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UNIVERSITÉ PARIS VIII - SAINT-DENIS

ÉCOLE DOCTORALE
Esthétique, Science et Technologies des Arts

Doctorat Esthétique, Science et Technologies des Arts


Champ disciplinaire : Cinéma-audiovisuel

SORLIN Philippe-Emmanuel

SUR LES HISTOIRE(S) DU CINÉMA (1973-2004)


DE JEAN-LUC GODARD

VOLUME PREMIER

Thèse dirigée par le Professeur Guy Fihman


Soutenue le 8 Décembre 2017

Jury : (par ordre alphabétique)


—Antoine De Baecque (École Normale Supérieure, Dpt Histoire et théorie des arts)
—Guy Fihman [Directeur](Université Paris VIII- St Denis)
—Laurent Jullier (Université de Lorraine, Institut Européen sur le Cinéma et lʼAudiovisuel)
—Cécile Sorin (Université Paris VIII- St Denis)
LIMINAIRE

RÉSUMÉ
Cette thèse, qui a pour objet dʼétude un seul film, celui de Jean-Luc Godard intitulé : HISTOIRE(S)
DU CINÉMA, se compose de deux mouvements spéculaires distincts : avant le film et après le film.
La première partie de notre thèse tente ainsi de produire la généalogie du film, c'est-à-dire à établir
les divers et nombreux projets qui ont abouti aux multiples versions, qui ont été diffusées de façon
parcellaires. La date que nous avons fait figurer dans notre titre correspond au plus large enca-
drement possible, correspondant entre son premier projet d'écriture : "Moi, Je" en 1973 et la date
de sortie de la toute dernière version du film : "Moments choisis des Histoire(s) du cinéma" en
2004.
Ensuite dans une seconde partie, notre réflexion a visé à interroger sur deux sortes d'éléments
antérieurs qui ont donc prédéterminé a vouloir faire ce film. le premier étant Godard lui-même et
les traces quʼil a laissé avant le film et le second domaine concerne les personnes autour de lui qui
ont été des figures tutélaires : Langlois, Malraux et Bazin.

La troisième partie entame l'aspect qu'on a nommé après le film. Il consiste à produire une critique
du film en conduisant d'abord notre propre subjectivité à opérer un plan par plan précis des quinze
premières séquences, relevant le pari qu'elle nous fournit une gamme esthétique relativement re-
présentative du film. Ensuite nous avons répertorié un grand nombre de critiques qui ont été faites
(jusqu'en 2008) car cela nous semble révélateur des types de discours quʼon tient devant le film,
révélant cet objet filmique dans le monde cinéma. D'une certaine vue nous avons établi une pré-
bibliographie du film par laquelle cette étude se termine.

MOTS-CLÉFS
HISTOIRE – CINÉMA – HISTOIRE DU CINÉMA – GODARD – VIDÉO – MON-
TAGE – FILM DE MONTAGE – HISTOIRE DU CINÉMA EN FILM – REFLEXIVITÉ
– CORPS/MACHINE – DÉSIR DE FILMER – CINÉPHILIE – CINÉMATHÈQUE –
LANGLOIS – MALRAUX – BAZIN – RESNAIS – ELIE FAURE – SERGE DANEY.

TITRE ANGLAIS
ON « HISTOIRE(S) DU CINÉMA » (1973-2004) BY JEAN-LUC GODARD

Cette thèse a été conçue et préparée en partie à mon domicile au 182 de la Rue de Charenton dans le 12°. de Paris. Les
rendez-vous fructueux et nombreux sur une période longue (1999-2017) avec M.Guy Fihman se sont déroulé au Dpt Ciné-
ma à Paris VIII – St Denis, puis à lʼINHA au 6 de la rue des Petits Champs dans le2°ardt. de Paris.
La rédaction de cette thèse a été principalement rédigée dans un petit hameau des Landes, Chez Madame Denise Larra-
mendy : Baïtanos, Les Garrieux, Sabres 40630 quʼelle soit ici remerciée. Jʼai consulté Internet, et avant son hégémonie, le
fichier centrale des Thèses à Nanterre,
aussi plusieurs Bibliothèques :
La Bibliothèque Sainte-Geneviève, Place du Panthéon.
La Bibliothèque du Film, successivement : au Palais de Tokyo, Rue du Fg Saint Antoine et Rue de Bercy. Jʼai consulté ar-
chives de la Cinémathèque française (époque de la Rue de Longchamp. 16° ardt). Jʼai suivi plusieurs colloques, séminaires
dont je retiens le « For Ever Godard » en 2001 à Londres et Quʼest-ce que la cinéphilie ? en 1996 à lʼinstitut Lumière de
Lyon. Je remercie également Bernard Eisenschitz qui a porté à ma connaissance les retranscriptions inédites du colloque «
Cinéma et Histoire » qui sʼest tenu à Locarno en 1995. Je dois le remercier également pour mʼavoir transmis le formidable
listing du travail de reconnaissance des extraits de films et matières photographiques et plastiques du film HdC quʼil avait
opéré pour le compte de la Gaumont à la demande spécifique de Godard. Sans ce travail de reconnaissance que lʼauteur
estime encore à ce jour incomplet et partiel, je nʼaurai pu mener à bien ma recherche et principalement dans la partie inter-
prétative de mon étude.
à André S Labarthe (mon ami) et à Jean-Louis Leutrat (qui devait faire partie de mon jury).
SUR LES HISTOIRE(S) DU CINÉMA (1973-2004)
DE JEAN-LUC GODARD

TABLE DES MATIÈRES #VOLUME 1

NOTICE sur l’organisation de cette étude.


Mise en formes des citations dans l’étude ………………………………………………. 8
Utilisation des Histoire(s) du Cinéma comme référence ……………...................…... 9
Annotations ………………………………….……………….....…..…......………………. 11

INTRODUCTION GÉNÉRALE : PRÉSENTATION DE L’ÉTUDE

CHAPITRE UN / LE SUJET DE NOTRE RECHERCHE


1/ Préambule .................................................................................………………………. 12
2/ Questions de méthode et invention du sujet………………………………………..…. 14
3/ Présentation de l’intitulé (I) : le titre du film.............................................………… 19
4/ Présentation de l’intitulé (II) : Justificatif de la datation. Segment 1973-2004 …. 23

CHAPITRE DEUX / DÉROULEMENT SOMMAIRE DES TROIS PARTIES DE L'ÉTUDE


1/ Genèse du film à partir de son actualité : 1ère partie de l’étude.....…………………..… 27
2/ Antécédents du film : prédisposition esthétique, le rôle du désir : 2ème partie de l’étude 28
3/ Exégèse et critique des représentations : 3ème partie de l’étude………………….………... 29

PREMIÈRE PARTIE / GENÈSE : ÉTABLISSEMENT DU FILM

CHAPITRE UN / DÉFINITIONS PRÉALABLES


1/ Causes et éléments cinématographiques..............…………………………………….… 33
2/ Genéalogie ………………………...........................................………………………….……… 34

CHAPITRE DEUX / GÉNÉALOGIE DU FILM, SON ÉTABLISSEMENT


1/ étape 1 : Classement des opus précédents …………………………………………….… 38
2/ étape 2 : Prospection temporelle..…........................…………………………………………... 41
A/ Présentation …………………………………………………………………………………. 41
B/ Quatre variations formelles de proposition des projets……….…..………………… 42
C/ Calendrier des Tentatives (Projets, Versions et Projections)...………………………… 44
3/ étape 3 : les différents supports du film.................……………………………………………… 70
4/ étape 4 : la répartition du film en épisodes (notes diverses)......…..……………………..… 72
A/ Présentation …………………………………………………………………………………. 72
B/ Notes sur les titres des épisodes…………………………………………………………… 73
C/ Notes sur les envois …………………………………………........………………………… 78
D/ Notes conclusives ……………………………………………………………………………. 83
E/ Épisode 1a. Toutes les histoires……………………………………………..……………… 84
F/ Épisode 1b. Une histoire seule ……………………………………………..………………. 99
G/ Épisode 2a. Seul le cinéma .……………………………………………..…………….……. 103
H/ Épisode 2b. Fatale beauté ….……………………………………………..……………… 115
I / Épisode 3a. La monnaie de l’absolu……………………………………..……………… 119
J/ Épisode 3b. Toutes les histoires……………………………………………..……………… 121
K/ Épisode 4a. Le contrôle de l’univers……………………………………………..….….… 125
L/ Épisode 4b. Les signes pami nous.……………………………………..………………… 127
3
M/ Les deux épisodes fantômes ……………………………….…………………………… 133
5/ étape 5 : Les Films-Annexes........................................…………………………………………… 135

CHAPITRE TROIS / GÉNÉALOGIE DU FILM, SON ÉTABLISSEMENT


: MATERIOLOGIE DES HdC
1/ Présentation...........................................................….….... …………………………………..… 139
2/ Registre des données des HdC........................................…... …………………………….….. 139

DEUXIÈME PARTIE / GÉNÉALOGIE 2 : ANTÉCÉDENTS :

CHAPITRE UN / LES PRÉDÉTERMINATIONS ESTHÉTIQUES INTERNES


1/ Formation des catégories de production (Création de l’Annexe 1) …………… 144
2/ La production antérieure aux HdC..................................... …………………….…... 146
3/ Les prédéterminations esthétiques internes en forme de désir…………..…. 153
4/ Développement de la forme gestuelle.........................................….……............ 154
5/ Surdétermination du film …………………………………………….....…...........… 161

CHAPITRE DEUX / LE CORPS PRODUCTEUR


1/ Le corps godardien, parcours 1 .............................................................……… 162
2/ La fiction des machines reproductrices....................................................... ….... 172
3/ Le principe d'incorporation......................................................................... ….... 169
4/ l'image du couple Homme/Femme, emblème des HdC................................… ….... 188
5/ Le corps godardien, parcours 2 .....................................................……......... ….... 188

CHAPITRE TROIS / INFLUENCE ET DÉSIR : LE FILM DU SOUVENIR


1/ Prédéterminations du désir : figures du cinéphile..............................…...…....….... 198
2/ Les lieux du désir : ciné-club et la Cinémathèque........................…......…...….... 212
3/ Les figures tutélaires du désir de cinéma et d'histoire......................…......….….... 220
4/ Figure tutélaire du désir 1 : Henri Langlois ......................................…...........….... 223
5/ Figure tutélaire du désir 2 : André Bazin......................................................….….... 247
6/ Figure tutélaire du désir 3 : André Malraux................................…....................….... 262
7/ Le domaine des morts ( la réponse des ténèbres)[Malraux, Langlois, suite]........ 268
8/ Figure tutélaire du désir 4 : Elie Faure................................…................... …..….... 278
9/ Conclusion : le film du désir.........................................................................….….... 279

TROISIÈME PARTIE / CRITIQUES DES REPRÉSENTATIONS DU FILM

CHAPITRE UN/ DES RAPPORTS ENTRE LE FILM ET LES SPECTATEURS


1/ Repérages, Parcours de la troisième partie.................................................. …...... 287
A/ Parcours de cette troisième partie ………………………………………………. 287
B/ Parcours du chapitre Deux : interpréter le début du film ? …………………… 288
C/ Parcours du chapitre Trois & Quatre …………………………………………… 290
D/ Regrouper les articles selon leur problématique ……………………….……… 291

CHAPITRE DEUX / ESSAI D'INTERPRÉTATION LINÉAIRE DU DÉBUT DES HISTOIRE(S) DU CINÉMA


1/ Introduction......................................................................................................…......... 295
A/ Pour une approche exégétique
à partir d’un relevé plan par plan du début du film …………………… 295
4
B/ La lecture du film ……………………………………………… ………………… 297
C/ Le choix de la version : la version 3 …………………………………………… 298

2/ Méthodologie ….....................................................................................................…... 302


A/ Description : le plan par plan ………………………………..…..………..……… 302
B/ Intervalles ………………………………………………………….…………..….. 303
C/ Les limites de l’interprétation ……………………………………….………… 305
D/ Interprétation : la double interprétation liée au savoir ………………………… 306
E/ Derniers éléments complémentaires …………………………………………… 313
F/ Conclusion ……………………………………………………………………....... 315

3/ PLAN PAR PLAN :

SÉQUENCE 01 – Premier liminaire. (Plan 1 au Plan 6)......................................….... 316


SÉQUENCE 02 – Un 2ème liminaire. (Plan 7 au Plan 10).........................……….….... 347
SÉQUENCE 03 – Envoi. (Plan 11 au Plan 12b)....................................................….... 360
SÉQUENCE 04 – Avant-propos. Intro 1 (Plan 13 au Plan 19)
A/ Définition de quelques éléments visuels…………………..…..………..…… 369
B/ Répertoire des éléments utilisés comme figure d’enchaînement …………… 372
C/ Décors dans lequel le tournage de la figure s’effectue………..…..…….…… 376
D/ Autoportrait du cinéaste en film ………………………………..…..………..…… 378
E/ Les activités de Godard-présentateur …………………..…..………..…… 385
F/ Activité poétique (1) : Le listing ………………………………..…..………..…… 387
G/ Les activités de Godard-présentateur (suite)…………..…..………..…… 388
H/ Les autres intervenants directs du film …………………..…..………..…… 389
I/ Descriptions et commentaires de la séquence 4 ……….………..…..…… 391
J/ Technique du Double-Take ……………………………..………..…..…….…… 394
K/ Activité poétique (2) : la technique du Name-Dropping …..…..………..…… 395
L/ Descriptions et commentaires de la séquence 4 (Plan13au Plan19) (Reprise) 403
SÉQUENCE 05 – Générique. Les productions (Plan 20 au Plan 21)
A/ Descriptions et commentaires de la séquence 5...............................….... 414
B/ Figure de décomposition. ………………………................................….... 416
SÉQUENCE 06 – Avant-propos. Intro 2 (Plan 22 au Plan 35)
A/ Descriptions et commentaires de la séquence 6...............................….... 418
B/ Scratch Visuel : une technique temporelle de l’anamorphose. ……………… 424
C/ Descriptions et commentaires de la séquence 6 (Reprise).....................….... 427
SÉQUENCE 07 – Le feu paternel. (Plan 36 au Plan 44)
A/ Descriptions et commentaires de la séquence 7...............................….... 429
B/ La figure du tore ……………………………………...............................….... 432
C/ Descriptions et commentaires de la séquence 7 (Reprise)...................….... 433
D/ Couple 1 : DW Griffith / N Ray ………………………………………………… 434
E/ Couple 2 : J Ford / R Rossellini ………………………………………………… 435
F/ Commentaires de la séquence 7 ……………………………………………... 438
SÉQUENCE 08 – Qu’est-ce que le cinéma ? (Plan 45 au Plan 72)
A/ Introduction : Qu’est-ce que le cinéma ? Bazin repris par JLG.............….... 441
B/ La figure de la ronde. …………………………........................................….... 443
C/ Note typographique. …………………………………...............................….... 448
D/ Introduction de la séquence 8 (Plan 45 au Plan 47) ...............................….... 448
E/ Groupe 1 (de la séquence 8). Le cinéma (Plan 48 au Plan 53).............….... 458
F/ Groupe 2 (de la séquence 8). Le cinéma substitue (Plan 53 au Plan 59)... 480
G/ Groupe 3 (de la séquence 8). À notre regard (Plan 60 au Plan 62)......….... 492
H/ Groupe 4 (de la séquence 8) Un monde (Plan 63 au Plan.69).............….... 494
I/ Groupe 5 (de la séquence 8). Qui s’accorde (Plan 70 au Plan.76).............…....499
J/ Groupe 6 (de la séquence 8). À nos désirs (Plan 76 au Plan 81).............….... 502
K/ Description de la séquence 8 …………………………………………………… 504
SÉQUENCE 09 – Application de la substitution . (Plan 82 au Plan 87)...............….... 507
5
SÉQUENCE 10 – 2ème exemple de substitution. (Plan 88 au Plan 95)...............….... 511

CHAPITRE TROIS / RAPPORT DE PRODUCTION DES CRITIQUES


1/ La difficulté supérieure de la critique................................................................….... 515
2/Conditions générales de sélection .................................................................….... 517
3/ Une approche critique du film : la revue TRAFIC.............................................….... 519
4/ Liste des articles de la Revue TRAFIC ayant cité les HdC................................….... 531
5/ Approche du film par les critiques …….....................................................….... 532

CHAPITRE QUATRE / REPERTOIRE PROBLÉMATIQUE DES DISCOURS CRITIQUES


1/ Introduction : répartition problématique.............................. ......................... ….... 537
2/ Groupe 1 : mode évènementiel........................................................................ .... 544
3/ Introduction aux Groupe 2 et Groupe 3.............................................................. ….... 548
4/ Groupe 2 : groupe des critiques « DU CÔTÉ DU FILM».
A/ Présentation ................................................................................................ .... 550
B/ Mode pictural .............................................................................................. .... 550
C/ Mode sonore .............................................................................................. .... 551
D/ Mode poétique ou littéraire ...................................................................... .... 552
E/ Mode montage.............................................................................................. ....553
F/ Mode vidéo / cinéma................................................................................. .... 554
G/ Mode histoire générale............................................................................ .... 555
H/ Mode histoire de l’art ................................................................................. .... 558
I/ Mode histoire du cinéma............................................................................ .... 559
J/ Mode épistémologie................................................................................. .... 561
5/ Groupe 3 l'œuvre du cinéaste : DU CÔTÉ DU CINÉASTE
A/ Présentation ................................................................................................ .... 563
B/ Mode politique............................................................................................ .... 564
C/ Mode anthropologie / sociologie.............................................................. .... 566
D/ Mode conceptuel .................................................................................... .... 567
E/ Mode interne.............................................................................................. .... 569
F/ Mode physique........................................................................................... .... 571
6/ Conclusion....................................................................................................….... 572

CONCLUSION.GÉNÉRALE
1/ Dernières perspectives..................................................................................….... 574
2/ Solitude avec le film (Nouvelle Vague).................................................................... 578
3/ Une nouvelle énigme.................................................................................….…….. 579
4/ Le Film HdC est un Film-miroir.....................................................................…........ 580
5/ La constitution du sujet face au film........................................................................ 581

FILMOGRAPHIE............................................................................................................................ 585

1/ FILMS CITÉS PAR L’ETUDE................................................……………………….................. 586


2/ FILMS DE JEAN-LUC GODARD................................................……………………. (cf annexe 1-C )
A/ JLG PRODUCTEUR................................................……………………….... (cf annexe 1-D)

BIBLIOGRAPHIE............................................................................................................................. 590

1/ ÉCRITS DE JEAN-LUC GODARD................................................…………… .(cf annexe 1)


6
2/ ÉCRITS SUR JEAN-LUC GODARD................................................………………………......... 590
3/ ÉCRITS SUR LE CINÉMA................................................………………………..................….... 595
4/ OUVRAGES GÉNÉRAUX................................................………………………..................….... 603

ANNEXES #VOLUME 2 :

ANNEXE N°1 : BIBLIO-FILMOGRAPHIE GODARDIENNE


1/ Présentation & fonctionnement ………………….…… 2

A / L’ÉCRITURE : ARTICLES &REVUES


1/ Les Amis du Cinéma (1952) …………………………… 7
2/ La gazette du cinéma (1950) …………………………… 8
3/ Cahiers du Cinéma I (1952) ……………………………… 16
4/ Arts (1956 – 1958) ………….……………………………… 22
5/ Cahiers du Cinéma II (1956 - 1963) …………………….. 43
6/ Cahiers du Cinéma III (1963 - 1980) …………………… 96
7/ Avant-Scène (1967)………………………………….…… 113
8/ Divers. Cinéthique ……….……………………………… 113

B/ LA PAROLE : ENTRETIENS & LIVRES


1/ Huit entretiens des Cahiers du Cinéma ……………… 115
2/ Belfond / Gallimard………………………………….…….. 132
3/ Additif : « Documents » ……….. ……………………….. 138

C/ LES FILMS : LISTE CHRONOLOGIQUE


1/ Présentation de l’œuvre filmée de JL Godard…………. 143
2/ Film par Film ………………………………………………… 146

D/ FILMOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE:
1/ Godard Producteur ………………………………………… 199

ANNEXE N°2 : PLAN PAR PLAN


Présentation & fonctionnement ………………….…… 200
Plan par plan du début des 15 premières séquences.
PLAN 001 …………… 203-1
Séquence 1 ………………… 204-2
Séquence 2 ………………… 205-2
Séquence 3 ………………… 206-3
Séquence 4 ………………… 207-4
Séquence 5 ………………… 207-4
Séquence 6 ………………… 208-5
Séquence 7 ………………… 209-6
Séquence 8 ………………… 210-7
Séquence 9 ………………… 215-12
Séquence 10 ………………… 216-13
Séquence 11 ………………… 217-14
Séquence 12 ………………… 222-19
Séquence 13 ………………… 226-23
Séquence 14 ………………… 230-27
Séquence 15 ………………… 234-31
PLAN 374 ………… 244-41

7
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NOTICE SUR L'ORGANISATION DE CETTE ÉTUDE

Il convient avant tout commencement, de notifier certaines mise en forme des citations, dʼexpliquer la façon dont nous allons
nous référer au film de notre recherche : « HISTOIRE(S) DU CINEMA », et comme également nous allons produire le mode
dʼannotation du travail présent.

1/ MISE EN FORMES DES CITATIONS DANS LʼÉTUDE


Lorsque nous faisons appel à un titre de film, il est mis en MAJUSCULES, alors quʼune production écrite est citée en
italique. Le plus souvent, la référence complète de l'œuvre se trouvera en note de bas de page.

Lorsque nous citons un extrait de texte préexistant, trois modes de présentations différents peuvent apparaître : un mode
spécifique aux HISTOIRE(S) DU CINEMA, et deux autres modes courants.

a/ – CROCHETS ; [SPÉCIFIQUE AUX HDC]


La mise en crochets se fera tout spécialement pour les extraits des HISTOIRE(S) DU CINEMA, pour mieux pouvoir les
distinguer de notre texte. On trouvera alors :
[DES CROCHETS AUTOUR DUN TEXTE, EN MAJUSCULE, ÉTABLI SUR UNE POLICE PLUS PETITE / ET PUIS IL PEUT Y AVOIR DES
BARRES/ POUR INDIQUER LE CHANGEMENT DE LIGNE EFFECTIF, SUR LʼÉCRAN OU LA PAGE]
Ces barres (slash) se sont avérées nécessaires car le texte, issu du film ou du livre des HISTOIRE(S) DU CINEMA, étant
excessivement aéré, passait souvent dʼun plan à un autre, ou à la ligne mot après mot. Il nous a paru plus simple de
reprendre les phrases dans leur longueur et continuité et d'y adjoindre les barres comme un travail de maquette postérieur.

Après la particularité des HISTOIRE(S) DU CINEMA concernant la citation, procédons maintenant aux deux autres modes
de sa présentation :

b/ - GUILLEMETS
D'abord, généralement, quand l'article est cité, il est extrait et séparé de notre rédaction (mis à la ligne), pour suivre une
disposition comme ci-dessous :
"Une Mise entre guillemets et pourvus d'un caractère de police plus petit",
afin que l'on puisse alors bien distinguer l'extrait de l'ensemble du texte.

c/ - ITALIQUE
Mais également, autant par souci de lisibilité que de fluidité, nous nʼavons pas séparé tout le temps l'extrait de l'article
référencé avec le corps de notre rédaction : quand l'extrait était trop court, ou bien quand le concept cité se réduisait à une
seule expression de langage, voire à un seul terme. Dans ce cas, nous indiquons en italique le propos ou le mot pour le
différencier de la continuité du discours sans pour autant qu'il en soit retiré. Cette citation en italique sera le plus souvent
associée à une note de bas de page, évitant par là, de pouvoir la confondre avec la mise en italique traditionnelle : telle un
sens figuré ou une expression latine, ou bien encore lʼorigine étrangère.

9
2/ UTILISATION DES HISTOIRE(S) DU CINÉMA COMME RÉFÉRENCE
Les«HISTOIRE(S) DU CINEMA» sont abrégées HdC.
Le livre « HISTOIRE(S) DU CINÉMA » est la référence principale de lʼobjet de notre étude.
Nous allons, en fait, nous référer le plus souvent aux livres « HISTOIRE(S) DU CINÉMA » de Jean-Luc Godard, édité par
Gallimard en Hors Collection en 1998, car ils présentent une incontestable facilité dʼaccès et de vérification face aux DVD.

Puisque Les HdC constituent le sujet principal de notre recherche, il demeure important de pouvoir les distinguer dans le
corpus de nos annotations. Elles vont donc caractériser, ici, pour nous, la base dʼune double référence : Elles existent
principalement sur deux supports : soit en films ou soit en livres ( nous nʼoublions évidemment pas quʼil y a aussi un support
auditif avec 4 compact disques laser audio édité par ECM en 1999, mais nous ne lʼutiliserons pas). Ces deux supports, livre
et film DVD, respectent la sectorisation des dits « Chapitres » : présentant donc 4 tomes (Editions Gallimard, Hors
Collection. 1998) comme 4 cassettes VHS (Edition vidéo Gaumont 1999). Ce support vidéo, remplacé en 2007 par lʼarrivée
dʼun nouveau format industriel : le Digital Video Disc, conservera le principe de la partition (4 DVD. Edition Gaumont).
Notre référence (au livre donc) se présentera comme suivant :
HdC.2a. seul le cinéma.p.39.
Les HdC, le numéro de lʼépisode, suivi de son titre, ensuite lʼindication de la page.
Hors de la référence classique au support livresque, nous nous basons éventuellement aussi à partir du film, de
façon directe, en indiquant, non plus un numéro de page, mais le numéro dʼun ou plusieurs plans.
La référence se présentera comme suit :
HdC.2a. seul le cinéma. PLAN 1724.1725.
Cette numérotation des plans est issue dʼun plan par plan story-boardé de plus de 600 pages, réalisé par nos soins, et dont
nous reproduisons les 15 premières séquences (du PLAN 1 au PLAN 374) en Annexe 2. Le lecteur, pour ce qui est de notre
essai dʼinterprétation en troisième partie, pourra donc sʼy reporter. Ce plan par plan, effectué dès 1999 comme premier
travail dʼapproche avec le film HdC, fut préalable à notre étude même. Il sʼavére, avec nécessité, une base pragmatique
descriptive relativement fonctionnelle ; avant même lʼapparition de nouvelles possibilités dʼattestations établies par dʼautres
chercheurs et qui ont été portées à notre connaissance. Par exemple, en 2007 le livre de Céline Scemama, « Histoire(s) du
cinéma, la force faible dʼun art », (édité à Paris par Lʼharmattan) apportait un descriptif audio-visuel minuté assez complet du
film dʼaprès lʼédition DVD (2004) sous la forme de tableau synoptique, disponible pour tous par lien internet. Cette
« partition », établie par les étudiants de Paris 1 (http://cri-image.univ-paris1.fr), malgré lʼabsence dʼun plan par plan, pouvait
sʼavérer utile, mais notre étude était déjà bien entamée, tout comme également le même type de travail que mʼavait montré
avec une fierté non dissimulé, lors de nos deux rencontres, Jean-Louis Leutrat en 2009. Nous avions, chacun de notre côté,
déjà effectué un plan par plan, comportant la numérotation continue de chaque plan, sa correspondance avec un dessin,
avec une proposition de découpage des chapitres en séquences, et aussi lʼidentification filmique ou plastique des œuvres
utilisées. Parallèlement, un conducteur attenant aux pistes sonores fut mis en place, reprenant lʼancienne technique
descriptive dʼassistanat sur support papier pour lʼétape filmique du mixage, du temps du système analogique.

Comme nous le verrons bien assez vite, il y a des différences de montage et de successions entre le support livre et le
support film. Ces différences, nombreuses il est vrai, sont en fait de deux ordres. Dʼabord, un ordre minime dans le rapport
visuel comparé et raisonné des deux. Dit autrement, le jeu des images entre le livre et le film est restreint à lʼorganisation
interne des séquences. Par contre, le deuxième ordre des différences est majeur :
TOUT CE QUI SE TROUVE DANS LE LIVRE SE RETROUVE DANS LE FILM
MAIS TOUT CE QUI SE TROUVE DANS LE FILM NE SE RETROUVE PAS DANS LE LIVRE.

10
La voix du narrateur-conteur, qui représente le plus souvent le discours du film, constitue la matière écrite principale du livre.

Lʼédification du livre est postérieure au film. On assiste à la transformation de la parole issue de la bande-son du film, en
texte dans le livre. Ainsi que les extraits de films se figent en photographies. Dans ce jeu des différences, la retranscription
de la bande-son en texte, sʼavère nécessairement réductrice puisquʼelle ne rendra pas compte ni de multiples
chevauchements des voix, ni encore de présences de voix dʼacteurs dans les extraits de films de fiction, ce que de plus
Godard par son mixage avait pu mettre au premier plan. Le livre privilégie, dans lʼacte de sa transcription écrite,
essentiellement la parole, celle dʼun narrateur-conteur. Cet acte demeure important pour nous car il fonde une hiérarchie
des différentes paroles, en ne les reproduisant que partiellement et en filtrant un certain nombre. Le récit historique du film
(guidé par la parole de Godard mais aussi celles des comédiens quʼil a employées à cette occasion) est donc réduit à
lʼessentiel dans le livre, et cʼest exactement dans ce sens quʼil nous a semblé préférable de se référer au livre, plutôt quʼau
film.
Pour conclure, cʼest parce que la reproduction du livre offre une représentation réduite des images et des sons du film des
HdC, quʼil nous a semblé plus facile et plus judicieux dʼy faire accéder nos références au film.
On comprend qu'il soit impossible de reproduire toutes les images et de retranscrire tous les sons utilisés, dans un seul livre,
aussi fidèle que lʼon pourrait lʼêtre . Prenons le processus de reproduction réductrice qu'opère le livre. Nous envisageons
lʼhypothèse quʼil reprenne une image pour un plan et une seule piste son retranscrite sur les trois fournies. On peut alors
commencer à saisir la complexité du film dans la réalité de son rendu, ainsi que dans notre perception de celui-ci : en effet,
cette difficulté augmente tout autant lorsque nous essayons de procéder à la description des passages sonores du film.
LES « TEXTES » DU LIVRE SONT LES RETRANSCRIPTIONS ESSENTIELLES DES VOIX DU FILM

Les textes du film se situent aussi dans les images, sous formes de cartons. Les reproductions des photogrammes sont
donc la part visuelle de lʼécriture du film, lorsque la parole de Godard passe par les images.

Les citations du film (provenant le plus souvent de textes ou des cartons donc...) sont ainsi mises [EN MAJUSCULES ET
ENTRE CROCHETS] dans notre étude ou dans la marge des annotations, afin de les distinguer et mieux les repérer.

Et sʼil nous arrive de citer du texte issu des images nous signalerons que cʼest un carton.

RAPPEL :
note 43 = HdC. 3a. la monnaie de l'absolu.p.75. (On se réfère au livre) ou bien

note 31 = HdC.2a. seul le cinéma. PLAN 949. (On se réfère au film).

11
3/ ANNOTATIONS
Plusieurs types de notes sont systématiquement placées en bas de page et non en fin de chapitre ou de volume.
Le système de référenciation de ces occurrences se partage en trois domaines distinguables :

a) Domaine se référant au film lui-même : Histoire(s) du Cinéma. {HdC}


La note renvoie au corps de notre sujet principal. Nous nous référerons soit aux plans du film lui-même, soit, et cʼest le plus
souvent, aux pages de son livre éponyme, symbolisé par lʼabréviation HdC.

b) Domaine se référant aux autres films et écrits de Godard. {JLG, Hors HdC}
Nous avons crée une annexe qui organise et commente, en rapport aux HdC, le reste de lʼœuvre écrite et filmique de
Godard. Aussi les notes Ref.FILM et Ref. sʼy rapportent; Elles se distinguent dʼabord entre eux (Film et Texte) mais aussi
comme se référant au seul travail de Godard. Ces deux types de références nous conduisent directement vers lʼannexe 1
(Volume 2) de notre travail, où un index commenté de la production écrite (Ref.) et filmique (Ref.FILM) de Godard y est
établi, ce qui nous fournit par la même instance, une biblio-filmographie assez complète.

c) Domaine Extérieur à la production de Godard.


Cʼest le reste de nos références, et, nʼétant pas « godardiennes », elles sont présentées dans leur intégralité.
Pour les livres
Auteur, Titre, ville, Ed. éditeur, Année, Pages.
On constatera que nous avons adopté pour les annotations lʼordre de succession anglo-saxon, qui place la ville avant
lʼéditeur. On retrouvera un ordre de succession classique pour la bibliographie en fin de volume 1 et dans laquelle, entres
autres, la plupart de ces ouvrages annotés se retrouvent.
Articles
Auteur, “Article”, PÉRIODIQUE, numéro de publication, Année, Pages.
Pour les films
Cinéaste, TITRE FILM, Année. ou bien : Cinéaste, MOVIE TITLE (Titre du film, Année).

12
INTRODUCTION GÉNÉRALE
PRÉSENTATION DE LʼÉTUDE

CHAPITRE UN / LE SUJET DE NOTRE RECHERCHE


1/ PRÉAMBULE
2/ QUESTIONS DE MÉTHODE ET INVENTION DU SUJET
3/ PRÉSENTATION DE LʼINTITULÉ (I) : LE TITRE DU FILM
4/ PRÉSENTATION DE LʼINTITULÉ (II) : JUSTIFICATIF DE LA DATATION.SEGMENT 1973 - 2004

1/ PRÉAMBULE
1
LES OPTIQUES DE NOTRE TRAVAIL
II s'avère nécessaire dʼexposer plusieurs considérations liminaires avant même
d'entreprendre lʼétude directe du film2 qui sera notre principal sujet de recherche.
Tout dʼabord il sʼagit de mettre à jour les différentes interrogations qui ont été préalables
à ce travail, pour permettre ensuite de présenter succintement les perspectives de
recherche par lesquelles nous sommes passés, alors nous produirons une justification
quant au choix de notre sujet, à son intitulé et aux dates auxquelles il se rapporte.
Ensuite nous suivrons les différentes parties de notre étude. Notre étude est en deux
volumes. La première correspond à lʼétude même et la seconde contient deux annexes.
Ainsi, il est possible et conseillé de pouvoir simultanément lire le volume dʼétude tout en
consultant lʼannexe là où se trouve les références.

GÉNÉRIQUE ET NOTICE DE LʼÉTUDE


Pour utiliser une image cinématographique : lʼélaboration de cette thèse peut se
concevoir comme la réalisation d'un film. Cette introduction serait alors comme la
présentation du matériel de tournage, des possibilités techniques qui lui sont liées, et le
mode d'emploi des outils avec lesquels nous allons travailler.

1
. Ces en-têtes italiques en majuscules sont, non seulement des chapeaux (des titres de paragraphes donnant
le résumé de ce qui va suivre), mais aussi, à l'instar de titres de films de fiction, des dispositions
d'éclaircissement, sʼavérant nécessaires et relatifs au propos. Par la facture d'un autre style plus concis, le
montage de ces quelques mots, compris dans leur succession, élaboreront leur propre autonomie.
2
. Parmi les différents termes pouvant qualifiant la production de Godard (film-vidéo, film-essai, programme,
film de montage, documentaire de création ...) a été retenu celui simple de film. Il est utilisé pour désigner le
film-vidéo car son existence est liée autant aux diffusions télévisuelles qu'aux multiples projections
successives en salles de cinéma pendant les dix années de sa fabrication. Ce qui ne nous empêchera pas
évidemment de réfléchir sur la spécificité de ce support : La vidéo, représentant pour Godard le cimetière du

13
La présentation des perspectives sont les différentes optiques de la caméra,
infrastructure de quelques principes qui traversent et soutiennent ce travail tout le long.
THÉORIE ISSUE DE LA PRATIQUE
Il semble important de rappeler dès maintenant que l'élaboration de ce travail est le
résultat d'une approche constante avec le film.
L'accomplissement de notre recherche est lié à une pratique que nous avons eu du film
et de ses projections successives. Si ce travail peut avoir une juste prétention, cela serait
celle d'aider à se mettre en rapport avec ce film et avec son cinéaste, car les Histoire(s)
du cinéma sont souvent faites de faux-semblants établis par les rumeurs, les légendes,
provoquant une fausse image qui se dresse entre nous et celles-ci. Il est important de
savoir distinguer ce simulâcre pour sʼen défaire.

« Jʼexiste plus en tant quʼimage quʼen tant quʼêtre réel puisque ma seule vie cʼest dʼen faire.»3

LA CÉSURE ENTRE JEAN-LUC GODARD ET SES FILMS


Souvent on découvre que cette image est celle du cinéaste même, qui sʼinterpose ;
créant alors une difficulté de pouvoir approcher le film réellement. Lʼimage du cinéaste
qui empêcherait, dans une certaine mesure, à ses films dʼexister, sonne comme une
malédiction.
4
[COMME DIT MARGUERITE / ELLE DISAIT / QUE J'ÉTAIS MAUDIT]

Quand Marguerite Duras constatait que Godard était maudit, dans un sens, c'est vrai
aujourdʼhui, puisque sans que ses films puissent être vus largement, Godard est
devenue une star5. Godard est donc connu et reconnu, — à lʼinstar de Hitchcock ou de
Chaplin, lʼhomme symbolise le cinéma, son visage couvre les dictionnaires de cinéma,
en France, aux USA, en Italie, au Japon...6 — mais ses longs métrages de fiction, à
quelques rares exceptions notables, ont des sorties confidentielles. A partir des années

cinéma. (Jonathan Rosenbaum, ”Bande-annonce pour les Histoire(s) du cinéma de Godard”, TRAFIC n°21
(Printemps 1997).
3
. Ref. 304. « Les dernières leçons du donneur » CAHIERS DU CINÉMA n°300. 05/1979. (Cette note 3 est
notre première occurrence qui relie ce présent travail à lʼannexe et se trouve dans le second volume : Ainsi
cette référence 304 est donc un article écrit (noté Ref.304) situé dans lʼAnnexe 1)
4
. HdC.2a. seul le cinéma.p.39. Cʼest la première référence abrégée, du film HISTOIRE(S) DU CINÉMA. (On se
reportera également à lʼAvant-propos.)
5
« Éditorial », CINÉMATOGRAPHE n°93. Spécial Godard. 12/1983.
6
. Jean-Luc Godard, “Entretien avec Gaillac Morgue & Jean-Philippe Guérand” EPOK n°16, Mai 2001.p.11.
14
1980, le prestige7 du cinéaste est dû aux très nombreuses participations dans un
système médiatique qui lui-même se développe incroyablement (conférences de presse,
émissions de télévision, presse écrite…). Le parcours de ses films se trouvent
comparables à ceux de Jonas Mekas : les films, quʼils conçoivent tous deux, sont
directement programmés et diffusés dans les musées et les centres dʼart contemporain,
sʼabstenant de passer par le circuit traditionnel des salles de cinéma.
Ainsi lʼinscription historique du cinéaste dans notre actualité réfute le désir quʼil voulait du
cinéma au départ. Il entre en contradiction avec sa propre conception qui consistait à
placer les œuvres avant les auteurs8. Aussi voilà le malheur : Jean-Luc Godard incarne
malgré lui une place dʼexception qui confirme sa règle.

2/ QUESTIONS DE MÉTHODE ET INVENTION DU SUJET


MÉTHODE POUR ÉTUDIER ET SITUER LA PRODUCTION.
Il sʼagit de faire comprendre le caractère exceptionnel du film, tant par lʼimportance quʼil
occupe dans lʼœuvre de Godard, tant de Godard lui-même dans le monde du cinéma.
Aussi, nous avons essayé, dans la mesure du possible, d'aborder le film avec simplicité.
Contact qui se trouve en contradiction avec la complexité apparente des HdC. Il faut bien
constater que le film, dans sa composition, dans son mode de diffusion phénoménale,
dans son hétérogénéité, dans ses inventions et dans la très grande diversité des
interprétations de sa réception n'est en rien simple. C'est pourquoi lorsque nous
évoquons d'aborder le film, il s'agira plus précisément de présenter, de rendre compte de
sa situation qui peut tenir en trois mots : genèse, figure et fonction.

GENÈSE ET FIGURE
L'étude de la genèse des HdC, sa naissance, entraîne une genèse subjective. Loin des
critères fondamentaux de la génétique qui savent établir objectivement un film, notre
interrogation nous permettra de comprendre et dʼattester la provenance des HdC dans

7
Richard Brody, Jean-Luc Godard. Tout est Cinéma, Paris, Ed. Presses de la cité. 2010. p.534 : « Devenue
une figure culturelle de grande stature, sa valeur ne se mesure plus en entrées de salles ni en profits à court
termes, mais en termes de prestige. »
8
. HdC.3b.une vague nouvelle.p.158 : [D'ABORD LES ŒUVRES, ENSUITE LES HOMMES].Ce sont les
premières notions de la révolution critique, quʼavait opéré alors la Nouvelle Vague à ses débuts, consistant à
identifier dʼabord les films en tant quʼœuvres (Hawks, Hitchcock, Ulmer…) ; et non des cinéastes sʼaffirmant

15
les termes de désir et dʼinfluence de Godard en tant que sujet. Ensuite, ce sera
l'interrogation concrète de sa structure, de quelle matière est-elle composée ? Et
jusqu'où peut-on aller dans la description de cette matière, et celle du film9, sans y
déployer une interprétativité trop partiale ? Il sera bon alors de procéder à lʼanalyse dʼun
certain nombre de figures récurrentes esthétiques, des figures de montages autant que
les figures humaines influentes qui ont contribué à l'édification du film et qui se
manifestent, fonctionnent encore à l'intérieur de celui-ci10.

Une étude sur un film consiste à organiser un suivi de son déroulement phénoménal. Il
sera fait alors une étude de continuité temporelle car le film comporte plusieurs versions.
Les projections éparses de ses huit parties, et non de sa globalité, se sont, de plus,
déroulées sur plus de dix ans. Elles rendent donc indispensable une création dʼun
calendrier des projections du film.
Repérer la ou les fonctions du film, ne consiste donc pas à imposer un rôle prédéterminé
au film comme pouvait le faire une étude génétique. Différemment, nous envisageons sa
fonctionnalité, tel un ensemble d'opérations que lui confère sa puissance de devenir.

LA FONCTION A POUR DESTIN DE RENDRE LE FILM «SUJET DE PERCEPTION».


C'est affirmer que ce film ne peut avoir d'existence identifiable sans cette perception que
l'on a de celui-ci, c'est-à-dire la représentation que le sujet a, dans une première étape,
de lui-même : par le désir du cinéaste à faire le film, mais aussi, représentation que
dʼautres sujets : spectateurs, critiques jusqu'à nous-mêmes, ont du film. Aussi, si la
fonction du film est d'être vu, il s'agira de réfléchir sur les problématiques qu'il suscite et
d'oser entreprendre son exégèse.

Répétons-le : le motif principal de cette étude est d'éclairer le film. Cʼest pour cette raison
que nous avons tenté de lʼintituler le plus sommairement possible. Volonté de rendre le

comme artistes (Rossellini, Welles, Wyler) revendication critique de leurs ainés (Bazin, Auriol, Doniol-
Valcroze... ).
9
. La différence entre la description de la matière et la description du film est une différence de passage, celle
de l'intériorité à l'extériorité. Cette différence de passage nous donne accès aux deux grandes possibilités
générales de la critique du film, celle de parler du film à partir de son intérieur (physiologie) ou à partir de son
apparence, sa globalité (symptomatologie).
10
. D'où le terme de fonction qui n'est pas à entendre dans son sens mathématique, mais bien comme
prédicat : l'ensemble des opérations qui définissent le film comme sujet perçu.
16
film plus lisible et de prouver que, malgré une pluralité de lectures 11dont le nombre
équivaudrait presque au nombre des spectateurs, il est possible de tracer, de repérer un
certain nombre de procédures que chacun pourra identifier comme mêmes. Lʼétude du
film se produit en vue dʼaccéder à un niveau sommaire de lecture, tout en éliminant les
variantes interprétatives, presque infinies, —tant les images, sons et textes
correspondent entre eux et offrent une pluralité de sens— pour le sujet qui perçoit et
surtout aussi selon ses propres connaissances et références. Cʼest principalement grâce
à cet acquis que nous produisons ces associations, et à cause de lui quʼon les a par
ailleurs qualifiées de poétiques plutôt que d'historiques. 12

LʼINVENTION DʼUNE HISTOIRE DU CINÉMA SINGULIÈRE


Nous essayerons de montrer que l'Histoire, l'Histoire du cinéma selon JLG, relève, en
effet, d'un principe d'invention.13. Lʼécriture de l'Histoire se trouve déjà concernée par
cette problématique. Un historien comme Lucien Febvre affirme : « l'invention doit être
partout »14, car l'Histoire fonde dans sa pratique une science indivisible. Aussi :
l'établissement des faits objectifs d'un côté puis leur mise en œuvre par la suite est une
erreur répandue qu'on dépiste chez un grand nombre d'historiens. Le processus
poétique de l'histoire reste insécable de sa scientificité. Il est indépassable puisque c'est
son expression même.15 On se fourvoie de s'acharner à vouloir séparer les faits
scientifiques du processus esthétique de lʼHistoire.

Nous chercherons à analyser la mise en scène de Jean-Luc Godard. Trouver un nombre


d'éléments constants, hiérarchisés qui régulent le film. Des figures secrètes 16
expressives de lʼhistoire du cinéma. Il s'agit d'illuminer le film à la lumière des propres
inventions de Godard. Et cʼest son propre travail qui nous donnera les clefs d'accès de la

11
. Le terme de lecture du film est ici à prendre dans le sens figuré dʼune réception audiovisuelle : tout
spectateur, par ce qu'il assiste à la projection du film, a la faculté de lire le film.
12
. C'est le constat (presque plaintif) qu'a adressé Godard, lors de son invitation au colloque, Cinéma et
Histoire, de Locarno en 1995.
Jean-Luc Godard, Cinéma et Histoire, Propos à la table ronde , Locarno, Août 1995. Inédit.
13
. Invention, concept esthétique développé par Jacques Rivette conçu pour décrire le cinéma de Nicholas Ray.
Jacques Rivette, “De l'invention”, CAHIERS DU CINÉMA , 10/1953. n°27.p.59.
14
. Lucien Febvre, “Professions de foi au départ” Combats pour l'histoire, Paris, Ed.Armand Colin, 1992.p.8.
15
. Michel de Certeau, L'écriture de l'histoire, Paris, Ed.Gallimard, 1975.p.40.
16
. "Et quand je parle d'idées, j'entends bien d'idées de mise en scène,(...) les seules dont je veuille aujourd'hui
reconnaître la profondeur et qui puissent atteindre la figure secrète."
Jacques Rivette, “De l'invention”, CAHIERS DU CINÉMA , 10/1953. n°27.p.59/60.
17
compréhension17 de sa mise en scène. Nous comprenons déjà dans cet accès, lʼenjeu
de la distinction à vouloir, ou à pouvoir, séparer ce qui est historique du
cinématographique.

Le film et sa vision vont poser plusieurs problèmes méthodologiques au niveau de notre


réflexion. L'objet inhabituel suscite de notre part une certaine innovation pour l'évoquer.
Comment l'évoquer ? Comment lʼétudier aussi pertinemment que possible, sans pour
autant le galvauder? Comment, par exemple, essayer de raconter ce qu'il raconte ? Mais
y a-t-il un récit préalable?
On saisira bientôt que le caractère exceptionnel de l'objet implique également une
analyse autant singulière. Une méthode d'investigation sera échafaudée pour tenter, au-
delà du témoignage, d'être en présence d'un phénomène extraordinaire, de le ramener à
une dimension plus raisonnée, plus juste. C'est dans ce rapport que le film nous
communiquera peut-être alors une vérité d'autant plus prégnante. C'est la moindre
mesure que nous recherchons finalement, pour s'opposer au flux entraînant du style
même du film.
En effet ce film de Jean-Luc Godard, demeurant notre unique objet dʼétude, est
inhabituel, singulier et tout à fait extraordinaire.
Si ces adjectifs sont jetés sur la page, presque sans calcul, avec le risque qu'on puisse
nous reprocher dʼêtre emphatique, c'est qu'effectivement le film l'est. Il est inhabituel
sous plusieurs aspects, dès qu'on l'appréhende de prime abord, lors de sa découverte,
première vision, avant même tout travail d'analyse et d'explicitation. Précisons dʼemblée
quʼil est, à ce jour, probablement lʼœuvre de Godard la plus importante tant par le temps
passé à la concevoir et à la réaliser, tant quʼen comparaison avec ses autres travaux. De
plus, Jean-Luc Godard est également lʼun des cinéastes les plus reconnus au monde. Le
caractère singulier du cinéaste comme du film nous communique un réel enthousiasme
et lʼon constate dès son approche quʼil ne ressemble à nul autre et foisonne de
richesses visuelles et dʼinventions.

17
. François Truffaut, “Un trousseau de fausses clés”, CAHIERS DU CINÉMA, 10/1954. n°39. p.45/52. Est
reprise volontairement l'expression de Truffaut car lʼidée de « fausseté » dans le titre nʼest quʼapparente. En
effet, Truffaut se voyait contraint de livrer des “clés“, cʼest-à-dire des éléments de réflexion à propos de
Hitchcock, mais cʼétait malgré son désir dʼévidence, et parce que le cinéaste anglais était victime
systématiquement de méprises ; Truffaut jugeait cela inutile : comme nous pouvons lʼêtre devant Godard
,Truffaut devant Hitchcock, « ne prise guère les “clés“ puisque les portes closes sʼenfoncent mieux dʼun coup

18
Richesse de la matière qu'utilise JLG, profusion des images, fixes ou mobiles et des
musiques, paroles et sons, complexité formelle dans laquelle il configure, fait coexister,
intrique, tous ces éléments hétérogènes, qui reliés ensemble par de multiples voies
visibles ou invisibles, transforment ce film de montage, ce documentaire en quelque
chose d'autre, de bien singulier qu'il nous appartiendra de définir.

Aussi la moindre tentative de définition de ce quʼil est, en tant que film, paraissant ardue,
va nous montrer quʼil résiste également sur dʼautres niveaux. Tout dʼabord, il existe
différentes versions du film. Pareillement, la dissémination des projections successives,
liées à la création dʼépisodes par épisodes, offre, sous la même appellation, des
éléments dissemblables. Et puis son temps de gestation couvre une période de plus de
dix années et son temps de parachèvement : dix années encore. Cela ne manque pas
de le dégager du processus habituel des productions des films, quʼils soient fiction ou
documentaire, jusqu'à évidemment lʼemploi du temps lui-même comme un rôle majeur
puisque ce film se veut historique comme intitulé autant qu'il puisse l'être par son objet.
On réalisera qu'il vient brouiller le clivage historique habituel : document // monument.

Le film, pris dans sa conception temporelle, demeure donc exceptionnel autant par sa
forme finale— une durée de projection se déroulant sur plus de quatre heures — quʼà
travers lʼendurance dont témoignera la motivation acharnée du cinéaste, et comme
dʼailleurs il put le synthétiser en affirmant que le cinéma est la seule expérience dans
laquelle le temps (..) est donné comme perception.18

Enfin, un autre élément singulier peut être envisagé, celui de concevoir les Histoire(s) du
Cinéma comme un projet extérieur au cadre du film lui-même. Mais avec toutes ces
avancées maintenant, il sʼagit de procéder à une présentation de notre intitulé.

de tatane, et que les portes revolver ne tirent pas à conséquence, privées quʼelles sont de serrures, (il) optais
dès lors pour ce “trousseau de fausse clés“ ».p.45.
18
. Ref.173. Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros,1980.p.78.
19
3/ PRÉSENTATION DE LʼINTITULÉ (I) : LE TITRE DU FILM

« HISTOIRE(S) DU CINÉMA », UN TITRE COMME SYMPTÔME.


IMPURETÉ DU DISCOURS GODARDIEN DE L'HISTOIRE ET DU CINÉMA

Comme nous venons de le poser et pour parer à la complexité apparente du film, notre
intitulé sʼavère minimal :

« SUR LES HISTOIRE(S) DU CINÉMA (1973-2004) DE JEAN-LUC GODARD »

Notre étude — principalement sur le film de Jean-Luc Godard—, trouve lʼun des axes de
son argumentation à partir de lʼobservation du titre lui même.

Précisons dʼemblée nos deux notions problématiques : impureté et symptôme.


A/ IMPURETÉ
Ce terme est ici choisi avec circonstances. En effet, il provient d'un concept, classique en
théorie du cinéma, celui forgé par André Bazin à propos de sa défense de l'adaptation19...
Cette notion, que lʼon peut assimiler aisément avec le rapport cinéma/histoire tel que le
développe Godard, sʼavère fondamentale. En effet, André Bazin élabore des éléments,
hétérogènes au cinéma, comme le roman ou le théâtre, en données ontologiques : le
cinéma se constituerait par niveau dʼappropriation20 en rapport avec les autres arts, (dʼoù
son impureté), également le film HISTOIRE(S) DU CINÉMA se compose à partir dʼautres
domaines que ceux quʼil intitule.

B/ SYMPTÔME
Ensuite, lʼutilisation du terme de symptôme, provient d'une volonté d'engager le film dans
un registre corporel. Cette idée nʼest pas pour autant saugrenue. Elle sʼinscrit dans une
perspective plus longue et lʼon retrouve des éléments similaires, dans notre chapitre du
corps-producteur, comme dans les intentions mêmes que proposait Godard lorsquʼil cite

19
. André Bazin, “Pour un cinéma impur, défense de l'adaptation”, Qu'est-ce que le cinéma ? tome II, Paris, Ed.
du Cerf, 1959.p.7-32. Cette défense contient des échos philosophiques avec la notion de pluralité évoquée
plus haut.
20
. André Bazin, op.cité.p.32 : « Il (le cinéma) se lʼapproprie (lʼautre art) parce quʼil en a besoin. »

20
Vésale21 ou bien quand il affirme vouloir utiliser des éléments de la biologie ou de la
médecine pour effectuer une histoire du cinéma22.

23
« LʼHISTOIRE DU CINÉMA/ EST DʼABORD LIÉE À CELLE/ DE LA MÉDECINE »

On admettra que lʼidée de lʼimplication du corps du cinéaste lui est apparu comme
possibilité dʼincarner lʼune des fonctions vitales de son organisation cinématographique
de lʼhistoire. Alors que lʼon discute terminologiquement des différences notables entre
corps et corpus du film, cela peut nous faire comprendre que cette notion corporelle
parvient aisément à s'adjoindre à la fabrication du film.
Pour finir, lorsque Georges Didi-Huberman tentait une définition globale des HdC, il
sʼexprimait avec le même terme de symptôme :
"Jean-Luc Godard, dans Histoire(s) du cinéma, aura choisi de montrer le cinéma lui-même et sa
24
propre réminiscence dans un montage tout entier organisé sur l'économie du symptôme."

Le titre du film couvre plusieurs types de supports. Il est symptomatique du film dans son
ensemble, comme film sans unité et comme pluralité des phénomènes à partir d'un seul
titre. Le titre est symptomatique de l'impureté de l'apparition plurielles des formes.
L'impureté ici décrite, rejoint évidemment le principe hétérogène d'une combinaison de
plusieurs éléments non saturés.
Nous allons nous efforcer de mieux comprendre les étapes d'élaboration du titre
principal, mais également, de revenir au geste même dʼinventer, comme celui dʼintituler,
cʼest-à-dire placer des titres. Par conséquent, l'étude des titres des épisodes, dans leur
entier, sera effectuée un peu plus tard25.

C/ HISTOIRE(S) DU CINÉMA
L'idée godardienne d'aborder, par ce titre, de manière frontale et générique, l'histoire et
le cinéma, n'est pas restrictive. En effet, lʼassociation de ces deux notions (qui sont
pourtant si distinctes), rend compte d'une pluralité de significations possibles, et ceci,
déjà par le pluriel du titre entre parenthèses des histoires, [histoire(s)].

21
. André Vésale, De humani corporis fabrica (1543), La fabrique du corps humain, (traduit du latin Louis
Blankelants), Paris, Ed. Actes Sud/ INSERM, 1987.
22
. Ref.173 : “Je voudrais raconter l'histoire du cinéma pas seulement d'une manière chronologique mais
plutôt un peu archéologique ou biologique.”
Jean-Luc Godard, Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros. 1980.p.21.
23
. HdC.2b.fatale beauté. p.182.
24
. Georges Didi-Huberman, Images Malgré tout, Paris, Ed. de Minuit. 2003.p. 168.
25
. Cʼest lʼÉtape 4 : la repartition du film en épisodes. Première partie, CH2 5/.
21
On peut faire appel à deux significations possibles, qui découlent, par type ambivalent,
du génitif, coordonné par lʼarticle « du »: que le cinéma possède son histoire, ou bien que
lʼhistoire possède son cinéma, ainsi, on obtient un double sens, avant même la mise en
pluriel des histoires. Leslie Hill, critiquant lʼœuvre, découvrira le même constat, avec
cette heureuse formule :

« L'histoire vue par le cinéma et le cinéma dans son histoire »26.

Ainsi contre toute unité de réflexion, le titre nous apporte l'idée d'une pluralité. Le “s“
entre parenthèses, contre tout unitarisme, revendique cette pluralité : pluralité des
histoires mais aussi des mondes, pluralité des vérités, des corps... dans le cadre d'une
exégèse nécessaire. Dans la mesure, où le penseur essaye dʼappréhender ce pluriel,
cette multiplicité ne peut lui livrer la valeur dʼunicité nécessaire à la constitution dʼune
pensée pure. C'est pourquoi, il va recourir si volontiers au cinéma dans son acception
impure et particulièrement dans une représentation historique, tel qu'a pu le définir Bazin
lorsqu'il invoque les exercices dʼinfluences mutuelles entre les arts et le cinéma, fondant
historiquement alors lʼimpureté comme constitutive au cinéma dans sa puissance.
Aussi, précise-t-il, lorsquʼil évoque lʼhistoire du cinéma, que "son histoire depuis le début du
siècle serait donc la résultante des déterminismes spécifiques à l'évolution de tout art et des
27
influences exercées sur lui par des arts déjà évolués."

Admettons que nous sommes proche dʼune définition conceptuelle du film, car si le film
des HdC convoque l'histoire du cinéma par un montage dʼextraits référant de films, il fait
appel aussi, à la littérature par l'emprunt de textes, à la peinture par l'emploi de
reproductions photographiques, et autant à la musique classique ...
Ces moyens hétérologiques28 sont autant, pour Godard, une stratégie différentielle
permettant l'abord non-unitaire des réalités de l'immanence. Le concept n'est pour lui
que l'un des modes possibles de la pensée. L'observation scientifique, la fabulation
littéraire, la stratégie politique, l'invention sous toutes ses formes peuvent se signifier
pour lui, par une pluralité discursive de lʼappréhension cinématographique du réel.

26
. Leslie Hill, « “A form that thinks“ Godard, Blanchot, Citation. », in Godard Forever, London, Black Dog
Publishing, 2004.p.397.
27
André Bazin, “Pour un cinéma impur, défense de l'adaptation”, Qu'est-ce que le cinéma ? tome II, Paris, Ed.
du Cerf, 1959.p.9.
28
. Nous nʼutilisons pas indifféremment les termes hétérogène et hétérologique. Lʼhétérogénéité est le principe
dʼune base non homogène (présence dʼun reste). Lʼhétérologie est la possibilité dʼune étude objective à partir
de ce constat. On retrouve la réflexion hétérologique chez Georges Bataille quand il la compare à lʼétude du
déchet : la scatologie. Georges Bataille, “Essai sur lʼhétérologie"”, Œuvres Complètes, Tome II, Paris, Ed.
Gallimard, 1972. p.86.
22
Lʼabsence de dogmatisme chez Godard témoigne dʼune pratique dialectique entre fiction
et essai. La dilution de sa théorie dans son système pratique, suppose quelques sorties
hors de son domaine de définition rationnel, vers un autre domaine, aux antipodes, qu'il
est convenu dʼintituler métaphysique : l'investissement d'un territoire nouveau, d'une
PARTIE intensive où se manifestent des rêves individuels et collectifs, où prend corps
une fabulation appelée à ronger l'idée du cinéma comme film des idées.

L'EXPRESSION DE LA MISE ENTRE PARENTHÈSES.


La mise entre parenthèse du titre exprime cette interrogation historiographique sur le
comment faire une histoire du cinéma. Et les motifs de répétitions sonores de la lecture
du titre qui vont parcourir le film : Histoire du cinéma, histoire avec un "s"29, sont à
différencier radicalement d'une simple mise au pluriel de ces histoires.
En effet, la mise entre parenthèses exprime une première possibilité de singularisation
30
de cette histoire, qui se dédouble déjà par la virtualité de sens du « du » :

HISTOIRE CINÉMATOGRAPHIQUE // HISTORIQUE DU CINÉMA


a1- La grande Histoire mise en scène par le cinéma.
b1- Le cinéma dans son déroulé historique : de son invention jusqu'à nos jours.

Mais la double virtualité du « du » de histoire du cinéma va fonctionner tout autant lors de


sa mise en pluralité. On peut subordonner le titre alors comme suit :
HISTOIRES DU CINEMA // HISTOIRES DE CINEMA.
a2- Après lʼabandon dʼune Histoire Générale (univoque et continue), plusieurs axes de
recherche historique (type Les Annales) sont proposés. Le Cinéma donne cohérence
aux discontinuités de cette pluralité de Grande Histoire.
b2- Les (petites) histoires. Les scénarios 31, récits inventés voire repris par le cinéma.

Nous avons en résumé une concorde quaternaire, non pas seulement dialectique
comme on peut lʼobserver et le croire, dans un premier temps, apparemment.

29
. HdC.1a.toutes les histoires.p.81.
30
. Jean Narboni,« Face au Cinéma et à l'Histoire, à propos de JLG », LE MONDE DES LIVRES. Paris, Les
Éditions du Monde. Octobre 1995. Narboni a relevé le double sens (génitif/possessif) de lʼarticle « du » et
accorde aussi ce double sens.
31
. HdC.2b.fatale beauté. p.134. Lʼinvention du scénario, cʼest mettre de lʼordre dans le désordre des trouvailles
dʼun cinéaste (Mack Sennett).
23
UNE VIRTUALITÉ DIALECTIQUE DU SENS
La simple mise en parenthèse crée une virtualité dialectique entre d'un côté : la
singularité historique, lʼHistoire établie doublement par le cinéma et de l'autre, en
opposition, lʼHistoire (plurielle dans sa forme) ou les récits de fiction, la puissance du
faux 32, ce que peut proposer le cinéma, lʼindustrie du mensonge33, lorsqu'il est libéré du
temps de l'histoire seule. La pluralité du cinéma devient une des constatations de départ
qu'on peut effectuer sur les phénomènes de lʼhistoire.
Ainsi dès le titre, nous sommes en présence dʼune double figure dialectique. Nous allons
au gré du parcours de notre étude retrouver souvent cette figure. Elle va sʼavérer
centrale au film, comme le système de pensée de Godard, que nous étudierons
patiemment.

4/ PRÉSENTATION DE LʼINTITULÉ (II) : JUSTIFICATIF DE LA DATATION.


SEGMENT 1973 - 2004

Nous savons que les deux premiers épisodes des HdC —1a et 1b, établis dans une
version qui était appelée à évoluer—, ont été achevés, puis projetés en avant-première
au Festival de Cannes en Mai 1988. Par la suite, sa diffusion publique sur Canal+ en
Mai1989 sur une plus grande échelle fut beaucoup plus conséquente34. Aussi lʼannée
1988 constitua alors une première nationale du film dans sa version initiale. Dix ans plus
tard, quatre cassettes VHS, réunissant enfin les 8 épisodes, sortirent dans le commerce
en Décembre 1998, fournissant la date officielle de « sortie » du film. Aussi, notre intitulé
sʼinscrit dans une période plus large, et ne se borne ni à la date de 1998, ni à lʼéchelon
1988-1998 —temporalité filmique pourtant convenue comme lʼattestent de nombreuses
références 35—. Nous envisageons de circonscrire le film dans une durée plus ample.
Nous nous basons à partir des premières traces projectives, préliminaires de la
conception de son histoire du cinéma en un film, jusquʼau dernier stade de
transformation du projet réalisé.

32
. Gilles Deleuze, Cinéma 2, L'image-Temps, Paris, Ed. de Minuit, 1985.p.187. terme Nietzschéen.
33
. HdC.1b.une histoire seule.p.169.
34
. Lʼoccasion de la diffusion, permit au film dʼêtre reproduit en cassette VHS par un grand nombre dʼamateurs,
ainsi, cette version télévisée fut échangée, revue et discutée par les cinéphiles durant les années 90.
35
. Ref.176b Godard Par Godard , [Tome 2 : 1984/1998]. p.384; Ref.184. Jean-Luc Godard & Youssef
Ishaghpour,Archéologie du cinéma et mémoire du siècle (Dialogue) Tours, Edition Farrago. 2001.
Ref.178.45. Filmographie. Jean-Luc Godard, Documents, Paris, Edition Centre Pompidou. 2006. p.corpus
établi par Nicole Brenez, Sylvie Pras, Judith Revault dʼAllones et Michael Witt.
24
Nous allons tenter de justifier cette inscription de 1973 pour les débuts, jusquʼà 2004
pour la projection de sa dernière version.

A) 1973.
En Janvier 1973, juste après sa rupture avec lʼexpérience du groupe Dziga Vertov, Jean-
Luc Godard se retrouve seul face au cinéma36, à lʼimage dʼYves Montand quand il
interprétait un cinéaste, publicitaire à lʼoccasion, monologuant face à la caméra, dans
cette fiction que Godard coréalisa alors37. De plus, si ce dernier se retrouve seul, cʼest
autant face à lui-même. En effet, rappelons que le cinéaste, ardent défenseur de la
politique des auteurs, a passé plus de cinq ans à réaliser des films collectivement, cʼest-
à-dire sans les signer individuellement. Ajoutons à cet exercice de solitude38, sa
séparation avec sa seconde femme: Anne Wiazemsky , ainsi que lʼaccident grave de
moto survenu en Juin 1971, qui isole de fait le cinéaste, en lʼimmobilisant sur un lit
dʼhôpital pendant presque plus de six mois39. On sera donc peu surpris sʼil tente à faire
un bilan de sa vie, après avoir été menacé intimement et physiquement, et cʼest
probablement dans cet esprit quʼil dépose un projet de film au Centre National du
Cinéma, intitulé : « MOI, JE »40. Avec ce projet, Godard va chercher, tout en
sʼinterrogeant sur son implication politique passée, et de cinéaste au milieu de lʼhistoire,
à y intégrer, en réaction à son aventure collective anonyme, des éléments
autobiographiques. Barthélemy Amengual41 avait identifié notre cinéaste comme
résolument moderne, car généralement, les mises en scènes dans ses films de fiction,
—avant sa participation au groupe Dziga Vertov—,étaient pratiquement toujours

36
. Antoine De Baecque, Godard, biographie, Paris, Grasset, 2010. p.517.
37
. Ref.Film.38.TOUT VA BIEN, (co-réalisé avec JP Gorin, 1972). On retrouve dans ce film, un long monologue
dʼYves Montand qui joue : un ancien (cinéaste) de la Nouvelle Vague passé au film publicitaire.(sic) La tenue
de propos introspectifs, de la remise en cause de sa pratique, —bref de la classique « autocritique » en tant
que sujet politique : homme blanc cinéaste de 40ans—, laisse présager lʼinterrogation de Godard lui-même, au
moment de déposer son projet MOI JE. «
38
. Ref.Film 70 : ALLEMAGNE ANNÉE NEUF ZÉRO, 1991.
39
. Antoine De Baecque, Godard, biographie, Paris, Grasset, 2010. p.496-500. On retrouve dans un de ses
films de fiction, une mise en scène équivalente de lʼaccident: Jacques Dutronc qui joue le rôle dʼun cinéaste
fumant le cigare et nommé Jean-Luc Godard est victime dʼun accident de la circulation, en étant fauché au
ralenti par une voiture. Ref.Film 46B. SAUVE QUI PEUT (LA VIE), 1979.
40
. Ref.178-18. (1973) MOI, JE, projet de film. in Jean-Luc Godard, Documents, Paris, Edition Centre
Pompidou. 2006. p.195-243.
41
. Barthélémy Amengual, « Jean-Luc Godard et la remise en cause de notre civilisation de lʼimage », in “Jean-
Luc Godard, au-delà du récit”, ETUDES CINEMATOGRAPHIQUES n°57-61, Paris, Ed. Minard, 1967. p.113.
25
lʼexpression de situations contemporaines42. Conséquemment, la grande valeur de ce
projet sʼavère aussi important quʼil constitue peut-être pour la première fois, un
retournement rétrospectif sur des faits passés, (le passé, lʼhistoire) comme sur sa
participation (son passé, son histoire).
« MOI, JE » peut être alors considéré raisonnablement comme le premier projet valable
des HISTOIRE(S) DU CINÉMA ; car, même si lʼon trouve, antérieurement, quelques autres
projets collectifs similaires —et dont nous parlerons sous peu—, celui-ci présente, à la
différence, un apport autobiographique, venant attester une primauté originale sur les
autres : la mise en scène de sa propre séparation43, comme il le conclue : si je tiens à
entendre le son de ma propre voix, cʼest que cʼest celle des autres44. Relativement assez
complexe dans son organisation symétrique, « MOI, JE » tente de questionner, à partir
dʼune double autocritique, dans un premier temps la fonction politique de son moi,
cinéaste dans la société, pour ensuite dans un second temps déduire la fonction
machinique du cinéma dans son histoire. Ce questionnement du cinéma se fera grâce à
lʼapport de la vidéo. Aussi JLG dresse un parallèle évident entre la fonction de la vidéo et
sa propre situation : Moi, je suis une machine , ou encore : video, je vois, en latin45.
Ce projet prototypique, sous sa forme filmique ne verra jamais le jour. Il présente des
éléments de collages, photocopiés, tout comme lʼimage de lʼhomme (autoportraituré),
interrogeant lʼécriture avec, des fragments encore bien incomplets (…) dʼune véritable
histoire du cinéma et de la télévision46.

Pour continuer notre délimitation temporelle, nous passons ensuite à ce qui va constituer
la borne finale du projet des HISTOIRE(S) DU CINÉMA.

42
. À lʼinstar dʼAlfred Hitchcock, es seuls films historiques (dit à costumes) sont en fait des exceptions notables,
car que cela soit ALPHAVILLE ou LES CARABINIERS, leur réalité diégétique de ces films expriment plutôt des
situations rétro-futuristes, voire futuristes.
43
. « Je ne suis pas seul, je suis séparé. » Antonin Artaud, Les nouvelles révélations de lʼÊtre (1924), Œuvres
Complètes, Tome VII, Paris, Ed.Gallimard. 1972. p.202. Godard se dédouble finalement pour comprendre sa
participation dans lʼhistoire. Cette séparation avec son moi nʼest en rien narcissique.
44
. Ref.178-18. (1973) MOI, JE, projet de film. p.242.
45
. Ref.178-18. (1973) MOI, JE, projet de film. respectivement pour les deux citations : p.226 et p.224.
46
. Ref.178-18. (1973) MOI, JE, projet de film. p.238.
26
B) 2004
Ne figurant pas au sein d'une programmation collective, la projection, en Décembre
2004, dʼune nouvelle et ultime version des HISTOIRE(S) DU CINÉMA fut un évènement
singulier au Centre Georges Pompidou. MOMENTS CHOISIS DES HISTOIRE(S) DU
47
CINÉMA se présente comme une version redux des HdC; accomplissant la durée
standard dʼun long-métrage : 1h30 et sans la figuration habituelle des têtes de chapitre et
épisodes. On constatera également lʼapport de nouveaux textes à cette manufacture Ce
film, même si lʼindication de lʼannée de réalisation est en 2000, clôt ainsi les multiples
versions du film et ceci, avec sa première projection en 2004. Cʼest cette date de sortie
que nous retiendrons. Dʼautres éléments se dérouleront un peu plus tard : lʼorganisation
dans le même endroit au Centre Georges Pompidou dʼune exposition qui lui sera
spécialement proposée48 ainsi que la réalisation de films jusquʼà ce jour. En 2005, cette
version fut également projetée à Bologne.

Aussi notre étude est comprise dans le segment du premier projet (MOI, JE. 1973)
jusquʼà la dernière version des HISTOIRE(S) DU CINÉMA : MOMENTS CHOISIS DES
HISTOIRE(S) DU CINÉMA (2000) projeté en 2004)

47
. Terme généralement employé pour désigner la version du réalisateur après une sortie officielle (Directorʼs
Cut). Ainsi F.F.Coppola désigna dans les mêmes termes la ressortie de son long métrage dans
APOCALYPSE NOW REDUX (2001).
48
. « VOYAGE(S) EN UTOPIES, JEAN-LUC GODARD, 1946-2006 », Galerie Sud, 11Mai-14Août 2006. Cʼest à
lʼoccasion de cette exposition et dʼune rétrospective cinématographique, quʼon édita un catalogue aussi
imposant quʼimportant pour la connaissance de JLG. Ce livre rassemble des documents inédits de Godard

27
CHAPITRE DEUX / DÉROULEMENT SOMMAIRE DES 3 PARTIES DE
LʼÉTUDE
ÈRE
1/ GENÈSE DU FILM À PARTIR DE SON ACTUALITÉ : 1 PARTIE DE LʼÉTUDE.
ÈME
2/ ANTÉCÉDENTS DU FILM : PRÉDISPOSITION ESTHÉTIQUE, LE ROLE DU DÉSIR : 2 PARTIE DE LʼÉTUDE.
ÈME
3/ EXÉGÈSE DU FILM ET CRITIQUE DES REPRÉSENTATIONS : 3 PARTIE DE LʼÉTUDE.

La formation par étapes du film, telle quʼelle sʼest produite, appelait logiquement une
genèse de l'œuvre. Elle recouvre dans cette étude la requête d'un double examen,
antérieur puis postérieur à la présentation du film. Les deux sont impliqués avec les
conditions de sa naissance.
Lʼexamen antérieur se déroule selon un établissement généalogique49 (première partie)
et aussi par une analyse des conditions de sa manifestation qui conduira à nous
interroger sur la prédisposition du cinéaste à avoir désiré réaliser ce film (deuxième
partie). L'examen postérieur se déroule quant à lui, sous l'action d'une heuristique
matérielle. Aussi après avoir effectué son exégèse nécessaire, on se penchera sur la
critique de ses représentations (troisième partie).

1/ GÉNÈSE DU FILM A PARTIR DE SON ACTUALITÉ : 1ÈRE PARTIE DE LʼÉTUDE

L'établissement du film, dans cette première partie, admettra l'inscription de celui-ci dans
la réalité de son temps ainsi que du trajet quʼil effectue dans ce cadre. Pour cela, on
relèvera l'historique de ses différentes tentatives, l'état de ses différentes versions, pour
décider ensuite, lesquelles seraient les plus intéressantes à étudier, pour devenir les
axes d'une réflexion ultérieure plus aboutie. Une fois quʼelles seront établies, on mettra
en œuvre une prospection temporelle du rythme de ses projections, ainsi que celui de
ses représentations critiques afin de trouver des moyens descriptifs du dénouement de
cet enchevêtrement.

ainsi quʼun grand nombre dʼarticles relatifs : Jean-Luc Godard, Documents, (Paris, Edition Centre Pompidou.
2006.) [Pour plus de détails voir Ref.178]
49
. C'est la généalogie prise dans son sens strict, étymologique : étude de la naissance.
28
Cette première partie ne fera pas l'économie de quelques définitions préalables des
termes impliqués dans le déroulement de notre réflexion. On édifiera, à cette fin,
quelques modèles stables. Établir un film c'est adopter, méthodiquement, un regard
épistémologique. C'est aussi, constituer un appareillage critique, comme la philologie s'y
prétend avec les livres : en effet, quantités de documents filmiques et livresques ont été
créés, consécutivement, au film et au processus de sa production.

Une fois l'établissement du fait cinématographique50du film accompli. C'est-à-dire, une


fois le compte-rendu de la réalité extérieure du film donné51, la conclusion de cette partie
rendra compte de l'observation du fait filmique, c'est-à-dire de la composition interne. La
composition interne correspond à la matière organisée du film. Quels éléments
audiovisuels composent le film ? En effet, il n'est pas vain de poser cette question aux
vues de l'immense variété de type d'images et de sons qui, grâce, en partie à une
méthode topologique pourront être répertoriés dans un tableau des éléments.

2/ ANTÉCÉDENTS DU FILM : PRÉDISPOSITION ESTHÉTIQUE, LE RÔLE DU


DÉSIR : 2ÈME PARTIE DE LʼÉTUDE.
Se retourner sur l'œuvre écrite et filmée du cinéaste permet de distinguer un grand
nombre d'éléments composant sa matière esthétique. Ces éléments sont dégagés du
Grand Ensemble (la matière première) formé de toutes les œuvres du cinéaste. Ils
composent la prédisposition de la production du film des HdC et constituent
conceptuellement une nouvelle matière.
C'est dans lʼannexe présentée dans cette étude : Annexe 1, que l'on retrouvera
l'ensemble de la matière première et par conséquent, cette nouvelle matière
sélectionnée. Ce qui permettra de faire acte de référence à lʼœuvre de JLG52, de forger
l'argumentation adéquate aux fins de l'analyse critique du film. Adéquat, car aller
chercher dans la production godardienne des éléments préexistants à l'œuvre forge la

50
. Gilbert Cohen-Séat, Essai sur les principes dʼune philosophie du cinéma, Paris, Ed. P.U.F. 1946. p.19.
51
. Confrontant dialectiquement à la terminologie de Cohen-Séat qui parle ici de fait cinématographique,
concrètement on dit c'est extérieur au film. Le fait filmique, concernant ce qui se passe sur la pellicule, est
intérieur. Lʼintérieur du film consiste à se préoccuper ce qui se passe pendant son déroulement, sa projection
sur la surface du film.
52
. Rappel : pour la fluidité du propos, un certain nombre d'abréviations vont apparaître : JLG pour Jean-Luc
Godard, et HdC pour Histoire(s) du cinéma.
29
base matérielle de toute réflexion historique, et d'identification des figures. Cʼest en ce
sens que lʼon peut la nommer prédisposition, car ces éléments étaient déjà présents
dans lʼœuvre du cinéaste.

CE QUI EST DÉJÀ LÀ


Le relevé de la matière première est alors annexé, constituant une référencialisation aux
pratiques réflexives de l'analyse. C'est une distanciation de la matière, relevée avec
notre propre travail, qui demeure nécessaire. La matériologie historique s'opèrera alors
selon deux axes, distincts. Le premier axe, développé dans cette seconde partie du
travail, est l'exposition des figures humaines, les personnalités qui ont influencé Godard,
quant à la naissance de son projet, son désir. Le second axe sera conceptuel. Il expose
la pratique filmique de Godard, celle qui sʼavère spécifique aux HdC. L'enjeu réside à
comprendre que cette spécificité est directement liée aux prédispositions esthétiques
godardiennes. Théoriquement, on les retrouve dans ses articles, et pratiquement dans la
praxis de ses films. La spécificité sera impliquée à une définition pratique du montage,
du mixage et de la sélection des films (art de la programmation).
Cette partie se refermera ce sur quoi elle avait débuté : l'attachement de Godard à
l'expression de la figure humaine. Nous verrons que ces figures, issues de la réalité de
ses différentes rencontres jusquʼau désir de les filmer, le mèneront à nous proposer avec
les HdC, une nouvelle anthropologie des images.

3/ ÉXÉGÈSE DU FILM ET CRITIQUE DES REPRÉSENTATIONS : 3ÈME PARTIE DE


LʼÉTUDE.

AVANT TOUTE EFFECTUATION CRITIQUE,


LE FILM EST UNE REPRÉSENTATION SUBJECTIVE.
La troisième partie de ce travail se compose de deux volets bien distincts. Elle est placée
sous le double signe de la réflexion et du classement.

A) PREMIER VOLET
Dans ce premier volet, qui constitue l'étape importante de cette partie de notre travail,
sera produit un essai d'interprétation linéaire du début de premier épisode, le 1a —
30
densité de l'épisode le plus riche qui utilise pratiquement toutes les figures esthétiques
du film— pour que nous puissions livrer une représentation subjective du film.

UN ESSAI D'INTERPRÉTATION LINÉAIRE POUR UNE APPROCHE EXÉGÉTIQUE


DU FILM (des premières séquences du 1a des HdC)
Ce volet sera produit, comme un aboutissement des deux parties précédentes. Tout
d'abord, l'interprétation sera proposée au niveau du plan par plan, car pour bien
comprendre le cheminement, comme son expression, il est nécessaire d'aller au plus
près de la matière : jusqu'à sa composition atomique; le plan étant considéré comme
unité filmique. De plus on pourra se reporter à lʼannexe 2 où nous avons reproduit les
quinze séquences étudiées. Ces notes de travail du plan par plan nous ont semblé
intéressantes à porter à la connaissance du lecteur, même si son allure paraît
approximative et la fidélité de sa reproduction est faible. Ensuite, une fois que
lʼinterprétation du plan par plan nous aura donné suffisamment d'informations concernant
la représentation, en conclusion, nous reculerons notre vision pour réfléchir au niveau de
la séquenciation53 produite. Il est important que le film soit découpé en séquences selon
une logique topographique (ou cartographique). Cette précision offrira un établissement
précis de l'état de l'épisode (avec ses rajouts, ses substitutions et ses enlèvements).
Seront repérées et annotées également les figures esthétiques (de montage ou de
mixage) inventées par Godard.

B) SECOND VOLET
Le second volet de cette partie est le regroupement dʼarticles et revues de ce qui a déjà
été écrit sur les HdC. On peut dʼailleurs possiblement lire cette dernière partie comme
une première bibliographie critique commentée du film.
Faire la critique des représentations, comporte plusieurs problèmes organisationnels.
Comment, en effet, rendre compte des multiples confrontations réflexives lorsque le
nombre des critiques est élevé ? Et enfin, quel système de réception et de classement
prévoir pour tous ces comptes-rendus critiques ?

53
La séquenciation —cʼest-à-dire lʼacte de répartir le film en séquences—, on le verra, demeure un vrai
problème méthodologique; puisque qu'en apparence, tout le film se compose de blocs aux délimitations
imprécises. Souvent, chaque séquence produit des flash-forwards quelques apparitions dans la séquence
qu'elle précède. Par contre, la lecture comparée des différentes versions du film ont contribué à produire cette
cartographie séquentielle.
31
De plus, procéder à la critique des critiques ne va pas se poser sans mal :
Cela consiste à relever les traces écrites des réflexions après la projection du film. Ces
impressions, que les spectateurs (critiques) nous communiquent ensuite, sont avant tout
les images dʼun film telles qu'ils se les sont représentées, introspectivement. C'est donc
de ces représentations quʼil nous apparaît nécessaire de faire la critique, et pour cela, il
faudra opérer un classement selon les problématiques suscitées.

32
PREMIÈRE PARTIE
GENÈSE : L'ÉTABLISSEMENT DU FILM

CHAPITRE UN : DÉFINITIONS PRÉALABLES


1/ CAUSE ET ÉLÉMENTS CINÉMATOGRAPHIQUES.
2/ GÉNÉALOGIE

1/ CAUSE ET ÉLÉMENTS CINÉMATOGRAPHIQUES.


En prélude de notre étude, avant même que lʼemploi de certains termes puissent
nous poser problème, il convient de fournir un nombre de définitions. Si la
compréhension du mouvement de notre travail peut débuter ainsi, à partir dʼun choix
de ces notions qu'il conviendrait de définir, c'est en sorte deviner, en filigrane, le
propos de cette introduction, et sa précision.
Produire la définition d'un terme ou d'une notion permet non seulement d'affiner sa
pensée, mais avant tout, laisse découvrir la cause du travail de la recherche
engagée. Nous rappelons aussi, comme Godard pouvait lʼexprimer en citant Robert
Bresson, qu'une des particularités du domaine cinématographique consiste à
transformer des éléments qui lui sont étrangers en éléments appropriés1 ; l'étude de
leur composition, dans le mouvement de cette transformation, définit le cinéma
même.
[CE QUI EST PASSÉ PAR LE CINÉMA / ET EN A CONSERVÉ LA MARQUE, / NE PEUT PLUS
2
ENTRER AILLEURS]

Aussi il s'agit donc de procéder à l'établissement du film, en prenant en compte ses


éléments. Cela semble évident, mais on peut rappeler quʼun certain nombre
d'éléments hétérogènes du film HdC appartiennent précédemment au cinéma et à
son histoire. De fait, à parler d'une généalogie, il s'agira, là aussi, d'en agencer sa
matériologie, cʼest-à-dire à désigner la matière filmique qui est passée par le cinéma.
Puis, une fois le contour de ce film, investi en huit parties, on montrera que projection
et diffusion furent parcellaires, décomposées dans le temps. Cette première partie se
veut applicatrice, pour fournir les éléments concrets du film, afin, entre autres
connaissances, de choisir ce qui, dans notre dernière partie, sera la version prise
comme sujet.

1
. Puis aussi à les rendre obsolètes lorsquʼon les porte hors de lʼunivers cinématographique.
2
. HdC.1b.une histoire seule. p.154. Robert Bresson, Notes sur le cinématographe, Paris, Gallimard,
1972.p.64.

33
2/ GÉNÉALOGIE

LA GÉNÉALOGIE SE DÉFINIT PAR


L'ETUDE ET L'OBSERVATION DE LA PROVENANCE
ASSORTIE DE SON INTERPRÉTATION POUR Y TROUVER LE SENS.

Comme nous lʼavons précédemment indiqué dans notre introduction, la fonction de la


généalogie, telle que nous allons lʼutiliser, ne devrait pas être impliquée, retenue
selon les règles de la discipline génétique, comme pouvait, peut-être, le laisser croire
lʼapparence étymologique.

Établir le principe généalogique dans notre étude, c'est disposer un rapport entre
lʼhistorique de la naissance du film (partie 1) et la prédétermination dʼéléments qui ont
conduit le cinéaste à lʼavoir ainsi désiré (partie 2). Aussi, on peut ajouter que ce
premier rapport, nous permettant d'entrer au cœur des HdC, se définit dans une
double entrée dialectique : le relevé historique de son fonctionnement (processus de
sa production) et le fonctionnement de l'histoire (interrogation à un niveau théorique
de l'historiographie).

Ne pas rester sur les postulats : le film est une œuvre dʼart ou Godard est un artiste,
mérite tout notre intérêt car depuis la réalisation de ce film, la perception que Godard
propose de lui-même est complexe. Il se considère comme cinéaste, sur lequel
gouverne une nouvelle volonté adjointe : historien3. Il demande dʼailleurs à être
interrogé comme tel4. Autrement dit, Les HdC sont problématiquement une œuvre,
produite par Godard. Cʼest dans ces notions que nous utilisons le terme de
producteur.

LA NOTION DE PRODUCTION
Aussi, si le terme de production défini comme fait par l'homme Godard, convient ici
pour le moment, de façon suffisante et relative. Cette notion nʼest pas complètement
nouvelle. En effet, cette terminologie peut évoquer sans mal lʼidéologie marxiste-

3
. Ref.Film.74. JLG/JLG. 1994.

34
léniniste, au temps où lʼon concevait lʼauteur comme producteur. 5 Lʼun des intérêts
que conserve cette notion, cʼest lorsque le producteur se restreint à faire œuvre, mais
définir le processus —historique, philosophique, artistique…— dans lequel cette
production sʼinscrit, se place en second plan.
Rappel : déjà en son temps, Walter Benjamin avait opéré cette conception de l'auteur
comme producteur, à partir de son étude de Brecht6, pour ensuite établir les rapports
de production, qu'ils soient techniques ou encore socio-historiques.
De plus, la généalogie des HdC, présentée en deux parties, a partie liée, on
lʼétudiera, au principe du désir de la production.

NOTRE RECHERCHE GÉNÉALOGIQUE DIFFÈRE DES PRÉOCCUPATIONS DE


LA CRITIQUE GÉNÉTIQUE.
Proposer une généalogie de la production du film, c'est entreprendre une recherche
récapitulative dʼun ensemble dʼéléments matériels qui ont abouti à produire le film.
Cʼest une recherche qui s'interrogerait sur les modes de concrétisation du film en vue
de sa projection. Ce qui revient à établir le façonnage dʼun historique de sa
constitution, et en cela ce travail est généalogique ; Mais, même si nous observons le
livre des HdC, essentiellement pour sa vertu cardinale, les HdC resteront un film
objectivement et hélas, en cela lʼobjet pose déjà problème pour une recherche
génétique traditionnelle. Ce nʼest ni la philologie7, ni la critique génétique8, qui vont
pouvoir réellement nous aider à notre recherche filmique. Cela dit, notre prospection
généalogique a des rapports évidents avec des formes scientifiques dʼanalyse
génétique, mais elle sʼen distingue, soit par intérêt, soit par domaine de
compétences. Notre recherche, en fait, jouxte les motivations de la discipline de la
critique génétique, mais nous ne sommes pas en mesure dʼaller convoquer lʼune de
leurs méthodes dʼétablissement. De plus, comme le constatait Jean-Louis Lebrave, la
critique qui se penche sur lʼavant de lʼœuvre en recherche dʼune complémentarité,

4
. Table ronde Histoire et Cinéma, Locarno, Août 1995. Inédit.
5
. Pierre Macherey, Pour une théorie de la production littéraire, Paris, Ed. François Maspéro. 1966.
Également on la retouve chez Maurice Blanchot, Après-coup. Ed. de Minuit. 1983. p.85-86.
6
. Walter Benjamin, Essais sur Bertold Brecht (traduit par Paul Laveau), Paris, Ed. F.Maspéro, 1969, Ch.9.
7
. Georges Canguilhem, Discours inaugural de l'entrée au Collège de France, Paris, Ed.P.U.F, 1965.
p.11/15.
8
. Pierre-Marc de Biaisi, « La Critique génétique », Introduction aux méthodes critiques pour l'analyse
littéraire, Paris, Ed. Bordas. 1990.

35
fait que cette complémentarité implique incompatibilité et exclusion réciproque9 entre
lʼavant du film et le film lui-même. Elle sʼavère trop préoccupée à générer
prioritairement une documentation livresque pendant que nous essayons de mettre
au point notre méthode dʼobservation. Les deux se plient à lʼautorité du texte face à
lʼImage-son.
Notre étude généalogique se construit donc sur une double étude du geste
producteur de Godard.
La première est celle des tentatives de production du film dont il est possible de faire
lʼhistorique. Et nous verrons juste après que la notion de tentative regroupent toutes
les sortes de projets des HdC. Que ces projets aient abouti (comme ils sont
multiples, nous en avons plusieurs versions) ou non (cʼest-à-dire quʼil se
maintiennent à lʼétat de projet). On comprendra que cette première recherche,
pragmatique demeure problématique si nous ne prenons pas en compte lʼauteur de
ses tentatives. Il sʼagit dʼétudier lʼauteur dans son désir dʼavoir produit les HdC. Cʼest
ce qui nous a conduit a opérer cette seconde partie qui consistera à comprendre
lʼessor de ces tentatives.
L'adoption du principe de lʼétablissement filmique vise à nous interroger sur ce qu'il y
avait avant ; avant que le film soit visible dans sa totalité, mais pourtant déjà
imaginable, repérable dans des traces filmiques ou écrites que disposera Godard dès
ses premières manifestations en tant que critique, cinéaste ou même acteur. Toute la
seconde partie de cette étude est donc la conduite de cette démarche. Relever des
principes déjà présents à l'intérieur de l'œuvre de Godard, se résume en une
question :

Quels éléments prédéterminants y a-t-il dans l'œuvre de Godard, qui puissent nous
faire supposer que le film et ses tentatives, sont ce qu'ils sont?
Sans produire de conclusions téléologiques —que ce soit une réflexion, ou bien une
phrase, une caractéristique de mise en scène, le destin d'un personnage ou bien
encore le statut de sa présence— quels sont ces éléments en place ?

9
. Jean-Louis Lebrave, La critique génétique : une discipline nouvelle ou un avatar moderne de la
philologie?, Revue en ligne de lʼInstitut des Textes et Manuscrits Modernes (ITMM). Novembre 2006.

36
CHAPITRE DEUX : GÉNÉALOGIE DU FILM, SON ÉTABLISSEMENT
1/ ÉTAPE  : CLASSEMENT DES OPUS PRÉCÉDENTS.
2/ ÉTAPE : PROSPECTION TEMPORELLE,
A/ PRÉSENTATION
B/ QUATRE VARIATIONS FORMELLES DE PROPOSITION DES PROJETS.
C/ CALENDRIER DES TENTATIVES : PROJETS, VERSIONS & PROJECTIONS.
3/ ÉTAPE : LES DIFFÉRENTS SUPPORTS.
4/ ÉTAPE : LA RÉPARTITION DU FILM EN ÉPISODES (NOTES DIVERSES)
5/ ÉTAPE : LES FILMS-ANNEXES.

Après ces quelques définitions préalables, nécessaires à lʼétablissement du film,


nous allons suivre notre raisonnement en plusieurs étapes.
Ayant fourni dans lʼintroduction, lʼétude du titre du film, qui nous apparaissait comme
symptomatique de lʼensemble, nous allons expliquer, dans ce même esprit dʼanalyse,
comment nous avons classé les opus godardiens précédents aux HdC, constituant la
première étape.
La seconde étape, prospective, sera effectuée selon une continuité chronologique.
Elle tentera de faire le constat du dénombrement des constantes multiplicités des
HdC, observées dans plusieurs domaines : celui des projets du film qui sont restés à
lʼétat de projets, celui des différentes versions du film (plusieurs projets qui ont pu
parvenir à être réalisés), celui enfin des nombreuses projections, parcellaires, quʼa
fait Godard pendant la réalisation. On notera un grand nombre dʼévènements
organisés autour de projections de nouvelles parties du film (la projection dʼun ou
deux chapitres).
Ensuite, ayant observé le parcours complexe et phénoménal du film à travers le
temps, les dernières étapes consistent à mieux saisir sa composition.

Cʼest la troisième étape : lister une autre multitude, celles des supports qui
revendiquent tous le même titre dʼHistoire(s) du cinéma. Nous nous pencherons,
dans la quatrième étape, sur la répartition du film en épisodes pour pouvoir
commenter deux éléments récurrents : le titre de lʼépisode (tout autant
symptomatique que le titre général) et ce que nous nommons envoi : lʼinscription
systématique, en début de film, des noms de deux personnalités.
On remarquera que la logique de certaines des inscriptions en dédicace des
personnes nous a paru, à peu près, en concordance avec le ou les thèmes employés
de lʼépisode, dʼautres en contradiction, et dʼautres encore sans objet, cʼest-à-dire
pour cette dernière, sans apparition admissible dʼune problématique fiable.
La cinquième et dernière étape examinera les rapports quʼentretiennent les HdC
avec quelques autres films de Godard. Nous pouvons les nommer liminairement :

37
Films-Annexes. Cʼest un ensemble de films réalisés par Godard et dont on définira
chaque lien quʼils détiennent avec notre film principal.

1) ÉTAPE  : CLASSEMENT DES OPUS PRÉCÉDENTS.

DE LʼUTILITÉ DES RÉFÉRENCES


Lorsque lʼon veut organiser le recensement de lʼœuvre de Godard, répartie sous
différents opus eux-mêmes hétérogènes, nous pouvons produire plusieurs structures
d'accueil. Ceci afin de les ordonner mais aussi pour que la lecture intelligente de ce
classement puisse également signifier le geste du cinéaste dans une vue
dʼensemble. Il nous est apparu que si cet ordonnancement des opus devait produire
une signification, cela serait également à partir dʼun déroulement chronologique.

PROJETS, ÉCRITS, FILMS


Un classement chronologique, offrant une distinction naturelle, sera constitué sous la
forme d'une annexe. LʼAnnexe 1 offre une table de références, regroupant la
production écrite, filmique et gestuelle sur lesquelles nous reviendrons amplement.
Effectivement, chaque œuvre référencée dans cette annexe fera l'objet de
commentaires.

COMMENTAIRE DE LA RÉFÉRENCE : UNE INTERROGATION DE LA PRATIQUE


Commenter consiste à faire l'étude des traces esthétiques de Godard. On essaye de
repérer, de trouver soit par le contenu ou par la forme, ce qui appartient déjà aux
techniques filmiques et historiques des HdC. Cʼest en fait, un type de localisation du
désir du film, qui nous fait retenir des éléments qu'il utilisera concrètement pour la
réalisation des HdC.

Après avoir procédé au classement de ces travaux, il sera primordial d'en interroger
les pratiques ; autres que celles principales à sa production (écrire, filmer), comme
monter, mixer ou programmer. L'interrogation des pratiques et des gestes sʼavère
lʼun des modes de questionnement constant de l'historiographie, comme celui de
remettre en cause rétrospectivement le sien.

38
Ce devoir dʼinterrogation est placé sous la condition de cette double réflexivité. Cette
réflexivité introspective qui se retrouve jusqu'au titre du livre : Godard par Godard10.
Cette réflexivité est double car nous devons réfléchir sur des éléments filmiques, eux-
mêmes voués à réfléchir au travers le cinéma. Nous essayerons de localiser ces
documents dans le passif du cinéaste. Ce sont les traces tangibles de ce quʼil a lui-
même constitué comme éléments de réflexion et de projection11 propres à bâtir cette
histoire du cinéma.

L'épistémologie est une autre constante caractéristique du travail de l'écriture


historique, mais pour qu'on puisse fonder son mode de réalisation, cʼest-à-dire
désigner sa condition de réalité12, il faut sans cesse remettre en cause sa propre
effectivité. Cette discipline se doit de constamment reformuler son extension
épistémologique.13

C'est dans lʼAnnexe 1 que Lʼindexation de cet ordonnancement a été établi. Il


semblait en effet plus simple et plus fertile, en termes de disposition, dʼabord de
compulser le registre des actes, tels quʼils se sont produits dans le sens dʼun
déroulement chronologique, et ensuite de le séparer concrètement du corps principal
de notre étude afin quʼon puisse mieux consulter les références, sans toutefois nous
soustraire à la lecture.

10
. Ref.172. Godard par Godard. Paris, Ed. Belfond. 1969. Ce livre constitue la première édition du JLG
par JLG. Il fut revu, introduit et annoté par Jean Narboni qui inventa le titre. Ce concept, bien quʼexistant
déjà dans les éditions littéraires, fut le premier dans le domaine du cinéma et fut maintes fois repris.
(Varda par Varda, Truffaut par Truffaut, Scorcese par Scorcese…).
Ref.176. JLG par JLG, tome I et II, Paris, 2ème Ed. de l'Étoile. 1998.
Indiquons, puisque c'est la première référence à ce livre dans cette partie, que les citations renvoient à la
seconde édition 1998, la plus récente (celle en deux volumes) car simplement c'est la plus complète et la
plus rétrospective à ce jour.
11
. HdC.2a.seul le cinéma. p.44 : [CʼEST LʼHISTOIRE DU CINÉMA / ELLE EST PLUS GRANDE / QUE
LES AUTRES / PARCE QUʼELLE SE PROJETTE.]. Il ne faut pas oublier que la notion physique de la
projection (le film sur lʼécran) évoqué par Godard contient, lorsque le cinéma est appréhendé dans sa
dimension historique, justement, une idée dʼun mouvement vers le futur : Se plonger dans les images du
passé pour pouvoir se projeter sur lʼécran des temps à venir.
NOTE : / = changement de lignes. // = changement de pages.
12
. Michel Foucault, L'archéologie du savoir, Paris, Ed Gallimard, coll. Bibliothèque des sciences
humaines, 1969.p.167.
13
. Georges Didi-Huberman, Devant l'image, Question posée aux fins d'une histoire de l'art, Paris, Ed. de
Minuit, 1990. p. 46.

39
Le travail de classement de ces archives nous ouvre la recherche sur le film lui-
même, sur ses diverses manifestations et nous permettra de situer instamment le
film HdC parmi les autres.

TROIS TYPES DE RÉFÉRENCES


En conclusion de ce chapitre, 3 types fondamentaux de références vont être
disposées pour lʼanalyse :
•PREMIÈRE RÉFÉRENCE : LA RÉFÉRENCE ÉCRITE
•DEUXIÈME RÉFÉRENCE : LA RÉFÉRENCE FILMIQUE
•TROISIÈME RÉFÉRENCE : LA RÉFÉRENCE GESTUELLE

Cette dernière référence correspond aux performances de Godard en tant quʼacteur,


que ce soit dans ses films ou dans ceux des autres.

Aussi le regroupement de tous ces articles rédigés ainsi que de tous les films
réalisés par Godard va pouvoir être le support dʼune autre fonctionnalité :
- une bibliographie critique
- sa filmographie commentée
bref ce que toute étude requiert.

Le présent assemblage de l'ANNEXE 1 des Références Écrites et des Références


Filmiques est à considérer comme bibliographie et filmographie de notre étude.

En résumé, tous les films quʼa réalisés Godard figurent dans notre deuxième volume
en Annexe 1. On peut ainsi utiliser cette liste comme filmographie complète. De plus
certains de ces films, et il en est de même avec les écrits critiques de JLG, ont
bénéficié de larges commentaires sur les liens quʼils occupent avec les HdC,
constituant lʼensemble précédemment nommé : les prédéterminations internes.

40
2) ÉTAPE  : PROSPECTION TEMPORELLE.

A/ PRÉSENTATION

Comme nous lʼavons présenté dans lʼintroduction, il sʼagit de recenser et de décrire


les différentes tentatives quʼa constituées Jean-Luc Godard en vue de réaliser les
HdC. Les tentatives se répartissent logiquement en deux groupes :
- soit la tentative nʼa pas abouti et reste à lʼétat de projet,
- soit lorsquʼelle a abouti, cela donne une version.

a/ les projets
Les tentatives des Histoire(s) du Cinéma non abouties, une fois recensées, se
regroupent sous lʼégide de plusieurs types de projets.
Les premiers projets godardiens peuvent être considérés, comme préhistoriques au
film, en tant que phénomènes. Ceux-ci se présentent sous lʼallure de propositions
dont on pourra classer les variations selon quatre modes formels.
Ce nouveau classement ressemble un peu à celui des références, dʼautant que nous
venons juste de lʼévoquer au chapitre précédent. Il convient aussi de rappeler que
ces variations formelles de propositions concernent seulement les HdC, et sont
différemment ordonnées face au système global des références à la production de
Godard.

A chaque présentation de projet, nous mettons entre parenthèses, après le titre, sa


forme de proposition :

b/ les versions
Nous commençons par ce groupe, car il ne suscite pas de présentation détaillée. En
effet, nombre de versions des HdC ont pu, de la part de Godard, être projetées et
diffusées. Elles intègrent donc de façon homogène la chaîne de fabrication usuelle
du film.

Les projets, par contre, relevant dʼune nature hétérogène, demandent à être un peu
plus explicitées :

41
B/ QUATRE VARIATIONS FORMELLES DE PROPOSITION DES PROJETS
- soit le projet existe sous une forme écrite,
- soit sous une forme plastique,
- soit sous une forme de session.
- soit encore sous une forme orale.

Ces types de propositions nous ont été fournies par la découverte de nombreux
documents dont le dénominateur commun demeure la trace écrite. Toutefois, et en
dernier ressort, nous avons amené une autre forme de proposition, associée plutôt à
la parole du cinéaste. En effet, le cinéaste, dans des entretiens (où sa parole fut
retranscrite ou filmée), fouille dans sa mémoire, et a pu confier lʼexistence de certains
projets dont nʼavons pas (encore aujourdʼhui) une trace écrite, un document qui
viendrait cautionner ce souvenir. Cʼest la raison pour laquelle nous avons séparé la
forme orale des autres formes de propositions.

a/ La forme écrite
- Soit le projet existe sous une forme écrite (scénario, synopsis de quelques feuillets).
Le scénario se présente habituellement sous lʼaspect d'une continuité. Les projets
sont conçus souvent comme un synopsis. Le résumé d'un motif du désir d'Histoire, et
qui implique, par le style de lʻécriture même, la forme future du film. Pratiquement,
cʼest une oscillation entre la disposition d'éléments de fiction (réemploi d'images et de
titres de films de fictions préexistantes) et d'éléments documentaires (utilisation
d'images issues de reportages d'actualités ou de documentaires célèbres voire
publicitaires). Ce croisement, Godard l'avait théorisé depuis longtemps : il s'agit de
voir les films de Méliès (fiction) comme des documents d'histoire, et les films de
Lumière (documentaire) comme des œuvres d'imagination.14

b/ La forme plastique
- Soit le projet se manifeste sous forme plastique : JLG privilégie alors une forme
visuelle. Des photos et des dessins de story-board sont adjoints au projet. Leur
disposition (maquette, découpage et montage) peut résolument être perçue comme
collage et si lʼécriture y participe, ce sera le plus souvent sous son aspect
typographique et manuscrit ou bien encore intitulant. Au demeurant, ce travail de

14
. Ref.Film25. LA CHINOISE. 1967. et Ref.Film41.NUMÉRO DEUX. 1975. On remarquera que cette
dichotomie inversée (Lumière-fiction // Méliès-documentaire) fut initialement déployée par Henri Langlois
et Jean Renoir, dans un documentaire qui présentait des films Lumière entrecoupés de commentaires
sous la forme dʼun dialogue ouvert que les deux hommes posaient. Eric Rohmer, LUMIÈRE. 1979.

42
visualisation, est établi graphiquement dans le seul dessein d'une obtention de
moyens financiers nécessaires à la production, en préalable à sa réalisation.
Story-board reste l'appellation usuelle la plus convenable même si celui-ci, tel que le
conçoit JLG dans ses projets, ne présente pourtant pas la manière classique du
découpage du film : visualiser la narration, par cadre, plan par plan.
On notera la variété d'éléments hétérogènes, car les projets sont composés avec des
images de toutes provenances (fiction, publicité, peintures), des collages, des titres
jusquʼà lʼutilisation de différentes photocopieuses et machines à écrire.

c/ La forme de session
- Les tentatives prennent en compte également une autre forme de proposition de
projet quʼon peut nommer session : cette proposition sʼavère favorisée sous sa forme
performative et dont il reste différents documents attestant lʼévénement.
Les sessions correspondent à des cours sur lʼHistoire du cinéma quʼa dispensés
Godard. En effet, le cinéaste a eu plusieurs fois lʼoccasion de faire cours devant des
classes dʼélèves. Ils constituent, selon lui, une base scénaristique conceptualisée
sous la formule : Faire de l'histoire du cinéma, c'est écrire des films 15. Ainsi les
sessions réunissent la projection dʼextraits de films, et la parole de Godard qui en
découle, ceci devant le même auditoire. Si Godard devait sʼexprimer exclusivement16
dans la discipline de l'expression musicale, on nommerait ces moments :
performances ou live, car elles se distinguent justement par leur caractère performatif
et se définissent comme événement singulier.

d/ La forme orale
Comme nous lʼavons annoncé précédemment, il reste encore dʼautres formes de
propositions que nous nʼavons pas référencées, puisque le décompte de ces projets
(inconnus donc) reste à ce jour ouvert. Toutefois, on incluera une dernière forme qui
est la forme orale de la proposition.
Lʼexistence de certains projets des HdC nous a été révélée, non plus par une trace
écrite directe (document tel que les autres formes de propositions le stipulaient), mais
seulement par la parole du cinéaste. Il nous apprendra ainsi lʼexistence de certains

15
. Ref.176a.Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard , [volume.1], Paris, Editions de l'Étoile.1998. 2ème
édition. p.10. “L'art à partir de la vie”, entretien avec Jean-Luc Godard par Alain Bergala : " […] j'écrivais
aussi des critiques plus subjectives dans lesquelles je faisais mon début de produire de l'écriture de
cinéma. Écrire c'est faire des films."
16
. Nous insistons sur ce principe exemplaire d'exclusivité puisque les HdC ont été éditées sur support
musical.

43
de ses projets et ceci sans que nous puissions trouver une preuve tangible, qui
viendrait cautionner sa mémoire. En effet, dans une certaine limite, notre propre
crédit, il sʼagit de croire sur parole le cinéaste, tout en soulignant quʼaucune raison
par le passé ne soit venue remettre en doute la parole de Godard. Si Godard aime
nous « raconter des histoires », tel quʼil aimait le plaisanter17, elles sont toujours
véridiques quant cela le concerne. On peut affirmer, en paraphrasant un célèbre
penseur, que Godard dit toujours la vérité même sʼil ne peux pas la dire toute18.

Il a été difficile de segmenter en plusieurs projets ce qui normalement n'aboutissait


qu'à un seul et même phénomène. Avant tout, on constatera l'évidente permanence
de l'acharnement du cinéaste.
Chaque projet des HdC devient nouveau projet par lʼune des trois conditions
suivantes. Elles apparaissent fondamentales quant à l'avenir de sa concrétisation :
• dès quʼil change de titre, (même si un seul film peut avoir plusieurs titres
provisoires).
• dès qu'une des personnes envisagées dans le processus de la production (la
fabrication) change.
• dès que la proposition du projet change de support. Ainsi, par exemple, le Projet 7
et le Projet 8 issus du même événement, se différencient à partir du support de
réception du phénomène. Cette dernière occurrence sʼavèrera la plus fréquente.

C/ CALENDRIER DES TENTATIVES : PROJETS, VERSIONS & PROJECTIONS.


a/ Projets
b/ Versions
c/ Projections (+ colloques)

On peut retrouver, si l'on veut, dès les tous premiers écrits de Jean-Luc Godard, le
désir de concevoir l'histoire avec le cinéma. Dès 1950, Godard affirme que la création
artistique ne fait que répéter la création cosmogonique, elle n'est que le double de
l'histoire19. La Deuxième Partie de ce travail de recherche s'est même efforcée de
révéler ces prédéterminations. Maintenant, il s'agit de mettre en œuvre les tentatives
d'une création précise, avec les outils de production dont se sert Godard pour former

17
. Conférence de presse de « NOUVELLE VAGUE », Cannes. Mai 1990. « Lorsquʼon me demande de
raconter des histoires, je me souviens quʼenfant on me disait toujours, “ne fais pas tant dʼhistoires”…dans
le sens de ne pas raconter des histoires, de dire la vérité. ».
18
. Jacques Lacan, Télévision, Ed. du Seuil. Paris. 1973. p.6.
19
. Ref.gz9. (1950).

44
des projets au préalable du film à venir, et de former une continuité historique dans
ces successions. Aussi, le livre Documents, paru en 2006, fut dʼun grand secours car
il permit de découvrir, un bon nombre de tentatives inédites, ainsi que lʼarticle de
Michael Witt qui en proposait également une genèse. Indiquons que la liste qui va
suivre nʼest pas exhaustive. Il reste probablement un bon nombre de traces,
dʼallusions à des Histoire(s) du cinéma embryonnaires (qui) apparaissent
20
régulièrement dans les entretiens et les documents de travail .

Aussi, après avoir procédé à leur présentation, nous allons dans une première partie
chronologique, regrouper tous les projets jusquʼà ce que Godard puissent aboutir
enfin à la réalisation de la première version. Par la suite, nous avons établi les
versions successives des projets des HdC réalisées. Cet établissement éclairera le
déroulement du calendrier des projections et diffusions du film. On remarquera que
ces projections furent souvent organisées au sein dʼun colloque.

a) Projets

(1969) - PROJET ZÉRO : [forme de la proposition : SCÉNARIO]


Titre : HISTOIRE DE L'AUDIOVISUEL ET DU CINÉMA
PRODUCTION : RAI
RÉALISATION : Groupe Dziga Vertov / Jean-Luc Godard & Jean-Pierre Gorin.
DIFFUSION/DISTRIBUTION : Télévision (Italie)
Ce projet nʼest pas celui que nous considérons comme premier (dʼoù son appellation
projet zéro). Évidemment, car antérieur aux autres qui vont suivre, mais deux raisons
supplémentaires nous empèchent de pouvoir lʼintégrer comme un projet des HdC, à
part entière, dans la liste dans notre énumération. Tout dʼabord par le fait quʼil fasse
partie dʼautres projets établis dont nous nʼavons pas encore connaissance, et ensuite
quʼil soit une co-réalisation, issue du groupe « Dziga Vertov ». Nous rappelons que
nous avons décidé que cʼest à partir de sa rupture avec le groupe, que les HdC
peuvent commencer à être pleinement considérées. Malgré des projets de co-
réalisation que nous observerons, ainsi que des allusions embryonnaires collectives

20
. Michael Witt, “Genèse d'une véritable histoire du cinéma”, Jean-Luc Godard - DOCUMENTS, Paris, Ed.
Centre Pompidou, 2006. p. 271. On retrouve par exemple, autour du groupe DZIGA VERTOV, certains de
ces éléments allusifs. Ainsi dans un recueil inédit (rédigé par le groupe) intitulé « A BAS LE CINÉMA », en
3 volumes, dans le chapitre intitulé : Histoire de la Photographie.

45
antérieures, cʼest un projet dont la base demeure singulière, puisque liée à
lʼintrospection situationnelle de Godard et à lʼexercice de sa solitude.

En 1969, La RAI passa commande d'un film qui devint VENT D'EST21 (les
responsables de la RAI refusèrent de le diffuser). Parallèlement, Godard mit au point
un projet historique avec Jean-Pierre Gorin, comprenant des textes et des images et
le proposèrent également à la RAI, qui ne donna pas suite. Alberto Farassino faisait
remarquer que le film VENT D'EST, portait en lui déjà un début d'interrogation
historique sur le genre du Western, du drame en costume, du cinéma hollywoodien,
et de la naissance de la photographie22 et l'on peut ajouter que la présence à lʼécran,
des cinéastes Glauber Rocha et Marco Ferreri (avec celle de Godard même)
fournissent un nouvel espace de réflexion historique tel quʼon pourra le retrouver
avec notre film. Cela est d'autant plus remarquable, que les deux amis-cinéastes, du
fait, peut-être, de leur participation, consécutivement et séparément, vont faire, eux
aussi, un western démythifié23, approuvant alors par ce geste filmique, ce que
Godard affirmait : il n'y a pas de différence entre faire du cinéma et écrire l'histoire du
cinéma24.

(JANVIER 1973)25 - PROJET 1 : [forme de la proposition : SCÉNARIO]


Titre : MOI, JE…26
PRODUCTION : JLG
RÉALISATION : Jean-Luc Godard.
DIFFUSION/DISTRIBUTION: Commission dʼavances sur recettes du CNC

21
. Ref.Film34. VENT D'EST. 1969. [Groupe Dziga Vertov]
22
. Alberto Farassino, “Introduction à un véritable historien du cinéma”, Jean-Luc Godard : un hommage
du centre culturel français et du museo Nazionale del Cinema de Turin, Turin, Ed. Centre Culturel français
de Turin, 1990. p.52.
23
. Marco Ferreri, TOUCHE PAS À LA FEMME BLANCHE. 1974. (produit par J.P.Rassam, ce western
utilise le trou des Halles et ses alentours comme décor et ne cherche nullement à dissimuler la modernité
de Paris, ses voitures ou le public regardant Piccoli "déguisé" en Buffalo Bill )
• Glauber Rocha, ANTONIO DAS MORTES. 1969. (« faire un antiwestern dans l'esprit de Peckinpah et de
Godard »)
24
. Ref.178.21. Les cinémathèques et l'histoire du cinéma. (1978)
25
. Ref.178-18. MOI, JE, projet de film (1973). in Jean-Luc Godard, DOCUMENTS, Paris, Edition Centre
Pompidou. 2006. p.195-243.
26
. Michael Witt, “Genèse d'une véritable histoire du cinéma”, Jean-Luc Godard - DOCUMENTS, Paris, Ed.
Centre Pompidou, 2006.

46
Vouloir retrouver la trace originelle du projet des HdC, à partir des premiers écrits,
peut sembler une quête idéaliste. Le désir sʼavère diffus à travers toute la personne
et tout son travail préalable27. Par contre, nous pouvons clairement supposer que
cʼest à partir du scénario de « MOI, JE» que Godard va chercher dans un projet
filmique, à se mettre en scène —sans truchement fictionnel ou sans substitut
personnifié par un acteur—, et conjointement de tenter une rétrospective historique
du cinéma en produisant des éléments réflexifs (cʼest-à-dire filmique), sur son métier
et ses techniques.
Ce projet, qui nʼest donc pas vraiment le tout premier, demeure bien à lʼorigine des
HdC28.
Ce Scénario est un projet de film que le cinéaste dépose à la commission dʼavances
sur recettes du CNC en Janvier 197329. Il fut réédité en 2006, dans lʼouvrage collectif
DOCUMENTS, JEAN-LUC GODARD. Cet ouvrage comprend, nous venons de
lʼaffirmer, un grand nombre de lettres et de projets de Godard inédits ainsi que des
contributions critiques qui viennent à établir et commenter ces documents.
Le projet « MOI, JE » se présente en une quarantaine de pages, et constitue, sans doute
le document le plus important de ce livre, avec le Story-board américain des HdC
(Projet.3). A noter que 40 pages, constituent, pour Godard, lʼun des volumes les plus
imposants en tant que document-scénario, avec le Numéro 300 des Cahiers du
Cinéma30, qui nous ait été donné de lire. Le film, selon les vœux du cinéaste, se
composerait en deux parties :

1) Je suis un homme politique.


2) Je suis une machine.

À partir d'un constat philosophique en trois plans, Godard le décompose comme suit :

27
. On rappellera pourtant la première participation de Godard en tant que JLG, —cʼest-à-dire dans
lʼexpression auto-affirmative dʼêtre cinéaste et ceci dans lʼespace même de son film— remonte à
CAMÉRA-ŒIL, film sketch tiré de LOIN DU VIETNAM (1967), mais dans ce film, les éléments réflexifs de
son métier ou de sa technique demeurent essentiellement politiques et contestataires. Ils ne font pas
preuves encore dʼune volonté rétrospective dʼépouser une globalité quʼelle soit historique ou
cinématographique. Ref.Film 24. CAMÉRA-ŒIL. 1967.
28
. Il est projet Zéro et non Projet UN.
29
. Antoine De Baecque, Godard, biographie, Paris, Grasset, 2010. p.517.
30
. Ce numéro 300 des Cahiers du Cinéma a comporte trois références différentes, car cʼest un numéro
spécial entièrment fait par JLG : Ref.161, Ref.162 et Ref.304.

47
1) PREMIER PLAN : plan profond et automatique, plan biologique, INCONSCIENT, de la
répétition. et production, [BASES]
2) DEUXIÈME PLAN : Plan du comportement machinale. rapportant le geste et une
partie du langage. SUBCONSCIENT. de la différence. et enregistrement,
[CONDITIONS]
3) TROISIÈME PLAN : le plan lucide se rapporte à la CONSCIENCE. au désiro-sociale
et à la consommation, [CHANGEMENT]

Citant ces sources d'établissement de la matière dont il est construit :


- En italique : François Jacob,
- Souligné : Gilles Deleuze et Félix Guattari, L'Anti-œdipe,
- Gras : Karl Marx,
- [Entre crochet] : Mao Zedong).

Ce sont les bases dʼune réflexion quʼil produira plus tard dans NUMERO DEUX31.
Présenté par Michael Temple32, lʼédition de ce projet de film-scénario, dont la
présentation/pagination est déjà d'une approche ardue, donne confirmation de plusieurs
éléments fondateurs de notre propre travail et sur lesquels nous pourrons revenir
amplement.

Ainsi dans ce document, la notion de couple (COPULE) retient notre attention, car elle
va produire une scission sur un certain nombre d'autres domaines, telles des
séparations dialectiques.
Le Je suis une machine, comme le monologuait déjà Pierrot-Belmondo33, va se retrouver
amplifié par Godard qui va jusquʼà citer W.S.Burroughs pour pouvoir appliquer ce
principe.

"Qui écrira un jour la véritable histoire du cinéma et de la télévision ?"

31
. Ref.Film41. NUMÉRO DEUX. 1975.
32 32
. . Michael Witt, “Genèse d'une véritable histoire du cinéma”, Jean-Luc Godard - DOCUMENTS, Paris,
Ed. Centre Pompidou, 2006.
33
. Ref.Film19. PIERROT LE FOU. 1965. Pierrot évoque lʼimpression dʼêtre deux machines séparées. Ce
qui vient dʼailleurs entériner lʼidée de la séparation dialectique.

48
(1973) - PROJET 2 : [forme de la proposition: SCÉNARIO]
Titre : HISTOIRE(S) DU CINÉMA . FRAGMENTS INCONNUS D'UNE HISTOIRE DU
CINÉMATOGRAPHE34
PRODUCTION : /
RÉALISATION : Jean-Luc Godard & Jean-Pierre Gorin
DIFFUSION/DISTRIBUTION: /

Ce document se répartit selon 6 modules :


1-Comment GRIFFITH chercha LE MONTAGE et trouva le gros plan;
Comment EISENSTEIN chercha LE MONTAGE pour trouver l'angle;

2-Comment STERNBERG éclaira MARLENE


Comme SPEER les apparitions d'HITLER
et Comment il résulta le premier film Policier;

3-Comment SARTRE imposa à ASTRUC de tenir une caméra comme un stylo


pour qu'elle tombe sous le sens et ne s'en relève plus;

4- Le véritable réalisme : Roberto ROSSELLINI;


Comment BRECHT dit aux OUVRIERS DE BERLIN-EST de garder leurs distances;

5-Comment GORIN partit ailleurs et PERSONNE ne revint;


Comment GODARD se transforme en magnétophone;

6-Comment fonctionne la conservation des images


par les membres du conseil d'administration de la CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE;
La lutte entre KODAK et 3M; l'invention du SECAM.

Ce projet fut lu par le directeur de la photographie Armand Marco (Du groupe Dziga
Vertov) à David Faroult au cours d'un entretien le 2/08/2002, pour les soins de sa
thèse de Doctorat : “Avant-garde cinématographique et avant-garde politique :
Cinéthique et le "groupe" Dziga Vertov”, à lʼUniversité de Paris III-Sorbonne nouvelle,
en 2002. On relèvera, outre les figures de style comparatives et de répétition quʼon
détecte de nombreuses fois à travers la voix-off du cinéaste, que le choix des
cinéastes cités ci-dessus fut également lʼobjet de sujet dʼétude dans le montage du
film qui nous occupe. On relève une fois encore le processus du devenir-machine
chez Godard (5).

34
. David Faroult, “Avant-garde cinématographique et avant-garde politique : Cinéthique et le "groupe"
Dziga Vertov”, Thèse de doctorat, Université de Paris III-Sorbonne nouvelle, 2002. p.147. Repris par
Michael Witt, “Genèse d'une véritable histoire du cinéma”, Jean-Luc Godard - DOCUMENTS, Paris, Ed.
Centre Pompidou, 2006. p.270.

49
(Non daté. circa 1974 / début 1975) - PROJET 3 : [forme de la proposition: STORY-
BOARD AMÉRICAIN]
Titre : HISTOIRE(S) DU CINÉMA ET DE LA TÉLÉVISION35
PRODUCTION : SONIMAGE represented by Jean-Pierre Rassam
RÉALISATION : Jean-Luc Godard & Anne-Marie Miéville.
DIFFUSION/DISTRIBUTION: Télévision (U.S.A.)

Ce projet fut publié dans lʼouvrage collectif DOCUMENTS JEAN-LUC GODARD.


VOYAGES EN UTOPIES (1946/2006)36. Le document avait été donné par Godard à
Wilfried Reichart, dont deux pages ont servi pour illustrer un entretien37 en
Septembre 1978.
Mais en absence de toute référence temporelle, sa datation sʼavère problématique38.
Toutefois un certain nombre dʼéléments chronologiques vont nous permettre de
proposer une situation : la présence, sur le document, d'un tampon qui stipule la
production SONIMAGE39 au lieu dʼun en-tête (référencé SONIMAGE) que Godard
utilisa dès juillet 197540, le croisement des rencontres de Godard, avec le producteur
du projet Rassam, et la co-réalisatrice Anne-Marie Miéville41. La co-réalisation dʼICI
ET AILLEURS avec elle, dont Rassam partagea les frais en 197442, nous conduit à
dater le projet 3 vers fin 1974. Comme confirmation de la datation de cette période,
certaines des images détournées, qui sont reprises dans ce projet, sont présentes
dans ICI ET AILLEURS (1974) ainsi que dans SIX FOIS DEUX (1976)43.
De plus, on constate l'absence d'éléments tapuscrits. Revenons sur un élément
récurrent, que lʼon trouve, à partir de 1973, dans ses travaux graphiques pour le
titrage et la rédaction de phrases : l'utilisation de la machine à écrire. Ici, dans ce

35
. Ref.178.20. Histoire(s) du cinéma et de la télévision. p.281.
36
. Ref.178. Documents - Jean-Luc Godard , Paris, Ed. Centre Pompidou (2006).
37
. Wolfram Schütte & Peter W. Jansen, Jean-Luc Godard, Munich, Carl Hansen Verlag, 1979.
38
. Problème dʼailleurs posé pour lʼauteur lui-même puisque lʼédition de lʼouvrage collectif lui a été soumis.
39
. SONIMAGE est une société de production fondée Godard et Gorin à partir de 1972 pour LETTER TO
JANE. Rassam ayant pris des parts dans cette société à partir dʼICI ET AILLEURS. Par la suite, Rassam et
Godard vont ouvrir SONOVISION pour équiper ce dernier en matériel vidéo. Voir Mathias Rubin, Rassam
le magnifique, Paris, Ed. Flammarion. 2007.p166. L'absence de texte tapé à la machine à écrire ainsi que
le tampon présent à la fin peut suggérer une rédaction dans un lieu de production encore provisoire. Le
numéro de téléphone ne sera plus le même que celui du papier en tête officiel du bureau Sonimage de
Grenoble.
40
. Ref.178.19b. Lettre à Langlois (07/1975).
41
. Ce nʼest donc plus Gorin 1973 et pas encore Langlois en 1976 (Projet 4).
42
. Antoine De Baecque, Godard, biographie, Paris, Grasset, 2010. p.517.
43
. Ref.178.18. Michael Witt, “Genèse d'une véritable histoire du cinéma”, Jean-Luc Godard -
DOCUMENTS, Paris, Ed. Centre Pompidou, 2006. p.273.

50
story-board, tous les lettrages sont encore faits à la main, ce qui, formellement, le
rapproche un peu plus des CINÉ-TRACTS qui eux ont été réalisés autour de 1968.
Un autre élément de composition sur un des collages du projet : une annonce
publicitaire, peut nous aider à dater le projet peut-être plus précisément. Cette
publicité, issue de la presse écrite, est détournée. Elle annonce le lancement du
nouveau téléviseur ITT COLOR 51, or sa création date de 1972. On peut supposer
que la campagne de presse attenante ait été produite dans lʼannée de son
apparition44.
Pour finir sur ces suppositions, la rédaction en anglais laisse supposer que ce projet
fut rédigé avant 1974, à la demande expresse de Jean-Pierre Rassam45, qui ira, avec
Godard et Gorin, en Octobre 1972, après le festival de Venise, présenter TOUT VA
BIEN aux USA. Le projet initié par Rassam, et co-réalisé par Miéville correspond
donc au moment où Godard commence juste à s'installer à Grenoble46. Logiquement
il pourrait être lʼun des projets que reprendrait Godard, après avoir finalisé ICI ET
AILLEURS (1974) et avant lʼenclenchement de la production de NUMÉRO DEUX
lʼannée dʼaprès, dû, cette fois-ci, à sa rencontre avec Georges de Beauregard.

Ce projet se présente comme un projet de programme pour la télévision dʼune durée


de 10 heures. Ce sont dix épisodes dont la moitié représente le cinéma muet (silent)
et l'autre le parlant (talking). Avec quelques indications sur le type de machines à
utiliser pour faire le kinescopage du programme, Godard surprend dʼautant plus
quand il fournit la grille horaire de la télédiffusion de son film, répartie sur deux ans.
Cette proposition s'avère dʼailleurs être relativement incongrue, quant au regard des
directeurs de chaînes susceptibles d'acheter le programme. A ce propos, Sidney
Lumet, réalisateur qui a fait tout une partie de sa carrière à la télévision américaine, a
réalisé un film pendant cette période sur ce médium : NETWORK47. Il montre
relativement bien, à travers une fiction se déroulant à l'intérieur d'une chaîne
nationale, comment les rapports de pouvoir et de hiérarchie sont injustes et
inéquitables, précisément entre réalisateurs et agents de la Direction des
programmes et au détriment des premiers.

44
. Habituellement, lʼapparition dʼobjets industrialisés de la vie courante correspond à la datation de leur
mise sur le marché.
45
. Rappelons que Godard est allé aux USA avec Rassam en Octobre 1972. Le nom de Rassam figure sur
la dernière page du projet.
46
. Godard s'installe à Grenoble avec Anne-Marie Miéville fin 1973 et en partira en 1978.
47
. Sidney Lumet, NETWORK (Network. Main basse sur la télévision, 1975).

51
En effet, comment le réalisateur pourrait-il imposer le mode de diffusion horaire de
son film (Godard propose les mois de diffusion pour chaque épisode) ? Il reste à la
disposition du service achat, qui une fois le film acheté, peut le diffuser comme bon
lui semble. Ce genre de prérogative, de la part de Godard, sʼavère totalement
tactique, car c'est pour créer un rapport de force sur un terrain extérieur au sien, pour
que l'on ne puisse le remettre en cause.

1976 - PROJET 4 : [forme de la proposition: ORALE ]


Titre : MES FILMS48
PRODUCTION : SFP (Commande)
RÉALISATION : Jean-Luc Godard.
DIFFUSION/DISTRIBUTION : Télévision
Cʼest un projet pour lequel nous nʼavons pas de document attestant son existence. Il
est seulement évoqué deux fois par Godard dans le livre Introduction à une véritable
histoire du cinéma (pages 161 & 321). Rapellons que ce livre retranscrit plus ou
moins exactement 49 la parole du cinéaste lors des sessions quʼil effectua à Montréal
en 1978. Il ressemble à lʼune des parties que lʼon trouve dans le 1a, premier chapitre
du film, puisque sans autres précisions, Godard projetait de faire, avec Mes films, ce
qui serait simplement raconter les films que je nʼai pas faits et les films que je ne ferai
jamais50.
Ce projet fut également relevé par Michael Witt, dans son étude généalogique des
Histoire(s) du cinéma51.

48
. Ref.173.Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros, 1980.
49
. Voir Infra. Projets 7 & 11. En effet, ce livre nʼa vraisemblablement pas été corrigé par un secrétaire de
rédaction. Il présente des coquilles et des erreurs quant aux noms propres (Ted Browning au lieu de
Tod…), cʼest souvent pour cette raison que certains critiques nʼont pas voulu sʼy référer, en lʼécartant avec
dédain, mais en dehors de cette absence de relecture, et grâce peut-être à la brutalité même du matériau,
ce document fournit un grand nombre de renseignements assez révélateurs sur le rythme et sur le ton de
sa parole, sur lʼétat dʼesprit de Godard laissant libre cours aux associations dʼidées ainsi quʼà ses
hésitations.
50
. Ref.173.Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros, 1980. p.321.
51
. Michael Witt, “Genèse d'une véritable histoire du cinéma”, Jean-Luc Godard - DOCUMENTS, Paris,
Ed. Centre Pompidou, 2006. p.271.

52
(12/1976) - PROJET 5 : [forme de la proposition : Synopsis développé (hypothèse)]
Titre : HISTOIRE AUDIOVISUELLE DU CINÉMA.
PRODUCTION : Jean-Pierre Rassam (GAUMONT)
RÉALISATION : Jean-Luc Godard & Henri Langlois.
SCÉNARIO : Jean-Luc Godard & Henri Langlois.
DIFFUSION/DISTRIBUTION : Support Cassettes VIDÉO, Salles de Cinéma (film)

Langlois et Godard devaient écrire ensemble, afin de co-réaliser ce film. Ils avaient
pour ambition de le sortir en salles ainsi quʼen vidéocassettes52, financé et produit
par Rassam, dont le rôle clé à la Gaumont quelques années plus tôt s'est déjà révélé
crucial pour les expérimentations de Godard et de Miéville sur la technologie vidéo.53
Sans que lʼon ne sache exactement quand cette collaboration débuta, la mort de
Langlois en Janvier 1977 viendra clore ce projet. On peut regretter, autant que
Godard, combien cette coopération aurait pu être fructueuse :
"Les dernières fois que je l'ai vu, je comptais sur lui, pour me piloter dans l'histoire du
54
cinéma."
Piloter sʼavère un terme révélateur quant à la disposition d'esprit de Godard. Esprit
voué à une réelle humilité face à Langlois, jusquʼà pouvoir se laisser disposer aux
avis historiques de ce dernier. Cela, même si le cinéaste pouvait diverger
radicalement sur certains points comme le fonctionnement de la Cinémathèque par
exemple, entraînant son départ du Conseil dʼAdministration55. On imagine alors une
version du film bien différente, quand on possède, tel Langlois, une connaissance
encyclopédique saisissante sur le cinéma muet, et plus précisément celles sur le
domaine français et italien56. Une version que sa disparition viendra placer parmi les
films qui ne sont jamais faits. On peut présumer quʼà partir de cette disparition,
Godard voudra rester seul pour réaliser ce film. Il assume complètement cet
isolement, comme on l'a vu dans le commentaire du titre seul, le cinéma. Cʼest-à-dire
Godard est maintenant seul face au cinéma.

52
. Richard Roud, A Passion for Films : Henri Langlois and the Cinémathèque Française, Londres, Ed.
Secker and Warburg, 1983. p.199.
53
. Michael Witt, “Genèse d'une véritable histoire du cinéma”, Jean-Luc Godard - DOCUMENTS, Paris, Ed.
Centre Pompidou, 2006. p.271.
54
. Ref.178.21. Les cinémathèques et l'histoire du cinéma (1978).
55
. Ref.178-19. (1975) Deux lettres à Henri Langlois. p.248. Voir précisément Ref.178-19b.
56
. Pour sʼen convaincre, il suffit de lire, par exemple, son étude sur le cinéma Italien. Henri Langlois,
« Destin du Cinéma Italien », CAHIERS DU CINÉMA n°33.p.3-17. 1954.

53
(1977) - PROJET 6 [forme de la proposition : SESSION]
Titre : ASPECT INCONNU DE L'HISTOIRE DU CINÉMA. (PROJET MONTRÉAL)
Autre titre : Introduction à une véritable histoire du cinéma et de la télévision
PRODUCTION : SONIMAGE ET C.A.C.M57
RÉALISATION : Jean-Luc Godard
DIFFUSION/DISTRIBUTION : VIDÉO
Les CONFÉRENCES ILLUSTRÉES : SCÉNARIO DES HDC

Les conférences effectuées par Godard, et proposées par le Conservatoire d'Art


Cinématographique à Montréal58, ne succèdent pas à celles de Langlois, elles en
sont une continuation d'une autre manière59. C'est en 1978 qu'il décide, avec
Losique, de ce cycle pour des étudiants en cinéma. La nature et le principe mêmes
du cycle des conférences illustrées n'est pas sans évoquer la structure finale des
HdC. D'abord la considération de son travail entrepris vient à prouver la réalité du lien
entre le film et ces conférences :
"Plutôt que de donner des cours (...) j'avais proposé à Serge Losique (...) un genre de co-
production qui serait une sorte de scénario d'une éventuelle série de films intitulée :
60
introduction à une véritable histoire du cinéma."

Ensuite, répartis selon l'agencement de dix Voyages décomposés en vingt


conférences (deux par voyages), ils peuvent aussi correspondre structurellement à la
partition prévue initialement en décalogue des HdC :
"(Les HdC ont été réalisées) après avoir été ébauchées d'une manière plutôt différente,
sous la forme d'une série de conférences illustrées données à Montréal dix ans
61
auparavant."
Finalement Serge Losique et Jean-Luc Godard furent d'accord pour effectuer Vingt
conférences, réparties sur Sept voyages et regroupées en deux mois sur des
vendredis et samedis consécutifs.

57
. Conservatoire d'Art Cinématographique de Montréal, (Directeur : Serge Losique).
58
. Dirigé par Serge Losique qui est à l'initiative de la proposition du continuation du travail entrepris par
Langlois.
59
.Ref.173.Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros, 1980.p.165.
60
.Ref.173.Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros, 1980.p.14.
61
. Propos de Godard, rapporté par : Jonathan Rosenbaum, “Bande-annonce pour les Histoire(s) du
cinéma de Godard”, TRAFIC n°21. Printemps 1997. Dix ans auparavant du moment de la première
diffusion des deux premiers épisodes 1988, ce qui donne 1978.

54
Chaque VOYAGE comportait deux jours de cours qui était répartis en deux parties
temporellement distinctes :
• Le Matin : Projection cinéma (composée de morceaux de films de l'histoire du
cinéma), définie à l'avance par JLG, et dont l'enjeu principal restait la confrontation
du cinéma dans un ensemble historique avec la sienne propre.
Notons que le morcellement prévu par Godard, se faisait par bloc de dix minutes,
puisque le déroulement dʼune projection cinématographique se produisait grâce à
lʼalternance de deux projecteurs diffusant des bobines de chacune dix minutes.
Chaque bobine est calibrée à une centaine de mètres, correspondant à une dizaine
de minutes. Un long métrage de 90 minutes nécessite logiquement donc neuf
bobines. Godard décidait de projeter le matin, la ou les deux premières bobines du
début dʼun film (Les 10 ou les 20 premières minutes) ou encore la dernière bobine
dʼun autre film (les dix dernières minutes). On peut noter aussi quʼà cette époque,
lʼaccessibilité de films précis nʼétait pas aussi aisée quʼaujourdʼhui. On constate donc
lʼécart entre les films que choisissait Godard et les films qui ont été réellement
projetés. Ces précisions nous sont présentés par le livre IVHdC62, qui stipulait en tête
de voyages (chapitre du livre) la liste des titres de films désirés, puis la lecture du dit
chapitre fournissait ceux qui ont été finalement projetés. De plus, lʼouvrage révèle,
plusieurs fois mais pas systématiquement, lʼemplacement de lʼextrait sur lʼétendue du
film choisi ou projeté.

• L'après-midi : Réunion, discussion autour de ce qu'on a vu le matin. Exercice de la


parole sur le cinéma, initié par le jeu d'un commentaire, le tout en direct63. Le livre,
rappelons-le encore64, est une fidèle retranscription de cette parole godardienne,
dont la liberté de ton, lʼassociation libre, est indéniable et sʼavère dʼune grande
fertilité. Répétons-le aussi, lʼabsence de correction du livre, présentant un grand
nombre de fautes, nous permet par ce défaut même dʼêtre au plus près de
lʼinstantanéité de sa parole, incorporant répétitions et hésitations.

Mais une rupture sur le contrat prévu, intervint, car Serge Losique ne paya plus
Godard. Aussi de fait, il effectua 14 conférences sur les 20 envisagées.
Godard apportait un peu de son histoire par la projection de ses propres films.

62
. IVHdC est lʼabréviation de la Ref.173 : Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed.
Albatros, 1980
63
. Ref.173.Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros, 1980.p.6.
64
. À ce sujet, lire Infra le Projet 7 dont la forme de proposition est le livre en tant que tel.

55
Une des définitions des HdC, à partir de ce projet pourrait être : un assemblage
d'extraits de films sur lesquels Godard exerce un commentaire, avis en rapport avec
sa propre production. Cette parole, Godard lʼénonce directement comme un scénario
pour le film à venir.

"C'est ainsi que le scénario fut divisé en plusieurs chapitres ou voyages (dix), avec un devis
de 10 000 dollars canadiens par chapitre, à partager entre le conservatoire et l'entreprise de
65
cinéma dont je fais partie, Sonimage."

(1980) - PROJET 7 : [forme de la proposition : LIVRE (PREMIÈRE ÉDITION)]


Titre : INTRODUCTION À UNE VÉRITABLE HISTOIRE DU CINÉMA (TOME 1).66
PRODUCTION (Éditeur) : ALBATROS. COLLECTION ÇA CINEMA
AUTEUR : Jean-Luc Godard
DIFFUSION/DISTRIBUTION : ALBATROS

Ce projet se présente sous forme de livre.


La première édition du livre Introduction à une véritable histoire du cinéma constitue
l'un des éléments fondateurs du projet des HdC.
Ce projet 7, même s'il est établi à partir du même évènement que le projet 6 est
différent car la rupture du contrat précédent entraîna Godard à devoir chercher une
nouvelle source de production afin que que son projet puisse sʼachever.

Ce livre est composé à partir des retranscriptions des conférences illustrées de


Godard à Montréal. Parce quʼil nʼy avait pas de source écrite à lʼorigine, quʼen
transformant la parole de Godard en écriture, il subsiste un certain nombre de fautes
typographiques et d'orthographe (les noms propres particulièrement). Visiblement il
n'a pas bénéficié de relecture de la part de l'auteur. Cʼest une des raisons principales
par laquelle le livre souffre autant dʼune mauvaise réputation jusquʼà son impossibilité
de pouvoir le citer.

CE NʼEST PAS JUSTE UN JEU DE MOTS, CʼEST UN JEU DE MOTS JUSTE


Mais cette même raison peut présenter quelques avantages. Elle va nous apporter la
parole de Godard dans toute sa spontanéité et sa concrétion. Toutes les hésitations et
65
.Ref.173.Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros, 1980.p.15.
66
.Ref.173.Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros, 1980.

56
répétitions, jusquʼaux fautes de syntaxe que concède la langue orale67, rendent vivante
la parole de Godard et nous fait comprendre ce que souvent on ne parvenait à
comprendre ou limitait au strict jeu de mots.

Ce livre constitue, comme l'a défini Godard, le scénario d'une série68 future d'une
histoire de l'audiovisuel. Il provient très probablement de la partition par épisodes, et
son titre démontre tout autant l'affirmation forte d'une filiation entre le livre et le film.

(1981) - PROJET 8 : [forme de la proposition: SESSION]


Titre : INTRODUCTION À UNE VÉRITABLE HISTOIRE DU CINÉMA ET DE LA
TÉLÉVISION. (PROJET ROTTERDAM I (02/1981), ROTTERDAM II (06/1981)]
PRODUCTION : SONIMAGE / F.A.R. (Hubert Baals & Monica Tegelaar)
RÉALISATION : Jean-Luc Godard
SCÉNARIO : Jean-Luc Godard
DIFFUSION/DISTRIBUTION : Support Cassettes VIDÉO, Salles de Cinéma (film)

LA DISPOSITION ALÉATOIRE DU PROGRAMME


ENGENDRE REFLEXION ET DIALOGUE .
La fondation d'Arts de Rotterdam a demandé à Godard, après Montréal, de
renouveler l'expérience de conférences illustrées. Godard accepte sous la condition
onéreuse dʼun kinéscopage. Des cassettes pourraient être réalisées en vidéo où des
fragments de films viendraient en exemples illustrer des points de discussion où il
proposerait ses remarques sur des questions que lui soumettraient les élèves. 69 Le
premier cours eu lieu en Février 1981, à l'époque du Festival de Rotterdam :

Le contenu du programme de la première cession fut la projection de son film SAUVE


70 71
QUI PEUT (LA VIE) , coupé de façon intermittente par des extraits d'autres films. .

67
.Un secrétaire de rédaction habituellement corrige, conforme pour le passage au stade écrit cette
parole.
68
Ref.173. p.165.
69
. Jean-Claude Biette, “Godard et son histoire du cinéma [Rotterdam lI], Petit Journal des CAHIERS DU
CINÉMA n°327, 09/1981. p.V-VI.” Biette opère un descriptif précis de cette deuxième session.
70
. Ref.Film.46b. SAUVE QUI PEUT (LA VIE). (coréalisé avec A.M.Miéville, 1980). Film de fiction cinéma,
qui annonce le retour de Godard dans la réalisation de fictions de long-métrages. A noter l'utilisation d'une
technique de ralenti discontinu dans le film directement issu de ses expérimentation grenobloises de la
vidéo.
71
. Jean-Claude Biette, “Godard et son histoire du cinéma [Rotterdam lI], Petit Journal des CAHIERS DU
CINÉMA n°327, 09/1981. p.V.”

57
La deuxième session (09/07/81) s'organisa autour de projections où alterne trois
films parlants et trois films muets.
Déroulement du programme :

- LE CRI (Antonioni, 1957)


- VARIÉTÉS (Dupont, 1925)
- UGETSU MONOGATARI (Mizoguchi, 1953)
- Film allemand muet inconnu
- UMBERTO D. (De Sica, 1952)
- LA LIGNE GÉNÉRALE (Eisenstein, 1929)

Nous retrouvons en conclusion de ces deux cessions, la mise en pratique que nous
avions soulignée au moment du commentaire sur le titre 1b toutes les histoires. Le
produit du rapport personnel de lʼhistoire à Godard (session 1) avec la grande
histoire (session 2) articulée pour sa présentation sur le mode dialectique
(attraction/répulsion) Muet // Parlant.

(1983) - PROJET 9 : [forme de la proposition : SESSION]


Titre : PROJECTION D'EXTRAITS DE FILMS SÉLECTIONNÉS (PARIS, CHAILLOT)
PRODUCTION : JLG Films/ Cinémathèque française.
RÉALISATION : Jean-Luc Godard
DIFFUSION/DISTRIBUTION : /

Remarquons que ce projet nʼest pas totalement comme les précédents. Il nʼest pas
destiné concrêtement à être réalisé. Celui-ci serait plutôt une conséquence des HdC,
toutefois, il demeure important de le prendre en considération pour pouvoir relever
lʼaction performative de Godard et noter cette correspondance.
Cette projection fut établie à l'occasion de la parution du livre GODARD PAR
GODARD72. Nouvellement établi par Alain Bergala, regroupant presque tous ses
articles de critique de cinéma, il fut adjoint d'une série de documents iconographiques
ainsi que dʼun long entretien biographique inédit organisé par Bergala spécialement
conçu pour cette édition.

72
. Ref. 174. Godard par Godard.(seconde éition) Ed. de lʼÉtoile. 1984. La première édition date de 1969
(établie par Jean Narboni, Ref.171).

58
Godard présenta à la Cinémathèque française, dans la salle du Palais de Chaillot,
une séries d'extraits de films de fiction dont la liste provient principalement recouper
celle du livre « Introduction à une véritable histoire du cinéma et de la télévision ».
Volonté de confronter, une programmation de films projetés (à l'exclusion des siens)
afin de les mettre en présence, en montage, avec la somme de ses écrits.
Il sʼagit donc dʼune confrontation structurelle et conceptuelle des HdC : montage
d'une production d'images et de sons avec la parole et la pensée de Godard (ici
reproduites dans son livre avec cet entretien). Rappellons que ce montage dʼextraits
au début des années 80 est un geste encore rare, ce qui aujourdʼhui peut sembler
courant et même relativement facile à opérer grâce à la numérisation des films et à la
souplesse du materiel informatique de projection. Ici ce sont des débuts de films par
bobines. Godard est alors plus créateur dans lʼesprit de cette contrainte avec la
programmation des films que le montage proprement dit. Ce geste est en lien direct
avec le type du projet 6 évidemment, mais aussi on peut évoquer sa situation
spatiale (Palais de Chaillot) et le rapporter aux type de programmations quʼeffectua
Langlois.

(1984) - PROJET 10 : [forme de la proposition :


73
STORY-BOARD+CONTRAT DE DIX ÉPISODES]
Titre : HISTOIRE(S) DU CINÉMA
PRODUCTION : CANAL PLUS. JLG Films
RÉALISATION : Jean-Luc Godard
DIFFUSION/DISTRIBUTION : Télévision (CANAL PLUS)
PROJET 10 = VERSION 1
La version 1 (deux premiers épisode des HdC) furent diffusés
sur Canal +, en Mai 1989.

La production des deux premiers épisodes a été possible pour Godard par le
concours croisé de plusieurs producteurs. Obtenant l'aval premier (mais
probablement insuffisant) de Canal plus, acquis grâce à l'envoi d'un story-board
(proche du Projet 3) le projet fut garanti par la signature d'un contrat.
Le contrat entre les deux parties stipule la production de dix épisodes de 50 minutes
chacun.

73
. DOCUMENT BiFi. (sans numéro de référence). Ce Story-board lu et compulsé nous a été interdit
spécifiquement à reproduire même partielle ou rétribuée.

59
Il va falloir attendre, selon Michael Witt74, que Gaumont par son plus haut
représentant Nicolas Seydoux, s'engage personnellement dans l'aventure de cette
production, pour que la concrétisation s'opère prenant la forme d'un film de
compilation —aventure car un film de compilation, pour une société de production ou
de chaîne de télévision, est un casse-tête en termes de droit juridique quant à sa
diffusion et à la détention des droits à l'image.

Á ce sujet, au moment de l'édition et de la commercialisation des cassettes vidéo des


HdC, Gaumont demandera à Godard, pour s'acquitter de droits éventuels sur les
images, de lister tous les films qu'il aurait utilisés, ainsi que les photographies et
tableaux. Entreprise titanesque et dont Godard avouera ne pas avoir assez bonne
mémoire pour se rappeler tous les films utilisés75. Il délégua alors à cette tâche
Bernard Eisenschitz qui, aidé de Nathalie Bourgeois pour les Arts Plastiques, créa
cette liste, indexant les films et œuvres utilisés 76.

Entre-temps, Godard avait obtenu le soutien de Georges Duby, titulaire de la chaire


d'histoire des sociétés médiévales au Collège de France mais aussi président de la
Société d'Édition de programmes de télévision (la future Société Européenne de
Programmes de Télévision : la S.E.P.T.), qui prendront part à la production des deux
épisodes.

Ces trois sociétés (Canal+, Gaumont, LA S.E.P.T.) —auxquelles viennent s'ajouter


France 3 qu'on retrouvera sur le générique de la Version 1— vont financer la
production de ces deux premiers épisodes.
Le montage financier en lʼétat permettra à Godard de préparer et dʼeffectuer
plusieurs petits tournages qu'il utilisera pour les prochains épisodes. En effet, en
prévision, au moment du lancement de cette production des deux premiers épisodes,
Godard avait déjà tourné des saynètes avec les acteurs (Respectivement Julie
Delpy, Sabine Azema, Alain Cluny, Juliette Binoche). On retrouvera lʼune des
constantes dʼun motif de mise en scène, qui consiste dans la lecture de textes en

74
. Michael Witt, “Genèse d'une véritable histoire du cinéma”, Jean-Luc Godard - DOCUMENTS, Paris, Ed.
Centre Pompidou, 2006. p.279.
75
. Entretien avec Bernard Eisenschitz, 1999. Inédit.
76
. Nous avons pu avoir à disposition ce travail qui nous a été d'un immense recours, pour pouvoir
identifier et connaître au mieux la logique de certaines séquences, en vue de leur interprétation.

60
direct 77 : Delpy - Charles Baudelaire, Le Voyage ; Sabine Azéma - Hermann Broch,
La mort de Virgile ; Alain Cuny - Hölderlin; Juliette Binoche - Emily Dickinson.
Le tournage vidéo pouvait comprendre le jeu de quelques scènes : Julie Delpy en
chemise de nuit (dans le style photographique de Lewis Carroll), déambulant dans un
intérieur-cuisine (2a. seul le cinéma). Dans une maison de campagne, Juliette
Binoche et Alain Cuny re-jouant la prise décision, —pris par lui-même et Marie Déat
50 ans auparavant—, de refuser de sʼembarquer dans un train promotionnel du
cinéma pour Berlin, en 1942, emmenant Albert Préjean, Suzy Delair, Junie Astor et
Danielle Darrieux, pendant quʼau même moment quʼIrène Nerimovski en prenait un
autre, mais son train partait pour Auschwitz 78 (3a.la monnaie de l'absolu).

(1985) - PROJET 11 [forme de la proposition : LIVRE (DEUXIÈME ÉDITION)]


Titre : INTRODUCTION À UNE VÉRITABLE HISTOIRE DU CINÉMA. 79
PRODUCTION : JLG Films
RÉALISATION : Jean-Luc Godard
DIFFUSION/DISTRIBUTION : /

La deuxième édition du livre Introduction à une véritable histoire du cinéma constitue


conceptuellement un projet important des Histoire(s) du cinéma.
L'origine du projet 11 coïncide avec le projet 7 (1ère édition), mais il y a une différence
notable car avec la réédition de ce livre, les deux moments qu'il gardait séparés
(matin et après midi) à lʼépoque des conférences à Montréal, ici, immédiatement, la
parole (retranscrite) fait montage avec l'insertion d'images stylisées. Cette co-
présence (textes et images) nʼétait pas prise en compte dans la première édition car
les images étaient reléguées en fin de volume et Godard en était insatisfait80. De
plus, profitant de cette seconde édition pour replacer les images de film évoquées à
leur place échue, il rajouta, afin d'éviter des pages blanches dues à cette
réorganisation, des textes manuscrits.

77
. Un acteur lisant « en direct » un livre sʼavère un procédé de ce que peut être à minima un film de fiction
et lʼon retrouve dans de nombreux films cette figure minimale. Ref.Film 14. LE MÉPRIS. 1963 ; Ref.Film
18. ALPHAVILLE.1965 ; Ref.Film 21. MADE IN USA. 1966 ; Ref.Film 25. LA CHINOISE. 1967 : Ref.Film
26. WEEK-END. 1967.
78
HdC.3a.la monnaie de lʼabsolu. p.69.
79
. Ref.173.Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros, 1980.
80
. Jacques Kermabon, “Tentatives incertaines pour aborder les Histoire(s) du cinéma de Jean-Luc
Godard”, 24 IMAGES n°88-89, Automne 1997. p.54.

61
Ces rajouts lui offrent une occasion d'ajouter un troisième élément (geste graphique)
offrant ainsi une nouvelle complexité, riche de possibilités signalant lʼoriginalité de
son rapport à lʼhistoire : Cette deuxième édition se rapproche de l'infrastructure d'un
essai cinématographique, ces quelques schémas géométriques ont toute leur
importance théorique et par leurs formes dessinées, on les retrouve, comme volonté
d'une ambition et le projet de faire une histoire du cinéma échappée de son écriture.

(1988) - PROJET 12 : [forme de la proposition : SESSION]


Titre : LE DERNIER PROTOTYPE (1988)
PRODUCTION : JLG Films. CANAL PLUS.
RÉALISATION : Jean-Luc Godard
DIFFUSION/DISTRIBUTION : Festival de Cannes

En Mai 1988, au Festival de Cannes, Godard projeta en avant-première un épisode


de 50 mn, qui se trouve ne pas être le premier épisode mais un prototype, car selon
la description quʼen donne Serge Toubiana81, il y figure Julie Delpy qu'on ne
retrouvera que dans l'épisode 2a. seul le cinéma .

(1990) - PROJET 13 : CRÉATION DE PÉRIPHERIA.


[BOUCLAGE DU FINANCEMENT ET PRODUCTION DES DERNIERS ÉPISODES]
Titre : HISTOIRE(S) DU CINÉMA. SUITE ET FIN
PRODUCTION : JLG Films. FEMIS. CNC. GAUMONT.
RÉALISATION : Jean-Luc Godard
DIFFUSION/DISTRIBUTION : CANAL PLUS. ARTE (TÉLÉVISION)
GAUMONT (ÉDITION VIDÉO)

Godard signe avec la FEMIS82 et le CNC83 un accord pour la création de


PERIPHERIA le 3 Avril 199084. C'est un Centre de Recherche cinéma et vidéo, un

81
. Serge Toubiana, “Cannes. Au jour le jour. Jeudi 18. Histoire(s) du cinéma”, CAHIERS DU CINÉMA
n°409, 05/1988.p.48.
82
. Fondation Européenne des Métiers de l'Image et du Son. Sorte de Grande École pour le Cinéma. 1000
à 1500 candidatures par an pour 30 postes toutes sections confondues.
83
. Centre National du Cinéma. Organisme de centralisation professionnelle du cinéma dans sa partie
industrielle et financière.
84
. Ref.228. Rapport d'inactivité : les mésaventures du Centre de recherche sur les métiers de l'image et
du son. LE MONDE. 08/10/1991.

62
atelier de Travaux Pratiques qui sera lié à la FEMIS. C'est à ce moment que Godard
va envisager la suite des 2 épisodes (Version1), pour donner une nouvelle version :

LES INVESTISSEURS DU FILM, PAR ÉPISODE


1a : CANAL + LA SEPT. FR3. GAUMONT. JLG Films. CNC. RTSR85. Véga Films 86.
1b : CANAL + . LA SEPT. FR3. GAUMONT. JLG FILMS.
2a, 2b : GAUMONT. CNC FEMIS .PERIPHERIA. (JLG Films. LA SEPT en prévision)
3a, 3b : GAUMONT. PERIPHERIA.CNC FEMIS
4a, 4b : GAUMONT. PERIPHERIA.CNC FEMIS
5a, 5b : GAUMONT. PERIPHERIA.CNC FEMIS

Le projet 13, le dernier projet des HdC va pouvoir se réaliser. Maintenant nous allons
brièvement évoquer les versions du film réalisé. Ceci afin, de permettre une lecture
plus claire des projections des différentes parties du film. On va le voir, le film a de
nombreuses fois été projeté de façon fragmentaire.

85
. Radio Télévision Suisse Romande.
86
. Société de production de long-métrage qui produisit les films de fiction long-métrage de Godard
pendant les années 90. (Alain Sarde en était le dirigeant principal).

63
b/ Versions.
Après les projets, nous allons maintenant procéder à lʼétablissement des versions du
film. Ce qui constitue la variante des projets de films une fois achevés. Cet
établissement reste de notre ressort. Et nous avons inclus également la version
résumée dite « version courte » (version 4), qui, pour nous, nʼest pas annexe, mais
bien la dernière variation des HdC en date.

- VERSION 1 : PREMIÈRE VERSION (1988)


Cʼest lʼaboutissement du Projet 10. La production du film date de 1988, et ne
comporte que les deux premiers épisodes. Cette version initiale sera été fortement
modifiée, par la suite, sauf le métrage (sa longueur) qui est resté pratiquement
identique : Le 1a.toutes les histoires (51mn) et le 1b.une histoire seule. (42mn)
Sa diffusion fut télévisuelle (Canal Plus qui avait pris part à la production du film, se
retira des versions suivantes. Gaumont reprendra la production).
En prospective, elle devait comporter dix épisodes.

- VERSION 2 : VERSION INCUNABULA (1997)


Son édification débute dès 1993 et s'établit définitivement en 1997. Elle comporte
huit épisodes 87 sur les dix prévus. Ils ont été projetés successivement les uns après
les autres à des occasions variées mais chaque fois précises88. Cette version unique,
non diffusable dans un cadre légal est un incunable car, le film montre des œuvres
dont les droits de reproduction nʼont pas été autorisés. Appartenant aux familles des
Ayant droits, et après avoir été contactées, elles se sont opposées à toute
exploitation. (Famille Matisse et la Famille de Staël).

- VERSION 3 : VERSION DÉFINITIVE (1987/98)


Cette version comporte les modifications sur la version précedente la version 2,
nécessaires à sa diffusion légitime. Les modifications se définissent principalement
comme substitutives. Tableaux non autorisés, mais aussi ça et là, le plus souvent,
des photographies ont été remplacées par des extraits de films. Puis certains extraits
ont été déplacés ou allongés. Les cartons ont changé de police, désormais
homogène sur lʼensemble du film.

87
. Le détail de leurs caractéristiques est exposé juste ci-après à lʼétape 4.
88
. Également, nous aurons lʼoccasion de revenir sur ces évènements. (3-3).

64
- VERSION 4 : VERSION COURTE (2000)
Cʼest une version résumée dont le titre a été changé en :
"MOMENTS CHOISIS DES HISTOIRE(S) DU CINÉMA".
Elle a été présentée au Centre Georges Pompidou en 2004 et 2006 (au moment de
la rétrospective Godard ainsi que son exposition-installation) et fut projetée deux fois
à Bologne au festival du Cinema Ritrovato le 6 et le 9/07 2005. Comme il n'y a pas de
commercialisation de cette version, ni même d'achat par des diffuseurs, nous avons
retenu la date de sa première diffusion (2004) comme année de référence. On
relèvera le souci, de la part du cinéaste, dʼavoir produit une durée standard de long-
métrage (1h38). Son format 35mm obtenait toutes les caractéristiques pour cette
direction. Cette préoccupation, de la part du cinéaste, à produire une nouvelle
version, est attestée quand on constate quʼil ne sʼagit pas que dʼune simple
recollection de « moments choisis ». En effet, on remarque, en sus de lʼaddition de
voix-off : des textes qui nʼétaient encore jamais parvenues à nos oreilles, quelques
nouveaux cartons viennent sʼinsérer dans un montage dʼextraits déjà repérés mais
dont lʼordre dʼagencement ne correspondait plus aux anciennes versions.

c/ Projections / diffusions (+colloques)


On notera que nous avons associé, au nombre non négligeable de ces projections
ponctuelles, les colloques, bien que ceux-ci ne procèdent pas de Godard, et de sa
production, directement. Cʼest par souci de continuité contextuelle. En effet, ces
réunions de critiques, historiens et dʼintellectuels ont souvent été associées aux
évènements que constituaient les projections. Lʼidée consistait à accompagner,
éclairer, —non pas le film qui, à lʼinverse, pouvait sʼavérer éblouissant, mais— la
démarche du créateur et du problème spéculatif de sa correspondance ou son
inscription dans différents registres disciplinaires. Ces débats furent une occasion
historique, pour ses organisateurs, de décrire et dʼanalyser les actes, complexes, de
Godard dans le contexte même de la vision des films. Nous avons noté ceux
auxquels où Godard a pris part.

MAI 1989.(CANAL PLUS) VERSION 1 / 1a, 1b.


Diffusion sur la chaîne privée à péage Canal Plus de la Version 1, composée des
deux premières parties 1a et 1b. Cette diffusion fut la référence principale des HdC,
pendant dix ans, pour de nombreux critiques et essayistes, et avant la
commercialisation définitive de la Version 2 en support individuel.

65
(1994-05). NEW-YORK VERSION 2/ 1a, 1b, 2a, 2b.
Projection de la première version des deux premiers épisodes et aussi pour la
première fois le 2a et le 2b, dans le cadre de l'exposition au MOMA consacrée à JLG,
organisée par Raymond Bellour, intitulée "Jean-Luc Godard : Son+Image 1974-
1991." Cette exposition bénéficia d'une parution d'un catalogue homonyme, qui
reproduisait des planches du projet 11 des Histoire(s) du cinéma, incluant les
prochains épisodes encore invisibles et qui laissait prévoir même, un cinquième (5A
et 5B) qui fut finalement abandonné ; seuls sont restés du 5a : LA RÉPONSE DES
TÉNÈBRES, et du 5b : MONTAGE, MON BEAU SOUCI. Les titres de ces deux
épisodes sont présents dans le film et apparaissent comme cartons simples.

(1995-08) LOCARNO. VERSION 2 / 1a, 1b, 2a, 2b, 3a, 3b.


Projection au festival de Locarno de la première version des six parties (1a, 1b, 2a,
2b, 3a, 3b.) dans le cadre des tables rondes organisées par Bernard Eisenschitz
intitulées "Histoire et Cinéma". Cʼest un colloque de trois jours qui sʼest déroulé à
Locarno, pendant le festival en 199589.

(1997-07). CANNES. VERSION 2 / 3a, 4a.


C'est dans la section "Un certain regard" au Festival de Cannes, où cette fois-ci JLG
présente le 3a, LA MONNAIE DE L'ABSOLU et 4a LE CONTRÔLE DE L'UNIVERS.
En guise de Dossier de presse, P.O.L. fait éditer un Tiré à Part. Il est composé de
deux articles : Jonathan ROSENBAUM, Trailers for Godardʼs Histoire(s) du Cinéma
et Hollis FRAMPTON, For a metahistory of film. Cette édition spéciale comporte les
textes originaux en langue anglaise précédés de leur version française.
Il y donnera un entretien (de plus d'une heure) à Paul AMAR pour la chaîne câblée
Paris Première. A la Galerie Nationale du Jeu de Paume à Paris, une rétrospective
des Essais de JLGodard est faite (25 Novembre 1997 - 4 Janvier 1998), ne
comprenant pas les Histoire(s) du Cinéma mais entre autres, les films-annexes
auxquels elles se rapportent90.
LA VERSION 2 NE FUT JAMAIS PROJETÉE DANS SA TOTALITÉ

89
. A cette occasion on remit un Léopard dʼOr dʼhonneur à Jean-Luc Godard.
90
. Voir Infra Étape 5. Les Films-annexes.

66
Il existe pourtant une VERSION 2 FINALE qui nous a été communiquée par Bernard
Eisenschitz, cette version contient les reproductions d'images de Picasso et De Staël
ce qui par la suite, ne lui a pas été autorisé. Godard, pour pallier à cette interdiction,
fera lui-même des dessins et des gouaches en copie des peintures. Puis, une fois
insérées, et profitant à cette occasion de retoucher encore le film, le cinéaste
élaborera alors la troisième version définitive.

(1998-07) ITALIE VERSION 3 / 1a, 1b, 2a, 2b, 3a, 3b, 4a, 4b.
Avant que le film ne sorte sur un support individuel, il fut projeté dans son intégralité
en Juillet 1998 au festival à Bologne du Cinema Ritrovato.
La projection sʼétala sur trois jours : le 5/07 (1a, 1b), le 6/07 (2a ; 2b, 3a), le 7/07 (3b,
4a, 4b). Pour marquer lʼévénement, Godard fut le seul invité cette année du festival
(alors quʼhabituellement ils invitent plusieurs personnalités).

(1998-12) FRANCE VERSION 3 / 1a, 1b, 2a, 2b, 3a, 3b, 4a, 4b.
Sortie intégrale conjointe des Histoire(s) du Cinéma en Vidéo VHS et en livres.
Édité en VHS par Gaumont (4 cassettes) et en format livre édité par Gallimard (hors
collection) en 4 volumes. Cette troisième version est par rapport à la version 2 de
durée équivalente, mais il y a des rajouts sur la bande son (souvent en fin d'épisode),
et de nouvelles images, extraits de films viennent se substituer à d'autres qui
disparaîtront. LE TRAVAIL AU NOIR. On remarquera principalement une nouveauté
dans cette version 3 : un travail de rajout de plans noirs. Procédés proches, de la
technique picturale dʼencadrement des Marie-Louise, ils créent une visualisation du
rythme des séquences qui permet de distinguer souvent leurs répartitions des
séquences, comment elles se nuancent, les unes par rapport aux autres.

(2000-05) JAPON VERSION 3 / 1a, 1b, 2a, 2b, 3a, 3b, 4a, 4b.
C'est au Japon où ont eu lieu les dernières différentes sorties sur de nouveaux
supports. D'abord le film bénéficia d'un télécinéma et fut projeté en 35mm à TOKYO
dans le cadre d'un évènement consacré à Godard. Il faudra attendre 2001 pour une
sortie DVD dans lʼîle. Il ne faut pas attendre très longtemps après la sortie du film en
vidéo ainsi que dʼune projection sur ARTE (en deux parties) dix mois après —ainsi
que sa multi-diffusion sur Canal Plus, lʼété 2001— pour que lʼon saisisse toute

67
lʼimportance de ce film dans les différentes disciplines intellectuelles et
universitaires ; pour que lʼon y consacre plusieurs colloques, des éditions spéciales et
communications.

2000.
- Un Colloque sur GODARD ET LE MÉTIER D'ARTISTE est tenu à Cerisy-La-Salle
organisé par des universitaires de PARIS VIII et de l'université de Metz (CREM) :
Gilles DELAVAUD, Jean-Pierre ESQUENAZI, Marie-Françoise GRANGE.
et a bénéficié d'une parution des actes du colloque aux Editions L'Harmattan en
2001. Le colloque se décomposa en trois parties : L'Art, La Mémoire, La Société.
6 articles se rapportent directement au film91 sur la vingtaine communiqués.

2000-11
- Une journée d'étude, à l'Institut National de lʼHistoire de lʼArt (INHA) est organisée
par l'Université Paris 7 Denis-Diderot, intitulé : JEAN-LUC GODARD À LA LETTRE,
à l'initiative du Centre d'Étude de l'Écriture (CEE) dirigé par Anne-Marie Christin, et
de sa section "Études cinématographiques", dont Suzanne Liandrat-Guigues était
responsable. Une seule communication se rapporte directement aux HdC sur les 6
communications qui ont été présentées. Les cinq premières minutes de lʼépisode 1a.
HdC (Version 3) ont été projeté.

2001-06. Un colloque international sur l'œuvre de Jean-Luc Godard se tient à


Londres. FOR EVER GODARD pendant quatre jours, à la TATE MODERN.
Ce colloque est organisé par Michael Temple (Birbeck College), James S. Williams
(University of Kent at Canterbury) et Michael Witt (University of Surrey Roehampton).
Le déroulement thématique du programme du colloque se composant de deux, voire
trois interventions par thèmes, est remarquable autant par rapport à la qualité de
lʼapproche du cinéaste et de ses œuvres, que du choix des intervenants. Il se
disposait comme suit : MUSEUM, THE OLD PLACE, MEMORY, QUESTION, GODARD
(par MOI), PENSÉE, CITATION/ ANNOTATION, COMPOSITION, SACRÉ, MUSIQUE,
FIGURE, LYRISME, MEDIA, HISTOIRE, DANEY, CHANGEMENT.
Sur plus d'une trentaine de communications, 22 ont été retenues pour la création d'un
livre éponyme : FOR EVER GODARD, London, Black Dog Publishing, 2004.
91
. Le détail de ceux-ci réside Infra dans la Troisième partie. Les critiques sont organisées selon leurs
problématiques.

68
Parallèlement à ce colloque, le British Film Institute (BFI) organisa au même moment
une grande rétrospective de lʼœuvre de Godard dans laquelle les HdC furent
montrées deux fois dans leur Version 3.

2001-05 JAPON
La société IMAGICA sort au Japon les 4 DVD qui ont pour avantage de présenter
dans les menus interactifs toutes les références du film. Cet immense travail, en
langue japonaise, peut fournir autant l'origine des extraits de films que ceux des
textes ou encore et cʼest plus rare, les bandes-sons et musiques employées. Ce
travail a été effectué sous la supervision de Hori Junji.

2004-12 PARIS VERSION 4 MOMENTS CHOISIS DES HISTOIRE(S) DU CINÉMA


La projection de cette nouvelle version fut un évènement singulier. C'est-à-dire
projeté à Beaubourg tout en ne faisant pas partie d'une programmation du Centre
Georges Pompidou. MOMENTS CHOISIS DES HISTOIRE(S) DU CINÉMA représente
une version dʼune durée standard dʼun long-métrage : 1h30 et sans la figuration
habituelle des têtes de chapitre et épisodes. On constatera également lʼapport de
nouveaux textes exprimé en voix-off.

2005-07 ITALIE VERSION 4 MOMENTS CHOISIS DES HISTOIRE(S) DU CINÉMA


La projection en Juillet, au festival de Bologne au Cinema Ritrovato, sept ans après
les projections de la version 3, Martine Offroy et Dominique Païni présentèrent cette
nouvelle version comme un événement spécial (evento speciale).

2006 (11-05—14-08) Exposition personnelle au Musée dʼArt Moderne Centre


Georges Pompidou VOYAGE(S) EN UTOPIES. JEAN-LUC GODARD (1946/2006)
Si nous choisissons de placer cet événement dans notre calendrier des projets et
versions, cʼest que nous pouvons considérer cet événement comme limitrophe du
travail de Godard sur ses HdC. Précisons quʼil fut organisé une rétrospective
intégrale des films (sur tous supports) comprenant la version 3 et 4 de ces films.

69
Ainsi quʼun dernier film annexe au HdC, et qui fut réalisé expressément à lʼoccasion
de lʼexposition : VRAI FAUX PASSEPORTS POUR LE RÉEL92. Un ouvrage collectif
rassemblant critiques et textes inédits de Godard fut établi, à la suite de lʼexposition.
Il sʼintitule : « Jean-Luc Godard – DOCUMENTS », édité par le Centre Pompidou en
200693. Ce livre important indique qu'il est établi, à l'occasion de la présentation au
Centre Pompidou de l'exposition : “VOYAGE(S) EN UTOPIES, JEAN-LUC GODARD,
1946-2006”, Galerie Sud, 11Mai-14Août 2006, et de la rétrospective intégrale des
films de Jean-Luc Godard du 24Avril au 14Août 2006. Collectif, il comporte un grand
nombre d'articles critiques et de commentaires sur l'œuvre de Godard, mais plus
précisément encore sur des nouveaux documents produits par Godard lui-même et
reproduits dans ce livre et il constitue pour notre propre étude, lʼune des sources
d'information importante. Deux des documents attribués à Godard constituent le
PROJET zéro et le PROJET 3.
Les autres textes liés aux HISTOIRE(S) DU CINÉMA se trouvent dans la troisième partie
de cette étude.

3/ ÉTAPE  : LES DIFFÉRENTS SUPPORTS DU FILM.

C'est LA PLURALITÉ DE SUPPORTS DE RÉCEPTION.


La version définitive (La version des HdC que nous allons établir, existe sous quatre
supports différents, sans que nous prenions en compte les tentatives, multiples
apparitions partielles sur plusieurs années.

A/ VIDÉO
- Un grand nombre de personnes avaient pu enregistrer la diffusion télévisée de la
Version 1. Ces copies VHS circulèrent entre cinéphiles. Rappellons à ce sujet, que
jusquʼau milieu des années 1990, les films nʼétaient pas aussi pas accessibles tels
que nous les connaissons aujourdʼhui, grâce à leur conversion en fichiers
numériques et grâce au Web. Comme nous lʼavons exprimé, elles furent le support

92
. Ref.Film89. VRAI FAUX PASSEPORTS POUR LE RÉEL. 2006. Essai [Politique]. Format : Vidéo/35 mm.
Durée : 55 mn. Couleur.
93
Ref.178. Jean-Luc Godard - DOCUMENTS, Paris, Ed. Centre Pompidou (2006).

70
de référence du film pendant dix ans. Plusieurs cours annuels à lʼuniversité,
consacrés à Godard, eurent ainsi lʼoccasion de projeter le film. Pour simple exemple,
si lʼon ne se contente que de deux universités94, il y eut à Saint-Denis-Paris VIII, les
cours annuels dispensés par Jean-Henri Roger, de 1995 à 1997 intitulés sobrement
Histoire(s) du Cinéma, et également Jean Narboni, dans son célèbre cours
dʼ« Analyse de films contemporains ». À Censier-Paris III, Jacques Aumont, Jean-
Louis Leutrat, Charles Tesson et Serge Daney, qui avaient déjà attesté par écrit leur
passion pour le film, eurent plusieurs fois lʼoccasion dʼenseigner autour de la
projection du film.
- Les 4 cassettes vidéos VHS, sortis en Europe, vendus en magasin et éditées par
Gaumont pour Noël 1998.
- Les 4 DVD vidéos qui ont eu une édition spéciale au Japon en 2000 (Zone 1). Une
édition française est sortie pour Septembre 2007 (Zone 2).

B/ TÉLÉVISION
- Les deux diffusions intégrales de la Version 3 :
- en deux temps sur ARTE (1999)
- en huit épisodes sur CANAL PLUS (2001).

C/ LIVRES
- 4 volumes sortis presque simultanément avec la vidéo VHS (Hiver 98/99). Édités
hors collection chez Gallimard. Gallimard en 2003 sortira une nouvelle édition qui
regroupe les 4 volumes en un, facilitant ainsi l'usage général et permettant un accès
plus immédiat.

D/ DISQUES
- 4 volumes Compact Disques sont sortis en 1999. Édité chez ECM (Berlin), à cette
occasion JLG a remixé le film avec François Musy95 afin de concéder une nouvelle
valeur proprement sonore de la bande-son. En fait il s'agit avant tout de re-

94
. On sait que le rayonnement du film à travers lʼuniversité française et au-delà fut effectivement
conséquent. Godard sʼavère être lʼun des cinéastes, avec Hitchcock, fournissant à cette époque mais
dans le système universitaire mondial, le plus grand nombres de sujets de recherche. Julia LESAGE,
Jean-Luc Godard : a guide to references and ressources, Boston MA, Ed. GK Hall, 1979.
95
. Un des plus fidèle collaborateurs et Ingénieur du son sur plus dʼune dizaine de films de Godard (pour la
période 1985-2005), François Musy ayant conçu et construit un auditorium à Rolle, Godard lʼutilise
presque systématiquement. Il est devenu son mixeur attitré depuis maintenant presque trente ans.

71
mastering96. Les différences fondamentales avec le support filmique sont
principalement des différences de durées et ces différences sont minimes. On a
enlevé certaines longueurs de la bande-son lorsque c'est l'image qui prend le
dessus. Vers la fin des épisodes, il y a souvent des silences de 10 secondes que l'on
retrouve sur les disques, ramenés à 5 ou 7secondes ; aussi lʼopération du
remastering a consisté à produire lʼeffet stéréophonique, à jouer sur lʼamplification de
ces effets pour créer un nouveau relief sonore.97
Aussi comme il a été énoncé dans l'introduction, les quatre tomes des HdC seront la
base de référence utilisée pour la reprise de certaines paroles des HdC. Nous avons
travaillé, pour notre part, le plus souvent sur la version télévisée diffusée sur ARTE
en 1999, qui possédait la qualité de diffuser le film en stéréo, et entre autres
mauvaises particularités, le rajout dʼinformation sur le mode télétexte et le lancement
d'un jeu-concours maculant ainsi le début comme la fin des épisodes. Le reste
demeure fondamental à lʼécoute du film lorsque l'on sait que ce procédé permet une
coexistence d'une pluralité de textes énoncés, et par là la possibilité du choix
d'écoute de textes distinctement

4/ ÉTAPE : LA RÉPARTITION DU FILM EN ÉPISODES (NOTES DIVERSES)

A/ PRÉSENTATION
La sortie commerciale des cassettes VHS par la production Gaumont en Décembre
1998, constitue la date définitive pour l'ensemble de la critique.
Ce film est composé de huit parties chacune regroupée par paire, nommée a et b.
Godard (et également dans les articles qui lui sont consacrés) nomme ces parties
des épisodes.
Chaque épisode est de durée variable, et détient une constance de présentation
dédicatoire liminaire de deux personnalités. Les épisodes sont organisés, intitulés, et
dédiés comme suit, nous avons produit le minutage :

96
. Ce qu'on lit souvent sur les nouvelles sorties de disques anciens (Digitally Remastered). C'est
l'opération technique qui consiste à une conformation digitale de toutes les pistes, afin de créer un
nouveau master : recopier les bandes-son du master d'origine vidéo (repiquage) pour les remixer à une
qualité maximale car les extraits de sons proviennent de source très différentes tant de nature que de
qualité. Le mastering, technique de conformation, sur laquelle le « grand public » attache peu
dʼimportance, représente de fait une étape clef du domaine musical et le choix du technicien spécialiste
sʼavère aussi important que celui qui effectuera lʼenregistrement direct.
97
. François Musy. Dialogue avec F.M., Dossier de presse, Köln, Ed. E.C.M.

72
épisode 1a : TOUTES LES HISTOIRES (51 minutes)
POUR MARY MEERSON. POUR MONICA TEGELAAR

épisode 1b : UNE HISTOIRE SEULE (42 minutes)


POUR JOHN CASSAVETES. POUR GLAUBER ROCHA

épisode 2a : SEUL LE CINÉMA (26 minutes)


POUR ARMAND J.CAULIEZ. POUR SANTIAGO ALVAREZ

épisode 2b : FATALE BEAUTÉ (28 minutes)


POUR MICHELE FIRK. POUR NICOLE LADMIRAL

épisode 3a : LA MONNAIE DE L'ABSOLU (26 minutes)


POUR GIANNI AMICO. POUR JAMES AGEE

épisode 3b : UNE VAGUE NOUVELLE (27 minutes)


POUR FREDERIC C.FROESCHEL. POUR NAHUM KLEIMAN

épisode 4a : LE CONTRÔLE DE L'UNIVERS (27 minutes)


POUR MICHEL DELAHAYE. POUR JEAN DOMARCHI

épisode 4b : LES SIGNES PARMI NOUS (38 minutes)


POUR ANNE-MARIE MIEVILLE ET POUR MOI-MEME

B/ NOTES SUR LES TITRES DES ÉPISODES

Cette note consiste à faire un commentaire léger de ces titres en rapport bien
évidemment avec l'épisode qu'il désigne. Quant aux envois, et les personnes
auxquelles JLG dédie le film, nous en dresserons une brève présentation. Nous en
indiquerons le rapport avec ces épisodes, quand cela paraîtra nécessaire.

PARALLÈLE AVEC 6X2


La partition du film en huit parties aurait pu convenir à Godard, pour appeler son film
« 4X2 HISTOIRE(S) DU CINÉMA », car effectivement, si on reprenait la terminologie
de SIX FOIS DEUX (SUR ET SOUS LA COMMUNICATION)98, on constaterait que la
structure de la partition et des titres demeurent les mêmes que les HdC.
Conséquement, les quatre chapitres sont chiffrés (et intitulées Chapitre) puis les
doubles parties, nommées pareillement épisodes, sont à chaque fois énoncées a ou
b. On obtient clairement 1a, 1b puis 2a, 2b…

98
. Ref.Film43. SIX FOIX DEUX (coréalisé avec A.M.Miéville, 1976) Produit à Grenoble.

73
Lʼidentité de structures avec cet autre film sʼétablit par la comparaison avec quelques
faits simples et communs. Au départ, tous deux sont des projets pour une diffusion à
la télévision, prévus et réalisés en vidéo. Et si lʼon attribue le début des HdC à 1973,
ce nʼest que trois ans plus tard, au même endroit, que JLG et Anne-Marie Miéville
vont réaliser cette commande de lʼINA pour être diffusée sur FR3. On remarquera
que quelques cartons qui titrent les parties du film entrent en écho avec ceux des
chapitres et envois des HdC. Pour lʼexemple, on peut lire : 1a - YA PERSONNE, ou
4a - PAS DʼHISTOIRE et lʼon peut même trouver aussi dans les titres des épisodes
b, des envois avec des prénoms : 2b - JEAN-LUC, ou 4b - ANNE-MARIE.

LE DOUBLE JEU DES TITRES DES ÉPISODES


Les huit titres des épisodes peuvent tout d'abord être lus dans leur fonction
intitulante, parce que, effectivement, ils officient en tant que titres. Ce truisme (les
titres sont des titres !) reste apparent, car sʼils vont se placer logiquement au début
de chaque épisode, on se rend compte, dès le premier, que les titres des épisodes,
ainsi que le titre principal du film, vont apparaître plusieurs fois chacun, et de manière
aléatoire99 à l'intérieur même du film.
On pourrait comparer leur seconde utilisation à celle dʼun Jingle identifiant en radio100
ou plus adéquatement à celle du logo identifiant la chaîne, en télévision. La chaîne
place le logo dans lʼun des coins de lʼécran101. En effet, Godard s'est d'abord servi
du titre HISTOIRE(S) DU CINÉMA pour créer un système dʼen-têtes et marquer avec
l'apparition de ce repère certains débuts de séquences. On le voit dans le 1a, le titre
« toutes les histoires » apparaît à plusieurs endroits102. Il faut noter de suite que dans
les plans où ce carton apparaît, il aura, occasionnellement, subi certaines altérations
vidéo.

LES ALTÉRATIONS DU TITRE


L'altération peut consister en une colorisation du lettrage blanc d'origine. Il peut subir
un effacement partiel des lettres, ou bien un grossissement et encore un effet larsen

99
. Cʼest le placement qui est aléatoire et non le geste de Godard. Lʼapparition aléatoire du titre pour la
seconde fois suggère quʼil nʼapparaît pas selon une logique structurelle du film et comme la première
perception du titre.
100
. Le jingle est un blason sonore identifiant la radio : une voix entonne sur les ondes « RMC la radio faite
pour vous » ou « France Inter : faites la différence » cela peut être aussi un thème musical.
101
. TV6 fut la première chaîne, en France, au milieu des années 80, à lʼavoir placé systématiquement.
102
. HdC.1a.toutes les histoires. Voir les cartons : p.73, p.82-83, p.127, p.136.

74
vidéo qui dédouble le titre. Un mauvais cadrage ou bien une partie des lettres ne
sont plus présentes à l'écran. Lʼaltération indique relativement bien que ce n'est pas
un nouveau titre auquel on assiste puisquʼil est usé, altéré. Le titre que nous voyons
nʼest plus dans son rôle dʼintituler mais dans son rôle de réemploi.

LA QUALITÉ DE LʼALTÉRATION DU TITRE QUI APPARAÎT PENDANT LE FILM


EST SOUVENT SIGNE DE SON RÉEMPLOI.
La qualité de lʼaltération du titre du film ou de lʼépisode qui apparaît pendant le film
est le signe de son réemploi, offrant une nouvelle lecture de celui-ci : nous lisons non
plus comme titre mais comme une phrase simple. Autrement dit, le titre perd sa
fonction intitulante et grâce à la répétition (et lʼaltération), il nous livre son sens par
lecture simple.
On peut même presque affirmer, paradoxalement, quʼil devient lisible par le fait quʼil
est rendu illisible.

Pendant tout le film, l'utilisation du titre général Histoire(s) du cinéma va apparaître


souvent de manière aléatoire et mutilée.
Et ce titre principal est exemplaire pour les autres titres, ceux des épisodes, qui une
fois qu'ils auront effectué leurs rôles de titres, vont pouvoir aussi se placer ailleurs et
jouer un nouveau rôle, offrir une nouvelle lecture : ce qu'ils signifient en tant que
sens.
Le titre devient par les signes de son altération un simple carton face à d'autres
cartons ou face à des images. À noter que contrairement au titre principal, ils seront
plus rarement mutilés.
Ce qui est important, pour le moment, ce n'est pas tant de tenter de définir la fonction
ou le sens de ces apparitions mais bien de prévenir qu'ils vont jouer un double rôle :
titre et simple carton.

LʼOBSESSION DE LA DIALECTIQUE SʼILLUSTRE DANS


LE DOUBLE EMPLOI OU LA DOUBLE FONCTION

La double lecture possible du titre est symptomatique dʼune des obsessions déjà
repérée du cinéaste : la dialectique. Elle se caractérise par la double fonction ou le
double emploi et même plus généralement par la puissance conceptuelle de
lʼambivalences et des inversions.

75
TITRE ET SIMPLE CARTON
D'abord nous pouvons lire le carton en tant que titre, puis aussi, sa lecture se fait en
tant que simple carton survenant pendant le déroulement du film, à l'instar d'autres
génétitres.
Nous appelons génétitre, le carton fait de lettrages vidéo et dont régulièrement
Godard va faire apparaître en fondu, avec en même temps, soit un extrait de film, soit
une photographie ou soit un noir comme fond d'écran.
C'est l'occasion pour le cinéaste, à cette étape, de rendre signifiant ce jeu, c'est-à-
dire de rendre signifiant le rapport entre les images et les textes (titre), présentés
simultanément.

Ainsi on pourra voir, par exemple, le titre du 3a : « la monnaie de l'absolu »


apparaître dans le 2a.103 alors que cet épisode-ci s'appelle seul le cinéma. On
comprend vite que celui du 3a nʼest lisible que comme un simple carton, puisque le
troisième épisode quʼil intitulera nʼest à ce stade du déroulement même pas encore
advenu.

Revenons sur ce deuxième épisode. Quand le carton : « monnaie de lʼabsolu »


apparaît, on découvre en fond une photographie en noir et blanc : un enfant lève les
yeux sur un gibet où les jambes dʼun homme suspendu y sont enchaînés, (il s'agit de
104
MOONFLEET ). Premièrement, ce titre d'épisode n'est pas là en tant que titre car il
n'apparaît pas dans l'épisode qui lui était dévolu. Ensuite la monnaie de l'absolu
comme sous-titre de cette photo peut prendre une signification toute particulière face
au spectacle de la conséquence dʼune décision judiciaire105 : la mise à mort, par
pendaison, ce qui pour un regard, lorsquʼil sʼagit dʼun enfant, peut paraître encore
plus effrayant ou sévère, dʼautant que le visage du mort (hors champs) nous apparaît
subjectivement seulement à travers les yeux de lʼenfant.
Si lʼon interprète, indépendamment du reste de la séquence106, ce montage, on peut
conférer une signification à ce titre : faire monnaie de l'absolu pourrait en effet
signifier faire de l'argent sur la mort. Si la mort représente une valeur absolue du

103
. HdC.2a.seul le cinéma. p.25.
104
. Fritz Lang, MOONFLEET (Les contrebandiers du Moonfleet, 1955).
105
. Les chaînes autour des membres évoquent que le supplicié a été contraint par une institution
(judiciaire ou pénitentiaire). La mise en scène de cette pendaison, quʼelle soit officielle ou même
expéditive, nous fera comprendre quʼil sʼagit dʼun contrebandier ayant été pris en flagrant délit.
106
. Nous verrons, plus loin, que cʼest précisément ce geste de punctum, qui consiste à savoir abstraire le
reste du film, de ce que nous observons, constitue une méthode dʼisolation problématique, quant à
lʼexplication / interprétation des HdC.

76
genre humain par sa limite, le cinéma symbolisé ici par le regard dʼun enfant, se
trouvera désigné comme monnayeur. En utilisant le spectacle de la morbidité, il se
charge de lʼopération pécuniaire.

Nous pouvons tenter, dans un second temps, de fonder quelques autres


interprétations quant aux titres des épisodes, qui détiennent une signification, sortie
de lʼépisode qu'ils intitulaient. Le problème fondamental de notre interprétation reste
la distance et le niveau que lʼon doit évoquer pour aborder les éléments filmiques. En
effet, si une image et un titre (comme ci-dessus) peuvent entraîner une signification
précise, avec quel autre registre signifiant, quel autre résultat interprétatif devons-
nous le confronter : au plan suivant ? au reste de la séquence ? avec les autres
titres ? avec ceux qui appartiennent aux mêmes thèmes ? à lʼensemble du film ? De
plus pour conclure, remarquons à partir de ces deux éléments interprétés, que nous
nʼavons même pas adjoint le domaine sonore, qui pourtant était présent tout au long
du plan de MOONFLEET.

Cʼest prouver toute la difficulté méthodologique qui se présente à nous et la


nécessité à fonder a priori des moyens dʼanalyse critique. Il sʼagit de ne pas trop
s'enfoncer dans une analyse filmique (sous peine de ne pouvoir ressortir dʼun trop
plein de significations) pour établir une vue cohérente.

Ce que tente Godard, c'est de prouver une volonté d'interchangeabilité des titres des
épisodes. Certains simples cartons deviennent titres, et certains titres deviennent de
simples cartons. L'un n'est pas le virtuel de l'autre. Cependant, nous ne ferons pas
l'économie de commenter leur place réelle, leur rôle en tant que titre, même s'ils
surviennent pendant le film, par vagues. Ainsi comme vague exemplaire, on notera
au début du 2b.fatale beauté, la succession de sept titres des épisodes les uns à la
suite des autres sans même quʼaucunes autres images viennent sʼinsérer dans ce
défilé107.
On peut remarquer, dans la version livresque des HdC, une différenciation
typographique : en tête d'épisode, les titres sont présentés dans des caractères
minuscules (sans même une majuscule de début) et lorsqu'ils sont des simples

107
. HdC.2b.fatale beauté. pp.120-124. La version livresque diffère. JLG a monté dans le défilé des titres
sa propre image avec un effet volet dʼautres images.

77
cartons, ils sont alors en caractères MAJUSCULES. Godard insiste à maintenir, sans
hiérarchie, une double existence du titre et carton simple108.

LES TITRES SANS ÉPISODES


En conclusion, en accentuant ces effets de titres baladeurs, deux autres titres vont
venir jouer leur rôle de génétitres : Les cartons LA RÉPONSE DES TÉNÈBRES et
MONTAGE MON BEAU SOUCI. Au moment de ses projets, les deux sont des titres
d'épisodes prévus, mais qui nʼont pas vu le jour dans la réalisation finale (sur ses
différentes versions).
Ce sont des titres fantômes. Nous les nommons ainsi pour pouvoir les distinguer des
autres titres dʼépisodes existants puisque ceux-ci, on vient de le voir, peuvent
apparaître à des moments où ils ne jouent pas le rôle de titre.

C/ NOTES SUR LES ENVOIS

LA PERSONNALISATION DU FILM ET DES PROJECTIONS


Envoi est d'abord un terme qu'emploie Godard lui-même dans un de ses épisodes109 .
Ensuite, la personnalisation des épisodes par effet dédicatoire est une procédure qui
peut, à l'analyse, présenter plusieurs significations. Nous délivrons deux propositions.
• D'abord logiquement, ce qui fait sens c'est souvent le montage, l'association des
noms cités des deux personnes, souvent sans rapport flagrant a priori ou très peu.
Ensuite la signification de lʼassociation (des deux personnes) se place en rapport
alors avec soit l'ensemble de l'épisode, soit seulement le titre quand celui-ci peut se
trouver en contradiction avec l'ensemble de lʼépisode intitulé.
• Puis, on peut interpréter de façon indépendante lʼemplacement des deux
personnalités dans lʼépisode. Le mouvement de la confrontation nʼest plus une
association des deux noms mais deux mouvements séparés des personnes vers
lʼépisode.
En résumé, la logique de lʼenvoi est un mouvement de présentation.
-mouvement associant ensemble les deux personnes
-mouvement où chaque personne est présentée à lʼépisode indépendamment lʼune
de lʼautre.

108
. Il inverse la règle qui veut que les majuscules soient utilisées pour la fabrication des titres.
109
. HdC.2a.seul le cinéma. (PLAN 1749).

78
RAPPORT DE CE QUE LʼEPISODE ET SON TITRE SIGNIFIENT.
Lʼenvoi peut être perçu comme une présentation. On retiendra cette logique de
présenter les personnalités —(ensemble ou non) à la signification du titre de
lʼépisode ou épisode seul— quand nous les étudierons les uns après les autres, juste
après cette introduction. À noter que dans le livre des HdC, les envois ne sont pas
liminaires, c'est-à-dire non-inscrits sur une page de garde sur laquelle ils devraient
figurer habituellement (dans les livres). Les envois sont placés sur la même page du
titre de chapitre110, donc bien après le titre général. Puis, comme systématiquement
(dans le film comme dans le livre), à chaque fois, une photo accompagne l'envoi, Il
demeurait peut-être plus simple qu'il soit situé dans le processus de reproduction des
autres images plus que de composer un aparté comme un ex-libris. L'acte de
produire un envoi liminaire111 provient de la littérature. Dédier un livre n'est jamais
neutre, au contraire, puisqu'il est souvent le message personnel dans le processus
de fabrication industrielle qui compose l'objet. Nombreux cinéastes ont repris l'acte
de dédier au générique de leurs films. Il sʼavère difficile de dater précisément quand
cela est apparu112 mais l'on peut affirmer que, lié à l'émergence de la politique des
auteurs, moment où le cinéaste revendiquait l'adaptation ou même d'écrire lui-même
ses scénarios, l'envoi constituait alors la dernière touche symbolique de l'auteur
avant la présentation du travail collectif. On remarquera que, comme dans les livres,
lʼenvoi est souvent une allusion personnelle, familiale, sinon dédier est un hommage
en rapport avec le désir de connaître la personne désignée. Quʼelle soit vivante ou
morte importe peu.

Déjà pour son premier long-métrage de fiction, Godard avait placé un envoi. Il dédiait
A BOUT DE SOUFFLE113 aux films de la MONOGRAM, jouant sur une double
provocation. Lʼune par décalage, il citait une production au lieu d'une personne,
lʼautre par ambition politique. Puisqu'il s'agissait d'une société de production de Série
B hollywoodienne, l'ambition des jeunes turcs 114, à la fin des années 50, consista à

110
. HdC.1a.toutes les histoires. p.13, ou encore HdC.1b.une histoire seule. p.153.
111
. À la différence de la dédicace (qu'on peut considérer comme une demande d'autographe qui est aussi
établie par l'auteur, mais produite à la demande du lecteur), l'envoi est le mouvement de l'auteur vers le
lecteur ; l'envoi demeure par définition liminaire, il est extérieur au corps du texte.
112
. On retiendra pourtant le cas dʼErich Von Stroheim qui dédia le film FOOLISH WIVES (Folies de
Femmes,1921) à sa mère. Sur ce sujet, dans ce même film, Stroheim jouant un personnage que nous
voyons lire un livre intitulé sur la couverture : Foolish Wives by Erich Von Stroheim, confiait à sa voisine
« Quel bon livre cʼétait ! »
113
. Ref.Film6. À BOUT DE SOUFFLE. 1959.
114
. Surnom donné par André Bazin —en rapport avec les Jeunes Turcs de la littérature française (Roger
Nimier, Antoine Blondin…)— à Truffaut, Godard, Rivette, Chabrol. Paraphrasant Montesquieu, il intitula un

79
prouver l'erreur commise, par les autres critiques qui ne trouvaient rien d'artistique ou
de littéraire dans ces productions. Que ce soient les films de Robert Siodmak115 ou
ceux dʼAlan Dwan que Godard classa cinquième dans sa liste des « Dix meilleurs
films de 1956 »116. L'envoi exprime un désir, celui du cinéaste, de montrer que le film
de Série B serait une valeur absolue à atteindre pour le film. Pour les HdC, cela
correspond à peu près au même geste, à savoir que l'envoi peut être une source
d'enseignement sur les objectifs et ambitions du cinéaste pour le film même.

L'ENVOI DÉSIGNERAIT LE CHOIX DU SPECTATEUR IDÉAL


Il y aurait peut-être, dans les envois des HdC que fait Godard, à chercher un mode
d'identité, de similarité des deux personnes dédiées avec l'épisode. Et, dans le désir
de Godard à faire Histoire, ces personnes pourraient être désignées comme les
spectateurs potentiels, de choix, idéaux dans la conception de chaque épisode.
On rappelle, à propos de choix de spectateurs pour ces épisodes, quʼune des
habitudes du cinéaste consistait à organiser des Sneak Preview117, mais quʼau lieu
de faire venir un public large et représentatif, Godard invite nominalement critiques
ou personnalités afin qu'ils puissent voir ses épisodes. Il organise alors des séances
particulières 118 avec le critique invité comme unique spectateur119.

article : « Comment peut-on être Hitchcocko-Hawksien ? « Où il s'interrogeait précisément sur cet


engouement de la bande, ces jeunes turcs (dixit) pour des cinéastes de Série B (Siodmak, Ullmer, Tashlin
& Ray pour le cas de Godard), considérés alors par les autres critiques comme des cinéastes tâcherons,
strictement commerciaux.
André Bazin, “Comment peut-on être Hitchcocko-Hawksien? ”, CAHIERS DU CINÉMA n°44,
02/1955.pp.17/18.
115
. Ref.gz16.Robert Siodmak, THELMA JORDAN. 1950. (Produit Par La Monogram).
116
. Ref. 69. Deux rouquines dans la bagarre. Alan Dwann. Conseil des Dix, 1956.
117
. Séances test gratuites organisées en avant avant-première par les majors à Hollywood, pour
déterminer l'axe de la campagne publicitaire, voire de faire des changements au montage en cas de
mauvais accueil. Ce terme sʼest généralisé pour lʼensemble de la profession.
118
. On pourrait ajouter que ces séances sont curieuses, puisqu'elles rejoignent la pratique industrielle de
spectacle vidéo solitaire en cabine individuelle : le peep-show vidéo. Mais au-delà d'une pratique de
voyeurisme pornographique, on reviendra en détail sur la volonté de Godard à ce que l'exercice de la
vision des HdC soit une pratique solitaire.
119
. Invitation confirmée par Jonathan Rosenbaum (Cannes, tour de Babel critique, TRAFIC
n°23.1997.p.12) ou Jean Narboni (Face au Cinéma et à l'Histoire, à propos de JLG, LE MONDE DES
LIVRES.Octobre1995.) Et encore Pierre Assouline (Godard, Jean-Luc. Entretien), LIRE.01/05/1997.) qui

80
POLITIQUE DE SELECTION
REGROUPEMENT DES PERSONNALITÉS NOMINÉES
Avant dʼentrer dans les détails du choix de sélection, il demeure intéressant à
produire une situation de lʼensemble des personnalités convoquées, nominées. En
ceci, quʼelle nous donne, par la mise en commun, lʼorientation du geste de Godard.
Si on rassemble toutes les personnalités de ces envois, on constate la politique
homogène de sélection du cinéaste. En effet, toutes ces personnes ont vécu au
XXème siècle, et, ont tous eu une connaissance directe avec Godard (exception pour
Agee, Ladmiral et Cassavetes). Ce qui corrobore lʼidée soutenue un peu plus tôt à
propos du spectateur idéal. Tous sont au stade adulte après la Seconde Guerre
mondiale et tous ont exercé un métier de cinéma. De plus, Godard ne prend quʼun
spectre relativement ténu quant à la variété des métiers de son domaine. En effet, il
nʼy a par exemple aucun technicien, pas plus de producteur120et de musicien, et
encore moins de théoriciens ; ceux auxquels on aurait pu penser que Godard allait
vouloir se référer. Par contre si nous leur ajoutons des fonctions —même si
beaucoup de personnes citées sont polyvalentes— nous proposons la fonction
principale dans laquelle elles sont re-connues. On se rend compte alors quʼelles
sʼinscrivent dans des domaines encore plus restreints. Les fonctions seront
nommées en termes dʼaction : programmer, filmer, critiquer, pour obtenir la liste
suivante :

ont tous été invités, séparément, à se rendre dans la chambre d'un hôtel parisien pour visionner le film
des HdC dans lʼune de ses versions.
120
. Exception pour Monica Tegelaar, qui fut dans un second temps productrice, mais dans son rapport
avec JLG elle fut la programmatrice du festival de Rotterdam.

81
Personnages cités Fonction Fonction Fonction
A) MARY MEERSON PROGRAMMATION
B) MONICA TEGELAAR PROGRAMMATION
C) JOHN CASSAVETES FILMAGE
D) GLAUBER ROCHA FILMAGE
E) ARMAND J.CAULIEZ PROGRAMMATION
F) SANTIAGO ALVAREZ FILMAGE
H) NICOLE LADMIRAL JEU
I) GIANNI AMICO CRITIQUE
J) JAMES AGEE CRITIQUE
K) FREDERIC C.FROESCHEL PROGRAMMATION
L) NAHUM KLEIMAN PROGRAMMATION
M) MICHEL DELAHAYE CRITIQUE
N) JEAN DOMARCHI CRITIQUE
O) ANNE-MARIE MIEVILLE FILMAGE
P) POUR MOI-MEME (JLG) FILMAGE

Nous avons trois familles réparties très équitablement en 5 personnes chacune. Il


reste un dernier cas isolé (que nous avons mis dans le tableau ci-dessus en gras
italique et dans le suivant en dernière ligne et en minuscules) : il sʼagit de Nicole
Ladmiral. Modèle des films de Bresson, cette comédienne ne sʼest jamais définie
comme telle121. Sa situation précisément centrale dans lʼordre dʼapparition des
nominés (7ème sur 16), peut évidemment faire penser à la façon dont Dante plaça sa
Béatrice dans la Divine Comédie. Lʼécrivain, comme Godard, planifiait son œuvre a
priori et pouvait pour placer bien au centre des cercles et de ses chants sa bien-
aimée (Béatrice).
Lʼénonciation de ces trois actions essentielles permet de poser un nouveau tableau
pour clarifier la politique dʼutilisation des envois : nous décomposons ces trois
familles selon plusieurs sections : dʼabord la fonction proprement dite, ensuite le
domaine de pensée auquel elles peuvent appartenir, puis le registre. Le registre se
définit ici comme art dans lequel lʼaction sʼinscrit.

121
. Ref.155. LA QUESTION, Entretien avec Robert Bresson. CAHIERS DU CINÉMA n°178. 04/1966.

82
Fonction Domaine de pensée registre nbre dʼenvois
PROGRAMMATION HISTOIRE MONTAGE 5
FILMAGE CINÉMA RÉALISATION 5
CRITIQUE ESTHÉTIQUE ÉCRITURE 5
JEU CORPS PERFORMANCE 1

Ajoutons que les fonctions de ces actions : acte de programmer un film, ou de le


filmer et encore le critiquer, évidemment, se ramifient dès quʼil sʼagit de nommer plus
précisément le métier des personnalités —ce que nous retrouverons lors de lʼétude
par épisode. Si nous les avons volontairement omis, cʼest pour simplifier et dessiner
les tendances principales. Remarquons que nous avons rejoint lʼessence constitutive
des HdC : les domaines de pensées fondamentaux dans lesquels elles peuvent être
étudiées. Tout comme le registre des personnalités recoupent les mêmes modalités
dʼactions utilisées par JLG. Aussi, en plus de lʼhomogénéité de fait, par un choix peu
diversifié dʼenvois, on relève une cohérence godardienne dans sa politique
dʼattribution. Même le cas particulier de Nicole Ladmiral est voulu, puisque, comme
nous lʼaborderons chez ce cinéaste, toute lʼimportance réside dans lʼincorporation
dans le film. Cʼest dans cette optique quʼil souligne cet effort de sʼinclure lui-même
dans les personnes nominées. Nous reviendrons dʼailleurs amplement sur le
dédoublement quʼil produit.

D/ NOTES CONCLUSIVES
LES TITRES ET ENVOIS, SYMPTÔMES FILMIQUES DU DÉSIR
Nous allons maintenant procéder, après cette introduction, aux explications
successives des titres et envois des différents épisodes. Lʼun après lʼautre, nous
allons respecter la chronologie du film. Comme nous lʼavons signalé en début
dʼintroduction, nous envisageons les titres comme symptomatiques du film. Tout au
moins leur observation, même succincte, va pouvoir nous révéler les modes de
concrétisation à travers le titre justement comme afférent au désir du cinéaste. Désir
à faire histoire avec le cinéma. Ils vont même probablement pouvoir nous renseigner
sur les différentes conceptions déployées par le cinéaste.

83
E/ ÉPISODE 1a
a/ Titre de lʼépisode 1a : TOUTES LES HISTOIRES

Ce premier titre forme un rappel évident du titre principal sous forme de variation.
Il insiste bien, sans équivoque cette fois-ci, par rapport à la parenthèse présente au
titre principal, sur la pluralité des histoires, dont le toutes devrait suggérer une
ambition de couvrir une totalité. Pas de manque si elles sont toutes présentées. Cette
pluralité ici nommée sera effective sous un double aspect formel et langagier.

i) Tous les temps de l'histoire

Avant dʼaborder la pluralité effective des histoires, Godard la remet en cause dans le
premier épisode :
122
[TOUTES LES HISTOIRES QU'IL Y AURAIT]
123
[TOUTES LES HISTOIRES QU'IL Y AURAIT OU QU'IL Y AURA ?]
124
[QU'IL Y A EU, QUʼIL Y A EU]

C'est-à-dire le « toutes » de « toutes les histoires » couvre cette fois-ci une totalité qui
exprime la pluralité du mode temporel de toutes les histoires (qu'il y a).
Godard en propose une version plurielle par conjugaison du mode temporel.
L'histoire se conjugue alors sur trois différents modes temporels, pour prouver sa
pluralité d'existence :
- une histoire conditionnelle125 (une histoire imaginaire)
- une histoire future (pas encore produite)
- une histoire du passé (déjà passée)
L'hésitation entre une version de l'imaginaire et une version non encore effectuée est
une hésitation de principe. Ce principe tend à faire interroger, à différencier une
histoire utopique126 —qui reste non réalisable sous la tutelle de celui qui la pense, en
d'autres mots : une histoire subjective— avec une autre, virtuelle —qui reste à

122
. HdC.1a.toutes les histoires. (PLAN 52b) : On retrouve notre phrase dans son ensemble, une première
fois, Séquence 8 : lorsque Godard tape à la machine au début de sa définition du cinéma, puis plus tard la
première partie de la phrase Toutes les histoires quʼil y aurait : (PLAN 88) et (PLAN 90).
123
. HdC.1a.toutes les histoires. (PLAN 93).
124
. HdC.1a.toutes les histoires. (PLAN 95).
125
. La conjugaison du mode conditionnel a disparu du livre (voir Livre.1a.page 24-25) mais existe bel et
bien dans le film [toutes les histoires quʼil y aurait est même répété quatre fois : HdC.1a.toutes les
histoires.(PLAN 52b), (PLAN 88), (PLAN 90) et (PLAN 90b)].
126
. une histoire qui n'a pas lieu.

84
réaliser dans un futur qui n'appartient pas à l'historien : objective. La solution [QU'IL Y
127
A EU] que propose Godard est de considérer l'état présent comme pivot invisible et
d'opposer aux histoires futures, l'histoire passée. Cette position anachronique rejoint
le changement opéré entre le film et son livre :
128
[TOUTES LES HISTOIRES // QU'IL Y AURA / QU'IL Y A EU]

Dans son livre, il n'opposera plus que l'histoire future à l'histoire passée. L'histoire
conditionnelle ayant, entre temps, disparu pendant le changement de support.
Voilà un bon exemple de la difficulté de saisir la réalité historique des HdC. Ces
conjugaisons d'histoires ont elles-mêmes subi un changement important. En effet
laquelle version devons-nous privilégier en dernier ressort ? Le film ou le livre ? Cette
question difficile peut être partiellement résolue : nous travaillons avec les deux en
utilisant justement le rapport de leurs différences.

Quoi qu'il en soit, il y a une différence résidant dans le texte de son questionnement
et surtout il y a hésitation. On peut affirmer que la confrontation du futur avec le
passé (qu'il y aura, qu'il y a eu)129 telle qu'elle est disposée dans le livre (et qui se
maintient dans le film) est une position épistémologique intéressante. L'historien va
chercher à passer du point de vue du passé comme fait objectif à celui du passé
comme fait de mémoire130. Car avant tout, Godard pose la pluralité comme élément
premier, et ce qui demeure important dans ce système temporel d'appréhension de
l'histoire, c'est de tenir compte et de privilégier, l'idée que l'historien, qui présente
toutes ces histoires, se met d'abord, lui, en avant. La subjectivité, entretenue par le
fait de mémoire, peut se mettre au travail et nous faire percevoir dans ce film toutes
ses histoires, c'est-à-dire toutes ses hésitations et ses répétitions, prises comme
étapes de travail, sont conservées. Godard hésite, fouille, se trompe même parfois,
mais toujours, il nous offre en témoignage, les différents relevés, traces accumulées
que sa mémoire a produites (et même aurait dû produire ou produira...) et au lieu de
nous fournir une seule histoire présentable, il ne nous montre que l'émiettement

127
. En effet, toute les histoires qu'il y a ne nous sont pas données, c'est donc le film, que nous avons sous
les yeux, qui propose la version présente de toutes les histoires. Il est le pivot puisque le présent se
trouve entre les deux notions temporelles.
128
.HdC.1a.toutes les histoires. p.24-25.
Rappell : TEXTE LIVRE HDC // TEXTE LIVRE HDC= changement de pages.
TEXTE LIVRE HDC / LIVRE HDC TEXTE = changement de lignes
129
.HdC.1a.toutes les histoires. p.25.
130
. Georges Didi-Huberman, Devant le temps, (histoire de l'art et anachronisme des images), Paris, Ed.
de Minuit, 2000.p.103 : L'histoire aura donc consisté chez Benjamin à passer du point de vue du passé
comme fait objectif à celui du passé comme fait de mémoire.

85
visible de ses tentatives historiques, ce qui peut décontenancer plus dʼun spectateur-
lecteur.

Dans le même ordre dʼidée, directeur de la cinémathèque dans les années 90,
Dominique Païni, avait établi un parallèle entre Henri Langlois et Walter Benjamin.
Ce dernier substituait, lui aussi, à l'histoire conventionnelle (du début du XXème
siècle), une archéologie matérielle, où l'historien doit se faire le chiffonnier
(lumpensammler) de la mémoire des choses.131 Il intitula son article : Portrait du
programmateur en chiffonnier132.
Quand on estime la variété hétérogène de la matière composant le film133, Godard
lui-même, face à l'archive projetée, adopte une position proche du chiffonnier décrit.
JLG vérifie l'attitude qu'il attribuait à Langlois : un metteur en scène de projection de
films 134. Lui aussi, comme Langlois, va se distinguer à récupérer un grand nombre
dʼéléments filmiques quʼon avaient placés au rebut135. Il fallait sauver les films de
lʼoubli et créer de l'histoire avec les détritus mêmes de l'histoire136.

ii) Pluralité formelle

137
[UNE HISTOIRE AVEC DES S]
138
[HISTOIRES DU CINÉMA]

Premièrement, comme en effet cela a été expliqué auparavant, l'Histoire au pluriel,


les Histoires, provoquent un modèle historiographique. Nous insistons à noter ici que
la naissance du nombre des histoires, la perte de la singularité, n'engendre pas un
autre même , même si le lieu commun veut que l'histoire se répète. Elle se répète
131
. Walter Benjamin, Paris, Capitale du XIXème siècle. Le livre des passages (trad. Jean Lacoste), Paris,
Ed.Le Cerf, 1989. p.559.
132
. Dominique Païni, “Portrait du programmateur en chiffonnier”, CINÉMATHÈQUE n°11.1994.p.24. Article
étudiant la pratique de la programmation chez Langlois et son corollaire esthétique.
133
. Voir Infra Chapitre 3 de cette Partie 1.
134
. Préface (entretien Godard-Buache) au livre de Huguette Marquand-Ferreux, Musée du Cinéma. Henri
Langlois, Paris, Maeght-Cinémathèque Française, 1991.p.14.
135
. Que ce rebut sʼavère réel ou symbolique —rebut de la mémoire—, il importera plus à essayer, dʼabord,
de cerner lʼidentité de ceux, oublieux, dont on parle. En effet, de qui s'agit-il ? Est-ce le grand public ou
des critiques spécialisés, ou encore des cinéphiles, auxquels sʼadressait Langlois ? Et aujourdʼhui Godard
quand il demande en citant MARIENBAD (1961) de Resnais : Les Autres? Qui sont les autres ?
HdC.1a.toutes les histoires. (PLAN 78).
136
. Walter Benjamin, Paris, Capitale du XIXème siècle. Le livre des passages (trad. Jean Lacoste), Paris,
Ed.Le Cerf, 1989. p.559. (reprenant Rémy de Gourmont).
137
. HdC.1a.toutes les histoires. p.81.
138
. HdC.1b.une histoire seule. (PLAN 1047), (PLAN 1049). Comme ici, plusieurs fois, Godard retranscrit
dans le livre le titre général sans mettre la parenthèse autour du « s ».

86
peut-être mais à une différence près, elle ne peut se répéter dans le même temps.
Toutes les histoires ne sont donc certainement pas les mêmes. Et contre la
répétition, l'imitation, nous devenons alors les témoins de l'établissement de la
différence des histoires entre elles.
Si plusieurs Histoires co-existent, aucune ne peut prétendre à devenir le seul modèle
valable, imposant sur les autres, sa vérité.
Cette histoire du cinéma, par l'affirmation orale d'une pluralité formelle, rend d'autres
formes d'histoire du cinéma exemplaires :

139
[HISTOIRE DU CINÉMA/ HISTOIRE SANS PAROLES/ HISTOIRES DE LA NUIT.]

Avant même de nous intéresser à la possibilité dʼune hiérarchie des différents


modèles historiques qui co-existent dans le film, remarquons lʼaffirmation orale de
leur énonciation. En effet pour Godard, la puissance de la parole confère une
existence aux choses 140.
141
[ET QUE LA CHOSE EXISTE/ QUE PAR LE NOM QUE JE LUI DONNE]

Dire fait exister. Et il sʼagit de dire cette histoire du cinéma et, jouant sur les mots, fait
découler le dire de produire. Il pose le problème dʼune parole qui associerait la
possibilité dʼun acte de production.
142
[Est-ce que les u qu'il y a dans produire empêchent qu'il y ait dire dans produire ?]

Cette phrase dans le 1a, mérite que lʼon sʼattarde un peu sur son sens. Si lʼon enlève
la lettre « u », comme il le souhaiterait —puisquʼil suppose que sa présence nous
empêcherait dʼavoir du dire— ; on obtiendrait le néologisme de prodire. Vers quel
sens peut nous mener ce terme ? Étymologiquement avec pro – dire143, ou

139
. HdC.1a.toutes les histoires. p.114.
140
. Ref.Film63. PUISSANCE DE LA PAROLE. 1988. Cʼest lʼadaptation éponyme dʼune des Histoires
extraordinaires dʼEdgar Allan Poe. Godard nʼest évidemment pas le seul ni le premier à se servir du davar.
(mot hébreu signifiant indifféremment chose ou parole, affaire ,ordre). Sur le même sujet (Dire fait advenir)
on peut en retrouver lʼorigine à partir de conceptions monothéistes diverses puisque la Création du monde
se fait à partir de la parole de Dieu (Car il a parlé et ce fut fait, Psaume 33 : 9) ou encore ce qui nʼest pas
nommé nʼexiste pas. Godard réaffirmera ce pouvoir de dire dans un autre film où il citera, à cette fin, des
extraits de textes du Talmud. Ref.Film.72. HÉLAS POUR MOI. 1993.
141
. HdC.2b.fatale beauté. p.156.
142
. HdC.1a.toutes les histoires. (PLAN 100).
143
. « pro » en latin signifiant devant, comme dans proscenium, en questionnant ce « u », Godard nous
incite aussi peut-être à nous interroger sur lʼétymologie du verbe produire, produco, et insiste alors peut-
être sur son sens qui est : faire avancer.

87
produco144 nous pouvons supposer que produire (un film ou une histoire) conduit à
mettre en avant le dire (puisque cʼest le sens latin du préfixe pro). Cʼest-à-dire choisir
la mise en avant du discours, quʼil soit cinématographique ou historique. Cʼest donc
logiquement ce dire, une fois mis en avant, qui va être la source de la multiplicité des
histoires.

Ainsi dans toute la première partie des HdC, effectivement, toutes les histoires
renvoient à une multiplicité du dire : dire différentes histoires, et leur singularité
successive, exemplaire, fonde une pluralité décrite, intitulée :

145
[DIRE PAR EXEMPLE L'HISTOIRE DES DERNIERS NABABS]
146
[DIRE L'HISTOIRE DE HOWARD HUGHES]
[DIRE PAR EXEMPLE TOUTES LES HISTOIRES DES FILMS QUI NE SE SONT JAMAIS
147
FAITS]

iii) Production dʼhistoires &


histoire de la production : Thalberg & Hughes.
Aussi tout au long du premier épisode, vont se succéder différentes propositions de
dire des exemples de l'histoire du cinéma. Une histoire de la production du cinéma
s'offre à notre perception. La construction des studios d'Hollywood, est montée en
opposition au cinéma soviétique148. Godard présente le parcours biographique de
deux producteurs de cinéma, représentatifs de cette période et surtout représentatifs
d'un savoir-dire des histoires du cinéma. À cette fin, il met en jeu le principe
dialectique du rapport entre production & histoire, Godard va rendre compte que
lʼévaluation quʼil fait sur la capacité du cinéma à produire des histoires est liée
directement à lʼhistoire de la production cinématographique. Il devient possible de
proposer une histoire de la production hollywoodienne, à partir de lʼétude de deux
figures contradictoires : Thalberg et Hughes. Finalement l'histoire, comme tentative
dʼétablissement dʼune vérité des faits humains en récit universel, va se voir remise en
cause par les conséquences que vont impliquer leurs propres activités :

144
. « producta » en latin est le pluriel de produco signifiant choses que lʼon place en premier.
145
. HdC.1a.toutes les histoires. p.26.
146
. HdC.1a.toutes les histoires. p.48.
147
. HdC.1a.toutes les histoires. p.62.
148
. HdC.1a.toutes les histoires. pp.32-39. : ÇA/ LA PUISSANCE DE/HOLLYWOOD/ LA PUISSANCE/ DE
BABYLONE/ UNE USINE DE REVE/ DES USINES COMME ÇA/ LE COMMUNISME/ SʼEST EPUISE/ A
LES REVER.

88
— pour Irving Thalberg, lʼinvention de récits avec plus de 52 films par jour. 149
Lʼhomme passe tout son temps à concevoir des films, plus quʼà vivre une vie dans la
réalité dont les films sʼinspirent. Si bien que la passion de cette conception devient
pour lui sa seule réalité. Il entre alors dans le statut qui définit la star150 à la différence
que nʼétant pas acteur, il ne produit pas dʼimages de son propre corps. Cʼest même à
partir de cette absence que Godard note et déploie une mythologie de lʼhomme.

— pour Howard Hughes, cʼest précisément lʼinverse : la fondation dʼune vie mythique
est possible à partir dʼune mise en scène cinématographique de sa propre vie, ce qui
également lʼentraînera à faire disparaître son image sociale151. Vivant 15 ans au
Penthouse du Desert Inn à Las Vegas sans jamais plus en sortir, Hughes ne serait
bientôt plus quʼune voix par interphone.
LE PASSAGE DU CORPS PAR LE CINÉMA
Le premier propose une multiplicité de narration, et l'autre s'attache à effacer les
limites entre la réalité des faits et la légende qui sourd autour de lui et même après
sa mort, ce mouvement qu'il a initié perdurera. 152. Ce sont leurs différentes vies
représentées qui confèrent au cinéma son caractère historique et pluriel.
Godard essaye de démontrer, par cette sélection, la vision d'une histoire qui passe, à
cause du cinéma, par les corps153.
La sélection qui paraît contradictoire au début, devient parallèle à la fin : Lʼun produit
une image de son corps, lʼautre non, puis les deux images de leurs corps se
retireront du monde réel (en dehors du monde cinéma).

Mais en dehors de leur identité, cʼest lʼincorporation dʼune vision de lʼhistoire du


cinéma quʼils effectuent au passage :

— Par exemple, pour Hughes, cʼest strictement certaines proportions physiques qui
conduit le choix des filles dans les films quʼil produit, comme dans sa vie sexuelle :

149
. HdC.1a.toutes les histoires. p.29.
150
. Une actrice qui passe plus de temps sur les plateaux de cinéma que dans le monde réel, place (sans
le vouloir et cʼest là sa tragédie) sa réalité —sa propre histoire personnelle— aux vues de tous : sur la
pellicule. Dʼoù lʼévidence que la star ne joue pas dans les films, elle vit sa vie (puisquʼil nʼy a rien dʼautre
en dehors). Godard a pris quelques films sur le cinéma, qui ont utilisé comme récit central ce principe :
Billy Wilder, SUNSET BOULEVARD. 1950. Ernest B. Schoedsack & Merian Cooper, KING-KONG. 1933.
151 ème
. Plus aucune apparition publique jusquʼà rester au 9 étage du Desert Inn (Las Vegas) pendant
15ans sans jamais sortir de lʼimmeuble. Selon R.Maheu, il ne communiquait plus que par mémo sous la
porte ou téléphone. Michael Drosnin, Citizen Hughes, Paris, Ed. Presses de la Renaissance, 1985.p.236.
152
. James Ellroy, American Tabloid, Paris, Ed. Payot & Rivages, 1995.p.233.
153
. Ref.73. 60 metteurs en scène : Bresson. Avec Dostoïevski, lʼhomme est lʼincarnation de son métier.

89
[IL OBLIGEAIT LES STARLETTES DE LA RKO // A FAIRE CHAQUE SAMEDI UNE
PROMENADE EN LIMOUSINE A DEUX A LʼHEURE // POUR NE PAS RISQUER DʼABIMER
154
LEURS SEINS EN LES FAISANT REBONDIR.]
Mis à part le pittoresque de lʼanecdote maniaque, la consommation frénétique
dʼactrices, relatée dans les biographies, lui fit gagner un statut unique : celui du
premier producteur de lʼhistoire du cinéma à être également un sex-symbol à part
entière. 155.

— Lʼautre modèle de ce passage corporel se trouve en la personne de Thalberg qui


fut mariée à la plus belle femme de la terre.156
[ET IL A FALLU QUE CETTE HISTOIRE EN PASSE PAR LA / UN JEUNE CORPS FRAGILE
157
ET BEAU]
Que ça en passe par là : Le passage par le corps du producteur nous fait admettre
une prédominance du corps sexué sur l'esprit158. Soulignons quʼici la notion
dʼexemplarité corporelle des producteurs se conçoit aussi pour Godard. Répondant à
lʼadage de Bresson, ce corps qui énonce lʼhistoire du cinéma a passé par le cinéma/
et en a conservé/ la marque / ne peut plus entrer/ ailleurs159.
Les deux producteurs lui proposent (à travers le temps) différentes modalités
corporelles dans le monde cinéma, et argumentent finalement à lʼadoption de sa
propre conception de l'histoire du cinéma :

« LE CINÉMA/ MON IDÉE/ QUE JE PEUX EXPRIMER MAINTENANT/ CʼEST QUE CʼÉTAIT
LA SEULE FAÇON/ DE FAIRE/ DE RACONTER/ DE SE RENDRE COMPTE/ MOI/ QUE JʼAI
160
UNE HISTOIRE/ EN TANT QUE MOI »

Alors une histoire du cinéma qui passera par lʼhomme de cinéma, quʼil soit
producteur cinéaste ou historien, doit sʼavérer personnelle, vécue par son propre
corps 161, jusqu'à prévoir la fonction érotique comme conception historique et joignant

154
. HdC.1a.toutes les histoires. pp.55-57.
155
. Peter Harry Brown & Pat H. Broeske, Howard Hughes. The Untold Story (Howard Hughes, le
milliardaire excentrique, biographie) USA, Dutton Book Publishing,1996 réédité et traduit de lʼanglais par
Henri Marcel, Ed.Plon, Paris, 1996.p.191.
156
. HdC.1a.toutes les histoires. p.43.
157
. HdC.1a.toutes les histoires. (PLAN 131).
158
. Revoir en ce sens Ref.Film14. LE MÉPRIS. 1963 §Sexualité du producteur.
159
HdC.1a.toutes les histoires. p.44 et p.46.
160
. HdC.2b.fatale beauté. pp.38-39.
161
. C'est à partir de son expérience à Montréal qu'il réalise cette idée, on le verra dans la deuxième partie.

90
par là le mouvement de la petite histoire dans la grande, sur le même énoncé que
proposait Daney et que Godard repris à son compte dans le film HdC :
« ILS (La Nouvelle Vague. nda) SE SONT DOUTÉS/ QUʼILS ÉTAIENT DANS UNE
HISTOIRE/ ILS ONT VOULU SAVOIR/ QUELLE HISTOIRE CʼÉTAIT/ LA LEUR DANS LA
162
GRANDE/ LA GRANDE DANS LA LEUR. »

iv) Exemple dʼimplication du corps du cinéaste dans son HdC


Par la description dʼune séquence des HdC
Posons un nouvel exemple du cinéaste impliqué dans son histoire et du mode
érotique de cette inscription. Malgré la longueur de la description que nous allons
produire, cet exemple reste dʼautant plus notable car il est réduit à une seule page
dans le livre163. Cʼest un aperçu dʼune pratique de lʼhistoire du cinéma qui passerait
par la sexualité du cinéaste.

Nous avons, avec la description de cet extrait, un grand nombre dʼéléments qui
sʼentrechoquent. Ainsi, nous allons prendre les plans, les uns à la suite des autres.
On retrouvera dans la dernière partie de notre travail cette méthode descriptive plus
développée :

Cet extrait est un choix de coupe de notre composition. Nous affirmons une logique
subjective de sectionner en début et fin celui-ci, notre séquence, tout en rappelant la
véritable difficulté de sectoriser ce film, non en Grandes Séquences, mais dans la
partition de ses sous parties (Séquences) et de leur agencement. Cet extrait fait
partie de la Grande Séquence que Godard intitula : [DIRE PAR EXEMPLE TOUTES LES
164
HISTOIRES DES FILMS QUI NE SE SONT JAMAIS FAITS.] et prend sa place
logiquement entre la séquence LE MARCHAND DE VENISE (Welles) et de LʼÉCOLE
DES FEMMES (Ophuls), deux films inachevés.

—Les deux premiers plans sont introductifs et intitulants. Ce sont deux cartons
simples où sont inscrits deux titres de films :

162
. HdC. 2a.seul le cinéma. p.42.
163
. Autrement dit, Godard a expurgé de son livre ce passage (du film). Ce qui pour notre logique sʼavère
révélateur.
164
. HdC.1a.toutes les histoires. (PLAN 416). Ou p.62

91
165
[LE MÉPRIS] puis [LES GIRLS]166.
Ils ouvrent lʼextrait et nous proposent les sujets qui vont être évoqués : Godard et les
Filles. Si le mépris et les girls sont lus dʼabord ordinairement, (du mépris et des
filles !), on pourrait ensuite penser que le premier évoque presque directement le
cinéaste car LE MÉPRIS est un de ses films ayant eu le plus de succès public.

À propos de titre, en addition de ces deux cartons qui jouent donc un rôle dʼintitulant
pour la séquence entière167, sur la piste sonore nous en avons dʼautres. En effet,
nous entendons distinctement deux pistes-son comprenant à chaque fois la voix de
Godard et elles couvrent lʼensemble de cette petite séquence :
-Une piste contient un texte que nous allons étudier juste ci-après (cʼest la parole de
Godard-narrateur).
-Une autre piste concerne la voix de Godard-présentateur168. Sa parole parsème des
titres de livres qui, non sans hasard nous parlent : on peut admettre que le titre du
livre, évocateur, est peut-être plus évocateur encore que la réalité du contenu169. Une
histoire dʼamour nous est narrée par énonciation de titres, ainsi nous entendons JLG
énoncer successivement à cheval sur plusieurs plans :
Les liaisons dangereuses170, On ne badine pas avec lʼamour171, adieu ma jolie172 et
bonjour tristesse173.
Cette suite fait sens. Si ces titres étaient, par exemple, des titres de sketches ou de
chapitres, mis les uns à la suite, ils exprimeraient en résumé une logique dʼun récit :
- (Laclos)174 : Un couple se constitue, danger !

165
. HdC.1a.toutes les histoires. (PLAN 426). Ref.Film14. LE MÉPRIS. 1963. Le mépris conte lʼhistoire
dʼun scénariste méprisé par sa femme qui le quitte et sʼen allant en voiture avec un producteur américain,
ils périront en rencontrant un camion citerne de la Shell.
166
. HdC.1a.toutes les histoires. (PLAN 427). George Cukor, LES GIRLS. 1957.
167
. Ne pas confondre avec la grande séquence, ici lʼextrait opéré constitue une séquence.
168
. Le rôle de Godard-Présentateur est une fonction qui sera détaillée dans notre troisième partie, ici la
description de lʼensemble demeure plus important.
169
. Encore ici, nous reviendrons amplement dans la troisième partie sur le problème technique du Name-
Dropping. JLG utilise ici une technique sonore quʼil avait déjà entrepris dans le domaine visuel : en filmant
des titres de couverture de livres dont le montage provoquait des lignes de dialogues pour les acteurs.
Voir Ref.Film8. UNE FEMME EST UNE FEMME. 1961 : Une scène de ménage sous forme de bataille de
titres de livres.
Mais ici cʼest sous forme de dialogue interposé, car Anna Karina (invoquée sous la forme dʼun extrait qui
arrivera un peu plus tard) lui fait face par film interposé. De plus la présence corporelle de Godard sous
forme dʼimage nʼest pas là. Le corps ne supporte pas juste ici lʼune de ses deux voix, mais cette invisibilité
ne sera que temporaire et relative.
170
. (PLAN 428). Chodernos de Laclos, Les liaisons Dangereuses. (1769). Roman.
171
. (PLAN 428. Alfred de Musset, On ne Badine pas avec lʼamour, Pièce de théâtre.
172
. (PLAN 430). Raymond Chandler, Farewell My Love, (Adieu ma jolie). Roman policier.
173
. (PLAN 432). Françoise Sagan, Bonjour Tristesse, (1954) Roman dont lʼadaptation au cinéma fut faite
pour Otto Preminger en 1958. Le film faisait débuter une jeune actrice qui marqua Godard : Jean Seberg.

92
- (Musset) : Lʼun des deux ne prend pas lʼamour au sérieux.
- (Chandler) : Ils se séparent, alors. Lʼhomme a une parole dʼadieu.
- (Sagan) : Ils entrent désormais dans un épisode de tristesse.

On ne peut quʼêtre intrigué du parallélisme avec lʼhistoire réelle que Godard a vécu
en couple avec Anna Karina. Bien quʼaprès leur mariage et quelques films en
commun, ils se soient séparés175. Adieu ma jolie représente sans conteste une
parole dʼadieu personnelle à son ancienne égérie (actrice+femme).
Cʼest à partir de traces, de ce type dʼimplication physique (jʼaime — ma femme // je
filme — une actrice), trouvées dans son histoire du cinéma que nous ouvrirons la
deuxième partie de notre travail, avec le chapitre 1 intitulé le corps producteur.

Reprenons la continuité de notre description dʼextrait.


—Après les deux plans titres, nous voyons un extrait du film VIVRE SA VIE176 : en gros
plan visage, Anna Karina, assise dans un wagon de métro, en regardant la caméra,
monologue sur lʼamour et le malheur177, sa parole va se prolonger également sur les
2 plans suivants.
On entend toujours dans cet extrait de film (de fiction un seul plan) la voix du
narrateur (JLG) :
178
[TOUTES LES HISTOIRES DE CUL]

— Après juste un flash noir, le plan est enchaîné avec un plan de film
pornographique clandestin dʼavant-guerre abîmé : Un couple habillé (début de siècle)
sont assis côte à côte. Tout en lʼembrassant, la femme sʼoccupe manuellement du
témoignage vigoureux de lʼhomme. La voix du cinéaste continue :
[PARCE-QUE CʼEST SURTOUT, ÇA, LES FILMS QUI NE SE SONT JAMAIS
179
FAITS]

174
. Nous avons placé en début plutôt les noms des auteurs de titres au lieu des titres eux-mêmes, pour
éviter une répétition qui rendait un peu confuse la perception de notre petite histoire.
175
. Voir sur ce sujet Ref.Film.10. VIVRE SA VIE. 1962. : Le « Portrait ovale », mise en abyme du film.
176
. Ref.Film10. VIVRE SA VIE. 1962.
177
. Ref.Film10. VIVRE SA VIE. 1962. monologue dʼAnna Karina, tiré du film, quʼon retrouve dans les
HdC. :« de temps en temps, lʼamour, le malheur, le malheur me semble… il est profond, profond,
(inaudible), vous voudriez aussi (…) je le connais ce sentiment. A nʼen plus croire mes oreilles, je suis
bien votre pareille, quand je suis bien pareille à vous. »
Un photogramme reproduit lʼextrait et constitue la moitié inférieure de la page du livre : HdC.1a.toutes les
histoires. p.73.
178
. HdC.1a.toutes les histoires. (PLAN 428).
179
. HdC.1a.toutes les histoires. (PLAN 430).

93
— Un plan noir laisse la voix de Godard esseulé :
180
[LE FOND DES CHOSES]

— Puis un photogramme181 montrant un loup et une pin-up dessiné par Tex Avery.
Sur le dessin non animé en couleurs. La voix de Godard continue :
[LE CUL]182
— Une photographie en noir et blanc dʼun postérieur dʼune jeune servante. Son buste
hors-champ est penché, au premier plan, et prend la moitié de la surface de lʼécran.
Ce cul est scruté par un homme en second plan dans la perspective. Elle est mise en
relation, en un effet dʼiris central en double allers-retours syncopé183 avec la photo
précédente mais recadrée sur le visage du loup. La voix de Godard conclue : [LE
184
FONDEMENT]

— Puis une dernière photographie de tournage met en scène deux couples : Laurel
et Hardy 185, aux côtés de deux jeunes filles (bibi et minijupes). Ils sont sur une seule
ligne. Laurel montre les filles du doigt, à la caméra.
La disposition humaine de cette photo sʼapparente à la figure classique du double
couple que lʼon trouve dans les nombreux films de fiction de JLG186. Ill nʼest pas
étonnant quʼici, elle soit conclusive de la séquence. La figure expose un potentiel
dʼinterchangeabilité hétérosexuelle que peuvent représenter les rapports
Hommes/Femmes.

Cet extrait ne dure que trente secondes au moment de sa projection. Bien sûr, cette
description (sonore et visuelle) ralentit le rythme réel dʼapparition. Aussi pour plus
dʼintelligibilité, les deux pistes-sons peuvent être replacées dans une continuité, pour
en apprécier leur lecture. Il demeure intéressant à replacer lʼensemble de notre
retranscription sonore de la parole de Godard avec lʼajout dʼune ponctuation, et
même si lʼénonciation des titres de livres (la même voix donc) vient pendant ce
180
. HdC.1a.toutes les histoires. (PLAN 431).
181
. HdC.1a.toutes les histoires. p.73. La photogramme du cartoon de Tex Avery constitue la moitié
supérieure de la page. Le photogramme du dessin animé datant des années 50 représente un loup attablé
prenant dans sa main les deux bras dʼune jeune fille pulpeuse lʼair timide en tenue de scène (gant blanc,
maillot de bain et nœud papillon dans les cheveux).
182
. HdC.1a.toutes les histoires. (PLAN 432).
183
. Voir pour la description de ce procédé : Ref.Film63. PUISSANCE DE LA PAROLE. 1988 : La technique
de lʼAller-retour.
184
.. HdC.1a.toutes les histoires. (PLAN 434).
185
. Stan Laurel et Oliver Hardy : duo comique des années 1920-1930 mis en scène notamment par Leo
McCarey, W.S.Van Dyke.
186
. Ref.Film.10.VIVRE SA VIE. 1962 : La correspondance des couples.

94
discours en contrepoint, nous la signalerons en italique pour la différencier ; ainsi que
la parole dʼAnna Karina qui se place en hémistiche dans un simili dialogue
recomposé :

JLG—« Toutes les histoires de cul, les liaisons dangereuses, on ne badine pas avec
lʼamour »
AK—« je le connais ce sentiment »
JLG— « adieu ma jolie, parce que cʼest surtout, ça, les films qui ne se sont jamais faits :
bonjour tristesse, le fond des choses, le cul, le fondement. »

Après cet exemple de notre discours possible sur lʼhistoire du cinéma et de ses
conséquences érotiques —avènement dʼun désir devenant une histoire dʼun des
films qui ne se sont jamais faits 187, puisque nous sommes témoins dʼune des
représentations de son but—, nous allons nous pencher sur les possibilités plurielles
de la pratique historique.

Après avoir vu lʼimplication corporelle, on pourrait sʼinterroger sur la pluralité cette


fois-ci des sens du mot histoire à travers lʼénoncé du titres des HdC : toutes les
histoires. En effet, on pourrait envisager que ce toutes peut inclure une pluralité des
définitions du mot même.

v) Pluralité des sens du mot histoire


Le deuxième aspect de la pluralité des histoires se retrouve, plus classiquement et
plus brièvement sur les différentes acceptions du mot histoire. Si l'histoire se retrouve
plurielle, c'est dans toutes ses versions polysémiques.

L'histoire se conçoit alors comme grande Histoire, comme lʼobservation des faits de
lʼhomme compris entre sa naissance et sa disparition.
188
[LES DEUX GRANDES HISTOIRES ONT ÉTÉ LE SEXE ET LA MORT]
La grande Histoire implique des personnages historiques,
189
[UNE HISTOIRE AVEC DES SS]

187
. HdC.1a.toutes les histoires. p.62.
188
. HdC.2b.fatale beauté. (PLAN 953).
189
. HdC.1a.toutes les histoires. p.81.

95
mais aussi une histoire comme l'amoncellement des petits faits, des anecdotes,
190
[UNE HISTOIRE DES ACTUALITÉS] .
Ce que Godard intitulera, paraphrasant Fernand Braudel, les pas précipités de
lʼhistoire qui se combine avec la grande qui avance à pas lents191.

Ensuite on assiste à une définition de lʼhistoire, la plus étayée de toutes ses histoires.
Lʼhypothèse consiste à dire que le cinéma appartient à l'histoire. Le cinéma est
considéré comme élément participant aux faits et aux changements de la destinée
humaine du XXème siècle. Toute la deuxième partie de l'épisode se déroule au motif
de cette assertion. On participe à l'interrogation de savoir comment ce support, en
vertu du pouvoir de lʼenregistrement du réel, hérité de la photographie, n'a pas su
remplir son rôle192. Godard va lui consacrer un devenir mythique, personnalisé en
Cassandre193. Le cinéma énoncé comme élément historique va permettre à Godard
de s'interroger. De quelle façon le cinéma, comme élément inclus dans l'histoire, va
agir et réagir face aux surgissements d'autres évènements (déterminés plus tard
comme historiques) ?
Après le titre du 1a. Voyons maintenant les personnes auxquelles lʼépisode est
dédié.

E/ ÉPISODE 1a (suite)

b/ Personnes auxquelles lʼépisode 1a TOUTES LES HISTOIRES est dédié:


MARY MEERSON ET MONICA TEGELAAR194

En exposant une biographie succincte des personnes sélectionnées, nous allons


tenter de comprendre la raison de leur nomination. La logique dʼune double sélection
peut trouver son explication à partir dʼune analyse respective de chacune dʼentre

190
. HdC.1a.toutes les histoires. p.78.
191
. HdC.4a.le contrôle de lʼunivers. p.64 : pour la première citation. p.65. pour la seconde.
192
. “Le cinéma n'a pas su tenir son rôle”, Entretien avec JLG, CAHIERS DU CINÉMA n°524.12/1999.
193
. Personnage mythologique détentrice d'une vérité prophétique qui par force otée de sa persuasion, ne
sera jamais écoutée ou prise au sérieux.
HdC.3b.les signes parmi nous. p.218 :[TAIS-TOI CASSANDRE /TANT QUE NOUS NE SOMMES PAS /
RÉVEILLÉS].
194
Ayant inclus ces deux cartons dédicatoires dans l'étude plan par plan de la troisième partie, nous vous
invitons à y voir les autres développements. En effet, une analyse en rapport avec l'ensemble de la
séquence a été établie mais elle est extérieure à la seule notation présente.

96
elles, ou dans le produit de leurs rapports, (quʼil soit somme : leurs points communs
ou quʼil soit au contraire déduction : corrélation de leurs différences)
La mise en exergue de domaines quʼelles ont en commun : domaine féminin,
domaine international et pour finir le domaine des cinémathèques, peuvent nous
fournir une base dʼéléments dʼappréciation.

LE FÉMININ PASSE DANS LES ENVIRONS DE LA CINÉMATHÈQUE


L'association filmique de ces deux femmes sera analysée plus amplement au
moment de la description du plan où apparaît la nomination, dans notre troisième
partie195. JLG insère, au moment précis où apparaît le nom de Mary Meerson, une
photographie d'une vieille femme en deuil qui couvre une bible reliée en métal
précieux, suggérant un rôle identique à la gardienne dʼun trésor196 de la
cinémathèque ; tandis que Monica Tegelaar se voit associée avec le portrait d'Ida
Lupino : femme qui comme elle exerce un cumul des fonctions. Ida Lupino était
réalisatrice-actrice. Cette dernière regarde une diapositive dans un extrait dʼun film
de Lang197. Elle semble rendre hommage à lʼidée de lʼactivité pluridisciplinaire198 de
Tegelaar (productrice-conservatrice). L'idée associative serait de rendre un
hommage aux femmes nominées, agissant toutes deux, dans le domaine de lʼécrit
et/ou de lʼimage puisque les deux autres femmes à lʼimage (la vieille et Ida Lupino)
manipulent chacune un accessoire correspondant respectivement au livre et à
lʼimage (la diapositive).

Mary Meerson, mariée à Lazare Meerson, décorateur dans les années 30, fut une
égérie des années folles. Devenant la compagne d'Henri Langlois, elle fut son
véritable bras droit 199. Cʼest elle qui suggéra à Fritz Lang dʼaccepter un rôle dans LE
200
MÉPRIS .

195 ème
. Infra 3 Partie. CH2.plan par plan. Seq3.p.369. Il y a un tableau comparatif entre les plans et les
deux femmes.
196
. Jean Cocteau affirmait quʼHenri Langlois est le dragon qui veillait sur ses trésors. in Georges Patrick
Langlois, Glenn Myrent, Henri Langlois, premier citoyen du cinéma, (en collaboration avec Hughes
Langlois), Paris, Ed. Denoël, 1986. p.268.
197
. While The City Sleeps (La cinquième victime, 1956), Fritz Lang.
198
. Ref.A42. Entretien avec Jean-Pierre Mocky. (éloge du cumul des fonctions).
199
. Bérénice Reynaud, “Une muse disparaît”, CAHIERS DU CINÉMA n°471, 09/1993.
200
. Laurent Mannoni, « Vends la Cinémathèque ! », Documents - Jean-Luc Godard , Paris, Ed. Centre
Pompidou, 2006.p.246.

97
Monica Tegelaar, hollandaise d'origine, fut productrice de long-métrage, dont un
réalisé par Raoul Ruiz, mais aussi, et cʼest très probablement lʼobjet de sa
nomination, co-responsable de la Fondation d'Arts de Rotterdam.

"Monica Tegelaar qui, avec Hubert Baals, est la principale animatrice des cours et du Festival
201
de Rotterdam."

Et c'est au sein du Festival de Rotterdam 81 dont la Fondation est partie prenante,


qu'en 1981, Godard effectuera ces cours sur l'histoire du cinéma, projetant ses films,
entrecoupés avec d'autres. Ces sessions, on lʼa vu ultérieurement, à peu près
conformes avec celles qu'il proposa à Montréal quelques années auparavant,
peuvent être considérées comme l'un des multiples projets des HdC nécessaires
avant que le film ne se manifeste en tant que tel.
Monica Tegelaar ici nominée, est une collaboratrice directe de Godard pour les HdC.
Avec Anne-Marie Miéville (pour le 4b). Ce sont les deux seules personnes citées
dans ces envois, à être impliquées directement à la production du film (en dehors de
JLG lui-même).
DOMAINE INTERNATIONAL : COSMOPOLITISME
Le domaine international peut être également invoqué, car sous forme d'hommage,
nous sommes probablement en présence de deux femmes exemplaires par leur
indépendance active et parce que toutes deux optent résolument pour des parcours
cosmopolites : Mary Meerson, née à Riga ou Finlande, arrivée en France en
provenance de Sofia avec un faux passeport bulgare au nom russe de Popov202.
Tegelaar, elle, fut une hollandaise qui produisit en France avec un réalisateur chilien,
un film tourné au Portugal, et organisa des cours pour un cinéaste suisse.

201
. Jean-Claude Biette, “Rotterdam II, Godard et son histoire du cinéma”, Le journal des CAHIERS DU
CINÉMA N°327, 09/1981. p.V-VI. Biette fait un compte-rendu précis du deuxième et dernier cours que
Godard a donné, en incluant les différents problèmes logistiques confrontés au désir de production de
Godard.
202
. Bérénice Reynaud, “Une muse disparaît”, CAHIERS DU CINÉMA n°471, 09/1993.

98
F/ ÉPISODE 1b :

a) Titre de lʼépisode 1b : UNE HISTOIRE SEULE


Ce titre entre en contradiction avec le titre du premier épisode. C'est même une
double contradiction avec le titre (toutes les histoires). Autant celui-ci se signale par
le pluriel des histoires et une volonté de totalité avec le toutes, là c'est la symétrie
inversée de montrer l'histoire une et accentuant cette singularité avec le terme seule,
la renforce par son rattachement à la solitude.
Nous avons déjà exposé le caractère solitaire du cinéaste face au film autant que
celle du spectateur dans notre introduction. Ici, cet épisode vient corroborer le
principe de cette nécessité en y incluant la pratique de l'histoire.
Cependant cette histoire seule peut contenir plusieurs significations, qu'il convient de
définir.
La première tentative de compréhension de ce titre une histoire seule demeure que
nous soyons en présence d'une histoire esseulée du domaine cinématographique
quʼelle devait couvrir. Il reste également à expliquer la teneur de cette responsabilité.

UNE HISTOIRE SEULE : ESSEULÉE, L'HISTOIRE SERAIT SANS LE CINÉMA.


Dans l'épisode, Godard fournit quelques éléments qui peuvent servir d'explication au
titre. D'abord il concède que le terme de seule puisse être accepté comme solitude.
Et en inversant dialectiquement la proposition des deux termes du titre, il révèle ainsi
la volonté de l'historien à pourvoir la pratique du cinéma en tant que nouvelle
définition de la pratique historique.
solitude de l'histoire, histoire de la solitude203.
Le cinéma est perçu alors en tant quʼun simple élément d'une histoire plus grande qui
viendrait partager la légende. Puissance de la foule en recherche des mythes204. Le
cinéma, dans son pouvoir spectaculaire de relater, se place au service des faits
humains. La pratique cinématographique devient une pratique historique et en ce
sens, seul le récit, (seule l'histoire), serait retenu, comme le titre peut le garantir.

203
. HdC.1b.une histoire seule. p.78. Cette phrase provient de son film-annexe : Ref.Film.70. ALLEMAGNE
ANNÉE 90 NEUF ZÉRO. 1991.
204
. Les masses et la foule malgré leur différence sont employés par Godard dans une même continuité
discursive. Ils sont pour lui synonymes.
HdC.1a.toutes les histoires. pp.96-97 : « Les masses aiment le mythe// et le cinéma sʼadresse aux
masses. » et un peu plus tard :
HdC.1a.toutes les histoires. (PLAN 623) :« Quʼentendaient les foules qui écoutaient prêcher St
Bernard ?».

99
CINÉMA ET HISTOIRE : UNE SEULE HISTOIRE POUR LES DEUX.
Aussi, s'il y a amalgame des deux pratiques, supposons un instant quʼil n'y ait plus
qu'une seule pratique. Le cinéma va se substituer à l'histoire, pour le remplacer en
quelque sorte. On trouve dans l'épisode un jeu de cartons comme Godard en fait
habituellement. Le jeu vient produire un argument de cette opération de
métamorphose, du glissement de l'histoire en cinéma : deux cartons aux lettrages
clairs sur fond noir, qui vont exemplairement désigner deux motifs de préoccupation
fondamentalement historique [LES ACTES]205 et [LES HEURES]206. Les actes sont les
faits des hommes et les heures leurs inscriptions dans le temps. Ce sont là deux
termes qui concourent à produire une définition classique de l'Histoire, puis par un
jeu de mots et d'images en fondu, les deux cartons n'en deviendront plus qu'un seul,
cinématographique celui-là.
Ainsi les actes et les heures (de lʼhistoire) deviennent [LES ACTEURS] 207 [DE
208
L'HISTOIRE] . Concédons pour lʼinstant quʼêtre un acteur de lʼhistoire dans le film
de lʼhistoire est une conséquence de lʼimplication du domaine cinématographique
dans la pratique historique. L'épisode ensuite va se dérouler impliquant ce motif
d'action, incluant le sujet cinématographique dans l'histoire du XXème siècle et nous
essayerons de comprendre ce que le cinéma a produit dans cette circonscription.
Cela va même permettre à Godard de proposer de nouvelles définitions du cinéma.

UNE HISTOIRE DU CINÉMA QUI EST LA SEULE


SEULE FACE AUX AUTRES CONCEPTIONS DE L'HISTOIRE
Pour Godard, dans cet épisode, le cinéma peut produire un nouveau type de récit,
par le déroulement représentatif de sa propre histoire à travers le siècle et même
celui d'avant. Godard nous prévient, la perception de ce récit sera perçu dans l'ordre
du mystère.
209
[LE CINÉMA NE SE FONDE PAS SUR UNE VÉRITÉ HISTORIQUE]

Il propose à partir de cet axiome la demande d'un comportement précis vis-à-vis du


public en termes de croyance (qui le rapprocherait du christianisme210) et en rapport
avec la perception que l'on se fait du cinéma. Une seule histoire, car cette histoire

205
. HdC.1b.une histoire seule. (PLAN 1096)
206
. HdC.1b.une histoire seule. (PLAN 1098)
207
. HdC.1b.une histoire seule. (PLAN 1099)
208
. HdC.1b.une histoire seule. (PLAN 1100)
209
. HdC.1b.une histoire seule. p.203.
210
. HdC.1b.une histoire seule. p.203.

100
est spéciale, tant de ce qu'elle est, que de la façon dont elle est perçue. Godard
s'adresse directement au spectateur; Il utilise le mode impératif et sollicite notre
comportement vis-à-vis du cinéma. Ainsi, il nous demande de ne pas nous comporter
comme envers les autres récits historiques211.
L'histoire du cinéma est solitaire car elle se situe à une place toute autre212, par
rapport aux autres disciplines. Ce qui entraîne, finalement, Godard à situer la place
spéciale qu'occuperait, selon lui, le cinéma d'abord par la négation : là où le cinéma
n'est pas. Il va l'extirper de sa double appartenance topique usuelle : ni un art , ni une
technique mais comme un mystère213.
Rappelons également que pour le cinéaste, lʼhistoire vue par le cinéma est plus
grande que les autres car elle se projette214. La projection est bien évidemment la
possibilité de présenter la donnée historique sur une surface plus grande mais
également, mais cʼest aussi la projection dans le temps qui sera ici prise en compte.
La vertu projective, est de présenter une nouvelle fois la donnée historique (le mode
représentatif), et aussi de pouvoir la déplacer sur une échelle temporelle
dʼanticipation (le mode prospectif).

UNE HISTOIRE SEULE, UNE ET UNE SEULE FOIS


Nous pouvons raisonnablement élaborer une autre signification de la solitude de
l'histoire. Si une histoire est seule, c'est qu'elle est unique sur un mode temporel,
parce quʼelle n'aura été qu'une seule fois. Insister sur le caractère unique de l'arrivée
de l'histoire, c'est faire surgir, la conduite d'un récit qui ne se soit déroulé qu'une et
une seule fois. Cʼest même par la condition de cette seule acception temporelle que
le fait humain peut se définir comme historique.
Paradoxalement, le fameux il était une fois vient attester de la singularité de cette
histoire seule. Cette histoire contée, est présentée comme véridique (cela nʼa été
quʼune seule fois) face au mode du dire qui, toujours, est susceptible d'invention,
dʼimitation et donc de répétitions (cela a été plusieurs fois). Jouant sur le cliché que
lʼhistoire ne se répète pas, nous soulignons alors sa capacité de variations.
Une histoire seule, c'est faire sortir l'évènement du réel et par le mode de projection
filmique le montrer d'une manière singulière (la seule manière).
215
[CE QUI A PASSÉ PAR LE CINÉMA / (..) / NE PEUX PLUS ENTRER / AILLEURS] .

211
. HdC.1b.une histoire seule. p.207.
212
. HdC.1b.une histoire seule. p.208.
213
. HdC.1b.une histoire seule. p.230
214
. HdC. 2a.seul le cinéma. p.44.
215
. HdC.1a.toutes les histoires. pp.44-46.

101
b/ Personnes auxquelles lʼépisode 1b UNE HISTOIRE SEULE est dédié
JOHN CASSAVETTES & GLAUBER ROCHA

Pris séparément les deux cinéastes possèdent quelques éléments convergents avec
JLG.
John Cassavetes est un cinéaste indépendant américain, contemporain de Godard.
Ils font leur premier long-métrage la même année. La notoriété du premier est venu
principalement après sa mort 216. Sa quête cinématographique est la mise en scène
du sentiment amoureux dans un style que l'on a attribué de rupture217. Il est l'un des
fondateurs de l'école de New-York, cinéma indépendant du système industriel des
Majors.
Glauber Rocha lui est un des initiateurs du Cinema Novo, moins connu du grand
public, qui s'est créé en rapport à l'exemple français de la Nouvelle Vague. Rocha a
toujours su dans ses films mélanger les principes antagonistes du cinéma d'action (la
série B) et de la poésie (cinéma dʼavant-garde). Pour exemple ce héros de TERRA
EM TRANSE218, qui écrit des poèmes que lʼon entend, mais, comme tout aventurier,
il sait se servir d'un revolver, pour abattre les renégats et danser avec les jolies
femmes. Glauber Rocha participe comme acteur dans VENT D'EST219 et contribue à
l'expérience réflexive220 du tournage du western réalisé par Godard car juste avant il
avait déjà réalisé le sien221.

INDÉPENDANCE RADICALE
Le fait qu'ils soient placés ensemble produisent l'apparition de notions qui leur sont
communes.
L'indépendance économique et esthétique (conséquence matérialiste) face au
système professionnel et industriel, en retour, les a tous deux fortement isolés,
chacun dans leurs pays respectifs. Cette même ténacité a provoqué leurs grandes
difficultés à trouver de l'argent pour filmer. Leurs films ont, la plupart du temps, été
réalisés indépendamment des systèmes des studios, de plus, on peut souligner que

216
. La notoriété du cinéaste fut élargie du cercle cinéphile par les actions conjointes dʼune rétrospective
au festival de Rotterdam en 1982, et de la distribution ( en salle et en vidéo) dʼun nombre important de ses
films en Europe, par J. Cleitman et Gérard Depardieu.
217
. Jacques Rivette, “Dictionnaire de 121 metteurs en scène américains”, CAHIERS DU CINÉMA n°150,
01/1964.
218
. Glauber Rocha, TERRA EM TRANSE (Terre en transe, 1967).
219
. Ref.Film.34.VENT D'EST. 1969.
220
. Cette notion d'expérience réflexive, dont Rocha est témoin, est développée au Chapitre Deux.
221
. Glauber Rocha, ANTONIO DAS MORTES. 1969. Western sur les Congaceiros, stéréotype du Jesse
James brésilien.

102
dans cette lutte, ils ont été peut-être été un peu plus isolés que d'autres. L'épisode
placé sous le signe de la solitude, vient commenter de fait leur isolement. Isolation
dʼun créateur de formes ayant refusé les propositions de normes esthétique et
commerciale du système mondial industriel.

SOLITUDE FORCÉE
Rocha est exemplairement mort désespéré222 et Cassavetes n'a obtenu un large
succès qu'au festival de Rotterdam qui a organisé en 1982, six ans avant sa mort,
une rétrospective de son œuvre. L'ironie du sort veut que chacun de ces deux
hommes ait été désigné comme chef de file de sa génération dʼun mouvement qu'il
avait initié. Vivant jusquʼà lʼexpérience de leur corps l'esthétique radicale de
résistance.

G/ ÉPISODE 2a

a/ Titre de lʼépisode 2a : SEUL LE CINÉMA

On peut souligner, avec lʼarrivée du titre de ce 3ème épisode, la cohérence d'invention


des titres des premiers épisodes (1a, 1b et 2a). Ils établissent des liens significatifs,
entre eux mais aussi avec le titre général des HdC. Après nous être concentré sur la
solitude d'une histoire, —le 1b plaçait le rôle du cinéma à faire une et une seule
histoire inédite et mystérieuse—, le titre de ce nouvel épisode revient sur la notion de
solitude, par lʼutilisation, une nouvelle fois, du mot seul et aussi sur la capacité du
cinéma. La seule capacité du cinéma à devenir grande histoire détiendrait la
caractéristique, qui la rend supérieure aux autres, serait sa nature projective223. La
grande histoire selon le cinéma, serait celle à laquelle, Godard doit la conscience de
son histoire personnelle, une histoire en tant que moi224.

225
"Le cinéma se suffit à lui-même."

222
. Jean Tulard, Dictionnaire des réalisateurs, Paris, Ed. Laffont. Ce livre, qui nʼest pas de loin la meilleure
référence, est ici pris pour la norme de sa représentativité.
223
HdC.2a.seul le cinéma. p.44.
224
. HdC.2a.seul le cinéma. p.39.
225
. Ref.94. Bergmanorama (1958).

103
APRÈS LE SOLO DE LʼHISTOIRE, LE SOLO DU CINÉMA
Pour conclure, le terme seul dans le titre seul le cinéma est une notion à
comprendre non pas comme un adjectif qualificatif du sujet, mais presque comme la
contraction de sa forme adverbiale seulement. Aussi dans ce cas, ce seul là peut
être substitué avec unique , ou encore seule façon :

[C'EST QUE C'ÉTAIT LA SEULE FAÇON DE SE RENDRE COMPTE


226
QUE J'AI UNE HISTOIRE EN TANT QUE MOI.]

LE CINÉMA EST LE SEUL À ...


Seul le cinéma, ouvre une nouvelle conception du terme seul. Cette fois-ci, il faut
plutôt entendre le titre seul le cinéma comme capacité unique du cinéma à disposer
d'un certains nombre de qualités. Aussi JLG le précise dans son dialogue avec Serge
Daney :
« « Seul le cinéma ». Ce qui veut dire : seul le cinéma a fait ça, mais aussi le cinéma
était bien seul, tellement seul que... »227.
La traduction anglaise des épisodes renforce cette idée de différence avec le premier
terme seul du 1b. Alors que le terme seul avait été traduit pour le 1b par solitary, ici
pour le 2a, le mot est traduit par alone228.
Pour la première fois, on peut affirmer, plus justement, que l'épisode n'est pas en
totale adéquation avec son titre. L'unique passage de justification du titre se trouve
après une définition historiographique du rôle de l'historien et de l'entrevue avec
Serge Daney — où ils conversent sur le caractère unique de la nouvelle vague229.
Godard explique que l'histoire du cinéma est la plus grande, car elle se projette230, et
dans le mouvement de sa projection, elle se métamorphose dʼune histoire plus
grande que les autres231 en grande histoire232. Les autres histoires, dont on peut
noter un manque quant à leur dénomination, feraient le trajet inverse et ne peuvent
que se réduire233.

226
. HdC.2a.seul le cinéma. p.38. (C'est nous qui soulignons).
227
. Serge Daney, Godard fait des Histoires, LIBÉRATION. 26/12/1988.
Ref.176b. Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard , [volume.2], Paris, Editions de l'Étoile. 2ème Ed.1998,
p.163.
228
. Collectif, For Ever Godard, London, Black Dog Publishing, 2004.p.60.
229
. HdC.2a.seul le cinéma. pp.17-31.
230
. HdC.2a.seul le cinéma. p.44.
231
. HdC.2a.seul le cinéma. p.44.
232
. HdC.2a.seul le cinéma. p.85.
233
. HdC.2a.seul le cinéma. p.85. Pour paraphraser Godard, citant MARIENBAD dans les HdC, avec
ironie : "Les autres ? Qui sont les autres?"

104
SEUL LE CINÉASTE & EXPOSITION DE LA FORMULE
De plus, si l'on fait correspondre le cinéma comme la catégorie nominale désignant
tous les cinéastes, on peut voir, dans l'ensemble du film cette fois-ci, que Godard
s'attache à souligner la situation solitaire du cinéaste. Mais pour cela, il le positionne
dans une catégorie autre : qui est celle de l'artiste234 ou bien du poète235. Dans le
4a.le contrôle de l'univers, Godard entreprend, juste avant de conduire la séquence
sur la méthode dʼAlfred Hitchcock : le seul poète maudit à rencontrer le succès236 , de
définir son statut de cinéaste, en le nommant artiste. Pour cela il va procéder à un
geste formel, identifié par le spectateur comme une reproduction filmée de corps mis
en formule.
Nous appelons formule : un procédé filmique qui implique une combinaison de
techniques temporelles, esthétiques et anthropologiques, inventée par le cinéaste
(corps+ cadre+ montage+ mouvement+ images+ couleurs…). Ce terme formule qui
donne existence, après projection à un pathos (Pathosformel), a été proposé par Aby
Warburg. Ceci lui a permis, entre autres, d'y reconstituer la coalescence naturelle
entre le mot et l'image237 ou encore d'appréhender la surdétermination signifiante des
représentations anthropomorphes. Ces formules survivent et traversent
238
mystérieusement l'histoire de l'art . C'est parce que le mystère est aussi une notion
fondamentale pour la définition du cinéma par Godard que le terme de formule sera
extrêmement utile dans la troisième partie.

FORMULE : GALERIE DE FIGURES


Cette formule-ci, que lʼon nommera à l'occasion galerie de figures, consiste à faire
précéder plusieurs portraits photographiques de cinéastes, dont l'homogénéité du
traitement visuel239, vient souligner, avec un montage en alternance systématique du
carton [L'ARTISTE], la généralisation de ce que signifie cette nomination : si certains

234
. HdC.4a.le contrôle de lʼunivers. pp.68-69. Portraits de Bresson et de Lang + 2 cartons [L'ARTISTE].
235
. HdC.4a.le contrôle de lʼunivers. p.91.
236
. HdC.4a.le contrôle de lʼunivers. p.91. On comprend lʼenjeu précisément à cette étape de notre
réflexion de toute lʼimportance des trois adjectifs rapportés au cinéaste : seul poète maudit à rencontrer le
succès.
237
. Aby Warburg, Essais Florentins, Paris, Ed. Klincksieck.1990. p.45.
238
. Georges Didi-Huberman, L'image survivante. Histoire de l'Art et le temps des fantômes selon Aby
Warburg, Paris, Ed. de Minuit. 2002.p.254.
239
. Certains portraits photographiques sont retouchés et recadrés : avec l'enlèvement des couleurs
d'origine, tous les cinéastes sont cadrés en plan serré poitrine et en noir et blanc. C'est donc une action de
traitement de l'image qui vise à rendre homogène l'ensemble de ces cinéastes pour les faire passer dans
cette nouvelle catégorie : l'Artiste. La formule combine : par mouvement de balancier (montage alterné
régulier) avec les cartons qui viennent légender des portraits. La lumière plutôt sous-exposée nous donne
cette impression de galerie ; une galerie de figures dont le procédé filmique est censé exprimer l'idée
dʼune série dʼartistes. Dans la succession, le carton [SEUL] remplace le carton [LʼARTISTE].

105
cinéastes sont artistes, leur accession à ce rang est effectuée par la seule
désignation (majestueuse) de la formule de Godard. On retrouvera ensuite la
formule, exécutée avec une variation, un peu plus loin en amont de l'introduction de
la méthode dʼHitchcock240, avec le portrait d'Hitchcock et le même carton
correspondant. Mais avant même de trouver une cohérence qui vise à porter cet
ensemble de cinéastes 241, c'est la création d'une nouvelle catégorie [LʼARTISTE]
comme ensemble qui nous paraît tout d'abord importante.
LES ARTISTES : (dans lʼordre dʼapparition)

BRESSON, LANG, COCTEAU, ROHMER, TRUFFAUT,RIVETTE, TATI, GARREL,


FASSBINDER...242
LE CINÉASTE DEVENU SEUL PAR GODARD
Car enfin, ce cinéaste désigné en tant quʼartiste quel est-il ? Il n'a pas, comme seule
condition d'émergence du lot, à se prévaloir de son statut de réalisateur de films ;
tous les cinéastes ne sont pas des artistes. Godard opère avec subjectivité une
sélection afin que certains des cinéastes puissent correspondre avec sa catégorie.
On peut affirmer alors que leur seule présence sur cette liste suffise à les désigner
comme artistes. Et leur statut d'artiste les prévaut dʼune solitude qui les conditionne à
faire des films. Déjà lorsque Godard étudiait le cinéma de Bergman, il désignait le
cinéaste, indirectement, comme figure dʼartiste, par lʼaffirmation du cinéma en tant
quʼart.

243
« Le cinéma, n'est pas un métier, c'est un art.. »

Un peu plus loin dans cet article sur Bergman, il relevait justement lʼépreuve de
lʼartiste à être nécessairement seul :
« Le cinéma (…) ce n'est pas une équipe. On est toujours seul. Et être seul (...) c'est se poser
244
des questions. Et faire des films c'est y répondre."
SEUL EST LE CINÉASTE, FACE À LUI-MEME
On ne cherchera pas à saisir, pour le moment, la valeur et les causes dʼun tel acte de
sélection parmi tant dʼautres cinéastes (pour la formation de la galerie de figures). Ce
qui va nous intéresser, c'est le geste même de la mise en exergue. Un geste qui va

240
. HdC.4a.le contrôle de lʼunivers. p.74. portrait d'Hitchcock en N&B + carton [L'ARTISTE].
241
. Cela passera par l'exégèse du procédé et de sa formulation.
242
. HdC.4a.le contrôle de lʼunivers. pp.68-73.
243
. Ref.94. Bergmanorama (1958).
244
. Ref.94. Bergmanorama (1958).

106
isoler, extraire un nombre de cinéastes de lʼensemble, les rendre par conséquent
solitaires. On notera cependant lʼunité des cinéastes cités. Quelle est le type de cette
unité ?
Dʼabord, tous sont auteurs 245 de leurs films, ensuite une grande partie dʼentre eux, —
mais pas lʼensemble, manquent Lang, Cocteau, Fassbinder246— simultanément à la
réalisation, prennent part à la production de leur œuvre. Par contre, chacun, sans
conteste, a su imposer son esthétique avec les contraintes mêmes du système de la
production industrielle. Chacun, de façon différente, a élaboré une méthode de
filmage qui lui appartient. Cette autonomie économique dans la création est
lʼassurance du statut de lʼartiste.
Élaborée à partir dʼun modèle de pensée romantique247, lʼidée, selon lʼestimation de
Godard, consiste pour lʼartiste à vouloir sʼisoler, à se retirer du monde pour pouvoir
réfléchir et créer. Dans cette logique, pour penser le monde, l'artiste doit sʼen extraire
et devenir seul. Il a recours à l'acte d'introspection, ensuite seulement, la parole
advient.
Par la parole, il va avouer être seul au début d'un long raisonnement sur l'art dans le
3a.la monnaie de l'absolu :
[J'ÉTAIS SEUL ET PERDU COMME ON DIT DANS MES PENSÉES.] 248
249
En effet, l'artiste est seul . Cette solitude est le fardeau de sa condition de créateur.
Cʼest dans la même perspective de perdition du destin des poètes et des peintres de
la fin du XIXème que Godard envisage la malédiction nécessaire. Est maudit celui
qui est rejeté par tous 250, celui qui a perdu tous ses amis 251, aussi quand Godard
perdra son compagnon de route, François Truffaut, il intitulera son article : Tout
seul252. Lʼartiste apprend à ses dépens que son œuvre demeure plus importante que

245
. Cʼest-à-dire rédacteur de leur scénario. Cette notion dʼauteur a été développée par Godard et Truffaut,
comme critiques, dans une ambition politique on le sait.
246
. Pour Cocteau, on connaît les difficultés de réaliser ses films et de son désir à pouvoir les produire,
quant à Fassbinder on pourrait presque le mettre dans la catégorie producteur.
247
. Pierre-Jean Jouve, Les derniers jours dʼHölderlin, Paris, Ed. Fata Morgana.
248
. HdC.3a.la monnaie de lʼabsolu. p.47.
249
. HdC.4b.les signes parmi nous. p.145.
250
. « Voilà dans quel climat de haine, de dérision ou de pitié, les plus grands artistes de la IIIème
République ont élaboré leur œuvre. Dans quelle atroce solitude ! ». Gilbert Guilleminault, Les Maudits,
Paris, Ed. Denoël, 1951.
251
. Charles Baudelaire, Fusées, Paris, Ed.Gallimard. Coll.La Pléiade. « Qui connaît la solitude, celui qui a
perdu tous ses amis. »
252
Ref.165. Tout Seul. CAHIERS DU CINÉMA. Hors-Série Spécial François Truffaut.

107
sa vie. Il fait sacrifice de son propre corps253 et la malédiction sʼincarne précisément
dans le film254.

PRODUCTION DE LA SOLITUDE, SOLITUDE DE LA PRODUCTION


D'abord JLG se considère lui-même maudit, il l'a écrit255 et énoncé256 dans les HdC.
Aussi : [QUE JE SUIS MAUDIT]257 peut être lu sur un carton lorsqu'il conclut sur la
notoriété d'Hitchcock —a été le seul / poète maudit / à rencontrer le succès258—, à la
fin de l'épisode 4a, et, persiste-t-il, [QUE JE SUIS OUBLIÉ]259, ce qui se traduit par une
solitude morale qui passe par le sentiment dʼune absence de reconnaissance, celle
du public. Cela nous fait entrer dans une nouvelle acception du titre seul le cinéma.

SEUL LE CINÉASTE... FACE AU PUBLIC


Si le cinéaste est exemplaire, cela peut être en tant que seul représentant de
l'ensemble du cinéma. Seul, face au public. Public que Godard surnomme, plus tard
dans le dernier épisode : [L'ENNEMI PUBLIC]260, comme pour augmenter l'ampleur de
la solitude par épreuve de l'adversité.
Pour entériner la proposition du devenir-seul de l'artiste, lors du dernier épisode,
Godard procèdera de nouveau à sa formulation de la galerie de figures, en y
adjoignant, cette fois-ci une nouvelle variante. Comme la dernière fois, nous y
percevons bien des portraits photographiques en noir et blanc de cinéastes avec des
cartons mis en alternance. À la différence près que le carton [SEUL] 261 a remplacé le
carton [ ARTISTE] de la galerie précédente. On notera que le procédé de substitution
des termes vient une nouvelle fois confirmer lʼanalogie, presque nécessaire, entre
lʼétat de solitude et la condition de lʼartiste. En positionnant les cartons de cette
séquence, les uns à la suite des autres, nous découvrons un discours révélateur de
notre analogie :

253
. Antonin Artaud, Vincent Van Gogh, le suicidé de la société (1947), Paris, Ed. Gallimard.1974.p.13.
« Van Gogh nʼest pas mort dʼun état de délire propre, mais dʼavoir été corporellement le champ dʼun
problème autour duquel, depuis les origines, se débat lʼesprit inique de cette humanité. »
254
Ref.131. Feu sur les carabiniers. (voir sur le film maudit).
255
. Ref.140.
256
. Jean-Luc Godard, “Entretien avec Gaillac Morgue & Jean-Philippe Guérand” EPOK n°16, Mai
2001.p.11.
257
. HdC.4a.le contrôle de lʼunivers. p.128.
258
. HdC.4a.le contrôle de lʼunivers. p.91. Nous soulignons. Godard répètera plusieurs fois le seul avant de
conclure sa phrase.
259
. HdC.4a.le contrôle de lʼunivers. p.129.
260
. HdC.4b.les signes parmi nous. p.147.
261
. HdC.4b.les signes parmi nous. p.145. Il s'agit encore d'une galerie de figures avec l'insertion régulière
d'un carton alternant avec les portraits photo.

108
SEUL / SEUL/ SEUL/ HISTOIRE(S) DU CINÉMA /
LʼENNEMI / LʼENNEMI PUBLIC / LE PUBLIC / the End (MgM)[cʼest un carton de générique de fin] /
262
SEUL LE CINÉMA

Dans cette variante de la galerie de figures, la liste des cinéastes cités sʼavère plus
courte (Fassbinder, Antonioni, Franju263).
Ensuite, deux images mises en rapport par fondu enchaîné, accompagne le carton
[L'ENNEMI PUBLIC].
Elles parviennent à créer une mise en scène qui narre le rapport cinéaste-public.

L'ENNEMI PUBLIC
Le public, la foule, représente une opposition sur plusieurs niveaux face au cinéma,
personnifiée par sa créature : le cinéaste seul. Le pluriel des anonymes, les obscurs
font face à la singularité reconnue qui dirige le faisceau lumineux.
La représentation de la foule provient d'un extrait de film264 dans lequel on découvre
une salle de cinéma bondée par le public assis nous faisant face (le cadre en légère
plongée, est un subjectif écran) et puis soudain, un dos, les mains en l'air, comme s'il
avait vu une lumière menaçante, Max Schrenck265 apparaît. C'est une représentation
de la réaction face à la menace dʼun ennemi, comme la lumière de l'aube qui se lève,
menace le vampire Nosferatu et le met à mort. La mise à mort du cinéaste ou du
penseur, ou bien encore le vampire, consisterait en une incarnation de la dernière
image266.

262
. HdC.4b.les signes parmi nous. (PLANS 23-38).
263
. Pour le cas de Franju (peut-être parce quʼil ne voulait pas se répéter, Godard ayant déjà utilisé
précédemment le portrait photographique de Georges Franju sur une autre séquence de galerie de
cinéastes), il ne sʼagit pas de son portrait, mais dʼun de ses personnages emblématiques qui va à un bal
masqué : cʼest Judex qui porte un masque dʼoiseau. Le masque recouvrant totalement le crâne on a
lʼimpression dʼun collage surréaliste (Max Ernst, Une semaine de Bonté).
264
. King Vidor, THE SHOW PEOPLE. 1928.
265
. Friedrich W. Murnau, NOSFERATU, EINE SYMPHONIE DES GRAUENS. 1922. Le plan du dos est
celui quand le vampire se retourne pour découvrir qu'il est resté trop longtemps dans la pièce : lʼaube est
là.
266
. HdC.4b.les signes parmi nous. p.298. Plus tard dans le même épisode, deux photographies noir et
blanc représentant chacune une silhouette de face — qui sont proportionnellement de valeur similaire
dans l'image et qui sont cadrées également toutes deux en plan américain — sont associées par montage
attractif, on obtient alors la signification d'une correspondance entre ces deux personnages : Max Shrenck
(Nosferatu) et Maurice Blanchot (avec le célèbre cliché : la seule image qui le représente).

109
SEUL LE CINÉMA
Seul le cinéma est, rappelons-le le titre du 2a. Épisode à l'intérieur duquel Godard va
établir une définition sur sa position de cinéaste de la Nouvelle Vague et ensuite, ce
que lʼon peut expliquer comme un premier hommage à Langlois.
Cette solitude qu'il requiert ici, on l'a vu, réside dans les titres : une volonté d'isoler le
cinéma. Si on prend l'hypothèse que le film HdC pourrait être la cinémathèque de
Godard —cʼest-à-dire sa représentation personnelle du cinéma ordonné en archives
(un musée imaginaire267)—, la figure de la solitude quʼil développe constamment
depuis le titre de cet épisode le cinéma seul jusquʼà sa propre figuration esseulé
dans le film, sʼapparente bien à une figure qui le rapproche de Langlois jusque dans
son style même.
Lors dʼune histoire de la cinémathèque268 quʼil rédigea en 1956, Henri Langlois
indique la difficulté d'existence de la cinémathèque, de ses débuts difficiles en 1936,
jusquʼà 1942, sa solitude :

“La Cinémathèque a vécu sept ans, sans autres ressources que celles de cotisations (...)
Pourtant sept ans plus tard, ses archives groupaient plus de 35 000 films.
Seule, elle avait réussi à sauver le passé historique du Cinéma Français. Sans elle, il ne
serait rien resté (...) comme il n'est presque rien resté du cinéma italien, disparu quelque part
269
en Allemagne. Seule. C'est là qu'est le drame.”

L'utilisation du terme de la solitude au moment de lʼévocation du cinéma italien


disparu établit deux lignes directrices de l'influence de Langlois sur JLG.
L'une par rapport au style même de Godard, dont on reconnaît le motif de la
répétition des termes, et lʼautre dans la mise en scène générale, à oser parler
d'ensemble du cinéma. Dans l'épisode 3a, sur la fin, il viendra à produire une longue
séquence rendant hommage au cinéma italien :
[MAIS LE SEUL FILM / AU SENS DE CINÉMA QUI A RESISTÉ (...) À UNE CERTAINE
270
MANIÈRE DE FAIRE LE CINÉMA CE FUT UN FILM ITALIEN]

267
. « Godard is developing a series of hypotheses in the same way as Malraux did in his imaginary
museum, using photography to contrast works and corroborate his claims. ». Antoine de Baecque, à la
suite de Dominique Païni, reconnaît lʼemprunt du Musée Imaginaire de Malraux et voit les HdC comme la
mise en pratique des théories conjointes de Malraux et de Langlois.
Antoine DE BAECQUE, Godard In The Museum, FOR EVER GODARD, Black Dog Publishing, London,
2004.p.121.
268
. Henri Langlois, “Histoire de la Cinémathèque” (1956) repris dans les CAHIERS DU CINÉMA,
n°200/201. 05/1968.
269
. Henri Langlois, “Histoire de la Cinémathèque” (1956) repris dans les CAHIERS DU CINÉMA,
n°200/201. 05/1968.

110
LAISSÉ SEUL PAR LANGLOIS POUR PRODUIRE LE FILM
Godard va éprouver lʼarchétype de la difficulté de "la solitude de l'historien" à l'instar
de celle quʼil pouvait concevoir à l'égard de Langlois élaborant son travail d'historien-
producteur271. On peut même insister : ils devaient produire ce film ensemble. La
mort survenue de Langlois laisse Godard seul, de force, sans avoir lʼopportunité de
choisir ce retrait du monde.
Il devra même réunir les conditions exemplaires de cette production, en passant par
lʼexpérience de son corps, comme pour accentuer cet isolement : corps maudit,
oublié et perdu.

CORPS ET MONDE : LA SOLITUDE À DOUBLE FACE


La leçon de la solitude provient directement de l'expérience langloisienne, la
Cinémathèque. Godard a eu l'occasion de s'exprimer sur ce sentiment. En effet, la
fréquentation de la Cinémathèque lui offre conjointement une fuite du monde autant
quʼun refuge dans le cinéma. Cʼest, selon lui, de la même nature duelle que le silence
à double face272, rapportée en son temps, par Edgar Allan Poe.

"Je suis un cinéaste qui vient des cinémathèques (...), et c'est d'aller dans les salles de
cinéma qui m' a fait, je l'ai toujours dit. C'est pourquoi je suis assez seul. Seul parmi les gens
qui ne font pas de cinéma, et seul parmi les gens qui en font [...]. Je me considère allant de
l'obscurité à la lumière. J'ai toujours considéré l'écran comme un moyen de voir la vie (...) et
273
non pas le contraire."

Cette solitude à double face, (dualité qui ressort de la matière et de la lumière,


manifestée par l'ombre et la solidité274) est vécue doublement : à l'épreuve du monde
extérieur (l'ombre et la lumière, l'écran de la salle de cinéma, et aussi ceux qui ne
font pas de films) et puis comme solitude du corps interne, ce qui devait être la
matérialité (les gens du métier, ceux qui en font, les frères qui sont morts 275).

270
. HdC.3a.la monnaie de lʼabsolu. p.78.
271
. Ref.173. Introduction à une véritable histoire du cinéma. (1980). p.165 : "Langlois (...), c' était un
homme seul... quand on est trop seul, c'est difficile."
272
. Edgar Allan Poe, “Silence”, Les poèmes d'Edgar Poe, trad. de Stéphane Mallarmé, Paris, (Ed. Léon
Vannier, 1889). Réed. Poésie/Gallimard, 1982. p.84.
273
. Ref.178.20. Les cinémathèques et l'histoire du cinéma. (1978).
274
. Edgar Allan Poe, “Silence”, Les poèmes d'Edgar Poe, trad. de Stéphane Mallarmé, Paris, (Ed. Léon
Vannier, 1889). Réed. Poésie/Gallimard, 1982. p.84.
275
. Ref.122. Frère Jacques. (1959).

111
b/ Personnes auxquelles lʼépisode 2a SEUL LE CINÉMA est dédié
ARMAND J.CAULIEZ & SANTIAGO ALVAREZ

Pour la première fois, le couple présenté n'offre pas de similitudes apparentes de


nature ou de fonction. Le premier Armand Jacques Cauliez est un critique ayant écrit
plusieurs monographies sur des cinéastes français (Tati, Renoir) et aussi des
ouvrages de théorie esthétique, mais il laissera surtout le souvenir du fougueux
animateur du Ciné-club du Musée de l'Homme276.

Santiago Romàn Alvarez est un cinéaste cubain qu'on peut classer comme
documentariste. Sa vie a été manifestement engagée dans l'indépendance de
Cuba277. Alvarez a su associer la recherche formelle avec les sujets quotidiens.
Certains de ses films, de véritables odes politiques, lorsquʼils ont bénéficiés dʼêtre
programmé par la Cinémathèque française, lʼont placé sous l'égide de cinéaste
militant 278.

Sa présence dans cet épisode possède un a posteriori et un a priori : l'utilisation d'un


de ses films à l'intérieur des HdC279, même si cela se trouve plus tard dans un
épisode ultérieur. Avant cela, les films de Santiago Alvarez furent l'objet d'un long
"exposé" de Godard, lors d'une intervention pour une émission de la télévision
française en 1987 : Cinéma, Cinémas280. À l'occasion de la venue de l'équipe de
tournage, Godard utilisa sa technique de la preuve par l'image, qui fit florès au
moment de son exposition à Beaubourg en 2006. Elle consiste à répartir des bonus
et des malus à partir dʼextraits de films choisis. La technique, en 1987, résidait en
une diffusion simultanée de deux films, sur deux moniteurs accolés281 et traitant au
départ du même sujet : l'utilisation du ralenti comme praxis de représentation de la
guerre (du Vietnam). « Dieu reconnaîtra les siens », soufflait-il, lorsqu'il opposa,
écran contre écran, le film d'Alvarez 282 contre celui de Kubrick283. Il décrira un peu
plus tard ce dernier comme du sous-Peckinpah, alors quʼon voyait, malgré lʼévidente

276
. Claude Beylie, “Armand J. Cauliez ”, La critique de cinéma en France, Paris, Ed. Ramsay, 1997.p.302.
277
. Julianne Burton, “Santiago Alvarez”, Les Cinémas de l'Amérique Latine, Paris, Ed.Lherminier,
1981.p.302.
278
. Nicole Brenez, “Programme de la Cinémathèque française. Juin 2006”, Paris, Ed. Cinémathèque
Française, 2006.p.22.
279
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.142.
280
. Anne Andreu, Michel Boujut et Claude Ventura, CINÉMA, CINÉMAS, 20/12/1987. Antenne 2.
281
. Ref.Film41. NUMÉRO DEUX. 1975.
282
. Santiago R Alvarez, HANOI, MARTES 13. 1967. et HASTA LA VICTORIA SIEMPRE. 1967.
283
. Stanley Kubrick, FULL METAL JACKET. 1987.

112
propagande, un travail sensible du côté du cubain, car il était préoccupé de filmer du
côté des victimes.

Après les HdC, lorsquʼil réutilisa cette technique pour son film d'exposition en 2006, il
avait maintenu la confrontation de ces deux mêmes extraits avec la même intention
de jugement. Il généralisa son principe technique avec le montage d'autres extraits
pris au cinéma ou à la télévision284.

Dans les premières versions où subsistaient encore en projet Dix épisodes285,


Armand J.Cauliez n'était pas prévu avec Santiago Alvarez mais avec Frédéric
F.Froeschel (que l'on retrouvera pour le 3b). Ils devaient figurer en liminaire du 4a
une vague nouvelle. Il était peut-être plus cohérent de faire figurer ensemble ces
deux personnes (Caulliez et Froeschel), car ils ont tous deux exercé leur influence
cinéphile sur la génération dʼaprès-guerre puisquʼils dirigèrent, chacun de leur côté,
deux des Ciné-clubs parisiens importants. Godard a-t-il changé de disposition parce
quʼils étaient fonctionnellement et historiquement trop proches ?

Le Ciné-Club du Musée de l'Homme, dirigé par Cauliez, après un passé glorieux en


tant que façade dʼun réseau de résistance286, accueillit avec enthousiasme et
bienveillance toute initiative portée par la jeunesse. Pour preuve, un film de Jacques
Becker287 a retracé l'une des histoires issues de ce Ciné-Club, par la mise en scène
d'une bande de jeunes cinéastes (qui ont entre 20 et 30 ans288). Ils désirent monter
un projet d'exploration. Il prend source un soir après une projection au Musée de
l'Homme et aboutit finalement par l'expédition de l'avion s'envolant pour l'Amérique
du Sud.

Quoi qu'il en soit ce couple du 2a, Cauliez-Alvarez est un couple problématique, sans
rapport réel. Mais ce non rapport apparent n'empêche évidemment pas de faire
action, d'y projeter un sens en rapport avec leur parcours respectif et de proposer
donc, deux éléments qui ressortent de ce couplage.

284
. Ref.Film 89. VRAI FAUX PASSEPORTS POUR LE RÉEL. 2006.
285
. Voir Infra à la fin de cette étape : M/ les deux épisodes fantômes.
286
. Pascal Ory, Le cinéma sous l'Occupation, Ed. Lattès. 1982.p.44.
287
. Jacques Becker, RENDEZ-VOUS DE JUILLET. 1949.
288
. En 1949, c'est l'âge de Godard et de Jean Rouch (modèle du cinéaste pour le film).

113
SEUL LE CINÉMA PROPOSE
UNE REPRODUCTION DOCUMENTAIRE DU RÉEL

Le premier est l'implication du cinéma documentaire très prégnant chez les deux
hommes. Les étapes de production sont différentes. Le premier programme et
diffuse, le second réalise. Godard dédie l'épisode Seul le cinéma — dont on a pu voir
ce que cela signifiait : les seules capacités dont le cinéma était doté — à deux
hommes qui appréhendent, par leur fonction, un cinéma avant tout conçu comme
une démarche de la reproduction du réel. On connaît, certains articles de Godard, la
disjonction classique qu'il opère entre fiction et réalité289. Et c'est cette capacité de
rendre le réel tel qu'il est que nous soulignons.
Ensuite il y a l'indice chez eux d'une bonne connaissance du cinéma soviétique.
Pour Alvarez, Il suffit de voir un seul de ses films, pour comprendre avec évidence,
l'influence et l'importance d'un cinéaste : Dziga Vertov. Alvarez a une façon presque
anachronique d'employer des cartons dans l'intervalle des plans, ce qui peut évoquer
d'abord généralement le cinéma muet, mais la teneur politique de certaines
rédactions, ainsi que la pratique du montage (quʼil soit attractif ou mettant en jeu des
éléments audio-visuels récupérés) le rapproche incontestablement du cinéma
communiste soviétique et même peut-être encore plus du réalisateur du film TROIS
290
CHANTS POUR LÉNINE . À ce sujet, Le parallèle entre MI HERMANO FIDEL291 et
292
ENTHOUSIASME , que l'on peut établir, est probant quant à une similarité esthétique
du film de montage : le rapprochement des deux hommes d'État (Castro et Lénine)
l'implication dans leur quotidien avec le peuple. Ce portrait, tellement enthousiaste
des leaders de la révolution, dépasse toutes critiques du totalitarisme tant l'adhésion
devant la beauté du film en tant que film nous emporte aussi, quand bien même nous
assistons à la projection de films cautionnant et installant un culte de la
personnalité293. Si lʼhypothèse de la mort du communisme sʼavère, ces films, dans
une logique malducienne294, se sont alors métamorphosés en œuvres d'art.

Cauliez, plus discrètement, diffusait presque seulement des documentaires, mais


sans pour cela se restreindre aux seuls intérêts ethnographiques. Son intérêt pour le

289
. Ref.109. Moi un noir.
290
. Dziga Vertov, TRI PESNI O LENINE (Trois chants pour Lénine, 1934).
291
. Santiago Alvarez, FIDEL MI HERMANO. 1977.
292
. Dziga Vertov, ENTUZIASM (Enthousiasme ou le chant du Dombass, 1930).
293
. Guy Debord, “Pour une critique de la séparation”, POTLATCH n°2, 11/1954.p.52.
294
. Malducien : qualificatif de Malraux.

114
cinéma, comme en témoigne une bibliographie très variée et importante pour cette
catégorie (6 ou 7 livres), était élargi au cinéma des autres mondes. Ses sympathies,
dans la juste Après-guerre, pour la cause communiste peuvent témoigner de
préoccupations mondialistes et se retrouvent aisément dans la critique laudative d'un
des films de Youtkevitch par exemple295.

H/ ÉPISODE 2b

a/ Titre de lʼépisode 2b : FATALE BEAUTÉ

D'abord Godard l'a confié à Daney, il a trouvé ce titre pour rendre hommage à Ava
Gardner qui a joué dans BEAUTÉ FATALE.296 Ce film nʼexiste pas, mais Gardner
joua plusieurs fois, une femme belle et fatale aux héros qui tombent amoureux
dʼelle297.

Le principe de cet épisode par son titre est là pour mettre en valeur une des notions
exposée comme principe d'orientation : la corporéité. Le titre est évocateur.
Cependant fatale beauté peut nous donner deux sens assez différents.

LA BEAUTÉ FATALE (FAITE FEMME)


Le premier est que, depuis la première vamp, Theda Bara, les producteurs de
cinéma ont pris pour habitude, dans la publicité d'un film, ainsi que dans la rédaction
des scénarios, d'exiger la présence dʼéléments moraux attestant de leur valeur
négative et dont les personnages féminins seraient dotés ; une plus-value
scandaleusement érotique298. Au cinéma, la création italienne préfigurant la star fut la
diva. Des Divas comme la Borelli ou la Bertini procède du même argument d'origine.

295
. Sergueï Youtkevitch, ZDRAVSTVOUÏ MOSKVA (Salut Moscou, 1945).
296
. Serge Daney, Godard fait des Histoires, LIBÉRATION. 26/12/1988. Repris dans Ref.176b.Jean-Luc
Godard par Jean-Luc Godard , [volume.2], Paris, Editions de l'Étoile. 2ème Ed.1998, p.161.
297
. En fait le titre de film BEAUTÉ FATALE nʼexiste pas. Le souvenir de Godard doit probablement
correspondre avec le film de Robert Siodmack, THE GREAT SINNER (Passion fatale, 1949), puisquʼil
utilise un extrait de lʼadaptation de la nouvelle « Le joueur » de F.Dostoievsky dans cet épisode. Ava
Gardner jouera la fatale beauté dans le film dʼAlbert Lewin, THE FLYING DUTCHMAN & PANDORA.1952,
ou encore celui de Robert Siodmak, THE KILLERS. 1946.
298
. Kenneth Anger, Hollywood-Babylone, New York, Dell Publishing.1975.
Edgar Morin, Les Stars, Paris, Ed. de Minuit, 1961.p.14.

115
Pour Langlois, il était admis, que les Italiens avaient inventé la femme fatale299. La
beauté s'incarne en une femme vénéneuse, fatale aux hommes qu'elle rencontre.
Elle est dans une certaine mesure lʼincarnation de la puissance morbide quʼon trouve
dans la pulsion érotique.

DESTIN FATAL DE LA BEAUTÉ


Un second sens vient corroborer lʼexpression. Fatale beauté peut être compris
comme destin de la Beauté en tant que sentiment esthétique qui ne s'en sortira pas,
Lorsque la beauté elle-même est incarnée par la femme, alors cʼest son propre destin
qui chancelle (et non celui des hommes séduits, notre première hypothèse). Au lieu
de trouver des victimes consentantes, prêtes à se tuer, on assiste à la déchéance de
la femme-beauté ; fatalité dans la destitution de la beauté et beauté dans sa
destitution ; La femme-beauté fatale joue sa vie pour elle et non pour les autres.
Lʼarchétype ne sera plus Ava Gardner ou Rita Hayworth, mais un type plus ancien :
Greta Garbo dans MYSTERIOUS LADY300, dans CAMILLE301 ou encore Marlene
Dietrich dans L'ANGE BLEU302 ou dans DISHONORED303. Les deux stars expriment
relativement bien dans ces films cette double opposition de sens (entre beauté et
destitution) coexistant dans un seul récit.

La beauté fatale peut résumer l'adage, quʼénonce Godard dans le 1b une histoire
seule : « les deux grandes histoires ont été le sexe et la mort »304.
Également si « A girl with a gun »305 reste lʼapplication griffithienne du concept de la
fatale beauté, cela peut témoigner alors du cinéma dans son entier.

DOTÉE DU POUVOIR DÉMONIAQUE DE LA BEAUTÉ306


On devine l'origine romantique de l'adage ; ainsi le titre d'un lieder : Der Maiden und
der Tot (La jeune fille et la mort) de Franz Schubert.

299
. Henri Langlois, “Destin du cinéma italien”, CAHIERS DU CINÉMA n°33.04/1954.p.12.
300
. Fred Niblo, MYSTERIOUS LADY. 1928.
301
. Georges Cukor, CAMILLE (La Dame Aux Camélias, 1937).
302
. Josef von Sternberg, DER BLAU ANGEL (L'ange bleu, 1930).
303
. Josef von Sternberg, DISHONORED (X-27, 1931).
304
. HdC.1b.une histoire seule. p.166.
305
. HdC.1a.toutes les histoires. p.33.
306
. Hermann Broch, La mort de Virgile, Paris, Ed. Gallimard, 1953.p. 24. Ce texte fut déjà utilisé dans
PRÉNOM CARMEN. (Ref.Film.51. PRÉNOM CARMEN. 1982.)

116
Cet épisode correspond cette fois-ci à un développement du titre indiqué. Le long
monologue des extraits du livre dʼHermann Broch, La mort de Virgile, discouru par
Sabine Azéma, demeure la séquence la plus éloquente de cet épisode307.

L'OMBRE D'ANDRÉ MALRAUX


Devant l'aspect démoniaque de la beauté, ou devant la sexualité et la mort comme
base du récit fondateur du Cinéma selon Godard, on retrouve encore une fois — et
notre Deuxième Partie le développera plus amplement — l'ombre tutélaire d'André
Malraux. Les termes d'un discours que Malraux effectua en 1964 arrivent aux mêmes
conclusions. C'est à partir du constat que le Cinéma est devenu une machine
universelle pour des millions d'hommes, explique-t-il, citant à cette occasion le titre
du livre de Ilya Eireinbaum : une usine de rêves308. Le livre sera employé, aux
mêmes fins également par Godard309. Les hommes deviennent vulnérables, car leurs
rêves sont les anciens domaines sinistres qui s'appelaient démoniaques : le domaine
du sexe et le domaine du sang310.

Quelques années plus tard, dans un autre discours — et nous voulons démontrer
que ces mots sont choisis sciemment dans leur répétition —, il résumera le devenir
de notre civilisation, dont le ton et la signification des phrases n'est pas sans rappeler
le style du discours de notre cinéaste :

"Chaque civilisation a connu ses démons et ses anges. Mais ses démons n'étaient pas
nécessairement milliardaires et producteurs de fictions. Tôt ou tard, l'usine de rêves vit de ses
311
moyens les plus efficaces, qui sont le sexe et le sang."

307
. HdC.2b.fatale beauté. p.174.
308
. Ilya Eireibaum, Une usine de rêve (1934), Paris, Ed.Plon.1974.
309
. HdC.1a.toutes les histoires. p.36. En plus du titre, JLG intègre dans les HdC, en banc-titre, lʼune des
pages du livre.
310
. André Malraux, “Les puissances de fiction. Discours pour l'inauguration de la M.C.de Bourges,
13/04/1964”, repris dans Denis Marion, Le cinéma selon André Malraux, Paris, Ed.Seghers, 1970.p.80.
311
. André Malraux, “Les machines à rêves. Discours aux assises de la Francophonie à Niamey, 02/1969”,
repris dans Denis Marion, Le cinéma selon André Malraux, Paris, Ed.Seghers, 1970.p.83.

117
b/ Personnes auxquelles lʼépisode 2b FATALE BEAUTÉ est dédié
MICHÈLE FIRK & NICOLE LADMIRAL

Nicole Ladmiral, qui fut actrice, se suicida dans des conditions non élucidées. Godard
y consacra une partie de l'entretien qu'il fit avec Bresson. Elle jouait dans le JOURNAL
312
D'UN CURÉ DE CAMPAGNE , ainsi que dans LE SANG DES BETES313 où elle
interprétait l'amoureuse du début. Nous livrons ici une partie de l'entretien ; cʼest
Robert Bresson qui parle :
"Je veux dire que finalement, si je prends des acteurs, c'est une question de morale. Et c'est
peut-être aussi par lâcheté, parce que je trouve que le cinéma pourrit les gens, ceux qui ne
sont pas préparés. Ainsi, tous les gens que j'ai connus, et que j'aimais dans la vie, et qui ont
fait du cinéma sans être acteur — et je pense aussi à Nicole Ladmiral — ce sont des gens qui
ont mal fini. Ou les filles sont devenues putains, ou les garçons se sont suicidés… De toute
façon, la moindre chose qui leur soit arrivée, c'est de devenir moins bien qu'ils n'étaient
314
avant."

Michèle Firk fut critique de cinéma à Positif. Mais cette participation à la critique de
cinéma n'est que la facette la moins brillante d'une activité militante intense. Après
avoir été communiste de 1956 à 1959, elle participa à des manifestes anti-coloniaux
et également féministes. Elle soutint la lutte contre la guerre du Vietnam dans les
années 64-66. Lorsqu'elle se rendit au Guatemala où elle rejoint la guérilla; elle y
meurt en 1968, se suicidant pour ne pas tomber entre les mains de la police315.

Le destin tragique de ces deux femmes (toutes les deux sont suicidées), et le fait
quʼelles soient placées ensemble au liminaire de cet épisode vient souligner
l'importance du rôle de la fatalité dans la mise à mort de la beauté faite femme.

312
. Robert Bresson, JOURNAL D'UN CURÉ DE CAMPAGNE. 1950.
313
. Georges Franju, LE SANG DES BETES, [court-métrage]. 1948.
314
.REF.155. La Question, (Entretien Avec Robert Bresson)”, CAHIERS DU CINÉMA
n°178. 04/1966. p. 34.
315
. Paul-Louis Thirard, “Michèle Firk ”, La critique de cinéma en France, Paris, Ed. Ramsay, 1997.p.328-
329.

118
I/ ÉPISODE 3a
a/ Titre de lʼépisode 3a : LA MONNAIE DE L'ABSOLU

A partir du 3a, les titres des épisodes seront moins problématiques. Ils expriment
plus simplement le projet général du film.

La monnaie de l'absolu est un titre qui occuperait une place élevée dans la hiérarchie
de la science du titre qu'André Breton appelait de ses vœux316. La beauté de sa
prestance réside dans le fait qu'il contienne deux termes qui s'opposent : matérialité
et circulation (monnaie) face à l'immatérialité, lʼintangible (l'absolu).

Ce titre, conçu à l'origine par André Malraux, possède un récit de sa genèse. À partir
des années 40 et jusqu'à la fin de sa vie, André Malraux retravaille, reprend,
augmente et annote ses textes ayant déjà fait l'objet de publication, refondant
souvent les anciens textes dans de nouvelles versions. Il nomme la livraison, à cette
occasion, par un nouveau titre. Revenir sans cesse sur son propre travail et procéder
à des nouvelles versions, éditées, revues, corrigées et augmentées n'est pas chose
rare dans le monde des Lettres, par ailleurs, on peut ajouter, que cet acharnement à
remettre sans cesse son ouvrage sur l'écheveau, est un acte à rattacher aussi aux
deux domaines généraux qui le concernent : L'Histoire et L'Art. Leur réunion,
l'Histoire de l'Art, en particulier, se présente comme un domaine susceptible et plus
exigeant encore, à cause de cette double gestion de textes et d'images reproduites.
Aussi cette remise en cause, par lʼauteur, de son propre travail, s'avère nécessaire et
cruciale, pour élaborer, avec précision, une pensée. Cette pensée décrit un
mouvement de balance entre ces deux poids 317. Aby Warburg, pour ne prendre qu'un
des meilleurs exemples, avait l'habitude de refaire quotidiennement ses tableaux
mnémosynes, et dont le système de fixations des reproductions sʼavérait non définitif
puisqu'il utilisait un jeu d'épingles318.

Ceci étant dit, le rapprochement des deux hommes (Malraux et Godard) dépasse la
simple utilisation dʼun titre. Les méthodes de travail interposées, (dans leurs multiples

316
. André Breton, Archives du surréalisme volume 1 : Main Courante du bureau , Paris, Ed. Gallimard,
1987.p.78.
317
. Antonin Artaud, “Cahiers de Rodez.12/45-01/46”, Œuvres Complètes tome XIX, Paris, Ed. Gallimard,
1990.p.112 : « (...) une espèce de balance, du moindre rapport entre les poids, je balance le texte et je
balance l'image, elle doit nous peser encore quelques secrets. »
318
. Philippe-Alain Michaud, Aby Warburg et l'image en mouvement, Paris, Ed. Macula, 1998.p.240-241.

119
interventions publiques, projets, processus et versions), sont clairement manifestées
de la part de Godard lorsqu'il reprend, précisément la même troisième partie d'un
livre, que Malraux établissait pour l'éditeur Skira, intitulé : La psychologie de l'art
(1947/1949)319. Le 1er volume qui s'appelle Le musée Imaginaire a été signalé
précédemment. Le 2ème volume s'intitule plus simplement La Création artistique.

En plus de la reprise du titre, Godard reprend le même mode de répartition (en 4ème
volume) que celui de Malraux lorsqu'il refondit en 1951, sa psychologie en voix du
silence320. C'est une indication supplémentaire, peut-être moins convaincante que
coïncidente, d'une nouvelle affirmation de Godard dans ce choix de filiation. Nous
répondrons en partie, un peu plus tard à cette assertion mais ici, on ne pourra qu'être
saisi par l'étrange familiarité des autres titres du film de Godard qui, à leur relecture,
présentent quand même des résonances malduciennes.

b/ Personnes auxquelles lʼépisode 3a LA MONNAIE DE L'ABSOLU est dédié


GIANNI AMICO & JAMES AGEE

Au départ du projet, Godard dédiait ses épisodes juste à une seule personne. Dans
cette prévision d'hommage rendu, il aurait certainement voulu que cela soit André
Malraux puisqu'il était indirectement une figure dʼinfluence à l'initiative du film et
concepteur du terme la monnaie de lʼabsolu.
Gianni Amico, critique de cinéma italien a écrit sur Glauber Rocha. Comme ce
dernier, il fut l'assistant de Godard sur VENT D'EST321. Il est lʼintroducteur de la
relation que Godard eut avec Marco Ferreri (jouant également dans ce film). Amico a
également écrit dans les Cahiers du Cinéma. Sa présence est probablement liée à la
fin de lʼépisode, puisque le long de plusieurs séquences conclusives, un exposé sur
l'histoire du cinéma italien est présent. L'envoi sous-entendrait le désir de requérir un
jugement de la part du critique, plus à même de lʼapprécier.

James Agee constitue notablement, avec Manny Farber et Stanley Cavell, l'un des
critiques de cinéma important pour la pensée critique américaine d'Après-guerre. Des

319
. André Malraux, La psychologie de l'Art, Genève, Ed. Skira, 1947-1949. 1- Le Musée Imaginaire. 2- La
Création Artistique. 3- La Monnaie Vivante.
320
. André Malraux, Les Voix du silence, Paris, Ed. Gallimard, 1951. 1.Le Musée Imaginaire. 2.Les
Métamorphoses d'Apollon. 3.La Création artistique. 4. La monnaie de lʼabsolu.
321
. Ref.Film34.VENT DʼEST. 1969.

120
critiques contemporains, comme Bill Krohn, Kent Jones ou encore Jonathan
Rosenbaum, ont pu sʼy référer régulièrement 322.

On retrouve à partir de cet épisode, un lien de fonction qui unit les deux personnes
dédicataires. Ici, le métier de critique est mis en valeur et constitue le point central de
la référence dédicatoire.

J/ EPISODE 3b

a/ Titre de lʼépisode 3b : UNE VAGUE NOUVELLE

De fait, le titre de ce nouvel épisode, au lieu de correspondre à sa totalité, vient


décrire juste sa seule partie finale, se consacrant principalement au portrait d'Henri
Langlois.

Que lʼadjectif, spécifiquement dans les HdC, soit placé après le nom crée une
étrangeté familière avec la célèbre expression. Nous comprenons quʼil sʼagit dʼune
référence à la Nouvelle Vague, cependant par lʼinterversion en Vague nouvelle, nous
sommes obligés dʼadmettre un phénomène de décalage. Mais avant de trouver à
quoi peut correspondre ce déplacement, présentons la référence. Ce titre renvoie au
terme que forgea Françoise Giroux, pour une enquête sur les jeunes dans le journal
L'Express qu'elle fonda. Elle qualifia en 1957, de “Nouvelle Vague”, cette nouvelle
génération de jeunes323, par la suite la même expression concerna strictement le
domaine cinématographique, pour désigner le flot de premier films apparus entre
1958 et 1962324.

Les cinéastes appartenant à cette dite Nouvelle Vague peuvent tout aussi bien se
circonscrire dʼune façon plus restreinte et orthodoxe : en incluant les cinéastes qui
ont rencontré le succès, pour les considérer comme chefs de file. La palme d'or

322
. Bill Krohn, “Lettre d'un ami américain”, TRAFIC n°3. 1992.p.110. Kent Jones, “Première prise”,
TRAFIC n°40. 2001.p.18. Jonathan Rosenbaum, “Grandeur et décadence du film-culte”, TRAFIC n°18.
1996.p.77.
323
. Francoise Giroux, “La Nouvelle vague arrive (Enquête)”, L'EXPRESS, 03/10-12/12/1957.
324
. 132 premiers long-métrages de fiction dans cette période (1958-1962). “Numéro Spécial Nouvelle
Vague” CAHIERS DU CINÉMA, n°138. 12/1962.

121
obtenue par François Truffaut joue alors un rôle majeur325. À partir de cette victoire,
on a estimé cinéastes de la N.V. : les seuls ayant collaboré aux Cahiers du
Cinéma326, François Truffaut, Eric Rohmer, Jacques Rivette, Claude Chabrol et Jean-
Luc Godard. Puis dans un cercle plus large de rédacteurs qui se mirent plus tard à la
réalisation : Luc Moullet, Jean Douchet, Pierre Kast, André S. Labarthe (qui réalisa
principalement des documentaires), et Jacques Doniol-Valcroze (fondateur des
Cahiers mais il n'appartenait pas à la même génération).

Habituellement sont inclus aussi les cinéastes de la Rive Gauche parisienne qui
firent leurs débuts, soit par des courts-métrages dans les années 50, soit encore
faisant partie du groupe des Trente : Agnès Varda, Jacques Demy, Alain Resnais,
Chris Marker, Robert Ménégoz, Jean-Daniel Pollet327.

Pour sa part et en tant que producteur financier328, JLG aida Jacques Rozier à
entreprendre son film ADIEU PHILIPPINES329, film emblématique de cette vague
nouvelle : il fut choisi plusieurs fois en tant quʼimage principale de la couverture des
Cahiers du Cinéma, comme leur numéro spécial consacré à la N.V. en 1962330 et
dans les HdC, c'est ce même photogramme du film : deux filles en maillot de bain sur
un bateau, que nous retrouvons plein écran au moment où apparaît le titre vague
nouvelle. Ce moment 331 ne figure pas dans l'épisode correspondant, mais il est au
début du troisième épisode, le 2a seul le cinéma332.

325
. François Truffaut, LES 400 COUPS. 1959. Palme d'or à Cannes la même année.
326
. Les trois longs entretiens principaux du numéro spécial consacré exclusivement à ce mouvement dans
les Cahiers du Cinéma, furent avec Chabrol, Godard et Rivette (Truffaut était en tournage et Rohmer,
rédacteur en chef de la dite revue). “Numéro Spécial Nouvelle Vague” CAHIERS DU CINÉMA, n°138.
12/1962.
327
. Jean-Michel Frodon, L'Age moderne du cinéma Français, Paris, Ed.Flammarion.1995.p.20.
328
. Ref.132.
329
. Jacques Rozier, ADIEU PHILIPPINES. 1962.
330
. “Certains le considèrent comme l'œuvre la plus représentative de la N.V.(sic) jusqu'à ce jour et sa
réussite la plus convaincante.” CAHIERS DU CINÉMA, n°125. 11/1961.p.2.
“Numéro Spécial Nouvelle Vague” CAHIERS DU CINÉMA, n°138. 12/1962.
331
. HdC.2a.seul le cinéma. pp.21-37.
332
. Après la discussion avec Serge Daney, vont défiler, l'un après l'autre, en génétitres, les 8 titres dont
sont composées les HdC : les 6 effectifs qui restent à dérouler et les deux fantômes. Il manque donc à ce
moment du film, ceux déjà entamés : le 1a toutes les histoires et le 1b une histoire seule. C'est l'occasion
pour Godard de les monter avec des photographies et de leur proposer un sens inédit.

122
INTERVERSION DES TERMES : MISE EN VALEUR DE LʼINTERSECTION
Aussi si le titre de l'épisode, Vague nouvelle fait référence à une intersection entre
l'histoire du cinéma et celle de Godard, il n'est pas évocateur du contenu réel de
lʼépisode. Cette intersection historique entre le cinéma français et le parcours de
Godard peut se résumer à cette expression Nouvelle Vague, puisque cela est aussi
le titre de l'un de ses films 333. Cʼest à partir de lʼépoque de la Nouvelle Vague que le
processus créatif de JLG, jouant sur un rapport de deux activités (écrire et filmer) va
s'intervertir : filmer prendra l'avantage sur écrire.

VAGUE NOUVELLE = NOUVELLES VAGUES


L'inversion du titre, vague nouvelle, procure une autre lecture de lʼinscription
historique de la référence. La vague nouvelle serait alors extraite de son sens propre,
sortie de son sens en tant quʼévénement historique produit. La compréhension de
cette expression ainsi décontextualisée pourrait être alors plus universelle. Elle serait
admise comme une constante des récurrences historiques : lʼarrivée des vagues
successives des générations, qui se chassent les unes les autres. Dans la
conception dʼune histoire continue traditionnelle, on peut constater le destin
inexorable (…) du temps dʼune marche aussi souple et constante où le moderne
prend la place de lʼancien pour devenir lui-même classique334.

La Nouvelle Vague (avec majuscule) est proprement définie comme historique,


comme moment unique, comme singularité historique. L'inversion vient alors produire
le même sens mais le rend commun. Si Nouvelle Vague est un nom propre, vague
nouvelle est un nom commun. La vague nouvelle est prise comme figure
d'émergence, dans sa valeur absolue. Par exemple, la génération des cinéastes
français apparue pendant la guerre — Becker, Bresson, Clouzot, Clément… Ayant
tous fait leurs premiers long-métrages à cette période — peut être autant considérée
comme vague nouvelle.

Le photogramme de KING LEAR335 qui montre Leos Carax au moment de l'inscription


de lettrages vidéo vague nouvelle est présent dans l'épisode 2a336 pour attester de
cette possibilité dʼinscription. Il est l'un des cinéastes (avec Philippe Garrel) à

333
. Ref.Film67. NOUVELLE VAGUE. 1990.
334
. Jacques Rivette, “Génie de Howard Hawks ”, CAHIERS DU CINÉMA n°23, 05/1955.p.21-22.
335
. Ref.Film60.KING LEAR. 1987.
336
. HdC.2a.seul le cinéma. p.30. C'est au même moment du défilé des 8 titres évoqué plus tôt (note 247).

123
revendiquer une filiation avec Godard, et dont la figuration dans un de ses films a
valeur de confirmation337.

On notera que les deux tiers de l'épisode sont consacrés au MUSÉE DU RÉEL,
c'est-à-dire un hommage à Henri Langlois, à ses actions au sein du cinéma et à
l'importance fondamentale qu'il apporta à la nouvelle génération dʼaprès-guerre.
Celle-ci se différenciait de leurs aînés par une connaissance indiscutable des films,
voire de leurs propres films338. Par contre la fin de l'épisode consacrée aux amis
cinéastes, fait état dʼamitiés pour des cinéastes transgénérationels339.

UNE VAGUE NOUVELLE DE FILMS ET NON DE CINÉASTES


Cette relativisation du terme rapporte le fait que Godard considère, à la toute fin de
son épisode, comme erreur de croire que les cinéastes de la Nouvelle Vague étaient
au début de quelque chose340. Le terme va plutôt s'appuyer sur une position inverse :
celle critique que les Cahiers du Cinéma, avec Godard, ont soutenu : La Politique
des Auteurs341, dont le principe de base reste la désignation esthétique du cinéaste
en tant qu'artiste parce que d'abord, il y a le film, qui est une œuvre.
[D'ABORD LES ŒUVRES, ENSUITE LES HOMMES] 342

Après donc une relativisation temporelle de leur situation, il sʼagit là dʼune remise en
cause en tant que sujets. Ce sont les films appréhendés les uns à la suite des autres
qui peuvent nous proposer une possibilité de production historique et constituent dès
lors cette Vague Nouvelle.

337
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.149. le terme confirmation est employé par Godard lors de lʼévocation
de son propre rapport avec Langlois. Devons-nous peut-être considérer Godard comme vague nouvelle
de Langlois ?
338
. "Mais vous connaissez mes films mieux que moi" avouait Fritz Lang à Godard.
André S. Labarthe, LE DINOSAURE ET LE BÉBÉ. 1963. Documentaire filmant ce dialogue entre le
dinosaure-Lang et le bébé-Godard au moment du tournage du MÉPRIS.
339
. Quand même / Becker / Rossellini / Melville / Franju / Jacques Demy / Truffaut /vous les avez connus /
oui, c'était mes amis. HdC.3b.une vague nouvelle. pp.162-164.
340
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.158.
341
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.158.
342
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.158.

124
b/ Personnes auxquelles lʼépisode 3b UNE VAGUE NOUVELLE est dédié
FREDERIC C.FROESCHEL & NAHUM KLEIMAN

Frédéric C. Froeschel a été le directeur du Studio Parnasse dans les années 1945-
1950, période cinéphile du jeune Godard, tandis que Nahum Kleiman dirige
aujourd'hui la Cinémathèque de Moscou. Ce dernier est un ami. Il a fait venir Godard
plusieurs fois à l'occasion de projections de ses films à la Cinémathèque de Moscou,
et lui a fait (découvrir) rencontrer Artavadz Pelechian, dont il a utilisé divers extraits
de ses films dans ses films de montages 343. Il fut invité à participer au colloque de
Locarno en 1995.

C'est dans cet épisode que le Musée du réel, c'est-à-dire les séquences tributaires à
Langlois, est produit. Il paraît alors logique de le dédier à deux programmateurs.
Indiquons, on l'a déjà écrit, que Froeschel était associé avec Cauliez en dédicataires
pour le même épisode, originellement dans une première version sauf que l'épisode
était placé en 4a.
Substituer Kleiman, c'était sortir dʼun cercle dʼune cinéphilie strictement française.
Kleiman, de plus, a l'avantage d'être contemporain occupant une fonction identique à
celle de Langlois.

K/ ÉPISODE 4a
a/ Titre de lʼépisode 4a : LE CONTRÔLE DE L'UNIVERS

Le titre de l'épisode vient représenter juste la partie (centrale) de l'épisode consacrée


à la méthode d'Alfred Hitchcock. Le contrôle de l'univers est un titre qui dans son
opposition interne rappelle le titre du 3a de Malraux : la monnaie de l'absolu. On est
en présence de deux élément opposés, l'un le contrôle est une action humaine liée
au pouvoir dans son utilisation, limitation ; l'autre : l'univers est une valeur infinie et
cosmique. La réunion des deux provoque une idée fulgurante et poétique. Le contrôle
de l'univers pour Godard est cette capacité du pouvoir qu'un cinéaste peut avoir
lorsqu'il filme les choses les plus simples. C'est parce que l'on se souvient344

343
. Ref.Film 82. DE LʼORIGINE DU XXIÈME SIÈCLE. 2000.
344
. HdC.4a.le contrôle de lʼunivers. p.82.

125
d'éléments filmés du quotidien faisant partie intégrante de notre univers, que dans
ses films,...
[...A TRAVERS EUX/HITCHCOCK RÉUSSIT/ LÀ Où ÉCHOUÈRENT/ ALEXANDRE, JULES
345
CÉSAR/ NAPOLÉON/ PRENDRE LE CONTRÔLE DE L'UNIVERS]

b/ Personnes auxquelles lʼépisode 4a LE CONTRÔLE DE LʼUNIVERS est dédié


MICHEL DELAHAYE & JEAN DOMARCHI

Les deux hommes sont des critiques de cinéma qui ont tous deux écrit aux Cahiers
du Cinéma.
Leur parcours diffèrent un peu. Delahaye fait partie de l'aventure moderne, de la
rénovation de la revue, lors de son abandon de la couleur jaune de couverture,
emmené par Jacques Rivette en 1963346. Alors que Jean Domarchi, est un aîné ; Il
n'est pas de la même génération, il a écrit dès les premiers numéros des Cahiers du
Cinéma. Sa spécialité, dans le domaine économique, lui a donné une prédisposition
d'esprit à relever les enjeux de rapports de classes au sein du cinéma comme
profession, à une époque où seuls quelques intellectuels pouvaient citer Marx pour la
bonne raison de l'avoir lu. Domarchi écrivant aussi dans la Gazette du Cinéma fut le
témoin privilégié des débuts critiques de Godard et assista, comme lui, aux séances
du Studio Parnasse de Froeschel. Il demeure sans aucun doute un interlocuteur (réel
ou imaginaire) privilégié du cinéaste. Il fut l'un des principaux militants de la
reconnaissance intellectuelle du cinéma américain347.

Michel Delahaye, lui, vient à Paris et débute aux Cahiers du cinéma dans les années
60. Il accompagne Jacques Rivette pour les fameux entretiens de Boulez et de
Barthes 348. Il contribua intensément à la rénovation de la revue, adoptant un esprit
d'ouverture. Puis lorsque Rivette conduisit la Revue à sa politisation, Delahaye
assista à son éviction en 1970, au nom d'une ligne scientifique et matérialiste. Il
devint alors un acteur à l'allure énigmatique chez Rivette ou bien Eustache. Sa

345
. HdC.4a.le contrôle de lʼunivers. p.85.
346
. Antoine De Baecque, Cahiers du Cinéma, Histoire d'une Revue 2, Paris, Ed. Cahiers du Cinéma,
1991.p.100-183.
347
. Antoine De Baecque, “Jean Domarchi ”, La critique de cinéma en France, Paris, Ed. Ramsay,
1997.p.318.
348
. Michel Delahaye, Jacques Rivette “Entretien avec Pierre Boulez”, CAHIERS DU CINÉMA n°152,
01/1964. p.19.
Michel Delahaye, Jacques Rivette “Entretien avec Roland Barthes”, CAHIERS DU CINÉMA n°147,
09/1963. p.20.

126
citation ici peut être acceptée, à lʼinstar de Domarchi, du fait de son intérêt pour le
cinéma américain.
La rencontre des deux critiques met en valeur les références intellectuelles, qui sont
imposantes mais nécessaires chez eux. Domarchi citait dans ses articles, Marx,
Husserl ou bien encore Hegel, tandis que Delahaye, lui, avait fait état dans ses
articles d'une compréhension de la pensée de Levi-Strauss et du structuralisme, en
suivant ses cours au Collège de France.

Lʼintérêt pour ces deux destinataires met en relief également toute la partie
précédente à l'introduction à la méthode d'Alfred Hitchcock. Elle évoque, après un
éloge de la main du créateur, la force de l'engagement 349 et démontre la nécessité du
courage de l'intellectuel face à ses propres décisions et actions politiques350.

[ON SERAIT PARFOIS TENTÉ / DE SOUHAITER QU'EN FRANCE / L'ACTIVITÉ DE


351
L'ESPRIT / REDEVIENNE / PASSIBLE DE PRISON]

L / ÉPISODE 4B
a/ Titre de lʼépisode 4b : LES SIGNES PARMI NOUS
On trouve un titre qui, cette fois-ci, a pour origine l'écrivain diariste helvète Charles
Ferdinand Ramuz que Godard adapte librement dans lʼépisode, en reprenant la
nouvelle du colporteur352.
Les signes obtiennent une définition pendant l'épisode. Une citation du cinéaste
Manuel de Oliveira lors d'un dialogue avec JLG, organisé par le quotidien
Libération353, se retrouvera énoncée dans cet épisode :

"C'est d'ailleurs ce que j'aime au cinéma une saturation de signes magnifiques qui baignent
354
dans la lumière de leur absence d'explication"

349
. HdC.4a.le contrôle de lʼunivers. p.32.
350
. HdC.4a.le contrôle de lʼunivers. pp.48-67.
351
. HdC.4a.le contrôle de lʼunivers. pp.56-57.
352
. Librement car dans cette nouvelle, il n'est pas question du cinéma.
Charles Ferdinand Ramuz, Les signes parmi nous, Lausanne, Ed. Plaisir de lire. 1953.
353
. “Godard et Oliveira sortent ensemble”, LIBÉRATION 4-5/09/1993.
Repris dans Ref.176b.Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard , [volume.2], Paris, Editions de l'Étoile.
2ème Ed.1998,p.261.
354
. HdC.4b.les signes parmi nous. p.225.

127
Cette phrase nous parvient par la voix d'une femme alors que le titre nous est apparu
comme carton simple. Il a été altéré. Et l'altération vidéo du titre est un effet de
larsen. Filmant l'écran qui lui même retransmet ce qu'il filme, l'effet larsen vidéo a la
particularité de reproduire à l'infini ce qui se trouve sur l'écran. Ici c'est le titre les
signes parmi nous qui semble être lʼadaptation directe et conséquente de la phrase
d'Oliveira : le lettrage se retrouve totalement saturé.

LES SIGNES DU CINÉMA PARMI NOUS


La présence du terme signe atteste pour Godard une volonté manifeste. On retrouve
cette notion déjà dans ses écrits. Au moment des CARABINIERS, il proposait une
définition philosophique de l'acte de filmer en ces termes :

“Filmer n'est donc rien d'autre que saisir un évènement en tant que signe, et le saisir à une
seconde précise, celle où (…) la signification naît librement du signe qui la conditionne et la
355
prédestine”

Les signes parmi nous présente une possibilité d'entreprendre une définition du
cinéma : reconnaître les éléments qui constituent le film : l'image et le son, comme
des virtualités encloses, que notre regard viendrait défaire. Ce titre et son placement
dans l'épisode viennent corroborer la définition du cinéma dʼOliveira comme allure
mystérieuse, c'est-à-dire, absentes d'explication. La signification subjective que nous
projetons sʼavère alors le garant d'une liberté. Dans Les signes parmi nous, le parmi
témoigne d'une omniprésence telle que toute limitation s'avère impossible. Le parmi
peut désigner autour de nous mais aussi en nous-même. Les signes peuvent alors
proposer une exemplarité, comme représentative dʼune l'idée d'un absolu omniscient.

Précisément, dans cet épisode, Godard revient à ses écrits de jeunesse. Cela lui
permet de retrouver sa propre conception de ce quʼest le cinéma. La problématique,
qui lʼavait développée pendant le tournage des Carabiniers, est la suivante :

"(...) et entre parenthèses, là, j'en profite pour vous dire que comme par hasard, le seul grand

problème du cinéma me semble être de plus en plus à chaque film : où et pourquoi


356
commencer un plan et où et pourquoi le finir (…)"
Cette question se retrouve, pratiquement telle quelle dans l'épisode.357
355
. Ref.131. Feu sur les carabiniers.
356
. Ref.131. Feu sur les carabiniers.

128
b/ Personnes auxquelles lʼépisode 4b LES SIGNES PARMI NOUS est dédié
ANNE-MARIE MIEVILLE, ET POUR MOI-MEME.

On pourrait être surpris, que l'auteur ait dédié à sa propre personne, ainsi quʼà sa
compagne, ce dernier épisode, si ce nʼest dans leur film SIX FOIS DEUX358. On y
trouvait déjà leurs deux prénoms et également un autre épisode était intitulé : 5b –
NOUS. Mais en dehors de cette présence dans lʼœuvre même, il sʼavère
exceptionnellement rare, de voir ce genre dédicatoire dans le cinéma et même dans
la littérature. Dans ses projets de départ, Jacques Rivette était la personne citée, qui
accompagnait Anne-Marie Miéville. Il faut aussi tenir compte du nous dans le titre,
faisant référence à lʼidée de couple. Si Godard préfère mettre moi au lieu de son
prénom et nom, c'est que l'effet total du dédoublement, cette fois-ci, aurait pu
provoquer une réaction comique, narcissique ou pédante.

WILLIAM WILSON
Godard cite amplement Feu sur Les Carabiniers 359, dans cet épisode. Après avoir
posé le seul grand problème du cinéma, comme nous venons de le voir, pendant le
commentaire du titre, il évoque, dans cet article, l'histoire de William Wilson360 pour
opposer la vie et le cinéma. Cette nouvelle d'Edgar A. Poe décrivait aussi le
dédoublement réel d'un seul personnage :

"(…) William Wilson qui s'imagina avoir vu son double dans la rue, le poursuivit, le tua,
361
s'aperçut que c'était lui-même et que lui qui restait vivant, n'était plus que son double."

Maintenant on peut tout à fait concevoir cette phrase pour le sujet de lʼépisode. Cʼest-
à-dire la présence de Godard se trouve dédoublée dans les HdC. Il est présent par la
figuration de son nom et présent à lʼimage/son.

Cette intrigante présence de lui-même comme double dédié est à mettre en rapport
direct avec la fin du film où l'homme-Godard énonce sa propre expérience, à partir

357
. HdC.4b.les signes parmi nous. p.193.
358
Ref.Film143. SIX FOIS DEUX (SUR ET SOUS LA COMMUNICATION), (coréalisé avec A.M.Miéville,
1976).
359
. Ref.131.
360
. Edgar Allan Poe, “William Wilson”, Nouvelles Extraordinaires, trad. Charles Baudelaire, Paris, Ed.
Gallimard, 1932. p.89.
361
. Ref.131. Feu sur les carabiniers.

129
d'un texte362 de Jorge-Luis Borgès qui se référait lui-même à un autre poème de
Coleridge. Ce premier, à lʼinstar du conte de Poe, évoque le parcours parallèle d'un
double :

La phrase conditionnelle — Si un homme traversait le paradis en songe / qu'il reçût


une fleur comme preuve de son passage et qu'à son réveil il trouvât cette fleur dans
ses mains / que dire alors j'étais cet homme. 363 — vient alors clore le film, et faire
comprendre peut-être que s'il se dédiait lʼépisode à lui-même, c'était pour prévenir
qu'il le terminât. Nous le supposons car la figure esthétique de la symétrie se
retrouve de nombreuses fois dans les HdC, nous lʼattesterons dans l'analyse du
début du film.

L'apparition d'un double portrait photographique au début de l'épisode 2a seul le


cinéma364, —moment où un carton prévient : FAIRE UNE DESCRIPTION PRECISE DE
CE QUI N'A PAS EU LIEU EST LE TRAVAIL DE L'HISTORIEN — vient également
argumenter cet effet de dédoublement symétrique. Souligné donc par cette double
présence (au début et à la fin de lʼépisode), le dédoublement nécessaire de l'historien
face à lui-même lorsqu'il devient concrètement aussi objet de l'histoire (Godard,
cinéaste de la Nouvelle Vague) peut nous faire apparaître dans le même temps deux
visages. On se rendra compte également que la double figure de JLG peut être la
représentation visuelle de lʼidée dʼun Godard-cinéaste face à un Godard-historien.
Ces deux personnages seront même interprétés par Godard, car dans le film, figure
effectivement, un Godard-narrateur dissocié dʼun Godard-présentateur365.

A noter également dans un de ses films annexes intitulé ORIGINE DU XXIÈME


366
SIÈCLE , JLG ajouta, une fois l'apparition du titre de ce film au génétitre, un peu
plus bas, pendant quelques secondes, avec la même typographie mais avec un
corps de police plus petite, un POUR MOI qui peut autant surprendre que son projet

362
. Jorge-Luis Borges, “Two English poems”, Œuvres Complètes , (Tome II), Paris, Ed.Gallimard-Pléiade,
1999. p.52. d'après Samuel T. Coleridge.
363
. HdC.4b.les signes parmi nous. pp.306-311. Les barres sont ici les changements de pages.
364
. HdC.2a.seul le cinéma. p.15. Ces deux portraits de JLG, présentant son visage dans deux axes
différents (Face et demi profil) sont montés en fondu enchaîné (50%), ce qui donne pour un instant, deux
visages de JLG dans le même temps.
365
. Voir dans notre Troisième Partie, lʼanalyse du début du film où nous avons développé amplement
cette démonstration.
366
. Ref.Film 82. DE L'ORIGINE DU XXIÈME SIÈCLE. 2000.

130
de scénario MOI, JE établi en 1973, mais récemment découvert, et dont on retrouve
des traces de la volonté de faire une histoire du cinéma par le cinéma :

"Qui écrira un jour une véritable histoire du cinéma et de la télévision ? En voici quelques
367
fragments encore bien incomplets."

Nʼoublions pas que la volonté initiale de produire ce film, a toujours consisté à


confronter ses films avec d'autres, pour essayer de comprendre le rapport qu'il
pouvait y entretenir. Comme une psychanalyse, a-t-il déjà avoué, avec lucidité, lors
d'une discussion avec Jean Mitry pour les 30 ans de la FIAF368.

De plus l'évènement de son exposition personnelle en 2006369, et la parution d'un


livre entier de nouveaux documents370, viennent confirmer une définition de ce moi,
comme un rapport au surmoi de Godard. C'est-à-dire un moi comme une matière ne
lui appartenant pas complètement puisqu'elle est liée aussi aux images des autres,
ce qu'on pourrait nommer la notoriété. Souvent depuis le début de cette étude, nous
avons souligné la difficulté à discerner l'image réelle de Jean-Luc Godard371. Le
dédoublement effectif dans le film vient à créer une solution concrète pour la séparer
de la présence symbolique qu'il représente, son image dans le monde des médias.

Il ne faut pas négliger le fait que le moi est une matière en travail qui sera souvent à
considérer comme un matériel esthétique pauvre. Lʼutilisation de lʼartiste par lʼartiste
même relève dʼune opportunité de travailler avec une main dʼœuvre gratuite et
docile372.

“"Je est un autre" Rimbaud”373

La représentation de ce moi est à considérer comme un travail formel comme un


autre. On prendra pour exemple l'immense travail du photographe Lee Friedlander374

367
. Ref. 178.18. MOI, JE. projet de film (1973). in Documents - Jean-Luc Godard , Paris, Ed. Centre
Pompidou (2006).
368
. Ref. 178.21. Les cinémathèques et l'histoire du cinéma. (1978).
369
. Voyage(s) en utopie, Jean-Luc Godard, 1946-2006, Galerie Sud, 11 mai - 14 août 2006.
370
. Ref.178. Documents - Jean-Luc Godard , Paris, Ed. Centre Pompidou (2006).
371
. Sans avoir toutefois, un besoin réel de le savoir.
372
. Martial Raysse, CAMEMBERT ÉLECTRIQUE. 1973.
373
. Ref.178.18. MOI, JE projet de film (1973). C'est en liminaire d'une des parties p.225.
374
. Lee Friedlander, Autoportrait, Ed.Centre National de la Photographie, coll.Photo Notes.1992.

131
qui est un photographe qui travaille à faire son autoportrait photographique depuis
plus de quarante ans, sans être pour autant narcissique. Cette affirmation à trouver
son visage comme un paysage social375 rejoint une conception similaire de la
visagéité chez Godard376.

C'est même dans un mouvement inversé, que le travail de recherche sur le moi se
constitue pour Godard. A la fin des années 60, on assiste à une dissolution de son
moi, moment de la sortie de son expérience collective (Le groupe Dziga Vertov377). Il
va alors travailler à l'établissement d'un scénario intitulé : Moi, je. Ce scénario, pour
Michael Witt, est à considérer aussi comme une variante explicitement
378
autobiographique des HdC. Rappelons que le projet tel qu'il s'est concrétisé à
379
Montréal à vouloir faire ces HdC, fut la confrontation de ses propres films avec
d'autres films du cinéma. Le récit possible de cette confrontation constituerait alors le
socle d'une réflexion épistémologique. On connaît l'anecdote de Jackie Evrard, lors
de sa rencontre à New-York avec Godard, à la sortie de la salle de cinéma qui
diffusait le film de Nicholas Ray, WE CAN'T GO HOME AGAIN (1973) : cela l'avait
bouleversé. 380, car c'était exactement comme un autre lui-même qui présentait son
travail de recherche. Ce film de plus, qui présente les résultats d'un travail avec des
effets d'incrustation vidéo, et de multi-écran381, sera le film de référence pour
382
NUMERO DEUX , et dʼautres films de l'époque grenobloise. Le film de Ray montrait à
Godard la possibilité dʼintégrer des expérimentations vidéos dans un film de fiction au
format traditionnel (35mm et 1h30).

375
. John Szarkowski, Friedlander soi-même, Paris, Ed.Centre National de la Photographie, 1992. p.9.
376
. Ref.Film.22. DEUX OU TROIS CHOSES QUE JE SAIS D'ELLE. 1966. : “Le visage c'est comme un
paysage”, dixit Marina Vlady.
377
. Pris dans les deux évènements historiques : Mai 68 et les accords de paix au Vietnam (1973).
Ref.Film32. BRITISH SOUNDS, 1969. jusqu'à Ref.Film42.TOUT VA BIEN, (coréalisé avec JP.Gorin,
1972).
378
. Michael Witt, “Genèse d'une véritable histoire du cinéma”, Jean-Luc Godard- DOCUMENTS, Paris,
Ed.Centre Beaubourg, 2006. p.271.
379
. C'est une partie sur laquelle on va revenir juste après.
380
. Jackie Evrard, “Sur numéro Deux”, IMAGE ET SON n°459, 09/1975.
381
. Un peu à la manière des films de Malcolm Le Grice.
382
. Ref.Film41. NUMÉRO DEUX. 1975.

132
M/ LES DEUX ÉPISODES FANTÔMES

TITRES DES DEUX ÉPISODES, DERNIERS COMMENTAIRES,


APPARITION RÉAPPARITION, SURVIVANCE DES PHRASES.
Comme on l'a vu au tout début de cette note, on peut expliciter encore l'un des
dispositifs que l'on voit à partir de l'épisode 1b :
Si les titres des épisodes apparaissent aussi comme simples cartons autonomes un
peu partout dans le film, on notera la présence de titres fantômes. Cʼest-à-dire des
inscriptions sur des cartons simples qui nʼont pas dʼexistence en tant que titres
dʼépisodes

a/ Montage mon beau souci


Ce titre, qui est une référence au titre dʼun de ses articles383, est un emprunt fait à
Valéry Larbaud qui dans son livre Femina Marquez384 ouvre un chapitre intitulé
Féminin, Mon Beau Souci.
On peut d'ores et déjà remarquer que c'est une citation de Malherbe effectuée par
Larbaud. Godard cite donc un texte qui est déjà citation. La substitution du féminin en
montage, fournit encore une cohésion sur l'ensemble de ces titres puisqu'il s'agit d'un
détournement.

"Montage mon beau souci (..) repart d'un article que j'avais innocemment écrit et auquel je ne
comprends plus grand-chose aujourd'hui (1988.nda). C'est l'idée que de même, la peinture a
un moment réussi la perspective, le cinéma aurait dû réussir quelque chose, et qu'il ne l'a pas
385
pu à cause de l'application de l'invention du parlant. Mais qu'on en a des traces..."

b/ La réponse des ténèbres


L'épisode devait parler des films de guerre et qui dit en gros que le cinéma c'est
quand même un art occidental fait par des garçons blancs. 386
L'origine du titre est un détournement d'une expression titulaire de titre musical, liée à
la musique sacrée. Les Ténèbres forment l'office de nuit des trois derniers jours de la
Semaine Sainte. Elles commentent la Passion du Christ à travers le chant des

383
. Ref. 68. Montage mon beau souci. n°65. 12/1956.
384
. Valery Larbaud, Femina Marquez, Paris, Ed.Gallimard, 1926. p. 68.
385
. Serge Daney, « Godard fait des Histoires », LIBÉRATION. 26/12/1988. Repris dans Ref.176b.Jean-
Luc Godard par Jean-Luc Godard, [volume.2], Paris, Editions de l'Étoile. 2ème Ed.1998, p.161.
386
Serge Daney, « Godard fait des Histoires », LIBÉRATION. 26/12/1988. Repris dans Ref.176b.Jean-Luc
Godard par Jean-Luc Godard , [volume.2], Paris, Editions de l'Étoile. 2ème Ed.1998, p.161.

133
Psaumes. La Réponse des Ténèbres en vérité s'écrit à l'ancienne (répons) et fait
répons, aux Lamentations de Jérémie. Les œuvres musicales (de Gesualdo ou de
Couperin) s'intitulent plus souvent Leçons des Ténèbres, ou encore Offices des
Ténèbres, et c'est à l'intérieur de celles-ci que l'on trouve des répons des Ténèbres.

C'est l'idée de réponse qui va intéresser Godard, et lui faire prendre cette expression
pour titre. En effet, comme si les Ténèbres étaient douées du pouvoir de répondre à
nos appels ou encore à nos images. On retrouve entre les hommes et les Ténèbres
la même relativité, celle du rapport de l'homme avec le néant, ainsi faisant écho avec
la phrase de Maurice Blanchot que Godard emploie dans le dernier épisode :

387
"L'image capable de nier le néant est aussi le regard du néant sur nous."

Cet exemple montre que cette partie des HdC comprend en fait certain des éléments
prévus pour cet épisode fantôme. On y retrouve la même volonté de conférer une
autonomie de regard et de geste à des d'éléments comme les Ténèbres ou encore le
Paradis 388.

c/ Les figurant absents


Pour finir, à partir de la première version un certain nombre de personnalités étaient
prévues, mais elle n'y figurent plus. On peut les classer comme second choix, et l'on
est frappé par la diversité, on a :
- GEDÉON BACHMAN pour seul le cinéma
(critique qui faisait partie du jury de Venise qui lui a remis un LION D'OR pour
PRÉNOM CARMEN389.)
- ANDRÉ MALRAUX pour la monnaie de l'absolu
- ALBERT EINSTEIN pour le contrôle de l'univers
- JACQUES RIVETTE pour montage mon beau souci
Comme Godard, Rivette, cinéaste, plusieurs fois cité dans le film, que cela soit en
portrait390 ou par les phrases qu'il a pu énoncer391, a été critique et même rédacteur
en chef des Cahiers du Cinéma. Il collabora à un long article collectif (réunissant

387
. HdC.4b.les signes parmi nous. p.300. Maurice Blanchot, « Les deux versions de lʼimaginaire »,
Lʼespace Littéraire, Gallimard, 1955. p.98.
388
. HdC.4b.les signes parmi nous. pp.306-311.
389
. Ref.Film 51. PRÉNOM CARMEN. 1982.
390
. HdC.4a.le contrôle de lʼunivers. p.70.
391
. « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » HdC.2a.seul le cinéma. p.78.

134
Jean Narboni, Sylvie Pierre, et lui-même) sur la théorie du montage intitulé
simplement MONTAGE392, peut-être est-ce la raison pour laquelle il lui dédie cette
partie. On pourrait trouver quantité d'autres raisons liées au cinéma de Rivette. Sa
réputation à résister lorsqu'il s'agit d"amputer" ses films de plusieurs minutes quand
le producteur souhaiterait le conformer à une durée standard393.

5/ ÉTAPE  : LES FILMS-ANNEXES.

Après avoir établi l'inscription des épisodes du film et de ses quatre versions, nous
pouvons poursuivre lʼanalyse du processus de fabrication du film, en repérant les
différentes tentatives antérieures. On découvrira leur importance pour sa constitution
finale, lors de notre prospection temporelle.
Par contre, après la réalisation des HdC, certains autres films de Godard sʼy
rapportent directement, soit par leur style, soit par lʼobjet même de leur création — ce
qui chez Godard coïncide avec l'évènement des formes—, ainsi ces films sont
considérables comme des annexes affiliées :

ANNEXES FILMIQUES DU FILM = FILM-ANNEXES


Il convient, comme Jonathan Rosembaum le propose à Godard, d'adjoindre un
nombre d'annexes au film HdC :

"On pourrait noter également que certaines autres vidéos récentes (...) pourraient être
394
considérées avec profit comme des "annexes" d'Histoire(s) du cinéma."

Les HdC disposent de 6 annexes dont 3 sont réparties nationalement, tel que figure
sans contestation le nom du pays à chaque titre :

392
. Collectif, “Montage”, CAHIERS DU CINÉMA n°210. 05/1969.p.17. Lʼauteur sʼest vu confirmer par
Rivette lui-même quʼil avait bien participé avec dʼautres à lʼélaboration de cet article.
393
. Gilles Delavaud, “S.Tchalgadjieff, à pied d'œuvre”, CAHIERS DU CINÉMA n°327.09/1981.(Petit
Journal) page V, VI.
394
. Jonathan Rosenbaum, “Bande-annonce pour les Histoire(s) du cinéma de Godard”, TRAFIC n°21
Printemps 1997.

135
A/ UNE ANNEXE ALLEMANDE :
"ALLEMAGNE ANNÉE NEUF ZÉRO, Solitudes, un état et des variations"
(62mn, 1991)..

Ce film fut une commande dʼANTENNE 2 (co-produit avec Brainstorm Production) et


suite au succès dʼaudience du film sur la chaîne, une sortie en salle, conjointement
en Allemagne et en France fut décrétée par la Production. Il fut tiré à cette occasion 7
copies 35mm dont 5 sous-titrées en allemand395. il possède la particularité de faire
revenir Eddie Constantine, 28 ans plus tard, jouant le personnage de Lemmy Caution
que Godard avait déjà mis en scène dans ALPHAVILLE (1963).

B/ UNE ANNEXE RUSSE :


"LES ENFANTS JOUENT À LA RUSSIE". (63mn, 1993).
Produit par la Télévision suisse Romande (RTSR), la chef opératrice Caroline
Champetier fut envoyée filmer des plans en Russie, à la manière des frères Lumière
qui envoyaient des opérateurs par-delà le monde. Godard ne rejoignit pas lʼéquipe
pour ce tournage. Puis une fois les images rapportées, il les inclura dans un montage
composé dʼautres extraits historiques de films soviétiques. Il est notable de confirmer
que certains extraits du montage (certaines suites de plans associés) se retrouvent
tels quels dans les HdC. On retrouve à lʼinstar dʼALLEMAGNE ANNÉE NEUF ZÉRO,
des acteurs qui lui demeurent fidèles : Laszlo Szabo et André S. Labarthe.

C/ UNE ANNEXE FRANÇAISE


"DEUX FOIS CINQUANTE ANS DE CINÉMA FRANÇAIS". (49mn, 1995).
co-réalisé avec Anne-Marie Miéville. Commandité par le British Film Institute à
lʼoccasion du centenaire du Cinéma, il figure parmi une série dʼhommages rendus
aux cinémas nationaux incluant, Nagisa Oshima pour le Japon, Wim Wenders pour
lʼAllemagne, Martin Scorcese pour les USA et Mike Leigh pour le Royaume-Uni.

395
. Source Dossier de production de Nicole Ruelle, Brainstorm Production,
communiqué par Bernard Eisenschitz, traducteur des sous-titres à cette occasion.

136
Puis trois autres films, qui ne sont plus des annexes concernant son domaine
dʼétude, mais aborde le sujet historien que Godard sʼattribue. Pour cela, les trois films
sʼy rattachent implicitement. Le premier JLG/JLG (Autoportrait de décembre) est un
autoportrait de lʼauteur en historien, le second correspond à une étude
épistémologique du cinéma dans son rapport avec les Arts et lʼhistoire de lʼart.

Pour finir, une postface qui pourrait être perçue comme une possible synthèse du
cinéma regardant rétrospectivement le XXème siècle.

D/ UN AUTOPORTAIT DE L'AUTEUR EN HISTORIEN :


"JLG/JLG. Autoportrait de décembre" (62mn, 1995).
Ce film véritablement personnel, montrant les pièces où vit et travaille Godard ou
encore sa bibliothèque. Il justifie en interrogeant, entre autres principes, lʼidée
directrice sur sa participation dans lʼhistoire du cinéma. Lʼidée dʼune rencontre
cinématographique de la petite histoire personnelle avec la grande396. Film produit
par Gaumont et Godard lui-même au sein de la société Peripheria. On retrouve
également dans ce film une série dʼhommage à trois cinéastes qui lui sont proche (il
les appelle par leurs prénoms). On peut rattacher directement ce film aux HdC par
cet hommage rendu à Jacques (Rozier), Nicholas (Ray), et Jean (Renoir).

E/ UN SUPPLÉMENT CRITIQUE :
"THE OLD PLACE, Small Notes Regarding the Arts at Fall of 20th Century" (49mn,
1998).
Co-réalisé avec Anne-Marie Miéville. Comme le film-annexe produit par la BFI, le film
est une commande dʼun musée, cette fois-ci pour lʼanniversaire de la création du
MUSEUM Of MODERN ART de New-York. Comme lʼindique le titre, nous assistons à
une série numérotée dʼaphorismes concernant les Arts et lʼHistoire de lʼArt. Dans ce
film, Godard va se définir comme historien vivant dans la patrie des artistes.

396
. HdC.2a.seul le cinéma. p.39.

137
F/ UNE POSTFACE :
"DE L'ORIGINE DU XXIÈME SIÈCLE (pour moi)" (15mn, 2000).

Le film est une commande pour lʼannée 2000 du Festival de Cannes co-Produit avec
la chaîne Canal+. Il est doté dʼun titre provisoire et dʼun sous-titre, car il avait été
annoncé comme HISTOIRE(S) DU XXème SIÈCLE, dans les programmes de
télévision et pour ce qui est du sous-titre un POUR MOI apparaît quelques secondes
après que le titre principal arrive et perdure. Ce film propose un regard proprement
rétrospectif car son mouvement est à rebours, partant des années 90 et finissant au
début du siècle, coïncidant avec lʼarrivée du cinéma.

Une grande partie de la matière filmique sont extraits des HdC, à part des images de
la Seconde Guerre Mondiale qui venait de paraître à lʼépoque et qui eut un certain
retentissement dans lʼhistoire des archives du film, car elles étaient en couleurs. A
noter également dans la bande-son lʼutilisation de la voix dʼun écrivain français :
Pierre Guyotat, qui lit le début de son nouveau roman-fleuve : Progénitures.
Lʼinvention des mots et dʼun langage chez Guyotat, en réinventant la langue
française à la racine des mots, est tout à fait caractéristique et prends une dimension
lyrique surprenante dans ce film.

138
CHAPITRE TROIS : MATÉRIOLOGIE DES HdC
1/ PRÉSENTATION
2/ REGISTRE DES DONNÉES DES HDC

1/ PRÉSENTATION
Avant même de poursuivre notre étude sur les prédéterminations du film, il nous a
semblé intéressant de présenter un registre succint de la matière employée, afin de
mieux comprendre de quoi les HdC sont composées.
Nous tenterons dans la mesure du possible de donner quelques exemples de
matières extraites.

DESCRIPTION ET LISTAGE DE LA MATIERE DU FILM


EN VUE DE SON ETABLISSEMENT
NÉCESSITÉ D'UNE TABLE DES MATIÈRES.
Si on dresse ce système d'observation du film, cet inventaire, nous ne chercherons
pas à investir le désir du cinéaste, comme également nous ne constaterons pas le
pouvoir de l'image et du son sur le spectateur. Le film est alors appréhendé dans cet
entre-deux, un suivi d'images et de sons quʼil est possible de référencer dans sa plus
simple disposition : une table des matières pour révéler lʼune des particularités des
HdC qui consiste en son exceptionnelle diversité de matières, tant par l'usage
d'images, de sons, que de textes préexistants.

2/ REGISTRE DES DONNÉES DES HDC

A/ LES FILMS CITÉS


a/ films cités (Fiction, Documentaires, Actualités)
i/ extrait du film (vitesse normale, ralentie, accélérée, gelée ou trafiquée)
ii/ extrait en photogramme (Ifixe ou Ifx&S)
iii/ extrait en bande son (Ssolo)
iv/ extrait autre (affiche, photo tournage, dessin)
b/ titre de films cités
i/ titre écrit (pouvant se rapporter au A/a/i ou A/a/ii, le générique)
ii/ titre oral (oralement cité)

139
B/ LES HUMAINS : IMAGE & NOM

a/ image
i/ en film (en tant qu'acteur, ou bien sur un plateau, au travail)
- Charlie Chaplin jouant du piano. HdC 1a
- O. Welles dans LE MARCHAND DE VENISE. HdC 1a
- Frank Borzage (sur une chaise portant son nom
dans un plateau de cinéma
ii/ en photo portraits
John Ford, Nicholas Ray, Max Linder. HdC 1a

b/ nom
i/ écriture nominale
a) par Godard en génétitres :
JEAN EPSTEIN (HEP / STEIN). HdC 1a
b) par eux-mêmes : signature (Howard Hughes)
ii/ évocation nominale par la voix off
« Jacques Demy, Truffaut, C'était mes amis ». HdC 3b
iii/ voix de cinéastes
voix d'Alfred Hitchcock. HdC 4a

Nous nous sommes concentrés sur les cinéastes tout en sachant que dʼautres types
dʼactivités ont conduit dʼautres hommes ou femmes à figurer dans le film selon leur
nom, présence visuelle ou encore voix.

C/ IMAGES & SONS


a/ L'image fixe photographique
i/ origine du cinéma IFC
ii/ non-origine du cinéma IF
iii/ portrait IFP

On remarquera que le portrait nʼest pas seulement dʼorigine photographique. De plus


le portrait ne constitue pas une différence de nature mais bien de genre ; pourtant, il
est abondamment utilisé dans les HdC pour pouvoir être inclus en tant que genre
propre.

140
b/ L'image fixe dessin, peinture
i) origine de l'histoire de l'art P
ii) origine diverses (écritures) Px

c) L'image mobile
i) L'image mobile cinématographique I
iv) image mobile de cinéma accompagné du son d'origine Is
v) L'image mobile vidéo Iv
vi) Lʼimage plateau, tournage spécialement pour le film ITP
vii) L'image mobile vidéo (non issue du domaine de l'art) TV IMVx
vii) Autre types de reproductions (peinture, dessin, ordinateur) IMV
d/ Sons
ix) Son Seul (bruitage, effets, voix-off) SS
x) Son origine cinématographique Bande Son BO
xi) Son accompagné de son image de référence iS

D) LES OEUVRES ÉCRITES CITÉES


i) extrait de texte
b) titre ou nom de l'auteur énoncé par JLG
c) titre ou nom de l'auteur reproduit
en banc titre, carton
d) extrait de textes en carton (génétitres)
e) portrait de l'auteur
f) banc-titre de pages du livre ou titres de couverture du livre.

E) LES MUSIQUES (suite de C/d) des sons


a) identifiée (avec ou sans paroles)
b) non-identifiée (type alors ou genre + instrument)
c) bruitage
d) portrait de l'auteur interprète.

141
DEUXIÈME PARTIE
GÉNÉALOGIE 2 : ANTÉCÉDENTS

CHAPITRE UN / LES PRÉDÉTERMINATIONS ESTHÉTIQUES INTERNES


1/ FORMATION DES CATÉGORIES DE PRODUCTION (CRÉATION DE LʼANNEXE 1)
2/ LA PRODUCTION ANTÉRIEURE AUX HDC
3/ LES PRÉDÉTERMINATIONS ESTHÉTIQUES INTERNES EN FORME DE DÉSIR
4/ DÉVELOPPEMENT DE LA FORME GESTUELLE
5/ SURDÉTERMINATION DU FILM

IRREDUCTIBILITÉ DE L'ŒUVRE
Cette étude n'a ni la prétention de l'exhaustivité, ni celle d'établir l'importance des
conséquences historico-esthétiques des films de Godard sur l'ensemble du Cinéma, ni
encore moins de repérer théoriquement des motifs comme la reprise ou la répétition.
Nous nous sommes concentrés spécifiquement sur le film Histoire(s) du cinéma, sur
l'origine de sa constitution (sa généalogie), par l'entremise de pratiques du cinéaste qui
l'ont conduit à désirer puis à filmer cette histoire du cinéma.
Envisager l'œuvre de Godard dans lʼimmensité de ses pratiques n'est pas une entreprise
anodine. Elle pourrait correspondre à la rédaction de multiples sujets de thèse. Ayons en
mémoire cette immensité pour ne pas céder à la généralisation, ce à quoi l'étude de
Godard incite périodiquement aux exégètes fourvoyés.

Si un nombre conséquent de commentateurs1 s'évertuent à effectuer une partition


temporelle, —entrant plus en détails dans le chapitrage proposé par le cinéaste— par
périodisation du corpus des HdC, cela sʼavère être rarement lié à une disposition interne
au film mais opérée le plus souvent par un souci de clarté rédactionnelle ou éditoriale2.
Nous verrons que peu se sont justifiés du découpage arbitraire des séquences3. Ils se
contentent de quérir une signification transcendante puisque c'est le commentaire de
leur propre montage et confrontation qu'ils effectuent. Leur étude nous renseigne mieux
peut-être sur leur état d'esprit consécutif au film que du mouvement du film lui-même

1
. C'est par souci de clarté mais aussi d'équité que nous avons principalement reporté à la 3ème partie :
Critique des représentations, les différents travaux d'écritures impliquant les participations subjectives au
film.
2
. Les différentes éditions en DVD du film nécessitaient une élaboration dʼun morcellement par séquences,
parce que ce support lʼimplique.
3
. Jacques Aumont, Amnésies, Paris, Ed P.O.L. 1999. p.247 : présentant un résumé, Aumont, à la fin de
son livre, justifie :“Comme le voyageur qui rêve sur les ruines (...) peut avoir besoin, malgré tout, d'une
carte IGN”.

143
vers eux. Et nous savons, pour avoir fréquenté , comme eux, le film assidûment, toute la
difficulté qui réside à savoir se détacher de ses propres projections, de ses propres
pensées, illusions que l'on placent devant le film. Car la forme de ce film étant singulière,
il nous dispose à vouloir le concevoir singulièrement tout autant. Comme cela a été
énoncé précédemment, sans méthodologie préalable, on instaure un savoir sans voir.
Aussi pour savoir tout en ayant vu, par souci de précision dans le présent propos, cette
étude de la production requiert une volonté de trouver et de retrouver des éléments
constitués dans les films précédents de Godard et dans son travail d'écriture critique
effectué en majeur partie avant ceux-là. Ces éléments viendront attester la position fiable
désirée face au film, parce quʼils ont déjà été à lʼœuvre dans ses films.

Ces éléments de production filmiques, textuels voire gestuels sont des éléments réflexifs
sur le cinéma et témoignent d'une prédisposition, de son désir dʼhistoire du cinéma,
jusqu'à sa réalisation filmique.

1/ FORMATION DES CATÉGORIES DE PRODUCTION

A/ CRÉATION DE LʼANNEXE 1
Les éléments réflexifs apréhendés dans les différentes formes décrites suivantes,
constituent les catégories de production.
C'est la pratique du cinéma dans son ensemble qui, chez Godard, engendre le
mouvement de cette continuité désirable, et qui constituera la partition d'une annexe.
La production de Godard peut se décomposer en différentes catégories artistiques qu'on
disposera ultérieurement en références en créant cette première annexe :
—Production écrite
—Production filmique
—Production gestuelle. Intervention. Parole. Incorporation.
programmer, monter, schématiser, dessiner, jouer (acteur).

144
B/ CRÉATION D'UN CLASSEMENT DE RÉFÉRENCES PAR CATÉGORIE
PAR UNE MISE EN ANNEXE DE LA PRODUCTION.

L'ensemble de la production de Godard est d'une telle ampleur — il y a à peu près 200
éléments référencés pour l'écrit et 90 films — qu'il nous a semblé plus simple et judicieux
de séparer ce classement du corpus de la thèse, en créant une annexe qui regrouperait
l'infrastructure de ce travail de classement et de repérage des prédéterminations.

SÉPARER LE CORPUS DU CLASSEMENT DES ŒUVRES PASSÉES :


POUR LA MISE EN ÉVIDENCE DE L'ACTUALITÉ DU FILM &
UNE RÉFÉRENCIATION CONCRÊTE ET IMPLICITE.

L'émargement de ce corpus, ayant donc plusieurs centaines d'occurrences, va nous


permettre un gain de place propice au développement nécessaire de notre troisième
partie consacré au système des représentations du film4.
Lʼautonomie de ce document permet au lecteur dʼaccéder aux références avec une plus
grande maniabilité. Ce système de séparation en volumes nous concède de prendre une
nouvelle distance sur le film. Une des opérations les plus ardues consiste à départager
ce qui appartient en propre à l'actualité des HdC, face à lʼensemble des autres travaux
de Godard. Sans pour autant se couper radicalement de sa prédétermination, notre
tentative d'interprétation du premier épisode et la réflexion autour des représentations
critiques des HdC, vont, au contraire, être continuellement enrichies par cette partition.

ECRITURE, MONTAGE, MIXAGE ET PROGRAMMATION


Le trajet de la collection de ces documents mis en annexe suit un ordre chronologique
car la disposition continue de ces pratiques de production artistique se sont avérées
réparties dans le temps. Il y a dʼabord eu le travail de lʼécriture critique qui sʼest presque
totalement interrompu lorsque Godard a commencé à tourner des films. Puisqu'il s'agit
de retrouver des traces, des collections et des mouvements, il a semblé logique
d'effectuer une présentation de cette succession, afin d'être fidèle à la réalité de la
continuité temporelle de la production hétérogène de Godard.

LA DISSOCIATION DES CATÉGORIES DE PRODUCTION EST RÉPARTIE DANS LE


TEMPS
4
. De plus à partir de cette mise en annexe, nous pouvons opter pour un interlignage plus serré et une
police plus petite.

145
Tout l'enjeu de la constitution de cette annexe consiste pareillement à essayer de
réfléchir hétérologiquement sur ces pratiques autres, qui peuvent être en rapport avec le
cinéma ou l'écriture de l'histoire, sans toutefois en être la fonction centrale et homogène.
Rappelons quʼune pratique historique demeure homogène en premier lieu à lʼécriture de
celle-ci, autant que la pratique du cinéma est liée avant toute autre au filmage5.
Ce que va faire Godard, c'est entériner l'inversion de ces pratiques homogènes : Aussi
commencera-t-il par

LA PRATIQUE DU CINÉMA PAR L'ÉCRITURE (CRITIQUES)


puis
LA PRATIQUE DE L'HISTOIRE PAR LE FILMAGE (HdC).

2/ LA PRODUCTION ANTÉRIEURE AUX HISTOIRE(S) DU CINÉMA

A/ PROBLÈME DE LA DÉTERMINATION DU FILM

Comme nous lʼavons déjà exposé dans l'introduction générale, la relation, établie entre
cinéaste, film et spectateur, ne peut se définir comme une détermination car elle est en
mouvement, mouvementée même.

Si une détermination du film est envisageable dans le cadre de l'étude de sa production,


ce serait fondé sur la possibilité d'une issue définitive de l'œuvre. C'est-à-dire une étude
qui réduirait le film à un ensemble statique perçu. Ce statut dʼensemble lui ôte par là
même, ce en quoi elle est une œuvre. Évidemment, si un film peut bien contenir des
éléments statiques voire permanents lorsque nous cherchons à le rapporter à sa totalité,
nous admettons quʼelle contient autant d'aspects visibles qu'invisibles. Lʼœuvre est
œuvre par ce quʼelle est sur ce point infigurable dans sa totalité6. Si elle nʼéchappait pas
à toute définition esthétique totalisante, cette action serait à peu près comparable à la
pratique de la vivisection. Cʼest-à-dire que la menée de la détermination emmènerait
5
. Jay Leda et Claude-Henri Rochat, Kino, Histoire du cinéma russe et soviétique, Lausanne, Ed. lʼAge
dʼhomme, 1976. p.186 : La pratique de Poudovkine ou Koulechov d'un cinéma sans filmage (film sans
pellicule) dû à la raréfaction, puis disparition de la pellicule pendant la 1ere guerre mondiale en Union
Soviétique, infirme le truisme.
6
Georges Didi-Huberman donne, pour une définition de cet infigurable, le nom d “ouverture“, partie
fendue, déchirée de la représentation de l'œuvre. Georges Didi-Huberman, Devant l'image, Paris, Ed. de
Minuit.1990. p.171/73.

146
lʼœuvre jusquʼà un point de non retour de lʼentendement, un statut précaire où la propre
réalité du film serait mise en danger. Aussi la condition de survie de lʼœuvre consiste à
échapper à toute figuration7, aux expériences que lʼon fait dʼaprès elle, et ainsi à toute
détermination. Le cinéma est un art dans la limite de sa contrainte représentative8.
Lʼétude du film en elle-même offre cette contrainte si l'on passe par des déterminations
en vue dʼune multiplicité de représentations. A lʼinverse, c'est aussi la limite de sa
résolution, car la détermination clôture le film à la seule signification quʼelle a dégagée.

Il s'agit ici, de différencier, le mouvement de détermination avec le travail exégétique que


nous produirons en Troisième Partie de notre étude. Ce travail sera produit en raison
d'une surdétermination qu'il conviendra de distinguer .

Face à ce paradoxe — sans détermination pas de savoir possible, mais avec elle c'est le
voir qui n'est plus en place —, Georges Didi-Huberman rappelle la force dialectique de
cette formule : Savoir sans voir ou voir sans savoir, au moment même où il interroge la
capacité de l'historien face à une œuvre d'art et précisément à sa méthode et de son
évolution quant à sa discipline.
Savoir sans voir c'est la perte du réel de l'objet dans la clôture symbolique du discours
qui réinvente l'objet à sa propre représentation, caractérisons-la par la vanité.
ou bien si on décide de voir, cela serait voir sans savoir, caractérisé par lʼignorance, car
l'objet du voir éventuellement touché par un bout de réel, disloquera le sujet du savoir,
vouant la simple raison à quelque chose comme une déchirure9.

Aussi son exemple devrait nous conduire à inclure une notion de temps à notre
problème.
Si la notion de temps intervient dans l'analyse d'un même objet, c'est se donner la
possibilité de dédoubler sa vision comme celle de dédoubler sa réflexion. Puisque
devant nous, le film, lui aussi, est en mouvement dans le temps. Alors, la seule
possibilité de placer du temps entre nos deux savoirs consiste à scinder notre analyse.
Cela justifie de se placer avant la possibilité de sa détermination (une pré-détermination)
puis de revenir après qu'elle soit passée (sur-détermination)

7
. Georges Didi-Huberman, Devant l'image, Paris, Ed. de Minuit.1990. p.173.
8
. Jacques Rancière, Le destin des images, Paris, La fabrique. 2003.p.129.
9
. La formule et les deux citations proviennent de :
Georges Didi-Huberman, Devant l'image, Paris, Ed. de Minuit.1990. p.172.

147
En vue de nous interroger sur le moment de notre détermination, nous proposerons une
double approche spéculative de lʼobjet, qui pourra se recouper dans la virtualité de son
déroulement en plusieurs points d'intersections.

SPÉCULATION DIALECTIQUE FACE AU PROBLÈME DÉTERMINANT DE LA


PROJECTION : AVANT / APRES.
Cette approche spéculative10 sʼaccomplit sur un mode dialectique. les deux spéculations
sont placées symétriquement sur la ligne du déroulement du temps filmique.
Lʼaxe déterminant la symétrie est la projection : moment décidé de la manifestation du
phénomène ainsi que lʼespace (la salle de cinéma) qui accueille lʼévénement. Lʼacte de
la projection correspond au fait cinématographique11. Le film, lui, est donc étudié sur ce
principe décidé de la représentation de sa réalité.
Dʼun côté, le lieu et le moment sont des faits cinématographiques interchangeables non
entre eux mais avec dʼautres phénomènes, —et les HdC sur ces multiples supports,
vidéo, télévision, livres le confirment—.
De lʼautre, la connaissance du fait filmique, (le film en tant que tel), va pouvoir sʼétablir à
partir dʼune résolution des deux approches opposées. Le processus de lʼétude
sʼaccomplira dialectiquement par la résolution des oppositions du temps, de lʼavant avec
lʼaprès.
Les éléments concrets, qui ont conduit le film à être ce qu'il est aujourd'hui, supposent
plusieurs provenances. Ils vont pouvoir nous fournir toute une série d'éléments formels
qui permettront de mieux comprendre le film ainsi que son ordonnancement esthétique.

B/ PRÉDÉTERMINATION INTERNE DU FILM

LES PRÉDÉTERMINATIONS INTERNES PROVIENNENT DE LA CLASSE INDIGÈNE.


Ces éléments en provenance, issus comme influence directe, se regroupent sous le
concept d'une prédétermination. Ils peuvent à minima se diviser en deux classes. Une
classe exogène et une classe indigène.

10
Comme nous lʼavons exprimé précédemment, il sʼagit de dédoubler sa vision (spéculaire) et de
dédoubler sa réflexion (spéculatif), le terme de spéculation, utilisé à bon escient fait correspondre
heureusement notre vision du film avec notre réflexion.
11
. Gilbert Cohen-Séat, Essai sur les principes dʼune philosophie du cinéma, Paris, Ed. P.U.F. 1946. p.19.

148
LA CLASSE INDIGÈNE
La classe indigène comporte des éléments provenant de l'œuvre même de Godard sans
faire partie toutefois des HdC. Les éléments sont produits par Godard lui-même et
antérieurs aux Histoire(s) du cinéma. — Laissons volontairement la classe exogène de
côté. Elle suscitera plus tard quelques développements.

Les éléments de la classe en provenance de lʼœuvre de JLG se nomment les


prédéterminations internes. Elles sont logiquement lʼune des ressources de la formation
généalogique du film, jusqu'à l'observation de la formation des strates qu'elles
produisent.
L'appellation élément de production indigène, correspond à un élément produit par
Godard et constituant les prédéterminations internes ; cet élément est issu de ses
différentes pratiques productives, quʼelle soit écrite, filmique ou gestuelle (regroupant
des activités autres que les deux précédentes (programmer, monter, schématiser,
dessiner, interpréter)

Les éléments de production écrite —sa pratique de l'écriture—, ont principalement été
effectués aux débuts de son métier. Il y a la rédaction des critiques de cinéma et les
rares synopsis du tout début. Rares car il abandonnera cette pratique liée au projet
filmique. Pour se mettre en rapport avec des producteurs, et réaliser les films souhaités,
Godard n'écrira plus de scénario in extenso. Ses projets filmiques, pour la plupart,
circulent de la production écrite à la production gestuelle. Ces projets ont différentes
formes de présentation, comme on lʼavait vu pour les projets des HdC : soit sous la
forme de collage (Projet inabouti de ONE AMÉRICAN MOVIE, 197912) ; soit sous la forme
d'un film pilote13, (PETITES NOTES À PROPOS DE JE VOUS SALUE MARIE14) ; soit encore
sous la forme dʼun tableau synoptique, une grille15qui, selon son auteur, montre les
thèmes abordés, partie par partie, (FRANCE TOUR, DÉTOUR DEUX ENFANTS, 1977/7816).
12
. Ref.176a. “The Story”. dans Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard , [volume.I], Paris, Editions de
l'Étoile.1998.p.418. . Indiquons comme c'est la première référence de JLG PAR JLG dans cette partie que
les références seront prises en permanence dans l'édition la plus récente (celle qui est en deux volumes)
car c'est la plus complète.
13
. Un film-pilote ou pilote est un terme issu du vocabulaire de production audiovisuelle, il désigne le film
prototype, ou le numéro zéro d'une série d'un feuilleton, en vue de sa présentation pour la recherche de
financement.
14
. Ref.Film52. PETITES NOTES A PROPOS DE JE VOUS SALUE MARIE. 1983.
15
. Grille est un terme employé par Godard pour désigner son Projet télévisuel FRANCE TOUR DÉTOUR,
DEUX ENFANTS [Ref.Film45 (Co-réal AM Miéville, 1977/1978)]. PROBLÈMES AUDIOVISUELS. n°13.
05/06-1983.Ed. La Documentation Française/INA. p.53.
Ref.Film45. (Co-réal AM Miéville, 1977/1978). Dans la seconde partie un développement est consacré à
la pratique schématique.
16
. Ref.Film45. (Co-réal AM Miéville, 1977/1978)

149
Les éléments de production filmique ne proviennent pas seulement de la fonction de
cinéaste mais peuvent aussi provenir de ces qualités de producteur, ou de monteur.

Le problème reste posé quant aux HdC, qui, comme la pratique de la parole, traversent
les différentes sectorisations de la production. C'est dans la Troisième partie de cette
étude que les formes projectives des HdC seront étudiées en tant que représentation
selon leur diversité.

C/ PRÉDÉTERMINATION EXTERNE DU FILM


L'IMPASSE DES PRÉDÉTERMINATIONS EXTERNES
Revenons pour un instant à la définition de la classe exogène des éléments
prédéterminés du film.
Les prédéterminations se définissent comme les éléments concrets et influents qui vont
décider Godard à rendre réel le film désiré. Rendre réel signifie contribuer à le réaliser.
Elles peuvent, on l'a vu, se diviser en deux classes. La première classe, qui concerne les
prédéterminations internes, est indigène. La seconde, la classe des prédéterminations
externes, est exogène.

LʼÉLÉMENT EXOGÈNE DIRECT : EXTRAITS DE FILM, TEXTE, MUSIQUE…


Les prédéterminations externes correspondent aux influences extérieures à la propre
production de Godard. Elles sont directes par l'emprunt d'un style ou copie d'une
structure, dans la mesure où elles sont nommément désignées17 ou explicites au
moment de son apparition dans le film. Le problème de cette classe est dû à lʼessence
du film qui est un film de montage, dit autrement un film fait dʼéléments externes à la
production de Godard. Cʼest-à-dire un film fait avec des extraits dʼautres films,
préexistants. Cʼest donc lʼensemble de la classe exogène qui est menacée de se
retrouver directement dans le film dès que le désir de Godard se manifeste vers celle-ci.
En effet pourquoi se priver de placer un élément dans les HdC sʼil suscite de lʼintérêt,
puisque le film entier a pour principe dʼutiliser des éléments externes ?
17
. Nous sommes conscients de toute l'ambiguïté que le terme désignation (d'un titre du film ou d'auteur)
opère, car il n'est absolument pas garanti, (pour l'élément référé), quʼêtre cité le fasse appartenir
systématiquement à la classe prédéterminante. Affirmons pour le moment que cela doit être explicite.
Godard on le verra ultérieurement, ne cite pas souvent ses sources directement, ou bien s'il les cite, il lui
arrive même de se tromper sciemment, falsifiant ainsi l'origine de la citation. Cʼest l'exemple célèbre (mis
en exergue par Bernard EISENSCHITZ) de “Howard Hughes producteur de Citizen Kane ” [HdC.1a.toutes
les histoires. p.40] (alors qu'en 1941 la RKO ne lui appartenait pas encore) peut nous faire comprendre
son mode opératoire. Bernard EISENSCHITZ, Une machine à montrer l'invisible, CAHIERS DU CINÉMA
n°529. 11/1998.

150
Tout élément, texte, film qui pourra intéresser Godard ne peut être strictement
prédéterminant, car si le film intéresse Godard, il lʼutilisera, on vient de le dire comme
matière directe pour composer les HdC et donc cet élément deviendra déterminant. Une
fois pris dans lʼactualité de la projection, il ne pourra être dans lʼavant qui nous
intéressait : le domaine de la prédétermination ; sinon, selon cette logique : ce sont tous
les éléments qui composent le film qui deviennent éléments déterminants et a priori tous
ces éléments déterminants sont prédéterminés par Godard au moment de la conception.
Il reviendrait à étudier alors lʼensemble du film dans sa totalité, ce qui, rappelons-le,
nʼétait pas notre objectif dʼapproche.

LʼÉLÉMENT EXOGÈNE INDIRECT : LE PRODUCTEUR DE LʼÉLÉMENT DIRECT


Mais les éléments de cette classe exogène peuvent ne pas se présenter directement
dans le domaine de la prédétermination. Cela complexifie le rapport, mais, on peut
affirmer que si ce nʼest pas un élément (comme une œuvre par exemple) qui influence
Godard, cela peut être, assurément, la personne qui a produit cet élément. En ce sens,
une personne (productrice dʼéléments) pourra influencer Godard sans que lʼune de ses
productions ne se retrouve directement (réellement) dans les HdC.
Ce qui, dit en passant, paraît aussi un peu absurde, pourquoi vouloir sʼintéresser aux
seuls éléments prédéterminants externes non présents dans le film ?
Mais continuons jusquʼau bout notre raisonnement.

Il se trouve que lʼélément prédéterminé externe peut être dans une relation indirecte
donc personnifiée. Pour ce cas, deux solutions se présentent en vue de la
personnification. Soit premièrement cʼest la personnification du producteur de lʼélément
direct qui entre en contact avec le film HdC. Soit deuxièmement cʼest Godard qui
sʼapproprie lʼélément direct.
Indirectement, des femmes ou des hommes, par leurs propres travaux, se constituent
comme préexistants mais dépendants de la réalisation des HdC.
Le problème posé dʼune préexistence aux prédéterminations externes se fonde de
nouveau comme limite à notre propre conception du film HdC.

Le cercle vicieux voudrait alors que soient objets d'étude uniquement des matières
filmiques ou des personnes extérieures au film, c'est-à-dire non présentes dans les HdC
(seulement préexistantes, en tant quʼinfluences), alors que le film, souvent en certaines
de ces parties, procède à l'éclairage historique de la perspective de sujets qui ont été
justement conçus comme prédéterminants pour le cinéaste.

151
D/ UN EXEMPLE : ORSON WELLES

Par souci de clarté, livrons un exemple :


Si Orson Welles est considéré comme personnalité prédéterminante au film des HdC,
nous étudierons alors le mouvement de Welles sur les HdC seules, or toute la difficulté
consistera à ce quʼaucun film de Welles ne se retrouve directement dans les HdC, tout
en affirmant sa présence18. Sinon lʼextrait dʼun film de Welles dans le film HdC sera
déterminant et non prédéterminant.
Aussi il apparaît plus clair, afin dʼétudier une éventuelle influence de Welles sur les HdC,
dʼavoir recours à lʼinfluence quʼil a déjà produite sur les films antérieurs de Godard. Par
cette proposition, on rejoint nécessairement la seconde solution de lʼélément exogène
indirect : la personnification est effectuée, non plus par le producteur dʼéléments (le
cinéaste) mais par Godard. Cʼest alors Godard qui incorpore, fait sien lʼélément exogène.
Nous pouvons étudier un des films de Godard (dont une de ses parties aurait subi une
influence wellesienne) en vue d'établir un motif d'influence sur les HdC. Cela sera une
prédétermination interne.

On peut ajouter, en fin de ce développement, que les prédéterminations de la classe


exogène, ont un destin hétéronome car elles se déterminent selon des intérêts externes
aux leurs. Elles doivent bénéficier des conditions de la classe indigène pour pouvoir être
étudiées.
On peut commettre une véritable erreur d'appréciation. Il s'agit de connaître le lieu de la
production de notre propre parole, savoir d'où l'on parle19. Puisque l'on se place du point
de vue des HdC, alors il est fondamental d'étudier la primauté de la classe des
prédéterminations internes. Si l'exemple d'Orson Welles a été pris, c'est qu'on trouve
cette répercussion des prédéterminations internes dans un mouvement d'influence
attesté sur la ligne :

MAGNIFICENT AMBERSON - LE MÉPRIS - HdC.


Admettons, par principe, cet exemple du lien entre ces trois films. (Il est amplement
développé en Annexe 1, Ref.Film.14.LE MÉPRIS.1963). On comprendra que faire
l'économie de l'étude du MÉPRIS, revient à courir un risque de mésestimation, voire de

18
. Il ne sʼagit pas dʼaffirmer quʼil nʼya pas dʼextraits de films de Welles (déterminant) dans les HdC, mais
dʼétudier lʼinfluence de Welles dans les films de Godard avant les HdC.
19
. Serge Daney, “Travail, lecture, jouissance”, CAHIERS DU CINÉMA n°222. 1969.p.40.
. Michel de Certeau, L'écriture de l'histoire, (1975), Paris, Ed. Gallimard. 3eme Ed. Folio/Histoire, 2002.
p.95 : "connaître le mode de la place particulière d'où l'on parle."

152
fourvoiement, parce que nous aurons ignoré une étape fondamentale dans le processus
de lʼinfluence de Welles sur les HdC.

3/ DES PRÉDÉTERMINATIONS ESTHÉTIQUES INTERNES EN FORME DE DÉSIR

La classe des prédéterminations internes est une classe interne esthétique. Esthétique
parce qu'elles sont présentes antérieurement dans différentes données formelles qui
vont composer la dimension conceptuelle des HdC. Par la suite, elles seront des "pistes"
relatives aux surdéterminations du film.
Ces éléments prédéterminants sont constitués comme autant dʼéléments esthétiques
réflexifs. On peut tenter de les retirer de l'hétérogénéité composite de l'œuvre de
Godard.

LES PRÉDÉTERMINATIONS ESTHÉTIQUES INTERNES


SONT COMPOSÉES SELON TROIS SORTES D'ÉLÉMENTS RÉFLEXIFS

A/ FORME ÉCRITE
Soit l'élément se présente sous une forme écrite. A cette occasion, une étude critique est
menée, démontrant, par l'isolement d'un certain nombres de phrases, comment elles
sont révélatrices de la pensée de Godard et, systématiquement, on constate la déviation
de la fonction première de l'objet (critique de film ou établissement dʼun résumé) vers un
discours sur le cinéma en général. C'est le premier mouvement de désir de Godard,
repérable, en vue de la constitution des HdC.

B/ FORME FILMIQUE
Soit l'élément est sous forme filmique, (d'images et/ou des sons) et, tel qu'il est conçu, il
peut s'apparenter à la formation dʼune matière en vue de représentation artistique ; il a
en lui-même la mémoire de sa destination. C'est le deuxième mouvement de désir de
Godard, puisque cet élément en mouvement est accompagné de la représentation de
son but.

153
C/ FORME GESTUELLE
Enfin, soit l'élément est sous forme gestuelle. La forme gestuelle est le geste de Godard
repérable sur des pratiques autres que celles de la forme filmique ou de la forme écrite.
Habituellement, les études universitaires cinématographiques se concentrent sur une
mise en valeur des deux premières formes (écrit et film). La forme gestuelle étant plus
rarement considérée voire sollicitée, il convient ici de développer un peu plus sa
définition.

4/ DÉVELOPPEMENT DE LA FORME GESTUELLE

La forme gestuelle est la possibilité de trouver des traces de pratiques autres que celles
que Godard utilise habituellement. Cʼest-à-dire autre que l'écriture ou le filmage. On voit
que pour obtenir la liste de ces pratiques :
LA FORME GESTUELLE FAIT PARTICIPER NÉGATIVEMENT LE CINÉMA ET
L'ÉCRITURE ENTRE EUX.

Pour mieux saisir ce parallèle dialectique, il faut accepter quʼil y ait deux domaines dans
lesquels les pratiques se déroulent : LʼHistoire et le Cinéma.
Parce que cʼest à partir dʼune double possibilité dialectique de lʼhistoire du cinéma, que
la production de Godard va pouvoir s'effectuer.

LE CROISEMENT DES PRATIQUES


On peut, par la suite, trouver une ligne de partage selon les pratiques affiliées aux deux
disciplines, plaçant l'écriture et l'histoire d'un côté et filmer et le cinéma de l'autre. Le
geste devient alors l'interaction humaine associant les deux côtés, voire un croisement
des pratiques (le geste de filmer lʼhistoire et dʼécrire sur le cinéma) dans son résultat, sa
participation négative. Ainsi on obtient :

154
A/ PENSER LE CINÉMA AUTREMENT QUE PAR L'ÉCRITURE.

a/ La pratique de la parole.
LA PAROLE PEUT ADOPTER TOUTES LES FORMES
Toutes les activités godardiennes ne se sont pas non plus parfaitement sectorisées. Il y
a évidemment des procédés qui se retrouvent à cheval sur plusieurs pratiques, nous
pensons par exemple précisément à l'activité de la parole.
L'activité de la parole peut se retrouver, soit dans les films et elle devient forme filmique,
soit, lorsqu'il faisait cours à Montréal en 1976, attribuée à la fonction d'historien de
cinéma, et elle devient forme gestuelle ou bien encore lorsqu'il intervient en direct au
Journal Télévisé pendant la guerre des Malouines. Elle participe encore à une forme
(gestuelle) d'intervention qu'on aurait tort de croire superficielle parce que non filmique20.
Si un de ces entretiens était retranscrit, la parole deviendrait alors forme écrite. C'est
pour cela que nous avons compartimenté l'ensemble des retranscriptions de ses
entretiens 21 qui appartiennent doublement tant à la forme gestuelle qu'à celle écrite.22 Il
ne s'agit finalement que d'une appréciation du temps pour que le statut de la parole
change de forme.

On notera la particularité du statut de la parole pour le cas de Godard. Nous lʼincluons


principalement dans lʼensemble de la forme gestuelle car nous privilégions le caractère
dynamique et matériel de la haute voix. Produite par le corps qui énonce, elle traverse
lʼespace vers les autres. Elle entre dans la catégorie dʼun geste du corps. On verra, un
peu plus loin, au chapitre 2, que la parole est lʼun des éléments les plus importants de la
forme gestuelle car productrice de pensées.

b/ La pratique du montage, pratique du collage


C'est l'extension du terme montage, qui nous intéresse. La pratique peut aller au-delà
que celle du montage traditionnel dʼun film (un plan avec un autre). Le montage peut être
aussi considéré comme une pratique indépendante de l'opération de la réalisation,

20
. Antenne2. Journal de 13h. 10/05/1985. Godard arrivera à forcer le présentateur Philippe Labro (qui joue
dans MADE IN USA) à dire, ce qu'il estime comme le seul aveu d'honnêteté pour un journaliste: “Oui, moi,
Philippe Labro, je n'ai rien vu aux Malouines”, en référence à la phrase clé de Duras [scénariste de
HIROSHIMA MON AMOUR, Alain Resnais. 1958] : Tu n'as rien vu à Hiroshima, que Godard dans les HdC
déclinera sur les villes qui ont connu des sièges de bombardement : [TU N'AS RIEN VU À HIROSHIMA, À
LENINGRAD, À SARAJEVO]. HdC.4b.les signes parmi nous. pp.180-181. On y retrouve un nouvelle fois
encore le motif de l'aveuglement comme témoignage de vérité. (Ne rien voir c'est savoir).
21
. C'est principalement ses entretiens aux Cahiers du Cinéma (voir Annexe 1. B/ LA PAROLE : HUIT
ENTRETIENS)
22
. Cf Annexe 1.

155
extérieure au fait filmique : par exemple dans son acception au vocabulaire du monde du
livre. Le montage de deux photos, ou bien encore une photo avec un texte, ou encore la
confrontation de deux programmes télévisés23. Le montage peut prendre forme avec une
parole sur une photographie.
La pratique du collage, telle qu'on la voit effectuée dans SIX FOIS DEUX24, est une
pratique qui rejoint directement le montage dès que celui-ci est considéré en dehors du
cinéma. Le terme de collage est lié historiquement à une pratique des Arts plastiques.
Même s'il serait intéressant d'étudier la co-apparition des phénomènes entre le cinéma
et celui-ci. On peut d'ores et déjà le nommer montage hétérogène.

LE COLLAGE C'EST LE MONTAGE HÉTÉROGÈNE.


Pour qu'il y ait collage, il faut associer, au moins, deux éléments distincts. Les premiers
travaux plastiques de Barbara Krueger25, qui consistent à la mise en légende de photos
détournées de l'iconographie américaine des années 50, sont clairement énoncées
comme tributaire de l'esthétique des films de Godard26.

Peu de cinéastes ont revendiqué leur filiation avec Jean-Luc Godard. Il y a Philippe
Garrel27, Chantal Ackerman28, ou encore Leos Carax 29. Cette situation sʼavère paradoxale
car quand on compare ce petit groupe au grand nombre d'artistes plasticiens qu'il a
fascinés. Nommons parmi eux : Gerhardt Richter (Studio, 1989), Elke Kristufek
(Collages, 1995), John Baldessari (Rencontres, 1973), Cindy Sherman (#15-#20, 1986)
Richard Prince (Women, 2001)... Tous ont revendiqué une influence de Godard plus ou
moins grande à un moment donné de leur parcours, apportée grâce à la pratique
hétérogène du collage cinématographique.
La projection de certains de ses films à lʼoccasion de grandes expositions collectives
d'Art contemporain30 place JLG souvent comme un représentant isolé du cinéma
traditionnel, face à ce milieu-là31.

23
. Voir Ref.Film41.NUMERO DEUX. (Co-réal avec AM Miéville, 1975). C'est dans ce film, où l'on retrouve ce
principe : Godard devant la caméra confronte deux programmes différents d'images de fictions d'un côté et
d'actualités de l'autre, créant, par la persistance et la simultanéité, un nouveau sens qui dépasse les deux
programmes eux-mêmes.
24
. Ref.Film42. SIX FOIS DEUX. SUR ET SOUS LA COMMUNICATION. 1975.
25
. Artiste américaine. voir Catherine Denonchelle, “Porn in the USA”, MIXT(E) N°14. Été 2001.p.51.
26
. Rirkrit Tiranavija, DOCUMENTS SUR L'ART, Été 1996.n°9.p.91-107.
27
. ALPHAVILLE a déterminé lʼenvie de faire des films pour Garrel, selon son propre aveu. Jean Douchet,
Philippe Garrel, Paris, Ed. Cahiers du Cinéma, 1991.p.43.
28
. Philippe Garrel, LES MINISTÈRES DE L'ART. 1988.
29
. Carax a été assistant de Godard sur KING LEAR. Ref.Film60.
30
. Celles, par exemple, qui se sont déroulés seulement au Centre Georges Pompidou à Beaubourg, Paris
: MASCULIN/FEMININ : LE SEXE DE L'ART (1999), AU-DELÀ DU SPECTACLE (2002).

156
c/ La pratique de la programmation.
Associer différents films entre eux dans un dessein projectif consiste en une pratique
voisine du montage mais cette fois-ci, l'unité filmique (qui était le plan) devient le film
entier ou bien encore une séquence extraite. Lʼunité est mise en présence avec une
autre pour faire sens et Histoire. Les raccords entre ces films ou extraits de films (et non
plus entre les plans et les séquences) furent des motifs dʼétude pendant les cours
quʼHenri Langlois prodigua à Montréal jusquʼà sa mort en 1976. Son remplacement fut
proposé à Godard qui accepta. Il consentit sous la condition de prolonger32
lʼenseignement de son aîné à un niveau pratique et symbolique. Comme lui il se
définissait alors comme metteur en scène de projection de films33. Il prologea lʼaction de
Langlois en procédant dans ses cours avec le même principe performatif du geste
programmatique.

d/ La pratique du dessin, pratique de la schématisation.


Godard a toujours préféré entreprendre les projets de ses films, autrement que par la
rédaction des scénarios. Il passe volontiers à l'extérieur du rapport filmage-écriture dans
son dialogue avec les producteurs de ses films de fiction. On retrouve ses dessins, ou
ses schémas, comme contrepoint iconographique aux articles, reproduits dans de
nombreux numéros spéciaux qui lui sont consacrés.34 Ce sont des traces de sa volonté à
concevoir, schématiser, à organiser des tableaux synoptiques pour projeter ce qu'il
voulait faire. À partir des années 90, il prévoit le découpage de ses films en concevant
des story-boards en couleurs. Ce même travail graphique lui permettra dʼélaborer et de
suivre le processus de l'étalonnage en laboratoire35.

Nous essayerons, en temps voulu, de faire admettre que la pratique de la


schématisation puisse être la résultante d'une analogie, celle que Godard produit
ingénieusement : entre l'acte de dessiner et celui de prévoir un film. La technique du
31
. Nous entendons ici par traditionnel : non spécialisé, et participant pleinement aux étapes de fabrication
du système industriel professionnalisé du film. (Casting, laboratoire, auditorium, projection des films dans
le réseau de parcs de salles non spécialisées).
32
Ref.173. Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros, 1980.p.5.
33
. Entretien Godard-Buache. Préface au livre de Huguette Marquand-Ferreux, Musée du Cinéma. Henri
Langlois, Paris, Maeght-Cinémathèque Française, 1991.p.14.
Cette pratique fut réelle avec Bergala. Voir Supra Part1.Chapitre 1 2).Projet 9.
34
. “Spécial Godard - 30 ans depuis”, CAHIERS DU CINÉMA, Hors-série, 1990.
“Jean-Luc Godard : les films”, REVUE BELGE DU CINÉMA n°16, 1986. ou bien encore
“Le paradoxe du scénariste”, PROBLÈMES AUDIOVISUELS n°13, 06/1983. Ed. I.N.A./La Documentation
Française.
35
“Spécial Godard - 30 ans depuis”, CAHIERS DU CINÉMA, Hors-série, 1990.p.24. La reproduction d'une
des feuilles du story-board de NOUVELLE VAGUE (Ref.Film67.1990) permet de découvrir que Godard y
appose aussi les modifications chiffrées des couleurs du rapport dʼexposition (exposure report).

157
schéma est un moyen de projection dans l'espace comme dans le temps, en ceci
donc : LE DESSIN PRÉDESTINE.

B/ FONCTIONS CINÉMATOGRAPHIQUES AUTRES QUE LA RÉALISATION


Penser un travail sur le cinéma, quand l'écriture est déviée de sa fonction habituelle —
celle que produit le cinéaste comme auteur de scénario, et auteur de découpage—, c'est
vouloir se préoccuper de pratiques cinématographiques par l'intermédiaire d'autres
fonctions, et par lesquelles nous constatons certains positionnements de Godard à
travers le déroulement de son œuvre :

a/ Producteur
La fonction du producteur est de prévoir les films 36. Pour Godard, le producteur est lʼalter
ego de lʼaventure dʼun film, celui qui est là dès le début et qui reste jusquʼà la fin37. La
continuité de sa présence fait que cʼest souvent la seule personne avec laquelle il (je)
puisse discuter38.
Puis deux autres fonctions, liées à lʼécriture, se font face par rapport à leur emploi du
temps.

b/ Critique
La fonction de critiquer un film ou le cinéma en général, consiste à voir les films et écrire
sur leur inscription dans le temps : leur actualité.

c/ Historien
La fonction de historien du cinéma se déroule sur un même dispositif : voir des films et
écrire sur leur inscription dans le temps, leur pérennité.

36
. Voir Ref.Film200. et Ref.303, Ref.305. Godard a aidé financièrement plusieurs cinéastes au moment de
la Nouvelle Vague (Jacques Rozier, Jean Eustache).
37
. Bouillon de culture. Entretien télévisé avec Bernard Pivot (France 2, Septembre 1993).
38
. Ref.305. Propos rompus (Festival d'Avignon), CAHIERS DU CINÉMA. n°316. 1980.

158
C/ PENSER LE CINÉMA SANS FILMER.

Penser le cinéma sans filmer, c'est repérer, dans les multiples pratiques de conception
et de réalisation cinématographiques, celles qui sont extra-filmiques, susceptibles d'être
identifiées, analysées, en vue de procéder à l'élaboration de concepts et d'éléments de
réflexion. On pourrait lister un ensemble des techniques dʼécriture puisquʼelles
correspondent apparemment à la recherche hors filmique et que Godard a su démontrer
ses capacités dans ces domaines. Sans chercher donc à être exhaustif, nous pouvons
lister deux pratiques, peut-être plus réflexives et éloignées de lʼécriture du cinéma, mais
au cœur de ce que nous avons nommé forme gestuelle : La parole et lʼintervention
physique.

Le premier comme la puissance de la parole39, dans laquelle la seule vertu de


l'énonciation élaborerait une production de la pensée, et, l'intervention physique : dans la
mise en scène, il sʼagit de diriger ceux qui constituent le potentiel humain du film. Cette
dernière pratique est appliquée au moment du casting, et se retrouve théorisée dans
« Les acteurs français, de bons produits sans mode dʼemploi », un de ses articles de
jeunesse40 :

UNE POLITIQUE GÉNÉRALE DU CHOIX DES ACTEURS .


Dès son premier long métrage de fiction, Godard fait participer des cinéastes, qui
interprètent, soit leur propre personnage de cinéaste, ou soit un autre rôle, mais toujours
dans un rapport symbolique de ce qu'ils sont, ou désirent être41. Godard avait compris, et
évalué la force qui résidait à prévoir une politique générale du choix des acteurs42. Faire

39
. Il faut d'abord lire ces deux termes pour ce qu'ils expriment intrinsèquement avant de lire comme un titre
de film : Ref.Film63. LA PUISSANCE DE LA PAROLE. 1988. Film qui met en scène, pratiquement, une
nouvelle d'Edgar Poe (The Power of Words) : la parole se constitue comme une force potentielle créatrice
d'histoires. La parole incarne : ce qui est dit se met à exister. Le titre est de la traduction de Charles
Baudelaire. Edgar Allan Poe, Nouvelles histoires extraordinaires, (trad. Charles Baudelaire), Paris, Ed.
Garnier, 1961.p.206-210.
40
. Ref.A22. Les acteurs français, de bons produits sans mode d'emploi. ARTS n° 619, 05-1957.
41
. Ref.Film6. A BOUT DE SOUFFLE. 1959. Jean-Pierre Melville (cinéaste) joue le rôle d'un romancier à
succès. On peut voir à la suite de cette référence, une liste exhaustive de tous les cinéastes invités.
42
. Ref.A22. Les Acteurs, de bons produits sans mode dʼemploi. (Arts, 1957).
Ou par exemple, le choix, de la part de Godard, d'avoir pris l'acteur Akim Tamiroff dans ALPHAVILLE
(Ref.Film18), est une volonté avouée de s'inscrire dans la lignée de Welles parce que celui-ci l'avait fait
jouer dans TOUCH OF EVIL.1956. C'est un geste qui revendique sa filiation —choisir une esthétique par
lʼaction de caster (un acteur) plutôt qu'une autre— et cela a permis à un producteur comme Thalberg
d'infléchir les films dans la ligne de ce qu'il désirait créer. C'est donc un enjeu politique dont la tendance
consiste à révéler les procédés de réflexion puisqu'il invite à inclure dans une perspective historique de
filiation, Godard avec d'autres cinéastes. Wim Wenders invitant Samuel Fuller dans son film L'AMI
AMÉRICAIN.1977 qui avait déjà été invité dans PIERROT LE FOU (Ref.Film19), perpétue cette tradition

159
intervenir des gens du monde « réel » dans la fiction : ses amis auteurs, cinéastes ou
artistes, bref ceux qu'il admirait. Il sʼagissait alors de les faire entrer dans ses films, et
conséquemment dans le cinéma. On constatera que la force filmique de cette
participation est proportionnelle à son décalage car à la place dʼacteurs chevronnés,
habituels, on découvrira souvent des créateurs dont le visage est étranger au cinéma. Ils
sʼimposent à lʼécran. Par leur présence documentaire, stature, visage, ou geste, ils
sʼopposent au principe même de fiction. Le désir de Godard consiste à vouloir conserver
la trace dʼun artiste quʼil a aimé et admiré, et en cela pour que nous soyons spectateurs
dʼune autre dimension, historique, hétérogène à la fiction, qui, elle, sʼest ralentie puis se
fige. Filmer un cinéaste est un geste aux conséquences historiques et également
réflexives. (Ce point sera développé ultérieurement).

Si on retrouvait ce décalage, auparavant dans les films dʼIngmar Bergman43 ou de King


Vidor44, on retiendra que ce sont les séries télévisées —généralisant puis dévaluant par
surenchère, cette pratique— qui l'ont surnommé : le Guest Starring45. Pratique qui
déploie la possibilité d'émergence d'une force, comme nouveau moyen de faire
correspondre le cinéma avec l'histoire :

ENTRER DANS LE CINÉMA C'EST ENTRER DANS L'HISTOIRE

Lʼélément réflexif de filmer un cinéaste se retrouve sous une forme gestuelle physique.
Godard va la reprendre lors de sa propre participation physique. Nous allons maintenant
tenter de définir cette inscription ou encore incorporation, en établissant plusieurs
parcours du corps producteur.

et se signale doublement : 1) en systématisant la pratique, repris par dʼautres cinéastes (Kaurismaki, Tsai
Ming-Liang, H. Le Roux) et 2) comme continuateur de Fuller autant que de Godard.
43
. Ingmar Bergman, SMULTRONSTÄLLET (Les fraises sauvages, 1957). Cinéaste invité: Victor D.
Sjöström.
44
. King Vidor, THE SHOWPEOPLE (Mirages, 1928). Invité : Charlie Chaplin, Vidor lui-même.
45
. Voir également la liste de toutes les possibilités du guest-starring : cinéastes mais aussi comédiens,
musiciens, personnages publics, jusqu'à Godard lui-même, qui se trouve détaillée dans Annexe 1,
Ref.Film6.À BOUT DE SOUFFLE. 1959.

160
5/ SURDÉTERMINATION DU FILM.

La deuxième approche spéculaire voit le jour sous le nom d'un après de sa


détermination. Il sʼagit de lʼinfluence que le film produit, ou a produit, sur celui qui le
regarde, le considère, et y applique sa propre subjectivité. Ce à quoi nous trouvons l'effet
d'une surdétermination.
Admettre le processus dʼune surdétermination du film nous permettra de saisir le moyen
de classer les différentes positions, souvent différentes et presque à chaque fois
singulières, que le spectateur va avoir du film. C'est ici le moyen concret de conserver
les multiplicités d'interprétations que le film suscite lors de sa représentation. Parce que
cʼest à partir du moment de l'après de la projection, quʼune re-présentation mnésique
sʼeffectue, pour la personne qui va écrire. Elle va produire une trace écrite du film que
nous pourrons à notre tour observer, classer.

Le film cesse d'être la seule détermination objective de son auteur, alors sʼy ajoutent des
déterminations multiples subjectives, liées arithmétiquement au nombre des
individualités visionnantes. Surdétermination parce qu'il y a autant de déterminations que
de personnes qui ont été en rapport avec le film.46

Nous utilisons ce terme sciemment. En psychanalyse, la surdétermination possède


plusieurs significations. Celle que nous choisissons ici requiert le sens le plus
généralement admis. Autre que la formation de l'inconscient, nous estimons que le
souvenir du film peut lui aussi être envisagé comme une surdétermination, puisque le
film passant par le sujet regardant est composé d'éléments multiples qui peuvent s'organiser
en des séquences significatives différentes et dont chacune, à un certain niveau d'interprétation,
47
possède sa cohérence propre.

Il demeure important de relever justement la correspondance de ce niveau


dʼinterprétation. Nous recenserons la trace des écritures d'après le film, ses séquences
significatives différentes et proposerons une lecture cohérente du film.

46
. Vient ici le danger de dislocation dont parlait G.D.H. précédemment.
47
. J.Laplanche et J.-B. Pontalis, Vocabulaire de psychanalyse, Paris, P.U.F, coll. Quadrige.1967. p.467 :
définition de la surdétermination.

161
CHAPITRE DEUX / LE CORPS PRODUCTEUR
1/ LE CORPS GODARDIEN, PARCOURS 1
2/ LA FICTION DES MACHINES REPRODUCTRICES
3/ LE PRINCIPE D'INCORPORATION
4/ L'IMAGE DU COUPLE HOMME / FEMME, L'EMBLÊME DU FILM DES HDC
5/ LE CORPS GODARDIEN, PARCOURS 2

rappel : CHAPITRE UN/ 1/ A/ a/ i/

1/ LE CORPS GODARDIEN, PARCOURS 1


"J'ai parcouru l'histoire du cinéma, tout simplement parce que j'ai fait des films, il y a beaucoup de
48
gens qui l'ont parcouru d'une autre façon, en allant voir des films par exemple (...)."

A/ LA FABRIQUE DU CORPS GODARDIEN

Corps godardien est le terme qui va désigner le corps de Jean-Luc Godard ; son corps
est conçu comme un corps séparé de sa propre réalité, un corps utilisé et même
fabriqué49 par le cinéaste lui-même.
Comme le remarque justement Michael Temple, Godard est conscient des capacités de
communication du corps humain, du sien en particulier50. Le corps godardien fait partie,
avec son nom et sa parole, des trois outils relativement modestes et pourtant persuasifs
quʼil a à sa disposition.

Nous étudierons donc les pratiques corporelles possibles sous forme écrite, filmique ou
gestuelle, qui découlent du corps godardien. Précisons dʼemblée que dans cette
démarche, nous ne faisons pas grand cas du narcissisme ou de l'autoérotisme car cʼest
celle de nombreux artistes travaillant sur leur propre corps, la matière première51 qu'ils
48
. Ref.173. Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros, 1980.p.105.
49
. Serge Daney, Godard fait des Histoires, LIBÉRATION. 26/12/1988. Repris dans Ref.176b.Jean-Luc
Godard par Jean-Luc Godard , [volume.2], Paris, Editions de l'Étoile. 2ème Ed.1998,. p.161
Godard cite le livre de Vésale comme livre important pour établir une histoire des formes :
- André Vésale, De humani corporis fabrica (1543) [La fabrique du corps humain, traduit du latin Louis
Blankelants], Paris, Ed. Actes Sud/ INSERM, 1987.
Ref.173. Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros, 1980.p.322.
50
. Michael Temple, “Interlocutions”, Documents, Paris, Ed.Centre Pompidou, 2006.p.324.
51
. Nous prévenons sans ambiguïté que le synonyme de matière première est première matière ou encore
sujet principal (et non la matière première du corps comme si la chair humaine pouvait être utilisable
comme du charbon ou du pétrole). Nous avons utilisé à dessein ce terme —qui en 2007 peut paraître
choquant quant à l'histoire de sa pratique—, lié à lʼemploi quʼen a fait Vésale. Il ne sʼagit pas non plus de
sacraliser le corps, mais de trouver cette limite pour nous permettre de définir, justement, ce quʼest
lʼhumain.

162
ont sous la main, réalisant alors des dessins autoportraits, tel Rembrandt 52 ou encore
des textes autobiographiques comme ceux de Bernard Lamarche-Vadel53.
Le passage du nom propre Godard au nom commun godardien se produit notamment
lorsque l'on porte, sur l'artiste et son style, un avis, qui va pouvoir ensuite être reporté
sur quelqu'un d'autre54. On remarquera plus tard, dans quelles conditions, ce double
terme, (corps godardien), a été forgé par Serge Daney55 et diffère principalement du
corps réel de Godard. On peut admettre, comme premier degré de différence entre les
deux corps, lʼidée du corps godardien comme lʼimage séparée du corps réel de Godard.
Ceci une fois affirmé, nous allons constater que le corps godardien dépasse et même
transcende son statut dʼimage. Il rejoindra le corps réel de Godard, ou bien dans une
autre mesure de dépassement, Godard créera un nouveau personnage dont la réalité
attestée reste à définir.

De plus, on tentera de comprendre comment la représentation de ce corps va nous


amener à un nouveau principe performatif, celui de lʼincorporation, par lʼélaboration de
plusieurs parcours vers la réalisation des HdC. Ce principe va permettre au cinéaste
dʼélaborer un outil conceptuel réflexif et critique. Le cinéaste fait et refait la
démonstration pratique que sa voix, son visage, ses membres, son énergie et ses
actions peuvent être déployées comme outils au service de la pensée critique56. Nous
allons voir comment le corps godardien peut créer, dans les HdC, une performance
duelle pour incarner, incorporer deux personnages qui auront chacun leurs
caractéristiques.

André Vésale, De humani corporis fabrica (1543) [La fabrique du corps humain, traduit du latin Louis
Blankelants], Paris, Ed. Actes Sud/ INSERM, 1987.p.43.
52
. Rembrandt Van Ryn, (1606-1669). Illustre peintre hollandais dont un des autoportraits présents dans
les HdC figurait déjà dans LES CARABINIERS. 1963 (Ref.Film12) et devant le tableau, par son
intermédiaire, lʼun des soldats, Michel-Ange(sic) procède à un « salut à lʼartiste ».
53
. Critique d'Art et romancier français, Bernard Lamarche-Vadel est cité par Godard dans les HdC au
moment final où Godard parle de lui-même. HdC.4b.les signes parmi nous. p.290. Bernard Lamarche-
Vadel, Lʼart, le suicide, la Princesse et son agonie, Paris, Ed. Méréal. 1998.
54
. On voit ainsi lors de notre travail le style d'André Malraux obtenir l'adjectif de malducien.
55
. Serge Daney, “Le son (Elle), L'image (Lui) /La voix (Elle), L'œil (Lui)”, CAHIERS DU CINÉMA,
n°262/263, 04/1976.p.40.
56
. Michael Temple, “Interlocutions”, Documents, Paris, Ed.Centre Pompidou, 2006.p.324.

163
B/ GODARD HISTORIEN, GODARD HISTORIQUE

Tenter de retranscrire le parcours effectué par le corps de Godard (le corps godardien
donc), n'est pas opérer un relevé du calendrier de ses multiples voyages à travers le
monde. Cela consiste plutôt à percevoir et à comprendre comment, autant que la
superficie terrestre du monde, le corps godardien a su voyager à travers la superficie,
réseau complexe, du temps. Ce réseau est complexe, car sa perception en est
primitivement une conception individuelle. Il s'agit alors de prévoir certaines précautions
d'usage en vue des difficultés d'approche du concept lorsque ce principe individuel se
présente sous un phénomène introspectif57 ; quand par exemple, cette notion a pu
constituer l'élément central du Projet Zéro des HdC, son projet de film : «MOI, JE»
(1973).
Mais même avant de prendre connaissance de ce projet de film autobiographique,
comme l'indique son titre, il reste à étudier en premier lieu la spécificité de son inscription
dans le temps.

"Une vraie histoire du cinéma devrait pouvoir montrer effectivement un moment de l'histoire du
58
corps humain sous forme sociale."

LE CORPS COMME INSCRIPTION DANS LE TEMPS


On peut affirmer que ce projet «Moi, Je», même s'il n'a jamais abouti à la réalisation d'un
film, reste pour Godard, un moment dʼéclosion, un moment décisif de la connaissance
subjective (de sa propre personne).
On peut se rappeler que c'est en 1973, à la sortie d'expériences collectives (Groupe
Dziga Vertov 59) et du partage de sa fonction de cinéaste (co-réalisations
60
systématiques ), minimisant son moi (non-signature de ses films), que Godard va
essayer pertinemment de savoir qui « il » est, en se plaçant du côté d'une altérité

57
. Ref.178.18.MOI, JE, Projet de film (1973) intervient lorsque Godard effectue des réalisations collectives,
c'est une interrogation sous forme introspective, en testant sur l'évolution et les limites de son moi. Un des
chapitres s'intitulant, je suis une machine, fait participer dialectiquement son corps (de cinéaste) avec la
matérialité du cinéma (la caméra).
58
. Ref.173. Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros, 1980.p.111.
59
. Ref.Film33 - 37. (1969/71).
60
. Il ne sʼagit pas de hasard mais dʼune volonté propre : depuis LE GAI SAVOIR (Ref.Film28, 1968)
jusqu'en 1977 (Ref.Film44. QUAND LA GAUCHE SERA AU POUVOIR. 1977), Godard ne signera aucun de
ses 16 films tout seul.

164
fondamentale. Cʼest un des sens de lecture possible du titre « Moi, je ». Il redouble la
première personne du singulier et la virgule vient faire la schize61.
« Moi, je » pourrait se lire : devant Moi, un autre je.
En introduisant dans son texte un nouveau je, avec je est un autre (Rimbaud)62 et en
envisageant pour la première fois, que c'est à partir de sa propre identité, son moi, —
c'est-à-dire la représentation de son propre corps— il va pouvoir constituer le sujet, la
matière filmique, la fiction de son existence :

"Séquence 9. Moi, JLG, derrière la caméra, comme dans la séquence de LOIN DU VIETNAM,
disant et montrant avec le langage et mon corps ce que c'est que vivre à et dans un certain
63
régime."

LE CORPS GODARDIEN SUJET ET ENJEU DE LA REPRÉSENTATION HISTORIQUE


Cette volonté d'introspection filmique va tout d'abord être envisagée comme une
conception du cinéaste (Godard en tant que corps) à vouloir s'inscrire dans un temps
donné, le temps de l'histoire. On comprendra aussi qu'il associe la fonction de cinéaste
(signer seul un film) avec l'exercice de la solitude64.

DEUX MODES D'INSCRIPTION DANS LE TEMPS HISTORIQUE :


OPÉRATION CINÉMATOGRAPHIQUE ET RECONNAISSANCE PUBLIQUE.
"Devenir immortel et puis mourir"65
Jean Epstein a su montrer que l'opération cinématographique possède en soi la capacité
de dépasser la perception humaine de lʼécoulement du temps. Cʼest une capacité
machinale66 de traverser le temps. Cette traversée du temps, —autre qu'une résurgence
simple du passé se projetant sur le présent—, signifie que la machine-cinéma dépasse
la vision de ce dont l'œil humain est capable, grâce aux ralentis ou accélérés. Elle

61
. Schizo est un suffixe qui revient souvent dans les écrits de l'américain Burroughs. Rappelons
simplement que l'expérience répétée d'usage de psychotropes l'ont habitué à opérer une dissociation de
l'esprit sur son corps. Cet usage perçu comme mutilation et autodestruction convoque à lʼesprit toutes
sortes dʼexercices psychiques : résister à la souffrance, abstraire la sensitivité du corps et entretenir la
confusion entre sommeil et réveil, rêve et réalité.
62
. Ref.178.18.Moi, Je. Projet de film (1973). p.225.
63
Ref.178.18.Moi, Je. Projet de film (1973). p.207. En effet dans LOIN DU VIETNAM, film collectif à
sketchs rassemblant différentes collaborations de cinéastes, Godard va utiliser pour la première fois son
image de cinéaste : le banc-titre d'une photographie de lui-même derrière une caméra et sur laquelle il
parlera en voix-off. Pour plus de détails voir Ref.Film24. CAMÉRA ŒIL. 1967. (titre du sketch dont il est
issu). Godard réemploie cette photo dans les HdC 3b.une vague nouvelle. p.157.
64
. Ref.94. Bergmanorama, 1958 : Etre seul, c'est se poser des questions, faire des films c'est y répondre.
65
. Dixit Parvulesco, romancier (alias Jean-Pierre Melville jouant le rôle) interviewé à Orly par Jean Seberg.
. Ref.Film6. A BOUT DE SOUFFLE. 1959.
66
. Jean Epstein, Le cinéma du diable, Paris, Ed. Julliard.1946.p.112.

165
défriche des zones de visions autrefois encore inaccessibles67. C'est l'édification d'un
principe magique du temps, parallèle au temps humain. Godard aussi, plusieurs fois
dans ses films, mit en scène ou énonça cette expérience magique d'un temps parallèle68.
Mais nous allons également nous intéresser aux actions du cinéaste sur son versant
historique.
Tout d'abord, nous relevons les traces de sa volonté à s'inscrire dans une
contemporanéité, par le désir d'être connu en cinéma, reconnu publiquement. Elles
correspondent à l'inscription de Godard dans l'histoire, dans l'histoire du cinéma, et ainsi,
dans sa propre histoire, comme lui rétorquera Serge Daney :

"(…) le moment précis/ de votre apparition/ dans une histoire/ (…) constituer soi-même son
69
histoire/ savoir/ qui vient après vous/ la seule occasion de faire/ de l'histoire"

C/ LA CONFUSION DES SENTIMENTS DU CINÉMA

Très tôt dans sa propre vie, Godard a eu conscience de l'incidence entre le déroulement
de sa vie —dont il pourra faire le récit, devenant son histoire personnelle— et le
déroulement historique du cinéma. Il sʼagit pour nous de mettre en valeur cette
dichotomie. Le récit de sa vie fut, pour plus d'une fois (on vient de le voir avec Moi, Je),
une matière potentielle pour la fiction de ses films.
L'exemple qui correspondra le mieux à lʼactualité de ses débuts, lui est fourni par Ingmar
Bergman et également par Roberto Rossellini70. En faisant tourner les femmes quʼils

67
. On retrouve ici le désir de Dziga Vertov, résumé par son célèbre KINO-GLASZ, ltraduit par a caméra-
œil, repris en titre par Godard pour le court-métrage qui utilisait pour la première fois son image de
cinéaste.
Ref.Film24. CAMÉRA ŒIL. 1967.
68
. Le meilleur exemple reste l'histoire contée du Portrait ovale d'Edgar Poe dans le film VIVRE SA VIE. De
plus, comme pour en souligner l'importance, cette histoire est énoncée en voix off, par Godard lui-même.
en imposant sa voix à la place dévolue au comédien masculin qui devait raconter cette histoire face à
Nana jouée par Anna Karina. Dans cette substitution, il prend la place du comédien et cela devient tout
autant fictionnel que réel puisqu'il parle à lʼactrice Anna Karina, sa femme.
Le portrait ovale retrace comment le temps du façonnage dʼune toile vampirise (se substitue) au temps du
modèle peint, jusqu'à la faire mourir au moment de la touche finale. Pour Poe, la vie est le compte à
rebours du temps de l'art. La vie est le trajet négatif de celui de lʼart.
Edgar Allan Poe, Œuvres en prose (établie par Y-G. Le Dantec) coll. La Pléïade. Ed. Gallimard. 1932.
Ref.Film10. VIVRE SA VIE. 1962. qui montre comment l'art se substitue à la vie en lui supprimant son
accès au temps.
aussi Ref.Film67.NOUVELLE VAGUE. 1990. où le personnage principal revient d'entre les morts.
69
. HdC.2a.seul le cinéma. pp.23 -24.
70
. Si Jean Renoir avec Catherine Hessling, Sacha Guitry avec Jacqueline Dellubac sont des figures
tutélaires, John Cassavetes avec Gena Rowlands ou Claude Chabrol avec Stéphane Audran, sont les
figures parallèles.

166
aiment et avec lesquelles ils se sont mariés, Ils confondent sciemment leur vie avec celle
des films. L'acte de filmer Anna Karina (sa femme) devient alors un acte d'amour. On
assiste à une possibilité de substitution érotique : la machine devenant un instrument
phallique.

FÉTICHISME DE LA CAMÉRA
L'hypothèse dʼun double statut de la caméra se présente comme suit : dʼabord son statut
réel de machine reproductrice de réalité et ensuite son statut symbolique avec sa
possibilité de fétichisation substitutive en phallus. La caméra de cinéma comme symbole
mortifère71 et érotique exprime une situation relativement repérée72 et commentée par
Godard, —illustrée par son utilisation de la fonction polysémique du mot anglais Shoot,
dont on obtient l'expression tirer un coup. Expression recouvrant l'acte sexuel, l'acte du
bourreau et l'acte du filmage — et qu'on retrouve mis en scène dans les HdC73 ; à l'instar
d'Alfred Hitchcock qui opérait un travelling-avant pénétrant à travers la fente d'une
fenêtre pour se substituer et simuler l'acte de la pénétration sexuelle74. On confère à la
caméra une puissance de transformation en fétiche, qui est bien supérieure à la seule
vertu concrète dʼune prothèse de l'organe sexuel.

CORRESPONDANCE DU MOUVEMENT DE LA CAMÉRA


AVEC LE MOUVEMENT DE L'ACTE SEXUEL .
Mais aussi dans ce processus de préemption fétichiste, si la caméra peut se prévaloir
d'une capacité substitutive à la fonction sexuelle, il faut s'arrêter au pouvoir de cette
transformation avant même d'en comprendre ses conséquences domestiques75. Cette
métamorphose de la caméra possède son exact revers : le mouvement du cinéaste vers
le sujet du cinéma. Par relativité, Godard avant d'être historien, offrira son corps au
cinéma. Par cette étape, confondre son histoire personnelle avec l'histoire de ses films,

71
. « Le caractère fétiche de la marchandise de l'industrie capitaliste. », Citation célèbre de Marx que repris
également Guy Debord, Le déclin de la société spectaculaire marchande, Paris, Ed.Allia. 2003. p.45.
72
. Voir au sujet de la caméra comme fétiche sexuel le travail précieux de JF Rauger :
Jean-François Rauger, “Focalisation, Fuckalisation”, Le désir au cinéma, Collège d'Art cinématographique,
Paris/Bruxelles, Ed. Cinémathèque Française/ Yellow Now, 1999. p. 352.
-JFR, “Ménage à trois, le regard-caméra dans le cinéma porno”, SIMULACRES n°5. 09/12-2001.p.112
73
. Hdc.2b.fatale beauté : Dans une nouvelle version, il modifie la fin de lʼépisode, en incluant un porno et
Charlie Chaplin allant au cinéma (KING OF NEW-YORK.1957). Voir pour plus de développements :
Ref.Film10. VIVRE SA VIE. 1962. §Tirer un coup dans tous les sens.
74
. Alfred Hitchcock, PSYCHO. 1961. C'est le début du film : au générique des vues extérieures et
aériennes de Dallas, la caméra passe à l'intérieur de la chambre d'hôtel où le couple se rhabille. Cʼest une
situation post-coïtum, souligné par lʼeffet du travelling avant qui vient se montrer à la place de lʼacte resté
hors-champs dans lʼespace et le temps.
75
. Théodor W. Adorno, Minima Moralia, Paris, Ed Payot.1980. p.165. §113 : (...) le sexe à l'ère
bourgeoise, sa triste condamnation par toutes sortes d'intérêts domestiques.

167
Godard rejoint l'histoire du cinéma par voie fétichiste. Pour lui ce passage réifié trouve
une nouvelle correspondance cinématographique de l'inscription dans l'histoire.
Le modèle de référence, tel que Jean Cocteau l'a dessiné et filmé, se base sur une
légende, celle du mythe d'Orphée76. Le mythe selon Cocteau consiste dans le sacrifice
nécessaire du poète pour qu'il puisse passer à la postérité77. L'histoire d'ORPHÉE se
présente comme le récit d'un poète à succès séduisant la mort (incarnée en femme)
pour pouvoir aller chercher son amoureuse : Eurydice. C'est par un désir de voir qu'il va
la perdre à jamais. Godard établira une correspondance directe avec lʼopération du
cinéma78. Dans les HdC, Godard retient de cette légende plusieurs éléments, dont celui
de donner un modèle négatif à l'opération cinématographique :

79
[LE CINÉMA / AUTORISE ORPHÉE]
80
[ DE SE RETOURNER / SANS FAIRE MOURIR]
81
[ EURYDICE ]

La faculté du cinéma, à autoriser les allers et venues entre la mort et la vie, en délivrant
des sauf-conduits, jouant avec le temps, arrive à se détacher de la continuité historique
pour proposer une temporalité alternative. Ceci correspond, pour Cocteau, à la mise en
scène de la traversée des miroirs, et pour Godard, à l'opération cinématographique
nommée : passage en fraude82, ce qui est, remarquons-le, lʼexact revers de lʼautorisation.
Il sʼagit en effet dʼun même passage, reste le choix de la procédure : une entrée de
champ.

Aussi l'intermédiaire du cinéma offre une double approche de l'inscription de Godard


dans l'histoire. Cela s'effectue soit par son implication corporelle —érotisation du corps
du cinéaste : le corps godardien— à travers le monde du cinéma, soit en fraude par le
processus opératoire de la machine cinéma.
Ce double rapport rend d'autant plus difficile tout désir de discernement des
phénomènes. Le mieux consiste à étudier lorsque les deux se rencontrent.

76
. Jean Cocteau, ORPHÉE. 1950.
77
. Jean Cocteau, LE TESTAMENT D'ORPHÉE. 1960.
78
. Ref.103. Chacun son Tours. CAHIERS DU CINEMA, n°92. 02/1959.
79
. HdC.2a.seul le cinéma. p. 96.
80
. HdC.2a.seul le cinéma. p. 97.
81
. HdC.2b.fatale beauté. p.114.
82
. Ref.144. Orphée. (critique du film par Godard, CAHIERS DU CINÉMA n°152.) : Lʼauteur est entré en
fraude à lʼinstant où le rouge sʼallumait.

168
D/ GODARD ACTEUR

La double opportunité de l'inscription historique que nous venons de définir, peut


évidemment se combiner en un seul et même phénomène. Il s'agit alors de susciter
l'inscription du corps godardien pris dans une opération cinématographique. Cela
consiste alors à qualifier sa participation en tant qu'acteur dans des films précédant les
HdC ainsi que dans ceux réalisés par d'autres (Rohmer, Rivette, Varda). L'action
entreprise, peut se concevoir comme performance83, et l'on peut en déduire un système
de participation symbolique. Nous écoutons celui qui fait parler son corps et plus
précisément, à chaque fois qu'il fait preuve d'une réflexion tactique à l'avance du
tournage (comment l'image et le son de mon corps vont-ils être perçus lorsqu'ils sont
incorporés dans le tissu filmique et historique ?). Cette notion demeure fondamentale
pour la compréhension des HdC. De l'écoute d'un disque84 au poste de radio85, jusqu'à la
manipulation de câbles électroniques quʼil transforme en prolongations pour obtenir une
sorte de perruque86, chaque participation physique de Godard confirme l'action
stratégique en vue d'une réflexivité du cinéma. Nous lʼavons nommé incorporation et elle
occupera toute notre attention un peu plus tard dans ce chapitre87.

E/ GODARD INTERVENANT

Régulièrement, sans que la promotion d'un de ses films ne le nécessite, Godard fait
régulièrement des interventions 88 dans les médias, cʼest souvent à cette occasion quʼil
utilise la forme gestuelle de la parole.
Godard intervient, à partir de 1966, à la télévision89, non en tant que personne faisant la
promotion dʼun film précis (rappelons que pour cela, il a déjà été entretenu dès 1960
avec son premier film90), mais plutôt sous le statut général de cinéaste. Il entame par là

83
. Le terme de performance vient de l'anglais (performing art) On nomme performance lʼaction d'un artiste
exécutée en direct devant un public donné. La performance a la particularité d'avoir été conçue au
préalable, ce qui la distingue du happening, qui est imprévu. Alors que, bien souvent, ce ne sont de petites
apparitions, chaque action de Godard dans ses films ou dans ceux des autres au début de sa carrière, ont
chacune une valeur symbolique très importante. voir à ce sujet Ref.Film6. A BOUT DE SOUFFLE. 1959.
84
. Ref.FilmA6. LE SIGNE DU LION (Rohmer,1959). voir la description de sa participation symbolique.
85
. Ref.Film51. PRÉNOM CARMEN. 1982.
86
. Ref.Film60. KING LEAR. 1987.
87
. Voir supra §8) principe d'incorporation.
88
. Le terme dʼintervention doit être appréhendé avec toute la connotation combative qu'il représente.
89
. Ref.178. Documents. Filmographie complémentaire. p.434.
90
. François Chalais, CANNES 1960.(TV, ORTF).

169
un principe de séparation qui ira en augmentant : ses interventions sont liées à son
image de marque91 et non à son œuvre.

LA HAUTE VOIX EN VUE DE LA PENSÉE


« Je pense facilement à haute voix, et jʼaime bien ça : cʼest lʼoccasion pour moi de faire du
92
cinéma indépendant… »
L'apparition de ce corps qui parle, privilégie la prise de parole, la haute voix. La parole,
comme vecteur politique, réglée, est choisie pour son aptitude à s'exprimer selon de
multiples aspects formels de tonalités d'expressions, dont la dénonciation sociale et la
dérision restent les plus récurrentes93. De plus, le déploiement de cette parole lui permet
de faire du cinéma indépendant94, ce qui prouve que lʼexercice de la parole est
assimilable selon lui à une pratique cinématographique.

PRATIQUE DU CORPS : LES ACTRICES COMME «MONNAIE VIVANTE»95


À lʼinstar du peintre qui regarde sa main dessiner96, la voix haute permet à Godard de
savoir ce quʼil pense97. On insistera sur la notion de facilité qui, selon son aveu,
accompagne sa parole, car elle affirme le plaisir (jʼaime ça) de cette propension. La voix
haute, facilitée par cette aisance volubile, devient le terrain privilégié pour ses jeux de
mots98. Dans une intervention, il joue sur le mot pratiquer. Il associe ainsi la pratique des
images avec celle de la prostitution, par une gestion commune du désir99. Le cinéaste
serait proxénète et met sur le trottoir ses images100. Il établit la même correspondance

91
. Serge Daney, Serge Toubiana, “Images de marque, présentation”, CAHIERS DU CINÉMA
n°268/269.07-08/1976.p.5 :
Une image (…) qui sert à voiler le réel et non à le révéler.
92
. Ref.178.20. Les cinémathèques et l'histoire du cinéma.(1978).p.286.
93
Daniel Serceau, “Lʼanti flash-back”, CINÉMACTION n°109 : "Où en est le God-Art?" Ed.
Corlet&Télérama.2003.p.114.
94
. Le terme indépendant est ici ambigu, mais il doit être compris, quand on lit la suite de son discours,
comme faire du cinéma indépendamment des autres.
95
Ce terme est emprunté au titre du livre de Klossowski. Ce livre trace lʼavenir de la généralisation de la
mise sur le marché des corps et des pratiques afférentes, satisfaction des émotions et demande de
volupté. Pierre Klossowski, La monnaie vivante (1979), Paris, Ed. Rivages/Payot, 1991.
96
. Henri-Georges Clouzot, LE MYSTÈRE PICASSO. 1955. Cʼest en ces termes que Picasso décrit
lʼinspiration.
97
. Ref.305. Propos rompus (Festival d'Avignon), CAHIERS DU CINÉMA. n°316. 1980.
98
. Carole Desbarats, Lʼeffet Godard, Paris, Ed.Milan, 1989.p.63-79.
99
. Ref.210. “Valeurs d'usage et valeur d'échange”. CINÉTHIQUE n°3.p.1-12. Godard insiste sur la
connotation sexuelle du verbe pratiquer en jouant sur les mots femme pratique et pratiquer une femme.
100
. ZOOM . 25/10/1966. Emission- débat sur la prostitution (JLG dialogue avec Jean Saint-Geours)
Également dans ce devenir proxénète, notons que sa toute première performance d'acteur dans ses films,
sera en tant que client de prostituée.
Ref.Film2. UNE FEMME COQUÈTTE. 1955.

170
que fit Pierre Klossowski, lorsque ce dernier qualifiait lʼactrice de cinéma dʼesclave
industrielle répondant à la demande de volupté101.
Ce parallèle sexuel intervient souvent dans les films des années 60, lorsqu'il donne à
jouer aux actrices principales, comme sa femme Anna Karina, le rôle de prostituée.102.
Michel Piccoli fera le constat ironique dans LE MÉPRIS dʼune mise en relation similaire,
quand il louera lʼun des aspect fonctionnels du cinéma : la capacité dʼassouvir le
fantasme (“Crac !”) de découvrir les femmes nues au spectateur-client 103, sous-entendant
que les actrices une fois payées peuvent ou doivent se déshabiller. Cʼest précisément
par cette même pratique, que Christine Pascal choisira de mettre en scène un
personnage de cinéaste, dans sa fiction sur le cinéma, pour caractériser ainsi le portrait
à peine voilé de Godard104.

L'IMAGE DE MARQUE105 AU DÉTRIMENT DES FILMS


Si l'on adopte l'hypothèse que Jean-Luc Godard, connu dans le monde entier106, est
reconnu comme cinéaste, cette image de marque se compose souvent au détriment de
la vision des films. À partir de l'activité du groupe Dziga Vertov, il va saisir les enjeux
politiques du positionnement des images de la société (du spectacle)107. Dans la plupart
des cas, c'est en tant que cinéaste qu'il participe au spectacle de la société. Le corps
godardien108 participe comme image de la réalité de la télévision. Mais Godard devient,
par cette participation extra-filmique, un agent du spectacle mis en scène comme
cinéaste109. Lorsqu'il s'agissait de télévision, il participait par corps aux débats télévisés
dont — hormis, les interventions, qui se présentaient sous la forme d'entretiens dont il
était le sujet central, un face à face où le dialogue circule— Godard relève l'énonciation

101
. Pierre Klossowski, “Pierre-Jean Jouve, Catherine Crachat”, CRITIQUE n°11.09/1955.p.654.
102
. Ref.Film10. VIVRE SA VIE. 1961. Ref.Film18. ALPHAVILLE. 1965.
103
. Ref.Film14. LE MÉPRIS. 1963. “C'est pratique le cinéma. Tu vois une fille dans la rue ; elle est
habillée. Ensuite tu la vois au cinéma, crac ! Tu vois son cul.”. On notera aussi, que la scène imposée par
Carlo Ponti, en introduction du film, est précisément une scène déshabillée exhibant Brigitte Bardot et
confirmant lʼadage de Piccoli.
104
Christine Pascal, ZANZIBAR. 1989. Francis Girod interprète un cinéaste mal rasé, regardant un match
de tennis en retransmission télé en direct de Rolland-Garros, dans une chambre dʼhôtel, fera passer seul
un casting-test à une comédienne : laissant des billets de banque au sol pour quʼelle se déshabille.
105
. Serge Daney, Serge Toubiana, “Images de marque, présentation”, CAHIERS DU CINÉMA
n°268/269.07-08/1976.p.5.
106
. Figurant très régulièrement sur la couverture d'ouvrages généraux sur le cinéma.
107
. Ref.222. “Enquête sur une image”, TEL QUEL n°72. HIVER 72.
108
. Serge Daney, “Le son (Elle), L'image (Lui) /La voix (Elle), L'œil (Lui)”, CAHIERS DU CINÉMA
n°262/263, 04/1976.p.40.
109
. Guy Debord, La société du spectacle, Paris, Ed. Buchet-Chastel.1967. p.121.

171
télévisuelle elle-même110, systématiquement, par la mise en scène de sa parole, posée
simultanément comme jeu et réflexion.
On constate aussi que c'est à partir de ces interventions que l'image de marque du
cinéaste s'est forgée pour le plus grand nombre de personnes, comprenant, bien
évidemment, la majorité de ses détracteurs. Dès les années 60, Godard a su créer son
propre personnage public, établissant sa notoriété de cinéaste contre le système111 au
détriment de la connaissance de ses films. C'est même, très probablement, parce qu'il
existe un hiatus entre l'image de marque et la rare diffusion de certains de ses films, que
la réputation d'un cinéaste imposteur lui a été attribuée112.

2/ LA FICTION DES MACHINES REPRODUCTRICES.

Si nous affirmions que la nécessité de lʼhistoire a constitué, peu à peu, la pensée de


Godard sur le cinéma, l'aboutissement se trouverait dans les HdC ; cette possibilité
sʼatteste par la présence dʼun procédé : lʼénumération continue.

L'ÉNUMÉRATION CONTINUE
Cela ne sera jamais assez répété, c'est à partir des films précédents réalisés par
Godard, que l'on peut comprendre et raisonner sur la valeur des HdC. En effet parsemé
depuis ses premiers courts-métrages, depuis ses premiers articles, jusqu'à ses
interventions corporelles à l'intérieur de ses films (comme aussi dans ceux des autres),
le discours sur le cinéma a constitué son sujet de prédilection. Par contre, lʼaspect
forcément discontinu, sautant de films en films, ne doit pas nous faire oublier que cette
recherche, bien que partielle, devra respecter une continuité chronologique dans
l'apparition de ce qui peut s'appeler les éléments de prédispositions.

OUTILS DE LA REPRODUCTION : EN VUE D'UN SCÉNARIO D'UN FILM INFINI

110
. François Jost, “Godard, professionnel de la profession”, Godard et le métier d'artiste, Paris, Ed de
L'Harmattan, 2001.p.337.
111
. G. Daude, L'INVITÉ DU JEUDI, Antenne 2, 15/09/1981. L'invité était Antoine Vitez. Godard affirme le
haut-lieu du mal qu'est la télévision et quitte le plateau.
112
. Michel Royer, GODARD À LA TÉLÉ 1960/2000. Canal + . été 1999. Film de montages comprenant un
grand nombre d'apparitions de Godard à la télévision française. L'effet d'accumulation est édifiant et
montre avant tout la constance de caractère du cinéaste à défaut d'une évolution. Le cinéaste ne changera
pas de réactions face au médium.

172
Dans l'appréhension successive des films de Jean-Luc Godard, on trouve à l'intérieur de
ceux-ci des éléments concrets et réflexifs du cinéma : aussi, même à l'intérieur d'une
fiction, qui peut succinctement se définir comme une histoire jouée par des personnages,
Godard a toujours souhaité mettre en scène, par procédés narratifs, le motif même du
cinéma. Il expose selon ce souhait une pensée cinématographique accomplie sous le
mode de la réflexivité paradoxale113. Et ceci grâce à une mise en scène d'hommes et de
femmes manipulant des machines reproductrices d'images et de sons. Des accessoires
comme : appareil photographique114, poste photomaton115, microphone116, casque
d'écoute117, platine disque118, poste de radio-émetteur119, appareil radio-cassettes120,
cassettes vidéos 121, bobines de films 122 et la caméra123 elle-même avec sa machinerie124.
Cela ne se limite pas aux seuls accessoires : les décors comme l'auditorium125, la salle
de projection126 et le plateau de tournage127, jusqu'à un atelier d'affiches de cinéma128
forment des éléments réflexifs pris sommairement, pêle-mêle dans les films de Godard ;
pour ensuite représenter la narration des étapes de production, la fabrication du film :
écriture du scénario129, casting130, tournage131, projections des rushs 132, montage133,
mixage.134
On se rend compte à l'évidence, qu'isolée nous aurions une nouvelle narration qui
surplomberait l'ensemble de tous les films, patchwork de films à travers le temps de
fabrication qui représenterait un nouveau film, comme le film infini que recherche le
métahistorien, tel que l'a décrit Hollis Frampton :

113
. Jacques Gesternckorn, “La Réflexivité, présentation”, VERTIGO n°1, Paris, Ed.JM Place, 09/1986.
p.9.
114
. Ref.Film18. ALPHAVILLE. 1965. Ref.Film21. MADE IN USA. 1966.
115
. Ref.Film20. MASCULIN FEMININ. 1966.
116
. Ref.Film18. ALPHAVILLE. 1965. Ref.Film41. NUMÉRO DEUX. 1975.
117
. Ref.Film41. NUMÉRO DEUX. 1975.
118
. Ref.FilmA6. LE SIGNE DU LION (réal.RHOMER, 1959). Ref.Film48. LETTRE A FREDDY BUACHE. 1981.
119
. Ref.Film22. 2 OU 3 CHOSES QUE JE SAIS DʼELLE. LA RÉGION PARISIENNE. 1966.
120
. Ref.Film57. PRÉNOM CARMEN. 1982.
121
. Ref.Film18. MEETING WOODY ALLEN. 1987.
122
. Ref.Film59. SOIGNE TA DROITE. 1987.
123
. Ref.Film24. CAMÉRA-ŒIL. 1967.
124
. Une grue Ref.Film30. ONE + ONE. 1968. Ref.Film14. LE MÉPRIS. 1963
125
. Ref.Film20. MASCULIN FEMININ. 1966. Ref.Film49C. SCÉNARIO DU FILM PASSION. 1982.
126
. Ref.Film14. LE MÉPRIS. 1963.
127
. Ref.Film49B. PASSION.1965.
128
. Ref.Film21. MADE IN USA. 1966.
129
..Ref.Film14. LE MÉPRIS. 1963.
130
. Ref.Film56. GRANDEUR ET DÉCADENCE D'UN PETIT COMMERCE DE CINÉMA. 1986.
131
. Ref.Film49B. PASSION. 1981.
132
. Ref.Film14. LE MÉPRIS. 1963.
133
. Ref.Film74.JLG/JLG, AUTOPORTRAIT DE DÉCEMBRE. 1994.
134
. Ref.Film41. NUMÉRO DEUX. 1975. Ref.Film49C. SCÉNARIO DU FILM PASSION. 1982.

173
"Par Conséquent, le métahistorien doit pouvoir regarder les œuvres anciennes comme du
“matériau tourné” pour construire, à partir de là, une œuvre nouvelle identique, nécessaire à la
tradition. (…) Le film infini contient une infinité de passages sans fin dans lesquels aucun
photogramme ne se ressemble d'aucune manière, et une infinité de passages où les
135
photogrammes successifs sont aussi identiques qu'il est concevable."

L'extrait du texte de Frampton, qui est à propos, nous entraîne déjà vers d'autres
réflexions, dépassant ce que nous voulions démontrer. Nous voulons juste proposer
comment un autre cinéaste peut prend en compte la possibilité de faire un film par-
dessus d'autres.
Cette éventualité sʼavère possible à partir des films de Godard, désignés comme
matériau pour un film infini. Ce film infini serait, en fait, plus précisément, un scénario ; le
récit narrant la constitution des HdC, généré par ses autres films.

La portée du texte de Hollis Frampton dépasse cet exemple. Godard le cite dans les
HdC, au moment final lors de son autoportrait136. Et lʼensemble du texte ci-dessus,
révèle, de lʼavis même du cinéaste, des préoccupations similaires aux HdC. Il fut tiré à
part 137 et distribué gratuitement aux spectateurs du Festival de Cannes, en tant que livret
d'accompagnement pour la projection de certains des épisodes des HdC en 1997138.
Les prémisses d'une pensée godardienne du cinéma sont envisageables à partir de
l'analyse du rapport qu'il entretient avec les machines reproductrices de l'image et du
son. Cela lui permet d'être concrètement en prise directe avec son métier et les
techniques constitutives et surtout de le porter à la connaissance du spectateur lors de la
représentation du film.

Cette étude n'est pas téléologique, elle ne cherche pas rétroactivement des éléments
précédemment dégagés des HdC. Mais l'on s'intéressera dans une certaine mesure, aux
extraits des films et les occasions de citations que composent ses propres films à
l'intérieur des HdC. Il demeure important de noter dès maintenant que c'est une autre

135
. Hollis Frampton, “Pour une métahistoire de cinéma”, TRAFIC n°21, Ed. P.O.L., Printemps 1997.
p.136.
136
. HdC.4b.les signes parmi nous. p.32.
137
. A propos des Histoire(s) du cinéma, Tiré à Part du TRAFIC n°21, Ed. P.O.L., Printemps 1997.
Ce fascicule en version bilingue est composé de deux textes : celui de Jonathan Rosenbaum, Bande-
annonce pour les Histoire(s) du cinéma / Trailers for Godard's Histoire(s) du cinéma et celui d'Hollis
Frampton, Pour une métahistoire de cinéma : For a metahistory of film. A noter le caractère exceptionnel
de cette édition, nous signalons que ce numéro spécial fut le seul hors série de toute lʼhistoire de cette
revue.
138
. Entretien Patrice Rollet. Inédit. (25/12/2003).

174
recherche. Plus qu'autre, cela en est même le pendant négatif du principe de
prédisposition, puisque les films, en extraits ou cités dans les HdC, ne sont pas des
éléments de prévision, puisque ce sont des éléments réels qui intègrent pleinement le
montage du film (ils sont vus et non pas prévus). C'est comme si, pour JLG, ils ne lui
appartenaient plus, devenant par force de l'histoire, dépossession. Ajoutons que souvent
Godard s'est détaché de ses fictions en affirmant, avec un peu de mauvaise foi peut-
être, qu'aucun de ses films ne lui appartenait de fait139. Cela s'avère valable au niveau
juridique (appartenant de droit à ceux qui l'ont produit) mais c'est faire fi alors du droit
moral que l'auteur exerce sur eux, ou en tout cas est en droit d'exercer.

3/ LE PRINCIPE D'INCORPORATION

LʼOPÉRATION CINÉMATOGRAPHIQUE COMME ENJEU CORPOREL


"Contre le corpus figé de la doctrine, l'exploration active des corps supposait un érotisme
140
nouveau : un nouvel art, une nouvelle science."

« Le réel : rien que dʼintroduire ce terme, on se demande ce quʼon dit. Le réel nʼest pas le
141
monde extérieur ; cʼest aussi bien lʼanatomie, ça a affaire avec tout le corps. »

A/ LE CORPS DU FILM

Lʼattitude du spectateur, puis du critique réagit face à l'épreuve du film. C'est un


corps à corps qui a lieu. Dès qu'on a la volonté d'entreprendre un rapport de ce corps
à corps, une définition est possible : lʼéconomie libidinale qui en découle.
Par les principes même de l'hétérologie, il est possible de comprendre et de disposer
une série de réflexions sur le film à partir du motif corporel. Jusqu'où trouve-t-on
intérêt à considérer la conception du cinéaste comme celui dʼun organisme vivant ?
En réponse, un couple de cinéma, —une photographie dʼun couple précisément, qui

139
. Bouillon de culture. Entretien télévisé avec Bernard Pivot (France 2, Septembre 1993).
140
Georges Bataille, “Textes se rattachant à "La notion de dépense"”, Œuvres Complètes, Tome II, Paris,
Ed. Gallimard, 1972. p.151.
141
. Jacques Lacan, Silicet, 6-7, Paris, Ed. du Seuil, 1976.p.40.

175
montre un homme et une femme devant un projecteur— va jouer un rôle important142 :
l'idée d'une incorporation d'éléments non prédisposée à l'être. On pourrait nommer
cela anthropomorphisme. Cette notion est à distinguer, dʼemblée avec le cinéma
anthropocentriste, cʼest-à-dire lʼensemble de la production courante du cinéma qui
place lʼhomme au centre de la représentation. Ce nʼest pas de cela dont il sʼagit ici,
mais bien plutôt de la personnalisation des éléments cinématographiques : les
images et sons deviendraient comme des gens qui font connaissance en route et ne
peuvent plus se séparer143. On verra que les conséquences dʼune telle formation
fassent prévoir des comportements et des devoirs dʼhumanité aux concepts :
144
[ÉGALITÉ ET FRATERNITÉ ENTRE LE RÉEL ET LA FICTION]

On acceptera dès lors, que cʼest le principe d'incorporation.


De plus on peut également lui ajouter un principe fonctionnel de couplage : la
copulation. En effet très souvent le concept une fois incorporé,— doté de faculté
humaine— se voit mettre en couple avec un autre élément antagoniste. L'image et le
son, la fiction contre le réel.... La création dʼune articulation binaire des concepts est
un procédé conceptuel quʼon retrouve déjà dans les écrits du cinéaste145. Il fut
constaté par Gilles Deleuze, dans sa première intervention aux Cahiers du Cinéma. Il
démontra justement toute la puissance qui résidait dans cette invention, en
soulignant lʼimportance de lʼarticle de conjonction « et », placé entre les concepts
articulés 146.
Comme l'a introduit Godard dans son livre de 1979, le film à faire (sur l'histoire du
cinéma), devrait plus souvent aller quérir une méthodologie issue de la biologie ou de
l'archéologie, plus que dans la chronologie traditionnelle147. Nous verrons comment

142
. HdC.1b.une histoire seule. p.267. Ce couple sont les comédiens Birger Malmstem et Doris Svedlund
du film d'Ingmar Bergman : FANGELSE, (La prison, 1948).
143
. HdC.1a.toutes les histoires. p.95. Cette phrase quʼon trouve retranscrite sur un carton provient
primitivement de Notes sur le cinématographe, Robert Bresson. Ed. Gallimard. 1972.
144
. HdC.3b.une vague nouvelle. pp.126-127.
145
. Ref.A21. Du côté de chez Manet. 1956. Cet article démontre brillamment la force dʼouverture théorique
de la copulation.
146
. Gilles Deleuze, “Trois questions sur Six fois deux ”, Cahiers du Cinéma , n°271, 11/1976, Paris, Ed. de
L'Étoile.
147
.. Ref.173 : “Je voudrais raconter l'histoire du cinéma pas seulement d'une manière chronologique mais
plutôt un peu archéologique ou biologique.”
Jean-Luc Godard, Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros. 1980.p.21.

176
ces déclarations de principes ne sʼarrêtent pas à leur seule énonciation, mais au
contraire sont liminaires de sa praxis du film.

B/ LE CORPS DU CINÉASTE

Le cinéaste, dans la réalisation du film est seul. Rappelons que cʼest un choix pour
Godard. Il suit lʼexemple dʼIngmar Bergman : « le cinéma n'est pas un métier.(…). Ce
n'est pas une équipe. On est toujours seul; sur le plateau comme devant la page blanche. Et
148
pour Bergman, être seul, c'est poser des questions. Et faire des films c'est y répondre. »
De sa propre volonté, il se retrouve seul sur les différentes étapes de fabrication du
film. Seul devant sa table, c'est la résolution d'une mise en scène de la singularité où
l'idée du corps peut être mise en avant.
En effet dans l'épisode Fatale Beauté. 2b149, Godard effectue, sous forme de sketch
burlesque, un questionnement de sa place face à lʼimage —Ici lʼimage est
représentée par un poste de télévision— sur sa place par la position de son corps.

Godard fait face à un écran de télévision. Plutôt qu'un écran, il s'agit en fait d'un
cadre-support en trois dimensions, une espèce de cube vide avec poignets et dont il
ne reste que les arêtes. On reconnaît là un meuble dʼaccueil, qui devait au préalable
recevoir un moniteur pour pouvoir être disposé sur un rack 150. Cʼest une situation
proprement burlesque puisquʼil joue151 comme sʼil y avait une télévision alors quʼil nʼy
a que le support nu (dʼailleurs, lui aussi est torse nu mais nous y reviendrons).
Le cinéaste prend les poignets du cadre et admire ce cadre vide. Dans ce sketch, il
va se positionner successivement dans les deux possibilités quʼun homme puisse
avoir spatialement face à un écran : soit il se situe à lʼintérieur de lʼécran —façon
speaker : de l'intérieur du poste ; soit le cadre lui fait face —façon spectateur : celui-ci

148
. Ref.94. Bergmanorama. 1958.
149
. HdC.2b.fatale beauté. p.137. Plan où l'on découvre sans ambiguïté le torse nu de Godard.
150
. Type d'étagère métallique qui peut empiler l'une sur l'autre des machines électroniques souvent fragiles
et onéreuses, et dont l'accès par derrière est facilité pour le branchement : Godard en a plusieurs dans
son sous-sol à Rolle, c'est là qu'il a conduit la post-production du film. (Cinéma, Cinémas. 20-12- 1987).
151
. On retrouve ce genre de jeu lorsquʼau lieu dʼune télévision on y substitue un carton avec ouverture, le
speaker étant alors réellement dans le poste.

177
veut entrer à l'intérieur de cette télévision (imaginaire), en y plongeant son buste,
jouant le rôle dʼun spectateur naïf.

Ajoutons quʼaussi dans cette séquence, par la disposition dʼune série de cartons, il
propose de redéfinir ce qu'est le cinéma, ni un art, ni une technique : un mystère152.
Sa performance entre alors en résonance avec ce désir de définition puisquʼil remet
en cause physiquement la place du cinéaste et du spectateur dans le système de
lʼécran. Puisque la même personne joue successivement les deux positions, il nʼy a
que la notion de temps qui puisse séparer la personne qui se fait face à elle-même.
Cʼest le thème du cinéma (ici lʼécran) conçu comme élément réflexif, le miroir.
Cette interrogation pourrait être nommée un mystère (profane) de l'incarnation, mais
le terme incarnation ayant une connotation religieuse historique, nous lui préférons le
terme d'incorporation.

De plus cet acte performatif de Godard, questionne donc la place du sujet humain
confronté au medium cinéma, représenté physiquement par celui qui est devant ou
celui qui est dedans. Cet acte se conformait dès ses premiers films de fiction. Les
deux possibilités avaient déjà été mises en scène.

a/ celui qui est devant.


Nous avions des acteurs placés dans une salle de cinéma, regardant une projection
mais remettant en cause le dispositif spectaculaire. Dans LES CARABINIERS153,
Michel-Ange le héros, devenait spectateur naïf qui découvrait pour la première fois le
cinéma, se déplaçant jusque devant lʼécran et cherchant du regard sur les côtés pour
essayer de vérifier si la réalité projetée se prolongerait par-delà lʼécran.
Ce rôle du naïf correspond sans doute à la description du comportement des
premiers spectateurs du cinématographe qui se sont baissés face à lʼarrivée dʼune

152
. HdC.2b.fatale beauté. pp.154-155&157.Double page où la première partie de la phrase est inscrite sur
l'image de Godard torse nu fumant un cigare dans le poste. La réponse du mystère à la double négation
(ni…, ni…) se trouve énoncée pendant la présentation d'une peinture d'un visage d'enfant qui crie
(Seurat).
153
. Ref.Film12. LES CARABINIERS. 1963.

178
locomotive154. Prendre naïvement lʼimage cinématographique pour le réel, fut de plus
déjà lʼobjet de mises en scènes burlesques dans les fictions du cinéaste155.

b/ celui qui est dedans, le speaker, présentateur.


On a aussi des acteurs rompant le dispositif de la projection en parlant directement
au public. Ainsi Belmondo dans A BOUT DE SOUFFLE conseillait les spectateurs sur
leur destination de voyage. Le public devient comme dans lʼaparté théâtral le même
de lʼacteur, son miroir. Cʼest un principe dʼintrospection des personnages. Dans LE
156 157
PETIT SOLDAT , l'acteur Michel Subor interrogeait, en invectivant le spectateur ,

l'aspect convexe ou concave d'un visage face à notre regard ou face à une glace, au
regard de l'autre.

Ce qui est d'autant plus remarquable dans cette séquence des HdC, c'est que,
attablé, fumant le cigare et vêtu de son seul accessoire, une casquette, notre
historien est torse nu. La proéminence du torse d'un narrateur est d'autant plus
notable par rapport à sa fonction dans le film, dont conventionnellement seule la
parole importe et laisse le corps de côté. Si le narrateur (dʼun film de fiction ou
documentaire) est présent à lʼimage, il devrait être dans une tenue dont lʼélégance158
ou la banalité159 nous feront oublier sa présence. Et il est vrai que la nudité provoque
le moyen de faire ressortir, par indécence, le corps de l'écran ; Il montre qu'il est
pourvu d'un corps, un corps qui parle et nous conte une histoire.

À la différence dʼhistoriens traditionnels —considérant les images-sons comme des


documents interprétables, ou les utilisant pour illustrer leur propos—, JLG crée des
images-sons comme énoncés discursifs. Il faut admettre la nouveauté de ces deux

154
. Auguste et Louis Lumière, LʼARRIVÉE DU TRAIN EN GARE DE LA CIOTAT. 1896. Jean-Pierre
Jeancolas, Histoire du cinéma français, Paris, Ed.Armand Colin. 1995. p.26.
155
. On retrouvera un peu après la. Ref.Film12. LES CARABINIERS. 1963.
156
. Ref.Film7.LE PETIT SOLDAT. 1960.
157
. Les critiques ont souvent relevé que les invectives au public (le regard caméra) brisait un tabou de la
représentation (en fait ils reprenaient ce dont le cinéma muet avait l'habitude : le jeu avec le décalage
temporel tournage//projection et les œillades au public (Louis Feuillade, André Antoine). Passim “Jean-Luc
Godard, au-delà du récit”, Etudes Cinématographiques n°57-61, Paris, Ed.Minard.1967.
158
. Voir de Max Ophuls, LA RONDE. 1950. Le narrateur qui parle à la caméra et qui dirige la fiction est en
frac impeccable avec tous les accessoires de rigueur : écharpe en soie blanche, canne et haut-de-forme.
159
. Voir de Federico Fellini, AMARCORD. 1973. Le narrateur à lʼécran est habillé de façon très ordinaire.
Habits usés, couleurs passées.

179
types dʼéléments dans le discours historique et nous verrons que leur corrélation
dialectique sera établie sur un mode négatif. De plus, il va mettre son corps en jeu
pour créer ces images et ces sons. À partir du corps de lʼhistorien : la présence et le
statut du narrateur à lʼécran (lʼimage de JLG) entreront en contradiction avec sa
parole (le son de JLG).
L'historien du cinéma transmet son savoir par le corps. Ce principe de mise à nu
révèle une tentative de la part du cinéaste : mettre le corps en avant comme un
indice érotique supplémentaire au cinéma conçu comme mystérieux. Ajoutant celui
de l'incorporation, c'est la signification, à la toute fin des HdC, du dernier texte,
fantastique, extrait de JL Borges où Godard estime avoir reçu au réveil une fleur
comme preuve de son passage160 dans le paradis en songe : il affirme j'étais cet
homme161.
On montre dans l'annexe 1 ses diverses incorporations (c'est-à-dire ses
participations physiques dans ses films et aussi dans ceux des autres).

POUVOIR DU CORPS A S'INSCRIRE DANS L'ŒUVRE : PRODUCTION DU


GESTE
Aussi, c'est à partir de la participation physique de Godard dans ses films, ou dans
ceux des autres, qu'il émet une possibilité physique de produire un geste, qui peut
avoir autant d'importance qu'une œuvre elle-même. C'est la raison pour laquelle,
grâce à l'annexe 1 nous revenons précisément sur ses participations physiques.
Nommée à cette occasion incorporation, la référence dite gestuelle a été théorisée
par Pier Paolo Pasolini. Quand à propos du travail de Godard et de son succès, il
expose :
« Maintenant, on sait que presque toutes les œuvres à succès sont des œuvres (...)
gestuelles. Par exemple tout ce que Godard a fait (...) a dû son grand succès au fait d'être un
geste , (...) une déclaration gesticulante de ce qu'il est : au sens d'arbitrage exhibitionniste de
162
la forme qui se sert extérieurement d'elle-même, pour dire ce qu'elle est ».

160
. HdC.4b.les signes parmi nous. p.308.
161
. HdC.4b.les signes parmi nous. p.311.
162
. Pier Paolo Pasolini, Descriptions de descriptions (1979), Paris, Ed.Rivages-Payot, [traduit par René de
Ceccatty, 1ére Ed.1984], 1995.p.66. Nous soulignons.

180
Ce constat est plutôt critique. On admettra, avec ce reproche, que le geste de
Godard comme extérieur à lui-même, a un pouvoir de transmission des formes (dire
ce qu'elle est) et va avoir toute son importance dans les HdC. Une des conceptions
possible de dire l'histoire (du cinéma), sera produite à partir dʼune conception
corporelle. L'expression exemplaire à son corps défendant relève d'une justesse de
termes toute particulière à lʼendroit de l'incorporation godardienne désignée.

C/ LE CORPS DU SPECTATEUR

Nous sommes aussi dans un rapport de solitude avec le film. Cette évidence
s'impose lorsqu'il s'agit de croire à ce qui se déroule sur l'écran. Cet effet de
croyance se rapporte à un registre dont il appartient, dont il importe, à chacun, en
tant qu'être singulier, de produire. Cette production en soi dont l'isolement est
nécessaire confère une intimité proportionnelle à l'effet de l'appropriation. Et même si
cette production demeure illusoire, même si elle n'est pas déterminée à priori
puisqu'il y a la présentation de l'altérité, une existence extérieure se présente
nouvellement à notre conception de la vie, pour qu'ensuite nous fassions nôtre ce qui
se dresse devant nous.

En termes hétérologiques, le rapport film-spectateur établit notre propension à croire


quʼun film est d'ordre séparateur (singularisant lʼensemble du public de la salle). Il est
créateur d'un reste, car nous ne pouvons jamais nous approprier dans la totalité ce
qui se présente à nous, sous peine de le réduire.
Tenir compte pendant la projection, pendant le déroulement du film, et par la suite
dans le souvenir que l'on en a, grâce à ce reste indéfectible, inamovible,
inappropriable, du caractère proprement étranger et individuel qu'il suscite en nous,
est fondamental sous peine d'ignorer d'un film l'unité provisoire, son identité propre,
son principe de vie, qui est plus que son sens, plus que son aspect informatif et
esthétique. Entendons par principe de vie, l'idée qu'un film n'est pas doué de vie
mais qu'il représente la vie, par la recomposition du mouvement et du déroulement
d'un temps. Ce principe de représentation montre que chercher l'unité d'un film est

181
illusoire, et de plus, n'est pas constitué de l'addition des éléments qui le composent. Il
y a aussi son mouvement vers nous (expulsion) et notre participation à croire, voire à
désirer son existence (impulsion).

Un film est vivant par cette représention : par l'éclosion en nous de sa projection et
de ces traces, autant que par ces éléments expulsés. L'évidence revient encore à
dire que nous projetons autant d'images et de sons que le film lui-même.
Reste à nous de trouver des concepts suffisamment stables, une carte des voies de
passage, des déchets, des corps, pour circonscrire cet espace de rencontre, ce
centre d'images et de sons entre le film et nous, spectateurs. Il faut donc apprendre à
se séparer d'un film malgré lʼexpérience commune, pour pouvoir par la suite le
désigner.

Notre perception se trouve alors dans une situation où il est important de trouver sa
limitation. La limite de la perception du film est de lier le savoir à la reconnaissance
des images ou des sons qui coexistent dans le film. La limite perceptive n'est pas
uniquement du ressort des principes de l'hallucination (notre pouvoir de projection
imaginaire sur l'objet réel, le film), elle tient aussi à la décision de liberté d'éprouver la
représentation comme plausible au moment même où nous nous en séparons. Une
des limites sera de concevoir aussi que le film comme objet n'existe pas ou du moins
son existence pose problème pour les données de notre mémoire et de notre
perception.
Cette solitude nécessaire lorsque nous rencontrons le film, pour l'établissement de
notre croyance, base fondamentale, subjective du moindre effort de réflexion,
augmentera d'autant plus que nous devons nous en séparer.
Dit autrement, c'est donner l'expérience de la vision comme subjective. La solitude
est là et tout partage s'effectuera après, mais comment alors tenir compte des
différentes réceptions que d'autres personnes avant nous ont eu ? Comment obtenir
la somme des différents regards posés sur ce film. Perdre l'innocence de notre
vision, tenir compte des voyages passés et la reconquérir par la critique de cette
connaissance163. Tout n'est qu'affaire de mémoire, et de confrontation triangulaire

163
. Heinrich Von Kleist, Sur le théâtre des marionnettes (1804), Turin, Ed.Mille et nuits, 1994.

182
des projections : du film lui-même et de ce qu'il expulse, la nôtre, impulsive,
introspection imaginaire, séparatrice et celles des autres, devenues traces écrites.

D/ RETOUR AU PRINCIPE DʼINCORPORATION

Si nous avons déjà commencé, précédemment, à exposer lʼun des parcours possible du
corps godardien, avec son mode d'inscription dans le temps, il convient maintenant d'en
étudier son implication dans les films. Jeune débutant, le cinéaste a participé comme
acteur dans les films de futurs-cinéastes qui écrivaient aux Cahiers du Cinéma164. Ce
principe de faire participer le corps, de lʼimpliquer dans ses films et ceux des autres n'est
pas anodin. Il constitue même une étape importante de la pensée de Godard.

Le principe d'incorporation, peut se définir ou s'évaluer de différentes façons.


Cette implication d'être acteur de complément est une confrontation avec l'autre, et l'on
va consentir que cette rencontre peut se jouer aussi sur un registre sexuel, érotique,
lorsqu'il s'agit de faire entrer le corps du cinéaste en contact avec le corps du film.
Cette opération se nomme principe de lʼincorporation.

INCORPORATION
COMME INTÉGRATION DU CORPS DE L'ARTISTE DANS LE CORPS DE L'ŒUVRE.
Premièrement, on a pu établir le principe d'incorporation comme la rencontre du corps
du cinéaste avec le corps du film165. C'est un mouvement d'identification. Un mouvement
qui conduit à envahir l'homogène par le reste de soi. John G. Burke reconnut, aux
sociétés tribales, qui cherchaient par l'absorption de la chair, voire des excréments, un
caractère sacré. Dans l'acte dʼaccaparer les forces de l'adversaire, on substitue, en tant
que soi, de l'autre. Ce principe guerrier166 fait sien l'altérité qui se manifeste. On peut
dresser le parallèle avec lʼaction dʼincorporation cinématographique. Godard dispose
depuis longtemps du désir de vouloir faire un avec le film. Ajoutons que ce désir de faire
un, ne contredit en rien, l'aspect hétérogène de Godard dans le film, car il s'agit en fait
d'un amalgame de deux matières qui, dit en termes physiques, ne peuvent parvenir à
une saturation. C'est une faculté d'incorporer tout ce qui se présente devant le regard du

164
. Ref.FilmA4, Ref.FilmA5, Ref.FilmA6, et Ref.FilmA7.
165
. Pour plus de précisions, nous avons défini et enregistré toutes les incorporations de Godard dans ses
films. Voir Annexe 1. p.133. présentation de la Filmographie.
166
. John Gregory Bourke, Les rites scatologiques, Paris, Ed. P.U.F. 1981. p.204.

183
cinéaste. En guise dʼexemple, on remarquera que le plus souvent sa participation se fit
sous la forme dʼun mini-sketch, et nʼest jamais totalement homogène avec le reste du
film. On peut évoquer sa participation dans le film de Varda, où la séquence dans
laquelle il joue est formellement différente du reste du film167.

Deuxièmement, une notion récurrente, quʼon retrouve dans la définition de la modernité


au cinéma168, vise à préciser ce principe d'incorporation : le cinéaste intervient dans son
film tout en conservant son identité, cʼest-à-dire joue son propre rôle.

E/ MOI, JE : JLG, SUIS UNE MACHINE MOLLE

LA MACHINE DÉSIRANTE FACE AU DÉSIR DU DEVENIR MACHINE


A partir du monologue de Pierrot le Fou/Belmondo, qui confesse son impression d'être
une machine séparée169—exprimant une réalité cinématographique— en passant par
l'introduction de NUMÉRO DEUX, où il soliloque depuis sa salle des machines 170, Godard
a souvent opposé le corps et la machine. Il a su proposer une réflexion sur le corps au
fur et à mesure de la réalisation de ses films.

171
« Moi, je suis une machine »
On l'a vu précédemment, ce désir se manifeste au moment de la rédaction de sa
première tentative autobiographique : « Moi, je ». À cette occasion, il cite nommément
lʼécrivain américain, William S. Burroughs 172. Godard citant rarement ses sources, nous
serons dʼautant plus attentif si cʼest le cas. Cela semble fait probablement pour avaliser
les métamorphoses littéraires délirantes générées par lʼêtre humain, autant que sa
capacité de résistance, à ce quʼil peut faire subir à son propre corps.

167
. Ref.FilmA7 : Agnès Varda, CLÉO DE 5 À 7. 1960. Le film est parlant alors que la séquence est muette
et en accéléré. (à lʼallure dʼun film muet).
168
. Serge Daney, “Le corps du cinéaste en plus”, La rampe, Paris, Ed. Cahiers du Cinéma/Gallimard,
1983.p.51.
169
. Ref.Film19. PIERROT LE FOU. 1965. Voir §LES MACHINES SÉPARÉES : « J'ai, des fois, l'impression
que mes yeux et mes oreilles, ce sont des machines ... et je voudrais qu'elles soient des machines
séparées. »
170
Ref.Film41. NUMÉRO DEUX. 1976. JLG raconte :« Moi, machin avec mes machines ».
Claire Strohm, « Numéro Deux», CAHIERS DU CINÉMA, NUMÉRO SPÉCIAL GODARD: Godard 30ans
depuis. Ed.de lʼÉtoile.1991.p.122 « Son usine laboratoire Sonimage où Némo/Godard depuis sa salle des
machines (…) ».
171
. Ref.178.18.Moi, Je. Projet de film (1973). p.215.
172
. Ref.178.18.Moi, Je. Projet de film (1973). p.216. Un extrait du Ticket qui explosa est référencé.

184
LA DISSOCIATION D'ETRE UNE MACHINE CONDUIT AU PERSONNAGE JLG
D'abord nous pouvons estimer que lʼinfluence avouée provienne du livre The Naked
Lunch173, puisque dans le récit, l'écrivain dépasse le stade classique du fétichisme avec
sa machine à écrire. Effectivement, en plus de détenir une formidable capacité de
réponse et dʼassouvissement des diverses sollicitations d'ordre sexuel de l'auteur, la
machine est douée de parole. Burroughs en vient même à définir la perception de
certains types humains (à la suite de Franz Kafka) comme d'énormes insectes parasites
squattant le corps de l'homme, et changeant dʼhôte à leur guise174. Il procède, dans cette
création, comme Godard, à la conception dʼune schize entre le corps et l'esprit qui
lʼhabite. Ainsi, pareillement, JLG met en application l'idée que l'on est seul à être
plusieurs 175. Ce sera le personnage dʼYves Montand (deuxième corps de Godard lui
écrivant son monologue dans le film TOUT VA BIEN), qui donnera lʼun des premiers
exemples de remise en cause devant la caméra, quand il fera son autocritique, dénigrant
sa condition de réalisateur de publicités176. Les personnages dédoublés physiquement
du récit de Burroughs provoquent lʼhypothèse que Godard pouvait prétendre à se penser
comme personnage de film, dissocié de son propre moi, mais aussi autrement que de
choisir un acteur qui aurait été son alter ego. À ce moment précis, politique, son
jugement sur la fiction traditionnelle de cinéma porte sur lʼabandon de lʼutilisation de
personnages non issus de la réalité.177

C'est à partir de lʼincorporation de sa première image en tant que cinéaste — première


manipulation en banc-titre de son image (photographique) de cinéaste dans un de ses
films — que dans son projet « Moi, Je », il énonce aussi pour la première fois son nom
en abréviation :

173
. William S. Burroughs, The Naked Lunch (1959), (Le festin nu, traduit par Eric Kahane), Paris, Ed.
Gallimard, 1964.
174
. William S. Burroughs, Le festin nu, Paris, Ed. Gallimard, 1964.p.70 : « Un gardien en uniforme de peau
humaine. ou encore » p.100 : « L'homme se trémousse... Sa chair se change en une gelée visqueuse (...)
se volatilise en fumée (...) dévoilant un monstrueux mille-pattes ».
175
. Ref.178.18.Moi, Je. Projet de film (1973). p.200.
176
. Ref.Film38.TOUT VA BIEN (coréal J.P.GORIN, 1972).
177
. L'exemple du film collectif de Nicholas Ray fut pour JLG une révélation majeure. Dans ce film il se met
en scène en tant que Nick Ray, et fait jouer les étudiants qui participent à son atelier de réalisation (WE
CAN'T GO HOME AGAIN. 1973).
Le retour à la fiction en 1980, avec SAUVE QUI PEUT (LA VIE).[Ref.Film46B. 1980] se fera avec Jacques
Dutronc s'appelant dans le film : Jean-Luc Godard. C'est un retour dans la mesure où c'est le premier film
non collectif qu'il signe seul depuis 1968.

185
"Seq.9. moi, JLG, derrière la caméra, comme dans la séquence de LOIN DU VIETNAM, disant et
178
montrant avec le langage et mon corps ce que c'est que vivre à et dans un certain régime."
ACTE TROIS
La Trilogie179 de l'écrivain américain prodigue également des liaisons subtiles avec la
conception godardienne. Elle revient notamment sur la possibilité dʼun corps marchand.
La mise sur le marché de son corps pour en obtenir sa propre satisfaction fait le jeu de
coïncidences. Coïncidence du plaisir lié à une triple déchéance volontaire : de son corps
physique (drogue), sexué (prostitution) et moral (prostitution encore : dépravation
psychologique). Aussi le parallèle qu'offre Burroughs, est de contrôler une identité par
les actes : se droguer, se prostituer, se satisfaire et jouir peuvent devenir une seule et
même action. Traverse que Godard empruntera, quand il fait coïncider l'acte de filmer,
avec l'acte marchand (FILM-MARCHANDISE180) et avec l'acte sexuel (cinéaste-
proxénète et cinéaste-client). L'incorporation va se révéler d'une grande importance car
elle démontre que sans l'écriture, sans le récit, c'est la prédominance du corps dans sa
chorégraphie qui prend position dans le film.181

LA SITUATION DE L'HOMME182 DANS LE CINÉMA AVANCE,


IL AVANCE VERS SON AVÈNEMENT QUAND L'ÉCRITURE EST DÉCENTRÉE.
La position théorique de Godard, consiste à déplacer l'écriture du centre de la pensée du
cinéma, s'agissant ici d'une pensée historique, afin d'y substituer l'image du corps. Elle
est là pour témoigner d'un nouveau désir : — à partir du moment où le cinéma se conçoit
comme variation d'images scénarisées dont les hommes sont l'unique objet183 — le désir
de fonder pratiquement, une anthropologie des images. Pour le simple et premier motif
que les films sont, dans leur immense majorité, classiquement, au niveau quantitatif,
anthropocentriques. L'homme est devenu le modèle de l'histoire représentée184. Et ce
centre, si le texte en devient secondaire, commentaire de l'image devenue centrale, ce
nʼest plus que trajectoires, obstructions, glissements, de ce corps, et dont il reste à faire
178
Ref.178.18.Moi, Je. Projet de film (1973). p.207. Pour plus de détails voir Note 34 et Ref.Film24.
CAMÉRA ŒIL. 1967 (titre du sketch dont il est issu).
179
. William S. Burroughs, The Soft Machine (1961), The Ticket That Explosed, (1962), Nova Express
(1964), (Traduction : Claude Pélieu, Sylvia Beach), Paris, Ed. Christian Bourgois, respect. : La machine
molle,1968; Le ticket qui explosa, 1969 et Nova Express, 1970.
180
. Ref.Film41. NUMÉRO DEUX. 1976. Carton que lʼon voit sur un des deux écrans.
181
. Nicole Brenez dans son livre propose une analyse figurale du film dans un positionnement des valeurs
du corps similaire. Nicole Brenez, De la Figure en général et du Corps en particulier. Lʼinvention figurative
au cinéma, De Boeck Université, 1998.pp.56-75.
182
. Il ne s'agit pas de l'homme, mâle opposée à la femme mais bien de l'homme : le représentant de
l'espèce humaine.
183
. Jean Louis Schefer, Du monde et du mouvement des images, Ed. de l'Etoile / Cahiers du Cinéma,
1997.p.23.
184
. Jean Louis Schefer, Cinématographies, Ed. P.O.L., 1998.p.86.

186
état des conséquences de sa modélisation face à l'histoire et à la production d'une
pensée.

LA VISION SUBVERSIVE QUE PROVOQUE LE CORPS


Signalons à cette étape de notre travail, qu'il ne s'agit ici nullement d'établir un
parallélisme entre la recherche dʼune nouvelle modalité de type visuel du récit historique
avec la perfection des corps. En son temps185, sans se soucier des a prioris impliqués
par une politique sectaire, Michel Mourlet avait su proposer une hiérarchie de la pureté
des formes ; en associant dans la perfection de la mise en scène celle du corps des
acteurs 186. Mourlet prétendait à une conception classique, la nôtre justement s'en éloigne.
Le principe d'incorporation ici présenté, se forge en effet sur le souci du corps mais
certainement pas sur son désir de perfection ; ce qui aboutirait logiquement à une
homogénéité des principes, alors que notre recherche tend à faire valoir le reste de cette
homogénéité, et démontrer le fondement hétérogène du cinéma, ou, pour reprendre à
bon escient le concept de Bazin, la nécessité de son impureté187.

La soustraction de l'élément textuel dans l'image étudiée va faire ressortir le corps de


l'homme, celui-ci pourra déclencher, par ses gestes, lʼincorporation d'une pensée du
cinéma. Ce constat, Serge Daney le révèle, afin d'introduire la notion de modernité. Il
énonce que ce qui était “moderne”, dans ce cinéma, c'était la décision implicite de ne
plus partir “des hommes” mais de leur environnement188. Godard l'avait aussi pressenti,
et va produire au moment de la production du film HdC, une image emblématique de
cette préoccupation.

COMMENT RÉAGIT LE CORPS ?


La gesticulation du corps, sa chorégraphie, les mouvements des personnes et
personnages filmés sont la survivance d'un langage qui date d'avant le langage et dont

185
. Michel Mourlet fut critique aux Cahiers du Cinéma et rédigea cet article célèbre : “Sur un art ignoré”
n°98. 08/1959, dans lequel il énonce, avant la phrase du MÉPRIS —que Godard attribue à Bazin—, un
manifeste proprement élitiste sur la beauté du corps, qui laisse perplexe quant on songe aux
conséquences politiques qu'il suscite : une pensée fasciste subversive. Mourlet écrit p.34 : “Puisque le
cinéma est un regard qui se substitue au nôtre pour nous donner un monde accordé à nos désirs, il se
posera sur des visages, des corps rayonnants ou meurtris mais toujours beaux, de cette gloire ou de ce
déchirement qui témoignent d'une noblesse originelle, d'une race élue qu'avec ivresse nous
reconnaissons nôtre, ultime avancée de la vie vers le dieu.”
186
. Michel Mourlet, “Sur un art ignoré”, CAHIERS DU CINÉMA. n°98. 08/1959.p.35. Mourlet écrit : “Fellini
a épousé Giulieta Masina(sic), donc ses films sont grotesques.CQFD”
187
. André Bazin, “Pour un cinéma impur”, Qu'est-ce que le cinéma ? tome II, Paris, Ed. du Cerf, 1959.p.7.
188
. Serge Daney, “Le corps du cinéaste en plus”, La rampe, Paris, Ed. Cahiers du Cinéma/Gallimard,
1983.p.51.

187
la sexualité atteste et garantit la survie. Cette pratique a bénéficié d'une philosophie
propédeutique : D.A.F. de Sade. Son système fut critiqué afin de puiser dans ses
évidences les éléments heuristiques. Aussi Pierre Klossowski propose :
Puisque la gesticulation, par la multiplicité de ses actes, par ses réitérations, mais aussi
par-delà la singularité de son interprétation, forme un langage sourd-muet ; ce langage
propose alors un code qu'il devient possible de déchiffrer189.
On observe chez Godard la production d'un code emblématique sous forme d'image, ce
qui pourra nous servir de règle. Nous allons tenter de le déchiffrer.

4/ L'IMAGE DU COUPLE HOMME / FEMME, L'EMBLÊME DU FILM DES HDC

UNE IMAGE EMBLÉMATIQUE


Cette image sʼavère emblématique. Utilisée de la part de Godard comme une figure
récurrente, sa signification nous demeure ésotérique190 car sans explications apparentes
ou commentaires. En effet, il n'y a ni carton, ni titre, ni rien d'écrit qui accompagne cette
image pour tenter de l'expliquer. Pourtant elle va symboliser un questionnement de la
part du cinéaste, et désigner lʼidée de lʼincorporation au cinéma.

L'IMAGE REPRÉSENTE
UN COUPLE HOMME/FEMME AVEC UNE MACHINE CINÉMA.
PIERRE ANGULAIRE EMBLÉMATIQUE DE LA FORME GESTUELLE
Cette image, qui va revenir incidemment de nombreuses fois dans le film HdC, est
originellement un photogramme, tiré d'un long métrage de fiction d'Ingmar Bergman : LA
PRISON. La photographie, en noir et blanc, représente un couple hétérosexuel qui, côte
à côte, nous regarde. Devant eux, siège un petit projecteur de cinéma Pathé Baby.

Ils sont l'image emblématique, figurant une des définitions possibles du cinéma.
Ce couple homme/femme, Birger Malmsten et Doris Svedlund, interprètent deux
personnages dans le film de Bergman, datant de 1948 : FANGELSE (LA PRISON).
LʼIMAGE DU COUPLE DEVIENDRAIT L'AFFICHE DU FILM DANS LE FILM.

189
. Pierre Klossowski, Sade, mon prochain, Ed. du Seuil, 1967.p.31.
Actualisant le geste (l'acte aberrant de l'exercice sexuel), l'écriture procure l'extase de la pensée.(p.51).
190
. Dans la Troisième partie nous reviendrons sur l'importance de ce terme.

188
Nous allons être témoins des apparitions successives de cette Image-emblème. Ainsi,
des variations formelles ont été produites, et cela la rapproche indubitablement de ce
que nous avions vu précédemment : le mauvais traitement que JLG faisait subir aux
titres des épisodes, lorsqu'ils devenaient des cartons191. De plus, l'emploi de lʼImage-
emblème arrive précisément aux moments de halte ou de reprise du film192. Sa situation
nous fait comprendre qu'elle se place dans un espace distancé du reste de la continuité
du film.

Cette image du couple peut être considérée comme un titre ou carton. Puisque cette
image est un photogramme, elle est de même origine de celles quʼon utilise quand on
fabrique les affiches de films. L'apparition régulière du titre : Histoire(s) du cinéma avec
lʼimage du couple —ou bien juste un peu avant ou juste après—, augmente cet effet
emblématique193.

Si cette image peut être considérée, par sa situation et son fonctionnement, comme un
carton, il nous reste à comprendre son indication.

CETTE IMAGE PEUT D'ABORD REPRÉSENTER LE FILM DONT ELLE EST ISSUE.
Le film de Bergman ne se déroule pas dans une prison réelle. Le titre du film est à
prendre au sens figuré. La prison, dont il s'agit dans le film, n'est pas une fiction se
déroulant dans l'univers carcéral, mais désigne en fait le monde, les cadres de la vie
sociale, l'enfermement dans laquelle se déroule notre existence terrestre.
LA PRISON est un film pirandellien, car il expose un personnage scénariste, qui se
propose d'écrire un film sur l'Enfer. Bergman dévoile ainsi une réflexion cruciale de
l'auteur sur son métier194 par l'entremise classique du film dans le film.

L'histoire du film a été l'objet d'un résumé par Godard, à l'intérieur d'un article général sur
le cinéaste (Bergmanorama)195 qu'il a rédigé comme suit :

191
. Voir Première partie. Chapitre 1.#4. Les altérations des titres. Il sʼagit dʼeffet larsen, image écho, de
mauvais cadrages et recadrages où disparaissent certains détails.
192
. HdC.3a.la monnaie de l'absolu. p.41. HdC.3b.une vague nouvelle. p.155. Aussi régulièrement c'est le
titre « HISTOIRE(S) DU CINEMA » qui accompagne cette image.
193
. HdC.2b.fatale beauté. p.36. ou encore HdC.4a.le contrôle de l'univers. p.99.
194
. Philippe Demonsablon, “Rétrospective Bergman”, CAHIERS DU CINÉMA n°85.07/1958.p.7. Cette note
vaut pour les citations en italique des deux phrases précédentes.
195
. Ref.94. Bergmanorama. (I.Bergman, Rétrospective à la Cinémathèque française), CAHIERS DU
CINÉMA n°85.07/1958.p.4-5.

189
« Un metteur en scène se voit proposer par son professeur de mathématiques un scénario sur le
diable. Pourtant ce n'est pas à lui que surviendront des séries de mésaventures diaboliques, mais
bien à son scénariste auquel il a demandé une continuité. »

On peut se rendre compte, juste à partir de ce résumé, que l'utilisation multiple de la


photographie dans le film HdC ne peut être une référence au film de Bergman
directement, même si Godard l'a cité dans Bergmanorama, et même si la photo peut
exprimer pour Godard, à l'instar du personnage du scénariste dans la fiction, une
difficulté de rédiger une continuité des HdC.

L'IMAGE EMBLÈME DE LA SEULE SÉQUENCE ISOLÉE DU FILM


Lʼimage du couple pourrait alors évoquer plus précisément la séquence dont elle est
issue, sans se rapporter au récit dʼensemble du film :
Le photogramme du film peut être une image qui viendrait résumer la séquence dont elle
provient. Prise au moment dʼune séquence dans un grenier, elle serait un condensé
iconique de l'action de cette séquence, isolée du reste du film. Ajoutons pour cette
hypothèse, que cette séquence a été perçue comme un acmé du film, et illustre
pleinement l'action des HdC. En parallèle nous avons :

Le spectacle d'un film qui met en scène un homme qui montre un petit film à une femme.
Le spectacle des HdC qui met en scène JLG qui montre des extraits de films au public.
Les deux films nous désignent comme spectateurs dʼun homme qui nous guide face à la
projection dʼun film, devant le monde comme spectacle. Cʼest la mise en abyme de
lʼopération cinématographique.

Nous sommes spectateurs, par champ contre-champ, de la matière et de ceux qui la


regardent. On retrouve exactement, par le même processus, dans ce degré de
participation, la condition de l'accession à la modernité du film de R.Rossellini (Voyage
en Italie, 1954), quand Rivette196 décrit les visites guidées d'Ingrid Bergman à travers les
sites touristiques de Naples. Comme nous, spectateurs des HdC, nous regardons des
extraits de films, de peintures, de musiques, et nous voyons à travers lʼhistoire, aussi
bien ceux qui assistent à cette projection dans le grenier. Le personnage masculin (B.M.)

196
. Jacques Rivette, “Lettre sur Rossellini”, CAHIERS DU CINÉMA n°46.05/1955.p.16/54.

190
montre, dans un grenier, à une jeune fille (D.S.), sur un petit projecteur de type Pathé
Baby, des petits films burlesques, à la Méliès, qui visiblement ont été réalisés par
Bergman lui-même197. Ce moment, selon Jean Douchet qui fit la critique lors de la sortie
du film, vient justement exprimer la force du couple :

198
« Un sentiment de communion absolue entre deux êtres (...), un havre . Mais au lieu d'opposer
arbitrairement le couple à une société abstraite, il (I.B.) cherche à partir du couple, comment des
échanges peuvent s'établir, compte tenu des autres et d'un passé vécu ; et les scènes les mieux
venues (ainsi la séquence dans le grenier) sont précisément celles où cette recherche
199
aboutit » .

L'IMAGE DU COUPLE PEUT SIGNALER UNE DUALITÉ EMBLÉMATIQUE


Shigehiko Hasumi rappelait que la figure du couple occupe dans l'œuvre de fiction de
Godard une place fondamentale parce qu'elle est tout d'abord essentiellement simple200.
Ensuite cette figure qui dispose deux personnages se retrouve dans ses écrits critiques,
rien que, par la prévalence simple de toute une série de notions, placées l'une face à
l'autre dans une volonté dialectique. C'est l'acte premier du montage que de produire
une copulation hétérogène, un mariage forcé de termes qui n'étaient pas appelés à
l'être : la vie et le cinéma201, la fiction et le réalité202, l'ancien et le nouveau203, le masculin
et le féminin204...

LE COUPLE HOMME/FEMME : RAPPORT DE LA REPRODUCTION


Lʼimage du couple Homme/Femme peut donc être perçu comme le produit d'un rapport
dialectique. Rapport d'une conception justement, pour aboutir à une troisième personne.
Le couple H/F établit son rapport, sa reproduction à l'instar du couple de deux images
(l'image montée avec une autre image) qui va donner naissance à une troisième.

197
. Méliès est un de mes dieux préférés. Bergman, à propos de ce petit film burlesque qu'il a tourné.
S.Björkman, T.Manns, J.Sima, Le cinéma selon Bergman (Entretiens), Ed. Seghers. 1973.p.58.
198
. Jean Douchet, “L'instant privilégié”, CAHIERS DU CINÉMA n°95.05/1959.p.52.
199
. Philippe Demonsablon, “Rétrospective Bergman”, CAHIERS DU CINÉMA n°85.07/1958.p.8.
200
. Shigehiko Hasumi, “Le cinéma c'est deux acteurs et une voiture...”, A propos de cinéma et d'histoire,
Table Ronde, Deuxième journée 08/1995, Locarno, Non édité.
201
. Ref. 145. Trois textes pour Venise, et Ref.151. Pierrot mon ami.
202
. Ref.95. Une fille nommée Durance, et Ref.156. 3000 heures de cinéma. Fiction contre le réel.
203
. Ref.A21. Du côté de chez Manet. ARTS. n° 529, 1956.
204
. Ref.Film20.MASCULIN FEMININ. 1966 mais surtout Ref.125. Édition de la bande-son LES
CARABINIERS. Où l'on comprend à l'ouverture du film que l'image (l'appareil photo) et le son (les disques
vinyles) correspondent respectivement au héros et à l'héroïne.

191
“Le cinéma c'est une image plus une autre qui en forme une troisième, la troisième étant du reste
205
formée par le spectateur au moment où il voit le film.”

Ce rapprochement peut être considéré comme une première étape de notre réflexion car
le couple décrit ci-dessus (une image + une autre image) et qui fait face au couple H/F,
est un couple homogène. On retiendra avant tout la conception du couple produisant sa
véritable correspondance esthétique, c'est-à-dire le couple cinématographique
hétérogène représenté par le couple image-son.

LE MONTAGE SAILLIE : EN VUE DE LA CONCEPTION D'UN TIERS


LA POSSIBILITÉ POUR GODARD DʼETRE UNE IMAGE

Lʼimage du couple H/F va donner naissance au corps en tant qu'image. Et le cinéaste va


sʼavérer être impliqué par cette possibilité visuelle. Nous évoquons ici la possibilité pour
le corps godardien de devenir image. On assiste alors à l'affirmation d'un moi sous
l'étendue d'une image. Cʼest le célèbre : je suis une image qu'il a énoncé à Avignon en
1980. L'image dʼun garçon qui fait des films (...)"206

On exigera de ce garçon dʼêtre sage comme une image207. Cʼest encore une image de
JLG enfant qui sera monté comme élément personnel privilégié au moment de la
production de son autoportrait filmé208.
Mais bien avant, déjà, dans son projet Moi, je, il plaçait sur une page une définition qui
vient rappeler une nouvelle fois la figure du couple et du montage :

209
“Enfant né du montage d'un spermatozoïde sur un ovaire”

Il opère le déplacement sémantique du rapport Cinéma/Sexualité entre montage et


procréation. Rappelons simplement que si Godard, en tant qu'homme, demeure le
produit de ses parents —issu d'un homme et d'une femme—, le corps godardien dérivé
de ce rapport est en fait de type double, conservant la part masculine et féminine en
même temps :

205
Ref.305. Propos rompus (Festival d'Avignon), CAHIERS DU CINÉMA. n°316. 1980.
206
. Ref.305. Propos rompus (Festival d'Avignon), CAHIERS DU CINÉMA. n°316. 1980.
207
. Conférence de Presse dʼAllemagne Année neuf Zéro. 08-11-1999. (TV.Antenne 2).
208
. Ref.Film74. JLG/JLG, AUTOPORTRAIT DE DÉCEMBRE. 1994.
209
. Ref.178.18.Moi, Je. Projet de film (1973). p.200.

192
"Je me considère toujours comme un garçon qui fait des films, mais je considère que l'appareil de
production que j'ai effectivement monté moi-même (...) c'est plutôt un organisme de type féminin.
(...) Alors moi je suis les deux, je suis celle qui se met à genoux, qui montre son cul et suis à la
210
fois l'autre" .

Le corps godardien intègre sexuellement la notion d'altérité. Cette notion reste fondatrice
de la conception qu'il produit du cinéma. Pour pouvoir se définir en tant que cinéaste, —
non pas face au producteur, ni moins à aucun autre technicien ou artiste qui peuvent
collaborer avec lui—, lʼaltérité réside dans celui avec lequel il ne peut y avoir de rapport
(avant la projection) : le spectateur.

"Moi, je suis une image, je suis la partie de vous... je suis l'autre, je suis l'autre vous, je suis
211
l'autre moi-même."

LE COUPLE HOMME/FEMME REPRÉSENTE UN RAPPORT IDENTIQUE


AU DOUBLE PROCESSUS DE L'OPÉRATION DU CINÉMA :
MONTAGE et VISION

On peut affirmer que Godard a produit toujours deux types d'actes cinématographiques
fondamentaux, et ceci dès le début de la production de ses écrits jusqu'aux derniers
films. Le premier serait le montage, la confrontation hétérogène, puis le second plus
complexe, mais plus général encore, est la visualisation humaine de la pensée.
Seule l'opération cinématographique, par la captation de la chorégraphie des
personnages humains, parvient à nous la transmettre. Philippe-Alain Michaud a trouvé le
lieu de correspondance212 entre l'entreprise des Mnémosynes d'Aby Warburg et les HdC,
à partir de cette même transmission213. Dans les HdC, on retrouve ce double processus
par l'entremise simple de l'évocation de l'image et du son. L'idée de Godard consiste à
transformer ce nouveau rapport en lui conférant lʼélément humain, et c'est de nouveau
sous forme de couple qu'il le présente :

210
Ref.305. Propos rompus (Festival d'Avignon), CAHIERS DU CINÉMA. n°316. 1980.
211
Ref.305. Propos rompus (Festival d'Avignon), CAHIERS DU CINÉMA. n°316. 1980.
212
L'hypothèse que tous deux concourent à l'édification d'une Anthropologie visuelle de l'histoire de l'Art.
Avec ces deux auteurs c'est l'envahissement du discours de l'histoire de l'art par la photographie et la
substitution de cette dernière au texte.
Philippe-Alain Michaud, Passage des frontières. Mnémosyne entre histoire de l'art et cinéma , TRAFIC
n°45.Printemps 2003.p.62.
213 ème
Voir infra : 3 Partie.CH3.Plan par plan. Seq 3 Plan 12b. Iconologie des intervalles. p.372.

193
[L'IMAGE ET LE SON / COMME DES GENS ]214

Puis il les assigne à une action qui démontre que la dualité est fondamentale. Cela
traduit encore en acte humain : un mariage.

215
… [QUI FONT CONNAISSANCE / EN ROUTE / ET NE PEUVENT PLUS SE SÉPARER ] ,

« comme des gens » suggère que nos deux éléments cinématographiques doivent se
soumettre à l'exemplarité humaine, à leur transformation anthropomorphe. Plus que cela,
c'est l'idée de les incorporer, pour les faire vivre dans une péripétie humaine. Une
histoire d'amitié ou d'amour se profile, lorsque la rencontre et le refus de la séparation
sont évoqués. Serge Daney, dans un article théorique important, sur la pédagogie
godardienne216, rapportait également dans cette série d'opposition dialectique la figure de
copulation, dont la désignation première restait l'image de ce couple cinéma devenu
anthropomorphe, et lié par le rapport des sexes (leurs différences et leur opposition) :

"Le son (Elle), L'image (Lui) /La voix (Elle), L'œil (Lui)"217

5/ LE CORPS GODARDIEN, PARCOURS 2

LE CORPS GODARDIEN
Trouvant des exemples dans les trames de ses fictions, (comme nous lʼavons développé
dans l'Annexe 1), Daney repère —dans le principe de l'incorporation qu'il va nommer
corps godardien—, une différence sexuelle. Cette différenciation va se prolonger jusqu'à
leur distribuer une fonction (image ou son) par organe affilié.

"Pour avoir trop parlé d'images et de sons dans l'abstrait, on a oublié de remarquer qu'il y allait
aussi et surtout du corps. Le corps godardien, c'est ce qui accueille, ce qui loge l'œil, c'est

214
. HdC.1a.toutes les histoires. p.95.
215
. HdC.1a.toutes les histoires. p.95.
216
. Serge Daney, “Le thérrorisé (pédagogie godardienne)”, CAHIERS DU CINÉMA n°262/263,
04/1976.p.32.
217
. Serge Daney, “Le son (Elle), L'image (Lui) /La voix (Elle), L'œil (Lui)”, CAHIERS DU CINÉMA
n°262/263, 04/1976.p.40. Ce texte est en postface de lʼarticle "Le therrorisé", il se situe à l'intersection de
plusieurs de nos préoccupations.

194
l'image. L'image c'est le domaine de l'homme (...) elle est ce dont il répond. Mais il n'en répond
que parce qu'on lui en cause. On : une voix, une voix off, toujours une voix de femme. (...) Le
corps de l'homme est un œil exorbité, le corps de la femme une voix qui ne cesse d'intervenir, de
218
questionner."

Découvrir que le corps godardien, comme lieu de réception, c'est l'image219, participe, de
fait, au constat quʼaccomplira Godard lorsqu'il énoncera, à son tour, en 1979 : je suis
une image220. Il opère alors une substitution d'identité : sʼil est identique à une image c'est
parce quʼil devient ce que son œil regarde. De plus, une différenciation sexuelle va se
produire sur les types de machines de reproduction audiovisuelles. On va constater que
cela implique la fonction des organes des opérateurs :

221
[ homme (caméra), Femme (microphone) ]

Cette différenciation, sexuelle, se prolonge dans la fonctionnalité des organes. Serge


Daney le constate dans le cinéma de Godard (La voix (Elle), L'œil (Lui)). Il considère sa
pratique dans la manipulation des machines reproductrices d'images et de sons,
conférant une sexuation dans le rôle (mâle ou femelle) des utilisateurs.

L'homme devient œil et se retrouve derrière un appareil de prise de vues


(photographie : Eddy Constantine dans ALPHAVILLE222, / cinéma : Yves Montand,
réalisateur de publicités dans TOUT VA BIEN223) .
La femme devient parole et se retrouve derrière un microphone (radio : Jane Fonda dans
224 225
TOUT VA BIEN ) / musique, chant : Chantal Goya dans MASCULIN FEMININ )

218
. Serge Daney, “Le son (Elle), L'image (Lui) /La voix (Elle), L'œil (Lui)”, CAHIERS DU CINÉMA
n°262/263, 04/1976.p.40.
219
. Serge Daney, “Le son (Elle), L'image (Lui) /La voix (Elle), L'œil (Lui)”, CAHIERS DU CINÉMA
n°262/263, 04/1976.p.40.
220
. Ref.305. Propos rompus (Festival d'Avignon), CAHIERS DU CINÉMA. n°316. 1980.
221
Serge Daney, “Le son (Elle), L'image (Lui) /La voix (Elle), L'œil (Lui)”, CAHIERS DU CINÉMA
n°262/263, 04/1976.p.40. Cʼest un montage des photogrammes : Eddie Constantine en train de prendre
une photo avec son appareil aux côtés de Jane Fonda de profil, parlant devant un microphone.
222
. Ref.Film18.ALPHAVILLE. 1965.
223
. Ref.Film38.TOUT VA BIEN. 1972.
224
. Ref.Film38.TOUT VA BIEN. 1972.
225
. Ref.Film20.MASCULIN FEMININ. 1966.

195
Daney applique également cette découverte du corps godardien à la conséquence de
l'histoire du cinéma. Dans sa conception, la rencontre se produit par la voix de la
femme :
"Et cette voix (celle de Jane Fonda dans TOUT VA BIEN ne parle que du sens des évènements
(68), de l'Histoire. Et cette image est celle de corps prostitués (...). C'est par la voix que l'Histoire
déboule dans les images comme ce qui les éventre, les marque, les assujettit à la loi. Par la voix
d'une femme."

On remarquera à ce sujet, dans les HdC, la répartition par sexe des rôles et des
discours : parole d'homme et discours de femme226. Pour conclure avec l'image du
couple de LA PRISON (Fangelse), on peut affirmer, que cette image fixe est le point
d'achoppement d'une technique que Godard va essayer d'appliquer pour éprouver la
limite de ce système.

L'IMAGE DU COUPLE H/F RÉVÈLE DANS LES HDC LA PRÉOCCUPATION DE LA


DIRECTION DʼACTEURS.
Les Histoire(s) du cinéma procèdent, avant tout, à la mise en scène d'hommes et de
femmes. Déjà en tant que critique, on retrouvait une conception godardienne de
l'incorporation par l'avis qu'il porte sur les acteurs. C'est par le désir de changer la valeur
du comédien, pour le transformer, lʼamener en contre-emploi, qu'il projette une vision du
présent vers le futur.
On peut se reporter à ce propos, dans lʼannexe 1, à lʼarticle refA22 pour constater
l'inventivité qu'avait Godard en 1957 dans Arts.

“Comment utiliser nos vedettes” est un tableau qui réside au centre d'un article sur les
Acteurs Français 227. Il présente, non sans humour, la liste de 35 acteurs, actrices les plus
importants du moment, et consiste à dénoncer le rôle dans lesquels on les enferme
(jouent trop souvent un rôle de ... ) —Quand Martine Carole joue trop souvent un rôle de
grande amoureuse , Jean Gabin lui joue trop souvent un rôle de parisien—, pour enfin,
proposer la transformation nécessaire pour activer leur carrière : (devraient interpréter
un rôle de... ). Ainsi Martine Carole devrait interprèter la bourgeoise popotte alors que
Gabin lui devrait essayer dʼêtre un paysan.

226
. Serge Daney, “Le thérrorisé (pédagogie godardienne)”, CAHIERS DU CINÉMA n°262/263,
04/1976.p.36.
227
. Ref.A.22. Les acteurs français, de bons produits sans mode d'emploi, ARTS n°619, 05/1957.

196
Lʼanalyse rétrospective du présent des acteurs va fournir à JLG l'inflexion nécessaire
pour pouvoir se projeter dans l'avenir et changer selon son souhait.

LE DÉSIR DE CHANGEMENT PASSE PAR LE DÉSIR DE CHANGER LES ACTEURS,


C'EST DÉSIRER INFLUER CORPORELLEMENT SUR LE COURS DE L'HISTOIRE DU
CINÉMA FRANÇAIS.

On repère ici, la volonté d'un changement historique, possible par la transformation


physique (le potentiel humain des vedettes qui constituent le cinéma français). Ce désir
se réalisera avec l'arrivée de la Nouvelle Vague et le choix dʼun nouveau type dʼacteurs.
Ce lien entre les acteurs et lʼhistoire se retrouve dans les HdC. On retrouve une trace de
ce procédé grâce à l'apparition d'un carton évolutif [LES ACTEURS DE L'HISTOIRE] 228. Ce
désir de changement n'est pas sans conséquences, il est révélateur pour Godard d'une
vision d'ensemble sur le cinéma français contemporain. Sans procéder de façon
téléologique, on peut affirmer que ce tableau trahit ou témoigne de l'insatisfaction réelle
de l'état présent du cinéma. Insatisfaction partagée et communiquée également par
François Truffaut, à la même période, par un grand nombre d'articles dans les mêmes
revues : Arts ou les Cahiers du Cinéma229.

228
. HdC.1b.une histoire seule. (PLAN 1100). les actes et les heures devenant les acteurs.
Voir le commentaire du titre 1b.une histoire seule (Première Partie) où est montré l'évolution de ce carton
une trace du glissement de l'histoire en cinéma.
229
. François Truffaut, “Le Cinéma Français crève sous de fausses légendes”, ARTSn°619, 15-
21/05/1957.p.1. et F.Truffaut, “Une certaine tendance du cinéma Français”, CAHIERS DU CINÉMA
n°31.01/1954.p.15-29..

197
CHAPITRE TROIS / INFLUENCE ET DÉSIR : LE FILM DU SOUVENIR
1/ PRÉDÉTERMINATIONS DU DÉSIR : FIGURES DU CINÉPHILE
2/ LES LIEUX DU DÉSIR : CINÉ-CLUB ET LA CINÉMATHÈQUE
3/ LES FIGURES TUTÉLAIRES DU DÉSIR DE CINÉMA ET D'HISTOIRE.
4/ FIGURE TUTÉLAIRE DU DÉSIR 1 : HENRI LANGLOIS
5/ FIGURE TUTÉLAIRE DU DÉSIR 2 : ANDRÉ BAZIN
6/ FIGURE TUTÉLAIRE DU DÉSIR 3 : ANDRÉ MALRAUX
7/ LE DOMAINE DES MORTS (LA RÉPONSE DES TÉNÈBRES) [MALRAUX, LANGLOIS, SUITE]
8/ FIGURE TUTÉLAIRE DU DÉSIR 4 : ÉLIE FAURE
9/ CONCLUSION. LE FILM DU DÉSIR.

1/ PRÉDÉTERMINATIONS DU DÉSIR : FIGURES DU CINÉPHILE

" (...) J'aimerais parler (...) en tant que producteur de films, et en tant, en même temps, que
230
visionneur de films"

On remarquera lʼubiquité du désir de Godard : Être dans une double situation, celle
se trouver en amont de la projection du film (cʼest-à-dire la production dʼun désir de
faire un film) tout en résidant dans la salle, désir de visionner ce quʼil a fait.

L'INFLUENCE EST CE QUI SIÈGE À LA PRÉDÉTERMINATION DU DÉSIR.


Comme nous venons de l'énoncer, il est important d'établir le contexte de la
fabrication du film. Sans vouloir surinterpréter, et prospecter dans l'inconscient de
l'artiste pour y déceler une intentionnalité, nous pouvons raisonnablement relever un
certain nombre de traces 231qui ont conduit Godard à vouloir faire ce film, à vouloir
faire de l'histoire du cinéma. Mais avant même de pouvoir repérer, dans ses articles
ou dans ses films, une matière qu'il va réemployer, il est utile, voire indispensable, de
comprendre en quoi et comment ce désir de faire ce film, s'est formé et se trouve
déjà bien avant la réalisation du film lui-même. Nous essayerons dans ce chapitre de
faire état de l'influence qui l'a conduit à réaliser les HdC.

En conclusion, il restera à comprendre comment adviennent les différentes formes


produites par l'exercice de ce désir. Cʼest lʼobjet du chapitre suivant qui viendra clore
cette partie. Le film étudié, rien que par l'énonciation du titre, suggère l'idée de
transmettre une connaissance historique du cinéma. Il reste à supposer que le savoir
du cinéma, de l'histoire et de l'histoire du cinéma, élaboré par JLG, peut se constituer

230
. Ref.178.20. Les cinémathèques et l'histoire du cinéma.(1978).p.286.
231
. Ref.173. Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros, 1980.p.111-112 :
"Et finalement, l'histoire qu'on fera du cinéma sera une trace, comme un regret que ça n'est même pas
possible de faire l'histoire du cinéma, mais on en verra des traces."

198
en connaissances. Il sʼagira dʼanalyser les conditions de transmission, si
transmission il y a.

D'emblée, l'ambiguïté représentée par l'indice de la multiplicité (le "s" du pluriel mise
en parenthèses dans H(s)dC) consacre un double mouvement.
Premièrement si le film tente de transmettre la connaissance historique sous une
forme cinématographique (histoire par le cinéma).
Deuxièmement si le film tente de transmettre la connaissance du cinéma sous une
forme historique, (histoire des faits des hommes et des femmes de cinéma).

Quoi qu'il en soit, avant de répondre, de voir et de repérer la réalité de ces deux
mouvements conditionnels (avènement de l'un sur l'autre ou coexistence possible ?),
il semble important de montrer qu'elle n'est pas issue de la volonté seule, ex-nihilo,
du désir de recherche de Godard. Elle est liée auparavant également à au moins
deux autres personnes qui, d'une manière directe et indirecte, vont prédéterminer le
désir de Godard, l'influencer à réaliser ce film de quatre heures, et par conséquent,
notre propre analyse s'en trouvera éclairée, changée.
L'influence de plusieurs personnes, ces figures d'influence sont suffisamment
repérables pour l'éprouver également à partir de la forme de transmission. Autrement
dit, et puisque l'étude de cette forme nous conduira à la penser esthétiquement, on
procédera à l'évocation du style.

A/ ASPECT GÉNÉRAL DE LA FIGURE DU CINÉPHILE

Ajoutons quʼà lʼépoque où cet homme n'était pas encore cinéaste, il se trouve tout de
même en rapport avec le cinéma. Un rapport décrit sous la puissance conjuguée de
l'amour du cinéma et de la jeunesse. Cela signifie, à la deuxième moitié du XXème
siècle, à Paris, que ce désir est la marque même des jeunes cinéphiles. 232

"Je suis un ancien de la Cinémathèque française (..) et j'aimerai parler en tant que producteur
233
de films, et en tant, en même temps, que visionneur de films"

232
. Antoine de Baeque, “CINÉPHILIE(S)”, VERTIGO n°4, Automne 1994. p.43.
233
. Ref.178.20. Les cinémathèques et l'histoire du cinéma.(1978).p.286.

199
Forgeant au sujet de la légitimité de sa parole, le mot de visionneur, Godard se
revendique comme tel, autant que cinéaste producteur. La fréquentation (assidue)
des salles de cinéma en général et de la Cinémathèque en particulier lui ont procuré
la double expérience de la vision : voir et faire voir. Et paradoxalement, cette
expérience de vision est la source de la parole. Pour être plus précis, disons que
cʼest autour des échanges de lʼexpérience de vision avec les autres que la parole va
naître.

"Je pense qu'il est possible de faire une histoire du cinéma à partir de la vision des films, oui,
234
on peut produire la vision des films, (…) pour s'interroger sur cette histoire" .

Comme l'annonce Eric Rohmer, en avant-propos d'un entretien avec Henri Langlois,
les lieux relatifs aux cinéphiles (incluant les rédacteurs des Cahiers du Cinéma), sont
la Cinémathèque française et les Ciné-Clubs. Répartis un peu partout dans Paris235
ils ont souvent la charge de devoir former la jeunesse cinématographique236 :

"Chacun peut constater que le goût de l'ancien et celui du nouveau sont de plus en plus le fait
du même public, celui des cinémathèques, des ciné-clubs, des salles de répertoires et
d'essai, autrement dit, du groupe sans cesse élargi des “cinéphiles”. Ce sont les cinéphiles, et
eux seuls, qui, malgré leur jeune âge, leurs partis pris, leurs snobismes, ont charge de
237
prononcer ce “jugement de la postérité” devant quoi il n'est pour ainsi dire, point d'appel."

a/ Être cinéphile, cʼest voir pour la première fois


D'emblée on constate que la figure du cinéphile, très précise dans la définition qu'en
donne Rohmer, et par laquelle Godard est passé et s'est affirmé, se pose comme
corps du désir, désir de faire du cinéma, mais aussi avant tout le désir de voir, de
visionner. Cela ne disparaîtra pas complètement lorsque, par exemple, Godard se
présente à un public aussi spécialisé en matière de cinéphilie que peut être un public

234
. Ref.173. Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros, 1980.p.165."
235
. Evidemment, on trouvait des Ciné-Clubs également en Province, jusqu'à Alger (Ciné-Club Travail et
Culture dirigé par Barthélemy Amengual) où juste après la guerre ils se réuniront sous une fédération qui
aura une importance historique : (la FFCC).
236
. Janick Arbois, “Jeunesses Cinématographiques”, CAHIERS DU CINÉMA , 01/1959, n°91, p. 12 : “Au
lendemain de la Libération, dans un climat d'enthousiasme où chacun de nous se croyait appelé à changer
le monde, naquirent des organismes comme le TEC (Travail Et Culture) , le CID (Culture et Initiation
Dramatique) ou le encore le CIC (Culture et Initiation Cinématographique), ces jeunesses
cinématographiques qu'André Bazin avait créées un peu auparavant.
237
. Eric Rohmer, “Entretien avec Henri Langlois, (présentation)”, CAHIERS DU CINÉMA, 06/1962, n°135,
p. 2.

200
de directeurs de cinémathèques. C'est en 1978, lors du préambule de la réunion
annuelle de la Fédération internationale des Archives du Film (F.I.A.F.) :

"Et j'aimerais ici, pas rendre hommage, mais me souvenir : parler en tant que producteur de
films, et en tant, en même temps, que visionneur de films. C'est quelque chose, je pense, le
fait d'avoir vu pour la première fois des films, et avoir désiré les voir, chez Henri Langlois, qui
m'a semblé un cas (...). C'est un producteur (...) qui montre des films, mais qui montre aussi
238
l'envie d'en produire."

b/ La cinéphilie comme puissance dʼavoir des visions


On comprend que la vision du cinéphile, lié au film projeté, peut s'articuler tout autant
comme puissance prospective, à une vision de l'avenir. La perspective historique est
rendue possible par l'avènement de la suprématie de la vision.

"A l'époque pour nous, voir des films c'était déjà produire des films. (...) Du reste, on insultait
les autres, que cela soit Delannoy ou Carné, en leur disant : “Nous, on a vu tel film et on sait;
239
toi, tu ne sais pas, tu ne l'as pas vu”" .

Au milieu des années 60, Serge Daney viendra rejoindre les derniers effectifs de ce
groupe sans cesse élargi240, comme un élément représentatif. A son avis, la figure du
cinéphile, s'avèrera, dans les années 80, irrécupérable et prendra valeur
d'exemplarité par son inactualité même. Elle institue, comme dans la définition d'Eric
Rohmer, le goût 241 en valeur suprême de l'intelligence242et la sûreté du jugement
quant au regard sur l'histoire du cinéma (goût de l'ancien...) et de son actualité ( ...et
celui du nouveau). La cinéphilie n'était pas encore en voie dʼinstitutionnalisation, ni
même confirmée comme pratique culturelle, tout au contraire, en se revendiquant

238
. Ref.178.20. Les cinémathèques et l'histoire du cinéma.(1978).p.286. Il a paru plus intéressant comme
argument de reproduire plusieurs fois ce texte. Cette phrase en référence (note 215, note218, note 219 et
note 224) qu'une seule fois car notre raisonnement se maintenait sur plusieurs pages.
239
. Le « nous » dont il est question désigne la Nouvelle Vague. Ref.178.20. Les cinémathèques et l'histoire
du cinéma.(1978).p.286.
240
. Dernier effectif du groupe des enfants de la Cinémathèque (même si ce groupe ne s'est jamais
réellement et nominalement constitué). Comme Rohmer, Rivette et Narboni, Daney fut rédacteur en chef
des Cahiers du Cinéma. C'est par ce parcours aussi que leur cinéphilie prend valeur et exemplarité par
rapport à JLG.
241
. Eric Rohmer, Le goût de la beauté, Paris, Ed. de l'Étoile. 1984.
242
. C. de Lautréamont, cité par Jean Narboni lors de son autoportrait en jeune cinéphile montant à Paris
dans le documentaire sur l'histoire des Cahiers du Cinéma : Edgardo Cozarinsky, LE TEMPS DE
CAHIERS. 2001.

201
comme avant-garde, comme contre-culture, elle était porteuse d'une attitude
politique. 243

"Cela peut se dater : 1959. Le mot "cinéphilie" était encore guilleret mais déjà avec la
connotation maladive et l'aura rance qui le discréditerait peu à peu. (...) coupables de vivre le
cinéma comme passion et leur vie par procuration. (...) nous arrivions certes un peu tard,
mais pas assez pour ne pas nourrir le projet tacite de nous réapproprier toute cette histoire
244
qui n'avait pas encore l'âge du siècle."

c/ Ambivalence dans la définition du cinéphile


Lorsque Daney fait son autoportrait de jeunesse, on peut dégager, dans sa définition
du cinéphile, deux aspects antagonistes.
En effet d'un côté, se trouve la capacité valeureuse à appréhender l'histoire, de
l'autre c'est une cinéphilie, redoutée comme maladie, qui est condamnée au discrédit
et vouée à disparaître. Nous allons, dans un premier temps, nous intéresser plus
précisément au premier aspect, quant au second, on le comprendra, il en est sa
conséquence.

B/ PREMIER ASPECT DE LA DÉFINITION DU CINÉPHILE :


LA FIGURE HISTORIQUE

Le premier aspect de la figure du cinéphile concerne sa faculté dʼavoir, à cette


époque, conscience de sa singularité. Il a conscience du temps qu'il traverse, dʼune
période de lʼHistoire franchie physiquement, où ainsi sa propre histoire passe par la
Grande245. La voix-off de Serge Daney au début de lʼépisode 2a.seul le cinéma,
certifie ce postulat :

"Constituer soi-même son histoire / savoir / qui vient après vous / la seule occasion de faire
246
de l'histoire."

243
. On verra un peu plus loin que Daney revendique la cinéphilie comme une inscription plus large au
domaine de la culture du Monde (Elie Faure, Malraux, Sadoul..) opposée radicalement à la culture
bourgeoise. La cinéphilie était politique car anti-bourgeoise et il faut attendre les années 70 pour que se
réalise ce qui demeurait en latence.
244
. Serge Daney, « Le travelling de Kapo », TRAFIC n°4. Automne 1992. p.6-7.
245
. HdC.2a.seul le cinéma. (PLAN298B).
246
. HdC.2a.seul le cinéma. p.24.

202
Une conscience historique. Cette conscience est liée également à une continuité
temporelle de la connaissance, une ligne à laquelle était confronté le cinéphile :

"Peut-être la seule génération / qui s'est trouvée / au milieu à la fois du siècle / et peut-être du
247
cinéma." f

Si le cinéphile se trouve au milieu de l'histoire du siècle (années 50), il se situe aussi


au milieu d'une histoire du cinéma qui serait alors conçue linéairement, à l'image d'un
fil :

"Avoir pris assez de temps, voir assez de films / faire une idée personnelle de ce qui était
important ou moins important dans cette histoire / d'avoir un fil / on sait quand même que
248
Griffith ça vient avant Rossellini / Renoir, avant Visconti. "

Dans les années 50, après avoir vu un certain nombre de films souvent inédits
(constitution dʼun savoir) dans des salles spécifiques, le cinéphile va avoir
conscience de son privilège : celui d'avoir vu pour la première fois des films 249 que
personne nʼavait encore vu avant lui. Lui seul, pourra conférer à sa parole un double
rôle à jouer, soit en tant que passeur250 (producteur d'histoires), ou soit en tant que
cinéaste, (producteur de films 251). L'histoire du cinéma étant encore générale252, il a la
possibilité de découvrir, et de réhabiliter, par l'action d'une restauration
253
esthétique certains films ou même encore des pans entiers de cinématographie
appartenant à cette histoire. Le cinéphile allait pouvoir voir puis faire voir ce qui
demeurait encore invisible. Il appartenait de corps à une avant-garde254, celle de
l'histoire du cinéma car la cinéphilie n'était pas totalement identifiée ni à un
comportement socialisant, ni même à un mode de consommation individuel et
culturel255.

247
. HdC.2a.seul le cinéma. p.17.
248
. HdC.2a.seul le cinéma. p.23.
249
. Ref.178.20. Les cinémathèques et l'histoire du cinéma.(1978).p.286.
250
. Serge Daney, Persévérances, Paris, Ed. P.O.L.1994.p.64.
251
. Ref.178.20. Les cinémathèques et l'histoire du cinéma.(1978). p.286 : J'aimerais parler (...) en tant que
producteur de films, et en tant, en même temps, que visionneur de films.
252
. Bernard Eisenschitz, La fin de l'Histoire du cinéma générale, Lausanne.
253
. Cesare Brandi, Origine du drame baroque allemand, Paris, Ed. Flammarion, 1985. p.13.
254
. Serge Daney, Persévérances, Paris, Ed. P.O.L.1994.p.137.
255
. Jean-Patrick Lebel, Cinéma et Idéologie, Paris, Ed. Sociales.1971.p.227.

203
"Quand j'ai commencé à être cinéphile, j'étais du côté de l'avant-garde en tout, pour la forme
anti-bourgeoise, de manière systématique, en dehors de tout plaisir ou intérêt personnel.(...)
256
Donc nous étions du côté de l'avant-garde en tout, sauf en cinéma "

LA CINÉPHILIE A ÉTÉ L'INCARNATION POSSIBLE DE L'HISTOIRE DU CINÉMA


Comme on le voit ci-dessus, le cinéphile revendique, avec ses différents types de
pratiques et lʼoriginalité de sa situation, lʼaccession à un passage dans l'histoire du
cinéma.
Précisons-le, cette revendication, —celle de se situer aux avant-postes et qui sʼavère
être un exercice en dehors de tout plaisir— va à l'encontre précisément du
comportement cinéphilique contemporain. Elle sʼapprocherait plutôt dʼune position
martiale que le terme avant-garde requiert.
À partir de la transformation des conditions d'accès au savoir —changement lié à
lʼaugmentation des moyens de diffusions— la linéarité du savoir du cinéphile257alliée à
celle de l'histoire du cinéma, va transformer son statut. Le cinéphile aura incarné à un
moment précis une période de l'histoire du cinéma. Pour comprendre ce
changement, il est d'abord important de rappeler que les modalités d'accès au savoir
étaient excessivement restreintes et ensuite il faut questionner les conditions de ce
changement. Il va y avoir une substitution de la conscience historique en une donnée
— toute aussi corporelle mais qui cette fois-ci envisage les solutions de l'avenir d'un
point de vue uniquement individuel — le plaisir258.

Serge Daney conçoit la figure du cinéphile comme la donnée humaine de la


transmission du cinéma. Il est possible de faire correspondre alors sa conception
avec le désir de cinéma de Godard.

256
. Serge Daney, Persévérances, Paris, Ed. P.O.L.1994.p.137.
257
. Le savoir du cinéphile était linéaire dans la mesure où les différents lieux dʼémission du savoir
bénéficiaient dʼune spécificité géographique. Précisément, la linéarité consistait, en son temps, par un seul
accès au savoir du cinéma : la salle de cinéma. Elle est due à la répartition géographique qu'il y avait entre
la Cinémathèque et les ciné-clubs qui projettent des films du Passé, et avec les salles d'exclusivité et de
quartier qui projetaient des films contemporains, représentant le présent.
258
. Louis Skorecki, “C.N.C, Contre la Nouvelle Cinéphilie”, CAHIERS DU CINÉMA n°293.10/1978.p.31. Ce
changement est démontré brillamment par Louis Skorecki dans son article qui, jugeant une différence de
pratique cinéphile par l'arrivée de la télévision, en vient à circonscrire une première génération (les enfants
de la cinémathèque), et à faire dʼelle un bilan sévère.

204
C/ HDC.2A. L'INVITATION DE DANEY : SON INTÉGRATION

Il peut paraître inopportun que pour décrire la cinéphilie de Godard, il ait fallu utiliser
fréquemment les réflexions de Daney qui pourtant nʼappartient pas à la même
génération cinéphile. Cependant la parole de Serge Daney, présente dans les HdC,
occupe une place avantageuse pour le sujet qui nous intéresse. Elle a en commun
avec celle de JLG, de vouloir placer, dans un rapport direct, la conception de l'histoire
avec celle de la cinéphilie.

Dans les HdC, 2a. seul le cinéma, Daney est un invité surprise, tel que pouvait
lʼorganiser avec récurrence le cinéaste, lorsqu'il invitait, des personnalités à venir
s'exprimer dans ses films de fiction, comme Brice Parrain ou encore Roger
Leenhardt 259. Le dispositif du filmage fonctionnait selon les mêmes principes : les
personnalités invitées répondent à des questions en direct, à la différence des autres
protagonistes, quʼils soient professionnels ou amateurs, ce sont des individus
interprétant des personnages. La parole est alors prévue ou soufflée par le cinéaste.
L'invité, lui, peut se différencier, juste par sa présence dans le film et parce quʼil est
interprète de sa propre parole. Il compose alors un espace-temps documentaire.
Moment qui dénotait de l'ensemble du film de fiction.

Daney, à l'identique, constitue ce moment hétérogène du film. Il est la seule


personne, des séquences tournées des HdC à énoncer son propre discours. Toutes
les autres personnes, que Godard a filmées, sont acteurs. De sorte qu'ils participent
au tournage. Daney de son côté, intègre le film.

On va bientôt se rendre compte que l'intégration de Daney dans le film entraîne une
nouveauté formelle. Liée à la disposition que Godard a intentionnellement opérée au
tournage et au montage, elle provoque un effet miroir de l'auteur. Dédoublant le
corps godardien, les deux interviennent similairement dans le cadre d'une seule
fonction : cinéphile historien.

a/ Indices visuels : le décor du conteur


Nous sommes dans les premières minutes de lʼépisode 2a. seul le cinéma. Serge
Daney à l'image, c'est flagrant, occupe la place de Godard, cʼest-à-dire la place qu'il

259
. Ref.Film6 sur le Guest-starring.

205
occupait en tant que narrateur dans l'épisode précédent. Daney est au centre de
l'image, alors que Godard qui figure également dans ce plan est relégué de côté,
étant de profil, et quasiment en contre-jour. En plus de cette situation spatiale, une
série d'accessoires emblématiques, une lampe (sans lumière pas d'images !) et un
microphone (sans micro pas de sons !) se trouve disposés autour de lui. La lampe de
bureau qui comporte un abat-jour blanc 260 est identique avec celui du premier décor
lorsque Godard était devant ses machines à écrire, mais cela correspond au décor
du 1b.une histoire seule, car il est blanc, alors que dans le 1a.toutes les histoires
l'abat-jour était de couleur rouge.

Un microphone avec suspenseurs sur un pied girafe est disposé devant Daney. On
reconnaîtra le même microphone que celui qui est en mouvement au début du
1a.toutes les histoires, qui dans un grincement, planait pour arriver devant Godard,
que l'on peut nommer ici Godard-narrateur261.

On peut presque affirmer que ces accessoires emblématiques sont les attributs du
pouvoir de la reproduction de l'image et du son et quʼils reviennent à Daney. Ceci est
d'autant plus notable que Godard est dans le plan. Daney est-il pour autant une
doublure (lumière et son) de Godard ? Rappelons que c'est seulement l'image de
Godard qui nous parvient, ce que nous avons nommé : le corps godardien. Ici, si
Daney figure et parle dans ce début de séquence, il intègre le poste de la fonction du
Godard-narrateur, et devenant lui aussi une image (qui parle), nous sommes en
présence alors de deux images de corps pour une seule fonction. Il reste au son de
venir peut-être les départager. Il ne sʼagit évidemment pas de compétition, et la
fonction de la narration peut se concevoir sous forme multiple et dialoguée. Mais, en
disposant Serge Daney à la place qu'il tenait lui-même au début du film, JLG donne à
son invité, une place de choix : la sienne.

260
. Voir C'est précisément parce que Godard a pris la peine (alors qu'il est chez lui) de changer la couleur
de l'abat-jour de son bureau, que l'élément est notablement devenu encore plus présent (parce qu'on
pouvait noter cette disparition) alors il vient fonctionner par sa présence relevée comme un élément
emblématique du décor. Emblématique car, on le verra dans la dernière partie, la place que prend Daney,
cette place de Godard-narrateur, peut être éclairée selon certaines sources iconographiques des lumières
de Malraux.
voir aussi Ref.Film14. LE MÉPRIS. 1963. la sous-partie : FONCTION SYMBOLIQUE D'UN ÉLÉMENT DU
DÉCOR : L'ABAT-JOUR.
261
. Nous reviendrons dans la Troisième Partie amplement sur cette fonction. Disons pour l'instant que
c'est une des facettes de la représentation de Godard car il occupe simultanément dans le film plusieurs
fonctions.

206
Il sont deux (un face et l'autre profil) pour parler de la singularité de la Nouvelle
Vague, celle de cinéphiles devenus critiques ou cinéastes (puis pour Godard
historien) qui se trouve au milieu du siècle.

b/ Indice sonore : lʼeffet dʼécho sur la vois seule de JLG


Quand Daney commence à discourir, un dispositif sonore survient, ce qui est
intriguant, voire choquant, car éminemment peu respectueux de sa parole262: C'est un
effet de délai électronique qu'a ajouté Godard, uniquement sur sa voix263 lorsqu'il
discutent ensemble. Charles Tesson le note ainsi :

"On s'attend à une longue conversation (...) mais plus loin, il impose à son invité le silence,
l'obligeant à l'écouter ce qu'il lui dit. Des mots de Daney plus ou moins audibles en raison de
264
l'effet de réverbération, on retient une idée : seul Godard (...)"

Parce que les deux hommes sont à l'image, on décèle aisément un effet de
redoublement. Cet effet de redoublement est directement souligné par le dispositif
sonore de réverbération même sʼil sʼagit plutôt dʼun effet de delay. Les fins de
phrases sont comme en boucle dans un genre dʼécho, couvrant en partie les début
de phrases. En tous cas, cet effet souligne cette figure de dédoublement de deux
hommes dans la même fonction du narrateur.
Ce mauvais traitement qu'il fait subir à sa parole, minimisant celle de Daney, n'est
pas à prendre au pied de la lettre. Il faut peut-être le considérer comme un élément
de surdétermination de la pratique du mixage. Plus précisément, il faut plutôt
envisager cette forme de réverbération à l'instar d'un élément de condensation
sonore comme pourrait le produire un rêve, et il reste à savoir le dissocier du contenu
manifeste ou latent du moment de l'interprétation265. D'autre part la retranscription
d'une grande partie de la parole de Daney réside dans le livre HdC. Cette

262
. On retrouve cette forme d'irrespect de l'interlocuteur dans :
Conversations par Webcam avec l'Atelier du Fresnoy, Octobre-Décembre 2004. Durées variables.
Partenaires de discussion avec Godard : Païni, Douchet, JC Conesa, Brenez, Narboni, Frodon.
Certaines des interventions de Godard —faites avec l'Atelier du Fresnoy et établies en duplex depuis Rolle
en Webcam— témoignent dʼun réel irrespect, ainsi :
Le 6/10 : Dominique Païni. (JLG répond non pas à Païni mais au téléphone, alors qu'il est en direct). 8/10
: Jean Douchet (JLG utilisera une cloche couvrant le son de la voix de Douchet quand il parle !).
263
. On devine que cet effet dʼécho a été ajouté à lʼétape du mixage, une fois le tournage fini.
264
. Charles Tesson, “Seul le cinéma. 2A”, Fascicule Histoire(s) du cinéma, CAHIERS DU CINÉMA,
supplément au n°537, 07/08/1999, p.7.
265
. Sigmund Freud, L'interprétation des rêves, (Die Traumdeutung), (1900), Paris, Ed. P.U.F.1967. p.102.

207
appropriation vient prouver encore la sincère considération godardienne face à la
pensée de Daney.

On verra un peu plus loin comment, au moment de l'étude directe de l'influence de


Malraux et de Langlois, certaines conceptions cinématographiques développées par
Daney dans Persévérance, (un de ses livres majeur), sont présentes plus d'une fois
dans les HdC. Par la différence de génération, puis par une réelle admiration qu'avait
Daney pour Godard et son œuvre, la pensée courante consiste à attribuer à Godard
la promulgation d'une pensée, dont Daney ferait reprise et prolongement. Ce travail
présent entend justement renverser cette notion et prouver que sur plusieurs points
théoriques précis, c'est la pensée de Daney qui va nous permettre de formuler les
actions filmiques de Godard. Serge Daney fait partie de ces influences horizontales
qui restent à définir.

D/ SECOND ASPECT DE LA DÉFINITION DU CINÉPHILE :


LA FIGURE DE LA DÉCHÉANCE

Le second aspect contient les limites du genre. La cinéphilie, conçue comme un


idéal, va décliner logiquement dans les mêmes circonstances que l'objet même de sa
contemplation. Précisons que ce déclin constaté concernera plutôt la quantité : il
s'agit ici du nombre de personnes impliquées par le désir du cinéma et non de
l'intensité de leur passion toujours pérenne jusquʼà aujourdʼhui. La réalité de la
déchéance peut être représentée quantitativement par lʼeffondrement de la
fréquentation des salles dans le monde entier entre les années 1950 et 1980266.
Si cinéastes et critiques commencent, vers les années 60, à évoquer une mort du
cinéma267, la cinéphilie a, en revers, toujours produit les signes qui attestent dʼune
véritable inclination érotique envers la morbidité, comme pour se prémunir de
lʼéphémère objet aimé. Il faut accepter que le cinéphile aime le cinéma avec
obsession. Il aime un spectacle quʼon peut définir dans son aspect opérationnel
comme mortifère puisque, par machine interposée, cʼest la mort qui nous fait des

266
. René Bonnel, Économie du Cinéma, Paris, Ed. Balland. 2003.
267
Laurent Mannoni évoque les discours de Roberto Rossellini à Rome en 1963. Laurent Mannoni,
« Vends la Cinémathèque ! »Documents - Jean-Luc Godard , Paris, Ed. Centre Pompidou.2006.p.246.
Ref. 303. Propos Rompus. (1979).
Roger Boussinot, Le cinéma est mort, Paris, Ed. Denoël. Coll.Dossier des Lettres Nouvelles. 1967.

208
promesses par cinématographe268.On ne sera pas étonné non plus quand Daney
nous prévient, en évoquant, à propos de cette passion, sa connotation maladive269. Il
reste à saisir que la cinéphilie comme groupe pouvait être considérée en tant que
représentant la part humaine intervenue dans l'histoire du cinéma. Elle serait
également appréhensible comme comportement pathologique. Aussi le suffixe de
philie, indiquant déjà cette occurrence, place la cinéphilie entre scoptophilie et
voyeurisme. On remarque aussi des similitudes de comportements, de gestes qui ont
perduré et traversé les différentes périodes du spectacle projeté. La cinéphilie
envisagée comme perversion, consiste en une substitution des organes génitaux
pour faire place à ceux de la vision. Cela fut repris par Robert Bresson dans un
aphorisme resté célèbre : la force éjaculatrice de l'œil270.

LE CINÉPHILE ZOMBI
Une des caractéristiques afférentes et permanentes du cinéphile reste la désaffection
de la vie réelle au profit de la vie filmée. Daney confesse dans son entretien filmé,
cette vie par procuration :

"Je ne me rappelle plus de ce moment de ma vie (…) Nous vivions à l'époque comme de
271
véritables zombis"

Si Daney fait référence ici à un type de personnage issu du cinéma, celui de l'homme
zombi, des figures prototypiques proviennent de la littérature Romantique Noire.
Celui qui est undead, c'est-à-dire non-mort, sʼavère être un corps sans âme,
ressuscité dans un but précis, celui d'être employé comme esclave272. Lʼun des
premier Zombi de l'histoire du cinéma est un esclave enchaîné en Haïti, que Bela
Lugosi utilise comme main dʼœuvre pour produire de la canne à sucre273. Ce n'est pas
sans violence que Daney utilise cette image, comme il le confirmera dans son article
sur Kapo274. En effet, elle détient cette part véritable d'image résolument négative.
ZOMBI, film de George Romero met en scène un groupe, en lutte contre le reste de
la population terrienne devenu mort-vivant, réfugié au cœur d'une galerie
268
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.108
269
. Serge Daney, « Le travelling de Kapo », TRAFIC n°4.1992. Paris. Ed. P.O.L.p.6-7.
270
. Robert Bresson, Notes sur le cinématographe, Paris, Ed. Gallimard. 1975.p.19.
271
. SERGE DANEY, ITINÉRAIRE D'UN CINÉ-FILS, entretien avec Régis Debray, réalisé par Dominique
Rabourdin et Pierre-André Boutang, Paris, Ed. Montparnasse. (1992) .
272
. W.-B.Seabrook, L'Ile Magique, Paris, Ed.Firmin-Didot et Cie, 1932.p.105. Premier livre écrit par un
occidental sur le culte du Vaudou en Haïti, et découverte du terme zombi.
273
. Victor Halperin, WHITE ZOMBIE. 1932.
274
. Serge Daney, “Le travelling de Kapo”, TRAFIC n°4.1992. Paris. Ed. P.O.L.

209
commerciale. Dans ce film, la figure du zombi provoque le saisissant raccord entre
l'extermination de masse, la société de consommation et l'abandon de
275
l'individualité . Cette dernière correspond à la vie par procuration du cinéphile, dont
le laisser-aller corporel n'est pas sans affecter les gens qui l'entourent. Le terme de
rance276 employé par Daney n'est pas hasardeux en ce sens.
On peut comprendre que lʼamoureux du cinéma, à force de regarder les spectres (les
présences projetées de personnes à jamais disparues277), à force de sʼidentifier avec
le monde du cinéma, à incarner les personnages qui sont morts, à imiter leurs
gestes, correspond au cinéphile devenu mort-vivant, car il a brigué contre sa vie
sociale le pouvoir de passer par-delà le temps (...) Vivant parmi les morts, et mort
pour les vivants278, tel est le destin du cinéphile.

La notion de mort-vivant sera reprise souvent par Godard aussi. Elle comporte, pour
lui plusieurs acceptions. Dans les HdC, on la retrouve comme synonyme de
personnes passées qui vivent dans le monde réel, quand il cite Femmes 279 de
Sollers. Pendant que lʼon voit lʼextrait LES AMANTS DU CAPRICORNE280 où Ingrid
Bergman, —jouant un personnage (alcoolique) qui nʼarrive pas à sʼadapter, à vivre
dans le monde qui lʼentoure— découvre une tête réduite momifiée sur son lit, on
entend pendant quʼelle crie dʼhorreur :

« Et le plus étrange, cʼest que les morts vivants de ce monde sont construits sur le monde
281
dʼavant, leurs réflexions, leurs sensations sont dʼavant. »

E/ LANGLOIS PREMIER CINÉPHILE

« Si Zitrone, Guy Lux, Jammet, Drücker et Cie sont des morts-vivants, (…) toi et Mery sont
des vivants morts. »
282
JLG, Lettre à Henri Langlois, 8, 9 juillet 1975.

275
. Jean-François Rauger, « George Romero, présentation de la rétrospective», Catalogue Cinémathèque
française. Décembre 2001.
276
. Cʼest-à-dire fortement une odeur forte.
277
. Jean Louis Shefer, Cinématographies, Paris, Ed. P.O.L. 1998.p.35.
278
. Hervé Guibert, Le Mausolée des amants, Paris, Ed. Gallimard.2001.p.405.
279
. Philippe Sollers, Femmes, Paris, Ed.Gallimard, 1979.
280
. Alfred Hitchcock, UNDER CAPRICORN (LES AMANTS DU CAPRICORNE, 1949).
281
. HdC.2b.fatale beauté. p.150.
282
. Ref.178.19b. Deux lettres à Henri Langlois (1975).

210
L'anecdote de la première rencontre entre Malraux et Langlois peut ici être relatée au
centre de ce chapitre, puisque nous allons présenter le mode dʼinfluence de ces deux
hommes.
Dans son livre, le frère dʼHenri Langlois, Hugues, raconte comment Malraux ne
connaissant pas Henri, même de vue, voulut le rencontrer. Ainsi, à cause d'une
omission de présentations réciproques et parce que Henri Langlois arriva en retard,
Malraux demanda très intrigué, discrètement à Hugues, quel était ce curieux invité ?
tant il paraissait surpris de l'état de délabrement de ses vêtements, de son
embompoint, et de lʼespèce de capuchon en cuir quʼil portait autour de l'un de ses
doigts (l'homme devait s'être entaillé). Cela avait un effet repoussant tout à fait
convaincant.

Cette description de Langlois par Malraux est resté célèbre parmi les cinéphiles283 et
elle stigmatise le cinéphile dans son refus d'une représentation sociale. L'abandon du
souci de soi le caractérise. Pour lui son choix est fait, il fuit la réalité (de la société) et
loge sur un mode imaginaire dans le monde des films284. Cette attitude mentale, peut
être qualifiée de déréliction ; celle qui consiste à entretenir (inconsciemment ou non)
la confusion du monde imaginaire, désiré, avec la perception de la réalité. Cette
attitude a été relevée avec une justesse psychologique par la phrase de Mourlet à ce
propos 285. Ajoutons que ce refus du monde réel est lié conséquemment au désir du
cinéma. Cʼest-à-dire que si le cinéphile peut vouloir connaître la vie réelle, il le fera à
travers le cinéma, comme à travers les actualités par exemple. Certains ont même
associée ce mode de vie à celui du toxicomane, dont on retrouve en effet certaines
réactions similaires : le manque et la dépendance affective286.

On peut remarquer que cette séparation pathologique entre le monde désiré du


cinéma et la réalité pragmatique vient également se placer dans la constitution du
corps godardien

283
. Georges Patrick Langlois, Glenn Myrent, Henri Langlois, premier citoyen du cinéma, (en collaboration
avec Hughes Langlois), Paris, Ed. Denoël, 1986. p.125.
284
. C'est la base narrative du film de Woody Allen, la vie sur l'écran devient plus que désirable, mais elle
se réalise pour une cinéphile.
Woody Allen, PURPLE ROSE OF CAIRO (La rose pourpre du Caire, 1985). Daney se plaçait dans le
même distinguo : « De la société je nʼen attends rien, alors que du monde, jʼen suis citoyen. ».
285
. Michel Mourlet, “Sur un art ignoré”, CAHIERS DU CINÉMA n°98. 08/1959.p.35. cʼest la phrase de
lʼouverture du MÉPRIS. 1963., nous y reviendrons en détails .
286
. Dominique Christian, La Drogue-Marchandise, Ed. U.G.E. 10/18, 1975. p.48-56.

211
2/ LES LIEUX DU DÉSIR : CINÉ-CLUB ET LA CINÉMATHÈQUE

"Disons que je suis un cinéaste qui vient des cinémathèques ou des ciné-clubs, et c'est d'aller
287
dans les salles de cinéma qui m'a fait."
On peut, depuis Rohmer,288 affirmer que la ville de Paris est une ville-clef pour
Godard (genevois d'origine). Elle lui offre les premières occasions de découvrir en lui,
non pas un désir vague de cinéma mais plutôt le désir de faire des films, grâce à
l'originalité dont ils se présentent à lui. Si au départ sa famille acquiesce pour
lʼenvoyer étudier à la Sorbonne, c'est avec l'entrée dans un groupe de cinéphiles
(avec Rivette, Truffaut qui composent le premier cercle) qu'il côtoiera d'autres lieux
fondateurs pour son avenir de cinéaste. En tant que cinéphile, Godard fréquente
différents ciné-clubs d'un côté, et la Cinémathèque française de l'autre.

Comme cela a déjà été noté, ces salles sont différentes de celles des premières
exclusivités par leur évocation de lʼhistoire du cinéma. Elles proposent une
orientation pédagogique qui transforme la passivité dʼun spectateur en une activité de
parole et de montage : une activité de cinéaste.

Devant le film, toute attitude devient donc possible : la passivité —représentée par
l'attitude du spectateur— et l'activité —par celle du cinéaste—, sont deux pôles vers
lesquels peut tendre tout cinéphile regardant ou ayant vu un film. Deux mouvements
se croisent et sont repérables. Aussi tout cinéaste passe par une passivité de
spectateur pour qu'ensuite son activité s'affirme. Le spectateur, passif au début, peut
développer une activité critique vis-à-vis du film. Création, à partir de son souvenir,
d'une réflexion ou encore exercer sa parole devant des autres. Ces activités-là sont
pleinement créatrices et sont à associer en tant que pratique de cinéaste.

Il faut remonter aux années de la juste après-guerre (1948). Le jeune Godard monte
sur Paris et se retrouve confronté pour la première fois au cinéma. Première fois
supposée comme révélation car même si Godard a déjà été au cinéma en Suisse, sa
famille relève d'un niveau culturel plutôt élevé,289et reste non initiatrice de ce désir,

287
. Ref.178.21. Les Cinémathèques et l'histoire du cinéma (1979).
288
. Eric Rohmer, “Entretien avec Henri Langlois, (présentation)”, n°135 CAHIERS DU CINÉMA, 06/1962,
p. 2.
289
. A titre d'exemple, c'est par l'intermédiaire de son père qu'il sera logé à Paris, chez un ami de la famille :
Jean Schlumberger (co-fondateur de la nrf) et aura l'occasion de petit-déjeuner avec Gide.
Ref.303. LUTTER SUR DEUX FRONTS , n°194. CAHIERS DU CINÉMA 10/1967.

212
car, faut-il ajouter, le cinéma perçu en tant quʼart restait un combat à livrer. Le cinéma
possédait la mauvaise réputation d'être un spectacle souvent dégradant290, et ce
n'était certainement pas le cadre dʼun métier à venir que l'on projetait pour un fils de
bonne famille :
"Je me suis aperçu à un moment que ma famille, pourtant très cultivée, aussi bien en terme
littéraires que scientifiques, ne m'avait jamais parlé des films. Pourtant mon père aimait
291
beaucoup les films de Jean Tissier, et moi aussi."

Il découvre ainsi le cinéma dans sa pratique et dans son analyse quand il se rend
régulièrement dans les différents ciné-clubs parisiens 292.

A/ CINÉ-CLUB, LE LIEU D'APPRENTISSAGE DE LA PAROLE

Une des spécificités des Ciné-clubs d'après-guerre réside dans le fait qu'après la
projection du film venait un débat entretenu par l'organisateur, qui à cette époque
pouvait parfois être un abbé293 ou bien même un responsable communiste si le ciné-
club se trouvait dans une des nombreuses Maisons pour la Jeunesse et la Culture294.
Dans la même salle est engagée une discussion, c'est donc là que s'entraînent les
cinéphiles. Ils sʼentraînent à prendre et à passer la parole entre eux. On remarquera
le quasi direct avec le moment de la projection du film. Serge Daney insiste sur les
échanges interminables entre cinéphiles sur les trajets de retour chez soi, traversant
Paris, la nuit, lorsque les stations de métro sont fermées. Et c'est dans cette nuit que
l'on voit la figure du zombi apparaître.

"Nous étions une poignée, (…), à être entrés subrepticement en cinéphilie (…) Les guerres
étaient presque finies et nous arrivions certes un peu tard, mais pas assez pour ne pas

290
. Paul Léautaud, Journal Particulier , Ed.du Mercure de France.1949.p.69.
291
. Ref.176b. Jean Tissier est un acteur français. “Jean-Luc Godard rencontre Régis Debray”(1995), Jean-
Luc Godard par Jean-Luc Godard , [volume.2], Paris, Editions de l'Étoile.1998.p.428. Il amusant de
constater que Godard reprend l'expression néophyte ou populaire de son père, celle de désigner l'acteur
comme auteur du film (un film de Jean Gabin, de Fernandel...).
292
. Principalement au Ciné-club du Quartier-Latin tenu par F.Froeschel (auquel Hdc.3b.une vague
nouvelle. p.111 est dédié) ou celui du Studio Parnasse dont François Truffaut s'occupait.
293
. On peut citer Amédée Ayffre ou bien le catéchèse Henri Agel.
294
. SERGE DANEY, ITINÉRAIRE D'UN CINÉ-FILS, entretien avec Régis Debray , réalisé par Dominique
Rabourdin et Pierre-André Boutang, Ed. Montparnasse. 1992.

213
nourrir le projet tacite de nous réapproprier toute cette histoire qui n'avait pas encore l'âge du
295
siècle" .

Le projet de se réapproprier l'histoire confère à la cinéphilie, un sujet de


dépassement de son état. Il sʼagit de dépasser de loin l'ambition d'un hobby de
collection et de récollection, jusquʼà rejoindre plutôt une pratique esthétique296 de
l'appropriation et celle, politique297, de la réappropriation historique. La cinéphilie
aboutit aux actions projectives dans lʼhistoire et la présence de Serge Daney dans les
HdC est une caution de l'inscription de Godard dans cette cinéphilie, on l'a vu
précédemment. Ils sont ceux qui connaissent au mieux la distinction entre le plaisir
du cinéma, le désir qu'il suscite et la jouissance quʼil procure.

Il nʼy a rien de déshonorant d'être cinéphile à cette période de lʼAprès-Guerre, c'est le


terme qu'emploie Langlois pour désigner Pierre Henry ou Jean Mitry lors de la
préface, qu'il rédigea pour Sadoul et son "Histoire du cinéma mondial" :

"Ô combien j'aurais été plus sensible alors et de quel enthousiasme j'aurais salué l'annonce
d'une Histoire du cinéma de Pierre Henry où ce dernier, pour notre grand profit, eut mis à la
portée du lecteur les connaissances accumulées d'un des premiers cinéphiles éclairés dès
298
son adolescence (…)"

Pratique du cinéphile299, l'exercice de la parole relève d'une tradition de la


transmission orale. Reprise par Jean Rouch, qui avait trouvé une correspondance
anthropologique toute naturelle entre le cinéphile et le griot, la parole, face à l'image
dans le cinéma de la caverne était un écho créateur300 . La parole devient
l'instrument de prédilection du cinéphile car elle est l'organe qui va reproduire le film
dans un discours.

295
. Serge Daney, “Le travelling de Kapo”, TRAFIC n°4, Automne 1992. p.6 et 7.
296
. Dominique Païni, “Portrait du programmateur en chiffonnier”, CINÉMATHÈQUE n°8.04/1997.p.48.
297
. Jean Myran, Les Situationnistes, Paris, Ed.Gallimard.2006.p.48 : L'esthétique du détournement
situationniste peut aisément se concevoir comme une action politique de réappropriation matérialiste de la
marchandise produit par la société de consommation."
298
. Henri Langlois, “Préface à Georges Sadoul”, Histoire du cinéma mondial, Paris, Ed.Flammarion, 1972.
p.I.
299
. De la période d'après guerre (1945-1965).
300
. Jean Rouch, “Le renard fou et le maître pâle”, TRAFIC n°18, Printemps1996. p.134.

214
"Le cinéma c'est des fois la parole en premier, on voit surtout cela dans les périodes de
301
terreur"
Le ciné-club est un lieu d'apprentissage, pour connaître les films en les visionnant
une ou plusieurs fois. Cʼest lʼexercice de la parole. La naissance d'idées peut être
liée par l'activité même de cette parole : sur ce film presque en direct, dans le
souvenir de sa projection et du lot des images encore présentes, sur cet écran
maintenant éclairé en blanc, seule, une personne fait face au public et un échange se
produit. Cʼest la naissance d'une pensée discursive sur les films et sur le cinéma.

NAISSANCE DU DISCOURS SUR LE CINÉMA


Pourtant à l'origine de la Cinémathèque, au Cercle du Cinéma, premier Ciné-Club
qu'il créa avec Georges Franju (et Jean Mitry en présentateur), Henri Langlois tenait
juste à montrer les films, sans passer par un débat cadré, instituant la parole dans la
salle. Il préférait laisser naître les discours, sur un mode à un lʼétat sauvage,
développements par petits groupes, à la sortie des films :

"Il s'agit avant tout de montrer des films et non d'en discuter après. Les débats ne servent à
302
rien. Pour marquer cette différence, donnons-nous le nom de cercle du Cinéma."

Mais de cette volonté première, Langlois allait se rendre à l'évidence que le cinéphile
avait une nécessité à vouloir créer un discours à partir de ce qu'il avait vu, G.P.
Langlois le retrace relativement bien dans son livre, lorsqu'il décrit les premières
séances du Cercle :

"L'ambiance est passionnée. La séance terminée, les spectateurs ne se séparent pas pour
autant. On discute, des groupes se forment (...) où jaillissent des discussions enflammées. La
soirée ne s'achève que généralement fort tard (...). Il y règne une telle ferveur qu'après
quelques mois d'existence, le Cercle du Cinéma commence à attirer l'attention des
professionnels. On peut déjà y rencontrer les frères Prévert, Cavalcanti, Becker, Brunius,
Carné, Le Chanois, et Lotte Eisner. Il devient le catalyseur d'autres grands projets, livres,
301
. Serge Daney, Persévérances, Paris, Ed. P.O.L.1994.p.86. La terreur désigne la période politisée des
années 70, où certains films se sont accomplis sous le mode d'une résistance esthétique, extrêmement
radicale, face aux procédures filmiques de séduction du public, tout en restant dans le circuit dit
traditionnel (Straub, Pasolini, Godard, Oshima, Fassbinder...). Si l'expression est ici conjuguée au pluriel
c'est parce que Daney renvoie cette Terreur avec une première, apparu dans la période historique de la
Révolution Française (1792-1795), où un historien comme Jules Michelet a démontré toute l'importance de
la prise de parole par les tribuns.
302
. Georges Patrick, Langlois, Glenn Myrent, Henri Langlois, premier citoyen du cinéma, (en collaboration
avec Hughes Langlois), Paris, Ed. Denoël, 1986. p.44.

215
films ou revues.(...) L'histoire du cinéma est ainsi transmise de la bouche même de ceux qui
303
en ont vécu les premiers jours."

Cet extrait de texte nous renseigne parfaitement, sur la naissance de la


Cinémathèque, et du principe de la cinéphilie. Elle est déterminée comme mode de
transmission orale de la connaissance du cinéma, non restreinte à son actualité.

Les films muets présentés en 1935 par Langlois pouvaient générer avec la
Cinémathèque, aussi, une autre modalité critique de passation que celle de la simple
transmission orale.

VOIR SANS SAVOIR, ENTENDRE POUR COMPRENDRE


En effet, une des conceptions de l'exercice de la parole, amenée par Langlois, tient à
cette particularité : constater que la naissance de la Nouvelle Vague est directement
liée à la Cinémathèque française :

"Si la Cinémathèque a joué un rôle prépondérant dans la formation de la Nouvelle Vague,


304
donc, c'est qu'elle n'avait pas l'argent nécessaire pour sous-titrer les copies des films."

Ce raisonnement peut nous paraître abscons, pourtant nous allons voir quʼil ne l'est
point.

Ce que Langlois met en exergue, c'est une pratique visuelle nouvelle. Pratique du
public face aux films muets qui présentaient plusieurs difficultés d'accès : l'absence
de traduction, concernant la projection de productions étrangères (qui comportaient
des cartons hollandais, tchèques non traduits) ou bien la lecture typographique elle-
même pouvait être retorse (comme gothique, cyrillique voire japonais). Les
spectateurs assistent aux projections conséquemment avec encore plus d'inquisition
et d'intensité, puisque sans comprendre ce qu'ils lisaient ou entendaient. C'est en
sortant de la salle, qu'ils se parleront entre eux pour savoir enfin. La construction d'un
discours sur les films s'est donc amplifiée à cause ou grâce à l'absence de sous-
titres, puis et par une obtention partielle de la signification pendant la projection.
Seule la parole commune qui suivait les projections pouvait délivrer un récit cohérent.
303
. Georges Patrick Langlois, Glenn Myrent, Henri Langlois, premier citoyen du cinéma, (en collaboration
avec Hughes Langlois), Paris, Ed. Denoël, 1986. p.45.
304
. Henri Langlois, "Il est temps de rappeler le cinéma à la vie, entretien avec Ruy Noguerra", 300 ans de
Cinéma, Ecrits, Paris, Ed. Cahiers du Cinéma /Cinémathèque française. p.93.1983.

216
Le donc de Langlois met en évidence la formation de groupes au sortir des séances
comme ceux de la Nouvelle Vague.

De cette leçon, Godard ouvrira le chapitre 3b.une vague nouvelle, dans lequel
précisément toute une partie sera dédiée à Langlois. Avec deux cartons qui se
suivent, ils témoignent d'abord du lien indéfectible de Langlois avec la Nouvelle
Vague, mais aussi de la même préoccupation : le décalage des correspondances.

Voir (le film sans sous-titres) sans savoir (ce que cela raconte), entendre (ce que les
autres en disent après la projection) pour comprendre.

["Tu me parles/ avec des mots"] entendre pour comprendre


["Je te regarde/ avec des sentiments"]305 voir sans savoir

VOIR LE FILM ET PARLER DU CINÉMA


Il reste ensuite à définir quel type de discours Godard va entreprendre selon sa
volonté et dans le mouvement de son désir ; la nature de son dire. Souvent, même
s'il a affirmé la réversibilité entre le dire et la vision, à la différence près, c'est que la
vision nécessite une description écrite, et le discours peut évidemment se
retranscrire, sans changer. Il devient un texte écrit, sans la voix énonciatrice. C'est-à-
dire : le désir d'écrire peut être également lié directement à cette parole.

Ainsi, les premiers textes de Godard (et aussi de Rivette) paraissent dans LA
GAZETTE DU CINÉMA306. Revue adjointe directement à un Ciné-Club, celui de Saint-
Germain-des-Prés, un des plus importants au niveau de la notoriété avec celui du
Studio Parnasse. Cette publication n'est pas un fait unique ou rare. On retrouvait
pour chaque ciné-club une publication, ainsi le Ciné-Club d'Alger, où Barthélemy
Amengual publiait à l'occasion un fascicule qui était le texte de sa conférence
prodiguée après la projection du film307. On trouve encore de nos jours, cette tradition
de passeur, avec l'Art du Cinéma, une association parisienne qui édite une revue
éponyme invitant plusieurs fois le philosophe Alain Badiou à venir s'exprimer avant la
projection dʼun film308.

305
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.110. Ces deux phrases proviennent originellement de PIERROT LE
FOU (Ref.Film19. 1965 ).
306
. Revue de cinéma qui ne durera que 5 numéros, étalés uniquement sur l'année 1950. Ref.gz1 à gz15
307
. Barthélemy Amengual, Présence et évocation au cinéma, Alger, Ed. Travail et Culture. 1951.
308
. Alain Badiou, “L'impureté au cinéma”, L'ART DU CINÉMA n°6. 1996.

217
Pour clore cet aperçu, on sait que cette possibilité d'apprentissage pour les
spectateurs est une ouverture réelle au métier de cinéaste puisque bien souvent des
cinéastes aguerris présidaient la Fédération Française des Ciné-Clubs et
organisaient le débat avec le public sur des films souvent autres que les leurs. Durant
cette période de la juste après-guerre, Jacques Becker, par exemple, présida la
fédération plusieurs années en suivant309. Quant à la Cinémathèque on sait qu'elle
était régulièrement fréquentée par les professionnels de la profession310.

B/ LA CINÉMATHÈQUE : THÉATRE DES OPÉRATIONS D'HENRI LANGLOIS

La Cinémathèque représente pour beaucoup, et précisément pour Godard, le théâtre


des opérations historiques311 de Langlois. En ce sens, il y a une difficulté à vouloir
séparer le lieu de l'homme. « Chez Langlois »312, comme dira le cinéaste. La
Cinémathèque, en tant que lieu de projection, a connu beaucoup d'adresses
différentes dans Paris et Langlois en fut initiateur et continuateur à chaque fois. Une
véritable identification s'est faite entre elle et l'un de ses fondateurs313. Organisant les
séances de programmations, rédigeant les fascicules de présentation et faisant de la
Cinémathèque, avec le Musée du Cinéma, une institution quasi "scolaire", Henri
Langlois représentait la Cinémathèque. Cette adéquation du lieu et de l'homme, sa
volonté à fabriquer une histoire du cinéma par les films, rejoignent la préoccupation
de Michel de Certeau. Lorsqu'il évoque que l'opération historique se réfère à la
combinaison d'un lieu social, de pratiques scientifiques et d'une écriture314. , on
reconnaît finalement la valeur de la Cinémathèque comme lieu social de production,

309
. Valérie Vignaux, Jacques Becker ou l'exercice de la liberté, Liège, Ed. Céphale, 2000. p.234.
310
. Georges Patrick Langlois, Glenn Myrent, Henri Langlois, premier citoyen du cinéma, (en collaboration
avec Hughes Langlois), Paris, Ed. Denoël, 1986. p.45.
311
. "Envisager l'histoire comme une opération,(...) ce sera tenter de le comprendre comme le rapport
entre une place, des procédures, et la construction d'un texte."
Michel de Certeau, L'écriture de l'histoire, (1975), Paris, Ed. Gallimard. 3eme Ed. Folio/Histoire, 2002.
p. 78.
312
Ref.176a.Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard , [volume.1], Paris, Editions de l'Étoile. 2ème
Ed.1998. p.14. “L'art à partir de la vie”, entretien avec Jean-Luc Godard par Alain Bergala.
313
. La Cinémathèque française fut une association créée par Henri Langlois et Georges Franju
(accompagné aussi de Jean Mitry) en 1936 à Paris.
Cinématographie Française, n°932. 12/09/1936. repris dans Henri Langlois, 300 ans de Cinéma, Paris,
Ed. Cahiers du Cinéma /CF.1983.p.39.
314
. Michel de Certeau, L'écriture de l'histoire, (1975), Paris, Ed. Gallimard. 3eme Ed. Folio/Histoire, 2002.
p. 79.

218
considérant la pratique de la programmation comme écriture de cette histoire du
cinéma.

Si le mot scolaire a été employé, c'est sans aucune péjoration, bien au contraire,
certains témoignages parlent d'école ou bien encore d'éléments scolaires s'y
référant:

"C'est sur les bancs de l'avenue Messine que les enfants de la Cinémathèque vont apprendre
ce qu'est le cinéma. Ils deviendront d'abord critiques puis se lanceront dans la réalisation,
renouvelant ainsi inconsciemment une tradition perdue, celle de Louis Delluc, de Jean
315
Epstein et de Marcel L'Herbier."

Si le lien scolaire est établi, on trouve également des liens de filiation entre le Père
Langlois et ses enfants.
L'affaire Langlois 316a montré et démontré cette identification, car jusqu'en 1968, il n'y
avait pas de possibilité de séparation entre les deux corps. Toute l'affaire entérine
l'histoire de cette tentative.

Si l'affaire commença par son éviction, elle fut classée lorsqu'il réintégra ses locaux :
La Cinémathèque, comme lieu itinérant et Langlois comme constance, furent bien un
seul et même ensemble. La Cinémathèque fut, après la guerre, en majeure partie
subventionnée par l'état, devenant par là une nouvelle institution comme n'importe
quelle autre. Elle perd toute normativité dès que l'on se penche sur les conditions de
sa création, autant que sur la gestion financière médiocre qui fût reprochée à
lʼhomme. Aussi nous étudierons maintenant plutôt l'homme-Langlois dans ce lieu
dont on peut difficilement relever lequel de l'autre en est le prolongement.

315
. G.P. Langlois, Glenn Myrent, Henri Langlois, premier citoyen du cinéma, (en collaboration avec
Hughes Langlois), Paris, Ed. Denoël, 1986. p.181. L'expression enfants de la cinémathèque revient
souvent lorsque l'on évoque l'influence de Langlois sur la génération des cinéastes de la Nouvelle Vague.
316
. “L'Affaire Langlois” est l'appellation historique du duel (de l'appropriation de la Cinémathèque) que
Langlois a eu avec les pouvoirs publics français au premier semestre de 1968. Cette "affaire" commença
et fut classée, avec le limogeage puis par la réintégration du même homme dans l'institution.
Symptomatiquement autant la mauvaise gestion de l'appareil pouvait être plaidable, le procédé de son
éviction rendit tout compromis impossible.

219
C/ UN AUTRE LIEU DU DÉSIR : LA SALLE DE RÉDACTION DES CAHIERS DU CINÉMA

Sans que Godard se soit mis à occuper un travail de bureau, il demeure sans doute
important à son esprit qu'il puisse y avoir un endroit comme la salle de rédaction des
Cahiers du Cinéma. Ce lieu demeure un lieu itinérant car, comportant également
plusieurs adresses dans son histoire, il reste idéal aux yeux des rédacteurs. Cʼétait
un endroit où il était sûr de rencontrer quelqu'un avec qui discuter317. C'est d'ailleurs
avec les rédacteurs de la revue qu'il a toujours privilégié ses entretiens. Les métiers
antérieurs des cinéastes de la Nouvelle Vague sont souvent en rapport direct avec
lʼindustrie du cinéma.
Il leur permettait de survivre dans l'attente de meilleurs jours (l'attente de la gloire).
On connaît lʼengouement que chacun avait, pour les personnages balzaciens (un
arriviste comme Eugène de Rastignac dans Le Père Goriot) qui représentaient le
Paris de leurs rêves. Aussi après les années 60, alors quʼil collaborait de façon
beaucoup plus sporadique, JLG continue de venir aux Cahiers du Cinéma.

3/ LES FIGURES TUTÉLAIRES DU DÉSIR DE CINÉMA ET D'HISTOIRE.

À partir de deux hommes : Henri Langlois et André Malraux, nous pouvons


comprendre et repérer strictement l'exercice dʼune influence sur Godard. C'est-à-dire
en analysant leurs méthodes historiographiques —plus précisément
historio(cinémato)graphiques faudrait-il écrire—, nous pouvons déjà planifier
l'édification du désir de Godard, à vouloir établir, après eux, une histoire, et plus
particulièrement l'histoire d'un seul art, l'histoire du cinéma.

HORIZONTALITÉ ET VERTICALITÉ : POSSIBILITÉ DE DÉSIR


La bande des quatre (Rohmer, Chabrol, Truffaut, Rivette), Jean Rouch, Roger
Leenhardt, ou encore Alain Resnais exercent sur Godard une influence différente,
car ce rapport lui est contemporain. Nous pouvons donc la concevoir comme
horizontal, si l'on dessine un rapport orthonormé de cette influence.

317
. Entretien Jean Narboni. (24.05.2003, inédit).

220
Le rapport est vertical pour Malraux et Langlois car ce sont deux personnes en
amont, les deux commencent avant la Seconde Guerre. On notera que cette
figuration est courante, puisque lʼon parle en termes dʼascendance des maîtres sur
leurs élèves.

Enfin par ses écrits, André Bazin, rédacteur en chef charismatique des Cahiers du
Cinéma à l'époque où Godard est entré, peut être considéré comme une figure
tutélaire verticale mais, au lieu d'exercer une influence directe, on verra que la
pensée critique de Godard s'est développée en opposition à celle de Bazin.

Suite à cette affirmation, la définition de l'influence d'une figure tutélaire sera pour le
jeune esprit, une possibilité de désir, celle de pouvoir repérer chez eux et retenir des
notions historiques et cinématographiques ; puis, une fois assimilées, il va pouvoir
les reproduire, les adapter pour sa satisfaction et accomplissement, voire les
poursuivre et approfondir. Il est évident aussi qu'ici cette notion de reproduction n'est
nullement synonyme de répétition académique. La reproduction des notions venues
de ces figures tutélaires influentes sera au contraire la trace du mouvement d'âme
qui les a conduits vers eux, afin de constituer une matrice de son style naissant.

GODARD CONTRE MALRAUX


Godard, avant l'affaire Langlois 318, montra une opposition à la politique d'André
Malraux. Tout en opérant une distinction historique dans l'évolution de la personne de
lʼécrivain-combattant, Godard attaquait Malraux en tant que représentant du
gouvernement de De Gaulle. Le Malraux révolté contre l'Occident, ou réalisateur de
l'ESPOIR est bien différent du Malraux cocaïné, acceptant les injonctions du Pouvoir
Gaullien en tant que Ministre de la Culture319. Cela intervint au moment de
l'interdiction d'un film de Rivette : LA RELIGIEUSE320. Les Cahiers du Cinéma
reproduirent alors l'article que Godard avait écrit pour le Nouvel Observateur321 :
322
Lettre au ministre de la “Kultur” .

318
. Cʼest-à-dire avant 1968. Voir note 295.
319
. SERGE DANEY, ITINÉRAIRE D'UN CINÉ-FILS, entretien avec Régis Debray , réalisé par Dominique
Rabourdin et Pierre-André Boutang, Ed. Montparnasse. (1992).
320
. Jacques Rivette, LA RELIGIEUSE. 1966. Suzanne Simonin est le personnage du livre de Diderot dont
rivette fait lʼadaptation.
321
. Ref. 153.Obs. CAHIERS DU CINÉMA n°177. (1966).
322
. Ref.153.Obs. “Lettre au ministre de la "Kultur"”, Nouvel Observateur. 04/1966, réed. CAHIERS DU
CINÉMA. n°177.04-1966. “Je vous écris d'un pays occupé : la France.” On comprend que le terme
germanisé Kultur est produit pour évoquer l'époque de l'occupation nazie, et en comparant Malraux (qui fit
l'oraison funèbre de Jean Moulin) à un dignitaire nazi, on imagine sans mal que cela est véritablement

221
Cette lettre, pleine d'amertume, est à la hauteur de la considération qu'avait Godard
pour le réalisateur de l'ESPOIR.
Godard, à cette première occasion, établit un parallèle entre la Lettre sur les
aveugles de Denis Diderot, —qui fut embastillé à cause de ce texte, pour cause de
blasphème323— et Rivette avec sa Suzanne Simonin324, adapté justement du même
Diderot. Il va jusqu'à affirmer que Malraux était devenu aveugle, muet, et qu'il nʼa
plus que ses pieds pour fuir, et être donc un lâche.

On imagine le dilemme dans lequel fut pris Godard deux ans après, quand on lui
demanda, une nouvelle fois, de choisir entre Langlois et Malraux. Les représentants
de l'État, —dont Malraux, rappelons-le était à la tête— s'organisèrent pour limoger
Langlois. Godard fut avec Truffaut les principaux coordinateurs du Comité de
Défense de la Cinémathèque. Ce comité exigeait simplement la réintégration de
Langlois à son poste de direction, et le centre des opérations avait pour QG la salle
de rédaction des Cahiers du Cinéma325. Et lʼon peut rappeler que la teneur de la
conférence de presse qu'il fit en mars 68 à cette occasion se rapproche mot pour mot
de sa lettre antérieure de deux ans326.

MALRAUX CONTRE LANGLOIS


Langlois fournira à Godard, par lʼexemplarité de son existence, un certain nombre de
clefs quant à l'adaptation de techniques cinématographiques au sujet de l'histoire du
cinéma, alors que l'influence de Malraux se conçoit plutôt à partir de l'histoire et de
l'histoire de l'art, voire des notions graphiques et anthropologiques auxquelles elles
se rattachent.

blessant (d'autant plus lorsqu'on connaît les nombreuses pertes familiales de Malraux pendant cette
période).
323
. Donald Phelps, Denis Diderot, Paris, Ed. Michel Laffont, 1986. p.138.
324
. Jacques Rivette, LA RELIGIEUSE. 1966.
325
. C'est aux Cahiers du Cinéma que le comité réceptionnait tous les télégrammes des cinéastes du
monde entier demandant à retirer leurs copies si Langlois n'était plus à la tête de l'institution.
Antoine De Baecque, Cahiers du Cinéma, Histoire d'une Revue 2, Paris, Ed. Cahiers du Cinéma,
1991.p.180-183.
Georges Patrick Langlois, Glenn Myrent, Henri Langlois, premier citoyen du cinéma, (en collaboration avec
Hughes Langlois), Paris, Ed. Denoël, 1986. p.63.
326
. Ref.153.obs et Ref.159. Conférence de Presse Henri Langlois. CAHIERS DU CINÉMA. n°199.1968.

222
4/ FIGURE TUTÉLAIRE DU DÉSIR 1 : HENRI LANGLOIS

LA FIGURE LA PLUS IMPORTANTE PARMI TOUTES.

« Tout cela, nous ne le saurions pas encore sans Henri Langlois »327

Henri Langlois vient en premier au rang hiérarchique des figures tutélaires. On peut
en souligner l'importance tout en affirmant quʼil transgresse ce statut. Car il faut
également le considérer comme une des personnes fantomatique principale parce
que disparue, avec lesquelles Godard dialogue tout au long des HdC.

Ce rapport doit être établi en considérant le passé comme présent. Ce que nous
appelons dialogue, peut, par exemple, se retrouver comme monologue dans la
bande son du film. Dans une des séquences du Musée du Réel328, précisément
consacrée à Langlois et à la Cinémathèque, Godard apostrophe nominativement les
personnes (qui ne sont plus vivantes) avec lesquelles il veut correspondre :

329
[N'est-ce pas Lotte Eisner ?]
330
[N'est-ce pas Jean George Auriol ?]

Avec les HdC, et ses séquences du Musée du réel, Godard réalise ce quʼil notait en
remerciant Henri Langlois, publiquement, dans la salle de cinéma de la
Cinémathèque française :

« Cʼest aussi que je ne suis pas seul. Loin de là. Les fantômes de Murnau et de Dovjenko
331
sont à côté de vous. Ils sont ici chez eux (…). »

Aussi, plus qu'une figure tutélaire, plus que l'établissement d'un dialogue
fantomatique, c'est-à-dire, au-delà d'une présentation tournée vers le passé, c'est
dans le présent de sa création, dans la réalité du processus que Langlois s'est
rapproché de Godard. Il convient maintenant de le décrire.
327
. Ref.176a. « GRACE A HENRI LANGLOIS », (Nouvel Obs.n°61.01/1966) dans Jean-Luc Godard par
Jean-Luc Godard, [volume.1], Paris, Editions de l'Étoile. 2ème Ed.1998. p.282.
328
. HdC.3b.une vague nouvelle. pp.134-151.
329
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.147.
330
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.145.
331
Ref.176a. « GRACE A HENRI LANGLOIS », (Nouvel Obs.n°61.01/1966) dans Jean-Luc Godard par
Jean-Luc Godard, [volume.1], Paris, Editions de l'Étoile. 2ème Ed.1998. p.283.

223
Il sʼagit moins dʼessayer de décrire la chronologie des rapports concrets entre les
deux, que lʼaide concrète quʼa pu apporter Langlois à Godard et à son œuvre en
général. Nous devons être précis pour nous astreindre aux seuls HdC.

Dʼabord Godard est admiratif de Langlois, et le texte332 prononcé à la cinémathèque


à lʼoccasion de lʼhommage aux Frères Lumière argumente en ce sens. Et si Godard
reconnaît en Langlois sa capacité à être visionnaire, cʼest précisément dans le
domaine de lʼhistoire du cinéma.

« On devine immédiatement quelle révolution peut apporter dans lʼesthétique de lʼimage


333
animée cette vision nouvelle de son historicité. »

A/ LA PRÉSENCE DE LANGLOIS À LA GENÈSE DU PROJET DES HDC.

Nous disions, en début de cette partie, que la description des HdC pouvait attester
lʼinfluence de Langlois. Nous voulions définir le rapport fantomatique qui le lie à JLG.
Mais le rapport présent signifie premièrement que la mort de Langlois, survenu au
tout début de l'année 1977, va interrompre le processus (du projet) de réalisation des
HdC. Sa participation effective, prévue sous forme de co-réalisation, aurait pu
provoquer de profonds changements du film tel que nous le connaissons aujourd'hui.
Quand on estime, dʼune part la forte personnalité dʼHenri Langlois et dʼautre part les
installations cinématographiques (boucles de films rétroprojetées sur multi-écrans 334)
qu'il eût aménagé dans son Musée du Cinéma au Palais de Chaillot, on peut
facilement imaginer — à l'instar du film de Rohmer sur les Frères Lumière335 par
exemple, où Langlois dialogue avec Renoir — que la parole de Langlois aurait pu
être, maintes fois, mise en scène. On imagine probablement que la part du cinéma
muet aurait eu de plus amples développements, sans pour autant remettre en cause
la structure des épisodes telle qu'elle se présente aujourd'hui. La connaissance
encyclopédique des films, le savoir des images de la part de Langlois aurait contribué
également à un projet éminemment plus important qu'il n'est maintenant.
332
. Henri Langlois, 60 ans d'Art Cinématographique, Paris, Ed.C.F, FIAF. 1955.p.20.
333
. Ref.176a. « GRACE A HENRI LANGLOIS », (Nouvel Obs.n°61.01/1966) dans Jean-Luc Godard par
Jean-Luc Godard, [volume.1], Paris, Editions de l'Étoile. 2ème Ed.1998. p.282.
334
. Ce système de rétroprojecteur fut conçu antérieurement aux moniteurs vidéos. Antoine De Baecque,
LʼHistoire-Caméra, Paris, Gallimard, coll.Biblio. illustrée des histoires, 2008.
335
. Eric Rohmer, LUMIÈRE. 1979. C'est un documentaire qui présente des films Lumière entrecoupés de
commentaires de Jean Renoir et d'Henri Langlois.

224
Il sʼagit dʼune forte éventualité que Godard ait voulu partager la réalisation des
histoire(s) du cinéma, car depuis plusieurs années, il ouvrait systématiquement aux
autres 336 son poste de réalisateur. Et les HdC correspondent à la concrétisation du
projet commun de Langlois et Godard. Nicole Brenez l'a résumé comme suit :

"En Décembre de la même année [1976], Henri Langlois et Jean-Luc Godard formèrent le
projet de réaliser ensemble une histoire du cinéma en film et en vidéo, que Jean-Pierre
337
Rassam devait produire. Henri Langlois mourut le 13 Janvier 1977."

La présence dans le projet de Jean-Pierre Rassam, propriétaire (repreneur) de la


Gaumont, la société co-productrice quelques années plus tard des HdC, et qui allait
lui aussi disparaître en 1980, vient affirmer cette éventualité338. Aussi lorsque Godard
quitte le conseil d'administration de la Cinémathèque française en 1975, il conseille à
Langlois de la vendre pour pouvoir faire des films.339.

LES HDC SONT LA CONTINUATION DU TRAVAIL DE LANGLOIS


Les cours de Montréal et conséquemment la réalisation du livre Introduction à une
véritable histoire du cinéma, (retranscription de la parole de Godard), ont été conçu
après la mort de Langlois. Ces cours sont relatifs à sa disparition, puisqu'il s'agit
d'une continuation du travail entrepris par Langlois.
FAIRE LES HDC [D']APRÈS LA MORT DE LANGLOIS

B/ L 'ART DE LA PROGRAMMATION
INTERSECTION DU CINÉMA ET DE LʼHISTOIRE

En analysant leurs propres pratiques du cinéma et de l'histoire, comme Godard et


comme André Malraux, on constate que Langlois se situe à l'intersection des deux
matières étudiées. Intersection voulant signifier ici que c'est un lieu qui rassemble, un

336
. Rappelons qu'en 1977, co-réaliser pour Godard nʼa rien d'inopportun puisque cela constitue même
l'essentiel de son travail depuis 1969. Il faut attendre 1977, pour qu'il propose un court-métrage
(Ref.Film44) et 1979 pour un film de fiction (Ref.Film46B). Il avait travaillé en duo avec Jean-Pierre Gorin
(Ref.Film39) et co-réalisa certains des films-annexes des HdC avec Anne-Marie Mieville (Ref.Film75,
Ref.Film81).
337
. Nicole Brenez, “Notule du "cinéma en liberté", Henri Langlois”, Documents, Paris, Ed.Centre
Pompidou, 2006.p.259.
338
. Cela confirme le rapprochement même sʼl est totalement étranger à la situation de la Gaumont telle
qu'elle se constitue en 1988 (date de la version 1).
339
. Ref.178.19b. Deux lettres à Henri Langlois (1975).

225
lieu où se réunissent les deux disciplines en plein exercice, et non l'hésitation entre
deux routes différentes. Addition et non soustractivité au carrefour.

Henri Langlois, créateur de la Cinémathèque française, influença toute une


génération de cinéastes et de critiques, par ses projections. Il provoquait des
relations inédites par des montages de films. Il pratiquait la programmation comme
un geste artistique à l'intérieur même de l'histoire du cinéma.
Langlois, créateur de cinémathèque, est un personnage ayant endossé plusieurs
fonctions. Il influe sur d'autres actions toutes aussi importantes, comme celui de la
création du premier livre340 de Godard.

BASE DE LA DÉFINITION D'UN STYLE


LA PROGRAMMATION : UN ART DU MONTAGE DES FILMS
Si Godard suit son apprentissage par la lecture de fascicules établis par Langlois, ou
par ses présentations orales de films, c'est également l'intelligence de lʼorganisation
des séances qui l'intéresse. À son tour, il programme une liste de films par extraits,
ce quʼon peut décèler dans les HdC considérées comme film de montage. La notion
de programmation relèvera directement d'une activité de cinéaste.

a/ Programmation de films
Ce ne sont plus des plans entre eux mais des films, —mis ensemble, projetés les
uns à la suite des autres—, qui créent un sens supplémentaire.
La notion de montage car chaque film dans son unité crée une sensation et une
signification, qui, une fois mis en présence du film d'avant ou d'après, peut changer
sa sensation, changer de signification. Un drame qui apparaissait profond peut se
révéler soudainement très sarcastique, s'il se trouve placé entre deux comédies
loufoques. Pour programmer, la connaissance des films doit être évidemment
complète, du détail à lʼensemble. L'anecdote sur Mary Meerson, compagne de
Langlois, reconnaissant nʼimporte quel film au coup dʼœil dʼun seul photogramme,
donne une idée énergique de ce que la connaissance par la vision peut produire341.
Dominique Païni, lʼun des directeurs de la Cinémathèque française dans les années
1990-2000, suivant Langlois dans sa pratique comme dans sa théorie, a envisagé
l'art de la programmation342, comme un art cinématographique à part entière.

340
. Ref.173. Introduction à une véritable histoire du cinéma et de la télévision. (1979)
341
Bérénice Reynaud, “Une muse disparaît”, CAHIERS DU CINÉMA n°471, 09/1993.
342
. Dominique Païni, Portrait du programmateur en chiffonnier, CINEMATHÈQUE n°5, 1997. p. 45.

226
b/ La rétrospective
De la programmation au montage, Langlois innove également dans l'organisation des
séances rétrospectives d'auteurs. Projetant à la suite les œuvres du même auteur,
nous sommes en présence alors dʼune seule œuvre, la projection de lʼopus 343, c'est-à-
dire l'ensemble de ses films. Le parcours dʼensemble dʼune œuvre filmique dʼun
cinéaste est alors une conception nouvelle pour l'époque de la juste Après-Guerre et
on peut même noter que cʼest une disposition qui fait entrer la programmation au sein
de la discipline historique, dʼune histoire du cinéma par les films. La première
rétrospective fut un succès en Décembre 1949. Elle concerna Erich Von Stroheim.344
Il lʼintitulera LE FILM MAUDIT comme en reprise évidente du festival qui sʼest déroulé
l'été de la même année, à Biarritz, grâce en partie aux futurs fondateurs des Cahiers
du Cinéma, Jacques Doniol-Valcroze et André Bazin. OBJECTIF 49, le Festival du
Film maudit, parrainé par Jean Cocteau qui en fera l'affiche, fut le centre des
rencontres de beaucoup de jeunes qui allaient accomplir la Nouvelle Vague345.

c/ Séries
En plus de la nouveauté du principe rétrospectif, Henri Langlois va aussi associer
des films par cycles dont le mode de regroupement est assimilable au principe dʼune
sérialisation. Les séries sont inédites, liées ni aux auteurs ni aux acteurs. Ainsi le 2
Janvier 1946, Langlois organise un cycle intitulé :
LE TRIOMPHE DE LA COULEUR
DE 1900 À 1925
Où suivent les titres de films suivants, sans nom du réalisateur ni année de
réalisation :

"Cendrillon, la danse des Djinnes (sic), la petite détective, Lorenzaccio, le chien tenace, la
346
sultane de l'amour..."

343
. Robert Klein, La forme et l'intelligible, Paris, Ed. Gallimard. 1973. p.222.
344
. Il sʼagit bien sûr de ses films réalisés et non de sa participation dans dʼautres en tant quʼacteur.
G.P. Langlois, Glenn Myrent, Henri Langlois, premier citoyen du cinéma, (en collaboration avec Hughes
Langlois), Paris, Ed. Denoël, 1986. p.180.
345
. Serge Toubiana, Antoine de Baecque, Le roman de François Truffaut, (une biographie), Paris, Ed.
Gallimard/ Cahiers du Cinéma. 2004.p.186.
346
. Henri Langlois, Programmes du Cercle du Cinéma 1946, Paris, inédit. Archives de la Cinémathèque
française.

227
Lʼoption de réunir des films sous le motif esthétique de la couleur —ce qui vue la
période (1900-1925) peut sembler paradoxale— sʼavère un choix de présentation
tout à fait différent et inhabituel des principes de catégorisation historique. Cʼest-à-
dire autrement que par la voie classique (en histoire du cinéma) : répartition
nationale347, ou encore répartition de genres de production (tragédies, slapstick,
bathing girls, mélodrame, western…).

d/ Lʼart du titre ; programmes et films.


Lʼénonciation de la série est donnée par Langlois dans un dessein clair : le titre
indique, par-delà son contenu informationnel, lʼaffirmation dʼun geste subjectif. Le titre
révèle la personne et son choix du thème ou dʼune image, dès la lecture du
programme348.

Mardi 6, Mercredi 7 Novembre 1947


JAMBES - L'ANGE BLEU de J. v. Sternberg. 1929/30
RÉVOLTES - DIMANCHE NOIR de Wiskowski. 1927349

Distingué dʼautres formulations des séries de programmations plus courantes, le titre


chez Langlois reprend souvent un des termes préexistants dans un des films, ou bien
encore le sujet dans lequel il sʼinscrit, ce qui offre des résultats pour le moins
évocateurs.

C/« PRÉSENTER » LES FILMS DU PASSÉ.

a/ La programmation sous forme dʼhommage.


La programmation pour Langlois peut également servir d'hommage. Ce terme revient
assez souvent dans les titres des programmations. Dʼailleurs, il en organise un pour
Godard350, et cela lui permet dʼélargir la filmographie du cinéaste. À partir de la référence
d'un cinéaste (Lumière par exemple), Langlois fait preuve de subjectivité quant au choix
du cycle. Le choix des films peut sembler arbitraire, mais l'importance réside dans le

347
. Passim Sadoul, Bardèche-Brasillach, Delalande…Ce que beaucoup dʼhistoriens dʼAvant-Guerre,
empruntant à lʼhistoire de lʼart, désignaient par le terme dʼécole.
348
. Harry Levin, « The Title as Litterary Genre » in THE MODERN LANGAGE REVIEW. n°72.1977.pp.89-97.
349
. Document provenant des Archives de la Cinémathèque française.
350
. Un « Hommage à Godard » est inauguré le 17 Octobre 1964. Laurent Mannoni, « Vends la
Cinémathèque ! »Documents - Jean-Luc Godard , Paris, Ed. Centre Pompidou.2006.p.246.

228
geste, susceptible de garantir que le cinéaste a subi l'influence de Lumière. Il s'agit de
conditionner le spectateur par la vision des films présentés, de lui proposer le regard du
cinéaste auquel on rend hommage. En 1949, un Hommage à Louis Lumière :

1932 Luis Bunuel - TERRE SANS PAIN


1932 Charbonnier - LES PIRATES DU RHONE
1938 JB Brunius - VIOLON D'INGRES
1947 Cousteau - PAYSAGES DU SILENCE
1947 Painlevé - ASSASSINS D'EAU D'OUCE
1948 Yannick Bellon - LES GOEMONDS
1948 Resnais - VAN GOGH351

En dehors de lʼaspect apparemment hétérogène de cette liste, on constate lʼun des


éléments fondateurs de son style : la volonté de Langlois de projeter des films du passé
—vocation première dʼune cinémathèque— et de les présenter, cʼest-à-dire de les
confronter au présent avec un nombre de films contemporains.
L'établissement de listes, la recopie d'affiches, et de génériques sont des gestes
compulsifs qu'on retrouve pratiquement comme une preuve définitionnelle de l'amour du
cinéma352. On note, insiste Langlois, que cette liste doit être effectuée en dehors de la
projection. En effet, il critiquait durement le phénomène grandissant du premier rang, où
lʼassiduité des cinéphiles les faisait rédiger leurs notes tandis quʼils consultaient
seulement de temps en temps le film. Si saisir une liste [lister] correspond à une
gestuelle amoureuse, elle doit être pratiquée avec la volonté de laisser au film lʼespace
et le temps de sa projection353. La saisie ne doit pas interférer et rester geste postérieur
à la vision. Cette règle édictée demeure en fait la stricte conséquence dʼune conception
langloisienne de lʼhistoire du cinéma, dont Godard suivra les principes :
LA VISION EST PREMIERE, ECRIRE VIENT ENSUITE.

L'une des évolutions se retrouve naturellement dans les listes de l'historien de cinéma
autant que dans celles du programmateur ; cette double identité de geste354 compose la
première étape théorique esthétique de la constitution du style godardien.

351
Nous avons conservé l'omission des prénoms, telle que Langlois l'a effectuée.
Henri Langlois, Programmes du Cercle du Cinéma 1949, Paris, inédit. Archives de la Cinémathèque
française.
352
. Dominique Rabourdin, JEAN DRÉVILLE, LES CARNETS D'UN CINÉPHILE, 1989.
353
. Jacques Richard, CITIZEN LANGLOIS, 2001.
354
. Dominique Païni, “Portrait du programmateur en chiffonnier“, CINEMATHÈQUE n°5, 1997. p. 45.

229
b/ La liste : éléments fondateur esthétique.
L'énumération et la liste sont des éléments caractéristiques qui constituent la singularité
expressive de Godard producteur355, et l'on peut affirmer que Langlois va lui prouver, que
cette modalité expressive sʼavère plus conséquente qu'une simple technique fondatrice
de la cinéphilie. Elle demeure avant tout l'occasion d'un exercice de la connaissance
associée à l'inventivité. Programmer devient un acte créateur à part entière356, auquel
lʼacte de lister les films est associée, et dépasse les enjeux de la seule mémoire. La liste
des films en vue de programmer demeure la base technique esthétique du montage et
remontage357 de films.

LIRE LʼHISTOIRE PAR LES FILMS


Mais en sus du geste de lister, cʼest à l'intérieur même de la programmation que
Langlois invente. Aussi, en 1951, il proposera une "PETITE HISTOIRE DU CINÉMA
358
FRANÇAIS" . Sans qu'il nʼy ait fascicule approprié ni introduction méthodologique, la
proposition historique sʼévaluerait uniquement à partir de la lecture de la liste des
films dans le programme. Cʼest donc, dans son esprit, la projection des films eux-
mêmes qui vient fonder lʼhistoire proposée. Langlois élabore (à la suite de Malraux
dans un autre domaine), la possibilité exemplaire dʼune production historique par les
œuvres.
Ajoutons que l'adjectif petite, vient souligner plusieurs éléments de convergence avec
notre cinéaste. En effet, la notion de petitesse est amplement justifiée dans l'esprit de
Langlois puisque le programme se déroule uniquement sur quelques jours. Il ne peut
pas transmettre une histoire exhaustive à laquelle pourtant il pourrait prétendre.
Rappelons aussi quʼen 1951 persiste lʼimmense difficulté matérielle de trouver des
films ailleurs quʼà la Cinémathèque. Les différents systèmes dʼéchanges et de prêts
entre les cinémathèques —en nombre réduit à cette époque— jusquʼà
lʼacheminement des copies, demeurent à chaque fois limités. Cela fut si exceptionnel
que lʼaventure individuelle dʼun acheminement de copie eût valu à chaque fois son lot
de petites histoires 359. Lʼadjectif petit, dans le fascicule de Langlois, appelle la
bienveillance du (lecteur/) spectateur.
LA PETITE HISTOIRE FACE A LA GRANDE CHEZ GODARD
355
.Ref. Film56. Ref.Film75.
356
. Dominique Païni, Portrait du programmateur en chiffonnier, Cinémathèque n°5, 1997. p. 45.
357
. Iouri Tsyvian, sagesse et perversion. Le remontage et la culture cinématographique soviétique des
années 1920 CINÉMA 07, Printemps. 2004. p. 125.
358
. Henri Langlois, Programme des amis de la Cinémathèque, 1951, Paris. Inédit. Archives de la
Cinémathèque française.
359
. Freddy Buache, Le cinéma Suisse, Préface, Lausanne, Ed. LʼAge dʼhomme. 1976.p.14.

230
La notion de petite histoire du cinéma de Langlois peut se répercuter chez Godard
dans un système dialectique. En effet, on relève ce terme de petit lorsque ce dernier
intitule lʼun de ses films sur le cinéma. Il évoque alors un petit commerce de
cinéma360 ; quʼil va opposer directement à grandeur et décadence, adjectifs quʼon
associe aisément au destin de la grande Histoire361. Pour JLG, la rencontre entre
Grande et Petite sʼavère possible. Une des conceptions historiques bipolaires se
situe dans les HdC au moment précis où Godard en expose sa conception, tout en
se réappropriant la phrase de Braudel, dans l'épisode 4a.le contrôle de l'univers :
362
[UNE HISTOIRE AVANCE / AVANCE VERS NOUS / À PAS PRÉCIPITÉS]
363
[UNE AUTRE HISTOIRE / HISTOIRE NOUS ACCOMPAGNE / À PAS LENTS]

c/ Lʼimposition du genre contre le classement national


Lʼorganisation d'une rétrospective sur un cinéma national constitue lʼune des
pratiques où Langlois va produire un nouvel exemple d'invention. Il sʼagit, pour lui,
dʼinventer des notions de genres et de les placer au sein dʼautres qui sont reconnus.
Ainsi, il découpe le cinéma national en plusieurs parties elles-mêmes réparties et
désignées comme genres ou sous-genres.

1951 : LE CINÉMA NATIONAL (FRANCE)


LA COMÉDIE [C]
LE FILM D'ATMOSPHÈRE [X]
LE FILM HISTORIQUE [C]
LE FILM POLICIER [C]
LE FILM PSYCHOLOGIQUE [R]
DOCUMENTAIRE D'AVANT-GARDE [C]
LE FILM D'ENFANT [R]
LE FILM ANTI-RACIAL [X]
L'ADAPTATION DE CLASSIQUES [R]
LE FILM SOCIAL [C]
LE FILM PACIFISTE [X] - [R]
LA SATIRE [C]
LE FILM D'ÉPOUVANTE [C]
LE FANTASTIQUE DÉCORATIF [X]
LE STYLE MONUMENTAL [X] - [R]
LE FANTASTIQUE SOCIAL [X]
364
L'EXPRESSIONISME DÉCORATIF [X]

360
. Ref.Film56. Dans cette référence, nous proposons un développement de cette réflexivité grâce à la
citation de Gibbon et Montesquieu.
361
. Référence Film56. GRANDEUR ET DÉCADENCE D'UN PETIT COMMERCE DE CINÉMA. 1986.
362
. HdC.4a.le contrôle de l'univers. p.64.
363
. HdC.4a.le contrôle de l'univers. p.65. Sur les deux pages réparties symétriquement: 6 cartons noirs en
lettrages blancs.

231
Quand on observe cette liste de genres, qui couvre le cinéma dans sa nationalité,
nous pouvons y adjoindre trois sortes de signalements. Une marque [C] pour signaler
ceux qui sont déjà connus comme tels. Dʼautres, au contraire, sûrement inventés par
Langlois, apparaissent inédits [X]. Enfin, une dernière catégorie, signalée par la
marque [R] se place entre les deux précédentes. [R] représente les notions de
genres connues mais dont lʼusage sʼavère beaucoup plus rare.

On constatera la création de dix-sept sous-genres. Cela permet dʼadopter un point de


vue pertinent, car sous le prétexte dʼune division méthodique (partition sur un registre
formel) de programmes en plusieurs séances consacrées au pays, Langlois impose
une conception de nouveaux genres esthétiques au cinéma français. Autrement dit, il
produit une innovation, critique pour l'Histoire du cinéma. Les historiens du cinéma
étaient, au début des années 50, habitués à classer les films par école nationale.365

En conclusion, ce principe de subdivision formelle pourra fournir une organisation


future de cycles, tout à fait transversale aux restrictions nationales. Godard sʼen
souviendra au moment des HdC, puisquʼil a décomposé les huit parties de son
histoire selon des modes différents de rapport heuristique entre l'histoire et le
cinéma, à la différence précisément de ses films-annexes, qui eux, ont conservé les
divisions nationales classiques.

DÉSIR D'HISTOIRE DU CINÉMA PAR LES FILMS


Pour ce qui est du désir de la pratique historique, on trouve dès l'origine, dans le
manifeste de la création de l'association la Cinémathèque française, dans les termes
de Langlois, et selon la perspective du projet de la cinémathèque, une prolongation
des HdC :

"Guidée par des metteurs en scène et des cinéphiles qui ont participé à l'évolution du film
français, soutenue par les producteurs et la presse, La Cinémathèque française va pouvoir
366
enfin rendre possible l'histoire du cinéma par le cinéma."

364
. Henri Langlois, Programme des amis de la Cinémathèque, 1951, Paris. Inédit. Archives de la
Cinémathèque française.
365
. Georges Sadoul, Histoire d'un art : le cinéma, Paris, Flammarion, 1949.
Maurice Bardèche, Robert Brasillach, Histoire du Cinéma, Paris, Denoël et Steele, 1935.
366
. Editorial, La cinématographie Française, n°934. 26/09/1936. repris dans Henri Langlois, 300 ans de
Cinéma, Paris, Ed.Cahiers du Cinéma/CF.1983.p.39.

232
D/ LE CINÉPHILE QUI CONSERVE, LE CINÉASTE QUI MONTRE.

Un deuxième élément démonstratif réside dans cette note d'intention de l'association.


Langlois évoque ces deux types d'hommes : le metteur en scène et le cinéphile.
Cette conception duelle vient encore étayer ce à quoi notre travail dans ce chapitre
s'efforce : la démonstration du parcours de Godard. D'avoir été d'abord un cinéphile
opérant tout autant une participation à l'évolution du film, que lorsqu'il est devenu le
metteur en scène de cinéma reconnu. Les deux types d'hommes, selon Langlois,
concourent autant l'un que l'autre au désir d'histoire du cinéma.

CONSERVER, MONTRER
Ce projet associatif peut synthétiser l'ampleur et la cohérence du projet de Langlois :
Affirmant, d'une part, sa volonté à pouvoir conserver les films qui disparaissent sous
le motif commercial dʼun recyclage industriel de la pellicule et d'autre part, les
montrer dans le but avoué de faire évoluer le style de l'art cinématographique par son
étude historique, Langlois parlait déjà de Classiques du 7ème Art. Cette dernière
intention, manifestait le désir de produire une histoire du cinéma par le cinéma. Ce
double principe Conserver, montrer fut mis en évidence et concrètement appliqué par
lʼun des successeurs de la C.F. : Dominique Païni367. Nous le retrouverons une
nouvelle fois dans notre étude de la programmation en tant que geste esthétique.

LA CINÉMATHÈQUE : LIEU D'APPRENTISSAGE DU MONTAGE


Les débats et les présentations de films à la Cinémathèque font de cet endroit un lieu
originel, celui de la découverte du cinéma pour Godard. Il l'a souvent exprimé dans
de nombreux entretiens, comme on pouvait le voir, par exemple, dans celui qu'il fit
avec Régis Debray :

"Suite à notre découverte du cinéma chez Langlois, on pensait, dans la Nouvelle Vague,
368
qu'on commençait quelque chose."

Cette Suite suggère bien la juste intuition d'une double disposition : l'entrée
cinéphilique et l'entrée dans l'Histoire, comme Histoire du cinéma, d'abord par sa
découverte (d'un nouveau monde) et l'acquisition de connaissances, puis par les

367
. Dominique Païni, Conserver, montrer, Bruxelles, Ed. Yellow Now.1992.
368
. Ref.176b.“Jean-Luc Godard rencontre Régis Debray” (diffusé sur Arte, 14/10/95), dans Jean-Luc
Godard par Jean-Luc Godard , [volume.2], Paris, Editions de l'Étoile.1998.p.423.

233
moyens de produire des films. Faire des films comme on faisait de l'Histoire. Et nous
ne sommes pourtant pas encore dans les prises de positions politiques de la fin des
années 60. Cette entrée dans l'histoire est essentiellement une entrée dans le monde
du cinéma.

Mais à la différence des autres ciné-clubs qui organisaient, peut-être une à deux fois
par semaine, des projections, la régularité du nombre de celles de la Cinémathèque
furent quotidiennes. La Cinémathèque engendrait d'autres activités que celle
dʼénoncer un discours sur le cinéma. L'organisation des pratiques par Langlois
démontre qu'on pouvait faire du cinéma sans obligatoirement faire des films.

Faire du cinéma par la programmation. Lʼacte de programmer consiste à choisir des


films, puis de les placer selon un ordre précis. Ensuite il sʼagit dʼajuster les séances,
de placer les films les uns à la suite des autres, comme lʼon pourrait le faire au
montage dʼun film avec les plans. Relayer les plans, pour former lʼintelligence du film,
que lʼon intitulera, une fois finie, avec autant de perspicacité que Langlois le ferait
pour ses titres de rétrospectives.
Il intitula également des hommages, qui étaient le regroupement de films de
cinéastes différents, sous le régime d'un seul autre. Les hommages sont à lʼacte de
programmer ce que le film de montage est au découpage.

Langlois, pour Godard, représente un modèle possible, tant pour les programmations
sous forme de montage que les montages sous forme de programmations, parce
que, pour les deux hommes, cela devient la possibilité de faire histoire avec des films
sans passer prioritairement par le livre. Le cinéma comme instrument conceptuel au
service de lʼédification d'une histoire du cinéma.

E/ HOMMAGE À LANGLOIS DANS LES HDC :

Un dernier élément, important, de lʼapport de Langlois à Godard se trouve


directement dans les HdC où une partie lui est manifestement dévolue.
Située au 3b.une vague nouvelle, elle associe de manière récurrente le portrait
photographique en noir et blanc, cadré en plan serré poitrine de Henri Langlois avec
le carton intitulé :

234
369
[LE MUSÉE DU RÉEL]

MUSÉE DU RÉEL, MUSÉE DU CINÉMA, MUSÉE IMAGINAIRE


Lʼexpression musée du réel fait évidemment dʼabord référence concrètement au
musée du cinéma quʼa créé Langlois après la guerre. Et aussi, on retrouve, une fois
de plus, lʼorigine de cet adjectif réel qui sʼaffirme comme une opposition directe au
musée imaginaire de Malraux. Godard forge ce terme lors dʼun éloge quʼil fait à la
cinémathèque : « Grâce à Henri Langlois ». On reconnaît les métaphores de la salle
de cinéma diffusant un film muet dans les nuits silencieuses ainsi que lʼécran qui,
étant comme une fenêtre ouverte sur le monde, est un ciel blanc.

« Henri Langlois a donné chaque vingt-quatrième seconde de sa vie pour sortir toutes ces
voix de leurs nuits silencieuses, et pour les projeter dans le ciel blanc du seul musée où se
370
rejoignent enfin le réel et lʼimaginaire. »
BRÈVE DESCRIPTION DE LA SÉQUENCE LE MUSÉE DU RÉEL
Il convient de décrire à minima plusieurs séquences où le portrait de Langlois jalonne
cette partie.
Ce MdR371 se compose de six parties, ce que Godard prendra soin d'annoter. En
effet, les sous-parties numérotées apparaissent sur un carton. Cette déclinaison
chiffrée régulière reste extrêmement rare dans ce film372, dʼoù lʼobjet de cette
remarque. A chaque fois que le carton apparaît, le portrait de Langlois figure sur la
gauche de lʼimage. Le portrait fonctionne comme emblême mais aussi comme un
cache qui laisse à chaque fois la partie droite libre varier selon les différentes parties.

a/ [Le musée du réel(1) ]


UNE HISTOIRE DU CINÉMA QUE L'ON PROJETTE
Le portrait de Langlois est associé, dans le MdR1, avec un extrait de film noir et
blanc nous montrant une salle de projection dʼun film muet. Il s'agit d'un extrait d'un
film de Léonce Perret : LE MYSTÈRE DES ROCHES DE KADOR373.

369
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.135.
370
. Ref.176a. « GRACE A HENRI LANGLOIS », (Nouvel Obs.n°61.01/1966) dans Jean-Luc Godard par
Jean-Luc Godard, [volume.1], Paris, Editions de l'Étoile. 2ème Ed.1998.p.282.
371
. Comme les HdC, nous nous sommes permis une contraction de Musée du Réel en MdR pour simplifier
la lecture.
372
. Il nʼy a quʼun autre cas (pensée 1 + 2) dans HdC.3a.la monnaie de l'absolu. p.56.
373
. Léonce Perret, LE MYSTÈRE DES ROCHES DE KADOR. 1912. Lʼhistoire du film narre quʼune jeune
fille recouvre la mémoire grâce au cinéma.

235
La scène montre une jeune fille hystérique de dos, en chemise de nuit longue, qui, se
prenant les cheveux (noirs et longs), jettent les bras au ciel, puis vers lʼécran.
Ensuite, elle recule et s'évanouit face à l'écran blanc dans les bras dʼun homme.
Nous nʼavons pas vu ce quʼelle a vu, mais on peut se douter, suite à son
comportement, quʼelle a bien vu quelque chose ou quelquʼun, auquel elle ne
sʼattendait pas, un revenant ? Cʼest la force primitive de lʼopération du cinéma qui est
ici montrée, telle que cela pouvait être aux débuts du cinéma. La faculté projective,
telle que Godard l'énoncera un peu plus tard, rend l'histoire du cinéma supérieure
aux autres types d'histoires, une supériorité renversante car le cinéma se déplace
dans le temps.
Le mot projection, tel que Godard lʼassène, nous fait valoir avant tout sa vertu
projective, cʼest-à-dire une propension à se déplacer dans le futur. Le génie de
Langlois est dʼavoir su montrer des images et des films appartenant au passé à une
époque où les seuls films montrés étaient contemporains. Seule, la cinémathèque
pouvait ouvrir une perspective historique au cinéma, dont lʼindustrie nʼétait pas
encore consciente.

b/ [Le musée du réel(2) ]


LA NOUVELLE VAGUE, UN PRODUIT DE LA CINÉMATHÈQUE
Faisant coïncider le carton [UNE NOUVELLE VAGUE] avec un extrait du
NAPOLÉON374 de Gance, qui montre la traversée maritime de Bonaparte sur une
embarcation de fortune prise au milieu d'une tempête, Godard fait jouer pleinement le
sens figuré de vague et les oppositions houleuses que ce mouvement de la jeunesse
a suscitées au début des années 60.

c/ [Le musée du réel(3) ]375


COEXISTENCE DU CINÉMA PASSÉ AVEC LES CHEFS D'ŒUVRES DU PRÉSENT
Après la figuration du carton-titre et du portrait de Langlois, la séquence présente, en
fondu enchaîné, deux extraits : LES TROIS LUMIÈRES (1921) de Fritz Lang / et
JOHNNY GUITARE (1955) de Nicholas Ray.
Selon le désir de Langlois, cʼest effectuer la coexistence d'un cinéma du passé, celui
de Lang, avec celui présent, celui de Ray —contemporain de la fréquentation de
Godard à la Cinémathèque : 1955—. Une des raisons existentielles de la
374
. Abel Gance, NAPOLÉON. 1927.
375
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.141.

236
Cinémathèque nous est confirmé : découvrir pour la première fois des films du
répertoire muet et comprendre leur prolongement à travers la vision de films
contemporains. Lʼaction de Langlois éclaire (puisqu'il s'agit ici des TROIS LUMIÈRES
où l'extrait montre des bougies) d'une nouvelle lumière certains films qui seraient
peut-être restés inaperçus.
Aussi, Godard conçoit par écrit ce choix de confrontation. Il présente un principe
dʼopposition esthétique, interne à lʼhistoire du cinéma, lʼAncien et le Nouveau. Cʼest
une opposition dialectique entre un cinéaste classique : Fritz Lang et un cinéaste
moderne : Nicholas Ray 376. Cette confrontation fonctionne dʼautant mieux qu'ils ont
tous les deux réalisé des Westerns et précisément dans le même sous-genre du
biopics sur Jesse James. Ce seront aussi les deux cinéastes choisis par Godard,
pour rédiger les notices générales pour les Ciné-clubs, dans la revue Image et Son377.

Le cas de Ray est exemplaire, puisque c'est seul(s) contre tous que Truffaut et
Godard défendent Nicholas Ray378. On fait remarquer, au sein même de la rédaction
des Cahiers du Cinéma, que ce cinéaste, aussi intéressant que pouvaient le trouver
les jeunes turcs, réalisait son film avec un grand nombre de faux-raccords 379.
Le film JOHNNY GUITARE, choisi pour cet extrait, représente excellemment le
western populaire, programmé dans les cinémas de première exclusivité, signalés
380
dans les HdC comme le Vox, Palace et Miramar . Godard soutient que les films de
la Cinémathèque n'étaient pas des films comme les films du samedi soir, des films
pour tout le monde381.
Cette troisième partie se constitue donc, par ce montage alterné, sur une double
opposition paradoxale. La modernité nʼétait pas perçue par les cinéphiles de la
Cinémathèque, elle se développait au sein de salles populaires. Mais pour pouvoir
concevoir théoriquement cette modernité, il fallait connaître, mettre en relation ce
cinéma pour tout le monde avec ce quʼétait le cinéma dʼantan, lʼâge classique du
cinéma, ce que peu de personnes, des élus 382, pouvaient prétendre dʼavoir vu.

376
. Ref.A21. Du Côté de Chez Manet. ARTS. n° 529, 1956.
377
. Ref.is19.561. Nicholas Ray et Ref.is19.562. Le Retour de Franck James (F.Lang).
378
. Ref.78.LE CINÉASTE BIEN-AIMÉ.
379
. Philippe Demonsablon, « Wind Across The Everglades», CAHIERS DU CINÉMA n°95. 05/1959.p.54.
380
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.140.
381
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.140.
382
. Ce concept dʼélection va être développé un peu plus tard dans cette section.

237
d/ [Le musée du réel(4) ]383
LE VRAI CINÉMA : CELUI QU'ON NE PEUT VOIR
La séquence Musée du réel(4), demeure la plus longue et se compose de plusieurs
sous-parties, non précisées dans le film, mais que nous indiquerons cette fois-ci en
la notant mdr4.x :

i/ mdr4.1.
Juste après le carton, nous voyons un extrait de QUE VIVA MEXICO384. Ce film fut
pendant longtemps invisible, car en état inachevé. Il faudra attendre les années 60
pour découvrir une version montée. Comme soutient Godard dans son film : certains
films peuvent et doivent être aimés sans être vus. Il nous fallut l'aimer aveuglément
et par cœur385.
Cet aveuglement est représenté par l'image du Christ Bafoué de Fra Angelico386, Ce
christ a un bandeau autour des yeux, et on le voit surgir tout au long de la séquence.
Par cœur, c'est faire confiance aux visions de Langlois, et à la rumeur cinéphile qui
se déploie sur tel ou tel film. La parole —du témoin qui lʼa vu ou bien même qui nʼen
aurait vu quʼune photo— permet de créer autour du film, sa légende. Ces films
légendaires deviennent alors les plus grands films, puisque personne, ne les ayant
vus, ne peut les critiquer. Personne non plus ne peut en être déçu. Ils se
maintiennent dans une virtualité paradisiaque, intouchable, comme idée du film sans
qu'aucune matérialité ne vienne ramener le film à son incongrue existence.

ii/ mdr4.2.
C'est ensuite le carton et un extrait de film de SUNRISE (1926) de Friedrich Murnau
qui vient corroborer les films rares de grands cinéastes que l'on croyait disparus et
que le temps avait fait réapparaître. Dans la même optique légendaire, Godard
utilisera des extraits du film retrouvé de Frank Borzage : LA FEMME AU CORBEAU
(The River, 1928).

iii/ mdr4.3.
Liée à la décision oratoire d'aimer (...) par cœur les films, et aussi, en liaison directe
avec lʼidéalisme de leur existence —comme ainsi à leur future déception car lorsqu'il
383
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.144.
384
. Serguei M. Eisenstein, QUE VIVA MEXICO. 1935.
385
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.145.
386
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.143.

238
sont retrouvés, ils apparaïssent avec tous les autres films projetés—, Godard place
intentionnellement une série de cartons. Cette série morcelle une phrase de Virginia
Woolf. La phrase, une fois recomposée, affirme : l'homme a dans son pauvre cœur
des endroits qui n'existent pas encore, et là où la douleur entre afin qu'ils soient.

TECHNIQUE DE LA PHRASE MORCELÉE


Intéressons-nous un instant à cette technique. La phrase, mise en cartons, est
fragmentée et projetée par intermittence. La technique de morcellisation d'une phrase
opérée par Godard387 produit un motif d'encadrement. Cela permet d'en ralentir son
écoute ou sa lecture (c'est un étalement dans la durée), ce qui peut augmenter
l'intensité de sa réception (si lʼon ne perd pas le fil de la lecture). De plus, lʼaération
produite entre les cartons les fait entrer en contrepoint, non plus avec eux-mêmes
(comme une rime de poésie), mais avec les plans qui sʼentrelacent. Les mots
résonnent dans les images, alors que la signification globale, elle, est encore en
suspend. La lecture des mots des cartons peuvent trouver un sens nouveau à cause
des images qui les supportent.

Nous comprenons, par cette phrase, la double allusion des endroits qui n'existent
pas encore. Cela pourrait désigner en fait la salle de la Cinémathèque, en attente des
films requis (invisibles), autant que lʼespace du cœur aveuglé des cinéphiles. On voit
un peu plus loin dans le film, l'importance du cœur. Le cinéaste sous-entendrait que
Langlois lui a fait comprendre l'exhortation à travailler avec nos cœurs 388, que
l'époque malade nʼétait que la résultante de cette interrogation.

iv/ mdr4.4.
L'ESPOIR : LA FRATERNITÉ DES MÉTAPHORES
Le long extrait de L'ESPOIR, film de Malraux, sur lequel arrive en surimpression la
figure muette (une écharpe autour de la bouche) de l'assassin du LODGER (1928) de
Hitchcock 389, va permettre à Godard d'évoquer un rapport d'interchangeabilité entre la
figure de Langlois et celle de Malraux. Dʼabord le premier parallèle sʼétablit avec la
similarité des deux figures bâillonnées des deux séquences :

387
. Ref.Film56. GRANDEUR ET DÉCADENCE D'UN PETIT COMMERCE DE CINÉMA. 1986.
Une phrase de Chandler dans ce film est morcelée et entonnée par un cercle de figurants de l'ANPE. voir
Ref.Film56 pour plus de développements.
388
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.161.
389
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.148.

239
Le christ (MdR3) // Lodger (MdR4).
Godard va rappeler qu'avant tout, c'est la fraternité des métaphores qui allait faire
sursauter les spectateurs de la Cinémathèque, plus que l'actualité dans laquelle il
voyait les films (en pleine Algérie, en pleine Indochine). Nous sommes donc
confrontés à la technique de Langlois du rapprochement des films du passé avec
ceux qui sont contemporains. Cependant du côté de Malraux, les images dʼactualités
de lʼhistoire (LʼESPOIR) nous sont confrontées avec dʼautres images dʼactualités
contemporaines (et non plus avec le cinéma populaire).

À dessein, il va utiliser le concept de métamorphose malducienne390, et démontrer


qu'il peut sʼadapter au système historique de Langlois :
"L'homme de l'avenue de Messine (C'est Langlois, puisque c'est ici l'adresse de la
Cinémathèque à partir de 1945) nous fit don de ce passé métamorphosé en présent
(..) et lorsqu'il projeta l'Espoir pour la première fois ce n'est pas la guerre d'Espagne
qui nous fit sursauter mais la fraternité des métaphores."391

DEUX TYPES DE FRATERNITÉS


D'abord on se rend compte que l'actualisation du passé, sa métamorphose, se
produit par la projection du film. Le film du passé se métamorphose en film projeté au
présent.
Ensuite, la découverte d'une fraternité des métaphores, telle qu'elle est énoncée
dans le film, —autrement dit la parenté de métaphore du passé avec celle du
présent—, est décelable dans la séquence par la mise en place des images. Elles
est de deux ordres :
-Le passé comme agencement des documents filmiques de la guerre, se
métamorphose dans le présent des années 50, par la projection des films à la
Cinémathèque, puis fraternise avec LʼHomme qui marche, sculpture de Giacometti
faite en 56392.
-Puis il y a aussi la présence de la figure opposée avec SCARFACE (1931)393 de
Hawks, où la violence, l'exercice de la mise à mort, est non plus attachée au réel d'un
document filmé, mais ici, à lʼaspect fictionnel de la mise en scène hollywoodienne.

390
. Rappel : le style d'André Malraux obtient l'adjectif de malducien, malducienne.
391
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.149.
392
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.150.
393
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.151.

240
Elle se métamorphose et dialogue avec une œuvre d'art des siècles passée : un
tableau de Watteau, Les Acteurs de la Comédie Italienne. 394
Le mouvement projectif, tel que le montre Godard, peut donc se déployer autant vers
le présent que vers le passé. Il va même offrir un contrechamp à Paul Muni, lʼacteur
incarnant Al Capone qui mitraille dans SCARFACE : des morts réels, issus d'un
documentaire soviétique des années 20395.
En conclusion, on peut supposer que la fraternité des métaphores correspond à un
niveau temporel et formel.
La fraternité des métaphores correspond à un niveau temporel, cʼest la
correspondance du passé avec le présent, mais aussi, à un niveau formel où l'art (la
fiction) et la vie (le réel) peuvent fraterniser. C'est une condition souhaitée qu'il a
exprimée un peu plus tôt dans l'épisode par un carton :

396
[ÉGALITÉ ET FRATERNITÉ ENTRE LE RÉEL ET LA FICTION]

v/ mdr4.5.
Avant le montage de SCARFACE tirant sur les acteurs et les morts, un photogramme
de SLEEPING BEAUTY (1958)397, de Walt Disney, vient probablement souligner
lʼenjeu politique dans le cinéma lors de son actualité398. Se projeter dans le passé de
l'art permet de se dégager intellectuellement399 de la fascination des procédures
idéologiques de la mise en scène du réel au présent (la propagande). Cʼest-à-dire
connaître permet de comparer avec dʼautres méthodes passées. Cʼest avoir
conscience du rôle dʼune technique. L'acte de métamorphose fonctionne alors
comme effet de distanciation. L'image de Walt Disney dans les années 60 peut
représenter chez Godard, lʼhégémonie du cinéma américain sur les autres cinémas
du monde, autant que sur l'image du réel, en dénonçant son aspect factice. Ce qui lui
fera proposer cette assertion :

"On était bien dans un film politique, c'est-à-dire du Walt Disney plus du sang"400

394
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.151.
395
. Extrait pris d'un film de montage.
Chris Marker, LE TOMBEAU D'ALEXANDRE. 1991.
396
. HdC.3b.une vague nouvelle. pp.126-127.
397
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.150.
398
. Il ne faut pas oublier que 1958 constitue dans cet hommage à Langlois la dimension du présent face
aux films du passé (qui pour la plupart sont muets, c'est-à-dire d'avant 1930).
399
. La connaissance de la propagande du passé, permet de repérer celle du présent, sans pour autant
arriver à la dénoncer.
400
. Ref.Film21. MADE IN USA. 1966.

241
Pendant cette séquence, lʼimage de Godard intervient. Comme au début du film des
HdC, cʼest la figure du Godard-narrateur. Cette fois-ci, il est debout, devant un
pupitre, et porte un chapeau feutre. Il psalmodie une définition possible de lʼinvisible
en trois scansions temporelles : Parce quʼoublié déjà, interdit encore, invisible
toujours.

vi/ mdr4.6.
LA SÉQUENCE ANGLAISE
Une nouvelle phrase décomposée de Virginia Woolf, apparaît en même temps que
son portrait photographique (elle est âgée) en fond constant :
Dieu que je peux souffrir c'est terrible d'avoir le don de tout ressentir avec une telle
intensité.401

Cette phrase, qui arrive en incrustation de lettrages blancs, est mise en parallèle —
par des photos et des extraits de films qui arrivent en fondu — avec deux incursions
filmiques de Godard dans la langue anglaise. Ce sont les images des films : KING
LEAR402 et ONE + ONE403.
- KING LEAR est le film de commande d'une adaptation de la pièce de Shakespeare
et Godard a fait participer des artistes américains et anglo-saxons : Peter Sellars
(metteur en scène de théâtre), Norman Mailer (écrivain) et Woody Allen.
- ONE + ONE est un long métrage docu-fiction offrant le montage alterné entre une
répétition d'une chanson des Rolling Stones (Sympathy for The Devil) et diverses
séquences mises en scène à Londres, d'actes et de paroles des Black Panthers.
La phrase en morceaux citée est extrait de la bande-son de KING LEAR. Une voix-off
de femme lit un texte en anglais. Il proviennent du livre de Virginia Woolf : THE
WAVES404.
JLG ajoute au même moment, plusieurs photographies noir et blanc représentant
une petite fille ainsi quʼun portrait de lʼauteur de cette photographie : Lewis Caroll.
Lʼarrivée de Lewis Caroll, dans cette séquence dévolue à Woolf crée un contrepoint
selon des modalités esthétiques précises. En effet, cet écrivain-photographe
sʼoppose dialectiquement à la représentation de Woolf :

401
. HdC.3b.une vague nouvelle. pp.153-154.
402
. Ref.Film60. KING LEAR. 1987. HdC.3b.une vague nouvelle. p.154.
403
. Ref.Film30. ONE + ONE. 1968. HdC.3b.une vague nouvelle. p.155.
404
. Virginia Woolf, Les vagues (The Waves), Ed.Stock.1988.

242
VIRGINIA WOOLF // LEWIS CAROLL
FEMME (prise en photo vieille) // HOMME (portraituré jeune + petite fille)
PAROLE (son) // PHOTOGRAPHIE (image)

Lʼidée de cette partie anglaise se situe, non comme épicentre, mais comme
représentative de lʼensemble de cet hommage à Langlois. La citation de The Waves
annonce le thème de la Nouvelle Vague, car lʼinfluence de Langlois dépasse bien
évidemment le seul cas de notre cinéaste. Godard cherche à mettre en évidence que
sans Langlois pas de Nouvelle Vague.

vii/ mdr4.7. CINÉASTE-ACTEUR


Étonnamment, dans cette nouvelle partie, la voix-off de Godard explique, pendant
lʼarrivée de la photo de Charlie Chaplin dans son film LIMELIGHT405, que l'arrivée de la
Nouvelle Vague a été une erreur d'appréciation plutôt qu'une avancée.

Dans cet extrait, le choix de Chaplin sʼavère judicieux. Tourné en 1966, le film
raconte le grand retour sur scène du comique Calvero devenu vieux, qui va se
produire dans un show. Une seconde chance lui a été donné, ce qui par accident,
s'avèrera aussi la dernière. Le passé illustre du personnage vient rejaillir sur son
présent pour quʼon lui redonne la place quʼil mérite, une nouvelle vision où il peut de
nouveau exercer ses talents de show-man. On retrouve donc, par le récit, lʼune des
fonctions de la Cinémathèque. La seconde chance de lʼHistoire qui donne comme un
nouveau rendez-vous avec le public, pour (re)voir des films qui nʼont pas eu le
succès au présent de leur sorties.

Chaplin joue sciemment sur la confusion entre ce quʼil représente dans la réalité (un
réalisateur et un acteur musicien, très célèbre autrefois) et ce quʼil est dans la fiction
LIMELIGHT (acteur musicien, très célèbre autrefois). Lʼitinéraire de Calvero est à
mettre en parallèle avec le destin de Charlot.
Cette image de LIMELIGHT, identifiant personnage et auteur de film, se voit
représentée dans les HdC, en présence de lʼimage de Godard lui-même selon un
procédé de volet central. La photo de Calvero-Chaplin qui hume une fleur est
associée, en fondu enchaîné, avec une photo de Godard derrière la caméra406.
Chaplin est un modèle pour Godard, comme on va le voir dans notre troisième partie.
405
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.157. Charles Chaplin, LIMELIGHT, 1966.
406
. Réf.Film24. CAMÉRA-ŒIL. 1967.

243
Il est le cinéaste référent pour l'implication du corps du cinéaste, son incorporation en
tant quʼauteur. Le rapport d'identification Cinéaste-Acteur de Godard à Chaplin est
patent. Les deux cinéastes jouent dans leurs films. Cet autoportrait par lʼimage va
donc permettre à Godard de sʼexprimer à un niveau introspectif. La voix-off, à ce
moment précis de l'apparition de la double photo (Godard-Chaplin), va justement
faire état dʼun sentiment personnel. Pour cela on assiste au passage dʼune voix à la
première personne du pluriel (nous) à celle du singulier (je) :

« CETTE ERREUR DE CROIRE (…)QUE CʼÉTAIT UN DEBUT/ QUE STROHEIM NʼAVAIT


PAS ETE ASSASSINÉ / (…) QUE LES 400 COUPS CONTINUAIENT, ALORS QUʼILS
FAIBLISSAIENT /(…) ME RESTE-T-IL DE SAVOIR ENFIN (…) QUE CETTE FORCE FAIBLE
407
EST AUSSI CELLE DE LʼART ... »

PORTRAIT DU CINÉASTE EN TANT ACTEUR.


À la fin de la séquence, plusieurs photographies de cinéastes, que la voix-off a
évoqués, viennent confirmer par leur seule présence, le statut de lʼauteur et son
double. Ainsi, on voit François Truffaut aux côtés de son alter ego
408
cinématographique : Jean-Pierre Léaud et par la suite, un autre cinéaste-acteur
nous apparaît. Il sʼagit dʼErich Von Stroheim.

e/ [Le musée du réel(5) ]


LA CINÉMATHÈQUE SE PRÉSENTE COMME LE LIVRE DU « MUSÉE IMAGINAIRE »
Cette cinquième partie est un extrait de KING LEAR. Le carton indiquant MdR 6 vient
clore cette partie, on assiste donc à un plan séquence.
Cette partie faite d'un seul plan, à la différence des autres parties — toutes
assemblées de nombreux plans mis en correspondance avec la voix-off de Godard—
demeure intrigante par sa singularité. Le film extrait a été réalisé par Godard lui-
même, et réunit certains des éléments dont il souhaite discuter : une série de films
programmées en une suite de photos (Langlois) et un livre dʼimages dʼart (Malraux).

407
HdC.3b.une vague nouvelle. p.156.
408
. Jean-Pierre Léaud a la particularité dʼavoir incarné un personnage, Antoine Doisnel, dans les films de
Truffaut, sur plus dʼune vingtaine dʼannées. Ce qui le désigne naturellement comme le double
cinématographique de Truffaut. Par ailleurs, Léaud a également joué dans plusieurs films de Godard
étalés sur plus de vingt ans. Également, il est présent dans le film de Jean Eustache, LA MAMAN ET LA
PUTAIN. 1973, où Alexandre, le personnage masculin sʼavère encore une copie conforme aux vêtements,
gestes et paroles du cinéaste.

244
Cet extrait en plan séquence montre un personnage, cadré en plan serré poitrine. On y
découvre le buste sans le visage. L'homme tient un livre fait de photographies collées à
même les pages 409. La caméra est placée de telle manière que nous puissions voir ces
pages et ces collages. Ce livre, fabriqué de façon artisanale, est un livre-objet, rempli
de photographies de films (on y reconnaît un plan dʼun film dʼOrson Welles).
Ce livre d'images de films évoque un objet transitoire dont le sujet serait proche dʼune
des préoccupations de Langlois — le livre présent a pour sujet une suite de films mis
en série comme lʼacte de la programmation— et une forme livresque, support de
prédilection pour Malraux. Le livre de Malraux, « Le Musée imaginaire», est fait
pareillement dʼune suite de photographies reproduisant des œuvres d'art.

f/ [Le musée du réel(6) ]410


LES ŒUVRES AVANT LES AUTEURS
Cette dernière partie relativement longue comporte, comme fait remarquable, une
séquence de fiction mise en scène en vidéo et tournée par Godard. Un couple de
jeunes gens sont dans un musée à lʼheure de la fermeture (« On ferme les enfants
on ferme ! »411). Ces enfants 412 remercient le gardien qui est joué par Godard. La
fermeture évidemment fait comprendre que ce musée (du cinéma) nʼest autre que la
Cinémathèque, telle que l'aurait connue Godard, et quʼelle allait bientôt disparaître.
Ce n'est pas une disparition qui symboliserait la mort du cinéma, mais plutôt le
rapport entretenu avec cet art, tel que Langlois l'avait désiré, promulgué. On peut
imaginer plutôt une mort de la cinéphilie telle que Louis Skorecki lʼavait déjà
remarquée413 et dont Godard dans 2X50ANS DE CINÉMA FRANÇAIS faisait état 414.
Le dialogue qui suit entre le gardien du musée du cinéma et les deux enfants va
trouver son point d'orgue en fin de séquence :

Fille: « On voit sans arrêt des photos des œuvres mais jamais des gens… »
Garçon: « C'était ça la nouvelle vague, la politique des auteurs, pas les auteurs les
œuvres »
Gardien (JLG): « Votre ami a raison Mademoiselle, d'abord les œuvres,
415
les hommes ensuite. »

409
. Cʼest un livre que Godard a très probablement fabriqué.
410
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.135.
411
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.158.
412
. On peut supposer que cʼest une référence directe à lʼexpression enfants de la cinémathèque.
413
. Louis Skorecki, “C.N.C, Contre la Nouvelle Cinéphilie”, CAHIERS DU CINÉMA n°293.10/1978.p.31.
414
. Ref.Film75. 2x50 ANS DE CINÉMA FRANÇAIS (co-réalisé avec AM Mieville, 1995).
415
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.158.

245
La première génération d'Après-Guerre, comme les fondateurs des Cahiers du
Cinéma, va désigner des cinéastes qui pouvaient avoir une démarche d'artiste
flagrante : Renoir, Rossellini, De Sica, Welles, Wyler. C'est parce que ces cinéastes
avaient une conscience de faire des films sous l'ambition esthétique que les films
devenaient des œuvres.
Le nouvel apport de la Critique de la Nouvelle Vague fut de déplacer cette
désignation esthétique sur les films, directement. C'est parce que certains films,
selon leurs jugements, méritaient le qualificatif d'œuvre, que ceux qui les avaient
réalisés pouvaient être considérés comme auteur ou artiste même ; si bien que
quelques-uns ne prétendirent nullement à occuper cette position, voire s'en
défendirent 416.
Lʼécriture et la réalisation de cette scène montre comment Godard associe les
apports théoriques de la Nouvelle Vague, comme confirmation417 de l'enseignement
de Langlois.

LEÇONS D'HISTOIRE418
En conclusion, les deux éléments présentés démontrent la possibilité pour Langlois
de produire une l'histoire par actes programmatiques. Godard insiste sur le fait que
cette histoire a été prodiguée (un don) et qu'elle fut retenue sous forme de leçons
pour les cinéphiles fréquentant la Cinémathèque.
À la mort de Langlois, JLg consacra un chapitre dans le numéro spécial des Cahiers
du Cinéma (n°300) quʼil dirige, et le nomme justement les dernières leçons du
donneur419.
Une fois que le geste du programmateur eut été isolé, l'influence de Langlois peut se
traduire aussi au niveau d'une nouvelle intuition philosophique. L'hypothèse que
développera Godard, par ailleurs avec Bazin, se base sur la représentation de
lʼHistoire, dans son film. La force du cinéma réside en son pouvoir de rédemption420.

416
. Attitude typique et célèbre de John Ford qu'on retrouve dans le documentaire de Peter Bogdanovitch,
JOHN FORD.1968.
417
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.149. « Tel était le cinéma (…) et Langlois nous le confirma.
418
. Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, LEÇONS DʼHISTOIRE. 1973.
419
. Ref.304.les dernières leçons du donneur, CAHIERS DU CINEMA n°300.1979.
"(…) cette histoire du cinéma, on ne pouvait pas la faire parce que (..), on ne pouvait pas profiter de la
vidéo pour sortir un film."
420
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.149.

246
5/ FIGURE TUTÉLAIRE DU DÉSIR 2 : ANDRÉ BAZIN

A/ UNE FIGURE D'INFLUENCE PLUS DISCRETE : ANDRÉ BAZIN

Si lʼon affirme quʼAndré Bazin est une figure dʼinfluence discrète, celle-ci nʼen est pas
moins probante. Nous allons, à partir de quelques exemples, essayer dʼaffirmer cette
influence pour en comprendre ses effets, tout en sachant que celle-ci, beaucoup plus
importante quʼelle nʼy paraît, reste difficile à attester dans la réalité de lʼœuvre.

Vers la fin de la séquence du Musée du Réel, lʼhommage rendu à Langlois suggère,


par le contenu de la voix-off de Godard, une autre figure d'influence : celle d'André
Bazin.

"[TEL ÉTAIT NOTRE CINÉMA.


ET CELA M'EST RESTÉ
ET LANGLOIS NOUS LE CONFIRMA
C'EST LE MOT EXACT
L'IMAGE EST D'ABORD DE L'ORDRE DE LA RÉDEMPTION
421
ATTENTION, CELLE DU RÉEL]

Un premier stade de notre réflexion serait d'essayer de poser point par point le
problème donné et de définir les termes engagés avec la phrase conclusive :
L'image est d'abord de l'ordre de la rédemption du réel.
On constate que si Godard reprend cette terminologie religieuse, elle est déplacée
dans un milieu profane. Avec les termes de rédemption, dʼordre et aussi de
confirmation, qui correspond à l'acte de consacrer l'entrée et le maintien dans la
religion catholique422.

Mais la notion d'ordre est à comprendre ici sous la signification de domaine. Affirmer
que l'image appartient au domaine de la rédemption, fait référence à la fin d'un article
célèbre qu'André Bazin rédige, et dans lequel, il associe, avant Godard, les deux
notions image et rédemption.

421
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.149.
422
. On est confirmé quand après sa Première Communion, on reçoit, de la part d'un religieux, un acte de
grâce.

247
Cet article écrit pendant la guerre fait partie d'un recueil collectif. La participation de
Bazin étudiant le rapport entre Peinture et Cinéma sʼintitule : "Ontologie de l'image
423
photographique" .

Dans cet article, le terme de rédemption survient à l'occasion de la description du


bouleversement que produit la Photographie sur la Peinture. La Photographie va
déstabiliser la volonté de celle-ci à sa mimesis, cʼest-à-dire représenter avec
réalisme le monde. On comprend alors que la Photographie, dans sa puissance de
reproduction du réel, va détrôner la Peinture, mais également, la rédimer de son
péché d'orgueil qui consiste à fournir une image du réel qui se substituerait au réel
même (la perspective).

"La perspective fut le péché originel de la peinture occidentale.


424
Niepce et Lumière en furent les rédempteurs."

A noter que cette phrase, citée précisément par Godard, au début de l'épisode425,
fournit lʼune des preuves flagrantes de l'influence directe de Bazin sur la rédaction
des textes des HdC (principalement : voix-off du narrateur et cartons).

La suite de l'article (moins souvent citée) évoque encore une proximité de style :
"La photographie en achevant le baroque, a libéré les arts plastiques de leur obsession de la
ressemblance."

Sʼil y a péché, c'est lié à l'obsession (perseverare tantum diabolicum) de la


ressemblance, du réalisme, alors la rédemption est à mettre en rapport avec la
libération des arts plastiques 426, comme l'image dans le domaine de son expression
artistique.

423
. André Bazin, "Ontologie de l'image photographique", Problèmes de la peinture, 1945. Repris dans
Qu'est-ce que le cinéma ? Paris, Ed.du Cerf.1958.p.14.
424
André Bazin, "Ontologie de l'image photographique", Problèmes de la peinture, 1945. Repris dans
Qu'est-ce que le cinéma ? Paris, Ed.du Cerf.1958.p.14.
et aussi Godard la reprend telle quelle dans les HdC.3b.une vague nouvelle. p.117.
425
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.117.
426
. Tel Cézanne, Le cubisme, lʼexpressionisme ou le fauvisme qui suivirent.

248
De plus, Godard fait déjà référence à cet article en 1996, dans un des films-annexes
des HdC : 2X50 ANS DE CINÉMA FRANÇAIS427. Au moment où le portrait
photographique dʼAndré Bazin apparaît, on entend cette même phrase.
Dans ce film, la phrase emblématise la pensée de Bazin. Elle figure dans une des
séquences finales : parmi la ronde de critiques de cinéma qui se succèdent dans le
film. Pour le cinéaste, ce sont ceux qui ont compté comme critiques de cinéma en
France (Moussinac, Auriol, Truffaut..).

On peut noter que l'influence de Malraux dans la construction de cette critique de


Bazin est tout aussi incontestable. Il ne s'en cache nullement, puisqu'il cite quelques
phrases de lʼarticle dans la revue VERVE. Le désir de Bazin se perçoit. Il a conçu
son propre article comme une adjonction à celui de Malraux.

Comme la figure de Malraux va être une figure dʼinfluence et modèle pour Godard, il
nous semble intéressant de prolonger ce rapport entre les deux articles.
D'emblée, on sait que la structure du célèbre article de Bazin est façonnée sous le
modèle d'un autre article, tout autant célèbre celui-là, intitulé ESQUISSE D'UNE
428
PSYCHOLOGIE DU CINÉMA , qui fut rédigé par Malraux également pendant la
guerre429.
Et aussi, de nombreuses notes, opérant la disjonction entre critique esthétique et
critique psychologique, appellent au développement de cette dernière430.
D'ailleurs, dans une note, il annonce que Malraux faisait remarquer que les
photographes pionniers, se libérant des contraintes de l'imitation de la nature qui
était évolue aux peintres, commencèrent à imiter l'art. D'une certaine manière, cette
précision indique que cʼest lʼacte dʼimitation des photographes qui est un acte de

427
. Ref.Film75. (co-réalisé avec Anne-Marie Miéville, 1995).
428
. Ce parallélisme fut l'objet d'une intervention de Guy Fihman (séminaire doctoral, Paris VIII, 19xx). Il
démontra un grand nombre de similitudes de styles, sujets et expressions, entre les deux (Introduction à la
momie, conclusion par ailleurs le cinéma est un...).
429
. Historiquement, il y a un premier texte de Malraux, intitulé Introduction à une psychologie de l'art, qui
vient s'établir comme un premier essai plus général de ce texte (paru en 1947 dans la revue LES
CAHIERS DE LA PLÉIADE, mais écrit en 1937. Deux années plus tard, Malraux rédige une Esquisse
d'une psychologie du cinéma (1940) dont la première parution se fait dans la revue VERVE mais est
éditée seule en 1945 chez Gallimard. Il reprend la même structure de l'Introduction à une psychologie de
l'art, mais évidemment en développant conséquemment les notions de cinéma. Il serait trop long de faire
une analyse comparée des deux textes, mais on peut affirmer quʼavec ce premier texte, Malraux retient
l'introduction utilisant l'art de l'embaumement des Égyptiens, sur l'art qui résiste au temps, et dont la
photographie en serait la perpétuation.
430
. André Bazin, "Ontologie de l'image photographique" (1945), in Problèmes de la peinture, Monte-Carlo,
Ed. André Sauret. Repris dans Qu'est-ce que le cinéma ? Paris, Ed.du Cerf.1958.p.14 : "Il y aurait lieu
cependant d'étudier la psychologie des genres plastiques mineurs ..."

249
péché pour Bazin. Un péché du même ordre que les peintres perspectivistes, pour
avoir imité dans un premier temps les artistes alors il faut attendre un certain temps
pour que, devenant lui-même artiste, le photographe en arrive à comprendre qu'il ne
pouvait copier que la nature431. Cette compréhension revêt alors la forme dʼune
rédemption.

On assimile, par cet ajustement, lʼapport de Malraux. Sa conception de l'homme se


dessine par-delà, en influençant Langlois et Bazin, bien avant Godard. Ce n'est donc
pas un hasard, mais en bon lecteur de Bazin, qu'il requiert toute lʼattention
nécessaire lorsqu'il désigne le sujet de la rédemption, et précise que cela concerne
bien le réel.
Certes, le vocabulaire est religieux en ce sens, mais il témoigne plus d'une
préoccupation métaphysique (ontologique lui étant synonyme). Il ne sʼagit pas de se
fourvoyer dans une interprétation religieuse au premier degré.

B/ LES DÉBUTS BAZINIENS DE LA CRITIQUE GODARDIENNE

"Je trouve qu'on devrait citer Griffith dans n'importe quel article sur le cinéma : tout le monde
est d'accord, mais tout le monde l'oublie quand même ; Griffith donc, et André Bazin aussi.,
432
pour les mêmes raisons."

C'est par l'écriture que Godard manifeste premièrement son désir de théorie du cinéma.
Dès 1950, cʼest à Bazin quʼil va montrer ses premiers articles433. On peut relever que
cʼest pour lui une véritable figure tutélaire, concrète et idéale434.Godard considère Bazin
comme un cinéaste, un peu comme Langlois, mais dʼune autre façon. Bazin est un
cinéaste qui ne faisait pas de films mais qui faisait du cinéma en en parlant, comme un
colporteur435. On sait dans les HdC lʼimportance de la figure du colporteur. Il est

431
. André Bazin, "Ontologie de l'image photographique", Problèmes de la peinture, 1945. Repris dans
Qu'est-ce que le cinéma ? Paris, Ed.du Cerf.1958.p.15.
432
. Ref.112. Des larmes et de la vitesse. (sur D.Sirk) CAHIERS DU CINÉMA. n°94. 04/1959.
433
. Ref.176a. Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard , [volume.1], Paris, Editions de l'Étoile. 2ème
Ed.1998. p.09. “L'art à partir de la vie”, entretien avec Jean-Luc Godard par Alain Bergala.
434
. Ref.A60. Le jeune cinéma a gagné. ARTS (1950) : Nous qui avons mené en hommage à Louis Delluc,
Roger Leenhardt et André Bazin, le combat de l'Auteur du film.
435 ème
. Ref.176a. Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard , [volume.1], Paris, Editions de l'Étoile. 2
Ed.1998.p.09. “L'art à partir de la vie”, entretien avec Jean-Luc Godard par Alain Bergala.

250
lʼensemble du cinéma pour Godard. Cʼest précisément la parabole de Ramuz qui lui
permet dʼaffirmer, ce colporteur cʼétait le cinéma436.

Bazin représente une figure concrète, car même si Doniol-Valcroze est rédacteur en chef
avec Lo Duca, cʼest Bazin qui est à la tête des Cahiers du Cinéma437, comme fondateur
et comme théoricien. Ce dernier est également une figure idéale à laquelle Godard va
pouvoir s'opposer. Ainsi, en rapport au montage, Bazin le théorisait en partie dans
Montage interdit 438, avec lʼéloge du plan séquence qui cristallise le simple respect
photographique de lʼunité de lʼespace439. Lʼaffirmation métaphysique que toute la réalité
est sur le même plan440 trouverait son exemplarité la plus pure dans lʼidentification du
plan avec la séquence441. Alors quʼil décrit la continuité du plan séquence comme force
et possibilité pour le spectateur dʼêtre libre442 de faire son propre découpage, il désigne
cette absence de montage comme qualité. Aussi, quelques pages auparavant, dans le
même numéro des Cahiers du Cinéma, Godard rétorque :

"Si mettre en scène est un regard, monter est un battement de cœur. Prévoir est le propre des
443
deux ; mais ce que l'un cherche à prévoir dans l'espace, l'autre le cherche dans le temps."

Il paraît même incroyable de constater finalement que Godard fut pratiquement le


seul des jeunes turcs de la revue à s'opposer, théoriquement, par articles interposés,
à Bazin, et à défendre le montage (et sa théorie soviétique) face au plan séquence.
Directement, car si les autres sʼopposaient, cʼétait le plus souvent par réaction aux
assertions du critique, dont son article intitulé De la politique des auteurs444 reste
lʼexemple le plus saisissant.

436
. HdC.4b.les signes parmi nous. p.239.
437
. Antoine De Baecque, Cahiers du Cinéma, Histoire d'une Revue 1, Paris, Ed. Cahiers du Cinéma,
1991.p.43.
438
. André Bazin, “Montage interdit”, CAHIERS DU CINÉMA , n°65, 12/1956.p.32-38. Le titre de cet article
fait référence directement à une affirmation utilisée dans son article en deux parties sur Wyler rédigée
dans la Revue du Cinéma dix ans auparavant. (Ref. Note 152, 153).
439
. André Bazin, “Montage interdit”, CAHIERS DU CINÉMA , n°65, 12/1956.p.34.
440
. André Bazin, “William Wyler, ou le janséniste de la mise en scène”, REVUE DU CINÉMA , n°10,
02/1946.p.48.
441
André Bazin, “William Wyler ou le janséniste de la mise en scène”, REVUE DU CINÉMA , n°11,
03/1946.p.54.
442
. André Bazin, “William Wyler ou le janséniste de la mise en scène”, REVUE DU CINÉMA , n°11,
03/1946.p.52.
443
. Ref. 68. Montage, mon beau souci, CAHIERS DU CINÉMA , n°65, 12/1956.p.30.
444
. André Bazin, “De la politique des auteurs”, CAHIERS DU CINÉMA , n°70, 04/1957.p.34.

251
6/ FIGURE TUTÉLAIRE DU DÉSIR 3 : ANDRÉ MALRAUX

A/ LA FIGURE MODÈLE

On peut chercher une autre figure d'influence qui va contribuer à concrétiser le désir
de Godard, dans son entreprise à faire rencontrer le cinéma et l'histoire. Le terme de
modèle est le terme adéquat pour la figure d'André Malraux :
En effet, en plus d'être une figure protectrice, comme le terme choisi de tutélaire s'y
rapporte, la figure de Malraux peut être appréciée comme modèle, pris, non au sens
propre, mais dans le sens où cela va être ce sur quoi il va régler sa conduite et une
partie de sa production.

Malraux est un modèle pour Godard sur plusieurs points.


Tout d'abord, parce qu'il est déjà une influence des influences, on vient de le voir ;
autant pour Langlois que pour Bazin. Ensuite, parce que, à l'instar d'un artiste
moderne (comme Jean Cocteau) qui va multiplier les expériences à l'extérieur de son
domaine de compétence d'origine, Malraux s'intéresse à tous supports de
l'expression : l'écriture (texte), la parole (discours), la vision (film, montage photo).
Tripartition qui peut s'avérer être une base fondatrice des HdC. Fondation dans le
sens où, systématiquement, aucune de ces trois parties nʼest dévalorisée par rapport
aux deux autres.

La pensée malducienne s'exerce dans différentes disciplines : traités sur la


littérature, muséographie, écrits historiques, oraisons funèbres, rédaction et
montages (disposition d'images) pour l'histoire de l'Art, réalisation de films, jusqu'à
l'action politique.
On peut noter déjà que toutes ces disciplines citées furent l'objet de productions de la
part de Godard, mais à l'instant de notre recherche, au lieu de rentrer dans le détail
de chacune de ces disciplines, il convient de s'intéresser à la production de leurs
rapports.

Lʼétendue importante des différents domaines dans lesquels Malraux sʼexprime, ne


l'empêche nullement de rechercher à croiser les genres, pour tenter un
renouvellement des formes : La littérature romanesque dans le champ de la pensée

252
politique (La condition humaine)445; psychologie et anthropologie dans le domaine de
l'Art, l'action politique comme base de scénario pour le cinéma (L'ESPOIR446), ou bien
encore les possibilités du montage cinématographique comme technique spécifique
à la littérature447.

"J'avais écrit La condition humaine, parce que je pensais que la forme du roman était plus à
même de recevoir mes préoccupations politiques."

Cette soif de superficie —qui n'est pas sans rapports avec la forte détermination de
Malraux à vouloir regrouper, théoriser l'art à un niveau mondial— est elle-même
impliquée dans les voyages qu'il a fait dans le monde entier, expérimentant
corporellement ce niveau superficiel à cette échelle. Il témoigne, également dʼune
volonté ambitieuse, une volonté de généralisation, volonté d'assembler l'ensemble
des civilisations présentes, et même passées, pour penser le destin de l'homme,
dans sa totalité planétaire —et découvrir, par là même, son absence de destin—.
Cette pensée du monde, qui s'offre alors à lui, va provoquer un mouvement de désir
de création, tout à fait comparable avec le désir d'histoire de Godard, au moment de
la découverte d'une autre représentation du monde, celui du cinéma (mondial,
présent et passé) que Godard expérimentera, corporellement, par les visions des
films à la Cinémathèque.

B/ CINÉMA ET HISTOIRE, DEUX FONCTIONS, UN HOMME.

La polyvalence de Malraux va trouver écho chez Godard cinéaste historien. Le


cinéaste et l'homme d'action politique ne font qu'une seule personne lors de la
réalisation du film SIERRA DE TERUEL - L'ESPOIR (1939).
Les premiers articles de JLG révèleront la stature de Malraux, soit en tant que
historien de l'art ou soit en tant que cinéaste. C'est-à-dire comme Langlois, Malraux
va exercer son influence esthétiquement, car ce sont des hommes de montage.
Ils opèrent dans un même mouvement les mêmes gestes : le mouvement dʼune
expression qui va se manifester à l'intérieur de plusieurs disciplines, tout en
445
. André Malraux, La condition humaine, Paris, Ed. Gallimard, 1933.
446
. André Malraux, SIERRA DE TERUEL- L'ESPOIR, 1939.
447
. W.S.Burroughs, Ultimes paroles, Ed. Christian Bourgois, 2001. p. 272 : "Malraux est pour moi plus à
l'origine du CUT-UP que l'officiel Dos Pasos".

253
expérimentant leur interconnexion. Malraux et Langlois conjuguent le désir du cinéma
avec le désir d'histoire, et cʼest suffisamment inhabituel pour le noter.

Le discours épistémologique de Malraux, précisément sur l'histoire de l'art, constitue


un des éléments le plus identifiable de la formation du style de Godard, dans les
HdC, et repérable dans lʼénonciation de sa parole.

LE REGARD DE MALRAUX
La connaissance provenant du cinéaste Malraux, va mettre en exergue l'importance
du corps, pour Jean-Luc Godard ; importance telle que nous avons pu la développer
dans l'Introduction de cette Deuxième partie.
Le moyen-métrage, MALRAUX de Léonard Kiegel448, dont JLG fit la critique449, devient
l'occasion de concevoir la puissance imaginative de Malraux, à partir du don supposé
de son regard.
Faire une histoire du cinéma à partir de la vision450, est rendu possible par la vision
de Malraux.
Le regard de Malraux, pour Godard, est une force subjective, une force du regard qui
cinématographie la réalité451, pour reprendre ses termes. Elle confère vie aux statues
et pétrifie les hommes.
Cette identification de Malraux (son regard) à une caméra, laisse présager ce que
Godard voudra établir, lorsquʼil deviendra son propre sujet de film. Un devenir
machine que Godard sʼaccordera plus tard, quand, dans son scénario autoportrait,
MOI, JE452 , il crée un chapitre : Je suis une Machine.

C/ LA CONVOCATION DES ŒUVRES

L'apport de Malraux, à partir de son livre Le Musée Imaginaire453, sʼavère


incontestable, sur certaines conceptions de Godard dans ses critiques. On trouve

448
. Léonard Kiegel, MALRAUX. 1958.
449
. Ref.92. Malraux mauvais français ? CAHIERS DU CINÉMA, n°83. 1958.
450
. Ref.173. Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros, 1980.p.111.
451
. Ref.92. Malraux mauvais français ? CAHIERS DU CINÉMA, n°83. 1958.
452
. Ref.178-18. Moi, Je, (projet de film). (1973).
453
. André Malraux, Le Musée Imaginaire, (1974/1951), Paris, Ed. Gallimard. Nouvelle version, 1965.

254
dans un de ses articles, un exemple persuasif dʼune leçon d'histoire qui prend la
forme dʼune leçon de style. Le Musée Imaginaire va lui permettre de proposer une
première tentative historiciste du cinéma, par une coupure épistémologique,
procurant par là, deux périodes distinctes. On retrouve la trace de cette coupure dans
le titre même de cet article : Du côté de chez Manet. Ce titre est déjà
symptomatique454. La disposition de cette césure produit les termes : l'ancien et le
nouveau, mais les deux inventaires (pour reprendre la terminologie de Malraux) que
produit chacune des périodes, annonce une fondation de la modernité
cinématographique. Le cinéma moderne correspondant à ce qui est nouveau.
Nous avons, dans lʼarticle, un développement de deux répartitions possibles.
Pour le cinéma classique, il range du côté de l'ancien (l'héritage des classiques)
F.W.Murnau, S.M.Eisenstein, F.Lang, D.W.Griffith ; et du côté du nouveau (Les
modernes) il dispose N.Ray, O.Preminger, et R.Rossellini.

Ensuite, comme le titre l'indique, en seconde tentative, la substitution d'un peintre


(Manet) à un personnage de littérature (Swann), entraîne des principes de
correspondances directes entre le cinéma et les autres arts.

Pour Godard, le cinéma moderne se disjoint du classique, par le fait d'avoir


conscience du cinéma passé. Autrement dit : grâce à lʼobtention dʼun savoir sur les
films du passé que lʼon a vus. Cette conscience issue du savoir d'avoir vu455,
entraîne à concevoir le cinéma comme héritage, à l'inventorier, ce qui, rappelons-le,
avant les projections de la Cinémathèque, était difficile, voire impossible à supposer.
Le savoir des films passés se limitait aux seules personnes qui avaient franchi le
seuil de la salle. Cette connaissance fut accomplie par une génération.
Pour paraphraser Malraux, on peut affirmer :

"En face de l'immense inventaire du passé, il y a ce que nous appelons l'art


(cinématographique) moderne. C'est lui, que nous le voulions ou non, qui l'accueille, l'ordonne
et le métamorphose. Il est le maître de sa résurrection, l'héritage prendra sa première forme à
456
travers lui .

454
. Ref.A21. Du côté de chez Manet. Arts n°529.06/1956. Article doublement important parce qu'il n'avait
pas été réédité dans les ouvrages récapitulatifs de ses écrits mais aussi parce qu'il y cite le nom d'André
Malraux.
455
. Ref.178.20. Les cinémathèques et l'histoire du cinéma.(1978).p.286.
456
. André Malraux, “Introduction à la psychologie de l'art”, LES CAHIERS DE LA PLEIADE, 1947.p.11.
C'est la toute première phrase. Nous avons ajouté Cinématographique.

255
LA REVENDICATION DU STYLE LYRICO-MYTHIQUE DE MALRAUX
Le style littéraire de Malraux, peut se définir de différentes façons ; l'une consiste à
observer comment il confronte au lecteur une liste de noms propres d'artistes pour
les mettre en scène, grâce à la succession visible des œuvres457. Cette convocation
sera une des opportunités les plus flagrantes des HdC.

LA PERMANENCE DU STYLE DE L'IMPROVISATION


L'énergie lyrique des premiers articles458 de Godard, résonne étrangement jusquʼà
aujourdʼhui, à l'instar de sa voix-off dans le film des HdC. Cela crée une sorte de
permanence du style de Godard. Depuis toujours, pourrait-on supposer, à la manière
d'un John Coltrane,459 la faconde du cinéaste entretient d'étroits rapports avec sa
puissance poétique. On sait aussi que la parole, elle-même, est motrice de sa
pensée460. C'est dans les improvisations verbales que Godard va établir certaines de
ses idées les plus percutantes (aphorismes) mais aussi les plus novatrices
(théorisation). La Puissance poétique, ici invoquée, est à saisir comme une
expression qui désigne le potentiel formel d'une écriture (poétique) au service d'une
volonté scientifique ou encore cinématographique.
Comme en Jazz, c'est par la parole que JLG pense en cinéma le mieux, il lʼa lui-
même reconnu.

« Je pense facilement à haute voix, et jʼaime bien ça : cʼest lʼoccasion pour moi de faire du
461
cinéma indépendant… »

Lʼhypothèse de faire correspondre alors ce style au désir de faire histoire semble


valable. Ainsi ce style faussement improvisé que l'on retrouve à ses débuts, comme
dans les HdC, ressemble au style lyrico-mythique que certains observateurs ont bien
voulu décrire du style d'André Malraux, et particulièrement au moment de la
rédaction, à partir des années 50, de ses livres sur l'art462, lorsqu'il s'agissait

457
. Pascal Sabourin, “Réflexion sur l'art”, André Malraux, Cahiers de l'Herne, Ed.de l'Herne, 1982.p.300.
458
. Ref.gz9, Ref.18-20, Ref.A21.
459
. John Coltrane est un saxophoniste célèbre pour son aisance dans la musique improvisée américaine
du Be-Bop.
460
. Ref.178.20. Les cinémathèques et l'histoire du cinéma.(1978).p.282. Voir le début de son intervention.
461
. Ref.178.20. Les cinémathèques et l'histoire du cinéma.(1978).p.286.
462
. Pascal Sabourin, “Réflexion sur l'art”, André Malraux, Cahiers de l'Herne, Ed.de l'Herne, 1982.p.303.

256
précisément de produire une parole sur les images (des reproductions d'œuvres) qui
défilaient sous ses yeux463.

D/ ALAIN RESNAIS : L'ANTI-MALRAUX


ALAIN RESNAIS : FIGURE DU CINÉASTE HISTORIEN

Face aux historiens cinéastes, il y a les cinéastes historiens, dont la figure principale,
contemporaine de Godard peut être incarnée par Alain Resnais. On le constate dès
la réalisation de ses courts-métrages. Ceux-ci consignent la volonté du cinéaste à
sʼinscrire dans le temps de l'histoire : filmer avec une conscience historique, et
prendre en compte formellement, les évènements historiques les plus importants du
XXème siècle.
On peut faire suivre, à chaque étape qui a marqué le XXème siècle, un film de
Resnais :
— La Shoah
avec NUIT ET BROUILLARD (1956) pour la seconde guerre mondiale et son
avènement, son symbole qu'est la Shoah. Resnais va utiliser des éléments
hétérogènes pour son film, les documents passés et des travellings en couleur des
camps au temps présent.
Particulièrement pour ce film Georges Didi-Huberman464, considère Alain Resnais,
comme cinéaste précurseur de la démarche de Claude Lanzmann avec son film-
monument : SHOAH465. Et l'on sait que ce dernier devait participer à une
confrontation cinématographique avec Godard bien que cela n'aboutit pas, pour une
des raisons invoquées : le traitement du montage de cette rencontre466. SHOAH sera
d'ailleurs plusieurs fois comparé aux HdC467, par l'aspect monumental de la durée,
par l'ambition historique d'inscrire (sic) le XXème siècle, par le traitement qu'ils ont
opéré chacun de l'événement, et qui entre dans une totale opposition formelle468.
Ainsi tout le pari du film de Resnais, pour Serge Daney, résidait dans un ébranlement

463
. Paul Ardenne, Lʼesthétique dʼAndré Malraux, Paris, Ed.Klincksieck. 1976. p.34.
464
. Georges Didi-Huberman, Images malgré tout, Paris, Ed. de Minuit, 2003. p. 156.
465
. Claude Lanzmann, SHOAH. 1985.
466
. Sylvie Lindeperg, Clio de 5 à 7, Paris, Ed. Seuil. p. 266/267.
467
. Libby Saxton, “Anamnésis Godard/ Lanzmann”, TRAFIC n°47, 2003. p. 48-66.
468
. Georges Didi-Huberman, Images malgré tout, Paris, Ed. Minuit, 2003. p. 15.

257
de la mémoire né d'une contradiction entre documents inévitables de l'histoire et
marques répétées du présent469.

— La menace atomique
avec HIROSHIMA, MON AMOUR (1958)
Il tourne ce film en partie au Japon à propos de la menace nucléaire initiant la guerre
froide des dix premières années d'après-guerre. Le film débute en partie avec des
images documentaires de survivants de la catastrophe.

— Les colonies
avec LES STATUES MEURENT AUSSI (1953), réalisé avec Chris Marker, qui
n'hésite pas sous le prétexte de faire un film sur l'Art Primitif, à déconsidérer et
remettre en cause la politique coloniale de la France et des pays occidentaux.

— La Guerre d'Espagne
avec LA GUERRE EST FINIE (1966), un des témoins directs de cette époque,
Jorge Semprum écrit le scénario.

LA PORNOGRAPHIE DE L'HORREUR
Les propos de Godard sur HIROSHIMA, MON AMOUR n'ont pas toujours été tendres470,
peut-être est-ce pour se distinguer de cette figure majeure contemporaine dont la
notoriété le précède. Il est même curieux de rappeler que, ce qu'il lui reproche,
demeure toujours présent et persistant, dans la production des HdC : le reproche
principal au film de Resnais se trouve dans la séquence d'ouverture, où
l'entremêlement des corps faisant l'amour, montés avec les corps brûlés des
habitants de Hiroshima, est filmé avec les mêmes valeurs de gros plans. Godard
trouve cette égalité immonde. Il utilise alors un mot assez véhément, puisqu'il parle
de pornographie. Pour lui, les images les plus horribles peuevent devenir esthétiques
en fonction du contexte471. Déjà, et bien avant l'incursion des images provenant de
long-métrages de fiction, dans le montage des HdC, le concept de pornographie est

469
. Serge Daney, “Alain Resnais, ou l'écriture du désastre”(1983), Ciné-Journal II, 1983-1986, Paris, Ed.de
lʼÉtoile/Cahiers du Cinéma, 1998. p. 29.
470
. Ref. 117. Hiroshima notre amour (table ronde).
471
. De nos jours on lui préférera le terme esthétisante .

258
utilisé, précisément là où il n'y a pas de sexualité hardcore472. Godard trouve
écœurante cette facilité de comparaison. Il emploie à dessein le terme images
pornographiques. N'oublions pas qu'en 1959 la pornographie n'avait pas encore
connu son essor industriel en Occident. Cette comparaison retentit avec plus
dʼintensité. On retrouve le même principe moral énoncé par Rivette : lʼabjection
critique du Travelling de Kapo473. Godard utilisera négativement cette occurrence : le
reproche deviendra source de création, puisque, sciemment, il produira tout au long
de son œuvre, des montages avec des insertions d'images pornographiques474, aussi
dans les HdC, il les utilise volontairement pour choquer et désigner ce qui est laid475.
Il faut prévenir, aussi, que le rapport à l'image qu'entretient le spectateur
contemporain, a évolué, dans une zone toujours plus insensible face à ce qui peut
être montré— le monstrueux 476.

E/ EXEMPLES À SUIVRE

Aussi Resnais et ses courts-métrages, Langlois, offrent à Godard une disposition


dans l'attitude historique à prendre pendant ces années d'apprentissage, pendant
ces années 50, où il écrit sur le cinéma sans passer à la réalisation. Ce sont des
figures d'influences, dans la mesure où ils sont exemplaires, vivant des situations
que Godard peut prétendre à vivre. Malraux n'est pas cinéaste au départ —il le
deviendra nécessairement—, mais l'historien utilisera dans sa poétique des
techniques, liées directement au savoir acquis dans l'observation des films. À
l'inverse, Resnais lui, n'est pas historien, mais son travail cinématographique
témoigne d'un souci constant d'apporter à la situation présente de l'homme, des
nouveaux éléments de connaissance, dans la réflexion historique.

La connaissance de l'histoire, et son exercice, peuvent être, selon Malraux, l'exercice


d'idées politiques 477. L'idée de se préoccuper du destin de sa cité peut s'établir en un
rapport direct avec ce qui s'est passé précédemment chez nos deux cinéastes
exemplaires. Le cinéma propose une solution par son hétérogénéité : les documents
472
. hardcore est le terme (marchand) qui garanti dans un film l'exercice d'une sexualité non simulé.
473
. Jacques Rivette, “De l'abjection”, CAHIERS DU CINEMA n°56. mars 1958.
474
.Ref.Film38. Le premier dans un film remonte à TOUT VA BIEN (co-réal JP Gorin, 1972), en gros plan
de face, un banc titre d'un phallus qui raccorde, (c'est une photo que tient et montre directement à la
caméra Jane Fonda). voir aussi Ref.300. Le photo-montage pornographique Hitchcock/ Salò.
475
. La fin du 2b.fatale beauté des HdC est remarquable. Par effets de montage et de champ contre-
champ: Chaplin regarde un film porno. Sur la bande son, on entend tirer des coups.
476
. Ruwen Ogien, Penser la pornographie, Paris, Ed. P.U.F. 2003.p.10.
477
. HdC.4b.les signes parmi nous. p.247.

259
passés sont présentés (ramenés au présent) dans un film. Précisément, le cinéma
qui se définit comme Présent, à partir de la conscience des faits passés, change
irrémédiablement son futur, c'est-à-dire le destin et le statut de l'homme.

NUIT ET BROUILLARD (1956) affirme La Shoah, et présente les conditions d'un


environnement d'inhumanité, situation limite de l'humanité et de ce qui confère de
l'humain par l'humain. 478
La réflexion sur la fiction est rendue possible, au moment de l'écriture des scénarios
des films de Resnais par des écrivains qui eux-mêmes représentent, une inscription
dans un temps présent et une avant-garde de la littérature : le Nouveau Roman479.

Godard se dispose à la confluence de ces deux positions (Resnais et Malraux) ; mais


en les prenant en considération, il va les approfondir, lorsquʼil aura la possibilité de
réaliser ses désirs ainsi :

•GODARD VIA RESNAIS devient CINÉASTE DE L'HISTOIRE mais pour Godard, ce


qui l'intéresse se limite au départ à une histoire du cinéma. Ce départ est
fondamental et théorique : pour lui l'histoire générale commence avec l'histoire du
cinéma à travers le siècle. Ensuite seulement elle pourra s'en affranchir.

•GODARD VIA MALRAUX devient HISTORIEN "FILMEUR" mais pour Godard la


seule réalité historique qu'il va vouloir filmer, au départ, est celle du cinéma, Ensuite il
mesurera ses conséquences dans un ensemble plus large.

Aussi répétons-le, Godard se rend compte finalement que le cinéaste Alain Resnais
a acquis une certaine notoriété480. Sa capacité à savoir se singulariser vis-à-vis du
cinéma, se produit grâce à des apports extérieurs comme la littérature ou l'histoire. Il
confirme sa position d'être un cinéaste faisant du cinéma dans l'histoire481. Godard
évoluera en dehors de ce modèle, dans la mesure où il est influencé dans le sens
inverse par Malraux (devenir un historien qui fait du cinéma). Il possède un autre

478
. David Rousset, L'univers concentrationnaire (1946), Paris, Ed. du Pavois, Réed. de Minuit, 1981.p.74.
479
. Marguerite Duras pour HIROSHIMA, MON AMOUR. 1959 et Alain Robbe-Grillet pour L'ANNÉE
DERNIÈRE À MARIENBAD. 1961.
480
. POSITIF, revue de cinéma, Alain Resnais, Paris, Ed.Gallimard.2002. Au regard de la Critique mais
aussi du grand public.
481
. Ref.300. Voir la considération historique sur le film d'Alain Resnais :
"Il vient d'y avoir Hiroshima, un certain cinéma vient de se clore..." (Premier Entretien, CAHIERS DU
CINÉMA, n°138, 1962).

260
sujet historique : l'histoire des formes du support lui-même, mais en cela, il ne sera
pas le premier en France482. Sa véritable singularité réside dans le fait qu'il fait
coïncider deux spécialités avec son désir :
Faire des films, en tant qu'historien sur le cinéma, c'est ajouter un autre élément que
ni Malraux (historien cinéaste), ni Resnais (cinéaste de l'histoire), ne prétendront
incarner : un cinéaste filmant l'histoire du cinéma par les œuvres ou historien faisant
récit filmique du cinéma.

F/ ÉDIFIER UNE HISTORIOGRAPHIE PAR LES ŒUVRES

Dans son approche psychologique de l'art, Malraux essaya dʼinventer et de développer


un mode dʼénonciation critique visuel. Dit simplement, cʼest le désir de produire une
histoire par les images. Et ce mode historique, autant que formel, peut sʼinscrire dans
la discipline dʼune anthropologie des images. Ce qui va lʼintéresser —et qui captivera
l'étudiant Godard en Ethnologie à la Sorbonne—, cʼest de constater la permanence des
gestes des hommes (et non leurs faits)483, qui sʼinscrive à travers lʼévolution du style
dont les œuvres parlent.

Ce nouveau type dʼénonciation esthétique consiste à procéder au récit historique par


lʼinvincible dialogue des œuvres484. Les œuvres ont une force d'interrogation capable
dʼimpliquer toute personne qui les contemple dans leur destin imaginaire. Malraux
tentera dʼétablir, selon sa méthode historiographique, une organisation visuelle de
ses œuvres, pour mener à bien la puissance de cette interrogation. Il évoque, à ce
sujet, que ce pouvoir introspectif est de nature extensive. Il sʼagit de critiquer
comment leur présentation peut les transformer, et comment elles se
métamorphosent au contact du public.

482
. Certains historiens, autres que Langlois, ont su proposer dès le début du cinéma, une histoire du
cinéma par le film.
483
. Paradoxalement, même si Malraux est reconnu comme historien dʼart, il va chercher à produire cette
histoire avec des éléments qui vont à lʼencontre de cette conception. Ainsi il nomme un de ses livres,
LʼINTEMPOREL.
484
. André Malraux, Les voix du silence, Paris, Ed. Gallimard.1951.p.67.

261
"(…) La force interrogatrice des œuvres. (…) L'essentiel de ma pensée, c'est la
métamorphose (…) Mais nous savons aussi que, quand nous contemplons une sculpture
485
égyptienne, elle nous dit quelque chose."

Aussi, c'est tout le sens de notre réflexion topologique, qui voudrait que l'écriture de
l'histoire soit liée à la production d'un lieu ; écriture dans le sens qu'engage Michel de
Certeau, c'est-à-dire comme un discours ou une parole de l'histoire.

"Mais le geste qui ramène les idées à des lieux est précisément un geste d'historien.
Comprendre, pour lui, c'est analyser en termes de productions localisables le matériau que
486
chaque méthode a d'abord instauré d'après ses propres critères de pertinence."

PERTINENCE DE LA MÉTAMORPHOSE
Le concept de métamorphose, chez Malraux, se présente comme une observation
rigoureuse du passage du temps sur les œuvres. Si au départ, ce n'était que le signe
manifeste d'un geste voué à la religion487, lorsque celle-ci disparaissait, l'œuvre se
transfigure en quelque chose d'autre : une œuvre d'art.

"La puissance de métamorphose de l'œuvre d'art succède à ce que l'on appela sa puissance
488
d'immortalité (…)"

LA PLACE SYMBOLIQUE DU DISCOURS


Le concept de métamorphose engage l'historien à repérer la possibilité d'un lieu sans
cesse renouvelé et renouvelable. Ce lieu, cette surface, dispose, par cet effort, un
recueil, dans lequel l'histoire et son processus de production peuvent être perçus,
sous une forme justement non encore déterminée — écrite, dite. Si nous reprenons
la réflexion fertile de Michel de Certeau489, avec Malraux, elle fonctionnera
différemment : la production historique, chez ce dernier, se déplace des lieux qui lui
sont habituellement consacrées, pour se situer symboliquement à la surface de

485
André Malraux, “Entretien avec Jacques Legris, à propos des "Hôtes de passages"”(1975), Cahiers de
L'Herne n°43 : André MALRAUX, Paris, Ed. L'Herne, 1982. p.156-57.
486
. Michel de Certeau, L'écriture de l'histoire, (1975), Paris, Ed. Gallimard. 3eme Ed. Folio/Histoire, 2002.
p. 78.
487
. Lʼœuvre vouée à la religion, détient une valeur de rituel, qui se transformera en une valeur dʼexposition.
La valeur a quête de lʼimmortalité. Walter Benjamin, “L'œuvre d'art à l'époque de sa reproduction
mécanisée”(1936), Ecrits Français, Paris, Ed. Gallimard, coll. Bibliothèques des Idées, 1991.p.142.
488
. André Malraux, Le Musée Imaginaire, (1974/1951), Paris, Ed. Gallimard. Nouvelle version, 1965.p.171.
489
. A propos de son histoire comme production de lieux.

262
l'œuvre. Puis nous la percevons, par la suite, comme métamorphosée, totalement
renouvelée.

LA POSSESSION
Que découvre Malraux ? À l'instar du cinéma, dʼautres arts et domaines dʼexpression
peuvent posséder la technique du montage et la vertu de la photographie490.
De ce fait, la possession de la puissance cinématographique (par la littérature), lui
permettra de réaliser le livre du Musée Imaginaire.
Également, on remarquera quʼil a voulu concevoir une adaptation télévisuelle du
Miroir des limbes 491 . Ce dernier livre, interrogeait l'Art et sa participation
métaphysique à la destinée humaine492 . Lʼadaptation aurait du être intitulée : La
légende du siècle, et réalisée par Claude Santelli. On retrouve, dans ce projet de film
de 1972, un autre élément de convergence et d'influence avec les HdC : le choix du
casting. En effet, Alain Cuny est choisi comme lecteur des textes de la narration493 .

G/ LE MONTAGE CHEZ MALRAUX : LE DON DE PAROLE DES IMAGES

Une photographie célèbre montre Malraux au travail, en train dʼélaborer son histoire
de l'art avec la fabrication de son Musée imaginaire. Elle vient attester lʼidée que ce
sont les images qui engendrent la parole de lʼhomme. Cette photo, prise en plan
large, et en forte plongée, le montre dans son salon privé disposant un grand nombre
de photographies. Il dresse un chemin de fer. Cette expression, qui provient du
métier de lʼédition, consiste à dérouler sur une bande imaginaire, le sommaire visuel
dʼun livre ou dʼune revue. Ici, sur cette photographie, le chemin de fer est au sol et les
pages prévues ressemblent alors à un grand tapis. Il n'y a que des images : les
photographies sont dʼun même format et reproduisent exclusivement des œuvres
d'art. Cette photo peut faire penser à un cliché dʼOrson Welles, quand, CITIZEN
494
KANE , debout sur des piles de journaux, vient dʼacheter la société qui dirige ce
quotidien. Elle montre comment Malraux a prévu techniquement de concevoir lʼun de
ses livres sur lʼhistoire de lʼart. Il procède à lʼécriture, de ce quʼil a à dire sur ces
490
. André Malraux, “L'œuvre d'art n'est pas une pierre”, André Malraux, Cahiers de l'Herne, Ed.de l'Herne,
1982.p.287.
491
. André Malraux, Le miroir des limbes, Paris, Ed. Gallimard (coll. La pléiade). 1976.
492
. Philippe et François de Saint Chéron, “Malraux et l'Audio-visuel” Cahiers de l'Herne, Ed.de l'Herne,
1982.p.356.
493
. Claude Santelli, Propos, LA CROIX, 5/06/1972.
494
. Orson Welles, CITIZEN KANE. 1941.

263
images, de sa parole. Lʼécriture du texte, quʼon retrouve dans le livre, est produite en
conséquence du montage des images auquel Malraux fait face. Lʼintelligence du
texte, la parole, est conçue après et selon la succession des images. Un ordre tel
que Malraux lʼavait théorisé précédemment : la mise en pratique effective du don de
parole des images.

LA REPRISE DU CONCEPT DE “ MÉTAMORPHOSE ”


Il faut revenir sur l'action du montage : cʼest confronter des images que nous
sommes allés chercher et qui nʼavaient a priori aucun rapport flagrant entre elles ;
ceci réside déjà dans le livre de Malraux. Ce ressort, quasi dramatique, de
croisement consiste à faire traverser des artistes dans des domaines auxquels ils
n'appartiennent pas de fait. Précisément, pour Malraux, les œuvres d'art plastiques
nous parlent 495. Et ce qui ressort du visible vient vers nous par émissions sonores.
Ce croisement, il le nomme convocation, dialogue496 ou bien encore métamorphose.

497
La métamorphose (...) est la vie même de l'œuvre d'art. .

Il faut remarquer que lʼévocation de la métamorphose peut sʼétablir, sous la condition


logique de devoir se tourner vers le passé, quand les œuvres sont appréhendées.
Pareillement, on observe une opération de métamorphose dans les HdC. Pour
Godard, elle concerne le cinéma dans son entier : le cinéma (…) cʼest l'affaire du
XIXeme siècle dont la métamorphose, s'est résolue au XXème. 498

H/ MALRAUX-LANGLOIS-GODARD : CROISEMENTS BRÛLANTS

Le principe de croisement, —croiser des éléments présents avec des éléments


passés—, généralisé par la pratique du montage, confère une parenté de style avec
celui de Godard. Déjà lʼécriture du titre hybride Du côté de chez Manet venait vérifier
ce principe, mais aussi ailleurs, dans certains autres de ses articles, dont l'un

495
. André Malraux, Le Musée Imaginaire, [version définitive], Ed. Gallimard, 1965.p.236.
496
. André Malraux, Le Musée Imaginaire, [version définitive], Ed. Gallimard, 1965.p.231.
Geneviève James, “De l'iréel à l'intemporel”, André Malraux, Cahiers de l'Herne, Ed.de l'Herne,
1982.p.330.
497
. André Malraux, Le Musée Imaginaire, [version définitive], Ed. Gallimard, 1965.p.287.
498
.HdC.2a.seul le cinéma. p.18 : « Le cinéma/ cʼest lʼaffaire du vingtième siècle/ cʼest lʼaffaire/ du dix
neuvième siècle/ mais qui sʼest résolue/ au vingtième. »

264
consacré à Nicholas Ray499, on retrouve des citations entières de textes de Malraux.
Ce qui va permettre au futur cinéaste d'écrire tout un article, avec en liminaire, lʼune
des phrases de Malraux500 :
501
"Le génie naît comme l'incendie : De ce qu'il brûle."

Cette sentence sera reprise une nouvelle fois, dans les HdC, transformée sans en
contredire le propos :

502
[L'ART EST COMME L'INCENDIE / IL NAÎT / DE CE QU'IL BRÛLE]

Évidemment, comme pour renforcer l'identité d'influence Malraux-Langlois, cette


phrase est dʼabord intervenue dans une lettre personnelle que JLG envoya à
Langlois 503. Elle était destinée à paraître dans le programme de la cinémathèque.
Dans cette lettre, il est question de déclin du cinéma et dʼune définition de ce feu, la
vie des cinéphiles :

« (…) Nous, nous ne sommes pas morts.(…) Oui, le cinéma est en train de mourir (…) Mais
vous et moi savons quʼil nʼest pas encore tout à fait mort, quʼil respire encore faiblement. Où ?
Dans notre cœur qui battra toujours pour lui à 24 images secondes. Cette modeste flamme
qui hier encore incendiait le monde à coups de stars et de millions, il ne tient plus quʼà nous
quʼelle sʼéteigne définitivement. Mais ni vous ni moi ne le permettront, car cette flamme nʼest
504
rien dʼautre que notre vie elle-même. »

Le Feu est ici pris dans son acception amoureuse de cinéphilie comme flamme
intérieure. On retrouve lʼargument, toujours destiné à Langlois, au moment précis où
il explique à Langlois la nécessité de brûler les films (du feu intérieur).

505
[JE L'AVAIS DIT À LANGLOIS / IL FAUT BRÛLER LES FILMS…]
506
[MAIS ATTENTION / AVEC LE FEU INTERIEUR]

499
. Ref.71. Rien que le cinéma et Ref.85. Au-delà des étoiles.
500
. Ref. 82. Swamp Water.
501
. André Malraux, LʼIntemporel, Ed. Gallimard, 1968. On situe généralement cette phrase dans ce livre.
502
. HdC.2b.fatale beauté. p.165.
503
. Ref.178.19a. Deux lettres à Henri Langlois (non daté. circa 1965).pp.248-251.
504
Ref.178.19a. Deux lettres à Henri Langlois (non daté. circa 1965).p.248.
505
. HdC.2b.fatale beauté. p.165.
506
. HdC.2b.fatale beauté. (PLAN 1732).

265
Cette volonté de feu, aussi peu intérieure quʼelle peut lʼêtre, nous fait transparaître ici
l'acte de destruction, —quʼon retrouve avec autant de violence, quand il lui somme de
liquider la cinémathèque pour produire des films507— et quand dans les HdC lʼimage
documentaire de quelquʼun immolé par le feu apparaît508. Tout cela vient prévenir,
comme lʼidentité de lʼamour avec le feu, toute l'emprise de l'influence du Romantisme
quʼentretient Godard avec ses films. Ainsi le jeu de substitution sacrificielle du
créateur avec son œuvre. Feu purificateur, crémation qui connote le cinéma sur son
versant guerrier, intégrant les films (et devant être défendu comme tel) au domaine
des morts. Malédiction nécessaire pour le film. En effet, le film maudit509 est un film
voué à disparaître, qui, devenu poussière ne sera plus visible et rejoignant alors les
plus grands films ( qui) sont ceux que l'on n'a pas vus510.

La relation que Godard va entretenir avec lʼidée dʼune disparition par les flammes
peut revêtir des idées absurdes. Le Feu sʼavère un thème absurde que Godard
déploiera allègrement dans son article sur le film à Volcans d'Haroun Tazieff511 et bien
encore dans une notule sous forme de télégramme512. Dans les écrits de Malraux, ce
thème relate une notion intime, puisque l'absurdité a rejoint l'art lorsqu'elle n'a plus de
destin et lorsque les dieux puis l'homme sont devenus des idées mortelles513.

La notion dʼabsurdité élargit le concept de fin et de renouvellement dans laquelle


l'histoire de l'art s'inscrit et par laquelle Malraux a influencé Godard. Lorsque le
cinéaste, à la fin des HdC, compose à partir d'extraits de textes, le dernier texte
visant à rassembler les notions qui définissent l'art du cinéma au XXème siècle. À ce
moment sa voix nous prévient :

"La seule chose / qui survive à une époque / c'est la forme d'art / qu'elle s'est créée / aucune
activité / ne deviendra / un art / avant que son époque / ne soit terminée / ensuite / cet art
514
disparaîtra."

507
. Ref.178.19b. Deux lettres à Henri Langlois (1975).
508
. HdC.4a.le contrôle de l'univers. (les dernières images de lʼépisode).
509
. HdC.4a.le contrôle de l'univers. p.128.
510
. HdC.2b.fatale beauté. p.169.
511
. Ref. 107. Le conquérant solitaire.
512
. Ref.98.Télégramme de Berlin. n°86.1958.
513
. André Malraux, “L'œuvre d'art n'est pas une pierre”, André Malraux, Cahiers de l'Herne, Ed.de l'Herne,
1982.p.287.
514
. HdC.4b.les signes parmi nous. p.290.

266
Il faut bien admettre que cette activité du présent sur le passé, cette survie pour se
dépasser est en rapport avec la conception du dépassement de Malraux :

" Toute civilisation (...) fait son propre héritage de tout ce qui, dans le passé, lui permet de se
515
dépasser."

Godard fait appel directement à Malraux lorsqu'il cite les personnes qui peuvent
répondre à la question : Qu'est-ce que l'histoire ? Malraux inaugurera la série,
ensuite il y aura Fernand Braudel, Cioran et Charles Péguy.

"Oui / mais / l'histoire / au fond / qu'est-ce que c'est/ tout au fond/


Malraux / nous sentions tous / que l'enjeu / appartenait / à un domaine plus obscur
516
que le domaine / politique."

De plus, après avoir nommé son épisode 3a. la monnaie de l'absolu, comme l'un des
chapitres du livre de Malraux Les Voix du Silence517, on évolue dans un espace
d'influence relativement confiné. C'est à partir de la séquence rendant hommage à
Langlois, que Godard évoquera le plus longuement Malraux. Ce sera en tant que
cinéaste. Par lʼutilisation dʼun long extrait de son film sur la guerre d'Espagne,
Godard nous indique que Langlois fut le passeur de l'ESPOIR :

"ET L'HOMME DE L'AVENUE DE MESSINE /


NOUS FIT DON DE CE PASSÉ /
MÉTAMORPHOSÉ AU PRÉSENT."
EN PLEINE INDOCHINE /
EN PLEINE ALGÉRIE /
ET LORSQU'IL PROJETA L'ESPOIR /
POUR LA PREMIÈRE FOIS /
CE N'EST PAS LA GUERRE D'ESPAGNE /
QUI NOUS FIT SURSAUTER /
518
MAIS / LA FRATERNITÉ DES MÉTAPHORES."

Relevons tout d'abord : dans la première phrase le concept de métamorphose est ici
évoqué dans son contexte malducien. Godard se fie à la première phrase de
l'Introduction à la psychologie de l'art. Il nous parle, en effet, de passé métamorphosé
515
. André Malraux, “Sur l'héritage culturel”, COMMUNE, N°37, 09/1936. Discours prononcé en Juin 36, à
Londres pour l'Association Internationale des Écrivains pour la Défense de la Culture.
516
. HdC. 4b.les signes parmi nous. p.247.
517
. André Malraux, Les voix du silence, Paris, Ed.Gallimard. 1951.1- Le Musée Imaginaire. 2-Les
Métamorphoses d'Apollon. 3- La Création artistique. 4-La Monnaie de l'Absolu.
518
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.149.

267
au présent, c'est-à-dire de pouvoir percevoir le passé, qui revenu au présent, se
métamorphose; C'est le parcours de dépassement dans la vie des œuvres telles que
nous lʼavons observé auparavant. Ainsi, Malraux invoque la force de l'héritage
culturel, parvenu aujourd'hui jusqu'à nos yeux : les statues grecques abandonnées
de leurs couleurs, les portraits des nobles espagnols devenus des Velasquez et les
icônes religieuses devenues œuvres profanes.

"Ce n'est pas l'Antiquité qui a fait la Renaissance, c'est la Renaissance qui a fait l'Antiquité.
(...) Toute civilisation est en cela comparable à la Renaissance et fait son propre héritage de
519
tout ce qui, dans le passé, lui permet de se dépasser."

Nous pouvons relever un des éléments majeurs du style que nous retrouvons dans la
parole de Godard. Ainsi le retournement dialectique de la première phrase pourrait
sembler un aphorisme issu dʼun article des Cahiers du Cinéma. La figure dialectique
comprenant une comparaison suivie de son opposition sʼavère une pratique courante
chez Godard, jusquʼà représenter lʼune des facettes saillantes de son style, comme
par exemple, son célèbre ce nʼest pas une image juste, cʼest juste une image520. Or,
comparaison et opposition constituent aussi l'idée motrice du fameux Musée
Imaginaire521.

7/ LE DOMAINE DES MORTS (LA RÉPONSE DES TÉNÈBRES)


[MALRAUX, LANGLOIS, SUITE]

L'HISTORIOGRAPHIE, PRODUCTION D'UN LIEU MÉTAMORPHOSÉ : L'ÉCRAN


Lʼopération de la métamorphose, du passé en présent, dans le domaine du cinéma,
va présenter certaines caractéristiques, quʼil nous semble intéressant de nommer,
comme le fait de filmer par métamorphose une réalité passée en une œuvre d'art,
par le biais d'une transfiguration photographique (et sonore). Le cinéma peut faire

519
. André Malraux, “Sur l'héritage culturel”, COMMUNE, N°37, 09/1936. Discours prononcé en Juin 36, à
Londres pour l'Association Internationale des Écrivains pour la Défense de la Culture.
520
. Ref.176a.Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard , [volume.1], Paris, Editions de l'Étoile. 2ème
Ed.1998. p.348.
Carton du film VENT DʼEST (REF.Film34.Groupe Dziga Vertov, 1969).
521
. Pascal Sabourin, “Réflexion sur l'art”, André Malraux, Cahiers de l'Herne, Ed.de l'Herne, 1982.p.303.

268
ressurgir les morts, conférant la vie à ce qui n'existe plus. Cette puissance
invocatoire peut investir le cinéma d'une fonction funèbre, aussi le rapproche-t-on de
l'art funéraire.

A/ LE CINÉMA COMME ART DES MORTS

Dans le texte fondateur dʼUne esquisse d'une psychologie du cinéma522, Malraux


procède dans son introduction, à autre une origine possible du cinéma : le travail
dʼembaumement des momies égyptiennes. Cette supposition vient confirmer la
présence dʼune ligne historique, partant à rebours du cinéma jusquʼà lʼars moriendi,
lʼart des morts. Comme pour la photographie, le cinéma sʼavère tributaire de
lʼembaumement ou de lʼart du portrait, cʼest-à-dire sa fonction consiste à se souvenir.
Lʼopération du cinéma accomplirait le pouvoir de se remémorer. Malraux investit
certaines notions paradoxales : lʼessence du cinéma relèverait, avant tout, dʼune
conception temporelle (et non de mouvement comme pouvait le faire supposer son
étymologie).

Parmi les idées esthétiques directrices de Malraux, lʼune réside dans lʼappréhension
de l'œuvre face à l'adversité du temps. Une fois arrachée de son contexte religieux
dʼorigine, elle affronte les siècles. Tout l'enjeu de l'œuvre d'art réside à pouvoir
s'approprier le caractère de l'immortalité, réalisant son adage célèbre : L'Art c'est ce
qui résiste au temps.

C'est sur ce même modèle, exemplaire, d'art funéraire, qu'André Bazin débutera son
premier article L'ontologie de l'image photographique523. L'introduction évoque,
pareillement, lʼart de lʼembaumement ainsi que la fonction de l'image au service de la
mémoire des morts. Bazin pousse l'analogie, jusqu'à évoquer le suaire du Christ,
dont la découverte demeure liée au procédé de la photographie. En effet, rappelons
que l'image du Christ, qui apposa la marque de son buste sur le suaire de Turin, fut
détectée grâce au négatif de sa reproduction photographiée. Jésus Christ, selon le
nouveau Testament, ressuscita. Cela indique, entre autres conséquences

522
. André Malraux, Esquisse d'une psychologie du cinéma (1946), Paris, Ed. Gallimard, 1976.
523
. PROBLÈMES DE LA PEINTURE, 1945, Lausanne, Ed. Skira. La revue se consacre aux rapports
qu'entretient la peinture avec les autres arts. L'article de Bazin fut choisi pour représenter l'art
cinématographique.

269
philosophiques, le lien cyclique que la mort entretient avec la vie. Fait que soulignera
Godard précisément lorsquʼil sʼagit dʼimages.

[DʼABORD DES IMAGES/ MAIS CELLES DONT PARLE SAINT PAUL / ET QUI SONT UNE
524
MORT / DONC UNE RÉSURRECTION]

Une mort donc une résurrection, cet aspect cyclique sera répété, pour définir le
cinéma, quand Godard reprendra un certain nombre de ces éléments, à la fin des
HdC :

[ET IL (le cinéma ) EST LA / QUAND NOUS SOMMES MORTS/ ET QUE NOTRE CADAVRE/
525
TEND LE SUAIRE/ AUX BRAS DE NOS ENFANTS.]

Ce suaire, selon lui, devient emblématique de l'écran de cinéma : la surface de tissu


tendue sur laquelle on projette les images. Ce nʼest pas sur un écran quʼon le
présentera mais sur un suaire526. Cette analogie rencontre celle du voile de
Véronique, quʼil a plusieurs fois employée527. Des images sont projetées, jusqu'à que
lʼexistence de toutes choses et de nous-mêmes nous apparai(ssent)528. On verra
alors notre propre présence même lorsque nous aurons disparu. C'est la raison pour
laquelle JLG précise que notre cadavre tend le suaire (comme s'il était encore en vie)
aux bras de nos enfants. On retrouve ici, encore une fois, les caractéristiques du
zombi, dont le cinéphile, qui tel que nous lʼavons montré, se trouve doté de
progénitures. Mais il sʼagit avant tout par cette phrase, de montrer la puissance
photographique du cinéma, celle de pouvoir projeter lʼimage de notre corps vivant
après notre mort.

Physiquement, il nous est impossible de revoir ce que nous avons vu, de regarder
derrière nous : une des vertus de la photographie réside dans le pouvoir de cette
vision. Godard le rappelle :

524
. HdC.4a.le contrôle de l'univers. p.75.
525
. HdC.4a.le contrôle de l'univers. pp.122-124.
526
. HdC 1a.toutes les histoires. p.103.
527
Ref.A53. Remarquable. (Georges Franju, LA TETE CONTRE LES MURS). 1959.
Ref.Film56.GRANDEUR ET DÉCADENCE D'UN PETIT COMMERCE DE CINÉMA.1986. Il y a dans ce film
comme dans les HdC, une relation entre le linge et les morts. Le monologue de Jean-Pïerre Léaud dans le
film reprend lʼimage du linge de Véronique, comme une surface blanche de déposition, juste après avoir
effectué un appel aux morts (les morts au combat. Cʼest la figure que nous allons décrire).
528
. HdC.4a.le contrôle de l'univers. p.73 : « Lʼexistence de toutes choses et de nous mêmes nous apparaît
sous cette espèce. »

270
« LES FILLES DE LOTH / VOULURENT SE RETOURNER / UNE DERNIÈRE FOIS ET
QUʼELLES FURENT CHANGÉES EN STATUES DE SEL OR / ON NE FILME QUE LE
PASSÉ / JE VEUX DIRE / QUE CE QUI SE PASSE / ET CE SONT DES SELS DʼARGENT
529
QUI FIXENT LA LUMIÈRE »

L'ontologie (de lʼimage photographique), ici citée par Bazin, doit être lue comme
synonyme de métaphysique.
Le cinéma possède donc ce pouvoir photographique de passer en fraude530, passer
à travers ou par-delà la matière (le visible) pour nous faire découvrir ce qui vient
après lʼanti-matière, l'invisible531.

532
[LA MATIERE FANTÔME / ÉTAIT NÉE / OMNIPRÉSENTE / MAIS INVISIBLE]

Projeter la part des ténèbres, dans laquelle l'image éclaircit un nouveau territoire.
Cette image est capable de nier le néant, pour reprendre la terminologie de Maurice
Blanchot, que Godard cite à la toute fin des HdC533. Dernier épisode, dont le titre
même les signes parmi nous vient, on pourrait le croire, vient commenter l'incursion
des ténèbres dans notre monde.
Les signes correspondent aux signes du néant parmi nous, et ce néant nous regarde.
Cette image, —poursuit l'écrivain dans son texte les deux versions de
534
l'imaginaire —, correspond au regard du néant sur nous. Ce regard devient la
réponse des ténèbres par-delà l'espace, mais de plus, par-delà le temps, réponse à
laquelle JLG avait espéré consacrer un épisode entier.

B/ ART DU CINÉMA, ARS MORIENDI

a/ La figure de lʼappel aux morts. Hommage aux combattants


Malraux, Bazin, puis Godard se situent sur une même ligne générale : la
considération du cinéma succédant à l'art du portrait. C'est-à-dire le cinéma conçu tel

529
. HdC.3a.la monnaie de lʼabsolu. p.36.
530
. Ref.144. Orphée. CAHIERS DU CINÉMA n°152.1964 : "Comprendre ces recherches sur la matière de
la magie, ou le contraire, il ne faut pas oublier que l'auteur (…) est entré en fraude à l'instant où le rouge
s'allumait."
531
. Ref.Film72. HÉLAS POUR MOI. 1993.
532
. HdC.4b.les signes parmi nous. p.171.
533
. HdC.4b.les signes parmi nous. p.300.
534
. Maurice Blanchot, L'espace littéraire, Paris, Ed.Gallimard,coll.Idées.1969.p.128.

271
un art de la mémoire et subsidiairement art de la mémoire des morts. La mémoire
devient alors l'enjeu d'une survie, comme souvent Godard le met en pratique dans
ses films, et à l'inverse du lieu commun, il s'agit de défendre les morts contre les
vivants. 535. Ainsi, l'importance de l'image de Robert Le Vigan dans LA BANDERA536, un
légionnaire qui répond à l'appel aux morts, incarne cette figure cinématographique
dans les films de Godard537. À l'écoute de l'appel égrenant la liste des soldats après
une bataille, il répond, non pas un présent (à la place de ceux qui sont morts, tombés
au champ d'honneur) mais il vocifère un mort au combat pour chaque nom lu de la
liste, puisquʼil est le dernier survivant de sa section. Cette figure godardienne,
établissant la concordance du cinéma avec l'art de la guerre, vient prouver une
nouvelle fois le lien cinématographique avec les rapports humains et les strates du
temps, dans leur présentation du passé.

b/ Le soldat salue lʼartiste538


Un autre point commun du cinéma avec l'art martial consiste à concevoir une marque
de respect vis-à-vis du sacrifice de la vie de l'artiste. “Le Soldat salue l'artiste”,
comme le clame Michel-Ange —personnage DES CARABINIERS— saluant
militairement un autoportrait de Rembrandt.
L'artiste, par la fabrique d'œuvres qui traverseront le temps, fait l'expérience de
passer de l'autre côté du miroir. Cette attitude, également issue du modèle orphique
(le sacrifice est nécessaire à l'immortalité), confère à la mort elle-même un don
exceptionnel : celui de la résolution ultime, le schibboleth (mors ultima ratio) et aussi
celui de pouvoir renaître doté dʼune nouvelle vision.

"Faire le mort m'a ouvert les yeux"539

Au-delà même de l'aspect concret de cette signification, lʼexpression, destinée à


Malraux, prouverait que Godard insiste sur un fait, celui de ne pas se séparer
définitivement de l'homme qui a contribué à fonder une part importante de sa propre

535
. Ref.Film12. Les Carabiniers.
536
. Julien Duvivier, LA BANDERA. 1934.
537
. Godard exploite soit la structure de la séquence du film de Duvivier, soit la bande-son [Ref.Film56.
1986] ou encore le visage de Le Vigan [Ref.Film75 (Co-réal AM Miéville, 1995)].
538
. HdC.1b.une histoire seule. p.247. Lʼimage du carabinier saluant la figure de Rembrandt-Griffith.
539
. Ref.153.Obs. “Lettre au ministre de la "Kultur"”, Nouvel Observateur. 04/1966, réed. CAHIERS DU
CINEMA . n°177.04-1966. p.74.

272
théorie et de sa réflexion sur la mort, jusqu'à la conception de la résurrection des
arts, qui se manifestent dans une seconde vie.

c/ Art du cinéma, Ars Moriendi (art mortuaire)


Le cinéma, comme art funéraire, et comme art qui résiste au temps, se présente
comme un concept malducien dont lʼexistence se fonde directement dans la pensée
du cinéma. Filmer l'homme, équivaut à l'enregistrement de notre corps qui tend vers
la mort. Nous filmons son inévitable et imperceptible érosion. La mort nous fait des
promesses par cinématographe540 écrit Jean Cocteau, qui retient tout autant ce
principe. Principe que Godard reprendra dans les HdC, plus précisément dans
2b.fatale beauté541. À partir de la photographie (la mise à mort), cette perte du
bonheur, le cinéma portera les couleurs du deuil :

"ET, TRÈS VITE POUR MASQUER LE DEUIL [deuil de la mise à mort de la réalité nécessaire à la
métamorphose] LES PREMIERS TECHNICOLORS PRENDRONT LES MEMES DOMINANTES QUE
542
LES COURONNES MORTUAIRES (…)"

Cette idée que le cinéma peut prétendre régler des préoccupations attribuées à l'art
funéraire doit être comprise dans la restriction de l'implication ontologique. Aussi, il
faut retenir qu'une expression, —qui en témoigne mais aussi de façon convenue—,
comme la mort du cinéma, signifie l'évidence que le cinéma a à voir avec la mort.

[IL ETAIT LOGIQUE QUE LʼINDUSTRIE DU FILM SE SOIT DʼABORD VENDUE A LʼINDUSTRIE DE LA
543
MORT.]

Mais au lieu d'imaginer que le cinéma dans son ensemble, rejoint le domaine de la
mort pour ensuite disparaître jusqu'à se fondre tout à fait avec celle-ci, le cinéma doit
plutôt être à considérer comme une adjonction de l'art de la mort. À l'instar du
personnage d'ORPHÉE544 qui traverse le miroir pour rejoindre le domaine des morts,
et échantillonne les stations radios pour en saisir les messages d'outre-tombe,

540
. HdC.1b.une histoire seule. p.134.
Jean Cocteau, Le livre blanc et autres textes (1941), Paris, Ed.Livre de Poche, 1999, p.58.
541
. HdC.2b.fatale beauté. pp.188-192.
542
. HdC.2b.fatale beauté. p.191. Nous avons rajouté ce qui est entre crochets.
543
. HdC.2b.fatale beauté. p.187.
544
. Jean Cocteau, ORPHÉE. 1954.

273
Godard avait écrit un texte (repris dans les HdC), faisant référence à Cocteau et
stipulant que l'acte cinématographique, plus qu'un acte mortifère (Le rouge est mis),
se prolongeait par un passage en fraude. Dans cette image, il substitue l'acte de
mourir à celui de filmer. Le rouge est mis signifie tout autant la mort physique (le
rouge sang apparaît sur mon corps, je meurs) que le voyant lumineux de la machine
cinématographique ou radiophonique qui est enclenchée.

Même s'il est plus aisé de croire que le domaine des morts — invisible, les ténèbres
procèdent au-delà de la vision— est relatif à un domaine sonore dont on peut capter
le récit des morts, entonné par les voix sépulcrales, l'art des morts est un art qui
procède également de la vision. L'image des morts provient du mot imago. Au temps
antique, cʼétait, selon Pline l'ancien, l'utilisation de cette image, que certains pénates
devaient personnifier. Pareillement, ne peut-on pas concevoir l'historien comme un
nécromancien pour le monde des vivants ? La figure benjaminienne de l'Ange de
l'histoire545 vient confirmer ce statut de témoin, à se placer au-dessus des vivants et
des morts. L'historien incarne celui qui fait le récit des morts.
Il conviendra de distinguer dans lʼart funéraire deux domaines, qui pour l'instant ne
font qu'un : le récit des morts, et le mourir.

d/ désir de mort
La mort est-elle aussi nécessaire voire désirable ? Puisqu'elle constitue un lieu de
rencontre du cinéma et de l'histoire, la mort doit également faire valoir sa présence
dans les deux registres. Elle sera présente pour justifier lʼidée même de la
résurrection : emblème de lʼimage.

"L'image viendra au temps de la résurrection"546

Godard cite Saint-Paul, ce que beaucoup identifient au signe d'une nouvelle mystique
à partir des années 80547 ou même encore, comme les stigmates d'une volonté
548
eschatologique . Alors qu'il n'en est rien, si l'on affirme la référence qu'en a faite

545
. HdC.1b.une histoire seule. PLANS 1631.1632.1634. Il a disparu de lʼédition du livre.
546
. HdC.1b.une histoire seule. pp.164-167.
547
. Vicky Callahan, “Gravity and Grace : On the "Sacred" and Cinematic Vision in the Films of Jean-Luc
Godard”, FOR EVER GODARD, London, Black Dog Publishing, 2004.p.189.
548
. Raymond Bellour, “Intervention sur Daney”, FOR EVER GODARD, (Colloque), Londres, Tate Modern,
24/06/2001.

274
Malraux. Ce terme de résurrection fut maintes fois employé sans qu'il y incorpore ce
sous-entendu du dictum chrétien. Didi-Huberman fait le même constat et attribue
l'utilisation de ce terme au pouvoir simple de l'émerveillement du cinéma qu'a
conservé Godard et précisément en puissance dans ses HdC :

"Dire que le documentaire [les HdC] recèle une puissance de “résurrection” — “Quelle
merveille que de pouvoir regarder ce qu'on ne voit pas”, dit Godard —, ce n'est pas parler en
théologien de la fin des temps, mais plus simplement, en perpétuel émerveillé du rapport
entre cinéma et histoire : il est toujours troublant, aujourd'hui, de voir Adolf Hitler continuer de
549
bouger dans les actualités des années trente et quarante."

On peut ajouter, pour argument, de l'effet de nouveauté que produisit sur Godard,
550
THE COLOR OF WAR, documentaire américain sur la 2nde Guerre Mondiale , dont
les images en couleurs, sur une quantité impressionnante de documents, furent
récupérées — images qu'on avait pour habitude de connaître en noir et blanc
(Débarquements, Ghetto de Varsovie, …) —. Elles se retrouvèrent ainsi dans son
film-annexe : DE L'ORIGINE DU XXÉME SIÈCLE551. On peut attester, avec ces images
documentaires, d'une puissance de résurrection, relevant dʼune esthétique non
paulinienne.

Le terme est sans sous-entendu, bien au contraire, car si la résurrection provient des
lectures assidues du Musée Imaginaire, on verra que nécessairement l'origine
religieuse d'une production doit mourir pour faire parvenir l'objet à sa maturité
d'œuvre ; par exemple :

"Une telle résurrection rassemble nécessairement des œuvres qui ont subi une profonde
552
métamorphose"

C'est un exemple parmi beaucoup d'autres, mais la résurrection pour Malraux est ce
passage auquel quoi les œuvres d'art sont vouées. Après avoir eu une existence
fonctionnelle, religieuse, une fois qu'elles ont péri avec la civilisation qui les exposait,

549
. Georges DIDI-HUBERMAN, Images malgré tout, Paris, Ed. de Minuit. 2003.p.185. Nous avons rajouté
ce qui est entre les crochets.
550
. Lucy Carter, Alastair Laurence, THE COLOR OF WAR, 1999. CARLTON TV/TWI.
551
. Ref.Film82. DE L'ORIGINE DU XXIÈME SIÈCLE. 2000.
552
. André Malraux, Le Musée Imaginaire, (1974/1951), Paris, Ed. Gallimard. Nouvelle version, 1965.
p.153.

275
elles peuvent naître une seconde fois sous le soleil de l'art. C'est alors, ce que
Malraux nomme la formation du style. Et dans le parcours historique de l'art, avec
l'Antiquité grecque, c'est l'affirmation du destin de l'homme face aux dieux.

C/ CONCLUSION LA RENCONTRE LANGLOIS-MALRAUX

Pour conclure à propos de l'influence de ces deux hommes, on a pu remarquer que


l'influence de Malraux était déjà présente dans la production de Langlois, avant
même dʼaborder celle de Godard.
Une lecture historique vient rapprocher les deux hommes.

1966 GODARD, LANGLOIS ET MALRAUX À LʼHOMMAGE DES LUMIERE


Il nʼy a probablement pas quʼune seule raison à ce que Malraux soit tant associé à
Langlois. On peut évidemment se rappeler, comme nous lʼavons montré, les
différentes affaires 553 auxquelles il fut assigné, et comprendre que la rencontre de
ces deux figures fut marquante pour Godard, car elle présente assurément un
rapport de forces sous la forme dʼun conflit dʼintérêts.
Il faut revenir deux ans avant lʼaffaire Langlois, en Janvier 1966, quand Godard
prononce un discours, à lʼoccasion de lʼHommage à Lumière à la Cinémathèque et
en présence de Langlois et Malraux. Le sujet de sa déclamation, concernant le
déroulement dʼévènements futurs du cinéma, sera occasionné probablement par la
réunion publique de ces trois hommes.
Ce discours ne sʼadresse pas à Langlois directement, mais plutôt à Malraux. Sans
pour autant quʼil soit nommément cité, il évoque le ministre chargé des affaires
culturelles, ainsi que la soirée dʼouverture, confie-t-il, placée sous son (votre) haut
patronage554. Or cette adresse, prend, vers la fin de lʼinterlocution, l'aspect dʼune
défense dʼHenri Langlois, qui, déjà à cette époque, criait misère555. Cela débute avec
un ton élogieux et finit sur un mode parodique. Godard va jusquʼà imiter le style dʼun
grand écrivain : Malraux.

553
. Affaire de lʼinterdiction de La Religieuse (04/1966) et Affaire Langlois (02-03/1968).
554
. Ref.176a. « GRACE A HENRI LANGLOIS », (Nouvel Obs.n°61.01/1966) dans Jean-Luc Godard par
Jean-Luc Godard , [volume.1], Paris, Editions de l'Étoile. 2ème Ed.1998. p.282.
555
. Ref.178.19b. Deux lettres à Henri Langlois (1975).

276
« Nous savons aussi désormais quʼAlain Resnais ou Otto Preminger nʼont pas fait de progrès
par rapport à Lumière, Griffith ou Dreyer, pas davantage que Cézanne et Braque par rapport
556
à David et Chardin : ils ont fait autre chose. »

Cette autre chose, ainsi lʼévocation répétitive de noms dʼartistes se télescopant, et


enfin le constat de lʼintemporalité de lʼart (lʼabsence de progression), transforment
cette partie du discours de Godard, en citation implicite et frontale du Musée
imaginaire. Godard persiste en une forme introspective. Il substitue au grand
écrivain, le nom de Langlois.

« Et si mes paroles prennent brusquement le ton dʼun grand écrivain, qui vous est familier,
cʼest parce que, Monsieur le ministre, tout simplement, Henri Langlois a donné chaque vingt-
quatrième seconde de sa vie pour sortir toutes ces voix de leurs nuits silencieuses, et pour les
557
projeter dans le ciel blanc du seul musée où se rejoignent enfin le réel et lʼimaginaire. »

Godard rend compte de deux positions. Dʼabord, évidemment, il est conscient de


lʼinfluence que Malraux exerce sur lui558, et nous en fait part, ensuite il le supplante
par celui quʼil défend. Désirer remplacer Malraux par Langlois nʼest quʼune première
étape. Godard propose plutôt de prendre en compte les apports des éléments
constitutifs du Musée imaginaire, de les intégrer au Musée du cinéma afin quʼils se
rejoignent lors de la projection. Au final, il indique la prééminence du musée de
Langlois qui demeure le seul musée réel valable.

Le Musée Imaginaire de Malraux et le Musée Du Réel de Langlois, en dépit de leur


opposition constitutive (imaginaire // réel) viennent édifier la vision de l'historiographie
faite à partir des images.

556
. Ref.176a. « GRACE A HENRI LANGLOIS », (Nouvel Obs.n°61.01/1966) dans Jean-Luc Godard par
Jean-Luc Godard , [volume.1], Paris, Editions de l'Étoile. 2ème Ed.1998. p.282.
557
. Ref.176a. « GRACE A HENRI LANGLOIS », (Nouvel Obs.n°61.01/1966) dans Jean-Luc Godard par
Jean-Luc Godard , [volume.1], Paris, Editions de l'Étoile. 2ème Ed.1998. p.282.
558
. Ref.Film25 LA CHINOISE. 1967. Il y a plusieurs exemples de traces de cette influence, comme par
exemple dans le film LA CHINOISE où lʼactrice interpelle Malraux face à la caméra pour le questionner
à propos de la métamorphose des arts.

277
08/ FIGURE TUTÉLAIRE DU DÉSIR 4 : ÉLIE FAURE

Pour conclure cette partie, évoquonsun auteur que nous nʼavons pas encore mentionné,
et qui pourtant occupe une place conséquente en tant que figure dʼinfluence des HdC :
Elie Faure.
Elie Faure ne représente peut-être pas la figure telle que nous avons pu la décrire avec
Langlois ou Malraux, car il sʼagit moins dʼune influence directe de sa personne, mais
bien plutôt de ce quʼil a écrit. Ses textes sur lʻArt bénéficient de toute lʼattention du
cinéaste car il les a repris pour les incorporer dans certains de ses films de fiction559
jusquʼaux HdC560. Ces reprises de textes, Godard confie les avoir réécrites. Il en
assumera les trois fonctions—copiste, traducteur et exégète561.
Dans ses différentes conceptions cinématographiques de lʼhistoire de lʼart, Godard
déploie un montage de type fréquentatif 562 pour décrire la critique dʼArt française.
Lʼévocation de noms les uns à la suite des autres provoque cette figure de montage
sous la forme dʼune ligne de fuite. Partant du XVIIIe siècle avec Diderot, elle vient
jusquʼà aujourdʼhui et il y inscrit Elie Faure directement563.
Quelle est cette ligne? cʼest un passage de relais à travers les années dʼune manière de
voir transformée en écriture. Filiation de la spécificité dʼun art transmis par les artistes
eux-mêmes.

« Il y a eu Diderot… Baudelaire… Elie Faure… Malraux… puis François Truffaut » 564

Voilà ce quʼécrivait Godard, quand il rendait hommage posthume à son ami cinéaste-
critique.
Ou bien encore lorsquʼil sʼagira de rendre hommage à Daney, cette fois-ci, Godard
reprend la ligne impliquant les mêmes personnes et ne suscitant que les prénoms :

565
« La boucle donc se boucle — Denis, Charles, Elie, André, André encore, Serge. »

559
. Ref.Film19. PIERROT LE FOU. 1965.
560
. HdC.4b.les signes parmi nous. p.180 & p.290.
561
. Ref.176b. La boucle bouclée. (Entretien avec Alain Bergala) dans Jean-Luc Godard par Jean-Luc
Godard , [volume.2], Paris, Editions de l'Étoile.1998.p.40.
562
. Michel Chion, Ecrire un scénario, Paris, Ed.FEMIS, 1990.p.34.
563
. Ref.Film75. 2X50ANS DE CINEMA FRANÇAIS. (co-réalisé avec Anne-Marie Miéville, 1995).
564
. Ref.165. Seul. François Truffaut. (1981).
565
. Ref.176b. Le ciné-fils. (1992). Le deuxième André est André Bazin dans Jean-Luc Godard par Jean-
Luc Godard , [volume.2], Paris, Editions de l'Étoile.1998.p.252.

278
Aussi comme André Bazin, Elie Faure peut être placé comme une figure dʼinfluence
verticale, mais certainement pas avec le même pouvoir de la double fonction
historien/cinéaste, exercée par Malraux ou Langlois, aux yeux de Godard et tel quʼil se
repère face à ces modèles.
En fait, Godard réalise quʼElie Faure est une figure tutélaire des critiques dʼArt comme
François Truffaut ou Serge Daney, mais pas pour lui-même en tant quʼhistorien. Il est
conscient de son style lyrique, objectivement plus solide que celui de Malraux, et ceci
même sʼil utilise ses textes 566 tels quʼil les citait déjà longuement dans lʼouverture de
567
PIERROT LE FOU , ou encore dans les HdC, comme lʼa si bien remarqué, non sans
humour, Stéphane Zagdanski568.

Élie Faure restera primordial pour Godard, dans la mesure où il sʼavère précurseur de
Malraux lorsquʼ il croise certaines pratiques.

« Élie Faure parle de peinture en termes de romans. » 569

Mais Godard ne retiendra pas grand-chose de sa conception du cinéma, sa fonction570.


Elie Faure va donner lʼexemple dʼun historien qui fonde son écriture sur la base de sa
parole : un monologue sur lʼHistoire de lʼArt.

9/ CONCLUSION. LE FILM DU DÉSIR.

Cette partie tente de faire état du dispositif des éléments du désir envers les HdC. Ce
désir se manifeste sous sa forme à venir, le film, et aussi dans le prolongement de
sa projection : l'espace mental du spectateur, créant alors l'émotion.
Le désir se révèle, comme un espace à prendre. Il se métamorphosera, en souvenir
hanté du film, par celui qui l'a vu.
On comprend alors que la définition du désir (mouvement de l'âme), non encore
survenue et qui cherche une forme (filmique, littéraire), peut passer par une double

566
. Elie Faure. LʼArt Classique.
567
. Ref.Film19. PIERROT LE FOU. 1965.
568
. Stéphane Zagdanski, La mort dans l'œil, critique du cinéma comme vision, domination, falsification,
éradication, fascination, manipulation, dévastation, usurpation. Paris, Maren Sell Editeurs. 2004.p.243-68.
569
. Ref.303. Lutter sur deux fronts (Entretien 1967).
570
. Elie Faure, Fonction du cinéma, Paris, Ed. Denoêl-Gonthier.

279
conception esthétique, produite à partir du phénomène de l'œuvre d'Art. L'œuvre
peut se définir en tant que résultat manifeste de l'activité de l'artiste, résultat de son
intention (kunstwollen)571, mais l'œuvre peut également se définir comme le résultat
de l'activité de vision du spectateur. Son regard résulte d'un geste visuel critique
(Duchamp)572.
Nous ne cherchons pas à formuler une équivalence de définition entre le désir et
l'œuvre, nous visons seulement à faire émerger trois notions importantes pour le
désir de Godard : l'intention, le regard et le geste.

LE DÉSIR : SOUS-TITRE DE LA PULSION CINÉMATOGRAPHIQUE


C'est au-delà de l'utilité, que la recherche du désir et sa description, nous motivent.
Cette description s'avère nécessaire pour comprendre la formation des HdC. Comme
la solitude, le désir est un élément inséparable du cinéma. Il peut être le sous-titre de
la pulsion que nous avons repérée. C'est-à-dire quʼil peut représenter deux
mouvements : celui du cinéaste vers le film, de son imaginaire vers la réalisation ; et
celui du spectateur vers le film, face à lʼécran.
Il sʼagit dʼun simple repérage parmi de nombreuses phases d'appréciation et
d'implication de ce mouvement d'âme, comme le désir de produire un film, désir de
faire du cinéma, désir d'histoire, jusqu'à la mise en scène de notre désir : le
fantasme.

Au préalable et sans contestation possible, Godard a eu à sa disposition dans toute


son œuvre, un grand nombre d'éléments, pour que les HdC puissent se façonner en
rapport avec son désir. Cʼest ce que nous avons tenté de décrire, en procédant à un
éclairage indirect sur les hommes qui lʼavaient influencé.
D'autre part, également, le film dispose vers nous, un certain nombre d'éléments que
notre désir (en tant que spectateur) interpelle.

On remarquera que ces éléments, dans ces deux dispositions, ne sont pas
obligatoirement les mêmes en nombre et en qualité. Ainsi nous avons repéré dans le
film des éléments de désir qui correspondent avec ceux de Godard et dʼautres avec
lesquels ils ne correspondent pas.

571
. Erwin Panofsky, Histoire de l'Art, London, Phaidon Publisher, 2005. p.198. Panofsky cite Wöfflin qui
présente lʼintention artistique (Kunstwollen) comme fondement conceptuel esthétique.
572
. Marcel Duchamp, Duchamp, du signe, Paris, Ed. Flammarion, 1986. p.164-167. “Ce sont les
regardeurs qui font les tableaux”.

280
Il faut signaler ainsi que le geste godardien, qui consiste à prendre des extraits hors
du champ de sa production, procure l'occasion que ces extraits-ci deviennent, par
prédisposition, des éléments de fantasmes. Aussi on peut formuler que ces
éléments, préexistants mais sélectionnés par le cinéaste, subsistent alors dans un
déjà-vu.

Nous voulons juste affirmer la présence de deux groupes d'éléments filmiques


distincts : des éléments conscients, dits ou montés par Godard et d'autres
inconscients, comme des mots d'esprit ou des lapsus.
Ces derniers apparaissent, indépendamment de sa mise en scène, et nous,
spectateurs, nous les percevons.

PRÉDISPOSITIONS À PRODUIRE UNE HISTOIRE DU CINÉMA


Chercher des traces, dans les films de Godard, qui témoignent de son désir —
entreprendre cette vaste opération de production d'une histoire du cinéma—, peut
sembler ambitieux. On a pu toutefois repérer, dès ses débuts, une série de signes,
de symptômes, interprétables en tant que phénomènes participant au désir du
cinéaste à créer les Histoire(s) du Cinéma.

PREMIERS ARTICLES : MOMENT DÉCISIF DU DÉSIR


Il est frappant de relire les premiers articles de Godard sous l'augure de cette
recherche, et de constater la permanence de sa voix.
Permanence, dans le sens où l'on peut admettre que l'exercice de la parole soit ce
par quoi Godard a formé son style. La croyance de Godard réside dans le pouvoir de
l'évocation. Lui-même a établi, plusieurs fois dans les HdC, lʼimportance de croire au
cinéma ; et cette croyance serait associée à sa dimension orale :
« LE CINÉMA / (…) NOUS DIT / MAINTENANT : CROIS. »573

Si le cinéma nous parle et nous dit de croire, cʼest sous la condition du présent, le
maintenant. Godard croit à une puissance de profération immédiate du discours. Il a
souvent privilégié la mise en scène systématique de la parole improvisée, à l'instar
de ces intellectuels, qui énonçaient en direct leurs pensées ; et que lʼon trouve,

573
. HdC.1b.une histoire seule. pp.200-201. Nous soulignons. La phrase dans son entier : « le cinéma /
comme le christianisme/ ne se fonde pas / sur une vérité historique / il nous donne un récit / une histoire
et nous dit / maintenant : crois. »

281
répondant aux questions d'un personnage candide, invité574 dans ses premiers long-
métrages de fiction. Et c'est parce qu'elle est improvisée, que la parole devient la
condition résolue de sa pensée.
Dès lors, logiquement, on peut affirmer que cette parole se situe à lʼorigine du
façonnement de son écriture. Ainsi, quand l'occasion lui était donnée de pouvoir
,,,,, ,,,,

critiquer un film, sa parole digressait vers une conception plus globale du cinéma ;
comme si le sujet de ses articles, ce quʼil a voulu nous dire, aurait pu aisément
sʼexprimer par la bande-son du narrateur dans les HdC. La parole des HdC sʼavère
un déjà-entendu de ses critiques.

LA LIAISON DU DÉSIR :
LʼATTENTE DU DÉBUT ET LʼARRIVÉE DE LA FIN
Deux moments clés, dans le parcours de lʼœuvre de JLG, vont présenter les
caractéristiques dʼune parenté de style. Leur situation identique peut être jointe (en
début et à la fin). Leur jonction provoquera un schéma cyclique du désir : sa
permanence.

L'HISTORIEN-GODARD
La permanence est constatée par la jonction utopique, entre nos deux moments de
désir de cinéma.
Le premier moment où pour JLG, il est matériellement impossible de faire des films.
En effet, dès le début, pour JLG, le désir de cinéma persiste par l'impossibilité même
de faire des films réellement. Ce moment de manque est sublimé par l'écriture
critique, sa parole.

LA PERTE DU DESIR DE FICTION REJOINT LA PUISSANCE D'ALORS.


Le second moment correspond à l'aboutissement de plusieurs décades de
réalisation, réalisant ses désirs où, par force d'expériences collectives, le moi s'est
dissous, et où lʼaccumulation de ce savoir faire575, va combler son rapport au cinéma
de fiction.
Après avoir épuisé toutes ses propres ressources du désir à réaliser des fictions,
JLG ne va plus croire aux personnages du cinéma576.

574
. Brice Parrain, Roger Leenhardt… Voir à ce sujet précis : Ref.Film6.§Le Guest-Starring.
575
. Cʼest plutôt une accumulation passée du savoir-faire : un avoir-su-faire.
576
. Ref.306. (1982).

282
Seul alors, tel qu'en lui-même, il procédera à la participation de nouveaux types
dʼéléments fictionnels, pris en dehors du cinéma : incorporation de personnages
issus, cette fois-ci, de la réalité, ainsi que lʼapport, dans la bande son due au film
(cartons, dialogues, voix-off), de nouveaux textes extra-cinématographiques, tels que
des slogans publicitaires, des essais de sociologie, des comptes-rendus de sciences
politiques.
En résumé, ce sont des nouveaux éléments concrets qui fournissent la matière
principale577 pour que la parole puisse sʼinscrire historiquement dans le registre
filmique du temps présent.

L'Histoire se présente alors comme un motif valable qui vient contrer la fiction, et
même davantage, elle se présente comme sa nouvelle résolution
578
cinématographique. Il sʼagit de faire collaborer des acteurs de l'histoire du cinéma,
dont au premier chef, lui-même. C'est alors la création d'un personnage inédit :
l'historien-Godard. La réalité du désir de Godard tient à cette considération. On
soulignera que lʼun des traits principaux de ce personnage réside dans la puissance
de sa parole. Ainsi cʼest seulement lʼimage dʼun petit magnétophone qui va parcourir
le film MADE IN USA579, diffusant sa voix sans que son image soit requise.

TU N'AS RIEN VU A MONTRÉAL


Pour finir, Il faut souligner l'une des difficultés présentée régulièrement par le film des
HdC. Le désir de Godard consiste à faire de son film un objet historique. Il s'agit alors
de prévoir, c'est-à-dire de savoir prendre les précautions d'usage pour que nous
puissions nous dégager du piège téléologique ; le piège consiste à désigner comme
historique, le moindre élément dʼhistoire qui se présente dans les HdC, puisque
désiré par lʼhistorien-cinéaste. Il a fallu, à l'inverse pour cela, repérer des dispositions
de mise en scène filmique de lʼhistoire : analyser les conditions du fantasme, pour
déceler les véritables motifs de cette histoire qui ne sont pas uniquement ceux,
affirmé par l'historien-Godard.

577
. Ref.301.
578
. HdC.1b.une histoire seule. (PLAN 1100). les actes et les heures devenant les acteurs.
Voir le commentaire du titre 1b.une histoire seule (Première Partie) où est montré l'évolution de ce carton
une trace du glissement de l'histoire en cinéma.
579
. Ref.Film21. MADE IN USA. 1966.

283
DÉSIR DU CINÉMA, DÉSIR D'HISTOIRE
On peut essayer de retracer également les conditions d'apparition du désir de
Godard quand il parle du cinéma à travers le cursus opérationnel de ses films, mais
plus que de parler du cinéma, ce qui peut aussi nous intéresser, c'est l'agencement
du discours historique sur le cinéma, à l'intérieur des films où cette parole évolue.
Autrement dit, c'est essayer de comprendre en quoi le dispositif cinématographique,
représenté dans ses films, peut prendre la figure d'une organisation historique. On
entend ici par dispositif cinématographique : toute mise en scène réflexive,
consciente et communiquée, du cinéma dans son processus (ainsi que dans ses
explications théoriques). Nous avons déjà accepté quʼil y ait des mises en scène
réflexives dans presque tous ses films580. Mais elles dépassent le stade du désir du
cinéaste, puisquʼelles sont effectives, mises en scène ; elles le réalisent et
appartiennent ainsi au domaine de prédispositions esthétiques des HdC.

Le désir dʼhistoire ne consistait pas seulement à vouloir entrer dans l'histoire du


cinéma mais à réfléchir, par le moyen du film, au mouvement du cinéma à travers le
siècle comme événement. L'apparition de ce désir arrive dans le cheminement
intellectuel de Godard dès le début, au moment où réaliser des films n'est pas encore
possible. Cela se développe ensuite, sous formes réflexives, à l'intérieur de ses
fictions, jusqu'à l'aboutissement quasi théorique des films des années 1966-1979,
cristallisé par le triptyque (ICI&AILLEURS, N°2, COMMENT ÇA VA ?)581.

Un autre choix va venir finaliser la réalité de ce désir. La volonté de co-réaliser les


HdC avec Henri Langlois est devenu l'aboutissement du rêve du jeune cinéphile.
Il sʼagit de faire valoir que l'antériorité de la production textuelle, écrite comme orale, de
Godard établit, en dehors d'une continuité de principe, le creuset de la conception des
HdC.

L'importance de bien définir ces différents phénomènes consiste, justement, à rapporter


l'écriture antérieure de Godard, comme source fondatrice aux paroles et à sa voix haute
dans les HdC.

Aussi on peut référencer deux types d'écritures dans le rapport qu'elles entretiennent
avec le film.
580
. Ce que nous avons étudié principalement au Chapitre 2-§4 : La fiction des machines reproductrices.
581
. Ref.Film40/41/42.(Co-réalisés avec Anne-Marie Miéville, 1974/75).

284
• L'écriture achevée est l'écriture-texte. Une écriture qui permet la conception
historiographique, c'est-à-dire la rédaction de la parole et les titres de l'agencement du
film, sa séquenciation ainsi que lʼemprunt de textes préexistants.

• L'écriture de Godard sʼavère aussi un enjeu formel, comme écriture graphique.


C'est en surface, soit au travers de l'écran, soit comme l'on trouve dans les illustrations
de son premier livre Introduction à une véritable histoire du cinéma582, où elle est
incorporée dans des schémas, à lʼ écriture calligraphique. Le style de la graphie de
Godard est connu et reconnu, on la trouve déjà dans les CINE-TRACTS583 anonymes de
1968 et elle permettait précisément de déterminer ceux réalisés par le cinéaste.

582
. Ref.173. Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros, 1980.p.5.
583
. Ref.Film28. CINÉ-TRACTS. 1968.

285
TROISIÈME PARTIE /
CRITIQUE DES REPRÉSENTATIONS DU FILM

CHAPITRE UN /
DES RAPPORTS ENTRE LE FILM ET LES SPECTATEURS

1/ REPÉRAGES, PARCOURS DE LA TROISIÈME PARTIE.

A/ PARCOURS DE CETTE TROISIÈME PARTIE


Nous avons choisi le terme de représentation1 et ceci dès le titre de cette troisième
partie, pour décrire lʼidée dʼune nouvelle présentation du film après quʼil a été projeté.
Ce terme, quʼon retrouve aussi dans le vocabulaire psychanalytique, est utilisé aussi
pour insister et valoriser la fonction subjective de représentation car en effet, le
spectateur se représente le film. Une fois le film vu, il fait appel à sa mémoire et se
projette mentalement le film, en cela il reproduit la pensée évocatrice du film. Ainsi
lorsquʼil voudra rédiger la critique, il déclenche cette perception introspective et
postérieure à la projection du film. On n'insistera jamais assez comment ce film
représenté, parce quʼil possède une forme nouvelle face aux autres films que lʼon
rencontre habituellement, peut échapper à l'objectivité vigilante du spectateur. Cela est
causé, en partie, par ses affects, par lesquels se composent nécessairement son
souvenir.

Il demeure important de décrire plus longuement ce principe :

PRÉSENTATION, PROJECTION // REPRÉSENTATION, INTROJECTION.


- Dans un premier temps, le spectateur-critique assiste à la projection du film, à sa
présentation ;

1
. J.Laplanche et J.-B. Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, Ed. 1967, réed.2004). p.414. La
représentation a été utilisée en philosophie classique, et ce terme a été repris par Freud (Vorstellung) pour
l'opposer à l'affect.

287
- Dans un second temps, la représentation du film se produit lorsque celui-ci pense au
film. La représentation du film, de nature introjective2, sʼavère nécessaire à la critique,
nécessaire à la construction d'une pensée du film. Une pensée qu'on peut désigner
subjective sans contestation.

PARLER DE REPRÉSENTATION C'EST ÉVOQUER LA PENSÉE SUBJECTIVE DU


FILM.

PARCOURS
L'introduction présente va tenter de prévoir et de concevoir en quoi l'exercice de la
critique du film des HdC demeure une entreprise singulière à priori. Cette singularité se
retrouve caractérisée justement en tant que figure même de la vertu et de la cohérence
de Godard et pour ce film tout particulièrement. À ce sujet précis, lors du commentaire
des titres des épisodes (1b.une histoire seule, ou 2a.Seul le cinéma), nous avions déjà
relevé la manifestation de lʼexercice de la solitude du cinéaste ou de lʼhistorien. La
situation des HdC, dans le reste de lʼœuvre, sʼavère exceptionnelle et isolée, autant
que la représentation du film, nécessaire à la fonction critique, pose problème quant au
désir d'objectivation (de la pensée subjective).

B/ PARCOURS DU CHAPITRE DEUX : INTERPRÉTER LE DÉBUT DU FILM ?

Le Chapitre 2 revient en détail sur le début du film pour proposer un essai


d'interprétation linéaire de quelques séquences. Nous argumenterons sur la nécessité
de vouloir analyser le début du film, même si, comme l'ont souligné certains critiques3,
les deux premiers épisodes, sont formellement différents des six autres. Justement,
cʼest cette différence apparente qui suscite notre désir dʼanalyse et, ceci pour une
raison simple : ces deux-là sont plus riches en nombre de plans et sont dotés dʼune

2
. Introjection est une projection interne.
3
. Charles Tesson, “Seul le cinéma. 2A”, CAHIERS DU CINÉMA . Tiré à Part. Juillet 1999.
Serge Toubiana, “Le veilleur de rêves“, CAHIERS DU CINÉMA . Tiré à Part. Juillet 1999.
Antoine DE BAECQUE, “À la recherche d'une forme cinématographique de l'histoire“, CRITIQUE
n°632/3.2000.

288
profusion formelle variée de leurs figures. Ils peuvent théoriquement contenir tous les
autres.
Ils correspondent à des épisodes prototypiques, la matrice hypothétique de ceux qui
suivent. Godard prend appui sur les deux premiers pour modéliser l'ensemble.
Admettons que les travaux d'intervention4, plus nombreux au début, manifestent cette
volonté de modification pour établir la cohérence globale et la ressemblance des deux
épisodes avec le tout.

Pour plus de cohérence, nous nommons ce travail de modification : auto-restauration5 .


Le 1a et Le 1b vont fournir également le plus grand nombre d'interrogations quant aux
figures formelles inventées par Godard.

Dans cette logique, on peut émettre une nouvelle hypothèse : seul le début du 1a
pourrait offrir la possibilité de couvrir, à peu près toutes les figures repérées par
ailleurs. Aussi, si notre prospection va s'étendre sur les 100 premiers plans, d'autres
éléments n'y figurant pas seront admis à l'analyse afin de pourvoir une vue complète
des figures du film. Les 6 autres épisodes (2a, 2b, 3a, 3b, 4a, 4b) ont été établis selon
un mode de production plus rapide et moins échelonné dans le temps de leur
réalisation. Lʼobservation de leurs modalités esthétiques nous renvoie méthodiquement
à la base des deux premiers, qui, selon notre propre considération, présentent une
allure plus travaillée, comme on le dit d'un ouvrage d'orfèvre. On va comprendre que le
mode opératoire godardien est, sur ce film, un mode d'interventions ou de reprises,
basé sur un principe cumulatif : il travaille en post-production par couches successives
sur le master6 des HdC. C'est la comparaison des différentes Versions7 du même
épisode qui nous permet de l'affirmer.

4
. Ce que nous appelons les travaux dʼintervention sont les multiples reprises formelles quʼa produit
Godard sur les mêmes épisodes, pendant ces dix années. Ce sont ces interventions qui vont créer
successivement les différentes versions du film.
5 ème
. Infra 3 Partie.CH2. §Introduction : Le choix de la Version 3.
6
. Le Master est le document vidéo original qui constitue la matrice d'un film-vidéo, puisque le négatif film
n'existe pas en vidéo. Dans un type de montage (2 player - 1 Recorder ) le master est la cassette vidéo qui
se trouve dans le recorder. Godard lors de ses modifications et constitutions de nouvelles versions,
déplace le master , et le place de nouveau dans un des players et, avec des nouveaux éléments, produit
un nouveau master.
7 ère
. Supra 1 Partie. CH2. 2/Prospection temporelle.

289
Les deux premiers épisodes ont bénéficié de la part du cinéaste, notablement d'un plus
grand nombre d'interventions, mais aussi d'une période de gestation prévisionnelle
beaucoup plus longue, comme tout autant la seule durée du 1a toutes les histoires et
du 1b seul le cinéma équivaut une durée moyenne de quatre épisodes.

Mais conséquemment aux travaux dʼinterventions, ce sont tous les épisodes qui livrent
des résultats de reprises, de rajouts, de substitution et de travaux d'enchâssement
patents. Il importe de vouloir étudier ce début de film pour en saisir toutes les
correspondances évidentes, qui se déploieront par la suite dans l'ensemble des autres
épisodes qui s'y rattachent.

L'étude des premières séquences nous indique que cʼest, sans conteste, la période du
film la plus dense. Cette densité se situe au niveau de sa qualité, en termes dʼinvention
de procédés esthétiques plus complexes, et au niveau de sa quantité, par un nombre
élevé dʼapparitions de figures de montage, ainsi que le nombre de plans montés.
Godard décrivait une analogie entre guerre et cinéma8. De notre côté, il nous semble
en effet plus probant de produire un dispositif théorique issu directement de la pratique
analytique du film, cʼest-à-dire de préférer la tactique analytique à la stratégie dʼune
synthèse.

C/ PARCOURS DU CHAPITRE TROIS & QUATRE.

THÉORIE ET MÉTHODOLOGIE PRINCIPALEMENT VENUES DE LA PRATIQUE


Nous procéderons à la description du mode opératoire qui existe entre le film et ses
spectateurs critiques. Les Chapitres 3 et 4 seront consacrés uniquement aux critiques
du film. Nous nous interrogerons sur leurs contenus, sur leurs formulations ainsi que
sur leurs situations, afin d'y distinguer trois éléments ordonnés comme suit : ainsi les
types, modes et problématiques pourront corroborer notre propre analyse.

8
. Ainsi que soldat et cinéaste. Ref.A57, RefA60.

290
Nous avons organisé dans le Chapitre 3 un recensement des critiques du film HdC qui
ont commencé à être produites à partir de la première projection en 1988, puis
lorsqu'elles se sont multipliées tout au long des dix années de sa lente élaboration.
Rappelons la situation paradoxale de ces critiques : la plupart élaborent un avis global
sur un film, qui pourtant nʼa pas pu être vu dans sa totalité. En effet, il s'agit, à chaque
présentation, de projections partielles du film, et ceci jusqu'en 1997. Les projections
réunissant la totalité des épisodes composent de rares et notables exceptions.

Nous constaterons que lʼopération du recensement devra trouver sa propre logique


d'ordonnancement. À partir de cette action, celle de regrouper lʼensemble de toutes les
critiques qui ont été lues, seule une part restreinte nous a paru valable pour lʼétude.
Cette restriction correspond donc à lʼétablissement dʼune sélection, qui, une fois
justifiée, pourra être notée et commentée.

Dans ce même Chapitre 3 une analyse du discours critique sur le film HdC sera
menée.

D/ REGROUPER LES ARTICLES SELON LEUR PROBLÉMATIQUE

Le discours, pris dans son processus, peut se décomposer en différents stades qui
représente le fil rouge de ce chapitre : approches, modalité des énoncés, types
d'argumentation, niveau d'interprétation, et enfin formulation de concepts. Suivre ces
différents stades nous permettra de distinguer nombre de critiques remarquables, et de
les regrouper ainsi selon leurs problématiques.

a/ Trois écueils critiques à éviter


Le travail des Chapitre 3 et 4 consiste principalement à étudier les travaux critiques
élaborés à partir de la vision du film HdC. Il pose d'emblée plusieurs problèmes
méthodologiques, car lorsque l'on consulte l'ampleur des écrits qui interrogent la
production de JLG, trois idées récurrentes dangereuses apparaissent. Ce sont trois

291
écueils qu'il convient derechef d'éviter. De plus, les descriptions qui suivent vont nous
permettre de circonscrire le champ de notre analyse.

Nous ne nous intéressons pas aux auteurs des écueils. Nous exposons pour l'instant
les principes seuls.
En effet, lʼimplication de personnalités, nommément citées, exigerait de faire état d'un
trop grand nombre de leurs déterminations critiques ; ce qui est prématuré pour pouvoir
être justifié.

i) Premier écueil
Il consiste à confondre le cinéaste avec le film. Trop souvent la critique sʼavère
suffisamment laudative pour amalgamer l'homme avec son travail. Cette confusion est,
généralement, un écueil récurrent dans l'histoire de l'art. Par ailleurs, on s'empresse
d'affirmer qu'elle a été habilement entretenue par le cinéaste lui-même, au gré de ses
incorporations, ses interventions extra-cinématographiques.
Il convient de savoir faire, ou tout au moins essayer d'entreprendre, la distinction entre
la personne de Jean-Luc Godard9 et la production quʼil a effectuée depuis 1951, date
de son premier article dans la GAZETTE DU CINÉMA10.

Cette distinction entre lʼhomme et sa production sʼavère possible lorsque lʼon envisage
sa situation, lʼun par rapport à lʼautre. Aussi cette idée a parcouru lʼœuvre critique de
Blanchot quand celui-ci déclarait quʼavant lʼœuvre (…) il nʼy a pas dʼartiste, dʼécrivain
ou de sujet parlant puisque cʼest la production qui produit le producteur11 . Ou bien, cela
a été encore exprimé par JLG lui-même, quand il affirmait, par lʼentremise dʼun des
personnages 12 quʼil incarnait dans les HdC :

13
« Votre ami a raison : dʼabord les films, les hommes ensuite. »

9
. Il s'agit également d'être conscient d'une autre distinction, celle qui existe de fait : entre l'homme Jean-
Luc Godard et son image, le personnage médiatique. C'est ce à quoi nous nous sommes employés en
créant la notion d'incorporation.
10
. Ref.gz1.
11
. Maurice Blanchot, Après coup, Paris, Ed. de Minuit. 1983.p .85/86.
12
. Godard interprétait le gardien dʼun Musée du cinéma (de la Nouvelle Vague).
13
. HdC.3b.une vague nouvelle. p.158.

292
Cette distinction ne doit pas être prise comme mesure de séparation (rien que les
œuvres, pas lʼhomme) car chez Godard ce nʼest simplement pas possible. Distinguer,
cʼest relever lʼordre de passage de la connaissance entre les gestes (les traces que
laissent les gestes de Godard) et lʼhomme.

ii) Deuxième écueil


Le deuxième écueil, qui est liée souvent au premier, advient malgré la distinction
produite. Quand demeure une trop grande considération. L'admiration mal raisonnée
stagne à son stade primitif : la fascination. Celle-ci engendre souvent alors un
processus de restriction critique, soit du sujet Godard, soit du film HdC, et ceci est dû
en grande partie au renchérissement de l'objet perçu, au détriment de sa situation
contextuelle. L'expression focaliser14 illustre avec assez de justesse cette rétraction
perceptive et le manque de discernement du contexte dans lequel le film (ou lʼhomme)
est perçu. Il sʼagit ici, non pas seulement de percevoir lʼœuvre en elle-même mais bien
de concevoir l'œuvre et de lʼimpliquer avec le reste du monde.

GODARD SEUL AU MONDE


De quel monde parle-t-on ici, que le critique manque ? Cʼest un monde comme altérité,
le monde de l'Autre, le monde dans lequel se situent les autres œuvres de Godard, le
monde du cinéma, jusqu'au monde comme pensée du monde. Plus la fascination
exerce son anesthésie critique, plus lʻécart est béant dans sa dévastation : le critique
place trop haut Godard face aux autres artistes ou cinéastes, jusquʼà lʼisoler. En deux
temps, le critique dʼabord énonce le caractère de la singularité, inhérente au travail de
Jean-Luc Godard (ce qui peut être exact objectivement), mais ensuite il impose cette
affirmation comme seule preuve de son raisonnement. Cette absence dʼargumentation
non répercutée dans d'autres domaines, sʼavère une maladresse fréquente.
Il faut, à l'inverse, démontrer que sa singularité prend tout son sens, toute sa valeur
effective, lorsqu'elle est mise en contact avec d'autres réalités ; son œuvre a tellement
besoin, au contraire, dʼêtre associée, confrontée aux autres, dans le souci constant de
contextualité et de recontextualité, pour éprouver l'efficience de sa pensée.

293
Cette démonstration sʼeffectue dans lʼhypothèse évidente que ces idées formulées par
Godard doivent être perceptibles par un autre. Cette supposition implique une troisième
idée récurrente dangereuse : concevoir les idées godardiennes comme non probantes.

iii) Troisième écueil


Notre troisième écueil se manifeste quand la déconsidération de Godard, relégué en
tant que personnage est avérée. Ce jugement est repérable par conséquent sur le
travail du cinéaste : quoi qu'il dise ou quoi qu'il fasse, certains textes feront toujours
état d'une idée négative a priori de celui-ci. Évidemment, c'est une idée arrêtée.
Lʼattachement à cette idée —qu'on retrouve symptomatiquement quand la
considération critique de Godard le désigne en provocateur ou imposteur— immobilise
et prive le critique de toute possibilité d'approche. En fait, ce cas plus rare adopte les
mêmes conditions de fascination, mais sur son versant négatif.

FONDATION D'UN SAVOIR SUBJECTIF


Il s'agit d'approcher ce cinéaste, en tenant compte de ces trois facteurs dépréciatifs.
Aussi une double conduite s'impose : dʼabord aller par-delà le « pour et le contre » ;
ensuite abandonner lʼattitude objective, qui par principe est illusoire, pour au contraire
fonder un savoir sur ce cinéaste, par lʼélaboration de sa propre subjectivité.

14
. Jean-François Rauger, “Focalisation, Fuckalisation”, Le désir au cinéma, Collège d'Art
cinématographique, Paris/Bruxelles, Ed. Cinémathèque Française/ Yellow Now, 1999. p. 352.

294
CHAPITRE DEUX / ESSAI D'INTERPRÉTATION LINÉAIRE DU DÉBUT
DES HISTOIRE(S) DU CINÉMA

1/ INTRODUCTION

A/ POUR UNE APPROCHE EXÉGÉTIQUE À PARTIR D'UN RELEVÉ PLAN PAR


PLAN DU DÉBUT DU FILM.
Avant de commencer, nous allons instruire la forme que va prendre cette prospection.
Si l'on devait retranscrire le déroulement graphique de cette approche exégétique, cela
adopterait assurément la forme dʼune courbe elliptique : un lent décollage progressif
puis proportionnel à la rapidité de l'essor.

UN DÉPART LENT ET UNE PROGRESSION DE PLUS EN PLUS ACCÉLÉRÉE


On remarquera, par exemple, qu'il nous faut plus d'une trentaine de pages pour
procéder à l'interprétation des seuls dix premiers plans des HdC. Ainsi, un plan isolé,
voire un unique mot ont pu susciter, de notre part, un commentaire long de plusieurs
pages. Ceci est dû, en partie, à toute une série de travaux préalables, constitués de
dispositions et d'approches concernant les constructions et figures stylistiques
employées par Godard. Ces figures se répétant par la suite, leur nouvelle interprétation
ira en se simplifiant, puisque les occurrences déjà défrichées, décrites, analysées, et
commentées auront été signalées. Il suffira de relever alors sa particularité contextuelle
pour pouvoir lire le plan adéquatement.
C'est la raison pour laquelle nous nous sommes intéressés tout particulièrement à ce
début de film. Il sʼavère assez différent des autres épisodes. En effet, le
commencement du 1a présente des moments dʼune densité plus complexe et plus
riche.

À partir de lʼanalyse, nous avons pu obtenir une série de figures, mais aussi l'esprit de
la logique du film qui transparaît. Le lecteur pourra, à son aise, la répercuter par la
suite, sur le reste des épisodes et produire les analyses formelles selon la
méthodologie esthétique qu'il souhaite.

295
LE DÉBUT DU FILM EST EXEMPLAIRE DE L'ENSEMBLE.

Le début est exemplaire. Répétons-le, grâce à sa complexité, densité, richesse, il peut,


non pas expliquer la totalité restante du film, mais demeurer éclairant de son
ensemble. Puis, peu d'éléments, appartenant aux épisodes successifs, présentent de
réelles difficultés d'appréciation, une fois le début analysé. Par ailleurs, ils comportent
un nombre relativement restreint de caractéristiques formelles inédites quant à ce
liminaire. Il suffira en dernière mesure, conclusive, de procéder à lʼanalyse de ces
quelques figures que le début n'aura justement pas abordées.

Suivant lʼavis de Jacques Aumont ou celui de Michael Witt, nous affirmons que le film
présente formellement les épisodes selon un double aspect ; plaçant le 1a, 1b dʼun
côté et le reste des épisodes de lʼautre :

"Les premiers épisodes sont présentés en télévision en 1989, puis le projet est mis sous le
boisseau, pour revenir par intermittence au premier plan. En 1998, Godard achève (…) les
15
épisodes 2A-2B, 3A-3B, 4A-4B. Ils reprennent bien des éléments du couple 1A-1B."

"On notera une véritable différence formelle entre les deux premiers épisodes 1A-1B et le reste
de la série. (…) Le contenu de ces premières versions (1a/1b.nda.) évolueront de manière
16
substantielle, jusqu'à la sortie de la série dans sa version définitive, en 1998" .

Ces remarques, tout à fait fondées, viennent commenter pareillement une différence
dans les versions du film que nous avions précédemment établies17. En effet, il sʼagit
de la VERSION 1 (1a et 1b seulement) contre la VERSION 3 (les huit épisodes). Nous
allons adopter ce principe de séparation des épisodes et lʼinclure à notre propre
logique analytique, en supposant que c'est justement à partir de la seule élaboration
dʼune interprétation du premier épisode que l'explication du reste du film va pouvoir
nous paraître possible. Nous allons donc élaborer une analyse, remontant à partir du
début du film, afin dʼobtenir, dʼabord de multiples figures que Godard a installées, mais

15
. Jacques Aumont, Amnésies, Paris, Ed. P.O.L.1999.p.18.
16
. Michael Witt, “Genèse d'une véritable histoire du cinéma”, Jean-Luc Godard- DOCUMENTS, Paris,
Ed.Centre Beaubourg, 2006. p.266/271.
17 ère
. Supra 1 Partie. CH2. 2/Prospection temporelle.

296
aussi la logique des dispositifs de fonctionnement du film entier ; puis cette étude
aboutira sur la première séquence conséquente (la séquence 8) des HdC. La
séquence 8 peut être considérée comme lʼun des moments clefs du film car elle
sʼavère représenter le justificatif réflexif de l'ensemble du cinéma. En effet, notre
recherche interprétative, qui nous conduira à entreprendre une analyse plan par plan
jusqu'à la séquence 10, va minutieusement relever la singularité des dispositifs de
fonctionnement de la séquence 8, nommée, non sans raisons, à cette occasion,
“QU'EST-CE QUE LE CINÉMA ? ”.
Peut-être pourrons-nous répondre quel est ce film par lʼintermédiaire du
questionnement godardien de ce quʼest le cinéma ?

B/ LA LECTURE DU FILM

En effet, à mesure que nous allons avancer dans la description de ce début de film,
partie par partie, séquence par séquence, les commentaires et explications vont
s'espacer de plus en plus. Parce quʼau tout début, nous devons présenter un grand
nombre de principes, des ressorts fondamentaux qui régissent le film dans son
ensemble, et aussi des éléments de fonctionnement.

Cela consistera, entre autres travaux, par la nomination de nouvelles formules pour un
nombre de figures. Puis une fois cette description opérée, le film va s'en trouver
éclairé. Avec le processus de séquenciation18, les figures, une fois repérées, nous
nʼaurons plus qu'à distinguer la matière employée pour le bénéfice ou à l'occasion du
travail sur le film.

Autrement dit la densité des éléments à observer sʼeffectuera de moins en moins; plus
la description avance et moins les éléments formels récurrents déjà décrits prendront
de place dans lʼanalyse. Resteront les commentaires de fin de séquence qu'on
retrouvera ci et là.

297
C/ LE CHOIX DE LA VERSION : LA VERSION 3
Il nous a semblé logique de choisir la version 319. Cette version étant l'avant-dernière
version travaillée par Godard (la dernière est la version réduite). On constate
également que c'est encore à partir du début du film, et précisément le 1A toutes les
histoires que les travaux de modification vont être effectués dans la plus grande
intensité.
Rappelons que tout acte de modification du film par le cinéaste engendrera les
versions successives.

On peut distinguer théoriquement cinq actes de nature différente sous la seule action
de la modification consistant à restaurer la version première (Version 1) du film en la
version définitive (Version 3).

SUBSTITUTION, ENLÈVEMENT, INSERT, DÉPLACEMENT, CHANGEMENT


La substitution correspond à l'action classique de changer un plan pour en placer un
autre. Nous avons un bon exemple avec le Plan 1520.

Il arrive aussi qu'au lieu de lui substituer une autre image, Godard décide de recouvrir
le plan dʼorigine par du noir, il procède alors à un enlèvement dʼun plan de la bande-
image, mais cʼest une action assez rare. Un Plan de la version 1 qui nʼa plus de raison
dʼêtre, Godard lʼenlève (Plan 124). Également il y a aussi des enlèvements de carton.
Le Plan 34 de la version 1 était un carton de générique : [No © 1988. JLG Films] et il
sera enlevé pour la Version 3, quand Gaumont participe à la production en 1998.

L'insert arrive quand, quelques fois, au lieu d'enlever complètement le plan prévu,
Godard en intercale un nouveau, par-dessus, tout en laissant entrevoir une trace de
l'ancien plan, soit visuellement au début ou en fin, ou même encore, il laisse la bande-
son, alors que sur l'image passe une nouvelle image substituée. L'insert peut aussi être

18
. La séquenciation est un néologisme utilisée professionnellement qui signifie la mise en séquence du
film, séquence après séquence.
19 ère ème
. Supra 1 Partie.CH2 : 3 étape : les versions du film.
20
. Voir Annexe 2. C'est le Story-Board du début du film où les actions de la modification sont visibles. Le
PLAN15 (de la version 1) était une photo de chaplin avec Paulette Godard, dans la version 3, JLG
substitue un extrait de chaplin au piano droit qui apres avoir joué place une rose sur le dessus de
lʼinstrument.

298
incorporé dans le film par un procédé de fondu enchaîné, laissant transparaître
lʼancienne image.

En exemple, le Plan 93 : un extrait de film 16mm noir et blanc dʼactualité —de De


Gaulle paradant à Paris en 1944— est ajouté pour la Version 3. Il est placé en fondu
enchaîné pendant un extrait de Night Of The Hunter21 : Plans 92 & 94. Lʼinsert se fait
sans violence et la totalité de lʼimage de De Gaulle nʼest à 100% que pendant un temps
tres court.

Une autre action possible est le déplacement de certains plans ; ainsi un extrait de film
comportant Ida Lupino regardant une diapositive (Plan 12, version 1) qui avait été
placé pendant les indications liminaires, sera déporté pour créer le fond du carton
stipulant les sociétés de production (Plan 20, version 3).

Puis la notion de changement correspond à modifier lʼun des plans de la Version 1


mais au lieu de lui substituer une autre image, Godard ne la déplace pas mais la filme
différemment. Il la recadre. comme avec le Plan 2422 ou bien il zoome dans lʼimage et
obtient un détail de ce qui composait un plan large, comme la photo en noir et blanc du
visage de la petite fille que tient Roberto Rossellini dans ses mains (Plan 40 & 42) ;
encore, il change la vitesse de déroulé d'un extrait : mettant au ralenti un plan qui ne
l'était pas au départ.

On remarquera également, que lʼune des actions de changement les plus importantes
dans les HdC, et que nous avons déjà établi, est lʼacte dʼaltération, que JLG a fait subir
aux titres et cartons.

Lʼaction la plus visible de Godard dans la modification de son film reste lʼenlèvement de
plans opérés par recouvrement de plans noirs, la substitution ou par enchâssement de
nouvelles sources iconographiques et audiovisuelles et des variations de montage.
Tout l'enjeu réside à évaluer les séquences modifiées pour comprendre l'acte de
restauration.

21
. Night Of TheHunter, c'est le film de Charles Laughton, La nuit du chasseur (1955).

299
La restauration est ici définie comme acte de modification du film en son début, dans la
perspective d'une cohésion globale. Michael Witt note dans ses observations sur la
genèse du film, le même constat et en évoquant l'expression aligner sur le reste, il
produit un petit panel des différentes actions les plus manifestes de la restauration :

"Si la structure sous-jacente et les thèmes sont restés les mêmes, les écrans noirs se sont
multipliés, ralentissant le rythme et alignant ces chapitres sur la forme qu'est en train de prendre
le reste de la série. Certains effets visuels et techniques de mélanges de vues (notamment par
le recours a un effet d'iris), utilisés dans les épisodes suivants, ont été introduits. Plusieurs
noms d'individus et de titres de films qui figuraient à l'écran dans les versions de 1989 ont
disparu, tandis que des images fixes ou en mouvement, des sons, des récitations ont été
ajoutés, et que la taille, le style et la couleur des polices de caractères des textes ont subi des
23
modifications ponctuelles."

Ces modifications concernent par exemple la police de caractère. Celle, sélectionnée


en 1988 pour les cartons du 1a, sera abandonnée en cours. Aussi Godard les réécrira
avec une nouvelle (celle usuelle des autres épisodes donc). Certaines photographies
seront substituées par des extraits plus éloquents. On peut le constater par rapport à
Chaplin dont le portrait photographique est remplacé par un extrait de film où il joue du
piano en tenant une rose blanche (Plan15) ou bien encore les extraits du film inédit de
Welles Le marchand de Venise (Plans 416-419) dont Godard n'avait que quelques
photographies en 1988.

L'AUTO-RESTAURATION DES HDC SONT


DES MODIFICATIONS LOGIQUES ET FORMELLES EN VUE DE SA COHÉSION GLOBALE

Ce sont des modifications logiques de travail, puisque c'est en 1997, après avoir
achevé les derniers épisodes, que Godard va revenir sur les deux premiers par souci
d'harmonie et de cohésion pour, en quelque sorte, les aligner, les remettre à un niveau
formel comparable aux six derniers.

22
Les plans qui nʼont pas dʼindication de version appartiennent de fait à la version 3.
23
. Michael Witt, “Genèse d'une véritable histoire du cinéma”, Jean-Luc Godard- DOCUMENTS, Paris,
Ed.Centre Beaubourg, 2006. p.266, 267.

300
Vers un rendu homogène, tel est l'objet de la restauration du film par Godard lui-même,
d'où l'expression d'auto-restauration.
Les deux premiers épisodes comportent donc plusieurs strates des actions de l'auteur :
les traces du désir des premières années mais aussi, par l'apport successif de ces
modifications, le souci du parachèvement de la fin des années 90.

ICI L'ŒUVRE ET LÀ, SA RESTAURATION CRITIQUE.

C'est même dans ce que Godard enlève, obstrue, substitue, recouvre à partir des
versions différentes, que l'on évalue la signification de ses intentions historiques et
artistiques. Tout l'intérêt réside à se pourvoir des moyens critiques de sa restauration.
On se rendra compte qu'en plus de la différence notable des durées24, c'est aussi une
différence d'utilisation de ces images réalisées et montées par Godard qui va
singulariser ce premier Chapitre et au contraire unifier les trois suivants.

24 ère
. Supra 1 Partie. CH2. 2/Prospection temporelle.

301
2/ MÉTHODOLOGIE

La méthode que nous avons utilisée pour cette analyse est basée sur deux principes
simples :
DESCRIPTION ET INTERPRÉTATION

Tout d'abord le principe descriptif permet une translation écrite du continuum


audiovisuel, qui par cette mise à plat, fournit une matière première, théoriquement
objective. Cette matière première se compose donc de plans, qui se suivent, les uns à
la suite des autres, sans oublier la retranscription de la matière sonore répartie par
pistes sons. Un travail de regroupement de ces plans, entre eux selon une logique
interne, est susceptible. Elle nous offre l'action de la séquenciation.

DEUX MÉTHODES DʼANALYSE FILMIQUE.


Nous avons décomposé simplement les motifs de notre analyse. Comme il sʼagit de
décrire pour ensuite interpréter, deux types de méthode analytique vont venir structurer
notre démarche : la description plan par plan et une technique de double interprétation.

A/ DESCRIPTION : LE PLAN PAR PLAN


Premièrement la description plan par plan telle que lʼa conçue Thierry Kuntzel25 nous a
paru exemplaire. Elle sʼavère précise, simple et rigoureuse. Elle est exposée dʼabord
de manière pratique pour un film en 1980 avec KING-KONG : une lecture, dans
l'ouvrage collectif : Cinéma Américain26, puis définie suivant sa mesure théorique, dans
Trafic avec « Mobile »27.

La méthode du plan par plan permet d'astreindre le film à une formulation minimale et
peut, en tout cas, permettre une stabilité dʼapproche pour lʼinterprétation. Le plan par
plan procède au dénombrement (démantèlement) face aux multiples possibilités

25
. Nous savons bien que Kuntzel nʼest ni le seul, ni le premier à produire ce type dʼanalyse. On peut
évoquer la figure pionnière de Raymond Bellour dans ce domaine avec son célèbre article sur THE BIRDS
dʼAlfred Hitchcock..
26
. Thierry Kuntzel, « KING-KONG », in Cinéma Américain, Volume II, Paris, Ed. Flammarion 1980.
27
. Thierry Kuntzel, « Mobile », TRAFIC, n°6, Printemps 1993.

302
d'interactions que l'œil et l'oreille humains, face au film, vont pouvoir opérer. Nous
allons voir, lors de notre interprétation du film, que ces multiples interactions vont se
répercuter, après la réception, et donner plusieurs possibilités de sens.

B/ INTERVALLES
ICÔNOLOGIE DES INTERVALLES
De plus, dans ce démantèlement planifié28 du film, nous nʼessayerons pas de nous
restreindre au problème de l'identification (c'est-à-dire la recherche de leurs
significations 29). Il va sʼagir de relever un certain nombre de figures, de produire leur
identification, pour ensuite prospecter une causalité dans leurs interactions.
Comme nous venons de lʼécrire, le film comporte un grand nombre d'interactions
visuelles et sonores. Ces possibilités ne sont réalisables que par la subjectivité du
spectateur. Elles peuvent toutefois être régulées et constituer un savoir. C'est ce que
Warburg intitula, une iconologie des intervalles 30.
À partir de la lecture des essais d'Aby Warburg31 et de ses réflexions constructives,
Philippe-Alain Michaud32 et Georges Didi-Huberman33 ont tous deux réussi à affirmer la
notion de figure, et en ont retenu le terme. Ce qui nous a donne l'avantage de pouvoir
le réemployer.

La définition de la figure est une reconnaissance esthétique d'un ensemble délimité


lors du processus de la description. Cette procédure esthétique est renouvelable et elle
permettra de repérer, dans l'œuvre de Godard, par son caractère répétitif, un certain
nombre d'idées précises, gestuelles au premier chef, mais ce sont tout autant des
idées narratives ou historiques. La figure nous permet, en second lieu, dʼériger une
possibilité philosophique, dont l'enjeu principal atteste quʼelle soit pourvue dʼune

28
. Thierry Kuntzel, « KING-KONG », in Cinéma Américain, Volume II, Paris, Ed. Flammarion 1980.p.223
29
. Ernst Gombrich, Aby Warburg. An intellectual biography, Londres, Ed. Phaïdon, 1986.p.253.
30
. Philippe-Alain Michaud, Sketches. Histoire de l'art, cinéma, Paris, Ed. Kargo & L'Éclat, 2006.p.13.
31
. Aby Warburg, Essais Florentins, Paris, Ed. Klincksieck.1990. p.45.
32
. Philippe-Alain MICHAUD, “Passage des frontières. Mnémosyne entre histoire de l'art et cinéma ,
TRAFIC n°45.Printemps 2003.
33
. Georges Didi-Huberman, L'image survivante. Histoire de l'Art et le temps des fantômes selon Aby
Warburg, Paris, Ed. de Minuit. 2002.p.254.

303
constitution raisonnable et objective : la formulation. Ce n'est qu'après ce travail
accompli, que l'on pourra établir différents processus qui font liaison entre ces figures.

INTERVALLE EN MOUVEMENT
Philippe-Alain Michaud souligne aussi, lors de son analyse sur les Mnémosynes d'Aby
Warburg que l'enjeu ne se réduit pas seulement à la signification des figures. Ce sont
aussi les relations que ces figures entretiennent entres elles dans un dispositif visuel
autonome irréductible à l'ordre du discours34, qui sʼavèrent possibles.
La différence, avec lʼanalyse des HdC, se trouve dans le fait que ce dispositif, n'est pas
totalement irréductible à l'ordre du discours. Il reste peut-être formulable et nous allons
nous efforcer de le produire.
Par contre, nos deux concepteurs (Warburg et JLG) ont un domaine commun, qui
s'avère être la reproduction photographique. Les planches des Mnémosynes sont des
planches sur lesquelles sont agencées des photographies dont la disposition offre
plusieurs parcours possibles de vision. Aussi, cette histoire du cinéma qui défile sous
nos yeux, demeure en partie composée aussi de photographies et originellement
revendiquait cette particularité (dès les premières tentatives du début des années 70
comme l'a si justement noté Michael Witt35.). De plus, identiquement on remarquera
plusieurs parcours possibles de vision, dont nous pouvons dégager, de nouveau, une
multiplicité de signification dans lʼinterprétation du film.
Si autrefois, l'analyse cinématographique classique, pouvait évaluer l'intelligence d'un
cinéaste à la qualité du raccord de ses séquences36, on va découvrir avec les HdC, une
difficulté dʼapproche concernant cet intervalle, car le point qui raccorde les deux
séquences est en mouvement.
Un intervalle en mouvement exprime un rapport entre deux séquences qui nʼest pas
façonné par une simple césure, un point de raccord facile à délimiter. Dans les HdC,
des images et des sons appartenant aux deux blocs s'affrontent : les deux séquences
sont jointes et articulées sur plusieurs plans (des éléments dʼune séquence à venir vont
surgir bien avant que la séquence présente soit totalement terminée).

34
. Philippe-Alain MICHAUD, Passage des frontières. Mnémosyne entre histoire de l'art et cinéma ,
TRAFIC n°45. Printemps 2003. p.48.
35
Michael Witt, “Genèse d'une véritable histoire du cinéma”, Jean-Luc Godard- DOCUMENTS, Paris,
Ed.Centre Beaubourg, 2006. p.271.
36
. Denis Marion, Le cinéma par ceux qui le font, Paris, Ed. Arthème-Fayard. 1949.p.118.

304
Nous reviendrons un peu plus tard, amplement, sur le mouvement de l'intervalle, qui
est constitutif de lʼesthétique godardienne avant même celle des HdC. Auparavant,
nous posons quelques autres problèmes :

C/ LES LIMITES DE L'INTERPRÉTATION


Nous devons être attentif aux limites de l'action descriptive. À ce propos, Georges Didi-
Huberman citant Heidegger, affirma que la description était déjà du domaine de
l'interprétation :

37
"Loin de tout objectif, la description se veut déjà interprétative."

LE DEGRÈ D'IMPLICATION DE LA CONNAISSANCE DES EXTRAITS UTILISÉS


DANS UN FILM
Face à ce problème, nous avons dû employer le système dʼune double interprétation.
On a remarqué que systématiquement, à partir de la représentation de juste un seul
élément des HdC, nous pouvions lui fournir plusieurs significations. En effet, celles-ci
changent en raison du contexte dans lequel lʼélément se trouve mais aussi en raison
du contexte duquel il provient. Il sʼagit dʼobserver le registre de la connaissance que
nous pouvons avoir de lʼélément cinématographique même, et plus précisément du
niveau de la connaissance du contenu des extraits filmiques employés, bref du
contexte duquel ils sont issus. De plus, cette reconnaissance —de la provenance des
extraits employés— se dispose selon plusieurs modalités. La pluralité des sens
augmente aussi dès quʼil va falloir associer des éléments entre eux quand ils sont
présents simultanément 38. Lʼordre de cette reconnaissance des éléments successifs va
nous indiquer un sens du film, mais cet ordre est lié à un choix toujours différent,
puisque nous sommes spectateurs de plusieurs éléments simultanés et de différente
nature ; ainsi même sʼil nʼy avait quʼun seul spectateur qui consulterait un seul élément
des HdC.

37
. Georges Didi-Huberman, Devant l'image, Paris, Ed. de Minuit.1990. p.171/73.
38
A un instant t du film nous pouvons recevoir plusieurs images en fondu, un titre à lire et plusieurs pistes
sonores (un dialogue, une musique…). Lʼun des principes du dispositif de la projection cinématographique
sʼavère que, devant le bombardement de plusieurs élements, lʼordre de leur reconnaissance est toujours
aléatoire et subjectif.

305
MODALITÉ DE LA RECONNAISSANCE
Plusieurs étapes interviennent au concours de la reconnaissance ; on peut reconnaître
lʼextrait à cause de sa partie intrinsèque ; on peut lʼidentifier à cause de la place quʼil
occupait dans le film dont il a été extrait, ou bien cela arrive grâce à lʼidentification du
titre ou de lʼacteur qui joue, ou encore celle du réalisateur. Dʼailleurs, la connaissance
supposée du film représenté ne fait pas quʼapprofondir le sens que le placement de
lʼextrait dans la séquence des HdC a produit. Bien au contraire, parfois, notre
connaissance va entrer en contradiction avec le sens premier, apparent. Le montage
de plusieurs éléments peut aller à lʼencontre de lʼemplacement dʼun seul qui semblait
supposer nous faire comprendre le sens voulu par le cinéaste.

D/ INTERPRÉTATION : LA DOUBLE INTERPRÉTATION LIÉE AU SAVOIR


Aussi il apparaît fondamental de se plier à la dialectique dʼune interprétation
contradictoire.

Un premier type dʼinterprétation se met en place ; elle consiste à ne pas prendre en


compte tout le savoir cinéphile de reconnaissance que comporte implicitement tout
extrait de film, et nous allons tenter de les analyser comme de simples images
gestuelles 39 : où l'on verrait des hommes et des femmes, des inconnus, produisant des
actes, exceptionnels ou de la vie quotidienne. Et en rapport à ces gestes et à ses
actes, un savoir exotérique demeure envisageable : c'est la possibilité, —à partir du
geste humain, repérées depuis le début de l'Histoire des formes—, dʼentreprendre un
savoir anthropologique des images, réclamé par Aby Warburg.
C'est l'idée de la lecture exotérique du film. Le terme de lecture est ici employé comme
une notion de pleine activité40 : la lecture ressort d'une entreprise de description du
film.

39
. Et des sons qui sʼy rapportent. Ceci affirmé, nous essayerons également de repérer les limites du refus
de cette prise en compte, à lʼinstar de lʼimpasse iconologique, des tentatives de description neutre que la
Gestalt Theory nous a enseignées.
Benedetto Crocce, « Philosophie de lʼhistoire », ÉTUDES PHILOSOPHIQUES, Vol.4, Paris, 1964.p.544.
40
. Pascal Bonitzer, « Un film en + », CAHIERS DU CINÉMA n°224. Octobre 1970.p.6.

306
Ensuite, si nous tentons dʼanalyser l'extrait dans son contexte, en prenant en compte,
le plus souvent possible, la connaissance cinéphilique que les extraits impliquent, alors
c'est l'idée d'une description ésotérique. C'est-à-dire on révèle le sens caché du film
des HdC par une lecture appropriée (reconnaissante) des extraits. Pour pouvoir les
comprendre, il demeure important de connaître le film choisi, afin de le critiquer
(esthétiquement et historiquement) et de décrire l'intelligence de son mouvement, celui
de son extraction à son placement dans les HdC. Ajoutons quʼil ne sʼagit pas
seulement de reconnaître le domaine filmique. Il réside, dans les HdC, des
photographies —des vues réelles ou des reproductions de tableaux—, ou encore des
extraits musicaux, qui sont tous autant assujettis à un savoir critique implicite.

a/ Quʼest-ce que nous voyons quand nous voyons un extrait ?


Cette question peut dans un premier temps se concevoir à l'aide d'une gradation de
reconnaissance de la matière filmique, car on va admettre que nos deux possibilités
interprétatives sont de fait produites par la même action, la vision. Lʼaction pose la
proposition de ce que nous connaissons ou non du film à priori.

Tout nʼest que différence du niveau de notre reconnaissance.

i) Niveau 141. fiction / actualité


Nous créons d'abord la distinction Fiction / Actualité. Nous parvenons à distinguer si
l'extrait filmique provient d'un film de fiction (une reconstitution de la réalité) ou d'un film
d'actualité, (la réalité devenue documentaire, historique). Nous sommes évidemment
lucides de différents pièges que peuvent constituer certains des films cités par JLG, qui
jouent précisément sur la confusion en intégrant les deux notions décrites sur un même
plan ; on évoquera les films néo-réalistes italiens42 ou les documentaires de Robert
Flaherty et Murnau43 ou inversement les faux documentaires de Chris Marker. Il sʼagit
pourtant de créer une base normative, et sous cet appel, on peut affirmer que le film
dʼactualité est reconnaissable et se distingue du film de fiction.

41
. Nous demeurons conscients que cette proposition de gradation de la reconnaissance soit aisément
criticable, mais il nous a semblé important de fournir un exemple subjectif, afin de réaliser lʼampleur des
niveaux de profondeurs de la connaissance dʼun film.
42
. HdC.3a.la monnaie de lʼabsolu. pp.86-87 : « Films de Roberto Rossellini à Visconti… »
43
. HdC.2a.seul le cinéma. TABU (1934), F.Murnau & R.Flaherty. p.27.

307
ii) Niveau 2. période – nationalité - genre
Par la suite, la période, la nation et le genre auxquels lʼextrait appartient. La
détermination interne de lʼimage fait que nous pouvons, avec approximation, situer sa
provenance. Mais pareillement on note que certaines des fictions ont établi des
ensembles reconstituant des aspects sociaux, culturels et humains ne lui appartenant
pas à lʼorigine et provenant dʼun autre lieu et temps que celui présent de sa production.
Ainsi si Hollywood produit des films se déroulant dans des temps différents (futur,
anticipation ou historique) ou dans des lieux qui lui sont aussi dissemblables que la
France de la Révolution ou lʼInde du XIXème siècle, en retour des productions
françaises ou hindis ont mis en scène des westerns. De plus, certaines fictions
revêtent en prime abord les aspects dʼun genre donné puis se déplacent vers un autre
(parodie policière, thriller de propagande politique) ou encore peuvent en faire
combiner plusieurs (Western spatial, comédie musicale policière…).
Aussi malgré tous ces différents procédés complexes de reconstitution qui déplace
lʼapparence du film effectué, on admettra la possibilité de reconnaissance de ces
productions.

iii) Niveau 3. titre du film – nom dʼacteur – nom du réalisateur.


Lʼintitulé du film, si l'on reconnaît un comédien ou encore celui qui l'a réalisé. Ainsi on
est capable, à partir de cette identification nominale de resituer le film dans lʼensemble
historique du cinéma.

iv) Niveau 4. situation dans le film


Au final, nous pouvons situer et re-positionner l'élément (extrait par JLG) en rapport à
l'ensemble du film auquel il appartient. (Est-ce une scène clef du film ?, Qu'est-ce qui
se passe juste avant, ou juste après, etc…). On revient au niveau 1 puisqu'il s'agit de
comprendre son ressort dramatique que l'extrait implique par son exposition.

Il faut admettre que cette proposition est exemplaire. Elle ne se limite quʼà la matière
filmique. Nous nʼexposerons pas ici les précisions de la gradation de la Photographie,
de la Peinture ou de la Musique qui sont pourtant régies selon le même processus de
la double interprétation : éxotérique / ésotérique.

308
b/ Un exemple : le plan 97
Nous allons nous appliquer à fournir un exemple pour mieux faire comprendre la
nécessité de la perception des différents niveaux. Le plan 97 de la séquence 11 va
rendre exemplaire lʼenjeu interprétatif de cette reconnaissance. Ce plan 97 est un
extrait de la séquence 11, consacrée à Irving Thalberg, lʼun des grands producteurs
hollywoodiens de l'époque du muet.

i) niveau 1 (description neutre)


Un homme court vers nous sur un sentier qui longe un champ de maïs, il est
pourchassé par un avion, qui manque de lʼaccidenter lorsqu'il plonge à terre, puis surgit
un portrait de femme (Plan 98).

On reconnaît une fiction par lʼaction proprement spectaculaire (Il est rare dʼavoir
lʼoccasion de filmer réellement un avion qui tente dʼassassiner un homme !). La
majesté du travelling-arrière suggère que ce n'est pas une image d'action réelle, volée,
prise sur le vif. Le statut précaire de cet homme en péril mortel va correspondre avec le
décès précoce de Thalberg commenté en voix-off.

ii) niveau 2 (contextualisation)


Le style de la tenue du costume de lʼacteur, la qualité de la photographie couleur
démontre que c'est un film américain des années 1950. La musique de type classique
(européenne) grandiloquente qui accompagne le plan, laisse présager, sans nul doute,
qu'il s'agit d'un film fait à Hollywood. Lʼacteur en costume cravate court vers nous sur
un sentier qui longe un champ de maïs, il est pourchassé par un biplan qui manque de
le renverser lorsqu'il plonge à terre. Cʼest une scène typique de poursuite, quʼon trouve
dans un film de genre policier ou bien de Thriller.
Un mode ralenti augmente l'effet de spectacularité

iii) niveau 3 (nomination)


Cary Grant en costume clair, court vers nous sur un sentier qui longe un champ de
maïs, il est pourchassé par un avion qui manque de le renverser lorsqu'il plonge à
terre. Il s'agit de la scène célèbre de LA MORT AUX TROUSSES, orchestrée par la

309
musique de Bernard Hermann, et réalisé par Alfred Hitchcock en 1959, une production
de la Major Universal. Lʼajout godardien du mode ralenti sur lʼextrait (dont on se rend
compte si on a déjà vu le film) augmente l'effet de spectacularité et vient suggérer,
comme le titre du film (français) lʼeffet de vitesse (Aux trousses) et souligne la rapidité
de la disparition de Thalberg.

iv) niveau 4 (situation)


Cary Grant (Roger Thornhill) à la suite d'un quiproquos se trouve embarqué dans une
affaire d'espionnage. Vers le milieu du récit, il se rend à un rendez-vous en rase
campagne, où un nommé Kaplan, pense-t-il, lʼattend et pourrait répondre à ses
interrogations. Il n'en sera rien, c'est juste un piège quʼune organisation secrète a
monté pour se débarrasser de lui. Aussi à la place de la personne, c'est un avion qui
tente par rase-mottes de mettre fin à ses jours. Mourir semble la seule réponse valable
à ses interrogations. On notera que la narration du film établit que Kaplan nʼest en
définitive personne (un personnage fantôme orchestré par le contre-espionnage) et
Roger Thornhill ne recherche quʼun double de lui-même44.

44
A partir de cette information, nous pourrions continuer notre analyse (sur les correspondances entre ce
personnage et Irving Thalberg), mais nous ne le ferons pas car, il faut essayer aussi de pouvoir se limiter
aux actions de Godard et tâcher de ne pas interférer avec notre propre connaissance. Aussi, est-il souvent
convenable de savoir se mesurer et même se retirer afin de ne pas pousser trop loin notre interprétativité
puisque chez ce diable de cinéaste tout semble faire sens. (G.Legrand à propos dʼHitchcock).

310
c) pause théorique
TOUTE TENTATIVE DʼÉNONCIATION, SUBJECTIVE, DU DISCOURS EST IRREMEDIABLEMENT LIEE
A LA RECONNAISSANCE DE L'EXTRAIT DU FILM.

Le discours est une pensée, parfois sous forme de récit, qu'organise le spectateur-
critique. Il provient de sa subjectivité établie à partir de sa réception, et elle est à
distinguer de la parole du film. L'approximation de la reconnaissance du film désigne
en fait, la capacité, le destin quasi individuel, de chaque spectateur qui, lors de sa
lecture du film, son parcours, arrivera à l'un des différents niveaux étudiés ci-dessus. Il
se peut que le discours ne se forme pas, ne puisse s'ordonner (dû à une incohérence
ou à une trop grande complexité de certains passages...). Il n'en reste pour autant
fondé et c'est seulement après, qu'une évaluation peut intervenir en vue d'élaborer les
qualités qu'il possède.
La lecture de base selon le premier niveau, installe un tout fictif, (cette base constitue
le creuset de notre lecture exotérique).

FREQUEMMENT POUR OBTENIR LA SIGNIFICATION DES HDC, IL N'Y A AUCUNE


EXIGENCE A DEVOIR RECONNAITRE LES FILMS EN EXTRAITS.
Godard lʼa même déjà plusieurs fois indiqué45, même si certains critiques le soupçonne
de mauvaise foi, il nous a semblé intéressant de parier sur la vérité de cette assertion.
Et nous nous sommes rendu compte quʼune lecture exotérique nous obtient des
éléments visuels anthropologiques valables, et que le cinéaste ne mentait pas.
Seuls importent les situations et actions des personnages sur l'écran, de la
chorégraphie de leurs gestes et du rapport des intervalles : entre les différents plans (le
montage), entre les différents extraits (raccords de séquence) et entre les différentes
figures (points de jonction en mouvement). Tous les apports de textes, en voix-off ou
encore en génétitres, concourent à mettre en valeur la fiction ; on pose l'hypothèse
d'une capacité générale d'un savoir anthropologique.
Les extraits sont alors élaborés comme des visions d'une organisation gestuelle,
comportementale, mettant en scène des hommes et des femmes agissant dans la
dramaturgie historique du XXème siècle. C'est le pari d'y voir l'interprétation d'une

45
Ref.184. Jean-Luc Godard, Youssef Ishaghpour, Archéologie du cinéma et mémoire du siècle
(dialogue), Tours, Ed. Farrago, 2000.p.16.

311
lecture raisonnée sous l'augure d'une anthropologie des images46accomplie par Aby
Warburg et sa formule du Pathosformel47 que Jacques Aumont reconnut en l'espèce
des HdC :

"Avec cette forme, Godard a en quelque sorte trouvé la nouvelle Pathosformel, la nouvelle
formule pathique, qui, à la différence de celle qu'avait distinguée Warburg dans la peinture, ne
déguise pas l'émotion entièrement sous la fiction et les personnages, mais fait saillir une
48
énergétique pure."

Lʼemploi de la formulation du pathos49 reste ici intéressant, mais nous différons quant
aux conclusions quʼil propose, cependant, nous reconnaissons à Aumont la sagacité
d'avoir introduit l'idée d'énergétique (pure) ainsi que lʼévocation de Warburg à propos
des HdC. La lecture exotérique se veut lʼanalyse mesurante de cette énergétique pure.

d) retour à notre exemple


Le plan 97 —où Cary Grant n'a plus sa vitesse d'origine mais ralentie par Godard— se
finit par un fondu enchaîné, mais, à la place d'un avion (qui devait succéder dans la
fiction dʼHitchcock), c'est le portrait photographique de Norma Shearer (Plan 98) qui
intervient. Ce qui laisse supposer un rapport dʼune correspondance des deux images
du niveau 1 avec celles du niveau 4, établissant alors un double parallèle : entre
homme en fuite (Cary Grant) qui correspond à Irving Thalberg puisque lʼavion
pourchassant correspond à Norma Shearer. On peut faire remarquer, à ce moment du
film que, diégétiquement, il y a aussi une identification anthropomorphique de lʼavion,
placé dans lʼesprit du personnage de Cary Grant, qui attendait Kaplan… qui sʼavèrera
être un avion. Aussi cette femme [avion] pourchasse un homme [Cary Grant], le

46
. « L'apport de Warburg à l'anthropologie des images n'aurait pu voir le jour sans les apports préalables
de Jacob Buckhardt ». Nicolas Sienne, La pensée de Jacob Buckhardt, Paris Ed. Presses Universitaires.
2004. p.84.
47
. Aby Warburg, Écrits Florentins, Paris, Ed. Klincksieck.1990.p.190.
48
. Jacques Aumont, Amnésies, Paris, Ed. P.O.L.1999. p.98.
49
. Mieux que d'utiliser le terme d'Aumont de formule pathique, nous préférons utiliser la traduction de
Georges Didi-Huberman : formulation du pathos.
L'image survivante. Histoire de l'Art et le temps des fantômes selon Aby Warburg, Paris, Ed. de Minuit.
2002.p.254.

312
producteur Thalberg, et va l'épuiser [le mettre à terre]. Scott Fitzgerald50 a écrit que
Thalberg était mort très jeune et fut marié avec l'actrice désignée.
Une phrase de Godard, qui interviendra plus tard, vient révéler la causalité sous-
entendue entre deux propositions, contenues par chacun des deux plans,
mort jeune [97] et belle femme [98] :

"UN CORPS FRAGILE ET BEAU ET EN PLUS, MARIÉ A UNE DES PLUS BELLE FEMME DE
51
LA TERRE."

Cʼest lʼexténuation physique de lʼhomme due à une trop grande activité dʼhommage
rendu à la beauté féminine. Godard peut lʼabréger en une seule idée : fatale beauté52.
En conclusion, si nous avons pu proposer un sens de lʼintervalle entre ces deux plans,
cʼest grâce à une double interprétation (exotérique et ésotérique). Ici, cela sʼest
effectué grâce à lʼanalyse des faits et gestes du personnage ainsi quʼà la connaissance
de la situation dʼorigine du plan.

E/ DERNIERS ÉLÉMENTS COMPLÉMENTAIRES


Pour compléter cette introduction, signalons une nouvelle fois que la totalité des plans
agencés dans le film des HdC ont bénéficié dʼun travail de reconnaissance préalable
par Bernard Eisenschitz. Ce document, listant et identifiant l'arrivée de chaque
nouveau plan53 a été établi selon ses soins, pour un motif quʼil convient dʼexposer.

Nicolas Seydoux, producteur de la Gaumont en 1996, avait acquis contractuellement


lʼensemble des épisodes HdC, en vue de garantir leur bonne fin et de les diffuser sur
un support vidéo54. Mais un problème lʼinquiéta. Celui-ci était consécutif aux droits de
reproduction et de diffusion des quantités d'extraits de films utilisés n'appartenant pas à

50
. Scott Fitzgerald, Le dernier nabab , (The last Tycoon, trad. de lʼanglais par Suzanne Mayoux), Paris,
Ed. Gallimard. coll. Du monde entier. 1976.
Également cité par Godard : un jeune corps fragile et beau tel que l'a décrit Scott Fitzgerald,
HdC.1a.toutes les histoires. p.31.
51
. HdC.1a.toutes les histoires. p.43. Cette phrase provient du livre de Fitzgerald.
52
. On retrouve le titre de lʼépisode 2b.fatale beauté.
53
. Ce qui ne correspond pas tout à fait à l'établissement dʼun plan par plan (selon Kuntzel), puisque aucun
effet de montage répété, ou encore d'effet d'aller-retours, n'y figurent, seul compte l'arrivée de l'occurrence.
54 ère
. Supra 1 Partie, CH.2. étape 3. Les supports.

313
leur catalogue, ainsi qu'aux droits de reproduction photographique relatifs au grand
nombre d'œuvres dʼart. Il en fit part à Godard puisquʼil était directement responsable.
Pour prévenir d'un procès pour utilisation frauduleuse, et surtout pour estimer le coût
entraîné par ce film de montage, on demanda à Godard dʼétablir un listing, comprenant
précisément les références cinématographiques et iconographiques des sources
employées.
On peut répertorier les quelques raisons qui firent que ce cinéaste délégua ce travail.
Dʼabord, il était empêché principalement par manque de temps, —car face à lʼurgence
et à lʼimmensité du projet, cʼest une occupation à plein temps qui était nécessaire de
planifier, sur une période beaucoup trop longue pour pouvoir être accomplie par ses
soins—, ensuite cʼest aussi à cause de l'utilisation de sources de seconde génération55,
et également, par le défaut de ne pouvoir se souvenir complètement des références de
lʼensemble pléthorique56. Il désigna l'historien Bernard Eisenschitz, qui fut salarié par
Gaumont pour effectuer ce travail de saisie57. On peut noter que ces demandes ont été
procédées plus d'une année après la sortie commerciale des cassettes VHS, et cela
constitue une jurisprudence pour d'autres films de montage58.
C'est en grande partie grâce à ce travail (ayant été possible de le consulter) que nous
avons pu avancer dans cette élaboration de la reconnaissance et de la description.

UN OUBLI FICTIF
De plus, nous constatons la difficulté de la part de Godard à se remémorer de
quelques titres ou provenance de certains films. Certains extraits provenait de films de
montage eux-mêmes. Il vient corroborer lʼefficience de notre interprétation exotérique
car, dans certains cas, il a semblé plus important pour Godard, dʼutiliser un extrait de
film, qui lui demeurait inconnu. Godard réemploie un extrait coupé de sa référence,
pour ce quʼil représente directement et non pour ce quʼil implique selon notre
reconnaissance.

55
. Godard a cherché logiquement, pour son iconographie, dans des livres et des films d'histoire du cinéma
(Kevin Bronlow, Histoire du Cinéma américain en Images). Cela entraîna par cette nouvelle étape, une
difficulté supplémentaire pour la recherche de références.
56
Entretien avec Bernard Eisenschitz, 1999. Inédit.
57
. Entretien avec Bernard Eisenschitz, 1999. Inédit.
58
Remarquons le fait rare dʼun film de montage qui utilise des extraits a priori, avant même de savoir si on
en a le droit.

314
Autrement dit, de temps en temps, il fait un montage dʼextraits de films pour ce que les
scènes évoquent, et non pas pour ce que les extraits représentent (les films dont ils
proviennent). Il reste à nous toute la difficulté, de savoir repérer ces moments sur les
autres plus classiques, (liés à leur origine, ésotérique).

F/ CONCLUSION

Pour conclure, on remarquera que la simple continuité des plans décrits ne suffisait
pas pour réfléchir sur lʼarchitecture du film. En effet, ils sont régis selon plusieurs types
de groupements.
Le premier type, le plus général : la séquenciation. Chaque séquence est intitulée et
débute ainsi :

Séquence . Titre de la Seq / Toutes les histoires. CHAPITRE 1a

{Plan x — Plan y} Pour plus de précision, on indique les plans affiliés à la séquence.

Chaque séquence sera suivie dʼun commentaire, qui témoignera dʼune réflexion
dʼensemble. Notons que, souvent, il a suffi de deux plans pour justifier une nouvelle
séquence. Le montage sʼavère si complexe que le rapport de deux plans peut susciter
des changements importants dans le cursus du film. Nous avons donc opté pour ce
morcellement maximal. Par contre, quand une séquence sera inhabituellement plus
longue, elle sera décomposée en groupes sur lesquels nous avons joint
systématiquement la référence de la séquence auxquels ils appartiennent.

315
3/ PLAN PAR PLAN

Séquence 1.
Premier liminaire / Toutes les histoires. CHAPITRE 1a59
{du Plan 1 au Plan 6}

Plan 1 Carton noir, lettrages blancs (avec ajour) : [HOC OPUS] Carton n°1= C1

Voix-off JLG « Ne change rien, pour que tout soit… »


Plan 2 Carton noir, lettrages blancs, (avec ajour) : [HIC LABOR EST] Carton
n°2= C2
Voix-off JLG « …différent »

Les phrases se déplient en deux plans. Ajourer un lettrage signifie que les lettres sont
creusées, laissant paraître le fond.

UNE DÉFIANCE LIMINAIRE


Avant même que le générique vienne prévenir le début du film par lʼindication de sa
production (CANALPLUS présente), deux phrases (P1 et P2) apparaissent en liminaire :
60
P1 "Hoc Opus, Hic Labor est" (traduit : Voilà lʼobstacle, voilà lʼépreuve )
P2 "Ne change rien pour que tout soit différent"

ÉCOUTER, VOIR :
MODES D'APPARITION DANS LES DEUX REGISTRES : L'IMAGE ET LE SON
On observera que le mode d'apparition de ces deux phrases liminaires sʼeffectue dans
des secteurs formels différents. La première phrase (P1) appartient au registre de
l'image. Inscrite au génétitre vidéo, et à cause de son déploiement en deux cartons,
elle constitue le Plan 1 et le Plan 2. La deuxième phrase (P2) appartient au registre

59
. En vue dʼune meilleure compréhension de la composition des séquences et analyse de celles-ci, nous
les avons titrées. Les titres nous offrent une forme de commentaire nous informant sur le sujet et
lʼorganisation même des séquences. Ainsi nous allons être témoins dʼune multiplicité de séquences
liminaires et introductives.
60
. Virgile, LʼÉnéide, [Chant VI, non daté] (traduit par Pierre Klossowski), Paris, André Dimanche éditeur.
1989. p.168. Ces vers sont tirés dʼune exhortation quʼadresse lʼoracle La Sybille, à Enée. Elle le prévient

316
sonore car elle est lue en voix-off, celle de Godard. Elle se déroule également sur les
deux plans.
Cette opposition filmique, de fait, sʼavère non conséquente pour Godard61. Non qu'elles
soient en contradiction significative l'une avec l'autre, mais au contraire, elles
présentent toutes deux, simultanément, une formulation en deux temps, une césure qui
les rend textuellement comparable. On notera que la césure pour ces deux phrases ne
se trouve pas au même moment.
C'est à l'intérieur des phrases qu'une contradiction a lieu; Interne à la phrase écrite
comme à celle entendue.
Avant même de faire état de ce que les phrases peuvent nous dire, Godard nous
prévient, en liminaire, dʼun autre sens, provenant celui-là plus d'une confrontation
interne à chaque phrase émise qu'à leur comparaison formelle réciproque.

On affirmera également le caractère exemplaire que peuvent adopter les premiers


éléments d'un film : pour certains critiques, les premiers plans constituent la
synecdoque même de leur ensemble, en ce sens ils s'avèrent être la matrice du reste
de ce qui va suivre62. Aussi nous allons nous attacher tout particulièrement à décrire les
modes d'apparition formels des éléments qui vont se manifester, et essayer de
comprendre leurs relations internes.
LA PHRASE 2, P2 : DʼABORD LA PHRASE QUʼON ÉCOUTE.
En ce début, donc, l'image et le son n'y sont résolument pas antithétiques, mais c'est
dans le cadre restreint de l'image et dans le cadre restreint du son qu'il faut attendre
des conflits d'opposition, et la signification de ce que Godard pourra vouloir nous dire.
63
"Ne change rien pour que tout soit différent". Tiré du livre de Bresson , Godard a opté pour

quelques légères modifications : le mode infinitif (ne rien changer) en un mode

dʼune double action rituelle quʼil va devoir effectuer afin de pouvoir aller et revenir des Enfers. (trouver le
rameau dʼor, et ensevelir le corps dʼun ami mort).
61
. Voir Ref.Film7. LE PETIT SOLDAT. 1960
62
. Jean Douchet, “Moonfleet”, CAHIERS DU CINÉMA n°87.08/1961.p.28.
63
. Robert Bresson, Notes sur le cinématographe, Ed. Gallimard. 1972.p.138. La citation exacte est :
« Sans rien changer, que tout soit différent ». Godard a puisé de ce livre une demi-douzaine de citations.
Ici cʼest dʼautant plus remarquable car utiliser un même livre, aux fins dʼobtenir plusieurs citations
différentes, est un procédé appropriatif extrêmement rare chez lui. On relèvera lʼintérêt constant de JLG à
aimer choisir, à partir de ces réflexions de Bresson sur son métier, les aphorismes possédant une
contradiction interne, et qui sont massivement présentes dans ce recueil.

317
impératif, afin probablement, de conformer lʼassertion avec les autres en place64. Le
sens de cette phrase P2 demeure fidèle à lʼoriginal. Elle fait écho au principe
philosophique dʼHéraclite: on se saurait entrer deux fois dans le même fleuve65. Le
contenu de P2 fait allusion à une contradiction apparente entre la quête dʼune volonté
de changement total (pour que tout soit différent) et sa mise en pratique énoncée sur le
mode impératif de ne rien en faire.
On note aussi dans cette phrase du film le constat dʼune insatisfaction présente qui
mène à vouloir agir pour une révolution (tout doit être différent). Elle semble nous
suggérer que le vrai changement consisterait à se maintenir dans son identité66. Le
désir dʼun changement total de soi comme un tout face à la corruption inhérente de
lʼaltérité ferait coïncider au maintien du même tout intégral. Dʼailleurs vouloir une
révolution dʼun tout, fait que ce tout revient circulairement à sa place.

LA FIGURE DU DOUBLE
On retrouve ce dilemme de lʼidentité du changement dans le célèbre paradoxe du
bateau Argos. Bateau qui au fur et mesure du temps subit des changements de pièces
de bois dont il est composé, jusquʼà ne plus avoir un seul élément dʼorigine. Alors si un
bateau est recomposé avec toutes les anciennes pièces usagées, et fait face à celui
refait avec les nouvelles, (sans nʼavoir aucunes des pièces dʼorigine), ce sont des
doubles identiques, pour ne plus savoir lequel est le vrai Argos. À lʼopposé que rien nʼa
changé pour que tout soit différent, ici tout a changé pour que ce soit pareil.

P2 préfigure donc un mouvement dans lequel lʼobjet va changer jusquʼà devenir lui-
même.

64
. Phrase 4. Comme souvent, on remarque la douce ironie à vouloir changer une phrase qui indique
précisément de ne rien changer. On expliquera en détails plus tard pourquoi cette conformation était
nécessaire.
65
. Platon, Cratyle, 402 a., in « Héraclite, Philosophie », Les Présocratiques, Coll.de la Pléiade. Ed.
Gallimard.1988. p.136.
66
. On pense alors à la phrase de Jean Cocteau : « Cultives ce que les autres te reprochent : cʼest toi-
même (…) ne change en rien,(…) sous aucun prétextes. » Jean Cocteau, Journal (1942-1945), Paris, Ed.
Gallimard.1989.p.603.

318
Cette assertion (P2) peut tout autant suggérer : que l'action est seulement tributaire à
la conservation. Toute action est inutile pour un tout car ce qui doit changer changera.
Si l'on adopte la passivité comme attitude, si l'on refuse lʼaction, alors lʼaltérité qui nous
fait face, sera changée, par l'action dʼun tiers ou bien par le mouvement intrinsèque de
lʼaltérité elle-même (l'érosion, la vieillesse…).

De ces deux significations possibles, qui ressortent de la phrase entendue, mettent


communément en valeur, la pensée dʼune différence comme mode dʼaction excluant.
Aussi, avoir conscience de lʼautre est une action corruptrice pour le sujet, qui de ce fait
même sʼen trouve séparé67. Avoir conscience de lʼaltérité nous en sépare. Ce que
résume, en identifiant la mortalité avec le sujet, Antonin Artaud, quand il affirmait : je ne
suis pas mort, mais je suis séparé68.

LA PHRASE 1, P1 : ENSUITE LA PHRASE QUʼON LIT.

P1"Hoc Opus, Hic Labor est" : Voilà lʼobstacle, voilà lʼépreuve.

Situer la phrase dans son contexte initial va pouvoir nous apporter quelques indications
intéressantes sur la prégnance de la figure dʼune dualité. Un intérêt probant si lʼon
garde à lʼesprit que Godard va sélectionner, en liminaire de son grand œuvre, cet
extrait.
Énée veut descendre aux enfers, sur la route intermédiaire il rencontre La Sybille, une
oracle qui lui donne pouvoir dʼaccomplir sa propre fatalité69 par la parole quʼelle lui
délivre et qui décrit précisément les démarches à suivre (ce seront des aveugles
évènements quʼil repasse(ra) dans son âme70).
Énée est sommé de devoir accomplir des épreuves rituelles, que La Sybille divise en
deux catégories : obstacle et épreuve. Lʼimportant pour le moment est de sʼarrêter à

67
. La corruption de ce qui peut être corrompu. Plutarque, la signification de lʼEi, in « Héraclite, Ecrits», Les
Présocratiques, Coll.de la Pléiade. Ed. Gallimard.1988. p.147.
68
. Antonin Artaud, « Les nouvelles révélations de lʼêtre »(1937), Œuvres complètes VIII. Paris,
Ed.Gallimard. 1967.p.151.
69
. Virgile, LʼÉnéide, [Chant VI, non daté] (traduit par Pierre Klossowski), Paris, André Dimanche éditeur.
1989. p.168. « (…) sache ce quʼil faut accomplir dʼabord. »
70
. Virgile, LʼÉnéide, [Chant VI, non daté] (traduit par Pierre Klossowski), Paris, André Dimanche éditeur.
1989. p.169. On notera que La Sybille lui annonce les travaux à faire dans lʼordre inverse à ceux quʼil

319
cette énonciation. Car si Énée doit accomplir deux épreuves (Trouver le rameau dʼor et
procéder au deuil dʼun ami) cʼest concrètement parce quʼil va devoir traverser deux fois
le fleuve du Styx, et aussi par deux fois (…) voir le sombre Tartare71. Un aller et un
retour, comme elle lui annonce facile est la descente, plus difficile est de revenir sur
ses pas et sʼévader. Ainsi lʼoracle lui annonce une double épreuve. Une interne : vivre
à travers la mort (éprouver jusquʼen son cœur affligé et que nous voyons sur son
visage chagrin) et une épreuve (externe) : lʼobstacle du retour, car seul un petit nombre
(…) y sont parvenus.
En résumé lʼobstacle et lʼépreuve sont annoncés pour procéder à un double échange.
Pour une vision (voir les enfers) et une action (en revenir), elle exige en retour
également une vision (pour le rameau dʼor il doit le trouver grâce à sa vue, il est caché
et elle dit profondément scrute de tes yeux.) et une action (le corps à ensevelir).

Nous pouvons continuer, par la traduction littérale (exotérique) que lʼon peut faire de la
phrase de Virgile, en la rapportant à sa situation liminaire face au film. Cʼest une
exhortation adressée, en tout début dʼun film, au public comme à lui-même, mais les
termes opus et labor peuvent être traduits dans un rapport plus adéquat au contexte,
ainsi :
voilà lʼœuvre, voici le travail.

C'est en cela, que la phrase 1 (P1) comporte la même préoccupation dʼune pensée de
la séparation. Mais cette fois-ci, séparant l'œuvre-obstacle du travail-épreuve, P1 met
en opposition deux différences possibles de désigner un seul et même rite : ce qui doit
être produit. Cette traduction exotérique sʼavère être une conception dʼune différence
de point de vue et de temporalité : lʼœuvre provient du travail72. Ce qui place lʼartiste
(lʼauteur, lʼouvrier), celui qui œuvre, face à son altérité fondamentalement nécessaire,
le public. Les autres, le public, voient lʼœuvre. Cʼest-à-dire une fois que cela a été fait.
Le travail qui est, présentement donc, représente la conception de l'auteur, car il

effectuera. Elle évoque le rameau dʼor et le deuil dʼun ami. Et il commencera par ensevlir Misène pour
ensuite suivre deux colombes qui le mèneront au rameau.
71
. Virgile, LʼÉnéide, [Chant VI, non daté] (traduit par Pierre Klossowski), Paris, André Dimanche éditeur.
1989. p.168.
72
. Ce qui est confirmé chez Virgile, puisque lʼobstacle est conséquent à lʼépreuve.

320
connaît en premier chef, la quantité et les conditions de réalisation afin que le travail
devienne une œuvre, afin que cette œuvre puisse être visible pour les autres.

UN SENS ISSU DE LA DÉNOMINATION COMMUNE DE P1 ET P2


Dʼabord nous avons cherché à établir une signification de chacune deux phrases,
maintenant nous proposons que ces deux sens puissent évoluer vers une résolution
commune, obtenue par le choix de ne retenir que les éléments qui leur sont communs,
ce qui, dit en dʼautres termes, est obtenue par procédé de dénomination. Pour cela,
nous disposons pour P1 comme pour P2, dʼune formule primitive, produite de leur
dénomination commune73. Nous proposons alors que le rapport de P1 / P2 peut se faire
valoir comme théorème liminaire des HdC. Cela donne :

LʼAPRÉHENSION DʼUN ÉLÉMENT SE PRÉSENTE À PARTIR DE 2 POSITIONS POSSIBLES

Ainsi, les deux phrases ensemble, peuvent signifier la préoccupation de lʼauteur sur les
conséquences pratiques dʼune dualité catégorique constitutive. Cette formule
dénominative, on va le voir, se retrouvera reprise dans beaucoup d'autres situations du
film des HdC.
Ces deux phrases viennent donc nous prévenir doublement de cette assertion.
Doublement car cʼest par leur signification intrinsèque (théorème liminaire) autant que
par leur double mode d'apparition (deux propositions, une en image, une en son). Le
théorème correspond aussi à ce que nous avons proposé, lors de notre présentation
de lʼétude du Plan par plan, avec une double possibilité interprétative, (un pouvoir de
double reconnaissance dʼéléments filmiques composant les HdC).

Plan 3. Noir
Carton du générique : [CANAL PLUS ] Carton n°3 (avec ajour) = C3

Plan 4a : Extrait du film REAR WINDOW74 (ralenti par Godard)


[PRÉSENTE :] Carton n°4 (avec ajour) = C4

73
. Un dénominateur commun prend seulement les éléments communs dans chaque ensemble.
74
. Alfred Hitchcock, REAR WINDOW (Fenêtre sur cour, 1955).

321
Comme pour les deux premiers cartons, C3 et C4 sont en lettrages blancs, et
pareillement, la police de caractère est ajourée. Seul le corps est un peu plus grand,
car CANAL PLUS est composé en majuscules, alors que les autres cartons (C1, C2,
C4) sont composés de minuscules.
À lʼinstar du théorème liminaire, nous pouvons relever ce que Godard cherche à
représenter sur un autre champ dʼapplication : celui de principalement monter ces
différents textes, en optant sur un mode d'apparition systématique, basé sur un
principe dʼidentité duelle. Lʼélément recherché va représenter deux positions possibles.

Le générique de ce Plan 3 se présente par les lettrages [CANAL +] qui apparaissent


d'abord en fond noir (C3) puis se prolongent [PRÉSENTE](C4) par-dessus le visage de
James Stewart (comme fond d'écran) en plan serré poitrine qui, agrippant un appareil
photo avec un téléobjectif, roule des yeux. C'est un extrait ( très ralenti) de REAR
WINDOW (Plan 4) et un nouveau couple de phrases se manifeste :

75
P3 "QUE /CHAQUE/ ŒIL //NEGOCIE/ POUR/ LUI/ MEME" [génétitre à l'image ]
(en 2 cartons : C5+C6)
76
C5 sur Plan 4 : REAR WINDOW
77
C6 sur Plan 5,6 : CONFIDENTIAL REPORT
P4 "Ne va pas montrer // tous les côtés des choses garde toi un marge d'indéfini" [Voix off JLG]
sur Plan 4 : REAR WINDOW puis Plan 5,6 : CONFIDENTIAL REPORT

75
. HdC.1a.toutes les histoires. p.12.
note : Souvent le graphème[ / ] s'interpose entre les mots qui composent [lettrages et cartons]. Cela
provient d'une technique de retranscription économique des poèmes.
La barre [ / ] signale le retour à la ligne et indique la mise en page.
Par exemple pour le plan 4, les lettrages [QUE / CHAQUE / ŒIL] sont donc disposés à l'écran comme
suit : QUE
CHAQUE
ŒIL
76
. Alfred Hitchcock, REAR WINDOW (Fenêtre sur cour, 1955).

322
ÉTUDE DES QUATRES PHRASES LIMINAIRES
Avant même d'étudier en détail les deux premiers extraits de films (Plan 4 et Plan 5 &
6), Il nous semble important de revenir sur le dispositif d'ensemble du liminaire, c'est-à-
dire les quatre phrases ensemble. L'arrivée de ces deux phrases supplémentaires peut
et doit être assimilée avec celles deux premières. On a numéroté les quatre phrases :
P1 P2 P3 P4 .

On peut mieux saisir toute lʼidentité des figures.


Nous apposons le graphème = pour établir lʼéquation de ce qui est identique
Nous apposons le graphème // pour établir un nouveau rapport dʼune équation
de ce qui est identique, comme au carré, ou au second degré.

Dans le déroulement du temps, le premier groupe est identique au second :


P1.P2 = P3.P4. C'est un 1er ensemble identique.
Image.Son = Image.Son si l'on note sous le mode d'apparition formel.

Mais si nous évaluons leur composition, on se rend compte quʼon peut les associer
autrement, par association formelle, on obtient :

P2 ressemble à P4 et P1 ressemble à P3 créant une nouvelle figure identique :


P1=P3 // P2=P4. c'est une 2ème figure identique
Image(P1)=Image(P3) // Son(P2)= Son(P4) si l'on note le mode d'apparition formel.
Il sʼavère important d'avoir à l'esprit l'existence de ces deux possibilités dʼidentité :
IDENTITÉ FORMELLE ET IDENTITÉ TEMPORELLE.

TENTATIVE D'INTERPRÉTATION DES QUATRE PHRASES


Une par une, nous allons tenter de saisir en quoi la signification, la présence, la teneur,
ainsi que l'enjeu de leur coexistence entre elles, sont pour ces phrases, le motif de leur
production.

77
. Orson Welles, CONFIDENTIAL REPORT (Mr Arkadin/Dossier secret, 1956).

323
— INTERPRÉTATION de P1
[HOC OPUS, HIC LABOR EST]
Voilà lʼobstacle, voilà lʼépreuve ou encore (voilà l'œuvre, voici le travail )

déjà interprété ultérieurement; sauf que P1 ainsi que P2, seront également liées au
couple suivant. Ce quʼil faut avoir à l'esprit, c'est le concept de séparation duelle qui
prévaut sur le sens de cette phrase.

— INTERPRÉTATION de P2
[NE CHANGE RIEN POUR QUE TOUT SOIT DIFFÉRENT]
Cette phrase aussi contient une deuxième partie qui contredit la première, ce qui dans
le vocabulaire des figures de style s'intitule : hémistiche. Cette première citation
bressonienne semble être la même devise, en négatif, du film LE GUÉPARD78. Cette
fiction —que Godard utilise comme extrait plusieurs fois dans cette épisode— met en
scène un héros atypique, le Prince de Salina (Burt Lancaster), un aristocrate
vieillissant. Il monologue par deux fois sur son désir dʼépouser le mouvement de la
révolution nationale ambiante, mais seulement pour affermir la conservation de son
mode de vie comme son espèce. Il lʼexprime en ces termes (dans la version
française) :
"Il faut tout changer pour que tout soit pareil comme avant" et aussi,
79
"Tout doit changer, pour que tout soit comme avant"

La familiarité du ton avec la proposition P2 peut surprendre autant que son exacte
symétrie. À partir de la contextualisation du GUÉPARD, lʼinversion de P2 peut donc
être envisagée comme un principe anti-révolutionnaire (statique, non circulaire)

« NE CHANGE RIEN POUR QUE TOUT SOIT DIFFÉRENT » :

UNE DEVISE POUR L'HISTOIRE DU CINÉMA ?


Si on l'intègre dans une perspective historique, Ne rien changer pourrait signifier la
vertu de la fidélité de retranscription, lʼobjectivité de la science humaine. Lʼordre de ne
pas fausser le récit de ce qui s'est passé, aussi nous dit-on : ne change rien du réel de

78
. Luchino Visconti, IL GATTOPARDO (Le Guépard, 1963).
79
. Luchino Visconti, LE GUÉPARD. 1963. Les phrases proviennent de la version française.

324
ce que tu as vu —ce qui pourrait évoquer la devise de Rossellini80— ou ne change rien
de ce que tu as entendu, de ce qu'on t'a raconté. Mais la suite de la phrase paraît plus
complexe. En effet, si l'on prend lʼassertion impérative comme une devise de la fidélité
historique, pourquoi est-ce en mesure que tout puisse être différent ?
Quel est ce tout de l'histoire ?

La réponse nous montrerait l'appréciation de Godard. Convaincu que les Histoires du


cinéma précédentes aux HdC, auraient modifié les sources historiques. Si les HdC ne
changent rien des données de lʼhistoire, alors tout en effet sera différent.
Peu dʼHistoires du cinéma, avant celles de Godard, sont fidèles, valables ou plausibles
à ses yeux, car ces Histoires sont avant tout écrites et dans le passage de la
retranscription du cinéma (l'élément visuel et l'élément sonore) en écriture (historique) :
tout a changé. Le changement réel des HdC s'applique à justement vouloir nous
présenter les films comme des documents historiques non modifiés, non retranscrits,
inchangés donc. Ils ne changent pas (malgré lʼextraction subjective81, malgré les
ralentis opérés…) et c'est dans cette constance de présentation qu'ils vont pouvoir
prétendre à la différence.
C'est-à-dire, une toute nouvelle histoire du cinéma qui soit différente par la monstration
d'éléments inchangés.

— INTERPRÉTATION de P3
[QUE CHAQUE ŒIL NÉGOCIE POUR LUI-MEME]

La défiance est de mise encore, à l'instar d'une autre expression énoncée plusieurs
fois par Godard : "Dieu reconnaîtra les siens"82, hormis le ton qu'on peut deviner
comme une invocation à la fatalité : chaque œil désignant chaque homme, négociant
pour lui-même, suggère une invitation à lʼindividualisation, à lʼexercice de la subjectivité
face aux HdC. Nous sommes proches de proverbes populaires83. Mais, ce qui sʼavère

80
. HdC.3a.la monnaie de l'absolu. : “Les choses sont là, pourquoi les manipuler ?” . Cette phrase qui
apparaît en deux cartons successifs (avec une photo portrait de Rossellini en fond d'écran), se déroule
pendant l'hommage aux cinéastes-penseurs italiens et figure la présence de Rossellini.
81
. Choisir un extrait dʼun film pour le représenter, témoigne autant du film que de celui qui le présente.
82
. Ref.Film89. VRAI FAUX PASSEPORTS POUR LE RÉEL. 2006.
83
. « Chacun pour soi et Dieu pour tous » ou encore « Chacun voit midi à sa porte. »

325
aussi remarquable de constituer —donnant des résultats probants face au film de
Godard—, c'est de prendre à la lettre, la phrase.
Si chaque œil négocie, et puisque notre regard s'avère être binoculaire, la fonction de
nos deux yeux, peuvent produire possiblement et seulement deux visions. Cette
multiplicité de vision appelle qu'entre ces deux, elles peuvent se concurrencer, et la
négociation signale qu'il faut donc faire œuvre de saisie.
CONCURRENCE DES DEUX VISIONS, SAISIE AMBIVALENTE DE L'IMAGE
Saisir des images pour que chaque œil ambivalent puisse ainsi obtenir ce à quoi il
aspirait ou désirait. Nous retrouvons lʼune des fonctions de la vue stéréoscopique.

Négocier pour soi-même suggère l'idée de répartir des biens (visuels) comme motif de
vision. Les visions, une fois réparties, sont envisagées comme des biens détenus.
Alors dans le motif de cette détention, on réalise que lʼaction de retenir devient
nécessaire. Et le retenu se manifeste, dans l'exercice de la vision, sous une forme
mnésique. Ce qui demeure plus difficile à révéler, c'est le but du négoce, le soi-même.
Trouver les conditions, dans lesquelles, la solitude de l'œil face à son alter ego (l'autre
œil) puisse se produire.

FAIRE UN CHOIX EN RAPPORT DES IMAGES QUE CHAQUE ŒIL A RETENU


Les images négociées sont donc des images rompues à l'exercice de la mémoire.
Godard nous prévient finalement qu'il va falloir faire un choix, lorsque ces images vont
défiler.
Nous sommes face à deux images différentes, (une par œil), chacune dotée des
visions de la dualité antagoniste. On négocie face au libre-arbitre de pouvoir choisir
parmi l'une d'entre elles.

On verra aussi qu'un troisième choix est possible. Choisir entre ces deux images, une
autre possibilité, consiste à créer subjectivement une troisième image, mais qui ne soit
pas une synthèse regroupant les deux autres :

La troisième image subjective est envisageable, comme lʼa retracé Didi-Huberman


lorsqu'il procède à la description du dispositif du montage chez Godard, et
particulièrement dans ce film :

326
"D'abord, le montage fait de toute image la troisième de deux images déjà montrées l'une avec
l'autre. Mais, précise Godard —en invoquant Eisenstein—, ce processus ne résorbe pas les
différences, il les accuse au contraire : il n'a donc rien d'une synthèse ou d'une “fusion” des
84
images, même dans le cas de surimpressions utilisées pour les Histoire(s) du cinéma (…)."

Godard insiste pour démontrer que les deux images conservent, pendant leur
surimpression, toute leur valeur85. Une troisième image vient s'ajouter seulement en
plus de celles des deux autres persistantes. Il s'agit de pouvoir négocier ces images
pendant leur utilisation, leur battement 86. Ce travail de distinction sʼeffectuera
introspectivement, le pour soi-même annoncé par JLG.

IMAGES ET SONS PRIS POUR L'ÉLABORATION DU MONTAGE


SONT ENJEUX DE NÉGOCIATION

— INTERPRÉTATION de P4

[NE VA PAS MONTRER TOUS LES CÔTÉS DES CHOSES,


87
GARDE, TOI UNE MARGE D'INDÉFINI.]
La phrase 4, P4, un peu plus longue que les autres, possède plusieurs problèmes
méthodologiques dʼinterprétation. Avant de parvenir à réaliser sa signification
dʼensemble, nous allons devoir lʼanalyser partie par partie.

PREMIÈRE PARTIE DE LA PHRASE


Sur un ton prévenant, faisant écho à l'impératif de ne rien changer de P2, la première
proposition [Ne va pas montrer tous les côtés des choses], par renversement, plaide pour une

84
. Georges Didi-Huberman, Images malgré tout, Paris, Ed de Minuit. 2003.p.173.
85
. Ref.184. Jean-Luc Godard, Youssef Ishaghpour, Archéologie du cinéma et mémoire du siècle
(dialogue), Tours, Ed. Farrago, 2000.p.16.
86
. Jacques Aumont, Amnésies, Paris, Ed. P.O.L.1999.
87
. Robert Bresson, Notes sur le cinématographe, Ed. Gallimard.1972. p.107. La citation exacte est :
« Ne pas montrer tous les côtés des choses. / Marge dʼindéfini ». Godard a adjoint une fois encore le
mode impératif dans la première partie, ainsi que dans la seconde en conjuguant le verbe se garder. Nous
étudions les phrases dʼaprès Godard, et il ne nous a pas paru indispensable de faire jouer les différences,
quand le sens global de la phrase était conservé.

327
volonté de s'astreindre, à laisser ce qui n'est pas encore accompli. Comme si une part
obscure du sens, non montrée, sʼavérait nécessaire au devenir des choses.
Par renversement, puisque après la demande de vouloir ne rien changer, pour qu'un
tout soit différent, celle de devoir ajourner, même en partie, le désir de tout montrer,
prouve que le premier conseil n'est pas suivi, pire, on est disposé peut-être à lʼinfirmer.
Ne rien changer, ne rien toucher, opposé à montrer tous les côtés, suggère de voir et
de montrer les choses sous toutes leurs facettes, pour ensuite, seulement, émarger
une part d'indéfini, dʼinvisible puisque non montrée.

Alors si, dans une certaine limite, en devant habituer le public à deviner le tout dont on
ne lui donne quʼune partie88, on peut ne rien changer du tout, puisquʼil nʼest pas
montrable dans sa totalité. Le tout, lui-même délimité par une marge, prouve l'inanité
de nos propres actions. Par contre, si cela se produit dans un souci d'effectuer une
histoire du cinéma, le sujet peut sʼélaborer autrement :

Ne rien changer relève d'une volonté d'exactitude dans la perspective


historiographique. Ne rien changer équivaudrait alors à l'interdiction d'une l'histoire
révisée. Dans cette quête de vérité et dans les règles de ne pas être trop lénifiant dans
la poétique du récit, la marge d'indéfini est préservée pour pouvoir encore improviser le
récit historique de ce que l'on avait prévu (le tout montrer). Le passé peut être évoqué,
peut être montré dans son tout, son entièreté puisqu'il est passé.
Ce n'est qu'avec l'alternance nécessaire du sombre (la marge d'indéfini) avec la
lumière crue89 (montrer tous les côtés), que la marge d'indéfini s'avère nécessaire,
d'autant plus quʼune histoire totalement définie pour ce projet, aussi ambitieux soit-il
sʼavère impossible. Quʼelle soit pratique ou théorique, cette impossibilité sʼaffirme chez
Godard de plusieurs manières dont une qui procède avec reconnaissance à citer
Brecht et son petit poème :
90
« J'examine avec soin mon plan : il est irréalisable. »

88
. Robert Bresson, Notes sur le cinématographe, Ed. Gallimard. 1972.p.111. Cette citation se trouve un
peu plus loin de la P4 dʼorigine : « Habituer le public à deviner le tout dont on ne lui donne quʼune partie.
Faire deviner. En donner lʼenvie. ». Toutes deux sont présentes dans la même sous-partie intitulée : De la
fragmentation. pp.95-111.
89
. On peut utiliser la notion de lumière puisquʼil sʼagit ici de termes de vision et de prévision.
90
. Bertold Brecht, “un petit poème”, Hollywood (1946), Paris, Ed. de l' Arche. 1985.p.168. et dans
HdC. 2a.seul le cinéma. p.85.

328
DEUXIÈME PARTIE DE LA PHRASE
Pour conclure, il faut pointer une particularité typographique, relevée uniquement grâce
à la version du livre91, car cela demeure invisible pendant la projection, P4 appartenant
de fait à la bande-son. Cette particularité est notable d'autant quʼon peut qualifier sa
présence, comme incongruité poétique, où chaque terme, chaque espace va s'avérer
fondamental et dʼautant plus que Godard lʼa ajouté à la phrase dʼorigine dont elle est
extraite.

UNE VIRGULE À LA PLACE DU TRAIT D'UNION.


Au lieu d'un trait d'union pour garde-toi, Godard y place une virgule. Le trait dʼunion
demeurait à priori la forme la plus correcte pour la conjugaison de la forme impérative
réfléchie, et nous avions depuis le début de cette interprétation lu comme si garde-toi
était présent.
On a donc :
GARDE, TOI au lieu de GARDE-TOI
Nous posons donc :
GARDE, TOI UNE MARGE D'INDÉFINI

D'abord, il faut bien admettre la première acception de P4 ; celle qui argumente le sens
de ce que nous avons déjà établi en premier lieu de l'interprétation, car elle ne peut pas
tenir compte, encore, du jeu typographique (puisque la phrase lue par Godard est
écoutée par le spectateur).

Ensuite le nouveau sens, lié au lapsus contrôlé de la typographie, sʼavère un peu plus
92
difficile à cerner. Le placement de la virgule dans le garde, toi renforce lʼaffinité entre
le mot toi avec ce qui suit : une marge d'indéfini. On pourrait supposer alors que
l'impératif de : ne va pas montrer tous les côtés des choses consiste en fait à
rapprocher ce qui suit, et le déplacement confère à la phrase un nouveau sujet : garde.

91
. Les 4 livres et les 4 films sont sortis en même temps et sous le même titre. Ils constituent pour Godard
au même ensemble (“L'écriture et le cinéma c'est la même chose” affirme-t-il à Marguerite Duras dans leur
Dialogue télévisé. Et nous rappelons que toutes nos références renvoient diversement aux deux, comme
nous lʼavons signalé dans lʼintroduction de notre étude.
92
. HdC.1a.toutes les histoires. p.17.

329
• GARDE
Le terme de garde, peut dériver du terme gardien. Et JLG joue un gardien de musée
dans un des épisodes93. Mais le terme peut évoquer aussi la page de garde. Aussi ce
garde est un principe qui, dans le même temps, délimite, mais aussi prévient, du sens
de cette limite, à l'image de Noché faisant traverser l'Achéron94. Cʼest celui-ci, quʼÉnée
rencontre en suivant La Sybille. Après avoir accompli lʼépreuve et être paré pour
lʼobstacle95, il se remet au gardien du Tartare96. Ou encore du même acabit, Heurtebise
le chauffeur de la Mort dans Orphée97 qui permet de passer en fraude et que lʼon
découvre subrepticement dans un des films-annexes98. Le garde est, dans ce sens, la
sentinelle, le passeur, et cʼest l'image humaine du point de jonction, l'intervalle laissé
entre deux images pendant l'exercice du montage.
En final, cette marge d'indéfini « gardée » pourrait correspondre à lʼindication dʼune
pratique cinématographique99, mais avant de la corroborer à des domaines
dʼapplication dans lequel la marge d'indéfini peut être validée, continuons la phrase
avec le mot toi

• TOI
Le toi, isolé par la virgule, pourrai indiquer une adresse au spectateur suivi de son
interpellation.
Godard nommerait Toi, le spectateur et ainsi ce toi <serait> une marge d'indéfini.
Comme, en d'autres temps, Baudelaire également s'est adressé à son public par
l'intermédiaire de la troisième personne du singulier :

93
. Godard interprète un gardien de musée du cinéma de la Nouvelle Vague —un musée imaginaire au
sens propre comme au référé — qui annonce la fermeture et répond au question d'un jeune couple
visiteur.
HdC.3b.une vague nouvelle. p.158. “Qu'est-ce que c'est ce musée ?”
94
. Charles Baudelaire, « Dom Juan aux enfers », in Les Fleurs du mal, Œuvres Complètes, Paris,
Ed.Gallimard. Coll.La Pléiade.
95
. Observant donc les prescriptions sybillines sous-entendues de P1
96
. Virgile, LʼÉnéide, [Chant VI, non daté] (traduit par Pierre Klossowski), Paris, André Dimanche éditeur.
1989. p.177. Pour éviter la répétition, tout personnage important du récit antique possède plusieurs noms :
Charon, Le Nocher, gardien du Tartare. On notera que Virgile le décrit la première fois comme barbu avec
un seul œil fixe. « Passeur (…) Charon, sur le menton de qui épaisse la chenue barbe inculte gît ; se tient
fixe le globe de son œil de flammes. »
97
. Jean Cocteau, ORPHÉE. 1950.
98
. Ref.Film82. DE LʼORIGINE DU XXIème SIÈCLE. 2000.
99
. Cela pourrait correspondre au Weather Day (journée de réserve en cas de mauvais temps) dans la
pratique du tournage, ou au Stockshots dans la pratique du montage.

330
Ô toi lecteur, mon semblable, mon frère. 100

Si l'on observe les nouvelles particularités typographiques du livre, voilà comment nous
pourrions présenter cette phrase :

ne va pas montrer tous les côtés des choses


garde,
toi une marge d'indéfini

• TOI UNE MARGE D'INDÉFINI


La virgule seule, élément de ponctuation, vient créer une césure. La liaison se situe
entre garde et toi, et non pas entre toi et une marge d'indéfini.
Cette césure peut correspondre significativement avec la séparation, que nous avions
aperçue avec P2, entre le cinéaste et le public. Selon cette logique le ne va pas
montrer … sʼadresse au garde, et donc au cinéaste, alors que le spectateur, le toi,
correspond à la marge dʼindéfini.
C'est avant tout pour le cinéaste l'occasion d'interpeller impérativement la subjectivité
du spectateur auquel le toi peut faire référence.
On peut essayer de relater ce qui correspond plus précisément à la marge d'indéfini.

• UNE MARGE D'INDÉFINI


Cette marge d'indéfini, établie avec le côté des choses, correspond, de fait, à la part
non encore dévoilée à la signification et qui était nécessaire lorsque lʼon réclamait de
ne pas tout montrer. Autrement dit, c'est une quête de l'obscurité. Mais si l'obscurité a
décidément des aspects connotés, péjoratifs, la marge d'indéfini du tout montrer est,
vraisemblablement, ce que nous (public) n'avons pas encore deviné, connu (l'inconnu)
ou prévu (le futur) et par conséquent ce que nous ne voyons pas : l'invisible.
Cet indéfini peut donc s'émarger dans plusieurs domaines distinctifs :
UNE MARGE DʼINDÉFINI DANS L'ESPACE : L'INVISIBLE,
UNE MARGE DʼINDÉFINI DANS LE TEMPS : LE FUTUR,
UNE MARGE DʼINDÉFINI DANS LA PRATIQUE: LE MONTAGE.

100
. Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, Paris, Ed. José Corti.(liminaire). 1986.p.12.

331
Si l'on se réfère à la conception du cinéma, dans laquelle le montage apparaît comme
donnée fondamentale chez Godard101, on peut aussi réaliser une nouvelle acception de
cette phrase, faisant suite aux idées présentées pendant le questionnement du mot
garde.
Face à la pleine lumière, aveuglante presque, de la vérité nue [ou du présent],
impossible à regarder en face, dans ce tout maintenant différent, car rien n'a été
changé, la marge d'indéfini pourrait être une part de l'ombre, une part invisible ou
future, bref, on commet un acte de coupe, un acte de séparation. Le plan séquence du
monde qui se présente à nous nʼest pas suffisant pour exprimer sa totalité. La garde
que lʼon effectue est la création dʼun intervalle. Et cet acte est le premier geste du
montage. Pratique qui fonde lʼart cinématographique102. La part de l'indéfini, quelle
qu'elle soit, s'avère nécessaire pour comprendre la pleine limite de la vérité historique
et cinématographique.

FORMATION D'UNE DOUBLE ARTICULATION


On peut révéler certaines intentions de Godard, à partir de l'observation de la
construction de ces quatre phrases et du sens subjectif dégagé qu'elles contiennent.
Godard affirme en actes, l'existence d'une double articulation, hormis celles que
contiennent en elles-mêmes les deux phrases. À chaque fois les phrases se
présentent en couple, et chaque couple regroupe deux éléments une image et un son
qui peut être valables au niveau du texte. Chaque couple présente un carton écrit
(Texte imagé) et une parole (un texte sonore).
Chaque couple peut se présenter sous cette forme abrégée.
P1+P2 = (Image+texte)+(Son+texte) = P3+P4

LE JEU COMMUTATEUR DES SIGNIFICATIONS


PRÉSENTE DIFFÉRENTS SENS DE LECTURE.
•Le premier sens, lié à la symétrie formelle serait d'associer P1+P3 et P2+P4 et ainsi
de respecter les cadres formels dans lesquels le mode d'apparition du texte est
effectué.

101
. Et plus particulièrement pour les HdC, ce film de montage.
102
. André Malraux, Le musée Imaginaire, (1956) Paris, Ed.Gallimard/Folio. 2005.p.67.

332
- P2+P4 sont deux phrases qui offrent formellement une double similarité. La première
consiste dans un même mode de manifestation : le domaine sonore. La seconde : la
voix-off de Godard qui est sur le mode impératif négatif de l'instruction à la 2nde
personne du singulier :
Ne change rien... et Ne va pas montrer ...garde, toi
Et l'association de ces deux phrases pour l'obtention dʼun sens a déjà été effectuée un
peu avant :
LE TOUT, NOUVELLEMENT DIFFÉRENT CAR RIEN N'A ETE CHANGÉ, NE PEUT ÉTRE
MONTRÉ COMPLETEMENT IL FAUT GARDER UNE PART NON DEFINIE.

- Alors que pour P1+P3, ce qui rapproche formellement les deux phrases, c'est
l'adresse au spectateur fondée sur un même mode verbal indirect à la troisième
personne du singulier
Voilà lʼobstacle… … Que chaque œil négocie…
et, bien sûr une similitude par le même mode d'apparition visuelle :
toutes deux s'inscrivent à l'écran en deux temps et par génétitres en lettrages blancs.
Stricto sensu, les deux phrases P1+P3, réunies par dénomination, peuvent présenter
le même constat qu'on formule comme suit:

LA PUISSANCE EST AMBIVALENTE POUR SE RÉALISER.


Lʼobstacle et lʼépreuve / L'œuvre et le travail // les 2 yeux

• Mais la signification de ces phrases que nous venons dʼétablir, peut légèrement
varier si l'ordre de la combinaison permute et l'on donnait pour suite de P2 : P3.
c'est-à-dire : au lieu de les associer sur le mode formel, une phrase entendue pourrait
faire suite à une phrase lue. Cʼest la seconde possibilité pour l'obtention de la
signification. Elle est liée, on l'a vue en début d'explication, à la symétrie temporelle, et
elle consiste alors à associer prioritairement P1+P2 puis P3+P4. On décide de garder
la temporalité (simultanée) comme telle, et on associera donc une phrase entendue P1
(ou P3) avec la phrase lue P2 (ou P4). Cette association de lecture simultanée va
conférer également un nouveau sens. Nous pouvons commenter que cette possibilité
associative se rapproche le plus avec l'expérience directe de lecture du spectateur,

333
mais elle ne résulte pas nécessairement du processus de remémoration que le critique
effectue lorsqu'il pense au film. Aussi le résultat de lire et d'entendre simultanément les
deux phrases crée un nouveau principe associatif dont la jonction, le montage, peut se
situer à chaque fois au milieu de chaque phrase, car P1 comme P2 sont également
des sentences présentant chacune deux parties avec une césure.

Résumons pour simplifier les phrases et leurs parties en abréviations mathématiques.


Si P1 se compose de deux parties cela peut se présenter abrégé comme suit :
P1A est composée de : la première partie de la phrase P1, une virgule de césure et
une deuxième partie de phrase : P1B ;
Résumée, P1 = P1A, P1B et pareillement pour P2 : P2 = P2A,P2B

Tout ceci pour permettre en termes de simultanéité d'effectuer une double lecture. On
entendrait chaque début de double sentence (P1A+P2A) puis la seconde partie de
chaque phrase (P1B+P2B).
Ainsi on obtient une nouvelle signification (P1A+P2A) + (P1B+P2B).

NE CHANGE RIEN VOILÀ LʼOBSTACLE,


POUR QUE TOUT SOIT DIFFÉRENT VOILÀ LʼÉPREUVE.
ou
NE CHANGE RIEN ICI DE L'ŒUVRE,
POUR QUE LÀ TOUT TRAVAIL SOIT DIFFÉRENT.

BILAN DE L'OBSERVATION ET DE L'INTERPRÉTATION DES QUATRE PHRASES


Répétons lʼévidence : tout va dépendre du spectateur, qui, percevant le lot des 4
phrases, choisit entre la première ou une seconde occurrence et même une autre.
Aussi, la multiplication des significations que l'on peut produire à partir du film, va
dépendre de la perception subjective du montage —et c'est reprendre ici la
signification même des phrases qui nous sont exposées :
il s'agit en effet de part d'indéfini, (P4) : partialité tout comme profusion du sens du film
qui est un obstacle à sa compréhension globale et nous devons quand même nous
mettre à lʼépreuve de la compréhension. Ou bien un film à double sens (réalité de

334
l'opus-œuvre pour les spectateurs contre réalité du labor-travail pour le cinéaste, P1)
dans lequel chacun (des spectateurs) doit négocier ce qu'il voit (P3). Négocier c'est-à-
dire trouver un compromis parmi le choix qui s'offre à nous.

SUBJECTIVITE INDIVIDUELLE DE LA SIGNIFICATION


La présentation du dilemme cinématographique de ce début de film implique plusieurs
notions qu'il convient de préciser :
Le principe du montage, montage d'images entre elles, ou des sons entre eux
aboutissent pour Godard au fondement du cinéma. Il l'a clairement évoqué lors de son
entretien avec Régis Debray :

"Il n'y a pas d'image, il n'y a que des images. Et il y a une certaine forme d'assemblage des
103
images : dès qu'il y a deux, il y a trois. (…) C'est le fondement du cinéma."

LA DUALITÉ CONSTITUTIVE DU CINÉMA


104
« La base cʼest toujours deux. » JLG
Encore, cette pluralité, on l'a vu, peut prendre des proportions formelles symétriques.
La notion de pluralité peut essentiellement se ramener au chiffre deux. Ce que
présentait les phrases P1+P3, par notion d'ambivalence, appelée puissance du deux,
fournit l'affirmation sans équivoque : au-delà même du montage, le cinéma est duel. Il
possède une dualité tout autant aussi, qu'elle est insécable. Les deux composantes,
que sont l'image et le son, ne sont pas réductibles à une seule entité ; et aussi deux
images, qui sont associées par le point de jonction du montage, sont dépendantes
l'une de l'autre, et la somme de leur saisie individuelle ne correspond pas au sens de
leur réunion.

Cette notion duelle, comme l'image et le son ou le montage de deux images, Godard
stipula qu'il était conscient de lʼinclure comme donnée théorique de son cinéma. Il va

103
. Ref.176.B. “Jean-Luc Godard rencontre Régis Debray”, Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard ,
[volume.2], Paris, Editions de l'Étoile. 2ème Ed.1998. p.430.
104
. Ref.184. Jean-Luc Godard & Youssef Ishaghpour, Archéologie du cinéma et mémoire du
siècle(dialogue), Tours, Ed. Farrago, 2000. p.26.

335
intituler symboliquement, lʼun de ses films, sous lʼaugure de cette préoccupation :
105
NUMÉRO DEUX .
Il lʼaffirmera clairement à Youssef Ishaghpour qui lʼentretenait :

"Ce qui est plutôt la base, c'est toujours deux, présenter toujours au départ deux images plutôt
106
qu'une, c'est ce que j'appelle l'image, cette image faite de deux (…)."

Nous rappelons que cette possibilité, dʼune présentation ambivalente de l'image,


évidemment, peut être correspondre aux conceptions de l'image chez Maurice
Blanchot ou encore Walter Benjamin. Ces conceptions ont déjà été citées par cette
étude, ainsi que par Godard dans les HdC. Les deux écrivains admettaient le principe
général d'une dualité fondamentale du régime des images. Le premier convoque deux
versions de l'imaginaire107, le second un régime dialectique de l'image.108.

La présence de la multiplicité de la signification des phrases du film ne va pas se


résorber, même lorsqu'on tente d'ordonner son discours, au contraire. L'arrivée du
texte sous sa double forme phénoménale (audiovisuelle) va rendre complexe
l'observation du montage, comme l'a si bien remarqué Didi-Huberman, dont le terme
dialectique est directement référent à Benjamin :

"Les choses se compliquent encore dans la mesure où Godard ne cesse pas, dans son travail,
de convoquer les mots à lire, à voir ou à entendre. Alors la dialectique doit se comprendre dans
le sens d'une collision démultipliée des mots et des images : les images s'entrechoquent entre
elles pour que surgissent des mots, les mots s'entrechoquent entre eux pour que surgissent des
images, les images et les mots entrent en collision pour que de la pensée ai lieu visuellement.
Les innombrables citations textuelles utilisées dans ses films par Jean-Luc Godard sont bien, à
109
ce titre, inséparables de sa stratégie de montage."

105
. Ref.Film41. NUMÉRO DEUX. (Co-réal avec AM Miéville, 1975).
106
. Ref.184. Jean-Luc Godard & Youssef Ishaghpour, , Archéologie du cinéma et mémoire du (dialogue),
Tours, Ed. Farrago, 2000.p.26-27.
107
. Maurice Blanchot, L'espace littéraire, Paris, Ed.Gallimard,coll.Idées.1969.p.128.
108
. Walter Benjamin, Ecrits Français, Paris, Ed. Gallimard, coll. Bibliothèques des Idées, 1991.p.206
109
. Georges Didi-Huberman, Images malgré tout, Paris, Ed de Minuit. 2003.p.173.

336
Et continue-t-il, Godard va se référer à la notion benjaminienne de constellation, à
propos de ce rapprochement d'images dans la quête historique du film. Didi-Huberman
conclue que cela nous ramène à l'image dialectique benjaminienne et, donc, à la
connaissance par le montage110.

Il est important de signaler que ce n'est pas de voir ou d'entendre chaque phrase qui
demeure le plus fondamental, mais bien l'ordre de liaison des phrases qui sont, pour
chaque lecteur, à chaque lecture, différentes. La profusion aléatoire en offrirait la
possibilité, et ceci dès le début du film. C'est pour cela qu'elle est principale et initiatrice
car l'aléatoire représente une ouverture aux indications précieuses sur la conduite du
lecteur du film. C'est dans la perspective de décrire un mode de lecture qui soit à
même de pouvoir être justifié par le film lui-même, que nous avons établi le principe
d'une double lecture subjective. Nous pouvons les rappeler brièvement et faire valoir
leur type.

— UNE LECTURE EXOTÉRIQUE DU MONTAGE DU FILM


La première serait de ne pas tenir compte de l'ordre de liaison des éléments qui
apparaissent. Il est à noter que nous accomplissons cette lecture systématiquement,
quel que soit notre degré de connaissance, puisque notre esprit, au fur et à mesure du
déroulement, synthétise, et analyse un nombre de données, pour produire une vision et
une écoute. Cette lecture est appelée exotérique, car le sens est ouvert, disponible à
tous, et incluant, (en additionnant), toutes les autres possibilités de lecture.

— UNE LECTURE ÉSOTÉRIQUE DU MONTAGE DU FILM


La seconde consiste à essayer de découvrir, à partir de l'aspect aléatoire des autres
possibilités de lecture, un sens secret du film ; secret dans le sens dʼune perspective
contextuelle, savoir ou non ce qui se révèle à nous.
Auquel cas lʼidentifié (le secret révélé) peut être replacé dans l'ordre de succession du
montage du film.

110
. Georges Didi-Huberman, Images malgré tout, Paris, Ed. de Minuit. 2003.p.174.

337
Ce ne serait pas une lecture unique, il ne peut pas y en avoir, car le savoir est infini,
mais une lecture du film qui puisse tenir la ligne dʼune prétention dʼun vaste
programme, un plan impossible à réaliser :
- tenir compte a minima de la puissance des possibilités de liaison dʼun seul élément,
avec lui-même (son contexte dʼorigine tout aussi démoniaquement infini), comme avec
les autres (autres éléments du film, mais aussi passé du cinéaste et nous-mêmes), en
résumé : la capacité de projection de sa virtualité enclose.
- réfléchir sur ce que produit notre subjectivité, infuse des HdC : l'œuvre de Godard et
les autres termes de connaissance.
On peut être tenté d'affirmer que la lecture ésotérique du film consiste, à lire le film
comme Godard pourrait le faire. Lire le film comme Godard voudrait que nous le
fassions idéalement. Cela offre une possibilité fantasmatique de figurer que nous
pourrions nous mettre à sa place et croire (à cet un instant) que le film, qui se déroule
sous nos yeux, c'est le nôtre.
L'accession du spectateur à une identification de vision du cinéaste se produira par la
connaissance et non par une croyance immédiate, c'est en cela que cette lecture est
ésotérique.

RÉVÉLATION EXOTÉRIQUE ET CONNAISSANCE ÉSOTÉRIQUE


La lecture exotérique consiste en la croyance à la réalisation du film.
Cette lecture appartient au registre producteur d'une vision acquise par lʼassimilation
progressive fulgurante de ce que le film nous révèle.
La lecture ésotérique sʼapparenterait plutôt à l'accession gnostique. C'est-à-dire, à une
croyance que la réalisation du film soit acquise par la connaissance.

Ces deux modes de lecture, non-restrictifs et partageables, suscitent une double


hypothèse.
— La première concerne le mode de croyance à ce que nous avons nommé la
croyance à la réalisation du film, c'est-à-dire au mode d'adhésion, le crédit du
spectateur face au film, agissant soit par révélation (lecture exotérique), soit par
connaissance accrue (lecture ésotérique). La réalisation du film, selon n'importe lequel
des deux modes de lecture établis, désigne la compréhension subjective du montage

338
d'un ou plusieurs ordres de liaison du film qui ont été perçus et dont ensuite on produit
l'écriture.

Il est, à cette étape, important de déclarer que la lecture est différente de la simple
réception audiovisuelle du film projeté. La lecture du film inclus cette activité mais elle
est, par la suite, spécifiquement, une possibilité de témoigner par écrit de l'organisation
du film.

“LIRE” LE FILM, C'EST DONNER À LIRE, CʼEST-À-DIRE ÉCRIRE D'APRÈS LE PRODUIT DE


NOTRE SUBJECTIVITÉ.

— La seconde hypothèse désigne une place unique, non désignée par avance au
spectateur ou au cinéaste. Mais cette réduction à une seule place, hypothétique,
devant le film n'est pas nouvelle dans l'élaboration de la théorie du cinéma telle que
Godard l'a édifiée. Cette nouvelle place assume la double fonction.

LE COUPLE SPECTATEUR - CINÉASTE : UNE SEULE FIGURE, JANUS.


Dès le début de son écriture, il a lui-même simplifié la double posture cinéaste - critique
(le premier spectateur111) en une place singulière112, réduisant cette place et offrant par
là une nouvelle position : celle d'associer lecture du film et réalisation du film. Le
spectateur, pour Godard, réalise le film autant que le cinéaste113. On peut nommer
cette figure JANUS, la divinité aux deux visages.

"Il y a toute une partie de l'histoire du cinéma et de la télévision (…) qui ne peut se faire qu'à
partir des films. Il faut pouvoir la faire, ou il faudrait pouvoir la faire à partir du regard des
114
spectateurs."

Pendant le spectacle de la projection, deux éléments vont pouvoir confirmer l'existence


de ce double statut (spectateur-cinéaste) et être vecteurs de la figure JANUS :
La parole et lʼallure du personnage cinéaste.

111
. Ref.GdZ.05.
112
. Ref.178.18.Moi, Je. Projet de film (1973). p.200.
113
. Ref.178.c.
114
. Ref.173.Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros, 1980.p.105.

339
- La parole peut représenter, par sa nature indistincte, simultanément, une
ambivalence de la situation. Ainsi Godard peut affirmer :
" (...) j'aimerai parler (...) en tant que producteur de films, et en tant, en même temps, que
115
visionneur de films"

- L'acteur principal de certains de ses films de fiction, joue le rôle d'un cinéaste pendant
différentes étapes de la production cinématographique : casting116, tournage117,
projections des rushs118. L'acteur représente le corps référent du cinéaste (jusqu'à
porter son nom 119) comme celui du spectateur qui le scrute et sʼy identifiant dans ses
aventures. On peut déjà jouer sur les mots et dire que le spectateur réalise (autant que
le cinéaste) parce que sa vision vient corroborer le film, le rendre réel. Ce film existe
parce que le spectateur l'a vu.

On devine, par l'édification de cette figure duelle, la disposition de la liberté


conséquente au spectateur lui-même. Il doit choisir sa voie, devant le spectacle de la
dualité. Ce dispositif godardien (mais qui ne lui est pas singulier, rappelons-le) consiste
dans le parcours d'un mode actif de la part du spectateur.

ANCIENNE TECHNIQUE DU MODE ALÉATOIRE


Déjà dans NUMÉRO DEUX (1976)120, on voyait comment Godard disposait du mode
esthétique aléatoire. Laissant le libre choix à la subjectivité du spectateur entre deux
images. À ce moment-là du film, nous assistons, en effet, à une captation de deux
téléviseurs qui diffusent chacun des images différentes.
Pareillement voilà comment le film les HdC débute sur deux lots de deux phrases dont
c'est à notre choix de produire un sens selon notre propre décision.

115
. Ref.178.20. Les cinémathèques et l'histoire du cinéma.(1978).p.286. (nous soulignons souligne)
116
. Ref.Film56. GRANDEUR ET DÉCADENCE D'UN PETIT COMMERCE DE CINÉMA. 1986.
117
. Ref.Film49B. PASSION. 1981.
118
. Ref.Film14. LE MÉPRIS. 1963.
119
. Ref.Film46B. SAUVE QUI PEUT (LA VIE) (Co-réalisé avec AM Mieville, 1979). Jacques Dutronc qui
interprète un personnage qui sʼappelle Jean-Luc Godard, affiche les mêmes accessoires, lunettes,
cigares.
120
. Voir Ref.Film41. NUMÉRO DEUX (Co-réalisé avec AM Mieville, 1975).

340
Il s'agit donc d'une coexistence de différentes virtualités signifiantes encore encloses 121
dans le film. Si chaque œil négocie pour lui-même, c'est que la phrase indique aussi la
séparation de l'œil droit du gauche, tel que vont l'indiquer concrètement et filmiquement
les deux personnages issus des extraits des films qui vont suivre.
Et lʼon se souvient dans MADE IN USA122, cette même technique aléatoire mis sur le
plan sonore : deux acteurs, Anna Karina et Lazslo szabo, font tous deux face à la
caméra et entonne en même temps deux discours différents. Le spectateur doit faire
un choix sʼil veut saisir le propos de lʼun des deux.

Plan 4a : Extrait du film REAR WINDOW123 (ralenti par Godard)


[PRÉSENTE :] Carton n°4 (avec ajour) = C4

Le carton 4 ( PRÉSENTE) disparaît pour laisser au ralenti le plan du film dʼHitchcock


se dérouler (seul) pendant 2 secondes. Le temps, entre la disparition de C4 et lʼarrivée
de C5, nous laissent découvrir, dans cet intervalle, lʼeffet du ralenti dans son ampleur.
Ces deux secondes du Plan 4 ont été nécessaires pour venir correspondre avec le
sens de ce qui sʼinscrit sur lʼécran.

Plan 4b : Extrait du film REAR WINDOW (ralenti par Godard)


124
Lettrages blancs P3 : [QUE / CHAQUE / ŒIL] Carton n°5= C5

UNE OPPOSITION ENTRE LE MACROSCOPIQUE ET LE MICROSCOPIQUE


On peut lire la phrase 3 (P3) avec pour fond d'écran, plusieurs extraits de films
différents.

121
. Jean Narboni, “Le pouvoir de la vision”, Alfred Hitchcock, CAHIERS DU CINÉMA, Numéro Hors-Série,
Paris, 1979.p.34.
122
. Voir Ref.Film21. MADE IN USA. §Deux paroles dans le lieu de reproduction dʼimages.
123
. Alfred Hitchcock, REAR WINDOW (Fenêtre sur cour, 1955).
124
. RAPPEL : La barre [ / ] signale le retour à la ligne. On indique ainsi la mise en page du livre ou celle
du carton à lʼécran. Par exemple pour le plan 4, les lettrages [QUE / CHAQUE / ŒIL] sont disposés à
l'écran comme suit :
QUE
CHAQUE

341
- REAR WINDOW d'Alfred Hitchcock. (cʼest le Plan 4)
- CONFIDENTIAL REPORT d'Orson Welles. (ce seront les Plans 5 et 6)

On notera que la police de caractères du C5 est composé en minuscule dans un corps


plus petit, de plus, sa situation nʼest plus centrale comme lʼétait celle du générique de
la production.
L'image ralentie de James Stewart, en plan serré poitrine. Son regard se tourne vers le
viseur d'un téléobjectif. Le seul élément visuel du plan, qui démontre que ce n'est pas
une photographie ou photogramme gelé125, est l'œil en mouvement de saccades du
comédien. Dans ce film de fiction, James Stewart interprète un photographe-reporter
immobilisé dans son fauteuil (jambe cassé plâtré) et qui utilise son zoom téléobjectif
afin d'espionner les voisins d'en face pour détromper son ennui. Il est voyeur et assiste
en spectateur à des petites saynètes, mais de plus il a des jumelles et un appareil
photo (sur cette image) donc il témoigne dʼune activité de pouvoir reproduire les
images. L'acteur représente la figure de Janus que nous avons décrit un peu plus haut,
celui du spectateur-cinéaste. Voir/ Faire voir. Figuration de ce double statut par une
activité dialectique : regarder ses voisins de son fauteuil et pouvoir les prendre en
photos. On pourrait croire que ce double statut est la figure de tout photographe, ici il
n'en est rien. Le photographe Stewart est rivé sur sa chaise comme le spectateur le
temps de la projection. De plus ce n'est pas un simple appareil photographique, il est
doté d'un immense zoom téléobjectif126.
Jean Douchet, qui effectua la critique du film pour les Cahiers du Cinéma, au moment
de sa sortie, y explique assez bien comment Stewart adopte les deux fonctions, du
spectateur ainsi que du cinéaste à l'intérieur du film. Il plaça en liminaire de son article
la reproduction d'un photogramme qui semble, sans aucun doute, être issue de la
même séquence extraite par Godard.
Il légenda en ces termes la photo :

ŒIL
125
. Une image gelée (en anglais freeze) désigne une image fixe issue d'un plan (d'images en mouvement).
C'est un photogramme immobile, qui filmé, dure par conséquent plusieurs secondes.
126
. Certains critiques ne sont pas gênés pour relever lʼaspect phallique de lʼappareil de lʼhomme, voyeur
en pyjama, qui éjacule des flashs au moments de menace mortelles.

342
"Le téléobjectif symbolise le monde intellectuel, qui relie le monde quotidien au monde du
127
désir."

Le spectacle qui a lieu devant les yeux de Stewart devient une projection de son propre
désir. On retrouve ici des atours du désir substitué se produisant pour le spectateur
devant le film projeté, sauf que ce dernier ne possède pas d'instruments entre l'écran
et son regard, afin de se prémunir contre la fascination de la recomposition du
mouvement 128. L'appareil photo est le moyen lucide qui permettra à Stewart de créer
une distance par la connaissance.
Le zoom permet de varier indéfiniment la focale du champ d'observation, et le
téléobjectif est un jeu de lentilles obtenant une vue macroscopique, c'est-à-dire
ramenant l'infiniment grand à une échelle de dimension humaine. L'œil peut percevoir,
jusqu'à plusieurs centaines de mètres, précisément, là où sans, il ne voyait pas.

Plan 5 . Extrait du film CONFIDENTIAL REPORT129


Lʼextrait de ce film en noir et blanc nous montre au ralenti deux personnages cadrés en
plan serré poitrine. Également, la vitesse doit être autour de 6 i/s, (ce qui provoque
même un léger effet stroboscopique, sensation de la succession d'une image après
l'autre.)
Le génétitre est déjà là, sans effet d'apparition, en lettrages blancs
[QUE / CHAQUE / ŒIL] C5
Micha Auer ajuste sa loupe devant Robert Arden le détective et dans un
grossissement, son œil est déformé. Il est dompteur de puces dans un cirque.

127
. Jean Douchet, “Hitch et son public”, CAHIERS DU CINÉMA n°113. 11/1960.p.1-7.
128
. Ce monde accordé à notre désir fera l'objet d'un developpement. Voir infra : Séquence 8.
129
. Orson Welles, CONFIDENTIAL REPORT (Mr Arkadin/Dossier secret, 1956).

343
Plan 6 Extrait continu du film CONFIDENTIAL REPORT.
G.P. Visage. Lʼœil est grossi par la loupe.
Toujours ralenti à lʼextrême selon la même vitesse régulière, on a changé de plan, mais
indiquons que ce raccord fait partie intégrante de l'extrait du film et le carton reste en
incrustation.
[QUE / CHAQUE / ŒIL] C5
130
Ce procédé de conservation arrive souvent, et Godard sait en jouer. C'est-à-dire qu'il
sait utiliser les raccords préexistants du montage de l'extrait de film. Le plan large
raccorde originellement en un Gros Plan visage. L'œil derrière la loupe, ramène
l'infiniment petit à notre portée. Une loupe, étant l'instrument qui ceint une lentille
façonnée, on obtient une vue microscopique. L'œil peut percevoir des différences entre
les millimètres, il accède à un champ de vision qui ne pouvait être vu sans.
Le sens même du plan vient dʼêtre souligné par un changement de carton : le Carton
n°5 disparaît pour laisser place au suivant qui subsiste jusquʼà la fin du plan :

[ NÉGOCIE / POUR / LUI / -MEME] Carton n°6= C6

Commentaires de la séquence 1
RAPPORT DE PRODUCTION : DIFFÉRENCE DE VUES
On peut constater que le rapport d'opposition des deux extraits de films de fiction, est
produit d'un point de vue scopique (microscopique // macroscopique) couple
dʼopposition quʼil avait déjà distingué131. Ils sont visiblement liés, mais aussi par
agencement de la phrase (qui apparaît en double carton) :
que chaque œil / négocie pour lui-même.

PRISE EN COMPTE D'UNE DIFFERENCE DE VUES PAR LES EXTRÊMES.


Tout ces assemblages se prédestinent à nous faire comprendre que la signification
réside dans l'entre deux des intervalles. Il reste ensuite à préciser le niveau de
l'accession du sens ou de sa signification132.

130
. Conserver le montage dʼorigine.
131
. Ref.173. Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros, 1980.p.217.

344
QUAND LE SENS SE CACHE DANS L'ENTRE DEUX
NIVEAUX DE RENCONTRE D'ÉLÉMENTS CINÉMATOGRAPHIQUES
L'entre deux 133 que nous avions défini comme point de jonction des intervalles
correspond à plusieurs niveaux de rencontre des deux éléments, ce que le langage
cinématographique appelle montage.

— premier niveau : l'image rencontre le son, ou rencontre une autre image, ou encore
un élément sonore rencontre un autre élément sonore.

— deuxième niveau, c'est la rencontre entre un son et deux images assemblées ou


bien une image et deux sons se chevauchant. Il résulte à ce niveau que l'apport
signifiant du troisième élément nʼentre pas en contradiction avec l'ensemble.

— un troisième niveau de l'entre deux est atteint lorsque le constat d'une coexistence
de significations s'avère possible. Il en résulte que l'apport signifiant du troisième
élément entre en contradiction avec l'ensemble. Pluralité qui fait intervenir le sens
même que peuvent véhiculer l'image ou le son (issus du niveau 2) ainsi que celui du
nouvel élément.

Car le sens, qui éclot par la confrontation de deux premières images (premier sens) et
auquel un son vient s'ajouter, peut être amplifié, corroboré. L'ajout en question atteste
l'image ou la pensée que va dégager ce premier sens des deux images mises en
commun. (On reconnaît là notre deuxième niveau).
Mais au contraire, si le son ajouté vient infirmer —contredisant par son propre contenu,
le premier sens des deux images, alors on peut énoncer que ce son produit une
nouvelle forme de confrontation : Le nouveau sens de ce son contradicteur entre
comme en résistance face au premier sens. Il se distingue de l'ensemble en
fournissant au même intervalle, la présence de plusieurs significations.

132
. On connaît la différence qu'il y a entre le sens et la signification. La signification est ce qui fait sens,
(son mode actif). Aussi lorsque nous cherchons justement à établir, par l'élaboration méthodique, le sens
d'un plan, alors le terme de signification peut lui être synonymique.
133
. Philippe-Alain Michaud, Sketches. Histoire de l'art, cinéma, Paris, Ed. Kargo & L'Éclat, 2006.p.13. Ce
terme est un remploi d'une notion freudienne le zwischenreich.

345
Lʼentre deux est d'ordre ésotérique, dans son sens le plus simple : il est caché.
Ne se donnant pas de lui-même, c'est l'activité de notre lecture qui va le révéler, ce
qu'on peut nommer par la production d'un montage subjectif.
Les deux premières images (extraites de films) choisies par JLG, sont plus instructives
de ce qu'elles montrent en tant quʼimage, que du savoir dont on peut tirer de leur
provenance, (lʼune est réalisée par Hitchcock et l'autre par Welles).
L'image est destinée, en ce sens, à être reconnue comme une image filmique et non
pour sa possible connotation cinématographique. L'adjonction du sens des phrases P3
et P4 qui nous parviennent dans le même temps font accéder au spectateur le niveau 3
décrit. Et l'on va se rendre compte que c'est presque l'ensemble du film qui se
maintient à ce niveau.

Lʼentretien dʼune confusion cinéaste/spectateur (figure de Janus) se révèle ici par le


mode de conjugaison. En effet, le mode impératif fait que ces quatre premières
phrases s'adressent indistinctement tant au spectateur quʼau cinéaste. Pour ce dernier,
elles pourraient être considérées comme des notes introspectives134, précisément ici
en liminaire, juste avant de passer à l'acte. Il est même difficile de ne pas penser au
film lui-même et à la manière dont Godard nous indique sa façon de le réaliser, lorsqu'il
relate ces quatre sentences. Nous démontrerons à ce propos comment le mode du
soliloque compose une des formes narratives principales des HdC.

134
. Dans la même mesure, on retrouve aussi les mêmes types dʼaphorismes sous forme impérative, dans
les notes, accumulées sur les tournages successifs, de Bresson. Tel : « Oublie que tu fais un film »
Robert Bresson, Notes sur le cinématographe, Ed. Gallimard. 1972. Comme des notes personnelles de
travail, JLG en a repris quelques unes, pour annoter et pour organiser sa pensée. Cela témoigne à
posteriori de réflexion sur son métier.

346
Séquence 2. Un 2ème liminaire / Toutes les histoires. CHAPITRE 1a
{Plan 7 — Plan 10}

Un solo de violon135 s'entonne à l'arrivée du deuxième et du troisième136 carton du


générique. Ceux-ci proposant le titre du film en lettrages blancs sur fond noir, on est à
même de s'interroger sur la valeur de sa fonction autant que par les aspects du jeu
typographique en rapport.

Plan 7 : Lettrages blancs (avec ajour) [HISTOIRE(S)] Carton n°7= C7


Le premier carton disparaît pour laisser
Plan 8 : Lettrages blancs (avec ajour) [DU CINÉMA] C8

INTERPRÉTATION DU TITRE, SES ENJEUX.


“ HISTOIRE(S) DU CINÉMA ”

LA VALIDITÉ DU TITRE
Avant de procéder à une tentative d'évaluer les enjeux des éléments qui composent le
titre, nous tenons à rappeler que ce même titre avait déjà bénéficié d'un premier
commentaire généalogique137. Ce commentaire prenait en compte l'expressivité de la
lettre « s » mise entre parenthèses, comme possibilité plurielle dʼune conception de
lʼhistoire et s'imposait comme un mode problématique de l'historiographie138. La
possibilité plurielle avait déjà était commentée par Godard, à lʼoccasion de son titre
SAUVE QUI PEUT (LA VIE). La mise en parenthèse équivalait à lʼexpression dʼun double
titre :
"Mettre un double titre, c'était aussi créer un effet de troisième titre à naître, chacun pouvant

faire son montage un peu comme il veut en lui donnant des indications assez précises et un peu
139
souples, un peu contradictoires aussi."

135
. Paul Hindemith, Sonate pour alto solo, op.32.3eme mvt. (1924). Cité par Jean-Louis Leutrat, « Retour
sur Histoire(s) [4] », TRAFIC n°73. Printemps 2010.
136
. Rappelons que [Canal Plus Présente] constitue le premier carton (C1). Les cartons des phrases P1 et
P3 ne sont pas inclus dans cette énumération, ils ne font pas partie du générique.
P1, Plans 1-2, sont considérés comme liminaire au film.
P3, Plans 4-6, sont considérés comme extrait de films.
137
. Supra Introduction Générale, Chapitre Un, 3/ Présentation de lʼintitulé (I) : le titre du film.
138
. Supra Introduction Générale, Chapitre Un, 3/ Présentation de lʼintitulé (I) : le titre du film.

347
Une des méthodes interprétatives dʼun titre consiste à faire valoir sa viabilité. C'est tout
l'enjeu de son inscription ; attester du degré de cohérence et du niveau d'implication,
qui ressortent des termes qui le composent, avec le reste du film.

PREMIER ENJEU : MODE OPERATOIRE ENTRE CINEMA ET HISTOIRE


Premier enjeu. Intituler le film Histoire(s) du cinéma, c'est vouloir faire rencontrer deux
notions l'histoire et le cinéma, cela avant même de chercher à déterminer le mode
opératoire qui relierait ces deux notions.

Depuis longtemps, Godard s'est toujours intéressé à fournir des signes nouveaux
exprimant le caractère relationnel de deux éléments, dans les titres et cartons que l'on
trouve parsemés dans toute son œuvre filmique; ce que Deleuze, partant du même
constat à partir de ce sujet précis, nomme : la relation d'activité duale140. Ainsi on trouve

le graphème [ + ] dans ONE + ONE141 et dans un diaporama d'ALPHAVILLE142. On

découvre l'espace (un blanc typographique) qui va créer des écarts de sens dans la
composition de certains FILMTRACTS143. Puis c'est la mise en parenthèses qui, ici,
apparaît comme le nouvel élément relationnel d'activité duale et évidemment
problématique.

LES PARENTHÈSES ENSERRANT LE PETIT “S”


En effet, la mise entre parenthèses, d'un point de vue typographique, signale une
double accession : la lecture du mot histoire se produit tant au pluriel quʼau singulier.
Les parenthèses —que l'on place au cas de la double occurrence masculine/féminine,
comme celle du singulier/pluriel avec la lettre "s"— n'établissent pas, par principe, de
hiérarchie entre ces deux possibilités. Toutefois, on peut constater qu'une tendance
usuelle consiste à privilégier, dans un premier temps, la lecture dʼune des deux
possibilités : celle dont lʼoccurrence n'a pas besoin dʼêtre lue avec les parenthèses.

139
. Ref.305. Propos rompus (Festival d'Avignon), CAHIERS DU CINÉMA. n°316. 1980.
140
. Gilles Deleuze, "Du caractère “et” dans SUR ET SOUS LA COMMUNICATION de Jean-Luc Godard”,
CAHIERS DU CINEMA, n°276.08/1976.p.24.
141
. Ref.Film30. ONE + ONE. 1968.
142
. Ref.Film18. ALPHAVILLE. 1965. Voix de la machine Alpha60 : Une fois que nous connaissons “1”,
nous croyons connaître “2” parce que “1+1=2” ; nous oublions qu'auparavant il faut savoir ce qu'est “+”.
143
. Ref.Film28. CINÉTRACTS. 1968.

348
Ainsi donc, usuellement, on privilégiera, dans une première acception du mot
histoire(s) : histoire plutôt qu'histoires.
Conséquente à cet usage, avant de comprendre la valorisation dʼune lecture singulière
dʼHistoire(s), il s'avère instructif de montrer le niveau d'inventivité de Godard sur le jeu
typographique.

L'INVENTIVITÉ TYPOGRAPHIQUE DE GODARD


L'une des traces de jeu typographique se trouve dès les débuts filmiques de Godard
par un emploi inaccoutumé de cartons ou d'intertitres et ce, en dehors de génériques,
qui eux-mêmes traduisent cet intérêt144. On peut y voir une influence cinéphilique, se
référant aux visions des intertitres dans les films muets chez Langlois. On peut évoquer
les intertitres des 12 tableaux de VIVRE SA VIE145. Ensuite c'est à travers la
composition, que l'originalité va s'effectuer : le jeu d'apparition des lettres en couleurs
du générique de PIERROT LE FOU146, ou bien encore dans ALPHAVILLE147 : les inserts
fait en lettrages de néons [E=mc2], ainsi que le petit diaporama didactique comprenant
collages, dessins et mots calligraphiés, projeté pendant le cours de sémantique
générale que suit studieusement Natacha Von Braun. Ce cours filmique, peut être
considéré comme précurseur par ailleurs, des figures agit-prop quʼon découvrira
quelques années plus tard les CINE-TRACTS148. Dans ces films muets de trois minutes,
le procédé similaire se composait très généralement de vues fixes, hétérogènes, qui se
succèdent et sur lesquelles des mots, les uns à la suite des autres, au rythme des
plans, étaient inscrits au marqueur ; ce qui faisait que pour lire et comprendre, le
spectateur devait recomposer la phrase petit à petit. Ce procédé s'apparente
directement à la figure de la ronde en carton que l'on développera plus tard.

144
. Ref.Film19. PIERROT LE FOU. 1965. (Un film trouvé à la ferraille.). Ref.Film22. 2 OU 3 CHOSES QUE
JE SAIS DʼELLE LA RÉGION PARISIENNE. 1966.
145
. Ref.Film10. VIVRE SA VIE. 1962. Une séquence nous montre même Nana assistant au cinéma, à la
projection de JEANNE DʼARC (Carl Th. Dreyer, 1928) et l'on retrouve plein écran un des cartons du film (il
devient alors carton du film de Godard.)
146
. Ref.Film19. PIERROT LE FOU. 1965. Les lettres remplissent l'écran au fur et à mesure selon l'ordre
alphabétique.
147
. Voir Ref.Film18. ALPHAVILLE. 1965. Le cours de sémantique est dispensé à l'aide d'un diaporama,
par la machine centrale alpha 60 qui prête sa voix à la bande son du film présenté. Le contenu de ce que
la voix exprime est en lien direct avec les HdC.
148
. Ref.Film28. CINÉTRACTS. 1968.

349
NOUVEAUX SIGNES TYPOGRAPHIQUES RELATIONELS
C'est à l'intérieur de ces films que l'on découvre un véritable arsenal de composition
typographique inédite et variée149 :
— Calligramme. Répétition d'inscription de phrases. La phrase plusieurs fois réinscrite
va former un dessin ou un bloc géométrique (rectangle, croix, triangle, fontaine…)
— Double lecture par majuscules150 : une lecture normale et une autre lecture des
seules majuscules (en omettant les minuscules), nous fournit une nouvelle phrase.
— Mot-valise151, on rédige un mot avec d'autres mots et, produisant, par connotation,
un nouveau sens. Cʼest un sous-entendu lisible.
— Calligraphie. Ce que le langage occidental a très peu développé, c'est la façon dont
on écrit les lettres d'un mot. Cela peut infirmer ou corroborer la signification du mot
écrit, (si on écrit le mot bien-portant avec des lettres tremblantes, on peut remettre
en cause la validité du terme)152.
— Graphèmes relationnels et algébriques153. La mise en parenthèses en fait partie.
— Flèches de toutes sortes. Droites, bicéphales, cerclées… Présences principales
dans les CINETRACTS, mais déjà visibles dans ALPHAVILLE. On peut noter que la
palette graphique (inventée vers 1976) a permis à Godard d'employer, à nouveau,
ce système d'écriture manuscrite sur une image (vidéo). Dans SIX FOIS DEUX154,
certaines notions — mais aussi des composantes intégrées de l'image comme une
tasse de café, un regard… — sont entourées, fléchées, voire biffées.
— mots biffés mais lisibles. Soit une ligne simple barre le texte, soit des hachures, on
peut les interpréter comme des lapsus calami. Godard laisse ses tentatives lisibles
à l'écran, trouvant ici encore un prétexte à inventer un élément de distanciation
moderne, sur la monstration du dispositif155.

149
. Le montage anthologique des photos dʼécrans des films de JLG, opéré par Philippe Dubois, en offre un
très bel exemple. Philippe Dubois, « The Written Screen », For Ever Godard, Black Dog Publishing,
London, 2004.p.232-247.
150
. Ref.Film28. CINÉTRACTS. 1968. FILMTRACT21 : Culture République Silence= leS forceS de l'ordre /
CRS = SS.
151
. Ref.Film28. CINÉTRACTS. 1968. FILMTRACT14 : Peau-lisse et drap-peau rouge / police et
drapeau rouge
152
. Voir Ref.Film18. ALPHAVILLE. 1965. Diaporama, par la machine centrale Alpha 60.
153
. Slash[ / ], espaces, parenthèses, crochets. Algèbre : virgule, égalité, plus, moins, fois, quotient…
154
. Ref.Film43. SIX FOIS DEUX (SUR ET SOUS LA COMMUNICATION ) (Co-réal. A.M.Miéville, 1976).
155
. Ref. Film18. ALPHAVILLE. 1965. Et aussi dans ses collages. Ref. 308.

350
RETOUR SUR LA MISE ENTRE PARENTHÈSES DE LA LETTRE « S »
Il faut cependant attester que les films cités en amont, vont constituer un socle, le
premier niveau pratique, d'une recherche typographique, qui sʼeffectuera de la part du
cinéaste principalement jusquʼen 1973, où un texte, viendra faire aboutir ces
approfondissements, en reprenant les même modalités d'application :
il s'agit de son scénario Moi, je. Projet de film.156.
On trouve par exemple à la page 7 de son scénario, onze fois répétée la phrase
inscrite suivante :
" A) machine(s) du type je, tu, il
machine(s) du type je, tu, il
157
machine(s) du type je, tu, il….".

Le procédé de répétition, qui apparaît plusieurs fois dans le scénario jusqu'à exercer
des figures géométriques de jeux calligraphiques, est là pour exprimer cette possibilité
humaine du devenir machinal, (quand l'homme utilise une machine à écrire, comme s'il
était un cyborg, cʼest-à-dire doté d'une prothèse). C'est l'"Explication de je, tu, il, elle / est
158
une machine."

MACHINE(S) DU TYPE JE, TU, IL…


On distingue, dans cet extrait de scénario, une mise entre parenthèses de la lettre s.
Elle exprime la double virtualité singulier/pluriel du mot machine, et nous pouvons
affirmer que cʼest une des première trace de lʼutilisation de ce procédé par JLG. Notons
quʼil va, de plus, lʼutiliser à ses propres fins. Même sʼil avait déjà effectué dans les
années 60, la rencontre fictive de la machine et de l'homme159, cette fois-ci, il sʼimplique
personnellement dans le sujet du processus. Nous retrouvons donc, par sa
participation ce que nous avons nommé incorporation160.

156
. Ref.178.18.
157
. Ref.178.18.Moi, Je. Projet de film (1973). p.228.
158
. Ref.178.18.Moi, Je. Projet de film (1973). p.229.
159
.Ref.Film18. ALPHAVILLE. 1965.
160 ème
. Supra. 2 Partie. CH2. 3/Le principe dʼincorporation.
Je suis une machine, est une assertion provocante et révélatrice énoncée par Andy Warhol également.
Cela fut un des liens correspondant au système des deux cinéastes de laboratoire tel que lʼenvisageait
Langlois. Henri Langlois, « Le cinéma en liberté. Godard/Warhol”, Jean-Luc Godard- DOCUMENTS,
Paris, Ed.Centre Beaubourg, 2006. p.259.

351
Après cela, nous plaçons en parallèle, un autre film, sorti en 1979 (pendant les
premières versions du film HdC), où une mise entre parenthèses est effectuée pour
son titre. Il d'agit de SAUVE QUI PEUT (LA VIE)161. Ici, un groupe de mot est mis entre
parenthèses.
Notre interprétation réside dans lʼannotation du geste de ces deux occurrences.

Les parenthèses furent placées pour cerner certaines consonnes ou voyelles et pour
ainsi donner, à sa lecture, un nouveau mot. Considérée historiquement et
esthétiquement, cette technique de détournement apportait un nouveau sens de la
phrase dans son entier. Il provenait essentiellement du montage des deux mots : celui
contenu par les parenthèses et celui issu du détournement.

Nous prenons un exemple issu dʼun des CINE-TRACTS. Ceci afin de mieux faire
comprendre cette technique, qui peut sembler, peut-être, sans rapport avec les HdC,
mais qui est, au contraire, un plein exercice de ce que fait Godard avec les
parenthèses et comment apparaît l'importance de ce procédé par rapport au titre du
film.
Ex : La (Cul)ture bourgeoise.

— HISTOIRE(x) + CINÉMA = 0
L'INDICE DE LA PLURALITÉ DE L'HISTOIRE
Au final, le (s) exprimerait l'indice d'une pluralité dont le nombre nous est encore
inconnu. Et, à ce titre, la notion ambivalente (singulier ou pluriel) compose une
équation dont le s figure l'inconnue162 ; l'inconnue d'une équation contenant ses deux
termes à égalité.
Égalité relative (entre histoire et cinéma) puisque si l'histoire passe en premier, sa
lecture en histoires vient le dessaisir d'une primauté, d'une unicité que le cinéma
conservera, mais qui passe en second dans la proposition. Donc une équation
équitable dont il appartient au lecteur-spectateur de résoudre le problème posé.

161
. Ref.Film45. SAUVE QUI PEUT (LA VIE) (Co-réal. A.M.Miéville, 1979).
162
. Cʼest à ce titre que lʼon peut substituer « x » à la place de « s ».
Et lʼon obtiendrait : Histoire(x) + cinéma = 0

352
Godard lui-même, par la disposition de ce mode dialectique, répondra dans le dernier
épisode, en mettant les deux notions face à elles-mêmes jusqu'à les renverser :

Le carton [HISTOIRE(S) DU CINÉMA]163


devient [CINÉMA HISTOIRE(S)] 164 .

Cette technique de renversement provient originairement de NUMÉRO DEUX165, où


comme dans les HdC, les mots inscrits sur l'écran sont mobiles et se mettent
concrètement à reculer. Godard enregistre et nous laisse entrevoir ce qui est
normalement dʼusage à laisser hors-champs : le moment d'élaboration où le technicien
au synthétiseur d'effets (écriture du générique) exerce des séries d'ajustements et de
réajustements typographique par des placements et déplacements des mots à
l'intérieur de l'écran.
Pour l'exemple choisi, le mot CINEMA recule, croise le groupe HISTOIRE(S) DU, puis le
dépassant par la gauche pour finalement s'arrêter en amont, nous permettant de lire,
alors, le carton: [CINÉMA HISTOIRE(S)] 166 .

—DEUXIEME ENJEU : FONCTION DE L'HISTOIRE, FONCTION DU CINEMA


L'interrogation précédente est elle-même l'occasion d'une autre formulation, répondant
à un questionnement peut-être plus constitutif et qui va devoir transformer
nécessairement notre méthode :
Avant toute détermination du rapport de nos deux notions, il convient d'établir leurs
fonctions.

Avant l'interrogation des conditions opératoires entre le cinéma et l'histoire telle que
Godard le rapportera, il faut chercher à définir a priori les valeurs qui constituent
l'histoire et le cinéma. Chercher à définir des valeurs, passe par la volonté de les
inclure dans un ensemble dans lequel les deux peuvent répondre de leur identité. Un
ensemble dans lequel leurs principes, ainsi constitués, puissent être identifiés, voire
isolés pour justement obtenir des réponses du mode opérationnel désiré.

163
. HdC.4a.le contrôle de lʼunivers. p.23.
164
. HdC.4a.le contrôle de lʼunivers. p.26.
165
. Ref.Film41. NUMÉRO DEUX. (Co-réal. A.M.Miéville, 1975).

353
Cette tentative, pour concevoir leur composition, vise à produire un repérage des
activités de lʼensemble. Nous pouvons établir des rapprochements, des convergences,
des transferts, en tous cas, des relations d'activités qui destinent les hommes à pouvoir
s'impliquer dans le processus même de l'élaboration, ou plus simplement : la fonction.
Et le cinéma comme l'histoire sont toutes deux fonctions.

On notera, pour finir sur ce deuxième enjeu, que le titre histoire(s) du cinéma indique
qu'il ne sʼagit pas d'une simple histoire du cinéma, car en effet, celles admises
généralement sont issues du domaine de l'écrit167. Rien de surprenant alors de
constater que le début des HdC se déroule précisément sur lʼantagonisme de ces deux
éléments (le livre et l'image). Ce pluriel des histoires pourrait être considéré comme un
signe avant-coureur de ce rapport. Ce dernier, souvent envisagé comme
problématique, est le lieu dʼun débat hostile (fratricide), où chaque partie prétend se
maintenir sur ses positions fondatrices voire sur ses transitions, et pour essayer de
briguer la part de responsabilité, autant dans la perpétuation de l'histoire que dans
l'idée du cinéma.

— TROISIÈME ENJEU : STADE DE L'IDENTIFICATION À LA FONCTION


L'homme, qui agit non plus pour soi mais qui décide d'agir au nom de la fonction
histoire ou de la fonction cinéma, devient, par essence, le modus vivendi de cette
fonction. S'identifiant totalement à l'action qu'il conduit, l'historien (ou cinéaste) en
devenir, ne passera pas par un système de reconnaissance social
d'institutionnalisation.
Ce qui est important passe par son désir, un désir inconscient ne dépendant pas
directement de lʼadmission des autres hommes, or ce qui est mouvement de sortie, est
appelé désir puisqu'il est accompagné de la représentation de son but. Cette
représentation inconsciente en psychanalyse se nomme objet.
L'objet du cinéaste, comme celui de l'historien, ont au moins un point commun : le fait
temporel.

166
. HdC.4a.le contrôle de lʼunivers. p.26.
167
. Il ne s'agit pas ici de contester toute Histoire du cinéma filmée précédante (Kevin Bronlow…) mais
d'établir que le document historique écrit est devenu une prérogative académique et universitaire
normalement admise. Au sortir de cette aporie, Godard veut prouver que son histoire paradoxale est plus
grande car elle se projette.

354
"L'objet de l'histoire est par nature, l'homme. Des hommes, des hommes dans le temps."168

Cette définition de l'histoire que nous propose Marc Bloch, nous livre un monde prêt à
se livrer tout entier à la capture du cinéma. Nous proposons par là que le cinéma, à ses
débuts, n'a justement rien fait d'autre que de reproduire également la fonction humaine
agissant dans le temps. On a bien filmé des fleurs au ralenti, mais l'immense vague
cinématographique au début du XXème siècle s'est avant tout imposée comme
reproduction de la fonction humaine dans le temps, assortie de deux autres notions
divergentes 169. C'est presque axiomatique : dès le début du cinéma, la première notion
fondatrice du cinéma est le temps, elle n'est en rien le mouvement et son inscription
dans l'espace, ces suites d'immobilités successives, dont notre imperfection humaine
projetait une impression de mouvement. Comme Jean Louis Schefer le propose,
l'assène presque, tant pour lui cela demeure évident, nous nous rallions à son avis :

"C'est, encore une fois, que le cinéma n'a pas inventé le mouvement dans l'image. (…) parce
que ce que nous croyons être le mouvement a été l'introduction d'un soupçon de temps dans
les images et cela selon un scénario immuable. (…) Ce qui séparait l'homme de l'univers ou
170
faisait radiographie de ce conflit de temps était justement le corps de l'image."

Le soupçon du temps correspond au temps captivé dans une dimension subjective et


elle vient s'inscrire dans l'histoire précisément lorsqu'il est question d'image de cinéma.

"Le soupçon de temps qui s'est introduit avec les toutes premières images mobiles a
commencé une suite de scénarios. (…) L'image éveillée au soupçon de temps a donc fait
171
l'histoire, comme poésie, comme action : c'est la même chose analytique."

Même si dans cette partie, Schefer insiste surtout sur l'enjeu fictionnel de l'histoire et
de sa contrainte nécessaire à reconstruire l'événement pour porter témoignage,

168
. Marc Bloch, Apologie pour lʼhistoire ou métier dʼhistorien (1941), Paris, Librairie Armand Colin, Coll.
Cahiers des Annales, 3.1949.p.52.
169
. Ces deux notions sont le désir de fiction et celui du réel, nous y reviendrons plus tard.
170
. Jean Louis Schefer, Du monde et du mouvement des images, Paris, Ed. de l'étoile/Cahiers du cinéma,
1997. p. 13.

355
l'histoire n'en devient pas moins, comme le cinéma, un outil possible de reproduction
de la réalité.

Aussi, nous voulons attester que précisément à cause de ces traits communs, la seule
méthode possible est d'opposer à ce monde un autre monde, celui d'un espace
dédoublé. Pour que la coexistence entre le cinéma et l'histoire puisse avoir lieu : ce
film. On verra que cet espace peut être opposable à nos deux fonctions mais aussi,
parce que reproductible par ces mêmes fonctions, il est concevable comme réalité.
Pour que nous puissions comprendre le mode opératoire de l'histoire sur le cinéma, ou
du cinéma sur l'histoire, c'est arriver d'abord à identifier les modes de productions de
l'événement filmique pour ensuite en avoir sa situation. Pour conclure sur ce
commentaire, le titre nous dévoile ainsi l'objet de Godard que laisse supposer la mise
en équation :
ÉGALITÉ ENTRE LE CINÉMA ET L'HISTOIRE
La liaison d'égalité voulue entre ces notions antagonistes peuvent se répercuter dans
une des phrases manifeste du film, qui met en jeu le rapport de deux autres notions,
pouvant aussi prétendre à valoir une équivalence :

172
[FRATERNITÉ ENTRE LE RÉEL ET LA FICTION]

En précisant, sur cette dernière phrase, que le réel ou la fiction sont deux notions
équivalentes (fraternelles) au regard des fonctions décrites. En paraphrasant
lʼexpression on obtiendrait alors une FRATERNITÉ ENTRE LʼHISTOIRE ET LE CINÉMA.
Le réel est désigné historiquement comme ce qui s'est vraiment passé, ou
cinématographiquement par sa vertu à pouvoir le reproduire. Autant, la fiction qu'on
attribuerait primitivement au cinéma seul, contient tout les ressorts de la poétique
nécessaire à la mise en écriture de l'histoire173 ainsi que son objectif : conception d'un
espace, qui recevra le fait temporel, le fait conciliateur des deux notions.

171
. Jean Louis Schefer, Du monde et du mouvement des images, Paris, Ed. de l'étoile/Cahiers du cinéma,
1997. p. 14.
172
. HdC.3b.une vague nouvelle. pp.126-127.

356
HdC : FILM OÙ LE CINÉMA ET L'HISTOIRE SONT EN PUISSANCE,
EN ATTENTE DU SPECTACLE DE LEUR RÉALISATION.
— QUATRIÈME ET DERNIER ENJEU :
Un dernier enjeu : Toutes les histoires 174 du cinéma seront possibles à produire pour le
cinéaste, à réaliser par l'acte même de sa destitution en tant que sujet, en tant que
corps. Le sujet Godard devenant temporairement corps de l'image175, d'où cette étrange
nécessité, obtuse, pour lui, d'intervenir avec acharnement dans le film. C'est le sacrifice
volontaire (orphique) qui renouvelle la position du spectateur en statut de créateur176.

LE TITRE DU FILM INDIQUE : LE SPECTACLE DE FAITS TEMPORELS


Le titre de ce film indique que le spectateur va assister au spectacle de faits temporels
dont les équivalences et le moment de leurs attributions sont le fait de plusieurs sujets.
Après que le titre du film ait une première fois apparu, Godard effectue à la suite, au
même rythme d'apparition, deux autres nouveaux cartons formellement comparables.
Les quatre cartons sont chacun espacés par des plans noirs de même durée, ils
couvrent eux-mêmes chacun la même période (4 secondes)177.

Plan 9 : Lettrages blancs (avec ajour) [SPLENDEUR] C9


Plan 10 : Lettrages blancs (avec ajour) [ET MISÈRE] C10
Déjà l'instruction proverbiale qu'il (se) donnait (à lui-même) en P4 (Ne vas pas montrer
tout les côtés des choses...) est derechef mise en application, puisque ici, Godard
n'inscrit pas le titre du roman dʼHonoré de Balzac dans son intégralité :
178
SPLENDEUR ET MISÈRE DES COURTISANES

173
. Michel de Certeau, L'écriture de l'histoire, (1975), Paris, Ed. Gallimard. 3eme Ed. Folio/Histoire, 2002.
p. 179.
174
. Titre du chapitre 1a.
175
. Jean Louis Schefer, Du monde et du mouvement des images, Paris, Ed. de l'étoile/Cahiers du cinéma,
1997. p. 13.
176
. Cʼest la figure de Janus, double, que nous avons ultérieurement développée.
177
. C'est par souci de simplicité que nous avons décidé de ne pas inclure dans la numérotation des plans
totues les apparitions des noirs, on notera par ailleurs que lʼinscription de la splendeur est fixe et celle de
la misère clignote; par contre, s'il y a un son présent dans un carton noir et qu'il ne soit présent ni dans le
plan d'avant ou celui d'après, alors ce plan noir obtient un statut de plan numéroté, puisqu'il supporte un
son qui le singularise. Aussi la numérotation ne se renouvelle pas à chaque séquence, comme le font
certains.
178
. Honoré de Balzac, Splendeur et misère des courtisanes (1845), Paris, Réed. Folio. 1991

357
Commentaires de la séquence 2
Avant de montrer ce qu'offre, comme intérêt, les limites de l'action historiographique et
comment intervient la confrontation de son histoire (personnelle) avec celle des autres,
la non monstration du titre entier est révélateur encore d'une double lecture possible.

La lecture exotérique nous propose de lire les cartons dans la continuité, faisant ainsi
correspondre la splendeur et la misère au sujet du cinéma lui-même. On obtient donc
HISTOIRE(S) DU CINÉMA : SPLENDEUR ET MISÈRE. Les deux adjectifs, par ce quʼils

sʼopposent par définition, viennent revendiquer lʼexigence dʼune multiplicité de cette


histoire : Nous serions témoins dʼune histoire splendide et aussi dʼune histoire
misérable.

Cette technique dʼénonciation, procédant au réemploi partiel de titres préexistants179,


provient de lʼexpérience filmique de Godard : Lorsquʼen 1986, il réemploie
GRANDEUR ET DÉCADENCE DE L'EMPIRE ROMAIN pour intituler son film :
180
GRANDEUR ET DÉCADENCE … D'UN PETIT COMMERCE DE CINÉMA

A partir de l'omission des courtisanes dans le titre, une lecture ésotérique consisterai,
justement, à parvenir à comprendre le parallèle établi entre le cinéma et ce qui nous a
été demeuré caché : ces courtisanes.

Le cinéma se substitue (en quelque sorte) à leur existence puisqu'elles ne sont pas
inscrites. Réputation du titre qui précède. La prostitution et le cinéma sont deux modes
dʼactivités ayant, pour Godard, certains intérêts communs181 comme l'instauration d'une
"Monnaie vivante"182. Expression de Pierre Klossowski qui parlait à propos du cinéma et
du métier d'actrice :

179
. procédé (s'il en est un), initié par Edward Gibbon et son célèbre Decline and Fall of the Roman Empire,
(1787) voir pour de plus de développements Ref.Film56.
180
. Ref.Film56.GRANDEUR ET DÉCADENCE D'UN PETIT COMMERCE DE CINÉMA. 1986.
181
. Voir lʼun de ses premiers films Ref.Film2. UNE FEMME COQUETTE.1955.Ou encore Ref.Film10. VIVRE SA
VIE. 1962.
182
. Terme que nous empruntons à l'opuscule philosophique de Pierre Klossowski, qu'il a intitulé ainsi :
Pierre Klossowski, La monnaie vivante, Paris, Ed.Le Terrain vague. 1970.

358
"comment un art participant à la falsification industrialiste de notre monde, dévalorise la
183
condition érotique et spirituelle de la femme par la prostitution standardisée de son image."

De plus, on retrouve le titre partiel de Balzac, à la fin du 1b. une histoire seule184,
adjectivant nommément le cinéma. Ce qui donne à la lecture, en plusieurs plans :
SPLENDEUR ET MISÈRE // DU CINÉMA
Un lion en cage185 est la première image, sur le carton splendeur (et misère), qui vient
réunir les deux termes car le lion pouvait représenter autrefois le roi des animaux
(splendeur), or il tourne maintenant dans sa cage, captif, vaincu et seul (misère ?). Par
la suite, les extraits suivants viennent réunir, tout en le corroborant, le parallèle établi
entre le cinéma et les courtisanes. Ce sont deux extraits de film érotique anonyme
clandestin186, où un homme lèche la poitrine dʼune femme et la dénude.

183
. Pierre Klossowski, “P.J. Jouve romancier : Catherine Crachat”, CRITIQUE n°27, Paris, Ed. de Minuit,
1948.
184
. HdC.1b.une histoire seule. p.250. [SPLENDEUR / ET / MISÈRE // DU / CINÉMA]
185
. HdC.1b.une histoire seule. (PLAN1576). Lʼanimal tourne dans un mouvement en boucle recomposé
des photographies de Muybridge. On retrouve aussi un autre roi de la forêt, un cerf captif selon la même
provenance (PLAN1579).
186
. HdC.1b.une histoire seule. (PLANS1578&1581). On sait que ce genre de production était projeté dans
les maisons closes.

359
Séquence 3. Envoi / Toutes les histoires. CHAPITRE 1a
{Plan 11 — Plan 12b}
Il est évidemment rare qu'une séquence ne comporte seulement que deux ou trois
plans. Pourtant ces deux plans composent l'envoi de ce chapitre.
À chaque début des huit entrées du film — respectivement, deux accès (a et b) pour
chacun des quatre chapitres—, Godard établit un double envoi. L'envoi, composé au
génétitre, adoptera huit couleurs différentes par-delà la nomination, à chaque entrée,
de deux personnalités ayant attrait au monde du cinéma.

Pour ce début de 1a, il dédie cette partie à deux personnalités. Il a fait correspondre à
chacune de leur inscription un plan :

Plan 11 [POUR MARY MEERSON] Carton lettrages rouges n°11 = C11

Plan 12 [POUR MONICA TEGELAAR] Carton lettrages rouges C12

À noter que ces deux plans sont reliés entre eux par un fondu enchaîné.
Nous allons maintenant nous intéresser au rapport de ces deux plans.
En fait, malgré l'apparente similarité, nous sommes face à des éléments antagonistes
dont il est plus important de comprendre les niveaux de relation mis en évidence par
une disposition sous forme de liste que nous allons poser.

UNE OPPOSITION NON CONTRADICTOIRE.


En effet, il est dʼores et déjà important de signaler que la disposition duelle, telle que
Godard la produit, en utilisant le régime dialectique des images, n'est qu'une première
étape à l'accession de sa pensée. Et il serait malencontreux, de vouloir s'arrêter à ce
principe d'opposition qui lie ces deux plans, et de penser que Godard se maintient à ce
niveau. C'est oublier l'intervalle de leurs rapports créé par le montage. Un ET
fondamental comme conjonction entre le plan 11 ET le plan 12. C'est à partir de
l'observation du Film SIX FOIS DEUX187, que Gilles Deleuze opérait à peu près le même
constat en répondant à la question du pourquoi toujours “deux” chez Godard. Voilà ce
qu'il disait, et nous allons comprendre toute l'étendue de cette notation :

360
"Godard n'est pas dialecticien. Ce qui compte chez lui, ce n'est pas 2 ou 3, ou n'importe
188
combien, c'est ET, la conjonction ET. L'usage du ET, chez Godard, c'est l'essentiel."

La production du matérialisme dialectique pour Deleuze en 1976 semblait inopportune,


Godard produit pourtant son film sous le régime dialectique des images tel que nous
l'avons déjà énoncé : le montage et l'iconologie des intervalles sont coordonnés sous
cette condition. Mais Deleuze précise sa pensée un peu plus loin :

"Bien sûr le ET, c'est la diversité, la multiplicité, la destruction des identités. (…) Seulement la
diversité ou la multiplicité ne sont nullement des collections esthétiques, ni des schémas
dialectiques (comme quand on dit "un donne deux qui va donner trois"). Car dans tous les cas,
subsiste un primat de l'un, donc de l'être, qui est censé devenir multiple. Quand Godard dit que
tout se divise en deux, (…) il ne dit pas que c'est l'un ou l'autre, ni que l'un devient l'autre,
devient deux. Car la multiplicité n'est jamais dans les termes, en quelque nombre qu'ils soient,
ni dans leur ensemble ou la totalité. La multiplicité est précisément dans le ET, qui n'a pas la
même nature que les éléments ni les ensembles. (…) Ce n'est ni l'un ni l'autre, c'est toujours
189
entre les deux (…)" .

L'opposition est donc l'attitude d'une suspension de deux ensembles, le ni l'un ni l'autre
(le plan 11 et le plan 12) mais bien le entre les deux plans. Entre deux dont on constate
quʼun grand nombre d'éléments et de principes les associent par la critique de leur
séparation.

Mais cette séparation n'est pas qu'une simple opposition dialectique de départ sur
laquelle nous allons pouvoir faire défiler le point de jonction, (l'intervalle, l'entre-deux).
Ici dʼailleurs, il est absent puisque nous avons un fondu enchaîné.

C'est-à-dire que nous avons encore affaire à une dualité; si nous écrivons encore c'est
que ce double envoi suit la phrase Si chaque œil négocie pour lui-même. Nous
sommes confrontés à analyser deux sujets de négociation. Non qu'ils doivent
s'opposer mais au contraire, ils doivent être perçu dans un ensemble donné. Et l'entre

187
. Ref.Film43. SIX FOIS DEUX. SUR ET SOUS LA COMMUNICATION (Co-réalisé avec A.M. Miéville, 1976)
188
. Gilles Deleuze, “Trois questions sur six fois deux”, CAHIERS DU CINÉMA n°271. 11/1976.p.10.
189
. Gilles Deleuze, “Trois questions sur six fois deux”, CAHIERS DU CINÉMA n°271. 11/1976.p.11.

361
deux Deleuzien, retrouve l'intervalle que nous avions décrit. Ce qui reste capital c'est
de maintenir les deux plans dans leur position observables afin de lire et de
comprendre la frontière opérée par le montage même sʼils raccordent en fondu
enchaîné.

DEUX FEMMES QUE GODARD CONNAISSAIT


Nous allons maintenant décrire les deux plans afin de comprendre leur nature et établir
leurs niveaux relationnels.
Dʼemblée on remarquera quʼil sʼagit de deux femmes que Godard a connues et qui ont
su lʼaider pour réaliser ses différents projets190. De nouveau, on retrouve encore LE
191
MÉPRIS, puisque Mary Meerson, selon Lotte Eisner , fit le lien avec Fritz Lang pour
quʼil puisse jouer son rôle dans le film.
De son côté, Monica Tegelaar a entrepris dʼorganiser une session de cours pour le
projet des Histoire(s) du Cinéma.

HOMMAGE AU DOUBLE EMPLOI FEMININ


L'aspect double de l'envoi s'apparente à lʼensemble des autres éléments doubles, que
depuis le début nous avons découvert.
• Mary Meerson fut la compagne d'Henri Langlois. Elle l'aida à gérer et à assurer la
pérennité de la Cinémathèque française. Elle occupa, à ce titre, comme lʼinstitution, la
double fonction que Langlois avait théoriquement définie. La cinémathèque devait en
effet se prévaloir de deux motifs antithétiques : conserver, montrer192.

•Monica Tegelaar, occupe également un poste à double emploi mais dans une autre
perspective. Un axe qu'on pourrait surnommer en paraphrasant Langlois : Produire,
Montrer ; car en plus d'être productrice de Films de fiction, elle fut co-directrice, avec
Hubert Baals, du Festival de Rotterdam 81193 dont sa Fondation organisera en 1981

190
. Jean-Louis Leutrat, « Retour sur Histoire(s) [4] », TRAFIC n°73. Printemps 2010.p.81.
191
. Lotte Eisner, Fritz Lang, Paris, Ed.Cahiers du Cinéma/Cinémathèque française. 1984.p.438. cité par
par Jean-Louis Leutrat, « Retour sur Histoire(s) [4] », TRAFIC n°73. Printemps 2010.p.81.
192
. Henri Langlois, 60 ans d'Art Cinématographique, Paris, Ed.C.F, FIAF. 1955.p.14.
193
. Jean-Claude Biette, “Rotterdam II, Godard et son histoire du cinéma”, Le journal des CAHIERS DU
CINÉMA n°327, 09/1981. p.V-VI. Le commentaire plus détaillé du rapport entre ces deux femmes se
ère ème
trouve dans la 1 Partie. CH 2. 4 étape E/. p.79.

362
des cours sur l'Histoire du Cinéma, prodigués par JLG, projetant ses films, entrecoupés
avec d'autres. Ces sessions ont conduit à la première version des HdC.

La double fonction pourrait donc être un des motifs de cet envoi. L'opposition, le choix
de prendre deux personnes venues de deux horizons aux antipodes.

HOLLYWOOD — MOSCOU
Les photos d'écrans sur lesquels les noms propres inscrits apparaissent, vont
certainement corroborer le choix de Godard pour la double fonction. Ces images
permettront de construire une opposition de principe entre les deux femmes, non pour
polémiquer, mais pour annoncer deux horizons d'attente dans lequel va se dérouler
cette première partie de chapitre.

Le choix de lʼimage, Pour Mary Meerson, est un photogramme du PRÉ DE BÉJINE194,


film de S.M. Eisenstein, contextualisant probablement, l'origine russe195 de Mary
Meerson.

Le photogramme nous montre un portrait en noir et blanc d'une vieille femme qui
soulève comme un fardeau un livre géant ouvert retourné. La valeur du cadre est un
plan serré poitrine. On se rend compte que cʼest le même type de grand livre (avec
couverture métallique), comme la Bible que le roi Yvan embrasse sur son lit de mort
dans un autre film dʼEisenstein196.

— En opposition l'inscription Pour Monica Tegelaar se situe avec une photo de


tournage où l'on découvre Ida Lupino juste sous une caméra.
Ida Lupino, actrice, ayant réalisé elle-même, dans les années 50, quelques longs-
métrages de fiction notables, est un des rares exemples de femmes réalisatrice-actrice
d'Hollywood. La photo la montre en star, quand elle était dans la fleur de l'age.

194
. S.M. Eisenstein, BEJIN LOUG (Le pré de Béjine, 1936).
195
. On se souvient que la question de son origine reste problématique. (russe, ukrainienne, bulgare..)
196
. Serguei M. Eisenstein, IVAN GROZNYY, (Yvan le terrible, 1944).

363
L'opposition de ces deux envois, (de ces deux femmes), qu'une soit vieille et l'autre
jeune, ne doit pas nous empêcher de distinguer la réalité qui les sépare : la
coexistence parallèle de deux fabriques de l'image telle que l'homme197 peut le
prétendre au début du XXème siècle : le rayonnement grandissant de Hollywood ainsi
que celui du communisme. Les activités que tous deux entreprennent est encore, pour
Godard, une opposition de principe non contradictoire, dans laquelle il envisage de
produire son histoire.

Une opposition produite avec des images, avec des noms propres mais aussi avec des
symboles ostentatoires. Aussi si la vieille russe soutient un livre, lourd vieux, séculier,
qui pourrait évoquer une bible ou un livre sacré, à y découvrir les enluminures de la
reliure. A l'inverse, l'autre photo, celle d'Ida Lupino, la montre à une place dévolue où le
réalisateur se situe : juste en dessous de la caméra. Ainsi la vision de Lupino-cinéaste
peut corroborer celle de la caméra. Plus quʼune opposition de principe du livre face à la
caméra, on constate également que cʼest la situation spatiale des deux protagonistes
des photographies qui se trouve dans des situations contraires.

Les niveaux d'oppositions sont si nombreux qu'il est préférable, à cette étape de notre
réflexion, d'établir une liste de ce régime dialectique. Cela sʼavère nécessaire pour
comprendre les différentes intentions, apparemment contradictoires, de Godard, quant
à son désir de nous communiquer, dans l'entre-deux, en liminaire, ce qui va suivre
dans le film. Bref, par ces deux plans, il nous instruit sur des principes dialectiques qui
constituent les fondements de son montage futur.

197
. Le terme dʼhomme est pris dans son acception générale dʼêtre humain.

364
TABLEAU DES ELEMENTS ET PRINCIPES DʼOPPOSITION DU PLAN 11 & PLAN 12
n° PLAN 11 PLAN 12 Composition

1 Mary Mersoon Monica Tegelagaar Niveau écrit : envoi


2 Mémoire du cinéma Productrice de films Sens actif de lʼécrit
3 Passif Actif État premier
4 Histoire du cinéma Histoires du cinéma État secondaire
5 U.R.S.S. Hollywood Origine historique de lʼimage
6 Vieille femme prie Jeune femme dirige un film Niveau visuel 1
7 Pré de Béjine Ida Lupino en tournage Niveau visuel 2
8 Vieillesse Beauté (jeunesse) Etat du personnage
9 Livre, littérature Caméra, cinéma Objet symbole ostentatoire
10 Prier les morts Réaliser des films Sens actif visuel
11 Epitaphe mortuaire Reproduction de la vie Sens actif global (interprétatif)

12
13 Le Jugement Dernier
SYNTHÈSE (Rassemblement historique des Sens actif visuel (non contradictoire)
vivants et des morts)

Sur cette dernière occurrence [13], la somme hypothétique de toutes les


significations 198, réparties dans chaque section, va pouvoir présenter la proposition
formelle d'une seule idée synthétique : le jugement dernier. C'est simplement une
opération de montage qui procède l'assemblage des significations, pour lʼédification de
cette conception. Et si elle est dernière, c'est que nous avons, à différents niveaux,
l'édification figurale d'une assemblée, répartissant Vivants et Morts.
C'est donc une figure combinée sous la condition d'une double possibilité de sens
représentatif et non contradictoire :

— Figure de la culmination du temps. Le jugement dernier accomplit l'abolition de


l'histoire [Les faits des hommes dans le temps] puisque cessant d'être vivants, et
rejoignant les morts dans un mouvement salutaire, l'histoire de leurs actes cessent
de même.

365
— Figure du cinéma, puisque le lieu de son opération, la salle, offre cette possibilité
de réunir, de présenter [hic et nunc] les morts — acteurs disparus mais dont la
présence spectrale nous parvient encore in situ — face aux vivants (les
spectateurs).

La synthèse des deux plans nous propose dʼassembler les vivants et les morts qui se
projettent donc par une figure qui est autant historique que cinématographique et qui
trouve écho dans une double résolution.
UNE REPRESENTATION TEMPORELLE : L'HISTOIRE
UNE REPRESENTATION SPATIALE : LE CINEMA
À partir de lʼagencement de ces deux plans, la synthèse, qui en découle, nous permet,
en conclusion, de mettre à jour deux types dʼactions méthodiques chez Godard.

— l'une est la méthode critique de la dialectique dont il fait usage fréquemment dans
ses écrits sur le cinéma autant que dans ses textes dans ses films.
— lʼautre est la théorie du montage attractif mise en application. Ce procédé théorique,
établi par Eisenstein, fut signalé par Godard comme une grande possibilité créatrice199;
il le prouvera autrement en le reprenant, par ailleurs, dans une nouvelle séquence
exemplaire.

Plan 12b Gros plan de rivet d'une table de montage cinéma de type Steinbeck.
Ce troisième et dernier plan de cette petite séquence est un gros plan sur une table de
montage où défile bruyamment une pellicule film 35mm en avant et en arrière. Le plan
correspond à ce que nous appelons une figure d'enchaînement car il intègre une série
de plans cadrant cette table, qui sont récurrents dans les HdC. Il est notable par le seul
fait même que si cʼest une image provenant dʼun domaine préexistant200, il fait partie
des éléments hétérogènes au film (de montage) car il est tourné par Godard.
On peut affirmer aussi que les deux plans qui le précèdent sont disposés à être perçu
comme éléments pour le montage puisque le Plan12b nous montre un élément de sa

198
. Lʼaddition de qualités ne sʼévalue pas sur un niveau quantitatif, mais fournit une nouvelle qualité.
199
. Ref. A21. DU CÔTÉ DE CHEZ MANET. (1956)

366
mécanique. Cela vient souligner, une fois encore, son importance concrète, afin que
notre réflexion puisse se pencher sur l'événement qui se produit entre les deux plans.

ICONOLOGIE DES INTERVALLES


« En inventant avec Mnémosyne une histoire de l'art sans texte, Aby Warburg modifiait les lois
de l'expressivité et à travers le langage des gestes, introduisit le corps dans l'exercice de la
201
pensée » .

Le projet de lire les HdC selon cette perspective, —introduisant le corps du film dans
l'exercice de la pensée—, paraît éclairer le film d'une signification exotérique nouvelle.
Ainsi, c'est l'exigence de percevoir les gestes et les corps des personnages dans leur
pouvoir d'évocation, afin qu'ils nous renseignent sur la résolution d'une
conceptualisation des HdC. Cette lecture iconologique est exotérique car il n'est pas
nécessaire, pour accéder à l'édification dʼune pensée, de connaître la provenance de
ces deux plans, et de plus, comme le stipulait Deleuze précédemment, c'est dans
l'entre deux de ces images, dans l'intervalle, dans le jeu de leur rencontre, que l'on doit
produire une tentative d'interprétation au seul moyen de leurs gestes : lecture du
rapport de ce qu'elles expriment —par montage interposé— pour comprendre le lien
qui les unit et du savoir qu'elles véhiculent. Étant placés initialement, en liminaire du
film, nos deux plans garantissent la direction sur laquelle Godard va s'orienter : ainsi
ces deux images de femmes nous renseignent plus sur la disposition du projet du
cinéaste, que de lʼétat et situation où elles étaient, au moment où elles ont été prises.

Commentaires de la séquence 3
Une vieille femme tient un livre. Une jeune femme est à la caméra. On se rend compte
que toutes deux adoptent des positions décalées dans l'espace, face à leurs
accessoires respectifs. Elles se situent à des niveaux intermédiaires, proches des
objets symboliques sans toutefois pouvoir ou vouloir utiliser leurs possibilités.
Ainsi si la vieille est face à un livre (symbolisant la littérature) celui-ci est retourné et à
l'envers de sa lecture. Ida Lupino, elle, n'est ni devant la caméra dans son rôle

200
. Ref.Film63 LA PUISSANCE DE LA PAROLE.(1988). Cité par Jean-Louis Leutrat, « Retour sur
Histoire(s) [4] », TRAFIC n°73. Printemps 2010.p.81.
201
. Philippe-Alain Michaud, Sketches. Histoire de l'art, cinéma, Paris, Ed. Kargo & L'Éclat, 2006.p.36.

367
d'actrice, ni tout à fait derrière, en fait, elle est juste un peu en dessous, décalée vis-à-
vis de la caméra (symbolisant le cinéma).
Toutes deux désignent une position valable du principe de l'historien : position d'être
présent au monde du Passé (La mort/ Le cinéma), dʼêtre témoin au plus près, sans
toutefois prendre part à l'action historique (écrire/lire) ou à l'action cinématographique
(filmer/être filmé). C'est donc par la coexistence intégrale à tous niveaux de ces deux
images, que le sens est possiblement interprétable. L'iconologie des intervalles
intervient dans la connaissance de la production de son histoire du cinéma.

Lorsque l'on regarde, pour comparer, les premières versions des HdC, on se rend
compte que la version 1 du 1a (1988), montrait à la place de la photo de tournage du
Plan 12, un extrait de film où Ida Lupino-actrice (lorsque l'envoi Monica Tegelaar
arrive)202, jouait un personnage qui regarde à travers une diapositive.
L'extrait est issu du film de Fritz Lang WHILE THE CITY SLEEPS203.
On peut noter la volonté démonstrative de vouloir mettre en scène la fonction du regard
sur l'image, quand Godard choisit le film de Lang, pour Tegelaar-Lupino. Son
remplacement par la photo de tournage (celle où Lupino est en présence avec une
caméra) semblait convenir plus à propos, pour pouvoir faire figurer Lupino dans un
régime d'opposition avec l'image de la vieille femme portant le livre sacré comme un
fardeau.
Aussi, si Godard avait conservé l'extrait du film de Lang, le personnage représenté
figurait une situation de réception, de spectatrice ; ce que la photographie n'a pas
complètement. Elle nous montre la femme, même si elle est inactive, témoin de
l'activité du cinéma, entrain de se faire. Cette photo nous montre l'envers du décor, le
dispositif du fonctionnement.
Par ailleurs Godard va vouloir réemployer cet extrait puisqu'il ne l'a pas totalement
retiré de son film. On va constater qu'il l'a seulement déplacé, pour le remettre un peu
plus loin dans la première séquence nommée avant-propos. Nous l'étudierons un peu
plus tard.

202
. HdC.1a.toutes les histoires. p.13. Pour l'envoi de Tegelaar dans le livre HdC, Godard a conservé la
version de 1988.
203
. Fritz Lang, WHILE THE CITY SLEEPS (La cinquième victime, 1956).

368
Séquence 4. Avant-propos
1ère séquence d'introduction / Toutes les histoires. CHAPITRE 1a
{Plan 13 — Plan 19}

Avant même de procéder à la description et commentaire du déroulement de cette


nouvelle séquence, il convient d'isoler pour définir quelques éléments que Godard met
en place, parce qu'ils sont récurrents dans cette séquence et dans l'ensemble des
HdC. Tout particulièrement dans cette première partie de chapitre, et ceci, afin de
produire une analyse qui, dégageant la valeur de ces éléments et la raison de leur
présence, dépassera les limites de ce premier avant-propos. Nous devons prévenir
également que ces définitions préalables vont se dérouler sur une trentaines de pages,
elles occupent la section A/ jusquʼà la section H/ .

A/ DÉFINITIONS DE QUELQUES ÉLÉMENTS VISUELS

ÉLÉMENTS VISUELS HÉTÉROGÈNES RÉCURRENTS


UTILISÉS COMME FIGURE D'ENCHAÎNEMENT .
Ces éléments visuels sont qualifiables d'images vidéo hétérogènes. Ils possèdent
l'avantage d'avoir été tournés par Godard, dans le seul dessein de figurer dans ce film
de montage. Cʼest parce quʼils sont justement récurrents qu'il convient de décrire leur
contenu. La récurrence étant ce qui permet à Godard de codifier visuellement
lʼenchaînement des séquences en plaçant ces images.

LES IMAGES DE PLATEAU DU JOURNAL TÉLÉVISÉ DE LʼHISTOIRE DU CINÉMA


On sait maintenant à l'instar des deux images de femmes (Plan 11 et Plan 12) que les
deux éléments fondateurs, matériel et dialectique des HdC, sont l'élément écrit et
l'élément visuel. En langage télévisuel, on pourrait presque alors nommer les HdC, et
prétendre, qu'il s'agit d'un JOURNAL TÉLÉVISÉ de l'histoire du cinéma.
JOURNAL se référant à l'écrit et TÉLÉVISÉ aux images.
Or si nous devons faire correspondre ces images hétérogènes, que nous allons décrire
ici, à une situation dʼun journal télévisé, cʼest parce que ce sont des images qui
répondent à celles du lieu du lancement des sujets type reportages. Les images
correspondent à celles du présentateur et à celles du lieu, le plateau d'où le

369
présentateur les lance. Ces images sont appelées usuellement : images de plateau.
Elles permettent méthodiquement au réalisateur de lʼémission de "revenir" sur lʼimage
du présentateur à la fin de chaque reportage. Ici, ce qui est défini comme images de
plateau dans les HdC, c'est lʼimage de Godard lui-même car il lance les sujets qu'il a
composés.
Que l'auteur-narrateur du présent film puisse projeter sa propre image, cela lui
permettra de définir son statut, sa place, ses fonctions. Les ambivalences constantes,
oscillant entre le cinéaste et l'historien vont trouver ici des solutions formelles ; Celle
d'incarner cette dualité autrement que par le jeu classique de la dialectique. Warburg
avait déjà en son temps remarqué toute l'utilité que l'on pouvait apporter à
l'autoportrait. Nous y reviendrons plus en détail au moment de la description de la
figure du présentateur.

LA DOUBLE OPPOSITION : INTROSPECTION GODARDIENNE


Relevons à ce stade de notre étude. Le début du film requiert un développement
beaucoup plus long que va l'être la suite. Tout se joue dès le début, avant même que le
film ne débute complètement, puisque chez Godard —comme chez d'autres cinéastes
ou historiens— le début permet de déceler les prises de décisions, les positions
formelles avant même que ne soit initiée, l'affirmation complète du sujet du film, le
déroulement de son récit. Nous sommes au début presque dans un nouvel entre deux
révélateur : le film a commencé mais il n'a pas commencé encore.

Aussi dans cette période, ce qu'on peut nommer comme le jeu classique des
oppositions se dénombre en deux :
Une opposition de forme issu du cinéma. IMAGE // SON
et une opposition de principe, celle du cinéma qui s'oppose à l'histoire dans la tradition
de son écriture. TEXTE // IMAGE.

Un des avantages du cinéma réside à pouvoir incorporer le Texte dans le premier


couple d'opposition qui le définissait. Le texte en son devient parole et dans lʼimage
devient écriture ou cartons.

370
C'est à l'aulne de cette double opposition qu'une lecture ésotérique peut fournir des
éléments d'appréciation de ces éléments visuels récurrents utilisés comme images
transitoires en vue d'enchaînement de séquences ou de parties.

La séquenciation du film nous est justement possible par le repérage d'éléments


formels récurrents. Ces éléments formels récurrents sont de deux sortes. Nous allons
dʼabord procéder à un descriptif sommaire pour ensuite revenir sur chacun des
éléments qui vont nous intéresser plus particulièrement :

DESCRIPTIF SOMMAIRE DES ÉLÉMENTS RÉCURENTS

a/ Composition des éléments visuels.


— des cartons. On constate que dans les HdC, le titre du film, les titres des parties,
tous inscrits au génétitre, vont et viennent et représentent une des possibilités pour
Godard de manifester le début dʼune séquence.

— des plans. Des images cinéma, vidéo, ou fixes photographiques, toutes de durée
variables, fonctionnent alors comme des affiches de présentation. Le meilleur exemple,
déjà cité, est le plan de Godard-présentateur devant sa machine à écrire (Plan13 ou
Plan 48) et bientôt devant sa bibliothèque.

— des plans noirs. Comme au temps du cinéma muet, des plans monochromes noirs
au motif d'encadrement, viennent rythmer le film. On peut les désigner comme Marie-
louise204 car même si ce sont des plans noirs en mouvements, placés en début et en
fin de séquence, elles façonnent un genre dʼencadrement de la séquence. Nous les
désignons selon ce terme puisquʼelles sont le plus souvent postérieures dans leur
apposition au montage du film lui-même. Aussi, la comparaison entre la version 1 et la
version 3 des HdC, nous informe pratiquement sur le travail au noir quʼa produit
Godard sur son film.

204
. Le procédé de Marie-Louise est une technique simple dʼencadrement. Un procéde de découverte et de
recadrage pour des dessins ou photographies. On a découpé au préalable une fenêtre, dans une feuille de
carton dʼun même format que lʼimage que lʼon veut encadrer. Une fois découpée, laissant un vide au
centre, on lʼappose sur lʼimage, ainsi la découverte permet que lʼon puisse voir lʼimage cernée par ce

371
b/ Composition des éléments sonores
LE TRAVAIL DE SÉQUENCIATION FAIT COÏNCIDENCER EN DÉBUT ET FIN DEUX
PISTES SONORES.
— Les éléments sonores viennent confirmer le début d'une partie, d'une séquence car
systématiquement, Godard fait commencer deux nouvelles pistes différentes comme
une musique et une voix, par exemple, ou bien encore une voix et une bande audio de
film. Les deux pistes coïncideront exactement alors avec le début et la fin des
séquences ou des parties.

Maintenant que nous avons effectué cette brève composition formelle des éléments de
ces figures récurrentes, nous pouvons entreprendre une description de celles qui vont
servir dans les HdC ; notons que lʼordre dʼapparition nʼest pas ici respecté. (On
constatera que la figure du présentateur étant assez imposante dans son descriptif,
nous avons préféré le placer en fin).

B/ RÉPERTOIRE DES ÉLÉMENTS UTILISÉS COMME FIGURE DʼENCHAÎNEMENT.

a/ Les cartons
Le jeu typographique des génétitres peut parfois confirmer ou s'opposer aux contenus
des paroles (en voix-off), mais également aussi à la signification du contenu de ce qui
est écrit (comme la citation d'un titre de film qu'on peut évaluer dans son sens premier).
Ce même jeu peut confirmer ou sʼopposer aux contenus des images qu'ils précèdent,
voire celles qui leur servent de fond.
Ce jeu d'implication va se poursuivre et s'amplifier tout au long du film. On retrouvera la
figuration du titre du film et des titres des parties eux-mêmes qui, à l'instar de
mouvements de ressac, paraderont dans le film aux moments d'enchaînement de
certaines séquences 205.

nouvel encadrement. Le travail au plan noir de JLG sur son film procède de la même technique de
recouvrement étalé sur la longuer de tous les épisodes du film.
205 ère
. Voir supra 1 Partie. CH 2. étape 4. Les altérations des titres.

372
Comme nous lʼavons précédemment décrit, certaines images sont récurrentes et
fournissent la matière à créer les figures dʼenchaînement. Aussi ces images, que
Godard a tournées, peuvent être dʼorigine vidéo, ou soit encore photographique.

b/ une table de montage (Plan 12b, 19...)


Pour le 1a, l'image, que Godard va utiliser comme figure d'enchaînement, entre les
diverses séquences, entre les nombreux sujets qui vont se succéder, sʼavère une prise
de vue d'une table de Montage de type Steinbeck en état de marche. À noter que l'on
ne verra jamais le manipulateur. Cette table tourne seule.
C'est-à-dire une table qui met à plat les bobines d'images et de sons. Le cadre est très
serré, suffisamment pour réussir parfois à distinguer le contenu de l'image
photogrammique de la bande pelliculaire lorsque le film, disposé en serpentins entre
les curseurs avance, ralentit ou s'arrête et puis recule. Cette image, pour la première
fois utilisée dans cette première séquence figurera tout le long du 1a et encore au 1b.
Ce dispositif de mise en scène va pouvoir placer son discours sur un niveau supérieur ;
à lʼimage dʼune plate-forme distributrice en vue de la représentation. L'image de la
table de montage va devenir une table critique sur laquelle les idées vont pouvoir être
exposées, mises à plat. C'est la rencontre également entre la table de travail et la table
de montage. La figure, par sa récurrence (on la saisit immédiatement par la suite) mais
aussi par son contenu même, —parce quʼil sʼagit de gros plan dʼun objet, alors que le
reste du film nous montre plutôt une activité humaine—, crée une distance, un rythme,
une respiration avant d'entrer (ou de repartir) dans les séquences proprement
historiques.

"Dans Cinéma, cinémas, Godard nommait table critique à la fois sa table de travail — jonchée
de livres ouverts, de notes écrites, de photographies — et sa table de montage : n'était-ce pas
une façon d'affirmer que le cinéma montre l'histoire, même celle qui ne voit pas, dans la mesure
206
où il sait la montrer ?"

206
. Georges Didi-Huberman, Images malgré tout, Paris, Ed de Minuit. 2003.p.173.

373
c/ La photographie de « La prison »
Cette photographie, en noir et blanc, provient d'un photogramme issu d'une fiction
d'Ingmar Bergman où, un couple, un homme et une femme, derrière un projecteur,
regardent un film. Cette image représente emblématiquement le couple207. Dans la
fiction, ces deux personnages, enfermés dans un grenier, assistent à la projection
d'une bobine qui est censée représenter un film burlesque muet d'origine à la Méliès,
alors quʼen réalité ce n'est qu'une parodie dont Bergman avoua qu'il s'amusa à la
tourner.
PHOTO D'UN FILM OÙ UN COUPLE D'ACTEURS REGARDENT UN FILM
Godard, par cette figure, nous montre des personnages qui regardent un film dans un
film. On notera la présence à lʼimage de lʼappareil de projection. Cette situation vient
refléter notre propre situation de spectateur : Nous regardons un homme (Godard)
regardant les films qui ont compté pour lui (son histoire / montage).
La fréquence de l'apparition de cette image vient attester son utilisation en tant que
figure dʼemblématique récurrente, mais le moment de son emplacement fait accéder à
la fonction dʼenchaînement qu'elle opère. Ses diverses situations dans le film
proposent à la figure d'être conçue comme raccordement, fonctionnant entre les
séquences. Même si l'on redoute lʼampleur de la difficulté qui réside à pouvoir délimiter
correctement les changements de séquences du film208, autant la figure du couple subit
les variations de couleurs et de cadres, autant c'est son mode d'apparition qui est
fluctuant. Apparition faite d'allers-retours 209, de fondus enchaînés210; en résumé, la
fonction est soumise à un mode de présence-absence qui confère à la figure des
propriétés fantomatiques 211 auxquelles ne sont étrangères, ni le ressac, ni les vagues
nouvelles 212.

SALUT À LʼARTISTE, PAR FILM INTERPOSÉ :


En plus, le choix de Bergman et de son film, à figurer emblêmatiquement dans les HdC
est avisé. Car tout d'abord, Godard a conçu exactement, dans les années 60, dans un

207 ème
. Supra. 2 Partie.CH2. 4/ L'image du couple H/F, l'emblème du film des HdC.
208
. Helmut Färber, “Dante Schelling Godard / Histoire(s) (montage)“, TRAFIC n°43. Automne 2002. p.54.
209
. HdC. 3b. une vague nouvelle. p.142.
210
. HdC. 4a. le contrôle de lʼunivers. p. 65.
211
. Jean Narboni, « “Von Sternberg”, Dictionnaire du Cinéma Américain. » CAHIERS DU CINÉMA
n°83.05/1958.
212
. Jean Narboni, Face au Cinéma et à l'Histoire, à propos de JLG, LE MONDE DES LIVRES.10/95.

374
de ses propres films, le même exercice ; celui d'avoir réalisé un petit court-métrage de
fiction pour l'insérer dans un autre, de long-métrage. Ainsi les personnages (deux
couples) du long-métrage se rendent au cinéma, vont voir projeter ce petit film dans
lequel est mis en scène un autre couple213 dont les ébats burlesques ne sont autre
quʼune parodie directe du SILENCE214.
Aussi la même situation schématique se profile entre LA PRISON et MASCULIN
FEMININ.

Fiction (L-M) -> [couple visionne la projection dʼun film burlesque


(C-M) de contrefaçon (à la manière de) -> un couple y est mis en scène]

Un couple H/F de face regarde devant eux. C'est-à-dire qui nous regarde, à l'instar de
ce petit projecteur qu'ils ont à portée de main, posé entre eux deux, et qui lui aussi
nous fait face, projetant un film que nous ne pourrons voir. L'image photographique de
ce couple subira toutes sortes de décadrages et recadrages de la part de Godard. Ce
seront de multiples variations d'un même photogramme, au moment d'enchaînement
des séquences des HdC215.

Lʼimage du couple de La Prison nʼa pas été tournée directement par Godard. Elle n'est
donc pas une figure hétérogène comme lʼest l'ensemble des autres images récurrentes
utilisées, mais, la fréquence de sa figuration autant que ses situations dans le cursus
comme figure d'enchaînement conduiront cette image à opérer une substitution d'une
autre figure toute aussi importante : celle du Godard-présentateur. On constate que
cette dernière, effectivement, n'apparaîtra plus dans les trois derniers épisodes, alors
que dans le même tempo notre couple, au contraire, multipliera ses interventions. A
rebours, après cette image H/F emblématique du film, se manifestant plutôt dans la
seconde moitié de la durée dʼensemble des HdC, nous allons étudier la figure à
laquelle elle s'est substituée :

213
. Ref.Film20.MASCULIN FEMININ. 1966. § Un film dans le film.
214
. Ingmar Bergman, TYSTNADEN (Le silence, 1963).

375
d/ La figure du présentateur (Plans 13, 16, 18, 22, 45, 48…)
De l'ensemble des images hétérogènes, on trouve celle où Jean-Luc Godard figure en
tant que lui-même. C'est un autoportrait filmé mais même sa propre image, parce
qu'elle est récurrente, va devenir une figure d'enchaînement, dont l'analyse du
processus fournira l'aspect d'une double figure.

C/ DÉCORS DANS LEQUEL LE TOURNAGE DE LA FIGURE S'EFFECTUE.

D'abord considérons qu'il y a plusieurs décors d'interventions de Godard dans son rôle
de Présentateur. Nous pouvons dénombrer 3 décors différents qui vont encore pouvoir
être classés selon la double possibilité pratique dʼeffectuer l'histoire du cinéma :
ECRIRE OU FILMER.

a/ Le bureau. (ECRIRE, enregistrement)


b/ La bibliothèque. (LIRE, diffusion)
Forment les lieux dans lequel Godard procède aux activités de l'écriture.
-taper à la machine [1a, 1b, 2b],
-écrire [4b]
-écrire au marqueur [3a, 4b],
-lire des titres de livres [1a, 1b],
-lire un discours [3b].
-dialoguer (avec Serge Daney) [2a]

c/ Le sous-sol
Le décor du sous-sol est sa salle des machines. Elle contient dans le même lieu la
double opération —FILMER/VISIONNER— du cinéma, (à l'instar des premières caméras
des Frères Lumière qui combinent l'enregistrement et la projection). Dans cette salle
des machines — lʼénonciation du lieu se situe dans NUMÉRO DEUX216—, on trouve des
appareils enregistreurs (micro au premier plan et caméra dans l'arrière fond) et des

215 ème
. Supra. 2 Partie. CH2. 4/ Lʼimage du couple Homme / Femme. Nous avons déjà développé cette
figure du couple H/F comme image emblématique du film.
216
. Ref.Film41. NUMÉRO DEUX (Co-réal. A.M.Miéville, 1975). Cette salle-ci était à Grenoble.

376
moniteurs, des écrans ainsi que le matériel pour la post-production (montage et
mixage).[2b]

On notera d'emblée que ces trois décors se rapportent au même lieu de tournage : son
appartement . Celui-ci avait été déjà le décor principal dans son film autoportrait
217 218
JLG/JLG . Plusieurs fois, dans ses films-essais , Godard a utilisé son habitation à
Rolle. Le choix du décor procède alors de la même initiative que l'autoportrait. Il décide
de se (re)présenter au milieu d'un contexte identificateur. Son propre appartement
devient le plateau de présentation, tel que nous lʼavons décrit et non un simple lieu,
décor de représentation.

Comme l'a déjà stipulé Michel de Certeau, L'écriture de l'histoire est rendue possible
par une adéquation du lieu et de l'homme, une volonté de fabriquer une histoire du
cinéma par le lieu de production associé à la technique du producteur. L'opération
historique se réfère à la combinaison d'un lieu social, de pratiques scientifiques et
d'une écriture. 219. Le lieu social de la production devient ici un espace de production
associant de multiples statuts (lieu privé, mais aussi lieu de la société de production
SONIMAGE). Aussi on peut parler à propos de Rolle comme d'un site de production220
qui rend réalisable la combinaison des pratiques scientifiques, comportant l'exercice de
l'enregistrement, montage et visionnage [cinéma] au sous-sol, avec celle de l'écriture
[de l'histoire] à l'étage supérieur.

Cette idée de figurer personnellement (incorporation du cinéaste dans son lieu de vie)
entre en correspondance avec le mode esthétique d'une activité passée, qui suppose
que certains inventeurs ou artistes ont expérimenté d'abord sur eux-mêmes leurs
nouveautés techniques. Intégrant lʼaltérité quʼon observe pour la représenter, ils
combinent en un seul corps, lʼartiste et son modèle. Robert-Louis Stevenson en a
évidemment fourni une figure archétypale avec son livre Dr Jeckyl et Mr.Hyde221.

217
. Ref.Film74. JLG/JLG : AUTOPORTRAIT DE DÉCEMBRE. 1994. Film-annexe des HdC.
218
. Ref.Film70, Ref.Film71.
219
. Michel de Certeau, L'écriture de l'histoire, (1975), Paris, Ed.Gallimard. 3ème Ed. Folio/Histoire,
2002.p.9.
220
. Dominique Païni, “Filmer le site” CINÉMA 08, Paris, Ed. Leo Sheer. 2002. p. 79.
221
. Robert-Louis Stevenson, DrJeckyll & Mr Hyde,(1886).Paris, Gallimard, 1995

377
Aussi avant de découvrir la puissance fantastique de l'inversion dans la figure du
double tel que le romantisme noir anglais ait pu l'immortaliser avec Dorian Gray 222, ou
Jeckyll & Hyde, on relève qu'elle provient, dans l'art du portrait, avant tout de la simple
disposition technique, puisque le double figuré correspond à : l'artiste + son modèle.

D/ AUTOPORTRAIT DU CINÉASTE EN FILM

"Moi, je suis une image, moi, je suis la partie de vous… je suis l'autre, je suis l'autre vous, je
223
suis l'autre vous, je suis l'autre moi-même…"

En effet, dans l'effectuation de lʼautoportrait, l'artiste sʼobserve comme propre modèle.


Il se destine à façonner sa propre effigie, en étant confronté à lui-même, et selon son
propre style. Ce dernier point est important car cela signifie que cet autre soi-même est
représenté grâce à une capacité à créer selon un mode qui sʼavère tout aussi unique.
Dans ce sens, ce double est auto engendré. On se rappellera dans cette action, de la
caractéristique qui tend à associer la reproduction filmique avec celle de la sexualité.

L'autoportrait emprunte lʼeffectuation de cette double figure comme élément usuel et


fréquent, tant dans l'histoire de la peinture que dans l'histoire de la photographie et
voire du cinéma primitif.
P.A Michaud faisait une remarque dans son étude sur W.K.L. Dickson.
"L'effigie (de l'artiste qui fait son autoportrait filmé nda) est à la fois le modèle et l'agent d'un
dédoublement qui se produit entre le corps et son image, d'une apparition et d'une réduction
224
simultanées (…)."

Aussi, ajoutons à ce descriptif, la particularité cinématographique : la technique de la


double fonctionnalité de l'appareil des Frères Lumière qui consiste, à partir d'un même
et seul appareil, d'enregistrer et de projeter les images. Projection d'un espace, non
voué à l'imitation des apparences, mais à la restitution de la présence225. Cet écart est

222
. Oscar Wilde, Le portrait de Dorian Gray,(1890) Paris, Gallimard, 1996.
223
. Ref.305. Propos rompus, n°316. 09/1980.
224
. Philippe-Alain Michaud, Aby Warburg et l'image en mouvement, Paris, Ed. Macula, 1998.p.45.
225
. Philippe-Alain Michaud, Aby Warburg et l'image en mouvement, Paris, Ed. Macula, 1998.p.47.

378
fondamental car il crée une distance entre le cinéma et les autres arts dits
représentatifs. Selon cette logique, le cinéma ne sépare pas le corps de son image, il
l'incorpore et restitue sa présence.
L'autoportrait filmé, inclus dans ce système de restitution, va donc projeter une double
présence. Celle de Godard modèle et de Godard cinéaste.
Le dédoublement (fonctionnel) entre le corps et l'image va conserver une marque à
l'intérieur du processus de la représentation des HdC. Nous allons procéder, en
suivant, à une interprétation possible.

AUTOPORTRAIT DE L'HISTORIEN
Dans les autoportraits des peintres du Trecento et Quattrocento, Jacob Burckhardt y
décelait un indice de l'avènement du portrait singulier dans la volonté nouvellement
apparue du peintre de se représenter lui-même, au milieu des autres personnages, à
l'intérieur de son œuvre226. On pourrait relever cet indice afin de concevoir l'introduction
de l'histoire personnelle de Godard comme portrait singulier et au milieu d'une histoire
du cinéma plus générale, quʼelle soit pareillement une issue hypothétique de la volonté
de ses commanditaires.

On constatera que Godard autoportraituré représente bien un jalon entre ceux


dʼHitchcock et de Garrel. Le premier fit des petites figurations qui ont souvent été
comparées aux autoportraits anonymes des grands maîtres de la peinture du Moyen-
âge227, et —ayant confirmé que c'est suivant l'exemple de Godard— le second a
poussé dans les retranchements de l'expérience vécue, le sujet de tous ses films :
jouant souvent lui-même son propre rôle et faisant jouer des femmes qui partagent sa
vie comme l'écran, au sein d' « histoires vraies » mises en fiction et qui leurs sont
communes. Mais restant insatisfait de cet entre-deux de cinéastes procédant à leur
autoportrait, Godard va changer son statut, car on découvre, grâce à l'intervention d'un
nouvel élément, quʼil va se renouveler en procédant son autoportrait en tant
quʼhistorien. Ce nouvel élément sʼavère la présentation de sa parole.

226
. Jacob Burckhardt, La civilisation de la Renaissance en Italie, Paris, Ed.Gonthier, 1964.p.54.
227
. Jean-André Fieschi, « Le maître du…», CAMERA/STYLO n°02 :Alfred Hitchcock, Paris. 1981.p.9.

379
La mise en scène filmique de sa propre présence suscite l'élaboration de deux
fonctions :
— Fonction de présentateur. Godard est inscrit dans le présent de l'image. Il restitue sa
présence dans le film. Pour cette fonction, nous lui donnons le terme de
présentateur.

— Fonction de narrateur. Godard est entendu dans la bande-son. Il arrive que sa


parole se disjoigne du son direct de l'image et obtienne une réelle autonomie vis-à-
vis de son référant visuel. On établira que cette fonction, non visible, dépasse le
stade de l'immédiateté que confère l'image. Elle agit comme portée, au-dessus de
la donnée spatiale, et on observera que c'est autant la donnée temporelle dont elle
arrive à se détacher ; la fonction de la parole consiste à nous narrer, raconter
comment l'histoire s'est produite. Le terme de narrateur (dissocié du présentateur)
nous sera utile.

Le son direct du présentateur appartient encore au régime de l'image mais


principalement sa voix prend existence hors-cadre.

Pour finir sur ces éléments récurrents, on admettra que seul Godard-présentateur fait
partie de cette figure dʼenchaînement. Godard-narrateur par sa présence au son (plus
qu'à l'image) ne peut pas jouer le même rôle de liaison.
Si la parole est désignée dans le geste godardien comme proprement historique, nous
sommes alors confrontés à une double présence contradictoire du cinéaste-historien. Il
reste maintenant à étudier cette double présence, ensuite cela sera le reste des
images et sons hétérogènes au montage des HdC : ce qu'a filmé expressément
Godard pour le film.

DOUBLE PRÉSENCE DE GODARD


GODARD-NARRATEUR (au son)
GODARD-PRESENTATEUR (à l'image)

380
Répétons-le, la mise en scène de son propre corps va faire entrer Godard-présentateur
dans un système visuel de représentations. Aussi cette fonction va être subordonnée
au jeu des conventions de la fiction et devenir une figure d'enchaînement. À partir du
constat d'une mise en scène conférant à l'image un vice de la procédure
représentative228, et dont le poste sonore n'en est pas pourvu, puisque invisible, nous
pouvons constater un décalage entre le son et l'image. L'image produit un simulacre de
Godard-présentateur. L'essentiel ne consiste plus à rechercher la perception de la
réalité physique229 qu'offre l'image photographique mais bien de percevoir, ce qu'elle
nous transmet à travers le processus de sa simulation.

LA FIGURE ET LA PAROLE
On se souvient comment la parole de Godard est employée dans la réalisation de ses
premiers courts-métrages 230. Le tournage du film étant muet, lʼacteur nʼy avait pas sa
voix reproduite. Elle était substituée pendant la post-synchronisation, par celle de
Godard, créant dans la visible substitution, un effet de disjonction expressive. La parole
de JLG venait posséder le corps de l'acteur. On retrouve ce procédé typique de
possession chez dʼautres cinéastes qui ont constitué un ascendant notable chez le
jeune critique-cinéaste231. Un film de Jean Rouch a exercé également sur ce sujet —
de la localisation de la voix dans l'espace du corps d'un autre—, une influence
incontestable et affirmée dans plusieurs de ses articles232.
Lʼexemple le plus flagrant dans les HdC, reste l'action de Godard-présentateur à
l'image qui consiste à manipuler et sortir des livres d'une rangée de bibliothèque
derrière lui et de lire à haute voix des titres de livres qui ne correspondent pas à ceux
qu'il tient dans ses mains (et quʼil simule de lire le titre). Quand on reconnaît la
couverture caractéristique de certains livres (par exemple :Absalon, Absalon, Absalon

228
. Pierre Klossowski, La monnaie vivante, Paris, Ed.Le Terrain vague. 1970.p.34.
229
. Stanley Cavell, Qu'advient-il des choses à l'écran ? , TRAFIC n°4,Automne 1992.p.30.
230
. Ref.Film3. TOUS LES GARÇONS S'APPELLENT PATRICK. 1957. Ref.Film5 CHARLOTTE ET SON JULES. 1959.
231
. Orson Welles et Jean Cocteau. Les deux cinéastes se souciaient plus de la puissance expressive de
leur parole que du dénuement de sa vraisemblance. Orson Welles nʼhésitait pas à endosser, en refaisant
au montage, la voix de plusieurs personnages.TOUCH OF EVIL. 1956, (procédé technique des
dramatiques radio dont il était issue). Cocteau dans LʼAIGLE A DEUX TETES.1953, fait la voix de la
rumeur : plusieurs personnages, à lʼimage successivement, disent la même phrase à voix basse, et ce ne
sera pourtant que la même voix répétitive du cinéaste. On retrouvera lʼimportante influence de ses deux
cinéastes un peu plus tard dans notre plan par plan.
232
. Ref.109. L'Afrique vous parle de la fin et des moyens (Jean Rouch, MOI UN NOIR) 1959. Et Ref.A35.
Jean Rouch remporte le prix Louis Delluc (1958).

381
de Faulkner édité dans la collection de l'Imaginaire), on est surpris la première fois
d'entendre énoncer des titres de livres qui ne correspondent en rien à ce qu'on voit.
Dʼautant quʼici, dans cette scène, la parole qui se « trompe » est en son direct. Lʼerreur
technique nʼest donc pas possible. Cela peut induire une erreur interprétative, mais
ajoutons que cʼest précisément la preuve que la parole du Godard-présentateur
nʼappartient pas au même registre, même si le corps réunit les deux fonctions. On
remarquera plus tard que la liste des titres de livres qu'il égrène poursuivra son chemin,
indépendamment de son référent visuel : dans de nombreuses séquences suivantes, la
liste de ces titres de livres sera audibles, cʼest-à-dire sans que lʼon aperçoive de visu le
Godard-narrateur.

L'important n'est pas dans ce qu'on voit mais dans ce que l'on entend serait peut-être
la première hypothèse à formuler si l'on paraphrasa la Lettre sur Les Aveugles de
Diderot, que Godard cite dans son autoportrait233 ; en tout cas, il faut, avant toute
détermination, constater ce décalage, cette disjonction qui montre que la bande son
n'est pas esclave soumise au maître de l'image. 234

On va supposer que l'autonomie gagnée par la parole face à son image signale la
capacité de l'historien à pouvoir donner parole à ses images (les images du passé).
Suite à ce défaut apparent, ce décalage, on peut estimer que Godard, séparé de ses
spectateurs puisqu'il est sur l'écran, est aussi scindé en lui-même dans sa
présentation. La technique du cinéma peut alors être entreprise dans une perspective
historique :

"À parler sans cesse de la naissance et de la mort, le cinéma (…) rend compte de la chair, sans
duplicité il métamorphose la parole sacrée. (…) La création artistique ne fait que répéter la
235
création cosmogonique, elle n'est que le double de l'histoire"

Dans le même mouvement, il sʼavère simple de concevoir le film HdC, comme un film
qui convoque lʼhistoire, comme un appel (une évocation) aux figures des hommes

233
. Ref.Film74. JLG/JLG : AUTOPORTRAIT DE DÉCEMBRE. 1994.
234
. Ref.182 La Paroisse Morte. TRAFIC N°1, Été 1991, p.72. et HdC.1b.une histoire seule. p.176.
235
. Ref.gz9. Pour un cinéma politique.

382
disparus. Son pouvoir projectif ne se limite donc pas à faire revivre les fantômes sur
lʼécran (lʼimage), il a tâche de leur trouver une parole236.
Pareillement à la quête d'un style historiographique, Aby Warburg trouvait le moyen de
faire revivre des individus dont on a gardé l'image, l'effigie ; la tâche de l'historien
consistait selon lui alors à leur redonner la parole.
Warburg décrit cette scission comme une séparation réelle du corps et de la voix que
l'historien a le pouvoir ou la charge d'effacer237 :

"La piété de l'historien peut restituer le timbre [Klangfarbe, la couleur sonore] de ces voix
inaudibles s'il ne recule pas devant l'effort de reconstituer le lien naturel entre la parole et
238
l'image." .
Cette restitution entre en écho avec la volonté du rôle de lʼhistorien tel que le conçoit
Godard dans son film Allemagne année 90.
« "Je voudrais rendre l'histoire à ceux qui n'en ont pas.(…) Est-ce que le narrateur n'est pas
dans une situation impossible, difficile et solitaire davantage aujourd'hui qu'autrefois je le crois.
histoire de la solitude ; mais il lui faut pourtant être là, absent et présent, oscillant entre deux
239
vérités aléatoires, celle du document et celle de la fiction."

Le film HdC oscille entre ces deux vérités en principes.


Dans les HdC, le lien naturel se reconstitue par la combinaison la double présence
requise : celle de Godard-présentateur avec celle du Godard-narrateur, la charge de
l'historien confronté au document avec celle d'un devenir narrateur poète.

LA SIMULATION DU PRÉSENTATEUR : SON IMAGE.


La voix, habituellement disjointe du corps à l'image, trouve quelquefois, on vient de le
décrire, pourtant une place correspondante en Son Direct. Dans certaines séquences
mises en scène selon le mode commun du présentateur-narrateur, les deux fonctions
seront alors jointes.

236
. Philippe SOLLERS, Il y a des fantômes plein l'écran..., CAHIERS DU CINÉMA n°513. 05/1997.
237
. Philippe-Alain Michaud, Aby Warburg et l'image en mouvement, Paris, Ed. Macula, 1998.p.93
238
. Aby Warburg, Ecrits Florentins, Paris, Ed.Klincksieck.1990.p.106.
239
. Ref.Film70. ALLEMAGNE ANNÉE 90 NEUF ZÉRO. 1991.

383
MAÎTRE DES LIEUX
La possibilité, offerte au cinéaste, d'être présent simultanément ou non à l'image
comme au son, nous propose une double lecture constante. Lecture de l'entre-deux :
expérience spectatorielle d'associer, par figure de montage, l'enchaînement des
images entre elles, et du rapport possible qu'elles prêtent au déroulement sonore.

Aussi le thème de la dualité tel qu'il nous est présenté depuis le début du film va
pouvoir s'incarner en Godard, dans le mode même dont le récit est présenté et narré.
Dans le 1a, l'image de Godard-présentateur indique que le cinéaste se situe sur le
plateau.

ACTIONS DE GODARD POUR “LANCER LES SUJETS” DES HdC


Si l'on juge la qualité de sa présentation, on découvre une nouvelle objection. Sa
manière de “lancer les sujets” sʼavère équivoque car on le voit procéder à des séries
d'actions, à l'image, qui ne sont pas celles quʼapparemment l'on attendrait d'un
historien qui doit présenter le projet de son histoire du cinéma ; ou même que lʼon
attendrait dʼun cinéaste.

Les activités du présentateur des HdC dépendent spécifiquement du décor dans lequel
il effectue ses présentations. Même si elles sont généralement liées à des activités
dʼécriture ou de pratique avec la vidéo, on notera que les présentations peuvent être
perçues comme des activités de dilettante car elles sortent du cadre ordinaire dʼune
représentation dʼun homme au travail et également du simulacre de travail que peut
produire lʼimage dʼun présentateur à la télévision240. Elles reflètent —à contrario de la
voix solennelle et catégorique du Godard-narrateur—, un homme en proie au doute,
faisant des listes, répétant les phrases comme pour mieux s'en imprégner, s'en
convaincre. Tel un homme qui rêve, il est perdu dans ses pensées241. Ces activités sont
pour le moins déconcertantes. On saisit aussi son attitude quasi burlesque, proche du

240
. On ne sera pas surpris de trouver en début dʼactivité de présentation du film quelques accessoires
habituels du présentateur dʼun journal télévisé, pour nous faire croire (simulâcre) quʼil travaille, comme les
feuilles de papier devant lui, le stylo, la machine à écrire. Ce quʼon constate cʼest le décalage burlesque du
personnage.
241
. HdC. 3a.la monnaie de lʼabsolu. p.17. Jʼétais seul/perdu, comme ondit/dans mes pensées.

384
dandysme, à vouloir préférer la pose en place de la position242. Attitude qu'on peut
repérer dès la construction de son premier personnage de fiction, Michel Poicard et qui
se manifestera sur beaucoup dʼautres de ses personnages réflexifs243. Issu de ses
fictions : une misogynie de façade, une prédilection pour l'aphorisme, le goût
aristocratique de déplaire244 en haranguant le spectateur et en arborant des tenues
excentriques (chaussettes en soie avec une veste en Tweed245, Chemise sans boutons
de manchettes246, torse nu avec visière de golfe247, Chef d'orchestre portant feutre248.…)

Il convient maintenant de passer succinctement en revue ses activités, pour essayer de


définir certains types formels de présentation et de révéler ce dilettantisme.

E/ LES ACTIVITÉS DE GODARD-PRÉSENTATEUR


Evidemment les activités du Godard-Présentateur sont liées aux décors dans
lesquelles elles se déroulent.. Ainsi assis derrière son bureau il essaye de placer
correctement une feuille dans le rouleau dʼune machine à écrire. Il tape à la machine,
électrique et il écrit et produit des listes de titres de films, (activité reprochée aux
cinéphiles 249) (1a, 1b).

LʼIDIOTIE DU PRÉSENTATEUR
Le Godard-présentateur, étudié en tant que rôle, évoque une continuité, peut-être plus
réfléchie, avec le personnage dʼidiot quʼil interpréta dans plusieurs de ses films de
fiction et quʼil réalisa à peu près dans la même période que les HdC (1982-93). On a
Oncle Jean, figure prototypique du personnage névrosé de cinéaste (en pyjama en
hôpital pour dépression). On le voit taper à la machine et fumer le cigare ; pareillement,

242
. Jules Barbey D'aurevilly, Du dandysme et de Georges Brummell, Paris, Ed. Balland 1986.p.27
243
. Cʼest-à-dire les personnages auxquels le cinéaste s'identifie, dans lesquels il place sa parole principale
(Belmondo, E.Constantine) ou bien encore à partir des années 80 ceux qui interprètent directement un rôle
le cinéaste (J.Dutronc, JerzyRadziwilowicz , J-P.Léaud).
244
. Charles Baudelaire, Mon cœur mis à nu, (1869), Paris, Ed. Gallimard. La Pléïade.1967.p.458.
245
. Voir aussi Ref Film6. A BOUT DE SOUFFLE. 1959.
246
. Voir aussi Ref Film74 JLG/JLG : AUTOPORTRAIT DE DÉCEMBRE. 1994.
247
. HdC 2b.fatale beauté. p.237
248
. HdC 3b.une vague nouvelle. PLAN
249
. Reproche formulé par Langlois : "Je condamne cette catégorie de spectateur du premier rang qui
recopie les génériques.". Edgardo Cozarinsky, CITIZEN LANGLOIS, 1995.

385
seul le lieu change, puisquʼon le soigne à lʼhôpital250, un savant-fou avec perruque de
cables, jouant avec le feu et les machines251 ou encore le Prince Idiot Dostoïevskien
qui réapparaît dans un film-annexe des HdC et dans SOIGNE TA DROITE252.

On notera dans lʼattitude du Godard-présentateur face à la machine à écrire, un jeu


décalé, une lenteur dans les mouvements opérés, que cela soit dans la façon
dʼattendre en fumant et tirant sur son cigare, ou encore le placement de la feuille, ou
dans la tape sur le clavier électrique dʼune seule phrase et du délai de son inscription
pétaradante sur la feuille, ou encore le microphone qui vient doucement en couinant
vers le présentateur. On retrouve cette attitude bruyante avec lʼutilisation dʼune crecelle
à la fin des ENFANTS JOUENT À LA RUSSIE. Comme chez Tati, les sons
surexpressifs viennent souligner lʼeffet de lenteur humoristique.

On peut penser également à la prestance du dandy burlesque Harold Lloyd253 ou aussi


à certains gags fantastiques de Pierre Etaix254 : les choses inanimées sont douées de
vie (dans les HdC : table de montage, microphone) et le jeu des acteurs de slapstick se
définirait par une inaptitude invétérée à lʼexistence quotidienne255.
Lʼattitude et les gestes du présentateur font écho à notre première image
dʼenchaînement : la table de montage, qui peut être vue comme un accessoire
fantastique. Elle produit des allers-retours sans but, sans présence humaine à lʼimage,
seulement au son des voix sont distordues par la manipulation. Parmi le tumulte
chaotique, certaines bribes sont intelligibles dont une voix de femme qui crie un « Tu
me chatouilles» se dégage. La table est possédée, comme douée de folie humaine
réagissant à la maltraitance des allers-retours cinglants.

250
. Ref.Film 52 PRÉNOM CARMEN. 1982.(Oncle Jean, un réalisateur en pyjama, traînant toujours avec lui
un magnétophone, présentant de sérieux troubles du comportement et soigné pour dépression à l'hôpital).
251
., Ref.Film 60.KING LEAR. 1987. (Un professeur pyrologue),
252
. Ref.Film 59 SOIGNE TA DROITE.1987. (un cinéaste idiot- le prince). Titre-hommage au projet de
JacquesTati :SOIGNE TON GAUCHE.
Ref.Film 71 LES ENFANTS JOUENT À LA RUSSIE.1993.(L'Idiot, Prince Mychkine)
253
. On notera que le premier personnage de Harold Lloyd sʼappellait LONESOME LUKE !
Roland Lacourbe, Harold Lloyd, Paris, Ed.Seghers.coll.Cinéma dʼaujourdʼhui.n°66.1970.p.19.
254
. Pierre Etaix, RUPTURE.1961. Dans ce film, la table sur lequel écrit lʼhomme bouge toute seule.
255
Roland Lacourbe, Harold Lloyd, Paris, Ed.Seghers.coll.Cinéma dʼaujourdʼhui.n°66.1970.p.35.

386
F/ ACTIVITÉ POÉTIQUE (1) : LE LISTING

Rien ne prouve que lʼimage dʼun Godard-historien au travail, le soit effectivement sur
lʼhistoire que nous entendons. Aussi même lorsqu'il tape à la machine, ce n'est pas
pour écrire un texte, c'est pour juste entamer une liste sans même nous en indiquer sa
dénomination ou même sa fonction.
Lʼétablissement dʼune liste sʼavère une activité quʼon peut envisager sérieusement. Si
on concède, en premier lieu, que produire des listes de mots relèveront de lʼactivité
superficielle d'une connaissance culturelle (Mots Croisés, jeux télévisés…) voire
contingente (liste de commissions), nous pouvons également la concevoir comme une
véritable activité poétique256.

La pratique de faire une liste peut s'évaluer selon deux critères, l'acte lui-même et
l'analyse de ce que contient la liste. Dans un premier temps nous allons nous
intéresser à la pratique elle-même.

Cela, à partir de Rimbaud, car après avoir abandonné la poésie, elle restera la seule
pratique graphique quotidienne pendant ses activités de contrebande en Erythrée257.
Les surréalistes, avec pour représentants Philippe Soupault, Jacques Rigault, Jacques
Prévert, et plus tardivement Jean-Pierre Duprey et Stanislas Rodanski, imposèrent la
composition de la liste au rang dʼinvention poétique la plus percutante, avec peut-être
le cadavre exquis. Le listage comme lʼa baptisé Rodanski, en tant que pratique
poétique demeure l'occasion de produire des rencontres cinglantes, des duels. Sorte
de Haïkus dʼoccident modernes. C'est sûrement la réduction essentielle du montage de
plusieurs mots qui ont abandonné toute syntaxe et toute grammaire. Il ne reste plus
que le tournoi des mots, seul à seul et mis à la ligne à chaque fois. 258

Hors de la considération du geste comme catégorie poétique, elle demeure une activité
écrite mnémotechnique. On liste pour ne pas omettre lorsque la mémoire mentale fait
défaut. Aussi la banalité du faiseur de liste est apparente, cela nous montre au

256
. Voir chez certains poètes surréalistes : Jacques Rigaut ou Philippe Soupault.
257
. Alain Borer, Rimbaud en Abyssinie, Paris, Ed.Seuil. 1984.p.225. Listes de ce qu'il trafiquait (couverts,
vaisselle…)

387
contraire un homme qui écrit car il ne veut pas oublier259. On se souvient de la liste
contre l'oubli du cinéma français, qui constitue l'un des éléments narratif principal et
obsessionnel de 2X50ANS DE CINEMA FRANÇAIS260. Au moment du centenaire du
cinéma, Michel Piccoli, confronte à la mémoire du personnel de lʼhôtel dans lequel il
réside, une liste dʼacteurs et de cinéastes français.
« Jacques Becker ? vous connaissez ? Et Le Vigan, vous connaissez ?… »

G/ LISTE DES ACTIVITÉS DE GODARD-PRÉSENTATEUR (suite)

— Lire des titres de livres dans sa bibliothèque, (activité du bibliomane, dont la seule
étude constitue un savoir réel, même sans avoir lu un seul de ces livres261) [1a, 1b, 2a]
On peut affirmer encore, que pratiquer l'établissement de liste, fonde le début de tout
acte programmatique.

— Fumer le cigare, faire des grimaces, enlever et remettre ses lunettes (2b, 3b).
On peut interpréter ses gestes excentriques et burlesques comme étant une prise de
conscience de Godard avec son propre personnage. Son visage devient un masque
dont il lui fait subir une séries d'essais (grimaces). L'œil rivé sur un moniteur (hors-
champs), Godard se regarde et produit des attitudes expressives en étirant un seul
sourcil, jusquʼà regarder en lʼair (Plan 48) ou ouvrant la bouche en grand, tel le jeu dʼun
enfant qui devant la glace, découvre les diverses capacités expressives de son
visage262.

— S'amuser avec le rack métallique d'un porte-moniteur sans le téléviseur, [3b]


Le personnage Dostoïevskien de lʼIdiot, interprété par Godard pour le film SOIGNE TA
263
DROITE , prend à la lettre les ordres qu'on lui entonne, ainsi ici, il essaye de passer à

la télévision, et expérimente ce désir en essayant concrètement de s'incorporer à

258
. Stanislas Rodanski, Écrits, Paris, Ed.Christian Bourgois.p.107 : « Jʼimplore le listage du monde ».
259
. Godard réalise un court métrage intitulé : ECRIRE CONTRE LʼOUBLI (1991), Ref.Film69.
260
. Ref Film75 2x50ANS DE CINÉMA FRANÇAIS (co-réal A.M.Miéville) (1995).
261
. Léon-Paul Fargue, Le piéton de Paris, Paris, Ed. Gallimard. 1956. p.69.
262
. Ref.Film 7. LE PETIT SOLDAT. (1961). Dans ce film, Michel Subor sʼinterroge et interroge le spectateur
devant une glace sur le ressenti de la vision du visage, si il est concave ou convexe, pour lui et pour le spectateur.
263
. Ref.Film 59. SOIGNE TA DROITE. (1987).

388
travers le cadre téléviseur. On retrouve le désir dʼincarner une machine, qu'il avait
stipulé au moment de son scénario Moi, je. Projet de film. 264.

— Diriger un orchestre fantôme, avec devant lui un lutrin. [3b]


Dans cette séquence, debout, feutre sur la tête (alors que nous sommes à l'intérieur),
Godard gesticule avec les bras pour procéder à la conduite caractéristique dʼun
orchestre. Dans le même temps, il apostrophe des écrivains critiques de cinéma,
disparus, qui ont notamment participé au rayonnement de la Cinémathèque
française265, en leur lançant des [N'EST-CE PAS (…) ?]266 pour les prendre à témoin.
À l'image, Godard est seul, avec pour fond de décor, une étagère de livres : une des
parties de sa bibliothèque; il procède donc à l'évocation des morts, devenant chef d'un
orchestre de fantômes : Jean-George Auriol, André Bazin et Lotte Eisner en sont les
solistes absents.

H/ LES AUTRES INTERVENANTS DIRECTS DU FILM

Indiquons que cette liste ne fait ni partie des activités du Godard-présentateur, ni de


celle des éléments visuels hétérogènes récurrents utilisés comme figure
d'enchaînement. Mais il nous a paru intéressant à produire ce récapitulatif à ce stade
de la réflexion avant de reprendre notre analyse, du plan par plan.
Godard a filmé en vidéo dʼautres séquences dans lesquelles des acteurs interviennent.
Ils figurent dans le film, mais leur statut n'étant pas récurrent, ils ne se trouvent donc
pas liés directement au répertoire, comme nous lʼavons juste précisé. Chacun de ces
acteurs interviennent dans un dispositif fictionnel. Notons quʼils sont présents à lʼimage.
Ils prennent part à une catégorie plus restreinte de lʼensemble général des acteurs qui
participent au film, dont un grand nombre ne sont présents quʼindirectement, par la
représentation de leur voix, comprenant François Perrier, Maria Casarès, ou Bérangère
Allaux.

264
. Ref.178.18.
265 ème
. Supra 2 Partie.Ch.3§4. Brève description du Musée du Réel.
266
.HdC 3b.une vague nouvelle.

389
Les acteurs à lʼimage énoncent non plus une parole historique mais énoncent en son
direct des extraits de textes provenant de la littérature qu'on peut lister ci-dessous,
respectivement :

— Julie Delpy cite Charles Baudelaire, "Le voyage". [2a, seul le cinéma]
— Serge Daney est un invité surprise et dialogue avec JLG — A noter derechef que la
situation de Serge Daney parmi cette liste de comédiens du film ne devait pas être pris
comme une erreur. Elle doit être considéré comme une participation de l'invité-surprise,
au même titre que dans les fictions précédentes de Godard, particulièrement dans celle
des années 60267, où le cinéaste demandait toujours à un intellectuel, artiste ou
cinéaste de venir sur le tournage de son film de fiction, pour participer comme acteur. Il
jouait alors son propre rôle. L'invité surprise ouvrait alors une brèche dans le dispositif
de la fiction, participant par corps au moment documentaire.
On peut supposer que l'intervention de Daney dans le film est la convocation des
témoins nécessaire à la fiabilité de l'entreprise historique —.[2a, seul le cinéma]
— Sabine Azéma cite Hermann Broch, "La mort de Virgile". [2b, beauté fatale]
— Juliette Binoche cite Emily Dickinson, "Foresays". [3a, beauté fatale]
— Alain Cuny cite Hölderlin, "Hyperion". [4a, le contrôle de l'univers]
— Deux autres cas particuliers : Scènes de reconstitution.
- Juliette Binoche et Alain Cuny vont également interpréter une saynète (il s'agit
d'un petit court-métrage de fiction (avec décors choisis, costumes d'époque et scènes
dialoguées) inséré à l'intérieur des HdC, ce que Marc Bloch pouvait nommer scènes de
reconstitution. Binoche interprète Marie Déat et Alain Cuny son propre rôle, à la
différence de 40 années d'écart. La fiction reconstitue la prise décision de Marie Déat
et Alain Cuny ayant refusé de prendre le train qui emmenait toute une équipe de
comédiens français aux Studios de Babelsberg à Berlin, dont Joseph Goebbels était le
Burgermeister, et qui, à ce titre, habituellement les recevaient268.
- On peut citer une deuxième scène de reconstitution, mais qui, cette fois-ci,
n'est pas issue du domaine historique mais plutôt celui de la fiction, domaine du
cinéma. Godard interprète un gardien de musée et deux autres jeunes acteurs (le

267
. Ref.Film 6. A BOUT DE SOUFFLE. 1959. Le Guest-Starring.
268
. Un cliché célèbre réunit Fernandel affable aux côtés de Goebbels.
René Château, Les Affiches du Cinéma Français, Paris, Flammarion, 1998.p.38

390
cinéaste Laurent Maillefer et son amie) forment le couple des derniers visiteurs. Dans
cette petite saynète, le couple sort de sa visite du Musée de la Nouvelle Vague269 dont
la fermeture est imminente. Une voix-off introduit la séquence par lʼannonce de
fermeture : “On ferme !, on ferme ! ”. 270
Une fois de plus ces deux saynètes sont donc des interventions visuelles, mais ne sont
point récurrentes.

On peut conclure sur les figures d'enchaînement, en rappelant que celle du Godard-
présentateur va surtout se manifester dans les deux premiers épisodes, puis cela
deviendra un peu plus sporadique dans les quatre suivants, pour disparaître
définitivement dans les deux derniers. Cette chronologie place dans un situation en
miroir, une autre figure d'enchaînement que lʼon a vu : la photographie du couple de LA
PRISON. Lorsque cette dernière apparaît, précisément la première nʼy figure pas.
Comme preuve de substitution entre ces deux emblêmes, cʼest quʼils ne figurent
ensemble dans aucuns des épisodes.

I/ DESCRIPTIONS ET COMMENTAIRES DE LA SEQUENCE 4 (Plan 13 au Plan 19)


1ère Séquence dʼintroduction / Toutes les Histoires. Chapitre 1a.
Après avoir établi cette recherche préalable nécessaire, nous pouvons entreprendre
lʼétude du plan par plan de la séquence 4.
Par les effets du montage alterné, il a nous semblé plus judicieux dʼeffectuer une étude
des plans par groupe. Ainsi la suite 13-16-18 représente toujours le même plan, celui
du Godard-présentateur, mais aussi, ensuite les plans 14-15-17 représentent le groupe
Chaplin.

269 ème
. Supra 2 Partie.Ch.3§4. Brève description du Musée du Réel (5). La fermeture pouvant correspondre
à la fin

391
Plan 13-16-18 TRAME UNE
Ce sont les plans qui correspondent au Godard-présentateur. L'avant-propos du film
commence. Cʼest la première série du Godard-présentateur au bureau271.
Le premier plan est fixe en légère contre-plongée, filmé en plan-séquence. Il est tourné
en vidéo, et cadré en plan américain. L'extension de sa durée fait que, pour la première
fois du film, un plan d'une trentaine de secondes se met en place. Cela accorde une
véritable pause, une suspension qui nous fait comprendre alors que le film commence
vraiment. Cette impression de début va être souligné par l'arrivée concomitante dʼune
bande son musicale. Une musique extra-diégétique : lʼintroduction dʼune œuvre
musique orchestrale contemporaine, il s'agit de La symphonie n°3 d'Arthur
Honegger272.
Ce plan est un des éléments visuels récurrents. La figure d'enchaînement de Godard-
présentateur se situe sur le plateau : dans la pièce qui lui sert de bureau, devant une
machine à écrire. C'est un décor qu'on retrouve au fur et à mesure des séquences
(Plan 16, 18, 22…). Il installe une feuille blanche avec une méticulosité orthogonale
telle quʼon peut penser à l'installation de la pellicule sur la table de montage. Puis,
après qu'il a ajusté sa feuille, il reste un temps immobile comme interdit, comme s'il
prenait une prise d'élan imaginaire. Il commence ensuite à taper sur le clavier, pendant
quʼil énonce à haute voix un titre de film (LA RÈGLE DU JEU). On distinguera son
costume blanc et la règle en bois qui est posé sur la table. Sur celle-ci on repère
également toute une série d'autres outils liés aux travaux manuels du montage ou du
collage dont lʼinventaire suivant vient vérifier une correspondance avec la table de
montage, ici cʼest une table de maquettiste, possibilité de faire du montage pour
lʼécriture : feutres marqueurs de plusieurs couleurs, crayons de papier, tube de colles,
règles, paire de ciseaux, un massicot (en amorce), une montre-bracelet à lʼenvers.
Au fond du décor, (nous sommes en légère contre-plongée) on devine une fenêtre et
une plante verte. Le plan est assez large. La seconde série qui sera entamée avec la

270
. HdC. 3b.une vague nouvelle.p.158. Laurent Maillefer qui a été assistant de production sur FOR EVER
MOZART, a réalisé un court-métrage qui fut projeté en première partie du film de Godard.
271
. Le dernier plan de cette série est le plan 45. Au plan 48, le Godard-présentateur aborde une deuxième
série de plans au bureau et devant sa machine à écrire, cadré plus serré et dans un nouvel axe. Voir Infra
Séquence.8.
272
. Jean-Louis Leutrat, « Retour sur Histoire(s) [4] », TRAFIC n°73. Printemps 2010.p.87.

392
séquence 8, nous montrera le cinéaste dans la même fonction, au même endroit
probablement, mais dans un axe et une tenue différentes273.
La parole du cinéaste peut donc débuter, et Godard va placer sa voix dans un dispositif
technique qui parcourra le reste du film.

CONVOCATION DE L'IMAGE PAR LA PUISSANCE DE LA PAROLE


On peut noter que les apparitions des plans (à lʼinstar du Plan 15, montrant Chaplin)
arrivent au gré de la parole. Ils apparaissent selon un mode dʼinsertion, en fondu
enchaîné le plus souvent, à travers l'image de Godard-présentateur comme si sa
parole était promulgatrice des apparitions. Ce sont des inserts puisqu'une fois que les
plans sont découverts, ils disparaissent selon le même mode et donc la même image
avérée du présentateur, se situe comme en dessous, toujours présente comme image
réceptrice qui vient se manifester et revenir ;

Une lecture ésotérique du plan Godardien tel qu'il débute, le place parmi les cinéastes
qui privilégient la parole. Godard effectue par son geste un accomplissement théâtral,
performatif. Il suppose de voir où emmène sa parole. Pour l'instant, nous conservons
en mémoire la valeur de simulation et de performance que draine le personnage du
présentateur.

La notion de personnage nous pousse à envisager lʼanalyse du film comme film de


fiction. Et cʼest lors de cette interrogation que la parole de Godard sera susceptible
dʼêtre examiné.

DEUX TEXTES DE GODARD COEXISTENT DANS L'ESPACE SONORE


Il y a deux textes assez distincts du point de vue de ce qu'ils signifient, rassemblés par
un seul espace sonore identifié : la parole de Godard.
— Le texte sous forme de récit (Godard-narrateur)
— Le texte sous forme de Name-Dropping (Godard-présentateur)

273
. Cela sera à partir du PLAN 48 (Séquence 8).

393
Mais évidemment ce système présente certaines formes de complexité, aussi le texte
sous forme de récit du Godard-narrateur pourra prendre un aspect visuel à partir de
l'image (le carton) ou bien il associera la forme sonore du Name-Dropping, qui
appartenait pourtant originellement au Godard-présentateur.

J/ TECHNIQUE DU DOUBLE TAKE

Mais avant de produire une description de que nous nommons Name-Dropping274, il


convient de distinguer, à cette étape, la technique dʼénonciation qu'emprunte Godard,
effectuée selon un dispositif bien connu des chanteurs populaires jamaïcains : la
technique du DOUBLE TAKE.
En effet Les Dee-Jays 275 jamaicains au moment de l'enregistrement de leurs disques
effectuent une technique dite du Double Take : il s'agit de passer un disque
instrumental (en dub-plates c'est-à-dire sans la voix) et dʼenregistrer le chant improvisé
en rythme avec le morceau de musique une première fois. Ce principe du Dub-Plates
(instrumental) permettait à lʼorigine de faire chanter plusieurs DJ sur le même morceau,
non en même temps, mais cela fournissait plusieurs versions avec le même morceau
instrumental en dessous. Pour le Double Take, cʼest deux fois le même. On revient au
début du disque et on le passe une seconde fois, afin d'enregistrer par-dessus, une
seconde fois la même voix, —le D.J. a au casque la première session que l'on vient
d'accomplir, (musique+1erchant enregistré)—. Il improvise alors dans les moments
silencieux laissés par son premier passage. Ainsi au mixage final on obtient une
session double take : instrumental + 2 pistes du même DJ. Cette version redoublée
confère au chanteur une puissance dʼinvention performative car la parole étant la
même sur les deux pistes, on a l'impression que le chanteur est deux fois plus rapide
dans le rythme de ses interventions. Il arrive quʼil y ait des traces de chevauchements
de sa voix sur sa propre voix, ce qui est physiquement impossible et attribue alors au
chanteur une vigueur fantastique, or ce procédé nʼétait pas dissimulé par la production,
car ces morceaux-là était intitulés avec le terme double.

274 ème
. Infra 3 Partie. CH2. 3/ Plan par plan. Séq4/ K. Technique du Name-Dropping.
275
. Les Disc-Jockeys (D.J. ou Dee-Jay) font des commentaires parlés tout en passant des disques en
direct pour une assemblée. On vendait même des disques qui reproduisait le procédé Live.

394
Dans les HdC, Godard utilisera le Double Take non pas afin de dynamiser sa parole,
mais l'utilisation de cette technique vient indiquer la part d'improvisation qu'il produit
pour la finition de son film. Au fur et à mesure des versions 276 qui viendront s'accumuler,
Godard va effectivement improviser en incorporant de nouvelles variations sonores (et
visuelles toutes autant) aux endroits laissés par ses précédents passages. C'est ainsi
par cette même technique de mixage que l'utilisation consécutive du plan noir va
pouvoir homogénéiser l'ensemble des HdC. Lʼintérêt avéré quʼavait Godard pour toutes
les techniques musicales de mixage, sʼavère attesté, dans certains de ses films. Il est
filmé en train de manipuler des platines disques277, ou des mixettes 278 jusquʼà, tel un
Dee-Jay, improviser des explications sur le mixage quʼil est en train dʼeffectuer sous
nos yeux 279.

K/ ACTIVITÉ POÉTIQUE (2) : LA TECHNIQUE DU NAME-DROPPING

Nous sommes parvenus à identifier une nouvelle technique d'énonciation, par laquelle
le texte du présentateur va se déployer. Il est aisé de pouvoir lʼidentifier, même si,
coexistent dans un même ensemble plusieurs textes énoncés par une seule voix : la
sienne. Aussi dans la séquence, Godard-présentateur va effectuer un name-dropping
pendant que Godard-narrateur installe son récit. Les deux voix (émises par le même
corps) ne se cooptent pas et ne se gênent pas non plus. Comme nous lʼavons
annoncé : elles coexistent en parvenant formellement à sʼenlacer sans
chevauchement.

Le Name-Dropping est un procédé dont lʼénonciation du nom propre exerce le plus


souvent la pierre angulaire de la signification. Soit Il sʼeffectue par la substitution dʼun
nom commun par un nom propre. Le nom propre est alors utilisé pour sa capacité

276 ère
. Supra 1 Partie. CH2. 2/Prospection temporelle.
277
. Ref.FilmA6. LE SIGNE DU LION.1959, dʼEric Rohmer. § Un geste musical : la prévision du sampler.
Ref.Film48. LETTRE A FREDDY BUACHE. 1981.
278
. La mixette est une table de mixage portative, utilisée par les opérateurs du son cinéma.
Ref.Film41 NUMÉRO DEUX (Co-réal. A.M.Miéville, 1975). Les derniers plans nous en montrent une où
les mains de Godard mixent une chanson de Leo Ferré à la fin du film.
279
. Ref.Film49C SCÉNARIO DU FILM PASSION. 1982.

395
dʼévocation dans lequel il est connu280. Soit plus largement, le procédé consiste
également à établir une succession (le drop, dropping) de noms propres (name)
constituant une matière expressive pour le sujet de la phrase. Sans entrer dans un
exemple dʼanalyses lexicales, nous pouvons affirmer que dans le discours du Godard-
présentateur, deux types de noms propres (name) vont apparaître successivement
(dropping) dans les HdC.
— Les titres de films
— Les titres de livres

Comme on a vu précédemment dans l'Envoi (Plan 11-12), l'une des clefs


interprétatives du film consistait justement à ce que nous puissions percevoir lʼidée de
la coexistence du livre avec le film (en vue d'une confrontation élémentaire). Le
présentateur répercute la notion jusque dans sa parole.
On répertorie deux autres variantes de name-dropping qui se manifestent autour de la
même ambivalence, même si ceux-ci sont généralement visualisés :
— Les noms de cinéastes.
— Citations célèbres.
Aussi, la présence de quatre types d'éléments droppés proviennent de la même
coexistence désignée.

À cette composition que produit la voix, s'adjoint un autre espace, non chronologique
cette fois-ci, un espace proprement littéraire.

ETUDE DANS L'ESPACE LITTÉRAIRE


Nous entendons lʼespace littéraire, tel que l'a défini Maurice Blanchot : un espace
retentissant dʼune production de la parole; Un espace du pouvoir de dire et du pouvoir
d'entendre281. Dans cet espace de confrontation, plusieurs limites se joignent : le fil
imaginaire confrontant celui qui parle avec celui qui écoute, mais aussi entre Godard et

280
. Bret Easton Ellis représente un des écrivains qui a utilisé abondamment le procédé du name -dropping
jusquʼà en représenter lʼun des traits fondateurs et représentatifs de son style.
Bret Easton Ellis, Glamorama (1984), Paris, Ed. 10/18. Robert Laffont.2000.p.52: « Je tire une taffe de ma
Marlboro », au lieu dʼécrire : Je tire une taffe de ma cigarette ».
281
. Maurice Blanchot, L'espace littéraire, Paris, Ed. Gallimard. Coll. Idées. 1955. p.32 :
"L'espace(littéraire) violemment déployé par la contestation mutuelle du pouvoir de dire et du pouvoir
d'entendre."

396
les personnes qu'il évoque par titre interposé. De plus on affirmera que dans lʼespace
littéraire peuvent coexister des paroles autant que des images.
Ici on attribue Jean Renoir à La Règle du Jeu, plus loin Irving Thalberg à A NIGHT AT
THE OPERA et à GREED (Séquence 11).

Le dispositif visuel de cette série, suggérant Thalberg, va fonctionner comme une liste
en name-dropping de ses films produits.
Lʼévocation nous touche aussi par l'insistance des procédures répétitives. Ce rythme
de répétition qui stance, Blanchot le dote du nom d'écho282. Godard, en présentateur et
narrateur, établit un nouvel écho. Il produit des listes de name-dropping de titres de
films ou de livres.
Il demeure important de noter que la voix-off, (ou la vision de cartons), égrène des
titres de films ou de livres le plus souvent en rapport direct avec la signification
intrinsèque du titre, cʼest-à-dire souvent saisis dans leur valeur exotérique et plus
rarement dans celle contextuelle.
Pour prendre un exemple visuel, au Plan 296, Godard filme une couverture du livre
édité par Gallimard, de Jean Genêt, Le Captif amoureux. Ce plan intègre la séquence
12, qui est une des séquences concernant le producteur hollywoodien Howard Hughes.
Nous supposons alors que sa situation est en rapport directe avec lʼhistoire de la
captivité de Hughes au Desert Inn283 (sens exotérique du captif amoureux) et non avec
la lutte entre Israéliens et Palestiniens (sens ésotérique du titre : récit du livre de
Genêt), ce qui nous paraît hors de propos pour pouvoir lʼassocier à H.Hughes. Le sens
ésotérique apparaît plus sous la forme dʼun lien. Il consistera à reconnaître la
caractéristique typographique du titre, issu de la Collection blanche, éditée en rouge
par Gallimard. Maison que Godard citera, en voix-off juste quelques plans avant dans
la même séquence :
« Comme si Méliès avait dirigé Gallimard en même temps que la SNCF »284

282
. Maurice Blanchot, L'espace littéraire, Paris, Ed. Gallimard. Coll. Idées. 1955. p.52 :
"Elle (la parole) ressemble à l'écho, quand l'écho ne dit pas simplement tout haut ce qui est d'abord
murmuré, (…) est le silence devenu l'espace retentissant, le dehors de toute parole."
283
. P.H.Brown & P.H. Broeske, Howard Hughes, Le milliardaire excentrique. Biographie , Paris,
Ed.Plon.1996. p.267.
284
. HdC. 1a. toutes les histoires. p.50. Cʼest le Plan 290.

397
On remarque que le banc-titrage de couvertures de livres, technique habituelle de
Godard pour filmer lʼécriture285, nʼest pas le seul moyen dʼintégrer visuellement les
titres. Plus généralement, comme dans cette même séquence, le titre est inscrit par le
cinéaste au génétitre. Ce procédé inclut indifféremment livres, citations, films ou
cinéastes. Ici, cʼest un titre de film dʼHoward Hawks :
« ONLY ANGELS HAVE WINGS »286
Au-delà dʼune correspondance des initiales et dʼune collaboration rompue sur le
tournage du premier film produit par Hughes287, le film de Hawks retrace les aventures
de plusieurs casse-cou aviateurs longs-courriers, et entre en rapport direct avec la
passion de Hughes pour lʼaviation. Il a établi un record mondial du tour du monde sans
escale en avion. Il a survécu à deux crashs288.
Ici le titre appartient au Godard-narrateur, car il entre en correspondance avec le récit
biographique dʼHoward Hughes. Aussi, on admettra que le titre solitaire (dans sa
double valeur) vient pourvoir le récit biographique du Godard-narrateur sur Hughes.

Cet exemple, doit nous faire comprendre que chaque nom propre cité visuellement ou
énoncé oralement appartient à lʼune des deux fonctions représentatives du cinéaste. Il
sʼagit donc de savoir distinguer leurs deux modes dʼénonciations.
Cʼest ainsi que dans ce plan 296, on a un chevauchement de plusieurs titres : le titre
du livre édité par Gallimard Le Captif amoureux contribue à alimenter le récit historique
du Godard-narrateur et dans le même plan, la voix-off du Godard-présentateur citant
une liste de titres de livres dont on entend le titre : les 500 millions de la Bégum. La
litanie de la liste des name-droppings se déroule sur plusieurs plans et ce titre-là
arrivant sur le plan 296, en fait partie dʼune série.

285
. Ref.Film8. UNE FEMME EST UNE FEMME. 1961.
Voir §Scène de ménage sous forme de titres de livres.
Ref.Film22. DEUX OU TROIS CHOSES QUE JE SAIS D'ELLE, LA RÉGION PARISIENNE. 1966.
Voir § Hétérologie esthétique du banc-titrage.
Voir à ce propos la conception graphique de Paul-Raymond Cohen, du Spécial Godard 30ans
depuis,CAHIERS DU CINÉMA. n°Hors-Série. 1991.
286
HdC. 1a. toutes les histoires ( Plan 339). Il est en anglais dans la version 3. Le livre a conservé la
version 1 où le titre était en français.p.49 : SEULS LES ANGES ONT DES AILES.
287
. Howard Hughes, THE OUTLAW (Le banni, 1943).

398
RAPPEL THÉORIQUE DU NAME-DROPPING ET DE SA MISE EN LISTE
Théoriquement — confirmant quelques exceptions— le nom propre, reproduit dans les
HdC, appartient de fait au Godard-narrateur quand il est seul.
Sʼil y a une succession de plusieurs noms propres composant une série homogène,
logiquement ils forment une liste. La liste est à placer généralement du côté du
Godard-présentateur. Que la liste ne soit pas énoncée oralement mais reproduite selon
des procédés visuels, elle peut289 se ranger du côté du Godard-présentateur mais
éventuellement elle peut tout de même entrer en corrélation avec le récit historique.
À ce stade de la réflexion, rappelons que lʼétablissement dʼun listing de films demeurait
une occupation de cinéphile, alors que celui dʼun listing dʼacteurs (en vue de sélection,
casting) renvoie à une occupation de cinéaste. En effet, le cinéaste discute avec le
producteur pour choisir celui ou celle à qui donner le rôle290. Plusieurs fois, on retrouve
des listes dressées dans les écrits de Godard. Aux Cahiers du Cinéma, Godard a
plusieurs fois établi une liste pour les dix meilleurs films de lʼannée291 ou encore les dix
meilleurs films américains depuis lʼaprès-guerre292. Et même dans son livre
prototypique des HdC, on trouve en tête de chaque chapitre (voyage), une liste de films
quʼil désire projeter en vue de les confronter avec ses propres films293.
On a, par ailleurs, aussi relevé que lʼénonciation dʼune liste de cinéastes, était dotée
dʼune puissance morbide, tel un appel aux morts294, comme on le trouve dans le film
295
LA BANDERA incarné par la figure emblématique de Robert Le Vigan.

288
. P.H.Brown & P.H. Broeske, Howard Hughes, Le milliardaire excentrique. Biographie, Paris,
Ed.Plon.1996. p.122.
289
. Pour démontrer que ce nʼest pas systématique, on citera la liste de cinéastes-amis qui apparaissant
sous forme visuelle de cartons qui se succèdent à la fin du 3a.la monnaie de lʼabsolu, ainsi que la liste de
cinéastes-artistes dans le 4a. le contrôle de lʼunivers. p.68-74.
290
. Godard a mis en scène ce type de liste en dialoguant (il joue son rôle de cinéaste) et Jean-Pierre
Mocky (qui joue Almeyreda un producteur) dans : Ref.Film56 GRANDEUR ET DÉCADENCE DʼUN PETIT
COMMERCE DE CINÉMA (1986).
291
. Ref.69. Les dix meilleurs films de 1956. n°67. 12/1956. Ref.84 (1957). Ref.102 (1958).
292
. Ref.142. Les meilleurs films américains du Parlant. n°150/151. 08/1963.
293
Ref.173. Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros, 1980. Voir la référence
(dans lʼannexe 1) où la différence remarquable entre la liste des films que Godard voulait et celle quʼil a pu
réellement projeter.
294
. Ref.Film12. LES CARABINIERS (1963) § Morts au champs d'honneur : l'appel aux morts du cinéma.
295
Julien Duvivier, LA BANDERA. 1936. Un seul légionnaire a survécu après une bataille, il répond à la
liste dʼappel pour tous ceux qui y sont restés. La fin du film avec Robert Le Vigan a été plusieurs fois
utilisée par JLG : Ref.Film12., Ref.Film56 GRANDEUR ET DÉCADENCE DʼUN PETIT COMMERCE DE
CINÉMA (1986). §La figure du producteur combattant. Ref.Film75 2X50ANS DE CINÉMA FRANÇAIS
(1995) (coréal A.M.MIÉVILLE). §Mort aux champs dʼhonneurs.

399
Cʼest par ailleurs cet acteur quʼil choisit en portrait lorsquʼil se dédie le dernier épisode
296
4b .
Dresser une liste sʼavère une technique de programmateur et son apparition dans les
HdC ne devrait pas nous surprendre. Nous allons nous rendre compte quʼau fur et à
mesure de ses diverses manifestations, les séries de listes (de name-dropping)
édictées oralement par le Godard-présentateur, vont entrer dans un espace littéraire,
se confrontant alors au récit historique du Godard-narrateur.

Les listes établissent des titres, les uns à la suite des autres. Cʼest une ligne qui
progressivement devient autonome et dévie de lʼespace visuel du film. On pourrait
évoquer la musicalité de la présence de ces titres (lʼécho) qui viennent rythmer le film
et créer des associations aléatoires dont le spectateur a la charge. Cette charge de
montage, le fait de devoir associer librement, par lui-même un titre avec une, ou
plusieurs images, sʼavère encore une technique récurrente constatée dans son
œuvre297.

L'ÉNONCIATION DU TITRE SOUS FORME D'ÉCHO


a/ série 1
La série 1 est la liste des titres de films énoncés oralement qui partent de la séquence
4 jusquʼà la séquence 7:

LA RÈGLE DU JEU [Renoir] (Plan 13)


CRIS ET CHUCHOTEMENTS [Bergman] (Plan 27)
LE LYS BRISÉ [Griffith] (Plan 36, 37, 38.)

Peu après dans la séquence 9, les titres de films, toujours énoncés en voix-off, vont
être remplacés par ceux des livres. Il nʼy a aucune différence dʼénonciation entre cette
série (série 1) et les autres (série 2 à série 8). Par contre, le seul changement notable
figure à lʼimage, car on constate le changement de décors du Godard-présentateur. Il
choisit ce moment pour passer du bureau à la bibliothèque. Les nouvelles séries (listes
de titres de livres) vont ainsi se signaler sur plusieurs séquences, dont même une série

296
. HdC.4b.les signes parmi nous. p.139.
297
. Ref.Film41 NUMÉRO DEUX (Co-réal. A.M.Miéville, 1975).

400
pourra se répéter presque à lʼidentique. Il nous a paru intéressant de les apposer et
dʼindiquer lʼauteur, même si nous nʼavons pas encore analysé les séquences dans
lesquelles elles interviennent, afin de mieux faire apparaître et comprendre leurs
mouvements autonomes, dans lʼespace littéraire.

b/ série 2
La série 2 intervient pendant la séquence 10.
MATIÈRE ET MÉMOIRE [Bergson] (Plan 88)
LES 1001 NUITS [xxx] (Plan 91)
LES FAUX MONNAYEURS [Gide] (Plan 92)

c/ série 3 :
Cʼest pendant la séquence 11 de Thalberg que la série 3 produit sa liste.
LE LIVRE DES ROIS [xxx] (Plan 101)
LES ENFANTS TERRIBLES [Cocteau](Plans 102,125+ 161[seq12]
LE LYS DANS LA VALLÉE [Balzac] (Plan 128)
LES FLEURS DU MAL [Baudelaire] (Plan 132)
LA PESTE [Camus] (Plan 133)

Lʼemploi multiple du titre Les enfants terribles est à souligner. Sur les deux séries, il est
le seul à être répété plusieurs fois. A cette occasion on notera quʼil est également le
seul avoir une double existence (livresque et filmique) concomitante, car si ce titre fait
référence au livre de Cocteau, il rappelle tout autant le film de Melville dans lequel
Cocteau fut auteur du scénario. On remarquera que lʼeffet dʼécho, la répétition du titre
du livre/film le place simultanément dans la série énoncé par le Godard-présentateur
mais aussi probablement comme on le verra, il est utilisé comme élément direct pour le
récit historique du Godard-narrateur.
La signification de ces deux séries, mis en rapport avec le récit historique audiovisuel
du narrateur, ces fois-ci, demeure plus abscons, plus difficile à réaliser. Par contre-
balancement, lʼéloignement de cette signification effective offre vraisemblablement aux
séries une autonomie plus grande, faisant ressortir l'effet répétitif, l'écho. A lʼinstar

401
dʼune machine vocale, tel Lʼalpha 60 dont la parole se détraquait298, on constate le
décalage entre les titres énoncés (des séries) et les titres réels à lʼimage, (filmés sur la
couverture des livres) que JLG prend de sa bibliothèque.

d/ série 4 :
Série 4 pendant la séquence 13 :
L'ARCHIPEL DU GOULAG [Soljenitsyne] (Plan 187)
MON CŒUR MIS A NU [Baudelaire] (Plan 199)
L'ÎLE AU TRÉSOR [Stevenson] (Plan 201)
LES 500 MILLIONS DE LA BÉGUM [Grousset/ Verne] (Plan 202)
CHEMINS QUI NE MÈNENT NULLE PART [Heidegger] (Plan 205)
LE ZÉRO ET L'INFINI [Koestler] (Plan 214)

e/ série 5 :
Série 5 pendant la séquence15 d' Howard Hughes
CHEMINS QUI NE MÈNENT NULLE PART [Heidegger] (Plan 260)
L'ESPOIR [Malraux] (Plan 290)
MON CŒUR MIS A NU [Baudelaire] (Plan 292)
L'ÎLE AU TRÉSOR [Stevenson] (Plan 293)
LES 500 MILLIONS DE LA BÉGUM [Grousset/ Verne] (Plan 296)
CHEMINS QUI NE MÈNENT NULLE PART [Heidegger](Plan 301)

f/ série 6 :
Série 6 pendant la séquence16, « des Histoires des films qui ne se sont pas faits ».
LA CONDITION HUMAINE [Malraux] (Plan 376)
DON QUICHOTTE [Cervantès] (Plan 376)
HUMILIÉS ET OFFENSÉS [Dostoïevski] (Plan 376, 413)
L'ÉCOLE DES FEMMES [Molière] (Plan 420)

298
. Ref.Film18. ALPHAVILLE. 1965. Le traitement de la voix de Godard dans les HdC nʼest pas sans
rapport avec LʼAlpha 60. Cʼest une parole qui réussit à détraquer la machine. Le texte de Paul Eluard (issu
du Capital de la douleur) est alors comme un poison pour la raison logique de lʼordinateur. Il implose son
propre système (on perçoit à cet effet des ralentissements magnétiques de la voix) à cause dʼune question
lue par Eddie Constantine.

402
g/ série 7 :
La série 7 se déroule pendant la séquence17 « Histoire de cul »
LES LIAISONS DANGEREUSES [Laclos] (Plan 428)
ON NE BADINE PAS AVEC L'AMOUR [Musset] (Plan 428)
ADIEU MA JOLIE [Chandler] (Plan 430)
BONJOUR TRISTESSE [Sagan] (Plan 430)
L'ÉDUCATION SENTIMENTALE [Flaubert] (Plan 437)

h/ série 8 :
La série 8 enfin se passe pendant la séquence 21 (part 2)
LE PARFUM DE LA DAME EN NOIR [Leroux] (Plan 611)
LA NAUSÉE [Sartre] (Plan 614)
ET SI LE SOLEIL NE REVENAIT PAS [Ramuz] (Plan 614b)
L'OPÉRA [x] (Plan 615)

L / DESCRIPTIONS ET
COMMENTAIRES DE LA SEQUENCE 4 (Plan 13 au Plan 19) (Reprise)

Plans 13-16-18 TRAME UNE (suite)


FONCTION DE LA PAROLE DU PRÉSENTATEUR : LA SIMILITUDE ÉNONCÉE :
LIVRE-FILM
Nous retournons à lʼétude du plan par plan. Outre la similitude avec les plans 11 et 12
de la séquence 3, —les envois aux deux femmes en liminaire présentant par le
montage, une opposition livre/film—, il va nous falloir, pour interpréter ces séries, lire
les titres selon nos deux aspects méthodiques (exotérique et ésotérique), pour ainsi
tester leur efficience. Nous allons tenter dʼanalyser le premier titre de notre première
série que nomme Godard selon l'objectif de cette double lecture. Nous parviendrons à
réaliser les difficultés interprétatives de lʼensemble, à partir de ce premier titre quʼon
trouve Plan 16.
299
[LA RÈGLE DU JEU]

299
. Jean Renoir, LA RÈGLE DU JEU, 1939.

403
#lecture exotérique : lecture du titre pris dans son acception première.
Le titre nous montre que nous sommes encore dans un avant du film car, simplement,
il faut entendre au préalable le cinéaste-joueur édicter les règles de son jeu auquel il
joue ; la règle du film comme jeu. Ce jeu sʼavère double comme le titre est énoncé
deux fois, comme tous les autres titres de films suivants le seront. Le jeu requière ici
possiblement notre participation en tant que spectateur-joueur, cʼest éminemment un
jeu de rôles.

# la lecture ésotérique consiste à comprendre la citation de LA RÈGLE DU JEU comme


un film réalisé par Jean Renoir et dans lequel il joue lui-même (Octave). Aussi Godard
pourrait nommer ce film pour tenter de démontrer l'exemplarité de cinéastes qui sont
pour lui des figures dʼinfluence. Exemplarité dʼoccuper une double fonction : d'être
simultanément devant et derrière la caméra.
Aussi, comprise comme film de Renoir, cette citation est produite pour faire valoir le
rapport ambiguë entre le chef dʼœuvre inconnu et le quiproquo de tout film moderne qui
rencontre le succès 300. LA RÈGLE DU JEU serait, le plus grand film de Renoir face à LA
301
GRANDE ILLUSION , considéré comme son film le plus célèbre. Rappelons

lʼimportance que cela soit le premier film qui est énoncé dans les HdC.
302
LA REGLE DU JEU nʼa pas rencontré de succès au moment de sa sortie . La tradition
orale qu'est la cinéphilie a souvent estimé que les films qui connaissent le succès
public par une vision partagée unanimement par le plus grand nombre, ne font pas
tous partie du vrai cinéma.

[LE CINÉMA, NOUS LE CONNAISSIONS PAR CANUDO PAR DELLUC MAIS SANS JAMAIS
303 304
L'AVOIR VU] [PUISQUE LE VRAI CINÉMA ÉTAIT CELUI QUI NE PEUT SE VOIR]

Au contraire, cʼest plutôt ceux qui provoquent des difficultés quant à leur possibilité
dʼêtre vus, comme VOYAGE EN ITALIE ou WAY DOWN EAST305. Ainsi pour Godard,

300
. Jacques Rivette, “L'art du présent”, CAHIERS DU CINEMA n°132, 1962. p.36.
301
Jean Renoir, LA GRANDE ILLUSION, 1937.
302
. Michel Roussel, Jean Renoir, Paris, Ed.Seghers. Coll.Cinéma dʼaujourdʼhui. 1976.p.45.
303
. HdC. 3b.p.140.
304
. HdC. 3b.p.142.

404
l'ordre de grandeur du film, dans l'appréciation esthétique de sa vérité, est liée avec
l'ordre de la rareté de diffusion, comme LA REGLE DU JEU, voire de son invisibilité
totale, comme LA FEMME AU CORBEAU306.

MONTAGE
Même si dans un premier temps nous avons séparé par principe, a priori, deux modes
de lectures, intérieur ou extérieur à l'élément décrit, dès que nous cherchons à
replacer le référent visuel ou sonore dans son contexte filmique, la dichotomie
exotérique/ésotérique cesse souvent d'être valable. Lʼélément pénètre en effet dans
une catégorisation plus complexe, plus difficile à être interprétée, quand il entre en jeu,
se rapportant avec dʼautres éléments. Car si nous pouvons interpréter séparément
chaque élément selon ce double régime, il devient inextricable lorsque on essaye de
mettre en rapport avec plusieurs de ces éléments. Le montage des éléments filmiques,
diversement interprété, nous fournit un coefficient multiplicateur. Ici par exemple, nous
avons fourni un début dʼanalyse lié au titre et à son montage avec la présence
audiovisuelle de JLG. De ce fait, le Plan 13 se trouve en fondu enchaîné avec le Plan
14 : Chaplin dans MODERN TIMES. On peut dès lors monter lʼapparition de ce nouveau
plan avec lʼénonciation orale du titre. Il est déclencheur de lʼarrivée de Charlie Chaplin
en couple avec Paulette Godard.

Nous sommes en présence dʼune combinaison de trois éléments du Plan 13 :


Le titre la règle du Jeu avec lʼimage de Godard Présentateur et le photogramme de
MODERN TIMES de Chaplin.
Nous pouvons essayer dʼaffirmer certaines éventualités significatives. Tout en sachant
que nous nous résorbons à déterminer laquelle de celles-ci sʼavèrera la plus
vraisemblable pour le montage de nos éléments. Nous reviendrons sur lʼissue de cette
difficulté. Nous proposons plusieurs éventualités liées à la combinaison de nos trois
éléments :

305
. Roberto Rossellini, VIAGIO EN ITALIA (Voyage en Italie), 1955. David W. Griffith, WAY DOWN EAST,
1931.
306
. Franck Borzage, THE RIVER (La femme au corbeau) 1922.

405
- La règle du jeu du film. Pour porter à la connaissance du spectateur le
fonctionnement du film de JLG, le règlement intérieur d'une partie (de jeu) se
déroulant entre le film et le spectateur.

- La règle du jeu de Renoir. Pour citer le film de Renoir sur ce montage alterné,
revient à nous prévenir que Godard va choisir ses films selon ses souvenirs et sa
cinéphilie. Mais aussi la règle de cette histoire du cinéma sʼavère telle quʼelle va
être conduite par un fil dʼAriane dʼune fiction et dont le motif central sʼavèrerait être
une évolution de caractères conduite par un metteur en scène français (allant)
jusqu'au bout de ses personnages, puisque cʼest ainsi quʼil caractérisait Le Renoir
de LA REGLE DU JEU. 307

- La règle du jeu de Godard. Il peut nous indiquer qu'il va jouer sur le langage (jeu de
mot) et faire de la règle de ce jeu un JE, qui offrirait donc la règle du je, l'idée de
l'avènement de l'auteur complet, représenté dans le film par sa propre présence,
doublée de celle de Chaplin et de Renoir par l'entremise du titre.

- La règle du jeu de Chaplin. Godard va suivre la règle du jeu de Chaplin, qui


confirme ce « je ». Il joue, interprète, écrit le scénario et la musique de ses films.
Godard avait déjà établi Charlie Chaplin comme le plus grand des cinéastes 308.
Aussi est-il logique pour lui de commencer avec ce cinéaste-là suivant ses règles.
De plus, les plans qui suivent renforcent la correspondance identifiant Chaplin avec
Godard. Rappelant que le titre énoncé deux fois de suite, nous laisse la possibilité
de coupler ces assertions.

307
. Ref.A50. Magnifique, (Claude Chabrol, LES COUSINS). n° 713, 03-1959 : « Chabrol est comme le
Renoir de LA RÈGLE DU JEU ».
308
Ref.135. Charles S. Chaplin, (directed by, 60+60 (+1) cinéastes). CAHIERS DU CINÉMA n°150/151.
08/1963. p.118. Voir aussi HdC.3b.une vague nouvelle. p.157. photoJLG+photoCHAPLIN = TOI inscrit sur
lʼécran.

406
Plan 14 - 15 - 17 TRAME DEUX
Plan 14 LE CINÉASTE EN COUPLE
L'insert dans cette séquence du photogramme de MODERN TIMES309 où Chaplin avec
Paulette Godard se regardent amoureusement conforte La règle du jeu de Chaplin. En
effet, on constate que les deux ont fait tourner les femmes avec lesquelles ils vivaient.

Aussi la fondation de cette Histoire, la règle du jeu débuterait sous lʼaugure


dʼindividualités fortes, réussissant à imposer leur point de vue (le je comme règle) et
pouvant se permettre dʼassocier leurs histoires (dʼamour) avec leurs scénarios et films.
Bref Il sʼagit de filmer la vie310. Après le titre de film de Renoir (qui pareillement fit
tourner Catherine Hessling sa compagne), le deuxième titre cité, CRIS ET
CHUCHOTEMENTS (désignant Ingmar Bergman au Plan 27) viendra corroborer cette

association et confirmer un statut que JLG a lui-même maintes fois revendiqué311.

Plan 15 C'est un extrait de film, où Chaplin, jeune, après avoir posé une rose blanche
sur le dessus dʼun piano, se met à en jouer, or il pianote avec une véritable frénésie,
comme une équivalence visuelle au tintamarre que fait Godard quand il pianote à sa
machine électrique. Le jeu du montage alterné devient simple et évident. On ressent la
correspondance, qui nous fait comprendre le parallèle de sa présence avec celle de
Chaplin, son double filmé.

Cette rose posée par Chaplin au tout début des HdC pourrait tout à fait correspondre
avec une autre rose jaune de la toute fin du film312. Déjà par leur situation symétrique,
elles figurent aux deux extrémités du film. Ensuite, parce que cette rose en noir et
blanc de Chaplin313 serait cette preuve du passage314 de JLG dans les HdC ; le film est
comme un rêve. A ce sujet onirique, la rose apparaîtra une nouvelle fois dans un plan
en gros plan, à la fin du bien nommé 4b.les signes parmi nous, associée au carton :

309
. Charlie Chaplin, MODERN TIMES (Les Temps Modernes, 1936).
310
. Ref.151. Pierrot mon ami. CAHIERS DU CINÉMA n°171. 09/1965.
311
. Ref.Film10. VIVRE SA VIE. 1962. § Le portrait ovale.
312
. HdC.4b.les signes parmi nous. p.309.
313
. Nous insistons sur lʼéquivalence de Chaplin comme double de Godard rêvé, nous procéderons à sa
démonstration juste après.
314
. HdC.4b.les signes parmi nous. p.308.

407
315
USINE DE REVE . Le film équivaudrait à représenter un rêve pour le cinéaste et le
cinéma est une usine de rêve où il traverse le paradis en songe316. Chaplin (le double
onirique de JLG) a reçu une rose pour preuve.
317
Puis à son réveil il trouvât cette fleur dans sa main . Pour placer des éléments
visuels en montage avec cette phrase énoncée à la toute fin, qui sʼavère provenir dʼune
citation de Coleridge par Borges318, Godard répond en faisant succéder, en fondu
enchaîné, après le carton [USINE DE RÊVE], son autoportrait en noir et blanc avec,
presque sur le nez, en gros plan persistant, cette même rose jaune319 : le rêve de
Godard (la rose posée par Chaplin) sʼest donc réalisé pour lui en cinéma couleur.

« Jʼai été cet homme, et le cinéma a été cette fleur. »320

Le précepte dʼune identification avec Chaplin est d'autant plus remarquable que la
présence, au son, d'un fort mitraillage de la marguerite321 vient frapper sur la feuille de
papier les lettres qu'a pianotées Godard sur le clavier. En effet, ce retentissement de la
machine peut évoquer des coups de feu dʼun fusil à répétition, ce qui aura plusieurs
conséquences, dont celle de le lier indubitablement avec Chaplin :
Le cinéaste filme, autant qu'il écrit (Godard), autant qu'il joue au piano (Chaplin), et
autant qu'il shoote322 —un shoot signifie une prise, autant qu'un coup (de feu)—. Par la

315
. HdC.4b.les signes parmi nous. p.307.
316
. HdC.4b.les signes parmi nous. p.306.
317
. HdC.4b.les signes parmi nous. p.308.
318
. Jorge-Luis Borges, “Two English poems”, Œuvres Complètes , (Tome II), Paris, Ed.Gallimard.
Coll.Pléiade, 1999. p.52. c'est d'après Samuel T. Coleridge.
319
. Cette composition de lʼhomme à la fleur, évoque vaguement un tableau de Van Gogh (Portrait du
Garçon à la fleur), à lʼinstar de la reproduction de Lʼétude pour le portrait de Van Gogh par Bacon qui suit.
Ce tableau se substitue à la rose laissant persister le visage de Godard, sur lequel le film sʼachève.
320
. Ref.176b. La boucle bouclée. (Entretien avec Alain Bergala) dans Jean-Luc Godard par Jean-Luc
Godard , [volume.2], Paris, Editions de l'Étoile.1998.p.41.
Voir aussi comme preuve patente HdC 3b.une vague nouvelle. p.157. On voit la photo autoportraituré de
Godard derriere la caméra (de Ref.24 CAMÉRA-ŒIL 1967) et arrive en volet au milieu Chaplin-Calvéro qui
ème
hume une fleur (LIMELIGHT, 1966). Supra 2 Partie. CH3. 4/ Henri Langlois. mdr7.
321
. La marguerite est une boule qui contient toutes les lettres de lʼalphabet. Elle tourne sur elle-même et
faisait souvent un bruit assez violent. La machine à écrire qu'utilise Godard est une machine semi-
électrique, ce qui dans les années 80 était un modèle encore courant. On tapait la phrase sur un
minuscule écran qui ne faisait qu'une seule ligne, mais cela avait l'avantage de pouvoir corriger le texte
avant l'impression, On presse ENTER et la machine imprimait alors la phrase que l'on avait mise en
mémoire. C'est la raison du délai pour laquelle la machine fait du bruit uniquement lorsque Godard a fini de
taper son texte.
322
. Anglicisme : Shooter Signifie Tirer, tirer un coup de pied, prendre une photo, faire une prise dʼun plan
avec une caméra, et tirer avec une arme à feu.

408
suite, dans les HdC323, Godard utilise un extrait dʼun film de Chaplin, dans lequel ce
dernier joue un personnage qui se rend dans un salle de cinéma à une projection dʼun
western. JLG effectuera un montage alterné de cet extrait à la bande son parcourue de
coups de feu, avec un film pornographique324. Ceci afin de reprendre une figure quʼil
avait déjà expérimentée325 : faire correspondre le coup de feu avec le coup de reins
pour se satisfaire sexuellement. En dʼautres termes : la mise en film de lʼexpression à
double sens : tirer un coup.

ENJEU DE LA RÉPÉTITION PAR LA MISE EN SCÈNE DES MACHINES


Comme nous lʼavons signalé ultérieurement, il y avait déjà une correspondance entre
la machine à écrire et la table de montage ; le son de la machine, évoquant aisément
aussi le mitraillement dʼune arme à feu, vient souligner la notion de répétition que la
table de montage possède naturellement : on entend une arme qui répète les coups de
feu, et dont le son des déflagrations viennent couronner cette notion de redites. La
table de montage fournit une répétition des photogrammes qui se place
successivement dans la lumière. Cʼest la notion de répétition que nous pouvons
généraliser par de multiples formules de représentation : la frappe des touches du
clavier provoque une répétition de la percussion (fusil, piano, machine à écrire, table de
montage) jusquʼà la répétition des mots ou des phrases que Godard stance presque
mécaniquement ou si ce nʼest lʼeffet dʼécho quʼil produit sur certaines de ces phrases :

326
[JE SUIS À VOUS/ QUE JE SUIS / QUE JE SUIS (…)]

Si Chaplin a composé la musique dʼun grand nombre de ses films, Godard, de son
côté, indirectement, a toujours fait preuve dʼune grande connaissance discographique
et choisit méticuleusement les titres musicaux prééxistants. Il a été jusquʼà conseiller la
bande-son à passer dans la salle dʼun cinéma avant même la projection du film327. Les

323
. Charlie Chaplin, A KING IN NEW YORK (Un roi à New –York, 1957). Chaplin devant tant de champs
contre champs, manque dʼattraper un torticolis. Il fuit la salle où la foule est en liesse. Une jeune fille au
sol, lui retenant le pied, le mord à la cheville.
324
. HdC.2b.fatale beauté. p.203.
325
. Ref.Film10. VIVRE SA VIE. 1962.§ Tirer un coup dans tous les sens.
326
. HdC.4a.le contrôle de lʼunivers. p. 126
327
. Ref.is19.562. Le Retour de Franck James (Fritz Lang) Fiche culturelle U.F.O.L.E.I.S. IMAGE ET SON.
n°96, 10-11/1956 : "Pour préparer la projection, on peut utiliser le disque Rocky Mountain of Time

409
HdC ont même été lʼobjet, en 1999 dʼune édition en disques laser par la société
E.C.M328.
Comment peut-on interpréter le pianotage correspondant aux deux cinéastes?
La frappe de lʼécriture correspondrait à une pratique musicale. Erik Satie n'a-t-il pas fait
une parade de frappes de machines à écrire en guise dʼouverture dʼun ballet dont il
avait composé la musique ?329
De plus, les montages des pistes-sons de Godard peuvent tout à fait être considérés
comme compositions musicales dans l'évolution de la musique contemporaine. La
notion dʼévolution fait appel aux différents mouvements de la musique dite concrète,
(dont Dziga Vertov rappelons-le fut un des premiers créateurs 330). La musique concrète
consiste à utiliser des sons provenant du monde réel. Le monde et sa rumeur en sont
les instruments.
On pourrait encore rapprocher Godard, avec deux autres mouvements historiques
musicaux.
Le premier concerne une esthétique minimale assez homogène, issue de musiciens
provenant pourtant dʼhorizons très divers, appartenant au label E.C.M. Depuis la fin
des années 80, il a utilisé leur catalogue avec une véritable régularité331. Sur une
double base géographique : au Japon et au Royaume-Uni, le second mouvement
historique se situe, —avec Masami Akita, au Japon et en Angleterre, avec The New
Blockaders—, au début des années 80, et posa les bases de la musique dite Noise ou
Harsh Noise. Musique atonale, non mélodique, consistant à rechercher
systématiquement dans la teneur du son la capacité maximale dʼagressivité. Les
Klaxons 332, les réacteurs d'avions masquant les dialogues333, ou encore le départ violent
de piste son d'ambiance, sa rupture nette comme l'ingérence de blancs sonores334, sont
tout autant dʼéléments musicaux appartenant à la Noise Music.

Stompers (Vogue EPL 7201) afin de créer un “climat” qui introduira le spectateur dans l'ambiance
favorable."
328
. Laurent JULLIER, J.L.G. / E.C.M, FOR EVER GODARD, Black Dog Publishing, London, 2004.p.310.
329
. Erik Satie, Parade (représenté au Chatelet en 1917).
330
. Georges Sadoul, Dziga Vertov, Paris, Ed. Champs Libres. 1972. p.25.
331
. Laurent JULLIER, J.L.G. / E.C.M, FOR EVER GODARD, Black Dog Publishing, London, 2004.p.312.
332
. Ref.FIlm14. LE MÉPRIS. 1963.
333
. Ref.Film21. MADE IN USA. 1965.
334
. Ref.Film22. 2 OU 3 CHOSES QUE JE SAIS D'ELLE… (1966)

410
Des transgressions face aux règles des conventions esthétiques du cinéma narratif
autour des années 1950-1960 et ces actes dʼintrusion sonore sont formellement
comparables aux faux-raccords à l'image. On a retenu généralement, des premiers
films de Godard, ses provocations produites au niveau de l'image et du récit335, alors
que le domaine sonore, tout autant novateur, ne retient l'attention des critiques et
universitaires que depuis très récemment336. Godard, reproduit le modèle Chaplin
comme il reproduisait le modèle de Renoir : Tout trois sont des acteurs-réalisateurs, et
nous nʼoublions pas que pour lui cette action de reproduction évoque une notion
politique de la répétition du monde. On peut affirmer que la mise en scène dʼune
double machine à reproduction représente, pour Godard, sous sa forme mécanique, la
confrontation politique de lʼhistoire face au cinéma.

"Leurs gestes (les grands acteurs) n'obtiennent de sens que dans la mesure où ils répètent une
action primordiale. Comme l'éthicien de Kierkegaard, un cinéma politique se place toujours sur
le terrain de la répétition : la création artistique ne fait que répéter la création cosmogonique,
337
elle n'est que le double de l'histoire."

Plan 16 Trame1
Plan de la Trame 1 déjà commenté du Godard –Présentateur.

Plan 17
Portrait photographique noir et blanc de Chaplin qui vient s'insérer dans le dispositif
évocatoire qu'installe le Godard-présentateur.

Plan 18 JLG-Présentateur T.1


Plan déjà commenté du Godard -Présentateur.

335
. Juste à titre d'exemple symptômatique de l'immensité d'articles et de publications qui viennent
corroborer notre propos, Études Cinématographiques partagea en deux volumes l'étude de Godard
précisément sur ce double sujet :
Etudes Cinématographiques, “Godard, au-delà du récit” n°57-61, Paris, Ed. Lettres Modernes. 1967.
Etudes Cinématographiques, “Godard, au-delà de l'image” n°194-202, Paris, Ed. Lettres Modernes.1993.
336
. Laurent JULLIER, « Bande-son, attention travaux », : GODARD ET LE METIER D'ARTISTE. (Actes du
colloque de Cerisy) Edition L'HARMATTAN. (02/12001). Alexandre CASTANT, « Histoire(s) du (son du)
cinéma », CINÉMACTION n°109, 10/2003.
337
. Ref.gz 9. Pour un cinéma Politique. 1950.

411
Plan 19 TABLE DE MONTAGE
Comme le Plan 12b, le Plan 19 filme en plan serré la table de montage avec ses
lumières et le mauvais traitement de la bande son dʼun autre film de Renoir BOUDU
338
SAUVÉ DES EAUX , se distordant, en allers-retours, dans les graves (ralentissements)
comme dans les aigus (accélérés). Comme nous lʼavons indiqué précédemment, cette
série de plans, que Godard monte par fondu enchaîné sur les débuts de séquence sont
des figures dʼenchaînement.

PREMIER FILM UTILISÉ SUR LA TABLE DE MONTAGE : UN FILM DE RENOIR


En deuxième conclusion de ces éléments récurrents, nous pouvons distinguer les
niveaux de liaison dans lesquels ils sont pris, puisque la table de montage est une
table-plateau par laquelle le lancement des séquences s'effectue. On notera quʼun film
est placé concrètement sur la table de montage. On entend comme son-direct, la
lecture optique de la bande-son, et lʼon découvre, au moment d'un arrêt, lʼun des
photogrammes, ce qui permet dʼauthentifier le film de Renoir et son actrice. La
signification de lʼautre titre du film de Renoir (celui quʼa énoncé JLG) nous prévient. Le
temps liminaire dʼédiction de la règle. Nous sommes encore dans lʼavant-propos des
HdC. Godard nous expose comment le film va fonctionner, faisant écho, et citant en
voix-off LA REGLE DU JEU.
C'est la lecture de la règle du jeu avant de passer au jeu lui-même.

LES MACHINES ULTIME DISSOCIATION ENTRE LE NARRATEUR ET LE


PRÉSENTATEUR

En effet, Le travail de Jean Renoir unit les deux fonctions de Godard. Le Patron a
réalisé le premier film placé sur la table de montage ainsi que le premier titre de film
cité lors la première apparition de Godard-présentateur. Godard n'est pas là où on
devrait l'attendre logiquement, par rapport aux éléments décrits-ci dessus. On le
découvre sur une table ordinaire devant une machine à écrire or il semblait plus
opportun quʼil figure à sa table de montage.

338
Jean Renoir, BOUDU SAUVÉ DES EAUX. 1932. Cité par Jean-Louis Leutrat, « Retour sur
Histoire(s) [4] », TRAFIC n°73. Printemps 2010. p.82.

412
Aussi le film débute avec en présence deux fonctions, Godard-présentateur (de films)
et Godard-narrateur (d'histoires), pour effectuer sa tâche de cinéaste-historien ou
d'historien-cinéaste. Il possède deux machines qui s'opposent par principe,
pareillement aux deux envois, et identiquement aux quatre premières phrases (2 à
l'image et 2 au son).
UNE MACHINE A VISIONNER LE CINEMA (LA TABLE DE MONTAGE)
ET UNE MACHINE A ECRIRE (DES HISTOIRES).

339
"Moi, je suis machin avec mes machines."

Le film débute également avec deux pistes de sons directs, le bruitage des machines.
On remarquera que leur présence sonore, mixée avec excès, augmente leur
importance :
— le bruitage de la machine à écrire électrique (écriture martelée, retour du chariot)
— le bruitage de la table de montage. (défilement da la bande passante, avec lecture
accélérée, ralentie ou arrière de la bande son du film BOUDU SAUVÉ DES EAUX).
Certaines bribes de dialogues (des syllabes plutôt) parviennent aux oreilles du
spectateur assez distinctement dont un « Quʼest-ce quʼil y a encore ? » et « Arrête ! Tu
me chatouilles ».
Ce mode dʼutilisation excessif, commun aux deux machines, les rapprochent
esthétiquement, autant par le contenu de ce qui nous est donné à entendre :
suffisamment répétitif, récurrent et contraignant pour notre perception, certains
critiques sʼen trouveront gênés 340. Notons que ces deux sons directs sont manipulés
comme Godard peut lʼeffectuer habituellement dans ses films de fiction : même si ce
procédé concerne plus souvent les sons d'effets 341, le crissement des allers-retours de
la table, redoublé de la bande magnétique sur les têtes du son et le mitraillage
retentissant de la machine sont similairement omniprésents et écrasants. Couvrant
d'autres sons, ils évoquent une véritable cacophonie.

339
. Ref.Film41. NUMERO DEUX (Co-réal avec AM Miéville, 1975)
340
. Charles Tesson, Seul le cinéma. 2A, CAHIERS DU CINÉMA . Tiré à Part. Juillet 1999. p.24.
341
. Ici le son direct est mixé, transformé comme sʼil était un son dʼeffet. Lors du montage son, la piste des
effets sonores sont des sons seuls, en off, qui nʼont aucune incidence à lʼimage, à lʼinverse de la piste des
directs, des bruitages ou des ambiances. La mise à niveau de la piste des effets au même volume sonore
que la piste des dialogues sʼavère lʼune des caractéristiques esthétiques constantes du style sonore de
JLG. Ref.Film21. MADE IN USA. 1966 : avions à réactions. Ref.Film26. WEEK-END.1967 : Le monologue
de Mireille Darc au début est inaudible. Ref.Film67. NOUVELLE VAGUE. 1990 : klaxons intempestifs…

413
Séquence 5. Générique. Les productions / Toutes les histoires. CHAPITRE 1a
{Plan 20 [20a, 20b, 20c]— Plan 21}

A/ DESCRIPTIONS ET COMMENTAIRES DE LA SÉQUENCE 5

Pour raccorder avec cette nouvelle séquence, le cinéaste met en place une nouvelle
fois la figure d'enchaînement qui lui avait servi pour raccorder entre la séquence 3 et 4:
le plan de la table de montage. Cette figure (Plan 19) apparaît, après un bref insert
noir, en fondu enchaîné avec un nouvel extrait de film de fiction :

Plan 20a : Extrait de film : WHILE THE CITY SLEEPS342


Lʼimage dʼIda Lupino (la trentaine) semble aller et venir au gré des distorsions sonores
que produit la bande son de la table de montage. Le plan est un insert très bref d'une
demi-seconde.

Plan 20b : plan noir


Pour laisser passer un autre insert noir avec la même image accompagné du premier
carton des sociétés participant à la production

Plan 20c : Extrait de film : WHILE THE CITY SLEEPS


En Plan serré poitrine, Ida Lupino regarde une diapositive. Son geste toujours
décomposé, a l'air de durer éternellement. Il consiste à ajuster l'image diapositive dans
une visionneuse individuelle.
Un carton apparaît : [UN FILM LA SEPT FR3 GAUMONT JLG FILMS]. C13

Plan 21 : Extrait de film : WHILE THE CITY SLEEPS


En Plan serré poitrine, Ida Lupino effectue le geste de rentrer une diapositive dans un
petit viseur. Le geste est décomposé : ralenti au gré du son de la table de montage qui
produit des allers-Retours. Plusieurs clichés comprenant lʼactrice-réalisatrice figurent à
la séquence suivante, à ce moment-là, nous essayerons de trouver une justification du
choix de cette femme.

414
NOTE :
On se souvient dans la fiction de Fritz Lang (mais ce détail n'est pas montré dans
lʼextrait choisi pour les HdC) quʼIda Lupino est informée, avant vision, du contenu de la
diapositive : on lui affirme quʼelle sʼapprête à voir la photo de l'homme nu qu'elle
courtise (Dana Andrews). Curieuse, elle place la diapositive et regarde (en vue
subjective) la photographie. Il sʼagit, en fait, d'un nourrisson en tenue de baigneur.
Godard a donc retenu pour lʼétablissement de son générique une scène où Fritz Lang a
mis en scène le désir de vision où la déception est inhérente après toute action dʼavoir
vu.

Le carton change : [UN FILM CNC. RTSR. VEGA FILMS].C14

Notre Plan 21 raccorde avec le Plan 22 (la table de montage de Renoir) sur un mode
de fondu enchaîné. Au moment où le Plan 22 commence à apparaître, lʼimage de
Lupino se fige. Le fondu enchaîné est comme suspendu et laisse persister les deux
images à 50% chacune343.
Nous sommes en présence dʼun troisième image :

"Je pense qu'effectivement tout le film et tout mon cinéma est un peu contenu là-dedans. Le
cinéma ce n'est pas une image après l'autre, c'est une image plus une autre qui en forme une
344
troisième, la troisième étant du reste formée par le spectateur au moment où il voit le film."

L'IMAGE EST DÉPENDANTE DES CAPRICES DU SON.

342
. Fritz Lang, WHILE THE CITY SLEEPS (La cinquième victime, 1956).
343
. Les indications des fondus (enchaînés ou non) entre les images sont donnés en pourcentage,
identiquement aux modes de calculs des bancs d'effets vidéos. 50% : nous sommes au milieu d'un fondu
enchaîné. L'historique du fondu enchaîné s'exprimerat comme suit : 100% plan 1 et 0% Plan 2, puis
80%P1—20%P2, après 50%P1—50%P2, jusqu'à 10%P1—90%P2, pour enfin 0%P1—100%P2 : le Plan
1 a disparu pour laisser place au Plan 2.
Le calcul par pourcentage permet d'inclure dans la règle de ce rapport, une troisième image, ce qui se
produit souvent dans les HdC.
Nous indiquerons aussi, quand cela nous paraîtra nécessaire, le temps de l'effet, comme ici entre le
Plan21 et le Plan22, car lʼopération de certains fondus enchaînés peuvent durer plus d'une dizaine de
secondes, ce qui laisse coexister les deux images sur un nouveau niveau, suffisamment longtemps pour
que lʼon puisse remarquer et même produire subjectivement un troisième plan autonome de ses
composantes. Voir à ce sujet, le merveilleux travail du photographe Marie Fouque, qui faisait des photos
dʼécran pour les Cahiers du Cinéma, dans les années 80.
344
Ref.305. Propos rompus, n°316. 09/1980.§ La troisième image.

415
L'extrait du film de Fritz Lang est utilisé dans cette séquence d'introduction au moment
où les deux cartons sont composés au génétitre en vue de la présentation des
participations à la production. On est frappé par les mouvements d'hésitations que
produit l'extrait du film. On remarque assez nettement et rapidement aussi, que c'est un
extrait ralenti fortement, mais aussi comme dans la séquence précédente, l'image subit
des altérations dans la cohérence de sa continuité. L'image hésite dans son
déroulement, avance un peu, s'arrête encore, puis recule, pour enfin continuer à
avancer au ralenti. On obtient une danse chaotique des gestes du personnage qui
place la diapositive dans son réceptacle afin de pouvoir la visionner. Tout cela en
rythme car on note que les mouvements sont produits par une sorte dʼinterdépendance
des évolutions sonores. Si le son (du banc de montage) ralentit (et va dans les basses)
alors l'image ralentit également. Quand le son produit un silence alors l'image s'arrête
et lorsque le son repart, l'image continue aussi.

"On faisait des ralentis, des changements de rythmes, ce que j'appellerais plutôt des
345
décompositions, en se servant des techniques conjuguées du cinéma et de la télévision."

B/ FIGURE DE DÉCOMPOSITION

La figure de décomposition est une figure qui possède pour principe la discontinuité.
Elle nʼa pas de vitesse particulière. La seule constante est son incohérence. Elle peut
adopter une allure de ralentissement . Dans les HdC, elle adopte la conduite que
produisait auparavant la table de montage en folie. L'extrait, et cela ne sera pas le seul
moment, n'est pas employé à la vitesse normale, il est ralenti et subit une figure de
décomposition du temps. Ida Lupino semble ankylosée, comme stupéfaite, pétrifiée par
ce qu'elle voit. Godard, assez souvent dans les HdC, va sortir l'extrait de sa vitesse
standard.

UNE DÉCOMPOSITION CONSISTE EN LA SORTIE DE LA VITESSE STANDARD

345
. Ref.305. Propos rompus, n°316. 09/1980.

416
Ralentie ou accélérée, voire les deux combinées pour le même extrait, la
décomposition temporelle permet d'insister, de mettre l'accent sur les diverses actions
dont sont composées l'extrait du film ; comme si cela était une nouvelle focale ou un
nouveau cadre, la décomposition temporelle permet d'envisager l'extrait sous une
nouvelle perception, une nouvelle sensation physique, où souvent le corps humain,
flottant (au ralenti) ou trépidant (accéléré) provoquera de nouvelles expressions. Par
exemple, une particularité que nous nʼavions pas encore signalée, figure au Plan 15.
Lorsque Charlie Chaplin joue du piano de profil dans cette séquence, la mise en
accéléré de l'extrait du film ajoute à l'enjouement initial du cinéaste, une frénésie qui
semble encore plus expressive en comparaison avec le hiératisme de Godard du Plan
13. Alors l'appréhension du mouvement, humain le plus souvent, ayant perdu sa
temporalité de référence —obtenue dans la reproduction, du mouvement à 24 images
par seconde—, nous cherchons à lui substituer une nouvelle mesure du temps.

ORIGINE GRENOBLOISE
DE L'EXPERIMENTATION DES DÉCOMPOSITIONS DE STANDARDS DE LA
FICTION
Ce n'est pas dans les HdC que l'origine de l'expérimentation des déformations
temporelles se situent avec notre cinéaste, mais bien avant dans son œuvre ; c'est une
des expérimentations majeures issues de la période Grenobloise; dit autrement c'est
un des apports fondamentaux, amené par le cotoiement de Jean-Pierre Bauviala, et
dans ses diverses co-réalisations, sa rencontre avec Anne-Marie Miéville.
346
SAUVE QUI PEUT (LA VIE) est un exemple représentatif de ce que l'on a vu

précédemment.

346
. Voir quelques développements dans Ref.Film45. SAUVE QUI PEUT (LA VIE) (Co-réal avec AM
Miéville, 1980).

417
Séquence 6. Avant-propos
2ème séquence introductive / Toutes les histoires. CHAPITRE 1a
{Plan 22 — Plan 35}

A/ DESCRIPTIONS ET COMMENTAIRES DE LA SÉQUENCE 6

La Séquence 6 sʼavère être une deuxième séquence d'introduction. Elle va adopter la


même structure que la première, cʼest-à-dire la Séquence 4. Ce qui fait correspondre la
Séquence 5, qui réside entre les deux, à une figure de clef de voûte ; or, proposant le
moment du générique de la production, elle présente une fonction hétérogène aux
deux autres qui sont introductives. Les séquences adjacentes (la 4 et la 6) viennent
renforcer la singularité de la séquence 5 car ils possèdent des éléments filmiques
identiques :
Dans les séquences 4 et 6,
— Un titre de film est cité deux fois en voix-off.
Dans la séquence 4 cʼétait la REGLE DU JEU.
Ici dans la séquence 6 : [CRIS ET CHUCHOTEMENTS]347 (22 et 27)
— Un montage alterné du Plan du Godard-présentateur avec des images d'un(e) autre
acteur-réalisateur.
Dans la séquence 4 : CHARLIE CHAPLIN
Ici dans la séquence 6 : IDA LUPINO
Nous allons reprendre le Plan par Plan sur le modèle dʼétude de la séquence 4. Cʼest-
à-dire nous observons chacune des deux trames des éléments dans leur continuité et
non pas dans leur entrecoupement effectué par lʼaction du montage alterné.

Plan 22 - 25- 27 : TRAME UNE. Image du Godard-présentateur.


LA PAROLE DU PRÉSENTATEUR CONVOQUE LES IMAGES-INSERTS
Comme on l'a vu pour le début du film, la phrase « La règle du jeu » faisait intervenir,
convoquait les images du moment de son apparition. Il en est de même avec la phrase
suivante « Cris et chuchotements », film d'Ingmar Bergman.

347
. Ingmar Bergman, VISKINGAR OCHROP (Cris et chuchotements,1972).

418
Signifiant ce qui avait déjà été pressenti : la règle du jeu, c'est-à-dire la règle du film
présent, doit se conformer aux inflexions de la voix, dont la direction nous est indiquée
de deux manières : les cris et les chuchotements. Ainsi pour cette séquence, pendant
que la bande-son nous suggère la présence simultanée de ces deux modes, nous
établissons un parallèle comparatif entre la femme actrice-réalisatrice et Godard. Ce
parallèle se produit tout simplement et efficacement par lʼaction du montage alterné.
- DOUBLE PRÉSENCE (de l'expression) DU SON : (CRIS ET CHUCHOTEMENTS)
- DEUX VOIX OFF, et
- DOUBLE PRÉSENCE (de la fonction) DE L'IMAGE : ACTEUR et RÉALISATEUR :

Plan 23 – (24)- 26 – 28 : TRAME DEUX. Images dʼIda Lupino et Moira Shearer (24)
La deuxième trame du montage alterné comporte Ida Lupino-actrice (Plan 23) et Ida
Lupino-cinéaste (Plan 26). Nous passons ainsi d'une image de la même personne en
tant quʼactrice devant la caméra à celle de deux autres photographies (24, 26) où la
caméra réside aux côtés dʼune femme. Le Plan 24 figure une autre actrice, Moira
Shearer actrice du film PEEPING TOM348 qui se trouve derrière la caméra. Par la suite,
le Plan 28 viendra clore la séquence : Un fondu enchaîné durant plusieurs secondes
sur le visage de l'actrice Lupino, et puisque le Plan 23 et le Plan 28 sont issus de la
même prise, on peut distinguer, dans le montage de cette séquence, une nouvelle
figure. La figure de ceinture : le Gros Plan dʼIda Lupino vient ceinturer la séquence ;
cela est comparable aussi à lʼapparition symétrique de JLG, que nous faisions
remarquer, que son image (avec la fleur) soit reproduite en tout début et à la toute fin
du film des HdC.
Le jeu de photographies différentes, dʼune même personne, nous apporte une
signification expressive par le repérage de sa situation spatiale (de Lupino) vis-à-vis de
son outil de reproduction (la caméra) toujours présent ou pour le moins impliqué. Ce
repérage garantit un indice dʼoccupation des différents postes.

348
Michael Powell, PEEPING TOM. 1964. Le choix de Godard de placer cette photographie peut être
explicitée peut-être par une familiarité de thème : action du désir de voir, tel que lʼon avait vu Lupino
regarder dans sa visionneuse dans la séquence précédente et tel que le développe le film de Powell.
Aussi cette actrice (qui nʼest pas à sa place puisquʼelle se trouve derrière la caméra) dʼun film mettant en
scène un voyeur meurtrier, vient se placer précisément (en lʼexprimant par cette manière) entre Lupino
actrice PLAN23 et Lupino réalisatrice PLAN26. La multiplicité de portraits de femmes est également
évoquée par le contenu du film de Bergman, CRIS ET CHUCHOTEMENTS. 1972.

419
(Réalisatrice = derrière la caméra, Actrice = devant la caméra).
On constatera que la lecture de la situation spatiale du sujet (homme / femme) vis à vis
de son outil pourra nous indiquer d'autres modalités informatives. Celles-ci, résidant
dans ce savoir par les images mises en place par Godard, insistent sur cette
possibilité d'apprendre et de penser avec la seule représentation (le savoir exotérique).
Cette séquence, conforme à la précédente (séquence 4), se différencie au niveau du
sujet, par lʼinversion du genre sexuel mais aussi une variante est ajoutée : la
participation de Nicholas Ray à la fin. Comme souvent, Godard a inséré une image en
fin de séquence qui appartient à la séquence suivante. Cette insertion d'images futures
se nomme Flash-Forward.

Plan 29
LE CINÉMA, COMME LE MIROIR DE NOTRE VIE DE CINÉASTE
S'il est acteur, Godard relevait la capacité du cinéaste, à travailler sur lui-même comme
personnage349. Dans cette logique, un autoportrait filmique sʼavère possible, même
dans des films de fiction normatifs ; des films non destinés directement à contenir la
puissance dʼune fonction réflexive. Cette puissance, créatrice de dualité (soi et lʼimage
de soi), est caractéristique de la mise en forme ambivalente du cinéaste utilisée depuis
le début des HdC, que cela soit avec sa propre image comme aussi avec celles qui
proviennent dʼautres cinéastes. Lʼune des terminaisons de cette procédure réflexive
réside à séparer le cinéaste de sa propre image, tel un miroir.
"Film magique où chaque image, comme l'alouette au miroir, ne renvoie qu'à elle-même, c'est-
350
à-dire nous."

Or lʼopération cinématographique se dote dʼune faculté supplémentaire à la fonction


réfléchissante du miroir : lʼenjeu temporel. Le cinéaste obtient la possibilité de pouvoir
s'ausculter mais dans le cadre du différé. La vertu du miroir intervient sous la condition
de lʼimmédiateté de la présence physique, et nʼa pas le décalage du temps quʼoffre le
film. De plus lʼintégration de la valeur temporelle est la possibilité de filmer lʼhistoire du
sujet réfléchi. Ainsi lʼauteur se dédouble, non plus seulement en tant quʼimage, mais en

349
. Ref.A42. Entretien avec Jean-Pierre Mocky (1959) et. Ref.122. Frère Jacques - Hommage à Jacques
Becker (1960).
350
. Ref.144 Orphée. (Cocteau).Critique du film.

420
tant que présence. La double présence correspondant selon Victor Hugo au grand
esprit, qui fait dans sa vie deux œuvres : son œuvre de vivant et son œuvre de
fantôme351.
Nous constaterons dans la séquence suivante, comment cet effet de double interaction
a trouvé depuis longtemps son référent théorique.

POUVOIR SE FILMER AU TRAVAIL - FILMER LA MORT AU TRAVAIL


352
"Le rouge est mis : je suis passé en fraude ."
Pouvoir se filmer, cette possibilité a été donnée à Charlie Chaplin, à Jean Renoir, à Ida
Lupino, et à Nicholas Ray. Pouvoir se filmer, en plus dʼun don de dédoublement,
permet de constater l'érosion, la progression du temps sur son visage. La mort au
travail, tel quʼa pu le désirer et le concevoir Wim Wenders lorsque précisément il
sʼidentifia à Nicholas Ray pour filmer sa mort dans NICK'S MOVIE353 et tel que le reprend
Godard, précisément, en choisissant ce film354 : le plan 29, mais surtout sa reprise au
plan 33, Nick Ray, malade, aux derniers jours de sa vie, un doigt sur la bouche et les
yeux fermés 355. Et c'est en décomposant temporellement l'extrait du film, (en le
ralentissant), qu'il le replace en parallèle avec Chaplin et Lupino.

APRÈS CHAPLIN ET IDA LUPINO : NICHOLAS RAY


Les évaluations élogieuses de trois des films de Nicholas Ray, que composa Godard,
comptent parmi celles qui lui donnèrent une stature de critique356. Il imposa lyriquement
le cinéaste au firmament357 des plus grands, comme la quintessence de la modernité et
plaçant même BITTER VICTORY comme le meilleur film de lʼannée 1957358, (contre

351
Cité par André S Labarthe, dans « My name is Orson Welles », CAHIERS DU CINÉMA n°117.
03/1961. p.24.
352
. Ref.144 Orphée. (Cocteau) Critique du film. CAHIERS DU CINÉMA. n°152. 02/1964. Dit autrement :
Je suis mort (le rouge est mis), mais je suis encore vivant (je suis entré en fraude) Mais aussi : la caméra
tourne (le rouge est mis), jʼentre dans le champ pour pouvoir être filmé (je suis entré en fraude). Repris
dans les HdC pour exprimer le paradoxe inverse. HdC.2b.fatale beauté. p.130 : « mais quand je suis
né/est-ce que je suis aussi/ passé en fraude/ dans le sang/ de ma mère.
353
. Wim Wenders, LIGHTNIN' OVER WATER - NICK'S MOVIE, 1973.
354
. Wenders effectue un autoportrait filmique mais par cinéaste aîné interposé. À lʼinstar de Godard envers
Chaplin dans les HdC, le choix dʼun cinéaste plus vieux à cette occasion vient illustrer et même attester
très probablement la faculté temporelle de la réflexivité du cinéaste se filmant au travail.
355
. Nous reviendrons sur ce plan plus en détails.
356
. Ref.71 Rien que le cinéma, Ref.78 Le cinéaste bien-aimé. Ref.85 Au-delà des étoiles.
357
. Ref.85 Au-delà des étoiles. CAHIERS DU CINÉMA n°79. 01/1958.
358
Nicholas Ray, BITTER VICTORY (Amère victoire) 1957.
Ref.84 Les dix meilleurs films de 1957. CAHIERS DU CINÉMA n°79. 01/1958.

421
lʼavis réprobateur général). Le cinéaste américain, également acteur (principalement
vers la fin de sa vie), participa au documentaire vidéo de Wim Wenders dont il fut le
sujet principal. La survenue inopinée de sa disparition pendant le tournage, a ajouté
une dimension narrative supplémentaire359. D'autant plus que Wenders avait demandé
à Ray de jouer sa propre mort dans un décor de studio blanc où il trônait sur un lit
d'hôpital. La mort de Ray survint donc deux fois : une fois mise en scène dans le film et
une autre fois dans la réalité (hors-champ). Il devenait par conséquent le personnage
qu'il avait joué. On assiste à l'identification du cinéaste à son personnage360.
L'utilisation de cet extrait, qui opère le double sens dʼune mort au travail, fournit une
occasion pour Godard, de représenter lʼimage de sa conception de lʼhistoire : le jeu de
correspondance de la mort avec l'acte de filmer :

"[…].c'est que vous assistez au spectacle le plus soumis aux contingences du monde, que vous
361
êtes face avec la mort." .

Et dans cette évocation ontologique du cinéma de Ray, Godard a toujours pressenti le


dépassement métaphysique dʼune dualité fondatrice du cinéma : Réalité/fiction.
Dichotomie quʼil notait à propos dʼAMERE VICTOIRE :
« (…) Non. Il ne s'agit plus de réalité ni de fiction, ni de l'une qui dépasse l'autre. Il s'agit de
bien autre chose. De quoi? Des étoiles peut-être, et des hommes qui aiment regarder les étoiles
362
et rêver »
Nous retenons la proposition de JLG de se préoccuper du dédoublement entre
spectateur (des hommes qui aiment regarder…) / cinéaste (et rêver).
CINÉMA POUVOIR DE LA DUPLICITÉ, DU DÉDOUBLEMENT
Le pouvoir de dédoublement du cinéma a constitué pour Godard, une préoccupation
majeure pour son travail363, jusquʼà devenir, pour nous, l'une des clefs interprétatives du
film des HdC : Godard envisage, par cet emploi du film de Wenders, de rejoindre la
fiction avec le réel, de fraterniser avec elle, comme il le recommandera364.

359
. Le film s'achève sur le jet de ses cendres dans la baie de San Francisco.
360
. Ref.122. Frère Jacques - Hommage à Jacques Becker 1960.
361
. Ref.19. Suprématie du sujet. (Strangers on a Train, Hitchcock) 1952.
362
. Ref.85. Au-delà des étoiles. CAHIERS DU CINÉMA n°79. 01/1958.
363
. Ref.74. Le cinéma et son double (The Wrong Man, Hitchcock)1957.

422
"Magie du cinéma : cette lanterne magique visite les recoins de notre histoire; elle la filme, en
365
répète les mensonges et finit par les rendre visibles."

Autrement dit : le cinéma rend visible l'histoire sous la modalité de sa répétition fictive
(les mensonges) ; le cinéma, comme cela a déjà été annoté, ainsi que toute création
artistique ne fait que répéter la création cosmogonique, elle n'est que le double de
l'histoire"366.

Plan 30
Plan de raccordement de la table de montage.
CARTON D'EXPLICATION DU DOUBLE DE LʼHISTOIRE
On a noté que les cinéastes choisis Godard depuis le début de ce film avaient tous un
point commun avec lui367. Hitchcock, Welles, Renoir, Chaplin, Lupino et Ray sont tous
des cinéastes qui ont impliqué leur corps dans leurs fictions. Ils sont ainsi producteurs
de leur propre image (en activité physique) par lʼintermédiaire réflexif de leurs films. Ils
ont procédé à des autoportraits filmés, impliquant alors la puissance, évoquée plus
haut, du film comme double de lʼhistoire mais aussi du dédoublement de leur propre
histoire, puisque répétée fictivement. JLG va tenter de nous faire comprendre la double
répétition368 par un jeu calligraphique dʼune écriture en mouvement369 résumée plus bas
par deux cartons.

Plan 31 [HIS—TOI—RE] C15

devient
Plan 32 [HIS—TOI—TOI—RE] C16

364
. HdC.3b.une vague nouvelle. pp.126-127.
365
. Jean Louis Schefer, Cinématographies, Paris, Ed. P.O.L, 1998. p.7.
366
. Ref.gz 9. Pour un cinéma politique.
367
. Les cinéastes que nous venons de citer et également les deux premiers extraits de films ; même les
extraits utilisés viennent de films d'acteur-réalisateur : O.Welles et A.Hitchcock ont produit une image, de
leur propre personne, autant célèbre que leur leurs propres films.
368
. Double répétition car 1. Le cinéma comme double de lʼhistoire. 2. Autoportait : comme double du
cinéaste.
369
. Comme dans NUMÉRO DEUX, ce mouvement consiste dans le déplacement horizontal des lettrages
au génétitre vidéo : des mots inscrits se déplacent et chaque nouveau mot vient empiéter sur celui dʼavant.

423
Plan 33 [DU CINÉMA] C17

Les Cartons effectivement répètent le mot Histoire et le mot toi. Lʼidée de ce jeu
tenterait de démontrer que cʼest au centre même de lʼhistoire répétée (ici au milieu du
mot) que surgit le double du cinéaste autoportraituré, un toi désignatif.370

Le fond du plan 33 qui accueille le Carton 17 est un extrait repris du Plan 29. Extrait de
LIGHTNING OVER WATER où Nicholas Ray effectue une gestuelle toute décomposée

dans un ralenti. Et l'effet ralenti employé sʼavère amplifié par autre effet. Le film vidéo
revient en avant et arrière comme la pellicule sur la table de montage (Plan 13). Cet
effet que la tête vidéo peut lire en aller-retour en effet discontinu, rappelle un précédent
procédé dans le domaine musical : le scratch. Si on peut admettre qu'il s'agit ici du
même procédé (sauf que la matière perçue est visuelle), nous allons nous pencher sur
son procédé pour venir éclairer la justification dʼun tel acte, car plusieurs fois, dans les
HdC, il est utilisé.

B/ SCRATCH VISUEL : UNE TECHNIQUE TEMPORELLE DE L' ANAMORPHOSE

Possiblement pour insister et augmenter notre perception du geste (infime) de Ray,


Godard joue avec la molette de lecture sur la table de montage de son film HdC. il fait
apparaître le moment où Ray touche sa bouche avec le doigt, trois fois de suite. C'est-
à-dire qu'au lieu de laisser le film se dérouler, il décide de faire revenir le film et de le
jouer une nouvelle fois et puis deux fois encore. Cela devient un équivalent visuel de ce
que l'oreille percevait depuis le début : ces effets d'arrêt, dʼavance et de retour rapide
de la tête son sur la table de montage que l'on voit seulement par intermittence mais
dont la bande son couvre tout le début du film. Ce geste d'aller-retour comme
technique esthétique sonore a été inventé vers le milieu des années 70 par certains
discs-jockeys jamaïcains émigrés à New-York (Kool Herc, Theo the Wizard). Le geste
artistique du scratching consiste en un geste dʼappropriation. Ils ont détourné le tourne-

Voir Ref.Film41. NUMÉRO DEUX (Co-réal. A.M.Miéville, 1975). Le film dʼailleurs joue aussi sur
lʼétymologie du mot cinéma (écriture du mouvement).
370
. On retrouve le même procédé de redoublement issu du titre du film plus tard dans le film. Où ce toi toi
semble sʼapparenter à diverses séries de couples dont une photo dʼAnne Wiazemsky (seconde femme de
Godard). HdC.4a.le contrôle de lʼunivers. pp.154-155.

424
disque de sa fonction première, pour le considérer comme un instrument de musique et
non plus seulement comme un appareil de diffusion du son. Le son issu est très
caractéristique et sʼappelle un scratch371.

« Le scratch désigne la production dʼun son parasite par frottement irrégulier du diamant sur le
372
sillon dʼun disque vinyle » .

Il y a différents types de productions de ce son. Par exemple, le frottement peut être


régulier. On peut jouer et rejouer toujours une même période sélectionnée (un break),
séquence courte (une demi seconde), sur le disque373. Ou bien on peut encore
supprimer le retour de la lecture, on aurait alors à l'écoute juste l'aller et le jeu dʼune
boucle sonore. Lʼenjeu veut dʼaller le plus vite possible dans le retour pour réduire la
phase silencieuse de retour au début. Si les points d'intersections sont effectués selon
le même schéma temporel, cela va créer un rythme. Finalement, Godard, comme les
D.J374, utilise un moment précis de la forme filmique qui, par étirement, dénature
totalement l'extrait pour parvenir à isoler ce moment-là. C'est une possibilité
d'extraction de la matière sans la retirer de son contexte d'origine. On peut affirmer qu'il
s'agit d'une technique pour Godard d'anamorphose temporelle : au lieu de se déplacer
dans l'espace pour percevoir d'autres éléments graphiques (cʼest l'anamorphose) il se
déplace dans le temps. La vitesse ne sera jamais celle qui correspond à la perception
naturelle du cours de choses. On peut soit la ralentir soit l'accélérer.

Cette digression nʼest pas tout à fait déplacée dans cette étude car avant même
l'invention du scratching, Godard avait effectué, dans un film, une intervention musicale
tout à fait similaire : l'écoute, répétée, sur une platine-disque, d'un même extrait très

371
. John Ferrald, Last nite a DJ save my life, History of modern dance music, New-York. Faber Publishing,
2002. CH4. p.170.
372
. Emmanuelle André, « En souvenir du Pr Charcot. Le démontage hystérique de Martin Arnold. »,
TRAFIC n°49.Printemps 2001.p.64. Il semble important de rappeller que ce terme scratch nʼest pas ici le
terme équivalent au grattage, griffure pour enlever lʼémulsion sur la pellicule ; cʼest lʼun des procédés
simplissime pour dessiner et projeter, employé par Michael Snow ou Stan Brakhage.
373
. Le DJ sélectionne par exemple un seul claquement de main. Il joue le son du claquement puis revient
en arrière on entend donc le son à lʼenvers de celui-ci, puis une nouvelle fois le claquement puis en arrière
jusquʼà produire manuellement un rythme à deux temps.
374
. Au début des années 90, depuis lʼapparition du dvd dans le commerce, il existe des V-Jays des Video-
Jays, qui effectue pendant des soirées dansantes, des projections de film ou de vidéo en direct et insérant

425
court de musique ; c'était pendant une incorporation : la figuration qu'il fit dans le
premier long-métrage dʼEric Rohmer en 1959375. Ce geste peut certainement être établi
en rapport direct avec les techniques dʼavant-garde musicale dʼalors, dont le principe
de la selection dʼune boucle (loop), lʼéchantillonnage établi par exemple par Pierre
Schaeffer, se rapprocherait le plus376. Mais aussi on peut placer les décompositions
des HdC dans le prolongement de ce geste inaugural et des expérimentations vidéos
des années Grenobloises.

Pour finir sur ce sujet, il semble important de faire remarquer, comme nous lʼavons fait
dans lʼintroduction, que Godard nʼest évidemment pas seul à produire ce genre de
pratique. Des cinéastes du cinéma dit « expérimental », comme Peter Tscherkassky ou
Martin Arnold ont effectué des recherches également comparables. LʼAutrichien de
l'avant-garde cinématographique, Martin Arnold, a recréé un équivalent
cinématographique de ce scratch. Le plan 33 est tout à fait comparable formellement
avec le style de certains de ses films car l'effet que nous avons décrit peut être
analogue à la technique qu'il utilise. Dʼabord comme JLG, il remploie des films
hollywoodiens. Ensuite Il procède techniquement en revenant en avant et en arrière sur
des extraits, en les décomposant en altérant son écoulement par ralentissement
extrême de sa vitesse de projection377. Mais il ne sʼagit pas dʼune intervention en direct,
son travail est rendu possible grâce à une tireuse optique quʼil a construit, projetant
ainsi des nouvelles durées378.

On retrouvera cette pratique de réappropriation esthétique, chez Godard dès quʼil


sʼintéressa à réaliser des films dans le format vidéo. Le cinéaste fige des mouvements
de corps, de visages, les ralentit jusqu'à nous dévoiler un univers grotesque issu de

également des trucages, effets et scratchs visuels ; ils effectuent des décompositions dʼimages tout à fait
similaires dans le principe avec ce que produit Godard.
375
. Ref.FilmA6. LE SIGNE DU LION (réal. E.Rohmer, 1959). Voir Un geste musical : la prévision du
sampler.
376
. Collectif, La musique et ses problèmes contemporains, Paris, Ed. Gallimard. Coll. Cahiers Renaud
Barrault. 1963.
377
. Emmanuelle André, « En souvenir du Pr Charcot. Le démontage hystérique de Martin Arnold. »,
TRAFIC n°49. Printemps 2001.p.64.
378
. Christa Blümlinger « Cultures de remploi - questions de cinéma», TRAFIC n° 50, Été 2004. p.237: La
levée de la chaise d'un enfant américain des années 50 qui prenait son petit déjeuner et qui quitte la
table,(…) ce geste qui ne prenait que deux trois secondes, dure cinq minutes, « revenant sur les mêmes
écorces de gestes jusqu'à rendre toute tranquilité et joie de vivre, épilepsie, hantise et hystérie.”

426
situations tragiques à lʼorigine379. De plus, on verra plus tard, si cet effet flash peut
s'avèrer difficile à décrire au regard des incohérences des gestes et expressions des
personnages, lorsque le fond s'avère être composé en fondu d'un autre extrait de film,
cela complique dʼautant plus notre tâche. Auquel cas, une des deux images, dans le
fondu enchaîné, prend le pouvoir380sur l'autre et cette dernière tente de subsister par
intermittence de ces effets d'insertion.

C/ DESCRIPTIONS ET COMMENTAIRES DE LA SÉQUENCE 6 (Reprise)

Plan 34
Un photogramme en couleurs, représente Godard en silhouette sombre, de dos. Il est
identifiable grâce aux lunettes carrées. Cʼest une séance de travail dans sa salle de
mixage. La photographie provient probablement du film SCÉNARIO DU FILM PASSION381.
Elle vient remplacer la reproduction d'un peinture d'un enfant par Picasso (présente
dans la Version 2). Nous rappelons que le remplacement a été effectué suite au refus
de la demande de reproduction aux ayant-droits 382. Cʼest une photo où le cinéaste est
au travail, et dans ce film très particulier, nous sommes devant un écran blanc et JLG
fait apparaître les images au rythme du son et de sa parole.
Certains chercheurs sur le film HdC, (comme dernièrement Celine Scemama) ont une
autre possibilité quant à la reconnaissance de cette photographie. Il sʼagirait dʼune
reproduction photographique, de lʼimage de Jean-Paul Sartre de dos.

379
Ref.Film46b. SAUVE QUI PEUT (LA VIE). Une femme à bicyclette ou un homme renversé par une
voiture. Ref.Film56. GRANDEUR ET DÉCADENCE D'UN PETIT COMMERCE DE CINÉMA. 1986. Une
figurante ouvre la bouche et reste bloquée ainsi.
380
. Expression que Godard employait lui-même dans ses films théoriques.
Ref.Film40. ICI ET AILLEURS (Co-réal. A.M.Miéville, 1974). Ref.Film41. NUMÉRO DEUX (Co-réal.
A.M.Miéville, 1975). Ref.Film50. CHANGER D'IMAGE. 1982.
381
. Ref.Film49C. SCÉNARIO DU FILM PASSION. 1985. Voir Philippe Dubois, « The Written Screen », For
Ever Godard, Black Dog Publishing, London, 2004.p.246.
382
Signalons que Godard a préféré peindre lui-même le plus souvent, des sujets, copiant vaguement ces
peintures ou aquarelles incriminés (Picasso, De Staël, Matisse), au lieu d'y substituer, comme c'est le cas
ici, un élément radicalement différent; la copie manuelle comme copie étant jusqu'à ce jour une pratique
non répréhensible. On sait, traditionnellement dans les Arts et Littérature, l'avenir pécuniaire des œuvres
de l'artiste qui une fois disparu, suscite l'enjeu de convoitises familiales. Ces mêmes artistes ont souvent
vécu pauvrement, exil volontaire ou voire délaissés par le conformisme bourgeois de leurs familles, et que
le droit d'héritage, —aberrant quand il s'agit d'art—, vient les conforter de leur bon droit, celui de pouvoir
jouir du legs de celui qu'ils avaient conspué. Le cas de Nicolas De Staël (qui a fini par se défenestrer) ne
vient nullement affirmer le contraire.

427
Plan 35 SYMÉTRIE DE LA PRÉSENCE DES COUPLES
Une photo de PIERROT LE FOU383 où Anna Karina embrasse Belmondo vient clore la
séquence, mais aussi, l'Avant-propos. Le sujet de cette photo384entre en
correspondance avec le Plan 14 : le plan de Paulette Godard et Chaplin, qui venait
après celui de Godard-présentateur. La représentation du dernier plan de cette
séquence rejoint celui du premier plan de la séquence précédente, puisque Anna
Karina a été la femme de Jean-Luc Godard (et Paulette Godard celle de Chaplin). Le
Plan 14 et le Plan 35 se rejoignent par un effet de symétrie inversé, c'est-à-dire encore
une fois encore par la figure du miroir, Chaplin et Belmondo jouant des figures du
dédoublement de JLG.

Auquel cas de lʼapparition de Sartre pour le plan 35, cʼest lʼun des auteurs que Godard
cite à travers le titre de lʼun de ses romans les plus connus : LA NAUSÉE385, ce roman
« légèrement » autobiographique met en scène un personnage qui se pense historien
qui évoque la montée des évènements en Europe en 1938. Sarte pourrait être, à
lʼinstar de Malraux, pour Godard lʼun des modèles possibles quant à lʼexercice de
lʼhistoire. Figure dʼun historien qui sʼengage sur le plan politique. Il viendrait offrir un
autre versant dʼun personnage vers lequel JLG pourrait sʼidentifier.
Ainsi Belmondo serait acteur du cinéma et Sartre acteur de lʼhistoire.
Sartre fut une figure de lʼengagement intellectuel. Lʼexemplarité dʼun homme qui a su
réfléchir sur les évènements tout en intervenant directement quand il estimait que cela
pouvait être utile. (engagement contre la guerre dʼAlgérie, et lʼhonneur dʼavoir refusé le
Nobel, vente de La Cause du Peuple). JPS représente ce type de combattant, acteur
de lʼhistoire donc, en dehors de sa célèbre erreur dʼappréciation dʼOrson Welles quand
il fit la critique de Citizen Kane dans les Temps Modernes ; ce quʼavait souligné JLG
dans 2 X 50ANS DE CINÉMA FRANÇAIS386.

383
. Ref.Film19. PIERROT LE FOU. 1965.
384
. L'avant-propos se compose de cette séquence et des trois précédentes : séq 4, (5 générique) & 6.
385
. Jean-Paul Sartre, La nausée, Ed. Gallimard, 1938, Paris.

428
Séquence 7. LE FEU PATERNEL
3ème séquence d'introduction / Toutes les histoires. CHAPITRE 1a
{Plan 36 — Plan 44}

A/ DESCRIPTIONS ET COMMENTAIRES DE LA SÉQUENCE 7

Plan 36 (se prolongeant en 39 & 44)


Le premier plan (36) est un plan de raccord de séquence. C'est la figure
d'enchaînement de Godard-présentateur avec sa machine à écrire. Une ouverture qui
se conforme à l'instar de la séquence 6 ou 4. Conservant également à peu près les
mêmes modalités formelles —énonciation du titre en voix-off, un montage des images
de cinéastes alternant avec Godard-présentateur, et un carton—, cette nouvelle
séquence va offrir diverses variations au système entrepris et repéré.

ENONCIATION DU TITRE : QUATRE FOIS CITÉ


Le titre de film n'est pas énoncé selon les deux fois habituelles précédemment mais
quatre fois, comme suit :
[LE LYS…LE LYS…BRISÉ…BRISÉ…LE LYS BRISÉ…LE LYS BRISÉ] (Plans 36-38)

L'effet du premier doublement est dû au jeu du présentateur. Jeu dans un sens théâtral
car il se dicte à lui-même ce qu'il tape et l'effet hachée, sans aucun doute, renforce
l'écoute. Le redoublement, et la phrase cette fois-ci, peuvent renvoyer au brisé du titre
du film de Griffith387. Le titre LE LYS BRISÉ se signale dans une double séparation :
— séparation interne au titre : les mots sont répétés deux fois chacun à la suite.
[LE LYS // LE LYS, BRISÉ // BRISÉ]

— séparation externe, la phrase composée des deux mots ensemble répétés deux fois.
[LE LYS BRISÉ // LE LYS BRISÉ]

386
. Ref Film75. 2x50ANS DE CINÉMA FRANÇAIS (co-réal A.M.Miéville) (1995).

429
APPARITION DE PORTRAITS CÉLÈBRES : QUATRE CINEASTES
On verra que cette double séparation correspond à une figure esthétique aisément
assimilable à un des schémas classiques de la description topographique : la figure du
tore388. Deux paires de portraits photographiques de cinéastes viennent se placer par
alternance, une différence par rapport aux séquences précédentes car nous sommes
en présence de cinéastes en plus grand nombre. Dans lʼacheminement du film, nous
passons à un niveau supérieur de puissance dans le calcul du dédoublement. À
lʼexemple de la biologie, à laquelle le récit de lʼhistoire du Cinéma, selon JLG, devrait
essayer de prendre modèle389, nous pouvons associer ces signes aux images des
cellules qui se reproduisent elles-mêmes. (1 donne 2 puis donne 4)

INSERTION DU GODARD-PRÉSENTATEUR DANS LE JEU DU REDOUBLEMENT.


À l'instar de l'effet de redoublement sonore du titre du film de Griffith cité que l'on vient
d'entendre, les cinéastes sont mis en paires alternées, rythmées par les apparitions du
Godard-présentateur. Ils sont associés et apposés en paire comme suit :

Plan 37 1— David Wark Griffith


Plan 38 avec 2— Nicholas Ray
puis
Plan 40 3— John Ford
Plan 41 avec 4— Roberto Rossellini

De plus, un autre élément filmique est associé à la paire à chaque fois. Ce sont deux
types d'interventions du Godard-narrateur. ils entrent en opposition formelle : ici la voix-
off (son sur Plans 37-38) et là l'inscription d'un carton (image sur Plans 40-41).

387
. David Wark Griffith, BROKEN BLOSSOMS (Le lys brisé, 1919).
388
. Stephen Barr, Expériences de topologie (1964), Paris, Ed.Lysimaque.1987.p.34 : le tore se présente
comme un beignet avec un trou au milieu. 2 paires de bords joint deux à deux, 2 faces, 0 bord. On
relèvera que cette figure est apparue bien plutôt déjà ; dans les HdC, ainsi on peut configurer le tore au lot
des quatre phrases dʼincipit. Puis dans ses écrits, quand il produit succintement une double comparaison,
une externe et une autre interne envers un cinéaste apprécié. Ref.A23. Mizoguchi fut le plus grand
cinéaste japonais. Arts n° 656, 02-1958.
389
. Ref.173 : “Je voudrais raconter l'histoire du cinéma pas seulement d'une manière chronologique mais
plutôt un peu archéologique ou biologique.”
Jean-Luc Godard, Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros. 1980.p.21.

430
•Pendant que le premier couple Classique-Moderne (Griffith-Ray) apparaît, Godard-
narrateur cite le film de Griffith : Le Lys brisé
•Sur le second couple Classique-Moderne (Ford-Rossellini), Godard-narrateur inscrit à
l'image de son discours, lʼinterrogation freudienne :

Plan 40 [PÈRE] C18


Plan 41 [NE VOIS-TU PAS] C19
plans 42-43 [QUE JE BRULE] C20

Si nous prenons la phrase en dehors de sa signification contextuelle390, le ne vois-tu


pas apparaît comme une provocation à lʼencontre du « père Rossellini ». L'adresse au
Père391, déploie plus généralement, et plus ouvertement une revendication de filiation
plurielle face aux cinéastes qui sont évoqués, et telle quʼelle avait été déjà développée,
avec une incidence plus neutre dans les séquence 4 et 6.
Ces deux affirmations demandent à être argumentées :

LʼAdresse paternelle témoigne dʼun esprit de filiation que JLG réclame par une
invective paradoxale. Cʼest une provocation car dans le cas présent on peut trouver
surprenant quʼun fils remette en question (père ne vois-tu pas ?) ce à quoi les pères
étaient justement parvenus : lʼentrée dans lʼhistoire du cinéma par lʼexercice de leurs
regards. Aussi Godard remet en cause, doté de cette étrange question, la fonction de
leur identité même : leur vision.
La reconnaissance de la parenté pourrait sʼeffectuer dans une atrophie commune.
Ainsi Godard brûle392, se consume, —est même déjà mort dans le rêve cité par
Freud— tandis que le père est aveuglé. On peut retrouver la notion dans une
disposition générationnelle des paires.

390
Sigmund Freud, Lʼinterprétation des rêves, Paris, Ed.P.U.F., 1993. pp.433-434. Cité par Jean-Louis
Leutrat, « Retour sur Histoire(s) [4] », TRAFIC n°73. Printemps 2010. p.85.
391
. Proche de la ultima verba du christ lors de sa crucifixion. Signe dʼune mise en doute du fils par rapport
à Dieu son père qui lʼabandonne.
392
. La signification de ce Que je brûle est multiple. On peut supposer que ce fait décrit la plainte dʼun
homme mis au bûcher, et son interpellation paternelle semble accorder que son père lʼy a placé, ou bien
lui demande de le sauver ; sinon en termes au figuré cela pourrait donner : père ne vois-tu pas que je suis
tout proche du but.

431
De cette évolution filiale, Godard définit le premier stade par ces deux cinéastes
(Griffith et Ford) que l'on pourrait désigner à l'instar d'Irving Thalberg de Pères
Fondateurs 393.

B/ LA FIGURE DU TORE

LA FIGURE DU TORE REPRÉSENTE UNE DÉFINITION PHYSIQUE DU CINÉMA


La figure du tore, dont les éléments se croisent par paire, sʼavère une définition du
cinéma. En effet, cette opération de doublement, dont nous sommes les témoins
récurrents, sʼavère pour Godard, représenter la définition physique du cinéma :

"Ce double mouvement qui nous projette vers autrui en même temps qu'il nous ramène au fond
394
de nous même, définit physiquement le cinéma."

Nous avons vu que ce double mouvement peut sʼévaluer à un niveau topographique,


en produisant la figure du tore. Cʼest le constat d'une figure dont une description
montre que ses éléments se croisent. Cette figure met en relation deux ensembles
symétriques qui vont être dépendants l'un de l'autre et qui se croiseront soit dans
l'espace soit dans le temps. Cela peut se produire sur un niveau écrit quand par
exemple Godard compare le cinéma de Mizoguchi à de la poésie et tout autant au
cinéma de Murnau :

« Si la poésie apparaît à chaque plan que tourne Mizoguchi, c'est que, comme chez Murnau,
395
elle est le reflet instinctif de la noblesse inventive de son auteur. »

On repèrera deux types de symétries (croisées donc) : symétrie de la disposition des


phrases de Godard-narrateur, croisées avec la situation symétrique des divers
placements du Godard-présentateur. La figure fonde son équilibre puisquʼil se trouve
régulièrement aux endroits de jonction (début, centre, fin) :

393
. HdC.1a.toutes les histoires. PLANS 121-122.
394
. Ref.151. Pierrot mon ami. CAHIERS DU CINEMA n°171. 09/1965.

432
C/ DESCRIPTIONS ET COMMENTAIRES DE LA SÉQUENCE 7 (Reprise)

SITUATION DU GODARD-PRESENTATEUR DANS LA SEQUENCE 7


Plan 36 - au début
Plans 37-38 COUPLE 1 GRIFFITH/ RAY
Plan 39 - au milieu des deux couples
Plans 40-43 COUPLE 2 FORD/ ROSSELLINI
Plan 44 - puis à la fin

On doit tenter d'essayer de trouver l'intelligence du rendu que le montage suscite, par
la mise en couple des cinéastes. Chaque paire de cinéastes pourrait représenter un
mouvement historique, l'un des passages esthétiques du cinéma quʼils incarnent par
leur réunion, ou produit par leur différence, leur écart.

Godard avait déjà associé ces quatre mêmes personnalités quand il énonçait des listes
de cinéastes, au moment de son activité critique396. Cette évocation notable peut
conformer les paires sur une appellation générique catégorielle : la première est
évolutive, la seconde en confrontation.
Si nous affirmons que le slash« / » [de«x / y»] se définit comme versus, cʼest-à-dire “x
contre y” ou bien encore “x vers y ”, (ce qui est antinomique), c'est qu'il s'agit, avant
tout paradoxe, de chercher à définir la valeur de la relation des deux éléments mis en
présence par une intervalle. En fait il ne s'agit pas, on va le voir, d'une réelle antinomie,
puisque l'évolution naturelle des générations postérieures (la seconde partie de chaque
paire) qui sʼétablissent en filiation, doivent souvent, pour se distinguer, s'opposer à
ceux qui les ont supportés (la première partie de chaque paire). Les suppôts évoluent,
se distinguent des anciens en se situant contre eux, pour enfin les rejoindre. Relevons
à cet instant que la modernité cinématographique s'est elle-même définie comme la
rupture avec la génération ancienne, au-dessus d'elle, les classiques. Tout en
s'opposant par principe à leurs aînés, les modernes se sont en fait rapprochés et ont

395
.Ref.A23. Mizoguchi fut le plus grand cinéaste japonais. Arts n° 656, 02-1958.
396
. Ref.71. Pour l'opposition, GRIFFITH//RAY -> THÉATRE//CINÉMA.
ème
et Ref.173. 8 voyage.p.304. Pour l'opposition, FORD // ROSSELLINI : LOST PATROL(JF,1934)// ROMA
CITA APERTA (RR,1946).

433
revendiqué une autre branche, moins reconnue historiquement397. L'histoire du cinéma
désigna enfin, ceux-là mêmes qui nʼétaient pas pris en compte, comme classiques. On
peut évoquer à ce propos la phrase de Jacques Rivette qui constatait que les
modernes étaient des classiques qui ont « réussi »398.
Dans le respect chronologique, il est possible dʼassocier les premières parties des
paires pour faire face aux secondes et obtenir une troisième copulation :

COUPLE 3 : FORD + GRIFFITH // RAY + ROSSELLINI


Le sigle double slash « // » a été apposé pour souligner le principe opposition.
Opposition générationnelle telle que nous avons décrite ci-dessus. Ford et Griffith
(Premiers éléments des couples, les pères fondateurs) représentent pour Godard des
cinéastes qui ont su inventer dès les premiers temps.
« Tout comme le metteur en scène de Naissance d'une Nation donnait à chaque plan
399
l'impression d'inventer le cinéma. »
Ainsi on obtient le portrait d'un cinéaste classique monté avec celui [ contre ou bien
évoluant vers] cinéaste moderne représenté par Nicholas Ray et Roberto Rossellini.

D/ COUPLE 1 : D.W.GRIFFITH / N.RAY

La disposition du couple 1 met en valeur le montage, avec l'invention du découpage


chez Griffith, et Malraux aussi a esquissé que le départ du cinéma comme un art
débutait avec les plans montés quʼa fait Griffith. Du premier montage du gros plan
visage jusqu'au faux raccord : la transgression de la règle des 180°, que Ray a opéré
dans ses nombreux films. La filiation se prolonge jusqu'à Godard avec son premier
film, transformant à lʼinstar de Ray, l'imperfection technique du faux raccord en figure
récurrente esthétique. Finalement, assumer cette imperfection de montage afin de

397
. François Truffaut, “Une certaine tendance du cinéma Français”, CAHIERS DU CINÉMA n°31. 01/1954.
p.15-29. La véritable revendication s'est fait en s'opposant aux cinéastes bourgeois (Autant-Lara,
Delannoy) et en s'affiliant à des cinéastes non reconnus ni par la critique d'alors, ni par le « grand public »,
(Cocteau, Renoir, Ophuls, Tati, Bresson, Becker). Daney allègue quʼil y avait également les oncles,
cinéastes trop proches en terme de génération pour être des pères : Rouch, Melville, Leenhardt. Cʼest
cette appellation familiale que Godard adoptera pour former lʼun de ses personnages dʼidiot : Oncle Jean.
Ref.Film49B. PASSION. 1981.
398
. Jacques Rivette, « Le génie de Howard Hawks », CAHIERS DU CINÉMA n°23. 05/1953.
399
Ref.105. Super Mann. (Anthony Mann, MAN OF THE WEST, [L'HOMME DE L'OUEST]).n°92. 02/1959.

434
produire une figure esthétique, allait être institué par un grand nombre de cinéastes de
la Nouvelle Vague.
Premier pan d'une définition du cinéma par l'axe Griffith-Ray : LE MONTAGE

E/ COUPLE 2 : J.FORD / R.ROSSELLINI


L'axe Ford-Rossellini va présenter deux séries dʼéléments dont la définition va sʼavérer,
à la fois plus simple et plus complexe à entreprendre.
La première série est dʼabord plus simple car il s'agit de constater chez Ford comme
chez Rossellini une conception commune du cinéma envisagée comme puissance de
fiction.

« Tous les grands films de fictions tendent au documentaire, comme tous les grands
400
documentaires tendent à la fiction » .

John Ford est un cinéaste considéré par Godard comme un romancier à la Walter
Scott401. Il déploie une forme au service dʼun récit imaginaire (romanesque), entamant
alors l'age du cinéma classique, ce quʼavec le néo-réalisme, Rossellini va clore. Ce
dernier va questionner, dans le mécanisme du film de fiction, l'appartenance des
images au seul mode de lʼimaginaire, or pour cela il abandonnera de fait la distinction
fiction/documentaire. Le cinéaste italien intègrera alors des vues réelles (documents de
lʼItalie en ruines) reproduite par le cinéma, dans le processus narratif de la fiction, que
cela soit par montage alterné —Voir les images documentaires des femmes enceintes
que regarde en contre-champ, l'actrice hollywoodienne Ingrid Bergman, dans VOYAGE
402
EN ITALIE —, ou même —toujours Ingrid Bergman, filmée sur un bateau avec des
pêcheurs, assiste à une véritable pêche aux thons, dans STROMBOLI403— cʼest à
lʼintérieur dʼun même plan, la rencontre fiction/documentaire sʼeffectue.

400
. Ref.109. L'Afrique vous parle de la fin et des moyens (Jean Rouch, MOI, UN NOIR). 1959.
401
. Ref. 105. Super Mann. (Anthony Mann, MAN OF THE WEST, [L'HOMME DE L'OUEST]).n°92.
02/1959.
402
. Roberto Rossellini, VIAGGIO IN ITALIA (Le voyage en Italie/ Lʼamour est le plus fort, 1954).
403
Roberto Rossellini, STOMBOLI. 1951.

435
Le deuxième pan de la définition du cinéma par l'axe Ford-Rossellini découle de ce
rapport historique. il se présente sous une allure esthétique plus complexe. Il réside
dans l'opposition de la FICTION avec le DOCUMENTAIRE (LE RÉEL).

FORD/ROSSELLINI : FILM DE GUERRE ET ABSENCE DE CADRE


Si on se remémore que les deux hommes avaient déjà été placés ensemble, au motif
d'être des cinéastes ayant mis en scène la guerre404, la mise en forme de leurs films
relève dʼune opposition frontale. Rossellini utilisait des images documentaires (issues
de la réalité) pour les inclure dans un dispositif fictionnel405, alors que le cinéma de
Ford, effectuait principalement un cinéma d'images406 —sans tenir compte, ici, de sa
contribution purement documentaire pendant la Seconde Guerre Mondiale407—. Il
convient de préciser que son cinéma, produit principalement à Hollywood, comporte un
effet de réel408, patent, qui n'en était pas moins frappant pour l'imaginaire des
spectateurs.

Lorsque l'on tente de réfléchir sur le produit du rapport Ford-Rossellini, on se rend bien
vite à l'évidence quʼune difficulté réside dans la profusion de ces acceptions
hypothétiques. Une dernière formulation significative va pouvoir nous servir de
dénouement, car il admet l'avis même de Godard. Les deux cinéastes sont cités dans
un autre ensemble représentatif de la technique de cadrage, parce que ceux-ci,
justement, n'en n'effectuent pas. La force est contenue par leur absence.
409
"Absence de cadre chez Ford et Rossellini"
Dans lʼédification de la figure de cette séquence, cela pourrait être la réponse opposée
à la positivité du montage. On obtient ainsi :
# Invention puis excès [montage], ensuite imposition puis absence [cadrage].
# Griffith puis Ray [montage], ensuite Ford puis Rossellini [cadrage].

404
. Ref.173. Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros, 1980. pp.304-307. Deux
des films sélectionnés pour le Huitième voyage étaient : J.Ford. : THE LOST PATROL (La patrouille
perdue, 1934), et R.Rossellini. : ROMA, CITA APERTA (Rome, Ville ouverte, 1945).
405
. Le film sur la guerre PAISA, (R.Rossellini, 1946) offre certainement le meilleur exemple de cette quête.
406
. REF. 105. Super Mann (Anthony Mann, MAN OF THE WEST, [L'HOMME DE L'OUEST]).n°92.
02/1959.
407 TH
. John Ford, DECEMBER 7 . 1943.
408
. Pascal Bonitzer, “Écran du fantasme”, CAHIERS DU CINÉMA, n°229.08/1971. p.48.
409
. Ref.173. Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros, 1980. p.15.

436
ABSENCE DE CADRE CHEZ ROSSELLINI
On constatera que le fait dʼassocier ces cinéastes à la pratique du cadrage, suscite
chez JLG certaines observations. En effet, on peut aisément comprendre et attester
l'absence de cadre chez Rossellini comme une conséquence généralisatrice des son
parti pris esthétique, qu'il résume avec sa célèbre question : “Les choses sont là /
410
pourquoi les manipuler ?" La volonté dʼastreindre la réalisation dʼune fiction, à un mode
de production documentaire, revient à désirer filmer la réalité telle qu'elle se présente,
et donc sans souci préparatoire dʼévacuer la population de lʼarrière fond son décor,
comme lʼinstallation de lumières pour faire un cadre qui pourrait retarder et faire
manquer ce que lʼon voulait filmer en prime abord. Cʼest donc lʼaspect soudain qui peut
provoquer lʼabscence de cadre chez Rossellini.

ABSENCE DE CADRE CHEZ FORD ?


Chez John Ford, cette absence de cadre demeure assurément beaucoup plus
problématique quant à son attestation. En effet, l'une de ses constantes esthétiques
picturales se trouve précisément dans l'utilisation dʼélément de décor comme
renforcement du cadre, et cela constamment depuis ses films muets411. A lʼappui du
récit, Ford photographie souvent un extérieur depuis un intérieur : une fenêtre qu'il
laisse en marge au premier plan, ce qui vient renforcer l'effet dʼencadrement du cadre
lui-même412. Ne sʼagit-il pas dʼabsence mais bien tout au contraire dʼune présence de
cadre, renforcée ? Aussi pour finir, si absence il y a, cʼest plutôt comme le notait Mitry,
une absence de mouvements dʼappareil413. car souvent on retrouve une fixité dans le
plan, où l'invention sʼexerce sur la recherche du point de vue, sur la recherche du
meilleur emplacement pour lʼendroit où lʼon pose la caméra, et du meilleur cadre pour
la valeur du plan, sans quʼil soit nécessaire alors dʼeffectuer un seul mouvement,

410
. HdC. 3a.la monnaie de l'absolu. p.93.
411
. Lʼune des caractéristiques de lʼesthétique fordienne est la constance. Les éléments qui ont déterminés
son style sont affirmés très tot et nʼont dès lors subi peu dʼévolution.
Jean Mitry, John Ford, Paris, Ed. Universitaires. Coll. Classiques du cinéma. 1964.p.45 :« Robert Parrish
notait que Ford faisait partie de ce petit groupe de cinéastes américains qui nʼont jamais changé avec les
années ».
412
. Nicolas Saada, John Ford, Ed. Cahiers du Cinéma, coll. Auteurs.1999.
Nous affirmons que cʼest le geste du cinéaste car il devait certainement produire des directives en ce sens,
puisque lʼon constate cette constante visuelle avec des chefs opérateurs différents.
413
. Jean Mitry, John Ford, Paris, Ed. Universitaires. Coll. Classiques du cinéma. 1964.p.20.

437
comme exemplairement une contre-plongée souterraine414. Aucun mouvement nʼest
sans cause, Ford borne lʼappareil à une stricte économie415.
L'absence de cadre devrait alors peut-être se lire comme absence de mouvement du
cadre. Lʼacception demeurant plus générale, elle pourrait alors être plus représentative
dʼun cinéma classique qui joue sur la transparence du récit. La robe sans coutures de
la réalité bazinienne vient corroborer lʼidée de ne pas rendre expressifs les éléments
mêmes de la fabrication du film (montage, cadre…).

F/ COMMENTAIRES DE LA SÉQUENCE 7

Revenons sur le dispositif : Godard-narrateur intervient pendant l'apparition des quatre


portraits. Aussi on peut appréhender son choix du LYS BRISÉ, pour le sujet même du film
de Griffith : la thématique de la filiation et du sacrifice final. Le propos du Lys brisé
relate l'histoire d'une enfant martyre d'un père alcoolique et boxeur, (…) ayant fuit le toit
paternel416. Le père retrouve sa fille, la tue. La phrase (père ne vois-tu pas…) inscrite à
lʼécran (C18-19-20) ne sʼéloigne pas du sujet de lʼinfanticide, comme elle évoque
dʼautant par ailleurs les derniers paroles du Christ. On constatera pour finir que lʼenfant
dont Rossellini remet le col est sa propre fille, Isabella Rossellini417.

L'histoire du cinéma conté par JLG contiendrait plusieurs éléments qui nous sont
transmis directement par la seule valeur du visage des cinéastes. Leur existence —et
son affirmation manifeste que témoigne le visage— suffit à impliquer ce qui a fait leur
particularité historique ainsi que leur style. Godard va placer, dans le processus des
HdC, des éléments concepteurs qui parviendront à symboliser cette transmission. Ce
qui revient à énoncer que, pour Godard, les cinéastes sont simultanément des
représentants de leurs œuvres, et des témoins historiques probants du cinéma par les

414
. John Ford, THE IRON HORSE. 1922. Le train fonce vers le spectateur et passe par-dessus la caméra
(La caméra était enterrée) De lʼavis de Ford il est le premier à lʼavoir fait.
415
. Nous évoquons son style, et cela ne veut pas dire quʼil nʼy ait jamais de mouvement dʼappareil chez
Ford, au contraire, mais on notera quʼils sont suffisamment rares pour que le spectateur le note dès quʼils
apparaissent. On donne à cette occasion lʼexemple du fameux panoramique sur un paysage découvrant
soudainement les Indiens qui attaquent dans STAGECOACH. 1936.
416
. Jacques Lourcelles, Dictionnaire du cinéma. Les films, Paris, Ed. R.Laffont, 1992. p.862.
417
. Jean-Louis Leutrat, « Retour sur Histoire(s) [4] », TRAFIC n°73. Printemps 2010. p.84.

438
films ; et aussi des visages dans lesquels il va pouvoir lui-même sʼidentifier. Car
comme lui, ce sont des acteurs de lʼhistoire du cinéma dotés dʼune double fonction :
comme Godard-narrateur, ils possèdent une fonction active qui consiste à transmettre
(lʼhistoire et le cinéma) par lʼimage, et comme le Godard-présentateur, ils ont la
fonction visuelle (lʼemblème du visage) de pouvoir être identifiés dans ce processus.
Godard tente de nous démontrer, par la disposition dʼéléments concepteurs aux
cinéastes, toute la puissance de cette incarnation, que le visage de ceux qui ont fait les
films précède le cinéma, avant même que nous sachions et connaissions ce que c'est,
(objet de la séquence 8). Voyons comment ces éléments concepteurs sont disposés
en préalable:
— Le MONTAGE dans la positivité de son invention (GRIFFITH) jusqu'à l'excès de sa
transgression (RAY).
— Le CADRE comme puissance invisible (absente pour ROSSELLINI, fixe pour
FORD).

— La puissance de la FICTION
accédant au MONTAGE (GRIFFITH) et converti aux IMAGES (FORD) du classicisme
(Hollywoodien), jusquʼà l'appréhension du RÉEL, que la Seconde Guerre Mondiale a
remis en cause, pour changer et abandonner ce qui distinguait la ligne documentaire /
fiction ainsi que les normes de sa représentation.
Le cinéma accèdera à une nouvelle étape de sa maturité : son age moderne
(ROSSELLINI, RAY)

— La phrase « PÈRE NE VOIT-TU PAS QUE JE BRÛLE » pourra sʼexpliquer de façon


générale, par le constat de la Nouvelle Vague consumant sa défaite.
La Nouvelle Vague nʼa perduré que le temps de ses hommes. Dès la disparition de
cette figure de proue418, quʼa pu être François Truffaut, elle ne fut plus aussi bien
défendue. On commença à nier son apport, et la rénovation de la pratique quʼelle
entendait proposer (sa modernité) fut de plus en plus contesté (lʼauteurisme). Certains

418
. Ref.165. Tout seul. , Tant que Truffaut était là, il prouvait à lui tout seul que la Nouvelle Vague pouvait
rencontrer le succès public, et critique. Cela les faisait taire. « LE ROMAN DE FRANÇOIS TRUFFAUT »,
CAHIERS DU CINEMA , n°Hors-Série, 11/1984, Paris, Ed. de L'Étoile.

439
cinéastes essayeront de chercher des explications vers des cinéastes plus anciens
pour déjouer ou au moins comprendre leur défaite (lʼincendie). Ce mouvement de
retour vers les pères nʼest pas anodin. Il sʼinscrit dans la figure que Godard a façonnée
avec le regard dʼEurydice qui se tourne vers Orphée419.

420 421
[LE CINÉMA / AUTORISE ORPHÉE] [ DE SE RETOURNER / SANS FAIRE MOURIR]
422
[ EURYDICE ]

Godard appartient à la Nouvelle Vague —dont Rossellini est considéré comme lʼun des
pères— et celle-ci est une génération qui a effectué un cinéma selon un regard/savoir
tourné vers lʼhistoire des films. Leur modernité peut être revendiquée comme le cri dʼun
enfant de la Cinémathèque, qui vient remettre en cause —et l'acte de remettre en
cause confère encore une véritable légitimité à la vertu que l'on conteste— ce qu'avait
fondé leur pères. La remise en cause étant la connaissance nécessaire —sous peine
dʼimitation— à lʼinvention dʼune nouvelle manière de filmer423. Lʼinstitution dʼune
méthode dont lʼimplication physique de lʼauteur fut, entre autres lʼélément
caractéristique. Cette invention nʼaurai pas dʼavenir (donc le fils ne deviendra pas un
père lui-même) dʼoù le questionnement désespéré du fils au père et du constat mortel
le consumant.

419
. Ref.103.Chacun son Tours. CAHIERS DU CINEMA n°92. 02/1959 : « après la traversée des
apparences, il retrouve le cinéma comme Orphée, Eurydice."
420
. HdC.2a.seul le cinéma. p.96.
421
. HdC.2a. seul le cinéma. p.97.
422
. HdC. 2b.fatale beauté. p.114.
423
. « Il faut détruire ce que lʼon a fait, pour refaire de nouveau, sinon on imite. » Marguerite Duras. LE
CIMETIERE ANGLAIS. Entretien avec Dominique Noguez, INA, Ed.Benoit Jacob. 1983.

440
Séquence 8. QU'EST-CE QUE LE CINÉMA ?
[LE CINÉMA SUBSTITUE À NOTRE REGARD UN MONDE QUI S'ACCORDE À NOS DÉSIRS]
Toutes les histoires. CHAPITRE 1a
{Plan 45 — Plan 72)

A/ INTRODUCTION : QU'EST-CE QUE LE CINEMA ?


UNE QUESTION DE BAZIN REPRISE PAR JLG

Nous avons produit une introduction car, à la différence des autres, cette Séquence 8
se trouve être beaucoup plus imposante et importante, tant par son nombre élevé de
plans et sa durée que par la situation centrale dans cet épisode.

Cette nouvelle séquence, dans son ensemble, semble vouloir répondre à l'interrogation
célèbre : Qu'est-ce que le cinéma?424 Or cette même question, Godard prit soin dʼy
répondre dans sa toute première publication dʼun article éponyme. Il avait alors 22
ans 425. Attribuée avec raison à Bazin, la phrase fut même placée en titre du recueil
posthume de ses articles 426. Ce questionnement ontologique offre aux historiens et
critiques de cinéma la chance de pouvoir en quelque sorte tenir dans le creux de leur
main toute l'histoire de l'art du cinéma.427 Nous pouvons citer comment la revue TRAFIC
la retint pour démontrer alors tout l'enjeu symbolique qu'elle suscite encore de nos
jours. Ainsi, la parution anniversaire de son numéro 50 en fit les termes de son sujet
imposé aux cinquante intervenants428.

LA SÉQUENCE 8 COMME RÉPONSE À CE QUʼEST LE CINÉMA.


Qu'est-ce que le cinéma? La base de cette interrogation va permettre au cinéaste de
produire, implicitement, par cette séquence, une réponse. Celle-ci tente filmiquement

424
. Cʼest la raison pour laquelle nous lʼavons reprise en intitulant cette partie.
425
. Ref.001. Qu'est-ce que le cinéma ? LES AMIS DU CINÉMA N°1. 1952. également JLG posa cette
question dans les HdC, dans le 3a.la monnaie de lʼabsolu. p.42
426
. André Bazin, Qu'est-ce que le cinéma ? (4 volumes), Paris, Ed. du Cerf, 1959. Cette édition fut établie
par André S. Labarthe et Janine Bazin. Le dernier volume fut posthume.
427
. Iouri Tsivyan, “Qu'est-ce que le cinéma? : une réponse agnostique”, TRAFIC n°55, Automne 2005.
p.114.
428
. TRAFIC n°50, Été 2004. « “Qu'est-ce que le cinéma ?” Question qu'il (Jean-Claude Biette) avait lui-
même posée au seuil de ce cinquantième numéro de la revue Trafic. » (Patrice Rollet)

441
de définir le cinéma, entamant alors véritablement ses Histoires (s) du cinéma, dont
une phrase, jouant comme leitmotiv visuel, va venir couronner lʼensemble de
lʼorganisation de la séquence :

[LE CINÉMA SUBSTITUE À NOTRE REGARD UN MONDE QUI S'ACCORDE À NOS DÉSIRS].

Cette assertion sʼavère le premier élément de réponse manifeste. On nʼoublie pas


qu'elle avait déjà été utilisée dans un dispositif réflexif filmique : le générique sonore du
MÉPRIS429, la référant en son temps à André Bazin :

Voix-off :
« ANDRÉ BAZIN A DIT : LE CINÉMA SUBSTITUE À NOTRE REGARD UN MONDE QUI
S'ACCORDE À NOS DÉSIRS, LE MÉPRIS EST L'HISTOIRE DE CE DÉSIR. »

La sentence, retranscrite cette fois-ci430, va représenter le fil rouge significatif,


ponctuant tout du long la séquence 8. Inscrite au génétitre en lettrages blancs, elle
s'incrustera431 dans un montage d'extraits de films de fiction. Découpée en de
nombreuses sections, plusieurs groupes sont ainsi créés, que nous étudierons lʼun
après lʼautre, ainsi que la phrase elle-même dans son ensemble.
On peut constater que sa disposition, en une succession de cartons inscrits, qui vont
apparaître chacun leur tour, ça et là, au fur et à mesure de la séquence, renvoie à un
type de figure qu'a déjà mis en scène Godard. Nous lʼidentifions sous le terme de
Ronde.

429
. Ref.Film14. LE MÉPRIS. 1963. Voir § Liaisons historiques des auteurs par la parole : Guitry, Welles,
Godard, où nous sommes revenus plus en détails sur les conditions formelles du générique et de la réalité
problématique de cette attribution. Cʼest pendant le générique de début, alors que lʼon découvre le chef-
opérateur du film, Raoul Coutard sur une Dolly effectuer un travelling, la voix off qui énonce le titre du film
et le reste du générique habituel, conclut avec « André Bazin a dit le cinéma substitue… ».
430
. On assiste à une translation similaire à ce que JLG remarquait au Cinéma Italien : la langue de Bazin et
de Mourlet était passée dans les images.
431
. L'incrustation est le terme technique qu'on attribue généralement à une phrase ou une image qui vient
s'insérer électroniquement dans un plan lors de la phase du montage. Lʼincrustation prend ce nom parce
que son trucage (dʼapposition) est toujours visible, dʼailleurs elle sʼavère dʼune taille plus réduite que
lʼimage dans laquelle elle sʼinsère.

442
B/ LA FIGURE DE LA RONDE

Godard a déjà produit plusieurs types de figures de ronde dans les HdC mais aussi
auparavant dans d'autres de ses films ; La figure se trouvait assortie de phrases qu'il
estimait suffisamment importantes pour pouvoir bénéficier de ce traitement
remarquable.
Tout dʼabord, retenons que la figure (re)copie la structure du défilé de l'opération
cinématographique, ensuite nous allons établir comment il procède à la construction de
la figure :
Au départ, il découpe la continuité dʼune phrase en plusieurs morceaux, puis, soit il les
donne à des comédiens pour la clamer successivement, groupe après groupe, soit il
recopie et inscrit les bribes de phrase sur des cartons432, ou soit encore les deux à la
fois, —c'est-à-dire filmant des comédiens montrant les cartons revendicatifs433—.
Ensuite placés les uns à la suite des autres (soit les acteurs disant/montrant leur bout
de phrase, soit les cartons dans le montage) figurant l'ordre reproduit de la phrase, qui
ainsi défilent devant la caméra, le sens en entier ne nous parviendra, à la seule
condition d'avoir bien suivi l'ensemble.

Formellement, on notera que la figure dans cette première description est comparable
à la construction dʼun générique (inserts de cartons successifs). Nous allons devoir
entrer plus en détails pour lui adjoindre des éléments qui la définit comme ronde.

IMAGES DE LA RONDE : UNE BOUCLE OU UN RESSORT


Nous avons principalement deux types de variations dans la production de la figure.
Soit la ronde est énoncée par des sujets humains, auquel cas la notion de boucle se
fait valoir comme image. Soit c'est une ronde en cartons auquel cas, c'est la répétition

432
. Ce sont des cartons de plusieurs sortes : insérés électroniquement ou réels (cʼest-à-dire banc-titrés).
On notera quʼavant le trucage électronique (milieu des années 70), le cinéma de fiction effectuait, selon
ces deux procédés, ses génériques : En trucages incrustants (par effet de contretypes) Ref.Film19.
PIERROT LE FOU. 1965. ou bien, les cartons étaient peints et on les filmait directement. On se rappelle
du dispositif hollywoodien, chez Richard Thorpe (IVANHOÉ, 1952.MGM) dʼun générique sous forme dʼun
grand livre doré dont on tourne les pages indiquant le titre du film et les noms des participants. Godard par
ailleurs parodia le principe successif en filmant, en début de film, les noms des vedettes inscrites, non plus
sur des cartons mais sur les pages dʼun chéquier de la production dont la signature rythmait le générique.
Voir Ref.Film38. TOUT VA BIEN (Co-réal JP Gorin, 1972) § Esthétique du banc-titrage.
433
. Ref.Film40. ICI ET AILLEURS (Co-réal. AM Miéville, 1974).

443
de lʼinsert de la phrase décomposée qui est mise en valeur. Et nous pouvons adjoindre
à cette dernière, lʼimage du ressort 434. Cette ronde de la séquence 8 correspond à la
deuxième variation. Elle est une transposition visuelle de la voix-off fluctuante d'un
narrateur.

Dans l'œuvre de Godard, cette figure trouve ses premières mises en pratiques dans
certains des films muets des CINÉ-TRACTS435. Certains critiques affirmèrent que la
figure de défilement quʼon trouve dans les films godardiens des années 70/80, calquait
probablement le défilé de la bande passante du film436, puisque la succession (des
cartons/personnes) enchaîne les figures immobiles437, mais arrangeons sur ce point : il
faut y adjoindre lʼimage de la boucle ou du ressort, pour compléter et produire la figure
de la ronde destinant ainsi la part répétitive que cette chaîne peut produire438 ; la
perpétuation de sa ronde en quelque sorte, à lʼinstar de certains cinéastes
expérimentaux travaillant concrètement sur les boucles (loop) d'un film passant ad
libitum dans le projecteur439.

Nous allons tenter dʼévaluer lʼenjeu de la présence de cette figure de la ronde qui court
au travers de la Séquence 8. Quelle est la motivation conceptuelle, à vouloir placer une
telle figure dans ce film ? Il demeure important de connaître ce choix. Godard essaye,
par ce moyen, de nous révéler le fonctionnement même de lʼopération
cinématographique, afin dʼen démontrer sa valeur conceptuelle. Cette figure viendrait
donc étayer lʼhypothèse du film comme forme qui pense440. Elle relève, par la mise en
abyme de lʼopération, dʼune préoccupation réflexive filmique.

434
. La figure de la ronde à lʼimage du ressort, sʼeffectue en spirale droite. Ressort créé par la scansion
rythmée allers-retours, ressac des cartons qui apparaissent et disparaissent dans le déroulé du film.
435
. Ref.Film28.CINÉTRACTS. 1968. Etant muet, le discours militant de Godard était transposé en cartons
écrits de sa main et souvent, ils alternaient avec des images photos ou apparaissaient dans des jeux de
collages et de calligraphie.
436
. Ref.Film 62. ON SʼEST TOUS DÉFILÉ. 1988. Film de commande pour les créateurs de mode
M.&F.Girbaut.
437
. Christa BLÜMLINGER, « Cultures de remploi - questions de cinéma », TRAFIC n°50. Été 2004.
- Christa BLÜMLINGER, « défilé, et défilement », FOR EVER GODARD, London, 2001. (intervention non
publiée)
438
. Sinon, comme nous lʼavons précisé, la figure ne se détache en rien dʼune construction dʼun générique
faits de cartons successifs entrecoupés par des images.
439
. Groupe Métamkine, Jürgen Müller, Klaus Von Bruch.
440
. HdC.3a.la monnaie de lʼabsolu. pp.97,99,101. [PENSÉE QUI FORME UNE FORME QUI PENSE].

444
JUSTIFICATION CHORÉGRAPHIQUE DE LA FIGURE
Godard inclut dans cette ronde verbale ou visuelle, avec provocation, l'élément humain.
L'homme devient une simple matière reproductible. Il nʼest plus qu'un rouage parmi
d'autres éléments, qui, mis en service, en branle, aboutissent au fonctionnement du
système de cette ronde.

La première figure de ronde qu'il mit en scène avec des éléments humains fut,
exactement, pour mettre en application une théorie du cinéma441. Comme il sʼagit
dʼorganiser des enchaînements en boucles et des couplages combinés entre plusieurs
sujets vivants, il nʼest pas étonnant de découvrir que la ronde pouvait se représenter
sous la forme dʼune combinaison sexuelle. Lʼopération des corps 442 —enchaînés
mécaniquement en vue de jouissance— qu'il combine dans SAUVE QUI PEUT (LA VIE)
reste son plus bel exemple. Cʼest un exemple complet dʼune orgie et de
lʼasservissement sexuel de femme et dʼhomme aux cycles de la reproduction des corps
ou des images 443. On rappellera que Godard a mis en scène dans les HdC le parallèle
entre le mouvement dʼaller-retour et la fonction érotique444.
On peut dégager une philosophie de cette opération chorégraphique, puisque, se
combinant pour former une figure enchaînée répétitive, en vue dʼobtention dʼune
réalisation (du plaisir, du film ou de la signification), la mise à disposition des corps
semble issue dʼun dispositif sadien.

UN EXEMPLE DE RONDE
Dans GRANDEUR ET DÉCADENCE445, JLG organisa la figure, sous le motif dʼun casting
en direct de comédiens, issus réellement de L'ANPE, qui, mis à la queue446, devaient
dire chacun une partie dʼune phrase de Raymond Chandler. Chacun des comédiens ne

441
. Ref.Film40. ICI ET AILLEURS (Co-réal. AM Miéville, 1974).
442
. Roland Barthes, Sade, Fourier, Loyola, Paris, Ed. Seuil. 1979. p.34.: « Combinées, les postures
composent une unité (…) qui est lʼopération. Lʼopération demande plusieurs acteurs. »
443
. Reproduction du mouvement (cinéma) et reproduction physiologique (érotisme).
Ref.Film46B. SAUVE QUI PEUT (LA VIE) (Co-réal. AM Miéville, 1979).
444
. HdC.2b. fatale beauté.p.203. Combinant A KING IN NEW YORK (Chaplin)// film pornographique.
445
. Ref.Film56. GRANDEUR ET DÉCADENCE D'UN PETIT COMMERCE DE CINÉMA. 1986.
446
. Lʼallusion phallique à la « queue » de cinéma (la file dʼattente du public devant la caisse) nʼest dʼailleurs
pas hasardeuse, on la retrouve souvent, précédant notre figure, dans ses films de fiction, mise en scène,
[Ref.Film46B. SAUVE QUI PEUT (LA VIE) (Co-réal. AM Miéville, 1979)], [Ref.Film 77. FOR EVER
MOZART. 1996], ou à travers la parole de personnages, [Ref.Film 41. Alexandre Rignault dans NUMÉRO
DEUX. 1975].

445
pouvant comprendre ce que cette phrase relatait. Seul le réalisateur (J.P. Léaud), qui
les filme en direct et qui perçoit l'enchaînement de la ronde, pouvait tirer une
signification de l'ensemble. La musique continue dʼArvö Part sur tout le long de la
séquence vient souligner la cohérence de la ronde. On pourrait alléguer, à ce dispositif
réflexif de lʼopération cinématographique, son allure dʼélaboration industrielle, (ainsi
répétitivement, on rétribue447 des comédiens pour quʼils se présentent, et travaillent en
faisant des tours et en énonçant une phrase dont le sens leur reste caché, puis lʼon
passe au suivant sans état dʼâme). Or le caractère dépersonnalisant du casting et la
répétition aliénante de la ronde peut aisément être comparé au mode de la division du
travail industriel des chaînes de montages automobiles, qui lui-même réplique
lʼopération cinématographique448.
La figure de la ronde, justifiée par la présence humaine, permet donc de critiquer avec
une violence évidente, lʼopération cinématographique dʼun groupe vivant qui est conçu,
construit comme une machine449. On retrouve dans la séquence 8, même si lʼallure en
ressort de la figure de la ronde nʼest peut-être pas évident à reconnaître au premier
abord, lʼimplication du même dispositif dʼun réseau humain.

LA RONDE DES NAMES-DROPPING


On remarquera dans les HdC un autre variation de la figure de la ronde. Elle se couple
avec une autre figure, celle du name-dropping. Ainsi dans lʼépisode 4a. le contrôle de
lʼunivers 450, le même carton [LʼARTISTE] vient ponctuer à chaque fois la succession de
cinéastes placés les uns à la suite des autres, et qui sont représentés par des portraits.
Cette double figure est particulièrement émouvante car il y a peu de moments dans ce
film où lʼon constate des récurrences formelles représentées avec une telle
homogénéité. Tous sont cinéastes, masculins, pris en portraits photographiques, en
plan serré poitrine, noir et blanc et de ce fait, cela vient souligner la régularité du
ressort de la ronde, au rythme allers-retours dʼinsertions de lʼinscription invariable du
carton.

447
. Le comptable, une calculatrice sur la table, les rétribue au centime près.
448
. Historiquement, suite à un film que lui aurait montré un assistant, (dont le montage accolait les postes
de fabrication), elles avaient été inventées par Charles Ford. Ce modèle de travail, le Fordisme, (le travail
à la chaîne) venait de répliquer le processus cinématographique. Ref.173. Introduction à une véritable
histoire du cinéma. 1980. Et Ref.Film32. BRITISH SOUNDS. 1969.
449
. Roland Barthes, Sade, Fourier, Loyola, Paris, Ed. Seuil. 1979.§Les machines. p.155-57.
450
. HdC.4a.le contrôle de lʼunivers. pp.68-74.

446
De plus, dʼautres moments des HdC vont être mis en scène selon une procédure
similaire451 sans toutefois correspondre à la ronde : par l'interposition successive de
plusieurs cartons et dont leur nombre est toujours supérieur ou égal à trois. Ils sont
disposés en alternance avec d'autres images qui viennent soit relayer leur signification,
soit se mettre en opposition452. On notera tout de même que cela intervient souvent
dans des moments exposant une réflexivité sur le cinéma. Par exemple au début du
1b.une histoire seule, où la phrase [Lʼimage/ viendra au temps de la/ résurrection]
« danse » avec le film DUEL IN THE SUN453. Cʼest aussi une locution latine sur plusieurs
cartons, lors de la dernière séquence du 3a.la monnaie de l'absolu qui rend hommage
au Cinéma Italien454 ou bien encore, à l'allégorie du colporteur annonçant la fin du
monde par F.C. Ramuz. Ce colporteur était le cinéma455.

Pour mieux réaliser comment la phrase du MÉPRIS se scinde pour se placer dans des
groupes (des sous-séquences), nous posons en liminaire ce petit descriptif. Il résume
la répartition dʼensemble des cartons et de la phrase, adjointe dʼune notice
typographique de notre étude.

LES CARTONS DE LA SEQUENCE 8 SELON LES GROUPES


G —HISTOIRE(S) DU CINÉMA, CHAPITRE 1 A Plan 45 à 47
Puis la phrase est répartie selon six groupes (G) successifs :
G1— LE CINÉMA Plan 48 à 52
G2—LE CINÉMA SUBSTITUE Plan 53 à 59
G3—À NOTRE REGARD Plan 60 à 62
G4—UN MONDE Plan 63 à 69
G5—QUI S'ACCORDE Plan 70 à 76
G6—À NOS DÉSIRS Plan 77 à 81

On discernera, à la suite du découpage plan par plan, avec quelles images, extraits de
films, et sons, les groupes sont chacun constitués et en rapport. Quel que soit le

451
. Ainsi pratiquement la même figure se déroule en début dʼépisode 4b. avec cette fois-ci, inscrit sur le
carton : [SEUL] alternant avec des cinéastes selon le même dispositif. HdC.4b.les signes parmi nous.
pp.145.
452 ème
. Supra 3 Partie. Séquence 2. Plan 7&8. L'inventivité typographique de Godard.
453
. King Vidor, DUEL IN THE SUN (Duel au soleil, 1946).
454
. HdC.3a.la monnaie de lʼabsolu. pp.87-94.

447
groupe, le morceau de phrase n'est jamais seul, c'est-à-dire sur un fond monochrome
(noir, blanc ou de couleur). Il est toujours accompagné par une image d'un film.
Exception notable du dernier Groupe 6 (présentant le carton À NOS DÉSIRS sur un fond
noir) au plan 77*. Il a le statut de marquer la fin de la série, or on peut toujours
considérer ce fond noir de ce carton comme une « image » associée à nos désirs et
tenter de décrire la particularité de cette conséquence.

C/ NOTE TYPOGRAPHIQUE

Lors de notre plan par plan, pour éviter toute confusion dans la répétition dʼinscriptions
de phrases ou de cartons, sont suivis dʼun astérisque les numéros des plans, où les
bribes de la phrase apparaissent (en inscription au génétitre).

EXEMPLE : PLAN 48 *
veut donc dire que le carton « LE CINÉMA » apparaît pendant le plan 48.

D/ INTRODUCTION (DE LA SEQUENCE 8) (PLAN 45-47)


Plan 45 . JLG TAPE À LA MACHINE
La séquence s'ouvre une nouvelle fois sur le plan de Godard-présentateur qui est en
costume blanc. Le cinéaste, derrière sa machine à écrire, se met à taper pour inscrire
le titre. Il énonce ce que nous verrons partiellement à lʼécran sur un carton du plan
suivant (Plan 46).

DEUXIEME SERIE DU GODARD-PRESENTATEUR AU BUREAU


En ce début de séquence, va être monté le passage de deux plans représentant le
cinéaste. Le Plan 45 et le Plan 48.
Le Plan 45 nous montre, en effet, le dernier plan du Godard-présentateur de ce que
nous avions nommé première série du Godard-présentateur au bureau, celui où
Godard se situe à la droite de lʼécran avec les accessoires pour le montage papier

455
. HdC.4a.le contrôle de lʼunivers. pp.230-241.

448
(colle, règle, ciseaux, massicot)456. Deux lampes sont présentes dans le décor du plan
45. Une petite lampe basse avec un abat-jour rouge (on la retrouvera au Plan 48) et
une lampe blanche dʼarchitecte pliante dont la « tête » se place au cadre au même
niveau que le visage du cinéaste dactylographe et lʼobstrue.

On pourrait croire que le plan 48 est une continuité de la même prise dont est issu le
plan 45. Pourtant, même sʼil représente le même personnage effectuant la même
activité, il provient dʼune nouvelle prise (de vue). A la relecture certains détails
apparaissent : Godard se situe plutôt à gauche de lʼécran, et le décor du fond a
changé. Cʼest en fait un nouvel axe.

Nous signalons par ailleurs que les plans 48, 52, 53 procèdent du même plan général.
Un Mastershot continu représentant Godard-présentateur, seulement, d'autres séries
de plans (46, 47 et 49-51) sont insérés pendant ce déroulement introductif. Mais plus
avant de continuer à réfléchir sur la contextualisation et la mise en scène (en images)
du plan du Godard-présentateur, il est préférable de produire derechef la description de
la première série qui survient entre, cʼest-à-dire le plan 46 et 47.

On notera enfin que la mise en scène de ce plan 45 semble nous indiquer que
lʼapparition du carton TOUTES LES HISTOIRES (C21) est due directement à la tape de la
machine. Ce lien de causalité, que nous avions découvert avec la voix, est produit ici
par le rythme tambourinant de la machine. Son interruption, entre la fin et le début du
Plan 46, puis sa reprise, provoque par montage un effet de déclenchement457.

Plan 46.
Carton 21 : [TOUTES LES HISTOIRES + (HISTOIRE(S) DU CINÉMA) ]C21
Ce carton fait avec des génétitres blancs sur fond noir ressemble dans sa police et sa
typographie au titre général lui-même. Pourtant le fond noir nʼest pas totalement noir ; il

456 ème
. Supra 3 Partie. Séquence : Première série Godard-présentateur au bureau.
457
Le son de la frappe très présent peut évoquer, par une vitesse et un rythme similaires au roulement de
tambour, celui du spectacle au Cirque (ou au Music-Hall) quand il nous prévient de nous concentrer car un
numéro particulièrement difficile va être effectué par lʼartiste en piste. Seul lʼeffet de cymbale final ne sʼy
trouve pas pour cette corroboration. Calvéro et son spectacle de puces est ainsi agrémenté de ces effets.
Charlie Chaplin, A KING IN NEW YORK (Un roi à New –York, 1957).

449
possède en fait une particularité de présentation que l'on retrouve aussi sur d'autres
cartons plus tard :
Toutes les histoires apparaît par intermittence en rythme avec le roulement de la
machine à écrire du plan précédent qui continue sur ce plan, tandis qu'en fond ce n'est
pas tout à fait noir, il y a comme un "reste" du carton du titre du film. Un reste de
Histoire(s) du cinéma transparaît par derrière, comme si Godard réutilisait un carton
déjà usé pour produire un nouveau titre, ou bien comme si un défaut technique de
fermeture pour le changement de carton ou de son effacement, était intervenu en cours
de route. Comme si, déjà aussi, on pouvait observer les différentes strates d'essais de
titres correspondant aux diverses tentatives, aux diverses versions ; ce qui est pour le
moins non conventionnel, mais relativement habituel pour Godard : la volonté de placer
au même niveau toutes les versions, des premiers essais jusqu'à la version définitive.
Cela témoigne autant d'une volonté de produire une esthétique de l'inachèvement en
conservant l'image des strates accumulées, et faisant parvenir, au public la perception
du mouvement de la tentative, (la version définitive).

LE SIGNE DE L'INACHÈVEMENT DES TEMPS


Représenter la tentative dans un mouvement inachevé est, pour Godard, un geste
cinématographique par excellence. Lʼexposition personnelle "Voyages en Utopies"” 458
en représente une preuve patente et dernière. Elle s'est déroulée à Beaubourg en
2006. L'état d'abandon, au propre comme au figuré, dévoila une exposition en
construction, laissée telle quelle459 . Ceci dû en majeure partie par la cessation du
dialogue entre l'intéressé et les organisateurs. Le visiteur découvrait encore pêle-mêle,
des cartons dʼemballages, des câbles et des adhésifs sur certains espaces des
installations. Ceci fut vivement reproché en ce sens car on insinua, que les caprices de
diva et le refus d'entente avec les autorités institutionnelles en place furent des signes
avant-coureurs du gâtisme de Godard.
C'est une bonne démonstration de l'incompréhension habituelle autour de son attitude
politique face à la doxa normalisatrice de lʼinstitution culturelle ; et plus généralement
de l'incompatibilité du geste work-in-progress avec la société de consommation

458
Ref.178. “VOYAGE(S) EN UTOPIES, JEAN-LUC GODARD, 1946-2006”, Galerie Sud, 11Mai-14Août
2006, et de la rétrospective intégrale des films de Jean-Luc Godard (24Avril-14Août 2006).
459
. Antoine De Baecque, “Voyages en godardie(s)”, LIBÉRATION 15/06/2006.

450
culturelle, de son besoin dispendieux et sa nécessité industrielle à délimiter
correctement, par des agents mis en scène comme spécialistes de l'esthétique,
régulant le contenu dans le contenant460.

Le pouvoir d'agir sur le présent se déplace. Ce n'est qu'une fois passée, l'œuvre
devenue archive que l'on parvient à attester de l'efficience du geste d'un créateur et
précisément quand ce geste est trouble, informel. Geste de laisser en état, tel quel,
comme inachevé, abandon de la finition avec les traces des tentatives, les traces de la
constatation que le plan est irréalisable mais surtout rien ne pouvait prétendre d'une
conception définitive a priori. Cette esthétique de l'irrésolution peut se réduire
manifestement à cette citation du Petit poème de Brecht adoptée par Godard comme
une des lignes générales de sa conduite :

"J'EXAMINE AVEC ATTENTION MON PLAN, IL EST IRREALISABLE."461

Il faut également comprendre que cette citation de Bertold Brecht462 intéresse Godard
par sa signification paradoxale. Un jeu d'opposition se met en place entre lʼattention
qu'on prend à examiner, et le non réalisable envisagé ; on peut même extrapoler en
ajoutant que d'après examen, Godard prend soin à monter, à réaliser tous ses films
afin, selon son souhait 463, de ne jamais pouvoir les achever.

Ainsi seulement, en un carton du plan 46 (C21), et les multiples versions ou encore les
épisodes fantômes des HdC attestent de ce désir.
Le geste informel chez Godard, représenté dans les HdC par ce carton, ou ailleurs par
cette exposition, offre une des possibilités réflexive du geste filmique, sorti de son
contexte institutionnel (le cinéma). Les tentatives, qui doivent être conçues comme
finalité ou bien encore conservées comme mouvement de désir, sont établies par un
dispositif : Ces suites de tentatives immobiles, placées les unes à la suite des autres,
produiront une illusion du mouvement cinématographique.

460 e
. Paul Ardenne, , Art, lʼâge contemporain : une histoire des arts plastiques à la fin du xx siècle, Paris,
Éditions du Regard, 1997. p.102.
461
. HdC.2a.seul le cinéma. p.85.
462
. Bertold Brecht, “un petit poème”, Hollywood (1946), Paris, Ed. de l' Arche. 1985.p.168.

451
Plan 47. Extrait de KING-KONG.
La tête du chapitre va être énoncée pendant le plan :
[HISTOIRES DU CINÉMA, CHAPITRE UN A]
L'élément est notable, car dʼabord il est rare d'avoir au cinéma ce genre dʼindication de
partition, et dʼautant quand elle sʼavère redoublée à l'image (le carton) et au son464 et
lorsque en plus, elle emprunte un lexique littéraire.

La voix va même indiquer une particularité typographique :


[HISTOIRES DU CINÉMA,… AVEC UN S] (Plan 47/48)
On remarquera que ce sera la seule fois que Godard indiquera en voix-off la partition
du film. Après le carton (plan 46), un extrait de film vient s'insérer, il s'agit d'un extrait
du film d'Ernest B. Schoedsack et Cooper : KING KONG465.

Description du Plan 47
Afin de comprendre la perspicacité de cette action, nous allons essayer de retracer le
contexte général de la provenance de ce film. Le moment choisi (sélectionné) par JLG,
du récit de Schoedsack, se situe au premier tiers, quand lʼéquipe du film est sur un
bateau en destination de Skull Island et, seul le cinéaste-producteur connaît lʼobjet
secret du tournage. On le découvre en train dʼopérer un test-shot (tournage pour le test
du matériel autant que celui de l'actrice pour établir sa photogénie puisquʼelle a été
castée au tout dernier moment). Aussi pour tourner ces tests le réalisateur-opérateur
lui fait faire une improvisation d'après un mini-scénario qu'il a auparavant narré à
l'actrice (Fay Wray).

Quiconque a vu KING-KONG reconnaît ici instantanément cette scène clé du film, qui
montre le décor d'une passerelle de bateau. Au cadre, avec en amorce épaule, de dos,
le réalisateur sʼoccupe des derniers préparatifs avant de tourner la manivelle de la
caméra sur trépied. Face à lui (face à nous donc) : l'héroïne en plan taille, se

463
. Trond Lundemo, The Index And Erasure Godard's Approach To Film History, FOR EVER GODARD,
London,Black Dog Publishing 2004.p.402.
464
. Un des rares exemples dʼindication liminaire dʼune partie reste SALO (1975) de Pier Paolo Pasolini —
qui avant de travailler dans le cinéma, fut poète et écrivain— où dans son film, il effectua en liminaire du
film un carton dressant une liste d'auteurs composant la bibliographie essentielle de l'œuvre de Sade qu'il
adaptait (Les 120 journées de Sodome).
465
. Ernest B.Schoedsack & Merian C. Cooper, KING-KONG, 1933.

452
positionne. Elle ajuste son costume, et cherche ses marques au sol, avant qu'elle
exécute ce qu'il va lui demander en direct :

"Elle découvre quelque chose qui lui fait peur, la peur grandit autant que cette chose qu'elle
466
découvre et qui la terrifie, la pétrifie jusqu'au cri qui survient" .

Le même cri qu'elle produira au moment où elle rencontrera la bête.


Cette scène du cri, effectuée par celle qui semble avoir vu quelque chose qui lui fait
peur, est une scène clé pour le film comme pour Godard, car même sʼil nʼen reproduit
quʼun fragment, il en déplacera son cœur (le moment précis du cri lui-même) un
épisode plus tard467. La scène constitue dans son ensemble, pour la narration, la mise
en valeur du pouvoir de prédestination du cinéma, comme celui d'être doté d'une
capacité à pouvoir se mettre en scène de manière réflexive468. En effet, KING-KONG
sʼavère être un film qui fut souvent un objet d'études en ce sens. Le test-shot pourrait
correspondre à une scène d'un flash-forward (intégré au présent de la scène).
Le cinéaste Denham, le personnage du film, réalise par son film-test l'évènement avant
même qu'il ne se produise, et, même perçu avec relativisme469, on pourrait presque
affirmer quʼà cause de sa mise en scène (en fiction), il fait arriver le drame (dans la
vie). Au cinéma comme au théâtre, on énonce en termes contradictoires le procédé
technique de la répétition. Car si lʼacteur doit répéter une scène, il lʼeffectue avant
même quʼelle soit montrée au public pour la première fois. Cʼest probablement selon
lʼaugure du principe représentatif de lʼaction du cinéma qui prévaut sur la vie, que
Godard placera la phrase de Delluc [QUE LA VIE RENDE AU CINÉMA/ CE QUʼELLE LUI A
470
VOLÉ] en deux cartons, dans lʼépisode 1b.une histoire seule, au moment même on
lʼon verra la suite de lʼextrait de KING-KONG du plan 47, cʼest-à-dire le champs-contre-
champs, montrant le cinéaste filmer le simulacre de la mise à mort de lʼactrice Fay
Wray qui crie471.

466
. C'est quasiment mot pour mot l'indication de mise en scène que lui donne le réalisateur.
George E. Turner, Orville Goldner, The making of King-Kong, New-York, Ballantine Pub. 1975. p.45.
467
. HdC.1b.toutes les histoires. p.255.
468
. Helmut Färber,“King-Kong : comment le cinéma se raconte lui-même“, TRAFIC n°34. Été 2000 p.95.
469
. Cʼest avec le même relativisme que Godard inverse le lieu commun. Il place le cinéma avant la vie
elle-même.
470
. HdC.1b.toutes les histoires. p.255.
471
. HdC.1b.toutes les histoires. pp.253/4 : « on porta le deuil de / cette mise à mort/ (…) avec le noir et le
blanc. »

453
Ainsi, en dévoilant le dispositif même de la peur, par sa mise en scène désamorçante,
il intègre à l'inverse notre vigilance future. Nous sommes complices —et cʼest une
stratégie classique de connivence—, car dʼabord il dirige la comédienne, (en voix-off,
lui donnant des ordres en simultané de la caméra qui tourne), pendant quʼelle
improvise472, et ensuite à savoir que les essais quʼils effectuent sur le bateau, sont en
fait comme une répétition générale, mais non pas dʼune fiction, mais dʼun événement
réel irrémédiable. Le dernier plan de cette séquence viendra corroborer cette
complicité. Schoedsack met en scène deux spectateurs témoins de la dite scène du cri.
Nous est dévoilé le contre-champ de la scène, où lʼon découvre deux marins souriants,
un peu blasés, bras posés sur une rambarde, qui les épiaient depuis le début,
suppose-t-on.
Le changement dʼaxe fait quʼils sont situés spatialement du même côté que notre point
de vue de spectateur. Cʼest le même côté, et la même attitude que deux spectateurs-
types du film King-Kong. Des spectateurs au balcon, dont un glisserait à lʼautre le
commentaire « on dirait quʼelle a vraiment vu quelque chose ». Ici, une fois de plus, le
dispositif du film cherche à intégrer dans son récit, des éléments réactifs spectatoriels
qui pourraient nous appartenir.

“ON DIRAIT QU'ELLE A VRAIMENT VU QUELQUE CHOSE!”

Lʼextrait de KING-KONG nʼest pas pris dans lʼintégralité de la séquence décrite. Il est
assez bref et ne dure que sept secondes. De plus, des effets de flashs noirs viennent
s'insérer dans l'extrait, avec fréquence régulière, ce qui, adjoint de la bande son du
roulement tambourinant de la machine à écrire, pourrait évoquer un défilement dʼun
projecteur. La régularité dʼinsertion et le rythme sonore du flash noir viendrait alors
représenter lʼintermittence dʼune croix de malte obstruant la fenêtre du projecteur. Ce
qui nous donne de facto, l'impression d'assister à une projection d'un film muet,
puisque lʼeffet dʼintermittence caractéristique du dispositif de défilement de lʼimage
pulsant à 18 images par secondes est rajouté.

454
Aussi la promptitude d'apparition de l'extrait nous empêchera d'entendre le cri. Nous
nʼavons que le début de la séquence et le gros plan resté off ne sera placé quʼà
lʼépisode 1b. Hormis la prédestination —que Godard suggère par lʼemploi de cet
extrait—, dʼautres raisons de politique générale, de sélection du film comme
emblématique du cinéma, trouvent une justification sur plusieurs points.

a/ Première raison
Cʼest dʼabord structurellement lʼextrait da capo dʼun long montage à venir dont lʼobjet
concerne précisément la définition du cinéma (la séquence 8).

b/ Deuxième raison
KING-KONG est un des films qui représente culturellement et historiquement le
symbole du cinéma. Nʼoublions pas en quoi va consister toute cette séquence 8 : cʼest
lʼinterrogation du cinéma , et lʼinscription « LE CINÉMA » apparaîtra juste après la
disparition de cette première insertion, lorsque nous revenons au plan 48 sur Godard-
présentateur.

Le personnage de la bête-singe symbolise, à lui seul, la part monstrative et fondatrice


que le cinéma possède. Le cinéma est fait pour voir, par disposition spectaculaire du
réel, et aussi par représentation de l'imaginaire (le monstre et ses effets spéciaux).
KING-KONG est devenu une effigie de la firme Universal (Studios à Los Angeles —qui

sont devenus en place un parc d'attractions à thème sur le cinéma, tout comme
DISNEYLAND).

Des critiques ont aussi créé le parallèle entre l'île où vit Kong : Skull Island et la ville de
Manhattan, pour essayer de prouver la part incommensurable de la position du
spectateur473.Le cinéma avec Kong est pris dans la destinée de son divertissement ou
encore révèle sa part inconsciente dans un faire-voir, jusquʼà pouvoir décrire une
origine mythologique Hollywoodienne. Une Hollywood-Babylone474 ou Mecque du

472
. Pareillement avec ce quʼelle va vivre, elle se trouve prisonnière du dispositif. Tant que la caméra tourne
elle ne peut pas sʼarrêter, elle demeure attachée à la parole du cinéaste.
473
. Roger Dadoun, King-Kong, Paris, Ed. Séguier, 1999.p.66.
474
. Kenneth Anger, Hollywood-Babylone, New York, Ed. Dell Publishing Company. 1976.

455
cinéma475 peuplée de personnages symboliques : les stars. Etres mi-réels, mi-
fantastiques, tel Charlot, Jimmy Dean, Bogie ou Marilyn. Il avait d'ailleurs été classé
parmi les 10 plus grands films classiques de tous les temps 476.

c/ Troisième raison
Enfin, le film, et lʼextrait, mettent en scène un tournage de film et procèdent, par cette
mise en abyme, à un autre repère intéressant. Lʼextrait quʼemploie Godard est censé
montrer une femme qui, par la seule présence de lʼappareil de visée, se trouve
menacée (puisquʼil nʼy a pas de monstre sur le pont où elle improvise).

d/ Quatrième raison
De plus, lorsque ils s'aventureront plus tard dans la forêt, le cinéaste utilisera sa
caméra pendant que les autres utiliseront des fusils 477. Cʼest la même allusion
substitutive qui sera reprise au plan suivant (49) de la Séquence 8 et que lʼon retrouve
assez souvent dans les films sur le cinéma478.

LA CAMÉRA COMME ARME DU CINÉMA PARABELLUM


On trouve la tentation de Godard à considérer le cinéaste comme un combattant479 et le
cinéma comme un champ de bataille480 souvent autant dans son activité critique que
dans ses films. Cette équivalence esthétique lui permet aussi de sélectionner des films
dans un domaine (les films de genres) autre que sʼil avait voulu rester littéral dans ses
exemples historiques.
Au Plan 49, un gangster (type années 30) face à la caméra arrose (en panoramique)
avec une mitraillette tout ce qui se trouve devant lui, c'est-à-dire dans notre direction :
les spectateurs. On mesure alors la puissance interactive de la phrase :
[LA CAMERA : C'EST L'ECRAN] 481.

475
. Blaise Cendrars, La mecque du cinéma, Paris, Ed.Grasset, 1936.
476
. Liste qu'a constituée la réunion à Bruxelles de critiques internationaux en 1956.
477
. Le film dans sa troisième version (Peter Jackson, King-Kong 2006) a même augmenté le parallèle.
478
. Robert Aldrich, THE LEGEND OF LILAH CARE (Le démon des femmes, 1968). Parmi dʼautres.
479
. Ref.A60 : "Le jeune cinéma a gagné une bataille et la guerre n'est pas encore finie."
480
. Ref. Film11.PIERROT LE FOU. 1965 : “Le cinéma c'est comme un champ de bataille” dixit Samuel
Fuller.
481
. HdC. 4a. le contrôle de l'univers. p.68.

456
Elle prend toute sa valeur d'exemplarité à partir de l'utilisation réflexive d'un extrait
comme celui-ci. Et lʼon y reviendra en détails au moment de lʼanalyse du plan.
Concluons que si l'on cherche à définir un peu mieux cette correspondance, dont nous
sommes pour la première fois dans les HdC les témoins, cela revient également à
considérer les implications de la nature substitutive que propose la phrase de Mourlet-
Bazin.

e/ Cinquième raison
Pour finir, l'extrait de KING-KONG met en scène un couple qui correspond précisément
à l'axiome que Serge Daney avait révélé dans sa tentative de Pédagogie Godardienne:

482
"Le son (Elle), L'image (Lui) /La voix (Elle), L'œil (Lui)"

L'association de l'homme (Carl Denham) avec l'image (la caméra) face à la femme
(Fay Wray) associée au son (elle crie) ; l'œil et la voix.
Son choix et son mode de sélection le place donc dans un enjeu emblématique de
cette phrase. De plus KING-KONG étant en tête de pont de l'ensemble du déroulement
de la séquence, il devient représentant du cinéma mais aussi annonciateur pour les
autres sur cette histoire de substitution.

482 ème
. Supra 2 Partie, CH2. 3/Le principe dʼincorporation. et Serge Daney, CAHIERS DU CINÉMA
n°262/263, 04/1976. p.40.

457
E/ GROUPE 1 (DE LA SEQUENCE 8) . LE CINEMA (PLANS 48 - 53)

a/ Introduction préalable : rapports de la figure du couple.


NOUVELLE MISE EN SCÈNE : RAPPORTS DE LA FIGURE DU COUPLE

Précédemment, des éléments du film présent sont exposés à un déroulement, régis


selon des rapports antagonistes (comme dans la séquence 7 par exemple). Nous
pouvons en distinguer un grand nombre par paires afin de les nommer couples :

l'image et le son, le livre et le film, lʼhistoire et le cinéma…

Ce système a la particularité d'être proposé, et articulé selon une double interaction.


Un double mouvement projette le cinéaste autant vers le spectateur483 que vers lui-
même. Il demeure possible d'évaluer son aspect selon des termes génériques, c'est-à-
dire applicables à chaque situation.

LA DOUBLE INTERACTION DU COUPLE


Dʼabord, décrivons un peu mieux lʼopération de la double interaction. Elle se présente
en un mouvement interne associé à un autre externe, ce qui reproduit de nouveau la
figure du tore484.
La première interaction est interne. Elle est le produit des rapports d'oppositions ou
d'associations des deux éléments entre eux. Ils les suscitent et les créent en eux.
Attraction, répulsion peuvent ici être évoquées puisque ces deux éléments
interagissent, quelle que soit la nature de leur rapport (conflictuel ou harmonieux)
jusqu'au dernier stade qui les constituent : leur couplage.

La seconde interaction est externe. Elle se définit sur le domaine de la totalité des
couples, et elle est le produit des rapports externes entre les couples (déjà constitués);
établis sur une même ligne formelle, cela permet à Godard, d'échanger voire
d'astreindre une série à occuper le même espace ou le même corps formel.
Lʼinteraction se définit alors par une jonction de deux couples. Par exemple, elle
associera le Son avec le Livre (1ère série) face à une Image avec un Film (2ème série).

483
. Ref.151 Pierrot mon ami. CAHIERS DU CINEMA n°171. 09/1965.
484
. Voir Supra Séquence 7. Le feu paternel.

458
La première et la seconde série, associées, définissent lʼinteraction dʼun nouveau
couple.

LE COUPLE CINÉASTE / SPECTATEUR : UN COUPLE HUMAIN

Si nous avons tant insisté à décrire cette double interaction, c'est parce que nous
allons identifier des nouveaux couples, impliqués au processus de cette séquence.
Aussi Godard a clairement établi : le cinéaste et le spectateur.
On peut relever deux sources probables qui surent distinguer ce couple auparavant ; le
texte théorique de Michel Mourlet et aussi à travers les écrits du cinéaste485. Dans son
texte dʼorigine —qui était, rappelons-le, la base sur laquelle la phrase du MÉPRIS fut
édifiée—, Michel Mourlet propose :
"Recréer un monde qui à la fois exorcise l'artiste et exauce le spectateur, par une coïncidence
de la volonté de puissance du premier et du désir d'ordre du second au sein d'hantises
486
communes, réconcilier, telle apparaît la fin de l'art."

Ce n'est pas de l'achèvement de lʼart mais de son but, dont parle Michel Mourlet avec
le terme fin de lʼart. On aura reconnu par l'entremise du vocabulaire utilisée de cette
phrase, l'origine nietszchéenne de la citation.
Godard, avec la même distinction, construit la figure de la double interaction.

"Ce double mouvement qui nous projette vers autrui en même temps qu'il nous ramène au fond
487
de nous même, définit physiquement le cinéma."

Comme pour la citation de KING-KONG, Godard décrit un renversement projectif488


dialectique entre ce qui est vivant et ce qui est filmé, mais précisons que le mouvement
peut se produire soit du cinéaste au spectateur (et réciproquement), mais aussi soit par

485
. Ref.18 Les bizarreries de la pudeur. sur NO SAD SONGS FOR ME , de Rudolph Mate, CAHIERS DU
CINÉMA n°8. 01/1952.
Ref.77 Photo d'Aout Septembre sur WILL SUCCESS SPOIL ROCK HUNTER? De Franck TASHLIN.
CAHIERS DU CINÉMA n°74. 08/09/1957.
486
. Michel Mourlet, “Sur un art ignoré”, CAHIERS DU CINÉMA n°98.08/1959.p.28.
487
. Ref.151 Pierrot mon ami. CAHIERS DU CINEMA n°171. 09/1965.
488
. On peut constater que ce que nous décrit JLG : la figure du tore se produit grâce à une double
interaction, (ainsi bouclée autour dʼun sujet). Elle correspond au Mandala indien qui fait circuler lʼénergie

459
un seul sujet percevant, cʼest-à-dire quʼil soit cinéaste seul ou spectateur seul, car ce
nous dont il use, vient se placer comme puissance dʼêtre lʼun des deux,
indifféremment. Ce nous souligne également le caractère dʼidentité des deux
composantes du couple, puisquʼelles peuvent prétendre à entrer dans un jeu de
permutation en se substituant lʼune à lʼautre.
Ainsi lʼadoption de la nature humaine dans les couples déjà en place, apporte des
nouvelles qualités aux actions et interactions. Par exemple, on associera le Voir et
l'Entendre à l'Image puis au Son, ou bien encore filmer (audio-visionner) avec écrire
(parler/inscrire) par rapport au couple Film//Livre.
Aussi l'idée de Godard consiste à faire prévaloir la nature humaine, qui ressort du
couple (cinéaste/spectateur), dans une possibilité de différenciation ou d'association
dont le principe le plus élémentaire de sa représentation sʼavère la différence sexuelle.

LA DIFFÉRENCE SEXUELLE EST, PAR PRINCIPE ONTOLOGIQUE,


LE MINIMA D'UNE REPRESENTATION DE LʼALTÉRITÉ ENTRE DEUX HUMAINS.

Vieux ou jeunes, riches ou pauvres, vivants ou morts… quantités de différences


opposant deux êtres humains constituent les qualités d'un régime d'opposition
dialectique dans le but dʼidentifier intrinsèquement les personnes envisagées. La
différence sexuelle est une différence constitutive. Elle est même la différence
fondatrice de la définition de lʼhumanité. Lʼhétérosexualité est jusquʼà présent
nécessaire, impliquant les deux parties, males et femelles pour la perpétuation de la
race humaine. Nous nous situons dans lʼétude restreinte dʼune anthropologie des
images 489.

COUPLE HOMME / FEMME : LA COPULE SURVIVANTE AU TEMPS

des shakras dans un mouvement de lʼintérieur du corps à lʼextérieur puis circulant de lʼextérieur à
lʼintérieur.
489
. Nous ne prenons pas en compte des développements contemporains ultérieurs (sociologiques),
comme le trouple (trio en couple), lʼéducation et évidemment le problème de la monoparentalité ou de
lʼhomoparentalité.

460
L'homme et la Femme fondent leur essence à partir de cette copulation. "Copuler" peut
s'entendre comme un motif de survie de ce monde. C'est s'assurer la garantie de faire
entrer celui-ci dans une dimension temporelle (la perpétuation).
Ce qui va intéresser plus particulièrement Godard, c'est que le couple H/F soit la
garantie active et dépositaire de la dimension historique de ce monde. Tout autant
selon le régime décrit plus haut par Daney, ils sont également les deux représentants
actifs du domaine audio et visuel, domaine duel constitutif du cinéma.

DÉPOSITAIRE DE LA DIMENSION HISTORIQUE DE CE MONDE.


La désignation spectaculaire de ce monde par le couple homme/femme rend possible
l'instauration d'une temporalité.
L'arrivée de la fiction, dans les rapports de ce couple, vont les doter de pouvoirs
d'actions. La fiction est une délégation du pouvoir d'actions des personnages sur leur
propre monde ; pouvoir sur le temps, comme sur l'espace. Les images de films qui
mettent en scène des femmes et des hommes, et les actions qui vont les assujettir,
seront le commentaire d'autres rapports, ceux de l'image avec le son ou du livre avec
le film.

Si nous prenons donc l'hypothèse de traduire un schéma dialectique fondateur par


l'instauration d'une différence sexuelle. On assiste à une interprétation anthropomorphe
par Godard, des autres rapports de couples. Alors le monde de la fiction est un
fantastique réservoir de commentaires de ces rapports; et l'histoire du cinéma telle qu'il
la conçoit avec ce film et la sélection d'extraits afférents, va être une histoire du cinéma
motivée par une anthropologie des images. On retrouve encore ici le vœu d'Aby
Warburg, qui avait découvert cette vertu interprétative comme possibilité de prendre en
oblique les gestes des hommes et des femmes au-delà du temps 490. Tant que le corps
n'évolue pas, l'homme et la femme restent rivés à leurs besoins et désirs. Hérodote
fonde la naissance de ses histoires aux désirs et enlèvements de femmes dʼune tribu
voisine491. Lʼhomme est voué à reproduire immémorialement les mêmes gestes

490
. Georges Didi-Huberman, L'image survivante. Histoire de l'Art et le temps des fantômes selon Aby
Warburg, Paris, Ed. de Minuit. 2002.p.254.
491
. Hérodote, Histoires, Livre 1, Paris, Ed.Belles Lettres, 1932.p.24. CH1 : ΚΛΕΙΩ (Clio).

461
expressifs. Il étreint les femmes qui deviennent mères, danse avec celles qui sont
désirables et depuis la nuit des temps, tue les autres hommes qui lui sont rivaux.

UNE TENTATIVE ANTHROPOLOGIQUE DU CINÉMA


L'anthropologie filmique s'exprime par la mise en scène d'histoires de rencontres
d'hommes et de femmes qui, par leurs actions, leur associations, leurs différences
fondamentales, fournissent les éléments dialectiques d'un récit492.
Le récit fait d'images dans les HdC représentent, à partir de cette étape, la réalisation
d'un désir narratif, sur les bases d'un linéament composé d'images du couple homme-
femme.
Récit visuel mâtiné du mouvement de leur relation autant que les rapports entre les
différents autres couples. Le couple fondateur, qui regroupe tous les autres on vient de
le définir, est : le monde et le temps. Cet ensemble comporte plusieurs domaines de
définitions lorsquʼon lui rapporte les actions du couple Homme/ Femme. Ils sont au
nombre de quatre en ce début de film.

COUPLE FONDATEUR : TEMPS et MONDE (Espace)


# COUPLE PREMIER : HISTOIRE et CINÉMA
# COUPLE SECOND : LIVRE et FILM
# COUPLE TROISIÈME : SON ET IMAGE
# COUPLE QUATRIÈME : CINÉASTE et SPECTATEUR
Le cinquième couple forme par ses mouvements filmiques une tentative
anthropologique de pouvoir interpréter et commenter les autres rapports.
#CINQUIÈME COUPLE : HOMME et FEMME493

UN EXEMPLE DE RAPPORTS ENTRE COUPLES.


La relation du couple 2 (Image et Son) avec le couple 5 (Homme et Femme) procure
un nouveau rapport, désignée encore sous forme de couple.
# COUPLE 6 (5+2) = Regard et Parole.

492
. Ce récit pourrait même prendre le qualificatif de pictographique.
493
. On rapellera que la distinction sexuelle sʼest retrouvé mise en scène plusieurs fois et de diverses
manières dans lʼœuvre du cinéaste jusquʼà constituer lʼun des titres de ses films : Ref.Film20. MASCULIN
FEMININ. 1966.

462
On constate que même si à lʼintérieur de chacun des couples, ils peuvent procéder à
des interversions, (LʼH à la place de la F, ou le Son à la place de lʼImage), notre
nouveau rapport reste inchangé.

RAPPEL DES GROUPES CONSTITUES


Après cette présentation, il convient de rappeler la suite des groupes constitués :

DESCRIPTION DE LA SEQUENCE 8: GROUPE PAR GROUPE


RAPPEL DES GROUPES :
La phrase est découpée en six groupes :
G1—LE CINÉMA ( : ) Plan 48-53
G2—LE CINÉMA SUBSTITUE… Plan 52B-59
G3—… À NOTRE REGARD… Plan 60-62
G4—… UN MONDE… Plan 63-69
G5—… QUI S'ACCORDE… Plan 70-76
G6—… À NOS DÉSIRS… Plan 77-81

La description ésotérique de la séquence suivante se déroulera en deux parties.


-La première partie va être l'étude de la bande son. Elle doit être établie dans la
continuité de la séquence, car certaines des phrases courrent sur lʼensemble (par delà
les groupes). Il nous a paru donc évident de commencer un recherche significative qui
domine lʼensemble. On le fera à la fin du Groupe 2. Si nous avons opté pour une étude
continue de la bande-son, cʼest parce quʼen plus de sa simplicité en notions
descriptives, cette séquence, est formée selon la figure de la ronde, et rappelons dans
ce cas que lʼétude approfondie du plan par plan ne pourrait nous donner la perception
dʼensemble de la signification de notre séquence.
-La seconde partie procèdera au plan par plan, groupe après groupe impliquant les
extraits de films et d'images choisis, jusqu'aux jeux de leurs interactivités et
conséquences théoriques.

Nous procédons groupe par groupe, car la signification de la disposition des extraits de
films dépend précisément de ces morceaux de phrase inscrits au génétitre,

463
fonctionnant finalement comme titres et sous-titres494 au groupement, justifiant même la
résolution du montage. Comme éléments de montage, il y a à chaque fois une partie
de la phrase, dont le montage visuel peut entrer en corrélation avec dʼautres éléments
filmiques et dont le placement ne sera pas toujours synchrone.
Nous avons fait attention alors de signaler le double sens que la phrase au génétitre
peut apporter : sa signification intrinsèque en tant que partie découpée solitaire (on
lʼappellera titre) et sa signification qui se rapporte à la phrase comprise dans son
ensemble.
Le regroupement constitué alors autour du déroulement de la phrase en cartons
successifs au génétitre —et auquel est associés les éléments visuels (les plans) et
sonores (les bandes sons) correspondants— sera analysé en conclusion de chaque
groupe.

b/ commentaires et descriptions du groupe 1.

Plan 48*. LE CINÉMA. Plan Godard-présentateur.

De nouveau, nous retrouvons un plan tourné en vidéo par JLG. Nous sommes
seulement dans la continuité dʼaction du plan 45, le même personnage effectue les
mêmes gestes mais, de nouveaux éléments interviennent dans la mise en scène.
Godard a changé de costume, il nʼest plus en blanc mais a une veste en tweed et porte
une chemise sans boutons de manchette. De plus il fume le cigare et cette fois-ci, il est
filmé en légère contre-plongée. Le décor diffère aussi par le changement dʼaxe. Il
laisse présager la nature de celui quʼil viendra bientôt habiter : la bibliothèque, car en
fond on voit des livres sur des rayonnages.

Godard-présentateur fume un cigare puis le pose et se met à taper à la machine. Alors


que les autres fois, il lisait ce qu'il écrivait. Cette fois-ci, il se tait. Le silence du
présentateur semble sous-entendre que c'est dorénavant sur l'écran que l'écriture de la
machine sʼexpose.
Alors le carton [LE CINÉMA] apparaît. Nous sommes prévenus (visuellement) pour la
suite de la séquence, du mode dʼexposition de la parole du Godard-narrateur : la

494
. Sous-titre dans l'acception du langage courant (sous-jacent) et non celui spécifique de cinéma.

464
langue de Godard est passée dans les images 495 par l'inscription textuelle (au
génétitre). Cette phrase inscrite est donc bien énoncée par le Godard-narrateur.

Deux nouveaux éléments sont à relever dans la mise en scène, par rapport au plan
déjà décrit du présentateur (plan 36) : LA PHRASE DU MÉPRIS et
LE MOUVEMENT DE PERCHE D'ALPHAVILLE-AMBERSONS

c/ La phrase du Mépris et le mouvement de perche


Elle commence sur ce plan avec le carton [LE CINÉMA]. Le texte, qui va courir sur
l'ensemble de la séquence, est une phrase définissant le cinéma et que Godard
attribuait (faussement)496 à André Bazin lorsqu'il concluait le générique de début du
497
MÉPRIS . La voix-off (puisque cʼétait un générique sonore) après avoir présenté

acteurs et techniciens, concluait au style indirect :

“ANDRÉ BAZIN A DIT :[LE CINÉMA SUBSTITUE À NOTRE REGARD UN MONDE QUI
498
S'ACCORDE À NOS DÉSIRS], LE MÉPRIS EST L'HISTOIRE DE CE DÉSIR”

Pour les HdC, il ne retiendra que la phrase directe, principale entre crochets.

Pour simple remarque, on peut d'ores et déjà noter lʼaffirmation dʼun désir dʼhistoire du
cinéaste en 1963 ; même si celle-ci se borne à lʼhistoire dʼun désir, par le biais de
l'adaptation du roman d'Alberto Moravia499.
On constate, le désir de faire un film sur le monde du cinéma, avec d'un côté, une
transposition réflexive et personnelle du sujet500, et de lʼautre, l'ambition de convoquer

495
. HdC.3a.la monnaie de lʼabsolu. p.86 : La langue d'Ovide et Virgile, de Dante et de Leopardi était
passée dans les images. Procédé par lequel le cinéma italien a survécu nous raconte Godard (nous
soulignons). Et cʼest ce procédé quʼil use quand on découvre au début les proverbes au génétitre.
496
. Il s'agit en vérité, d'une phrase faite de conglomérats d'autres phrases issues du texte critique de
Michel Mourlet, “Sur un art ignoré”, Cahiers du Cinéma, n°98.08/1959.p.24 et p.28. Ce détournement et
l'attribution finale à Bazin est dûe à Godard. Nous avons déjà décrit ce fait.
ème
Supra 2 Partie, CH2. 3/Le principe dʼincorporation.
497
.Voir aussi Ref.Film14.LE MÉPRIS. 1963.
498
. Ref Film 14.LE MÉPRIS. 1963.
499
. Alberto Moravia, Il disprezzo (Le mépris), Paris, Ed.Flammarion.1989.
500
. Lʼintrigue du roman ne se situe pas dans le milieu du cinéma. Godard a donc désiré créer une histoire
sur le cinéma.

465
des figures historiques : Fritz Lang, Brigitte Bardot, la fin des Studios de la Cinecitta501.
De plus, nous avons tenté de produire l'histoire de ce désir (des HdC), à notre mesure,
dans la seconde partie de cette étude.

PROVENANCE INTERNE ET EXTERNE À L'ŒUVRE DE GODARD (1).


Avant d'étudier le fonctionnement de la phrase, —qui entre en concordance, lors du
montage, avec certains des éléments hétérogènes à l'œuvre de Godard—, on peut
observer, en premier lieu, une fois de plus, lʼimplication du contexte initial, d'où la
phrase est tirée.
Sa provenance et sa situation, à l'intérieur même du film LE MÉPRIS, se retrouve
équivalente à peu près dans celle présente dans les HdC : elle est placée en fin de
générique de début. Plus précisément, en 1963, elle se présente comme une ouverture
explicative au film : LE MÉPRIS étant l'histoire de ce désir.
Pareillement, dans les HdC, où la phrase est indicative du désir de Godard à avoir fait
ces Histoire(s), elle vient se placer comme terminaison des séquences introductives.
C'est-à-dire elle est située dans une séquence après celles qui viennent de
correspondre aux liminaires et autres avant-propos.
On peut parier, mu par ce principe d'équivalence, que si le livre des HdC avait été
l'exacte retranscription du film502, cette séquence 8 jouerait une fonction d'exergue telle
que l'on peut l'avoir classiquement, en italiques et en tête de chapitre503.

REGISTRE DU TEMPS
Un premier registre du plan 48 est remarquable, celui du temps, en effet, ce plan
concède une durée de 53 secondes. Cet aspect de persistance temporelle, tout à fait
inhabituel aux standards des durées de plans de ce film, souligne l'importance de ce
que Godard va mettre en scène car cʼest probablement le plan le plus long du film.

501
. À un niveau secondaire, Michel Piccoli en scénariste, Jack Palance en producteur, jusquʼà la propre
incorporation de Godard qui sʼapplique à jouer le rôle ingrat du premier assistant, et enfin des évocations
indirectes de cinéastes [Rossellini, Nick Ray, F.Lang] par la présentation de titres de films comme
« VIAGGIO IN ITALIA » (en frontispice dʼune salle) « JOHNNY GUITAR » et « RANCHO NOTORIOUS »
(cités par Piccoli).
502
. Voir Supra Introduction Générale CH 1.
503
. Ce quʼil indique doublement , on lʼa vu au PLAN 46.

466
REGISTRE DU SON
Ensuite il se distingue dans un second registre : le son. L'intervention dʼun son : depuis
le silence du présentateur et du plan, un grincement arrive. Il nous prévient dʼune
intrusion qui se produit dans l'image. Un microphone, comme mué par une force
invisible504, entre dans le champ. Il va venir lentement se placer devant lʼhomme.
Lʼinstrument occupe d'abord le premier plan, flou, parasitant l'image du présentateur
qui elle est nette, puis la masse imprécise sort du champ. Le bruit, toujours très
présent, est accompagné du prélude dʼun morceau de musique classique505. Celle-ci
vient souligner, par sa douceur, le contraste intrusif. Le son du grincement continue
quand le micro rentre de nouveau dans le cadre. Inexorable, il va au second plan se
plaçant, devant Godard qui n'y prête pas attention. Il se trouve dorénavant ajusté à
l'endroit où tout microphone, qui veut reproduire un son de voix, doit être.
Alors le carton « LE CINÉMA » effectue son inscription à lʼimage.

LA PRÉSENTATION DU PRÉSENTATEUR PAR LUI-MEME


Ce mouvement de micro, s'acheminant vers l'homme, à l'image, face à nous, sʼavère
une mise en scène ayant des précédents historiques dans l'œuvre de JLG. Elle
requiert une importance d'autant plus symbolique que c'est, rappelons-le encore, la
première séquence après le générique liminaire des HdC.

UN MICRO DANS LE CHAMP


—Une lecture exotérique du plan suppose un rappel. Le mouvement dʼun microphone
qui entre dans le champ de l'image est banni pour bon nombre de techniciens
professionnels, qui le considère comme défaut, signe dʼamateurisme, ou encore
comme une transgression des conventions de représentation. Même sur un tournage
d'un film de production documentaire, on doit souvent recommencer une prise lorsque
le micro est entré dans le champ.

504
. Le microphone est placé sur des suspenseurs. La lenteur et la netteté de la trajectoire du mouvement,
qui est effectuée très régulièrement, semble nous indiquer quʼhors champ, il soit rivé sur un pied ; on
notera également quʼil nʼy aura jamais de présence humaine de technicien à lʼimage, alors que Godard
pouvait nous habituer à ce dispositif dans de nombreuses fictions (à lʼinstar du perchman quʼon voyait au
début du MÉPRIS. 1963).
505 ème
. Identifié comme début du 3 mouvement de la Symphonie n°3 dʼArthur Honneger. Cité par Jean-
Louis Leutrat, « Retour sur Histoire(s) [4] », TRAFIC n°73. Printemps 2010.p.82.

467
Cette infraction formelle est l'opération par laquelle le cinéaste se présente à nous et
nous fait face. C'est un paradoxe aussi puisqu'il tente de produire une image de ce qui
par principe est invisible : la parole. Il peut tout au moins filmer le corps émetteur et ce
qui le reproduit, à défaut de ne pouvoir le voir. Filmer l'invisible, filmer ce que reproduit
l'invisible serait la vocation du cinéaste, semble-t-il nous faire admettre, et même du
cinéma en général puisque vient sʼinscrire à ce moment là de la fin du plan, le carton
[LE CINÉMA]. Ce plan introductif nous montre quʼà la place de la parole absente du
cinéaste, lʼimage porte lʼinscription. Il sʼagit donc de rendre visible la parole de lʼauteur.

—Une lecture ésotérique également entreprise, va nous conduire à des conclusions


similaires. Elle implique la connaissance d'autres films de Godard, et suite à ce qui a
été noté, on soutiendra que la transgression formelle est une opération par laquelle il
s'est déjà présenté, lorsqu'il a acquis, à ses débuts, sa notoriété de cinéaste. On se
souvient que son premier long métrage, reprenait, avec une application systématique,
les transgressions formelles audiovisuelles intuitives de Nicholas Ray au niveau du
montage. En effet, Le premier film de Godard contient de part en part des faux-
raccords, comme si ce défaut, parce quʼassumé, devenait une marque de son style. À
ce sujet, on peut le comparer à Jackson Pollock peintre de l'abstraction lyrique avec
son geste du dripping : Il sʼagit de justifier un geste qui était a priori maladroit et, de fait,
devient une technique avec ses propres règles506.
De plus, Godard n'a pas attendu non plus de réaliser les HdC, pour que la convention
de la transparence cinématographique soit mise à jour. Le cinéma devenait un artefact
visible en révélant son dispositif, car il filmait les manipulations dʼappareils de
reproduction d'images et de sons.
Ainsi dès le générique dʼorigine, du MÉPRIS, nous voyons une équipe technique du
son accompagner le chariot de travelling avec la perche caractéristique.
Aussi dans ce plan 48, précisément, Godard reprend une des idées de mise en scène
dʼALPHAVILLE507 : mettre à l'image un microphone au mouvement autonome qui vient

506
. Ref.gz7. Critique de The Land (Robert Flaherty), Gazette du Cinéma n°2 (signé Hans Lucas).1950.
Selon ce principe, celui dʼapproprier des éléments hétérogènes non prévus, au processus créatif, et qui
interviennent pendant le tournage ou montage, on retrouve des motivations similaires chez Flaherty,
Welles et Cocteau.
507
. Ref.Film18. ALPHAVILLE. 1965. La machine Alpha 60, pour lʼinterrogatoire de Lemmy Caution, déploie
plusieurs microphones autour du personnage, les mouvements tentaculaires procèdent par allers-retours.
Hormis lʼabsence de multiplicité dans les HdC, cette correspondance est notable par lʼallure des

468
doucement vers l'homme, au moment précis où le héros est sommé de répondre à des
questions interrogeant son identité. Ce micro, qui s'avance vers Godard-présentateur
sous la réminiscence d'ALPHAVILLE, insinue que l'auteur va procéder lui aussi au
déclinement de son identité.

C'est parce qu'il existe aussi dans l'histoire du cinéma, hors de lʼœuvre de Godard, une
figure esthétique qui associe l'espace sonore avec l'identité de l'auteur, que nous nous
permettons dʼaffirmer cette description significative : la technique cinématographique
consiste à assimiler (par montage) la parole de l'auteur au principe constitutif de son
identité. La parole du cinéaste évoque lʼessence de son être.

PAROLES DE CINÉASTES SOUS FORMES ESSENTIELLES


Le plan 48 démontre que parmi tous les éléments de représentations, la parole du
cinéaste reste primordiale à son image, à ses gestes. Son image simulatrice, ne peut
que montrer un corps parader devant lʼoutil reproducteur, par conséquent c'est à
travers le processus de la reproduction que la parole de Godard fondera son existence
filmique. Lʼutlisation de sa voix-off si caractéristique est une des constantes esthétiques
majeures de ses fictions 508. On peut citer, à lʼoccasion certains de ses films auto-
réflexifs 509dont lʼaction se déroule précisément dans un décor dʼauditorium510.
Aussi par ce procédé formel d'une identité de parole, Godard nous montre sa filiation
avec les cinéastes qui utilisaient leurs propres voix (afin de se faire reconnaître).
La figure de la parole est prépondérante aux autres éléments filmiques. La place de la
voix comme signature du cinéaste, comme identité même de ce qu'ils sont : SACHA
GUITRY, ORSON WELLES, JEAN COCTEAU, MARGUERITE DURAS et MARCEL
511
PAGNOL .

mouvements et du type de microphones employés (microphone pour auditorium, doté de suspenseurs et


plutot volumineux).
508
. Ref.Film18. ALPHAVILLE. 1965. Voir §filmer les éléments de reproduction du son comme technique
cinématographique de définition.
509
. Cʼest-à-dire des films qui peuvent se définir comme des documentaires réflexifs devant sa propre
œuvre. quel est ce film autoreflexif? IL sʼagit de faire un film avec la matière de ses films précédents.
Ceux-ci tentent de réfléchir sur le dispositif cinématographique produit par ses propres films. On retrouve
des essais dʼautoreflexivité dans les films de Jean-Daniel Pollet, de Marguerite Duras ou encore Jonas
Makas.
510
. Ref.Film49C. SCÉNARIO DU FILM PASSION. 1982. Ref.Film52 PETITES NOTES A PROPOS DE JE
VOUS SALUE MARIE. 1983.
511
. Jean Cocteau, utilise systématiquement sa voix en off, sur d'autres images de personnes parlantes, la
voix possède d'autres corps que le sien. Hormis Welles les quatre autres français ont déjà été identifiés

469
Ce procédé formel se concrétise dans le mouvement d'une perche qui va au fond d'un
plan. Et l'on a vu précédemment sa filiation historique à l'intérieur (ALPHAVILLE)
comme à l'extérieur de son œuvre avec THE MAGNIFICENT AMBERSONS512.

Pour poursuivre dans la description de cette séquence, il convient de comprendre en


quoi la phrase de Mourlet est au cœur de sa réflexion. On notera, tout de même que le
Plan 48, se servant dʼune partie du générique du MÉPRIS, le transforme sous une
forme écrite. La parole effective de Godard peut ainsi passer dans les images, et
devenir écriture. Cʼest lʼinscription sur lʼécran, par cartons interposés, de la parole du
Godard-narrateur, que nous avions déjà décrite.

d/ commentaires et descriptions du groupe 1. (Reprise)

Plan 49*
Le plan 49 survient en cut, le génétitre LE CINÉMA est toujours là, persistant au
changement de plan (c'est donc l'image en fond qui change). Lʼécriteau se maintient
pendant que les images passent.
Ce système d'apparition persistante sera identique pour tous les autres groupes et
concède de fait une primauté à ce qui est écrit.
Ce qui vient après Godard-présentateur provient d'un extrait d'un film de Gangsters :
513
THE RISE AND FALL OF LEGS DIAMONDS .

Ce plan est monté en alternance avec d'autres images, il fonctionne comme champ et
reviendra, en tant que plan 49b. Ses contrechamps seront les plans 50 et 51.

comme cinéaste-écrivains. Marcel Pagnol et Jean Cocteau ne sont pas reconnus pour leur voix mais pour
laisser une place importante à la parole dans leurs films.
512
. Voir §Liaisons historiques des auteurs par la parole : Guitry, Welles, Godard. Ref.Film14 LE MÉPRIS.
1963. Dernier plan du film de Welles : Une perche disparaît au fond de lʼécran, sur la voix de Welles : This
is a Mercury Production, and my name is Orson Welles. André S. Labarthe concluait son article sur le film
en relevant le caractère fantomatique du dispositif vocal et argumentant, à notre instar, de la double valeur
de lʼauteur, Godard (présentateur/narrateur) : « Ce nʼest plus Welles qui parle dans le dernier plan des
Amberson, cʼest son fantôme. Et que dit ce fantôme ? Il parle par-delà la mort dʼun certain Orson Welles,
son double : My name, dit-il, is Orson Welles. »
André S Labarthe, « My name is Orson Welles », CAHIERS DU CINÉMA n°117. 03/1961. p.24.

470
Il occupe, dans ce système, la même fonction distributrice que nous avions décrite
pour le Godard-présentateur dont les plans qui lʼencadrent (plans 48 et 52) font partie.
Dans lʼorganisation du montage, le temps de quelques plans, le plan de lʼimage du
gangster se substitue au plan où lʼimage de Godard réside. Il nous reste à interpréter
comme lʼon souhaite ce parallèle de cinéaste les armes à la main, comme pouvait le
suggérer JLG :
« comparer le film à une opération de commando est, à tous les points de vue, financier,
économique, et artistique, la meilleure image, le meilleur symbole de ce qu'est un film dans sa
514
totalité. »
Montrons le déroulement des 7 plans du Groupe 1 :
[ 49(R&F) - 50- 49b(R&F) - 51- 52(JLG) - 52b(noir) - 53(JLG)]

Le plan 49 (et 49b donc) proviennent d'un film noir et blanc, l'image est ralentie, elle
cadre en contre-plongée un homme, habillé en costume et chapeau de gangster
années 30 et qui tient une mitraillette Thompson (camembert) tire devant lui, de façon
panoramique arrosant devant lui sur un arc de 120° de gauche à droite. Ce geste
panoramique a dû probablement intéresser Godard car il voyait en lui son pouvoir
distributeur. Le ralenti et l'absence du son référent à l'image, confère à la mitraillette
une allure presque féerique, arme crachant un feu qui semble être constant. Lʼimage
de lʼarme vient confirmer ce que lʼon entendait depuis le début, créant une
correspondance sonore entre lʼarme et la machine à écrire515. Le contre-champ
correspond à ce que le personnage voit devant, ce sur quoi il tire, ses cibles, ses
victimes ou ennemis potentiels. Nous essayerons de dégager un sens global du
groupe seulement une fois fini la description de tous les plans qui composent ce
champ/contre-champ.

Le climat de guerre que nous avons ultérieurement relevé quant à l'exercice du


cinéma, vient pour la première fois dans ce film faire son apparition, Le cinéma (ce qui
est inscrit) et le cinéaste (par jeu du montage) seraient donc représentés par un
gangster qui tire avec sa mitraillette. Rappelons que, succédant au plan de Godard-

513
. Bud Boetticher, THE RISE AND FALL OF LEGS DIAMONDS (La chute d'un caïd, 1960).
514
. Ref.302. Parlons de Pierrot. Entretien JLG sur Pierrot le Fou. CAHIERS DU CINÉMA. n°171. 10/1965.
515
. Cʼest parce que le son référent de cette mitraillette est absent que lʼanalogie du son déflagrant de la
machine à écrire se révèle.

471
présentateur, ils sʼavèrent tous deux cadrés à peu près dans la même valeur de plan
américain. De plus, nous avions déjà noté, avec KING-KONG, le parallèle entre la
machine à faire feu et la caméra. Il y a donc une identification triangulaire avec le
cinéaste. Le contre-champ devrait correspondre à ce vers quoi il filme, ou écrit.

RISE AND FALL (GRANDEUR ET DÉCADENCE)


Le film de Boetticher, rien que par l'éloquence de son titre, détient déjà une référence
(interne) au cinéma516. Sa situation est panoramique en mouvement, et centrale de plan
référent sur lequel les images reviennent. Comme il se positionne en distributeur de
tous les autres, il faut maintenant décrire les deux plans auxquels le gangster fait feu
avanr de procéder à la continuité de sa description.

Plan 50.
Le plan 50, premier contrechamp sur quoi le gangster fait feu, est une photographie
prise du film d'aventure exotique : LE TOMBEAU HINDOU517.
Le gangster ouvre le feu sur : des lépreux qui ont été enfermés par un Maharadjah
dans les sous-sols dédalesques de son palais, et sur lesquels tombent, sans le vouloir,
l'architecte allemand et avant lui, sa sœur, qu'il sauve in extremis de leur emprise.
La photo fait référence à une des séquences les plus spectaculaires du film de Lang.
On se souvient que cʼest par hasard quʼelle entre dans cette salle et il y a un temps
dʼacclimatation à lʼhorreur quʼelle découvre qui reste dans toutes les mémoires des
cinéphiles 518. Teruo Ishii, réalisateur japonais spécialisé dans les films dʼhorreur et
érotique, affirmait dʼailleurs que cette séquence se situait précisément comme le
versant négatif de la danse sacrée de Debra Paget (le climax du film). Parallèle de
lʼitinéraire de deux femmes seules face à une foule519. Nous verrons plus tard sʼil on
peut attribuer une correspondance avec le public dʼune salle de cinéma telle que
semblent le décrire le décor et lʼattitude de la jeune femme.

516
. Ce titre, si l'on reconnaît l'extrait bien sûr, on le voit, se retrouve en liaison directe avec un film sur le
cinéma que Godard a réalisé. Ref.Film56. GRANDEUR ET DÉCADENCE D'UN PETIT COMMERCE DE
CINÉMA. 1986.
517
. Fritz Lang, DAS INDISCHE GRABMAL (Le tombeau hindou, 1958).
518
. A cela sʼajoute un véritable effet de surprise car on découvre, autant quʼelle, ces lépreux qui nʼavaient
été auparavant seulement évoqués dans un dialogue.
519
. J-Taro Sugisaku, Takeshi Uechi,« Teruo Ishii Interview », Toeiʼs bad girl films album, Tokyo, Hot Wax
Publishing n°Hors-série.1999. p.233.

472
Dʼun point de vue exotérique, si lʼon ne reconnaît pas lʼextrait, ces lépreux peuvent être
identifiés comme un groupe questionnant la condition humaine, figures comparables
aux Zombis des films de genre Gore rénovés par Romero520.
Le zombi, comme le spectre, est un personnage que le cinéma a (ré-)inventé. Il
représente une incarnation possible, dont une de ses propriétés, sʼavère celle réflexive
du dispositif cinématographique521 Les zombis, nous lʼavons déjà établi522, peuvent
représenter le double fictif du public du cinéma (quʼil soit passif ou cinéphile). Ils ont de
multiples propriétés filmiques qu'on retrouve systématiquement dans chaque long-
métrage appartenant au genre. Ils obéissent selon la même chorégraphie : Ils sont
souvent placés en ligne, ont lʼéchine courbées et leur mine sépulcrale, dont les yeux
sont éteints, se fait menaçante. ils ne sont pas doués de paroles et se déplacent en
meute, en groupe, incarnation grégaire sans relever d'une quelconque initiative
individuelle. Ils ont la particularité, à l'instar du film de Lang, de ne progresser que très
lentement mais leur avancée vers leur victime s'avère toujours inexorable. Mués par un
véritable tropisme d'où le caractère effrayant de l'étreinte collective de cette assemblée
lorsqu'elle menace et qui ne conserve de l'humain que l'apparence putride523. La meute
humaine anonyme chez Lang avait déjà été développée. On se souvient, dans
METROPOLIS524, comment la foule des ouvriers, avançant en ligne, têtes baissées,
lessivés par une journée de travail, sortant de lʼascenseur à lʼheure de la relève,
pouvait évoquer le même zombi.

Ce premier champ/contrechamp présent dans le montage du film vient à interroger sa


nature hétérogène, puisquʼà la fixité d'une photographie répond au mouvement ralentie
du film. Aussi sous cette hétérogénéité apparente des deux éléments, se révèle en fait

520
. Georges A. Romero, THE NIGHT OF THE LIVING DEAD (La nuit des morts-vivants, 1969) et DAWN
OF THE DEAD (Zombie, 1973). Rénovation car il y eu avant guerre le film-matrice du genre de Victor
Halperin, WHITE ZOMBIE. 1932.
521
. Jean Louis Schefer, Du monde et du mouvement des images, Paris, Ed. Cahiers du cinéma.2004.p.23.
Jean-Louis Leutrat, De la vie des fantômes, Paris, Ed. de lʼétoile, 1997.p.139.
522
. Supra 2ème Partie. CH.3. 1/ Prédéterminations du désir : figures du cinéphile.
523
. Cette description peut évidemment faire référence, comme cela a été déjà fait, aux images des
déportés de la Shoah, à la sortie des camps de concentration dont le regard hagard autant que lʼaspect
physique interpele sur la question même de lʼespèce humaine. Jean-Louis Leutrat, « Retour sur Histoire(s)
[4] », TRAFIC n°73. Printemps 2010.p.88. Jean-François Rauger, « George Romero, présentation de la
rétrospective», Catalogue Cinémathèque française. Décembre 2001.
524
. Fritz Lang, METROPOLIS, 1922.

473
un statut homogène car tous deux, en noir et blanc, ne sont après tout que des
reproductions de reproduction.

REPRODUCTIONS DE REPRODUCTION
Faisant disparaître leurs différences d'origine, ils laissent place à leur état présent,
celles d'être des éléments reproduits, dans une matière (la vidéo) dont il est dépourvus
à l'avance, que ce soit la photographie (filmée) ou encore un extrait de film (en vidéo),
comme d'ailleurs toute autre matière importée des images de l'histoire et étant
introduite dans ce nouveau milieu. Godard voyait dans ce processus, la confirmation
du choix de faire son film sur ce support525.
Bien sûr, il y a une différence de qualité des reproductions, l'extrait filmique pour sa
part, obtient la qualité dʼun mouvement d'origine (dʼailleurs décomposé), mais ce que
nous voulons affirmer : c'est qu'il n'y a pas de différence de nature. Dès que l'on
considère la photographie, (particulièrement lorsqu'elle est tirée du photogramme) au
même titre que l'extrait de film, produit par le télécinéma, comme une deuxième
génération dans la reproduction visuelle.

•Le film reproduit la réalité (du tournage)


(1ère reproduction, 1ère génération d'image)
•La retirage photographique d'un photogramme
ou le télécinéma d'un extrait, reproduisent le film.
(2ème reproduction, 2ème génération)

D'une photo fixe, évidemment on peut toujours s'interroger sur le choix qu'a fait Godard
de privilégier cette matière pour pouvoir construire son montage. En cela, il ne faut pas
oublier que dès le début, il y a le désir de faire histoire et ainsi de vouloir se mettre en
rivalité avec le support qui fait autorité : le livre (dont son instance visuelle s'avère être
justement la reproduction photographique) ; or faut-il remarquer également, lorsque les

525
Ref.184. Jean-Luc Godard, Youssef Ishaghpour, Archéologie du cinéma et mémoire du siècle
(dialogue), Tours, Ed. Farrago, 2000.p.84. Même la vidéo quand on l'utilise comme archive présente des
signes d'ancienneté, signe qu'elle appartient autant à l'histoire que le portrait peint ou bien encore le linge
de Véronique.

474
HdC n'étaient qu'un projet (intitulé encore Pictures in Motion526), que cela devra être
une causerie, à partir de photos surtout, de moments dʼarrêtés, de reste d'étoiles527.
On peut même deviner, selon cette logique de causerie à partir de photos que son
projet pouvait sʼapparenter à lʼadaptation vidéo de ces livres-photos dʼhistoire du
cinéma, grand format, qui sont très populaires aux Etats-Unis 528.

Plan 51.
C'est le deuxième contrechamp sur lequel le gangster fait feu.
Il se met en position et tire sur un homme qui court sur un toit.
Le plan est fixe et provient d'une photographie en noir et blanc de Poudovkine lors des
exercices de films sans caméra.

Lʼune des conséquences de la première guerre Mondiale en URSS, fut lʼarrêt des
importations comme de la fabrication de la pellicule cinéma, or cela provoqua
Poudovkine et quelques autres réalisateurs à faire des films sans caméra529.

Au niveau d'une interprétation exotérique, l'utilisation de cette image pourrait être liée à
sa signification iconographique à raison d'un homme tout en blanc sur un toit qui aurait
l'air de s'enfuir, de s'évader ou d'être rescapé de quelque chose. Or si cette image
répond au gangster Diamond Legs, cʼest sa propriété d'échapper à la pluie de balles
qui apparaît. Le personnage pourrait être comme le double répondant à la solitude du
gangster dans le plan. Cette dualité peut également produire une ressemblance avec

526
. Pictures in Motion (trad: Images en mouvement) est le titre d'un des projets américains des HdC, basé
essentiellement sur le montage de photographies comme le note Michael Witt, “Genèse d'une véritable
histoire du cinéma”, Jean-Luc Godard- DOCUMENTS, Paris, Ed.Centre Beaubourg, 2006. p.271.
527
. (Nous soulignons) Danièle Heymann, “Le cinéma meurt, vive le cinéma!”(entretien avec JLG), LE
MONDE, 30/12/1987.p.10.
528
.Un livre, comme par exemple celui de Daniel Blum, A Pictorial History of the Silent Screen, New-York,
G.P. Putnamʼs Sons Publishing, 1957. Est composé principalement de photographies ordonnées
chronologiquement. Cʼest ce genre de livre dʼailleurs qui est montré au tout début du film A JOURNEY
THROUGH AMERICAN CINÉMA (TV, 1995) de Martin Scorcese, où ce dernier raconte comment ce livre a
été la base de son désir de connaissance du cinéma et par conséquent de son histoire en film, comment il
allait le consulter en bibliothèque et comment parfois il ne pouvait résister (à son désir) dʼen voler des
images. Ce film pourrait être considéré comme la version hollywoodienne des HdC, avec un désir plus
pédégogique de la part du cinéaste américain mais cʼest tout de même une version subjective de lʼhistoire
du cinéma américain, où lʼauteur Scorcese nʼhésite pas à dire « je ».
529 ème
Georges Sadoul, Histoire générale du Cinéma, Paris, Ed. J'ai Lu.1964.p.105. Voir aussi note 6 (2
Partie).

475
lʼhomme en fuite du début célèbre de VERTIGO530. Les deux sont en blanc, sans veste,
cravatés et parcourent les toits.

Plan 52 (et 53 qui démarre le groupe 2)


Le plan réintroduit Godard-présentateur et signale que nous passons à une nouvelle
étape. Répétition de l'image du présentateur qui s'accorde avec la répétition du mot
cinéma.

Plan 52b Plan Noir

Tentative d'analyse du groupe 1 (plans 48-53)


La répétition du mot CINEMA, consacrant la phrase dès son début, va générer un titre
auquel se rattache la phrase de définition. Aussi cette première partie est peut-être
plus importante pour elle-même, au sens intrinsèque du CINÉMA tel qu'il se définit.
Il faut prendre cette répétition à la lettre, cʼest-à-dire selon une lecture typographique
suivante :

LE CINÉMA : LE CINÉMA SUBSTITUE...


Le groupe 1 est une tentative d'intituler la définition de ce qu'est le cinéma.

De plus ce groupe n'est pas lié musicalement avec le reste des groupes qui suivent.
On observe sur la bande-son que la Symphonie n°3 dʼHonegger qui avait commencé
dès le début du groupe 1 sʼachève brusquement pour laisser place à un autre morceau
de musique : un quatuor à cordes de Beethoven531.
Le cinéma serait donc à l'image d'un cinéaste-gangster, d'un homme portant un fusil-
mitrailleur et tirant soit sur une population lépreuse, recluse, déjà contaminée, voire
déjà-morte (le public), soit sur un seul rescapé de cette condition : un seul homme, un
double, un autre cinéaste (Poudovkine), arriverait à s'en échapper. Les deux plans du
contre-champ s'opposent également entre eux sous plusieurs régimes visuels
signifiants.

530
. Alfred Hitchcock, VERTIGO (Sueurs froides, 1958).
531
. Quatuor à cordes n°10, op.74.(1809) de Ludwig Van Beethoven. Cité par Jean-Louis Leutrat, « Retour
sur Histoire(s) [4] », TRAFIC n°73. Printemps 2010.p.89.

476
Plan 50 Plan 51
Foule, Multitude Homme seul, Solitude
Hommes, Femmes, Jeunes, Vieux Homme moyen
Sous-sol, Terre Sur les toits, Air
Zombis (Morts-vivants)(vêtements en lambeaux) Homme habillé de blanc
Stagnation, Entropie, Inertie, Passivité Évasion, Rapidité, Déplacement, Activité
Imaginaire symbolique Lang Allemand Réel Poudovkine Russe
Public Cinéaste

Cette opposition vient renforcer lʼimage du gangster comme pôle.

LE CINÉMA CʼEST SHOOTER TOUT CE QUI BOUGE.

Le public serait les victimes expiatoires. Le film serait alors envisagé comme œuvre de
la résolution du Mal, exécution dʼun rituel sacrificatoire. Rappelons que l'une des
définitions qui parcourt le film est de considérer le cinéma comme un mystère532.
Le spectacle du Mystère fut, avant que cela ne soit au Moyen-âge un terme pour la
représentation des scènes de la vie du Christ (son imitation). Les Mystères (Rites
dʼEleusis par exemple) correspondaient au spectacle dʼun rite caché, celui du
fondement de la Tradition, cʼest-à-dire la Connaissance, que le non-initié ne pouvait et
ne peut savoir, et dont le mythe orphique (les initiés sont en blancs) ou encore la
naissance de la tragédie (le chant du bouc) prennent ici leur source533.

Est-ce les spectateurs enfermés dans la salle de cinéma ? ou bien encore les
cinéphiles qui, contractant une endémie (la cinéphilie), sont reclus et mis en
quarantaine, devenant zombis534. Alors seul le cinéaste peut échapper au
spectacle/massacre de la mitraillette. Est-ce lui-même sous une autre image ?

532
. HdC.2b.fatale beauté. pp. 154-155, 157. « Ni un art, ni une technique, un mystère. »
533
. René Guénon, Le symbolisme de la croix, (1929), Paris, Ed. U.G.E. 10/18.1973.pp . 83-84/123 et 251.
Jean Douchet cite également les rites orphiques pour le film VERTIGO.
534
. Daney utilise ce terme lorsqu'il tente de définir son activité de cinéphile : "Nous vivions comme de
véritables zombis, nous ne vivions que pour aller voir des films." Serge Daney, Itinéraire d'un Ciné-fils,
entretien avec Régis Debray, réalisé par Dominique Rabourdin et Pierre-André Boutang, Ed.
ème
Montparnasse. (1992). Supra 2 Partie. CH.3. 1/ Prédéterminations du désir : figures du cinéphile.

477
Il y a l'analogie simple sur laquelle Godard a déjà fait un jeu sonore, celui du fusil-
mitrailleur avec la machine à écrire535. Rappelons que le cinéaste armé, avait été déjà
implicitement évoqué au plan 47 (KING-KONG). To Shoot, en anglais signifiant filmer
autant que tirer avec une arme à feu. On peut dresser une communauté d'actes entre
le cinéaste et le tireur : Il y a la vision, la visée aussi, il y a la désignation de quelquʼun
ou de quelque chose, afin d'en obtenir la vie ou l'image reproduite de sa vie536.
La conception du cinéma qu'André S.Labarthe a formulée, peut argumenter sur ce
nouveau principe. Face aux différentes conceptions qui ont été produites avant lui, il
propose une nouvelle dualité de couples de cinéastes :

"Il y a d'abord la distinction classique, celle de Langlois, usuelle, qui définit le cinéma en rapport
avec ses inventeurs, la première étant LUMIÈRE/MÉLIÈS, distinguant ainsi le cinéma
537
documentaire face à la fiction, le réel face à l'imaginaire . (…) Il y a celle de Godard qui
oppose la rentabilité du commerce face à l'invention sans avenir, c'est EDISON face à
LUMIÈRE. (…) Et bien, je me permets d'en proposer une nouvelle, qui serait l'opposition entre
les chasseurs et les piégeurs, cʼest-à-dire entre MAREY et LUMIÈRE. Marey avec son fusil
chronophotographique (…) part en chasse de ce que le cinéma peut offrir, (…) et Lumière qui
lui dispose des pièges, pose sa caméra, (…), il attends que le réel donne ce qu'il a à donner,
(…) aussi cʼest la distinction dans lʼattitude du cinéaste face au réel, soit il guette, attend soit il
part agit vise. Dans la première partie on peut mettre des cinéastes comme Kubrick, Ophuls, et
même Pasolini, qui font action d'aller vers ce qu'ils croient comme vérité du plan, alors que la
seconde partie on a des cinéastes “patients” qui attendent comme Bresson, Straub, Duras ou
bien sûr Garrel, afin que le réel produise en temps donné l'accident, accident duquel la vérité
538
surviendra toujours."

535
. PLAN 13.
536
. On peut se souvenir du début du film de Fritz Lang, MAN HUNT. 1941, où un plan montre la visée
téléobjective dʼune lunette dʼun chasseur qui vise Hitler, et cherche à appuyer sur la détente, comme la
réunion de notre opposition.
537
. Labarthe en projetant dans cette conférence le documentaire "Les Frères Lumière" d'Eric Rohmer,
rappelle que cette dialectique, a été inversée par Langlois. Il ne conteste pas les composantes du couple
mais en inverse le principe : mettant plutôt l'Imaginaire du côté de Lumière, ("la vue des champs-Elysée
est plus proche de ce que décrit Proust") et le Réel du côté de Méliès ("On comprend mieux la mentalité
de ce que pouvaient penser les gens à cette époque. Les films de Méliès sont d'une certaine manière,
beaucoup plus utile pour savoir la réalité de cette époque à partir des fantasmes de la population quʼil se
proposait de mettre en scène". JEANNE D'ARC, L'UBIQUITE, VOYAGER SUR LA LUNE etc…)
538
. André S. Labarthe, Intervention à l'Université Paris VIII, Saint-Denis, Inédit, 1994.

478
Aussi la figure de Marey chasseur désigne le cinéaste comme un homme portant une
arme à feu. Il peut d'une certaine manière indiquer l'une des possibilités de définitions
du cinéma, soit à partir du cinéaste, soit à partir de l'interrogation qu'est-ce qu'un film ?
Ce qui sera un peu plus tard développé dans les HdC (plan 159), lorsque JLG attribue
la sentence de Griffith, FILM IS : A GIRL AND A GUN539.
On pourra constater précisément de la valeur symbolique de lʼustensile. Le symbole
phallique soit de la caméra ou soit de l'arme à feu (peut-être plus encore quand c'est
une arme de poing) que peut constituer l'homme (ou la femme) avec une arme à feu.
Cʼest dans ce sens que faisait remarquer Godard quand il démonte les origines de
l'invention du plan Américain, qui provient contextuellement des tournages de
Westerns, où l'on élargit le plan Taille pour filmer lʼarme dans son étui mais aussi pour
pouvoir filmer à hauteur de sexe540.
Or pour conclure sur cette partie, lʼanalogie se trouve renforcée dans son
argumentation lorsque lʼon considère le mot SHOOT. Il se retrouve comme point
d'origine dans VIVRE SA VIE541, qui justement indiquait que ce parallèle n'est pas
seulement duel mais concerne en réalité un réseau d'expressions beaucoup plus
vaste.

De plus si lʼon prolonge lʼapplication du choix de Godard dans lʼidentification avec la


figure Diamond Legs, on peut signaler que la personnalité de ce bandit à travers la
narration du film fournit quelques parallèles avec le cinéaste pour le moins frappants.
Diamond Legs est autonome. Il sait travailler seul. Cʼest un voleur, dont un des alibis
est dʼêtre dans une salle de cinéma ; (il en sort et rentre en catimini pour commettre
son forfait). De plus son domaine de compétence en matière de larcins sʼavère le plus
souvent du Copycat, cʼest-à-dire quʼil ne sʼattaque à voler que des voleurs, voler les
professionnels de la profession542 pourrait-t-on ajouter, comme dans ces HdC, où
Godard filme les filmeurs.

539
. PLAN 159.
540
. HdC.2b.fatale beauté. p.140: “ et le plan américain/ le cadrage à hauteur de ceinture/cʼétait pour le
revolver/donc le sexe/mais celui de lʼhomme (…).”
541
. Ref.Film10.VIVRE SA VIE. Une partie spéciale y est consacrée.
542
. Le terme « professionnels de la profession » est une expression ironique inventée par Godard lors de
la cérémonie de la remise dʼun César dʼhonneur (le récompensant pour lʼensemble de sa carrière) le 7
Mars 1987. Elle est restée célèbre et même utilisée lorsquʼon veut parler péjorativement du « milieu du
cinéma ».

479
F/ GROUPE 2 (de la séquence 8). LE CINÉMA SUBSTITUE (PLANS 53-59)

La Phrase de définition (décomposée en groupes) commence avec le Groupe 2543. Elle


prend le fil de son rythme d'apparition-disparition, car deux pistes sons débutent et vont
courir sur l'ensemble du réseau des groupes jusquʼau dernier. Toutes deux composent
donc la bande-son de toute notre séquence. L'une est musicale : un quatuor de
Beethoven544, l'autre reproduit des voix dʼun film L'ANNÉE DERNIÈRE À MARIENBAD545.
Même si à lʼorigine il y a une voix-off dans cette fiction, nous ne verrons aucune des
images qui sʼy référaient.
Précisément, la musique commence au Plan 53 et les voix au plan 54. C'est par souci
de comprendre sa cohérence que nous allons d'abord étudier la piste son dans sa
totalité, avant de la faire rejoindre dans les séquences la place qu'elle occupe.

a/ Description de la Séquence 8 :
ETUDE DE LA PISTE SON “MARIENBAD” DÉROULÉE SUR LA SÉQUENCE 8
L'extrait cinématographique sonore orchestré par Godard prend une valeur plus dense
et plus dangereuse car plus conséquente. Le premier extrait de bande-son de film546
s'avérait être le film de Renoir BOUDU mais le traitement que la table de montage par
ses brusques arrêts, allers-retours infligeait au dialogue, empêchait une bonne
appréhension et la transformait en une bande ambiance bruitages de machine
magnétique et mécanique. Seules quelques déjections, bribes de mots issus du
maëlstrom sonore parvenaient au spectateur et ne présentaient pas en discours
organisé comme celui maintenant de MARIENBAD547.
Maintenant dans la séquence 8, arrive cet extrait d'un film : MARIENBAD, où le moment
sélectionné dans la fiction installe principalement une voix d'homme qui parle à une
femme, il s'agit de Delphine Seyrig écoutant l'acteur Giorgio Albertazzi, dont la voix

543
. Tel que nous lʼavons décrit, le carton du premier groupe (LE CINÉMA) intitulait et posait la question, du
domaine dans lequel la phrase va répondre, commençant son déroulé avec G2.
544
. Quatuor à cordes n°10, op.74.(1809) de Ludwig Van Beethoven. Cité par Jean-Louis Leutrat, « Retour
sur Histoire(s) [4] », TRAFIC n°73. Printemps 2010.p.89
545
. Alain Resnais, L'ANNÉE DERNIÈRE À MARIENBAD, 1961.
546
. Extrait cinématographique sonore et extrait de bande-son de film qui n'ont qu'une petite différence de
qualité : si c'est un film il sera par principe reconnu par sa bande-son, sinon cela restera un extrait
cinématographique, car même si l'on ne reconnaît pas le titre d'un film présent au son, il conserve toutefois
une tessiture très caractéristique.
547
. Le nom de la ville MARIENBAD suffit pour que le film de Resnais soit désigné.

480
procure une impression ambiguë : à la fois, sa tessiture est rugueuse et les intonations
liées à son accent italien sont chantantes.

Cette bande-son défaite de son référent visuel, adopte un statut autonome et permet
au spectateur une écoute plus précise, grâce à ce procédé de mise en scène. Sans
images, l'autonomie dramatise la voix incontestablement.
LA VOIX CRÉANT UNE PRÉSENCE INVISIBLE.
Le contenu alors des paroles de ce personnage de MARIENBAD, dont on ne verra
jamais le visage, se met en rapport avec l'énoncé des rapports de couples décrits
précédemment. D'une certaine manière l'invisibilité de sa présence le fait se substituer
à la voix du (Godard-)narrateur, la voix de l'historien-cinéaste.
Aussi rapporte-t-il même une nouvelle appréciation, un nouveau rapport jusqu'à la
fondation de la copule dont il fait partie.

LA VOIX DE L'HOMME DE MARIENBAD : UN NOUVEAU NARRATEUR.


Qu'est-ce que la voix-off raconte ? Elle est plaintive548, l'homme se souvient d'une
femme et hormis le parfum, c'est de son image qu'il s'agit et dont il procède à la
description, fidélité figée. On retrouve une double interaction, produit par le regard du
regard, puisqu'il regarde une femme, qui elle regardait l'allée :
[Vous regardiez vers l'allée centrale. Je me suis avancé vers vous et je me suis arrêté à une
certaine distance et je vous ai regardée... ].(Plans 62-65)
[Vous vous étiez retourné vers moi maintenant] (Noir entre 65-66)
[Pourtant vous ne pouviez me voir] (Plan 66)
Mais à partir du moment où l'on comprend qu'elle ne peut pas le voir, la narration mise
en place par Alain Resnais, dans cet extrait, filme un homme ayant une supériorité de
vision sur une femme, (il épie sans être vu une femme qui se livre à la contemplation)

L'HOMME ET LE POUVOIR DE VISION


La voix de l'homme dans l'extrait de MARIENBAD est doté du pouvoir de vision, il reste
à la femme alors, pour pouvoir lui faire face, et constituer le couple, d'être dotée, par la
fiction, du pouvoir de l'écoute.

548
. Le mot plaintif pourrait exprimer davantage une forme de mélancolie (comme la langue anglaise nous
la propose avec « Wailing »).

481
LA FEMME ET LE POUVOIR DE L'ÉCOUTE
[En guise de réponse vous vous êtes contentée de sourire ] (Plan 69)
[Je sais que vous prétendiez n'écouter que moi ] (Plan 72)
[alors entendez mes plaintes, je ne peux plus supporter ce rôle, je ne peux plus supporter ce
silence, ces murs, ces chuchotements où vous m'enfermez] (Plan 73)

On voit que les plaintes (sonores) de l'homme se situent à propos de la supériorité de


cette femme d'écouter ce que lui a à dire. Plus simplement dit, cela traduit que la
femme, par sa volonté seule, décide si ce que dit l'homme est recevable ou pas, d'où
l'action féminine de pouvoir l'enfermer.
Le pouvoir d'écoute féminin se traduit en qualité de réception, mais aussi en pouvoir
d'émission du son : décider de son propre chef de parler ou non, ou encore rire :
[vous avez (…)le même rire tout à coup] (Plan 57)
Suggérant par le rire que c'est une action directement liée à ce qu'elle entend du
discours de l'homme, ce qui est sous-entendu. Et puis au-delà du rire, elle donne au
silence, à l'absence de son, toute sa force, déployée tout autant que la présence non
visible de l'homme. Ainsi l'homme le remarque dès le début puisqu'il constate le défaut
de la vision de la femme :
[Vous aviez les mêmes yeux absents] (Plan 55).
A l'inverse, l'homme obtient aussi une vertu, issu du pouvoir d'émission des images :
la projection. Projection de ce qu'il effectuait au début lorsqu'il procédait à la description
précise de ce qu'il voyait. En fait de description, il créait pour nous spectateurs une
image. Par son récit il nous projette des images.

En résumé sur le bilan des forces, le couple a lui aussi un double pouvoir celui de
recevoir ou d'émettre, l'image pour l'homme —il regarde la femme regarder sans
qu'elle ne le voit— et le son pour la femme —elle n'écoute que lui, elle décide de ne
pas parler, de rester silencieuse, voire de rire—.

Aussi les pouvoirs des couples [(H/F) (I/S)], dans leurs rapports peuvent s'exprimer
positivement ou négativement.

482
A partir de cette évaluation, les extraits mis en place dans la séquence 8, apparaissent
sous une signification (ésotérique, il est vrai parce qu'il fallait être initié a cette
esthétique bipolaire) simple.
L'image de KING KONG venait prévenir —cette logique révélée précédemment
(L'homme et le pouvoir de vision (voir et filmer), la femme et le pouvoir de l'écoute
(entendre et crier))— de ce que la parole du récit vient maintenant attester.

Plan 53
On revient sur le plateau du Godard-présentateur, et comme dans une mauvaise post-
synchronisation, la voix du Godard-narrateur ne correspond pas au lipsing de l'image.
La parole nous renseigne encore, non sur le cinéma et sa définition possible mais sur
la pratique d'une histoire de celle-ci. La voix s'interroge et répond :

[HISTOIRE DU CINÉMA AVEC UN S, TOUTES LES HISTOIRES


QU'IL Y AURAIT ? OU QU'IL Y AURA ? QU'IL Y A EU, QU'IL Y A EU.]
(1) (2) (3) (4)

Nous rappelons que cette phrase se retrouve, comme les quatre phrases en incipit du
début, sur un mode d'une double proposition. Ce mode rassemble la conjugaison de
toutes les histoires :

4 HdC =
(1) HdC conditionnel / MODE
(2) HdC futur / INTERROGATIF

(3) HdC passé / MODE


(4) HdC passé / AFFIRMATIF

Ainsi de la multiplicité du déroulement historique, Godard met en opposition plusieurs


types d'histoires sur un mode temporel. Le pluriel (avec un s) peut correspondre tout
d'abord aux questionnements même qu'il fait. C'est-à-dire établir une histoire du
cinéma au futur ou au conditionnel. La différence entre une histoire du cinéma établie
sur une ligne du futur face à une autre établie sur une ligne du conditionnel, propose la

483
possibilité dʼexister à cette histoire, (sa condition hypothétique face à lʼinexorable futur).
Le ou qu'il indique crée la multiplicité parce qu'il place deux propositions interrogatives.
Toutes ces histoires renvoient également à la mise en parenthèse du titre du film et de
sa possibilité plurielle.
Le futur indique la quête de Godard, c'est le début du film, ce qui va se dérouler sous le
yeux du spectateur, un futur proche. La question reste sous quelle condition présente
cette histoire du cinéma se déroulera?

La deuxième proposition que développe Godard est affirmative.


Deux propositions qui impliquent par conséquent la coexistence de plusieurs histoires
du passé, d'où le redoublement du il y a eu.

Ce mode opératoire, l'interrogation temporelle de l'exercice de l'histoire du cinéma,


évoque fortement un autre mode historiographique, celui d'Henri Langlois, tel qu'il
pouvait le faire lorsqu'il présentait les films le soir à la cinémathèque dans les années
1950. Ainsi on constate le même procédé d'une double proposition temporelle lorsque
Langlois concluait dans un texte de présentation, celui de l'exposition du soixantenaire
de la naissance du cinéma, organisé au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris en
1955.

"Mais quel que soit le chemin parcouru depuis la révision des valeurs, des jugements que
consacre cette exposition, il ne faut pas se faire d'illusion, elle consacre l'Histoire du Cinéma,
non pas telle qu'elle sera, non pas telle qu'elle pourrait être si tous les films étaient sauvés et
mis à la portée des historiens, mais telle qu'elle est actuellement définie par la légende à peine
549
encore contrôlée et corrigée par l'Histoire."

Nous avons souligné ci-dessus les modes temporels pour relever que Langlois, lui
aussi, utilise pour l'exercice de l'Histoire : le Futur et le Conditionnel.
L'emploi du futur se rapporte, interro-négativement, à l'idéal d'une histoire consacrée ;
l'emploi du conditionnel à la sauvegarde de tous les films, ce qui est aussi peu
probable; Donc, de ce futur utopique et de cet inconditionnel, la seule réponse à ces

549
. Henri Langlois, 60 ans d'Art Cinématographique, Paris, Ed.C.F, FIAF. 1955.p.20. (C'est nous qui
soulignons).

484
modes interro-négatifs reste le présent. Inscrire l'histoire du cinéma au Présent —alors
que Godard la maintient dans l'affirmation d'une multiplicité du Passé (qu'il y a eu, qu'il
y a eu)—, est une différence qui n'est qu'apparente. Alors on peut être interpelé par la
proximité de style des deux phrases, d'autant que ce présent invérifiable pour Langlois,
une légende, corrobore l'idée de plusieurs passés hypothétiques. La logique est ici
maintenue par l'existence plus grande de films disparus que des films sauvegardés. La
virtualité du passé, comme source moins de ce qu'il y a eu que ce qu'il n'y a pas eu,
conduit par la suite à une multiplicité peut-être encore plus grande de l'histoire dans
son actualité. Ce “s” mis entre parenthèses trouve ici probablement sa plus entière
justification : celle d'un exercice de l'histoire au passé composé de disparition,
obligeant par là à vérifier sans cesse le lieu du passé, d'où l'obsession de sa répétition
(qu'il y a eu, qu'il y a eu...) créant par eux-mêmes une multiplicité de présent.

SUR LE PRINCIPE DE RÉPÉTITION


Nous croyons que l'on peut repérer en effet, les tentatives formelles de Godard à
vouloir axer l'affirmation sur un mode répétitif. D'abord, c'est la technique
cinématographique qui est établie sur le mode de la répétition : répétition d'images
fixes grâce au support du photogramme550. Ces vues fixes sont mises bout à bout,
donnant l'impression perceptive du mouvement. C'est l'étymologie du cinéma qui va
nous renseigner sur la source de l'écriture du mouvement, avec son impérieuse
nécessité à être répété pour pouvoir être définie comme animée. Si selon son
hypothèse, le cinéma est un instrument de pensée, alors c'est la répétition comme
pensée qui peut être amenée au rang de principe. Le cinéma en garantissant la
possibilité de répéter l'expérience conquise, pourrait prétendre à se pourvoir comme
instrument scientifique.
Ensuite une fois le principe de répétition admis, il faut repérer les applications du
principe. On trouve spécifiquement chez Godard, et non sur l'ensemble du cinéma, des
figures de répétitions.

550
. Rappel : le photogramme est la photo diapositive qui, mis en chaîne, donne le plan du film : (24
photogrammes = une seconde de film) son unité, son mouvement, sa vie.

485
Que cela soit les répétitions simples, comme le redoublement de paroles, ou encore le
redoublement des images, ou bien encore la répétition physique de personnages551 ou
comme les procédés en chambre d'écho dans lequel ils établissent leur parole. Ou
bien encore, d'aller prendre des textes dont les composantes sont "stancées".
De nombreuses stances parcourent le texte de MARIENBAD :

Qui sont les autres qui sont les autres ?...

La redite fournit par la parole le motif de la répétition. Et Godard en découvrant le


principe de la répétition comme élément cinématographique va tenter de fonder son
principe par la pratique.
Il y a l'instauration du couple qui est l'acceptation d'une dualité fondamentale au
cinéma, la figure de la répétition va être l'application de ce fondement sur le même
singulier qui doit être répété pour pouvoir exister dans ce système.

Plan 54
Gros plan visage d'une femme dont les yeux se colorent
C'est un extrait de FURY552, film fantastique en couleurs
C'est un gros plan du personnage principal féminin qui, dans cette fiction, est douée
d'un sens de l'extrapolation. Lorsqu'elle tient la main d'une personne elle voit au-delà
du présent de cette personne. Sa vision peut également provoquer lʼaveuglement
jusquʼà la mort de la personne contactée si elle tient la main trop longtemps.
Pour souligner le caractère halluciné de ce gros plan de femme qui écarquille les yeux,
- Brian De Palma a ajouté en trucage une couleur bleue sur l'iris et un zoom avant sur
le visage est effectué ;
- Godard a monté en Jump-Cut le plan zoomé et l'a fait suivre d'un flash blanc.

Compté comme un seul plan d'origine, dans notre descriptif plan par plan, en réalité ce
sont trois plans successifs heurtés avec un insert blanc de moins d'une seconde.

551
. Godard et ses personnages doubles : double présentateur/narrateur dans les HdC, ou bien encore
acteur le représentant dans ses films de fictions, jusquʼà la répétition des films eux-mêmes lorsque
NUMÉRO DEUX correspondait au désir de Godard à réaliser une deuxième fois A BOUT DE SOUFFLE.
552
. Brian de Palma, THE FURY (Furie, 1978).

486
De plus, ce regard de femme hallucinée se révèle contradictoire avec la bande-son, car
la voix-off de MARIENBAD crée, par jeu d'opposition, une correspondance directe avec
les yeux de FURY. La voix énonce :
["Vous avez toujours les mêmes yeux absents."]

Jean-Louis Leutrat note avec justesse, dans son plan par plan du début des HdC, que
ce regard trouve son pendant au cri (virtuel) de Fay Wray553 du plan 47 (KING-KONG).

MONTAGE ALTERNÉ entre FAUST (55, 57) et THE BAND WAGON (56, 58)
TECHNIQUE DE L'ALLER-RETOUR

Ce montage n'est pas seulement composé de lʼalternance de quatre plans.


Lʼenchaînement puise sa matière en effet à partir de quatre plans différents, mais son
alternance sʼavère quantifiée dʼun nombre beaucoup plus élevé. JL.Godard effectue
l'entremêlement en exécutant des séries d'ALLERS-RETOURS, Par exemple : 6 Allers-
Retours entre le plan 55 et 56. Ce principe d'aller-retour vidéo554, ne vient pas perturber
le processus de numérotation des plans, mais par contre, et pour plus de clarté, une
indication chiffrée pourra être inscrite en début de chaque description. Par ce système
nous procéderons alors à l'indication de la variation dans cette figure d'entremêlement :
le nombre d'Allers et Retours ici dans ce cas : 6 A-R555.

VITESSES DE L'ALLER-RETOUR
Parfois la vitesse des A-R pourra être précisée, surtout lorsqu'elle est fluctuante. Elle
peut commencer rapidement puis ralentir. C'est là une technique pour produire une
vision concentrée des plans eux-mêmes. Une décélération va accentuer l'autonomie de
chaque plan, alors que l'accélération tendra à les faire se confondre jusqu'à les voir
dans une juxtaposition (comme des images fondues). Cet amalgame va être perçu
pour le spectateur dans la limite de sa persistance rétinienne. Il faut rappeler que ces

553
. Jean-Louis Leutrat, « Retour sur Histoire(s) [4] », TRAFIC n°73. Printemps 2010.p.88.
554
. Ref.Film63 LA PUISSANCE DE LA PAROLE. 1988. Nous y avons plus amplement décrit le dispositif.
555
. On notera que le compte se produit dès le premier plan ; alors que normalement cʼest le troisième plan
(le premier plan qui revient) qui nous fait comprendre que nous sommes dans un système d'Aller-Retour. Il
est donc préférable de concevoir les A-R comme série de deux images couplées. Dans cette logique, le
3ème plan (le retour du plan1) entame une deuxième série. En conclusion si dans une dernière série, nous
avons un aller simple, l'habitude sera d'arrondir par le haut.

487
effets de volets et découpes sont faits à la main556 par le cinéaste sur son banc. C'est
donc lorsque lʼextrait du plan change que le numéro passe au suivant lui aussi.
Ainsi le Plan 55 est extrait au moment d'un passage d'un fondu enchaîné appartenant
au film de Murnau, cette suite continue ne devait logiquement pas faire changer de
numérotation malgré l'AR, mais, comme tout changement de plans internes au film
utilisé est également indiqué (puisque celui-ci est alors un peu plus large), le plan de
Faust comportera le numéro 57 (au lieu du 55b).

En résumé, la numérotation des plans change si :


— l'extrait du même film comporte plusieurs plans.
Mais ne change pas même si :
— un plan en mouvement offre une grande variété de cadres et dʼimages.

Plan 55*.57. FAUST557


Le film muet en noir et blanc intitulé FAUST est une adaptation du livre éponyme de
Gœthe. Le moment que Godard a choisi se situe lorsque Faust, déçu du monde, ayant
tracé un pentacle magique en dehors de la ville, à la croisée de petits sentiers, fait
apparaître Méphistophélès. Le plan large laisse voir du pentacle, la poudre, dont il est
tracé, devenir incandescente. L'apparition se fait dans ce nuage de fumée et augmente
le caractère fantastique. C'est avec ce raccord que débute le plan 55. Faust dans le
récit invoque le démon par désir de retrouver sa jeunesse et d'accroître sa
connaissance qu'il voudrait absolue.
Le raccord avec le visage du plan 54, est un fondu enchaîné du film de De Palma, ce
qui donne un moment un peu trouble et justifie doublement l'apparition de l'envoyé du
diable.

Ex. : 55-56 + 55-56 + 55-56 + 55 = 4A-R


556
. Ref.Film63 LA PUISSANCE DE LA PAROLE. 1988.
557
. Friedrich W. Murnau, FAUST, 1926. Nous rappelons que lʼastérisque indique la présence dʼune partie
de la phrase, ici, [LE CINÉMA SUBSTITUE]

488
Plan 56. 58. THE BANDWAGON 558
L'extrait qui est monté plusieurs fois en alternance avec le film de Murnau provient de
THE BANDWAGON, une comédie musicale. La comédie musicale hollywoodienne se
compose généralement de scènes de comédie dialoguée en alternance avec des
numéros : des scènes de performance musicale et chorégraphiée559. Le film présente
un spectacle qui se déroule sur une scène de Broadway. Cʼest donc un spectacle dans
le spectacle mis en scène par un auteur dont le film va dʼailleurs se moquer (trop
déprimant pour le public). Lʼun des numéros du spectacle rassemblant Fred Astaire et
Cyd Charisse qui est ici présenté. C'est une reprise560 en couleurs du cinéma de
genre : le film Noir561Alors que nous sommes sur une scène de théâtre à Broadway, le
numéro consiste à représenter lʼun des genres du cinéma. Fred Astaire pourchasse un
meurtrier suivant différents décors très stylisés, il entre dans un café.

Le raccord débute quand Cyd Charisse est au comptoir, de face avec un long manteau
sombre; au moment précis où elle laisse dévoiler ses jambes et une robe années
trente rouge vif, elle se lève, va vers lui. Ils dansent ensemble langoureusement,
enlacés, c'est elle qui tourne autour de lui. La vision de cette chorégraphie produit un
niveau interprétatif éloquent : l'apparition et l'étreinte évoque un serpent car elle
multiplie ses enroulements de bras, de hanches autour de lui, de son tronc. Et du fait
qu'il s'agit de la rencontre entre un homme et une femme, cette danse consiste en une
opération de séduction. On étudiera un peu plus tard le résultat que produit le rapport
de l'extrait avec le plan d'avant. À ce stade, on peut attester d'une mise en scène du
désir de l'homme. Fred Astaire danse peut-être plus avec un fantasme —lʼimage dans
laquelle il se projette— qu'il a de cette femme, qu'avec la réalité, car dans le récit de
cette fiction juste après avoir (été séduit) dansé, elle lui échappera. On verra même
que l'assassin qu'il poursuivait et tire dessus à mort, s'avère être elle562. THE BAND
WAGON illustre, une fois de plus, l'analogie entre la mise à mort et l'acte sexuel,
puisque la fin de l'extrait choisi par Godard, montre Fred Astaire qui érige son revolver,

558
. Vincente Minnelli, THE BANDWAGON (Tous en scène, 1953).
559
. Patrick Brion, La Comédie musicale : du Chanteur de jazz à Cabaret, Éd. la Martinière, 1993.p.231
560
. Une reprise est une revisitation du genre sans que cela soit obligatoirement parodie ou pastiche.
561
. Raymond Borde et E. Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-1953), Paris, Éd. de Minuit,
1955.p.84.
562
. Elle lui échappe donc doublement dans lʼespace puis dans le temps.

489
en pliant son bras et levant son avant-bras, tout en regardant Charisse lové à son cou,
dans se bar où tous les autres danseurs dansent de façon desossée (conférant un
aspect comique à la danse macabre). L'effet d'érection de l'arme dont le terme familier,
tirer un coup pourrait résumer l'analogie. Trois danseurs masculins habillés de noir
dissimulés derrière le couple, apparaissent au même moment que la levée du revolver,
amplifiant l'effet du mouvement érectile.
La métaphore du personnage armé vient renforcer lʼargument de Diamond Legs du
groupe 1.

Plan 59. NOIR


Entre chaque groupe, pour mieux les distinguer, Godard a intercalé un plan noir. Ce
plan est remarquable car il ne figure pas dans la première version563.
Ce plan, comme nous allons le montrer, est un plan qui surligne d'une certaine manière
la structure du film. Aussi la meilleure manière de procéder à une séquenciation du film
—découpage en séquences du film—, consiste à repérer les éléments formels
récurrents de la dernière version.

b/ Description du groupe 2 (plans 52b-59)


La phrase de définition du cinéma dans sa continuité, débute réellement avec le
groupe 2, le groupe1 étant introductif (LE CINÉMA). Ce début, et le lien avec les
groupes suivants, est indiqué par l'apparition de deux éléments sur l'espace sonore. Ils
seront constants :
- L'extrait de la bande son du film de MARIENBAD
-ainsi que du quatuor n°6 de Ludwig Van Beethoven
Les deux parcourront justement l'ensemble jusqu'à la fin.

LE JEU DE LA SUBSTITUTION EST UNE INCARNATION ÉROTIQUE DU DÉSIR DE


CONNAISSANCE.
Le visage de cette femme correspond sûrement au spectateur face à l'opération du
cinéma, le cinéma qui substitue, et les deux scènes qui s'enchâssent sont également
montées en alternance faisant signifier à l'habitude de Godard une double comparaison

563 ère
. Supra 1 Partie. CH2. 2/Prospection temporelle.

490
puisque chaque scène contient une apparition /transformation (Faust et Cyd Charisse).
Il y a d'abord l'idée que substituer est un verbe d'action. La substitution est une
invocation en vue de faire apparaître. Car on peut décrire le changement de costume
de Charisse comme l'enjeu d'une véritable transformation. Le jeu des couleurs sont
établis pour renforcer lʼeffet. Elle se transforme pour se conformer au désir de Fred
Astaire, pour pouvoir danser avec lui. Elle est comme une rouge apparition face à
Astaire autant que Méphisto lumineux et fumant face à Faust. C'est d'abord le jeu du
couple qui est ici exposé. Couple du savant avec son démon et couple de l'homme
avec sa femme fatale.
Il sʼagit donc dʼune présentation de la substitution simple, celle qui transforme
lʼignorance en connaissance et du repos en désir affirmé.
Ensuite, il y a une substitution croisée, celle du désir érotique avec celui de la
connaissance. Mephisto se substituant en Cyd Charisse ou inversement.

Aussi par le cinéma la quête de la connaissance se conjugue avec le désir érotique. Le


couple comme on l'a vu juste précédemment ici incarne le jeu du désir de
connaissance, le jeu entre le sujet et son objet :
Le sujet désirant est le spectateur ou le cinéaste représenté en homme filmé vers
lequel tend son regard en direction de l'objet désiré, la femme filmée, réifiée (dixit
MARIENBAD)
Ce n'est pas propre à ce film, depuis longtemps Godard privilégie le genre humain pour
incarner des idées 564.

564
. Ref.Film22. DEUX OU TROIS CHOSES QUE JE SAIS D'ELLE. 1966.

491
G/ GROUPE 3 (de la séquence 8). A NOTRE REGARD (PLANS 60-62)

Plan 60* LA RÈGLE DU JEU565


L'extrait présenté est tiré de LA RÈGLE DU JEU, c'est un seul plan en travelling arrière
latéral découvrant plusieurs jeunes garçons en blouse et portant béret organisant une
battue : Ce sont des rabatteurs tapant dans les arbustes avec des tiges, pour faire fuir
le gibier.
Ce film représente aussi pour Godard une prévision de la guerre au même titre que
celui du DICTATEUR566, nous verrons si cela est instructif.

Plan 61* LES AMANTS CRUCIFIÉS567


Godard a retenu du film de Mizoguchi, un des moments où Osan, l'héroïne du couple
principal —des amants crucifiés parce qu'illégitimes, en effet, à cette époque au Japon
est condamné à mort toute personne ayant un rapport sexuel avec une personne qui
nʼest pas de sa classe— sachant son amant condamné essaye prendre la fuite à
travers la forêt. Lʼamant lui a ordonné de sʼenfuir car le village est à ses trousses. Elle
court comme pourchassée, on sait que des soldats déserteurs en veulent à sa vertu, et
ses petits pas liée en partie au costume qu'elle porte et qui est serré au niveau des
genoux, la place en déséquilibre puis elle chute sur les feuilles mortes.

Plan 62
Plan Noir
Le plan marque la délimitation avec la groupe 4.

Description du groupe 3 (Plans 60-62)


Tout d'abord, par ce montage, il faut essayer de mettre en rapport les deux plans
ensemble, puis de rapporter la signification obtenue à l'ensemble de la phrase.
Il y a le décor de campagne et d'arbustes qui est commun au deux plans et qui propose
une sorte de décor unique pour les deux plans : la battue organisée et le gibier en

565
. Jean Renoir, LA RÈGLE DU JEU, 1939.
566
. Charlie Chaplin, THE GREAT DICTATOR (Le dictateur, 1940). Ces deux films sont cités par JLG
comme film caractéristique de film voyant l'avenir, mais que personne ne veut voir comme prophétique; on
pourrait les appeler des films-Cassandre.
567
. Kenji Mizoguchi, CHIKAMATSU MONOGATARI (Les amants crucifiés, 1954).

492
chasse de LA RÈGLE DU JEU pourraient représenter cette femme qui fuit et bat la
campagne des AMANTS CRUCIFIÉS. Le désir de connaissance, le désir de définir le
cinéma s'est incarné on l'a vu en l'objet d'une femme, cette femme maintenant fuit sous
notre regard inquisiteur. Ceux qui regardent, scrutent pour repérer le gibier, organisant
une battue, se mettent en chasse pour l'obtention de l'objet réifié quʼest cette femme
qui s'enfuit. Il faut se souvenir également que le plan de la battue (chasse au lapin) a
été retenu par Godard comme symbole du cinéma qui prévoit, sa capacité à mettre en
scène ce qui va arriver. Le cinéma (Renoir avec LA RÈGLE DU JEU, 1938, Chaplin avec
LE DICTATEUR, 1940, et Lubitsch avec TO BE OR NOT TO BE, 1939) avait prévu lʼarrivée

de la seconde guerre Mondiale, en mettant en scène une réalité qui prenait en compte
un malheur non encore produit568.

Aussi Tanaka Kinuyo interprète cette femme qui essaye de fuir, pendant une période
diégétique qui se déroule également en climat de guerre. Son amant est prisonnier
alors que les armées en déroute, cherchant à piller pour se sustenter, rôdent.

Le montage produit donc une concordance des temps. Pendant le temps de la guerre,
la femme revêt la figure de la destinée qui va à sa perte (comme le siècle) malgré tout
son désir à vouloir sʼéchapper. Elle tombera sous les yeux des soldats, et nous
assisterons au spectacle de la déchéance.

Notre regard qui pouvait voir ce quʼon ne pouvait prévoir encore, découvrant un
spectacle morbide, ne peut réaliser, comprendre que cʼest de lui-même dont il sʼagit.

568
. HdC.1a.toutes les histoires. p.106.

493
H/ GROUPE 4 (de la séquence 8). UN MONDE (PLANS 63- 69)

Plan 63*, 65*


Tiré d'un film noir et blanc allemand, réalisé par Siodmack et Ullmer, l'extrait cadre en
plan américain un couple qui semble heureux. Un homme aide à nager une femme. En
plan américain, l'homme a pied dans le petit bassin, et soulève la femme qui fait des
brasses en battant des pieds. Le film s'intitule LES HOMMES LE DIMANCHE569 et raconte
l'histoire dʼune aventure amoureuse d'un chauffeur de Taxi à Berlin à la fin des années
Vingt. En fait, le récit amorce une intrigue où deux hommes tombent amoureux de la
même femme. Mais la politique de la sélection de ce film résulte aussi de ce qu'il est
historiquement important570. Il reste parmi les grands films (difficilement accessible,
augmentant le désir d'être vu) élu par la cinéphilie. Ce film témoigne d'autant plus d'une
sorte de paradis perdu, pour une grande partie de tous ces cinéastes allemands qui
fuiront le nazisme, et vont venir travailler à Hollywood. On retrouve dans les
collaborateurs Billy Wilder au scénario, Fred Zinnemann et Eugen Shuftan. Edgar G.
Ullmer fut Chef opérateur de Murnau, et ainsi que Robert Siodmack, ils réalisèrent tous
deux des films aux budgets indignes de leur talent. En fait LES HOMMES LE DIMANCHE
obtient des qualités de réalisme qu'on ne trouvait rarement dans les Kammerspiel de
l'époque et sa notoriété est ue, en majeure partie aux qualités fantastiques d'une
représentation dʼun bonheur qui irradie de ce film.
Tel que nous l'a communiqué le poète Stanislas Rodansky, qui le vit à l'époque dans
les années 60, probablement pendant les projections de la Cinémathèque française :

"Hommes du Dimanche / Bouffées de chaleur / Jamais tel film n'avait eu / pouvoir / bénéfique si
intense / jamais je ne pensais que la résolution d'un tel et d'untel / pouvoir / aimer le cinéma
571
grandissait en moi après ce film/ Je ne me supportais plus/ firmament froid" .

Aussi le monde, tel que Godard nous le présente est celui de lʼunion possible et des
actions des couples.

569
. Edgar G. Ulmer, Robert Siodmack, MENSCHEN AM SONNTAG (Les hommes le dimanche, 1929).
570
. Ref.173. Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros, 1980.p.167.
571
. Stanislas Rodansky, Requiem for me (1952), Paris, Ed. Fissile, 2007.p.18.

494
Plan 64, 66*
James Cagney et Georges Raft dans PUBLIC ENEMY572 sont pris dans un plan
d'ensemble fixe. Les deux gangsters après avoir fait un casse, se donnent du bon
temps; ils entrent dans un club fréquenté et ont tous deux la compagnie d'une femme à
leur bras. Tenue de soirée de rigueur pour les quatre : Smoking pour les hommes et
robe longue en lamée pour les femmes.
Le plan 66, montre la suite en un plan américain, où les deux, tout en dansant avec
leur partenaire respective, dialoguent par dessus les épaules des femmes qui sont à
leur cou.

Plan 67 Plan NOIR

Plan 68*
Ceinturant par deux plan noirs, l'extrait de Lilian Gish,
L'extrait expose Lilian Gish dans LE LYS BRISÉ573 dans un plan large extérieur urbain.
Elle traverse une rue dans la nuit. La démarche qu'elle adopte, peureuse, témoigne
dʼune maladresse hésitante, elle se retourne brusquement, elle a peur d'être suivie. Ce
qu'elle fuit : l'emprise violente du père qui la maltraite. Il est allé jusquʼau domicile du
Chinois qui avait recueilli la jeune enfant par hasard. C'est pendant le saccage du petit
appartement si raffiné qu'elle en profite pour s'échapper. Nous sommes témoins plutôt
de son errance que d'une fuite, car la fille ne sait plus où aller. Elle fuit pour la seconde
fois un endroit où elle dormait. (1) le foyer paternel. 2) lʼappartement chinois.

Plan 69 Plan Noir

Description du groupe 4 (plans 63-69)


Ce groupe adopte la même structure que le groupe 3 : un entremêlement de deux
extraits. Le thème de la fuite (du regard) qui illustrait le groupe précédent, cette fois-ci,
est remplacé par deux nouveaux extraits. Ils ne semblent avoir entre eux aucun thème
commun, mais cʼest en apparence seulement : car ils ne paraissent pas fonctionner

572
. William Wellman, THE PUBLIC ENEMY (L'ennemi public, 1932).
573
. David W. Griffith, BROKEN BLOSSOMS (Le lys brisé, 1919).

495
selon la même logique de montage narratif. Le jeune couple nageant et deux gangsters
entrant dans un Bar-Dancing pour converser en dansant peuvent se réunir sous deux
motifs :

Le premier motif est celui du couple.


Simple et hétérogène pour LES HOMMES LE DIMANCHE574,
Double pour L'ENNEMI PUBLIC; d'abord homosexué (car le couple est au début
exclusivement masculin (Raft-Cagney) puis rencontrant chacun une femme, il devient
ensuite hétérosexué : le couple homme-femme se trouve dédoublé, et l'on est même
frappé par la similitude des gestes avec lesquels ils effectuent leur chorégraphie.

Le second motif est contextuel, conférant un monde dans lequel ces couples
apparaissent. Aussi qu'est-ce que ce monde pour le cinéaste ?
C'est apparemment un monde pacifié, édénique, car ce sont des images de bonheur
qui se dégagent des deux extraits concernant les couples.
Des couples se rencontrent, s'associent et se présentent dans un mouvement des
corps (nage et danse) ; soulignant que le geste commun, de ces deux pratiques
corporelles est celui de l'enlacement de la femme par lʼhomme, son étreinte, voire son
embrassement 575.
La singularité élémentaire qui forme le monde, réduite à l'essentiel est duelle, puisque
l'autre partie (Wellman) avec lequel lʼextrait du film de Siodmak se mêle, nous montre
le même type de couple, en mouvement de corps, juste dédoublée.

L'HOMME CONDUIT LA FEMME QU'IL S'EST CHOISIE


Le destin du monde tel qu'il se présente, ou est représenté, s'incarne alors
humainement en une possibilité esthétique et historique.
Esthétique dʼabord, car on reste intrigué par la possibilité de correspondance entre le
couple H/F et les éléments du film en couplage. Cʼest-à-dire deux images (couple

574
. Notre tentative dʼune double interprétation se trouve problématisée. Sur ce plan, dʼun point de vue
ésotérique on se souvient que le film met en scène deux hommes en rivalité. Dʼun point de vue exotérique
on se limite à la vue de ce couple homme/femme. Dʼune façon ou dʼune autre, on peut interpréter que le
couple homogène des deux hommes est sous-jacent et sera présenté au début de lʼextrait du Wellman.
575
. Ethymologiquement, embrasser signifie prendre dans des bras.

496
homogène) ou une image et un son (couple hétérogène). Et ceci tel que Godard
lʼaffirmait en citant Bresson :

[L'IMAGE ET LE SON / COMME DES GENS QUI FONT CONNAISSANCE / EN ROUTE / ET


576
NE PEUVENT PLUS SE SÉPARER ] ,

Ainsi lʼembrassement du couple est également mis en scène une seconde fois
simultanément grâce au montage alterné (un extrait de film fait connaissance avec un
autre) ou encore une bande-son mixée (embrasse) avec un extrait de film.

Ensuite, dans un ordre historique possible, ce que nous présente Godard se base sur
la vision d'un monde comme société des hommes. Précisément, ce monde devrait
alors s'accomplir sur le mode d'un récit humain. Une histoire de ce monde pourrait se
formuler : la rencontre d'un homme vers une femme. Une fois la rencontre opérée, le
choix de rester avec elle et de la conduire, l'homme devient vecteur principal du couple
(il mène la danse ou il apprend à sa partenaire à nager, laissant supposer que lui sait
déjà).
Et l'on peut deviner sous le motif de ce récit originel, le thème de Pygmalion et de
Galatée, comment le créateur sublime le désir de sa muse par son travail : désir du
peintre vers son modèle concrétisant sa toile ou celui encore du cinéaste filmant sa
star (la femme qu'il aime).
Lorsque la définition de ce monde est rendu générique, on obtient :
LE MONDE : L'HOMME (ACTION VERS LE CORPS) FEMME.

Le couple hétérosexuel est dépositaire de la fonction vitale de la reproduction humaine.


L'homme, après avoir désiré (par le regard) la femme, parce qu'elle le séduit, essaye
de sʼen emparer (la chasse) sans même obtenir son consentement, dʼoù sa fuite, et il
la retient, l'enlace et lui fait faire les mouvements qu'il désire (nager, danser, poser et
jouer).
L'homme actionne le corps de la femme sélectionnée. Lʼérotisme est latent, or dans le
deuxième extrait, on trouve deux couples exécutant les mêmes volutes. La danse peut

497
simuler la parade de lʼacte sexuel et le dédoublement, celui dʼune image
cinématographique.

Le monde que propose Godard est une représentation dʼun monde humain sous
l'augure de la monogamie hétérosexuelle, et dont on peut constater le caractère de
perdition si l'une des deux composantes n'est pas représentée. Ainsi le génétitre [LE
MONDE] se clôt sur l'errance dans les rues de Lilian Gish dans BROKEN BLOSSOMS,
une jeune fille seule sans son ami. La trame narrative est précisément celle d'une
rencontre (constitution d'un couple provisoire) puis de la brisure (par le père furieux) de
ces deux fleurs (les cœurs de la fille et du jeune asiatique).

Avec un mère absente et un père libidineux, le Chinois représentait pour la jeune fille,
lʼautre monde dans lʼabsolu de son altérité. A lʼinverse, le père qui veut, en couchant
avec sa fille, la réenfanter, lui projette lʼimage du même. La séquence très célèbre du
placard à balai dans lequel il lʼenferme et dans laquelle elle tambourine, nʼest quʼune
image symptomatique, un visuel577, écran de lʼaccouplement réel qui se produit mais
quʼon ne peut voir. Ce quʼon peut voir réellement cʼest lʼeffectuation par le père de
gestes dʼaller-retours, à tambouriner sur la porte et à la fouetter. Griffith met en scène
avec insistance, dans le cadre et la durée du plan comment Donald Crisp (le père
boxeur) caresse incestueusement la joue de sa fille avec lʼobjet578 même avec lequel il
la fouettera jusquʼà la mort.

576
. HdC.1a.toutes les histoires. p.95. in Robert Bresson, Notes sur le cinématographe, Ed. Gallimard.
1972.p.45.
577
. « Un visuel est une image faite pour remplacer une autre image que lʼon ne veut ou peux pas voir. »
SERGE DANEY, ITINÉRAIRE DʼUN CINÉ-FILS, entretien avec Régis Debray , réalisé par Dominique
Rabourdin et Pierre-André Boutang, Ed. Montparnasse. (1992).

498
I/ GROUPE 5 (de la séquence 8). QUI S'ACCORDE (PLANS 70-76)

Plan 70*, 72
L'extrait de RANCHO NOTORIOUS579 met en scène Marlène Dietrich qui interprète une
Dance-Hall Girl, fille de Saloon (entraîneuse) qui, avec trois autres de ses collègues,
fait une course de cow-boys à l'intérieur du Saloon, comme l'on ferait une course
steeple-chase. Elle chevauchent chacune un homme qui doit faire l'aller et le retour à
quatre pattes, ce qui suscite un travelling latéral. Lʼextrait commence au début du
travelling et de la course. Marlene Dietrich porte une robe rouge.

Plan 71*, 74, 76 : UNE NOUVELLE FIGURE : LE PAPILLON


Les plans 71, 74 et 76 de Lilian Gish composent en définitif la même continuité issue
du film de D.W.Griffith, BROKEN BLOSSOMS. Ils possèdent, également par cette
constance, une autonomie par rapport aux autres images dans le montage, qui
donnent, par la suite, une impression de recouvrement du film de Griffith.
Aussi l'impression consiste à percevoir la puissance du film, comme une réserve, prêt
à surgir et surtout conserver l'impression qu'il est la trame principale même si absente.
Plus précisément, disons quʼelle avance en même temps que le film principal (HdC). Il
s'agit d'une figure qu'on peut nommer Papillon car comme le vol de lʼinsecte, elle
virevolte (aller-retour) puis disparaît de notre perception, cʼest-à-dire sous la continuité
du film, puis ressurgit. Le plan 76 appartient également au groupe suivant.

Plan 73, 75 Plans noirs supprimés lors de la deuxième version

Description du groupe 5 (Plans 70-76)


Les plans choisis pour ce monde qui s'accorde viennent se placer précisément en
contradiction, tel que le couple était représenté dans les groupes précédents (56, 63,
64). La prédominance de l'homme cesse. Dans RANCHO NOTORIOUS ce sont les
femmes qui dominent, représentant un type dʼamazone : elles chevauchent les

578
. Il la caresse avec le manche en cuir souple du fouet.
579
. Fritz Lang, RANCHO NOTORIOUS (L'ange des maudits, 1952).

499
hommes, et ne sont plus poursuivies (60, 61), ni soulevées (63), ni étreintes et
conduites (64).

C'est une douce contradiction, car elle ne s'oppose pas directement à la tentative de
séduction de Cyd Charisse face Fred Astaire (56), au contraire on pourrait même
lʼenvisager comme lui étant conséquente580. Cʼest un rééquilibrage. Car là où
prédominait encore le modèle du désir de l'homme, dès qu'il s'agissait de
représentation du rapport des sexes, on voit bien, avec ce nouvel accord, le jeu dʼune
analogie, dont la représentation est une inversion des valeurs, résumée sous la
formule Homme<Femme. Lʼhomme est sous la femme. Juste revanche de la part de
Lang puisque lʼanalogie bestiale a été portée souvent à lʼencontre des femmes dans le
Western, genre où leurs personnages étaient conditionnés aux actes masculins581.
Lʼanalogie jeune femme - pouliche est récurrente dans de très nombreux westerns582, et
on notera aussi dans le film de Lang, la mise en compétition du couple quʼon met en
ligne pour le concours, la course. On nʼoublie pas que plus généralement la femme à
Hollywood est mise en scène sériellement au désir de lʼhomme, tel un étal, en ligne
comparative quand elles dansent583.
On retiendra que ce système de valeurs (inversé donc à lʼarrivée de ce nouveau
groupe) fait aussi le jeu dʼun rapport algébrique.

RAPPORT DU COUPLE H/F MIS EN VALEUR


Nous avions à travers deux mises en scène successives un premier couple
Homme/Femme, dont la hiérarchie permutait. Ainsi le groupe G2-Minnelli
(BANDWAGON) où lʼhomme (F.Astaire) est dominé (envoûté) par la femme

580
. Une robe rouge pour Charisse et Marlene, toutes les deux ont une même motivation : séduire un
homme et le pousser à devenir son objet.
581
. Rares sont les Westerns dʼavant 1960 offrant aux personnages de femme une place de pouvoir de
décision, le film de Nicholas Ray, JOHNNY GUITARE, 1956, sʼavère une exception venant confirmer la règle
(avec FORTY GUNS. 1957 de Fuller). et bien sur aussi le film de Fritz Lang où, à lʼimage de la star Dietrich,
la femme assume et réalise son désir, elle dirige dans son Ranch une bande de mauvais garçons dʼune
main ferme.
582
. Stuart Gilmore, THE VIRGINIAN. 1947. Joseph Kane, FLAME OF THE BARBARY COAST. 1945, et King
Vidor, THE MAN WITHOUT A STAR, 1955. Howard Hawks, RED RIVER. 1948. Quatre films où les hommes
font ouvertement des commentaires et éloges sur les attributs dʼun cheval dont parfois même la femme
figure à ses côtés dans le cadre. elle correspond à leur désir de chevauchement tout autant que la bête.
583
. Busby Berkeley, GOLD DIGGERS. 1932, ou ZIEGFIELD FOLLIES. 1952

500
(C.Charisse) H<F, puis G4-Siodmak (MENSCHSONTAG) : où lʼhomme domine la
femme par sa maîtrise de la natation H>F.
Ensuite après lʼarrivée dʼ[UN MONDE], le couple se dédouble dans lʼimage —(G4-
Wellman : deux hommes mènent la danse ; 2x H>F)— nous montrant alors plutôt des
hommes qui prennent les rennes du rapport de leur couple. Or, dans lʼextrait présent,
la figure du double couple sʼest démultipliée une fois encore et nous percevons alors 4
couples en course (2 x 2 couples H/F).
Si en un plan, nous voyons 4 couples dont lʼhomme est soumis à la femme, nous ne
sommes pour autant pas dupes du jeu désirant de cet accord car la connotation
sexuelle masochiste masculine est évidente et est ouvertement démontrée584.

La multiplication vient en quelque sorte rééquilibrer symboliquement le rapport


Homme/Femme qui, avant lʼextrait de Lang, optait pour une domination de lʼhomme sur
la Femme. Mais, au vu de lʼemploi de cet extrait et se combinant avec ce qui lui
précède, le monde qui sʼaccorde semblerait vouloir nous suggérer un accord tacite de
laisser pour un temps la domination aux dominés (les femmes). Une inversion des
rôles qui peut nous procurer un âge dʼor pouvant évidemment correspondre à la
description masculine du monde qui sʼaccorde à nos désirs.

De plus, ce qui a probablement intéressé Godard, à vouloir utiliser le film de Lang, pour
cette séquence, cʼest quʼil fut évoqué par Piccoli dans LE MÉPRIS585. On revisite alors
de cette façon le film qui accueillait la phrase de Bazin-Mourlet.

584
. Le film LA CHATTE JAPONAISE. 1966) de Yasuzo Masumura, adaptant Tanizaki, met en scène très
explicitement ce dispositif passionel.
585
.Le couple Piccoli/Bardot confie à Lang, quʼils ont vu à la télé, la veille, son western. Il le complimente
(formidable !) sur la séquence de la roulette avec Mel Ferrer.

501
J/ GROUPE 6 : A NOS DÉSIRS (PLANS 76 - 81)

Plan 76 BROKEN BLOSSOMS


L'insert noir délimite le groupe 5 et 6, à partir du même plan du film de Griffith. Godard
fait débuter le Groupe 6 sur Lilian Gish qui semble toujours autant affolée. Il insiste
dans cet extrait sur un geste de la main porté au visage : la peur installée, puis après
devant lʼouverture dʼune porte, elle chute.

Plan 77* Carton [À / NOS / DÉSIRS]

Plan 78*
Extrait dʼALEXANDRE NEWSKI586
Les hordes de chevaliers teutons se déversent vers nous. Le point de vue qui est
adopté est celui de ceux qui sont assiégés.
Ces hommes sans visages, portant des casques fendus dʼune croix, arrivent vers
nous irrémédiablement. Les lances sont pointées en direction de la caméra.

Plan 79* LE GUÉPARD587


Une vue fixe en plongée fait découvrir le début de la scène du bal du GUÉPARD, la
valse retrouvée de Verdi par Nino Rota sera entonnée juste à la fin du plan. Le plan est
en plongée et très large. Une foule en cercle laisse le vide au centre pour que le couple
danseur ait suffisamment de place pour tournoyer et ouvrir le bal. Le Colonel vainqueur
dʼune guerre invite la comtesse, la maîtresse de maison.

La bande-son est en version française.

Comtesse : « —Non, il y a tant de jolies femmes »


Prince : « —Alors une Mazurka Princesse? »
Comtesse : « —Non, non ! ! »

586
. Sergei M. Eisenstein, ALEXANDRE NEWSKI, 1938.

502
Plan 80
Une fois que les chevaliers ont fini dʼéperonner les soldats adverses qui (de dos)
tombent à la renverse, comme des pantins, ils les piétinent pour passer pardessus et
devant jusquʼà nous dépasser. Cʼest lʼimage presque concrète dʼune submersion
humaine, dont la bande-son de cuivres tonitruants à lʼunisson vient renforcer lʼeffet.
De plus, on y retrouve alors la voix de MARIENBAD qui stance en boucle :

« Qui sont les autres ? Les autres ? Qui sont les autres ? Les autres…(…)
… Je sais que vous prétendiez nʼécouter que moi »

Plan 81 Plan Noir

Description du groupe 6 (Plans 76-81)


Le rapport, dialogue établi en champ/contre-champ, entre les deux films
(Visconti/Eisenstein), semble plus révélateur que la logique interne des récits
développés séparément par chacun des extraits. Ainsi nous sommes confrontés à
deux mondes totalement contradictoires, celui dʼune scène de guerre dont nous
sommes les victimes désignées (par les lances) dans un cadre frontal, et celui dʼune
scène dʼun bal, dont le climat léger, aérien, en plongée, presque badin, choque
dʼautant que la violence des combats surgit. Cʼest la règle du montage bressonien
édictée maintes fois par JLG consistant à rapprocher les choses qui nʼont encore
jamais été rapprochées et ne semblaient pas prédisposées à lʼêtre588.

Notre désir sʼaccorde donc à lʼimage des corps. Il sʼincarne et se transforme en plaisir
(effectuation de la danse) et sʼapparente à la mort. Lʼaspect réellement menaçant des
lanciers peut figurer une réalisation effective de notre désir. Le désir se réalisant cesse
dʼêtre désir (mise à mort). Pendant ce monde éphémère, nous sommes encore dans
lʼinvestissement de notre propre désir (il sʼagit toujours de danser avec une femme). La
comtesse invitée le souligne : il y a dʼautres femmes, et refuse-t-elle par principe ?

587
. Luchino Visconti, IL GATTOPARDO (Le guépard, 1963).
588
. Robert Bresson, Notes sur le cinématographe, Ed. Gallimard. 1972.p.49.

503
Mais notre désir en a choisi une seule, et pendant que nous projetons de danser avec
elle, nous sommes entrain de mourir, (corruption) dʼavoir réalisé notre funeste désir.
Le noir du plan ne surgit non plus comme point de mort, mais, à lʼinstar de la remarque
judicieuse de Bonitzer concernant le cinéma de Godard : le plan noir est un plan de
jouissance589.

K/ DESCRIPTION DE LA SEQUENCE 8

Une des premières remarques que l'on peut faire en conclusion, concerne l'opération
de sélection des films, pour construire la signification de l'ensemble de cette séquence
avec cette phrase. C'est un choix qui dépasse l'idée du langage simple que l'on
retrouvait par l'inscription de cette phrase.

Du choix de cette phrase, celle du MÉPRIS590, cette fois-ci elle apparaît en inscriptions à
l'image pour permettre justement de "libérer" la piste son et de fournir d'autres
éléments auditifs choisis.

Du choix des images pour le montage, on remarquera que certains extraits étaient déjà
présents et associés lors de la conception du livre :
591
INTRODUCTION À UNE VÉRITABLE HISTOIRE DU CINÉMA ET DE LA TÉLÉVISION
FAUST (Murnau) associé à BANDWAGON (Minnelli). Les deux plans (le plan 55 et le
plan 56) sont en effet déjà présents sur la couverture du livre, et ainsi que le faisait
remarquer Jacques Aumont dans son livre, le titre de la pièce expérimentale que
monte sans compromis le metteur en scène (joué par Fred Astaire) avant de produire
le show Bandwagon. Cette pièce dont on verra, durant la première, le public sortir
avant la fin et furieux, s'intitule Faust et est l'adaptation du Faust de Gœthe.

589
. Pascal Bonitzer, “Écran du fantasme”, CAHIERS DU CINÉMA, n°229.08/1971.p.48.
590
. Ref.Film14. LE MÉPRIS. 1963.
591
. Ref.173. Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros, 1980.

504
C'est dans le 3ème voyage du livre que les films étudiés et projetés pour les
étudiants 592, sont le plus présents dans les HdC. Sont présent de ce 3ème voyage :
FAUST (Plan 55, 57).
RANCHO NOTORIOUS(plan 70)
L'ANNÉE DERNIÈRE À MARIENBAD (piste son).

Des autres voyages qui figurent dans cette séquence 8 :


LE MÉPRIS (Phrase au génétitre),

LA RÈGLE DU JEU (Plan 61)

ALEXANDRE NEWSKY (Plan 78)

Alors que ces derniers titres témoignent du pouvoir qu'il ont à hanter593 l'esprit de
Godard pour revenir avec récurrence, ils témoignent pareillement de son obstination à
vouloir sélectionner, pour son histoire du cinéma par les films, les mêmes extraits.

DES TRACES QUI NOUS RESSEMBLENT594


Mais en dehors de cette équivalence, on constate le rapprochement entre la séquence
8 des HdC et du troisième voyage de l'IVHdC&TV qui le précède.
Ce troisième voyage, en effet peut être considéré comme le creuset de cette séquence
si importante, puisqu'au début du chapitre, la question qu'il se pose, et qui conduira le
monologue de Godard à des interrogations épistémologiques, reste à établir une
histoire du cinéma à partir du regard des spectateurs 595, jusquʼà montrer lʼimportance et
lʼautonomie des sous-titres dans les films muets 596.

MISE EN SCÈNE DE DEUX COUPLES : ENSEMBLE ET SÉPARÉ.


On remarquera, et ceci à travers plusieurs personnages pris dans plusieurs films
extraits successivement, la persistance de deux figures humaines. Celle dʼun homme
qui danse avec une femme, (G2-Minnelli, G4-Wellmann, G5-Visconti) et dʼune femme

592
. Dans le livre qui est une transcription (non revue) de sa parole au moment des cours. Godard parle de
voyage au lieu de séance et donc la retranscription livresque y substituera le chapitre. Le livre est donc
composé de Sept voyages. Voir Ref.173. pour plus de développements.
593
. Jean Narboni :"La valeur d'un film sʼétablit aux qualités du pouvoir de hantise qu'il exerce sur nous."
Cours d'analyse de films contemporains 2000-2001, Paris VIII, Inédit.
594
. Ref.173. Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros, 1980.p.107.
595
. Ref.173. Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros, 1980.p.105.

505
qui erre seule (G1-De Palma, G3-Mizoguchi, G5-6-Griffith). Cette dernière figure, une
femme seule dans lʼimage, par principe associatif et en regard à lʼimage de lʼautre
couple qui danse, semblerait correspondre avec la voix off de lʼhomme de
MARIENBAD, qui se plaint dʼune situation solitaire, à lʼimage de lʼautre partie du
couple.
« Alors entendez mes plaintes, je ne peux plus supporter ce rôle, je ne peux plus supporter ce
silence, ces murs ces chuchotements où vous mʼenfermez ».

La femme seule à lʼimage pourrait aussi répondre dans lʼattente de son accouplement,
dans le même temps à lʼhomme « prisonnier du son » mais aussi à notre regard de
spectateur, dans la mesure où nous sommes désignés en tant quʼhomme spectateur
devant le déroulement du film.

596
. Ref.173. Introduction à une véritable histoire du cinéma, Paris, Ed. Albatros, 1980.p.106.

506
Séquence 9.
APPLICATION DE LA SUBSTITUTION / Toutes les histoires. CHAPITRE 1a

(Plan 82— Plan 87)

Plan 82
Godard-présentateur
La bande-son de MARIENBAD continue sur cette image, on entend pour la première
fois, la voix de la femme (Delphine Seyrig) et lʼhomme qui lui répond :

F- « Parlez plus bas, je vous en supplie »


H- «Ces chuchotements pire que le silence où vous mʼenfermez. »

Plan 83
En extrait du film LE CUIRASSÉ POTEMKINE597, pris en gros plan, en noir et blanc, une
femme presque agonisante, crie sans qu'un son ne parvienne. Cette bouche ouverte
donne l'impression de jamais se refermer. Elle est de noir vêtu et peut sembler en
deuil, avec son voile sur la tête et le maquillage de ses yeux qui la dote dʼun air
lugubre.

Les deux plans suivants qui s'enchaînent originellement en fondu proviennent non du
même film POTEMKINE, mais du même cinéaste S.M. Eisenstein.

Plan 84
L'extrait est un film muet en noir et blanc. C'est LA GRÈVE598. Lʼextrait expose en plan
serré la succession d'un plan de hibou et dʼun plan dʼhomme. L ʻagencement des deux
sujets produit une similarité de contour dans la proportion des formes. On assiste à une
véritable métamorphose.

Un hibou posé sur une branche, cligne des yeux (à noter que cet animal, et plus
précisément dans lʼextrait présenté, à cause de son plumage à la base de la tête,
semble toujours un peu remuer par une force automatique).

597
. Sergueï M. Eisentein, LE CUIRASSÉ POTEMKINE, 1928.
598
. Sergueï M. Eisentein, LA GRÈVE, 1925.

507
La bande-son de MARIENBAD reprend sur ce plan599.
« …à pas comptés, côte à côte, jour après jour, à portée de main mais sans jamais nous
rapprocher lʼun de lʼautre. »

Une autre voix extraite d'un film de fiction (C'EST ARRIVÉ DEMAIN, René Clair) nous
commente la synchronicité du rythme des clignotements entre lʼanimal et le plan 85 :
l'homme qui grimace et se frotte les yeux :
« C'est beau, c'est rudement beau ! »

Plan 85
LA GREVE (raccord original de l'extrait). En fondu enchaîné, la face de l'oiseau et le

visage de l'homme sont pris dans une même valeur de plan, ce qui fait que
l'enchaînement semble presque continu. Lʼhomme se frotte le yeux comme pour
essayer de se réveiller ou pour mieux voir.

Plan 86
Une femme descendent ses bas après avoir déclippé ses jarretelles (La valeur du plan
est serré et nous ne voyons pas de visage, seuls les bras sont visibles). Parce qu'une
de ses mains est menottée à une autre main d'homme, lui situé hors-champ. Elle le fait
pour ainsi dire profiter de son opération de déshabillage. La main attchée de lʼhomme
lui frôle les jambes.

L'érotisme développé par Hitchcock dans ce film d'avant-guerre, LES 39 MARCHES600,


est souligné par un cache noir tout en en rondeur, rappelant les effets dʼouvertur et de
fermeture à lʼiris ou bien de gros plan qu'utilisait le cinéma muet, car à lʼépoque où les
jeux des focales n'étaient pas autant variés que de nos jours, en lui substituant un jeu
de caches pour isoler le détail souhaité.

599
. Une partie de la bande-son originale ne nous est pas parvenue. Le moment où cela rejaillit semble
nous indiquer quʼil nʼya pas de coupure. Seulement la bande-son de MARIENBAD. (Resnais, 1961)
continuait son déroulement, et JLG en mixant, laissait le PLAN 83 silencieux occultant donc une partie de
la bande-son.
600
. Alfred Hitchcock, THE 39 STEPS (Les 39 marches, 1935).

508
Il y aussi une reprise du final de la voix off de lʼhomme de MARIENBAD
« … sans jamais nous rapprocher lʼun de lʼautre. »

Plan 87 Plan Noir

Interprétation de la Séquence 9
Cette séquence se propose de produire une application de l'opération de substitution
du cinéma tel que cela a été proposé un peu plus tôt. Le procédé est simple. Un visage
de femme se lamente, face à elle (plan suivant) un spectateur-hibou qui devient un
homme qui n'en croit pas ses yeux, clignant des yeux et les frottant. Le mimétisme
entre les deux est amplifié car ce dernier qui a un long nez pointu et un visage lunaire,
n'est pas sans rappeler l'oiseau a priori. Cʼest une image concrète de la substitution :
face à une femme, un homme-oiseau (image fondant lʼoiseau et lʼhomme) se
transforme en homme simple.

Puis dans un second temps, le plan 86, (contre-champ du plan 84/85) survient comme
pour rendre visible le désir de homme pour cette femme (dans le régime associatif du
montage). Nous découvrons avec le plan des 39 MARCHES, une femme retirant son
bas, se déshabillant, bref se préparant à lʼéventualité de l'acte sexuel, la main de
l'homme menotté amplifie la situation érotique puisqu'elle suggère l'idée de prisonnier
ou dʼun rapport de soumission ; une contrainte physique, elle est menottée à lʼhomme,
devenant esclave à sa disposition. On se rappelle dans le récit du film que les deux
personnages sont inconnus lʼun à lʼautre. Cette main attachée en profite. Elle en profite
pour pouvoir caresser la jambe. L'investissement du quotidien, espace-temps où la
nudité se dévoile (le lever, le bain, lʼhabillage…) constitue un des ressorts majeurs de
l'érotisme, où le fantasme du voyeur peut sʼexercer et devenir tactile.

Le monde en question est un monde, on l'a vu précédemment, qui se définit comme


rapport entre homme et femme, et ce rapport sur bien des aspects est un rapport
érotique. L'érotisme se développe, dans ce montage, en vue du désir de l'homme, qui
au cinéma prends corps. Il se réalise et se transforme réellement. Aussi réel que cette

509
métamorphose anthropomorphe. Lʼindividu n'en croit pas ses yeux. La métamorphose
animale dans la mythologie antique est lié à la faute.
Autrement dit : la bestialité découle d'une punition. La faute reste d'avoir vu ce qu'on ne
devait pas voir. Le devenir animal comme loi de l'interdit du voir : Actéon est transformé
en cerf (poursuivi et égorgé par les chiens à ses trousses) par Diane après qu'il lʼa vue
se baigner nue. Lucien de Samosathe, comme Apulée, sont tous deux transformés en
âne pour avoir découvert une sorcière prendre son bain601.

Le cinéma appliqua cette loi dans les films de genres où des hommes se transforment
en animal. Par exemple lʼacteur Lon Chaney Jr qui interpréta plusieurs fois le loup-
garou. Après avoir vu (désiré donc) grâce à une longue vue, une femme dans son
intérieur mettre des boucles dʼoreillles, il devient Loup-Garou602. Le voyeurisme devient
la conséquence (indirecte) de la malédiction.

LE CINÉMA DÉCOUVRE NOTRE DÉSIR


Par lʼinsertion de cet extrait, JLG montre le mouvement contraire : lʼhomme est libéré
de sa condition bestiale pour pouvoir établir un rapport. Il en a conscience, puisque la
voix off se plaint de ne plus pouvoir supporter cette condition dʼenfermement
(MARIENBAD).
La vue de la femme le transforme et fait de lui un homme (désirant). Cʼest donc par le
regard au cinéma que le désir sʼactive. La phrase de MARIENBAD intervient au dernier
plan et souligne cette distance (« sans jamais nous rapprocher lʼun de lʼautre »).

Lʼimage se dispose, sʼaccorde à notre désir. On ne peux que regarder, sans toucher,
dʼoù prolongement du désir et ajournement de notre jouissance.

601
. -Pierre Klossowski, Le bain de Diane, Paris, Ed. Gallimard, 1964.
-Lucien de Samosate, La luciade ou lʼâne, Paris, Ed. Bibliothèque des Curieux, 1909. Édition et préface
établie par B. de Villeneuve.
-Apulée,“Les métamorphoses ou lʼâne dʼor” Romans Grecs et Latins, Paris, Ed. de La Pléiade. 1958.
602
. George Waggner, THE WOLFMAN (Le Loup-garou, 1941).

510
Séquence 10.
TOUTES LES HISTOIRES QU'IL Y A EU
(2ème ex. de substitution) intro. à IRVI / Toutes les histoires. CH 1a
(Plan 88 — Plan 95)

Plan 88
NOUVEAU STATUT DU GODARD-PRÉSENTATEUR
Godard-présentateur n'est plus à sa machine à écrire, mais debout fumant le cigare, un
peu décalé en latéral et non frontal vis à vis de la caméra. La valeur du cadre par
contre reste le plan large poitrine. Le procédé du name-dropping reste à peu près le
même, à trois différences près :

UNE DIFFÉRENCE DE NATURE (LA MATIÈRE EMPLOYÉE)


La première concerne la nature des titres cités. Godard proférait avant des titres de
films, il va maintenant choisir un certain nombre de titres de livres, à noter dans ce
changement que ces titres là ne sont pas nécessairement des livres qui ont été
adaptés pour le cinéma.

UNE DIFFÉRENCE DE SITUATION (LE DÉCOR)


Le lieu de l'énonciation a changé, car cela cesse d'être le salon où Godard tapait à la
machine, en cela il était derrière sa machine, cette fois-ci comme par inversion il est
dans la pièce de sa bibliothèque et se situant devant son étagère de laquelle il extrait
des livres pour en lire le titre. De derrière à devant dans cette inversion spatiale vient
une dernière différence plus fondamentale :

UNE DIFFÉRENCE DE PRINCIPE (LA MISE EN SCÈNE)


On a vu Godard-présentateur organiser son discours. Il produit une image (son
incorporation dans l'image) et il produit un son (son discours ). Son image est liée au
processus créatif de l'écriture, car dans un premier temps, être derrière sa machine
pouvait signifier être en amont du processus, maintenant qu'il se situe devant, il devient
pour ainsi dire réactif (re-actif) au film lui-même; et dans tous les cas, il instaure un
nouveau principe de séparation.

511
L'ancien mode de représentation, en rappel, était que son image n'était pas liée au son
qu'il produisait. Ici l'annonce des titres des livres ne correspond pas au livre qu'il sort
du rayonnage de sa bibliothèque. En voix-off le narrateur-présentateur lit le titre d'un
livre écrit par Henri Bergson :
[MATIÈRE ET MÉMOIRE]

Plan 89
Extrait du CARROSSE D'OR de Jean Renoir. Le plan vient flasher (11 fois), persistance
du plan précédent. Cette décomposition vient mettre en valeur le mouvement du plan,
c'est-à-dire du mouvement interne de ce qui se rapporte à l'image : l'extrait du film de
Renoir. Nous sommes sur une scène de théâtre derrière le décor face au public, le
rideau à lʼitalienne se referme et les artistes saluent. La situation spatiale et lʼechelle
des proportions entre le cinéaste (plan 88) et les acteurs qui saluent

Plan 90 + (90b)
Godard-présentateur. Le cinéaste fume un cigare, se tourne de profil et lit la tranche
d'un livre quʼil sort.

Plan 91 Plan Noir


En voix-off le narrateur-présentateur lit le titre d'un livre : [LES 1001 NUITS]

Plan 92
les Plans 92 et 94 proviennent de LA NUIT DU CHASSEUR 603.
L'ombre du faux-prêcheur qui est entré à l'intérieur de la maison jusquʼà la chambre
des enfants, correspond à celle de Robert Mitchum. Cette ombre qui s'étire dans
lʼarrière-plan et qui au plan d'après, en contre-champ nous montrera une petite fille. 92
et 94 se joignent dans le film initialement mais ici le plan 93 vient s'insérer dans cette
continuité604.

603
. Charles Laughton, NIGHT OF THE HUNTER (La nuit du chasseur, 1955).
604
. Rappelons que généralement lors de l'entremêlement de deux films, Godard les monte alors que les
deux sont en mouvement, il les assemble pour utiliser une terminologie de la technique vidéo. Lecteur A
(en mode lecture) : LA NUIT DU CHASSEUR et lecteur B (en mode lecture) : Archives De Gaulle à
Paris.1944. Ils parviennent au Master C du film HdC. Récepteur (en mode enregistrement) des deux
extraits A+B, soit en volet, soit en fondu, ce qui peut lui permettre d'opérer des systèmes d'aller-retours
ABABAB…, avec une fréquence très rapide (5 ou 6 fois par secondes) et d'une précision, d'une finesse

512
Plan 93
Film dʼActualités. De Gaulle, en plan américain, marche dans la rue au moment de la
Libération de Paris 1944, il a des compagnons à ses côtés, et salue la foule.
en voix-off le narrateur-présentateur lit le titre d'un livre écrit par André Gide :
[LES FAUX-MONNAYEURS]

Plan 94
LA NUIT DU CHASSEUR
La petite fille allongée dans un lit, en plan serré poitrine, montre du doigt quelquechose
devant elle que nous ne voyons pas..
Dans le montage initial du film de Laughton, Le 94 succédait au 92, c'est l'ombre
qu'elle montre du doigt, mais l'entrelacement par effet violent d'allers-retours (17)
désigne alors De Gaulle qui marche avec d'autres personnes qui l'accompagnent.

Plan 95 Plan Noir

Interprétation de la Séquence 10
OPÉRATIONS EXEMPLAIRES DE LA SUBSTITUTION
Nous pouvons apprécier cette séquence comme un nouvel exemple effectif du cinéma
qui substitue. L'idée de la substitution est mise en scène sous plusieurs aspects.
Dʼabord sous une forme simple : énonciation dʼun titre de livre à la place du titre du film
(à la place du titre du livre à lʼimage aussi), mais aussi le montage de lʼimage de De
Gaulle remplaçant celle de Robert Mitchum. Ainsi on assiste à un montage subjectif qui
semble proposer à notre regard une substitution de deux personnages, le Général de
Gaulle et le preacher sur une séquence de LA NUIT DU CHASSEUR.

Ensuite on peut décrire comment lʼopération est présente sous une autre forme plus
élaborée. Pour cela, on retrouve la technique du Double-Take, telle que nous lʼavions
définie à la séquence 5. Simultanément, deux voix de JLG sont présentes : le Godard-
narrateur nous parle des histoires quʼil aurait eues, questionnant différentes

qu'un montage cinéma plan par plan ne peut donner qu'au bout de plusieurs montages (du négatif)
successifs.

513
temporalités de l'énonciation historique et il ya le Godard-présentateur qui énonce des
titres de livres. Cet exemple est clair et frappant même. Il vient montrer comment cette
opération vient et peut collaborer à l'écriture de l'histoire du cinéma, en venant
corrompre sa continuité temporelle. « Qu'il y a eu, qu'il y a eu » répète Godard, c'est
donc le choix pour l'historien du mode passé dans sa conjugaison du temps du récit.
Ceci n'est pas nouveau, puisque sa phrase est une reprise. Phrase que nous avions
commentée par rapport à sa correspondance avec le texte de Langlois.

514
CHAPITRE TROIS / RAPPORT DE PRODUCTION DES CRITIQUES

Après avoir produit notre essai dʼinterprétation critique, limité aux dix premières
séquences, il convient de nous pencher sur les autres critiques du film. Comme nous
lʼavons exprimé au début de notre troisième partie : à lʼimage de lʼouverture de la boîte
de Pandore qui répand ses maux sur la Terre, nous nous sommes préservé de
lʼabondance des critiques, et avons placé notre essai en amont du déluge des mots.
Il demeure important, maintenant, de chercher à classer ces critiques, de créer une
méthodologie. On constate également que dʼune certaine façon, nous sommes déjà au
début de la fin de notre étude, car ce regroupement peut être compris et lu comme un
répértoire bibliographique raisonné des critiques des Histoire(s) du Cinéma.
Cʼest au bout de cette dernière et troisième partie, dans la conclusion générale, que
nous proposerons notre interprétation globale du film, telle quʼun bon nombre de
critiques, relatives à notre classement, ont pu sʼy résoudre.
Auparavant de notre regard dʼensemble sur les HdC, il convient de souligner et
dʼindiquer les quelques problèmes méthodologiques que suscite la critique du film.

1/ LA DIFFICULTÉ SUPÉRIEURE DE LA CRITIQUE


MOMENT DE LA REPRÉSENTATION
Les différentes lectures de critiques qui témoignent du rapport HdC-spectateur, nous
font comprendre une nouvelle difficulté du film. Cette difficulté se situe, non dans
l'accession (présentation) au film, mais dans notre séparation avec l'objet. Nous nous
séparons du film quand nous cessons d'assister à son déroulement et nous
convoquons alors notre mémoire et non le film réellement (c'est sa représentation).
C'est cet aspect du film qui est ici en question. Sorti du moment présent de sa
projection, lorsquʼil se représente à nous, nous pouvons alors noter les conditions de
sa remémoration, liée à sa particularité formelle : la luxuriance de ses détails, le réseau
intriquant des différentes temporalités. Bref la facture des HdC se révèle tout à fait
originale, et cette originalité rendra difficile les conditions dʼaccès à une analyse, parce

515
que face à cette nouveauté, le spectateur se retrouve sur un terrain non repéré par les
conventions normatives de la représentation.
Une fois la vision du film accomplie, on sort avec des éléments réflexifs en mémoire,
sans que lʼon puisse bien reconnaître lʼordre qui le sous-tend. La difficulté se
matérialise lorsque lʼon cherche à écrire à son propos. Écrire sur le film HdC renvoie à
un réflexe étrange. On digresse, glisse sur le sujet abordé puis l'on perd alors la
spécificité même de ce film-là. Il est notable que cette spécificité est d'autant plus dure
à saisir que le sujet du film lui-même traite du cinéma. Comme si, finalement, cette
écriture n'arrivait pas à se séparer du film. Le critique fait encore corps avec le film
sans jamais pouvoir totalement s'en détacher. Peut-être que le film nous pense et nous
ne parvenons pas encore à penser au film adéquatement.
Ce point est important car on verra dans ce troisième chapitre, qu'une certaine partie,
conséquente, de la critique n'arrive presque jamais à faire la différence entre un
discours sur le cinéma en général et sur Godard en particulier. Noter la différence qui
sʼavère ici fondamentale.
Trop commune ou trop générale, ou l'inverse : trop spécieuse, voilà la trace écrite qui
serait alors plus révélatrice de celui qui écrit que du film lui-même. Les HdC devait être
perçues pourtant, pour un moment tout au moins, comme objet mais lʼécriture sʼavère
incurvée sur elle-même sans qu'elle ne parvienne à toucher le film.
Il faudra arriver à distinguer puis exclure un certain nombre de critiques, du bon
déroulement de notre étude. Il demeure important de savoir choisir, pour insister sur
celles qui nous semblent solitaires, c'est-à-dire indépendantes autant qu'importantes.
Pour cela indispensablement, il convient de constituer une méthodologie, sélective de
l'ensemble du corpus critique du film. Puis, une fois constituée, nous pourrons classer
les critiques actives selon les différents motifs de notre analyse. À partir de ce choix
subjectif, (et répétons qu'il ne peut en être autrement), nous admettons que seules ces
critiques seront valables au cheminement de notre étude.
Rappelons que le nombre de critiques autour des films de Godard est prolifique
presque incalculable et quʼil est nécessaire dʼen exclure un grand nombre.

516
2/ CONDITIONS GÉNÉRALES DE SÉLECTION

A/ DESCRIPTION DU MODE DE SÉLECTION

Il est possible d'entreprendre une série de descriptions générales sur les critiques qui
ont été opérées pour le film et que nous avons estimées importantes, pour notre
sélection.

a/ Conditions dʼapparitions [1] : le nombre


Nous pouvons tenter dʼexpliquer les causes du grand nombre des critiques sur les
histoire(s) du cinéma. D'abord, par le fait que le film ait mis presque plus de dix ans à
apparaître entièrement. Aussi, la Presse a également créé des numéros spéciaux avec
des participations collectives multipliant les occurrences : CAHIERS DU CINÉMA, ART-
PRESS, POSITIF, TRAFIC, LE MONDE…
De plus, certaines publications rapportent spécialement les communications de
colloques dont le thème choisi a été en rapport direct avec Jean-Luc Godard.

La complexité de triage augmente à cause de l'actualité filmique du cinéaste qui,


parallèlement à la période de la conception, fabrication et diffusion des HdC, n'a pas
cessé toute autre activité. Sur ces 10 années, Godard a réalisé d'autres films-essais
ainsi que des longs-métrages. La liste, que nous avons constituée, privilégie les
articles qui parlent exclusivement des HdC, voire principalement.

b/ Conditions dʼapparitions [2] : le type


PROFILS DE LA CRITIQUE DU FILM.
On peut établir plusieurs types de critiques de notre film. La rédaction d'une critique de
film est produite selon deux motifs qui vont statuer la critique elle-même.

517
B/ CRITIQUE GLOBALE OU CRITIQUE SUBSTANCIELLE

Jean Douchet, en son temps, avait déjà souligné la différence duelle et fondamentale
qu'il y a à produire lʼanalyse d'un film. Soit la réflexion sʼétablit du point de vue de sa
complétude (sa globalité) ou soit nous procédons à une réflexion incisive605, en entrant
au cœur du film, dans le détail d'une séquence, ou d'un plan, pour y obtenir sa
substantifique moelle. En sʼinterrogeant sur les propriétés analytiques du film, il pouvait
conclure à sa puissance de conversion chiffrée. Le film pouvait, toujours selon lui, être
réductible à un seul plan, issu du film lui-même, et qui viendrait représenter la
quintessence de tous les autres. Comme une cellule mère, un plan-matrice de tous les
autres 606.
a/ global
Soit la critique est liée à sa situation phénoménale ; la sortie d'un des supports
commercialisés du film HdC ou bien aux projections exceptionnelles dont elle a
bénéficiées ; en ce cas, le type spécifique de notre critique est global.
Nous pouvons effectuer une analyse selon cette première modalité, cʼest-à-dire ce que
représente le film pour la subjectivité du critique, avec comme délimitation, la mise en
question de la possibilité représentative de son ensemble.

b/ partiel
Soit, la rédaction va venir traverser le film, et évoquer conséquemment l'une des
parties des HdC ; elle sera fondée selon un thème choisi, une discipline représentée,
ou bien l'interrogation d'une pratique. Dans ce cas, le type spécifique de la critique est
partiel.
Par ailleurs, la distinction de différents paliers interprétatifs du film, dans la lecture des
critiques, retiendra notre attention pour cette étude.
La critique peut être formatrice de concepts, et son classement selon un mode
problématique va permettre de dégager plusieurs étapes :

605
. Jean Douchet, Psycho, Le cinéma d'Alfred Hitchcock, Paris, Ed. de l'Herne.1969.p.63-65.
606
Jean Douchet, « De la vulgarité », CAHIERS DU CINÉMA n°426. Décembre 1989.p.52.

518
-Dans un premier temps, il sʼagit de comprendre les enjeux et stratégies de la
rédaction, pour ensuite mieux les répartir ;
-Dans un second temps, on aura réussi à appréhender le film dans l'espace historique
de sa réception ;
-Finalement nous trouverons des éléments réflexifs critiques pour notre propre
tentative de description analytique.

3) UNE APPROCHE CRITIQUE DU FILM : LA REVUE TRAFIC

A/ CONDITIONS DʼAPPARITIONS [3] : CAS PARTICULIER EXEMPLAIRE

En résumé, la règle générale de notre sélection des critiques veut que les HdC soit le
sujet singulier, central de l'article. Pour autant, nombre d'autres critiques sélectionnées
effectuent le choix dʼévoquer plusieurs sujets (sur un modèle comparatif, par exemple).
Que cela soit des sujets multiples voire hybrides, au départ, certains sont même
totalement étrangers à Godard ou à son film. Ils citent les HdC soit comme film
exemplaire, soit précisément un extrait seul viendra corroborer lʼargumentation de leurs
sujets.
Une dernière partie de critiques, plus traditionnellement, ont pris un corpus plus large
de films de Godard, pour délivrer alors une étude spécifique sur son cinéma en général
et du rapport que les HdC peuvent entretenir en particulier.
Dans la plupart des cas de ce dernier groupe, nous avons constaté que lʼétude des
HdC était établie suivant le même procédé : en tant que simple argument exemplaire
pour une thèse plus large. Aussi au cours de lʼarticle, lʼauteur fera référence à un
ensemble varié d'œuvres parmi lesquels on retrouvera les HdC.

Une des difficultés, réside dans le processus de sélection ; celle-ci consiste à devoir
choisir parmi la totalité de ce qui s'est écrit dans le domaine du cinéma et citant les
HdC. Notre restriction au domaine cinématographique est toute relative car on pourrait
bien évidemment agrandir la superficie de notre recherche vers d'autres domaines

519
comme des revues de sociologie, d'histoire voire de littérature. Redisons-le, lʼœuvre de
Godard a influencé toute un panel large de créateurs et de chercheurs. Son occurrence
se retrouve dans de nombreux domaines, un peu à l'image dʼubiquité de la situation
des Études cinématographiques, qui, comme discipline universitaire, traverse au moins
une demi-douzaine de départements différents — philosophie [Paris VIII- Vincennes],
ethnologie [Nanterre], lettres modernes [Jussieu] …

B/ MODALITÉS DES ARTICLES


LES ARTICLES SELECTIONNÉS PRÉSENTENT PLUSIEURS TYPES DE
MODALITÉS PHÉNOMÉNALES.
- Les articles conçus spécialement pour le film. On retrouve, presque dans la plupart
des cas, lors de la composition du titre de présentation, une référence directe aux HdC.

- Les articles comprenant différents sujets d'étude où figurent les HdC.


On peut faire une distinction de niveau entre deux sortes d'articles.
D'abord le niveau intermédiaire, un article concerne Godard sans concerner les HdC
directement : étude sur le cinéaste. Cette première section façonne un ensemble de
textes sur Godard, invoquant par là plusieurs de ses films dont les HdC.
Un second niveau regroupe les articles qui développent un thème dans une discipline
particulière. À cette occasion, le rédacteur va élaborer un corpus de films (entre deux
et une quinzaine). Les HdC vont figurer dans ce corpus.

- Les articles dont les HdC ne sont qu'une occurrence, mais qui conservent, pour notre
travail, un véritable apport théorique. Ce dernier ensemble d'articles va fournir un cas
particulier, qu'il convient d'étudier plus en détail par la circonscription exemplaire à
travers une revue de cinéma. En effet, il nous a semblé intéressant à pouvoir se
restreindre au cas d'une revue de cinéma. Nous essayons de comprendre comment la
citation des HdC, incidente pour un grand nombre d'articles, va constituer une
référence indirecte et prépondérante. Le film devient alors emblématique. Il devient un
symbole actif dans le milieu critique du cinéma. Il faut noter, pour conclure, que toutes
ces références du film ne sont en rien systématiques : elles sont globales ou partielles.

520
Répétons-le, un article qui va citer les HdC indirectement — c'est-à-dire lorsque son
sujet d'étude n'est à l'origine, pas concerné — est souvent plus révélateur de la nature
de ce dont le film peut témoigner. On n'est pas piégé par une obligation de rendu, le
dispositif est ici aléatoire. Quand le film est cité simplement par incidence, sa
signification se réduit à un niveau essentiel qui va être intéressant à dégager.
Il convient donc d'étudier ces citations indirectes.

C/ DOMAINE DE DEFINITION POUR LES CITATIONS INDIRECTES DE TRAFIC

Pareillement, nous allons pouvoir étudier, grâce à la revue Trafic, un ensemble


d'articles dont pour beaucoup, le sujet central ne concerne pas les HdC. Mais au gré
d'un exemple, au détour d'une phrase, le critique va citer les HdC, pour argumenter,
clarifier une position théorique, représenter une fonction historique, ou encore affirmer
un propos poétique. Si nous citons, par exemple Giorgio Agamben et son article, sur le
cinéma de Guy Debord607, c'est parce que les remarques qu'il établit à propos du film
de Godard nous ont paru pertinentes et qu'il ne fallait pas les passer sous silence, au
seul prétexte que l'article n'eût pas pour motif central de sa problématique, l'étude du
film historique de JLG. En effet, c'est parce qu'il nous livre une tentative de concevoir
Guy Debord comme philosophe qu'il mentionnera le Godard des Histoire(s), Pour cela,
à partir de l'image dialectique608 de Walter Benjamin, il trace une perspective. Une ligne
de fuite qui fait aller de Benjamin, en passant par Gilles Deleuze, pour ensuite finir sur
Daney commentant les Histoire(s) du cinéma.

"Malgré leur ancienne rivalité (…) Godard a retrouvé le même paradigme que Debord avait été
le premier à tracer. Quel est ce paradigme, quelle est cette technique de composition ? Serge
609
Daney, à propos des Histoire(s) de Godard, a expliqué que c'est le montage." .

Après une interrogation sur le montage comme fondement du cinéma, Agamben


continuera lʼélaboration de sa figure parallèle entre les deux cinéastes, grâce à une

607
. Giorgio Agamben, “Le cinéma de Guy Debord”, TRAFIC n°22. Été 1997. pp.56-61.
608
. Walter Benjamin, “L'œuvre d'art à l'époque de sa reproduction mécanisée”(1936), Ecrits Français,
Paris, Ed. Gallimard, coll. Bibliothèques des Idées, 1991. p.142.

521
autre perspective conceptuelle, liée cette fois-ci avec une pensée littéraire, empruntée
à Friedrich Hölderlin et Paul Valéry, quant à leur puissance d'interruption ; signifiant ici
la capacité de nos deux cinéastes à établir cette puissance d'arrêt qui travaille l'image
elle-même, qui la soustrait du pouvoir narratif pour l'exposer en tant que telle.
Bien sûr on est en droit de se demander à quoi correspond pour Agamben cette valeur
d'exposition de l'image610. Et pourquoi suspend-elle le sens ?
Mais ce que nous voulions démontrer avant tout, c'est que la démarche historique de
Godard se trouve ici extrêmement valorisée, par l'intermédiaire d'une étude sur Guy
Debord. De plus, on notera que lʼapproche filmique, effectuée par cette critique, sʼest
produite à partir dʼune vision dʼensemble, c'est-à-dire du point de vue de la globalité
des HdC.

Les articles utilisant les HdC comme simple citation indirecte sont évidemment
beaucoup trop importants en nombre pour pouvoir les quantifier au sein de ce travail.
Nous laissons imaginer qu'il faudrait compulser l'ensemble pléthorique de tous les
livres sur le cinéma et de toutes les parutions depuis 1998611 pour déceler ces citations
qui sont par essence dissimulées (puisque indirectes). C'est la raison pour laquelle
nous proposons de limiter notre recherche sur une seule revue : Trafic 612. Cette
circonscription pourra être perçue comme exemplaire et représentative de lʼensemble
du cinéma. Elle fonctionnera temporairement comme nouveau domaine de définition
symbolique.
Nous avons décidé d'inclure, par ce système de citation indirecte, toute une série
d'articles dont lʼénoncé ne suffirait pas pour comprendre l'occurrence.

609
. Giorgio Agamben, “Le cinéma de Guy Debord ”, TRAFIC n°22 Été 1997. p.57.
d

610
. D'autant plus qu'il cite Walter Benjamin et celui-ci avait opéré une distinction entre valeur rituelle et
valeur d'exposition.
611
. Année de la sortie des VHS, toutefois on sait que des articles ont été rédigés à partir des premiers
épisodes, juste après leur diffusion sur CANAL +, en 1988.
612
. La présence et le choix de cette revue sera explicitée juste après.

522
D/ EXEMPLARITÉ DE TRAFIC

Pour saisir l'importance du film en tant qu'influence majeure pour grand nombre de
critiques de par le monde, nous avons choisi de montrer quel était son mode
d'apparition à travers l'exemple d'une seule revue ; une revue trimestrielle de cinéma :
Trafic. Fondée en 1991 par Serge Daney613 avec autour de lui : Jean-Claude Biette614,
Sylvie Pierre615, Patrice Rollet 616 et Raymond Bellour617, cette revue fut conçue par
d'anciens rédacteurs souvent insatisfaits des Cahiers du cinéma au moment même où
ladite revue changeait de format et, pour reprendre une expression de la rédaction, on
jugeait inexorable son devenir-magazine618. Ce devenir qui permit, entre toutes autres
choses nécessaires, de sʼouvrir à des générations plus jeunes.

Si la revue Trafic est choisie pour exemple, c'est qu'elle sʼavère particulièrement toute
désignée pour contenir des articles qui vont produire une attention réelle à l'existence
du film HdC et supporter Godard comme cinéaste majeur, mais ce n'est pas l'unique
raison. Elle est depuis une quinzaine d'années, devenue une des continuations les plus
fidèles de l'esprit des Cahiers tel qu'a pu le connaître Godard. Pour exemple, ce sera
cette revue qui reproduira la conférence de la FEMIS : Qu'est-ce que l'acte de
création?619 de Gilles Deleuze ou encore le discours de réception du prix Adorno, “À
propos de cinéma et d'histoire”620, qu'a prononcé Godard.

L'idée de sélectionner exemplairement une revue est venue grâce à la démarche de


Gilles Deleuze. Lors de la rédaction de ses opuscules sur le cinéma : Cinéma 1 et

613
. Pour beaucoup de critiques contemporains, Serge Daney demeure le critique le plus important d'après-
guerre après André Bazin. Il en est plutôt le continuateur (il fut co-rédacteur en chef des Cahiers du
Cinéma avec Serge Toubiana 1976-1981). Son style réussit à prendre en compte toutes les évolutions
scientifiques que la pensée du cinéma a produite dans les années 60/70, comme la psychanalyse,
sociologie, philosophie de l'histoire. Voir Hervé Joubert-Laurencin : « AB-SD », Trafic n°50.
614
. Cinéaste, ancien rédacteur des Cahiers du Cinéma.
615
. Ancienne rédactrice des Cahiers du Cinéma.
616
. Ancien rédacteur des Cahiers du Cinéma.
617
. Poète lyonnais, ancien rédacteur des Cahiers du Cinéma et spécialiste de littérature française.
618
. Antoine De Baecque, “Pourquoi nous changeons” CAHIERS DU CINÉMA n°480.07/1991. p.06
619
. Gilles Deleuze, Qu'est-ce que l'acte de création ?, TRAFIC n°27. Automne 1998. p.133. Les premiers
textes sur le cinéma de Deleuze furent publiés aux Cahiers du Cinéma.
620
. Ref.183, À propos de cinéma et d'histoire, TRAFIC n°18. 1996.

523
Cinéma 2621, il employa exclusivement, ou à de très rares exceptions, ceux qui sont en
provenance de deux revues uniquement : les Cahiers du cinéma et Cinématographe.
Deleuze se rendait compte que, pour opérer ses citations, parmi des textes issus de la
littérature cinématographique, utiliser la même source augmenterait la cohérence ainsi
que la fiabilité heuristique. Restera pour nous à savoir choisir la revue importante622.

Trafic, publié par Paul Oltchakovski-Laurens (P.O.L.), est livré trimestriellement. Cette
fréquence permet de prendre du recul623, face à la surcharge de devoir rendre compte
d'une actualité éminemment abondante, échue habituellement à un hebdomadaire ou
mensuel. L'absence affirmée de sources visuelles624 classe résolument cette
publication comme une revue iconoclaste de recherche d'écriture sur le cinéma. Ce
souci de recherche fut leur postulat de départ. Malheureusement, il n'existe pas encore
de travaux qui puissent rendent compte de l'influence de Trafic au travers les années
90 et 2000. Elle fait collaborer régulièrement un nombre élevé de critiques qui firent les
beaux jours des Cahiers du cinéma (années 60/80) et devant lesquels Godard subsiste
à représenter lʼune des références importantes, par la constance dénombrée de son
évocation, parmi quelques autres cinéastes de la Nouvelle Vague : Truffaut, Rivette,
Straub-Huillet, Resnais…

E/ EXEMPLARITÉ DES HISTOIRE(S) DU CINÉMA


Beaucoup dʼarticles proviennent de traductions. Ce qui témoigne également d'une
ouverture patente sur la critique étrangère dans cette revue. Si nous laissons, pour le
moment, les réels motifs 625 de l'ampleur du devenir-référent des HdC, on constate
depuis le début des années 90, lʼimpulsion de toute une série de nouveaux articles et
de livres, au sein de la critique internationale de cinéma. Ils citent le film de Godard tant
de fois, quʼils en font lʼun des plus cités de la revue.

621
. Gilles Deleuze, Cinéma 1, L'image-Mouvement, Paris, Ed. de Minuit, 1983.
Gilles Deleuze, Cinéma 2, L'image-Temps, Paris, Ed. de Minuit, 1985.
622
. On se rend compte de cette difficulté, lorsque l'on doit choisir parmi un nombre de revues non classées
hiérarchiquement par qualité dans une cinématographie nationale inconnue.
623
. Serge Daney, « Journal de lʼan 1 », TRAFIC n°1. Hiver 1991.p.7.
624
. Jean-Claude Biette, « La malédiction du photogramme », CAHIERS DU CINÉMA n°379, Janvier
1986.p.34.
625
. Est-ce l'originalité du questionnement historique des HdC? L'exposé de la motivation des articles sera
effectué dans la répartition de leur problématique (au chapitre Trois).

524
TYPOLOGIE DES ARTICLES CITANT LES HDC
À titre d'exemple révélateur, nous avons listé tous les articles de la revue Trafic qui
citent incidemment (et intégrant aussi, bien sûr, ceux qui le citent directement) le film
HdC, pour comprendre et démontrer l'ampleur du phénomène qu'il est devenu.
Symbolisant la difficulté même de réfléchir objectivement sur le cinéma, les HdC y sont
convoquées pour établir qu'il existe un tel film inclassable, monstrueux626. La prétention,
celle d'être historique et de proposer une pensée nouvelle sur le cinéma, se mesure au
nombre de ses évocations.

Une autre preuve de lʼexemplarité de la revue consiste à produire une synthèse de la


motivation critique à citer les HdC, tant la diversité argumentaire est large. Nous
pouvons, quand même, nous risquer à exposer ci-dessous plusieurs notions.

F/ 4 NOTIONS REPRÉSENTATIVES DU TYPE DʼARTICLES DE LA REVUE TRAFIC


CITANT LES HDC

Ces quatre notions, en effet, ont l'avantage d'être les notions les mieux représentatives
du répertoire existant.
Les deux premières notions sont générales et patentes. Les deux dernières sʼavèrent
plus intéressantes, parce que plus spécifiques. Celles-ci apparaissent régulièrement et
nʼen sont pas pour autant raréfiées. Nous y reviendrons, en temps voulu, en prenant, à
chaque fois, un modèle symptomatique, représentatif. Ces deux notions sont la
mémoire et la cinéphilie.

2 NOTIONS GÉNÉRALES
HDC : FILM CONCOURANT À L'ÉDIFICATION DE L'HISTOIRE DU CINÉMA
a/ Notion 1 : Histoire du Cinéma.
La première notion, que reprennent les critiques, lorsqu'ils citent les HdC
généralement, est liée au titre même du film, et présentent les HdC en tant que film

626
. Monstrueux dans le sens de monstra : hors normes et montré du doigt.

525
contribuant à l'histoire du cinéma. Ce film produirait une réflexion originale (mais pas
totalement inédite) sur le dispositif esthétique de l'histoire du cinéma, avec pour
singularité que cette histoire soit filmée, mais aussi avec pour généralité que la volonté
de Godard — à s'inscrire pratiquement dans l'histoire du cinéma — y est clairement
dévoilée, intitulée.
HDC : FILM EMBLEME DE L'ŒUVRE ENTIÈRE DE GODARD
b/ Notion 2 : Grand Œuvre.
La seconde notion générale veut que les HdC soit son chef d'œuvre au sens strict et
traditionnel du terme. C'est-à-dire emblématique de toutes les autres œuvres qu'il ait
pu produire ; cette désignation engendre immanquablement une tendance exutoire : les
HdC deviennent exemplaires pour le reste du cinéma dans sa totalité et non plus
seulement pour lʼœuvre de JLG. Cette notion représentative de l'ensemble du cinéma
lui est imputée ; Exemplarité au présent, comme au passé, cette notion des HdC peut,
pour beaucoup de rédacteurs, représenter par défaut, tout autant la projection de
l'histoire du cinéma sur le présent et constituer la force du passé, celle-ci circonscrite
par la connaissance de son histoire.

RELEVÉE DE LA MÉMOIRE ET DE LA CINÉPHILIE DANS L'ÉVOCATION DES HDC,


TOUTE LA MÉMOIRE DU CINÉMA.

c/ Notion 3 : Mémoire.
Une fois passé sur ces deux premières évidences, on relève, à de très nombreuses
occasions, que la citation indirecte des HdC est effectuée dans le but de décrire une
troisième notion, plus particulière : la capacité de la mémoire vis-à-vis de l'image, et
aussi, celle de lʼaffirmation la mise en scène filmique qui demeure un moyen
singulièrement actif aux fins de la remémoration. C'est la double activité du pouvoir de
la vision — réparti entre spectateur et cinéaste : voir et faire voir— qui est ici évoquée
pour grand nombre d'analyses critiques.
Les prochains chapitres essayent, par une analyse systématique, de rapporter que les
éléments principaux de lʼédifice formel du film des HdC sont fondés sur lʼaction du
souvenir de Godard; comment sa mémoire travaille, et nous travaille, plongeant dans
son histoire personnelle et l'histoire du cinéma. C'est même pour cette même raison

526
que le travail d'écriture critique sera effectué également selon cette procédure
mnésique : accompli selon le souvenir que l'on ait des HdC. Comme nous lʼavons déjà
formulé, la première étape critique face au film consiste à en être spectateur, mais l'une
des caractéristiques de ce spectacle réside dans la représentation d'une personne
spectatrice (le cinéaste qui s'auto-filme et qui contemple les extraits de films qu'il a
choisis). Nous rédigeons d'après notre regard sur quelqu'un qui regarde des images et
des sons appartenant à l'histoire du cinéma. Cet effet de mise en abyme produit une
difficulté critique supplémentaire et sera amplement commenté.
Que puis-je faire, en effet pour me souvenir d'un souvenir ?627

Marie-Anne Guérin lors de sa critique du film CRASH628 s'appuyait sur les HdC, en tant
que première évidence révélée, pour évoquer le cinéma de Godard dans sa totalité.
Ensuite, elle attribua à ce film, la qualité d'être un résumé du rapport intangible
cinéaste / personnages : en effet ces derniers ne peuvent être oubliés, ni disparaître de
la fiction godardienne ; ils sont liés au désir (du cinéaste) de se remémorer, se
souvenir, et elle va jusquʼà argumenter cette idée en se référant au personnage de
James Stewart dans VERTIGO629: John Fergusson630. Jimmy Stewart dans la deuxième
partie du film, à l'instar d'un cinéaste, exigera de Kim Novak à devenir Madeleine, à
prendre l'apparence d'un femme disparue. Enfin Guérin y établit un parallèle
comportemental avec Godard et ses acteurs :

"Le cinéaste passe un temps fou, luxueux, invraisemblable, incompatible avec celui de la vie
réelle, à mettre en scène, via James Stewart, le retour à l'image de Madeleine disparue. Il n'y a
que le cinéma pour lui rendre Madeleine. “Seul le cinéma ”, comme scande Godard, dans
631
Histoire(s) du cinéma. Images rémanentes des films de Godard (…) " .

627
. Jacques Aumont, Amnésies, Paris, Ed. P.O.L.1999.p.29.
628
. David Cronenberg, CRASH. 1999.
629
. Alfred Hitchcock, VERTIGO. 1959.
630
. Avoir choisi John Fergusson est doublement symbolique car c'est celui qui a oublié son propre nom :
une blague juive new-yorkaise, raconte le cas de l'émigrant russe Jacob Jacobavitch arrivant trop ému au
registre d'inscription des noms à Perris Island, et qui, au lieu de répéter le nom (John Carpenter) qu'on lui
avait conseillé de prendre, avoue dans sa langue : J'ai oublié (Ichon forgossen), alors l'officier l'enregistra
sous le nom de John Fergusson.
631
. Marie Anne Guérin, "Rien avant la disparition", TRAFIC n°20. Hiver 1996.p.103.

527
M.A.Guérin cite les HdC comme clef de voûte de son œuvre, à l'instar de G.Agamben,
on vient de le voir, qui forgeait l'expression d'un Godard des Histoire(s), comme si,
justement on pouvait séparer ce Godard-là, de ses autres manifestations ; simplement
parce qu'il arriverait à se réifier pour devenir un nom commun et pour se hisser au-
dessus de sa propre production. Un Godard séparé pour qu'il puisse incarner son
emblème et devenir symbolique de l'ensemble de son œuvre.

LE CINÉPHILE : ACTEUR DE L'HISTOIRE DU CINÉMA

d/ Notion 4 : la cinéphilie.
Ainsi, la citation indirecte apparaît dans une deuxième perspective régulière : lorsqu'on
veut exprimer la situation paradoxale de la cinéphilie. Elle se retrouve dans les
expressions qui lui sont synonymiques : cinéphagie et cinémanie. Le paradoxe est
provoqué par la coexistence entre une passivité de fait, —liée à la réception durant la
projection, impliquant un comportement sans réserve glouton de consommateur de
films—, le cinéphage, avec le potentiel créateur —que la réception confère également,
impliquant une attitude distanciée, sélective—, le cinémane.
La citation des HdC va intervenir très souvent au cœur de ce paradoxe, quand les
critiques s'interrogeront et évoqueront les moyens de perpétrer cet amour du cinéma.
En d'autres termes, cela revient à désigner la cinéphilie comme le désir humain
d'entrer dans l'histoire. Et l'écriture sur le cinéma, la fondation de revues, les dialogues
comme tout autant la réalisation de films, sont liés à lʼinscription de ce désir.
En premier lieu, et on a vu comment et pourquoi632, les cinéphiles sont les premiers
garants humains de l'histoire du cinéma grâce à leur pratique spécifique de la
transmission orale de l'histoire du cinéma, qui en est sa contribution naturelle. Ainsi
pour ne prendre qu'un seul exemple, Jean-Louis Leutrat dans un texte d'étude
historique sur le cinéma, convoque évidemment les HdC lors de ses premières
interrogations épistémologiques : Faire quelle histoire ? Les histoires de quoi ?
Qu'est-ce que l'histoire a à voir avec le cinéma ? 633

632 ème
. Supra 2 Partie, CH 3. 1/ Prédéterminations du désir : figures du cinéphile.
633
. Jean-Louis Leutrat, "A perte de vue", TRAFIC n°4.Automne 1992.p.89.

528
Et il affirme que ces interrogations cinématographiques, quand elles se produisent
dans le sillage d'une pratique historique, peuvent être obtenues par l'intermédiaire de la
réalisation d'un film.

Jean-Louis Leutrat énonce alors qu'il faut relire le passé à partir du présent, puis, il cite
le film de Godard, ainsi que Fieschi au préalable :
« “L'avènement d'une génération de cinéastes conscients de leur héritage écrit enfin l'histoire
que nous attendions. Le plus beau texte critique sur le TARTUFFE de Murnau s'appelle NICHT
634
VERSÖHNT . ( Fieschi) ”, LES HISTOIRE(S) DU CINEMA de Jean-Luc Godard sont, entre
autres, la clôture d'un tel programme. Un cinéaste conscient de son héritage tire un trait mais
635
laisse son geste suspendu. »

Pour Leutrat, la mention des HdC vient donc corroborer lʼéventualité critique quʼun film
puisse en critiquer un autre et de plus, cette possibilité se présente comme la dernière.

LA PENSÉE D'UNE PRATIQUE


Dégager l'évidence : si le film peut être considéré comme argument critique à valoir,
notre réflexion doit le soustraire impérativement avec le domaine auquel il appartient
par principe : le cinéma. La soustraction sʼavère nécessaire, sous peine d'écrire des
généralités sur l'histoire du cinéma. Ainsi pour Jean-Louis Leutrat, les HdC
représentent ce souci de préserver au moins la mémoire (du cinéma, nda ) sous une
forme autre que celle d'idées reçues, qui prévaut ordinairement. 636

Avec Alfred Hitchcock, Fritz Lang, et Jean Renoir, Jean-Luc Godard est un cinéaste
qui occupe une position principale dans la pléiade du critique cinéphile. Il reste une
référence majeure dont l'importance de sa considération peut se prouver dans la
mesure où il est l'un des cinéastes le plus cité637, le plus commenté. Dès leur première
diffusion, les HdC vont venir couronner cette préférence. De lʼampleur de cette
préoccupation internationale, donnons pour preuve qu'il demeure, le seul cinéaste avec

634
. Jean-Marie Straub, NICHT VERSÔHNT (Non réconciliés, 1965).
635
. Jean-Louis Leutrat, "A perte de vue", TRAFIC n°4. Automne 1992. p.89.
636
. Jean-Louis Leutrat, "A perte de vue", TRAFIC n°4.Automne 1992. p.89.
637
. Cette place majeure des HdC dans la revue Trafic n'est pas une exception, bien au contraire, nous
avons même longuement hésité à choisir une revue de Cinéma car parmi un grand choix donné de revues,

529
Alfred Hitchcock, à bénéficier d'une attention bibliographique toute particulière : celle
d'un livre638 qui lui est consacré, mais uniquement sur l'indexation des références639 de
sources, articles et livres, des études godardiennes à travers le monde. Précisons que
le domaine d'étude de ces 250 pages ne se limite quʼà la période créative de Godard
d'avant 1979, ses vingt premières années.

La liste qui suit, présente des articles regroupés selon leur classement chronologique.
Au prochain chapitre, nous les répartirons dans les sections de leur mode
problématique. Précisons d'emblée que tous n'ont pas été retenus. Nous avons opéré
une sélection préalable pour prévenir du débordement numéraire, explicité dans
l'introduction.

beaucoup offrait la même position (Vertigo, Cinéma, Admiranda, Sight & Sound, Filmcritica, Kinema
Jumpo…).
638
. Julia LESAGE, Jean-Luc Godard : a guide to references and ressources, Boston MA, Ed. GK Hall,
1979.
639
. Travail de référenciation des références elles-mêmes.

530
4/ LISTE DES ARTICLES DE TRAFIC AYANT CITÉS LES HDC

* Les articles mis en astérisque, regroupés en début de listing, sont les articles

consacrés principalement aux HISTOIRE(S) DU CINEMA. Logiquement, les articles citant


les Hdc à titre dʼexemplarité sont ceux qui sont sans astérisque.

Articles de la revue Trafic (de 1991/n°1 à 2004/n°50)


ayant cités LES HISTOIRE(S) DU CINÉMA de Jean-Luc Godard

*— Jonathan Rosenbaum Bande-annonce pour Histoire(s) du cinéma de Godard, 21 / 5


*— Jacques Rancière La fiction de mémoire
(À propos du Tombeau d'Alexandre), 29 / 44
*— Jean-Luc Godard et Youssef Ishaghpour Archéologie du cinéma
et mémoire du siècle. (1), 29 / 16
*— Jean-Luc Godard et Youssef Ishaghpour Archéologie du cinéma
et mémoire du siècle.(2), 30 / 34
*— Helmut Färber Dante Schelling Godard / Histoire(s) (montage), 43 / 137
*— Philippe-Alain Michaud Passage des frontières. Mnémosyne entre... , 45 / 96
*— Libby Saxton Anamnesis Godard / Lanzmann, 47 / 48
*— Helmut Färber "Le paysage est plus vieux que l'être humain.
Même si c'est une fleur", 50 / 407
*— Youssef Ishaghpour "Exercices de pensée artistique, on a dit..."
The Old Place…, 50 / 509
— Jean Narboni Tous les autres s'appellent Meyer, n°3 / page 54
— Serge Daney Le travelling de Kapo, 4 / 17
— Jean-Louis Leutrat À perte de vue (sur l'histoire du cinéma), 4 / 89
— Serge Bozon Teenage Fever, 5 / 82
— Raymond Bellour La chambre, 9 / 50
— Raymond Bellour Sur la scène du rêve, 13 / 88
— Jean-Claude Biette Les enfants de Godard ou de Pasiphaé, 15 / 123
— Bill Krohn Raison(s) d'un festival, 16 / 8
— Raymond Bellour Sauver l'image, 17 / 53
— Kent Jones Désordre et contemplation : les films d'Abel Ferrara, 19 / 42
— Marie Anne Guérin Rien avant la disparition, 20 / 103

531
— Jacques Rancière La constance de l'art (À propos de Drancy Avenir) , 21 / 42
— Raymond Bellour Du nouveau, 22 / 6
— Giorgio Agamben Le cinéma de Guy Debord, 22 / 57
— Jonathan Rosenbaum Cannes, tour de Babel critique, 23 / 12
— Jacques Jeanjean La puissance de La Ciotat
(Des images virtuelles au cinéma), 23 / 110
— Jean-Claude Biette Le gouvernement des films, 25 / 13
— Patrice Rollet Dans un miroir, obscurément, 28 / 73
— Raymond Bellour Le corps de la fiction, 30 / 117
— Helmut Färber King-Kong : comment le cinéma se raconte lui-même, 34 / 95
— Mathias Lavin South by South-East (Au Bord de la fiction), 35 / 31
— Sylvie Pierre Rio Daney Bravo, 37 / 22
— Jonathan Rosenbaum Daney en anglais : lettre à Trafic, 37 / 190
— Jean-Christophe Royoux L'instant du redépart... , 37 / 256
— Marie Anne Guérin L'amour enfui, 39 / 11
— Mark Rappaport Under Capricorn quinquagénaire
(et Hitchcock centenaire), 41 / 78
— Raymond Bellour Pourquoi Lang pourrait devenir préférable à Hitchcock, 41 / 171
— Alexander Horwath Singing in the rain. Supercinématographie
de Peter Tscherkassky, 44 / 101
— Helmut Färber Une forme qui pense. Notes sur Aby Warburg, 45 / 111
— Marie Anne Guérin L'arrêt sur mémoire, 47 / 24
— Jean-Claude Biette Le cinéma et l'éthique, 50 / 12
— Alain Bergala De l'impureté ontologique des créatures de cinéma, 50 / 26
— João Màrio Grilo Petit abécédaire à l'usage du cinéma
(un point de vue portugais), 50 / 49
— Jonathan Rosenbaum Adieu cinéma, bonjour cinéphilie, 50 / 67
— Christa Blümlinger Cultures de remploi - questions de cinéma, 50 / 343
— Michèle Lagny Film-outil : le cinéma exploité, 50 / 359
— Dominique Païni Qu'est-ce que le cinéma français ?, 50 / 378

532
5/ APPROCHE DU FILM PAR LES CRITIQUES

DEUXIÈME APPROCHE
Après avoir questionné le mode de sélection des critiques et leur forme d'approche vis-
à-vis du film, il est important de définir aussi au préalable comment, à l'intérieur même
du texte critique, le film se manifeste. Sous quelle forme est-il exhibé et cité par le
critique ? Car il y a une différence notable à concevoir une critique en invoquant le film
dans son entier comme peut l'effectuer Jonathan Rosenbaum640 ou bien de prendre à
l'intérieur de celui-ci des éléments épars, ou une expression conceptuelle, comme peut
le faire Jean-Claude Biette, quand, en citant le second épisode, il évoque le cinéma
comme art du cosmétique641. D'ailleurs cette différence de saisie n'est pas inconciliable
dans un même article. En d'autres termes, la question posée, consiste à examiner
l'importance du passage du film en idée, au moment de sa description dans un article
(une idée écrite concise qui puisse le résumer, une idée qui corresponde alors à son
identité) ou bien, lorsquʼon décide de citer juste un extrait des HdC, nous retrouvons
quand même un niveau descriptif de sa transformation en écriture, proposant son
identité pleine et entière, réduite alors par une formule. Cette formulation sera rendu
possible un peu à l'image de la biologie comme l'on pourrait le faire avec de l'A.D.N.

AU MOMENT DE SA CITATION (SA DESCRIPTION),


L'IDENTITÉ DU FILM EST-ELLE MISE EN DANGER ?
Aussi, on peut décrire le mouvement du film allant vers le souvenir du critique dont on
retrouvera trace dans son écrit, comme un mouvement d'extraction, un mouvement de
décontextualisation, et pourtant ce qui reste du film, ce reste qui a été déplacé et cité
deviendrait alors identique à l'ensemble duquel il provient.

A/ LA CRITIQUE GLOBALE
Il est important de rappeler qu'avant 1998, toute critique qui a été rédigée ne peut
qu'évoquer nécessairement le film de façon fragmentaire et partielle. C'est à partir de
cette date, la sortie commerciale du film en VHS, que les articles qui s'y référent,

640
. Jonathan Rosenbaum, " Bande-annonce pour les Histoire(s) du cinéma de Godard", TRAFIC
n°21.Printemps 1997. p.5.
641
. Jean-Claude Biette, " Le cinéma et l'éthique ", TRAFIC n°50. Été 2004.p.26. et

533
pourront parler du film dans la plénitude de sa forme finale, une version définitive, la
version 3.
Ce que l'on peut constater aussi, c'est que les critiques, qui vont tenter d'étudier le film
dans son entièreté, et qui attestent de son impact dans l'histoire du cinéma par
exemple, ne sont pas très nombreuses. On peut citer ici, comme critique globale, les
études rétrospectives établies par les numéros spéciaux collectifs publiés soit par les
revues, soit par les colloques ainsi que deux opuscules. Ces deux-là sont le livre de
Jacques Aumont 642 et l'article de Jonathan Rosenbaum, publié par Trafic 643. Cette revue
avait même tiré à part644 ce dernier, sous l'insistance de Godard, qui utilisa le fascicule
comme dossier de presse à Locarno en 1995645. Les publications des revues et
colloques procèdent d'une autre façon.

B/ LES REVUES
Pour les revues, nous avons les Cahiers du Cinéma646, —où les critiques vont se mettre
à plusieurs pour procéder à une description du film entier, avec pour manœuvre, la
répartition d'une personne par épisode— et Art-Press — qui a opté pour la publication
d'un recueil, intitulé guide647, mais qui, en fait, n'en possède pas les qualités. Il
correspond plutôt à une récollection intéressante de textes mandés spécialement à une
quinzaine d'intellectuels (universitaires, philosophes, historiens de l'art, esthéticiens,
critiques d'art et critiques de cinéma) qui se sont pliés à la contrainte de ne parler que
du film comme principe de départ.
Le quotidien le Monde publia similairement (en tiré à part aussi) un regroupement
dʼarticles qui révisait diverses interventions qui avaient été contribuées par des
critiques pendant le Festival de Locarno en 1995. Festival où Bernard Eisenschitz
organisa un colloque de trois jours sur le thème : Face au Cinéma et à lʼHistoire, et
dont la projection des épisodes des HdC fut le cœur principal. En effet, malgré cet

HdC.1b.une histoire seule. p.169 : “ le cinéma (…) fait partie(…) des industries des cosmétiques.”
642
. Jacques Aumont, Amnésies, Paris, Ed. P.O.L.1999.
643
. Jonathan ROSENBAUM, Bande-annonce pour les Histoire(s) du cinéma de Godard, TRAFIC n°21.
Printemps 1997.
644
. Le fascicule comportait deux articles en version bilingue : l'article de Rosenbaum (note46) et l'article
d'Hollis FRAMPTON, Pour une métahistoire du film, TRAFIC n°21. Printemps 1997.
645
. Godard ne faisait que répondre au contrat qu'il avait passé avec le festival pour produire et publier un
livre à l'occasion du colloque.
646
. CAHIERS DU CINÉMA . Tiré à Part. Juillet 1999. n° Hors-Série.
647
. ARTPRESS n° Hors-Série, "Guide pour H(s)dC" 11/1998.

534
intitulé général, il sʼagissait bien dʼorganiser plusieurs Tables Rondes à propos de JLG
et de ses HISTOIRE(S) DU CINEMA. 648

C/ COLLOQUES
Les comptes-rendus des Colloques, qui se sont tenus successivement à Londres en
l'an 2001649 et à Cerisy-La-Salle en 2004650, ont fait un tout autre choix de publications
de celles qui leur sont postérieures : en procédant à une répartition des grands
thématiques godardiennes, ainsi à l'intérieur de chaque occurrence, un ou plusieurs
intervenants sont amenés à réfléchir sur les HdC spécifiquement.
En conclusion, ce principe du recoupement thématique, va produire des remarques
souvent très instructives, et éclairer le film sous de nouveaux aspects mais la prise du
film s'avère rarement effectuée dans une globalité temporelle systématique et nous
empêche de pouvoir obtenir une idée spectrale du film par une conceptualisation de ce
que Bataille intitulerait souveraine651, et aussi, lorsque cela se produit, cela reste encore
un étude transversale, oblique652. Pourtant, il est indéniable que chaque personne qui a
vu les HdC possède subjectivement une idée du film dans son ensemble. Il reste à
savoir définir objectivement la forme de cette image subjective.

D/ CRITIQUE FRAGMENTAIRE POUR UN FILM FAITS DE FRAGMENTS


La grande généralité des articles ne tient donc pas compte du film dans sa totalité. Non
pas qu'ils s'y refusent, bien au contraire, mais souvent, très souvent, ce qui va
intéresser le rédacteur, c'est un seul des épisodes, ou encore juste une seule
séquence. Certains critiques, à l'instar de Jacques Rancière, se cantonneront à étudier
simplement quelques secondes d'un épisode pour pouvoir l'analyser dans toute sa
profondeur (plan par plan)653. Nous ferons de même, aussi notre avis, qui semblait leur

648
. Face au Cinéma et à l'Histoire, à propos de JLG, LE MONDE DES LIVRES.10/95.
649
. For Ever Godard, Black Dog Publishing, London, 2004.
650
. CINÉMACTION n°109 : "Où en est le God-Art?" Ed. Corlet &Télérama. (10/2003).
651
. Georges Bataille, “La notion de souveraineté”(1957), Œuvres Complètes Tome XII, 1986. Paris, Ed.
Gallimard, 1986. P.368.
652
. Comment Godard utilise le catalogue des éditions musicales ECM dans les HdC;
Laurent JULLIER, « J.L.G. / E.C.M », FOR EVER GODARD, Black Dog Publishing, London, 2004.
653
. Jacques RANCIÈRE, La sainte et l'héritière. À propos des Histoire(s) du Cinéma. CAHIERS DU
CINÉMA n°537.07/1999. p.45.

535
reprocher cette optique, nʼoublie nullement la monumentalité de lʼédifice des HdC et de
son extrême difficulté dʼabord qui réside à pouvoir rendre compte de son ensemble.

Les HdC ont en effet la particularité d'être un phénomène de citation paradoxale car ils
représentent indiscutablement une référence majeure pour un nombre toujours
croissant de critiques. Ceci est dû, premièrement, à la longueur inhabituelle de sa
durée, et, deuxièmement, à l'immensité, du domaine entrepris, et du sujet quʼil veut
convoiter (le XXe siècle, le cinéma dans son ensemble) mais aussi pour finir, à
l'incroyable exhaustivité de son style : densité du nombre de plans, innombrables
citations visuelles et sonores. Il est finalement assez rare de trouver des personnes qui
tentent de faire état du film dans sa globalité. Il faut la longueur d'un livre comme celui
de Jacques Aumont654, pour pouvoir faire correspondre et étendre la critique à une
tentative générale, sinon la mesure dʼun article peut prétendre à cette tentative sous
peine dʼêtre muni dʼun grand sens de la synthèse. C'est à partir de ce constat que le
prochain chapitre trouve toute son efficience, car ordonner les articles selon des modes
problématiques afin de mieux comprendre également la réception du film ; secteur par
secteur.

654
. Jacques Aumont, Amnésies (Fictions du cinéma d'après Jean-Luc Godard), Paris, Ed.
P.O.L.1999.p.15.

536
CHAPITRE QUATRE /
RÉPERTOIRE PROBLÉMATIQUE DES DISCOURS CRITIQUES

1/ INTRODUCTION : REPARTITION PROBLÉMATIQUE


A/ ÉTABLISSEMENT D'UNE VALEUR D'ENSEMBLE

Il n'est pas impossible d'opérer méthodiquement une critique de chaque critique des
HdC, mais cette hypothèse nuirait premièrement à une lisibilité d'un mouvement
d'ensemble. Le mouvement d'ensemble de ces critiques est l'hypothèse d'avoir à
minima une cohérence historique face au film. Deuxièmement, c'est dans un souci
d'intérêt du travail même, où il semblera, presque irrespectueux pour le lecteur si nous
ne lui avons pas épargné, le commentaire répétitif et monotone de nos lectures.

ÉTABLISSEMENT CRITIQUE DU FILM


La hiérarchisation sʼavère prépondérante, dans la mesure où certaines critiques plus
que d'autres ont pu nous apporter des idées et des concepts tels que le travail de
prédestination nous en a apporté : pour éclairer le film à la lumière du travail de
Godard.
Ce qui reste à faire donc c'est de rechercher un système de valeur pour que la
sélection soit argumentée autrement que par la partialité d'une subjectivité que nous
avons nommée directe, la valeur que nous recherchons désigne l'affirmation subjective
d'un sujet.
Il sʼagit de repérer celui qui invente et trouve devant le film. L'un des meilleurs moyens
consiste à s'interroger sur le mode de questionnement face au film. Cela revient à
s'interroger sur l'attitude que le critique ou le journaliste adopte face au film, et nous
permettra également de décrire lʼaspect concret de sa pensée du film.

L'INSTANCE PROBLÉMATIQUE
Ce qui reste possible à faire, donc, cʼest de révéler comme valeur dans une critique,
l'énonciation de la mise en problème du film, autrement dit : révéler son instance
problématique. À partir de cette instance, va résulter deux autres notions importantes.

537
La qualité de poser problème (face au film) provient d'une affirmation subjective de la
possession (possession toute symbolique), ainsi que l'apparition d'une valeur objective
lors de la description du film. L'énonciation du mode problématique, que l'on appose
sur l'ensemble, va nous permettre d'interroger la correspondance des images, sons et
textes affiliés aux HdC avec le travail de l'écriture critique.

B/ PREMIÈRE QUALITÉ REQUISE DE L'INSTANCE PROBLÉMATIQUE :


LA VALEUR DU SUJET

La valeur du sujet se requiert dans l'originalité de la conception de la représentation.


C'est le choix de l'angle d'attaque. Comment certains critiques, pour devoir parler du
film, vont trouver une vision, une manière de voir nouvelle qui engendrera une nouvelle
modalité dʼénonciation. Mais le plus important ici atteste que la valeur du sujet
concerne la représentation du film dans sa globalité; la conception de sa globalité.
Comment le critique, l'écrivain, le philosophe vont-ils concevoir, d'un seul point de vue,
l'ensemble du film, l'embrasser dans son entier ?
Évidemment il y a une difficulté de pouvoir bien embrasser ce tout, mais ce à quoi nous
nous attachons, dès que la réalité de cette impossibilité survient, est ce qui se
maintient : le désir du tout.
Paraphrasant on dirait : toute critique est possible, mais pas possible du tout.
Tout en sachant qu'on ne parviendra jamais à embrasser le film dans son entier, il
reste à signaler la totalité de cette impossibilité.
Par la suite le deuxième élément qui va permettre de hiérarchiser les critiques entre
elles se présente comme la qualité de la description du film.

538
C/ DEUXIÈME QUALITÉ REQUISE DE L'INSTANCE PROBLÉMATIQUE :
LA VALEUR DE LA DESCRIPTION

On notera que la description est, pour un critique, l'ultime outil en vue d'établir son sujet
par la voie interprétative. Ultime outil car nécessaire à la critique, il devient la valeur
révélatrice pour notre critique de la critique. Toute la difficulté du film peut être réduite
au problème constant de quérir : ce qui se présente à nous spectateurs.
Ensuite la réflexion d'une poétique, comment représenter par écrit ce que nous avons
vu, entendu, pourra être critiqué

D/ UN FILM QUI SUSCITERA PLUSIEURS ARTICLES D'UNE MÊME PERSONNE

On juge la qualité d'un film souvent au degré de puissance de sa hantise655. Une


première appréciation se constitue lorsque nous constatons que le film HdC a été
l'objet de plusieurs articles par la même personne, prouvant par la fréquence, le
résultat d'une influence qui va perdurant, et du désir émanant de celui qui écrit.
Vérifiant par l'existence de cette pluralité, que l'objet de réflexion ne contenait pas un
mobile trop ponctuel. Le phénomène sʼavère assez fréquent. Cʼest dû aux réceptions
de commandes dʼarticles spécifiques à la fabrication des numéros spéciaux656 ou
encore parce que le critique se trouvait invité à l'un des colloques sur Godard657. En ces
cas, même si cela peut dépasser théoriquement lʼinstance problématique, il nous a
semblé préférable de regrouper les articles dʼune même personne pour une meilleure
lisibilité.

E/ UNE CRITIQUE QUI SUSCITE PLUSIEURS PROBLÉMATIQUES

De plus, il se trouve quʼun même article référencé va se trouver plusieurs fois énoncé,
suscitant plusieurs recoupements problématiques. Cʼest parce qu'il bénéficie de

655
. Jean Narboni, L'analyse du film contemporain (cours Paris VIII), Paris, Inédit.1999.
656
. Comme l'a fait LE MONDE, LES CAHIERS DU CINÉMA, ARTPRESS, POSITIF.
657
. Locarno 1995, Paris 2000, Londres 2001.

539
plusieurs modalités problématiques, que nous avons, en ce cas, de faire apparaître
systématiquement à chaque fois la référence.

ORGANISATION DE LA RÉPARTITION PROBLÉMATIQUE


La nécessité d'une répartition, autre que chronologique, de l'ensemble des articles et
des livres, qui ont été écrits depuis 1987, semble évidente. Regrouper par
problématique ces articles nous permet de mieux saisir l'immense déploiement de
forces du champ d'investigation. Dʼailleurs, comme on l'a vu au chapitre précédent,
rares sont les articles qui ont tenté d'appréhender le film dans son entièreté.

Une fois ces précisions opérées il reste à présenter les groupes, sections et modes
des différentes problématiques.

TROIS GROUPES
D'abord on peut affirmer que d'un point de vue général, l'ensemble des critiques
recensées, vont se scinder en deux groupes, mais un autre va venir constituer un
préalable aux deux premiers. Ces deux groupes (précédé du premier) présenteront des
subdivisions que nous appellerons sections. Et puis chacune de ces sections
rassemble un certain nombre de modes problématiques. Ces deux groupes, on va le
voir, correspondent au rapport (double) qu'entretient le rédacteur avec le film lorsque
celui-ci l'interroge, c'est-à-dire lorsque celui-ci établit, sur un mode problématique une
liaison avec lui.

F/ PRÉSENTATION GÉNÉRALE DU GROUPE 1


Ce premier groupe est un groupe préalable à l'étude de la répartition problématique. Il
constitue une présélection du groupe de critiques que nous avons recensées. Le
groupe 1 n'a pas de section car il représente une seule modalité : le mode
évènementiel. Ce que nous appelons mode évènementiel, c'est la disposition selon
laquelle les critiques, incluses dans ce premier groupe, sont des textes rédigés, avec
pour intentionnalité principale, lʼactualisation informative du film. Ces textes nʼont pas
été choisis en rapport avec leur lieu de manifestation. Nous nʼavons nullement établi
dans ce groupe, une sélection de principe. Qu'il soit notule, article dʼun quotidien

540
régional, ou texte long dans une revue prestigieuse, est un intérêt second ; ce qui
compte c'est donc sa modalité problématique. Ici dans le groupe 1, la modalité
évènementielle consiste à une prise en compte dans les textes du contenu
informationnel. Pour reprendre une terminologie deleuzienne, ce sont des textes non
créateurs car ils sont principalement du côté de la communication658.
Une fois cette présélection opérée par le groupe 1, le groupe 2 et le groupe 3 vont
pouvoir être développés conjointement.

G/ PRÉSENTATION GÉNÉRALE DU SECOND GROUPE :


FORMES CRITIQUES DU FILM
Dans le groupe 2, les articles recensés vont donc se répartir vers un premier pôle
problématique, celui qui conçoit les HdC principalement comme résultat d'activités
formelles critiques ; et cette notion de critique va se scinder en deux sections dans
lesquelles la valeur critique se définit : une section esthétique régie par les modalités
propres au cinéma (image, son, texte, montage jusqu'au rapport problématique qu'il
entretient avec la vidéo) ou une section historique.
Dans la disposition de ce second groupe, le rédacteur étudie le film strictement,
circonscrit son domaine de définition à celui-ci, interroge ses formes, son
fonctionnement, ou encore le contexte de son apparition dans le champ disciplinaire
historique quel qu'il soit. C'est un regroupement de travaux critiques qui, selon ce point
de vue, présente une étude du film dans sa section esthétique, ou bien il l'interrogera
sur sa forme enregistrée dans sa section historique tout en y relevant que cette
dernière, présente une variété de modalités problématiques allant du mode historique
simple (générale) passant par la modalité de l'histoire de l'art qui est encore bien
différente des notions et préoccupations problématiques des historiens du cinéma.

H/ PRÉSENTATION GÉNÉRALE DU DERNIER GROUPE, LE GROUPE 3 :


L'ŒUVRE DU CINÉASTE
Dès qu'on essaye d'écrire sur les HdC, ou encore de lire ce qui a été écrit, on est saisi
assez vite de l'intuition que ce n'est pas un film comme les autres, en ce sens, qu'il

658
. Gilles Deleuze, Qu'est-ce que l'acte de création ?, TRAFIC n°27. Automne 1998. p.133

541
appartient de fait à la production de Godard mais aussi, avant cela, qu'il comporte
quelque chose en lui d'inédit, inédit pour la sensation comme pour la pensée, qui
dépasse le cinéma et l'idée que l'on se fait du cinéma.

SECTION RAPPORTS DE PRODUCTION


Ainsi, certains ont essayé de faire comprendre les différents mouvements, extérieurs à
son domaine de prédilection, que le film avait opérés. C'est l'objectif de la constitution
du groupe 3.
Nous regroupons les articles qui font état de la considération que ce film interroge, un
rapport entre l'homme et la société qui est son contexte avant d'être le résultat d'une
activité formelle et historique. Cette section, qu'on va nommer section des rapports de
production, est créée selon l'idée que certains textes ont recherché dans l'identification
des modes de productions (modes de pensées, créations de figures à l'intérieur des
HdC ) qui vise à instaurer la fonction du film. La fonction du film, c'est-à-dire le lien
qu'elle peut avoir avec son époque.
Dit simplement, essayer de répondre à la question : à quoi ça sert les HdC ?
Il ne s'agit pas ici de polémiquer sur la fonction de l'art dans la société mais bien avant
toute chose de repérer les textes qui ont tenté de discourir sur la recherche d'une
logique du film. C'est parce que le film peut être entrepris comme fonction qu'il est issu
des rapports de sa production.
Le film assume une fonction, c'est un fait philosophique établi, à l'intérieur des rapports
d'une production artistique de notre époque. La problématique va s'organiser et se
dérouler selon, évidemment, plusieurs modalités d'approche comme le mode politique,
ainsi que le mode anthropologique où l'image, on le verra, tient, dans certains textes,
toute sa place, ou encore on placera, sous un mode conceptuel, l'ambition des
rédacteurs qui ont même tenté d'expliquer comment, et de quelle façon, les HdC sont
créateurs de concepts philosophiques et encore plus largement peut-être, inventeurs
d'idées appartenant au domaine de la pensée, dans laquelle philosophie, littérature,
histoire comme cinéma, peuvent s'inscrire et prendre part.

Toute la difficulté, de cette dernière problématique, réside à distinguer la véritable


originalité du mode de pensée godardien amené par les textes. C'est pourquoi aussi

542
dans cette section, on va s'attacher à classer les articles qui prennent
systématiquement en compte le fait que ce film est une production de Jean-Luc
Godard. On entend par systématique, un mode de production, axe problématique qui
permettra à certains critiques, comme Michael Witt 659, de proposer une étude critique
de la genèse du film.

SECTION SPÉCIFIQUE À GODARD


La tentative réfléchie d'approche problématique est de pouvoir les recevoir dans une
section spécifique à Godard. Le film suggère cette spécificité, selon un mode physique
représenté par les articles qui prennent en compte les interventions du cinéaste à
l'intérieur des HdC, par l'incorporation que nous avons décrite ultérieurement dans la
seconde partie du présent travail, puis selon un mode interne, de réfléchir comment le
film peut être lié avec ses autres productions.

659
. Michael Witt, “Genèse d'une véritable histoire du cinéma”, Jean-Luc Godard- DOCUMENTS, Paris,

543
2/ GROUPE 1 : MODE ÉVÈNEMENTIEL
PREMIÈRE PROBLÉMATIQUE PRÉALABLE AUX AUTRES :

A/ GROUPE 1 : GROUPE DES CRITIQUES SELON LE MODE ÉVÈNEMENTIEL

Ce premier groupe est placé en préalable car il rassemble des articles et des notules
qui bénéficient d'une problématique que l'on peut qualifier informative. Ils ne peuvent
pas être placés similairement avec les autres articles car ils sont en tout point non
comparables. D'abord on pourrait presque affirmer qu'ils ne sont pas écrits avec
l'exigence de consacrer au film une problématique distinctive. Quels sont ces articles ?
On a vu que le film avait été projeté (en parties) PLUSIEURS fois dans différentes villes
du monde660 sur dix années avant même sa sortie officielle. Ces projections souvent
uniques (lors du colloque de Locarno en 1995 par exemple) étaient dotées d'un
caractère suffisamment exceptionnel pour créer un événement et être relaté dans la
presse spécialisée ou non — en partant de la presse locale pour aller jusqu'aux
correspondants internationaux présents pour le festival.

Un autre exemple, la sortie publique et simultanée des 4 tomes par Gallimard et des 4
cassettes VHS vidéo par Gaumont des HISTOIRE(S) DU CINEMA décembre 1998, fut
considérée, et à juste titre, comme un événement culturel de tout premier ordre en
France, tant par son aspect rare et imposant — que constitue la sortie vidéo d'un film
de 4 heures et d'un ouvrage qui atteint presque le millier de pages par un seul et même
auteur— que par le fait que tout nouveau film de Godard entraîne inévitablement des
séries d'articles qui viendront seulement prévenir des conditions d'obtention du
nouveau produit ou encore celles pour assister à l'événement.

Les HdC plus que tout autre film de Godard ont une réalité commerciale encore plus
grande, et de ce fait, ont attiré un nombre d'articles du monde entier et sur tous les

Ed.Centre Beaubourg, 2006. p.271.


660 ère
. New-York, Londres, Locarno…Voir le Calendrier des projections Supra. 1 Partie. CH2. 2/Prospection
temporelle.

544
supports possibles 661. Parmi ceux-là, beaucoup parlent du film mais en se restreignant
à sa seule actualité ; c'est ce quʼon appelle : son mode évènementiel.
Le mode évènementiel désigne, en nombre assez élevé, des textes, articles ou de
simples notules purement informatives, souvent brefs, axés sous la problématique
d'informer publiquement de cet événement. C'est-à-dire que se retrouvent dans cette
section toutes notules de présentation ou articles de presse qui se sont astreints à
effectuer une description et observation du film uniquement dans une volonté de
communication ; la rédaction d'une information est opposable ici à l'écriture d'une
critique conçue comme acte de création dans le but d'obtenir une idée en cinéma662.

B/ CONCEPTION DU FILM COMME ÉVÈNEMENT


Les articles développant cette problématique informative, factuelle, et évènementielle,
sont répertoriés chronologiquement selon l'ordre des évènements et placés également
en rapport avec les versions du film tel qu'elles ont pu êtres dégagés dans notre
Première Partie. Sont listés certaines des petites notules, des comptes-rendus de
presse procédés lors d'évènement concernant directement le film comme pendant le
Festival de Locarno (1995), le Festival de Cannes (1987, 1994 et 1997) ou bien encore
la sortie du livre de Godard en quatre tomaisons, sa réception publique et les
conditions de sortie du film.

C/ GROUPE 1 : MODE ÉVÈNEMENTIEL

HdC VERSION 1663 (CANNES / DIFFUSION CANAL +)


- Danièle HEYMANN, Chronique, LE MONDE, 05/1988.
- Alain BERGALA, Chronique : Quoi de neuf?, CAHIERS DU CINÉMA n°409,1988.
- Serge TOUBIANA, Histoire(s) du Cinéma, CAHIERS DU CINÉMA n°409, 1988.
- G.L.M., Cache-tampon, L'HUMANITÉ, 10/1988.
- Jacques SICLIER, Si fort est son amour, LE MONDE, 05/1989.

661
. Il suffit de taper, à partir de n'importe quel moteur de recherche, sur Internet : histoire+cinéma, pour
que l'on tombe en premier lieu sur les HdC de Godard et l'immense choix de propositions de ventes des
magasins en lignes de celui-ci sous sa forme DVD
662
. Gilles Deleuze, “Qu'est-ce que l'acte de création ?”, TRAFIC n°27. Automne 1998. p.133.

545
HdC VERSION 2
[NEW-YORK]
- Jean-Michel FRODON, JLG/NYC, LE MONDE, 05/1994.
Article relatant brièvement l'exposition consacré à JLG au MOMA de New-York : JLG Sound+ Image.
664
1972-1994, et qui bénéficia d'une projection en partie des épisodes de la Version 2 .

[LOCARNO]
- Guiliana DE SIO, Quel giorno gli ho detto no, L'UNITÀ. 08/1995. Italie
- Fulvio ABBATE, Fa caldo, fate silenzio per favore, L'UNITÀ. 08/1995. Italie
- A.BARBERA, Si, è un "maestro" che non ha perso... L'UNITÀ. 08/1995. Italie
- E. MONTELEONE, No, è un santone di talento venerato ..., L'UNITÀ. 08/1995. Italie
- Reinhold HÖNLE, Carte blanche für Godard, BRUCKENBAUER, 08/1995. All.
- Noël SIMSOLO, Les plans de J-L Godard, LE NOUVEAU QUOTIDIEN. 08/1995. Locarno
- A. DUPLAN, Et l'esprit du cinéma descendit sur Godard, L'HEBDO. 08/95. Locarno.
- G. VOLONTERIO, Tra il Vecchio e il nuovo, GIORNALE DEL POPOLO. 08/1995. Italie
- F. NOUCHI, Quand Godard fait toute une histoire du cinéma., LE MONDE.08/1995.
- Morando MORANDINI, "Pardo d'onore" per Godard., IL GIORNO. Suisse Ital. 08/95.
- Giovanni CONTI, Godard, tuuto da rifare!, LA REGIONE. Suisse Italienne. 08/1995.
- Emanuela GARAMPELLI, Premiato il Maestro Godard, Suisse Italienne. 08/1995.
- XXX, Un parcours à travers cent ans de cinéma, LE JOURNAL DE GENÈVE.08/95.
- Pascal MÉRIGEAU, Jean-Luc Godard au cœur du cinéma et de l'histoire, LE MONDE 08/1995.
- Pascal MÉRIGEAU, Le Festival de Locarno, si loin, si près de Sarajevo. LE MONDE 08/1995.
- Jean-Michel FRODON, Toutes les histoires de Jean-Luc Godard, LE MONDE, 10/1995.
- Paolo MEREGHETTI, Vi Regalo Cent anni di Cinema., SETTE n°31. Italie.1995.

[CANNES]
- Jean-Michel FRODON, Jean-Luc Godard à l'essai, LE MONDE 05/12/1997.
- Jonathan ROSENBAUM, Cannes, tour de Babel critique, TRAFIC n°23. 1997.

VERSION 3
[PARIS, sortie commerciale du film et du livre]
- Hervé GAUVILLE, Jean-Luc Godard seul avec le cinéma, LE MONDE RADIO TÉLÉVISION.03/98.
- Jean-Michel FRODON, Jean-Luc Godard, maître d'ouvrage d'art, LE MONDE 08/11/1998.
- Serge TOUBIANA, Le veilleur de rêves, CAHIERS DU CINÉMA . Tiré à Part. Juillet 1999.
- Erwan HIGUINEN, Une vague nouvelle. 3B, CAHIERS DU CINÉMA . Tiré à Part. Juillet 1999.
665
- René PRÉDAL, Envoi., CINÉMACTION n°109 . 10/2003.

663 ère
. Supra 1 Partie.CH2. 2/ Prospection temporelle.

546
Sans déconsidération pour les autres auteurs, il est important de noter que ce groupe1,
a été constituée avec lʼidée de produire une sélection non exhaustive parmi l'ensemble
pléthorique des critiques et notules parues à l'occasion des évènements.
Nous avons sélectionné et assemblé, en effet, les textes, écrits sous la problématique
évènementielle qui conservait toutefois un intérêt flagrant, soit grâce à l'originalité
d'approche, soit encore à cause de l'originalité formelle par l'inventivité rédactionnelle
comme une présentation par un dialogue imaginaire de deux cinéphiles sur la
croisette666.

664
Nous rappelons quʼil sʼagit dʼune liste présélective, il est donc normal de ne pas y trouver lʼensemble de
tous les articles.
665
. CINÉMACTION n°109 : "Où en est le God-Art?" Ed. Corlet&Télérama.10/2003.
666
. Alain Bergala, Chronique : Quoi de neuf?, CAHIERS DU CINÉMA n°409,1988. p.24.

547
3/ INTRODUCTION AUX GROUPE 2 ET GROUPE 3.

LA RÉPARTITION CRITIQUE SʼEFFECTUE À PARTIR DE


LA SCHIZE ENTRE L'ŒUVRE ET SON AUTEUR

Cette séparation reste une simple division et non un principe. Elle permet de créer les
deux polarités suivantes :
La première polarité, le groupe 2 regroupe les textes du côté du film,
et la seconde, le groupe 3, rassemble ceux qui sont du côté de Godard. 667

Comme cela a déjà été énoncé dans la présentation de ce chapitre, les critiques
restantes forment une nouvelle unité, qui sʼavère dorénavant un peu plus praticable.
Nous allons pouvoir les scinder en deux catégories, liées aux modalités d'approche
problématique. Chacun des groupes sera présenté, à peu près, dans les mêmes
proportions. Comme le rappelait François Dagognet 668, il est délicat, souvent
dangereux, voire malaisé, de séparer théoriquement une production de son auteur. La
césure épistémologique, pratiquée entre un auteur et le résultat de ses opérations669,
génère constamment des erreurs fortuites provenant de leur interprétation avec la
réalité (séparée donc) du contexte, et mésestime d'autant les desseins et les actions
du fabricant.
On peut arguer que l'opération de cette séparation demeure effectivement possible sur
ce présent travail grâce à deux opérations de liaison que nous avons placées dans la
deuxième partie de ce travail, qui à l'inverse d'une séparation de principe, consistait à
désigner : premièrement, les HdC comme jonction finale des autres œuvres de Godard
et deuxièmement, de prouver que ce film entamait la possibilité pour Godard d'y
incorporer sa propre présence, en tant que sujet, en tant que personne représentée et
selon son propre désir.
Ensuite par produit de cette séparation, nous ne cherchons nullement à opposer les
deux parties sécables ou à privilégier lʼune sur l'autre.

667
. On rappelle que le décalage : premier = groupe 2 est dû au groupe 1, groupe au mode évènementiel.
668
. François Dagognet, Les outils de la réflexion : épistémologie, Ed. Les Empêcheurs de penser en rond,
1999. p.24
669
. En fait selon Dagognet, le résultat des opérations désigne manifestement l'obtention de tout type de
traces laissé intentionnellement ou non par la fabrication. Pour nous c'est la production d'une œuvre.

548
LA MODALITÉ D'APPROCHE PROBLÉMATIQUE
Cette séparation de principe s'applique d'après la même disposition dialectique que
Gilbert Cohen-Séat avait fondée, entre le fait filmique (c'est notre groupe 2) et le fait
cinématographique (c'est notre groupe 3)670. La disposition de ce concept reste toujours
réfutable, mais elle vise à créer des polarités entre lesquelles les textes sélectionnés
vont osciller, en se répartissant à l'intérieur d'un des deux ensemble sectionné. Ces
dites sections présentent les différents types parmi lesquels sera enregistrée la variété
des modes problématiques, dont on va voir rapidement le détail. Si le verbe osciller est
utilisé, c'est justifié car parce que précisément, quelquefois, on retrouvera le même
texte cité plusieurs fois. Certains articles comportant plusieurs accès selon le mode de
leurs problématiques, il sʼavère normal de les référer dans plusieurs sections
correspondantes.

670
. Gilbert Cohen-Séat, Essai sur les principes dʼune philosophie du cinéma, Paris, Ed. P.U.F. 1946. p.19.

549
4/ GROUPE 2 : GROUPE DES CRITIQUES “DU CÔTÉ DU FILM”.

A/ PRÉSENTATION
Le groupe 2 rassemble les textes dont les problématiques sont liées directement aux
préoccupations de la forme filmique.
Ce principe d'observation formelle, relève d'une activité critique. Aussi les deux types
qui composent, traditionnellement, le dispositif analytique des formes, relèvent dʼun
jugement soit esthétique, soit historique.
Pour amener cette notion théorique à la lumière du film, le groupe 2 se compose de
deux sections :
- LA SECTION ESTHÉTIQUE
On retrouve dans cette section les textes qui envisagent le film comme une œuvre
filmique.
- LA SECTION HISTORIQUE
Dans cette section sont compartimentés les critiques qui conçoivent le film comme un
document historique filmique.

B/ MODE PICTURAL / (SECTION ESTHÉTIQUE)

CONCEPTION DES HDC COMME ŒUVRE FORMELLE


Comme cela a été énoncé un peu plus haut dans l'introduction, le premier
regroupement de textes critiques qui va suivre, va être celui des critiques qui ont
installé une problématique selon un mode appartenant de fait à une interrogation de
type esthétique. La notion esthétique de picturalité, suggère en vérité des critiques de
provenance et de but très différents dont le trait commun reste la considération de
l'image. L'image, on peut le voir aussi dans le mode problématique de l'histoire de l'art,
est envisagée, par ces critiques, comme le flux central de la pensée.

- Jean-Luc DOUIN, Histoire(s) du cinéma, CINÉMACTION,1989.


- Jacques AUMONT, The Medium, Son + Image, MOMA,1992.
- Jean-Louis LEUTRAT, Histoire(s) du cinéma ou comment devenir maître d'un souvenir,
CINÉMATHÈQUE n°5, 1994.

550
671
- Jean NARBONI, Myriades d'histoires et la vague nouvelle, TABLE RONDE HC . Locarno 95.
- Jean NARBONI, Face au Cinéma et à l'Histoire, à propos de JLG, LE MONDE DES LIVRES.10/95.
- Jean-Pierre DUFREIGNE, Godard fait la lumière, L'EXPRESS 08/051997.
- Jean-Claude LOISEAU & Pierre MURAT, Jean-Luc Godard, auteur d'"Histoire(s) du Cinéma,
TÉLÉRAMA. 11/1998.
- Jacques AUMONT, Amnésies. Fictions d'après Jean-Luc Godard, Editeur P.O.L. 04/1999.
- Jean-Michel FRODON, Voir ou ne pas voir là est la question, LE MONDE RADIO/TÉLÉVISION 07/1999.
- Marie-Anne GUÉRIN, Les signes parmi nous. 4B, CAHIERS DUCINÉMA . Tiré à Part. Juillet 1999.
- Michael WITT, L'image selon Godard : théorie et pratique (...) JLG des années 70 à 90. GODARD ET LE
METIER D'ARTISTE (Actes du colloque de Cerisy) Edition L'HARMATTAN. 02/12001.
- Céline SCEMAMA, Le roi n'est pas nu, (...) Lettre aux spectateurs. CINÉMACTION n°109, 10/2003.
- Daniel SERCEAU, L'anti flash-back, CINÉMACTION n°109, 10/2003.
- Youri DESCHAMPS, JLGodard, cinéaste du XVIème siècle, esquisse pour un portrait, CINÉMACTION
n°109, 10/2003.
- Sally SHAFTO, De la peinture et de l'histoire dans les Histoire(s) du cinéma, CINÉMACTION n°109,
10/2003.
- Luc VANCHERI, Esthétique(s) du cinéma, (Histoire(s) du cinéma), CINERGON n°16, Montpellier, 2003.
- Didier TRUFFO, Spéculaire fatalité,(sur)impressions godardiennes en montage depalmien, CINERGON
n°16, 2003.
- Georges DIDI-HUBERMAN, Images malgré tout, Paris, Ed. de Minuit. 2003.
- Georges DIDI-HUBERMAN, Lʼimage survivante.(Histoire de l'art et temps des fantômes selon Aby
Warburg), Paris, Ed. de Minuit. 2004.
- Georges DIDI-HUBERMAN, Entretien sur le vivant des images, CINERGON n°16, Montpellier, 2003.
- Helmut FÄRBER, Le paysage est plus vieux que l'être humain. Même si c'est une fleur , TRAFIC n°50.
ÉTÉ 2004.

C/ MODE SONORE / (SECTION ESTHÉTIQUE)

PARTITION SONORE AVEC ADJONCTION D'IMAGES


- Noël SIMSOLO , Rencontre avec JLG, collection" "A voix nue" . FRANCE CULTURE 30/03 - 0304/98.
- Charles TESSON, Seul le cinéma. 2A, CAHIERS DUCINÉMA . Tiré à Part. Juillet 1999.
- Laurent JULLIER, Bande-son, attention travaux : GODARD ET LE METIER D'ARTISTE. (Actes du
colloque de Cerisy) Edition L'HARMATTAN. 02/12001.
- Alexandre CASTANT, Histoire(s) du (son du) cinéma, CINÉMACTION n°109, 10/2003.
- Laurent JULLIER, J.L.G. / E.C.M, FOR EVER GODARD, Black Dog Publishing, London, 2004.

671
. TRH&C = Table Ronde sur Histoire et Cinéma : à propos de Jean-Luc Godard", inédit.(11/08/1995)

551
D/ MODE POETIQUE OU LITTÉRAIRE / (SECTION ESTHÉTIQUE)

LES HDC COMME RÉVÉLATEUR DE TEXTE(S)


Dans la section de type esthétique, on retrouve trois différents modes d'appréciation du
film. Ils recouvrent son aspect formel. En effet, les problématiques des textes en
question vont évaluer le film en fonction de son image ou de sa sonorité ou bien encore
réfléchissent en fonction du texte même que va fournir le film. La difficulté réside dans
ce dernier, le mode textuel, va se manifester formellement selon les deux autres
modes cités ; puisque dans le film, le texte lu, la parole se manifestera selon un mode
sonore, et le texte écrit, l'écriture, par titres et cartons, se rapporte au mode visuel.
Dépassant de cette difficulté, certains de ces articles lui ont admis une spécificité
comme mode poétique.

- Hervé GAUVILLE, Godard fait ses contes, LIBÉRATION 06-07/05/1989.


672
- Nahum KLEIMAN, Déchiffrer l'histoire à travers la poésie, TABLE RONDE HC . Locarno 95.
- Antoine DE BAECQUE, Le don du livre, CAHIERS DU CINÉMA Spécial Godard, 05/1989.
673
- Jonathan ROSENBAUM, La Comparaison avec Finnegan's Wake, TABLE RONDE HC . Locarno.
674
- Florence DELAY, Godard-Menard, TABLE RONDEHC . Locarno 95.
- Uwe KÜNZEL, Und immer zur Halbzeit kommt das Gewitter, BADISCHER ZEITUNG 08/1995.
675
- Adriano APRÀ, Un journal filmé, TABLE RONDEHC . Locarno 95.
- Florence DELAY, Face au Cinéma et à l'Histoire, à propos de JLG, LE MONDE DES LIVRES.10/95.
- Philippe SOLLERS, Il y a des fantômes plein l'écran..., CdC n°513. 05/1997.
- Pierre ASSOULINE, Godard, Jean-Luc. (Entretien), LIRE 01/05/1997.
- Jean-Louis LEUTRAT, Jean-Luc Godard, un cinéaste mallarméen, S.&D. ÉRUDITION (Paris). 1998.
- Stéphane BOUQUET, Des livres, le livre, LES CAHIERS DU CINÉMA n°529. 11/1998.
- Gary HILL, The boolean world of Godard, ARTPRESS n°Hors-Série "Guide pour H(s)dC" 11/1998.
- Marc AUGÉ, L'écran mémoire, ARTPRESS n°Hors-Série "Guide pour H(s)dC" 11/1998.
- Olivier JOYARD, Fatale beauté. 2B, CAHIERS DUCINÉMA . Tiré à Part. Juillet 1999.
- Serge TOUBIANA, Le contrôle de l'univers. 4A, CAHIERS DUCINÉMA . Tiré à Part. Juillet 1999.
- ALAIN BERGALA, Le choix de Godard, CAHIERS DUCINÉMA . Tiré à Part. Juillet 1999.
- Alain BERGALA, Nul mieux que Godard . Collection Essais. Editions CAHIERS DU CINÉMA. 10/1999.
- Marie Anne GUÉRIN, L'amour enfui, TRAFIC n°39. AUTOMNE 2001.

Colloque de 3 Jours qui s'est déroulé pendant le festival de Locarno 95.


672
. TRH&C = Table Ronde sur Histoire et Cinéma : à propos de Jean-Luc Godard, inédit.11/08/1995
Colloque de 3 Jours qui s'est déroulé pendant le festival de Locarno 95.
673
. Ibid.
674
. Ibid.
675
. Ibid.

552
- Lucie ROY, La"scription" chez Godard, : GODARD ET LE METIER D'ARTISTE. (Actes du colloque de
Cerisy) Edition L'HARMATTAN. 02/12001.
- Youssef ISHAGHPOUR, "Exercices de pensée artistique, on a dit..." The Old Place…, TRAFIC n°50.
2004.
- Youssef ISHAGHPOUR, J-L Godard cinéaste de la vie moderne. Le poétique dans l'historique, GODARD
ET LE METIER D'ARTISTE (Actes du colloque de Cerisy) Edition L'HARMATTAN. 02/12001.
- René PRÉDAL, Pour une critique impressionniste des HdC., CINÉMACTION, n°109, 10/2003.
- Leslie HILL, 'A Form That Thinks', Godard, Blanchot, Citation, FOR EVER GODARD, London, 2004.
- João Màrio GRILO, Petit abécédaire à l'usage du cinéma (un point de vue portugais), TRAFIC n°50. ÉTÉ
2004.

E/ MODE MONTAGE / (SECTION ESTHÉTIQUE)

CINÉMA OU HISTOIRE, TOUT EST MONTAGE


Le processus du montage consiste à s'interroger sur un mode associatif entre les trois
éléments fondamentaux du cinéma. Des textes critiques ont fait état de réflexions
également sur les rapports des images et des sons, selon un mode d'appropriation ou
d'association ; ce qui constitue, avec Griffith et lʼinvention du gros plan, pour certains
fondateurs historiques, le cœur même du cinéma en tant quʼart676. Insistons sur le fait
que, si certaines critiques vont sʼoccuper exclusivement de cette fonction pour le film,
cʼest parce que celui-ci serait à considérer à juste titre comme un film de montage.
Rassemblant ainsi ces deux notions, du film de montage et de celui dʼart, De Baecque
définit les HdC comme résultant dʼune pratique de musée-montage, à la suite de
Malraux et Langlois 677.

678
- Ruth BECKERMANN, Sur la Endlösung Hollywood, TABLE RONDE HC . Locarno 95.
- Melvin CHARNEY, Les rouages grinçants d'une machine à écrire, ARTPRESS n°Hors-Série "Guide pour
H(s)dC" 11/1998.
- Stéphane GOUDET, Mais... Histoire(s) du cinéma, REPÉRAGES n°4. Hiver 1998-1999.
- Georges DIDI-HUBERMAN, Montages de ruines, SIMULÂCRES n°5. 09-12/2001.
- Georges DIDI-HUBERMAN, Images malgré tout, Paris, Ed. de Minuit. 2003.

676
. André Malraux, Le musée Imaginaire, (1956) Paris, Ed.Gallimard/Folio. 2005. p.67.
677
. Antoine DeBaecque, LʼHistoire-Caméra, Paris, Gallimard, 2008. p.293.
678
. TRH&C = Table Ronde sur Histoire et Cinéma : à propos de Jean-Luc Godard", inédit.(11/08/1995)
Colloque de 3 Jours qui s'est déroulé pendant le festival de Locarno 95.

553
- Dominique PAÏNI, Un moderne art des ruines. Notes sur la restauration des films, CINÉMATHÈQUE.
n° 24. 1999.
- Helmut FÄRBER, Dante Schelling Godard / Histoire(s) (montage), TRAFIC n°43. AUTOMNE.2002.
- Didier TRUFFO, Spéculaire fatalité,(sur)impressions godardiennes en montage depalmien, CINERGON
n°16, 2003.
- Alain BERGALA, De l'impureté ontologique des créatures de cinéma, TRAFIC n°50. 2004.
- Christa BLÜMLINGER, Cultures de remploi - questions de cinéma, TRAFIC n°50. 2004.
- Antoine DE BAECQUE, LʼHistoire-Caméra, Paris, Gallimard, coll.Biblio. illustrée des histoires, 2008.

F/ MODE VIDEO / CINEMA (SECTION ESTHETIQUE)

CONCEPTION DES HDC COMME BANDE VIDÉO


Ce rapport dépasse évidemment le seul film des HdC, et se retrouve disséminé dans
l'œuvre entière de Godard. Par cette occurrence, il sʼest avéré difficile de classer les
textes critiques qui font de cette notion la spécificité même des HdC.
On a posé comme départ historique : la mise en pratique de ce rapport, son expérience
grenobloise où il désignait, volontairement, la vidéo comme outil théorique pour pouvoir
réfléchir sur le cinéma. Philippe Dubois à ce sujet précisément l'a repris lorsqu'il intitula,
dans un des articles référencés, que la vidéo pense ce que le cinéma crée679. On trouve
des éléments dans l'œuvre de Godard qui commente et dénonce le rapport
cinéma/vidéo. Peut-être est-il le mieux condensé dans un autre film680, quand Jacques
Dutronc, interprétant Monsieur Godard, traçait au tableau dans une salle de classe les
deux phrases l'une en dessous de l'autre : Cinéma et vidéo, Abel et Caïn. Le fait que
les HdC soit produit en vidéo engendre un rapport paradoxal, dont certains critiques
relateront, et tel que Godard l'a lui-même commenté : filmer en vidéo s'avérait
nécessaire pour prendre une distance avec le sujet du cinéma681. Cette distance
esthétique va lui permettre de composer avec le principe d'hétérogénéité.

- Colette MAZABRARD,Godard revigorant, CdC n°419/420, 08/1989.


- Philippe DUBOIS, L'image à la vitesse de la pensée, CdC Spécial Godard. 05/1989
- Philippe DUBOIS, Video Thinks What Cinema Creates, Son+Image, MOMA.1992.

679
. Philippe Dubois, Video Thinks What Cinema Creates, Son+Image, MOMA.1992. p.247.
680
. Ref.Film46B.

554
- Alain BERGALA, The Other Side Of The Bouquet, Son+Image, MOMA.1992.
- Jonathan ROSENBAUM, Bande-annonce pour les Histoire(s) du cinéma de Godard, TRAFIC n°21. 1997.
- Helmut FÄRBER, Le paysage est plus vieux que l'être humain. Même si c'est une fleur, TRAFIC n°50.
ÉTÉ 2004.

G/ MODE HISTOIRE GÉNÉRALE / (SECTION HISTORIQUE)


Après avoir classé dans la première section, les articles qui effectuaient une critique du
film, en prenant compte de problématiques des HdC liées au point de vue formel du
cinéma, cette seconde section, la section historique, va s'occuper de classer les textes
issus de l'autre partie intitulée du film : ce sont les nouvelles problématiques liés au
type historique.

QUATRE SECTIONS DE TYPE HISTORIQUE


Le domaine de l'histoire a la particularité paradoxale de se situer à cheval sur plusieurs
disciplines des sciences humaines tout en restant sur des principes fondamentaux
presque immuables :
« Science des hommes », avons-nous dit. Cʼest encore beaucoup trop vague. Il faut ajouter :
682
« des hommes dans le temps ». (…) Faire le récit des actions des hommes .
Nous allons lister tout spécialement quatre types de modalités différentes. En effet,
alors que dans la première section esthétique les modes faisaient état de mode
d'origine très variées, à l'inverse, l'histoire sera toujours en question quelle que soit la
modalité présentée, quʼelle soit générale, de lʼart, du cinéma ou encore
épistémologique.

FILM-DOCUMENT // FILM-MONUMENT
On commencera à rassembler les textes qui essayent de concevoir les films des HdC
sur un mode de l'histoire générale, c'est-à-dire l'histoire simple avec toute les repères
précis que comporte cette discipline. La modernité de ce domaine a pu contribuer à de
nouvelles vues, dont la pratique de pouvoir intégrer le cinéma. Et certains des textes
souvent se sont posés la question de l'intégration du film : à savoir sa considération

681
. Ref.184. Jean-Luc Godard et Youssef Ishaghpour, “Archéologie du cinéma et mémoire du siècle.(2)”,
TRAFIC n°30. Été 1999. p.86.

555
comme document ou bien comme monument. Cette double opportunité révèle toute
son importance conceptuelle quant à la représentation du débat de lʼappartenance du
film HdC à lʼhistoire.

- Serge DANEY, Le travelling de Kapo, TRAFIC n°4. 1992.


- Goffredo FOFI, Guerre e sconfitte di Godard il puro, PANORAMA. . 07/1995. Italie.
- M. LERF, Einführung in eine wahre geschichte des Godard, KULTURWERKSTAT. 08/1995.
683
- Nahum KLEIMAN, Déchiffrer l'histoire à travers la poésie, TABLE RONDE HC . Locarno 95.
684
- Giorgio AGAMBEN, Le lien entre histoire et cinéma, TABLE RONDE HC . Locarno 95.
685
- Daniel LINDEBERG, Vis à vis de la mémoire, TABLE RONDE HC . Locarno 95.
686
- Louis SEGUIN, L'historien, vengeur des peuples, (intervention).TABLE RONDEHC . Locarno 95.
- Ch. GALLAZ, La bouteille, le cinéma, la guerre, la mort, LE NOUVEAU QUOTIDIEN. Locarno. 08/1995.
- Peter CLAUS, Vierundzwanzig Wahrheiten pro Sekude, BERLINER ZEITUNG. 08/1995.
- Giorgio AGAMBEN, Face au Cinéma et à l'Histoire, à propos de JLG, LE MONDE DES LIVRES.10/95.
- Pierre LACHAR, Filmen im Zeitalten der Kernspaltung, ZOOM, Zeitschrift für film.08/1995.
- Serge RÉMI, JLG, Jardinier de la mémoire du Cinéma, L'HUMANITÉ. 12/05/1997.
- Jonathan ROSENBAUM, Bande-annonce pour les Histoire(s) du cinéma de Godard, TRAFIC n°21. 1997
- Serge KAGANSKI, La légende du siècle, LES INROCKUPTIBLES n°170. 21-27/10/1998.
- Mathieu LINDON, Jean-Luc Godard, portrait de l'artiste en historien, LIBÉRATION. 07/10/1998.
- Jean DOUCHET, Images arrachées au journal du siècle, ARTPRESS n°Hors-Série,"Guide pour H(s)dC"
11/1998.
- Pascal CONVERT, La couleur dit et ne dit pas, ARTPRESS n°Hors-Série,"Guide pour H(s)dC" 11/1998.
-Gilles TIBERGHIEN, Histoire(s) du cinéma ou la légende du siècle, ARTPRESS n°Hors-Série,"Guide pour
H(s)dC". 11/1998.
- François Furet, Entretien avec A.De Baecque, CAHIERS DU CINÉMA n°Spécial. Hors-Série, 11/2000.
687
- Jacques RANCIÈRE, A quelle histoire appartient le cinéma?, TABLE RONDE HC . Locarno 95.
- Jacques RANCIÈRE, Face au Cinéma et à l'Histoire, à propos de JLG, LE MONDE DES LIVRES.10/95.
- Jacques RANCIÈRE, Jean-Louis COMOLLI Arrêt sur histoire, Paris, Ed. Centre Georges Pompidou.
1997.
- Jacques RANCIÈRE, La fiction de mémoire (A propos du Tombeau d'Alexandre) , TRAFIC n°29. 1999.

682
Marc Bloch, Apologie pour lʼhistoire ou métier dʼhistorien (1941), Paris, Librairie Armand Colin, Coll.
Cahiers des Annales, 3.1949.pp.19-20.
683
. TRH&C = Table Ronde sur Histoire et Cinéma : à propos de Jean-Luc Godard", inédit.11/08/1995.
Colloque de 3 Jours qui s'est déroulé pendant le festival de Locarno 95.
684
. TRH&C = Table Ronde sur Histoire et Cinéma : à propos de Jean-Luc Godard", inédit.11/08/1995.
Colloque de 3 Jours qui s'est déroulé pendant le festival de Locarno 95.
685
. TRH&C = Table Ronde sur Histoire et Cinéma : à propos de Jean-Luc Godard", inédit.11/08/1995.
Colloque de 3 Jours qui s'est déroulé pendant le festival de Locarno 95.
686
. TRH&C = Table Ronde sur Histoire et Cinéma : à propos de Jean-Luc Godard", inédit.11/08/1995.
Colloque de 3 Jours qui s'est déroulé pendant le festival de Locarno 95.
687
. TRH&C = Table Ronde sur Histoire et Cinéma : à propos de Jean-Luc Godard", inédit.11/08/1995.
Colloque de 3 Jours qui s'est déroulé pendant le festival de Locarno 95.

556
- Jacques RANCIÈRE, La sainte et l'héritière. A propos des histoire(s) du cinéma., CdC n°537.07/1999.
- Jacques RANCIÈRE, La fable cinématographique, Paris, Ed. du Seuil. Coll. Bibliothèque du XXème
siècle. 2001.
- Jacques RANCIÈRE, Le Destin des images, Paris, Ed. de la Fabrique, 2003.
- Jacques RANCIÈRE, Godard, Hitchcock, And The Cinematographic Image, FOR EVER GODARD,
London, 2004.

- Valérie CADET, Pensée(s) du monde, LE MONDE RADIO/TÉLÉVISION. 28/06 au 04/07/1999.


- Jean-Michel FRODON, Le fameux débat, LE MONDE RADIO/TÉLÉVISION. 28/06 au 04/07/1999.
- Serge TOUBIANA, Le veilleur de rêves, CAHIERS DU CINÉMA. Tiré à Part. Juillet 1999.
- Jean-Marc LALANNE, Toutes les histoires. 1A, CAHIERS DUCINÉMA . Tiré à Part. Juillet 1999.
- Thierry JOUSSE, Une histoire seule. 1B, CAHIERS DUCINÉMA . Tiré à Part. Juillet 1999.
- Charles TESSON, Seul le cinéma. 2A, CAHIERS DUCINÉMA . Tiré à Part. Juillet 1999.
- Olivier JOYARD, Fatale beauté. 2B, CAHIERS DUCINÉMA . Tiré à Part. Juillet 1999.
- Stéphane BOUQUET, La monnaie de l'absolu. 3A, CAHIERS DU CINÉMA . Tiré à Part. Juillet 1999.
- Erwan HIGUINEN, Une vague nouvelle. 3B, CAHIERS DU CINÉMA . Tiré à Part. Juillet 1999.
- Serge TOUBIANA, Le contrôle de l'univers. 4A, CAHIERS DU CINÉMA . Tiré à Part. Juillet 1999.
- Marie-Anne GUÉRIN, Les signes parmi nous. 4B, CAHIERS DU CINÉMA . Tiré à Part. Juillet 1999.
- ALAIN BERGALA, Le choix de Godard, CAHIERS DU CINÉMA . Tiré à Part. Juillet 1999.
- Alain BERGALA, Nul mieux que Godard . Collection Essais. Editions CAHIERS DU CINÉMA. 10/1999
-Noël NEL, Histoire(s) du cinéma 1 et 2 de Godard, , GODARD ET LE METIER D'ARTISTE (Actes du
colloque de Cerisy) Edition L'HARMATTAN. 02/12001.
- Maxime SCHEINFEIGEL, Leçon de mémoire, GODARD ET LE METIER D'ARTISTE (Actes du colloque
de Cerisy) Edition L'HARMATTAN. 02/12001.
- Alexander HORWATH, Singing in the rain. Supercinématographie de Peter Tscherkassky, TRAFIC n°44.
2002.
- Marie Anne GUÉRIN, L'arrêt sur mémoire, TRAFIC n°47. 2003.
- Philippe RAGEL, Cinéma mémoire, CINÉMACTION n°109. 10/2003.
- Caroline EADES, Godard, l'hommage au XIXème siècle, CINÉMACTION n°109. 10/2003.
- Georges Didi-Huberman, Images malgré tout, Ed de Minuit, 2003
- Libby SAXTON, Ananmesis And Bearing Witness : Godard/ Lanzmann, FOR EVER GODARD, London,
2004.

557
H/ MODE HISTOIRE DE L'ART / (SECTION HISTORIQUE)

CONCEPTION D'UNE ŒUVRE HISTORIQUE PAR L'IMAGE


PRÉSENCE DE DEUX AUTRES MODES DE L'HISTOIRE
Certains autres textes qui vont reprendre des notions filmiques le feront afin de décrire
les HdC à partir de problématiques historiques plus spécialisées. Nous avons retenu
les deux principales : la critique du film peut être établie soit sur un mode de lʼhistoire
de l'art ou soit sur un mode de lʼhistoire du cinéma.

Pour la première, deux perspectives différentes se présentent alors : la première


tendance est celle de concevoir le cinéma comme un art et dès lors l'intégrer dans
cette discipline déjà circonscrite, possédant ses propres qualités.

La seconde tendance est de concevoir le film HdC à l'intérieur de l'institution muséale.


C'est entrer dans sa dimension institutionnelle, de vouloir entreprendre les HdC comme
lieu précisément. Ici les textes amènent, sous cette problématique, les questions
d'espace culturel, de conservation ainsi que de la représentation de la mémoire. Alors
seront inclus certains textes qui peuvent comparer les HdC à un musée vivant688, à un
musée du cinéma imaginaire689, ou bien encore à un film-musée690.

691
- Nahum KLEIMAN, Déchiffrer l'histoire à travers la poésie, TABLE RONDEHC . Locarno 95.
692
- Dominique PAÏNI, Cinéma et histoire de l'art, TABLE RONDE HC . Locarno 95.
- Dominique PAÏNI, Un musée pour le cinéma, créateur d'aura, ARTPRESS n°221 .02/1997.
- Dominique PAÏNI, Un moderne art des ruines. Notes sur la restauration des films, CINÉMATHÈQUE.
n° 4. 1999.
693
- Dominique PAÏNI, Que peut le cinéma ?, ARTPRESS n°Hors-Série "Guide pour H(s)dC" 11/1998 .
- Dominique PAÏNI, Le cinéma, un art moderne, Paris, Ed. de l'Étoile. 1997.
694
- Raymond BELLOUR, Un mouvement d'incompréhension, .TABLE RONDE HC . Locarno 95.

688
.Marie-José MONDZAIN, « Histoire et passion », ARTPRESS, n°Hors-Série "Guide pour Histoire(s) du
Cinéma" 11/1998.
689
. Antoine DE BAECQUE, « Godard In The Museum », FOR EVER GODARD, Black Dog Publishing,
London, 2004.
690
. Nicole BRENEZ, « The Forms Of The Question », FOR EVER GODARD, London, 2004.
691
. TRH&C = Table Ronde sur Histoire et Cinéma : à propos de Jean-Luc Godard", inédit.11/08/1995.
Colloque de 3 Jours qui s'est déroulé pendant le festival de Locarno 95.
692
. TRH&C = Table Ronde sur Histoire et Cinéma : à propos de Jean-Luc Godard", inédit.11/08/1995.
Colloque de 3 Jours qui s'est déroulé pendant le festival de Locarno 95.

558
- Hans BELTING, Histoires d'images. (entretien), ARTPRESS n°Hors-Série "Guide pour H(s)dC" 11/1998.
- Bernard TSCHUMI, Entre-chocs, ARTPRESS n°Hors-Série "Guide pour H(s)dC" 11/1998.
- Marie-José MONDZAIN, Histoire et passion, ARTPRESS, n°Hors-Série "Guide pour Histoire(s) du
Cinéma" 11/1998.
- Jean-Michel FRODON, Le fameux débat, LE MONDE RADIO/TÉLÉVISION. 28/06 au 04/07/1999.
- Jean-Marc LALANNE, Toutes les histoires. 1A, CAHIERS DUCINÉMA . Tiré à Part. Juillet 1999.
- Georges DIDI-HUBERMAN, Montages de ruines, SIMULACRES n°5. 09-12/2001.
- Georges DIDI-HUBERMAN, Lʼimage survivante.(Histoire de l'art et temps des fantômes selon Aby
Warburg), Paris, Ed. de Minuit. 2004.
- Jean-Christophe ROYOUX, L'instant du redépart... , TRAFIC n°37.PRINTEMPS 2001.
- Helmut FÄRBER, Une forme qui pense. Notes sur Aby Warburg, TRAFIC n°45. PRINTEMPS 2003.
- Helmut FÄRBER, Dante Schelling Godard / Histoire(s) (montage), TRAFIC n°43. AUTOMNE.2002.
- Philippe-Alain MICHAUD, Passage des frontières. Mnémosyne entre histoire de l'art et cinéma,
TRAFIC n°45.PRINTEMPS 2003.
- Antoine DE BAECQUE, Godard In The Museum, FOR EVER GODARD, Black Dog Publishing, London,
2004.
- Nicole BRENEZ, The Forms Of The Question, FOR EVER GODARD, London, 2004.

I/ MODE HISTOIRE DU CINEMA (SECTION HISTORIQUE)

Bien sûr, puisque le film possède une modalité de l'histoire du cinéma par l'originalité
lexicale de son intitulé, un grand nombre de textes ont réfléchi sur la capacité du film à
innover dans ce domaine. Ils ont essayé de faire comprendre et de faire état à savoir si
le destin filmique demeure possible pour cette discipline.

QUELLE EST LA PLACE VÉRITABLE DES HDC DANS L'HISTOIRE DU CINÉMA ?


À cette question, on regroupe un nombre important d'occurrences d'articles et même
de livres, ce qui peuvent a priori nous sembler logique à la vue de lʼintitulé du film. On
peut en effet parier qu'il s'agit de l'enjeu de départ pour Godard et précisément si l'on
prend en compte la propre considération de Godard sur sa propre fonction. Avant
lʼapparition du film, nous trouvions dans les entretiens des confessions 695 et le

694
. TRH&C = Table Ronde sur Histoire et Cinéma : à propos de Jean-Luc Godard", inédit. 11/08/1995.
Colloque de 3 Jours qui s'est déroulé pendant le festival de locarno 95.
695
. Ref. 300.

559
journaliste ou critique devenait témoin de l'introspection du cinéaste. L'examen de
conscience696 révèle alors un cinéaste en devenir. Constatant sa métamorphose en
image, devenue une image de cinéaste697.

- Jean-Louis LEUTRAT A perte de vue (sur l'histoire du cinéma), TRAFIC n°4. 1992.
- Raymond BELLOUR, La chambre, TRAFIC n°9. 1994.
- Raymond BELLOUR, Sur la scène du rêve, TRAFIC n°13. 1994.
- Raymond BELLOUR,Pourquoi Lang pourrait devenir préférable à Hitchcock, TRAFIC n°41. PRINTEMPS
2002.

698
- Christophe GALLAZ, Du mépris à la splendeur, un voyage, LE NOUVEAU QUOTIDIEN .Locarno.
- Bernard EISENSCHITZ, Les images, l'histoire, les histoires, PARDO NEWS.O8/95. Locarno.
- Bernard EISENSCHITZ, Une machine à montrer l'invisible, CAHIERS DU CINÉMA n°529. 11/1998.
- Jacques RANCIÈRE, Les mots de l'histoire du cinéma, CAHIERS DU CINÉMA n°496. 11/1995.
- Hollis FRAMPTON, Pour une métahistoire du film, TRAFIC n°21. PRINTEMPS 1997.

- Antoine DE BAECQUE, Le don du livre, CAHIERS DU CINÉMA Spécial Godard, 05/1989.


- Antoine DE BAECQUE, Le cinéma par la bande, CAHIERS DU CINÉMA n°513. 05/1997.
- Antoine DE BAECQUE, À la recherche d'une forme cinématographique de l'histoire, CRITIQUE n°63.
2/3 2000.
- Antoine DE BAECQUE, Godard In The Museum, FOR EVER GODARD, Black Dog Publishing, London,
2004.
- Antoine DE BAECQUE, LʼHistoire-Caméra, Paris, Gallimard, coll.Biblio. illustrée des histoires, 2008.

- Jean-Claude BIETTE, Le gouvernement des films, TRAFIC n°25. PRINTEMPS 1998.


- Jean-Claude BIETTE, Le cinéma et l'éthique, TRAFIC n°50. ÉTÉ 2004.

- Kent JONES, L'amour par terre, ARTPRESS n°Hors-Série "Guide pour H(s)dC" 11/1998.
- Jacques AUMONT, Amnésies. Fictions d'après Jean-Luc Godard, Editeur P.O.L. 04/1999.
- Youssef ISHAGHPOUR, JLG, Archéologie du cinéma et mémoire du siècle, TRAFIC n29/30.99
- Charles TESSON, Seul le cinéma. 2A, CAHIERS DU CINÉMA. Tiré à Part. Juillet 1999.
- Mark RAPPAPORT, Under Capricorn quinquagénaire (et Hitchcock centenaire), TRAFIC n°41.
PRINTEMPS 2002.
- Emeric DE LASTENS, Destin des images survivantes, CINERGON n°16, Montpellier, 2003.
- Michèle LAGNY, Film-outil : le cinéma exploité, TRAFIC n°50. ÉTÉ 2004.
- Dominique PAÏNI , Qu'est-ce que le cinéma français ? TRAFIC n°50. ÉTÉ 2004.

696
. Ref.155. La Question. Entretien JLG/Bresson.
697
. Ref. 305. 1980
698
. LE NOUVEAU QUOTIDIEN. Locarno.Suisse. 03/08/1995.

560
- Helmut FÄRBER, Le paysage est plus vieux que l'être humain. Même si c'est une fleur, TRAFIC n°50.
2004.
- Trond LUNDEMO, The Index And Erasure Godard's Approach To Film History, FOR EVER GODARD,
London, 2004.

J/ MODE EPISTÉMOLOGIE / (SECTION HISTOIRE)

QUEL MODE D'INSCRIPTION CINÉMATOGRAPHIQUE DANS L'HISTOIRE ?


Le dernier mode est la modalité réflexive de la discipline, le mode épistémologique. Si
souvent elle figure en tant que partie intégrante des différents exercices de l'histoire, il
nous a semblé intéressant de la séparer en une modalité à part entière. Le film HdC,
pour ce que les textes critiques en relèvent, fournit une influence patente dans cet
exercice. Les HdC remettent en question autant la pratique que l'avenir du cinéma699.
Lʼintégration du cinéma dans l'histoire pose certains problèmes méthodologiques que
des textes ont pu se charger de signaler. À cet instant, la considération du cinéaste
prenait une dimension philosophique de l'histoire du cinéma, et il s'agira ici plus de
joindre les deux premiers termes : cʼest-à-dire le pari d'établir Godard faisant exercice
dʼune philosophie de l'histoire du cinéma.

- Serge DANEY, Godard fait des histoire(s) (entretien), LIBÉRATION,12/1988.


- Serge DANEY, Godard Makes (Hi)Story, An Itw With Godard, Son+Image, MOMA.1992.
700
- Jacques RANCIÈRE, A quelle histoire appartient le cinéma?, TABLE RONDE HC . Locarno 95.
- Jacques RANCIÈRE, Face au Cinéma et à l'Histoire, à propos de JLG, LE MONDE DES LIVRES.10/95.
- Jacques RANCIERE, La fable cinématographique, Paris, Ed. du Seuil, coll.librairie du XXème
siècle.2001.
- Jacques RANCIÈRE, Le destin des images, Paris, Ed La Fabrique. 2003.
701
- Nahum KLEIMAN, Déchiffrer l'histoire à travers la poésie, TABLE RONDE HC . Locarno 95.
- Irene BIGNARDI, Godard, la Storia universale, LA REPUBBLICA. 08/1995. Italie.
- Alain BADIOU, Le plus-de-voir, ARTPRESS n°Hors-Série "Guide pour H(s)dC" 11/1998.
- Marie-José MONDZAIN, Histoire et passion, ARTPRESS n°Hors-Série "Guide pour H(s)dC" 11/1998.
- Youssef ISHAGHPOUR & JLG, Archéologie du cinéma et mémoire du siècle., TRAFIC n°29/30.99.

699
. Jacques RANCIÈRE, A quelle histoire appartient le cinéma?, TABLE RONDE HC. Locarno 95.
700
. TRH&C = Table Ronde sur Histoire et Cinéma : à propos de Jean-Luc Godard", inédit.11/08/1995.
Colloque de 3 Jours qui s'est déroulé pendant le festival de Locarno 95.
701
. TRH&C = Table Ronde sur Histoire et Cinéma : à propos de Jean-Luc Godard", inédit.11/08/1995.
Colloque de 3 Jours qui s'est déroulé pendant le festival de Locarno 95.

561
- Youssef ISHAGHPOUR, J-L Godard cinéaste de la vie moderne. Le poétique dans l'historique: GODARD
ET LE METIER D'ARTISTE . (Actes du colloque de Cerisy) Edition L'HARMATTAN. 02/12001.
- René PRÉDAL, La figure de l'ange." (entretien avec Alain Bergala), CINÉMACTION n°109, 10/2003.
- Sarah LEPERCHEY, Histoire(s) : narration et théorie des catastrophes, CINÉMACTION n°109, 10/2003.
- Antoine DE BAECQUE, À la recherche d'une forme cinématographique de l'histoire, (comptes-rendus de
lecture : La projection du monde, Stanley Cavell et Les Histoire(s) du cinéma, Jean-Luc Godard.
CRITIQUE n°632/33. 02/2000.
- Antoine DE BAECQUE, Godard In The Museum, FOR EVER GODARD, Black Dog Publishing, London,
2004.
- Junji HORI, "Godard's Two Historiographies", FOR EVER GODARD, B. D. Publishing, London, 2004.
- Trond LUNDEMO, "The Index And Erasure Godard's Approach To Film History", FOR EVER GODARD,
London, 2004.
- Monica DALL'ASTA, "The (Im)Possible History", FOR EVER GODARD, London, 2004.
- Jean Louis SHEFER, Du monde et du mouvement des images, Paris, Ed.de lʼEtoile/Cahiers du Cinéma,
1997.
- Stéphane ZAGDANSKY, La mort dans l'œil, critique du cinéma comme vision, domination, falsification,
éradication, fascination, manipulation, dévastation, usurpation. Paris, Maren Sell Editeurs, 2004.
Georges DIDI-HUBERMAN, Lʼimage survivante.(Histoire de l'art et temps des fantômes selon Aby
Warburg), Paris, Ed. de Minuit. 2004.
- Dominique PAÏNI, Un moderne art des ruines. Notes sur la restauration des films, CINÉMATHÈQUE
n°24. 1999.
- Bernard STIEGLER, La technique et le temps. Volume III. Le temps du cinéma et la question du mal-
être, Paris, Ed. Galilée. 2001.

562
5) GROUPE 3/ L'ŒUVRE DU CINEASTE : DU CÔTÉ DU CINÉASTE

A/ PRÉSENTATION

GROUPE 3 : GROUPE DES CRITIQUES “DU CÔTÉ DU CINEASTE”


Le groupe 3 coordonne les textes vers deux nouvelles perspectives qui vont
respectivement former deux sections :

- LA SECTION : RAPPORTS DE PRODUCTION


Cette section du groupe 3 va regrouper les critiques qui s'intéressent prioritairement
aux conditions de production et par de-là, ce que nous avons nommé rapports de
production et qui seront définis un peu plus bas.

- LA SECTION SPÉCIFIQUE A J-L GODARD


Section spécifique au fait que ce soit Godard qui a réalisé le film.
On retrouvera souvent des occurrences dans les critiques du film HdC qui prouvent
une dimension de représentation sociale, ou encore comment certains textes lui
attribuent des inventions d'ordre conceptuel, bref, le groupe 3 assemble celles qui vont
davantage concevoir les conséquences d'après la production du film mais aussi celles
qui étudieront le fait que ce film soit tout spécialement réalisé par Jean-Luc Godard
dans la mise en correspondance avec des œuvres antérieures.

Dans le souci moindre du présent du film —à l'inverse de la critique du groupe 2, sur


les dispositifs internes esthétiques et historiques—, un nombre de textes possèdent
une problématique davantage axée sur un avant ou un après :

LE FILM ÉTUDIÉ COMME RAPPORT DE LA PRODUCTION


Le geste de l'établissement en liaison avec ce rapport s'avère double. Il s'agit de
comprendre, pour mieux définir, les différents types de rapports qu'entretient le film
avec son contexte extérieur, afin par la suite d'établir l'auteur du film, Godard, comme
producteur702. On va pouvoir déployer plusieurs sections.

702
. Walter Benjamin, “L'auteur comme producteur (allocutions à l'institut pour l'étude du fascisme)”1937,
Essais sur Brecht, Paris, Ed. La Fabrique, 2003. pp.122-146.

563
Logiquement, la production du film opère une influence dans le milieu dans lequel il
s'est manifesté. Les conséquences qu'on peut nommer par rapports de production
conditionnent le milieu, ce que Benjamin nomme par les contextes sociaux vivants703.
Ils seront alors évocateurs de textes se référant aux HdC contenant un certain nombre
de données politiques, humaines et conceptuelles. Ces données seront même les
modalités de base en vue de la réception des textes critiques.

Ainsi, d'après la production du film, autant que la considération de définir les HdC
comme un film produit par Jean-Luc Godard avant même son analyse interne, nous
allons pouvoir montrer les deux types de sections, qui elles-mêmes abritent plusieurs
modalités problématiques.

LA SECTION RAPPORTS DE PRODUCTION


Suite aux définitions des rapports de production qui tentent d'expliquer le déploiement
extérieur du film, on peut lui apposer trois modalités différentes.
L'une politique, restrictive au sens du rapport même, une deuxième anthropologique,
liée plutôt à la spécificité du cinéma et aux images de l'homme qui le composent et
enfin une dernière conceptuelle, qui va essayer de regrouper les différentes acceptions
de lʼinvention.

B/ MODE POLITIQUE / (SECTION RAPPORTS DE PRODUCTION)

Cʼest-à-dire assembler les critiques qui considèrent le film sur son aspect militant, et du
caractère politique qu'il revêt.
REVENDICATION POLITIQUE DES HDC
On le sait, l'idée de produire une histoire du cinéma par les films est arrivée dans
l'esprit de Godard au moment même de son implication politique la plus intense de sa
vie : à partir des années 66/67. La pratique du cinéma ainsi que la pratique de l'histoire
se substituent à celle de l'exercice politique du militant. Cette double pratique, dont les

703
. Walter Benjamin, “L'auteur comme producteur”, Paris, Ed. La Fabrique, 2003.p.124.

564
HdC incarnent le cœur même, correspond donc à une activité politique classique déjà
relevé dans la discipline. On est en présence de textes qui constatent le déplacement
contemporain de la zone de la lutte des classes politiques. L'enjeu de la politique se
produisant sur le terrain de l'histoire et même de l'histoire du cinéma ne se retrouve
plus dans une réalité donnée, immédiate, mais dans le récit et dans la mise en
spectacle même de cette réalité.

Du mode politique, même s'il est souvent difficile de dégager une notion purement
politique, quelques textes affirment les HdC comme une possibilité militante. Comment
fait-il le jeu de la contestation radicale du pouvoir politique classique devenu caduc ?
Comment a-t-il servi d'argument à certains textes de revendication politique pendant
les années 95/96, moment de contestation sociale assez élevé. On peut signaler ici
ceux qui proviennent de la revue Persistances 704.

- Maurizio GERVASINI, L'ultimo uome con la macchina da presa., LA PREALPINA 08/1995. Suisse.
705
- Ademir KENOVIC, Pas parce que je viens de Sarajevo, TABLE RONDE HC . Locarno 95.
706
- Serge TOUBIANA, Quelqu'un qui est parti, TABLE RONDE HC . Locarno 1995.
- ATS, Léopard d'honneur pour Godard, LE QUOTIDIEN JURASSIEN. (12/08/1995)
- Y. DUPEUX, E. RALLU, "Hélas pour nous". Préface à l'entretien avec Jean-Luc Godard,
PERSISTANCES n°3. ÉTÉ 1997.
- Yves DUPEUX, Emmanuelle RALLU, Entretien avec Jean-Luc Godard, PERSISTANCES n°3. ÉTÉ 1997.
- Yves DUPEUX, Passion de Jean-Luc Godard; Le travail et l'amour, l'image cinéma., PERSISTANCES
n°3. ÉTÉ 1997.
- Valérie CADET, Pensée(s) du monde, LE MONDE RADIO/TÉLÉVISION. 28/06 au 04/07/1999.
- Thierry JOUSSE, Une histoire seule. 1B, CAHIERS DUCINÉMA . Tiré à Part. Juillet 1999.
- Jean-Pierre ESQUENAZI, Les mondes godardiens, paraphrase de notre monde, GODARD ET LE
METIER D'ARTISTE (Actes du colloque de Cerisy) Edition L'HARMATTAN. 02/12001.
- Bruno PÉQUIGNOT, Le travail de la mémoire et l'appréhension de ce qui fait lien social chez J.-L.
Godard, GODARD ET LE METIER D'ARTISTE (Actes du colloque de Cerisy) Edition L'HARMATTAN.
02/2001.
- Didier COUREAU, XXème siècle, cathédrale de la douleur : à propos de JLG/JLG et HdC,
CINÉMACTION n°109. 10/2003.

704
. Y. DUPEUX, E. RALLU, "Hélas pour nous" Préface à l'entretien avec Jean-Luc Godard,
PERSISTANCES n°3. ÉTÉ 1997.
705
. TRH&C = Table Ronde sur Histoire et Cinéma : à propos de Jean-Luc Godard", inédit.11/08/1995
Colloque de 3 Jours qui s'est déroulé pendant le festival de Locarno 95.

565
- Nathalie. NEZICK, Un tombeau pour l'œil, Histoire(s) du cinéma (idéologie godardienne),
CINÉMACTION n°109. 0/2003.
- Jacques RANCIÈRE, La constance de l'art (A propos de Drancy Avenir) TRAFIC n°21. 1997.

C/ MODE ANTHROPOLOGIE/ SOCIOLOGIE


(SECTION RAPPORTS DE PRODUCTION)

AMPLITUDE SOCIALE ET CONSÉQUENCE HUMAINE DU FILM


Si ce mode figure dans notre classification, cʼest parce que quelques textes ont
travaillé sur des notions anthropologiques telles qu'elles ont pu êtres inventées,
visualisées et mise en perspectives par Aby Warburg.
Le mode anthropologique est une modalité d'approche du film qui ne contient pas un
grand nombre de textes. Pourtant cette apparente pauvreté quant à la quantité des
critiques listées, s'avèrera fructueuse, si l'on se penche sur la nature même de sa
modalité. À partir de l'étude des HdC, nous sommes en présence d'un petit nombre de
textes qui vont faire le lien avec l'hypothèse d'une anthropologie, dont lʼobjet principal
d'étude se présente sous une forme visuelle. Une anthropologie des images telle
qu'elle a été fondée par Aby Warburg, confirmée, par une parenté de structure,
parallèlement par André Malraux, et poursuivie par Godard.

Cette perspective historique dʼun savoir des images de l'homme, à vouloir s'intéresser
à ses problèmes concrets de représentation et de figuration peut se définir comme
l'étude visuelle de figures humaines et du mystère de leur permanence. Elles vont
permettre de faire accéder le film vers une nouvelle dimension. La proposition que la
photographie peut se substituer au texte707. Trois critiques vont à ce sujet venir
corroborer cette question il s'agit de Philippe-Alain Michaud708, Georges Didi-
Huberman709 et Helmut Färber710.

706
. TRH&C = Table Ronde sur Histoire et Cinéma : à propos de Jean-Luc Godard", inédit.11/08/1995
Colloque de 3 Jours qui s'est déroulé pendant le festival de Locarno 95.
707
. Philippe-Alain MICHAUD, « Passage des frontières. Mnémosyne entre histoire de l'art et cinéma » ,
TRAFIC n°45.Printemps 2003.
708
. Philippe-Alain MICHAUD, « Passage des frontières. Mnémosyne entre histoire de l'art et cinéma » ,
TRAFIC n°45.Printemps 2003.
709
. Georges DIDI-HUBERMAN, «Montages de ruines », SIMULACRES n°5. 09-12/2001.

566
- Aude VERVMEIL, L'outil de pensée du Rollois, NOUVEAU QUOTIDIEN. 08/95. Suisse.`
- Jacques JEANJEAN, La puissance de La Ciotat (Des images virtuelles au cinéma), TRAFIC n°23. 1997.
- André S. LABARTHE, Dix sujets de méditations proposés à des étudiants imaginaires, ARTPRESS
n°Hors-Série. 11/1998.
- Marie-Anne GUÉRIN, Les signes parmi nous. 4B, CAHIERS DUCINÉMA . Tiré à Part. Juillet 1999.
- ALAIN BERGALA, Le choix de Godard, CAHIERS DUCINÉMA . Tiré à Part. Juillet 1999.
- Alain BERGALA, Nul mieux que Godard . Collection Essais. Editions CAHIERS DU CINÉMA. 10/1999.
- Noël NEL, Histoire(s) du cinéma 1 et 2 de Godard, , GODARD ET LE METIER D'ARTISTE (Actes du
colloque de Cerisy) Edition L'HARMATTAN. 02/2001.
- Alexander HORWATH, Singing in the rain. Supercinématographie de Peter Tscherkassky, TRAFIC n°44.
2002.
- Marie Anne GUÉRIN, L'arrêt sur mémoire, TRAFIC n°47. 2003.
- Philippe-Alain MICHAUD, Passage des frontières. Mnémosyne entre histoire de l'art et cinéma , TRAFIC
n°45.PRINTEMPS 2003.
- Philippe-Alain Michaud, Sketches. Histoire de l'art, cinéma, Paris, Ed. Kargo & L'Éclat, 2006.
- Georges DIDI-HUBERMAN, Montages de ruines, SIMULACRES n°5. 09-12/2001.
- Georges DIDI-HUBERMAN, Images malgré tout, Paris, Ed. de Minuit. 2003.
- Georges DIDI-HUBERMAN, Lʼimage survivante.(Histoire de l'art et temps des fantômes selon Aby
Warburg), Paris, Ed. de Minuit. 2004.
- Georges DIDI-HUBERMAN, Entretien sur le vivant des images, CINERGON n°16, Montpellier, 2003.
- Helmut FÄRBER, Une forme qui pense. Notes sur Aby Warburg, TRAFIC n°45. PRINTEMPS 2003.
- Helmut FÄRBER, "Le paysage est plus vieux que l'être humain. Même si c'est une fleur, TRAFIC n°50.
ÉTÉ 2004.
- Helmut FÄRBER, Dante Schelling Godard / Histoire(s) (montage), TRAFIC n°43. AUTOMNE.2002.

D/ MODE CONCEPTUEL / (SECTION RAPPORTS DE PRODUCTION)

GODARD COMME CRÉATEUR DE CONCEPT


Le mode conceptuel regroupe plus généralement les critiques qui ont attribué une
place importante à l'inventivité conceptuelle du film. En effet, le film de Godard a pu
être considéré comme une ouverture de la pensée, comme la littérature (avec Blanchot
par exemple) et la philosophie ont voulu y prétendre et s'y sont destinées.

710
. Helmut FÄRBER, « Une forme qui pense. Notes sur Aby Warburg », TRAFIC n°45. Printemps 2003.

567
Sous le mode conceptuel, on comprend le regroupement de textes qui ont tenté
d'expliquer comment, ou de quelle façon, les HdC sont créateurs de concepts. La
création de concept, même si l'origine de cette terminaison se veut synonyme d'idée
philosophique711, se veut justement recueillir les découvertes qu'ont fait des textes
critiques sur le potentiel créateur de Godard. Dès lors ce potentiel touche on peut le
comprendre beaucoup de disciplines différentes L'idée de Godard est d'imposer le film
comme un objet d'étude avant même d'être sujet. Aussi il se retrouve à l'intersection
d'un grand nombre de disciplines et l'occasion pour Godard dʼêtre un inventeur d'idées
appartenant au domaine de la pensée, dans laquelle philosophie, littérature, histoire,
comme cinéma, peuvent s'inscrire et prendre part.

712
- Sylvie AYME, Répète un peu pour voir" : J.-L Godard et la catégorie de la répétition. E.C. n°194-
202.1993.
- Nicole BRENEZ, Le Film abymé - JLG et les philosophies byzantines de l'image, E.C. n°194-202.1993.
- Nicole BRENEZ, The Forms Of The Question, FOR EVER GODARD, n°Hors-Série "Guide pour H(s)dC"
11/1998.
- J-C LOISEAU & P. MURAT, Jean-Luc Godard, auteur d'"Histoire(s) du Cinéma., TÉLÉRAMA.11/1998.
- Patrice ROLLET, Dans un miroir, obscurément, TRAFIC n°28. 1998.
- Raymond BELLOUR, Le corps de la fiction, TRAFIC n°30. 1999.
- Jacques AUMONT, Amnésies. Fictions d'après Jean-Luc Godard, Paris, Ed. P.O.L. 04/1999.
- Stéphane ZAGDANSKY, La mort dans l'œil, critique du cinéma comme vision, domination, falsification,
éradication, fascination, manipulation, dévastation, usurpation. Paris, Maren Sell Editeurs, 2004.
- Jacques RANCIÈRE, La fiction de mémoire (A propos du Tombeau d'Alexandre), TRAFIC n°29. 1999.
- Jacques RANCIÈRE, La fable cinématographique, Paris, Ed. du Seuil. Coll. Bibliothèque du XXème
siècle. 2001.
- Jacques RANCIÈRE, Le Destin des images, Paris, Ed. de la Fabrique, 2003.
- Jacques RANCIÈRE, Godard, Hitchcock, And The Cinematographic Image, FOR EVER GODARD,
London, 2004.
- Steven BERNAS, Le poète, le patron et le philosophe, CINÉMACTION n°109, 10/2003.
- Bernard STIEGLER, La technique et le temps. Volume III. Le temps du cinéma et la question du mal-
être, Paris, Ed. Galilée. 2001.

711
. Gilles Deleuze, « Qu'est-ce que l'acte de création ? », TRAFIC n°27.1998.
712
E.C = Études Cinématographiques.

568
E/ MODE INTERNE / (SECTION JLG)

LA SECTION SPÉCIFIQUE A JEAN-LUC GODARD


La spécificité de cette section, du fait que ce soit JLG qui ait réalisé les HdC, nʼest
nullement une démarche téléologique. Pour cela il demeure important de connaître et
de respecter l'ordre de notre démarche. Aussi, à la place d'étudier ce quʼattestait le
groupe 2, —d'abord le film et ensuite seulement comprendre son inscription dans
divers domaines dont celui du cinéma ou bien encore l'œuvre de Godard en
particulier—, un certains nombres dʼécrits se basent au départ du fait inverse. Cʼest-à-
dire à partir dʼune étude générale considérant lʼensemble des œuvres de Godard,
plusieurs articles ont pu analyser le film Les HdC, à lʼaide de cette perspective. Nous
insistons sur cette démarche car c'est celle que nous avons nous-même effectuée.

Ceci va établir deux nouveaux types de modalité :


Un MODE INTERNE fera état des critiques qui basent les réflexions à partir de la
constatation première que le film HdC sʼavère la résultante de la production écrite et
filmique de Godard.

Et aussi un second, le MODE PHYSIQUE qui regroupera les textes qui ont travaillé sur
l'implication de la personne de Godard dans le film, ce que nous avons appelé son
incorporation au film.

CONCEPTION COMME TRAVAIL ISSU DE L'ENSEMBLE DE L'ŒUVRE DE JLG.


ENTRETIENS
- François ALBERA, Cultivons notre jardin, (entretien),CINÉMACTION, 1989.
- Serge DANEY, Godard fait des histoire(s) (entretien), LIBÉRATION,12/1988.
- Serge DANEY, Dialogue avec GODARD, CdC n°513. Mai 1997.
- L. SKORECKI, G. LEFORT, M. LINDON & F. ARMANET, "Faire un film, c'est renoncer à tout. "Points de
vues du cinéaste sur son œuvre et sur le monde." (Entretien),LIBÉRATION.10/1998.
- Frédéric BONNAUD, Arnaud VIVIANT, Entretien avec JLG, LES INROCKUPTIBLES n°170.10/1998.
- Stéphane GOUDET & Michel CIMENT, Des traces du Cinéma, (entretien JLG) POSITIF n°456. 02/1999.
- Jean-Luc GODARD & Youssef ISHAGHPOUR,Archéologie du cinéma et mémoire du siècle. (1),
TRAFIC n°29. 1999.

569
- Jean-Luc GODARD & Youssef ISHAGHPOUR, Archéologie du cinéma et mémoire du siècle.(2),
TRAFIC n°30. 1999.
-Charles TESSON & E. BURDEAU, Avenir(s) du cinéma (entretien), CAHIERS DU CINÉMA n°Hors
Série, Avril 2000.
- Jean-Pierre LAVOIGNAT, Christophe D'YVOIRE, "Le cinéma n'a pas su remplir son rôle."
(entretien ) , STUDIO n°96.12/2000.
- Jean-Claude LOISEAU, Jacques MORICE, "Je reviens en arrière, mais je vais de l'avant" (entretien
JLG), TÉLÉRAMA n°2679. 05/2001.
GAILLAC-MORGUE, & JP GUERAND, Grandeur d'un petit commerce de cinéma.(entretien JLG), EPOK
n°05/2001.
- Jean NARBONI, Tous les autres s'appellent Meyer, TRAFIC n°3. 1992.
- Raymond BELLOUR, (Not) Just An Other Filmmaker, Son+Image, MOMA.1992.
- Philippe DUBOIS, Excerpts From A Document...., Son+Image, MOMA, 1992.
- Serge BOZON, Teenage Fever, TRAFIC n°5. 1993.
- Jean-Claude BIETTE, Les enfants de Godard et de Pasiphaé, TRAFIC n°15. 1995.
- Bill KROHN, Raison(s) d'un festival, TRAFIC n°16. 1995.
713
- André S. LABARTHE, Qu'est-ce que le cinéma pour moi, Godard? TABLE RONDEHC . Locarno 95.
- André S.LABARTHE, Dix sujets de méditations ARTPRESS n°Hors-Série "Guide pour H(s)dC" 11/1998.
-Thomas CHRISTEN, Im reich der Bilder, Töne und Schriftzeichen, ZOOM, Zeitschrift für film. 08/95.
- Marie Anne GUÉRIN, Rien avant la disparition, TRAFIC n°20. 1996.
- Jonathan ROSENBAUM, Bande-annonce pour les H(s)dC de Godard, TRAFIC n°21.1997.
- Jacques AUMONT, "Beauté, fatal souci". Note sur un épisode des Histoire(s) du Cinéma.,
CINÉMATHÈQUE n°12. 1997.
- Jacques AUMONT, La mort de Dante, CINÉMAS, n°XXX . Montréal.1997.
714
- Shiguéhiko HAZUMI, La simplicité du Cinéma, Table Ronde.HC . Locarno 1995.
- Alain BADIOU, Le plus-de-voir, ARTPRESS n°Hors-Série "Guide pour H(s)dC" 11/1998.
- Marie-José MONDZAIN, Histoire et passion, ARTPRESS proposés à des étudiants imaginaires,
ARTPRESS n°Hors-Série .11/1998.
- Jean DOUCHET, Images arrachées au journal du siècle, ARTPRESS n°Hors-Série "Guide pour H(s)dC"
11/1998.
- Eric RONDEPIERRE, Le regard d'Ulysse, ARTPRESS n°Hors-Série "Guide pour H(s)dC" 11/1998.
- Cyril BEGHIN, Invention de l'animation, ARTPRESS n°Hors-Série "Guide pour H(s)dC" 11/1998.
-Stéphane GOUDET, Splendeur et apories de la dernière écume, POSITIF n°456 02/1999.
- Stéphane BOUQUET, La monnaie de l'absolu. 3A, CAHIERS DUCINÉMA . Tiré à Part. Juillet 1999.
- Thierry MILLET, Les germes fractals d'HdC dans "Scénario du film Passion", CINÉMACTION n°109,
10/2003.

713
. TRH&C = Table Ronde sur Histoire et Cinéma : à propos de Jean-Luc Godard", inédit.11/08/1995
Colloque de 3 Jours qui s'est déroulé pendant le festival de Locarno 95.
714
. TRH&C = Table Ronde sur Histoire et Cinéma : à propos de Jean-Luc Godard", inédit.11/08/1995)
Colloque de 3 Jours qui s'est déroulé pendant le festival de Locarno 95.

570
F/ MODE PHYSIQUE / (SECTION JLG)

PRÉDOMINANCE DU CORPS DANS LE FILM.


GODARD COMME LE DERNIER PERSONNAGE DU CINÉMA

- Claire STROHM, Moi, je, CAHIERS DU CINÉMA Spécial Godard, 05/1989.


- M-C MARTIN, J-L Godard fait le pitre dans son autoportrait "JLG", LE NOUVEAU QUOTIDIEN.
08/1995.Locarno.
- Pascal GAVILLET, J-L Godard envoie des piques au Festival de Locarno, LA TRIBUNE DE GENÈVE.
12/08/1995.
- Olivier SÉGURET, Propos sur le cinéma selon saint Jean-Luc, LIBÉRATION. 15/08/1995.
- Marie-Noëlle TRANCHANT, Godard ou le cinéma par lui-même, LE FIGARO. 12/05/1997.
- Jean-Michel FRODON, Jean-Luc Godard, maître du tonnerre sur la croisette, LE MONDE. 05/1997.
- Tony ALLEN-MILLS, Godard the 'fraud' falls of his pedestal., THE SUNDAY TIMES. 11/1997.UK.
- François ARMANET, Confession (Editorial), LIBÉRATION. 07/10/1998.
- Jean-Pierre DUFREIGNE, Godard est-il un génie ?, L'EXPRESS. 08/10/1998.
- Pascal MÉRIGEAU, Godard fait son cinéma., LE NOUVEL OBSERVATEUR n°1773. 29/10 1998.
André S. LABARTHE, Dix sujets de méditations proposés à des étudiants imaginaires, ARTPRESS
n°Hors-Série. 11/1998.
- Sylvie PIERRE, Rio Daney Bravo, TRAFIC n°37. 2001.
- Steven BERNAS, Le poète, le patron et le philosophe, CINÉMACTION n°109, 10/2003.
- Olivier THÉVENIN, Jean-Luc Godard : Cinéaste et artiste, CINÉMACTION n°109, 10/2003.
- Youri DESCHAMPS, JLGodard, cinéaste du XVIème siècle, esquisse pour un portrait, CINÉMACTION
n°109, 10/2003.

571
6/ CONCLUSION

ÉLÉMENTS DIFFERENTIELS FACE AUX ÉLÉMENTS RÉPÉTITIFS OU


CONSTANTS.
En disposant comme méthode de classement la variété des modalités problématiques,
nous avons voulu soumettre l'hypothèse que cette disposition, même sous l'allure
succincte d'une classification, pouvait être représentative du film. Aussi, c'est sûrement
à partir de cette méthode —et nous ne cherchons pas ici à produire une auto-
justification— que l'on peut, en évaluant les questions posées, mieux reconnaître le
film dans sa structure générale autant que les particularités qui se sont révélés pendant
l'interprétation que nous avons élaboré au chapitre Deux de cette partie. Dʼailleurs,
nous pouvons faire remarquer que la séparation de ces deux étapes pourra servir
utilement et pratiquement. Elle propose, humblement, dʼorienter les problématiques et
de servir de base de données de référence pour dʼautres futurs étudiants qui voudront
se pencher sur le film.

RECONNAISSANCE, CONNAISSANCE
Le présent chapitre consiste à avoir remis en question la configuration même du film.
Cette remise en cause, va pouvoir nous proposer une nouvelle représentation. Cette
variété problématique fournit des données, qu'on peut pratiquement qualifier de
données topologiques, et nous fait entrevoir une nouvelle possibilité de connaissance
et de reconnaissance. Le terme de reconnaissance est pris ici dans son acception
stratégique715. Il s'agissait de prospecter dans les différents types de lectures critiques,
afin de reconstruire le discours sur le film et d'en enregistrer les différentes valeurs dont
il se trouve possesseur.
Nous remarquons que le classement des éléments différentiels, représentés par la
disposition de ces modalités, s'est avéré souvent, pour une connaissance de l'aspect
du film, plus instructive que la recherche d'éléments constants.
Ces éléments-ci, de nature répétitive, commune à toutes les critiques, placent le film
dans un ensemble d'autres films étudiés, bref un ensemble indifférencié, niant presque
la valeur solitaire du film des Histoire(s) du cinéma. Pourtant ce qui demeure possible,

715
. David Rousset, La théorie de la guerre, Paris, Ed.Plon.1978. p.25.

572
c'est de faire établir comme élément constant le réseau des valeurs d'ensemble
appartenant aux HdC et désignés par les textes critiques sans qu'ils ne deviennent
pour autant répétitifs et non instructifs.

Lorsque l'on parle d'envoyer, en terrain hostile, un éclaireur en reconnaissance.

573
CONCLUSION GÉNÉRALE

DITES, QUʼAVEZ-VOUS VU ? 716


DERNIÈRES PERSPECTIVES
Nous sommes seuls face au film. Cet exercice solitaire de vision demeure un
questionnement perpétuel face à la singularité du film lui-même. Comme nous avons
essayé dʼapporter une critique précise pour le début, nous ne pouvions mettre en
œuvre la totalité du film. Plus par défaut du temps imparti que faute de place, car enfin,
même si notre travail a commencé à la fin des années 90, un peu avant la sortie des
VHS, il nous a fallu résumer, élaguer, disjoindre et évidemment exclure un grand
nombre de réflexions que le film suscite.
LA FORCE DU PAPIER
En rappel, nous avons été un peu comme ces moines qui recopiaient les livres avant
lʼavènement de lʼimprimerie. Recopier pour apprendre et comprendre, quand nous
avons produit un plan par plan complet du film. Cette image studieuse est apparue
dans une discussion avec Jean-Louis Leutrat, la première fois que nous nous sommes
rencontrés et précisément, à propos du film des HdC, lorsque nous avons comparé nos
plans par plans respectifs. Le travail de la retranscription scripturale des images et des
sons permet de vérifier, à lʼinstar du cinéaste lui-même quand il fit son livre, les
permanences du style ainsi quʼune révélation du fonctionnement, que la vitesse du
déroulement filmique recouvrait. La reproduction du film dans une version de papier
faisait accéder non pas à sa compréhension immédiate mais à lʼobservation de la
méthode du cinéaste, à lʼorganisation du film lui-même. Ce travail de recopie fut
fondamental puisquʼil permettait dʼêtre simultanément en rapport avec le film et sa
planification, et dénué toutefois dʼa prioris théoriques et critiques

PRINCIPE DE VIE DU FILM


Pendant la projection, pendant le déroulement du film, et par la suite dans le souvenir
que nous en avons, il faut tenir compte de ce reste indéfectible, inamovible, de l'ordre
de l'inapproprié, du caractère proprement étranger et individuel qu'il suscite en nous.
Cela demeure principal sous peine d'ignorer d'un film l'unité provisoire, son identité

716
. HdC.2a.seul le cinéma. p.73. Phrase tirée de « Voyages » de Charles Baudelaire.

574
propre. Autrement dit, son principe de vie, qui est plus que son sens, plus que son
aspect informatif et esthétique. Entendons par principe de vie, l'idée qu'un film n'est
pas doué de vie mais qu'il représente du vivant, par la recomposition du mouvement et
du déroulement d'un temps. Ce principe de représentation montre que l'unité d'un film
n'est pas l'addition des éléments qui le composent. Il y a aussi son mouvement vers
nous (expulsion) et également notre participation à son existence (impulsion)717.

principe de vie la vie est-elle secret, est-ce le mystère dont nous parle jlg ?

Et c'est dans le cadre d'une représentation qu'un film est vivant autant que l'éclosion en
nous de sa projection et des traces, des éléments expulsés dus au rapport. L'évidence
revient encore à dire que nous projetons autant d'images et de sons que le film en
produit de son côté.

Reste à nous de trouver des concepts suffisamment stables, une carte des voies de
passage, des déchets, des corps, pour circonscrire cet espace de rencontre, cet effet
de réel, ce centre d'images et de sons 718 entre le film et nous, spectateurs. Il faut donc
apprendre à se séparer d'un film malgré une expérience commune, et ainsi pouvoir par
la suite le désigner.

Notre perception se trouve alors dans une situation dont il est important de trouver le
processus de limitation. La limite de la perception du film est de lier le savoir à la
reconnaissance des images ou des sons qui coexistent dans le film. La limite
perceptive n'est pas uniquement du ressort des principes de l'hallucination (notre
pouvoir de projection imaginaire sur l'objet réel, le film), elle incombe aussi à la
décision de liberté d'éprouver la représentation comme plausible au moment même où
nous nous en séparons. Une des limites sera de concevoir que le film comme objet
n'existe pas, ou du moins son existence pose problème pour les données de notre
mémoire et de notre perception.

717
. Cette deuxième partie de phrase correspond au montrer du conserver, montrer de Langlois,
qui sʼattachait à produire, pour que les anciens films puissent exister.
718
. Gilles Deleuze, Cinéma 2, L'image-Temps, Paris, Ed. de Minuit, 1985. p.258.

575
Cette solitude nécessaire lorsque nous rencontrons le film, pour l'établissement de
notre croyance, base fondamentale, subjective, du moindre effort de réflexion,
augmentera d'autant plus que nous devons nous en séparer.
Dit autrement, c'est donner l'expérience de vision comme subjective et singulière. La
solitude est là et tout partage s'effectuera après, mais comment alors tenir compte des
différentes qualités de réceptions que d'autres personnes avant nous ont pu avoir avec
lui ? Comment obtenir au motif de la solitude, la somme des différents regards que l'on
a posés sur ce film. Dʼailleurs, cʼest dans une volonté de partage de notre expérience,
que la solitude du film advient réellement.
Perdre l'innocence de notre vision, tenir compte des voyages passés et la reconquérir
par la critique de cette connaissance. Tout n'est qu'affaire de mémoire, et de
confrontation triangulaire des projections : du film lui-même et de ce qu'il expulse (A), la
nôtre, impulsive, introspection imaginaire, séparatrice (B) et la trace écrite de celles
des autres (C).

QUʼAVONS-NOUS VU? (NOUVELLE VAGUE)


Jacques Rivette découvrant dans les années 1950 Kenji Mizoguchi était dans un état
dʼesprit similaire : il constatait lʼeffet dʼétrangeté absolue de la langue japonaise quʼil ne
connaissait pas, comme il ignorait la complexité hiérarchisée des valeurs et des codes
culturels, sociaux ou historiques. Mais, disait-il, il reconnaissait une langue universelle
qui le touchait malgré lʼexotisme (de cette époque), cʼétait celui de la mise en scène.
Ainsi la recopie produisait les effets bénéfiques de constater les actes, les gestes de
montages ou les incorporations du cinéaste Godard. Aussi lʼune des qualités que le
film possède et nous nous sommes evertués à le relever, cʼest quʼil est possible de
regarder le film et dʼen comprendre quelque chose quand bien même nous ne
connaissons pas lʼorigine de la matière employée. Nous soulignons à la fin cette
connaissance exotérique car elle est souvent contestée chez cet auteur et
principalement pour les HdC. Et lʼignorance de cette origine (passée) se retrouve plus
habituellement quant à sa destination (le futur).

Godard est décrit comme un auteur issu du domaine du cinéma (la cinéphilie) mais en
partie également, on peut le concevoir comme relatif aux Beaux-Arts. Il est aussi

576
auteur (littéraire) des HdC, éditées par Gallimard. Enfin, cʼest à partir de la notion
producteur, que nous avons convenu de définir notre auteur719, ce qui permettait
justement de réunir un panel large des notions désignatives de son statut.

Godard est auteur de la production des HdC. Sʼil est producteur (exécutif) dans les
termes du métier—se chargeant du montage financier, à la tête de sa société
Sonimage—, il est aussi producteur dans le sens de lʼhomo faber. Maurice Blanchot
nous a prévenus de la restriction terminologique de celui qui fait :
« Avant lʼœuvre, œuvre dʼart, œuvre dʼécriture, œuvre de parole, il nʼy a pas dʼartiste,
ni dʼécrivain, ni de sujet parlant, puisque cʼest la production qui produit le producteur, le
faisant naître ou apparaître en le prouvant (cʼest dʼune manière simplifiée,
lʼenseignement de Hegel ou du Talmud : le faire prime lʼêtre qui ne se fait quʼen faisant
— quoi ? peut-être nʼimporte quoi. »720

Produire la compréhension
que lʼon a de Godard à partir de son film et non lʼinverse, tel aura été notre
cheminement. Et du nombre de découvertes que nous avons pu opérer, il reste encore
tant à observer de ce film, que nous sommes réduits à ne pouvoir partager tout ce que
nous avons vu. Telle en reprise de la citation de Baudelaire :
DITES, QUʼAVEZ-VOUS VU ? quʼil a placé dans son épisode Seul le cinéma721. Nous
sommes confrontés, à lʼinstar de lʼauteur, à la question de la solitude.
Le retour (à soi)

719
. Pierre Macherey, « La production littéraire et son auteur», CAHIERS DES JEUNESSES
MARXISTES-LÉNINISTES, Paris, Ed. École Normale Supérieure, 1968.p.66.
720
. Maurice Blanchot, Après coup, Paris, Ed. de Minuit. 1983.p .85/86.

577
2/ SOLITUDE AVEC LE FILM (NOUVELLE VAGUE)

Nous sommes dans un rapport de solitude avec le film. Nous le disons de manière
générale, et continue, en l'affirmant à la première personne du pluriel. Cette évidence
s'impose lorsqu'il s'agit de croire à ce qui se déroule sur l'écran ; Croire à ce qui se
déroule revient à dire cela fait vrai. Et ce faire-vrai correspond à ce que Pascal Bonitzer
a nommé : effet de réel722. Ce n'est pas de réalisme, dont il est question ici, car
l'important n'est pas de savoir si ce que nous voyons existe vraiment (dans la réalité),
mais plutôt de croire à ce que nous voyons (même si cela est imaginaire).
L'EFFET DE RÉEL
L'effet de réel se situe entre le film et nous (le moi), et même s'il est une production
subjective, est indissociable du film présenté. L'effet de réel se place au centre723 de la
relation spectateur-film.
Cet effet de croyance se rapporte au registre auquel il appartient, et auquel il importe, à
chacun, en tant qu'être singulier, de produire. Cette production en soi, où l'isolement
sʼavère nécessaire, confère une intimité proportionnelle à l'effet de l'appropriation ; et
même si cette production est illusoire, même si elle n'est pas déterminée à priori
puisqu'il y a la présentation de l'altérité, une existence extérieure se présente
nouvellement à notre conception de la vie, pour qu'ensuite nous faisions nôtre ce qui
se dresse devant nous.

En termes hétérologiques, le rapport film-spectateur, qui établit que notre production à


croire un film est d'ordre séparateur, est créateur d'un reste, car nous ne pouvons
jamais nous approprier ce qui se présente à nous dans sa totalité724, soit à être dans un
registre de la dépersonnalisation, puisque la vison est conduite par notre subjectivité.

721
. HdC.2a.seul le cinéma. p.73. Phrase tirée de « Voyages » de Charles Baudelaire.
722
. Pascal Bonitzer, “Écran du fantasme”, CAHIERS DU CINÉMA, n°229.08/1971.p.48.
723
. Gilles Deleuze, Cinéma 2, L'image-Temps, Paris, Ed. de Minuit, 1985.p.258.

578
3/ UNE NOUVELLE ÉNIGME

Jean Narboni parlait d'énigme à propos du cinéma de Hitchcock :


“ Je ne vois que Gérard Legrand pour avoir, dans "Cinémanie ", désigné cette énigme
comme telle, quand il écrit que toutes les exégèses, “avec ce diable d'homme,
725
apparaissent bizarrement fondées” .
Alors "si aux commentateurs français, tout est apparu comme signe pertinent à
lʼinterprétation dans ses films”, à l'inverse dʼHitchcock, une nouvelle énigme peut être
appréhendée, présente dans le cinéma de Godard et plus précisément dans les HdC.

Toute exégèse des HdC apparaît ici comme infondée parce que sa réfutation comme
son explication opposée, sont toujours présentes, formulables, et cela malgré tout un
travail de pertinence, entrepris, requis.

Toutes critiques des HdC sont démontables et indémontrables, car elles offrent la
possibilité ad absurdum d'être remontées à l'inverse.

L'IRONIE DU NÉGATIF
De cette énigme négative (rien nʼest acquis tant que tout est démontrable dans les
HdC), comble de l'ironie, sont perpétuellement entretenues des argumentations
élaborées au motif de son propre cinéma. Ainsi se soulève une énigme qui ne
manquera pas de développer de nouveaux commentaires :

Tout film de Godard ne peut avoir d'explication univoque et les HdC viennent au cœur
du paradoxe consistant à établir objectivement, enserrer l'œuvre d'art, si œuvre il y a,
qui par sa nature même n'est pas isolable.

UN MYSTÈRE EN FORME DʼÉTOILE

724
. Pour paraphraser Lacan, on pourrait affirmez que nous disons toujours la vérité sur le film, mais pas toute.
725
. Jean Narboni, “Le pouvoir de la vision”, Alfred Hitchcock, CAHIERS DU CINÉMA, N°Hors-Série, Paris, 1979
.p.34.

579
Ce caractère indémontrable des films de Godard intervient avec une telle permanence
que cela pourrait être la fondation même d'une démonstration. Démontrer par exemple
que ce système cinématographique nʼest ni une technique, ni un art mais un mystère,
tel quʼil lʼa proposé, a la forme dʼune étoile.
La possibilité dʼavancer sur certaines assertions axiomatiques peut se produire quand
elles sont basées sur des principes inexplicables.

LA DOUBLE ORIGINE INTERNE/EXTERNE DES ÉLÉMENTS FILMIQUES DES HDC


Par exemple :
Tout élément figural qui se trouve impliqué dans le film puise sa source
systématiquement dans deux origines, lʼune externe à lʼœuvre de JLG, et une autre
interne, ce qui souvent nʼest pas antérieure à lʼexterne. Ce qui donc vient infirmer une
possibilité dʼinfluence directe et indirecte.

4/ LE FILM HDC EST UN FILM-MIROIR

Cette image du film comme un miroir de notre propre regard a été balisé depuis
longtemps. Cʼest un point de comparaison esthétique que lʼon retrouve dans les fictions
de Cocteau ou de Nicholas Ray. Cʼest aussi une réalité qui se retrouve dans les écrits
de nombreux critiques, bref cela ne concerne pas Godard exclusivement. Mais nous
sommes obligés de constater que cette correspondance du flm-miroir se trouve et se
retrouve avec les HdC dans des termes foncièrement pertinents.
Cette image est certainement due dʼabord à la multiplicité apparente des lectures
possibles du film. Film-miroir plus que tout autre, révélateur avant tout, non de l'époque
qu'il retrace mais premièrement de l'individu qui le regarde.

"Tout miroir est un cadre et délimite une portion d'espace. Tout miroir est comme une
caméra (ou un projecteur) puisqu'il "lance" l'image une seconde fois, puisqu'il offre un
second tirage, puisqu'il a un pouvoir d'émission."726

726
. Christian Metz, L'énonciation impersonnelle ou le site du film , Paris, Ed. Méridien-Klincksieck. 1995. p.95.

580
Le film se dispose comme un miroir devant la critique. Mais il s'agit ici aussi de pouvoir
faire la part en comprenant dans quelle mesure, l'ensemble des films projettent de
nouveau, renvoient les images et les sons qui avaient été projetés. Plus que d'une
valeur d'exemplarité, les HdC nous donnent la possibilité de fonder une expérience qui
peut faire basculer notre conception du cinéma dans cet ensemble raisonné.

Ni un exemple, ni un parangon, ni une heuristique, motif de notre intéressement —et


c'est une des raisons principales, instinctives du choix d'étudier ce film—, les HdC nous
offrent la possibilité de réaliser ce que les autres détiennent en puissance. Film-miroir
donc comme tout autre, mais qui contiendrait également en lui la formule alchimique
pour pouvoir en fabriquer de nouveaux. On pressent maintenant que cette "formule de
réalisation" appartient au film et va vers nous, et vit indépendamment de notre imago,
des projections mentales que nous pouvons faire vers celui-ci ; la projection mentale
de notre propre image renvoyée. L'idée du film-miroir est cet état de fait que ce ne sont
justement pas les films qui vieillissent, malgré leurs altérations concrètes mais nous-
mêmes, qui nous regardons vieillir, par l'intermédiaire de celui-ci727. Nous comprenons
maintenant que c'est cette formule et la quête de son établissement qui constituent
l'unité du film en dehors de notre propre regard et de sa projection. La formule n'est
que le savoir du film qu'il a de lui-même et précisément, le savoir cinématographique
que possèdent les Histoire(s) du cinéma de Jean-Luc Godard.

5/ LA CONSTITUTION DU SUJET FACE AU FILM

Le sujet face au film se constitue dans la prise en compte du principe qu'il ne peut avoir
d'objectivité dans l'appréciation d'une œuvre d'art ou même d'un récit historique ;
encore moins si le film est considéré comme monument, c'est-à-dire dans le domaine
de la science humaine. L'objectivité n'acquiert une valeur paradigmatique que dans l'a
posteriori de la subjectivité.
Plus précisément, c'est par le dépassement de ce qui nous est donné à voir et à
entendre, que se constitue le sujet. Et, pour beaucoup de critiques, le tort est de croire

727
. Serge Daney, « Rio Lobo. La vieillesse du même ». CAHIERS DU CINEMA. n°230. 09/1971.p.22.

581
que le mouvement de ce dépassement se nomme objectivité, dès lors qu'il semble être
désintéressé :

« Si le sujet est bien ce qui dépasse le donné, ne prêtons pas d'abord au donné la
faculté de se dépasser lui-même. »728
Alors « Le donné se définit comme "flux du sensible, une collection d'impressions et
d'images, un ensemble de perceptions. »729
Le donné nous dit Deleuze est défini comme un flux, un ensemble de perceptions et
dans l'espace créé de cette subjectivité, le donné s'apparente au film.
Et si le film est le sujet, notre perception s'objective, lui faisant face, c'est-à-dire, que
c'est la limite de notre perception sur laquelle peut se constituer une pensée objective
du film. Une pensée objective à partir de l'exercice subjectif que le film exerce sur
nous.
"Les perceptions ne sont pas les seules substances, mais les seuls objets."730

C'est donc à partir de notre perception du film que se développe l'exercice de la


subjectivité, c'est-à-dire que le sujet de celui-ci peut se constituer.
Il faut donc recenser et en faire état, avant même de singulariser l'idée subjective du
film. Idée basée à partir de notre condition présente. En faire état, cela revient à avoir
connaissance du passé du sujet, de ce qui s'est dit et écrit sur ce film pour que notre
propre réflexion puisse alors détenir des idées vraiment nouvelles.
Une autre difficulté consiste à savoir les transcrire correctement, pour les proposer
enfin à la lecture.

Une pensée objective est produite à partir de l'exercice subjectif que le film exerce sur
nous. Il s'agit de comprendre alors les conséquences de proposer cette méthode.
Trouver le point d'équilibre dans la confrontation de deux sujets : Le sujet percevant,
nous, et le film comme sujet.

728
. Gilles Deleuze, Empirisme et subjectivité, Essai sur la nature humaine selon Hume, Paris, Ed. P.U.F.
coll. Épiméthée. 1953. p. 94.
729
. Idem. p.92.
730
. Idem. p.94.

582
La réification du film est possible, son objectivation conduit à l'entreprendre d'un point
de vue critique. Reste ensuite, à y trouver son sens.

DERNIERE PERSPECTIVE
"Ce double mouvement qui nous projette vers autrui en même temps qu'il nous ramène au fond
731
de nous-même, définit physiquement le cinéma."

Cette phrase décrit lʼaxiome secret sur lequel il devient possible dʼinterpréter la plus
grande partie de lʼaction filmique de Godard sur lʼhistoire du cinéma.
Nous avons vu les multiples exemples quʼil a produits depuis le début de ce film afin de
placer en figures interactives, le double mouvement cité. Ainsi lʼImage et le Son qui,
séparément, occupent lʼun le registre de lʼHistoire et lʼautre le Cinéma, se voient
réunifiés physiquement par lʼincorporation de lʼauteur.

Mais mathématiquement, il sʼavère difficilement applicable. Si par souci d'exhaustivité,


nous arrivions à reproduire toutes les interconnexions significatives possibles par le
montage de plusieurs éléments, et si l'on admet à chaque fois, que chaque élément va
pouvoir produire, en lui-même, l'indice d'une multiplicité, alors effectivement, comme le
pauvre B.B732, lʼopération devient irréalisable. Nous ne pouvons quʼobserver le plan.

LA RÈGLE DU JEU, lorsque ce titre du film de Renoir est énoncé pendant un montage
alterné de différents plans associant par effet d'aller-retour Charlie Chaplin avec Jean-
Luc Godard, pareillement, cette commune mesure vient se soumettre à la loi de
lʼaxiome.

Ce que nous soulignons dans cette observation, c'est lorsque on entend la règle du jeu
sur ce montage, et quʼil nous est difficile de savoir vers quelle signification précise
Godard utilise le terme LA REGLE DU JEU (cʼest la difficulté de se projeter vers
autrui), il devient envisageable de produire un sens subjectif, qui appartiendrait à notre
propre histoire, notre propre cinéphilie (nous ramène au fond de nous-mêmes).

731
. Ref.151 Pierrot mon ami. CAHIERS DU CINEMA n°171. 09/1965.
732
. Bertold Brecht, “un petit poème”, Hollywood (1946), Paris, Ed. de l' Arche. 1985.p.168. et dans
HdC. 2a.seul le cinéma. p.85.

583
FILMOGRAPHIE

1/ FILMS CITÉS PAR LʼÉTUDE


2/ FILMS DE JEAN-LUC GODARD (cf annexe 1 -C)
3/ FILMOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE (cf annexe 1 –D)
- JLG PRODUCTEUR
- FILMS CITÉS PAR LES HdC

BIBLIOGRAPHIE
Rappel :
Les écrits de Jean-Luc Godard ne sont pas référencés dans ce corpus bibliographique
puisquʼils constituent, avec ses films, une annexe à part entière : L'ANNEXE 1

1/ ÉCRITS DE JEAN-LUC GODARD (cf annexe 1 -A)


2/ ÉCRITS SUR JEAN-LUC GODARD
3/ ÉCRITS SUR LE CINÉMA
4/ OUVRAGES GÉNÉRAUX

585
FILMOGRAPHIE

1/ FILMS CITÉS PAR LʼÉTUDE

Cette liste correspond aux films cités par notre étude directement comprenant
évidemment certains des films cités par les Histoire(s) du cinéma (indiqués par une
astérisque).

Léonce Perret, LE MYSTÈRE DES ROCHES DE KADOR*, 1912.


David Wark Griffith, BROKEN BLOSSOMS (Le lys brisé)*, 1919.
Erich Von Stroheim, FOOLISH WIVES (Folies de Femmes)*, 1921.
Franck Borzage, THE RIVER (La femme au corbeau)*, 1922.
John Ford, THE IRON HORSE*, 1922.
Friedrich W. Murnau, NOSFERATU, EINE SYMPHONIE DES GRAUENS*,1922.
Sergueï M. Eisenstein, LA GRÈVE*, 1925.
Friedrich W. Murnau, FAUST*, 1926.
Abel Gance, NAPOLÉON*, 1927.
Sergueï M. Eisentein, LE CUIRASSÉ POTEMKINE*, 1928.
Dziga Vertov, CINQ CHANTS POUR LÉNINE, 1928.
King Vidor, THE SHOW PEOPLE (Mirages), 1928.
Edgar G. Ulmer, Robert Siodmack, MENSCHEN AM SONNTAG (Les hommes le dimanche) *,
1929.
David W. Griffith, WAY DOWN EAST*, 1931.
Josef von Sternberg, DISHONORED (AGENT X27), 1931.
Victor Halperin, WHITE ZOMBIE, 1932.
William Wellman, THE PUBLIC ENEMY (L'ennemi public)*, 1932.
Jean Renoir, BOUDU SAUVÉ DES EAUX*, 1932.
Ernest B. Schoedsack- Merian Cooper, KING-KONG*, 1933.
Julien Duvivier, LA BANDERA*, 1935.
Serguei M. Eisenstein, QUE VIVA MEXICO*, 1935.
Alfred Hitchcock, THE 39 STEPS (Les 39 marches)*, 1935.
Sacha Guitry, BONNE CHANCE, 1935.
S.M. Eisenstein, BEJIN LOUG (Le Pré de Béjine)*, 1936.
Charlie Chaplin, MODERN TIMES (Les Temps Modernes), 1936.
Jean Renoir, LA GRANDE ILLUSION*, 1937.
Jean Renoir, LA RÈGLE DU JEU*, 1939.
André Malraux, SIERRA DE TERUEL- L'ESPOIR*, 1939.

586
Victor Fleming, GONE WITH THE WIND, 1939.
Charlie Chaplin, THE GREAT DICTATOR (Le dictateur)*, 1940.
Raoul Walsh, HIGH SIERRA (La grande évasion), 1941.
Orson Welles, CITIZEN KANE*, 1941.
Orson Welles, THE MAGNIFICENT AMBERSONS (La splendeur des Ambersons), 1942.
Howard Hughes, THE OUTLAW (Le banni), 1943.
Joseph Kane, FLAME OF THE BARBARY COAST, 1945.
Sergueï Youtkevitch, ZDRAVSTVOUÏ MOSKVA (Salut Moscou), 1945.
Roberto Rossellini, PAISA*, 1946.
King Vidor, DUEL IN THE SUN (Duel au soleil)*, 1946.
Stuart Gilmore, THE VIRGINIAN, 1947.
Ingmar Bergman, FANGELSE (La prison)*, 1948.
Jean Cocteau, L'AIGLE À DEUX TETES, 1948.
Georges Franju, LE SANG DES BETES, [court-métrage], 1948.
Orson Welles, THE LADY FROM SHANGAI (La dame de Shangaï), 1948.
Nicholas Ray, THEY LIVE BY NIGHT (Les amants de la nuit)*, 1948.
Luchini Visconti, LA TERRA TREMA (La terre tremble)*, 1948.
Jacques Becker, RENDEZ-VOUS DE JUILLET, 1949.
Alfred Hitchcock, UNDER CAPRICORN (LES AMANTS DU CAPRICORNE)*, 1949.
Max Ophuls, CAUGHT (Pris au piège), 1949.
Max Ophuls, LA RONDE, 1950.
Robert Bresson, JOURNAL D'UN CURÉ DE CAMPAGNE, 1950.
Jean Cocteau, ORPHÉE*, 1950.
Anthony Mann, WINCHESTER 73, 1950.
Billy Wilder, SUNSET BOULEVARD, 1950.
Robert Siodmak, THELMA JORDAN, 1950.
Isidore Isou, TRAITE DE BAVE ET DʼETERNITE, 1951.
Roberto Rossellini, STROMBOLI TERRA DI DIO, (Stromboli)*, 1951.
Busby Berkeley, ZIEGFIELD FOLLIES, 1952.
Fritz Lang, RANCHO NOTORIOUS (L'ange des maudits)* 1952.
Max Ophuls, LE PLAISIR, 1952.
Nicholas Ray, THE LUSTY MEN (Les indomptables), 1952.
Vincente Minelli, THE BANDWAGON (Tous en scène)*, 1953.
Jacques Becker, TOUCHEZ PAS AU GRISBI*, 1954.
Kenji Mizoguchi, CHIKAM ATSU MONOGATARI (Les amants crucifiés)*, 1954.

587
Nicholas Ray, JOHNNHY GUITAR (Johnny Guitare)*, 1954.
Henri-Georges Clouzot, LE MYSTÈRE PICASSO*, 1955.
Alfred Hitchcock, REAR WINDOW (Fenêtre sur cour)*, 1955.
Fritz Lang, MOONFLEET (Les contrebandiers du Moonfleet), 1955.
Fritz Lang, WHILE THE CITY SLEEPS (La cinquème victime)*, 1955.
Charles Laughton, NIGHT OF THE HUNTER (La nuit du chasseur)*, 1955.
Orson Welles, CONFIDENTIAL REPORT (Dossier secret), 1955.
Roberto Rossellini, VIAGIO EN ITALIA (Voyage en Italie)*, 1955.
Alain Resnais, NUIT ET BROUILLARD, 1956.
Jacques Becker, LES AVENTURES D'ARSENE LUPIN, 1957.
Charlie Chaplin, A KING IN NEW YORK (Un roi à New York)*, 1957.
Ingmar Bergman, SMULTRONSTÄLLET (Les fraises sauvages), 1957.
Nicholas Ray, BITTER VICTORY (Amère victoire), 1957.
Luchino Visconti, LE NOTTI BIANCHE (Nuits blanches), 1957.
Jean Rouch, MOI, UN NOIR, 1958.
Léonard Kiegel, MALRAUX, 1958.
Fritz Lang, DAS INDISCHE GRABMAL (Le tombeau hindou), 1958.
François Truffaut, LES 400 COUPS*, 1959.
Alfred Hitchcock, VERTIGO*, 1959.
Jacques Rozier, BLUE JEANS, 1959.
Bud Boetticher, THE RISE AND FALL OF LEGS DIAMONDS (La chute d'un caïd)*, 1959.
Jean Cocteau, LE TESTAMENT D'ORPHÉE*, 1960.
Louis Malle, ZAZIE DANS LE MÉTRO, 1960.
Pierre Etaix, RUPTURE, 1961.
Alfred Hitchcock, PSYCHO*, 1961.
François Truffaut, JULES ET JIM, 1961.
Jacques Rozier, ADIEU PHILIPPINE*, 1963.
Ingmar Bergman, TYSTNADEN (Le silence)*, 1963.
Luchino Visconti, IL GATTOPARDO (Le Guépard)* 1963.
André S. Labarthe, LE DINOSAURE ET LE BEBE, 1963.
Michael Powell, PEEPING TOM (Le voyeur). 1964.
Luis Bunuel, BELLE DE JOUR, 1966.
Jacques Rivette, LA RELIGIEUSE, 1966.
Santiago R. Alvarez, HANOI, MARTES 13, 1967.
Santiago R. Alvarez, HASTA LA VICTORIA SIEMPRE, 1967.

588
Glauber Rocha, TERRA EM TRANSE (Terre en transe), 1967.
Robert Aldrich, THE LEGEND OF LILAH CARE (Le démon des femmes), 1968.
Peter Bogdanovitch, JOHN FORD, 1968.
Francis Ford Coppola, DEMENTIA 13, 1968.
Stanley Kubrick, 2001, A SPACE ODISSEY (2001, L'Odyssée de l'espace), 1968.
Georges A. Romero, THE NIGHT OF THE LIVING DEAD, 1969.
Glauber Rocha, ANTONIO DAS MORTES, 1969.
Luc Moullet, UNE AVENTURE DE BILLY THE KID, 1971.
Ingmar Bergman, VISKINGAR OCHROP (Cris et chuchotements), 1972.
Georges A. Romero, DAWN OF THE DEAD (Zombie), 1973.
Federico Fellini, AMARCORD*, 1973.
Wim Wenders, LIGHTNIN' OVER WATER - NICK'S MOVIE*, 1973.
Martial Raysse, CAMEMBERT ÉLECTRIQUE, 1973.
Marco Ferreri, TOUCHE PAS À LA FEMME BLANCHE, 1974.
Sidney Lumet, NETWORK (Network/Main basse sur la télévision), 1975.
Luc Moullet, ANATOMIE D'UN RAPPORT, 1976.
Ingmar Bergman, L'ŒUF DU SERPENT, 1977.
Brian de Palma, THE FURY (Furie)*, 1978.
Eric Rohmer, LUMIÈRE, 1979.
Woody Allen, PURPLE ROSE OF CAIRO (La rose pourpre du Caire), 1985.
Claude Lanzmann, SHOAH*, 1985.
Stanley Kubrick, FULL METAL JACKET, 1987.
Philippe Garrel, LES MINISTÈRES DE L'ART, 1988.
Christine Pascal, ZANZIBAR, 1989.
Dominique Rabourdin, JEAN Dréville, LES CARNETS D'UN CINEPHILE, 1989.
Chris Marker, LE TOMBEAU D'ALEXANDRE*, 1991.
Ingmar Bergman, EN PRÉSENCE D'UN CLOWN, 1997.
Tim Burton, ED WOOD, 1997.
David Cronenberg, CRASH, 1999.
Edgardo Cozarinsky, LE TEMPS DES CAHIERS, 2001.
Jacques Richard, CITIZEN LANGLOIS, 2001.

589
BIBLIOGRAPHIE

1/ ÉCRITS DE JEAN-LUC GODARD (cf annexe 1 -A)

2/ ÉCRITS SUR JEAN-LUC GODARD

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BIETTE, Jean-Claude, “Rotterdam II, Godard et son histoire du cinéma”, Le journal des
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BLÜMLINGER, Christa, « Défilé, et défilement », For Ever Godard, London, 2004.


(intervention non publiée)

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610
UNIVERSITÉ PARIS VIII - SAINT-DENIS
ÉCOLE DOCTORALE
Esthétique, Science et Technologies des Arts

Doctorat Esthétique, Science et Technologies des Arts


Champ disciplinaire : Cinéma-audiovisuel

SORLIN Philippe-Emmanuel

SUR LES HISTOIRE(S) DU CINÉMA (1973-2004)


DE JEAN-LUC GODARD

VOLUME SECOND
ANNEXE 1 & 2

Thèse dirigée par le Professeur Guy Fihman


Soutenue le 8 Décembre 2017

Jury : (par ordre alphabétique)


—Antoine De Baecque (École Normale Supérieure, Dpt Histoire et théorie des arts)
—Guy Fihman [Directeur](Université Paris VIII- St Denis)
—Laurent Jullier (Université de Lorraine, Institut Européen sur le Cinéma et lʼAudiovisuel)
—Cécile Sorin (Université Paris VIII- St Denis)
ANNEXE 2
PLAN PAR PLAN des HdC [NOTES DE TRAVAIL]
PLAN 001 — PLAN 374 (VERSION 3)

Présentation.
Nous avons décidé de reproduire les quinze premières séquences du plan par plan des HdC
(Version 3, version finale) que nous avons fait manuellement car nous l'avons commencé en
1998 avant la captation d'écran facilement effectuable aujourd'hui par ordinateur. On
constatera que ce n'est donc pas un travail totalement soigné (ce sont juste des notes de
travail). Rappelons qu'avoir fait un plan par plan d'un film de quatre heures nous a pris déjà
beaucoup de temps. Malgré sa faiblesse nous avons estimé qu'il serait intéressant pour le
lecteur de l'avoir en annexe pendant l'essai d'interprétation dans la troisième partie de
l'étude. Il reste quand même fiable hors mis les quelques erreurs probables de
reconnaissance.
C'est lors du collage en plan par plan que nous nous sommes rendus compte de plusieurs
différences de maquette entre le livre et le film. C'est aussi grâce à ce travail qui nous a été
possible d'affirmer que tout ce qui se trouve dans le livre se trouve dans le film.
Ce travail de "moine copiste" —m'avait confié Jean-Louis Leutrat quand il l'a eu dans les
mains et sous les yeux— nous a été utile et nécessaire bien des fois pour avoir une vue en
mouvement du film, ou pour encore établir des correspondances entre plusieurs parties ou
encore des parallèles dans le mode d'apparition ou de montage ou de citation encore. Et
puis la découpe de l'espace sonore nous a permit de comprendre le travail sur 3 pistes pré-
mixés quʼa produit Godard avec François Musy.
Bien entendu c'est par manque d'espace que nous ne pouvons pas tout reproduire dans son
ensemble, même si cela a été fait complètement.
Voici donc, avec ses imperfections, le plan par plan du Chapitre 1a - Une histoire seule.
établi par nos soins.

Ce plan par plan est composé de dessins et de photocopies du livre HdC faites pour obtenir
du texte et des photogrammes. La lecture en est simple les images sont du côté droit et les
pistes sons sur le côté gauche. Il reste à comprendre certaines légendes.
PAGINATION
le nombre de la page du plan par plan est en vert dans un petit carré vert.
il y a également noté la séquenciation que nous avons contracté en "S" ainsi on peut lire sur la page 25 le début
de la séquence 13D . C'est ainsi noté :
p.25 S.13D. (198-219)
La séquence 13D commence au PLAN 198 et finit au PLAN 219 inclus.
lorsque la numérotation des plans correspondant à la séquence n'y figure pas c'est le plus souvent la séquence
tient dans la page.

LA NUMÉROTATION DU PLAN
Chaque plan est numéroté d'un chiffre entouré d'un cercle noir à coté du carré dessin ou photo.

LE NOMBRE DE PLANS
Pour ce qui est du dénombrement du plan, par souci de lisibilité, nous comptons seulement tout nouveau plan qui
arrive dans le montage du film. N'est donc pas pris en compte un certains nombre de procédés directement liés
au banc d'effet spéciaux du montage : Quand c'est un extrait de film comportant plusieurs plans, la plupart du
temps nous comptons également les plans qui changent à l'intérieur de l'extrait. Mais cela peut-être un peu plus
complexe à signaler lorsqu'il y a des mouvements d'appareil de caméra laissant découvrir de nouvelles
perspectives, décors ou personnage dans le même plan.
ZOOM
Pendant le banc titre d'une photo JLG lui-même zoome souvent à l'intérieur de ces bancs titres. Nous lui donnons
un nouveau numéro alors que c'est a priori le même plan.
exemple avec les PLAN 230 qui devient 232.
A.R = Aller-Retour
La technique d'Aller-Retour c'est-à-dire que JLG peut faire 35 plans avec seulement deux plans, s'il fait 17 allers-
retours. nous le notons comme suit par exemple entre le PLAN 93 et le PLAN 94, il y a 17 allers-retours. Ainsi
entre les deux carrés est placée une flèche courbe à double sens et le chiffre du nombre correspondant 17 A.R.
FONDU ENCHAINE.
Indiqué également avec la flèche courbe à double sens. Nous appliquons alors le terme FONDU et souvent le
pourcentage de l'effet de fondu enchaîné entre les deux plans. car c'est en pourcentage que cela se calcule sur
les logiciels aujourd'hui.
FLASH
Certains plans noirs sont numérotés comme plans, mais des fois non car ce sont des effets techniques de
clignotement en noir ou en blanc. nous les indiquons avec le mot FLASH.
TRACES DES ANCIENNES VERSIONS et DERNIERS RAJOUTS
signalé par un CARRÉ ROSE [ ]
Nous avions commencé ce plan par plan avant la finalisation de la Version 3. Aussi il y a dans ces notes de
travail, d'anciennes traces des versions précédentes, nous les avons systématiquement adjointes dʼun petit carré
rose pour signaler l'endroit où Godard est intervenu.
SI LE CARRÉ ROSE [ ] SIGNALE UN PLAN, cʼest quʼil sort de la version 3,
CARRÉ ROSE AVEC [+] = SUBSTITUTION. S'il y une petite croix dans le carré rose cela veut dire que c'est une
substitution. Godard a rajouté quelque chose "par dessus" lʼancienne version. La complexité réside dans le fait
que le carré rose signale donc des plans des versions anciennes quand ils ont disparus mais aussi les nouveaux
de la Version 3. Ainsi quand Godard a retravaillé son début du 1a en ajoutant des plans noirs pour sa version
finale, nous les avons noté également cela par des carrés rose. Par exemple: PLAN 195 Lénine sur son lit de
mort. il y a un petit carré rose à côté cela veut dire que ce plan n'existe plus pour la version 3. PLAN 67 et 69
plans noir rajoutés par Godard pour la nouvelle version.

DESCRIPTION DE L'IMAGE
Nous avons mis le titre du film quand on le reconnaît sur la tranche de l'image.
STILL. Quand c'est une photographie nous avons mis le plus souvent sur la tranche le mot Still.

DECRIPTION DU SON
Nous avons essayé de recopier les paroles de la voix off de JLG et nous avons entouré d'un cercle vert lorsque
nous reconnaissons un titre de livre ou de film préexistant.
Également, les bande sons dialogues des extraits de films. Quand c'est de la musique, nous avons essayé d'en
reconnaître la provenance.
ANNEXE 1
TABLE ET INDEX DES ŒUVRES
(ÉCRITES ET FILMÉES) de J-L. Godard
1) Présentation et fonctionnement de lʼannexe 1 ………………………….. 2
A/ L'ÉCRITURE : REVUES
1/ Les Amis du cinéma (1952) …………………………………………….. 7
2/ La Gazette du cinéma (1950)......................................................….. 8
3/ Les Cahiers du Cinéma I (1952) : Le métier de critique.................…. 16
4/ Arts (1956 - 1958).................................................................………. 22
5/ Les Cahiers du Cinéma II (1956 - 1963) : Le métier de critique.....…… 43
6/ Les Cahiers du Cinéma III (1963 -1980) : le métier de cinéaste..…….. 96
7/ Avant-Scène... 113
8/ Divers. Cinéthique ............................... 115

B/ LA PAROLE : ENTRETIENS
1/ Huit Entretiens des Cahiers : Naissance de la parole ............................... 115
2/ Belfond / Gallimard...................................................................................... 133
a) Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard.
b) Intro à une véritable histoire du cinéma.
c) Histoire(s) du cinéma
3/ Additif : Documents de Jean-Luc Godard (2006)......................................... 138

C FILMS................................................................ 143
LES FILMS UN PAR UN
12) Présentation de l'œuvre filmée de JLG
13) Film par film.......................................................................……....... 146
GODARD PRODUCTEUR .................................................…................ 199

ANNEXE 2
PLAN PAR PLAN du début des HdC
(Notes de travail) du PLAN 1 au PLAN 374
Présentation et fonctionnement de lʼannexe 2..………………………… 201
Plan par plan du début des 15 premières séquences.
PLAN 001 / Séquence 1 ………………… 207
Séquence 2 ………………… 208
Séquence 3 ………………… 209
Séquence 4 ………………… 210
Séquence 5 ………………… 210
Séquence 6 ………………… 211
Séquence 7 ………………… 212
Séquence 8 ………………… 213
Séquence 9 ………………… 218
Séquence 10 ………………… 219
Séquence 11 ………………… 220
Séquence 12 ………………… 225
Séquence 13 ………………… 229
Séquence 14 ………………… 233
Séquence 15 ………………… 237
PLAN 374 ………… 247

1
1) PRÉSENTATION ET FONCTIONNEMENT DE LʼANNEXE 1

La fonction de cette annexe, à l'instar de son titre (table et index), est double.
En effet, cette annexe sʼavère être à la fois une table de références, et aussi lʼindex
répertoriant tout ce que Godard a écrit ou filmé.
Elle comprend les développements théoriques et conceptualisés de la production de
JLG que nous avons indiqués tout au long de la rédaction.
Elle se présente sous deux formes dʼaccès :

-Premièrement, sous forme de liste, elle est disposée dans la simplicité


chronologique d'un déroulement continu de la production du critique-cinéaste (1948 /
2005). Certaines annotations d'articles ou de films ont été rédigées avec le souci de
répondre à la création de la référenciation. Ces opuscules, mis en références, sont
alors commentés en vue de conceptualisation ou de démonstration que les
prédéterminations internes aux HdC soient bien efficientes.

-Deuxièmement, si cet index répertorie chronologiquement et de façon exhaustive,


l'œuvre écrite de JLG (articles, livres, ...) ainsi que son œuvre filmée (films en cinéma
ou vidéo), elle peut donc aisément constituer :
UNE FILMOGRAPHIE et BIBLIOGRAPHIE de lʼŒuvre de JLG.
C'est aussi, pour cette raison seconde, que certains des opuscules répertoriés dans
cet index des œuvres, (la plupart des films qu'il a réalisés après 1988), correspondent
à la première sortie des HdC par exemple, et ne sont pas commentés car, selon
l'évidence temporelle, ils ne peuvent constituer une influence au film HdC ; ils ne sont
pas référencés en tant que travaux préalables. La raison principale de leur annotation
tient à ce que l'index puisse à la fois être filmographique et bibliographique.

QUATRE TYPES DE RÉFÉRENCES


La répartition de cette annexe va permettre également de pouvoir réfléchir sur les
différents types de production artistique de JLG. Aussi selon le mode de production
des œuvres, 4 types fondamentaux de références vont pouvoir êtres dégagés et
distingués :

◊ PREMIÈRE RÉFÉRENCE : LA RÉFÉRENCE ÉCRITE


La pensée de Godard n'a bien évidemment pas commencé avec ses films mais avec
l'écriture, son travail critique, qui a duré seul presque dix ans. C'est par l'écriture que
Godard commence à faire du cinéma.
Aussi la succession des articles écrits par Godard, nous a amené à créer le mode
suivant :
Si lʼon fait référence pendant notre recherche à une phrase de JLG lors de son
analyse de Strangers in a Train d'Alfred Hitchcock, une note est créée et mise
comme suit : Ref.19.
Cette référence 19 mène au travail préalable de prédétermination, qu'on retrouve
principalement en deuxième partie de notre travail. Il sera simple et fonctionnel de
retrouver dans cette annexe 1 la référence 19 :

Ref.19 -SUPRÉMATIE DU SUJET


(Alfred Hitchcock, STRANGERS ON A TRAIN [L'INCONNU DU NORD EXPRESS]).
n°10 . 03/1952 (signé Hans Lucas)

2
Nous avons sectorisé autant que possible les différentes sources de publications car
elles ont représenté de véritables périodes de travail, créant des blocs temporels
facilement identifiables, à part bien sûr celui des Cahiers du Cinéma qui se trouve en
plusieurs parties, car sa production aux « Cahiers » s'étale sur une période beaucoup
plus longue.

◊DEUXIÈME RÉFÉRENCE : LA RÉFÉRENCE ORALE


•Présentation et argument de la méthode de sélection
Tout d'abord signalons que cette deuxième référence, apparemment, est encore une
référence écrite puisqu'il s'agit de retranscription des entretiens, mais ce qui est mis en
jeu c'est la parole de Godard, à partir de ces entretiens qui occupent les huit dernières
références des Cahiers du Cinéma. Elles furent mises à part, c'est-à-dire déplacées
chronologiquement car d'abord elles ne sont pas issues directement de l'activité écrite de
Godard et ensuite parce que justement elles constituent une particularité dans notre
travail. Puisqu'en termes d'expression, Godard a produit des discours directement par le
son, sa voix, la parole sans passer par l'activité écrite, qui n'est ici que comme une
résultante.

Cinq des Huit entretiens qu'a accordés Godard aux Cahiers du Cinéma d'avant la
parution du livre Introduction à une véritable histoire du cinéma1, pour la période
(1959/1979) vont être privilégiés.

Ainsi Les Cahiers du Cinéma sont, par principe logique la meilleure revue qui puisse
recevoir les propos de Godard puisqu'elle est sa revue. Le possessif nʼest pas ici une
pleine appartenance, mais indique plutôt lʼidée de famille. Les personnes qui interviewent
JLG sont des critiques qui côtoient JLG tous les jours et qui sont à même de comprendre
au mieux, sinon plus que quiconque, les réponses sibyllines du cinéaste. Quelqu'un
comme Michel Delahaye ayant fait avec Godard les entretiens auxquels il se prête.

DE L'INNOMBRABILITÉ DES ENTRETIENS


RÉSOLUE PAR LA SYNTHÈSE DES CAHIERS DU CINÉMA
Évidemment nous aurions pu prendre d'autres entretiens, mais nous adopterons, comme
cela a été décrit précédemment par Jean Narboni, le principe, qui, dès 1968, dans ses
annotations de l'édition du premier Godard par Godard, constatait l'impossibilité à
pouvoir recenser tous les entretiens.
“Innombrable ”, voilà ce qu'il écrit lorsqu'il présente la période (1959-1967)2
"Peu de textes donc, mais beaucoup de films (…), beaucoup aussi d'entretiens dans les journaux
et revues du monde entier. De ceux-ci, le recensement systématique est— déjà — impossible.
Godard a beaucoup parlé, de toutes choses, en toutes langues. Nous avons préféré ne publier de
ses conférences innombrables que celles, synthétiques, revues et corrigées par lui-même, qu'il
3
accepta de livrer aux Cahiers du Cinéma."

1
. En fait le dernier entretien (10/1980), établi pour la sortie commerciale de son long-métrage de fiction
SAUVE QUI PEUT (LA VIE), est tout à fait concomitant avec le livre, puisque l'on voit sur la page de
présentation du livre "du même auteur chez le même éditeur », la liste des ouvrages à paraître : -
Introduction à une véritable histoire de cinéma Tomes II et III (sic). Ainsi que - Sauve qui peut (la vie)
[Dossier du film].
2
. Il ne peut pas y avoir d'entretien avant puisque c'est avec le cinéaste qu'on désire s'entretenir.
3
. C'est nous qui soulignons. Ref.171. Jean Narboni, Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard, (Notes), Paris,
Ed. Pierre Belfond, Coll. Cahiers du Cinéma. 1968. p.271.

3
La prévision de l'ampleur éditoriale, livresque et critique de JLG se manifeste par le
terme de Narboni : déjà ; alors on ne s'étonnera pas de la confirmation de cette prévision
qui vient rendre encore plus irréalisable en 2006. D'ailleurs, il est préférable de travailler
sur des entretiens revus et corrigés par l'auteur lorsque se présente cette occasion, mais
il ne faut pas pour autant écarter ceux que l'auteur n'a pas pu (ou voulu) revoir4.

Il ne s'agit donc pas de l'écriture de Godard mais d'entretiens qui révèlent par
retranscription sa parole. Ils permettent, notamment le dernier entretien, de saisir, dans
une certaine mesure, le mouvement de pensée de Godard et de produire des définitions
de notions qui lui sont importantes. Ajoutons que la naissance de sa parole se
prolongera dans l'étude du livre cité ci-dessus puisque c'est la retranscription (souvent
maladroite mais néanmoins fondatrice, et indispensable) d'interventions de Godard au
Conservatoire d'Art Cinématographique de Montréal en 1978.

LA PAROLE COMME CONSTRUCTION DE L'IMAGE DU CINÉASTE


On peut affirmer que ces trois entretiens sont fondateurs. Fondateurs de l'image que va
donner Godard à la critique comme au public. Par ses films, il produit des images
montrant la vision qu'il a du monde, par ces entretiens, par sa parole donc, c'est sa
propre image, celle d'un cinéaste qu'il donne et que le lecteur va se procurer.

◊ TROISIÈME RÉFÉRENCE : LA RÉFÉRENCE FILMIQUE


À l'instar de l'écriture, le travail de référenciation pour les films a été fait. Aussi pour
éviter toute erreur de lecture, nous avons ajouté deux éléments de référenciation : le
mot Film, ainsi que le titre du film.
Si nous citons dans une analyse un élément de PIERROT LE FOU, une note sera
établie ainsi :
Ref.Film19. PIERROT LE FOU

Cette autre référence 19, filmique cette fois-ci est tout aussi ordonnée dans la
première annexe, simple également à trouver. On remarquera à ce propos que de
nombreux films ne sont pas commentés. Nous nʼavons pas, en effet, cherché à
produire un commentaire systématique de la production hétérogène de Godard, cela
est inutile quant à notre sujet. Ces commentaires sont orientés, ils ont une raison
d'être a priori dans le précédent travail. Une orientation en vue de distinction et de
compréhension des concepts esthétiques filmiques et de la lente élaboration de la
pensée et des pensées qui ont conduit et permis à Godard de réaliser les Histoire(s)
du Cinéma. Ce serait une malhonnêteté intellectuelle d'estimer que chaque critique
écrite, chaque film réalisé, chaque participation de Godard contient
immanquablement un élément qui le conduit à réaliser les HdC.

Les références non commentées sont justement présentes pour que l'établissement
de la continuité chronologique de ces éléments soit considérée comme
FILMOGRAPHIE et BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE de JEAN-LUC GODARD.

4
. Voir son livre de 1979,(Ref.173) qui constitue, malgré de grossières erreurs de retranscriptions néophytes,
un apport majeur et unique à l'accession de sa pensée des HdC.

4
◊ QUATRIÈME RÉFÉRENCE : LA RÉFÉRENCE GESTUELLE
Celle-ci, on le comprend, ne peut être référencée systématiquement comme les trois
précédentes, toutefois on inclura dans les références de films, L'INCORPORATION de
Godard. C'est-à-dire quand il sera acteur. Nous commenterons alors sa gesticulation.

CONCLUSION DE LA PRÉSENTATION
L'importance capitale de la rédaction écrite de Godard, sa situation pré-filmique est à
considérer comme un devenir voix-off du film des HdC et va constituer la naissance de
son discours.

C'est à partir du recensement chronologique complet de ses écrits qu'il sera possible de
faire ce travail de prédétermination ; un grand nombre d'articles exposent par leur
analyse, comme ce qui a été fait pour les films juste après, les idées, les concepts, à
priori de la formation du style cinématographique de Godard. Incarné par sa voix, le
choix de ce qui va suivre est également la preuve de la permanence de l'expression
écrite ou orale de Godard, bref de sa langue. Permanence du style qui n'évoluera pas et
réside hors du temps. Ici, les prédéterminations internes sont décisives, autrement plus
prégnantes dans l'espace que les influences constitutives extérieures étudiées. Ces
dernières ont toutes leur importance dans l'histoire, lorsque le style étudié est mis en
perspective puis placé à l'extérieur, et même si le rétablissement de la contextualisation
de ces articles nous démontre que le discours de Godard se voulait un discours
manifeste, un discours qui cherche à évaluer le cinéma dans son ensemble de
possibilités expressives, en vue d'une définition d'un cinéma comme art.

Comme c'est l'ensemble de ses écrits qui sont ici référencés, on nʼoubliera pas que
certains articles ont demandé de plus amples commentaires, parce quʼils témoignaient
de la prédétermination des HdC.

Aussi, les articles et les films apparaitront référencés dans notre étude principale comme
suit :
[ Ref.001 ] ou [ Ref.Film.001 ].

◊ NOTE TECHNIQUE : La MISE EN ASTÉRISQUE de certains articles :


[Ref.071*] au lieu de [Ref.071]
correspond à la référence du 71ème article ou livre écrit par Godard mais ne figurant pas
dans le “ Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard ”.

Nous avons mis en astérisque


les références des articles qui n'ont pas été sélectionnés pour les éditions successives
du “ Godard par Godard ”.
Cette mise en évidence nous a paru nécessaire comme résultante du principe
hétérologique, à privilégier les éléments constitués comme déchets d'édition officielle.

On les différenciera aussi des Références filmiques portant lʼastérisque [Ref.Film56*] car
dans ce cas, lʼastérisque désigne les Films-Annexes des HdC.

5
◊ NOTIFICATION DE LʼÉCRITURE GODARDIENNE
DANS LA PRÉSENTATION DES RÉFÉRENCES
Deux modes de différenciation typographique sont présents pour faire apparaître
l'écriture de Godard :

~∞ D'abord généralement, dès que l'article de Godard est cité, il est extrait et séparé de
notre rédaction, pour suivre une présentation comme suit :

"Une Mise entre guillemets et pourvus d'un caractère de police plus petit",

pour que l'on puisse alors bien identifier distinctement la provenance de l'extrait.

~∞ Également par souci de lisibilité et de fluidité, Il nous est arrivé de ne pas avoir
séparé l'extrait de l'article référencé avec notre propre rédaction, (parce que trop petit, ou
bien parce que seule une expression de langage, voire un seul mot nous intéressait).
Alors dans ce cas :

Nous indiquons en Italique le propos de Godard,

pour le faire sortir de notre propre commentaire. Ce qui ne faudra pas confondre avec la
mise en italique habituelle de mots, comme pris dans un sens figuré ou d'expression
latine ou bien encore étrangère.

Pour éviter la lourdeur dʼune référence de référence et comme elle est indiquée dans son
intégralité, ces extraits de texte ne sont pas annotés puisqu'ils correspondent
directement à la référence établie. Nous avons pris soin d'indiquer la provenance à la
page près quand cela fut possible.

6
A/ LʼÉCRITURE : ARTICLES & REVUES

1/ LES AMIS DU CINÉMA (4 NUMÉROS ANNÉE 1952)


Ref.001 -QU'EST-CE QUE LE CINÉMA ?
Même placé ici en premier, cet article n'est pas le premier qu'ait écrit Godard, puisqu'il
est daté d'Octobre alors que dès le mois de janvier, il écrivait déjà aux Cahiers du
Cinéma5.
Un peu à la manière de Malraux, qui avait fait précéder une psychologie de l'Art avant
même de faire celle du cinéma6, le texte tente d'aborder la réflexion esthétique à partir de
la définition de : "Qu'est-ce que l'Art ?"

Puis à la suite de trouver des réponses par des artistes-peintres (Matisse contre Le Titien
ou David), par des écrivains (Aragon)

Ref.002 -PETITES FILLES MODÈLES (Éric Rohmer)


COEXISTENCE DE DEUX STYLES D'ÉCRITURE
Article surprenant car il regroupe deux styles d'écriture. Un style qu'on peut nommer style
normatif et qui correspond au style habituel d'une critique de cinéma : comprenant une
description filmique et une vision interprétée à partir de l'analyse du film.
Et puis un autre style, romanesque celui-ci, et qui vise à introduire du récit dans ce qui
normalement n'en contient pas, c'est-à-dire le compte-rendu d'un film, rendre fictive la vie
du critique lui-même : l'interview d'Eric Rohmer est imaginaire et va dans ce sens, ainsi
que l'utilisation de descriptions purement narratives, aussi comme ce qui suit :

"C'est mon habitude le soir d'arpenter le boulevard(…) Rohmer releva son chapeau et, me fixant
dans les yeux (…) Rohmer alluma une Chesterfield et lança avec attention la fumée vers le
ciel …"

Le type romanesque fournit paradoxalement l'occasion pour Godard d'écrire un certain


nombre de définitions théoriques qui révèlent son point de vue. Ainsi c'est par l'utilisation
de la fiction qu'il peut conjuguer l'extrême dans l'article, une conceptualisation du cinéma,
détaché du film dont il devait faire la critique.

5
. Voir à partir de Ref.18.
6
. Avant de paraître dans son intégralité le livre de Malraux paru par extraits pour la revue Verve :
-André Malraux, “La psychologie de l'Art”, VERVE n°1 Paris, Ed. Gallimard, Décembre 1937. et
-André Malraux, “Esquisse d'une psychologie du Cinéma”, VERVE n°8. II. Paris, Ed. Gallimard, Décembre
1940 ou bien encore :
- André Malraux, Esquisse d'une psychologie du cinéma, Paris, Ed. Gallimard, 1946.

7
2/ LA GAZETTE DU CINÉMA (5 NUMÉROS ANNÉE 1950)
Ref.gz1 - JOSEPH MANKIEWICZ , n°2. 7
AU LIEU DE L'ANALOGIE IL PEUT S'AGIR D'EMPREINTES OU D'INFILTRATION DE
LA SENSIBILITÉ MAGIQUE.
Portrait du cinéaste, passant principalement par le descriptif formel et narratif d'un de ses
films : The Ghost and Mrs Muir. Travaillant à son habitude sur le principe des
correspondances entre cinéastes et écrivains, il affine aussi cette assimilation ;
similitude, pourtant paradoxale quant aux différences fondamentales entre les deux
pouvoirs d'expression. Que cela soit une détermination littéraire ou poétique, et bien
qu'elle trouve sa place dans la dualité fondamentale du cinéma (le lettrage pour l'image
et la voix ou la parole pour le son), ce qui bifurque dans l'un des deux registres est à la
base du même caractère. Elle comporte le même signe, et sa multiplicité, sa variation
aussi infinie soit-elle, ne s'effectuera que par la suite.
Donc, pour pouvoir prendre en compte l'importance du cinéaste hollywoodien, Godard
intronise Mankiewicz en le comparant à Moravia. Ainsi Alberto Moravia est l'homme de la
situation d'une reconnaissance artistique de Mankiewicz. Mais la notion d'analogie pour
Godard est insuffisante pour créer l'affirmation esthétique, aussi va-t-il chercher à trouver
les éléments qui définissent l'écriture comme élément artistique, pour les retrouver dans
le film :

"Ce n'est d'ailleurs pas, par hasard que LA MAISON DES ÉTRANGERS loge des italiens. Il y a là
plus que des analogies, même d'intrigue, avec L'AMOUR CONJUGAL et LES AMBITIONS
DÉÇUES. On y sent la même empreinte, la même infiltration magique que Jean Grenier nommait
méditerranéenne".

Ref.gz2* - GASLIGHT (de Thorold Dickinson), n°2 (signé J.-L. G.)


Article, inclus avec ceux qui suivent sous une rubrique issue à chaque numéro intitulée A
LA CINÉMATHÈQUE, qui fait la critique principalement du prémake8 de Thorold
Dickinson en 1940 et non le film de Cukor aussi pour lequel Godard remercie Langlois de
l'avoir montré "Rue de Messine" :
"Remercions M. Henri Langlois d'avoir tiré du feu pour le projeter un film...".

Il conclut en estimant que le réalisateur "fait sa révérence à Degas" et "des louanges émues"
à Griffith. Faire sa révérence, jeu de mot indiquant que le cinéaste, combine la référence
avec salutation, révérence.

Ref.gz3* - LE TRÉSOR (de Georg W. Pabst), n°2 (signé Hans Lucas)


Notule du premier film de Pabst où il analyse la direction d'acteurs :
"(…)Majesté du travail de l'artisan. Les trésors de Pabst ne sont que la lenteur du jeu des acteurs,
les gestes simplifiés sont soustraits de l'inutile (et non créés à partir de l'immobilité)."

7
Tous les articles utilisés dans notre étude ne bénéficient pas d'un système de référenciation complet (titre
intégral + pages…),puisque tous ces détails sont déjà sur la pleine page.
8
. Terme forgé par Jean Narboni pour désigner des remakes précédant l'œuvre originale.

8
Ref.gz4* -VENDÉMIAIRE (Louis Feuillade), n°2 (signé Hans Lucas)
Notule où Godard associe Feuillade à Gance pour les comparer à Griffith, non pour
dénouer l'origine des dispositifs techniques du cinéma mais pour affirmer :

Pendant les années 10 "s'est développé un sens aigu des problèmes de la mise en scène qui a
souvent été nié et contredit mais jamais dépassé."

D'autant que, précisément, par l'utilisation de ce film comme extrait dans « DE LʼORIGINE
9
DU XXIème SIÈCLE » un de ses films annexe aux HdC, Godard démontrera la
coïncidence visuelle qui réside entre ce qu'exprime le film (sens aigu des problèmes de
mise en scène) et la volonté pour lui de le faire appartenir à une image l'identifiant
comme homme (son créateur), comme une image d'un autoportrait. ainsi il prouvera par
l'affirmation de sa propre présence, la vérité de cet indépassable.

Ref.gz5* -LE MANTEAU, n°2 (signé Hans Lucas)


Notule d'un film russe issu de la FEKS, curieux et incompréhensible, l'associant aux jeux de
l'avant garde. Introduisant le principe que la vérité se trouve dans l'observation des
images pourtant falsifiées. La représentation fausse par nature était pourtant une
possibilité de connaissance de la vérité :
"Les faux brillants des vêtements scintillaient parfois des feux de la vraie richesse."

Ref.gz6* -ZVENIGORA MITCHOURINE (d'Alexandre Dovjenko),


n°2 (signé Hans Lucas)
Deux allusions légères dans cette notule. La première se réfère au texte de Charles
Baudelaire La Morale du Joujou, qu'il évoque en ces mots :
"La terre Zvenigora est faite par un enfant qui brise encore les jouets reçus de celle dont il est
né."
L'autre est le communisme symbolisé par la couleur rouge ...
"... que les jeunes filles confient leurs lèvres à leurs drapeaux sont parées des mêmes couleurs
de la vie".

Ref.gz7* -THE LAND (Robert Flaherty), n°2 (signé Hans Lucas)


Notule où Godard évoque la possibilité qu'a le réalisateur de travailler deux fois plus
même dans le mode de production du documentaire où, il s'approprie le rôle des acteurs
puisque insuffisante ; Méthode qui est la prévision d'un désir chez lui, et qu'on retrouvera
lorsque certaines voix lui semblaient ne pas correspondre en termes d'exigence
esthétique. Cette appropriation qu'il décèle chez Flaherty est chose rare dans le "monde"
du documentaire, mais plus usuel dans celui de la fiction, chez deux auteurs que Godard
défendra et dont l'origine théâtrale n'est pas étrangère à cette pratique dépassant : Jean
Cocteau, Orson Welles.

9
Ref.Film 82. (2000)

9
Ref.gz8* -VINTI ANNI D'ARTE MUTO [Vingt années d'art muet],
n°2 (signé Hans Lucas)
L'occasion d'un film de montage permet à Godard dans cette petite notule de faire de
l'histoire du cinéma, italien cette fois ci, d'affirmer avec force deux films désignés les
"deux seuls grands" du néo-réalisme, La Terre Tremble de Visconti10 et Stromboli de
Rossellini11. Occasion pour lui de produire par écrit une rencontre assez inédite mais
limpide entre ces films et le statut des Divas d'opéras :
"tant il est vrai que les errements de la sainteté se peuvent concilier avec l'alacrité des
sentiments exaspérés"
jusqu'à s'interroger en tant que lecteur-spectateur si les ...
"incantations de quelques déesses" ...
en sont venues à résider dans la bande-son.
C'est aussi pour lui l'occasion de faire travail d'analogie entre deux éléments qui ne
pouvaient pas naturellement l'être. L'audace de la comparaison vient de son opposition
au film avec un organisme vivant. Cette idée anthropomorphique, on le verra subsistera
dans de nombreux articles.

Ref.gz9 - POUR UN CINÉMA POLITIQUE, n°2. (signé Jean- Luc Godard)


L'importance de cet article se rencontre avant même d'en étudier le contenu puisqu'il se
situe centré en première page de la gazette, alors qu'un autre article d'un auteur dont le
prestige n'était plus à prouver, Jean-Paul Sartre, se trouve remisé sur le côté de cette
même page. Même si la maquette n'était qu'un indice presque superficiel de l'intérêt réel
de cet article, celui-ci équivaut pour ainsi dire à la ligne manifeste d'une pratique du
cinéma. De plus dès le début on trouve une conception de l'histoire qui chez Godard sera
formateur pour son œuvre à venir. Et c'est point par point que l'étude révèlera les
références que Godard utilisera pour ses HdC.
CONCEPTION GODARDIENNE DE L'HISTOIRE
Si l'histoire selon la définition stricte et célèbre de Charles Seignobos, "est la science des
12
faits humains du passé" , on trouve chez le cinéaste une volonté de conceptualiser ces
faits. Et si avec Hegel, "L'historien traduit l'évolution historique en concepts (en une œuvre de
13
représentation) , Godard conceptualise l'Histoire en une traduction dont la source
représentative serait cinématographique.
Le titre Pour un cinéma politique s'inscrit déjà sous une forme d'une annonce manifeste,
avec son pour suggérant une proposition et cinéma politique qui de par sa formulation
générale est au contraire le signe d'une volonté singulière de s'affirmer à travers un
cinéma dont le terme politique reste à définir. Avant d'aborder la notion de politique
Godard essaye par une prose qui peut sembler mystérieuse sur bien des aspects de
fournir les éléments d'appréciation du cinéma par le filtre de l'histoire.

LA PENSÉE COMME FORCE EFFECTIVE APRÈS SON DÉROULEMENT.


Aussi débute-t-il par une description que cette pensée lui vient après une projection
d'une bande d'actualités. Le cinéma propose au spectateur le déroulement de sa

10
. Luchino Visconti, LA TERRA TREMA (La terre tremble), 1948.
11
. Roberto Rossellini, STROMBOLI TERRA DI DIO, (Stromboli, 1951).
12
. Charles Seignobos, La méthode historique appliquée aux Sciences Sociales, Paris, Presses Universitaires
de France, 1935. p. 29.
13
. G.W.F Hegel, Leçons sur la Philosophie de l'Histoire (1822-30), trad. Gibelin, Paris, Vrin, 1946, p.31.

10
puissance une fois la projection opérée, finie, rarement pendant, alors à ce moment
révolu et seulement après, les images et les sons qui l'ont marqué viennent se placer
dans l'esprit.
Plusieurs autres caractéristiques sont à relever sur le début du texte. Donné dans
l'intégralité de son début, il est primordial :

"Une après-midi, à la fin des actualités Gaumont, nous ouvrions les yeux de plaisir : la jeunesse
communiste allemande défilait à l'occasion du premier mai. L'espace n'était soudain que les lignes
des lèvres et des corps, le temps que la montée des poings en l'air. Nous retrouvions sur les
figures de ces jeunes St Sébastien le même sourire qui depuis les Corès archaïques jusqu'au
cinéma russe, hante les visages du bonheur. […] Leurs gestes (les grands acteurs) n'obtiennent
de sens que dans la mesure où ils répètent une action primordiale. Comme l'éthicien de
Kierkegaard, un cinéma politique se place toujours sur le terrain de la répétition : la création
artistique ne fait que répéter la création cosmogonique, elle n'est que le double de l'histoire."

Ouvrir les yeux de plaisir. Le questionnement sur l'action entreprise s'avère double. En
effet quelle utilité d'ouvrir les yeux sur un écran lorsque le programme est fini ? Il s'agit
donc de remémoration. Et plus précisément d'ouvrir les yeux sur son image mentale. Il y
a ici un prolongement de ce que Henri Bergson nommait : "Prolonger la vision de l'œil
par la vision de l'esprit14." Aussi ce prolongement plus que nécessaire est effectif dans le
temps, il peut correspondre à ouvrir les yeux une deuxième fois, c'est-à-dire le passage
de ce qui est visible à ce qui est invisible.
Ensuite s'il s'agit d'ouvrir les yeux comme synonyme de connaître la vérité, quel est le
véritable motif pour en obtenir du plaisir ?
Par la suite dans sa tentative de la définition de l'expérience cinématographique et de sa
capacité à créer son aptitude à la remémoration : la réflexion, Godard inscrit cette image
issue de la conscience dans un cadre spatio-temporelle :

Si « l'espace » n'était soudain que ligne de lèvres et des corps, cela signifie qu'en plus
d'une déformation subjective, lié à celui qui le regarde et à son désir qui investit l'image,
c'est un rapport érotique qui est ici présent : sensible comme si pour seule trace de
l'histoire, le corps humain et sa capacité à disparaître, comme une ultime résurgence,
viendrait se montrer et que ces lèvres qui remplissent l'écran ôtant tout décor, ôtant tout
référent au monde dans lequel se placent ces corps eux-mêmes, découpés par le cadre,
des corps devenus alors anonyme et aboutissant à la splendeur par cet anonymat,
laissant la place d'une seule identité possible celle du plaisir; ces lèvres donc, pouvaient
se présenter comme des lèvres inférieures pris en gros plans, sexes de femmes
envahissants et l'on pourrait comprendre alors la signification du plaisir susdit étant selon
le tableau de Courbet LʼOrigine du monde15. Godard utilisera la valeur érotique du sexe
de femme comme origine de l'histoire du monde dans DE L'ORIGINE DU XXIÈME SIÈCLE16
dont la familiarité des deux titres n'est en rien involontaire puisque pendant que le titre
apparaissait l'image d'un de ses films 17 : en fond était un buste nu de femme, acéphale,
se masturbant.

14
. Henri Bergson, La pensée et le Mouvant, Paris, Presses Universitaires de France. p. 241.
15
. Gustave Courbet, L'Origine du Monde, 1886, Musée d'Orsay.
16
. Ref.Film.82. DE L'ORIGINE DU XXIÈME SIÈCLE, 2000.
17
.Ref.Film.53.JE VOUS SALUE MARIE, 1983.

11
« et des corps » niant le contexte visuel, d'un seul coup et le mot soudain qui vient ici
aussi faire irruption avec une rapidité comme une érection de ces corps n'est finalement
pas si étrangère que cela jusqu'au sens encore phallique de la montée des poings. Leur
action primordiale est reproduite, répétée. Le cinéma dans l'esprit de Kierkegaard, tel
que le cite Godard, offre la possibilité à la création de répéter la création de l'univers
dans la simple mesure de sa reproduction.

LA VALEUR ÉROTIQUE DE L'HISTOIRE


Cette interprétation pourrait sembler douteuse quand à la minceur de l'argument si ce
n'est Godard en dernier lieu, à la fin de son texte qui viendrait argumenter une dernière
fois :

"Voici le dernier plan de RIO ESCONDIDO : le visage de Maria Felix, visage de morte que la voix
du président de la république mexicaine couvre de gloire. A parler sans cesse de la naissance et
de la mort, le cinéma politique rend compte de la chair, sans duplicité il métamorphose la parole
sacrée."

Lorsqu'il dit le cinéma politique se place toujours sur le terrain de la répétition, ce qui est
primordial est que le niveau politique peut être mis entre parenthèse. Ce qui importe
dans cette phrase c'est le cinéma, puisque son dispositif est une source de répétition de
la réalité. Combinaison entre la répétition et la reproduction.
Insistant que la valeur de la répétition du corps n'opère pas selon le même mode. Il est
sans duplicité, et fonctionne déjà également sur la dualité du rapport
cinématographique : comment une signification peut provenir dʼun son et soudainement
changer de sens, se métamorphosant par la prise en compte de l'image exposée qui lui
est associée.

Ref.gz10 - WORK OF CALDER ET L'HISTOIRE D'AGNÈS,


n°4 (signé Hans Lucas).
A partir de ce film, la notule suivante est l'occasion pour son auteur d'avancer sur la
théorie du cinéma. La pensée qu'engendre le système de reproduction fournit des
aspects toujours aussi provocants, comme les premiers principes du concept ontologique
bazinien dont seule la première partie occupe Godard :

"[…] définir en passant le vrai cinéma : qui consiste seulement à mettre quelque chose devant la
caméra. Au cinéma, nous ne pensons pas, nous sommes pensés. Un poète nomme cela, le parti-
pris des choses. Et non le parti-pris de l'homme sur les choses, mais le parti-pris des choses
seules."

18
Francis Ponge suggéré par Godard sera une occasion de film pour un autre cinéaste,
que Godard suit avec intérêt : Jean-Daniel Pollet.

La suite de la notule permet à Godard de préciser sa pensée sur la pratique de filmer


objectivement, puisque ce film-là, semble-t-il, pour lui, est un échec. Ensuite il finit sa
notule en théorisant :

18
. Francis Ponge, Le parti-pris des choses, Paris, Ed.Gallimard.Coll.Poésie. 1971.

12
"[…]un échec dans la mesure où elle est infidèle […] Cette prétendue objectivité est le comble de
l'artifice, et ce n'est pas par hasard que l'on y respire le parfum de la plus médiocre des littératures
(celle de Sartre) […] Le cinéma représente la réalité. Mais si la réalité était si belle, (si elle portait
un aussi joli nom que celui d'Agnès), il n'y aurait pas de cinéma."

Insistant donc sur le principe d'une réalité telle qu'elle est, et non dégagée par la
subjectivité humaine, ou conçue d'un point de vue imaginaire, le cinéma doit présenter à
la constitution du dispositif une objectivité dégagée. C'est donc au moment de sa
projection, une représentation publique. La subjectivité peut intervenir mais à la condition
que cela ne soit pas avant. La supériorité de la caméra sur ceux qui y sont affiliés est
nécessaire.

Ref.gz11 -QUE VIVA MEXICO (de S.M. Eisenstein),


n°4 (signé Hans Lucas).
Par le remontage du film par Kenneth Anger, que Godard désavoue publiquement,
parlant d'invraisemblable médiocrité, il insiste sur la nécessité parfois de projeter le film
sans remontage, pour "que l'on puisse admirer en paix ses éblouissants débris."
Quelle importance pour Godard d'inclure un récit : le film émietté tel une statue grecque
auquel il manquerait la tête, le film mis bout à bout est amplement suffisant.

Ref.gz12 - LA RONDE (de Max Ophuls) n°4 (signé Hans Lucas).


La critique de Godard est assez sèche, retenant principalement les défauts de ce film et
ne cherchant pas à disculper le talent d'Ophuls de l'ensemble, occupé semble-t-il à lire
Beyle et Marivaux. A son habitude, c'est le jeu des comédiens qui retient chez Godard
une attention toute particulière. Il en fera un article spécial quelques années plus tard
dans ARTS, mais ici produit des reproches tenaces. Aussi cite-t-il à l'occasion les vers
de Louis Aragon, que l'on retrouvera dans les HdC :
"Au biseau des baisers
Les ans passent trop vite"

Ref.gz13 - PANIQUE DANS LES RUES (Elia Kazan, PANIC IN THE STREETS)
n°4. (signé J. L. G.).
CINÉMA-THÉATRE AUCUNE DIFFÉRENCE D'APPARITION
Notule qui offre la possibilité à Godard d'étendre sa pensée de théoriser le cinéma à
partir du film :

"Il semble qu'Elia Kazan ne fasse entre le théâtre et le cinéma aucune différence. Ni même
comme Orson Welles, des différences d'apparition.(…) Cela est sensible sur certains gros plans
traités à la manière d'un plan général et dans certains mouvements entièrement gratuits de
l'appareil de caméra."

De plus, et ce n'est pas une facilité même si récurrence il y a, Godard utilise la littérature
comme matière de données théoriques pour le cinéma. La marque toute apparente
d'excès de confiance vers l'écriture littéraire contre la philosophie de l'esthétique, sur
laquelle Godard estime que la littérature, autant que le cinéma, associe avec sa pratique
de fiction, une interrogation réflexive. Cette technique associative n'est pas un geste de
confusion, bien au contraire, elle signe la modernité d'un art arrivé à sa maturité. Cette
maturité des deux arts se retrouve dans l'intervention au numéro 5 de La Gazette du

13
Cinéma de Paul Valéry signant l'article “Fonction du regard”, où dans un style presque
semblable à celui d'Elie Faure, Paul Valéry propose un système dont Godard reprendra
lui-même le principal argument dichotomique :

"Je conclus à une faculté de production, et de projection. On peuple et en quelque sorte, on se


reproduit partiellement.
19
L'espace = être autre que soi."

LA RIGOUREUSE IMPERSONNALITÉ DE KAZAN


L'autre argument issu de la littérature arrive lorsque Godard veut, pour achever son
article, définir la mise en scène de Kazan, —introduisant dans la différence entre roman
et récit, où le cinéma appartient au dernier—, comme une écriture au passé :

"[…] écrits au passé. De là vient sans doute, une rigoureuse impersonnalité qui fait d'Elia Kazan
un metteur en scène classique, au sens où André Gide l'entend. Absence de style qui laisse
transparaître de la part de l'auteur, pour l'art, un affectueux mépris."

Le saisissement de cette compréhension : la permanence de la littérature comme source


esthétique n'est donc pas une correspondance récente pour Godard. Ce travail des
correspondances entre les arts ou les expressions définis avec un niveau d'absolu,
propose le cinéma dans une impureté théorique.

Ref.gz14* - DITTE MENNESKEBARN, n°5 (signé J. L. G.).


LE CORPS DE TOVE MAÜS
Le motif insistant dans l'observation des films de Godard consiste dans la révélation de
la mise en scène et plus particulièrement dans les rapports aux acteurs. Ce texte qui
concerne un film, dont pourtant le nom du réalisateur nous est inconnu, tourne autour
des corps, et implications de l'action : une réflexion autour des paradoxes scripturaux
qu'engendre la religion protestante, sujet principal du film :

"[…] clémence de l'hérésie, […] plaisirs vertueux de l'offense, […] dépourvue des attraits du scandale,
[…] jeune et frais comme l'hostie."

Ce qui est jeune et frais est relatif au corps de l'héroïne, et à partir du rapport familial
mère-fille qu'installe le film, Godard invente une nomination quant au jeu, le jeu en
compensation.

Ref.gz15* - THE GREAT MAC GINTY (de Preston Sturges), n°5 (signé H. L. ).
LE FAUSSAIRE MÉTHODIQUE
Une fois encore cette notule offre la possibilité pour Godard de faire croiser les
disciplines dans l'évocation. Il s'agit cette fois-ci de philosophie versus cinéma,
comparant Sturges à un phénoménologue du siècle des Aufklärung, car celui-ci procède
dʼune distanciation de soi et de la conscience de soi comme excuse valable à sa
décision de tourner son film uniquement en extérieurs :

""Devenant lui-même extérieur, P.S. installe l'amour des autres dans un carrousel"

19
. Paul Valéry, “La fonction du regard”, La Gazette du Cinéma, 1950, p. 1.

14
Même si c'est un jeu de mots dont l'apparence peut paraître superficielle, cette idée
d'extérieur vient au contraire faire correspondre l'idée d'une certaine modernité du
cinéma quant à la conscience des cinéastes et de l'égalité qui se résout entre l'espace
réel et l'espace imaginaire comme l'espace mental de l'acteur représenté : c'est-à-dire
que l'espace extérieur saisi par la caméra offrirait une traduction de l'espace mental du
comédien par l'intermédiaire dʼune vue subjective. Pour Godard, la vue proprement
objective est non plus celle du comédien, mais révolutionnairement celle du cinéaste.
Aussi dans cette logique, toute extériorisation filmique : la vue objective, offre une
possibilité d'interprétation des idées esthétiques du cinéaste, face à celle de son
personnage, la vue subjective.

Ref.gz16* - LA FEMME A L'ECHARPE PAILLETÉE


(Robert Siodmak, THELMA JORDAN),
n°5 (signé H. L.).
Funambule paradant sur la ligne du sujet, Godard entame ses notules par des
remarques en apparence hors du sujet requis. Aaussi la définition du romantisme renvoie
à une idée qui pourchasse Godard, la réflexivité :

"J'aime y voir la définition du romantisme : Chaque œuvre contient ici son propre commentaire."

Les gestes du comédien permet une nouvelle fois de définir l'esprit Godard quant à son
rapport aux comédiens :

"Chacun des acteurs est pêcheur, car ses gestes composent avec un langage en face duquel
l'obéissance n'est que l'avantage hâtif d'une perte prochaine."

Ref.gz17* - CHRONIQUE DU 16mm, n°5 (signé Hans Lucas).


Partant du principe qu'il n'y a pas de différence entre le 35mm et le 16mm, Godard
reproche à Henri Langlois de ne pas avoir programmé le court-métrage de Rivette
“Quadrille” dans lequel il fait le comédien. Il définit ce qui constitue sa théorie de l'acteur
avec pour paradoxe de voir dans les films documents de Louis Lumière une direction
d'acteurs :

"Enfin le Pic-nic de Curtis Harrington qui doit son remarquable début à une direction d'acteurs tout
droit inspirée de Louis Lumière. C'est en effet sur le plan de la direction d'acteurs, c'est-à-dire de
la seule mise en scène, que pêchent les films dits " d'amateur."

15
3/ CAHIERS DU CINÉMA [1ère Partie :1952]
Le métier de critique
Ref.18 -LES BIZARRERIES DE LA PUDEUR
(Rudolph Mate, NO SAD SONGS FOR ME [LA FLAMME QUI S'ÉTEINT]),
n°8. 01/1952 (Hans Lucas). p.68.
LE DESTIN DU CINÉMA COMME JEU MORTEL DE SES PARTICIPANTS
Cet article ne prend pas en compte de manière centrale le film lui-même, mais en
travaillant sur différentes définitions du cinéma, Godard opère une description générale
du mode de production d'un film incluant également, ce qui est notable, le processus de
vision du spectateur présent comme un autre élément. Ce qui intéresse Godard, c'est la
part proprement consciente dont pourrait être dotée le cinéma:

"Il est pourtant sûr, par une curiosité dont le cinéma est prodigue, qu'il faille tomber dans les
pièges de l'émotion à qui veut prendre du plaisir à No sad Song For Me." (...) "Ainsi le cinéma
joue avec lui-même. Art de la représentation, il ne sait de la vie intérieure que les mouvements
précis et naturels d'acteurs bien entraînés. La jalousie, le mépris, tous les hauts faits du cœur
doivent s'observer sur des gestes brusques et nonchalants, passionnés et lents. Le cinéma
spécifie la réalité. Il lui serait vain de faire de l'instant plus ce que l'instant même contient."

Insistant plus sur les clivages psychologiques de l'amour et citant Stendhal sans dire qu'il
s'agisse du livre éponyme à son sujet :

"La beauté est l'expression du caractère, ou, autrement dit, des habitudes morales et qu'elle est
20
par conséquent exempte de passion."

Godard travaille sur le paradoxe de certaines phrases, pour subvenir à une vision
classique du cinéma, ce qui demeure contraire ne l'est qu'en apparence, le motif
classique pour JLG lui permet de définir ce qu'il appelle plusieurs fois de ses vœux, la
condition humaine. Et cette condition est elle-même conditionnée et la forme classique
est l'esthétique la plus constante pour faire valoir son existence, ou plus précisément la
représentation de cette existence voire son maintien:

"On ne regarde la figure d'une femme que si l'on doute de son amour"(...) "Il se trouve que le
découpage classique obtient ici une grande force de psychologie. Encore qu'il néglige l'espace, il
permet de serrer l'actrice de plus près, puis d'entrer dans ses troubles intérieurs. Quelques gros
plans de Ms Margaret Sullavan en sont l'illustration."

Autre qu'apparaît ici décomposé (et souligné), le titre de son article théorique futur :
défense et illustration du découpage classique, ce premier article retient, outre le style
d'une assurance solide, l'ouverture de certains concepts comme la mort et son
dépassement qui vont perdurer dans l'ensemble de l'œuvre de JLG aboutissant
jusqu'aux HdC. Aussi, ici :

20
. Stendhal, De l'amour (1824), Paris, Ed Garnier-Flammarion, 1991, p.45.

16
"Contrairement aux idées reçues, on voit qu'il n'y a pas de belle mise en scène sans un beau
scénario. Platon disait que la beauté est la splendeur de la vérité. Si le destin et la mort sont les
thèmes choyés par le cinéma, il faut bien qu'il y'ait dans cette présentation soigneusement réglée
qu'est la mise en scène la définition même de la condition humaine".

Puissance de la parole

"(…) est un film très simple. Nous disons : "cette femme…" et voyons à grand déchirement avoir
prédit sa mort par ces paroles."

Aussi ce que suggère Godard, c'est l'idée réflexive, que le spectateur a autant de pouvoir
que le cinéaste, cette omniscience magique de l'enfant, son désir se trouve exaucé. Et
c'est par la parole, le domaine du son qui donne mort aux images. Cette idée presque
absurde à y regarder de plus près sera pourtant un des concepts fondamentaux de la
théorie godardienne. Issue de sa pratique critique elle sera active dans nombre de ses
films , au couronnement des HdC, qui verront, dans la puissance invisible du son, sa
supériorité.

"Le cinéma se devait de jouer une fois avec ses propres données."

La mort de l'héroïne coïncidera alors presque irrémédiablement avec celle du film :


"Le cinéma s'étant pris à son propre jeu."

Un peu plus tard cette analyse démontrera que cette puissance est une vertu maléfique.

Ref.19 -SUPRÉMATIE DU SUJET


(Alfred Hitchcock, STRANGERS ON A TRAIN [L'INCONNU DU NORD EXPRESS]),
n°10 . 03/1952 (signé Hans Lucas). p.59.
QU'EST-CE QUE LE CINÉMA ?
Article important de Godard, si important que c'est l'étonnement de l'avoir vu aussi peu
utilisé, aussi peu référencé, puisqu'il s'agit de la réponse godardienne à l'article de Bazin
sur "L'Ontologie de l'image photographique." L'article par l'intermédiaire d'une réflexion
sur le film d'Hitchcock avec les moyens de la philosophie ; ce qui lui permet dans un
premier temps d'interroger les conditions de l'enregistrement et l'importance du sujet. Sa
suprématie fait référence d'un point de vue esthétique à la conception classique
hégélienne de l'art. En fait pour Godard la défense du classicisme est une occasion
d'argumenter le sérieux du cinéma et de se défaire de l'ironie dont il est lʼobjet depuis
son époque jusqu'à la nôtre. Aussi la conception classique de l'art lui permet aussi tel
quʼil le dit de décrire le véritable statut moderne de l'homme contemporain de 1952.

"Ce sujet demande tellement peu à l'anecdote et au pittoresque, au contraire se gonfle d'une si
haute ambition que seul, sans doute, le cinéma le pouvait manier avec tant de dignité. Je ne
sache pas de films, en effet qui, aujourd'hui, rendent mieux digne d'intérêt la condition de l'homme
moderne, qui est d'échapper à la déchéance sans le secours des Dieux. (...)"

C'est dans cette logique d'interrogation métaphysique qu'il retrouve un thème qui sera
fondateur pour son cinéma et que l'on pourra retrouver comme matière à concevoir

17
certains de ses dialogues dans les films de fictions (LE MÉPRIS, JE VOUS SALUE
MARIE).
Nouvellement, avec cette défense et illustration21 du cinéma d'esprit classique, Godard
adopte pour sa forme, au contraire, les attraits lucifériens du romantisme. Jean Douchet
révélait ces mêmes attraits lorsqu'il définissait le cinéma d'Hitchcock 22. Ainsi :

"le cinéma est-il particulièrement apte (…) à s'accommoder moins du mythe de la mort de Dieu
que la vertu maléfique qu'il suggère."

Si le cinéma est apte à s'accommoder de la vertu maléfique qu'il suggère, c'est concevoir
que le dispositif cinématographique de l'enregistrement de la réalité telle quelle est, est
accompagné d'un aspect moral qu'il n'est pas innocent d'avoir en mémoire et qui est
proche de certains concepts amenés par Jean Epstein23. Aussi pour Godard, le cinéma
en tant que possession maléfique est d'assister à la représentation d'une réalité acculée
au spectacle de sa dégradation morbide. Renvoyant à un autre cinéaste écrivain : Jean
Cocteau et sa phrase emblématique :

24
"La mort nous fait ses promesses par cinématographe."

C'est donc par vertu maléfique que le génie s'abat :

"[…].La mise en scène cinématographique se jauge à la puissance qu'a le génie de s'abattre sur
les objets avec une perpétuelle invention, de prendre modèle dans la nature, d'être conduit à la
nécessité d'embellir les choses qu'elle exposait éparses […]. Sa fin n'est pas d'exprimer mais de
représenter.
Pour que se continuât le grand effort de représentation enlisé dans le baroque, il fallait aboutir à
l'inséparabilité de la caméra, du cinéaste et de l'opérateur, par rapport à la scène représentée, et,
le problème n'était donc pas, au contraire de ce que dit Malraux, dans la succession des plans
mais dans les mouvements de l'acteur à l'intérieur du cadrage.
[…].c'est que vous assistez au spectacle le plus soumis aux contingences du monde, que vous
êtes face avec la mort."

"[…].scènes où s'assemblent tant de réalités surprenantes, tant de profondeur dans l'égarement


heureux, que j'aime y respirer une douce odeur de profanation. La vérité est qu'il n'y a point de
terreur qui ne se tempère de quelque grande idée morale. […].Certes le cinéma défie la réalité
mais il ne se dérobe point à elle, s'il entre dans le présent c'est pour lui donner le style dont il
manque."
"[…].c'est en agissant que l'acteur finit par n'être plus que l'agent de l'action et qu'il n'y a que cette
action qui soit naturelle; l'espace est le mouvement d'un désir, le temps son effort vers la victoire.
Laclos jamais n'aurait su mieux rendre tel regard haineux d'Ingrid Bergman, de l'Australienne de
UNDER CAPRICORN, ces lèvres qui s'empourprent de dégoût, moins de la honte de soi que de
l'envie de faire partager sa déchéance par autrui […]."

21
. Ref.20. Terme expressif pour une prose de combat qu'il utilisera comme titre pour cet article.
22
. Jean Douchet, Psycho, Paris, Ed. de l'Herne. 1969. p.28. Il ne s'agit pas d'une projection de spectateur,
mais bien à l'intérieur de ce film quand le personnage doit faire face à des choix dont le schéma antique et
historique rappelle celui de Lucifer, premier des anges des cieux.
23
. Jean Epstein, Le Cinéma du Diable, Paris, Plon, 1946, p. 75 : "Si le cinéma pouvait donner quelques
idées de nature morales aussi le renverrait-on directement dans les assises du procès de Jeanne d'Arc ou
des corridors meurtriers de l'Inquisition"
24
Jean Cocteau, Le livre blanc et autres textes (1941), Paris, Ed.Livre de Poche, 1999, p. 58.

18
"[…] admirable aisance dans l'emploi des figures du "procédé", c'est-à-dire à se servir le mieux
des moyens dont leur art dispose […]."

"Le cinéma est un art du contraste."

"Refaire du sujet la raison même de la mise en scène, que le cinéma français vit encore sur je ne
sais quelle croyance à la satire, il délaisse le juste et le vrai et, autrement dit, risque d'aboutir au
néant."

Le ton de Godard est audacieux, voire guerrier, il parle d'être face à la mort, de défi, et
de victoire. Il s'agit alors de mettre en œuvre les éléments du cinéma pour se battre, et le
choix précis de ce vocabulaire montre, démontre que faire du cinéma est plus proche de
l'action d'un art martial, que celui de l'art traditionnel. Le constat qu'il opère sur le cinéma
français témoigne d'une pérennité de la raison descriptive et d'une grande vision
d'ensemble, de prévision même, car ce qu'il a écrit sur ce cinéma d'alors et d'aujourd'hui
reste inchangé.

Ref.20 -DÉFENSE ET ILLUSTRATION DU DÉCOUPAGE CLASSIQUE,


n°15. 09/1952 (signé Hans Lucas). p.28-32.
Ce texte dense, dont la richesse trahit un temps de préparation conséquent, essaye de
prendre la défense du découpage dit classique que Godard oppose aux concepteurs
théoriques, comme André Bazin sur le plan séquence et la force moderne de persistance
du réel, décrits dans les films d'Orson Welles et de William Wyler.
DÉFENSE ET ILLUSTRATION
Avec pour titre défense et illustration c'est d'emblée une expression issue d'une prose de
combat pour prendre une expression de Bernanos, utilisée couramment comme titre par
les écrivains qui s'opposent à des valeurs (ou un système de valeurs) mettant en danger
la langue. On trouve par exemple la même expression chez un auteur comme Pierre-
Jean Jouve qui composa en 1943 en Suisse un Défense et illustration25 ou le sous titre
évocateur Vivre libre ou mourir ne laissait s'installer aucune ambiguïté quant au parti pris
de sa défense française contre l'occupation allemande du moment. Godard reprend cette
expression pour démontrer que le découpage classique ne devrait pas disparaître sous
lʼaffirmation bazinienne d'une interdiction de montage26. Il s'agit de revenir sur les
sources historiques du montage à partir de Griffith pour réévaluer cette notion. Par
exemple sur Eisenstein, il pratique un principe dʼhistoire en boucle, d'éternel retour,
expliquant que le classicisme du découpage est présent dès le muet finalement.
"Voyez comment Eisenstein retourne aux sources de son art, et dites-moi si le destin du cinéma
moderne ne se pose pas dans les mêmes termes qu'il se posa aux partisans attardés du
romantisme. Oui, sur des penseurs nouveaux, faisons des vers antiques."

La première partie de l'article consiste à décrire la notion de classique. Concept que


Godard va chercher à entériner par la littérature française du XVIIIème siècle. Cela lui

25
. Pierre-Jean Jouve, Défense et illustration, Neuchâtel, Ides et Calendes, 1943. ou bien encore :
Georges Pillement, Défense et illustration d'Avignon, Paris, Grasset, 1945.
26
. André Bazin, “Montage interdit”, Cahiers du Cinéma , Décembre 1956, n°65, p. 32..

19
permettra également de donner accès comme argument principal à la défense de
Renoir comme parangon. Renoir et ses plans larges qui lui permettent de faire état d'un
style de la chose qui consiste à montrer le détail sans le séparer de l'entourage, ce quʼil
formule également par la force du plan séquence. Mais là où Bazin décrit la figure du
plan séquence chez Welles dans AMBERSON'S SPLENDOR comme une insistance
temporelle, Godard lui oppose, en terme de persistance du plan, la relation spatiale.

"Telle est la condition dialectique cinématographique : il faut vivre plutôt que durer."

Aussi selon sa propre logique il réinstalle historiquement l'importance de la comédie


américaine comme une donnée fondamentale, non prise en compte par les exégètes de
l'histoire du cinéma, et plus précisément l'évolution du regard sur l'histoire du cinéma.
C'est presque une césure épistémologique qui se déroule dans cet article, car en prenant
compte des conceptions universelles de l'histoire du cinéma27, initiée par Sadoul ou
Bardèche- Brasillach, dans la juste après-guerre, il y installe une nouvelle dialectique,
introduisant le rapport triangulaire cinéaste - film - spectateur et une critique
phénoménologique du spectateur face au film. Le cinéma pouvant s'envisager alors
comme une possibilité perceptive de l'histoire :

"Le regard, puisqu'il permet de tout dire, puis de tout nier car il n'est qu'accidentel, est la pièce de
jeu de l'acteur de ciné. On regarde ce que l'on sent, et que l'on veut avouer comme son secret."

Aussi par ce raisonnement il inscrit non plus l'évolution du style des cinéastes comme
histoire du cinéma mais aussi l'évolution du jeu de l'acteur. Comme on le voit depuis le
début pour Godard avec ses articles, il s'agit de démontrer quʼévidemment le cinéaste a
son mot à dire pour faire évoluer le style au cinéma et faire progresser cet art sous la
condition de l'exercice de son métier sous contrainte dʼune histoire esthétique ordonnée.
De même maintenant le spectateur a son mot à dire, par la participation de son regard,
et aussi par l'implication de son corps dans le réseau d'identification avec celui qui est
sur l'écran: l'acteur. Ce nouveau rapport décentre le système du cinéma dans son
évolution principale. River le corps, et dans le film c'est celui de l'acteur comme corps
central de l'évolution du film, d'où l'intérêt constant de Godard pour la technique de jeu, et
aussi de l'emploi du visage comme autre vecteur esthétique. Le mot figure prendra ici
son sens le plus absolu.

"[…] la préférence du plan moyen au plan général marque l'envie de réduire le drame à
l'immobilité du visage, car le visage n'appartient pas seulement au corps, il continue une idée qu'il
faut saisir et rendre."

Par cette phrase, le visage s'inscrit comme vecteur de l'évolution esthétique et par cette
même dynamique propose un autre éclairage de l'histoire du cinéma.

Par la suite l'article opère le recensement de toutes les figures du découpage passant du
champ-contre-champ au plan large, en passant par le plan américain et les dote de
nouvelles appréciations morbides jusqu'à traiter finalement dans une conception

27
. Sur le concept d'histoire universelle voir l'article synthétique de Bernard Eisenschitz, Pour en finir avec
l'histoire universelle, Paris, 1995.

20
radicale, le principe même du point de montage, l'intervalle décrit par Vertov28. Entre
deux plans, la césure fait que cela est supérieur au plan unique.

"J'irai jusqu'à défier de rendre, dans un plan général, ce trouble extrême, cette agitation intérieure,
ce désarroi enfin, que le très inexpressif plan américain, pour cela même, sait rendre si fort. S'il
fallait trouver, dans le cinéma américain, un goût trop excessif de la mort, c'est surtout dans la
crainte du repos que je l'irai chercher, en ces instants où, dans la panique du cœur, le moindre
geste figure la certitude, et tout ensemble, la haine, le repentir, le badinage et la vertu […] "

"Je verrai même dans cette discontinuité spatiale due au changement de plan, dont certains
enthousiastes du “ten minutes shot” se font un devoir de rougir, la raison de la plus grande part de
vérité que contient cette figure de style.
[…] Ne pas en profiter […].pour faire de l'anticinéma, mais au contraire, par une plus sévère
connaissance de ses limites, en fixer les lois essentielles."

Par l'aspect d'une nouvelle appréhension des corps, Godard, ensuite et pour finir, établit
que la psychologie est à prendre en compte, qu'il ne faut pas chercher à l'éviter. Au
contraire, le découpage sert de plus près la réalité psychologique, celle des sentiments.

S'il y a un résumé possible —face à lʼimportance de cet article pour la constitution de la


pensée godardienne et sans essayer de risquer de se perdre dans une tentative de
contextualisation (l'apport novateur de son style)—, cela se ferait malgré le dernier
paragraphe de son article, car celui-ci fournit un reproche à peine voilé du style
interrogatif de ses pairs qui officiaient à l'intérieur de la même revue. "Faire de certaines
figures de style jusqu'à une vision du monde" : c'est le reproche de la tendance
platonicienne de Chabrol et Rohmer, et même phénoménale de Bazin.

28
. Dziga Vertov, Articles, Journaux, Projets 1914-1928, trad. par Sylviane Mossé et Andrée Robel, Paris,
UGE 10/18, 1972, p. 44 : "Je considère l'intervalle comme etc....

21
4/ ARTS (1956/1958)
Précédé par 2 Articles IMAGE & SON (1954/56)
INTRODUCTION
Cette rupture dans la continuité chronologique de l'activité d'écriture correspond au
moment où Godard s'est lui-même considéré comme un déserteur de deux nations29. Il
refuse de faire son service en France (Guerre d'Algérie) autant qu'en Suisse (période à
l'époque de 18 mois). Il va travailler sur un barrage qui lui donnera le sujet et le décor de
: OPÉRATION BÉTON (1954). Son premier court métrage, autofinancé avec le produit
de son travail.
De retour à Paris c'est une vie de bohème qui l'attend. Souvent sans un sou, il vole des
livres chez les gens qui le reçoivent (André Gide, Paul Valéry30), ou de l'argent des filles
qu'il rencontre. On a comme témoignage de ce genre d'action et de comportement, la
performance de Jean-Paul Belmondo dans A BOUT DE SOUFFLE31, où, il crée, ce qu'on
retrouvera plus tard en d'autres développements, une relation d'équivalence entre le
personnage (principal) d'un film et son cinéaste, dont la base documentaire est la vie
vécue par le cinéaste, anecdotes représentées dans le film. Les films de fiction de
Godard deviennent la matière mnésique de sa propre vie autant qu'il peut conserver les
moments de fabrication du film.

Lorsque l'hebdomadaire multi-artistique accueille en son sein Jean-Luc Godard,


simultanément d'autres (présents et futurs) collaborateurs des Cahiers du Cinéma tels
Jean Douchet, Luc Moullet, André S. Labarthe et Eric Rohmer lʼont rejoint. Ils ont pris le
relais, suite à l'active présence, (importante par le nombre d'articles rédigés,) de François
Truffaut32. Ils vont alors se répartir le travail hebdomadaire, qui se résume souvent soit à
une grande page : une moitié supérieure avec un article principal ou deux moyens et en
deuxième partie inférieure, des notes critiques qui sʼavèrent être des comptes-rendus de
l'actualité des films qui sortent. Soit à deux pages, et l'article principal occupe alors toute
une page.

Ces notes, voire notules ne dépassent parfois même pas 900 caractères. Aussi le lecteur
ne nous tiendra pas rigueur si certaines références ne sont pas développées, en effet si
le volume de l'article référencé nʼest pas spécifiquement décrit, cela veut dire qu'il l'est
implicitement en proportion avec le volume de notre propre rédaction. (Quelques lignes
suffisent pour commenter une notule, et un paragraphe pour un article plus important…)
Quoiqu'il en soit si une exception survient , elle sera de toutes façons toujours signalée.
(exemple : la Ref.28)
Si certains articles ne sont que des petites notules, il était souvent difficile, autant pour
Godard, d'y développer quelques idées personnelles. Mais c'est une apparence, et c'est
même certainement la raison principale pour laquelle elles n'ont pas été "dignes" d'être
retenues pour figurer dans l'édition du Godard par Godard.

29
. Ref. 303
30
. Anecdote racontée dans un de ses entretiens. Godard vivait dans l'appartement des Schlumberger (un
des fondateurs de la NRF). Ref.303. Son grand-père fut lʼun des meilleurs amis de Paul Valéry. Ce fut pour
Godard lʼoccasion de voler afin de vendre des éditions originales avec envois dans une des librairies qui, à
son détriment, prirent contact avec la famille.
31
. Ref.Film 6. Le personnage, s'invite un peu de force dans la chambre d'une fille et, pendant qu'elle se
déshabille, il en profite pour lui "faire " son sac.
32
. Celui-ci se consacrant presque exclusivement à son métier de cinéaste à partir de 1956.

22
A l'inverse, nous pouvons même affirmer le contraire et que d'une certaine manière, le
sens de la formule développé par Godard pendant ces années d'écriture, ces années
d'apprentissage, s'est affirmé face à cette contrainte.

Devant l'absence de qualité des films et l'obligation professionnelle de devoir en rendre


compte par l'écriture de ses notules, Godard trompe son ennui en jouant avec les mots
ou bien pour "se débarrasser" plus rapidement de la corvée de l'écriture, il fait des
tableaux synoptiques, ce qui lui permet de synthétiser et de produire par l'arrivée de
concepts une matière que seule les films pouvaient donner.
On peut préciser que cette obligation il ne l'aura plus lorsqu'il écrira aux Cahiers du
Cinéma, puisquʼun des traits distinctifs de cette revue fait que les rédacteurs choisissent
les films sur lesquels ils ont envie d'écrire. Privilège de rédiger sur un film qu'on aime ou
qu'on juge intéressant et d'abandonner la neutralité malveillante d'un cinéma médiocre .
Le style de Godard : puissance de la concision, sévérité du jugement et cruauté de
l'exécution se retrouverait mais sous une autre forme d'expression, filmique ou
simplement la légendaire terreur qu'il installe lors d'un dialogue avec qui que ce soit.

Ref.is19.561 * NICHOLAS RAY


Fiche culturelle U.F.O.L.E.I.S.34
IMAGE ET SON. n°94, 06/1956. p.5-7

Texte jamais repris dans les éditions, alors que c'est un article général sur un des
cinéastes préférés.
Rapellons que bien des fois, il sʼavère que certains écrits ne concerneront pas ou ne
seront pas concernés par le film HdC. Aussi, cet article de Godard sur Nick Ray peut
bien évidemment contenir une prédétermination dans la mesure où c'est lui qui en est
lʼauteur, mais il ne bénéficiera pas de notre part de développements et commentaires
ultérieurs.

Ref.is19.562 LE RETOUR DE FRANCK JAMES (Fritz Lang)


Fiche culturelle U.F.O.L.E.I.S.
IMAGE ET SON. n°96, 10-11/1956. p.41
Ce texte qui n'était pas encore présent dans l'édition de 1969, composé en plusieurs
parties (présentation, discussion, documentation) est spécialement rédigé à l'attention
des organisateurs de Ciné-Clubs. On trouve même des CONSEILS PRATIQUES :

"Pour préparer la projection, on peut utiliser le disque Rocky Mountain of Time Stompers (Vogue
EPL 7201) afin de créer un “climat” favorable qui introduira le spectateur dans l'ambiance
favorable."

. Voir en ce sens, la présentation du premier numéro, Cahiers du Cinéma , n°1, 04/1951, Paris, Ed. de
L'Étoile. p.9.
34
. UFOLEIS : Union Française des Œuvres Laïques d'Éducation par l'Image et par le Son.

23
Ref.A21* - DU CÔTÉ DE CHEZ MANET.
n° 529, 06-1956.
Le commentaire de cet article se prête à être un peu plus prolixe que les autres, car il n'a
pas été retranscrit dans les différentes éditions du "Godard par Godard".
Article dont le jeu des titres incite déjà à organiser la rencontre entre l'artiste et sa
possibilité d'être un personnage; Puisqu'au lieu de lire lʼintitulé proustien de la première
partie de LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU35 intitulé DU CÔTÉ DE CHEZ SWANN,
on peut lire la substitution du personnage imaginaire de Swann en un personnage réel,
un artiste peintre, celui d'Edouard Manet. Suite à cette rencontre, on trouve, et retrouvera
chez Godard, la volonté de dédoubler sa propre présence dans le film, les HdC.

INCURSION DE L'HISTOIRE DE L'ART PAR MALRAUX, PAR LE STYLE ET LA


CITATION DIRECTE
Article pour le moins important car il procède à une tentative de définition du cinéma
moderne. Entamant son article par une comparaison de l'essor de la peinture moderne
avec les Classiques, on voit encore le style de Malraux se glisser par allusions dans le
texte, le Malraux du MUSÉE IMAGINAIRE, qu'il n'hésitera pas à citer nommément à
propos de l'histoire de la photographie:

"Mais ce dont la photographie s'était montrée incapable de tirer parti — elle, dont l'histoire, selon
Malraux de Nadar à Cartier-Bresson, est une copie fidèle des trois siècles de traditions picturales
dont elle est née — le cinéma sut en faire matière à renouveau."

Suivant à son habitude le principe comparatif dont la puissance est l'articulation, le ET


comme le remarquera Deleuze vingt ans plus tard36, déjà dans cet article nous sommes
en présence de la même force persuasive d'articulation, si on peut sʼexprimer ainsi.

PREMIER PRINCIPE D'OPPOSITION INTERNE À L'HISTOIRE DU CINÉMA


Si nous devions faire un aperçu schématique de l'article cela donne une liste faite en
deux parties sur lesquelles s'opposent traditionnellement l'ancien et le nouveau :

35
. Marcel Proust, À la recherche du temps perdu (Du côté de chez Swann) (2 vol.), Paris, Ed. Gallimard,
1919.
36
Gilles Deleuze, “Trois questions sur Six fois deux ”, Cahiers du Cinéma , n°271, 11/1976, Paris, Ed. de
L'Étoile.

24
LE NOUVEAU ET L'ANCIEN
le Fifre (Manet) & Portrait de Charlotte (David) ou Vermeer
Cézanne & Ingres
Schumann & Mozart
Goethe (Retour d'Italie) & Goethe (Weimar)

Nicholas Ray & S.M.Eisenstein


Cathy O'Donell dans & Sylvia Sidney dans
Les amants de la nuit de N.R. & J'ai le droit de vivre de Fritz Lang
Otto Preminger & F.W.Murnau

Voyage en Italie (Rossellini) & Lys Brisé (Griffith)


Pierrot avec des fleurs (Picasso) & Petite fille aux fraises (Reynolds)

sur la vision
voir & Scruter
œil & Regard
sur la photographie
cesser de croire & Croire
sur la composition
paysage & atmosphère
sur le mouvement
grâce & utilité
sur l'intrigue
les nœuds & l'intrigue elle-même

sur l'expression humaine


le masque & la grimace

ressentiment & la haine


les sanglots & les pleurs
le plaisir & le bonheur
la volonté qui se tend & la volonté qui se relâche

Ce que l'on peut constater, c'est l'extrême foisonnement d'exemples d'applications que
l'on peut lire dans cet article, et la volonté d'embrasser l'art dans son ensemble, pour
pouvoir affirmer, et prouver d'une manière totale que le cinéma est lui aussi un art
moderne. La somme de tous les arts qui se recoupent entre eux est l'occasion pour
Godard de s'attarder sur ce double mouvement descriptif.

DEUXIÈME PRINCIPE ARTICULÉ AVEC UN PROCESSUS COMPARATIF EXTERNE


AU CINÉMA
C'est à partir de cette articulation que tout son discours va se déployer sur la conception
possible de la modernité. Aussi Godard continue sur ce principe de séparation
temporelle, mais il érige sur un seul para graphe une séparation spatiale, comparaison
entre des films et d'autres œuvres extra-cinématographiques. Ce qui donne, lorsqu'on
schématise la matière employée :

25
CINÉMA ET AUTRES ARTS
Renoir filme Camilla & Manet dessine(Berthe Morisot)
Allemagne année Zéro
Enfant cloche pied & Danseuse qui lace son soulier
Rossellini & Degas
Décor & Appartement vide
Lola Montès
Max Ophuls & Bonnard

Pour Godard la modernité est un principe d'inversion, l'envers du classicisme. Et rendant


plus complexe son exposé, il l'associe au principe de similitude dorénavant des éléments
cinématographiques avec d'autres éléments qui lui sont étrangers, c'est-à-dire opposés
dans l'espace et non dans le temps, pour pouvoir retrouver dans le même temps le
principe d'opposition et le principe de similitude.

LE DOUBLE MOUVEMENT CROISÉ COMPARATIF


Aussi pour démontrer son propos se doit-il de comparer le cinéma avec d'autres arts et à
l'intérieur de lui-même en montrer la contradiction de lʼévolution historique. C'est ce qui
est à l'origine d'un double mouvement croisé : similitude extérieure et opposition interne.
Conséquemment Godard essayera de trouver à l'intérieur de cette évolution, l'application
spatio-temporelle du double mouvement :

"Ils (les peintres) avaient déjà eux aussi renouvelé la perception traditionnelle de l'espace par
l'intromission d'un sentiment quasi musical de la fuite du temps."

La modernité par cette définition subit donc l'évolution selon le double mouvement
perceptif du cinéma, celui du renouvellement de l'espace externe, et de l'intromission du
sentiment du temps en fuite.

La modernité du cinéma se résumerait alors par la perception d'une nouvelle subjectivité.


Et on retiendra dorénavant l'application systématique du concept à partir de sa logique,
les deux types de comparaisons qu'utilise Godard lorsqu'il est face à un film :
Comparaison externe, le cinéaste peut être comparé au peintre, au poète, à l'écrivain
Comparaison interne, le cinéaste est comparable à d'autres cinéastes plus anciens,
ceux-là représentant le classicisme et celui-ci présent représentant la modernité.

Ref.A22* - LES ACTEURS FRANÇAIS, de bons produits sans mode d'emploi.


n° 619, 05-1957.
Cet autre article, qui n'a pas été retenu pour les reprises en livres de ses articles, a
pourtant, comme le précédent, toute son importance. Une importance tant sur ses
tentatives de définition du jeu d'acteur mais aussi sur la manière dont Godard présente
son argumentation. Trois parties composent l'article, un texte et deux tableaux.

26
LA VISION SCHÉMATIQUE COMME ARGUMENT PREMIER
Le premier tableau, non signé de Godard mais dont le choix des comédiens laissent
penser qu'il en est à l'origine est un plaidoyer pour les comédiens qui ne sont pas assez
employés pour Godard, et qui pourtant bénéficient d'un grand talent. Le tableau s'intitule :
LA TRAPPE OU LES VEDETTES D'UN JOUR.

Le second tableau, beaucoup plus original, met en série l'application des deux
perspectives envisagées du comédien. Il s'intitule :
COMMENT UTILISER NOS VEDETTES

Ce tableau, ne manque pas pour ainsi dire d'humour et d'à propos, et révèle même le
culot du jeune critique. Cette audace, comme il le rappellera au moment de sa
disparition37, est due aux exemples dʼouvertures pamphlétaires et répétées de François
Truffaut de la coquille du milieu du cinéma.
Concrètement, ce tableau se compose de trois colonnes.
La première indique le nom de l'acteur pour lʼidentifier.
La deuxième colonne dénonce lʼenfermement du systématique dans lequel l'acteur est,
en inscrivant le registre étroit et toujours le même dans lequel les producteurs comme les
réalisateurs lʼencadrent, faute d'imagination. Par exemple : Martine Carol en grande
amoureuse et Jean Gabin en parisien… La dernière colonne réside justement en une
proposition de renouvellement d'emploi, ainsi Martine Carol deviendra une bourgeoise
popotte et Gabin paysan38. Si Max Ophuls semble avoir été une des sources d'inspiration
de Godard pour les propositions de ces rôles, c'est par la défense logique de politique
des auteurs.
Godard défie le milieu du cinéma et le système des stars en France :

"Ne demandez à aucune de nos grandes vedettes de refaire devant la caméra le plus banal des
gestes de la vie quotidienne. Elles ne savent pas."

DEUX POSSIBILITÉS POUR L'AVENIR DU COMÉDIEN

"En résumé, il y a deux façons d'employer un acteur. Soit lui donner un rôle qui est à l'opposé de
ceux dans lesquels il a le plus souvent joué (…) Ou bien, au contraire, il faut miser à fond sur le
caractère propre de l'acteur et lui donner un rôle qui est celui qu'il joue tous les jours dans la vie."

37
. Ref.165. Tout seul. , « LE ROMAN DE FRANÇOIS TRUFFAUT », CAHIERS DU CINEMA , n°Hors-Série,
11/1984, Paris, Ed. de L'Étoile.
38
. On se rend compte que c'est aussi à partir de l'observation de films défendus par la Politique des Auteurs
que Godard va chercher la variété du renouvellement, ici le paysan souhaité pour Gabin a sa réalité filmique
dans LE PLAISIR de Max Ophuls, 1952.

27
Ref.A23 - MIZOGUCHI fut le plus grand cinéaste japonais. n° 656, 02-1958.

L'article, comme le laisse supposer le titre, est un éloge posthume composé au moment
même où l'infatigable Langlois organisait une rétrospective.
La deuxième partie de l'article revient uniquement sur CONTES DE LA LUNE VAGUE
APRÈS LA PLUIE, où Godard fait une comparaison interne et une comparaison externe.
Dʼabord il compare les films entre eux, celui de Mizoguchi avec Murnau :

"Si la poésie apparaît à chaque plan que tourne Mizoguchi, c'est que, comme chez Murnau, elle
est le reflet instinctif de la noblesse inventive de son auteur."

Godard ensuite "le place à égalité avec Griffith, Eisenstein, Renoir."

Les comparaisons externes sont produites par une mise en relation de deux domaines
différents. Ici, elles associent l'idée de la manufacture du dessin avec celui du
mouvement de caméra, produisant une beauté qui jaillit :

"Peu d'effets de caméra, de travellings, mais soudain, quand ils jaillissent en cours de plan, ils ont
une fulgurante beauté. Chaque mouvement de grue (Preminger est ici largement battu) a le tracé
net limpide du crayon d'Hokusai."

LA BEAUTÉ DANS L'ABSENCE DE LA VIE PRÉSENTE


Godard finit son article en citant comme il l'avait déjà fait, Rimbaud, sur la préoccupation
du cinéaste, qui doit concerner les rapports d'absence/ présence, et le jeu perpétuel du
cinéma produisant ces allers-retours.

"L'art de Kenji Mizoguchi est de prouver à la fois que "la vraie vie est ailleurs", et qu'elle est
pourtant là, dans son étrange et radieuse beauté."

Ref.A24* - UNE RÉUSSITE (Henri Decoin, LA CHATTE). n° 668, 02-1958.


Notule plutôt positive du film de Decoin, ce qui pour Godard est une déception en bien39,
et il accorde le mérite de ce film de résistant à rendre hommage au condamné de
Bresson. C'est seulement parce qu'il y fait référence, que pour Godard il a un certain
mérite à ses yeux. Ce qui prouve que pour lui, le film peut et doit tenir compte d'une
certaine histoire du cinéma, tout au moins le genre dans lequel le film est fait, et de
connaître ses classiques pour le réalisateur, pour savoir s'en échapper ou le dépasser.
Mais de toutes façons, le plus important demeure d'en avoir eu connaissance,
l'ignorance sʼavèrant le pire.

Ref.A25 -UN ATHLÈTE COMPLET


(J.L.Mankiewicz, A QUIET AMERICAN [UN AMÉRICAIN BIEN TRANQUILE])
n° 679, 07-1958.
Cet article critiquant le film de J.L. Mankiewicz utilise une fois de plus le processus
comparatif externe, en cherchant à définir la présence du cinéaste comme un Giraudoux

39
. Etre déçu en bien est un idiome suisse qui signifie : être surpris par quelque chose sur lequel on portait
un a priori négatif.

28
de la caméra, et il ira jusqu'à faire correspondre, par la suite, parallèlement, les
personnages de ses romans avec celui du film.
Sachant éviter le piège de la politique des auteurs, il sait différencier, Mankiewicz
scénariste du Mankiewicz cinéaste :

"(…) tout était prévu sur le papier (…) le fait de le filmer n'y apporte pas grand chose. Le cinéma
devient le lieu de l'expression de l'écrivain au lieu d'être celui du metteur en scène."

Grief de l'écrivain trop parfait pour être de surplus un parfait metteur en scène, ce qui
pour un critique est assez inhabituel. Combien arrivent à prendre en considération les
différentes étapes de fabrication et comprendre que la qualité d'un travail de cinéaste est
plus dépendant de l'observation du rapport successif des étapes productives que de la
valorisation de chaque.

Ref.A26* -VULGAIRE (Caro Canaille, SI LE ROI SAVAIT ÇA), n° 680, 07-1958.


Notule qui conseille au lecteur la prudence nécessaire quant il s'agit de juger un film de
femme qui s'avère mauvais, de ne pas se méprendre et de faire incomber la faute au
seul fait d'être une femme, mais plutôt de se référer à ce que la cinéaste a déjà fait avant
comme film.
Godard insiste sur le procédé qu'il faut savoir replacer le film sur une ligne de fuite
historique : Léontine Sagan, Ida Lupino et Agnès Varda.

Ref.A27 -MONIKA REMPORTE UN PLEIN SUCCÈS


(Ingmar Bergman, MONIKA). n° 681, 08-1958.
Selon la même structure, que beaucoup d'autres articles, celui-ci commence sur une
double comparaison interne et externe au cinéma, elle concerne la vision du film de
Bergman. L'action d'aller voir le film de Bergman serait similaire au geste dʼaller voir une
exposition de Van Gogh. Effet de rareté similaire, engouement.
La comparaison interne est attribuée à Griffith car comme Bergman, Griffith a su
influencer ses contemporains. Godard leur concède à tous deux cinq années d'avance.

Ref.A28 -DÉSESPÉRANT
(Jack Lee Thompson, WOMAN IN A DRESSING GAWN [LA FEMME EN ROBE DE
CHAMBRE]) n° 681, 08-1958.
Critique succincte et relativement sévère du film de Jack Lee Thompson dont
l'introduction et la conclusion laissent penser que la faute incomberait directement à la
nationalité du film. Le film serait donc mauvais parce qu'anglais. La cause de la
nationalité peut en effet trouver quelque responsabilité dans l'échec ou le succès d'un
film, lorsqu'on se place d'un point de vue de la production, plaçant alors les enjeux
économiques avant les intérêts esthétiques. De plus chaque pays ayant ses propres
studios comme Pinewood en Angleterre, on peut même affirmer par cet ordre que l'enjeu
économique du studio suscite l'esthétique, qui sera donc propre à chaque studio
(Mosfilm, Cinecitta, Pinewood, Victorine…) et par conséquent chaque pays, mais Godard
persiste sur la malédiction nationale toute britannique, puisqu'il écrit que même si les
meilleurs acteurs du monde sont anglais, lorsqu'ils reviennent chez eux : ils sont
mauvais.

29
"Il faut vraiment se creuser la tête pour trouver quelque chose à dire sur un film anglais... (…)
Non, vraiment, c'est à désespérer. Mais désespérer du cinéma anglais serait avouer qu'il existe."

Cet manière d'argumenter, d'imposer un style national se retrouve dans les HdC, par la
disposition des annexes nationales et ainsi dans l'épisode 3a. la monnaie de lʼabsolu, où
il présente l'avènement du cinéma italien d'après-guerre. Il peut, lapidaire, en une seule
phrase rester fidèle à sa qualification du cinéma britannique :

"Les anglais ont fait ce qu'ils font toujours dans le cinéma, rien."40

Ref.A29 -ÉLÉGANT ET PRÉCIS


(Douglas Sirk, THE TARNISHED ANGELS, [LA RONDE DE L'AUBE]).
n° 682, 08-1958.
La critique du film de Douglas Sirk est l'occasion pour Godard de faire le résumé de
certaines données narratives qu'il compare une fois de plus avec un livre. Il s'agit ici de
PYLONE de William Faulkner.

Ref.A30 -ALEXANDRE ASTRUC, (Entretien) n° 684, 08-1958.


L'entretien que va faire Godard avec Astruc est le premier d'une série. L'esprit de Godard
est représenté par lʼécoute et le type de questions qu'il pose. On pourra en retenir
certaines d'importantes lorsqu'il demande :

"Vous prêchez le modernisme et vous faites pourtant un film en costumes."

Cette question, faussement naïve, sʼavère révélatrice de sa conception de la modernité :


un éloignement du film du genre, comme si la modernité pouvait sʼexprimer en tant que
concept par la dissolution des genres (Rossellini)

Ref.A31 -CINÉASTE À LA CAMÉRA VOLANTE


(François Reichenbach, Entretien). n° 685, 09-1958.
Ce qui va intéresser Godard du travail de Reichenbach, tel qu'on peut le lire dans la
présentation qui précède l'entretien, qui ne sera interrompu que deux fois par des
questions simples de relance, c'est que comme lui, il cherche à pousser, repousser les
limites techniques du film. C'est son anti-professionnalisme :

"(…) techniquement parlant des risques fous. Il installait sa caméra aux endroits où la plupart des
chefs opérateurs auraient refusé de mettre le pied (aussi bien Reinchenbach tourne-t-il sans pied)
et à l'heure de préférence où la cellule ne donne plus d'indications."

Ref.A32 -GAI À PLEURER (Marc Allégret, UN DRÔLE DE DIMANCHE).


n° 698, 12-1958.
Très brève notule dans laquelle Godard par devoir de journaliste se doit de rendre
compte du film ...

40
. HdC, 3a. la monnaie de lʼabsolu. p.83.

30
"d'un inintérêt total. Le texte est lamentable et les acteurs aussi."

Le seul élément intéressant pour l'étude est encore une fois la présence pour Godard de
cette interaction entre réalisateur et personnage de fiction41. Ici, c'est d'imaginer un
personnage de cinéma ayant le pouvoir de réaliser des films et dʼaffirmer que ses films
seraient ceux de Marc Allégret. (Anton Walbrook dans LA RONDE de Max Ophuls, ce
personnage est un présentateur, qui regarde la caméra, parle au public, dirige la
narration et communique avec les acteurs).

Ref.A33 -B.B. RHÉNANE


(Hermann Leiter, DER WEISSE SLAVEN, [LIANE, L'ESCLAVE BLANCHE]).
n° 700, 12-1958.
Notule d'un petit paragraphe, du film, LIANE, L'ESCLAVE BLANCHE où l'interprète
principale, Marion Michael est comparée à :

"une sorte de B.B. revue et corrigée par ce qui correspond outre-Rhin aux images d'Epinal."

Comme la fiction est censée se dérouler en Afrique, Godard "sauve" trois plans qui ont
été pris sur le vif : La comédienne est filmée au téléobjectif au milieu d'une foule dans
une cité africaine, ce qui presque inconsciemment lui confère un aspect néo-réaliste à
l'état pur.

Ref.A34 -IGNORÉS DU JURY : DEMY, RESNAIS, ROZIER ET AGNÈS VARDA DOMINENT LE FESTIVAL
DE TOURS.
n° 700, 12-1958.
Compte-rendu précis du Festival, où les quatre films des cinéastes cités dans le titre, ont
amplement dominé la sélection. Après avoir expliqué les raisons de cette domination,
Godard procède à une analyse film par film dans la deuxième partie de son article.

Ref.A35 -JEAN ROUCH REMPORTE LE PRIX DELLUC. n° 701, 12-1958.


Description des conditions dans lesquelles Rouch a gagné le prix. Puis brève description
du film, comme les surnoms cinéphiles de comédiens-personnages (Dorothy Lamour,
Eddy Constantine, Edward G. Robinson) qui ont improvisé dans le film au fur et à
mesure.

"Par la suite, l'auteur a présenté à ses interprètes un premier montage en leur demandant de le
commenter à leur guise."

Pour Godard, le film de Rouch a un impact en France comparable à celui de ROMA,


CITA APERTA de Rossellini dans le monde, peut-être exagère-t-il ? Probablement, mais
cela ne laisse aucun doute sur l'impact que le film a suscité sur lui, au point de vouloir
augmenter cette impression en la généralisant la plus possible, sur le reste du territoire.
De plus l'inventivité de Rouch va fournir les premières bases de la formulation des HdC :
l'importance de la parole sur les images et la confusion désirée entre le personnage et la
personne réelle.

41
. Ref.21.

31
On a vu également le commentaire à sa guise libre sur des images devenir le principe
même de l'exercice historique du film des HdC.
Aussi on peut constater l'autre intérêt du film pour le cinéaste dans l'optique de produire
les HdC : celle de confondre les noms des personnages avec des personnes qui existent
dans la réalité. Cette collusion, Godard va lui-même l'opérer sur sa propre personne en
incorporant le personnage de Godard-Présentateur à l'intérieur des HdC.

Ref.A36* -HONNÊTE DOCUMENTAIRE


(Collectif, LES SEIGNEURS DE LA FORET). n° 703, 12-1958.
Film documentaire "comme il y en a des milliers". La notule de Godard n'est ici que pour
affirmer l'absence de tout intérêt du film.

"Aucun rapport avec Flaherty(…)"

Ref.A37 -LES VIGNES DU SEIGNEUR


(Jean-Daniel Pollet, POURVU QU'ON AIT L'IVRESSE).
n° 706, 01-1959.
La notule du court-métrage de Pollet est un sommet de l'argumentation godardienne. Il
cite trois titres de moyens-métrages célèbres NOGENT, ELDORADO DU DIMANCHE de
Carné, TERRE SANS PAIN de Bunuel et PARTIE DE CAMPAGNE de Renoir et profère que
si l'on aime ces films là, le film de Pollet est mieux. Suit alors une liste de cinq grands
noms du Cinéma français d'Après-guerre certifiant que Pollet est dʼaprès eux un
cinéaste-né :

Ref.A38* -ATTERRANT (Robert Darène, HOULA HOULA). n° 706, 01-1959.


Pour argumenter sur la qualité jugée mauvaise d'un film, Godard invente l'idée
saugrenue que le tournage s'est effectué sans équipe. C'est procéder à une pratique de
séparation : les techniciens, le réalisateur (dont Godard affirme sa bonne réputation) et le
lieu de production :

"Houla, Houla semble avoir été tourné dans un coin quelconque du bassin parisien alors que
toute l'équipe technique a bel et bien fait le voyage jusqu'à Tahiti où l'action (d'ailleurs inexistante)
est censée (ou insensée) se dérouler."

Aussi, l'humour, déployé sur le mode de la dérision, consiste à effectuer une répétition,
celle-ci réitère l'évènement imaginaire se basant sur l'inexistence du film dans la réalité.

Ref.A39* -GROTESQUE (Pierre Chenal, LES JEUX DANGEREUX).


n° 706, 01-1959.
MOT-CONCEPT ISSU DU PITCH
Godard à son habitude de futur cinéaste-monteur va rapprocher ce qui à l'origine ne l'est
pas, que cela soit avec des mots. De plus l'action du rapprochement est une action qui a
toujours suscité de la part de Godard une interrogation de correspondance, par exemple
l'acte associatif est la multiplication: La fausse candeur multipliée par le vide inventif ou
bien encore le fait de multiplier des cinéastes entre eux pour donner un film nouveau.
L'idée qui pourchasse Godard depuis longtemps réside dans le fait que le cinéaste,
comme image dans le monde des représentations donne aussi une image de lui,
aisément quantifiable, dosable pourrait-on dire dans sa logique. Ainsi deux doses de tel

32
cinéaste, une dose d'un autre, en les multipliant donnerait un nouveau film. Cette logique
n'est pas spécifique à Godard, elle vient d'une logique hollywoodienne de production,
qu'on retrouve chez les américains dans le pitch.
LE PITCH EST UN PROCÉDÉ TECHNIQUE DE CONCEPTUALISATION
PRODUCTIVE.
Depuis l'invention d'Hollywood, l'apparition des genres, le producteur va essayer de
reproduire les données d'un film qui a eu du succès. Aussi pourra-t-il le réduire en un
seul mot. Le pitch est donc une nouvelle association de plusieurs mots-concepts de
production qui mis ensemble produit le pitch. Le pitch dans sa traduction littérale est le
point. Mais c'est le pitcher est un lanceur (en base-ball) aussi le pitch est une phrase
prête à être lancée, entendue au producteur, car le pitch détient une connotation
sonore42. Un bon exemple de séquence de film où l'on voit un homme (réalisateur)
"pitcher" à un producteur le sujet de ses films se trouve dans ED WOOD43, où Ed Wood,
un réalisateur marginal pour se rendre intéressant et séduire le producteur, lui lance des
titres de ses films non encore réalisés, qui, à partir du seul titre improbable (Bride of the
Atom, Dracula Meets Jaws...), comprend le film dans l'ensemble de son projet.
Le pitch donne toute une narration à prévoir juste à partir d'un ou deux mots qui sont des
mots-concepts, liés souvent à des films qui ont eu du succès exemple : BOY MEETS
GIRL, DRACULA IS A WOMAN. Science, celle du titre. Godard dans les HdC reprend
une parole de décision de David O.Selznick.

"Je veux Del Rio et Tyrone Power


dans une romance
ayant pour cadre les mers du sud
peu m'importe l'histoire
pourvu qu'elle s'intitule
birds of paradise
et que Del Rio saute à la fin
44
dans un volcan."

On comprend alors que le pourvu qu'elle s'intitule en dépit de la narration même montre
l'importance du titre devant la narration.
Le producteur hollywoodien pense un sujet dans lʼordre de cette équation : Stars + Pitch
+ Titre. Et souvent le pitch devient le titre même. On verra que cette manière de penser
va influencer Godard dans la fabrication de ses HdC.

Ref.A40* -TRÈS MOYEN (Maurice Labro, LE FAUVE EST LACHÉ).


n° 707, 01-1959.
Notule succincte sur le film de Maurice Labro.
D'abord il compare le film avec LE GRISBI45, puisque dans les deux films c'est Lino
Ventura, qui a le rôle principal. Godard continue son article en désignant le scénario
comme source malfaisante. Il est intéressant de constater que si, dans cet article,
Godard donne comme principal fautif le réalisateur, il n'en établit pas moins l'importance
du comédien pour certaines prises de décisions en terme de production.

42
. Pitches have ears signifie les murs ont des oreilles.
43
. Tim Burton, ED WOOD, 1994.
44
. HdC. 3a. la monnaie de lʼabsolu. p.40-41.
45
. Jacques Becker, TOUCHEZ PAS AU GRISBI (1954).

33
Ref.A41 -FADE ET GROTESQUE (Yves Ciampi, LE VENT SE LÈVE).
n° 708, 02-1959.
Notule sommaire sur le film d'Yves Ciampi.
Peut-on insulter un film ? se demande Godard qui ne trouve rien à redire sur celui-là et
son réalisateur. Le scénario semble être destiné au réalisateur, puisqu'il s'agit de la prise
de conscience d'un homme de sa propre médiocrité. Prodige, ironise-t-il encore de
pouvoir rendre fade un film grotesque.

Ref.A42* -ENTRETIEN AVEC JEAN-PIERRE MOCKY. n° 709, 02-1959.


L'entretien commence sur un jeu de questions-réponses occupant la moitié de l'article, à
propos de l'étymologie du mot dragueur. Les études relatant lʼinfluence de Mocky sur
Godard, ne sont pas un axe de réflexion très courant dans les études godardiennes mais
lorsque par la suite, Mocky répond à la question s'ils ont beaucoup tourné en extérieurs,
en donnant des indications sur le tournage, on pourrait volontiers les prendre pour ceux
du premier film de Godard, A BOUT DE SOUFFLE.

"Les trois quarts du film se déroulent dehors, dans un Paris qui passe du samedi après-midi au
samedi soir. J'ai voulu donner à cette histoire plus ou moins fictive un aspect documentaire. (…)
mélanger une technique néo-réaliste avec une technique de studio."

Ainsi le cumul des fonctions (acteur-réalisateur-producteur) qu'occupe le jeune cinéaste,


séduit Godard, et les questions qui suivront tourneront essentiellement autour de notion
de production.

Ref.A43* -JEAN-PIERRE MOCKY. n° 709, 02-1959.


Portrait sous forme d'encart, en guise de présentation du cinéaste avant son entretien.
Le parcours de Jean-Pierre Mocky va intéresser Godard pour une raison simple. Ce
parcours est formulé dans cette présentation sous forme de C.V. Il a été comédien avant
de passer à la réalisation. Aussi, comme lui, il cumule la double fonction et va pouvoir
créer son image de réalisateur à partir de sa connaissance sur les comédiens.

Ref.A44 -FAIBLARD (Michel Boisrond, FAIBLES FEMMES). n° 710, 02-1959.


Notule concise sur le film de Michel Boisrond. Les reproches sur la mise en scène sont
systématiquement passés en revue : direction d'acteur, acteurs, scénario, dialogues.
Godard pousse l'ironie à instituer que chaque film de Boisrond est de mieux en mieux ; le
seul problème restant qu'il est parti de si bas que de ce fait il ne pourra pas atteindre un
niveau dʼintérêt suffisant.

Ref.A45 -LE BEL AGE SERA UN FILM PIRANDELLIEN.


(Pierre Kast, LE BEL ÂGE).
n° 711, 02-1959.

Cet article est un entretien avec Pierre Kast. Pendant la présentation qui procède à un
petit parcours de vie, située en tête de l'interview, on peut y lire l'équation Langlois =
Cinéma.

34
"Il rencontre Henri Langlois et le cinéma par la même occasion."

L'attrait de Kast pour Godard relève de mêmes préoccupations professionnelles, autres


que celle d'écrire dans la même revue (Les Cahiers du cinéma), il y a celle de tourner en
marge de la production, et puis celle, du dandy, qui consiste à confondre la vie que l'on
mène avec la fiction du cinéma que l'on écrit, l'on représente. Ces deux attraits sont
présents dès le chapeau du début :

"Le bel Age (titre), tourné avec ses seuls amis en marge de la production courante."

Tourner uniquement avec ses amis, c'est un peu le rêve de tout cinéaste un tant soi peu
dandy et ce goût du dandysme est une valeur qu'ils partageront tous deux. Il suffit de voir
certains personnages représentés dans A BOUT DE SOUFFLE46 pour en témoigner. Quant
à Kast il écrira "Remarques sur le dandysme et l'exercice du cinéma" :

"On voit, de reste qu'en matière de confection des films jouer le jeu des maîtres effectifs du
système, le refus de la "bonne soirée" pourrait bien être (...) la forme contemporaine du
47
dandysme."

Sans y voir ici une définition d'un film-type de Godard, Kast propose dans son entretien
une ruse, la nouvelle possibilité de produire des films tel que la nouvelle vague dans son
ensemble appliquera.

Ref.A46* -LE PETIT PROF'… NE RIME À RIEN (Carlo Rim, LE PETIT PROF').
n° 711, 02-1959.
Notule qui à son habitude consiste à créer les conditions de pouvoir jouer avec les mots.
Ainsi CARLO ne RIMe à rien, ou encore en courant tant de lièvres (trop de sujets
ambitieux pour un seul film d'autant plus que c'est une comédie) Carlo Rim marche
comme une tortue...

Ref.A47* -DÉPASSÉ (Hervé Bromberger, ASPHALTE). n° 711, 02-1959.

Dépassé est le film de Bromberger, dépassé avant tout à cause de l'ancienneté des
dialogues, insupportablement trop écrits, aussi Godard ira reprendre une phrase du film
pour commenter cette impression archétypale :
"“Pour moi très peu de cette poésie”. Tous les spectateurs sont de cet avis."

Ref.A48* -HORRIBLE (Maurice Régamey, CIGARETTES, WHISKY ET P'TITES PÉPÉES).


n° 712, 03-1959.

Notule du film CIGARETTES… de Maurice Régamey, dont l'horreur décrite serait un film
qui rassemblerait avant sa réalisation tous les éléments qui en auraient pu faire un bon
film comique, à la McCarey, à la Carbonneaux, un scénario bien bâti jusqu'au casting de
comédiens talentueux... sans que rien ne puisse se retrouver dans le film. L'horreur est
donc liée directement à la personne du réalisateur, qui ne faisait pas sa part, alors que

46
. Celui joué par Roger Hanin est un bon exemple.
47
. Pierre Kast, “Des confitures pour un gendarme (Remarques sur le dandysme et l'exercice du cinéma)”,
Cahiers du Cinéma , n°2, 05/1951, Paris, Ed. de L'Étoile. p.40.

35
les autres personnes l'entourant, dépendaient de son habilité. L'horreur est la réalité d'un
film désirable non réalisé.

Ref.A49* -LES ENFANTS À L'ASSAUT DE L'ÉCRAN. n° 712, 03-1959.


Article sur comment plusieurs cinéastes mettent en scène différemment les enfants.
(Tashlin, Jerry Lewis, Autant-Lara, Clément, Leenhardt, Vadim)
Godard aborde le problème de manière théorique sur l'opposition du naturel enfantin,
l'impudeur fondamentale et la métamorphose en acteur.
D'un côté la grâce naturelle, de l'autre la technique.

"Les cinéastes peuvent jouer sur les deux tableaux."

MÉTAPHYSIQUE DE L'ENFANT CINÉMATOGRAPHIQUE


Mais Godard affirme que cʼest le producteur finalement qui choisit le double jeu.
Il développe, de cette opposition, un point de vue intéressant puisquʼil conceptualise
deux types d'enfants à l'écran : les enfants poètes et les enfants aventuriers ; puis
conclue : au cinéma, l'aventure précède la poésie, ce qui, au contraire de la littérature
(mouvement inverse : poésie devenant aventure), rend “ZAZIE DANS LE MÉTRO”
infilmable.

Ref.A50 -MAGNIFIQUE (Claude Chabrol, LES COUSINS). n° 713, 03-1959.


La critique du film de Chabrol, LES COUSINS, est l'occasion d'affirmer que le spectateur
verrait Chabrol comme le Renoir de LA RÈGLE DU JEU, c'est-à-dire voir en lui :
"(…) un metteur en scène français aller jusqu'au bout de ses personnages en faisant de
l'évolution de caractères le fil d'Ariane de son scénario."

Et comme Renoir il chasse ses comédiens et son fusil (chronophotographique) : une


caméra. La caméra comme une grosse bête suspend une menace invisible, penser à
Damoclès.

Ref.A51 -ETONNANT (Jean Rouch, MOI , UN NOIR). n° 713, 03-1959.


Notule enthousiaste sur MOI, UN NOIR de Jean Rouch, comme il en fera la critique aux
Cahiers du Cinéma. Le film détient une certaine beauté par sa beauté saisissante de
contrastes :
- audacieux et humble
- traquant une vérité non scandaleuse mais amusante
- mouvement de caméra ...

"(…)que ne renierait pas A.Mann, mais ils sont beaux parce quʼils sont faits à la main."
Ref.A52* -ENTRETIEN AVEC RENÉ CLÉMENT. n° 713, 03-1959.
Petit entretien de René Clément qui était pressenti pour réaliser ZAZIE DANS LE
METRO48 . Le chapeau que Godard a fait mettre sur l'entretien, vient d'une des dernières
phrases de Clément. Il reprenait à l'inverse l'adage d'un personnage de roman de
Dostoïevski, Le “Dieu n'existe pas” d'Yvan Karamazov. Comme souvent, Godard a
réécrit l'entretien; gommant ses questions pour avoir un texte d'un seul tenant.

"C'est parce que Dieu existe que je vais tourner “ZAZIE”"

48
. Ce sera finalement Louis Malle, ZAZIE DANS LE MÉTRO, 1960.

36
Ref.A53 -REMARQUABLE (Georges Franju, LA TÊTE CONTRE LES MURS).
n° 715, 03-1959.
C'est le partage du film en trois niveaux de réalités distinctes dans cet article qui fait l'art
de Franju visible. Un premier niveau proprement narratif. Godard raconte l'histoire du film
de manière succincte. Un second niveau nous laisse découvrir le secret de l'art de
Franju. C'est de déplacer la réalité subjective du "je" en un autre :
"Il cherche l'insolite à tout prix parce que l'insolite est une convention et que derrière cette
convention, il faut également à tout prix rechercher une vérité première. (…) chercher le réalisme
derrière la folie (…)."
On a donc un premier niveau narratif vite dépassé par deux autres qui s'enchevêtrent, la
folie et le réalisme, forme expressive de la réalité.
Il reprendra la parabole du voile de Véronique qu'utilisa Bazin dans sa définition du
cinéma classique, mais en la détournant de son origine, la renversant même puisque le
classicisme vient en second.

"Voilà pourquoi, à chaque gros plan, on a l'impression que la caméra essuie les visages comme
le linge de Véronique celui de la Sainte Face. Parce que Franju recherche et trouve le classicisme
derrière le romantisme."

Puis il essaye de "traduire" cette inversion en termes plus modernes :

"Franju nous prouve que le surréalisme est nécessaire si on le considère comme un pèlerinage
aux sources."
Jusqu'au comble de trouver un sens à l'absurdité, Godard définit l'art de Franju comme
surréalisme nécessaire et d'inclure le blasphème (attribut surréaliste par essence) par
montage, de l'associer avec la Sainte Face car le mot pèlerinage n'est pas ici hasardeux.

Ref.A54 -PAS DÉSAGRÉABLE (Roger Pierre & Jean-Marc Thibault, LES MOTARDS).
n° 715, 03-1959.
Le film est un duo comique s'offrant comme agréable. Agréable par le détachement
(presque dédaigneux aristocratique) de la réalisation (un je-m'en-fichisme) et par la
présence d'une jolie fille. Comparé numériquement à Carlo Rim (100 fois mieux) et à
Norbert Carbonnaux (autant mieux).

Ref.A55 - ENNUYEUX (Henri Verneuil, LE GRAND CHEF). n° 715, 03-1959.


Godard note l'existence d'un film d'Howard Hawks qui supplante le film de Verneuil
parce que fait avant et de plus génialement ; il établit l'illusion que si Verneuil et son
scénariste Troyat l'avaient vu, ils n'auraient pas fait leur film. C'est utopique, mais
révélateur de l'esprit de Godard la croyance aux vertus de la cinéphilie, aux vertus
historiques de la connaissance pour de ne pas refaire ce qui a été fait (académisme) ou
pire recommencer les erreurs faites par d'autres.

37
Ref.A56 -ENTRETIEN AVEC ROBERTO ROSSELLINI. n° 716, 04-1959.
Une petite présentation débute l'entretien dont les propos ont été établis sans les
questions. Dans celle-ci Godard effectue une comparaison qui ne manque pas d'être
visuelle et laudative :

"Mais comme Socrate (dont il eu le projet de filmer la mort) et Saint François d'Assise (dont il filma
la vie), Roberto Rossellini, abandonné de presque tous, fonçait à tombeau ouvert, sans plus
écouter personne, à travers les portes étroites de son art. Humilité et logique étaient les deux
seuls phares qui éclairaient ce voyage au bout de la nuit cinématographique."

La dualité comme souvent accompagne le trajet décrit : polarité des hommes filmés
(mort et projet face à la vie et réalisation). De cet environnement entre la vie et la mort
découle l'idée du tombeau ouvert et de cette notion de vitesse vient s'opposer l'étroitesse
de la porte.

Ref.A57 -UNE BETE HUMAINE. (Marcel Hanoun, UNE HISTOIRE SIMPLE)


n° 717, 04-1959.
LES POETES EN ARMES
Critique, du long métrage de Marcel Hanoun, dont le déroulé argumentaire se fait sur
plusieurs niveaux. Le niveau matériel : Godard nous invite à aller voir le film uniquement
parce que son format (16 mm) est inhabituel; parce qu'en 16mm, il se place d'emblée en
marge de la production courante, et par là, suscite l'intérêt pour Godard . Format amateur
et en raison du coût de production réduit, le film peut proposer une esthétique qui sortira
essentiellement de la norme et citant Cocteau :

"Le 16 mm est peut-être la seule arme future des poètes en face du “gigantesquorama” qui
devient le pain quotidien des producteurs."

Le génitif d'un l'art de la guerre, est subjectif. Cette guerre appartient à l'art et c'est à
prendre avec le même entendement, lorsqu'on parle des mouvements artistiques, de
l'avant-garde, qui est un terme aussi d'origine militaire. Évidemment, l'engagement des
poètes dans une bataille, est esthétique, engagée dans un processus économique
depuis son industrialisation. C'est pour cette raison que Cocteau forge un barbarisme
pour l'adversaire et son gigantesquorama.
Le second niveau est le niveau esthétique, et son apparentement avec l'esthétique de
Bresson, qui le place comme moderne, dont la définition, presque humoristique, de la
démarche du cinéaste appartient au deux :
"Compliquer les choses pour rechercher la simplicité n'est pas à la portée de tous."

Ref.A58 -ENTRETIEN AVEC JEAN RENOIR. n° 718, 04-1959.


L'entretien du cinéaste se fait au moment de la sortie du film : Le Testament du Docteur
Cordelier. Projet que Renoir fit pour la R.T.F. (Radio-Télévision de France).

"Que pensez-vous de la séparation de principe qui existe, en France, entre la télévision et le


cinéma? Je trouve que c'est dommage."

Les propos de Renoir viennent corroborer la considération que Godard détient, quant au
rapport entre Vidéo et Cinéma.

38
Ref.A59 -TRUFFAUT REPRÉSENTERA LA FRANCE À CANNES
AVEC LES 400 COUPS. n° 719, 04-1959.
Ce texte constitue l'encart de la première partie du texte qui va suivre en Ref.60. Son
commentaire se trouve en suivant :
Dans cette première partie, il est essentiel de se rappeler de Godard affirmant que le film
est allé représenter la France au festival de Cannes grâce au concours d'André Malraux;
puisqu'à l'époque c'était encore le Quai d'Orsay (Le ministère des Affaires Extérieures)
qui choisissait le film.49

Ref.A60 -LE JEUNE CINÉMA A GAGNÉ, (n° 719, 04-1959)


UNE CERTAINE TENDANCE GODARDIENNE DU CINÉMA FRANCAIS
Texte manifeste capital qui pourrait être considéré comme sa certaine tendance du
cinéma français, et si on fait référence au texte de François Truffaut 50, si important en
son temps, cʼest pour que les films des anciens réalisateurs soient "discrédités, (...) et
laissée vacante une place à toute une génération d'hommes de vingt ans "51.

Le jeune cinéma a gagné une bataille et la guerre n'est pas encore finie dit Godard pour
clore son texte. Cette bataille remportée, ce n'est pas encore le film de Truffaut qui
remportera le mois d'après la Palme d'Or à Cannes puisque nous sommes en Avril, mais
c'est parce que ce sont quinze films issus de la Nouvelle Vague qui ont été sélectionnés
pour représenter la France. Représenter la France par des films, et par un visage,
puisque habituellement Godard procède à l'anthropomorphisme cinématographique. Il
utilise la métaphore que le cinéma français a un visage humain, celui de Léaud dans
LES 400 COUPS, et c'est en cela qu'il dit que le visage du cinéma français a changé, car
avant cela pouvait être plutôt celui de Fernandel ou de Gabin voire Fresnay, tandis que
maintenant :

"Nous avons remporté la victoire. Ce sont nos films qui vont à Cannes prouver que la France a un
joli visage, cinématographiquement parlant. Et l'année prochaine ce sera la même chose n'en
doutez pas!"

Enfin il compare Léaud à Tchen, le héros de LA CONDITION HUMAINE52, où


précisément, le reflet dans les yeux de Léaud devient comparable au reflet du poignard
de Tchen. Tchen qui va tuer et Léaud qui va voler une machine à écrire. Prendre en
exemple ces mauvaises intentions démontre alors l'esprit belliqueux de Godard à se
placer en face du vieux monde et de se tenir prêt à le dépouiller ou l'occire. Le vieux
monde, ici est représenté par les vieux cinéastes, dont Godard va faire la liste sur tout un
paragraphe. C'est en cela que ce texte rejoint aussi celui de Truffaut, car comme lui, il
nomme sans détour ceux qui à ses yeux ne sont pas dignes d'être cinéastes. Pire, à
noter ici que l'adresse aux cinéastes, la technique fausse est indirecte, ce qui prouve qu'il

49
. C'est un élément inconnu pour l'instant, on nous dira peut-être à quel moment Gilles Jacob ne tint plus
compte de l'avis du Ministère, lorsque le premier disparaîtra.
50
. François Truffaut, “Une certaine tendance du cinéma Français“ , Cahiers du Cinéma , n°31, 01/1954,
Paris, Ed. de L'Étoile. p.15/29.
51
. Voir Antoine De Baecque, “Contre la Qualité Française : autour de l'article de François Truffaut”,
Cinémathèque, n°4, Automne 1993, Paris, Ed.Cinémathèque Française. p.45.
52
. André Malraux, La condition Humaine, Paris, Gallimard, 1934.

39
les méprise tant qu'ils ne sont même pas dignes d'être interpelés directement, (allez-leur
dire que...) :

Prenant encore à témoin Malraux, Godard pose les nouvelles conditions d'existence du
cinéma pour le faire entrer dans l'histoire de l'art.
"Accorder plus d'importance à ce qui est devant qu'à la caméra elle-même"

Ce qu'on pouvait croire comme antithétique à la modernité cinématographique telle que


l'avait théorisée Godard, renouant avec le classicisme hégélien et faisant précéder le
fond sur la forme. :

"Pourquoi ?(…) ensuite(…) Comment?(…) Autrement dit le fond précède la forme, la conditionne.
Si le premier est faux, logiquement la seconde sera fausse aussi, c'est-à-dire maladroite."

Mais ce qu'on pourrait croire comme une subjectivité très contestable, Godard exprime
cette volonté de bataille, parce qu'il se sent dans son droit.
Le droit car ce sont ceux qui écrivent aux Cahiers du cinéma ou dans d'autres revues,
qui ont initié la Politique des Auteurs.

"Parce que si votre nom s'étale maintenant comme celui d'une vedette aux frontons des salles
des Champs-Elysées, c'est grâce à nous. (…) Nous qui avons mené en hommage à Louis Delluc,
Roger Leenhardt et André Bazin, le combat de l'auteur du film."

Et le grief principal de cette trahison des cinéastes nouvellement promus comme auteurs
et entrant ainsi dans l'histoire de l'art,

"C'est de n'avoir pas su filmer (…) les choses telles qu'elles sont."

Autrement dit de n'avoir pas compris la leçon de Rossellini.

Ref.A61 -GENTILLET (Blake Edwards, VACANCES À PARIS).


n° 719, 04-1959.
Notule de VACANCE À PARIS, où Godard, en conséquence des deux films précédents
réalisés, mais aussi en conséquence de la logique de la Politique des Auteurs, regrette
que Blake Edwards n'ait pas écrit le scénario de son film et constate à l'instar du principe
de Lang53, qu'il y a une idée par plan dans le film. Travail qui malgré les défauts le rend
gentillet.

Ref.A62* -CONTE DIABOLIQUE (Claude Bernard-Aubert, LES TRIPES AU SOLEIL).


n° 722, 05-1959.
Notule pour le film LES TRIPES AU SOLEIL, qui malgré son titre tapageur trouve
quelques charmes aux yeux de notre critique. Godard lui "offre" alors quelques
comparaisons théâtrales et littéraires dont la plus cocasse semble être :

53
. "Le bébé et le dinosaure", (1963), Documentaire réalisé par André S. Labarthe (Discussion entre JLG et
F.Lang au moment du tournage du Mépris).

40
"Les tripes ressemble un peu à une pièce de Beckett dialoguée par Ionesco sous le pseudonyme
de Frédéric Dard."

Ref.A63* -FAUSSE MONNAIE (Jean-Pierre Mocky, LES DRAGUEURS)


n° 722, 05-1959.
Godard effectue une critique du film qui ne semble plus être fidèle à l'esprit avec lequel il
avait, quelques semaines auparavant, esquissé le portrait du jeune auteur-réalisateur-
producteur54.
Profitant d'opposer Mocky contre Duvivier par film interposés, LES DRAGUEURS aussi
bien que MARIE-OCTOBRE, il trouve l'occasion de refaire le procès de l'Ancien contre le
Nouveau. La confrontation des films, une fois les sujets connus, laisse planer une douce
ironie, puisque selon les synopsis : conter l'histoire de deux jeunes garçons qui passent
le plus clair de leur temps à ne vouloir obtenir que le meilleur des jeunes filles, serait
aussi bien que de raconter une sombre et sérieuse histoire au passé de résistant, avec
une femme seule face à six hommes. La volonté de choquer et de provoquer est
flagrante puisque face à la grandeur, à l'emphase respectueuse qu'a Duvivier du passé,
de la résistance et de la guerre, Godard invite avec Mocky à être aussi bien folâtre, léger,
insouciant et ne penser qu'au présent.
Mais après le aussi bien, la suite indique une étape supplémentaire dans l'appréhension
du film de Mocky par rapport à celui de Duvivier : il s'agit du en mieux, mais avec une
certaine ambiguïté, que prévoyait lʼintitulé de l'article (FAUSSE MONNAIE), révélant à
l'issue de la conclusion, l'avis que porte Godard sur le film :

"LES DRAGUEURS c'est du Duvivier en mieux, du Autant-Lara en mieux, mais c'est quand même
du Duvivier ou du Autant-Lara."

Godard s'explique sur son jugement, en citant André Malraux et une de ses définitions de
l'œuvre d'art, venant contredire alors son début d'article et dont la reprise de ce en
mieux, provenait justement de l'historien :

"un chef d'œuvre, ce n'est pas un navet en mieux, Victor Hugo n'est pas Richepin en mieux"55

Au tour de Godard, de commenter et de "traduire" en termes de cinéma pour conclure ce


que vaut réellement LES DRAGUEURS :

"LES 400 COUPS ce n'est pas CHIEN PERDU SANS COLLIER en mieux. Et dans la mesure où
précisément les films de Fellini ne sont pas des chefs d'œuvres, je dirai que LES DRAGUEURS
c'est LES VITELLONI ou IL BIDONE en moins bien."

On dégringole du en mieux, on ne passe même plus par "la case départ" d'un aussi bien
encore acceptable, on tombe au en moins bien. Comme si ce nouvel avis s'était renforcé
pendant l'écriture même, la faute revenant directement à Mocky, qui, selon JLG, a

54
. Ref.42 et Ref.43.
55
. A noter le cas extrêmement rare pour JLG : il donne la source de la citation, il s'agit dans le film de
Léonard Kiegel, du discours du Vel d'Hiv lors de la conférence internationale des écrivains (1936).

41
commis une erreur de production. Qu'il explique par le fait que le film subit deux
influences contradictoires sans oser résoudre l'une d'entre elles.
Le film oscille entre deux tendances, Godard les désigne à son habitude par deux
emblèmes filmiques : une tendance technique de reportage, c'est BLUE-JEANS de
Jacques Rozier56 et une tendance fiction-studio et c'est NUITS BLANCHES de Luchino
Visconti57.
Et par le manque de moyen, ne pouvant réussir totalement dans l'artifice,

"Quand on a peu d'argent, on tâche de se rattraper sur la sincérité. (…) film qui souffre de la
sincérité du départ et la falsification de l'arrivée."

Et le plus terrible réside dans l'adoption formelle de son article qui vient justifier son
verdict sur le film : la sincérité du départ dans le aussi bien voire le en mieux dans lequel
on croyait que l'avis allait nous emmener et qui dévie, une sincérité se falsifie par l'apport
d'une conception fournie par une personne extérieure (Malraux) devenant alors en moins
bien.

Ref.A64 -SAINTE SIMPLICITÉ (Jacques Baratier, GOHA). n° 723, 05-1959.


Au contraire du film de Mocky dont nous venons de voir la critique, le film de Baratier,
GOHA, possède pour Godard, une sincérité. Mais cette sincérité qui se "répand" jusqu'au
dispositif formel, le film maladroit, cette absence de virtuosité technique a, pour Godard,
un avantage :

"cette gaucherie n'est pas signe d'incompétence mais de pudeur."

Il comparera ensuite sa technique avec celle de l'alchimiste :

"D'où la gaucherie de ses plans fixes qui cherche à fixer la simplicité les yeux dans les yeux, et,
par conséquent, à fixer la poésie qui se précipite vers l'obturateur, tout comme l'alchimiste fixe
une substance entre deux plaques de verre. (…) Erreur de Baratier de nous offrir non GOHA mais
un documentaire sur GOHA. Heureusement pour lui et pour nous, c'est une erreur séduisante."

Baratier ayant opté pour la technique documentaire, compense la maladresse des


débutants et le manque d'argent de la production.

Ref.A65* -17 JEUNES METTEURS EN SCÈNE DONNENT LEUR MOT DE


PASSE.
n° 724, 05-1959.
Godard participe à cette table ronde parmi lesquels on retrouve Baratier, Hossein,
Truffaut, Doniol-Valcroze, Marcel Camus, Franju, Louis Malle.
Le seul moment où Godard parle, c'est pour affirmer qu'il dira la vérité sur un film d'un
ami, même si le film est mauvais.

56
. Jacques Rozier, BLUE JEANS, 1959.
57
. Luchino Visconti, LE NOTTI BIANCHE (Nuits blanches), 1957.

42
5/ CAHIERS DU CINÉMA [2ème Partie :1956-1963] : le métier de
critique
Nous allons aborder maintenant la deuxième partie de la collaboration de Godard aux
Cahiers. Évidemment lʼannée de son retour (1956) ne correspond pas
chronologiquement à la fin de sa participation à Arts (1959). Aussi, le présent
déroulement des références va “ reculer ” de quelques années. On va se rendre compte
également que lʼactivité filmique a débuté, car les articles vont être imprimés avec une
fréquence moins soutenue. Pourtant même si lʼon est loin des premiers articles
théoriques de “ fond ” des débuts, certaines références restent importantes sinon
fondatrices de la constitution de la pensée godardienne.

Ref.66 - MIRLIFLORES ET BÉCASSINES


(Franck Tashlin :
- THE LIEUTENANT WORE SKIRTS, [CHÉRI NE FAIT PAS LE ZOUAVE],
- ARTISTS AND MODELS, [ARTISTES ET MODÈLES]),
n°62. 08/09/1956.p.47

“LE BONHEUR N'EST PAS GAI” DE SCHNITZLER


Article vantant les mérites de Tashlin sur deux films qu'il a réalisés. En le comparant
avec Wilder (revu pour l'occasion à la baisse) il exporte, à son habitude, deux
comparaisons de la littérature française et élabore le processus du rire du spectateur
pour aboutir à la notion de la bêtise chez Flaubert :

"CHÉRI NE FAIS PAS LE ZOUAVE dans le style du Voltaire de CANDIDE […] nous conte les
mésaventures d'un couple idiot […] Pas de film plus désolant, plus atroce d'humour, plus
saumâtre, où la richesse d'invention aggrave chaque seconde la pauvreté des situations, où le
spectateur mal à l'aise rit d'abord d'un rire forcé, en éprouve de la honte, rit à nouveau
mécaniquement, pris dans un impitoyable engrenage de stupidités, et finit par s'esclaffer parce
que ce n'est pas drôle. Bref, un sommet de la bêtise, mais un sommet au même titre que Bouvard
et Pécuchet."

Entre-Temps il a cité également Ophuls avec une phrase qu'il reprendra par la suite dans
les HdC, dans le premier chapitre58, au moment du récit de la mésaventure qu'il a vécue
avec Madeleine Ozeray.
“Le bonheur n'est pas gai“ : cette ligne de dialogue tirée du PLAISIR59 . Godard, ne
s'arrêtant jamais à la stricte citation, reprendra cette phrase pour en opposer les deux
termes :

"Le bonheur n'est pas gai, dit Max Ophuls, parce que la gaieté est le contraire du bonheur,
surenchérit Frank Tashlin."

58
. HdC 1a. toutes les histoires pp.72-73.
59
. Max Ophuls, LE PLAISIR, 1952.

43
Ref.67 -LE CHEMIN DES ÉCOLIERS
(Alfred Hitchcock, THE MAN WHO KNEW TOO MUCH,[L'HOMME QUI EN SAVAIT TROP]).
n°64. 11/1956. p.40
Cette critique moyenne du film d'Hitchcock qui, selon Godard, scandalisa Rohmer,
convaincu qu'elle avait été écrite "par-dessus la jambe"60. Ce résumé assez tenu du récit
et en rapport avec les films précédents par liens de personnages, ne manifeste pas une
grande variété de réflexions. Seule, peut-être par la définition du suspense qui est un
vide qu'il faut combler par des à-côtés, et avec pour seul motif la direction des acteurs et
la direction de leurs regards puisque le découpage leur est lié. Puis Godard prend
l'habitude d'affubler le film de notions psychologiques, ainsi il est comme les précédents,
sans indulgence.

Ref.68 -MONTAGE MON BEAU SOUCI. n°65. 12/1956. p.30


LE SOUFFLE DE LA VIE FACE AU REGARD DU MONTAGE ABSENT
Cet article est d'une certaine manière la suite de Défense et illustration du découpage
classique, Il permet avant même que Godard passe à la réalisation61, de concevoir ce
que peut être sa mise en scène. Mais ce ne sont pas des conceptions théoriques a priori
de la création, où le passage à la réalisation viendrait confirmer le travail d'idées
préalables. Chez Godard, pas d'idées a priori, mais plutôt l'idée d'écrire sur le cinéma et
même écrire des idées sur le cinéma, qui est déjà une réalité de sa production, produire
de l'écriture de cinéma, pour reprendre son expression, et aussi: Écrire, c'est faire des
films 62, confiait-il à Alain Bergala au moment de la présentation de la deuxième édition
de Godard par Godard en 1984. C'est le principe que l'écriture n'est plus préalable à
l'expérience, mais constitue une expérience de cinéma à elle seule et à l'instar de
Dreyer, Godard se considérera lui-même comme un artisan, qui tout en travaillant se fait
aussi ses idées sur la question 63. Pour continuer cette défense où le travail critique est
inclus dans la production du cinéma, dans le même entretien, il décrit Bazin comme
cinéaste, cinéaste qui ne faisait pas de films, mais qui faisait du cinéma en en parlant,
comme un colporteur. On retrouvera dans les HdC, que le colporteur aussi est une figure
importante puisquʼelle sera le sujet de l'emprunt au texte de Ramuz.

MISE EN SCÈNE ET MONTAGE SONT DE MEME NATURE


L'article Défense et illustration du découpage classique64 proposait une nouvelle
possibilité de concevoir le film et son histoire, par l'incorporation de l'acteur dans le film et
du rapport physique qui s'installerait aussi entre le spectateur et l'acteur, et dont le film,
placé entre les deux se proposant comme un prolongement simultané des deux ; ce
rapport physique qui n'échappera pas à la connotation sexuelle; ici est une prolongation

60
. Jean-Luc Godard, Alain Bergala “L'art à partir de la vie”, entretien, Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard
, [volume.1], Paris, Editions de l'Étoile. 2ème Ed.1998, p.10 :
"Je me souviens d'avoir écrit un article sur L'Homme qui en savait trop, deuxième version, dont Schérer était
furieux. Pour lui c'était baclé, fait par dessus la jambe." (Maurice Schérer étant le vrai nom d'Eric Rohmer).
61
. En Décembre 1956, Godard n'avait fait que son documentaire OPÉRATION BÉTON (1954) et avait
participé en tant que comédien au tournage de QUADRILLE de Jacques Rivette.
62
. Ref.176a.Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard , [volume.1], Paris, Editions de l'Étoile. 2ème Ed.1998,
p.10. “L'art à partir de la vie”, entretien avec Jean-Luc Godard par Alain Bergala : " […] j'écrivais aussi des
critiques plus subjectives dans lesquelles je faisais mes débuts de produire de l'écriture de cinéma. Écrire
c'est faire des films."
63
. Car Th. Dreyer, Réflexions sur mon métier, Paris, Editions de l'Étoile, 1986. p.37.
64
. Ref.20

44
de la présentation d'un concept : le montage. Premièrement il n'y a pas de séparation
véritable entre l'acte de la mise en scène et celui du montage :

"Le montage est avant tout le fin mot de la mise en scène."

Ensuite le montage également offre la possibilité d'être une variante physique liée au
corps du cinéaste autant que celui du spectateur :

"Si mettre en scène est un regard, monter est un battement de cœur. Prévoir est le propre des
deux ; mais ce que l'un cherche à prévoir dans l'espace, l'autre le cherche dans le temps"

LA PRÉVISION :
DÉPASSEMENT DANS LA NATURE DE L'IMPLICATION MATÉRIELLE DU
CINÉASTE
De cette implication physique, Godard propose le montage comme attenant à la mise en
scène et de cette implication en conçoit son propre dépassement de la matière par la
révélation de leur essence. Pour le cinéaste, cʼest l'impossibilité physique de voir par
avance ce qui peut se dérouler, si son acte consiste à établir une prévision du film.

Nous pouvons par cette affirmation poser ce premier jalon : la mise en scène de Godard,
dans l'entreprise de sa définition comprise comme part entière de la production, peut
conduire à un dépassement physique de la vision : prévoir. Et l'on peut affirmer que le
mouvement d'un au-delà de la perception physique est constitutive des fondements
d'une métaphysique. Issue de la matière même de sa nature, cette conception
métaphysique du cinéma est liée à l'immanence de son matérialisme.

Ref.69 -LES DIX MEILLEURS FILMS DE 1956. n°67. 12/1956. p.3

1-DOSSIER SECRET- Orson Welles


2-ELENA ET LES HOMMES-Jean Renoir
3-L'HOMME QUI EN SAVAIT TROP-Alfred Hitchcock
4-BUS STOP-Joshua Logan
5-DEUX ROUQUINES DANS LA BAGARRE-Allan Dwan
6-FIÈVRE SUR ANATAHAN-Josef Von Sternberg
7-UN CONDAMNÉ A MORT S'EST ÉCHAPPÉ-Robert Bresson
8-LA PEUR-Roberto Rossellini
9-LA CROISÉE DES DESTINS-George Cukor
10-MA SŒUR EST DU TONNERRE-Richard Quine

Ref.70 - FUTUR, PRÉSENT, PASSÉ


(Abel Gance & Nelly Kaplan, MAGIRAMA). n°67. 01/1957. p.50
Alors que précédemment on avait une volonté d'appropriation des implications physiques
dans un milieu qui a priori n'était pas en mesure de pouvoir le recevoir, ici, c'est une
donnée inverse qui se produit. Godard au détour d'une expression associe plusieurs
personnes sur un registre mathématique.

45
"Mais si on accepte une seconde la comparaison Mozart-Nelly Kaplan admise par Abel Gance en
guise d'axiome, il suffira d'écouter la sonate K1 pour mesurer combien sont exagérées les
louanges prodiguées par le metteur en scène de La FIN DU MONDE à sa disciple […]"

C'est par une nouvelle approche axiomatique qu'un individu admet une combinaison.
Dans la suite de son article qui vise à exprimer les effets autrefois novateurs de la
polyvision et de son obsolescence présente, Godard propose la figure de style de la
polyvision dans un autre film, celui de Nicholas Ray en l'occurrence, pour démontrer son
propos. Aussi cet article inaugure un procédé que Godard adoptera souvent dans ses
films.

Ref.71 -RIEN QUE LE CINÉMA


(Nicholas Ray, HOT BLOOD [ARDENTE GITANE]).
n°68. 02/1957. p.42

C'est un des articles célèbres de Godard grâce à son introduction lyrique qui produit sous
forme d'une ode, une liste des plus grands cinéastes, telle une parade. Célèbre car la
singularité du choix de Godard adopte le ton de l'universalité. La condition que le cinéma
peut disparaître est déjà provocante; car à partir de la conception de sa disparition cela
signifie également que le cinéma, est doté d'une existence; la considération de porter
l'existence au cinéma a des conséquences métaphysiques. La conséquence la plus
immédiate dans cet article c'est d'inclure dans le cycle de l'existence, son achèvement.
Et même davantage, puisque c'est par la connaissance de son achèvement que nous
apprenons à seulement concevoir son existence.
L'ABSENCE EST SUPÉRIEURE À LA PRÉSENCE
DANS LA FONCTION DU CINÉMA QUI S'ACHÈVE
Aussi cet axiome sur le cinéma, Godard va jusqu'à l'effectuer sur des cinéastes en
particulier, introduire une liste et leur proposer une reconversion vers un nouveau métier,
au moment même de l'achèvement du cinéma, au moment où le cinéma n'existait plus.
On remarquera que c'est donc à partir du même dispositif de la connaissance de
lʼabsence (là le cinéma, ici une fonction) que Godard confère, par constatation de
l'absence de la fonction, une supériorité de fait. L'absence de nouvelle fonction chez Ray
possède par cette limite paradoxale une valeur supérieure face aux autres qui en sont
dotées. C'est la justification du titre, Rien que le cinéma, où aucune nouvelle
fréquentation extérieure ne conduit le cinéma à sa pureté. Toute problématique se pose
lorsqu'il s'agit de penser à sa reproduction, alors Godard restreindra à la fin son sujet en
affirmant sans le dire : rien que …n'est pas tout le … .
LA SUBJECTIVITÉ DE LA SELECTION COMME RÈGLE
Puis à partir de cet article il propose une liste de cinéastes dont la sûreté du ton,
l'affirmation en suggèrent l'importance historique. L'affirmation de cette sélection s'intègre
donc subjectivement avec un propos qui se donne pourtant comme général. Ce n'est pas
tant le lyrisme mais l'affirmation du sujet qui devient valeur sélective. Autrement dit, la
subjectivation peut représenter la règle. Quel cinéaste garde-t-il ? Et quelles sont leurs
fonctions de reclassement ?

46
John FORD : Amiral
Robert ALDRICH : Wall Street
Anthony MANN : sur les traces de Belliou la Fumée
Raoul WALSH : Pirate

Insistant encore une fois sur l'égalité du traitement par le cinéaste entre écrire et filmer
en vue du processus de production du cinéma, où Ray a filmé automatiquement comme
l'écriture automatique des anciens surréalistes.

Ref.72 -AU PETIT TROT


(Norbert Carbonnaux, COURTE TETE). n°70. 04/1957.p.50
Article où Godard, dans sa quête dʼétudier les comédiens, opère l'identification à la figure
du producteur. Identification telle, qu'il avouera vers la fin de la critique, son désir, et jeu
hitchcockien, son désir de confondre le réalisateur avec du bétail où dans cet article-ci,
on parie sur le comédien comme sur un cheval.

"Norbert Carbonnaux n'est pas gêné le moins du monde de devoir employer — producteur oblige
— des acteurs aussi définitivement typés que Darry Cowl, de Funès […] Si j'étais producteur je
prendrais du Carbonnaux à trois contre un."

Ref.73 -60 METTEURS EN SCÈNE FRANÇAIS


(BRESSON, CARBONNAUX, LEENHARDT, TATI).
n°71. 08/1957.p.47
ROBERT BRESSON
Petit portrait dont la majeure partie consiste en des propos rapportés du cinéaste qui,
comparé à Mozart, offre à Godard un nouveau principe d'implication physique : Bresson
en tant que cinéaste est l'incarnation du cinéma français.
"Il est le cinéma français comme Dostoïevski le roman russe."
Une nouvelle fois Godard a besoin du jeu des correspondances des arts avec le cinéma,
et par cet exemple il assume le concept politique bazinien du cinéma impur65.
NORBERT CARBONN(E)AUX
Remarque sur l'apparition de la parenthèse à l'intérieur d'un mot qui signifie pour Godard
le changement et donc aucune priorité sur les deux lectures possibles qu'effectue la
parenthèse.
ROGER LEENHARDT
Portrait en quatre phrases. Godard souligne une différence fondamentale entre les
propos de Leenhardt et ses actions. Mais à l'inverse il s'agit pour Godard d'une
conséquence où Leenhardt y voit une différence.
JACQUES TATI
Portrait de Tati comme Initiateur de néo-réalisme français.

65
. André Bazin, “Pour un cinéma impur : Défense de l'adaptation”, Qu'est-ce que le cinéma ?, Paris, Cerf,
1959. p.27 : Charlie Chaplin est le Molière du cinéma. En vérité, il n'y a point (entre les Arts de concurrence
et substitution, mais adjonction d'une dimension nouvelle.[…] celle du public".

47
Ref.74 -LE CINÉMA ET SON DOUBLE
(Alfred Hitchcock, THE WRONG MAN [LE FAUX COUPABLE]).
n°72. 06/1957.p.35
"Le découpage retrouve ici sans difficulté ce naturel dans l'invention qui fait le prix de tous les
Griffith. Le banal procédé du champ-contrechamp reprend en conclusion son efficacité première
grâce à la "vérité" des prémisses de l'argument."

"Les données immédiates de la conscience, Alfred Hitchcock, une fois de plus prouve que le
cinéma, mieux que la philosophie et le roman, est aujourd'hui capable de les montrer."

Godard nous décompose précisément le système esthétique d'Hitchcock :


Le conditionnement des changements de plans est opéré par les mouvements de
regards. Quelques gros plans rapides peuvent être en équivalence à un plan d'ensemble.
Des séries simples de champs-contrechamps subjectifs sont capables de démontrer les
données immédiates de la conscience.
L'INVENTION DE PRINCIPES D'EFFETS ÉPIDERMIQUES
Par les raccords de séquence, et les enchaînements, le cinéaste analyse les
sentiments, des impressions subjectives d'ordre mineur. Puis lʼévènement peut-être le
plus important est l'invention de quelques principes qui régissent l'équivalence entre la
caméra et le corps de acteurs, dans leurs espaces, dans leur mouvements.

"Par ce mouvement de caméra, il parvient ici à rendre sensible un trait purement physique."

Dans ce que Godard nomme imagination sensorielle, nous réalisons un vertigineux


kaléidoscope d'abstractions dues aux mouvements giratoires de l'appareil : des zones
autour du visage filmé, de plus en plus rapide. Cela décrit la sensation physique dʼun
personnage que les spectateurs, par phénomène introjectif, représentent.
Ces effets, que Godard qualifie justement d'un adjectif en rapport avec la corporalité
filmique, sont des sortes d'effets épidermiques. La suite de l'article continue dans cette
fausse confusion, collusion du monde physique humain avec le monde physique
filmique. Aussi ces effets non-narratifs qui relèguent à l'arrière plan la trame de l'intrigue, sont
selon lui des notations néo-réalistes :

"Elles sont autant de précipités, d'un corps dont le caractère, pour paraphraser La Bruyère, se
révèle une fois jeté dans le bain du monde."

On voit qu'une fois de plus le jeu de mot de Godard est judicieux. Il joue avec justesse
sur la polysémie du mot corps, puisque précipités d'un corps fait appel à un terme
chimique, alors que depuis le début nous sommes sur l'organisation hitchcockienne
d'une direction de la mémoire sensorielle du spectateur, par suggestion.
Rappelons le processus dʼintrojection : un phénomène d'intellection spectatorielle fait
correspondre dans un système d'équivalences, déjà établi consciemment ou pas, les
réactions physiques et implications psychologiques avec les évènements visuels qui ont
pour base fondatrice les mouvements de caméra, les changements de plans et aussi
bien sûr, la vie filmique des acteurs qui, par principe hétérologique, fonctionne comme
nous-même et autrement.

48
JUSTIFICATION DU TITRE : LE CINÉMA ET SON DOUBLE
Ce rappel est fait pour démontrer aussi l'évidence du titre de l'article de Godard "Le
cinéma et son double". Jouant avec le sujet même du film 66, cet intitulé se veut
également un commentaire plus souverain de certains principes du dédoublement
cinématographique mis en œuvre par Hitchcock. Le cinéma a son double au niveau des
situations narratives (tout arrive deux fois), mais le plus important, c'est le double comme
affirmation de l'expérimentation formelle :

"une trouvaille technique est vaine si elle ne se double pas d'une conquête au creuset de qui elle
formera son moulage, qui a nom style. Et à la question qu'est-ce que l'art ? Malraux a déjà
précisément répondu : ce par quoi les formes deviennent style."

Le double du cinéma est donc la métamorphose des éléments de vie devenus art,
passant par le film et ne pouvant exister à la condition du regard d'un spectateur.

Ref.75 -DES ÉPREUVES SUFFISANTES


(Roger Vadim, SAIT-ON JAMAIS ). n°73. 07/1957.p.35
Vadim comme le meilleur des cinéastes français du moment s'établit en une possibilité
mathématique. Le jeu de langage, l'expression du théorème peuvent être pris au sérieux.
Prendre au sérieux l'action d'inclure une idée géométrique dans une critique est la
frontière d'argumenter avec logique. Le théorème est un processus logique, et une
tentative d'orienter vers l'abstraction la pensée humaine.
L'article prend la défense de Vadim en développant la démonstration en vue de la
vérification du théorème. Le théorème, par le scénario et sa mise en scène, s'ordonne
comme suit : où ce sont les idées dramatiques qui lui donnent des idées de plan et non
l'inverse, ce que Godard semblait reprocher anonymement aux cinéastes débutants
avec derrière eux "cinq ans de cinémathèque".
Souligne que l'arbitraire a posteriori peut offrir une violente beauté qui rachète le parti
pris. Il finira sa démonstration avec la preuve par la photographie, qui veut que tout chef
opérateur français devient bon uniquement avec un bon metteur en scène.

Ref.76 -HOLLYWOOD OU MOURIR


(Franck TASHLIN, HOLLYWOOD OR BUST, [UN VRAI CINGLÉ DE CINÉMA]).
n°73. 08/1957.p.44
INTERPELLATION DE SADOUL : PREMIERS SIGNES DU DEVENIR HISTORIEN
Nouvelle occasion pour Godard, dans cette critique de Tashlin, de nommer Georges
Sadoul son confrère. Des chroniques cinéma dans Les Lettres Françaises rédigées par
Sadoul laisseraient supposer que cette confrérie dont il parle serait celle des journalistes;
assurément mais sous cette réalité, on comprend aussi l'ambition de Godard qui se
manifeste dans son intérêt pour l'histoire et les reproches qu'il lui fait, comme de ne plus
voir les évolutions de la comédie américaine comme garante de l'évolution de la
modernité.

"Le tort de mon confrère est de prendre un peu trop vite une porte fermée pour une porte fermée."

66
. Puisque le personnage masculin principal du film Manny Balestrero (Joué par Henry Fonda) est victime
d'une erreur judiciaire basé sur la confusion d'un témoin qui le confond avec un sosie, un double.

49
Cette remarque en plus de sa dureté par l'image qu'elle dresse, fait signifier que Sadoul
ne distingue plus les évidences et qu'il confond le même jusqu'à le prendre pour son
contraire. La méprise est donc à son maximum.
La deuxième remarque de cet article est la conception de la modernité chez Godard, qui
s'apparente une nouvelle fois aux conceptions du temps romantique, tel que Vico aussi
l'avait formulée67.

"A dire vrai d'ailleurs, le cinéma est trop résolument moderne pour qu'il puisse même être
question, pour lui, d'une voie à suivre autre que celle d'un débouché, d'une inauguration
esthétique perpétuelle. Son destin historique diffère d'autant plus fortement de celui du théâtre ou
du roman qu'il en est l'exact contraire.[… ] Ces films ont bel et bien ouvert définitivement de
nouveaux horizons. "

Le film serait donc doté d'un destin historique et nous retiendrons la formule séduisante
de l'inauguration esthétique perpétuelle qui fait écho au concept du temps chez
Klossowski et auquel le cinéma chez Godard est en partie lié, tel que la répétition d'un
acte pour pouvoir s'en échapper au motif juste que l'histoire ne se répète pas et l'on
aurait tort de croire le lieu commun d'une conception (en surface) de l'éternel retour, telle
que Vico puis Nietzsche l'ont développée et telle que Klossowski l'aurait présentée.

Ref.77 -PHOTO D'AOUT SEPTEMBRE


(Franck TASHLIN, WILL SUCCESS SPOIL ROCK HUNTER? [LE DIABLE DANS LA POCHE]).
n°74. 08/09/1957.p.42

INVERSIONS DES SITUATIONS


Le commentaire de la photo est motif pour Godard de démontrer que Tashlin est
exemplaire car il considère que la création est affaire d'opération d'inversion lorsqu'elle
est rivée au sens commun; Ainsi où l'on voit Jane Mansfield nue dans une grande
baignoire avec l'équipe du film habillée tout autour. Plusieurs allusions de cette situation
déclenchent paradoxalement (intimité du bain, elle lit un livre // l'entassement de l'équipe
sur le bord en arrière fond). D'abord le sérieux opposé à la comédie au stade de la
réalisation. Godard précise aussi que la déperdition constante du nombre de gags dans
les films de Tashlin (qui l'affirme lui-même) est équivalente proportionnellement au gain
de la qualité du film. Autre sujet d'inversion des proportions : les fonctions cumulées de
l'homme (scénariste, réalisateur, producteur) sont un facteur de joie mais dans l'ordre
inverse conçu ordinairement par Hollywood (eux se satisfont d'abord des résultats de
productions avant dʼen apprécier les qualités de l'écriture).

LE FILM COMME PIERRE DE TOUCHE DU RAPPORT CINÉASTE - SPECTATEUR.


Aussi ce qui peut paraître comme un esprit de contradiction superficiel est en réalité une
position adoptée par Godard pour parfaire son système où les transferts, les liaisons
entre lui, réalisateur et le spectateur entrent dans un espace où les équivalences
proportionnées inversées peuvent évoquer le miroir, avec le film comme surface
d'entente.

67
. Gian Batista Vico, Principes de sciences nouvelles (1640), trad. Bernard Guillemain, Ed. P.U.F, 1950.

50
Ref.78 -LE CINÉASTE BIEN AIMÉ
(Nicholas RAY, THE TRUE STORY OF JESSE JAMES, [LE BRIGAND BIEN-AIIMÉ]).
n°74 . 08/1958.p.51
La critique du film de Nicholas Ray dont l'argument principal consiste à démontrer que
ses recherches biographiques des Frères James et son titre revendicatif (The True Story
of...) n'ont su créer qu'une sorte de quiproquo avec le public, qui se sera peu déplacé. La
critique se fera surtout du point de vue de la production...

"(...) mais certes pas du point de vue de la réalisation dont chaque plan porte l'empreinte
indélébile du plus étrangement moderne des cinéastes."

Godard démontre que la nature du cadrage comporte une implication morale :

"En quoi reconnaissez-nous un film signé Nicholas Ray? Par les cadrages d'abord, qui savent
enserrer un acteur sans jamais l'étouffer, et qui en quelque sorte savent rendre tangibles et claires
des notions aussi abstraites que celles de Liberté et Destin."

LA MÉTAMORPHOSE INTERPRÉTATIVE
Aussi Godard admet que la métamorphose soit possible lorsqu'un mouvement de
caméra devient une sensation ou même une notion intelligible. Cette transformation est
possible parce que du film, elle est passée entre-temps par la subjectivité, par le regard
du spectateur qui va concevoir cette notion aussi abstraite puisse-t-elle être. C'est même
possible que ce soit lui qui amplifie, voire initie, cette abstraction sous l'indice d'une
action réservée à celui-ci, l'interprétation. Dans le trajet du film, son parcours où il subira
le processus de la subjectivation. Ironie, pour finir Godard nous explique que ce
processus est lui-même dans un circuit où le fait de faire la critique ou de faire un film en
conséquence de ce qui a été déjà fait est la suite de ce parcours; la subjectivation du film
serait alors un évènement inclus dans un cercle vicieux 68 et réfléchissant aussi la
conscience de l'auteur, l'amplifiant. Godard ne dit pas autre chose quand il conclue :
"Nick Ray peut sans fausse modestie, aller dans un cinéma voir ce film qu'il renie."

Ref.79 -SIGNAL
(Samuel Fuller, FORTY GUNS, [QUARANTE TUEURS]).
n°76. 11/1957.p.41
Descriptions de trois moments de cinéma effectués par le film de Fuller. Aussi une
séquence qui évoque Murnau à l'esprit de Godard et une histoire de corps amoureux qui
tombent.

Ref.80* -LA PHOTO DU MOIS


(Joshua Logan, SOUTH PACIFIC, [PACIFIQUE SUD]).
n°76. 11/1957.p.43
Commentaire très succinct sur le prochain film de Logan, dont un extrait des paroles de
l'ouverture du film car c'est une Comédie musicale.

68
. Pierre Klossowski, Nietzsche et le cercle vicieux, Paris, Mercure de France, 1969. p177.
Ce principe du cercle vicieux est développé pour le cinéma lorsqu'il s'agit de la conception de l'histoire, selon
Nietzsche et commentée par Klossowski.

51
Ref.81 -LA NUIT DU CARREFOUR
(Jean Renoir, LA NUIT DU CARREFOUR ).
n°78. 12/1957.p.67
Notule qui permet de concevoir quelle est la définition godardienne du mystère puisque
pour lui, La NUIT DU CARREFOUR est le film le plus mystérieux de Renoir. Le mystère
ici est présent par omission :

"Mystère peut-être involontaire puisque Jean Mitry égara trois bobines à la fin du tournage et que
le montage dut se faire sans elles."

Ensuite le texte continue sur une théorisation sous forme d'équation humaine que
Godard propose comme il l'avait déjà fait auparavant l'équation Simenon :
Simenon = Dostoïevski (personnages) + Balzac (décors) et dans ce déroulement
mathématique Godard rajoute une condition importante. L'équation doit être issue de
l'observation subjective du spectateur, pour qu'elle puisse s'avérer vraie, et doit être prise
en compte par le cinéaste lui-même :

"Oui, mais La Nuit du carrefour prouve que cette équation n'est vraie que si et parce que Renoir la
vérifie."

Puis comme toute équation dotée d'une inconnue c'est qu'elle a la possibilité de se
vérifier ailleurs, avec un autre film, aussi Godard propose de visionner Trois Chambres à
Manhattan.

Ref.82 -SWAMP WATER


(Jean Renoir, SWAMP WATER, [L'ÉTANG TRAGIQUE]).
n°78. 12/1957.p.68

DE LA DESTRUCTION
Utilisation de la phrase célèbre d'André Malraux "Le génie naît comme l'incendie. De ce
qu'il brûle."
Expliquant par cette sentence, que le mauvais accueil public des films de Renoir
s'explique parce qu'il détruit ce qu'il entreprend. C'est le décalage entre l'admiration des
spectateurs des "échafaudages" et l'avance de Renoir, qui lui, se renouvelle par la
destruction.
"Il détruit déjà, alors que l'on admire encore la témérité de l'échafaudage."

Ref.83 -ÉLÉNA ET LES HOMMES


(Jean Renoir, ÉLÉNA ET LES HOMMES).
n°78. 12/1957.p.69
LE STYLE DIAGRAMMATIQUE
L'article commence sur un ton patriotique un peu inhabituel décrivant Renoir "français
jusqu'au bout des ongles" et jouant sur l'affirmation conditionnelle "si c'est un film
français par excellence c'est parce qu'il est le plus intelligent du monde". Mais c'est avant
tout la structure de ce qui suit qui retient l'attention :

"L'art en même temps que la théorie de l'art. La beauté en même temps que le secret de la
beauté. Le cinéma en même temps que l'explication du cinéma."

52
L'acte de répétition sur lequel se base Godard évoque évidemment une répétition
poétique, mais on ne peut pas se contenter de cette indication; à ce niveau cela
engendrerait une réflexion du type "produire de l'art pour l'art"; ce quoi devant le cinéma
Godard fait de la poésie. Non c'est autre chose, c'est aussi une interprétation
philosophique de la répétition qui est possible. On peut même affirmer qu'il est
emblématique du style de Godard, on retrouvera souvent dans ses textes et les voix off
de ses films cette fonction de séparation. La fonction de séparer le sujet, des actions de
principe qui le constituent comme sujet, est une fonction de division qui permet de
révéler, non sa nature dialectique, car les deux groupes ne sont pas fondamentalement
opposés, mais une construction géométrique même s'il passe par les mots.

groupe 1 : Sujet groupe 2 : Principes

Français par excellence — le plus intelligent du monde


L'art — la théorie de l'art
La Beauté — le secret de la beauté
le cinéma — l'explication du cinéma

Le diagramme ci-dessus peut se conceptualiser. Se concevoir d'abord comme produit


par l'homme (Godard), produit qui, de par sa nature non naturelle, non hasardeuse, se
désigne comme artistique69.
L'association des mots se fait avec le terme en même temps et donc par une même
mesure, une même modalité temporaire, Godard propose un système de combinaison
selon plusieurs lectures : horizontale ou verticale. On répertoriera logiquement le premier
groupe comme un groupe de sujets (art, beauté, cinéma). Plus intéressant est celui des
principes 70, les actions du sujet auxquelles elles sont attachées temporairement dans la
simultanéité (théorie, secret, explication). Ce dernier viendra aider quant à la possibilité
de la définition métaphysique du cinéma, et sa théorie régie sous le sceau de
l'ésotérisme, son exégèse.
Toujours sous influence de Malraux il viendra commenter lui même ce trio d'actions de
principes par le terme de métamorphose, insistant que le cinéma et son activité de vision
peuvent faire correspondre deux types de regards (employant le terme superposer) qui
sans se gêner pour autant, co-existent dans le même espace : la métamorphose.

"Notre belle Elena n'est qu'une muse (…) Sans doute. Mais à la recherche de l'absolu. Car en
filmant Vénus parmi les hommes (présence du devenir absolu parmi les sujets), Renoir, pendant une
heure trente (le mode temporel) superpose le point de vue de l'olympe à celui des mortels
(superposant donc tel que l'a écrit Godard le sujet avec ses principes). Devant nos yeux, la
métamorphose des Dieux cesse d'être un slogan de bazar pour devenir un spectacle d'un
comique déchirant."

69
. Aristote, Métaphysique, Livre Z (VII), 7 , traduit par J. Tricot, Paris, Editions Vrin, (editio minor 1933),
1953,p.259 (volume 1) : "Parmi les choses engendrées, les unes sont des productions de la nature, les
autres de l'art, les autres du hasard."
70
. Suivant la catégorisation et la nomination conduite selon les livres d'Aristote regroupés sous le nom
Métaphysique (en 2 volumes chez Vrin, Paris, traduit par J. Tricot (pour la 1ère édition en1933).
Que ces principes (d'action) soient immanents ou extérieurs cela reste évidemment à déterminer.

53
Cette simultanéité des deux regards, attribuée comme métamorphose, est ce devenir
mortel des Dieux qui permet le comique; du divin confronté à des problèmes d'hommes
est un sujet soit risible, soit érotique (filmer Vénus), cela passe du bouffon au tragique.
Jacques Lacan pour sa part, dessinait justement presque71 le même rapport de valeurs
exhibées devant nos yeux, ce glissement du tragique au comique, la possibilité de les lier
jusqu'à les re-joindre : c'est la bande de Gauss qu'il pointait en exemple :

"Le noble, le tragique, le comique, le bouffon, (à se pointer d'une courbe de Gauss), bref l'éventail
72
de ce que produit la scène d'où ça s'exhibe."

Cette figure de métamorphose permet en dernier ressort à Godard de formuler presque


étrangement en apparence seulement une définition du cinéma.
La réponse, que l'on peut comprendre après l'énonciation du style diagrammatique,
apparaît plus clairement, puisque dans une première partie, on l'avait vu, le cinéma était
en co-présence avec sa théorie. Si lʼon finit sur un questionnement métaphysique de la
présence, le ça c'est du cinéma, Godard propose un dépassement de la condition de lʼart
quʼil exerce.

"A la question, qu'est-ce que le cinéma ? Elena répond : plus que le cinéma"

Ref.84 -LES DIX MEILLEURS FILMS DE 1957. n°79. 01/1958.p.4

1-AMÈRE VICTOIRE-Nicholas Ray


2-LE FAUX COUPABLE- Alfred Hitchcock
3-LA BLONDE EXPLOSIVE-Frank Tashlin
4-UN VRAI CINGLÉ DE CINÉMA-Frank Tashlin
5-LES TROIS FONT LA PAIRE-Sacha Guitry
6-UN ROI A NEW-YORK-Charlie Chaplin
7-INVRAISEMBLABLE VÉRITÉ-Fritz Lang
8-LA VIE CRIMINELLE D'ARCHIBALD DE LA CRUZ-Luis Bunuel
9-LA NUIT DES FORAINS-Ingmar Bergman
10-SAINTE JEANNE-Otto Preminger

71
Le noble ici aurait dû être un divin marquis.
72
. Jacques Lacan, Télévision, Paris, Ed. du Seuil.1974. p. 61.

54
Ref.85 -AU-DELÀ DES ÉTOILES
(Nicholas Ray, BITTER VICTORY, [AMÈRE VICTOIRE]).
n°79. 01/1958.p.44
IDENTITÉ DE PRINCIPE PAR LE SUJET
Un nouveau style diagrammatique est effectué comme introduction de cet article : il s'agit
cette fois-ci de lʼanalogie entre certains arts et leurs personnifications incarnées par des
cinéastes. La mise en diagramme donne le résultat suivant :

groupe1= groupe2= groupe 3= groupe 4=


Sujet cinéastes principaux symboles
briguant la valeur du sujet moyen du symbole — symbole
Théâtre — Griffith —
Poésie — Murnau —
Peinture — Rossellini —
Danse — Eisenstein —
Musique — Renoir — —une seule photo — Éléna et les hommes
Cinéma — N.Ray — —un gouffre —Amère victoire
Cinéma Moderne— —pas de photo

(conjonction = abandon de l'analogie. Nous sommes à l'identité du sujet par sa qualité


personnifiée par un cinéaste.)

Comme on l'a vu précédemment, lorsque les sujets étaient superposés à leurs actions de
principes, la liste suivante montre les sujets dans le groupe 1 et des analogons dans le
groupe 2 : seul Nicholas Ray en tant que cinéaste fournit une conjonction d'identité. Avec
Ray comme cinéaste représentant le Cinéma, c'est l'abandon de l'analogie pour se
constituer comme une valeur juste, où Ray serait la présentation, face au cinéma et non
plus de son symbole. C'est finalement une autonomie de principe face au sujet puisque
le principe devient sujet, ce qui permet à Godard de continuer à écrire que le film se suffit
à lui même. Aussi il organise dans un deuxième paragraphe une continuité de style où le
sujet cette fois-ci devient la photo comme symbole et l'absence comme motif conséquent
à la modernité.

groupe 1 groupe 2 groupe3 groupe 4


élément identité film cinéaste

Une seule photo Lilian Gish Lys brisé Griffith


Une seule photo Chaplin Un roi à NY Chaplin
Une seule photo Rita Hayworth Dame de Shangaï Welles
Une seule photo Ingrid Bergman Elena et les H. Renoir
Pas de photo C Jurgens// Amère victoire Ray
un gouffre

"Pourquoi restons-nous de glace devant les photos de Amère Victoire, alors que nous savons que
c'est le plus beau des films ? Parce qu'elles n'expriment rien. Et pour cause. (...). La photographie
de Curd Jugens (...) n'a plus aucun rapport avec Curd Jugens sur l'écran. Un gouffre sépare la
photo du film lui-même, un gouffre qui est tout un monde. Lequel ? Celui du cinéma moderne."

55
LE FILM EST MODERNE ONTOLOGIQUEMENT
On comprend que ce n'est même plus le film dans sa constitution qui représente le
cinéma. Définissant alors le cinéma moderne comme un art qui dépasse l'apparence. Ce
n'est plus dans le visible que s'est opéré le renversement. La notion de vide implique le
film. Le film moderne est ce qu'il est, même si cette essence de l'être est justement une
absence. Il est moderne dans sa constitution, dans son être et non dans ses actes ou
ses principes; autrement dit c'est ontologiquement que le film moderne se définit par
rapport aux autres classiques, son enjeu est un enjeu métaphysique puisque c'est le film
en tant que film laissant l'être en tant qu'être73. L'enjeu même pour Godard de donner
une étude métaphysique correspond à la définition de la métaphysique comme
l'étymologie nous le fournit, c'est-à-dire un au-delà du physique.
Ce qu'il y a entre les objets s'incarne, l'invisible devient palpable par le concept.
Ontologie du film qui faisait une distinction de principe :

"Il ne faut pas dire : derrière le raid d'un commando britannique au QG de Rommel se dissimule le
symbole de notre époque, car il n'y a ni derrière ni devant. Amère victoire est ce qu'il est. Il n'y a
pas d'une part la réalité qui est le conflit du lieutenant et du capitaine et d'autre part la fiction, qui
est le conflit du courage et de la lâcheté (…) Non. Il ne s'agit plus de réalité ni de fiction, ni de
l'une qui dépasse l'autre. Il s'agit de bien autre chose. De quoi? Des étoiles peut-être, et des
hommes qui aiment regarder les étoiles et rêver."

Aussi il ne s'agit plus d'installer une dialectique entre la forme et le fond, le film tel qu'il
est conçu dans sa modernité organise ontologiquement sa propre existence. C'est le
dépassement d'une spécialisation où le symbolisme est possible, le dépassement de la
réalité du corps des acteurs contre le récit amené par le cinéaste, la fiction du cinéaste
serait le jeu de thèmes antagonistes "du courage et de la lâcheté". Godard inscrit le
dépassement du "et" comme nouveau dépassement.

Ref.86 -UN BON DEVOIR


(Stanley Kubrick, THE KILLING, [L'ULTIME RAZZIA]).
n°80. 02/1958.p.61
Le titre parle pour l'ensemble de l'article où pour reprendre la phrase de Truffaut, Kubrick
est le "Verneuil" d'Ophuls. Toujours dans la quête de produire du cinéma expliquant
qu'un mouvement de caméra correspond à une vision du monde.

Ref.87 - CAUGHT
(Max Ophuls, CAUGHT, [PRIS AU PIÈGE]).
n°81. 03/1958.p.18
Ce qui demeure intéressant dans cet article, ce sont les conditions de projections qui
sont rapportées, montrant aussi l'importance du mouvement qu'effectue le film vers les
spectateurs. D'autant plus que l'anecdote de Godard conte que pendant qu'il voyait le
film, un climat de guerre s'opérait et situait le film, le contextualisant et montrant par là
son option bazinienne de l'écran comme fenêtre sur le monde, comme prolongement du
monde.

73
.Aristote, Métaphysique, Livre G (IV), 1, traduit par J. Tricot, Paris, Editions Vrin, (edition minor 1933),
1953,p.109 (volume 1) :
Il y a une science c'est-à-dire la métaphysique qui étudie l'être en tant qu'Être et ses attributs essentiels.

56
Ref.88* -LE PLAISIR
(Max Ophuls, LE PLAISIR ).
n°81. 03/1958.p.20
Notule estimant que LE PLAISIR est le meilleur des Ophuls. Tournant à son avantage,
comme y parviennent si souvent tous les Modernes, les aléas de ce qu'un tournage met
en place involontairement ; Mallarmé, le poète référent analogue de la modernité
cinématographique est évoqué :

"C'est un cinéaste qui joue avec le difficulté et gagne à chaque coup de dés, abolissant le hasard
mallarméen."

Ref.89 -UNE BONNE COPIE


(Victor Vicas, THE WAYWARD BUS, [LES NAUFRAGÉS DE L'AUTOCAR]).
n°81. 03/1958.p.58
La présentation du film qu'en fait Godard est encore une fois pour lui, la possibilité
d'écrire un certain nombre de procédures de style qui lui sont propres, ainsi la possibilité
de quantifier ce qui est normalement non quantifiable : la qualité, comme argument de
défense du film :

"Trente fois meilleur que Double destin et quarante fois que Je reviendrai à Kandara."

C'est le constat aussi que malgré le mauvais travail du réalisateur, le spectateur


découvrira, dans le parcours de son regard vers le film, une fiction au "charme inattendu"
issu de "la machinerie hollywoodienne".

Ref.90 -ÉSOTÉRISME FARFELU


( Norbert Carbonnaux, LE TEMPS DES ŒUFS DURS).
n°82. 04/1958.p.58
LE CONCEPT DU MYSTÈRE FOURNIT LA DÉFINITION DU CINÉASTE.
Le mystère pour Godard sʼavère un décalage entre le désir du cinéaste appelé rêve et la
réalité de la production quʼil nomme commerce. Ensuite il établit, par ce mystère, une
hiérarchie assez simple et utile, que reprendra en son temps Jean-Claude Biette74 : pour
être un cinéaste, complet à ses yeux, il met dʼabord la mise en scène, et ensuite l'auteur,
c'est à dire l'écriture ou l'adaptation des scénarios. Le concept de pureté de la mise en
scène survient finalement pour illustrer le malheur de beaucoup de cinéastes qui
tournent des films aux sujets imposés.

"Toujours est-il qu'il s'agit d'un sujet imposé à Carbonnaux qui rêvait de tourner autre chose. C'est
d'ailleurs peut-être dans ce décalage entre le rêve et la réalité que l'on peut saisir le mystère
Carbonnaux. Je veux dire que notre homme transpose ce décalage sur un autre plan, non plus
celui de la réussite commerciale, mais celui de la mise en scène pure. En effet chose curieuse,
Norbert Carbonnaux est a priori moins un auteur qu'un pur metteur en scène. Mais, pour lui plus
que n'importe qui, c'est parce qu'il est d'abord metteur en scène qu'il devient auteur, c'est-à-dire
cinéaste complet."
Puis toujours à chercher le cinéma dans la proéminence de paradoxe il définit le style
comique de Carbonnaux comme ironie virevoltante au trait sec et mordant qui empêche

74
. Jean-Claude Biette, Qu'est-ce qu'un cinéaste ?, Paris, P.O.L., Collection “Trafic”, 2000. passim.

57
le rire en même temps quʼil le déclenche. On retrouve là encore le système des
inversions chères aux cinéastes qu'il défend.

Ref.91 -SYMPATHIQUE
(Pierre CHENAL, RAFFLES SUR LA VILLE).
n°82. 04/1958.p.59
UN VRAI FILM
Sympathie déclenchée malgré le scénario rebattu à l'excellence des dialogues et à la
justesse de ton des acteurs donnant une véracité recherchée. Ce sentiment du vrai, c'est
la condition du réalisme 75 que le film ne peut dépasser s'il veut prétendre à être conçu
comme du cinéma. Cette condition forge théoriquement l'apport et la défense des
Cahiers du Cinéma dont Bazin fut le chantre.

Ref.92 - MALRAUX MAUVAIS FRANÇAIS ?


(Léonard Keigel, MALRAUX ).
n°83. 05/1958.p.39
DES YEUX QUI CINÉMATOGRAPHISENT LA RÉALITÉ
La circonstance de la critique du court métrage de Keigel offre à Godard une nouvelle
opportunité, celle de confier au lecteur son sentiment, l'admiration envers Malraux. Ce
film dit-il tente de Percer le secret du plus fascinant personnage de littérature française
moderne. Voilà donc une série d'adjectifs qui ne laissent aucun doute sur l'absence
d'ironie au moment de cette appréciation.
Si le film permet également de voyager par écran interposé à travers ses yeux, la
subjectivité de Malraux, selon le film, opère un système d'inversion : Les statues s'animent
et les hommes se pétrifient. Capacité de Malraux de donner une âme à ce qui n'en a pas à
priori76, mais pourtant on se rend compte que c'est aussi le mode opératoire simple du
cinéma car si l'on effectuait un renversement vers celui-ci :
Ce sont les images (statues) qui s'animent et les hommes photographiés qui sont fixés
(pétrifiés).
Ce que suggère donc Godard c'est que les yeux de Malraux cinématographisent la
réalité.
Et la conversion cinéma / corps, telle que l'on avait pu la voir se dérouler avant dans les
articles chez Malraux, existe aussi, lorsque Godard ajoute que l'art fait revivre l'histoire à sa
façon. C'est plutôt, on vient de le comprendre, place à Malraux qu'il s'agit face à l'art, c'est
une inversion où Malraux incarne l'art, comme Nicholas Ray incarnait directement le
cinéma77. Ensuite on notera par le pouvoir de résurgence, le statut privilégié du cinéma
comme art face à lʼhistoire. Faire revivre l'histoire par le cinéma, c'est une des phrases
attribuée à Saint Paul 78, qui trace les HdC.

75
. Cette condition du réalisme que défendra Bazin par l'invention de son principe d'une ontologie de l'image
photographique, également un autre rédacteur des Cahiers du cinéma : Serge Daney en fut un des meilleurs
promulgateurs.
76
. Le verbe animer vient du latin anima, animus : principe de vie, âme, donner vie. in
Henri Goelzer, Dictionnaire Latin : Français, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, p.69.
77
. Ref.85.
78
. "L'Image viendra au temps de la résurrection" : HdC.1b. une histoire seule. p.214.

58
Ref.93 -SAUT DANS LE VIDE
(Jacques Becker, MONTPARNASSE 19).
n°83. 05/1958.p.56

EXPRESSION CINÉPHILE
Autre article célèbre pour son "slogan" qui parodiait le jeu cinéphilique consistant à
établir la valeur d'un film par un seul plan, puis en la troquant contre l'œuvre entière d'un
autre cinéaste : PICKPOCKET contre toute l'œuvre de René Clément.

"Je donnerais tout le cinéma français d'après-guerre contre le seul plan, mal joué, mal cadré,
mais sublime, où Modi demande cinq francs de ses dessins à la terrasse de la Coupole."

Mais avant cette phrase de conclusion, Godard utilise plusieurs figures de style qui
laissent entrevoir sa pensée théorique sur le cinéma, aussi en plus de la numération
humaine qu'on avait déjà vu appliquer, Godard ajoute le principe négatif. Ce qui pourrait
toujours en apparence habituelle n'être qu'un jeu de mot, le principe négatif, s'avère au
contraire le résultat d'une pratique philosophique. Le principe négatif s'est constitué dans
l'article sur Ray 79 , où l'expression de l'absence de style constituait un style en soi et
fondait pour Godard l'expression de la modernité cinématographique. Aussi pour Becker,
l'analyse de son style apparaît lui aussi sous cet augure.

"Montparnasse 19, (…), est sans doute le premier film entièrement négatif dans son principe. (…)
Non ! Montparnasse 19 ne vous prouvera pas que 2+2=4. Son propos est ailleurs. Son propos
c'est l'absence de propos. Sa vérité, l'absence de vérité. Montparnasse 19 vous prouvera que
seulement que 2-2= 0."

Le mystère qui l'intéresse toujours est là appelé comme terme puisqu'il fait référence au
film de Clouzot, LE MYSTERE PICASSO, et suite à la traditionnelle correspondance que
fait Godard avec les autres arts, le film se verrait doté d'un nouveau titre comme le
Mystère Becker, c'est ce qu'il suggère :

"Montparnasse 19 est le film de la peur. En ce sens, on pourrait le sous-titrer : le mystère du


cinéaste. Car en incorporant malgré-lui son propre affolement dans l'esprit désaxé de Modigliani,
Jacques Becker nous fait entrer de façon maladroite certes mais combien émouvante, dans le
secret de la création artistique, mieux que (...) Clouzot en filmant Picasso au travail. "

Pas de référence à ce cinéaste moderne qui comme tout praticien de la modernité


s'interrogeant sur son propre matériel en constitue son style même, l'interrogation fait
style. C'est une absence de propos premier, d'où le principe négatif qui le renvoie à sa
propre existence de cinéaste et conduit pendant tout le déroulement du film à interroger
la phrase si importante aux yeux de Godard :

"Et d'abord est-ce un film ? A cette dernière question, Montparnasse 19, ne répond pas non plus.
Ou plutôt il répond par une nouvelle question : oui, mais après tout Qu'est-ce que le cinéma ?
(…) Et qu'au lieu d'y répondre, chaque plan pose de nouveau la même et lancinante question :
Qu'est-ce que le cinéma ?"

79
. Ref.85.

59
Ref.94 -BERGMANORAMA
(Ingmar Bergman, RÉTROSPECTIVE à la CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE).
n°85. 07/1958.p.1

LA VÉRITÉ DU CINÉMA COMME ART


Article important par sa longueur et qui rend compte aussi d'un grand nombre de films.
Godard y dispose deux diagrammes faisant correspondre Murnau, Renoir, Rossellini
avec Raphaël, Faulkner ou Balzac.
Ensuite Bergman est l'occasion de définir pour la première fois le cinéma comme un art.
Par ailleurs nous sommes témoin d'une tentative de définition de la pratique artistique
comme existence ésotérique. Aussi la comparaison du film avec un élément de l'histoire
naturelle, un élément végétal, n'en est que plus probante, le film est un être vivant :

"Comme l'étoile de mer qui s'ouvre et se ferme, ils savent s'offrir et cacher le secret d'un monde
dont ils sont à la fois l'unique dépositaire et le fascinant reflet; La vérité est leur vérité."

Ce principe de trouver dans l'existence du film son principe de vie serré à la vérité se
développe :

"La vérité est leur vérité. Ils la portent au plus profond d'eux mêmes, et, cependant, l'écran se
déchire à chaque plan pour la semer à tous vents."

Aussi, dans l'établissement d'une existence propre au film, un principe de vie, Godard
rajoute dans sa volonté représentative un principe ontologique au cinéma, qu'il résume
par cette phrase : Ça c'est du cinéma, ce principe est lui aussi fondateur, autosuffisant,
pratiquant l'existence du sujet par la constatation de son existence propre, de son
existence seule. Rappelons que la définition de la métaphysique est justement une
science de l'être en tant qu'être80.

"Dire d'eux : c'est le plus beau des films, c'est tout dire. Pourquoi ? Parce que c'est comme ça. Et
ce raisonnement enfantin, le cinéma seul peut se permettre de l'utiliser sans fausse honte.
Pourquoi ? Parce qu'il est le cinéma. Et que le cinéma se suffit à lui-même."

Voilà on le comprend avec ce texte la signification de SEUL LE CINÉMA. Le cinéma face


aux autres arts, tel que l'avait prédisait Erwin Panofsky est une situation renversée81 face
aux autres arts. Puisqu'à l'inverse des autres, c'est d'abord une invention technique qui
deviendra un art, alors que les autres arts sont originellement art, que la technique
viendra développer.

"“Ça c'est du cinéma !”, mieux que le mot de passe, reste le cri de guerre du vendeur, tout aussi
bien que de l'amateur du film. Bref d'entre tous ses privilèges, le moindre, pour le cinéma, n'est
certes pas d'ériger en raison d'être sa propre existence, et faire, par la même occasion, de
l'éthique son esthétique."

80
. Aristote, Métaphysique, Livre G (IV), 1 , traduit par J. Tricot, Paris, Editions Vrin, (editio minor 1933),
1953, p.109 (volume 1) :
Il y a une science c'est-à-dire la métaphysique qui étudie l'Être en tant qu'Être et ses attributs essentiels.
81
. Erwin Panofsky, “Style et Matériau au cinéma”, Cinéma : théorie, lectures, Paris, Ed. Klincksieck, 1973,
p.50.

60
Faire par la même occasion la constitution de son ontologie, c'est pour Godard conduire
la possibilité d'observation des formes dans le même cheminement que celui d'un
repérage de sa norme primordiale si l'éthique doit se définir comme morale bien sûr.
Mais la morale entendue comme règle d'existence première se confond avec la forme
elle-même, forme faite par l'homme et nommée par là esthétique. Cette confusion n'a
rien de négatif, il s'agit plus précisément de confusion pour ne pas employer le terme
peut-être plus approximatif cofondateur.

Godard ajoute certaines précisions dans l'invention de son ontologie, par exemple,
l'importance du nom de l'auteur ou du producteur, qui vient se substituer au manque
d'explication de la sensation esthétique. Toujours à la recherche d'intégrer l'absence
comme donnée essentielle de l'art, absence de l'espace ou absence du temps, fidèle par
ces principes au projet de Malraux et de sa conception de l'art pris dans son histoire et
celle du continuum des œuvres, Godard applique ses conceptions au cinéma, prolonge
l'Esquisse d'une psychologie du cinéma, pour avancer sans idée progressiste. Cette
avancée est une avancée dans ce qui est déjà là pour nous, base même de toute
ontologie.

"Les grands auteurs sont probablement ceux dont on ne sait que prononcer le nom lorsqu'il est
impossible d'expliquer autrement les sensations et sentiments multiples qui vous assaillent dans
certaines circonstances exceptionnelles, (…)".

Puis après avoir défini la solitude du cinéma face aux autres arts, Godard lui corrobore la
solitude du cinéaste l'opposant à l'idée de métier, collectivisant presque anonymement la
production du film.

"C'est autre chose, s'écrient nos techniciens patentés; et, d'abord, c'est un métier. Hé bien, non !
le cinéma n'est pas un métier. C'est un art. Ce n'est pas une équipe. On est toujours seul; sur le
plateau comme devant la page blanche. Et pour Bergman, être seul , c'est poser des questions.
Et faire des films c'est y répondre. On ne saurait être plus classiquement romantique."

CONCEPTION DE LA SOLITUDE
Aussi pour se résumer cette conception de la solitude, on réalise qu'elle touche
l'ensemble des relations entre les constituants du cinéma. Le cinéma d'abord on l'a vu
comme seul face aux autres arts, créant sa situation de solitude par sa nature même. Le
cinéaste ensuite par son problème de création ou de production qui se "retrouve" seul
face au film. La solitude du producteur en rapport avec le caractère esseulé du cinéma
fournira la trame principale, le ressort du chapitre deux des histoires du cinéma. Cette
solitude est peut-être la conscience de l'exclusion du sujet face au monde. On pourrait
croire que ce motif est la distance incluant l'ironie face au monde, ou voir l'idée d'une
modernité de principes, mais en fait, cet écart du cinéma face aux autres arts, et du
cinéaste face aux autres corps du métier vient créer une zone dans laquelle l'exclusion
du sujet film, ou du sujet producteur vient achever l'ensemble, le cinéaste devient
finalement la figure-limite puisque c'est en lui-même qu'a lieu la séparation. C'est donc
non une solitude face à lui-même, au contraire le cinéaste se retrouve face à lui-même.
Dans cette condition hétérologique, de la création d'un autre même que lui-même, le film
devient une proposition de se substituer à la valeur du sujet-producteur.

61
Le producteur travaillant sa solitude, vise à s'exclure des autres pour retrouver un autre
lui-même créé, un autre sujet sur lequel le film vient prendre place. Si dans ces principes
nous venons à réfléchir sur les effets de la solitude sur le spectateur, on se rend compte
que la part projective du spectateur, sa part de désir est en principe une projection de lui-
même, sans être lui fondamentalement, solitude du spectateur, puisque ses sensations
sont personnelles et n'appartiennent qu'à lui. Là aussi cette solitude est un travail
d'exclusion interne que le spectateur opère en lui-même.

Par la suite de son argument Godard établit ce qui maintenant ne nous est plus
inhabituel c'est-à-dire une équation humaine : Bergman = Proust x (Joyce+Rousseau)

Godard stigmatise le regard caméra que Bergman demande à la comédienne de Monika


de faire :

"Cette brusque conspiration entre le spectateur et l'acteur qui enthousiasme si fort André Bazin,
avons-nous oublié que nous l'avions vécue, avec mille fois plus de force et de poésie, lorsque
Harriet Anderson, ses yeux rieurs tout embués de désarroi rivés sur l'objectif, nous prend à témoin
du dégoût qu'elle a d'opter pour l'enfer contre le ciel."

C'est une conspiration puisqu'elle exclut de fait le cinéaste et laisse croire au spectateur,
au moment donné tout au moins, la liberté d'expression du comédien, qui pourrait nous
aborder peut-être même avec des intentions contraires à celles revendiquées par le
réalisateur.

Bergman suscite de la part de Godard la création d'un nouveau répertoire en deux


classes de cinéastes, dans lesquels tout cinéaste peut être rangé. Godard nomme dans
cette distinction genre, les cinéastes libres et les cinéastes rigoureux.

Liberté Rigueur
Marche dans la rue Marche la tête haute
tête baissée

Ils voient Ils regardent

Cadrage aéré fluide cadrage serré au millimètre

Découpage disparate Mouvements d'appareils précis


terriblement sensible avec leur propre valeur abstraite
au hasard de mouvement dans l'espace

Rossellini (air) Hitchcock (serré)


Welles (hasard) Lang (abstraction)

Bergman Visconti
Auteurs Metteurs en scène

62
Ref.95 -UNE FILLE NOMMÉE DURANCE
(François Villiers, L'EAU VIVE ).
n°85. 07/1958.p.48

FICTION ET RÉALITÉ
L'adaptation de Giono permet à Godard de faire valoir les principes cinématographiques
de la distinction entre fiction et réalité et des rapports qu'ils établissent entre eux. Aussi :

"C'est de savoir donner au romanesque l'attrait de l'actualité, comme il se doit dans tout mariage
forcé de la fiction avec la réalité. (…) La fiction rejoint ici la réalité qui la dépassait."

Également de ce rapport forcé les deux notions peuvent aussi s'interpénétrer et donner
des nouveaux résultats. Il s'agit de co-existence entre les deux principes qui peuvent
d'une manière ou d'une autre se gêner ou au contraire être en émulation. C'est un double
mouvement dont nous sommes témoin, le premier est donc un rajout de la réalité sur la
fiction, mais ce rajout fait que ce principe de réalité comme apparence dépassera la
fiction, dépasser comme le voyage du film de l'écran vers le regard du spectateur, le
dépassement est l'idée d'une couche de réalité sur celle de la fiction obstruant pour un
moment la fiction. Le second mouvement étant plutôt un second moment, lorsque cette
fiction obstruée sort de la couche de la réalité pour se rendre visible en même temps que
la réalité.

Ref.96 -VOYEZ COMME ON DANSE


(Stanley Donen, PAJAMA GAME, [PICNIC EN PYJAMA]).
n°85. 07/1958.p.49
Critique du film qui n'amène pas grand chose de nouveau si ce n'est une définition du
cinéma fait au revers de celle de la danse.

"Un fait curieux, en effet, est que la danse classique ne passe jamais si j'ose dire la rampe de
l'écran (…). C'est que la danse classique, qui cherche l'immobilité dans le mouvement, est par
définition le contraire du cinéma. Chaque pas (…) ne vise qu'à aboutir à la pose plastique, ce qui
est fort éloigné, on le devine, des soucis des frères Lumière. Et en quelque sorte la comédie
musicale est l'idéalisation du cinéma."

Ref.97 -TRAVAIL À LA CHAINE


(Martin Ritt, THE LONG HOT SUMMER, [LES FEUX DE L'ÉTÉ ).
n°85. 07/1958.p.53
L'article présent permet d'élaborer pour Godard une nouvelle notion d'appréhension du
cinéaste. En effet même s'il y a des cinéastes qui jouent dans leurs propres films
établissant ce que l'on avait vu dans la ref.49, ici c'est la considération du cinéaste
comme personnage : cet amalgame de plusieurs nouvelles (…) (parmi lesquelles The Hamlet
d'où sort le personnage de Varner, interprété par O. Welles (…) ) a le mérite de nous éclairer
définitivement sur celui de Martin Ritt, cinéaste à la manque, qui, bien que nanti d'une corpulence
toute aldrichienne, est loin même d'être l'égal d'un Kubrick, et encore moins d'un Lumet ou d'un
Mulligan (…).

On remarquera que la construction du personnage du cinéaste ne se fait pas sans l'aide


d'autres personnages qui pourtant existent dans la réalité. Aussi on se rend compte que
le personnage est une notion qui traverse les différents postes de l'homme producteur du

63
film. L'acteur produit, on dit même qu'il se produit sur scène, le réalisateur on l'a vu aussi
est d'une certaine manière une autre figure du producteur; Ainsi ce n'est pas un hasard si
pour parfaire son personnage de cinéaste à la manque, Godard voit en Martin Ritt une
allure aldrichienne ce qui indique donc que les particularités physique d'un réalisateur
peuvent aussi jouer dans la construction de son personnage. Ce n'est pas un hasard non
plus —et l'étude de Godard dans ses premiers films autant que de sa participation dans
les films des autres en tant qu'acteur viennent étayer cette particularité— le cinéaste
prend part au film en tant qu'auteur parce qu'il supervise ou écrit entièrement le scénario
et les dialogues, mais l'implication corporelle du cinéaste, son incorporation fait de lui un
personnage, ne jouant pas directement obligatoirement dans le film, mais étant le
personnage de l'auteur qui met en scène. Cette notion nous fournit quelques
renseignements viables quant à la construction du dit personnage et renvoie à une
pratique de réalisateur tel que Nicholas Ray l'avait décrite82.

Ref.98 -TÉLÉGRAMME DE BERLIN. n°86. 08/1958.p.44


(Signé Hans Lucas)
LA CONVERSION ALGÉBRIQUE DE LʼHOMME
Texte qui par ses choix, typographique singulier (écrit en capitales) autant de sa police
de caractère (en Courrier alors que tous les autres articles adoptent le Times) se
distingue formellement des autres articles par le constat d'une réflexion au préalable et
l'imposition d'un désir de différence. Ensuite la rédaction du télégramme selon le style
(télégraphique) qui lui est habituellement affiliée permet à Godard de jouer poétiquement
sur une confusion qui lui est chère : celle d'une non-limite entre la communication privée
et la communication publique. La publication par la revue d'un télégramme se révèle
même comme participant à la fiction du sujet ainsi : "(...) STOP PAS VU FILM
ESPAGNOL RAISON RENDEZ-VOUS PISCINE GRETCHEN (...)" dont l'humour n'est
pas exclu.
Ensuite l'utilisation des noms d'auteurs comme des concepts algébriques opérateurs
fournit aux lecteurs un des aspects provocants de l'action de Godard. Cette habitude,
qu'on retrouvera plus tard, de concevoir la conversion algébrique de ce qui ne l'est pas
par nature, l'homme. "(...) STOP MULTIPLIEZ HEIDEGGER PAR GIRAUDOUX
OBTENEZ BERGMAN STOP (...)"

Ref.99 -PHOTO DE TOURNAGE


(Claude Chabrol, LES COUSINS). n°89. 05/1958.p.41
La photographie de tournage que l'on trouve dans le numéro 89 des Cahiers est celle de
Chabrol sous la caméra, c'est une photo floue et prise en contre-plongée. L'intérêt pour
cette étude est qu'elle est l'occasion pour Godard de forcer le trait quant au principe des
analogies, utilisant l'adjectif chabrolesque alors que Chabrol n'en est qu'à son deuxième
long-métrage, pourtant on pourrait répondre que c'est avec prescience que Godard
l'utilise sachant la carrière qu'aura son confrère. Jouant sur les mots nous retiendrons sa
conclusion :
"Bref, Les Cousins seront un film attachant qui vous détachera des biens de ce monde, un film
faux qui vous dira ses quatre vérités, un film d'un creux infini donc profond."

82
Charles Bitsch, “Entretien avec Nicholas Ray”, Cahiers du Cinéma , Novembre 1958, n°89, p. 6 : "Kazan
était aussi acteur et régisseur,(…) nous avions le même point de vue sur ce que nous faisions : tous deux
nous jouions de façon à nous préparer à aborder la mise en scène, en comprenant les problèmes de
l'acteur."

64
Ref.100 -AILLEURS,
(Alexandre Astruc, UNE VIE). n°90. 12/1958.p.50

LA BEAUTÉ EST AILLEURS


L'article sur un parti-pris, celui d'affirmer que la beauté du film ne réside pas dans son
apparence. Paraphrasant Rimbaud il confie que ce que l'on voit, même si cela apparaît
avec fausseté, cette beauté d'ailleurs ne correspond pas à ce que l'on avait prévu de la
Politique des Auteurs :

"On s'en fout (…) Mais de toute façon la vraie beauté d'Une Vie est ailleurs. (…) Nous avions
enfermé Astruc à l'intérieur d'un système esthétique préfabriqué dont il s'évade aujourd'hui."

LE LIEU GÉOMÉTRIQUE DE LA PENSÉE DU FILM


C'est autour de la structure que Godard s'attarde, montrant à partir de la Géométrie, les
arguments du film.

"(…) empruntées à la géométrie classique. Un film peut se comparer à un lieu géométrique, c'est-
à-dire à un ensemble de points jouissant d'une même propriété par rapport à un élément fixe. Cet
ensemble de points, c'est la mise en scène; et cette même propriété commune à chaque instant
de la mise en scène ce sera donc le scénario ou, si l'on préfère l'argument dramatique. Reste
alors l'élément fixe, ou mobile même éventuellement, et qui n'est autre que le sujet."

Une fois le dispositif géométrique décliné à l'intérieur du cinéma, Godard conclue en


théorisant :

"Chez la plupart des cinéastes, le lieu géométrique du sujet qu'ils prétendent traiter ne dépasse
jamais les lieux du tournage (…) Astruc, lui, (…) donne l'impression d'avoir pensé son film sur tout
le périmètre exigé par le scénario."

Il s'agit de tout concevoir comme lieu, l'unité du temps n'est plus la référence primordiale,
comme cela pouvait l'être lorsque l'on établit la chronologie des étapes de fabrication du
film. La pensée du film géométrisée permet de faire correspondre un certain nombre
d'étapes qui avant ne pouvait avoir de correspondances directes.

LA TOPOLOGIE CINÉMATOGRAPHIQUE
Cette tentative de géométrisation de la pensée, est ce qui nous guide également depuis
le début de cette étude, car nous établissons comme lieu de recherche la possibilité
géométrique de la pensée, donnant des résultats originaux et des plus importants; ce
retour au lieu comporte plusieurs dénominations : si l'on essaye de voir les anciennes
disciplines qui ont été fondées sur ce rapport de la géométrie avec le monde. Sans
revenir sur Les Pythagoriciens qui basaient l'interprétation du monde par les chiffres, il y
a la Géographie et la Topographie, deux sciences liées à l'établissement des cartes83,
qui sont des tentatives de ramener le monde physique à deux dimensions mais aussi la
Topologie, qui on le sait est en étroit rapport avec l'aboutissement des recherches de

83
. Lien qui trouve même dans son étymologie la raison de sa justification ; géographie signifie : écriture de la
terre et topographie : écriture du lieu.

65
Lacan sur la psychanalyse. Une pensée schématique84 ne suffisant plus d'une certaine
manière, Lacan a cherché avec les mathématiques ce que Dürer avait trouvé avec son
portillon. 85 C'est-à-dire un élément concret qui viendrait s'interposer entre le monde et le
sujet qui le perçoit, un élément qui tiendrait compte autant de la nature de ce qui est
perçu que du sujet qui est lui aussi regardé.

Godard à partir d'un désir similaire intervient avec la géométrie sur le film et décrit ce qui
semble être hors-champ et qui prend autant d'importance que ce qui est montré; des
images impliquées dans la façon dont sont cadrées les images visibles. Force de
l'invisible. Il finit par démontrer la puissance Topologique et ses implications, des images
invisibles mais cet invisible-là est non idéalisé, nous parlons ici d'un invisible comme
hors-champ lié au principe du réel et non à l'imaginaire, le cadre devient symbolique et la
disposition des signes suffit :

"Car ce n'était pas de montrer la forêt qui était difficile, c'est de montrer un salon dont on sait que
la forêt est à dix pas. Ce n'est pas de montrer la mer qui était encore plus difficile, c'est de montrer
une chambre dont on sait que la mer est à sept cents mètres.(…) La plupart des films sont
construits sur les quelques mètres carrés du décor visible dans l'œilleton. Une Vie est conçu, écrit
et mis en scène sur vingt mille kilomètres carrés."

Par la suite c'est une application directe des données et coordonnées du cinéma
convertis géométriquement à laquelle nous assistons.

"Sur cet immense espace invisible, Astruc a installé ses coordonnées dramatiques et visuelles.
Entre l'abscisse et l'ordonnée aucune courbe ne vient s'inscrire qui correspondrait à un
mouvement secret du film."

Maintenant à partir de cela il est nécessaire de faire une pause théorique pour
comprendre l'importance des implications de l'invention de Godard dans le domaine
théorique de la présentation du film et sa représentation.

ENTRACTE THÉORIQUE
Notons que cette façon de répartir en deux mondes distingués la géométrie du film est
une technique de la topologie puisqu'il s'agit de reproduire systématiquement en deux
dimensions ce qui ne l'est pas par nature, la troisième appartenant à l'espace (la
profondeur) et la quatrième se dégageant de l'espace pour s'inscrire dans le temps. La
troisième et la quatrième dimension peuvent se ramener en deux dimensions ce qui n'est
pas sans donner quelques problèmes de représentation et c'est ce à quoi se pose la
science de la topologie.
Aussi d'un côté les coordonnées dramatiques (abscisse) et de l'autre les coordonnées
visuelles (l'ordonnée) correspondent parfaitement à la distinction historique qu'a opérée

84
. Ce quʼon appelle pensée schématique ce n'est pas une pensée qui est réduite à la démonstration par des
schémas, mais ce sont les schémas qui produisent une pensée propre. Ce n'est pas la pensée qui devient
schéma, c'est le schéma qui produit de la pensée. Certains auteurs au siècle dernier dans les années 70, ont
utilisé régulièrement une pensée schématique tels Jacques Lacan, Jean Louis Schefer, ou Jean-Joseph
Goux. Il serait intéressant dʼen faire l'étude, ainsi quelle l'influence de la pensée idéogrammatique, venue de
la culture chinoise, a-t-elle pu produire sur une revue comme Tel Quel par exemple ?
85
. Alain Cochet, Lacan Géomètre, Paris, Ed. Anthropos, coll. Psychanalyse, 1998. p.111 (chapitre sur le
regard géométral)

66
Jean-Pierre Oudart lorsqu'il a cherché lui aussi à prolonger les avancées de la pensée de
Lacan dans le domaine du cinéma, par trois grands articles, grands dans leurs
renommés mais succincts dans leur rédaction, il s'agit de “l'Effet de réel”, “Notes pour
une théorie de la représentation” et de “La Suture”86. Ces articles interrogent la notion de
représentation et font le point sur la place manquante que prévoient les cinéastes aux
vues des spectateurs, faire en fonction d'eux. A partir de ce constat, Oudart relève un
certain nombre d'indices et de signes qui vont affirmer sa pensée. Aussi envisage-t-il
comme Godard et cette présente étude, tout film à partir de sa production.
Aussi en recherchant l'histoire de la représentation, il en vient à la même découpe, pour
fonder ce qu'il nomme l'effet de production :

"On peut dire que dans le système représentatif de la peinture occidentale, comme dans celui qui
le perpétue, le cinéma, sont simultanément méconnues :

1) la figuration (ce qu'Oudart nommera plus tard Effet de réalité) comme produit de codes picturaux
87
spécifiques"

Cette spécificité est reliée directement à l'abscisse godardienne des coordonnées


dramatiques, où l'on peut même parler de scénographie88

2) « la représentation qui la constitue comme fiction en y incluant le spectateur (ce qu'Oudart


nomme Effet de réel) comme déterminée, en sa structure spatiale (…) par l'inscription, ou plutôt le
89
re-marquage du sujet dans les systèmes figuratifs issus du Quattrocento. »

De ce côté, le dégagement de la fiction, l'ordonnée visuelle de Godard est la mise en


pratique de ce que Oudart désigne par Effet de réel.

Cette entracte était nécessaire car on verra que la séparation du processus de


production en une abscisse (effet de réalité) et une ordonnée (effet de réel) aura toute
son importance lorsqu'il s'agira de mieux décrire précisément les productions de
nouvelles données et de l'importance théorique et de la contribution godardienne quant
aux motifs de la figuration et de la représentation.

APPLICATION FILMIQUE DES MOUVEMENTS REPÉRÉS


Reprenons la phrase de Godard :
"Sur cet immense espace invisible, Astruc a installé ses coordonnées dramatiques et visuelles.
Entre l'abscisse et l'ordonnée aucune courbe ne vient s'inscrire qui correspondrait à un
mouvement secret du film."
Si Godard refuse tout mouvement ésotérique, (en fait il ne les refuse pas, il les met pour
un instant en arrière-plan de sa démonstration) c'est parce qu'il veut engager son

86
. Jean-Pierre Oudart, “La suture”, Cahiers du Cinéma n°211.Avril 1969.p.36.et n°212.Mai 1969.Paris. Ed. de
L'Étoile.p.50.
“L'Effet de Réel”, Cahiers du Cinéma n°228.Mars-Avril 1971.Paris. Ed. de L'Étoile.p.19
“Notes pour une théorie de la représentation”, Cahiers du Cinéma n°229.Mai-Juin1971. p.46 et n°230.Juillet
1971.Paris. Ed. de L'Étoile.p.43.
87
. Jean-Pierre Oudart “L'Effet de Réel”, Cahiers du Cinéma n°228.Mars-Avril 1971.Paris. Ed. de L'Étoile.p.19.
88
. Jean-Pierre Oudart à ce propos modélise cette partie avec le texte de Jean-Louis Schefer "Scénographie
d'un tableau".
89
.Jean-Pierre Oudart “L'Effet de Réel”, Cahiers du Cinéma n°228.Mars-Avril 1971.Paris. Ed. de L'Étoile.p.19.

67
système dans une pragmatique hiérarchisée, faisant correspondre les mouvements du
film à une désignation dialectique : soit horizontale, soit verticale. A lui de fournir les
exemples de mouvement soit horizontaux, soit verticaux en rapports avec leurs
significations préalables, on comprendra également que cette application pragmatique
n'est plus en rapport avec notre entracte théorique, il est ridicule de dire que l'effet de
réel est vertical et l'effet de réalité horizontal, par contre cette non-application ne vient en
rien contredire le principe général que nous avons trouvé, c'est seulement le mode
d'application du film qui se trouve ici non avenu. Que l'on nous permette de fournir
l'application dans son exemple entier, mais par contre, la mise en page est refaite :

La seule courbe, c'est, soit l'abscisse, soit l'ordonnée, ce qui correspond par conséquent à deux
sortes de mouvements, l'un horizontal, l'autre vertical.
Toute la mise en scène d'Une Vie est axée sur ce principe élémentaire.
Horizontale est la course de Maria Schell et Pascale Petit vers la grève.
Verticale, l'inflexion de Marquand qui accueille sa partenaire sur le môle du port.
Horizontale, la sortie des mariés après le repas de noce.
Vertical, le coup de couteau qui dégrafe le corsage.
Horizontal, de nouveau, le mouvement de Jeanne et Julien qui se vautrent dans les blés.
Vertical, de nouveau, celui de la main de Marquand qui saisit le poignet d'Antonella
Lualdi, etc..
Pour Astruc, mettre en scène Une Vie a consisté très simplement à mettre en valeur l'un de ces
deux mouvements, horizontal ou vertical, dans chaque scène ou chaque plan ayant sa propre
unité dramatique, et de le mettre en valeur avec brusquerie, en laissant dans l'ombre, avant ou
après lui, tout ce qui n'est pas ce mouvement brusque.

“Ce genre d'effets, cette violence méditée… ”

Godard finit par indiquer où ces effets se logent, auparavant, dans le film précédant
c'était soit en début ou en fin de plan, avec ce film-là, c'est en cours.

"(…) il l'utilise en cours de plan, poussant si loin la leçon (…) d'un Nicholas Ray que l'effet en
devient presque la cause."

C'est encore une façon d'aborder la modernité où les effets soumis à la forme sont en
disjonction avec la cause première; les effets ne deviennent plus les résultats logiques
d'une cause, non, la rupture est telle qu'ils se proposent de se substituer à la cause,
c'est-à-dire à devenir eux-mêmes le fond du film. Et l'on reconnaît là, la définition
hégélienne de l'art romantique90. Romantique ou moderne, c'est pour Godard la même
appellation synonyme. Romantique il l'est : Il acquiesça à cette assertion que lui proposa
Fritz Lang lorsqu'il chercha à se définir lui et son ainé91.

Godard conclue logiquement son article en comparant Une Vie avec le film Bitter Victory
de Ray, pour l'utilisation paradoxale de certains éléments de dramaturgie (le ton) qui ne
font que susciter une perception accrue du spectateur :

90
. F.W. Hegel, "Esthétique" traduit par Jankélevich. Paris, 1948, Ed. P.U.F. p.47 : "La forme esthétique entre
en disjonction avec son contenu."
91
. "Mais vous savez bien que vous êtes un romantique, nous sommes tous les deux des romantiques"dixit
Fritz Lang in"Le bébé et le dinosaure", (1963), Documentaire réalisé par André S. Labarthe (Discussion entre
JLG et F.Lang au moment du tournage du Mépris).

68
"Paradoxalement donc, la meilleure façon de trouver le vrai ton dix-neuvième siècle, c'était de
donner à l'affaire un ton franchement 1958."

Ces éléments qu'il appelle effets sont des mouvements filmiques issus des coordonnées
dramatiques et visuelles, installées dans un immense espace invisible au su de l'espace
visible.

Ref.101 -GEORGES FRANJU,


(Georges Franju, LA TÊTE CONTRE LES MURS).
n°90. 12/1958. p.64
Critique du premier long métrage de Franju qu'il compare en rapport à ses courts-
métrages et les quelques cinéastes américains. Il l'oppose à Hitchcock pour le
rapprocher de Lang et emploie a ce propos le terme de cinéaste dionysiaque c'est-à-dire
un cinéaste de la scène (sous-entendu la séquence) et non du plan (Hitchcock qui
logiquement dans ce système des correspondances, peut s'avouer cinéaste apollinien,
par l'aspect de l'astre unique, autonome, comme un seul plan dont on peut se souvenir,
face à l'idée d'une multitude). L'article se finit en citant Orphée de Cocteau.

Ref.102 -LES DIX MEILLEURS FILMS DE 1958. n°92. 12/1958.p.3

1-UN AMÉRICAIN BIEN TRANQUILE-Josef L.Mankiewicz


2-RÊVES DE FEMMES-Ingmar Bergman
3-BONJOUR TRISTESSE-Otto Preminger
4-MONTPARNASSE 19-Jacques Becker
5-UNE VIE-Alexandre Astruc
6-L'HOMME DE L'OUEST-Anthony Mann
7-LA SOIF DU MAL-Orson Welles
8-L'EAU VIVE-François Villiers
9-NUITS BLANCHES-Luchino Visconti
10-LE TEMPS DES ŒUFS DURS-Norbert Carbonnaux

Ref.103 -CHACUN SON TOURS. n°92. 02/1959.p.31


Article Fleuve de Godard qui est le compte-rendu précis des Journées du Court-métrage
de la ville de Tours.
UNE RÉALITÉ CINÉMATOGRAPHISÉE
Avant de rentrer sur le déroulement et les détails du Festival lui-même, Godard, en
prétextant " l'usage et la politesse", entreprend une description de la ville selon un regard
transformant la réalité urbaine en une matière adéquate et assortie en vue d'être filmée.

"Le décor est ophulsien. Tous les étudiants ressemblent à celui de Lola Montès."

Aussi on remarquera cette tendance de l'attitude du cinéphilie d'interposer entre la réalité


objective et la réalité qu'il perçoit, une réalité filmée. C'est, rappelons-le avec la phrase
du MEPRIS, une substitution liée à son désir. La réalité observée devient elle-même
sujet préexistant, le monde-cinéma. Mais ce n'est pas que le monde-cinéma, c'est un
monde qui est en partie lié également avec la littérature. Il évoquera par interpellation les

69
Héros de Balzac et de Stendhal, comme des sujets existants pour leur faire un genre de
leçon et les prévenir qu'ils se sont trompés à propos de Paris.
Cette vision de voir la puissance du cinéma à chaque coin de rue, tendance du cinéphile
rappelons-le, est encore un des effets de production que définissait Oudart lors de notre
entracte théorique, que nous appellerons commodément comme mode dʼaction avec le
néologisme cinématographier la réalité. Le mode de production est identique à celui de
filmer la réalité, sauf qu'il n'y a pas de reproduction, puisque cela est un principe de
réalité psychique.

L'introduction de son compte-rendu laisse prévoir une possibilité théorique de voir le


court-métrage comme une matière qui n'est en rien cinématographique.

"Mais voilà ! Le court métrage est-il vraiment comme on le dit l'avenir esthétique du cinéma ? J'irai
beaucoup plus loin : Est-ce même du cinéma?"

Reprenant le principe ontologique de Bazin sur le cinéma, Godard fournit sa trame sur la
quelle il va s'exprimer :

"Et encore André Bazin : ils ont tort de croire non à l'existence du court métrage, mais à son
essence."

Godard place le court métrage hors du système cinéma. Ensuite, en citant Bazin et son
concept du cinéma impur, il se trouvera en dehors des fondations du cinéma .

"Allons jusqu'au bout : un court métrage n'a pas le temps de penser. Et dans cette mesure il fait
partie de ce cinéma impur auquel André Bazin souhaitait longue vie. Avec raison d'ailleurs,
puisque, de par son impureté même, il permet a contrario à de nombreux cinéastes d'y faire
preuve de leur talent."

Par le court métrage, on comprend que c'est au principe d'une spécificité, l'impureté, à
laquelle Godard s'attaque. Le court-métrage existe, on ne peut le nier (existence), mais
se sépare-t-il de l'ensemble homogène définissant le cinéma (pur puisque homogène), et
en effet en s'y distinguant il peut avoir cette essence requise, ce que Godard nomme
précisément et justement avec des vocables philosophiques : une différence de nature.
Cinéma et court métrage sont dans cette réalité décrite deux choses distinctes et dans
une continuité apparente. En fait Godard associe le court-métrage au vocabulaire
médical. Le titre de cette partie se nomme COURT MÉTRAGE = ANTICINÉMA.

"Le court métrage est donc d'une certaine manière utile au cinéma. Mais comme les anticorps à la
médecine. Car si c'est toujours du cinéma, c'est d'abord parce que c'est de l'anticinéma"

Aussi inclus dans le cinéma de manière hétérogène, comme impur, le court métrage
comme le relève Godard est utile, mais utile autant que peut l'être l'invention des sous-
titres sur la pellicule. Utile tout en n'appartenant pas au cinéma.

Toujours dans cette démonstration dialectique, c'est en opposition avec les français et
non-français que Godard partage un certain nombre d'idées paradoxales que nous avons
converties en diagramme :

70
français > non-français

mal cadré bien cadré


mal photographié bien photographié
mal monté bien monté

artiste artisan
même académique > même supérieure

dépassement de soi > fonctionnaire de l'art

mauvais Bunuel > au plus habile Clément


mauvais Visconti meilleur Autant-Lara

Concluant par ce qu'il tenait à démontrer Godard met en pratique la valeur de l'artiste
qu'on devine derrière le film :

"C'est justement dans la mesure où les documentaires étrangers croient à la valeur du court
métrage en tant que tel, c'est dans cette mesure là qu'ils sont moins bons ."

IMPOSSIBLE N'EST PAS FRANÇAIS


En continuant sa réflexion Godard rajoute le problème de la temporalité. Une temporalité
non plus interne au film mais inscrite dans l'histoire du cinéma, où aux prémisses de lʼart,
le film nʼétait que court-métrage. Il exploitait une certaine spontanéité, naïveté même,
mais en 1958, Roger Leenhardt fait un court métrage justement comme un hommage à
la naissance du cinéma.

"Cette spontanéité instinctive ne peut être remplacée que par son contraire, l'intelligence
préméditée."

C'est, rajoute-t-il une contradiction interne rendant la seule valeur esthétique du court
métrage : le genre faux.

Puis en cherchant des valeurs qui n'appartiennent plus au cinéma :


- la liberté du croquis de voyage (dessin) (Varda)
- la rigueur de la construction théâtrale (Demy)
- la grâce du tableau vivant (Rozier)
- la recherche de l'absolu (Resnais)

Ces quatre cinéastes seront tour à tour développés.


Pour Jacques Demy, Godard écrit :

"Je n'aime que les films qui ressemblent à leurs auteurs. (…) surenchérir dans la théâtralité. Car
après la traversée des apparences, il retrouve le cinéma comme Orphée Eurydice."

Pour Resnais, il substitue le temps perdu par le cinéma dans le titre donnant : A LA
RECHERCHE DU CINÉMA et aussi :

71
"Ce n'était pas seulement un mouvement d'appareil, mais aussi la recherche du secret de ce
mouvement. (…) Alain Resnais a inventé le travelling moderne, sa vitesse de course, sa
brusquerie de départ, et sa lenteur d'arrivée et vice-versa."

Ref.104 -LA PHOTO DU MOIS


(François Truffaut, LES 400 COUPS).
n°92. 02/1959. p.44
ENFANTS DE TRUFFAUT
Avec cette photo de tournage qui montre François Truffaut assis au côté d'une caméra
Reflex, sur le tournage de son premier long métrage : Les 400 coups, Godard compose
un texte dont les effets de répétitions, allitératives, peuvent évoquer un poème en prose.
Un poème en prose composé de deux parties. La première prend comme source de
répétition le mot enfant. Il compare ainsi le film avec d'autres cinéastes, "enfants terribles
de Melville" rajoutant un adjectif supposant le film d'enfants du réalisateur cité. Invention
des expressions sur la base répétitive du mot pour finir sur enfant de Truffaut, qui
affirme-t-il "passera dans le domaine public".
FILMS ECHELONNÉS D'APRÈS UNE LISTE
La seconde partie est une utilisation des titres de films en rapport avec des postes de
fabrication du film dans lesquels le film de Truffaut et celui à chaque fois celui cité
excellent. Ce qui est intéressant pour notre étude c'est que la base de données des films
est faite d'après la liste des dix meilleurs films que Truffaut avait donnée pour les Cahiers
du Cinéma.

"Ces titres ne s'échelonnent pas au hasard sous les touches de ma Japy électrique. Ce sont ceux
qui font partie de la liste des dix meilleurs films de l'année 1958 selon François Truffaut."

On reconnaîtra également le tout début du chapitre 1a des HdC où JLG égrène en tapant
sur sa machine à écrire électrique une série de titres de films92.

Ref.105 -SUPER MANN


(Anthony Mann, MAN OF THE WEST, [L'HOMME DE L'OUEST]).
n°92. 02/1959.p.48
La critique du western d'Anthony Mann est une nouvelle occasion théorique pour
Godard. Après un résumé narratif et une recontextualisation du film dans l'œuvre,
Godard procède à la monstration d'un concept qui retient toute notre attention, qu'il
développe avant de songer pour lui à définir le western. Il s'agit :
LE CONCEPT DE LA RÉ-INVENTION

"Tout comme le metteur en scène de Naissance d'une Nation donnait à chaque plan l'impression
d'inventer le cinéma, chaque plan de l'Homme de l'Ouest donne l'impression qu'Anthony Mann
réinvente le western (…) et d'ailleurs c'est mieux qu'une impression. Il le réinvente. Je dis bien
réinventer, autrement dit : montrer en même temps que démontrer, innover en même temps que
copier, critiquer en même temps que créer."
Quelques autres propositions dialectiques simultanées éclairent son concept ainsi :

92
. La liste a été commentée dans la troisième partie.

72
cours et discours, la beauté des paysages et l'explication de cette beauté, le mystère des armes à
feu et le secret de ce mystère, puis évidemment l'art et la théorie de l'art comme il se trouve
que le film est une admirable leçon de cinéma moderne.
La réinvention est l'acte créateur moderne par excellence, il permet de conjuguer deux
actes à la fois et devant une même image nous recevons deux informations différentes,
c'est la possibilité devant une seule image d'entreprendre deux lectures différentes.

TROIS SORTES DE CINÉMAS


La tentative de définition du western que produit Godard est captivante :
Elle est de trois sortes :
- à images ,
- à idées,
et puis à images et à idées.
Ford pour le premier, Lang pour le second et Mann pour le dernier.

Même si Godard fait correspondre avant tout des noms d'artistes pour les catégories
désignées :
1/ Walter Scott, Ford; 2/Stendhal, Lang; 3/ Balzac, Mann
On retiendra la division du cinéma en images ou en idées, ensuite c'est une histoire de
présentation convoquant les deux registres qui crée la différence.

Ref.106 -LA PHOTO DU MOIS


(Jean-Daniel Pollet, LA LIGNE DE MIRE).
n°93. 03/1959. p.45
Photo du tournage de Jean-Daniel Pollet, où en plus d'apprendre son âge (citant la
jeunesse de Welles à ce sujet) de 23 ans, on connaît les différents postes que J. D.
Pollet occupe : auteur-réalisateur-producteur. Godard nous informe aussi sur les
méthodes de tournage et l'improvisation des comédiens pour faire avancer le récit de
cette manière libre.

Ref.107 -LE CONQUÉRANT SOLITAIRE,


(Haroun Tazieff, LES RENDEZ-VOUS DU DIABLE).
n°93. 03/1959. p.53
LE REFUS DESESPÉRÉ DE L'ANALYSE
La critique du film de Tazieff est faite par Godard selon deux raisons. La première est
humaine, elle concerne la personne de Tazieff et la deuxième est cinématographique.
Puisque selon cette logique le spectateur est confronté au spectacle d'un aventurier et
aussi il est face à un film.

RAISON HUMAINE
Pour le personnage, Godard passe par des comparaisons mélangeant sciemment de la
littérature, ses personnages, ses héros avec ses écrivains. C'est-à-dire une image
intraitable de l'aventure telle quelle, où selon la maxime de Lénine que Godard cite,
l'éthique est l'avenir de l'esthétique :

"(…) se brûler uniquement pour essayer de ne pas se brûler.


Tentative absurde et belle dans la mesure où elle se refuse désespérément à l'analyse,
comme absurde et beau fut le silence de Rimbaud,
absurde et belle la mort de Drieu La Rochelle,

73
absurde et beau le voyage d'Abel (…)."

L'ABSURDITÉ COMME POUVOIR CRITIQUE


L'appréciation de l'absurdité passe chez Godard, lorsqu'on consulte les exemples
comparatifs, par le danger et une présence de la mort face à l'homme, (silence, suicide,
renoncement) et cette absurdité du sort se propage jusque dans l'écriture du témoignage
critique :

"Vraiment plus j'y pense, je trouve beau le film d'Haroun Tazieff parce qu'on peut en parler de
façon absurde, en pensant à mille autres belles choses."

POUVOIR D'ÉVOCATION ALÉATOIRE


Le pouvoir de l'absurdité réside dans son pouvoir d'évocation aléatoire associant les
idées avec la beauté (les belles choses). La fin de l'article est un compte-rendu
d'associations, comme un montage d'extraits de film enchaînés les uns aux autres et
dont le fil/m conducteur est le souvenir du film de Tazieff.

"Je pensais à la fois à tout cela et à tout autre chose, (…). Moi, je pleurais d'émotion parce que je
pensais à Flaherty, et que lorsque je pense à Nanouk, je pense à Murnau, tout comme lorsque je
pense à Tabou, je repense à mon eskimau, autrement dit à Stromboli par la même occasion, et,
pour retomber sur Flaherty à Truffaut qui le déteste (…) ."

RAISON CINÉMATOGRAPHIQUE
"Ce qui est beau c'est ce désir démesuré d'objectivation, cette volonté acharnée, (…), ce besoin
intérieur profond qui les pousse à vouloir authentifier contre vents et marées la fiction par le
réalisme de l'image photographique."
L'analyse du film permet à Godard de citer Bazin sans ambiguïté. C'est par ce désir que la fiction
vient s'authentifier mouvement en rapport avec l'ontologie de l'image photographique, c'est par
l'acte de filmer que la nature met en scène elle-même sa beauté. Bazin dit :
"La caméra seule possédait un Sésame de cet univers où la suprême beauté s'identifie à la fois à
la nature et au hasard."

LA BEAUTÉ IPSO-FACTO DU CINÉMA


Ce sur quoi insiste Godard sans rentrer en conflit avec Bazin, c'est le pouvoir de
possession de la caméra sur les choses, solitude de la caméra, comme pouvoir
d'objectivation, puis grâce à celui-ci, les choses s'authentifient, et par leur
authentification, deviennent beauté, suprême pour Bazin. Ainsi, devant ce spectacle,
notre vision s'identifie d'autant que la caméra authentifie. On comprend selon cette
authentification la part d'octroi que fait le cinéma. Redonnant la beauté aux yeux du
public, il en conserve une part de hasard. Par conséquent, le cinéma se substitue au
mouvement du sort et prend la place métaphysique de ce qui régule le monde devant
nous.
On la comprend, la ressent, cette sensation qui fait que plus rien ne peut être conçu
comme hasardeux lorsque cela passe par le film, d'où le souci constant du cinéaste ou
du scénariste même d'enlever, d'élaguer un certain nombre d'évènements réels qui se

74
sont produits dans la réalité sous peine de ne pas être crus.93 L'octroi de la part du
hasard par le film, fait que l'ontologie de l'image photographique déplace le centre de la
vraisemblance.

"En nous montrant tous ces prodiges de mise en scène, Haroun Tazieff, ipso facto, nous prouve
que la mise en scène est chose prodigieuse."

Filmer devient prodigieux et l'acte de mise en film se suffit à être extraordinaire.

Ref.108 -DURA LEX


(Jules Dassin, LA LOI).
n°93. 03/1959. p.61
Une critique sévère du film. Après avoir expliqué que Dassin n'était plus que l'ombre de
lui-même (Nous aimions bien Jules Dassin), Godard raconte une anecdote de tournage
comme le faisait Truffaut dans les colonnes de Arts. JLG narre que Dassin avant
d'engager Gina Lolobridgida jouer une jeune fille de 14ans, avait auparavant fait passé
des séries d'essais à toutes les jeunes stars, et qu'il a vu deux de ses essais:

"La claquette annonçait mademoiselle une telle : on voyait entrer au fond du décor la fille qui
s'avançait pour venir embrasser au premier plan un homme en amorce. Le baiser durait de
longues secondes. Le type se retournait alors vers la caméra avec un air de marchand de tapis et
disait “coupez”. C'était Jules Dassin. "
Sous couvert d'une prise en charge totale du film jusqu'à occuper le poste de Casting
Director, Godard montre toute la cupidité de Dassin, qui par lubricité, fait passer les tests
pour pouvoir les embrasser. Ce sont souvent des étapes comme cette anecdote de droit
de cuissage qui montre le désir de changement de ce monde du travail, et même pour
ceux qui étaient déjà à l'intérieur du système.

Ref.109 -L'AFRIQUE VOUS PARLE DE LA FIN ET DES MOYENS


(Jean Rouch, MOI, UN NOIR ). n°94. 04/1959. p.19
FRATERNITÉ DE LA FICTION AVEC LE RÉEL
La critique et présentation du film de Rouch permet à Godard une fois de plus de pouvoir
définir un certain nombre de concepts proprement cinématographiques. Déjà le titre tel
qu'il le laissait suggérer, et bien que le cinéma comme on l'a vu dans la ref.94, pouvait
avoir tendance en certains cas précis à se substituer à la part de hasard et à nous dicter
au-delà de notre conduite peut-être notre sort. Les films d'anticipation. Ce que j'entends
par concept cinématographique c'est par exemple dans cet article la manière qu'à
Godard de mettre dos à dos la réalité avec la fiction. Fiction et Réalité sont deux termes
qui, sortis du contexte cinématographique, ont des définitions beaucoup plus
conséquentes qu'ils n'avaient dans le domaine du cinéma.

93
. Georges Conchon, "Interview télévisé", 14 Décembre 1978, Antenne 2 : “J'ai dû enlevé un certain nombre
de choses qui se sont effectivement produites dans notre histoire pour paraître plus vraisemblable." (Georges
Conchon a adapté ses propres romans en scénarios de fiction marquant les années 70).

75
"Pas de demi-mesure :

C'est ou la fiction, ou la réalité.


Ou bien on met en scène, ou bien on fait du reportage.
On opte à fond
ou pour l'art, ou pour le hasard.
Ou pour la construction, ou pour le pris sur le vif.

Et pourquoi donc? Parce qu'en choisissant du fond du cœur l'un ou l'autre, on retombe
automatiquement sur l'autre ou l'un."

A son habitude, Godard nous met en présence d'un départage entre les deux notions
réalité et fiction, par une série de caractéristiques, qui tendent à nous démontrer qu'il
s'agit d'une seule et même chose. Par la suite Godard ajoute :

"Tous les grands films de fictions tendent au documentaire, comme tous les grands
documentaires tendent à la fiction".

C'est donc parce que ces deux notions sont ambivalentes qu'il est important pour Godard
de choisir comme il dit du fond du cœur l'un ou l'autre, car finalement on l'aura compris, il
s'agit ici plutôt d'intensité de l'engagement qui fait que plus on s'engage dans une des
deux, plus le contraste surgit. C'est donc le constat que la dialectique fiction/réalité est en
opposition apparente et que le degré d'engagement dans lʼune ou l'autre voie est
autrement plus fondamentale.

Ensuite contredisant la phrase de Nietzsche, et affirmant qu'elle est la plus fausse du


monde :

"Nous avons l'art pour ne pas mourir de la vérité."

La définition nietzschéenne de l'art comme une organisation du faux pour pouvoir vivre et
ne pas périr de la vérité se trouve contredite selon Godard car le cinéma, en tant qu'art et
comme on l'avait vu à la Ref.107, le cinéma se substitue à la vérité et se fait
l'organisateur du mouvement du monde incluant dans son propre processus les lignes du
hasard. Aussi JLG titre-t-il dans son dernier paragraphe : Art ou Hasard.

"Voilà qui prouve (ce plan d'un visage qui surgit du noir comme impromptu) en tout cas que tous
les chemins mènent à Rome ville ouverte.
Si les voies de l'art sont imprévisibles (jouant avec l'expression consacrée à la religion : les voies
du seigneur sont impénétrables.) c'est parce que celles du hasard ne le sont pas."

Le développement de la pensée de Godard à propos de cette substitution continue :

"Tout est clair maintenant. Se fier au hasard, c'est écouter des voix."

Puisque il nous avait décrit une longue séquence noire sur laquelle surgissait par hasard
un visage, c'est par la voix qu'a lieu la rédemption de l'image. D'autant plus que la post-
synchronisation du film fut faite par les acteurs eux-mêmes qui devaient essayer de
redire ce qu'ils avaient à dire (au moment du tournage muet). Produisant par ce décalage

76
léger une manière proprement moderne, puisque la voix d'un seul tenant appartenant au
corps de l'acteur se trouvait improvisée comme une partition de Jazz.

Ref.110 -RIFIFI
(Alex Joffé, DU RIFIFI CHEZ LES FEMMES).
n°94. 04/1959. p.44
Notule qui confie la déception que le film ne ressemble pas à ce qu'on pouvait attendre
de Joffé. Godard organise un jeu de piste avec des mots dans le style "Marabout, bout
de ficelle" qui évoque la manière de la référence 62 et son pouvoir d'évocation aléatoire,
ici dans cette notule elle est poussée jusqu'à son paroxysme :

"Joffé a déjà mis en scène des Assassins . Oui, mais ils étaient du Dimanche , et qui dit
dimanche dit “le dimanche de la vie” et qui dit de la vie dit La Vie à deux , et qui dit deux dit Deux
sous d'espoir ou Rien que nous deux, bref, qui dit Queneau, Guitry ou Castellani, retombe sur
Alex Joffé."

ASSOCIATION AUTOMATIQUE
Bref l'association est ici par endroit purement vocale, reliant que nous avec Queneau.
C'est une association qu'on pourrait presque concevoir comme automatique.

Ref.111 -BORIS BARNETT


(Boris Barnett, BORISTS I KLOUN [LE CLOWN ET LE LUTTEUR]).
n°94. 04/1959. p.44
Cette notule, qu'on retrouve dans ce même petit journal des cahiers, fait état du peu de
monde qui venait regarder les films de Barnett en 1957. Deux ans plus tard, au même
endroit (la cinémathèque française) il y avait foule. Au départ c'est l'aspect soviétique qui
repoussait, et l'insuccès de Barnett. Puis, explique Godard, on ne peut bouder un
Barnett, si l'on n'est pas idiot, mais malgré cela à part lui-même et Rivette, tous les
autres faisaient grise mine car même si c'est un film de commande…
"(…) Notre ami Boris est bien trop stylé pour refuser ce que précisément le style est à même de
sauver. Mais c'est là l'occasion ou jamais de trouver le secret de cet art de la stylisation (…) "

UN REPRÉSENTANT EXOGÈNE DU STYLE


Chacun des films de Barnett est comparable avec un film hollywoodien, au niveau du
style transcendant les frontières, et permettant à Godard d'affirmer que Barnett est
sûrement le meilleur représentant du style de la Triangle94.

"Le fameux style de la Triangle, plus que chez Dwann ou Raoul Walsh, c'est chez Boris Barnett
qu'il faut aujourd'hui aller le dénicher."

On remarquera d'une part que c'est un soviétique qui représente un style américain,
formant un axe pacifié (Moscou-Hollywood), qu'il dénoncera plus tard au moment des
tracts du groupe Dziga Vertov95, et d'autre part que le représentant d'un style pouvait être

94
. La Triangle comme la Biograph est une des premières société de productions hollywoodiennes.
95
. Jean-Luc Godard, “Que faire ?”, (Double page de Politique Hebdo réalisée par Le groupe Dziga Vertov,
non daté), Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard , [volume.1], Paris, Editions de l'Étoile. 2ème Ed.1998,.
p.344 : "Les partisans de la coexistence pacifique Hollywood - Moscou attaquent en force à droite comme à
gauche".

77
exogène à celui-ci. Le cinéma, on le savait déjà au temps du muet, détient un pouvoir de
propension à l'universalité96, mais pour le parlant, Godard retient la leçon de Rivette à
propos de Mizoguchi, qui, des antipodes nous parle pourtant avec le même langage :
celui de la mise en scène97.
Aussi comme toujours, à la recherche d'un paradoxe cinématographique, celui de
désigner le représentant d'un style américain étranger de deux façons, la nationalité
dʼabord, puis aussi, sans que l'auteur ne le sache.

Ref.112 -DES LARMES ET DE LA VITESSE


(Douglas Sirk, A TIME TO LOVE AND A TIME TO DIE [LE TEMPS D'AIMER ET LE TEMPS DE
MOURIR])
n°94. 04/1959. p.51
"Je trouve qu'on devrait citer Griffith dans n'importe quel article sur le cinéma : tout le monde est
d'accord, mais tout le monde l'oublie quand même, Griffith donc, et André Bazin aussi, pour les
mêmes raisons."

Godard après avoir indiqué quelques nouvelles règles de conduite critique reste en arrêt
devant le titre et à son habitude comme nous commençons maintenant à le comprendre,
cherche le qualificatif maximum pour cette fois-ci le titre du film.

"Après Le Plaisir, c'est le plus beau titre de tout le cinématographe parlant et muet."

"C'est une idée simpliste. Peut-être, car, après tout, c'est une idée de producteur. (…)"

Discours ambigu, tenu par Godard lorsqu'il aborde la fonction du producteur peut ici
paraître un jeu d'enfant comme de donner de l'argent et inventer des titres de films, mais
il n'en est rien. Ecartant la simplicité de l'action, Godard désigne la nomination de titre
comme le privilège du producteur. Confirmation de la fonction dans les HdC avec
Thalberg et Selznick.

L'OCCUPATION DU NOIR DU TEMPS DE L'OBTURATION : UNE UTOPIE


"A force de fermer les yeux avec une ingénuité rare dans Berlin sous les bombes, arrivent en fin
de compte plus au fond d'eux-mêmes qu'aucun autre personnage de film à ce jour. (…) On pense
à la guerre, en voyant défiler ses images d'amour, et vice-versa. (…) Comme si l'ancien monteur
de la UFA, par fidélité à ses personnages, avait cherché à mettre en jeu également le laps de
temps durant lequel l'obturateur est fermé. Bien sûr, Sirk n'a pas fait ça aussi explicitement que je
le dis. Mais il donne l'impression d'avoir eu cette idée. Et cette idée peut-être ingénue de la part
d'un metteur en scène que de vouloir assimiler la définition même du cinéma avec celle des
héros, mais c'est une belle idée. Quand on dit : se mettre dans la peau de ses personnages, dans
le fond, ça ne veut rien dire d'autre."

En plus de faire avancer les limites mêmes de la représentation cinématographique et de


vouloir, avec utopie véritable, occuper cet espace inoccupé, cette avance n'est pas un
recul. En plus de ce désir qu'il voit en Sirk mais qu'on devine peut-être encore plus

96
. Elie Faure, Fonction du cinéma, (1925), Paris, Ed. Denoël/ Gonthier.p.64.
97
. Jacques Rivette, “Mizoguchi, vu d'ici”, Cahiers du Cinéma , n°81, Mars 1958, Ed. de L'Étoile. p.28 : « Si la
musique est idiome universel, la mise en scène aussi : c'est celui-ci, et non le japonais qu'il faut apprendre
pour comprendre “le Mizoguchi”. L'exotisme rend compte suffisamment de l'intonation superficielle qui sépare
un Tadashi Imai d'un Cayatte. »

78
évident chez Godard, plus évident, plus présent, en plus de cette utopie, on comprend
également la relation qui veut que l'acteur, le personnage soit le double, un ex-voto
humain entre le spectateur et le cinéaste. Lʼimage de son corps est le carrefour vers
lequel convergent les projections (du regard) de désirs du cinéaste comme celui des
spectateurs. Aussi il est le lieu de toutes les identifications (cinéaste comme spectateur).
Souvent lorsque l'on réfléchit sur les conditions du spectateur98, et de sa capacité à
s'identifier aux corps, corps de personnages du même sexe mais également du sexe
opposé, et aussi sur son identification possible avec le corps d'ensemble du film, le film
étant comme un rêve appartenant à celui qui le regarde, dans la souveraineté de son
regard, le spectateur mange, s'approprie le film face à lui, le réduit et le fait sien.

Ce que nous conte Godard dans cet article sur Douglas Sirk, c'est que la même
opération est possible du côté du cinéaste. Le cinéaste Godard ne réalisant pas encore
ses films, mais par ses articles effectue une production du cinéma, et comme producteur,
il produit non pas des films, mais par ces entrelacs d'idées, montages de concepts
cinématographiques, Godard produit du cinéma. Et l'identification qu'il repère, qu'il
suppose que fait Sirk vis à vis de ses personnages, c'est lui qui n'en est pas témoin
mais producteur; Par le rôle de faire la critique du film, il vampirise le statut du
réalisateur. Il prend sa place mais comme le film est déjà fait, et n'est pas contraint (à la
réalisation) c'est-à-dire qu'il n'est pas contraint au rendu réel du film, le film est là, au
présent, abolissant toute coordonnée temporelle du film, il se place, se substituant au
réalisateur, dans un lieu utopique qui est :
L'UBIQUITÉ DU CRITIQUE, le réalisateur dans son potentiel, son désir, son devenir, sa
concrétion, sa finalité, son passé.
Par l'abolition temporelle, le film étant déjà fait, le critique produit le film, le même film,
mais c'est plus qu'un détournement théorique du film, ce détournement, par la place qu'il
occupe face au film, il le rend pour le coup autant intemporel que son acte
d'appropriation. D'où la légèreté dʼécriture souvent insolente que Godard se permet sur
les films, comme une certaine hauteur que des regards mal avertis pourraient vouloir
localiser, spatialiser en disant : « il se place au-dessus des films ». Il n'en est rien,
Godard plonge dans le film, et effectue une deuxième fois sa production. Il le reproduit
parce qu'il est passé mentalement par son processus de re-présentation.

LE PROCESSUS DE RE-PRÉSENTATION.

Aussi va-t-il chercher un autre exemple de cinéaste qui veut se mettre dans la peau de
ses personnages : Abel Gance. Gance en plus de son désir d'identification joint l'acte à
la puissance, transformant son geste d'identification par un mouvement d'appareil :

"(…) Gance (qui) lançait des caméras en l'air lorsque Bonaparte enfant lançait des boules de
99
neige dans la cour de Brienne."

Ainsi donc il s'agit de similitude de deux gestes, un par l'acteur, l'autre par le réalisateur,
qui n'étant pas pour un temps donné dans l'écran va substituer au geste, celui de la
caméra.

98
. Le siècle du spectateur, VERTIGO, Ed. J. M. Place. 1994..
99
. C'est nous qui soulignons.

79
C'est toujours dans la similitude du mouvement de la caméra avec la course d'un acteur
que Godard conclue. La force du Cinémascope tel que le produit Sirk c'est de suivre à la
trace les comédiens qui courent devant, et se baisser au moment où ils se baissent pour
passer sous une barrière.

Ref.113 -UNE LOI OBSCURE


(Georges Franju, LA TÊTE CONTRE LES MURS ).
n°95. 05/1959. p.55
Ce deuxième article sur le film de Franju prend l'allure d'un plaidoyer. L'argument
précédent est repris, c'est-à-dire la comparaison avec Lang et le goût pour Franju du
plan d'ensemble. Godard précise et vient décrire une technique de mise en scène : Le
marquage.
"Le petit geste incisif de Mocky débouclant le ceinturon d'Anouk Aimée, et qui fait d'autant plus
d'effet et qu'il reste cadré en plan d'ensemble, geste unique, où l'abstraction est poussée
tellement loin qu'elle retombe (…) sur la pure sensation. Un seul geste de trois secondes donc, et
voilà toute une scène de cinq minutes qui s'en trouve imprégnée (…) dramatiquement marquée.
Et voilà d'ailleurs l'art, ou plutôt l'un des secrets de l'art de Franju, (…) c'est poser le regard de la
caméra assez longtemps sur les visages et les objets pour les marquer profondément."

Poser le regard de la caméra… Le regard de la caméra, l'expression peut surprendre,


mais elle est logique si l'on repense à la volonté d'agir du cinéaste (D.Sirk) dans la scène
alors qu'il est invisible, sa seule possibilité l'action de la caméra. Aussi évidemment le
marquage du monde (visages et objets) par la caméra est produit par un laps de temps,
voilà ce que nous dit Godard, ce que l'on sait également, c'est que ce temps de
préhension du monde par la machine et dans la relativité Shopenhauerienne, le même
acte au même instant de cette métamorphose C'est la machine en un regard qui devient
humaine (le regard de la caméra comme témoignage écrit de l'opération) et de toutes
façons, si on objecte qu'une machine ne peut concrètement avoir de regard, c'est oublier
qu'une fois sorti du dispositif temporel de la fabrication du film jusqu'à sa projection, sorti
du dispositif temporel, le regard de la caméra n'est que le regard futur des spectateurs
qui pour le coup sont eux bien humains, au moins dans leur constitution. Dit autrement,
le regard de la caméra et le regard virtuel du spectateur comme celui du réalisateur,
activité future du spectateur, et activité passée, pour la présentation du filmage.

Ref.114 -LE PASSE-TEMPS RETROUVÉ


(Blake Edwards, THE PERFECT FURLOUGH [VACANCES À PARIS]).
n°95. 05/1959. p.58
Notule pour un film mineur, sans qu'il ait signé le scénario, Godard affirme pourtant
conserver sa confiance en Blake Edwards. Et cite Valéry Larbaud sur la différence
sentimentale des langues et nationalités.

Ref.115 -CANNES 1959 - INDIA


(Roberto Rossellini, INDIA MATRI BHUMI [INDE, TERRE MÈRE]).
n°96. 06/1959. p.41
LE CONTRE-CHAMP DU CINÉMA HABITUEL PROVOQUÉ
Petite critique du film de Rossellini, en attendant une étude plus détaillée, qui permet à
Godard d'attribuer au cinéaste italien le qualificatif de technicien. Ce qui lui apparaît

80
comme un compliment. Malgré les erreurs grossières comme un changement de support
dans un champ - contrechamp, Godard y trouve au contraire une vertu :

"Mais ça n'a pas d'importance puisque, comme le dit je ne sais quel livre de sagesse , la vérité est
dans tout, et même, partiellement dans l'erreur. Je trouve le “partiellement” sublime. Il explique
tout. Il explique que le champ sur le tigre soit en 16mm agrandi, et le contre-champ sur le vieillard
en 35 mm. India prend le contre-pied de tout le cinéma habituel : l'image n'est que le complément
de l'idée qui la provoque. India est d'une logique absolue (…)"

Ce qui est intéressant c'est que l'exemple du champ - contrechamp entre en résonance
avec les deux assertions suivantes : le cinéma habituel devenant le 16 agrandi, face à
India en 35. Idem avec l'image associé au 16 alors que l'idée se valide avec le 35. Les
mots apparentés par homonymie font que l'écho fonctionne, grâce à la similitude des
termes de : contrechamp, contre-pied (pour la deuxième phrase) et complément (pour
la troisième).

Ref.116 -FRANC-TIREUR
(Paul Wendkos, TARAWA BEACHHEAD [TARAWA TÊTE DE PONT]) .
n°96. 06/1959. p.56
Pour cette notule, la critique de Godard sʼexerce en deux parties, séparant de façon
inhabituelle le regard avec l'esprit.
Il compare Wendkos avec Goodis, et cite un personnage comme proche de Gilles de
Drieu La Rochelle. Les allers-retours Cinéma-Littérature chez Godard se font sans
encombres. Mêlant auteurs (de films et de romans) et personnages (de films et de
romans) comme comparables; même s'ils ont une existence hétérogène, par l'impureté
du cinéma, et par l'hétérogénéité comme constitutive du cinéma, Godard autorise la
comparaison avec les autres arts. Chaque article référencé en fait usage, on le voit
maintenant de plus en plus clairement. On établira en conclusion plus tardivement que la
rédaction de ces critiques est donc un peu plus importante que la rédaction écrite des
HdC.

Ref.117* -HIROSHIMA NOTRE AMOUR (Table Ronde)


(Alain Resnais, HIROSHIMA MON AMOUR).
n°97. 07/1959. p.1
Le propos suivant de Godard vient derechef commenter la réflexion faite en Ref.72 :
Hiroshima c'est de la littérature.
Puis il vient rendre un peu plus complexe les passages en ajoutant :
"Ce film est (qu'il est) sans référence cinématographique aucune. On peut dire d'Hiroshima que
c'est Faulkner + Stravinsky, mais on ne peut pas dire que c'est un tel cinéaste + un tel autre."
"Agaçant moralement ou esthétiquement ? C'est la même chose. Les travellings sont affaire de
morale."
"Le Fameux faux problème du texte et de l'image. Nous en sommes arrivés au point où même les
littérateurs, ne croient plus (…) que ce qu'il y a d'important c'est l'image.. Et ça Sacha Guitry l'a
prouvé depuis longtemps. Je dis bien prouvé. Car, par exemple, Pagnol n'avait pas su le prouver."
ANECDOTE DE LUBITSCH
"Vous savez ce que Lubitsch lui a répondu ? Filmez des montagnes, mon cher ami, quand vous
aurez appris à filmer la nature, vous saurez filmer les hommes."
SUR “TU N'AS RIEN VU À HIROSHIMA”

81
"Il faut le prendre dans le sens le plus simple. Elle n'a rien vu parce qu'elle n'était pas là. Lui non
plus. D'ailleurs, de Paris, il lui dit également qu'elle n'a rien vu, alors qu'elle est parisienne. Le
point de départ , c'est la prise de conscience. Resnais a, je crois, filmé le roman que tous les
jeunes romanciers français, des gens comme Butor, Robbe-Grillet, Bastide, et bien sûr Marguerite
Duras, essayent d'écrire."
LA PORNOGRAPHIE DE L'HORREUR
"Il y a une chose qui me gène un peu dans Hiroshima (…) c'est qu'il y a une certaine facilité à
montrer des scènes d'horreur, car on est vite au-delà de l'esthétique. (…) Il y avait un
documentaire produit par l'UNESCO qui montrait dans un montage sur musique tous les gens qui
souffraient sur terre, les estropiés, les aveugles, les infirmes, ceux qui avaient faim, les vieux, les
jeunes etc.. J'ai oublié le titre. (…) Eh bien ce film était immonde. L'ennui donc en montrant des
scènes d'horreur, c'est que l'on est automatiquement dépassé par son propos, et que l'on est
choqué par ces images un peu comme des images pornographiques. Dans le fond, ce qui me
choque dans Hiroshima, c'est que, réciproquement, les images du couple faisant l'amour dans les
premiers plans me font peur au même titre que celles des plaies, également en gros plan,
occasionnées par la bombe atomique. Il y a quelque chose non pas d'immoral, mais d'amoral, à
montrer ainsi l'amour ou l'horreur avec les mêmes gros plans."
ROSSELLINI
"C'est peut-être que là que Resnais est véritablement moderne par rapport à, mettons, Rossellini.
Mais je trouve alors que c'est une régression, car dans Voyage en Italie, quand George Sanders
et Ingrid Bergman regardent le couple calciné de Pompéi, on avait le même sentiment d'angoisse
et de beauté mais avec quelque chose en plus."
TRAVELLING ET COCTEAU
"On retrouve cette idée100 sur le plan de la mise en scène, puisque ce que veut Resnais, par
exemple, c'est d'arriver à faire un travelling avec deux plans fixes. (…) Ou Cocteau qui disait : “à
quoi sert un travelling pour filmer un cheval au galop ? ”

Ref.118 -LE BRÉSIL VU DE BILLANCOURT


(Marcel Camus, ORFEU NEGRO).
n°97. 07/1959. p.59
Critique amère et pleine de reproches du film de Marcel Camus. Avec ingéniosité,
Godard s'emploie au moins trois fois à demander au lecteur s'il n'a pas vu le film
ORPHÉE de Jean Cocteau. Et toutes les remarques peuvent s'incarner dans cette
dernière phrase où Godard explique : Ce qui me choque dans le film d'aventurier, c'est
de ne pas de trouver dʼaventures ou dans ce film de poète, pas de poésie. Film d'entre-
deux, tiède, pour Godard dont même le réel (document sur le Brésil) qui devait constituer
un des arguments de vente du film, son esthétique néo-réaliste, est gâché par des effets
de lumières aux couleurs qui donnent au décor un aspect dur et repoussant. On ne dirige
pas, estime Godard, les acteurs noirs amateurs avec les mêmes mots que Line Renaud
et Darry Cowl dirigés par Jean Boyer au studio Billancourt, d'où lʼintitulé de cet article.

Ref.119 -UNE FEMME EST UNE FEMME


SCÉNARIO DE J-L GODARD ET D'APRÈS UNE IDÉE DE GENEVIÈVE CLUNY
n°98. 08/1959. p.46
L'édition de ce scénario, qui est plus concrètement une continuité non dialoguée, ne
retiendra notre attention que dans la mesure où il y avait des didascalies

100
. L'idée d'une tentative (ou une tentation) de résoudre la contradiction fondamentale qui est partout dans le
monde dixit J.Rivette auparavant dans la discussion.

82
correspondantes à des intentions esthétiques. C'est le déroulement narratif pur du film.
Rentrer dans sa critique c'est rentrer dans une critique de l'histoire, sans prendre en
compte les effets filmiques du cinéaste. Notons d'autant plus que la disjonction son /
Image est plus prégnante puisqu'il s'agit ici d'une comédie musicale et d'autant plus
difficile à décrire dans une mise en commun (le son et l'image ne font plus qu'un) du
texte.

Ref.120 -LES DIX MEILLEURS FILMS DE 1959. n°104. 02/1960. p.1

1-PICKPOCKET-Robert Bresson
1-DEUX HOMMES DANS MANHATTAN-Jean-Pierre Melville
3-LES RENDEZ-VOUS DU DIABLE-Haroun Tazieff
4-MOI, UN NOIR-Jean Rouch
5-LA TÊTE CONTRE LES MURS-Georges Franju
6-LE DÉJEUNER SUR L'HERBE-Jean Renoir
7-HIROSHIMA MON AMOUR-Alain Resnais
8-LES 400 COUPS-François Truffaut
9-LES COUSINS-Claude Chabrol
10-DU CÔTÉ DE LA CÔTE-Agnès Varda

Ref.121* -ENTRETIEN AVEC ROBERT BRESSON.


n°104. 02/1960. p.3
Cet entretien motivé par la sortie de PICKPOCKET, est fait en commun avec Jacques
Doniol-Valcroze et aucune des questions posées ne sont nominales, empêchant par là
de savoir lequel des deux pose les questions. Hormis cette indifférenciation, cet entretien
avec Robert Bresson, n'éclaire en rien le travail de Godard, il montre avec prestance le
génie et la rigueur de Bresson, précisément sur le film PICKPOCKET et un autre film, en
projet celui-ci, à cette époque : LANCELOT.

Ref.122 -FRÈRE JACQUES


(Hommage à Jacques Becker). n°106. 04/1960. p.4

MORT AU CHAMP D'HONNEUR


Ce texte court suivant celui de Cocteau et Renoir est un texte en hommage à Becker. On
sait l'importance de ce cinéaste pour Godard. C'est à lui qu'il projeta À BOUT DE
SOUFFLE dans une salle en privé pour avoir son avis. Le texte commence sur le pouvoir
guerrier du cinéma :

"Jacques Becker est mort sur un champ de bataille inouï et terrible : celui de la création
artistique."
Godard avait pu exprimer cette association lorsque le film de Truffaut avait été
sélectionné à Cannes101 . Ici, c'est l'image de LA BANDERA102 et de Le Vigan martelant

101
. Ref.A59/A60. Mais voir aussi Ref.57
102
. Julien Duvivier, LA BANDERA, 1935.
L'extrait sera utilisé par JLG, pour la mémoire de Becker et de quelques autres combattants du cinéma pour
le centenaire du cinéma (1996).
voir Ref.Film 65. 2X5OANS DE CINÉMA FRANCAIS

83
de sa voix aiguë et rauque "Morts aux champs d'honneur" que nous imaginons ce que
Godard pense, lorsquʼil rédige en liminaire ce texte en deux paragraphes :
Le premier paragraphe est une mise en scène des personnages des films de Becker qui
effectuent des gestes symboliques à la même heure, au début du jour, le moment même
où Becker expira. Il crée plus qu'un parallèle, une continuité entre les personnages des
fictions de Becker et Becker lui-même. Ce qui lui fera dire à la fin du second paragraphe :
"Il n'y a qu'à comparer une photo de Becker au volant de sa Mercedes 300 SL avec le premier
103
plan des Aventures d'Arsène , pour voir que Robert Lamoureux était son portrait craché.
Jacques Lupin, alias Artagnan Becker est donc mort. Faisons semblant d'être émus, car nous
savons, depuis le testament d'Orphée, que les poètes font semblant de mourir".

LE STADE D'IDENTIFICATION DU CINÉASTE À SON PERSONNAGE


Ce n'est pas la première fois, on l'a déjà vu que le jeu d'identification entre les
personnages d'un film et le spectateur, ou même la star qui joue un rôle n'est là que pour
rappeler sa condition de spectateur qui s'identifie, c'est-à-dire qui regarde le film et qui
sait bien mais quand même104. La Star elle aussi, mais en plein écran, joue à son
personnage, et le moment où elle rentre dans son personnage, faisant oublier son
individualité, est le même moment où nous, spectateurs, rentrons dans le personnage du
film. Ce jeu, donc, existe aussi comme un lien étroit entre le cinéaste et ses personnages
dans la théorie de Godard; jouant sur le processus identificatoire, les personnages
cinématographiques ne sont que le prolongement du cinéaste ou bien ils ne sont pas, et
appartiennent alors à un autre registre artistique comme la littérature, le théâtre ou la
poésie. Ce que nous dit Godard dans ce texte c'est qu'il n'est pas le seul, Becker aussi
croyait au lien spectateur - personnage/star - cinéaste.

LA PATRIE DU CINÉMA
Le second paragraphe est l'appréciation du cinéaste au cinéaste. Godard place Becker
entre Renoir, Ophuls et Melville, leur attribuant une nationalité ou une ville à chacun :

CINÉASTE PATRIE
RENOIR ITALIE
OPHULS VIENNE
MELVILLE NEW-YORK
BECKER FRANCE

Ce nationalisme, qu'il convient mieux d'appeler patriotisme puisqu'on voit que la


correspondance fonctionne aussi avec les villes, (la patrie, désignant l'endroit où l'on est
né, peut désigner un lieu, comme une région , une ville ou un pays.)
Ce patriotisme donc pourrait paraître daté voire déplacé pour une oraison funèbre, mais
elle correspond en fait à une nouvelle équivalence, celle de la fierté d'un métier.
Il faut comprendre que chez Godard la notion de patrie ou de nationalité n'a pas de
sous-entendu politique, non il faut apprécier la patrie dans l'acception godardienne
comme lieu fondateur, une cité d'origine du créateur, comme lorsque l'on dit qu'Athènes
est la patrie des philosophes.

mais voir surtout Ref.Film.56. GRANDEUR ET DÉCADENCE D'UN PETIT COMMERCE DE CINÉMA. où la
formule de l'Appel aux morts y est présente pour la première fois, ainsi que la tentative de la définir.
103
. Les Aventures d'Arsène Lupin, (Jacques Becker, 1957).
104
. Octave Mannoni, L'autre scène, Paris, Ed. du Seuil.1972. : "Je sais bien mais quand même".

84
Dans son film Liberté et Patrie (2002), la patrie susdite est plutôt Genève et Rolle que la
Suisse. Il s'agit avant tout du lieu dans lequel on retourne, d'un exil, celui de la création
solitaire, on retourne au pays des autres artistes. Citant à cette occasion ainsi que dans
son film The Old Place (1999), le poème de Friedrich Hölderlin : Ich zur Heimat.(Retour
au pays natal)105 Supposons au moins que le heimat (le pays) n'a pas la même exigence
d'appartenance que le Vaterland. Pour finir les exemples qu'il donne en français sont
justement des pistes : la rose de Fontenelle.
Et la bande à Bonnot, bande d'Anarchistes exécutés injustement par la police, nʼest pas
un exemple de personnages rassembleurs d'une communauté, mais bien des
individualités se dressant face à l'ordre social français.

Ref.123 -LA PHOTO DU MOIS


(Jean-Luc Godard, LE PETIT SOLDAT).
n°109. 07/1960. p.43

INVENTAIRE DES MALADRESSES À COMMETTRE


Godard commente une des photos de tournage de son propre film Le petit soldat. Il
annonce que le sujet de son film n'est pas actuel mais d'actualité, (jouant aussi sur un
autre jeu de mot : caméra au poing, poing fermé ceux des espagnols dans l'Espoir).
Godard joue sur la provocation du fait que cette photo est comme une annonce
publicitaire et annonce qu'il y aura dans ce film un certains nombre d'éléments
esthétiques que tout bon professionnel, logiquement condamne ou tout au moins
dissimule, évite de commettre dans son film :

"pas mal de filés, des plans sur et sous-exposés, une ou deux fois flous."

Sous-entendant donc que la préoccupation de la forme vient après celle du sujet, comme
on peut l'envisager pour un film de reportage. Bref tout ce qu'il est sommé de ne pas
montrer dans un film de fiction conventionnel et professionnel cela va de soi. On
comprend que c'est à partir d'À bout de souffle , qu'il a porté la maladresse technique au
rang du geste artistique. Godard écrit qu'il va continuer, en faisant même l'inventaire des
fautes qu'il ne faut pas faire après ses faux-raccords. Nicholas Ray, en précurseur de
cette technique, l'avait précédé.
Pareil au texte patriotique sur Becker106, il affirme que son personnage est fier d'être
français mais au lieu de la Bande à Bonnot, on a Louis Aragon et plus classiquement
Joachim du Bellay.

105
. Anthologie Bilingue de la poésie allemande. Paris, Ed ; Gallimard. Coll. Pléiade. p .1034.
On retrouve ce texte également dans Allemagne, année 90 (1991).
106
. Ref.122

85
Ref.124 -LES DIX MEILLEURS FILMS DE 1960. n°116. 02/1961. p. 2
Par ordre alphabétique
LES BONNES FEMMES (Claude Chabrol)
LES DENTS DU DIABLE (Nicholas Ray)
GIVE A GIRL A BREAK (Stanley Donen)
L'INTENDANT SANSHO (Kenji Mizoguchi)
MOONFLEET (Fritz Lang)
NAZARIN (Luis Bunuel)
LE POÈME DE LA MER (Alexandre Dovjenko)
LE TESTAMENT D'ORPHÉE (Jean Cocteau)
TIREZ SUR LE PIANISTE (François Truffaut)

Ref.125* -LE PETIT SOLDAT (bande paroles)


(Jean-Luc Godard, LE PETIT SOLDAT).
n°119. 05/1961. p.23

UN CONTRECHAMP D'OPPOSITION IMAGE / SON


C'est la retranscription exacte des dialogues du début du film de Godard, les séquences
sont nommées bobine. On compte quatre bobines et onze photogrammes légendés.
On remarquera, une série de deux photos établies en champ - contrechamp : Bruno
Forestier (Michel Subor) prend en photo Veronica (Anna Karina). L'homme prenant la
photo à travers des étagères vides ce qui vient surligner l'encadrement de la caméra elle
même. Avec cet effet de cadre dans le cadre, le dialogue inscrit sous la photo
commente: "La photographie c'est la vérité."

Le contrechamp de Forestier raccorde à 180° et l'on a Veronica qui regarde l'objectif de


la caméra mais qui pour l'instant désigne aussi le subjectif du photographe. Le cadre est
souligné également par un effet d'encadrement, rond celui-ci, la jeune fille regarde la
caméra à travers un pochette en papier d'un disque manquant. Le fond est une grille
donnant la rondeur encore plus présente. On comprend dans l'analyse de ces deux
images mises ensemble (champ contre-champ) l'effet de cadre joué mais aussi une
signification symbolique d'opposition puisque l'homme a un appareil de reproduction
d'image, alors que la femme contient un des éléments de la reproduction du son (une
pochette de disque), visuellement les deux images s'accordent pour finalement
symboliquement s'opposer.

Ref.126* -LE PETIT SOLDAT (bande paroles II)


(Jean-Luc Godard, LE PETIT SOLDAT). n°120. 06/1961. p.
La suite de l'exacte retranscription du dialogue du Petit soldat. Retranscription partant de
la suite de la bobine 4 jusquʼà la bobine 9.

Ref.127* -ERRATUM DU PETIT SOLDAT. n°121. 07/1961


LE BLANC QUI PREND SA PLACE COMME ÉLÉMENT DE CENSURE,
MAIS ÉLÉMENT PLEIN
L'erratum qui s'est glissé correspond à l'effacement du mot Bretagne par un blanc. Cet
erratum met en relief une technique employée dans les deux dernières références. En
effet, le blanc qui demeure réside pour attester du signe de censure, signe du
mouvement de dissimulation : ainsi on a un espace blanc qui équivaut à un espace noir

86
au lieu de laisser en place, certains mots comme on se doute l'Algérie, ou les terroristes,
ou encore les algériens. On connaît les déconvenues qu'a eues Godard avec ce film. Et
des problèmes de la censure et de son interdiction au moment de la sortie. En effet le
film tourné avant même qu'A BOUT DE SOUFFLE ne sorte, s'est vu interdire à cause des
évènements de la guerre d'Algérie à une époque où cette guerre ne disait pas son nom,
puisque l'Algérie n'était encore qu'un département français et que certains
indépendantistes, Fellagha, pour utiliser le vocabulaire employé de l'époque, ont essayé
de créer une situation chaotique pour pouvoir obtenir l'indépendance. Comme un peu
plus tard Tombeau pour 500.000 soldats de Pierre Guyotat, victime lui-aussi dʼune
censure, c'est-à-dire lʼinterdiction totale du livre, LE PETIT SOLDAT est finalement sorti
plus tard107. Même si l'idée de la censure est d'enlever ou tout au moins d'empêcher de
sortir certaines productions, le système de Godard fait que la censure laissant des blancs
laissent comme un jeu de remplissage sur ce qui manque. Similairement c'est en 1995,
le film co-réalisé avec Anne-Marie Miéville, intitulé 2x50 ans de cinéma français, un film
commémoratif de la naissance du cinéma, commandé par le British Film Institute, où
faute d'argent, il n'avait pu obtenir les extraits de film français et au lieu de travailler avec
d'autres extraits, Godard avait seulement mis la bande-son et inscrit le carton noir en
lettrage blanc : NO COPYRIGHT. Le film comportait des cartons emblématiques de la
pauvreté de sa réalisation ainsi que de lʼhistorique de sa fabrication.

Ref.128 -LES DIX MEILLEURS FILMS DE 1961. n°128. 02/1962


1-LES DEUX CAVALIERS-John Ford
1-LA PYRAMIDE HUMAINE-Jean Rouch
3-LE TESTAMENT DU DOCTEUR CORDELIER-Jean Renoir
4-LES GODELUREAUX-Claude Chabrol
5-PARIS NOUS APPARTIENT-Jacques Rivette
6-ROCCO ET SES FRÈRES-Luchino Visconti
7-EXODUS-Otto Preminger
8-LOLA-Jacques Demy
9-LES ÉVADÉS DE LA NUIT-Roberto Rossellini
10-LE DIABOLIQUE DOCTEUR MABUSE-Fritz Lang

Ref.129* -TROIS POINTS D'ÉCONOMIE (Eléments pour un dossier).


n°138. 12/1962. p.85

Ces trois points d'économie sont en fait trois parties d'une discussion, table ronde
comprenant différents intervenants comme Doniol-Valcroze, Truffaut, Delahaye, Kast,
Moullet, Rohmer, De Givray, Labarthe et Godard. Les trois parties sont le Public, la
Production et la Distribution. La discussion veut constater le résultat de l'impact des
changements que la Nouvelle Vague a elle-même produite, sur ces trois parties.
Ajoutons lʼapparition dans les mêmes années des mass médias avec son rôle
amplificateur mais moins déterminant que maintenant, et les rapports existants ou
inexistants, contrôlables ou incontrôlables entre ces trois parties. Rappelons également
que cette table ronde intervient dans le numéro 138, qui est le numéro spécial Nouvelle
Vague. Godard interviendra peu mais suffisamment pour que cela retienne notre étude.

107
. Le film ne sortira qu'en 1963.

87
Aussi il ne souffle pas un mot dans la première partie, mais dans la seconde il ajoute une
précision sur la distribution.

Ref.130 -LES DIX MEILLEURS FILMS DE 1962. n°140. 02/1963.p.2

1-HATARI!-Howard Hawks
1-VANINA VANINI-Roberto Rossellini
3-A TRAVERS LE MIROIR-Ingmar Bergman
4-JULES ET JIM-François Truffaut
5-LE SIGNE DU LION-Eric Rohmer
6-VIVRE SA VIE-Jean-Luc Godard
7-ANNÉES DE FEU-Alexandre Dovjenko
8-DOUX OISEAUX DE JEUNESSE-Richard Brooks
9-UNE GROSSE TETE-Claude de Givray
10-COUPS DE FEU DANS LA SIERRA-Sam Peckinpah

Ref.131 -FEU SUR LES CARABINIERS,


(Jean-Luc Godard [LES CARABINIERS]).
n°146. 08/1963. p.1-4
ARGUMENT PHILOSOPHIQUE
Cet article que fournit Godard sʼapparente à la forme dʼun d'accusé-réception. Une
explication critique de son propre film, suite aux malentendus que certains critiques ont
pu témoigner au moment de rendre compte de la sortie du film, et que Godard dresse en
liminaire de son article. Il est notable de constater que la réponse que fournit Godard est
d'ordre philosophique, prenant un vocabulaire directement issu des distinctions de la
conscience, tel que l'on peut lʼobserver chez Bergson108 :

"Le malentendu provient simplement de ce que j'ai filmé la guerre objectivement à tous les
niveaux, y compris celui de la conscience."

Evidemment on pourrait s'attendre à ce que Godard nous explique ce qu'il comprend


comme niveau dans le rapport de l'objectivité et du cinéma. Malgré ce manque qui rend
le texte faillible, le propos demeure intriguant quant à son but :

"Or, la conscience est toujours subjective, à un degré plus ou moins grand. (Même traitée en tant
qu'objet, chez Bresson, il s'agit toujours d'un objet dont la caractéristique est précisément la
subjectivité). Et tout les films, et en particulier les films de guerre, ont toujours misé dessus"

L'INVENTION D'UNE TECHNIQUE MIXTE


L'affirmation de la souveraineté de la subjectivité telle qu'il la pose dans cette phrase et
telle qu'ensuite, prépondérante, elle lui confèrera a posteriori la légitimité de toute action
dʼentreprendre le film subjectivement —ce tout subjectif bien pratique manque un peu
d'assise, même s'il cite Bresson et même sʼil tente d'établir le concept en termes
phénoménologiques109— mais qu'importe, c'est presque un piège habituel que dresse ici
Godard, pour occuper dans un ailleurs alambiqué ceux qui ont des reproches à lui faire.

108
. Henri Bergson, Les données immédiates de la conscience(1896), Paris, Ed. PU.F, 1974. p.52 : La
perception des images lorsqu'on se remémore…
109
. Merleau-Ponty, Lʼœil et lʼesprit, Paris, Ed. Gallimard, 1964.p.32 : une philosophie figurée de la vision.

88
Le plus important reste qu'il assume la singularité du sujet-cinéaste face à lʼobjectivité
(représentée par lʼidée du public) et invente ce qu'on lui reproche. Et cette technique
mixte, celle de monter en montage alterné des prises de vues documentaires de la
guerre avec celles du tournage de sa fiction a choqué les critiques par ce que non
respectueuse vis à vis des morts — on lui reprochera dans la même perspective, ce
genre de montage pendant les HdC, lorsqu'il montera en alternance les extraits porno
avec des images de la déportation (Shoah)—. Comment parvient-il à justifier ce montage
blasphématoire de ces images (de guerre, de la Shoah) qui se veulent pour ses juges,
garantes de tout le réel ?110
De ses propres mots, c'est l'éloge du truquage. Le truquage est cette contextualisation
d'une image, ici celle d'un mort à la guerre qui prend ou ne prend pas de sens selon la
disposition de celui qui regarde le film. Notons au passage que Godard attribue la
détermination du sens par le sujet, non pas au niveau du cinéaste, mais bien à celle du
spectateur. Le film comme objet, objet de rapport entre les deux sujets : cinéaste et
spectateur :

"C'est ce que j'appelle truquer — même avec des mains pures — car faire un film d'actualités, ce
n'est pas voler la vie qui dort dans les blockhaus des cinémathèques, c'est dépouiller la réalité de
ses apparences en lui redonnant l'aspect brut où elle se suffit à elle-même; en cherchant en
même temps l'instant où elle prendra sens."

LE MONTAGE RÉSULTE DE LʼORDRE DES IMAGES SELON LEUR VALEUR


Aussi pour le cinéaste iconoclaste, aucune image ne reste interdite, bien au contraire,
cʼest dans la saisie intégrale de toutes les images et dans leur agencement, en montage,
que lʼimage tabou peut être levée. La signification est produite par la considération
dʼimages devant celui qui reconnaît. Le montage alterné indique quʼil connaît cette
hiérarchie des valeurs de la nature des images en convoquant les extrêmes : ici les
images de la Shoah et là des images vidéo pornographiques—

LE SAISISSEMENT DE L'ÉVÈNEMENT EN TANT QUE SIGNE


Jouant sur la provocation d'une esthétique guerrière dans les contrées même du cinéma
(blockhaus des cinémathèques), Godard expose encore une nouvelle fois la définition de
l'acte de filmer :

"Filmer n'est donc rien d'autre que saisir un évènement en tant que signe, et le saisir à une
seconde précise, celle où (…) la signification naît librement du signe qui la conditionne et la
prédestine."

Filmer serait donc faire correspondance avec le salut, avec le geste de la libération, et,
puisque devenu primordial, la situation, dans laquelle l'image est faite. Filmer, c'est en
dernière instance : choisir.

110
. Georges Didi-Huberman, Images malgré tout, Paris, Ed. de Minuit, 2003.p.159. Dans ce livre, GDH
présente exemplairement le point de vue dʼun des juges de lʼimage : Gérard Wajcman ; pour ce dernier :
“ Il faudrait alors voir dans les HISTOIRE(S) DU CINÉMA de Godard une débauche dʼimages composites
animée par le souffle idolâtre des Muses et dans SHOAH de Lanzmann, une seule image, une Table de la
Loi cinématographique vouant toutes les autres, notamment celles de Godard, au statut de veaux dʼor. ”

89
FAUX-RACCORDS
L'article se finit par des nouveaux extraits de presse qui critiquent Godard sur les faux-
raccords, la pauvreté de son écriture et la mauvaise photo. Lui explique ce procédé par
le fait même que toute image raccorde avec une autre et que le mauvais raccord n'est
qu'une histoire d'habitude que nous a donnée Hollywood.

L'ENNUYEUSE CRUAUTÉ
Sur la pauvreté des textes , et les transitions éculées, Godard répond ce qui sera son
argument sur l'origine des textes, ce n'est pas lui qui les a écrits, mais il fournit en plus
une bibliographie qui prouve qu'il a effectué une recherche documentaire sur la
correspondance de guerre. Il rétorque, avec toujours en tête la force de la subjectivité :

"La plupart de ces textes sont effectivement d'une terrible pauvreté, d'une triste et ennuyeuse
cruauté."

LA PHOTOGRAPHIE MAL FICHUE


La justification de l'utilisation de la photographie telle que lui et Coutard l'ont utilisée ne
manque pas de mordant ironique : c'est quasiment un cours de technique auquel se livre
Godard, démontrant par là sûrement sa supériorité au niveau des connaissances de la
chimie et des révélateurs face aux critiques plus aptes à faire le métier de journaliste que
celui de chef opérateur. Aussi donne-t-il, quelques notions d'orthochromatiques et de
rayons gamma, la marque de sa pellicule, le nom du laboratoire, pour avoir effectué
plusieurs contretypes pour matcher les plans dʼactualités avec les siens.

LE FILM MAUDIT
"Le seul vrai film à faire sur eux (les camps de concentrations) — qui n'a jamais été tourné et ne
le sera jamais parce qu'il serait intolérable — ce serait de filmer un camp du point de vue des
tortionnaires, avec leurs problèmes quotidiens. Comment faire entrer un corps humain de deux
mètres dans un cercueil de cinquante centimètres ? comment évacuer dix tonnes de bras et de
jambes dans un wagon de trois tonnes , comment brûler cent femmes avec de l'essence pour dix
? Il faudrait aussi montrer les dactylos inventoriant tout sur leur machine à écrire. Ce qui serait
insupportable ne serait pas l'horreur qui se dégagerait de telles scènes, mais bien au contraire
leur aspect parfaitement normal et humain. (CQFD. (Carabiniers quel film dangereux)."

Ref.132* -DOSSIER PHILIPPINE


(Jacques Rozier, ADIEU PHILIPPINE).
n°148. 10/1963. p. 33
C'est un dossier spécial établi au moment de la sortie d'ADIEU PHILIPPINE par Nicole
Zand. Regroupant une série de personnes qui ont participé à la production au tournage
et à la diffusion du film.
Georges de Beauregard, producteur, Jacques Rozier, réalisateur, Jean-Luc Godard,
réalisateur intermédiaire, Sam Siritsky, exploitant de salles, L. Lazare, exploitant de
salles, Mme Decaris, exploitante de salle.
Le propos de Godard étant assez simple : il décrit les conditions de la production du film,
sachant que c'est lui-même qui a présenté Rozier à Beauregard.

"Je trouve dommage qu'il ait été produit dans des mauvaises conditions, dont je suis responsable
puisque c'est moi qui ait présenté Rozier à Beauregard, et qu'il ait coûté le double de ce qu'il
devait."

90
L'ambiguïté du propos de Godard est intéressant. Beaucoup moins clair quant à la
position qu'il adopte en terme de représentation tel qu'il l'a fait dans LE MÉPRIS où le
cliché du "combat entre le producteur face au réalisateur" est remporté par le réalisateur.
Par le fait même que le réalisateur existe dans la fiction comme dans la réalité (Fritz
Lang) alors que le producteur est joué par un comédien. Ne pas prendre part au débat
de la défense ni de l'un ni de l'autre, est révélateur du propre rapport qu'entretient
Godard avec ces deux fonctions et du refus de choix qu'il peut avoir à cette occasion.

Ref.133* -SEPT HOMMES À DÉBATTRE. n°150/151. 08/1963. p. 12


Ce débat est une table ronde entre sept critiques des Cahiers du Cinéma. Il est fait suite,
comme l'indique l'introduction, aux trois articles du numéro 54, (Évolution du western,
évolution du film policier, évolution de la comédie musicale) qui étaient consacrés au
cinéma américain. Les intervenants sont par ordre de prise de parole : Luc Moullet,
Jacques Rivette, Claude Chabrol, Jean-Luc Godard, François Truffaut, Pierre Kast et
Jacques Doniol-Valcroze.
Les quelques interventions de Godard sont à relever.
La première est une constatation révélatrice de l'organisation de la pensée de Godard.
C'est sur la disparition du Western, non pas en tant que genre mais en tant que réalité
industrielle :

"Le Western a disparu en tant que genre économique, en tant qu'industrie. Aujourd'hui le genre
existe toujours mais d'un point de vue purement esthétique."

L'ÉCONOMIE PASSE AVANT L'ESTHÉTIQUE


Ce raisonnement nous prouve une des structures de la conception du cinéma chez
Godard. La double entité formelle du cinéma esthético-économique, n'est justement pas
simultanée si on l'installe dans une histoire telle quʼil la décrit, c'est parce que l'économie
en tant qu'initiatrice de formes au préalable crée l'esthétique du film. Parce que
l'économie d'un film est déterminée en rapport aux conditions extérieures de fabrication
alors que l'esthétique ne dépend que d'elle-même, elle-même à la limite de son
économie.
Pour Godard donc, il pressent que l'esthétique est en fait liée à l'économie, et cette
liaison est définie comme conséquence logique. Esthétique comme conséquence de
l'économie du film parce que, si elle peut disparaître, elle aura engendré ce processus
qui peut faire qu'elle pourra se reproduire ailleurs dans le temps. L'esthétique est un
moyen de conservation de cette économie . Aussi nous verrons le Western Hollywoodien
disparaître en ces début des années 60, mais c'est l'Italie qui continuera à créer une
nouvelle forme de Western, du fait qu'elle a trouvé un système économique au préalable
fiable pour pouvoir fabriquer une esthétique. Le passage entre ces deux pays fait de
l'existence évolutive du western une esthétique.

L'EXISTENCE EST LIÉE AU POINT DE VUE


Godard insiste encore sur l'aspect subjectif que cette constatation et que ces principes
réflexifs sont toujours liés, non au cinéma lui-même, mais à son observation, d'un point
de vue purement esthétique.
Parlant ensuite du film LE TRAIN qui s'est vu changer de réalisateur, Frankenheimer
remplaçant A. Penn, Godard tente une explication qui déborde sur une vue plus large du
cinéma :

91
"C'est tout simplement parce que Penn n'avait pas filmé la locomotive du TRAIN en contre-
plongée. (…) Ça ne faisait pas monumental, ni super-production. On n'avait plus peur, l'arrivée du
train n'était plus impressionnante".

Faisant référence, non par hasard, à l'arrivée du train des Frères Lumière, Godard
suggère que le cinéma Hollywoodien soit dans la pratique d'une surenchère de la notion
spectaculaire (le côté Méliès)111, soit dans son omission, on se coupe du coup du côté
Lumière, ce qui est logique : l'addition d'effets du spectacle, d'effets de représentation
font qu'on s'éloigne de la réalité vraisemblable ou à l'instar si l'on refuse radicalement de
mettre quelques effets de représentation, on se coupe radicalement de l'aspect
monumental requis pour le cinéma hollywoodien, montrant qu'à Hollywood, ce n'est pas
parce que les choses sont là que l'on doit les fixer.

DISPROPORTIONS HOLLYWOOD/EUROPE
La disproportion entre les deux continents du cinéma se retrouve dans la capacité d'un
côté (USA) et le désir sans moyens de l'autre (Europe), ou alors la minimisation de qu'ils
ont accompli d'un côté et l'exagération de l'autre.
Godard en parlant des cinéastes américains projette son propre désir, de devenir ce qui
s'affirmera comme suit : à envier Cukor pour ses moyens et, parlant de son expérience,
d'avoir rencontré Nicholas Ray, de sa propension à aimer les films de Ray dans leur
entier, alors que ce dernier n'en retient que quelques éléments.

"Ce qu'il faut dire c'est que, si Cukor voulait, il pourrait ; (…) s'il veut, il peut se payer une salle de
montage chez lui.
(…) Ce qui est frappant chez N. Ray, c'est que, chaque fois que, moi, j'aime beaucoup un de ses
films, il me dit : “Oui, il y a un ou deux plans que j'aime bien ; là, il y avait un beau travelling; là,
une belle photo …des choses dans ce genre”".

On comprend qu'une des forces d'avoir été critique aux Cahiers du Cinéma a offert à
cette génération, le fantastique privilège de rencontrer les grands cinéastes américains
qui, de leur côté, iront voir leurs films et leur donneront, par le fait d'en avoir pris
connaissance, une existence. Et de l'existence jusqu'à la proposition de travail, il n'y a
qu'un pas :

"Preminger m'avait offert un film aux Etats-Unis, et je lui ai dit :“J'aimerais tourner un roman de
Dashiell Hammett”… Et il n'a pas marché, parce qu'il voulait que je fasse quelque chose sur New-
York."

Ref.134 -RICHARD BROOKS, (directed by, 60+60 (+1) cinéastes).


n°150/151. 08/1963. p.113
Issue du dictionnaire des réalisateurs américains, cette notule offre l'occasion de dresser
le portrait du cinéaste comme un Sergent York du cinéma, ajoutant ici l'idée que le
cinéaste faisant son film est aussi un personnage de fiction. De plus il propose comme
néologisme les verbes panoramiquer, travellinguer, gros-planiser.

111
. Pour cette distinction Eisenstein / Rouch ou Côté Méliès / côté Lumière, voir Ref.84.

92
Ref.135 -CHARLES S. CHAPLIN, (directed by, 60+60 (+1) cinéastes).
n°150/151. 08/1963. p.118
Issue du dictionnaire des réalisateurs américains, Godard consacre Chaplin comme le
plus grand, dont la caractéristique humaine est ce qui pourrait le mieux le définir.

Ref.136* -STANLEY DONEN, (directed by, 60+60 (+1) cinéastes).


n°150/151. 08/1963. p.126
Issue du dictionnaire des réalisateurs américains, cette notule vise à condamner Stanley
Donen, qui n'est plus ce qu'il était. Le comparant à deux autres cinéastes : Negulesco,
pour créer le mot Negulesconnerie, et Becker le surnom de Becker los-angélique.

Ref.137 -STANLEY KUBRICK, (directed by, 60+60 (+1) cinéastes).


n°150/151. 08/1963. p.138
Issue du dictionnaire des réalisateurs américains, il relève le défaut de Kubrick comme
une attention au fait qu'il peut filmer avec des idées qui n'existent plus que dans les tiroirs des
vieux scénaristes qui croyant que le cinéma c'est le 7ème art. C'est-à-dire le défaut de prendre
des personnages provenant de la fiction alors que les personnages pour Godard doivent
selon lui venir de la réalité, sinon cela donne des effets de truismes. Un personnage vient
déjà de la littérature, il n'a pas besoin de redoublement filmique, il faut au contraire
équilibrer une part de réel, pour que le film de fiction puisse être crédible.

Ref.138 -RICHARD LEACOCK, (directed by, 60+60 (+1) cinéastes).


n°150/151. 08/1963. p.139
LA CONSCIENCE COMME FONCTION OPÉRATIVE DE VÉRITÉ CHEZ GODARD
Issue du dictionnaire des réalisateurs américains, cette annotation plutôt incendiaire
dévoile encore de nouveau quelques idées intéressantes. Ainsi La conscience d'un
cinéaste pour Godard s'acquiert par l'établissement d'une dialectique qu'il doit résoudre,
dialectique des notions qui sont devant lui.

VÉRITÉ AU-DELÀ OU EN DEÇA ?


La première dichotomie est l'attitude face à la vérité pour le cinéaste : doit-on être en
deçà de la vérité ou au-delà ?

"Leacock pourchasse avec acharnement la vérité sans même se demander de quel côté des
Pyrénées se trouve son objectif, en deçà ou au-delà ?"

On remarquera (hormis la métaphore utilisée), que c'est, déjà comme il l'avait fait
avant112, une tentative de géométrisation de qualité qui par définition n'a pas d'existence
spatiale.
Le choix pour le cinéaste, même documentariste, est de savoir s'il opte pour un film qui
est réalisé sous des augures de la fiction en vue de la dépasser, être au-delà (Flaherty)
ou rester sur une sobriété exemplaire. La deuxième et troisième dichotomie travaille sur
la séparation des effets et des causes et des règles avec ses exceptions :

"Donc, de quelle vérité il s'agit. En ne séparant pas la cause de l'effet, en mélangeant la règle et
l'exception, Leacock (...) ne se rend pas compte que son œil en train de cadrer dans le viseur est

112
. Ref.100. Ailleurs. à propos d'Astruc.

93
à la fois plus et moins que l'appareil enregistreur dont cet œil se sert; oui, plus ou moins, selon les
cas (plus chez Welles, Moins chez Hawks), mais jamais uniquement cet appareil enregistreur, qui
selon les cas, restera enregistreur ou deviendra stylo et pinceau."

La vérité est donc issue du regard et de la nature de ce regard.


Toujours dans ce matérialisme dialectique, il classe une nouvelle séparation pour la
caméra, deux qualités fondamentales : l'intelligence et la sensibilité.

Pour Godard en tant que cinéaste, donc c'est l'affirmation du sujet, la subjectivité qui peut
conduire le cinéaste à être objectif, objectif comme la conscience de n'être justement pas
subjectif, tout au moins le désir, car on sait que l'objectivité de l'homme n'existe pas, ou
tout du moins se maintient-elle dans son individualité désirante.113

Ref.139 -ADOLFAS MEKAS114, (directed by, 60+60 (+1) cinéastes).


n°150/151. 08/1963. p.149
LA CONCEPTION DE L'INVENTION
Issu du dictionnaire des réalisateurs américains, l'article est assez succinct. C'est
l'occasion pour nous de repérer ce que Godard associe au niveau du langage.

"C'est un as de l'invention pure, c'est-à-dire le travail sans filet."

Ainsi Godard vérifie l'idée de l'invention et de sa pureté, avant dʼimpliquer non pas la
cause, mais l'intégration d'un contexte dans laquelle l'invention se produit. Le travail sans
filet, autrement dit, le risque, est donc pour lui une des conditions du repérage de
l'invention. Sa valeur s'estime donc plus à l'endroit (espace ou temps) dans lequel elle
est faite, plus peut-être que la nature même de l'invention.

Ref.140 -ORSON WELLES, (directed by, 60+60 (+1) cinéastes).


n°150/151. 08/1963. p.176
LA LISTE COMME EXPRESSION
Cette note décrit l'admiration qu'a Godard pour Welles. Welles et sa puissance de
multiplication des fonctions pour être cinéaste. La polyvalence des emplois nécessaires
que le cinéaste doit avoir pour pouvoir exercer son métier. Aussi entame-t-il une liste qui
par effet de stance donne un montage surréaliste115 :

"Orson Welles entre en scène et se présente : auteur, compositeur, comédien,


décorateur, régisseur, metteur en scène, savant, financier, gourmet, ventriloque, poète."

Ensuite Godard utilise l'adjectif maudit à l'usage du lecteur et de lui-même, qu'il est
convenu d'attribuer à Welles. Pour ensuite placer Welles au même niveau que Griffith et
affirmer que : "Tous, toujours lui devront tout."

113
. Mehdi Bellaj Kacem, Society, Nîmes, Ed.Tristram. 2001.p .132.
114
. C'est bien Adolfas et non pas Jonas son frère, comme le persistent les éditions du Godard par Godard.
115
. La liste est en effet une procédure de style typiquement surréaliste. On la trouve chez Jacques Rigaut,
Agence générale du suicide, Philippe Soupault, Le destin de Nick Carter, ou même Jacques Prévert ,Le roi et
l'oiseau. voir aussi Troisième Partie. Au début de lʼanalyse des HdC.

94
Ref.141 -BILLY WILDER, n°150/151, (directed by, 60+60 (+1) cinéastes).
08/1963. p.177
La note est brève, élogieuse, jouant sur les mots, il compose ses phrases avec les titres
des films de Wilder. Un cadavre exquis 116 pour lui dire ce qu'il est devenu avec le temps
aidant : un cinéaste.

Ref.142 -LES MEILLEURS FILMS AMÉRICAINS DU PARLANT.


n°150/151. 08/1963. p.250
1-SCARFACE-Howard Hawks
1-THE GREAT DICTATOR-Charlie Chaplin
3-VERTIGO-Alfred Hitchcock
4-THE SEARCHERS-John Ford
5-SINGIN' IN THE RAIN-Stanley Donen
6-THE LADY FROM SHANGAÏ-Orson Welles
7-BIGGER THAN LIFE-Nicholas Ray
8-ANGEL FACE-Otto Preminger
9-TO BE OR NOT TO BE-Ernst Lubitsch
10-DISHONORED-Josef Von Sternberg

Ref.143 -LES DIX MEILLEURS FILMS DE 1963. n°152. 02/1964. p.2


1-LE PROCÈS DE JEANNE D'ARC-Robert Bresson
1-L'ANGE EXTERMINATEUR-Luis Bunuel
3-LES OISEAUX-Alfred Hitchcock
4-THE CHAPMAN REPORT-Geoge Cukor
5-ADIEU PHILIPPINE-Jacques Rozier
6-DONOVAN'S REEF-Jean-Luc Godard
7- MURIEL-Alain Resnais
8- THE NUTTY PROFESSOR-Jerry Lewis
9-IRMA LA DOUCE-Billy Wilder
10- QUINZE JOURS AILLEURS-Sam Peckinpah

116
. Jeu surrréaliste, le cadavre exquis est un poème ou un dessin fait par plusieurs personnes, les uns à la
suite des autres sans que personne ne sache ce qu' a fait le précédent ni le suivant. Pourtant sans aucune
concertation, ni connaissance de l'action de l'autre, ces dessins ou poèmes font preuve d'une étrange
cohérence . C'est cette conséquence qu'André Breton appelait le Hasard Objectif.
André Breton, Nadja, Paris, Ed.G.L.M., 1928.p.43.

95
6) CAHIERS DU CINÉMA [3ème partie : 1963 - 1980]
Le métier de cinéaste

LIMINAIRE
A partir de l'année 1963, Godard est en pleine activité filmique et le point de bascule
écriture / filmage ne se fera pas radicalement, comme le fait remarquer Jean Narboni
dans son Introduction au livre qui regroupa presque totalement, en 1968, ces critiques :

"le passage à la mise en scène n'a impliqué chez lui (Godard) nulle rupture radicale d'activité
mais un simple changement de situation de ces deux pratiques, une inversion de leur mode
117
d'intégration réciproque"

Mais on peut considérer qu'à partir de l'année 1963, Godard arrête d'aller voir tous les
films qui sortent, exhaustivité nécessaire pour faire son métier de critique. C'est le métier
de cinéaste qui l'occupait à temps presque entier de 1960 jusqu'à 1963, on peut dire que
maintenant les interventions écrites se feront de plus en plus rares, presque une par
année.
Des entretiens (Antonioni, Allio et Bresson) et quelques articles encore sur des films
majeurs mais maudits pour Godard (ORPHEE, MEDITERRANÉE). La nouveauté que
donnera maintenant Godard consiste en des traces écrites de son propre travail filmique
(Ref.74, 81, 87, 88, 102).
Historiquement donc on peut estimer l'arrêt de l'activité critique en l'année1963 incluse
puisque c'est la dernière année où il donnera sa liste des dix meilleurs films de l'année.
Cette liste étant la preuve quantifiable de la vision de tout film sorti et du souci de leur
intégration dans l'actualité.

L'activité critique de Godard va donc se situer d'abord dans une zone que Narboni,
toujours dans son Introduction, va décrire comme mouvement pour aller jusqu'au cœur
de sa création filmique, passant par sa base pour finalement en constituer ses jointures :

"(…) nous l'avons vu (la pratique) ensuite située dans une sorte de zone marginale, en bordure
des films, puis intégrée plus profondément à leur substance jusqu'à articuler, dans les derniers, le
118
jeu profond de leurs parties" .

Aussi tel qu'il le pressent, l'exercice esthétique de Godard malgré son déplacement
inversé consistera plutôt à être évalué dans la zone intermédiaire des limites préétablies
des activités, voire même dans le motif des liaisons seules, dont le ET ou le OU BIEN
offriront plus tard des exemples de transitions riches de réflexions.

117
. Ref.171. Jean Narboni, Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard, (Introduction), Paris, Ed. Pierre Belfond,
Coll. Cahiers du Cinéma. 1968. p.6.
118
. Ref.171. Jean Narboni, Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard, (Introduction), Paris, Ed. Pierre Belfond,
Coll. Cahiers du Cinéma. 1968. p.6.

96
Ref.144 -ORPHÉE (Jean Cocteau). n°152. 02/1964. p.11
Ce n'est pas la critique du film mais plutôt un texte en forme d'hommage du film
ORPHÉE, inclus dans le dossier consacré à Jean Cocteau, lequel réunit tous ses films.

"Orphée, film magique où chaque image, comme l'alouette au miroir, ne renvoie qu'à elle même,
c'est-à-dire nous ."

Quelle est cette magie ? La magie réside en un premier temps dans l'image qui ne
renvoie qu'à elle-même, magie de l'autonomie de cette image, qui d'objet passerait à
sujet ? Magie aussi puisqu'il s'agit de nous. Face au film nous nous transformerions en
images. Nous serions de la même nature que l'image, cette affirmation, ce nous
correspond au spectateur-lecteur ou à Godard et Cocteau cinéastes effectuant la
reproduction de leur propre image, donc comme un portrait au miroir, puisque c'est une
image qui renvoie une autre image, c'est donc aussi un autoportrait.
Comme l'alouette au miroir… l'utilisation, faussement approximative de la locution le
miroir aux alouettes rappelle l'aspect fascinant du miroir, trompeur, faussement
prometteur, se bercer d'illusion que l'on peut faire sur un domaine ou sur son propre
compte. Le miroir chez Cocteau est donc comme un écran de cinéma, les deux sont des
cadres possesseurs d'images et de plus ils renvoient notre propre image et c'est à
travers lui, son reflet, que nous pouvons voir notre mort au travail, comme dans la fiction
ORPHÉE où les personnages doivent traverser le cadre du miroir pour entrer en contact
avec la mort qui elle est incarnée. Jean Cocteau pour Godard devient exemplaire comme
cinéaste, parce qu'il lui trouve les mêmes motivations : procéder au mélange
expérimental des genres ou des antagonismes qui rappellent le cinéma à sa dualité,
- le documentaire avec la fiction

"Il lui a été alors donné, à lui seul, de surprendre la science au 24ème de seconde précis, où
Vénus sortant du bain photographique, elle se métamorphosait en fiction."

- le rêve (la magie) et le réel (la matière), tels qu'il les avait décrits pour son propre film
LES CARABINIERS119 et d'autres éléments issus du matérialisme dialectique sont ici
développés :

"Comprendre ces recherches sur la matière de la magie, ou le contraire, il ne faut pas oublier que
l'auteur (…) est entré en fraude à l'instant où le rouge s'allumait."

Aussi cette association de la science avec la magie n'est pas fortuite, elle rappelle la
phrase de René Guénon que "la science c'est de la magie qui a réussi"120 , conception
proche de celle de Godard. C'est une vue non idéaliste même de la magie, ramenant la
magie à un phénomène matériel.

"C'est son humilité et sa gloire de n'avoir jamais ni su ni voulu séparer (…) le cinéma-vérité du
cinéma mensonge. (…) Pour savoir faire du cinéma il nous faut retrouver Méliès et que pour ça
pas mal d'années lumières sont encore nécessaires."

119
. Ref.Film.12.LES CARABINIERS. 1963.
120
. René Guénon, Le règne de la quantité et les signes des temps (1945), Ed Gallimard, 1997.

97
On peut le réaffirmer encore une fois, la perception qu'a Godard du cinéma de Jean
Cocteau lui fait développer une conception qui n'est pas une conception du cinéma en
général. Il se trouve que sa conception rejoint la sienne en établissant la présentation du
film ORPHEE : il sʼagit dʼune conception matérialiste, et la valeur magique qu'il en
dégage, peut même constituer une des manières dont il va appréhender l'histoire, à
l'instar de Jean Louis Schefer :
"Magie du cinéma : cette lanterne magique visite les recoins de notre histoire; elle la filme, en
121
répète les mensonges et finit par les rendre visibles."

Ref.145 -TROIS TEXTES POUR VENISE


(Jean-Luc Godard, LA FEMME MARIÉE). n°159. 09/1964. p.13
Ces trois textes faits par trois auteurs différents, dont celui de Godard est une
présentation de son film LA FEMME MARIÉE (à noter que l'article n'a pas encore
changé, comme il sera obligé de le faire par la censure française, en UNE FEMME
MARIÉE).
Présentation du film pour Venise, avec deux autres textes le ceinturant : avant lui "POUR
NE PAS PARLER", texte d'Ingmar Bergman sur l'idée que les artistes devraient être
invisibles et "DESERTO ROSSO" texte de présentation du nouveau film en couleur de
Michelangelo Antonioni.
Le texte reprend l'idée de son article "AU-DELÀ DES ÉTOILES" (Ref.85) critiquant le film
BITTER VICTORY de Nicholas Ray et proposant une correspondance des cinéastes
avec les autres Arts, mais cette fois-ci avec de nouvelles variantes.

Jean Renoir, Robert Bresson Musique


Serge Eisenstein Peinture
Erich von Stroheim Roman parlant (époque du muet)
Alain Resnais Sculpture
Rossellini (dit Socrate) Philosophie

STROHEIM FOLIES DE ROMANCIER


Un nouveau venu : Stroheim qui est un romancier paradoxal puisque ses livres sont
parlants à l'époque du muet. Cet hommage n'est pas étonnant, il y a de fortes chances
que cela soit en référence à l'autocitation qu'ait fait Stroheim dans un de ses films
FOOLISH WIVES (Folies de femmes, 1921). Le film se déroule à Monte-Carlo et met en
scène le cinéaste-acteur qui, sur la terrasse d'un grand hôtel lisait un livre intitulé “Foolish
Wives” écrit par Erich von Stroheim ! Comme ce livre lui sert d'intermédiaire pour draguer
de riches héritières, l'une d'entre elles voit lire ce livre. Stroheim dans un intertitre ajoute
non sans ironie "c'est un très bon livre".

Renoir est toujours musicien mais il rajoute Bresson comme cinéaste préoccupé de
rythmes. Eisenstein n'est plus Chorégraphe remplaçant Rossellini dans la peinture,
Godard le voit finalement comme peintre de son temps plus important que Rossellini,
toujours vivant, qui lui s'occupe maintenant de philosophie.
Murnau (poésie) a disparu pour laisser place à Resnais avec la sculpture dans son
rapport au montage. Ray qui représentait le cinéma moderne a disparu aussi.

121
. Jean Louis Schefer, Cinématographies, Paris, Ed. P.O.L, 1998. p.7.

98
LA VIE ET LE CINÉMA
"Bref le cinéma peut être tout, c'est-à-dire juge et partie. (…) Malheur à moi qui vient de tourner
La femme mariée, un film où les sujets sont considérés comme des objets."

La considération des sujets comme objets est une opération délicate philosophiquement
parlant, on pense bien sûr à la réification, et cette opération n'est pas sans poser
quelques problèmes moraux d'où pour Godard le pressentiment d'un malheur.

"Le spectacle de la vie se confond avec son analyse; bref le cinéma s'ébat libre et heureux de
n'être que ce qu'il est."

Ref.146* -ENTRETIEN AVEC MICHELANGELO ANTONIONI. n°160. 10/1964


Avec cet interview fait à partir du DESERT ROUGE pour sa sortie, Godard revient sur
l'utilisation de la couleur chez l'Italien, et s'interroge sur l'écriture du scénario, cette
apparence de laisser la vie telle qu'elle est, et de la maladie du cinéma qui peut se
personnifier par l'intermédiaire d'un corps, celui de lʼactrice Monica Vitti.

Ref.147 -SEPT QUESTIONS AUX CINÉASTES


ENQUÊTE SUR LE CINÉMA FRANçAIS. n°161/162. 01/1965. p.36
LA FIN DU CINÉMA
Ce numéro double des Cahiers du cinéma est un numéro spécial intitulé :
CRISE DU CINÉMA FRANÇAIS.
La revue fait avant tout un bilan économique et historique plaçant au second plan les
préoccupations esthétiques même si elles sont bien présentes. On peut même voir avec
ce numéro la première tentative de cette revue à se rapprocher des analyses
pragmatiques du cinéma voire matérialistes, même si le nom de Marx n'y figure pas, la
structure du numéro est faite à partir de l'analyse d'éléments concrets.
(Exemples d'articles comme "L'Analyse spectrale du C.N.C." ou "Petit diagnostic de
l'insuccès commercial")

Les sept questions qui sont posées aux cinéastes sont des questions interrogeant les
rapports du cinéaste avec son producteur en particulier et des conditions générales de la
production et distribution de ses films. Godard y répond avec franchise et intérêt ne se
plaignant nullement, seule la septième question "que pensez-vous de l'avenir immédiat?"
lui fournit l'occasion d'être acide.

"J'attends la fin du cinéma avec optimisme."

Ref.148* -DU SYSTÈME DE PRODUCTION. n°161/162. 01/1965. p.72


A partir d'une analyse poussée et documentée comprenant des tableaux comparatifs,
des chiffres et rapports économiques du dit système de production du cinéma français,
textes et commentaires accompagnent cette étude qui se compose en deux volets, une
première partie CHIFFRES et une deuxième partie PRATIQUE. Les commentaires sont
faits en marge par les intervenants suivants: Pierre Kast, François Truffaut, Jean-Luc
Godard, Luc Moullet et Jacques Doniol-Valcroze.

La participation de Godard est très succincte, elle se borne à un premier commentaire


sur l'avance sur recette. Le rapport dit qu'elle a refusé huit projets de Godard ce qu'il

99
infirme. Il joue sur le mot avances qu'il faut faire pour demander de l'argent, et affirme
qu'il a obtenu de l'argent sous le prête-nom, comme au temps dit-il du Maccarthysme, de
Maurice Cloche, un cinéaste qui a existé. Godard a utilisé ce nom de famille par ironie.
Suite à une définition générale du producteur relativement peu séduisante que l'étude
classe comme un intermédiaire, Godard dans un premier temps acquiesce la justesse du
propos mais se ravise tout de suite après. Ce qui est à relever d'intéressant, c'est
l'utilisation d'un langage issu de la médecine, parlant de cette corporation comme d'un
corps malade (corps de métier)

"Cette définition générale des producteurs est juste si l'on ajoute aussitôt qu'elle est fausse,
contradiction qui vient du fait que le cinéma est une industrie éternellement malade et sauvée
éternellement par des injections de poésie."

Ref.149 -CHACUN SES 10. n°161/162. 01/1965. p.127


cette liste est la liste des dix meilleurs films français d'après-guerre.
LES DIX MEILLEURS FILMS FRANÇAIS (1945-1964)
1) LE PLAISIR (Ophuls),
2) LA PYRAMIDE HUMAINE (Rouch),
3) LE TESTAMENT D'ORPHÉE (Cocteau),
4) LE TESTAMENT DU Dr CORDELIER (Renoir),
5) PICKPOCKET (Bresson),
6) LES GODELUREAUX (Chabrol).

Ref.150 -PETIT JOURNAL (Montparnasse - Levallois). n°171. 09/1965. p. 65


Notes à propos des conditions de tournage de son sketch faisant partie du premier
PARIS VU PAR...
L'idée du scénario est le prolongement d'un dialogue de Belmondo dans UNE FEMME
EST UNE FEMME. C'est en citant Queneau, qui avait déjà écrit des récits où des
personnages écrivaient des histoires. On a pu voir qu'un cinéaste (comme Jacques
Becker) pouvait être un personnage de fiction122, ici c'est le personnage de fiction qui est
auteur.

Ref.151 -PIERROT MON AMI. n°171. 09/1965. p.22

REMARQUE IMPORTANTE
Il faut noter avant de commencer tout commentaire que ce texte est important par la
seule position qu'il occupe dans le film les HdC. En effet, il fut repris pour une grande
partie dans l'épisode 3b. les signes parmi nous (p.188-193).

LE TITRE
Ce texte dont le titre est un titre d'un roman de Raymond Queneau123, peut être
considéré comme une réponse à l'entretien que Godard a fait avec les Cahiers et que
nous étudierons plus tard (Ref.302). D'abord parce qu'il y fait allusion au titre même de
l'entretien : “Parlons de Pierrot”

122
. Ref.122. Frère Jacques (hommage à Jacques Becker).
123
. Raymond Queneau, Pierrot mon ami, Paris, Ed. Gallimard, Coll. Blanche, 1942.

100
"Parlons de Pierrot ? Je vous dis : quoi en dire ? Vous répondez : c'est exact ! Parlons donc
d'autre chose (…)"

Aussi on peut supposer même, par le ton presque hautain qui sous-entend que ses
interlocuteurs ne savent pas quoi en dire, que c'est suite à un désir non satisfait, voire
même une insatisfaction, que Godard écrit ce texte, qui pose encore quelques traits
fondamentaux pour comprendre son œuvre. Il suggère que ceux avec qui il a parlé, ne
l'ont pas fait. Il met ainsi "les points sur les i "ou "mieux vaut pour l'instant enchaîner".
Bref, quantité de petites expressions sont présentes ci et là, et témoignent d'un vif
ressentiment vis à vis de l'entretien.

Ensuite cet article va être précieux pour Godard lui-même. Il va constituer, dans les HdC,
lʼarticle représentatif de son propre apport critique au moment du dernier questionnement
de savoir ce quʼest le cinéma. En effet, il occupe une place imposante dans lʼépisode
4b.les signes parmi nous 124
C'et article questionne les moyens de la mise en œuvre du cinéma.

QU'EST-CE QUE LE CINÉMA ?


Il décrit pour commencer ce que devrait être l'activité de critique :

"rendre compte de l'organisation poétique d'un film, bref, d'une pensée, de réussir à dégager cette
pensée comme objet, de regarder si oui ou non cet objet est vivant, et d'éliminer les morts (…)"

RIMBAUD ET GODARD
"Éliminer les morts !" Même s'il s'agit d'éliminer les objets morts (et la formulation implique
le mot objets , absent de la phrase pour qu'il n'y ait pas de répétitions), éliminer les morts
fait penser à une élimination physique des morts humains et cela donne une image
vraiment vertigineuse de vouloir se débarrasser de ceux qui sont déjà morts. C'est
comme tuer les cadavres une seconde fois. Ce programme morbide semble sorti tout
droit de La saison en enfer d'Arthur Rimbaud.
125
"On ne te tuera pas plus que si tu étais cadavre."
Mais c'est jusqu'au rapprochement du prénom du Personnage Ferdinand qui est tel que
le rappelle Rimbaud le synonyme de Satan, également nom du personnage interprété
par Belmondo, que la correspondance joue et fonctionne.

126
"Satan, Ferdinand, court avec les graines sauvages."

"Regarder si cet objet est vivant" : cette appréhension révèle que pour Godard, le film est
avant tout sujet, et que le travail du critique nécessite une réification de celui-ci. L'idée de
dégagement d'une pensée en objet fait valoir cet avènement de la subjectivité du film,
sans pour autant admettre que ce sont tous les films, d'où le "Si oui ou non " vient donner
un terme à ce mouvement. Aussi rappelons-le, c'est à partir de la conception que Godard

124
. On le retrouve étalé sur plusieurs pages avec quelques légères modifications (étudiées en temps voulu)
apportées ci et là. On le sait alors que les HdC est surtout fait avec des textes extérieur à l'auteur, ici c'est
une citation à son propre travail.
pages : 188, 189, 190 et 193
125
.Rimbaud, Une saison en enfer, 1873,Paris, Ed. Gallimard, coll.de La Pléiade, 1972. p.97
126
. Rimbaud, Une saison en enfer, 1873,Paris, Ed. Gallimard, coll.de La Pléiade, 1972. p.101

101
a des films et du cinéma. Nous aussi avons organisé dans ce présent travail la présence
de trois subjectivités différentes : le cinéaste, le spectateur —qui anachroniquement se
trouve aussi impliqué dans un processus de production du film—, et le film lui-même —
qui peut être doté de vie selon la logique relative que le cinéma capte cette vie et nous la
restitue — et dans cet espace de re-présentation où le suffixe re- vient s'adjoindre,
venant concurrencer la vie elle-même, non pour signaler son déplacement dans le
temps, mais écouler une répétition salvatrice, qui transforme la représentation en
présentation.
Dans l'esprit de Godard c'est pour cela que le cinéma se joue en dehors de la vie,
évoquant lui-même de nouveau Rimbaud et son alchimie du verbe127 .

"Mais en attendant de mettre les point sur les i de je ne sais quel poème de Rimbaud..."

LA VIE : UNE VALEUR DIALECTIQUE POUR LA DÉFINITION DU CINÉMA


Insistant sur le mot vie qui vient et revient dans son texte (nous soulignons) :

"Parce que la vie, c'est le sujet, avec le scope et la couleur comme attributs, car
moi, j'ai les idée larges."
Ou bien : "La vie devrais-je dire un début de vie..."
Et encore dans trois autres endroits :
"A plus forte raison donc la vie toute seule que j'aurais bien voulu monter en
épingle..."

"Il y a eu d'autres vies..."

"(…) nous, avec le cinéma, c'est autre chose, et d'abord la vie, ce qui n'est pas
nouveau..."

Autant que la vie qui dans le poème de Rimbaud La saison en enfer est citée plusieurs
fois :
que la vraie vie est ailleurs128. ou bien encore que La vraie vie est absente. Nous ne sommes
129,
pas au monde. pour se demander Vite ! est-il d'autres vies ? 130, sans quoi ce sentiment
de fausseté arrive, et le cinéma pour avoir capté la vie puis pour l'avoir restituée, donne
des allures bien imparfaites à la vie elle-même, jusqu'au sentiment peut-être de jouer une
farce.

131
"La vie est la farce à mener par tous."

Mené par tous, car le cinéma, et le travail du cinéma, s'effectuent avec les cinéastes, et
quand bien même il faut rappeler cette généralité, elle se prouve par l'emploi de cette
phrase, qui avant de lui convenir précisément, convenait à Mizoguchi.
Godard comme Rimbaud s'oppose à la vie présente, et Godard face à elle lui oppose le
cinéma.

127
. Alchimie du verbe est une sous partie de la Saison en enfer.
128
. Godard dira cette phrase dans le troisième entretien à Avignon que nous étudierons juste après. Ref.305.
Rimbaud, Une saison en enfer, 1886, Paris, Ed.Gallimard, coll.de La Pléiade, 1972. p.102.
129
. Rimbaud, Une saison en enfer, 1873,Paris, Ed. Gallimard, coll.de La Pléiade, 1972. p.103.
130
.Rimbaud, Une saison en enfer, 1873,Paris, Ed. Gallimard, coll.de La Pléiade, 1972. p.98.
131
. Rimbaud, Une saison en enfer, 1873,Paris, Ed. Gallimard, coll.de La Pléiade, 1972. p.99.

102
Mais aussi à la différence des autres arts qui arrivent à retenir quelque chose de cette vie
par différentes techniques, Godard voue au cinéma la force de son inanité à ne pouvoir
retenir cette vie. Retrouver l'autonomie du cinéma par le fait que la vie aussi est
autonome, la vie toute seule, disait-il...

"Mais la vie se débat pire que le poisson de Nanouk, nous file entre les doigts (…) s'éclipse entre
les images..."

LE PLUS GRAND PROBLÈME DU CINÉMA


C'est à ce moment là Godard "ouvre une parenthèse pour trouver une de ces phrases
manifestes qu'il reprendra dans les HdC132 :

"(...) et entre parenthèses, là, j'en profite pour vous dire que comme par hasard le seul grand
problème du cinéma me semble être de plus en plus à chaque film où et pourquoi commencer un
plan et où et pourquoi le finir (…)"

Godard poursuit, à partir du questionnement fondamental du cinéma, ce qui l'oppose au


questionnement. Aussi le cinéma dans son impossible conservation , et, chose rare dans
son style, il ne lui faut pas moins de trois phrases, composées sur le même motif, pour
tant insister sur ce qu'il veut nous communiquer :

"(…) bref la vie remplit l'écran comme un robinet une baignoire qui se vide de la même quantité en
même temps.
Elle passe, et le souvenir qu'elle nous laisse est à son image (…)
La vie disparaît de l'obscur écran de nos salles tout comme Albertine s'est évadée de la chambre
pourtant soigneusement close de l'ennemi de Sainte-Beuve. Pire encore il m'est rigoureusement
impossible, comme à Proust de m'en consoler en transformant ce sujet en objet."

VIE ET CINÉMA : LE CAS WILLIAM WILSON


Pour répondre à l'interrogation posée, Godard cite cette histoire d'Edgar Allan Poe133, qui
devient pour lui parabolique sur le rapport du cinéma avec la vie

"(…) William Wilson qui s'imagina avoir vu son double dans la rue, le poursuivit, le tua, s'aperçut que c'était
lui-même et que lui qui restait vivant, n'était plus que son double."

Le cinéma est donc une opération qui consiste à tuer la vie, pensant que la vie n'est que
le double du cinéma, puis le meurtre une fois commis (le tournage), le cinéma remplace
la vie et devient son double.

Une deuxième image est décrite par la suite ; c'est d'associer la vie avec le réel et le
cinéma comme imaginaire. Puis une fois cette opération faite, c'est de décrire le rapport
réel/imaginaire comme Bande de Mœbius.

LA MÉTHODE CINÉMATOGRAPHIQUE POUR FILMER LA VIE


Revenons au désir de filmer la vie de Godard :
"Parce que la vie c'est le sujet (…) La vie, je devrais dire un début de vie (…) Il y a eu d'autres
134
vies et il y en aura (…) Mais la vie des autres déconcertent toujours. A plus forte raison donc la

132
HdC.4b. les signes parmi nous . p.193
133
. Edgar Allan Poe, Histoires Extraordinaires (1830) trad.française par Ch. Baudelaire, coll. FOLIO. Ed.Gallimard.

103
vie toute seule que j'aurais bien voulu monter en épingle pour faire admirer, ou réduire à ses
éléments fondamentaux (…) bref la vie toute seule que j'aurais bien voulu retenir prisonnière
grâce à .."

Par ce principe d'isolation, regardons maintenant la méthode en découpant la phrase en


rajoutant une numérotation, on obtient une redisposition :

"grâce à :
—a) des panoramiques sur la nature
—b) des plans fixes sur la mort
—c) des images courtes et longues
—d) des sons forts et faibles
—e) des mouvements d'Anna ou Jean-Paul, acteur ou actrice libre ou esclave, mais lequel rime
avec homme ou femme?

On se rend compte que la méthode cinématographique de Godard a été conçue en


rapport aux déterminations des dimensions de la géométrie euclidienne.
La géométrie Euclidienne établit l'abscisse et l'ordonnée (x+y) qui vont déterminer les
deux dimensions de l'espace et former le PLAN. Par la suite si une troisième notion
intervient, cela sera la profondeur, puis la quatrième formant la dimension du temps135.

CINÉMA ET VIE : DEUX DIMENSIONS DE L'ESPACE


a et b = CINÉMA ET VIE appartiennent au même ensemble de l'ESPACE elles en sont
les composantes, elles en sont les deux dimensions.
a = ESPACE ANIMÉ : espace de la vie (la nature, ne dit-on pas les grands espaces?) et
espace du cinéma (Mouvement)
b= ESPACE INANIMÉ : espace du cinéma (sans mouvement) et la mort (la vie sans
mouvement)
Par ce principe Godard observe le rapport d'égalité du cinéma avec la vie (la caméra ne
bouge plus si c'est mort).

COMMENTAIRES
Par la disposition de ces deux principes, Godard établit notion d'égalité, c'est-à-dire s'il y
a de la vie, la caméra bouge, si c'est mort la caméra demeure fixe.

TROISIÈME DIMENSION : LA PROFONDEUR


d = Avant de déterminer le CINÉMA dans le temps, Godard évoque la mesure
supplémentaire que l'image n'a pas, c'est à dire la puissance du son (fort ou faible), car
au cinéma, c'est la puissance du son qui détermine la profondeur du plan.

QUATRIÈME DIMENSION : LE TEMPS


c = CINÉMA dans l'ensemble du TEMPS
Puisque la détermination du montage des images, que leur insertion soit courte ou
longue, c'est choisir la durée de celle-ci.

134
. Jouant sur des titres de films pour dire s'il y a d'autres vies c'est qu'il y a d'autres films
"Lys qui se brise = LYS BRISÉ = Griffith
"Lions qui se chasse avec des arcs = LA CHASSE AU LION ET À L'ARC = Rouch
"Silence d'un hôtel dans le nord de la Suède = LE SILENCE = Bergman
135
. Euclide vu par le XXème siècle.

104
COMMENTAIRES
Si Godard intervertit le temps (c) avant la profondeur (d) dans la méthode
cinématographique, c'est parce qu'il adopte une logique de la continuité de fabrication du
film, qui place la disposition temporelle, le MONTAGE avant le disposition de la
profondeur, le MIXAGE, l'étape du mixage qui est une double étape de travail puisqu'elle
gère évidemment la puissance.

UNE NOUVELLE DÉFINITION DU CINÉMA : LE DOUBLE RAPPORT AU


SPECTATEUR
Suite à la dualité du renversement entre ce qui est vivant et ce qui est filmé, Godard
ajoute que cette dualité obtient la même conséquence avec le rapport qui s'installe entre
le cinéaste et celui qui le perçoit.

"Ce double mouvement qui nous projette vers autrui en même temps qu'il nous ramène au fond
de nous même, définit physiquement le cinéma."

DIFFÉRENCE FONDAMENTALE AVEC LES AUTRES ARTS


A la différence des autres arts le cinéma ne suscite pas la critique, comme l'art est
critiqué par Diderot ou Baudelaire. Il ne la suscite pas parce que trop proche de la vie.
Paraphrasant la maxime de Boileau "La critique est aisé et l'art est difficile"136, et remplaçant
le mot difficile par impossible.

"Difficile, on le voit, de parler de cinéma, L'art est aisé et la critique impossible de ce sujet qui n'en
est pas un , dont l'envers n'est pas l'endroit, qui se rapproche alors qu'il s'éloigne, toujours
physiquement ne l'oublions pas."

LE TACTILE
Cette différence est l'aspect physique, autrement dit la notion de contact physique que
n'ont pas les autres arts :

"…physique. J'insiste sur le mot : physiquement, à prendre dans son acception la plus simple. On
pourrait presque dire tactilement, pour différencier des autres arts. "

LE MONTAGE
Concluant son article par une dernière remarque sur le montage, Godard essaye de
démontrer que le cinéma, parce que trop proche de la vie, n'est pas un art comme les
autres et qu'il a en lui les contradictions poétiques que la vie nous donne :

"Traduit en termes de ciné : deux plans qui se suivent ne se suivent pas pour autant. Et pareil
pour deux plans qui ne se suivent pas."

"Pareil c'est-à-dire que deux plans qui ne suivent pas peuvent se suivre.(…) En ce sens on peut
dire que PIERROT n'est pas vraiment un film. C'est plutôt une tentative de cinéma Et le cinéma,
en faisant rendre gorge à la réalité, nous rappelle qu'il faut tenter de vivre".

Le cinéma a ce double statut d'être en négatif de la vie et inversé par rapport aux autres
arts, voilà comment conclue Godard.

136
. Nicolas Boileau, Art poétique (1680), Paris, Ed. Gallimard, Coll. Poésie, 1981, p.39.

105
Ref.152* -DEUX ARTS EN UN, (René Allio & Antoine Bourseiller).
n°177. 03/1966. p.50
Entretien de René Allio et Antoine Bourseiller par Jean-Luc Godard et Michel Delahaye .
Godard et Delahaye posent des questions chacun à leur tour.

Notons d'emblée que les questions de Godard à deux autres cinéastes sont des
questions que l'on pourrait tout à fait considérer comme questions pertinentes s'il se les
pose à lui-même.

La conversation débute à propos de la multiplicité expressive d'Allio, car en passant par


le théâtre pour aboutir au cinéma, il avait été peintre auparavant. Godard insiste sur un
point qui dévoile sa pensée sur une distinction de principe entre la fin et les moyens
utilisés :

"Et je crois que chaque fois que l'on passe d'un moyen d'expression à un autre, on doit avoir le
même sentiment."

Ce même sentiment pourrait être en correspondance avec l'a priori de Kant 137, l'a priori
étant cette idée nécessaire à l'artiste qu'il place avant sa réalisation, l'a priori comme
idée de l'intention artistique.

Ensuite lorsque la discussion dérive sur le problème des acteurs, les questions
qu'amène Godard impliquent deux pôles qui sont propices à la confrontation. Renoir -
Bresson. Renoir pour l'esprit du théâtre et du génie qu'il peut y avoir à utiliser des
comédiens de théâtre au cinéma. Et Bresson la radicalité inverse, où le théâtre et les
acteurs et le style de jeu que le théâtre développe. Pour Bresson c'est comme un
bannissement, il préfère dans bien des cas utiliser des hommes ou des femmes
amateurs qui ne connaissent rien du théâtre. Enchaîne ensuite une question sur Artaud,
où Godard demande ce qu'ils pensent d'Artaud, comme acteur ou créateur. il situe donc
Artaud comme l'homme limite dans la distinction, Acteur, créateur.

Ref.153.obs. LETTRE AU MINISTRE DE LA “KULTUR”.


n°177. 03/1966. p.58

Lettre qu'a écrite Godard au moment de l'interdiction de la sortie de LA RELIGIEUSE de


Jacques Rivette. Elle a d'abord été l'objet d'une parution dans un hebdomadaire : LE
NOUVEL OBSERVATEUR, puis ensuite aux Cahiers en tant que mensuel.

Le ton change quant on le compare aux différents articles138 qu'il a écrits. C'est une lettre
dont la haine, qui le submerge, est avant tout présente due à la désillusion perpétrée par
Malraux.

137
. Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger (1790), Paris, Ed. GF/Flammarion, 2001, p.63.
138
. Ref.A59. C'est grâce à l'acquiescement de Malraux que le premier long-métrage de Truffaut ira à
Cannes.
Ref.A60. Godard compare le regard de Léaud au reflet du couteau de Tchen, héros de La condition
humaine de Malraux, pour annoncer la nouveauté du visage du cinéma français.
Ref.A63. Godard utilise la définition de l'art par Malraux pour mettre à bas le film de Mocky.

106
Ref.154* -LE TESTAMENT DE BALTHAZAR
(BALTHAZAR de Robert Bresson).
n°177. 03/1966. p.58
QUESTION DʼANTHROPOMORPHISME
C'est un article établissant la critique du film AU HASARD BALTHAZAR de Robert Bresson.
Jean-Luc Godard est accompagné de Merleau-Ponty pour prendre note des propos de
Bresson signant l'article comme suit : Propos recueillis par M.Merleau-Ponty et J.-L
Godard. On l'aura deviné, cet "accompagnement" n'est pas réel, il reprend certains noms
des personnages de la fiction de Bresson et les associe par montage avec les textes de
Merleau-Ponty.
Ce montage de textes n'est pas sans poser quelques problèmes. Le premier problème
est l'appartenance de la parole, car en effet on ne reconnaît ni la parole de Bresson ni
encore moins celle de Merleau-Ponty et par conséquent ce serait presque celle de
Godard. Ce motif doublement indirect pourrait être ici révélateur.

Car enfin qui parle ? Qui dit "Je" ? Rien ne nous est donné comme indice pour connaître
ce sujet parlant. Ce texte n'a pas de sujet véritable à part Balthazar lui-même puisque le
titre nous prévient que cela est son testament donc la dernière chose qu'il aurait dite, son
ultima verba. Mais nous ne sommes pas chez Apulée et encore moins chez Lucien de
Samosathe, alors pourquoi Balthazar parle-t-il car, quand on a vu le film, on sait bien que
Balthazar est un âne. L'absence de sujet humain véritable vient finalement corroborer un
des extraits dont on semble reconnaître un ton très proche, mais réadapté de la
Phénoménologie de la perception de M. Merleau-Ponty :

"Dans l'expérience du dialogue, il se constitue entre autrui et moi un terrain commun, ma pensée
et la sienne ne font qu'un seul tissu, mes propos et ceux de l'interlocuteur sont appelés par l'état
de la discussion, ils s'insèrent dans une opération commune dont aucun de nous n'est le
créateur."

Avec ce texte ce n'est plus l'expérience du dialogue qui nous est offert mais celui du
monologue et les conclusions demeurent sur la même base : une disparition de
l'intersubjectivité pour amener le critique comme son lecteur sur le terrain d'un
intermonde où je fais autant de place à autrui qu'à moi-même.
Cette tentative d'anthropomorphisation est pour Godard la seule possibilité de parler du
film. Installer un monologue philosophique en l'animal est une tentative de produire un
parallèle de ce qu'a fait Bresson en plaçant Balthazar à la place de la vedette principale,
car ce sont les aventures de Balthazar que nous suivons. Ce déplacement
cinématographique Justine - Balthazar (sur le mode de l'infortune) opéré par Bresson
trouve son pendant critique : Godard – Merleau-Ponty, mais aussi filmique avec les
HdC ;
Cet article, d'inscription philosophique et posant des questions profondes sur les
principes de la représentation et de la perception, se perçoit comme un écho dʼune
conception plus générale du cinéma et de la mise en forme de son passage. Aussi il est
possible de comparer les réflexions de Godard sur le monologue de Bresson comme
découvertes de principes mis en application dans les HdC.

Ref.A92. Le film de Keigel consacré précisément à l'homme Malraux avait été une nouvelle
occasion pour Godard de renouveler par écrit l'admiration d'un cinéaste à un autre cinéaste.

107
Ref.155 -LA QUESTION (Entretien avec Robert Bresson).
n°178. 04/1966. p. 28
Entretien de Robert Bresson par Jean-Luc Godard et Michel Delahaye. Godard et
Delahaye posent des questions chacun à leur tour.

BRESSON COMME UN MIROIR


Une des questions que pose Godard sur Balthazar est assez lumineuse sur la vision
godardienne d'un film à l'orée d'une œuvre.

"J'ai l'impression que ce film, “Balthazar”, répond chez vous à quelque chose de très ancien,
quelque chose à quoi vous pensiez depuis peut-être quinze ans, et que tous les films que vous
avez fait ensuite étaient faits en attendant. C'est pourquoi on a l'impression de retrouver dans
“Balthazar” tous vos autres films; En fait : ce sont vos autres films qui préfiguraient celui-ci,
comme s'ils en étaient des fragments."

Il suffit de remplacer dans sa question Balthazar par HdC et de comprendre que la


question qu'il pose à Bresson pourra lui être retournée trente ans plus tard. En fait on se
rend compte que sa capacité d'interviewer avec Bresson est intéressante pour nous car,
c'est un cinéaste qui regarde travailler un autre cinéaste. Godard-interviewer nous
informe sur l'état d'esprit des structures de pensée de Godard-cinéaste. Bresson est le
miroir du cinéaste, posant des questions comme sur un autoportrait. Empressons-nous
d'ajouter, que c'est nous qui adoptons cette démarche et non Godard, auquel on ne
reprochera pas d'être égotique et de ne voir dans les autres qu'une potentialité de lui-
même. Non, c'est par ce que cela passe par notre propre subjectivité, que ces questions
témoignent de lui-même.
PROCESSUS D'INTROSPECTION CINÉMATOGRAPHIQUE
Toujours par le biais d'une de ses questions, on se rend compte que le principe du miroir
par rapport à Godard est encore là mais présent sous une autre forme que j'ai intitulée
introspective, car en effet, l'interrogation du cinéaste de penser son film à l'intérieur de
son œuvre peut prendre du temps. Même si pour beaucoup de cinéastes, voir ses
propres films ne pose pas de problèmes psychologiques fondamentaux, Godard insiste
précisément sur la possibilité de visionner son film absolument.

"Je crois qu'il faut très longtemps pour arriver à voir un de ses films. (…) A ce moment là, on peut
le recevoir comme un objet inconnu, au même titre qu'un spectateur normal. je crois qu'il faut
vraiment très longtemps. Il faut aussi ne pas être préparé à recevoir le film."

LA PREUVE PAR LE VIDE


L'entretien continuant Godard avance dans sa confession. Cette fois-ci sans détour, sans
passer par Bresson car en questionnant Bresson il évoque son expérience personnelle :
"Pour moi, je m'aperçois aujourd'hui que j'avais autrefois il y a trois ou quatre ans, des idées sur
le cinéma. Maintenant je n'en ai plus. Et pour en avoir, je suis forcé de continuer à faire du
cinéma."

Influencé par l'avènement esthétique de la modernité, Godard voit dans la disparition des
idées sur le cinéma, le signe d'une avancée de sa propre conception du cinéma. Comme
si les idées que l'on peut avoir a priori sur le cinéma ne sont pas valables. Seules les
idées issues de l'expérience de la fabrication du film sont admissibles comme pensées.

108
ELOGE DE LA DESTRUCTION
La seconde partie de l'entretien est un long désaccord entre Bresson et Godard. On peut
même noter une certaine virulence dans les propos par la rapidité du jeu de certaines
questions-réponses et également par le contenu de certaines phrases de Godard :

"JLG —Quand vous dites vierge de toute expérience, de même un non-acteur : il y a quelque
chose qu'il n'a pas, mais il va l'acquérir dès qu'il sera plongé dans le cinéma. Cela dit, à la base,
c'est toujours un homme comme les autres.
Bresson — Non pas du tout, je vais vous dire…
JLG — Alors ça, je n'arrive pas à le comprendre…
Bresson — Non, vous n'arrivez pas à comprendre… Il faut comprendre ce qu'est un
acteur, ce qu'est son métier d'acteur, son jeu. L'acteur ne s'arrêtera jamais de jouer.
JLG — On peut briser cela, le détruire, empêcher l'acteur de…
Bresson — Non, vous ne pouvez pas l'empêcher. Oh! mais j'ai essayé!…Vous ne pouvez
pas l'empêcher de jouer. Il n'y a absolument rien à faire : vous ne pouvez pas l'empêcher de
jouer.
JLG — Alors on peut le détruire
Bresson — Non vous ne pouvez pas
JLG — Si à la limite, on peut le détruire, de même que les allemands ont détruit les
juifs dans les camps de concentration.
Bresson — Vous ne pouvez pas, vous ne pouvez pas… L'habitude est trop grande.
L'acteur est acteur. Vous avez devant vous un acteur. Et qui opère une projection. C'est cela son
mouvement : il se projette au dehors. Alors que votre personnage non-acteur doit être absolument
fermé, comme un vase avec un couvercle. Fermé."

JLG VERSUS BRESSON : LE ROMANTISME FACE AU CLASSICISME


Plus tard la discussion sera conclue par Godard qui essayera de théoriser leur
différence: on pourrait dire qu'être acteur, c'est être romantique, et ne pas être acteur, classique.

Par la suite Bresson prononce une formule sur le montage que Godard reprendra.
Bresson—" C'est le système de la poésie. Prendre des éléments aussi écartés que possible
dans le monde, et les rapprocher dans un certain ordre qui n'est pas l'ordre habituel mais votre
ordre à vous. Mais ces éléments doivent être bruts."

Ref.156 -TROIS MILLE HEURES DE CINÉMA. n°184. 11/1966. p.46


Cet article nous conte heure par heure (d'où le titre) sous la forme d'un journal d'une
journée de Godard réalisateur vivant une vie (embrasser des filles, fumer des cigarettes
et aller au cinéma) dissolue , qui pouvait sembler a priori provocante et même
provocatrice ressemblant à celle de Michel Poicard (le héros d'A BOUT DE SOUFFLE) si
ce n'est les questions de cinéma réelle et captivantes qu'il se pose. Le montage de cette
vie insouciante et de ses interrogations issues du métier, confère à cet article une allure
vivante.
COEXISTENCE DE LA FICTION AVEC LE REEL
On conviendra une fois alors qu'il donnait à ses personnages issus de la fiction un statut
réel, la capacité de pouvoir fournir la base de ses scénarios139, ses personnages sont
scénaristes; et lui-même peut devenir personnage140.

139
. Se référant à cette occasion à Raymond Queneau qui avait ouvert le principe avec Les fleurs bleues
(1965)
140
. Ref.122. Frère Jacques (hommage à Jacques Becker).

109
Ref.157* -Réponse au questionnaire "FILM ET ROMAN".
n°185. 11/1966. p.118
Les réponses laconiques aux huit questions du dossier "Film et Roman", sont
concevables comme une nouvelle attitude provocante lorsqu'on les compare aux autres
cinéastes qui se sont donnés la peine dʼy répondre avec peine et longuement pour
certains dʼentre eux. La concision de Godard fournit lʼimpression comme s'il avait été
prévenu à la dernière minute et qu'il devait donner des réponses au téléphone. En tout
cas, voilà l'exemple de réponses qui dépendent entièrement des questions posées.

Ref.158 -IMPRESSIONS ANCIENNES (MÉDITERRANÉE de Jean-Daniel


Pollet).
n°187. 01/1967. p.34
ORPHÉE ET EURYDICE
Rares sont les films de ses contemporains qu'il défendra et pourtant le film de Pollet sera
cette occasion. Elle en sera aussi le moyen de démontrer au lecteur le rôle paradoxal
qu'a la puissance du cinéma, celle de s'immiscer dans le réseau entre l'espace et le
temps. Et de cette quête d'immortalité, Godard met en forme la parabole mythologique
d'Orphée et Eurydice :

"A nous maintenant de savoir trouver l'espace que seul le cinéma sait transformer en temps
perdu… Ou plutôt le contraire… (…) Puis, comme une vague, chaque collure vient y imprimer et
effacer le mot souvenir, le mot bonheur, le mot femme, le mot ciel… La mort aussi puisque Pollet,
plus courageux qu'Orphée, s'est retourné plusieurs fois sur cet Angel Face dans l'hôpital de je ne
sais quel Damas…"

Pouvoir de révélation du cinéma, révélation prise dans son sens plein, c'est-à-dire re-
voiler, la révélation étant une découverte et la disparition de celle-ci, sa dissimulation
plutôt.

Ref.159 -CONFÉRENCE DE PRESSE L'AFFAIRE LANGLOIS.


n°199. 03/1968. p.58
C'est la lecture en partie de la lettre qu'il a écrite pour l'Express et destinée à André
Malraux : « Lettre au ministre de la Kultur ».

Ref.160 -LE GAI SAVOIR (Extraits de la piste sonore).


n°200/201. 04/1966.p.53
Le film en son entier, comprenant la bande-son et les extraits de sa retranscription seront
étudiés dans cette même partie plus loin Ref.Film27.

Ref.161.drp. -LE DERNIER RÊVE D'UN PRODUCTEUR.


n°300. 05/1979. p.70
Cet article issu du numéro spécial fait entièrement par Godard retient notre attention un
peu plus que les autres articles formant lʼensemble qui sera présenté dans la référence
suivante (ref.161). Ce dernier rêve est constitué des traces photographiques
commentées de la possibilité d'installer une télévision dans un pays d'Afrique : le
Mozambique. Ce rêve est ultime, comme l'indique le titre, car il est sûrement la dernière
expérience possible d'un pays, d'une nation se dotant d'une télévision nationale. Il ne
doit plus exister de pays qui nʼa pas de télévision d'état. Ce dernier rêve avait été

110
également formulé par Godard lui-même dans un de ces entretiens intitulé "Lutter sur
deux fronts". Cela correspondait pour Godard au parallèle avec les débuts du cinéma :

"Le seul article que j'aurais envie d'écrire dans les Cahiers (…) porterait sur les nouveaux débuts
possibles du cinéma. Sous la forme d'un problème qui se poserait à un jeune africain : “Voilà,
votre pays vient d'acquérir son indépendance, vous venez d'être chargé avec quelques
camarades, de l'établissement de votre cinématographie, puisque vous avez enfin la liberté d'en
avoir une. (…) Cela veut dire ne plus importer La Marquise des Anges, mais prendre d'abord les
films de Rouch, ou tel jeune africain formé par Rouch (…)”Une vraie redéfinition du cinéma, ce
141
serait ça."

Etonnant donc que le souhait qu'exprime Godard en 1967, trouve sa réalité et qu'il puisse
d'autant plus l'effectuer et en rendre compte dans les Cahiers du Cinéma pour faire cet
article qu'il voulait tant faire. Cet article est composé de deux parties. La première est le
récit de l'expérience de l'installation intitulée :
NAISSANCE (DE L'IMAGE) D'UNE NATION. Confrontant le titre de Griffith pour suggérer
l'aspect premier de cette naissance justement.
Cette partie est suivie d'une ANNEXE :
RAPPORT SUR LE VOYAGE DE LA SOCIÉTÉ SONIMAGE AU MOZAMBIQUE

Ref.162 -NUMÉRO SPÉCIAL n°300. 05/1979.96 pages.


A chaque centaine, les Cahiers du Cinéma confie la rédaction en chef du numéro à un
cinéaste important. Pour le numéro 100 c'était Jean Cocteau. Et à l'instar des cours
d'Histoire du Cinéma qu'il donne à Montréal, Godard (n°300) va succéder à Langlois
(n°200).

Ce numéro est important, il annonce d'une certaine façon le "retour" des Cahiers du
Cinéma dans l'actualité, et par conséquent la sortie des années politiques où la radicalité
des textes était accompagnée du choix drastique des films critiqués.

Le sommaire de ce numéro se compose de Quatre parties


Partie première : LA REVUE IMPOSSIBLE
Partie seconde : VOIR AVEC SES MAINS
Partie troisième : LES DERNIÈRES LEÇONS DU DONNEUR
Partie quatrième : LE DERNIER RÊVE D'UN PRODUCTEUR

Deux collages concernant Hitchcock y sont adjoints et sont de première importance. Il


sont produits en rapport à une lettre (page 12) que Godard aurait envoyée à Jean-Pierre
Gorin expliquant qu'après la vision à la télé de VERTIGO, son sentiment était
qu'Hitchcock filmait les visages de ses actrices comme des culs.
Le premier collage montre les deux visages de Kim Novak (ses deux personnages) et
entre ses deux visages les jambes d'une filles allongée sur le ventre et sans culotte.
Et ensuite sur deux pages le deuxième.

Il est composé de trois photos


Photo 1 - Hitchcock dans la salle d'interview avec Truffaut au moment du livre, cadrant
avec ses mains, mais son interlocuteur est caché par deux autres photos.

141
. Ref.303 -LUTTER SUR DEUX FRONTS , n°194. 10/1967.

111
Photo 2 - une photo centrale de Salò où 2 jeunes victimes sont nues et se font inspecter
l'arrière train fournissant l'image d'anonymes asexuées écartant eux-mêmes les fesses.
La situation de la photo est placée sur celle du cinéaste fait penser que c'est l'image qu'il
cadre.
Photo 3. Une photo d'Ingrid Bergman en plan serré poitrine et qui est placée
symétriquement de l'autre côté du visage d'Hitchcock.

Ces deux collages sont la directe application de l'idée de permutation qu'a pu inventorier
le dessinateur Hans Bellmer, lorsqu'il exprime dans "Petite anatomie de l'image"142

"Cette vision de la croupe devenant visage se répète, puis sera provoquée à dessin (...) le corps
est comparable à une phrase qui vous inviterait à la désarticuler, pour que se recomposent, à
travers une série d'anagrammes sans fins ses contenus véritables."

Ref.163 -HOMMAGE AUX TRENTE ANS DES CAHIERS DU CINÉMA.


n°323/324.NUMÉRO SPÉCIAL. 05/1981.p.58-59

Le collage de Godard sur une double page et que trois phrases viennent ponctuer :

“LÀ OÙ C'ÉTAIT , JE SERAI


LÀ OÙ JE SERAI, J'AI DÉJÀ ÉTÉ
LÀ OÙ ÇA IRA, ON SERA MIEUX”

Ref.164 -GENÈSE D'UNE CAMÉRA.

(Première épisode) n°348/49. 06/07/1983. p.95


(Deuxième épisode) n°350. 08/1983.p.45
(épilogue) n°350. 08/1983.p.60

Ref.165 -TOUT SEUL.


LE ROMAN DE FRANÇOIS TRUFFAUT.
N° SPÉCIAL.HORS-SÉRIE. 12/1984

Ref.166 -NON RÉPONSES.


n°402. 12/1987

142
. Hans Bellmer, Petite anatomie de l'image, Paris, 1957, Ed. du Terrain Vague.Réed. Allia.2002.p.45

112
7) AVANT-SCÈNE DU CINÉMA (1967)

Ref.200 — LES CARABINIERS. MON FILM UN APOLOGUE.


n°46, 03/1965.

Ref.201 — ON DOIT TOUT METTRE DANS UN FILM.


n°70, 05/1967

Ref.202 — MA DÉMARCHE EN QUATRE MOUVEMENTS.


n°70, 05/1967

Ref.203 — LETTRE À MES AMIS


POUR APPRENDRE À FAIRE DU CINÉMA ENSEMBLE.
n°70, 05/1967

8) DIVERS

CINÉTHIQUE
Ref.210 VALEURS D'USAGE ET VALEURS D'ÉCHANGE. n°3. 01-12/1969
Ref.211 PREMIERS SONS ANGLAIS. n°5. 09-10/1969
Ref.212

J'ACCUSE
Ref.220 LE CERCLE ROUGE (signé Michel Servet)
n°1.15/01/1971

POLITIQUE HEBDO
Ref.221 QUE FAIRE DANS LE CINÉMA ?
n°26. 04/1972

TEL QUEL
Ref.222 ENQUÊTE SUR UNE IMAGE
n°72. HIVER 1972
Le texte, co-écrit avec Jean-Pierre Gorin, est une réponse après avoir réalisé LETTER
TO JANE, où ils s'en prennent violemment au vedettariat inconséquent de Jane Fonda.

LIBÉRATION
Ref.223 PENSER LA MAISON EN TERME D'USINE
n°2. 15/09/1975

NOUVEL OBSERVATEUR
Ref.225 VU PAR LE BŒUF ET L'ÂNE.
6/01/1984

113
LE FILM FRANÇAIS
Ref.226 JE VOUS SALUE GEORGES DE B.
n°2003. 21/09/1984

LIBÉRATION
Ref.227 HISTOIRE(S) DU CINÉMA
GODARD FAIT DES HISTOIRES
26/12/1988

Dans sa notule de présentation, Bergala définit ce texte, (repris dans le Godard par
Godard) comme un entretien-fleuve143, c'est plutôt une retranscription d'un dialogue filmé
en vidéo à Rolle, organisé par Godard. Serge Daney est l'autre personne présente. Ce
petit film constitue en fait la scène entre Daney et Godard au début du 2a seul le cinéma.
La discussion qu'ils ont sur l'histoire et le cinéma, et la place de Godard, de la Nouvelle
Vague. La parution de ce texte dans Libération est assortie de nombreux collages de
photos faits par Godard.

143
Ref. 176. Godard par Godard. Alain Bergala, “notule de : HdC Godard fait des histoire(s)”, Jean-Luc
Godard par Jean-Luc Godard , [volume.2], Paris, Editions de l'Étoile. 2ème Ed.1998, p.161.

114
B/ LA PAROLE : ENTRETIENS & LIVRES

1/ HUIT ENTRETIENS DES CAHIERS DU CINÉMA :


NAISSANCE DE LA PAROLE
Ref.300 -JEAN-LUC GODARD
(Entretien, propos recueillis au magnétophone)
n°138.Numéro spécial Nouvelle Vague 12/1962. p.85
Ce long entretien est le premier historique que fait Godard pour les Cahiers du Cinéma.
S'il fallait retenir parmi la trop grande multitude d'entretiens qu'a fait Godard à la presse,
l'essentiel de ces interventions, un essentiel évolutif, les interviews qu'il a données aux
Cahiers du Cinéma, parce que comme il l'a lui-même dit, les Cahiers étaient sa
maison144. Cela semble suffire amplement.

PENSER CINÉMA, PENSER AU CINÉMA


La première question a toute son importance ; elle pose à Godard ce qu'il doit à la
critique —lui qui est venu au cinéma par elle. Godard formule la même réponse quʼil
fournira à Bergala en ouverture de son livre :

"Nous nous considérions tous, aux cahiers, comme de futurs metteurs en scène. Fréquenter les
ciné-clubs et la Cinémathèque, c'était déjà penser cinéma, penser au cinéma. Ecrire, c'était déjà
faire du cinéma, car entre écrire et tourner, il y a une différence quantitative, non qualitative."

Il est remarquable de souligner l'intervention de Godard sur ce déplacement sémantique.


Penser cinéma, c'est la capacité d'associer le matériel réflexif de l'écriture dans la même
configuration que celui de filmer, le même bloc dit Godard :

"Simplement, je (les) filme (les essais) au lieu de les écrire. Si le cinéma devait disparaître, je me
ferais une raison : je passerais à la télévision, et si la télévision devait disparaître, je reviendrais
au papier et au crayon. Pour moi, la continuité est très grande entre toutes les façons de
s'exprimer. Tout fait bloc. La question est de savoir prendre ce bloc par le côté qui vous convient
le mieux."

BLOC ET CONTINUITÉ
Aussi on retiendra, autre que le piège d'une mort du cinéma et de sa probable
disparition, la notion de continuité qui réalise ce qui définira même plus tard le travail de
Godard : sa largesse des façons de s'exprimer, du cinéma en passant par la vidéo
jusqu'à la critique écrite, l'essai et un livre ou même les cours qu'il donna à Montréal en
1976 en succédant à Henri Langlois.
Bloc donc comme définition de sa puissance de création et continuité comme variation
de ses supports de réalisation de sa puissance.

"La critique nous a appris à aimer à la fois Rouch et Eisenstein.(…) Nous, nous sommes les
premiers cinéastes à savoir que Griffith existe. Même Carné, Delluc ou René Clair, quand ils ont

144
.Ref.176. L'art à partir de la vie, entretien avec Jean-Luc Godard par Alain Bergala. p.16 : "Oui, pendant
longtemps je venais aux Cahiers le soir, c'était ma vraie maison."

115
fait leurs premiers films, n'avaient aucune vraie formation critique ou historique. Même Renoir en
avait peu. Il est vrai que lui, avait du génie."

DEUX PERSPECTIVES DE LA CONNAISSANCE DU CINÉMA


C'est-à-dire que la critique a appris à Godard de concevoir le cinéma sur les deux axes
de sa constitution, la perspective historique, que l'on peut schématiser comme une
dynamique verticale et Daney dans les HdC145 rappellera qu'ils ont été cette génération
(les premiers ) au milieu du siècle comme au milieu du cinéma à pouvoir voir ce qui avait
déjà été fait avant les premiers cinéastes à connaître de manière indirecte, grâce à
Langlois, ce qui avait été fait avant. Eisenstein symbolise cet axe.
Rouch lui est le symbole d'une perspective géographique, que l'on schématise par une
perspective horizontale. Géographique dans le sens d'une description de la superficie
contemporaine, Rouch donne l'aspect contemporain, car en plus d'avoir vu des films de
l'histoire, Godard en s'engageant dans le processus de production, n'arrête pas d'aller au
cinéma, il reste encore critique de cinéma et reste à l'écoute des productions
contemporaines pour être dans le coup146.

"J'improvise, sans doute, mais avec des matériaux qui datent de longtemps. On recueille pendant
des années des tas de choses, et on les met tout à coup dans ce qu'on fait (…). Ce n'est pas de
l'improvisation, c'est de la mise au point de dernière minute. Evidemment il faut avoir et garder la
vue d'ensemble (…)"

La forme de l'entretien qui se compose de questions courtes et de réponses longues,


donne à Godard un ton de manifeste. Aussi ces phrases ont conservé toute leur actualité
puisqu'on pourrait croire qu'elles sont le commentaire des HdC. On retrouve également
la prévision des projets filmiques telle que la fera Godard. Tel qu'il l'a faite c'est-à-dire
une conception schématique de départ, pour conserver une vue d'ensemble :

RÉFÉRENCE ET CITATION : APPORT DE LA CINÉPHILIE


Il s'agit de retenir le vocabulaire de Godard, retenir dans le sens où on saisira ses
expressions qui nous servirons à expliquer les différents mouvements de formation du
film des HdC.

"Nos premiers films ont été purement des films de cinéphiles. On peut se servir même de ce qu'on
a déjà vu au cinéma pour faire délibérément des références."

Pour Godard donc, la définition de la référence est le service de ce qu'on a déjà vu au


cinéma, auquel il adjoint l'utilisation de la citation, qui est un extrait de texte qu'il aura
récupéré auparavant et qu'il soufflera à son comédien.

"Ça été le cas surtout pour moi. Je raisonnais en fonction d'attitudes purement
cinématographiques. Je faisais certains plans par rapport à d'autres que je connaissais, de

145
. "La chance que vous avez eue c'est d'arriver suffisamment tôt pour hériter d'une histoire qui était déjà
riche et compliquée et mouvementée." Serge Daney in HdC.2a. seul le cinéma.
146
. Jean-Luc Godard, “L'art à partir de la vie”, entretien avec Jean-Luc Godard par Alain Bergala, Jean-Luc
Godard par Jean-Luc Godard , [volume.1], Paris, Editions de l'Étoile. 2ème Ed.1998,. p.16 : "Anna n'était pas
contente parce que j'allais aux Cahiers comme d'autres vont au café ou au billard. J'y tenais beaucoup, pour
"être dans le coup" si on peut dire."

116
Preminger, Cukor, etc...(…) C'est à rapprocher de mon goût de la citation, que j'ai toujours gardé.
(…) Dans les notes où je mets tout ce qui peut servir à mon film, je mets aussi une phrase de
Dostoïevski, si elle me plaît. Pourquoi se gêner ? Si vous avez envie de dire une chose, il n'y a
qu'une seule solution : la dire."

Ce que veut décrire Godard par l'attitude, c'est essayer de repérer la présence du
cinéaste dans le plan qu'il fait. Comment repère-t-on un cinéaste ? Par justement son
attitude purement cinématographique qui est à rapprocher avec la connaissance qu'il a
de certains plans. Nous voyons que ce principe d'attitude est un principe que lui-même
adopte et adoptera. S'il raisonne, c'est en fonction des cinéastes faisant leur plans, et si
de son côté il fait des plans en rapport avec d'autres, on peut en déduire que la présence
des autres cinéastes passent uniquement par les films, ce sont donc comme une
empreinte, une marque, qui transforme le plan donné en un plan personnalisé.

"De plus A BOUT DE SOUFFLE était le genre de film où tout était permis, c'était dans sa nature.
Quoi que fassent les gens, tout pouvait s'intégrer au film. J'étais même parti de là. Je me disais : il
y a déjà eu Bresson, il vient d'y avoir Hiroshima, un certain cinéma vient de se clore, il est peut-
être fini, alors mettons le point final, montrons que tout est permis. Ce que je voulais, c'était partir
d'une histoire conventionnelle et refaire, mais différemment, tout le cinéma qui avait déjà été fait.
Je voulais rendre aussi l'impression qu'on vient de trouver ou de ressentir les procédés du cinéma
pour la première fois.

LE RESSENTIMENT DU SPECTATEUR
Godard indique une notion historique du cinéma, celle d'une double modernité, la
première opérée par Bresson et une seconde effectuée par lui-même et Alain Resnais.
L'indication pour lui d'inscrire le film dans l'histoire du cinéma est de dire que la dernière
règle est celle ultime de dire qu'il n'y en a pas. Cette logique, on la retrouve avec Maurice
147
Blanchot en littérature . Godard dicte lui-même sa règle esthétique, celle qui consiste,
à faire ressentir au spectateur, les procédés du cinéma. Que cela soit l'illusion que c'est
pour la première fois n'est pas l'élément le plus fondamental, celui qu'on retiendra est le
ressentiment du spectateur.

EISENSTEIN (construire d'après l'imaginaire) // ROUCH


Un peu plus loin dans l'entretien, Godard revient sur la distinction en deux types des
cinéastes. Dégageant ce qu'il appelle les classes, opposant deux cinéastes Eisenstein/
Rouch, qu'il opposait déjà au début pour le rapport historique, cette fois-ci c'est en terme
de méthode de tournage. On retrouve cette distinction presque similaire dans la Ref.94
sur l'article à propos de Bergman où il opposait les cinéastes libres (Rossellini, Bergman,
Welles) aux cinéastes rigoureux (Hitchcock, Lang, Visconti). Ici l'opposition Eisenstein/
Rouch concède aux premiers une prévision du film importante, alors que les seconds
eux sont moins prévoyants mais sont plus libres de s'organiser pendant :

"Du côté d'Eisenstein et d'Hitchcock, il y a ceux qui écrivent leur film de la façon la plus complète
possible. Ils savent ce qu'ils veulent, il sont tout dans leur tête, ils mettent tout sur le papier. (…)
Les autres du côté de Rouch, ne savent pas très bien ce qu'ils vont faire et ils le cherchent. Le film
est cette recherche."

Dans sa description de classe, Godard leur applique une particularité géométrique.


147
Maurice Blanchot, L'espace littéraire, Paris, Ed.Gallimard,coll.Idées.1969.p.128.

117
"Les premiers font des films ZONE, les autres, des films ligne droite"

Rajoutant derechef que Renoir a le charme de faire les deux ensemble. Et Rossellini
filme les choses de la seule façon possible qu'elles puissent être. Faire des films avant
tout parce qu'il sont justes :

"Rossellini, lui, fait des choses qu'il a d'abord des raisons de faire. C'est beau parce que ça est."

Dans le suivi de cette distinction de classe, Godard continue à théoriser pour faire
intervenir deux nouveaux concepts renvoyant dos à dos, mais dans les mêmes
aboutissements, la beauté et la vérité, qu'il joint rapidement ensuite avec la fiction pour la
première et le documentaire pour la seconde :

EISENSTEIN ROUCH
HITCHCOCK
RESNAIS, DEMY
<- ROSSELLINI->
RENOIR RENOIR
construit imaginaire recherche
beauté vérité
fiction /spectacle documentaire
théâtre réalisme
MÉLIES LUMIÈRE

"Je crois que je pars plutôt du documentaire pour lui donner la vérité de la fiction."

Nous assistons à une étape importante de la pensée de Godard car en 1962, la


confrontation de Godard critique avec Godard cinéaste, fort de 4 longs-métrages,se
produit. Il peut donc inscrire son expérience dans sa propre configuration et
expérimenter: comme se superposer entre les deux genres, comme on le voit dans la
phrase précédente, prenant un double aspect du côté Rouch (documentaire et vérité )
pour aller en un mouvement vers le côté Eisenstein ( fiction ).

"J'obtiens un réalisme théâtral. Le théâtre est lui aussi un bloc qu'on ne peut retoucher. Le
réalisme de toute façon, n'est jamais exactement le vrai et celui du cinéma est obligatoirement
truqué."

Revenant sur ce qu'il avait déjà annoncé sur la proximité d'écrire et de faire des films, un
moyen comme un autre pour faire du cinéma, Godard même après son expérience
exprime la stricte idée inverse :

"Tourner n'a pas beaucoup changé ma vie car je tournais déjà en faisant de la critique, et si je
devais refaire de la critique, ce serait encore pour moi un moyen de me remettre à faire des films."

118
Ref.301 - CINQ A LA ZERO
Jean-Luc Godard [LE MÉPRIS],
(Entretien, propos recueilli par J.A.Fieschi)
n°146. 08/1963. p.31

Propos de Godard visant lors de la présentation de son nouveau film LE MÉPRIS à


rendre compte du problème qu'a suscitée l'adaptation d'Alberto Moravia. Cet entretien a
été conduit dans le cadre d'un dossier réunissant cinq cinéastes parlant de l'écriture du
film qu'ils sont en train de faire : Resnais, Godard, Le Terrier, Baratier et Louis Malle.

LA MATIÈRE PRINCIPALE
Ce que Godard nomme Matière principale sont les éléments du scénario qu'il garde
après la transformation de quelques détails. Il ne se soucie pas, confie-t-il, du problème
que devrait poser l'adaptation, il paraphrase une de ses lignes de dialogue, celle que dit
Fritz Lang jouant son propre rôle dans le MÉPRIS : dans la salle de cinéma au moment
de la projection des rushs, une dispute éclate entre le vieil allemand et Jack Palance
incarnant le producteur car il ne voit pas ce qui a été écrit dans le scénario à l'écran.
"Of course, in the script it is written, and on screen it is pictures".
Il n'y a pas de problèmes concrets d'adaptation, de cette transformation du scénario écrit
en film, car ce sont justement des éléments totalement différents, ce qui lui fera affirmer :

"Ce qui est filmé est automatiquement différent de ce qui est écrit".

La notion d'automatisme vient en fait révéler la différence de nature sur lequel le cinéma
de Godard se construit et revient sans cesse, filmer c'est juste le saisissement des
signes d'un évènement rappelle-t-il. Le sujet du film pour lui, est le suivant :

"Le MÉPRIS m'apparaît comme l'histoire des naufragés du monde occidental, des rescapés du
naufrage de la modernité, qui abordent un jour, à l'image des héros de Verne et Stevenson, sur
une île déserte et mystérieuse, dont le mystère est inexorablement l'absence de mystère, c'est-à-
dire la vérité. Alors que l'Odyssée d'Ulysse était un phénomène physique, j'ai tourné une odyssée
morale : le regard remplaçant celui des dieux sur Ulysse et ses compagnons."

Notons que c'est peut-être la première fois que Godard emploie Occident comme
vocable mais aussi comme positionnement historique qu'il oppose dialectiquement à la
civilisation grecque. Toujours à la recherche de parfaire le système ontologique de
Godard tel quʼil le propose par ses écrits, ses images et sa parole, la conception du
mystère, pierre de touche du système interne des HdC, le mystère est bunuelien148 car le
mystère n'existe pas en soi, tel qu'il en devient fascinant, mystérieux parce que
l'évidence sans son obscurité qui fait défaut apparaît comme une monstruosité.

148
. Nous pensons précisément à Belle de jour (1966) de Luis Bunuel où une femme échoue dans la
prostitution parce qu'elle est encore vierge. Le climat proprement mystérieux du film est dû aux nivellements
des niveaux de perception de la réalité. Comme très souvent chez Bunuel, le fantasme, le rêve et la réalité
vécu par le même personnage nous sont présentés sans aucunes précaution d'usages, donnant souvent au
montage une force, une puissance surréaliste de ne jamais savoir ce qui se présente à nos yeux : un rêve ou
la réalité.

119
"Film simple et sans mystère, film aristotélicien, débarrassé des apparences, LE MÉPRIS prouve
en 149 Plans que dans le cinéma, comme dans la vie, il n'y a rien de secret, rien à élucider, il n'y
a qu'à vivre — et à filmer"

Une nouvelle fois, l'enjeu du cinéma est un enjeu qui abandonne l'idée de l'art : pour
Godard, le cinéma dépasse cette notion et prétend concurrencer la vie. Enfin cette
concurrence est plutôt une correspondance, où vivre et filmer sont issus de la même
pulsion, dʼune même activité principale. Sans avoir peur d'asséner un archétype, Godard
affirme cette idée paradoxale alors quʼil se dédouble en critique pour parler de son
propre film.

Ref.302 -PARLONS DE PIERROT. n°171. 10/1965. p.71


Entretien de Jean-Luc Godard sur son film PIERROT LE FOU
par Jean-Louis Comolli, Michel Delahaye,
Jean-André Fieschi et Gérard Guégan.
Cet entretien est conséquent à la sortie dans les salles de cinéma de PIERROT LE FOU.

PRÉAMBULE
Ce premier entretien et les deux qui suivent sont importants dans l'œuvre de Godard.
Importants par le contenu des propos mais importants aussi par le moyen de passage. Il
faut les discerner comme des nouveaux rapports d'intercessions entre le public et le
cinéaste passant comme un autre intermédiaire. Il ne s'agit pas de film, ni d'une critique
qui parlait précisément ou pas de cinéma. Avec ces entretiens, c'est la voix de Godard
que l'on entend et sa faculté extraordinaire à justement improviser en rapport aux
questions qu'on lui pose

L'entretien commence par la description sur les méthodes de travail de Godard. Il


confirme un certain nombre de généralités mais ce qui va particulièrement nous
intéresser c'est l'utilisation des termes.

PAS DU SANG, DU ROUGE


Phrase éminemment célèbre puisqu'elle visait chez Godard à célébrer les moyens de la
représentation au détriment de le réalité de la présentation. Pas du sang, du rouge vise
également à se permettre toutes la violence, l'atrocité, sexe, torture... tel qu'on le verra
dans ses films de fictions, parce que justement il ne s'agit pas de la vie mais d'un
ailleurs, où tout est d'abord représenté.

PAS PRÉ-PENSÉ (ABSENCE DE PRÉMÉDITATIONS)


Ce qui motive JLG dans le processus de fabrication du film, c'est d'être dégagé d'a priori
esthétique, et même philosophique ce qu'il nomme "pré-pensé". C'est en quelque sorte
une accession directe à agir pour représenter le vide. Et sortir de schémas pré-établis.

ART DE LA GUERRE
Une des démarches de la pensée de Godard est d'entreprendre le film comme “une
opération de commandos”. On va plus loin que le film qui a besoin de complices, ainsi
que voulait Renoir; là il y a un objectif et un ennemi.

120
Suite à la citation de Fuller dans son film. Ajoutons que lʼapparition de Samuel Fuller
dans le film de Godard est la présence d'un cinéaste qui témoigne de la définition du
cinéma. (« A film is like a Battlefield, un film c'est comme un champ de bataille »),
Godard commente :

"Mais c'est lui qui a trouvé le mot : émotion. Comparer le film à une opération de commando est, à
tous les points de vue, financier, économique, et artistique, la meilleure image, le meilleur symbole
de ce qu'est un film dans sa totalité."

"D'un côté l'ennemi qui vous harcèle, et de l'autre le but à atteindre où se trouve peut-être
l'ennemi. Le but à atteindre, c'est le film, mais, une fois fini, on s'aperçoit qu'il n'était que le trajet,
le chemin vers le but."

Même si les conclusions sont moins intéressantes que la phrase du début. Nous
essayerons plus tard de montrer en quoi l'Art de la guerre, tel que peut le symboliser les
actions entreprises par JLG, peut nous aider à mieux percevoir les films des HdC.
Comprendre que la guerre soit considérée comme une zone d'évènements, peut être
l'élément le plus prégnant du film des HdC. Jusqu'à concevoir un film-annexe
spécialement comme représentation de la guerre dans le siècle149.
Un peu plus loin dans l'entretien, il revient sur cette notion :

"Faire Pierrot le fou consiste à traverser un évènement. Un évènement est fait lui-même d'autres
évènements sur lesquels on finit par tomber. En général faire un film est une aventure
comparable, répétons-le, à celle d'une armée qui s'avance dans un pays et qui vit sur les
habitants. On est donc amené à parler de ces habitants-là. C'est ça l'actualité. C'est ça qu'on
appelle actualité au sens cinématographique et journalistique (…)."

LA QUÊTE DE L'INVISIBLE
Suite au questionnement de la citation de Velázquez, lorsque Belmondo lit Elie Faure
dans la baignoire, Godard répond :

"C'est le sujet. Sa définition. Velázquez à la fin de sa vie ne peignait plus les choses définies, il
peignait ce qu'il y avait entre les choses définies, et ceci est redit par Belmondo lorsqu'il imite
Simon : il ne faudrait pas décrire les gens, mais décrire ce qu'il y a entre eux ."

Il s'agit donc d'une description de l'écart, hors de ce qui est visible, invisible donc mais
non un invisible néantisé, un invisible comme gouffre, puisque ce vide est limité par les
êtres, comme entouré. La description de ce vide consiste alors à établir la
correspondance qui peut être les sentiments, ou la notion de lien, si c'est de l'espace, ou
alors d'intervalle, si c'est du temps.

LE PREMIER FILM EST UN PREMIER ARTICLE


Le travail critique de l'écriture aux Cahiers n'était que le début d'une mise en scène de
cinéma par d'autres moyens, celui de l'écriture :

"En fin de compte, pour nous, faire notre premier film, c'était écrire aux Cahiers . Quand mon
premier article a paru dans “Arts” ce fut aussi important pour moi que quand j'ai réalisé “A bout de
souffle”.

149
. Ref.Film.82. DE L'ORIGINE DU XXIEME SIECLE (2000).

121
Godard opère une distinction entre faire du cinéma et faire un film :

"Les jeunes confondent faire du cinéma et faire un film. Un film qui soit le sujet de vos rêves, ça
n'arrive jamais. (…) Mais quand on fait son premier film, on a plutôt envie de faire du cinéma
qu'un film en particulier, ou celui-ci est trop imprécis pour ne pas dévier par la suite. De toute
façon il faut désacraliser le cinéma."

Un peu plus loin, pour répondre à la question de l'écart de situations entre 1955 et 1965
présent de cet entretien, il prolonge la correspondance entre écrire et filmer :

"Quand j'ai écrit ma première critique, j'ai à la fois découvert le cinéma et écrit mon premier
roman. Peut-être les jeunes aujourd'hui devraient-ils considérer qu'écrire est aussi important
qu'autre chose, que cela doit les aider, qu'écrire c'est comme filmer, s'ils ont envie de faire des
films, et qu'il faut qu'ils se trouvent leur propre langage : l'écriture n'est pas simplement
l'application de certains procédés."

SUR LA MUSIQUE
Sur la Musique, Godard se voit reprocher la manière dont il utilise la musique dans ses
films.

"Dans Alphaville, la musique semble être en contrepoint, et même en contradiction avec l'image
(…) C'est qu'elle est un des éléments du récit. (…) La musique pour moi est un élément vivant, au
même titre qu'un rue, que des autos. C'est une chose que je décris, une chose préexistante au
film"

LE TRAVAILLEUR PRIVILIGIÉ : LE CINÉASTE


Face à cette désacralisation, Godard dresse le bilan du métier de cinéaste, qui même s'il
l'on commence assistant, on finit quand même par arriver maître de son image. Pour
Godard, le métier de cinéaste est un métier privilégié, par le fait comme il dit, que pour un
étudiant qui veut faire un film, il est plus simple de prendre un rendez-vous avec un
directeur d'une chaîne de télé, que pour un ouvrier de chez Renault demander à voir son
Patron.

"Au cinéma, il n'y a pas de luttes de classes.(…)"

Pour finir l'entretien, le discours de Godard s'oriente sur les apports et les différences de
l'écriture et ce constat s'avère historique. Il dresse ainsi le portrait de deux critiques qu'on
retrouvera dans les HdC , ainsi que dans l'une de ses annexes151 : il sʼagit de Jean-
150

George Auriol et André Bazin.

150
. HdC 3b.une vague nouvelle. p.145. pour J-G. Auriol.
151
. Ref.Film 75. 2X50 ANS DE CINEMA FRANÇAIS (1995).

122
Ref.303 -LUTTER SUR DEUX FRONTS , n°194. 10/1967.
Entretien de Jean-Luc Godard
sur son film LA CHINOISE et WEEK-END
par Jean-Louis Comolli, Jacques Bontemps,
Jean Narboni, Michel Delahaye.

UNE LUTTE ÉCONOMIQUE ET ESTHÉTIQUE


Dans le livre de Godard "Godard par Godard, cet article est précédé d'un Manifeste 152
relativement court : citant, entre autres, la phrase de Che Guevara, il demande la
nécessité de la lutte pour barrer l'Empire dominant, qui, le faisant traverser par tout
l'occident, puisqu'il part de Californie et va jusqu'à Moscou, est désigné comme cinéma
américain.

"Nous devons aussi créer deux ou trois Vietnam au sein de l'immense empire Hollywood-
Cinecittà-Mosfilms-Pinewood etc... "

C'est dans ce manifeste que nous avons le titre de l'entretien, qui est rappelons-le, un
concept de l'art martial maoïste.

"et tant économiquement qu'esthétiquement, c'est-à-dire en luttant sur deux fronts, créer des
153
cinéma nationaux, libres, frères, camarades et amis."

LA DÉCOUVERTE DU MONTAGE
Cet entretien, établi au moment de la sortie de LA CHINOISE débute sur la question
difficile de l'engagement politique par et dans le cinéma, de son arrivée dans la pratique
filmique chez Godard, jusqu'à la réception critique par les organisations politiques de
gauche.
Lorsqu'on demande à Godard s'il pense avoir inventé quelque chose, il répond la
"découverte" de certains procédés de montage. Procédé qui grâce à lʼélaboration de sa
description nous prouve qu'elle se retrouve dans les HdC.

"Une seule découverte (…) c'est comment faire passer souplement d'un plan à un autre, à partir
de deux mouvements différents, ou même, ce qui est plus difficile, d'un plan en mouvement à un
plan immobile."

Par cette résolution des raccords de plans, Godard précise sa théorie provenant de la
pratique :

"(…) quand on monte donc à partir de ce qu'il y a seulement dans l'image, du signifiant et non du
signifié, il faut partir du moment où la personne ou la chose est cachée par une autre, ou bien en
croise une autre, et changer de plan à ce moment-là.."

LA SÉMIOLOGIE A LA TRAPPE
Sorti de ses expériences, les Cahiers veulent le confronter à certains penseurs
contemporains, puisqu' il cite Michel Foucault et Les Mots et les Choses dans son film, il

152
. Ref.176.Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard , [volume.1], Paris, Editions de l'Étoile. 2ème Ed.1998.
p.303
Intitulé "Manifeste" il est issu du Press-Book du film LA CHINOISE, Août 1967.
153
. C'est moi qui souligne.

123
lui demande ce qu'il pense de l'apport de la linguistique au cinéma. Et une réponse
sévère, à la limite d'une certaine intolérance se produit sans retenue. Affirmant qu'il
passe à côté du cinéma. Suit alors comme exemples de personnes en état
d'incompréhension du cinéma : Roland Barthes, Christian Metz et même Lévi-Strauss.
Godard leur refuse une vérité de leurs tentatives sémiotiques, une vérité effective au
cinéma. C'est-à-dire que ce qu'ils écrivent est sûrement valable mais passant par le
cinéma cela ne marche plus, il leur refuse leur effectivité par le fait qu'ils n'arrivent pas à
trouver la spécificité du cinéma, ou au moins à tenir compte de la spécificité. Seul Noël
Burch, par sa mise en avant de la praxis, le séduit :

"On sent que c'est le fait de quelqu'un qui a pratiqué et pensé la chose, qui a tiré certaines
conclusions de ses manipulations."

C'est la difficulté, résume-t-il, de pouvoir communiquer l'expérience cinématographique


qui est inscrite à même le langage :

"Je repense à ma discussion avec Sollers. Il me reprochait de parler par exemples, de dire
toujours “de même que”…, “c'est comme…”. Mais en fait je ne parle pas par exemples, je parle
par plans, comme un cinéaste."

DRESSER LE CATALOGUE DE CE QUI NE VA PAS AU CINÉMA


Par la confrontation de la pensée scientifique et de son inanité face au cinéma, Godard
propose les sujets fondamentaux d'une science cinématographique qui passerait par
l'exposition de sa technique :

"Le mieux que nous ayons à faire actuellement, c'est d'aborder les problèmes techniques, tout ce
qui concerne l'économie, la production, la projection, les laboratoires, etc. (…) dresser un vaste
catalogue des choses, des plus infimes au plus grandes, qui ne vont pas dans le cinéma."

UNE ESTHÉTIQUE DE LA DISPARITION (ŒUVRES ET AUTEURS)


C'est au moment où les intervieweurs demandent à Godard des explications sur ses
débuts, en essayant de résumer ce propos à un départ "d'idées générales sur le cinéma"
pour continuer et découvrir peu à peu "les problèmes pratiques" quʼil préconise. Godard
décrit enfin quelle est sa conception du cinéma : une conception d'une esthétique
nihiliste qui pourrait sembler en apparence mystérieuse.

"Suivant le cas et les pays, on aborde le cinéma de différentes manières. En France, on n'avait
jamais réfléchi sur le cinéma. Un jour sont arrivés des gens qui ont dit : il faut réfléchir, parce que
le cinéma est quelque chose de sérieux. De même il fallait dire que les œuvres existent. Je pense
maintenant que les œuvres n'existent pas (…) même si elle est enfermée dans une boîte ou
imprimée sur du papier, au même titre qu'un être ou un objet. (…)

Ainsi la matérialité ne suffit pas pour désigner l'œuvre, c'est en terme de qualité que se
pose le conflit de cette critique. Et Godard va appliquer ce processus logique jusqu'au
producteur de l'œuvre :

"De même, je dirai qu'il n'y a pas d'auteur. Mais pour que les gens comprennent dans quel sens
on peut dire cela, il faut d'abord leur dire pendant cent ans qu'il y a des auteurs. Car la manière
dont ils pensaient qu'il n'y avait pas d'auteur n'était pas la bonne. C'est une question de tactique."

124
Aussi, remarquons que si Godard ne nie pas la réalité de lʼœuvre il sʼintéresse plutôt à
son mode dʼénonciation. Il déploie son intérêt à lutter face à des enjeux commerciaux
avec des intérêts proprement tactiques. Il se rend compte que l'affirmation de l'existence
ne suffit pas aux éléments d'être. Cette interrogation proprement métaphysique rejoint le
principe de l'être. C'est par souci tactique.

GODARD PRODUCTEUR
Les Cahiers soulignent la fonction de Godard en tant que producteur. Producteur de
Charles Bitsch et Jean Eustache, ils lui demandent son importance dans son devenir.

"Ça fait partie du cinéma, et produire, c'est aussi sortir du monde où on est. Voir des gens, voir du
monde aux deux sens du terme. Dialoguer."

La figure de Godard producteur est mal connue, et c'est pourtant pour moi, la figure la
plus importante car elle est celle qui le place au dessus de sa fonction de cinéaste simple
(dans la mesure où l'on décrète que cinéaste est une fonction simple). Producteur est
donc pour lui dialoguer et lui permet d'être autrement lui-même, ce qu'il cherche avec
engouement à sortir de sa propre condition.

"Si j'avais plus d'argent, je produirais bien davantage. Par exemple pendant deux ans, et puis je
tournerais un film pour changer. Dans l'état actuel des choses, je dois si je veux produire, trouver
des gens pour partager des charges."

La suite de la discussion indique la relative importance du scénario qui n'est qu'une


"pièce à conviction" pour le film, rendant par ce terme hommage à Renoir et ses
complices pour le mauvais coup.

Ref.304 -LES DERNIÈRES LEÇONS DU DONNEUR, n°300. 05/1979. p.60


A partir de fragments, l'entretien, que donne Godard sans savoir quel est son
interlocuteur, fournit certains éléments qui sont contemporains de la conception des
HdC. La volonté de faire un film sur l'histoire du cinéma quand il donnait des cours à
Montréal :

"(…) cette histoire du cinéma, on ne pouvait pas la faire parce que même à Montréal où Losique
avait accepté de dépenser de l'argent pour essayer de faire des recherches là-dessus, on ne
pouvait pas sortir un film, on ne pouvait pas profiter de la vidéo pour sortir un film, c'était des
investissements qui coûtaient trop cher..."

UNE NOUVELLE ISSUE POUR LE RAPPORT FICTION/DOCUMENTAIRE


Sur la distinction classique Fiction et documentaire que la théorie du cinéma oppose
habituellement, Godard propose une nouvelle issue pour ce rapport :

"Et puis le document n'est pas contre la fiction… Il y a toujours, depuis Aristote, ce “soit l'un, soit
l'autre” qui, en science, n'existe pas… Ce n'est pas “de deux choses l'une”, c'est plutôt “de l'une
deux choses”."

Ce que propose Godard dans cette dernière formule, c'est finalement l'héritage
Rosselinien, de pouvoir associer ces deux notions dans un seul film, de mettre en

125
rapports ces deux notions autrement que de les opposer, de trouver de la fiction dans du
documentaire, et des documents dans la fiction, cette conception aboutira à envisager
dans les HdC, l'idée d'une égalité et d'une fraternité entre les deux conceptions154. Seul
le mot documentaire sera substitué par le réel.

Ref.305 -PROPOS ROMPUS, n°316. 09/1980. p.10


La sortie du film de Godard SAUVE QUI PEUT(LA VIE) bénéficia d'un dossier dans le
numéro d'Octobre 1980. Dossier composé de deux articles ( un de Pascal Bonitzer et un
de Jean Narboni)155 , et de la publication d'extraits de l'intervention de JLG à Avignon
pendant le Festival. Le premier article est strictement à propos du film, le second, de
Narboni, part du film pour ensuite sʼintéresser à Godard lui-même et à la teneur des dires
qu'il a tenus au Festival. Avec Propos Rompus ainsi nommés à la fin de son article,
Narboni précise pour parfaire cette présentation, qu'elle est due à Jacques Robert
(Responsable de la partie cinéma du Festival d'Avignon) (…) Et quʼelle ne devait rien :

" à la torpeur légère où baigne généralement le rituel des débats du Verger, mais bien au statut
incertain de celui qui se tenait devant nous et nous a enveloppés, deux matinées durant, d'une
brume de paroles. (…)"

Narboni annote encore pour conclure :

"Nous publions ci-après de larges extraits de l'intervention de Jean-Luc Godard, à Avignon,


intervention qui se déroula durant deux matinées en Juillet dernier, devant un public nombreux et
attentif."

Lorsque l'on revient sur ces larges extraits, un certains nombre de problèmes énoncés
par Godard vont retenir toute notre attention et sont venus renflouer notre argumentation,
car la parole de Godard détient souvent la force de révéler sa puissante cohésion d'esprit
et de pensée, ce qui fait que l'entendre parler d'un film de fiction sorti en 1980, viendra
nous éclairer incroyablement sur un film documentaire qui sortira 18 plus tard. Les
différents concepts que va proposer Godard sont souvent très convaincants quant à
l'accusatif des HdC. Si on emploie le terme accusatif, c'est sciemment, car Godard est
soupçonné constamment d'être superficiellement provoquant mais surtout avec
lʼintention du désœuvrement et de la paresse, pour ne pas finir ce qu'il avait commencé
d'entreprendre.
Ces propos rompus sont à l'inverse une argumentation possible des HdC.

LE TITRE COMME GRAPHIE TOPIQUE


Tout d'abord Godard parle du titre de son film de telle façon qu'on peut évidemment le
prendre en considération pour les HdC.

"Je pense que le titre est important (…)parce que ça lui donne une indication et une direction…
enfin c'est un lieu, c'est un peu comme la patrie du film."

154
. Godard utilise le mot réel et le mot documentaire.
HdC 3b.une vague nouvelle p.126,127.
155
. Pascal Bonitzer, “Peur et Commerce”, Cahiers du Cinéma, n°316, Septembre 1980, Ed. de L'Étoile. p.5.
Jean Narboni, “Laissez rêver la ligne”, Cahiers du Cinéma, n°316, Septembre 1980, Ed. de L'Étoile. p.8.

126
L'idée de faire correspondre une idée d'espace avec le titre va au-delà d'une notice ou
une pancarte annonçant le début d'une ville, mais pour Godard la notice du titre prend
aussi toute sa valeur dans le fait que c'est aussi le point de départ de l'écriture du film.
Comme il l'a souvent répété156, les contrats des films qu'il a faits n'ont jamais été établis
avec des producteurs sur la base de scénarios finis. Le plus souvent c'est un synopsis
avec quelques photos ou bien un petit film, mais jamais un scénario dans son intégralité
comme on lʼexige de tous les réalisateurs des années 60 jusqu'à nos jours. D'où
l'importance du titre trouvé vient prendre une dimension encore plus grande lorsque la
construction d'une production d'un de ses films ne se fait qu'à partir du sujet.

Aussi comme il le dit dans les HdC, trouver des titres est une activité de producteur,
aussi lorsqu'il reprend-il l'énoncé de David O. Selznick donnant des ordres à ses
Executive Producers ses Yes-men :

157
"Peu m'importe l'histoire pourvu qu'elle s'intitule Birds of Paradise (…)"

LE DOUBLE TITRE
Ce qui est double pour Godard c'est le fait que le titre "SAUVE QUI PEUT (LA VIE)"
contient un mot entre parenthèse ce que l'on retrouvera aussi avec les HdC.
Remarquons également l'expression typique qu'utilise Godard pour l'effet de mettre une
parenthèse : il utilise le mot montage. Tel que cela était précisé lors de l'explication du
titre158

"Mettre un double titre, c'était aussi créer un effet de troisième titre à naître, chacun pouvant faire
son montage un peu comme il veut en lui donnant des indications assez précises et un peu
souples, un peu contradictoires aussi."

LA TROISIÈME IMAGE
Or ce propos rajoute une pensée dont il est bon de tenir compte face aux HdC, mais face
aussi au présent travail car il est conduit sur le même modèle :

"Je pense qu'effectivement tout le film et tout mon cinéma est un peu contenu là-dedans. Le
cinéma ce n'est pas une image après l'autre, c'est une image plus une autre qui en forme une
troisième, la troisième étant du reste formée par le spectateur au moment où il voit le film."

Le structure de ce travail tient compte de cette remarque puisque la Troisième et


Dernière Partie été pensée et établie en fonction du regard de l'autre : le spectateur,
spectateur considéré comme producteur, producteur d'une troisième image, producteur
de films voire producteur de scénario lorsquʼil se met à écrire dʼaprès le film.

LE TRAJET DE LA SCIENCE
Le trajet des scientifiques, tels que les décrits Godard, se trompent de méthodes :

156
. Ref.176. “L'art à partir de la vie”, entretien avec Jean-Luc Godard par Alain Bergala, Jean-Luc Godard par
Jean-Luc Godard , [volume.1], Paris, Editions de l'Étoile. 2ème Ed.1998,. p.16
157
. HdC. 3a. la monnaie de l'absolu. p.41.
158
. Voir introduction de cette annexe

127
"Ce sont des gens qui ont vu, qui ont pratiqué, et ensuite qui disent et qui l'expriment sous une
forme littéraire."

Ce trajet qu'il reproche, est le mouvement qui les conduit à entreprendre leurs
recherches et ensuite les communiquer. Ce trajet scientifique, c'est la pratique de
l'écriture comme renouvellement de l'expérience passée des scientifiques. Le cinéma
pouvait être un instrument beaucoup plus fiable pour la reproduction de la réalité
scientifique. Il ne s'agit pas de vouloir produire le mouvement du devenir du cinéma vers
la science mais qu'elle peut simplement être au service de la science, c'est-à-dire
comme instrument.

PARCOURS DE LA PRODUCTION
"Ce film là est un peu comme une entreprise commerciale...

Constat qu'après l'expérience grenobloise de Godard, qu'il considéra comme une


pratique de production classique, dès lors le pourcentage de ce que les entreprises
investissent dans leur budget correspond au secteur recherche et développement.

"Dans le domaine du cinéma et de la télévision, il n'y a pas d'entreprises de recherches comme


dans les entreprises industrielles, automobiles, ou de pharmacie, une grande société de
production qui a un chiffre d'affaire de dix milliards de francs ne consacre pas moins de 3% ou 4%
ou 20% de son budget à la recherche. Moi, c'est ce que j'avais essayé de faire quand même, car
j'en ai besoin..."

RYTHMES, RALENTIS ET ACCÉLÉRÉS :


UNE NOUVELLE TECHNIQUE : LA DÉCOMPOSITION
Le propos suivant est une réflexion esthétique. Son film SAUVE QUI PEUT (LA VIE) sera
conçu selon différents modes de rythmes incarnés par des personnages. C'est-à-dire
chaque personnage possède un rythme différent : lent, moyen et rapide. Ce qui est
intéressant de relever c'est que comme les HdC, ce n'est pas un fil narratif qui tient la
continuité du film mais une confrontation de rythmes plus ou moins lents. À nous de
chercher pour les HdC quels sont les motifs de rythmes dont il est constitué159.

C'est bien la naissance d'une technique à laquelle nous assistons et notre regard se
porte alors sur elle devenant co-naissance, faite d'accéléré et de ralenti et grâce à la
conjugaison du cinéma et de la télévision il la nomme DÉCOMPOSITION.

"On faisait des ralentis, des changements de rythmes, ce que j'appellerais plutôt des
décompositions, en se servant des techniques conjuguées du cinéma et de la télévision."

Précisons que cette technique de décomposition ne s'applique pas pareillement si on


filme un garçon ou une fille. Elle s'accorde plus plastiquement à la fille, le garçon étant
plus ondulatoire mais ne donne pas véritablement de bonne surprise.
Toute technique cinématographique pour Godard comporte une différenciation sexuelle.

LA PORNOGRAPHIE, L'UN ET L'AUTRE


159
. C'est principalement dans l'introduction.

128
"Il n'y a pas plus de cul dans mon film que de gens qui s'embrassent et je pense que je ne sais
pas filmer l'un et l'autre, j'aurais envie de filmer l'un et l'autre."

SUPÉRIORITÉ DE L'IMAGE (NI POUR NI CONTRE) SUR L'ÉCRITURE (NUISIBLE)


Comme déjà se base la construction d'une histoire du cinéma faite à partir des images,
Godard d'un point de vue théorique relance certaines données, l'enjeu de l'écriture face à
l'image, l'écriture qui rassure et l'image par nature ambivalente donc inquiétante, mais
donc source de création.
"Dans le cinéma je pense que l'écriture est éminemment nuisible, je pense qu'elle rassure plutôt
que d'inquiéter alors que l'image n'est pas rassurante, elle n'est ni pour ni contre, c'est un moment
de rencontre, c'est une gare où deux trains passent. C'est rien de plus et on a peur parce que ça
permet de voir."

Comme l'écriture avec le titre mène à une notion de lieu, l'image, elle, produit une notion
de temps : il la fait correspondre avec un moment, comme un point non plus dans
l'espace auquel logiquement l'image s'attache, mais un point temporel, un point de
rencontre. Démontrant que le cinéma face au réel engendre toujours son propre
contraire.

PRODUCTEUR, AUTEUR ET INTERPRÈTE D'UN ENSEMBLE


La notion d'auteur pour Godard était à l'époque de sa politique une parade. Pour que le
public sache que, l'auteur cʼétait important, il fallait faire attention à lui. Mais pour lui c'est
pratiquement une mauvaise considération, se désignant plus facilement alors comme un
PRODUCTEUR conscient de l'image (ni pour ni contre) qu'il donne. Ce qui est important
c'est dʼavoir droit de faire du cinéma.

"On parlait du producteur, on avait même accentué la notion de mise en scène qui n'existait pas
dans les débuts, c'était pour nous faire exister, c'était une manière, la nôtre, de considérer le
cinéma pour qu'on nous reconnaisse à part égale (…) Ce qu'on voulait dire c'est “Moi, je suis un
type aussi important que Chateaubriand, et j'ai le droit de faire du cinéma ”… Mais je pense qu'en
fait c'est beaucoup plus un ensemble ... "

Et, comme on va le voir juste après, la notion d'ensemble s'apparente pour lui à la
possibilité d'exercice du cinéaste. Le potentiel à être ce qu'il est. Ce que Godard
finalement nommera producteur. Et pour donner un exemple de ce qu'il appelle un
producteur selon sa propre définition, il utilise Kazan. Pour lui certains cinéastes ne sont
pas des auteurs mais les interprètes d'un ensemble. On pourrait résumer par l'action
d'une oscillation entre ses deux polarités qui cherchent à l'identifier.

LE CINÉASTE OSCILLE ENTRE L'INTERPRÈTE ET LE PRODUCTEUR.


"Ce qu'on appelle les producteurs, dont on a dit à des moments beaucoup de mal, eux faisaient
beaucoup plus marcher la machine. Il y a des tas de films de Kazan, qui sont autant des films
d'un ensemble dont Kazan était le bon interprète comme à un moment Rubinstein ou Clara Haskil
sont de bons interprètes de Mozart, mais qu'ils n'étaient que les interprètes, les brillants
interprètes de quelque chose d'incertain qui était plus que ça."
Godard ajoute que le producteur utilisé comme figure a bien une base dans la réalité :

"Du reste, véritablement, vue la manière dont ils faisaient les films, ils étaient un peu leur propre
producteur, non seulement d'un point de vue financier mais d'un point de vue culturel. Les grands

129
films d'Hitchcock, c'est effectivement à un moment où il avait le poids de pouvoir choisir Grace
Kelly même si tous les studios n'en voulaient pas. C'était son modèle, son motif, et c'était ça qu'il
voulait, mais ça c'est un travail presque de producteur et de metteur en scène. A ce moment ils
sont à égalité."

CINÉMA ET TÉLÉVISION (FOCALE, ZOOM ET TRAVELLING)


Comme on l'avait vu, le propos de Godard est d'affiner les principes techniques de la
télévision et du cinéma et dans la conjugaison d'associer le travail des focales et des
travellings au cinéma, alors que la télévision, elle, emploie le ralenti et le zoom. Cette
sectorisation nous permettra d'établir concrètement pour les HdC un système hiérarchisé
de techniques employées.

JE SUIS UNE IMAGE


Comme on l'a souvent vu dans cette étude sur les articles, il y a une collusion
systématique de Godard avec son spectateur, rejoint par le personnage. Le personnage,
l'acteur étant l'incarnation du cinéaste à l'écran comme celui aussi de celui qui regarde.
Godard dans la conclusion de ces propos propose d'aller même plus loin dans
l'avènement de cette réalité, et qui permet encore une fois de considérer le film comme
film, sur une base ontologique, sur laquelle on prêterait vie au film. Le film une fois
vivant, il paraît logique dans cette conception d'inclure le corps du cinéaste comme le
cinéaste lui-même.

Comme l'a dit Debord la même année, nous vivons désormais dans un monde où l'image
du monde s'est substituée au monde lui-même160, et il faut dialoguer avec les images du
monde pour dialoguer avec le monde, Godard préfigurant Godard s'envisage lui aussi
comme une image, voilà ce qu'il dit :

"J'existe plus en tant qu'image qu'en tant qu'être réel puisque ma seule vie c'est d'en faire. Et
quand je dis que le cinéma est plus important que la vie, c'est d'une certaine manière ce que les
proches m'ont reproché."

D'un côté, la vie, de l'autre le cinéma et cette logique va se répercuter sur l'ensemble du
monde et de l'univers même, d'où l'importance fondamentale de la différence des sexes,
de la dialectique permanente de tous les éléments (l'image et le son, peinture et
musique, la caméra et le projecteur). Le cinéma obtient, passant par la conception de
Godard, la vision d'une dualité permanente, fondatrice, constitutive.

La caméra telle que l'invente Lumière est objet d'attention pour cette dualité :

"J'ai eu beaucoup de mal à faire comprendre à Willy161 set à Renato qu'une caméra ça avait deux
ouvertures. Ils pensaient toujours qu'il y avait une fenêtre de caméra et c'est tout, ils pensent
jamais le viseur comme fenêtre. La caméra est un endroit où ça passe dans un sens et dans le
sens contraire."

160
. Guy Ernest Debord, La société du spectacle, Paris, Ed. Buchet-Chastel, 1967. p. 26
161
. William Lubtchansky, le chef opérateur, qu'il utilisera pour SAUVE QUI PEUT (LA VIE) et Renato Berta,
chef opérateur qu'il employa sur PASSION son film suivant.

130
DÉCLINEMENT DE L'IDENTITÉ DE GODARD :
"Moi, je suis une image, moi, je suis la partie de vous… je suis l'autre, je suis l'autre vous, je suis
l'autre vous, je suis l'autre moi-même…"

On pourrait se tromper en accordant un espace poétique à ces dires, non ils ne sont en
rien poétiques, ils définissent clairement avec paradoxe l'état d'esprit du cinéaste et de
sa volonté, en tant qu'image, à vivre en nous. Reste à savoir et c'est là tout l'enjeu de
son identité, c'est le lieu où il réside. L'image de Godard, c'est-à-dire lui-même, se
situe-t-elle encore en lui comme image à venir, ou bien est-elle dans le film, incarnée
sous différentes formes dont son propre corps, ou bien encore, et c'est selon son désir,
ce qu'il aimerait être, l'image reçue de ses films, que le spectateur, l'Autre, perçoit et
produit. Volonté de contrôle de tout l'univers. Ces phrases mystérieuses quant à leur
accusation pouvaient être énoncées par un dictateur ou un saint mystique. Pour résoudre
ce dilemme, nous proposons le mouvement de la dissolution, cette incessante négation
de soi, rêvée par Oshima, pour lʼattitude des cinéastes (qui sont condamnés à se
répéter)162.
Passant d'une identité composite comme il pouvait figurer dans certains de ses films
comme on l'a déjà vu, en créant de multiples personnalités avec le même corps, l'identité
de Godard devient soluble avec ce qui lʼentoure comme le propose Jean Narboni dans
son article de présentation :

"Comme une improbabilité affectant un individu qui ressemble aujourd'hui à peu près à n'importe
qui, et, de ce fait même, d'autant plus lointain et secret. (…) chacun a senti dans ses matinées
qu'il n'avait plus affaire à un corps, un organisme, un individu ou un moi, que tout cela s'était
volatilisé ou dissous, et qu'il n'était plus question que de corpuscules et d'ondes, de frontières et
163
d'univers concentriques, de galaxies et de mouvements."

"Les seules images des cinéastes que vous voyez, c'est toujours l'image de l'Empereur romain
qui désigne ; “celui-là”.

On le comprend bien pour finir Godard touche à sa propre représentation et essaye de


créer quelque chose de nouveau par rapport à cela, pour ne pas finir comme un
empereur et le statut incertain que présentait Narboni au début de notre référence trouve
ici son point d'appui :

"Je me considère toujours comme un garçon qui fait des films, mais je considère que l'appareil de
production que j'ai effectivement monté moi-même avec bien des déboires, c'est plutôt un
organisme de reproduction de type féminin : la manière dont on a organisé le matériel, de
produire un film, de répartir le temps, il y a une espèce de démocratie alors qu'avant c'était plutôt
centraliste. Alors moi je suis les deux, je suis celle qui se met à genoux, qui montre son cul et suis
à la fois l'autre… et c'est ça que j'aimerai ne plus partager… du moins pouvoir parler par le biais
d'un échange de documents avec quelqu'un qui … sur ses problèmes à lui, pas forcément sur
mes problèmes à moi…"

162
. Nagisa Oshima, Ecrits, 1956-1978, Paris, Ed. Gallimard/ Cahiers du Cinéma. 1980.p.9.
163
. Jean Narboni, “Laissez rêver la ligne”, CAHIERS DU CINÉMA , n°316, 09/ 1980, Ed. de L'Étoile. p.47.

131
Ref.306 -LE CHEMIN VERS LA PAROLE
Entretien réalisé par Serge Daney, Serge Toubiana, Alain Bergala.
n°336. 05/1982. p.8-14
La réticence de Godard à faire cet entretien a donné une série de collages (Ref.166).

Ref.307 -LA GUERRE ET LA PAIX


Entretien réalisé par Pascal Bonitzer, Serge Toubiana
et Alain Bergala.
n°373. 06/1985. p.8-14
Entretien fait au moment de la sortie de DETECTIVE, et les questions tournent autour de
la réalisation et de la production du film. Peu d'éléments exogènes sortent de cet
entretien. On a une forte impression de déjà-vu et on comprend aisément pourquoi
Godard a arrêté cette forme de rencontre, qui ne produisait plus aucune variation
nouvelle des questions posées. Tout dans ce dispositif avait été déjà dit.

Ref.308 -L'ART DE (DÉ)MONTRER


Entretien réalisé par Serge Toubiana et Alain Bergala.
n°408. 01/1988. p.8-14

2/ PIERRE BELFOND / GALLIMARD (1968 - 1998)


Ref.172 171
LIVRE : GODARD PAR GODARD
(1969, 1ÈRE ÉDITION, établie, introduit et annotée par Jean Narboni)
Anthologie regroupant des critiques de Godard antérieur à 1969

Ref.173
LIVRE : INTRODUCTION À UNE VÉRITABLE HISTOIRE DU CINÉMA (1979)
• la continuation de la parole (suite aux entretiens des Cahiers)
• les illustrations de IVhdc, les visions schématiques de JLG

UN LIVRE D'HISTOIRE COMME PROJET


Même si le désir d'histoire a toujours été présent chez Godard dans ses critiques de
films ou dans ses film, le projet quant à lui dans sa netteté apparaît avec la
proposition que fit Serge Losique de prendre la suite de Langlois au cours qu'il donna

132
en 1977 au CACM164. "Continuer le travail entrepris", dans la logique d'un espace de
programmation de Langlois avec en sus confronter "les morceaux de l'histoire du
cinéma" avec sa propre filmographie.

CO-PRODUCTION D'UN SCÉNARIO


Dès le début de ce travail —que le livre édité chez Albatros nous donne dans une
instantanéité puisque c'est une retranscription de la parole de Godard sans travail de
correction165 — il s'agissait d'une co-production avec le Conservatoire en vue "d'une
série de films". Et l'on retrouvera par la suite ce projet sous la forme d'un story-Board
comme il avait l'habitude de faire pour ses travaux pour la télévision.

LE CONCEPT DES VOYAGES


"A chaque voyage j'apportais un peu de mon histoire"

LE 3ÈME VOYAGE
L'idée nouvelle de Godard est de confondre sciemment l'histoire du cinéma avec la
sienne. On pourrait croire qu'il s'agit d'une entreprise très ambitieuse frôlant presque
avec une idée de soi dépassant la conscience de sa propre valeur, mais il s'agissait
de succéder à Langlois dans sa dimension pédagogique malgré les différents qui
pouvait les disjoindre.
L'idée majeure Godard l'exprime dans le troisième voyage, pour la réalisation de ces
voyages, c'est opter pour une histoire du cinéma à partir des films.

"Il y a toute une partie de l'histoire du cinéma et de la télévision (…) qui ne peut se faire qu'à
partir des films. Il faut pouvoir la faire, ou il faudrait pouvoir la faire à partir du regard des
spectateurs." p.105
Reprochant en particulier l'histoire littéraire du cinéma, la construction de cette
histoire serait de mettre ensemble un certain nombre de films, des extraits.
"C'est de pouvoir voir des morceaux, et d'essayer de voir un espèce de fil conducteur comme
un film, comme un thème musical, mais à des moments, on ne peut le trouver que si l'on
assemble les bons instruments, c'est-à-dire des instruments capables de faire certaines notes
pendant un certain moment, et des gens pour le faire, et à ce moment-là on peut retrouver
peut-être UNE MUSIQUE (…)."

LA SÉRIE DE FILMS
Table de la véritable introduction de l'H d C
§ La première série est la série idéale, série désirée par Godard qu'on trouve en tête de
chapitre, de voyage.
La deuxième série est à chaque fois une deuxième séance de travail mais toujours sous le
motif, le même trajet pour reprendre une terminologie de voyage.
§ Par contre les films entre parenthèses sont les films projetés que les étudiants ont vus à la
place du film désiré car pas disponible.
§ Bien sûr quand le film désiré n'est pas suivi de parenthèses, il a été projeté.

164
. C.A.C.M., Conservatoire d'Art Cinématographique de Montréal.
165
. L'aspect brut du livre est la raison principale pourquoi, ce livre n'est presque jamais cité ou utilisé par les
universitaires.

133
Premier Voyage
- Fallen Angel. O. PREMINGER ((Mark Dickson Detective, Jacques TOURNEUR))
- A Bout De Souffle, JLG
- M. le Maudit, F. LANG
- Le Petit Soldat, JLG

Deuxième Voyage
- Nana, J. RENOIR
- La Passion de Jeanne D'Arc, C.T.DREYER
- Greed, E.V.STROHEIM
- Vampyr, C.T.DREYER
- Carmen Jones, O. PREMINGER
- Vivre sa Vie, JLG

-L'Homme À La Caméra, Dziga VERTOV


- The Bad And The Beautiful, V. MINELLI ((Barefoot Comtess, J.L.MANCKIEWICZ))
(( 2 Weeks In Another Town, V. MINELLI))
- La Nuit Américaine, F.TRUFFAUT
- Le Mépris, JLG
-Troisième Voyage
- Faust, F.W. MURNAU
- Rancho Notorious, F.LANG
- La Belle et La Bête, J.COCTEAU
- L'Année Dernière à Marienbad, A. RESNAIS
- Alphaville, JLG

- Nanook Of The North, R.FLAHERTY


- One Fioretti, R.ROSSELLINI
- Persona, I.BERGMAN ((Le Silence, I.BERGMAN))
- Une Femme Mariée, JLG

Quatrième Voyage
- Sunrise, F.W.MURNAU
- You Only Live Once, F.LANG
- Rebel Without Cause, N.RAY
- Ugetsu Monogatari, K.MIZOGUCHI
- Pierrot Le Fou, JLG

- Sous Les Toits De Paris, R.CLAIR


- Pickpocket, R.BRESSON
- La Fille De Prague, D.JAEGGI
- Masculin, Féminin, JLG

Cinquième Voyage
- Les Vampires, L.FEUILLADE
- Underworld, J.V.STERNBERG
- The Postman Always Rings Twice, T.GARNETT
- Made In USA, JLG

-Potemkine, S.M.EISENSTEIN
- L'Age d'Or; L.BUNUEL
- Mr Deeds Goes To Town, F.CAPRA
- La Chinoise, JLG (à comparer avec Ice de R.KRAMER)

134
Sixième Voyage
- Dracula, T.BROWNING (Freaks, BROWNING)
- Allemagne Année Zéro, R.ROSSELLINI (La chute de l'empire Romain, MANN)
- Les Oiseaux, A.HITCHCOCK
- Week-End, JLG

- Arsenal, A..DOVJENKO (la terre)


- La Règle Du Jeu, J.RENOIR
- Voyage en Italie, R.ROSSELLINI (Europe 51)
- 2 ou 3 Choses Que Je Sais d'Elle, JLG

Septième Voyage
-Top Hat, M.SANDRICH
- Brigadoon, V.MINELLI
- Ladies & Gentleman, The Rolling Stones, ROLLIN BINZER
- NY, NY, M.SCORCESE
- 1+1, JLG

-The Lost Patrol, J.FORD


- Alexandre Newski, S.M.EISENSTEIN
- Rome, Ville Ouverte, R.ROSSELLINI
- The Green Berets, J.WAYNE
- Les Carabiniers, JLG

ILLUSTRATIONS DES DESSINS


Plus que le story-board traditionnel qui met surtout en avant le découpage de l'image
on pourrait nommer ces dessins : visions schématiques. Aspect d'embrasser d'un
seul regard le film et son mouvement mais aussi de pouvoir faire décliner
logiquement les mots qui sont amenés. En fait cette vision schématique ressemble
formellement à l'idée d'une partition musicale. Elle est formellement repérable par une
série d'éléments constants : La désignation de cinéastes qui vont jouer le principe de
polarité.

Ref.174
LIVRE : GODARD PAR GODARD (1984, 2ÈME ÉDITION. Editions de lʼÉtoile)
Le livre comprend un grand nombre d'articles de Godard déjà cités dans l'annexe mais
aussi tout une série d'entretiens, dont un premier avec Bergala,
« LʼArt à partir de la vie »
entretien qui revient sur l'histoire personnelle de Godard, ainsi quʼune autre sous forme
dʼalbum-photos:
« Roman-Photo biographique » dévoilant des aspects intimes et inconnus de la
personnalité de Godard. Par contre, son accident de moto survenu en 1972, nʼy est pas
stipulé ; reste quelques dictionnaires en langue anglaise.166 qui reviennent sur
lʼimportance de cet événement tant physique que spirituel, car on peut vérifier que cʼest
précisément à cette époque quʼune intense remise en cause de son style, de son métier
et de sa vie serait conséquente au fait avoir été alité pendant presquʼun an.

166
. David Quinlan, The Illustrated Guide to Film Directors, London, B.T.Basford Publishing, 1983,
1991,p.112

135
Ref.175
LIVRE : HISTOIRE(S) DU CINÉMA. 1998 (4 TOMES). Edité par Gallimard . Hors-
Collection. On remarquera le fait extrêmement rare dʼêtre édité hors une collection. Dans
lʼhistoire de lʼédition Gallimard, seul Paul Valéry et Pierre Guyotat avaient bénéficié de
cette distinction auparavant.

Ref.176
LIVRE : GODARD PAR GODARD (1998, 3ÈME ÉDITION [TOME 1 : 1950/1984, TOME
2 : 1984/1998])

Ref.176a GODARD PAR GODARD , [TOME 1 : 1950/1984]


Ce premier tome correspond à la deuxième édition (Ref.174) mais il a été revu, corrigé et
augmenté.

Ref.176b GODARD PAR GODARD , [TOME 2 : 1984/1998]


Dedans le deuxième entretien de Godard par Bergala : « LA BOUCLE BOUCLEE »

LIVRES édité par P.O.L


Ref.177 LES ENFANTS JOUENT À LA RUSSIE
Ref.179 FOR EVER MOZART
Ref.180 ALLEMAGNE ANNÉE NEUF ZÉRO
Ref.181 JLG/JLG
Ref.185 2 x 50 ANS DE CINÉMA FRANÇAIS

Ces livres sont à chaque fois la retranscription de la bande-son du film. Ils sont établis
dʼaprès le film et ne constituent donc pas un scénario conçu au préalable. Ce sont des
traces plus que des désirs.
ARTICLES EN DEHORS DU GODARD PAR GODARD TOME 2 (1984/1998)
Ref.182
TRAFIC N°1, ÉTÉ 1991, p.72, p.108 et p.138. LA PAROISSE MORTE.

Poème que Godard a donné à Serge Daney. Godard avait exprimé le désir de voir
insérer son poème trois fois dans la revue, aux moments opportuns que Daney aurait
jugés.

Ref.183
TRAFIC N°18, PRINTEMPS 1996, p.28. A PROPOS DE CINÉMA ET D'HISTOIRE.
Discours de réception du prix Adorno, prononcé par Godard, lors de son attribution à
Francfort-sur-le-Main le 17/09/1995.

Ref.184
Jean-Luc GODARD & Youssef ISHAGHPOUR,
ARCHEOLOGIE DU CINEMA ET MEMOIRE DU SIECLE (DIALOGUE)
Tours, Edition Farrago. 2001.

C'est à partir de deux articles dans TRAFIC que ce livre a été constitué :

136
TRAFIC N°29, PRINTEMPS 1999
Jean-Luc GODARD & Youssef ISHAGHPOUR,
ARCHEOLOGIE DU CINEMA ET MEMOIRE DU SIECLE. (1)

TRAFIC N°30, ÉTÉ 1999


Jean-Luc GODARD & Youssef ISHAGHPOUR,
ARCHEOLOGIE DU CINEMA ET MEMOIRE DU SIECLE.(2)
Ref.184 (suite)
Godard s'y exprime simplement et très clairement sur ses désirs et intentions, des
notions qui, à priori, sont souvent énoncées de façon plus alambiquée ou par
aphorismes. Ce livre n'étant pas un entretien classique mais plutôt un dialogue, son
statut reste particulier : double. Il intègre en même temps cette annexe regroupant les
écrits de Godard, mais également nous lʼavons admis parmi les critiques de la
représentation du film de la troisième partie du film, dont le mode problématique est
interne. Nous avons placé cette référence avec les entretiens, car souvent Youssef
Ishaghpour nous livre des réminiscences du film dont le contenu conceptuel demeure
essentiel à une meilleure compréhension du film. Nous estimons, à ce niveau, que c'est
un des livres les plus importants.

Ref.187. TRAFIC n°18 . Printemps 1996. p.28


À PROPOS DE CINÉMA ET DʼHISTOIRE
(Discours de reception du prix Adorno)

137
3/ ADDITIF DES DERNIERS DOCUMENTS DE J-L GODARD
Ref.178
JEAN-LUC GODARD, DOCUMENTS, Paris, Edition Centre Pompidou. 2006
Ce livre important, indique qu'il est établi, à l'occasion de la présentation au Centre
Pompidou de l'exposition : “VOYAGE(S) EN UTOPIES, JEAN-LUC GODARD, 1946-
2006”, Galerie Sud, 11Mai-14Août 2006, et de la rétrospective intégrale des films de
Jean-Luc Godard (24Avril-14Août 2006). Il comporte un grand nombre d'articles critiques
et de commentaires sur l'œuvre de Godard, mais plus précisément encore sur des
nouveaux documents produits par Godard lui-même et reproduits dans ce livre et il en
constitue une des sources d'information importantes.
Sont recensés ci-après les seuls documents attribués à Godard. Il manque donc les
textes des autres auteurs liés aux HISTOIRE(S) DU CINÉMA qui se trouvent dans la
troisième partie de cette étude. Devant la variété des sources et la sortie récente du livre,
ces textes et montages photos ne sont pas disposés dans le continuum chronologique. Il
constitue donc un additif ayant leur propre chronologie, nous avons mis à cet effet la date
correspondante après la référence pour qu'il n'y ai pas de mésinterprétation possible. Et
selon la même logique du recensement que j'ai opéré.

Ref.178-1. (1962). Publicité pour VIVRE SA VIE. p.25


Texte et montage photo fait pour le dossier de presse du film.

Ref.178-2. (1964)[avec Macha Méril]. Journal d'Une femme mariée. p.55

Ref.178-3. (1965) Hier j'ai rêvé....LA CINÉMATOGRAPHIE FRANÇAISE. p.67


Texte qui fait réponse à une lettre d'un lecteur de Combat, "Hélas, vous rêvez, J.-L.
Godard". Le journal avait publié en première page, et le lecteur était exploitant de salles.

Ref.178-4. (1966) Deux ou trois choses que je sais d'elle.


Examen du film dans son état actuel. AVANT-SCÈNE. p.80
Article dans l'avant-scène cinéma déjà référencé
VOIR REF215

Ref.178-5. (1967) Film-Annonce de Mouchette. p.84


Texte de la Bande-annonce aujourd'hui disparue.

Ref.178-6. (1967) Présentation de La Chinoise pour le Festival d'Avignon. p.88

Ref.178-7. (1967) Cahier de Tournage de La Chinoise p.90


Parution enFac-similé de quelques page du cahier de tournage.

Ref.178-8. (1968) Le Gai Savoir. Mot-à-mot du film (extraits). p.111

Ref.178-9. (1969) [avec Jean-Paul Török] Initiation [révolutionnaire au cinéma,


rushes. p.116

Ref.178-10. (1969) Séquencier de British Sounds. p.130

Ref.178-11. (1970) Manifeste , El Fatah, juillet 1970. p.138

138
Ref.178-12. (1970) Que faire ? p.145
Texte relatant comment la réalisation d'un film peut être effectuée selon le modèle du
matérialisme dialectique. Texte manuscrit au feutre vert.

Ref.178-13. (1970) [avec Jean-Pierre Gorin]. A propos de Vladimir et Rosa p.160

Ref.178-14. (1971) Nantes-Batignolles : un bond en avant. p.176

Ref.178-15. (1971) Photographies pour l'article de Catherine Humblot, "Monsieur


Robain, vous êtes un escroc !". p.177.
C'est une photographie d'une usine occupée. La séquestration du patron constituera la
trame de fond du film dramatique TOUT VA BIEN (Ref.Film38)

Ref.178-16. (1972) [avec Jean-Pierre Gorin].


TOUT VA BIEN, un projet de film. p.185

Ref.178-17. (1972) Bande-annonce de TOUT VA BIEN, un projet de film. p.188

Ref.178-18. (1973) MOI, JE, projet de film. p.195


Projet de film d'une quarantaine de pages, qui constitue, sans doute le document le plus
important de ce livre avec le Story-board américain des HdC. A noter que 40 pages,
constitue pour Godard un des volumes les plus imposants en tant que document-
scénario (avec le Numéro 300 des Cahiers du Cinéma : Ref.161.Ref.162.Ref.304) qui
nous a été donné de voir. Le film se composerait en deux parties :
1) Je suis un homme politique,
2) Je suis une machine.

à partir d'un constat philosophique en trois plans qu'il décompose comme suit
1) PREMER PLAN : plan profond et automatique, plan biologique. inconscient, de la
répétition. et production, [BASES]
2) DEUXIÈME PLAN : Plan du comportement machinal. rapportant le geste et une partie
du langage. SUBCONSCIENT. de la différence. et enregistrement, [CONDITIONS]
3) TROISIÈME PLAN : le plan lucide se rapporte à la CONSCIENCE. au désiro-social
et à la consommation, [CHANGEMENT]
Citant ces sources d'établissement :
-En italique : François Jacob,
-souligné : Gilles Deleuze et Félix Guattari, L'Anti-œdipe;
-gras : Karl Marx,
-entre crochet : [Mao Zedong].
Il dresse les bases de la réflexion appliquée de NUMERO DEUX. Commenté par Michael
Temple, ce projet de film-scénario, dont la présentation/pagination est déjà difficile
d'approche, donne confirmation de plusieurs éléments fondateurs de notre propre travail.
ainsi dans ce document on a :
la notion de couple (COPULE) emblématique par la photo de LA PRISON,
mais aussi cette notion va dialectiquement produire un certain nombre d'autres
domaines, ainsi on a des bi-séparations :
L'HOMME et Le MONDE

139
Je suis une machine167, de PIERROT LE FOU va se retrouver amplifié jusquʼà citer
W.S.Burroughs et appliquer ce principe.
"Qui écrira un jour la véritable histoire du cinéma et de la télévision ?"

Ref.178-19. (1975) Deux lettres à Henri Langlois. p.248

Ref.178-19a La première lettre est non-datée, manuscrite. Reproduite en fac similé, elle
est écrite à l'encre bleue sur un cahier à petits carreaux. La missive n'est pas
spécifiquement destinée à Henri Langlois, (Chers amis de l'Est) mais est la réponse à
une invitation dans le but d'une programmation consacrée à Langlois.

Ref.178-19b. (1975) La seconde, datée en liminaire du 7-8 juillet 1975, est manuscrite à
l'encre rouge, sur du papier en tête de la société de production de Godard : Sonimage.
Elle est aussi reproduite fac-similé. Godard, cette fois-ci, s'entretient nommément avec
Langlois. Il lui annonce sur cinq pages, qu'il ne peut plus faire partie du Conseil
d'administration. Après le départ de Truffaut, c'est le sien. À noter que cette rupture est
toute institutionnelle car ils ne seront pas fâchés pour autant, puisque moins d'un an
après ils ont le projet de réaliser ce film désiré sur l'histoire du cinéma. L'exemple de
placer l'image au cœur de la pratique historique ne semble plus pour Godard la
préoccupation de la Cinémathèque, d'où son départ et ce qu'il ne manque pas de
souligner :
"Il ne semble plus, et depuis longtemps, que la Cinémathèque française serve le combat du voir,
contre celui du dit ou lu."

Ref.178-20. (1977) Histoire(s) du cinéma et de la télévision. p.281


Reproduction fac-similé d'un projet de film présenté par Godard-Miéville,
Rédigé en Anglais, avec Rassam en supporter.

Ref.178-21. (juin 1978) Les cinémathèques et l'histoire du cinéma.


TRAVELLING N°56/57. p.286
Symposium établi à la fin de la journée du 1er juin 1978, commémorant le 30ème
congrès de la Fédération Internationale des Archives du Film (FIAF), à Lausanne. La
discussion est entamée entre Freddy Buache et JL Godard, avec une intervention de
Jean Mitry.
Ce débat possède plusieurs qualités, la parole de Godard y est particulièrement claire et
sur un sujet qui concerne avant sa réalisation le problème de l'histoire du cinéma par sa
possibilité filmique. Langlois est considéré comme un producteur de films.
Ref.178-22. (1979) From the Workshop : an open letter to ZDF television. p.296

Ref.178-23. (1979) Lettre à Carole Roussopoulos. p.298


Issu du numéro 300 des Cahiers du Cinéma. (Ref.161.Ref.162.Ref.304).
Une réponse daté de 2005 figure dans le livre (Cette date laisse présager que cette
réponse a été suscitée par la parution du livre lui-même).

Ref.178-24. (1979) FRANCE TOUR DÉTOUR DEUX ENFANTS.


Déclaration à l'intention des héritiers. p.302

167
Dixit J.P Belmondo dans PIERROT LE FOU (Ref.Film.19).

140
Ref.178-25. (1979) Lettre numéro Un
aux membres de la Commission d'avance sur recettes. p.307
Ref.178-26. (1979) Lettre numéro Deux aux membres de la Cd'AR. p.307
Ref.178-27. (1979)Lettre numéro Trois aux membres de la Cd'A.R. p.307

Ref.178-28. (1979) Press-book de SAUVE QUI PEUT (LA VIE). p.308


documents de production. p.319
Ref.178-29. (1983) IMAGES OF BRITAIN et SOFT AND HARD,

Ref.178-30. (1983) Dernière minute. CINÉMATOGRAPHE n°95(p.32-33) p.325

Ref.178-31. (1986) LE MONDE (Supplément Rad. n°12876. juin.p.17) p.327

Ref.178-32. (1987) ABCD... JLG .


LE NOUVEL OBSERVATEUR, n°1206.12-24/12. p.328

Ref.178-33. (1988) Chaque Art a son verbe. LIBÉRATION 26/12. p.330

Ref.178-34. (1990) Refus du projet pour le 700ème anniversaire de la


Confédération helvétique. p.333

Ref.178-35. (1991) ALLEMAGNE ANNÉE 90 NEUF ZÉRO. Note d'intention p.339

Ref.178-36. (1991) Lettre à Louis Seguin


sur ALLEMAGNE ANNÉE 90 NEUF ZÉRO.
QUINZAINE LITTÉRAIRE n°591. 12/1991. p. 340
Ref.178-37. (1991) [avec Anne-Marie Miéville] POUR THOMAS WAINGAI. p.361

Ref.178-38. (1993) HÉLAS POUR MOI (Extraits de scénario). p.364

Ref.178-39. (1996) Scénario dialogué de FOR EVER MOZART


ou 56 personnages en quête d'histoire, continuité 2. p.370-371

Ref.178-40. (1996/97) Cinq Lettres à et sur Rob Tregenza. p.377

Ref.178-41. (2002)[avec René Vautier] Au nom des larmes dans le noir


Échange sur l'histoire, l'engagement, la censure. p.398

Ref.178-42. (2004) NOTRE MUSIQUE, projet de film p.410

Ref.178-43. (2004) NOTRE MUSIQUE, Le film p.410

Ref.178-44. (2004) Réponse à Esther Frey. p.375

Ref.178-45. (2006) Filmographie, bibliographie, discographie, chronologique. p.427


Ref.178-46. (2006) (Filmographie suite) Jean-Luc Godard acteur. p.436
Ref.178-47. (2006) (Filmographie suite) Jean-Luc Godard producteur. p.436

141
Ce triple corpus (auteur/acteur/producteur) non exaustif demeure lʼun des plus complet à
ce jour, puisque sont répertoriés, peut-être pour la première fois, les apparitions
cinématographique et participations télévisuelles, nombreuses et dénombrables de JLG.
Les auteurs attribuent à ce dernier des réalisations de bande-annonces (quʼil a en retour
authentifiés) a été établi par Nicole Brenez, Sylvie Pras, Judith Revault dʼAllones et
Michael Witt.

142
C/ LES FILMS (LISTE CHRONOLOGIQUE)
1/ PRÉSENTATION DE L'ŒUVRE FILMÉE DE J-L GODARD
A) DISPOSITIONS ET PRINCIPES DE DÉPART
Pour la recherche de cette première partie, nous avons établi la liste complète des films
que Godard a réalisés ; établissant pour l'occasion une filmographie complète de ses
œuvres. C'est pour cela que certains films resteront sans études car on pourrait
évidemment forcer l'influence d'une prédétermination de l'ensemble de son œuvre sur les
HdC en étudiant systématiquement tous ses films et essayer de trouver à chaque fois un
nouvel élément, mais il n'en est rien. Cette gageure serait malhonnête puisquʼen effet,
seuls quelques-uns de ses films ont fondé des précédents esthétiques constitutifs à la
formation des HdC.

Cette liste chronologique de films va constituer une nouvelle base de référenciation pour
l'analyse des HdC. Aussi, pour les différencier des références critiques et écrites
(Rappel: Ref.33), nous avons rajouté le mot Film affilié à une numérotation, issue de la
continuité de ses réalisations. Le titre du film l'accompagnera systématiquement.
Exemple : Ref.Film33.NUMÉRO DEUX.1975 Même si certaines références peuvent
sembler évidentes, rappelons simplement qu'il n'est pas donné à un grand nombre de
personnes d'avoir pu voir les 90 films que Godard a réalisés. Ce nombre tient compte de
tous genres de films et vidéos : ses courts métrages, ses publicités, ses longs-métrages
comme ses essais.

Incluant à cette liste ses différentes participations comme acteur, nous pourrons
démontrer l'intérêt qu'a eu Godard de prêter son corps et sa voix, bien avant son premier
long-métrage : celui de construire film après film son image. Cette prestation corporelle
de Godard sera nommée pour l'occasion : INCORPORATION, ce qui, selon la définition,
s'avère être des parties (images et sons des actions du corps de Godard) entrant dans
un tout (le film). Nous appelons donc INCORPORATION un signalement de la faculté du
cinéaste à produire une forme gestuelle filmique : participation en tant qu'acteur
(comprenant le rôle du cinéaste, lui-même) à l'intérieur de ses propres films et de
quelques autres au départ.
Le signalement de l'INCORPORATION sera suivi d'une analyse axée sur l'objectif de
l'action, l'esthétique de son emploi ou la qualité de sa performance.

LA RÉFÉRENCE 200 : LA FIGURE DE GODARD PRODUCTEUR


Nous avons ensuite créé la référence 200, qui est une référenciation listant les films que
Godard a aidés financièrement ou produits indirectement.

B) ÉLÉMENTS FORMELS FONDATEURS DANS LES FILMS


Seuls quelques films vont être pris en compte pour dégager les éléments de réflexivité.
Faisant suite à la collecte des articles, ils vont fournir encore une nouvelle continuité
théorique.
L'opération du relevé s'effectuera en deux temps :
Premier temps : repérage puis description de l'élément extrait.
Second temps : analyse et interprétation des différents éléments filmiques.

143
C'est-à-dire réfléchir sur l'élément isolé et évaluer son activité, sa réflexivité dans notre
travail. En termes plus anthropologiques, on pourrait dire que ces éléments sont comme
des organes qui ont été inventés et parsemés ça et là dans les films et ensuite greffés de
nouveau pour constituer le nouveau corps des HdC. Le procédé d'isolement conduit à
savoir si l'organe fonctionne tel qu'en lui-même. En effet toute conduite de position
conceptuelle a priori risque de desservir les HdC. Nous pouvons, au départ de cet
acheminement, le long de la continuité filmographique de Godard, déterminer un certain
nombre de concepts a priori, qui puissent nous permettre d'orienter nouvellement notre
étude.

C) RAPPEL DES DISPOSITIONS DES RÉFÉRENCES DE FILMS


Si nous citons, dans une analyse, un élément de PIERROT LE FOU, nous créerons
une note comme suit :
Ref.Film19. PIERROT LE FOU

Cette autre référence 19, filmique cette fois-ci, est aussi ordonnée dans la première
partie, après les critiques écrites, sous la forme :
Ref.Film 19 : PIERROT LE FOU (1965)
Fiction [Aventure]. Format : 35 mm. Durée : 112 mn. Couleur.
(1)Î (2)Î (3)Î (4)Î
Nous avons composé une seconde ligne de spécification, qui a semblé nécessaire
pour celui ou celle qui n'aurait pas vu le film, pour que les films puissent constituer
dans leur disposition LA FILMOGRAPHIE.

1) LE MODE DE PRODUCTION de film (aussi transgressé soit-il) dans lequel entre


le film.
- fiction (les anglais disent features)
- documentaire (pas de comédiens, des images prises sur une réalité non manipulée)
Certains films sont un regroupement des deux modes, ONE + ONE est un bon
exemple. C'est pour moitié un documentaire sur la répétition et l'enregistrement de la
chanson SYMPATHY FOR THE DEVIL par les Rolling Stones, en montage alterné
avec l'autre moitié, des séquences de fiction sur les modes d'action du terrorisme
politique.
Aussi lorsque le mode de production documentaire est plus important que la fiction,
nous notons :
- Essai
et lorsque la fiction, la mise en scène avec des comédiens prime temporellement plus
que le mode documentaire, ou est équivalent, nous nosons :
- Docu-Fiction avec une note entre crochet spécifiant la nature du projet.
Pour finir, nous avons isolé un autre mode, celui de la production publicitaire, qui
donne trois sortes de films :
- Publicité / - Spot Publicitaire / - Clip musical

2) LA TRAVERSÉE DU GENRE est entre crochets : nous avons stipulé le genre


dans lequel le film s'inscrit quand c'est une fiction. Même si certains films
outrepassent totalement les règles du genre dans lesquelles ils s'inscrivent, il y a
toujours au départ chez Godard une réalité, un désir de s'inscrire dans un genre. La
majorité des films sont issus de discussions et d'entente avec un producteur. Aussi

144
dans le mode de production, de distribution et d'exploitation, le film commandé doit
correspondre à une réalité spécifique industrielle déterminée par le cadre spécifique
du genre, tels Policier, Mélo, Fiction Historique, Espionnage... Nous ajoutons, parce
que nous croyons, qu'il constitue un genre à lui seul avec ses règles et ses évolutions
depuis le début du cinéma, le genre du film sur le cinéma, noté :

- Film sur cinéma

3) Le format est la précision du support final de projection, non celle du tournage.


- 16mm
- 35mm
- Vidéo

Le support filmique 35mm primera sur les autres s'il existe certains films dotés de
plusieurs supports de projection.
Par exemple : Ref.Film.60.ALLEMAGNE ANNÉE NEUF ZÉRO. Ce film est une
commande pour la télévision dont le support final logique fut la vidéo, mais il en a été
tiré plusieurs copies cinéma en 35mm pour l'exploiter en salles ; c'est donc ce dernier
qui prime.

4) Pour conclure cette deuxième ligne de spécifications, nous avons présenté la


durée de tous les films, ainsi que des caractéristiques de Couleur ou Noir et Blanc.

145
2/ FILM PAR FILM
Référence Film A1: QUADRILLE (1950) RIVETTE
Fiction [Policier]. Format : 16 mm. Durée : 20 mn. Noir et Blanc.
INCORPORATION

Référence Film A2 : CHARLOTTE ET SON STEAK (1951) ROHMER


Fiction [Comédie]. Format : 16 mm. Durée : 15 mn. Noir et Blanc.
INCORPORATION

Référence Film 1 : OPÉRATION BÉTON (1954)


Documentaire. Format : 16 mm. Durée : 20 mn. Noir et Blanc.

Référence Film 2 : UNE FEMME COQUETTE (1955)


Fiction [Comédie]. Format : 16 mm. Durée : 10 mn. Noir et Blanc.

INCORPORATION : Dans ce premier film de fiction, Godard se met en scène. Il joue un


client de prostituée et demande une spécialité : pouvoir prendre par derrière.
Dès ses tout débuts, Godard comprend et fait comprendre toute l'ambiguïté, la puissance
de perversion qui réside à filmer et à jouer en même temps. Le double spectacle est le
suivant, d'abord nous voyons la fiction c'est-à-dire un client qui paye une prostituée pour
satisfaire son désir sexuel aussi spécial soit il. Le deuxième spectacle est le cinéaste qui
(se) paye une actrice pour la mettre dans la position de son choix. Le réalisateur qui,
sous les conditions de la production, organise un casting, (le choix étalé sur le trottoir),
devient client et demande à l'actrice-prostituée une spécialité. Le parallèle
prostitution/cinéma fonctionne sur plusieurs conditions d'échange. Échange d'argent
contre des postures corporelles attachées à provoquer l'émotion. L'ambiguïté est d'autant
plus frappante que c'est Godard lui-même qui joue, offrant au parallèle cité, l'occasion de
n'être qu'une seule et même action. Puisque Godard est réellement le client, l'image de
la spécialité, la sodomie, est là pour nous faire comprendre que cela est à son détriment,
puisque le terme familier de cet acte contre-nature désigne l'action de se faire berner.

Référence Film A3 : KREUTZER SONATA (1956) ROHMER


Fiction [Drame]. Format : 16 mm. Durée : 14 mn. Noir et Blanc.
INCORPORATION

Référence Film 3 : TOUS LES GARÇONS S'APPELLENT PATRICK (1957)


Fiction [Comédie]. Format : 35 mm. Durée : 21 mn. Noir et Blanc.
sous-titré "CHARLOTTE ET VÉRONIQUE"

Référence Film 4 : HISTOIRE D'EAU (1958)


Fiction [Comédie]. Format : 35 mm. Durée : 18 mn. Noir et Blanc.

146
Référence Film 5 : CHARLOTTE ET SON JULES (1959)
Fiction [Drame]. Format : 35mm. Durée : 20 mn. Noir et Blanc.

Inspiré de techniques sonores utilisées par Cocteau, ou plus contemporain de ce film,


Rouch dont il fit à ce titre la critique168, l'idée de Godard, fut d'enregistrer postérieurement
la voix du personnage masculin joué par Belmondo, par la propre voix du cinéaste. Voix
qui se loge dans le corps de l'autre et avec toutes les imperfections que cela suscite
visiblement; l'application décalée du dialogue sur l'image crée un effet de disjonction
impressif. Cocteau parlerait de maladresse supérieure.

Référence Film A4 : LE COUP DU BERGER (1956) RIVETTE


Fiction [Drame]. Format : 35mm. Durée : 20 mn. Noir et Blanc.

INCORPORATION .
Cette participation n'est pas décisive pour la spécificité de notre recherche mais par
contre ce court métrage contient un aspect réellement historique car il met en scène
dans une seule séquence, pour la première et la dernière fois, les rédacteurs-cinéastes
des Cahiers du Cinéma : Truffaut, Godard, Chabrol, Rivette et Rohmer, et même Doniol-
Valcroze qui fut le scénariste de ce court-métrage.

Référence Film A5 : PARIS NOUS APPARTIENT (1958) RIVETTE


Fiction [Thriller]. Format : 35mm. Durée : 140 mn. Noir et Blanc.

INCORPORATION : Comment parler à deux personnes simultanément ? VOIX +


ÉCRITURE
Toute participation de Godard en tant qu'acteur semble être des performances
manifestant une dramaturgie de la théorie cinématographique. Ainsi dans la séquence où
il se trouve, Godard est à la terrasse d'un café. Pendant qu'il dialogue avec une jeune
fille désireuse d'un renseignement, il a le temps de remarquer une jolie fille quelque
tables plus loin. Toujours en train de converser il griffonne quelques mots sur son journal:
"Tu es adorable". Déjà dans cette fonction d'acteur de complément, Godard trouve le
temps de démontrer ce qu'il théorisera plus tard, qu'un homme peut bien faire deux
choses en même temps, il peut même communiquer simultanément avec deux
personnes différentes, grâce à la différence de support, l'une par la parole, et l'oreille (il
l'écoute, pour pouvoir lui répondre), l'autre par l'œil, et l'écriture, (il la repère, la regarde,
et lui écrit un mot doux).

Référence Film A6 : LE SIGNE DU LION (1959) ROHMER


Fiction [Drame]. Format : 35mm. Durée : 80 mn. Noir et Blanc.

INCORPORATION : UN GESTE MUSICAL : LA PRÉVISION DU SAMPLER.


La figuration de Godard dans ce film de fiction, consiste en un petit rôle d'invité d'une fête
d'héritage, dans un appartement du quartier de Saint-Germain-des-Prés. Le film conte la

168
. Jean Cocteau, L'AIGLE À DEUX TETES, 1948. Jean Rouch, MOI, UN NOIR, 1958. Ref.109

147
lente déperdition d'un musicien américain qui, d'une vie de dilettante va devenir un sans-
domicile fixe, jusqu'au clochard .

L'apparition de Godard est brève mais suffisamment prégnante pour qu'on puisse s'en
souvenir, car elle est véritablement liée à une action prophétique de sa part : dans une
chambre, attablé, il est avec un autre homme qui est debout derrière lui. Ils écoutent tout
deux religieusement un disque de musique classique (Quatuor de Brahms ou Schubert)
sur un tourne-disque de type portatif (Tepaz). Religieusement car aucun des deux ne
bouge et n'exprime un air quelconque de satisfaction. Ils ont une allure statique : la main
posée délicatement sur la joue exprime la concentration. Un solo de violon se fait
entendre pendant cinq secondes, et profitant d'un soupir, Godard soulève le bras du
pick-up et le remet au début du solo, il fait l'opération trois fois. L'écoute de morceau de
solo en répétition crée une petite boucle sonore. Cet extrait de musique laisse prévoir
plusieurs préoccupations du cinéaste. La première est d'avoir une fois de plus devancé
les progrès techniques de la reproduction musicale, car ce qu'il fait à la main, aucune
machine encore ne pouvait le faire, il faudra attendre le milieu des années 60, avec
Pierre Schaeffer et Pierre Henry, représentant de la musique électro-magnétique, pour
que l'on voit apparaître lʼutilisation de machines qui placent électroniquement en boucle
des extraits de musiques (car avant les boucles de bandes magnétiques sont faites à la
main comme JLG). Le nom de ces machines est le sampler et toute une partie de la
modernité musicale contemporaine est lié à cette machine169.
L'intérêt que Godard va avoir à propos de certaines œuvres d'art, est un intérêt partiel
dans le sens fort. Son intérêt le fera découper avec détermination, les films, les textes,
les musiques pour ne garder que la partie qui lui plaît dans le morceau et ainsi pour
pouvoir la rejouer à l'infini. Son esthétique est pratiquement liée à ce principe de découpe
et de répétition. On peut faire correspondre l'art du mixage, initié par les Disc-Jockeys,
avec le travail de Godard. Il est étonnant de voir dans le film de Rohmer, la performance
de Godard procéder à un tel geste avant-coureur, (antérieur d'une vingtaine d'années
peut-être à la normativité esthétique du réemploi) et dans le même temps, fondateur de
sa propre esthétique.

Référence Film A7 : CLÉO DE 5 À 7 (1960) VARDA


Fiction [Mélodrame]. Format : 35mm. Durée : 85 mn. Noir et Blanc.

INCORPORATION : Autre que la qualité intrinsèque d'un film dans le film, puisque
Godard joue dans un petit film burlesque, que Cléo va voir au cinéma, c'est le thème et
l'action de ce qu'il y fait qui nous semble important.
Dans cette saynète, il se marie avec Anna Karina qui élue est en tenue blanche. Ce qu'il
accomplira dans la réalité170. Toujours la volonté de Godard de produire par ses
participations une tentative de commenter la correspondance étroite que la Vie et le
Cinéma entretiennent, sur une non limitation de ces deux ensembles. Et si une chose

169
. Laurent Garnier, David Brun-Lambert, Electrochoc, Paris, Ed. Flammarion. 2003. p.25 :
"L'imparable single Pump Up The Volume emprunte à la fois aux innovations initiées par le sample et à la
pop par le gimmick entêtant..."
170
. Ref.176. Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard , [volume.1], Paris, Editions de l'Étoile. 2ème Ed.1998.
p.30/31.Roman-photo biographique. Pour preuve on peut voir le film de Varda et les photos de mariage que
Bergala a disposées côte à côte.

148
doit se produire dans lʼun de deux domaines, la nécessité qu'elle le devienne dans
l'autre171.

SUR LE SUJET DE SES PREMIERS LONGS MÉTRAGES


"Je crois effectivement que presque tous mes films n'ont pas de sujet. Puis j'y suis
revenu à l'époque de France-Détour et de Sauve qui peut (la vie). Avant, le sujet c'était le
cinéma."172

Référence Film 6 : A BOUT DE SOUFFLE (1960)


Fiction [Policier]. Format : 35 mm. Durée : 90 mn. Noir et Blanc.

GUEST-STARRING
La participation de Jean-Pierre Melville dans le film de Jean-Luc Godard perpétue une
pratique qui déjà avait eu lieu à Hollywood dès le temps du cinéma muet :
DEMANDER À UN CINÉASTE DE PARTICIPER COMME ACTEUR
La demande vient du fait que l'image du cinéaste participant est connue du public et
donc elle participe comme le processus des stars, aux effets hétérogènes qui vont
renforcer les effets de fascination du film vers le spectateur, mais en passant par d'autres
moyens que la narration173 . Aussi lorsque le choix du rôle pour le participant cinéaste est
de jouer un cinéaste, la fiction se confond avec la réalité. Mais il y a plusieurs nuances
de participations qui restent à définir :

•Le cinéaste joue dans le film d'un autre sous sa propre identité.
(Voir Ref.Film.14.LE MÉPRIS pour Fritz Lang. Ref.Film 19.PIERROT LE FOU. pour Samuel
Fuller, Ref.Film 34 VENT D'EST pour Marco Ferreri, Ref.Film 34 VENT D'EST pour Glauber
Rocha, Ref.Film 45 SAUVE QUI PEUT (LA VIE) pour Marguerite Duras (cas particulier puisque
seule sa parole est présente), Ref.Film DÉTECTIVE pour Jean-Pierre Mocky Ref.Film 57
MEETING WOODY ALLEN pour Woody Allen).

Le cas particulier de Duras met en valeur deux types de participations : ceux dont l'image
est la plus la importante apparaissent par leurs actions, tandis que pour dʼautres cʼest
leur parole qui est mise en avant. Il s'agit ici de Marguerite Duras et de Woody Allen et ils
rejoignent alors une autre catégorie, qui ne tient pas compte du métier de la personne
invitée.

•Liste de personnes jouant dans un film de Godard sous leur propre identité.
PAR LA PARTICIPATION D'UNE PAROLE HÉTÉROGÈNE AU FILM DE FICTION : LA
PAROLE PRODUIT UN MOMENT DOCUMENTAIRE
Nous signalons la participation de personnes autres que des cinéastes (c'est la liste
précédente) qui soient aussi bien actrice, chanteur, ou philosophe, produisent une
variété de propositions de moments qui peut se résumer au principe qu'ils sont
interprètes de leur propre fonction.

171
. Ref.163
172
. Ref.176. Jean-Luc Godard, Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard , [volume.1], Paris, Editions de
l'Étoile. 2ème Ed.1998,. p.11
173
. Edgar Morin, Les stars, Paris, Ed de Minuit, 1958. p.25.

149
Cela a constitué durant les années 60 un modèle, presque systématique, qui permettait
de s'échapper de la fiction (le réalisateur et le spectateur), créant une percée, un moment
documentaire, hétérogène face au film. Ils ont tous la particularité de résider dans le film
pour leur qualités sonores :
PAROLE ou MUSIQUE (ou les deux : CHANT)
Leur présence physique, réelle face à la fiction du film, avivait l'esprit de convocation.
Ainsi Godard fut très attaché à faire paraître des chanteurs ou des musiciens. Le mode
d'apparition va d'une brève figuration jusqu'à une performance qui peut constituer la
moitié du film, c'est-à-dire s'emparer du sujet.

-Jeanne Moreau est présente dans UNE FEMME EST UNE FEMME sous son rôle
d'interprète de JULES ET JIM174, film qui sortit à la même époque.
-Jean Ferrat met une de ses propres chansons au juke-box d'un café de VIVRE SA VIE,
-Brice Parrain subit un entretien philosophique dans VIVRE SA VIE, encore.
-Roger Leenhardt dans UNE FEMME MARIÉE, est entretenu dans une partie titrée
l'intelligence.
-Raymond Devos dans PIERROT LE FOU, peut être placé dans cette liste car il s'agit
de son propre texte : un de ses sketchs Est-ce que vous m'aimez?
-Princesse Aïcha Abadie, décline son identité dans PIERROT LE FOU aussi.
-Chantal Goya, en dépit d'un pseudonyme et en tant qu'actrice principale, peut faire
partie de cette liste car elle effectue ce qu'elle fait habituellement, dans la réalité en
dehors du film : chanteuse YéYé dans MASCULIN FEMININ.
-Elsa Leroy en tant que Mademoiselle Age Tendre répond directement aux questions de
Godard retirées de la bande-son de MASCULIN FEMININ. Ses réponses, autant
suscitées qu'elles puissent être, par la teneur des questions et la sinuosité de Godard,
n'appartiennent qu'à elle-même et provoque un moment documentaire.
-Marianne Faithfull fredonne dans un bar, son succès mondial "As Tears Goes By"
dans MADE IN USA, tandis que Kyoko Kosaka, elle, seulement comédienne et interprète
d'une chanson avec guitare, ne fait pas partie de cette liste puisqu'il n'y a pas de
correspondance avec la réalité extérieure.
-Philippe Labro dans MADE IN USA à la fin du film dans sa voiture de fonction d'Europe
n°1 parle de son métier de journaliste.
-Helen Scott, assistante fidèle d'Hitchcock, jouant au flipper dans un des plans de 2 OU
3 CHOSES QUE JE SAIS D'ELLE, peut être considérée dans sa fonction car ainsi elle
rend hommage directement à son maître qui faisait des apparitions muettes dans ses
propres films dans des situations souvent incongrues.
-Francis Jeanson dans LA CHINOISE, discute dans un wagon avec Véronique-Anne
Wiazemsky, et essaye de la prévenir des conséquences et du désir de révolution qui
anime la jeune fille.
-Paul Guegauff dans WEEK-END, donne une leçon de piano pendant un plan séquence
tourné à la campagne.
-The Rolling Stones dans One + One, établissant la chanson Sympathy for The Devil,
constituent plus de la moitié du film.
-Iain Quarrier, Frankie Dymon, Dannie Danniels, Roy Stewart, Limbert Spencer font
tous partie d'un groupuscule politique issu directement des Black Panthers. Ils
interviennent dans One + One, en lisant leurs propres textes politiques.

174
. François Truffaut, JULES ET JIM, 1961.

150
-Marco Ferreri joue le cinéaste qui met en cause les fondements industriels et
capitalistiques du cinéma dans VENT D'EST.
-Glauber Rocha joue le rôle d'un cinéaste issu du Tiers-Monde dans VENT D'EST
également.
-Les Rita Mitsouko, dans SOIGNE TA DROITE qui, à l'instar des Rolling Stones, sont
en répétition pour l'enregistrement d'une chanson : C'est comme ça. et occupent plus de
la moitié du film de fiction.
-Norman Mailer figurant dans la production du film en langue anglaise KING LEAR.
-Michel Piccoli, au moment du centenaire du cinéma fut nommé président d'honneur du
comité. Godard demanda pour la commande de la BIFI, à Piccoli de participer au film
2X50ANS DE CINÉMA FRANÇAIS, et de réagir en tant que président d'honneur.

•Le cinéaste joue dans le film d'un autre, un rôle qui diffère de sa fonction.
C'est le cas de Melville ici. Mais ce qui est à noter, c'est que si Melville ne joue pas à être
lui-même, c'est-à-dire cinéaste, il joue une scène qu'il a dû déjà vivre dans la réalité :
donner une conférence de presse. Il est Parvulesco, un romancier à succès qui répond
aux questions de journalistes dont Jean Seberg. Godard établit dès ce premier long
métrage le parallèle qu'il y a à être cinéaste et écrivain, en proposant à un cinéaste dans
la réalité d'être écrivain dans la fiction.
(Voir aussi Ref.Film 60 KING LEAR pour Léos Carax (Edgar Allan Poe), Ref.Film 60 KING LEAR
pour Woody Allen (Mr.Alien), Ref.Film 56 GRANDEUR ET DÉCADENCE D'UN PETIT
COMMERCE DE CINÉMA pour Jean-Pierre Mocky (producteur), Ref.Film 83 ÉLOGE DE
L'AMOUR pour Jean-Henri Roger (Attaché de Presse)

•Le cinéaste est présent en tant que tel dans son propre film
Le cinéaste présent dans son film offre une possibilité de réflexion introspective, par
cette technique cinématographique de l'autoportrait. Déjà King Vidor dans SHOW
PEOPLE était le réalisateur qui à la fin du film tournait un film de fiction qui permettait au
protagonistes du film de jouer une séquence qui était filmée en une seule prise, le seul
moyen qu'ils ont trouvé pour dire leur amour et s'embrasser. Sʼembrassant donc dans
cette séquence et dans le film. La séquence finit, King Vidor dit Coupez (C'est un carton,
SHOW PEOPLE est un film muet) mais eux continuent dans la "vie" de s'embrasser, ce
qui fait rire l'équipe du film qui plie le matériel en une dizaine de secondes et laissant le
couple cette fois-ci seul avec le spectateur !
(Voir pour JLG : Ref.Film 13 LE GRAND ESCROC, Ref.Film 24 CAMÉRA-ŒIL, Ref.Film 24 VLADIMIR ET
ROSA Ref.Film 41. NUMÉRO DEUX, Ref.Film 50 CHANGER D'IMAGE, Ref.Film 55 SOFT & HARD,
Ref.Film 56 GRANDEUR ET DÉCADENCE D'UN PETIT COMMERCE DE CINÉMA, Ref.Film 57 MEETING
WOODING ALLEN, Ref.Film 71 LES ENFANTS JOUENT À LA RUSSIE, Ref.Film 74 JLG/JLG
AUTOPORTRAIT DE DÉCEMBRE, Ref.Film 75 2X50 ANS DE CINÉMA FRANÇAIS, Ref.Film 78 ADIEU AU
T.N.S., Ref.Film 83 ÉLOGE DE L'AMOUR, Ref.Film 87 NOTRE MUSIQUE)

•Le cinéaste joue dans son propre film, un rôle autre que le sien véritable (réalisateur).
Le cinéaste fait alors de la figuration (Les apparitions systématiques d'Alfred Hitchcock
dans ses films ont souvent été interprétées comme référent à la Tradition : certains
sculpteurs, ou peintres du Moyen-Âge qui se figuraient dans leurs œuvres pour les
signer) ou bien comme Erich von Stroheim qui ne fut peut-être pas véritablement le
premier (le premier c'est Méliès), mais le premier à se rendre compte précisément des
effets dramatiques que la mise en abyme constituait sur les réactions du public.
Dans FOOLISH WIVES, pour essayer d'aborder une femme mariée, il fait semblant de
lire, à côté d'elle, un livre intitulé Foolish Wives écrit par Stroheim. Poussant l'allusion

151
dans un esprit comique, il conseille à la femme de le lire et lui dit que c'est un livre
excellent. La fin du film se conclut sur la mise en scène du mari en train de lire la fin de
ce même livre.

GODARD DANS LE RÔLE D'UN MOUCHARD


L'apparition de Godard dans ce film peut trouver plusieurs justifications. La première, peu
plausible mais admissible, est la volonté d'établir la vérité aux dépens de ses propres
personnages, aux dépens de sa propre fiction. C'est dans le rôle d'un dénonciateur, d'un
mouchard, et parce qu'il a vu la photo de Michel Poicard (Belmondo) sur le journal, qu'il
décide d'aller à la Police. Un plan moyen le montre regarder par deux fois son journal
avant de regarder Michel Poicard.
La narration du film établit que la police, comme la presse, lʼont déjà pris, et ils savent qui
a tué ce gendarme, ils ont même la photo. Poicard sera donc victime de son image,
jusque dans la mort il essayera de parler. Sa bouche fera des syllabes bien distinctes.
Cette manière surprenante quasi ralentie de parler, d'ouvrir la bouche, sans qu'un seul
son en sorte, seule la mâchoire articulera des mots, et nous spectateurs, comme
Patricia, essayerons de lire sur les lèvres. Cette fin de film est un hommage direct à
Nicholas Ray : l'Américain avait fait finir deux de ses films de cette manière175, sauf que
ce sont les femmes qui, voyant mourir l'homme qu'elles aiment, font les syllabes
distinctes de I - LOVE - YOU, tandis que cette fois-ci Belmondo mourant fait des
grimaces face à celle qui l'a trahi, mais avec Godard le message ne passe plus. Qu'est-
ce qu'il a voulu dire ? demande Jean Seberg176. Face à la déclaration muette dʼamour,
les policiers interprètent pour Patricia : « Vous êtes vraiment une dégueulasse » à la
place de «I love you.

(Voir aussi pour JLG : Ref.Film 14 LE MÉPRIS (premier assistant du réalisateur Fritz Lang),
Ref.Film 52 PRÉNOM CARMEN (Oncle Jean, un réalisateur à l'hôpital), Ref.Film 59 SOIGNE TA DROITE
(un cinéaste idiot), Ref.Film 60 (Un professeur pyrologue), Ref.Film 71 LES ENFANTS JOUENT À LA
RUSSIE (L'IDIOT, PRINCE MYCHKINE).

Référence Film 7 : LE PETIT SOLDAT (1960)


Fiction [Espionnage]. Format : 35 mm. Durée : 88 mn. Noir et Blanc.

LE PLAGIAT NÉCESSAIRE, LE PROGRÈS L'IMPLIQUANT


Le seul élément esthétique notable et constituant pour les HdC, est le procédé que
Godard utilise pour faire débuter et finir son film :
Il reprend la voix off du film d'Orson Welles THE LADY FROM SHANGAI177 en reprenant
directement les mêmes phrases qui faisaient débuter le film, autant qu'il fait finir son film
pareillement avec celles qui clôturaient celui de Welles.

175
. Une femme voit l'homme qu'elle aime mourir :
Nicholas Ray, THEY LIVE BY NIGHT (Les amants de la nuit), 1948 ; THE LUSTY MEN (Les indomptables),
1952
176
. Cette fin de film : l'homme meurt devant celle qui l'aime, abattu par la police, et dit encore quelques mots.
C'est le célèbre HIGH SIERRA (La grande évasion), 1941, de Raoul Walsh, film classique qui, comme
CITIZEN KANE (1941) ou GONE WITH THE WIND (1939) ne sont sortis en France qu'après la guerre.
177
. Orson Welles, THE LADY FROM SHANGAI (La dame de Shangaï), 1948.

152
Nous ne pouvons pas juger, au vue de ce simple procédé, le rapport Welles-Godard dont
on a pu constater par ailleurs quelques fondements. Il est ici trop succinct. Par contre
c'est sur l'idée de reprise ici qui est intéressante car elle ne consiste pas en une citation,
elle s'inscrit plutôt sur l'idée d'un plagiat. Plagiat car il s'agit ici d'une extraction
cinématographique sans qu'aucun élément ne vienne annoncer une provenance de cet
extrait, d'autant plus qu'il s'agit de parole. Il est encore plus difficile de remarquer cette
provenance, si ce n'est Godard lui-même qui le dira dans un de ses entretiens178. Le
procédé est celui d'une répétition de phrases, c'est l'affirmation pour Godard comme on
le verra encore par la suite, que le cinéma dans son histoire, mais aussi dans sa
matérialité, est utilisable. C'est en d'autres termes la considération de l'histoire comme
une matière cinématographique du même niveau que l'est la littérature pour les
scénarios, ou le théâtre pour la direction d'acteurs. Le cinéma dans son histoire se
dresse comme un réservoir fantastique de paroles, de trames et d'images dans lequel
les cinéastes viennent puiser constamment, sciemment ou non, l'importance est ici
moindre. Seul le travail de citation devient réel lorsque l'extraction porte des traces de
références suffisamment claires pour le spectateur, après qu'elles ont été déposées par
le cinéaste.

Référence Film 8 : UNE FEMME EST UNE FEMME (1961)


Fiction [Comédie Musicale]. Format : 35 mm. Durée : 84 mn. Couleur.

SCÈNE DE MÉNAGE SOUS FORME DE TITRES DE LIVRES


Un seul élément encore dans ce film va venir contribuer à la construction esthétique des
HdC. Encore moins peut-être, il s'agit pour ce film de noter comment Godard entretient le
rapport entre l'écriture et la parole. Pour nombre de cinéastes venus du cinéma muet, ce
rapport est équivalent puisque pendant longtemps la parole était écrite sur un carton.
Aussi cette comédie musicale déplace déjà par le chant le réalisme des dialogues. Une
autre manière très notable esthétiquement intervient lorsque le couple Brialy-Karina en
vient à se disputer. Au lieu de s'envoyer des assiettes à travers la figure comme a lieu
toute classique scène de ménage cinématographique, ce sont des titres de livres qui
constituent la matière et le lieu (en gros plans) des insultes. Faisant provisions chacun
leur tour, dans les rayonnages de la bibliothèque, ils accumulent des titres pour
constituer des phrases infâmantes.

Titre 1 : Eva
Titre 2 : (Ce n'est pas un titre de livre, c'est un morceau de papier sur lequel
A.K. a ajouté :)
Te faire foutre

Titre 1 : Toutes les femmes


Titre 2 : Au poteau

L'intérêt réside en la démonstration proprement cinématographique que le déplacement


de l'énonciation n'est nullement condamnable, il est juste caution d'un soulignement, d'un
encadrement rendant la chose risible parce qu'elle est tue.

178
. Ref.300.

153
Référence Film 9 : LA PARESSE (1961)
Fiction [Film sur Cinéma]. Format : 35 mm. Durée : 15 mn. Noir et Blanc.
Sketch pour LES SEPT PÉCHÉS CAPITAUX
(autres sketchs par C.Chabrol, R.Polanski, U.Gregoretti, H.Horikawa)

On assiste dans ce court-métrage aux prémisses de ce que LE MÉPRIS instituera. Ici


Eddy Constantine joue son propre rôle et à affaire à une jeune starlette. L'intérêt est ici
pour Godard de décrire le cinéma comme lieu de perdition.

Référence Film 10 : VIVRE SA VIE (1962)


Fiction [Policier]. Format : 35 mm. Durée : 85 mn. Noir et Blanc.

Film d'une grande richesse par les procédés de fiction, on trouve les premiers jalons
esthétiques, de ce que Godard pendant dix ans reproduira en multiples variations et que
nous avons dégagé précédemment, le double rapport de couple.

FEMME ET HOMME : LE CONTRÔLE DE LA REPRODUCTION


Comme cela a été montré précédemment le couple Image-Son peut entrer en rapport
avec un autre couple Homme-Femme.
Les hommes, comme son ami Paul (A.S. Labarthe) et le jeune homme (P.Kassovitz),
sont des hommes qui prennent des photos de femmes et précisément de Nana (Anna
Karina). L'homme est en contrôle de la reproduction de l'image. Le premier métier de
Nana est de vendre des disques (reproduction du son), avant de vendre son corps. Elle
met plusieurs fois des pièces dans un juke-box et détermine par elle-même la bande son
de la séquence que l'on va voir. Il y a de la part de l'actrice un réel contrôle de la bande
musicale au moment où elle va danser, le film à ce moment là devient comme une
comédie musicale. Si le film est comme un simulacre de la réalité, vendre son corps est
bénéficier du contrôle de l'acte sexuel sans pour autant faire des enfants (reproduction
de la race humaine). A noter dans le commentaire sociologique de Godard du tableau
10, que lorsqu'une prostituée tombe enceinte, elle gardera souvent l'enfant.
La fiction tourne autour de trois notions qui sont chacune simulacre,
c'est-à-dire une imitation fidèle sans constituer la réalité de la chose imitée :
simulacre 1 par les hommes : icône de Nana,
simulacre 2 du son par Nana : la musique,
simulacre 3 (H&F) de la sexualité (imitation de l'acte de la reproduction sexuelle) par les
femmes prostituées : l'érotisme.

LE PORTRAIT OVALE COMME MISE ABYME DU FILM MÊME


Un autre élément est à incorporer à cette double relation de couples, celle du cinéaste et
de son actrice, comme on parle du peintre et son modèle. La correspondance est faite
par Godard lui-même, où l'ami de Nana lui fait lecture du PORTRAIT OVALE d'Edgar

154
Allan Poe179. L'importance de cet emprunt est soulignée car une substitution de voix s'est
opérée180. En effet, la voix du jeune homme devient celle de Godard qui dit à sa femme,
Anna Karina dans son propre film :

"C'est l'histoire d'un peintre qui fait le portrait de la femme qu'il aime."

Aussi on a deux nouvelles correspondances de couple :


• celle de la peinture face au cinéma
• et de l'art (la fiction du film) face à la vie (le réel du tournage), puisque l'histoire même
d'Edgar Poe, Le portrait ovale, est justement un peintre qui fait le portrait de la femme
qu'il aime et plus il la peint, plus le tableau avance, plus la jeune fille s'amoindrit, pâlit
jusqu'à la mort au moment même où le peintre finit la toile (la dernière touche). La vie
passant de la femme vers la toile. Aussi le rapport réalité /art ou encore vie / fiction ne
s'établit pas seulement dans un rapport d'équivalence mais plutôt dans un seul rapport
effectif, un seul déroulement, un seul fatum pour plusieurs possibilités de simulacre ou
de reproduction, faisant citer la phrase de Mme De Staël par Godard : la gloire (de
l'artiste donc) est le deuil éclatant du bonheur. L'art empiète sur la réalité de la vie elle-
même. Se retrouve la même conception d'opposition dialectique, où l'emprise vampirique
devient, à l'inverse, la vie sur le cinéma, dans l'adage de Delluc lorsqu'il disait :

"Il est temps que la vie redonne ce qu'elle a pris au cinéma."181

Comme si à l'inverse le cinéma était créateur d'une réalité dans laquelle le monde
s'engouffrait.

TIRER UN COUP DANS TOUS LES SENS


Dans le tableau 4, lorsque Nana rencontre Raoul au café, elle jette un coup d'œil rapide,
à un moment où il s'écarte d'elle, sur un cahier lui appartenant. C'est un cahier de
comptes. Par l'insistance d'un gros plan subjectif qui nous fait découvrir le contenu du
cahier, on comprend que non seulement Raoul est un proxénète puisque le nom des
filles est inscrit, mais que pour chacune inscrite suit des petits bâtons indiquant un
nombre, parfois impressionnant, de passes.
C'est alors que durant le plan sur cette image, un son intervient : on entend en off une
rafale de mitraillette. Le son est présent et comme aucune image ne viendra s'insérer
pour justifier par la suite ce son, (on aura un fuyard rentrant dans le bar en trombe mais
pas de poursuivant) une association se fait celle de la multiplication du nombre.
Rafale de coups de la mitraillette venant souligner l'importance du nombre des passes,
un prénom de femme collectionne plus d'une trentaine de bâtons. Aussi du dehors au
présent, comme au passé par l'écriture des coups sont tirés.
On peut penser à un mauvais jeu de mots, de mauvais goût, en tout cas il intervient
pourtant comme élément fondateur esthétique des HdC.

179
. Edgar Allan Poe, Ovale Portaiture (Le portrait ovale), (1832), trad. C.Baudelaire, Paris, Ed. Gallimard,
1985.
180
. Technique de substitution vocale que Godard avait déjà utilisée. Ref.Film 5 CHARLOTTE ET SON JULES
181
. HdC.1b. Toutes les histoires.p.255.

155
Par exemple, on verra exactement la même disposition parallèle dans un montage à la
fin dʼun des épisodes des HdC , mettant en scène Chaplin183 allant au cinéma et
182

regardant un Western, dʼoù juste le son dʼun duel de cow-boy 184 nous parvient, qui lui fait
tourner la tête, à chaque coup de feu, au sens propre comme un duel d'un match de
tennis et décide au bout d'une minute de sortir de la salle, se frottant la nuque, prévoyant
un futur torticolis. Pendant l'utilisation de cet extrait à la fin du chapitre 2b, Godard rajoute
des inserts d'un film porno et fait correspondre en rythme des coups de feu et des coups
de butoir d'un fouteur pénétrant une starlette. Dans ce cas aussi Chaplin assiste au
spectacle de gens qui tirent des coups, de feu pour le son, de reins pour l'image.

Insister autant sur cet aspect laisse prévoir une nouvelle manière d'appréhender le
cinéma:

LA CORRESPONDANCE DES COUPLES


L'hétérosexualité est le moyen pour l'espèce humaine de se reproduire. Elle a besoin
d'un homme et d'une femme qui copulent ensemble. Pour le cinéma, l'image et le son
forment un couple pour reproduire le monde ou le réel.
C'est cette correspondance qui hante l'ensemble des HdC, et à partir de cette résolution,
nous affirmons aussi que de nombreux agencements d'images et de sons s'éclairent et
trouvent une matérialité nouvelle convaincante sans passer par un délire interprétatif.

Référence Film 11 : LE NOUVEAU MONDE (1962)


Fiction [Science-Fiction]. Format : 35 mm. Durée : 90 mn. Noir et Blanc.
Sketch pour ROGOPAG
(autres sketchs par R, Rossellini, P.P.Pasolini, U.Gregoretti)

Référence Film 12 : LES CARABINIERS (1963)


Fiction [Guerre]. Format : 35 mm. Durée : 80 mn. Noir et Blanc.

DOUBLE COUPLE ENCORE


Le retour au film de genre va permettre à Godard d'essayer de nouvelles choses qui, en
dehors de la structure forte du genre, ne pourraient avoir lieu d'être. Ainsi certains
éléments mis en présence vont prendre une allure nouvelle.
Telle la figure du double couple, qui va cette fois-ci être incarnée par quatre
personnages. Ces quatre personnages vont créer deux sortes de couples différents :
• Soit les deux hommes entre eux et deux femmes entre elles. Par exemple les deux
hommes (Ulysse et Michel-Ange) vont partir à la guerre mais aussi ramènent des cartes
postales (reproduction d'images), alors que les deux femmes (Vénus et Cléopâtre) vont
les attendre et vont écouter des disques (reproduction de sons).
• Soit aussi bien on peut les associer en couples mixtes en rapport avec l'origine de leur
prénom : ce qui met Ulysse avec Vénus (mythologie grecque) et Michel-Ange et
Cléopâtre (personnage réels historique).

182
. HdC.2b. fatale beauté.p.203.
183
. Extrait de Charlie Chaplin, A KING IN NEW YORK (Un roi à New York), 1957
184
. Comme le final du western d'Anthony Mann, WINCHESTER 73, 1950.

156
IMAGES D'ARCHIVES : COLLAGE AU LIEU DE MONTAGE
Pour la première fois aussi cette technique hétérogène d'utiliser des images d'archives,
provenant de la seconde guerre mondiale. Hétérogène puisque Godard intègre ces
images documentaires dans le montage de son film de fiction. Sans commentaire, juste
une incorporation dans le tissu narratif. C'est par ce procédé moderne que nous avons
vraiment la sensation d'un collage plutôt que dʼun montage, car c'est un apport d'images
extérieures qui crée le dépassement des genres classiques établis (fiction,
documentaire). Le procédé est intéressant même s'il est très différent des HdC, qui lui
est un film de montage qui se base en fond sur le documentaire, auquel Godard vient
ajouter des procédés narratifs.

REMBRANDT
Entre une scène de pillage et une séquence d'humiliation sexuelle, un soldat, fusil à
l'appui, demande à une femme de se déshabiller. Avant cela, il entre dans la pièce dans
laquelle le drame va se dérouler, nous sommes à l'intérieur d'une salle à manger
attenante à une ferme et il commence par inspecter les meubles et objets environnants.
C'est devant l'autoportrait de Rembrandt que le bien nommé Michel-Ange fait un salut
militaire et rajoute :

"Un soldat salue l'artiste"

Un geste de Godard autobiographique dans ce refus à se considérer lui-même comme


artiste, mais plutôt comme soldat, ainsi quʼil l'a écrit dans son article sur Hitchcock 185.
Soldat comme figure limite de l'acteur historique. On retrouvera l'autoportrait de
Rembrandt dans les HdC et au moment où est établie la correspondance dans laquelle
le cinéma se trouve en équilibre, le cinéma comme art ou comme art martial. Déjà dans
certains de ses articles, Godard avait montré la possibilité de créer ce parallèle.
Également un photogramme de cet extrait dans le 1b.

MORTS AU CHAMPS D'HONNEUR : L'APPEL AUX MORTS DU CINÉMA


C'est aussi dans ce film là, que Godard inaugure le geste de son appel aux morts, geste
qu'il reprend directement du film LA BANDERA186 où Raymond Aymos, seul personnage
survivant d'une bataille qui vient de se dérouler, répond à l'appel des soldats ; appel
effectué par un officier supérieur, afin qu'au préalable de la relève de sa section, à la fin
du film, seul présent vivant, il réponde, suite à l'appel des morts "Mort au champ
d'honneur", comme réponse à tous les autres noms que l'officier réclame. Tous égaux
devant la mort. Plus précisément, Aymos répond pour chaque personne manquante à
l'appel, "Mort au combat", et modifie sa réponse dès qu'il s'agit d'un des personnages du
film dont le spectateur a suivi les mésaventures car ils ont, de plus, montré plus de
courage qu'à l'accoutumé : « Morts au champ d'honneur »

La scène sera différente dans LES CARABINIERS :

185
. Ref.19.
186
. Julien Duvivier, LA BANDERA, 1936.

157
Un soldat demande à un officier sorti d'une voiture "qui est-ce qui est aux commandes ?"
et propose un par un les noms de soldats susceptibles à la tâche. L'autre répond
indistinctement « Mort au champs d'honneur ».
C'est le rythme de la scansion, qui a séduit Godard, l'établissement possible d'une classe
entière de cinéastes, de mise en liste possible, le goût des listes, passe cinéphile par
excellence. Dans son film il va glisser des vrais noms de généraux (Junot) mais aussi
des noms de comédiens (Mitchum) et des noms de peintres (Polianski).
Aussi la reprise chez Godard dans LES CARABINIERS n'est pas encore totalement
cinématographique, c'est-à-dire qu'il faudra attendre GRANDEUR ET DÉCADENCE pour
que ce champ d'honneur soit l'égrenage de noms ayant compté dans l'histoire du
cinéma.

Référence Film 13 : LE GRAND ESCROC (1963)


Fiction [policier]. Format : 35 mm. Durée : 90 mn. Noir et Blanc.
Sketch pour LES PLUS GRANDES ESCROQUERIES
(autres sketchs par C.Chabrol, R.Polanski, U.Gregoretti, H.Horikawa)

Référence Film 14 : LE MÉPRIS (1963)


Fiction [Film sur cinéma]. Format : 35 mm. Durée : 90 mn. Noir et Blanc.

LIAISONS HISTORIQUES DES AUTEURS PAR LA PAROLE : GUITRY, WELLES,


GODARD.
Le générique du MÉPRIS a la particularité dʼêtre sonore seulement. Il est effectué en
début du film, il nʼy a pas de carton, on découvre un plan : cʼest un décor de cinéma,
Cinécitta, et en travelling arrière on observe une équipe de tournage en train de faire
un plan. Sur la musique néo-classique de Georges Delerue (Du Brahms confia-t-il
selon le souhait de Godard), une voix dʼhomme surgit et décrit le générique :
« Cʼest un film de Jean-Luc Godard, produit par Carlo Ponti…
Le générique se finit avec la phrase adaptée de Michel Mourlet, que Godard attribue
faussement à Bazin :
« ANDRÉ BAZIN A DIT : LE CINÉMA SUBSTITUE À NOTRE REGARD UN MONDE QUI
S'ACCORDE À NOS DÉSIRS, LE MÉPRIS EST L'HISTOIRE DE CE DÉSIR. »

Ce générique a au moins deux précédents :


•BONNE CHANCE187 où son réalisateur Sacha Guitry présentait techniciens et
comédiens un par un au début du film, et leur faisait faire un bonjour de la main comme
si, les spectateurs dans la salle de cinéma étaient en « direct » d'une télévision qui
n'existait presque pas. Plusieurs films de Guitry ont des génériques sonores, et ce
cinéaste français a dirigé plusieurs fois Raimu, qui on le sait188, est considéré par
Orson Welles comme le plus grand acteur de tous les temps.

•C'est probablement en admirant Raimu dans un des films de Guitry, que Welles
découvrit la puissance expressive et originale de l'évocation par la technique du
générique sonore, qu'il va lui-même effectuer à la fin de

187
Sacha Guitry , BONNE CHANCE,1935.
188
. André Bazin, Orson Welles, Paris, Ed. Ramsay, 1956.p.46.

158
MAGNIFICENTAMBERSON189. A la fin de ce film, après avoir passé en revue les
comédiens qui sourient à la caméra, les techniciens eux sont invisibles, seuls leurs
outils sont visibles à l'écoute de leur nom. Ainsi de cette manière, Welles perfectionne
le principe en plaçant une adéquation entre la forme filmique et son contenu :
comédiens devant la caméra et techniciens derrière.
Le générique se termine sur plan fixe d'un micro devant la caméra, perché et dont la
perche effectue un mouvement qui fait immédiatement penser à ALPHAVILLE puis aux
HdC; Ce micro au premier plan, effectue une rotation et la courbe l'entraîne vers un
faisceau de lumière où le micro disparaît. Sur ce dernier plan, la voix qui a effectué
toute le présentation des autres, conclut en disant :

"And This is a Mercury Production, and my name is Orson Welles"

Il faudra attendre ALPHAVILLE pour que la mise en scène d'objets, d'outils


reproducteurs du son, prennent une nouvelle valeur d'identitaire. (Ref.Film 18.
ALPHAVILLE)

LA FIGURE DU PRODUCTEUR : PARALLÈLE ENTRE PALANCE-GODARD, RYAN-


OPHULS.
La composition de Jack Palance, aussi impressionnante soit-elle en terme de jeu et
d'invention, apporte certains éléments de préexistence sur la mise en scène des
producteurs telle que l'a conçue Godard pour les HdC. Nous sommes ici devant un
producteur dont l'excentricité est en rapport avec celle qui sera montrée dans le 1a :
particulièrement Howard Hughes.
Plus précisément encore, Godard s'inspire directement de la figure d'Howard Hughes tel
qu'il a été déjà mis en scène par un autre cinéaste dans les années 40 : Max Ophuls190.
Max Ophuls en 1949 demande à Robert Ryan de jouer un excentrique milliardaire dont
certains traits évoquent de manière précise H.H. (maniaquerie, fétichisme, pauvreté
apparente).
La scène du MÉPRIS où Jack Palance demande à Brigitte Bardot si elle veut rentrer
avec lui dans sa voiture à la sortie des salles de Rushs, est directement issue de la
rencontre entre Robert Ryan et Barbara Bel Geddes, l'héroïne du film d'Ophuls191. Ryan
demande si elle veut rentrer avec lui, alors qu'elle est déjà accompagnée par un homme
qui travaillera pour Robert Ryan (comme Piccoli travaillera pour Palance), sauf qu'au lieu
d'écrire à la machine comme Piccoli, l'homme au service de Ryan joue du piano. Ce n'est
pas une similarité dans la finalité des fonctions des deux hommes, mais dans celui de
l'exercice des mains.

SEXUALITÉ DU PRODUCTEUR
Godard va mettre en scène la sexualité du producteur, par une scène symbolique mais
qui en dit pratiquement autant que si on l'avait vu au lit avec une femme. C'est la scène
où il fait un chèque pour Michel Piccoli. Il est dans la salle de projection et demande à
Georgia Moll, son assistante (celle à qui Piccoli un peu plus tard mettra une main aux
fesses), de se tourner alors qu'elle lui faisait face, et de se baisser. Aussi dans cette
position où le dos est à l'horizontale, il peut se servir d'elle comme d'une table et par la

189
Orson Welles, THE MAGNIFICENT AMBERSONS (La splendeur des Ambersons), 1942.
190
. Max Ophuls, CAUGHT (Pris au piège), 1949.
191
. Max Ophuls, CAUGHT (Pris au piège), 1949.

159
même occasion mime une scène d'accouplement en levrette, illustrant un patron
pratiquant une position de domination, salariale et sexuelle. Ce mélange, sexualité et
travail, se retrouve dans l'ensemble de son œuvre filmique
FIGURE PRODUCTEUR-ARTISTE
Ce film développe sur un principe d'opposition simple : l'artiste opposé au producteur,
voir les conflits de Palance-Prokosh avec Lang, mais également Javal avec Prokosh,
alors que Javal naturellement se place du côté de Fritz Lang, la situation réflexive
filmique au référent mythologique (lʼOdyssée viendra augmenter l'effet d'opposition).

Piccoli/ Ulysse/ Artiste face à Palance/ Poséidon/ Producteur

L'élément d'opposition viendra trouver son comble lorsqu'il se battent tous les deux pour
la même femme. Bardot / Pénélope / Femme

INCORPORATION
L'interprétation du premier assistant réalisateur de L'Odyssée192 allait logiquement être
dévolue à Godard lui-même. Une logique qui se présente ici comme l'affirmation d'une
appartenance, comme celle d'une admiration (mutuelle et partagée) pour le cinéaste
allemand, cinéaste inscrit dans l'histoire de la part du plus jeune, qui lui rendra hommage
en l'intégrant dans sa fiction avec fidélité et jouant avec cette fidélité, telle la fonction du
premier assistant : un homme à son entière disposition.

Le bébé et le dinosaure… tels les surnommera André S. Labarthe en titrant son


documentaire. Ce film documentaire, initialement axé sur le cinéma de Lang, propose
une série de comparaisons narratives et esthétiques entre Lang et Godard, à partir d'une
rencontre où la discussion permettra de démontrer autrement une réelle connivence, le
même attachement au romantisme qui scelle les deux cinéastes malgré leurs différences
d'âges, de langues, de trajet esthétique, de rapport au travail, d'attitude face au monde.
L'admiration de Godard à Lang n'est pas à démontrer, le geste de l'invitation confirme
cela :
FRITZ LANG MOMENT HÉTÉROGÈNE DU FILM
La phrase de Rivette instituant que tout film est un documentaire de son tournage193 est
mise en pratique par la présence réelle de Fritz Lang dans LE MEPRIS. Inscription du
cinéaste dans une double histoire, grande par son propre travail et petite de la part du
plus jeune, qui lui rendra hommage en l'intégrant dans sa fiction. Sans chercher à
accuser Godard d'utiliser Lang, jusqu'à quel point peut-on se demander si LE MEPRIS
est un film qui s'inscrit dans l'histoire du cinéma grâce à l'incursion du cinéaste. Fritz
Lang filmé en train de marcher, en train de citer Hölderlin ou de fumer une cigarette, Fritz
Lang essuyant son monocle ou encore jouant avec ses mains, bref tel qu'en lui-même,
seule la musique de Georges Delerue viendra corrompre cet espace purement
documentaire à l'intérieur de cette fiction pour affirmer le lyrisme enthousiaste de Godard
filmant un maître.

Reste le trajet admiratif de Fritz Lang pour Godard, qui dans le film de Labarthe prend
forme après la question de Godard sur le cinéma de Lang :

192
. Titre du film que tourne Lang sur LE MÉPRIS
193
. Jacques Rivette, “L'art du présent”, Cahiers du Cinéma n°132, 1962. p.36.

160
“— Savez-vous combien de films vous avez fait ?
— Non; je ne sais pas.
— Vous en avez fait 43.
194
— Mais vous connaissez beaucoup mieux mes films que moi.”

Je crois qu'on ne peut pas faire de compliment plus élogieux que de dire à quelqu'un qu'il
connaît mieux nos films que nous.

Référence Film 15 : BANDE À PART (1964)


Fiction [Policier]. Format : 35 mm. Durée : 95 mn. Noir et Blanc.

LA TRAVERSÉE DU LOUVRE EN COURANT : UNE COURSE CONTRE LE TEMPS.


La traversée du Louvre en courant, correspond bien encore à l'apparente provocation de
Godard vis à vis de l'art. Attitude, pourrait-on croire, puérile et non respectueuse de ces
travaux séculaires. Mais ce n'est qu'une apparence, bien au contraire la traversée est
révélatrice de l'état d'esprit de Godard mais au lieu de puérilité, c'est de contraste des
décisions qu'il s'agit. C'est de sortir de la poussière, c'est l'arrivée de la jeunesse et de la
lumière face à ce vieux musée immuable. Autant Aby Warburg organisait ses planches
encyclopédiques avec les reproductions photographiques faisant des planches de
montages d'images, dont l'embrassement du regard de certaines œuvres allait aussi vite
que cette traversée, autant Godard en quelques plans pratique une course contre le
temps, qui provoque le montage rapide des tableaux entre eux.
Cette traversée du Louvre est peut-être l'exacte description de notre impression une fois
sortis du film des HdC, un pendant fictif que Godard aurait déjà mis en scène trente ans
auparavant.

Référence Film 16 : UNE FEMME MARIÉE (1964)


Fiction [Mélodrame]. Format : 35 mm. Durée : 80 mn. Noir et Blanc.
Initialement le film s'intitulait LA FEMME MARIÉE

LES VALEURS DES COUPLES EN ÉQUATION AVEC LA NARRATION


Dans ce film, une séquence vient démontrer que Godard peut rendre plus complexes les
couples et leurs rapports en travaillant sur des systèmes d'inversion. On voit un plan
séquence où l'homme écoute un disque chez lui alors que dans la pièce d'à côté sa
femme lit un magazine. Homme-son et Femme -image. Le couple Image-Son n'est plus
avec son homologue habituel (Homme-Femme). C'est un déséquilibre qui peut être aussi
lié à l'implication narrative : elle trompe son mari, ce couple ne va pas bien, ils vivent mal
leur situation d'être ensemble, d'où l'idée d'avoir inversé les valeurs des rapports
anciens.
Avant de rencontrer le premier amant à l'aéroport, Macha Méril (la femme mariée) va
dans une salle de cinéma (voir un film pour passer le temps) dont on ne verra aucune
image d'écran, juste la femme qui regarde une image, à nous demeurée inconnue, juste
la bande son du film de Resnais NUIT ET BROUILLARD 195. On se doute que par ailleurs le

194
. André S. Labarthe, LE BÉBÉ ET LE DINOSAURE, 1963.
195
Alain Resnais, NUIT ET BROUILLARD, 1956.

161
choix de ne montrer aucune image du court-métrage sur les atrocités de la seconde
guerre mondiale, et de laisser le texte de Jean Cayrol, est une façon de questionner
l'immontrable ou ce qu'on ne peut montrer. Comme on l'a souvent dit, cela est
innommable, et cette volonté iconoclaste est au centre de toute une réflexion esthétique
cinématographique196. Mais si l'on revient à la narration stricto-sensu du film, cette scène
est en harmonie avec les éléments des autres couples (Femme-Son), et en effet par la
suite, la femme rencontrera son amant avec lequel elle sera heureuse.

ORIGINE POSSIBLE DE L'ÉQUATION : NICHOLAS RAY


Lʼintrigue des différentes évolutions du couple démontre la dynamique des rapports.
Cette technique peut être évoquée pareillement chez Nicholas Ray. Dans Johnny
Guitar197, les critiques du film pensaient que Ray faisait sans le vouloir des fautes de
raccords 198. Les acteurs filmés passaient l'axe; et le non respect du passage de l'axe des
180° par le montage, selon les normes usuelles cinématographiques de représentation
doit se maintenir pour qu'il y ait une cohérence spatiale lors des champs-contrechamps.
Cette faute était chez Ray sciemment commise. Cela évoque souvent l'idée de passer de
l'autre côté : la mort (le rouge est mis, je suis passé en fraude199).
Aussi chez Godard l'inversion de certaines valeurs de rapports proprement
cinématographiques peut être utilisée classiquement au service de la narration.

Référence Film 17 : MONTPARNASSE-LEVALLOIS (1965)


Fiction [Mélodrame]. Format : Super 16 mm. Durée : 18 mn. Couleur.
Carton Action Film
Living theater Action flm // film d'Action

Ref.Film 18 ALPHAVILLE (1965). Voir §filmer les éléments de reproduction du son comme technique
cinématographique de définition.

Référence Film 18 : ALPHAVILLE (1965)


Fiction [Anticipation]. Format : 35 mm. Durée : 98 mn. Noir et Blanc.
Le film est sous-titré "Une étrange aventure de Lemmy Caution."

•FILMER LES ÉLÉMENTS DE REPRODUCTION DU SON


COMME TECHNIQUE CINÉMATOGRAPHIQUE DE DÉFINITION
Dans ALPHAVILLE un procédé de mise en scène identique au MÉPRIS et au film
MAGNIFICENT AMBERSONS d'O.Welles est utilisé. Il est identique, à la différence
près que pour les deux films précédents il était effectué au moment du générique. Le
générique étant par nature l'espace-temps où le film décline son identité, par lui-même
il fournit le descriptif des personnes qui ont composé le film, et précisément pour ces
deux-là, c'est la ressource sonore qui y parvient.

196
. Peut-être les deux articles les plus importants à ce sujet serait, de Jacques Rivette, “De l'abjection ”, CdC
n°120, 1961. et de Serge Daney ,“Le travelling de Kapo”, TRAFIC n°4, 1991.
197
. Nicholas Ray, JOHNNY GUITAR (Johnny Guitare), 1954.
198
. La critique de Lachenay à cet égard dans les Cahiers du cinéma n'échappe pas à cet écueil
Robert Lachenay “L'admirable certitude”, Cahiers du Cinéma n°46, 1955. p.39
199
. Ref.144. Orphée. (1964).

162
Le procédé dans ALPHAVILLE est le suivant :
Lemmy Caution, le héros, espion photographe, est interrogé par les machines, ce qui,
dans cette fiction, opère un contrôle des habitants. Pendant ce contrôle d'identité,
Lemmy Caution (Eddy Constantine) répond aux questions d'une machine-ordinateur
qui régule les entrées et les sorties du monde de l'Alpha 60 et dans lequel cet espion
déguisé en reporter procèdera à leur totale destruction en soumettant aux machines
une énigme insolvable : de la poésie.
L'HOMME FACE À LA MACHINE
La machine interrogatrice est principalement matérialisée par une voix synthétique,
même si son image est un très gros plan de ventilateur éclairé par intermittence, et
cette machine lui pose des questions qui contribuent à définir l'identité du héros.
Pendant l'interrogatoire de nombreux de micros font des allers et venues entre la
machine et le héros, comme si c'était les bras d'une machine infernale (on pourrait
penser à une araignée mécanique). Pareillement dans le Welles et aussi dans les HdC,
on retrouve cette manière de procéder, le même type de micro sur perche qu'utilisait
Orson Welles et la manière lente quasi menaçante qu'a le micro lorsqu'il vient vers la
bouche du présentateur pour les HdC.
LE HÉROS FACE À LA MACHINE DISTRIBUTRICE DE LÉGENDE
Cette prépondérance du son, comme on l'avait vu chez Cocteau ou chez Welles pour
que l'auteur du film trouve en cet endroit l'espace de sa définition, est bien présent
dans ALPHAVILLE par un élément majeur du récit autant qu'il est le personnage
"méchant" principal. (C'est un film d'espionnage qui se doit de relater sous des augures
de confrontation politique réelle les antagonismes archaïques : l'agent du bien contre
l'agent du mal). Un des agents qui se sacrifie pour la bonne cause (Akim Tamiroff) lui
confie :

"Détruire l'alpha 60 par elle -même."

Face à Eddy Constantine, la machine et la supériorité du son se font comprendre dès


la première phrase qu'elle énonce au début du film, se plaçant à un moment donné (et
plusieurs fois après) comme un autre narrateur que Lemmy Caution.

VOIX OFF DE LA MACHINE NARRATRICE :


"Il arrive que la réalité soit trop complexe pour la transmission orale, la légende la recrée sous
une forme qui permet de courir le monde."

Le son conte, raconte ce qui s'est vraiment passé. L'image serait là pour rendre
légendaire et mis en couple avec le son transmetteur, que peut-être le cinéma pourrait
courir le monde.

Aussi ALPHAVILLE met en présence de nouvelles forces antagonistes, qu'on peut


coupler comme suit, ce qui suscitera évidemment quelques commentaires

HOMME (Lemmy Caution) - MACHINE (Alpha 60)


AFFIRMATION (Réponses) - INTERROGATION (Interrogatoire)
IMAGE (Appareil photo) - SON (microphones)
ESPACE - TEMPS
PRÉSENT - ETERNEL

163
• ANALYSE DE LA VOIX OFF DE LA MACHINE
Pour confirmer cette hypothèse, Il suffit simplement de reprendre la voix-off de la
machine Alpha 60, lorsque Natacha est en cours et que Lemmy va la rejoindre.
Ce cours a la particularité de fonctionner comme un dispositif de mise en abyme de
l'opération cinématographique200. Salle obscure, Lemmy se déplace dans la salle avec
une lampe de poche comme une ouvreuse, tandis quʼ on projette des diapositives sur
un écran et que la parole de la machine entonne sa théorie relative au temps et aux
hommes.

L'ALPHA 60 SERAIT LA PROLONGATION DE LA PENSÉE GODARDIENNE DU


CINÉMA
VOIX OFF DE LA MACHINE :
"Personne n'a vécu dans le passé. Personne ne vivra dans le futur. Le présent est la forme de
toute de vie. C'est une possession qu'aucun mal ne peut lui arracher. Le temps est comme un
cercle qui tournerait sans fin. L'arc qui descend est le passé, celui qui monte est l'avenir. Tout a
été dit, à moins que les mots ne changent de sens, et les sens de mots (…)"

Aussi cette conception du temps cyclique pourrait bénéficier topologiquement d'une


référence au système du retour éternel de Vico201; elle comporte la même
géométrisation du mouvement temporel et comme on l'a vu lors des premières phrases
de la machine, Vico prenait en compte le temps de la légende. Aussi il faut se rendre
compte de l'importance des phrases que dit la machine. Si le présent est la forme de
toute vie, c'est nier alors absolument le caractère vital de l'histoire et faire tabula rasa
de la Tradition. Cʼest en quelque sorte une machine révolutionnaire dans son sens
politique autant qu'astronomique.

VOIX OFF DE LA MACHINE :


"N'est-il pas évident qu'une personne vivant de façon habituelle d'un côté de la souffrance exige
une autre sorte de religion qu'une personne vivant de façon habituelle de l'autre côté... (…)"

Il y a pour la machine deux côtés. Il y a Alphaville et ce que les habitants dans la


narration du film nomment les pays extérieurs. C'est-à-dire avec cette façon de
visualiser le temps, de tout ramener au présent, la dualité dialectique, nécessaire pour
penser, se fait en dehors du temps (si tout a été dit, il n'y a plus de progression
possible de l'histoire), au présent à l'intérieur de la communauté humaine. La machine
indique alors la nécessité d'une conception humaine qui doit passer par un système
duel, la nécessité d'une dualité fondamentale, par laquelle le cinéma retrouvera aussi
sa propre définition et par laquelle on le voit maintenant à cette étape de notre travail,
force est de le dire et le redire constamment, elle rejoint la conception dialectique qu'à
Godard de ces exercices formels : les rapports de couple.

200
. Nous appelons opération cinématographique, le déroulement même du film projeté dans une salle de
cinéma. L'opération regroupe des notions d'espace et de temps restreintes à la limite d'une séance. On
préfèrera le terme dʼopération cinématographique à institution cinématographique tel que le conçoit Gilbert
Cohen-Séat, le concept de l'institution dépassant la matérialité du spectacle.
201
. Gian Batista Vico, Principes de sciences nouvelles (1640), trad. Bernard Guillemain, Ed. P.U.F, 1950.

164
LE COUPLAGE : NÉCESSITÉ GODARDIENNE, RÉALITÉ CINÉMATOGRAPHIQUE
ET PROPOSITION PHILOSOPHIQUE PAR L'ALPHA 60

Par la proposition de la circularité du temps, l'observation de son mouvement, qui lui


est supplétif, serait alors convergent : mouvement de regrouper l'ensemble de toutes
les autres conceptions, en dehors du cercle du temps, dit la machine, il y a le vide.

VOIX OFF DE LA MACHINE :


"Avant nous il n'y avait rien ici, ni personne, nous y sommes totalement seuls, nous y sommes
uniques, épouvantablement uniques."

Le caractère presque affecté (épouvantablement) des propos de la machine, montre


son devenir à se rapprocher d'une perception humaine, d'autant lorsqu'elle est conduite
par la raison première. La raison, objet premier de la philosophie et des sciences,
subordonnée à la logique, auquel la philosophie classique (celle de Platon par
exemple) oppose les sentiments, clarté de la raison contre la confusion des sens, de la
sensation. L'intérêt pour Godard de faire philosopher la machine n'est pas encore tout
à fait clair. Aussi par la suite apparaissent la notion du montage et de sa force lors de
l'opération cinématographique.

VOIX OFF DE LA MACHINE :


"La signification des mots et des expressions n'est plus perçue. Un mot isolé ou un détail isolé
dans un dessin peuvent être compris mais la signification de l'ensemble échappe.
Une fois que nous connaissons 1, nous croyons que nous connaissons “ 2 ” parce que
“1+1= 2”. Nous oublions qu'auparavant il faut savoir ce qu'est “ + ”.
Ce sont les actes des hommes à travers les siècles passés qui peu à peu vont les détruire
logiquement, moi l'alpha 60, je ne suis que le moyen logique de cette destruction."

NATACHA VON BRAUN


"Ce soir on nous a appris que la mort et la vie sont à l'intérieur d'un même cercle."

VOIX OFF DE LA MACHINE :


"Que ce soit dans le monde dit capitaliste ou dans le monde communiste, il n'y a pas une
volonté méchante d'assujettir les hommes, par la puissance de l'endoctrinement ou celle de la
finance mais uniquement l'ambition naturelle à toute organisation de planifier son action..."
Natacha : "...en un mot de réduire les inconnues du futur."
Lemmy Caution : "C'est pas Alphaville qu'il faut appeler votre patelin c'est zéroville."

Il n'y a pas beaucoup de différence entre cette phrase et l'analyse politique


situationniste telle qu'on pouvait la trouver dans un texte comme Misère en milieu
étudiant 202, pour ne prendre qu'un exemple le plus commun du Situationnisme et
contemporain à une année près du film.
On verra juste après, au moment de l'interrogatoire, l'importance de ce qui vient d'être
lu.
Il faut bien comprendre qu'ALPHAVILLE n'est pas un film qui critique les pays socialistes
comme on a bien voulu le croire. C'est en rejetant les deux systèmes, communiste et

202
. Anonyme (Mustapha Khayati), De la misère en milieu étudiant (1966), Paris, ré-Ed.Gulliver.1994.

165
capitaliste, qu'on peut encore apparenter Godard au Situationnisme, car ce
mouvement, a développé dès le milieu des années 50 des concepts dʼAnti-cinéma
directement issus du concept filmique discrépant d'Isidore Isou203.

Le parallèle Debord204- Godard deviendra encore plus probant lorsque nous passons à
l'interprétation du film les HdC, tous deux ayant pris pour point de départ de leur
philosophie de l'histoire, Hegel et Marx. Ce qui, pour le début des années 60 (essor du
cinéma de Godard et essor de la revue Internationale Situationniste) n'a rien
d'excentrique.

VOIX OFF DE LA MACHINE :


"Une seule instruction n'est en général pas suffisante à permettre l'exécution d'un travail en
alpha 60. Ne croyez pas que c'est moi qui opère cette destruction, ni les hommes de science
qui ont accepté mon plan. Les hommes ordinaires sont indignes de la position qu'ils occupent
dans le monde; en analysant leur passé, on est automatiquement conduit à cette conclusion : il
faut donc les détruire, c'est-à-dire les transformer.
Il ne serait pas logique d'empêcher des êtres supérieurs d'envahir le reste des galaxies."

La machine développe par la raison humaine des raisonnements qui dépassent par le
calcul et la vitesse la possibilité de l'homme lui-même. Le cinéma lui aussi est une
invention technique qui a permis d'augmenter le pouvoir de la perception humaine. Le
ralenti ou l'accéléré a permis à l'homme de voir au travers d'un nombre infini
d'éléments des mouvements que l'œil nu ne pouvaient percevoir auparavant. Le
cinéma a donc fait reculer les limites de l'entendement humain, telle est la même
logique de l'Alpha 60, la pensée cybernétique, dont la machine cinéma est le prototype.
On comprend alors que l'Alpha 60 est créé sur le calque d'un pouvoir de pensée du
cinéma, si celui-ci avait été utilisé selon sa pleine possibilité, selon la réalisation totale
de son potentiel. L'histoire a voulu que le cinéma aille plutôt vers les arts et les loisirs
mais ceci est un des regrets qu'a eu à formuler Godard : le cinéma n'est pas un
instrument de pensée à la mesure de ses capacités.205 Et la narration d'ALPHAVILLE,
comme celle de 2001 L'ODYSSEE DE L'ESPACE206, n'envisageait pas de conciliation
possible entre l'homme et la machine. L'homme infériorisé cherchera par un moyen ou
un autre de détruire la machine, puisque selon sa logique elle doit détruire la race
humaine imparfaite par nature.

LA SCÈNE DE L'INTERROGATOIRE : AUTO-PORTRAIT CHINOIS DE JEAN-LUC


GODARD

Si nous avons décidé de reproduire presque intégralement la retranscription des deux


interrogatoires que subit Lemmy Caution, l'agent secret face à la machine 4 de l'Alpha
60, c'est qu'ils sont d'une importance capitale dans l'œuvre de J.-L.Godard. Tout
d'abord sous la forme d'une continuité dialoguée en apparence, il apparaît, non pas

203
. Isidore Isou, Traité de bave et d'éternité, 1951. Dans ce film la parole du narrateur manifeste des
directives que Godard pourrait autant s'attribuer : "Il faut déchirer les deux ailes du cinéma, le son et
l'image(…)
204
. Guy Ernest Debord, La société du spectacle, Paris, Ed. Buchet-Chastel, 1967. 4ème de couverture : "Guy
Debord, se disant cinéaste et théoricien majeur du situationnisme (...)"
205
. Ref.167.
206
. Stanley Kubrick, 2001, A SPACE ODISSEY (2001, l'odyssée de l'espace), 1968.

166
comme un monologue introspectif mais d'être sous l'augure du jeu surréaliste du
portrait chinois207 (si vous étiez une fleur, je serais une rose) un autoportrait déguisé en
questionnaire. L'évidence l'est par la forme même telle que je l'ai rappelé sur la
technique Wellsienne de filmer les outils de reproduction sonore lorsqu'on décline son
identité, ensuite cette machine qui déploie ses perches de micros comme des bras
d'araignée autour du héros se retrouvera mise en scène par JLG dans les HdC à
l'ouverture même du film, remplaçant lui-même Lemmy Caution.

•SCÈNE D'INTERROGATOIRE entre la machine 4 de l'alpha 60 et Lemmy Caution


α60 -Quel est votre nom? LM -Yvan Johnson.
α60-Où êtes-vous né? LM -A Nueva York.'
α60-Quel âge avez-vous? LM -Je ne sais pas ... 45ans.

• Première remarque est de constater que la technique narrative de Godard consiste à


prendre puis décaler légèrement des éléments réalistes pour créer des effets
d'anticipation. Nueva York au lieu de New-York

VOIX OFF DE LA MACHINE :


α60 -Votre marque de voiture? LM -Ford Galaxy
α60-Qu'est-ce que vous aimez pardessus tout? LM -L'or et les femmes.
α60-Que faites-vous dans Alphaville? LM -Un reportage pour Figaro-Pravda.

• Deuxième remarque : Le terme Figaro-Pravda est lié à ce que nous avons dit
précédemment, la machine ne voit que deux mondes scindés mais c'est pour elle
nécessaire d'inclure ces deux mondes pour pouvoir installer une réflexion dialectique,
telles les questions - réponses, humain - machine, et aussi donc le monde capitaliste
(Figaro) et le monde communiste (Pravda).

VOIX OFF DE LA MACHINE :


α60- Vous avez l'air d'avoir peur ?
LM -Non je n'ai pas peur, enfin pas comme vous croyez, d'ailleurs vous n'en savez rien
α60- Soyez assuré que mes décisions auront toujours en vue le bien final. Je vais maintenant
vous poser des questions-tests par mesures de sécurité.
LM - Non allez-y.

• Troisième remarque : Si le film n'a pas été vu, on ne peut qu'être surpris ici quant à
certains dialogues du film et précisément celui de Lemmy Caution, lorsqu'il infirme pour
affirmer (Non, allez-y). Alphaville étant une société qui s'oppose aux territoires
extérieurs, représentée par ce journaliste de Figaro-Pravda. L'opposition ira jusqu'à la
guerre. Et en ce sens tout spectateur est un habitant des territoires extérieurs, aussi
Alphaville, parce que c'est une ville issue d'une révolution, est en quelque sorte le
résultat négatif de nos sociétés qu'elles soient capitalistes ou communistes. Dans cette
conséquence, les tares des différents régimes s'y trouveront représentées (Abandon
de la propriété jusqu'à celui de son propre corps. On trouvera ainsi une généralisation
et un maintien de plusieurs classes de prostitution). Pour montrer que nous sommes
dans la réalisation négative de nos sociétés, Godard va appliquer concrètement cette
idée d'absolu en inversant les dialogues d'échanges sociaux. La technique procède à

207
. Archives du Surréalisme (Vol IV, Jeux, Enquêtes), Paris, Ed. Gallimard, 1991.

167
une inversion dans le temps : les gens disent au revoir au lieu de bonjour et je vous
remercie très bien et vous pour comment ça va?208.

VOIX OFF DE LA MACHINE :


α60 - Vous arrivez des pays extérieurs, qu'avez-vous éprouvé en traversant les espaces
galactiques?
LM -Le silence de ces espaces infinis m'a effrayé.
α60 -Quel est le privilège des morts? LM -Ne plus mourir
α60 -Savez-vous ce qui transforme la nuit en lumière? LM -La poésie.
α60 -Quelle est votre religion? LM -Je crois aux données immédiates de la conscience.
α60 -Est-ce que vous faites une différence entre les principes mystérieux de la connaissance et
ceux de l'amour? LM -A mon avis en amour il n'y a justement pas de mystère.
α60 -Vous ne dites pas la vérité. LM -Je ne comprends pas.
α60 -Vous dissimulez certaines choses. LM -J'admets que je pourrais avoir des raisons de
mentir, mais comment faites-vous pour différencier le mensonge de la vérité?
α60 -Vous dissimulez certaines choses mais je ne sais pas encore quoi exactement; donc pour
l'instant vous êtes libre. Je voudrais que vous visitiez les installations de contrôle.
(...)
VOIX OFF DE LA MACHINE :
α60 - Votre tendance à revenir sur le passé peut nous être utile. Vous pensez plus à ce qui a été
qu'à ce qui sera.

• Quatrième remarque pour finir, les réponses de Caution sont pleines d'aphorismes ce
qui donne un effet de déjà-vu lorsque Jean-Pierre Melville-Parvulesco, (romancier dans
la scène mais cinéaste dans la vie) répondait à l'interview d'A BOUT DE SOUFFLE, ce
qui corrobore l'analogie entre le cinéaste et l'agent secret. A noter alors que sa religion
selon cet autoportait n'en est pas une et ne correspond pas à la réalité protestante du
cinéaste. Elle est plus un principe agnostique du doute philosophique puisqu'il cite le
travail de thèse d'Henri Bergson, publié comme son premier livre sous le titre Les
données immédiates de la conscience. Godard alors adopte comme religion la
philosophie, qui prend soin souvent de ne pas en avoir ou bien d'en faire le pari. Ce
pari pascalien, Godard y fait également référence puisqu'il emprunte une réponse à
Pascal pour répondre à ce qu'il a éprouvé dans la traversée des espaces. Tout ceci
finalement, selon l'analyse finale de la machine, et à cause de sa réponse paradoxale
d'absence de mystère face à l'amour, donnera une tendance romantique percée à jour.

Deuxième interrogatoire.
Ce dernier interrogatoire est le dernier qu'exécutera la machine car il lui sera fatal.

α60 - Quel est votre secret ? LM -C'est quelque chose qui ne varie ni le jour ni la nuit, qui le
passé représente le futur, qui avance, c'est une ligne droite et pourtant à l'arrivée qui a bouclé la
boucle.
α60 - Plusieurs de mes circuits cherchent la solution de votre énigme. Ceux qui ne sont pas nés
ne pleurent pas et n'ont pas de regret, il est donc logique de vous condamner à mort.
A de nombreux égards, vos réactions et vos manières de penser sont différentes de la normale
actuelle.

208
. C'est habilement et probablement en référence à la Révolution Française (qui pour abandonner
totalement l'ancien régime mis en place, avait changé les noms des mois et refait le calendrier), car dans la
même perspective d'un changement radical du familier pour changer les mentalités

168
Est-ce que vous acceptez notre proposition? Répondez en silence, car oui et non
Le présent est effrayant parce qu'il est irréversible, parce qu'il est de "faire", le temps est la
substance dont je suis fait.
Le temps est un fleuve qui m'entraîne mais je suis le temps. C'est un tigre qui me déchire mais
je suis le tigre.
LM - Regardez-nous : elle et moi, voilà votre réponse, nous sommes le bonheur et nous
partons vers lui.

Voix off de la machine :


Pour notre malheur le monde est réel, et moi pour mon malheur je suis moi alpha 60.

L'ÉCRITURE PRISE EN COMPTE AUSSI POUR SA FORME


ALPHAVILLE est aussi le premier film où l'écriture de Godard est filmée comme élément
plastique. Pendant le cours de philosophie que suit Natacha, dont les conditions se
rapprochent très fortement d'une séance de cinéma (images projetées, obscurité, et voix
produite par une machine), la nature des images fixes qui sont projetées durant la voix-
off sont caractéristiques d'abord de ce parallèle désiré : cinéma//philosophie. Et aussi de
la possibilité de langage hors du langage mais dans d'autres types d'inscriptions et de
signes dont le dessin : généralement sous forme de calligrammes, et un dessin d'Hans
Bellmer fait à l'occasion de L'histoire de l'œil de Georges Bataille, offre par graphisme
une possibilité de permutation des organes par la concomitance des formes, ici
précisément c'est vision//reproduction, puisque la forme de la paupière épouse les
petites lèvres du sexe de la femme, Ce qui est la base du récit de Bataille209 : Pouvoir
voir par le désir, la projection, de ce qui ne peut être vu, l'intérieur de la femme et jouer
sur la permutation vision//sexualité peuvent correspondre à un clivage réel et profond du
système de conception Godardien. Il va être attiré par cette gravure (même si son
apparition est fugace dans le film) parce qu'il s'agit ici de montrer en quoi le
dépassement du langage (prenant forme extatique avec Georges Bataille), peut susciter
chez JLG un espace de jeu, de déplacement, de la vision vers l'invisible (béance érotique
avec la permutation organique de Bellmer), et l'espace de la mort avec Godard quand
l'acte de filmer concerne le temps.
LE CERCLE DU CINÉMA
Par fidélité de pensée philosophique, il conservera tout de même une trace de ce geste
circulaire en le rapportant au langage : Il fait dire, en sortant de la salle de
classe/projection, à Anna Karina-Von Braun :

"Ce soir on nous a appris que la mort et la vie sont à l'intérieur d'un même cercle."

Référence Film 19 : PIERROT LE FOU (1965)


Fiction [Aventure]. Format : 35 mm. Durée : 112 mn. Couleur.

SAMUEL FULLER
La participation de Samuel Fuller dans son propre rôle, fournit à Godard une nouvelle
occasion de signifier une définition du cinéma par l'intermédiaire de la parole d'un alter
ego. À la suite d'Alphaville où le cinéma était défini comme intercession entre l'homme et

209
. Le récit se conclut par un acte hautement symbolique et concret tout à la fois : l'introduction d'un globe
oculaire énucléé amoureusement dans le vagin d'une femme.

169
la machine, qui devenait folle suite à des injections de phrases poétiques. Dans ce film
là, lorsque le cinéaste américain affirme en synthèse finale que :

"le cinéma en un mot c'est l'émotion humaine"

Il semble perpétrer la réflexion sur le paradoxe du cinéma. Paradoxe du cinéma de se


définir une machine de reproduction mais qui pourtant arrive à reproduire l'émotion
humaine jusqu'à incarner l'émotion elle-même. En un mot le cinéma reproduisant
l'émotion et se définissant comme tel a donc une finalité à disparaître de sa matérialité.
C'est sûrement ce mystère de la désincarnation que Godard va se résoudre à décrire
lorsqu'il dira
210
"Pas un art, ni une technique, un mystère" .

LES MACHINES SÉPARÉES


Vers la fin de la soirée, Ferdinand se confie à son oncle et continue sur cette réflexion de
l'homme-machine.

PIERROT-FERDINAND
"J'ai, des fois, l'impression que mes yeux et mes oreilles, ce sont des machines... et je voudrais
qu'elles soient des machines séparées."

La sensation de Ferdinand n'est pas nouvelle car comme nous l'avons déjà fait
remarquer dans Alphaville, la parole de la machine centrale Alpha 60 était la
prolongation de la pensée godardienne du cinéma. Il est normal de retrouver par la suite
des personnages principaux211 , véhiculant des désirs du cinéaste au devenir-machine. A
cette occasion aussi, je citais le film Traité de bave et d'éternité qui a des
apparentements avec les élaborations qu'on trouve dans le cinéma de Godard. Aussi
lorsque Isou réclame :

"On doit casser cette association naturelle qui faisait de la parole le correspondant de la
vision, le commentaire spontané engendré par la photo. Je voudrais séparer l'oreille de
son maître cinématographique : l'œil."212

Godard sous-entend par personnage interposé, que le désir réclamé par Isou est
exaucé, au niveau de la conscience de la fiction. Le raffinement de la pensée montre que
ce sont les organes de l'homme qui sont correspondants à la machine et non sa totalité
d'être.

Il y a un nouvel exemple de performance du cinéaste via le personnage principal. Pierrot


développe un nouvel espace. Non plus celui de la voix du cinéaste qui se substituait au
personnage213 non, maintenant, ce sont les mains du cinéaste qui fonctionnent et sont
filmées comme si cʼétaient celles du personnage. C'est au moment de la rédaction du

210
. HdC. 2b. fatale beauté .p.154/157 et 184
211
. L'identification du personnage principal avec le réalisateur est du même ordre que celui du spectateur
total ou partiel, il y a égalité.
212
. Isidore Isou, TRAITÉ DE BAVE ET D'ÉTERNITÉ, 1951.
213
. Ref.FILM 5.CHARLOTTE ET SON JULES, Ref.Film 10.VIVRE SA VIE

170
journal de Ferdinand que l'on se rend compte quʼil sʼagit de l'écriture de Godard. Elle
intervient au moment précis où le personnage soliloque puisque c'est un journal intime.
L'action des mains est, pour Jean-Claude Biette, un élément dynamique aussi important
que le regard ou la parole214, et ici elle constitue par son travail, une signature aussi
valable que la voix de Godard.

Référence Film 20 : MASCULIN FEMININ (1966)


Docu-Fiction. Format : 35 mm. Durée : 110 mn. Noir et Blanc.
SÉPARATION DES SEXES
Dès le titre du film, Godard prévient déjà que sa préoccupation va consister, à vouloir
trouver un processus de fiction à partir duquel le rapport de couple masculin/féminin va
se manifester. Ce rapport-là, inclus dans le processus, va se qualifier grâce aux
attributions des autres fonctions, habituelles au registre dialectique de la copulation tel
que Godard a pu le produire dans les HdC : image et son, écrit et image...
GARÇON ÉCRIVAIN FACE À LA FILLE MUSICIENNE
Ainsi le personnage masculin principal (Jean-Pierre Léaud) va exercer la fonction
textuelle dans le registre visuel : l'écriture comme des inscriptions sur les murs (à la
bombe) ou sur les portes (à la craie) alors que le personnage principal féminin215 , elle,
va exercer la fonction textuelle sur le registre sonore : la parole puisqu'elle monologue
fréquemment, et la musique puisqu'elle va dans un studio d'enregistrement pour la
fabrication de son disque.

Ajoutons que lors de la dernière partie du film, l'entretien qu'a accordé la gagnante du
concours au magazine Elle est à ranger du côté de cette même catégorie.

UN FILM DANS LE FILM. HOMMAGE À INGMAR BERGMAN : LE RAPPORT


D'INCOMMUNICATION
Deux couples sortent du cinéma où ils ont été témoins d'un film qui pourrait être la
parodie du SILENCE de Bergman216. Les séquences précédentes nous avaient permis
de voir quelques extraits du film : il s'agit d'un film qu'a réalisé Godard lui-même, et le
spectateur du film devient spectateur, dans une salle de cinéma, de gens entrain de
regarder un film, spectateur par deux fois de ce film dans le film.
La caractéristique principale du film est qu'il n'y a aucun langage. Plus précisément, la
scène se déroule dans une chambre et met en scène les rapports entre un homme et
une femme, couple qui n'utilise aucun langage pour communiquer. Y en a-t-il un besoin
réel ? car s'ils sont dans cette chambre c'est essentiellement pour une occasion sexuelle.
Alors sans langage, l'homme grommelle, il grommelle pour signifier à la femme ses
désirs érotiques. Il grommelle qu'il veut les assouvir. Un plan est montré où l'homme fait
comprendre à la femme de retirer sa culotte. Elle s'exécute et une fois muni de
l'échantillon, il renifle cette pièce de vêtement qui a été en contact intime avec la femme.
Ce qui est flagrant hormis l'hommage non dissimulé à Bergman et sur ce manque de
dialogue entre les hommes et les femmes alors que le sujet du film est l'exposé de ce
rapport. Ce film est donc ironiquement le négatif fictionnel du film de Godard. On note
également le ton véritablement burlesque de cette mise en scène.
214
. Jean-Claude Biette, “Les mains de Fritz Lang”, TRAFIC n°43, Ed. P.O.L., Automne 2003. p.135.
215
. Dans ce film il y a deux personnages féminins principaux : Chantal Goya et Marlène Jobert.
216
. Ingmar Bergman, TYSTNADEN (Le silence), 1963.

171
De plus on pourrait même affirmer que la scène fait écho au procédé utilisé par
Bergman dans LA PRISON, et dont Godard a repris la photo comme figure
d'enchaînement dans les HdC.
Les deux couples regardent à l'écran un film : les ébats d'un autre couple qui est censé
avoir été mis en scène par Bergman mais qui n'est autre que la parodie filmique de
Godard.
Aussi la même situation schématique se profile entre
LA PRISON et MASCULIN FEMININ :

Fiction (LongM) -> [un couple visionne un film burlesque


(CourtM) de contrefaçon ->( un couple y est mis en scène) ]

On peut rappeler, pour finir, que ce dispositif moderne du film dans le film, et du guest-
star de cinéaste a été opéré par Bergman lui-même, dans de nombreux films217, et a une
influence directe sur Godard. Bergman invita également en 1949 (VERS LA JOIE) et en
1957 (LES FRAISES SAUVAGES) Sjöström cinéaste à faire l'acteur. Aussi l'image du
couple de FANGELSE (LA PRISON, 1948), qui traverse symboliquement les HdC, est un
couple qui projetait dans un grenier un petit film muet burlesque, à la Méliès, que
Bergman avait tourné.

Reste à décrire la scène centrale du film. Il s'agit du plan séquence où nous avons tous
les protagonistes du film (les deux couples) qui sortent du Dancing. C'est filmé en Plan-
séquence pour souligner peut-être l'unité qui va se jouer entre les personnages. Pour
revenir sur le plan séquence, il prend en compte ce rapport entre homme et femme.
Léaud se fâche avec elles, et décide de rompre ainsi au moment où il se retrouve seul,
comme face à la mort après s'être fait tiré le portrait dans un photomaton ; il se fait
assassiner d'un coup de couteau. Si Chantal Goya avait trouvé un moyen de reproduire
sa parole, un son provenant de son corps, par l'intermédiaire de ce disque, Léaud avant
d'affronter la mort avait trouvé un moyen de reproduire son image, son portrait photo,
une image provenant de son corps.

Référence Film 21 : MADE IN USA (1966)


Fiction [Espionnage]. Format : 35 mm. Durée : 90 mn. Couleur.
Ce film est un de ceux qui expriment la quintessence de la première période des films de
Godard. Les inventions sonores fourmillent dans ce film. Le personnage principal que
recherche lʼhéroïne est déjà mort, il est donc invisible et même inaudible car dès que son
nom de famille est énoncé, un son intervient et le couvre.

LES BRUITAGES
Comment le son peut rendre anonyme un personnage qu'on ne verra jamais.
Des sons d'avions à réaction passent, ou bien des sonneries de téléphone ou encore
des klaxons de voiture s'entonnent dès que l'on cite le nom du héros : le mari mort, et
dont l'héroïne (A.K.) recherche l'assassin. Autrement dit c'est une esthétique sonore du
recouvrement. Ces sons peuvent faire penser au procédé de 10 000 Hertz que l'on place

217
. La salle de cinéma dans LE SILENCE (1963), le cinéma expérimental comme chambre à gaz dans L'ŒUF
DU SERPENT (1977) ou encore cinéma des premiers temps dans son avant dernier film EN PRÉSENCE D'UN
CLOWN (1997).

172
au son dans les séries américaines sur un nom pour le protéger vis à vis de la loi de
lʼEtat.

LA RITOURNELLE
La fugue de Liszt est toujours la même, alors que dans les films habituellement on
produisait des variations autour d'un même thème, ici, le même morceau de musique est
répété plusieurs fois dans le film. (Garrel reprendra cette idée avec la musique de Faton
Cahen dans L'ENFANT SECRET).

DEUX PAROLES SIMULTANÉES DANS LE LIEU DE REPRODUCTION D'IMAGES


Pour la première fois, peut-être dans l'histoire du cinéma deux personnages parlent à la
caméra directement, face à elle, en la regardant, prise à partie du spectateur. Le fait
nouveau est qu'il y a deux personnes dans le même espace et dans le même temps, qui
déroulent deux dialogues que nous, spectateurs, devront choisir nécessairement. Laszlo
Szabo et Anna Karina, tous deux appuyés sur un mur décrépi dans un endroit particulier
pour cet exercice, car il s'agit d'un décor en banlieue là où autrefois se faisaient les
peintures des affiches de films; agrandissements en peinture, les procédés de
photocopies n'existant pas encore, il était plus simple de demander à l'homme et son
savoir-faire manuel de reproduire une affiche en deux, voire trois fois plus grand que
l'affiche originale pour pouvoir accrocher cette peinture aux devantures des cinémas, à
Opéra ou aux Champs-Élysées, là où les devantures peuvent atteindre parfois 5mx10m.
Enfin l'important est que c'est à partir de ce lieu, lieu où l'image se fait, un lieu de
reproduction d'images, que la parole, que les deux paroles vont surgir.

Godard par ce dispositif nous fait comprendre que deux images ensemble produisent
toujours une seule image (1+1=1) qu'on le veuille ou non, le fondu enchaîné nous donne
trois images (et non deux) : les deux images + une troisième image, mélange des deux,
distinctes cependant de leur propre mélange (1+1=3)
Aussi par le montage, pour avoir deux images, il est nécessaire de les placer dans la
continuité, l'une après l'autre, à l'instar de ces toiles peintes qui défilent de droite à
gauche juste avant le moment de cette séquence. Et c'est également la préfiguration
future de certaines expériences de vision que l'on retrouve avec NUMÉRO DEUX. Si
l'image doit suivre une autre image, il y a montage mais le temps les place de force l'une
derrière l'autre. L'image ne peut surmonter le temps qui la compose.

Alors que le son lui est placé instantanément. Karina et Szabo parlent en même temps,
la différence de leur timbre permet que l'on puisse les écouter très distinctement. Ensuite
l'idée du choix incombe au spectateur, qui doit écouter la femme car c'est l'héroïne du
film : c'est elle qui pose les questions et c'est elle qui écoute la bande enregistrée de son
mari mort. Ou bien allons-nous écouter Laszlo Szabo, au lieu d'écouter les bandes
enregistrées, car il possède les réponses des questions de Karina ?

173
Référence Film 22 : DEUX OU TROIS CHOSES QUE JE SAIS D'ELLE,
LA RÉGION PARISIENNE (1966)
Docu-Fiction Politique. Format : 35 mm. Durée : 90 mn. Couleur.

LA FIGURE DE L'INCORPORATION URBAINE EST UN PROCÉDÉ À DOUBLE SUJET


A partir du titre complet du film : Deux ou trois choses que je sais d'elle, la région
Parisienne, une figure de mise en scène nous est indiquée.

Deux ou trois choses que je (le cinéaste) sais d'elle (le personnage de la prostituée ou
…), la région parisienne.
La provenance de ce procédé provient probablement d'une application concrète de jeux
de mots métaphoriques usuels :
le corps de la ville ou encore ville à vendre, de ces deux notions, le cinéaste effectue une
fiction à travers laquelle
LE CORPS DE LA VILLE DEVIENT (PAR LE PROCESSUS FILMIQUE) CELUI D'UNE
FEMME PROSTITUÉE. ou inversement
LE CORPS DE LA FEMME REPRÉSENTE CELUI DE LA VILLE.

Le premier effet est l'idée relativement simple à la base et qui donne une vraie diversité
lors de sa mise en scène : L'actrice Marina Vlady joue deux personnages :

1) Un personnage réel : une femme mariée qui doit se prostituer pour arrondir ses fins de
mois et donner à manger à son fils.

2) Un personnage symbolique : la Région Parisienne dont les divers discours


sociologiques nous indiquent lʼévolution.

Insistons sur le fait qu'elle joue distinctement les deux rôles, qui sont liés puisque l'un (la
prostituée) est le tenant symbolique de l'autre (la ville). Aussi nous précisons que le
corps humain de cette femme à vendre représente la surface géographique de Paris.
Paris c'est moi, peut-elle dire, le film effectuera esthétiquement la distinction entre ces
deux rôles, où l'on aura des parties où Marina Vlady joue la ville (des plans parsemés
documentaires de la ville accompagnés de la voix-off de Godard) et d'autres parties où
elle joue une femme qui se prostitue et qui symboliquement renvoie à l'existence de
Paris.
Il y a aura ainsi plusieurs fois des prises d'un même plan, mises les unes à la suite des
autres.

L'IMPLICATION CINÉMATOGRAPHIQUE DANS L'ANTHROPOMORPHISME URBAIN


Marina Vlady jouant deux rôles distincts n'a recours à aucun travestissement. Elle joue le
rôle de la région parisienne avec son visage. Son corps, comme le désir de son corps,
rejoint symboliquement les désirs d'une ville, et si elle augmente son pouvoir d'achat par
la mise en vente de son organisme, c'est que Godard donne à la ville une possibilité
érotique; jouant sur un anthropomorphisme urbain, il donne dans le film une phrase clef :

"le visage c'est comme un paysage"

174
La référence chrétienne d'une ville faite chair est une fausse piste interprétative, il faut
utiliser l'acte de l'incarnation, selon son sens le plus courant et avec sa possibilité
symbolique, comme l'on dit d'un comédien qui va incarner pour l'écran tel rôle.
L'incarnation de la ville produira d'autres types de réflexions proprement
cinématographiques.

DE LA VISAGÉITÉ DE L'IMAGE
C'est avec la même logique de l'incarnation que Godard conclue le film avec des
panoramiques cadrés large, à 360°, intégrant dans le plan de la cité, le buste et le visage
de Marina Vlady comme référent de départ et d'arrivée du mouvement; le visage comme
un paysage fait qu'il aurait pu tout autant finir le film sur un gros plan visage et l'on sait à
partir de cet axiome que le visage, pour être au centre comme ville, n'a même plus
besoin d'être cadré en gros plan, ce que Deleuze évoquera dans Milles Plateaux218. Et il y
aurait fort à parier que cette réflexion cinématographique a peut-être pris naissance à
partir de l'observation du film par ce dernier. En tout cas il en sera un creuset initial.
Serge Daney également, dans ses entretiens, produira le même type de réflexion,
insistant sur une possibilité topologique de relativité projective du spectateur vers le film.
Il ajoute à ce propos :
219
" (…) en dernière analyse toute image est visage, puisque toute image nous regarde."

HÉTÉROLOGIE ESTHETIQUE DU BANC TITRAGE


C'est à partir de ce film que Godard va utiliser le procédé hétérogène de filmer des
photographies. Hétérogène car le banc-titrage, comme le nomme la technique vidéo,
consiste à filmer en position fixe souvent en gros plan, (c'est-à-dire sans ou avec très
peu de références de bordures de cadres), des photographies ou des dessins; c'est-à-
dire des images immobiles, de l'immobilité dans le mouvement des images du film,
- Soit l'élément est une image fixe, extérieure au monde filmé et amplifiant alors
l'hétérogène, et se confronte par le montage, en insertion face au monde que la fiction
représente.
À cela on peut associer l'élément écrit, le carton, qui, puisqu'il n'est qu'écriture,
s'oppose par sa nature avec l'image en mouvement du monde filmé.

- Soit, ensuite, l'élément est un accessoire filmé; devenant une image, intégré au monde
filmé sur lequel on fait un gros plan.

LE PROCÉDÉ DU CARTON
Ce dernier procédé, je le rappelle est historiquement cinématographique puisque dans
certaines narrations des films muets, il permettait de créer des cartons à l'intérieur même
de la diégèse du film. L'exemple le plus frappant doit être la carte de visite que présente
un personnage en plan large à un autre, auquel succède ensuite un gros plan de la carte
qui présente le personnage à celui qui a reçu la carte, ainsi quʼaux spectateurs. Idem
pour le personnage qui lit un journal, s'ensuit en gros plan fixe l'article ou au moins
souvent la manchette de celui-ci. De plus, selon cette logique, on peut affirmer qu'ils font

218
. Gilles Deleuze, Felix Guattari, Milles Plateaux, Paris, Ed. de Minuit, 1978. p.205-234.
219
. Serge Daney, Itinéraire d'un Ciné-fils, entretien avec Régis Debray , réalisé par Dominique Rabourdin et
Pierre-André Boutang, Ed. Montparnasse. (1992).

175
peut-être partie des premières apparitions techniques de plans subjectifs du cinéma car
ils correspondent aux regards d'un des personnages.
Le banc-titre jouant avec des accessoires concrets de la fiction (cartes, livres,
photographies…) filmés serrés, deviennent des subjectifs cartons. C'est-à-dire une
subjectivité vacante, ouverte, faisant place, par la participation du spectateur, à une
multiplication des individualités regardantes.
Dans ce film précis c'est au moment où Marina Vlady rentre dans un bar qu'un couple va
proposer deux sortes dʼhétérogénéités, une double expression puisque l'opposition de la
matière subjective face au film s'oppose également entre l'homme et la femme.
La femme d'abord feuillette un magazine alors que suivent en gros plan des illustrations,
qui ne correspondent plus avec ce que le personnage regarde, mais dont le sens
largement le dépasse et s'incorpore dans la trame narrative et la voix-off sociologique du
film dans sa totalité. Ces insertions hétérogènes confèrent au film une esthétique Pop-
Art 220, puisque selon une des définitions : ce sont des apports de matière première issue
de la culture populaire, mais dont les matières recyclées, même une fois assemblées,
conservent leur identité d'origine et développent aussi une nouvelle identité significative
(meaning remains)221. Aussi dans cette séquence, on y trouve des dessins aux couleurs
crues de magazines féminins, et des slogans de publicité.
L'insertion du subjectif de l'homme ne correspond pas précisément au subjectif carton
décrit précédemment : c'est un gros plan de la tasse de café qu'il regardait, nez baissé.
L'insertion du gros plan est tel que sur l'écran il n'y a que du café et sa mousse éparse et
quelques bulles au centre lorsqu'il y introduit un sucre, la voix-off parlant du cosmos
transforme cette surface liquide en voie lactée. Le plan est suffisamment long pour
s'opposer par sa singularité aux inserts multiples du magazine féminin.

Référence Film 23: ANTICIPATION OU L'AMOUR EN L'AN 2000 (1966)


Fiction [Science-Fiction]. Format : 35 mm. Durée : 20 mn. Couleur.
Sketch tiré du film LE PLUS VIEUX MÉTIER DU MONDE

Référence Film 24 : CAMÉRA-OEIL (1967)


Essai Politique. Format : 16 mm. Durée : 15 mn. Couleur.
Sketch tiré de LOIN DU VIETNAM.
(Autres réalisateurs : C.Marker, A.Resnais, C.Lelouch, A.Varda, W.Klein, J.Ivens)

INCORPORATION : Loin du Vietnam est une remise en cause du statut même du travail
de cinéaste. Reproches quʼil se fait à lui-même, et s'inscrivant à ce moment là dans le
plan/ photographié derrière une caméra, JLG est à la place du chef opérateur. Pour la
première fois il sʼagit dʼun autoportrait à partir dʼune photographie. Il se définit alors avant
tout comme producteur d'images. Le ton du reproche est un ton qu'on retrouvera dans sa
lettre à Jane Fonda. (Ref.Film.39)
Ce film, par la participation de Godard en tant que lui, et dans sa volonté dʼintroduire des
éléments réflexifs de son métier, peut, sans conteste, être considéré comme un des
premiers signes des HdC.

220
. Il y a déjà, même si cela nʼa pas été noté, ce type d'insertions Pop-Art dans PIERROT LE FOU.
221
. Ed Rusha, Rencontre avec Wilhelm Hein, Berlin. Inédit.

176
Référence Film a7 : BANDE ANNONCE DE MOUCHETTE (1967)
Film de montage

Référence Film 25 : LA CHINOISE (1967)


Fiction [Politique Fiction]. Format : 35 mm. Durée : 112 mn. Couleur.

LA LEÇON DE MALRAUX, MÉTAMORPHOSE ET RÉVOLUTION


Un des moments du film est l'occasion pour Godard, avant même l'affaire Langlois, de
citer Malraux. La séquence montre deux personnages jouant avec un guidon de vélo
comme si c'était une tête de taureau, un troisième les rappelle à l'ordre, les sommant
d'arrêter de jouer et en ouvrant la porte met le guidon à la poubelle. La poubelle est dans
le couloir de l'appartement où il y a d'autres locataires. Un homme passe, prend le
guidon en commentant tout haut, satisfait, qu'il est flambant neuf.
- Formidable cet homme
- Pourquoi donc ?
- De notre tête de Taureau il en fait un guidon.
- Et alors.
- Ben c'est formidable
(regardant la caméra) Ça c'est la métamorphose des arts Monsieur Malraux.
Arrive un insert d'une photo noir et blanc du portrait d'André Malraux.

La différence que produit Godard avec Malraux est de taille. L'art sorti de sa réalité n'a
plus de valeur ou en tout cas celle-ci est différente. Le reproche fait que les personnages
jouent avec ce qu'ils croient être une tête de taureau alors qu'au départ c'est un guidon.
Comme si le symbolisme était premier pour laisser ensuite passer le réel. Le cinéma
pour Godard, à la différence des autres arts, part sur une base symbolique. La
reproduction filmique de la réalité donne automatiquement un niveau symbolique, ce
n'est que le travail interprétatif du spectateur qui consiste alors à métamorphoser ce qu'il
voyait comme objet symbolique en objet réel. C'est pour cette époque tout travail
révolutionnaire. Commencer à se dégager de la tentation à transformer toute réalité en
symbole, mais à l'inverse, la réalité filmée, reproduite accessible dans un premier temps
au niveau symbolique, doit se dégager de ce champ pour accéder au réel.

Référence Film 26 : WEEK-END (1967)


Fiction [Anticipation]. Format : 35 mm. Durée : 95 mn. Couleur.

Référence Film 27 : LE GAI-SAVOIR (1968)


Fiction [Pédagogie Politique]. Format : 35 mm. Durée : 95 mn. Couleur.

LE COUPLE COMME FIGURE DOUBLE (REMPLAÇANT LA FIGURE EN


AUTOPORTAIT DU CINÉASTE)
Le couple, comme le film précédent, est une figure qui permet de créer autrement que le
procédé d'incorporation, une figure double. L'homme et la femme jouant par questions-
réponses, incarnent un processus de fiction comparable au double du cinéaste se filmant
lui-même. On peut de nouveau créer un additif au système dialectique entamé dans
MASCULIN, FÉMININ :

177
cinéaste filmant - cinéaste filmé
(producteur) - (acteur)
homme - femme
(metteur en scène) - (actrice)
image - parole
question - réponse
Aussi sur le modèle d'une égalité, le couple tel qu'il est mis en scène va pouvoir
fonctionner comme une seule personne représentée par la figure double : les deux corps
formant le couple. De ce processus dialectique découle par la suite tout un autre
stratagème esthétique de construction. aussi, le personnage masculin, directeur d'action,
sera du côté de l'image alors que la femme sera du côté du discours.

Référence Film 28 : CINÉ-TRACTS (1968)


Format : 16 mm. Durée : 10 x3 mn. Noir et Blanc.

ESTHÉTIQUE DU BANC-TITRAGE (SUITE)


Bien sûr ces Ciné-tracts sont anonymes puisque on y retrouve la volonté de réaliser
collectivement la contestation du pouvoir mis en place. Il est possible de reconnaître
ceux auxquels Godard aurai participé : son écriture à lʼimage est identifiable.
Ces Ciné-tracts érigent en principe le montage de photos, d'images fixes hétérogènes,
(hétérogène quant à leur provenance, puisque cette vingtaine de petits films utilisent
souvent la même matière utilisée) avec les textes.

Référence Film 29 : UN FILM COMME LES AUTRES (1968)


Documentaire. Format : 16 mm. Durée : 100 mn. Noir et Blanc / Couleur

Référence Film 30 : ONE PLUS ONE (1968)


Docu-Fiction [Musique/Politique]. Format : 35 mm. Durée : 99 mn. Couleur.
LE ROUGE ET LE NOIR
La séquence finale de ONE PLUS ONE présente pour la première fois dans un film la
couleur rouge et la couleur noire dans un rôle actif. Le rôle actif d'une couleur est son
utilisation avec la conscience de leur conséquence symbolique, ici la disposition des
couleurs rouge et noir ont expressément une fonction politique : Anne Wiazemsky est sur
la plate-forme d'une grue pour le cinéma, endormie au pied d'une caméra où sont
accrochés deux drapeaux, un rouge et un noir. La teneur du film dans ses propos ne fait
aucun doute sur la volonté du cinéaste à brandir l'étendard politique de l'Anarchie,
comme a pu le chanter Leo Ferré :
"Les deux couleurs de ton pays :
Le rouge pour naître à Barcelone
222
Le noir pour mourir à Paris"

Référence Film 31 : ONE AMERICAN MOVIE (1968) (Inachevé)


Documentaire. Format : 16 mm. Durée : 90 mn. Couleur.

222
. Léo Ferré, “Les anarchistes”, Concert à Bobino, Paris, 1969.

178
Référence Film 32 : BRITISH SOUNDS (1969) (coréal J.H.ROGER)
Essai Politique. Format : 16 mm. Durée : 52 mn. Couleur.

ROUGE ET NOIR (SUITE)


UTILITÉ INTERACTIVE ET HISTORIQUE DU MARQUEUR
Tout d'abord Godard se sert d'un feutre marqueur pour pouvoir écrire sur tout type de
surfaces : surfaces vierges ou surfaces pré-imprimées. Le marqueur dispose son
encre afin de rédiger des phrases souvent disposées schématiquement. Le marqueur
servant successivement à inscrire un mot, le souligne puis ensuite dessinera une
flèche ou entourera un personnage sur une photo.
LE FEUTRE EST UN INSTRUMENT INTERACTIF AUX DOMAINES DE L'ÉCRIT ET
DE L'IMAGE.
De plus et c'est là sa puissance qui le rapproche du cinéma, sa fonction intervient
dans l'espace autant que dans le temps car cet outil est :
• dans l'espace, intercesseur sur tous types de matières qui composent
originellement l'image et l'écrit
• intercesseur également dans le temps, car en partant du vide (la feuille blanche), il
peut créer mais il peut commenter, et détourner ce qui préexistait avant lui, et c'est ici
la considération de sa puissance historique.
DISSOCIATION DES FONCTIONS DU FEUTRE PAR LA COULEUR.
Par la suite à partir de cette puissance d'utilisation qui permet au feutre de créer ou
de commenter l'écrit et l'image, il peut se dissocier lui-même si deux couleurs
interviennent. Ainsi sur un schéma établi des systèmes d'oppositions grâce au réseau
de couleurs, ce seront pour Godard un feutre de couleur noire et un feutre de couleur
rouge. Le rouge remplaçant d'une certaine façon le blanc de la photographie qui
s'opposait au noir. On pourrait croire au hasard mais il n'en est rien : ce rouge et ce
noir sont des couleurs dont la symbolique désigne aussi l'Anarchie. L'utilisation des
couleurs dès ses premiers films dans les années 60 était plus sur un registre de la
dissociation. Par la suite, l'utilisation du marqueur qui s'est systématisé à partir du
GAI-SAVOIR et des CINÉ-TRACTS venait justement comme idée d'une intervention
militante sur la matière préexistante (papier journal, imprimé, photo). Aussi la fonction
du marqueur est interactive quand il s'agit d'espace mais elle deviendra également un
instrument historique lorsquʼil s'agit de temps. La première fois que l'on voit la co-
existence de ces deux marqueurs rouge et noir se trouve dans BRITISH SOUNDS.

Référence Film 33 : PRAVDA (1969) (Groupe DZIGA VERTOV)


Essai [Politique]. Format : 16 mm. Durée : 58 mn. Couleur.

Référence Film 34 : VENT D'EST (1969) (Groupe DZIGA VERTOV)


Fiction [Western]. Format : 16 mm. Durée : 120 mn. Couleur.
Le film, bien quʼécrit collectivement, (JLG, Daniel Cohn-Bendit, Jean-Pierre Gorin, Gianni
Barcelloni, Sergio Bazzini, Marco Ferreri, Glauber Rocha, Jean-Henri Roger et Raffaela
Cuccinelo) n'en demeure pas moins un film de Godard, cela en rapport avec les trois
films suivants qui seront réalisés selon des véritables principes de processus collectifs. Il
pourrait être comparé à la parodie de western qu'avait fait Luc Moullet à la même

179
période223, mais le caractère éminemment politique vient subsumer tout récit. Seuls, les
cinéastes invités, Marco Ferreri et Glauber Rocha, pourront participer par des
improvisations gestuelles et textuelles avec une certaine tranquillité, se démarquant, le
film. A noter l'admiration pour Godard du film de Ferreri puisqu'il prendra Mario Vulpiani,
le chef opérateur du film DILLINGER E MORTO réalisé par Ferreri l'année d'avant.

Référence Film 35 : LUTTES EN ITALIE (1970) (Groupe DZIGA VERTOV)


Essai [Politique]. Format : 16 mm. Durée : 76 mn. Couleur.

Référence Film 36 : JUSQU'À LA VICTOIRE (1970) (Groupe DZIGA VERTOV)


(inachevé)
Essai [Politique]. Format : 35 mm. Durée : 112 mn. Couleur.
Le film a été repris intégralement dans ICI ET AILLEURS. Ref.Film.40

Référence Film 37 : VLADIMIR ET ROSA (1970) (Groupe DZIGA VERTOV)


Docu-Fiction [Politique]. Format : 16 mm. Durée : 60 mn. Couleur.
INCORPORATION : US Policeman et lui-même

Référence Film 38 : TOUT VA BIEN (1972) (coréal J.P.GORIN)


Fiction [Politique/Mélo]. Format : 35 mm. Durée : 112 mn. Couleur.
L'ÉCONOMIE CINÉMATOGRAPHIQUE REPRÉSENTÉE DANS SA DIMENSION
ESTHÉTIQUE
Par ce film, qui annonce son premier retour au cinéma de fiction traditionnel, Godard
entend démontrer que lʼéconomie du cinéma, est aisément comparable à lʼéconomie
classique. On y retrouve pareillement des tensions, enjeux et récits liés aux rapports de
production (la lutte de la classe des dominés et aussi celle des femmes).
Avec ce film on assiste à un transfert représentatif cinématographique des rapports de
production : patron/ouvrier, homme/femme. Aussi plusieurs éléments de figuration vont
voir le jour. Il est intéressant de les extraire du film pour pouvoir les mettre en parallèle
avec des procédés des HdC où la dimension politique moins prégnante est relativement
moins présente au premier plan.
CAPRIOLI : PRODUCTEUR DE CINÉMA CHEZ ROZIER, PATRON SÉQUESTRÉ
CHEZ GODARD.
Premièrement, pour figurer le rapport de production, ce même rapport qui, selon Marx,
est l'occurrence tangible, ce vers quoi la lutte des classes s'affirme224, Godard va choisir
une figure esthétique incarnée par le choix de l'acteur. Effectivement Godard fait appel
au comédien Vittorio Caprioli. Ce comédien italien, qui parle français avec un accent
prononcé (effet comique garanti) jouait dans ADIEU PHILIPPINE225 un producteur de
cinéma. Il incarnera ici le patron de l'usine occupée.

ESTHETIQUE DU BANC TITRAGE


223
. Luc Moullet, UNE AVENTURE DE BILLY THE KID, 1971.
224
. Karl Koch, Karl Marx, trad. Emile Pouget, Paris, Ed. Champ Libre, 1971. p.74.
225
. Jacques Rozier, ADIEU PHILIPPINE, 1962.

180
SIGNATURES DES CHÈQUES DE SALAIRES EN GUISE DE GÉNÉRIQUE
Sous l'éthique d'une honnêteté politique à révéler les conditions de production
appartenant au film, à l'instar d'ANATOMIE D'UN RAPPORT226 —dont la voix-off de l'auteur
à la fin du film, Luc Moullet, dévoilait au spectateur tous les détails matériels de
fabrication, comme le métrage utilisé, et justifiait toutes dépenses de son budget de
production—, Godard, de son côté, débute son long-métrage avec le même désir
critique, en filmant une main (celle d'un producteur exécutif présumé) qui signe des
chèques, les uns à la suite des autres, à l'ordre des postes de fabrication du film, un par
un, avec pour rythme le son du chèque arraché. Successivement, sur le chéquier de la
production Rassam & Yanne, en guise de générique, défilent les postes artistiques et
techniques. Nous avons le droit de connaître les salaires. Premier chèque à l'ordre de la
production exécutive pour 100 000F, deuxième chèque à l'ordre de la mise en scène =
150 000F, troisième chèque à l'ordre du Scénario = 7 000F, quatrième à la
photographie…
Ainsi révéler le processus économique de fabrication suffit au film pour le doter d'une
dimension critique ironique. On constatera que cette introduction en la matière nʼest pas
dénuée dʼhumour. Cʼest la mise en image dʼun dialogue entre un homme et une femme,
lʼhomme questionne, la femme répond : pour faire un film il faut de lʼargent (…) Pour faire
un film qui se passe en France il faut des Français. Après la séquence chèques de la
production, lʼaccomplissement du film, à venir sous forme de listing, se passe par des
séries de plans fixes dévoilant les décors et lʼéquipe.

ESTHETIQUE DU BANC TITRAGE (SUITE)


Ce n'est pas la première fois227 mais l'insertion d'une photo en banc-titre à l'intérieur dʼun
film de cinéma, prend ici une large mesure. Cette photographie joue dans le film. Elle a
une existence propre dans la fiction. Cette photographie en tirage papier est un
accessoire que détient Suzanne (Jane Fonda). Elle la montre à Jacques (Yves Montand)
comme argument : montrer à quoi pensent les hommes pour pouvoir faire l'amour. D'où
l'insert du banc titre qui devient un subjectif carton. Le plan de cette photo en noir et
blanc, plein cadre, dure environ une trentaine de secondes. Elle constituera le seul
moment hétérogène du reste du film. Cette photo, qui représente une main de femme
prenant un sexe d'homme en érection, fait saillie dans le film autant par son contenu que
par la manière dont l'insert est placé. Dessus la voix off de Jane Fonda.

NOUVEAU RAPPORT DE COUPLE


À l'instar de plusieurs de ses fictions228, le couple hétérosexuel est lui-même représenté
comme un modèle d'opposition dialectique : si l'homme est réalisateur de publicité, il est
dans l'ensemble de l'image, aussi son monologue se fera assis à côté d'une caméra et
face à une autre. La publicité étant une fonction cinématographique qui tend à optimiser
l'image, plus tard il effectuera un repérage et indique à un assistant de prendre des
photographies du panorama de la ville.
La femme, elle, travaille dans une station radio, elle écrit ses textes elle-même dans un
studio. Le principe d'opposition est riche :
L' homme /Cinéma publicité (Capitalisme) /Image/ Extérieurs /Collaborateurs
La femme /Radio Service Politique (Gauchisme) /Son/ Intérieur Studio /Travaille seule.
226
. Luc Moullet, ANATOMIE D'UN RAPPORT, 1976.
227
. Ref.Film 22.DEUX OU TROIS CHOSES QUE JE SAIS D'ELLE...Ref.Film 28.CINÉTRACTS.
228
. Ref.Film 19. PIERROT LE FOU. Ref.Film 22,.Ref.Film 28.

181
Référence Film 39 : LETTER TO JANE (1972) (coréal J.P.GORIN)
Essai [Politique]. Format : 16 mm. Durée : 52 mn. Couleur.

Référence Film 40 : ICI ET AILLEURS (1974) (coréal A.M.MIÉVILLE)


Essai Théorique[Cinéma/Politique]. Format : 16 mm. Durée : 60 mn. Couleur.
DU DESTIN DES IMAGES : TROIS CATÉGORIES DIFFÉRENTES
Pour Godard la mise en scène de l'ICI 229, va lui permettre d'établir une théorie filmique du
cinéma, ou plus précisément une représentation théorique qui équivaut alors à la théorie
de la représentation du film à l'aide de personnages interposés. Mais au lieu que ces
personnages jouent des techniciens ou des interprètes d'un film en train de se faire,
comme dans le MÉPRIS, cette fois-ci, et c'est ce qui confère toute l'étrangeté à cette
partie : les personnages interprètent chacun un plan symbolisé par une photographie
qu'ils arborent. Ils procèdent à une espèce de ronde, figure qu'on retrouvera par ailleurs.
Le film comme continuum, intégrant des images et des sons.
Différents types d'images y sont répertoriés.
• IMAGES DE MARQUE
Ce sont les images qui sont fortes, qui marquent les esprits. Les images de marques
sont des images qui jouent leur rôle, c'est-à-dire que l'évènement qui est représenté y est
en tant qu'image.
•IMAGES DÉVOLUES AU SON
L'image et le son appartiennent à la même réalité reproduite, mais lorsque l'évènement
présenté y est en tant que son, l'infléchissement de l'image se fait, elle ne participe plus
que comme une surface passive, réceptive. L'enjeu du son et de ses prises de pouvoirs
successives d'un son sur un autre, voire comment elles transforment aussi
successivement l'image mise en faiblesse.
•IMAGES SONORES
La rencontre d'une image avec un son qui ne lui appartient pas fait que cette image se
transforme. Le son provoque une image mentale et cette image tente d'exister dans
l'univers de l'image montrée. Exemple : si sur une image de Nature on entend la liste de
ceux qui sont morts au combat. On imagine alors que le lieu de nature que nous voyons
est là où ils sont enterrés.
Ces trois types d'images, telles que nous les avons décrites ci-dessus, sont présentes et
présentées comme telles dans le film.

Référence Film 41 : NUMÉRO DEUX (1975) (coréal A.M.MIÉVILLE)


Fiction [Politique/Mélo]. Format : 35 mm. Durée : 88 mn. Couleur.
NUMÉRO DEUX est un film passionnant à analyser. Je considère qu'il est un des plus
important de Godard. Il se trouve à l'épicentre de sa continuité temporelle (Godard
Années 60 et Godard politique (67-76), face au Godard 80 (Renouveau) et Godard
historique (88-00), mais aussi doit-il être considéré comme un creuset de son
esthétique, car c'est à partir de ce film qu'il fera quasiment et distinctement deux sortes
de films : fictions et essais, séparables matériellement, en apparence uniquement, par
cinéma et vidéo230 .

229
. Ici correspond à Paris, l'Ailleurs est en Palestine.
230
. Ce n'est qu'en apparence car on trouve après 1977, autant de films de fiction produits en vidéo (Ref.Film
47, 54), que des essais produits en cinéma (Ref.Film. 64, 73).

182
Ce film regroupe ainsi deux mouvements en un, deux tentatives formelles en une, et
comme se situant au centre temporel de son œuvre, il récupère conclusivement les
différentes données esthétiques entreprises précédemment.
Aussi plusieurs éléments dans son film sont à relever.

• LE GÉNÉRIQUE : UN HOMME ET UNE FEMME


Les premières images du film expriment simplement et directement la figure du rapport
de couple, et le déroulement de son éloquence fondatrice de la valeur
cinématographique, dégagée cette fois-ci de tout processus narratif.

Quel est le principe filmique de ce long-métrage? Le rapport de couple restait,


précédemment dans les années 60 encore, non dégagé de l'imaginaire du film,
s'incorporant par l'artifice au récit ou d'une mise en scène par personnages interposés.

Cette fois-ci sur l'écran, on découvre que le film consiste à cadrer deux télévisions
allumées et l'un des téléviseurs diffuse deux images (simultanées par effet de volet
vidéo) dont le contenu souvent diffère voire s'oppose :
•Image 1 (moitié gauche): Un visage d'homme de profil il se tourne vers la caméra, c'est le
personnage masculin principal.
Image 2 (moitié droite): un génétitre s'inscrit :
"mon
ton
son "

Ce déclinement de pronom possessif on le trouvait déjà au début d'ICI ET AILLEURS.


Le visage de l'homme recouvre un instant donné le mot image, un effet de volet
horizontal laisse découvrir sous le visage le mot De l'équilibre entre l'image 1 et l'image
2, puis on arrive à deux tiers image 2, 1 tiers image 1: ainsi la compréhension se fait,
le visage de l'homme est l'image de la déclinaison.
Image 2 (moitié droite): un génétitre s'inscrit :
"mon
ton
son ... image"

ce qui est le sien, le SON devient aussi le son, la matière sonore lorsque le mot image arrive.
son…image nom de la société de production de JLG. Sonimage, c'est le son avant l'image, c'est l'image
sonore, l'image crée par le son, la parole.

•Image 1 (moitié gauche): Un visage de femme de profil il se tourne vers la caméra, c'est le
personnage féminin principal.
Image 2 (moitié droite): un génétitre s'inscrit :
"mon
ton
son ... image ... son"

Le visage de la femme opère le même parcours que celui de l'homme, sauf qu'au lieu
d'avoir recouvert le mot image, elle a recouvert un autre processus, celui de l'image et
d'un nouveau son. NUMERO DEUX c'est le deuxième son qui prend le pouvoir sur le
son d'origine, l'image reste la même, le son a changé, c'est la prise de pouvoir, comme
l'énonce Godard dans le film.

183
• SÉQUENCE D'OUVERTURE
La technique réflexive de pouvoir se dédoubler dans le temps, en réalisant un film dans
lequel on est soi-même en tant que tel, offre une hypothèse supplémentaire d'analyse.
Mais, et c'est ici tout l'enjeu du film, ce film est une prise de conscience directe de cette
double présence, puisquʼau-delà de la vivre dans un ensemble temporel, dans la
séquence d'ouverture il la représente : il construit un plan séquence, une image
traduisant cette idée. Godard est au milieu des machines. Il parle à une personne qu'on
ne voit pas, hors-champ, mais dans le décor, il s'appuie sur un téléviseur qui
retransmet son propre visage en direct. On a deux Godard à l'écran, une image de
Godard qui parle et la reproduction vidéo de cette image. Toute la possibilité de
dédoubler la possibilité réflexive par une double inscription du corps dans l'espace et le
temps, séparément se retrouve par la double technique de reproduction utilisée pour ce
film. Le film NUMÉRO DEUX, produit par Georges de Beauregard, est un film qui
sortira dans les salles. Son tournage s'est effectué en 35mm. Aussi cette séquence
d'ouverture est en 35mm, mais le matériel dont dispose Godard dans son
En effet, cette technique réalise premièrement une PRÉSENCE AU CARRÉ, (cinéaste
filmant, cinéaste filmé) qui est généralement admise, elle a des correspondances dans
les autres arts comme ce qui relève de l'autoportrait des peintres ou de l'autofiction des
écrivains. Mais également le cinéma par ses procédés de distinction spatiales (le
tournage) adopte la distinction temporelle du montage. Dʼune PRÉSENCE AU CUBE,
puisque de cette double présence, le cinéaste se dédouble encore pour l'inclure en
montage dans son film.
On a donc le cinéaste montant le film (cinéaste filmant, cinéaste filmé). Et c'est avec
cette présence au cube (dédoublement possible de la double présence) que la
technique des films des HdC va systématiquement être conduite. Et dont NUMÉRO
DEUX va présenter l'hypothèse référente :

•• LE LIEU DE TOURNAGE COMME UNE IMPRIMERIE

•• FIN DU FILM : FILMER L'INCROYABLE, FILMER L'INVISIBLE

•• CINÉASTE PARTICIPANT COMME ACTEUR SUR SON FILM

NUMÉRO DEUX démontre que le cinéma offre une double possibilité dʼévaluation :

Une séquence montrait Godard se filmant lui-même (tel quʼil le fera quelques secondes
après ce liminaire), mais en présence de deux téléviseurs :
•Un diffusant in extenso des informations télévisées concernant les défilés syndicaux
du premier Mai
•Un autre diffusant des bandes annonces de films de fictions et dont JLG lui-même
jouant avec les touches avance rapide et retour rapide pour faire apparaître de manière
hasardeuse mais volontaire des extraits de films de fictions (Claude SAUTET, Ingmar
BERGMAN, Chang CHEH (film de karaté).

Dans NUMÉRO DEUX le spectateur a la charge dʼeffectuer par lui-même le montage


final entre les deux films, par la présence de deux images simultanées.

184
Référence Film 42 : COMMENT ÇA VA (1975) (coréal A.M.MIÉVILLE)
Essai [Politique/Mélo]. Format : 16 mm. Durée : 78 mn. Couleur.
Autre invention nouvelle par rapport aux deux films précédents : le parallèle effectué
entre les différents types de machines. La machine cinématographique qui crée l'image
et le son, et la machine à écrire qui crée le texte, une autre machine présente aussi dans
ICI ET AILLEURS, est la machine à calculer.

Référence Film 43 : SIX FOIS DEUX (1976) (coréal A.M.MIÉVILLE)


Essai. Format : Vidéo. Durée : 12x 50 mn.env Couleur.
sous-titré SUR ET SOUS LA COMMUNICATION
RAPPEL THÉORIQUE
La réflexion qui suit n'est pas pour une fois liée au film directement. Il s'agit plutôt de
comprendre l'avis d'un philosophe qui a écrit à propos des émissions de télévision, et
son article nous permet de faire le point sur les films de l'expérience de Grenoble231.
L'importance historique de l'article de Gilles Deleuze232 (qui est une réécriture à partir
d'un entretien dans les Cahiers du Cinéma) établi au moment de la sortie des émissions,
va nous permettre de préciser les divers procédés formels et de figures, que nous
essayons de dégager et d'analyser depuis le début de la filmographie. Comme le dit
Deleuze, chez Godard, dans ce système de dualité, de couple, ce qui est important, ce
n'est pas le principe du deux, du dialectique au présent, mais l'axe de vision qui doit
procéder autrement.

"Godard n'est pas un dialecticien. Ce qui compte chez lui, ce n'est pas 2 ou 3, ou n'importe
233
combien, c'est ET, la conjonction ET."

On a vu que le deux n'est pas si important puisque nous sommes dès lors en présence
du couple joint à des effets de multiplication perpétuels et associatifs, dès qu'il s'agit de
déplier l'opposition dialectique ou de l'ouvrir pour voir l'importance de l'axe de
renversement des oppositions, ce que précisément indique Deleuze par la mise en
exergue de la conjonction de coordination : et.
Pour jouer sur la définition grammaticale du et, nous pouvons dire que la représentation
du couple passe par l'existence du conjoint, sa coexistence pour être plus précis. Une
conjonction se définissant par l'existence de deux parcours parallèles interactifs,
autrement dit et plus simplement, le et est un croisement . La coordination est également
un mouvement associatif qui par principe pose le multiple.

La multiplication du et lui-même crée une nouvelle notion : celle des séries, et que
Deleuze nommera ligne.

"Du Nord au Sud, on rencontrera toujours des lignes qui vont détourner les ensembles, un ET,
234
ET, ET qui marque chaque fois un nouveau seuil, une nouvelle direction de la ligne brisée."

231
. Ref.Film 40 - 45 ce qui correspond à la période1974/1979.
232
. Gilles Deleuze, “Trois questions sur Six fois deux ”, Cahiers du Cinéma , n°271, Novembre 1976, Ed. de
L'Étoile. p.5-12.
233
. Gilles Deleuze, “Trois questions sur Six fois deux ”, Cahiers du Cinéma , n°271, Novembre 1976, Ed. de
L'Étoile. p.11.

185
Nous indiquons ici que si la ligne est brisée dans la citation c'est parce que c'est
l'exemple donné par Deleuze de l'axe Nord-Sud.
Une ligne est une démarcation, une "frontière", ligne des ET, ET, ET qui formée dans un
ensemble pour notre travail se définit comme action cumulative de la liste.

Référence Film 44: (QUAND LA GAUCHE SERA AU POUVOIR) (1977)


Essai. Format : Vidéo. Durée : 3mn34s. Couleur.

Référence Film 45 : FRANCE TOUR DÉTOUR DEUX ENFANTS (1977-78) (coréal


A.M.MIÉVILLE)
Essai. Format : Vidéo. Durée : 12 x 26 mn. Couleur.

Ce film a été conçu à partir dʼun tableau analytique. Ce tableau est à concevoir comme
plan de travail et il montre comment, à partir d'éléments concrets et de tableaux
schématiques, Godard forme le processus de son récit filmique. FRANCE TOUR DETOUR
est quasiment contemporain des cours de Montréal, donc des premières tentatives
historiques du cinéma chez lui. Lorsque l'on compare les deux plans, celui de FRANCE
DÉTOUR avec celui des HdC, on est certain dʼune similitude de préconception de départ.
Pas de continuité, juste une partition en chapitre qui va dépasser les principe de thèmes

Référence Film 46A : TROISIÈME ÉTAT DU SCÉNARIO DE SAUVE QUI PEUT (LA
VIE) 1979
Essai [Cinéma]. Format : Vidéo. Durée : 20 mn. Couleur.
ou intitulé SCÉNARIO DE SAUVE QUI PEUT (LA VIE)

Référence Film 46B : SAUVE QUI PEUT (LA VIE) (1979)


Fiction [Film sur Cinéma]. Format : 35 mm. Durée : 87 mn. Couleur.

Référence Film 47 : UNE BONNE À TOUT FAIRE (1980)


Fiction [Film sur Cinéma]. Format : Vidéo. Durée : 5 mn. Couleur.

Référence Film 48 : LETTRE À FREDDY BUACHE (1981)


Essai [Cinéma]. Format : 35 mm. Durée : 11 mn. Couleur.
INCORPORATION : JLG manipule un tourne disque et joue un morceau de
Maurice Ravel quʼil passe en direct. De plus la voix-off donne lʼimpression quʼil improvise
en direct aussi.

234
. Gilles Deleuze, “Trois questions sur Six fois deux ”, Cahiers du Cinéma , n°271, Novembre 1976, Ed. de
L'Étoile. p.12.

186
Référence Film 49A : TROISIEME ETAT DU FILM PASSION (1981)
Fiction [Film sur Cinéma/Politique]. Format : 35 mm. Durée : 87 mn. Couleur.

Référence Film 49B : PASSION (1981)


Fiction [Film sur Cinéma/Politique]. Format : 35 mm. Durée : 87 mn. Couleur.

Le film bien évidemment contient beaucoup d'éléments qui vont nous intéresser, sans
établir de hiérarchie précise pour leur présentation, on essayera pourtant d'être exhaustif.

Le premier élément compose la série des remarques sur mon métier, que produit Godard
dans ses films depuis le début. Nous sommes en 1981, et deux avant Godard dans son
numéro 300 des Cahiers du Cinéma, a fait le collage sur Hitchcock assez violent235.
"Les comédiens sont du bétail" avait l'habitude de dire Alfred Hitchcock, et Godard perpétra
ce sentiment :
L'assistant-réalisateur, joué par Jean-François Stévenin couchant avec une femme de
ménage, la prenant par derrière, requiert qu'elle dise une phrase qu'il lui a au préalable
demandé d'apprendre (travail dʼactrice). Ajoutons que cette position était adoptée par
l'homme en pleine conscience de ce qu'elle symbolise : Domination, se faire avoir... et de
plus on retrouve dans LE MÉPRIS236 la même pratique exécutée par le producteur. Il
s'agit donc pour Godard de mettre en parallèle dans un rapport d'identité, la pratique
sexuelle d'un dominateur avec la pratique de diriger les acteurs.

"DIS TA PHRASE, DIS TA PHRASE"

Référence Film 49C : SCÉNARIO DU FILM PASSION (1982)


Essai [Cinéma]. Format : Vidéo. Durée : 54 mn. Couleur.
INCORPORATION JLG
Films instructif et passionnant pour découvrir la parole de Godard au travail. Ce film est
le Mystère Picasso de Godard. Plus aucun film de Godard nʼest vu pareil après la vision
de ce film.

Référence Film 50 : CHANGER D'IMAGE (1982)


Essai [Politique]. Format : Vidéo. Durée : 9 mn. Couleur.
Épisode de la Série : LE CHANGEMENT A PLUS D'UN TITRE
INCORPORATION
JLG

235
. Ref.162
236
. Ref.Film14.LE MÉPRIS

187
Référence Film 51 : PRÉNOM CARMEN (1982)
Fiction [Policier]. Format : 35 mm. Durée : 85 mn. Couleur.
INCORPORATION
Oncle Jean. Premier essai de la construction de son personnage dʼidiot. ici
il joue un cinéaste qui se trouve en maison de repos pour cause de dépression.
LʼAutoportrait est acide.

Référence Film 52 : PETITES NOTES A PROPOS DE JE VOUS SALUE MARIE (1983)


Essai [Cinéma]. Format : 35 mm. Durée : 20 mn. Couleur.

Référence Film 53 : JE VOUS SALUE MARIE (1983)


Fiction [Féerique]. Format : Vidéo. Durée : 78 mn. Couleur.
précédé du LIVRE DE MARIE (A.M. Miéville)

Référence Film 54 : DÉTECTIVE (1984)


Fiction [Policier]. Format : 35 mm. Durée : 95 mn. Couleur.

Référence Film 55 : SOFT & HARD (1985) (coréal A.M.MIÉVILLE)


Essai. Format : Vidéo. Durée : 52 mn. Couleur.
sous-titré A SOFT CONVERSATION BETWEEN TWO FRIENDS ON A HARD SUBJECT
INCORPORATION

Référence Film 56 : GRANDEUR ET DÉCADENCE D'UN PETIT COMMERCE DE


CINÉMA (1986)
Fiction [Policier/Film sur Cinéma]. Format : Vidéo. Durée : 52 mn. Couleur.

INCORPORATION

LE TITRE DU FILM
Le titre du film, cela ne fait aucun doute, s'inspire de deux autres titres d'œuvres
préexistantes, l'un est un livre, l'autre un film.
-Un titre provient du livre de Balzac : SPLENDEUR ET MISÈRE DES COURTISANES
puisque Godard le cite texto en génétitres dès le tout début des HdC (Plan 9 PLan 10)
opérant la substitution (usuelle chez lui) de la prostitution (des courtisanes) avec le
cinéma.
RISE AND FALL DU CINÉMA:
COPYCAT : ACTION SYMBOLIQUE D'UNE REFLEXIVITÉ CINÉMATOGRAPHIQUE
-Un autre titre provient du film de Bud Boetticher LA CHUTE D'UN CAÏD237 , qui, traduit
littéralement donne : grandeur et décadence de Legs Diamonds. Ce caïd de Boetticher,
est doublement lié à l'idée de réflexivité cinématographique car Legs Diamonds obtient
sa notoriété par les actions programmées et réitérées du copycat, qui sont, il faut le

237
Bud Boetticher, THE RISE AND FALL OF LEGS DIAMONDS (La chute d'un caïd) 1960.

188
rappeler, des actes de voler des voleurs 238, et qui peuvent être l'objet d'une
conceptualisation : l'acte du copycat produit une figure réflexive, puis, et c'est le lien
principal ici, chez Godard, l'insertion d'un extrait de ce film (Legs Diamonds à la
mitraillette qui tire sur tout ce qui bouge et dont les contrechamps sont l'occasion d'effets
de montage de plans hétérogènes comme le couloir d'Alphaville) dans le montage de la
8ème séquence des HdC, précisément le moment même où il se prend à vouloir définir
le cinéma.
Faire un film de cinéma en utilisant une œuvre qui montre un voleur voler d'autres
voleurs.

Le titre "Grandeur et décadence d'un petit commerce de cinéma" contient une double
opposition.
D'abord celle de la montée (splendeur, grandeur) et de la chute (misère, décadence)
dont Balzac fait lui-même référence au FALL AND DECLINE239 de Gibbon qui marqua
tant d'esprits au XIXème siècle et aussi surtout avant l'écriture du livre de Gibbon, avec
Montesquieu qui retrouve parfaitement les deux termes avec son fameux Considérations
sur les causes de la grandeur desRomains et de leur décadence. Ainsi comme dans le
Gibbon, le titre accomplit une trajectoire circulaire de la grandeur et de la chute autant
que c'est pour Godard d'associer le cinéma avec le commerce dans un cycle de
destruction pessimiste.

Ensuite la deuxième opposition est également comprise dans le titre même : précisément
si le cinéma se définissait par un esprit boutiquier, un esprit petit commerce, cela irait à
l'encontre du cadre d'avenir de la grandeur projetée vers sa décadence. Mais cette
opposition reste une opposition de principe, elle dénote, de par ce petit commerce, la
nécessité de souligner son aspect artisanal. Le petit commerce tel que le conçoit Godard
a aussi des intonations brechtiennes, tel que Godard peut lui-même l'évoquer dans les
HdC (Le plan irréalisable240) ou LE MÉPRIS (Ballade du pauvre BB, Hollywood), et tel
qu'on la retrouve dans les poèmes que Brecht rédigea pendant la guerre lorsqu'il était en
Californie.

LE CERCLE DES FIGURANTS


Lorsque le réalisateur joué par Jean-Pierre Léaud organise son casting, il convoque des
comédiens de l'ANPE. Cette scène relativement cruelle est une succession de
comédiens organisée en ronde, où chacun a appris un bout de phrase par cœur. Ce bout
de phrase quʼils doivent dire avec une intention leur échappe totalement, puisqu'aucun
des comédiens nʼa reçu la phrase en entier.

LE CASTING : FORME HUMAINE DU MONTAGE


Cette mise en scène sur une musique d'Arvo Part, est mémorable car nous sommes
témoin d'une performance de comédien perdu, car sans directions préalables du metteur
en scène. Godard n'hésitera pas presque sadiquement à ralentir voire à mettre en boucle

238
. Un autre exemple qui met en scène le copycat se situe dans le film de Jacques Becker, TOUCHEZ
PAS AU GRISBI 1954. Film également utilisé par Godard (HdC. 3b. une vague nouvelle.p.124-125.
239
. Edward Gibbon, The Fall And Decline Of The Roman Empire [1776-1784], (L'histoire du déclin et de la
chute de l'Empire romain), Lausanne, traduit par M.F.Guizot. Réed. Paris, Ed. Robert Laffont.
Coll.Bouquins..1983.
240
. HdC. 2b. fatale beauté. p.85. Le petit poème de Brecht.

189
par des allers retours, puisque le film est en vidéo, au moment des gros plan visages,
provoquant grimaces, déformations visuelles et sonores. Dans cette espèce de ronde
des tortures, une phrase au bout d'un moment apparaît. Pour Godard, l'idée était de
confronter par une chaîne humaine, une définition du potentiel cinématographique. Cette
chaîne, il l'avait déjà produite dans ICI ET AILLEURS. C'est un montage mais au lieu
d'avoir des successions de plans, ce sont des successions d'hommes et de femmes qui
sont condamnés à jouer le plan associé à un autre.
Autonomie du plan humain, qui par sa solitude, est un comédien au chômage qui passe
le casting. Un seul sera retenu, une femme que choisira Léaud. Autonomie du plan et
pourtant ces suites de singularités provoquent une signification qui leur échappe. Cette
signification n'est possible que par l'instigateur (le réalisateur) et le récepteur (le
spectateur). Le spectateur, qui, témoin de la suite des phrases, fabrique comme un
puzzle la phrase mystérieuse.
Ce n'est pas aussi sans une connotation sexuelle que Léaud demande, en vociférant,
sèchement et avec outrance aux comédiens, de dire la phrase241 et les fait répéter,
inlassablement jusqu'à écœurement.

LA FIGURE DU PRODUCTEUR-COMBATTANT
On l'avait déjà vu dans ses articles, l'art martial opère chez Godard des multiples
possibilités de commentaires et de définition du cinéma. Mais précisément à la mort de
Jacques Becker il utilisa l'image du mort sur un champ de bataille242. Dans ce film, après
que le réalisateur (Jean-Pierre Léaud) donne une définition du cinéma à son actrice
principale en évoquant la correspondance entre la toile blanche de l'écran sur laquelle
viennent s'imprimer les images et le voile de Véronique, le producteur joué par Jean-
Pierre Mocky les rejoint pour former le contrepoint de Léaud : Léaud monologue.

La liste des cinéastes :


Il va faire la liste des disparus et affirme devant l'actrice la disparition des grands
cinéastes et producteurs. Alors à chaque nom prononcé, Mocky souligne le rythme et la
litanie par un : "Mort au champs d'honneur".
Ce dialogue d'appel aux morts, de name-dropping : « mort au champ d'honneur » est
issu directement d'un film de Julien DUVIVIER : LA BANDERA (1935).
Le Film montre le massacre final d'une section de soldat légionnaires dont, ayant résisté
jusqu'au dernier pour tenir un bastion, il n'en reste plus qu'un, blessé : Robert Le Vigan.
Dans l'épilogue, lorsque les généraux arrivent, c'est bien trop tard, puis lorsqu'ils
procèdent à l'Appel, Le Vigan est au garde-à-vous parmi les cadavres, seul, debout pour
témoigner de leur acte et de leur courage, et il répondra pour tous les morts. La scène
est édifiante par sa longueur : le sergent va lire une liste d'une quarantaine de noms de
soldats et à chaque fois, c'est Le Vigan qui répondra "Mort au champ d'honneur". La
référence à ce film sera d'autant plus flagrante lorsque Godard utilisera la bande-son du
film de Duvivier (La voix hurlante de Le Vigan) dans 2X50ANS DE CINÉMA FRANCAIS
(voir à la Ref.Film 75).

241
. Ref.Film48.PASSION (1983).
242
. Ref.122. Frère Jacques.(1959).

190
Référence Film 57 : MEETING WOODY ALLEN (1986)
Documentaire. Format : Vidéo. Durée : 26 mn. Couleur.

INCORPORATION
IDENTIFICATION À UN NOUVEAU TYPE DE CINÉPHILE.
Dans ce film, qui est en fait un entretien filmé de Woody Allen, Godard lui demande de
parler de la manière dont il écrit les scénarios, pour savoir ensuite s'il regarde la
télévision, car certains de ses plans ont l'air de le suggérer. Allen répond à cette insulte
déguisée, et la discussion "part" sur la pratique d'une nouvelle cinéphilie, qui n'est plus
celle d'autrefois. Constatant les différences fondamentales du rapport du spectateur face
à la salle de cinéma et face à son téléviseur. Allen alors dresse un portrait du nouveau
cinéphile qui devient obsédé par les cassettes vidéos, sans sortir de chez lui. Ce qui
touche véritablement Godard qui doit se reconnaître dans cette pratique, puisqu'il a lui
aussi une immense collection de cassettes vidéos243. Alors Godard va alors insérer une
petite saynète, qu'il tournera après le tournage : interprétant un rôle burlesque (car il
mâchouille un cigare en grimaçant drôlement) d'un cinéphile assis en tailleur par terre et
jouant avec ses cassettes vidéos VHS comme jouerait un enfant avec des cubes.

Référence Film 58 : ARMIDE (1986-87)


Fiction [Opéra]. Format : 35 mm. Durée : 12 mn. Couleur.
Sketch pour le film ARIA

Référence Film 59 : SOIGNE TA DROITE (1987 )


Docu-Fiction [Musique/Burlesque]. Format : 35 mm. Durée : 82 mn. Couleur.
sous-titré OU UNE PLACE SUR LA TERRE
ONCLE JEAN

Référence Film 60 : KING LEAR (1987)


Fiction [Historique]. Format : 35 mm. Durée : 90 mn. Couleur.
Film de commande signé avec le producteur hollywoodien Yoram Globus de la GOLAN-
GLOBUS. Lʼacte de la signature fut célèbre médiatiquement, car la télévision française
avait filmé le producteur dans sa chambre d'hôtel, sur son lit, et exhibant sur un morceau
de nappe de restaurant en papier, où le contrat avait été fait, sa signature et celle de
Godard. Le film ne fut pas distribué (les producteurs estimant que Godard n'avait pas
rempli sa part du contrat). Il ne fut distribué que tout récemment en 2005.

Plusieurs personnalités anglo-saxonnes figurent dans le film. Peter Sellars et Norman


Mailer, Woody Allen.
INCORPORATION :
Godard y joue un espèce de professeur fou, ayant pour chevelure une perruque de
câbles multicolores électriques. Il joue une scène où il essaye de faire du feu mais n'y
arrive pas. Leos Carax (Edgar) l'aide en lui donnant simplement un briquet. La scène
toute symbolique peut être conçue à partir des égarements du cinéaste, qui, à force de

243
. Serge Daney ,“Le travelling de Kapo”, TRAFIC n°4, 1991. p.12.

191
décomposer les éléments de la réalité, n'arrive plus à filmer, donc à connaître les
évidences de la vie. La jeunesse de Carax (la poésie du réel car Edgar est-ce Edgar
Allan Poe?) vient lui donner à ce sujet une leçon. La blague que raconte Michel Piccoli
dans LE MÉPRIS est exactement dans le même ordre d'idées : Un disciple de Rama
Krishna passe des années à vouloir marcher sur l'eau d'un fleuve pour le traverser, puis
défait au bout de dix ans, lassé, il expose son problème à son maître qui lui dit : c'est
complètement idiot, moi avec une barque et une rame je peux traverser tous les matins.

Référence Film 61A : CLOSED (1988)


Spot Publicitaire (M&F.GIRBAULT). Format : Vidéo. Durée : 10 x 15s . Couleur.

Référence Film 62 : ON S'EST TOUS DÉFILÉ (1988)


Publicité. Format : Vidéo. Durée : 13 mn. Couleur.

Référence Film 63 : PUISSANCE DE LA PAROLE (1988)


Fiction/Publicité (France Télécom). Format : Vidéo. Durée : 25 mn. Couleur.

Ce film vidéo a la particularité d'être exemplaire quant à la possibilité d'un cinéaste de


détourner une commande qu'on lui fait, tout en respectant ce qu'il avait prévu au départ
de tourner. Car en effet, ce n'est pas le sujet de la fiction qui est ici novateur, c'est
proprement la manière dont le film vidéo est réalisé, qui frappe notre perception.
Frapper la perception, le mot n'est pas hasardeux quant on regarde la fin de ce film.
C'est la première fois pour Godard l'essai d'une technique qu'il emploiera, la technique
intitulée l'Aller-Retour.

LA TECHNIQUE DE L'ALLER-RETOUR
Cette technique de montage A-BA BA BA BA BA B n'est en fait pas nouveau, on la
trouve dès que Godard commence à pousser la vidéo dans ses retranchements, les
limites de possibilités. Ce qu'utilise Godard est propre au matériel vidéo puisqu'il s'agit
avec la molette de volet vidéo qui permet d'enregistrer soit le Player A soit le Player B
sur un troisième recorder C qui fait office de Master, à la vitesse manuelle, et en
préparant les bandes, les effets de fondus enchaînés ou d'effet Flicker, lorsqu'un des
deux Players joue non plus une bande vidéo, mais un fond blanc.

Le plan par plan n'a pas lieu d'être défini car il s'agit de l'entremêlement, du mélange
de deux flux vidéos dont les techniques contemporaines de musiques pourront nous
aider à nommer sa technique.
Ce qui était relatif au cinéma dans l'extrême méticulosité du montage plan par plan
n'était possible qu'en procédant par internégatif, puisqu'il fallait au monteur négatif au
moins 3 photogrammes pour coller le négatif, la vidéo le produit à la vitesse manuelle
de la main baissant et relevant la molette du curseur. Cette technique d'Allers-Retours
est faite à la main et aussi certains artistes Art Vidéo ont démontré le principe humain
de cette élaboration. On pense tout particulièrement au travail de Klaus Von Bruch,
dont les films sont assez proches esthétiquement du final du film vidéo de Godard.

192
MASH-UP CINÉMATOGRAPHIQUE
L'effet d'Aller-Retour modifie la perception que l'on a des plans, ils produisent à une
certaine vitesse d'effectuation une espèce de mixture, donnant une nouvelle
perception du plan, composé des deux anciens. Aussi dans ce système, si nous avons
plan A une rivière qui coule et dans le plan B de la lave qui coule, l'aller-retour produit
par persuasion l'effet impossible d'une rivière sortant d'un volcan. C'est dans ce final
que le film de Godard produit des effets dévastateurs d'oppositions naturelles, incluses
par le procédé.

C'est une technique qui dans la Musique Techno s'appelle le MASH-UP.


On met à l'écoute deux morceaux sur le même rythme et les mélangeant à une bonne
amplitude car ni l'un ni l'autre ne doit en sortir dominant, ils produisent un nouveau
morceau. Il existe un juste équilibre entre les deux morceaux où d'un seul coup c'est un
troisième morceau qui prend naissance, si un des deux morceaux domine par son
amplitude l'effet cesse automatiquement. En résumé l'effet d'Aller-Retour produit
visuellement, sans que les plans perdent leur intégrité, car il s'agit toujours de
montage, l'effet d'un fondu enchaîné.

Référence Film 64: LE DERNIER MOT (1988)


Fiction [Historique]. Format : Vidéo. Durée : 12 mn. Couleur.
épisode de la Série : LES FRANÇAIS VU PAR...

Référence Film 65 : HISTOIRE(S) DU CINÉMA (Version 1) (1988)


Essai [Cinéma]. Format : Vidéo. Durée : 93 mm (1a : Toutes les histoires:51mn + 1b:
Une histoire seule : 42mn). Couleur.

Les films réalisés ultérieurement aux Histoire(s) du cinéma ne sont pas pris en
compte.
Par contre certains films sont précédés d'une astérisque et ce signe arboré sera
l'indication d'une dépendance directe quant aux HdC, comme « films-annexes »
aux Histoire(s) du cinéma.

Référence Film 66 : LE RAPPORT DARTY (1988-89)


Publicité. Format : Vidéo. Durée : 50 mn. Couleur.

Référence Film 67 : NOUVELLE VAGUE (1990)


Fiction [Policier]. Format : 35 mm. Durée : 89 mn. Couleur.

Référence Film 61B : PUE LULLA (1988)


Spot Publicitaire (NIKE). Format : Vidéo. Durée : 10 x 15s . Couleur.

193
Référence Film 68 : L'ENFANCE DE L'ART (1990)
Fiction/Publicité (Unicef). Format : 35 mm. Durée : 8 mn. Couleur.
Tiré de HOW ARE THE KIDS (COMMENT VONT LES ENFANTS). (Autres réalisateur :
J.Lewis)

Référence Film 69 : POUR THOMAS WAINGGAI (1991)


Publicité [Amnesty International]. Format : Vidéo. Durée : 3 mn. Couleur.
Sketch tiré du film : ÉCRIRE CONTRE L'OUBLI

* Référence Film 70 : ALLEMAGNE ANNÉE NEUF ZÉRO (1991)


Docu-Fiction[Historique]. Format : 35 mm. Durée : 62 mn. Couleur.
retranscription Allemagne année neuf zéro
"En poursuivant leurs intérêts les hommes font l'histoire. Ils sont en même temps les outils et
les moyens de quelque chose de plus élevé de plus vaste qu'ils ignorent et qu'ils réalisent de
façon inconsciente."
l'histoire est au-delà du bien et du mal et des choses de la vie ordinaire. l'histoire universelle
n'est pas le lieu de la félicité. Les périodes de bonheur y sont les pages blanches."

"Est-ce que le narrateur n'est pas dans une situation impossible, difficile et solitaire davantage
aujourd'hui qu'autrefois je le crois. Histoire de la solitude; Mais il lui faut pourtant être là, absent
et présent, oscillant entre deux vérités aléatoires, celle du document et celle de la fiction."

"une histoire seule"


"solitude de l'histoire."

"encore ça : il y a une différence entre la narration et la musique. Un morceau de musique


intitulé valse de cinq minutes. C'est en cela en rien d'autre que consiste son rapport avec le
temps mais un récit dont l'action durerait cinq minutes peut quant à lui s'étendre sur une période
mille fois plus longue, pourvu que ces cinq minutes soient remplies avec une conscience
exceptionnelle et il pourra sembler très court quoique par rapport à sa durée imaginaire, il soit
très long. L'orient a très bien compris cela, pas l'occident."

"une histoire seule."

"je voudrais rendre l'histoire à ceux qui n'en ont pas."

"une histoire seule."

"Là où c'était je serai."

"Dès que j'eus traversé la frontière, les fantômes vinrent à ma rencontre. Ah! ma patrie est-ce
donc vrai? C'est ainsi que je t'ai imaginée depuis longtemps, pays heureux magique,
éblouissant. Ô terre bien aimée où donc es-tu ?"

"solitude de l'histoire."
"histoire de la solitude"

194
* Référence Film 71 : LES ENFANTS JOUENT À LA RUSSIE (1993)
Docu-Fiction[Historique]. Format : Vidéo. Durée : 63 mn. Couleur.

Référence Film 61A : PARISIENNE PEOPLE (1992)


Spot Publicitaire (BRITISH American Tobacco). Format : Vidéo. Durée : 10 x 15s .
Couleur.

Référence Film 72 : HÉLAS POUR MOI (1993)


Fiction [Fantastique]. Format : 35 mm. Durée : 84 mn. Couleur.

Référence Film 73 : JE VOUS SALUE, SARAJEVO (1994)


Essai. Format : Vidéo. Durée : 2 mn. Couleur.

* Référence Film 74 : JLG/JLG : AUTOPORTRAIT DE DÉCEMBRE (1994)


Essai [Autoportait]. Format : 35 mm. Durée : 62 mn. Couleur.

Produit par Gaumont, le film a été tourné dans les environs de Rolle. Volonté de la part
de Godard de faire un autoportrait intime, ouvrant aux spectateurs les paysages qui
l'environnent (ce qu'il voit quotidiennement), jusqu'à ses intérieurs où l'on voit la
bibliothèque qui a servi de décor pour les HdC; Cette fois-ci dans ce film, la lenteur des
travellings latéraux nous laisse le temps de lire les titres sur la tranche des livres rangés
sur les étagères. La notion picturale de l'autoportrait est représentée par une photo de
Godard enfant qui revient jalonner plusieurs fois le film.
La définition de l'autoportrait se fait pour lui aussi à partir de portrait d'amis, François
(Truffaut), Jacques (Rozier) et Nicholas (Ray), dont il extrait à chaque fois des bande-
sons de film qu'ils ont tous trois réalisés.

La lecture en direct de certains livres sont pour lui l'occasion de faire son autoportrait,
dont la notion d'histoire (avec Hegel, Benjamin et Heidegger revient plusieurs fois). Il
revient aussi sur la lecture de la Lettre sur les aveugles de Denis Diderot ce dont il s'était
déjà servi comme liminaire de son livre Introduction à une véritable histoire du cinéma.

"L'espoir lui appartenait mais voilà le garçon ignorait que l'important était de savoir à qui il
244
appartenait."

Cette phrase qui en fait est en liminaire de la biographie dʼHoward Hughes écrite par
Michael Drosnin, JLG l'avait déjà utilisée pour la présentation dans les HdC du
producteur Howard Hughes 1a. Est-ce une filiation ? Une allusion forte au fait que
Godard pourrait se définir comme un producteur ?

244
Michael Drosnin, Citizen Hughes, Paris, Ed. Presses de la Renaissance, 1993.

195
* Référence Film 75 : 2X50ANS DE CINÉMA FRANÇAIS (1995) (coréal
A.M.MIÉVILLE)
Docu-Fiction [Film sur le cinéma]. Format : Vidéo. Durée : 49 mn. Couleur.

Ce film est une commande pour la BIFI anglaise à l'occasion du centenaire de l'invention
du cinéma. On a demandé à des cinéastes de faire un film d'une heure sur son pays de
travail, sur les cent années écoulées dans son pays dans lequel il a fait ses films,
Oshima pour le Japon, Wenders pour l'Allemagne, Martin Scorcese pour les USA et
Godard pour la France.
Cela permet à Godard de renouer avec certaines connaissances. Retrouver un de ses
comédiens, Michel Piccoli, qui l'a accompagné sur plusieurs périodes (LE MÉPRIS
(1963), PASSION (1980)) d'autant plus que Piccoli était nommé président du comité du
Centenaire. Dans une première partie, à l'image, Godard dialogue avec Piccoli des
méfaits d'une commémoration de la première projection payante et dans une deuxième
partie, lʼon passe à une fiction moins documentaire où Piccoli jouait son propre rôle de
président. Il interroge le personnel de l'hôtel dans lequel il réside.
MORTS AUX CHAMPS D'HONNEUR
Michel Piccoli lui aussi évoque la mémoire des morts. La séquence s'ouvre à ce sujet sur
le banc-titre d'une photo de Robert Le Vigan, qui s'enchaîne très lentement sur Piccoli
interrogeant le personnel d'hôtel sur le souvenir de noms importants qui ont fait le cinéma
français.
L'image de Robert Le Vigan dans LA BANDERA ouvre cette fiction, on sait à quoi cela
correspond, si l'on a vu GRANDEUR ET DÉCADENCE245. Piccoli va quémander en
égrenant la liste d'hommes et de femmes ayant participé activement à la constitution du
cinéma français, ainsi une cohorte de noms vont se suivre sans que cela dise quelque
chose au personnel ignorant :

Josette Day, vous connaissez mademoiselle?... Et Robert Le Vigan ça vous dit quelque
chose ? Et Becker ? Jacques Becker?246

"Non Pas Jacques ! Boris, Boris Becker ! Évidemment "Boum Boum" je le connais il est
serveur comme moi."

Aussi l'effigie de Le Vigan dans LA BANDERA (1935) de Julien Duvivier va correspondre


à la liste des acteurs disparus de l'histoire du cinéma. Oublié puisque la réponse est
négative la plupart du temps. Cette correspondance vient corroborer l'atmosphère de
guerre et de sacrifice et du sentiment de perte. Voir en détails la première utilisation de
LA BANDERA déjà dans GRANDEUR ET DÉCADENCE D'UN PETIT COMMERCE DE
CINÉMA Ref.Film 56.

Référence Film 76 : SANS TITRE (1996)


Essai [Guerre]. Format : Vidéo. Durée : 4mn (1 mn + 3mn). Couleur.

245
. C'est La Formule de l'Appel aux morts. Voir Ref.Film.56, et Ref.122. où Becker est mort sur un champ de
bataille, la création artistique.
246
. CQFD. Ref.122.

196
Référence Film 77 : FOR EVER MOZART (1996)
Fiction [Guerre/Film sur cinéma]. Format : 35 mm. Durée : 84 mn. Couleur.

Référence Film 78 : ADIEU AU TNS (1996)


Essai [Théâtre]. Format : Vidéo. Durée : 15 mn. Couleur.

Référence Film 79 : PLUS OH (1996)


Clip de France Gall [Musique]. Format : Vidéo. Durée : 4 mn. Couleur.
également sous le titre : PLUS HAUT

* Référence Film 80 : HSTOIRE(S) DU CINÉMA (1988/98)


Essai [Cinéma]. Format : Vidéo. Durée : 214 mn. Couleur.

Référence Film 81 : THE OLD PLACE, SMALL NOTES REGARDING THE ARTS AND THE
FALL OF THE 20TH CENTURY (1998) (coréal A.M.MIÉVILLE)
Essai [Art].(Pour le M.O.M.A.) Format : Vidéo. Durée : 49 mn. Couleur.

* Référence Film 82 : DE L'ORIGINE DU XXIÈME SIÈCLE (2000)


Essai [Histoire]. (Pour l'ouverture du Festival de Cannes). Format : Vidéo. Durée : 15 mn.
Couleur.
Le titre provisoire était : HISTOIRE(S) DU SIÈCLE

Référence Film 83 : ELOGE DE L'AMOUR (2001)


Fiction [Mélo/Histoire]. Format : 35 mm/Vidéo. Durée : 98 mn. Couleur & noir et Blanc.

Référence Film 84 : DANS LE NOIR DU TEMPS (2002)


Essai. Format : Vidéo. Durée : 10 mn. Couleur.
Episode tiré de TEN MINUTES OLDER. (Autres réalisateurs : B.Bertolluci, M.Figgis,
J.Menzel, I.Szabo, C.Denis, V.Schloendorff, M.Radford)

Référence Film 85 : LIBERTÉ ET PATRIE (2002)


Fiction [Fantastique]. Format : Vidéo. Durée : 16 mn. Couleur.

* Référence Film 86 : MOMENTS CHOISIS DES HISTOIRE(S) DU CINÉMA (2004)


Essai [Cinéma]. Format : Vidéo. Durée : 90 mn. Couleur.

Référence Film 87 : NOTRE MUSIQUE (2004)


Fiction [Politique]. Format : Vidéo/35 mm. Durée : 85 mn. Couleur.

197
Référence Film 88 : PRIÈRE POUR REFUSNIKS (2004)
Fiction [Politique]. Format : 2x Vidéo/35 mm. Durée : 7 et 3mn30 Couleur.

Référence Film 89 : VRAI FAUX PASSEPORTS POUR LE RÉEL (2006)


Fiction [Politique]. Format : Vidéo/35 mm. Durée : 55 mn. Couleur.

Film qui a été conçu pour être projeté dans l'exposition "Voyage(s) en utopie, Jean-Luc
Godard, 1946-2006, en Mai/ Août 2006.

JUGEMENT DERNIER
C'est un film de montage qui prend des extraits de film tout autant que des images
d'actualités télévisées. Il a aussi la particularité de mettre en application le procédé qu'il
avait inventé en Décembre 1987 au moment de la venue d'une équipe de télévision
d'Antenne 2 pour l'émission Cinéma, Cinémas, et cela consistait à montrer des extraits
de films sur moniteur aux journalistes et de montrer qu'entre deux exemples d'un même
thème (le ralenti dans les films de guerre sur le Vietnam), Dieu reconnaîtrait les siens. Ce
qui sous entendait : Au jugement Dernier, Dieu fera sortir les morts et choisira ceux qui
iront au paradis, c'est-à-dire : il y a un bon cinéaste (Santiago Alvarez) et un mauvais
cinéaste (Stanley Kubrick).
L'application du procédé dans ce nouveau film comporte les deux mêmes extraits.
Mais il y a aussi une variante car, en effet, le spectateur n'est pas face à deux images,
et il n'y a pas les deux écrans (alors que cela a été fait dans NUMÉRO DEUX).
Dans VRAI FAUX PASSEPORTS, chaque extrait est monté l'un après l'autre. Et la
modification importante (puisque Godard n'est pas présent dans la salle) c'est
l'inscription vers la fin de l'extrait du mot [BONUS] ou [MALUS]. Une fois que l'on a
identifié le système, le public attendait patiemment l'inscription du génétitre et cela
provoquait des rires ou des interjections d'étonnements car Godard s'est amusé à jouer
contre les apparences du goût cinéphilique (pour la télévision, contre le cinéma par
exemple).

Référence Film 90 : ECCE HOMO (2006)


Fiction [Politique]. Format : Vidéo/35 mm. Durée : 2 mn. Couleur.

Référence Film 91 : UNE BONNE A TOUT FAIRE (2006)


Fiction [NOUVELLE VERSION]. Format : Vidéo/35 mm. Durée : 8 mn 20. Couleur.

198
Ref.Film 200.
Godard en tant que producteur/ contribution financière
Suite à différents renseignements et recoupements, on peut faire état du statut réel de
Godard en tant que producteur. Voir Ref.303. et Ref.305. sur ce sujet.
# Eric Rohmer, LA SONATE À KREUTZER (1956)
# Jacques Rozier, ADIEU PHILIPPINES (1962)
# Charles Bitsch, LES BAISERS CM( 1964)
# Jean Eustache, LE PERE NOEL A LES YEUX BLEUS (1966)
# Marcel Hanoun, L'AUTHENTIQUE PROCÈS DE CARL-EMMANUEL JUNG (1966)
# J-M Straub, Danièle Huillet, CHRONIK DER ANNA MAGDALENA BACH (1968)
# Joris Ivens, Marcelle Loridan, UNE HISTOIRE DE VENT (1989)
# Rob Tregenza, INSIDE/OUT (1997)

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