en vigueur.
Mais l’assimilation que les Français d’Algérie réclamaient pour
eux-mêmes signifiait d’abord le régime civil, et la plénitude des
droits civiques.
Le régime civil impliquait à la fois le remplacement du gou-
verneur général militaire par un représentant civil du gouverne-
ment central, et l’extension des territoires civils au détriment des
territoires militaires. Dès la chute du Second Empire, il fut exigé
par de violentes manifestations et par la création de « Comités de
défense » illégaux. Le gouvernement républicain de la Défense
nationale eut le tort de nommer à la tête de l’Algérie, après des
personnalités civiles qui ne purent rejoindre leur poste, un nou-
veau gouverneur militaire, le général Walsin-Esterhazy, que la
foule algéroise expulsa le 28 octobre 1870. Après avoir refusé
l’auto-proclamation du maire d’Alger Vuillermoz « commissaire
extraordinaire civil par intérim », le gouvernement nomma le pré-
fet d’Oran du Bouzet commissaire extraordinaire provisoire, le
17 novembre. Entré en conflit avec la municipalité radicale d’Al-
ger, il fut remplacé par un républicain plus avancé, Alexis Lam-
bert. Mais le 29 mars 1871, le gouvernement présidé par Thiers
nomma en Algérie le vice-amiral de Gueydon pour faire face à la
grande insurrection de Kabylie77. Pour satisfaire les partisans du
régime civil, celui-ci exerça ses fonctions en habit de 1871 à 1873 ;

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

de même que son successeur nommé par le président Mac Mahon,


le général Chanzy de 1873 à 1879. Enfin, après l’achèvement de la
conquête du pouvoir par les Républicains en 1879, Albert Grévy,
frère du nouveau président de la République, inaugura une suc-
cession ininterrompue de gouverneurs généraux civils.
Sous la pression des citoyens français d’Algérie, le gouverne-
ment de la Défense nationale organisa très vite le régime civil.
Dès le mois d’octobre 1870, le nombre des communes de plein
exercice fut augmenté et des élections eurent lieu. Le 24 octobre,
six décrets furent promulgués à Tours par le ministre de l’Inté-
rieur Crémieux sur les instances de Gambetta. Le premier décret
instituait un gouverneur général civil assisté d’un comité consul-
tatif et d’un conseil supérieur, et correspondant directement avec
tous les ministres ; mais il maintenait les territoires militaires et
les bureaux arabes sous l’autorité du commandant en chef des
forces de terre et de mer. Il fut très mal accueilli par les Français
d’Algérie parce qu’il maintenait le gouvernement général, ainsi
que les territoires militaires et les bureaux arabes. Deux mois plus
tard, ceux-ci furent placés sous le contrôle du gouverneur géné-
ral civil. Puis un décret du 6 février 1871 plaça les officiers des
bureaux arabes en position de détachement à la disposition du
ministre de l’Intérieur.
L’insurrection kabyle de 1871, imputée par les civils à la mau-
vaise volonté des bureaux arabes envers le nouveau régime, fut
exploitée pour les supprimer. De 1871 à 1879, l’expansion des ter-
ritoires civils s’accéléra. Les territoires militaires tendirent à se
confondre avec les « Territoires du Sud » saharien, organisés en
une entité administrative distincte en 1901. Dans les territoires
civils des trois départements de l’Algérie du Nord se multiplièrent
les « communes de plein exercice » centrées sur les villages de colo-
nisation ; mais la majeure partie de ces territoires fut organisée

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

en « communes mixtes », circonscriptions administratives dirigées


par des administrateurs civils, assistés par une commission muni-
cipale où étaient représentés les rares colons de la circonscription.
À la fin de l’Empire, l’Algérie était dotée de municipalités
régies par la loi française de 1847, modifiée par les décrets de
1866 et de 1868, avec des conseils municipaux élus, mais des
maires et adjoints nommés. La République les réorganisa par
un décret de 1882 et par la loi municipale de 1884 (appliquée à
l’Algérie par le décret du 5 avril 1884) qui établit définitivement
l’élection des maires et des adjoints par le conseil municipal. Les
communes de plein exercice d’Algérie se distinguaient des com-
munes métropolitaines par le fait que, (à l’exception des princi-
pales villes) les citoyens français y constituèrent le plus souvent
une faible minorité de la population alors qu’ils étaient en large
majorité dans les conseils. Jusqu’en 1884, ceux-ci comprenaient
une représentation des étrangers et des indigènes musulmans (et
israélites jusqu’en octobre 1870) qui ne pouvait dépasser le tiers
de ses membres, et qui depuis 1882 était exclue de l’élection des
maires et adjoints. Le décret de 1884 supprima la représentation
des étrangers, restreignit l’accès des musulmans au corps électo-
ral et limita leur représentation au quart du conseil78.
Les conseils généraux, nommés depuis le décret du
27 octobre 1858, avaient été rendus électifs par celui du
11 juin 1870, qui fut abrogé par celui du 28 décembre 1870 parce
qu’il avait établi une représentation élue des non-citoyens. Le
nouveau décret réserva l’élection aux représentants des citoyens
français ; il leur ajouta des assesseurs musulmans nommés, avec
voix délibérative. La loi sur les conseils généraux du 10 août 1871
fut déclarée applicable à l’Algérie, et lui fut effectivement appli-
quée par le décret du 23 septembre 1873, qui maintint la distinc-
tion entre les conseillers élus et les assesseurs nommés79.

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

La représentation parlementaire de l’Algérie, supprimée par la


Constitution de 1852, fut rétablie par le décret du 4 octobre 1870.
Elle fut fixée à deux députés par département, soit six au total.
Certains en réclamaient 24, voire 50, sous prétexte de représen-
ter les étrangers et les indigènes auxquels ils refusaient le droit
électoral80. Les citoyens français furent seuls admis à voter pour
élire l’Assemblée nationale, le 8 février 1871. Avant de se sépa-
rer en 1875, celle-ci accorda trois sièges de sénateurs à l’Algérie
(loi du 25 février 1875) mais en contrepartie réduisit à trois le
nombre de ses députés (loi du 30 novembre 1875). Une fois seuls
maîtres du pouvoir, les Républicains lui rendirent ses six députés
(loi du 28 juillet 1881). Leur nombre fut porté à neuf dans la loi
du 21 juillet 1927, puis à dix, pour tenir compte de la croissance
de l’agglomération algéroise, dans celle du 20 mars 193681. Mais
jusqu’à la fin de la IIIe République, le droit de vote pour les élec-
tions législatives nationales resta le privilège des citoyens fran-
çais soumis au code civil, afin de maintenir la prépondérance
politique de la population française, qui restait minoritaire.

« Peuplée par des Français » ?


La population française en effet s’accrut sensiblement, mais dans
des proportions très insuffisantes pour devenir majoritaire en
Algérie. En ce sens, le peuplement fut un échec au moins relatif
Elle se multiplia par 10 ou 11 de 1856 (92 750 personnes) à 1954
(près d’un million). Mais cette augmentation fut en grande par-
tie due à la naturalisation des étrangers européens, et dans une
moindre mesure des juifs indigènes.
Dès le début de l’immigration, les étrangers européens avaient
été plus nombreux que les Français d’origine. Après la vague d’im-
migration française des années 1848-1850, ces derniers étaient
devenus de très peu majoritaires : 66 000 Français pour 65 000

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

étrangers en 1851. Mais par la suite, la population étrangère était


redevenue majoritaire, et le resta jusqu’en 1875, du fait d’une plus
forte immigration et d’une plus forte natalité.
À l’encontre des illusions de Prévost-Paradol, la France, dont
l’accroissement naturel tendait de plus en plus vers zéro, ne put ali-
menter un flux d’immigrants massif et continu82. Sur les quelque
150 000 Alsaciens et Lorrains qui optèrent pour la France et quit-
tèrent leur province, environ 5 000 bénéficièrent des concessions
de terres qui leur étaient offertes en Algérie : 1 183 familles y furent
installées, mais 387 restèrent sur leur concession, et 277 quittèrent
le pays. L’identification de l’Algérie à une nouvelle Alsace-Lorraine
fut donc un mythe patriotique. La dépression agricole des années
1870 à 1890 (et surtout la crise du vignoble français attaqué par
le phylloxéra dans les années 1880) causa un flux d’immigrants
ruraux plus importants, mais il se tarit à la fin du siècle.
L’augmentation de la population française s’expliqua donc
surtout par son accroissement naturel, mais aussi par la natu-
ralisation des étrangers, rendue automatique pour leurs enfants
nés en terre française par la loi du 26 juin 1889, ainsi que par la
« citoyennisation » collective des juifs indigènes des trois dépar-
tements, décidée par un décret Crémieux du 24 octobre 1870. En
1911, « 45,8 % des citoyens français d’Algérie étaient des naturali-
sés », y compris les juifs83. Ainsi la population dite « européenne »,
constituée par l’addition des citoyens français et des Européens
non naturalisés, doubla, passant d’environ 250 000 personnes en
1866 à 500 000 en 1891 (soit en 25 ans), puis doubla encore (en
63 ans) de 1891 à 1954, la moitié de ce dernier doublement s’étant
fait en 20 ans (750 000 personnes en 1911). Le ralentissement de
l’accroissement après cette date est évident. À partir de 1896,
faute d’immigration notable, l’accroissement naturel fut le facteur
prépondérant.

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

L’échec fut encore plus sensible par rapport au rêve d’un peu-
plement européen majoritaire en Algérie. Si la part de la popu-
lation européenne s’accrut très vite dans les quarante premières
années, passant entre 1830 et 1872 de 0 % à plus de 11 % (ou
10,2 % si on ne tient pas compte des juifs récemment francisés),
elle s’accrut ensuite beaucoup moins, dépassant les 12 % en 1876,
les 13 % en 1896, pour culminer à 14 % en 1926. Les recensements
ultérieurs montrèrent un recul d’abord à peine sensible (13,6 %
en 1931, 13,3 % en 1936) puis beaucoup plus accentué après la
Seconde Guerre mondiale : 10,65 % en 1948, 10,43 % en 1954. L’ac-
croissement de la population musulmane, imprévisible jusqu’en
1872, mais plus rapide que celui de la population européenne
après 1926, démentit les pronostics sur lesquels Bugeaud et ses
émules avaient fondé la politique algérienne de la France.
L’inégale répartition du peuplement européen dans l’espace
algérien fut un autre échec. Contrairement au rêve d’enraciner en
Algérie une colonisation paysanne de petits et moyens proprié-
taires comparables aux paysans français, la population européenne
fut toujours en majorité urbaine, et la part des villes se renforça,
passant de 60 % en 1871 à 71,4 % en 1926, et 80 % en 1954.
La population rurale européenne s’accrut pourtant ; mais
elle plafonna en nombres absolus de 1906 à 1926, puis diminua
constamment à partir de 193084. Les villages de colonisation
délaissés furent repeuplés par une majorité de plus en plus forte
de musulmans, comme Ismaïl Urbain l’avait prévu dès 186185.
La concentration de la population européenne dans les villes
lui permit de rester longtemps majoritaire dans les principales
d’entre elles, particulièrement dans celles de la côte méditerra-
néenne, et de la moitié ouest du pays. En 1926, elle représen-
tait encore la moitié de la population urbaine totale86. En 1931,
elle restait majoritaire dans les agglomérations d’Oran (78,7 %),

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

de Sidi-Bel-Abbès (66,4 %), d’Alger (66,4 %) et de Bône (55,4 %).


Mais l’afflux des musulmans ruraux vers les villes avait déjà com-
mencé après la Grande Guerre, et il s’accéléra pendant la crise
économique des années 1930. En 1954, les Européens représen-
taient moins du tiers de la population urbaine. Ils avaient perdu la
majorité dans l’agglomération d’Alger, et ne la gardaient plus que
de très peu dans celle d’Oran87.

« Possédée et cultivée par des Français »


La mainmise sur la terre et sur ses productions fut la seule grande
réussite du programme coloniste. Mais, faute de peuplement euro-
péen suffisant, la main-d’œuvre fut de plus en plus recrutée dans
la paysannerie indigène dépossédée, contrairement aux prévi-
sions initiales. Ainsi s’établit une société coloniale fondée sur la
« superposition des races ».
La mainmise sur la terre était la condition nécessaire de la
colonisation88. De 1830 à 1870, elle fut principalement le fait de
l’État, qui distribuait des terres du domaine public, soit en petites
concessions gratuites, groupées en villages, soit en grandes
concessions octroyées à de grands colons ou à de grandes socié-
tés capitalistes qui s’engageaient à installer de petits colons euro-
péens. Pour alimenter en terres cette colonisation officielle, l’État
avait constitué puis augmenté le domaine public en confisquant
les biens de l’ancien beylik turc, les habous destinés à l’entretien
des fondations pieuses, les biens des émigrés et des « rebelles », les
terres prélevées sur les tribus à l’occasion du cantonnement, enfin
les terres expropriées « pour cause d’utilité publique ».
L’appropriation de terres par des transactions privées avec des
indigènes fut beaucoup moins importante, étant donné l’impor-
tance de la propriété collective tribale (arch) garantie par le séna-
tus-consulte de 1863, et de la propriété privée (melk) généralement

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

familiale et indivise. C’est pourquoi les colonistes revendiquaient


des lois facilitant le partage de la propriété collective et la rupture
de l’indivision.
Après la chute du Second Empire et la fin du régime militaire,
la IIIe République relança vigoureusement la colonisation officielle
en séquestrant massivement les terres des « rebelles » de 1871. En
dix ans, 347 268 hectares furent concédés et 197 villages furent
créés pour établir 30 000 habitants, dont la moitié fut recrutée en
Algérie. Mais le projet conçu par les parlementaires algériens d’em-
prunter 50 millions de francs pour créer 175 villages sur 380 000
hectares (dont 300 000 à exproprier aux dépens des indigènes), fut
repoussé par le Parlement en 1883. La colonisation officielle en fut
momentanément freinée, mais elle continua jusqu’en 1928 à créer
des villages, et jusqu’en 1936 à distribuer des lots de fermes.
D’autre part, la législation favorisa les acquisitions privées.
Après le sénatus-consulte de 1863 (qui avait servi à accélérer
la division de la propriété tribale, contrairement à l’intention
de Napoléon III) la loi Warnier du 26 juillet 1873 soumit l’éta-
blissement de la propriété immobilière et foncière au droit civil
français, selon lequel « nul n’est tenu de rester dans l’indivision ».
Ainsi l’achat de la part, même minime, d’un copropriétaire indi-
gène obligea souvent des familles entières à céder leur bien pour
un prix dérisoire. Discréditée par les scandales qu’elle rendit pos-
sibles, elle fut abrogée par la loi du 22 avril 1887, qui entraîna la
reprise des opérations de constitution de la propriété individuelle
dans les tribus qui n’avaient pas été touchées par l’application du
sénatus-consulte de 1863. Enfin, les lois du 16 avril 1897 et du
11 août 1926 (appliquée à partir de 1928), facilitèrent les transac-
tions sur les terres arch.
Sous la pression des contributions de guerre imposées aux
« rebelles » de 1871, des impôts et des amendes, les indigènes furent

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

amenés à vendre de plus en plus de terres aux colons. Ainsi, en


ajoutant le solde des transactions privées aux concessions offi-
cielles, la propriété coloniale acquit en moins de trente ans plus
du double de la superficie qu’elle avait obtenue en quarante ans,
de 1830 à 1870. L’expansion de la colonisation, momentanément
freinée par la guerre de 1914 à 1918, reprit ensuite et s’accéléra
pendant la crise économique des années 1930. Elle connut son
apogée en 1938, puis recula de 50 000 hectares. Au total, partie de
480 000 hectares en 1870, elle en possédait 2 345 000 en 1930, et
2 726 700 en 195089.
Par comparaison, les propriétés indigènes couvraient
7 562 977 hectares en 1930 et 7 349 100 hectares en 1950. Le pour-
centage de la superficie agricole que s’approprièrent les colons
(23,67 % en 1930, 27,06 % en 1950) peut sembler relativement
modéré – à condition d’oublier qu’ils ne représentaient que 2 %
de la population agricole totale en 1950. Le nombre d’exploita-
tions européennes diminua de 26 153 en 1930 à 25 377 en 1940 et à
22 037 en 1950 (et celui des propriétaires de 34 821 en 1930 à 17 129
en 1950), alors qu’il augmentait chez les musulmans de 617 544 en
1930 à 630 732 en 1950. Ainsi, la superficie moyenne par exploi-
tation passa, chez les Européens, de 89,69 hectares en 1930 à
123,73 hectares en 1950, et chez les musulmans de 12,24 hectares
à 11,65 hectares.
Les exploitations de 100 hectares et plus représentaient chez
les Européens 20,68 % du nombre des exploitations et 73,4 % de
leur superficie totale en 1930, et respectivement 28,9 % et 87,35 en
1950. Elles dépassaient par leur superficie les exploitations musul-
manes de même catégorie, en 1930 comme en 195090.
Dans ces conditions, l’agriculture européenne, mieux dotée
et mieux équipée, produisait la majeure partie des produits agri-
coles (55 % de la production animale et végétale, et 66 % de la

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

production végétale de l’Algérie en 1950), et davantage encore des


produits agricoles commercialisés.
Il s’agit là de données globales. Mais le partage des terres
entre les exploitations européennes et indigènes était très inégal
suivant les régions, et les terroirs. Dans les régions de plaines
suffisamment arrosées ou irrigables (potentiellement les plus
riches) les Européens s’étaient approprié la majeure partie, voire
la quasi-totalité des surfaces cultivables. Selon le géographe Hil-
debert Isnard, les collines du Sahel algérois avaient été pratique-
ment vidées de leur population indigène entre 1840 et 1854 ; un
siècle plus tard, « les Européens y possédaient 24 000 hectares et
les musulmans 4 200 hectares, soit respectivement 85 et 15 % du
total approprié. De même, 60 % des terres de la Mitidja passèrent
entre les mains des colons91 ». Selon les données de la thèse du
même auteur, en partie corrigées par l’enquête de Michel Launay
en 1960, les Européens possédaient 65 % des terres agricoles et
plus de 90 % des meilleures terres vouées à la monoculture de la
vigne dans l’arrondissement d’Aïn Temouchent, où ils représen-
taient 15 % de la population totale92.
Quelques grandes exploitations indigènes pouvaient se compa-
rer aux exploitations européennes. Mais la mainmise de la colo-
nisation sur une part croissante des meilleures terres, ainsi que
l’accroissement de la population musulmane, obligèrent de plus
en plus de fellahs dépossédés ou réduits à des lots insuffisants à
travailler sur les terres des colons, comme métayers au cinquième
(khammès) ou comme ouvriers agricoles saisonniers ou perma-
nents. L’emploi de la main-d’œuvre indigène, moins chère que la
main-d’œuvre européenne, fut courant dès le début de la coloni-
sation, surtout dans les grandes propriétés. La petite colonisation
organisée par l’État avait quant elle pour idéal une exploitation
familiale autonome. Mais elle aussi se heurtait au manque de

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

main-d’œuvre à l’occasion des grands travaux de défrichement et


des récoltes. La distribution de concessions gratuites aux citoyens
français freinait la formation d’une classe de salariés agricoles
européens. Les colons accusaient les bureaux arabes d’entraver la
circulation des travailleurs indigènes. Dès 1851, le ministère de la
Guerre avait approuvé la généralisation de l’emploi des indigènes
par les colons, afin de garantir la soumission de ceux-ci et d’aider
à pallier la rareté et la cherté de la main-d’œuvre européenne93.
Pourtant, dans l’ouest algérien surtout, l’importance du peu-
plement européen et la persistance d’une immigration espagnole
jusqu’à la fin du XIXe siècle retardèrent la généralisation du recours
au « travail arabe ». En 1961, le père du maire européen de Lourmel
(arrondissement d’Aïn-Temouchent) rappelait ainsi sa jeunesse :
« On n’employait pas de main-d’œuvre indigène, seuls les colons
qui avaient de grandes quantités de terres les employaient ; les
indigènes n’étaient que bergers. On n’osait pas les employer à la
ferme par peur qu’ils n’inspectent les lieux et préparent leur coup
pour la nuit. De leur côté, les indigènes ne voulaient pas travailler
avec les Européens. C’est seulement vers 1900 qu’on a commencé à
employer les indigènes. Quand j’ai commencé à travailler, en 1888,
nous n’avions pas encore d’indigènes. Pour défricher et moisson-
ner, il y avait des équipes d’ouvriers espagnols. Pour les vendanges,
les jeunes filles espagnoles les faisaient, et même les filles des pro-
priétaires les aidaient : on s’aidait entre colons. Les indigènes ont
commencé à faire les vendanges pendant la guerre de 1914, les agri-
culteurs étant mobilisés. Et c’est seulement vers 1927-1928 qu’on a
commencé à employer les femmes indigènes94. » Par la suite, au
contraire, la mécanisation croissante des grandes exploitations ten-
dit à réduire leur besoin de travailleurs musulmans.
Ainsi, alors que la mainmise sur les terres fut une tendance
constante de la colonisation française jusqu’en 1938, l’exploitation

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

de la main-d’œuvre indigène varia en fonction des données démo-


graphiques et techniques. L’agriculture coloniale ne fut pas un
système préconçu et définitif ; elle sut s’adapter à des conditions
nouvelles, dont les plus imprévues furent la diminution de la
population rurale européenne et la croissance de la population
musulmane.
En tout cas, la colonisation aboutit bien à la subordination
de la société indigène, largement majoritaire, à la société euro-
péenne, de plus en plus minoritaire. La démonstration serait
encore plus nette dans les autres secteurs de l’économie, prati-
quement créés par les entrepreneurs et les capitaux européens :
mines, voies ferrées, ports, banques95. Partout les Européens
fournissaient presque tous les dirigeants et les cadres, et les indi-
gènes des travailleurs non qualifiés ou sous-qualifiés. La même
situation prévalait dans l’administration. À quelques exceptions
près, la hiérarchie sociale correspondait approximativement à une
superposition des « races » européenne et musulmane, justifiant
en partie la formule polémique du Manifeste du peuple algérien
dénonçant « l’existence simultanée de deux sociétés, l’une oppri-
mant l’autre ». La société coloniale algérienne était comparée plus
ou moins justement à la société esclavagiste des vieilles colonies
françaises, ou à la société « féodale » de la France pré-révolution-
naire. Mais elle n’était certainement pas un simple prolongement
de la société métropolitaine au-delà de la Méditerranée.

Du « péril étranger » au « peuple algérien »


L’assimilation ne fut pas qu’une illusion. Elle remporta de réels
succès : la « fusion des races » européennes en un nouveau « peuple
algérien », et la naturalisation globale des juifs indigènes. Mais,
paradoxalement, ces succès mêmes contribuèrent à remettre
en question la politique de rattachement à la métropole que la

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

IIIe République avait suivie dans ses vingt premières années. La


« crise algérienne », qui culmina en 1898, aboutit à un compro-
mis entre le principe de l’Algérie française et l’autonomisme des
colons algériens.
Longtemps, la prépondérance numérique des immigrants
étrangers sur les immigrants français et la lenteur de leur natu-
ralisation individuelle semblèrent être les principales menaces
pour l’avenir de la souveraineté française en Algérie. La loi du
26 juin 1889 accéléra efficacement leur accession à la nationalité
et à la citoyenneté françaises. Leur sentiment national fut d’abord
plus « algérien » que français ; mais par là même ils se rappro-
chèrent des citoyens français d’Algérie en voie de « créolisation96 ».
L’importance du nombre des étrangers dans les villes depuis
le début de l’immigration européenne avait contraint les autorités
françaises à leur accorder une représentation minoritaire dans
les statuts municipaux de 1847 et de 1848. De même, le décret
du 11 juin 1870 avait prévu une représentation élue des étran-
gers dans les conseils généraux ; mais après la chute du Second
Empire, ce décret fut jugé contraire aux principes du droit public
français, qui réservait l’électorat et l’éligibilité aux citoyens. Les
étrangers furent donc exclus des conseils généraux par le décret
du 28 décembre 1870, puis écartés de l’élection des maires et des
adjoints en 1882, enfin éliminés des conseils municipaux par le
décret du 5 avril 1884.
Les étrangers, en grande majorité originaires de pays proches
(Espagne, Italie, et Malte, possession britannique) avaient la pos-
sibilité de se faire naturaliser, mais ils en usaient peu. Le séna-
tus-consulte du 14 juillet 1865 (article 3) simplifia les formalités
pour tous les étrangers ayant trois ans de résidence en Algérie.
Pourtant le courant des naturalisations volontaires resta trop
faible pour résorber l’afflux d’immigrants étrangers : de 1866 à

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

1886, le nombre des étrangers européens fit plus que doubler, pas-


sant de 95 871 à 217 386, alors que celui des Français doublait à
peine, de 128 119 à 251 729. Enfin, la loi du 26 juin 1889 établit
la naturalisation automatique des enfants d’étrangers nés en ter-
ritoire français, avec possibilité de refus à leur majorité si leurs
parents n’étaient pas eux-mêmes nés en territoire français. Son
application à l’Algérie suffit à briser la courbe ascendante de la
population étrangère : 218 301 étrangers furent recensés en 1891,
soit un peu plus qu’en 1886, et leur nombre ne fit que baisser par
la suite. En effet, malgré la persistance d’une immigration étran-
gère longtemps plus importante que la française, le pourcentage
d’étrangers nés en Algérie était de 51 % dès 1896, et peu d’entre
eux refusèrent leur naturalisation automatique97.
Le tassement du nombre des étrangers recensés comme tels
ne suffit pas à dissiper d’un seul coup la peur du « péril étran-
ger ». Ces « néo-Français », qui n’avaient pas choisi positivement
de l’être, se sentaient-ils vraiment français ? S’ils ne connais-
saient plus directement leur pays d’origine, ils en parlaient sou-
vent encore couramment la langue, et ils ne connaissaient pas
davantage leur « mère patrie », la France. Pourtant, la cohabita-
tion avec les Français d’origine, l’école, le service militaire, et les
mariages (qu’aucun obstacle confessionnel ne venait empêcher
entre familles catholiques) tendaient à favoriser la formation d’un
seul « peuple algérien » avec les Français d’Algérie, qui étaient éga-
lement dans leur majorité nés dans le pays à 54,5 % dès 1891.
Ce « peuple algérien » était-il une partie du peuple français, ou
un peuple nouveau ? L’existence d’un « esprit colon », d’une « men-
talité algérienne » spécifiques, fondée sur la fierté d’avoir créé un
pays neuf à partir de marais et de friches, est attestée par tous les
observateurs du temps98. Les « Algériens » s’affirmaient en opposi-
tion aux indigènes arriérés, et aux Français de métropole, suspects

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

de partialité indigénophile. À partir de 1891, l’intervention du Par-


lement français dans les affaires de l’Algérie provoqua en réac-
tion des affirmations tapageuses de patriotisme colonial, de la
part de naturalisés et d’Algériens de souche française. « On me
reproche ma naturalisation récente », déclara un conseiller muni-
cipal d’Oran, « mais on oublie qu’il n’y a ici ni Italiens, ni Espa-
gnols, ni Français : il n’y a en Algérie que des Algériens ». Et l’un
de ses collègues d’origine française exprimait la même opinion :
« Les néo-Français ne sont pas des étrangers mais des frères. Il n’y
a ni Espagnols, ni Français, il n’y a que des Algériens99. »

Les juifs algériens, assimilés et rejetés


Le décret Crémieux du 24 octobre 1870, qui imposa en bloc la
citoyenneté française aux juifs indigènes, était sans doute préma-
turé par rapport aux vœux de ses bénéficiaires. Il accéléra pour-
tant le processus qui francisa totalement la communauté juive
en quelques générations. Mais il provoqua également un virulent
mouvement « antijuif », qui se confondit en 1898 avec l’autono-
misme « algérien » le plus extrémiste. Néanmoins, le décret Cré-
mieux resta en vigueur jusqu’à la fin de la IIIe République.
Les juifs d’Algérie, arrivés dans le pays à des dates très
diverses, ne se distinguaient des autres « indigènes » que par leur
religion, et par leur spécialisation dans les métiers urbains de
l’artisanat et du commerce. Avant 1830, si quelques-uns avaient
pu s’enrichir (comme les juifs livournais Bacri et Busnach) en ser-
vant d’intermédiaires entre les Turcs et les marchands étrangers,
la masse vivait dans la pauvreté. Relégués dans un statut d’infé-
riorité par rapport aux musulmans (celui de protégé, dhimmi), ils
avaient accueilli avec soulagement la conquête française qui les
en avait relevés. Les notables de la communauté juive, et leurs
coreligionnaires venus de France, les invitaient à se rapprocher

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

des Français, notamment en envoyant leurs enfants dans les


écoles publiques et dans celles de l’Alliance israélite universelle,
fondée à Paris en 1860.
La même année, une pétition revêtue de 10 000 signatures avait
été remise à Napoléon III pendant son premier voyage en Algérie
pour lui demander de leur octroyer la nationalité et la citoyenneté
françaises. Le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 leur accorda
la nationalité française et la possibilité d’accéder à la citoyen-
neté suivant les mêmes conditions que les autres indigènes, c’est-
à-dire par une demande individuelle assortie de renonciation
au statut personnel fondé sur la loi religieuse. Mais seulement
quelques centaines de juifs algériens, sur 34 000, acceptèrent de
sacrifier la loi de Moïse aux avantages de la citoyenneté fran-
çaise : des scrupules religieux et la solidarité communautaire en
dissuadèrent la majorité.
Le grand avocat Adolphe Crémieux, membre éminent de
l’Alliance israélite universelle et du parti républicain, préconisa
donc une mesure collective : « Ne leur dites pas : soyez Français
si vous voulez, car volontairement ils n’abandonneront pas la loi
de Dieu100. » Avant même la chute de l’Empire, il avait convaincu
le chef du gouvernement Émile Ollivier de préparer la naturalisa-
tion collective de tous les juifs algériens, avec une faculté de refus
individuel pour rester soumis à la loi mosaïque. En juillet 1870, le
gouvernement en avait accepté le principe. Devenu ministre de la
Justice dans le gouvernement républicain du 4 septembre 1870,
et spécialement chargé des affaires algériennes, Crémieux sai-
sit l’occasion de servir à la fois la France et ses coreligionnaires
d’Algérie par l’un des décrets qu’il fit adopter par ses collègues
le 24 octobre 1870 : « Les Israélites indigènes des départements
de l’Algérie sont déclarés citoyens français ; en conséquence
leur statut réel et leur statut personnel seront, à compter de

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

la promulgation du présent décret, réglés par la loi française ;


tous droits acquis jusqu’à ce jour restent inviolables101. »
Ce décret avait besoin de temps pour franciser effectivement les
juifs indigènes. Mais son bien-fondé fut très vite contesté, au nom
de la suprématie de la population française, et par crainte de voir
la communauté juive, dirigée par ses consistoires départementaux,
arbitrer les élections. Peu après, l’insurrection de Kabylie fournit
un nouvel argument contre lui : les chefs indigènes se seraient
insurgés contre la perspective de se voir un jour commander par
des juifs, leurs anciens inférieurs. En réalité, ils s’étaient révol-
tés contre l’ensemble des décrets Crémieux du 24 octobre 1870,
qui avaient organisé le régime civil et la domination des colons.
Le nouveau gouverneur général, Gueydon, jugea nécessaire de
remettre à leur place les « Arabes de religion israélite » en abro-
geant le décret. À sa requête, le gouvernement Thiers déposa le
21 juillet 1871 un projet d’abrogation qui fut adopté en commis-
sion avec demande de discussion d’urgence. Mais les partisans
du décret se mobilisèrent pour le défendre. Selon Charles-André
Julien, le gouvernement céda à la nécessité d’obtenir le concours
de la banque Rothschild pour lancer les emprunts dont il avait
besoin pour libérer le territoire français occupé par les Allemands
en payant d’avance l’indemnité de guerre102. Il se contenta de limi-
ter le nombre des bénéficiaires du décret Crémieux par celui du
7 octobre 1871, qui réservait la naturalisation collective aux « Israé-
lites nés en Algérie avant l’occupation française ou nés, depuis
cette occupation, de personnes établies en Algérie à l’époque où
elle s’est produite103 ». Ces dispositions restèrent inchangées jusqu’à
l’abrogation du décret Crémieux le 7 octobre 1940.
L’assimilation des juifs indigènes, accélérée par le décret Cré-
mieux, fut achevée en quelques générations. Pourtant, elle provo-
qua un « antijudaïsme » de plus en plus virulent de 1870 à 1898,

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

et de nouveau après 1930, qui résultait de multiples causes104. La


première était électorale : les électeurs israélites, au début peu
habitués à la vie politique française, votaient en bloc suivant les
consignes des consistoires départementaux, dont les présidents
arbitraient les élections. Ils soutenaient généralement les républi-
cains opportunistes, dont le leader Gambetta avait contresigné
le décret Crémieux. Ce choix suscita l’indignation des candidats
battus, les monarchistes mais surtout les républicains radicaux,
qui s’opposèrent aux opportunistes à partir de 1881. Dès lors, les
campagnes électorales furent l’occasion de violences et de pillages,
orchestrées par des « ligues anti-juives ». Par la suite, l’antisémi-
tisme nationaliste de droite, prêché par Drumont à l’occasion de
l’affaire Dreyfus en métropole, influença les anti-juifs algériens.
L’antijudaïsme, surtout celui des gauches (radicaux, voire
socialistes et anarchistes), se présentait comme un mouvement
de lutte sociale, accusant les juifs de concurrence déloyale, de
faillites frauduleuses, de spéculations, d’usure et de spoliation.
Accusations traditionnelles et largement infondées : la grande
majorité des juifs algériens, vivant pauvrement et laborieuse-
ment, ne pouvait incarner le capitalisme. L’antijudaïsme algérien
exprimait également les vieux préjugés confessionnels contre le
« peuple déicide », particulièrement vivaces dans les populations
catholiques méditerranéennes, surtout chez les Espagnols. Enfin
et surtout, il relevait d’un sentiment de supériorité raciale, qu’avait
bien exprimé l’amiral de Gueydon : « L’élément français doit être
l’élément dominant ; c’est à lui seul qu’appartient la direction de
l’administration du pays. Ni l’élément indigène, arabe ou israélite,
ni l’élément étranger ne peuvent prétendre à une influence ou à
une part quelconque dans la direction politique ou administrative
du pays105. » La formation d’un « peuple algérien » par la « fusion
des races » européennes renforça encore cet état d’esprit. Selon

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

l’historien « algérien » Claude Martin, « cette notion de race a, en


Algérie, une importance considérable […]. Ce sentiment de race,
on peut le trouver absurde, étroit, mesquin, peu importe, il n’y a
pas un colonial qui ne le partage point. Pour les Algériens, le Juif
indigène n’est pas leur égal, en dépit du décret Crémieux, il restait
leur inférieur106. »
Ainsi, dans l’esprit de nombreux « Algériens », l’antijudaïsme
était un moyen de se réserver les privilèges de la domination en
remettant à sa place la seule catégorie d’indigènes qui avait glo-
balement accepté de s’assimiler aux Français. C’était aussi une
tentative plus ou moins consciente de détourner le ressentiment
des sujets musulmans contre un bouc émissaire, afin de protéger
la véritable minorité dominante.

« L’indigène n’est pas une race taillable et corvéable à merci »


La « fusion des races » européennes en un « peuple algérien », et le
refus d’y admettre les indigènes de religion israélite aboutirent à
un conflit avec le pouvoir métropolitain, qui remit en question le
bien-fondé de la prétendue politique d’assimilation.
Pendant les dix premières années de la IIIe République, le parti
républicain avait massivement cautionné la politique « coloniste »,
consistant à subordonner la majorité indigène à la minorité fran-
çaise sous prétexte d’assimiler l’Algérie à la France. En 1881, le
rattachement direct des administrations algériennes aux minis-
tères métropolitains, peu informés des réalités algériennes, avait
porté à son apogée l’influence des parlementaires algériens, agis-
sant dans les couloirs des Chambres et des bureaux ministériels,
sur les affaires de la colonie.
Pourtant, leur projet d’emprunt de 50 millions pour relancer
la colonisation officielle par une expropriation massive des indi-
gènes divisa pour la première fois le parti républicain et le « parti

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

colonial ». La « Société française pour la protection des indigènes


des colonies », animée par Victor Schoelcher et par Paul Leroy-
Beaulieu, réussit à le faire repousser par la Chambre des députés
le 28 décembre 1883, malgré les efforts des députés algériens et
de la « Société protectrice des colons » présidée par Paul Bert107.
Ainsi, des partisans sincères de la colonisation en tant que « mis-
sion civilisatrice » s’opposèrent à ceux qui prétendaient édifier
une Algérie française aux dépens des indigènes. De même Jules
Ferry, président du Conseil en 1883, déclencha un « cri général
d’indignation » en Algérie en y faisant construire des écoles pour
les indigènes alors que la colonisation manquait de crédits. Long-
temps partisan de la politique d’assimilation, à son avis la seule
possible en Algérie, il fut éclairé par Émile Masqueray et par Paul
Leroy-Beaulieu, et il en vint à penser, comme Ismaïl Urbain, que
celle-ci était un leurre : « Cette assimilation qui laisse en dehors
toute la masse des tribus arabes n’est qu’un faux-semblant […]. La
République française n’acceptera jamais ce genre d’assimilation.
Elle ne laissera pas les intérêts des colons dominer les intérêts de
la Mère Patrie108. »
Conscients du recul de leur influence à Paris, l’administration
et les élus algériens demandèrent pour l’Algérie un budget auto-
nome (laissant à la charge de la métropole les dépenses extraor-
dinaires d’investissement) et la capacité d’emprunter. En 1891, le
Sénat rejeta cette demande ; il provoqua, par les critiques de son
rapporteur Pauliat, la démission du gouverneur général Tirman
(serviteur docile de la colonisation depuis 1881), et nomma, sur la
proposition de Jules Ferry, une commission extraordinaire d’en-
quête dont ce dernier fut le président.
Le rapport de Jules Ferry sur le gouvernement de l’Algérie,
imprimé en 1892, critiquait sévèrement la pseudo-assimilation
pratiquée depuis 1870 : « L’erreur fondamentale, en ce qui touche

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

l’Algérie […], c’est d’avoir voulu […] y voir autre chose qu’une
colonie. L’Algérie est une terre française, répétait-on, c’est une
France d’outre-mer, c’est le prolongement de la France. On prit
au pied de la lettre cette métaphore patriotique. On en conclut
qu’il y fallait porter nos codes et nos magistrats, notre procédure
et nos hommes de loi, nos habitudes administratives et nos lois
municipales, comme nous y avions déjà installé nos préfets et
nos sous-préfets. […] Le sentiment général qui se dégage, pour
votre commission, d’une étude déjà longue et approfondie du pro-
blème algérien est directement contraire. Il nous apparaît avec
une grande clarté qu’il n’est peut-être pas une seule de nos ins-
titutions, une seule de nos lois du continent qui puisse, sans des
modifications profondes, s’accommoder aux 272 000 Français,
aux 219 000 étrangers, aux 3 267 000 indigènes qui peuplent notre
empire algérien. »
Jules Ferry condamnait l’étroitesse de la mentalité coloniale :
« Bien rares sont les colons pénétrés de la mission civilisatrice […].
Ils ne comprennent guère vis-à-vis de ces trois millions d’hommes
que la compression […]. Il est difficile de faire entendre au colon
européen qu’il existe d’autres droits que les siens en pays arabe,
et que l’indigène n’est pas une race taillable et corvéable à merci. »
En conséquence, il ne les jugeait pas « arrivés à un état d’éduca-
tion politique qui permette de leur donner l’autonomie ». Convain-
cu qu’il ne faudrait « livrer à aucun degré à l’élément européen les
intérêts du peuple indigène », et qu’« un pouvoir neutre et impar-
tial planant au-dessus des passions locales et de l’influence des
corps élus [était] seul capable de les comprendre et de les proté-
ger », il proposait de « fortifier les pouvoirs du gouverneur général »
par un « retour au décret du 10 décembre 1860 ». C’était désavouer
toute l’action passée du parti républicain, et reprendre la politique
impériale du « royaume arabe109 ».

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

La mort de Jules Ferry, le 17 mars 1893, empêcha cette révolu-


tion d’aboutir. Son successeur à la tête de la commission, Constans,
fit tout pour enterrer son programme de réformes. Malgré d’autres
remarquables rapports parlementaires (ceux des députés Burdeau
et Jonnart, des sénateurs Cambon et Isaac), il fallut encore plu-
sieurs scandales et plusieurs interpellations pour obliger le gou-
vernement à édicter, le 31 décembre 1896, la fin des rattachements
et le renforcement des pouvoirs du gouverneur général.
Cependant le gouverneur général Jules Cambon (frère du pre-
mier résident général de France en Tunisie Paul Cambon), nommé
en 1891 avec l’appui de Jules Ferry, avait tenté d’appliquer une
politique opposée à celle de son prédécesseur Tirman, et qui fut
ainsi définie par le président de la République Sadi Carnot : « Vous
avez d’abord à prouver aux indigènes la sollicitude de la France,
et à leur rappeler que nous les aimons. Vous avez ensuite à recon-
quérir l’indépendance de notre administration110. » Il s’efforça de
défendre les intérêts économiques des indigènes (notamment par
un projet de nouveau code forestier, qui n’aboutit pas avant 1903),
d’améliorer leur scolarisation et leur accès aux services de santé,
et proposa en vain des réformes politiques : reconstitution des dje-
maas (conseils) de douars dans les communes mixtes, renforce-
ment de la représentation indigène dans les conseils municipaux
et participation à l’élection des maires et adjoints, élection des
assesseurs indigènes dans les conseils généraux, représentation
en majorité élue au conseil supérieur de l’Algérie. En même temps,
il sanctionna de nombreux maires coupables de prévarication et
d’abus d’autorité.
La politique de Jules Ferry et de Jules Cambon souleva la même
hostilité que celle de Napoléon III vingt ans plus tôt parmi les élus
et les journaux « algériens ». Mais, le thème de l’assimilation ayant
perdu sa crédibilité auprès des hommes d’État bien informés,

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

il fut remplacé par une nouvelle revendication : l’autonomie de


la colonie.
Celle-ci existait depuis longtemps, comme solution alterna-
tive à l’assimilation, ou comme menace afin de l’obtenir du pou-
voir central. Dès 1848, un « congrès algérien » élu avait prétendu
délibérer « sur toutes les questions d’ordre politique et financier
intéressant l’Algérie ». En novembre 1870, le maire d’Alger Vuil-
lermoz avait agité l’épouvantail d’une sécession pour obtenir du
gouvernement provisoire un gouverneur civil : « Nous vous infor-
mons que Comités de Salut Public se forment en dehors de nous
pour faire élire le commissaire extraordinaire que vous ne voulez
pas nous envoyer […]. Si refusez ou atermoyez encore, la devise
du pays sera en Algérie fara da se111. » Mais l’assimilation servait
mieux les intérêts d’une colonie encore trop faible pour se passer
de la métropole, à condition que ses élus dictent les décisions du
pouvoir central.
Vingt ans plus tard, au contraire, l’intervention du Parlement
métropolitain contre les abus de la prétendue politique d’assimi-
lation déclencha l’essor d’un véritable mouvement autonomiste.
Fondé sur la « créolisation » et la fusion des populations euro-
péennes, il fut nourri par un complexe d’incompréhension et
d’hostilité de la part de la métropole, engendrant en réaction un
complexe de supériorité, dont s’irritait Jules Cambon : « Les nou-
velles générations de ce pays sont à l’égard de notre patrie d’une
ignorance qui fausse leurs idées et leur donne un absurde senti-
ment de supériorité112. » À quoi s’ajoutèrent des griefs économiques
et sociaux (mévente des blés algériens en 1893 et 1897, des vins
en 1893 et 1894, poussée d’insécurité due à la misère et à la faim
des masses indigènes en 1894) qui poussèrent la presse algérienne
à reprendre les griefs des colons américains du XVIIIe siècle contre
le « pacte colonial ».

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

En 1894, l’ancien député et professeur de droit à l’École supé-


rieure d’Alger Frédéric Dessoliers, dans son ouvrage sur L’Or-
ganisation politique de l’Algérie, attaqua « le Parlement imbu
d’arabophilisme », et proposa de doter l’Algérie d’un conseil colo-
nial de 48 membres, « dont quatre membres indigènes, proportion
largement suffisante pour une population qui n’a aucune notion
du régime représentatif ». L’année suivante, il publia L’Algérie libre,
manifeste de « ce parti algérien auquel l’avenir appartient ». Il
réclamait pour l’Algérie le droit de s’administrer elle-même, de
fixer elle-même ses impôts et ses droits de douane, et une Consti-
tution propre. Ses idées touchèrent les étudiants en droit et les
jeunes avocats, puis se diffusèrent dans la presse algérienne. Dès
1895, l’avocat socialiste Daniel Saurin écrivait : « L’Algérie n’est
pas la France, mais les Algériens sont encore des Français […].
Demain ou après-demain, l’Algérie sera simplement algérienne.
La métropole qui nous accable sans pitié hâtera peut-être et mal-
heureusement la redoutable échéance. Puisqu’un jour l’Algérie ne
doit plus être la France, qu’au moins elle ne soit pas l’ennemie
de la France. » L’exemple des Cubains révoltés contre l’Espagne
échauffa davantage certains esprits. À la Chambre des députés, le
7 novembre 1896, le député radical de Constantine Forcioli évoqua
« l’insurrection de la République américaine provoquée par la fis-
calité d’une métropole », et ajouta : «Je ne dis pas que l’Algérie se
désaffectionnera de la France dès la première ou la seconde géné-
ration. Non. Il y a encore trop de liens entre elle et notre colonie.
“Encore est de trop”, lui cria-t-on113. »
L’économiste et historien de la colonisation, Paul Leroy-Beau-
lieu refusait de prendre au sérieux ces proclamations tapageuses :
« Il y a parmi nos colons algériens un parti qui se dit autonomiste.
Voilà une invention vraiment curieuse : il se trouve en Algérie
271 000 Français, non compris l’armée, et ces 271 000 “voudraient

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

être autonomes” ; mais que feraient-ils de leur autonomie en face


de 218 000 étrangers européens et surtout des 3 752 000 Arabes,
Kabyles, Marocains et Tunisiens ? En vérité, le mot autonomie
inventé par nos colons est trop ridicule, quand les aspirants auto-
nomes seraient, si on les abandonnait à eux seuls, un contre
quinze dans notre possession d’Afrique114. »

Un « self-government économique et social »


Simultanément, et sans rapport logique évident avec l’autono-
misme, se développait l’agitation anti-juive. Les anti-juifs de
gauche, qui reprochaient aux électeurs juifs de soutenir le pou-
voir local des républicains opportunistes, gagnèrent les élec-
tions municipales à Constantine en 1896, puis à Oran en 1897.
Ils multiplièrent les mesures discriminatoires illégales, et les
violences dans la rue, particulièrement en Oranie. Les députés
opportunistes Eugène Étienne et Gaston Thomson, hostiles à la
politique indigénophile du gouverneur Cambon et mécontents de
son épuration des maires (qui avait affaibli leur clientèle) l’accu-
sèrent à tort de complaisance envers les anti-juifs pour mieux s’en
débarrasser115. Son rappel par le gouvernement Méline, en sep-
tembre 1897, encouragea tous les extrémistes.
Le bref gouvernorat de l’ancien préfet de police de Paris, Louis
Lépine, échoua totalement à rétablir l’ordre. L’Algérie s’enfonça
dans une agitation de style révolutionnaire. La presse parla d’États
généraux, de cahiers de doléances. Une réunion interdépartemen-
tale des trois conseils généraux fut interdite. Elle fut remplacée
par un congrès algérien des colons.
Le président de la ligue anti-juive d’Alger, l’étudiant en droit
Maximilien Régis Milano, dit Max Régis, fils d’Italiens naturalisé
par la loi de 1889, fusionna l’antijudaïsme et l’autonomisme les
plus extrêmes. En janvier 1898, il déchaîna dans les rues d’Alger

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

des émeutes contre les Juifs et contre les autorités, sans précé-
dent depuis les journées de 1870 et 1871. Le rejet de la proposition
d’abrogation du décret Crémieux présentée à la Chambre par deux
députés radicaux algériens fournit un semblant de justification à
des menaces de séparation. Max Régis déclara : « Nous arroserons,
s’il le faut, de sang juif l’arbre de notre liberté116. »
Aux élections législatives de mai 1898, sur six députés d’Al-
gérie furent élus quatre anti-juifs extrémistes, parmi lesquels
Édouard Drumont, invité à Alger par Max Régis. Ils agitèrent tous
la menace du séparatisme, en invoquant la récente perte de Cuba
par l’Espagne. Mais Max Régis, élu maire d’Alger, puis suspendu
et enfin révoqué, ne réussit pas à maintenir l’unité de la coalition
autonomiste et anti-juive. Son alliance avec l’antisémite nationa-
liste de droite Édouard Drumont le coupa des radicaux anti-juifs.
Inversement, son séparatisme avoué ranima la crainte du « péril
étranger » chez les partisans de la prépondérance française117.
Le gouvernement en profita pour désamorcer l’agitation par des
concessions partielles.
Le gouvernement présidé par le radical Brisson nomma un nou-
veau gouverneur, le vice-président du Conseil d’État Laferrière.
Celui-ci arriva muni de quatre décrets datés du 25 août 1898. Les
principaux dotaient l’Algérie d’un Conseil supérieur en majorité
élu, et de Délégations financières élues par un corps électoral res-
treint aux électeurs âgés de 25 ans, français depuis douze ans
et ayant trois ans de résidence, afin de diminuer le poids des
« néo-Français ». Composées de quatre délégations séparées repré-
sentant les contribuables « colons » (propriétaires terriens) « non-
colons » (autres citoyens français), arabes et kabyles, elles seraient
chargées de voter ou d’amender le budget de l’Algérie préparé par
le gouvernement général. C’était, selon Laferrière, l’amorce d’un
« self-government, non politique assurément, mais économique

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

et social ». Mais les revendications d’un « ministère algérien »


et d’une Constitution algérienne furent écartées. La loi du
19 décembre 1900 reconnut que l’Algérie n’était plus considérée
comme un simple prolongement de la métropole ; elle lui accorda
la personnalité civile et l’autonomie budgétaire. Le budget algé-
rien garderait toutes les recettes perçues en Algérie, la métropole
se chargeant des dépenses militaires, des pensions des fonction-
naires métropolitains affectés en Algérie, et de la garantie d’inté-
rêt des chemins de fer. Le budget amendé par le Conseil supérieur
et par les Délégations financières serait soumis à l’approbation du
Conseil d’État118. Ce statut de semi-autonomie resta en vigueur
jusqu’à la fin de la IIIe République.
D’autres décrets du 25 août 1898 avaient brisé la puissance
électorale des consistoires départementaux, en les remplaçant par
des consistoires d’arrondissement, et en transférant leurs fonds
de bienfaisance à l’Assistance publique. Laferrière jugea éga-
lement nécessaire de réviser le décret Crémieux (en limitant le
droit de vote aux Israélites sachant parler et écrire le français)
pour satisfaire en partie les vœux des conseils généraux qui en
réclamaient l’abrogation119. Mais les gouvernements successifs de
Charles Dupuy et de Waldeck-Rousseau s’y opposèrent. Discré-
dités par leurs rodomontades et leurs querelles, les anti-juifs se
retrouvèrent isolés et réduits à l’impuissance. Le 26 avril 1901,
l’incident de Margueritte (l’assaut d’un village de colons par une
centaine d’insurgés musulmans fanatisés) reporta l’attention sur
le problème fondamental de l’Algérie coloniale. Le mouvement
anti-juif s’évanouit lors des élections législatives de 1902.
Ainsi, l’agitation algérienne des années 1891 à 1901 présente
une étonnante ressemblance avec celle qui s’était produite vingt
ans auparavant. Dans les deux cas, les porte-parole de la colo-
nie se dressèrent contre une politique métropolitaine d’inspiration

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

indigénophile, en allant jusqu’à l’émeute contre les représentants


du pouvoir central, qui fut obligé de céder, au moins partielle-
ment. Dans les deux cas, une insurrection indigène (très grave
en 1871, mineure en 1901) mit fin au conflit en rappelant quel
était le péril principal. Les différences concernaient l’identité des
régimes contestés, et surtout la nature des revendications formu-
lées : l’assimilation, puis son contraire l’autonomie. Mais ces deux
formules traduisaient la même volonté de réserver la direction de
l’Algérie au « peuple algérien » de souche européenne, au détri-
ment des indigènes (qu’ils fussent juifs ou musulmans) et, dans
une moindre mesure, de la métropole. Celle-ci prouva dans les
deux cas son impuissance à imposer une politique algérienne
donnant la priorité aux intérêts de la majorité indigène sur ceux
de la minorité coloniale.

La loi de la démographie
Si l’assimilation des étrangers européens et celle des juifs algé-
riens furent des succès indéniables, celle de la masse indigène
fut à peine ébauchée. La IIIe République, longtemps abusée par
l’interprétation coloniste du mot assimilation, attendit vingt ans
pour se préoccuper sérieusement d’en faire bénéficier ses sujets
musulmans. Encore ne sut-elle pas choisir clairement entre l’assi-
milation proprement dite et l’association entre deux sociétés dif-
férentes. Les réformes de 1919, imposées par Clemenceau à l’issue
de la Grande Guerre, furent un compromis entre ces deux concep-
tions divergentes et le maintien du statu quo colonial. Dans les
vingt dernières années du régime, les gouvernements républi-
cains furent incapables d’aller plus loin et de faire aboutir l’une
ou l’autre politique.
« De notre manière de traiter les indigènes dépend surtout
l’avenir de notre domination en Afrique » : cette vérité, pressentie

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

dès 1847 par Alexis de Tocqueville, reconnue par Napoléon III


et par Jules Ferry, s’imposa très lentement. Aussi longtemps que
« l’installation de masses européennes » fut jugée prioritaire, « les
Algériens, c’est-à-dire les arabo-berbères passèrent au second plan
des préoccupations des pouvoirs publics », constata le Manifeste
du peuple algérien. Il fallut pour changer cet ordre de priorités que
l’accroissement de la population musulmane devînt évident.
Si l’évolution de la population musulmane avait suivi une
courbe descendante entre les recensements de 1861 (2 732 851 per-
sonnes) et de 1872 (2 125 052 personnes), le fait majeur fut la
reprise d’un accroissement plus ou moins rapide mais constant
à partir de celui de 1876. Le niveau de 1861 fut dépassé dès 1881,
et doublé un demi-siècle plus tard, en 1931. À cette date, il appa-
rut que la population indigène augmentait plus vite que la popu-
lation européenne, qui ne bénéficiait plus d’un solde migratoire
notable. Cet accroissement résultait à la fois du recul de la mor-
talité (notamment des pointes de surmortalité dues aux guerres,
aux épidémies et aux famines), et du maintien d’une forte natali-
té, qui s’accrut sensiblement après la Grande Guerre. Ainsi le taux
annuel moyen d’accroissement, évalué à 1,4 % entre 1886 et 1911,
atteignit 1,6 % de 1926 à 1931 et 2,2 % de 1931 à 1936120.
La perception des faits suivit leur publication avec un retard
étonnant. De 1830 à 1876, les colonistes avaient invoqué les
exemples de l’Amérique du Nord et de l’Australie pour fonder leur
conviction qu’une « loi inéluctable » vouait les « races inférieures »
à disparaître devant les « races supérieures », ou à être absorbées
par celles-ci : c’était la dure loi darwinienne de la « lutte pour la
vie », invoquée par Prévost-Paradol en 1868. Après 1876, au lieu
de reconnaître que le cas algérien démentait leur théorie, cer-
tains préférèrent expliquer les résultats ascendants des recense-
ments par une amélioration de leur exactitude, très approximative

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

jusqu’en 1936. En 1898 encore, les docteurs Trabut et Battandier,


professeurs à l’École supérieure de médecine d’Alger, affirmaient
que « la paresse traditionnelle du peuple arabe le condamnera[it]
tôt ou tard à disparaître devant les races plus actives121 ». Pour-
tant Leroy-Beaulieu avait déjà diagnostiqué la tendance domi-
nante : « Bien loin de disparaître devant nous, l’Arabe et le Kabyle
croissent auprès de nous, plus rapidement que nous122. »
Les colonistes ne s’avouèrent pas pour autant démentis. Ils
avaient imputé le déclin démographique accéléré des années 1861
à 1872 à la politique du « royaume arabe » qui avait freiné la colo-
nisation et parqué les indigènes à l’écart de celle-ci. Ils trouvèrent
dans l’essor parallèle de la colonisation française, du peuplement
européen et de la population musulmane la contre-épreuve des
bienfaits de la première, et de sa supériorité morale sur les coloni-
sations anglo-saxonnes. « La population européenne n’a pris son
essor qu’à partir de 1872, et la courbe de la population indigène
aussi. Cette courbe à elle seule fait l’éloge de la colonisation avec
plus d’éloquence qu’une longue dissertation », écrivait en 1930 le
géographe Émile Félix Gautier123.
Tous les apologistes de l’œuvre coloniale expliquaient la multi-
plication des indigènes par la paix française, le dessèchement des
marais, foyers de paludisme, et l’action des médecins contre les
endémies et les épidémies, la diffusion de l’hygiène et de l’instruc-
tion, ainsi que par la création de ressources économiques nou-
velles par les colons. Émile Félix Gautier répétait en 1939 que le
colon avait, « sans le faire exprès, créé les conditions qui rendaient
possible le pullulement indigène », en créant de toutes pièces des
« ressources alimentaires nouvelles, tirées du néant par la coloni-
sation », et qui n’auraient pu être introduites que « par l’Européen
en chair et en os, mettant la main à la pâte […] : pour entraî-
ner l’indigène, les conseils sont inefficaces, il faut l’exemple et

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

la concurrence ». Ainsi concluait-il sa démonstration : « Il n’est pas


inexact de dire que près de quatre millions d’indigènes, les deux
tiers ou peu s’en faut de la population totale ont été appelés à la
vie par la colonisation, ils n’existeraient pas sans elle124. »
Cette interprétation comportait une part de vérité indéniable125 ;
mais elle ignorait que la paysannerie indigène était de plus en plus
resserrée entre l’expansion du domaine approprié par la colonisa-
tion et la fermeture du domaine forestier. L’augmentation de la
population agricole sur une surface cultivable en voie de diminu-
tion entraînait la réduction de la taille moyenne des exploitations,
encore aggravée par la concentration de la propriété au profit des
notables musulmans. Faute d’instruction, de capitaux propres et
de crédit, la masse des petits fellahs était incapable d’améliorer ses
rendements et sa productivité. Au contraire, les productions tra-
ditionnelles de céréales, d’huile d’olive et le cheptel ovin et caprin
tendaient à diminuer, et plus encore la production par habitant126.
Les petits fellahs étaient donc obligés de s’employer chez les
grands propriétaires européens (ou musulmans), ou de quitter la
terre pour chercher du travail en ville, voire en France. Le besoin
de revenus complémentaires, et la demande de main-d’œuvre à
bon marché par les colons incitaient les familles paysannes à faire
de nombreux enfants qui étaient employés très jeunes, selon l’éco-
nomiste algérien Mahfoud Bennoune127.
L’augmentation de la population indigène pouvait donc être,
non une preuve irréfutable de prospérité, mais un signe de paupé-
risation et de prolétarisation. Jules Ferry avait remarqué dans son
enquête de 1892, « ces indigènes dont la misère semble s’accroître
avec leur nombre ». Pourtant, il fallut attendre la publication
du recensement de 1936 pour que les experts du gouvernement
général prennent conscience de la contradiction explosive entre
l’accélération de la croissance démographique et la réduction des

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

ressources économiques de la population indigène128. Celle-ci put


continuer à s’accroître, mais au prix d’une dépendance croissante
envers les propriétaires – en grande majorité européens – du sol,
du sous-sol et des moyens de production modernes.
De l’examen des recensements, Paul Leroy-Beaulieu tirait
en 1897 des conclusions politiques : « Le fait certain est le grand
accroissement de la population indigène en Algérie. Si nous insis-
tons sur ces chiffres, c’est qu’ils doivent nous dicter notre façon de
gouverner. Les hésitations ne sont plus permises. Il faut, comme je
le prêche depuis vingt ans, nous gagner les Arabes pendant qu’il
en est temps encore, et en donnant à une certaine partie d’entre
eux notre langue, ce qui est un point que nous avons complète-
ment négligé, vivre en harmonie avec tous, sans bouleverser leur
état moral. Il faut renoncer tout à fait aux expropriations de terres ;
il convient d’apporter dans la constitution de la propriété privée
tous les ménagements désirables ; c’est un devoir pour nous, non
seulement de morale, mais de prudence politique, de renoncer
aux rigueurs fantaisistes de ce qu’on appelle le code de l’indigé-
nat. En face d’une population aussi vivace, nous devons avoir une
règle dominant toute notre administration, c’est d’éviter de semer
dans la population arabe des ressentiments qui nous vaudraient
un jour ou l’autre une hostilité aussi dangereuse que celle de l’Ir-
lande à l’endroit de l’Angleterre129. »
La reconnaissance de la nécessité d’une nouvelle politique indi-
gène, retardée de quelques années par la crise anti-juive et auto-
nomiste, finit par s’imposer à la veille de la Grande Guerre. Mais
la définition de son but et de ses moyens suscita des divergences.

Assujettissement et assimilation
« Quand un peuple, pour des raisons quelconques, a mis le pied
sur le territoire d’un autre peuple, il n’a que trois partis à prendre :

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

exterminer le peuple vaincu, le réduire au servage honteux ou


l’associer à ses destinées », déclarait Paul Bert, cité par le Manifeste
du peuple algérien. En fait, outre l’extermination, étrangère à la
tradition française, les traités de colonisation distinguaient quatre
grandes doctrines coloniales : l’assujettissement, l’assimilation,
l’association et l’autonomie.
L’assujettissement d’un peuple vaincu à une minorité privilé-
giée était évidemment contraire aux principes républicains. Ce fut
pourtant la politique de la IIIe République, dans ses vingt pre-
mières années au moins, sous prétexte d’assimiler l’Algérie à la
France. « La politique d’assimilation, appliquée automatiquement
aux uns et refusée aux autres, a réduit la société musulmane à
la servitude la plus complète », constata plus tard le Manifeste du
peuple algérien.
D’après le sénatus-consulte du 14 juillet 1865, les indigènes
musulmans algériens étaient réputés de nationalité française, mais
ils restaient exclus de la citoyenneté française, à moins d’y être
admis par une faveur individuelle, au prix de leur renonciation
au statut personnel musulman. Les musulmans algériens étaient
donc soumis à toutes les lois que la France jugeait bon de leur
appliquer, sans pouvoir participer à leur élaboration. Les quelques
droits politiques locaux que le Second Empire avait accordés à cer-
tains d’entre eux avaient été presque supprimés par la IIIe Répu-
blique ; et leur accès aux fonctions publiques était resté limité,
depuis le décret du 21 avril 1866, à des fonctions qui ne leur don-
naient pas autorité sur les citoyens français130. Le champ d’appli-
cation de la justice musulmane s’était réduit comme une peau de
chagrin. Depuis l’un des décrets du 24 octobre 1870, les indigènes
inculpés de crime étaient jugés en cours d’assises par un jury de
citoyens français. Le droit foncier relevait de plus en plus des lois
françaises. Il ne restait à la justice musulmane que l’application du

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

statut personnel, c’est-à-dire du droit familial fondé sur la loi cora-


nique ou sur les coutumes berbères en pays kabyle. Les indigènes
étaient soumis à tous les impôts que la France avait introduits en
Algérie, qui s’ajoutaient aux « impôts arabes » hérités de l’émir Abd
el-Kader ou du beylik turc. Les douars annexés aux communes
de plein exercice contribuaient au budget communal, qui trop
souvent ne leur consacrait aucune dépense. L’administration des
Eaux et Forêts appliquait implacablement le code forestier français
de 1827 qui ignorait les traditionnels droits de pacage, de façon à
multiplier les amendes. Les tribus révoltées en 1871 payèrent pen-
dant des années l’indemnité de guerre et le rachat de leurs terres
séquestrées qui n’avaient pas été livrées à la colonisation.
Pour imposer une obéissance absolue, les pouvoirs discipli-
naires des officiers des bureaux arabes, tant décriés par leurs
ennemis, avaient été transférés aux administrateurs de com-
munes mixtes, et aux juges de paix dans les communes de plein
exercice. Le « code de l’indigénat » codifia une liste d’infractions et
de pénalités spéciales aux indigènes, par dérogation au droit com-
mun. Établi « à titre exceptionnel et provisoire pour une période
de sept ans » par la loi du 27 juin 1881, il fut plusieurs fois renou-
velé entre les mains des administrateurs jusqu’au 31 décembre
1927, et resta à la disposition des juges de paix jusqu’à l’ordon-
nance du 7 mars 1944. D’autres juridictions d’exception, les cours
criminelles (remplaçant les cours d’assises pour les indigènes) et
les tribunaux répressifs, apparurent en 1902. Ainsi la République
perpétuait sans l’avouer le « régime du sabre », successeur du des-
potisme turc131.
La véritable assimilation eût été tout autre chose : l’égalité des
droits et des devoirs entre tous les habitants de l’Algérie. C’était
l’idéal républicain, appliqué depuis 1848 dans les vieilles colonies
des Antilles et de la Réunion, où les anciens esclaves libérés en

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

bloc avaient immédiatement reçu le droit de vote dans les mêmes


conditions que les autres habitants. Mais son application en Algé-
rie se heurtait à de puissants obstacles. D’une part, l’égalité des
droits impliquait la fin des privilèges des citoyens français, et ris-
quait de remettre en cause la répartition inégale de la propriété et
des emplois. C’est pourquoi les colons redoutaient des demandes
massives de naturalisation, et l’administration ne faisait rien
pour encourager les candidats : elle gardait un pouvoir de refus,
et maintenait des discriminations illégales envers les « naturali-
sés132 ». D’autre part, l’égalité des devoirs impliquait la renoncia-
tion au statut personnel coranique (ou aux coutumes berbères)
dont plusieurs dispositions étaient contraires au code civil, voire
sanctionnées par le code pénal, comme la polygamie. L’hypo-
thèse d’un député musulman polygame votant des lois qu’il ne
s’appliquerait pas toutes à lui-même était invoquée comme preuve
de l’incompatibilité juridique entre la citoyenneté française et le
statut personnel musulman. Cet argument ne faisait pas l’una-
nimité des juristes, mais il avait pour lui la tradition d’unité de
législation établie par l’Assemblée nationale depuis 1789133. Les
jugements de valeur condamnant des dispositions discrimina-
toires envers les femmes (polygamie, droit de répudiation uni-
latérale et de mariage forcé, inégalité successorale), traduisaient
un complexe de supériorité culturelle mal fondé, puisque le code
civil napoléonien avait également fait de la femme une éternelle
mineure, et que la République lui refusait encore le droit de vote.
Mais la vraie raison de l’incompatibilité entre le statut personnel
et la citoyenneté française était politique : la loi coranique et les
coutumes berbères étaient considérées comme des législations
étrangères. L’emploi officiel, bien que juridiquement impropre,
du mot « naturalisation », prouvait que les autorités françaises ne
considéraient pas leurs sujets musulmans comme de véritables

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

Français. Pour le devenir, ils devaient cesser d’être des musul-


mans dans le sens où l’Islam est une communauté politique.
Ces derniers, tenant leur loi révélée pour supérieure à toute
autre, supportaient difficilement d’être soumis à un pouvoir non-
musulman et obligés d’obéir à ses lois, pour autant qu’il voulait les
leur imposer. Ils condamnaient comme apostats ceux d’entre eux
qui abandonnaient volontairement le dernier vestige de la loi cora-
nique, indissociable de la foi islamique. Comme les non-musul-
mans, les « naturalisés » ne pouvaient épouser des musulmanes.
Même ceux qui désiraient être citoyens français regrettaient d’être
obligés de renier leur milieu sans être assurés d’être acceptés dans
la société française, et beaucoup s’y refusaient.
Devant ce double obstacle, certains avaient conclu, comme
le journaliste catholique Louis Veuillot et le cardinal Lavigerie,
que l’Algérie ne pourrait pas devenir française sans l’évangélisa-
tion des musulmans134. Mais, depuis le 5 juillet 1830, les autorités
militaires avaient promis de respecter la religion musulmane, et
s’étaient opposées au prosélytisme chrétien de peur de provoquer
des révoltes. L’État français, n’ayant plus de religion officielle, ne
pouvait en imposer une aux dépens d’une autre : la conversion
(très rare) ne valait pas naturalisation.
C’est pourquoi les républicains sincèrement partisans de l’assi-
milation des musulmans comptaient sur l’enseignement laïque,
gratuit et obligatoire pour les convaincre de faire de leur religion
une affaire de conscience individuelle. Ainsi pourraient-ils devenir
des citoyens français de confession islamique. Mais le système sco-
laire arabe-français institué sous le Second Empire avait rencontré
la double hostilité des indigènes et des colons : les effectifs décli-
nèrent dans les vingt ou trente premières années de la IIIe Répu-
blique, et la relance de la scolarisation décidée par Jules Ferry
en 1883 produisit des effets très lents135. Le taux de scolarisation

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

de la jeunesse d’âge scolaire atteignit 5 % en 1914, 6 % en 1930, et


8,5 % en 1944, et les filles étaient dix fois moins scolarisées que
les garçons.
Tant que les anciens élèves des écoles françaises resteraient
minoritaires dans leur société, la naturalisation individuelle ne
pourrait qu’en détacher quelques individus : 1 809 de 1865 à 1919.
Certains proposaient de la rendre plus facile en l’imposant aux
titulaires de diplômes ou de titres attestant l’acquisition de la
culture française ; mais la naturalisation automatique ne concerna
que les enfants d’étrangers musulmans nés en Algérie. Supprimer
le statut par un nouveau « décret Crémieux » pour tous les musul-
mans risquait de les pousser à la révolte, et n’inquiétait pas moins
les Européens d’Algérie.
Dans ces conditions, certains partisans de l’assimilation
jugeaient nécessaire de composer avec les sentiments des musul-
mans en accordant une « naturalisation mixte », sans renonciation
au statut personnel, à ceux qui avaient déjà été marqués par la
culture française, pour en faire une catégorie intermédiaire entre
les citoyens français de droit commun et la masse indigène136.
C’était parier sur leur « solide bonne volonté française » et sur leur
capacité d’influencer leur société. Mais d’autres assimilationnistes
objectaient que les indigènes cesseraient de se rapprocher des
Français s’ils pouvaient devenir leurs égaux sans leur être entiè-
rement semblables.

Association ou autonomie
À la politique d’assimilation dans ses diverses acceptions s’oppo-
sait la politique d’association entre deux sociétés différentes. Dès
1847, Tocqueville avait reconnu que « la société musulmane en
Afrique n’était pas incivilisée », et recommandé de pousser les
indigènes, « non pas dans la voie de notre civilisation européenne,

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

mais dans le sens de celle qui leur est propre », afin de nous les
attacher « par la communauté des intérêts137 ». Dans cette perspec-
tive, Napoléon III avait voulu « apporter les bienfaits de la civilisa-
tion » moderne aux musulmans sans les forcer à renoncer à la leur.
Il avait eu l’intention – non suivie d’effet – de leur accorder le droit
d’être représentés dans toutes les assemblées locales et au Parle-
ment français, et celui d’accéder à toutes les fonctions publiques en
Algérie et à toutes les fonctions militaires de l’Empire138.
Cette politique, condamnée par les républicains en 1870,
retrouva peu à peu son crédit auprès des hommes d’État et des
experts coloniaux bien informés, à mesure que la pseudo-assi-
milation appliquée en Algérie perdait le sien. Le 26 mai 1893,
Jules Ferry fit devant le Sénat l’éloge de la politique du « royaume
arabe » qui avait préfiguré celle du protectorat, inaugurée en Tuni-
sie en 1881 : contrôler la modernisation d’un État « arriéré » sans
l’annexer139. À la fin du XIXe siècle, l’idée se répandit dans les
milieux politiques et coloniaux que l’assimilation était une dange-
reuse chimère, et qu’il valait mieux « faire évoluer chaque peuple
dans sa propre civilisation », suivant l’expression du président du
Conseil Waldeck-Rousseau140. Cependant, l’idéal d’assimilation ne
disparut pas de la culture politique républicaine.
Une autre doctrine se répandit en même temps : l’autonomie
coloniale, inspirée par l’évolution des colonies britanniques vers
un « self-government » de plus en plus large. Les colons « algé-
riens » furent les premiers à la réclamer et à en bénéficier, par les
réformes de 1898 et de 1900. Les musulmans s’en méfièrent, et
certains préférèrent « l’Algérie sous l’égide de la France, contre la
féodalité algérienne141 ». Pourtant, la création des sections arabe
et kabyle dans les Délégations financières fut la première réforme
politique en faveur des indigènes depuis l’échec du projet de
constitution Randon-Béhic en 1870. Ce pouvait être l’amorce d’une

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

politique d’association entre deux sociétés dans une colonie auto-


nome. Mais rien ne pouvait obliger la société musulmane majori-
taire à se contenter d’une représentation minoritaire : 15 Arabes
et six Kabyles pour 48 Français d’Algérie, soit 30 %. L’autonomie
et l’association étaient moins capables que l’assimilation d’éluder
perpétuellement la question du droit de la société dominée à dis-
poser d’elle-même.
Comment faire pénétrer l’influence française dans le bloc
musulman ? La doctrine de l’association prônait la « politique des
races » : distinguer dans la population indigène des communautés
ethniques homogènes, et les gouverner en accord avec leurs tra-
ditions spécifiques. La doctrine de l’assimilation recommandait
de s’appuyer sur les communautés les plus aisément assimilables
pour les détacher des autres.
L’Algérie précoloniale, bien que presque entièrement islamisée,
se composait de trois types de société distincts142. Dans les villes,
arabisées et islamisées de longue date, coexistaient des strates de
population diversifiées par leurs origines et par leurs fonctions :
castes dirigeantes de Turcs et de Kouloughlis (métis nés de Turcs
et de femmes autochtones), bourgeois « maures » ou andalous,
commerçants mozabites ou juifs, artisans et manouvriers kabyles
ou biskris… Hors des villes, les populations vivaient dans des
cadres tribaux. Tribus berbères sédentaires, vivant en villages
groupés, dans les montagnes des Kabylies et des Aurès. Tribus
arabes ou arabisées, nomades ou semi-nomades dans les plaines,
les hauts plateaux, et le désert.
Les villes furent les premières en contact avec les Français.
Elles souffrirent beaucoup du choc de la conquête : leur population
diminua fortement par l’expulsion des Turcs d’Alger et par de nom-
breux départs volontaires en terre d’Islam. De nombreux biens
immobiliers et fonciers furent saisis ou expropriés au profit des

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

Européens qui devinrent souvent majoritaires. Pourtant, malgré


leur appauvrissement, les bourgeois citadins furent les premiers
à recevoir le statut d’électeurs municipaux, et à pouvoir envoyer
leurs enfants dans des écoles arabes-françaises, puis françaises.
Parmi les ruraux, les Berbères, et particulièrement les Kabyles,
furent jugés plus accessibles à l’influence française que les Arabes,
malgré leur soumission plus tardive. Des officiers des affaires indi-
gènes virent dans la Kabylie une « Auvergne de l’Afrique », peuplée
de paysans laborieux, anciens chrétiens superficiellement islami-
sés, spontanément démocrates et prédisposés à l’assimilation. Ils
codifièrent les coutumes kabyles (kanoun) dérogatoires au statut
personnel coranique, affaiblirent le rôle des juges musulmans
et des grands chefs au profit des institutions villageoises tradi-
tionnelles. Des politiciens colonistes, comme le docteur Warnier,
adoptèrent le « mythe kabyle » pour mieux combattre le « royaume
arabe » de Napoléon III. Malgré le cruel démenti que lui infligea
la grande insurrection de 1871, ce mythe d’une Kabylie prête à
l’assimilation subsista sous la IIIe République. La grande Kabylie,
dans le département d’Alger, servit de champ d’expériences aux
écoles des pères blancs et des jésuites, puis aux écoles ministé-
rielles créées par Jules Ferry en 1883.
Mais, si l’administration s’efforça de maintenir les particula-
rités des pays berbères et de contrarier les progrès spontanés de
l’arabisation, on ne peut dire que les Kabyles furent moins assu-
jettis que les autres indigènes. La politique berbère n’aboutit qu’à
la création d’une section kabyle, surreprésentée par rapport à la
section arabe des Délégations financières. Ce fut essentiellement
une tentative de diviser pour régner143.
Quant aux tribus arabes, les plus éloignées du genre de vie
européen, l’influence française devait s’y répandre au moyen de la
colonisation et de la sédentarisation.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

De nouvelles élites indigènes


La doctrine de l’association recommandait de gouverner la société
indigène par l’intermédiaire de ses chefs traditionnels. En Algérie,
après l’échec de la domination indirecte, la conquête et la coloni-
sation tendirent à briser leur pouvoir et à les rabaisser au-dessous
de la minorité européenne. Mais, en fin de compte, l’action de
la France reconstitua de nouvelles élites, intermédiaires entre la
minorité dominante et la masse dominée.
La société algérienne précoloniale était unifiée par la solida-
rité religieuse et par les solidarités lignagères et tribales. Mais
elle était également hiérarchisée : une distinction existait entre la
masse, amma, et l’élite dirigeante, khassa, comprenant les chefs
militaires et politiques, et les titulaires de charges judiciaires et
religieuses, ainsi que la fraction instruite des marchands et des
propriétaires fonciers144. En Algérie comme dans les autres pro-
vinces arabes de l’Empire ottoman, une spécialisation fonction-
nelle réservait les fonctions politiques et militaires aux Turcs, aux
Kouloughlis et aux chefs des tribus maghzen, et les fonctions
juridico-religieuses aux lettrés en arabe classique : oulémas (doc-
teurs de la loi), chorfas (descendants du Prophète), et marabouts
(chefs de confréries).
Le choc de la conquête et de la colonisation disloqua ces
anciennes élites dirigeantes, en chassa une partie, et réduisit le
reste à un rôle subordonné. Globalement, on peut dire que la socié-
té indigène fut dégradée face à la société européenne, qui devint
la seule classe dirigeante du pays. Mais il serait exagéré d’affirmer,
comme Émile Félix Gautier en 1930 : « Il y a en Algérie une plèbe
rurale et pastorale, et, pour encadrer cette plèbe, rien d’autre que
les 833 000 colons, seule classe bourgeoise constituée145. »
En réalité, la France créa de nouvelles élites indigènes, en pre-
nant à son service les rejetons des grandes familles soucieux de

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

conserver leur rang, et des hommes nouveaux désireux de s’éle-


ver. Son armée forma des officiers et sous-officiers de troupes indi-
gènes. Son enseignement forma des fonctionnaires : personnels
du culte et de la justice musulmane, interprètes judiciaires, secré-
taires de communes mixtes, instituteurs et professeurs, auxiliaires
médicaux ; et des professions libérales, médecins, pharmaciens,
dentistes, avocats et avoués. Une nouvelle bourgeoisie d’entrepre-
neurs (grands commerçants et petits industriels) apparut dans
les villes. Les lois foncières visant à constituer la propriété privée
favorisèrent l’émergence d’une bourgeoisie rurale de moyens pro-
priétaires, parmi lesquels furent choisis de nombreux caïds, chefs
de douars. La diffusion de l’instruction, même élémentaire, dans
les villes, le travail dans les entreprises modernes en Algérie et
en métropole, les engagements et le service militaire obligatoire
dans l’armée française, exposèrent des couches de moins en moins
restreintes de la société indigène à l’influence de la culture fran-
çaise par un phénomène de « métamorphisme de contact », sui-
vant la formule d’Émile Félix Gautier. Longtemps contrariée par
les préventions des musulmans, cette influence prit une ampleur
nouvelle après la Grande Guerre. Ainsi se développèrent, entre la
société européenne dominante et la masse prolétarisée de la société
musulmane, des catégories intermédiaires que l’on peut qualifier
de grandes, moyennes et petites bourgeoisies, qui supplantèrent et
tendirent à absorber les restes des anciennes élites146.
Ces couches nouvelles, ne pouvant se contenter du rôle subor-
donné qui leur était réservé, revendiquèrent leur émancipation,
et l’amélioration du sort de la masse dont elles étaient issues et
solidaires. Leurs revendications alarmèrent les représentants et
l’administration de la colonie, qui les jugèrent dangereuses pour
la prépondérance de la minorité française et pour la pérennité de
la souveraineté française147. Au contraire, le pouvoir métropolitain

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

jugea bon d’accorder des droits politiques aux élites « évoluées »,


suivant des critères de notabilité, de capacités et d’adhésion à la
culture française. Mais la IIIe République jugea impossible d’ap-
pliquer ses principes démocratiques à l’ensemble de la société
musulmane, parce qu’elle ne la croyait pas vraiment française.
Cette élite de formation française, encore très peu nombreuse
au début du XXe siècle (un millier de personnes, dont 25 diplômés
de l’enseignement supérieur), se fit alors connaître sous le nom
de « Jeunes Algériens ». Ceux-ci formulèrent leurs premiers pro-
grammes revendicatifs en 1908 et 1912, en réponse à l’institution
du service militaire obligatoire pour les indigènes. La volonté du
pouvoir central réussit à imposer une première série de réformes
en faveur des musulmans, mais l’opposition des représentants
de la colonie européenne l’empêcha d’aboutir à un bouleverse-
ment fondamental de l’ordre colonial. Après 1919, l’immobilisme
prévalut, malgré le vain combat du gouverneur général Maurice
Viollette.

De nouvelles revendications
À partir de 1905, la pénétration française au Maroc et le risque
d’une guerre franco-allemande rendirent nécessaires le recru-
tement de troupes indigènes dépassant les effectifs susceptibles
d’être réunis par voie d’engagement volontaire. C’est pourquoi le
député Messimy proposa en 1907 d’étendre aux indigènes le ser-
vice militaire obligatoire. Cette proposition, adoptée par le gouver-
nement de Clemenceau, remit en question le fragile équilibre de
l’Algérie coloniale. Les musulmans algériens encore guidés par les
« vieux turbans » traditionalistes, ressentirent cette nouvelle obli-
gation comme une insupportable aggravation de leur asservisse-
ment : ils protestèrent par des pétitions, et par des tentatives d’exode
vers les pays d’Islam. Pour des raisons inverses, les représentants

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

de la colonie européenne s’inquiétèrent de voir imposer aux indi-


gènes l’un des attributs essentiels de la citoyenneté. En effet, les
Jeunes Algériens saisirent l’occasion de revendiquer des droits
pour eux-mêmes et pour l’ensemble de leur société. Pour la pre-
mière fois en octobre 1908 et en juin 1912, ils envoyèrent des délé-
gations à Paris auprès du gouvernement.
Le programme « jeune algérien » de 1912 acceptait le service
militaire obligatoire suivant certaines conditions (service mili-
taire de deux ans comme pour les Français, appel à 21 ans au lieu
de 18, suppression de la prime d’incorporation) et demandait en
contrepartie des améliorations du sort de la population :
« 1) réforme du régime répressif ;
2) représentation sérieuse et suffisante dans les Assemblées de
l’Algérie et de la métropole ;
3) juste répartition des impôts ;
4) affectation équitable des ressources budgétaires entre les
divers éléments de la population algérienne148. »
Ce programme exprimait un compromis entre des tendances
divergentes. Les naturalisés, représentés par l’avocat Omar Bou-
derba et le docteur en médecine Belkacem Benthami, avaient
affirmé que les indigènes accepteraient volontiers le service mili-
taire obligatoire, alors que les notables traditionalistes avaient
fermement protesté contre lui. Le représentant de ces derniers,
Mohammed Ben Rahal, intellectuel de double culture franco-
arabe, avait fait prévaloir son acceptation contre des compensa-
tions substantielles.
Sur le plan des droits politiques, le programme revendiquait
surtout l’élargissement du corps électoral indigène, de sa représen-
tation et de ses droits, notamment la participation des conseillers
municipaux à l’élection des maires et une représentation élue au
Parlement français ou dans un conseil siégeant à Paris. Il réclamait

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

également que ceux qui auraient satisfait à l’obligation militaire


aient le droit d’opter pour la citoyenneté française par simple
déclaration. Mais il avait d’abord été question d’une « naturalisa-
tion mixte », n’impliquant pas l’abandon du statut personnel.
Ainsi, alors que certains des Jeunes Algériens (surtout parmi
les diplômés de l’Université française) acceptaient la naturalisa-
tion individuelle et souhaitaient la faciliter, d’autres refusaient
d’abandonner leur statut personnel et préféraient revendiquer
des droits dans un collège électoral strictement musulman, s’ils
ne pouvaient pas obtenir la citoyenneté française dans le statut
musulman. Les Jeunes Algériens se partageaient donc entre par-
tisans de l’assimilation et de l’association, une troisième tendance
intermédiaire aspirant à être à la fois Français et musulmans.
Leur sentiment national à la recherche d’une définition n’était pas
aussi purement français que les premiers le prétendaient ; mais il
n’était pas vrai que leur slogan favori était une nation arabe indé-
pendante, comme l’affirmait le journaliste André Servier dans Le
Péril de l’avenir. Le nationalisme musulman en Égypte, en Tunisie,
en Algérie149. Ils souhaitaient plutôt la protection de la France, la
vraie France libérale de la métropole, contre le colonialisme des
« Algériens » qui prétendaient représenter la France en Algérie.
En effet, les revendications des Jeunes Algériens alarmèrent
un grand nombre de politiciens et de journalistes français d’Algé-
rie, qui les dénoncèrent comme des ambitieux hypocrites, camou-
flant leur haine de la France sous de trompeuses protestations de
loyalisme. Mais ils ne réussirent pas à convaincre l’ensemble des
milieux politiques métropolitains. Au contraire, une large part du
« parti colonial » jugea que l’intérêt national imposait de substituer
à l’assujettissement des indigènes une véritable politique d’assi-
milation ou d’association. De 1907 jusqu’à sa mort en 1914, le
député de droite Albin Rozet orchestra au Parlement une action

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

persévérante en faveur de réformes, soutenue dans la presse par


des organes aussi influents que le Temps, la Quinzaine coloniale,
la Revue indigène150.
Dès 1908, le gouvernement de Clemenceau rétablit par décret
l’élection des assesseurs musulmans dans les conseils généraux,
au profit du collège électoral très restreint (5 000 électeurs) créé en
1898 pour élire les sections arabe et kabyle des Délégations finan-
cières. En janvier 1914, le ministre de l’Intérieur éleva le nombre
des conseillers municipaux indigènes du quart au tiers de l’effec-
tif total, et accorda le droit de vote aux anciens militaires, aux
commerçants patentés sédentaires et aux lettrés en français. Un
projet de loi fut déposé pour étendre le nouveau collège électoral
municipal aux conseils généraux et aux Délégations financières,
et pour faire participer les conseillers municipaux à l’élection des
maires et adjoints, mais il fut retardé par l’opposition du gouver-
neur général Lutaud et du conseil de gouvernement d’Alger.
Cependant, dès juin 1913, un arrêté du gouverneur général
avait dispensé de l’indigénat les lettrés en français titulaires du
certificat d’études primaires, les commerçants patentés séden-
taires, les décorés et lauréats, les membres des chambres de com-
merce et d’agriculture, et supprimé le permis de voyage, sauf en
territoire militaire. La loi du 15 juillet 1914, fondée sur le rapport
d’Albin Rozet, adoucit le code de l’indigénat, prépara le transfert
des pouvoirs disciplinaires des administrateurs aux juges de paix
sous le contrôle du gouvernement général, reconnut le droit d’ap-
pel, et confirma les exemptions accordées aux élites. Ainsi, à la
veille de la guerre, le processus des réformes était bien engagé151.

Une demi-citoyenneté
La guerre elle-même en retarda l’aboutissement, mais le ren-
dit encore plus nécessaire par les sacrifices qu’elle imposa aux

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

indigènes. L’échec des appels à la guerre sainte (djihad) lancés en


novembre 1914 par le sultan ottoman allié des Allemands (mal-
gré deux révoltes locales provoquées par les recrutements for-
cés en 1914 et 1916), la mobilisation de 173 000 soldats (parmi
lesquels 25 000 furent tués ou disparus, et 72 000 blessés) et de
76 000 travailleurs, le loyalisme affiché par les Jeunes Algériens
à de rares exceptions près, obligeaient les gouvernements à tenir
leurs promesses152. La campagne pour les réformes continua au
Parlement et dans la presse. En janvier 1916, le député Georges
Leygues et le sénateur Georges Clemenceau demandèrent au pré-
sident du Conseil Briand des mesures immédiates :
– un régime nouveau de naturalisation n’impliquant pas la
renonciation au statut personnel ;
– l’extension du corps électoral musulman ;
– une représentation spéciale dans un conseil supérieur sié-
geant à Paris ;
– la garantie d’une représentation musulmane suffisante dans
les assemblées locales ;
– la réforme des impôts arabes ;
– des garanties nouvelles concernant la propriété indigène153.
C’était l’essentiel du programme des Jeunes Algériens. Mais
les élus et l’administration algérienne s’y opposèrent. Il fallut
pour aboutir que Georges Clemenceau accède à la présidence du
Conseil en novembre 1917, et remplace le gouverneur Lutaud par
son prédécesseur Jonnart, favorable aux réformes. Vieux radical
de tradition anticolonialiste, le Tigre fit prévaloir l’intérêt national
sur les intérêts « algériens ». Pourtant, les projets gouvernemen-
taux furent édulcorés à la demande de Jonnart afin d’apaiser les
oppositions.
En juin 1918, les assemblées algériennes votèrent la suppres-
sion des impôts arabes. En août 1918, une première loi reconstitua

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

les djemaas de douars dans les communes de plein exercice, avec


le pouvoir de gérer leurs biens communaux. Après la victoire, la
loi du 4 février 1919 créa un corps électoral municipal élargi à
tous les indigènes musulmans âgés de vingt-cinq ans, ayant deux
ans de résidence, et remplissant l’une des conditions suivantes :
« 1) avoir servi comme militaire ;
2) être propriétaire, ou fermier, ou commerçant sédentaire
patenté ;
3) être employé de l’État, du département ou de la commune,
ou retraité ;
4) être titulaire du certificat d’études ou d’un diplôme univer-
sitaire ;
6) être décoré ;
7) avoir obtenu une récompense dans des concours ou exposi-
tions agricoles ».
Ces 425 000 électeurs soit 43 % de la population masculine
de plus de 25 ans, éliraient les djemaas du douar des communes
mixtes et des communes de plein exercice ; ainsi que les repré-
sentants indigènes dans les conseils municipaux des communes
de plein exercice, dont le décret du 6 février 1919 augmenta le
nombre jusqu’au tiers du conseil, et leur rendit le droit de partici-
per à l’élection des maires et des adjoints154.
Le même décret éleva la représentation indigène au quart des
membres des conseils généraux ; il élargit le corps électoral char-
gé de l’élire (ainsi que les délégués financiers arabes et kabyles)
à l’ensemble des électeurs municipaux des communes de plein
exercice et aux membres des commissions municipales, et des
djemaas des communes mixtes, soit plus de 100 000 électeurs :
10,5 % de la population masculine âgée de plus de 25 ans.
Tous les électeurs musulmans seraient désormais dispensés
de l’indigénat et des tribunaux répressifs. L’article 14 de la loi du

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

4 février 1919 accordait aux indigènes non-citoyens français le


droit d’accéder aux fonctions et emplois publics suivant les mêmes
conditions d’aptitude que les citoyens français, à l’exception des
« fonctions d’autorité » réservées à ces derniers, dont le décret du
26 mars 1919 établit la liste155. Plusieurs décrets transformèrent en
fonctionnaires les anciens chefs indigènes, caïds, aghas et bacha-
ghas. Les promesses faites aux militaires de libre accès à tous les
grades et d’égalité des pensions furent incomplètement tenues par
les lois du 31 mars et du 14 octobre 1919.
Mais, contrairement aux projets initiaux, il ne fut pas question
de représentation indigène dans un conseil supérieur siégeant à
Paris, ni de naturalisation sans abandon du statut personnel. La
loi du 4 février 1919 réforma la procédure de naturalisation indivi-
duelle sans la simplifier. La naturalisation devint un droit, recon-
nu par le juge de paix (sauf opposition du gouverneur général
pour cause d’indignité) pour les indigènes qui renonçaient à leur
statut personnel et qui remplissaient cinq conditions préalables
(être âgé de 25 ans, monogame ou célibataire, n’avoir jamais été
condamné pour crime, délit, ou peine disciplinaire grave, avoir
deux ans de résidence) ainsi que l’une des sept conditions sui-
vantes : avoir servi dans l’armée et obtenu un certificat de bonne
conduite, savoir lire et écrire le français, être propriétaire, fermier
ou commerçant patenté sédentaire, investi d’un mandat électif,
fonctionnaire ou retraité, titulaire d’une décoration française, né
d’un père devenu citoyen alors que le demandeur était majeur156.
Les instructions d’application, rédigées par une commission prési-
dée par le directeur des affaires indigènes Luciani, compliquèrent
davantage la procédure. Ainsi la naturalisation ne fut nullement
facilitée ; à tel point que le ministre de la Justice décida de main-
tenir en vigueur le sénatus-consulte du 14 juillet 1865, beaucoup
plus simple et plus libéral.

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

Ainsi, les réformes de 1919 restèrent en deçà des revendica-


tions des Jeunes Algériens, approuvées par les « indigénophiles »
français. Les protestations des élus et des hauts fonctionnaires
« algériens » avaient réussi à cantonner le corps électoral indigène,
sous-représenté dans les assemblées locales, dans une demi-
citoyenneté. La citoyenneté française à part entière restait le privi-
lège des citoyens soumis au code civil. La France avait renoncé à
étendre sa citoyenneté aux musulmans algériens ; elle les incitait
par là même à situer leurs revendications futures dans le cadre
d’un État national algérien157.
Après les réformes de 1919, l’élan réformateur du Parlement
retomba. Pendant vingt ans, de nombreuses propositions de
réformes lui furent présentées pour tenter de détourner les élites
indigènes de la tentation nationaliste, mais elles restèrent sans
suite. Les tentatives de l’ancien gouverneur général Maurice Viol-
lette, mollement soutenues de 1936 à 1938 par les gouvernements
du Front populaire, aboutirent à une défaite sans vrai combat.
Les réformes de 1919 provoquèrent – avec un décalage dû à
l’état de guerre – la même opposition que la précédente interven-
tion du pouvoir métropolitain, et la même revendication d’autono-
mie. Dès le 13 mai 1919, le président des Délégations financières
déclara : « Ce que nous demandons, c’est le droit de nous admi-
nistrer nous-mêmes, d’instituer chez nous une sorte de Parlement
atténué, contrôlé par un organisme supérieur qui sera le Parle-
ment français, avec comme intermédiaire entre le Parlement et
l’Assemblée algérienne le gouverneur général ; organisation qui
nous permettra de voter sur place les réglementations qui seront
reconnues par nous indispensables, qui répondent aux aspira-
tions du pays dont nous sommes mieux à même que quiconque de
connaître les besoins et les nécessités. » Plus véhément, le congrès
des maires condamna le 29 mai 1920 « ces lois inopportunes […]

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

étudiées et votées hors de l’Algérie par des assemblées incompé-


tentes en la matière », et réclama « que soient soumises de nouveau
à l’étude des assemblées algériennes toutes les lois votées irrégu-
lièrement158 ».
Après l’élection de la « Chambre bleu-horizon » et la retraite
de Clemenceau, le Parlement se montra mieux disposé envers les
revendications des « Algériens » européens. Le courant indigéno-
phile fut découragé par la division du mouvement « jeune algé-
rien » : ses leaders naturalisés, Bouderba et Benthami, accusèrent
leur ancien associé, le capitaine Khaled, petit-fils de l’émir Abd
el-Kader, de prendre la tête d’un mouvement musulman nationa-
liste et fanatique. Celui-ci avait en effet, le 23 mai 1919, adressé
un message au président américain Wilson lui demandant l’au-
todétermination de l’Algérie sous l’égide de la SDN, avant de se
rabattre sur la revendication d’une représentation musulmane au
Parlement français159. L’administration et la presse « algérienne »
l’accusèrent également de sympathies communistes pour mieux
le discréditer.
Dans cette ambiance d’inquiétude pour l’avenir de la souve-
raineté française, le Parlement accueillit favorablement les pro-
positions de statut de l’Algérie déposées en 1920 par le député
Morinaud et par le sénateur Cuttoli. Mais l’opposition de la Déléga-
tion des colons à une réorganisation des Délégations financières,
et surtout celle des indigènes qui exigeaient en contrepartie deux
cinquièmes des sièges dans la nouvelle Assemblée algérienne et
une représentation parlementaire contrarièrent son aboutisse-
ment. En décembre 1923, les commissions des deux chambres
approuvèrent un nouveau projet qui confiait le vote des impôts et
du budget et un droit d’avis sur tous les projets de décrets concer-
nant l’Algérie à deux assemblées élues : un Conseil d’Algérie de
54 citoyens français et 21 indigènes et un Conseil supérieur de

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

36 Français et 16 indigènes. Mais la demande de parité, et d’une


représentation parlementaire pour les musulmans, soutenue par
les socialistes, incita l’administration et les élus algériens à se
contenter du statu quo.
La Chambre bleu horizon laissa donc un héritage purement
négatif : elle avait adopté le 29 juillet 1920 la perpétuation de la
mise en surveillance, et la prolongation des pouvoirs discipli-
naires pour deux ans, puis pour cinq ans (jusqu’au 31 décembre
1927), afin « d’assurer pleinement la sécurité indispensable au
développement de la colonisation et de maintenir l’influence
française160 ».
La représentation parlementaire était depuis 1919 la principale
revendication de la majorité des Jeunes Algériens qui refusaient
de compter sur la naturalisation individuelle pour devenir les
égaux des citoyens français. Le capitaine Khaled la mit au pre-
mier plan de son programme. Il fut soutenu à Paris par une Ligue
française pour la représentation des indigènes au Parlement, pré-
sidée par le député radical de Lyon Édouard Herriot. Avec l’auto-
risation du gouverneur général Théodore Steeg, Khaled présenta
cette demande au président de la République Millerand lors de
son voyage en Algérie le 20 avril 1922 ; mais celui-ci répondit que
cette réforme était prématurée. Retiré en Égypte en 1923 contre
une pension et le paiement de ses dettes, Khaled revint à Paris en
1924 après la victoire du Cartel des gauches, pour présenter son
programme au président du Conseil Édouard Herriot. Mais il se
discrédita en acceptant le soutien du parti communiste, favorable
à l’indépendance de toutes les colonies, et en adhérant à sa filiale
l’Union inter-coloniale, qui fonda en 1926 l’Étoile nord-africaine,
premier mouvement ouvertement nationaliste.
La représentation parlementaire des indigènes continua
pourtant d’être proposée à plusieurs reprises jusqu’en 1930 au

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Parlement, notamment par le socialiste Marius Moutet (rappor-


teur des projets de réformes de 1919), le républicain socialiste
Maurice Viollette, le radical Henri Guernut et le modéré Édouard
Soulier. Une commission interministérielle fut créée en 1928 pour
étudier les réformes politiques en faveur des indigènes proposées
à l’occasion du centenaire de l’Algérie française ; mais elle rendit
un avis défavorable en juillet 1930. Le Centenaire, célébré en 1930
dans une débauche de propagande triomphaliste et de reconsti-
tutions historiques d’une opportunité douteuse, n’apporta rien de
plus que la fin des tribunaux répressifs en mai 1930161.

Le vain combat de Maurice Viollette


Le sénateur Maurice Viollette, gouverneur général de l’Algérie
sous le Cartel des gauches, de 1925 à 1927, était partisan d’une
vraie politique d’assimilation, procédant par une « large natura-
lisation individuelle », octroyant la citoyenneté « à qui la désire et
en est digne », dans un collège électoral unique. Contraint à la
démission par l’hostilité des élus français d’Algérie à sa politique
indigénophile, il avait déposé en novembre 1928 une proposition
de loi relative à la « célébration du centenaire de la libération des
États barbaresques », proposant la création d’écoles et d’hôpitaux
du centenaire, l’abrogation du code de l’indigénat, l’égalité devant
le service militaire, ainsi que des droits politiques : participation
des délégués financiers indigènes à l’élection du président des
Délégations, et représentation parlementaire élue par tous les élus
des musulmans algériens162.
Après la déception des espoirs mis dans le Centenaire, Maurice
Viollette se fit confier par le Sénat une mission d’enquête sur la
situation de l’Algérie. Après son retour, le 3 juillet 1931, il dépo-
sa une nouvelle proposition de loi, qu’il justifia dans un livre au
titre prophétique, L’Algérie vivra-t-elle ? Celle-ci proposait d’élever

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

la représentation indigène à la moitié des Délégations financières


et au quart d’un nouveau Conseil supérieur de gouvernement,
et d’admettre les conseillers généraux indigènes dans le collège
électoral sénatorial. Surtout, son article 45 accordait « le bénéfice
de la naturalisation individuelle avec tous les avantages qu’elle
confère » à cinq catégories d’élites :
1) les notables délégués financiers et conseillers généraux,
membres des chambres de commerce et d’agriculture, bachagas,
aghas et commandeurs de la légion d’honneur ;
2) les diplômés (des deux sexes) de niveau égal ou supérieur
au brevet élémentaire ;
3) les anciens officiers et sous-officiers (ces derniers ayant
quinze ans de service) ;
4 et 5) des commerçants et des agriculteurs désignés chaque
année par les chambres de commerce et d’agriculture (700 la pre-
mière année, puis 300 par an) et par le gouverneur général (60
par an)163.
L’article 46 dissociait la citoyenneté de ses effets civils, en
subordonnant ces derniers à la conclusion facultative d’un
« mariage dans la forme française » après l’octroi du droit élec-
toral. Dans son livre, Maurice Viollette justifiait cette innovation
par l’article 7 du code civil (« L’exercice des droits civils est indé-
pendant de l’exercice des droits civiques, lesquels s’acquièrent et
se conservent conformément aux lois constitutionnelles et élec-
torales »), le précédent de la loi Blaise Diagne qui avait accordé la
citoyenneté française sans perte du statut personnel aux natifs des
quatre communes du Sénégal, et la position prise par la France en
faveur des juifs de Roumanie.
Cette proposition souleva l’enthousiasme des élites musul-
manes, et l’inquiétude des élus français d’Algérie. Mais elle resta
sans suite. Après l’adoption des articles concernant les assemblées

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

algériennes par la commission sénatoriale de l’Algérie, les trois


fédérations départementales des élus indigènes envoyèrent à Paris
une délégation commune en juin 1933, pour demander au gou-
vernement de prendre en considération l’ensemble de la proposi-
tion Viollette. Mais le président du Conseil Chautemps refusa de
la recevoir, sur les instances du gouverneur général Jules Carde.
En mars 1935, lassé des atermoiements officiels, Maurice Viol-
lette interpella le gouvernement sur « les mesures qu’il comptait
prendre pour tenir à l’égard des musulmans d’Algérie les pro-
messes qui leur avaient été faites lors du Centenaire ». Le ministre
de l’Intérieur, le radical Marcel Régnier, revint d’une rapide
enquête en Algérie résolu à réprimer, par un décret spécial, toute
provocation des indigènes à des « désordres ou manifestations
contre la souveraineté française, à la résistance active ou pas-
sive contre l’application des lois, décrets, règlements ou ordres
de l’autorité publique164 ». À Maurice Viollette, qui invitait le gou-
vernement à donner aux élites indigènes la patrie française avant
qu’ils ne s’en donnent une autre, le ministre répondit : « Dès 1919,
nous avons fait l’effort maximum. Il ne faut pas nous demander
d’aller plus loin, parce que c’est impossible165. » Le vote unanime
du Sénat pour l’ordre du jour gouvernemental enterra la proposi-
tion Viollette le 21 mars 1935.
Son échec accéléra la radicalisation de l’opinion publique
musulmane. Le 2 juin 1936 – après la victoire électorale du Front
populaire – un Congrès musulman réunit à Alger les délégués
des principales tendances : Fédération des élus indigènes, Asso-
ciation des Oulémas musulmans algériens, militants socialistes et
communistes. Il adopta dans l’enthousiasme une charte revendi-
cative, comportant notamment l’abrogation de toutes les lois d’ex-
ception, le suffrage universel pour tous les habitants de l’Algérie
quel que soit leur statut personnel dans un collège unique, et le

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

rattachement de l’Algérie à la France, supprimant le Gouverne-


ment général et les Délégations financières. Deux mois plus tard,
le 2 août 1936, le président de l’Étoile nord-africaine Messali Hadj
condamna le rattachement et fit applaudir le droit de l’Algérie à
l’indépendance. La question de la démocratie et celle de l’autodé-
termination étaient posées : la politique des réformes octroyées
aux élites était dépassée.
Pourtant Maurice Viollette, devenu ministre d’État dans
le gouvernement de Léon Blum, reprit dans un projet de loi
les dispositions essentielles de sa proposition de 1931. Le pro-
jet Blum-Viollette du 31 décembre 1936 accordait l’exercice des
droits politiques des citoyens français, sans modification de leur
statut personnel, à plusieurs catégories d’« indigènes algériens
français » :
– anciens militaires ayant obtenu le grade d’officier ou de sous-
officiers après quinze ans de service, ou la médaille militaire et la
croix de guerre ;
– titulaires d’un diplôme égal ou supérieur au brevet élémen-
taire et fonctionnaires recrutés par concours ;
– membres des chambres de commerce et d’agricultures ou
désignés par la Région économique d’Algérie, par les chambres
d’agriculture ;
– élus à des mandats de délégués financiers, conseillers géné-
raux, conseillers municipaux des communes de plein exercice et
présidents de djemaas ;
– bachaghas, aghas et caïds166 ;
– commandeurs de la légion d’honneur et secrétaires de syndi-
cats ouvriers après dix ans d’exercice de leur fonction167.
Le nombre des bénéficiaires approchait de 25 000, et devait
atteindre 30 000 pour les élections législatives de 1940, soit 12 à
14 % d’électeurs supplémentaires. Le projet risquait d’accroître

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

sensiblement la part des élus musulmans dans les assemblées


locales, sans leur donner la majorité.
Le projet Blum-Viollette suffit pourtant à déchaîner une vio-
lente opposition de la fédération des maires et de la grande majori-
té des élus français d’Algérie, soutenue par une partie de la presse
métropolitaine. Les partis de droite, la majorité des radicaux, et
celle du « parti colonial » y virent un danger pour l’assimilation
des indigènes et pour le maintien de la souveraineté française. Les
opposants multiplièrent les contre-propositions, dont la plupart
revenaient à la représentation spéciale des indigènes au Parlement,
rejetée quelques années plus tôt : propositions Duroux d’avril 1936,
Saurin, Taittinger, Sabatier, Doriot. D’autres préconisaient la natu-
ralisation automatique de certaines catégories avec faculté de refus
pour ceux qui préféraient le statut personnel : élites intellectuelles
(bacheliers, professeurs, instituteurs) dans la proposition Cuttoli
de juin 1935, ou anciens combattants volontaires ou décorés de la
croix de guerre et de la médaille militaire dans la proposition plus
large du député PSF de Constantine, Stanislas Devaud.
Le projet ne fut soutenu que par les communistes, les socia-
listes, et une minorité de radicaux. Sur les dix députés de l’Algé-
rie, seuls les deux socialistes le défendirent ; leurs deux collègues
radicaux s’y opposèrent, comme les six députés de droite.
Les partisans du Congrès musulman l’acceptèrent comme une
première étape vers l’égalité absolue des droits et l’autodétermi-
nation de l’Algérie, comme son président le docteur Bachir l’ex-
pliqua le 17 janvier 1937. En juillet 1937, un deuxième Congrès
musulman ordonna la démission collective des élus pour imposer
le vote rapide du projet. Seul le Parti du peuple algérien (PPA),
successeur de l’Étoile nord-africaine dissoute en décembre 1936,
condamna le projet au nom de l’unité du peuple algérien et de son
droit à l’indépendance.

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

L’impossibilité de réformer
Le projet Blum-Viollette fut soumis à la commission du suffrage
universel de la Chambre des députés, dont le rapporteur, Léon
Barety, vice-président de son groupe colonial, lui était hostile. Il
fut également présenté pour avis à la commission de l’Algérie et
des colonies, qui créa une commission d’enquête présidée par le
député socialiste de la Martinique Joseph Lagrosillière, partisan
d’un élargissement du projet.
Après la chute du gouvernement Léon Blum en juin 1937, le
nouveau président du Conseil Camille Chautemps confia la charge
du projet au radical Albert Sarraut, expert en politique coloniale
et partisan déclaré de l’association. Convaincu de sa nécessité, il
ne réussit pas à convaincre ses adversaires. Le 10 février 1938,
la commission du suffrage universel de la Chambre des députés
se partagea par moitié sur le rapport de Léon Barety, favorable
à la naturalisation des élites dans le statut civil français avec
faculté de refus. Mais le 3 mars, elle adopta par 13 voix contre
10 (sur 44 membres) l’élargissement du projet Blum-Viollette à
près de 150 000 bénéficiaires (notamment tous les anciens com-
battants titulaires de la carte du combattant et tous les diplô-
més du certificat d’études primaires) dans l’esprit du rapport
Lagrosillière.
Albert Sarraut refusa cet élargissement pour tenter de faire
passer le projet initial en posant la question de confiance, mais
le président du Conseil Chautemps le lui interdit. Presque tous
les parlementaires algériens (sauf les deux députés socialistes)
menacèrent de démissionner si le projet venait en discussion. Les
maires d’Algérie le firent en masse. L’annonce d’un nouveau gou-
vernement Blum avec la participation de Maurice Viollette surex-
cita l’opposition. Le gouverneur général Le Beau recommanda
une pause pour éviter un « effroyable conflit racial ».

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Le gouvernement d’Union nationale formé en avril 1938 par le


radical Édouard Daladier (personnellement favorable à la natura-
lisation dans le statut civil français) maintint Albert Sarraut au
ministère de l’Intérieur. Mais il n’osa ni soumettre le projet au
Parlement, ni le réaliser par décret, comme il en eut la velléité à la
fin de 1938, ni imposer la citoyenneté dans le statut civil français
à certaines catégories168. Il ne fit preuve d’autorité que contre les
manifestations du nationalisme algérien, seul bénéficiaire de son
impuissance à réformer le statut politique des musulmans.
Pendant ces vingt années de vains débats sur l’opportunité de
la représentation des indigènes au Parlement français, puis sur
la possibilité de la citoyenneté française dans le statut personnel
musulman, le nombre des naturalisations individuelles augmenta
sensiblement, particulièrement à partir de 1930 : il oscilla autour
de 150 par an de 1930 à 1939. Le nombre des naturalisés attei-
gnit 5 719 en 1931, et 7 635 en 1936169. Ce mouvement fut dénoncé
comme un danger par l’Association des Oulémas et par les mili-
tants nationalistes intransigeants de l’Étoile nord-africaine, puis
du Parti du peuple algérien. Pourtant, même des adversaires de
la naturalisation individuelle par solidarité communautaire en
vinrent à proposer la suppression du statut personnel (« un décret
Crémieux pour les musulmans ») comme le dernier moyen d’ins-
taurer « le droit commun pour tous » : ainsi Ferhat Abbas et le
cheikh El Okbi, devant Marcel Régnier en 1935 et devant la com-
mission Lagrosillière en 1937. Abbas le répétait en février 1938 :
« Si la France le veut, elle peut imposer l’abandon du statut. Ce
serait une hérésie. Mais le fait de supporter le service militaire
obligatoire, le fait de se battre contre d’autres musulmans consti-
tuent aussi des hérésies. Nous devrons nous incliner devant le fait
du Prince170. » Mais la France voulait-elle vraiment imposer l’éga-
lité entre tous les habitants de l’Algérie ?

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L’IMMOBILISME DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

L’avortement du projet Blum-Viollette confirma une nouvelle


fois l’impossibilité de réviser les options fondamentales de la
politique algérienne de la France. Pour la quatrième fois, une
politique indigénophile d’initiative métropolitaine souleva l’oppo-
sition des notables de la colonie, qui s’avéra plus efficace qu’en
1919. À cause de la mollesse des gouvernements du Front popu-
laire face à des intérêts égoïstes ? La répétition cyclique du même
processus oblige à rechercher des explications plus profondes. La
faiblesse de gouvernements fondés sur de fragiles coalitions par-
lementaires était un caractère quasi-permanent de la IIIe Répu-
blique. La puissance des intérêts économiques et politiques créés
par la colonisation était un héritage de l’alliance initiale entre
le parti républicain et le parti coloniste. Deux conceptions de
l’intérêt national s’opposaient, l’une confondant les intérêts de
la France et ceux des Français établis en Algérie, l’autre ayant
conscience qu’il ne pouvait y avoir d’Algérie française durable
sans l’émancipation des indigènes. Mais depuis 1936, la politique
d’assimilation progressive des élites influencées par la culture
française, que prônait Maurice Viollette, était dépassée par les
revendications égalitaires du Congrès musulman et par l’émer-
gence du nationalisme séparatiste.
L’application de la loi du nombre ne menaçait pas seulement
les situations personnelles des politiciens « algériens » et les pri-
vilèges économiques de la colonisation : elle remettait en cause la
pérennité de la souveraineté française. Le 14 juillet 1939, la com-
mémoration spectaculaire du 150e anniversaire de la prise de la
Bastille, à Alger comme à Paris, occulta la vraie question : savoir
si les principes démocratiques (souveraineté du peuple et droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes) étaient compatibles avec le prin-
cipe de l’Algérie française. Par son indécision, la IIIe République
avait implicitement répondu que non.

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L’Algérie française à l’épreuve de la guerre


De juin 1940 à mai 1943, l’Algérie prit une importance nouvelle
pour la France : atout majeur, en tant que clé de voûte de l’Empire,
depuis septembre 1939 (comme dans la guerre précédente), elle
devint brusquement un enjeu direct et un possible théâtre d’opéra-
tions de la guerre en cours. Cette situation inédite, comportant le
risque d’une rupture des relations avec la métropole, mit à l’épreuve
la validité du dogme de l’Algérie prolongement de la France, cette
« patriotique métaphore » chère à la tradition républicaine.
En écartant l’éventualité d’une poursuite de la guerre en
Afrique du Nord, puis en instaurant la Révolution nationale et
la collaboration avec l’Allemagne, le gouvernement du maréchal
Pétain rompit avec les orientations de la IIIe République. Mais il
ne sut pas décider une autre politique algérienne, mieux adaptée
aux aspirations de la majorité des habitants du pays, avant que le
débarquement anglo-américain du 8 novembre 1942 vienne inter-
rompre le face à face du colonisateur et du colonisé, et permettre
l’expression des revendications musulmanes par le Manifeste du
peuple algérien.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Un réservoir de soldats et de travailleurs


À partir du 3 septembre 1939, comme elle l’avait été d’août 1914
à novembre 1918, l’Algérie fut surtout un réservoir d’hommes,
soldats et travailleurs. Mais elle était également un enjeu poten-
tiel, menacé par les ambitions nord-africaines des États voisins
(Italie et Espagne) favorables à l’Allemagne. Soudainement, en
juin 1940, l’effondrement du front français la plaça en première
ligne, et lui offrit l’occasion d’être le refuge de l’indépendance
française.
Comme en 1914, l’Algérie était appelée à fournir des hommes
(soldats et travailleurs), des produits et des capitaux à la défense
nationale. Contrairement à ce qui s'était passé, cependant,
durant la Grande Guerre, la mobilisation partielle et progressive
des musulmans ne souleva pas de difficulté grave. Les autorités
se félicitèrent du loyalisme des notables indigènes, bachaghas,
aghas et caïds, chefs de confréries religieuses, et même des élus.
Deux des chefs de partis les plus en vue, le docteur Bendjelloul
et Ferhat Abbas, s’engagèrent pour la durée de la guerre. Abbas
déclara : « Si la France démocratique cessait d’être puissante,
notre idéal de liberté serait à jamais enseveli171. »
Les partis les plus opposés à l’ordre colonial, refusant la parti-
cipation à la guerre, étaient interdits et réduits à la clandestinité,
leurs chefs emprisonnés, leur presse muselée. Le PPA de Messali
Hadj (dont une fraction lui désobéit en demandant à Rome et à
Berlin de l’argent et des armes) était interdit depuis le 26 juillet
1939172. Les partis communistes de France et d’Algérie subirent
le même sort pour avoir approuvé le pacte germano-soviétique
et condamné la « guerre impérialiste ». Les principaux dirigeants
de l’Association des Oulémas, les cheikhs Ben Badis et Brahimi,
furent placés en résidence surveillée. La propagande radiopho-
nique germano-italienne en arabe, appelant les musulmans à

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

refuser une guerre qui n’était pas la leur, fut de plus en plus écou-
tée, mais resta sans effet tangible173.
Ainsi les réticences envers la mobilisation ne purent prendre
l’ampleur d’une résistance organisée. En août 1939, l’Afrique du
Nord était gardée par 200 000 hommes, dont 82 000 en Algérie.
Elle envoya 169 000 hommes en France et dans d’autres territoires
de l’Empire, tout en doublant les effectifs présents sur place. Au
début de mai 1940, on comptait 95 000 soldats nord-africains en
métropole, 188 000 (dont 27 000 supplétifs) en Afrique du Nord, et
29 000 au Levant174.
Comme dans la Grande Guerre, l’Algérie et l’ensemble de
l’Afrique du Nord étaient visés par des convoitises ennemies,
mais cette fois-ci beaucoup plus dangereuses. À la stratégie indi-
recte de manipulation des sentiments religieux et nationaux,
expérimentée sans grand succès par les germano-turcs de 1914
à 1918 et reprise par les puissances de l’Axe Rome-Berlin, s’ajou-
taient désormais des menaces militaires directes. Depuis 1936,
la Méditerranée était devenue une zone de tensions, opposant
la France et la Grande-Bretagne à l’Italie fasciste et à l’Espagne
franquiste, soutenues par l’Allemagne nazie. En novembre 1938,
l’Italie avait dénoncé les accords Laval-Mussolini de janvier 1935,
et revendiqué publiquement la Savoie, Nice, la Corse, la Tuni-
sie et Djibouti. Le président du Conseil Édouard Daladier s’était
rendu en Tunisie et en Algérie en janvier 1939 pour affirmer la
détermination de la France à défendre l’intégrité de son empire.
Les plans de guerre prenaient donc en compte d’éventuelles opé-
rations défensives ou offensives contre l’Italie et l’Espagne – offi-
ciellement non belligérantes – aux deux extrémités de l’Afrique
du Nord. Mais ils ne remettaient pas en question l’idée que le sort
de la guerre se jouerait en Europe, où l’Allemagne déclencha son
offensive le 10 mai 1940.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

En un mois, après l’invasion de la Belgique, du Luxembourg et


des Pays-Bas, la bataille de France fut perdue. Le 10 juin, le gou-
vernement dut quitter Paris pour Bordeaux, pendant que l’Italie
entrait en guerre dans le camp du vainqueur. Dès lors, le gouver-
nement français se divisa sur un choix capital. Le président du
Conseil Paul Reynaud, le ministre des Colonies Georges Mandel,
et le général de Gaulle, sous-secrétaire d’État à la Guerre, vou-
laient se transporter en Afrique du Nord avec le président de la
République, le Parlement, la flotte, l’aviation, et le maximum de
troupes terrestres, pour y continuer la guerre avec les ressources
de l’Empire, l’alliance de l’Empire britannique et l’aide économique
des États-Unis. Alger deviendrait ainsi la capitale provisoire de la
France en guerre. Au contraire le maréchal Pétain, dernier survi-
vant des chefs victorieux de la Grande guerre et ministre d’État,
et le général Weygand, commandant en chef de l’armée, jugeaient
nécessaire de demander l’armistice pour mettre fin à la guerre.
Le 16 juin, Paul Reynaud, découragé et ne se croyant pas sou-
tenu par la majorité de ses ministres, démissionna. Conformément
aux usages parlementaires, le président de la République Albert
Lebrun appela le maréchal Pétain, qui forma un nouveau gouver-
nement sans les partisans de la résistance, et demanda aussitôt
les conditions d’armistice et de paix des Allemands. Toutefois, la
majorité des ministres désiraient savoir si ces conditions seraient
honorables avant d’accepter ou de refuser l’armistice. Dans cette
attente, le président de la République, une partie du gouvernement
et le Parlement devaient s’embarquer pour l’Afrique du Nord ; mais
les intrigues de Raphaël Alibert (collaborateur du maréchal Pétain)
et de Pierre Laval empêchèrent leur départ175. Pendant ce temps,
tous les chefs militaires et civils de l’Empire se déclaraient prêts à
poursuivre la guerre, notamment le général Noguès, commandant
en chef en Afrique du Nord (siégeant à Alger) et le gouverneur

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

général de l’Algérie, Georges Le Beau. Mais le 22 juin, le gouver-


nement jugea acceptables les clauses de l’armistice qui laissaient à
la France une zone non-occupée, sa flotte désarmée et son Empire
intact : il fut donc signé le 22 juin avec l’Allemagne, le 24 avec
l’Italie, et entra en vigueur le 25. Malgré les appels à la résistance
lancés de Londres, depuis le 18 juin, par le général de Gaulle, le
général Noguès obéit au gouvernement du maréchal Pétain.

La France aurait-elle pu gagner la guerre, depuis l'Algérie ?


L’armistice était-il inévitable ? Le débat a été longtemps obscurci
par ses implications politiques et juridiques, sur la légitimité des
pouvoirs concurrents du maréchal Pétain et du général de Gaulle.
Même sur le plan strictement militaire, il n’est pas encore achevé.
D’un côté, les chefs militaires et civils de l’Afrique du Nord
se déclaraient prêts à poursuivre la guerre avec l’appui unanime
des populations européennes et musulmanes. Le général Noguès
avait interrompu tout envoi de troupes vers la métropole, et en
recevait des milliers d’hommes par mer et par air. Il disposait de
400 000 hommes, dont 233 000 indigènes176. Le 18 juin, il proposait
au gouvernement de continuer la guerre pour sauver l’honneur et
conserver l’Afrique du Nord à la France. Le 22 juin, il affirmait
que « l’Afrique du Nord, avec ses ressources actuelles, les renforce-
ments d’aviation en cours qui ont une importance capitale, et avec
l’appui de la flotte, est en mesure de résister longtemps aux entre-
prises de l’ennemi », et même de prendre l’offensive contre ses
alliés au Maroc espagnol et en Tripolitaine. Le 23 juin, il recom-
mandait encore au gouvernement de refuser l’armistice : « L’atti-
tude actuelle de l’Allemagne montre combien elle nous craint
encore à cause de nos forces de la Méditerranée et combien elle
désire un armistice qui lui permettrait d’assurer une victoire qui
lui échappera si nous tenons quelques semaines177. »

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Mais le maréchal Pétain, le général Weygand, et l’amiral de


la flotte Darlan étaient convaincus de l’inutilité d’une telle résis-
tance, et doutaient de ses chances de succès. Le 22 juin, l’ami-
ral Darlan résumait ainsi « la situation qui a conduit à demander
l’armistice » :
« a) Armée française dispersée n’offrant plus de résistance et
permettant l’occupation totale du pays.
b) Résistance en Afrique du Nord serait sans portée pratique
et abandonnerait notre patrie à invasion sans défense morale du
gouvernement. Peu de soutien local à attendre de l’Angleterre ou
États-Unis. Hostilité probable officiellement annoncée de l’Es-
pagne si nous résistons en Afrique, Égypte très ébranlée.
c) Anglais se sont montrés sur terre soldats médiocres et nos
revers viennent en partie de leurs armées, leur succès paraît aléa-
toire. Aucun secours efficace à attendre des États-Unis avant long-
temps178. »
Dans ces conditions, le général Noguès jugea impossible de
continuer la guerre contre la volonté du gouvernement et sans
l’appui indispensable de la marine.
Aujourd’hui encore, le débat stratégique reste ouvert entre les
historiens. Des recherches récentes, fondées sur les archives mili-
taires françaises, ont mis en évidence l’insuffisance absolue des
stocks de matériel et de pièces de rechanges, et surtout des indus-
tries de guerre susceptibles de les fabriquer et des sources d’ap-
provisionnement en carburant. Faute d’avoir été préparé d’avance,
le repli massif des forces françaises, improvisé dans la panique
de l’exode, ne pouvait maintenir entière leur capacité opération-
nelle179. L’économie coloniale de l’Afrique du Nord ne pouvait se
passer d’une métropole, et les États-Unis restés isolationnistes
n’étaient pas encore disposés à jouer ce rôle. L’option préconisée
par le général de Gaulle avait le tort de l’être deux ans trop tôt.

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

Mais d’autres recherches, fondées celles-ci sur les archives alle-


mandes, montrent au contraire qu’Hitler n’avait ni la capacité ni
la volonté d’entreprendre immédiatement l’invasion de l’Afrique
du Nord, qu’il n’avait pas préparée, et qui l’aurait détourné de son
objectif prioritaire : l’invasion de l’URSS180. Une guerre contre l’Ita-
lie et, le cas échéant, contre l’Espagne, n’était pas désespérée avec
l’aide britannique.
La situation militaire de l’Afrique du Nord ne joua en réalité
qu’un rôle secondaire dans la décision de l’armistice. Le gouver-
nement et les chefs militaires l’acceptèrent en fonction de celle de
la métropole. L’armée française était incapable de défendre le ter-
ritoire national et sa population ; quitter le sol de la patrie c’était
pour eux déserter, et le gouvernement aurait perdu sa légitimité
s’il avait abandonné les Français à la merci des occupants. L’ap-
partenance légale des trois départements algériens au territoire
français n’était pas prise au sérieux.
Au contraire, les partisans de la résistance croyaient – ou
voulaient croire – que la France était une nation de 100 millions
d’habitants répartis dans les cinq parties du monde, et que la
Méditerranée pourrait être la Marne de la nouvelle guerre mon-
diale. La formule du général de Gaulle, « la France a perdu une
bataille, mais elle n’a pas perdu la guerre », faisait écho à celle
du général Mangin en 1920 : « Cloisonné par la Méditerranée et le
Sahara, le territoire national est inattaquable. »
L’état des esprits en Afrique du Nord, jugé satisfaisant depuis
la mobilisation, ne pesa guère quant à lui dans le choix de l’armis-
tice : il fournit plutôt des arguments en faveur de la résistance.
Le gouverneur général Le Beau télégraphiait le 18 juin : « Tour-
nure tragique des événements militaires et cessation des hosti-
lités envisagée ont produit vive consternation dans les éléments
indigènes et européens en Algérie. Population indigène dans son

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

immense majorité plus française que jamais, surtout en présence


de l’attaque italienne, se demande avec inquiétude si la France
va l’abandonner181. » Mais le 24 juin, il nuançait son optimisme
sur l’attitude future des musulmans dans la perspective de l’ar-
mistice : « La résistance de l’Afrique du Nord constitue à l’heure
actuelle le seul moyen de conserver vis-à-vis des populations fran-
çaises et musulmanes l’autorité morale et l’attachement qui conti-
nuent à se manifester et qui constituaient notre vraie puissance
sur ces territoires et leur population182. »
En effet, l’aveu de la défaite française en redoubla le choc sur
l’opinion musulmane. De nombreux témoignages ont attesté des
manifestations spontanées de sympathie envers les Français et
conclu à un deuil unanime des deux populations183. Sans mettre
en doute leur sincérité, il serait imprudent de les généraliser à l’en-
semble de la population musulmane. Il est vraisemblable que les
parents des soldats mobilisés ont partagé la douleur et l’angoisse
des Français184. Mais d’autres sources rapportent des manifesta-
tions de joie dans les milieux nationalistes, interprétant la défaite
de la France comme un juste châtiment de Dieu. Suivant la tradi-
tion islamique, seul un pouvoir musulman est légitime ; l’obéis-
sance à un pouvoir non musulman ne peut se justifier que par la
nécessité de se soumettre à la force. Puisque la France avait perdu
sa puissance, tout devenait possible. Les musulmans algériens
attendirent que leur avenir fût fixé par le « maître de l’heure »,
Adolf Hitler, avec crainte, perplexité ou espoir.
Le nouveau régime, établi à Vichy le 10 juillet 1940 par l’ab-
dication de l’Assemblée nationale en faveur du maréchal Pétain,
continua d’attacher une importance primordiale à la possession
de l’Afrique du Nord. Sa politique de Révolution nationale ne
lui fut pas dictée par des considérations algériennes ; mais elle
répondit par certains de ses aspects aux vœux de la majorité des

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

Français d’Algérie, et suscita par d’autres des espoirs vite déçus


chez les musulmans algériens.

La clé de voûte de l’Empire


Pour le gouvernement de Vichy, la possession de l’Afrique du
Nord, clé de voûte de l’Empire français, était une nécessité plus
vitale que jamais. La sauvegarde de l’Empire et celle de la flotte
étaient les deux principaux avantages qui lui avaient fait accepter
l’armistice. S’il venait à les perdre, il ne lui resterait plus qu’une
illusion de souveraineté sur une portion du territoire métropoli-
tain, indéfendable contre une extension de l’occupation.
Mais le danger principal ne venait plus du vainqueur. En
dépit des remontrances des chefs de sa marine et de son armée,
Hitler donnait la priorité absolue aux préparatifs de guerre contre
l’URSS. Il se contentait donc de la neutralisation de l’Empire et
de la flotte française, et renonçait à exiger une présence militaire
allemande qui aurait pu les pousser à rejoindre la dissidence.
Au contraire, les Anglais et les gaullistes ne renonçaient pas à
les entraîner dans la guerre. Dès le 3 juillet 1940, la volonté bri-
tannique de soustraire la flotte française au « contrôle » allemand
prévu par l’armistice, en exigeant son départ vers les ports britan-
niques ou américains, avait causé la tragique canonnade de Mers
el-Kébir, où périrent 1 297 marins français185. Malgré l’hostilité que
ce triste épisode provoqua dans la marine et dans l’armée, le géné-
ral de Gaulle espéra que les ralliements du Tchad et de l’AEF à la
France libre se propageraient à travers l’AOF jusqu’à l’Afrique du
Nord, où il jugeait imminente la menace allemande, italienne et
espagnole. Avant de s’embarquer pour Dakar, le 29 août 1940, de
Gaulle écrivit au général Catroux, qui venait de se rallier, pour lui
proposer de prendre la « place Afrique du Nord » dans le Conseil
de Défense de l’Empire qu’il avait l’intention de constituer186.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Pour conserver l’Afrique du Nord, le gouvernement de Vichy


en changea rapidement la plupart des responsables. Le général
Noguès fut déchargé de son commandement supérieur et can-
tonné dans son poste initial de résident général au Maroc à par-
tir du 1er août 1940. À Alger, le gouverneur général Le Beau fut
rappelé dès le 19 juillet et remplacé par l’amiral Abrial, qui prit
ses fonctions le 1er août. À Tunis, Marcel Peyrouton fut remplacé
par l’amiral Estéva le 23 juillet, et promu secrétaire général du
ministère de l’Intérieur, puis ministre de l’Intérieur à partir du
6 septembre, pour récompenser sa prompte acceptation de l’ar-
mistice. Ainsi, toute l’Afrique du Nord était confiée à des chefs
militaires, parmi lesquels deux amiraux nommés par l’amiral
Darlan, ministre de la marine. Le 4 août 1940, celui-ci avait été
chargé par le maréchal Pétain de prendre le commandement de
l’Afrique du Nord et d’y rassembler la flotte si la zone libre était
envahie par les Allemands187.
Toutefois, le 6 septembre 1940, le général Weygand fut déchar-
gé du ministère de la Guerre et nommé délégué général du gou-
vernement en Afrique française. Cette décision visait deux buts :
éloigner Weygand de Vichy au moment où le maréchal Pétain
et son vice-président du Conseil Pierre Laval recherchaient une
négociation directe avec Hitler, et empêcher de Gaulle de rallier
l’un après l’autre tous les territoires d’Afrique à la France libre.
Le délégué général avait les pouvoirs de « diriger et coordonner
l’action politique et administrative des représentants de la métro-
pole », et de « provoquer ou de prendre les mesures d’urgence que
commande la sécurité militaire des territoires de l’Afrique fran-
çaise188 ». Il était directement subordonné au maréchal Pétain
(jusqu’en juillet 1941) et avait autorité sur tous les gouverneurs et
résidents généraux. Ses principales missions étaient d’appliquer
sans faiblesse les principes de la « Révolution nationale » et de

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

combattre la dissidence, d’assurer le ravitaillement des territoires


d’Afrique et de les faire contribuer à celui de la métropole malgré
le blocus britannique (institué le 2 août 1940), enfin de les mettre
en état de repousser toute agression, d’où qu’elle vienne.
Solidaire du maréchal Pétain à cause de son adhésion profonde
à la « Révolution nationale », le général Weygand (ancien adjoint
du maréchal Foch) s’en distinguait cependant par une plus grande
intransigeance envers les Allemands.
Dès le 16 juillet 1940, la délégation allemande à la commission
d’armistice de Wiesbaden avait tenté d’en dépasser les clauses,
en réclamant le droit d’utiliser huit aérodromes marocains, deux
stations météorologiques, le chemin de fer de Tunis à Rabat et les
ports français des côtes méditerranéennes et africaines. Contre
l’avis de Weygand, partisan de s’en tenir strictement à l’armis-
tice, le gouvernement avait décidé de répondre en proposant des
négociations189.
Hitler n’avait pas donné suite, mais le maréchal Pétain et Pierre
Laval avaient continué de rechercher une occasion de le rencon-
trer pour discuter des conditions de la paix. Le 9 octobre 1940,
le général Weygand rejoignit son poste à Alger. Le 11 octobre, le
maréchal Pétain proposa publiquement la collaboration franco-
allemande pour assurer la paix en Europe. Les 22 et 24 octobre
(à l’aller et au retour d’une entrevue avec le général Franco à
Hendaye), Hitler rencontra successivement à Montoire Laval
seul, puis Pétain et Laval. Le maréchal serra la main du Führer,
et annonça solennellement le 30 octobre qu’il avait pris la res-
ponsabilité d’engager la France dans la voie de la collaboration.
Dans cette perspective, la résistance de la flotte et des troupes
coloniales aux entreprises anglo-gaullistes (comme l’expédi-
tion de Dakar, qui échoua les 23 et 24 septembre 1940) servait
d’argument pour réclamer l’autorisation de renforcer la défense

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

de l’Empire, et des améliorations du sort des Français. Mais le


maréchal ne voulait pas pour autant provoquer des représailles
économiques ou militaires du gouvernement britannique (avec
lequel il avait renoué des contacts secrets) en aidant militaire-
ment l’Allemagne sans avoir l’assurance de concessions substan-
tielles, qui ne vinrent jamais. C’est, entre autres raisons, pour
avoir assumé ce risque trop légèrement que Pierre Laval fut dis-
gracié le 13 décembre 1940.
Le général Weygand s’était inquiété de la rencontre de Mon-
toire190. Il se réjouit de la chute de Laval, remplacé aux Affaires
étrangères par Pierre-Étienne Flandin, partisan du retour à l’ar-
mistice. Le délégué général entreprit des négociations avec les
Anglais, qui acceptèrent de tolérer les échanges par voie mari-
time entre les territoires français d’Afrique et avec la métropole.
Le 26 février 1941, il signa avec le consul américain Robert Mur-
phy un accord organisant la fourniture de combustibles et de
denrées alimentaires américaines à l’Afrique du Nord contre des
matières premières, et autorisant des vice-consuls américains à
contrôler la non-réexportation des denrées fournies191. Il s’effor-
ça d’entraver les activités des commissions d’armistice italienne
et allemande, et d’entretenir la capacité de combat des 100 000
hommes autorisés en Afrique du Nord pour la défendre contre
toute agression. Mais il refusa les propositions d’entrer en dissi-
dence venues des Anglais et du général de Gaulle, voire de Robert
Murphy, par fidélité au maréchal Pétain et à la Révolution natio-
nale192. Contrairement à une illusion rétrospective de certains de
ses partisans, le maréchal ne songeait nullement à préparer l’en-
trée en guerre de l’Afrique du Nord contre l’Allemagne.
Le délégué général s’opposa de toutes ses forces à la relance
de la collaboration militaire décidée en février 1941 par l’amiral
Darlan, nouveau vice-président du Conseil et successeur désigné

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

du maréchal. Après avoir autorisé le 7 mai 1941 l’utilisation par


la Luftwaffe des aéroports du Levant pour soutenir les Irakiens
contre les Anglais, Darlan signa le 28 mai les protocoles de Paris,
qui autorisaient notamment le transport de matériel allemand de
Toulon à Bizerte et à Gabès, et des prélèvements sur les stocks
militaires français en Afrique du Nord, afin de ravitailler l’Afri-
kakorps de Rommel en Libye. En contrepartie étaient accordés
de faibles accroissements des effectifs et des moyens militaires
français en Afrique, et de vagues promesses de concessions poli-
tiques et économiques. Le général Weygand réussit à convaincre
le conseil des ministres du 6 juin 1941 de subordonner l’applica-
tion des protocoles à des concessions très substantielles. Aussitôt
après, l’invasion de la Syrie et du Liban par les forces anglo-gaul-
listes (qui mirent un mois, du 8 juin au 8 juillet, pour contraindre
les troupes vichystes à la capitulation) démontra le danger de la
politique de Darlan193.
Weygand obtint alors de remplacer l’amiral Abrial, fidèle repré-
sentant de Darlan, au poste de gouverneur général de l’Algérie,
tout en restant lui-même délégué général, à partir du 20 juillet
1941 ; mais en contrepartie, Darlan obtint que le délégué général
lui fût désormais subordonné. En août 1941, il autorisa la four-
niture de matériel militaire à l’Afrikakorps par la Tunisie. Peu
après, les Allemands et les Italiens firent du rappel de Weygand
un préalable au développement de la collaboration : Pétain et Dar-
lan leur donnèrent satisfaction le 18 novembre 1941. La délégation
générale du gouvernement en Afrique française fut supprimée (à
l’exception de son secrétariat général économique) et ses fonc-
tions militaires transférées à un nouveau commandant en chef de
l’Afrique du Nord, le général Juin194. Le vice-gouverneur Yves Châ-
tel, proche collaborateur de Weygand, lui succéda comme gouver-
neur général de l’Algérie.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Le rappel de Weygand permit une dernière tentative de relan-


cer la collaboration militaire. Le 22 novembre, Pétain et Darlan
approuvèrent un « plan de défense impériale », rédigé par le secré-
taire d’État Jacques Benoist-Méchin, qui prévoyait une collabo-
ration militaire franco-allemande défensive et contre-offensive195.
Ils rencontrèrent Goering à Saint-Florentin le 1er décembre 1941,
sans résultat faute de concessions allemandes. Toutefois, l’avance
des Anglais en Libye incita Goering à réclamer de nouveau l’uti-
lisation de Bizerte pour ravitailler l’Afrikakorps, et la promesse
d’une défense commune du Sud tunisien si les germano-italiens
devaient s’y replier196. Pétain et Darlan acceptèrent, sous réserve
de concessions politiques et économiques suffisantes pour justi-
fier le passage à la cobelligérance aux yeux de l’opinion française.
En janvier 1942, l’absence de réponse allemande mit fin au mirage
de la collaboration militaire franco-allemande. Darlan lui-même
avait cessé de croire en sa nécessité depuis l’entrée en guerre des
États-Unis le 8 décembre 1941.
Les Américains avaient réagi au rappel de Weygand en suspen-
dant leurs échanges avec l’Afrique du Nord, mais ils les reprirent
afin d’y maintenir leur réseau de vice-consuls. Ils préparèrent un
débarquement visant à en faire une base d’opérations contre l’Italie,
en prenant contact avec des opposants au régime de Vichy, mais
aussi avec des militaires et des civils weygandistes, qui reconnurent
comme chef le général Giraud, évadé d’Allemagne en avril 1942. Le
consul Murphy prit des contacts indirects en octobre 1942 avec le
général Juin et avec l’amiral Darlan (resté successeur désigné du
Maréchal et chef des forces armées après le retour de Laval au pou-
voir en avril 1942) afin de sonder leurs réactions. Mais ceux-ci ne
comprirent pas l’imminence et l’inéluctabilité du débarquement : ils
maintinrent leurs consignes de résistance à toute agression, pour
ne pas inciter les Allemands à rompre l’armistice197.

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

La « Révolution nationale », régime idéal pour l’Algérie coloniale ?


Dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale, l’avenir de
l’Algérie et de l’Afrique du Nord françaises dépendait entièrement
du rapport des forces et des stratégies des grandes puissances
belligérantes. La politique algérienne de Vichy était indissociable
de ce contexte.
De nombreux témoins ont souligné la grande popularité du
pétainisme chez la plupart des Français d’Afrique du Nord : « Tra-
vaillée par les haines de clans, de races et de castes […], ouverte
aux entreprises fascistes en Tunisie, à l’activité phalangiste en
Oranie, éloignée enfin des misères de la métropole, et du contact
direct de l’ennemi, notre Afrique du Nord offrit un terrain d’élec-
tion à la propagande du maréchal », écrivit plus tard le gaulliste
Jacques Soustelle198. De même Gabriel Esquer, administrateur
de la Bibliothèque nationale d’Alger, incrimina le conservatisme
naturel des gros colons, qui « les amène à se détourner de la
démocratie parlementaire et de la République, […] incapables de
lutter avec succès contre le fléau rouge » et « à souhaiter la victoire
de Hitler sur Staline et […] la collaboration de la France vaincue
avec le vainqueur199 ».
Pourtant, malgré la vigueur des partis d’extrême droite, étran-
gers et français, tel le PPF de Doriot, et l’appui officiel de l’amiral
Darlan, la politique de collaboration avec l’Allemagne ne faisait
pas l’unanimité parmi les partisans du régime. Les weygandistes
et les giraudistes reconnaissaient à l’armistice le mérite d’avoir
maintenu les forces ennemies à l’écart de l’Afrique française du
Nord, et n’étaient pas disposés à les y laisser entrer.
Mais la « Révolution nationale » bénéficiait d’un large consen-
sus. Jacques Soustelle l’affirme : « Pour bien des Français
d’Afrique du Nord, si la Révolution nationale n’avait pas existé, il
eût fallu l’inventer. » De même le général Catroux, sans mettre en

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

doute leur patriotisme, expliquait très simplement leur vichysme :


« Pétain leur apportait l’ordre tel qu’ils le concevaient nécessaire,
c’est-à-dire par la soumission des Indigènes à l’autorité, par la
sécurité de leurs biens et le maintien de leurs privilèges de mino-
rité200. » Sur ce point, il rejoignait presque le Manifeste du peuple
algérien déclarant : « La colonie européenne, dans sa majorité,
interpréta le régime de Vichy et l’ordre nouveau institué par le
maréchal Pétain comme étant l’expression intime de son idéal
et la possibilité de satisfaire sa soif de domination. Elle recevait
à sa table les officiers allemands des commissions d’armistice
et les dressait contre les musulmans qu’elle représentait comme
des communistes et des révolutionnaires dangereux 201. » Ce que
confirma, en partie, le pétainiste Alain de Sérigny, alors direc-
teur de L’Écho d’Alger : « Les Français d’Algérie […] sont tout natu-
rellement maréchalistes. Le sont plus spécialement les colons
qui se sentent menacés non par les quelques membres invisibles
des commissions d’armistice italiennes et allemandes, mais par
la dizaine de millions de musulmans incités à se révolter, avant
l’armistice, par la propagande allemande, et, depuis, par la pro-
pagande anglaise202. »
La « Révolution nationale » était en réalité une tentative réac-
tionnaire de transformer la République française en une dicta-
ture franquiste, afin de réenraciner la France dans ses traditions
ancestrales et de lui mériter l’indulgence du vainqueur. Sa volonté
de rupture avec les principes républicains pouvait la faire pas-
ser pour la solution du problème algérien que la République avait
manifestement échoué à résoudre.
La suppression des libertés publiques et de la démocratie, la
substitution du principe d’autorité au principe électif, la subordi-
nation des fonctionnaires civils à des chefs militaires, auraient
dû provoquer la révolte des Français d’Algérie, si ceux-ci étaient

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

restés fidèles à la tradition radicale et antimilitariste de leurs


ancêtres de 1870. Mais cette tradition de gauche était devenue
mythique, depuis les élections de 1924 au moins203. Le parti radi-
cal était devenu (ou resté) un pilier de l’ordre colonial, et ses élus
avaient contribué à la démission forcée de Maurice Viollette en
1927. En juin 1936, le Front populaire n’avait fait élire que quatre
députés sur dix et, parmi ses élus, les deux radicaux s’étaient
séparés des deux socialistes et avaient rejoint la majorité de
droite pour combattre le projet Blum-Viollette. L’opposition véhé-
mente qu’avait suscitée ce projet avait mis en évidence la contra-
diction fondamentale entre le principe démocratique et celui de
la prépondérance des intérêts français, voire de la souveraineté
française en Algérie. Supprimer la démocratie avait l’avantage de
faire taire les revendications politiques indigènes, en privant les
citoyens français eux-mêmes de leurs droits, tout en confiant à
un pouvoir fort la défense de leurs intérêts.
C’est pourquoi le rétablissement du « régime du sabre » se fit
sans opposition manifeste. À tous les niveaux, des conseils nom-
més par les autorités remplacèrent les assemblées élues. L’admi-
nistration fut épurée de ses éléments jugés mal pensants en vertu
des lois sur la révocation des fonctionnaires (27 juillet 1940), sur
la dissolution des sociétés secrètes (13 août 1940), et du Statut
des Juifs (3 octobre 1940). La presse fut réduite au conformisme
ou au silence. La confusion des pouvoirs exécutif, législatif et
judiciaire facilita la poursuite et l’enfermement des opposants :
nationalistes algériens et communistes (déjà poursuivis par le
régime précédent), démocrates et gaullistes. L’Algérie redevint
une terre de déportation pour les « indésirables », dans des camps
de concentration au régime inhumain.
Le Statut des juifs du 3 octobre 1940 (publié le 18) fut un
moyen paradoxal de maintenir la souveraineté française sur la

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

zone occupée (où les Allemands avaient édicté des mesures anti-
sémites dès le 27 septembre), en étendant des mesures analogues
à tout le territoire français, ainsi qu’une tentative de gagner à bon
compte la bienveillance du vainqueur, au moment où le maréchal
Pétain allait leur proposer la collaboration de la France204. Ce sta-
tut définissait les juifs par leurs origines plus rigoureusement que
la loi allemande elle-même. Il les excluait de la fonction publique
(hormis quelques dérogations mineures en faveur des anciens
combattants) et leur interdisait toute activité dans le journalisme,
le cinéma, le théâtre et la radio : soit toutes les professions d’auto-
rité et d’influence.
En conséquence, la loi du 7 octobre 1940 abrogea le décret
Crémieux et priva les juifs algériens de la citoyenneté française
(sauf exception en faveur des anciens combattants décorés de
la légion d’honneur, de la médaille militaire ou de la Croix de
guerre, ou de ceux qui se seraient « distingués par des services
rendus au pays »), tout en leur conservant le droit civil français.
Peu après, pour les empêcher de solliciter leur naturalisation,
en vertu de la loi du 4 février 1919 ou du sénatus-consulte du
1er juillet 1865, la loi du 11 octobre 1940 le leur interdit205. Ainsi,
les juifs d’Algérie étaient rabaissés au-dessous des indigènes
musulmans et des étrangers, à la grande joie des « anti-juifs »
algériens.
Les enseignants juifs de tous les niveaux furent exclus de
l’enseignement public, et les anciens combattants juifs prati-
quement exclus (contrairement aux musulmans) de la Légion
française des combattants. Le 2 juin 1941, un nouveau statut
des Juifs ordonna leur recensement et celui de leurs biens. Le
21 juin 1941, une autre loi établit un numerus clausus de 3 %
pour les étudiants juifs dans l’enseignement supérieur. Elle fut
appliquée à l’Algérie par un décret du 23 août 1941, alors que la

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

proportion de juifs parmi les étudiants d’Alger dépassait large-


ment les 3 %. Puis un numerus clausus de 14 % fut appliqué, de
façon très restrictive, dans les autres niveaux d’enseignement, et
fut réduit à 7 % par la loi du 19 octobre 1942. Ainsi, les enfants
israélites furent pratiquement chassés de l’enseignement public,
et réduits à un enseignement privé hâtivement improvisé par
leur communauté avec l’aide des enseignants juifs exclus. Les
gouverneurs généraux Abrial, Weygand et Châtel et le recteur de
l’Académie d’Alger Georges Hardy collaborèrent avec zèle à ces
mesures discriminatoires206. Aucun ne semble avoir songé que,
si la surreprésentation des juifs dans l’enseignement public en
Algérie avait justifié un numerus clausus, le même argument eût
été encore plus valable à l’encontre de la population française ou
européenne d’origine !
Cette politique inique et absurde, en plaçant sous les sujets
musulmans la seule catégorie de la population indigène qui avait
globalement accepté l’assimilation à la nation française, condam-
nait clairement cette politique. Les plus conscients des musul-
mans comprirent de mieux en mieux que la rétrogradation des
juifs avait pour but de ramener tous les indigènes à la condi-
tion subordonnée dont ils n’auraient jamais dû sortir, et qu’« une
citoyenneté qu’on retirait après soixante-dix ans d’exercice était
discutable par la faute de ceux-là même qui l’avaient octroyée207 ».
La même orientation se manifesta dans la réduction des sujets
tunisiens et marocains nés en Algérie (jusque-là considérés
comme citoyens français en vertu de la loi du 26 juin 1889) au
statut d’indigène par la loi du 17 février 1942208. Dans ces condi-
tions, il n’est pas étonnant que le nombre de naturalisations de
musulmans algériens, qui dépassait la centaine par an de 1930 à
1938, se soit effondré : un seul demanda et obtint cette faveur en
1941, contre 72 en 1939209.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

« Nous donnons de nouveaux besoins, sans cesse accrus,


à un peuple que nous avons ruiné »
Malgré ces caractères négatifs, le régime de Vichy avait pourtant
pu susciter dans la population musulmane des espoirs de change-
ments constructifs ; mais il ne sut pas les satisfaire.
Depuis longtemps habitués à l’assujettissement et tenus
à l’écart de la citoyenneté française, les musulmans algériens
avaient moins à perdre dans la Révolution nationale que les
autres catégories d’habitants de l’Algérie. Le régime militaire,
associé au souvenir des bureaux arabes, avait gardé une meil-
leure réputation que le régime civil. De plus, l’armée française
s’était montrée pendant la Grande Guerre capable d’intégrer les
soldats musulmans dans un ordre paternaliste, que symbolisait
le maréchal Pétain 210. L’abrogation du décret Crémieux avait pu
passer aux yeux de nombreux indigènes pour l’abolition d’un
privilège injustifié. En faisant table rase de l’héritage de la
IIIe République, le nouveau régime n’avait guère choqué ceux
que la République avait déçus par son impuissance à relever
leur condition. La restauration d’une sorte de monarchie abso-
lue permettait d’espérer qu’un État fort serait capable de mater
la « féodalité algérienne », et de bâtir un ordre plus juste et plus
égalitaire, par une véritable politique d’association. Encore eût-il
fallu que les responsables de la politique algérienne de la France
fussent conscients de la nécessité d’un changement fondamen-
tal, et résolus à l’imposer.
Suivant l’ordre hiérarchique, ces responsables étaient le maré-
chal Pétain, son vice-président du conseil et successeur désigné
(Pierre Laval, l’amiral Darlan, puis de nouveau Laval), le ministre
secrétaire d’État à l’Intérieur (Adrien Marquet, Marcel Peyrouton,
l’amiral Darlan, Pierre Pucheu, enfin Pierre Laval), et le gouver-
neur général de l’Algérie.

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

L’amiral Abrial, héros de l’évacuation de Dunkerque, capturé


puis libéré par les Allemands, était plus qualifié pour comman-
der la base navale de Mers-el-Kébir que pour gouverner l’Algérie.
Fidèle exécutant de la politique gouvernementale, chef autoritaire
mais sans aucune expérience de l’administration coloniale, il eut
la sagesse de laisser la définition de la politique indigène à un
fonctionnaire de très grande valeur, le sous-directeur des affaires
musulmanes Augustin Berque.
Ce dernier, né en 1884, administrateur de commune mixte,
puis appelé au gouvernement général par le directeur des affaires
indigènes Luciani en 1919, était devenu le meilleur spécialiste de
la société, de l’économie et de la culture indigènes. Intellectuel
autodidacte d’une inlassable curiosité, il avait reçu sa première
promotion importante en avril 1937 : la direction du nouveau
« service de l’économie sociale indigène », créé par le gouverneur
général Le Beau afin de coordonner les expériences de modernisa-
tion du « paysannat » et de l’artisanat. Puis il avait été nommé, en
octobre 1938, sous-directeur des affaires indigènes, subordonné
au juriste Louis Milliot211.
En octobre 1940, le gouverneur général Abrial mit à la retraite
le directeur Louis Milliot, supprima la direction des affaires
indigènes et des territoires du Sud, et rattacha directement la
sous-direction des affaires musulmanes à la direction de l’admi-
nistration générale, et à son propre cabinet pour les questions
politiques212. Le 1er janvier 1941, il rattacha aux affaires musul-
manes le Centre d’information et d’études (service de renseigne-
ment créé par Le Beau en 1936) et la radio en arabe et en kabyle,
qui dépendaient auparavant du cabinet du gouverneur général.
Le sous-directeur Augustin Berque, promu directeur des affaires
musulmanes le 1er avril 1941, reçut ainsi la possibilité de définir et
d’appliquer une politique musulmane globale, dans le respect du

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

pouvoir de décision appartenant à ses supérieurs. Le gouverneur


général Abrial reprit ses propositions à son compte, en signant le
rapport sur la politique musulmane et sociale rédigé en son nom
par Augustin Berque en février ou mars 1941213.
Ce rapport adressé à l’amiral Darlan (en sa qualité de ministre
secrétaire d’État à l’Intérieur) comprenait deux parties : la poli-
tique indigène, et la politique sociale. La première excluait toute
réforme de structure avant la fin de la guerre, et visait à « main-
tenir la sécurité, la confiance et l’affection des populations », tout
en les préservant des propagandes hostiles et en leur inculquant
la « certitude de l’avenir et de la pérennité de notre domination214 ».
Dans cette intention, il fallait « ne laisser aucune supériorité intel-
lectuelle ou sociale se révéler sans l’absorber ou la neutraliser
aussitôt, de façon à ce qu’aucune force véritable ne passe à l’oppo-
sition ». C’est pourquoi Augustin Berque et le gouverneur général
étaient prêts à un dialogue permanent avec les membres de toutes
les élites musulmanes : les « grandes familles » de commandement,
les marabouts et chefs de confrérie, les oulémas les plus modérés
(rejetant le panislamisme du cheikh Brahimi), les intellectuels de
culture française et la Fédération des élus, la bourgeoisie urbaine,
la petite bourgeoisie rurale qui devait ses titres de propriétés à
la législation française, enfin la masse, dont la politique sociale
devait améliorer le sort.
Ces considérations avaient inspiré le choix des membres
musulmans des conseils remplaçant les assemblées élues. Pour
la commission financière de l’Algérie, qui succédait aux Déléga-
tions financières, le gouverneur général avait préféré des notables
conservateurs aux intellectuels frondeurs ; mais il avait nommé
quelques-uns de ces derniers dans les trois commissions admi-
nistratives départementales (succédant aux conseils généraux),
en équilibrant leur influence par la nomination de bourgeois

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

conformistes. Enfin, il avait gardé en réserve trois personnalités


éminentes pour le Conseil national.
Bien que partisan d’une rigoureuse autorité, Augustin Berque
avait persuadé l’amiral Abrial de réserver la répression aux seuls
opposants irrécupérables : communistes, militants du PPA et oulé-
mas intransigeants. Il proposait un dialogue sans exclusive (« Nul
musulman dans ce pays ne doit se sentir frappé d’ostracisme »),
et comptait sur une propagande adaptée (revue franco-arabe
illustrée Ed Dalil, radio en arabe et en kabyle) pour détourner
les musulmans algériens des influences hostiles et les rallier à la
Révolution nationale.
La politique sociale visait à satisfaire les besoins des diverses
catégories de la société musulmane. Augustin Berque exposait un
programme détaillé, fondé sur son expérience des années précé-
dentes adaptée aux difficultés dues à une conjoncture exception-
nelle215. Un premier train de mesures était destiné à la jeunesse :
augmentation des bourses d’enseignement supérieur, secon-
daire, et primaire supérieur, et de celles des élèves des meder-
sas officielles, création d’emplois d’instituteurs, accélération des
constructions scolaires et création de « centres ruraux éducatifs »,
contrôle des écoles privées de langue arabe, élargissement des
débouchés des intellectuels dans l’administration (communes
mixtes, sociétés indigènes de prévoyance), expériences de camps
de jeunes musulmans. Une deuxième série de mesures d’urgence
visait à combattre le chômage – aggravé par le reflux de nom-
breux ouvriers émigrés en métropole – par des chantiers de cha-
rité et des travaux d’utilité publique, et à pallier l’insuffisance
des récoltes de céréales par des importations du Maroc et par le
rationnement. Un troisième ensemble prolongeait les tentatives
de modernisation économique entreprises avant la guerre : réor-
ganisation des « sociétés indigènes de prévoyance », amélioration

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

des méthodes du « paysannat indigène », création de centres pro-


fessionnels ruraux, réforme des sociétés indigènes de prévoyance
artisanales.
Un passage du programme de politique sociale analysait briè-
vement les données du problème agraire algérien. « L’un des plus
redoutables problèmes liés à l’avenir de ce pays résulte de deux
facteurs antinomiques : la prolificité de la race autochtone coïn-
cidant avec le resserrement du domaine rural. La culture ne peut
plus guère s’étendre dans l’espace algérien ; elle doit donc s’inten-
sifier en profondeur par des majorations de rendements, et c’est la
raison d’une politique paysanne. Mais, en même temps, tout un
prolétariat rural déraciné et sans ressources menace d’affluer vers
les villes. Il faut le recaser, l’enraciner de nouveau dans cette terre
que ses prodigalités, son imprévoyance, son insouciance l’ont fol-
lement conduit à déserter216. »
Berque explicita cette analyse dans une note adressée au géné-
ral Weygand à la fin de septembre 1941217. À partir des données
humaines et naturelles, il constatait une discordance entre la
« progression géométrique » de la population indigène et la « pro-
gression arithmétique », ou plutôt la stagnation, voire une certaine
régression de ses productions agricoles et pastorales. Étant donné
que l’Algérie souffrait d’« un manque de productions utiles abso-
lument indispensables à la satisfaction des besoins primordiaux
d’un peuple qui, en l’espace d’un siècle, passe de 1 500 000 âmes à
7 millions d’habitants », et que « sur le plan économique et social
nous [faisions] fausse route » en nous contentant d’une mise en
valeur incomplète, pour mettre fin aux disettes de plus en plus
fréquentes il fallait changer de méthode : augmenter partout la
production par une « bonification intégrale » du sol algérien. Dans
le Tell, engager la « bataille des céréales » (blé et orge) par le défri-
chage intégral du sol et par l’équipement des fellahs, sur les hauts

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

plateaux, la « bataille de l’élevage », moutons et chèvres, dans les


montagnes et les collines, la « bataille de l’arbre », notamment de
l’olivier, enfin, dans les périmètres irrigables, celle du fourrage et
des cultures industrielles.
Pour gagner toutes ces batailles économiques, Augustin Berque
préconisait une économie dirigée par l’État, afin de défendre la
propriété des fellahs contre la spéculation, garantir un niveau de
vie décent au prolétariat rural (victime de la hausse des prix des
céréales), inciter et contraindre les paysans à moderniser leurs
méthodes en contrepartie des fonds distribués par l’intermédiaire
des « sociétés indigènes de prévoyance » (SIP). Il proposait même
de considérer la propriété comme une « fonction sociale », celle de
produire pour assurer la subsistance de la population ; et en cas
de manquement à ce devoir, il préconisait la coercition, voire des
sanctions allant jusqu’à l’expropriation (contre indemnisation) au
profit de celui qui consentirait à « bonifier le sol ».
Dans un autre texte destiné au général Weygand, intitulé
Esquisse d’une politique musulmane, Augustin Berque dévelop-
pait son analyse des catégories de la société indigène, rappelait
que la masse avait besoin d’égards, d’égalité, et de reconnaissance
pour les services rendus, et réclamait en sa faveur des réalisations
immédiates : diriger l’émigration berbère vers les campagnes de
France sans main-d’œuvre, imposer aux grands domaines « un
sacrifice léger en faveur des fellahs sans patrimoine », décider le
colonat algérien à des augmentations raisonnables de salaires,
« d’autant plus inévitable qu’au cours actuel des céréales, le jour-
nalier indigène doit travailler vingt jours pour l’humble part de
nourriture qu’il gagnait autrefois en dix jours218 ». Il n’allait pour-
tant pas jusqu’à mettre ouvertement en cause l’inégale répartition
des terres entre les colons et les indigènes, comme il l’avait pour-
tant fait dans son journal intime : « Une antinomie interne marque

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

l’histoire de ce pays depuis 1830. Deux principes s’affrontent.


D’une part, pendant soixante-dix ans, nous sommes venus colo-
niser, c’est-à-dire prendre les terres. D’autre part, depuis soixante
ans, nous prétendons civiliser, c’est-à-dire affiner, améliorer,
hausser jusqu’à nous. Nous donnons de nouveaux besoins, sans
cesse accrus, à un peuple que nous avons ruiné. Voilà l’antinomie
à résoudre219. »

Paternalisme, hostilité et pusillanimité


Malgré son exceptionnelle lucidité et sa sympathie pour les
musulmans algériens, Augustin Berque n’entendait pas boulever-
ser l’ordre établi. Au contraire, il posait en préalable aux réformes
la restauration de l’autorité : « Membres du PPA, communistes, agi-
tateurs Oulémas doivent être impitoyablement frappés. Notre élan
de générosité sociale serait vain – et interprété comme une fai-
blesse – s’il n’allait de pair avec une rigueur à la fois dure et pater-
nelle, avec cette sévérité équitable du père qui sait s’ouvrir aux
indulgences, mais qui réprime sans faiblesse les écarts graves de
ses fils. » Néanmoins, il insistait sur la nécessité d’agir sans retard,
dans un sens à la fois calculé et audacieux, « si nous voulons don-
ner l’impression d’une volonté de réformes, […] montrer que nous
sortons de l’ornière traditionnelle, [et], en dépit de toutes les pro-
pagandes, garder le cœur de l’Algérie musulmane. » Il concluait,
en pesant soigneusement ses mots, que « l’inaction administrative
serait un désastre » : « En raison des immenses espoirs que l’on a
fondés sur lui, le général Weygand est la dernière carte que joue la
France en Algérie220. »
Malgré ces bonnes intentions, la politique du dialogue ne put
empêcher la persistance et l’aggravation des mécontentements.
Les intellectuels et les élus furent mécontents d’être écartés de
la commission financière algérienne créée le 12 décembre 1940.

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

Ferhat Abbas écrivit à l’amiral Abrial que les six délégués indi-
gènes choisis par lui étaient « presque tous des marabouts illet-
trés, inconscients et fanatiques », et les 18 délégués français
des personnalités connues pour « l’hostilité violente qu’elles ont
manifestée contre les mesures jugées susceptibles d’émanciper
les autochtones et de relever leur niveau social221 ». Convoqué par
l’amiral, chef autoritaire et distant, il fut sévèrement tancé, puis
mis à la porte. Peu après, l’absence de représentation musulmane
dans le Conseil national créé le 24 janvier 1941 causa une pro-
fonde déception. Il fallut plusieurs interventions du gouverneur
général Abrial et du délégué général Weygand pour obtenir, en
mars 1941, la nomination de quatre conseillers nationaux musul-
mans : le pharmacien Abderrahmane Boukerdenna, ancien vice-
président de la Fédération des élus musulmans du département
d’Alger, Chérif Sisbane, ancien président de la section arabe des
Délégations financières, l’agha Benchiha Boucif, et le cheikh
Ibnou Zekri, professeur à la médersa d’Alger. À l’exception de la
dernière, toutes ces nominations furent critiquées, surtout par les
élus du département de Constantine, qui n’était pas représenté.
Ferhat Abbas réagit de nouveau en adressant, le 10 avril 1941,
un mémoire au maréchal Pétain222. Il dressait un bilan critique de
la colonisation, aboutissant à un grave déséquilibre entre deux
sociétés juxtaposées (« le bloc européen et le bloc musulman sont
restés distincts, étrangers l’un à l’autre, sans âme commune »), et
invitait la France à réaliser une révolution comparable à l’œuvre
d’Ataturk et de Pierre le Grand, en brisant l’égoïsme de la féoda-
lité coloniale et de son alliée la féodalité arabe. Suivait un plan
concret et détaillé de rénovation de l’Algérie musulmane. Poli-
tique agraire de défense et de reconstitution de la propriété pay-
sanne, politique sociale d’éducation, de formation professionnelle,
d’assistance sanitaire, d’amélioration de l’habitat, d’égalité avec

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

les Européens dans les conditions de travail et de salaire, poli-


tique de la main-d’œuvre visant à créer des emplois par l’indus-
trialisation, la formation professionnelle, les chantiers de grands
travaux jusque dans les douars, et par l’action d’un syndicalisme
indépendant reconnu par l’État. Il réclamait encore l’égalité des
musulmans et des Français devant le service militaire, les soldes
et les pensions, la liberté du culte et de l’enseignement religieux
musulman, la reconnaissance de l’arabe comme langue officielle
au même titre que le français. Enfin, des réformes administratives
tendant à rapprocher l’administration des administrés en partant
de la base : création de douars-communes à partir des communes
mixtes et des douars rattachés aux communes de plein exercice,
recrutement des caïds par concours, multiplication des cantons,
des sous-préfectures et des préfectures, transformation des trois
départements en provinces, et suppression du gouvernement
général, ainsi que du régime militaire dans les Territoires du
Sud. Malgré l’absence de revendications proprement politiques,
et l’accent mis sur les problèmes économiques et sociaux (comme
dans les propositions d’Augustin Berque), ce programme expri-
mait une volonté de faire évoluer en profondeur les structures de
l’Algérie « de la colonie vers la province223 ». Il développait sans la
citer la charte revendicative du Congrès musulman de juin 1936,
et préfigurait ce qu’on appela plus tard la politique d’intégration.
Le maréchal Pétain attendit quatre mois pour faire répondre
qu’il serait tenu compte des suggestions de M. Abbas. Celui-ci
fut admis, en décembre 1941, à la commission financière algé-
rienne, mais le gouverneur général Châtel y nomma également
une importante fournée de bachaghas, symboles du passé. En
octobre 1941, la désignation de deux musulmans au Conseil privé
du gouverneur général passa inaperçue. À plusieurs reprises, des
délégations de notables conformistes furent envoyées à Vichy

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

assurer le gouvernement que tous les Musulmans étaient derrière


le « vénéré maréchal ».
D’autres revendications n’eurent pas plus de succès. En sep-
tembre 1941, le cheikh El Okbi proposa au gouvernement géné-
ral des réformes concernant l’enseignement de la langue arabe, et
l’association des Oulémas réclama la liberté de prêche et d’ensei-
gnement sous le contrôle de l’administration, ainsi que la libéra-
tion du cheikh Ibrahimi. En mars 1942, Ferhat Abbas demanda
au ministre de l’Intérieur la libération des oulémas internés, la
constitution d’associations cultuelles musulmanes, la réforme des
medersas officielles. En juillet 1942, il démissionna de la commis-
sion financière algérienne, suivi en août par le docteur Bendjel-
loul. Ce dernier, dans un mémoire adressé le 27 août au maréchal
Pétain, au président du Conseil Pierre Laval et au gouverneur
général Châtel, reprit les revendications d’Abbas et dénonça avec
éclat l’égoïsme et le manque d’égards des Français d’Algérie envers
les musulmans224.
Ainsi, les anciens élus avaient compris que le régime de Vichy
ne voulait accorder aucune réforme fondamentale de l’ordre colo-
nial. Naguère favorables au rattachement à la métropole, ils se
rapprochèrent des partisans d’une Algérie autonome ou indépen-
dante, les oulémas et le Parti du peuple algérien clandestin, dont
le prestige avait été rehaussé en mars 1941 par la sévère condam-
nation de ses chefs emprisonnés. En octobre 1942, ils se prépa-
raient à envoyer au gouvernement général un « exposé fort raide
de leurs revendications225 ». Au même moment, Augustin Berque
proposait au gouverneur général Châtel la nomination à son cabi-
net de « personnalités musulmanes appartenant aux divers par-
tis », un statut de l’enseignement privé musulman, l’admission
à la citoyenneté française par arrêté des musulmans d’un cer-
tain grade universitaire ou d’une certaine condition sociale, et

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

le relèvement éventuel des salaires agricoles, tout en prévoyant


une vive opposition des colons à ces mesures226.
Dans le domaine économique et social, la déception fut non
moins profonde. Le 7 juillet 1941, le général Weygand avait pré-
senté, en tant que délégué général, un programme d’industria-
lisation visant à donner une plus grande autonomie stratégique
à l’Afrique du Nord et à créer des emplois pour les indigènes,
mais son effet ne pouvait être rapide. Le 23 août 1941, devenu
gouverneur général, il adopta certaines des mesures proposées
par Augustin Berque : amélioration de l’habitat indigène, déve-
loppement des œuvres sociales, notamment des centres ruraux
d’éducation (écoles auxiliaires et centres de formation profes-
sionnelle), augmentation des salaires payés par les chantiers
de charité. Mais d’autres recommandations ne furent pas appli-
quées : hausse suffisante des salaires agricoles, crédit aux fellahs
par l’intermédiaire des SIP, imposition sur les grands domaines,
recasement des fellahs. Néanmoins, le général Weygand soutint
l’idée d’exproprier en partie les grands domaines sous-exploités
(notamment les terres irrigables) pour installer de nouveaux agri-
culteurs français et musulmans. Ce fut l’objet de la loi Martin du
18 mars 1942, qui visait à recaser des Alsaciens et des Lorrains
expulsés sur des terres irrigables prises à de grands propriétaires
français et musulmans, qui ne fut jamais appliquée.
Les contraintes de la conjoncture de guerre empêchèrent toute
amélioration sensible de la production agricole et des rendements :
au contraire, le niveau de vie des musulmans se dégrada continû-
ment. La disette causée par les mauvaises récoltes de 1940 et sur-
tout de 1942 fut aggravée par les réquisitions de céréales au profit
de la métropole et des pays de l’Axe. Le ralentissement de l’écono-
mie algérienne, la pénurie de matières premières et de produits
importés, le reflux de nombreux travailleurs émigrés en métropole

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

et la diminution de leurs envois de fonds accrurent le chômage


et la misère. Malgré la taxation des denrées de première néces-
sité, la hausse des prix distança largement les salaires, qui furent
débloqués avec retard. La sous-alimentation, l’absence de savon
et de vêtements décents favorisèrent les épidémies, notamment le
typhus, qui inspira à Albert Camus La Peste. La hausse de la mor-
talité réduisit fortement l’accroissement démographique naturel.
Pendant ces années de misère, l’arbitraire et les inégalités
(réelles ou supposées) dans la répartition des denrées et les sanc-
tions prises contre ceux qui ignoraient ou fraudaient les règle-
ments développèrent de violents ressentiments dans la masse
musulmane. Un des premiers signes fut la sanglante mutinerie
des tirailleurs et des spahis de Maison Carrée le 25 janvier 1941 :
sans raison politique, elle fut provoquée par la grave inégalité des
soldes entre Français et indigènes, et impitoyablement réprimée227.
En juin 1941, le général Weygand dénonça dans un rapport
au gouvernement l’attitude « indisciplinée, impolie, parfois inso-
lente de la population musulmane », et recommanda, avec l’amé-
lioration du sort des plus humbles, le renforcement de l’autorité
et des moyens de répression. En effet, les Centres d’information
et d’études (CIE) signalaient une détérioration générale de l’état
d’esprit des indigènes. Par exemple, au printemps de 1941, le
manque de céréales avait provoqué des incidents sans gravité
apparente dans la vallée de la Soummam, qui furent démesuré-
ment amplifiés par la rumeur publique. Un informateur du CIE de
Constantine présent à Sétif du 15 au 20 août 1941 indiquait : « Tout
le monde ici parle d’une révolte en Kabylie, de villages incendiés,
d’armes débarquées à Djidjelli. Ce qui est étonnant, c’est de voir
combien on s’attendait à une révolte […]. Beaucoup d’indigènes
ne cachent plus que c’est bien ce qu’il faut [..]. Ce qui est grave,
c’est la façon dont est reçue l’idée d’une révolte, et comment elle

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

est unanimement approuvée228. » La grave disette de 1942 et des


incidents comme celui de Zeralda (où 25 musulmans périrent
étouffés dans une geôle après avoir manifesté contre une pancarte
raciste posée par le maire, « Plage interdite aux chiens, aux Juifs
et aux Arabes ») le 1er août 1942, mirent le comble au méconten-
tement général. Augustin Berque en signala, avec une profonde
inquiétude, les redoutables conséquences : « Nous assistons à la
création d’un mythe – au sens sorélien du mot –, d’un mythe
extrêmement dangereux qui cristallise autour de l’image type du
colon toutes les haines de race et de classe229. »
Ne croyant plus en la puissance de la France, en sa richesse et
en sa justice, les musulmans algériens se retournèrent de plus en
plus vers les influences étrangères, diffusées sur place par les com-
missions d’armistice germano-italiennes et par les vice-consuls
américains, et à distance par les propagandes écrites et radiopho-
niques. L’Allemagne eut longtemps l’avantage dans cette lutte d’in-
fluence. En août 1941, selon l’assimilationniste Zenati, 80 % des
Algériens du Constantinois attendaient leur salut de Hitler, bien
que celui-ci eût toujours refusé de promettre l’indépendance des
peuples arabes pour ne pas inquiéter son allié Mussolini et pro-
voquer la dissidence de l’Afrique française du Nord230. À partir de
l’engagement des États-Unis dans la guerre, les plus lucides s’inté-
ressèrent à la Charte de l’Atlantique (août 1941) et à la déclaration
des Nations unies (janvier 1942) fondées sur le droit de tous les
peuples à disposer d’eux-mêmes. L’avenir de la domination fran-
çaise semblait de moins en moins assuré. Le régime de Vichy avait
perdu l’une des dernières cartes de la France en Algérie.

Le « vichysme sous protectorat américain »


Le débarquement anglo-américain du 8 novembre 1942 en Afrique
du Nord fut un événement majeur dans l’histoire de l’Algérie.

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

Pour la première fois depuis 1830, une intervention extérieure


venait rompre le long face à face du colonisateur et du colonisé.
Ce fait, la « course au pouvoir » qu’il déclencha parmi les Français,
et la mobilisation qui suivit, encouragèrent les représentants des
musulmans algériens à exprimer leurs propres revendications : fin
de la politique de colonisation et de pseudo-assimilation, recon-
naissance de la nation algérienne et création d’un État algérien.
Les autorités françaises n’osèrent pas repousser ouvertement ce
défi sans précédent.
Le succès du débarquement, malgré la résistance des troupes
obéissant aux ordres de Vichy, fut une preuve supplémentaire de
l’infériorité de la puissance française. Pourtant, il aboutit à un
compromis : le maintien en Afrique du Nord d’un « vichysme
sous protectorat américain », dirigé par l’amiral Darlan puis par le
général Giraud.
Le débarquement avait été préparé de longue date, militaire-
ment et politiquement. Le consul américain Robert Murphy avait
noué des relations avec des groupes de résistants civils et mili-
taires, aux opinions très diverses : des républicains, gaullistes ou
non, mais aussi des anciens weygandistes qui reconnaissaient pour
nouveau chef le général Giraud, évadé d’Allemagne. Celui-ci avait
traité avec Murphy, puis avec le commandant en chef interallié, le
général Eisenhower, qui envoya son adjoint le général Clark ren-
contrer les représentants du général Giraud près de Cherchell le
24 octobre 1942. En même temps, les Américains avaient sondé les
chefs légaux de l’armée d’Afrique, le général Juin et l’amiral Darlan,
chef de toutes les forces armées et successeur désigné du maréchal,
sans pouvoir les convaincre de modifier l’ordre de résister à toute
attaque d’où qu’elle vienne.
Le débarquement eut lieu dans la nuit du 7 au 8 novembre
1942, au Maroc et en Algérie, près d’Oran et d’Alger. Les groupes

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

de Résistance tentèrent de neutraliser les postes de commande-


ment de l’armée d’Afrique. Leur coup de main ne réussit, momen-
tanément, qu’à Alger : pendant plusieurs heures, ils gardèrent
prisonniers le général Juin, commandant en chef en Afrique
du Nord, et l’amiral Darlan, avant que ces derniers soient libé-
rés par des troupes disciplinées. Le soir du 8 novembre, Juin et
Darlan acceptèrent néanmoins de signer avec les Américains un
cessez-le-feu local ; mais les combats continuèrent à Oran et au
Maroc (faisant 800 morts dans les forces françaises), alors que
les Germano-Italiens entraient en Tunisie sans résistance. Le
10 novembre, Darlan ordonna un cessez-le-feu général et la neu-
tralité envers tous les belligérants. Il fut officiellement désavoué
par le maréchal Pétain, qui transféra le commandement au géné-
ral Noguès ; il semble toutefois avoir été approuvé par un télé-
gramme secret de Vichy. Enfin, le matin du 11 novembre, l’armée
allemande envahit la zone non-occupée de la métropole. Alors
que le maréchal Pétain refusait de prendre l’avion pour Alger
comme l’en pressaient le général Weygand et le général Georges,
l’amiral Darlan assuma le commandement au nom du maréchal
privé de sa liberté, ordonna de résister aux Allemands et aux
Italiens en Afrique du Nord, et appela en vain la flotte de Tou-
lon à le rejoindre. Ainsi, l’armée d’Afrique rentrait en guerre aux
côtés des Alliés, sans rompre pour autant son allégeance envers
le maréchal Pétain et la Révolution nationale.
Déçus par le demi-échec des conjurés, embarrassés par les
prétentions irréalistes du général Giraud qui revendiquait le
commandement suprême en Afrique du Nord dès la réussite du
débarquement, les Alliés traitèrent avec les autorités de fait pour
abréger les combats et hâter le ralliement des troupes françaises
contre l’ennemi commun. Giraud, abandonné par les Américains
et arrivé trop tard, reconnut l’autorité de Darlan, de même que le

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

général Noguès qui avait énergiquement combattu le débarque-


ment au Maroc et avait reçu du maréchal Pétain le commande-
ment de toute l’Afrique du Nord. Le 13 novembre, Darlan réunit
un Conseil qui lui donna le titre de haut-commissaire, repré-
sentant le maréchal empêché. Élargi dix jours plus tard par le
ralliement du gouverneur général de l’AOF, ce Conseil impérial
comprenait une majorité de militaires (l’amiral Darlan, les géné-
raux Bergeret, Noguès et Giraud), et deux civils (les gouverneurs
généraux Boisson, de l’AOF, et Châtel, revenu de Vichy en Algé-
rie). Ils entendaient tous rester fidèles au maréchal Pétain et à la
Révolution nationale, tout en mobilisant l’Afrique française contre
les Allemands.
Les Alliés reconnurent aussitôt le nouvel organisme. En
contrepartie, ils imposèrent, par les accords Darlan-Clark du
22 novembre, la subordination des autorités militaires et civiles
françaises au commandement interallié exercé par Eisenhower
et un statut d’exterritorialité pour les forces armées, les fonction-
naires et les gouvernements des puissances alliées. La souverai-
neté française était donc limitée par une sorte de protectorat. Les
indigènes musulmans, très impressionnés par la puissance et la
richesse des Américains, en furent bien conscients.
Le haut-commissaire Darlan maintint en vigueur toutes les lois
de Vichy, avec l’accord de Giraud et de ses proches, qui détenaient
de hautes fonctions dans l’administration. C’est ainsi que les juifs,
mobilisés ou engagés, furent exclus des unités combattantes et
affectés à des compagnies de travailleurs. Mais le maintien au
pouvoir de l’amiral Darlan, symbole de la politique de collabo-
ration avec l’Allemagne, indignait la plupart des conjurés du
8 novembre. Une nouvelle conjuration se trama aussitôt. Dans des
conditions très mystérieuses, où certains virent la main du comte
de Paris (résidant alors au Maroc espagnol), voire celle du général

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

de Gaulle, un jeune patriote, Fernand Bonnier de la Chapelle,


assassina l’amiral Darlan le 24 décembre 1942, et fut rapidement
fusillé sans procès régulier.
Le Conseil impérial réuni pour choisir le successeur du haut-
commissaire écarta les candidatures du général Noguès (désigné
par Darlan avant sa mort) et du comte de Paris, pour nommer le
général Giraud, imposé par les Américains le 26 novembre. Celui-
ci durcit aussitôt la répression contre les conjurés du 8 novembre,
qui furent arrêtés ou durent s’enfuir, à l’exception de ses plus
proches collaborateurs. Il nomma gouverneur général de l’Algérie
l’ancien ministre de l’Intérieur de Vichy responsable du statut des
Juifs, Marcel Peyrouton, appelé par l’amiral Darlan.
Le général de Gaulle avait été tenu à l’écart du débarquement
par les Anglo-Américains. Mais ceux-ci infléchirent leur politique
sous la pression de leurs journaux, indignés par « l’expédient pro-
visoire » qu’était Darlan et par la perpétuation du même régime
antidémocratique sous le « commandant en chef civil et militaire »
Giraud. Churchill et Roosevelt invitèrent donc de Gaulle à rencon-
trer secrètement Giraud lors de la conférence d’Anfa au Maroc,
afin de préparer l’unification des forces françaises en guerre. Les
deux chefs français se serrèrent la main en présence de leurs
hôtes devant les photographes le 25 janvier 1943, et acceptèrent
d’échanger des missions pour préparer leur entente. L’arrivée à
Alger du général Catroux, représentant de Gaulle, encouragea tous
ceux qui voulaient la fin de la dictature vichyste. L’influence de
Jean Monnet, envoyé personnel du président Roosevelt auprès du
général Giraud, s’exerça dans le même sens. Bien que monarchiste
et attaché à la Révolution nationale, Giraud accepta de prononcer
le 14 mars 1943 un discours, inspiré par Monnet, dans lequel il
promettait de restaurer les principes et les lois de la République, et
de signer plusieurs ordonnances abolissant les lois d’exception de

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

Vichy231. Néanmoins, il tint à confirmer l’abrogation du décret Cré-


mieux par une ordonnance spéciale, sous prétexte d’abolir toute
discrimination entre les indigènes juifs et musulmans232.
Cependant les négociations entre Giraud et de Gaulle progres-
sèrent, grâce aux efforts de Catroux et de Jean Monnet, jusqu’au
point où la formation d’un pouvoir français unifié parut pos-
sible233. Le 30 mai 1943, le général de Gaulle atterrit enfin sur le
sol algérien.

« Des réformes, point. Je veux des soldats »


Le débarquement et l’occupation des troupes anglo-américaines
impressionnèrent les Algériens musulmans, et leur inspirèrent des
espoirs illimités. Au contraire, la volonté française de les mobi-
liser une nouvelle fois inconditionnellement, comme si rien ne
s’était passé, ne pouvait que provoquer des réactions de mécon-
tentement. Les élus réunis autour de Ferhat Abbas, en accord
avec les militants nationalistes clandestins, saisirent l’occasion de
manifester l’aspiration du peuple algérien à disposer de lui-même.
Les Algériens musulmans interprétèrent le succès du débar-
quement comme une défaite de la France, et la présence des
armées alliées comme une occupation. Comme l’écrivit plus tard
un organe du PPA : « C’est la première grande défaite de l’armée
coloniale depuis 1830234. » Ils furent très sensibles au nombre, à
l’équipement moderne et à la richesse des nouveaux venus, par-
ticulièrement des Américains. Leur présence fit renaître l’espoir
d’une prompte amélioration du ravitaillement, qui fut inévitable-
ment déçu (étant donné l’énormité des besoins et la priorité don-
née aux forces armées) et provoqua des vols et des trafics autour
des bases anglo-américaines.
Les déclarations des diplomates et des officiers américains sur
les buts de guerre des alliés, définis par la Charte de l’Atlantique

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

(août 1941) et par la déclaration des Nations Unies (janvier 1942),


laissaient croire que tous les peuples colonisés auraient l’occasion
de disposer d’eux-mêmes au terme d’une tutelle internationale. Le
président Roosevelt avait déclaré le 17 novembre 1942 qu’il « favo-
riserait en Afrique française du Nord la formation d’un régime
d’administration provisoire qui gérerait ces territoires in trust au
nom des Nations Unies et pour le compte de la France235 ». Sa venue
à Alger en décembre 1942, puis au Maroc en janvier 1943, suscita
un intérêt considérable chez les élus et les militants musulmans ;
le bruit courut qu’il avait reçu secrètement Ferhat Abbas lors de
son passage à Alger236.
Les autorités françaises d’Alger, préoccupées de leurs querelles
internes, de leurs relations avec les Alliés et de l’avenir de la France,
ne considéraient les musulmans nord-africains que comme des
sujets disponibles pour servir leur politique. L’amiral Darlan, aussi-
tôt après avoir choisi son camp, se hâta de décréter la mobilisation
générale pour aider les Alliés à refouler de Tunisie les Germano-
Italiens qu’il y avait laissé entrer sans résistance. La mobilisation,
continuée par le général Giraud puis par le général de Gaulle, fit
plus que doubler les effectifs de l’armée d’Afrique : 116 000 hommes
en novembre 1942. De 1942 à 1945, furent mobilisés 176 000 Fran-
çais, soit 20 classes et 13,6 % des Français d’Afrique du Nord, et
280 000 indigènes nord-africains, parmi lesquels 150 000 Algé-
riens représentant 2,36 % de leur population. Cette nouvelle armée
d’Afrique joua un rôle d’une importance croissante dans les com-
bats de Tunisie, d’Italie (1943-1944) puis dans le débarquement de
Provence, la libération de l’Alsace et l’invasion de l’Allemagne. De
la Tunisie à la Provence, les indigènes nord-africains représentè-
rent la majorité des effectifs et des pertes237.
En décembre 1942, le pouvoir français d’Alger n’envisageait pas
de payer par des réformes politiques les nouveaux sacrifices qu’il

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

voulait imposer à ses sujets. L’amiral Darlan réclamait « la trêve


des querelles stériles jusqu’à la paix » et promettait qu’alors « la
France ne manquerait pas à ses devoirs envers les musulmans ».
Le gouverneur général Châtel proclamait que « la guerre est le seul
but et qu’on parlera politique quand le baroud sera terminé ». Le
général Giraud répétait : « Un seul but, la victoire », et : « Je ne fais
pas de politique, je fais la guerre ». Il répondit aux revendications
musulmanes : « Des réformes, point. Je veux des soldats238. »
Face à cette situation, les forces politiques de l’Algérie musul-
mane réagirent diversement. D’un côté, les militants clandestins
du Parti du peuple algérien tentèrent de saboter la mobilisation
par des appels à l’insoumission et par une agitation dans les
casernes, avec des effets limités239. Plusieurs d’entre eux furent
arrêtés à cette occasion, dont le futur président du GPRA Ben
Youcef Ben Khedda. Ils eurent plus de succès en diffusant leur
propagande dans tous les milieux, particulièrement auprès des
jeunes : lycéens, étudiants, scouts, sociétés sportives. Ils renfor-
cèrent la structure de leur organisation clandestine dans la pers-
pective de la préparation d’une future insurrection nationale.
D’autre part, un groupe d’élus réunis autour de Ferhat Abbas
tenta de monnayer l’acceptation de l’effort de guerre (comme les
Jeunes Algériens de 1908 à 1919), en sollicitant l’arbitrage du pré-
sident des États-Unis, comme l’avait déjà fait le capitaine Khaled
en mai 1919.

Un réquisitoire : le Manifeste du peuple algérien


Le 20 décembre 1942, Ferhat Abbas et 11 autres « représentants
des Musulmans algériens » remirent un message « aux autorités
responsables », américaines, britanniques, et françaises. Ce texte
bref et percutant dénonçait la contradiction entre les déclara-
tions du président des États-Unis sur la « guerre de libération des

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

peuples et des individus, sans distinction de race et de religion »,


et la situation des populations indigènes « privées des droits et
des libertés essentielles dont jouissent les autres habitants de ce
pays ». Il demandait en conséquence, avant de faire participer les
masses musulmanes à tout effort de guerre, « la convocation d’une
conférence réunissant les élus et les représentants qualifiés de
toutes les organisations musulmanes », ayant pour objet « l’élabo-
ration d’un statut politique, économique et social des musulmans
algériens », statut basé sur la « justice sociale ».
Sans être ouvertement nationaliste, ce texte revendiquait néan-
moins « l’affranchissement politique » des musulmans algériens
et leur droit à disposer d’eux-mêmes. Les autorités françaises le
jugèrent inadmissible. Elles acceptèrent néanmoins, deux jours
plus tard, de recevoir un texte complété par trois adjonctions : une
adresse explicite « aux autorités françaises » ; l’assurance que les
musulmans algériens désiraient leur affranchissement politique
« dans un cadre essentiellement français » ; et trois phrases justi-
fiant la convocation d’une conférence par la nécessité de montrer
« par des réalisations tangibles et immédiates la volonté réfor-
matrice de la France » à une opinion musulmane « profondément
troublée » et voulant « être associée au sort commun autrement
que par de tels sacrifices240 ».
Le principe de la souveraineté française étant ainsi sauvegardé,
le gouverneur général pouvait accepter l’idée de convoquer une
commission chargée de proposer des réformes. Mais sa réalisation
fut retardée par le changement des responsables de la politique
française : assassinat de l’amiral Darlan remplacé par le général
Giraud, puis départ du gouverneur général Châtel remplacé par
Marcel Peyrouton le 17 janvier 1943. À ce moment, Ferhat Abbas
reprit contact avec le directeur des Affaires musulmanes Augustin
Berque et le secrétaire général du gouvernement général Maurice

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

Gonon pour leur demander de servir d’intermédiaire auprès du


nouveau gouverneur général241. Avec leur accord, il entreprit d’éla-
borer un projet de réformes pour la future commission.
Une réunion eut lieu à Alger, chez maître Ahmed Boumend-
jel, l’avocat de Messali Hadj, réunissant autour de Ferhat Abbas
plusieurs élus des représentants de l’Association des Oulémas,
et deux dirigeants du PPA clandestin242. Ferhat Abbas fut chargé
de rédiger un projet de texte pour le département de Constan-
tine, deux autres élus devant faire de même pour ceux d’Alger
et d’Oran. Une deuxième réunion prévue pour le 7 février fut
différée à la demande de l’administration. Abbas remit son pro-
jet, daté du 10 février 1943, au rapporteur d’Alger, et le fit lire
à de nombreuses personnes. Son texte reçut 19 amendements,
presque tous de forme, pour éviter de trop choquer les autorités
françaises243. Néanmoins, la collecte des signatures fut difficile :
30 élus (conseillers municipaux ou généraux, délégués finan-
ciers, conseillers nationaux) des trois départements acceptèrent
de signer, certains avec réticence ; mais 13 qui avaient donné leur
accord en février finirent par refuser244.
Le texte de Ferhat Abbas, intitulé L’Algérie devant le conflit
mondial. Manifeste du peuple algérien fut remis le 31 mars 1943 au
gouverneur général Peyrouton par une délégation de cinq élus, et
le lendemain aux représentants des puissances alliées. Son préam-
bule commençait par rappeler aux Français d’Algérie, obnubilés
par leur « course au pouvoir », « l’existence même des huit millions
d’indigènes », et par justifier le droit du « peuple algérien musul-
man » à faire entendre ses aspirations en élevant sa voix « pour
dénoncer le régime colonial qui lui est imposé, rappeler ses pro-
testations antérieures et revendiquer son droit à la vie ». Suivait
un bilan détaillé de plus d’un siècle de colonisation française, ten-
dant à démontrer que la colonisation de peuplement systématique

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

et la « politique d’assimilation appliquée automatiquement aux


uns et refusée aux autres », avaient « réduit la société musulmane
à la servitude la plus complète ». Une première partie retraçait le
développement de la colonisation et l’établissement d’une « féoda-
lité agraire », caste dotée de privilèges exorbitants. Une deuxième
partie analysait l’asservissement de la société indigène et l’échec
de toutes les tentatives de réforme. La démonstration aboutissait
au constat que le problème algérien était « essentiellement d’ordre
racial et religieux » et que « le bloc européen et le bloc musulman
rest[ai]ent distincts l’un de l’autre, sans âme commune ». La colo-
nisation avait abouti à un « drame profond et brutal », à un double
échec. Politiquement et moralement, « son refus systématique
ou déguisé de donner accès dans la cité française aux Algériens
musulmans a[vait] découragé tous les partisans de la politique
d’assimilation étendue aux autochtones », laquelle « appar[aissait]
aujourd’hui comme une réalité inaccessible, une machine dan-
gereuse mise au service de la colonisation ». La conclusion était
claire : « L’heure est passée où un musulman algérien demandera
autre chose que d’être un Algérien musulman. Depuis l’abroga-
tion du décret Crémieux surtout, la nationalité et la citoyenneté
algériennes lui offrent plus de sécurité et donnent une plus claire
et plus logique solution du problème de son évolution et de son
émancipation. » Économiquement, la colonisation s’était révélée
incapable d’assurer le bien-être de la moitié de la population de
l’Algérie qui, bien gérée, pourrait en nourrir plus du double.
En conséquence, invoquant les promesses du président Roose-
velt, « les représentants du peuple algérien » demandaient :
« a) La condamnation et l’abolition de la colonisation, c’est-à-
dire de l’annexion et de l’exploitation d’un peuple par un autre
peuple. Cette colonisation n’est qu’une forme collective de l’escla-
vage individuel du Moyen Âge. Elle est en outre une des causes

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

principales des rivalités et des conflagrations entre les grandes


puissances.
b) L’application pour tous les pays, petits et grands, du droit
des peuples à disposer d’eux-mêmes.
c) La dotation à l’Algérie d’une Constitution propre garantissant :
1) La liberté et l’égalité absolue de tous ses habitants sans
distinction de race ou de religion.
2) La suppression de la propriété féodale par une grande
réforme agraire et le droit au bien-être de l’immense prolétariat
agricole.
3) La reconnaissance de la langue arabe comme langue offi-
cielle, au même titre que la langue française.
4) La liberté de la presse et le droit d’association.
5) L’instruction gratuite et obligatoire pour les enfants des
deux sexes.
6) La liberté du culte pour tous les habitants et l’application
à toutes les religions du principe de la séparation de l’Église et
de l’État.
d) La participation immédiate et effective des musulmans
algériens au gouvernement de leur pays ainsi que cela a été fait
par le gouvernement de sa majesté britannique et le général
Catroux en Syrie et par le gouvernement du maréchal Pétain et
les Allemands en Tunisie. Ce gouvernement pourra seul réaliser,
dans un climat d’unité parfaite, la participation du peuple algé-
rien à la lutte commune.
e) La libération de tous les condamnés et internés politiques, à
quelque parti qu’ils appartiennent245. »
La conclusion rappelait les déceptions d’après 1918 pour jus-
tifier le refus d’attendre la fin des hostilités, et répétait que le
peuple algérien acceptait tous les sacrifices demandés en échange
de sa liberté.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Le ton général était d’une audace révolutionnaire. Le contenu


ne l’était pas moins, malgré la renonciation à exiger « la formation
immédiate d’un gouvernement provisoire issu du peuple ». Ferhat
Abbas, qui sept ans plus tôt niait l’existence de la nation algé-
rienne, avait rompu avec la politique d’assimilation à la France,
et s’était aligné sur les positions qui avant la guerre étaient celles
des Oulémas, et plus nettement celles du PPA.
Le Manifeste, réquisitoire contre la politique suivie par la
France en Algérie depuis 1830, était évidemment inacceptable
pour les autorités françaises. Mais leur dépendance envers les
Américains et leur volonté de faciliter la mobilisation leur com-
mandaient d’éviter l’affrontement. Les premières réactions de
Darlan, de Giraud, de Châtel et de Peyrouton aux revendications
d’Abbas ne cachaient pas leur désir d’ajourner les réformes à
l’après-guerre. Cependant ils ne pouvaient pas éviter de répondre
au Manifeste.
Le 9 février 1943, le cabinet du « Commandant en chef civil et
militaire » transmit un programme de politique indigène (accom-
pagné d’une note sur les « habous algériens » [fondations pieuses])
au directeur des Affaires musulmanes Augustin Berque, qui en
critiqua les propositions par une note du 15 février246.
Ce programme comportait les points suivants :
« 1) Maintien de la représentation des musulmans algériens
auprès du gouvernement par des conseillers nationaux nommés.
2) Reconstitution du patrimoine habous.
3) Reconstitution d’une aristocratie de chefs de tribus, ayant
de l’autorité, avec les familles de grands caïds et les bons officiers
retraités.
4) Création dans les villes et les centres importants de tribu-
naux indigènes analogues à ceux du Maroc [juge indigène – com-
missaire du gouvernement français].

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

5) Suppression des bidonvilles.


6) Organisation des corporations comme au Maroc et repré-
sentation corporative nommée après consultation des corps inté-
ressés.
7) Développement du paysannat et de l’artisanat.
8) Réorganisation de l’enseignement musulman.
9) Renforcement des pouvoirs des fonctionnaires d’autorité.
10) Maintenir l’abolition du décret Crémieux, n’accorder indivi-
duellement la naturalisation et très exceptionnellement aux juifs
qui ont la Légion d’honneur ou la médaille militaire pour faits de
guerre ou la Croix de guerre avec trois citations au moins.
11) En matière de représentation économique, les musulmans
auront des droits équivalents à ceux des Français. Ils pourront
obtenir individuellement la naturalisation française qui leur sera
accordée suivant des modalités à déterminer. »
Dans sa réponse, Augustin Berque approuva toutes les propo-
sitions qui allaient dans le sens de son action antérieure : nomi-
nation des conseillers nationaux, suppression des bidonvilles,
développement du paysannat et de l’artisanat, réorganisation de
l’enseignement musulman. Au contraire, il critiqua sévèrement
toutes les mesures consistant à plaquer artificiellement des ins-
titutions inspirées du protectorat marocain sur les réalités algé-
riennes : reconstitution du patrimoine des habous sous la forme
d’un capital de 200 millions, d’une aristocratie militaire, de tribu-
naux indigènes, de corporations. Il s’abstint de prendre position
sur le statut des juifs, dont le caractère très restrictif avait évi-
demment pour but de dissuader les revendications musulmanes.
Le directeur des affaires musulmanes recommandait de ne pas
rétablir le code de l’indigénat (ce qui serait une provocation) alors
que les administrateurs de communes mixtes disposaient de pou-
voirs économiques très efficaces. Il préférait une représentation

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

économique non pas équivalente mais proportionnelle à l’apport


de chaque population pour éviter des conflits entre les intérêts
européens et musulmans. Il rappelait enfin que la « naturalisa-
tion » individuelle était « une simple formalité » depuis 1919, mais
peu sollicitée (une cinquantaine par an), et ne proposait pas
d’autre modalité d’accès à la citoyenneté.
Si l’entourage du général Giraud était évidemment très loin
des revendications du Manifeste, il paraît difficile d’admettre
qu’Augustin Berque ait pu en être l’inspirateur (comme il en fut
faussement accusé en 1945), ou même les ait approuvées entiè-
rement, comme l’affirma plus tard Ahmed Tewfik el Madani 247.
Qu’on en juge d’après sa conclusion : « Certes, des réformes sont
nécessaires. Mais nous devons, d’une part, éviter de les prononcer
sous le chantage de quelques intellectuels désireux de galvaniser
leur popularité, et, d’autre part, sans négliger les desiderata des
Évolués, arrêter les mesures susceptibles de satisfaire la masse.
Que nous demande-t-elle ? Des vivres, du tissu, et dans un avenir
malheureusement trop proche, les terres qui lui permettront de
se nourrir. Car c’est là le problème crucial de l’Algérie moderne :
la population musulmane croît en progression géométrique alors
que ses moyens de subsistance ne s’augmentent qu’en progression
arithmétique. Nous pouvons, pour le moment, améliorer les condi-
tions du paysannat, décupler le rôle des Sociétés de Prévoyance,
transformer par l’hydraulique nouvelle la culture extensive en
culture intensive. L’heure inexorable viendra cependant où il fau-
dra résoudre la question agraire. »
Le gouverneur général Peyrouton ne repoussa pas le Mani-
feste. Il dit l’accepter comme « base de réformes à venir », et
promit de réunir une commission pour les étudier. Il déclara
qu’« aucune formule ne pouvait l’effrayer dans les circonstances
révolutionnaires actuelles. Si les intérêts de la France devaient

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

être sauvegardés, il n’y aurait pas d’inconvénient à ce que l’Algé-


rie devienne un dominion. Toutefois, ceci ne pourrait être mis en
pratique qu’une fois la paix revenue248 ». Ainsi son acceptation du
Manifeste était strictement conditionnelle, et pouvait cacher une
tactique dilatoire.
Cette tactique est apparente dans le texte de l’arrêté guberna-
torial du 3 avril 1943 qui créa une « commission d’études écono-
miques et sociales musulmanes » : l’omission du mot « politique »
était significative. La compétence de la commission était limi-
tée à « donner son avis sur les questions qui lui sont soumises
par le gouverneur général » (art. 2). Celui-ci se réservait le droit
de nommer le président, le vice-président, les assesseurs et les
membres de la commission, qui ne pouvait se réunir que sur
sa convocation. Il s’y faisait représenter par un commissaire du
gouvernement : le directeur des Affaires musulmanes et des Ter-
ritoires du Sud Augustin Berque (art. 3). L’article 4 énumérait
six sous-commissions, toutes spécialisées (dans l’artisanat, le
paysannat, le crédit, l’habitat, le ravitaillement et l’habillement),
sauf la première, chargée des « questions sociales ». La commis-
sion recevait seulement le droit de fixer la composition de ses
sous-commissions, d’arrêter l’ordre de ses travaux et la date de
ses séances249.

« Le cadre intangible de la souveraineté française »


Les 37 membres de la commission furent nommés le 13 avril par
le gouverneur général, sur proposition du directeur des affaires
musulmanes. Celui-ci entendait assurer une représentation de
toutes les classes sociales, mais non de toutes les tendances poli-
tiques. Les messalistes et les communistes restaient exclus. La pré-
sence des anciens, élus en majorité signataires du Manifeste, était
équilibrée par celle des chefs et notables indigènes non élus250.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

La commission siégea une première fois du 14 au 16 avril 1943.


Le gouverneur général Peyrouton tint à en présider la séance
plénière d’ouverture et à en installer le bureau 251. Dans son dis-
cours, il l’assura de sa bienveillance envers les musulmans, lui
demanda d’élaborer « des propositions concrètes et de réalisation
possible dans les conditions actuelles », fit des réserves sur le
Manifeste, et dit son espoir d’aboutir à des « solutions pratiques »,
mais, insista-t-il, « dans le cadre intangible de la souveraineté
française252 ». Le président, Sayah Abdelkader, le remercia d’avoir
bien voulu réunir la commission, et l’assura qu’elle « agirait fran-
çais et dans un esprit essentiellement français ». Le docteur Tam-
zali, vice-président, affirma en termes chaleureux le loyalisme
des musulmans envers la France, et leur adhésion à la Charte
de l’Atlantique. Il demanda l’application du principe énoncé par
le général Catroux pour le Liban, « que toutes les communau-
tés composantes se sentent également chez elles dans la mai-
son commune », et justifia le Manifeste comme tendant vers une
« large association » entre les intérêts des Algériens musulmans
et ceux des autres éléments, suivant un « principe d’égalité, de
justice et de progrès253 ».
Après le départ du gouverneur général, le docteur Bendjel-
loul demanda au commissaire du gouvernement si la question
politique était écartée des discussions. Augustin Berque l’assura
qu’elle serait débattue dans la sous-commission des « questions
sociales ». Ferhat Abbas exprima sa déception que la commission
demandée par le message de décembre 1942 n’ait pas été réunie
plus tôt, qu’elle ait à reprendre des questions qu’il croyait déjà
réglées, et que l’amnistie des détenus politiques n’ait pas encore
bénéficié aux membres du PPA. Augustin Berque répéta les assu-
rances du gouverneur général et justifia la priorité donnée aux
questions économiques par les nécessités de la guerre.

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

Le conflit entre ces deux conceptions du rôle de la commission


se manifesta dans toutes les séances de la sous-commission des
« questions sociales ». Le 14 avril, après l’élection de son bureau,
son président, le docteur Bendjelloul, lui proposa d’approuver par
un vote les conclusions du Manifeste254. Augustin Berque objecta
que ses termes n’étaient pas toujours corrects, que la souveraineté
française ne devait en aucun cas être mise en cause, et que la
plupart des membres en ignoraient la teneur. À Ferhat Abbas il
précisa que le Manifeste ne devait pas être la seule base de discus-
sion. Celui-ci ne put cacher son dépit : il défendit son texte, signé
par les principaux représentants de la population musulmane,
contre les reproches d’outrance polémique, et menaça de se retirer
plutôt que de le laisser modifier255. Dans cet échange de vue très
vif, et compliqué par des interventions en sens divers, Augustin
Berque s’imposa par son calme et sa fermeté, niant toute intention
de manœuvre dilatoire, attestant la bonne volonté et l’esprit de
décision du gouverneur général, et réclamant inlassablement « du
concret, du précis, du positif ». Le docteur Bendjelloul, partisan
d’un État algérien dans un cadre français, trouva un compromis
provisoire en décidant de réunir une commission privée pour
faire connaître le contenu du Manifeste à ceux qui l’ignoraient.
Le lendemain 15 avril fut consacré à deux réunions de la sous-
commission du ravitaillement et de l’habillement, qui élut son
bureau, décida de siéger en séance plénière, et fixa son ordre du
jour256. L’insuffisance et les inégalités dans le ravitaillement en
céréales donnèrent lieu à de nombreuses critiques et propositions
très précises (notamment celle de rétablir la liberté de leur mar-
ché), en présence de Gonon, secrétaire général du gouvernement
général. Ferhat Abbas presque seul objecta que la commission
s’égarait en de vains débats257. Il insista pour donner la priorité au
problème politique, réclama une amnistie pour tous les détenus

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

politiques musulmans, l’élargissement de la commission pour la


rendre plus représentative, et le renvoi de ses travaux après la ses-
sion des conseils généraux. Le secrétaire général du gouvernement
général répondit que la commission avait mission d’étudier tous
les problèmes sans se limiter aux problèmes politiques. Il admit
que sa composition n’était pas parfaite, et se dit prêt à « deman-
der un geste de clémence au général Giraud dans la mesure où la
conduite de la guerre le permettra, sans nuire à l’ordre public ».
Le débat reprit l’après-midi avec le même caractère pratique
sur les difficultés de la distribution des tissus et d’autres pro-
duits258. La séance fut interrompue pour aller présenter au gouver-
neur général les motions du docteur Bendjelloul sur le marché des
céréales, et de Ferhat Abbas pour une amnistie. Elle se termina
par l’élection du bureau des quatre autres sous-commissions259.
Enfin, le 16 avril, le débat politique fut repris par la sous-
commission des « questions sociales ». Les chefs et notables indi-
gènes ayant pris connaissance du Manifeste chez le « Cheikh el
Arab » Bengana, celui-ci lut en leur nom une motion très pru-
dente, par laquelle ils « laiss[ai]ent à l’Ambassadeur [Peyrouton]
le soin d’en étudier les conclusions et de leur donner les suites
qu’elles comport[ai]ent », et « estim[ai]ent nécessaire de réaliser
des réformes dans un large esprit libéral ». Augustin Berque jugea
qu’elle devait être complétée par des suggestions précises. Ferhat
Abbas présenta une motion en trois points : amnistie générale des
détenus politiques musulmans ; élargissement de la composition
de la commission ; création d’une commission qui s’occupe exclu-
sivement des questions politiques. Il répéta ses critiques contre
le « dosage inéquitable » de ladite commission, regretta que l’ad-
ministration eût seule choisi ses membres, et fit toutes réserves
sur les résultats de ses travaux. Il réaffirma la distinction entre
le politique et l’économique, et la primauté du premier. Augustin

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

Berque lui répliqua que les problèmes étaient liés, et que « l’éco-
nomique [était] susceptible de réalisations immédiates ». La com-
mission ayant décidé de s’ajourner au 25 mai, Abbas lui demanda
de ne pas se réunir avant la satisfaction des deux premiers points
de sa motion. Berque refusa cette « mise en demeure » au nom de
l’administration.
En séance plénière, le président Sayah Abdelkader prononça
la clôture de la session et l’ajournement au 25 mai. Il remercia le
gouverneur général Peyrouton et rendit hommage aux « qualités
d’impartialité et de franchise » du commissaire du gouvernement.
Enfin il souligna les « résultats substantiels » déjà obtenus : marché
libre du blé, accueil favorable à la demande d’amnistie générale260.

« Je serai ministre, ou pendu ! »


Ferhat Abbas, moins satisfait que le président Sayah, employa ce
délai à rédiger avec ses amis un « projet de réformes faisant suite
au Manifeste du peuple algérien », destiné à être présenté à la pro-
chaine session de la commission d’études.
Mais pendant ce temps, la vie politique française reprenait son
cours normal, en vertu de l’ordonnance du 14 mars 1943 réta-
blissant les assemblées élues suspendues depuis juin 1940. Après
les conseils municipaux et les conseils généraux, les Délégations
financières furent convoquées pour le 22 mai en session extraor-
dinaire par un arrêté du 5 mai. Peu avant son ouverture, une note
du CIE central au directeur des affaires musulmanes, datée du
13 mai, prévoyait que celle-ci donnerait lieu à de nouvelles mani-
festations d’impatience de l’élite indigène : « au cas surtout où des
délégués financiers français affecteraient de tenir à l’écart leurs
collègues musulmans, ou prononceraient des paroles déplacées
à leur égard » un incident public serait difficile à éviter et « tous
les délégués musulmans feraient bloc », ce qui affaiblirait notre

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

position morale aux yeux de nos alliés et ferait le jeu des propa-
gandistes de l’Axe261.
En fait, l’incident redouté n’eut pas lieu en séance plénière.
En dépit de l’imprudente péroraison autonomiste du discours
d’ouverture du président Joseph Robert, qui exalta la « person-
nalité de notre jeune peuple algérien » et critiqua « l’autoritarisme
du pouvoir métropolitain », les délégués indigènes s’abstinrent de
poser le problème du statut de l’Algérie, mais ils défendirent avec
pugnacité les intérêts de leurs mandants, notamment à propos de
la colonisation et du paysannat, et au sujet des injustices subies
par les populations des douars en matière de ravitaillement 262.
Le débat fondamental eut lieu dans les réunions particulières
de la délégation financière indigène, en présence d’Augustin
Berque. Au prix d’âpres discussions avec certains de ses collè-
gues sensibles aux suggestions modératrices de ce dernier, Ferhat
Abbas réussit le 26 mai à faire signer par 21 délégués financiers
sur 24 un texte plus clairement nationaliste que la deuxième
version du Manifeste.
Le projet de réformes faisant suite au Manifeste se présentait
sous la forme d’une proposition de loi. Un exposé des motifs,
après avoir insisté sur le caractère nettement réformateur, voire
« révolutionnaire », du gouvernement du général Giraud, reprenait
l’historique de la « question indigène » en la présentant comme
une succession d’échecs (ceux des politiques de refoulement, du
« royaume arabe », d’assimilation, et d’association), et invitait la
France à en tirer les leçons en s’inspirant de ses propres principes
et des exemples de ses alliés. Il proposait comme solution la recon-
naissance de « l’autonomie politique de l’Algérie en tant que nation
souveraine, avec droit de regard de la France et assistance mili-
taire des alliés en cas de conflit », non exclusive de l’organisation
d’une fédération d’États nord-africains avec le Maroc et la Tunisie.

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

Les propositions de réforme se répartissaient en deux caté-


gories. Dans le titre I, celles qu’il convenait d’ajourner à la fin
des hostilités : « L’Algérie sera érigée en État algérien doté d’une
constitution propre […] élaborée par une Assemblée algérienne
constituante élue au suffrage universel par tous les habitants de
l’Algérie. » Dans le titre II étaient énumérées les réformes jugées
nécessaires et possibles à bref délai. Mesures politiques visant à
réaliser la « participation immédiate et effective des représentants
musulmans au gouvernement et à l’administration de l’Algérie » :
transformation du gouvernement général en gouvernement algé-
rien composé de ministères également répartis entre titulaires
français et musulmans ; représentation égale des Français et des
Musulmans dans toutes les assemblées élues et organismes déli-
bérants ; administration autonome des douars musulmans dans
les communes mixtes ; égalité d’accès des Musulmans et des
Français à toutes les fonctions d’autorité dans les mêmes condi-
tions et en nombre égal ; abrogation de toutes les lois et mesures
d’exception. Mesures établissant « l’égalité devant l’impôt du
sang » des Français et des Musulmans dont les régiments rece-
vraient les « couleurs algériennes ». Enfin, un ensemble disparate
de réformes économiques et sociales : création d’un office du pay-
sannat pour recaser les paysans sans terre, et d’un ministère du
Travail pour l’application des lois sociales ; scolarisation de la jeu-
nesse musulmane dans le même système d’enseignement que la
jeunesse française, avec liberté de l’enseignement de la langue
arabe ; équipement des douars ruraux ; suppression du monopole
du pavillon établi en 1889 pour le commerce avec la France, de
l’économie dirigée, et de la loi sur la coordination du rail et de
la route ; liberté du culte musulman, et de la presse et en fran-
çais et en arabe, autorisation de créer un journal musulman par
département263.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

La conclusion minimisait les difficultés d’application de ces


mesures tout en exaltant leur valeur symbolique. L’ensemble du
texte juxtaposait curieusement des audaces polémiques (« La col-
laboration offerte par le chancelier Hitler n’est qu’une faible image
du système de collaboration appliquée à l’Algérie musulmane ») et
des formules lénifiantes. Par la forme comme par le fond, il s’inspi-
rait visiblement du programme du PPA, le plus radical de tous les
partis musulmans. Plus clairement que le Manifeste, il appelait une
prise de position nette des autorités françaises. Ferhat Abbas aurait
déclaré après l’avoir fait adopter : « Je serai ministre, ou pendu264 ! »
L’administration était loin de partager la conviction des auteurs
du Manifeste et de son additif, que « seules des réformes de carac-
tère politique seraient de nature à améliorer sérieusement le sort
des indigènes ». Au contraire, la note du CIE du 19 mai estimait :
« Il ne nous est pas possible, au moment où la France elle-même est
à la recherche d’une Constitution et d’un Gouvernement, de légi-
férer sur le Statut politique des Français musulmans. Tout ce que
nous pouvons faire, c’est par de substantielles réformes d’ordre
économique leur rendre confiance en nos intentions. » Elle pré-
conisait des « mesures de détail qui ne manqueraient pas d’avoir
le plus heureux retentissement », notamment « la suppression de
toutes les différenciations raciales, au moins entre Européens et
citadins musulmans, en ce qui concerne [...] la répartition des
tissus et des produits alimentaires, [surtout] que dans le domaine
militaire où elles sont l’une des principales causes de méconten-
tement265 ». Ainsi les positions restaient diamétralement opposées.
Le pouvoir du général Giraud, mal assuré de sa légitimité et de sa
durée, était incapable de remettre en question la politique algé-
rienne plus que séculaire de la France. Cette lourde tâche incom-
ba au Comité français de Libération nationale, fondé à Alger le
3 juin 1943 avec la participation du général de Gaulle.

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

L’interminable erreur de la IIIe République


Durant cent douze ans, de 1830 à 1942, la France avait eu la pos-
sibilité d’appliquer la politique algérienne de son choix, sans être
bridée par la volonté d’aucune autre puissance, même si, à partir
du 25 juin 1940, sa défaite face à l’Allemagne faisait apparaître sa
domination sur l’Algérie comme en sursis. Même si l’on retire de
cette longue période les dix premières années caractérisées par
l’absence de décision claire sur la politique à suivre, il reste encore
un siècle, de 1840 à 1940, durant lequel les dirigeants français
avaient prétendu faire de l’Algérie une nouvelle province fran-
çaise, pour rendre à la France son rang de grande puissance perdu
dans ses guerres malheureuses contre ses rivaux européens266.
Ce projet affiché était justifié, depuis Bugeaud et Prévost-
Paradol, par la volonté de peupler l’Algérie par une majorité de
Français, comme le Nouveau Monde l'avait été par les soi-disant
« Américains » et par les immigrants européens qu’ils avaient
reçus en renfort tout au long du XIXe et au début du XXe siècle.
Mais on savait aussi, depuis le recensement de 1856, que ce peu-
plement français ne pouvait pas devenir majoritaire, étant donné
que la France était depuis le milieu du siècle le seul État euro-
péen dont la population avait cessé de s’accroître pour rester obs-
tinément stagnante. On doit constater qu’à l’époque le chef de cet
État, l’empereur Napoléon III, avait bien compris la signification
de ces nombres, et défini à partir de 1860, suivant les conseils
d’Ismaïl Urbain, une autre politique, celle du « royaume arabe »,
prétendant gouverner l’Algérie dans l’intérêt de la majorité de
ses habitants. Mais on doit aussi constater que cette politique n’a
pas été comprise, et que les Républicains victorieux depuis 1870
ont adopté la politique de colonisation et de prétendue assimila-
tion dont on pouvait pourtant prévoir qu’elle ne réussirait pas à
faire de l’Algérie une véritable province française. Durant toute

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

la IIIe République, de 1870 à 1940, la France n’a donc pas eu de


politique algérienne digne de ce nom.
Et pourtant, durant toute cette période, ce régime avait prati-
qué en Algérie deux politiques distinctes. La première, celle de
l’assimilation, fut appliquée avec succès à des minorités : les Fran-
çais originaires de France, les enfants d’étrangers européens nés
en Algérie (loi du 26 juin 1889), et même les juifs algériens trans-
formés en citoyens français à part entière par le décret Crémieux
d’octobre 1870. Ceux-ci furent donc la seule catégorie d’« indi-
gènes » à recevoir en bloc la nationalité et la citoyenneté française,
moyennant la perte de leur statut personnel religieux remplacé
par le code civil.
Mais les indigènes musulmans, c’est-à-dire la grande majo-
rité de la population, n’en bénéficièrent jamais, à l’exception de
quelques milliers d’individus qui osèrent braver la méfiance des
autorités françaises et le refus de leurs coreligionnaires ou com-
patriotes, en demandant leur accession individuelle à la qualité
de citoyen français, qualifiée officieusement de « naturalisation ».
En dehors de ce nombre infime de « naturalisés », la masse de la
population fut d’abord tenue en respect par le « code de l’indigé-
nat », volet disciplinaire de la politique indigène fondée sur le res-
pect de l’identité musulmane par le statut personnel musulman
ou par les coutumes berbères. Des droits politiques très limités
furent ensuite accordés, au nom de la politique coloniale d’asso-
ciation entre des populations destinées à coexister et coopérer
sans se mélanger, à des catégories très étroites de notables.
Cependant, à partir de la décision d’imposer le service mili-
taire aux « indigènes » en 1912, les gouvernements français furent
peu à peu obligés d’accorder des libertés politiques à des catégo-
ries de plus en plus étendues par la loi du 4 février 1919 au len-
demain de la Grande Guerre. Jusqu’à la fin de la IIIe République,

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

il ne fut pas question d’accorder la pleine citoyenneté aux indi-


gènes sans les obliger à opter pour la pleine citoyenneté fran-
çaise, impliquant l’acceptation du code civil. Ce respect affiché
du choix des individus aboutissait à faire de la citoyenneté
française le privilège d’une étroite minorité, contrairement aux
principes démocratiques. Il aboutissait aussi, comme l’a vu
Charles-Robert Ageron, à créer pour la masse des sujets indigènes
l’embryon d’une autre nationalité, non pas française (puisqu’elle
ne comportait pas le droit d’élire la moindre représentation à
Paris), mais algérienne. Dix ans plus tard, au moment où le
nationalisme algérien lancé en 1926-1927 par Messali Hadj com-
mençait à se répandre en Algérie malgré les espoirs soulevés
momentanément par le projet Blum-Viollette, la politique suivie
obstinément par la IIIe République aboutissait à une impasse :
en effet, le seul moyen de faire de l’Algérie une province vrai-
ment française aurait été, comme l’avait plusieurs fois suggéré
Ferhat Abbas entre 1935 et 1938, de remplacer le statut personnel
musulman ou berbère par la loi française pour tous les habitants
du pays, mais cette mesure paraissait alors impossible car inac-
ceptable par les intéressés.
C’est pourquoi la politique algérienne du régime dictatorial de
Vichy ne s’explique pas seulement par le souci de plaire à l’Alle-
magne nazie victorieuse afin de la persuader de ménager la France
vaincue267. Il s’agissait aussi de faire oublier aux musulmans algé-
riens leurs revendications politiques, en les persuadant à la fois
qu’ils n’étaient pas les plus mal traités (puisqu’une représentation
symbolique presque égale à celle des Français d’Algérie leur était
accordée dans le Conseil national de Vichy), et qu’ils étaient en
tout cas mieux traités que les juifs, seule catégorie d’indigènes
bénéficiaire de la citoyenneté française depuis 1870, et rétro-
gradés en bloc au dernier rang soixante-dix ans plus tard. Mais

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

les musulmans algériens les plus politisés avaient très bien com-
pris le sens de cette manœuvre, à savoir que le rabaissement des
juifs en dessous d’eux était un moyen de refuser aux Algériens
musulmans la citoyenneté de leur pays, citoyenneté qui n’exis-
tait plus même en France sous la dictature de Vichy. S’il leur res-
tait encore quelques illusions, la triste affaire de Zeralda (1er août
1942) les leur fit perdre.
C’est aussi pourquoi le débarquement anglo-américain du
8 novembre 1942 ouvrit une ère nouvelle. Pour la première fois
depuis 1830, le tête-à-tête des vainqueurs et des vaincus était
brisé ; tout devenait possible. La plupart des anciens élus indi-
gènes se réunirent autour de Ferhat Abbas pour élaborer un pro-
gramme revendicatif commun, en liaison avec les dirigeants de
l’Association des Oulémas et du Parti du peuple algérien clandes-
tin. Pour la première fois, ils firent le procès du comportement
colonialiste suivi par les conquérants et colonisateurs français
en Algérie depuis 1830, et revendiquèrent le droit du peuple algé-
rien à disposer de lui-même, suivant les principes démocratiques
enseignés naguère par la France et adoptés comme programme
par les États-Unis et le Royaume-Uni depuis leur accord sur la
Charte de l’Atlantique du 14 août 1941.
Face à cette situation radicalement nouvelle, résultat logique
des erreurs fondamentales de la politique suivie depuis 1830, que
pouvaient faire ceux qui s’employaient à faire rentrer la France
en guerre ? Pas grand-chose, pour les militaires qui s’efforçaient,
autour de l’amiral Darlan puis du général Giraud, de faire sub-
sister un « vichysme sous protectorat américain » en Afrique
du Nord. Mais, à partir de juin 1943, la fondation à Alger d’un
nouvel exécutif français appelé « Comité français de libération
nationale » (CFLN) par les généraux Giraud et de Gaulle, enfin
réconciliés sous la pression anglo-américaine, rendit à la France

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L’ALGÉRIE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

la possibilité de tenter pour la dernière fois une nouvelle politique


algérienne, à vrai dire sa première politique algérienne digne de
ce nom.

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Ambitions et atermoiements du CFLN


Fondé à Alger le 3 juin 1943, devenu un an plus tard le Gouver-
nement provisoire de la République française (GPRF), le Comité
français de Libération nationale (CFLN) fut le premier pouvoir
politique susceptible de répondre au défi du Manifeste autrement
que par une tactique dilatoire. S’il refusa de remettre en ques-
tion le principe de l’Algérie française – but traditionnel de la poli-
tique algérienne de la France –, il tenta pour la première fois d’en
faire une réalité, en prenant un ensemble planifié de mesures
politiques, économiques et sociales tendant à élever d’une façon
continue et progressive la condition des Français musulmans d’Al-
gérie au niveau de celle des autres Français. Mais les initiateurs de
cette politique, les généraux Catroux et de Gaulle, savaient qu’ils
tentaient la dernière chance de la politique d’assimilation, face à
l’essor du nationalisme algérien.
Après le retour du pouvoir central à Paris en août 1944, le
Gouvernement provisoire de la République française maintint les
options de sa politique algérienne, malgré l’insurrection du 8 mai
1945 dans le Constantinois et les réactions hostiles qu’elle suscita

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

dans la majorité des élus des Français d’Algérie. Pendant deux


ans, les instances politiques nationales débattirent du problème
algérien plus que jamais auparavant, et pour la première fois avec
les représentants des deux populations de l’Algérie. Mais le souci
prioritaire de la reconstruction politique et économique de la
métropole freina les débats, et les empêcha d’aboutir à autre chose
qu’à un statut de compromis, qui mécontenta à la fois les Français
d’Algérie et les Algériens musulmans.

Alger, capitale de la France en guerre


Le CFLN était mieux armé pour prendre de grandes décisions
que tous les gouvernements précédents. Bien que pouvoir de fait,
dépourvu d’investiture démocratique régulière, il bénéficiait de
la légitimité historique du général de Gaulle, symbole de la résis-
tance à l’occupant et au régime de Vichy, et seul président du
Comité à partir du 2 octobre 1943. Il bénéficiait également, depuis
le 3 novembre 1943, du soutien et des avis de l’Assemblée consul-
tative provisoire, sans être subordonné à ses votes. Directement
confronté au problème algérien tant qu’il siégea à Alger (jusqu’à
la fin d’août 1944), il sut prendre des décisions d’une audace
presque révolutionnaire (du moins par rapport à l’immobilisme
des régimes précédents), tout en respectant les prérogatives de
la future Assemblée nationale. Mais il ne réussit pas à prévenir
l’inévitable conflit entre les nationalismes algérien et français, qui
éclata le 8 mai 1945 à Sétif et à Guelma.
Le problème algérien ne fut pourtant pas, pour des raisons
évidentes, au premier plan des préoccupations du CFLN et du
GPRF. Dans les cinq premiers mois, le Comité, paralysé par les
divergences entre ses deux coprésidents, les généraux Giraud et
de Gaulle, s’efforça de se donner l’unité et la représentativité dont
il avait besoin pour agir efficacement. Quand il les eut obtenues

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

grâce à l’appui de l’Assemblée consultative provisoire, à partir du


9 novembre 1943, il s’employa surtout à préparer la libération de
la France et à lui rendre son rang de grande puissance. La solution
du problème algérien s’inscrivait dans cette perspective.
Dans la première période, le Comité ne put que refuser les
revendications nationalistes du Manifeste, et décider quelques
réformes très limitées. Dans la deuxième, au contraire, il fit étu-
dier et décida un programme de réformes d’une ampleur sans
précédent.
Durant plusieurs mois, le manque de cohésion des pouvoirs
publics nuisit à leur efficacité et compliqua la tâche du général
Catroux, qui cumulait les importantes fonctions de commissaire
d’État, chargé de la coordination des Affaires musulmanes, et de
gouverneur général de l’Algérie. Le cumul de ces responsabilités
sur les épaules de l’un des principaux personnages du Comité
attestait l’importance reconnue pour la première fois au problème
algérien.
La construction d’un nouveau pouvoir central français capable
de gouverner efficacement fut difficile268. L’accord n’était pas
acquis le 30 mai 1943. Le général de Gaulle, fort de l’appui de la
Résistance intérieure (exprimé par une motion du Conseil natio-
nal de la Résistance le 15 mai 1943), exigeait la formation d’un
pouvoir politique national, excluant les représentants du régime
de Vichy (Peyrouton, Noguès, Boisson, Bergeret), indépendant
des puissances alliées, et ayant autorité sur les forces armées. Le
général Giraud, fort de la protection américaine, refusait de choisir
entre la présidence du Comité et le commandement des armées,
et de renier ses associés du Conseil impérial. La démission du
gouverneur général Peyrouton, offerte à de Gaulle dès le 1er juin,
rompit le rapport des forces en faveur de celui-ci. Le Comité fut
formé le 3 juin, après plusieurs jours d’extrême tension.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Sa composition associait dans un équilibre apparent les deux


équipes : Giraud et de Gaulle se partageaient la présidence, secon-
dés chacun par un commissaire d’État, respectivement les géné-
raux Georges et Catroux. Toutefois, les représentants de la France
libre étaient en majorité (quatre membres sur sept) ; mais le géné-
ral Catroux, artisan de l’accord, était agréé comme arbitre par les
deux camps. Le 7 juin, un élargissement du Comité y maintint le
même rapport numérique, en admettant quatre membres venus de
la France libre, et trois issus de l’organisme d’Alger. Par la suite,
la nécessité d’une direction unie et cohérente élargit la majorité
favorable au général de Gaulle et finit par isoler totalement les
généraux Giraud et Georges.
Ainsi le pouvoir de Giraud fut peu à peu diminué au profit de
celui de son rival. Le 31 juillet, il fut nommé commandant en chef
de toutes les forces armées françaises, à la condition qu’il cesse de
présider le CFLN quand il en prendrait le commandement effectif
en opérations. Le 4 août, un décret remplaça la présidence alter-
née par deux présidences spécialisées, Giraud étant chargé de la
direction des opérations militaires et de Gaulle des autres affaires
et de la politique générale du Comité. En même temps furent
créés un Comité de la défense nationale présidé par de Gaulle, et
un commissaire à la défense nationale adjoint au commandant
en chef.
Le 2 octobre, le Comité décida qu’il n’aurait plus qu’un seul
président, élu pour un an et rééligible. Enfin, le 6 novembre 1943,
trois jours après la réunion de l’Assemblée consultative provisoire,
le CFLN chargea son président, le général de Gaulle, de modifier
sa composition pour assurer :
« 1) La représentation et la collaboration, au sein du gouverne-
ment, de personnalités déléguées à l’Assemblée consultative par
les organisations de résistance en France ;

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

2) L’unité et la cohésion du Comité dans les meilleures condi-


tions possibles ;
3) La séparation complète du pouvoir du gouvernement et de
l’action du commandement militaire, ainsi que la subordination
de celui-ci à celui-là. »
Ce remaniement fut accompli dès le 9 novembre 1943. Il éli-
mina les généraux Giraud et Georges, dont le premier conserva le
commandement des forces armées jusqu’en avril 1944. Le CFLN
se composait désormais de sept représentants des partis politiques
opposés au régime de Vichy (sauf les communistes, qui durent
attendre le remaniement du 4 avril 1944 parce qu’ils avaient pré-
tendu choisir leurs délégués au Comité) ; six représentants de la
Résistance intérieure et extérieure ; et de cinq personnalités impo-
sées par leur compétence et leur notoriété, parmi lesquelles le
général Catroux, commissaire d’État chargé des Affaires musul-
manes. Ainsi, le Comité prenait figure de gouvernement repré-
sentatif de l’Assemblée consultative, avec laquelle il était appelé à
collaborer sans lui être subordonné.
L’Assemblée consultative provisoire était un vieux projet de la
France libre, déjà prévu par l’ordonnance du 24 septembre 1941,
créant le Comité national français de Londres. Après de longues
négociations avec le général Giraud, l’ordonnance du 17 septembre
1943 en fixa la composition, qui fut élargie après les premières
séances par l’ordonnance du 6 décembre 1943 :
– 40 puis 49 représentants de la résistance métropolitaine
(désignés par le CNR) ;
– 12 puis 21 représentants de la résistance extra-métropoli-
taine : deux personnalités ayant rallié la France libre dès 1940,
huit ayant participé à la résistance dans les territoires de l’Empire
et six en Afrique du Nord (deux par pays) ; et cinq membres des
comités français à l’étranger ;

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

– 20 représentants du Sénat et de la Chambre des députés ;


– 12 représentants des conseils généraux des départements et
colonies libérées (dont deux pour chacun des trois départements
algériens).
En outre, à ces 102 délégués s’ajouteraient 12 représentants
des assemblées financières nord-africaines, parmi lesquels six
membres des Délégations financières algériennes (deux par
département), pour discuter le budget du CFLN et les projets
d’emprunts.
L’Algérie disposait donc de huit représentants permanents
(six membres des conseils généraux et deux délégués de la résis-
tance) et de six représentants occasionnels. Parmi les premiers,
un musulman : le docteur Bendjelloul, membre du conseil général
du département de Constantine.
L’Assemblée consultative avait pour mission (selon l’ordon-
nance du 24 septembre 1941), de « fournir au Comité national une
expression, aussi large que possible, de l’opinion nationale ». Elle
était associée au pouvoir législatif du CFLN sous forme d’avis don-
nés soit sur l’initiative des deux tiers des membres de l’Assemblée,
soit sur saisine du Comité, facultative ou obligatoire au sujet du
budget général et des gros emprunts. Elle pouvait exercer un cer-
tain contrôle politique sur le Comité en demandant (à la majorité
des deux tiers), à l’un des commissaires un exposé oral sur une
question d’intérêt national, et en posant des questions écrites. Ses
pouvoirs étaient donc inférieurs à ceux d’une assemblée parle-
mentaire. Mais son soutien et ses critiques renforcèrent la légi-
timité démocratique du CFLN – qui conservait l’essentiel des
pouvoirs, exécutif et législatif – aux yeux des puissances alliées.
Une motion adoptée par l’Assemblée consultative le 15 mai 1944
invita le Comité à « prendre la dénomination qui lui revient légiti-
mement de gouvernement provisoire de la République française ».

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

Ce fut fait le 3 juin 1944, un an après la fondation du CFLN et


trois jours avant le débarquement allié en Normandie. Désormais
le transfert du GPRF en France fut à l’ordre du jour. Le général de
Gaulle quitta plusieurs fois l’Algérie pour se rendre à Londres, à
Washington et dans les régions libérées, laissant l’intérim de la
présidence au ministre d’État Henri Queuille. Le 18 août, il quitta
définitivement Alger pour entrer dans Paris libéré le 24 août 1944.
La répartition des compétences entre les commissaires fut plu-
sieurs fois modifiée à l’occasion des élargissements et des remanie-
ments du CFLN. Mais Catroux fut l’un de ceux qui conservèrent
leurs attributions inchangées pendant toute sa durée. Des capaci-
tés exceptionnelles et des circonstances extraordinaires faisaient
de lui un homme indispensable, tant pour le bon fonctionnement
du Comité que pour la direction de sa politique musulmane, et
spécialement de sa politique algérienne.

« Catroux est pris par le drame algérien »


Le général Georges Catroux était né en 1877, d’un officier répu-
blicain sorti du rang, qui se retira comme colon en Algérie pour
mettre en valeur la propriété de sa belle-famille269. Lui aussi soldat
de vocation, il fit presque toute sa carrière dans l’empire colonial,
et la majeure partie en pays musulman. Ses affectations le rame-
nèrent souvent en Algérie, la dernière fois au commandement de
la région militaire, de 1936 à 1939. Bien qu’il eût gardé de bons
rapports avec son frère Alexandre, colon notable dans la région de
Saïda, il se désolidarisa de la mentalité coloniale algérienne270. Au
Maroc, il apprit auprès de Lyautey les méthodes de la pacification
et de la politique de protectorat, et il les appliqua dans les dernières
opérations de la conquête, de 1931 à 1934. Il tenta également de les
appliquer au Levant, où il put constater la force du nationalisme
arabe et l’échec du mandat français entre 1919 et 1927. En dehors

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

du monde musulman, il avait servi en Indochine de 1902 à 1905 ;


il la retrouva en juillet 1939 comme gouverneur général. Bien que
versé dans le cadre de réserve de l’armée depuis 1939, il trou-
va dans la guerre l’occasion d’entamer une nouvelle carrière en
dehors des normes habituelles. Opposé à l’armistice de juin 1940,
mais constatant l’impossibilité de défendre l’Indochine contre les
Japonais, il fut révoqué par Vichy pour son indépendance d’esprit
et rejoignit Londres, où il adhéra à la France libre. Sans souci de
la différence d’âge et de grades, le général d’armée Catroux se mit
aux ordres du général de brigade de Gaulle, qu’il connaissait et
estimait hautement depuis leur commune captivité en Allemagne
en 1916.
Avant son échec à Dakar, de Gaulle avait pensé à lui pour
prendre en main l’Afrique du Nord ; il en fit son représentant au
Proche-Orient, puis le délégué général de la France libre en Syrie
et au Liban, arrachés à l’obédience de Vichy. Dès le 8 juin 1941, le
général Catroux proclama l’indépendance des deux États, et tenta
de sauvegarder les intérêts français en proposant de remplacer les
mandats discrédités par des traités négociés. Mais il se heurta aux
impatiences des nationalistes, encouragés par les autorités mili-
taires britanniques271.
Enfin, après le débarquement en Afrique du Nord, l’assassinat
de l’amiral Darlan et l’avènement du général Giraud, le général de
Gaulle désigna Catroux (qui avait connu Giraud au Maroc en 1933)
pour négocier avec lui la formation d’un pouvoir central français.
D’accord avec son chef sur le but, il fut souvent en désaccord avec
son intransigeance et son impatience, qui risquaient d’anéantir
ses efforts, et il dut plusieurs fois le menacer de sa démission. En
fin de compte, sa souple diplomatie réussit. Mais certains gaul-
listes eurent l’impression fausse qu’il n’était « ni pour Giraud, ni
pour de Gaulle, mais pour Catroux272 ».

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

Les attributions du général Catroux dans le CFLN correspon-


daient à ses compétences et à ses mérites. Le titre de commissaire
d’État récompensait son rôle décisif dans la formation et le bon
fonctionnement du Comité. La coordination des affaires musul-
manes répondait à un besoin, qui avait déjà inspiré la création
de la commission interministérielle des affaires musulmanes en
1911, du Haut-Comité méditerranéen en 1935, et de la direction des
Affaires musulmanes fondée par Weygand, rétablie par Giraud en
janvier 1943 : le général Catroux en hérita les services, dirigés par
l’un de ses anciens subordonnés du Maroc, le lieutenant-colonel
Truchet. Mais cette mission ne lui donnait pas une pleine autorité
sur tous les pays musulmans sous tutelle française : la Tunisie et le
Maroc, de même que le Liban et la Syrie, relevaient désormais du
commissaire aux Affaires étrangères, le diplomate René Massigli,
qui ne put éviter deux graves crises : au Liban en novembre 1943,
et au Maroc en janvier 1944.
En Algérie seulement le général Catroux, ayant hérité le gou-
vernement général abandonné par Marcel Peyrouton le 1er juin
1943, avait tout pouvoir d’appliquer sa politique musulmane avec
des fonctionnaires auxquels il avait maintenu sa confiance : le
secrétaire général Maurice Gonon, ancien directeur des finances,
promu à ce nouveau poste par Yves Châtel, et le directeur des
Affaires musulmanes Augustin Berque273. Encore était-il en prin-
cipe subordonné au commissaire à l’Intérieur, d’abord André
Philip, puis Emmanuel d’Astier de la Vigerie qui laissait la respon-
sabilité de l’Algérie à son adjoint Jean Pierre-Bloch, ancien vice-
président de la commission d’enquête Lagrosillière274.
Malgré ses compétences et ses mérites exceptionnels, la posi-
tion du général Catroux dans le CFLN parut longtemps mal assu-
rée. Il s’opposa encore plusieurs fois au général de Gaulle sur
l’attitude à tenir envers le général Giraud. De plus, pour obliger

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Giraud à choisir entre le commandement en chef des armées et la


présidence du CFLN, il fut question de « faire lâcher à Catroux le
gouvernement général » et de le nommer commissaire à la Guerre.
Le sénateur radical Henri Queuille fut même pressenti pour lui
succéder au gouvernement général de l’Algérie. Mais celui-ci,
consulté par de Gaulle, le 24 septembre 1943, sur le choix du com-
missaire à la Guerre et ayant cité le nom de Catroux, s’entendit
répondre : « Catroux est pris par le drame algérien, il ne peut en
être question275. »
Catroux fut encore mis en cause, au Comité, le 12 octobre, pour
l’insuffisance du ravitaillement d’Alger, et le 23 octobre, pour la
protection d’un fonctionnaire contre la commission d’épuration.
Mais surtout, un nouveau différend grave l’opposa au général
de Gaulle à propos du Liban. Le 11 novembre 1943, l’ambassa-
deur Jean Helleu avait cru bon de faire arrêter le président de la
République, le président du Conseil et les ministres libanais, et
de dissoudre la Chambre des députés, pour avoir supprimé de la
Constitution toute référence au mandat français. De Gaulle couvrit
Helleu ; mais Catroux, envoyé par le CFLN pour résoudre la crise,
le désavoua pratiquement en rétablissant les pouvoirs publics
libanais, comme les autorités britanniques l’avaient exigé par un
ultimatum276. Le général de Gaulle fut indigné par l’intervention
anglaise. Le 18 novembre, il menaça de quitter le pouvoir s’il était
contraint d’abandonner le Liban. Le 23 novembre, il épancha sa
colère par une violente attaque « contre Catroux qui cède toujours,
contre Massigli qui est trop doux alors qu’il faudrait parler dur ».
Le 30 novembre, avant le retour du général Catroux, le commis-
saire adjoint à l’Intérieur Jean Pierre-Bloch demanda de nouveau à
Henri Queuille (qui refusa) s’il accepterait le gouvernement géné-
ral de l’Algérie277. Les éloges décernés par les Anglais aux qualités
de négociateur du général Catroux donnèrent l’impression qu’ils

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

avaient espéré le voir succéder à de Gaulle. Celui-ci pouvait donc


le considérer comme un rival potentiel à la fin de 1943, en dépit de
la solide amitié qui les unissait. On peut penser qu’il le maintint à
son poste parce qu’il l’y jugeait vraiment irremplaçable pour trou-
ver une solution au problème algérien.

« La France tout court »


Contrairement à son prédécesseur Marcel Peyrouton, le général
Catroux jugea nécessaire et urgent de repousser clairement les
revendications du Manifeste incompatibles avec la souveraineté de
la France, et de rétablir son autorité. Cependant il s’engagea, avec
prudence, dans la voie des réformes.
Ferhat Abbas et ses amis présentèrent le 10 juin un exemplaire
du Manifeste et de son additif aux généraux de Gaulle et Catroux.
Ils plaçaient des espoirs tout particuliers dans le nouveau gou-
verneur général, que son enracinement familial en Algérie, son
expérience du Maroc et du Levant désignaient comme l’homme
le plus qualifié pour concevoir et diriger une véritable politique
musulmane de la France. Surtout, son rôle dans l’émancipation
progressive de la Syrie et du Liban depuis juin 1941, donné en
exemple dans le Manifeste, semblait bien augurer de son accueil
aux revendications de ce texte, qu’il avait reçu et transmis au
général de Gaulle dès le 7 avril 1943.
Catroux y vit un malentendu, qu’il tint à dissiper sans plus
tarder. Dès le 5 juin, dans son discours de clôture de la session
des Délégations financières, il avait fait connaître son idée direc-
trice : « Pour nous, l’Algérie est une terre française, elle est une et
indivisible avec la France, de même d’ailleurs que tout l’Empire.
C’est bien à tort que souvent on distingue la France et son Empire.
Il y a là une locution inexacte et inacceptable. Il s’agit de la
France tout court, qui comporte un territoire métropolitain et des

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

territoires extérieurs. Je sais que ce sentiment est dans vos cœurs,


aussi bien chez vous, Messieurs, dont l’origine et la souche étaient
en France, que chez vous, Messieurs les Arabes et Messieurs les
Kabyles qui vivez et progressez dans la communauté française et
à l’ombre du drapeau français. À vous tous je promets, person-
nellement et au nom du Gouvernement qui s’est constitué, une
sollicitude égale278. »
Puis il convoqua la commission d’études pour une deuxième
session à partir du 23 juin. En réponse à l’allocution d’ouverture
de son président, le docteur Tamzali, le gouverneur général com-
mença par définir son attitude envers l’Islam en termes d’ami-
tié, de considération et d’estime, pour en déduire une ligne de
conduite : sincérité et courtoisie. Ce préambule préparait les audi-
teurs à une mise au point douloureuse pour certains d’entre eux.
Les revendications musulmanes devaient être subordonnées aux
exigences de la guerre, qui impliquaient le maintien de l’ordre et
de la tranquillité publiques. La commission devait y contribuer
en étudiant les améliorations du sort des masses dans le domaine
social et économique, sans exclure les problèmes politiques mais
sans faire de la « politique pure ». Faisant allusion aux idées du
Manifeste, le général Catroux leur opposa des notions fondamen-
tales qu’il qualifia de « dogmes ».
Le plus important était celui de l’unité française. Le général de
Gaulle et ses compagnons avaient combattu depuis juin 1940 « avec
la volonté de refaire la France dans son unité et sa grandeur. » « Or
l’Algérie, ajoutait Catroux, fait partie de l’unité française, unité
morale, territoriale et politique. Aussi, tout ce qui pourrait tendre à
briser cette unité serait pour moi inacceptable ». Ce principe impli-
quait que les musulmans finiraient par obtenir dans la commu-
nauté française la juste place qu’ils n’y avaient pas encore ; leurs
revendications devaient donc s’enfermer dans ce cadre.

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

L’exemple de l’action menée en Orient par la France libre ne


pouvait servir de modèle à sa politique algérienne, parce que la
Syrie et le Liban étaient des mandats temporairement confiés à
la tutelle française par la SDN : « Là-bas, il s’agissait de rendre
effective après une période probatoire une indépendance dont
le principe était acquis. Ici, il s’agit de l’évolution politique d’une
portion de la communauté française sur une terre de souveraineté
nationale. » Dans ces limites, le général Catroux s’engageait à faire
évoluer les problèmes algériens dans le sens de « l’union totale des
Musulmans avec la France, qui est mon but279 ».
Après le départ du gouverneur général, la discussion s’enga-
gea sur les suites accordées par le gouvernement aux vœux for-
mulés lors de la première session ; bilan insuffisant aux yeux du
docteur Bendjelloul et d’autres membres. Ferhat Abbas intervint
alors pour clarifier la situation. Les idées du général Catroux
étaient contraires à celles du Manifeste, accepté par M. Peyrou-
ton comme base des travaux de la commission. Celle-ci devait
donc les suspendre pour envoyer une délégation au gouverneur
général et tenter d’obtenir un accord sur les principes. De nou-
veau, Augustin Berque rectifia les affirmations de Ferhat Abbas
relatives à l’attitude de M. Peyrouton envers le Manifeste et à la
raison d’être de la commission. Plusieurs membres insistèrent
sur l’urgence de présenter des propositions concrètes. Le docteur
Bendjelloul proposa de discuter les réformes immédiates formu-
lées dans le titre II de l’Additif, tout en envoyant une délégation
informer le gouverneur général des doléances des musulmans.
Cette solution de compromis l’emporta malgré Ferhat Abbas, qui
défendit éloquemment sa motion d’ajournement.
Il s’abstint de participer à la séance plénière de l’après-midi
du 23 juin, qui enregistra l’adjonction de trois nouveaux mem-
bres à chaque sous-commission, puis discuta de l’application du

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

principe de la liberté du commerce des céréales, et de la fixation


de leur prix280.
Il revint le 24 juin pour défendre les réformes immédiates pré-
conisées par le titre II de l’additif devant la sous-commission des
questions sociales. Le débat fut repris et approfondi l’après-midi
en séance plénière. Augustin Berque demanda des précisions sur
chaque point du titre II. Puis le bachaga Benchenouf lut le projet
de réformes sociales et économiques mis au point par dix chefs
indigènes, chefs de confréries et notables non-élus depuis la pré-
cédente session. Le président de la sous-commission, le docteur
Bendjelloul, ayant proposé la mise aux voix des deux projets, le
commissaire du gouvernement s’opposa à la discussion et au vote
du titre I de l’Additif, concernant le statut futur de l’Algérie « qui
met en cause l’unité de l’Empire français ». Abbas et Bendjelloul,
au nom des signataires de l’Additif, déclarèrent ne pas insister.
Puis Augustin Berque s’opposa également au paragraphe B 2 du
titre II, relatif aux « couleurs de l’Algérie » à distribuer aux régi-
ments indigènes. Après une vive et longue discussion, Ferhat
Abbas accepta de disjoindre ce paragraphe du vote, laissant à
l’administration le soin de lui donner la suite qu’elle jugerait utile,
et faisant l’éloge du drapeau français, « symbole de gloire et de
liberté, cher à tous les cœurs algériens ».
Sous cette réserve, le titre II de l’Additif et le projet des chefs
indigènes furent adoptés à main levée. Le docteur Bendjelloul,
président de la sous-commission, lut alors une déclaration selon
laquelle « la commission d’études économiques et sociales musul-
manes estimait avoir rempli sa mission en faisant connaître aux
pouvoirs publics la position prise par les musulmans algériens et
l’ensemble des réformes réclamées par l’opinion publique », ren-
dant un « vibrant hommage à M. Berque » pour avoir témoigné
« la plus grande bienveillance à l’égard de tous, le plus vif intérêt

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

à nos discussions et le souci constant de l’intérêt supérieur de la


France et de l’Algérie », et le priant d’exprimer « sa gratitude et sa
confiance aux généraux Catroux, de Gaulle, Giraud, et au CFLN
pour la réalisation des réformes et pour la victoire finale du Droit
et de la Justice281 ».
Malgré cette clôture solennelle, la sous-commission du ravi-
taillement siégea de nouveau le 25 juin en présence du directeur
de l’économie algérienne, M. Vogt, pour discuter du relèvement
des salaires agricoles, et des rapports présentés par le docteur
Bendjelloul sur les problèmes de distribution des denrées ali-
mentaires et des tissus. La sous-commission du paysannat s’était
engagée le 23 juin à présenter un rapport avant la fin juillet par
les soins de son président Cadi Abdelkader et d’un comité de
rédaction.

« Les musulmans doivent désormais prendre une autre voie »


Ayant profondément mécontenté les partisans du Manifeste – mal-
gré les remerciements du trop souple docteur Bendjelloul – le
général Catroux devait démontrer sa volonté d’améliorer le sort
des musulmans par des mesures concrètes et rapides. Il soumit
un premier train de réformes à la délibération du CFLN le 24 juil-
let 1943. Celui-ci les adopta dans sa séance du 3 août 1943, sous
forme d’ordonnances ou de décrets datés du 6 août. À la même
date, d’autres décisions furent prises par arrêtés gubernatoriaux.
Dans la première catégorie, la mesure la plus attendue était la
réalisation par une ordonnance du « principe de la parité absolue
des soldes et des indemnités entre militaires français de souche
européenne et militaires musulmans algériens », avec effet au
1er août 1943. C’était satisfaire une revendication aussi ancienne
que le service militaire obligatoire des indigènes, prouver que la
France ne faisait aucune discrimination entre ses enfants d’origine

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

et d’adoption, mais aussi tenir une promesse faite par le général


Giraud au début de la mobilisation et trahie par l’administration282.
Une autre ordonnance ouvrait aux musulmans non naturalisés
un certain nombre d’emplois publics, retranchés de la liste des
« fonctions d’autorité » réservées aux seuls citoyens français par
les décrets des 26 mars 1919 et 14 décembre 1922, à savoir « les
importantes fonctions suivantes : conseiller de gouvernement ;
conseiller de gouvernement adjoint ; sous-directeur au gouver-
nement général ; conseiller de préfecture ; payeur de la trésorerie
d’Algérie ; inspecteur des Douanes ; inspecteur de l’Enregistre-
ment, des Domaines et du Timbre ; inspecteur des contributions
directes et diverses ; inspecteur des PTT ». Cette décision était en
retrait sur l’accès à toutes les fonctions publiques demandé par
l’Additif283.
Une troisième ordonnance consacrait définitivement le principe
des adjoints musulmans aux maires des communes de plein exer-
cice (un adjoint pour 10 000 indigènes, deux pour 50 000 et plus),
établi par le décret du 22 janvier 1941 rendu caduc par l’ordon-
nance du 14 mars 1943. Un décret élevait de trois à neuf membres
la représentation des musulmans au conseil d’administration du
Fonds commun des « sociétés indigènes de prévoyance » (SIP) ;
deux autres leur ouvraient la présidence des SIP agricoles et arti-
sanales, jusque-là réservées à des administrateurs français. Une
dernière ordonnance visait à faciliter la procédure de « naturalisa-
tion » des indigènes désireux d’obtenir la citoyenneté française en
substituant le juge de paix au tribunal civil, source de « lenteurs »
et de « coûteux dérangements ».
De même, un décret transférait des préfets aux sous-préfets pour
les communes de plein exercice et aux administrateurs pour les
communes mixtes le soin de statuer sur les demandes d’ouverture
d’écoles coraniques pour en simplifier et accélérer la procédure.

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

Catroux prit également des arrêtés pour accorder la faculté de


prêcher dans les mosquées d’État à des personnalités musulmanes
qualifiées pour leur science, sous réserve d’y être autorisées par
les associations cultuelles et dans les limites de l’ordre public ;
pour admettre dans le corps enseignant des medersas officielles
des savants musulmans non diplômés par celles-ci, et pour en
réviser les programmes en élevant le niveau.
Un autre arrêté reprit l’expérience des centres municipaux de
communes mixtes, inaugurée par le décret du 25 août 1937 et
interrompue par le gouvernement de Vichy, afin de réaliser pro-
gressivement l’administration autonome des douars. En même
temps, pour améliorer l’administration des tribus, un caïd était
adjoint à chaque bachaga ; deux promotions au titre de bachaga et
42 à celui d’agha étaient prononcées…
Enfin, pour se donner les moyens financiers d’une politique du
paysannat, de l’artisanat et de l’habitat, Catroux créait un comité
de spécialistes chargé de réviser le statut du Fonds commun des
SIP, parmi lesquels trois musulmans : les docteurs Bendjelloul et
Tamzali et M. Bachtarzi.
L’annonce de nombreuses libérations d’internés politiques en
« surveillance spéciale » complétait ce premier train de réformes284.
Le gouvernement général prit soin de lui donner la plus large
publicité. Un commentaire fut diffusé le 5 août dans les émissions
musulmanes de Radio Alger sur la chaîne I de 17 heures à 18 h 30,
et de 20 heures à 21 h 30 sur la chaîne II, en arabe littéraire, en
arabe dialectal et en kabyle, et publié ensuite dans les journaux
En Nadjah de Constantine et El Balagh el Djazaïri d’Alger. Les pré-
fets et le directeur des territoires du Sud reçurent mission d’adres-
ser au CIE central tous les renseignements que leurs subordonnés
auraient pu recueillir sur les réactions indigènes. Une traduc-
tion française, légèrement abrégée, de ce texte fut préparée à la

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

demande du directeur de cabinet de Catroux, M. Berthelot, pour


démontrer à la presse anglo-américaine le « sens libéral et démo-
cratique » des principales réformes, présentées comme une pre-
mière récompense méritée par la fidélité des musulmans algériens
et leur contribution à la victoire en Tunisie. D’autres suivraient, en
attendant les réformes que la France victorieuse pourrait décider
souverainement « dans le cadre de l’unité de l’Empire français ».
« Dans la mesure où il peut statuer sans préjuger de l’organisation
future de l’Empire, le Comité de la libération nationale va conti-
nuer à se préoccuper des musulmans algériens pour apporter à
leur situation morale et matérielle les améliorations compatibles
avec les nécessités de la guerre et le principe d’une sage mais
féconde évolution285. »
Les réactions de l’opinion musulmane recueillies par l’admi-
nistration furent très décevantes. Plusieurs administrateurs de
communes mixtes rapportèrent que l’information n’était pas arri-
vée dans leurs douars faute de postes de radios ou de lecteurs
de journaux. Là où elle parvint, les réactions furent inégales sui-
vant les mesures annoncées et les milieux : satisfaction générale
nuancée d’impatience ou d’incrédulité pour l’égalité des soldes ;
désintérêt complet pour les facilités de naturalisation ; attente de
précisions pour les autres mesures, ou indifférence hors des caté-
gories directement concernées.
Les élus partisans du Manifeste ne pouvaient être satisfaits.
Ceux de Constantine s’étaient réunis dès le 3 août et avaient,
selon un informateur sûr, « décidé de se rendre à Alger le 14 août
pour exprimer aux autorités supérieures leur désappointement
en face de l’insuffisance de réformes qu’ils connaissaient déjà
grâce à des indiscrétions286 ». Dans la même ville circulait le
bruit que « les réformes [avaient] été prononcées officiellement,
en partie seulement, grâce aux Américains auxquels nous allons

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

peut-être prouver notre reconnaissance en manifestant avec


leur drapeau ».
La synthèse rédigée par le CIE central le 12 août citait comme
significatif ce jugement d’un intellectuel : « On n’a rien apporté
de vraiment nouveau. En dehors de l’égalité des soldes, on n’a
rien réalisé de bien tangible. Ce que nous désirons, c’est la pari-
té complète dans tous les domaines. Beaucoup des nôtres esti-
ment qu’il n’y a plus rien à attendre des dirigeants français et
que les Musulmans doivent désormais prendre une autre voie. »
Il attribuait à Ferhat Abbas et à ses amis l’intention de faire une
démarche auprès du gouverneur général pour lui faire part de
« leur profonde déception et de leur résolution de ne plus rien
demander au gouvernement français qui vient de montrer qu’il
ne prenait pas au sérieux les revendications du peuple algérien ».
Aussi le rapport concluait-il : « Les réformes annoncées n’ont pas
réussi à rétablir entièrement le climat de confiance désirable » ;
« les mesures les plus propres à rallier les esprits seraient, selon
lui, les suivantes :
1) Application rapide et dans un esprit libéral des mesures dont
le principe vient d’être adopté.
2) Extension plus large des emplois accessibles aux indigènes.
3) Extension à 50 % de la proportion des musulmans dans les
diverses assemblées.
4) Attribution d’office de la citoyenneté (avec maintien du sta-
tut personnel, précisent les réformistes) aux catégories d’indigènes
prévues par le projet Viollette ou les projets analogues (20 000 à
30 000 bénéficiaires).
5) Reprise de « la politique des égards, abandonnée depuis
deux ans », et « lutte contre les abus287 ».
Comble de maladresse, les décisions du 6 août parurent au
Journal officiel de la République française du 12 août, à l’exception

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

de la plus importante, celle sur l’égalité des soldes, retardée par


une modification d’un mot demandée par le général Giraud. Infor-
mé par Berque, Catroux adressa aux deux présidents du CFLN
une note de protestation, signalant que « la profonde déception »
des musulmans s’était traduite « par des commentaires qui ont
détruit en grande partie l’effet favorable résultant de l’annonce
du train de réforme », demandant que « l’ordonnance dont il s’agit
soit publiée sans faute au prochain numéro du Journal officiel » et
qu’à l’avenir « les mesures décidées en faveur des musulmans par
le CFLN et annoncées dans la presse paraissent à l’Officiel sans
aucun retard 288 ». Mais la décision en cause ne parut pas avant
le 28 août…
Catroux ne pouvait garder aucune illusion sur l’efficacité de
ses premières mesures. Mais, indisposé par l’agitation des par-
tisans du Manifeste, qui réclamaient sa prise en considération
sous la menace de démission des élus, de désobéissance civile
et de manifestations, il persévéra dans sa politique. En sep-
tembre, indigné d’apprendre que Ferhat Abbas avait demandé à
Robert Murphy l’intervention de Roosevelt et se vantait d’avoir
son appui, il refusa l’audience que celui-ci lui demandait. Abbas
répliqua en organisant une fronde des délégués financiers arabes
et kabyles, qui refusèrent de siéger à la rentrée des Délégations
financières le 22 septembre289. Ils se réunirent en privé pour
adresser une motion de protestation très vive aux généraux de
Gaulle et Catroux, signée par 15 délégués sur 24. Le gouverneur
général riposta en prononçant la suspension des sections arabe
et kabyle des Délégations financières, et en envoyant les deux
meneurs, Ferhat Abbas et Sayah Abdelkader, en résidence forcée
au Sahara, « pour avoir provoqué leurs collègues à la désobéis-
sance civile, essayé d’entraver le fonctionnement de l’Assemblée,
et troublé l’ordre public en temps de guerre290 ».

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

Les autres délégués financiers se soumirent humblement 291. Le


15 octobre, ils vinrent devant le gouverneur général déplorer un
incident « qui n’était ni dans leurs intentions ni dans leurs pen-
sées », et affirmer leur désir de réformer « dans la légalité et dans
l’ordre au sein de la communauté française292 ».
Le 30 octobre, le général Catroux abrogea son arrêté de disso-
lution des délégations arabe et kabyle, et fit libérer le 2 décembre
les leaders internés. Il avait réussi à briser l’unité des anciens
élus sur le programme nationaliste du Manifeste. Mais le soutien
résolu accordé à Ferhat Abbas par les militants clandestins du
Parti poulaire algérien – qui défilèrent à Alger le 30 septembre,
et diffusèrent des tracts hostiles aux réformes du CFLN – annon-
çait un rassemblement beaucoup plus redoutable pour l’ordre
français293.
Catroux ne pouvait ignorer la précarité de sa victoire, d’au-
tant moins que le rétablissement du décret Crémieux annoncé le
21 octobre par le CFLN avait fourni un grief supplémentaire à
l’opinion publique musulmane. Bien que la déclaration officielle
eût soigneusement précisé que cette décision laissait toute liberté
aux pouvoirs publics « qui aur[aie]nt à fixer de façon définitive,
non seulement le statut des israélites indigènes de l’Algérie, mais
également celui des autres catégories de la population indigène de
l’Algérie », celle-ci fut ressentie comme discriminatoire294. Rabais-
sés par le régime de Vichy sous le statut des indigènes, les juifs
seuls en étaient relevés par le CFLN au nom des principes répu-
blicains qui condamnent les lois racistes. Ainsi, selon un intel-
lectuel musulman cité par le CIE, « le statut appliqué à l’indigène
musulman est officiellement reconnu comme un statut d’indigni-
té et d’inspiration raciste ». Les partisans d’Abbas et de Messali
Hadj, « majorité écrasante », voient dans cette mesure une justi-
fication de leurs thèses. « Même les musulmans les plus acquis à

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

l’idée française sont découragés par tant d’incompréhension et se


laissent […] gagner par l’ambiance générale295. »
Catroux en eut une confirmation par une lettre du capitaine
de tirailleurs Sadok Saïdi, dont il adressa une copie confidentielle
à Berque296. Elle rappelait la joie avec laquelle les évolués avaient
accueilli le général Catroux, « le seul homme capable de ramener
une ambiance favorable à la France ». Mais « les sanctions prises
contre Ferhat Abbas et Sayah, la dissolution de la délégation indi-
gène, et surtout peut-être l’inqualifiable attitude des colons à ce
sujet, ont sérieusement modifié la situation ». « La déception des
musulmans est profonde et ils tendent à vous en faire un grief
personnel », écrivait le capitaine, qui ajoutait : « Je crois bien que je
n’ai jamais constaté une séparation aussi profonde entre la France
et les musulmans d’Algérie. La confiance réciproque n’existe plus.
Moi et mes coreligionnaires attachés à la France nous souffrons
actuellement de cette situation. » Il demandait en leur nom à « être
considérés comme de véritables Français », à ce que la France
ouvre ses bras à tous ceux qui s’étaient montrés dignes de la
citoyenneté et « qu’on cesse surtout de nous faire passer en toutes
occasions après les Israélites ».
Ainsi informé, Catroux savait dans quelle voie s’engager :
reprendre l’initiative par des réformes audacieuses pour tenter de
reconquérir la majorité de l’opinion musulmane.

La question cruciale de la citoyenneté


Dès la fin de novembre 1943, malgré leurs divergences quant au
règlement de la crise libanaise, Catroux et de Gaulle s’accordè-
rent sur l’urgence de réformer la politique algérienne de la France.
Le 11 décembre, le CFLN prit la décision d’établir un programme
complet de mesures politiques, économiques et sociales en faveur
de tous les Français musulmans d’Algérie, tendant à relever

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

rapidement leur condition au niveau des autres Français. Le géné-


ral Catroux fut chargé de faire étudier par une nouvelle commis-
sion ces propositions et de les soumettre aux décisions du CFLN
dans un délai limité.
Avant son départ pour Beyrouth le 13 novembre 1943, Catroux
était convaincu de l’insuffisance du recours à la force et des
réformes ponctuelles pour rétablir le calme en Algérie. Il avait
prévu de prononcer un discours le 2 décembre à la séance de ren-
trée des Délégations financières, où il voulait rappeler la première
vague de réformes et en annoncer d’autres297. De retour à Alger le
30 novembre, il exposa au Comité réuni le 3 décembre la nécessité
de compléter les réformes antérieures. Le même jour, devant les
Délégations financières (en l’absence d’Abbas et de Sayah, libérés
la veille de leur résidence forcée au Sahara), il prôna le maintien
et le développement des grands services sociaux (enseignement,
santé, paysannat, artisanat et habitat indigènes), et les situa dans
une perspective plus ambitieuse : « Votre gouverneur général,
qui exprime en la matière les idées du Comité de la Libération,
est au plus haut point préoccupé de l’amélioration de la condi-
tion des Français musulmans, de l’amélioration de leur condition
matérielle sans doute, mais aussi – et il doit en avoir donné des
preuves, et il se propose d’en fournir de nouvelles – de l’amélio-
ration de leur condition morale et politique, ainsi qu’il est dû à
leur fidélité à la France, si nettement affirmée sur les champs de
bataille et patriotiquement proclamée il y a peu de temps encore
par leurs représentants dans cette assemblée298. »
De son côté, le général de Gaulle avait aussi étudié le problème
algérien. Bien qu’il fût l’un des rares officiers de sa génération
à n’avoir jamais servi outre-mer (à l’exception d’un bref séjour
dans les mandats du Levant de 1929 à 1931), il s’était intéressé
de longue date aux problèmes de l’Empire colonial – y compris

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

l’Algérie – facteur essentiel de la puissance française depuis


juin 1940299. À la fin de novembre, il convoqua le commissaire
adjoint à l’Intérieur Jean Pierre-Bloch, en sa qualité d’ancien vice-
président de la commission d’enquête Lagrosillière. Celui-ci lui fit
un récit détaillé des travaux de la commission et une analyse du
projet Blum-Viollette, que le général jugea « un projet de justice et
d’intérêt national, mais insuffisant ». Pierre-Bloch fut d’abord sur-
pris de voir que son interlocuteur ignorait presque tout de Mau-
rice Viollette, mais il le fut plus encore par la suite de découvrir
sa connaissance approfondie du problème algérien. « Jamais un
homme d’État ne m’avait parlé du problème et des réformes algé-
riennes avec autant de lucidité et de perspective. J’en fus agréa-
blement surpris, et en ai gardé un souvenir inoubliable ; il me
traça à grands traits ses projets et la nécessité de réformer vite
si l’on voulait garder l’Algérie à la France. Cependant, il estimait
que les réformes de structure ne pouvaient être réalisées en pleine
guerre300. » Pierre-Bloch lui rappela que le rétablissement du décret
Crémieux pour les juifs lui imposait d’en faire un autre pour les
musulmans. Le général annonça son intention d’aller à Constan-
tine en décembre prononcer un grand discours à leur intention,
et demanda un rapport pour la semaine suivante, préparé par le
préfet de Constantine Louis Périllier et par le professeur de droit
Paul-Émile Viard, membre du groupe de résistance Combat et du
Mouvement pour la IVe République.
Peu après, la fédération d’Alger du Parti socialiste organisa le
8 décembre un congrès consacré pour l’essentiel au problème algé-
rien, sous la présidence de l’ancien ministre de Léon Blum, Vin-
cent Auriol, et en présence de personnalités telles que le président
de l’Assemblée consultative provisoire Félix Gouin, le commis-
saire d’État André Philip, et le commissaire adjoint à l’Intérieur
Jean Pierre-Bloch. Il adopta une motion réclamant des réformes

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

égalitaires en faveur des musulmans, dans l’esprit de la charte


revendicative du Congrès musulman de juin 1936301.
Le 10 décembre 1943, le général de Gaulle présida une confé-
rence des responsables de l’Afrique du Nord, le général Catroux,
l’ambassadeur Massigli, et les résidents généraux Mast et Puaux,
afin de fixer les grandes lignes d’une politique de réformes com-
mune aux trois pays. Dans la discussion des problèmes tunisien
et marocain, le président du CFLN prit position pour la fin de
l’administration directe par les Français et le développement pla-
nifié d’œuvres économiques et sociales en faveur des populations
protégées. Dans son exposé sur les affaires algériennes, Catroux
commença par indiquer : « La politique d’assimilation et d’intégra-
tion doit être poursuivie en Algérie si l’on ne veut pas arriver à un
conflit qui nous obligerait à donner ultérieurement à ce pays un
statut de dominion ou qui aboutirait à une situation analogue à
celle qui prévaut actuellement au Liban. » C’était la première fois
qu’une telle hypothèse était envisagée par le responsable de la
politique algérienne de la France.
En matière économique et sociale, le gouverneur général rap-
pela l’existence de nombreux plans, notamment pour l’irrigation,
le Crédit Agricole, le relèvement des salaires agricoles, le dévelop-
pement de l’artisanat et de l’industrie pour employer le prolétariat
rural. Mais si les grandes lignes étaient déjà tracées, il restait à
établir un programme échelonné sur plusieurs années et doté des
moyens qu’exigeait sa réalisation : « Ce programme nécessitera un
emprunt qui vraisemblablement ne pourra être lancé qu’après la
guerre et devra avoir pour but d’assurer une certaine industrialisa-
tion de l’Algérie. » Catroux proposa la création d’une commission
composée de Français et d’indigènes afin d’établir ce programme,
et d’un secrétariat général des affaires économiques, sociales
et politiques avec un état-major purement indigène. Le général

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

de Gaulle retint la première suggestion, et proposa que la com-


mission fût composée de représentants de l’administration, des
colons, des musulmans, et des « éléments venus de France », qui
« pourraient être choisis parmi les délégués à l’Assemblée consul-
tative et seraient susceptibles d’apporter à la fois des conceptions
neuves et une impartialité totale302 ».
Politiquement, Catroux déclara qu’il fallait trouver une formule
accordant plus largement l’électorat et l’éligibilité aux indigènes
dans les assemblées représentatives. Deux conceptions s’oppo-
saient. La première consistait à intégrer par paliers dans le corps
électoral français ceux qui paraissaient avoir l’éducation politique
nécessaire, sans les obliger à choisir entre les droits politiques
français et leur statut personnel, conformément à de nombreux
exemples étrangers. La seconde tendait « à créer un corps élec-
toral indigène distinct du corps électoral français », ce qui aurait
« l’inconvénient grave de matérialiser l’absence de fusion entre
les deux éléments de la population ». Catroux estimait que le pro-
jet Viollette, correspondant à la première conception, « pourrait,
repris et modifié, constituer la base du nouveau statut » ; ce qui
permettrait de « ne pas accéder aux revendications des nationa-
listes de la nuance Ferhat Abbas qui demandent une parité totale
entre Européens et indigènes », et de n’accorder aux seconds que
les deux cinquièmes des sièges dans les conseils municipaux, les
conseils généraux et les délégations financières.
René Massigli ayant exprimé la crainte que le Parti commu-
niste, pouvant disposer de la clientèle indigène, en profite pour
obtenir la majorité, le général de Gaulle répondit qu’« il n’[était]
pas possible de différer la solution du problème des droits poli-
tiques des musulmans et que le meilleur moyen de faire le jeu des
communistes serait de se cantonner dans une attitude purement
négative ».

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

Catroux énuméra une liste de catégories reprises du projet


Viollette, comprenant environ 17 000 personnes qui devaient rece-
voir la citoyenneté française à titre individuel et non héréditaire,
afin d’éviter « une multiplication rapide des nouveaux citoyens
français qui ne correspondrait pas aux possibilités d’assimilation
sociale ». Au contraire, le général de Gaulle déclara craindre « que
cette limitation ne provoque de graves objections dans les milieux
musulmans, étant donné que le décret Crémieux accorde aux
Juifs la citoyenneté à titre héréditaire ».
Catroux indiqua que les réformes du mois d’août avaient été
jugées insuffisantes par les nationalistes musulmans, et qu’au-
cune candidature aux fonctions publiques rendues accessibles
aux indigènes n’avait été enregistrée. Au contraire, il pensait que
le programme qu’il venait d’exposer serait accepté par l’ensemble
des milieux musulmans ; et que les fonctions d’autorité poli-
tique, administrative et judiciaire devaient rester réservées aux
citoyens français pour justifier l’extension à l’élite musulmane de
la citoyenneté. Il termina son exposé en soulignant l’importance
de l’effort financier consenti par l’Algérie et la nécessité d’un effort
très important dans le domaine de l’instruction publique où, « sur
900 000 enfants d’âge scolaire, 100 000 seulement vont à l’école ».
Le 11 décembre 1943, le CFLN adopta les décisions proposées
par son commissaire d’État chargé des Affaires musulmanes : « La
politique de la France à l’égard des Français musulmans d’Algérie
doit tendre de façon continue et progressive à élever leur condi-
tion politique, sociale et économique au niveau de celle des Fran-
çais non musulmans.
En partant de ce principe, le Comité estime nécessaire :
a) de conférer aux élites musulmanes, sans plus attendre
et sans abandon du statut personnel coranique, la citoyenneté
française ;

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

b) d’augmenter la représentation des musulmans dans les


assemblées délibérantes algériennes et d’élargir le droit de suf-
frage des musulmans ;
c) de faire accéder les musulmans à un plus grand nombre de
postes administratifs ;
d) de tracer et de réaliser un programme complet d’ascension
sociale et de progrès économique au profit de l’ensemble des popu-
lations françaises musulmanes, d’évaluer et de procurer parallè-
lement les ressources financières nécessaires à l’accomplissement
de ce programme et d’en fixer les délais d’exécution303. »
En conséquence, Catroux recevait la mission de présenter au
Comité toutes les propositions nécessaires, en s’appuyant sur les
travaux d’une commission présidée par lui-même ou par le secré-
taire général du gouvernement général, et comprenant des hauts
fonctionnaires et, en nombre égal, des membres « français non-
musulmans » et « français musulmans ». Celle-ci devait déposer
son rapport au plus tard le 31 janvier 1944, et le Comité arrêter ses
décisions au plus tard le 15 février.
Le lendemain, le général de Gaulle, accompagné de Catroux,
de Jean Pierre-Bloch et de plusieurs autres commissaires, vint
prononcer un discours à Constantine. Parlant sur la place de la
Brèche, devant une « foule innombrable » composée en grande
majorité de musulmans, il évoqua les devoirs de la France envers
« d’autres peuples et d’autres races » qu’elle s’était associés, et par-
ticulièrement envers les musulmans de l’Afrique du Nord. Distin-
guant le cas des « trois départements de l’Algérie française » des
deux protectorats voisins, il résuma les décisions prises la veille :
« Le Comité de la Libération a décidé, d’abord, d’attribuer immédia-
tement à plusieurs dizaines de millions de Français musulmans
leurs droits entiers de citoyens, sans admettre que l’exercice de ces
droits puisse être empêché, ni limité, par des objections fondées

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

sur le statut personnel. En même temps, va être augmentée la


proportion des Français musulmans dans les diverses assem-
blées qui traitent des intérêts locaux. Corrélativement, un grand
nombre de postes administratifs seront rendus accessibles à ceux
qui en auront la capacité. Mais, c’est aussi à l’amélioration abso-
lue et relative des conditions de vie des masses algériennes que le
gouvernement a résolu de s’attacher par un ensemble de mesures
qu’il fera très prochainement connaître. » Puis il commenta : « Ce
plan d’ensemble dont l’exécution sera commencée aussitôt avec
les moyens disponibles, montrera à tous que la France nouvelle a
mesuré ici tous ses devoirs304. » Près de la tribune officielle, il vit
le docteur Bendjelloul, ancien président de la Fédération des élus
indigènes du département et membre de l’Assemblée consulta-
tive, pleurer d’émotion, ainsi que d’autres musulmans.
Deux jours plus tard, Catroux explicita le sens du discours de
Constantine dans une allocution radiodiffusée à l’intention de tous
les habitants de l’Algérie. Il affirma que la politique de la France
était digne d’elle, et qu’elle visait à mieux assurer l’avenir de l’Algé-
rie française. Elle était fidèle à son idéal de « Liberté, Égalité, Frater-
nité », qui se traduisait en langage politique par les mots « équilibre,
justice et prévoyance » : « À un régime qui, jusqu’ici, ne compor-
tait pour les musulmans français que des obligations, […] suc-
cède un régime où les droits viennent et viendront compenser les
devoirs305. » Par ce discours, qui ne faisait aucune allusion à l’exis-
tence d’un nationalisme musulman algérien, Catroux s’efforçait de
toucher le cœur et de convaincre la raison des Français d’Algérie.
Le même jour, il définit par un arrêté la mission et la com-
position de la commission chargée d’établir le programme des
réformes. Celui-ci devait comporter en particulier :
« – l’accession de droit et sans abandon de leur statut person-
nel à la citoyenneté française des élites musulmanes algériennes,

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

la détermination de ces élites et des catégories qui les composent


[devant être] proposée par la commission ;
– l’augmentation de la représentation des musulmans dans
les assemblées délibérantes algériennes et l’élargissement de leur
droit de suffrage ;
– l’accession des musulmans à un plus grand nombre de postes
administratifs ;
– la large diffusion de l’instruction publique et de l’enseigne-
ment professionnel dans les populations musulmanes urbaines et
rurales ;
– la réorganisation efficace de l’hygiène et de l’assistance médi-
cale dans les milieux musulmans ;
– l’installation sur des terres vacantes ou à régénérer par un
équipement approprié du plus grand nombre possible de familles
rurales musulmanes ;
– l’amélioration des conditions de la vie pastorale et l’accroisse-
ment du cheptel indigène ;
– la création d’industries nouvelles capables d’absorber un plus
grand nombre de travailleurs musulmans ;
– l’extension de l’artisanat musulman rural et urbain ;
– le développement du crédit et de la coopération agricole au
profit des agriculteurs musulmans ;
– le développement de l’habitat urbain et rural ;
– l’application aux travailleurs musulmans des lois sociales
dont les travailleurs européens ont le bénéfice en Algérie ;
– l’organisation des conditions du travail et du régime des
salaires des travailleurs agricoles musulmans306. »
Le même arrêté fixa également la composition de la commis-
sion, pour équilibrer trois groupes de six membres, représentant
respectivement l’administration, les « Français non musulmans »
(dont trois métropolitains), et les « Français musulmans ».

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

Les représentants de l’administration étaient le gouverneur


général Catroux (président de droit) et le secrétaire général Gonon
(président en cas d’absence de son supérieur), l’inspecteur général
de l’administration Lestrade-Carbonnel (président en cas d’empê-
chement des deux précédents), le professeur et doyen de la faculté
de droit d’Alger Paul-Émile Viard (membre de l’Assemblée consul-
tative), le directeur des Affaires musulmanes et des territoires
du Sud Augustin Berque, et M. Gozlan, ancien secrétaire de la
commission d’enquête Lagrosillière, représentant le commissaire
adjoint à l’Intérieur. En outre, M. Rols, adjoint au directeur des
Affaires musulmanes, assurerait le secrétariat de la commission
avec voix consultative.
Les représentants des « Français non-musulmans » étaient tous
des membres de l’Assemblée consultative, ou des élus des dépar-
tements algériens. Leur choix visait à représenter les principales
forces politiques. Trois venaient de la métropole : le sénateur
radical de l’Ardèche Marcel Astier ; le socialiste André Hauriou,
professeur à la faculté de droit de Toulouse, et le député commu-
niste de l’Oise André Mercier. Trois autres étaient des élus algé-
riens : les conseillers généraux radicaux du département d’Alger
Auguste Rencurel (également membre de l’Assemblée consulta-
tive) et de celui de Constantine Gaston Lleu ; le maire de Tlemcen
et président du Conseil général d’Oran Albert Valleur, républicain
socialiste.
Les membres « Français musulmans » étaient pour moitié des
élus et pour l’autre des notables non élus : trois délégués finan-
ciers, le docteur Bendjelloul (également conseiller général du
département de Constantine et membre de l’Assemblée consul-
tative), le docteur Tamzali (président de la section kabyle des
Délégations et conseiller général du département d’Alger), et René
Foudil (du même département) ; et trois notables, le cheikh el Arab

213
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LA FRANCE EN ALGÉRIE

si Bouaziz Ben Gana, représentant la vieille aristocratie guerrière,


le cheikh El Okbi, dissident de l’Association des Oulémas, et Cadi
Abdelkader, président de l’Association des fellahs, représentant la
bourgeoisie rurale. Sur ces six membres, on trouvait trois anciens
signataires du Manifeste ralliés à la nouvelle politique du gou-
vernement français : les docteurs Bendjelloul et Tamzali, et Cadi
Abdelkader. Ils ne représentaient pas l’ensemble des tendances
politiques musulmanes : Abbas et ses amis, les oulémas et le PPA
restaient exclus.
La commission avait le pouvoir de convoquer toutes personna-
lités qu’elle jugerait utile d’entendre, et obtenir des administrations
tous documents relatifs à sa mission. Elle devait, conformément à
la décision du 11 décembre 1943, remettre son rapport et ses pro-
positions à Catroux le 31 janvier 1944.
Elle commença ses travaux le 21 décembre 1943, sous la pré-
sidence du secrétaire général Maurice Gonon, le général Catroux
étant retourné à Beyrouth pour achever le règlement de la crise
libanaise. Dans son allocution d’ouverture, le président attira l’at-
tention des membres présents sur l’unité et la complexité de la
tâche à accomplir307. Il ne s’agissait pas de la dissocier en deux
parties trop distinctes, « une partie politique concernant l’élite, les
évolués, une partie économique et sociale visant l’immense masse
des humbles et des travailleurs ». En réalité, « ces deux ensembles
de mesures s’imbriquent étroitement et se commandent l’une
l’autre ». En effet, ajoutait le texte, « nous ne voulons pas couper
l’élite de la masse, lui faire un sort meilleur, reconnaître et récom-
penser son degré d’évolution et de francisation sans hâter et faci-
liter en même temps l’assimilation progressive des autres, de ceux
qui restent pour le moment en arrière. Et si, d’autre part, nous
voulons donner une participation complète et sans restrictions
aux affaires publiques à cette élite, c’est pour qu’elle s’attache de

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

toutes ses forces et de tout son cœur à l’amélioration du sort de


ceux qui ne sont pas encore au même stade d’évolution ».
Ainsi comprise, la tâche serait « lourde et complexe », de consi-
dérer « ce qui est souhaitable et ce qui est actuellement possible » :
en matière de droits politiques, se montrer « hardi et généreux
sans cesser d’être raisonnable » ; en matière économique et sociale,
« faire quelque chose de pleinement réalisable en dépit de toutes
les difficultés matérielles, financières et humaines ». Les faits jus-
tifièrent surabondamment cette double mise en garde.
La commission travailla du 21 décembre 1943 au 8 juillet 1944
en 27 séances plénières ; en outre, deux sous-commissions se
consacrèrent, l’une au problème politique (deux fois), l’autre au
paysannat (huit fois)308. Les points du programme fixés par l’ar-
rêté du 14 décembre 1943 furent regroupés en questions confiées
chacune à un rapporteur.
Ainsi, les délais impérativement impartis à la commission et au
Comité ne purent être respectés, et il ne fut pas possible de faire
aboutir en même temps la solution du problème politique et l’élabo-
ration du programme économique et social. La commission adopta
son rapport sur le premier point le 31 janvier 1944, mais le CFLN fit
attendre sa décision jusqu’au 7 mars 1944. Sur le second point, la
commission acheva ses travaux le 8 juillet 1944, mais le GPRF n’eut
pas le temps de se prononcer avant de quitter le territoire algérien.

Une citoyenneté à géométrie variable


Le problème politique fut abordé en priorité, dans onze séances
plénières et deux séances de la sous-commission présidée par le
sénateur radical de la Corse Paul Giacobbi (suppléant André Hau-
riou empêché), membre de l’Assemblée consultative. C’est pour-
quoi ce fut le seul point sur lequel la commission put rendre son
rapport au CFLN à la date prévue du 31 janvier 1944309.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

La commission commença par consulter de nombreuses per-


sonnalités d’origine et d’opinions diverses : les trois préfets, de
Constantine (Louis Périllier), d’Alger (Muscatelli) et d’Oran (Battis-
tini) ; des élus parmi les plus notables de la population européenne :
l’ancien président des Délégations financières et du Conseil supé-
rieur de gouvernement Joseph Robert, le grand colon Gabriel Abbo,
délégué financier, conseiller général, président de la Confédération
des maires d’Algérie et de celle des vignerons, le délégué financier
et conseiller général Roger Fournier ; un représentant de la com-
munauté israélite, le conseiller général socialiste Marcel Belaïche.
Les partis de gauche furent également consultés. Une déléga-
tion du congrès interfédéral socialiste d’Algérie, composée d’Aziz
Kessous, Fontaine et Prouteau, fut reçue à sa demande. Ce dernier
lut une résolution par laquelle le congrès exprimait « sa satisfac-
tion de voir le comité français de la Libération nationale s’engager
résolument dans la voie de l’intégration de tous les éléments eth-
niques de ce pays dans la communauté française », et se félicitait
« de voir entrer dans les faits une politique qu’il n’a[vait] jamais
cessé de préconiser ». Tout en regrettant que le Parti socialiste ne
fût pas représenté dans la commission et n’eût pas été convoqué,
la motion énumérait 12 mesures égalitaires à prendre d’urgence.
Puis Aziz Kessous détailla les critères permettant d’assurer un
très large accès des élites musulmanes à la citoyenneté française
à égalité avec les autres citoyens, le suffrage universel avec une
représentation élargie à 50 % des assemblées délibératives pour
les autres musulmans, et l’égalité absolue pour tous les habitants
de l’Algérie en matière d’accès à toutes les fonctions publiques, de
rémunérations, et de libertés publiques310.
Le représentant du Parti communiste algérien Amar Ouzegane,
accompagné par le député du PCF Henri Lozeray et par le secré-
taire général de la CGT d’Algérie Pierre Fayet, se prononça pour

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

une accession très large à la citoyenneté de tous les musulmans


capables de l’exercer à bon escient (notamment les anciens com-
battants et les syndicalistes), sans exclure l’éventualité de l’éman-
cipation future d’une nation algérienne associant et confondant
les deux populations sous la forme d’un dominion311.
Parmi les élus musulmans signataires du Manifeste, le pré-
sident de la Section arabe des Délégations financières, Taleb
Abdesselam, exprima son ralliement à la politique du CFLN. Au
contraire, Ferhat Abbas lut une déclaration favorable à la prise en
considération du Manifeste comme seule solution rationnelle du
problème algérien, cosignée par Sayah Abdelkader312.
Même le président du PPA Messali Hadj, rappelé d’In Salah dans
une résidence surveillée plus proche d’Alger, put venir exprimer
les thèses de son parti interdit, semblables à celles du Manifeste313.
La commission entendit aussi de nombreuses personnalités
religieuses : le cheikh Bachir el Ibrahimi, président de l’Associa-
tion des Oulémas réformistes, lui aussi favorable au Manifeste, le
cheikh Bayoud, représentant la minorité réformiste de la commu-
nauté ibadite du Mzab, et plusieurs marabouts – les cheikhs Ben
Tekkouk, Kacimi, Salhi et Tidjani ; elle consulta également des
chefs traditionnels : le bachagha Ben Chenouf, l’agha du Mzab Sli-
mane Baâmara314 ; et des membres des nouvelles élites de forma-
tion française : Maître Guellati, du barreau de Tunis, et l’ancien
directeur d’école Ouakli (qui demandèrent le retour des natura-
lisés à leur ancien statut personnel), et l’instituteur el Gradchi,
représentant les anciens combattants.
Cette enquête révéla l’hostilité de certains élus européens
(Joseph Robert, Abbo, Fournier) et les réserves de certains hauts
fonctionnaires (le préfet d’Oran Battistini) envers la décision du
CFLN, qu’approuvèrent pourtant la plupart des personnalités non-
musulmanes. Elle montra surtout l’existence d’un large consensus

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

de l’opinion musulmane sur quelques principes : attachement au


statut personnel musulman, répugnance envers toute discrimi-
nation entre l’élite et la masse, aspiration à l’égalité entre tous
les habitants de l’Algérie, voire à l’autodétermination et à une
émancipation progressive du pays. Le général Catroux voulut en
conclure que la tendance nationaliste était minoritaire. Pourtant,
même certains membres de la commission, anciens signataires
du Manifeste comme le docteur Bendjelloul, tout en réclamant à
court terme l’égalité civique totale, n’excluaient pas à plus long
terme que la France fasse de l’Algérie un État émancipé « quand le
peuple algérien aura acquis les qualités morales et intellectuelles
nécessaires », et le cheikh El Okbi affirmait hautement que « l’Algé-
rie musulmane […] constitu[ait] une personnalité morale confiée
à la tutelle de la France, dont le génie ne pourra[it] que conduire
nos populations vers un destin qui trouvera[it] son expression
dans une émancipation qui leur permettra[it] de disposer d’elles-
mêmes dans une ère de concorde et de prospérité315 ».
Dans ces conditions, la commission jugea indispensable d’élar-
gir le cadre de la mission qui lui avait été confiée. Estimant éga-
lement inopportun et non souhaitable, « de restreindre à quelques
catégories formant l’élite l’accession à la citoyenneté française », et
« d’admettre dès à présent au plein exercice des droits politiques
la masse des Indigènes musulmans », elle rechercha une troisième
voie, consistant à « faire une distinction entre la qualité de citoyen
et l’exercice des droits politiques », en accordant la première à tous
les musulmans et en modulant le second suivant des critères de
capacité316.
Trois principaux systèmes furent proposés par des membres
de la commission. René Foudil reprit la proposition d’un col-
lège électoral spécifique aux musulmans, élisant dans toutes les
assemblées algériennes et au Parlement français un nombre de

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

représentants égal à celui du collège non-musulman. Il lui fut


reproché de creuser un fossé infranchissable entre deux catégo-
ries d’électeurs et d’empêcher définitivement l’assimilation des
seconds aux premiers.
À l’opposé, Paul-Émile Viard préconisa un collège unique
accompagné d’un redécoupage des circonscriptions, de manière à
assurer une représentation équitable de toutes les parties du corps
électoral. Par ailleurs, étant défavorable au principe même de la
citoyenneté française dans le statut personnel musulman, il prô-
nait un alignement progressif de ce statut sur la législation civile
française. Cette condition fut écartée.
À mi-chemin, la proposition du maire de Tlemcen, Albert Val-
leur, fut acceptée comme la meilleure synthèse possible par la
commission unanime317. Elle adopta le projet suivant :
« Article 1er. – Sont déclarés citoyens français en conservant
leur statut personnel tous les Français musulmans nés en Algérie,
sous réserve des dispositions propres aux Territoires du Mzab. Ils
jouiront de tous les droits et prérogatives attachés à cette qua-
lité sans exception ni réserve, sauf ce qui sera spécifié dans les
articles qui suivent.
Art. 2. – Pour l’exercice des droits politiques, seront inscrits
sur les listes électorales des citoyens français non-musulmans
les citoyens français musulmans remplissant une des conditions
suivantes : […]
Art. 3. – Tous les autres citoyens français musulmans n’en-
trant pas dans les catégories ci-dessus éliront une représentation
spéciale au sein des conseils municipaux, conseils généraux,
Délégations financières, dont le nombre des membres sera égal
aux deux cinquièmes de l’effectif total de l’assemblée, ainsi qu’un
nombre de députés et de sénateurs élus par les citoyens français
non-musulmans. »

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Les articles suivants prévoyaient le même mode de scrutin pour


l’élection des députés et sénateurs des deux collèges, et l’égale
éligibilité des citoyens musulmans et non-musulmans dans les
deux collèges.
Restait à déterminer la liste des catégories mentionnées par
l’article 2. Elle fut arrêtée par la commission après avis d’une
sous-commission présidée par Paul Giacobbi et composée de
quatre membres : André Mercier, le docteur Tamzali, Auguste
Rencurel et Augustin Berque. Toutefois, dans la sous-commission
et dans la commission, les membres musulmans s’abstinrent de
prendre part à la discussion et au vote, « ne voulant en aucune
façon participer à une discrimination contre le principe de
laquelle ils s’élèvent ».
La majorité de la commission se fonda sur la notion d’élite
mentionnée par la décision du 11 décembre 1943 et définie par
le Littré : « ce qu’il y a de plus choisi, de plus distingué », et sur le
discours du général de Gaulle à Constantine, promettant « d’attri-
buer immédiatement à plusieurs dizaines de milliers de musul-
mans français d’Algérie leurs droits de citoyens ». Elle estima que
ce n’était pas quelques catégories seulement qui devaient former
ces élites, mais « ce qu’il y avait de meilleur et […] de plus choisi
dans chaque catégorie qui devait les constituer, qu’il s’agisse de
militaires ou de civils, de commerçants ou d’agriculteurs, d’intel-
lectuels ou de travailleurs manuels318 ».
La sous-commission puis la commission partirent du projet
Blum-Viollette pour l’élargir très sensiblement : alors que celui-ci
portait sur 35 000 à 40 000 bénéficiaires, le projet de la sous-com-
mission en concernait 65 à 70 000, et celui de la commission 85 à
90 000. Son texte énumérait les catégories suivantes :
« 1°) Les Indigènes algériens français ayant quitté l’armée avec
le grade d’officier ou de sous-officier.

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

2°) […] ayant obtenu soit la médaille militaire, soit la croix de


guerre.
3°) […] titulaires de l’un des diplômes suivants : diplômes de
l’enseignement supérieur, baccalauréat de l’enseignement secon-
daire, brevet supérieur, brevet élémentaire, brevet d’études pri-
maires supérieures, diplôme de fin d’études secondaires, diplôme
des medersas, diplôme de sortie d’une grande école nationale ou
d’une école nationale d’enseignement professionnel, industriel,
agricole ou commercial, titulaires du brevet de langue arabe ou
berbère319.
4°) […] fonctionnaires ou agents de l’État, des départements,
des communes, des services publics ou concédés, titulaires d’un
emploi permanent soumis à un statut réglementaire.
5°) […] délégués financiers, conseillers généraux, conseil-
lers municipaux de communes de plein exercice, présidents et
membres de djemaas ayant […] exercé leurs fonctions pendant
la durée d’un mandat et ayant été réélus et n’ayant pas fait posté-
rieurement l’objet d’une mesure de révocation.
6°) […] bachaghas, aghas, caïds ayant exercé leurs fonctions
pendant au moins trois ans et n’ayant pas fait postérieurement
l’objet d’une mesure de révocation.
7°) […] membres de l’Ordre national de la Légion d’honneur.
8°) […] ouvriers titulaires de la médaille du Travail et membres
des conseils syndicaux des syndicats ouvriers régulièrement
constitués après trois ans d’exercice de leurs fonctions.
9°) Les conseillers prud’hommes et les oukils judiciaires.
10°) Les membres des conseils de section des sociétés de pré-
voyances artisanales ou agricoles et des conseils d’administration des
coopératives agricoles après cinq ans d’exercice de leurs fonctions.
12°) [Ceux] qui ont fait triompher les couleurs nationales dans
les compétitions sportives internationales. »

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Enfin, le gouverneur général pourrait chaque année conférer


la citoyenneté française à un certain nombre d’indigènes algé-
riens par arrêté individuel, de façon à corriger de possibles omis-
sions. Mais ne pourraient bénéficier des dispositions précédentes
les indigènes qui auraient été « condamnés pour crimes ou délits
à des condamnations comportant la perte des droits politiques
selon la législation actuellement en vigueur320 ».

L’illusion de l'apaisement
La commission ayant rendu son rapport le 31 janvier 1944, il appar-
tenait au CFLN de prendre sa décision au plus tard le 15 février.
Mais celle-ci fut retardée par les réserves que le rapport suscita
parmi les membres du Comité.
Catroux les avait prévues. Il avait accompagné le rapport Gia-
cobbi d’un rapport personnel aux membres du CFLN, qui justi-
fiait le choix fait par la commission de dépasser la décision du
11 décembre 1943 en accordant la citoyenneté à tous les musul-
mans algériens, tout en réservant aux élites le plein exercice des
droits politiques. Le projet Valleur adopté par la commission
permettait à la fois de satisfaire les aspirations des masses, et
de sélectionner les élites en les réduisant à environ 40 000 per-
sonnes. Pour conclure, le général Catroux analysait les éléments
du problème algérien : « ce que veut la France », « ce que veulent
les musulmans algériens », et « dans quelle mesure la politique de
la France peut s’accommoder des aspirations des musulmans ».
La France poursuivait en Algérie depuis près d’un siècle « une
politique d’absorption par l’assimilation », réaffirmée par la déci-
sion du 11 décembre 1943. Cette politique était acceptée avant la
guerre par les élites qui souhaitaient s’intégrer dans la commu-
nauté française (sous réserve du maintien du statut personnel),
et par les masses qui respectaient l’autorité française et aspiraient

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

à une vie meilleure. Mais la déception causée par l’échec du pro-


jet Viollette, puis la défaite et surtout l’acceptation de la défaite
avaient changé les sentiments des unes et des autres, en ébran-
lant leur confiance en la France et en les sensibilisant aux pro-
pagandes étrangères. Un néo-nationalisme était apparu parmi
les évolués autour de Ferhat Abbas, très proche des thèses des
Oulémas et du nationalisme prolétarien de Messali Hadj. Malgré
la soumission de la majorité des élus musulmans et leur accep-
tation des décisions du CFLN, ces nationalistes n’avaient pas
désarmé. On pouvait prévoir que si les réformes annoncées se
bornaient à accorder la citoyenneté aux élites, ils « nous repro-
cheraient devant les masses de les sacrifier et de vouloir affaiblir
les musulmans en les divisant ». La politique française devait
donc viser à satisfaire « l’impatience égalitaire » de la masse des
musulmans en les relevant de leur condition inférieure de sujets,
devenue odieuse « car elle perpétue la discrimination raciale et
sociale entre eux et le groupe de Français qu’ils appellent les
colons ». L’adoption du projet Valleur était le seul moyen d’isoler
les nationalistes hostiles à la France, en provoquant « un puissant
choc psychologique », et d’apporter dans les milieux indigènes
« un apaisement au malaise algérien ». D’autre part, les précau-
tions prises dans l’exercice des droits politiques devaient apaiser
les préjugés et les craintes des Français non-musulmans321.
Catroux compléta son rapport par un additif où il répondait à
certaines critiques prévisibles :
– « En conférant la qualité de citoyen français à tous les indi-
gènes, on leur impose une nationalité qu’ils ne réclament pas et
à laquelle ils peuvent répugner. » Le général répondait que tous
les indigènes algériens avaient la nationalité française depuis le
sénatus-consulte de 1865 ; et qu’à moins d’abandonner la politique
d’assimilation, l’accession à la citoyenneté ne pouvait être accordée

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

que dans la nationalité française. Parmi les personnes entendues


par la commission, ceux qui avaient réclamé la citoyenneté algé-
rienne (tels Abbas, Messali Hadj et le cheikh Brahimi) étaient en
minorité ; la revendication de la majorité en faveur de la masse
visait non un changement de nationalité, mais l’accession du sta-
tut de sujet à celui de citoyen.
– « Le projet dissocie les élites de la masse » : cette discrimina-
tion étant basée sur le degré d’évolution intellectuelle ou sociale,
la masse en élevant son niveau pourrait rejoindre progressivement
les élites.
– « Comme conséquence de cette dissociation, on peut craindre
que […] la masse qui se serait donné des chefs sortis de son sein
évolue séparément dans le sens d’un nationalisme algérien. » Le
général estimait que les administrateurs des communes mixtes
pourraient orienter l’évolution et le vote des masses rurales. Il
ajoutait néanmoins que « si la nation musulmane algérienne,
prenant conscience d’elle-même, demandait dans l’avenir à se
constituer, le Gouvernement du moment aurait à reconsidérer sa
politique, puisque la politique d’assimilation aurait échoué. Et il
devrait vraisemblablement accorder à l’Algérie un statut d’auto-
nomie politique apte à faire vivre ensemble les deux fractions de
la population, l’algérienne et la française. Le problème à résoudre
s’apparenterait dès lors à celui qui se pose au Liban ». C’était la
première fois que cette éventualité (jugée impensable depuis la
fin du « royaume arabe » de Napoléon III) était évoquée devant les
membres d’un gouvernement français.
– « On peut s’étonner qu’il soit prévu une représentation spé-
ciale au Parlement des citoyens musulmans n’exerçant pas les
droits politiques. » Ce n’était pas moins difficile à concevoir que
la non-représentation au Parlement de Français reconnus citoyens
même incomplètement322.

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

Ce grand effort de persuasion produisit des effets inégaux.


Si Catroux emporta l’adhésion de certains de ses collègues du
Comité, tels que le commissaire d’État André Philip et le com-
missaire aux Finances Pierre Mendès France, d’autres restèrent
hésitants ou inquiets devant la hardiesse des réformes proposées.
Parmi les opposants, avec le commissaire aux communications
René Mayer, le plus résolu fut le commissaire aux Colonies René
Pléven, qui venait d’organiser à Brazzaville, du 30 janvier au
8 février 1944, une conférence des gouverneurs des territoires
africains chargée de définir une nouvelle politique coloniale. Il
exprima ses doutes et ses critiques dans un « mémorandum pour
contribuer à l’étude du projet Valleur323 ».
Ce mémorandum commençait par constater que le projet Val-
leur s’inscrivait dans une perspective d’assimilation analogue à
une « tendance très marquée de la conférence de Brazzaville »,
mais différente par la méthode retenue. L’auteur admettait qu’il
serait inopportun de faire à l’Algérie, dans un système fédéra-
tif, une place tout à fait distincte de la métropole, étant donné
la proximité géographique, l’importance de la minorité euro-
péenne et le danger d’encourager les forces centrifuges dans la
majorité musulmane. Il comprenait que la commission avait dû
élargir le cadre de sa mission parce que « l’opinion musulmane
en alerte risquait de peser dans le sens d’une citoyenneté algé-
rienne » si la citoyenneté française restait réservée aux élites.
Mais il n’était pas convaincu qu’elle eût eu raison de donner la
priorité au problème politique sur tous les autres ; au risque d’al-
térer, dans l’opinion publique, l’essence même du programme
de Constantine, et de laisser sans réponse de nombreuses ques-
tions importantes :
– « quand et comment serait effectuée la réforme administra-
tive en Algérie ?

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

– quand et comment procédera-t-on à l’éducation de la masse


et des élites ?
– quand et sous quelle forme envisage-t-on la réforme sociale ? »
Le commissaire aux Colonies s’interrogeait également sur les
conséquences du projet Valleur pour la métropole et pour l’Em-
pire. À son avis, les limitations à l’exercice des droits politiques
de la masse étaient d’une efficacité nulle, et la France devrait rapi-
dement cohabiter avec huit millions de citoyens musulmans aux
traditions différentes des siennes. Il était à prévoir que d’autres
populations coloniales non moins évoluées en Afrique et en Asie
demanderaient la même faveur : « Moins séparés de nous par la
religion, ces territoires le sont un peu davantage par le sang, mais
voudra-t-on en faire le motif d’une fin de non-recevoir ? »
La substance même de la nation française en serait altérée :
« Dès lors, la France, après avoir été le vieux foyer occidental,
disons même chrétien, que l’on connaît et que l’on aime, ne
deviendrait-elle pas une nation mixte, si tant est que ces deux
termes ne jurent pas entre eux ? Ne serait-ce pas une véritable
novation historique, le mot France n’ayant plus le même sens
avant le projet Valleur et après ce projet ? Est-on sûr qu’on puisse
ainsi traiter le peuple français en son absence ? » Et l’auteur
d’évoquer la décadence du Bas Empire romain, consécutive à la
généralisation du droit de cité par l’édit de Caracalla, donné en
annexe, dans son texte latin.
En conclusion, le mémorandum suggérait de rechercher une
solution moyenne entre la fédération et l’assimilation totale. Il
proposait une réforme administrative qui, sans conclure à l’au-
tonomie, « distinguerait d’une façon suffisante l’Algérie de la
France », et le maintien d’« une différence entre les citoyens fran-
çais non-renonçants et les autres citoyens français ». La réforme
politique devrait faire partie d’un tout, qui apparaîtrait comme

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

« une entreprise algérienne, menée et suivie par la France, mais


intéressant d’abord l’Algérie », et dont le résultat ne pourrait être
interprété « ni comme une assimilation à la France, ni comme
l’origine d’une nation algérienne ».
Après avoir difficilement obtenu l’acceptation des principes du
projet Valleur par le CFLN, Catroux rédigea le 29 février une note
comparant les inconvénients d’une acceptation et d’un refus. Il
y constatait les réticences et les scrupules de plusieurs de ses
collègues, « peut-être même la majorité d’entre eux », à octroyer la
citoyenneté française à tous les musulmans algériens. Tout en les
comprenant, il jugeait nécessaire de les écarter, parce que le refus
du projet Valleur comportait des risques plus grands que son
acceptation. En effet, le risque d’altérer la « substance nationale »
de la métropole était faible, la Méditerranée y faisant obstacle.
La représentation des musulmans dans les assemblées françaises
proportionnellement à leur nombre était évitée par le projet, qui
limitait le nombre des élus du deuxième collège à l’égal de celui
du premier : 15 députés en 1940.
Mieux fondé était le scrupule d’un gouvernement provisoire
de fait à prendre une décision relevant de la souveraineté natio-
nale. Mais le problème posé pouvait-il attendre sans dommage la
solution que lui donnerait la Nation, ou bien le Comité devait-il
prendre la responsabilité de décider pour elle ? Sur ce point capi-
tal, Catroux répondait que l’ajournement du projet Valleur entraî-
nerait les plus regrettables conséquences :
« a) Les élites, et particulièrement, les élus qui en sont l’élément
actif, n’accepteront pas – ils nous l’ont dit – ce régime privilégié
qui les isolera de la masse. Et par respect humain, les autres béné-
ficiaires de la citoyenneté se conformeront à leur comportement.
b) La masse qui a soif d’égalité et par suite aspire à passer de
la condition de sujet à celle de citoyen se verra maintenue dans

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

son statut d’infériorité. Elle en concevra […] d’amères rancœurs


qui la rendront docile aux propagandes qui déjà la travaillent
dans un sens hostile à l’assimilation et à la France. Celle menée
par Ferhat Abbas en faveur de la constitution de la nation algé-
rienne, celle des Oulémas réformistes qui a pour levier le fana-
tisme religieux, celle du Parti populaire algérien qui vise à créer
l’État nationaliste prolétarien, celle enfin des communistes qui
prêchent l’égalité des droits et la haine des possédants, des caïds
et des administrateurs, promet la justice et la félicité aux classes
mal nanties.
À ces diverses propagandes qui toutes concourront à créer le
désordre et le reniement de la France, nous aurons procuré des
thèmes qui rencontreront une audience facile. Elles diront qu’à
dessein, nous avons voulu diviser les musulmans et favoriser les
élites pour mieux asservir les masses. Elles diront que nous fai-
sons une politique de classe. Elles diront enfin que le salut du
peuple ne peut être espéré que dans l’étroite solidarité islamique
au sein d’une nation libérée de l’étranger et de l’Occident.
Ce développement est certain, et c’est parce qu’ils en ont le
pressentiment que les élus ont refusé par avance de se compro-
mettre en acceptant de se dissocier de la masse et qu’ils sont
secrètement prêts à rejoindre et Ferhat Abbas et les Oulémas
réformistes, si la formule d’équilibre que représente le projet Val-
leur était rejetée. »
Le général demandait s’il fallait décourager la masse des Algé-
riens, les rejeter vers les propagandes hostiles des nationalistes
tunisiens et marocains et du panarabisme, et « nous exposer à
douter du loyalisme de nos troupes indigènes qui représentent
la majeure partie de nos unités de bataille ». Il attirait l’attention
du Comité sur la fugacité des occasions et la mobilité de l’âme
indigène, rappelant la faveur et la disgrâce du projet Viollette, et

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

redoutant que le projet Valleur ne subisse le même sort. Si toute-


fois le Comité décidait de passer outre à ses arguments, Catroux
l’avertissait qu’il serait « astreint à une politique d’autorité et de
très grande fermeté », s’il voulait éviter d’avoir à faire de la répres-
sion, et à conserver en Algérie des troupes sûres et mobiles, afin
d’assurer la sécurité du territoire324.
La position du général de Gaulle dans ce débat fondamental
reste imparfaitement connue. À la conférence de Brazzaville, il
avait déclaré dans son discours d’ouverture que la politique de
la France devait tendre à élever les peuples qu’elle s’était asso-
ciés à un niveau qui les rende « capables de participer chez eux
à la gestion de leurs propres affaires », voire de « s’administrer
et plus tard de se gouverner eux-mêmes325. » Mais, selon Pierre
Olivier Lapie, le général refusait d’admettre une évolution de
chaque territoire vers une totale autonomie, parce qu’il craignait
que les colons algériens n’en profitent pour faire de l’Algérie une
autre Afrique du Sud, ce qui n’aurait pas été digne de la France326.
Néanmoins, suivant le témoignage d’André Philip, celui-ci pro-
posant au général d’aller jusqu’à l’autonomie en aurait reçu cette
réponse : « L’autonomie ? Allons, Philip, vous savez bien que tout
cela finira par l’indépendance327 ! »
Le président du CFLN arbitra le débat dans le sens d’un com-
promis, allant au-delà de la décision du 11 décembre 1943 sans
satisfaire entièrement les propositions de la commission. Dès le
29 février, Henri Queuille nota dans son Journal : « Je suis sur-
pris d’apprendre qu’il change de position au sujet des affaires
musulmanes ». Le 10 mars, après la décision finale du CFLN, il
confirma son observation : « Le général a bien changé de posi-
tion au sujet des affaires musulmanes. Il ne se reconnaît pas le
droit d’accorder la citoyenneté, mais ce changement est expliqué
au Comité avec une finesse, une souplesse, un art qui prouve

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

décidément que l’homme politique se forme. On est loin des


éclats de jadis328. » Le rôle du général de Gaulle fut donc essentiel
dans la décision du CFLN.

« Un sentiment de profonde amertume »


Le CFLN rendit sa décision sous la forme de l’ordonnance du
7 mars 1944 :
« Le Comité français de la libération nationale ; Sur le rapport
du commissaire d’État aux Affaires musulmanes et du commis-
saire à l’Intérieur,
Vu l’ordonnance du 3 juin 1943 portant institution du Comité
français de la Libération nationale,
Vu le sénatus-consulte du 14 juillet 1865,
Vu le décret du 24 octobre 1870,
Vu la loi du 4 février 1919 relative aux collèges électoraux d’Al-
gérie, ensemble le décret du 6 février 1919,
Le Comité juridique entendu,
ORDONNE :
Article 1er. – Les Français musulmans d’Algérie jouissent de
tous les droits et sont soumis à tous les devoirs des Français non
musulmans.
Tous les emplois civils et militaires leur sont accessibles.
Article 2. – La loi s’applique indistinctement aux Français
musulmans et aux Français non musulmans. Toutes disposi-
tions d’exception applicables aux Français musulmans sont
abrogées.
Toutefois restent soumis aux règles du droit musulman et
des coutumes berbères en matière de statut personnel, les Fran-
çais musulmans qui n’ont pas expressément déclaré leur volonté
d’être placés sous l’empire intégral de la loi française. Les contes-
tations en la matière continuent à être soumises aux juridictions

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

qui en connaissent actuellement. Le régime immobilier reste fixé


par les lois en vigueur.
Article 3. – Sont déclarés citoyens français, à titre person-
nel, et inscrits sur les mêmes listes électorales que les citoyens
non musulmans et participent aux mêmes scrutins, les Français
musulmans de sexe masculin âgés de 21 ans et appartenant aux
catégories ci-après :
– anciens officiers,
– titulaires d’un des diplômes suivants : diplôme de l’ensei-
gnement supérieur, baccalauréat de l’enseignement secondaire,
brevet supérieur, brevet élémentaire, brevet d’études primaires
supérieures, diplôme de fin d’études secondaires, diplôme des
medersas, diplôme de sortie d’une grande école nationale ou
d’une école nationale de l’enseignement industriel, agricole ou
commercial, brevet de langue arabe et berbère,
– fonctionnaires ou agents de l’État, des départements des
communes, des services publics ou concédés, en activité ou
en retraite, titulaires d’un emploi permanent soumis à un sta-
tut réglementaire, dans des conditions qui seront fixées par
décret,
– membres actuels et anciens des chambres de commerce et
d’agriculture,
– bachaghas, aghas et caïds ayant exercé leurs fonctions pen-
dant au moins trois ans et n’ayant pas fait postérieurement l’objet
d’une mesure de révocation,
– personnalités exerçant ou ayant exercé des mandats de délé-
gués financiers, conseiller général, conseiller municipal de com-
mune de plein exercice, ou président d’une djemâa,
– membres de l’Ordre national de la Légion d’honneur,
– compagnons de l’Ordre de la Libération,
– titulaires de la médaille militaire,

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

– titulaires de la médaille de la Résistance,


– titulaires de la médaille du Travail et membres actuels et
anciens des conseils syndicaux des syndicats ouvriers réguliè-
rement constitués, après trois ans d’exercice de leurs fonctions,
– conseillers prud’hommes actuels et anciens,
– oukils judiciaires329,
– membres actuels et anciens des conseils d’administration
des SIP artisanales et agricoles,
– membres actuels et anciens des conseils de section des SIP
artisanales et agricoles.
Article 4. – Les autres Français musulmans sont appelés à
recevoir la citoyenneté française. L’Assemblée nationale consti-
tuante fixera les conditions et les modalités de cette accession.
Dès à présent, ceux d’entre eux qui sont âgés de plus de 21
ans et du sexe masculin reçoivent le bénéfice des dispositions du
décret du 6 février 1919 et sont inscrits dans les collèges électo-
raux appelés à élire la représentation spéciale aux conseils muni-
cipaux, conseils généraux et délégations financières prévus par
le dit décret.
Cette représentation sera pour les conseils généraux et les
délégations financières égale aux deux cinquièmes de l’effectif
total de ces assemblées. Pour les conseils municipaux, elle sera
également des deux cinquièmes sauf dans le cas où le rapport
entre la population française musulmane et la population totale
de la commune n’atteindra point ce chiffre. Elle serait alors pro-
portionnelle au chiffre de la population musulmane.
Article 5. – Tous les Français sont indistinctement éligibles
aux assemblées algériennes, quel que soit le collège électoral
auquel ils appartiennent.
Article 6. – Est réservé le statut des populations du M’Zab
ainsi que des populations des territoires proprement sahariens.

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

Article 7. – Les modalités d’application de la présente ordon-


nance seront fixées par décret.
Article 8. – La présente ordonnance, qui sera publiée au Jour-
nal officiel de la République Française, et insérée au Journal offi-
ciel de l’Algérie, sera exécutée comme loi 330. »
Alger, le 7 mars 1944.
DE GAULLE
Le commissaire à l’Intérieur : Emmanuel d’Astier.
Le commissaire d’État aux Affaires musulmanes : Catroux.
Le commissaire à la Justice : François de Menthon.

Cette ordonnance reprenait le plan d’ensemble du projet de


la commission, mais elle restait en deçà sur deux points impor-
tants. La liste des bénéficiaires de la citoyenneté française à part
entière, accordée « à titre personnel » puisque sur titres, était
réduite de façon à concerner environ 65 000 personnes. Sur-
tout, les autres « Français musulmans » étaient seulement « appe-
lés à recevoir la citoyenneté française », suivant les conditions
et les modalités que déciderait la future Assemblée nationale
constituante.
Ce texte de compromis ménageait la possibilité de satisfaire
dans l’avenir les aspirations des « Français musulmans » à l’éga-
lité totale, que le Comité n’avait pas cru pouvoir satisfaire dans
l’immédiat. Mais, en s’abstenant de proclamer clairement la
citoyenneté française de tous les Algériens musulmans, il faisait
le jeu des partisans du Manifeste qui revendiquaient la nationa-
lité et la citoyenneté algériennes pour tous les habitants de l’Algé-
rie. Dès le 14 mars 1944 à Sétif, en accord avec le cheikh Ibrahimi
et Messali Hadj, Ferhat Abbas fonda l’association des Amis du
Manifeste et de la Liberté (AML), destinée à « combattre par la
parole et par l’écrit » l’oppression coloniale et à « rendre familière

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

l’idée d’une nation algérienne et désirable la constitution en Algé-


rie d’une République autonome fédérée à une République fran-
çaise rénovée, anticoloniale et anti-impérialiste331 ».
Le même jour, dans l’une de ses dernières séances, la com-
mission apprit la démission du sénateur Astier, qui avait déjà pro-
testé le 2 mars contre la remise en question du projet Valleur.
Catroux regretta cette démission, mais rappela que le pouvoir de
décision appartenait au CFLN. Puis, à la fin de la séance, il lut la
lettre d’un avocat de Tizi Ouzou ayant décidé de contracter un
engagement volontaire pour la durée des hostilités en signe de
gratitude pour l’octroi de la citoyenneté française. Cadi Abdelka-
der tint à exprimer lui aussi aux généraux de Gaulle et Catroux
« la reconnaissance des Musulmans qui ont accueilli avec une
profonde satisfaction la nouvelle des réalisations heureuses déci-
dées par le Gouvernement », et l’espoir « que le futur gouverne-
ment français, après la libération du sol de la Patrie, parachèvera
cette œuvre suivant les vœux des musulmans français ». Mais
le cheikh el Arab Ben Gana, tout en réaffirmant sa « conviction
que l’intérêt matériel et moral de nos coreligionnaires ne peut se
trouver que dans la fusion pure et simple des musulmans fran-
çais dans la grande famille française », et en remerciant le gou-
verneur général et les membres de la commission, ne cacha pas
« un sentiment de profonde amertume » qui était, « hélas, celui
de toute la masse musulmane », à voir que la « solution définitive
à un problème national » proposée par la commission avait été
écartée : « À l’heure où la France, sans avoir à s’embarrasser de
fictions juridiques, doit appeler ses enfants, tous ses enfants à
sa libération, puisse le destin faire en sorte que leur foi en elle
demeure inébranlée. »
Catroux se dit « le premier affligé de voir que le Comité fran-
çais de la Libération nationale n’avait pas suivi les propositions

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

de la commission ». Mais il expliqua son attitude par un scru-


pule juridique, et souligna qu’elle n’était pas purement négative :
« Il a fait cependant de chaque musulman un citoyen en puis-
sance en attendant que l’Assemblée constituante en décide sou-
verainement. Si [..] le mot “citoyen” n’a pas été prononcé, il n’en
demeure pas moins que l’essentiel de la citoyenneté est accordé,
et cela doit atténuer l’amertume de nombreux musulmans qui
espéraient être purement et simplement incorporés à la famille
française332. » Le gouverneur général s’engagea à s’occuper per-
sonnellement de l’application immédiate des réformes, et à com-
battre ceux qui tenteraient d’empêcher leur exécution comme
ceux qui voudraient écarter l’Algérie de la métropole.
Le cheikh el Arab Ben Gana répéta sa critique de l’insuffi-
sance de l’ordonnance du 7 mars 1944 lors de l’ultime séance de
la commission, le 8 juillet. Rappelant les paroles du rapporteur
Giacobbi (« la masse musulmane est avide d’égards et d’égalité,
une mesure restrictive d’admission aboutirait à créer, dans son
sein, une scission sans atténuer son esprit revendicatif, provoque-
rait des controverses exacerbées et des réclamations incessantes
et faciliterait ainsi le jeu de certaines propagandes extrémistes »),
il protesta contre le fait que dans une même famille il puisse y
avoir des Français de degrés différents, alors que tous assumaient
les charges et les obligations que ce titre implique.
Catroux répéta ses arguments du 14 mars, et invita les musul-
mans à considérer « non point ce que nous n’avons pas obtenu,
mais ce que nous avons obtenu et qui est considérable : […] la
proclamation du statut d’égalité dans les droits et les devoirs »
en précisant que l’égalité devant le devoir militaire ne leur était
pas encore appliquée. Il conclut que le Gouvernement provisoire
de la République française, en tant que pouvoir temporaire,
s’était montré « peut-être plus hardi qu’on ne l’attendait », et il en

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

revendiqua le mérite : « Quant à moi, j’ai eu l’habitude, hélas ! à


partir d’un certain grade, de ne pas respecter les disciplines, […]
et c’est ainsi que j’ai dépassé ce qui paraissait possible aux autres
membres du Gouvernement333. »
La tâche de Catroux au sujet du problème politique algérien
ne se termina pas avec l’ordonnance du 7 mars 1944. Il fallut
plusieurs mois pour mettre au point les décrets d’application et
régler les problèmes particuliers qu’elle soulevait, notamment
l’égalité effective des soldes, indemnités et allocations entre tous
les militaires algériens (que le commissaire à la Guerre jugeait
nécessaire d’étendre à tous les militaires nord-africains, contre
l’avis du général), l’intégration des agents algériens des protec-
torats dans les cadres de fonctionnaires français et leur éven-
tuelle admission dans le collège des citoyens de plein exercice,
ainsi que la réintégration dans la pleine citoyenneté française des
musulmans algériens d’origine marocaine ou tunisienne réduits
à la condition d’indigène par la loi du 17 février 1942334.
Par ailleurs, un arrêté gubernatorial du 4 janvier 1944 avait
institué une commission de magistrats et de juristes « chargée de
l’étude des questions relatives à la réforme de la justice musul-
mane en Algérie335 ». Plusieurs de ses membres participèrent éga-
lement au conseil technique institué auprès du commissariat aux
Affaires musulmanes par un arrêté du 23 juin 1944336.

Scolarisation, hygiène, habitat, conditions de travail...


L’établissement du programme économique et social ne fut pas
aussi difficile, parce qu’il avait été préparé par des années d’études
et d’expériences, depuis le gouvernorat de Le Beau. Cependant,
les différents points furent très inégalement développés, en fonc-
tion de la documentation existante. Deux questions retardèrent
l’aboutissement des travaux de la commission : le recensement

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

des terres disponibles pour le recasement des fellahs démunis, et


le plan de financement de l’ensemble du programme. C’est pour-
quoi le CFLN, devenu GPRF, n’eut pas le temps de se prononcer
avant son retour à Paris.
La « diffusion de l’instruction publique et de l’enseignement
professionnel dans les populations musulmanes urbaines et
rurales » suscita un très vif intérêt chez tous les membres de la
commission. Le rapporteur, Paul-Émile Viard, s’appuya sur un
historique de l’enseignement des indigènes depuis 1833 et sur un
projet d’extension de celui-ci, présenté par le recteur de l’Acadé-
mie d’Alger Henri Laugier, ainsi que sur une note de la direction
des Territoires du Sud, auxquels s’ajoutèrent des contributions
d’André Mercier, du cheikh el Arab Ben Gana, et du cheikh El
Okbi. La question fut débattue dans les séances du 24 janvier et
du 15 février 1944337.
La discussion permit d’établir un consensus autour de
quelques grands principes. La diffusion de l’instruction était
en rapport direct avec les réformes politiques. En effet, selon le
rapport Viard, « il ne serait pas concevable qu’au titre de citoyen
français ne corresponde pas, à la base, une culture française338 ».
Pour se faire accepter par tous les musulmans algériens, l’école
française devait cependant se garder d’imposer une uniformité
artificielle, mais au contraire « accepter une variété de cultures »,
qui laisserait une juste place à la langue arabe (défendue par le
cheikh el Okbi), voire au berbère. En outre, l’aspiration des indi-
gènes à l’égalité exigeait que l’enseignement fût « de qualité iden-
tique pour les uns et pour les autres », et « donné par un corps de
maîtres de même formation », ce qui impliquait la fin de l’ensei-
gnement spécial aux indigènes (organisé à part depuis 1892) et
de l’expérience des centres ruraux d’éducation. Enfin, son orga-
nisation devait respecter le principe républicain de la liberté

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

de l’enseignement, de façon à permettre aux écoles privées de


compléter l’effort de l’enseignement public.
La généralisation de l’instruction primaire à toute la jeu-
nesse musulmane se heurtait à de grandes difficultés, analysées
par le rapport du recteur Laugier. Il s’agissait de faire passer le
nombre d’enfants scolarisés de 100 000 à 1 200 000 environ, éva-
luation très inférieure à la réalité, faute de recensement récent
et par méconnaissance de la proportion des enfants d’âge sco-
laire dans la population musulmane. La commission ne retint pas
le plan d’André Mercier, qui prétendait réaliser la scolarisation
intégrale en 25 ans. Elle adopta les propositions plus modestes
du recteur. Dans l’immédiat, des mesures d’urgence : dédouble-
ment des classes primaires dans les mêmes locaux, rappel des
instituteurs en retraite, aide à l’enseignement privé, amélioration
des centres ruraux d’éducation. À partir de la fin de la guerre,
construction d’au moins 300 classes de 50 élèves (et de 400 loge-
ments d’instituteurs) par an pendant vingt ans, de façon à sco-
lariser 400 000 élèves supplémentaires, ce rythme pouvant être
accéléré en fonction des possibilités ; en même temps, recrutement
en Algérie et en France des maîtres possédant un diplôme à déter-
miner, qui recevraient une formation pédagogique d’un an dans
une école normale et dont la condition serait revalorisée. D’autres
réformes étaient prévues : développement de l’enseignement pro-
fessionnel, utilisation des maîtres d’arabe (mouderrès) dans les
écoles primaires, réorganisation de l’enseignement secondaire et
supérieur en arabe donné dans les trois medersas officielles, pour
les intégrer à l’enseignement public français.
Les propositions de la commission demeuraient étonnamment
imprécises. Les seules données chiffrées, celles du plan Laugier,
restaient très insuffisantes par rapport au but proclamé ; la dis-
tance entre le possible et le souhaitable apparaissait considérable,

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

et même le possible dépassait les capacités du budget algérien339.


Le reste du programme était également flou, en particulier les
modalités de l’enseignement de l’arabe, à cause de ses fortes
implications politiques.
Le débat sur la réorganisation de l’hygiène et de l’assistance
médicale dans les milieux musulmans fut beaucoup plus tech-
nique. La commission en discuta les 20 janvier et 17 février 1944.
Elle disposait de deux rapports du docteur Grenoilleau, directeur
de la santé publique, et du rapport présenté par Marcel Lévy au
nom de la commission de la santé des Délégations financières en
décembre 1943, ainsi que d’une note de la direction des Affaires
musulmanes concernant les territoires du Sud. Le rapport du doc-
teur Tamzali situa le problème dans son cadre politique, critiquant
le centralisme et l’autoritarisme du projet Grenoilleau, et l’insuf-
fisance de la prévoyance et de l’assistance sociale, due à la sous-
représentation des indigènes dans les assemblées locales. Catroux
jugea que le rapport Tamzali était surtout « la critique de défi-
ciences que tout le monde connaît bien », et justifia la centralisa-
tion. En fin de compte, la commission, rendant hommage à l’œuvre
déjà accomplie par la France en faveur des musulmans algériens,
proposa une liste de 15 mesures immédiates (commençant par la
création d’un service social de santé présidé par un Conseil de la
santé publique composé de délégués des élus d’Algérie, de repré-
sentants des paysans et des syndicats ouvriers, siégeant à côté
de professeurs, médecins, hygiénistes, urbanistes et juristes), et
adopta le plan quinquennal de réalisations proposé par l’adminis-
tration, qui devait réserver la plus grande part à l’équipement rural
et à la lutte contre les maladies sociales. Le coût de ce plan était
évalué à un minimum de 1 283 000 000 de francs340.
Le développement de l’habitat urbain et rural fut débattu les
26 février et 4 mars 1944. La commission entendit le directeur

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

des Travaux publics Villevieille, étudia des notes présentées par


celui-ci, par la direction des Territoires du Sud, par André Mer-
cier et Pierre Fayet. Le rapport du docteur Tamzali (remplaçant le
docteur Bendjelloul absent) fut bref. La commission émit les avis
suivants :
1) un programme de construction d’habitations rudimentaires
étant contraire à l’évolution de la population musulmane, il fal-
lait prévoir des habitations collectives ou individuelles à confort
moderne ;
2) la loi Loucheur sur les HBM ayant été insuffisamment appli-
quée en Algérie, et dans une proportion infime aux indigènes
musulmans, la future politique de l’habitat devrait remédier à
cette situation ;
3) il fallait proportionner les loyers aux salaires (aux environs
du 1/7 ou 1/8), et les collectivités publiques et l’État devraient en
conséquence assumer une part du financement ;
4) l’État, sans se substituer aux organismes locaux de construc-
tion et de gestion, devrait agir par des subventions, imposer et
contrôler un programme minimum de réalisations, et surtout
surmonter l’indifférence des offices départementaux et des com-
munes à s’occuper de l’habitat des populations musulmanes ;
5) l’accès des locataires à la propriété devrait être facilité ;
6) un effort devrait être imposé aux grands employeurs
de l’agriculture et de l’industrie pour loger décemment leur
personnel ;
7) les bénéfices des immeubles collectifs régis par des socié-
tés devraient être attribués au budget de l’hygiène sociale341.
En application de ces principes, l’administration présenta un
plan quinquennal de construction de 10 000 appartements urbains
(pour un coût total de 1 750 000 000 de francs), et affecta 600 mil-
lions de francs à l’amélioration de l’habitat rural342.

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

La commission étudia le 28 janvier et le 15 février 1944 l’appli-


cation aux travailleurs musulmans des lois sociales dont les tra-
vailleurs européens avaient le bénéfice en Algérie, et l’organisation
des conditions du travail des agriculteurs musulmans. Elle enten-
dit le directeur général des Affaires économiques, Balensi, et reçut
sa note, un rapport sur la main-d’œuvre présenté par M. Vegler
aux Délégations financières en décembre 1943, et une note d’André
Mercier ; ainsi que l’ordonnance du 29 janvier 1944 portant réqui-
sition de la main-d’œuvre agricole et obligation d’exploitation de
la totalité des terres cultivables en Algérie, et le décret du même
jour relatif à la fixation des salaires des travailleurs agricoles.
La commission, et même son rapporteur André Mercier,
constatèrent que tous les travailleurs européens et musulmans
bénéficiaient déjà des lois sociales métropolitaines applicables à
l’Algérie, en vertu d’ordonnances et de décrets dont il fallait rendre
l’application plus stricte par un contrôle plus serré de l’inspection
du travail. Si certaines lois métropolitaines (sur les assurances
sociales, la retraite des vieux travailleurs, le fonctionnement de la
caisse de secours aux ouvriers mineurs) n’étaient pas encore en
vigueur en Algérie, le CFLN avait déjà très sensiblement amélioré
le sort de l’ouvrier par des décisions concernant la procédure de
fixation et de révision des salaires dans le commerce, l’industrie
et les services publics. La commission proposait quelques amélio-
rations de détail : commissionnement dans les échelles spéciales
de certains agents permanents des chemins de fer, application
de la législation métropolitaine sur les allocations familiales, sur
l’apprentissage, sur les pourboires et le pourcentage pour le ser-
vice dans les cafés et restaurants. Dans l’agriculture, le décret du
29 janvier 1944 et les arrêtés du 15 février permettaient d’assu-
rer des conditions de vie décente aux travailleurs musulmans.
Les conclusions de la commission se résumaient ainsi : extension

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

à l’Algérie, dès que les circonstances le permettraient, des lois


sociales métropolitaines qui n’y étaient pas encore appliquées ;
amélioration du sort des travailleurs par l’aménagement rapide
de la réglementation sociale actuelle et par un contrôle plus effi-
cace de l’application des lois343.
Le rapport d’André Mercier fut applaudi. Catroux en approu-
va les conclusions. Il demanda seulement la modification d’une
phrase : « La France libérée travaillera au développement moral,
matériel et intellectuel de l’Algérie nouvelle, en fera un peuple
aimé et associé », parce que l’Algérie était « un morceau de la
France, aux populations françaises ».
La création d’industries nouvelles capables d’absorber un
plus grand nombre de travailleurs musulmans fut débattue les
29 février et 4 mars 1944. La commission entendit le directeur
général des Affaires économiques Balensi, qui lui présenta une
note sur l’industrialisation de l’Algérie. Le rapport d’Auguste Ren-
curel reprit en un style pompeux les idées directrices de la note
Balensi. Partant d’un double constat, le rapide accroissement de
la population musulmane et la pauvreté des ressources natu-
relles, il jugeait nécessaire de consacrer à l’alimentation locale
la majeure partie de la production agricole qui servait de mon-
naie d’échange, et pour cela de réduire les importations et de
valoriser les exportations. Il fallait donc développer les industries
alimentaires, comme l’industrie frigorifique, la déshydratation, la
conserverie, la fabrication de produits alimentaires, l’huilerie et
la savonnerie, et les industries utiles à l’agriculture, c’est-à-dire la
fabrication et la réparation de matériel mécanique, les engrais, les
produits anti-cryptogamiques, les hangars, les silos et les embal-
lages. Il fallait également valoriser les matières premières : traite-
ment de ferrailles, industrie lainière et cotonnière, papeteries et
cartonneries à base de paille et d’alfa, cimenteries, emballages,

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

verrerie, sucreries. Enfin, il était souhaitable que l’Algérie


accueille « certaines industries qui conditionnent la sécurité de
la collectivité française », mais le traitement du minerai de fer
local, le développement de la sidérurgie et des industries de base
n’étaient pas envisagés à cause de l’insuffisance des ressources
en charbon et du manque de carburants.
Le plan proposé était fondé sur le quadruplement de la pro-
duction d’énergie électrique en vingt années à raison de 2 kW
hydrauliques pour 1 kW thermique. Il devait permettre d’em-
ployer une main-d’œuvre conséquente, concurremment avec l’ar-
tisanat rural qui pourrait au demeurant compléter les ressources
des saisonniers. Le rapporteur Rencurel souhaitait que l’État
intervienne par des subventions et des créations, et non, comme
dans le passé, pour paralyser les initiatives locales afin de ser-
vir de « gros intérêts capitalistes » métropolitains. Le rapport se
limitait à tracer de grandes orientations, non chiffrées, faute de
connaître le régime économique d’après-guerre344.
L’extension de l’artisanat urbain et rural fut débattue les
26 février et 4 mars 1944. La commission examina plusieurs
documents : notes de la direction des Affaires musulmanes sur
les centres professionnels ruraux, et sur l’extension de l’artisanat
dans les Territoires du Sud, note d’André Mercier suivie d’une
note annexe critiquant le fonctionnement de la Société indigène
de prévoyance artisanale de Tlemcen, à laquelle répondit Albert
Valleur, enfin le rapport de Tamzali, remplaçant le docteur Bend-
jelloul absent 345. Pour développer ces activités en butte à des
difficultés croissantes (surtout depuis la crise économique des
années 1930), la commission jugea nécessaire de réformer les
institutions que l’administration avait créées pour les soutenir :
les Sociétés indigènes de prévoyance artisanales (SIPA), coopéra-
tives d’achat et de vente et organismes de crédit et d’assurance,

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

créées en 1938 sur le modèle des SIP agricoles – qui pouvaient


elles-mêmes posséder leurs sections artisanales – et les centres
professionnels ruraux, centres de pré-apprentissage, institués à
partir de 1940346. Les premières devaient permettre aux artisans
d’élire le conseil d’administration, de s’organiser en sections sui-
vant leurs catégories professionnelles, de percevoir une part des
éventuels bénéfices, et d’acquérir les locaux nécessaires à leur
fonctionnement et au logement de leurs membres. Les seconds
devaient être multipliés de façon à porter leur nombre de 27 à 78,
un par commune mixte, et rendus plus attractifs par une meil-
leure rémunération et par le logement des apprentis ainsi que du
directeur. En outre, le fonctionnement du Fonds commun des SIP,
créé en 1933 pour soutenir celles-ci puis les SIPA dans la fourni-
ture de crédits aux paysans et aux artisans, devait être simpli-
fié et amélioré, en augmentant la représentation des musulmans
dans son conseil d’administration (six, contre 16 Français d’ori-
gine), et en supprimant la double cotisation des adhérents aux
sociétés de base et au fonds commun.
L’amélioration du sort social et économique des agriculteurs
musulmans fut la question la plus étudiée et débattue. Elle
occupa la commission pendant sept séances, ainsi qu’une sous-
commission spéciale réunissant, sous la présidence du sénateur
Astier, Albert Valleur, Gaston Lleu, Cadi Abdelkader et Augus-
tin Berque, pendant huit séances, du 25 février au 29 juin347. De
nombreuses personnalités furent entendues : représentants du
gouvernement général (Balensi, directeur général des Affaires
économiques, René Martin, chef du service de la colonisation et
de l’hydraulique, Dallier, chef du service des forêts) ; délégués
financiers (Gustave Mercier, président de la commission du
paysannat, Charles Lévy, Marcel Delrieu) ; directeurs du Fonds
commun des SIP, de la Caisse des prêts agricoles, de la Caisse

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

algérienne de Crédit Agricole mutuel348. La documentation ras-


semblée représenta la moitié de la documentation totale de la
commission349. Parmi les membres de celle-ci, Augustin Berque,
André Mercier, Si Bouaziz Ben Gana, Cadi Abdelkader et le doc-
teur Tamzali lui apportèrent des contributions écrites, avant le
rapport d’ensemble du sénateur Marcel Astier.
La commission orienta ses travaux suivant les trois axes défi-
nis par l’arrêté du 14 décembre 1943 :
« – installation sur des terres vacantes ou à régénérer par un
équipement approprié du plus grand nombre possible de familles
musulmanes ;
– amélioration des conditions de la vie pastorale et du cheptel
indigènes ;
– développement du crédit et de la coopération agricoles au
profit des agriculteurs musulmans. »
Mais l’incertitude régnant sur la quantité des terres du
domaine public ou communal disponibles pour le recasement du
prolétariat rural empêcha la commission de conclure à bref délai.
Constatant que, selon Augustin Berque, « il était probable que
tout ce qui était cultivable était déjà cultivé » par des locataires à
tenure précaire, le rapporteur Astier recommanda le 24 février un
délai maximum de deux mois et demi pour attendre le résultat
de l’enquête demandée aux administrateurs. La commission sus-
pendit donc ses travaux le 14 mars, après avoir désigné Gaston
Lleu comme rapporteur sur la question du paysannat en rempla-
cement du sénateur Astier démissionnaire350.

14 milliards de francs sur vingt ans


Étant donné l’urgence de présenter un programme économique et
social, même incomplet, au CFLN, l’inspecteur général de l’admi-
nistration Lestrade-Carbonnel, en collaboration avec le directeur

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

des finances Roger Goetze, présenta un avant-projet de plan de


financement, qui fut discuté les 2, 4 et 14 mars 1944351. Le pro-
jet adopté évaluait le coût global du programme des réformes
(à l’exclusion des dépenses pour le paysannat) à 14 milliards de
francs mobilisables en vingt ans, dont 3 373 millions pour la pre-
mière tranche quinquennale. Il proposait d’inscrire le maximum
de dépenses au budget ordinaire, gagé sur les ressources fiscales
annuelles, et de n’inscrire au budget extraordinaire, gagé sur des
ressources exceptionnelles, que les travaux neufs de construction.
Les dépenses de la première tranche quinquennale se répar-
tiraient ainsi :

Premier
établissement Fonctionnement Total
Artisanat 200 65 265
Enseignement 1 200 375 1 575
Santé publique 615 114 729
Habitat 454 350 804
Total 2 469 904 3 373

Aux 904 millions de dépenses ordinaires s’ajouteraient les


annuités des emprunts entrant dans les 2 469 millions de res-
sources spéciales, soit au maximum 450 millions.
Pour couvrir ces dépenses sans imposer à l’Algérie un alourdis-
sement excessif de sa charge, le plan de financement demandait
l’aide de la métropole, sous la forme d’une ristourne à l’Algérie des
600 millions de sa contribution annuelle au budget militaire, et du
versement de 50 % des annuités des emprunts émis par l’Algérie
pour financer les réformes352.
Les propositions de la commission furent réécrites par les ser-
vices du gouvernement général, sous la forme de propositions de

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

décisions précédées d’un exposé des motifs. L’ensemble fut adres-


sé au CFLN le 4 avril 1944, avec un rapport de Catroux qui souli-
gnait sa cohérence, afin de répondre aux interrogations exprimées
sur ce point par Pleven.
« Dès maintenant, le Comité de Libération est saisi d’un véritable
programme d’ascension sociale et de progrès économique établi au
profit des indigènes musulmans, et dont les diverses parties procè-
dent d’une seule et même inspiration. Cette inspiration est la même
que celle qui a dicté les réformes proprement politiques. Le but de
la France est en effet d’assimiler effectivement les indigènes, d’en
faire des Français par l’esprit, c’est-à-dire par une forme appropriée
d’enseignement public, et des Français par le nivellement social
et économique. Ceci suppose une large diffusion de l’instruction
strictement donnée dans la langue française. Ceci suppose égale-
ment la mise des indigènes à la parité des non-musulmans en ce
qui touche les œuvres d’hygiène et d’assistance, les conditions de
travail, le bénéfice des lois sociales, l’habitat, le crédit et le mini-
mum vital à tirer soit des exploitations industrielles soit de celles
de la terre. En d’autres termes, la politique d’assimilation postule
une politique d’égalité sociale, que requiert d’ailleurs avec force
le sens proprement humain de la nation française. C’est sur ces
nécessités fondamentales, auxquelles s’ajoutent les exigences d’un
développement démographique dont on connaît l’ampleur, que la
commission des réformes musulmanes a fondé ses conclusions353. »
Pourtant, le CFLN attendit presque deux mois pour mettre le
plan de réformes à son ordre du jour. Le 30 mai 1944, après avoir
entendu le commissaire aux Affaires musulmanes exposer l’en-
semble des réformes proposées par la commission, il décida que
chaque commissaire enverrait dans les plus brefs délais au secré-
taire général du Comité les observations qu’il entendrait faire sur
chacun de ces projets354.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Mais, peu après, le débarquement en Normandie vint capter


l’attention du GPRF. « Les événements actuels ont provoqué un cer-
tain ralentissement dans l’étude de ces projets », reconnut Catroux
à la reprise des travaux de la commission, le 5 juillet 1944.
En effet, la sous-commission du paysannat s’était d’abord réu-
nie le 20 mai pour prendre connaissance des résultats de l’enquête
sur les terres disponibles, puis le 29 juin pour entendre et discuter
le rapport de son président Marcel Astier, qui avait accepté de
revenir sur sa démission. Adopté par la sous-commission, celui-ci
fut présenté et discuté en séance plénière les 5 et 8 juillet 1944.
Le rapport Astier, après un préambule glorifiant l’œuvre fran-
çaise en termes pompeux, décrivait d’abord les conditions éco-
nomiques de l’Algérie agricole : un pays pauvre (en dehors de
quelques régions privilégiées) doté d’une population prolifique
subsistant de plus en plus difficilement sur des superficies limi-
tées, dont il fallait augmenter le rendement. Puis il définissait les
lignes directrices et enfin les modalités pratiques de la réforme
rurale355.
L’espoir d’un recasement général de quelque 600 000 familles
de prolétaires ou de très petits propriétaires ruraux, à raison de
10 à 20 hectares par famille, devait être abandonné, car il suppo-
sait d’ajouter cinq millions d’hectares aux quatre millions qu’ils
exploitaient déjà. La superficie des terres disponibles pouvait être
estimée à 250 000 hectares, dont 190 000 provenant du domaine
public et des terrains communaux, et 60 000 à exproprier sur les
domaines des sociétés anonymes. Le rapport Astier jugeait bon
d’exproprier « toux ceux qui, sans être des terriens, exploitent la
terre sous des formes et dans des buts uniquement spéculatifs »,
et subsidiairement d’acquérir des terres librement mises en vente.
Mais il estimait dangereux de porter atteinte à la propriété privée
des colons européens, par crainte de réactions hostiles et pour évi-

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

ter de provoquer une régression de la production que l’on voulait


élever. Ainsi limité à 250 000 hectares, le recasement ne pourrait
bénéficier qu’à 11 000 familles sur 110 000 hectares, parce que les
140 000 autres hectares étaient déjà occupés par environ 25 000
familles de locataires, khammès ou occupants sans titres qu’on ne
pouvait que consolider, dans la limite de 20 hectares par famille.
Ce point du rapport souleva de vives critiques d’André Mercier, qui
mit en doute la possibilité du recasement ainsi conçu, et affirma
qu’« au fond la réforme n’aura[it] pas l’importance qu’elle devrait
avoir et que la paysannerie musulmane attend[ait] beaucoup
plus ». Il ajouta qu’il ne pouvait y avoir de réformes fondamentales
« sans toucher à la grosse propriété terrienne et sans revivifier des
terres actuellement mauvaises ou stériles qui pourraient devenir
des terres rentables ». Non convaincu par les arguments du rap-
porteur, il conclut que ses recommandations tendaient à « réali-
ser une expérience de recasement alors que la commission avait
affirmé le principe d’une réforme agraire356 ». Mais Catroux prit la
défense du rapport Astier.
Les fellahs recasés ou consolidés recevraient des lots inces-
sibles et insaisissables, suivant un contrat-type de vente-location,
aux clauses analogues à celles qui régissaient la colonisation
officielle à ses débuts. De plus, pour assurer l’amélioration de
leurs méthodes et de leur productivité, ils seraient assujettis à
une obligation d’exploitation collective, dans le cadre de coopé-
ratives agricoles regroupant de 60 à 100 familles, et possédant
le matériel et l’équipement nécessaires à la culture moderne du
sol sous la direction de techniciens européens. À une question
d’André Mercier demandant quel serait le rôle du chef de culture,
le secrétaire général Gonon répondit qu’une telle institution s’ins-
pirait beaucoup de celle du kolkhoze. Mercier répondit que dans
les kolkhozes, le chef de culture était élu par la communauté des

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

paysans357. D’autres fellahs non bénéficiaires de recasements ou


de consolidations pourraient adhérer librement à ces coopératives.
Pour appliquer ces mesures, le gouvernement général fixerait
par voie d’arrêtés « l’identification et la délimitation des superficies
destinées à l’installation des fellahs, les catégories de fellahs béné-
ficiaires, le statut légal du recasement ou de la consolidation, les
conditions d’entrée en jouissance et les modes d’exploitation des
terres, les mesures propres à aider et à financer l’œuvre générale
de recasement et de consolidation ». Il serait aidé dans cette tâche
par les avis d’une commission permanente de contrôle, compo-
sée de huit membres non-fonctionnaires, dont quatre musulmans,
nommés par le gouverneur général, et par un comité d’exécution
composé de fonctionnaires, et présidé par le directeur des Affaires
musulmanes. Une caisse d’achats ruraux pourrait être créée afin
de procurer aux coopératives les terres et le matériel agricole mis
en vente.
La distribution du crédit aux fellahs membres des coopératives
serait l’une des fonctions de celles-ci. Il serait nécessaire de rendre
le crédit accessible à tous les fellahs, qui en avaient été généra-
lement écartés jusque-là. La Caisse algérienne de Crédit Agri-
cole mutuel (CACAM) fut accusée de mauvaise volonté par Cadi,
Bendjelloul et les autres membres musulmans de la commission.
Elle s’en défendit en invoquant l’impossibilité de gager des prêts
individuels sur des propriétés collectives familiales ou indivises.
Après d’âpres discussions, pendant lesquelles Marcel Astier, fils
du fondateur du Crédit Agricole mutuel en métropole, défendit
celui-ci, la commission décida de faire appel à tous les organismes
de crédit, la CACAM et les caisses régionales de Crédit Agricole
mutuel d’une part, la Caisse des prêts agricoles créée par l’État en
1935, le Fonds commun des SIP et les SIP d’autre part, pour four-
nir les crédits nécessaires à l’établissement et au fonctionnement

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

des coopératives, et des crédits individuels aux agriculteurs


musulmans non regroupés en coopératives et qui ne pourraient
accéder au crédit mutuel normal. L’exposé des motifs du projet de
décision précisait que ce crédit « risqué », plus individuel que réel,
innovait sur l’orthodoxie bancaire, et relevait beaucoup moins
d’une opération financière que de l’essor futur de l’Algérie.
Le même exposé des motifs soulignait également que la réforme
rurale prévue pour trois années, même si elle n’était qu’une pre-
mière étape, ne pourrait suffire à résoudre les problèmes démo-
graphiques et économiques de l’Algérie. L’industrialisation serait
nécessaire, ainsi que la reprise de l’émigration vers les régions
industrielles et même agricoles de la métropole358.
L’achèvement des travaux de la commission sur le paysannat
lui permit de compléter le plan de financement des réformes. Sa
dernière version prévoyait une dépense totale de 21 milliards de
francs sur vingt ans répartis en quatre tranches quinquennales,
dont 6 373 millions pour la première ; les dépenses étant réparties
entre 4 979 millions de travaux neufs sur ressources spéciales (y
compris les annuités des emprunts), et 1 394 millions de dépenses
de fonctionnement sur ressources annuelles, conformément au
tableau suivant :

Premier
établissement Fonctionnement Total
Artisanat 200 65 265
Enseignement 1 200 375 1 575
Santé publique 615 114 729
Habitat 1 054 450 1 504
Recasement 1 110 150 1 260
Équipement rural 800 240 1 040
Total 4 979 1 394 6 373

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Cette élévation très sensible de l’évaluation des dépenses jus-


tifiait davantage encore le recours à l’aide métropolitaine sous les
formes prévues en mars 1944 : abandon de la contribution mili-
taire au profit du budget ordinaire de l’Algérie, et participation
de 50 % aux annuités des emprunts qu’elle jugerait nécessaire
d’émettre après avoir mobilisé toutes les ressources exception-
nelles provenant de la taxation des enrichissements de guerre ou
d’impositions analogues359.
Les résultats des travaux de la commission, achevés le 8 juil-
let, furent résumés et joints à ceux qui avaient été adressés au
Comité le 4 avril 1944. Le 26 juillet, le général Catroux écrivit
au président du GPRF, le général de Gaulle, pour lui demander
de fixer au 8 août la reprise de la discussion des réformes éco-
nomiques et sociales présentée il y avait plus de deux mois : « I1
me paraît en effet indispensable de ne point tarder à nous pro-
noncer sur un objet dont l’opinion publique – et en particulier
l’opinion musulmane – est saisie depuis plusieurs mois et dont
elle escomptait un règlement plus prompt. Il faut aboutir, à défaut
de quoi on ne manquerait point – comme on le fait déjà – de
mettre en doute la sincérité des intentions du gouvernement sur
la matière. Et il est nécessaire qu’une amorce de réalisation suive
à bref délai les décisions du gouvernement. » En effet, précisait-il,
« il s’agit moins pour nous de réaliser la meilleure des solutions
que d’en faire vivre une qui soit acceptable et de nous affirmer
par des actes360 ».
Le secrétaire général du gouvernement, Louis Joxe, répondit
le 31 juillet qu’il examinerait les projets de réformes le 8 août.
Pourtant, cette date ne semble pas avoir été respectée. En effet,
Catroux data du 9 août sa lettre d’envoi des derniers projets de
décisions proposés par la commission : il conclut en soulignant
de nouveau « l’intérêt qui s’attache à leur ratification rapide, en

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

vue de permettre de procéder à brève échéance aux premières


réalisations impatiemment attendues par l’opinion publique
musulmane361 ». Il ne semble pas non plus que ces réformes aient
été discutées par le GPRF avant son départ d’Alger et sa recons-
titution à Paris, puisqu’elles lui furent présentées en « deuxième
lecture » le 24 octobre 1944.
Cependant, les différents commissariats avaient procédé à des
études sur les propositions relevant de leur compétence, et mis
en circulation divers documents parmi les membres du gouver-
nement. Le commissariat à l’Éducation nationale, en particulier,
avait accompli un travail considérable, dépassant les propositions
de la commission, en liaison avec le commissariat d’État aux
Affaires musulmanes.
Mais le commissariat aux Finances avait pris, avant le 9 août,
une position défavorable aux propositions de la commission.
Dans une note reçue le 14 août par le commissariat aux Affaires
étrangères, il estimait que les évaluations de dépenses étaient
insuffisantes, et que les appels à l’aide du budget métropolitain
étaient injustifiés.
Les dépenses étaient sous-évaluées, puisque certaines étaient
indiquées seulement « pour mémoire », que les prix et les traite-
ments étaient ceux de 1943, et que le coût des réformes en faveur
du paysannat n’était pas encore prévu. Et pourtant les demandes
présentées au budget de l’État étaient abusives. L’abandon de la
contribution militaire était difficilement justifiable, alors que
l’Algérie avait beaucoup moins souffert de la guerre que la métro-
pole, et que les contributions des pays d’Afrique du Nord étaient
trop faibles, selon la commission des finances de l’Assemblée
consultative. De même, la garantie de 50 % des annuités des
emprunts émis par l’Algérie ne pouvait être accordée pour plu-
sieurs raisons :

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

« a) elle aurait pour effet de laisser l’Algérie librement fixer elle-


même le montant à demander à ses contribuables, notamment en
matière de taxation des enrichissements de guerre ;
b) elle donnerait à l’Algérie un avantage d’autant plus grand
que son effort fiscal serait plus faible ;
c) elle mettrait à la charge de la Métropole des obligations
extrêmement lourdes dans un moment où celle-ci aura déjà à
supporter les frais de la reconstruction et d’une dette viagère
écrasante », avec des ressources considérablement réduites. »
En conséquence, la note proposait les dispositions suivantes :
« 1°) L’Algérie assurera le financement des dépenses de fonc-
tionnement au moyen des ressources générales et permanentes
du budget spécial.
2°) Pour le financement des dépenses de premier établisse-
ment et des annuités des emprunts contractés pour y faire face,
l’Algérie mobilisera l’ensemble des ressources à provenir :
a) – de la taxation des enrichissements de guerre ou de toute
autre imposition analogue ;
b) – de la confiscation des enrichissements illicites ;
c) – de l’augmentation des ressources fiscales à provenir
d’un renforcement des impôts directs, de l’accroissement de la
progressivité et de la répartition plus équitable des impôts.
S’il apparaissait au gouvernement que l’Algérie est allée à la
limite de ses possibilités fiscales sans être en état de faire face à
la totalité des annuités des emprunts effectués pour les dépenses
de premier établissement, le Parlement sera amené à fixer, dans le
budget de chaque exercice, le montant de la subvention annuelle
qui sera éventuellement accordée à l’Algérie362. »
Ce veto du commissariat aux Finances, pourtant dirigé par Pierre
Mendès France, ami de Catroux, peut expliquer l’ajournement de
la décision du GPRF sur les réformes économiques et sociales.

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

« Une seconde conquête de l’Algérie commence, pacifique celle-ci,


qui exigera de nous autant d’efforts que la première. »
Les travaux de la commission, étant destinés à préparer les déci-
sions du CFLN, devaient en principe rester confidentiels. Mais le
recrutement de ses membres parmi l’administration et les assem-
blées ou les notables indigènes, et ses consultations systématiques
de hauts fonctionnaires et de personnalités politiques, écono-
miques ou sociales, ne pouvaient manquer de susciter des échos
et des réactions dans tous ces milieux. Ses débats et ses propo-
sitions eurent donc des répercussions au sein du gouvernement,
mais aussi dans les administrations, dans les assemblées délibé-
rantes, et dans l’opinion publique européenne et musulmane.
La commission était elle-même un condensé de plusieurs
milieux différents. Ceux de ses membres non-fonctionnaires
n’étaient pas habitués au devoir de réserve envers ceux qu’ils
représentaient ; celui-ci s’imposa cependant rapidement. À la
fin de décembre 1943, Paul-Émile Viard publia un article sur
les réformes algériennes dans le journal de son mouvement, La
IVe République, après avoir obtenu l’accord de Berque363. Puis
André Mercier accorda une interview qui, selon le secrétaire
général Gonon, n’avait en rien gêné les travaux de la commission.
Mais celle-ci, à la demande d’Auguste Rencurel, se prononça
pour le secret de ses délibérations face à la presse364. Pourtant les
invités de la commission furent moins scrupuleux. Le 15 février
1944, André Mercier protesta contre l’utilisation de ses propos
par le préfet de Constantine Louis Périllier, affirmant que le PCF
s’opposait à l’octroi de la citoyenneté à tous les musulmans algé-
riens. Catroux argua qu’il n’avait autorisé personne à faire état
des délibérations de la commission et des positions prises par ses
membres. Mais Cadi Abdelkader attesta que ses membres musul-
mans avaient eux-mêmes fait l’objet de menaces et de critiques,

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

et que certains groupements faisaient circuler des notes dans les-


quels ils résumaient les dépositions qu’ils y avaient faites365.
La commission travailla, selon le rapporteur Rencurel, dans
une atmosphère « cordiale » et « fraternelle ». Elle adopta ses réso-
lutions par un consensus unanime. Pourtant cette unité cachait
quelques réserves qui risquaient d’aboutir un jour à des clivages.
Le désaccord de Paul-Émile Viard avec le principe même de la
« citoyenneté dans le statut » l’incita à décliner la charge de rap-
porteur sur la question politique. Les membres musulmans de la
commission refusèrent par principe de participer à la délimita-
tion des élites admises à la pleine citoyenneté. Enfin, un nouveau
clivage s’esquissa dans les derniers débats, quand André Mercier,
jusque-là très coopératif, condamna la timidité du rapport Astier
sur le paysannat, et refusa sa confiance à l’administration.
La réaction du CFLN fut moins univoque. S’il est très dif-
ficile de connaître les réactions de ses membres respectifs, on
sait au moins que le rapport Giacobbi soutenu par Catroux sus-
cita des réactions divergentes, mais l’autorité et l’habileté du
général de Gaulle surent trouver un compromis. Un nouveau
désaccord, indépendant du premier, se dessinait en août 1944
entre le commissaire aux Affaires musulmanes et le commis-
sariat aux Finances, au sujet des capacités et des contributions
respectives de l’Algérie et de la métropole dans le financement
des réformes.
L’administration du gouvernement général avait joué un rôle
considérable dans l’information et dans les délibérations de la
commission, et devait en tenir un non moins important dans
l’application des décisions prises. Mais, parce que Catroux avait
refusé l’épuration systématique de tous ceux qui avaient servi
sous le régime de Vichy, la gauche résistante soupçonna son zèle
et sa loyauté envers la politique du CFLN.

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

L’adhésion de la haute administration au principe du projet


Blum-Viollette n’allait en effet pas de soi. Le 14 décembre 1943,
Catroux avait reçu de son collaborateur, le lieutenant-colonel
André Truchet (ancien directeur des Affaires musulmanes de
Weygand et de Giraud, devenu directeur à la coordination des
Affaires musulmanes, puis inspecteur général des troupes indi-
gènes), une « note sur l’abrogation du décret Crémieux », qui pro-
posait une nouvelle procédure d’accès à la citoyenneté française
pour tous les indigènes. Celle-ci serait proposée à tous les titu-
laires de titres à définir, avec un délai de dix jours pour refuser.
Le statut personnel ne devrait être abandonné que pour accéder
aux fonctions d’autorité366. Ce projet rétrograde, considérant l’an-
ti-judaïsme comme une caractéristique fondamentale des Euro-
péens et des musulmans d’Algérie, semblait ignorer que les juifs
algériens avaient perdu leur statut personnel mosaïque depuis
1870, et que le CFLN, après leur avoir rendu la citoyenneté fran-
çaise, ne pouvait la leur retirer de nouveau pour les aligner sur les
musulmans.
Consultés par la commission sur le principe de la réforme poli-
tique décidée par le CFLN, les trois préfets émirent des avis diffé-
rents. Battistini se prononça pour la citoyenneté des musulmans
dans le statut français, contrairement à la décision du Comité. Il
choqua certains membres de la commission en déclarant redou-
ter la vénalité des nouveaux électeurs (en dehors des élites) et
en exprimant les craintes des colons pour le recrutement de leur
main-d’œuvre à bon marché. Plus habilement, ses collègues de
Constantine (Périllier) et d’Alger (Muscatelli) se déclarèrent pour
le projet Blum-Viollette, mais aussi pour une évolution progressive
du statut personnel musulman vers le statut civil français367.
Dans les débats de la commission et de la sous-commission poli-
tique, Augustin Berque se montra fidèle à la décision du Comité.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Présentant sa position sur le problème politique, sans mettre en


cause le principe de la « citoyenneté dans le statut », il critiqua
l’intellectualisme en affirmant qu’il y avait des élites dans toutes
les catégories sociales, position qui fut reprise par le rapport Gia-
cobbi. On ne saurait le soupçonner de réticence envers le prin-
cipe de la réforme368. On ne peut davantage le croire secrètement
favorable aux revendications du Manifeste, à lire un passage de
sa « note sur le paysannat indigène » où il imaginait le contenu
des futurs manuels scolaires vers 1970 et enviait l’écolier kabyle
de l’époque : « L’avenir que nous te préparons se dessine. Il se fait
ici un immense travail de reconstruction. L’édit fameux de Cara-
calla, d’une si éclatante pourpre d’histoire, apparaîtra bien blafard
à côté des réformes françaises369. »
L’administration n’était pourtant pas totalement acquise à la
« citoyenneté dans le statut » après l’adoption du rapport Giacobbi
par la commission. Une note anonyme sur les « indigènes algé-
riens citoyens français », de février 1944, prévoyait que les « natu-
ralisés » seraient défavorisés par rapport aux nouveaux citoyens
dans le statut, et que certains demanderaient à renoncer au code
civil, ce qui ne pourrait leur être accordé. Pour éviter le tarisse-
ment des « naturalisations », il conviendrait de leur conserver des
avantages : l’hérédité de la citoyenneté, le monopole d’accès à cer-
taines hautes fonctions électives (maires, présidents des conseils
généraux et des Délégations financières) et une simplification de
la procédure370. À la même date, le mémorandum du commissariat
aux Colonies jugeait également nécessaire de maintenir certains
avantages aux citoyens « renonçants » par rapport aux autres ;
mais l’ordonnance du 7 mars 1944 en décida autrement.
Le 4 avril 1944, Catroux adressa à son collègue des affaires
étrangères des « réflexions sur la politique de la France en Afrique »
rédigées le mois précédent par son collaborateur, le commandant

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

Robert Montagne, directeur du Centre des hautes études d’admi-


nistration musulmane (CHEAM), et directeur des études au com-
missariat aux Affaires musulmanes371. L’ampleur et le contenu de
ces réflexions en faisaient une réponse au Mémorandum du com-
missariat aux Colonies sur le projet Valleur.
Robert Montagne commençait par établir la nécessité urgente
de définir une nouvelle politique envers les pays musulmans de
l’Empire français, pour laquelle il proposait des idées directrices.
Des « règles de méthode et considérations de prudence » générali-
saient la procédure suivie en Algérie (élaboration de réformes pla-
nifiées pour une durée limitée par une commission restreinte) et
la justifiaient par une analyse des facteurs psychologiques : esprit
d’opposition et de revendication des musulmans surexcités par
des années de propagandes cumulées ; raidissement des Français
d’Afrique contre les revendications indigènes et contre les interven-
tions des partis de gauche et des autorités venues de la métropole.
Entre l’immobilisme traditionnel de la politique coloniale française
et l’évolution trop rapide des pays arabes d’Orient, l’auteur propo-
sait une troisième voie : « Toute l’habileté de notre politique sera de
savoir doser les réformes libérales et de leur trouver, pour que la
puissance française se maintienne, des contrepoids efficaces qui
peuvent être cherchés dans le rôle du peuplement français, l’effica-
cité de notre action politique et culturelle, la force des institutions
impériales. » Refusant l’uniformité, il jugeait possible « de mainte-
nir les particularismes tunisien et marocain et d’organiser “à la
française” une Algérie que nous avons depuis plus d’un siècle pré-
parée à entrer dans la grande famille de nos provinces ».
Refusant de discuter le principe de la réforme politique qui
avait été négociée dans le passé, Robert Montagne soulignait l’au-
dace de la décision prise par le CFLN, ses risques et ses enjeux.
Ce « double défi jeté à l’Orient arabe d’une part, et aux partis de

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

révolution d’autre part » rencontrerait une double opposition, que


l’auteur confondait pratiquement en une seule : celle de « certains
évolués séduits par le panarabisme et attirés par les perspectives
qu’offre l’alliance des communistes », qui réclamaient « l’entrée
torrentielle des Algériens, sans distinction de catégories, dans
la cité, soit comme Français, soit plutôt comme citoyens d’un
État nouveau », et qui organisaient « avec l’encouragement tacite
ou volontaire de certains Français, une subversion complète de
l’œuvre française ». En effet, « l’un des plus grands dangers que
nous courrions est de voir, à la faveur de nos institutions, se glis-
ser parmi nous d’innombrables inadaptés qui réclameraient le
bénéfice du statut français sans être jamais capables de remplir
les devoirs des citoyens. Invasion qui serait le prélude de la créa-
tion d’une Algérie prolétarienne, misérable et sans avenir parce
qu’elle serait dominée par des masses incultes ».
Le seul moyen de parer à ce péril était de « se mettre à l’œuvre
pour franciser plus énergiquement ce pays, en l’élevant à nous,
dans le respect de sa religion ». La tâche était considérable : « Une
seconde conquête de l’Algérie commence, pacifique celle-ci, qui
exigera de nous autant d’efforts que la première. »
Pour réaliser ce grand programme « qui peut raisonnable-
ment impliquer l’entrée dans la cité française, avec la plénitude
des droits, de plusieurs centaines de millions d’indigènes dans
les trente années qui viennent », il ne suffirait pas d’imposer la
législation métropolitaine. L’auteur prévoyait « un assaut combiné
d’une partie de l’opinion française ignorante et de la grande masse
des indigènes conduite par les évolués », qui demanderait de « sup-
primer le gouvernement général, les Délégations financières, et
d’instaurer partout la copie exacte des institutions de la France » ;
il prédisait : « On invoquera des principes d’ordre juridique pour
instaurer une gabegie et un désordre dans lesquels l’Algérie

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

perdrait en quelques années une grande partie des résultats acquis


depuis un siècle ». Paradoxalement, concluait-il, « pour que l’Algé-
rie devienne de plus en plus française il faut qu’elle soit conduite
par des Français qui sachent […] tenir compte des origines diffé-
rentes de ses habitants, de leurs tendances particulières […]. Pour
conduire […] l’évolution d’un peuple que son histoire et ses ori-
gines ont maintenu dans une situation arriérée, il faut avant tout
un pouvoir local fort, capable d’exercer en toutes circonstances
son arbitrage, de redresser les injustices, de réprimer les abus ».

Des fonctionnaires et des paysans


Après une longue phase de stagnation, l’accélération de la poli-
tique d’assimilation imposait une révision de toute la structure
administrative, fondée sur un principe essentiel, « le renforce-
ment de l’autorité, seule capable de guider, conformément aux
principes libéraux, le peuple algérien dans la voie d’un véri-
table progrès ». Division des communes mixtes en circonscrip-
tions plus petites administrées par une sorte de maire français
nommé, assurant la tutelle des douars, désignation des maires
dans les communes de plein exercice à majorité indigène ; multi-
plication des sous-préfectures et des préfectures ; création au gou-
vernement général d’un secrétariat général des affaires sociales
et politiques chargé d’appliquer les réformes et de maintenir
l’équilibre entre les populations, comparable à la direction des
Affaires politiques du Maroc – ce secrétariat général coifferait la
direction des Affaires musulmanes, qui deviendrait direction des
Affaires sociales. Le corps des administrateurs des services civils
serait rénové, renforcé et adapté, de façon à fournir « les apôtres
et les hommes d’action ardents sans lesquels la transformation
de l’Algérie musulmane sous l’effet de nos lois ne serait qu’une
caricature inintelligible de la métropole ».

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Dans le domaine de l’éducation, Montagne recommandait la


création de nouvelles écoles normales dirigées par des « hommes
d’élite », fins connaisseurs de la société musulmane. Il mettait
en garde contre « la continuation de cet ostracisme discret mais
constant qui s’est établi dans ce pays à l’égard de la langue arabe »,
et réclamait une place honorable pour la langue du Coran, au sein
des medersas officielles ou d’une institution plus prestigieuse à
créer. Sur ce point, il se disait insatisfait des dispositions envi-
sagées par la commission des réformes, et notamment du rôle
attribué à l’université d’Alger. Accusant celle-ci d’avoir provoqué
l’essor du mouvement anti-français des Oulémas en laissant végé-
ter les études arabes, il prônait une politique plus habile : « Si les
Algériens doivent un jour se détacher de leur langue ancienne,
il faut que cela résulte de leur propre évolution et non pas de
notre indifférence voulue dont ils dénonceraient le calcul comme
impie. » Il proposait enfin d’accorder un soin tout particulier à la
formation des étudiants, dont l’engagement sous le drapeau du
Manifeste était « le signe de l’échec de notre entreprise d’assimila-
tion intellectuelle et morale ».
À condition d’agir dans un nouvel esprit et une administration
réorganisée, la France pourrait réussir la deuxième conquête de
l’Algérie. « Sinon, le jeu des institutions libérales au sein de masses
non évoluées nous apportera, lors de chaque élection, des sur-
prises engendrées par des coalitions formées contre nous, géné-
ratrices d’un désordre qu’il faudra bientôt pallier par un retrait
des droits politiques. » Ce « malheur », que certains souhaitaient
par « conservatisme aveugle », aggraverait le désordre en Algérie
et dans tout l’Empire, et dresserait les Français d’Algérie contre
les initiatives maladroites de la métropole. Au contraire, l’immen-
sité même de la tâche à accomplir exigerait chaque année « un
tribut important d’hommes venus de la métropole et animés de la

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

volonté de donner toute une vie d’efforts à l’œuvre de francisa-


tion », de façon à établir un « juste pourcentage » entre les fonction-
naires d’origine métropolitaine, ceux d’origine française, africaine
et les « musulmans bien instruits et bien informés ».
Conscient de l’importance vitale du sort de l’Algérie, terre
nationale placée au cœur de l’Afrique du Nord et pierre angulaire
de l’édifice impérial, Montagne analysait les solutions aux reven-
dications tunisiennes, aux difficultés marocaines, aux relations
entre l’Afrique du Nord et l’ensemble de l’Empire qu’il définissait
comme « l’alliance de ces divers pays entre eux, avec le concours
de la métropole ». Rejetant l’idée d’un Parlement colonial, il pré-
conisait la formation de blocs régionaux (Afrique du Nord, AOF,
AEF) et une « citoyenneté d’Empire » réservée comme un honneur
à un nombre égal de Français et d’Africains, choisis parmi les
élites. Pour faire contrepoids aux forces centrifuges, il comptait
sur un peuplement européen de qualité, recruté systématique-
ment parmi les jeunes métropolitains et les 30 millions de per-
sonnes déracinées par la guerre. L’auteur ne prévoyait aucune
nécessité de décolonisation, si la France était capable de rénover
ses méthodes en renonçant à la fois au conservatisme aveugle
des coloniaux et aux idéologies ou aux habitudes métropolitaines
pour adopter une politique de « libéralisme calculé », tempéré
d’autorité.
Catroux proposa ces réflexions à la discussion de ses collègues
sans les reprendre officiellement à son compte. Mais il prouva sa
confiance à leur auteur en le nommant directeur des services du
commissariat aux Affaires musulmanes par un arrêté du 28 avril
1944372.
Dans ses nouvelles fonctions, Robert Montagne attira plu-
sieurs fois l’attention du général Catroux sur les dangers d’un
égalitarisme irréfléchi. Le 31 juillet il approuva une circulaire du

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

commissaire à la Guerre rappelant l’interdiction aux militaires


nord-africains et coloniaux de consommer des boissons alcoo-
lisées, bien que la loi du 25 octobre 1941 interdisant leur vente
aux indigènes eût été annulée par l’ordonnance du 7 mars 1944,
et proposa une répression accrue de l’ivresse publique. Au début
d’août 1944, il écrivit au colonel Chollet, chef du secrétariat par-
ticulier du général, au sujet d’un projet d’ordonnance sur les
retraites, risquant de favoriser excessivement les musulmans qui
avaient beaucoup plus d’enfants que les Européens. Le 2 août,
il adressa au général une note sur les conséquences perverses
de l’égalité totale des droits entre Européens et musulmans en
matière d’allocations familiales, qui encouragerait la paresse,
la cherté de la main-d’œuvre et du coût de la vie, et l’explosion
démographique. Il proposait l’égalité totale entre les citoyens
français, mais un régime spécial pour les non-citoyens compor-
tant des allocations non-progressives, plafonnées au quatrième
enfant. Enfin, le 5 août, dans une « note sur la présentation au
GPRF des projets de réformes algériennes », il proposa des cor-
rections « destinées à enlever aux démagogues la possibilité de
se livrer à une interprétation abusive des exposés des motifs et
des projets de décision ». En conclusion, il suggéra que le gou-
vernement général soit invité à appliquer les principes formulés
« compte tenu du degré d’évolution des populations auxquelles
les réformes s’appliquent, et dans la mesure des possibilités éco-
nomiques et financières de l’Algérie et de la métropole ». Mais la
version définitive des projets de décisions, datée du 9 août 1944,
ne semble pas avoir été modifiée.
Les réformes économiques et sociales suscitèrent également
des critiques de certains membres de l’administration. Dans une
« note préliminaire sur le projet d’étude sur le paupérisme rural et
la colonisation musulmane », l’agronome Pierre Berthault critiquait

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

le « sentimentalisme » et le subjectivisme du rapport Astier, en


recommandant d’étudier objectivement les faits373. La colonisation
était profitable aux indigènes par les salaires qu’elle leur versait,
et le paupérisme lui était inversement proportionnel. Augmenter
les salaires inciterait les ouvriers à travailler moins. Il valait mieux
améliorer leurs conditions d’alimentation et d’hygiène, et faciliter
l’accession à la propriété des travailleurs les plus méritants. L’ex-
ploitation collective se heurtait à l’insuffisance du matériel et des
cadres techniques. Le projet du délégué financier Charles Lévy,
qui prétendait améliorer les rendements en procurant aux fellahs
des charrues modernes et des attelages, était irréaliste. Aucun
plan ne pouvait réussir en faisant fi de la psychologie des indi-
gènes : le succès dépendait de leur volonté de travail, de leur désir
d’épargner et d’élever leur niveau de vie.
Le 11 juillet 1944, André Philip transmit à Catroux une note
anonyme sur « le problème de l’agriculture indigène en Algérie »,
datée de février 1944374. Son auteur était un technicien agricole
ayant participé aux expériences du paysannat. Après des consi-
dérations générales, il retraçait les tentatives d’amélioration,
depuis les premières coopératives agricoles indigènes (les dje-
maat el fellaha, animées par Charles Lévy dans la région de Sétif)
jusqu’aux expériences tentées par le gouverneur Le Beau dans le
cadre de la réforme des SIP. Il concluait à un échec presque total,
dû à la conception erronée du « paysannat » (« l’indigène n’est pas
un paysan ») et aux « graves défauts de l’organisation administra-
tive », illusions des agents techniques, incompétence économique
des administrateurs, manque de plan d’ensemble de la direction
des Affaires indigènes. Le paysannat, tombé dans l’oubli depuis
1940, venait d’en être tiré par Catroux, mais le danger était de
revenir aux projets de Le Beau et de Charles Lévy, qui feraient
encore perdre dix ans.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Afin d’y parer, l’auteur proposait « les bases de la solution


du problème » : recours indispensable au travail mécanique,
ne pouvant se faire que sur de grandes superficies d’au moins
400 hectares ; maintien du caractère indivis et même collec-
tif de la propriété indigène ; refus du crédit individuel aux indi-
gènes ; remplacement du khamessat (métayage au cinquième) et
recours au travail collectif admis par la psychologie arabe ; prise
en compte des enseignements des expériences précédentes, et des
expériences étrangères (notamment celle des kolkhozes russes) ;
nécessité de considérer les indigènes comme des mineurs, et de
confier l’organisation future à un service spécial autonome. Enfin,
il donnait une première esquisse d’une formule d’exploitation col-
lective, par de grandes unités de cultures mécanisées rattachées
aux SIP, où les propriétaires seraient rétribués pour laisser cultiver
leurs terres, et les khammès employés comme ouvriers agricoles
pour les grands travaux.
Peu après, Catroux répondit ironiquement à André Philip que
les solutions proposées « laiss[aie]nt entières, [voire aggravaient],
le problème démographique, économique et social indigène », et
qu’il proposerait d’autres formules à l’examen du gouvernement.
À sa lettre était jointe une note par laquelle Berque (sous la signa-
ture du général) défendait point par point l’œuvre du paysannat
contre les allégations de son détracteur, et critiquait implacable-
ment ses propositions, lui reprochant de faire du fellah un simple
instrument au service du tracteur, et de la société rurale « une
masse déshabituée des initiatives et des responsabilités, accou-
tumée à être nourrie sans travail, écartée systématiquement des
postes de direction et ainsi ramenée à une sorte de servage sans
issue ». À l’affirmation de l’auteur anonyme, « il faut organiser
l’agriculture indigène par en haut et non plus par en bas », Augus-
tin Berque répondait sarcastiquement : « On pense, au contraire,

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

que c’est à sa base même, et non à la pointe de la pyramide qui


baigne dans les nuées, que nous devons vouer notre effort375. »
Dans les derniers jours de 1944, la lecture des trois volumes
de débats et de documents de la commission des réformes musul-
manes, imprimés par le gouvernement général sur l’ordre du
général Catroux, inspira la véhémente critique d’un lecteur ano-
nyme, intitulée Le Problème algérien, par N*376. L’auteur se dési-
gnait lui-même comme « un vieux directeur de la colonisation au
gouvernement général qui a créé ou agrandi plus de 50 villages
français377 ». Dans une première partie, il définissait sa concep-
tion typiquement coloniste de l’œuvre française en Algérie comme
la difficile occidentalisation d’une terre orientale, en citant les
brillantes formules du « maître génial » Émile-Félix Gautier (mort
en 1940) et les discours du maréchal Bugeaud. Puis il entamait le
procès de la politique du CFLN et de l’œuvre de la commission.
Contrairement aux judicieuses paroles de Catroux (« il n’apparaît
pas que l’évolution souhaitable des indigènes vers une vie plus
conforme aux conceptions occidentales puisse être l’œuvre de
mesures légales »), l’assimilation avait été décrétée d’office. « Une
ordonnance a prescrit la fusion immédiate, intégrale de l’Orient et
de l’Occident dans notre petite Algérie. L’assimilation y est ainsi
décidée par proclamation, miraculeusement, par la vertu d’un
texte de loi qui du même trait la rend dorénavant impossible en
cristallisant le statut musulman. »
En effet, les déclarations des « naturalisés » demandant le
retour à leur ancien statut personnel prouvaient que l’octroi de la
« citoyenneté dans le statut » mettrait un terme au mouvement de
naturalisation. Cette réforme politique n’intéressait pas un indi-
gène sur mille, selon l’auteur378. Quant à la réforme économique et
sociale, 95 % l’appréciaient hautement « sous l’aspect magnifique
du partage entre eux des terres des colons, avec attribution d’une

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

maison, d’un matériel, d’un cheptel, d’un crédit personnel sans


garantie et d’un salaire élevé » ; mais ils n’en espéraient pas tant et
n’avaient rien réclamé.
Les trois volumes des actes de la commission donnaient l’im-
pression qu’elle avait « soutenu un effort énorme d’initiative, d’in-
géniosité », examiné toutes les questions et proposé des solutions
neuves et pratiques ; impression due en grande partie à la répé-
tition des principaux rapports et à la reproduction de documents
antérieurs. Ce gaspillage d’un « précieux papier rarissime » contras-
tait avec la parcimonie appliquée à l’édition des « travaux considé-
rables » des Délégations financières et du Conseil supérieur379.

Des voix discordantes au sein de l’administration


Contrairement aux affirmations du secrétaire général Gonon, les
travaux de la commission se partageaient en deux ensembles bien
distincts : la réforme politique pour les « élites » ; la réforme écono-
mique et sociale pour la masse.
La question politique étant déjà tranchée par la décision du
CFLN, la tâche de la commission aurait dû se limiter à en préci-
ser les détails. Mais, en débordant ce cadre, elle avait révélé la
pensée profonde de ses membres et des personnalités consultées.
L’auteur résumait et caricaturait les déclarations des Oulémas, des
politiciens, et des partis communiste et socialiste en effaçant leurs
différences. Il dénonçait les atteintes à la souveraineté française :
« Que ferait-on en ce temps de guerre à de simples citoyens fran-
çais métropolitains qui tiendraient pareil langage ? Il est vrai que
la France elle-même a connu Vichy, la Légion, les SOL, la Légion
tricolore et la Milice ; du moins ne les consulte-t-on plus sur les
directives du pays380. » Il reprochait aux représentants de l’admi-
nistration « une complaisance qui va jusqu’à l’abandon ». Le rap-
port Giacobbi, bien que dépassant la première décision du CFLN,

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

ne pouvait masquer le « rejet unanime du projet du gouvernement


par tous les intéressés », les musulmans ne voulant y voir qu’un
« point de départ ». Selon l’auteur, « le point d’arrivée, le but, ne
sera atteint, aux yeux de certains, que le jour où le dernier Fran-
çais métropolitain d’origine aura quitté l’Algérie ». Le danger grave
que la réforme politique faisait peser sur l’Algérie française n’était
pas compensé par la satisfaction des intéressés. Ainsi rien ne jus-
tifiait l’empiétement du CFLN sur les prérogatives constitution-
nelles de la future Assemblée nationale.
Le plan de réformes économiques et sociales n’était que « la
reproduction de travaux depuis longtemps poursuivis, de projets
déjà préparés devenus des programmes déjà en cours d’exécution
au profit des indigènes musulmans ». Mais, selon la logique spé-
ciale de l’auteur, il était désormais en contradiction avec l’égalité
proclamée entre tous les habitants du pays : « Après le maintien
privilégié du statut personnel à leur profit, c’est encore un nou-
veau privilège qui leur est accordé ; d’autant plus exorbitant […]
que ce sont les citoyens non musulmans qui doivent surtout en
faire les frais. »
Le retard de la scolarisation des indigènes s’expliquait par le
fait que toute la charge en retombait sur le budget algérien. L’accé-
lération proposée par le recteur Laugier lui imposerait « un effort
dix fois plus grand que l’effort antérieur ». Encore serait-il insuffi-
sant : une progression de 400 000 enfants scolarisés en vingt ans
demanderait soixante ans pour scolariser les 1 250 000 enfants
indigènes de 1944, dont le nombre doublerait en quarante ans
si le rythme d’accroissement de la population se maintenait. Ce
cas illustrait « un des problèmes insolubles posés au contribuable
algérien, seul chargé de pourvoir à des dépenses qui atteindraient,
chaque année et pour chacun d’eux, plusieurs fois le chiffre total
de son budget spécial ».

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

De même, l’œuvre accomplie et les projets préparés par l’admi-


nistration en matière d’hygiène et d’assistance médicale ne pou-
vaient qu’être approuvés. Les critiques du rapporteur Tamzali
visant la part insuffisante des indigènes revenaient à « déplorer
que 90 % d’indigents ne payant aucun impôt ne disposent pas du
budget alimenté par 10 % de la population ». Les propositions de
la commission n’apportaient rien de nouveau, sinon « substituer
la parlote à l’action » et développer les services de façon que les
dépenses de personnel et de matériel dépassent encore une fois
la totalité des crédits du budget de l’Algérie. La même tendance
dépensière se manifestait dans le programme d’habitat urbain et
rural, dont le coût était sous-estimé.
La question du paysannat intéressait l’auteur, spécialiste de la
colonisation et du Crédit Agricole. Des projets avaient été adoptés
et des crédits votés depuis longtemps par les Assemblées algé-
riennes « dans la plus large mesure de l’effort possible ». « Ce sont
ces projets qui ont simplement été examinés et discutés par la
commission qui a proposé des conclusions dont le sens n’est que
l’accélération au-delà du possible de certains d’entre eux. »
Berque et Gustave Mercier s’accordaient sur les données du
problème et se ralliaient – « avec tous les généreux esprits de ce
pays » – au programme de Charles Lévy, qui prévoyait de recaser
les 600 000 familles prolétaires sur 600 000 hectares prélevés sur les
biens communaux, en les dotant par groupes de huit de charrues
modernes, de bêtes de trait et de matériel qu’elles utiliseraient avec
les conseils et sous le contrôle de techniciens. Le rapport Astier était
entaché de considérations prouvant la difficulté que peut avoir le
meilleur esprit parmi les Français de la métropole à « comprendre
les choses et les populations de l’Algérie ». Les mesures envisagées
pour aider les fellahs recasés à cultiver leur lot, à le conserver et
à recaser leurs enfants n’avaient jamais été consenties en faveur

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

du « colon appelé de France pour faire ici œuvre française » : « À


lire cela, un vieux directeur de la colonisation au gouvernement
général qui a créé ou agrandi plus de 50 villages français ressent un
peu l’émotion affreuse qu’il a éprouvée à l’annonce de l’armistice en
juin 1940381… » Les fils de colons seraient réduits au rôle de moni-
teurs dans des sortes de kolkhozes. Mais, selon l’auteur, l’exemple
du colon cultivant sa terre était indispensable pour faire l’éducation
des fellahs : or, « l’effet le plus direct de toutes les mesures actuelle-
ment envisagées en faveur des fellahs est d’arrêter définitivement la
colonisation et même de la détruire ». Afin de pallier l’insuffisance
des terres domaniales ou communales disponibles, il était question
d’exproprier les grands domaines privés. « Ainsi, 25 000 familles de
colons français ont mis cent ans à s’installer, à relever le pays des
ruines millénaires accumulées par les occupants […] et sur ces
terres qu’ils ont vivifiées, fertilisées, on va, à leurs frais, installer à
leur place 35 000 familles indigènes382. » Mais puisque cette réforme
agraire n’empêcherait pas qu’il manque en Algérie les quatre cin-
quièmes des terres nécessaires au recasement de tous les fellahs,
il faudrait, comme le proposait le gouverneur général, « en établir
une partie sur certains points de la terre de France qui manque
d’hommes ». Il eut mieux valu soutenir la natalité française en
appliquant le code de la famille du 29 juillet 1939, qui avait fait la
preuve de son efficacité chez les Français du Maroc : « Que n’obtien-
drait-on pas si on réservait aux œuvres de développement de la
natalité française en Algérie et surtout en France une petite partie
des milliards que l’on se propose de dépenser pour faciliter l’éva-
cuation de l’Algérie et bientôt de régions françaises métropolitaines
et les peupler de nouveaux citoyens qui sont encore des étrangers
puisqu’ils déclarent eux-mêmes qu’ils entendent rester des “natio-
naux arabes et musulmans ?” » L’industrialisation de l’Algérie, et
aussi l’émigration dans la boucle du Niger (oubli incompréhensible,

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

selon l’auteur), « absorberaient – au-delà de l’excédent démogra-


phique – la population indigène algérienne ».
L’estimation du coût des réformes prévues se heurtait, selon
le directeur des Finances, à l’accélération de la hausse des prix :
l’évaluation des dépenses suivant les prix du 1er septembre 1939
devrait être multipliée par un coefficient inconnu après la guerre.
D’après le même expert, leur financement rendrait nécessaire le
recours à l’aide métropolitaine. Ce n’était pas l’avis du Parti com-
muniste, qui préconisait de rechercher les ressources nécessaires
en Algérie même, ni celui du sénateur Astier, qui envisageait de
maintenir l’effort fiscal de guerre en faveur des réformes. Catroux
avait arbitré en combinant tous les moyens envisagés. Mais selon
l’auteur, les dépenses majorées par le coefficient d’inflation dépas-
seraient la valeur des biens immobiliers de l’Algérie entière, et
« la France, si elle devait assurer l’exécution des réformes musul-
manes envisagées, devrait réserver au moins pendant un an une
somme journalière égale à l’indemnité de guerre payée pendant
l’occupation par l’ennemi, moyennant quoi les musulmans algé-
riens jouiraient de privilèges qui seraient refusés aux paysans
français dans la métropole ».
Les conclusions de Monsieur N* étaient sombres. Il semblait
que « tout ait conspiré en vue de saper en ce pays la souveraineté
française », et que « les avantages aux musulmans ne pouvaient
être obtenus qu’au détriment de la colonisation ». Les promesses
faites étaient manifestement irréalisables, et Catroux l’avait
reconnu en demandant à l’inspecteur général Lestrade-Carbonnel
de supprimer de son rapport la phrase « même dans le domaine
de l’utopie, il faut concevoir des limites », « étant donné qu’elle
implique la condamnation de tous les efforts faits par la commis-
sion pour établir un programme de réformes ». Le seul élément
immédiatement réalisable de ce programme était « l’expropriation

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

des terres françaises, le démembrement des exploitations agri-


coles, l’abandon de tout effort de colonisation ».
L’auteur de cette critique implacable n’avait pourtant rien
d’autre à proposer pour faire face au « pullulement » du peuple
indigène (dont il glorifiait la colonisation française) que la conti-
nuation des « projets que les Assemblées algériennes et l’Adminis-
tration exécutaient déjà en ménageant le temps […] et dans toute
la mesure des moyens dont elles avaient seules la charge ». Il ne
pouvait que souhaiter, « si vraiment on pouvait disposer des mil-
liards que, par centaines, nécessite l’application aussi accélérée de
la réforme musulmane, […] qu’on assurât simplement son évolu-
tion normale – déjà entamée et plus sûre du succès dans une sage
progression – et qu’on réservât ce qui serait nécessaire pour per-
mettre aux Français de se multiplier à la façon dont les indigènes
ont réussi à pulluler sous la “domination des colons” ».
Une telle vision était encore moins réaliste que celle de la com-
mission. Si vraiment les propositions de celle-ci étaient irréali-
sables, une seule conclusion s’imposait : l’Algérie française était
condamnée.
Ces quelques exemples montrent que la politique du CFLN
avait suscité dans l’administration des opinions diverses, allant
jusqu’à la divergence, voire à la dissidence. Mais ils ne suffisent
pas à prouver une obstruction générale. L’administration paraît
avoir été traversée par les mêmes clivages que l’opinion publique
française en Algérie.

Désaccords des politiques, conservatisme des colons,


inquiétude des musulmans
Les auditions de personnalités représentatives effectuées par la
commission en décembre 1943 et janvier 1944 ouvrirent un débat
fondamental qui passionna les éléments informés des sociétés

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

européenne et musulmane d’Algérie. Mais l’inachèvement des


décisions du CFLN interdit à l’Assemblée consultative d’y prendre
sa part. À plus forte raison, les assemblées locales, Délégations
financières et conseils généraux, n’étaient pas habilitées à discuter
de problèmes outrepassant leurs pouvoirs de gestion. Néanmoins,
ces assemblées ne pouvaient manquer de répercuter des échos des
réactions contradictoires des opinions publiques.
L’Assemblée consultative, composée en sa majorité de repré-
sentants de la métropole, n’était guère portée à donner la priorité
au problème algérien. Pourtant, elle se dota dès le 10 novembre
1943 d’une commission de la France d’Outre-mer, chargée d’exa-
miner tous les problèmes de l’Empire, y compris « l’angoissant
problème des masses musulmanes », comme dit le délégué com-
muniste Fernand Grenier. Celle-ci était composée de six représen-
tants de la Résistance métropolitaine (parmi lesquels Paul-Émile
Viard), trois représentants de la Résistance extra-métropolitaine
et des conseils généraux (dont l’Algérien Marcel Duclos), et de
trois parlementaires, notamment Jean Pierre-Bloch, qui la présida
avant d’être nommé commissaire adjoint à l’Intérieur383. Entre
le 13 et le 20 janvier 1944, l’Assemblée débattit de la politique
coloniale. Le socialiste Pierre Olivier Lapie, rapporteur général de
la commission, se prononça pour la transformation de l’Empire
en une Fédération française. Mais le communiste André Mercier
affirma que « la République française, métropole et territoires
d’Outre-mer », était « une et indivisible », et devait donc accorder
« les mêmes droits à tous les citoyens de l’Empire ». Il fut le pre-
mier à saluer le discours de Constantine et la création de la com-
mission des réformes musulmanes384. L’Assemblée envoya neuf
observateurs à la conférence coloniale de Brazzaville, parmi les-
quels son président Félix Gouin385. Elle en débattit de nouveau le
15 mars, en présence du commissaire aux colonies René Pleven386.

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

La première discussion sur les réformes algériennes fut provo-


quée par une question écrite du délégué de la Résistance extra-
métropolitaine Ernest Bissagnet, demandant au commissaire aux
Affaires musulmanes pourquoi les titulaires de la médaille de la
Résistance n’étaient pas au nombre des bénéficiaires de l’article 3
de l’ordonnance du 7 mars 1944. Le général Catroux répondit le
20 mars par le premier exposé public des principes de l’ordon-
nance. Il insista sur la nécessité de limiter le nombre des musul-
mans admis dans le premier collège. Le délégué Bissagnet objecta
qu’il n’y avait que deux musulmans médaillés de la Résistance387.
En fait, le général de Gaulle les avait rajoutés au dernier moment
avant la publication de l’ordonnance dans le Journal officiel du
18 mars. Le général Catroux lui écrivit pour se plaindre de n’avoir
pas été informé de cette décision388.
Les pouvoirs et l’action de Catroux furent contestés par le délé-
gué de la Résistance métropolitaine Pierre Ribière. Le 13 mars, il
critiqua le gouverneur général, à la fois subordonné et collègue
du commissaire à l’Intérieur. Le 19 mai, dans le débat sur la jeu-
nesse, il revint à la charge, en demandant de qui dépendait le
gouvernement général, et protesta contre un rapport de police qui
l’accusait d’avoir attaqué le général. Enfin, le 4 juillet, il posa de
nouvelles questions écrites aux commissaires à l’Intérieur, aux
Affaires musulmanes et aux Affaires sociales, qui reçurent des
réponses rapides389.
Le 10 juillet, une proposition des délégués Marc Rucart, Paul
Antier et Vincent Auriol tendant à créer une intercommission
des Affaires musulmanes, composée de quatre représentants de
chacune des commissions de l’Intérieur, des Affaires étrangères
et de la France d’Outre-mer, fut adoptée sans opposition. On y
retrouvait Auguste Rencurel, Marcel Astier et Paul-Émile Viard,
Marcel Duclos390.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Les Délégations financières avaient voté sans incident en


décembre 1943 le budget de 1944, qui comportait, outre un effort
de guerre considérable, un programme social en faveur de la
population musulmane, bien que Catroux n’eût pas caché qu’il
s’inscrivait dans une perspective de réforme politique. Dans
les séances plénières tout au moins, aucun délégué « colon » ou
« non-colon » ne critiqua la décision du CFLN, auquel les délégués
arabes et kabyles rendirent hommage. Henri Queuille s’en éton-
na dans son Journal du 14 décembre : « Projets musulmans… Le
général déclare que l’accueil a été excellent. Hier, on me disait
que les Délégations financières renâclaient. Il est bien difficile de
savoir391. » Catroux envoya de Beyrouth, le 20 décembre 1943, un
télégramme de remerciement au président des Délégations Marcel
Duclos, malade, et spécialement aux colons pour leur dévouement
et leur acceptation des sacrifices demandés392. Le seul incident
sérieux opposa Gustave Mercier au docteur Bendjelloul, qui
réclamait la suppression des Délégations financières, au sujet des
mérites de cette assemblée393. Une semaine plus tard, du 29 au
31 décembre, Catroux fit approuver sans difficulté le budget de
1944 par le Conseil supérieur de gouvernement394.
La discussion de motions patriotiques de confiance aux géné-
raux de Gaulle et Catroux donna lieu à des débats politiques dans
les conseils généraux. Ils manifestèrent avec éclat l’existence de
divergences entre les conseillers européens et musulmans, ainsi
qu’à l’intérieur des deux groupes. Mais la véhémence des pro-
pos échangés ne permit pas de clarifier suffisamment toutes les
positions. C’est ainsi que, le 22 mai 1944, au conseil général de
Constantine, les partisans du Manifeste opposèrent à la motion
proposée par le président Paul Cuttoli une contre-motion qui posait
des conditions à la fidélité des musulmans. Le docteur Bendjelloul
déclara faire confiance à la France et refuser de la lui monnayer.

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

Ferhat Abbas, les docteurs Saadane et Bensalem, plaidèrent élo-


quemment pour les idées du Manifeste. Le socialiste Doumenc
déclara qu’il voterait la motion proposée « bien qu’il n’approuvât
pas la politique du gouvernement général » ; mais il ne pouvait pour
autant « en tant que Français et socialiste » approuver toutes les
idées du Manifeste. Abbas ayant affirmé haïr « l’hitlérisme qui n’est
que l’application aux peuples européens des principes du colonia-
lisme appliqués à nos populations algériennes », Roger Fournier
et plusieurs de ses collègues s’indignèrent d’entendre comparer le
nazisme à « l’œuvre de la République dans ce pays ». Le président
Paul Cuttoli, sénateur et membre de l’Assemblée consultative, eut
peine à garder son calme : « I1 ne s’agit pas de discuter sur la poli-
tique coloniale française […]. Nous vous avons montré que chacun
a, dans cette enceinte, sa liberté de parole et d’opinion […]. Nous
vous considérons comme des Français. Je salue […] vos coreli-
gionnaires qui se battent […], ce ne sont pas des trublions […]. Si
vous ne voulez pas voter la motion, je vous donne tort et ne vous
reconnais pas comme dignes du nom de Français. » La motion fut
finalement votée par la majorité du conseil général, mais la majo-
rité des conseillers musulmans, et même le docteur Bendjelloul
refusèrent de voter le passage déclarant que « la politique du géné-
ral Catroux était inspirée du véritable idéal français395 ».
L’absence de débat de fond dans les assemblées, la censure et
l’autocensure de la presse, l’absence de sondages d’opinions empê-
chèrent de mesurer le rapport des forces entre les différentes ten-
dances, aussi bien parmi les Français européens que parmi les
musulmans396.
Parmi les Français, on pouvait supposer que les réformes étaient
approuvées par l’ensemble des forces politiques représentées dans
la commission et dans le Comité, mais sans pouvoir le prouver.
Les partis en voie de reconstitution étaient inégalement structurés

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

et disciplinés. Le parti radical avait des représentants nombreux et


actifs dans la commission (Marcel Astier, Paul Giacobbi, Auguste
Rencurel), mais l’adhésion de tous ses membres, particulièrement
algériens, à un projet Blum-Viollette élargi n’allait pas de soi. L’un
de ses représentants les plus notables, le vice-président du CFLN
Henri Queuille, était très proche d’Astier et de Giacobbi, mais il
n’exprimait aucune opinion sur les réformes dans son Journal, et
fréquentait également des adversaires de celles-ci, tels que Gabriel
Abbo. Plus à gauche, les deux grands partis marxistes, socialiste
et communiste, soutenaient officiellement les réformes, tout en les
considérant comme une première étape destinée à être dépassée
vers l’égalité totale des habitants de l’Algérie. Si le Parti socialiste
hésitait encore entre l’assimilation et le fédéralisme, le Parti com-
muniste ne renonçait pas à la perspective de l’émancipation de la
nation algérienne en formation sous la forme d’un dominion, et
il avait jugé « inopportunes et maladroites » les sanctions prises par
Catroux contre Abbas, Sayah et les délégués financiers indigènes
en septembre 1943397. C’est pourquoi le général, tout en appré-
ciant la collaboration positive d’André Mercier, ne cessa jamais
de considérer les communistes comme des ennemis potentiels de
sa politique398.
Inversement, les partis communistes français et algérien, et le
mouvement de résistance Combat, où leur influence allait crois-
sant, critiquèrent de plus en plus sévèrement l’insuffisance de
son action en matière d’épuration, et d’amélioration du ravitail-
lement. Le 28 janvier 1944, Henri Queuille le trouva préoccupé
de l’épuration, des attaques contre Gonon, parlant de s’en aller399.
Le 22 juillet 1944, le comité directeur de Combat pour le départe-
ment de Constantine, après avoir examiné « la situation politique,
économique et sociale, et constaté une crise d’autorité caractéri-
sée par une abdication du pouvoir central devant ses services et

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

par une capitulation devant les trusts », décida de convoquer un


congrès impérial extraordinaire du mouvement, afin d’examiner
la position et le rôle des représentants de Combat au sein du gou-
vernement. Si le comité impérial refusait, le comité du Constan-
tinois menaçait de démissionner collectivement pour exprimer le
refus de ses adhérents « d’être, sous couvert de patriotisme, les
complices d’un complot tendant à étouffer les aspirations popu-
laires400 ». Ainsi, la majorité officiellement favorable aux réformes
était hétérogène et fragile.
En réalité, une opposition s’était manifestée dès les consultations
effectuées par la commission. L’ancien président des Délégations
financières Joseph Robert avait déclaré « respectueusement et
avec la franchise qui s’impose […] que le Comité français de la
Libération excède ses pouvoirs de gérant provisoire des intérêts
de la France en engageant profondément la politique de la Patrie
qui n’a pas reçu sa définition nouvelle ». Il s’était prononcé contre
le collège unique (qui submergerait les électeurs français), pour
l’ajournement de l’augmentation de la représentation des musul-
mans dans les assemblées délibérantes, mais pour les mesures
économiques et sociales qui prolongeaient l’action des Délégations
financières, sous réserve que « si la France entend hâter l’orga-
nisation matérielle et morale de ce pays elle devra parfaire les
trop faibles ressources que l’Algérie peut lui consacrer401 ». Gabriel
Abbo avait condamné le principe de la citoyenneté dans le statut,
qui conduirait à distinguer trois catégories de citoyens : à 100 %
les naturalisés, à 125 % les citoyens Français privilégiés par leur
statut personnel et à 75 % les sujets français402. Roger Fournier,
propriétaire à Kerrata près de Sétif, jugeait lui aussi la citoyenneté
dans le statut illogique et illégale403.
Convoqué par la commission, le député Joseph Serda, membre
de l’Assemblée consultative, écrivit qu’il ne jugeait pas opportun,

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

pour le moment, de prendre position sur ce problème. Au


contraire, l’ancien député d’Alger André Mallarmé écrivit le
30 décembre 1943 au directeur de La IVe République en réponse
au récent article de Paul-Émile Viard sur « Les droits politiques
des Français indigènes d’Algérie ». Rappelant l’abandon du projet
Blum-Viollette par le gouvernement Daladier en 1938, il protestait
contre sa brusque exhumation par le CFLN : « Brusquement, sans
enquête préalable, sans consultation des hommes qui avaient
officiellement à s’occuper de cette question antérieurement, le
Comité de la Libération nationale dans lequel ne siège aucune
personnalité algérienne a décidé dans sa séance du 11 décembre
1943 de conférer aux élites musulmanes, sans plus attendre et
sans abandon du statut personnel coranique, la citoyenneté fran-
çaise. Nous qui sommes les hommes de l’Empire, qui y sommes
nés, qui y vivons et qui y avons notre avenir, nous avons éprou-
vé […] un sentiment d’effroi intense en présence d’une décision
aussi subite sur un problème qui est non seulement un problème
politique et constitutionnel, par l’innovation formidable qu’on
introduit dans nos institutions, mais encore un problème social
et algérien par toutes les incidences qui en résulteraient pour le
développement français de ce pays404. »
Cette lettre était accompagnée par le texte de la motion présen-
tée par son auteur au Conseil général d’Alger le 30 octobre 1936
« sur les dangers de conférer aux indigènes musulmans les droits
politiques de citoyen français sans abandon de leur statut per-
sonnel et successoral », ainsi que par une note datée du 10 janvier
1944 « sur le projet tendant à adjoindre des indigènes musulmans
au corps électoral français en Algérie (formule Viollette) », et une
proposition de représentation des indigènes musulmans au Par-
lement par deux députés par département, représentant respecti-
vement les communes de plein exercice et les communes mixtes.

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

Le rapporteur de la commission, le sénateur Giacobbi, sous-


estima la profondeur de l’opposition de ces notables, et leur repré-
sentativité 405. Mais un « Africain », Robert Montagne, en jugea
autrement peu après l’ordonnance du 7 mars 1944 : « L’opinion
française d’Afrique, dans son ensemble, est caractérisée par un
conservatisme que la guerre n’a fait que raidir et rendre plus
intransigeant », écrivait-il dans ses Réflexions sur la politique de
la France en Afrique. « Pour avoir senti clairement, dans la pro-
vince de Constantine, les hésitations des masses arabes lors de
l’avance allemande vers Tébessa, les Français de l’Algérie orien-
tale ont aussi instinctivement renforcé leurs préjugés raciaux et
fait des vœux pour une politique de force. L’émotion contenue,
mais profonde, que soulève en Algérie parmi tous ceux qui ont
de fortes attaches algériennes la promulgation du nouveau décret
sur la citoyenneté française dans le statut musulman, s’explique
avant tout par la crainte qu’éprouve la “minorité” française de se
voir prochainement, par le jeu naturel de la démogagie, submer-
ger par la marée montante de la puissante majorité musulmane,
illettrée et incapable. Si des manifestations de l’opinion publique
ne se sont pas produites, c’est que chacun craint les rigueurs de
l’internement, et surtout qu’on espère faire appel des décisions du
Comité auprès de la future Assemblée nationale406. » Ce « conser-
vatisme aveugle » était renforcé par « l’action quelque peu tumul-
tueuse » du personnel métropolitain des services du CFLN, ces
« Francaouis » dont les vieux Africains souhaitaient le départ, et
surtout par l’audace inconsidérée ou volontaire des « partis fran-
çais du mouvement » qui encourageait des espoirs déraisonnables
chez les indigènes. Il était « le danger le plus grave auquel nous
ayons à faire face ».
L’analyse de Montagne était fondée sur les rapports des ser-
vices de renseignements civils et militaires. Par exemple, le

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

24 décembre 1943, le rapport hebdomadaire de la commune


mixte de Berrouaghia remarquait : « Dans l’ensemble, les colons
sont assez mécontents des décisions prises qu’ils estiment inop-
portunes et de nature à accentuer leurs actuelles difficultés
d’exploitation. Les Israélites […] auraient certainement préféré le
maintien du statu quo407. » Le 14 mars 1944, un rapport du général
André, commandant la division de Constantine, signalait le mau-
vais accueil fait à l’ordonnance du Comité : « En milieu européen,
le nouveau statut des musulmans a été accueilli avec froideur et
même avec regret par la majeure partie de la population. Certains
ont même été jusqu’à dire : “Il ne nous reste plus qu’à faire nos
bagages”. La population israélite aurait aussi manifesté un pro-
fond mécontentement408. »
Deux mois et demi plus tard, la même source signalait une
baisse du moral : « On constate dans certains milieux politiques et
intellectuels européens de Constantine un sentiment de profond
pessimisme sur l’avenir de l’Algérie : “C’en est fini, les récentes
mesures adoptées par le CFLN et le général Catroux ont tué l’Algé-
rie. […] Proclamer l’égalité entre Français et Indigènes c’est pro-
clamer la “mise en infériorité des Français” en raison de la loi du
nombre. […] Il n’y a plus d’avantages à rester en Algérie.” […] De
nombreux fonctionnaires auraient manifesté leur désir de rega-
gner définitivement la France […]. Même en milieux israélites,
des sentiments identiques ont été manifestés409. »
On peut s’interroger sur le degré de représentativité de telles
réactions, tout particulièrement chez les Israélites, dont un certain
nombre se sentaient au contraire solidaires de leurs compatriotes
musulmans410. Mais la tendance à une inquiétude croissante chez
les Européens paraît vraisemblable.
Aux yeux de Catroux, le nationalisme algérien était moins
répandu parmi les musulmans que l’aspiration à l’égalité totale

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

et inconditionnelle avec les Français d’Algérie. L’octroi de la


citoyenneté française sans abandon du statut musulman aurait
donc pu rallier la masse et marginaliser les nationalistes, à condi-
tion de ne pas être réservé à une étroite minorité. Les premières
réactions au discours de Constantine semblèrent lui donner rai-
son. Le président de la section arabe des Délégations financières,
Taleb Abdesselam, déclara : « Le projet du général de Gaulle était
attendu en Algérie depuis au moins un demi-siècle ; il donne aux
musulmans le maximum de ce qu’ils demandaient, il les comble
d’un grand bonheur. Cette citoyenneté dans le statut personnel,
c’est la réalisation d’un rêve 411. » Selon Catroux, « des centaines
de télégrammes de félicitations et des adresses de reconnais-
sance de la part des musulmans d’Algérie ont afflué à la pré-
sidence du Comité et au gouvernement général de l’Algérie 412 ».
Les informateurs du CIE confirmaient cet excellent accueil. Le
24 décembre 1943, le rapport hebdomadaire de la commune
mixte de Berrouaghia signalait la joie profonde des élites intel-
lectuelles et laborieuses. « À l’exercice des droits nouveaux qui
leur sont concédés, les musulmans répondront par une fidélité,
une confiance, un dévouement accrus aux obligations dues à
l’état de guerre et aux sacrifices nécessaires pour hâter la libé-
ration du territoire. » « Nous savons maintenant pourquoi nous
nous battons », entendait-on dire fréquemment. « Le général de
Gaulle vient de remporter une nouvelle victoire : il a conquis et
s’est attaché définitivement l’âme musulmane 413. » De même, le
bulletin de renseignement du territoire militaire de Touggourt
du 27 décembre 1943 rapportait que, selon l’administrateur de
Biskra, l’octroi de la citoyenneté française à une élite sans perte
du statut personnel avait « comblé les vœux de la grande majorité
des Algériens » et créé « une atmosphère d’enthousiasme sincère
chez la plupart des indigènes, les élus, les anciens combattants

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

et même la masse des ouvriers ou artisans non touchés pourtant


par cette mesure414 ».
Mais cet enthousiasme reposait sur un malentendu redou-
table, dans la mesure où l’aspiration à l’égalité totale et immédiate
dépassait largement les intentions du CFLN. L’inévitable décep-
tion risquait de provoquer un brusque retournement de l’opinion
musulmane. Le rapport Giacobbi, le rapport complémentaire du
général Catroux au CFLN, et sa note du 29 février 1944 sur les
conséquences d’un refus du projet Valleur, étaient fondés sur cette
lucide analyse.
L’ordonnance du 7 mars 1944 suscita de nouvelles manifesta-
tions de gratitude, mais aussi d’amère déception et d’inquiétude415.
Catroux s’efforça de les apaiser en expliquant à la commission
que le Comité avait promis la citoyenneté française à la masse
des musulmans, et qu’il avait mis fin sans attendre à leur statut
de sujétion. Les préfets firent de même dans leurs préfectures.
À Constantine, devant les notables musulmans convoqués par le
préfet Périllier le 11 mars 1944, le docteur Bendjelloul regretta que
le projet de la commission, qui était un minimum, eût été amputé
par le CFLN : « La réaction des musulmans a été après une joie
très courte, une déception […]. Les bachaghas et les caïds sont
“citoyens”, et on refuse cette faveur aux titulaires de la carte de
combattant, de la Croix de guerre… Pourquoi alors se faire tuer
en Italie ? » Les anciens combattants demandèrent une audience
et présentèrent une motion de protestation. Le docteur Bendjel-
loul déplora encore d’autres oublis (« les membres des djemaas,
les titulaires du certificat d’études qui ont appris l’histoire de
France »), et se demanda si le texte publié n’avait pas été tronqué
par une « erreur des services télégraphiques416 ».
Trois jours plus tard, un rapport du général André au géné-
ral commandant la XIXe région militaire signalait de premières

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

réactions favorables, mais nuancées. De nombreux indigènes


s’étaient déclaré satisfaits, mais d’autres restaient indifférents
aux réformes annoncées. Les points les plus appréciés étaient la
conservation du statut personnel musulman par les nouveaux
citoyens français, ainsi que la possibilité d’accéder à tous les
emplois civils et militaires et l’égalité des droits et des devoirs.
Certains craignaient un élargissement des obligations militaires.
De nombreuses critiques visaient le fait que les anciens combat-
tants n’aient pas tous été admis à bénéficier de la pleine citoyen-
neté. Les étudiants étaient satisfaits, mais les jeunes gens sans
diplôme appartenant aux familles bourgeoises en étaient jaloux.
Enfin les partisans de Ferhat Abbas, ainsi que les Oulémas, expri-
maient leur dépit et leur refus de la citoyenneté française417.
De nouveau, Catroux donna la plus large publicité aux mes-
sages de remerciement, en direction des pays arabes d’Orient418. Il
fit envoyer par Montagne au délégué du CFLN au Caire un tableau
des réactions à l’ordonnance du 7 mars faisant état de nombreuses
réactions favorables, surtout dans le département de Constantine,
malgré les prises de positions hostiles d’Abbas, Brahimi et Messali.

« Il s’agit d’empêcher l’Afrique du Nord de glisser


entre nos doigts pendant que nous délivrons la France »
Toutefois, dans ses Réflexions sur la politique de la France en
Afrique, Robert Montagne proposait une analyse différente. Les
réactions les plus enthousiastes étaient celles des Algériens de
l’extérieur, au Maroc et en Tunisie, qui exultaient d’avoir conquis
le statut privilégié des Français d’origine. En Algérie, les masses
étaient « peu préoccupées d’autre chose que d’assurer leur vie
matérielle dans des conditions difficiles », et les élites rurales
« incertaines devant l’avenir et pleines de réserve devant des
avantages dont elles ne distingu[ai]ent pas bien encore la nature

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

exacte ». Dans les villes, parmi les évolués, se dessinaient des


mouvements contraires. Robert Montagne ne faisait aucune dif-
férence entre les partisans de l’égalité civique totale dans le cadre
de la France ou dans un État algérien indépendant, également
« subversifs » à ses yeux. Il soulignait l’existence depuis dix ans
parmi les musulmans les plus actifs d’une attitude systématique
d’opposition contre l’administration, et l’effet cumulatif des pro-
pagandes déployées depuis 1939 par tous les belligérants, tous les
partis et tous les régimes.
Catroux avait bien annoncé que le « néonationalisme » de
Ferhat Abbas ne se rallierait pas, et que sa propagande accuserait
la France de vouloir séparer les élites de la masse. Il n’avait peut-
être pas prévu que les Amis du Manifeste situeraient leur reven-
dication nationale dans le cadre du fédéralisme envisagé par la
conférence de Brazzaville, de façon à solliciter l’appui des partis
de gauche, communiste et même socialiste. Suivant cette orien-
tation, le congrès départemental des AML réuni à Constantine le
22 mai 1944 vota une motion par laquelle il saluait les réformes
économiques et sociales annoncées par le CFLN et remerciait le
général de Gaulle d’avoir « affirmé autrement que par des paroles
la fraternité et la solidarité franco-algériennes », considérait ces
réformes comme « une première étape vers l’application des lois
sociales à l’Algérie et le désir d’améliorer le sort des populations
musulmanes », et demandait instamment au général de Gaulle
« d’en assurer l’application dans les délais les plus brefs ». Au nom
des « principes républicains de 1789 » dont ses membres se disaient
imbus, il remerciait en particulier « les communistes et certains
socialistes qui, par leur action, [avaient] contribué à arracher les
réformes économiques et sociales susceptibles d’améliorer le sort
des masses laborieuses ». Sur le terrain politique, il estimait que
« l’assimilation annoncée par l’ordonnance du 7 mars 1944 [était]

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

contraire aux aspirations des populations musulmanes, et [que],


si généreuse que fût la pensée du général de Gaulle, elle ne saurait
constituer une solution au problème algérien », que le gouverne-
ment provisoire de la République française ne saurait trouver sans
une « large consultation de la population intéressée ». En atten-
dant, le congrès demandait des mesures d’apaisement (liberté
d’opinion, de la presse dans les deux langues, liberté religieuse
et d’enseignement de la langue arabe), et assurait le général de
Gaulle et le Gouvernement provisoire de « tout son appui pour la
libération de la France et la victoire des Alliés419 ».
Cette habile tactique ne laissait aucune prise aux mesures
« d’autorité et de très grande fermeté » que Catroux avait recom-
mandées au Comité dans sa note du 29 février 1944 : « S’il veut
éviter d’avoir à faire de la répression, il devra interdire les pro-
pagandes et les sanctionner dès les premières infractions par des
arrestations qui pour être efficaces devront être suivies de peines
durables et rigoureuses. » Au contraire, le commissaire à l’Infor-
mation Henri Bonnet autorisa pendant l’été 1944 la création d’un
hebdomadaire des AML, Égalité, demandée par le journaliste et
militant socialiste Aziz Kessous420.
Pourtant, Ferhat Abbas employait souvent un ton véhément
devant ses auditoires musulmans. Et ses alliés nationalistes, les
Oulémas et surtout les messalistes du PPA clandestin, n’adhé-
raient pas profondément au programme fédéraliste du mouve-
ment. Dès le 10 mars 1944, selon un rapport du général André,
il régnait à Sétif « une atmosphère de malaise, de tension même,
la majorité de la population semblant gagnée aux idées d’Abbas.
Les indigènes n’hésiteraient pas, le cas échéant, à recourir à la
force pour obtenir satisfaction », même les troupes indigènes sor-
tiraient de leurs casernes avec armes et munitions. « Les enfants
s’interpellant dans la rue et faisant vraisemblablement allusion

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

à un soulèvement, se demandent l’un l’autre : “Pour quand ?” »


Deux mois plus tard, à Biskra, six inscriptions à la peinture verte
furent apposées dans la nuit du 13 au 14 mai 1944, les cinq pre-
mières annonçant : « Frères musulmans, préparons-nous », et la
sixième : « Préparons-nous à l’heure H ». Un adjudant sénégalais
ayant ajouté à l’une des premières : « À quoi ? », on répondit la nuit
suivante : « À faire la révolution ». Dans la même ville circulait un
tract intitulé Manifeste du peuple algérien annonçant : « Les musul-
mans algériens sont prêts à verser leur sang pour la cause com-
mune, leur libération des griffes de l’ennemi envahisseur. »
Dans son rapport du 3 juin 1944 analysant le pessimisme de
certains milieux européens de Constantine sur l’avenir de l’Algé-
rie, le général André mentionnait l’inquiétude suscitée par l’essor
de la propagande nationaliste : « La faiblesse du gouvernement à
l’égard des leaders du mouvement autonomiste ne se comprend
pas. Elle ne peut qu’être imposée par les Alliés. » La nomination
de Ferhat Abbas à la délégation spéciale de Sétif ne pouvait que
décourager les quelques indigènes restés partisans de la politique
d’assimilation, de plus en plus rares selon un intellectuel indi-
gène, d’après lequel un plébiscite ne donnerait que 2 % des voix
en faveur des Français. Les revendications des Arabes se poursui-
vraient jusqu’à ce qu’ils puissent réaliser leur désir de toujours :
« Nous jeter à la mer421. »
Pourtant, le gouverneur général réagit, en limitant la liberté de
circulation de Ferhat Abbas. Mais le 15 juin 1944 à Khenchela,
devant 600 auditeurs, celui-ci se déclara prêt à aller en prison et, s’il
le fallait, jusqu’au peloton d’exécution, pour atteindre son but. « Si
tous unis nous savons rejeter les droits de citoyen, accordés par le
CFLN, nous forcerons la main aux Français. Il faut leur faire com-
prendre, dans nos rapports avec eux, notre volonté les yeux dans
les yeux, car c’est d’une logique dont ils doivent se pénétrer422. »

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AMBITIONS ET ATERMOIEMENTS DU CFLN

Il se vit alors interdire de prendre la parole en public. Néanmoins


la propagande des AML continua sous une forme clandestine, par
tracts et par inscriptions de plus en plus menaçantes.
Le 22 juillet 1944, le procureur général près la cour d’appel
d’Alger répondit à une demande du gouverneur général que le
mouvement des AML tendait à « porter atteinte à l’intégrité du ter-
ritoire national », et recommanda sa dissolution423. Le 24 juillet,
le commissaire adjoint à l’Intérieur Jean Pierre-Bloch vint attirer
l’attention de Catroux sur certains remous parmi les indigènes
vers Constantine.
Le 26 juillet, à Sétif, des drapeaux français furent arrachés,
et la synagogue lapidée. Le 27 juillet, par message exprès, Jean
Pierre-Bloch insista pour connaître l’avis du général sur cette alar-
mante situation. « Des renseignements qui me sont fournis jour-
nellement et qui sont tirés des faits unanimement rapportés, il
apparaît que l’hostilité constatée se manifeste dans des propor-
tions plus inquiétantes dans la mesure où les différents groupes
politiques indigènes semblent s’être donnés pour règle un rassem-
blement auprès des éléments nationalistes. » Le général Catroux
lui répondit que la situation dans le département de Constantine
était attentivement suivie par son administration, et qu’il avait
chargé le préfet Lestrade-Carbonnel de se rendre à Sétif. Celui-ci
avait « jugé trop alarmants certains rapports émanant des services
de police et de gendarmerie424 ».
Jean Pierre-Bloch eut le sentiment que ses avertissements
n’étaient pas pris au sérieux. Il se tourna donc vers le général de
Gaulle, auquel il transmit un rapport le 8 août 1944. Le directeur
de cabinet Gaston Palewski lui répondit le 12 août que le général
en avait « pris connaissance avec beaucoup d’intérêt425 ». De nou-
veau, Jean Pierre-Bloch eut l’impression d’avoir été écouté sans
être entendu.

289
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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Cette impression paraît exagérée. Catroux n’était pas homme à


se repaître d’illusions : sa note du 29 février 1944 ne laisse aucun
doute sur ce point. D’après son biographe Henri Lerner, sa réponse
à Jean Pierre-Bloch traduisait moins une méconnaissance de la
montée du nationalisme que « la réaction d’un homme peu enclin à
s’en faire remontrer par un jeune sous-secrétaire d’État qui se per-
mettait d’empiéter sur ses attributions », et « seules des considéra-
tions d’ordre juridique le détournèrent de prononcer la dissolution
des Amis du Manifeste et l’interdiction du journal Égalité426 ».
Dans sa note du 29 février 1944, le commissaire d’État aux
Affaires musulmanes avait préconisé des précautions militaires :
« Le Comité devra s’assurer le concours de troupes sûres, ce qui
exigera le maintien sur le territoire algérien de forces blindées ou
de couleur sous un commandement organisé et disposant d’élé-
ments blindés et de moyens de transport rapide. Et de ce fait, la
sécurité du territoire viendra hypothéquer le corps expédition-
naire d’une charge supplémentaire. » Cette considération peut
expliquer que Catroux ait voulu retarder l’épreuve de force qu’il
jugeait inévitable.
Ces précautions furent prises par le président du GPRF avant le
débarquement de Provence. Le 23 juillet 1944 à Naples, de Gaulle
annonça au général Henry Martin, libérateur de la Corse, qu’il
lui réservait un poste important en Afrique du Nord. Le 13 août à
Alger, il lui fit part de sa décision : « Vous resterez ici aux côtés du
général Catroux. L’état d’esprit des musulmans reste préoccupant.
Il s’agit d’empêcher l’Afrique du Nord de glisser entre nos doigts
pendant que nous délivrons la France427. »

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Le sursaut et les scrupules


des années 1944-1945
Le 25 août 1944, le retour du GPRF à Paris rétablit la distance tra-
ditionnelle entre le gouvernement français et le problème algérien.

Catroux confirmé
Une ordonnance du 28 août 1944 (parue au Journal officiel du
30 août, sous la signature du vice-président Henri Queuille et
de tous les commissaires) avait « créé provisoirement au sein du
gouvernement un poste de commissaire délégué général du Gou-
vernement pour l’Afrique du Nord », chargé d’exercer « l’action
gouvernementale, dans le cadre de la législation en vigueur, sur
les territoires de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie », et d’assu-
mer « la responsabilité de leur sécurité intérieure et extérieure ».
À cette double fin, il avait autorité sur « le gouverneur général de
l’Algérie, les résidents généraux au Maroc et en Tunisie, les repré-
sentants des différents départements ministériels, ainsi que les
officiers généraux représentant des départements de la Défense
nationale pour ce qui concerne la sécurité intérieure et extérieure

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

de l’Afrique du Nord428 ». Un décret daté du même jour désigna


pour ce poste Catroux, avec effet « du jour où le Gouvernement
provisoire de la République quittera[it] l’Algérie429 ».
Deux jours plus tard, par ordre du général de Gaulle, une
décision du général Juin, chef d’état-major général de la Défense
nationale, chargea « le général commandant le XIXe corps d’ar-
mée [Henry Martin], sous la haute autorité du commissaire délé-
gué du GPRF pour l’Afrique du Nord, de coordonner l’emploi des
forces terrestres pour ce qui concerne la sécurité intérieure et
extérieure de l’Afrique du Nord », et lui donna « autorité directe
sur les généraux commandants supérieurs des troupes du Maroc
et de Tunisie » dans le cadre de cette mission430.
Les pouvoirs de Catroux furent confirmés lors du remanie-
ment de septembre 1944. Le 10, il fut nommé ministre délégué en
Afrique du Nord. Deux jours plus tôt, deux autres décrets avaient
placé à la disposition du ministère de l’Intérieur le ministre plé-
nipotentiaire Yves Chataigneau (auparavant à la disposition de
la Délégation générale du Levant), et l’avaient nommé gouver-
neur général de l’Algérie431. Ainsi prenait fin le cumul, critiqué,
entre des responsabilités gouvernementales et celles de gouver-
neur général. Mais Catroux, déchargé d’une partie de ses fonc-
tions, conservait la direction effective de la politique algérienne.
Cette double décision était pour lui un grand succès, qui n’al-
lait pas de soi. En effet, il n’avait pas que des amis au gouver-
nement et dans l’Assemblée. Son indépendance d’esprit et son
audace lors du débat préalable à l’ordonnance du 7 mars 1944
avaient sans doute inquiété certains commissaires. Au contraire,
sa répugnance envers une épuration systématique du gouver-
nement général avait indisposé l’aile gauche du Comité et de
l’Assemblée consultative. Le conseil général d’Alger ne se cachait
pas de préférer à de Gaulle le général Catroux, défenseur de la

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

IIIe République, avant que celui-ci fît interner André Mallarmé


en juin 1944 432. Le vice-président du CFLN puis du GPRF, Henri
Queuille, soupçonnait Catroux de jouer un mystérieux « jeu per-
sonnel », et avait l’impression que de Gaulle partageait ce sen-
timent433. Son Journal atteste que dès le 3 avril 1944, à la veille
du remaniement qui fit entrer les communistes dans le CFLN, le
président du Comité semblait décidé à éloigner Catroux : « Il faut
qu’il s’en aille du gouvernement général où irait Chataigneau
[…] et du Comité. On l’enverra à Washington. » C’est paradoxa-
lement Henri Queuille qui l’aurait fait réfléchir sur la nécessité
de conserver en Afrique du Nord un homme capable de com-
mander, d’administrer et de veiller aux drames possibles, pour
assurer le Comité rentrant en France de ses arrières nord-afri-
cains434… On peut donc penser que c’est pour cette raison que le
général de Gaulle maintint Catroux.
La nomination d’Yves Chataigneau s’expliquait par ses com-
pétences et par des raisons politiques. Né en 1891, cet univer-
sitaire polyglotte, agrégé d’histoire et de géographie, grand
connaisseur des Balkans et du Proche-Orient, glorieux combat-
tant de la Grande Guerre, était entré au Quai d’Orsay en 1924
comme spécialiste des relations culturelles et scientifiques.
Socialiste, il était devenu en 1936 chargé de mission au secréta-
riat général du gouvernement de Blum, puis secrétaire général
en mai 1937, et s’était initié aux problèmes maghrébins en pré-
sidant la commission d’études du Haut-Comité méditerranéen435.
Nommé ministre plénipotentiaire en 1939, il avait été affecté sur
sa demande à l’état-major de la Cinquième Armée, où il avait ren-
contré le futur général de Gaulle puis avait rejoint la France libre.
Nommé par Catroux secrétaire général de la Délégation générale
au Levant, il avait à ce titre participé au coup de force de son
supérieur, l’ambassadeur Jean Helleu, contre le gouvernement

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

libanais en novembre 1943, puis au règlement du conflit par le


général Catroux ; celui-ci lui avait confié l’intérim de la Déléga-
tion générale jusqu’à la nomination du général Beynet à ce poste.
Bénéficiant de la confiance de De Gaulle et de celle du géné-
ral Catroux, il était mieux placé que ce dernier pour plaire aux
socialistes, qui critiquaient son administration et se plaignaient
de ne pas avoir été suffisamment représentés dans la commis-
sion des réformes musulmanes. Peut-être était-ce pour limiter
leur influence que le radical Henri Queuille aurait préféré à ce
poste le sénateur Marcel Astier436.
Cette réorganisation des responsabilités visait en fait à
conserver et à consolider les avantages de l’organisation pré-
cédente : l’unité d’action administrative et militaire en Afrique
du Nord, et la présence de son chef au gouvernement en tant
que membre à part entière. Pour pallier les inconvénients de
l’éloignement du siège du pouvoir central, le ministre délégué
en Afrique du Nord devrait séjourner alternativement à Alger
et à Paris, et répartir ses services entre ces deux villes. Mais
le renforcement des pouvoirs de Catroux, destiné à donner une
impulsion commune aux réformes dans les trois pays, provoqua
un conflit ouvert avec le ministère des Affaires étrangères, et
avec d’autres ministères, voire, dans une moindre mesure, avec
le ministère de l’Intérieur.
Catroux avait collaboré d’une façon apparemment harmo-
nieuse avec son collègue René Massigli pour les affaires concer-
nant les États du Levant et les protectorats tunisien et marocain.
Mais la création du ministère de l’Afrique du Nord déclencha un
conflit d’attributions. Dès le 9 septembre, le général Catroux écri-
vit aux résidents généraux Mast et Puaux pour leur demander
d’adresser directement leur correspondance politique ou adminis-
trative à la Délégation générale, en n’envoyant qu’une copie pour

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

information aux Affaires étrangères. Peu après, il écrivit au rési-


dent général Puaux une lettre sur la réforme de l’administration
marocaine, en la présentant comme le début d’une réforme d’en-
semble du protectorat. Aussitôt, le 15 septembre, la direction poli-
tique Afrique-Levant (encore installée à Alger) adressa une note
au ministre des Affaires étrangères Georges Bidault, demandant
des « règles d’application précises » de l’ordonnance du 28 août,
« pour éviter tout conflit d’attributions comme toute réaction
internationale » au sujet du statut des protectorats. Il importait de
savoir si le ministère de l’Afrique du Nord aurait un simple rôle
de coordination, ou s’il aurait autorité sur les protectorats, ce qui
aboutirait à en dessaisir le ministère des Affaires étrangères 437.
Le 16 septembre, la même direction adressa au résident Puaux,
et au ministre Bidault, les « observations qu’appelle de la part du
département la création récente d’un ministère de l’Afrique du
Nord438 ». Enfin, le 18 septembre, par une note au secrétaire géné-
ral, elle protesta contre les instructions envoyées par Catroux aux
résidences de Rabat et de Tunis à l’insu du département, et en
contradiction avec l’ordonnance du 28 août, qui situait sa mission
« dans le cadre de la législation en vigueur ». Or, d’après celle-
ci, toute la correspondance des protectorats devait passer par le
ministère des Affaires étrangères439. Le conflit était donc déclaré.
D’autres ministères adoptèrent la même attitude en continuant à
correspondre directement avec leurs administrations en Afrique
du Nord.
Un mois plus tard, Catroux profita de sa présence à Paris pour
faire arbitrer le conflit en sa faveur par le gouvernement440. Une
ordonnance du 21 octobre 1944 fixa les attributions et les pou-
voirs du ministre délégué en Afrique du Nord, en précisant que
« le gouverneur général de l’Algérie, les résidents généraux au
Maroc et en Tunisie, les représentants des différents départements

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

ministériels, les officiers généraux représentant des départements


de la Défense nationale pour ce qui concerne la sécurité intérieure
et extérieure de l’Afrique du Nord, communiquent avec les autres
membres du gouvernement par son intermédiaire441 ». Il exploi-
ta aussitôt sa victoire en écrivant aux ministres de l’agriculture,
du ravitaillement, et de la production industrielle, pour protester
contre les instructions données à leurs représentants à Alger de
correspondre directement avec eux442.
Catroux avait gagné, mais il savait sa victoire fragile : parce
que l’ordonnance du 28 août 1944 avait créé son poste à titre pro-
visoire, et parce que le général de Gaulle lui avait proposé, dès le
1er octobre, l’ambassade de France à Moscou. Il employa donc tous
ses efforts à hâter l’adoption de son plan de réformes algériennes
par le gouvernement.
Une fois le gouvernement réinstallé et réorganisé à Paris, Catroux
lui rappela les projets de décisions envoyés le 9 août, et dont le
déménagement des services avait interrompu l’examen, ainsi que
plusieurs décrets d’application de l’ordonnance du 7 mars 1944.
En octobre, il vint à Paris lui présenter des textes couvrant
42 pages imprimées443. Ce dossier fut adressé à tous les membres
du gouvernement, avec une note d’envoi par le secrétaire général
Louis Joxe (n° 335-SG, du 10 octobre 1944), qui classait les projets
d’ordonnances et de décrets en six rubriques suivant les minis-
tères concernés444.
Dans une autre note, datée du 23 octobre, celui-ci rappela la
procédure suivie. À la demande du président du gouvernement,
deux commissions avaient été constituées ; la première, présidée
par le général Catroux, réunissait les ministres de l’Éducation
nationale, de l’Intérieur, de la Santé publique et du Travail ; la
seconde, présidée par Pierre Mendès France, ministre de l’Éco-
nomie nationale, groupait les membres du Comité économique445.

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

À la suite de ces échanges de vue, des modifications furent intro-


duites dans certains textes, qui furent diffusés sous leur forme
définitive par les notes des 14 octobre (n° 365-SG), 20 octobre
(456-SG), 21 octobre (n° 460-SG) et 23 octobre 1944. Cette note
indiquait le programme de la séance du Conseil des ministres du
24 octobre – un exposé d’ensemble du général Catroux, suivi par
l’examen des textes dans l’ordre ci-après :
1) Intérieur (trois textes) ; 2) Justice (quatre textes) ; 3) Éduca-
tion nationale (dix-neuf textes) ; 4) Affaires sociales (un texte) ;
5) Hygiène et santé publique (un texte) ; 6) Paysannat (un texte) ;
7) Artisanat (quatre textes) ; 8) Habitat (quatre textes) ; 9) Indus-
trialisation (un texte) ; 10) Financement (un texte).
Une note complémentaire ajoutait trois textes aux projets
concernant l’Éducation nationale, qui représentaient l’ensemble le
plus important446.
Le rapport du ministre délégué en Afrique du Nord au Conseil
des ministres, daté du 24 octobre, avait pour but de présenter « en
deuxième lecture un ensemble de décisions et de textes visant
au relèvement au plan économique et social de la condition des
Français musulmans d’Algérie ». Il commençait par un rappel pré-
alable, à l’intention des ministres qui n’avaient pas été présents
à Alger, de la genèse de ces projets. Catroux expliquait qu’en
décembre 1943 le CFLN avait « senti le besoin de définir la poli-
tique de la France à l’égard des musulmans algériens et de la tra-
duire par des actes significatifs et efficaces », parce que les classes
évoluées et les masses populaires « témoignaient la même lassi-
tude du régime français et une sorte de prise de conscience de la
personnalité algérienne », « sous l’influence de nombreux facteurs
d’ordre politique, psychologique et économique » relevant géné-
ralement de l’état de guerre, de la défaite, et du « large courant
d’émancipation qui secouait les nationalistes arabes d’Orient ».

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Les masses qui souffraient des restrictions et de la conscription


évoquaient à nouveau leurs anciens griefs contre la colonisation
française, et exprimaient une revendication confuse de l’égalité
des droits entre Européens et indigènes, abolissant leur statut de
sujets. Les évolués et particulièrement les élus, rappelant qu’ils
avaient été tenus à l’écart de la citoyenneté française, réclamaient
l’institution d’une nation algérienne et d’un État algérien sous la
forme de dominion. Après le rejet de cette prétention par le gou-
vernement général, « la majorité des élus qui l’avaient formulé par
écrit dans un manifeste dit du peuple algérien » s’étaient rétrac-
tés, mais certains demeuraient fermes, et même ceux qui avaient
fléchi insistaient pour que « de larges satisfactions susceptibles
de regrouper les musulmans autour de la France fussent sans
attendre accordées sur le plan politique ».
Le général Catroux ajoutait d’autres arguments : le crédit moral
de la France atteint à l’occasion des événements du Liban, l’im-
possibilité d’ajourner les réformes à la fin de la guerre, ainsi que
des « raisons de croire que le maintien de la souveraineté de la
France sur ses possessions d’Outre-mer lui serait disputé lors du
règlement de la paix ».
La deuxième partie du rapport définissait l’orientation géné-
rale des réformes et résumait les décisions prises. Il ne pouvait
être question de « s’orienter vers un statut de dominion dans l’es-
prit des revendications des élus musulmans », parce qu’une telle
solution eut été interprétée comme une victoire du nationalisme
algérien, mais aussi parce qu’elle eût signifié un « renversement
de la politique suivie en Algérie depuis 1834 ». Conclusion : « Cette
politique est une politique d’assimilation. Elle repose sur le pos-
tulat que l’Algérie est une terre française et un prolongement ter-
ritorial de la métropole, découpé en départements et administré
suivant les règles en vigueur en France, sur le postulat que tous

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

les habitants de l’Algérie, Européens et autochtones, sont français


et qu’il n’existe pas de nationalité algérienne .»
Après avoir situé ses réformes dans la continuité de la politique
algérienne de la France, le général Catroux en soulignait les impli-
cations jusque-là négligées. « Assimilation veut dire absorption
dans la communauté française d’éléments d’origines ethniques
diverses. Elle peut et doit être faite progressivement, mais elle a
pour terme et expression l’accession des assimilés à tous les droits
et les devoirs du Français. Elle comporte de la part de l’État une
égale sollicitude et un égal effort autant en faveur des populations
à assimiler qu’en faveur des nationaux. Elle n’est possible que s’il
se crée un esprit commun et des intérêts communs entre les pre-
miers et les seconds. »
Le rapport mentionnait ensuite les décisions du 11 décembre
1943 et le discours de Constantine, en signalant au passage la
« novation hardie, qui admet les musulmans à la citoyenneté sans
les astreindre aux règles du code civil français », acte politique sus-
ceptible d’apaiser les scrupules religieux qui les avaient détournés
de l’accepter. Puis la création et les travaux de la commission des
réformes musulmanes, et l’ordonnance du 7 mars 1944, aboutisse-
ment de leur tranche politique.
Enfin, la dernière partie du rapport présentait et justifiait la
« deuxième tranche du programme », visant à tracer un « plan
d’ascension économique et sociale des musulmans algériens » et
à « proposer une solution au problème démographique que sou-
lève l’accroissement continu et régulier de 120 000 individus par
an chez la population musulmane ». De nouveau, Catroux souli-
gnait la cohérence entre les deux volets du programme de la com-
mission : « La politique d’assimilation exige que l’enseignement
en langue française soit très largement distribué aux garçons et
aux filles afin qu’un esprit commun aux musulmans et aux non-

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

musulmans soit suscité […]. Cette même politique réclame que,


sur un plan social, l’égalité des droits devienne effective dans le
domaine des lois réglementant le travail et les garanties sociales.
Elle veut aussi que l’habitat des musulmans soit en rapport avec
le respect de la dignité des individus. Elle exige enfin que la
masse musulmane bénéficie d’une organisation de l’hygiène et de
l’assistance capable de la protéger. »
Sur le plan économique, le général Catroux avouait que les
mesures proposées ne pouvaient régler entièrement le problème
démographique. « Les terres disponibles ne permettent d’instal-
ler sur le sol qu’une fraction restreinte des familles indigènes
se consacrant à la culture des céréales. Et il n’en est à attendre
qu’une faible augmentation de la production agricole. L’accrois-
sement d’autres cultures, telles que l’olivier et le maraîchage,
pourra fournir un appoint, mais […] il apparaît avec évidence
que pour procurer la subsistance à son excédent de popula-
tion, l’Algérie devra s’industrialiser. » Les industries qui peuvent
y être créées « pourront absorber une partie de la population,
mais il est évident qu’une autre partie ne pourra vivre sans
s’expatrier ».
Le rapport évoquait ensuite une objection, émanant du comité
économique de Pierre Mendès France : la nécessité préalable d’un
plan d’équipement. Un tel plan existait, mais il avait été interrom-
pu par la guerre. Il n’était pas possible d’en tracer un autre sans
connaître les facteurs extérieurs et le futur régime économique
de la France. Et surtout, il ne fallait pas se tromper sur l’effet
psychologique et politique qu’il produirait sur l’esprit des masses
musulmanes, portées à penser « que les grands travaux sont faits
au profit des intérêts européens », et surtout « sensibles à ce qui
est entrepris directement pour elles et dont elles constatent les
effets ».

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

Le rapport s’achevait sur une mise en garde contre la tentation


de rejeter un plan trop modeste pour « prévoir et annoncer plus
grand », au risque de « prendre vis-à-vis des populations indigènes
des engagements et de susciter des espoirs qui ne pourraient être
tenus ». Il soulignait que le plan proposé représentait une amélio-
ration considérable de leur situation, et que son exécution impose-
rait à l’Algérie un effort qu’elle pourrait difficilement dépasser au
moment où elle devrait renouveler entièrement son équipement
au lendemain de la guerre, et recommandait sa ratification447.
Catroux ne s’était donc pas borné à présenter les mesures éco-
nomiques et sociales qu’il proposait sans rappeler leur contexte
politique. Il avait même écrit au président du GPRF une lettre
datée du 20 octobre 1944, dans laquelle il appuyait une motion
du conseil général de Constantine demandant la représenta-
tion des musulmans à l’Assemblée consultative. Favorable à
leur admission à raison des deux cinquièmes des représentants
des conseils généraux plutôt qu’au titre de la Résistance (dans
laquelle très peu d’entre eux, en tant que sujets, s’étaient enga-
gés), il ne cachait pas que « l’admission de musulmans algériens
au sein de l’Assemblée constituerait aux yeux des musulmans, en
dépit des caractères exceptionnels de ladite assemblée, un pré-
cédent qui ne manquerait pas d’être invoqué lors de la Constitu-
tion des futures chambres représentatives 448 ». Un tel précédent
lui paraissait utile pour intégrer les musulmans algériens dans la
vie politique française.

Scepticisme des populations musulmanes


Durant son séjour à Paris, le général Catroux donna la plus grande
publicité à ses projets, afin d’influencer ses collègues, de sensi-
biliser l’opinion publique métropolitaine au problème algérien,
et de rassurer les opinions européenne et musulmane d’Algérie.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Il donna une conférence de presse qui fut signalée en première


page de presque tous les journaux parisiens (sauf l’Humanité,
qui n’en parla pas) : « Le général a exposé hier comment l’Algérie
musulmane va entrer dans la communauté française par l’applica-
tion du programme de réforme le plus hardi que jamais puissance
coloniale ait conçu. Réforme politique d’abord, faisant passer pro-
gressivement les musulmans d’Afrique de la condition de sujets
à celle de citoyens, réforme économique, sociale et culturelle
ensuite ayant pour but de hâter l’évolution de ces nouveaux Fran-
çais vers la maturité politique449. » De même, après le conseil des
ministres du 24 octobre, il écrivit une communication de quatre
pages, destinée semble-t-il à l’agence Reuters450.
Ses déclarations étaient peut-être destinées à apaiser l’inquié-
tude exprimée le 8 octobre par le comité régional de Bône du
mouvement Combat, représentant la gauche de l’opinion française
d’Algérie. Dans une motion remise à la presse, mais non autori-
sée par la censure, le comité avait « attiré l’attention des pouvoirs
publics sur le malaise né dans l’opinion publique musulmane
par suite des lenteurs apportées dans l’application des disposi-
tions prescrites par l’ordonnance du 7 mars 1944 », et demandé
leur application immédiate, étant donné que le meilleur moyen
de lutter contre les « dangereuses propagandes » des Allemands,
de la « cinquième colonne », et de la Charte de l’Atlantique mal
interprétée par les « mouvements nationalistes minoritaires » était
d’accélérer l’intégration des musulmans dans la « République
démocratique et sociale451 ».
Au contraire, ses déclarations ne pouvaient rassurer ceux qui
n’attendaient rien de bon des réformes. Selon un rapport du CIE
d’Alger daté du 13 octobre 1944, « l’annonce faite par le général
Catroux […] de nouvelles réformes musulmanes tant sur le plan
économique que sur le plan social est une cause d’inquiétude de

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

la part de l’élément français déjà assez mal disposé vis-à-vis de


la jeunesse musulmane dont l’attitude générale laisse à désirer.
D’ores et déjà, des colons de la Mitidja prévoient des difficultés
pour embaucher la main-d’œuvre indigène pour l’exécution des
travaux agricoles ; certains ne dissimulent pas leur mécontente-
ment, persuadés qu’ils seront victimes de la nouvelle orientation
politique en Algérie452 ».
Peu après, le même service de renseignement analysa les réac-
tions musulmanes dans un rapport du 18 octobre. « Les musul-
mans appartenant à la classe aisée, ainsi que les jeunes évolués,
attendent avec impatience le retour du général […] Catroux. On
peut évaluer à environ 50 % le nombre de ceux qui sont persua-
dés qu’il obtiendra satisfaction. Les autres au contraire mettent
en doute les promesses faites, de même qu’ils n’ont confiance
ni en la personne de Bendjelloul, ni aux déclarations de Ferhat
Abbas453. »
Enfin, le 28 octobre, la même source rapporta les réactions
musulmanes aux réformes annoncées par Catroux : « L’annonce de
ces réformes a été accueillie avec scepticisme ; on attend de voir
pour juger. En particulier, le terme d’“application progressive” a
été interprété comme restrictif, et, en bien des cas, comme quali-
fiant une action à longue échéance, c’est-à-dire susceptible d’être
stoppée en cours de route454. »
Quelques semaines plus tard, le 16 novembre, le même service
revint sur les réactions des « colons ». « Les gros colons auraient
demandé au président du GPRF, par l’intermédiaire des banques,
de retarder la mise en application des réformes indigènes. Ce délai
[…] leur permettra[it] de s’occuper sérieusement de la question.
Certains pensent que des modifications peuvent être apportées au
décret [sic] du 7 mars 1944, d’autres sont d’avis de liquider leurs
biens en cas de refus455. »

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Il fallut un mois après le conseil des ministres du 24 octobre


1944 pour que les premières décisions prises soient signées puis
publiées au Journal officiel : la plupart furent signées le 23 ou le
27 novembre, et y furent publiées le 8 décembre 1944. Mais cette
série d’ordonnances et de décrets ne représentait pas l’ensemble
du programme de réformes examiné le 24 octobre : une grande
partie concernait les modalités d’application de l’ordonnance du
7 mars 1944.
Celle du 23 novembre 1944 interprétative de l’article 2 de l’or-
donnance du 7 mars 1944 visait à traduire en termes juridiques
cet article contradictoire, qui avait proclamé l’application indis-
tincte de la loi aux Français musulmans et non musulmans et
abrogé toutes dispositions d’exception applicables aux premiers,
tout en maintenant le statut personnel musulman ou berbère
et les juridictions chargées de l’appliquer, ainsi que le régime
immobilier en vigueur qui relevait, suivant les cas, du droit
civil français ou des droits locaux456. Deux autres ordonnances
du 23 novembre 1944 portaient sur l’organisation de la justice
musulmane en Algérie et sur la création d’une chambre de révi-
sion en matière musulmane près la Cour d’appel d’Alger457. Elles
tendaient à favoriser un rapprochement du droit musulman et
du droit français.
Les décrets d’application des articles suivants de l’ordonnance
du 7 mars 1944, concernant les modalités d’exercice des droits
civiques, étaient attendus avec impatience. Deux décrets du
23 novembre 1944 fixèrent les conditions et procédures d’inscrip-
tion sur les listes électorales des « citoyens français musulmans »
et des « Français musulmans 458 ». Le premier décret élargit le
nombre des bénéficiaires en y ajoutant les fonctionnaires et agents
des protectorats de Tunisie et du Maroc459. Il prévoyait l’inscrip-
tion automatique des intéressés par déclaration de l’organisme

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

auquel ils appartenaient, sans exclure la demande individuelle, et


un délai de dix jours pour réclamer la rectification d’éventuelles
erreurs. Après le premier établissement des listes électorales,
leur révision suivrait la procédure commune. Afin de permettre
l’inscription de tous les citoyens français musulmans ou non,
l’ordonnance du 27 novembre 1944 fut publiée en même temps :
elle ajournait les élections après l’achèvement de l’établissement
des listes électorales en Algérie et dans les Territoires du Sud, et
après que des élections similaires aient eu lieu dans la majorité
des départements libérés de la métropole460.
Deux autres décrets, signés le 8 janvier 1945, furent publiés
au Journal officiel le lendemain. Le premier appliquait l’article 6
de l’ordonnance du 7 mars 1944 en fixant les circonscriptions
des Territoires du Sud dans lesquelles était réservé le statut des
populations. Le second rendait applicable dans ces circonscrip-
tions certaines dispositions du décret du 6 février 1919 et réglait
le mode d’élection des djemaas, de façon à donner aux musul-
mans des « régions proprement sahariennes » les mêmes droits
qu’à leurs compatriotes « non-citoyens » de l’Algérie du Nord461.
Certains textes avaient déjà modifié le nombre des repré-
sentants des « Français musulmans » dans les assemblées déli-
bérantes suivant la proportion des deux cinquièmes établie par
l’article 4 de l’ordonnance du 7 mars 1944. Après un décret du
7 juillet 1944 modifiant la composition des commissions départe-
mentales, un autre, du 26 novembre, fixa le nombre des conseil-
lers généraux représentant les « musulmans non-citoyens » : 21
à Alger, 22 à Oran, et 25 à Constantine 462. Cependant, Catroux
ne réussit pas à faire aboutir un projet de réforme des Déléga-
tions financières, qui visait à les rationaliser et les démocrati-
ser (en réduisant les privilèges des « colons ») sans en faire une
assemblée politique exposée à la tentation de l’autonomisme.

305
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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Il s’agissait de créer trois délégations de 30 membres chacune


(dont deux cinquièmes de « non-citoyens »), représentant trois
catégories socio-professionnelles (agriculteurs, propriétaires
exploitants ou fermiers ; commerçants, industriels, artisans, pro-
fessions libérales et propriétaires urbains ; salariés et retraités) ;
les femmes mariées citoyennes seraient électrices, même sans
profession. Le ministre de l’Intérieur Adrien Tixier approuvait le
projet en principe tout en craignant l’élimination des Kabyles463.
D’autres problèmes d’application de l’ordonnance du 7 mars
1944 continuaient de solliciter l’attention du ministre délégué
en Afrique du Nord. L’Association des anciens citoyens français
d’origine marocaine réclamait l’abrogation de la loi de Vichy du
17 février 1942 (qui les avait réduits au statut d’indigène algérien)
ou la restitution de la nationalité marocaine. Le 14 septembre
1944, Robert Montagne avait proposé au gouvernement général
de remplacer cette loi par un texte laissant aux intéressés le choix
entre le régime commun des citoyens français et l’ordonnance
du 7 mars 1944 leur permettant d’être français (citoyen ou sujet)
tout en conservant leur statut musulman. Mais aucune décision
n’avait été prise quand Catroux accusa réception d’une nouvelle
plainte le 26 décembre 1944464.
Le ministre délégué dut intervenir auprès du procureur général
d’Alger le 21 décembre 1944, à la suite d’une plainte des conseil-
lers prud’hommes musulmans qui s’étaient vu refuser l’égalité
des droits avec les autres conseillers, contrairement à l’esprit de
l’ordonnance du 7 mars 1944.
Bien que cette ordonnance eût abrogé la loi de Vichy du
25 octobre 1941, portant interdiction de la vente d’alcool aux
musulmans, le général Catroux avait approuvé une circulaire du
commissaire à la Guerre maintenant l’interdiction de sa vente aux
militaires nord-africains, et les suggestions de Robert Montagne

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

proposant de réprimer plus sévèrement l’ivresse publique, pour ne


pas donner prise aux campagnes antialcooliques des nationalistes
musulmans.
Mais, le 11 décembre 1944, il appuya la protestation du gouver-
neur général au ministère de la Guerre, contre le fait que l’égalité
des soldes et des indemnités décidée par l’ordonnance du 6 août
1943 n’était pas encore entièrement réalisée, l’inégalité dans les
taux de certaines indemnités pour charge de familles provoquant
un très vif mécontentement et des campagnes de presse et de
tracts hostiles465.

Ferhat Abbas au centre des polémiques


Dans le programme de réformes sociales et économiques présen-
té au conseil des ministres du 24 octobre 1944, seule la partie
concernant l’enseignement eut des suites tangibles. Après une
ordonnance du 28 juillet 1944 relative aux pouvoirs du gouver-
neur général de l’Algérie en cette matière, et une ordonnance
du 27 novembre 1944 portant création d’un cadre spécial d’ins-
tituteurs en Algérie, dix décrets furent signés le même jour, et
publiés au Journal officiel du 8 décembre 1944 :
– instituant l’obligation scolaire en Algérie ;
– relatif au plan de scolarisation totale de la jeunesse en Algérie ;
– décret portant création d’une direction générale de l’Éduca-
tion nationale en Algérie ;
– fixant l’organisation du vice-rectorat de l’Académie d’Alger
chargé de l’exécution du plan de scolarisation totale de la jeunesse
en Algérie ;
– portant suppression du poste d’inspecteur général de l’ensei-
gnement primaire des indigènes en Algérie ;
– relatif au statut des instituteurs du cadre spécial d’Algérie ;
– portant réorganisation des medersas algériennes ;

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

– instituant un « certificat d’aptitude à l’enseignement des


matières musulmanes dans les medersas algériennes » ;
– relatif au fonctionnement de l’enseignement privé en Algérie ;
– fixant les modalités d’inspection des établissements d’ensei-
gnement privé subventionnés en Algérie466.
Ces textes visaient deux fins complémentaires : généraliser la
connaissance de la langue et de la culture française pour assimiler
les musulmans aux Français, et contrôler la diffusion de la langue
et de la culture arabes dans les enseignements public et privé de
façon qu’elle ne nuise pas au but prioritaire de l’assimilation.
Le premier souci incita le ministre de l’Éducation nationale,
René Capitant, et le gouvernement à dépasser le timide projet
du recteur Laugier, adopté par la commission, en proclamant
sa volonté de réaliser la scolarisation intégrale de la jeunesse
algérienne, par un plan progressivement accéléré de construc-
tion de classes et de recrutement de maîtres spécialement for-
més, de façon à scolariser un million d’élèves dans 20 000 classes
nouvelles en vingt ans 467. En fait, les objectifs indiqués pour
chaque année ne permettaient pas d’atteindre le but final dans
les délais fixés. Le plan sous-estimait au départ l’effectif à scola-
riser, (par méconnaissance de la répartition par âges de la popu-
lation) et l’accélération de son accroissement dans les années
futures.
Le deuxième souci inspira des remarques critiques à Augustin
Berque et à Robert Montagne qui écrivit le 8 novembre 1944 à
Catroux, en regrettant que le ministère de l’Éducation nationale
n’ait pas tenu compte de leurs observations après son retour à
Paris. Deux jours plus tard, Robert Montagne écrivit à un fonc-
tionnaire de ce ministère sa déception devant le manque de
concertation, qui avait succédé à une collaboration confiante avec
Lucien Paye et Philippe Marçais à Alger. Le fait que le général

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

Catroux, trop engagé envers René Capitant, n’ait pas cru devoir
demander une modification des textes, laissait subsister, selon lui,
des imperfections regrettables468.
Les principales critiques, formulées par Augustin Berque dès
le 10 août 1944, visaient l’insuffisance de la formation française
dans les medersas officielles, et du contrôle de l’enseignement
arabe privé. Il souhaitait qu’on relevât aussi le niveau des ensei-
gnants de langue française dans les medersas, et la part du fran-
çais dans le certificat d’aptitude à l’enseignement des matières
musulmanes. « La culture orientale a ses mérites », écrivait-il,
mais « dans la France musulmane, elle doit être filtrée par notre
humanisme libéral, qui sans lui faire perdre sa valeur générale
doit résorber ce qu’elle pourrait garder de fanatisme ou de xéno-
phobie ». D’autre part, tout en conseillant de ne pas provoquer les
oulémas en exigeant immédiatement des diplômes français des
maîtres de l’enseignement arabe privé, il réclamait une inspec-
tion de toutes les écoles privées, qu’elles soient subventionnées
ou non, et critiquait l’insuffisance des sanctions prévues contre
la propagande anti-française : « Taoufik El Madani, Cheikh El
Mili ont écrit chacun une histoire de l’Algérie qui constitue une
vibrante apologie de l’Islam en ce qu’il a de plus xénophobe, en
même temps qu’une impitoyable critique de l’œuvre française en
ce pays469. » Ces « insuffisances » ne furent pas corrigées dans le
texte définitif470.
Les autres éléments du programme de réformes sociales et éco-
nomiques firent l’objet de décisions qui ne furent pas publiées471.
Le secrétariat général du gouvernement, consulté à ce sujet,
répondit le 17 février, que le conseil des ministres du 24 octobre
1944 avait adopté les décisions suivantes :
– sur le projet de réorganisation de l’hygiène et de la santé
publique ;

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

– relative au paysannat ;
– concernant l’habitat rural ;
– concernant l’habitat urbain ;
– concernant l’industrialisation (conformément aux textes
joints à la note n° 365-SG du 14 octobre 1944).
Au contraire, le projet concernant la législation sociale et le tra-
vail n’avait pas été soumis à l’examen du conseil des ministres. Et
ceux concernant les sociétés de prévoyance artisanale, les centres
professionnels ruraux, le fonds commun des sociétés indigènes
de prévoyance, et le financement du plan, n’avaient pas été adop-
tés par le gouvernement. Le ministre délégué en Afrique du Nord
avait été informé des décisions prises472.
Ainsi, les efforts de Catroux et de la commission avaient abouti
à un semi-échec. Le rejet du plan de financement, clé de voûte
du programme, compromettait gravement le succès de l’ensemble,
et les décisions adoptées ne semblaient pas avoir été suivies de
mesures exécutoires. Ce bilan troublant incite à s’interroger sur la
valeur du renseignement du CIE d’Alger concernant une interven-
tion des « gros colons », « par l’intermédiaire des banques », auprès
du président du GPRF473…
C’est dans ces circonstances que les Délégations financières,
convoquées par un arrêté gubernatorial du 27 octobre 1944, sié-
gèrent du 20 novembre au 16 décembre pour examiner et voter
le budget de 1945. Comme un an auparavant, le président Mar-
cel Duclos assura le gouverneur général de l’appui des Déléga-
tions pour réaliser son programme de réformes économiques
et sociales. Il salua deux nouveautés dans le budget de 1945 : la
création d’un fonds commun d’équipement et de réformes musul-
manes (doté par l’effort fiscal algérien et par la solidarité métro-
politaine, sous la forme d’une ristourne de la contribution de
l’Algérie au budget de la France), d’un volume égal au dixième du

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

budget algérien ; et le montant sans précédent du budget extra-


ordinaire. Il fit également appel à l’union nationale contre les
« fauteurs de division et de haine », aux vifs applaudissements de
l’assistance474.
Dans son discours inaugural, le gouverneur général Chatai-
gneau fit un exposé détaillé de la situation économique et finan-
cière de l’Algérie et du programme des réformes musulmanes ;
sa conclusion, insistant sur l’importance de l’effort à accomplir
« pour que le sacrifice de nos morts ne soit pas vain », fut saluée
par de « vifs et unanimes applaudissements ». Après l’exposé du
directeur des finances Roger Goetze, le délégué Gustave Mercier
approuva les réformes sociales en faveur des musulmans, mais
ajouta : « Ce programme généreux que la France nous impose, il
importe en bonne justice qu’elle en prenne sa part. » Le président
Duclos lui ayant répondu que la métropole ristournait à l’Algérie
les 600 millions de sa contribution aux dépenses de souverai-
neté du GPRF, Gustave Mercier précisa que « pour l’avenir, ces
600 millions ne se perpétueront pas et que nous ne pourrons
accomplir ce programme à un rythme accéléré que si la métro-
pole en prend une part ». Balensi fit un exposé très sombre sur le
ravitaillement de l’Algérie en céréales, dénonça d’un ton grave le
danger des fausses déclarations de récoltes, et se montra désa-
busé sur sa « bonne réputation » personnelle475.
Durant les débats, tous les rapporteurs des commissions spé-
cialisées approuvèrent les réformes. Les signes de dissentiment
furent rares. Dans la discussion sur le paysannat, le 13 décembre,
Taleb Abdesselam demanda que l’on fasse pour les musulmans
ce que l’on avait fait pour les colons au temps de Bugeaud. Sans le
contredire, le délégué Baretaud réclama également un paysannat
français et demanda au gouverneur général si la « loi Martin » de
1942, destinée à installer des agriculteurs français et musulmans

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

sur des terres irrigables expropriées serait ou non appliquée.


René Foudil répondit que la France n’était pas assez peuplée pour
envoyer ses paysans s’installer en Algérie476.
Le 15 décembre, le rapporteur de la commission de l’éducation
nationale, M. Gatuing, crut devoir répondre, sans les nommer, aux
attaques des « ambitieux » et des « aigris », qu’il convenait de parler
non de races, mais de Nation, et demanda à « nos amis musul-
mans de contribuer à rendre plus grande encore cette Nation à
laquelle, avec nous, ils ont toujours appartenu477 ».
Le seul débat de fond eut lieu le 16 décembre, au sujet du
budget des affaires musulmanes. Le rapporteur Bendjelloul souli-
gna que pour la première fois des crédits aussi importants étaient
inscrits au budget extraordinaire en faveur des musulmans, mar-
quant le début d’une « ère nouvelle ». Il rappela les décisions prises
depuis un an, et en remercia les généraux de Gaulle et Catroux, le
gouverneur général Chataigneau, et Augustin Berque, « dont l’in-
dulgente compréhension, l’expérience, le tact, ont évité bien des
heurts en des circonstances difficiles 478 ». À la fin de la discus-
sion, le docteur Tamzali fit une déclaration d’ordre général sur le
problème des réformes musulmanes, à la suite des débats séparés
des sections arabe et kabyle. Après avoir rappelé la déception pro-
voquée par les limites des réformes, il rendit hommage à l’œuvre
du GPRF : « Le gouvernement provisoire présidé par le général de
Gaulle est le premier gouvernement qui ait abordé sincèrement le
problème musulman devant lequel tous les gouvernements anté-
rieurs avaient reculé ou échoué, le premier qui se soit engagé
dans une voie de progrès respectant la personnalité, la digni-
té de la société musulmane et répudiant la vieille politique de
“pseudo-assimilation”, dont plus d’un siècle d’expérience a mon-
tré l’éclatante faillite. » Tout en souhaitant un financement fai-
sant davantage appel à la fiscalité directe et à un grand emprunt

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

algérien, et bien que le budget de 1945 ne répondît pas à leur


attente en matière d’enseignement et de réforme agraire, les délé-
gations arabe et kabyle avaient décidé de le voter. Ils demandaient
que le terme « indigène » fût banni du langage administratif, et
que le compartimentage du budget entre les affaires indigènes et
les autres fût aboli. Ils attendaient des actes, et comptaient sur la
fermeté du général Catroux et du gouverneur Chataigneau pour
vaincre « des résistances plus ou moins avouées, plus ou moins
sourdes479 ».
L’unanimité en faveur de ce vaste programme de réformes,
« révolution pacifique » évoquée par le président Marcel Duclos,
« l’esprit d’entente » qui avait animé leurs débats selon l’allocution
finale du gouverneur général Chataigneau, masquait des ten-
sions croissantes dans les opinions européenne et musulmane.
Opposition larvée des partisans du statu quo politique envers des
réformes dangereuses pour la stabilité de l’ordre colonial. Cam-
pagne de plus en plus véhémente lancée par le Parti communiste
algérien contre les fonctionnaires de Vichy non épurés, y compris
les directeurs Balensi et Berque. Divergence persistante chez les
musulmans entre les partisans du Manifeste et les ralliés à la poli-
tique du GPRF.
Ces discussions s’étaient manifestées lors d’une séance parti-
culière de la Délégation financière arabe le 1er décembre, durant
laquelle Ferhat Abbas avait plaidé contre la discussion et le vote
du budget des affaires musulmanes, et s’était fait contredire par
le docteur Bendjelloul et par Augustin Berque480. À la suite de ce
débat, une tentative de rapprochement entre Bendjelloul et Ferhat
Abbas, l’un et l’autre cherchant à convaincre son contradicteur
de se rallier à ses positions, avait eu lieu, selon un rapport du CIE
central d’Alger daté du 9 décembre481. Selon un autre rapport du
11 décembre, citant un « informateur très francisé », Ferhat Abbas

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

avait réussi à tirer parti de son attitude audacieuse pour accroître


sa popularité en publiant un article intitulé « Un grand débat
de politique musulmane aux Délégations financières » dans son
hebdomadaire Égalité du 7 décembre. Mais les milieux évolués,
nationalistes ou communisants, étaient plus réservés. D’après
eux, Ferhat Abbas ne s’était rendu à la section arabe des Déléga-
tions que pour délivrer une sorte de satisfecit à Augustin Berque,
et s’entendre personnellement laver par le docteur Bendjelloul et
René Foudil de l’accusation d’être anti-français, ceux-ci paraissant
avoir pris sa défense pour le soustraire aux sanctions que, selon
les communistes, le général Catroux aurait décidé d’appliquer aux
nationalistes. « La chose aurait été entendue entre lui et Bendjel-
loul avec l’assentiment de la direction des Affaires musulmanes
pour faire pièce aux communistes dont les attaques contre M.
Berque deviendraient ainsi vaines, puisque l’auteur du Manifeste
reconnaît officiellement que le malaise actuel est le fait des seules
institutions et non de telle ou telle personnalité. » Selon la même
source, les nationalistes pensaient, malgré la défense de Messali
Hadj par Ferhat Abbas, que ce dernier soignait sa popularité à
leur détriment, et les laissait traiter de séparatistes par Bendjelloul
pour, le cas échéant, en faire des boucs émissaires et échapper lui-
même à toute répression482.
Selon cette analyse, le directeur des Affaires musulmanes visait
à séparer les nationalistes modérés, acceptant un lien de nature
fédérale entre l’Algérie et la France, de leurs associés intransigeants,
ainsi que du Parti communiste, de plus en plus critique envers
la politique du général Catroux. Mais, de leur côté, les commu-
nistes et les militants de gauche qui approuvaient leurs positions,
se défendaient d’être des « fauteurs de haine ». Ils s’efforçaient de
mobiliser les musulmans contre le fascisme dans l’association des
Amis de la démocratie, concurrente des AML. Ils se présentaient

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

comme les partisans les plus sincères et conséquents de l’intégra-


tion de l’Algérie à la France. Sous le titre « L’Algérie est française »,
dans Alger républicain du 13 décembre 1944, l’ancien trotskiste
et résistant Michel Rouzé accusait l’ordonnance du 27 novembre
1944 « portant application et mise en vigueur en Algérie de l’ordon-
nance du 21 avril 1944 organisant les pouvoirs publics en France
après la libération », de trahir son but en attribuant au gouverneur
général les pouvoirs du préfet, et aux préfets ceux des Comités
départementaux de libération, « organismes nés de la Résistance et
qui doivent représenter la volonté populaire auprès du pouvoir cen-
tral ». Il adjurait le gouvernement de ne pas faire le jeu de ceux qui
proclament « Alger n’est pas Paris ». « Ceux qui inspirent en sous-
main une telle politique, l’administration qui croit bien faire en
écoutant leurs conseils perfides, obéissent aux mêmes tendances
qui ont abouti avant la guerre à cette faute impardonnable, à ce
crime contre la patrie : le torpillage du projet Viollette483. »

La politique algérienne de la France, sans le général Catroux


Malgré son apparente victoire du 21 octobre 1944, le ministre délé-
gué en Afrique du Nord était resté dans une situation précaire. Ses
attributions continuaient d’interférer avec celles de la direction
politique Afrique-Levant du ministère des Affaires étrangères, et
avec celles de la sous-direction de l’Algérie du ministère de l’Inté-
rieur, l’une et l’autre réinstallées à Paris. La nouvelle session de
l’Assemblée consultative inaugurée, le 7 novembre 1944, donna le
signal de la reprise des attaques484. Dès le 10 novembre, le docteur
Bendjelloul, toujours le seul délégué musulman algérien à cette
assemblée, demanda que l’Algérie fût rattachée, non à la commis-
sion des Colonies (comme avant la guerre), ni à celle des Affaires
étrangères, mais à celle de l’Intérieur, pour signifier une volonté
d’assimilation. Le délégué Jean Pierre-Bloch, ancien commissaire

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

adjoint à l’Intérieur, l’approuva, et prit position contre l’existence


du ministère de l’Afrique du Nord.
Le 30 novembre, à l’occasion de la discussion sur un projet
d’ordonnance portant ouverture et annulation de crédits, le minis-
tère de l’Afrique du Nord fut accusé d’avoir ses services et de faire
ses principales dépenses à Paris et non en Afrique485. Le délégué
communiste de la CGT Henri Martel critiqua la situation sociale et
politique en Afrique du Nord : « Mettant à profit le départ de l’As-
semblée consultative provisoire et du GPRF, la cinquième colonne
et les trusts aggravent la situation des masses musulmanes. Nous
espérons, disent nos correspondants en Algérie, que Paris ne per-
mettra pas que des ennemis du peuple découragent les musul-
mans par des mesures arbitraires » ; opposition aux relèvements
des salaires et aux conventions collectives, licenciements de mili-
tants syndicaux, terres laissées volontairement en friche pour
provoquer la disette… Le ministre de l’Intérieur Adrien Tixier lui
répondit qu’il ne savait pas s’il était habilité à répondre à la place
du ministre délégué en Afrique du Nord, « qui possède la plupart
des attributions dévolues autrefois au ministre de l’Intérieur », ni
s’il avait eu ou non le droit de convoquer le gouverneur général
Chataigneau et de lui donner des instructions, consistant à main-
tenir la politique du GPRF : « L’heure de la revanche de quelques
grands colons n’est pas arrivée parce que nous sommes partis486. »
Le 19 décembre 1944, le ministre des Affaires étrangères
Georges Bidault répondit à une question écrite posée par le délé-
gué de la Résistance du Maroc Paul Aurange à lui-même et au
ministre délégué en Afrique du Nord : à qui fallait-il s’adresser
pour les affaires de la Tunisie et du Maroc ? Au ministre des
Affaires étrangères, puisque le ministre délégué général exerçait
sa mission « dans le cadre de la législation en vigueur ». Insatisfait
de la réponse, Paul Aurange attaqua une nouvelle fois la politique

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

du résident général Puaux, et réclama la suppression du minis-


tère de l’Afrique du Nord, qui ne répondait à aucune nécessité, et
interposait un écran supplémentaire entre Paris et Rabat487.
Pourtant, le même jour, une proposition de résolution tendant à
la création d’une commission de coordination des affaires musul-
manes avait été présentée par trois présidents de commissions,
Gaston Monnerville (France d’Outre-mer), Emmanuel d’Astier de
la Vigerie (Intérieur), et Vincent Auriol (Affaires étrangères488).
De plus en plus attaqué, voyant méconnaître la nécessité de
donner une impulsion commune aux réformes à réaliser dans les
trois pays de l’Afrique du Nord, le général Catroux ne refusa plus
l’offre de représenter la France à Moscou, que de Gaulle lui renou-
vela avant d’aller négocier et signer le traité d’assistance mutuelle
franco-soviétique, du 1er au 10 décembre 1944489. Il fut nommé à
ce poste par un décret du 13 janvier 1945. Un autre décret, daté du
31 janvier 1945, supprima les services rattachés au ministre délé-
gué en Afrique du Nord, transféra leurs attributions, et créa un
secrétariat général pour la coordination des affaires économiques
de l’Afrique du Nord. Le ministère fut remplacé par un comité
interministériel de l’Afrique du Nord, réunissant les ministres inté-
ressés autour du président du gouvernement, créé par un décret
du 5 février 1945490. Le lieutenant-colonel Spillmann, ancien chef
de cabinet du ministre délégué, fut nommé secrétaire général du
Comité un mois plus tard. Ainsi, pour des raisons différentes,
le ministre délégué en Afrique du Nord du GPRF avait connu le
même sort que le délégué général du gouvernement de Vichy en
Afrique un peu plus de trois ans plus tôt.
Le général Catroux quitta Paris pour Moscou par avion le
7 février 1945, et fit une première escale à Alger, avant de s’envoler
vers Tripoli, Le Caire et Téhéran491. Son départ n’interrompit pas
le processus des réformes algériennes, dont la relève fut assurée

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

par deux nouveaux centres d’impulsion : Adrien Tixier assuma


sa responsabilité de tuteur de l’Algérie, et l’Assemblée consulta-
tive provisoire émit et adopta plusieurs propositions complétant
l’ordonnance du 7 mars 1944.
Adrien Tixier n’avait pas une longue expérience de l’Algérie,
mais son idéal socialiste et sa compétence en matière de pro-
blèmes sociaux le poussaient à s’intéresser au relèvement de la
population musulmane. Ancien combattant et mutilé de la Grande
Guerre, appelé par Albert Thomas au Bureau international du tra-
vail dont il devint le directeur adjoint, délégué du Comité national
français aux États-Unis, il avait été à Alger, depuis le 10 juin 1943,
le commissaire au Travail et à la prévoyance sociale du CFLN puis
du GPRF.
Dès les 2 et 3 février 1945, il s’enquit auprès de la sous-
direction de l’Algérie des suites des projets de décisions concer-
nant l’application des réformes musulmanes. La réponse, datée
du 8 février, lui apprit qu’en dehors des textes déjà publiés au
Journal officiel, les autres décisions prises par le conseil des
ministres n’avaient pas été portées à la connaissance des minis-
tères intéressés, ni diffusées par le secrétariat général du GPRF.
La documentation possédée par la sous-direction de l’Algérie
était « constituée uniquement par les textes des projets de déci-
sions accompagnés seulement de l’exposé des motifs sans aucun
rapport ni dossier492 ».
Après la réponse du secrétariat général à sa demande de ren-
seignements datée du 17 février, la sous-direction de l’Algérie
put dresser un bilan plus précis le 22 février 1945493. Énumérant
les projets adoptés (concernant l’assistance et l’hygiène, l’habi-
tat urbain et rural, l’industrialisation, le paysannat), non soumis
au conseil des ministres (application des lois sociales métropo-
litaines) et rejetés (concernant les statuts des SIPA, les centres

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

professionnels ruraux, le Fonds commun des SIP, et le finance-


ment des réformes), elle signalait que le gouvernement général
entamait la réalisation du programme de recasement des fellahs
dès le 1er octobre 1945, et préparait à cet effet le texte d’un pro-
jet d’ordonnance permettant la réquisition puis l’expropriation
de terres appartenant aux sociétés anonymes, le recensement
et le classement des terres domaniales ou communales propres
au recasement, l’adaptation de la SIP à son rôle de coopérative
de culture, et le contrat-type qui devrait être accepté par les fel-
lahs. Rappelant les obstacles économiques à surmonter, la note
concluait que le gouverneur général serait informé des décisions
et qu’il lui [serait] demandé « si les questions [ayant fait] l’objet
d’un rejet [devaient] être reprises et si celle qui concern[ait] le
deuxième projet [devait] être soumise au Conseil des ministres.
Dans l’affirmative, tous les documents nécessaires lui [seraient]
demandés afin de reprendre l’examen de ces affaires avec le gou-
verneur général et les administrations intéressées494 ».
En février, le gouverneur général soumit au gouvernement des
projets de décisions sur questions non résolues par le conseil des
ministres du 24 octobre 1944, notamment un projet de décret rela-
tif au fonds commun des SIP et deux projets d’ordonnances sur
les SIPA. Mais la direction des Affaires musulmanes et des Ter-
ritoires du Sud ne reçut aucune communication à leur sujet. Le
17 mars 1945, elle fit rappeler l’affaire au secrétariat général de
la présidence du GPRF et au ministre de l’Intérieur. Le 30 mars,
elle soumit au gouverneur général un projet d’arrêté ayant pour
objet de concrétiser les réformes amorcées par le décret relatif au
fonds commun des SIP que celui-ci avait présenté au gouverne-
ment en février, et qui ne pouvait être publié avant la promulga-
tion de ce décret. Le 13 avril 1945, en accord avec le directeur du
cabinet politique du gouverneur général (Paul Alduy), les deux

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

projets d’ordonnance sur les SIPA et le projet de décret sur le fonds


commun des SIP furent rappelés aux ministres de l’Intérieur et
de l’Agriculture. Le 28 avril 1945, la sous-direction de l’Algérie
télégraphia : « Sous-Direction Algérie saisie ni projet d’ordon-
nance relative sociétés indigènes de prévoyance ni projet décret
sur fonds commun sociétés indigènes de prévoyance objet votre
lettre 2121 AM/3 du 13 courant. Vous serais obligé m’adresser en
plusieurs exemplaires textes dont il s’agit accompagnés documen-
tation nécessaire. » Ces textes lui furent transmis le 16 mai 1945495.
Les informations circulaient très mal entre le gouvernement
général d’Alger, la sous-direction de l’Algérie au ministère de l’In-
térieur, et le secrétariat général du GPRF. Le retour du pouvoir
central à Paris était donc un facteur important de dysfonction-
nement de sa politique algérienne, auquel le ministre délégué en
Afrique du Nord s’était efforcé de remédier.
L’Assemblée consultative s’intéressa principalement aux
aspects politiques et sociaux des réformes. Déjà, le 22 juillet 1944,
la précédente assemblée siégeant à Alger s’était vu présenter par
les groupes de la résistance métropolitaine et extra-métropo-
litaine une proposition de résolution tendant à lui faire exami-
ner les mesures administratives et sociales à prendre en Afrique
du Nord, mais trop tard pour qu’elle fût suivie d’effets496. Dès le
14 novembre 1944, le docteur Bendjelloul déposa une « proposi-
tion de résolution relative à l’électorat des Français musulmans
algériens résidant en France », tendant à les inscrire tous sur les
listes électorales des citoyens français pour ne pas créer un deu-
xième collège 497. Un mois plus tard, André Mercier déposa son
rapport au nom de la commission de l’Intérieur ; mais la question
ne vint en discussion que le 27 février 1945498. Entre-temps, le
même délégué avait posé, le 19 décembre, une question écrite sur
l’application de l’ordonnance du 7 mars 1944, particulièrement

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

aux fonctionnaires et agents de l’État, qui reçut une réponse le


6 février 1945499.
Ses collègues communistes étaient intervenus à plusieurs
reprises pour faire appliquer les lois sociales métropolitaines en
Algérie, notamment le 8 février 1945 en déposant une proposition
de résolution tendant à l’application de la loi du 14 mars 1941 sur
la retraite des vieux travailleurs500.
Le 27 février 1945, le débat sur la proposition Bendjelloul et
le rapport Mercier fut le premier à aborder en profondeur la poli-
tique algérienne. André Mercier se prononça pour l’égalité civique
en Algérie comme en France, et contre la dualité des collèges :
il appuya donc la proposition Bendjelloul, tendant à octroyer la
citoyenneté française aux Algériens présents en métropole avant le
8 novembre 1942. Il affirma qu’en Algérie l’ordonnance du 7 mars
1944 n’était pas appliquée en fait, ce que démentit Tixier. Il propo-
sa d’augmenter les catégories de bénéficiaires de son article 3, en
admettant les évadés, prisonniers de guerre et déportés politiques,
et d’accorder un délai supplémentaire pour leurs inscriptions sur
les listes électorales. Son camarade Joanny Berlioz lui apporta le
plein appui du PCF.
Le socialiste Jean Pierre-Bloch se prononça pour l’élargisse-
ment de l’ordonnance du 7 mars 1944, mais contre la proposition
Bendjelloul parce qu’il jugeait trop rapprochée la date limite, et
proposa janvier 1938. Pascal Muselli, Algérien d’origine française,
maire de Mascara et l’un des rares partisans du projet Blum-Viol-
lette, préconisa une application graduelle de l’ordonnance du
7 mars 1944, de façon à maintenir un équilibre entre les popu-
lations ; il approuva la proposition Bendjelloul, en remplaçant la
date du 8 novembre 1942 par trois ans de résidence en métropole,
et en garantissant à ses bénéficiaires le vote dans le premier col-
lège quand ils retourneraient en Algérie.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Le docteur Bendjelloul défendit sa proposition en mettant en


garde contre la fausse prudence des « dosages ». Il fit la première
allusion explicite au « malaise » en Algérie, à la diffusion d’« opi-
nions très avancées », et au risque d’être bientôt devancé par les
événements. Il approuva donc le rapport Mercier. Puis Adrien
Tixier répondit au rapporteur en affirmant que le gouvernement
s’efforçait d’appliquer aussi vite que possible l’ordonnance du
7 mars 1944501.
La première partie de la proposition, complétant l’article 3 de
l’ordonnance du 7 mars 1944, fut adoptée sans opposition ; la deu-
xième reçut un amendement de Jean Pierre-Bloch, accepté par
André Mercier, remplaçant la date du 8 novembre 1942 par cinq
ans de résidence en métropole, et fut adoptée par 158 voix contre
une, sur 162 votants.
Le 13 mars, l’Assemblée décida la création d’une commis-
sion de coordination des affaires musulmanes, comprenant 36
membres, à raison de neuf représentants de chacune des com-
missions de l’Intérieur, de la France d’Outre-mer, et des Affaires
étrangères, six membres désignés par la Résistance extra-métro-
politaine, et trois par les conseillers généraux d’Outre-mer suivant
le rapport de Pierre Parent au nom de la commission du règle-
ment. Jean Pierre-Bloch en fut de nouveau élu président502. Cette
commission examina une proposition de Bendjelloul tendant à
faire représenter les musulmans algériens à l’Assemblée consul-
tative par six délégués élus par les conseils généraux d’Algérie,
déposée le 23 mars 1945503.
Le 17 mars, le budget du ministre délégué en Afrique du Nord
(concernant le mois de janvier 1945) fut adopté sans discussion,
conformément au rapport déposé le 6 février par le socialiste d’Al-
gérie Raymond Blanc504. Puis, le 27 mars, la discussion du bud-
get de l’Intérieur donna lieu à un nouveau débat sur la politique

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

algérienne, en attendant le débat de fond que réclama le délé-


gué José Aboulker. Les communistes Berlioz, Fajon et Martel, et
le docteur Bendjelloul, accusèrent les « fascistes » de chercher à
saboter l’application de l’ordonnance du 7 mars 1944 en provo-
quant la révolte des musulmans. « Les hitlériens espèrent pro-
fiter des émeutes de la faim qu’ils s’efforcent de provoquer et
comptent sur d’éventuelles explosions de la misère populaire
pour déclencher une répression féroce et obtenir la suppres-
sion des mesures démocratiques promulguées », déclara le délé-
gué communiste Étienne Fajon, qui félicita le ministre d’avoir
« expulsé du sommet de l’administration algérienne le vichys-
sois Gonon 505 ». Adrien Tixier leur répondit en réaffirmant la
volonté du gouvernement d’appliquer sa politique de réformes
envers et contre tous : « La politique du gouvernement consiste
à assurer la liaison la plus intime entre les trois départements
algériens et la métropole, car ces départements sont des dépar-
tements français : ils font partie du territoire de la République et
doivent être placés sous le régime d’une démocratie républicaine
à laquelle nous ne laisserons porter atteinte ni par les trusts, ni
par les grands colons, ni par les éléments séparatistes de tous
ordres qui pourraient se livrer à des propagandes publiques ou
clandestines. À l’égard des musulmans, notre politique est régie
par l’ordonnance du 7 mars 1944 qui prévoit l’égalité des droits
et des devoirs entre tous les Français d’Algérie musulmans ou
autres. Cette ordonnance donne à une première catégorie rela-
tivement importante de musulmans la pleine accession à la
citoyenneté française ; elle est un commencement et laisse pré-
voir que la Constituante, lorsqu’elle se réunira, aura à régler les
conditions dans lesquelles tous les musulmans français d’Algé-
rie auront à recevoir cette citoyenneté. Elle reste la charte de la
politique du Gouvernement et sera appliquée quelles que soient

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

les résistances auxquelles elle puisse se heurter, comme cela


arrive parfois506. »

Des troubles vont se produire


Comme l’avait dit le docteur Bendjelloul dès le 17 février 1945,
la « politique modérée » des réformes musulmanes risquait d’être
bientôt « dépassée par les événements507 ». La « crise politique »,
s’ajoutant au « malaise économique et social », explosa le 8 mai
1945 à Sétif puis à Guelma sous la forme d’une insurrection
promptement et durement réprimée. Ses causes, ses responsa-
bilités et son bilan furent aussitôt controversés, et le sont restés
jusqu’à nos jours.
Dès février 1945, après avoir récupéré les pouvoirs de tutelle de
l’Algérie jusque-là exercés par le ministre délégué en Afrique du
Nord, le ministre de l’Intérieur avait préparé le remplacement du
secrétaire général Gonon, remis à la disposition du ministre des
Finances. Pour s’informer de la situation algérienne, sur laquelle il
recevait des rapports contradictoires, Adrien Tixier avait convoqué
un haut fonctionnaire ayant une longue expérience de l’Afrique
du Nord : Pierre-René Gazagne. Ce dernier avait travaillé au ser-
vice nord-africain de la préfecture de police de Paris, au secré-
tariat général du Haut-Comité méditerranéen, puis à la direction
générale des affaires politiques de la Tunisie jusqu’en juillet 1941.
Nommé préfet des Landes par le gouvernement de Vichy, il avait
été relevé de ses fonctions à la Libération mais réintégré dans l’ad-
ministration pour services rendus à la Résistance. Le 1er mars 1945,
il fut nommé secrétaire général du gouvernement général de l’Algé-
rie, parce qu’il avait la réputation d’un bon connaisseur du pays
et d’un « homme d’action qui savait prendre ses responsabilités ».
Adrien Tixier lui demanda de l’informer directement dans les « cas
graves et urgents », bien qu’il n’eût pas soutenu sa candidature508.

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

La situation en Algérie devenait en effet de plus en plus inquié-


tante : les renseignements militaires et civils rapportaient des inci-
dents fréquents et souvent graves. Dans un rapport postérieur aux
« événements » du 8 mai 1945, le général Henry Martin recensa 80
« incidents-manifestations-agressions-attentats » entre le 1er mars
et le 30 avril 1945509. Un grand nombre résultait de la grave pénurie
de céréales, que l’exécrable récolte de 1945 allait aggraver jusqu’à
une quasi-famine, et à la mauvaise répartition du ravitaillement.
Mais la plupart étaient dues aux campagnes d’agitation et de pro-
pagande menées par les AML, les Oulémas et le PPA clandestin
auxquelles le PCA contribuait involontairement par ses attaques
contre les fonctionnaires et notables vichystes.
Les AML attiraient un nombre croissant d’adhérents (malgré la
concurrence que tentaient de lui faire les Amis de la Démocratie,
soutenus par le Parti communiste), et s’implantaient solidement
dans tout le pays. En février 1945, au moins 163 sections étaient
recensées : 85 dans le département de Constantine, 53 dans celui
d’Alger, 25 dans celui d’Oran510. Les militants et sympathisants du
PPA clandestin y entraient en masse, pour prendre la direction du
mouvement. Alors que son organe officiel, Égalité des hommes,
des races, des peuples, dirigé par Ferhat Abbas et Aziz Kessous,
continuait à prôner l’entente entre les populations algériennes et la
fédération entre les Républiques algérienne et française, le journal
clandestin L’Action algérienne, relayé par des tracts, des inscrip-
tions murales et une propagande orale, prêchait l’indépendance
totale, le boycott des listes électorales et des boissons alcoolisées,
la non-coopération avec les autorités et les colons, l’insurrection
armée et la révolution. Des inscriptions sur les murs menaçaient
les Français de massacres. Dès janvier 1945, plusieurs dirigeants
du PPA entrèrent au comité directeur des AML, qui créa un comi-
té de coordination avec le PPA et les Oulémas. Du 2 au 4 mars

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

1945, la conférence centrale d’information du mouvement, réunie


à Alger en l’absence de Ferhat Abbas, malade, désigna Messali
comme « leader incontesté du peuple algérien », et désavoua la
fédération avec la France, non prévue par le Manifeste. Les par-
ticipants eurent le sentiment d’avoir assisté à la déclaration d’in-
dépendance de l’Algérie, au moment où la Ligue arabe allait se
constituer au Caire511.
De nombreux témoins Français d’Algérie, voire « Français
musulmans », s’étonnèrent de la tolérance dont les AML conti-
nuaient de bénéficier, qui passait pour de la complaisance ou de
la faiblesse aux yeux des masses. En fait, le gouverneur général,
le directeur des Affaires musulmanes, et même le nouveau secré-
taire général, s’efforçaient de détacher Abbas et ses amis modérés
des nationalistes extrémistes qui s’emparaient de la direction du
mouvement512. En effet, dès la fin de 1944, Égalité publia plusieurs
mises en garde contre « certains éléments qui se réclament de
notre mouvement », lesquels « parleraient de l’INDÉPENDANCE de
l’Algérie et iraient jusqu’à provoquer les juifs et les communistes ».
Le 2 avril, le Bureau central des AML déclara qu’il n’entendait
assumer « aucune responsabilité dans les incidents que des élé-
ments suspects pourraient provoquer ». Le 4 mai, Égalité prêcha
la sagesse et l’esprit de discipline : « La haine n’est pas de notre
bord ». Mais Abbas ne se séparait pas de ses associés et rivaux en
continuant à se réclamer de la protection américaine et à procla-
mer que la conférence de San Francisco assurerait l’émancipation
du peuple algérien.
Dans ce climat de « guerre des nerfs », particulièrement vive
dans l’est du pays et dans les régions rurales, de nombreux
Français d’Algérie se sentirent abandonnés par les autorités à
la menace d’une insurrection imminente. Le grand colon Abbo,
maire d’Abbo en Grande Kabylie, annonça en avril qu’il y aurait

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

bientôt des troubles si graves que l’ordonnance du 7 mars 1944


deviendrait inapplicable. Le 24 avril 1945, sept conseillers géné-
raux du département de Constantine écrivirent au préfet Les-
trade-Carbonnel pour lui « faire part de l’émotion qui ne cesse
de grandir, depuis un an, chez les colons d’origine française ». Ils
dénonçaient « des manifestations d’inimitié qui paraissent concer-
tées et obéir à des mots d’ordre venant de très loin », faisant place
à « une hostilité qui prend figure de haine collective », une montée
générale de l’insécurité, des manifestations publiques non auto-
risées, des organisations clandestines de combat et de remplace-
ment de l’administration. Ils y voyaient des « signes inquiétants
[…] d’événements graves pouvant survenir demain et mettre en
péril la vie des Français isolés dans les campagnes algériennes »,
« à la veille d’une disette agricole sans précédent depuis de nom-
breuses années », et demandèrent au préfet d’être leur interprète
auprès des pouvoirs publics « pour que soient prises sans tarder
des mesures propres à ramener l’ordre et la confiance dans les ter-
ritoires français situés au sud de la Méditerranée », afin de rame-
ner et d’assurer « la concorde et la paix », « par tous les moyens
dont dispose l’autorité française513 ».
De nombreux responsables civils et militaires donnèrent
l’alarme et réclamèrent au gouverneur général des mesures
d’autorité. Dès février 1945, le CIE avait exigé la dissolution des
AML. Le préfet d’Alger, Louis Périllier la demanda également
les 10 mars, 24 avril et 1er mai514. Cependant, son collègue de
Constantine Lestrade-Carbonnel, après avoir signalé en février
que « toutes les circonstances favorables à l’éclosion d’incidents
graves [étaient] réunies », s’était montré plus prudent le 31 mars :
« Il convient de veiller à ce qu’aucun événement sanglant ne
sépare définitivement Français et musulmans, alors que les agita-
teurs sont loin de représenter la majorité515. » Mais le mois suivant,

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

il aurait déclaré au docteur Saadane, lieutenant d’Abbas : « Des


troubles vont se produire, et un grand parti va être dissous. »
Depuis mars, des manifestations étaient annoncées pour le jour
de l’armistice. Les renseignements militaires de la région de Sétif
annoncèrent le 14 avril que le PPA était en train d’organiser l’in-
surrection générale, et parlaient de mystérieuses « Forces arabes
de l’intérieur » (FAI).
Les premières réactions de l’administration furent décidées sur
les instances du secrétaire général Gazagne et du préfet Périllier.
Le 18 avril à Reibell (Chellala), lieu de la résidence forcée de Mes-
sali Hadj, quatre nationalistes arrêtés sur ordre du préfet et en
sa présence furent libérés par la foule. Le 19 avril, en l’absence
du gouverneur Chataigneau parti pour Paris, le secrétaire géné-
ral Gazagne, après avoir consulté les hauts fonctionnaires, déci-
da d’éloigner Messali vers le sud, à El Goléa, puis à Brazzaville,
et demanda l’accord du ministre de l’Intérieur et du gouverneur
général. La décision fut exécutée dans la nuit du 20 au 21 avril,
après l’arrestation de trois gardes du corps armés dans le jardin
du leader du PPA516.
Le 24 avril, Augustin Berque adressa au chef du cabinet poli-
tique du gouverneur général un projet de lettre au ministre de
l’Intérieur demandant la dissolution des AML517. Puis, le 29 avril,
le gouverneur général réunit son chef de cabinet Paul Alduy, le
secrétaire général Gazagne, Berque et le directeur de la sécurité
générale Bringard, le colonel Courtès, chef du CIE et les trois pré-
fets : Périllier, Lestrade-Carbonnel, et Pompéi. Ils dressèrent une
liste de quelque 60 « agitateurs » à arrêter, mais le gouverneur se
réserva la décision518.
Le 1er mai, des cortèges nationalistes réclamant la libération de
Messali tentèrent de se joindre aux rassemblements organisés par
la CGT dans plusieurs villes des départements de Constantine,

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

d’Alger et d’Oran. Ils furent dispersés par la police, parfois aidée


par les syndicalistes. Plusieurs manifestants furent tués (deux
à Alger, un à Oran), blessés ou arrêtés. Dans les jours suivants,
presque tous les « agitateurs » désignés par la conférence du
29 avril furent arrêtés.

La révolte de 1945
À l’approche de l’annonce de la victoire sur l’Allemagne, le gou-
verneur général mit en garde les préfets et les sous-préfets contre
le risque de troubles. Les troupes, qui avaient fait des manœuvres
à but psychologique dans le département de Constantine, furent
maintenues en alerte. Néanmoins, les défilés organisés par les
AML furent autorisés à condition qu’ils n’arborent ni slogans ni
drapeaux nationalistes. Le 8 mai 1945, ces défilés furent plus
nombreux et plus importants que la semaine précédente sauf à
Alger. Ils se déroulèrent et furent dispersés sans incident, là où
l’interdiction des banderoles et des drapeaux fut respectée. Mais
en plusieurs endroits, des militants brandirent des drapeaux algé-
riens et des pancartes réclamant l’indépendance de l’Algérie et
la libération de Messali. L’intervention de la police pour les enle-
ver déclencha des échauffourées, et des coups de feu. À Bône, à
Guelma et à Sétif, il y eut des morts parmi les manifestants. À
Sétif, certains étaient armés de revolvers ou d’armes blanches, et
ils s’attaquèrent aux Européens rencontrés dans leur fuite, faisant
entre 22 et 29 morts et de nombreux blessés.
La nouvelle de la répression, présentée comme un guet-apens,
et l’appel à la Guerre sainte (djihad), se répandirent comme le feu
sur une traînée de poudre, autour de Sétif, principalement vers
la Petite Kabylie, et autour de Guelma, dans toutes les directions.
Comme au printemps de 1871, des rassemblements de fellahs s’at-
taquèrent aux fonctionnaires et aux bâtiments publics, aux centres

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

de colonisation et aux Européens isolés. Plusieurs dizaines de


civils européens furent massacrés avant l’arrivée des troupes. Du
8 au 20 mai, les forces du général Duval (commandant la division
de Constantine), 10 000 hommes composés en majeure partie de
légionnaires, de tabors marocains, de tirailleurs sénégalais et algé-
riens, dégagèrent les centres attaqués et poursuivirent les insurgés,
avec l’appui de l’aviation et, près des côtes de Petite Kabylie, celui
de la marine. À Sétif et surtout à Guelma, des « gardes civiques »
constituées suivant les lois et les règlements en vigueur à l’initia-
tive des sous-préfets se chargèrent de la répression.
Le 8 mai, Ferhat Abbas, son lieutenant le docteur Saadane,
et le cheikh Ibrahimi furent arrêtés à la demande des autorités
militaires. Le 14 mai, l’Association des AML fut dissoute. Le
20 mai, Henry Martin donna l’ordre de cesser le feu et de prendre
contact avec les derniers groupes d’insurgés pour négocier leur
soumission pacifique. Quelques incidents isolés furent tardive-
ment constatés, loin des foyers initiaux de la révolte, à Saïda le
18 mai, en Grande Kabylie le 23 mai, à Cherchell où un complot
fut démantelé le 2 juin.
Le bilan de la révolte et de la répression fut aussitôt controversé.
Le nombre des victimes civiles européennes fit l’objet de trois éva-
luations différentes : 103 morts selon le rapport du général de gen-
darmerie Tubert (chargé le 18 mai d’une mission d’enquête par le
gouverneur général), 88 selon le ministre de l’Intérieur, 80 d’après
les archives, et un nombre équivalent de blessés. La population
européenne fut traumatisée par les atrocités commises par les
insurgés (mutilations, viols), attestées par les témoins ou ampli-
fiées par les rumeurs.
Parmi les insurgés, le général Henry Martin fit état de moins
de 1 000 morts, puis les autorités civiles arrêtèrent leur estimation
officielle à 1 500 au maximum. Cependant, d’autres évaluations

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

arbitraires circulaient dans les milieux civils et militaires : 5 à


8 000. La plus grande incertitude portait sur le bilan de la répres-
sion sommaire exercée par la milice de Guelma, à laquelle des
rumeurs persistantes imputaient des centaines de victimes. La
commission dirigée par le général Tubert, après avoir enquêté à
Sétif, fut rappelée à Alger par un ordre du président du GPRF,
avant d’avoir pu se rendre à Guelma ; elle ne put proposer aucun
bilan chiffré. Le commissaire de police Bergé, lui aussi chargé de
mission par le gouverneur général, trouva à Guelma « un climat
peu propice à l’expression de la vérité519 ». Dans ces conditions,
les bilans officiels parurent peu convaincants, et les nationalistes
algériens accréditèrent sans difficulté auprès des organes d’infor-
mation étrangers, américains et arabes en particulier, des bilans
chiffrant leurs morts par dizaines de milliers. Celui de 45 000
morts finit par s’imposer, probablement par assonance avec la
date de 1945. C’était à peu près le nombre d’habitants des régions
insurgées, selon les autorités françaises520.

« Terrorisme hitlérien » et « complot fasciste »


Les informations sur les troubles du Constantinois furent filtrées
par la censure de guerre. Toute la presse française d’Algérie, et
dans une moindre mesure celle de la métropole, reprit les premiers
communiqués officiels. Le 10 mai 1945, le gouverneur général fit
savoir que « des éléments troubles d’inspiration et de méthodes
hitlériennes se sont livrés à des agressions à main armée sur les
populations qui fêtaient la victoire dans la ville de Sétif et aux
environs ». Le 11 mai, après les obsèques des victimes de Sétif, il
déclara : « Toutes les dispositions sont prises pour que les terro-
ristes hitlériens soient impitoyablement châtiés et l’ordre définiti-
vement rétabli ». Le 12 mai, il lut aux Délégations financières un
télégramme du général de Gaulle, qui lui ordonnait de transmettre

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

sa sympathie et celle du gouvernement tout entier aux familles


des victimes, d’« affirmer publiquement la volonté de la France
victorieuse de ne laisser porter aucune atteinte à la souveraineté
française sur l’Algérie », de « prendre toutes mesures nécessaires
pour réprimer tous agissements anti-français d’une minorité d’agi-
tateurs », et enfin d’« affirmer que la France garde sa confiance en
la masse des Français musulmans d’Algérie521 ».
Mais, très vite, des interprétations et des conclusions diver-
gentes s’exprimèrent dans la presse française d’Algérie, reprises
dans le premier débat que l’Assemblée consultative consacra à la
question algérienne, du 10 au 18 juillet 1945.
En Algérie, l’annonce des événements déclencha des polé-
miques. Les sections européennes des Délégations financières
votèrent le 15 mai une motion réclamant « l’armement immédiat
et sérieux de tous les centres dépourvus de garnisons militaires
avec la création immédiate de gardes civiques », et la suspension
des libertés publiques522. Puis elles protestèrent contre « la vile
exploitation faite par certains d’une terrible tragédie ». Pendant
ce temps, L’Humanité demandait, le 15 mai, « l’arrestation des
vichystes et des grands propriétaires affameurs ». Le Parti com-
muniste, le Parti socialiste et le Comité de la France combattante
condamnèrent la motion de guerre civile des délégués financiers.
L’Humanité titra le 19 mai : « En Algérie, le fascisme organise la
guerre civile. » Un tract du PCA intitulé « Il n’y a pas de révolte
arabe, mais un complot fasciste », dénonça les vrais coupables :
« Depuis des années, les services du gouvernement général, avec
Berque et Balensi, se sont efforcés de créer des troubles en affa-
mant les populations rurales523. » Mais le 21 mai à Guelma, un
« Comité de vigilance et de sauvegarde des intérêts patriotiques
du pays » justifia l’action du sous-préfet Achiary et de la garde
civique, accusés de fascisme, et fit appel au général de Gaulle ;

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

les représentants locaux de la France combattante, de l’Union


des syndicats, du scoutisme français, signèrent cette motion.
Le 29 mai, on distribua un tract véhément à Constantine,
réclamant « l’exécution sommaire des meneurs, Ferhat Abbas en
particulier, la révocation du gouverneur général, la nomination
d’un gouverneur civil d’origine algérienne muni des pouvoirs
nécessaires pour pratiquer une politique énergique et juste524 ».
Un mois plus tard, la confédération des agriculteurs du dépar-
tement d’Alger (présidée par Abbo), demanda au GPRF et à
l’Assemblée consultative de « n’envisager provisoirement aucune
solution aux problèmes de structure, politiques, administratifs
et sociaux algériens, jusqu’à la réunion de l’Assemblée consti-
tuante, seule qualifiée pour se prononcer sur ces problèmes,
après que la consultation électorale, que nous réclamons dans le
plus bref délai, aura permis à la population française d’Algérie
de manifester ses sentiments et de dire librement et hautement
ce qu’elle pense ». Elle invita la confédération générale des agri-
culteurs d’Algérie à prendre l’initiative d’un « comité de défense
de la souveraineté française en Algérie », comprenant des repré-
sentants qualifiés des colons, des industriels, des commerçants,
des ouvriers, et de tous les éléments de la population française,
afin de défendre par tous les moyens légaux et dans l’intérêt de
tous les Algériens français et musulmans « la cause sacrée de la
souveraineté française en Algérie525 ».
La désignation des causes et des responsables des troubles
impliquait des enjeux politiques de premier ordre. La gauche com-
muniste, voire socialiste, y voyait une confirmation de la néces-
sité de compléter l’épuration des grands colons « fascistes » et des
hauts fonctionnaires vichystes, sans épargner Berque ni Balensi.
Au contraire, l’opposition de droite y trouvait l’occasion d’incrimi-
ner le gouverneur Chataigneau pour son incapacité à prévenir la

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

révolte, et d’interrompre le processus des réformes. Dès le 17 mai


1945, dans un rapport au ministre de l’Intérieur, le gouverneur
général s’était justifié en rappelant les précautions qu’il avait
prises, et la « légèreté inconcevable » de ses prédécesseurs Peyrou-
ton et Catroux envers les promoteurs du Manifeste. Il fustigeait
également l’hostilité systématique des Européens aux réformes et
la sous-administration du pays526. Tixier, venu s’informer en Algé-
rie du 24 au 30 mai, lui renouvela sa confiance et exprima publi-
quement la volonté du gouvernement de poursuivre sa politique
sans céder aux pressions d’où qu’elles viennent.
Ces divergences s’exprimèrent sous une forme plus modérée
dans le premier grand débat de l’Assemblée consultative sur la
politique algérienne de la France. Réclamé depuis le début de
la session de l’été 1945 par les commissions de l’Intérieur et des
Affaires musulmanes, ce débat fut fixé au mardi 3 juillet, pour
permettre au ministre de l’Intérieur de compléter son information
à Alger ; il eut lieu en fin de compte les 10, 11 et 18 juillet.
Tous les orateurs inscrits – quinze en comptant le ministre – se
situèrent dans le cadre de la souveraineté française, et rendirent
hommage à l’œuvre accomplie par la France ou en cours de réa-
lisation, avec des nuances quant à la répartition de ses bienfaits
entre Européens et musulmans. Aucun ne remit en question les
réformes décidées par le GPRF, ni la personne du gouverneur
général. Mais l’appréciation des causes et des responsabilités du
drame suscita un clivage très net527.
Trois délégués des conseils généraux d’Algérie, Paul Cuttoli,
Auguste Rencurel et Pascal Muselli, incriminèrent une conspira-
tion anti-française, fondée sur le fanatisme musulman et le natio-
nalisme panarabe, organisée par les AML, les Oulémas et le PPA.
Ils défendirent les colons et les fonctionnaires contre des accusa-
tions excessives qui risquaient de porter atteinte au renom de la

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

France. Ils furent fermement soutenus par le radical Marc Rucart


et par le syndicaliste chrétien Marcel Poimbœuf. Les déclara-
tions du sénateur radical de Philippeville, Paul Cuttoli, présent à
Guelma le 9 mai, en faveur du sous-préfet Achiary et de sa garde
civique, furent taxées de racisme par Maurice Thorez ; et l’apo-
logie de l’œuvre des colons que prononça Auguste Rencurel fut
plusieurs fois contestée par André Mercier. Mais les analyses très
fermes et nuancées de Pascal Muselli furent confirmées par les
deux orateurs les mieux informés, le général de gendarmerie Paul
Tubert, délégué de la Résistance nord-africaine, et le ministre
Adrien Tixier.
Au contraire, plusieurs représentants de la gauche marxiste
répétèrent avec une véhémente conviction leurs accusations anté-
rieures. Jean Pierre-Bloch et José Aboulker dénoncèrent l’absence
d’épuration en Algérie (imputée au général Catroux), condam-
nèrent les colons et les musulmans autonomistes, et affirmèrent
leur collusion contre la politique des réformes. Ils s’accordèrent à
juger suspect le rôle du directeur des Affaires musulmanes dans la
rédaction du Manifeste528. Les communistes Étienne Fajon et Pierre
Fayet allèrent plus loin, niant l’existence d’une « révolte arabe » et
présentant les soi-disant nationalistes algériens comme des agents
bien connus des fascistes et de la « cinquième colonne ». Le doc-
teur Bendjelloul appuya leur thèse en incriminant les profiteurs,
et oublia de défendre Augustin Berque. Joseph Costa (délégué de
la Résistance de Tunisie) et Madame Defferre-Aboulker dénon-
cèrent également les responsabilités de Vichy et de la réaction. Les
propositions des Partis socialiste et communiste, réclamant une
politique d’égalité civique et sociale fondée sur l’épuration préa-
lable de l’administration et la suppression des Délégations finan-
cières, furent présentées par Raymond Blanc et par Étienne Fajon.
Le ministre de l’Intérieur les rassura sur sa volonté de réaliser

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

promptement les réformes politiques, économiques et sociales, et


d’épurer l’administration des fonctionnaires qui ne les acceptaient
pas. Il ne confirma pas leur analyse des origines de la révolte, et
contredit leurs affirmations sur le caractère « fasciste » de la milice
de Guelma, composée d’hommes de tous les milieux et de toutes
les opinions…
Pourtant, à la fin de la séance du 18 juillet, marquée par la
longue intervention du ministre, un ordre du jour fut proposé à
l’Assemblée par le socialiste Jean Pierre-Bloch et le communiste
Georges Marrane, au nom des commissions des Affaires musul-
manes et de l’Intérieur. Ses premiers points réclamaient la mise
en jugement des « responsables directs et indirects des tueries et
des représailles qui viennent d’ensanglanter l’Algérie, les traîtres
vichystes et autres inspirateurs ou provocateurs, comme les
tueurs qui les ont exécutés », ainsi que des mesures d’apaisement
destinées à éviter de creuser entre les populations musulmanes
et européennes « un fossé profond qui ne servirait qu’à protéger
une minorité d’intérêts privés et de séparatistes musulmans, sou-
tenus par une presse vichyste qui doit disparaître, contre les justes
revendications des populations unies d’Algérie et de France ».
Malgré l’heure tardive, le petit nombre des présents (moins de
100 délégués en séance), et l’opposition de Marc Rucart aux dispo-
sitions citées, cet ordre du jour fut mis aux voix et adopté529.
La thèse socialo-communiste, qui équilibrait et amalgamait les
responsabilités des vichystes français et des séparatistes musul-
mans, fut rapidement dépassée par ces derniers. La propagande
nationaliste fit des événements de mai 1945 un « génocide colo-
nialiste », guet-apens tendu au peuple algérien par la haute admi-
nistration complice des grands colons pour noyer dans le sang ses
revendications légitimes et pacifiques. Cette interprétation, reprise
à la tribune des assemblées françaises par les représentants de

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

nouveaux partis nationalistes autorisés à partir de 1946 (l’Union


démocratique du Manifeste algérien de Ferhat Abbas, amnistié en
mars 1946, et le Mouvement pour le Triomphe des libertés démo-
cratiques de Messali Hadj rentré d’exil), fournit une justification
majeure à la lutte armée déclenchée le 1er novembre 1954 par le
Front de Libération nationale530.

L’incident et l’insurrection
Toutefois, après l’indépendance de l’Algérie, de nouvelles publi-
cations de témoignages, de documents, et de recherches histo-
riques, en Algérie et en France, ont considérablement amélioré les
connaissances sur les tragiques événements de mai 1945531. Elles
confirment et complètent les analyses proposées en juillet 1945
par les esprits les mieux informés et les plus prudents, Paul Tubert
et Adrien Tixier.
La thèse du « complot colonialiste », soutenue par les socialistes
et les communistes, comme par les nationalistes algériens, n’a
reçu aucune preuve décisive : la provocation par la famine n’a pas
été vérifiée. Dès juillet 1945, le ministre de l’Intérieur et plusieurs
orateurs ont souligné que les régions troublées étaient parmi
les moins démunies de l’Algérie, que les slogans des manifes-
tants étaient politiques, et que les insurgés n’avaient pas attaqué
les dépôts de vivres. Toutefois, il est vraisemblable que la grave
disette, succédant à des années de privations et de frustrations,
ait contribué à créer une mentalité collective prédisposant à la
révolte. Mais l’administration organisait des importations mas-
sives de céréales pour éviter la famine.
La création délibérée d’incidents pour mettre le feu aux poudres
n’est pas mieux établie. Les déclarations prophétiques d’Abbo et de
Lestrade-Carbonnel ne sont pas des preuves suffisantes de prémé-
ditation. Les colons isolés au milieu des musulmans avaient tout à

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

craindre d’une révolte dont ils furent les premières victimes. Que
certains membres des « gardes civiques », particulièrement à Guel-
ma, aient assouvi leur peur et leur haine, accumulées par des mois
de « guerre des nerfs », au moyen de vengeances et de représailles
aveugles, c’est très vraisemblable : le journaliste Henri Bénazet,
dans son livre L’Afrique française en danger (1947), jugea la répres-
sion « féroce, impitoyable, en vérité inhumaine par son manque
de discernement ». Que les adversaires de l’ordonnance du 7 mars
1944 aient exploité l’occasion de prendre l’offensive contre la poli-
tique des réformes, c’est l’évidence. Mais cela ne prouve pas que
les troubles prévus aient été voulus.
À Sétif, le premier coup de feu fut tiré par un policier pour
défendre le commissaire qui tentait d’arracher un drapeau natio-
naliste algérien, et le porte-drapeau fut le premier tué, cela semble
établi. L’émeute qui s’en suivit tua ou blessa plusieurs dizaines
d’Européens, y compris des hommes de gauche, qui n’étaient pas
moins défavorables aux nationalistes que ceux de droite. Même si
le maire socialiste Édouard Deluca venait de menacer de révoca-
tion un agent qui tirait sur les musulmans, on hésite à croire qu’il
fut abattu par son propre adjoint, comme l’affirment aujourd’hui
des témoins algériens.
Le communiste Albert Denier, laissé pour mort et sauvagement
mutilé, ne reconnut ultérieurement aucun de ceux qui lui furent
présentés comme ses agresseurs, et déclara : « C’est le colonialisme
qui a voulu m’assassiner. » Mais rien ne prouve que ses agresseurs
connaissaient leur victime ; et le rapprochement est troublant avec
un passage d’un roman de Kateb Yacine, collégien présent à la
manifestation : « Un paysan tranche d’un coup de sabre l’épaule
d’un étudiant sans coiffure qu’il a pris pour un Européen532. »
À Guelma, le sous-préfet Achiary tira le premier coup de feu
après avoir tenté d’arracher un drapeau. Ancien commissaire de

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

police, il fut accusé par Étienne Fajon d’avoir torturé des jeunes
filles communistes. Il avait pourtant été, comme le rappela Marc
Rucart, un résistant de longue date et un « héros du 8 novembre »
1942. Le 8 mai 1945, il avait à ses côtés le président de Combat, un
socialiste. Celui-ci, voyant le sous-préfet bousculé par les manifes-
tants tomber un genou à terre, l’interpella en ces termes : « Alors,
Monsieur le sous-préfet, est-ce que la France existe ? » « Bien sûr
qu’elle existe », répondit Achiary, qui donna le signal de la fusillade
en tirant en l’air. La milice qu’il constitua était dirigée, selon le
ministre de l’Intérieur, par un comité de trois hommes : le président
des Anciens combattants, celui de la France combattante, et celui
de l’Union locale des syndicats. Les Français de Guelma avaient
opposé une quasi-unanimité nationale à la « quasi-unanimité des
musulmans, du plus riche au plus pauvre, contre tout ce qui est
français ». L’explication par le « complot fasciste » ne tient donc pas.
Le commissaire de police de Sétif et le sous-préfet de Guelma
avaient appliqué des instructions qui subordonnaient l’autori-
sation des manifestations musulmanes à l’absence de drapeaux
et de slogans séditieux. Les responsables civils et militaires ne
voulaient sans doute pas provoquer l’échec de la politique des
réformes, dont les hauts fonctionnaires mis en cause – Berque,
Balensi et Lestrade-Carbonnel – étaient parmi les protagonistes.
Ils ne souhaitaient pas déclencher une épreuve de force redoutable
au moment où les troupes disponibles, en l’absence de la Première
armée, étaient « préparées en vue de troubles localisés, mais ne
sauraient prétendre à juguler une insurrection généralisée », selon
le général Henry Martin. Mais ils pouvaient vouloir prévenir cette
insurrection générale qu’ils soupçonnaient le PPA d’organiser.
La seule pièce à l’appui de la thèse du complot est une confi-
dence ultérieure d’Yves Chataigneau au journaliste de gauche
Albert-Paul Lentin. « On est venu me dire : les extrémistes des

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

AML sont en train de s’armer. Il faut les inciter à l’action, ici ou


là, de manière à les démasquer, les réprimer, et à créer en Algérie
un climat qui obligera, à Paris, le ministère de l’Intérieur à inter-
dire ce mouvement séditieux. J’ai pu m’opposer à cette volonté
de provocation à l’échelon national de l’Algérie, mais non, hélas,
à l’échelon local533. » Pourtant, les autorités n’auraient pu éviter
« la bagarre » qu’en tolérant un défi ouvert à la souveraineté de
la France, ce que le gouvernement n’était pas disposé à accep-
ter. Pour qui connaît les recommandations formulées par Catroux
dans sa note secrète du 29 février 1944, et les directives laissées
par le général de Gaulle au général Henry Martin en août 1944,
le problème n’est pas que la répression ait été déclenchée, mais
qu’elle ait tant tardé. Avait-on voulu « laisser mûrir l’abcès afin
de mieux pouvoir le crever », comme le prétendit en juin 1945 le
secrétaire général de la préfecture d’Alger ? Il paraît plus vraisem-
blable que le gouverneur général (craignant peut-être le désaveu
des communistes), ait hésité devant les risques d’une épreuve de
force, et que le précédent de la crise libanaise l’ait porté à douter
de l’efficacité des solutions policières.
Cependant, le plus grand renouvellement des connaissances
concerne le côté algérien. Il est désormais bien établi que, si aucun
ordre d’insurrection n’a été donné pour le 8 mai 1945, le PPA
en avait conçu le projet et répandu l’idée. Depuis le début de la
guerre, le PPA clandestin diffusait l’idée que l’Algérie musulmane
devait en profiter pour reconquérir son indépendance par tous les
moyens. Une de ses tendances, le Comité d’action révolutionnaire
nord-africain (exclu du parti en 1939 mais réintégré en 1943) avait
pris contact avec les Allemands et les Italiens pour leur demander
de l’argent et des armes afin de créer une armée secrète.
La propagande nationaliste, faisant appel à la tradition du dji-
had et au souvenir des révoltes anti-coloniales précédentes, trouva

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

un terrain favorable grâce aux répercussions de la guerre mon-


diale : ruine du prestige de la France par la défaite, l’armistice et
la politique de collaboration, mécontentement généralisé du fait
de la misère et de l’inégalité, effets cumulés de toutes les propa-
gandes extérieures favorables à l’autodétermination des peuples
dominés. Les services de renseignement français avaient signalé
très tôt la dégradation de l’état d’esprit des indigènes. Une mentali-
té pré-insurrectionnelle était signalée dès août 1941 dans la région
de Sétif, et dès mars 1943 dans celle de Guelma. Selon un rapport
du deuxième bureau de l’état-major de la division de Constantine,
à la date du 15 mars 1943, les indigènes de cette région, « toujours
sous le coup de la propagande axiste », espéraient qu’une victoire
allemande leur permettrait de devenir propriétaires des terres
occupées par les colons français, et tentaient déjà des « reprises
individuelles sur les animaux et les pâturages de colons mobili-
sés534 ». En 1944 et 1945, les appels à la révolution armée, voire au
massacre des colons, s’étaient multipliés et diffusés par tous les
moyens de propagande écrite et orale.
La formation de la Ligue arabe et la réunion de la conférence
de San Francisco avaient renforcé l’espoir d’interventions exté-
rieures décisives. Selon l’historien algérien Mohammed Harbi,
citant des révélations faites par Messali Hadj, le leader du PPA
interné aurait donné son accord à un projet d’insurrection, et
tenté de s’évader pour rejoindre une ferme proche de Sétif où
devait être installé un gouvernement provisoire algérien. Il aurait
réussi à tromper la vigilance de ses gardiens, mais, ne trouvant
personne au lieu de rendez-vous, aurait rejoint sa résidence. Les
archives françaises ne signalent pas cette tentative d’évasion,
mais les autorités furent suffisamment troublées par les inci-
dents du 18 avril et par la découverte de gardes du corps armés
pour décider l’éloignement de Messali, qui fit échouer ce plan535.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Le gouverneur général en eut d’ailleurs le soupçon : dans son rap-


port du 17 mai au ministre de l’Intérieur, il signalait que sans
l’éloignement de Messali et les arrestations préventives du début
de mai, l’insurrection aurait pu s’étendre « de Tébessa à Tlem-
cen ». Messali aurait alors pu s’évader, et constituer avec Ferhat
Abbas et le docteur Saadane « une sorte de gouvernement insur-
rectionnel qui nous aurait créé des difficultés auprès de laquelle
celles de ces jours-ci ne sont rien536 ».
Pourtant, il est vrai qu’aucune insurrection n’avait été ordon-
née pour le 8 mai. Désorienté par l’éloignement de son chef et
par les arrestations préventives, le PPA privé de stratégie poli-
tique et militaire ne pouvait tenter l’épreuve de force sans courir
à la catastrophe. C’est pourquoi il se contenta de manifestations
pacifiques sous le couvert des AML, pour montrer le nombre et
la résolution de ses partisans. Mais il ne pouvait sans se renier
renoncer à exhiber ses drapeaux, et ses revendications. L’émeute
de Sétif et de Guelma en résulta inévitablement. L’appel au dji-
had fut plutôt une fuite en avant qu’une agression préméditée.
C’est pour tenter de soulager les régions insurgées que la direc-
tion clandestine du PPA ordonna une insurrection générale pour
la nuit du 23 au 24 mai. Puis, constatant que les insurrections
locales étaient déjà écrasées, elle lança un contre-ordre, qui ne
parvint pas à toutes les organisations537. Ainsi s’expliquent les
sabotages de Saïda, Haussonvillers et Dellys, et le complot de
Cherchell, faussement qualifiés de provocations policières par
le docteur Bendjelloul. Mohammed Harbi conclut que la meil-
leure définition des événements de mai 1945 fut celle que Pas-
cal Muselli fournit à l’Assemblée consultative : « Il est prouvé
que tout le système de l’insurrection étendait sa toile d’araignée
sur l’Algérie entière. Si cette insurrection n’a pas été générale,
c’est parce qu’elle a été prématurée et que l’incident de Sétif […]

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

a éclaté inopinément. Les instructions étaient formelles : l’insur-


rection ne devait avoir lieu qu’à une date qui devait être fixée par
les dirigeants et les agitateurs538. »
Le thème du traquenard tendu par les colonialistes, même
s’il traduit bien le sentiment sincère des manifestants venus
sans armes, ne correspond donc pas à la réalité. Quand les deux
camps sont également certains des mauvaises intentions de leurs
adversaires, ils songent plus à prévenir la surprise qu’à éviter l’af-
frontement. Le 8 mai 1945, les Français tirèrent les premiers. Au
printemps de 1948, encore une fois, la répression prit les devants.
Mais le 1er novembre 1954, le nationalisme algérien reprit l’initiative
des hostilités.
En mai 1945, les représentants des Français d’Algérie, soup-
çonnés de préjugés colonialistes, furent plus lucides que leurs
critiques. La gauche marxiste (spécialement les communistes)
fit preuve d’un étrange aveuglement en refusant de voir dans les
événements autre chose qu’un conflit entre la droite fasciste et la
gauche résistante, comme si sa culture politique centrée sur la
métropole et sur l’Europe l’empêchait de reconnaître l’existence
d’un authentique mouvement national, ou nationaliste, algérien.
Le gouvernement tira promptement les leçons de la crise de
mai 1945. Il chargea le ministre de l’Intérieur de réaffirmer sa
volonté de poursuivre sa politique de réformes, en Algérie et
devant l’Assemblée consultative.

Un « système périmé d’administration colonialiste » ?


Dès l’ouverture de la session de l’Assemblée, au début de juin 1945,
les membres des commissions de l’Intérieur et des Affaires musul-
manes avaient demandé au gouvernement l’ouverture d’un débat
sur les troubles et la politique algérienne. Le 19 juin, après avoir
reçu à Paris le gouverneur général, Adrien Tixier proposa d’être

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

entendu par les deux commissions réunies afin de préparer sérieu-


sement le débat de l’Assemblée. Mais il demanda que ce débat soit
ajourné jusqu’au début de juillet afin de lui permettre de com-
pléter son information par un voyage d’inspection en Algérie. Le
général de Gaulle, présent à la séance du 19 juin, appuya cette
demande, qui fut acceptée539.
Pendant son voyage, du 24 au 30 juin 1945, il alla s’informer
de la situation dans les régions troublées, des causes de l’insur-
rection et du bilan de la répression, ainsi que de l’état du pro-
gramme des réformes musulmanes. Dans ses entretiens avec les
autorités locales, et dans une allocution radiodiffusée d’Alger
le 29 juin, il réaffirma la volonté gouvernementale de « mainte-
nir la souveraineté française en Algérie » et d’« assurer la sécu-
rité de tous les Français qui travaillent sur la terre algérienne »,
de rendre la justice en s’opposant aux représailles individuelles,
de poursuivre l’application de l’ordonnance du 7 mars 1944 et
d’accélérer celle du plan des réformes économiques, sociales et
administratives, sans céder aux pressions, qu’elles viennent de
« Français égarés » ou de « mauvais Français musulmans540 ». Les
motions comminatoires venues du Constantinois ou des colons
du département d’Alger furent ainsi repoussées. Le 18 juillet, le
ministre de l’Intérieur développa le même programme devant
l’Assemblée consultative.
Avant même l’ouverture du débat, le 10 juillet, les délégués
socialistes à l’Assemblée avaient cependant déposé, le 26 juin une
proposition de résolution invitant le gouvernement à prendre un
ensemble de mesures précises : sur le plan politique,
1) « mettre en application, sans délai et intégralement, l’ordon-
nance du 7 mars 1944 », supprimer les Délégations financières et
les remplacer par une représentation démocratique des contri-
buables français et musulmans ;

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

2) « affirmer, une fois pour toutes et définitivement, que le sta-


tut de l’Algérie et l’organisation de ses institutions appartiendront
à l’Assemblée constituante » ;
3) « proclamer solennellement que les musulmans d’Algérie […]
seront largement représentés à cette Assemblée constituante » ;
4) « réorganiser le gouvernement général », en nommant à la
tête des grands services des « hommes nouveaux et animés d’un
esprit neuf ».
Sur le plan social,
1) « assurer à l’Algérie […] un ravitaillement suffisant » pour
l’alimentation et la vêture de la population et pour le sauvetage du
cheptel algérien ;
2) « appliquer les lois sociales à l’Algérie, et notamment les
assurances sociales », ainsi qu’un vaste programme de scolari-
sation, de construction d’écoles et de recrutement des maîtres,
l’enseignement de l’arabe, l’accession des musulmans à tous les
concours et postes administratifs.
Sur le plan économique enfin, « refonte de la propriété musul-
mane », aide à la modernisation de l’agriculture par la création
de coopératives, la construction de routes et de pistes, une poli-
tique de l’eau, du reboisement et de l’élevage, et l’« expropriation
des grands domaines des sociétés capitalistes pour l’installation
de syndicats de fellahs ». Pour assurer la réalisation de ces objec-
tifs, épuration énergique des grandes administrations et des
organismes subventionnés, notamment des « grandes centrales
agricoles où n’ont pas cessé de régner l’esprit et les méthodes
de Vichy », ainsi que de « la presse d’Algérie, particulièrement
corrompue et aux mains des puissances terriennes d’argent541 ».
Cette proposition fut présentée par le socialiste Raymond
Blanc lors de la séance du 11 juillet542. Puis le délégué du PCF
Étienne Fajon, après avoir réclamé le châtiment des traîtres et

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

le ravitaillement de l’Algérie, approuva les mesures annoncées par


le ministre de l’Intérieur dans son allocution, mais lui reprocha
d’avoir déclaré que la France victorieuse « a[vait] la ferme volonté
et dispos[ait] des moyens nécessaires de réprimer toute atteinte à
la souveraineté française en Algérie ». Il lui proposa de chercher à
établir entre les peuples d’Algérie et de France « des liens d’autant
plus étroits et solides qu’ils ser[aie]nt librement consentis » au
moyen d’une politique visant quatre objectifs immédiats :
1) « abolir le système périmé d’administration colonialiste et
semi-féodale », par la « suppression des délégations financières,
du caïdat, des communes mixtes et du régime spécial des Terri-
toires du Sud » ;
2) « assurer à tous les Algériens le bénéfice des libertés démo-
cratiques » (à la seule exception des « éléments hitlériens ») ;
3) « mettre fin aux inégalités néfastes entre Algériens fon-
dées sur les distinctions raciales » […] en matière de salaires,
de soldes, allocations et pensions, et de législation sociale, ainsi
qu’entre l’Algérie et la métropole ;
4) « s’attaquer à l’analphabétisme », par des mesures immé-
diates autant que par de grands plans d’avenir543.
Les deux grands partis de la gauche marxiste fusionnèrent
leurs propositions sous la forme d’un ordre du jour, présenté à
la fin de la séance du 18 juillet par Jean Pierre-Bloch et Georges
Marrane au nom des commissions des Affaires musulmanes et
de l’Intérieur. Après avoir demandé la mise en jugement des res-
ponsables directs et indirects des tueries et des représailles, et la
création d’un climat d’apaisement par des mesures de ravitaille-
ment et d’aide économique et par la révision des jugements d’ex-
ception, cet ordre du jour énumérait les réformes nécessaires :
1) « faire appliquer, sans délai et intégralement, l’ordonnance du
7 mars 1944. Pour y parvenir, supprimer les Délégations financières

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

ainsi que le régime des communes mixtes et du caïdat et assurer


à tous les habitants de l’Algérie le bénéfice des libertés démocra-
tiques et l’égalité des droits » ;
2) « proclamer solennellement que les musulmans d’Algérie
dont la citoyenneté française a été établie par l’ordonnance du
7 mars 1944, seront largement représentés aux futures assemblées
et pourront y défendre, par des représentants hautement qualifiés,
le point de vue des masses musulmanes » ;
3) « réorganiser le gouvernement général et nommer à la tête
des grands services des démocrates éprouvés, animés d’un esprit
républicain indéfectible544. »
Selon Jean Pierre-Bloch, ce texte avait été adopté à l’unanimité
par la commission de coordination des Affaires musulmanes, et
par un grand nombre de collègues consultés ; après avoir entendu
le discours du ministre de l’Intérieur, il le jugeait « absolument
dans la ligne qu’a définie le représentant du Gouvernement ». Mais
le radical Marc Rucart refusa de le voter parce qu’il désapprouvait
les dispositions initiales exprimant la thèse socialo-communiste
sur les responsabilités des troubles.
Les opposants à ce texte (dont le nombre n’est pas plus indiqué
dans le Journal officiel que celui de ses partisans) ne lui avaient
pas soumis un autre programme, excepté les mesures d’urgence
recommandées le 10 juillet par Auguste Rencurel :
– frapper les coupables par une justice impitoyable ;
– inviter la presse à atténuer ses attaques et à envisager les
problèmes sur un plan objectif ;
– améliorer de toute urgence le ravitaillement ;
– rétablir l’autorité des fonctionnaires et des magistrats en épu-
rant « ceux qui doivent l’être » ;
– « réprimer, en appliquant les lois de la République », toutes les
tentatives dirigées contre l’intégrité de la France ;

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

– assurer la sécurité d’un million de Français ;


– appliquer les réformes de la commission des affaires musul-
manes, et laisser les futures assemblées élues décider l’avenir de
l’Algérie « en période de calme, de confiance et de concorde545 ».
Quelle que fût la validité du vote final – acquis en l’absence
de la grande majorité des délégués – il ne pouvait contraindre le
gouvernement, qui avait déjà pris ses décisions.
Sur un seul point, le ministre de l’Intérieur s’était montré dispo-
sé à modifier ses projets : sur la composition de l’Assemblée appe-
lée à remplacer les Délégations financières, il n’avait pas défendu le
projet du général Catroux contre les critiques de Pascal Muselli546.

Ne pas céder à la pression des « deux minorités »


Le discours d’Adrien Tixier, prononcé devant l’Assemblée consul-
tative le 18 juillet 1945, fut publié sous forme de brochure par
le Parti socialiste, sous le titre Un Programme de réformes pour
l’Algérie547. La première partie étudiait « les troubles et incidents
dans le département de Constantine », en retraçant leurs origines,
leur déroulement, leur bilan et celui de la répression, leurs causes
et leurs conséquences. Celles-ci étaient également sérieuses chez
les musulmans et chez les Français, qui éprouvaient la même
inquiétude et insécurité. Pour calmer les esprits, le gouverne-
ment disposait de deux moyens d’action : rendre la justice aux
innocents et aux coupables et « affirmer nettement sa politique et
manifester par des actes sa volonté de l’appliquer548 ».
La deuxième partie exposait « la politique du gouvernement de
la République en Algérie ». Avant comme après les événements
du Constantinois, celle-ci s’inspirait de deux principes fondamen-
taux : maintien et défense de la souveraineté française en Algérie ;
application de son programme de réformes politiques, administra-
tives, économiques et sociales.

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

Le premier comportait un avertissement à tous les fauteurs


de troubles et un engagement d’assurer la sécurité de tous les
Français non musulmans et musulmans qui désiraient travailler
en paix. Toutefois, le gouvernement ne croyait pas que l’ordre pût
reposer durablement sur la seule force matérielle ; il comptait ral-
lier les masses musulmanes à la conception de l’Algérie française
par la réalisation d’un programme hardi de réformes.
En matière politique, il réaffirmait sa volonté d’appliquer l’or-
donnance du 7 mars 1944, sans céder aux pressions de « deux
minorités », celle qui prétendait rejeter la souveraineté française,
et celle qui craignait l’avènement de majorités politiques musul-
manes. L’établissement des listes électorales des deux collèges
définis par cette ordonnance était achevé depuis fin mai. Le
nombre de citoyens français musulmans inscrits sur les listes du
premier collège était de 32 000, au lieu des 60 000 prévus. Cet
écart considérable s’expliquait par une évaluation initiale exces-
sive, par l’opposition de certains employeurs qui n’avaient pas
déclaré leurs travailleurs remplissant les conditions requises, et
par la propagande hostile des oulémas, du PPA et des AML, qui
présentaient l’inscription des musulmans sur les listes électorales
des citoyens français comme une apostasie de l’islam. En dépit
de ce retard, et des troubles du Constantinois, le gouvernement
n’avait pas voulu ajourner davantage les élections municipales,
prévues pour juillet.
Après s’être assuré que le ravitaillement de l’Algérie serait
suffisant, il avait fixé la date du premier tour au 29 juillet, et
du second au 5 août 1945. L’élection des conseils généraux, en
respectant la répartition des élus des deux collèges suivant la
proportion des trois cinquièmes et des deux cinquièmes, suivrait
quand le gouvernement aurait fixé la date des élections canto-
nales dans la métropole.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Conformément à la proposition du docteur Bendjelloul adoptée


par l’Assemblée consultative, le gouvernement avait accepté de faire
participer les « Français non-citoyens » (sic) à l’élection de l’Assem-
blée constituante, suivant des modalités en cours d’examen.
La réforme des Délégations financières était imposée par l’ap-
plication de l’ordonnance du 7 mars 1944. C’était aussi l’occasion
de réformer ses structures, qui consacraient la prépondérance
des propriétaires terriens. Le ministre de l’Intérieur exposa les
grandes lignes d’un projet d’ordonnance, étudié par ses services
et par ceux du ministère des Finances, qui correspondait au projet
du général Catroux. Mais il ne cachait pas que sa réalisation sou-
levait de multiples difficultés, et laissait entendre qu’il était prêt
à lui préférer l’élection d’une Assemblée financière par les trois
conseils généraux, suivant la proportion des trois cinquièmes et
des deux cinquièmes.
Les stipulations politiques de l’ordonnance du 7 mars 1944
recevraient la plus large application durant le deuxième semestre
de 1945, de façon à ouvrir la voie de l’« intégration des Français
d’Algérie dans la vie française ».
Pour atteindre ce but, les réformes politiques devaient être
accompagnées de réformes économiques et sociales, tendant à
assurer l’existence d’une population rapidement croissante (au
rythme de 120 000 personnes par an) et d’élever son niveau de
vie, en lui fournissant du travail.
Le ministre avait déjà exposé dans la première partie de son
discours les mesures d’urgence déjà prises pour éviter la famine
menaçante :
– augmentation du nombre des rationnaires : 5 950 000 au pre-
mier trimestre, 7 400 000 au 1er avril, 8 300 000 au 1er mai ;
– augmentation des importations de blé : 3 000 tonnes en jan-
vier, 20 000 en février et en mars, 42 000 en avril, 43 000 en mai,

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

68 000 en juin, soit la totalité des besoins, et de l’apport de la


métropole, 1 200 tonnes en mars, 4 150 en avril, 12 000 en mai et
en juin.
Grâce à cet effort considérable, le ravitaillement de l’Algérie
était assuré. La prochaine création d’une carte de céréales permet-
trait de mieux contrôler la distribution des grains par les SIP549.
Pour l’avenir, une réforme agraire améliorerait les conditions
de vie d’un « immense prolétariat agricole » ne possédant pas ou
pas assez de terres. Trois solutions étaient envisagées : l’amélio-
ration du rendement des terres possédées par les petits fellahs,
la conquête de terres nouvelles par l’irrigation, et le recasement
des prolétaires ruraux sur des terres expropriées ou acquises par
achat. La dernière ne pouvait bénéficier qu’à un petit nombre
de familles (25 000, sur un demi-million), à cause de l’insuffi-
sance des terres disponibles (250 000 hectares, dont 190 000 de
terres domaniales et communales et 60 000 appartenant à des
sociétés anonymes), à la suite du souhait exprimé par les com-
missions municipales de communes mixtes de garder les terres
communales pour les troupeaux, et de l’opposition des grands
propriétaires aux expropriations. Une ordonnance sur les condi-
tions juridiques des expropriations était en préparation, et le gou-
vernement général serait doté d’un droit de préemption sur les
terres volontairement vendues. Les fellahs recasés sur des lots de
10 hectares seraient regroupés en secteurs de 5 à 600 hectares,
dotés d’un équipement mécanique collectif. Ils seraient guidés
et soutenus par l’administration et par les sociétés indigènes de
prévoyance, chargées de gérer les secteurs de recasement. Le
ministre de l’Intérieur préparait un projet d’ordonnance pour
démocratiser le fonctionnement des SIP, élargir leurs attributions
et accroître leurs capacités financières, ainsi que celles de leur
fonds commun.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Le ministre ne cachait pas les difficultés ni les limites de la


réforme agraire : il conclut qu’elle ne suffirait pas à résorber le
prolétariat rural, et que l’Algérie ne pourrait pas rester un pays
essentiellement agricole, comme l’avaient démontré les graves
conséquences de la défaite de juin 1940 et de la rupture des rela-
tions avec la métropole en novembre 1942. Un plan d’industriali-
sation de l’Algérie avait été soumis au GPRF en mars 1945 et faisait
l’objet d’un examen approfondi. Il prévoyait le développement
de la production d’énergie électrique, des moyens de transport,
d’entrepôts et de transports frigorifiques, d’industries agricoles,
textiles, chimiques et métallurgiques. L’exécution du plan, déjà
commencée, était freinée par le manque de matières premières,
d’ingénieurs ou d’ouvriers qualifiés, et de machines.
En matière d’enseignement, un plan avait été adopté : on sco-
lariserait un million d’élèves musulmans en créant 20 000 classes
en vingt ans suivant un rythme progressivement accéléré. Le plan
pour 1945, prévoyant la création de 400 nouvelles classes, allait
être dépassé. Cependant, le ministre reconnut que ce plan pouvait
être jugé insuffisant (et il le fut dans la même séance du 18 juillet
par Madame Defferre-Aboulker), mais que son rythme de réalisa-
tion pourrait être davantage accéléré si les possibilités de recrute-
ment des maîtres et de construction d’écoles s’amélioraient.
La santé publique avait fait l’objet d’un programme aussi
important. Il comportait un décret du 16 novembre 1944, qui réor-
ganisait le corps des médecins fonctionnaires, et créait un corps
d’assistantes sociales. On trouvait également un plan d’équipe-
ment médical et hospitalier. L’ordonnance avait suscité l’opposi-
tion des ex-« médecins de colonisation » – devenus « médecins de
la Santé » – qui jugeaient leur traitement insuffisant et voulaient
conserver le droit de soigner une clientèle payante. Le ministère
de la Santé envisageait de le leur accorder là où il n’existait pas de

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

médecins non-fonctionnaires. Quant au plan d’équipement, son


application souffrait du manque de matériaux de constructions et
de l’impossibilité de les importer.
Les réformes sociales intéressaient Adrien Tixier, ancien res-
ponsable du CFLN. D’après lui, l’Algérie possédait déjà une impor-
tante législation sociale, applicable aux travailleurs salariés sans
distinction de race ou de religion ; il avait chargé l’inspection du
travail de veiller à la suppression des discriminations de fait. La
procédure de révision des salaires, instituée par une ordonnance
d’août 1943, fonctionnait avec retard, mais efficacement. Une
réglementation analogue, instituée pour la fixation et la révision
des salaires agricoles, n’avait pas son équivalent en métropole.
Malgré des difficultés et des résistances, elle avait abouti à un
relèvement du niveau de vie des agriculteurs algériens.
Néanmoins, cette législation sociale comportait de sérieuses
lacunes, en matière de sécurité sociale, formation profession-
nelle, organisation du placement et contrôle de l’emploi, comités
d’entreprise. En vue de les combler, le gouvernement avait établi
un programme immédiat et un programme à plus long terme. Le
premier comportait une ordonnance et un décret qui mentionnait
l’extension des allocations familiales et la création d’une caisse de
surcompensation ; un décret sur les comités d’entreprise ; un autre
relatif aux congés payés ; un qui introduisait la législation métro-
politaine sur les garanties de réintégration aux mobilisés. À plus
longue échéance, le gouvernement faisait étudier par une mission
technique l’adaptation de la législation sur la Sécurité sociale aux
réalités algériennes (en particulier démographiques), ainsi que les
conditions d’application à l’Algérie de l’ordonnance du 24 mai 1945
sur l’organisation du placement et du contrôle de l’emploi. De plus,
un plan de formation professionnelle serait établi pour permettre
aux travailleurs musulmans de devenir des ouvriers qualifiés.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Enfin, l’administration algérienne du travail devait être réor-


ganisée et renforcée pour faire face à l’élargissement de ses mis-
sions. Un plan, soumis au GPRF dès juillet 1944, comportait la
création d’une direction du Travail et des Affaires sociales.
Le programme des réformes politiques, économiques et
sociales rendait nécessaire une réforme de l’administration algé-
rienne, à laquelle le ministre de l’Intérieur consacrait la dernière
partie de son discours. Il estimait que son organisation actuelle,
caractérisée par la distinction entre des services régionaux subor-
donnés au gouverneur général, et des services directement rat-
tachés aux administrations métropolitaines (Défense nationale,
Justice, enseignement et corps préfectoral) était injustifiée, et que
son maintien constituerait « un obstacle à la politique d’intégra-
tion de l’Algérie dans la vie française, comme région française ».
Il préconisait donc une réforme fondée sur quatre principes
directeurs. D’abord, intégrer tous les services algériens dans les
services métropolitains correspondants, et les faire contrôler et
diriger par les ministères compétents ; ensuite faire du gouver-
neur général le représentant en Algérie de tous les ministres, et
du ministre de l’Intérieur le coordinateur de leur action : ainsi,
l’administration algérienne bénéficierait d’une base de recrute-
ment plus large, et tous les ministères métropolitains devraient
s’intéresser aux problèmes algériens ; enfin, l’administration
algérienne devait être décentralisée par la création de départe-
ments, la délégation de pouvoirs du gouverneur général aux pré-
fets et aux sous-préfets, et par l’élargissement des attributions
et des ressources des djemaas de douars arabes et de villages
kabyles, afin d’en faire des « organes d’apprentissage pratique de
la démocratie ».
Répondant sans les citer aux affirmations de son prédécesseur
Jean Pierre-Bloch, selon lequel le général Catroux avait « interdit

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

toute épuration en Algérie », le ministre de l’Intérieur en présenta


un bilan chiffré, et rappela qu’elle continuait, sous sa seule respon-
sabilité depuis le 1er février 1945. Il ajouta qu’elle devait comporter
un nouvel aspect : le remplacement des hauts fonctionnaires qui
s’opposeraient à l’application du programme de réformes ou qui
feraient preuve de réticence ou d’inertie550.

Trop tard
Adrien Tixier indiqua trois mesures immédiates approuvées par le
conseil des ministres : la création d’un secrétariat aux Affaires éco-
nomiques, celle d’une direction du Travail et des Affaires sociales,
et la suppression de la direction des Affaires musulmanes. Ses
attributions seraient réparties entre les autres services ; mais une
nouvelle direction des Réformes musulmanes serait créée pour
stimuler leurs initiatives et contrôler l’exécution du programme
d’ensemble. Pour jouer ce rôle d’impulsion, le ministre avait choisi
« un homme jeune qui [connaissait] bien l’Afrique du Nord et les
problèmes musulmans et qui [était] un partisan convaincu de la
politique de l’ordonnance du 7 mars 1944 » : Lucien Paye. Il conti-
nuerait ses recherches pour « la formation d’une équipe d’hommes
jeunes, compétents, enthousiastes, qui accepter[aient] de travail-
ler avec foi à la reconstruction de l’Algérie française ».
Les membres de l’Assemblée qui suivirent le long exposé
d’Adrien Tixier ne se lassèrent pas d’entendre de bonnes choses,
dixit Marc Rucart. Pourtant, son discours laissait dans l’ombre un
point capital : le financement des réformes annoncées, mentionné
incidemment, à propos du plan d’industrialisation. Le ministre
avait reconnu que le gouvernement n’avait « pas encore pris de
décision sur la répartition des charges de ce plan entre l’Algérie
et la métropole », mais il avait assuré que ce problème financier
ne retarderait pas les premières réalisations, car le gouvernement

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

général disposait d’environ 500 millions de francs, du fait qu’il ne


payait plus sa cotisation au budget du CFLN551.
Le ministre savait pourtant que ce problème ne concernait pas
seulement l’industrialisation, et que sa solution conditionnait la
réalisation de l’ensemble du programme des réformes. Lors de son
séjour à Alger, il avait dû recevoir un rapport sur le financement
des réformes musulmanes, daté du 26 juin 1945. Son auteur – vrai-
semblablement le gouverneur général ou son directeur des finances
– l’informait que le ministère des Finances entendait « laisser à
l’Algérie l’intégralité des charges du plan (à l’exception de l’aban-
don consenti pour 1945, mais non renouvelable, de la contribu-
tion de guerre de 600 millions ») et qu’il refusait d’envisager « une
participation aux charges d’annuités des emprunts contractés par
l’Algérie pour le financement des dépenses de premier établisse-
ment, par crainte de créer un précédent que ne manquerait pas
d’invoquer le département des Colonies552 ». Le rapport concluait
« que la continuation de l’effort financier de l’Algérie, sans aucune
certitude d’obtenir le concours de la métropole au financement
d’une œuvre de caractère impérial, si les charges devaient excéder
la capacité contributive normale de la colonie, ne pourrait aboutir
qu’à l’échec des réformes entreprises : il [était] impossible, en effet,
de doter un pays de réformes sociales si on [devait] les payer au
prix d’une fiscalité qui fera[it] fuir les entreprises ».
Malgré cet avenir incertain, les réformes annoncées furent
appliquées. Les élections municipales eurent lieu les 29 juillet
et 12 août 1945. En dépit de, ou grâce à de nombreuses absten-
tions (surtout dans le deuxième collège), la coalition socialo-
communiste de la France combattante obtint la majorité dans de
nombreuses communes, et dans les deux collèges. Pour la pre-
mière fois, quelques communes de plein exercice à la population
massivement musulmane se dotèrent de maires musulmans. Peu

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

après, le gouvernement prit plusieurs décrets visant à étendre


les attributions des djemaas de douars, à réorganiser les centres
municipaux créés et organisés en 1937, et à en créer d’autres553.
Les élections cantonales des 23 et 30 septembre 1945
connurent une moindre abstention dans les deux collèges ; la
répartition des élus entre les diverses forces politiques fut donc
plus équilibrée. Une ordonnance du 15 septembre 1945 remplaça
les Délégations financières et le Conseil supérieur de gouverne-
ment par une Assemblée financière composée de membres des
commissions des finances des trois conseils généraux : 10 du
département d’Alger (six représentants des citoyens et quatre des
« non-citoyens ») ; 12 de celui d’Oran (sept et cinq) ; 15 de celui de
Constantine (neuf et six). Elle fut dotée de pouvoirs plus limités
que les Délégations financières, qui avaient partagé l’initiative
des dépenses avec le gouvernement général. Les conseils géné-
raux furent convoqués pour le 13 octobre, et l’Assemblée finan-
cière pour le 30 novembre 1945 : elle se réunit sous la présidence
d’un doyen d’âge musulman554.
Cependant, une ordonnance du 17 août 1945 avait octroyé une
représentation égale aux citoyens français et aux « non-citoyens »
dans l’Assemblée nationale qui fut élue le 21 octobre 1945, confor-
mément à la proposition de résolution déposée le 28 juillet par
José Aboulker ; mais seuls les citoyens participèrent au référen-
dum qui la déclara constituante le même jour555. De nouveau, la
gauche marxiste obtint la majorité dans les deux collèges – dans
le second grâce à l’abstention de près de la moitié des inscrits. Les
partisans de réformes égalitaires et démocratiques purent faire
entendre leur voix.
L’administration du gouvernement général, chargée d’inscrire
la réalisation des réformes dans le budget de l’Algérie, fut réor-
ganisée. Dès le 10 juillet 1945, un décret institua un secrétariat

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

général pour les affaires économiques du gouvernement général


de l’Algérie, et en nomma le secrétaire général, Henri Faure556.
Le 8 septembre 1945, un arrêté du gouverneur général supprima
la direction des Affaires musulmanes, répartit ses attributions
concernant les musulmans entre les différents services généraux,
et créa une direction des réformes, confiée à l’ancien directeur de
l’enseignement du Maroc, Lucien Paye557. Augustin Berque avait
été admis à faire valoir ses droits à la retraite558.
Ainsi, une page de l’histoire de l’Algérie avait été tournée ;
une ère nouvelle d’intégration de l’Algérie dans la plus grande
France paraissait s’ouvrir.
En moins de deux ans, en dépit de leurs scrupules juridiques
et politiques de gérants provisoires des intérêts nationaux, le
CFLN et le GPRF avaient su prendre plus de décisions réforma-
trices que tous les gouvernements de tous les régimes précédents
depuis un siècle. Ils n’allèrent pourtant pas jusqu’à remettre en
question le principe fondamental de la politique d’assimilation
décidée en 1834 ou en 1840, ni l’appartenance de l’Algérie à la
nation française ; mais ils furent bien les premiers à se soucier de
définir des moyens adaptés à ce but incontesté, afin de faire de
l’Algérie française autre chose qu’un postulat.
Cependant, ces décisions vinrent trop tard et furent prises
trop lentement pour enrayer l’essor du nationalisme algérien en le
marginalisant. Le calendrier fixé par la décision du 11 décembre
1943 ne put être respecté : il n’était pas possible de réaliser en
moins d’un an, dans les circonstances défavorables de la guerre,
ce qui ne l’avait pas été en un siècle. Le sanglant affrontement
de mai 1945 ne put donc être évité. Le fait même de l’insur-
rection, et celui de la répression, compromirent gravement les
chances de rassembler les Français et les musulmans algériens
dans une Algérie française, en les reportant trois quarts de siècle

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LE SURSAUT ET LES SCRUPULES DES ANNÉES 1944-1945

en arrière : ce fut « la faute suprême », selon le Berbère assimilé


Augustin Belkacem Ibazizen. Les nationalistes en tirèrent des
raisons de vengeance et de revanche, et le général Duval avertit
que la force militaire ne pourrait apporter qu’une paix précaire.
L’inventaire des moyens nécessaires à l’assimilation ou à l’inté-
gration accélérée de l’Algérie avait fait reculer le gouvernement
devant leur coût financier jugé insupportable pour la métropole :
il était donc prévisible que la course de vitesse entre l’insurrec-
tion et les réformes risquait d’être de nouveau perdue.
Dans ces conditions, on ne peut manquer de se demander si
le CFLN, puis le GPRF, avaient fait le meilleur choix possible en
maintenant comme un dogme intangible le principe de l’Algé-
rie française, et en refusant de saisir la chance d’un compromis
fédéraliste que leur avaient proposé Ferhat Abbas et les AML.
Mais, à supposer que ceux-ci eussent pu rallier leurs associés du
PPA et des Oulémas, convaincre les Français d’Algérie que l’Algé-
rie pût cesser d’être française après les avoir mobilisés en masse
pour libérer la mère patrie était sans doute une tâche impos-
sible. Aucune des forces représentées à l’Assemblée consultative,
sans excepter les communistes, ne proposa une telle révision
déchirante de la politique traditionnelle de la France. Les textes
semblent prouver que le général Catroux fut le premier à envisa-
ger, dès décembre 1943, l’éventualité d’un échec de la politique
d’assimilation, mais qu’il jugea devoir en tenter préalablement la
dernière chance. On peut penser que le général de Gaulle en tira
la leçon pour l’avenir.

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La politique l’emporte sur la volonté


Après la réinstallation du GPRF, héritier du CFLN d’Alger, à Paris,
et après la victoire des Alliés sur l’Allemagne, la parole devait être
rendue au peuple français pour qu’il disposât de son avenir en éli-
sant une Assemblée nationale qui serait constituante s’il manifes-
tait la volonté de ne pas revenir à la IIIe République. Ce fut fait le
21 octobre 1945 par un double vote qui élut l’Assemblée nationale
et lui donna le pouvoir constituant par une large majorité. Cette
Assemblée nationale constituante avait aussi le pouvoir de confir-
mer, d’infirmer ou de modifier le contenu de l’ordonnance du
7 mars 1944, décidé par un gouvernement provisoire. Par consé-
quent, elle seule pouvait prendre des décisions définitives sur le
statut de l’Algérie. Mais ces décisions ne purent être prises après
l’échec du référendum sur le premier projet de Constitution. La
discussion et le vote du statut de l’Algérie par les assemblées défi-
nies par la Constitution de novembre 1946 durent donc attendre
jusqu’en 1947.
Cependant, une ordonnance du 17 août 1945 avait octroyé
une représentation égale aux citoyens français et aux « non-

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

citoyens » dans l’Assemblée nationale qui fut élue le 21 octobre


1945. Pour la première fois, les citoyens français à part entière
perdaient leur monopole de représentation de l’Algérie à Paris ;
les élites musulmanes admises à voter dans le premier collège
par l’ordonnance du 7 mars 1944 purent néanmoins se faire élire
par les électeurs « non-citoyens » du deuxième collège. La gauche
marxiste (PCA et SFIO) obtint la majorité dans le premier col-
lège, et partagea le deuxième avec les ex-Jeunes Algériens qui
suivaient le docteur Bendjelloul, grâce à l’abstention de près
de la moitié des électeurs inscrits559. Les partisans de réformes
égalitaires et démocratiques firent donc entendre leur voix, en
l’absence des nationalistes partisans des AML interdits, qui prô-
naient l’abstention. Rappelons que le Parti socialiste (SFIO) avait
la responsabilité directe de la politique algérienne, occupant le
ministère de l’Intérieur et le poste de gouverneur général de l’Al-
gérie depuis septembre 1944.
Axée très à gauche, siégeant à partir du 7 novembre 1945, la pre-
mière Assemblée nationale constituante se consacra au problème
algérien entre le 21 octobre 1945 et le 5 mai 1946. La question du
statut de l’Algérie n’était pas prioritaire, étant donné l’urgence de
doter la France d’une Constitution, et d’assurer la continuité du
GPRF après la démission du général de Gaulle (20 janvier 1946),
par une majorité « tripartite » composée des trois grands Partis :
socialiste, communiste, et démocrate chrétien (Mouvement répu-
blicain populaire, MRP). Elle eut à approuver le budget de l’Algé-
rie, qui traduisait pour la première fois le plan de réformes de
1944. Mais surtout, l’urgence était de terminer par une amnistie
la crise de mai 1945.
Le 29 décembre 1945, l’Assemblée dut donc voter le projet de loi
légalisant le budget de l’Algérie, présenté par Adrien Tixier et par
le ministre des Finances René Pleven. Comme l’expliquait l’exposé

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LA POLITIQUE L’EMPORTE SUR LA VOLONTÉ

des motifs, il s’agissait de reprendre, après cinq ans d’interrup-


tion, le contrôle du budget de l’Algérie, qui avait été préparé par le
gouvernement général et corrigé par les décisions de l’Assemblée
financière algérienne, en votant la loi de finances qui autorisait
l’administration à percevoir les droits, les produits et les revenus
destinés à l’alimenter. Un « aperçu général » expliquait aux dépu-
tés les traits principaux de la situation de l’Algérie et du sens de
l’action gouvernementale, définie par le CFLN à Alger en 1944.
Rien n’était dit sur les troubles de mai 1945, mais les élections
à l’Assemblée nationale, concernant, pour la première fois, les
populations musulmanes, étaient présentées comme une marque
d’adhésion au programme de réformes établi par le gouvernement,
« sous le double signe de l’assimilation et du progrès ».
Ce programme était résumé ainsi. Dans l’ordre politique, par
« l’application de l’ordonnance du 7 mars 1944, qui réalise l’éga-
lité des droits et des devoirs entre Français musulmans et non
musulmans d’Algérie ; […] l’attribution des droits électoraux,
pour les élections générales, à la totalité des Français musul-
mans ; […] une large participation des Français musulmans aux
responsabilités des affaires publiques : représentation à l’Assem-
blée nationale constituante, accession aux fonctions de maire et
d’adjoint, extension des attributions des djemaas, création de nou-
veaux centres municipaux. » Dans l’ordre économique et social,
par « la réalisation d’un plan d’équipement propre à augmenter
la production et à élever le niveau de vie de la population et qui
poursuit les objectifs principaux suivants : accroissement et valo-
risation de la production agricole et développement du paysan-
nat ; création d’une importante industrie agricole ; création d’une
industrie non agricole ; amélioration de l’habitat urbain et rural ;
réalisation d’un plan de scolarisation de toute la jeunesse musul-
mane ; développement de l’équipement sanitaire ; application

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

progressive à nos trois départements nord-africains de la législa-


tion sociale métropolitaine. »
Il était ensuite précisé : « Ces données confèrent au budget
de 1946 un double caractère : bilan financier, mais surtout “pro-
gramme d’action” ». L’augmentation des crédits du budget ordi-
naire était décrite comme une tendance constante depuis 1939,
due au relèvement des traitements et à l’augmentation des effec-
tifs. En revanche, « le budget extraordinaire comport[ait] de très
importants crédits pour promouvoir et réaliser le programme des
réformes, et cette augmentation ét[ait] massive et soudaine : les
travaux [avaient] été paralysés ou ralentis durant les années de
guerre ; leur reprise s’impos[ait] aujourd’hui d’une manière d’au-
tant plus impérative qu’ils s’inscriv[aie]nt pour la plupart dans
le cadre du programme de réformes et se rattach[ai]ent à la poli-
tique : de l’habitat ; de l’énergie ; des transports ; de la produc-
tion560 ». Suivaient des tableaux permettant de comparer le budget
de 1946 à celui des années antérieures et aux prévisions du plan
de 1944 sur cinq ans et sur vingt ans. Ce budget fut voté par l’As-
semblée le 19 décembre 1945.

Amnistie partielle et silence officiel


Dès la fin de 1945, trois propositions de loi tendant à apaiser la
situation politique de l’Algérie avaient été déposées par Amar
Ouzegane au nom du PCA, par Mohammed Bendjelloul au nom
des élus algériens indépendants, et par Mohand Achour au nom
de la SFIO561. Le 22 janvier 1946, le gouvernement déposa un
« projet de loi portant amnistie de certaines infractions commises
en Algérie », donnant lieu au rapport de Jean Toujas, au nom de la
commission de la Justice, et à celui de Raoul Borra au nom de celle
de l’Intérieur562. Des débats eurent lieu, le 28 février et le 1er mars,
pour tenter de combiner le texte du projet du gouvernement

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LA POLITIQUE L’EMPORTE SUR LA VOLONTÉ

avec ceux des trois propositions. Entre le début et la fin de cette


procédure, la mort d’Adrien Tixier eut pour conséquence l’arrivée
au pouvoir, le 23 janvier, d’un autre socialiste, André Le Troquer,
qui commença ses fonctions par une visite d’inspection en Algé-
rie en février563.
Depuis les débats de l’Assemblée consultative, en juillet 1945,
sur les troubles du 8 mai, les positions s’étaient durcies, comme
le prouva un incident survenu le 28 décembre, dans un débat
financier sans rapport avec ce sujet. Le député du Constantinois
Léon Deyron demanda au ministre Adrien Tixier des précisions
sur une déclaration suivant laquelle le sous-préfet de Guelma, qui
venait d’être accusé d’assassinat, serait muté dans le prochain
mouvement préfectoral. Le député s’étonnait que ces accusa-
tions n’aient pas été portées contre ce sous-préfet lors des débats
de juillet 1945, et rappelait que s’il avait fait preuve à Guelma
d’« une énergie qu’on a jugé excessive », il avait su montrer ail-
leurs « beaucoup de calme et de sang-froid ». Cette intervention
provoqua des réponses véhémentes des députés Bendjelloul,
Benchenouf et Ouzegane, qui affirmèrent tous que « le sous-
préfet Achiary [était] bien un assassin » ; Amar Ouzegane alla
jusqu’à qualifier les exécutions sommaires ordonnées par celui-
ci de « crime sans précédent qui rappelle Oradour-sur-Glane et
les crimes hitlériens ». Le ministre répondit très fermement : « En
qualité de ministre de l’Intérieur, après avoir recueilli toutes les
informations, je ne m’associe nullement aux jugements pronon-
cés, soit pour, soit contre M. Achiary. Une enquête judiciaire est
ouverte sur les exécutions illégales qui ont eu lieu. La justice éta-
blira la vérité et prononcera des sanctions. Quant à M. Achiary, je
réserve mon droit, celui du gouvernement, de le maintenir ou de
le muter564. » Deux mois plus tard, son successeur prit une posi-
tion différente.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Le débat des 28 février et 1er mars 1946 eut lieu en présence du


ministre Le Troquer, du gouverneur général Chataigneau, et de
plusieurs hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur, sous la
présidence du président de l’Assemblée, Vincent Auriol565. Ce der-
nier proposa d’examiner ensemble le projet de loi gouvernemental
et les trois propositions. Le rapporteur de la commission de la Jus-
tice, Jean Toujas, exposa « au nom de la commission unanime un
projet d’amnistie sérieusement étudié, s’inspirant d’un très large
esprit de justice et de tolérance, afin de ramener la tranquillité en
Algérie et de travailler à l’union toujours plus étroite des Algériens
et des Français », en accord avec les représentants du gouverne-
ment566. Puis le député socialiste d’Oran Raoul Borra apporta son
appui au rapport de la commission de la Justice, à l’exception d’un
seul point : l’exclusion de l’amnistie des condamnés pour recons-
titution de ligue dissoute et l’atteinte à la sûreté intérieure et exté-
rieure de l’État, qui maintenait « une porte ouverte à l’arbitraire ».
Sous cette réserve formelle, la commission proposait à l’unani-
mité d’adopter le texte proposé par la commission de la Justice567.
La discussion générale sur la proposition et les projets de loi
donna la parole aux députés suivants : MM. Benchenouf, Antoine
Colonna, élu des Français de Tunisie, Léon Deyron, Maurice
Rabier (SFIO d’Algérie), Abderrahmane Bouthiba (SFIO d’Algérie),
Mohamed Chouadria (PCA), Maurice Lacroix (UDSR), Paul-Émile
Viard (MRP d’Algérie), Mohamed Bendjelloul, et Maurice Viol-
lette, ancien gouverneur général. L’examen de leurs arguments et
conclusions permet de distinguer clairement trois tendances.
Un seul orateur refusa sa confiance à tous les textes proposés,
parce qu’il estimait que l’heure de l’indulgence n’était pas encore
venue : le député des Français de Tunisie, Antoine Colonna, qui
invoqua leur solidarité avec leurs voisins du Constantinois éprou-
vés par l’insurrection pour refuser le principe même de l’amnistie

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LA POLITIQUE L’EMPORTE SUR LA VOLONTÉ

proposée, et recommanda d’attendre une amnistie générale568.


Son intervention, bien que prononcée d’un ton serein, suscita de
très vives réactions et interruptions des députés communistes,
socialistes, et musulmans algériens.
Député du Constantinois, Léon Deyron exposa sans être inter-
rompu une position plus nuancée. Rappelant la gravité des crimes
commis par les insurgés, sans incriminer tous les indigènes, il
estimait que « le texte du gouvernement était, tant du point de
vue de la rédaction juridique que par les résultats qu’il permet-
tait, plus sage que le texte qui nous est proposé », et en consé-
quence il optait pour l’abstention, mais en lui donnant « le sens
d’une adhésion complète de principe au texte gouvernemental
[…] [qui] tenait [mieux] un compte équitable entre les nécessités
certes fâcheuses de la répression et les avantages précieux de la
bienveillance569 ».
Au nom du MRP, Paul-Émile Viard, juriste algérois et ancien
membre de la commission des réformes de 1944, analysa le
malaise ressenti par la population française d’origine indigène,
et prit position pour le texte de la commission de la Justice, sans
approuver tous les termes employés par son rapporteur570.
Le point de vue de la commission de l’Intérieur fut sou-
tenu par le député socialiste d’Algérie Maurice Rabier, qui vou-
lut prendre de la hauteur par rapport à des événements dont il
reconnaissait ne pas connaître les causes directes571. Il évoqua
des causes profondes : la faim, la misère et le racisme et un pro-
cessus de méfiance et de peurs réciproques, sans coupables iden-
tifiés, aboutissant à une situation injustifiable : « On a parlé de
tueurs, d’incendiaires, et de quelque chose de pire encore. Qui
oserait le nier ? Cette émeute a contenu en elle-même tout ce
que peut contenir une émeute, qui est le pire des débordements
humains. Il y eut de malheureuses et innocentes victimes qui

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

n’avaient certes rien à voir dans ce débat terrible. Les Français


et la grande masse des musulmans d’Algérie se sont sentis ter-
riblement atteints à l’annonce de cette épouvantable nouvelle.
Nous disons très haut que ceux qui ont frappé doivent être aussi
frappés sans pitié pour les crimes qu’ils ont commis. Mais le pire
est que ces excès eurent leur pendant et que la révolte fut étouf-
fée dans le sang de trop de victimes innocentes elles aussi. […]
La justice aurait pu être dure, très dure même pour les tueurs à
gages et les incendiaires sans que, s’érigeant en justicières, l’ar-
mée et la police aient cru devoir, dans l’accalmie, venir frapper
ou continuer de frapper d’ici et de là des femmes, des enfants et
des vieillards572. » En conséquence, le groupe socialiste voterait le
texte proposé par la commission de la Justice, avec l’amendement
proposé par celle de l’Intérieur.
Maurice Lacroix, ancien membre de la Jeune République passé
à l’UDSR, soutint l’amnistie en tant que geste de clémence et non
de faiblesse, mais préciser davantage sa position573. Enfin l’ancien
gouverneur de l’Algérie, Maurice Viollette, rappela pour conclure
des souvenirs de son gouvernement général, remontant vingt ans
plus tôt574.
L’amnistie complète fut réclamée par les quatre orateurs musul-
mans : MM. le bachaga Benchenouf et Mohamed Bendjelloul, le
député socialiste Bouthiba et le député communiste Chouadria.
Le bachaga Benchenouf intervint longuement, mais exposa
très brièvement son idée majeure : « Ce projet […] ne répond pas
au vœu unanime des populations musulmanes, vœu appuyé par
une importante fraction d’authentiques Français et de démocrates
algériens, et […] au surplus ni ce projet […] ni enfin celui de la
commission ne me paraissent satisfaire aux exigences d’une situa-
tion politique, disons le mot, d’un malaise profond dont il serait
vain de vouloir se dissimuler l’étendue et la gravité575. » Il entama

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LA POLITIQUE L’EMPORTE SUR LA VOLONTÉ

ensuite une critique détaillée du rapport de la commission, avant


d’être interrompu par son rapporteur et son président. Il évoqua
les abus de la répression, en concluant que « les auteurs des vio-
lences aux personnes et des dommages aux biens, perpétrés au
cours des désordres du 8 mai, ont été généralement exécutés sur
place », et que « en réalité, l’immense majorité des musulmans
condamnés par les tribunaux l’ont été pour des chefs d’inculpa-
tion qui se relient apparemment aux événements du 8 mai, alors
qu’en fait il s’agit de condamnations politiques, systématiquement
camouflées en crimes ou délits de droit commun ». Il demanda
enfin à l’Assemblée de bien vouloir voter « la proposition de loi
présentée par le groupe musulman, ainsi que l’amendement qui
prescrit la réintégration de tous les fonctionnaires frappés d’une
sanction à la suite de ces événements ».
Le député socialiste Abderrahmane Bouthiba parla après son
camarade Rabier, auquel il rendit hommage, mais il ne suivit pas
sa conclusion : « Je suis sûr, Monsieur le ministre, qu’en votre
double qualité de résistant et de socialiste, vous accepterez de
prendre les mesures d’amnistie politique générale et sans restric-
tion que nous demandons, et que vous rétablirez ainsi dans ce
pays un climat de justice et de fraternité576. »
Le député communiste Mohamed Chouadria s’exprima à son
tour sur un ton beaucoup plus véhément, en situant la répres-
sion de mai 1945 dans une longue suite d’injustices dues aux
profiteurs du colonialisme : « Ces derniers, sentant que la puis-
sance hitlérienne n’était plus là pour garantir leurs privilèges,
veulent les défendre eux-mêmes contre les populations algé-
riennes et contre la démocratie, au détriment des intérêts de la
France. Ils estiment que l’application à l’Algérie d’une politique
démocratique est contraire à leurs intérêts ; ils cherchent à provo-
quer des désordres qui dresseraient musulmans et Européens en

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

deux blocs hostiles, afin de justifier le maintien d’un régime anti-


démocratique et de mieux exploiter les populations algériennes.
Aussi, tous les démocrates sont-ils d’accord pour dire que les évé-
nements de mai sont bien l’œuvre de ces traîtres, avec la com-
plicité de certains fonctionnaires vichyssois, et non une révolte
arabe. (Applaudissements à l’extrême gauche et sur certains
bancs à gauche). » Il cita de nombreux exemples choquants de
la répression de mai 1945, notamment l’exécution de sept otages
musulmans à Villars, sur les ordres du sous-préfet Achiary et
en présence de M. Deyron, qui la démentit. Mais après une nou-
velle accusation lancée contre Achiary, le ministre de l’Intérieur
demanda la parole : « Il n’est pas admissible qu’on dise ici qu’un
fonctionnaire de l’administration préfectorale, en Algérie, a com-
mis des crimes. C’est contredit par toutes les enquêtes qui ont
eu lieu à ce sujet. (Protestations à l’extrême gauche. Applaudisse-
ments au centre et à droite). » Et peu après : « Je demande à M. le
président de rappeler l’orateur à l’ordre s’il continue sur ce ton à
propos d’un fonctionnaire de l’administration préfectorale. […] Il
n’est pas possible de laisser dire ici qu’un fonctionnaire, qui ne
mérite nullement ce reproche, est coupable d’assassinat. » Après
avoir repris son exposé sur un ton plus mesuré, l’orateur conclut :
« Ce n’est qu’en accordant une amnistie pleine et entière à tous les
détenus politiques musulmans et en prenant ces mesures de jus-
tice que nous parviendrons à déjouer les plans diaboliques de la
réaction en Algérie, à montrer à nos populations le vrai visage de
la France et à resserrer les liens fraternels entre la France démo-
cratique et les populations algériennes577. »
Enfin Mohammed Bendjelloul conclut l’offensive des partisans
de l’amnistie totale avec son éloquence habituelle : « Mesdames,
Messieurs, le gouvernement de la République accordera-t-il ou
refusera-t-il l’amnistie totale pour l’Algérie ? Telle est la question

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LA POLITIQUE L’EMPORTE SUR LA VOLONTÉ

que je lui pose, au nom de plusieurs millions d’hommes qui ne


sont pas tous mes électeurs, mais tous mes frères, quelles que
soient leurs opinions politiques. » Rappelant son rôle à l’origine
du projet d’amnistie, il lui reconnut des mérites, mais refusa de
s’y rallier : « Nous voulons l’amnistie générale, car nous considé-
rons que la vérité n’a pas encore été établie sur les origines et les
causes des événements du Constantinois, et qu’aucune enquête
sérieuse n’a encore été faite sur leurs causes médiates et immé-
diates. » Cela ne l’empêcha pas de prendre parti pour une thèse
unilatérale : « Non seulement les véritables coupables de cette
insurrection n’ont pas craint de la faire éclater, mais ils ont osé
plus tard s’opposer à la curiosité de la justice. » Et de citer les
noms de ces coupables présumés en portant sur eux un juge-
ment très sévère : « Quand le gouvernement français eut donné de
l’avancement au général Duval, coupable de la plus impitoyable
répression qui restera une tache dans l’histoire de la colonisation
française, et lorsque fut décoré le sous-préfet Achiary – je saute le
mot “assassin”, Monsieur le ministre, pour ne pas vous déplaire
[…] voilà la répression que le général Duval saluait chaque soir
en trinquant au champagne avec l’odieux préfet de Constantine,
M. Lestrade-Carbonnel ». Et de stigmatiser « les vindictes sou-
vent individuelles des populations européennes qui se livrèrent
pendant trois mois à de véritables chasses à l’arabe où l’élément
néo-français, notamment les Maltais de Guelma et les fascistes
pseudo-français, eurent le loisir d’assouvir leur haine raciste du
musulman contre de paisibles populations », des populations
étrangères à des crimes « commis par des hommes que les autoch-
tones ne connaissaient pas ». « Je vous l’affirme, les Algériens qui
ont commis de véritables crimes ont à cette date été exécutés.
Quant à ceux qui souffrent encore sous la pression d’une police
qui ne fut pas étrangère à ce mouvement, accusés ou soupçonnés

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

de pouvoir être accusés, faudra-t-il qu’ils paient dans leur vie et


leurs biens des fautes qu’ils n’ont pas commises ? »
Le nombre des victimes de la répression, censé être de 300,
avant de s’élever à 800, 1 200, puis 1 500, était déjà plus que suf-
fisant : « Et la rumeur publique – quand il ne s’agissait pas de la
presse anglo-saxonne – accuse 35 000 morts et même 80 000 morts,
ce qui serait effroyable578. » L’orateur conclut très habilement en
évoquant la libération de Gandhi par Lord Halifax pour demander
celle de Ferhat Abbas.
Le lendemain, les débats continuèrent. La séance fut consa-
crée à l’examen et au vote des articles du texte. Mais le ministre
André Le Troquer commença par répondre aux attaques lancées
la veille contre André Achiary, en citant les déclarations de deux
membres du comité de la France combattante de Guelma, Naïa
Aïssa, représentant du PCA, et Nadji Aïssa, syndicaliste CGT, jus-
tifiant sans réserve l’action du sous-préfet. Durant la discussion,
le ministre fut soutenu par le député socialiste Mohand Achour,
mais le député communiste Camille Larribère demanda une inter-
prétation plus extensive de l’amnistie, et Smaïl Lakhdari réclama
en vain la suppression de l’article 2. Le communiste Pierre Fayet
intervint aussi pour demander celle des termes « reconstitution
de ligue dissoute » et « atteinte à la sûreté intérieure et extérieure
de l’État » ; il obtint satisfaction. Il en profita pour répondre aux
déclarations du ministre de l’Intérieur, citant des communistes
indigènes de Guelma à l’appui du sous-préfet Achiary : il rappela
que ces deux personnages avaient été « exclus de leurs organi-
sations en qualité de fusilleurs ». Au contraire, le député MRP
d’Alger, Paul-Émile Viard, protesta contre la concession faite par
le ministre en acceptant les amendements demandés par Pierre
Fayet, et annonça qu’il s’abstiendrait. Puis les députés Lakhdari
et Bendjelloul demandèrent pour tous les condamnés une grâce

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LA POLITIQUE L’EMPORTE SUR LA VOLONTÉ

amnistiante obligatoire, ce que le ministre jugea contraire à la


notion même de grâce.
Le texte amendé avec l’accord du gouvernement fut mis aux
voix et accepté579. Cette loi commençait par déclarer, dans son
article 1er, une « amnistie pleine et entière pour les crimes, délits
et contraventions commis en Algérie à l’occasion des troubles des
1er et 8 mai 1945 » ; mais l’article 2 la limitait en précisant que
« seules ne bénéficier[aient] pas de l’amnistie les personnes qui
aur[aient] commis des assassinats, meurtres, actes de barbarie,
mutilations de personnes, viols, enlèvements, séquestrations,
coups et blessures ayant entraîné mort ou incapacité permanente,
pillages, incendies d’habitations, destructions d’ouvrages d’art,
vols ». Pourtant l’article 4 stipulait que « pourr[aient] faire l’objet
de mesures de grâce amnistiante les personnes condamnées pour
l’un des crimes ou délits énumérés à l’article 2 ».
Cette loi n’effaçait donc pas toutes les condamnations pronon-
cées et ne mettait pas fin à toutes les poursuites judiciaires en
cours. Le tribunal militaire de Constantine prononça ses derniers
jugements les 25 et 26 avril 1946, mais sans nouvelle condamna-
tion à mort580. Le bilan, pour les 3 630 personnes arrêtées et mises
en accusation en mai et juin 1945, fut de 157 peines de mort (dont
119 commuées et 33 exécutées), et de 1 868 peines privatives de
liberté581. Ces condamnations ont été amnistiées, soit par la loi du
9 mars 1946, soit par le décret n° 62237 du 22 mars 1962, pris en
application des accords d’Évian582.
Cependant, la justice avait omis de s’intéresser aux actes
répréhensibles commis dans le cadre de la répression. Pourtant,
les propos tenus par Adrien Tixier le 28 décembre 1945 sur le
compte d’Achiary semblaient bien attester une attitude nouvelle
du gouvernement, laissant la justice se prononcer : « Une enquête
judiciaire est ouverte sur les exécutions illégales qui ont eu lieu.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

La justice établira la vérité et prononcera des sanctions. » Mais


dans les débats du 28 février et du 1er mars 1946, son successeur
André Le Troquer avait très fermement pris sa défense contre
ses accusateurs. Or la thèse récente de Jean-Pierre Peyroulou a
révélé que, le 24 janvier 1946, le colonel Halpert, nouveau com-
missaire du gouvernement au tribunal militaire de Constantine,
avait ordonné au juge d’instruction militaire chargé des dispari-
tions de Guelma de se transporter sur place et de faire procéder à
des exhumations de cadavres, malgré l’hostilité de la population
européenne. De retour à Constantine, le juge d’instruction déli-
vra 46 commissions rogatoires. Son rapport, soulignant les fautes
professionnelles des gendarmes, policiers, gardiens de prison, et
sous-préfet (pour ne pas avoir respecté les attributions de chacun)
conduisait à l’inculpation d’Achiary, du commissaire de police et
du capitaine de gendarmerie, mais il en laissait la responsabilité
au procureur, le colonel Halpert. Le 9 février, celui-ci donna ordre
d’informer. Le 15 février, le colonel Halpert fut reçu à Constantine
par André Le Troquer et par le gouverneur général. Peu après cet
entretien, il se tira une balle dans la tête583.
Sa mort soudaine fit l’objet de commentaires très divers584. Le
25 février 1946, le ministre de la Justice Edmond Michelet écrivit à
son collègue de l’Intérieur : « Le magistrat militaire a recueilli de
nombreux renseignements de la plus haute importance et d’une
précision telle qu’ils lui permirent d’envisager un certain nombre
d’inculpations de chefs d’assassinat. […] Il y a lieu de retenir que
c’est à l’action de la justice militaire seule que sont dus les résul-
tats obtenus jusqu’à ce jour dans l’instruction de cette affaire,
résultats de nature à permettre des poursuites individuelles pré-
cises585. » Mais, dès le 28 février, André Le Troquer exprimait
devant l’Assemblée nationale sa volonté d’étouffer l’affaire de la
répression de Guelma586.

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LA POLITIQUE L’EMPORTE SUR LA VOLONTÉ

La « grande détresse de l’économie algérienne »


Le 1er mars, aussitôt après le vote de la loi d’amnistie, l’Assemblée
passa à la discussion de deux interpellations concernant la situa-
tion économique et sociale de l’Algérie, déposée par les députés
Marcel Ribère, du premier collège, et le bachaga Benchenouf, du
second587. Cette discussion commença le 1er mars et se poursuivit
le 7 et le 12.
Marcel Ribère présenta son interpellation sur « la grande
détresse de l’économie algérienne et les mesures que le gouver-
nement compte prendre pour remédier de toute urgence à sa
situation désastreuse », en pointant de nombreux exemples de
mauvaise organisation du ravitaillement de l’Algérie en produits
indispensables par les administrations métropolitaines, donnant
encore l’image d’une concurrente de la métropole. Il suggéra de
suspendre le monopole du pavillon (qui interdisait les transports
de marchandises entre l’Algérie et la métropole sur des navires
étrangers) pour permettre à l’Algérie de pouvoir importer et
exporter plus facilement. Il termina en rappelant toutefois l’atti-
tude résistante du pays, et en exaltant la « race algérienne, qui
veut être et demeurer éternellement française588 ».
M. Benchenouf ouvrit la suite du débat le 5 mars, par un
exposé bien plus bref et structuré. Rendant hommage à la sollici-
tude du ministre de l’Intérieur, lors de sa récente visite en Algérie
auprès des victimes du tremblement de terre du Constantinois, il
souligna la réalité de la disette, à la limite de la famine, du fait
de l’irrégularité du climat, mais aussi du poids des traditions, qui
rendait nécessaire l’intervention des pouvoirs publics. Il présenta
ses revendications en cinq points : 1) rendre à l’Algérie les bateaux
de céréales détournés vers la métropole (revendication acceptée
par le gouvernement) ; 2) employer des camions militaires pour
ravitailler les douars ; 3) faire des travaux d’utilité publique pour

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

distribuer des salaires ; 4) donner des rations gratuites de céréales


pour les invalides, les orphelins et les veuves ; 5) supprimer les
inégalités entre les rations distribuées dans les communes de plein
exercice (mieux traitées) et les communes mixtes ; 6) octroyer des
subventions du budget de la France à celui de l’Algérie589.
Les séances de débats firent alterner des orateurs de tendances
diverses, presque tous algériens. Au centre et à droite, Marcel
Ribère fut appuyé par ses collègues François Quilici, Auguste
Rencurel, et Marcel Gatuing. Le premier présenta globalement
le problème politique algérien, puis passa aux problèmes écono-
miques et sociaux. Il proposa « une politique ouverte, réformiste,
généreuse » mais « fondée sur les réalités », et rechercha « les voies
d’une assimilation progressive, comme l’exigent la situation de
fait et l’intérêt supérieur de la communauté française ». Auguste
Rencurel dénonça ensuite le formalisme administratif et deman-
da de « rendre à la production algérienne sa liberté », de « sup-
primer les organismes de contrôle, tous parasitaires et inutiles »,
et le monopole du pavillon590. Enfin le député du MRP Marcel
Gatuing, faisant confiance au gouvernement pour assurer la sub-
sistance immédiate des populations, recommanda une politique
à plus long terme en prenant l’exemple de la mise en valeur des
hauts plateaux fondée sur l’élevage modernisé des moutons591.
La SFIO fut représentée par deux députés du deuxième collège,
Mohand Achour et Abderrahmane Bouthiba. Le premier rappela
les deux besoins essentiels des populations : l’industrialisation
de l’Algérie, complétant le développement de l’agriculture, et la
revalorisation du pouvoir d’achat des masses prolétariennes592.
Le second proposa une brève synthèse du débat en revenant sur
le danger du marché libre pour la reconstitution des troupeaux,
et en prônant une réforme d’ensemble du système administratif,
faisant un large appel à l’élite musulmane593.

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LA POLITIQUE L’EMPORTE SUR LA VOLONTÉ

Le Parti communiste algérien intervint longuement, avec ses


députés des deux collèges, Alice Sportisse, Amar Ouzegane, Pierre
Fayet, renforcés par un apparenté, Paul Tubert, et un représentant
du PCF, Antoine Demusois.
Paul Tubert, qui s’était abstenu de participer au débat poli-
tique, évoqua d’abord la nécessité de tirer toutes les leçons des
événements de mai 1945, rappelant l’interruption de sa commis-
sion d’enquête par le gouvernement, et recommandant « d’éclair-
cir le suicide du colonel Halpert, commissaire du gouvernement
du tribunal militaire de Constantine, chargé de connaître des
événements de mai dernier594 ». Il entra ensuite dans le vif du
sujet, en distinguant les mesures immédiates des autres. D’après
lui, l’Algérie souffrait de la faim, du manque de vêtements, de
la bureaucratie, de l’arbitraire, de l’ignorance, et du racisme. Il
fallait immédiatement recréer la confiance en désarmant la haine
par une politique de justice. Approuvant la suppression de la
direction des Affaires musulmanes et son remplacement par une
direction des réformes, il proposait de supprimer les bureaux du
gouvernement général, et de faire représenter la République fran-
çaise à Alger par « un haut-commissaire dégagé de tout l’appareil
bureaucratique, avec un état-major réduit et choisi, devant suf-
fire à la coordination et au contrôle », mais aussi d’intégrer dans
les préfectures algériennes des fonctionnaires métropolitains de
valeur et des jeunes musulmans, et dans l’administration cen-
trale, à Paris, des éléments de choix pris parmi les Européens et
les musulmans d’Algérie. Il demandait la suppression du caïdat,
et l’adaptation morale et technique de la force publique à sa mis-
sion, « de façon à enlever tout prétexte aux excès de la légitime
défense et aux violences de la répression militaire. Il faut en finir
– et nous en avons les moyens – avec les massacres d’innocents
dans les deux camps595 ».

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Alice Sportisse dénonça quant à elle la misère et la famine


en citant des exemples précis, et soutint la déclaration de son
camarade Amar Ouzegane accusant l’administration d’imposer
un mode raciste de répartition du ravitaillement. Elle dénonça le
chômage et son aggravation par l’emploi de prisonniers de guerre
et par l’afflux de main-d’œuvre marocaine, qui ne devrait pas être
employée pour des salaires moins chers que ceux de la main-
d’œuvre locale596. Le ministre de la Justice, Pierre-Henry Teitgen,
démentit l’accusation de racisme dans la répartition du ravitaille-
ment : s’il y avait une inégalité entre les rations distribuées dans
les communes de plein exercice et dans les communes mixtes,
elles étaient les mêmes pour tous les habitants dans chaque caté-
gorie de communes.
Le député du PCF Antoine Demusois revint sur les réformes
de 1943-1944, puis sur la misère des indigènes, et en dénonça les
responsables, grands seigneurs oisifs de la colonisation, collabora-
teurs de l’occupant allemand, saboteurs de l’économie algérienne
et française. Il approuva les bonnes intentions du gouvernement
français et du gouvernement général, et recommanda de s’enga-
ger dans une politique de réformes véritables, moyen le plus sûr
de briser toutes les tendances antinationales et séparatistes, et de
s’attacher définitivement les indigènes musulmans d’Algérie.
Son collègue du PCA, Amar Ouzegane, se concentra sur le
problème de la presse, en demandant pourquoi L’Algérie nouvelle,
continuation de La Vie sociale, n’avait pas obtenu l’autorisation
de paraître, contrairement au Courrier algérien de Lucien Angeli
(ami de Ferhat Abbas) et à L’Écho d’Alger du pétainiste Alain de
Sérigny, en attendant La Dépêche algérienne, « journal pro-hitlé-
rien d’Alger597 ».
M. Bendjelloul, membre de l’Union démocratique française
musulmane, comme M. Benchenouf, renonça lui aussi à intervenir

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LA POLITIQUE L’EMPORTE SUR LA VOLONTÉ

sur la question du ravitaillement, tout en rendant hommage au


gouverneur général, à la métropole, aux Anglo-Saxons, et au pré-
sident Roosevelt598.
André Le Troquer fournit ses réponses aux orateurs le 13 mars.
Il revint sur le séisme du Constantinois, et sur l’évolution très irré-
gulière des récoltes, aggravée par la guerre, mais demanda de ne
pas exagérer les difficultés. Il évoqua les dernières mesures du
Comité économique de l’Afrique du Nord, puis rendit hommage
au gouverneur Chataigneau et à son équipe. Évoquant son séjour
à Alger en 1944 et les réformes du général Catroux, puis son récent
voyage, il termina en déclarant : « Je n’oublie pas qu’Alger, qui est
la belle capitale de l’Algérie, a été, pendant des mois décisifs pour
l’histoire de notre pays, la véritable capitale de la France, d’où est
parti l’effort commun pour libérer notre territoire599. »
Le débat aboutit au vote unanime d’un ordre du jour proposé
par la commission de l’Intérieur, par lequel l’Assemblée exprima
sa confiance au gouvernement pour « promouvoir en Algérie une
politique démocratique d’union des divers groupes ethniques et
de justice pour tous », lui demanda de « poursuivre la réforme
administrative » et de « prendre d’urgence les mesures écono-
miques nécessaires pour soulager la misère générale et parer à
la disette particulièrement grave de produits alimentaires et de
textiles ». Enfin, elle salua avec satisfaction « les mesures d’apai-
sement proposées par le gouvernement et votées par l’Assemblée
dans sa quasi-unanimité, en lui demandant de veiller à ce que
l’administration de l’Algérie tout entière remplisse sa tâche dans
un esprit de justice républicaine et de compréhension sociale600 ».
L’Assemblée aborda également le statut de l’Algérie, sans avoir
le temps d’aller au fond du problème. Contrairement aux com-
munistes, qui défendaient la « personnalité algérienne », les quatre
députés musulmans de la SFIO s’associèrent aux élus modérés du

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

groupe du docteur Bendjelloul pour réclamer l’admission sans


condition de tous les musulmans dans le collège des citoyens
français. Ils crurent opportun de donner à leur revendication la
forme d’une proposition de loi « tendant à établir la Constitution
de l’Algérie afin que celle-ci soit inscrite dans la Constitution
de la République Française », et proposant l’intégration pure et
simple de l’Algérie, avec suppression du gouvernement général et
institution du collège unique, comme la Charte revendicative de
juin 1936. Mais cette proposition, déposée le 7 février 1946, fut
écartée dès le 8 par la commission de la Constitution, présidée par
le socialiste Guy Mollet601.
Dans le débat sur la loi électorale d’avril 1946, le ralliement
des communistes au double collège (pour rassurer leurs électeurs
européens) imposa un compromis accordant les trois cinquièmes
des sièges au deuxième collège. Seul parti français favorable au
collège unique, la SFIO y renonça pour se rabattre sur le maintien
provisoire des deux collèges établis par l’ordonnance du 7 mars
1944, avec élargissement de l’accès des musulmans au premier et
renforcement de la représentation du deuxième – 21 députés dans
le 2e collège contre 14 dans le premier602. Son comité directeur avait
eu à discuter le 28 février de la loi électorale applicable en Algé-
rie. Le débat montre les dirigeants socialistes embarrassés par la
position en flèche de leur parti, qui avait soutenu la proposition de
collège unique rejetée par la commission le 8 février. Après le ral-
liement des communistes au double collège, on envisageait alors
« 28 élus qui pourraient être composés de 16 musulmans et 12 non-
musulmans ». À l’exception d’un seul membre, le comité directeur
suivit les avis d’André Le Troquer et de son collègue André Phi-
lip : « Il faut dire que tous les citoyens sont égaux, mais exiger
certaines qualités pour le droit au suffrage, donc instituer deux
collèges, l’un comprenant les autochtones qui ont un minimum

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LA POLITIQUE L’EMPORTE SUR LA VOLONTÉ

de connaissances et l’autre ceux qui ne l’ont pas. » Mais la loi élec-


torale du 13 avril 1946 ne fut pas validée, suite au rejet du pro-
jet constitutionnel élaboré par l’Assemblée lors du référendum du
5 mai 1946. Au contraire, la loi Lamine Gueye du 7 mai 1946, pro-
clamant la citoyenneté française de tous les « indigènes » d’Outre-
mer, fut reconnue valable dans son principe603.

L’enlisement
La deuxième Assemblée nationale constituante siégea du 2 juin au
13 octobre 1946. Élue le 2 juin 1946, elle avait une majorité réé-
quilibrée au profit du MRP. Le tripartisme fut maintenu, pour for-
mer un gouvernement présidé par le MRP Georges Bidault. La SFIO
conserva le ministère de l’Intérieur, Édouard Depreux remplaçant
André Le Troquer, et le gouvernement général de l’Algérie qui resta
à Yves Chataigneau604. Mais en Algérie, dans le premier collège, la
gauche marxiste (PCA et SFIO) perdit la majorité, et dans le deu-
xième collège, grâce à l’amnistie du 9 mars 1946 dont avait bénéfi-
cié Ferhat Abbas, les élections firent triompher son nouveau parti
,l’Union démocratique du Manifeste algérien (UDMA) à la place
des amis du docteur Bendjelloul, seuls deux sièges étant attribués
à la SFIO dans des conditions très contestées, et aucun au PCA605.
Pourtant le taux de participation (48 %) n’était pas supérieur à ce
qu’il avait été lors des élections précédentes.
Les partis désavoués par les résultats des élections dans le
deuxième collège tentèrent de tirer la leçon de leur échec. Le PCA
renforça donc ses efforts de rapprochement avec le nationalisme
algérien, en s’épurant de quelques dirigeants accusés de secta-
risme anti-nationaliste, comme Amar Ouzegane. Les fédérations
socialistes d’Algérie, dans leur congrès confédéral des 13 et 14 juil-
let, tirèrent de leur défaite la leçon que la politique d’assimilation
était désormais périmée, sans pour autant se rallier nettement au

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

fédéralisme. Le nouveau parti fondé par Ferhat Abbas, l’UDMA,


déposa le 2 août une proposition de loi tendant à établir la Consti-
tution de la République algérienne en tant qu’État fédéré membre
de l’Union française606. Son texte, précédé d’un exposé des motifs,
présentait la formation d’une République algérienne fédérée à la
République française dans le cadre de l’Union française comme la
solution longtemps recherchée au problème colonial algérien. Très
habilement, il s’appuyait sur l’histoire de l’échec de l’Algérie colo-
niale et invoquait à l’appui de sa solution de nombreux auteurs dif-
ficilement récusables par les Français, tels que Jean Jaurès, Paul
Cuttoli, l’ancien gouverneur général Théodore Steeg, M. de Curton
(auteur d’un article publié dans une revue dirigée par Paul-Émile
Viard), le député radical Paul Bastid, Maurice Thorez, définis-
sant en 1938 l’Algérie comme une « nation en formation », René
Capitant, dont il mentionnait la formule « L’Union française sera
fédérale ou elle ne sera pas », sans oublier le général de Gaulle,
dont il citait le discours de Brazzaville et une déclaration faite à
Washington : « L’avenir des colonies françaises est dans le fédéra-
lisme ». Le texte préconisait notamment une entière autonomie de
la République algérienne, avec son gouvernement et ses couleurs,
dans le cadre de l’Union française ; ce qui entraînerait une double
nationalité des Français en Algérie et des Algériens en France, et
un collège électoral unique pour tous les citoyens algériens quels
que soient leur confession et leur statut personnel.
Puis une interpellation du député d’Oran François Quilici sur la
politique algérienne du gouvernement Bidault provoqua un grand
débat les 22 et 23 août, à l’issue duquel celui-ci s’engagea à dépo-
ser rapidement un projet de statut. Ce fut l’occasion d’un affronte-
ment entre, d’une part, le député de l’UDMA Chérif Saadane, qui
déclara par deux fois « il y a ici une majorité de Français », et de
l’autre le président de l’assemblée Vincent Auriol et le ministre de

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LA POLITIQUE L’EMPORTE SUR LA VOLONTÉ

l’Intérieur Édouard Depreux, qui l’interrompirent pour lui rappeler


qu’il n’y avait ici que des Français. Ferhat Abbas intervint pour
tenter de ramener le calme : « Ayez patience, comme nous avons eu
patience. Écoutez-nous. Il se peut que nous n’ayons pas la manière.
Si nous avions été depuis cent seize ans considérés comme nous le
sommes aujourd’hui, nous saurions mieux faire607. »
Une proposition de loi portant statut politique de l’Algérie fut
déposée le 19 septembre par les députés socialistes d’Algérie,
contresignée par Paul Ramadier et par le groupe parlementaire
SFIO, laquelle prenait acte du fait que « la politique de l’assimi-
lation pour l’Algérie doit être considérée comme périmée », sans
jamais avoir été loyalement pratiquée608. À la place de cette poli-
tique d’assimilation qui « a été ce qu’il y aurait eu de mieux pour
l’avenir de l’Algérie », il fallait aller résolument vers « un nouveau
système qui, garantissant à cette collectivité une vie politique
conforme à celle de la démocratie française, préserve le côté origi-
nal de la vie algérienne dans le domaine de l’évolution humaine »,
en condamnant les préjugés raciaux et en garantissant « le sta-
tut personnel des musulmans qui ne nuit pas à l’exercice égal
des droits civiques et politiques », afin de permettre « une sorte
de pacifique émulation entre deux civilisations qui, confrontées
dans leurs meilleurs aspects, finiront par se confondre sans avoir
à capituler l’une devant l’autre ». « Un ministre de l’Algérie respon-
sable devant le gouvernement de la République, une Assemblée
ayant droit de regard et de critique, une administration enfin
directement responsable, voilà l’essentiel du contenu du projet
socialiste », résumé par son exposé des motifs. Il y était précisé :
« C’est à dessein que, tout en ménageant l’application possible du
double collège pour l’élection de l’Assemblée algérienne, nous
nous sommes refusé à indiquer formellement qu’il devrait être
utilisé. » En effet, le parti rappelait qu’il s’était longtemps battu

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

pour le principe du collège unique, et voulait laisser à d’autres la


responsabilité de son abandon609.
De toute façon, le Parti socialiste, participant au gouvernement
avec la responsabilité particulière de l’Algérie, était également
engagé par le contenu du projet gouvernemental de loi portant
statut organique de l’Algérie, préparé par le ministre de l’Inté-
rieur Édouard Depreux et déposé cinq jours plus tard, le 24 sep-
tembre610. Son exposé des motifs prétendait vouloir, à la fois,
« maintenir l’Algérie solidement intégrée dans le système politique
de la France », et « la doter d’un régime nouveau permettant aux
populations algériennes, quelles que soient leurs origines, de par-
ticiper directement à la gestion de leurs affaires publiques ». Dans
l’ordre politique, le projet de statut « confirme la notion de l’Algérie
partie intégrante de la France. Il reconnaît à tous les Français d’Al-
gérie, qu’ils soient musulmans ou non musulmans, la jouissance
des droits attachés à la qualité de citoyens français, mais réserve
à des lois particulières le soin de définir le régime électoral. Il pro-
clame le principe de la soumission de tous aux mêmes obligations,
mais sans imposer aux Français musulmans l’abandon du régime
spécial dont ils bénéficient en certaines matières : statut person-
nel, statut successoral et statut immobilier des biens dits “non
francisés”. Il maintient comme représentant du pouvoir exécutif
le gouverneur général, marquant ainsi nettement l’identité de gou-
vernement en France et en Algérie. Enfin, il organise la représen-
tation locale sous la forme d’une Assemblée algérienne, chargée
de gérer les intérêts propres d’un groupe de départements fran-
çais, élus au suffrage universel par les citoyens constitués en deux
collèges électoraux distincts, chacun de ces collèges disposant du
même nombre de sièges à l’Assemblée, la composition des collèges
devant être précisée par une loi ultérieure611 ». L’exposé des motifs
analysait encore les grandes lignes du projet dans l’ordre législatif,

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LA POLITIQUE L’EMPORTE SUR LA VOLONTÉ

où il maintenait au Parlement sa qualité de législateur algérien,


tout en conférant « certains pouvoirs propres à l’Assemblée (algé-
rienne) en matière législative » ; dans l’ordre financier, où il repre-
nait, en les mettant à jour, les différentes dispositions de la loi du
19 décembre 1900 ayant institué l’autonomie financière de l’Algé-
rie ; dans l’ordre administratif, où il ne maintenait plus qu’un seul
service « rattaché » au ministère métropolitain, celui de la Justice
(y compris la justice musulmane), alors que tous les autres étaient
directement rattachés au gouvernement général dont les pouvoirs
se trouvaient sensiblement renforcés. L’application du statut dans
les Territoires du Sud était prévue. Ainsi le projet prétendait pré-
parer hardiment l’avenir en évitant de compromettre le présent.
Le projet et les deux propositions de statut furent soumis à la
commission de la Constitution, présidée par André Philip, mais ne
purent être discutés ni votés avant la fin de la session (3 octobre),
étant donné l’urgence d’achever le projet de la Constitution et
de voter la loi électorale avant le référendum du 13 octobre. Le
1er octobre, les députés Borra, Fayet, et Mostefaï protestèrent éner-
giquement contre l’ajournement des débats sur le statut de l’Algérie
et sur les autres projets la concernant déposés en même temps par
le gouvernement Bidault ; mais le président Vincent Auriol répon-
dit que l’Assemblée avait prononcé la clôture de la discussion sur
son ordre du jour, et qu’il n’avait pas le pouvoir de demander au
gouvernement la révision de son calendrier612.
Ferhat Abbas participa également aux débats sur le titre VIII
de ce projet, et proposa même une contre-proposition fédéra-
liste, que seuls les communistes défendirent, le 19 septembre613.
Puis il intervint de nouveau le 28 septembre, mais il fut très mal
accueilli par la droite de l’Assemblée et le président Vincent Auriol
dut interrompre la séance, qui reprit dans une ambiance toujours
aussi agitée614. Abbas annonça l’abstention de l’UDMA sur le projet

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

de Constitution. Enfin, le 3 octobre, le rapporteur socialiste algé-


rois Dalloni se déclara contre la proposition de République algé-
rienne de l’UDMA.
Le statut de l’Algérie fut donc ajourné, à la demande du gou-
vernement, à une loi que devraient voter les futures assemblées
parlementaires. Mais avant de se séparer, l’Assemblée nationale
constituante avait voté le 5 octobre une nouvelle loi électorale
concernant l’Algérie, qui maintenait la parité entre les deux
collèges mais élargissait l’accès des musulmans au premier,
en admettant les titulaires du certificat d’études primaires et
les anciens élèves du premier cycle des lycées615. Cette loi avait
donné lieu à de nombreux amendements qui furent repoussés,
notamment de la part de l’UDMA, qui avait défendu la répartition
des sièges de députés prévue par la loi du 13 avril 1946 (14 pour
le premier collège et 21 pour le deuxième), et de la part du député
MRP d’Algérie Paul-Émile Viard, qui avait réclamé le retour à la
« pureté » des collèges, premier collège pour les électeurs de statut
civil français, deuxième pour ceux de statut personnel musul-
man ou coutumier616. D’autre part, bien que l’égalité entre les
deux collèges fût acquise, seul le premier collège fut appelé à
ratifier la Constitution par le référendum du 13 octobre.

« La métropole n’hésite pas


à s’imposer les sacrifices nécessaires »...
En plus du projet de loi sur le statut de l’Algérie, qui comportait
une dimension financière, donc économique, le gouvernement
Bidault présenta en même temps, le 24 septembre 1946, deux
importants projets à caractère économique et social617.
Le projet de loi relatif à la sécurité sociale en Algérie s’inscri-
vait dans le cadre de la politique des réformes, et suivait deux
principes fondamentaux : « 1) La législation sociale s’applique en

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LA POLITIQUE L’EMPORTE SUR LA VOLONTÉ

Algérie à tous ses habitants, sans discrimination de race ou de


religion et sans considération de leur statut personnel ; 2) la légis-
lation métropolitaine doit être étendue progressivement à nos
trois départements algériens, sous réserve des adaptations néces-
sitées par des conditions locales. »
L’exposé des motifs, tout en se réjouissant que l’Algérie
fût « appelée à bénéficier d’avantages semblables à ceux dont
jouiss[ai]ent déjà les travailleurs métropolitains », et en donnant
à ce projet de loi le sens d’un « acte de confiance dans l’avenir
de progrès économique et social de l’Algérie », mentionnait le
risque d’aggraver la concurrence entre les productions, notam-
ment agricoles, de l’Algérie et celles des deux pays voisins, qui
ne possédaient pas encore une législation sociale aussi avancée,
en attendant que le développement de la production algérienne,
nécessité par la situation démographique du pays, permette à
l’économie algérienne d’absorber les charges sociales nouvelles.
D’autre part, la participation du budget de l’État ne pouvait être
laissée entièrement à la charge du budget spécial de l’Algérie,
car « celui-ci support[ait] déjà un ensemble de dépenses sociales
dont le poids, eu égard aux facultés contributives du pays, [était]
beaucoup plus élevé que celui qui [était] représenté, pour la
métropole, par les dépenses du même ordre inscrites à son bud-
get. C’est dans ces conditions qu’en dépit des difficultés finan-
cières actuelles de la France, il peut légitimement être envisagé
de faire participer, au moins à titre provisoire, le budget général
à la contribution qui sera[it] nécessaire pour l’équilibre financier
des assurances sociales en Algérie618 ». La conclusion réaffirmait
que la mise en place de l’organisation algérienne de la sécurité
sociale répondait à une nécessité, et qu’elle resserrerait les liens
qui unissaient l’Algérie et la métropole ; mais elle n’effaçait pas
l’impression que cette politique sociale audacieuse, dépassant les

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

ressources du pays, ne pourrait se faire sans une participation


importante de la métropole.
D’autre part, un projet de loi tendant à assurer le concours de
la métropole au financement du plan de progrès social de l’Algé-
rie fut présenté en même temps que les deux projets cités. Son
exposé des motifs indiquait très clairement que les réformes algé-
riennes, approuvées par le GPRF le 24 novembre 1944, n’avaient
pas bénéficié d’un programme de financement complet, ce qui
avait obligé le gouvernement général de l’Algérie à le financer
sur ses fonds propres, « avec le seul concours indirect provenant
de l’abandon par la métropole de la majeure partie de la contri-
bution militaire payée par la colonie ». Or le retour progressif à
une économie de paix avait permis de constater que le coût du
programme de réformes excédait largement les prévisions ini-
tiales à cause de la hausse générale des prix : les crédits d’inves-
tissements inscrits au budget extraordinaire de l’Algérie avaient
atteint 270 millions en 1945, 900 millions en 1946, et pourraient
atteindre 3 milliards en 1947. « Ainsi donc l’Algérie n’est pas en
mesure d’assurer par ses propres moyens économiques et finan-
ciers le succès de l’œuvre entreprise : les promesses de la France
ne sauraient pour autant être abandonnées, ni même retardées
dans leur accomplissement, et c’est pourquoi il est apparu que
le concours financier de la métropole devait être acquis à l’Algé-
rie pour la poursuite de son plan de réformes économiques et
sociales. » C’était, de la part du gouvernement, l’engagement tant
attendu depuis 1944619.
En conséquence, le projet proposait deux types de mesures.
D’une part, aider le budget ordinaire de l’Algérie en transférant
au budget métropolitain la charge de la gendarmerie (article 4), et
réduire sa contribution militaire à ce budget de 5 % à 3 % du mon-
tant des produits et revenus ordinaires. D’autre part, distribuer

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LA POLITIQUE L’EMPORTE SUR LA VOLONTÉ

le concours financier de la métropole au budget extraordinaire


(plan de progrès social) par l’intermédiaire d’un fonds spécial ins-
piré de la loi du 30 avril 1946 instituant un Fonds d’investisse-
ments pour le développement économique et social (FIDES) pour
les territoires d’Outre-mer. Ce fonds serait alimenté, en plus de
la ristourne de la majeure partie de la contribution militaire de
l’Algérie, « par une dotation annuelle de la métropole et par des
versements de l’Algérie ; il pourrait en outre recevoir des avances
à long terme du trésor. Il servirait à assurer le service des annuités
de remboursement de ces avances et à doter le plan des investis-
sements sociaux de l’Algérie. » En contrepartie de cette conces-
sion majeure, le gouvernement appelait les habitants de l’Algérie à
« apprécier comme il convient cette preuve de solidarité française :
la métropole n’hésite pas à s’imposer les sacrifices nécessaires
pour tenir ses promesses et en faire aboutir la réalisation620 ».
Ces deux projets de loi furent renvoyés à la commission de
l’Intérieur en même temps que le projet de statut de l’Algérie le
24 septembre 1946621. Mais la clôture des travaux de l’Assemblée
nationale les fit ajourner. Le retard qui en résulta ne fut que d’un
an pour le statut de l’Algérie (loi du 20 septembre 1947), mais il
atteignit deux ans pour les deux autres textes.
Les débats de la première législature de la IVe République sur
le statut de l’Algérie (novembre 1946-septembre 1947) furent com-
plexes. Après la ratification de la Constitution de la IVe République
par le référendum du 13 octobre 1946 (à la majorité absolue des
votants, mais à la majorité relative des électeurs inscrits), il fal-
lut élire les différents organes du pouvoir : d’abord l’Assemblée
nationale le 10 novembre, puis le Conseil de la République en
décembre, et enfin le président de la République et de l’Union
française, élu par les deux chambres réunies en congrès en jan-
vier 1947622. Le PCF, étant sorti des élections du 10 novembre

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

comme le plus grand parti de France, avait revendiqué la pré-


sidence du gouvernement, mais les autres partis refusèrent. Ils
finirent par s’accorder pour investir le 16 décembre un gouverne-
ment socialiste homogène présidé par Léon Blum, chargé d’assu-
rer la transition jusqu’à l’élection du président de la République.
Le socialiste Vincent Auriol (président de l’Assemblée nationale)
fut élu à ce poste le 14 janvier 1947, et il choisit comme président
du Conseil un autre socialiste, Paul Ramadier, qui fut investi par
une très large majorité, regroupant les trois grands partis de la
majorité tripartite et quelques autres situés plus à droite, le 28 jan-
vier. C’est seulement alors que le Parlement put reprendre la pré-
paration du statut de l’Algérie.
En Algérie, le référendum du 13 octobre, auquel ne partici-
paient que les électeurs du 1er collège, avait donné la majorité au
non, ce qui était un désaveu pour les partis de la majorité tri-
partite. Lors des élections législatives du 10 novembre, les can-
didats au premier collège situés à droite des socialistes obtinrent
11 sièges sur 15623. Dans le deuxième collège, le PPA décida (sous
l’influence de Messali Hadj rentré d’exil) de présenter des candi-
dats sous l’étiquette du Mouvement pour le Triomphe des Libertés
Démocratiques (MTLD), avec l’accord du gouverneur général Cha-
taigneau qui souhaitait faire sortir le PPA clandestin de l’illégalité.
Le MTLD obtint cinq sièges de députés sur 15. Les communistes
en retrouvèrent deux ; les huit autres élus formèrent un « groupe
fédéraliste musulman indépendant » qui reprit les positions de
Ferhat Abbas624. Celui-ci, pour ne pas affronter le MTLD, se rabat-
tit sur le Conseil de la République, où il obtint quatre des sept
sièges, les autres revenant aux amis du docteur Bendjelloul. Le
retrait de l’UDMA et l’arrivée du MTLD dans l’élection des dépu-
tés du deuxième collège algérien avaient fait tomber le taux de
participation à 37,6 % des inscrits.

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LA POLITIQUE L’EMPORTE SUR LA VOLONTÉ

Avant la formation du gouvernement Ramadier, le gouverne-


ment Blum de transition ne pouvait prendre aucune grande déci-
sion ; mais il dut néanmoins faire voter le budget de l’Algérie pour
l’année 1947625.
Le « projet de loi autorisant la perception des droits, produits et
revenus applicables au budget de l’Algérie pour l’exercice 1947 »
fut présenté à l’Assemblée nationale le 22 décembre 1946, au nom
du président du GPRF Léon Blum, par le ministre de l’Intérieur
Édouard Depreux et par le ministre de l’économie et des finances
André Philip. L’exposé des motifs, ayant un caractère beaucoup
plus technique que celui de l’année précédente, ne revenait pas
sur les raisons politiques des décisions prises, mais il apportait des
données chiffrées. Le budget algérien donnait lieu à des observa-
tions soulignant sa très forte progression (1 650 millions de francs
en 1945, 4 874 millions en 1946, et plus de 10 milliards pour 1947),
qui dépassait largement l’élévation du niveau des prix : « En réa-
lité ce budget a deux objectifs, d’abord l’équipement économique
du pays pour lui permettre de nourrir le trop-plein de sa popula-
tion et de soutenir la comparaison avec ses voisins ainsi que leur
concurrence, et ensuite créer ou compléter son équipement social
pour attacher à la mère patrie les divers éléments de sa popula-
tion. » Le montant des recettes était détaillé, démontrant l’appli-
cation de la loi présentée le 24 septembre sur le concours de la
métropole au financement du plan de progrès social de l’Algérie,
la part de l’Algérie restant majoritaire. La conclusion insistait sur
« la participation de la métropole au budget de l’Algérie, qui prend
cette année une importance toute particulière » : étaient mention-
nés la contribution militaire entièrement ristournée à l’Algérie
(350 millions), la prise en charge des dépenses de la gendarme-
rie (365 millions), la dotation de 100 millions au fonds de pro-
grès social, ce qui aboutissait à un total de plus de 800 millions,

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

à quoi s’ajouterait une avance du trésor métropolitain au fonds de


progrès social de 2 500 millions au taux maximum de 3 %, « qui
constitueraient l’apport le plus important de ce fonds ». C’était
le budget extraordinaire qui caractérisait surtout ce projet : « Il
marque la volonté du gouvernement de poursuivre et de réaliser
le programme de développement économique et social décidé en
1944. Ce programme exige sans doute un effort financier consi-
dérable, mais il justifie, tant par son existence que par la contri-
bution que la métropole apporte à sa réalisation, la présence et le
rôle de la France en Algérie. »
Ce budget fut adopté le 23 décembre 1946, sans être modifié
par la commission des finances626.

Ramadier ou la majorité impossible


Paul Ramadier, chef du premier gouvernement de la IVe Répu-
blique, n’était pas connu comme un spécialiste de l’Algérie et,
contrairement à beaucoup d’autres, il n’avait pas séjourné à Alger
durant la guerre en tant que membre du CFLN ou de l’Assemblée
consultative. Pourtant, il s’y était intéressé dans le cadre de ses
fonctions ministérielles de 1936 à 1938, et de nouveau dans les
assemblées constituantes de 1946. Membre de la commission de
la Constitution dans la deuxième constituante, il avait eu l’occa-
sion d’y confronter ses vues avec celles de Ferhat Abbas, et il avait
aussi contresigné la proposition socialiste de statut de l’Algérie au
nom de son parti.
Le Parti socialiste reprit dès le 6 février 1947 sa proposition
faisant de l’Algérie une collectivité décentralisée de la République
française627. Puis le Parti communiste proposa le 13 mars d’en
faire un « Territoire associé dans le cadre de l’Union française628 ».
Le groupe de l’UDMA au Conseil de la République renouvela le
22 mars sa proposition d’État associé, avec l’appui du « groupe

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LA POLITIQUE L’EMPORTE SUR LA VOLONTÉ

musulman indépendant pour la défense du fédéralisme algérien »


de l’Assemblée nationale, qui le reprit presque à l’identique le
20 mai, alors que le député Bentounès la reprenait sous une forme
originale629. Au Conseil de la République, le docteur Bendjelloul
proposa le 29 avril de confier la Constitution de l’Algérie à une
assemblée constituante algérienne élue au suffrage universel et au
collège unique, vieille revendication du PPA630. Seul le MTLD ne
fit aucune proposition, pour cause d’incompétence du Parlement
français en ce qui concernait l’Algérie.
Au contraire, la majorité des députés du premier collège (11 sur
15) ne proposa rien par peur du changement, et attendit le projet du
gouvernement. Enfin le ministre de l’Intérieur Édouard Depreux,
après un voyage d’inspection en Algérie en avril, déposa ce projet,
inspiré de celui de septembre 1946, le 29 mai ; mais il ne fut dis-
tribué aux députés que le 21 juillet631. En effet ce texte, présenté
au conseil des ministres le 28 mai, fut ensuite soumis au conseil
d’État, mis au point en conseil de cabinet et de nouveau discuté en
conseil des ministres les 11 et 30 juillet, 6 et 8 août632. Comme la
proposition socialiste, mais contrairement à toutes les autres, elle
situait l’Algérie dans le cadre de la République française.
La tâche du chef du gouvernement était compliquée par le
retrait des communistes hors du gouvernement à partir du 4 mai
1947, qui renforçait l’importance des partis de la majorité gou-
vernementale situés à droite du Parti socialiste : le MRP, mais
aussi le Rassemblement des gauches républicaines (RGR) dont les
principales composantes étaient les radicaux et l’UDSR. De plus,
la pression du RPF gaulliste, dénonçant le péril communiste et
l’impuissance de la IVe République, se faisait de plus en plus sentir
depuis le discours de Strasbourg du 7 avril 1947. C’est pourquoi
les ministres du RGR et une partie de ceux du MRP se montraient
sensibles aux craintes de la majorité des députés du premier

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

collège algérien, qui jugeaient insuffisantes les garanties du main-


tien de la souveraineté française et de l’équilibre entre les deux
populations de l’Algérie. Dès le 4 juin, Édouard Depreux expli-
qua au comité directeur de la SFIO que son projet, très proche
de la proposition socialiste, avait fait l’objet au sein du conseil
des ministres d’une vive opposition des radicaux et d’une partie
du MRP, Georges Bidault étant très réticent. Les deux principaux
points de friction étaient la parité des deux collèges à l’Assemblée
algérienne et leur « pureté », c’est-à-dire le maintien ou l’abrogation
de l’ordonnance du 7 mars 1944 et de la loi du 5 octobre 1946, qui
avaient admis diverses catégories de musulmans à voter dans le
premier collège avec les citoyens soumis au code civil.
La commission de l’Intérieur de l’Assemblée nationale avait
attendu le dépôt du projet gouvernemental pour examiner les dif-
férentes propositions. Elle les repoussa toutes séparément, pour
prendre comme base de discussion le texte du gouvernement. Le
député d’Oran, Maurice Rabier, coauteur de la proposition socia-
liste, fut élu rapporteur par 22 voix contre 20, et une abstention.
Renonçant à défendre l’idée la plus originale de ses propositions
(un ministre de l’Algérie résidant à Alger mais siégeant au conseil
des ministres à Paris), il s’efforça d’améliorer le projet gouverne-
mental « dans le sens d’un libéralisme mieux et plus complètement
consenti », notamment en appliquant à l’élection de l’Assemblée
algérienne la loi du 5 octobre 1946, qui élargissait les catégories
de musulmans admises dans le premier collège par l’ordonnance
du 7 mars 1944, et en supprimant la majorité des deux tiers pré-
vue pour le vote des décisions budgétaires de cette Assemblée.
Il était soutenu par les socialistes, les communistes et les élus
musulmans, qui voulaient transférer la majorité du pouvoir local
à la population majoritaire en Algérie. Mais il avait contre lui
la majeure partie du MRP, le RGR et la droite, qui entendaient

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LA POLITIQUE L’EMPORTE SUR LA VOLONTÉ

défendre les intérêts des Français d’Algérie et la pérennité de la


souveraineté française. La majorité sur laquelle le Parti socialiste
s’appuyait sur cette question particulière ne correspondait plus
à la majorité gouvernementale. Pris entre les pressions de leurs
camarades de parti et de leurs alliés du gouvernement, et mena-
cés par les oppositions contraires du PCF à gauche et du RPF à
droite, Édouard Depreux et Paul Ramadier étaient condamnés à
rechercher un compromis pour maintenir la nouvelle majorité
gouvernementale dite de « troisième force ».
Malgré le risque d’un échec du projet, le 6 août, Maurice Rabier
déposa sur le bureau de l’Assemblée son rapport dans lequel il
maintenait ses positions sur tous les points qu’il jugeait essen-
tiels633. Le débat commença le 10 août et fut très mouvementé.
Paul Ramadier s’opposa à une question préalable du général
Aumeran, député du premier collège algérien, et à une demande
d’ajournement du RGR634. Il déclara que le gouvernement ne céde-
rait pas sur trois points : la composition du premier collège (aussi
homogène que possible sans porter atteinte aux droits acquis), la
composition paritaire du conseil de gouvernement (trois fonction-
naires du gouvernement général et trois représentants de l’Assem-
blée algérienne), et la majorité des deux tiers pour les décisions
budgétaires de cette Assemblée635.
Après le rejet de la motion d’ajournement, le débat s’engagea
péniblement mais fut interrompu du 14 au 19 août pour permettre
au Parti socialiste de tenir son congrès à Lyon. Ce congrès critiqua
sévèrement la politique de Paul Ramadier, soutint le rapport Rabier
et interdit au gouvernement de poser la question de confiance
contre celui-ci. Cependant, le président du MRP rappela au chef
du gouvernement ses trois engagements du 10 août, et le général
de Gaulle reprit à son compte, le 18 août, les revendications de la
majorité des députés du premier collège algérien : maintien absolu

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

de la souveraineté de la France, parité et pureté des collèges par


l’abrogation de l’ordonnance du 7 mars 1944 et du titre IV de la loi
du 5 octobre 1946, votation séparée dans chaque collège636.
La discussion générale reprit le 19 août avec la présentation
d’un rapport supplémentaire par Maurice Rabier, et dura jusqu’au
21637. À la fin de la discussion, Édouard Depreux puis Paul Rama-
dier s’efforcèrent de rassembler leur majorité. Le discours du pré-
sident du Conseil, demandant la prise en considération du projet
gouvernemental, provoqua de très vives réactions des partisans
du rapport Rabier638. Après un vote sur la prise en considéra-
tion du projet du gouvernement, qui donna 312 voix pour et 276
contre, le rapporteur remit sa démission. Il fallut plusieurs votes
à la commission de l’Intérieur pour lui donner un successeur, le
député MRP Jacques de Fonlupt-Espéraber, élu par 19 voix contre
21 abstentions.
Dès lors, le débat progressa, du 22 au 27 août, malgré un grand
nombre d’amendements et de scrutins. Des modifications furent
adoptées, comme l’admission des anciens combattants dans le pre-
mier collège en sus des bénéficiaires de l’ordonnance du 7 mars
1944. Une crise faillit éclater le 27 au sujet de la majorité des deux
tiers en matière fiscale et budgétaire, deux fois repoussée par la
commission. Un amendement du radical gaulliste Giacobbi, impo-
sant dans certains cas le vote par collège et la majorité dans cha-
cun d’eux, fut aussi repoussé. Enfin, un compromis (décision à
la majorité simple, mais à celle des deux tiers si elle était deman-
dée par le gouverneur général, la commission des finances, ou
le quart des membres de l’Assemblée algérienne) fut accepté à
l’unanimité des votants.
Paul Ramadier put alors clore le débat en demandant aux
députés d’adopter l’ensemble du projet par un vote aussi large que
possible639. Il fut voté par 320 voix contre 88 et 186 abstentions.

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LA POLITIQUE L’EMPORTE SUR LA VOLONTÉ

La majorité des députés du premier collège algérien l’avaient


refusé, ainsi que les communistes algériens pour des raisons
inverses, alors que le PCF s’abstenait, ainsi que tous les députés
musulmans, absents des débats depuis le 22. Le gouvernement
eut pour lui la plupart des voix du MRP et du RGR, ainsi que
celles de la SFIO, bien que celle-ci n’eût pas approuvé le désaveu
du rapport Rabier.
Le Parti socialiste espérait encore faire améliorer le projet voté
au Conseil de la République, qui en débattit du 29 au 31 août. Le
rapporteur socialiste de sa commission de l’Intérieur tenta de réta-
blir quelques dispositions du rapport Rabier, telles que l’admis-
sion des titulaires du certificat d’études et des anciens élèves du
premier cycle des lycées dans le premier collège. Mais la majorité
espérée fit défaut à cause de l’abstention des musulmans et des
communistes. Le projet fut donc adopté avec des corrections plutôt
de forme que de fond par 184 voix contre 33640. Le 1er septembre,
l’Assemblée nationale vota définitivement, par 325 voix contre 86,
le projet amendé, qui devint la loi du 20 septembre 1947.
Le rôle de Paul Ramadier fut très diversement jugé. Apprécié
par ses alliés des partis situés à la droite du Parti socialiste, il
fut très sévèrement dénoncé par les élus communistes et musul-
mans, et même à l’intérieur de son propre parti, notamment lors
du congrès de Lyon où triompha la majorité du secrétaire général
Guy Mollet641. Se jugeant désavoué et insulté, Ramadier songeait
à démissionner ou à poser la question de confiance sur l’Algé-
rie pour se faire renverser, mais il en fut dissuadé le 27 août par
le président de la République Vincent Auriol. Même Édouard
Depreux, solidaire de Ramadier en public et dans les instances
de son parti, en fit un portrait peu flatteur dans ses Souvenirs
d’un militant642. Le président de la République, Vincent Auriol,
a cependant justifié Paul Ramadier et partagé la responsabilité

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

de ses décisions. Dans son Journal du septennat, il dénonce une


campagne de presse qui l’accusait « de vouloir rester coûte que
coûte, se livrant à des manœuvres, cherchant des compromis et
parlementant sans cesse. Or c’est moi qui lui ai demandé de rester
et de négocier, afin d’essayer d’unir tous les partis de la majorité
d’abord et tous les Français, et d’Algérie notamment643 ».
Chef d’un gouvernement de « troisième force » ayant rompu
avec le PCF au début de la Guerre froide, Paul Ramadier n’aurait
pas pu s’appuyer sur une majorité de « Front populaire » pour faire
voter le rapport Rabier sans pousser les ministres RGR et MRP
dans les bras du général de Gaulle, et provoquer une crise minis-
térielle qui risquait d’être une crise de régime644. Rabier commit
l’erreur de ne pas comprendre l’impossibilité pour le gouverne-
ment de s’appuyer sur deux majorités incompatibles.
Le statut de l’Algérie, promulgué au Journal officiel du 21 sep-
tembre 1947, en faisait un groupe de départements de la Répu-
blique française doté d’une organisation particulière 645. Un
gouverneur général nommé par le gouvernement de Paris repré-
senterait la souveraineté française et dirigerait l’administration.
Une Assemblée algérienne serait chargée de voter le budget algé-
rien et d’appliquer ou d’adapter la législation métropolitaine que
l’Assemblée nationale n’avait pas explicitement étendue à l’Algé-
rie. Elle serait composée de 120 délégués, 60 représentants de cha-
cun des deux collèges définis par l’ordonnance du 7 mars 1944.
Les décisions seraient votées à la majorité simple, ou à celle des
deux tiers dans certains cas. Un conseil de gouvernement repré-
sentant paritairement l’Assemblée et le gouvernement général
coordonnerait leurs actions.
L’Assemblée algérienne serait enfin chargée d’étudier des
réformes que l’Assemblée nationale n’avait pas eu le temps de réa-
liser : remplacement des « communes mixtes » (circonscriptions

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LA POLITIQUE L’EMPORTE SUR LA VOLONTÉ

administratives dont dépendaient la majorité des musulmans) par


de vraies communes rurales ; rattachement des territoires mili-
taires du Sud aux départements du Nord, organisation de l’en-
seignement de l’arabe à tous les degrés ; indépendance du culte
musulman ; droit de vote des femmes musulmanes646. L’Assem-
blée nationale s’était ainsi déchargée sur l’Assemblée algérienne
de nombreuses propositions de réformes qui restaient en suspens.
Elle avait assez entendu parler de l’Algérie depuis deux ans : son
zèle réformateur était épuisé, et sollicité par beaucoup d’autres
problèmes.
Ce statut, rassurant pour les uns, décevant pour les autres, mar-
quait la fin du processus réformateur entamée par la commission
des réformes de 1944. Contrairement aux espoirs des socialistes,
des communistes, et des élus musulmans, l’ordonnance du 7 mars
1944 ne serait pas un point de départ vers plus d’assimilation ou
plus d’autonomie, mais un aboutissement, vestige d’une autre
époque où tout semblait possible. Le changement de la majorité,
imposé par la Guerre froide qui commençait, limitait désormais
les possibilités. Pour autant, les revendications réactionnaires de
la majorité des élus du premier collège n’avaient pas été satisfaites,
malgré le soutien paradoxal que leur avait donné le général de
Gaulle en semblant renier l’ordonnance du 7 mars 1944.

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Le choix de l’immobilisme
Après le vote du statut de l’Algérie, durant sept ans, la politique
algérienne de la France fut caractérisée par un immobilisme de
plus en plus complet. Sur le plan politique, le vote si difficile
du statut de l’Algérie durant l’été 1947 fut la dernière réforme
accomplie par le Parlement, qui laissa ensuite le gouvernement
général faire face sur place au problème algérien, sans trop
se préoccuper de la régularité des élections et du maintien de
l’ordre dans un pays censé être redevenu calme.
Sur le plan économique et social, il ne s’agit pas d’un
enlisement mais plutôt d’un essoufflement : l’exécution des
programmes élaborés depuis 1944 continua, avec l’aide métro-
politaine, mais leur efficacité en tant que moyen de transfor-
mer l’Algérie en une vraie province française apparut de plus en
plus douteuse.
Paradoxalement, le problème algérien semblait être de moins
en moins politique et de plus en plus économique et social,
quand le coup de tonnerre du 1er novembre 1954 éclata dans un
ciel qui semblait serein.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

La fin du gouvernorat de « Chataigneau Ben Mohammed »


Gouverneur général de l’Algérie depuis septembre 1944, Yves Cha-
taigneau incarnait la politique des réformes. Diplomate, intellec-
tuel, et socialiste, nommé par le général de Gaulle avec l’accord du
général Catroux, il bénéficiait du soutien total du Parti socialiste
pour mener à bien cette politique décidée par le CFLN avec sa
pleine approbation. Mais il souffrait aussi de la profonde méfiance
de la tendance conservatrice des Français d’Algérie, qui ne voyait
pas en « Chataigneau Ben Mohammed », à son avis plus soucieux
des musulmans que des Européens, l’homme à poigne capable
de sauver l’Algérie française647. Et d’autant moins que, tout en
employant l’ancien sous-préfet de Guelma André Achiary au gou-
vernement général, il avait permis la participation aux élections
des nouveaux partis créés après la loi d’amnistie de mars 1946
par Ferhat Abbas en juin, puis par Messali Hadj en novembre.
Cette tendance droitière avait reporté ses espoirs sur le secré-
taire général Pierre-René Gazagne, qu’elle considérait comme le
vrai sauveur de l’Algérie française en mai 1945, et qui se fit élire
maire d’Alger en octobre 1947 ; mais aussi sur un homme poli-
tique de premier plan, René Mayer, ancien membre du Comité
national d’Alger sous le général Giraud, puis du CFLN sous le
général de Gaulle, qui était revenu en Algérie se faire élire député
radical de Constantine à la deuxième Assemblée constituante en
juin 1946648. Dès la fin de 1946, cette tendance avait montré sa
force en entraînant la majorité des citoyens français d’Algérie,
électeurs du premier collège, à voter non à la Constitution de la
IVe République, puis à élire une large majorité de députés (11 sur
15) se situant plus à droite que le Parti socialiste.
La position d’Yves Chataigneau en était donc fragilisée. En
mai 1947, à l’occasion du remplacement du résident général au
Maroc, le libéral Eirik Labonne, par le général Juin, alors le plus

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LE CHOIX DE L’IMMOBILISME

illustre des Français d’Algérie, le bruit avait couru d’un remplace-


ment du gouverneur sous la pression des radicaux, et le président
du Conseil, Paul Ramadier, avait semblé accessible à cette idée,
mais il avait cédé aux protestations de son ministre de l’Intérieur
Édouard Depreux et du secrétaire général de la SFIO Guy Mollet.
Le 21 mai, celui-ci rendit compte au comité directeur du parti :
« Nous avons eu des apaisements. Ce soir, Chataigneau, ému par
la presse algérienne qui espère son départ, a reçu l’assurance que
Ramadier ne l’envisageait pas649. »
Mais à l’automne 1947, la situation avait changé, à cause de
l’épreuve de force engagée par le Parti communiste contre le gou-
vernement à la demande du Kominform, qui signifiait la fin défini-
tive du tripartisme et le renforcement du poids des radicaux dans
la nouvelle majorité de « troisième force », afin de ne pas laisser au
RPF gaulliste le rôle de seul défenseur de l’indépendance française
contre l’impérialisme soviétique. Après les élections municipales
d’octobre 1947 (qui virent une poussée des extrêmes et un recul
de la SFIO dans les deux collèges algériens) et le remplacement
du gouvernement Ramadier par celui du MRP Robert Schuman
en novembre, la question du départ de Chataigneau avant l’élec-
tion de l’Assemblée algérienne fut de nouveau posée, d’autant plus
que cette élection, où l’on pouvait craindre une forte poussée du
MTLD dans le deuxième collège, était un enjeu décisif650.
Le 8 janvier 1948, Guy Mollet fit part au comité directeur de
l’émotion provoquée dans les fédérations algériennes par l’in-
tention de Jules Moch (successeur d’Édouard Depreux à l’Inté-
rieur) de remplacer le gouverneur général sous les pressions
de Robert Schuman, de son ministre des finances René Mayer,
et du sous-secrétaire d’État aux affaires musulmanes, le MRP
Jacques Augarde651. Il fut très fermement défendu, notamment
par Édouard Depreux : « Si Chataigneau s’en va – même remplacé

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

par un excellent socialiste – on donnera l’impression d’un


changement de politique. » Jules Moch se justifia, émettant des
réserves sur le caractère même d’Yves Chataigneau, affirmant
que ce dernier « avait, au fond de lui-même, le désir d’avoir une
ambassade ». Guy Mollet demanda qu’« unanimement le comité
directeur s’oppose sans réserve au départ de Chataigneau, non
pas pour une question d’homme, mais pour une question de
politique ». Le mot de la fin revint à Marcel-Edmond Naegelen :
« Le comité directeur est unanime pour s’opposer au départ de
Chataigneau. » Mais le 4 février, René Mayer ayant menacé de
démissionner et sa position étant soutenue par Georges Bidault,
le gouvernement décida de nommer Chataigneau à un poste
diplomatique ; Jules Moch proposa au comité directeur sa nomi-
nation à l’ambassade du Caire, et son remplacement à Alger par
un autre socialiste. Le 11 février, nulle voix discordante ne trou-
bla la joie du comité directeur après le remplacement de Chatai-
gneau par le ministre de l’Éducation nationale, Marcel-Edmond
Naegelen652.

La « mission en Algérie » de Marcel-Edmond Naegelen


Patriote français d’origine alsacienne, Marcel-Edmond Naegelen
n’avait pas eu l’occasion de découvrir l’Algérie avant d’y aller à
l’invitation du gouverneur Chataigneau dans le cadre de ses fonc-
tions de ministre de l’Éducation nationale, qu’il occupa pendant
deux ans à partir de janvier 1946. Le plan de scolarisation décidé
en 1944 était donc l’aspect de la politique algérienne de la France
qui le touchait le plus. Mais il ne prétendait pas être un spécialiste
du problème algérien, quand le gouvernement Schuman décida
de changer de gouverneur général. Pour éviter un conflit entre le
gouvernement et le Parti socialiste, le président de la République
Vincent Auriol proposa de remplacer Chataigneau par Naegelen,

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LE CHOIX DE L’IMMOBILISME

et fit accepter cette décision par le comité directeur du parti. Une


réunion des ministres socialistes du gouvernement, organisée par
Jules Moch, se chargea de la lui faire accepter, et le conseil des
ministres du 11 février 1948 décida à l’unanimité sa nomination.
Marcel-Edmond Naegelen devint donc gouverneur général de l’Al-
gérie sans l’avoir voulu, avec le statut de parlementaire en mis-
sion pour six mois renouvelable quatre fois. Beaucoup plus tard,
Édouard Depreux qualifia amèrement cette nomination de « tour-
nant décisif » : « Le secrétaire général de la SFIO, Guy Mollet, a
accepté le remplacement d’Yves Chataigneau par Marcel-Edmond
Naegelen, membre de son parti, de notre parti ! René Mayer triom-
phait. Il était même comblé au-delà de toute espérance. Sa poli-
tique allait être appliquée par un socialiste, qui lui apporterait une
caution de gauche653. »
Conscient de son ignorance, Naegelen commença par s’infor-
mer à Paris des conditions politiques, économiques et humaines
qu’il allait trouver en Algérie. Après le vote difficile du statut,
tout dépendait du résultat des élections à l’Assemblée algérienne,
d’abord prévues pour la fin de 1947 puis ajournées au printemps,
et qui risquaient selon les préfets de donner aux nationalistes la
majorité dans le deuxième collège654. Arrivé à Alger le 25 février
1948, Naegelen rassura aussitôt les Français européens et musul-
mans d’Algérie en comparant celle-ci à sa province d’Alsace, où
il avait combattu les autonomistes qui s’étaient fait pendant la
guerre les complices des occupants nazis.
Selon son livre de souvenirs, Mission en Algérie, à la veille du
premier tour (fixé au 4 avril 1948) Naegelen aurait donné aux pré-
fets des consignes de neutralité absolue ; puis, entre les deux tours,
il aurait ordonné de mettre en échec le plan du MTLD visant à per-
turber par la force les élections, mais sans faire arrêter aucun can-
didat. Or, à la fin du mois, le président de la République Vincent

405
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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Auriol, renseigné par l’ancien chef de cabinet de Chataigneau


devenu délégué à l’Assemblée de l’Union française, Paul Alduy,
faisait état de centaines d’arrestations parmi les militants, les can-
didats, les élus du MTLD. Le ministre de l’intérieur Jules Moch
avait reconnu 398 arrestations, selon le Journal officiel655. D’après
l’historien algérien Mohammed Harbi, 32 candidats du MTLD sur
59 auraient été arrêtés à la veille du premier tour.
Dès le 7 avril, le secrétaire général Guy Mollet, de retour d’un
voyage en Algérie, avait fait part au comité directeur de son juge-
ment sur les résultats du premier tour : « Les élections dans le
deuxième collège n’ont aucun rapport avec la liberté de vote et la
démocratie. Je ne veux pas critiquer l’administration, mais si les
élections avaient été libérées de la tutelle administrative, on peut
compter que Messali aurait recueilli 80 pour cent des suffrages
[...]. On ne doit pas se méprendre sur les résultats électoraux
du deuxième collège. » Pourtant, le premier tour avait été mar-
qué par un taux de participation sans précédent (67 %), et avait
donné 30,6 % des voix et neuf sièges au MTLD, 17,5 % des voix
et sept sièges à l’UDMA ; au second tour il donna 41 sièges sur 60
aux candidats « indépendants » soutenus par l’administration656.
Après le second tour, un débat houleux divisa les membres
du comité directeur, en l’absence de Naegelen (qui avait eu peur
d’apparaître comme un « homme du parti ») et de Guy Mollet.
La victoire des « indépendants » dans le deuxième collège s’ex-
pliquait bien par des pressions administratives allant jusqu’à la
fraude, dénoncées même par les fédérations socialistes d’Algé-
rie. Paul Alduy réclamant une commission parlementaire d’en-
quête, le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale et
Jules Moch se solidarisèrent avec Naegelen, qui niait les fraudes.
D’autres tentèrent de déplacer le débat, comme l’ancien secrétaire
général Daniel Mayer : « On a peut-être eu tort de donner la liberté

406
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LE CHOIX DE L’IMMOBILISME

de vote, prématurément, aux Algériens inéduqués du point de


vue civique, et le fait de demander leur assimilation aux élec-
teurs de la métropole s’est retourné contre la population algé-
rienne elle-même. »
Pour échapper à son embarras, le comité directeur décida
d’envoyer à Naegelen une délégation chargée de l’informer, de le
conseiller et de l’aider. Celui-ci n’apprécia guère cette initiative,
comme il le note dans son livre Mission en Algérie : « Le comité
directeur du Parti socialiste crut bon de m’envoyer une déléga-
tion pour me demander des explications, ce qui me donna une
occasion supplémentaire de découvrir l’ignorance, aggravée de la
prétention de donner des leçons, dont étaient affligés des hommes
qui se voulaient omniscients et qui étaient péremptoires. » En fait,
le comité directeur avait renoncé à ses velléités de commission
d’enquête, malgré l’insistance de Paul Alduy, du groupe socialiste
de l’Assemblée de l’Union française et de la fédération socialiste
d’Oranie, signalée par Guy Mollet le 19 mai 1948.
Un an plus tard, le 22 juin 1949, le député du Constantinois
Borra dénonça devant le comité directeur le renouvellement des
fraudes pendant les cantonales de mars 1949 : « Nous avons, nous
socialistes, nos responsabilités dans cette affaire. Naegelen nous
a dit qu’il avait le mandat de casser les reins au PPA, et personne
parmi les parlementaires ne l’a mis en garde. Les administrateurs
ont appliqué les instructions avec un zèle exorbitant, mais nous
pensions qu’après l’écrasement du PPA on en resterait là. Or, à
l’occasion des élections cantonales, la même procédure s’est répé-
tée. II en résulte un écœurement général. La masse musulmane
nous considère comme des imposteurs. Nous avons alerté Nae-
gelen, qui est d’accord avec nous. Malheureusement, ses instruc-
tions ne sont pas exécutées. » La proposition faite ce jour-là par
Pierre Commin, proche de Guy Mollet, et par Édouard Depreux,

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

de consacrer une séance du comité directeur au problème algérien


n’eut semble-t-il pas de suite.
Mais Naegelen vint s’expliquer avec une certaine franchise
devant le groupe parlementaire socialiste de l’Assemblée natio-
nale, le 6 juillet 1949. II admit « avoir donné des instructions pour
que les élections à l’Assemblée algérienne n’amènent pas une
majorité messaliste au deuxième collège. Nous avons été obligés,
non pas de faire régner la terreur, mais de briser une terreur qui
régnait sur le pays ». II convint même que ses instructions avaient
pu être dépassées : « Il est possible que les instructions que j’avais
données aient été appliquées avec plus ou moins d’intelligence et
de doigté par certains administrateurs. II ne faut pas oublier que
l’Algérie a été une colonie et qu’il y a régné pendant un siècle des
habitudes que je n’ai pas la prétention d’avoir supprimées en cinq
semaines ni même en quinze mois. Il nous faudra sans doute un
certain nombre d’années pour arriver à corriger des mœurs qui
datent d’un siècle. » Mais l’ignorance des électeurs appelait la pres-
sion administrative : « Nous avons quelquefois fait voter parce que
nous ne voulions pas que d’autres fassent voter en sens contraire.
On ne donne pas la liberté aux hommes en leur donnant un bul-
letin de vote, mais en les arrachant à l’ignorance, à l’emprise de la
maladie, de la faim, de la soif657. »
Naegelen préférait insister sur les aspects positifs de ses inten-
tions et de ses actes, trop méconnus selon lui, en rappelant que
dès ses premières déclarations il avait affirmé deux principes :
présence et autorité de la France, et volonté de réaliser entre tous
les habitants de l’Algérie l’égalité des droits et des devoirs. II n’hé-
sitait pas à lire de longs passages de son message du 21 mai 1948 à
l’Assemblée algérienne, qu’il reprit ensuite dans son livre Mission
en Algérie, en déplorant que ce « langage révolutionnaire » (qui
préfigurait les « Français à part entière » de juin 1958 et le plan de

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LE CHOIX DE L’IMMOBILISME

Constantine) n’ait soulevé aucun écho en métropole, comme si


le rétablissement de l’ordre avait suffi à faire oublier l’existence
du problème algérien. Ce problème était à ses yeux essentielle-
ment économique, social et humain. S’il croyait devoir barrer la
route au nationalisme qu’il jugeait néfaste pour l’Algérie par son
fanatisme religieux et sa démagogie, ce n’était pas pour servir les
intérêts des grands colons et des grandes familles musulmanes.
Au contraire, il était fier de rappeler tout ce qu’il avait fait pour
améliorer le sort des « petits » Européens et surtout musulmans,
notamment par la fusion des enseignements A et B et l’effort de
généralisation de la scolarisation, prolongeant ainsi son action de
ministre de l’Éducation nationale658. II citait ses entretiens privés
avec Ferhat Abbas, démentis par les attaques publiques de celui-
ci. II conclut son discours en affirmant qu’il avait tenu la pro-
messe faite au comité directeur : faute de pouvoir faire la politique
du Parti socialiste, il avait fait une politique française imprégnée
de l’idéal socialiste.
Marcel-Edmond Naegelen a dénoncé plus tard l’indifférence
qu’il avait rencontrée dans les milieux gouvernementaux quand
il voulut réaliser ce beau programme de réformes économiques
et sociales une fois l’ordre rétabli659. Le fait est que les respon-
sables politiques parlaient de moins en moins de l’Algérie redeve-
nue calme, à part quelques phrases triomphalistes de Jules Moch
et de René Mayer inspirées par le voyage officiel du président de
la République en Algérie en juillet 1949. Convaincues ou non par
les explications de Naegelen, les instances dirigeantes du Parti
socialiste acceptèrent de couvrir sa politique, et se soucièrent de
moins en moins du problème algérien. Le débat de fond réclamé
le 22 juin 1949 par Commin et Depreux se fit attendre jusqu’en
décembre 1954. Ni l’éclat de Naegelen, dénonçant publiquement
les contacts d’un diplomate américain avec les nationalistes,

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

le 24 février 1950, ni les remous provoqués à partir de mars 1950


par le démantèlement d’un « prétendu complot » (en fait bien réel)
du MTLD, et les accusations de torture visant la police d’Algérie,
ne retinrent l’attention du comité directeur660.
Pourtant, en 1951, le Parti socialiste ne fit rien pour maintenir
Naegelen à son poste, ni pour conserver le gouvernement général
de l’Algérie, alors qu’il avait déjà dû renoncer au poste de ministre
de l’Intérieur. Le 21 février 1951, il avait obtenu du gouvernement
Pleven un dernier renouvellement de son congé semestriel de par-
lementaire en mission, mais après avoir informé le ministre de
l’Intérieur, le radical Henri Queuille, de son intention de démis-
sionner pour se présenter aux élections législatives de juin. Or,
pendant la crise ouverte le 27 février par la chute du gouverne-
ment, le secrétaire d’État socialiste à l’Intérieur Eugène Thomas
lui demanda de lever une sanction qu’il avait prise contre l’admi-
nistrateur de la commune mixte de Khenchela. Naegelen lui repro-
chait d’avoir faussé les élections à l’Assemblée algérienne pour y
faire élire frauduleusement le bachaga Benchenouf, député appa-
renté au MRP661. Or le gouvernement qu’Henri Queuille tentait de
former avec la SFIO et le MRP avait besoin de toutes les voix de ce
parti. Le 9 mars, pendant le débat d’investiture, Eugène Thomas
exigea l’annulation de la sanction. N’obtenant qu’une menace de
démission, il la prit au mot en la faisant annoncer à la presse.
Naegelen démentit, puis vint s’expliquer devant le groupe parle-
mentaire socialiste et devant le président de la République Vincent
Auriol, faute d’avoir pu trouver Henri Queuille. Soutenu par la
fédération des maires d’Algérie, il put sauver la face en négociant
avec le nouveau président du Conseil la date de son départ. Sa
vraie démission, datée du 16 mars, prit effet le 15 avril 1951. Il fut
sollicité par le directeur d’un grand journal algérois (probable-
ment L’Écho d’Alger) pour prendre la tête d’une liste d’union dans

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LE CHOIX DE L’IMMOBILISME

le premier collège aux prochaines élections législatives, mais il


préféra se présenter dans la circonscription métropolitaine que lui
proposait son parti.
Son départ forcé embarrassa fort Guy Mollet, secrétaire général
de la SFIO et vice-président du gouvernement Queuille. Consulté
par celui-ci, il ne fit rien pour conserver à son parti le poste de
gouverneur général. Le Comité directeur et le groupe parlemen-
taire demandèrent seulement qu’il ne revienne pas à un homme
politique, pour ne pas donner au remplacement de Naegelen l’al-
lure d’un désaveu. Guy Mollet ne semble pas avoir pris garde qu’il
avait mis fin à près de sept ans de gestion socialiste de l’Algérie662.
À moins qu’il ait voulu dégager le parti d’une responsabilité deve-
nue trop compromettante ?
En tout cas, le parti, qui souffrait de plus en plus d’être à l’aile
gauche de la « troisième force », fut tenté par une cure d’opposi-
tion quand les élections législatives du 7 juin 1951 donnèrent une
majorité parlementaire orientée encore plus à droite, avec une
forte poussée du RPF gaulliste et des indépendants.

Un préfet de police au gouvernement général


Le nouveau gouverneur général, Roger Léonard, n’était pas un
élu ni un militant politique, mais un haut fonctionnaire, dont la
carrière devait beaucoup à des hommes politiques radicaux663.
Entré dans la carrière préfectorale en 1925 et au Conseil d’État en
1938, il avait noué de nombreuses amitiés au Parti radical, depuis
son passage au cabinet d’Édouard Daladier. Résistant, nommé
préfet de Seine-et-Oise en 1944, il avait remplacé en mai 1947
un socialiste à la préfecture de police de Paris. S’il servit loya-
lement les ministres socialistes de l’Intérieur Édouard Depreux
et Jules Moch, il avait les relations les plus amicales avec Henri
Queuille664.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

C’est donc à Henri Queuille qu’il dut sa nomination. Selon ses


Mémoires inédits, il avait en 1950 informé son ministre de sa dis-
ponibilité pour un autre poste, en s’en remettant entièrement à
lui. Puis, en janvier 1951, Naegelen avait fait part à celui-ci de son
désir de démissionner avant les élections législatives. Mais Roger
Léonard se vit proposer sa succession le 15 février par un autre de
ses amis radicaux, le garde des Sceaux René Mayer : le surlende-
main Henri Queuille la lui offrit665. Le choix préalable d’un suc-
cesseur facilita sans doute l’éviction précipitée de Naegelen. Dès
le 10 mars, presque tous les journaux désignaient Roger Léonard.
Il reçut le même jour un coup de téléphone de René Mayer et une
visite de Pierre Commin, envoyé par Guy Mollet pour avoir confir-
mation de sa candidature666.
Sa nomination à la place de Naegelen était une conséquence
de l’évolution des relations entre les partis de la « troisième force »,
qui avait peu à peu renforcé le poids du Parti radical et dimi-
nué celui du Parti socialiste. Le ministère de l’Intérieur, tuteur de
l’administration algérienne, était resté entre des mains socialistes
depuis le 7 septembre 1944 jusqu’à la démission des ministres
socialistes du gouvernement Bidault le 4 février 1950 : dans dix
gouvernements, il n’eut que quatre titulaires667. Leur départ du
gouvernement Bidault le fit passer au radical Henri Queuille. Mais
leur retour dans les gouvernements Pleven et Queuille, de juil-
let 1950 à juillet 1951, leur rendit un secrétariat d’État à l’Intérieur,
chargé de l’Algérie, confié à Eugène Thomas. Puis le retrait du
Parti socialiste après les élections législatives de juin 1951 laissa le
champ libre aux radicaux. L’Intérieur eut donc un ministre radical
de février 1950 à juin 1954, avec trois titulaires dans huit gouver-
nements : Henri Queuille de février 1950 à juin 1951 (en même
temps président du Conseil de mars à juillet 1951) ; puis Charles
Brune (ancien président de la gauche démocratique du Conseil

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LE CHOIX DE L’IMMOBILISME

de la République) dans les gouvernements Pleven, Faure, Pinay


et Mayer, d’août 1951 à juin 1953 ; enfin, dans le gouvernement
Laniel de juin 1953 à juin 1954, Léon Martinaud-Déplat, président
administratif du Parti radical de 1948 à 1955, et ministre de la
Justice de mars 1952 à juin 1953.
À partir de juin 1954, la formation du gouvernement de Pierre
Mendès France (pourtant lui aussi membre du Parti radical) avec
l’UDSR François Mitterrand à l’Intérieur, ouvrit une autre période,
et mit en sursis Roger Léonard, dont le successeur Jacques Sous-
telle fut désigné le 25 janvier 1955.
En effet, le Parti radical rassemblait des personnalités très dif-
férentes, sans les soumettre à une discipline comparable à celle
des Partis communiste ou socialiste. Son nom même (officielle-
ment « Parti républicain radical et radical-socialiste »), qui avait
un sens précis de parti de gauche sans concessions à sa fondation
en 1901, s’était affadi à mesure qu’il était devenu l’axe de presque
toutes les majorités républicaines entre 1900 et 1940. Après la
guerre, il avait commencé par refuser, en octobre 1945, l’aban-
don de la Constitution de 1875 et mis plusieurs années avant de
reprendre son rôle de parti indispensable à toute majorité gou-
vernementale. De Ramadier à Pflimlin, les radicaux participèrent
à tous les gouvernements de la IVe République, et en présidèrent
neuf sur dix-huit. En outre, de mai 1947 à juin 1951, la sécession
communiste et la pression gaulliste en faisaient l’axe indispen-
sable de la fragile majorité de « troisième force ». Paradoxalement,
le glissement à droite entraîné par le demi-succès des gaullistes et
le retrait des socialistes après les élections de juin 1951 diminua
le rôle du Parti radical au moment même où il monopolisait le
ministère de l’Intérieur.
Henri Queuille, notable provincial du Parti radical, maintes
fois ministre durant l’entre-deux-guerres, était devenu depuis

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

son arrivée à Londres en avril 1943 l’un des principaux hommes


politiques républicains ralliés à la France libre. Installé à Alger à
partir d’août 1943, il devint en novembre un membre important
du CFLN, commissaire d’État chargé des Relations inter-commis-
sariales, puis président par intérim du CFLN durant les longues
absences du général de Gaulle à partir de mai 1944. À ce titre,
il a tenu un Journal d’un grand intérêt, où il a exprimé des juge-
ments sur de nombreuses personnalités, très favorables à Pierre
Mendès France, beaucoup moins à Catroux668. Reconstructeur du
Parti radical, il fut de 1948 à 1951 le champion de la lutte pour le
redressement financier et pour la défense de la IVe République, et
à ce titre l’auteur de la loi électorale de 1951 que lui reprochèrent
communistes et gaullistes. Victime de son apparence modeste
et d’une boutade souvent citée, il passa pour le « docteur tant
mieux », le président « pas de problème », symbole de l’immobi-
lisme du régime669.
Il garda de son séjour à Alger un rôle d’introducteur pour de
hauts fonctionnaires nommés en Algérie, particulièrement impor-
tant quand le gouvernement général passa de la tutelle socialiste
à celle des radicaux à partir de 1951670. On trouve trace de ce rôle
dans les Mémoires inédits de Roger Léonard671. De même le direc-
teur de la sécurité générale de l’Algérie de 1953 à 1955, Jean Vau-
jour672, ne cache pas qu’il avait débuté sa carrière dans les cabinets
des ministres radicaux Henri Queuille et Maurice Bourgès-Mau-
noury, et que les hommes politiques tendaient à cataloguer les
hauts fonctionnaires en tant que protégés de tel ou tel ministre, ce
qui compliqua sa tâche quand Pierre Mendès France prit la tête du
gouvernement en juin 1954673, et lui coûta sa place quand Jacques
Soustelle succéda à son patron Roger Léonard en 1955.
Plus profonde est aujourd’hui encore la disgrâce de Léon
Martinaud-Déplat et de son « fidèle Achate » Charles Brune674. Le

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LE CHOIX DE L’IMMOBILISME

premier, surtout, a été dépeint par de nombreux auteurs comme


le type du politicien intrigant, « homme de couloir et non de tri-
bune », ayant « une fâcheuse et fatale tendance à mêler la politique
et la police », représentant « exactement le contraire de Mendès
France : le colonialisme, la défense des intérêts privés, le conser-
vatisme social675 ». La mémoire du second est restée attachée aux
mesures anti-communistes qui culminèrent avec l’arrestation
de Jacques Duclos, le 28 mai 1952. L’un et l’autre manifestèrent
dans les conseils des ministres sur la Tunisie la même sévérité
pour le terrorisme musulman joint à la même indulgence pour le
« contre-terrorisme » européen, qui épouvanta le président de la
République Vincent Auriol676.
En Algérie, les radicaux jouaient un rôle de premier plan
dans le « lobby algérien » qui rassemblait depuis la fin de 1946 la
majorité des élus du premier collège, et dans le deuxième collège
musulman, presque tous les élus « indépendants677 ». Pourtant,
la prépondérance du Parti radical n’y allait pas de soi. L’Algé-
rie française était réputée républicaine avancée depuis le Second
Empire, mais depuis 1924 au moins la gauche y était minoritaire,
même en 1936. Il est vrai que, dans la vie politique locale, les
personnalités comptaient plus que les idéologies, et que des inté-
rêts privés influençaient les partis et la presse. Après la guerre, le
parti radical rompit avec les partis « marxistes » et se rapprocha
de la droite dans une commune méfiance envers les majorités
des deux assemblées constituantes, leurs projets de Constitution
et de statut de l’Algérie. Les députés de l’« Union algérienne » ou
« Union anti-marxiste » exigeaient en 1947 pour la future assem-
blée algérienne la parité et la « pureté » des collèges, c’est-à-dire
l’abrogation de l’ordonnance du 7 mars 1944, qui avait admis les
élites musulmanes dans le premier. Faute d’avoir obtenu satisfac-
tion sur ce point, ils votèrent contre le statut, sauf René Mayer

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

et le MRP Jacques Augarde678. Après le vote du statut, les élus


radicaux bénéficièrent de leur position centrale en Algérie, et de
celle de leurs homologues dans le Parlement et le gouvernement
à Paris.
Deux grands personnages incarnaient la puissance du Parti
radical en Algérie : Henri Borgeaud à Alger, René Mayer à Constan-
tine. Le premier était le plus fortement enraciné. Grand colon, pro-
priétaire du domaine viticole de la Trappe, il se fit élire conseiller
général et sénateur du département d’Alger. Il ne put récupérer le
contrôle du quotidien L’Écho d’Alger, pris en main depuis 1940 par
Alain de Sérigny, mais il dominait la fédération radicale du dépar-
tement, et surtout exerçait à Paris une influence discrète grâce à
ses amis Léon Martinaud-Déplat, Charles Brune qu’il remplaça
à la présidence de la Gauche démocratique, et Antoine Colonna,
sénateur des Français de Tunisie.
René Mayer était, quant à lui, d’une autre envergure. Grand
bourgeois et technocrate, fondateur de la SNCF en 1937, ancien
membre de l’équipe du général Giraud à Alger puis commissaire
du CFLN et ministre du GPRF, enfin commissaire général aux
Affaires allemandes et autrichiennes, il était venu tard à la poli-
tique. Après un échec à la première Constituante en métropole,
il se fit élire à la deuxième en juin 1946 dans le département
de Constantine, avec l’appui de l’ancien député Joseph Serda, du
sénateur Paul Cuttoli, de la Dépêche de Constantine de Léopold
Morel, et la bienveillance du secrétaire général du gouvernement
général, Pierre-René Gazagne679. Il représenta ce département
jusqu’à la dissolution de l’Assemblée nationale en décembre 1955,
en défenseur intransigeant des Français d’Algérie. En même
temps, il exerça à Paris de hautes fonctions ministérielles :
ministre des Finances de Robert Schuman (novembre 1947-juil-
let 1948), de la Défense nationale avec André Marie (juillet-août

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LE CHOIX DE L’IMMOBILISME

1948), garde des Sceaux sous Bidault (octobre 1949-juin 1950),


Pleven (juillet 1950-février 1951) et Queuille (mars-juillet 1951),
vice-président du Conseil chargé des finances et de l’économie
dans le deuxième gouvernement Pleven (août 1951-janvier 1952),
enfin, après deux échecs (en octobre 1949 et juillet 1951) président
du Conseil, poste qu’il occupa trop peu de temps (du 8 janvier au
21 mai 1953) pour donner sa mesure, à la grande déception de
Roger Léonard680.

La « gestion radicale » de Roger Léonard


Ces mœurs politiques ne facilitaient pas la tâche des gouverneurs
généraux, qui risquaient d’être sacrifiés au chantage d’un élu
influent sur le gouvernement, comme Chataigneau ou Naegelen.
À plus forte raison un haut fonctionnaire comme Roger Léonard
avait besoin de la protection et de l’amitié d’un « patron » politique,
fût-il ou non son supérieur hiérarchique. Assuré des « assenti-
ments nécessaires » à sa nomination par les soins de René Mayer et
d’Henri Queuille, il mesura très vite les limites de sa liberté dans
le choix de ses collaborateurs, par exemple celui de Jean Vaujour,
qui s’était heurté au veto d’Henri Borgeaud, parce que la sécu-
rité de l’Algérie devait être l’affaire d’un « Algérien681 ». Face aux
pressions, il s’efforça toujours de préserver, grâce à ses relations
confiantes et amicales avec ses « patrons », l’autonomie nécessaire
à l’exercice de son autorité de représentant du gouvernement fran-
çais et de chef de l’administration algérienne. Mais il savait d’em-
blée que le gouvernement ne lui demandait pas d’innover, et que
son action ne pouvait s’insérer qu’à « l’intérieur d’étroites limites »,
celles du statut de l’Algérie du 20 septembre 1947, tel qu’il avait été
interprété par son prédécesseur682.
La première de ses missions – celle qui justifiait le choix d’un
préfet de police – était le maintien de l’ordre et de la souveraineté

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

française contre les menées séparatistes. Dans ce domaine, il


héritait d’une situation apparemment tranquille, après le déman-
tèlement de l’Organisation spéciale (OS) du PPA-MTLD sous
Naegelen en 1950. Son premier souci fut politique : la formation,
après les élections législatives de juin, d’un « Front algérien pour
la défense et le respect de la liberté » rassemblant le PPA, l’UD-
MA, les Oulémas et les communistes. Rassuré par sa prompte
dislocation, il s’inquiéta davantage de l’explosion du conflit fran-
co-tunisien en 1952 et de l’effet d’une éventuelle solution poli-
tique de la question tunisienne sur la situation en Algérie. Inquiet
de voir Messali Hadj reprendre ses tournées d’agitation, il étendit,
le 26 avril 1952, l’interdiction de séjour dans les grandes villes
qui le frappait depuis 1946 à tout le département de Constantine ;
puis, le 14 mai, à tout le territoire algérien.
Craignant une reprise des activités clandestines de l’OS du
PPA, après le pacte d’unité d’action nord-africain du 12 février
1952 et la révolution égyptienne de juillet, il s’alarma de l’insuf-
fisance des forces du maintien de l’ordre. En juin 1953, il chargea
Jean Vaujour de renforcer la police, en augmentant ses effectifs,
son budget et sa formation dans un esprit de service public. De
même un plan de construction de dix casernes dans l’intérieur
fut adopté pour étendre l’implantation de la gendarmerie et de
la garde républicaine. Quant à « l’armée d’Afrique », affaiblie et
désorganisée par les besoins de la guerre d’Indochine, elle ne
comptait plus que 40 000 hommes, dont seulement 5 000 utili-
sables au maintien de l’ordre, faute d’entraînement et de matériel
adapté au terrain683.
Les élections étaient un autre souci pour le gouverneur géné-
ral, mais à des titres différents suivant les collèges électoraux.
Dans le deuxième collège, elles relevaient du maintien de l’ordre
et de la souveraineté française ; d’où le recours à des méthodes

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LE CHOIX DE L’IMMOBILISME

inusitées en métropole depuis le Second Empire. Roger Léonard


s’en est expliqué dans ses Mémoires inédits avec plus de fran-
chise que Marcel-Edmond Naegelen dans les siens684. Comme
lui, il pensait que l’administration, pour défendre les masses
musulmanes contre les pressions d’un parti fanatique, devait
soutenir ses candidats officiels, qualifiés d’« indépendants ».
Mais elle devait aussi « être judicieuse dans ses choix et mesurée
dans ses méthodes ». Or le choix de ses candidats résultait des
ambitions rivales des familles en place, et des interventions des
administrateurs et des élus du premier collège, arbitrées en der-
nier ressort par les préfets685. Arrivé en Algérie un mois avant les
élections de juin 1951, Roger Léonard fut surpris par les résul-
tats, qui éliminèrent toute représentation nationaliste de l’As-
semblée nationale française : « Le succès devait largement passer
mes espérances, et j’aurais préféré qu’il fût moins complet. Dans
toutes les circonscriptions les listes soutenues par l’administra-
tion se virent attribuer la majorité absolue des suffrages expri-
més [...]. En vérité ce succès, par son ampleur même, témoignait
de son inauthenticité [...]. »
Ne partageant pas l’exultation « à peu près générale dans les
milieux européens », il tenta en d’autres occasions de « donner
des directives plus précises quant au choix des candidats et à
la régularité au moins approximative des scrutins ». Mais les
résultats demeurèrent modestes. En fait, conclut-il, « sauf peut-
être en Kabylie [...] ce pays n’était absolument pas mûr pour les
libres jeux de la démocratie [...]. Il fallait se résigner à ce que
le résultat des élections en milieu musulman fût passablement
dérisoire686 ».
Dans le premier collège, si les méthodes étaient plus régulières,
les rivalités personnelles embarrassaient l’administration, dont
certains candidats étaient assez puissants pour exiger l’appui.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Roger Léonard expose en détail dans ses Mémoires les soucis que
lui attiraient ces rivalités687.
Mais les résultats des élections dans les deux collèges condi-
tionnaient l’activité législative, que le statut de l’Algérie avait
partagée entre l’Assemblée nationale française et l’Assemblée
algérienne. En droit, l’Assemblée nationale (assistée par le Conseil
de la République) était seule souveraine, mais elle déléguait
une partie de ses attributions à l’Assemblée algérienne. Le par-
tage des compétences était délimité par le statut, mais de nom-
breux cas litigieux se présentaient. En pratique, le gouvernement
accordait ou refusait l’homologation des décisions de l’Assemblée
algérienne, et ne soumettait à l’Assemblée nationale que ses pro-
positions de refus – soit pour raisons de fond, soit de forme, ce
qui entraînait la reprise des dispositions litigieuses par une loi. Le
devoir du gouvernement général était de coopérer avec l’Assem-
blée algérienne, pour prévenir ces conflits de compétence, source
de retards nuisibles. Mais ce n’était pas toujours facile, surtout
quand l’Assemblée était présidée par son « président-fondateur »,
Raymond Laquière, champion attardé de l’autonomisme « algé-
rien » du début du siècle688.
Par le statut de l’Algérie, l’Assemblée nationale s’était explici-
tement déchargée des réformes qu’elle n’avait pas pu réaliser de
1945 à 1947 sur l’Assemblée algérienne. L’incapacité de cette der-
nière à les faire aboutir la fit accuser de sabotage du Statut par les
minorités nationalistes (MTLD et UDMA), communiste et, plus
discrètement socialiste689. Mais la navette entre les assemblées
d’Alger et de Paris eut aussi son rôle dans cet inachèvement.
Certaines étaient des réformes administratives d’inspira-
tion assimilationniste. L’article 53 du Statut prévoyait le rem-
placement des « communes mixtes » par des communes rurales.
Le 27 décembre 1950, l’Assemblée algérienne fut saisie, sur sa

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LE CHOIX DE L’IMMOBILISME

demande, d’un projet de loi généralisant les expériences de


« centres municipaux » tentées en 1937 et en 1947. Mais le gou-
vernement et le Parlement négligèrent de lui donner une sanction
législative. Pendant ce temps, l’extinction progressive du corps
des administrateurs de commune mixte, privé de tout débouché
dans la préfectorale, aggravait la sous-administration du « bled »
au grand regret de Roger Léonard690.
L’article 50 prévoyait la suppression du régime spécial des ter-
ritoires du Sud, et leur rattachement total ou partiel aux départe-
ments du Nord. L’Assemblée algérienne, saisie sur sa demande
d’un projet de loi, avait adopté des amendements préconisant le
rattachement du nord saharien aux départements voisins, le reste
devant former deux « arrondissements sahariens ». Mais, en sep-
tembre 1951, le rapporteur du projet à l’Assemblée nationale, le
socialiste d’Oran Rabier, n’ayant pas respecté ces amendements, la
majorité de l’Assemblée algérienne protesta énergiquement. Puis
celle-ci fut unanime à repousser la proposition de constitution du
Sahara en un territoire directement rattaché à la métropole, pré-
senté au Parlement par le député Pierre July en mars 1952. Le
sort du Sahara ne fut réglé qu’en 1956, au moment même où les
recherches pétrolières aboutissaient691.
D’autres réformes, à caractère culturel, échouèrent à cause de
leurs fortes implications politiques. L’organisation de l’enseigne-
ment de la langue arabe, proposée par l’UDMA en 1950, buta sur
le principe de l’obligation, rejetée par le premier collège, et sur
la querelle des anciens et des modernes, arabe classique ou dia-
lectal, qui divisa le second. La réalisation de l’indépendance du
culte musulman envers l’État, également proposée par l’UDMA en
1950, fit l’objet d’un rapport du délégué Mesbah en 1952. Mais le
gouverneur général, approuvé par le conseil d’État, s’y opposa par
crainte d’institutionnaliser une « église » musulmane qu’aurait pu

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

contrôler l’association des Oulémas, et d’organiser des élections


purement musulmanes692. Quant au droit de vote des femmes
musulmanes, il n’intéressait personne dans les deux collèges, et
l’administration craignait de heurter le conservatisme de l’opinion.
Mais le rôle essentiel de l’Assemblée algérienne était le vote du
budget, préparé par les services du gouvernement général. On a
souvent écrit que cette assemblée – comme les Délégations finan-
cières qu’elle remplaçait – avait mené une politique étroitement
conservatrice, son grand souci étant d’« éviter d’augmenter la fis-
calité en recourant à l’emprunt et à l’aide métropolitaine693 ». C’est
oublier que l’Algérie s’était engagée depuis 1944, pour faire face
à la croissance explosive de sa population indigène, dans un pro-
gramme d’investissements économiques et sociaux qui grevaient
lourdement son budget extraordinaire (de premier établissement)
et ordinaire (de fonctionnement) ; et que la métropole avait recon-
nu, en 1946, la nécessité absolue d’une contribution métropoli-
taine permanente pour le succès de ce programme.
À cette époque, ceux des hommes politiques qui n’avaient pas
entièrement oublié le plan des réformes de 1944 rappelaient plus
volontiers leur dimension économique et sociale que leur dimen-
sion politique. Henri Queuille rappela dans sa déclaration d’inves-
titure du 9 mars 1951 le devoir de « poursuivre l’effort entrepris
pour réaliser de nouveaux progrès dans l’équipement économique
de nos territoires », notamment « d’Afrique du Nord, dont je ne puis
oublier qu’elle fut le haut lieu d’où l’assaut a été donné pour la
libération de la patrie et où nos frères musulmans travaillent avec
nous à la grandeur française ». Surtout, le président de la Répu-
blique Vincent Auriol, qui avait présidé l’Assemblée consultative
d’Alger, a manifesté à plusieurs reprises dans son Journal du sep-
tennat son intérêt pour les problèmes de l’Algérie et de l’Afrique
du Nord, et rappelé explicitement le précédent algérois de 1944

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LE CHOIX DE L’IMMOBILISME

au conseil des ministres du 5 novembre 1952 : « On pourrait alors


faire une très grande politique. C’est ainsi qu’on a agi sous l’occu-
pation (sic) à Alger. De Gaulle avait fait plusieurs commissions
qui avaient abouti à des résultats intéressants et même unanimes
entre Français, Tunisiens et Algériens ; on ne fait plus rien et c’est
l’immobilisme694. »

Un coût jamais assumé


À première vue, les réformes économiques et sociales n’avaient
pas souffert du coup d’arrêt imposé aux réformes politiques par
le vote du statut de l’Algérie et par l’implication de la France dans
la Guerre froide. Au contraire, le plan Monnet de 1946 et le plan
Marshall de 1947 avaient créé les conditions d’une pleine effica-
cité de la politique de développement accéléré de l’Algérie, en l’in-
sérant dans la modernisation de la métropole et de toute l’Union
française. On pouvait avoir des inquiétudes sur les chances de
succès de la politique de réformes algériennes élaborée à Alger en
1944 aussi longtemps que l’aide métropolitaine au financement
de ce plan n’était pas définitivement acquise, mais cette condi-
tion essentielle du succès était remplie en principe depuis les deux
projets de loi soumis par le gouvernement Bidault au parlement le
24 septembre 1946, et concrétisés par le budget de l’Algérie pour
1947, présenté par le gouvernement Blum le 22 décembre 1946.
L’apaisement apparent de la situation politique de l’Algérie à partir
du printemps de 1948 semblait coïncider avec le début d’un grand
élan des transformations économiques et sociales, susceptible de
révolutionner les données du problème algérien.
Or, ce grand élan, que semblait annoncer le discours solennel
du gouverneur Naegelen à l’Assemblée algérienne, le 21 mai 1948,
ne tint pas toutes ses promesses, pour des raisons qu’il convient
de rechercher dans deux sources principales : les documents et les

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

débats parlementaires, publiés par le Journal officiel de la Répu-


blique française, et le témoignage du gouverneur général Roger
Léonard dans ses Mémoires inédits.
Deux ans après le projet de loi du 24 septembre 1946 tendant
à assurer le concours de la métropole au financement du plan de
progrès social de l’Algérie, un texte presque identique était de
nouveau présenté dans l’article 89 du projet de loi de finances
voté le 26 septembre 1948695. Selon les documents parlementaires
du Conseil de la République, « un projet de loi avait été préparé
au cours de l’année 1947, tendant à instituer un fonds spécial
destiné au financement du plan de progrès social de l’Algérie. Ce
projet n’ayant pu aboutir à ce jour, il est apparu opportun au gou-
vernement de le reprendre à l’occasion de la loi de finances ». Il
est également signalé, à propos de l’article fixant le montant des
avances à long terme du trésor destinées à couvrir les dépenses
de ce fonds spécial : « Le fonds spécial assurant le financement
du plan de progrès social de l’Algérie peut recevoir des avances
à long terme du trésor dans la limite des plafonds fixés chaque
année par la loi de finances. En ce qui concerne l’exercice 1947,
l’avance a en fait été versée par le trésor algérien. Il convient donc
de régulariser cette situation et de prévoir le remboursement par
le Trésor métropolitain des sommes ainsi versées qui se sont éle-
vées à 2 257 millions de francs696. » Ainsi, le financement métro-
politain décidé en septembre 1946 n’était pas encore entré dans
les faits deux ans plus tard, mais son principe n’était pas remis
en question.
Dans les années suivantes, la meilleure perception des difficul-
tés auxquelles se heurtait le plan de développement de l’Algérie
semble avoir fait naître des doutes, à la fois sur la possibilité même
d’élever rapidement le niveau de vie de la population musulmane
algérienne à l’égal de celui de la métropole, et sur la capacité de la

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LE CHOIX DE L’IMMOBILISME

métropole à prendre en charge ses besoins sans cesse croissants.


On en trouve des traces dans les colonnes du Journal officiel. Par
exemple, en mars 1949, à l’Assemblée de l’Union française, deux
propositions de résolution présentées par D. Cianfarani et É. Meyer
demandent l’augmentation du contingent de devises ERP (Euro-
pean Recovery Program, instrument du plan Marshall) attribué
à l’Algérie pour son équipement agricole et industriel, et une plus
large contribution de la métropole à la réalisation du plan de pro-
grès social de l’Algérie697. De même, le 28 juillet 1949, peu après
le voyage du président de la République, le sénateur Léo Hamon
présentait avec inquiétude un bilan des problèmes économiques
et sociaux de l’Algérie, et soulignait « la nécessité d’aller vite dans
le rapprochement des niveaux de vie respectifs. On n’écarte la
menace du séparatisme politique qu’en tendant à réaliser toujours
davantage l’assimilation humaine ». Sans vouloir discuter le détail
ni la répartition de l’aide que la métropole devait fournir au bud-
get algérien, il jugeait « nécessaire d’en proclamer la nécessité, de
demander, pour la continuité même de l’œuvre française, qu’il soit
fait beaucoup plus qu’il n’a été fait jusqu’à présent ». Il proposait
donc la résolution suivante : « Le Conseil de la République invite le
gouvernement à inaugurer à l’occasion du budget extraordinaire
de 1950 un effort substantiel d’aide du budget national au bud-
get algérien, effort qui devra être étalé sur plusieurs années et
présenter la continuité nécessaire pour permettre à l’Algérie de
réaliser très rapidement un programme d’investissements éco-
nomiques, tant dans le domaine agricole que dans les domaines
industriels, culturels et sociaux698. » Mais le 1er décembre 1949, la
plupart des députés algériens à l’Assemblée nationale protestent
contre l’intention prêtée au gouvernement de réduire ces crédits
« déjà insuffisants », et l’invitent à « maintenir dans leur intégra-
lité pour l’exercice 1950 les crédits précédemment attribués pour

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

assurer la mise en œuvre du plan d’équipement des départements


algériens699 ».
Un document de la commission des finances de l’Assemblée
nationale, présenté à la séance du 22 octobre 1953, permet de
faire un point rétrospectif sur l’évolution de la politique sociale,
puis de la politique économique de l’Algérie depuis 1947.
Il retrace l’origine du fonds de progrès social, effectivement
créé par l’article 89 de la loi de finances du 26 septembre 1948
« qui institua le fonds spécial pour le financement du plan de
progrès social de l’Algérie, détermina ses ressources et les
conditions de sa gestion et de son contrôle par un comité direc-
teur dont la composition et les attributions furent précisées par
le décret n° 50-269 du 4 mars 1950 ». Ce comité directeur est
placé sous la présidence du ministre de l’Intérieur et « comprend
des représentants du ministre des Finances et des Affaires éco-
nomiques, du gouverneur général de l’Algérie, des commissions
de l’Intérieur et des Finances de l’Assemblée nationale et du
Conseil de la République, enfin des délégués de chacun des
deux collèges de l’Assemblée algérienne ». Il rappelle les res-
sources du fond, prévues par l’article 89 : « Une dotation du bud-
get de l’État dont le montant est inscrit chaque année au budget
de l’Intérieur (chapitres 68-80) ; une dotation de l’Algérie votée
chaque année par l’Assemblée algérienne et prélevée sur les res-
sources ordinaires ou extraordinaires du budget spécial de l’Al-
gérie ; le versement des trois quarts, au moins, du produit de la
contribution de l’Algérie aux dépenses militaires, contribution
elle-même fixée par l’article 44 de la loi du 26 septembre 1948
à 3 pour 100 du montant des produits et revenus ordinaires du
budget de l’Algérie ; une avance à long terme du Trésor métro-
politain, dans la limite des plafonds fixés chaque année par la
loi de finances. »

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LE CHOIX DE L’IMMOBILISME

Il présente surtout un bilan précis de l’exécution du plan, et


d’abord de son financement700 (en millions de francs) :

Année dotation dotation avances dotation contribution


totale métropolitaine du trésor algérienne militaire
1947 3 120 100 2 500 250 270
1948 3 895 100 2 500 920 375
1949-1950 8 325 145 3 000 4 280 900701
(15 mois)
1950-1951 7 373 150 2 400 3 923 900
1951-1952 8 376,5 142,5 2 400 5 834 néant
1952-1953 9 909,5 142,5 3 000 6 767 néant
1953-1954 8 862,5 142,5 4 500 3 420 800

On voit dans ce tableau une évolution très irrégulière de la


dotation totale, et des parts respectives de l’Algérie et de la métro-
pole, celle-ci étant constituée en grande majorité par les avances
du Trésor.
Le bilan des réalisations effectuées est ensuite précisé, en dis-
tinguant l’équipement sanitaire, l’équipement scolaire, et l’habitat.
Une synthèse prospective indique enfin les « problèmes d’avenir ».
Alors que « jusqu’à présent, compte tenu du retard pris au cours
des premières années, le plan de progrès social se réalise à peu
près conformément aux prévisions », deux éléments importants
doivent être considérés : la croissance démographique, et l’aug-
mentation des dépenses de fonctionnement.
« 1° Le développement démographique de l’Algérie est tel que
les prévisions sont largement dépassées. En particulier, la com-
mission des réformes avait évalué à 1 250 000 enfants la population
scolaire de l’Algérie ; elle est aujourd’hui supérieure à 2 200 000.
D’ores et déjà, le rythme de 600 classes est insuffisant. C’est plus

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

de 2 300 classes nouvelles qu’il faudrait construire annuellement


pour couvrir l’augmentation croissante de la population d’âge sco-
laire. Le programme primitif devrait être revu et profondément
remanié. » En effet, la population de l’Algérie, dont le dernier
recensement d’avant-guerre datait de 1936, était beaucoup mieux
connue depuis celui de 1948, qui avait utilisé les méthodes et les
experts de l’Institut national d’études démographiques (INED). Il
apparaissait que la population musulmane augmentait plus vite
qu’on l’avait cru, et que son accroissement s’accélérait, comme le
confirma ensuite le recensement du 31 octobre 1954702. En consé-
quence, il fallait considérer le développement de l’enseignement
technique et professionnel en fonction non seulement des besoins
de l’économie algérienne, mais de celle de la métropole. Mais cette
perspective, pleinement acceptée par l’administration algérienne
comme une indispensable soupape de sûreté703, suscitait les plus
grandes inquiétudes des experts métropolitains704.
« 2° Les investissements sociaux, non rentables dans l’immé-
diat, entraînent l’augmentation des dépenses de fonctionnement.
[…] Le budget ordinaire de l’Algérie se trouve ainsi surchargé.
Il doit, en outre, assurer le remboursement des avances du Tré-
sor. De ce fait, la participation du budget ordinaire au budget
extraordinaire, et par suite au fonds de progrès social, s’amenuise
nécessairement », comme le montre la réduction de la dotation du
budget algérien, de 6 767 millions en 1952-1953 à 3 420 millions en
1953-1954. Pour cette raison, le comité directeur du fonds de pro-
grès social avait demandé dans une motion adoptée à l’unanimité
le 23 juillet 1953 « une augmentation importante de la dotation
métropolitaine inscrite au budget du ministère de l’Intérieur ». En
conséquence, le gouvernement avait accepté d’inscrire un crédit
de quatre milliards à ce budget pour 1954. Mais en raison des
difficultés financières actuelles, cette augmentation n’a pu être

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LE CHOIX DE L’IMMOBILISME

obtenue que « par prélèvement sur le montant des avances rem-


boursables allouées à l’Algérie pour ses investissements écono-
miques et sociaux et qui provenaient précédemment du fonds de
modernisation et d’équipement705».
Enfin, le même document du 22 octobre 1953 commente le plan
d’équipement économique de l’Algérie, qui prévoyait pour 1954
un total de 38 166 milliards de francs, comportant des ressources
algériennes (7 141 millions, plus 4 025 millions d’emprunts à long
terme) et 27 milliards de ressources métropolitaines sous forme
de prêts et d’avances. Mais « en raison des difficultés financières
actuelles », le gouvernement a réduit ce montant à 24 milliards. Le
document conclut que « le moment paraît mal choisi tant du point
de vue économique que politique pour comprimer des dépenses
absolument nécessaires », et se termine en plaidoyer pour la prise
en compte des besoins de l’Algérie par la métropole : « Cette poli-
tique d’efforts soutenus et constants n’exprime sans doute pas sa
rentabilité immédiate en chiffres – mais n’est-elle pas, à la vérité,
la seule qui soit payante706 ? »
Le gouverneur général Roger Léonard a laissé des Mémoires
inédits dans lesquels il a retracé ses analyses et ses réactions face
aux problèmes de l’élaboration du budget de l’Algérie, engagée
depuis 1944 dans un programme d’investissements économiques
et sociaux qui grevaient lourdement son budget extraordinaire (de
premier établissement) et ordinaire (de fonctionnement). L’aide
du budget métropolitain, jugée indispensable par la commission
des réformes en 1944, fut assurée, à partir de 1948 au moins, dans
le cadre du plan Monnet et du plan Marshall, sous la forme d’une
participation au fonds de progrès social de l’Algérie et de crédits
du fonds de modernisation et d’équipement, mais elle resta chiche-
ment mesurée. L’Algérie devait compter sur les excédents de son
budget ordinaire pour alimenter son budget extraordinaire ; mais

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

les investissements alourdissant les dépenses de fonctionnement,


ces excédents ne pouvaient que diminuer et disparaître707.
Pour conjurer la crise imminente, Roger Léonard, aidé par le
bureau de l’Assemblée algérienne, alerta la presse et les milieux
gouvernementaux, politiques, économiques. Il n’obtint rien d’An-
toine Pinay qui, pour combattre l’inflation, bloqua trois milliards
de francs de crédits d’investissements. L’avènement de René Mayer
en 1953 lui fit espérer que « l’Algérie bénéficie[rait] d’un patronage
puissant, dont il est grand besoin pour elle, car notre budget est
à bout de souffle ». Mais, faute d’un effort suffisant de la métro-
pole, il dut présenter, en février 1953, un budget comprimant
toutes les dépenses d’entretien et réduisant les dotations de cer-
tains crédits d’équipement. Le ministre de l’Éducation nationale,
André Marie, lui promit de prendre en charge une part importante
du traitement des maîtres, mais le ministre des finances Bour-
gès-Maunoury le désavoua. « Avec une telle incompréhension ou
une telle impuissance de la métropole, comment pourrons-nous
convaincre la population musulmane que la citoyenneté française
n’est pas un leurre ? », se demandait Roger Léonard708. Lassé de se
heurter à des impossibilités budgétaires, il décida de réclamer un
examen approfondi de la situation et des rapports financiers de
l’Algérie avec la métropole par une commission d’experts. Début
1954, il en arracha la promesse à sa vieille connaissance d’avant-
guerre Léon Martinaud-Déplat, sans pour autant éviter une fronde
à l’Assemblée algérienne contre les inévitables majorations fis-
cales709. Son successeur, François Mitterrand, ayant confirmé cette
promesse, la commission présidée par le conseiller d’État Roland
Maspetiol se réunit pour la première fois quelques jours après le
1er novembre 1954.
C’est dans le domaine financier, économique et social que Roger
Léonard se montra le plus actif, à défaut de pouvoir agir ailleurs.

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LE CHOIX DE L’IMMOBILISME

« L’impossibilité où je suis de transformer la situation politique ne


peut que me conduire à aborder simultanément le problème algé-
rien sous tous ses aspects », écrit-il dans ses Mémoires. Son état
d’esprit, au début de sa mission, n’avait pas fondamentalement
changé trois ans après : « Mon inquiétude grandit à voir que dans
la métropole on se borne à poser le problème algérien en termes
purement politiques, alors qu’ainsi limité il est proprement inso-
luble, à moins de consentir à une totale démission710. » Mais son
analyse le conduisait à minimiser l’importance des facteurs poli-
tiques, pour en faire au mieux de simples conséquences de causes
démographiques et économiques, en négligeant leur rôle détermi-
nant. « Il faut que les problèmes de l’Algérie puissent être résolus
si l’on ne veut pas que naisse le problème algérien », déclara-t-il le
3 mai 1954 devant le ministre Martinaud-Déplat711.

Pierre Mendès France : l’ordre et la réforme


Cette attitude qui comportait « une part de dangereux immobi-
lisme », fut soudain dépassée par la marche des événements. La
chute de Dien-Bien-Phu et le piétinement de la conférence de
Genève entraînèrent le renversement du gouvernement Laniel,
remplacé par celui de Pierre Mendès France. Le nouveau président
du Conseil était radical, mais vraiment de gauche, et il forma le
18 juin 1954 une équipe de personnalités, en dehors des appa-
reils de partis, pour tenter de résoudre l’un après l’autre tous les
problèmes urgents qui se posaient à la France. Il connaissait l’Al-
gérie pour y avoir siégé comme ministre des Finances du CFLN
en 1943-1944, et avoir été l’ami du général Catroux712. Il confia
l’Intérieur à François Mitterrand, chef de la tendance de gauche
de l’UDSR, connu pour sa politique de dialogue avec les natio-
nalistes en Afrique noire, son plan de réformes tunisiennes dans
le gouvernement Edgar Faure de février 1952, et sa démission du

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

gouvernement Laniel après la déposition du sultan du Maroc en


août 1953. L’Algérie était représentée par le secrétaire d’État à la
Défense nationale Jacques Chevallier, homme de droite, ancien
ami du directeur de L’Écho d’Alger Alain de Sérigny, mais partisan
d’un « dialogue entre Algériens » et réputé « libéral » depuis son
expérience de coopération avec les élus MTLD à la mairie d’Alger.
Roger Léonard se sentit aussitôt en sursis.
Le gouvernement n’avait pas caché, dès son investiture, sa
volonté de changer de politique en Afrique du Nord, en « renouant
des dialogues malheureusement interrompus » pour prévenir l’ex-
tension de la violence tunisienne et marocaine aux départements
algériens. En Algérie, on lui prêtait l’intention de présenter un pro-
gramme de réformes spectaculaires pour rallier les musulmans
à la France par une application intégrale du statut713. S’il inspira
des espoirs aux élus du deuxième collège, dont une délégation
fut reçue par le président du Conseil en août, il souleva très tôt
l’inquiétude du sénateur Borgeaud et de ses amis, que Léon Marti-
naud-Déplat exprima dans un débat à l’Assemblée nationale après
le discours de Carthage, s’attirant une dure réplique de Pierre
Mendès France. René Mayer, qui avait soutenu le gouvernement
avec réserve, prit ses distances après l’échec de la CED.
Roger Léonard, fonctionnaire loyal, sans méconnaître « les
dangers croissants de l’immobilisme », ne croyait pas possible de
désarmer le nationalisme par de « modestes réformes », et restait
« convaincu que n’aborder le problème algérien que par la voie de
réformes politiques c’[était] se condamner à ne pas le résoudre »,
si l’on entendait « sauvegarder le caractère français de ce pays714 ».
Dans ses premières entrevues avec son nouveau ministre, il réus-
sit à lui transmettre les informations alarmantes que recueillait
Jean Vaujour sur les préparatifs insurrectionnels des anciens de
l’OS ; il obtint la ferme promesse de constituer une commission

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LE CHOIX DE L’IMMOBILISME

d’experts financiers présidée par son ami le conseiller d’État


Roland Maspetiol ; mais il sentit que dans le domaine politique
son nouveau patron lui accordait une confiance limitée, qui ren-
drait leur collaboration malaisée. Après le séisme d’Orléansville,
deux visites de François Mitterrand en Algérie lui permirent
d’apaiser momentanément les élus du premier collège, tout en
renforçant avec Jacques Chevallier le dispositif militaire contre le
danger insurrectionnel imminent715. Mais le « coup de tonnerre »
du 1er novembre fournit de nouveaux arguments aux opposants :
l’apparente surprise des autorités, et l’annonce par le gouverne-
ment de son intention de faire des réformes sans attendre le réta-
blissement de l’ordre716.
Le 12 novembre, à l’Assemblée nationale, le président du
Conseil et son ministre de l’Intérieur dévoilèrent leur programme
algérien. Comme l’a rappelé Charles-Robert Ageron, « Pierre Men-
dès France fut amené à prononcer un discours qu’on a carica-
turé en le résumant par la formule “l’Algérie c’est la France”. S’il
affirma avec conviction la nécessité de la répression pour sauve-
garder l’unité de la France : “Entre l’Algérie et la France il n’y a pas
de sécession concevable”, il annonça également : “L’ordre rétabli,
nous devons nous attaquer aux racines profondes des problèmes
qui sont d’abord économiques et sociaux […]. Par l’exercice des
droits démocratiques, par la coopération généreuse de la métro-
pole, nous saurons créer en Algérie la vie meilleure que la France
doit assurer à tous ses citoyens et à tous ses enfants.” François
Mitterrand répéta que le peuple algérien était partie intégrante de
la nation française et que “le gouvernement veillera à ce que nos
concitoyens sachent qu’ils ont une espérance et que cette espé-
rance est française”717 ». Même si la politique algérienne était sui-
vie de près par le ministre de l’Intérieur, responsable de l’Algérie,
les deux hommes avaient défini la même ligne, fondée sur deux

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

actions simultanées de rétablissement de l’ordre et de relance


des réformes enlisées depuis 1947-1948. Les deux responsables
avaient d’ailleurs nommé dans leur entourage immédiat des col-
laborateurs qui avaient une expérience directe des réformes algé-
riennes : André Pélabon, chef de cabinet du président du Conseil
et ancien secrétaire général du gouvernement général de l’Algérie
au temps du gouverneur Chataigneau, et Pierre Nicolaï, son homo-
logue auprès du ministre de l’Intérieur. La volonté de relancer la
politique de 1944, que le général Catroux avait appelée « politique
d’assimilation ou d’intégration » se résumait dès lors dans la for-
mule « politique d’intégration », adoptée par Roger Léonard et
par le successeur que lui choisit Pierre Mendès France, à savoir
l’ancien leader du RPF, lui aussi passé par Alger en 1943-1944,
Jacques Soustelle718.
Après tant d’années d’immobilisme, ce changement deman-
dait autant de prudence que d’audace. Mais François Mitterrand
excita ses adversaires par des maladresses : annonce du « plan
Mitterrand », le 5 janvier 1955, sans consulter les élus algériens,
y compris Jacques Chevallier qui protesta ; intervention indis-
crète dans une élection partielle à l’Assemblée algérienne contre
le candidat du député indépendant Paternot ; enfin, le 25 janvier,
remplacement de Roger Léonard. Pierre Mendès France aggrava
involontairement l’effet de cette décision en préférant au préfet de
police de Paris André-Louis Dubois, le député gaulliste Jacques
Soustelle, « tombeur » de René Mayer en mai 1953. « Ce choix me
rend ma liberté », déclara le député de Constantine, avant de porter
l’estocade au cabinet Mendès France en lui reprochant de n’avoir
pas trouvé de « moyen terme entre l’immobilisme et l’aventure »,
dans la nuit du 5 au 6 février 1955719.
Contrairement à ce qu’avaient espéré ses auteurs, le renverse-
ment d’un gouvernement exceptionnel n’entraîna pas un retour

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LE CHOIX DE L’IMMOBILISME

à la normale. Malgré une accélération constante du rythme des


réformes, les troubles en Algérie devinrent en quelques mois une
guerre sans précédent, qui mit à rude épreuve toutes les institu-
tions coloniales et nationales, et qui aboutit, au bout de sept ans,
à la remise en cause de ce l’on appelait depuis plus d’un siècle
l’Algérie française.

« L’Algérie ? Perdue, finie »


Rétrospectivement, le 1er novembre 1954 apparaît comme la fin
d’une époque et le début d’une autre dans les rapports franco-
algériens. Mais en février 1955, quand Jacques Soustelle succéda
à Roger Léonard, nul ne savait qu’il serait le dernier gouverneur
général de l’Algérie française, et que toutes les structures de la
colonie, vieilles de plus d’un siècle, s’effondreraient en moins d’un
an. Au contraire, l’ancien secrétaire général du RPF avait été choi-
si par Pierre Mendès France, ancien membre du CFLN d’Alger,
pour relancer la politique d’intégration adoptée en 1944 sur la pro-
position du général Catroux, et il s’identifia de plus en plus à sa
mission à mesure que cette politique apparut gravement menacée
d’échec et d’abandon.
Beaucoup d’hommes politiques de la IVe République, comme
Jacques Soustelle, Pierre Mendès France, Edgar Faure, Henri
Queuille, René Mayer, Vincent Auriol, André Le Troquer, André
Philip, et même, très brièvement, François Mitterrand, étaient
informés de cette politique d’intégration pour être passés par
Alger au temps du CFLN et de la première Assemblée consulta-
tive. Mais ils ne semblent pas en avoir tiré les mêmes leçons. La
guerre d’Algérie les conduisit à des prises de positions très diffé-
rentes : certains, comme Soustelle, restèrent fidèles jusqu’au bout
à l’intégration, alors que beaucoup d’autres y renoncèrent, plus ou
moins rapidement, comme Pierre Mendès France.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Cette évolution ne concerna pas uniquement les hommes poli-


tiques. Le général Catroux, qui, en 1944, avait présenté la politique
d’intégration comme la dernière chance de réaliser une Algérie
française avant qu’elle ne devienne inévitablement indépendante
(suivant le modèle libanais), avait très nettement évolué durant
les dix années suivantes. De retour de son ambassade à Moscou
en avril 1948, il avait rejoint le RPF à la fin décembre ; mais ses
prises de position sur les problèmes internationaux et coloniaux
étant mal accueillies par la plupart des militants gaullistes, il en
démissionna à la fin de 1951. Ferme opposant à la déposition du
sultan du Maroc Mohammed Ben Youssef, qu’il jugeait contraire
aux leçons de Lyautey, il joua un rôle personnel direct dans le
retour au pouvoir de ce dernier en allant lui rendre visite à Mada-
gascar en septembre 1955. Le président du Conseil, Guy Mollet,
principal leader du Front républicain avec Pierre Mendès France,
le nomma ainsi ministre résidant en Algérie à la fin janvier 1956,
vint à Alger pour lui préparer le terrain le 6 février 1956, et accep-
ta sa démission après l’accueil tumultueux que lui réservèrent les
manifestants « ultras ». Dès cette date, le nom de Catroux n’évo-
quait plus la politique réformiste de 1944, mais la liquidation de
l’Algérie française. Même s’il s’en défendait, son jugement sur les
chances de la sauver avait évolué, puisque dès le 4 janvier 1955,
il avait déclaré que les populations étaient entièrement acquises
à l’idée nationale, et que les élus du premier collège n’étaient pas
représentatifs720.
Au contraire, Charles de Gaulle, principal signataire de l’ordon-
nance du 7 mars 1944, devenu en 1947 le chef du RPF, avait semblé
se rapprocher de plus en plus des élus « colonialistes » du premier
collège dans les débats sur le statut de l’Algérie, et il était venu
leur apporter son appui à Alger, en octobre 1947 et en mai 1951.
Toutefois, s’il avait laissé le général Catroux démissionner

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LE CHOIX DE L’IMMOBILISME

du RPF en décembre 1951, il n’avait jamais rompu avec lui, et leur


correspondance l’avait sans doute aidé à mesurer la diminution
des chances de sauver l’Algérie française.
En février 1955, peu après avoir donné son accord à Jacques
Soustelle pour qu’il acceptât le poste de gouverneur général de l’Al-
gérie, il déclara à Edmond Michelet : « L’Algérie ? Perdue, finie721. »
Le 18 mai 1955, il exposa les raisons de son pessimisme à Louis
Terrenoire. Enfin, le 30 juin 1955, dans sa dernière conférence
de presse avant son retour au pouvoir, il employa une dernière
fois le mot « intégration » en y voyant une forme particulière de la
politique d’association, mais déclara qu’« aucune autre politique
que celle qui vise à substituer l’association à la domination dans
l’Afrique du Nord française ne saurait être ni valable ni digne de
la France ». Dès ce moment, la solution gaullienne s’alignait sur
celle de Catroux, ou allait même plus loin. Jacques Soustelle, et
la plupart des gaullistes, même ceux qui, plus tard, rejoignirent
sur cette question le Général, comme Jacques Foccart et Michel
Debré, étaient encore loin d’en être conscients.

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Conclusion
La politique coloniale suivie par la France en Algérie durant cent
trente deux ans a-t-elle eu une unité ? Si oui, comment la défi-
nir ? Ces questions étaient à l’origine de notre recherche, et il faut
maintenant tenter d’y répondre.
La France a eu, pendant au moins cent dix ans, entre 1830 et
1940, la possibilité de définir et d’appliquer en Algérie la politique
coloniale qu’elle voulait, parmi les quatre politiques définies par
les théoriciens de la colonisation au XIXe et au début du XXe siècle :
assujettissement, assimilation, association, et autonomie.
La première fut une pratique de fait, employée durant la
conquête et même au-delà, pour l’administration des « indigènes »,
mais ne fut jamais une formule durable dans son principe. La
deuxième, au contraire, eut toute la faveur de l’idéologie républi-
caine, et acquit un statut de doctrine quasi officielle sous la IIe
et sous la IIIe République. La troisième, consistant à reconnaître
que l’Algérie française et l’Algérie musulmane resteraient des réa-
lités distinctes et devaient trouver des raisons de coexister et de
coopérer dans des intérêts communs, fut illustrée dès les années

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

1860 par Napoléon III sous le nom de royaume arabe, et reprise


par quelques réformateurs ou théoriciens comme Jules Ferry ou
Paul Leroy-Beaulieu sous la IIIe République. À défaut de séduire
les hommes politiques républicains, elle convainquit la plupart
des experts coloniaux. La quatrième, inspirée par l’exemple des
dominions britanniques, fut un modèle idéal très incomplète-
ment appliqué à partir de 1900, mais jamais abouti, car jamais
les « Algériens » français ou européens ne devinrent majoritaires
en Algérie, et jamais la métropole ne renonça à sa souveraineté
sur le pays. Quant à la notion de colonialisme, formule polémique
répandue par les anticolonialistes, et définie par un projet de
domination et d’exploitation unilatérale, elle ne fut pas théorisée
et ne pouvait pas l’être, tant elle était condamnée à l’échec.
La synthèse problématique de ces quatre conceptions diffé-
rentes manquait évidemment de cohérence et d’unité. Il en fut de
même au niveau des réalisations.
L’assujettissement s’est traduit par des institutions administra-
tives autoritaires, confiées à des militaires, les « bureaux arabes »,
ou à des civils, les « communes mixtes », et qui durèrent aussi
longtemps que l’Algérie française, jusqu’en 1962 avec les SAS.
L’assimilation se concrétisa par une politique d’absorption dans
la cité française impliquant la soumission à l’ensemble des lois
françaises. Elle bénéficia non seulement aux descendants de Fran-
çais d’origine métropolitaine, mais aussi à des étrangers venus
de pays européens voisins, bénéficiaires de la loi du 28 juin 1889,
et même aux indigènes de religion juive, francisés en bloc par
le « décret Crémieux » d’octobre 1870 : ceux-ci devinrent vraiment
français par leur éducation et par leur promotion sociale, mal-
gré les campagnes antijuives qui culminèrent en 1900 et malgré
l’abrogation du décret Crémieux par le régime de Vichy en sep-
tembre 1940. Mais elle ne s’appliqua aux indigènes musulmans

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CONCLUSION

que sous la forme d’une option individuelle, prévue par le séna-


tus-consulte du 14 juillet 1865 et par la loi du 4 février 1919, qui
pouvait être refusée par l’autorité administrative ou judiciaire.
Elle n’attira qu’un nombre limité de musulmans à cause de cette
possibilité de refus, mais aussi parce que l’abandon volontaire du
statut personnel musulman ou des coutumes berbères par les can-
didats à ce qu’on appelait naturalisation était condamné comme
une apostasie par la société indigène musulmane.
Au contraire, l’association se traduisit par l’attribution de
droits politiques limités dans le cadre d’un deuxième collège élec-
toral dans les institutions algériennes, surtout à partir de la loi du
4 février 1919, mais pas dans le cadre national français ; ce qui
conduisit ces demi-citoyens musulmans à évoluer vers un natio-
nalisme algérien, comme l’a justement remarqué Charles-Robert
Ageron. C’est dans l’espoir d’éviter cette évolution que l’ancien
gouverneur général Maurice Viollette proposa en 1931 de donner
aux élites indigènes un moyen d’être admis à voter dans le même
collège que les citoyens français sans les obliger à renoncer à leur
statut personnel musulman ou berbère, en faisant le pari que
leur exemple ferait changer d’avis la masse des « indigènes » sur
cette question du statut personnel. Mais la plupart des élus de
l’Algérie et de la métropole s’y opposèrent, même quand le gou-
vernement de Léon Blum reprit cette idée sous la forme du projet
Blum-Viollette en 1936.
Enfin, l’autonomisme des « Algériens » fut d’abord une idéologie
inventée dans les années 1890 pour traduire le rapprochement et
la fusion des enfants de Français et d’étrangers européens nés en
Algérie (et dont certains rêvaient de suivre l’exemple des Cubains
révoltés contre l’Espagne), mais il fut satisfait par l’autonomie
financière accordée à l’Algérie en 1898-1900. Puis il fut transfor-
mé en nationalisme musulman algérien indépendantiste par des

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

militants issus des couches instruites de la société musulmane


algérienne à partir de 1927 (à Paris avec l’Étoile Nord-africaine),
de 1931 (avec l’association des Oulémas), et surtout de 1936.
L’interdiction des organisations nationalistes par la IIIe Répu-
blique en septembre 1939, puis sa propre suppression par le
régime de Vichy en juillet 1940, furent deux conséquences de
l’échec total de la politique suivie par la France en Algérie depuis
la conquête, un siècle plus tôt. Cet échec reste mystérieux, moins
par la mauvaise appréciation de la situation que par l’incapacité
de la corriger à temps. Les responsables de la conquête, dans
les années 1840, partageaient l’idée que celle-ci serait un choix
rationnel si elle était suivie par une colonisation de peuplement
massive, analogue à celle que pratiquaient les États-Unis ; mais
après le recensement métropolitain de 1856, il devint évident que
la population française était la seule de toute l’Europe à ne plus
augmenter et à émigrer de moins en moins. Après le recensement
algérien de 1876, la population indigène, loin de diminuer, avait
recommencé à s’accroître. Ce double constat aurait dû imposer
une révision radicale de la politique d’assimilation, qui préten-
dait transformer l’Algérie en un prolongement de la métropole.
Mais cette révision ne vint jamais, bien que la République eût dû
refuser que ses citoyens fussent minoritaires sur une partie du
territoire national.
Au contraire, le régime de Vichy ne trouva pas d’autre solu-
tion qu’un retour en arrière, supprimant la République et la démo-
cratie, et rétablissant une dictature militaire. Mais en fait, les
Français d’origine européenne restaient dans une situation éco-
nomique et sociale incomparablement supérieure. Pour inciter les
musulmans à prendre leur mal en patience, le nouveau régime
crut judicieux de rabaisser les juifs au-dessous d’eux en abrogeant
le décret Crémieux de 1870. Par cet acte inconséquent, il ne fit que

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CONCLUSION

discréditer, au moment où l’Allemagne nazie semblait avoir gagné


la guerre, la politique d’assimilation, au profit du nationalisme
algérien musulman.
Après le débarquement anglo-américain du 8 novembre 1942,
qui vint briser le long tête à tête des vainqueurs et des vaincus
de 1830, le Manifeste du peuple algérien rassembla la majorité
des élites musulmanes autour d’un programme nationaliste. Les
autorités coloniales durent composer tant que les Anglo-Améri-
cains restèrent en position dominante, mais, après la formation
du CFLN en juin 1943, le général de Gaulle et les représentants
de la Résistance française prirent en main le redressement de la
nation. Ils définirent alors une nouvelle politique algérienne, qui
prétendait fournir la solution du problème algérien, susceptible de
maintenir le rang de grande puissance de la France : sur le plan
politique, en réalisant, par l’ordonnance du 7 mars 1944, toutes
les revendications indigènes qui avaient été considérées comme
impossibles à satisfaire depuis 1919 ; mais aussi sur le plan éco-
nomique et social, en prévoyant des actions planifiées sur vingt
ans tendant à faire de la population musulmane d’Algérie l’égale
des Français d’Algérie et de France. Cette politique traduisait une
prise de conscience tardive de la gravité des enjeux et de l’urgence
d’une politique efficace, mais elle était beaucoup moins novatrice
dans la définition des buts que dans celle des moyens.
Après la Seconde Guerre mondiale, la France confirma dans
ses grandes lignes la nouvelle politique élaborée en 1944, sans
pouvoir convaincre les autonomistes et nationalistes algériens de
son bien fondé. Les réformes politiques restèrent en deçà du suf-
frage universel dans un collège unique ; et les réformes écono-
miques et sociales se heurtèrent à un problème de financement
dépassant les ressources de l’Algérie, considérablement aggravé
par la croissance accélérée de la population musulmane. Le succès

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

de ces deux types de réformes dépendait de plus en plus de l’enga-


gement de la métropole, mais ses responsables politiques avaient
beaucoup d’autres préoccupations, avant que l’insurrection natio-
naliste du 1er novembre 1954 vienne les obliger à prendre leurs
responsabilités.
La nouvelle politique définie en 1944 à la demande du général
Catroux s’appelait, d’après lui, « la politique d’assimilation ou d’in-
tégration ». Dix ans plus tard, Pierre Mendès France et François
Mitterrand reprirent le nom de politique d’intégration, déjà utilisé
par le gouverneur Roger Léonard et qui fut surtout illustré en 1955
par son successeur, Jacques Soustelle.
Mais l’intégration n’était-elle qu’un nouveau nom de l’assimi-
lation, ou un concept différent ? Le général Catroux avait repris le
mot « assimilation » dans le sens relatif que lui avait donné Mau-
rice Viollette, et non dans le sens officiel de la IIIe République.
Jacques Soustelle admettait que l’intégration se distinguait de l’as-
similation, en ce qu’elle voulait respecter les particularités cultu-
relles et religieuses de l’Algérie musulmane, c’est-à-dire le statut
personnel dérogatoire au code civil, au lieu de les abolir. Quand au
général de Gaulle, dans sa conférence de presse du 30 juin 1955,
il se prononça pour la substitution de « l’association » à la domina-
tion, en considérant comme de simples variantes de la première
« l’intégration de l’Algérie dans une communauté plus large que la
France », et l’établissement d’un « lien de type fédéral entre États »
avec ses anciens protectorats de la Tunisie et du Maroc722. Mais il
avait exprimé, devant certains proches, son scepticisme total sur
la possibilité de garder l’Algérie française723.
D’autre part, les socialistes qui avaient soutenu la politique
des réformes entre 1944 et 1951, et qui la reprirent entre 1956
et 1958, semblaient avoir une conception plus compliquée, com-
binant le regret de l’assimilation, dépassée sans jamais avoir été

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CONCLUSION

essayée, et l’acceptation d’un certain degré de fédéralisme, réalisé


partiellement par le statut de 1947. La loi-cadre de janvier 1958
fut l’incarnation tardive de ce modèle complexe, proclamant le
collège unique tout en le neutralisant par des institutions défen-
dant un équilibre artificiel entre les communautés française et
musulmane. Elle fit apparaître l’intégration comme une solution
plus simple et plus rassurante : « le contraire de la désintégration »,
comme disait en 1955 le ministre de l’intérieur Maurice Bourgès-
Maunoury, qui fut pourtant l’auteur du premier projet de loi-cadre
en 1957. À partir de mai-juin 1958, le général de Gaulle ayant exal-
té à Alger « dix millions de Français à part entière », la politique
d’intégration (bien qu’il n’eût pas voulu prononcer ce nom) sem-
bla inspirer les principales mesures qu’il annonça, notamment le
collège unique réunissant tous les hommes et toutes les femmes
d’Algérie pour le référendum du 28 septembre et pour les élections
législatives de novembre 1958. À ce moment, la grande majorité
des députés français élus en Algérie proclama sa volonté de réali-
ser l’intégration, et le groupe parlementaire gaulliste Union pour
la nouvelle république (UNR) semblait engagé dans le même sens.
Pourtant, il fallut moins de quatre ans au général de Gaulle,
qui avait eu tout le temps de réfléchir au problème algérien durant
sa « traversée du désert », pour renverser la politique algérienne
admise par la France depuis plus d’un siècle, en proclamant dans
son discours du 16 septembre 1959 le principe révolutionnaire
de l’autodétermination, contraire au rattachement imposé par la
conquête et la colonisation. Cette politique nouvelle, qu’il dévoi-
la par étapes jusqu’en janvier 1961, le conduisit enfin à négocier
l’avenir de l’Algérie avec le FLN comme interlocuteur unique, bien
qu’il eût refusé de reconnaître officiellement le Gouvernement
provisoire de la République algérienne (GPRA), même après avoir
signé avec lui les accords d’Évian du 18 mars 1962724. Elle l’obligea

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

à briser l’opposition armée des partisans militaires et civils de l’Al-


gérie française, regroupés dans l’OAS, qui s’estimaient trahis par
celui qu’ils avaient rappelé au pouvoir en mai 1958. Il sut en venir
à bout, grâce à son énergie personnelle, au soutien conditionnel
des forces de gauche qui s’étaient d’abord opposées au coup d’État
du 13 mai 1958, et à celui de la grande majorité des électeurs
métropolitains qui préféraient la paix à l’Algérie française.
En fin de compte, l’assimilation de l’Algérie à la France fut-
elle jamais autre chose qu’un mythe ? Ce ne fut une réalité que
pour une minorité de ses habitants. Ce fut une formule de moins
en moins invoquée après la Seconde Guerre mondiale, même
si certaines déclarations en exprimèrent la nostalgie. La plus
notable vint d’un ancien membre du Comité de salut public d’Al-
ger, Mohand Saïd Madani, candidat aux élections législatives de
novembre 1958 avec le slogan « citoyenneté et statut français ».
Mais en décembre 1960, il fut tué par le FLN en s’opposant aux
manifestations nationalistes.
Pourtant, ce ne fut pas la fin absolue de l’assimilation. Après la
proclamation de l’indépendance de l’Algérie, le 3 juillet 1962, tous
les citoyens français à part entière soumis au code civil, y com-
pris les « naturalisés », conservèrent une double nationalité fran-
çaise et algérienne, qui leur permettait de rester français de plein
droit, alors que les anciens citoyens français « de droit local », qui
avaient conservé l’usage du statut personnel musulman ou des
coutumes berbères, perdaient la nationalité française en acqué-
rant automatiquement la nationalité algérienne.
Mais, dès le 21 juillet, une ordonnance les autorisa à récupérer
la nationalité française à condition de venir en territoire français
pour y souscrire une « déclaration recognitive de nationalité fran-
çaise », qui impliquait la soumission à toutes les lois françaises, y
compris au code civil. Ressentie à tort comme une brimade, cette

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CONCLUSION

ordonnance posa, pour la première fois, des principes clairs et


cohérents : pour être français, il fallait accepter de se soumettre à
toutes les lois françaises. De même, les enfants d’Algériens nés en
territoire français à partir du 1er janvier 1963 deviendraient, à leur
majorité, français de plein droit, sauf refus de leur part, et avec
tous les devoirs que cela implique. La politique d’assimilation, qui
avait échoué à résoudre le problème algérien en Algérie, s’appli-
querait désormais en France.

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Notes
1. Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, Paris, PUF, « Que sais-je ? »,
n° 400, 1964. Voir Histoire de l’Algérie contemporaine, Paris, PUF ; t. 1 : Conquête et
colonisation, par Ch.-A. Julien, 1964 ; t. 2 : 1871-1954, par Ch.-R. Ageron, 1979.
2. Voir sur mon site http://guy.perville.free.fr, ma communication sur le 8 mai 1945
et sa mémoire en Algérie et en France (2005), ma préface au livre de R. Vétillard, Sétif,
mai 1945 : massacres en Algérie (2008), et mon compte rendu de « Cinq livres récents
sur le 8 mai 1945 en Algérie (2002-2009) », paru dans Outre-mers, revue d’histoire,
n° 362-363, 1er semestre 2009.
3. Ch.-A. Julien, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. 1 : Conquête et colonisation,
Paris, PUF, 1964 ; t. 2 : 1871-1954, par Ch.-R. Ageron. Et les thèses de doctorat d’État
de C. R. Ageron : Les Algériens musulmans et la France, 1871-1919, 2 tomes, Paris,
PUF, 1968. Voir également A. Rey-Goldzeiguer, Le Royaume arabe, la politique algé-
rienne de Napoléon III, 1861-1870, Alger, SNED, 1977 ; et G. Meynier, L’Algérie révélée,
la guerre de 1914-1918 et le premier quart du XXe siècle, Genève, Droz, 1981.
4. B. Saadallah, La Montée du nationalisme algérien (1900-1930), Alger, Entreprise
nationale du livre, 1988. A. Mahsas, Le Mouvement révolutionnaire en Algérie, de la
Première guerre mondiale à 1954, Paris, L’Harmattan, 1979. M. Kaddache, Histoire
du nationalisme algérien, 1919-1951, 2 tomes, Alger, SNED, 1980. M. Harbi, Le FLN,
mirage et réalité, et Les archives de la Révolution algérienne, Paris, Éditions Jeune
Afrique, 1980 et 1981. B. Stora, Messali Hadj (1898-1974) pionnier du nationalisme
algérien, Paris, le Sycomore 1982 et l’Harmattan 1986 ; Dictionnaire biographique de
militants nationalistes algériens 1926-1954, Paris, L’Harmattan 1984, et Histoire poli-
tique de l’immigration algérienne en France (1922-1962), thèse de doctorat d’État,

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Paris XII 1991. A. Mérad, Le Réformisme musulman en Algérie de 1925 à 1940, Paris,
Mouton, 1967. É. Sivan, Communisme et nationalisme en Algérie (1920-1962), Paris,
Presses de la FNSP, 1976. G. Pervillé, Les Étudiants algériens de l’Université française,
1880-1962, Paris, Éditions du CNRS, 1984. William B. Quandt, Revolution and political
leadership, Algeria 1954-1968, Cambridge et Londres, the MIT Press, 1969.
5. W.G. Andrews, French politics and Algeria : the process of policy formation, New
York, Appleton Century Crofts, 1962. S.G. Tucker, The Fourth Republic and Algeria,
University of North Carolina 1966. Wolfgang Ohneck, Die französische Algerienpolitik
von 1919-1939, Cologne, Westdeutscher Verlag, 1967. Hartmut Elsenhans, Frankreichs
Algerienkrieg, 1954-1962, Entkoloniesierungsversuch einer kapitalistischen metropole,
Zum Zusammenbruch der Kolonialreiche, Munich, Carl Hanser Verlag, 1974 ; traduc-
tion française : La guerre d‘Algérie, Paris, Publisud, 1992. Thankmar von Münchhau-
sen, Kolonialismus und Demokratie, Die französische Algerienpolitik von 1945-1962,
Munich, Weltforum Verlag, 1976. Fabien Dunant, L’indépendance de l’Algérie, déci-
sion politique sous la V e République (1958-1962), Berne, Peter Lang, 1977.
6. Voir Les Chemins de la décolonisation de l’Empire colonial français, colloque orga-
nisé par l’IHTP les 4 et 5 octobre 1984, Ch.-R. Ageron (dir.), Paris, Éditions du CNRS,
1986. Pierre Mendès France et le mendésisme, F. Bédarida et J.-P. Rioux (dir.), Paris,
Fayard, 1985, voir la contribution de Ch.-R. Ageron pp. 331-341. Guy Mollet, un cama-
rade en République, Lyon, PUL, 1987, pp. 445-480 et pp. 518-530. Paul Ramadier, la
République et le socialisme, S. Berstein (dir.), Bruxelles, Éditions Complexe, 1990, pp.
365-376 et pp. 405-442. Actes du colloque De Gaulle en son siècle, t. 6, Paris, La docu-
mentation française, 1992. Et les actes du colloque Maurice Viollette (Chartres, 29-30
novembre 1985), publiés sous le titre De Dreux à Alger, Maurice Viollette, 1870-1960,
préface de F. Mitterrand, F. Gaspard (s. dir.), Paris, L’Harmattan, 1991.
7. La Guerre d’Algérie et les Français, colloque de l’IHTP, J.-P. Rioux (dir.), Paris,
Fayard, 1990. Cf. Le premier colloque organisé à Alger par le gouvernement algérien
en novembre 1984, Le Retentissement de la Révolution algérienne, Alger, ENAL, et
Bruxelles, GAM, 1985.
8. Histoire de la France coloniale, t. 1, des origines à 1914, t. 2, de 1914 à 1990, par
J. Meyer, J. Tarrade, A. Rey-Goldzeiguer, J. Thobie, G. Meynier, C. Coquery-Vidro-
vitch, et Ch.-R. Ageron.
9. La publication d’une collection d’archives du Service historique de l’armée de terre
dirigée par J.-C. Jauffret, La Guerre d’Algérie par les documents, a été suspendue en
octobre 1990 après la sortie du t. 1 : L’Avertissement (1943-1946) ; t. 2 Les Portes de la
guerre, 1946-1954, Vincennes, SHAT, 1998.
10. Manifeste du peuple algérien, 10 février 1943. Reproduit par C. Collot et J.-R.
Henry, Le Mouvement national algérien, textes 1912-1954, Paris, L’Harmattan, et
Alger, OPU, 1978, pp. 155-165 ; et par J.-C. Jauffret, op. cit., t. 1, pp. 31-38.

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NOTES

11. Voir mon commentaire de ce texte dans mon recueil de textes L’Europe et l’Afrique
de 1914 à 1974, Gap et Paris, Ophrys, 1994, pp. 65-73.
12. Rapport au CFLN, AOM 30 X 3, et Projet de décisions… B 3006 et 30 X 4.
13. Apparenté, semble-t-il, au célèbre chevalier de Münchhausen, et devenu corres-
pond de la Frankfurter Allgemeine Zeitung à Paris de 1976 à 1998.
14. Mahfoud Kaddache, Histoire du nationalisme algérien, 1919-1951, Alger, t. II,
pp. 652-655. Pour Ch.-R. Ageron, voir les pp. 496-506, sur la colonisation rurale et
l’agriculture coloniale de 1919 à 1954, et les pp. 558-578 sur l’Algérie musulmane et
la Seconde Guerre mondiale.
15. Voir les pp. 189-199.
16. Colloque organisé par l’IHTP les 4 et 5 octobre 1984, Ch.-R. Ageron (dir.), Paris,
Éditions du CNRS, 1986. Voir également « La commission des réformes de 1944 et
l’élaboration d’une nouvelle politique algérienne de la France », pp. 357-365.
17. Voir sur mon site ma communication sur « Le 8 mai 1945 et sa mémoire en Algérie
et en France » (2005), ma préface au livre de R. Vétillard, Sétif, mai 1945 : massacres en
Algérie (2008), et mon compte rendu de « Cinq livres récents sur le 8 mai 1945 en Algé-
rie (2002-2009) », paru dans Outre-mers, revue d’histoire, n° 362-363, 1er semestre 2009.
18. Les mots « Algérie » et « Algériens » existent en Français depuis la fin du XVIIe siècle
(Fontenelle : De l’Algérie et des Algériens, 1685) ; mais ils désignaient alors l’État turc
d’Alger et sa minorité dirigeante. Nous utiliserons ces mots dans le sens courant à
l’époque considérée, et non dans leur sens actuel.
19. Sur la nature de l’État d’Alger, voir Y. Lacoste, A. Nouschi et A. Prenant L’Algérie,
passé et présent, Paris, Éditions sociales, 1960 ; P. Boyer, La Vie quotidienne à Alger à
la veille de l’intervention française, Paris, Hachette, 1963 ; Ch.-A. Julien, Histoire de
l’Algérie contemporaine, t. 1, chap. 1, Paris, PUF, 1964 ; L. Valensi, Le Maghreb avant
la prise d’Alger, Paris, Flammarion, 1969 ; M. Gaïd, L’Algérie sous les Turcs, Alger,
SNED, et Tunis, MTE, 1974.
20. Cf. H. Laurens, L’Expédition d’Égypte (1798-1801), Bonaparte et l’Islam, le choc
des cultures, Paris, Armand Colin, 1989 et Le Royaume impossible, La France et la
genèse du monde arabe, Paris, Armand Colin 1990. J. Frémeaux, La France et l’Islam
depuis 1789, Paris, PUF, 1991.
21. Formule de Saint-Marc-Girardin dans le Journal des débats, 14 août 1829, visant
Polignac (émigré de 1789), Bourmont (déserteur de l’armée napoléonienne la veille de
Waterloo) et la Bourdonnaye, partisan de la « terreur blanche ». Voir C. Ledré, La Presse
à l’assaut de la monarchie, 1815-1848, Paris, Armand Colin, coll. « Kiosque », 1960, p. 89.
22. Mehemet Ali était intervenu en Grèce en 1825 à l’appel du sultan, et y avait perdu
sa flotte dans la bataille de Navarin. Sur ses relations avec la France, voir H. Laurens,
Le Royaume impossible, op. cit.
23. Cité par H. Noguères, L’Expédition d’Alger, Paris, Julliard, 1962.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

24. Ibid.
25. Ibid.
26. Rédigées par le grand arabisant Sylvestre de Sacy, selon H. Laurens, Le Royaume
impossible, op. cit., p. 56 et 185.
27. Ch.-A. Julien, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., t. 1, p. 60 ; et
H. Noguères, op. cit.
28. Cf. P. Guiral, Marseille et l’Algérie, 1830-1841, Gap, Ophrys, 1957.
29. Ch.-A. Julien, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., t. 1, p. 21.
30. Ibid. pp. 77-78.
31. Ibid., p. 111.
32. Cf. H. Laurens, Le Royaume impossible, op. cit., pp. 58-59.
33. Le bourgeois maure d’Alger Bouderba, l’un des négociateurs de la capitulation
de 1830, tenta de convaincre les Français de confier le gouvernement de l’Algérie à
l’émir Abd-el-Kader (comme ils soutenaient le pacha d’Égypte Méhemet Ali) dans
ses « Observations sur le traité du 30 mai (1837) avec Abd-el-Kader et les avantages
immenses qui peuvent résulter pour la France et l’Afrique, la civilisation et l’huma-
nité ». Cf. H. Laurens, Le Royaume impossible, op. cit., pp. 60-62.
34. Il ajoutait, à juste titre : « Les pères de famille qui voient périr leurs enfants en
Afrique pourraient penser autrement ; mais ils n’en parlent pas, ils n’écrivent pas ; ils
travaillent et ne sont pas consultés. »
35. Écrits et discours du maréchal Bugeaud Par l’Épée et par la charrue, choisis et
annotés par le général Azan, avant-propos de Ch.-A. Julien, Paris, PUF, 1948, pp. 64-66.
36. Tocqueville, « Travail sur l’Algérie », 1841, in De la colonie en Algérie, textes choi-
sis et présentés par T. Todorov, Bruxelles, Éditions Complexe, 1988, pp. 57-59.
37. Même Tocqueville, tout en avouant que « nous faisons la guerre d’une manière
beaucoup plus barbare que les Arabes eux-mêmes », approuvait l’emploi de « tous les
moyens de désoler les tribus » à l’exception de « ceux que l’humanité et le droit des
nations réprouvent » in De la colonie en Algérie, op. cit., pp. 76-78.
38. Cf. P. Goinard, Algérie, l’œuvre française, Paris, Robert Laffont, 1984, pp. 95-100.
39. Clauzel, ancien soldat de Napoléon et ancien colon en Alabama, voyait dans
l’Algérie un moyen de remplacer la colonie de Saint-Domingue, voir Ch.-A. Julien, op.
cit., pp. 76-77 et 107-108. À la tribune de la Chambre, il fut contredit par son éphé-
mère successeur, l’honnête général Berthezène.
40. Formule de l’intendant Pichon, qui voulait éviter la répétition du drame de Saint-
Domingue, (cf. Ch.-A. Julien, op. cit., pp. 97-98) et se heurta à son supérieur le géné-
ral Savary duc de Rovigo, ancien chef de la police de Napoléon.
41. L. Veuillot, Les Français en Algérie. Souvenirs d’un voyage fait en 1841. Tours,
Mame, 1845. Cité d’après A. Lardillier, Le Peuplement français en Algérie de 1830 à
1900, Versailles, Éditions de l’Atlanthrope, 1992, pp. 20-21.

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NOTES

42. Ces deux paragraphes sont cités par F. Abbas, in le Manifeste du peuple algérien,
et déjà dans son rapport au maréchal Pétain d’avril 1941.
43. C’était déjà l’avis de la commission spéciale d’enquête de 1833 : « Dès lors que
l’occupation est résolue, la colonisation doit être tentée comme la seule chance de
rendre un jour cette occupation profitable, de trouver dans l’avenir une compensation
aux charges que le pays se sera longtemps imposées », Ch.-A. Julien, op. cit., p. 111.
44. Tocqueville, op. cit., pp. 64 à 68.
45. A.-V. Hain, À la nation sur Alger, Paris, 1832. Cité par Ch.-A. Julien, op. cit., p. 98.
46. Tocqueville, op. cit., pp. 104-105.
47. Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, Paris, PUF, coll. « Que sais-
je ? », 1964, n° 400, p. 21.
48. B.-P. Enfantin, La Colonisation de l’Algérie, Paris, p. Bertrand, 1843. Cf. M. Emerit,
Les Saint-simoniens en Algérie, Alger, Les Belles-lettres, 1941 et la thèse de J. Valette,
Jules Duval, (1813-1874) socialisme utopique et idée coloniale, Paris I, 1975.
49. Tocqueville, op. cit., p. 120.
50. « L’élément arabe s’isole de plus en plus et peu à peu se dissout. La population
musulmane tend sans cesse à décroître, tandis que la population chrétienne se déve-
loppe sans cesse. » Tocqueville, op. cit., p. 142.
51. X. Yacono, « Peut-on évaluer la population de l’Algérie vers 1830 ? », Revue algé-
rienne, 3e-4e trimestre 1954, pp. 277-307. Auparavant, tous les auteurs la sous-esti-
maient plus ou moins gravement (de 1 million à 2,5 millions) de façon à masquer la
régression causée par la conquête.
52. Opinion réfutée par l’intendant Pichon en 1832 : « Je ne suis pas de l’avis de ceux
qui veulent gouverner Alger comme s’il n’y avait ni Maures, ni Kabyles et comme
si son territoire était vacant. » Cf. Ch.-A. Julien, op. cit., t. 1, pp. 97-98. Tocqueville,
op. cit., p. 33. Même opinion dans la lettre de Valée au ministre de la Guerre du
24 août 1839 : « Comme l’Afrique est vaste, la population indigène peu nombreuse,
nous ne pouvons craindre que, de longtemps, la terre manquât à ses habitants », cité
par H. Laurens, op. cit., p. 65, note 43.
53. Plan anonyme de colonisation cité par A. Rey-Goldzeiguer, Histoire de la France
coloniale, Paris, Armand Colin, 1990, t. 1, p. 396.
54. L’économiste Léonce de Lavergne le montra dès 1857.
55. Ch.-A. Julien, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., p. 342 et suivantes.
56. Le oui n’obtint que 50,6 % des suffrages en territoire civil, et 53,75 % en territoire
militaire, avec des taux de participation de 57 % et de 72,3 %. Un tiers de l’armée
vota non.
57. En Algérie, l’esclavage était minoritaire, et ne concernait que la population musul-
mane. Le décret d’émancipation du 27 avril 1848 fut appliqué très progressivement.
58. Cf. Ch.-A. Julien, op. cit., pp. 344-345.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

59. Lettre de Valée au ministre de la Guerre, 24 août 1839. Citée par H. Laurens, op.
cit., p. 65, note 43.
60. Circulaire du 17 décembre 1844, citée dans le Manifeste du peuple algérien.
61. Tocqueville, op. cit., p. 142.
62. Ibid., pp. 172 et 177-179.
63. Cf. A. Rey-Goldzeiguer, Le Royaume arabe de Napoléon III, Alger, SNED, 1977,
pp. 122-123.
64. Officier des bureaux arabes, devenu un tyranneau meurtrier.
65. Cité par Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., pp. 28-29.
66. En 1860, la France intervient au Liban et en Syrie pour protéger les chrétiens
maronites massacrés par les Druzes et par les musulmans. Napoléon III semble envi-
sager de créer un royaume arabe en Orient au profit de l’émir Abd-el-Kader, qui a
sauvé des chrétiens à Damas. Cf. H. Laurens, op. cit., pp. 122-128.
67. Cité par A. Rey-Goldzeiguer, op. cit., p. 59.
68. Ibid., p. 135. On y retrouve l’écho de la brochure d’I. Urbain, L’Algérie pour les
Algériens, Paris 1861, qui affirmait : « Le vrai paysan de l’Algérie, l’ouvrier agricole,
c’est l’indigène. La colonisation rurale est un double anachronisme politique et écono-
mique », cité par Ch.-R. Ageron, L’Algérie algérienne de Napoléon III à de Gaulle, Paris,
Sindbad, 1980, p. 26.
69. Cf. Les propos de Napoléon III au colonel Lapasset, le 29 juillet 1862 : « La ques-
tion de l’Algérie a dévié de sa voie naturelle le jour où on l’a appelée une colonie »,
cité par A. Rey-Goldzeiguer, op. cit., p. 158.
70. Jugement d’A. Rey-Goldzeiguer, op. cit., p. 388.
71. Lettre de l’Empereur au maréchal de Mac Mahon, p. 31 : « Mesures proposées :
1) Déclarer que les Arabes sont Français, puisque l’Algérie est territoire français, mais
qu’ils continueront d’être régis par leur statut civil, conformément à la loi musulmane,
que, cependant, les Arabes qui voudront être admis au bénéfice de la loi civile fran-
çaise seront, sur leur demande, sans condition de stage investis des droits de citoyen
français. 2) Proclamer l’admissibilité des Arabes à tous les emplois militaires de l’Em-
pire et à tous les emplois civils en Algérie. » Cité par H. Laurens, op. cit., p. 71, note 71.
72. Elle reçut 100 000 hectares contre une rente de 1 F par hectare pendant cinquante
ans et deux prêts de 100 millions à l’État pour financer les grands travaux d’intérêt
public. Cf. A. Rey-Goldzeiguer, op. cit., pp. 592-610.
73. L’archevêque d’Alger, Monseigneur Lavigerie, recueillit des orphelins, les bap-
tisa, et refusa de les rendre à leurs tribus d’origine. Désavoué par le gouverneur Mac
Mahon, il fit campagne contre la politique du « royaume arabe ».
74. L.-A. Prévost-Paradol, La France nouvelle, Paris 1868 et 1869, rééd. Slatkine
reprints, Paris-Genève, 1979, présentation de Jean Tulard, pp. 414-419.
75. Comme de 1848 à 1850, le suffrage indigène fut dénoncé comme un moyen

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NOTES

d’intervention des autorités contre la liberté de vote des électeurs français. Voir l’inter-
vention de Jules Favre citée par H. Laurens, op. cit., p. 73, note 76.
76. 14 000 non, 11 000 oui et 8 000 abstentions en Algérie.
77. Ch.-A. Julien, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., chap. 9.
78. C. Collot, Les Institutions de l’Algérie durant la période coloniale (1830-1962),
Paris, CNRS, et Alger, OPU, 1987, pp. 93-95.
79. C. Collot, op. cit., pp. 42-43 et 52-61.
80. Ch.-A. Julien, op. cit., t. 1, pp. 472-473.
81. J. Binoche, « La représentation parlementaire de l’Algérie (1848-1962) », in Par-
cours, l’Algérie, les hommes et l’histoire, n° 9, 2e semestre 1988, pp. 6-8.
82. Elle connut même plusieurs années marquées par un excédent de décès sur les
naissances, de 1890 à 1892, en 1895, 1900, 1907, 1911, et, après la grande guerre de
1914-1918, continûment à partir de 1935.
83. Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. 2, p. 125.
84. Dès 1927, le gouverneur général Viollette déclara aux Délégations financières :
« Le dernier recensement prouve à l’évidence qu’il y a tendance à régression de la
petite colonisation européenne. Tel village qui comptait, en 1881, 400 Européens n’en
compte plus que 180 et dans le département d’Alger, un centre créé en 1921 avec
33 habitants est déjà tombé à 16. » Cité par A. Nouschi, « Le sens de certains chiffres,
croissance urbaine et vie politique en Algérie », in Études maghrébines, Mélanges,
Ch.-A. Julien, Paris, PUF, 1964, p. 203.
85. « La liquidation de la colonisation agricole se fera d’elle-même ; elle aboutira d’une
part à l’agriculture industrielle, aux cultures maraîchères, au jardinage ; de l’autre à
la substitution progressive des indigènes aux immigrants sur tous les points excen-
triques. » Cité par Ch.-R. Ageron, L’Algérie algérienne de Napoléon III à de Gaulle,
Paris, Sindbad, 1980, p. 26.
86. Notion définie par une liste de 45 communes de plein exercice, citée par
A. Nouschi, op. cit., p. 200.
87. Voir le tableau de B. Étienne, Les Problèmes juridiques des minorités européennes
au Maghreb, Paris, CNRS, 1968, p. 15.
88. Cf. M. Kaddache et D. Sari, L’Algérie dans l’histoire, t. 5, Alger, OPU-ENAL, 1985,
pp. 137-151.
89. Tableau récapitulatif dans M. Kaddache et D. Sari, op. cit., p. 150.
90. Tableau comparatif des structures agraires européennes et musulmanes en 1930
et 1950, dans Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., t. 2,
p. 495.
91. H. Isnard, Le Maghreb, Paris, PUF, 1971, pp. 57-58. Cf. ses thèses, La vigne en
Algérie, Gap, Éditions Ophrys, 1947, et La Réorganisation de la propriété rurale dans
la Mitidja, Alger, 1950.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

92. M. Launay, Paysans-algériens, la terre, la vigne et les hommes, Paris, Le Seuil,


1963, pp. 61-68 (carte p. 63).
93. Cf. A. Benachenhou, Formation du sous-développement en Algérie, Essai sur les
limites du développement du capitalisme en Algérie, 1830-1962, Alger, OPU, 1978,
pp. 78-83, 96-102, et 112-115 ; et M. Bennoune, The making of contemporary Algeria,
1830-1987, Cambridge University Press, 1988, pp. 56-58.
94. M. Launay, op. cit., p. 137.
95. L’évaluation du montant des capitaux investis en Algérie de 1830 à 1914 est difficile.
Celui des capitaux venus de France est estimé à 2 milliards de francs par Jacques Mar-
seille, à 2,5 milliards par G. Meynier, en grande majorité constitués par des investisse-
ments publics. La part des capitaux étrangers est faible, 11 % des investissements privés.
Voir J. Thobie, La France impériale, 1880-1914, Paris, Mégrelis, 1982, pp. 112-122 ;
G. Meynier, L’Algérie révélée, Genève, Droz, 1981, pp. 59-71 ; et J. Marseille, Empire colo-
nial et capitalisme français, histoire d’un divorce, Paris, Albin Michel, 1984, pp. 95-101.
96. Le mot « créole », de l’espagnol « criollo », désigna d’abord les Blancs nés dans les
colonies, avant de s’étendre à toutes les populations nées sur place, à l’exception des
métropolitains. Il est ici employé dans son sens premier.
97. Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. 2, pp. 118-133.
98. Ibid., pp. 131-133 et pp. 57-58. On ne peut croire les affirmations de F. Caron, La
France des patriotes, Paris, Fayard, 1985, p. 550 : « La communauté française d’Algérie
est infiniment diverse dans ses opinions et dans ses comportements, comme le sont les
Français de métropole. Ils fournissent une image exacerbée, caricaturale parfois, des
passions françaises. Il n’y a pas de Français d’Algérie, mais des Français tout court ! »
99. Cité par G. Dermendjian, La Crise anti-juive oranaise (1895-1905), Paris, L’Har-
mattan, 1986, p. 31.
100. Cité par Ch.-A. Julien, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., t. 1, p. 467.
101. Cité par M. Ansky, Les Juifs d’Algérie, du décret Crémieux à la Libération, Paris,
Éditions de Centre de Documentation juive contemporaine, 1950, p. 38.
102. Ch.-A. Julien, op. cit., p. 468.
103. Cité par M. Ansky, op. cit., p. 44.
104. Cf. Ch.-R. Ageron, op. cit., pp. 60-62.
105. Cité par M. Ansky, op. cit., p. 42.
106. C. Martin, Les Israélites algériens, thèse de Lettres, Paris 1936, p. 206, cité par
M. Ansky, op. cit., pp. 53-54, qui le qualifie d’« auteur très éloigné des sentiments
philosémites ».
107. Cf. Ch.-R. Ageron, op. cit., pp. 40-41.
108. Ch.-R. Ageron, op. cit., pp. 42-43 ; et du même auteur, « Jules Ferry et la question
algérienne », dans L’Algérie algérienne, de Napoléon III à de Gaulle, Paris, Sindbad,
1980, pp. 72-93.

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NOTES

109. Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., t. 2, pp. 45-48, et
L’Algérie algérienne, de Napoléon III à de Gaulle, op. cit.
110. Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., t. 2, pp. 50-56.
111. Allusion à la devise des patriotes italiens de 1848 : « Italia fara da se ». Ch.-A.
Julien, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., t. 1, pp. 463-464.
112. Cité par Ch.-R. Ageron, op. cit., p. 58.
113. Ch.-R. Ageron, op. cit., pp. 58-59.
114. P. Leroy-Beaulieu, L’Algérie et la Tunisie, Paris, Guillaumin et Cie, Paris, 1897,
pp. 56-58. Cité par H. Gourdon, « Histoire idéologique de la période : à propos de
l’assimilation », dans la Revue algérienne des sciences Juridiques, économiques et poli-
tiques, vol. 6, n° 1, mars 1974, p. 66.
115. Jules Cambon considérait le décret Crémieux comme une erreur, mais refusait
son abrogation. Cf. C. Martin, Histoire de l’Algérie française, Paris, Robert Laffont,
1979, t. 1, pp. 277-278 ; et Ch.-R. Ageron, op. cit., p. 50.
116. Ch.-R. Ageron, op. cit., pp. 63-64, et C. Martin, op. cit., pp. 281-286.
117. « Je voulais me mettre à la tête de ce mouvement d’indépendance de l’Algérie »,
avoua-t-il le 24 décembre 1898 devant la ligue antisémitique. Cf. Ch.-R. Ageron, op.
cit., p. 40.
118. Ch.-R. Ageron, op. cit., pp. 64-67, et C. Martin, op. cit., pp. 286-291.
119. Ch.-R. Ageron, op. cit., p. 65, et C. Martin, op. cit., pp. 288-289.
120. Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., t. 2, p. 481.
121. Cité par Ch.-R. Ageron, Les Algériens musulmans et la France, Paris, Publica-
tions de la Sorbonne 1968, t. 1, p. 548.
122. P. Leroy-Beaulieu, op. cit., p. 56.
123. É.-F. Gautier, L’Évolution de l’Algérie de 1830 à 1930, Cahiers du Centenaire de
l’Algérie n° 3, p. 29.
124. É.-F. Gautier, L’Afrique blanche, Paris, Fayard, 1939, pp. 260-261. Plus tard
d’autres auteurs, estimant à moins d’un million la population indigène en 1830, affir-
mèrent que la France l’avait décuplée.
125. Reconnue à l’époque par C. Benhabylès, L’Algérie française vue par un indigène,
Alger, Imprimerie orientale, 1914. Pour un bilan apologétique rétrospectif, voir Pierre
Goinard, Algérie, L’Oeuvre française, Paris, Robert Laffont, 1984.
126. Cf. Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., t. 2, chap. 5,
pp. 201-223.
127. M. Bennoune, The Making of contemporary Algeria, Cambridge, University Press
1988, pp. 54-59.
128. Cf. « L’Algérie surpeuplée », dans Algéria, supplément économique, 1937. Infor-
mation fournie par D. Lefeuvre. É.-F Gautier, dans l’Afrique blanche, nuança discrè-
tement sa conclusion : « Le pullulement des indigènes, bien loin de nous donner des

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

droits créée des conditions nouvelles, un ébranlement profond de la société, qui exige
une attention vigilante », op. cit., p. 261.
129. P. Leroy-Beaulieu, op. cit.
130. Selon C. Collot, Les Institutions de l’Algérie pendant la période coloniale, op. cit.,
p. 276, « le décret énumère huit emplois judiciaires, une soixantaine d’emplois admi-
nistratifs, hospitaliers et pénitentiaires, sept fonctions d’enseignement, sept emplois
de travaux publics, les emplois de commis des services financiers, cinq emplois du
service de santé, quatre emplois des postes, les emplois de douane (jusqu’au grade de
capitaine), deux emplois forestiers, au total une centaine d’emplois tous subalternes,
pas de fonction d’autorité ».
131. Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., t. 2, pp. 23-25, et C.
Collot, op. cit., livre IV.
132. Cf. A. Rey-Goldzeiguer, Le Royaume arabe de Napoléon III, op. cit. pp. 425-427 ;
et Ch.-R. Ageron, Les Algériens musulmans et la France, op. cit., t. 1, pp. 343-351, t. 2,
pp. 1115-1123 et 1221-1222.
133. Parmi les avis opposés à cet argument, la Cour de cassation avait rappelé le
22 juillet 1908 que, selon l’article 7 du code civil, « les droits politiques sont dis-
tincts des droits civils, la jouissance des uns n’est pas nécessairement liée à celle des
autres ». Cité par Ch.-R. Ageron, op. cit., t. 1, p. 1121, note 1.
134. D’après le cardinal Lavigerie, l’évangélisation était le commencement de « cette
assimilation véritable que l’on cherche sans jamais la trouver, parce qu’on la cherche
avec le Coran et qu’avec le Coran, dans mille ans comme aujourd’hui nous serons des
chiens de chrétiens », cités par A. Rey-Goldzeiguer, op. cit., p. 499, note 2.
135. Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., t. 2, pp. 152-167 et
pp. 533-541.
136. Idée proposée dès 1907 par Abou Bekr Abdessalam ben Choaïb, et jugée accep-
table dans son principe par plusieurs juristes consultés par la Revue indigène en juil-
let-août 1911. Cf. Ch.-R. Ageron, thèse, t. 2, pp. 1119-1121.
137. Tocqueville, « Travail sur l’Algérie », 1841, dans De la colonie en Algérie, op. cit.,
pp. 169-170, 172 et 177.
138. Lettre de l’Empereur au maréchal de Mac Mahon, citée par H. Laurens, Le
Royaume impossible, La France et la genèse du monde arabe, Paris, Armand Colin
1990, p. 71, note 71.
139. Cité par Ch.-R. Ageron, Le Royaume arabe de Napoléon III, op. cit., p. 89.
140. Ch.-R. Ageron, thèse, t. 2, pp. 981-1002 ; cf. J. Martin, L’Empire triomphant, t. 2,
Paris, Denoël 1990, pp. 386-391.
141. Titre d’un livre publié en 1936 par l’instituteur retraité S. Faci.
142. Schéma fondé sur les analyses du grand historien maghrébin du XIVe siècle,
Ibn Khaldoun. Cf. Y. Lacoste, Ibn Khaldoun, naissance de l’histoire, passé du Tiers

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NOTES

Monde, Paris, Maspero 1966, et pour une application à l’Algérie de 1830, H. Laurens,
op. cit., pp. 42-43 et 57-61.
143. Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., t. 2, pp. 137-152.
144. Cf. B. Lewis, Le Langage politique de l’Islam, Paris, Gallimard, 1988, pp. 104-105.
145. É.-F. Gautier, L’Évolution de l’Algérie de 1830 à 1930, p. 30.
146. Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. 2, pp. 507-510, 517-524,
533-543, et « Les classes moyennes dans l’Algérie coloniale », in Les Classes moyennes
au Maghreb, Paris, Éditions du CNRS 1980, pp. 52-75.
147. Voir l’opinion d’É.-F. Gautier : « Les Musulmans sortis de nos écoles deviennent
automatiquement nos pires ennemis. Et c’est normal. Dans les vieilles colonies à
esclaves, ce sont les métis qui ont été les ferments des insurrections. » En Afrique du
Nord, il y a peu de métis avoués, « mais les bacheliers sont les métis intellectuels. »
« Menaces sur l’Afrique », Revue de Paris, septembre 1934.
148. C. Collot et J.R. Henry, Le Mouvement national algérien, textes 1912-1954, Paris,
L’Harmattan, et Alger, OPU, 1978, p. 24. Cf. Ch.-R. Ageron, thèse t. 2, pp. 1041-1042 et
Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., t. 2, pp. 236-237.
149. G. Meynier, dans sa thèse L’Algérie révélée, la guerre de 1914-1918 et le premier
quart du XXe siècle, Genève, Droz, 1981, a étudié les premiers indices de nationalité et
de nationalisme algérien avant 1914 ; il cite plusieurs exemples de drapeaux algériens
franco-musulmans, pp. 254-258. Voir A. Servier dans, Le Péril de l’avenir, le nationa-
lisme musulman en Égypte, en Tunisie, en Algérie, Constantine, 1913.
150. Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. 2, pp. 242-247.
151. Ibid., pp. 247-253.
152. Très peu de Jeunes Algériens rejoignirent les émigrés en majorité tunisiens qui
collaborèrent avec les Turcs et les Allemands et publièrent en Suisse la Revue du
Maghreb, favorable à l’indépendance de la Tunisie et de l’Algérie. L’adhésion des
Jeunes Algériens à la cause française, admise par Ch.-R. Ageron, thèse, t. 2, pp.1184-
1185, et Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., t. 2, pp. 262-266, est discutée par
G. Meynier, op. cit., pp. 629-635.
153. Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., t. 2, p. 270.
154. Ch.-R. Ageron, thèse, t. 2, p. 1218, et Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit.,
t. 2, pp. 274-275.
155. Le décret du 26 mars 1919 énuméra 44 fonctions d’autorité ; celui du 14 décembre
1922 en rajouta 2. Cf. Ch.-R. Ageron, thèse, t. 2, p. 1224, et C. Collot, Les Institutions
de l’Algérie dans la période-coloniale, op. cit., p. 277.
156. Ch.-R. Ageron, thèse, op. cit., t. 2, pp. 1221-1223.
157. Conclusions de la thèse de Ch.-R. Ageron, pp. 1225-1227 et 1244.
158. Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., t. 2, pp. 302-303.
159. Document retrouvé à Washington par Claude Paillat et publié par Ch.-R. Ageron,

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Revue d’histoire maghrébine, n° 1920, juillet 1980. Sur Khaled, voir la thèse de M.
Kaddache, Histoire du nationalisme algérien, 1919-1951, t. 1, Alger SNED, 1981, pp. 97
sq ; le livre de G. Meynier et A. Koulakssis, L’Émir Khaled, premier zaïm, Paris, L’Har-
mattan, 1987 ; et Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. 2, pp. 285-292.
160. Ch.-R. Ageron, op. cit., pp. 302-309.
161. Ibid., pp. 403-411.
162. Ibid., pp. 392-396.
163. Ibid., pp. 399-400, in L’Algérie vivra-t-elle ?, Paris, Alcan, 1931.
164. Décret Régnier du 30 mars 1935, Journal officiel, lois et décrets, du 5 avril 1935,
p. 3867.
165. Pourtant, un décret du 17 septembre 1935 accorda pour la première fois une
représentation indigène à la commission interministérielle des affaires musulmanes
siégeant à Paris : cinq membres nommés par le Gouvernement général, deux élus par
les Délégations financières et trois par les conseils généraux. Cf. Ch.-R. Ageron, His-
toire de l’Algérie contemporaine, t. 2, pp. 430-431.
166. Titres honorifiques d’origine turque, attribués aux plus importants des chefs
indigènes (caïds).
167. Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., t. 2, pp.450-451. Cf.
A. Koulakssis, Le Parti socialiste et l’Afrique du Nord, de Jaurès à Blum, Paris, Armand
Colin, 1991.
168. Ibid., pp. 452-466.
169. Ou 7 817 (avec les Territoires du Sud), selon une « Note sur les indigènes algé-
riens citoyens français » de février 1944, Archives nationales, F 60, 808. Ce nombre,
tiré du recensement de 1936, comprenait les naturalisés individuels et leurs descen-
dants, ainsi que les enfants d’étrangers musulmans (Tunisiens et Marocains surtout)
nés en Algérie, naturalisés par la loi du 26 juin 1889. Le rapport Lagrosillière comp-
tait 4 298 naturalisations individuelles de musulmans algériens de 1865 à 1937, dont
2 489 de 1919 à 1937, texte imprimé, pp. 17-23, AOM Algérie 12 h 13. Cf. Ch.-R.
Ageron, thèse, t. 2, p. 1223 ; et A. Mérad, Le Réformisme musulman en Algérie de 1925
à 1940, Paris-La Haye, Mouton, 1967, pp. 404-409.
170. Cité par Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. 2, p. 475.
171. Cité par Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. 2, p. 548, et
« Ferhat Abbas et l’évolution politique de l’Algérie musulmane pendant la Seconde
Guerre mondiale », Revue d’histoire maghrébine (Tunis), n° 4, 1975.
172. M. Kaddache, op. cit., t. 2, pp. 597-598 et 610-611.
173. Cf. Ch.-R. Ageron, « Contribution à l’étude de la propagande allemande au
Maghreb pendant la mondiale », Revue d’histoire maghrébine (Tunis) n° 7-8, 1977.
174. P.-M. de la Gorce, L’Empire écartelé, 1936-1946, Paris, Denoël, 1988, pp. 80-81,
et pp. 494-495.

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NOTES

175. Quelques parlementaires, dont Georges Mandel et Pierre Mendès France, embar-
quèrent sur le Massilia pour Casablanca et furent calomnieusement accusés de
désertion.
176. P.-M. de la Gorce, op. cit., pp. 80-81, et C. Lévisse-Touzé, L’Afrique du Nord,
recours ou secours ? thèse, Paris I, 1991, t. 2, pp. 534-535.
177. P.-M. de la Gorce, op. cit., pp. 92-96.
178. P.-M. de la Gorce, op. cit., pp. 75-76.
179. Voir la thèse de doctorat d’État de C. Lévisse-Touzé, L’Afrique du Nord, recours
ou secours ?, septembre 1939-juin 1943, Paris I, 1991.
180. Voir les travaux cités par P.-M. de la Gorce, op. cit., et un exposé du général
Merglen, « L’Armée allemande pouvait-elle débarquer en Afrique du Nord en
juin 1940 ? », Paris, Institut d’histoire des relations internationales contemporaines,
18 janvier 1992.
181. P.-M. de la Gorce, op. cit., p. 88.
182. Cité par Ch.-R. Ageron, Histoire de la France coloniale, t. 2, p. 315.
183. P. Beyssade, L’Agonie d’un monde, chez l’auteur, 1973, p. 24 ; A.-B. Ibazizen, Le
Testament d’un berbère, Paris, Albatros, 1984, pp. 134-142 ; J. Berque, Mémoires des
deux rives, Paris, Seuil, 1989, p. 92 et 94.
184. Les troupes nord-africaines en France comptèrent 5 400 tués sur 85 310 et 67 400
prisonniers sur 1 540 000, selon P.-M. de la Gorce, op. cit., p. 496.
185. P.-M. de la Gorce, L’Empire écartelé, op. cit., pp. 99-113.
186. Lettre au général Catroux, publiée dans les Mémoires de guerre, t. 1, Paris, Plon,
1954, Livre de Poche, pp. 342-344. Sur le ralliement du général Catroux, révoqué par
Vichy de son poste de gouverneur général de l’Indochine, voir H. Lerner, Catroux,
Paris, Albin Michel 1990, pp. 149-168.
187. R. Aron, Histoire de Vichy, t. 1, Paris, Fayard, 1954. Rééd. Livre de Poche,
pp. 368-370.
188. Loi du 6 septembre 1940, décret du 4 octobre et instructions du 5 octobre 1940,
cités par C. Lévisse-Touzé, L’Afrique du Nord, recours ou secours ?, thèse citée, t. 2,
pp. 420-422.
189. Cf. H. Michel, Vichy, année 40, et P.-M. de la Gorce, op. cit., pp. 113-115.
190. Cf. L. Noguères, Le Véritable procès du maréchal Pétain, Paris, Fayard 1954,
pp. 254-267.
191. Cf. C. Lévisse-Touzé, thèse citée, t. 2, pp. 441-458.
192. Cf. Le télégramme du général de Gaulle au général Catroux du 30 janvier 1941,
et sa lettre au général Weygand du 24 février 1941, Mémoires de guerre, t. 1, édition
citée pp. 358-360 et p. 363.
193. P.-M. de la Gorce, op. cit., pp. 120-144.
194. Ibid., pp. 144-155, et C. Lévisse-Touzé, op. cit., t. 2, pp. 458-476.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

195. Historien de l’armée allemande, ancien membre du PPF et partisan convain-


cu de la collaboration franco-allemande. Voir son portrait par R. Aron, op. cit., t. 2,
pp. 24-25, et par P.-M. de la Gorce, op. cit., pp. 121-122 et 459-460.
196. Envoyé à Berlin par Darlan le 21 décembre 1941, le général Juin aurait répondu
à Goering que l’armée germano-italienne serait « neutralisée, c’est-à-dire désarmée »
si elle se repliait en Tunisie. Sa réponse fut moins nette suivant son compte rendu
de mission. Mais à son retour, il prépara deux plans de défense de la Tunisie, contre
l’Axe, et contre les Anglais. Darlan fit détruire le premier. Documents reproduits par
C. Lévisse-Touzé, thèse citée, t. 2, pp. 492bis et 493bis.
197. Dès juin 1941, Darlan avait dit à l’amiral Leahy (ambassadeur américain à
Vichy) que si les États-Unis étaient prêts à débarquer à Marseille 500 000 hommes,
5 000 chars et 5 000 avions, il était prêt à parler avec eux. Sur les contacts de Murphy
avec Juin et Darlan, voir C. Lévisse-Touzé, thèse citée, t. 2, pp. 494-501.
198. J. Soustelle, Envers et contre tout, t. 1, Paris, Robert Laffont 1947, p. 419.
199. G. Esquer, 8 novembre 1942, jour premier de la Libération, Paris, Charlot, 1946.
200. Général Georges Catroux, Dans la bataille de Méditerranée, Paris, Julliard, 1949,
p. 432.
201. C. Collot et J.R. Henry, op. cit., p. 162.
202. A. de Sérigny, Échos d’Alger, t. 1, 1940-1945, Paris, Presses de la Cité, 1972,
p. 51.
203. Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. 2, pp. 362-363.
204. Le ministre de l’intérieur Marcel Peyrouton, dans son livre Du Service public à la
prison commune, Paris, Plon, 1950, pp. 154-156, le présente comme un moyen de sau-
vegarder les biens et les vies des juifs contre les exigences allemandes. Au contraire, le
garde des Sceaux Raphaël Alibert et le commissaire aux questions juives Xavier Vallat
ont revendiqué la pleine responsabilité de ce statut, dont l’élaboration commença dès
le début d’août 1940 cf. R. Aron, Histoire de Vichy, op. cit., t.1, pp. 311-319.
205. Texte reproduit par M. Ansky, Les Juifs d’Algérie, du décret Crémieux à la Libéra-
tion, p. 88. Cité par M. Ansky, op. cit., p. 93.
206. Sur l’application des mesures anti-juives dans l’enseignement, voir M. Ansky,
op. cit., pp. 107-137 ; Y. Aouate, « Les Mesures d’exclusion anti-juives dans l’enseigne-
ment français en Algérie », in PARDES, n° 8 – 1988.
207. Lettre d’Ahmed Boumendjel et du cheikh El Okbi au docteur Loufrani,
29 novembre 1942 ; citée par J. Pierre-Bloch, Le Vent souffle sur l’histoire, Paris, SIPEP,
1956, p. 53.
208. Documents concernant le service militaire des indigènes. Archives d’outre-mer,
gouvernement général de l’Algérie, carton 3 H 71, et Archives nationales, F60, 808.
209. Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. 2, p. 553.
210. Cf. G. Meynier, L’Algérie révélée, Genève, Droz, 1981, pp. 415-459.

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NOTES

211. Cf. A. Berque, Écrits sur l’Algérie, réunis et présentés par J. Berque, postface de
J.-C. Vatin, Aix-en-Provence, Edisud, 1986.
212. Voir le journal d’A. Berque, op. cit., p. 238 ; 16 octobre 1940, le rapport CIE
n° 1630 du 20 octobre 1940, AOM Alger F111, et le rapport du gouverneur général
Abrial à l’amiral Darlan, AOM – GG – 12 H 13, pp. 8-9.
213. Rapport du gouverneur général de l’Algérie à Monsieur l’amiral de la flotte,
ministre secrétaire d’État à l’intérieur sur la politique musulmane, et la politique
sociale, AOM – GG – 12 H 13.
214. Cf. le journal d’A. Berque, op. cit. : « 16 octobre 1940. Je reçois mission de diriger
la politique indigène de ce pays – lourde mission : disette, désordre des esprits, sensa-
tion collective de défaite. Méthode provisoire : conserver en adaptant. Faire du rase-
mottes. Sentir le fait, rien que le fait. Le dégager de tout notre apport individuel… »
215. Rapport cité, pp. 16-47.
216. Rapport cité, p. 36.
217. Note destinée à fournir des arguments au délégué général pour résister aux exi-
gences des commissions d’armistice germano-italiennes, intitulée « Quelques vérités
premières (ou soi-disant telles) sur le malaise algérien ». Le document conservé aux
Archives d’outre-mer (AOM – GG – 12 H 13) est incomplet : 13 pages sans conclusion ;
3 tableaux annexes sur 18, et courbes non reproduites.
218. Texte rédigé entre le 20 août 1941 (date d’une note n° 12137 sur la politique de
la présence) et le 18 novembre 1941. AOM – GG = 8 X 390.
219. A. Berque, op. cit., pp. 238-239, sans date.
220. A. Berque, Esquisse d’une politique musulmane, AOM – GG – 8 X 390, p. 11.
221. Cité par Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. 2, p. 550.
222. Publié par F. Abbas à la suite de la réédition de son recueil d’articles de jeu-
nesse, Le Jeune Algérien, Paris, Éditions Garnier, 1981, pp. 167-208.
223. Sous-titre du Jeune Algérien, publié en 1930.
224. Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. 2, pp. 550-556. Cf. « Le résu-
mé des revendications et desiderata des indigènes algériens », présentés par : le doc-
teur Bendjelloul (27 août 1942), Ferhat Abbas (10 avril 1941 et 5 mars 1942), Docteur
Tamzali (août 1942), Benhabylès (15 janvier 1942), Boukerdenna (mars 1942), l’Asso-
ciation des Oulémas de Constantine (19 septembre 1941), cheikh El Okbi (été 1941),
marabouts (printemps 1942), et les rapports demandés par le CIE à Lamine Lamoudi
(3 août 1942), Benhoura (8 juin 1942), Zakarya (22 juillet 1942) et Ben Ali Boukhort
(25 mai 1942), réunis en un bordereau avec la Charte revendicative du Congrès musul-
man, le projet Blum-Viollette et le Manifeste du peuple algérien, AOM – GG – 12 H 13.
225. Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. 2, p. 552.
226. Document du 21 octobre 1942, cité dans la préface de J. Berque aux Écrits sur
l’Algérie, op. cit., p. 18, et aimablement communiqué par celui-ci.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

227. Cf. C. Lévisse-Touzé, thèse citée, t. 2, p. 409.


228. Note du CIE de Constantine, n° 748/CIE, du 29 août 1941, AOM – GG – 14 H 38,
dossier 15, ravitaillement en céréales, campagne 1941-1942. Cité par M. Mammeri,
Situation politique, économique et sociale de l’Algérie pendant la Deuxième guerre
mondiale, thèse de 3e cycle, Paris I, 1989, p. 339.
229. Sur cet événement hélas trop peu connu, voir Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie
contemporaine, t. 2, p. 556 ; l’article de J.-L. Planche publié dans Les Temps modernes,
n° 590, octobre-novembre 1996, et son livre Sétif 1945, histoire d’un massacre annon-
cé, Perrin 2006, p. 56 ; ainsi que la thèse de J. Cantier L’Algérie sous le régime de Vichy,
Paris, Éditions Odile Jacob, 2002, pp. 187-192. Et enfin ma mise au point « À propos de
l’affaire de Zeralda (1er août 1942) » sur mon site http://guy.perville.free.fr.
230. Un an plus tôt, selon le même témoin, 90 % des indigènes du Constantinois
se détournaient de la France et attendaient les décisions de Hitler, cité dans un
rapport du CIE de Constantine, 27-08-1940, AOM Algérie 29 H 34. Cf. Ch.-R. Age-
ron, « Contribution à l’étude de la propagande allemande au Maghreb pendant la
Deuxième guerre mondiale », Revue d’histoire maghrébine (Tunis), 7-8-1977 ; article
reproduit dans « L’Algérie algérienne » de Napoléon III à de Gaulle, Paris, Sindbad,
1980, pp. 167-216.
231. Cf. A. Kaspi, La Mission de Jean Monnet à Alger, mars-octobre 1943, Paris, Publi-
cations de la Sorbonne, 1971.
232. La formule souvent attribuée à Giraud, « Le Juif à son échoppe, l’Arabe à sa
charrue », condense une phrase de son discours du 14 mars 1943. Cf. M. Ansky, op.
cit., pp. 284-288.
233. Cf. H. Lerner, Catroux, op. cit., pp. 206-221.
234. Cité par Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. 2, p. 558.
235. Déclaration reproduite dans les Archives du Quai d’Orsay. Série Guerre 1939-
1945, sous-série Comité national français, vol. 130, p. 89.
236. Oran Républicain, 19 décembre 1942, cité par F. Koerner, « Le mouvement natio-
naliste algérien, novembre 1942, mai 1945 », Revue d’histoire de la Deuxième guerre
mondiale, n° 93, juin 1954, p. 47 ; et par M. Kaddache, Histoire du nationalisme algé-
rien, Alger, SNED, 1980, t. 2, pp. 640-641.
237. Cf. P.-M. de la Gorce, op. cit., et C. Lévisse-Touzé, thèse citée.
238. Cf. M. Kaddache, op. cit., t. 2, p. 641.
239. Le PPA était depuis 1939 divisé en deux organisations : les partisans du leader
emprisonné Messali Hadj, qui avait refusé de soutenir l’Axe et de composer avec
Vichy, et les membres du « Comité d’action révolutionnaire nord-africain » qui avaient
été exclus du Parti en 1939 pour avoir demandé des armes et de l’argent aux Alle-
mands. Les deux organisations se réconcilièrent et fusionnèrent en 1943-1944, pour
former un « néo-PPA ». Cf. M. Kaddache, op. cit., t. 2, pp. 630-639.

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NOTES

240. Textes des deux messages des 20 et 22 décembre 1942 dans C. Collot et
J.-R. Henry, op. cit., pp. 153-155.
241. Déclaration d’Abbas devant la commission des réformes musulmanes le 3 jan-
vier 1944, citée par C. Collot et J.-R. Henry, op. cit., pp. 152-153.
242. Ibid. À compléter par les Mémoires de F. Abbas, La Nuit coloniale, Paris, Julliard
1962, p. 140 ; et ceux de A. T. el Madani, Une Vie de combat, t. 2, Alger, SNED, 1977,
pp. 365-369. Cf. M. Kaddache, op. cit., t. 2, pp. 641-642, et Ch.-R. Ageron, op. cit.,
t. 2, pp. 558-560.
243. Liste des modifications, reproduite d’après une étude anonyme du CHEAM,
dans M. Kaddache, op. cit., t. 2, p. 642 note 48.
244. Selon Ch.-R. Ageron, op. cit., t. 2, p. 560. Le fond Tubert aux archives natio-
nales contient deux versions successives du Manifeste, le texte primitif de 9 pages
dactylographiées portant 37 signatures, daté du 10 février 1943 et remis au général
Eisenhower, 72 AJ 589, III – 1 - ; et le texte rectifié de 13 pages, avec 30 signatures,
remis le 31 mars 1943 au gouverneur general, 72 AJ 589, III – 2 -. Référence fournie
par B. Mekhaled, Les événements du 8 mai 1945 à Sétif, Guelma et Kerrata, Paris I,
1989, t. 2, p. 658.
245. Texte dans C. Collot et J.-R. Henry, op. cit., pp. 155-165.
246. Note sur un plan de réformes musulmanes algériennes, cinq pages dactylogra-
phiées, AOM – GG – 12 H 13. Ce plan semble provenir de la direction des affaires
musulmanes du haut-commissariat.
247. Augustin Berque aurait exprimé sa sympathie pour toutes les revendications du
Manifeste, y compris l’indépendance, dans son entretien du 3 avril 1943 avec Ahmed
Tewfik el Madani, selon les mémoires de ce dernier, Une Vie de combats, t. 2, Alger,
SNED, 1977, pp. 376-379, passage reproduit dans A. Berque, Écrits sur l’Algérie, op.
cit., pp. 203-204. Il lui aurait seulement reproché l’omission de « la question de la
colonisation et de la redistribution de la terre agricole », qui était la plus importante.
248. Cité par Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. 2, p. 562.
249. Arrêté du 3 avril 1943, AOM, Algérie GG, 12 H 13.
250. Arrêté du 13 avril 1943, AOM, Algérie GG, 12 H 13.
251. Président : Sayah Abdelkader ; vice-président : Docteur Tamzali ; Assesseurs :
MM. Mekki et Cadi Abdelkader.
252. « J’ai lu votre manifeste. Vous m’avez dit qu’il avait été adouci. Je me demande
dès lors quelle devait être la première rédaction ». Analyse du discours de M. l’Ambas-
sadeur Peyrouton, AOM, Algérie GG, 12 H 13.
253. Texte complet du discours du docteur Tamzali, AOM, Algérie GG, 12 H 13.
254. La sous-commission des « questions sociales » comprenait quatre membres par
département, un pour les territoires du Sud, et trois membres religieux pour les dis-
cussions sur des questions religieuses. Constantine : MM. le docteur Bendjelloul ;

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Ferhat Abbas ; Sisbane ; Ben Ali Chérif ; Cheikh el Arab Bengana. Oran : MM. le cheikh
Bentekkouk ; Hamidat Mokhtar, Mekki, Bachaga Sahraoui. Alger : MM. le Bachaga
Belkacem [Ferhat] ; Benhabylès ; Mustapha Pacha, docteur Tamzali. Membres reli-
gieux : Mm Kacimi ; cheikh Brahimi Bachir ; Ibnou Zekri. Le bureau était composé du :
docteur Bendjelloul (président), de Mekki (vice-président) et de Benhabylès (rappor-
teur). AOM 12 H 13.
255. Ferhat Abbas alla jusqu’à dire : « Nous voudrions avoir une notion plus précise
de la Souveraineté française qui jusqu’à présent nous est restée étrangère. Il y a un
fossé entre les deux races, je préfère être fusillé que d’être l’assujetti de quelqu’un. »
Compte rendu des débats de la commission d’études, AOM 12 H 13.
256. Six membres par département : Constantine : MM. le docteur Bendjelloul ;
Benchenouf ; Bouaziz Ben Gana ; Benbouzid ; Benabid ; Sisbane. Oran : MM. le cheikh
Bentekkouk ; Hamidat Mokhtar ; Mekki ; Bachaga Sahraoui ; Benchiha ; Brahimi
Bachir. Alger : MM. Benabdelkrim ; Brahimi Lakhdar ; Sayah Abdelkader ; Zouaï ; Che-
kiken ; Boukhroufa. Bureau : Président : Sayah Abdelkader ; vice-président Cheikh el
Arab Bengana ; Rapporteur : Bendjelloul.
257. Résumé des conclusions de la sous-commission, intitulé : « Ravitaillement en
céréales et en denrées de la population musulmane ». AOM 12 H 13.
258. Cf. « Rapport sur la question de l’habillement et des tissus indigènes », AOM 12 H 13.
259. Artisanat (trois membres par département) : Constantine : MM. Bendjelloul ;
Cheikh el Arab Bengana ; Ourabah. Oran : MM. Mekki ; Cheikh Brahimi ; Benchiha.
Alger : MM. Chekiken ; Brahimi Lakhdar ; Boukhroufa. Bureau : Président : Cheikh el
Arab ; vice-président Chekiken ; rapporteur : Dr Bendjelloul. Paysannat (4 membres
par département : Constantine : MM. le bachaga Benchenouf ; Dr Bendjelloul ; Cadi
Abdelkader ; Ourabah. Alger : MM. Bentounès ; Brahimi Lakhdar ; Sayah Abdelkader,
Benabdelkrim. Oran : MM. Hamidat Mokhtar ; Cheikh Bentekkouk ; Benchiha Bou-
cif, Bachaga Sahraoui. Bureau : Président : Bachaga Benabdelkrim ; Vice-présidents :
Dr Tamzali et Benchiha ; Rapporteur : Dr Bendjelloul. Crédit (cinq membres par dépar-
tement) : Constantine : MM. Benbouzid ; Ferhat Abbas ; Benabid ; Cadi Abdelkader ;
Dr Bendjelloul. Oran : MM. Cheikh Bentekkouk ; Hamidat Mokhtar ; Mekki ; Bachaga
Sahraoui ; Benchiha. Alger : MM. le Dr Tamzali ; Sayah Abdelkader ; Mustapha Pacha ;
Bentounès ; Boukhroufa. Bureau : Président : M. Cadi Abdelkader ; Vice-président
Bachaga Benabid ; Rapporteur : Mustapha Pacha. Habitat (cinq membres par dépar-
tement) : Constantine : MM. Benchenouf ; Cheikh el Arab, Si Bouaziz [Bengana] ;
Benbouzid ; Ferhat Abbas ; Dr Bendjelloul. Oran : MM. Cheikh Bentekkouk ; Hamidat
Mokhtar ; Mekki ; Bachaga Sahraoui ; Benchiha. Alger : MM. Chekiken ; Dr Tamzali ;
Meradi ; Zouai ; Mebarek Ben Allal. Bureau : président : M. Chekiken. Vice-présidents :
MM. Benchiha et Dr Bendjelloul ; Rapporteur : Bouakouir. AOM 12 H 13 – Ce dossier
ne contient rien sur les travaux de ces quatre sous-commissions.

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NOTES

260. Comptes rendus des débats de la commission d’études, AOM… 12 H 13. La liber-
té du commerce des céréales fut suspendue par le général Catroux le 19 août 1943.
261. Note du CIE central au directeur des affaires indigènes, 13 mai 1943, AOM
12 H 13.
262. Assemblées financières algériennes, Délégations financières, séances du 22 au
25 mai 1943, et du 1er au 5 juin 1943, AOM 50 173.
263. Texte de l’additif au Manifeste reproduit par C. Collot et J.-R. Henry, op, cit.,
pp. 165-170.
264. Cité par Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. 2, pp. 562-563.
265. Note du CIE central, 14 mai 1943, AOM 12 H 13.
266. Sur cette période, voir aussi les livres récents de Pierre Darmon Un Siècle de pas-
sions algériennes, une histoire de l’Algérie coloniale, 1830-1940, Paris, Fayard, 2009,
et d’André-Paul Weber, 1830-1930, La France en Algérie, une malheureuse aventure,
Paris, Publibook, 2010.
267. Pour une étude beaucoup plus approfondie de ce régime en Algérie, voir la thèse
de J. Cantier, L’Algérie sous le régime de Vichy, Paris, Odile Jacob, 2002.
268. Cf. Y.-M. Danan, La Vie politique à Alger de 1940 à 1944, Paris, LGDJ, 1963,
chap. 3 : « La restauration de la démocratie à Alger, capitale de la France combat-
tante », pp. 177-216.
269. Cf. H. Lerner, op. cit., 1990.
270. Voir sa description de la mentalité « algérienne » dans ses souvenirs de guerre,
Dans la bataille de Méditerranée, op. cit., pp. 432-433.
271. H. Lerner, op. cit., pp. 169-205.
272. Ibid., pp. 206-221.
273. Cf. A. de Sérigny, Échos d’Alger, t. 1, Paris, Presses de la Cité, 1972, p. 195.
274. Emmanuel d’Astier de la Vigerie, commissaire à l’Intérieur depuis le 9 novembre,
voulait rester à Londres pour aider la résistance intérieure. Il demanda un adjoint qui
s’occuperait des territoires libérés, dont l’Algérie. Cf. J. Pierre-Bloch, Alger, capitale de
la France en guerre, 1942-1944, Paris, Éditions Universal, 1989, p. 36.
275. H. Queuille, Journal d’Alger, édition critique par Hervé Bastien, DEA de l’IEP de
Paris, 1988, t. 1, pp. 42-46.
276. H. Lerner, op. cit., pp. 242-259.
277. H. Queuille, Journal, t. 1, pp. 84-86.
278. Assemblées financières algériennes, 1943, Délégations financières, session
extraordinaire de mai-juin, AOM 50 173, p. 482.
279. Discours prononcé le 23 juin 1943 par Catroux devant la commission d’études
économiques et sociales musulmanes. AOM, B 658, imprimé.
280. Adjonction de nouveaux membres aux sous-commissions : – du crédit : Constan-
tine : Tamzali Khelil ; Oran : Taleb Abdesselam ; Alger : Tamzali Allaoua : – de l’habitat :

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Constantine : Tamzali Khelil ; Oran : Chentouf ; Alger : Khiar ; – du ravitaillement et de


l’habillement : Constantine : Tamzali Khelil ; Oran : Chentouf ; Alger : Khiar ; – sociale :
Constantine : Lakhdari ; Oran : Chentouf ; Alger : Khiar. – de l’artisanat : Constantine :
Ghorab ; Oran : Bachtarzi ; Alger : Ghersi ; – du paysannat : Constantine : Ghorab ;
Oran : Abassa ; Alger : Tamzali Khelil.
281. Compte rendu des séances de la commission d’études, AOM Algérie 12 h 13.
282. Cf. Additif titre II, B I, et commission d’études, séance du 24 juin après-midi,
AOM Algérie 12 H 13.
283. Additif titre II, A IV, commission d’études, 24 juin après-midi, AOM Algérie
12 H 13.
284. Voir dans AOM Algérie 12 H 13, les justifications des mesures projetées, les
textes publiés au JORF, et le commentaire diffusé par la radio et par la presse.
285. « Causerie » diffusée par radio Alger le 5 août 1943 : « Autour du CFLN : pro-
blèmes musulmans », et version abrégée : « Mesures décidées par le CFLN en faveur
des Français musulmans d’Algérie ».
286. Renseignement secret du CIE de Constantine au CIE central, 5 août 1943. AOM
Algérie 12 H 13.
287. Rapport du CIE central, 12 août 1943 : Réformes annoncées en faveur des musul-
mans algériens. Répercussions. Cf. le rapport de la PRG d’Alger sur les conversations
de Ferhat Abbas avec les étudiants d’Alger, 11 août 1943. AOM Algérie 12 H 13.
288. Note d’Augustin Berque au général Catroux, 18 août 1943, annotée par le desti-
nataire, et lettre du général Catroux aux présidents du CFLN, 25 août 1943, rédigée
par le commandant Schoen. AOM Algérie 12 H 13.
289. Cf. la lettre n° 30 49 / CIE du 3 septembre 1943 par laquelle le général Catroux
signalait au commissaire aux Affaires extérieures la démarche faite le 26 août par
Abbas, Bendjelloul et Sayah auprès de Murphy, et lui demandait d’attirer l’attention
de celui-ci sur la duplicité d’Abbas. Le général Catroux ajoutait de sa main que Robert
Murphy lui avait dit ne jamais avoir encouragé celui-ci. Archives du Quai d’Orsay,
vol. 995, pp. 10-11.
290. Assemblées financières algériennes, Délégations financières, session extraordi-
naire de septembre 1943, AOM 50 173, p. 58.
291. Dès le 23 septembre, ils avaient rédigé une motion de soumission qu’ils ne
purent lire. Le 14 octobre, le député de Constantine Joseph Serda en conduisit trois
auprès de Henri Queuille, qui jugea le Manifeste un « papier inadmissible » et leur
conseilla de faire une « manifestation publique de soumission et d’attachement à la
France » Voir le Journal de H. Queuille, t. 1, p. 66, et extraits de la motion du 23 sep-
tembre dans la note 309.
292. Voir le texte original de la déclaration de soumission du 14 octobre 1943, avec
les signatures identifiées au crayon, dans AOM – GG – 13 H 8.

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NOTES

293. Exemple, le tract intitulé « El Wafd », diffusé à Philippeville début octobre. Plusieurs
copies envoyées par le CIE de Constantine au CIE central dans AOM Algérie 12 H 13.
294. Déclaration du CFLN du 20 octobre 1943, JORF du 28 octobre cf. M. Ansky,
op. cit., pp. 318-319.
295. Renseignement du CIE central, au sujet du maintien en vigueur du décret Cré-
mieux, 25 octobre 1943.
296. Lettre de Sadok Saïdi à Catroux, Casablanca, 24 novembre 1943. Sadok Saïdi fut
en 1947 l’un des fondateurs et dirigeants du Mouvement pour le triomphe des libertés
démocratiques (MTLD).
297. Cf. la « Note demandée par M. le secrétaire général du gouvernement pour être
insérée dans le discours que doit prononcer M. le général Catroux le 2 décembre 1943
à la séance inaugurale des Délégations financières » adressée le 25 novembre 1943 à
M. le Directeur des affaires musulmanes et des Territoires du Sud comme suite à sa
demande verbale du 24 novembre, par le lieutenant-colonel Courtès, chef du CIE.
Cette note résume le premier train de réformes. Son auteur précise au crayon avoir
attiré l’attention de M. Berque sur « l’inopportunité de ces déclarations aux Déléga-
tions financières où elles risquent de provoquer : – le mécontentement des Délégués
financiers européens, qui ont dans l’ensemble été hostiles à ces réformes ; – une réac-
tion des délégués musulmans, qui ont estimé celles-ci insuffisantes et attendent un
deuxième train de réformes ; – l’ouverture d’un débat politique dans une assemblée
qui n’a pas à s’occuper de ces questions ». Malgré l’avis défavorable de M. Berque,
M. Gonon et M. Berthelot, directeur du cabinet du gouverneur général, ont insisté
pour obtenir cette note. AOM Algérie, GG, 12 H 13.
298. Assemblées financières algériennes, Délégations financières, session ordinaire
de décembre 1943, p. 92. AOM Algérie, 50 173, p. 92.
299. Dès 1916, il avait lu le livre de P. Leroy-Beaulieu sur l’Algérie et compris le fonc-
tionnement des Délégations financières. Voir C. de Gaulle, Lettres, notes et carnets,
t. 1, 1916, cité par O. Rudelle, « Gaullisme et crise d’identité républicaine », dans La
France en guerre d’Algérie, Paris, Fayard 1990, pp. 184 et 644, note 12.
300. J. Pierre-Bloch, Algérie, terre des occasions perdues, Strasbourg, Deux rives,
1961, pp. 54-55 ; et Alger, capitale de la France en guerre, Paris, Éditions Universal,
1989, pp. 65-67. Les procès-verbaux et le rapport de la commission Lagrosillière se
trouvent dans les Archives du gouvernement général, joints à ceux des commissions
de 1943 et 1944, AOM, 12 h 13.
301. Motion reproduite par J. Pierre-Bloch, op. cit., pp. 52-53.
302. Compte rendu de la conférence nord-africaine du CFLN du 10 décembre 1943,
Archives du ministère des Affaires étrangères, Quai d’Orsay, vol. 1033, pp. 90-98.
303. Décision du CFLN, 11 décembre 1943, AOM Algérie, GG, 30 X 1, actes imprimés
de la commission des réformes musulmanes, t.1, p. 5, AOM 142 ou 961.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

304. C. de Gaulle, Mémoires de guerre, Paris, Plon, 1956, t. 2, pp. 224-225 et 463-465,
Éditions du Livre de Poche. Cf. J. Pierre-Bloch, op. cit.
305. Reproduit dans la brochure : Projet de décisions présentées au gouvernement par
le général d’armée Georges Catroux, AOM B 3006, pp. 6-7, et AOM Algérie, GG, 30 X 4.
306. AOM – GG – 30 X 1, et actes imprimés de la commission, t. 1, p. 6.
307. Reproduit dans la brochure : Projet de décisions présentées au gouvernement par
le général d’armée Georges Catroux, pp. 7-8.
308. Voir aux Archives d’Outre-mer la note du 27 juillet 1944 résumant les travaux
de la commission, dans 30 X 3 ; les procès-verbaux des séances, 30 X 1 et 30 X 2 ; la
documentation complémentaire 30 X 3 et 30 X 4, et les actes imprimés en deux tomes
(le second en deux volumes), 142 et 961.
309. Paul Giacobbi fut nommé dans la commission par un arrêté du 14 janvier 1943 ;
André Hauriou y fut réintégré par un autre arrêté du 24 mai. Actes imprimés de la
commission, t. 1, p. 8.
310. Séance du 18 janvier 1944. Actes imprimés, t. 1, pp. 149-152.
311. Séance du 23 décembre 1943. Actes imprimés, t. 1, pp. 23-27, C. Collot et
J.-R. Henry, op. cit., pp. 171-175.
312. Séance du 3 janvier 1944. Actes imprimés, t. 1, p. 52 sq. Texte reproduit par
C. Collot et J.-R. Henry, op. cit., pp. 175-177.
313. Séance du 15 janvier 1944. Actes imprimés, t.1, pp. 141-144, C. Collot et
J.-R. Henry, op. cit., pp. 183-185.
314. Séance du 3 janvier 1944. Actes imprimés, t.1, pp. 67-73, C. Collot et J.-R. Henry,
op. cit., pp. 177-183.
315. Réponse du docteur Bendjelloul à Messali Hadj, Actes imprimés, t. 1, pp. 144-
145 ; et note sur le problème politique, t.2, p. 53. Mémoire du cheikh El Okbi sur le
problème politique. Actes imprimés t. 3, p. 62. Le cheikh avait hésité à accepter sa
nomination, de peur de passer pour un « fonctionnaire de l’administration ». Rensei-
gnement du CIE, Alger 18 décembre 1943, AOM Algérie, GG, 12 h 13.
316. Rapport Giacobbi sur le problème politique, Actes imprimés, t. 2, pp. 83,84, et
tiré à part, B 1220.
317. Dans sa note sur le problème politique, Actes imprimés, t. 1, p. 28, Albert Valleur
se présentait ainsi : « Né en Algérie, ancien instituteur des écoles indigènes, adminis-
trateur de commune mixte, avocat, colon, maire depuis dix-huit ans de la grande cité
musulmane qu’est Tlemcen, conseiller général d’une circonscription rurale de colons
depuis vingt et un ans. » Il avait exposé sa position le 23 avril 1937 devant la commis-
sion Lagrosillière : « Arriver progressivement à intégrer tous les musulmans d’Algérie
dans la citoyenneté française, citoyenneté intégrale sans aucune espèce de réserve ;
et pour atteindre ce résultat : octroi d’office de cette citoyenneté à l’élite au fur et à
mesure qu’elle se forme et, en attendant que la masse ait suffisamment évolué dans la

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NOTES

civilisation française, institution d’une représentation spéciale au Parlement à l’image


de la représentation spéciale déjà existante dans les assemblées locales d’Algérie. »
Mais en 1937, il était partisan de la citoyenneté française sans le statut musulman,
rapport Lagrosillière, texte imprimé, p. 45, AOM Algérie, GG, 12 H 13.
318. Rapport Giacobbi, Actes imprimés, t. 2, pp. 88-91.
319. Les titulaires du certificat d’études primaires furent exclus après une très vive
discussion, parce que ce diplôme normalement obtenu à l’âge de douze ans n’était
pas une preuve de capacité civique.
320. Rapport Giacobbi, pp. 91-94.
321. Rapport présenté au CFLN par le commissaire d’État aux affaires musulmanes,
MAE– QO – 995, pp. 78-87.
322. Additif au rapport présenté au CFLN par le commissaire d’État aux Affaires
musulmanes, MAE– QO – 995, pp. 90 et 90 bis.
323. « Mémorandum pour contribuer à l’étude du projet Valleur », sans date ni nom
d’auteur, à en tête du Commissariat aux colonies, affaires politiques. L’auteur peut
être René Pleven, ou son directeur des affaires politiques Henri Laurentie – MAE– QO
– 995, pp. 60 et 61.
324. Note du général Catroux relative au projet Valleur, 29 février 1944, tampon
« secret » – Exemplaire destiné à M. Gonon (crayon rouge), dans AOM GG – 30 X 3.
Autre exemplaire, QO – 995, pp. 55 sq.
325. Discours du général de Gaulle à l’ouverture de la conférence de Brazzaville. Repro-
duit par J. Soustelle, 28 ans de gaullisme, Paris, La Table Ronde, 1968, pp. 428-431.
Le 25 octobre 1944 à Paris, le général parla d’« amener chacun de ces peuples à un
développement qui lui permettra de s’administrer et plus tard de se gouverner lui-
même » Mémoires de guerre, Paris, Livre de Poche, 1988, t. 3, p. 361.
326. Cité par J. Lacouture, De Gaulle, Paris, Le Seuil, 1984, t. 1, p. 750 ; et par C.-R. Age-
ron au colloque Brazzaville, aux sources de la décolonisation, Paris, Plon, 1988, p. 35.
327. Cité par J. R. Tournoux, La Tragédie du général, Paris, Plon, 1967, pp. 187-189,
en note.
328. H. Queuille, Journal d’Alger, janvier-juillet 1944, édition Hervé Bastien, Paris,
Plon et Fondation Charles de Gaulle, 1995, p. 511.
329. Défenseurs devant les tribunaux musulmans.
330. Journal officiel de la République française, lois et décrets, n° 24, 18 mars 1944,
p. 217. Avant sa publication au JORF, le général Catroux avait proposé au CFLN
quelques modifications de détail, et l’adjonction des titulaires de la carte du combat-
tant, 20 000 sur les 60 000 survivants de la Grande Guerre. Rapport du 14 mars 1944,
MAE– QO – 995, p. 70.
331. Texte des statuts des AML dans C. Collot et J.-R. Henry, op. cit., pp. 186-187.
332. Séance du 14 mars 1944, Actes imprimés, t. 1, pp. 417-418 et 436-439.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

333. Séance du 8 juillet 1944, Actes imprimés, t. 1, pp. 546-549.


334. Correspondance du général Catroux avec le commissaire à la Guerre, AN, F60 –
808. Correspondance du général Catroux avec les résidents généraux Puaux et Mast,
MAE– QO – 995, et AN, F60 – 808. Dossier « situation des fils de marocains nés en
Algérie au regard de l’acte dit loi de Vichy du 17 février 1942 et de l’ordonnance du
7 mars 1944 », AN, F60 – 808.
335. JORF, Lois et décrets, 1944, p. 55. La commission, présidée par M. Knoertzer,
membre au siège de la Chambre provisoire de cassation en matière criminelle, se
composait du directeur des affaires civiles au commissariat à la Justice, du professeur
à la faculté de droit d’Alger Louis Milliot, de M. Surdon, conseiller à la cour d’appel de
Rabat, et de M. Mahdi Salah, vice-président du tribunal de première instance d’Alger.
336. JORF, Lois et décrets, 1944, p. 553. On retrouve dans ce conseil technique
MM. Mahdi (Salah), Milliot, et Surdon.
337. Note résumant les travaux de la commission chargée d’établir un programme
de réformes politiques, sociales et économiques en faveur des musulmans français
d’Algérie, par M. Rols, 27 juillet 1944 – AOM Algérie, 30 X 3.
338. Commission chargée d’établir un programme de réformes…, Actes imprimés,
t. 1, pp. 257-263 (débats), et t. 2, pp. 127-134.
339. Le recteur Laugier signala devant la commission que certains commissaires s’étaient
déclarés favorables à une participation de l’État à ces dépenses. « Le général de Gaulle
[…] a lui-même estimé que la contribution de l’État lui paraissait désirable. M. Mendès
France, commissaire aux Finances a de son côté assuré M. Laugier de tout son appui
pour faire admettre cette participation. » Commission…, Actes imprimés, t. 1, p. 193.
340. Note résumant les travaux de la commission… AOM Algérie, 30 X 3, et Commis-
sion…, Actes imprimés, t. 1, pp. 294-313, et t. 2, pp. 137-253.
341. Note résumant les travaux… AOM 30 X 3, et Commission…, Actes imprimés,
t. 1, pp. 365-375, 407-416, et t. 2, pp. 293-325.
342. Projets de décisions présentés au gouvernement par M. le général d’armée
Catroux, pp. 39-45 – AOM, B 3006.
343. Note résumant les travaux…, AOM Algérie 30 X 3, et Commission…, Actes
imprimés, t. 1, pp. 216-299, 266-293, et t. 2, pp. 329-373.
344. Note résumant les travaux…, AOM Algérie 30 X 3, et Commission…, Actes
imprimés, t. 1, pp. 380-389, 402-406, et t.2, pp. 377-400.
345. Note résumant les travaux… AOM Algérie, 30 X 3, et Commission…, Actes
imprimés, t. 1, pp. 376-379, 412-416, et t. 2, pp. 257-290.
346. Les SIP, institutionnalisées en 1893 dans le cadre des communes mixtes, étaient
chargées de constituer des réserves (en nature, puis en argent) pour prévenir les
famines et autres calamités agricoles. Leur rôle fut accru par la création d’un Fonds
commun des SIP (loi du 19 juillet 1933), par celle de l’Office du blé en 1936, et par le

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NOTES

décret du 24 février 1940 qui leur confia le ravitaillement des indigènes pour la durée
de la guerre. Cf. X. Yacono, « Histoire des SIP agricoles en Algérie » (1848-1962), in
Les techniques de conservation des grains à long terme, 3, fasc. 1, Paris, Éditions du
CNRS, 1985.
347. Pour la commission, séances les 17, 19, 21 et 24 février, 14 mars, 5 et 8 juillet
1944. Pour la sous-commission spéciale, séances les 25, 28 février, 1er, 3, 6, 13 mars,
20 mai et 29 juin.
348. Note résumant les travaux… AOM Algérie, 30 X 3.
349. Commission…, Actes imprimés, t. 2, presque entier, sauf le nouveau plan de
financement, pp. 779-791.
350. Commission…, Actes imprimés, t. 1, p. 352, et pp. 417-418 et pp. 434-435.
351. Roger Goetze, jeune inspecteur des finances, avait choisi l’Afrique du Nord
dans l’espoir de rejoindre Londres en janvier 1941. Résistant sur place, il fut nommé
directeur des services financiers de l’Algérie pour remplacer Maurice Gonon, nommé
secrétaire général du GG. Puis le commissaire aux finances du CFLN, Pierre Mendès
France, l’employa à mi-temps pour gérer les finances du GG et celles du CFLN ; rentré
à Paris en septembre 1944, il lui demanda de le suivre tout en restant responsable du
budget algérien. Voir Entretiens avec Roger Goetze, haut fonctionnaire des Finances,
texte établi et annoté par Nathalie Carré de Malberg, Comité pour l’histoire écono-
mique et sociale de la France, Paris, 1997.
352 Note résumant les travaux… AOM Algérie, 30 X 3, et Commission…, Actes impri-
més, t. 2, pp. 390-401, et 417-432. Rapport Lestrade-Carbonnel daté du 23 mars 1944
selon le bordereau d’envoi n° 106 AMC du 4 avril 1944, AN F60 809. Cf. Projets de
décisions… pp. 53-56 – AOM B 3006.
353. Projets de décisions présentés au Gouvernement par M. le général d’armée
Catroux…, pp. 5-6 – AOM B 3006.
354. Décision du CFLN, communiquée le 8 juin 1944 par le secrétariat général du
GPRF. AN - F60 - 809.
355. Rapport Astier, Commission…, Actes imprimés, t. 2, pp. 704-775.
356. Discussion du rapport Astier par la Commission, Actes imprimés, pp. 514-532.
357. Commission…, Actes imprimés, t. 1, p. 539.
358. Projets de décisions…, pp. 59-70 – AOM B 3006.
359. Projets de décisions…, pp. 71-75 ; et note concernant les dépenses à prévoir
pour la réalisation du plan de réformes, datée du 5 août 1944, dans Commission…,
Actes imprimés, t. 2, pp. 779-791.
360. AN, F60 – 809.
361. Projets de décisions…, pp. 57-58.
362. Note n° 6092/PL du commissariat aux Finances, reçue aux Affaires étrangères le
14 août 1944, MAE – QO – 993, p. 61.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

363. AOM Algérie, 12 H 13.


364. Actes imprimés, t. 1, pp. 189 et 214-215.
365. Ibid., t. 1, p. 292.
366. AN, F60 – 808.
367. Actes imprimés, t. 2, pp. 44-83.
368. Ibid., t. 1, pp. 126-127.
369. Ibid., t. 2, pp. 475-476.
370. Un projet d’ordonnance joint à cette note, modifiant la loi du 4 février 1919,
proposait de réduire les huit conditions préalables à une seule : savoir lire et écrire le
français. AN, F60 – 808.
371. MAE – QO – 1033, pp. 109-121. Robert Montagne (1893-1954), ancien officier au
Maroc, était devenu un expert reconnu de sociologie musulmane, fondateur en 1936
du CHEAM qu’il dirigea jusqu’à sa mort.
372. JORF, Lois et décrets, Alger, 1944, p. 374.
373. AN, F60 – 808.
374. MAE – QO – 993, pp. 2-36.
375. MAE – QO – 993, pp. 51-58. Augustin Berque faisait même l’éloge du kolkho-
zien, qui « n’est pas l’instrument inerte où l’on veut réduire notre fellah. Il a une
éducation morale et technique, une participation morale à l’œuvre, qui font de lui un
facteur ardent de succès ».
376. AOM, Algérie, 10 H 90.
377. Ce signalement paraît correspondre à celui de Boyer-Banse, ancien directeur de
la colonisation et du Crédit agricole cité avec éloge par la note sur « le problème de
l’agriculture indigène en Algérie », et même par la réponse d’Augustin Berque.
378. Pourtant, elle concernait au moins 65 000 bénéficiaires de la pleine citoyenneté.
379. Voir assemblées financières algériennes, AOM, 50 173.
380. On remarquera que le colonisme de l’auteur allait de pair avec un ardent patrio-
tisme anti-allemand et anti-vichyste.
381. On voit que l’auteur identifiait l’indigène à l’ennemi.
382. Cette affirmation est fausse : la commission avait refusé l’expropriation des
colons, au vif mécontentement du communiste André Mercier.
383. JORF, Débats parlementaires, ACP, n° 33-36 des 11 et 13 novembre 1943. Séance
du 10 novembre 1943.
384. JORF, Débats parlementaires, ACP, 1944, n° 22 et 23.
385. L’Afrique du Nord envoya six observateurs. Catroux en envoya deux : le lieu-
tenant-colonel Spillmann pour le commissariat aux Affaires musulmanes, M. Fabre-
goule pour le gouvernement général, AN, F60 – 812.
386. JORF, Débats parlementaires, ACP, 1944, n° 34 et n° 32.
387. JORF, Débats parlementaires, ACP, 1944, n° 36.

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NOTES

388. Lettre du 22 mars 1944, AN, F60 – 808.


389. JORF, Débats parlementaires, ACP, 1944, n° 33-50 et 55.
390. JORF, Débats parlementaires, ACP, 1944, n° 57.
391. H. Queuille, Journal d’Alger, Paris, édition Hervé Bastien, t. 1, p. 92.
392. MAE – QO – 995, p. 44.
393. La veille, Gustave Mercier s’était défendu d’avoir voulu critiquer les réformes en
cours. Assemblées financières algériennes, Délégations financières, session ordinaire
de décembre 1943, AOM, 50 173, pp. 380 et 527.
394. Voir le discours inaugural du général Catroux et son discours de clôture, répon-
dant aux remerciements du bachaga Smati et de Marcel Belaïche, ibid, Conseil supé-
rieur de gouvernement, pp. 5-12 et pp. 82-89.
395. SHAT, 1 H 2812, in La Guerre d’Algérie par les documents, t. 1, L’Avertissement,
Vincennes, SHAT, 1990, pp. 64-66.
396. Néanmoins certains journaux exprimèrent leur désapprobation, comme La
Dépêche algérienne : « Le CFLN a donné aux musulmans plus qu’ils n’auraient reven-
diqué après la guerre. » Cité par Y. M. Danan, op. cit., p. 255, d’après un article de
Fraternité n° 19 du 30 avril 1944 : « L’accession des musulmans à la citoyenneté à
travers la presse algérienne. »
397. MAE – QO – 995, pp. 24-25 et 41-43 ; et SHAT, 1 H 2811, in L’Avertissement, p. 42.
398. Note du 29 février 1944, AOM, Algérie, 12 H 13 et QO – 995. Cf. La position du
général sur l’entrée des communistes au CFLN : « Catroux est d’accord, mais voudrait
engagement précis, attitude loyale de solidarité », selon H. Queuille, Journal d’Alger,
édition Hervé Bastien, partie inédite, 1er avril 1944, p. 515.
399. Ibid., p. 502.
400. SHAT, 1 H 2818, L’Avertissement, p. 98.
401. Actes imprimés, t. 1, pp. 77-80.
402. Actes imprimés, t. 1, p. 31.
403. Actes imprimés, t. 1, p. 61.
404. AN, F60 – 808.
405. Rapport Giacobbi, Actes imprimés, t. 1, pp. 81-83.
406. Ce fut le sort d’André Mallarmé au début de juin 1944. « C’est évidemment une
grosse faute commise par Catroux […] d’autant que le reproche vrai serait sa collabo-
ration au discours Froger », président du Conseil général d’Alger, hostile à la politique
du CFLN et de l’Assemblée ; selon H. Queuille, Journal inédit, pp. 533-536 et 538.
Réflexions sur la politique de la France en Afrique, MAE – QO – 1033.
407. AOM Algérie 12 H 13.
408. SHAT, 1 H 2812 ; L’Avertissement, p. 59. Mêmes rapports du général André dans
AN, F60 811.
409. SHAT, 1 H 2812 ; L’Avertissement, p. 67.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

410. Notamment le docteur Loufrani, médecin et ami du cheikh El Okbi, et Marcel


Belaïche. Selon un rapport du CIE central, daté du 20 janvier 1944, « les militants
communistes et socialistes de confession israélite feraient une très active propagande
dans les milieux indigènes en faveur de la citoyenneté algérienne ». Mais les indi-
gènes seraient « persuadés que les Juifs ne voient pas d’un bon œil la mesure prise
par le CFLN, et que leur action a pour but de les décourager ». Copie transmise aux
trois CIE départementaux pour recoupement par le colonel Courtès, AOM, Algérie,
12 H 13.
411. Actes imprimés, t. 1, p. 93.
412. Télégramme du 16 décembre 1943, MAE – QO – 995, p. 34. Cf. AN, F60 – 812.
413. AOM, Algérie, 12 H 13.
414. Ibid.
415. AN, F60 – 808.
416. Rapport du général André, SHAT, 1 H 2812 ; L’Avertissement, op. cit., pp. 55-57.
417. SHAT, 1 H 2812 ; L’Avertissement, pp. 58-59.
418. MAE – QO – 995, p. 75 ; et AN, F60 – 808.
419. Motion du congrès départemental des AML, in C. Collot et J.-R. Henry, op. cit.,
pp. 187-188.
420. Voir sa notice biographique dans Parcours, n° 5, automne 1985, pp. 37-39.
421. SHAT, 1 H 2812, L’Avertissement, op. cit., p. 52 ; p. 63 et p. 67.
422. Cité dans le rapport Gazagne sur les événements du 8 mai 1945 ; reproduit par
A. de Sérigny, op. cit., t. 1, p. 316.
423. AOM, Algérie, 9 H 51. Cité par B. Mekhaled, Les Événements du 8 mai 1945 à
Sétif, Guelma et Kherrata, thèse du 3e cycle, J.-C. Allain (dir.), Paris I, 1989, t. 1, p. 87.
424. J. Pierre-Bloch, op. cit., pp.93-95 ; Le vent souffle sur l’histoire, Paris, Paris, éditions
S.I.P.E.P., 1956, pp. 321 et 325-327 ; et Alger, capitale de la France en guerre, pp. 102-103.
425. Ibid.
426. H. Lerner, op. cit., p. 374.
427. Cité par C. Paillat, Vingt ans qui déchirèrent la France, t. 1, Le Guêpier, Paris,
Robert Laffont, 1969, pp. 49-50.
428. MAE – QO – 992, pp. 228 et 239.
429. MAE – QO – 992, p. 229.
430. MAE – QO – 992, p. 230.
431. JORF, Lois et décrets, 12-09-1944, pp. 804-805 et 6-10-1944, p. 882.
432. H. Queuille, Journal d’Alger, partie inédite (janvier-juillet 1944), pp. 533-536,
538 : « On est franchement contre le CFLN et l’Assemblée au Conseil général d’Alger ;
on oppose même de Gaulle àCatroux, défenseur de la IIIe. »
433. « J’aurais voulu, dit de Gaulle, que M. Queuille vînt en raison de ses travaux sur
le débarquement, mais il vaut mieux qu’il reste ici […] Qu’est-ce que cela veut dire ?

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NOTES

Peut-être que j’assure l’intérim, et parce qu’il me considère comme moins… person-
nel que Catroux ». Ibid., p. 535.
434. Ibid., p. 517.
435. Cf. Ch.-A. Julien, L’Afrique du Nord en marche…, Paris, Julliard, 1953, rééd.
1972, p. 261. Réed. Paris, Omnibus, 2002. Voir également C. Paillat, Le Guêpier, Paris,
Robert Laffont 1969, pp. 258-259.
436. H. Queuille, op. cit., p. 517.
437. MAE – QO – 992, pp. 231-239. Gabriel Puaux avait été très réservé envers les
réflexions de Robert Montagne sur la politique de la France en Afrique, transmises
par le général Catroux. Voir sa réponse du 29 juin 1944, MAE – QO – 1033, pp. 129-
137.
438. MAE – QO – 992, p. 254 sq.
439. MAE – QO – 992, p. 258.
440. Cf. un article de Ch.-A. Julien dans Le Populaire (s.d.), cité dans MAE – QO –
993, p. 159.
441. JORF, Lois et décrets, 23-10-1944, p. 1067, et MAE – QO – 992, p. 259.
442. AN, F60 – 206. Le texte des trois lettres semble contenir des erreurs de dates,
septembre pour août et pour octobre.
443. MAE – QO – 993, pp. 118-159.
444. MAE – QO – 993, pp. 114-117.
445. Cf. AN, F60 – 897, doc. n° 31.
446. AN, F60 – 191.
447. AN, F60 – 191, n° 511 SG.
448. AN, F60 – 191, lettre du 20 octobre, reçue le 23 au SG du GPRF.
449. MAE – QO – 993, p. 159, coupure sans date ni référence, jointe à la note n° 335
SG du 10 octobre 1944.
450. AN, F60 – 808. Texte envoyé au cabinet politique et au directeur des services du
ministère de l’Afrique du Nord ; mention « Agence Reuters ? » au crayon rouge.
451. AOM Algérie, 12 H 13.
452. Ibid.
453. Ibid.
454. Ibid. Le texte cité paraît inspiré des suggestions faites le 8 août par Robert Mon-
tagne pour la présentation des réformes.
455. Ibid.
456. JORF, Lois et décrets, 1944, p. 1752, et Textes intéressant les Français musulmans
d’Algérie, AOM, B 1375, t. 1, p. 16.
457. JORF, Lois et décrets, 1944, p. 1748 (rectificatif p. 2060), et p. 1752, et AOM,
B 1375, t. 2, pp. 3 et 16. Cf. AN, F60 – 808.
458. JORF, Lois et décrets, 1944, pp. 1756 et 1757, et AOM, B 1375, t. 1, p. 2 et 31.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

459. Conformément à l’avis d’Augustin Berque, mais contrairement à une note de


Robert Montagne datée du 7 août 1944, AN, F60 – 808.
460. JORF, Lois et décrets, 8-12-1944 ; AOM, B 1375, t. 1, p. 24, et AN, F60 – 808.
461. Lettre de Catroux à Tixier, du 6-12-1944, AN, F60 – 808.
462. AOM, B 1375, t. 1, p. 34, et p. 35.
463. Note du lieutenant-colonel Spillmann, chef du cabinet du général Catroux,
22-12-1944, et lettre du ministre de l’Intérieur Tixier au général Catroux, 5-12-1944,
AN, F60 – 808.
464. AN, F60 – 808.
465. AN, F60 – 808.
466. JORF, Lois et décrets, 1944, p. 605, p. 1752 ; rectificatif p. 1918 ; pp. 1760-1763.
467. Le rythme des créations passerait de 400 classes pour 20 000 élèves en 1945
à 2 500 classes pour 125 000 élèves en 1965. 1830-1962 : Des Enseignants d’Algé-
rie se souviennent… de ce qu’y fut l’enseignement primaire, Toulouse, Privat, 1981,
pp. 55-58, « Le problème de la scolarisation totale ».
468. AN, F60 – 808.
469. AN, F60 – 808 – Ce jugement d’Augustin Berque sur Taoufik el Madani paraît
infirmer les affirmations de ce dernier quant à son approbation du Manifeste.
470. Le rapport Tubert sur les événements du 8 mai 1945 dans le Constantinois
signala que le décret sur l’enseignement en Algérie promulgué en novembre précé-
dent, et dont le directeur des Affaires musulmanes avait signalé les inconvénients,
avait permis aux oulémas de couvrir l’Algérie de medersas, surtout dans les six der-
niers mois et de supprimer tout contrôle de l’Administration, cf. C. Paillat, op. cit.,
pp. 73-74.
471. Selon une note postérieure de la sous-direction de l’Algérie au ministre de l’In-
térieur, datée du 8 février 1945, « les autres projets ont fait l’objet de décisions du
conseil des ministres, mais celles-ci n’ont pas été portées à la connaissance des diffé-
rents ministères intéressés. AOM Algérie, 30 X 4.
472. AN, F60 – 206.
473. Cf. supra, note 29.
474. AOM, 50 173, séance du 21 novembre 1944.
475. Ibid., 22 novembre, pp. 171-174 et pp. 190-191.
476. Ibid., 13 décembre, pp. 402-407.
477. Ibid., 15 décembre, p. 600.
478. Ibid., 16 décembre, p. 747.
479. Ibid., 16 décembre, pp. 768-773.
480. Voir le compte rendu ronéotypé dans AOM – Algérie, 13 H 8.
481. AOM Algérie, 12 H 13.
482. Ibid.

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NOTES

483. Ibid.
484. Sa composition attribuait 148 sièges à la Résistance métropolitaine, 28 à la
Résistance extra-métropolitaine, 60 aux parlementaires (proportionnellement à l’im-
portance des groupes en 1939), et 12 aux représentants des conseils généraux de la
France d’Outre-mer, dont 6 à ceux d’Algérie.
485. JORF, Débats de l’Assemblée consultative, 1944, p. 277 ; p. 391.
486. JORF, Débats de l’Assemblée consultative, 1944, pp. 398-400.
487. JORF, Débats de l’Assemblée consultative, 1944, p. 551.
488. JORF, Documents parlementaires, Assemblée consultative, n° 221, p. 77.
489. Cf. H. Lerner, op. cit., p. 279.
490. JORF, Lois et décrets, 1945, p. 195. ; p. 548 ; p. 780.
491. H. Lerner, op. cit., pp. 279-280.
492. Note au ministre de la sous-direction de l’Algérie, AOM Algérie, 30 X 4.
493. AN, F60 206.
494. Note de la sous-direction de l’Algérie, sur les réformes musulmanes, AOM Algé-
rie, 30 X 4.
495. Note sans en-tête, intitulée « État au 26 juin 1945 de la question des réformes
musulmanes », semblant provenir de la direction des Affaires musulmanes du gouver-
nement général, AOM Algérie, 30 X 4.
496. JORF, Débats ACP, 1944, annexe n° 146, p. 224.
497. JORF, Débats ACP, 1944, 287, et documents n° 165, pp. 34-35.
498. JORF, Débats ACP, 1944, p. 546, et documents n° 219, pp. 76-77.
499. JORF, Débats ACP, 1945, p. 9.
500. JORF, Débats, 1945, pp. 43-55, et documents n° 292.
501. Un décret était sur le point d’être signé pour prolonger le délai prévu pour l’éta-
blissement des listes électorales en Algérie par l’article 8 du décret du 23 novembre
1944 pris en application de l’article 3 de l’ordonnance du 7 mars 1944, voir JORF,
Lois et décrets, 1945, p. 989. Décret n° 45-294 du 24 février 1945. Voir la réponse du
ministre à la question écrite de P. Muselli sur la date des élections en Algérie, JORF,
débats du 8 mars 1945, p. 386.
502. JORF, Débats, 1945, pp. 194-201 et pp. 449-450.
503. JORF, Documents ACP, n° 390, p. 467.
504. JORF, Débats, 1945, p. 9, rapport de Raymond Blanc, et p. 547.
505. JORF, Débats, 2e séance du 27 mars 1945, p. 809. Déclarations répétées à la
séance du 11 juillet 1945, Débats p. 1373.
506. JORF, Débats ACP, 1945, 27 mars 1945, p. 816. Copie conforme du 14 avril 1945,
transmise par le CIE de la préfecture de Constantine au 2e bureau de l’état-major de
la division le 19 avril, SHAT, 1 H 2818, reproduit dans L’Avertissement, op. cit., p. 72.
507. JORF, Débats ACP, 1945, p. 200.

479
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LA FRANCE EN ALGÉRIE

508. Récit de P.-R. Gazagne, rapporté par A. de Sérigny, op. cit., t. 1, pp. 263-265.
509. SHAT, 1 H 1726. Reproduit dans L’Avertissement, op. cit., pp. 74-78.
510. Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. 2, p. 570.
511. Ch.-R. Ageron, « Les troubles du Nord-Constantinois en mai 1945 : une tentative
insurrectionnelle ? », XXe siècle, Revue d’histoire, n° 4, oct. 1984, pp. 27-28.
512. Rapport du gouverneur général au ministre de l’Intérieur, 17 mai 1945, AOM 9 H
51 ; cité par B. Mekhaled, Les Événements du 8 mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata,
Paris I, 1989, t. 1 p. 209. Cf. C. Paillat, Le Guêpier, Paris, Robert Laffont, 1969, p. 78, et
A. de Sérigny, op. cit., pp. 267-270, tentatives d’A. Berque et de P.-R. Gazagne.
513. Texte complet dans : É. Vallet, Un Drame algérien, la vérité sur les émeutes de
mai 1945, Paris, Les grandes Éditions françaises, 1948, pp. 278-281, et F. Dessaigne,
La Paix pour dix ans (Sétif, Guelma, mai 1945), Nice, Éditions J. Gandini, 1990,
annexe 5.
514. R. Aron et ali., Les Origines de la guerre d’Algérie, Paris, Fayard, 1962, pp. 111-112.
515. Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. 2, p. 571, et XXe siècle,
n° 4, p. 29.
516. A. de Sérigny, op. cit., pp. 271-272, et extrait du rapport journalier de la sécurité
générale du 26 avril 1945, SHAT 11 P 61, dans L’Avertissement, op. cit., p. 79.
517. AOM, 9 H 51.
518. A. de Sérigny, op. cit., pp. 273-274.
519. Rapport Bergé, AOM 9 H 44 ; cité par A. Rey-Goldzeiguer, « Le 8 mai 1945 au
Maghreb », dans 8 mai 1945 : la victoire en Europe, Lyon, La Manufacture, 1985.
520. Le ministre de l’Intérieur évalua le nombre des participants directs ou indirects
à l’insurrection, actifs ou passifs, à un maximum de 50 000 personnes, soit 5 % de la
population des régions concernées. JORF, Débats du 18 juillet 1945, p. 1403 coll. 1.
521. C. Paillat, op. cit., p. 56.
522. Motion publiée par La Dépêche oranaise n° 3310, 19 mai 1945, citée devant
l’ACP par J. Aboulker et É. Fajon. JORF, Débats, 1945, pp. 1353 et 1373.
523. AN, Paris – 72 AJ.589, dossier IV, 14. Cité par B. Mekhaled, op. cit., t. 1, p. 134.
524. A. Rey-Goldzeiguer, op. cit., p. 357.
525. Cité par A. Tixier, JORF, Débats ACP, 1945, p. 1407.
526. Rapport du 17 mai 1945, AOM 9 H 51 ; cité par B. Mekhaled, op. cit., t. 1, p. 209.
Cf. C. Paillat, op. cit., pp. 77-78.
527. JORF, Débats ACP, 1945, pp. 1344-1367, 1371-1384, et 1397-1418. On trouve
une utile analyse de ce débat dans le TER de H. Odry, Le problème algérien devant
les assemblées françaises de novembre 1943 à novembre 1946, Grenoble II, 1976,
pp. 68-77.
528. JORF, Débats…, pp. 1345 col. 3, 1352 col. 1, et 1382 col. 3, intervention de
P. Fayet.

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NOTES

529. JORF, Débats…, pp. 1417-1418.


530. I1 aurait pourtant adopté une tout autre interprétation dans un « testament poli-
tique » écrit en prison, et publié par le général Massu dans La Vraie bataille d’Alger,
Paris, Plon 1971, pp. 60-65 : « Paysan, écoute une voix amie. Ceux qui t’ont conseillé
la rébellion te trahissent. Ils ont déshonoré tes malheurs. Hier, ils t’ont poussé contre
de pauvres Français qui n’étaient pas tes ennemis. » Interrogé sur son authenticité en
mai 1973, Ferhat Abbas m’a répondu : « Je reconnais mes idées et mon style, mais je ne
me souviens pas avoir écrit ce texte. » Faut-il y voir un démenti, ou une confirmation ?
531. R. Aron et ali., Les Origines de la guerre d’Algérie, op. cit. ; C. Paillat, Le Guêpier,
op. cit. ; Ch.-A. Julien, L’Afrique du Nord en marche, Paris, Julliard, 1953, rééd. 1972,
p. 261. Réed. Paris, Omnibus, 2002. ; Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contempo-
raine, op. cit., t. 2, et son article dans XXe siècle n° 4, oct. 1984 ; La Guerre d’Algérie,
H. Alleg (dir.), t. 1, Paris, Messidor-Temps actuels, 1981 ; A. Rey Goldzeiguer, « Le
8 mai 1945 au Maghreb », dans 8 mai 1945 : La victoire en Europe, Lyon, La Manufac-
ture, 1985 ; et La Guerre d’Algérie par les documents, t. 1, L’Avertissement ; J.-C. Jauf-
fret (dir.), SHAT 1990. Voir également les travaux de M. Harbi publiés en France : Aux
Origines du FLN, le populisme révolutionnaire en Algérie, Paris, Christian Bourgois,
1975, Le FLN, mirage et réalité, Paris, Éditions Jeune Afrique, 1980 ; la thèse de M.
Kaddache, Histoire du nationalisme algérien, 1919-1951, t. 2, Alger, SNED, 1980, et
celles de R. Ainad-Tabet, Le 8 mai 1945 en Algérie, Alger, OPU, 1945, rééd. 1987, et
de B. Mekhaled, Les Événements du 8 mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata, Paris I,
1990 (inédit) ; ainsi que les mémoires de H. A. Ahmed. Mémoires d’un combattant,
t. 1, 1942-1952, Paris, S. Messinger, 1983.
532. Y. Kateb, Nedjma, Paris, Le Seuil, 1956, p. 228.
533. Cité dans H. Alleg (dir.), op. cit., t. 7, p. 261.
534. SHAT, 1 H 2811 ; reproduit dans L’Avertissement, p. 39.
535. M. Harbi, Aux Origines du FLN…, p. 21. Confirmé par A. Rey-Goldzeiguer, Aux
origines de la guerre d’Algérie, 1940-1945, Paris, La Découverte, 2001, p. 238.
536. Cité par C. Paillat, op. cit., p. 78.
537. Voir le témoignage de H. Aït-Ahmed sur les préparatifs en grande Kabylie, op.
cit., pp. 33-54.
538. JORF, Débats…, p. 1356 col. l.
539. JORF, Débats ACP 1945, pp. 1150-1151.
540. C. Paillat, op. cit., pp. 63-65.
541. JORF, Documents parlementaires ACP, n° 485, pp. 589-590.
542. JORF, Débats ACP, 1945, pp. 1371-1372.
543. Ibid., p. 1375.
544. Ibid., pp. 1417-1418.
545. Ibid., p. 1366.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

546. Ibid., p. 1357.


547. Cf. les deux versions, JORF, Débats, 18 juillet 1945, pp. 1402-1414, et Un Pro-
gramme de réformes pour l’Algérie, Paris, Éditions de la Liberté, 1945.
548. JORF, Débats, p. 1407, et Un Programme…, p. 25.
549. JORF, Débats, p. 1406, et Un Programme…, pp. 19-20.
550. Voir ses déclarations très fermes devant les hauts fonctionnaires du gouverne-
ment général, JORF, Débats, pp. 1412-1413, et Un Programme…, p. 48.
551. JORF, Débats, p. 1411, et Un Programme…, p. 39.
552. Rapport au ministre sur le financement des réformes musulmanes, 26 – 6 –
1945. AOM Algérie, 30 X 4.
553. Décrets des 29 août 1945, JORF, Lois et décrets, 1945, pp. 5413-5414.
554. JORF, Lois et décrets, 1945, p. 5815 ; et assemblées financières algériennes, ses-
sion ordinaire de novembre-décembre 1945, AOM 50 173.
555. JORF, Documents ACP, n° 576, p. 763, et n° 600, p. 776.
556. JORF, Lois et décrets, 1945, p. 4889 (rectificatif, p. 5171).
557. Lucien Paye (1907-1972), ancien élève de l’École normale supérieure et agrégé
de lettres, docteur ès lettres en 1957, enseigna à Rabat de 1931 à 1938, fut chef du
service de l’enseignement musulman au Maroc de 1938 à 1943, puis, après avoir
brillamment participé à la guerre de 1943 à 1945, il fut directeur des réformes au gou-
vernement général de l’Algérie de 1945 à 1948, et directeur de l’Instruction publique
en Tunisie de 1948 à 1955. En 1956, le ministre résidant en Algérie Robert Lacoste lui
confia la direction des affaires politiques et de la fonction publique. De 1956 à 1962, il
alterna de hautes fonctions au ministère de l’Éducation nationale (dont il fut ministre
de février 1961 jusqu’en avril 1962) et une mission de recteur à Dakar (1957-1960).
À partir de 1962 il fut ambassadeur à Dakar (1962-1964) puis à Pékin (1964-1969). Il
fut ensuite président de la Commission de réforme de l’ORTF (1969-1970) et premier
président de la Cour des comptes (1970-1972).
558. I1 mourut un an plus tard, le 16 septembre 1946. La Revue africaine d’Alger
publia en 1947 une version posthume de son étude sur « les intellectuels algériens »,
déjà publiée dans le Bulletin du Comité de l’Afrique française en 1935. Il y signalait à
la fois une « complète antinomie de principe entre les intellectuels et la foule », et une
« jonction soudaine, démagogique, disons le mot, des intellectuels et de leurs coreli-
gionnaires, cela notamment à l’occasion d’une crise qui, n’ayant pas reçu de solution
économique, se transpose sur le plan politique ». Il maintenait sa conclusion presque
inchangée : « Qu’on en finisse, et qu’on applique le cautère, prompt, simple, léger,
pratique, efficace, cuisant à peine, énergique enfin, qui guérit le malade et fait hon-
neur au médecin. J’attends de toi, France nouvelle, le salut de l’Algérie. » Cette conclu-
sion paraît démentir le propos tenu par Taoufik el Madani à Jacques Berque en 1962 :
« S’il eût vécu, votre père eût été des nôtres. »

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NOTES

559. Groupe musulman : MM. Bendjelloul, Benchenouf, Lakhdari, Ben Ali Chérif.
Groupe socialiste : MM. Achour, Bachir (qui démissionna le 19 février 1946), Boumali,
Bouthiba, Farès. Groupe communiste : MM. Ouzegane et Chouadria. Les élections dans
le deuxième collège du département d’Oran furent sévèrement critiquées, et firent l’ob-
jet d’un vote sur le rapport de la commission de validation ; leur ratification demandée
par la commission fut refusée par 191 voix contre 163. JORF, Débats parlementaires,
Assemblée nationale constituante, séance du 26 février 1946, pp. 465-469 et 473.
560. JORF, Documents parlementaires, Assemblée nationale constituante (élue le
21 octobre 1945), annexe n° 242, pp. 250-251 sq, 3e séance du 29 décembre 1945.
561. JORF, Documents parlementaires, table chronologique, n° 43, p. 57. Ibid., n° 48,
p. 66. Ibid., n° 83, p. 133.
562. Ibid., n° 309, p. 324 ; n° 431, pp. 440-441 ; n° 476, pp. 464-465.
563. Annoncée à l’Assemblée le 19 février 1946. JORF, Débats ANC, 20 février 1946,
pp. 364-365.
564. JORF, Débats ANC, 2e séance du 28 décembre 1945, pp. 460-461.
565. André Le Troquer avait succédé à Adrien Tixier dans le gouvernement de Félix
Gouin formé après la démission du général de Gaulle le 20 janvier 1946. M. Bendjel-
loul profita du débat d’investiture pour rendre hommage au Général et pour rappeler
les attentes des Français musulmans. Voir JORF, Débats ANC, séance du 29 janvier
1946, pp. 175-176. Les haut fonctionnaires du ministère de l'Intérieur présents étaient
MM. Pisani, directeur de cabinet, Brunel, chef de cabinet, Haas-Picard, directeur des
Affaires générales, et Papon, sous-directeur de l’Algérie. JORF, Débats ANC, séance du
28 février 1946, p. 490.
566. JORF, Débats ANC, séance du 28 février 1946, pp. 490-491.
567. Ibid., pp. 491-492. La disposition contestée avait été rajoutée à l’article 2 à la
demande du garde des Sceaux.
568. Leur représentation par un élu à l’Assemblée nationale constituante française fut
contestée au nom du traité de protectorat et ne fut pas maintenue par la Constitution
de 1946.
569. JORF, Débats ANC, séance du 28 février 1946, pp. 496-499.
570. Ibid., pp. 505-506.
571. M. Rabier mit en cause « l’inconcevable complicité […] dont bénéficia, au
démarrage même, le mouvement du Manifeste », et mentionna le témoignage d’un
collègue musulman « qui fut personnellement sollicité […] par un représentant de
l’administration française pour citer le fameux Manifeste ».
572. JORF, Débats ANC, séance du 28 février 1946, pp. 500-501. M. Rabier précisa
que « des poursuites [avaient] été engagées contre les fanatiques de la répression et
qu’ils [avaient] été condamnés ». Il déclara : « Je peux même ajouter, sans risque d’être
démenti, que de nouvelles inculpations sont en cours d’instruction. »

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

573. JORF, Débats ANC, séance du 28 février 1946, pp. 504-505.


574. Ibid., p. 507.
575. Ibid., pp. 492-496.
576. Ibid., pp. 501-502.
577. Ibid., pp. 502-504.
578. Ibid., pp. 506-507.
579. Loi n° 46-377 du 9 mars 1946 portant amnistie de certaines infractions com-
mises en Algérie à l’occasion des événements des 1er et 8 mai 1945, JORF, Lois et
décrets, 10 mars 1946, p. 2006.
580. Compte rendu d’audience du tribunal militaire, audiences des 25 et 26 avril
1946, Archives du SHAT, 1 H 1727, in J.-C. Jauffret, op. cit., t. 1, p. 459.
581. Tableau synthétique in J.-C. Jauffret, op. cit., p. 461. Quelques autres condamna-
tions à mort furent prononcées à Alger (trois) et à Oran (six) pour aboutir à un total
de 166, selon J.-C. Jauffret, op. cit., p. 442.
582. Ibid. Cf. le texte original des accords d’Évian, in Vers la paix en Algérie, les
négociations d’Évian dans les archives diplomatiques françaises, 15 janvier 1961,
29 juin 1962, Bruxelles, Bruylant, 2003, pp. 381-473. Voir p. 407 : déclaration du gou-
vernement relative aux mesures d’amnistie : « Seront amnistiées toutes infractions
commises avant le 30 octobre 1954 dans le cadre d’entreprises tendant à modifier le
régime politique de l’Algérie. »
583. J.-P. Peyroulou, Guelma 1945, une subversion française dans l’Algérie coloniale,
Paris, Plon, 2009, pp. 263-269.
584. Voir les réactions citées par R. Vétillard, Sétif, Guelma, mai 1945, massacres en
Algérie, Versailles, Éditions de Paris, 1er édition, 2008, pp. 39-42, rééd., 2011, pp. 36-39.
585. J.-P. Peyroulou, op. cit., citant une lettre du ministre des Armées au ministre de
l’Intérieur, AN CAOM, MAA 81F867. Cf. le livre d’E. Michelet, Le Gaullisme, passion-
nante aventure, Paris, Fayard, 1962, p. 86, où il cite « un vieux sénateur radical de
mon Limousin, que je connaissais bien car son attitude avait été digne en 1940 (Henri
Queuille ?) », disant « voilà où nous a conduit la désastreuse ordonnance de De Gaulle
du 7 mars ».
586. Le ministre Le Troquer ne parla pas davantage des accusations de répression
sanglante et arbitraire à Kerrata formulées par le soldat démobilisé Lounés Hanouz
(fils et frère de détenus assassinés sans procès) membre de la délégation du Comité
pour l’amnistie politique aux détenus politiques musulmans qu’il avait reçue durant
sa visite en Algérie. Cf. La guerre d’Algérie, sous la direction d’Henri Alleg, Paris,
Temps actuels, 1981, t. 1, p. 267, le rapport du commandant Lecordier sur la répression
à Kerrata in La guerre d’Algérie par les documents, op. cit., t 1, p. 362, et le témoignage
de Madame Lardillier sur l’insurrection de Kerrata, in Francine Dessaigne, La paix
pour dix ans, op. cit., Éditions J. Gandini, 1990, annexe III, pp. 247-250.

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NOTES

587. En présence du gouverneur général Chataigneau et de ses collaborateurs, op. cit.


588. JORF, Débats ANC, 2 mars 1946 (séance du 1er mars 1946), pp. 541-547.
589. Ibid., pp. 557-558.
590. Ibid., pp. 561-565-566.
591. Ibid., pp. 570-571.
592. Ibid., p. 574.
593. Ibid., pp. 655-656.
594. Ibid., p. 558.
595. Ibid., pp. 558-561.
596. Ibid., pp. 566-569.
597. Ibid., pp. 571-574-575
598. Ibid., p. 576.
599. Ibid., pp. 656-659.
600. JORF, Débats ANC, 13 mars 1946, 1er séance du 12 mars, p. 659.
601. JORF, documents parlementaires, 1er ANC, n° 376. Procès-verbaux imprimés des
séances de la commission de la Constitution, 1er ANC, p. 477, bibliothèque de l’office
universitaire de recherches socialiste, OURS. Cf. notre communication au colloque
Guy Mollet, « La SFIO, Guy Mollet et l’Algérie de 1945 à 1955 », 1986, reprise sur mon
site http://guy.perville.free.fr, rubrique Textes.
602. Procès-verbaux dactylographiés des séances du comité directeur de la SFIO,
OURS, 28 février 1946. Cf. la loi du 13 avril 1946, titre IV, JORF, lois et décrets, 14 avril
1946, p. 3128.
603. Voir son analyse dans notre manuel, De l’Empire français à la décolonisation,
Paris, Hachette, 1991 et 1993, pp. 132-134.
604. Depreux ne put obtenir de Bidault la nomination de Charles-André Julien
comme sous-secrétaire d’État. Voir Souvenirs d’un militant, op. cit., pp. 227-228.
605. Débat d’invalidation, 19 juillet 1946.
606. Proposition de loi tendant à établir la Constitution de la République algérienne
en tant qu’État fédéré, membre de l’Union française, présentée par M. Abbas et les
membres de l’UDMA, députés, JORF, documents parlementaires, 2 e ANC n° 358,
pp. 309-312.
607. J. Lacouture, Cinq hommes et la France, Paris, Le Seuil, 1961, pp. 296-303.
A. Grosser, La IVe République et sa politique extérieure, Paris, Armand Colin, 1972,
p. 252. A. de Sérigny, op. cit., t. 2, L’Abandon, p. 39.
608. Proposition de loi portant statut politique de l’Algérie, présentée par MM. Achour,
Borra, Dalloni, Rabier, Ramadier, et les membres du groupe socialiste, et M. Ben Tou-
nès, apparenté, JORF, Documents parlementaires, 2e ANC n° 921, pp. 753-754. Sur
Ramadier, voir ma communication, « Paul Ramadier et le Statut de l’Algérie » (1988),
sur mon site http://guy.perville.free.fr, rubrique Textes.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

609. L’UDMA était explicitement visée dans l’exposé des motifs. Texte de l’article 2 :
« Les habitants de l’Algérie, possesseurs de la nationalité française en vertu des lois
en vigueur jouissent, sans discrimination possible, des droits attachés à la qualité de
citoyen français et sont soumis aux mêmes obligations sous réserve du statut person-
nel des musulmans. Toutefois, les lois électorales pourront comporter des dispositions
provisoires prévoyant l’inscription des citoyens dans deux collèges électoraux. »
610. JORF, Documents parlementaires, n° 1013, pp. 821-823.
611. Disposition contraire à l’article 2 du projet socialiste.
612. JORF, Débats AN, n° 105 du 2 octobre 1946, 3e séance du 1er octobre 1946, p. 4345.
613. Voir l’analyse des débats dans notre manuel, op. cit., pp. 134-136.
614. JORF, Débats, séance du 28 septembre 1946, pp. 4230-4232.
615. Loi du 5 octobre 1946, titre IV, JORF, Lois et décrets, 8 oct. 1946, p. 8495.
616. JORF, Débats AN, 1er séance du 4 octobre 1946, pp. 4550-4553.
617. Son exposé des motifs rappelait : « Dans l’ordre économique, la guerre vient de
démontrer l’absolue dépendance de l’Algérie à l’égard de la métropole ; son équi-
libre et son développement économique et financier sont subordonnés à l’économie
et aux finances de la France avec laquelle l’union douanière et l’unité de monnaie
s’imposent, en garantie essentielle de sa stabilité. » JORF, Documents parlementaires,
n° 1013, p. 821.
618. Projet de loi relatif à la sécurité sociale en Algérie, JORF, Documents parlemen-
taires, n° 1012, pp. 818-821.
619. Cf. supra la prise de position défavorable du commissariat aux Finances le
9 août 1944, pp. 107-109, et le rapport au ministre de l’Intérieur, 26 juin 1945, p. 272.
620. Projet de loi tendant à assurer le concours de la métropole au financement du plan
de progrès social de l’Algérie, JORF, Documents parlementaires, n° 1014, pp. 823-824.
621. JORF, Débats AN, n° 99, 25 septembre 1946, 2e séance du 24 septembre 1946,
p. 4010.
622. Deux autres organes furent beaucoup plus longs à installer. L’Assemblée de
l’Union française, composée pour moitié de représentants de la métropole et pour
moitié de représentants des pays d’Outre-mer, quel que fût leur statut, fut élue par
l’Assemblée nationale, par le Conseil de la République et par les assemblées territo-
riales (au collège unique), se réunit à Versailles le 10 décembre 1947. Le Haut Conseil
de l’Union française, émanation du gouvernement de la République élargi à d’éven-
tuels représentants des États associés, ne se réunit pas avant l’adhésion des États
d’Indochine en 1949, et ne joua aucun rôle effectif.
623. Dans le premier collège, l’élection du député de droite Pantaloni fut contes-
tée par le socialiste Borra, mais fut confirmée par la commission et par l’Assemblée
nationale, par 233 voix contre 193. JORF, Débats AN, n° 6, 1er février 1947, séance du
31 janvier 1947, pp. 95-99.

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NOTES

624. Le bureau de validation des opérations électorales du 2e collège du département


d’Alger se prononça pour l’invalidation de l’élection du député modéré Bentounès,
mais contre celle du député MTLD Mohammed Khider, demandée par le ministre de
l’Intérieur sur la base d’une condamnation prononcée en 1941. Aucune des deux élec-
tions ne fut annulée. JORF, Débats AN, n° 6, 1er février 1947, séance du 31 janvier
1947, pp. 116-125.
625. Ce gouvernement avait recréé un poste de secrétaire d’État aux Affaires musul-
manes, confié à Georges Gorse.
626. JORF, Documents parlementaires, Assemblée nationale, 1946-1947, annexe
n° 187, pp. 167-169. 22 décembre 1946, annexe n° 187, pp. 167-169, et Débats parle-
mentaires, Assemblée nationale, 2e séance du 23 septembre pp. 322-325.
627. JORF, documents parlementaires, AN, 1947, n° 473 – Proposition de MM. Rabier
et Borra.
628. JORF, doc., AN, 1947, n° 923. Proposition de MM. Djemad, Sportisse, Mokhtari
et Fayet.
629. JORF, doc., CR 1947 n° 133 et AN, 1947 n° 1023. Proposition de MM. Saa-
dane, Mahdad, Mostefai, Benkhelil. JORF, doc. AN 1947 n° 1352. Proposition de
MM. Benchenouf, Ben Ali Cherif, Cadi, Laribi, Mekki, Smail. JORF, doc. AN, 1947
n° 1357. M. Bentounès avait, en septembre 1946, contresigné le projet socialiste en tant
qu’apparenté.
630. JORF, doc. CR 1947 n° 208 et AN 1947 n° 1160. Proposition de MM. Saiah, Bend-
jelloul, Sid Cara, Ourabah.
631. JORF, doc. AN 1947 n° 1479.
632. V. Auriol, Journal du septennat, 1947, pp. 83-243-338-373-384-390.
633. JORF, doc. AN 1947 n° 2274.
634. JORF, débats parlementaires, AN 1947, p. 4198.
635. Ibid., pp. 4202-4203.
636. Déclaration à la presse du 18 août 1947, reproduite par J. Soustelle, Vingt-huit
ans de gaullisme, Paris, La Table ronde, 1968, pp. 436-439.
637. JORF, doc. AN 1947, n° 2435.
638. JORF, débats parlementaires, AN 1947, pp. 4544-4549.
639. JORF, débats, AN, 1947, pp. 4729-4730.
640. JORF, débats, CR, 1947, n° 734 et 746, AN, 1947 n° 2523.
641. Guy Mollet était secrétaire général du parti depuis le 4 septembre 1946. Pour
plus de détails, voir ma communication au colloque Guy Mollet, « La SFIO, Guy Mollet
et l’Algérie de 1945 à 1955 » (1986) reprise sur mon site http://guy.perville.free.fr,
rubrique Textes.
642. É. Depreux, Souvenirs d’un militant, pp. 231-234, 265-268, 311-312, 328 et 333.
643. V. Auriol, op. cit., 21 août, p. 403.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

644. Pour plus de détails, voir ma communication au colloque Paul Ramadier, « Paul
Ramadier et le statut de l’Algérie » (1988), reprise sur mon site http://guy.perville.free.
fr, rubrique Textes.
645. Loi n° 47-1853 du 20 septembre 1947 portant statut organique de l’Algérie, JORF,
lois et décrets, n° 223, 21 septembre 1947, pp. 9470-9474.
646. Voir T. Chenntouf, « L’Assemblée algérienne et l’application des réformes pré-
vues par le statut du 20 septembre 1947 », dans les actes du colloque de l’IHTP, Les
Chemins de la décolonisation de l’empire français, 1936-1957, Paris, Éditions du
CNRS, 1986, pp. 367-375. Sur le rôle de l’Assemblée algérienne dans la fondation de la
Sécurité sociale en Algérie, A. de Sérigny, op. cit., t. 2, pp. 109-113.
647. Voir son portrait dans C. Paillat, Vingt ans qui déchirèrent la France, t. 1, Le
Guêpier, pp. 258-260.
648. A. de Sérigny, op. cit., pp. 27-30.
649. Voir sur mon site http : //guy. perville. free. fr, mes communications sur « Paul
Ramadier et le statut de l’Algérie », et « La SFIO, Guy Mollet et l’Algérie de 1945 à 1955. »
650. Dans le 1er collège, le général de Gaulle vint à Alger et y prononça un important
discours sur le problème algérien pour sceller son alliance électorale avec les droites
françaises d’Algérie. Voir A. de Sérigny, op. cit., pp. 78-82, et J. Soustelle, op. cit., pp.
440-441. Dans le 2e collège, le MTLD eut 30 % des voix et 33 % des sièges, l’UDMA 19 %
et 18 %, le PCA 4 %, mais le taux de participation resta faible, avec moins de 50 %.
651. Celui-ci fut le dernier titulaire de ce poste, déjà recréé pour Georges Gorse dans
le gouvernement Blum en décembre 1946.
652. M.-E. Naegelen, Mission en Algérie, Paris, Flammarion 1962, p. 11 sq. Cf. mon
article « Marcel-Edmond Naegelen », dans la revue Parcours, l’Algérie, les hommes et
l’histoire, recherches pour un dictionnaire biographique de l’Algérie, n° 12, mai 1990,
et sur mon site http://guy.perville.free.fr.
653. É. Depreux, Souvenirs d’un militant, Paris, Fayard, 1972, p. 337.
654. Le préfet de Constantine, René Petitbon, qui avait remplacé Lestrade-Carbon-
nel en 1945, était le seul qui restât fidèle au gouverneur général Chataigneau. Voir
R. Petitbon, Préfet en Algérie, 1945-1949, Paris, Phénix éditions, 2001.
655. JORF, Débats de l’Assemblée nationale, 4 mai 1948, p. 2490.
656. Voir les tableaux comparatifs des résultats du scrutin du 4 avril 1948 (premier
tour) dans les deux collèges, et du déplacement des voix entre novembre 1946 et
avril 1948, dans La Guerre d’Algérie par les documents, op. cit., t. 2, Les Portes de la
guerre, J.-C. Jauffret (dir.), Vincennes, SHAT, 1998, pp. 165-166.
657. Archives du groupe parlementaire, citées par R. Quilliot, La SFIO à l’épreuve du
pouvoir, Paris, Fayard, 1972, p. 267, cf. M.-E. Naegelen, Mission en Algérie, op. cit.,
pp. 64-69.
658. L’enseignement A était l’enseignement primaire de type métropolitain, le second

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NOTES

était adapté au public musulman, en consacrant une première année à l’apprentissage


intensif du français, mais ils suivaient les mêmes programmes.
659. M.-E. Naegelen, op. cit., pp. 100-101.
660. Il s’agissait de la découverte de l’Organisation spéciale (OS) du PPA, chargée de
préparer une insurrection.
661. Déjà député dans la première Assemblée constituante, ce dernier avait fait en
octobre 1950 avec Jacques Chevallier une démarche auprès de M.-E. Naegelen pour
demander un changement de politique (notamment de méthodes électorales), rap-
pelée dans leur lettre du 14 septembre 1951 à Roger Léonard. Cf. J. Chevallier, Nous,
Algériens, Paris, Calmann-Lévy, 1958, pp. 37-45. Selon Roger Léonard, Naegelen
aurait au contraire ordonné une intervention contre la réélection de Benchenouf.
662. Voir sur mes communications sur G. Mollet et sur M.-E. Naegelen sur mon site
http://guy.perville.free.fr.
663. Voir ma communication sur « La “gestion radicale” de l’Algérie » sur mon site,
op. cit., (1985), d’abord publiée dans les Cahiers d’histoire, Lyon, t. 31, 1986, n° 3-4.
664. R. Léonard, Mémoires inédits, déposés à la FNSP, t. 1, p. 3 : « Je trouvais auprès
de M. Queuille le soutien le plus constant et le plus amical : je goûtais infiniment sa
finesse d’esprit, son goût de la mesure et une continuité dans les desseins qui le dis-
pensait des éclats. »
665. R. Léonard, op. cit., p. 5.
666. Ibid., p. 8.
667. Adrien Tixier sous de Gaulle ; André Le Troquer sous Félix Gouin ; Édouard
Depreux de juin 1946 à novembre 1947 ; Jules Moch de novembre 1947 à février 1950.
668. H. Queuille, Journal de guerre, Londres-Alger, avril 1943-juillet 1945, présenté et
annoté par O. Dard et H. Bastien, préface de S. Berstein, Paris, Fondation Charles de
Gaulle et Plon, 1995.
669. Le président de la République s’y trompa, voyant d’abord en lui un personnage
falot, mais il reconnut son erreur. Cf. Le Journal du septennat, op. cit., 1948. « La
politique n’est pas l’art de résoudre les problèmes, mais celui d’empêcher qu’on les
pose. » J. Fauvet, La IVe République, Paris, Fayard, 1959, pp. 190-191 de l’édition en
Livre de poche, 1971.
670. Voir mon article « La “gestion radicale” de l’Algérie » (1985) sur mon site,
rubrique Textes.
671. « Souvenirs d’Algérie », mémoires dactylographiés. Un autre exemplaire se trouve
à la bibliothèque de l’Institut d’études politiques de Paris.
672. J. Vaujour, De la révolte à la révolution, Aux premiers jours de la guerre d’Algérie,
Paris, Albin Michel, 1985, pp. 79-80, 412 et 429.
673. Ses relations avec Henri Queuille s’étaient déjà dégradées : voir les Mémoires de
J. Vaujour, pp. 42, 45-48, 350-351.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

674. Ch.-A. Julien, Et la Tunisie devint indépendante, Paris, Éditions Jeune Afrique,
1985, p. 42.
675. J. Fauvet, op. cit., p. 240. É. Depreux, Souvenirs d’un militant, op. cit., 1972, p. 405.
676. V. Auriol, op. cit., 1952, pp.767-769, 784-786, 826 et Ch.-A. Julien, op. cit.
677. Non de l’administration, mais des partis de Messali-Hadj (le PPA-MTLD) et de
Ferhat Abbas (l’UDMA), ou du PCA.
678. Ch.-A. Julien, L’Afrique du Nord en marche, Paris, Julliard, 1953, rééd. 1972,
p. 277 ; réed. Paris, Omnibus, 2002. Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine,
op. cit., t. 2, 1871-1954, pp. 362-378.
679. À de Sérigny, op. cit., pp. 27-30.
680. R. Léonard, op. cit., t. 2, p. 96.
681. Ibid., t. 2, p. 90. Cf. J. Vaujour, De la révolte à la Révolution, Paris, Albin Michel,
1985, pp. 26-28.
682. R. Léonard, op. cit., t. 1 p. 11 et 75.
683. R. Léonard, op. cit., t. 2, p. 95-97, et J. Vaujour, op. cit., pp. 56-58.
684. M.-E. Naegelen, op. cit., p. 63-70. Cf. R. Léonard, op. cit., t. 1, p. 39.
685. R. Léonard, op. cit., t. 1, pp. 40-44, les passe en revue sans complaisance.
686. Ibid., t. 1, pp. 45-46.
687. À compléter par le témoignage des Mémoires d’A. de Sérigny, op. cit., t. 1,
pp. 124-129.
688. Ibid., pp. 108-109 ; R. Léonard, op. cit., t. 1, pp. 28-30 ; J. Vaujour, op. cit.,
pp. 68-71 et pp. 293-309.
689. T. Chenntouf, « L’Assemblée algérienne et l’application des réformes prévues
par le statut du 20 septembre 1947 », colloque Les Prodromes de la décolonisation de
l’Empire français, op. cit., pp. 367-385.
690. R. Léonard, op. cit., t. 2, pp. 27-28.
691. R. Léonard, op. cit., t. 1, pp. 124-125, s’y intéressait plus qu’au projet de zone indus-
trielle dans les confins algéro-marocains, imaginé par Eirik Labonne et Louis Armand.
692. T. Chenntouf, op. cit., Cf. R. Léonard, op. cit., t. 1, pp. 147-150 et V. Auriol, op.
cit., 1951, pp. 433-434.
693. R. Aron (dir.), op. cit., p. 287, résumant I. Rens, L’Assemblée algérienne, thèse de
droit, Cahors, 1957.
694. V. Auriol, Journal du septennat, 1952, p. 694.
695. JORF Documents parlementaires, Assemblée nationale 1953, n° 6934, p. 1861
col. 2, chap. 2, « problèmes algériens ».
696. JORF Documents parlementaires, Conseil de la République, 1948, p. 819,
article 90 et 91 col. 3.
697. JORF, Documents parlementaires, Assemblée de l’Union française, 1949, n° 62,
p. 68 et n° 63, p. 69.

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NOTES

698. JORF, Documents parlementaires, Conseil de la République, annexe n° 715,


séance du 28 juillet 1949, pp. 663-664.
699. JORF, Documents parlementaires, Assemblée nationale, 1949, n° 8567, pp. 2064-
2065. Proposition de résolution présentée par les députés Aumeran, Bentounès,
Fernand Chevalier, Jacques Chevallier, Rencurel, Viard, Augarde, Ben Ali Chérif, Pan-
taloni, Jeanmot, Laribi, Mekki, Quilici et Serre.
700. JORF Documents parlementaires, Assemblée nationale 1953, n° 6934, p. 1861 col.
2 et 1862, chap. 2, problèmes algériens. Il est précisé que le fonds de progrès social
ne couvre pas la totalité des investissements sociaux de l’Algérie. Le programme du
paysannat n’y figure plus depuis 1949, étant inscrit au titre des investissements éco-
nomiques, et celui de l’habitat bénéficie en partie de ressources métropolitaines.
701. Une loi de 1949 fixa le point de départ de l’année financière de l’Algérie au
1er avril. Voir JORF Documents parlementaires, Assemblée nationale, annexe n° 7656,
p. 1216, article 39, fixation au 1er avril de la date d’ouverture de l’année financière
en Algérie.
702. Léo Hamon l’estimait à 1,5 pour 100 en juillet 1949, mais en 1953 le deuxième
plan de modernisation et d’équipement le révisait à la hausse : « Dans les trois pays
d’Afrique du Nord, le fait capital qui domine toute la situation est l’augmentation de
la population. Le taux d’accroissement, aujourd’hui de 2,5 pour 100, a tendance à
s’accélérer. L’Algérie, qui a actuellement 8,5 millions d’habitants en comptera 14 mil-
lions dans vingt ans. » JORF, Documents parlementaires, Assemblée nationale, p. 1700.
Les résultats statistiques du dénombrement de la population effectué le 31 octobre
1948 furent publiés en deux volumes par le GG de l’Algérie en octobre 1953. Le recen-
sement suivant eut lieu le 31 octobre 1954.
703. Voir la thèse de D. Lefeuvre, Algérie, comptes et mécomptes de la tutelle colo-
niale, 1930-1962, Saint-Denis, Société française d'histoire d'Outre-mer, 1997 ; réed.
Chère Algérie, La France et sa colonie (1930-1962), Paris, Flammarion, 2005.
704. Voir dans JORF, documents parlementaires, Assemblée nationale, séance du
8 octobre 1953, n° 6833 p. 1771 : « L’afflux de la main-d’œuvre nord africaine en
France au cours de ces dernières années pose un problème très grave et nullement
pris en main par les pouvoirs publics malgré de très nombreuses études publiées à ce
sujet. La commission des finances a eu à ce propos un large débat […]. Elle a été una-
nime pour souhaiter que le gouvernement se saisisse de la question et envisage une
solution sur le territoire algérien même, l’aide donnée sur le territoire métropolitain
n’étant qu’un palliatif très onéreux et insuffisant pour éviter la misère et la maladie à
des centaines de milliers de Nord-Africains trompés par le mirage d’une vie facile de
l’autre côté de la Méditerranée. »
705. Ibid., p. 1862.
706. Ibid., p. 1863.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

707. R. Léonard, op. cit., t. 1, pp. 143-146.


708. Ibid., t. 2, pp. 72-77.
709. Ibid., t. 2, pp. 98-99, 107-109 ; t. 3, pp. 9-15. Cf. A. Farès, président de l’Assem-
blée algérienne de mai 1953 à mai 1954, La Cruelle vérité, Paris, Plon 1982, pp. 47-52.
710. R. Léonard. op. cit., t. 1, p. 75 et t. 3, p. 50.
711. Ibid., t. 3, pp. 27-28. Cf. R. Bencheneb, « L’Algérie à la veille du soulèvement de
1954 », Colloque Les Prodromes de la décolonisation.
712. Voir ma communication sur « La découverte du problème algérien par Pierre
Mendès France », au colloque Pierre Mendès France et les Outre-mers, de l’empire à la
décolonisation, Paris, Institut Pierre Mendès France, 11-12 décembre 2008, à paraître
en 2012.
713. Ch.-R. Ageron, « Le gouvernement Pierre Mendès et l’insurrection algérienne »,
in F. Bédarida et J.-P. Rioux (dir.), Pierre Mendès-France et le mendésisme, actes du
colloque IHTP, Paris, Fayard 1985 ; cf. A. Farès, op. cit., pp. 55-56.
714. R. Léonard, op. cit., t. 3, pp. 33-37.
715. J. Vaujour, op. cit., pp. 99-130 ; pp. 133-186.
716. Voir les débats à l’Assemblée nationale, au Conseil de la République et à l’As-
semblée algérienne dans J. Vaujour, op. cit., pp. 247-309.
717. Ch.-R. Ageron, « Le gouvernement Pierre Mendès France et l’insurrection algé-
rienne », in Bédarida et J.-P. Rioux (dir.), op. cit., p. 333.
718. Ibid., pp. 331-342, et ma communication sur « La découverte du problème algé-
rien par Pierre Mendès France », déjà citée.
719. Ch.-R. Ageron, « Le gouvernement Pierre Mendès France et l’insurrection algé-
rienne », in Bédarida et J.-P. Rioux (dir.), op. cit. ; A. de Sérigny, op. cit., pp. 178-184 et
R. Léonard, op. cit., t. 3, pp.109-123.
720. Archives Catroux, AC I 232 K2. Cité par H. Lerner, op. cit., p. 329 et note p. 376.
721. E. Michelet, La Querelle de la fidélité, peut-on être gaulliste aujourd’hui ? Paris,
Fayard, 1971, pp. 101-102. Cf. ma communication « De l’Algérie française à l’Algérie
des deux peuples », dans les actes du colloque Edmond Michelet, un chrétien en poli-
tique, Paris, Éditions Lethielleux, 2011, pp. 103-117.
722. Conférence de presse du 30 juin 1955, Discours et messages, Paris, Plon, t. 2,
pp. 637-639.
723. Dès février 1955 selon E. Michelet, op. cit., pp. 101-102. Cf. L. Terrenoire, De
Gaulle et l’Algérie, témoignage pour l’histoire, Paris, Fayard, 1964, p. 41.
724. « Algérie algérienne » le 14 juin 1960, « République algérienne » le 4 novembre
1960.

492
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Cartes
Les trois départements algériens
ESPAGNE

La Galite
MER MÉDITERRANÉE

Annaba
ALGER Béjaïa
Skikda
Tizi Ouzou
Tipaza Guelma
Souk
Constantine
Médéa
Mostaganem Chlef Sétif
IEN TUNISIE
S TELL
A
Relizane ATL
Oran Chott
el Hodna ATL Batna
AS
TEL Tébessa
Sidi Bel
LIEN
Abbès Bou Saada r è s
A u
Saïda
Tlemcen
Oujda DÉPARTEMENT D’ALGER DÉPARTEMENT DE CONSTANTINE
RIEN
MAROC TL AS SAHA
A

DÉPARTEMENT D’ORAN Chott


Laghouat Melrhir
Chellâla
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limite des départements algériens 0 100 200 km


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Wondershare
Le débarquement allié en Afrique du Nord – 8 novembre 1942
SARDAIGNE

ÎLES BALÉARES
P OR T U GA L
E S PA G N E
MER MÉDITERRANÉE
FORCES EST
33 000
Anglo-Américains La Galite
Bougie
FORCES du CENTRE (Béjaïa) TUNIS
40 000 Américains Béja
ALGER Constantine
Blida
Gibraltar Mostaganem Médéa Sétif Sousse
FORCES OUEST Oran Aïn Beida Kairouan
35 000 Américains Sidi Bel Bou Saada Tébessa
Larache Abbès Biskra Sfax
Oujda Sidi
Tlemcen Saïda Bou Zid
Kénitra Taza
Fès Jerada
Rabat Laghouat
Casablanca Chellâla

MAROC ALGÉRIE TUNISIE

safi
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Les trois groupes de débarquement

0 100 km L’offensive alliée Armée britannique


jusqu’à la prise de Tunis en mai 1943 de Montgomery (depuis l’Égypte)
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Wondershare
L’insurrection du 8 mai 1945
ESPAGNE

La Galite
MER MÉDITERRANÉE Philippeville
(Skikda) Bône
Bougie (Annaba)
ALGER (Béjaïa) Djijelli
Cherchell
Tizi Ouzou
Guelma
Blida
Constantine
Médéa Souk Ahras
Mostaganem Chlef Sétif
IEN TUNISIE
S TELL
A Aïn Beida
Relizane ATL
Oran Chellala Chott
el Hodna ATL Batna Kenchela
AS
TEL Tébessa
LIEN
Bou Saada r è s
A u Biskra
Saïda
Tlemcen
Oujda
RIEN
S SAHA
MAROC ATLA A L G É R I E

Chott
Laghouat melrhir Tozeur
Chellâla
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Manifestations nationalistes Autre trouble Préparatif d’insurrection postérieur


du 1er mai 1945 le 8 mai 1945 au 8 mai 1945 0 100 200 km
Insurrection du 8 mai 1945 Zone insurgée
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Wondershare
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Sources
(Archives publiques)

AVANT LE 1ER JUIN 1943

Archives nationales section d’outre-mer, Aix-en-Provence :


AOM, gouvernement général de l’Algérie 3 H 71. Service militaire des indi-
gènes.
AOM, 8 X 390. « Esquisse d’une politique musulmane », note d’Augustin Berque
au général Weygand (rédigée entre le 20 août et le 18 novembre 1941) 11 p.
AOM, gouvernement général de l’Algérie, 12 H 13.
Rapport Lagrosillière, texte imprimé, (Réformes musulmanes, Algérie 1936-
1944).
Rapport du gouverneur général de l’Algérie Abrial à l’amiral Darlan, 47 p.
(février ou mars 1941).
« Quelques vérités premières (ou soi-disant telles) sur le malaise algérien »,
note d’Augustin Berque au général Weygand, fin septembre 1940, incom-
plet (13 pages sans conclusion ; 3 tableaux annexes sur 18, et courbes non
reproduites).
« Résumé des revendications et desiderata des indigènes algériens », présentés
par : le docteur Bendjelloul (27 août 1942), Ferhat Abbas (10 avril 1941 et

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

5 mars 1942), docteur Tamzali (août 1942), Benhabylès (15 janvier 1942),
Boukerdenna (mars 1942), l’Association des Oulémas de Constantine (19
septembre 1941), cheikh El Okbi (été 1941), marabouts (printemps 1942),
et les rapports demandés par le CIE à Lamine Lamoudi (3 août 1942), Ben-
houra (8 juin 1942), Zakarya (22 juillet 1942) et Ben Ali Boukhort (25 mai
1942), réunis en un bordereau avec la Charte revendicative du Congrès
musulman, le projet Blum-Viollette et le Manifeste du peuple algérien.
Note d’Augustin Berque sur un plan de réformes musulmanes algériennes, 5
pages dactylographiées, 15 février 1943.
Arrêté du 3 avril 1943 créant une « Commission d’études économiques et
sociales musulmanes ».
Analyse du discours de M. l’Ambassadeur Peyrouton à la séance d’ouverture
de la commission, 14 avril 1943.
Arrêté du 13 avril 1943 nommant les 37 membres de la commission.
Débats de la commission.
Note du CIE central au directeur des affaires indigènes sur la prochaine réu-
nion des délégations financières, 13 mai 1943.
Note du CIE central, 14 mai 1943.
AOM, 14 H 38. Note du CIE de Constantine, n°748/CIE, du 29 août 1941,
dossier 15 (ravitaillement en céréales, campagne 1941-1942). (cité par
Mohammed Mammeri, thèse citée, p. 339).
AOM, 29 H 34. Rapport du CIE de Constantine, 27-08-1940 (cité par Ageron,
« Contribution à l’étude de la propagande allemande au Maghreb pendant la
Deuxième guerre mondiale », Revue d’histoire maghrébine (Tunis), 7-8-1977.
AOM 50173. Assemblées financières algériennes, Délégations financières,
séances du 22 au 25 mai 1943, et du 1er au 5 juin 1943.
AOM Alger F111. Rapport CIE n° 1630, 20 octobre 1940.

Archives nationales, Paris


F60, 808. Service militaire des indigènes.
Fonds Tubert, 72 AJ 589, III – 1 et 2. Deux versions successives du Manifeste,
le texte primitif de 9 pages dactylographiées portant 37 signatures, daté du
10 février 1943 et remis au général Eisenhower ; et le texte rectifié de 13
pages, avec 30 signatures, remis le 31 mars 1943 au gouverneur général
(Référence thèse de Boucif Mekhaled, Les événements du 8 mai 1945 à
Sétif, Guelma et Kerrata, Paris I, 1989, t. II, p. 658.)

500
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SOURCES

Archives du ministère des Affaires étrangères, Quai d’Orsay, Paris


Déclaration du président Roosevelt sur l’Afrique du Nord, 17 novembre 1942, série
Guerre 1939-1945, sous-série Comité national français, volume 130, p. 89.

APRÈS LE 1ER JUIN 1943

Archives d’Outre-mer, Aix en Provence (AOM)


Gouvernement général de l’Algérie
AOM 1421-2 ou 9611-2. Actes imprimés de la Commission des réformes musul-
manes, 2 t.
AOM, B 658. Discours prononcé le 23 juin 1943 par le général Catroux devant
la Commission d’études économiques et sociales musulmanes (imprimé).
AOM, B 1220. Tiré à part du rapport Giacobbi sur le problème politique.
AOM, B 1375. Textes intéressant les Français musulmans d’Algérie, t. 1 et 2.
AOM B 3006. Brochure : Projet de décisions présentées au gouvernement par le
général d’armée Georges Catroux.
AOM 9 H 44. Rapport Bergé (cité par Annie Rey-Goldzeiguer)
AOM, Algérie, 9 H 51(cité par B. Mekhaled).
AOM, Algérie, 10 H 90. Le problème algérien, par N*.
AOM Algérie 12 H 13. Réformes musulmanes, 1936-1944,
AOM Algérie 13 H 8. Déclaration de soumission des délégués financiers
musulmans, 14 octobre 1943.
AOM Algérie, 30 X 1. Procès verbaux des séances.
AOM Algérie, 30 X 2. Procès verbaux des séances.
AOM Algérie, 30 X 3. Documentation complémentaire.
AOM Algérie, 30 X 4. Documentation complémentaire
AOM Algérie 50 173. Assemblées financières algériennes, Délégations finan-
cières, session extraordinaire de mai-juin 1943.
AOM Algérie 50 173. Assemblées financières algériennes, Délégations finan-
cières et Conseil de gouvernement, 1943-1944.

Archives nationales, Paris


Sous-série F60 (présidence du gouvernement).
AN, F60 – 191. Algérie, questions politiques et administratives 51943_1947).
AN, F60 – 206. Projets d’ordonnances, décrets et décisions concernant les
affaires musulmanes.

501
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LA FRANCE EN ALGÉRIE

AN, F60 – 805 à 332. Commissariat à la coordination des affaires musulmanes.


En particulier, AN, F60 – 808et 809. Statut des Français musulmans, et
Commission des réformes musulmanes.
AN, F60 – 810 à 812. Rapports et renseignements.
AN, F60 – 833 à 838. Ministère délégué en Afrique du Nord.
AN, F60 – 839 à 888. Comité de l’Afrique du Nord (à consulter, en particulier
F60 871 et 872 sur les événements de mai 1945, F 60 873. Élections et
assemblées algériennes, F 60 874. Réformes).
AN, F60 – 897.

Sous-série F 1 A (ministère de l’Intérieur)


F1A 3243. Commission de l’Intérieur et de l’Algérie.
F1A 3263. Sous-direction de l’Algérie, 1944-1945.
F1A 3292 à 3698. Algérie 1944-1947.
F1A 3800 à 1803, 3807 et 3808, 3823. Commissariat à l’Intérieur d’Alger.
AN-Paris-72 AJ.589, dossier IV, 14 (cité par B. Mekhaled).

Ministère des Affaires étrangères, Quai d’Orsay (Paris)


Série guerre 1939-1945, sous-série questions nord-africaines, musulmanes et
du Levant. Vol. 992,993, 995 (Algérie) et vol. 1033, politique française
dans les pays musulmans (Compte rendu de la conférence nord-africaine
du CFLN du 10 décembre 1943, pp. 90-98 ; « Réflexions sur la politique de
la France en Afrique » par Robert Montagne, pp. 109-121 [recto-verso]).

Service historique de l’armée de terre (SHAT), Vincennes


(voir Jauffret, op. cit.).
SHAT 1H 1726
SHAT 1H 2811
SHAT 1H 2812
SHAT 11 P 61

Journal officiel de la République française (1943-1954)


Débats de l’Assemblée consultative provisoire (Alger, novembre 1943-août
1944).
Année 1943, n° 33-36.

502
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SOURCES

Année 1944, n° 22-23, 32, 34,36, 50, 55, 57.


Débats de l’Assemblée consultative provisoire (Paris, novembre 1944-1945).
Année 1945 (voir notamment JORF, Débats du 18 juillet 1945).
Débats de la 1re Assemblée nationale constituante (octobre 1945-mai 1946).
Débats de la 2e Assemblée nationale constituante (juin-octobre 1946).
Débats de l’Assemblée nationale (novembre 1946-1954).
Débats du Conseil de la République (décembre 1946-1954).
Débats de l’Assemblée de l’Union française (décembre 1947-1954).

JORF, Documents parlementaires (assemblées citées plus haut).

JORF, Lois et décrets (Alger, 1943-1944). Voir notamment :


Journal officiel de la République française du 28 octobre 1943 (déclaration du
CFLN du 20 octobre 1943 rétablissant le Décret Crémieux),
Journal officiel de la République française, lois et décrets, n°24, 18 mars 1944,
(ordonnance du 7 mars 1944).

JORF, Lois et décrets (Paris, septembre 1944-1954). Voir notamment :


JORF, Lois et décrets, 12-09-1944.
JORF, Lois et décrets, 1945-1954.

503
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Bibliographie
La présente bibliographie reprend pour l’essentiel les ouvrages cités dans le
texte. Quelques titres supplémentaires publiés après 1992 sont également
cités. Mais ils sont relativement peu nombreux, notamment parce que depuis
cette date, l’histoire de l’Algérie s’est en grande partie réorientée vers des
sujets qui concernent principalement la période de la guerre d’indépendance
(1954-1962).

HISTOIRE POLITIQUE FRANÇAISE


DE LA GORCE Paul-Marie, De Gaulle, Paris, Perrin, 1999.
FAUVET Jacques, La IVe République, Fayard, 1959, rééd. Livre de poche 1971.
NOGUÈRES Louis, Le véritable procès du maréchal Pétain, Fayard 1955.
QUEUILLE Henri, Journal de guerre, Londres-Alger, avril 1943-juillet 1944, pré-
senté et annoté par Olivier Dard et Hervé Bastien, Paris, Plon et Fondation
Charles de Gaulle, 1995.

Colloques
Léon Blum, chef de gouvernement, Pierre Renouvin et René Rémond (dir.),
Cahiers de la FNSP, no129, 1964, rééd. Presses de la FNSP, 1967.
De Gaulle en son siècle, t. VI, Liberté et dignité des peuples, Paris, La documen-
tation française et Plon, 1992, 621 p.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Guy Mollet, un camarade en République, Presses universitaires de Lille 1987,


voir pp. 445-480 et 518-530.
Paul Ramadier, la République et le socialisme, Serge Berstein (dir.), Bruxelles,
Éditions Complexe, 1990, voir pp. 365-376 et 405-442.
Pierre Mendès France et le mendésisme, François Bédarida et Jean Pierre Rioux
(dir.), Paris, Fayard, 1985, voir la contribution de Ch.-R. Ageron, pp. 331-341.
De Dreux à Alger, Maurice Viollette, 1870-1960, Françoise Gaspard (dir), pré-
face de François Mitterrand, Paris, L’Harmattan, 1991 (Ce sont les actes du
colloque de Chartres, qui s’est tenu les 29-30 novembre 1985).
Pierre Mendès France et les outre-mers : de l’empire à la décolonisation, Jacques
Frémeaux et Frédéric Turpin (dir.), colloque organisé par l’Institut Pierre
Mendès France à Paris, les 11-12 décembre 2008 (encore inédit).

HISTOIRE DE LA COLONISATION ET DE LA DÉCOLONISATION FRANÇAISES


BOUCHE Denise, Histoire de la colonisation française, t. 2, Flux et reflux (1815-
1962), Paris, Fayard, 1991.
Histoire de la France coloniale, t. 1, Des origines à 1914, t.2, De 1914 à 1990, par
Jean Meyer, Jean Tarrade, Annie Rey-Goldzeiguer, Jacques Thobie, Gilbert
Meynier, Catherine Coquery-Vidrovitch, et Charles-Robert Ageron, 1991.
Les chemins de la décolonisation de l’Empire colonial français, 1936-1956,
Charles Robert Ageron (dir), Paris, Éditions du CNRS, 1986.

HISTOIRE DE L’AFRIQUE DU NORD COLONIALE


JULIEN Charles-André, L’Afrique du Nord en marche, Paris, Julliard, 1952, rééd.
1953 et 1972.
LETOURNEAU Roger, Évolution politique de l’Afrique du Nord musulmane, 1920-
1961, Paris, Armand Colin, 1962.

HISTOIRE DE L’ALGÉRIE COLONIALE


ET DU DÉBUT DE SA DÉCOLONISATION
Histoire de l’Algérie contemporaine, Paris, PUF ; t. 1 : Conquête et colonisation,
par Charles-André Julien, 1964 ; t. 2 : 1871-1954, par Charles-Robert Age-
ron, 1979.

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BIBLIOGRAPHIE

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« Que sais-je ? » no 400, 1re édition 1964.
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CANTIER, Jacques, L’Algérie sous le régime de Vichy, Paris, Odile Jacob, 2002.
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niale (1830-1940), Paris, Fayard, 2009.
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SHAT ; t. 1 : L’avertissement (1943-1946), 1990 ; t. 2, Les portes de la guerre,
1946-1954, 1998.
MARTIN Claude, Histoire de l’Algérie française, Paris, 1963, rééd. Robert Laf-
font, 1979.
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XXe siècle, Genève, Droz, 1981.
REY-GOLDZEIGUER Annie, Le royaume arabe, la politique algérienne de Napo-
léon III, 1861-1870, Alger, SNED, 1977.
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WEBER André-Paul, 1830-1930, La France en Algérie, une malheureuse aven-
ture. Paris, Publibook, 2010.
YACONO Xavier, Histoire de l’Algérie, de la fin de la régence turque à l’insurrec-
tion de 1954, Versailles, Editions de l’Atlanthrope, 1993.

HISTOIRE DE L’ALGÉRIE MUSULMANE ET DU NATIONALISME ALGÉRIEN


L’Étoile nord-africaine et le mouvement national algérien, actes du colloque du
27 février au 1er mars 1986, Paris, Centre culturel algérien, 1987.
CHARNAY Jean-Paul, La vie musulmane en Algérie d’après la jurisprudence de
la première moitié du XXe siècle, Paris, PUF, 1991.
COLLOT Claude et HENRY Jean-Robert, Le mouvement national algérien, textes
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1975.
HARBI Mohammed, Aux origines du FLN, la scission du PPA-MTLD, Paris,
Christian Bourgois, 1975.
KADDACHE Mahfoud, Histoire du nationalisme algérien, 1919-1951, Alger, SNED,
t. 1, 1980 et t. 2, 1981 ; rééd. Paris, Éditions Paris-Méditerranée, 2003.

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

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terranée, 2003.
Et l’Algérie se libéra, Paris, Éditions Paris-Méditerranée, 2003
MAHSAS Ahmed, Le mouvement révolutionnaire en Algérie, de la Première
guerre mondiale à 1954, Paris, L’Harmattan, 1979.
MEYNIER Gilbert et KOULAKSSIS Ahmed, L’émir Khaled, premier zaïm, Paris,
L’harmattan, 1987.
MÉRAD Ali, Le réformisme musulman en Algérie de 1925 à 1940, Paris, Mou-
ton, 1967, 475 p.
NOUSCHI André, Naissance du nationalisme algérien, 1914-1954, Paris, Édi-
tions de Minuit, 1962.
PERVILLÉ Guy, Les étudiants algériens de l’Université française, 1880-1962,
Paris, Éditions du CNRS, 1984.
SAADALLAH Belkacem, La montée du nationalisme algérien (1900-1930), Alger,
Entreprise nationale du livre, 1983.
SIVAN Emmanuel, Communisme et nationalisme en Algérie (1920-1962), Paris,
Presses de la FNSP, 1976.
STORA Benjamin, Messali Hadj (1898-1974) pionnier du nationalisme algérien,
Paris, le Sycomore 1982 et l’Harmattan 1986.
Dictionnaire biographique de militants nationalistes algériens 1926-1954,
L’Harmattan 1984.
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de doctorat d’État, Paris XII, 1991, version publiée Ils venaient d’Algérie,
l’immigration algérienne en France, 1912-1992, Paris, Fayard, 1992.

AUTRES TITRES CITÉS


TÉMOIGNAGES ET DOCUMENTS D’ÉPOQUE
ABBAS Ferhat, « Mon testament politique », publié et commenté par Ch.-R. Age-
ron, Revue française d’histoire d’Outre-mer, n° 303, 1994, pp. 181-197.
La nuit coloniale, Paris, Julliard, 1962.
Le Jeune Algérien, réédition Paris, Éditions Garnier, 1981.
AURIOL Vincent, Mon septennat, 1947-1954, Paris, Gallimard, 1970 (version
condensée) ;
Journal du septennat, 1947-1954, tomes 1947, 1948, 1949, 1951, 1952,
1953-1954 parus entre 1970 et 1983, rééd. Paris, Armand Colin 1991. Der-

508
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BIBLIOGRAPHIE

nier tome 1950 paru en 2003 chez Tallandier avec un CD-ROM des 7 tomes
parus.
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BERQUE Augustin, Écrits sur l’Algérie, réunis et présentés par Jacques Berque,
postface de Jean– Claude Vatin, Aix-en-Provence, Edisud, 1986.
BUGEAUD maréchal, Par l’épée et par la charrue, écrits et discours du Maréchal
Bugeaud, choisis et annotés par le général Azan, avant-propos de Charles-
André Julien, Paris, PUF, 1948.
CHEVALLIER Jacques, Nous, Algériens, Paris, Calmann-Lévy, 1958.
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Charles-Robert Ageron, Revue d’histoire maghrébine, no 1920, juillet 1980,
pp. 204-206 ; également reproduite et commentée dans Pervillé Guy, L’Eu-
rope et l’Afrique de 1914 à 1974, Gap et Paris, Ophrys, 1994 (voir « Le pre-
mier manifeste du peuple algérien ? », pp. 25-35).
Ordonnance du 7 mars 1944, reproduite et commentée dans Pervillé Guy,
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PRÉVOST-PARADOL Lucien-Anatole, La France nouvelle, Paris 1868 et 1869,
réimp. Paris-Genève, Slatkine reprints, 1979, présentation de Jean Tulard.
REGGUI Marcel, Les massacres de Guelma, Algérie, mai 1945 : une enquête iné-
dite sur la furie des milices coloniales, Paris, La Découverte, 2005, préface
de J-P. Peyroulou, (reproduit en annexe le rapport Tubert, pp. 137-168.
TOCQUEVILLE Alexis de, De la colonie en Algérie, textes choisis et présentés par
Tzvetan Todorov, Bruxelles, Éditions Complexe, 1988.
LEROY-BEAULIEU Paul, L’Algérie et la Tunisie, Paris, Challamel, 1897.
TIXIER Adrien, Un programme de réformes pour l’Algérie, Paris, Éditions de la
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VIOLLETTE Maurice, L’Algérie vivra-t-elle ?, Paris, Alcan, 1931.

SOUVENIRS ET MÉMOIRES
AÏT AHMED Hocine. Mémoires d’un combattant, t. 1, 1942-1952, Paris, Sylvie
Messinger, 1983.

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BERQUE Jacques, Mémoires des deux rives, Paris, Le Seuil 1989.


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Mémoires de guerre, Paris, Plon, t. 1, 1954 ; t. 2, 1956 ; t. 3, 1959.
Discours et messages, t. 2, Dans l’attente, février 1946-avril 1958, Paris,
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DEPREUX Édouard, Souvenirs d’un militant, Paris, Fayard, 1972.
ESQUER Gabriel, 8 novembre 1942, jour premier de la Libération, Paris, Charlot,
1946.
FARÈS Abderrahmane, La cruelle vérité, Paris, Plon 1982.
GOETZE Roger, Entretiens avec Roger Goetze, haut fonctionnaire des finances,
texte établi et annoté par Nathalie Carré de Malberg, Paris, Comité pour
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IBAZIZEN Augustin-Belkacem, Le testament d’un berbère, préface de René
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LÉONARD Roger, Souvenirs d’Algérie, Mémoires inédits, exemplaire personnel et
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La querelle de la fidélité, peut-on être gaulliste aujourd’hui ? Paris, Fayard,
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PETITBON René, Préfet en Algérie, 1945-1949, Paris, Phénix éditions, 2001.
PEYROUTON Marcel, Du service public à la prison commune, Paris, Plon, 1950.
PIERRE-BLOCH Jean, Le vent souffle sur l’histoire, Paris, SIPEP, 1956.
Algérie, terre des occasions perdues, Paris, Deux rives, 1961.
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QUEUILLE Henri, Journal d’Alger, édition critique par Hervé Bastien, DEA de
l’IEP de Paris, 1988.
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Vingt-huit ans de gaullisme, Paris, La Table Ronde, 1968.
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BIBLIOGRAPHIE

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d’Algérie, Paris, Albin Michel, 1985.

PUBLICATIONS DE JOURNALISTES ET D’HISTORIENS AMATEURS


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1981.
ANSKY Michel, Les Juifs d’Algérie, du décret Crémieux à la libération, Paris,
Éditions de Centre de Documentation juive contemporaine, 1950.
ARON Robert, Histoire de Vichy, t. 1, Paris, Fayard, 1954.
ARON Robert et al., Les origines de la guerre d’Algérie, Paris, Fayard, 1962,
312 pages.
DESSAIGNE Francine, La paix pour dix ans (Sétif, Guelma, mai 1945), Nice,
Éditions Jacques Gandini, 1990.
LACOUTURE Jean, De Gaulle, Paris, Le Seuil, t. 1, 1984 ; t 2, 1985.
LARDILLIER Alain, Le peuplement Français en Algérie de 1830 à 1900, Versailles,
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TOURNOUX Jean-Raymond, La tragédie du général, Paris, Plon, 1967.
VALLET Eugène, Un drame algérien, la vérité sur les émeutes de mai 1945,
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TRAVAUX D’HISTORIENS
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dant la Deuxième guerre mondiale », Revue d’histoire maghrébine (Tunis)

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

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« Les troubles du Nord-Constantinois en mai 1945 : une tentative insurrec-
tionnelle ? », XXe siècle, Revue d’histoire, no 4, oct. 1984, pp. 23-38.
« Le gouvernement Pierre Mendès et l’insurrection algérienne », Actes
du colloque de l’IHTP, Pierre Mendès-France et le mendésisme, François
Bédarida et Jean-Pierre Rioux (dir.), Paris, Fayard, 1985, pp. 331-342.
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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Résultats et Statistiques du dénombrement de la population effectué le


31 octobre 1948. Volume I, population légale ou de résidence habituelle;
Volume II, Population non musulmane, Alger, Gouvernement général de
l'Algérie, direction générale des finances, Service de statistique générale,
1953 (dépôt légal à la Bibliothèque nationale le 9 octobre 1953).

516
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Index des noms propres

A Abdesselam (Taleb) 217, Astier (Marcel) 191, 213,


Abbas (Ferhat) 12, 120, 283, 311 233, 234, 244, 245, 248,
124, 149, 150, 151, 159, Aboulker (José) 323, 335, 249, 250, 256, 265, 270,
160, 161, 162, 163, 166, 352, 357 272, 275, 278, 294, 317
170, 171, 172, 173, 174, Abrial (amiral) 132, 135, Astier de la Vigerie
176, 179, 180, 193, 195, 141, 143, 144, 145, 149 (Emmanuel d’) 191, 317
196, 201, 202, 203, 204, Achiary (André) 332, 335, Augarde (Jacques) 403, 416
205, 208, 214, 217, 223, 338, 339, 365, 370, 371, Aumeran (général) 395
224, 228, 233, 277, 278, 372, 373, 374, 402 Aurange (Paul) 316
285, 286, 287, 288, 303, Achour (Mohand) 364, Auriol (Vincent) 206, 275,
307, 313, 314, 325, 326, 372, 376 317, 366, 382, 385, 390,
328, 330, 333, 337, 342, Ageron (Charles-Robert) 6, 397, 404, 406, 410, 415,
359, 372, 378, 381, 382, 10, 11, 16, 179, 433, 441 422, 435
383, 385, 392, 402, 409 Ahmed Bey 33, 43
Abbo (Gabriel) 216, 217, Ahmed (dey d’Alger) 24 B
278, 279, 326, 333, 337 Aïssa (Nadji) 372 Baâmara (Slimane) 217
Abdelkader (Cadi) 197, Aïssa (Naïa) 372 Bachir (docteur) 118
214, 234, 244, 245, 255 Alduy (Paul) 319, 328, Bachtarzi 199
Abdelkader (Sayah) 170, 406, 407 Bacri 23, 24, 25, 26, 76
173, 202, 204, 205, 214, Alibert (Raphaël) 126 Balensi 241, 242, 244, 311,
234, 245, 217, 278 André (général) 282, 284, 313, 332, 333, 339
Abd el-Kader 33, 34, 35, 287, 288 Baretaud 311
37, 43, 50, 95, 112 Angeli (Lucien) 378 Barety (Léon) 119

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Bastid (Paul) 382 Bergé (commissaire Boucif (Benchiha) 149


Battandier (docteur) 91 de police) 331 Bouderba (Omar) 105, 112
Battistini (préfet d’Oran) Bergeret (général) 157, 185 Boukerdenna
216, 217, 257 Berlioz (Joanny) 321, 323 (Abderrahmane) 149
Bayoud (cheikh) 217 Berque (Augustin) 9, 143, Boumendjel (Ahmed) 163
Bedeau (général) 40 144, 145, 146, 147, 148, Bourgès-Maunoury
Béhic (Armand) 58, 99 150, 151, 152, 154, 162, (Maurice) 414, 430, 445
Belaïche (Marcel) 216 166, 167, 168, 169, 170, Bourmont (maréchal de)
Bénazet (Henri) 338 171, 172, 173, 174, 191, 28, 29, 30, 31
Ben Badis (cheikh) 124 195, 196, 202, 204, 213, Bouthiba (Abderrahmane)
Benchenouf (bachaga) 196, 220, 244, 245, 255, 257, 366, 368, 369, 376
217, 365, 366, 368, 375, 266, 270, 308, 309, 312, Boutin (commandant) 24, 29
378, 410 313, 314, 328, 332, 333, Bouzet (du) 62
Bendjelloul (docteur) 124, 335, 339, 358 Brahimi (cheikh) 124, 144,
151, 170, 171, 172, 188, Bert (Paul) 81, 94 224, 285
195, 196, 197, 199, 211, Berthault (Pierre) 264 Briand (Aristide) 108
213, 214, 218, 240, 243, Berthelot 200 Bringard (général) 328
250, 276, 277, 284, 303, Berthezène (général) 36 Brisson 87
312, 313, 314, 315, 320, Beynet (général) 294 Brune (Charles) 412, 414,
321, 322, 323, 324, 335, Bidault (Georges) 295, 316, 416
342, 350, 362, 364, 365, 381, 382, 385, 386, 394, Bugeaud (général) 18, 33,
366, 368, 370, 372, 378, 404, 412, 417, 423 34, 35, 37, 39, 40, 41, 44,
380, 381, 390, 393 Blanc (Raymond) 322, 47, 67, 177, 267, 311
Bengana (« Cheikh el Arab ») 335, 345 Burdeau 83
172 Blum (Léon) 117, 118, 119, Busnach 23, 24, 25, 26, 76
Ben Gana (si Bouaziz) 214, 121, 139, 179, 206, 220,
234, 235, 237, 245 257, 278, 280, 293, 321, C
Ben Khedda (Ben Youcef) 390, 391, 423, 441 Cambon (Jules) 83, 84, 86
161 Bodichon (docteur) 47 Camus (Albert) 153
Bennoune (Mahfoud) Boisson (gouverneur Capitant (René) 308, 309,
92 général) 157, 185 382
Benoist-Méchin (Jacques) Bonaparte 23, 29, Carde (Jules) 116
136 Voir Napoléon Ier Carnot (Sadi) 83
Ben Rahal (Mohammed) Bonnet (Henri) 287 Catroux (général) 9, 13,
105 Bonnier de la Chapelle 14, 17, 131, 137, 158, 159,
Benthami (Belkacem) 105, (Fernand) 158 165, 170, 183, 185, 186,
112 Borgeaud (Henri) 416, 187, 189, 190, 191, 192,
Bentounès (député) 393 417, 432 193, 194, 195, 197, 199,
Ben Youssef (Mohammed) Borra (Raoul) 364, 366, 200, 202, 203, 204, 205,
436 385, 407 207, 208, 209, 210, 211,

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INDEX

213, 214, 218, 222, 223, Clemenceau (Georges) 89, 383, 384, 391, 393, 394,
225, 227, 229, 233, 234, 104, 107, 108, 112 395, 396, 397, 403, 405,
235, 236, 239, 242, 247, Clermont-Tonnerre 407, 409, 411
248, 249, 252, 254, 255, (comte de) 26 Desmichels (général) 33
256, 257, 258, 263, 265, Collet 26 Dessoliers (Frédéric) 85
266, 267, 272, 275, 276, Colonna (Antoine) 366, Deval (consul) 25, 26
277, 278, 282, 283, 284, 416 Devaud (Stanislas) 118
285, 286, 287, 289, 290, Commin (Pierre) 407, 409, Deyron (Léon) 365, 366,
291, 292, 293, 294, 295, 412 367, 370
296, 297, 298, 299, 300, Costa (Joseph) 335 Diagne (Blaise) 115
301, 302, 303, 305, 306, Courtès (colonel) 328 Doineau (capitaine) 51
308, 309, 310, 312, 313, Crémieux (Adolphe) 63, Doriot (Jacques) 118, 137
314, 315, 317, 334, 335, 66, 76, 77, 78, 79, 80, 87, Dreyfus (Alfred) 79
340, 348, 350, 355, 359, 88, 98, 120, 140, 142, 159, Drouet d’Erlon (général) 33
379, 402, 414, 431, 434, 164, 167, 178, 203, 206, Drumont (Édouard) 79, 87
435, 436, 437, 444 209, 257, 440, 442 Dubois (André-Louis) 434
Chanzy (général) 63 Cuttoli (Paul) 112, 118, Duclos (Marcel) 274, 276,
Charles X 27, 28, 29, 30 276, 277, 334, 335, 382, 310, 311, 313, 415
Chasseloup-Laubat 416 Dupetit-Thouars 26
(comte de) 52 Dupuy (Charles) 88
Chataigneau (Yves) 292, D Duroux 118
293, 311, 312, 313, 316, Daladier (Edouard) 120, Duval (général) 55, 330,
328, 333, 339, 366, 379, 125, 280, 411 359, 371
390, 402, 403, 404, 405, Dallier 244
406, 417, 434 Dalloni 386 E
Châtel (Yves) 135, 141, Damrémont 33 Eisenhower (Dwight) 155,
150, 151, 157, 161, 162, Darlan (amiral) 128, 132, 157
166, 191 134, 135, 136, 137, 142, El Gradchi 217
Chautemps (Camille) 116, 144, 155, 156, 157, 158, El Madani (Taoufik) 309
119 160, 161, 162, 166, 180, El Mili (Cheik) 309
Chevallier (Jacques) 432, 190 El Okbi (cheikh) 120, 151,
433, 434 Debré (Michel) 437 214, 218, 237
Choiseul (duc de) 23 Defferre-Aboulker Enfantin (Prosper) 40, 50
Chouadria (Mohamed) 366, (madame) 335, 352 Esquer (Gabriel) 137
368, 369 Delrieu (Marcel) 244 Étienne (Eugène) 86
Churchill (Winston) 158 Deluca (Edouard) 338 Exmouth (Lord) 24
Cianfarani (D.) 425 Demusois (Antoine) 377,
Clark (général) 155, 157 378 F
Clauzel (gouverneur Denier (Albert) 338 Fajon (Étienne) 323, 335,
général) 33, 36 Depreux (Édouard) 381, 339, 345

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Faure (Henri) 358, 413, 402, 414, 423, 436, 443, 328, 329, 337, 341, 342,
431, 435 444, 445 390, 402, 418
Favre (Jules) 51, 59 Gazagne (Pierre-René) 324, Halpert (colonel) 374, 377
Fayet (Pierre) 216, 240, 328, 402 Harbi (Mohammed) 341,
335, 372, 377, 385 Georges (général) 156, 186, 342, 406
Félix Gautier (Émile) 91, 187, 189 Hardy (Georges) 141
102, 103, 267 Giacobbi (Paul) 215, 220, Hassan (dey) 23
Ferry (Jules) 81, 82, 83, 90, 222, 235, 256, 258, 268, Hauriou (André) 213, 215
92, 97, 99, 101, 440 278, 281, 284, 396 Helleu (Jean) 192, 293
Flandin (Pierre-Étienne) Giraud (Henri) 136, 155, Herriot (Édouard) 113
134 156, 157, 158, 159, 160, Hitler (Adolf) 129, 130,
Foccart (Jacques) 437 161, 162, 166, 168, 172, 131, 132, 133, 137, 154,
Foch (maréchal) 133 174, 176, 180, 184, 185, 176
Fonlupt-Espéraber (Jacques 186, 187, 190, 191, 192, Hussein (dey d’Alger) 25,
de) 396 197, 198, 202, 257, 402, 27
Fontaine 216 416
Forcioli 85 Goering (Hermann) 136 I
Foudil (René) 213, 218, Goetze (Roger) 246, 311 Ibazizen (Augustin
312, 314 Gonon (général Maurice) Belkacem) 359
Fournier (Roger) 216, 217, 163, 171, 191, 213, 214, Ibrahimi (cheikh) 151, 217,
277, 279 249, 255, 268, 278, 323, 233, 330
Franco (Francisco) 133 324 Isaac 83
François 1er 22 Gouin (Félix) 206 Isnard (Hildebert) 71
Gozlan 213
G Grenier (Fernand) 274 J
Gambetta (Léon) 63, 79 Grenoilleau (docteur) Jean-Bon Saint-André 24
Gatuing (Marcel) 312, 376 239 Jonnart (Charles) 83,
Gaulle (Charles de) 6, 14, Grévy (Albert) 63 108
17, 126, 127, 128, 129, Guellati (maître) 217 Juin (général) 136, 155,
131, 132, 134, 158, 159, Guernut (Henri) 114 156, 292, 402
160, 176, 180, 183, 184, Gueydon (vice-amiral de) Julien (Charles-André) 6,
185, 186, 189, 190, 191, 62, 78, 79 31, 78, 512
192, 193, 194, 197, 202, Gueye (Lamine) 381 July (Pierre) 421
204, 205, 207, 208, 209, Guizot (François) 35, 36,
210, 220, 229, 230, 234, 41, 44 K
252, 256, 275, 276, 283, Kacimi (cheikh) 217
286, 287, 289, 290, 292, H Kaddache (Mahfoud) 16
293, 294, 296, 312, 317, Hadj (Messali) 117, 124, Kateb (Yacine) 338
331, 332, 340, 344, 359, 163, 179, 203, 217, 223, Kessous (Aziz) 216, 287,
362, 382, 395, 398, 399, 224, 233, 285, 314, 326, 325

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INDEX

Khaled (capitaine) 112, Lépine (Louis) 86 Martinaud-Déplat (Léon)


113, 161 Leroy-Beaulieu (Paul) 81, 413, 414, 416, 430, 431,
Khodja (Hamdan) 32 85, 91, 93, 440 432
Lestrade-Carbonnel 213, Maspetiol (Roland) 430,
L 245, 272, 289, 327, 328, 433
Labonne (Eirik) 402 337, 339, 371 Masqueray (Emile) 81
Lacombe (Mercier) 53 Le Troquer (André) 365, Massigli (René) 191, 192,
Lacroix (Frédéric) 53, 366, 366, 372, 374, 379, 380, 207, 208, 294
368 381, 435 Mast (général) 207, 294
Laferrière (Édouard) 87, 88 Lévy (Charles) 244, 265, Mayer (René) 225, 402,
Lagrosillière (Joseph) 119, 270 403, 404, 405, 406, 409,
120, 191, 206, 213 Lévy (Marcel) 239, 244, 265 412, 413, 415, 416, 417,
Lakhdari (Smaïl) 372 Lleu (Gaston) 213, 244, 245 430, 432, 434, 435
Lambert (Alexis) 62 Louis-Napoléon Bonaparte Mehemet Ali 27, 35, 49
Lamoricière (général) 40 voir Napoléon III Méline (Jules) 86
Laniel (Joseph) 413, 431, Louis XV 23 Mendès France (Pierre)
432 Louis XVIII 24, 25 225, 254, 296, 300, 413,
Lapie (Pierre Olivier) 229, Loverdo (général) 26 414, 415, 431, 432, 433,
274 Lozeray (Henri) 216 434, 435, 436, 444
Laquière (Raymond) 420 Luciani 110, 143 Menthon (François de) 233
Larribère (Camille) 372 Lutaud (général) 107, 108 Mercier (André) 53, 213,
Laugier (Henri) 237, 238, Lyautey 189, 436 220, 237, 238, 240, 241,
269, 308 242, 243, 245, 249, 255,
Launay (Michel) 71 M 256, 274, 276, 278, 320,
Laval (Pierre) 125, 126, Mac Mahon (maréchal) 321, 322, 335
132, 133, 134, 136, 142, 55, 63 Mercier (Gustave) 244, 270,
151 Mallarmé (André) 280, 293 276, 311
Lavigerie (cardinal) 97 Mandel (Georges) 126 Mesbah 421
Le Beau (Georges) 119, Mangin (général) 129 Messimy (Adolphe) 104
127, 129, 132, 143, 236, Marçais (Philippe) 308 Meyer (É.) 425
265 Marie (André) 416, 430 Meynier (Gilbert) 10
Lebrun (Albert) 126 Marquet (Adrien) 142 Michelet (Edmond) 374,
Ledru Rollin (Alexandre) Marrane (Georges) 336, 346 437
45 Marshall (George) 423, Millerand (Alexandre) 113
Lefeuvre (Daniel) 16 425, 429 Milliot (Louis) 143
Lentin (Albert-Paul) 339 Martel (Henri) 316, 323 Mitterrand (François) 413,
Léonard (Roger) 411, 412, Martignac 26 430, 431, 433, 434, 435,
413, 414, 417, , 421, 419, Martin (Claude) 80, 152, 444
420, 424, 429, 430, 432, 244, 290, 292, 311, 325, Moch (Jules) 403, 404, 405,
434, 435, 444 330, 339, 340 406, 409, 411

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LA FRANCE EN ALGÉRIE

Mollet (Guy) 380, 397, 403, Ouakli 217 Prouteau 216


404, 405, 406, 407, 411, Ouzegane (Amar) 216, 364, Puaux (Gabriel) 207, 294,
412, 436 365, 377, 378, 381 295, 317
Monnerville (Gaston) 317 Pucheu (Pierre) 142
Monnet (Jean) 158, 159, P
423, 429 Palewski (Gaston) 289 Q
Montagne (Robert) 259, Paternot 434 Queuille (Henri) 189, 192,
262, 263, 281, 285, 286, Pauliat 81 229, 276, 278, 291, 293,
306, 308 Paye (Lucien) 308, 355, 358 294, 410, 411, 412, 413,
Morel (Léopold) 416 Pélabon (André) 434 414, 417, 422, 435
Morinaud (député) 112 Pélissier (maréchal, duc Quilici (François) 376, 382
Mostefaï 385 de Malakoff) 53
Moutet (Marius) 114 Périllier (Louis) 206, 216, R
Murphy (Robert) 134, 136, 255, 257, 284, 327, 328 Rabier (Maurice) 366, 367,
155, 202 Pétain (Philippe) 123, 126, 369, 394, 395, 396, 397,
Muscatelli (Léon) 216, 257 127, 128, 130, 132, 133, 398, 421
Muselli (Pascal) 321, 334, 134, 135, 136, 138, 140, Ramadier (Paul) 383, 390,
335, 342, 348 142, 149, 150, 151, 156, 391, 392, 395, 396, 397,
Mussolini (Benito) 125, 154 157, 165 398, 403, 413
Mustapha (dey d’Alger) 24 Peyrouton (Marcel) 132, Randon (maréchal) 50,
142, 158, 162, 163, 166, 58, 99
N 168, 170, 172, 173, 185, Régis (Maximilien Régis
Naegelen (Marcel-Edmond) 191, 193, 195, 334 Milano, dit Max) 86, 87
404, 405, 406, 407, 408, Pflimlin (Pierre) 413 Régnier (Marcel) 116, 120
409, 410, 411, 412, 417, Philip (André) 191, 206, Rencurel (Auguste) 213,
418, 419, 423 225, 229, 265, 266, 380, 220, 242, 243, 255, 256,
Napoléon Ier 23, 49 385, 391, 435 275, 278, 334, 335, 347,
Napoléon III 19, 21, 49, Pichon 36 376
51, 52, 53, 54, 55, 59, 69, Pierre-Bloch (Jean) 191, Rey-Goldzeiguer (Annie) 10
77, 83, 90, 99, 101, 177, 192, 206, 210, 274, 289, Reynaud (Paul) 126
224, 440 290, 315, 321, 322, 335, Ribère (Marcel) 375, 376
Napoléon-Jérôme 50, 51 336, 346, 347, 355 Ribière (Pierre) 275
Nelson (amiral) 23, 24 Pinay (Antoine) 413, 430 Robert (Joseph) 174, 216,
Nicolaï (Pierre) 434 Pleven (René) 225, 247, 217, 279
Noguès (général) 126, 127, 362, 410, 412, 413, 417 Rols 213
128, 132, 156, 157, 158, 185 Poimbœuf (Marcel) 335 Rommel (Erwin) 135
Polignac (Jules de) 27, 30 Roosevelt (Franklin D.)
O Pompéi 328 158, 160, 164, 202, 379
Ohneck (Wolfgang) 12 Prévost-Paradol 57, 61, 66, Rouzé (Michel) 315
Ollivier (Émile) 59, 77 90, 177 Rovigo 36

522
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INDEX

Rozet (Albin) 106, 107 Terrenoire (Louis) 437 Veuillot (Louis) 37, 97
Rucart (Marc) 275, 335, Tewfik el Madani (Ahmed) Viard (Paul-Émile) 206,
336, 339, 347, 355 168 213, 219, 237, 256, 274,
Thiers (Adolphe) 34, 35, 275, 280, 366, 367, 372,
S 62, 78 382, 386
Saadane (Chérif) 277, 328, Thomas (Albert) 318 Villèle (Joseph de) 26
330, 342, 382 Thomas (Eugène) 410, 412 Villevieille 240
Sabatier 118 Thomson (Gaston) 86 Viollette (Maurice) 104,
Saïdi (Sadok) 204 Thorez (Maurice) 335, 382 111, 114, 115, 116, 117,
Saïd Madani (Mohand) 446 Tidjani (cheikh) 217 118, 119, 121, 139, 179,
Saint-Arnaud (maréchal) 50 Tirman (général) 81, 83 201, 206, 208, 209, 220,
Salhi (cheikh) 217 Tixier (Adrien) 306, 316, 223, 228, 257, 278, 280,
Sarraut (Albert) 119, 120 318, 321, 322, 323, 324, 315, 321, 366, 368, 441,
Saurin (Daniel) 85, 118 334, 335, 337, 343, 348, 444
Schoelcher (Victor) 81 353, 355, 362, 365, 373 Vogt 197
Schuman (Robert) 403, Tocqueville (Alexis de) 35, Von Münchhausen
404, 416 38, 39, 40, 41, 44, 47, 49, (Thankmar Freiherr) 16
Serda (Jospeh) 279, 416 90, 98 Vuillermoz (maire d’Alger)
Sérigny (Alain de) 138, Toujas (Jean) 364, 366 62, 84
378, 416, 432 Trabut (docteur) 91
Servier (André) 106 Trézel (général) 33 W
Sisbane (Chérif) 149 Truchet (lieutenant-colonel) Waldeck-Rousseau (Pierre)
Soulier (Edouard) 114 191, 257 88, 99
Soult (maréchal) 35, 36 Tubert (général) 330, 331, Walsin-Esterhazy (général)
Soustelle (Jacques) 14, 17, 335, 337, 377 62
137, 413, 414, 434, 435, Warnier (docteur) 54, 69,
437, 444 U 101
Spillmann 317 Urbain (Ismaïl) 53, 55, 67, Weygand (général) 126,
Sportisse (Alice) 377, 378 81, 177 128, 132, 133, 134, 135,
Staline (Joseph) 137 136, 141, 146, 147, 148,
Steeg (Théodore) 113, 382 V 149, 152, 153, 156, 191,
Valée (général) 33, 34, 257
T 39, 47 Wilson (Woodrow) 112
Taittinger 118 Valleur (Albert) 213, 219,
Talleyrand 23, 25 222, 223, 225, 226, 227, Y
Tamzali (docteur) 170, 194, 228, 229, 234, 243, 244, Yacono (Xavier) 41
199, 213, 214, 220, 239, 259, 284
240, 243, 245, 270, 312 Vaujour (Jean) 417, 418, Z
Teitgen (Pierre-Henry) 378 432 Zekri (Ibnou) 149
Tekkouk (cheikh) 217 Vegler 241 Zenati 154

523
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Table des matières

Avant-propos ..................................................................................................... 5
Introduction........................................................................................................ 9
Le temps des choix fondamentaux............................................................ 21
Les aléas des relations franco-algériennes • « Pour prendre Alger, je n’ai consulté que la dignité
de la France » • Évacuer l’Algérie ou la conquérir totalement • « La conquête serait stérile sans
la colonisation » • Peupler l’Algérie de colons français • Le choix équivoque de l’assimilation
• Les hésitations de Napoléon III • « Je suis aussi bien l’Empereur des Arabes que l’Empereur des
Français » • L’échec du royaume arabe

L’immobilisme de la Troisième République ............................................ 61


« Une terre française » • « Peuplée par des Français » ? • « Possédée et cultivée par des
Français » • Du « péril étranger » au « peuple algérien » • Les juifs algériens, assimilés et
rejetés • « L’indigène n’est pas une race taillable et corvéable à merci » • Un « self-government
économique et social » • La loi de la démographie • Assujettissement et assimilation • Association
ou autonomie • De nouvelles élites indigènes • De nouvelles revendications • Une demi-
citoyenneté • Le vain combat de Maurice Viollette • L’impossibilité de réformer

L’Algérie française à l’épreuve de la guerre....................................... 123


Un réservoir de soldats et de travailleurs • La France aurait-elle pu gagner la guerre depuis
l’Algérie • La clé de voûte de l’Empire • La « Révolution nationale », régime idéal pour l’Algérie
coloniale ? • « Nous donnons de nouveaux besoins, sans cesse accrus, à un peuple que nous avons
ruiné » • Paternalisme, hostilité et pusillanimité • Le « vichysme sous protectorat américain »
• « Des réformes, point. Je veux des soldats » • Un réquisitoire : le Manifeste du peuple
algérien • « Le cadre intangible de la souveraineté française » • « Je serai ministre, ou pendu ! »
• L’interminable erreur de la IIIe République

Ambitions et atermoiements du CFLN ................................................... 183


Alger, capitale de la France en guerre • « Catroux est pris par le drame algérien » • « La France tout
court » • « Les musulmans doivent désormais prendre une autre voie » • La question cruciale de la
citoyenneté • Une citoyenneté à géométrie variable • L’illusion de l’apaisement • « Un sentiment
de profonde amertume » • Scolarisation, hygiène, habitat, conditions de travail... • 14 milliards
de francs sur vingt ans • « Une seconde conquête de l’Algérie commence, pacifique celle-ci, qui
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exigera de nous autant d’efforts que la première. » • Des fonctionnaires et des paysans • Des voix
discordantes au sein de l’administration • Désaccords des politiques, conservatisme des colons,
inquiétude des musulmans • « Il s’agit d’empêcher l’Afrique du Nord de glisser entre nos doigts
pendant que nous délivrons la France »

Le sursaut et les scrupules des années 1944-1945 ........................ 291


Catroux confirmé • Scepticisme des populations musulmanes • Ferhat Abbas au centre des
polémiques • La politique algérienne de la France, sans Catroux • « Des troubles vont se
produire » • La révolte de 1945 • « Terrorisme hitlérien et complot fasciste » • L’incident et
l’insurrection • Un « système périmé d'administration colonialiste » • Ne pas céder à la pression
des « deux minorités » • Trop tard

La politique l’emporte sur la volonté ..................................................... 361


Amnistie partiel et silence officiel • La « grande détresse de l’économie algérienne » • L’enlisement
• « La métropole n’hésite pas à s’imposer les sacrifices nécessaires »... • Ramadier ou la majorité
impossible

Le choix de l’immobilisme ........................................................................... 401


La fin du gouvernorat de « Chataigneau Ben Mohammed » • La « mission en Algérie » de Marcel-
Edmond Naegelen • Un préfet de police au gouvernement général • La « gestion radicale »
de Roger Léonard • Un coût jamais assumé • Pierre Mendès France : l’ordre et la réforme
• « L’Algérie? Perdue, finie »

Conclusion ....................................................................................................... 439


Notes ................................................................................................................. 449
Cartes ................................................................................................................ 493
Sources............................................................................................................. 499
Bibliographie ................................................................................................. 505
Index des noms propres ............................................................................. 517
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Philippe Foro, Une longue saison de douleur et de mort. L’affaire Aldo Moro

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Patrice Higonnet, La gloire et l’échafaud. Vie et destin de l’architecte de Marie-Antoinette

Pascal Cauchy, L’élection d’un notable. Les coulisses de mai 1981

Rémy Cazals, Bonaparte est un factieux ! Les résistants au coup d'État de 1851

Marion F. Godfroy, Kourou, 1763. Le dernier rêve de l’Amérique française

Thibaut Weitzel, Le fléau invisible. 1892, la dernière épidémie de choléra en France

Laurent Nagy, D’une Terreur à l'autre. Nostalgie de l'Empire et théories du complot, 1815-1816

Jean-Louis Panicacci, En territoire occupé. Italiens et Allemands à Nice, 1942-1944

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République, 24 juin 1894

Hélène Chaubin, La Corse à l’épreuve de la guerre, 1939-1943

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