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Revue géographique des

Pyrénées et du Sud-Ouest

Tourisme, architecture et paysages bâtis


Pierre Laborde

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Laborde Pierre. Tourisme, architecture et paysages bâtis. In: Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, tome 57,
fascicule 4, 1986. Tourisme, milieu et société. pp. 559-572;

doi : https://doi.org/10.3406/rgpso.1986.3067

https://www.persee.fr/doc/rgpso_0035-3221_1986_num_57_4_3067

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Résumé
Tourism, architecture and the built environment. The various architectural landscapes of sea-side
resorts and spas in Aquitaine mirror the changes in society and the stages of development in the field
of holidaymaking. The damage caused by urban redevelopment and the lack of imagination of house-
building require the implementation of a policy for the conservation of the architectural heritage which
should not prevent original creations.

Resumen
Turismo, arquitectura y paisajes edificados. Los distintos paisajes arquitectónicos de los balnearios de
Aquitania son espejo de los cambios de la sociedad y del desarrollo del veraneo. Los daños causados
por la reciente renovación urbana y la estandardización de la construcción hacen imprescindible el
fomento de una política de conservación del patrimonio arquitectónico antiguo, compatible con
creaciones originales.

Abstract
Tourism, architecture and the built environment. The various architectural landscapes of sea-side
resorts and spas in Aquitaine mirror the changes in society and the stages of development in the field
of holidaymaking. The damage caused by urban redevelopment and the lack of imagination of house-
building require the implementation of a policy for the conservation of the architectural heritage which
should not prevent original creations.
REVUE GÉOGRAPHIQUE DES PYRÉNÉES ET DU SUD-OUEST
tome 57, FASC. 4, pp. 559-579, Toulouse, 1986.

Tourisme, architecture et paysages bâtis

par Pierre Laborde *

Un siècle et demi de pratique du tourisme en Aquitaine est une


durée suffisante pour que les villes et les stations, balnéaires,
thermales ou d'altitude, de cette région offrent des paysages bâtis
d'origine touristique variés. Sans être monumentaux, ces secteurs
traduisent les changements de la société et sont des souvenirs vivants
de leur histoire. Leur physionomie ressort de l'accumulation des
caractères propres à chaque étape de leur développement mais elle
peut se trouver menacée à moins que le passé n'ait déjà été effacé.

I. Tourisme et architecture

Bien que l'architecture soit indiscutablement liée à l'urbanisme,


leur étude est ici dissociée parce que la conception et la résolution
ne relèvent pas du même niveau et que les sentiments et la
sensibilité ont dans l'architecture une place qui n'a pas d'objet dans
l'urbanisme.

1. L'architecture, miroir de la société.


L'architecture a une vie propre, en étroite liaison avec les modes
d'expression esthétique comme avec les conditions géographiques.
La pluie, le vent ou la neige peuvent être des contraintes, mais le
soleil, le bord de mer ou de lac, le versant d'un coteau ou d'une
montagne, l'orée d'un parc ou d'une forêt, qui valorisent les terrains
riverains, peuvent aussi servir d'appel à la création. Et le milieu
ambiant, mer, montagne ou eaux thermales, détermine aussi des
besoins qui se traduisent dans les formes.

(*) Maître de conférences de géographie, Université de Bordeaux-III, 33405


Talence cedex.
560 P. LABORDE

L'architecture n'est, cependant, pas seulement un élément


physique ni une affaire de style et de forme. Elle est signifiante et elle
exprime aussi les conditions sociales et économiques de la création.
L'architecte accepte, en règle générale, la commande quelle qu'elle
soit et essaie de répondre aux désirs de son client. Or, dans le
domaine de la villégiature, la clientèle privée, qui ne manque pas
d'aisance jusqu'à la deuxième guerre mondiale, a toujours recherché
le confort intérieur et le décor extérieur, montrant du goût pour
tous les styles. Cet éclectisme ressort de la reconstitution d'un
univers familier pour l'aristocratie anglaise et espagnole ou reflète les
aspirations de la bourgeoisie de ce temps. La création architecturale
inspirée par le milieu régional n'apparaît qu'au début du XXe siècle.
Ainsi, façades, fenêtres, portails expriment-ils le statut social de leur
propriétaire ou de leurs habitants et si la façade constitue une partie
importante et la plus visible d'une maison elle extériorise la facture
du logement qu'elle masque.
A compter des années 1950, commence une époque où la société
change dans sa composition et dans ses jugements. De nouveaux
besoins, de nouvelles clientèles et de nouveaux acteurs apparaissent
dans les stations touristiques. Certes, il subsiste encore une clientèle
et des architectes pour construire des maisons particulières de
bonne taille dont les styles varient moins que dans le passé. Mais, en
fait, les architectes travaillent de moins en moins pour des individus
et de plus en plus pour des catégories de personnes. Quant aux
promoteurs, ils construisent avant tout une marchandise. Les
exigences d'économie pour toucher la clientèle la plus large possible
entraînent la réduction des dimensions des logements et l'élimination
des matériaux les plus chers. Cependant, les architectes recherchent
l'originalité qui fait vendre; elle peut se limiter à l'usage du bois
ou d'un crépis coloré pour faire couleur locale ou prendre la forme
de terrasses ou de balcons pour donner de l'air et de la lumière.
Ainsi, s'établit une nouvelle relation entre les revenus de la clientèle,
la durée d'utilisation du logement, le style et la taille du bâtiment,
pavillon individuel ou immeuble collectif.
De ces besoins nouveaux sont nés des programmes et des types
de constructions dont l'architecture diffère parfois peu d'habitations
permanentes de banlieue. A son tour, le bâtiment résidentiel en
milieu touristique est devenu standardisé : modèles répétitifs,
groupements de maisons en bande, ensembles résidentiels...
Ainsi, à tout moment, les intérêts et les aspirations des
demandeurs permettent de comprendre pourquoi telle tendance
architecturale a prévalu. En résumé, la grande villa est un système de signes
exprimant la société aristocratique, l'éclectisme ou le goût de paraître
et une forme de séjour long alors que le pavillon, l'appartement ou
le studio relèvent de la classe moyenne, qui fait des séjours assez
brefs mais répétés, et de formes standardisées correspondant
davantage à son niveau économique.
PAYSAGES BÂTIS 561

2. Le tourisme, créateur de formes architecturales.


L'architecture touristique a, tout de suite, donné sa préférence à
la juxtaposition de maisons placées au milieu de jardins. D'autres
formes de résidence n'étaient guère envisagées pour la villégiature.

Photo 1
Arcachon, Ville d'hiver.
Villa du Second Empire avec balcon, galerie et frises de bois dentelé
(carte postale de 1909)

VUUtDUme
562 P. LABORDE

Au XIXe siècle, cela vaut des volumes et des formes


architecturales disparates et créatrices d'une rupture avec l'habitat traditionnel.
L'architecture de tant de villas néo-gothiques, néo-classiques, anglo-
normandes ou autres, à Biarritz, du château Louis XIII de Gramont
et du château Renaissance Boulard, de la villa palladienne Fal, à
Arcachon, du château champenois Deganne, etc., n'a de signification
que dans la mesure où on situe ces demeures dans le contexte de
la villégiature, de leur fonction d'agrément, de leur histoire et de
leurs premiers habitants.
Au début du XXe siècle, et surtout pendant les années 1920,
l'incorporation d'éléments de l'architecture locale produit la villa
basque, au toit dissymétrique et aux faux colombages, qui prend même
d'énormes dimensions comme à Arnaga (Cambo-les-Bains) et à
Saraleguinea (Guéthary). Partie de la côte basque, elle colonise
les stations de l'Atlantique et gagne même les banlieues, hors de
toute ambiance touristique. Le style espagnol inspire aussi les
architectes alors que le style « moderne » a beaucoup moins d'amateurs.
L'architecture balnéaire se tourne encore plus vers le milieu régional
à partir des années 1960 et surtout 1970. Certains n'apprécient pas
ce retour en force du néo-basque ou du néo-landais dans la mesure
où il se prête à la standardisation.
A côté des villas, l'architecture prit rarement la forme
d'immeubles de rapport. On n'en trouve guère qu'à Biarritz et à Pau où une
clientèle, venue parfois de loin, était assez importante pour que des
particuliers, des agences ou des sociétés aient pu profiter de la vogue
des bains de mer et du climatisme pour en construire. En revanche,
ce type de constructions a pris un grand essor en ce milieu du
XXe siècle. Mais les immeubles qui ont été édifiés sont d'une
architecture souvent dénuée de caractère et d'originalité, qui se
différencie peu des résidences principales des grandes villes jusqu'aux
années 1970 où le style néo-régional fait son apparition. En tant
qu'habitat de loisirs, ces immeubles ont leurs particularités : des surfaces
habitables réduites par rapport aux normes des habitations
principales et des équipements de services annexes. Cette spécificité
augmente dans le cas de « résidences de vacances » comme les VVF où
les installations sportives (piscines, salles ou terrains de sports) et
les locaux destinés à l'animation de la clientèle prennent de
l'importance.
Pendant longtemps, les hôtels ont été les seuls édifices de grande
taille des stations touristiques. Par leur volume, par leur
architecture (façades affectées ou discrètes mais toujours de grandes
proportions et entrées monumentales...) ils étaient des éléments essentiels
du paysage en même temps que les principaux lieux de vie. On y
trouve les courants artistiques de l'époque : aux Eaux-Bonnes, le
style Empire, à Biarritz, Louis XIII à l'Hôtel du Palais, « moderne »
à l'Hôtel Plaza, néo-basque à l'ancien hôtel Sahel... Ceux qui ont été
construits récemment ont une capacité souvent inférieure et une
Photo 1
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564 P. LABORDE

architecture sans recherches (Eurotel, à Biarritz). La fonction


hôtelière peut n'occuper qu'une partie de l'édifice, la plus grande étant
réservée à des appartements ou à des studios indépendants (Carlina,
à Biarritz).
Enfin, une station dispose d'édifices qui répondent à des besoins
spécifiques : casino, établissements de bains ou de loisirs, etc. Ils
ont été construits au goût du jour; le style mauresque l'a emporté
pour les établissements thermaux (Salies-de-Béarn) et les casinos
(Hendaye). Ils affectent toujours une certaine monumentalité car ils
remplissaient également une fonction symbolique. Aussi, pour attirer
et retenir le touriste, faut-il sans cesse donner l'impression du
moderne; ainsi la reconstruction du casino « municipal » de Biarritz,
déjà reconstruit en 1897, puis en 1927, est-elle, aujourd'hui, à nouveau
envisagée; à Saint- Jean-de-Luz, elle fut confiée vers 1925 à Mallet-Ste-
vens mais l'œuvre a été profondément remaniée trente ans plus
tard (1). La notoriété architecturale joue moins qu'hier pour la
fréquentation d'un bâtiment : sa fonction prime.
Ainsi, au XIXe siècle, phase des palaces et des grandes villas, la
création architecturale touristique a-t-elle été authentique.
Aujourd'hui, phase du pavillonnaire et du collectif, la création qui
s'affranchit du monde urbain global ou de la référence régionale est
l'exception. De lieu de création, la station devient lieu d'occupation (2).

II. Tourisme et paysages bâtis

Le tourisme a influencé l'architecture et, par son intermédiaire,


les paysages bâtis dont la composition et la localisation se réalisent
selon des orientations fondamentales.

1. Tourisme et urbanisme.
Les stations présentent une conception commune de l'espace qui
correspond autant à des données foncières et économiques qu'à
l'époque ou au mode de vie permanent.
Selon l'époque, c'est la carence ou la rigidité d'une réglementation
qui permet de comprendre pourquoi telle conception urbaine a
prévalu. Abondance ou rareté des terrains à construire, faible prix
ou spéculation, qui rend dense ou faible l'occupation du sol : ces
facteurs orientent la localisation des espaces bâtis, la taille des lots
et la dimension des constructions. D'autre part, le rythme et les
conditions de la villégiature et d'une vie de loisirs favorisent la
création d'espaces publics, parcs et jardins, et imposent la
constructions de certains bâtiments.

(1) Devenu casino et ensemble résidentiel, il a si mal vieilli qu'il fait l'objet
d'une opération de réhabilitation moins de trente ans après sa rénovation.
(2) Cf. Ph. Jarreau, L'invention balnéaire, Temps libre, 1983.
PAYSAGES BÂTIS 565

Toutes les stations balnéaires s'organisent en fonction d'un front


de mer, avenue ou promenade le long duquel s'égrènent le casino,
des hôtels, des villas et des résidences. Son esthétique ressort du
jeu de volumes, de formes et de couleurs de la première rangée de
constructions qui peut être du meilleur effet architectural et offrir
la meilleure image de la station... Ce lieu privilégié et attractif, que
l'on retrouve dans le boulevard des Pyrénées à Pau, qui est un
véritable « front de montagnes », a souvent fait place à un
alignement d'immeubles en béton.
En arrière, les quartiers de résidence, présentent plus de variété
d'une localité à l'autre. Une différence s'établit entre celles qui ont
été transformées par le tourisme et celles qui lui doivent d'exister.
Dans les premières, telle que Saint-Jean-de-Luz, les habitations
principales des pêcheurs, des commerçants et des artisans et les
constructions à finalité touristique, hôtels et résidences secondaires,
s'imbriquent et se valorisent mutuellement. A Hendaye, à Capbreton,
à Mimizan, le secteur d'habitat permanent et le quartier balnéaire
occupent des emplacements distincts consacrés par la toponymie.
Dans les secondes, celles qui sont nées du tourisme, ou bien le tissu
urbain déjà ancien est, comme à Biarritz, une combinaison de
créations successives et indépendantes les unes des autres au point
qu'aujourd'hui l'habitat permanent, dont l'origine peut avoir été
touristique, et les constructions à fonctions touristiques actuelles se
mélangent; ou bien le tissu urbain correspond à une opération
intégrée qui a une unité architecturale d'ensemble (Hossegor) ou bien
à l'adjonction de lotissements successifs (Biscarrosse ou Soulac).
Seignosse est trop récente pour que le tissu urbain ait pu déjà se
transformer.
Quant aux stations thermales, l'élément structural essentiel réunit
l'établissement de bains, les hôtels, le casino et le parc en un
quartier dont la composition architecturale vient de leur disposition et
de leur esthétique. A Salies-de-Béarn et à Dax, il se situe à côté de
la ville ancienne dont la croissance doit peu à des constructions
touristiques en dehors d'un secteur de villas avec jardins que les stations
climatiques de Pau et de Cambo-les-Bains possèdent également. Mais
les créations nouvelles, à Biarritz et à Saint-Paul-les-Dax, incorporent
systématiquement établissements de bains et établissements hôteliers.

2. Types de paysage bâtis.

La distinction repose sur les caractères concomitants que


constituent la période d'édification, l'ordonnancement, le mode
d'implantation et l'architecture des immeubles.
a. Les quartiers climatiques du XIXe siècle commencent à Pau,
au Parc Beaumont, qui touche la ville, et se prolongent vers
l'est. Construits à partir de la fin du Second Empire pour une
clientèle aisée, en partie anglaise, qui venait y passer l'hiver, le quartier
566 P. LABORDË

Trespoey et celui des Allées de Morlaas comprennent de grandes


villas de style « baroque » à tourelles et toits d'ardoises et terrasses
au milieu de parcs boisés, et d'autres plus modestes avec leurs
jardins. Ils ont conservé la réputation de quartiers élégants et agréables
qui a provoqué la montée des prix et a attiré les promoteurs
immobiliers privés pour des résidences de qualité. La «Ville d'hiver » d'Ar-
cachon, bâtie sur la dune au-dessus de la ville, à partir de 1865 dans
le cadre d'une opération engagée par Emile Péreire pour rentabiliser
la ligne de chemin de fer Bordeaux-Arcachon et les acquisitions
foncières, a été conçue par des médecins pour des malades. Dans un
parc à l'anglaise aux voies sinueuses, se dispersent au milieu de
jardins bien orientées au soleil et toujours abrités du vent, chalets,
villas et grandes demeures de plaisance de style varié quoiqu'elles
présentent fréquemment au moins un étage, des galeries ou des
vérandas, des escaliers extérieurs et des frises de bois ouvragé sous
des toitures à forte pente. Salies-de-Béarn est, de même, un bon
exemple régional d'urbanisme thermal avec ses bains, son parc et
ses hôtels.
b. Quartiers balnéaires du XIXe siècle. — A l'image de sa clientèle
modeste, Soulacjles-Bains, lancé et étendu entre 1870 et 1914, aligne
ses petites maisons de briques ornées de dentelles de bois au milieu
de jardinets soigneusement enclos et quelques grands chalets à étage
imités de ceux d'Arcachon et construits t>ar une clientèle plus aisée.
Biarritz peut être considérée comme le seul modèle, dans cette
région-ci, de la grande villégiature aristocratique. Le quartier de
l'avenue de l'Impératrice - avenue de la Reine Victoria correspond au
lotissement du domaine impérial à partir de 1881. Il s'est
progressivement construit de grandes villas de pierre de styles variés,
d'hôtels et de grands palaces, tels le Continental et le Carlton, aux façades
de briques et chaînage de pierre blanche, tel l'hôtel du Palais, héritier
de la Villa Eugénie qui servait de résidence à Napoléon III et à
l'Impératrice, et aussi d'édifices religieux, dont, en particulier, l'église
« russe ».
c. Quartiers balnéaires de l'entre-deux-guerres. — Hossegor, qui
est un véritable parc résidentiel créé en 1923, en est le type le plus
remarquable. La société qui l'a conçu et réalisé imposa aux acheteurs
un strict cahier des charges opposant les quartiers où se regroupent
commerces et ateliers d'artisans et les quartiers de résidence dont la
dimension des lots varie selon leur emplacement; elle fixe aussi
la position de la voierie au pied des dunes et dans leurs enselle-
ments, limitant les tracés rectilignes et abandonnant les parties hautes
des reliefs aux villas dont la hauteur et la qualité étaient établies
et imposant le respect des arbres et des espaces verts; les maisons
de style basque et les jardins y sont très soignés. Différent est le
Cap-Ferret où l'extraordinaire diversité des styles tient à l'étalement
de la construction sur plus d'un demi-siècle et aux faibles contraintes
imposées en matière de construction par le cahier des charges; s'y
PAYSAGES BÂTIS 567

côtoient de véritables maisons de plaisance, des villas modestes et


de simples cabanons sous un couvert de pins et au milieu des
arbousiers, des mimosas et des genêts; si le style basque l'emporte et ne
choque pas, d'autres étonnent... C'est au cours de cette période que
la Société immobilière et fermière des eaux thermales et minérales
de Dax, propriétaire de plusieurs établissements thermaux dispersés
dans la ville, obtint de celle-ci des terrains placés en bordure de la
rive gauche de l'Adour et en aval du pont; elle y créa dès 1929 un
véritable quartier thermal dont le Splendid Hôtel, véritable palace,
l'Atrium comme casino, une galerie marchande, tous représentatifs
du style « moderne », sont les éléments principaux à côté de
bâtiments anciens et des allées et jardins qui les relient.
d. Quartiers balnéaires récents. — Les plus caractéristiques sont
ceux qui relèvent d'une opération programmée. Le plus remarquable
est celui de Seignosse-le-Penon, nouvelle station créée à partir de
1965; au pied de la dune côtière et en arrière de celle-ci, se disposent
le domaine des loisirs, d'immenses parkings près des accès à la
plage et, au sud, la série des bâtiments du VVF; en seconde ligne,
l'espace résidentiel dans la forêt de pins comprend de petits
ensembles collectifs d'appartements et de studios de quelques étages,
de petites maisons jumelées ou disposées en bande sur des lots de
faible taille puis des villas sur des terrains plus vastes, le tout de
style néo-landais. A quelques kilomètres de là, Vieux-Boucau présente
des paysages bâtis divers composés par les maisons construites sans
ordre et sans jardin ni clôture de la vieille station, par *ss petits
pavillons aux modèles identiques des lotissements récents et, au sud,
par les petits ensembles collectifs et maisons en façades continues
de style néo-régional de l'opération de Port-d'Albret.

III. Evolution et gestion du patrimoine architectural

La station balnéaire est une formation urbaine originale où les


ensembles bâtis et le cadre de vie s'associent étroitement. Or, la
priorité accordée à l'urbanisme et à l'habitat par une rénovation
parfois inconsidérée s'est réalisée aux dépens de la qualité du cadre
de vie au point qu'il devient nécessaire de s'en préoccuper et de
penser à une réhabilitation.

1. La rénovation et la perte d'identité architecturale.


Peu après sa création, une station ou une ville est soumise à
transformation, mais celle-ci a toujours été de faible ampleur excepté à
Biarritz où le développement a effacé la presque totalité des maisons
anciennes et où a prévalu la construction aux dépens de celles qui
existaient. Mais, à partir des années 1950 et surtout 1960, l'évolution
a pris une accélération telle que la rupture avec le passé est parfois
totale. Cette mutation affecte toutes les stations, les plus grandes,
Photo 4
Hendaye, Hôtel Eskualduna
Style néo-basque ; construit à partir de 19^4, devenu copropriété résidentielle.

Photo 5
Seignosse, pavillons individuels dans la forêt.
Petites maisons néo-landaises, modèles identiques, bâti dense.
PAYSAGES BATIS 569

comme Biarritz, Saint-Jean-de-Luz et Arcachon, comme les plus


modestes : Capbreton, Lacanau, Biscarrosse.
Dans l'euphorie générale de la croissance économique des années
1960, mais aussi sous la pression de la spéculation foncière,
prétextant parfois la vétusté ou arguant de motivations architecturales et
d'une demande accrue de la clientèle, avec la négligence ou l'accord
d'édiles locaux, les anciennes villas du front de mer ont été détruites
pour faire place à des ensembles résidentiels de standing atteignant
ou dépassant six ou huit étages et souvent sans originalité
architecturale. Les maisons, les hôtels et les jardins qui se partageaient la
vue ont fait place à une muraille d'immeubles. En arrière, des
ensembles collectifs, souvent de taille inférieure, remplacent aussi des
villas ou occupent leurs parcs et leurs jardins, densifiant ainsi le
bâti et créant une rupture visuelle et morphologique avec leur
environnement.

Photo 6
Saint- Jean-de-Luz : mutations récentes du front de mer.
Hauts immeubles de béton et villas anciennes conservées.

Les fronts de mer ont été particulièrement les terrains d'action


des doctrines fonctionnalistes. Les édifices anciens devaient
disparaître au profit d'ensembles dont l'architecture, dans les volumes
comme dans le traitement des façades et dans les matériaux
employés, serait moderne et agréable à leurs occupants. Certains avan-
570 P. LABORDE

çaient qu'un grand immeuble était justifié parce qu'il permettait à


une population plus nombreuse de profiter de la vue sur la mer.
Cette vague de rénovation a causé des dégâts, souvent
irréparables. Des bâtiments et des ensembles urbains constitués au cours
des générations précédentes et qui appartenaient à la mémoire
collective (British Club, à Biarritz, Hôtel Beauséjour, à Pau) ont disparu.
Des constructions mal intégrées à leur environnement et l'adoption
d'une architecture standardisée ont défiguré des paysages.
Cependant, des palaces et de grandes villas ont été épargnés de la
démolition par leur transformation intérieure en appartements (Hôtel Gas-
sion, à Pau, Hôtel d'Angleterre, à Biarritz, Hôtel Eskualduna, à
Hendaye).
Ainsi la rénovation du tissu ancien ne s'est-elle pas accompagnée
de la conservation de certains édifices. Par une sorte d'indifférence
à la qualité esthétique du cadre bâti ancien, l'architecture
touristique n'a pas été classée à temps; or le prétexte urbanistique n'a pas
totalement disparu comme en témoignent les projets, restés dans les
cartons pour le moment, de destruction de la gare monumentale de
Biarritz-Ville.

2. L'insertion de l'architecture dans le développement urbain.


Une politique de l'habitat touristique implique de prendre en
compte les trois points suivants : la défense du patrimoine
architectural comme défense de la station, l'harmonie de la construction
avec le milieu géographique et culturel local ou régional et la
poursuite de l'expansion.
a. Une ville se distingue par la variété de ses types architecturaux
dont chacun représente quelque chose. Mais il ne faut pas
reconnaître la valeur de patrimoine architectural seulement à des édifices
particuliers : la modeste maison de pêcheur ou d'ostréiculteur a
autant d'importance que le casino ou que les imposantes villas de la
fin du XIXe siècle, témoins d'une époque disparue; et il n'y a pas
non plus que l'ancienneté qui mérite respect.
La plupart des opérations de réhabilitation relèvent de l'initiative
individuelle. Elles sont ponctuelles alors que des ensembles urbains,
rues, promenades ou quartiers, mériteraient d'être protégés.
L'intervention des municipalités s'avère, donc, indispensable. Des mesures
en faveur de la sauvegarde et de la réhabilitation du patrimoine
architectural ont été prises. Il faudrait étendre le champ
d'application de la politique des secteurs sauvegardés entreprise depuis 1962
à des tissus moins chargés d'histoire ou bien délimiter des zones
de protection du patrimoine architectural et urbain (ZPPAU), telles
qu'elles sont prévues autour des monuments historiques, à des
édifices simplement importants du point de vue de l'histoire locale. Pour
le moment, les POS, qui dépendent des choix des élus locaux, ne
prévoient que des mesures très limitées de protection des paysages
bâtis. Quelques municipalités, Soulac, Mimizan et Arcachon, ont pas-
PAYSAGES BÂTIS 571

sé avec l'Etat un « contrat de valorisation des stations touristiques


anciennes » décidé le 20 décembre 1982 par le Comité
interministériel à l'Aménagement du territoire dans le cadre du IXe Plan. Cet
accord permet de moderniser une station autour d'un thème à partir
d'actions parmi lesquelles l'amélioration du cadre, pour le rendre
plus attractif pour la clientèle et plus agréable à vivre pour les
résidents, peut être pris en compte.
Mais la station doit dépasser le souci de protection dans un but
simplement conservatoire. De même que le paysage naturel a été à
l'origine du site touristique, le paysage urbain, à travers ses
caractéristiques architecturales et en tant que produit d'une société, peut
devenir une nouvelle forme d'attraction. Cette valorisation du
patrimoine peut être un atout supplémentaire et permettre à une station
de toucher une nouvelle clientèle.
b. Le second point relève de la construction de l'habitat. Les
professionnels de l'immobilier ont une action directe sur la
transformation du paysage des stations, préférant les constructions neuves de
type collectif ou pavillonnaire aux opérations de réhabilitation du
patrimoine immobilier dont ils contestent parfois la qualité. Leur
action doit tenir compte de la vulnérabilité ou de la force des
paysages des stations. Des études d'impact paraissent indispensables. Mais,
des associations de propriétaires (Association pour la sauvegarde du
site arcachonnais) ou de défenseurs de la nature (Association de
défense de la baie de Chingoudy, à Hendaye) veillent et luttent pour
maintenir et préserver la qualité des sites naturels et construits. A
leur actif, on peut évoquer l'échec d'un projet de construction d'une
« marina » sur la baie de Chingoudy et le sauvetage de la « Ville
d'hiver » d'Arcachon désormais classée en zone boisée à conserver.
c. Cependant, la sauvegarde ne doit pas empêcher la création. Or,
le milieu touristique se trouve aujourd'hui face au problème de la
création architecturale et de l'identité régionale. Pour éviter la
prolifération de maisons sans style, l'encouragement à la définition de
modèles régionaux est valable, mais il peut conduire à une certaine
banalisation et à l'obligation ultérieure d'un certain type architectural.

Conclusion

Les paysages urbains des stations balnéaires et climatiques


présentent un grand intérêt. Par leur composition, leurs formes et leurs
volumes, ils servent de cadre de vie. Par leur style architectural et
par le support qu'ils offrent à l'imagination ils peuvent être des
valeurs touristiques sûres à condition de veiller à leur entretien ou
à leur réhabilitation, sans toutefois les empêcher d'évoluer et en
laissant place à l'innovation créatrice. Projetant dans l'espace et dans
le temps les conditions sociales et matérielles de sa création et de-
son évolution, l'architecture est aussi un élément de la géographie
sociale.
572 P. LABORDH

Références bibliographiques

M. Cassou-Mounat, « Tourisme et urbanisme : l'aménagement des anciennes


stations de la côte aquitaine », Actes du colloque franco-espagnol sur les
espaces urbains, Madrid, 1985 (s.p.).
M. Chadefaud, La renaissance du thermalisme dacquois, Etudes géographiques
offertes à Louis Papy, Bordeaux, 1978.
Institut français d'architecture, La ville d'hiver d'Arcachon, Livret-guide de
l'exposition, Paris, 1983.
Ph. Jarreau, L'invention balnéaire, Temps libre, 7, 1983.
P. Laborde, Biarritz, huit siècles d'histoire, 200 ans de vie balnéaire, Biarritz,
Ferrus, 1984.
Retour aux sources, Monuments historiques, 1, 1978.
P. Tucoo-Chala, Pau, ville anglaise, Promenades historiques. Pau. SNERD, 1975.

Résumé. — Les différents paysages architecturaux des stations balnéaires et


climatiques d'Aquitaine reflètent les changements de la société et les étapes
du développement dans le cadre de la villégiature. Les dommages causés par la
rénovation urbaine récente et la banalisation de la construction immobilière
rendent nécessaire la mise en œuvre d'une politique de sauvegarde du
patrimoine architectural ancien qui ne devrait pas empêcher les créations originales.

Summary. — Tourism, architecture and the built environment. The various


architectural landscapes of sea-side resorts and spas in Aquitaine mirror the
changes in society and the stages of development in the field of holidaymaking.
The damage caused by urban redevelopment and the lack of imagination of
house-building require the implementation of a policy for the conservation of
the architectural heritage which should not prevent original creations.

Resumen. — Turismo, arquitectura y paisajes edificados. Los distintos paisajes


arquitectónicos de los balnearios de Aquitania son espejo de los cambios de
la sociedad y del desarrollo del veraneo. Los daños causados por la reciente
renovación urbana y la estandardización de la construcción hacen
imprescindible el fomento de una política de conservación del patrimonio arquitectónico
antiguo, compatible con creaciones originales.

Mots-Clés. — Aquitaine, stations balnéaires, stations thermales, stations


touristiques, Architecture, paysage urbain, aménagement urbain, rénovation,
patrimoine monumental, objectifs touristiques.

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