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Journal Identification = NRP Article Identification = 0601 Date: December 15, 2020 Time: 12:28 pm

Hommage
Rev Neuropsychol

2020 ; 12 (4) : 323-5 Hommage à Martial Van der Linden


(31/07/1951-10/10/2019)
Pour citer cet article : Hommage à Martial
Van der Linden (31/07/1951-10/10/2019).
Rev Neuropsychol 2020 ; 12 (4) : 323-5
A tribute to Martial Van der Linden
doi:10.1684/nrp.2020.0601 (July 31, 1951–October 10, 2019)

B
ernard de Chartres disait au clinicien dans l’unité de neuropsychologie
XIIe siècle que nous sommes comme que Xavier Seron et Marianne Van der Kaa
des nains juchés sur les épaules de avaient créé deux ans plus tôt. De 1975 à
géants. Si nous parvenons à voir plus de 1988, il reste clinicien à Liège tout en réa-
choses et des choses plus éloignées qu’ils lisant « sur le côté » une thèse de doctorat
n’en voyaient, ce n’est pas à grâce à l’acuité qui donnera lieu à un ouvrage Les troubles
de notre vision, ni même grâce à notre de la mémoire qui jouera un rôle considé-
taille, mais bien parce que sommes portés rable en initiant le public francophone aux
par leur haute stature. travaux et aux cadres théoriques d’auteurs
Voilà un an que nous, chercheurs et cli- anglo-saxons à l’époque peu connus en
niciens, perdions l’un des nôtres. Martial francophonie. En travaillant sur la mémoire,
Van der Linden reste toutefois parmi nous Martial rendait également un hommage
sous la forme d’un de ces géants qui nous indirect à la sienne, car tous ceux qui l’ont
permet de progresser. Martial est en effet connu se souviennent de l’étendue remar-
un de ces penseurs sur lequel nous pour- quable de sa culture scientifique. Il obtient
rons continuer à appuyer nos travaux de ensuite en 1988 un poste de chercheur au
recherche et notre clinique. FNRS. Il quitte un moment ses terres lié-
Martial était bien connu d’entre nous geoises afin de rejoindre l’équipe de Xavier
pour son apport riche et varié aux domaines Seron à l’université de Louvain, où il gar-
de la neuropsychologie et psychopatholo- dera des activités en tant que professeur
gie cognitive, sa vision intégrant recherche jusqu’en 1999. À Louvain, Martial sera un
et clinique, ainsi que son charisme légen- des animateurs principaux d’un vaste pro-
© John Libbey Eurotext | Téléchargé le 02/02/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.156.51.76)

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daire. Il était également connu pour son gramme de recherches sur le vieillissement
enthousiasme communicatif, ses positions normal et pathologique. Il travaillera égale-
tranchées et, pour ceux qui le connaissaient ment à la mise au point de rééducations
le mieux, son côté « soupe au lait » agré- cognitives dans le Centre de revalidation
menté d’une immense générosité humaine des cliniques Saint-Luc avec entre autres
et intellectuelle. Françoise Coyette.
Lorsque Martial commence ses études à En 1993, Martial revient à Liège afin de
l’université de Liège, dans les années 1970, fonder et développer l’unité de neuropsy-
le climat intellectuel était alors très par- chologie, au sein de laquelle il développe la
ticulier. On assistait à la naissance d’une neuropsychologie cognitive. À ce moment,
psychologie appliquée comportementaliste ses intérêts de recherche se diversifient.
et scientifique inspirée du behaviorisme. Il poursuit ses travaux sur la mémoire
Dans ce contexte, Martial réalise un et le vieillissement, mais s’implique en
mémoire de licence sur les comportements parallèle dans un grand nombre de pro-
persévératifs chez une personne souffrant jets concernant le fonctionnement exécutif,
doi: 10.1684/nrp.2020.0601

de psychose qu’il avait tenté d’aider en uti- l’apraxie, l’apprentissage implicite, et bien
lisant des méthodes issues de la « behavior d’autres. Il y implique très souvent les
therapy ». Dès le début de sa carrière, il cliniciens de l’Unité de revalidation neu-
s’est donc intéressé à la clinique en psy- ropsychologique du CHU de Liège. Il sera
chopathologie, intérêt qu’il retrouvera plus aussi à l’origine d’une collaboration étroite
tard. En 1975, il devient élève-assistant puis avec les équipes d’imagerie cérébrale

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du Centre de recherche du Cyclotron, et mettra en place avec pour fil rouge la valorisation du potentiel du patient.
différents programmes de recherche visant à explorer les Il défend une clinique devant obligatoirement tenir compte
substrats cérébraux du fonctionnement cognitif. Durant du pouvoir d’agir, des valeurs et des aspirations du patient,
cette période, Martial initiera et développera au CHU de une clinique qui vise une place dans la société pour chacun
Liège une Clinique de la mémoire et ensuite un Centre selon son propre choix. Sa réflexion l’amène à question-
de jour pour personnes âgées. Il sera également impli- ner le regard social et politique envers la pathologie ou
qué dans le développement d’unités de neuropsychologie le vieillissement, le pousse à combattre les représentations
dans différents hôpitaux de la région liégeoise. Ses qualités négatives, et à prôner une approche préventive, globale et
d’enseignant et de chercheur, sa pugnacité à défendre ce communautaire.
qui lui tient à cœur ont amené à ce que le domaine de la Martial est un des fondateurs de la SNLF, dont il a été un
neuropsychologie devienne incontournable au sein de la membre actif et fidèle. Il en est le président de 1996 à 2000,
faculté. et organise ou co-organise de nombreuses manifestations.
Motivé par les raisons du cœur et toujours prompt à Il a d’ailleurs participé activement à la journée anniversaire
relever de nouveaux défis, Martial accepte un poste de pro- des 50 ans en décembre 2017, ce qui a malheureusement
fesseur à l’université de Genève (Unige) en 1999 et il y fonde été une des dernières occasions pour un grand nombre
l’Unité de psychopathologie et de neuropsychologie cogni- d’entre nous d’interagir avec lui.
tive. Il y exporte sa vision novatrice de la psychopathologie À côté du scientifique passionné, il y avait également un
et de la neuropsychologie, et contribue notamment à déve- homme de valeurs.
lopper une vision de la psychopathologie s’affranchissant Martial possédait un talent d’orateur exceptionnel qui lui
des catégories diagnostiques, assumant la complexité et la permettait de communiquer ses idées et son expertise scien-
nature multidéterminée du fonctionnement psychologique. tifique de façon aisée à différents types de public. Discuter
Dès son arrivée, il crée au sein de la faculté une consultation avec lui en tant qu’étudiant ou jeune chercheur nous faisait
pour les troubles émotionnels dans laquelle ses chercheurs nous sentir intelligent et responsable, car il nous poussait
et doctorants mettent en pratique les approches théoriques, au bout de notre raisonnement. Il fallait le convaincre, et si
les outils d’évaluation ou les techniques d’intervention qu’il nous nous rangions à ses idées, il ne se satisfaisait jamais
enseigne. d’une adhésion de principe, là aussi il fallait le convain-
En parallèle à cette nouvelle aventure genevoise, il cre que nous étions persuadés qu’il avait raison. Martial se
garde un pied dans son pays natal et fonde à Liège, en caractérisait également par une immense honnêteté intel-
2002, l’Unité de psychopathologie cognitive qui collabore lectuelle qui pouvait l’amener à remettre fondamentalement
fructueusement avec l’équipe de Genève. D’une curiosité en question un concept auquel il ne croyait plus quand bien
sans fin, ses intérêts continuent à se diversifier de manière même il avait contribué à le développer.
exponentielle. Il développe des thématiques de recherche Martial était quelqu’un d’entier, de passionné dans tout
touchant aux hallucinations, aux symptômes obsessionnels- ce qu’il entreprenait. Il avait une énergie et une force de
compulsifs, à l’impulsivité, aux addictions, à l’apathie, à la travail hors du commun. C’est quelqu’un qui a su identi-
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procrastination, à la remédiation cognitive en psychopa- fier tout au long de sa carrière les domaines de recherche
thologie, aux relations que la mémoire entretient avec nos importants et novateurs dans sa discipline. Il a développé
émotions et notre identité, pour n’en citer que quelques- des recherches originales à bien des égards et qui ont eu
unes. des implications cliniques importantes. Ce qui marque éga-
Cette diversité d’intérêt se reflète dans le nombre de lement chez Martial, c’est son enthousiasme et sa capacité
doctorants qu’il a supervisés et co-supervisés, plus de de l’insuffler aux autres et de créer des vocations. C’était
60 cumulés au travers de ses carrières liégeoises et gene- quelqu’un d’exigeant notamment en tant que directeur de
voises. Un grand nombre d’entre eux ont hérité de sa thèse, mais d’une exigence qui pousse à développer le
passion et ont par la suite poursuivi une carrière acadé- meilleur de soi-même. C’était quelqu’un d’un peu sanguin
mique, scientifique ou clinique à travers la francophonie. aussi. Ses prises de position, parfois volontairement pro-
Ainsi une pléthore de jeunes doctorants peut revendiquer vocatrices et iconoclastes, ont pu en gêner voire choquer
un lien de filiation scientifique direct avec Martial. certains, mais elles ont toujours eu le mérite de bousculer
Mais Martial n’était pas un chercheur isolé des réalités les habitudes, de remettre en question les idées reçues et de
du terrain. Tout au long de sa carrière, il est resté atten- susciter une réflexion de fond.
tif au lien essentiel entre la recherche et la clinique, mais Martial était quelqu’un de profondément humain et
également entre la recherche et la politique. Dans son par- généreux, jusque dans ses accès de colère qui s’éteignaient
cours de chercheur, Martial n’a de cesse de lutter contre les aussi vite qu’ils étaient survenus (ceux qui les ont connus
modèles simplistes, en faveur d’une approche intégrative s’en souviennent). Martial aimait innover, stimuler, déclen-
qui assume toute la complexité du fonctionnement psycho- cher des polémiques scientifiques, mais toujours avec
logique. Sa recherche nourrit ainsi en miroir une clinique exigence, passion et rigueur, en s’appuyant sur les données
respectueuse de la diversité de l’être humain et de la mul- de la science.
tidimensionnalité de ses souffrances. Sa réflexion clinique Au-delà du scientifique, Martial était aussi un hédoniste
est empreinte d’humilité, et fondamentalement humaniste, qui aimait partager des moments de franche camaraderie

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autour d’un bon plat, d’un excellent cépage ou tout sim- tant que neuropsychologue, il s’agissait d’un devoir moral
plement d’une bonne bière. Il était aussi amateur éclairé de fournir cette analyse au plus grand nombre. Il s’est éga-
de football (qu’il a d’ailleurs longtemps pratiqué), toujours lement impliqué à cette même période dans le soutien et
enthousiaste pour partager de bons moments devant les l’aide matérielle aux sans-papiers arrivés en Belgique. Juste
matchs de l’équipe de Suisse lors des Coupes du monde ou deux exemples parmi de nombreux autres.
de l’Euro (ou du Standard pour la région Liégeoise). Intran- Martial, pour toutes ces raisons, nous te regretterons
sigeant face aux choix de tel entraîneur ou au jeu proposé encore longtemps
par telle équipe, mais s’extasiant toujours devant les beaux
gestes techniques et le jeu collectif, Martial vivait les matchs Fabienne Collette, Arnaud D’Argembeau,
de foot comme il vivait la science : avec passion, rigueur, Sylvie Willems, Xavier Seron, Philippe Peigneux,
et engagement. Joel Billieux, Lucien Rochat.
Martial était également très engagé dans le milieu <f.collette@uliege.be>
associatif et la défense des droits humains. Ainsi, il s’est
battu, au début des années 2000, pour faire publier Liens d’intérêt
dans quelques journaux une analyse critique de l’état de
démence qu’arguait Pinochet pour échapper à son procès. les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en
Sans illusion quant au résultat, mais en considérant qu’en rapport avec cet article.
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1 Fonds de la recherche scientifique (équivalent belge du CNRS).

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Point de vue
Rev Neuropsychol

2020 ; 12 (4) : 327-8 La construction des émotions


Maxime Bertoux
Lille Neuroscience & Cognition,
The construction of emotions
Institut national de la santé
et de la recherche médicale U1172,
Université de Lille, CHU de Lille, France
CMRR, Service de neurologie,
Hôpital Roger Salengro, 1 rue Émile-Lainé,
59000 Lille, France
<maxime.bertoux@inserm.fr>

Pour citer cet article : Bertoux M.


La construction des émotions. Rev
Neuropsychol 2020 ; 12 (4) : 327-8
doi:10.1684/nrp.2020.0603

L
a science psychologique trouve sa richesse dans la place à la subtilité1 , c’est l’idée – simple et audacieuse – de
diversité de ses approches. Étudié sous l’angle de la l’universalité des émotions qui s’installa durablement dans
psychologie sociale, de la psychologie clinique ou de la culture scientifique et populaire.
la psychophysiologie, un phénomène n’aura que rarement Si Ekman n’a cessé d’être contredit pendant ces cin-
la même définition. Si les définitions peuvent s’enrichir quante dernières années, il a fallu quelqu’un de l’envergure
autant qu’elles s’opposent, parfois l’une d’elles sort du lot, de Lisa Feldman Barrett pour qu’enfin perce durablement
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perdure et se diffuse au-delà des frontières académiques. une alternative à ses théories. Barrett défend l’idée que
Cette définition ne fait pas toujours consensus, mais parce les émotions sont des états mentaux construits et que
que, souvent, elle apporte une réponse simple et auda- l’expérience émotionnelle est un acte de catégorisation,
cieuse à une question compliquée, elle séduit. Dans le guidé par une connaissance incarnée de ces émotions [3].
domaine des émotions, la définition de Paul Ekman a mar- La reconnaissance d’une émotion dépendrait ainsi de notre
qué durablement notre discipline et l’idée que nous nous capacité à conceptualiser nos expériences émotionnelles
faisons des émotions. Simple et audacieuse, elle l’est en passées et serait donc dépendante de nos connaissances
effet. Elle n’est pas non plus tout à fait nouvelle puisqu’elle lexico-sémantiques sur les émotions, utilisées pour donner
s’appuie sur l’hypothèse de Charles Darwin [1], ce qui joue du sens à une réaction physiologique ressentie ou obser-
en sa faveur. Ekman et ses travaux ont assis durablement vée. Dans cette perspective « constructionniste », ce ne
la notion que les émotions courantes sont des processus sont donc pas uniquement les caractéristiques physiolo-
distincts et universels [2]. Selon Ekman, l’expérience ou la giques qui distinguent les émotions, mais également leurs
perception de six émotions (joie, surprise, tristesse, dégoût, frontières conceptuelles. Cette approche n’est pas en totale
colère, peur) est universellement modulée par des carac- contradiction avec la notion d’universalité, mais si les émo-
téristiques faciales spécifiques, reconnues universellement, tions sont ainsi liées aux associations que nous faisons par le
qui les différencient les unes des autres. langage, alors elles ne sont pas définies de la même manière
Cette définition, soutenue par de nombreux travaux, chez tout le monde ou dans toutes les cultures.
n’a pourtant jamais fait consensus. À cette même époque, En 2020, la théorie constructiviste des émotions semble
l’anthropologie soutenait la notion d’un relativisme cultu- devenir incontournable en psychologie, étayée par un fais-
rel des émotions et la psychologie sociale développait alors ceau d’éléments empiriques. Les frontières catégorielles
les « appraisal theories », envisageant les émotions comme émotionnelles occidentales ne seraient pas universelles
le résultat d’une interprétation personnelle d’un événement
doi: 10.1684/nrp.2020.0603

[4]. La similarité conceptuelle intra-culturelle entre émo-


et de sa réponse physiologique. Mais rien n’y fit : la vision tions prédirait la structure neurale du traitement visuel
ekmanienne des émotions est vite devenue la conception des expressions faciales [5]. Le lexique émotionnel varie-
standard. La popularité scientifique ne laissant que peu de
1 Concédons à Ekman que ses positions sur l’universalité des émo-
tions furent mouvantes au cours de sa prolifique carrière, alternant une
Correspondance : timide reconnaissance de notables variations culturelles à un dédain
M. Bertoux virulent envers cette dernière idée.

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rait drastiquement d’une culture à une autre [6]. Enfin, un localisationnisme archaïque (comme « le syndrome
la reconnaissance des émotions serait en effet dépen- frontal ») sont des erreurs à ne plus commettre.
dante des connaissances conceptuelles sur ces mêmes Inspirons-nous donc de cette conception nuancée, et
émotions [7]. assumons la complexité des phénomènes, tant au niveau
Martial Van der Linden disait des psychologues qu’ils et théorique que clinique. Sur ce dernier plan, si l’initiative du
elles doivent « assumer une approche de la complexité ». En Grefex 2 d’apporter des normes plus étoffées à la mini-SEA
effet, au-delà de contribuer à l’ennuyeux débat de l’inné ver- (mini Social Cognition & Emotional Assessment) [8] et à l’IRI
sus l’acquis (qui pourrait supposer que les émotions soient (Interpersonal Reactivity Index) [9] est nécessaire, tant leur
innées si elles sont universelles, et sinon, acquises), la théo- utilisation est répandue en neurologie, il faut regretter dans
rie constructionniste des émotions a le mérite d’assumer la le paysage clinique francophone un manque d’épreuves ori-
complexité de ce qu’est une émotion. L’émotion n’est plus à ginales, plus fines, permettant d’appréhender la cognition
percevoir comme un phénomène basique. Elle ne doit plus sociale dans toute sa complexité et en tenant compte de
être envisagée sous un angle uniquement physiologique, son importance dans la vie quotidienne. La neuropsycho-
comme elle l’a trop longtemps été. Elle est un phénomène logie mérite pourtant des outils novateurs et ambitieux pour
complexe, et comme tout phénomène psychologique, ne accompagner au mieux les patientes et les patients dans leur
saurait être envisagée grossièrement. L’approche construc- parcours de soin.
tionniste nous montre ainsi la direction à suivre pour l’étude
des phénomènes cognitifs, et particulièrement ceux que Liens d’intérêt
l’on regroupe au sein de la « cognition sociale ». Appré-
hender les phénomènes psychologiques de manière isolée, l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport
compartimenter les processus cognitifs ou s’accrocher à avec cet article.

Références
1. Darwin CR. The expression of the emotions in man and animals. 6. Jackson JC, Watts J, Henry TR, et al. Emotion semantics show
London : John Murray, 1872. both cultural variation and universal structure. Science 2019 ; 366 :
2. Ekman P, Friesen WV. Constants across cultures in the face and 1517-22.
emotion. J Pers Soc Psychol 1971 ; 17 : 124-9. 7. Bertoux M, Duclos H, Caillaud M, et al. When affect overlaps with
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3. Barrett LF. Solving the emotion paradox : categorization and the concept: emotion recognition in semantic variant of primary progres-
experience of emotion. Pers Soc Psychol Rev 2006 ; 10 : 20-46. sive aphasia. Brain 2020. doi: 10.1093/brain/awaa313.
4. Jack RE, Garrod OG, Yu H, et al. Facial expressions of emotion are 8. Bertoux M, Delavest M, de Souza LC, et al. Social cognition
not culturally universal. Proc Natl Acad Sci 2012 ; 109 : 7241-4. and emotional assessment differentiates frontotemporal dementia from
5. Brooks JA, Chikazoe J, Sadato N, Freeman JB. The neural represen- depression. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2012 ; 83 : 411-6.
tation of facial-emotion categories reflects conceptual structure. Proc 9. Davis MH. Measuring individual differences in empathy: Evidence
Natl Acad Sci 2019 ; 116 : 15861-70. for a multidimensional approach. J Pers Soc Psychol 1983 ; 44 : 113-26.

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Point de vue
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2020 ; 12 (4) : 329-33 Les interactions sociales au cœur


Pascal Huguet1 , Francis Eustache2, des problématiques des sciences
de la vie et de la société
1
Université Clermont Auvergne et CNRS,
Laboratoire de Psychologie sociale
et cognitive (Lapsco), 34 avenue Carnot,
TSA 60401,

Social interactions at the heart


63001 Clermont-Ferrand cedex 1, France
<pascal.huguet@uca.fr>
2
Normandie Univ, UniCaen,

of issues in life sciences


PSL Research University, EPHE, Inserm,
U1077, CHU de Caen, France
Neuropsychologie et Imagerie

and social sciences


de la Mémoire Humaine (U1077),
PFRS, rue des Rochambelles,
F-14032 Caen cedex, France
<francis.eustache@unicaen.fr>

Pour citer cet article : Huguet P, Eustache


F. Les interactions sociales au cœur des
problématiques des sciences de la vie et
de la société. Rev Neuropsychol 2020 ;
12 (4) : 329-33 doi:10.1684/nrp.2020.0604

Les neurosciences de la relation à l’autre état de vulnérabilité face à de futures interactions, créant
ainsi une susceptibilité à diverses affections psychiques et
Le principal enjeu scientifique des neurosciences des somatiques. Cette voie de recherche renouvelle en pro-
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interactions sociales est de créer et/ou consolider les inter- fondeur la compréhension des maladies neurologiques et
faces des sciences biologiques avec les sciences humaines psychiatriques. Le trouble de stress post-traumatique en
et sociales. Ces interfaces sont essentielles pour progresser est l’exemple le plus démonstratif mais les troubles liés à
dans l’étude du comportement, de sa genèse, de son évolu- l’état de vulnérabilité sont divers incluant des conséquences
tion tout au long de la vie, et de ses altérations. Pour bien en sur les plans psychique et cognitif de pathologies non-
comprendre les enjeux, il faut rappeler l’interaction entre le cérébrales. Dans ce cadre, le cancer du sein a donné lieu
stress, quelles qu’en soient les causes physique, psychique à un grand nombre de travaux qui montrent l’impact d’un
ou sociale, et le génome, se traduisant par la modification changement de statut psychosociologique (devenir malade)
de l’expression des gènes via la modulation épigénétique. sur le fonctionnement neurocognitif [12].
Cette nouvelle thématique a permis l’émergence d’une
« génomique sociale » indiquant l’importance des interac-
tions sociales et de certains facteurs psychosociaux (e.g. Une approche transdisciplinaire
perception de stress psychosociaux tels que l’exclusion ou
l’isolement social) dans l’expression même des gènes [1-3], L’intégration du contexte social et des stress associés
une expression susceptible de varier selon l’âge du sujet lors exige une collaboration étroite et novatrice de la psycho-
de la survenue du stress. logie scientifique avec les neurosciences et la génétique.
Cette perspective biopsychosociale est indispensable, En éthologie, cet effort d’intégration implique de prendre
non seulement pour compléter les connaissances sur le en compte les espèces animales dites sociales dans l’étude
« cerveau social » [4-7] et la régulation sociale des fonc- des processus neurobiologiques de base. Chez l’homme, un
tionnements cognitifs aussi bien chez l’animal [8] que chez des intérêts de l’essor des neurosciences sociales et affec-
l’homme [9, 10], mais aussi pour accéder à une vision tives a été d’introduire une dimension sociale dont toute une
doi: 10.1684/nrp.2020.0604

plus complète et réaliste des déterminismes du comporte- partie de la psychologie cognitive continue de s’affranchir.
ment humain et de ses pathologies [11]. Ces déterminismes Poussé à l’extrême, ce sectarisme réductionniste est scléro-
doivent être abordés dans leurs dynamiques, en considé- sant, à l’heure où sont décrites des compétences sociales
rant que certaines interactions sociales sont susceptibles de précoces, avant même l’acquisition du langage, et des liens
modifier le fonctionnement neurobiologique induisant un entre des fonctions complexes comme la mémoire auto-
biographique et la régulation des processus émotionnels
Correspondance : [10]. Cette mémoire autobiographique se construit en lien
P. Huguet avec nos interactions sociales et avec notre contexte cultu-

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rel, d’où l’importance de rapprocher mémoires individuelle ces relations, les évolutions méthodologiques, et les nou-
et collective [13]. velles conceptualisations qui les accompagnent, invitent à
Les travaux de neuropsychologie sur les lésions rejeter toute explication unidimensionnelle des conduites
cérébrales acquises et les maladies neurodégénératives, humaines. C’est bien cette articulation de plusieurs niveaux
en premier lieu les dégénérescences lobaires fronto- d’explication à l’interface des sciences humaines et sociales
temporales, soulignent la fréquence et l’intensité des et des sciences biologiques qu’il convient de faire progres-
troubles de la cognition sociale. De nouvelles procédures ser. En bref, il nous faut à l’avenir assumer le risque d’un
d’investigation et de prise en charge doivent être dévelop- « grand écart » entre, d’une part le recours à un niveau
pées, d’autant que ces altérations de la cognition sociale d’analyse ancré dans la réalité biologique de l’individu,
conduisent à des troubles du comportement, souvent plus et d’autre part le recours à des niveaux d’analyse supra-
invalidants que d’autres troubles cognitifs. Ces procédures, ordonnés liés à des réalités de nature plus psychologique,
en permettant l’évaluation approfondie de différents aspects sociale et même culturelle [5].
de la cognition sociale, doivent conduire à des programmes Il en découle de véritables enjeux méthodologiques,
de remédiation cognitive différentiés en fonction du profil en particulier la nécessité de mieux exploiter les grandes
des patients. Actuellement, ces programmes allient neuro- cohortes. Associées à des suivis longitudinaux, elles pour-
psychologie, psychologie cognitive et sociale, et thérapies raient permettre de comprendre la nature des relations
comportementales parfois combinées à des technologies entre interactions sociales pathogènes itératives et appari-
numériques (e.g. réalité virtuelle et immersive). Les troubles tion de pathologies lourdes sur le plan sociétal. C’est une
de la cognition sociale concernent aussi l’autisme, la autre manière d’étudier la dynamique « big data » au ser-
schizophrénie et diverses pathologies neurodéveloppe- vice de la compréhension de l’influence des interactions
mentales, à déterminisme génétique ou métabolique. Les sociales au niveau individuel. Tout cela devient possible
évolutions interdisciplinaires souhaitées dans ce cadre sont avec l’émergence de méthodes de suivi comportemental
une formidable occasion de rassembler neurologues, psy- écologique et la réduction du coût des séquençages massifs
chologues, psychiatres et neuroscientifiques. L’exploration du génome, voire de l’épigénome. Ces projets de recherche
de ces différentes pathologies permettra de mieux connaî- mettant en relation, au-delà de la simple corrélation, des
tre les mécanismes cognitifs et cérébraux impliqués dans données d’origines variées, sont d’une redoutable comple-
les interactions sociales et d’évaluer l’efficacité de dis- xité et en même temps enthousiasmants pour les équipes
positifs de soins ciblés sur les comportements sociaux. de recherche.
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Ceux-ci doivent, dans la mesure du possible, impliquer des
situations interactives avec différents participants et plus
largement l’environnement. Dans ce cadre, l’utilisation de Se prémunir d’un biotropisme
plateformes de réalité virtuelle peut s’avérer pertinente.
Il reste en effet à développer toute une dynamique de À un niveau plus général, l’intérêt d’une collaboration
réadaptation aux interactions sociales dans laquelle ces renforcée entre les sciences biologiques et les sciences
plateformes pourraient se révéler complémentaires aux stra- humaines et sociales est de permettre à nos sociétés de se
tégies thérapeutiques. prémunir de certains excès, en particulier le réductionnisme
des états psychologiques et des agissements individuels et
collectifs à des états cérébraux. Il ne s’agit pas de nier le rôle
Un nouveau paradigme du cerveau dans les états psychologiques et les agissements
de l’individu. Cependant, à l’heure où des communautés
Comme le note Howard Gardner dans son ouvrage sur scientifiques entières travaillent avec la certitude que la
la révolution cognitive, bien que les sciences biologiques et connaissance du vivant à l’échelle la plus réduite (la molé-
les sciences cognitives n’éprouvent pas de réserve à l’égard cule, le gène) fournira la clef ultime de la compréhension
de l’affectivité, du contexte historique, social et culturel de des états mentaux, et plus généralement des manières d’être
toute action ou pensée, elles ont le plus souvent écarté ces et d’agir, s’interroger à la fois sur la légitimité et sur les dan-
éléments à l’instar des comportementalistes du siècle der- gers d’une explication exclusivement « biologisante » ou
nier avec la conscience. Or, parce qu’ils sont au centre de « biotrope » est plus que jamais nécessaire.
l’expérience humaine, toute science qui tente aujourd’hui Repérer un risque de réductionnisme neuroscientifique
de les exclure est vouée à l’échec [14]. Par ailleurs, les n’implique pas de nier l’évidence d’un ancrage biolo-
neuroscientifiques sont en constantes discussions sur la gique des phénomènes cognitifs, et plus généralement des
nature des relations entre le cerveau et le comportement, les états psychologiques et des actes qui les accompagnent.
analyses en réseau s’appuyant sur l’imagerie fonctionnelle Désormais rendue possible par les techniques d’imagerie
s’avérant amplement plus proches de la réalité neurophy- cérébrale (IRMf notamment) et d’électrophysiologie, cette
siologique qu’un localisationnisme terme à terme entre étude n’est évidemment pas problématique. Le problème
structure et fonction. Il en est de même des généticiens à concerne le passage, plus ou moins subtil, de l’ancrage
propos des relations entre les gènes et le cerveau, et plus à la cause, autrement dit de la localisation d’une région
encore entre les gènes et le comportement. Dans toutes cérébrale ou de réseaux impliqués dans une activité

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Point de vue
ou une manifestation comportementale à une explica- enseignants, à tous les niveaux des études, demeure para-
tion strictement matérielle (biologique), supposée ultime et doxalement marginal dans leur formation. La question d’un
généralisable à d’autres activités ou comportements du sujet socle commun des connaissances issues des sciences cog-
dans sa vie ordinaire. nitives pour tous les enseignants et cadres de l’éducation
nationale demeure un défi que l’on ne peut plus ignorer,
en particulier à la lumière de la place de la France dans
Un défi en matière de santé les classements scolaires internationaux (PISA, etc.). Il faut
donc non seulement renforcer les moyens de la recherche
Cette approche plus intégrée du vivant est par ailleurs en sciences cognitives, en interaction avec le milieu édu-
indispensable dans le domaine de la santé. Ainsi, des tra- catif, mais aussi organiser les conditions d’une intégration
vaux montrent le rôle de facteurs tels que l’isolement social, des résultats de cette recherche à la formation initiale et
en particulier la manière dont l’individu perçoit cet isole- continue des enseignants.
ment, dans les réactions métaboliques et l’expression de En dehors des difficultés inhérentes à toute évolution
certaines pathologies comme le diabète de type 2 [1, 5]. d’un système d’enseignement et de formation à l’échelle
Ignoré encore hier, ce type d’influence psychosociale per- de l’éducation nationale, le défi à relever est en réalité
met d’enrichir le répertoire des connaissances et stratégies double. La formation des enseignants doit intégrer les acquis
à disposition de la médecine, et progressivement de la des sciences cognitives, et des éléments de compréhen-
médecine dite « 4 P » pour prédictive, préventive, person- sion de la démarche expérimentale qui les fondent. Il reste
nalisée, participative, tout en réduisant les coûts. Il en va que ces acquis réclament, pour leur application efficace en
de même pour beaucoup d’autres pathologies allant de milieu scolaire, une connaissance des influences attachées
certains troubles cardiovasculaires à la dépression sévère. à cette cellule de base du système éducatif qu’est la classe.
C’est aussi le cas des organisations défensives délirantes ou Les élèves n’apprennent pas seuls mais le plus souvent en
paranoïaques en réaction à des stress socio-évaluatifs chro- groupe. Ils sont soumis à des influences sociales et culturel-
niques survenant dans l’environnement professionnel et/ou les multiples qui ne s’arrêtent pas à l’entrée de la salle de
en dehors, en raison par exemple de stigmatisations fon- classe et qui ne s’estomperont pas davantage avec la transi-
dées sur un handicap, une maladie, ou plus généralement tion numérique. Or les apprentissages scolaires dépendent
l’appartenance à une catégorie ou un groupe social donné. de toutes ces influences [10].
Les conséquences de ce stress sont aujourd’hui mieux Force est de constater que les sciences cognitives, sans
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connues : notamment l’altération des fonctions exécutives nier cette réalité psychosociale, ne l’ont pas non plus véri-
et la détérioration des réseaux dendritiques du cortex pré- tablement intégrée dans leurs travaux, ni a fortiori dans
frontal qui en constituent le support. leurs modèles et recommandations pratiques. Or, les argu-
La formation des spécialistes de santé demeure insuffi- ments scientifiques en faveur d’une telle intégration sont
sante dans ces domaines. Il en résulte des prises en charge aujourd’hui nombreux, sans même évoquer le courant
encore souvent insuffisantes, sinon totalement inadaptées. émergent de la génomique sociale (cf. supra). Ils nous
Il est important de disposer d’un modèle intégré de la apprennent que les performances scolaires dépendent, non
prise en charge thérapeutique dans lequel la dimension seulement des capacités cognitives et des bases de connais-
psychosociale prend toute sa place en raison précisément sances en tant que telles, mais aussi du rapport que le sujet
de son importance sur le fonctionnement neurocognitif. entretient, en fonction de ses caractéristiques et expériences
Sans entrer dans les polémiques, certaines décisions prises sociales, avec à la fois les objets à traiter et les contextes
au cours du premier confinement lors de la pandémie de traitement eux-mêmes [10]. D’où cette distinction abso-
liée au Covid-19 ont bien montré que les connaissan- lument nécessaire, mais encore souvent ignorée, entre la
ces des sciences sociales et l’importance de la relation à performance et la compétence : cette dernière, en effet, peut
l’autre n’étaient pas maitrisées par nombre de biologistes, y ne pas s’exprimer faute d’un contexte favorable. D’où aussi
compris au plus haut niveau. l’intérêt de ne pas réduire l’élève à ses productions, dont
les faiblesses mêmes durables tiennent parfois moins à des
déficits ou incompétences supposées qu’à des éléments de
Des défis en matière d’éducation contexte, ne serait-ce qu’à l’échelle de la classe qui est aussi
l’échelle la plus propice à des interventions efficaces. Il est
La psychologie expérimentale et les neurosciences plus difficile sinon impossible pour les enseignants d’agir
cognitives livrent depuis des dizaines d’années des connais- à l’échelle du contexte familial de leurs élèves, a fortiori à
sances solides sur l’apprentissage de la lecture, de l’écriture l’échelle de la société tout entière.
et du calcul, sur leurs substrats neuronaux, leurs déve- Le problème est que les processus psychosociaux et
loppements et troubles éventuels, sur les stratégies de interventions les plus favorables aux apprentissages à
remédiations afférentes, et plus généralement sur les l’échelle de la classe demeurent un point aveugle à la
grandes activités et fonctions cognitives impliquées dans fois des sciences et neurosciences cognitives et de la for-
la vie ordinaire comme à l’école [15, 16]. Il reste que le mation des enseignants. Ceci s’explique notamment par
savoir accumulé dans ce secteur essentiel pour tous les la tradition non expérimentale des sciences dites « de

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Point de vue
l’éducation » (au moins en France) développées et ensei- (addictions notamment) liés à la révolution numérique
gnées dans les Instituts nationaux supérieurs du professorat (e.g., réseaux sociaux mais aussi réalité virtuelle, immer-
et de l’éducation (INSPE). La création récente d’un Conseil sive et augmentée, agents conversationnels personnalisés,
scientifique de l’éducation nationale a précisément pour interactions humains/robots humanoïdes, intelligence arti-
objectif de signaler les acquis des sciences cognitives en ficielle) introduit de nouveaux défis qui, plus que jamais,
matière d’éducation, d’en expliciter les fondements scien- réclament une montée en puissance des recherches
tifiques (et les démarches expérimentales sous-jacentes) et à l’interface des sciences biologiques et des sciences
d’en favoriser les applications sur le terrain, avec une atten- humaines et sociales. Au niveau national, les projets de type
tion accrue à la question des influences des contextes et Efran (https://www.gouvernement.fr/efran-les-22-laureats),
de leurs conséquences dans le déroulement des processus impulsés au titre des investissements d’avenir, permettent
d’apprentissage. L’école représente un terrain de recherche d’aborder ces défis en référence à l’éducation (en tes-
essentiel en raison de son positionnement à mi-chemin tant expérimentalement et à grande échelle l’efficacité de
entre fondamental et appliqué. En d’autres termes, s’il est un certains usages du numérique éducatif). Cet effort doit
champ particulièrement favorable à une approche intégrée, être poursuivi et élargi à d’autres domaines que ceux de
c’est bien celui de l’école. l’éducation.
Enfin, il faut prêter une attention soutenue aux
équipements et plateformes permettant une recherche véri-
Le numérique dans la société : tablement multidisciplinaire ; il est nécessaire de les ouvrir
ce n’est qu’un début ! davantage et d’aller au-delà du modèle classique de la
mutualisation mono-disciplinaire. À l’heure de la transi-
L’irruption du numérique dans la société a changé les tion numérique, il faut doter ces plateformes d’équipements
modes de relations entre individus, les réseaux sociaux numériques de pointe (e.g., réalité virtuelle, immersive et
« en face à face » étant doublés par des réseaux sociaux augmentée), ou permettant l’enregistrement de l’activité
virtuels. Dans un contexte caractérisé par la montée en cérébrale en situation d’interaction sociale, dans le contexte
puissance de nouveaux sectarismes, l’irruption du numé- du laboratoire mais aussi en site naturel.
rique représente un véritable défi. Affranchis des contraintes
spatio-temporelles, les sectarismes se propagent beaucoup Remerciements
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plus vite que dans le passé, d’où la nécessité de progresser
dans notre compréhension des dynamiques d’influence au Cet article est inspiré d’un chapitre publié dans l’ouvrage
sein des réseaux sociaux [17]. Le cerveau en lumières, sous la direction de Etienne Hirsch
La compréhension des rapports sociaux et de leur et de Bernard Poulain (Paris, Odile Jacob, 2019), sous le
impact sur l’individu et la société ne concerne plus titre « Neurobiologie des interactions sociales », p. 217-26.
seulement les rapports à l’ancienne, mais également Nous remercions Mickaël Laisney pour sa relecture atten-
les rapports sociaux par le truchement d’une interface tive du manuscrit.
numérique avec ce que cela suppose d’altération des
perceptions de comportement et de compression de dyna- Liens d’intérêt
miques spatio-temporelles. La maîtrise des technologies et
des phénomènes comportementaux et neurophysiologiques Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.

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NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
Journal Identification = NRP Article Identification = 0604 Date: December 11, 2020 Time: 2:39 pm

Point de vue
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Article de synthèse
Rev Neuropsychol

2020 ; 12 (4) : 335-40 Développement du comportement


prosocial et de l’altruisme chez l’enfant
The development of prosocial behavior
and altruism in children

Résumé Le comportement prosocial se développe dans la petite


Lucie Rose1,2 , Klara Kovarski1,2 ,
enfance et s’enracine dans les normes morales et sociales à
Florent Caetta1,2 , Sylvie Chokron1,2
mesure que l’enfant avance en âge. Plus tard, les comportements d’aide sont perçus et pro-
1
Institut de neuropsychologie, neurovision duits de manière plus complexe en fonction de conventions morales et du milieu dans lequel
et neurocognition, Fondation
ophtalmologique A. de Rothschild, l’enfant évolue. En effet, observer les autres accomplir ou non des actions prosociales peut
3, rue André Dubois, 75019 Paris, France plus ou moins conduire à un comportement altruiste. Nous présentons brièvement les grandes
2
Integrative Neuroscience and Cognition étapes du développement de la prosocialité et de l’altruisme chez l’enfant avant de discuter
Center (CNRS – UMR 8002)
& Université de Paris, France des programmes scolaires d’éducation et sensibilisation aux comportements prosociaux et
<sylvie.chokron@gmail.com> de leurs effets relationnels mais également cognitifs.
Mots clés : altruisme · prosocialité · empathie · développement · enfant · éducation
Pour citer cet article : Rose L, Kovarski K,
Caetta F, Chokron S. Développement du
comportement prosocial et de l’altruisme Abstract Prosocial behavior develops in early childhood and takes
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chez l’enfant. Rev Neuropsychol 2020 ;
12 (4) : 335-40 doi:10.1684/nrp.2020.0600
root in moral and social norms as children grow older.
Later on in their development, children perceive and initiate helping behaviors in a more
complex manner according to moral conventions and their environment. Watching others
perform prosocial actions can lead them to adopt more altruistic behavior. We present the
major stages in the development of prosocial behavior and altruism in children, before
moving on to discuss school programs for teaching them about prosocial behaviors and
their effect on interpersonal interactions as well as on cognition.

Keywords: altruism · prosocial behavior · empathy, development · child · education

Introduction et l’altruisme, dans des domaines aussi divers que les


neurosciences, la psychologie, la médecine ou encore
Les humains sont-ils naturellement aidants envers leur l’économie et la sociologie.
prochain ou sont-ils naturellement égoïstes, et l’éducation Contrairement à une vision économique traditionnelle
permet-elle de modifier la prédisposition initiale ? Cette qui considérerait que l’être humain est fondamentale-
question illustre un débat vieux comme le monde auquel ment motivé par son intérêt personnel [1], on constate au
des travaux récents en psychologie cognitive et en neuros- contraire, dans toutes les cultures et dans tous les milieux
ciences pourraient venir suggérer des réponses. En effet, socio-culturels, un engagement notable d’un grand nombre
malgré l’intérêt capital que représente cette question, il a de personnes dans les actes coopératifs, de solidarité, de
fallu attendre ces dernières années pour que des études charité, voire de partage de son propre corps, au tra-
doi: 10.1684/nrp.2020.0600

expérimentales abordent les origines de l’altruisme en vers du don de sang ou même d’un organe, actions qui
s’intéressant plus particulièrement aux mécanismes psycho- représentent un coût personnel parfois important pour la
logiques qui les sous-tendent. Depuis une dizaine d’années, personne qui donne au bénéfice d’autrui [1]. Mais que sait-
on assiste ainsi à une explosion de recherches sur l’empathie on du développement de l’altruisme chez l’enfant ? Nait-on
naturellement généreux et empathique ou apprend-on à
devenir bon ?
Correspondance : De la petite enfance avec les premières ébauches de par-
S. Chokron tage et jusqu’à l’âge adulte, la hiérarchisation de ses propres

REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
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Journal Identification = NRP Article Identification = 0600 Date: December 10, 2020 Time: 3:1 pm

Article de synthèse
besoins et envies par rapport à ceux d’autrui influence les des jeunes enfants à venir en aide à ceux qui expriment un
décisions et régit les actions des individus. Alors que le désarroi ou des signes de détresse [6, 9, 10]. Les recherches
comportement prosocial se met en place dès les premières récentes en psychologie du développement laissent en effet
années de vie, il prend un tournant plus ancré dans le penser que le bébé est capable dès les premières semaines
groupe d’appartenance à l’entrée à l’école primaire, période de vie d’éprouver de l’empathie et de s’identifier à autrui
qui voit naître des comportements altruistes avec un béné- tout comme de reconnaître que ses propres sentiments sont
fice pour autrui mais sans attente en premier lieu d’une partagés par d’autres [11]. Certaines recherches ont ainsi
récompense personnelle. Dans cet article nous décrivons montré que les nouveau-nés pouvaient percevoir et imiter
certaines des premières étapes du développement de ces les expressions faciales y compris émotionnelles [12, 13].
comportements jusqu’au rôle éventuel d’un programme Ces capacités de perception et d’imitation des mimiques
visant à encourager et augmenter le comportement altruiste faciales très précoces pourraient bien constituer la base
chez l’enfant. des capacités d’empathie et de la relation profonde entre
le bébé et son environnement extérieur. Comme le sou-
lignent Repacholi et Gopnik [11], dans la mesure où les
Le développement de l’empathie et des nouveau-nés n’ont pas encore fait l’expérience d’une per-
ception de leur propre visage, ces capacités d’imitation des
comportements prosociaux chez l’enfant expressions faciales laissent penser qu’ils sont capables très
précocement de mettre en relation la perception visuelle
Que l’enfant soit égoïste par nature semble anti-intuitif. du visage d’autrui et la production d’expressions faciales et
Bien au contraire, les enfants, même très jeunes, s’engagent émotionnelles.
dans des comportements prosociaux et ceci même si ces D’un point de vue développemental, Hoffman [14]
actions présentent un coût pour eux-mêmes [2]. D’après a décrit le processus de maturation de l’empathie chez
Paulus et al. [3], les mécanismes qui sous-tendent le l’enfant dès l’âge de 1 mois en suggérant l’existence de
comportement prosocial pourraient être propres à l’enfant plusieurs phases. Au cours de la première année de vie,
et différer ainsi de ceux qui seront observés plus tard chez l’enfant ferait l’expérience d’une empathie dite globale, se
l’adulte, d’où l’intérêt de s’interroger sur le caractère spéci- caractérisant par la distinction fragile entre soi et autrui,
fique de ce type de comportement chez l’enfant ainsi que conduisant l’enfant à confondre ses propres émotions et
sur les processus qui permettent son développement. celles d’autrui. Cette confusion est sans doute renforcée
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Le concept d’empathie est actuellement très utilisé, tant par cette tendance à l’imitation spontanée et non contrô-
dans le domaine scientifique que dans le langage courant. lée des émotions de l’adulte par le bébé évoquée plus haut.
L’empathie est une composante essentielle, fondamentale Au cours de la seconde année, l’enfant ferait preuve d’une
des compétences sociales, considérée comme la capacité à empathie dite égocentrique, se caractérisant par la capacité
se mettre à la place de l’autre1 et éprouver ainsi les émotions de concevoir la détresse de l’autre comme distincte de la
ou les pensées de cette personne [4, 5]. D’après Eisenberg et sienne, néanmoins, il continuerait d’être dans une confu-
al. [6], l’empathie doit être comprise comme une réponse sion des états entre l’autre et soi-même. À cet âge, il se
affective qui découle de la perception ou de la compré- pourrait que l’enfant pense encore que ce qui le conso-
hension de l’état émotionnel d’autrui. Il existerait ainsi une lerait pourrait également consoler l’autre, même si c’est
correspondance entre cette réponse et ce que la personne un adulte, en offrant ses jouets préférés, son doudou ou
observée éprouve. On considère ainsi le plus souvent que sa tétine à l’adulte. De 2 à 6 ans apparaîtrait l’empathie
les capacités d’empathie supposent la capacité à compren- à l’égard des émotions d’autrui, avec l’émergence de la
dre et à éprouver les émotions qu’une autre personne capacité à tenir compte des préoccupations et du point
ressent. Mais on oublie souvent qu’en amont de la compré- de vue d’autrui (par exemple, théorie de l’esprit, à 4 ans
hension de l’émotion, il est nécessaire de percevoir celle-ci. environ), et de la différenciation des ressentis. À cet âge,
L’empathie nécessite donc en premier lieu de percevoir l’enfant pourrait commencer à comprendre que les besoins
les émotions d’autrui, le plus souvent visuellement, avant de l’autre peuvent ainsi différer des siens. Enfin, vers 6 ans,
de pouvoir les interpréter, les comprendre et les éprouver. l’enfant pourrait accéder au concept général d’empathie, en
Ceci explique sans doute pourquoi de nombreuses études de nombreux points similaires à l’empathie déployée par les
récentes pointent l’association fréquente entre troubles de adultes [15]. À cet âge, il pourra prendre conscience que
la fonction visuelle et trouble de l’interaction sociale [7, 8]. les besoins de l’autre diffèrent des siens à travers la prise
Ces dernières décennies, des recherches de plus en de perspective et reconnaître ainsi à l’autre sa spécificité,
plus nombreuses se sont intéressées aux origines ontogé- son identité et donc ses différences, que ce soit au niveau
nétiques de l’empathie, c’est-à-dire à la tendance naturelle de la nature de ses émotions, de ses réactions ou encore en
termes de ce qui pourrait l’aider.
1 Cette définition correspond également pour certains auteurs à celle
En plus d’éprouver de l’empathie, l’enfant jeune peut
de la théorie de l’esprit affective qui peut être vue comme l’ensemble également produire un comportement d’aide en réaction
de processus qui nous permettent de nous représenter les états affectifs, à un souci ou à une difficulté qu’il perçoit chez l’adulte
les émotions ou le ressenti d’autrui [5]. [2]. Même si l’empathie et le comportement d’aide sont

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NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
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Article de synthèse
deux processus qui semblent distincts, il semblerait qu’ils laquelle ils sont engagés eux-mêmes à cet instant. Ainsi,
soient positivement corrélés, les réponses empathiques certaines études ont pu montrer que même si l’enfant est
et la sympathie étant associées de manière générale au engagé dans un jeu ou s’il doit surmonter des obstacles
comportement prosocial, c’est-à-dire à un comportement pour aider l’autre, il va tout de même tenter d’aider autrui
volontaire visant à bénéficier à autrui [16, 17]. Ceci est [22, 24]. L’émergence précoce et spontanée de ce compor-
d’autant plus important que le comportement prosocial est tement d’aide chez le jeune enfant suggère qu’aider autrui
crucial pour initier et entretenir des relations de bonne qua- à atteindre son but semble venir naturellement aux enfants,
lité avec son environnement. sans besoin d’une transmission culturelle ou d’un appren-
tissage explicite.
On peut toutefois se demander si ce comportement
d’aide est favorisé et/ou encouragé par le comportement de
Le développement du comportement récompense de l’entourage. Néanmoins, dans une étude
d’aide chez l’enfant réalisée auprès de jeunes enfants et de chimpanzés, les
auteurs montrent que la promesse d’une récompense maté-
Le comportement d’aide se développe rapidement et rielle (la personne tient une récompense dans sa main et
naturellement chez l’enfant jeune au cours des premières la donne à l’enfant ou au chimpanzé dès qu’il l’a aidée)
années. En effet, plusieurs études ont mis en évidence n’augmente pas la tendance à aider chez les enfants et les
la préférence pour un comportement d’aide chez l’enfant animaux [25]. De plus, une étude portant sur des enfants
avant 2 ans. Ainsi, les travaux pionniers de Premack et Pre- de 20 mois montre que proposer une aide matérielle peut
mack [18] ont montré que dès l’âge de 1 an, les enfants même avoir l’effet inverse et diminuer le niveau d’aide
sont en mesure d’attribuer des buts aux personnages qui proposé par l’enfant [24], de la même manière que chez
s’entraident ou au contraire qui se gênent entre eux. Plus l’adulte (voir pour revue [25] sur le don du sang) comme si la
récemment, Hamlin et al. [19] ont pu montrer que les proposition d’une récompense venait empêcher le compor-
enfants de 3 mois étaient même capables de réagir de tement naturel d’aide de l’enfant. Aider les autres est donc
manière spécifique au comportement d’entraide entre per- une compétence présente dès le plus jeune âge qui ne
sonnages, en regardant plus longtemps un personnage qui semble pas systématiquement liée à la notion d’une récom-
a un comportement considéré comme « antisocial » que pense, mais en est-il de même du fait de partager ce que
le personnage qui aide, c’est-à-dire qui semble avoir un l’on a, c’est-à-dire des ressources qui ont de la valeur à nos
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comportement « prosocial ». À 6 mois, lorsque les habiletés yeux, avec les autres ?
manuelles se sont développées, les enfants vont systémati-
quement essayer de saisir des agents « prosociaux » s’ils ont
le choix entre un personnage qui aide et l’autre qui entrave
l’action [20]. Le développement du comportement
Dès 18 mois, ces comportements semblent être influen- altruiste chez l’enfant
cés par le contexte social dans lequel se développe
l’interaction. À cet âge, il semble en effet que les enfants Il semblerait que les enfants soient enclins à partager
commencent à accéder à la notion de jugement social, de de la nourriture ou des objets auxquels ils tiennent avec
récompense et de punition et préfèrent les agents qui se les autres [26, 27]. Cette tendance à l’aide chez les jeunes
comportent de manière positive avec les agents ayant un enfants pourrait bien être le signe d’une étape cruciale sur le
comportement prosocial, et de manière négative avec les plan de l’évolution spécifique à l’humain, à savoir : passer
agents ayant un comportement antisocial [21]. Il se pourrait d’une attitude personnelle, centrée sur soi, à une attitude où
que la préférence des tout-petits ne soit pas conditionnée l’intervention altruiste prend toute sa place, dans la mesure
par le comportement des agents (pro- ou antisociaux) mais où les individus vont coopérer, s’entraider et partager leurs
plutôt par l’observation des actions en elles-mêmes (posi- ressources pour être plus efficaces en groupe [28].
tives ou négatives). Il n’en reste pas moins que les enfants L’altruisme peut s’entendre comme un état motivation-
de moins de 2 ans sont tout à fait disposés à apporter leur nel avec pour unique objectif final le bien-être d’autrui
aide dans une situation où il leur semble qu’une autre per- et non une récompense personnelle [29]. Alors que des
sonne est en difficulté. Si un adulte fait tomber un objet recherches avaient déjà montré que les enfants de 2 ans
accidentellement sur le sol et essaie de l’attraper devant un font spontanément preuve d’un comportement d’aide avec
enfant même très jeune, âgé seulement de 14 à 18 mois, ou sans demande sociale explicite [24], plus récemment,
la plupart du temps, celui-ci le ramassera pour l’adulte et Aknin et al. [30] ont montré que des enfants de moins de
le lui tendra, naturellement, sans qu’on ait eu besoin de 2 ans pouvaient éprouver plus de joie en offrant une récom-
lui demander [2, 22, 23]. Les jeunes enfants montrent ce pense à autrui plutôt que d’en recevoir une eux-mêmes.
comportement d’aide en l’absence totale d’encouragement, Bien qu’on puisse imaginer qu’à l’âge de 2 ans, la socia-
ou de demande, quelle que soit la situation d’aide à laquelle lisation peut déjà avoir poussé les enfants à privilégier les
ils sont confrontés (comme ouvrir une porte car un adulte comportements prosociaux, l’ensemble de ces recherches
a les mains occupées) et quelle que soit l’activité dans laisse tout de même penser que les êtres humains ont évo-

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lué de manière à considérer les comportements prosociaux
comme valorisants. Plusieurs recherches tendent même à
Éduquer les comportements
montrer que moins les enfants sont récompensés matériel- prosociaux chez l’enfant
lement de leur comportement prosocial plus ils valorisent
ce comportement [24]. Enfin, tant pour les enfants que À l’interaction adulte-enfant, fondamentale et représen-
pour les adultes, un comportement prosocial semble être tant une part importante des relations sociales du jeune
d’autant plus apprécié qu’il est spontané et n’obéit pas à enfant, s’ajoutent les relations nouées en milieu scolaire
une demande où à une contrainte, ce qui a des consé- à partir de l’entrée à l’école dès 3 ou 4 ans. L’enfant
quences importantes en termes d’éducation [31, 32]. Le s’intègrera alors dans une dynamique de groupe et la créa-
bénéfice moral, c’est-à-dire les émotions positives décou- tion de liens avec d’autres enfants de son âge. L’empathie
lant du don et du bien-être qu’il procure pourraient être ce et la régulation émotionnelle, parmi les fondements du
qui encourage les individus à s’engager dans un comporte- comportement prosocial [6], vont venir jouer un rôle pri-
ment prosocial, même (et peut-être surtout) s’il est coûteux. mordial. Le contrôle de ses propres états émotionnels et la
capacité à comprendre les émotions et intentions d’autrui
(par exemple, théorie de l’esprit) sont indispensables pour
atteindre un équilibre émotionnel permettant à l’enfant de
naviguer sereinement dans l’environnement scolaire et le
Attitudes parentales et développement groupe social qu’est la classe. Avoir la faculté de mobiliser
du comportement prosocial ses aptitudes émotives, cognitives et sociales pour rester à
l’écoute d’autrui est un mécanisme crucial pour un déve-
Parmi les nombreux facteurs pouvant influencer le déve- loppement harmonieux de la prosocialité dans l’enfance.
loppement du comportement prosocial chez l’enfant, les L’école, terrain de ces interactions groupales, est donc
pratiques éducatives des parents et de l’entourage proche un lieu privilégié où l’on peut tenter d’encourager et de
et la qualité des relations adulte-enfant semblent aussi être renforcer le développement du comportement prosocial.
déterminantes. Selon Eisenberg et al. [31], le comporte- L’acceptation et l’intégration de la notion d’égalité, c’est-
ment des parents et en particulier le mode d’éducation à-dire que « mon camarade de classe est mon égal », ainsi
que reçoivent les enfants ont une très grande influence sur que la préoccupation pour le bien-être d’autrui seraient éga-
le développement de l’empathie, particulièrement durant lement des valeurs pilier du comportement prosocial chez
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la petite enfance. Plusieurs études ont d’ailleurs retrouvé l’enfant et l’adolescent [35]. Cette notion d’égalité est très
une corrélation positive et significative entre le niveau souvent ancrée dans les valeurs de l’écosystème scolaire,
d’empathie des enfants et celui de leurs parents ou perçu renforçant son rôle de terrain optimal pour un apprentissage
chez leurs parents par les enfants eux-mêmes ainsi qu’un de l’attitude et du comportement d’entraide. Le sentiment
effet du sexe sur le niveau d’empathie. D’une part, les des élèves ne fait cependant pas toujours écho à ces idéaux.
filles percevraient et exprimeraient plus d’empathie que les Benson [36] rapporte ainsi que moins de la moitié des col-
garçons et d’autre part, il y aurait souvent une identifica- légiens et lycéens indique avoir des compétences sociales
tion de l’enfant au comportement empathique du parent adéquates, et moins de 30 % d’entre eux considèrent que
du même sexe témoignant du rôle éventuel des normes leur établissement scolaire est un lieu où règnent l’attention
culturelles mais aussi de l’apprentissage éducatif [33]. envers autrui et l’encouragement.
Par ailleurs, si le respect de certaines règles semble être L’école a une importance particulière dans le déve-
lié au développement du comportement empathique et pro- loppement du comportement prosocial compte tenu de
social, Hoffman [34] est d’avis qu’une approche éducative l’interdépendance chez l’enfant des aptitudes sociales,
fondée sur le raisonnement inductif, plutôt que sur l’autorité émotionnelles, et académiques. Il semble donc essentiel
et le pouvoir, favorise le développement de l’empathie et des d’intégrer l’apprentissage à la prosocialité non seulement
comportements prosociaux chez les enfants. À l’inverse de dans des programmes ciblés mais également dans le
l’imposition d’une règle arbitraire, le raisonnement induc- quotidien scolaire et l’atmosphère générale de la classe
tif permet à l’enfant d’analyser le bien-fondé d’une attitude [37]. Des résultats objectivables à la suite de la mise en
et de la généraliser. Cela permet à leur tour aux parents place d’activités à long terme incitant à l’entraide voire
d’enseigner à leur enfant la prise en compte du point de à l’altruisme en classe font encore défaut. De manière
vue d’autrui en portant intérêt non seulement à ses propres générale, peu d’études se sont penchées sur le fait de
besoins, mais aussi à ceux de l’autre personne. savoir s’il était effectivement possible d’apprendre à être
Alors que les premières étapes du développement de la altruiste ou à l’être davantage. Frydman et Ritucci [38] ont
prosocialité précèdent de plusieurs années l’âge scolaire, pourtant montré que de tels programmes, poursuivis ne
l’ensemble de ces recherches suggère que les programmes serait-ce que sur quelques semaines, pouvaient, en pra-
éducatifs pourraient jouer un rôle important, ce qui soulève tique, augmenter de manière significative la fréquence des
naturellement des questions. L’école peut-elle dévelop- interventions d’adolescents de 12 ans envers une victime
per les comportements prosociaux chez l’enfant ? Peut-on d’une chute par exemple. Si les recherches expérimen-
« apprendre » à être plus altruiste ? tales de ce type sont encore rares, d’un point de vue

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éducatif, on observe pourtant au niveau international une Ces interventions ont principalement pour objet l’école
multiplication de programmes scolaires visant à enseigner et les relations qui s’y tissent entre enfants : les mesures
l’empathie aux enfants mais les évaluations formelles de d’évaluation de ces programmes font souvent appel à une
leur efficacité sur le plan de la motivation à agir de manière évaluation par les contacts de l’enfant dans ce cadre uni-
empathique voire altruiste sont encore peu nombreuses quement. Si les enfants passent effectivement une grande
(voir pour revue [39]). Certains programmes ont cepen- partie de leur semaine à l’école, la question de la généralisa-
dant fait l’objet d’investigations plus poussées, comme les tion du comportement prosocial observé en milieu scolaire
programmes d’apprentissage social et émotionnel (Social en dehors de l’école se pose également. Les résultats de
and Emotional Learning, SEL). L’objectif de ce programme ces programmes doivent ainsi être nuancés à la lumière de
est d’encourager le développement des aptitudes cogni- l’hétérogénéité initiale du niveau de comportement proso-
tives, affectives et comportementales pour, à terme, favoriser cial et d’altruisme dans l’enfance mais aussi à la lumière des
un comportement prosocial. Ces programmes, implémen- différentes conditions de vie des enfants évoluant au sein
tés tant à l’école primaire qu’au collège ou au lycée, d’une même classe. Les situations exceptionnelles, qu’il
permettraient une augmentation des compétences socio- s’agisse de guerres, catastrophes naturelles, ou urgences
émotionnelles des enfants avec un impact également positif sanitaires, peuvent également faciliter ou inhiber l’attitude
sur le bien-être ainsi que sur les performances scolaires [voir et le comportement prosocial selon l’âge des enfants mais
pour revue [40]). En effet, chez l’enfant de 9 à 13 ans, la aussi selon leur proximité avec et leur vécu de la situation
mise en place d’un programme SEL semble améliorer le [45].
comportement prosocial tel qu’il est ressenti par les pairs et
par les enseignants des enfants [41]. Caprara, et al. [42] ont
également montré auprès d’une population d’adolescents Conclusions et perspectives
qu’une intervention mettant l’accent sur le développement Le développement du comportement prosocial et de
de la régulation émotionnelle, de la prise de perspective, l’altruisme chez l’être humain est un processus graduel et
de la communication interpersonnelle et enfin du dévelop- évolutif, faisant intervenir au cours de l’enfance diverses
pement de l’engagement citoyen sur un temps relativement composantes dans sa construction dont les capacités
court (4 mois) permettait d’augmenter le niveau d’entraide d’empathie ou encore les normes sociales et familiales de
entre les élèves et ressenti par les élèves eux-mêmes. Il l’environnement de l’individu. Au-delà du développement
semblerait donc que même si les bases de l’empathie et
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initial de ces capacités chez l’enfant, il apparaît que le
de la prosocialité se forment à un plus jeune âge, ce type comportement prosocial peut être encouragé par des pro-
d’attitude peut, par la suite, être encouragé chez l’enfant grammes ciblés dispensés le plus souvent en milieu scolaire,
ainsi que chez l’adolescent à travers une démarche proac- là où la notion de groupe se déploie.
tive en milieu scolaire. Une approche plus passive avec Afin de mieux comprendre comment l’altruisme émerge
moins d’implication directe peut également avoir un effet et se développe chez l’enfant, il serait crucial d’étudier
positif. En effet, l’observation passive de vidéos montrant l’influence de facteurs plus proprement cognitifs comme
des enfants engagés dans une démarche associative amé- l’attention, le fonctionnement exécutif, la théorie de l’esprit
liorerait l’attitude ainsi que le comportement altruiste chez ou encore les capacités narratives. Le rôle de la cogni-
l’enfant entre 9 et 13 ans [43]. tion dans l’encouragement au comportement prosocial et
L’encouragement et l’apprentissage du comportement altruiste, et la possibilité d’un effet retour de cet encoura-
prosocial peuvent également entraîner des effets bénéfiques gement sur les aptitudes cognitives, permettrait de mieux
sur un plan cognitif et ce possiblement à long terme. Bat- comprendre cet aspect du comportement si complexe et la
tistich, et al. [44] ont montré qu’un programme d’activités manière dont il se déploie en fonction des circonstances
d’entraide, de maintien d’une atmosphère de coopération extérieures.
dans la classe, et de prise de perspective d’autrui pendant
les années d’école primaire améliore les capacités de prise Liens d’intérêt
de décision sociale et favorise la considération des besoins
d’autrui par rapport à des enfants n’ayant pas suivi de pro- les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en
gramme. rapport avec cet article.

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340 REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE


NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
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Article de synthèse
Rev Neuropsychol

2020 ; 12 (4) : 341-50 Télé-neuropsychologie : nouvelles


technologies et outils évaluatifs
Teleneuropsychology: New technologies
and assessment tools

Résumé Débutée il y a 50 ans, la révolution « numérique » n’a cessé


Thomas Genoud-Prachex1 ,
de transformer notre quotidien et d’offrir de nouvelles pos-
Matthieu Paul Perrenoud1 ,
Andrea Brioschi-Guevara1 , sibilités et de nouveaux défis. Dans ce contexte, la « télé-neuropsychologie » évoque trois
Mélanie Bieler-Aeschlimann1 , dimensions particulières : 1) la digitalisation des outils d’évaluation existants, qui permet, via
Charlène Moser2 , Olivier Rouaud1 , l’usage des nouvelles technologies, d’effectuer une mesure plus précise des temps de réaction
Jean-François Démonet1 et de stocker et suivre à long terme les données cliniques ; 2) la téléconsultation, catalysée par
1
la pandémie actuelle, la réalisation des épreuves sans contact physique offre une possibilité
Centre Leenaards de la mémoire,
University Hospital of Lausanne (CHUV), de poursuivre un suivi malgré le confinement, même si elle soulève d’importantes questions
Rue du Mont-Paisible 16, techniques notamment concernant la normalisation des tests ; 3) l’auto-évaluation à grande
CH-1011 Lausanne, Suisse
<Jean-Francois.Demonet@chuv.ch> échelle, soit l’adaptation pour le grand public de nouveaux outils d’(auto-)évaluation, qui
2
Service de neuropsychologie permet ainsi de générer un volume considérable de données qui ouvrent des perspectives
et de neuroréhabilitation, intéressantes du point de vue de la compréhension des maladies mais posent d’importantes
University Hospital of Lausanne (CHUV),
Suisse questions de protection de la vie privée.
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Mots clés : téléconsultation, neuropsychologie, évaluation, nouvelles technologies
Pour citer cet article : Genoud-Prachex T,
Perrenoud MP, Brioschi-Guevara A, Bieler-
Aeschlimann M, Moser C, Rouaud O,
Abstract Over the last fifty years, the technological revolution
Démonet JF. Télé-neuropsychologie : nou- — also called the “digital revolution” —has been conti-
velles technologies et outils évaluatifs. nuously reshaping our daily lives and bringing about new opportunities and challenges.
Rev Neuropsychol 2020 ; 12 (4) : 341-50
doi:10.1684/nrp.2020.0602
This paper examines the practice of “teleneuropsychology” that has resulted from this
technological revolution, raising three specific points: 1) the digitization of existing assess-
ment tools enables neuropsychologists to more accurately record their patients’ behavior
and simplifies data storage; 2) teleconsultations have seen increased take-up due to the
current pandemic, enabling neuropsychologists to treat patients despite social distancing
measures. However, technical issues and a lack of test standardization may limit their
potential; and 3) large-scale self-assessment tools used by the general public can generate
a considerable amount of data and offer valuable insights into cognitive diseases, although
they also raise important privacy issues.

Key words: teleconsultation, neuropsychology, assessment, new technologies

Introduction amènera à introduire la problématique des auto-évaluations


à grande échelle.
Dans cet article, nous présentons différents liens à
doi: 10.1684/nrp.2020.0602

considérer entre les nouvelles technologies et la neuropsy-


chologie. Nous abordons d’abord la digitalisation des outils Digitalisation des outils évaluatifs
évaluatifs puis le développement de la consultation à dis-
tance. Nous présentons ensuite les outils existants, ce qui Avec le développement des nouvelles technologies,
les sciences et notamment la médecine ont réalisé de
nombreux progrès, transformant progressivement notre
Correspondance : quotidien et améliorant parfois notre qualité de vie.
J.-F. Démonet Dans ce cadre, la pratique neuropsychologique se trouve

REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
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Article de synthèse

Tableau 1. Liste non-exhaustive de batteries cognitives digitalisées disponibles en langue française.

Nom et Type Durée Support Passation Domaines Langues Accès


référence cognitifs

CANTAB Évaluation Dépendante du Ordinateur, Avec un Mémoire, 30 langues Payant


globale nombre de tests tablette assistant attention, FE, (dont le
choisi qualifié cognition français)
sociale
CANTAB mobile Détection 10 min Tablette Seul, sans Mémoire 20 langues Payant
assistant (dont le
français)
CANS-MCI Détection 30 min Ordinateur, Seul, sans Mémoire, Anglais, Payant
tablette assistant langage, FE français,
espagnol,
portugais

Q-Interactive Évaluation Dépendante de Tablette Avec un MEM-IV, Anglais, Payant


globale la batterie utilisée assistant WAIS-IV, français
qualifié WISC-V
MoCA Détection 20 min Tablette Avec un Mémoire, Toutes les Payant
assistant attention, FE langues
qualifié
i-MEC Montréal Détection 30 min Tablette Avec un Langage Français Payant
Toulouse assistant
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qualifié

FE : fonctions exécutives.

bouleversée par l’informatisation des tests [1]. Dès la fin global au lit du patient, comme la MoCA (Montreal Cogni-
des années 60, l’avènement des ordinateurs motive la tive Assessment), ou encore évaluer plus spécifiquement les
conception de logiciels plus sophistiqués afin d’assurer maladies neurodégénératives avec la TDAS (Touch Panel-
la gestion spatio-temporelle de stimuli et la récolte de type Dementia Assessment Scale) ou la CADi (Cognitive
données. À travers l’utilisation d’un clavier ou d’une souris, Assessment for Dementia iPad version). D’autres batteries
il devient alors possible d’obtenir des informations plus existent en langue française (tableau 1), mais leur nombre
précises et précieuses quant aux performances d’un patient reste encore restreint par rapport aux pays anglo-saxons.
(temps de réaction, vitesse de traitement, statistiques Parmi ces nouveaux outils, la batterie la plus connue et
sur l’ensemble des réponses), mais aussi de stocker et la plus souvent utilisée reste la CANTAB. Normée sur
comparer plus simplement ces données tout en limitant les près de 800 britanniques, elle s’avère particulièrement
erreurs de correction. Parmi les batteries informatisées les sensible pour détecter des troubles cognitifs spécifiques
plus connues, la « Test of Attentional Performance » (TAP) à certaines pathologies neurodégénératives, telles que la
est l’une des plus anciennement établies. maladie d’Alzheimer. Pour les autres outils, un article de
À noter qu’actuellement, de nouveaux outils plus Zygouris et Tsolaki (2015) propose une revue exhaustive des
mobiles et connectés (tels smartphones, tablettes tactiles différentes batteries et tests digitalisés les plus couramment
ou casques de réalité virtuelle) tendent à prendre le pas utilisés, en indiquant notamment leur temps de passation, le
sur les ordinateurs de bureau classiques et statiques. Leur type de matériel utilisé (ordinateur, tablette, web), le mode
prise en main est en effet plus rapide et génère moins d’administration (seul ou avec un technicien) et les fonc-
d’anxiété [2]. Ajoutés à cela, leurs formats les rendent plus tions cognitives visées [4].
facilement transportables et offrent au clinicien une plus Par ailleurs, les casques de réalité virtuelle ont été
grande flexibilité en concentrant plusieurs tâches sur un progressivement introduits dans la pratique neuropsycho-
même support. Dans ce cadre, les tablettes tactiles sont logique. Essentiellement utilisée dans le domaine de la
aujourd’hui plus fréquemment utilisées dans la pratique cli- recherche, la création d’environnements « quasi-réels » et
nique [3], pour effectuer par exemple un dépistage rapide et dynamiques offre la possibilité d’évaluer le patient dans des

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situations plus écologiques et proches de son quotidien [5]. Ce type de consultation à distance semble donc fournir
Ainsi, il devient possible d’évaluer des difficultés attention- une méthode relativement fiable et efficace pour éva-
nelles en faisant varier le niveau de distraction d’un environ- luer les patients. Mais qu’en est-il pour le domaine de la
nement [6] ou bien encore d’apprécier le fonctionnement neuropsychologie ?
exécutif d’un patient à travers la réalisation de commissions
[7] ou lors du suivi d’une recette de cuisine [8]. Télé-neuropsychologie
Finalement, notons l’apparition et l’utilisation de mul-
Spécificités
tiples objets connectés qui permettent eux aussi de
récolter des informations sur la physiologie et le comporte- Comparativement aux autres disciplines (para)-
ment. Dans cette optique, les nouvelles technologies dites médicales, il semble que la neuropsychologie n’en soit
« passives », telles que les montres connectées, les bra- qu’aux prémices d’un usage des nouvelles technologies
celets d’activités de fitness ou les biocapteurs, pourraient dans sa pratique.
fournir un nouveau mode d’observation des fonctions cog- En effet, l’emploi des innovations technologiques reste
nitives. Elles devraient notamment permettre au clinicien encore rare et plutôt dédié au domaine de la recherche,
d’observer des changements plus subtils (sommeil, acti- même si force est de constater que la neuropsychologie tend
vité physique, perte de poids, habitudes) pour estimer le progressivement à s’adapter et employer de plus en plus
risque d’un potentiel déclin cognitif. Dans ce sens, une d’outils innovants à son profit [18]. Plus largement dévelop-
étude récente menée par Saif et al. [9] illustre des liens pée dans les pays anglo-saxons, cette approche numérique,
significatifs entre les données de sommeil récoltées par et plus particulièrement « télé-neuropsychologique », reste
les biocapteurs auprès de plusieurs groupes (contrôle, per- relativement pauvre dans les pays francophones [19].
sonnes formulant des plaintes cognitives subjectives ou Toutefois, la pandémie de cette année a poussé les pro-
souffrant d’une démence) et les performances aux tests cog- fessionnels à faire évoluer les pratiques en développant
nitifs après 6 mois d’étude. ces consultations à distance. Dans ce contexte, la télé-
Les avancées numériques et la digitalisation des neuropsychologie a connu un regain d’intérêt et suscite
épreuves changent donc progressivement nos habitudes encore des interrogations quant à son efficacité.
dans la sphère évaluative. Ainsi, le développement et la
diversification des moyens de communication au cours des
dernières décennies devraient progressivement aider les cli- Conditions d’administration
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niciens à s’approcher de la « neuropsychologie 3.0 » décrite et normalisation des outils
par Bilder en 2011 [10]. Parmi les enjeux majeurs, l’American Psychological
Association souligne l’importance du maintien de l’intégrité
des tests neuropsychologiques [20]. En effet, ces tests
« classiques » ont été standardisés et normés dans des
Consultations à distance : conditions très particulières. Malgré une certaine souplesse,
la télémédecine les modifications quant aux procédures ou matériels utili-
sés ne doivent en aucun cas compromettre la sécurité du
L’autre changement capital des nouvelles technologies déroulement de ces épreuves. Dans ce cadre, la transmis-
est la capacité d’interagir à distance avec des patients et se sion directe au patient de matériels ou stimuli (protocoles,
libérer ainsi en partie des contraintes physiques. images) semble vivement déconseillée, la solution pouvant
Ces techniques permettent alors d’établir un premier être apportée par un partage d’écran permettant la présen-
contact ou suivre des personnes pouvant difficilement accé- tation de consignes et d’épreuves lorsque cela est possible.
der à une unité de soin pour des raisons économiques, Concernant les nouveaux outils, spécifiquement adap-
géographiques ou logistiques [11]. Dans ce cadre, il semble tés à un format numérique, Sabbagh et al. [21] insistent
que les services de télésanté mentale soient de plus en sur le fait qu’ils soient nécessairement validés dans ce
plus acceptés et montrent des résultats favorables. En effet, contexte. Les normes devront ainsi prendre en compte
il apparaît que les interventions psychothérapeutiques à les facteurs environnementaux propres aux passations à
distance produisent des résultats cliniques similaires aux domicile (matériel à disposition, vitesse de connexion, dis-
interactions face à face traditionnelles [12], en fournis- tractions environnementales) qui sont autant d’éléments
sant notamment des soins appropriés et personnalisés aux pouvant créer une incertitude quant à la précision des per-
besoins de chaque patient. Par ailleurs, la précision des formances cognitives. Dans ce sens, il est important que
diagnostics par télémédecine est également fiable par rap- ces outils soient adaptables à différents supports pour être
port à ceux prodigués en cabinet [13, 14], tandis que le suivi utilisés par le maximum de personnes et que les dévelop-
des patients ayant souffert d’un AVC s’avère tout autant effi- peurs fournissent une documentation détaillée concernant
cace et bénéfique par visioconférence [15, 16]. Publiée en leurs réglages (type de présentation, volume, luminosité,
mars 2020 par l’Académie américaine de neurologie (AAN), etc.) afin d’assurer une passation standardisée. Par ailleurs,
une revue de la littérature sur la télémédecine considère le il serait aussi important de signaler si le patient peut réali-
domaine cognitif particulièrement adapté à la pratique [17]. ser de manière autonome le test proposé ou si la présence

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d’une tierce personne est autorisée (proche, professionnel sés. Par ailleurs, il est également important que le clinicien
de santé). Pour finir, il paraît essentiel d’établir un guide veille à ce que les patients soient informés des moyens et
des bonnes pratiques de la télé-neuropsychologie au niveau limites de ce type d’évaluation en signant, si besoin, un
francophone, à l’image des modèles américains et cana- consentement.
diens, pour déterminer le choix des tests, des matériels et
des conditions de passations à domicile [19].
Les mêmes remarques s’appliquent à l’utilisation des Coûts
casques de réalité virtuelle, actuellement généralement Le coût des consultations à distance paraît également
développés pour la réhabilitation et restant encore très sou- être un critère important à prendre en compte. Effecti-
vent à des phases expérimentales [22]. Ici aussi, la majorité vement, la réalisation de ce type de consultation repose
des études se concentrent sur des échantillons restreints, principalement sur le fait que les patients aient à leur
ce qui limite considérablement la possibilité d’obtenir des disposition un équipement adéquat, tel qu’un ordina-
données normatives fiables [23]. teur, une tablette ou un smartphone afin d’entendre et
visualiser certaines épreuves. La possession de ce type
d’outils comprend forcément une composante onéreuse
Maîtrise des nouvelles technologies pouvant freiner ce type de pratique, surtout chez les moins
La question de la maîtrise technologique est également aisés.
un élément essentiel à prendre en compte. En effet, il a La question du remboursement de la téléconsultation
été observé qu’en plus de l’âge, les difficultés cognitives est également importante et s’avère propre à chaque pays.
inhérentes aux patients peuvent représenter une difficulté En France, la télémédecine a été définie dès 2010 avec
supplémentaire et limiter considérablement leur capacité à la décision d’établir un remboursement intégral dès le
naviguer dans une interface numérique complexe [24]. De 18 mars 2020 en raison de l’épidémie de coronavirus.
plus, certaines limitations physiques, telles que des troubles Concernant les téléconsultations psychologiques, celles-ci
visuels, auditifs ou moteurs pourraient également impacter ne sont toujours pas remboursées par la Sécurité sociale,
la manipulation de ces nouveaux outils. Dans ce cadre, il mais elles peuvent être prises en charge par certaines
est important de développer des tests nécessitant le moins mutuelles.
de savoir-faire technologique possible.
Par ailleurs, Sabbagh et al. [21] rappellent que les
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aspects purement technologiques peuvent s’avérer eux- Impacts et considérations émotionnelles
mêmes limitants. Ainsi, une faible connexion ou le cadrage Comme prévu par le code de Déontologie des psycho-
de la caméra, généralement centrée sur le visage du logues (2012, article 27), les professionnels de santé doivent
patient, peuvent entraîner des pertes d’informations impor- privilégier les contacts et thérapies en présentiel [19].
tantes (productions, comportement, expressions faciales/ Toutefois, certains auteurs estiment que l’annonce diag-
émotionnelles). nostique à distance pourrait être rassurante pour certains
patients, avec une réception officiée dans un endroit person-
nel et réconfortant, plutôt qu’au sein de bureaux aseptisés
Gestion des données personnelles et très impersonnels [23]. Néanmoins, la réalisation des
Dans un monde où les hommes et les machines se téléconsultations amène son lot d’interrogations quant à
côtoient de plus en plus, plusieurs questions éthiques se la composante émotionnelle, à la fois lors de la réalisa-
posent quant à l’introduction des nouvelles technologies tion des épreuves et lors des annonces de diagnostics. En
au cœur du système de santé. Lors des téléconsultations, effet, la passation de tests à distance peut entraîner un stress
le clinicien peut utiliser des épreuves standards « papier- plus important qu’en bureau, notamment face à l’utilisation
crayon » et récolter des données plus faciles à conserver d’outils parfois peu familiers [21]. Par ailleurs, la récep-
et protéger. Mais qu’en est-il lorsque le patient effec- tion d’un diagnostic pourrait impacter la thymie et accroître
tue seul des tests via des plateformes numériques et des le sentiment de solitude du patient lorsqu’il reçoit seul
applications ? cette information. Si ce dernier est affecté par sa situa-
À l’heure du « tout connecté », il paraît essentiel de pro- tion, sa maladie ou ses difficultés, le thérapeute n’aura alors
téger les données personnelles de nos patients afin d’éviter comme moyens de réconfort que le truchement de la parole
tout partage, publication ou utilisation à des fins commer- ou l’échange de regards, sans pouvoir les accompagner
ciales ou de recherches sans consentement. Dans le cadre de gestes témoignant de son empathie. La distance et le
d’une téléconsultation, les précautions liées au secret médi- manque de contact physique accentueraient alors le senti-
cal s’imposent de la même manière qu’un examen en face ment de stigmatisation et d‘isolement. Finalement, il paraît
à face. En plus, pour les données non couvertes par le secret essentiel de rappeler que, lors de l’usage de moyens télé-
médical, notons l’importance de l’entrée en vigueur en mai matiques, les psychologues doivent tout d’abord annoncer
2018 de la directive européenne portant sur la protection et expliquer au patient la nature et les conditions de ces
des données personnelles ou RGPD. Les données cognitives interventions, ainsi que les limites de ce type de pratique
recueillies et stockées doivent l’être via des logiciels sécuri- [19].

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État actuel et outils existants avec une variété de tests limitée et parfois l’absence de
données démographiques pertinentes, telles que le niveau
Après avoir présenté les différents enjeux liés à la pas-
d’éducation. En outre, une plus grande variabilité des scores
sation des tests à distance, nous proposons de faire le point
était tout de même observée lors de la réalisation d’épreuves
sur l’état actuel des outils classiquement utilisés en télécon-
dépendantes d’éléments « physiques », comme le MMSE ou
sultation neuropsychologique puis ceux en auto-évaluation
le test de l’horloge qui nécessite la transmission de feuilles
cognitive.
de passation et matériel spécifiques [31].
En synthèse, malgré plusieurs limites, la majorité des
études actuelles tendent à montrer que les consultations
Les outils « classiques » ou téléconsultation télé-neuropsychologiques fournissent des résultats promet-
neuropsychologique teurs quant à la faisabilité et fiabilité de plusieurs tests
Les évaluations neuropsychologiques effectuées dans le standards [33-35]. Bien que des études à grande échelle
bureau du clinicien reposent essentiellement sur des tests fassent défaut, l’utilisation d’outils de détection (MMSE,
« papier-crayon », validés dans des conditions de passa- MoCA) ou de certains tests neuropsychologiques plus fins
tion très particulières et standardisées. Décrite par Bilder (BNT, fluences, empan verbal, HVLT, etc.) semble tout de
[10, 25], cette « neuropsychologie 1.0 » représente encore même permettre de conserver une bonne sensibilité lors des
une part majeure des outils actuellement utilisés dans la passations à distance. Le tableau 2 propose des exemples
pratique clinique. Dans ce cadre, ces épreuves générale- de tests dont la validité en visioconférence fut démontrée à
ment standardisées en face à face peuvent-elles conserver travers les principaux domaines neuropsychologiques.
toutes leur sensibilité et leur spécificité lors d’une utilisation
en visioconférence ?
Dès la fin du XXe siècle, des auteurs ont tenté de Les nouveaux outils numériques
répondre à cette question. L’équipe de Montani [26] fut
parmi les premières à illustrer la bonne concordance entre
et l’auto-évaluation cognitive
les passations du Mini-Mental State Examination (MMSE)
Avec l’avènement d’internet et l’arrivée des technolo-
en face-à-face par rapport à celles effectuées en visioconfé-
gies digitales dans nos foyers, il est devenu facile d’accéder
rence. Ce résultat encourageant motiva alors la réalisation
à des questionnaires ou tests en ligne proposant d’évaluer
d’autres études qui confirmèrent ce postulat [27]. Parmi les
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rapidement son humeur, sa personnalité ou son quotient
batteries cognitives les plus fréquemment utilisées, la MoCA
intellectuel. Le développement progressif de ces outils
montre également des résultats positifs avec des scores
a des implications pour le domaine de la santé, en ce
totaux significativement proches dans les deux conditions
sens qu’il permet d’envisager la récolte à distance et à
[28]. Plus globalement, il s’avère que la visioconférence
grande échelle de paramètres physiologiques et cognitifs,
est un moyen valable pour administrer d’autres batteries
via l’auto-passation de tests. Avec ce nouveau mouvement,
de tests aussi brefs [29, 30]. Mais qu’en est-il des épreuves
les cliniciens passent progressivement d’outils de diagnostic
permettant des évaluations plus fines du fonctionnement
ou de détection classiques au bureau, à des outils pou-
cognitif ?
vant mener à un « dépistage numérique », directement au
Parmi toutes les études existantes, nous constatons
domicile des individus (tableau 3).
très souvent des modes d’administration différents lors
des passations dites « à distance », avec l’utilisation
d’équipements professionnels spécifiques ou encore la Avantages
présence d’assistants actifs lors de l’évaluation (conseils, Ces outils novateurs basés sur le « Big Data » et
mise en place des protocoles, réponses aux questions du contribuant à une « science collaborative » pourraient
patient). Afin de limiter ces potentiels biais, Brearly et son représenter une voie de progrès concernant l’évaluation du
équipe [31] ont effectué une méta-analyse excluant toutes fonctionnement cognitif. En effet, avec l’acquisition de don-
les études comprenant une aide active des assistants ou nées normatives plus importantes, les cliniciens disposeront
bien des matériels spécifiques d’administration. Dans ce bientôt de valeurs statistiques plus fiables pour détecter si
cadre, ils mirent en évidence des performances relative- un changement est significatif et évocateur d’un déclin, par
ment proches entre les deux conditions, avec des scores en rapport à des échantillons de taille plus restreinte. Compara-
visioconférence ne différant significativement pas de ceux tivement aux normes des épreuves papier-crayon, classant
observés en condition de face-à-face pour la majorité des généralement les participants dans des classes d’âge
tests, notamment en modalité verbale. Une autre revue sys- élargies, l’abondance des données récoltées via internet
tématique menée par Shigekawa et al. [32] va dans le même peut aussi améliorer la pertinence des normes, notamment
sens et constate que l’ensemble des interventions effectuées chez les plus âgés. Ainsi, les seniors pourraient être plus
à distance ne diffèrent pas significativement des interven- facilement comparés à des personnes du même âge, genre
tions en personne. et niveau socio-éducatif, plutôt qu’à travers des échantillons
Concernant les limitations, notons que la majorité de ces comprenant des personnes ayant 5 à 10 ans de moins.
études repose sur des échantillons relativement restreints, Ceci devrait ainsi permettre aux cliniciens d’améliorer

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Article de synthèse

Tableau 2. Liste indicative des tests neuropsychologiques classiques présentant une bonne fiabilité lors des passations en
visio-conférence.

Fonctions Épreuves Références


Fonctionnement MMSE Wadsworth, et al. 2016 ; Grosch, et al. 2015 ; Cullum,
cognitif global et al. 2014 ; Loh, et al. 2004 ; Loh, et al. 2006 ;
Montani, et al. 1997. 35, 27, 34
MoCA Chapman, et al. 2019 ; De Young, et al. 2019.
RBANS Galusha-Glasscock, et al. 2015.
ADAS-Cog Yoshida, et al. 2019.
NART Kirkwood, et al. 2000.
E-Sage Scharre, et al. 2017.
Langage Boston Naming Test – 15 items Cullum, et al. 2014 ; Cullum, Weiner, et al. 2006 ;
Wadsworth, et al. 2016. ; Weiner, et al. 2018.
Boston Naming Test – 60 items Barton, et al. 2011 ; Harrel, et al. 2014 ; Vesta, et al.
2006.
Fluences verbales – sémantique et Barton, et al. 2011 ; Cullum, et al. 2014 ; Cullum,
phonémique Weiner, et al: 2006; Harrell, et al. 2014 ; Parikh, et al.
2013 ; Wadsworth, 2016. ; Weiner, et al. 2018.
Vocabulaire WAIS-IV Hildebrand, et al. 2003.
Capacités Test de l’horloge Barton, et al. 2011 ; Cullum, et al. 2014 ; Parikh, et al.
visuo-spatiales et 2013. ; Weiner, et al. 2018.
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constructives
Fonctions exécutives Oral Trail Making Test Parikh el al. 2013 ; Wandsworth, 2016.
Trail Making Test Barton, et al. 2011 ; Harrell, et al. 2014.
Delis-Kaplan – Sous-test des proverbes Harell, et al. 2014
Mémoire Empan de chiffres Barton, et al. 2011 (WAIS-III) ; Cullum, et al. 2014 ;
Cullum, Weiner, et al: 2006 (Randolph, 1998) ;
Harrell, et al. 2014 (WAIS-IV) ; Parikh, et al. 2013 ;
Wadsworth, 2016. ; Weiner, et al. 2018.
Hopkins Verbal Learning Test - Revised Cullum, et al. 2014 ; Cullum, Weiner, et al: 2006 ;
Harrell, et al. 2014 ; Parikh, et al. 2013 ; Wadsworth,
2016, ; Weiner, et al. 2018.
Califormia Verbal Learning Test – Barton, et al. 2011; Harell, et al. 2014.
Seconde édition
Mémoire Logique 1 et 2 – Weschler Jacobsen, et al. 2003 ; Harrell, et al. 2014.
Memory Scale
Figure complexe de Rey-Osterrieth – Barton, et al. 2011
modified (copie, rappel et
reconnaissance)
Brief Visual Memory Test-Revised Harrell, et al. 2014.
MATTIS – sous-test mémoire Barton, et al. 2011

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Tableau 3. Liste non-exhaustive d’outils d’auto-évaluation mettant à profit les nouvelles technologies pour un dépistage numérique.

Nom et référence Type Durée Support Passation Domaines Normes Langue(s) Accès
Journal Identification = NRP

cognitifs

Sea Hero Quest (Coutrot, Détection 10 min Ordinateur, Seul, sans Navigation Âge : 19 ans et plus Anglais, Gratuit
et al. 2019) tablette, assistant spatiale NSC : non pris en allemand,
smartphone compte espagnol,
(Web) français

Cambridge Brain Science Détection 15-30 min Ordinateur, Seul, sans Mémoire, Âge : 18 ans et plus Anglais. Gratuit
(Sternin, et al. 2019) tablette (Web) assistant attention, NSC: 3 niveaux
raisonnement.
Article Identification = 0602

BrainScreen (Zakzanis, Détection 30 min Ordinateur Seul, sans Orientation, Âge : 10-84 ans Anglais Payant
et al. 2014) (Web) assistant mémoire, NSC : ≤ 12 ans/>
attention, cap. 12 ans
VS

BrainCheck Détection 15 min Ordinateur/ Seul, sans Mémoire, Âge : 50 ans et plus Anglais, Gratuit
(Eagleman, et al. 2019) tablette (Web) assistant attention, FE NSC : non pris en espagnol
compte

COGselftest (Dougherty, Détection 30 min Ordinateur Assistant à Orientation, Âge : 50 ans et plus Anglais Payant
Date: December 16, 2020

et al. 2010) (Web) disposition cap. VS, MDT,

REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
NSC : 15 ± 2.70
attention, FE

NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES


Brain Health Registery Détection 30 min Ordintateur, Seul, sans Mémoire, FE, Âge : 18 à 89 ans Anglais Gratuit
(Weiner, et al. 2018) tablette (Web) assitant attention NSC : ≤ 16 ans / >
16 ans
Time: 8:29 pm

NeuroCognitive Détection 20-30 min Ordinateur Seul, sans Mémoire VS, Âge : 13 à 89 ans Anglais Payant
Performance test (Web) assistant MDT, vitesse NSC :
(Morrisson, et al. 2015) de traitement, 0-12/13-16/17 et +
raisonnement,
FE, calcul,
attention

Cognitive Function Test Détection 15 min Ordinateur Seul, sans Mémoire, FE, Âge : 50 à 65 ans Anglais Gratuit
(Trustram, 2014) (Web) assistant vitesse de NSC : non pris en
traitement. compte.
Article de synthèse

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considérablement la qualité de leurs interprétations, tout données pour détecter les performances douteuses et limiter
en diminuant les risques de sur-diagnostics chez les sujets ce biais [1].
plus âgés. Par ailleurs, si de nouvelles études tendent à montrer que
En plus d’offrir l’accès à des données sociodémo- les batteries informatisées sont autant, voire plus efficaces,
graphiques intéressantes pour la normalisation des tests que les outils traditionnellement utilisés (MoCA, MMSE)
cognitifs, ces batteries présentent d’autres avantages. Elles pour détecter les troubles cognitifs [41], il paraît toutefois
donnent notamment au clinicien un premier aperçu rapide important de temporiser ces constatations compte tenu de
du fonctionnement cognitif, tout en permettant de compa- la taille des échantillons testés et du manque de réplica-
rer plus facilement les performances et l’évolution des tion de ces études. Enfin, il semble primordial de rappeler
patients grâce au stockage des données [11]. Parmi les outils que les machines sont encore loin de pouvoir remplacer le
développés, nous observons deux types de courants : soit savoir-faire et l’expertise des cliniciens, notamment sur le
l’adaptation numérique de tests déjà validés sous le for- plan de l’évaluation comportementale.
mat « papier-crayon » [36, 37], soit la création de nouvelles À terme, l’accessibilité au grand public de ces tests
épreuves adaptées aux outils et conditions d’une passation pourra poser la question du risque de surveillance géné-
à distance [38, 39]. Ces outils étant complexes à dévelop- ralisée des individus. La question devient pertinente dans le
per, une bonne collaboration entre ingénieurs et cliniciens contexte de pandémie où les bénéfices sanitaires escomp-
est importante pour intégrer et valoriser les connaissances tés nous font accepter l’utilisation de la technologie pour le
pratiques de ces derniers. Dans cette optique, Hugo Spiers traçage des individus.
et Michael Hornberger de l’université de Cambridge ont
élaboré en 2016, avec une équipe d’ingénieurs et de cher-
cheurs spécialisés dans les difficultés de navigation spatiale Conclusion
chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer, une
application pour mobile accessible via internet qui propose De nos jours, les nouvelles technologies se trouvent au
une tâche digitalisée sous la forme d’un « jeu sérieux » de cœur de nos sociétés et font partie intégrante de notre quo-
navigation spatiale [40]. L’objectif de « Sea Hero Quest » tidien. Dans ce sens, les tests cognitifs peuvent être vus
est d’une part de recueillir un grand nombre de données comme un cas particulier parmi les moyens permettant le
de toute personne intéressée à donner un peu de temps à recueil digitalisé d’indices du comportement et de la phy-
la science, et d’autre part d’établir des seuils permettant de siologie en général. Ces derniers vont de l’utilisation de
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détecter les premiers signes d’un déclin cognitif. Ce pro- l’ordinateur lors du bilan neuropsychologique, à des tech-
jet innovant devrait permettre d’offrir une application (pour nologies dites « passives », telles que les biocapteurs, ou
le moment) gratuite à un large public intéressé à évaluer encore la reproduction à distance d’une consultation médi-
l’intégrité de ses aptitudes de navigation spatiale. cale « standard ».
Poursuivant le même objectif, d’autres batteries profitent Comme le montrent de nombreuses publications, la
d’internet et de la prolifération des nouveaux outils tech- télé-neuropsychologie présente des résultats plutôt encou-
nologiques pour développer des évaluations cognitives en rageants quant à la réalisation de ce type de consultation.
ligne. Parmi elles, la Cambridge Brain Sciences (CBS) est Toutefois, il est important de relativiser ces premières
l’une des plus connue et utilisée actuellement [41, 42]. Nor- observations en rappelant les limitations méthodologiques
mée sur près de 75 000 personnes en bonne santé, dont près concernant la majorité des données à disposition. Dans ce
de 5000 personnes âgées de 65 ans et plus, elle dispose contexte, la réalisation de plus grandes études reste néces-
d’un panel intéressant permettant d’évaluer la population saire.
âgée. Validée à travers plusieurs études à grande échelle, Par ailleurs, l’essor de nouveaux outils « en ligne
elle permet aussi d’évaluer finement plusieurs domaines » devrait fournir aux cliniciens une nouvelle manière
cognitifs, tels que la mémoire, l’attention et le raisonne- d’administrer les évaluations cognitives de demain. Avec
ment. internet et la diversité des supports disponibles, les nou-
veaux outils technologiques deviennent accessibles à la
population générale en quelques clics pouvant conduire au
Limites développement d’instruments d’auto-évaluation à grande
En dépit de leurs nombreux avantages, les évaluations échelle pour obtenir un nombre de données suffisamment
cognitives en ligne présentent un certain nombre de limites, représentatives de la population générale. Profitant des
comme la qualité des données récoltées. En effet, ces der- avantages de cette science collaborative, ces « Big Data »
nières recueillies au domicile du participant peuvent être devraient améliorer notre capacité de détection des troubles
biaisées et parasitées par des distracteurs non-contrôlés cognitifs. Néanmoins, il convient d’être vigilant quant aux
(bruits, pauses, abandon des participants), ce qui limite risques de contrôle social généralisé, revers de cette avan-
considérablement la qualité et la validité des performances cée technologique, qui doit être au service de l’humanité et
obtenues. Même si ce risque devrait s’amoindrir avec la non l’inverse.
taille des échantillons, la majorité des études actuelles ne Bien que dramatique, la crise sanitaire liée à la Covid-19
comportent malheureusement pas un nombre suffisant de aura donc stimulé chez les cliniciens une réflexion sur leurs

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Article de synthèse
pratiques et les moyens à disposition pour éviter les risques tout en préservant l’humanisme de nos professions. La
de contamination. Dans ce contexte, de nombreuses études présence d’un professionnel soignant spécialisé lors de
s’avèrent en faveur de l’utilisation des nouvelles technolo- la passation, la restitution des résultats cognitifs et de
gies à distance, même auprès de la population plus âgée qui l’annonce du diagnostic nous paraît toujours indiquée,
n’est pas nécessairement hostile aux nouvelles technolo- voire indispensable.
gies. Il paraît ainsi important de ne pas négliger cette tranche
d’âge en prévoyant des outils adaptés à leurs spécificités
cliniques. Liens d’intérêt
En conclusion, le défi actuel réside dans le développe-
ment d’outils numériques permettant un sondage cognitif, les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en
voire une évaluation complète des fonctions cognitives, rapport avec cet article.

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NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
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Article de synthèse
Rev Neuropsychol

2020 ; 12 (4) : 351-7 Effet de menace du stéréotype :


historique, mécanismes, et
conséquences sur les performances
cognitives des personnes âgées
The stereotype threat effect: Historical
context, mechanisms, and impact on
cognitive performance in older adults
Résumé L’effet de menace du stéréotype se traduit par la baisse de
Kim Gauthier1 , Alexandrine Morand2 ,
performance d’un individu par crainte de confirmer un sté-
Marie Mazerolle3 , François Rigalleau4 ,
Francis Eustache2 , Béatrice réotype négatif ciblant les compétences de son groupe d’appartenance dans un domaine
Desgranges2 , Pascal Huguet5 , donné. Si les premiers travaux ont surtout étudié ce phénomène chez les minorités culturel-
Isabelle Régner1, les (notamment les Afro-Américains) dans le domaine de l’intelligence verbale et chez les
1
femmes en mathématiques, une attention croissante a ensuite été accordée aux personnes
Aix Marseille Univ, CNRS, LPC, Site
Saint-Charles, 3 place Victor-Hugo, Case D, âgées dans le domaine mnésique. Nos sociétés contemporaines véhiculent en effet des per-
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13331 Marseille cedex 3, France ceptions et des croyances plutôt négatives vis-à-vis du vieillissement. Ces stéréotypes négatifs
<kim.gauthier@univ-amu.fr>
<isabelle.regner@univ-amu.fr>
liés à l’âge peuvent créer, chez les personnes âgées en situation de test, une pression et un
2
Normandie Université, UniCaen, PSL stress supplémentaires qui les empêchent de mobiliser l’ensemble de leurs ressources cog-
Université Paris, EPHE, Inserm, U1077, nitives pourtant nécessaires à la réussite du test. Depuis une vingtaine d’années, plusieurs
CHU de Caen, Neuropsychologie et imagerie études ont mis en évidence l’effet de menace du stéréotype en laboratoire, ses mécanismes
de la mémoire humaine, GIP Cyceron,
14000 Caen, France explicatifs, ainsi que différentes interventions permettant de le réduire voire de le supprimer.
3
Département et laboratoire de psychologie, Cet effet reste néanmoins méconnu en situation clinique alors même qu’il est susceptible de
MSHE, Université Bourgogne Franche-Comté, biaiser l’évaluation du vieillissement cognitif normal.
Besançon, France
4
Centre de recherches sur la cognition et Mots clés : menace du stéréotype · stéréotypes du vieillissement · personnes âgées · performance
l’apprentissage (Cerca), Laboratoire Cerca, cognitive · mémoire
Poitiers, France
5
Université Clermont Auvergne et CNRS,
LAPSCO, F-63000 Clermont-Ferrand, France
Abstract Stereotype threat is a situational threat that arises when
individuals feel at risk of confirming a negative stereotype
Pour citer cet article : Gauthier K, Morand about their group’s ability in a performance domain, resulting in underperformance on
A, Mazerolle M, Rigalleau F, Eustache
F, Desgranges B, Huguet P, Régner I.
stereotype-relevant tests. While early works mainly focused on stereotype threat effects
Effet de menace du stéréotype : historique, among ethnic minorities (especially African Americans) in the domain of verbal intelli-
mécanismes, et conséquences sur les per- gence and among women in mathematics, a growing body of research then examined
formances cognitives des personnes âgées. these effects on older adults’ cognitive performance. The culturally shared belief that
Rev Neuropsychol 2020 ; 12 (4) : 351-7
doi:10.1684/nrp.2020.0608 older adults inescapably experience memory decline and neurodegenerative disease is
prevalent in our societies. These negative stereotypes of aging may create additional pres-
sure and stress for older adults during testing, which may interfere with their cognitive
doi: 10.1684/nrp.2020.0608

resources and lead them to underperform. Over the past twenty years, several laboratory
experiments have demonstrated stereotype threat effects, documented their underlying
mechanisms, and provided various interventions to overcome their detrimental conse-
quences on performance, including among older adults on memory tests. The present
Correspondance : article offers an overview of this research, addresses the current debate about a potential
K. Gauthier difference between younger and older adults in the mechanisms behind stereotype threat
I. Régner

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Article de synthèse

effects, and draws attention to a confusion surrounding the no-threat control condition.
Finally, this review outlines that there is now enough evidence to hypothesize that the
stereotype threat effect is likely to bias the assessment of normal cognitive aging outside
the laboratory, within the clinical setting during real neuropsychological testing.

Key words: stereotype threat · stereotypes of aging · older adults · cognitive performance · memory

Introduction performance. Ce phénomène a été mis en évidence pour


la première fois par Steele et Aronson [7] dans quatre
« Que suis-je venu faire dans cette pièce ? », « Où sont études expérimentales portant sur le stéréotype d’infériorité
mes clefs ? », « Où ai-je garé ma voiture ? ». Si ces ques- intellectuelle des Afro-Américains. Les auteurs adminis-
tions ne suscitent guère d’inquiétude chez les sujets jeunes, traient le même test d’intelligence, standardisé et difficile,
elles prennent une tout autre importance chez les sujets à des étudiants afro-américains et à des étudiants cauca-
âgés, générant des doutes et des inquiétudes à propos siens de l’université de Stanford, mais en variant la façon
de l’intégrité de leurs capacités mnésiques. Ces inquié- de le présenter. Lorsque le test était présenté comme un
tudes sont exacerbées en raison des stéréotypes négatifs test d’intelligence (condition classique de passation d’un
qui conduisent à penser que le vieillissement causerait tel test), les Afro-Américains obtenaient une performance
inévitablement un déclin cognitif, voire une maladie neu- inférieure à celles des Caucasiens. En revanche, lorsque
rodégénérative. De nombreuses études en psychologie le même test était présenté comme une tâche de résolu-
sociale ont montré que ces stéréotypes peuvent perturber tion de problèmes (le mot intelligence n’était pas prononcé
le fonctionnement cognitif des personnes âgées saines, au et donc le stéréotype non activé), les Afro-Américains
point de les amener à produire des performances mné- produisaient une performance similaire à celle des Cau-
siques en dessous de leurs compétences réelles [1, 2]. Ce casiens. Autrement dit, dans la seconde condition (i.e.,
lorsque le stéréotype n’était pas activé), non seulement
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phénomène, appelé « menace du stéréotype », est consi-
déré aujourd’hui comme de nature à biaiser l’estimation les Afro-Américains réussissaient le test aussi bien que
des différences cognitives entre jeunes et âgés [3, 4]. Cette les Caucasiens, mais ils le réussissaient mieux que leurs
synthèse a pour objectif de présenter un bref historique homologues de la première condition où le stéréotype était
des travaux sur la menace du stéréotype, ses consé- implicitement activé du simple fait de la dénomination du
quences sur les performances des personnes âgées, ses test.
mécanismes explicatifs, ainsi que les interventions permet- Steele et Aronson [7] montraient ainsi que le contexte,
tant d’en limiter, voire d’en neutraliser les effets délétères. ici la façon de présenter le test, peut activer un stéréotype
Dans la continuité de cet article, celui de Morand, et négatif et diminuer substantiellement les performances des
al. [5] aborde les effets de menace du stéréotype en individus qui en sont la cible. La menace du stéréotype
situation d’évaluation neuropsychologique de personnes est considérée comme une menace situationnelle, « une
âgées saines ainsi que de patients avec plaintes mné- menace dans l’air » [6], présente par défaut dans les situa-
siques. tions d’évaluation, et susceptible d’influencer n’importe
quel individu lorsqu’un stéréotype négatif est rendu acces-
sible et/ou pertinent pour prédire ses performances. Cette
menace situationnelle et ses conséquences sur la cognition
Menace du stéréotype : nuancent les hypothèses de différences biologiques souvent
mises en avant pour rendre compte des différences de per-
un bref historique formances entre groupes stigmatisés et non-stigmatisés [8].
L’effet de menace du stéréotype montre à quel point les
Des effets de contexte performances des individus peuvent être malléables : en
L’effet de menace du stéréotype se produit dans des modifiant le contexte d’évaluation, il est possible d’activer
situations où les individus peuvent craindre de confirmer, versus de réduire l’effet des stéréotypes et donc, de modifier
à leurs propres yeux ou aux yeux d’autrui, un stéréo- les performances des individus [6]. Ce principe de dépen-
type négatif à propos des compétences de leur groupe dance au contexte est une caractéristique fondamentale
d’appartenance [6, 7]. En plus de l’anxiété normale res- de la menace du stéréotype : il rappelle que les capacités
sentie face à un test difficile, la crainte de confirmer les réelles de l’individu peuvent ne pas s’exprimer faute d’un
attentes négatives véhiculées par le stéréotype induirait contexte favorable. C’est probablement cet aspect qui est,
une pression supplémentaire susceptible d’interférer avec en partie, à l’origine d’un engouement de la communauté
le fonctionnement cognitif et de conduire à une contre- scientifique pour ce phénomène.

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Article de synthèse
Généralisation du phénomène De même, l’effet de menace du stéréotype ne requiert,
La menace du stéréotype est devenue, en une vingtaine ni une longue histoire de stigmatisation, ni une intériorisa-
d’années, un des sujets de recherche les plus explorés en tion des stéréotypes. Dans les travaux d’Aronson, Lustina,
psychologie sociale, avec plus d’un millier de publications Good et Keough [13], des étudiants américains d’origine
dans des revues scientifiques internationales. Un nombre caucasienne, sélectionnés pour leur haut niveau en mathé-
conséquent de ces études se sont focalisées sur les per- matiques, produisaient de moins bonnes performances à
formances des filles et des femmes dans les disciplines un test standardisé de mathématiques lorsqu’ils étaient
dites STIM (sciences, technologie, ingénierie et mathéma- conduits à croire que leur performance serait comparée
tiques) [9, 10]. Les résultats indiquent que les filles/femmes à celle d’étudiants asiatiques. Autrement dit, la simple
obtiennent souvent de moins bons résultats que leurs homo- connaissance d’un stéréotype à l’encontre de son groupe
logues masculins lorsque le test est présenté comme un d’appartenance (ici l’idée d’une supériorité des Asiatiques
test de mathématiques ou comme un test de logique. En sur les Occidentaux en mathématiques) suffit pour générer
revanche, elles obtiennent d’aussi bons résultats que les un effet de menace du stéréotype. La menace est même
hommes lorsque le même test est décrit comme ne révélant encore plus importante chez les individus les plus per-
aucune différence de performance entre les deux sexes, ou formants et les plus fortement identifiés au domaine de
lorsqu’elles sont préalablement exposées à des modèles de compétence ciblé par le stéréotype, et ce, justement parce
réussite féminins en sciences, ou encore lorsqu’elles sont qu’ils ont le plus à perdre en cas de mauvaises performances
informées des effets potentiels des stéréotypes de genre sur [6, 13].
leurs performances, pour ne citer que quelques exemples.
Plus généralement, les travaux ont mis en évidence la
diversité des groupes sociaux et des domaines de compé- Effet de menace du stéréotype
tences auxquels le phénomène s’applique [11] : les classes chez les personnes âgées saines :
socio-économiques défavorisées et diverses minorités cultu-
relles dans le domaine de l’intelligence verbale, les hommes quelques illustrations
dans le domaine de l’intelligence sociale, les garçons en lec-
ture, les Caucasiens et les femmes dans le sport, ou encore Si les études ont été largement consacrées, dans
les personnes âgées s’agissant de leurs capacités cognitives un premier temps, aux effets de menace du stéréotype
chez les élèves dans le domaine académique, les cher-
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et physiques. Les effets de menace du stéréotype s’observent
à tous les âges de la vie puisqu’ils influencent les perfor- cheurs.ses ont rapidement compris l’intérêt d’examiner
mances des jeunes enfants, des adolescents, des jeunes ce phénomène chez les personnes âgées. En effet, bien
adultes, et des personnes âgées. Toutes ces études ont per- que l’avancée en âge puisse être perçue positivement
mis de comprendre que, face à un même test, les individus sur certains aspects (e.g., la vieillesse comme synonyme
ne sont pas égaux. Ceux qui appartiennent à un groupe d’expérience et de sagesse), elle est surtout associée à
faisant l’objet d’un stéréotype négatif seront, de fait, pla- des caractéristiques négatives (e.g., décrépitude, sénilité,
cés dans une situation d’évaluation défavorable par rapport dépendance, maladie). Les stéréotypes négatifs du vieillisse-
aux autres, les empêchant de produire des performances à ment sont problématiques dans la mesure où ils prédisent,
la hauteur de leurs compétences réelles. de manière systématique et indifférenciée pour toutes les
personnes âgées, un déclin physique et cognitif. Cette sur-
généralisation, qui est la marque de tous les stéréotypes
Conditions d’apparition sociaux, à laquelle s’ajoute dans le cas des personnes âgées
Les études ont également permis de préciser les condi- la peur de développer la maladie d’Alzheimer (très média-
tions d’apparition de ce phénomène. Tout d’abord, le tisée aujourd’hui), les placent de fait dans une situation très
test utilisé doit évaluer des compétences ciblées par un problématique de nature à impacter leurs fonctionnements
stéréotype négatif (ou être présenté comme tel), et être suf- cognitifs.
fisamment difficile pour générer une crainte de confirmer le À ce jour, plus d’une soixantaine d’études de labo-
stéréotype en question. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire de ratoire ont examiné l’effet de menace du stéréotype sur
rendre le stéréotype explicite, ou saillant, pour observer un les performances cognitives ou physiques des personnes
effet de menace ; une activation subtile, implicite, suffit. Par âgées saines. La grande majorité d’entre elles a porté sur
exemple, dans les travaux de Huguet et Régner [12], avec les performances mnésiques et montre les effets délétères
des élèves de niveau sixième/cinquième, les performances de la menace du stéréotype, que ce soit sur des tâches
des filles à un test de mémorisation d’une figure complexe de rappel libre, de rappel indicé, de rappel immédiat
sans signification apparente s’avéraient inférieures à celles ou différé, ou encore sur des tâches de reconnaissance
des garçons lorsque le test était présenté comme un test de [14, 15]. En situation de menace du stéréotype, la capa-
géométrie (aucune mention n’était faite quant à la présence cité en mémoire de travail et la composante contrôlée
de différences potentielles entre filles et garçons sur le test), de la mémoire épisodique sont dégradées, et simultané-
alors que l’inverse était observé lorsque le même test était ment certains automatismes mnésiques inopportuns sont
présenté comme un test de dessin. renforcés, avec pour conséquence une détérioration des

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performances mnésiques [3]. Par ailleurs, la détérioration ance dans leurs capacités mnésiques [22]. En revanche, les
des performances est plus importante lorsque les stéréo- personnes âgées qui rapportent des relations positives avec
types négatifs sont activés avant la phase de récupération, des jeunes (comme avec leurs petits-enfants par exemple)
plutôt qu’avant l’encodage [16]. Enfin, les effets de menace semblent moins sensibles aux effets de menace [25].
du stéréotype influencent également l’expérience subjec-
tive du souvenir, en augmentant le sentiment que l’on est
incapable de se rappeler précisément d’un événement [4]. Mécanismes explicatifs
D’autres recherches ont montré que l’effet de menace
du stéréotype influence les performances des personnes L’hypothèse initiale de Steele et Aronson [7] est que
âgées dans un domaine de compétences pourtant consi- la pression évaluative générée par l’activation d’un sté-
déré comme moins affecté par l’âge que ne l’est la mémoire. réotype menaçant perturbe le fonctionnement cognitif de
C’est le cas des compétences en arithmétique où les diffé- l’individu, le rendant ainsi moins efficace pour réussir le
rences entre jeunes et âgés sont habituellement relativement test. Les résultats indiqués antérieurement dans cet article
faibles, voire inexistantes. Or, les résultats indiquent que valident largement cette hypothèse, et ont mis en évi-
lorsque l’importance des compétences mnésiques est mise dence auprès de divers groupes l’intervention de plusieurs
en avant pour réussir la tâche, les personnes âgées résolvent mécanismes impliquant des variables affectives, motiva-
non seulement moins de problèmes arithmétiques, mais tionnelles, et cognitives [1, 2]. Les médiateurs affectifs sont
sélectionnent aussi moins souvent la meilleure stratégie, principalement le stress, l’anxiété, et l’appréhension de
persistent à utiliser la même stratégie d’un problème à l’évaluation, qui sont exacerbés par la crainte de confirmer
l’autre (y compris lorsqu’elle n’est pas adaptée), et exécutent le stéréotype négatif. Sur le plan motivationnel, l’activation
moins efficacement les stratégies disponibles [17]. Enfin, les du stéréotype menaçant augmente la motivation à éviter
quelques études qui se sont focalisées sur les performances les erreurs et infirmer le stéréotype. Ces deux motivations
physiques ont montré, notamment, que l’activation des sté- s’avèrent cependant contre-productives, car associées à une
réotypes négatifs liés à l’âge diminue, chez les personnes exacerbation de la pression évaluative et/ou à un surcroît
âgées, la force de préhension [18], la vitesse et la qualité de contrôle attentionnel sur soi et sa performance. Quant
de la marche [19] dès lors que les tâches à effectuer sont aux médiateurs cognitifs, les travaux indiquent que l’effet
suffisamment difficiles, et leurs performances de conduite de menace du stéréotype induit une contre-performance
automobile [20]. via une augmentation des pensées interférentes négatives
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Dans certaines études, les stéréotypes négatifs du (qu’elles soient liées ou non à la tâche), une augmentation
vieillissement ont été activés explicitement, comme en fai- des processus de contrôle de la performance, et une diminu-
sant lire aux participants des articles scientifiques sur le tion de la capacité en mémoire de travail. Schmader, Johns,
déclin cognitif lié à l’âge [21] ou en insistant sur les dif- et Forbes [26] ont proposé un modèle intégratif permettant
férences de performances entre jeunes et âgés sur le test de comprendre que ces médiateurs sont interdépendants et
utilisé dans l’étude [15]. D’autres recherches ont utilisé consomment, soit seuls, soit en combinaison les uns avec
des activations plus subtiles ou implicites des stéréotypes, les autres, une partie des ressources cognitives habituelle-
très comparables voire identiques à ce qui peut se pro- ment utilisées pour exécuter la tâche, conduisant ainsi à
duire en situation réelle d’évaluation. Par exemple, mettre une contre-performance.
l’accent sur la composante mnésique du test [22] ou simple- Il existe actuellement un débat au sujet des mécanismes
ment évoquer la présence de jeunes dans l’étude [3, 4, 23], sous-jacents à l’effet de menace du stéréotype chez les per-
suffisent à affaiblir les performances des personnes âgées sonnes âgées [1] : sont-ils ou non les mêmes que ceux mis
comparativement à une condition où la menace du sté- en évidence chez les jeunes ? Les résultats contradictoires
réotype est réduite ou annulée grâce à des consignes obtenus sur les médiateurs affectifs et cognitifs sont à la
spécifiques (cf. infra pour une revue de ces consignes). La source de ce débat. Alors que certaines études ont répliqué
méta-analyse réalisée par Lamont et al. [2] indique que la le rôle médiateur du stress et de l’anxiété chez les per-
taille des effets de menace du stéréotype chez les personnes sonnes âgées [27], d’autres non [14]. De même, bien que
âgées est en moyenne petite à modérée (d de Cohen = 0,28), certaines études montrent une détérioration de la mémoire
mais plus importante pour les performances cognitives (d de travail des personnes âgées en condition de menace du
= 0,36) que physiques (d = 0,19). Elle est également plus stéréotype [3], d’autres ne retrouvent pas cet effet [15, 28].
importante lorsque l’activation des stéréotypes est subtile (d L’inconsistance de ces résultats a conduit plusieurs auteurs
= 0,52) plutôt qu’explicite (d = 0,09), probablement parce [1, 28] à considérer que, contrairement à ce qui se passe
que l’activation subtile génère davantage d’incertitude et chez les jeunes, la menace du stéréotype ne consommerait
donc davantage de pensées interférentes susceptibles de pas nécessairement les ressources cognitives des personnes
consommer les ressources cognitives. Enfin, d’autres modé- âgées, probablement parce qu’elles auraient appris à mieux
rateurs relèvent plus de facteurs individuels. Ainsi, les réguler leurs états émotionnels.
personnes âgées sont d’autant plus vulnérables aux effets de Selon les mêmes auteurs, le mécanisme à l’œuvre chez
menace du stéréotype qu’elles sont inquiètes vis-à-vis de la les personnes âgées serait plutôt lié à un conflit motiva-
maladie d’Alzheimer [24], ou qu’elles manquent de confi- tionnel. Cette explication s’appuie sur le modèle dit du

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focus régulateur d’Higgins [29]. Ce modèle distingue la motivationnel sont deux mécanismes sous-jacents aux effets
motivation dite de « promotion » (recherche du succès et de menace du stéréotype, à la fois chez les jeunes et chez
des gains) et la motivation dite de « prévention » (évite- les personnes âgées, et que ces mécanismes sont même
ment des échecs et des pertes), et prédit que les individus probablement liés. Il serait intéressant, dans des études
sont plus motivés et plus performants lorsqu’il y a congru- futures, de tester directement les conséquences négatives
ence (plutôt qu’incongruence) entre leur état motivationnel du conflit motivationnel sur les performances en relation
et celui induit par la tâche à réaliser. Or, une situation de avec la consommation des ressources cognitives.
menace du stéréotype induit de fait une motivation de pré-
vention (i.e., volonté d’éviter l’échec et les erreurs au test),
alors que le test focalise plutôt sur le nombre de bonnes
réponses à obtenir et donc induit une motivation de promo-
tion [30]. C’est ce conflit motivationnel qui serait à l’origine Interventions pour réduire les effets
des moins bonnes performances des personnes âgées en de menace du stéréotype
situation de menace du stéréotype. Les résultats de plusieurs
études [1, 28] permettent de soutenir cette hypothèse. Ils La menace du stéréotype étant une menace situation-
montrent que, comparativement à une condition de non- nelle, il est possible de contrer ses effets en agissant sur
menace, la condition de menace du stéréotype détériore la situation. Cette notion d’action pour réduire l’effet de
les performances des âgés lorsque la structure de récom- menace est fondamentale. Pourtant, une erreur importante
pense du test focalise leur attention sur les bonnes réponses est parfois commise à ce sujet. L’erreur consiste à considé-
(incongruence motivationnelle), mais ne les diminue pas, rer qu’une condition de menace du stéréotype n’existerait
voire même les améliorent lorsque le test est orienté vers pas dans les situations naturelles, réelles d’évaluation, et
l’évitement des erreurs (congruence motivationnelle). nécessiterait l’activation explicite du stéréotype par des
Cela signifie-t-il que les mécanismes explicatifs de consignes ou autres interventions propres aux expériences
l’effet de menace du stéréotype sont différents chez les de laboratoire. La situation naturelle d’évaluation, exempte
jeunes (interférence cognitive) et les personnes âgées de toute intervention du chercheur, est alors considérée
(conflit motivationnel) ? Probablement pas. Tout d’abord, comme la condition contrôle, sans menace du stéréotype.
le conflit motivationnel permet aussi d’expliquer les effets Or, comparer ces deux conditions revient en fait à comparer
de menace du stéréotype chez les jeunes [31]. Ensuite, deux conditions de menace du stéréotype, l’une explicite
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les résultats inconsistants obtenus sur les médiateurs affec- et l’autre implicite [35]. En effet, les situations naturelles
tifs concernent tout autant les études sur les jeunes que de test sont à elles seules suffisantes pour induire implici-
sur les personnes âgées, indépendamment du type de tement un effet de menace, en raison notamment des mots
mesures utilisées (auto-rapportées ou physiologiques [11]), utilisés pour présenter les tests. Par conséquent, s’il n’est
et traduisent plutôt l’action de variables modératrices sus- pas nécessaire de modifier les conditions standards de pas-
ceptibles de nuancer les effets sur l’anxiété et le stress. sation d’un test pour induire un effet de menace, il est en
Concernant la détérioration ou non de la mémoire de revanche indispensable de les modifier pour réduire voire
travail, la méta-analyse de Armstrong et al. [32] réalisée neutraliser cet effet. Plusieurs interventions, fondées sur ce
chez les personnes âgées confirme l’impact négatif de la principe, ont montré leur efficacité [36].
menace du stéréotype, avec une taille d’effet modérée (d = Certaines interventions ont pour but de permettre
0,38). Cette méta-analyse précise également que cette dété- aux individus de percevoir la situation comme moins
rioration est observée lorsque les stéréotypes sont activés menaçante. Par exemple, de nombreuses études ont mon-
de façon subtile ou implicite, mais pas lorsqu’une activa- tré que présenter le test comme évaluant des compétences
tion explicite est utilisée ; ce qui permet de comprendre autres que celles ciblées par le stéréotype négatif est favo-
l’inconsistance des résultats dans les études précédentes. rable aux femmes et aux minorités ethniques. De même,
Enfin, des études récentes utilisant une activation subtile préciser qu’il n’y a pas de différence de performance entre
du stéréotype apportent des éléments compatibles avec hommes et femmes sur le test de mathématiques à venir
l’explication en termes d’interférence cognitive chez les (consigne dite de falsification du stéréotype) permet aux
personnes âgées en situation de menace du stéréotype étudiantes d’obtenir des résultats tout aussi élevés que leurs
[17, 33]. D’une part, ces études montrent qu’en condition homologues masculins. Inciter les étudiants afro-américains
de menace, les personnes âgées sélectionnent moins la stra- à concevoir l’intelligence comme malléable plutôt que fixe
tégie pourtant la plus efficace (et souvent la plus coûteuse améliore leurs performances. Ou encore, mettre en avant
cognitivement) pour réussir le test, ce qui en retour détériore des modèles de réussite issus du même groupe, en suscitant
leurs performances cognitives. D’autre part, conformément une identification positive, permet de mieux concevoir que
aux résultats trouvés chez les jeunes [34], les personnes la réussite académique est possible dans le domaine sté-
âgées résistent mieux aux effets de menace du stéréotype réotypé. Enfin, expliquer aux individus stigmatisés les effets
dès lors qu’elles ont des ressources cognitives plus élevées de menace du stéréotype sur leurs performances permet
pour réaliser la tâche [17]. Par conséquent, il paraît plus rai- d’en limiter l’expression, comme cela a été montré pour les
sonnable de penser que l’interférence cognitive et le conflit femmes en mathématiques [37].

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D’autres interventions consistent à fournir aux individus des personnes âgées au point de réduire substantielle-
stigmatisés des stratégies de coping, comme l’auto- ment les écarts de performance entre jeunes et âgés, voire
affirmation ou l’écriture expressive, pour les aider à gérer parfois de les annuler. Sans remettre en question la réa-
la pression et l’anxiété générées par la situation de menace lité d’un déclin cognitif avec l’âge, ces résultats suggèrent
du stéréotype. L’auto-affirmation consiste pour l’individu à que les différences jeunes/âgés ont pu être surestimées
lister ses points forts et ses qualités, ce qui a pour consé- dans la recherche classique sur l’étude du vieillissement
quence de compenser l’inconfort psychologique créé par cognitif normal. Le recours à l’une ou l’autre des interven-
la situation de menace du stéréotype. Plusieurs études ont tions décrites ci-dessus paraît indispensable pour réduire
montré que l’auto-affirmation permettait aux femmes de les effets de menace du stéréotype pendant les évalua-
mieux réussir à un test de mathématiques et contribuait tions. C’est à cette condition que les personnes âgées
aussi à réduire l’écart de performance entre les collégiens pourront produire des performances à la hauteur de leurs
d’origine afro-américaine et leurs homologues d’origine compétences réelles, condition nécessaire pour produire
caucasienne [38]. Quant à l’écriture expressive, il s’agit de une estimation fiable et valide du vieillissement cognitif.
demander aux individus d’écrire pendant plusieurs minutes
toutes les pensées qui leur viennent à l’esprit à propos du test
à venir et ce, afin de limiter les ruminations et pensées inter- Conclusion
férentes pendant la réalisation du test. Utilisée à l’origine Les recherches réalisées ces 20 dernières années sur
dans le cadre thérapeutique, cette technique s’est révélée l’effet de menace du stéréotype ont permis de montrer
également bénéfique dans le domaine académique pour que les stéréotypes négatifs du vieillissement sont implici-
les étudiantes confrontées à un test complexe de mathéma- tement activés par les conditions standard d’évaluation des
tiques [39]. compétences cognitives des personnes âgées, et détériorent
Plusieurs de ces interventions ont été adaptées à la pro- leurs performances. Cet effet de menace du stéréotype,
blématique des stéréotypes négatifs du vieillissement et se longtemps négligé dans l’évaluation des performances
sont montrées efficaces pour en réduire les effets délétères cognitives des personnes âgées et encore mal connu de cer-
sur les performances des personnes âgées. Ainsi, minimiser tains spécialistes du vieillissement, est désormais considéré
la composante mnésique du test en le présentant comme comme un biais potentiel dans l’évaluation du vieillisse-
évaluant une compétence moins ciblée par les stéréotypes ment cognitif normal. Se pose désormais la question de
liés à l’âge (e.g., le vocabulaire ou l’orientation spatiale) est
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l’intervention de ce phénomène en situation clinique, au
bénéfique à la performance des personnes âgées [22, 34]. moment de l’évaluation neuropsychologique du vieillis-
De même, préciser avant l’épreuve qu’il n’y a pas de dif- sement cognitif pathologique, là où la frontière entre le
férence de performance entre jeunes et âgés (consigne normal et pathologique est encore mal définie. L’article
de falsification, [3, 4]), ou donner des informations posi- de Morand et al. [5] dans ce numéro est consacré à cette
tives sur le vieillissement (e.g., le déclin cognitif n’est pas question et interroge notamment le rôle potentiel des effets
inévitable mais contrôlable [14, 21]), réduit l’écart de per- de menace du stéréotype dans le diagnostic précoce des
formance entre les deux groupes. Enfin, une étude récente troubles cognitifs et tout particulièrement de la maladie
[40] a montré que l’auto-affirmation, via la mise en avant d’Alzheimer.
des traits de personnalité et des valeurs individuelles, per-
met aux personnes âgées de produire une performance à Liens d’intérêt
un test de mémoire tout aussi élevée que celle des jeunes.
Il est important de souligner que, dans plusieurs études, les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en
ces interventions ont contribué à améliorer la performance rapport avec cet article.

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357
Journal Identification = NRP Article Identification = 0607 Date: December 16, 2020 Time: 8:35 pm

Article de synthèse
Rev Neuropsychol

2020 ; 12 (4) : 358-66 L’effet de menace du stéréotype


en situation d’évaluation
neuropsychologique : enjeux cliniques
The stereotype threat effect during
neuropsychological assessment:
Clinical issues

Résumé De plus en plus d’individus sont concernés par les effets du


Alexandrine Morand1 , Kim Gauthier2 ,
vieillissement sur leurs facultés mentales (e.g., déclin de la
Marie Mazerolle3 , Alice Pélerin1 ,
François Rigalleau4 , Vincent mémoire) et la crainte de développer une maladie d’Alzheimer. Si leur plainte mnésique est
de La Sayette1 , Francis Eustache1 , confirmée par des performances de mémoire inférieures à celles de sujets sains de même
Béatrice Desgranges1 , âge, ces personnes reçoivent le diagnostic de trouble cognitif léger (MCI, Mild Cognitive
Pascal Huguet5 , Isabelle Régner2 Impairment), un syndrome qui évolue parfois vers la maladie d’Alzheimer. Toutefois, tous
1
les patients MCI ne développent pas de maladie d’Alzheimer, certains restent stables et
Normandie Université, UniCaen, PSL
Université Paris, EPHE, Inserm, U1077, d’autres reviennent même à la normale. Un des facteurs explicatifs pourrait être l’effet de
CHU de Caen, Neuropsychologie et imagerie menace du stéréotype qui conduirait les patients à produire une contre-performance lors des
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de la mémoire humaine, GIP Cyceron,
14000 Caen, France bilans neuropsychologiques, amenant ainsi, à tort, à un diagnostic de trouble cognitif léger.
2
Aix Marseille Univ, CNRS, LPC, Site Plusieurs études en laboratoire ont montré que les stéréotypes négatifs sur le vieillissement
Saint-Charles, 3 place Victor-Hugo, Case D, (croyances que le vieillissement entraîne inévitablement un déclin cognitif) peuvent perturber
13331 Marseille cedex 3, France
<isabelle.regner@univ-amu.fr> le fonctionnement cognitif normal des personnes âgées en bonne santé, les amenant à obtenir
3
Département et laboratoire de psychologie, des performances en dessous de leurs véritables capacités. Cet effet délétère des stéréotypes
MSHE, Université Bourgogne Franche-Comté, sur les performances est connu sous le nom de « menace du stéréotype ». Quelques études
Besançon, France
4
seulement ont examiné l’effet de menace du stéréotype sur les performances de personnes
Centre de recherches sur la cognition et
l’apprentissage (Cerca), CNRS, Université de âgées à des tests neuropsychologiques classiquement utilisés en clinique, mais uniquement
Poitiers, Université de Tours, Poitiers, France en situation de laboratoire. Cet article présente ces études ainsi que le protocole d’une
5
Université Clermont Auvergne et CNRS, expérimentation qui vise à tester, pour la première fois, l’effet de menace du stéréotype lors
LAPSCO, F-63000 Clermont-Ferrand, France
d’un examen neuropsychologique en situation clinique chez des patients venant pour une
première consultation mémoire. Les enjeux cliniques d’une telle étude sont discutés.
Pour citer cet article : Morand A, Gauthier Mots clés : menace du stéréotype · vieillissement · maladie d’Alzheimer · tests neuropsychologiques ·
K, Mazerolle M, Pélerin A, Rigalleau F,
de La Sayette V, Eustache F, Desgranges
mémoire
B, Huguet P, Régner I. L’effet de menace
du stéréotype en situation d’évaluation
neuropsychologique : enjeux cliniques. Abstract Due to longer life expectancy, many people are concerned
Rev Neuropsychol 2020 ; 12 (4) : 358-66 about the effects of aging on their mental faculties (e.g.,
doi:10.1684/nrp.2020.0607
decline in memory) and the possibility of developing Alzheimer’s disease, and they are
therefore more likely to undergo neuropsychological testing. If their cognitive complaint is
confirmed by a performance below the level of healthy older adults, these people are diag-
nosed as having mild cognitive impairment (MCI), a syndrome that sometimes progresses
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to Alzheimer’s disease. The number of older people diagnosed with MCI after a memory
assessment continues to increase. However, not all MCI patients develop Alzheimer’s
disease, with some remaining stable and others even reverting back to normal. A pos-
sible explanation could be that stereotype threat permeates the clinical testing situation
and lowers patients’ performance, resulting in a false-positive detection of MCI. Seve-
Correspondance : ral laboratory studies have shown that negative stereotypes of aging (beliefs that aging
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inevitably causes cognitive decline) can disrupt normal cognitive functioning in healthy
older adults, leading them to perform below their true abilities. This deleterious effect
of stereotypes on performance is known as the “stereotype threat effect.” Only a few
studies have examined, in a laboratory setting, age-based stereotype threat effects on
neuropsychological testing, and none of them were conducted in a real clinical setting. The
present article reviews these studies and presents the protocol of an ongoing experiment
examining, for the first time, stereotype threat effects during real neuropsychological testing
among patients coming for their first memory assessment. The protocol is composed of
either a standard test-administration condition, which is assumed to implicitly activate
negative stereotypes of aging, or a threat-reduction condition, with instructions designed
to alleviate anxiety related to these stereotypes. This innovative protocol is likely to offer
new recommendations to improve the assessment conditions and accuracy of the early
diagnosis of Alzheimer’s disease, with positive consequences for the well-being of patients
and their caregivers.

Key words: stereotype threat · aging · Alzheimer’s disease · neuropsychological assessment · memory

Introduction avec l’espoir de développer un médicament ou un vaccin


(plan Alzheimer 2008-2012, plan maladies neurodégéné-
L’article précédent de Gauthier et al. [1] dans le pré- ratives 2014-2019). Ces plans ont notamment pour but
sent numéro de la Revue de neuropsychologie, a explicité d’identifier précocement le plus de personnes souffrant de
les origines de la menace du stéréotype et ses effets sur troubles de la mémoire légers qui pourraient être prédic-
les performances cognitives des personnes âgées. Dans la teurs d’une maladie d’Alzheimer. L’identification selon des
continuité de celui-ci, cet article aborde plus particuliè- critères précis se fait par la réalisation de tests cognitifs lors
de bilans neurologiques et neuropsychologiques au sein
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rement l’impact des stéréotypes négatifs du vieillissement
chez les personnes âgées en situation d’évaluation neu- d’une consultation mémoire. Les tests sont construits pour
ropsychologique en milieu expérimental et en situation être sensibles de manière à détecter des troubles, même
d’évaluation clinique, c’est-à-dire au sein même des consul- chez les personnes d’un haut niveau socioculturel, afin
tations mémoire. d’éviter un risque de faux-négatifs. En revanche, les tests
étant très sensibles, cette démarche augmente le risque de
faux-positifs. En conséquence un patient qui présente un
résultat faible à un test de mémoire peut être suspecté, à
Le paradoxe du vieillissement tord, de développer une maladie d’Alzheimer.
dans la population occidentale
Alors que l’espérance de vie ne dépassait pas 45 ans
au XIXe siècle, elle a presque doublé au cours du XXe siècle Hausse des diagnostics pour le stade
(Institut national d’études démographiques, 2018). Si aupa- Mild Cognitive Impairment
ravant le vieillissement était considéré comme un état de
sagesse et d’expérience, la pensée occidentale actuelle La forte médiatisation de la maladie d’Alzheimer ainsi
associe cette avancée en âge à des défaillances phy- que les campagnes de dépistage (e.g., campagne de dépis-
siques et cognitives. Le terme démence est le plus redouté tage via les boîtes aux lettres à partir de 60 ans) conduisent
chez les personnes âgées [2]. La démence caractérise à assimiler vieillesse et pathologies. Les moindres petits
plusieurs maladies neurodégénératives et notamment la oublis (« Où sont mes clés ? Qu’étais-je en train de dire ? »)
maladie d’Alzheimer. Le risque de développer une démence créent une hypervigilance anxieuse et conduisent la per-
augmente avec l’âge. L’espérance de vie des popula- sonne à consulter son médecin traitant. Le nombre de
tions occidentales augmentant, le nombre de patients patients diagnostiqués Mild Cognitive Impairment, à l’issue
atteints de démence d’Alzheimer s’accroît parallèlement. de leur consultation neurologique et neuropsychologique,
Ainsi, l’Organisation mondiale de la santé prédit que le est en augmentation au fil des années. Un certain nombre
nombre de personnes diagnostiquées Alzheimer excédera de patients ayant reçu un diagnostic de MCI développent
100 millions d’ici 2050, ce qui en fait un problème de santé ensuite une maladie d’Alzheimer ou une maladie appa-
publique prioritaire. C’est pourquoi les politiques publiques rentée, tandis que d’autres vont rester stables et que
financent, depuis plusieurs années, la recherche sur la mala- d’autres encore vont même revenir à la normalité sur le
die d’Alzheimer et d’autres maladies neurodégénératives, plan cognitif [3-5]. Ainsi, Summers et Saunders [3] ont

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constaté vingt mois après une première évaluation que sur d’examen neuropsychologique, et en particulier à la poten-
81 patients MCI de formes diverses, 51 patients sont restés tielle surestimation des difficultés cognitives qu’ils peuvent
stables, 20 patients sont revenus à la normale, et seule- engendrer chez les personnes âgées.
ment 10 patients ont évolué vers une maladie d’Alzheimer. À notre connaissance, seules cinq études expérimen-
La proportion de patients n’évoluant pas vers une mala- tales ont à ce jour investigué l’effet des stéréotypes négatifs
die d’Alzheimer peut varier de 4,5 % à 53 % [6], ce qui du vieillissement sur les performances aux tests cognitifs
questionne la communauté médicale et scientifique. Une couramment utilisés en pratique clinique dans le diagnostic
étude de Olazarán et al. [7] montre que ce taux peut mon- pré-démentiel. L’étude de Haslam et al. [12] a été la pre-
ter jusqu’à 59 %. En effet, sur 81 patients ayant reçu le mière à explorer, en laboratoire, l’effet de la catégorisation
diagnostic de MCI, seulement 8 patients (soit 10 %) ont de soi en fonction de l’âge ainsi que l’impact des attentes
développé une démence alors que 25 patients (soit 39 %) à propos du déclin cognitif des personnes âgées sur leurs
sont restés stables et 48 patients (soit 59 % de l’échantillon) performances cognitives. Les auteurs ont testé l’hypothèse
n’ont plus d’atteinte cognitive et sont revenus à la normale selon laquelle les personnes âgées obtiendraient de moins
un an plus tard. bons scores dès lors qu’elles sont amenées à se perce-
Les explications les plus fréquemment avancées de ce voir comme faisant partie des participants les plus âgés
taux de réversion vers une cognition normale reposent de l’étude (plutôt que les plus jeunes) et/ou attendent que
sur les états émotionnels et motivationnels des patients au l’âge altère le fonctionnement cognitif (de manière glo-
moment de l’évaluation. Il est possible en effet que les bale versus spécifique). La première manipulation de cette
patients aient été évalués à un moment non propice, où étude consistait à ce que les participants se catégorisent
leurs performances cognitives étaient faibles, comme durant soit parmi les plus âgés, soit parmi les plus jeunes. Pour
un épisode dépressif [8]. De même, le manque de motiva- cela, l’expérimentateur indiquait à la moitié des partici-
tion et/ou la forte anxiété générée par ces tests constituent pants que l’âge des sujets de l’étude s’étalait de 40 à 70 ans
des facteurs pouvant amener le patient à ne pas obtenir et qu’ils faisaient donc partie des plus âgés (condition
les performances attendues à l’évaluation cognitive et neu- groupe « âgés »), tandis que l’on indiquait à l’autre moi-
ropsychologique [6], se traduisant par la production de tié des participants que l’âge des sujets s’étalait de 60 à
réponses qui ne sont pas conformes à leurs compétences. 90 ans et qu’ils faisaient partie des plus jeunes (condi-
Les résultats des recherches sur l’effet de menace du stéréo- tion groupe « jeunes »). La seconde manipulation consistait
type chez les personnes âgées en bonne santé ont conduit à ensuite à faire lire aux participants un faux article de presse
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faire l’hypothèse qu’une autre source de stress pourrait pro- permettant de façonner les attentes des participants concer-
venir des stéréotypes négatifs du vieillissement qui infiltrent nant les déficits cognitifs causés par le vieillissement. La
les situations de tests en contexte clinique, affectant ainsi les moitié des participants lisait un article qui insistait sur le
performances des patients. déclin spécifique des capacités mnésiques avec le vieillis-
sement, tandis que l’autre moitié des participants lisait
un article sur le déclin cognitif global lié au vieillisse-
Effets délétères de la menace ment. Les 68 participants âgés (de 60 à 70 ans, âge moyen
65,1 ans) réalisaient ensuite quatre tests cognitifs classique-
du stéréotype sur les tests ment utilisés en évaluation clinique. Deux tests servaient de
neuropsychologiques mesure de base, le Mini Mental State Examination (MMSE)
[13] et le National Adult Reading Test (NART) [14], et
Les situations d’examen sont des situations à fort deux tests permettaient d’évaluer l’impact des conditions
enjeu, favorisant l’émergence de menaces, sociales et/ou expérimentales : le test de mémoire logique [15] inclus
évaluatives[9-11]. De la même manière, les situations dans l’échelle de Wechsler pour évaluer spécifiquement
d’évaluation neuropsychologique sont particulièrement les capacités mnésiques et le test Addenbrooke’s Cognitive
propices à l’apparition d’effets de menace du stéréotype. Examination Revised (ACE-R [16]) destiné à évaluer la cogni-
Les tests neuropsychologiques sont en effet susceptibles de tion générale dans cinq domaines cognitifs. Les résultats ont
rendre saillants les stéréotypes négatifs à propos du vieillis- montré que les participants amenés à se catégoriser comme
sement, par le simple fait qu’ils évaluent, entre autres, « âgés » ont eu des performances plus faibles que les parti-
la mémoire. Une fois activés par la situation de test, les cipants amenés à se catégoriser comme plus « jeunes ».
stéréotypes interfèrent avec le fonctionnement cognitif, et Cet effet était modéré par le type d’attente à propos du
en particulier avec les ressources exécutives, en générant déclin cognitif. Ainsi, les participants amenés à se catégo-
des pensées intrusives (peur de l’échec, crainte d’un dia- riser comme « âgés », qui avaient lu l’article sur les déficits
gnostic) et/ou de l’anxiété. Ces pensées négatives et ce spécifiques de mémoire, ont obtenu de moins bonnes per-
stress supplémentaire consomment des ressources atten- formances au test de mémoire logique par rapport aux
tionnelles, lesquelles ne seront plus entièrement allouées à participants ayant lu l’article sur le déclin cognitif général.
la tâche cognitive à résoudre, conduisant ainsi à une baisse À l’inverse, les participants ayant lu l’article sur le déclin
de performance. Il semble donc pertinent de s’intéresser cognitif global obtenaient une moins bonne performance
à l’influence des facteurs sociaux dans les situations cognitive générale au test ACE-R, par rapport aux partici-

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**

100
Scores des participants aux tests

90 *
80
70
60
50
40
30
20 *
10
0
Mémoire logique Mémoire logique ACE-R Mémoire logique Mémoire logique ACE-R
immédiate différée immédiate différée
Catégorisation comme « jeunes » Catégorisation comme « âgés »

Condition déclin de la mémoire Condition déclin cognitif général

Figure 1. Scores des participants au test de mémoire logique et au test ACE-R en fonction de la manipulation de la catégorisation (jeunes versus âgés) et de
la condition expérimentale (déclin de la mémoire versus déclin cognitif général). Figure inspirée de Haslam et al. [12].
* p < 0,05 ; ** p < 0,01.

pants ayant lu l’article sur le déclin mnésique (voir figure 1). des récompenses (par exemple, gagner de l’argent pour
De manière intéressante, les auteurs ont également observé des réponses correctes) ; ou lorsque les personnes ayant
que 70 % des participants amenés à se catégoriser comme un focus de prévention (c’est-à-dire concernées par la pré-
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« âgés » et attendant un déclin cognitif global obtenaient sence ou l’absence de pertes, par exemple en situation
un score en deçà du cut-off utilisé pour détecter un risque de menace du stéréotype) accomplissent une tâche dans
de démence, contre une moyenne de 14 % des participants laquelle elles doivent éviter les pertes (par exemple, perdre
dans les 3 autres conditions expérimentales. Cet article est de l’argent pour des réponses erronées). Barber et Mather
ainsi le premier à avoir mis en évidence l’importance des [20] ont fourni une illustration claire de ce phénomène,
processus de catégorisation de soi et des attentes quant aux en démontrant que les personnes âgées menacées présen-
effets du vieillissement sur les performances cognitives des taient une meilleure performance de rappel lorsqu’on leur
séniors. indiquait qu’elles perdraient de l’argent pour chaque mot
En 2015, Barber et al. [17] ont examiné le rôle de la oublié, tandis que leur performance se détériorait lorsqu’on
motivation, et plus particulièrement de l’ajustement entre leur indiquait qu’elles recevraient de l’argent pour chaque
les buts de la tâche et le focus de régulation adopté par les mot correctement rappelé.
participants en situation de menace du stéréotype (hypo- En se basant sur la théorie du focus de régulation, Bar-
thèse du focus de régulation). Cette étude se base sur de ber et al. [17] ont ainsi évalué les performances de 80 sujets
précédents travaux qui ont montré une baisse des perfor- âgés (61-80 ans, âge moyen de 69,5 ans) au MMSE [13],
mances en situation de menace du stéréotype lorsque les comme mesure de base des capacités cognitives avant la
participants sont incités à donner le plus de bonnes réponses manipulation de la menace du stéréotype, puis au test
possibles, comparativement aux participants incités à évi- « Word List Memory Test » issu du Consortium to Establish
ter les erreurs. L’hypothèse du focus de régulation prédit a Registry on Alzheimer’s Disease (CERAD) [21], et à l’ACE-
une diminution des performances en cas de conflit entre R [16]. Afin de manipuler la menace du stéréotype, le test
le focus de prévention induit par l’activation de stéréotypes de mémoire des mots et l’ACE-R ont été précédés par la
négatifs [18] et la motivation de promotion classiquement lecture d’un article de presse fictif. Dans la condition de
induite par les tests cognitifs [19]. L’hypothèse du focus menace, l’article précédent le test de mémoire portait sur
de régulation prédit également que les individus menacés le déclin des capacités mnésiques avec l’âge, puis l’article
devraient obtenir de meilleures performances lorsque leur précédant le test ACE-R portait sur le déclin général des
focus de régulation correspond à la structure de récompense fonctions cognitives à partir de 45 ans, et son accélération
de la tâche. En d’autres termes, les performances sont amé- après 60 ans. Dans la condition de réduction de la menace,
liorées lorsque les individus ayant un focus de promotion le premier article portait sur la préservation de la mémoire
(c’est-à-dire concernées par la présence ou l’absence de des mots, tandis que le second décrivait un déclin minime
gains) rencontrent une tâche dans laquelle elles reçoivent de la cognition avec l’âge et mettait en avant la préservation

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du raisonnement et des capacités intellectuelles et verbales les participants exposés aux articles négatifs à propos du
après 85 ans. La motivation induite par les tests était éga- vieillissement obtenaient de moins bonnes performances
lement manipulée en invitant la moitié des participants à sur l’ensemble des tests des fonctions exécutives que les
se focaliser sur les bonnes réponses (i.e., gains d’argent à participants qui avaient lu des articles positifs. De manière
chaque réponse correcte), tandis que l’autre moitié des par- intéressante, l’effet de menace n’apparaissait que chez les
ticipants se focalisait sur l’évitement des erreurs (i.e., perte participants qui présentaient un haut niveau de crainte face
d’argent à chaque erreur). Les chercheurs s’attendaient ainsi à la maladie d’Alzheimer (plus un écart-type sur l’échelle
à observer une diminution des performances chez les per- FADS). Cette étude invite ainsi à porter une attention par-
sonnes âgées menacées lorsque la tâche était basée sur les ticulière à l’anxiété des personnes âgées à propos de la
gains, plutôt que sur les pertes, en raison du conflit entre le maladie d’Alzheimer lorsque leur fonctionnement cogni-
focus de prévention induit par la menace du stéréotype et tif est évalué. Les effets modestes obtenus par Fresson et
le focus de promotion induit par la recherche de gains. al. [22] soulignent également l’importance des inductions
Comme attendu, lorsque les participants étaient incités de menace utilisées. Dans leur étude, les faux articles de
à se focaliser sur les bonnes réponses (condition gains), la presse portaient davantage sur la cognition générale que sur
menace du stéréotype altérait les performances aux tests le déclin de la mémoire en tant que telle. Comme observé
cognitifs, avec un effet plus important encore sur le test dans les études d’Haslam et al. [12, 17] et de Barber et al.
de mémoire que sur le test global des fonctions cogni- [17], il semble donc que les effets de menace du stéréotype
tives. En revanche, l’effet de menace n’était pas observé apparaissent sur les capacités ciblées directement par les
lorsque les participants étaient incités à éviter les erreurs faux articles de presse.
(condition pertes). Cette étude illustre l’importance des Mazerolle et al. [27] ont proposé une étude permettant,
facteurs motivationnels lors de la réalisation de tests cog- d’une part d’évaluer l’influence de la menace du stéréotype
nitifs chez des personnes âgées. Tandis que la structure et, d’autre part d’en réduire les effets sur deux tests classi-
classique des tâches (orientée vers les gains, la promo- quement utilisés en première intention pour le diagnostic du
tion) altère les performances des personnes âgées menacées stade prodromal de la maladie d’Alzheimer (stade MCI, mild
(ayant un focus orienté vers la prévention et l’évitement cognitive impairment; plainte cognitive accompagnée d’un
des erreurs), une simple restructuration des tâches vers la ou plusieurs trouble(s) cognitif(s) objectivé(s)) [28]. Quatre-
prévention et l’évitement des erreurs semble permettre aux vingts participants âgés (60 à 93 ans, âge moyen 75 ans) ont
personnes âgées de surmonter l’effet de menace et d’obtenir été évalués au moyen du MMSE et de la MoCA et assignés
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de meilleures performances. aléatoirement à l’une des deux conditions expérimentales.
En 2017, l’étude de Fresson et al. [22] a documenté Dans la condition menace forte, les tests étaient présentés
le rôle modérateur de la peur de la maladie d’Alzheimer comme évaluant la mémoire et l’on précisait aux sujets âgés
sur l’effet de menace du stéréotype chez des séniors réali- que des jeunes participaient également à l’étude. L’autre
sant une évaluation neuropsychologique de la mémoire et moitié des participants était assignée à la condition de
des fonctions exécutives. Soixante-douze participants âgés menace réduite, où les mêmes instructions étaient données
(59-70 ; âge moyen 64,04) ont réalisé le California verbal mais où l’on ajoutait qu’aucune différence de performance
Learning test [23], l’empan des chiffres [15] et le test des entre âgés et jeunes n’était attendue sur les tests utilisés dans
fluences verbales [24]. Les fonctions exécutives ont été éva- l’étude. Le but de cette consigne était de rendre le stéréo-
luées avec la tâche de Stroop [24], une tâche d’attention type non pertinent sur le test à venir. Les résultats obtenus
divisée [25] et le Trail Making Test [24]. Le protocole était montrent que 40 % des personnes âgées en condition de
divisé en deux sessions séparées d’une semaine. Au cours menace forte obtiennent un score qui aurait conduit à un
de la première, les participants remplissaient divers ques- diagnostic de MCI (cut-off à 26) en situation clinique, contre
tionnaires dont celui concernant la peur de la maladie seulement 10 % des participants en condition de menace
d’Alzheimer (Fear of Alzheimer Disease Scale, FADS [26]). réduite. De manière originale, après avoir réalisé le premier
Lors de la seconde session, les participants étaient assignés test cognitif (soit le MMSE, soit la MoCA), l’expérimentateur
à l’une des deux conditions de menace, et lisaient deux prenait quelques minutes pour informer les participants de
articles de presse fictifs à propos du vieillissement. Dans la l’existence du phénomène de menace du stéréotype et de
condition de non-menace, les deux articles abordaient le ses effets sur les performances. Cette intervention éduca-
vieillissement de manière positive en expliquant que le cer- tionnelle (inspirée de Johns, Schmader, & Martens [29]),
veau ne se détériore pas uniformément avec l’âge, et que les visait à ce que les participants soient conscients que leur
capacités mnésiques, la concentration et la vitesse de traite- sentiment de difficulté ou leur anxiété face aux tests pou-
ment sont relativement bien préservées. Dans la condition vaient être liés non pas à un manque de capacité, mais
de menace du stéréotype, les deux articles présentaient le plutôt à la pression sociale exercée par les stéréotypes à pro-
vieillissement de manière négative en expliquant qu’avec pos du vieillissement. Les participants réalisaient ensuite un
l’âge, le cerveau se détériore avec pour conséquence la second test cognitif (le MMSE ou la MoCA, en fonction du
dégradation de la mémoire, de l’attention et de la vitesse de premier test réalisé), sur lequel on n’observait plus d’effet de
traitement. Les résultats de l’étude n’ont pas indiqué d’effet menace (voir figure 2). Les résultats de cette étude invitent
de la condition de menace sur la mémoire. En revanche, à une grande prudence lors de l’utilisation des tests rapides

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29

Scores des participants aux tests


28

27 *
26

25
*

24

23

22

21
MMSE MoCa MMSE MoCa
Avant intervention Avant intervention Après intervention Après intervention

Menace du stéréotype Réduction de la menace

Figure 2. Scores des participants (/30) aux tests du MMSE et de la MoCa avant et après intervention éducative selon la condition de menace (menace versus
réduction de la menace). Figure inspirée de Mazerolle et al. [27]. * p < 0,05.

d’évaluation du fonctionnement cognitif, qui apparaissent compétences. Il est presque certain qu’en réalité, votre
facilement biaisés par les stéréotypes négatifs du vieillis- performance serait supérieure à ce que mon collègue mesu-
sement. L’étude indique également que l’impact délétère rera aujourd’hui. Je lui transmettrai cette information pour
de la menace du stéréotype semble pouvoir être réduit qu’il en tienne compte pour l’analyse des résultats ». Cette
en utilisant des interventions appropriées, par exemple en condition avait pour objectif de fournir au participant une
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réduisant la pression évaluative, ou en expliquant aux par- attribution externe, c’est-à-dire une excuse, en cas de faible
ticipants l’influence des stéréotypes sur la performance. performance au test, permettant ainsi d’alléger la pression
Enfin, Follenfant et Atzeni [30] ont testé deux nouvelles durant la réalisation du test.
interventions pour réduire l’effet de menace du stéréo- – Condition sans intervention : cette condition, supposée
type sur le test de mémoire RI48 [31] souvent utilisé proche des conditions standard cliniques de passation d’un
en évaluation clinique : l’individuation et l’auto-handicap. test de mémoire, ne comprenait aucune intervention desti-
Quarante-cinq sujets jeunes et 40 sujets âgés (âge moyen née à réduire les effets de menace du stéréotype.
67 ans) ont participé à l’étude qui comprenait les trois La menace du stéréotype influençait les performances
conditions expérimentales suivantes auxquelles les partici- des sujets âgés dans la condition sans intervention et
pants étaient assignés au hasard : aussi dans la condition d’auto-handicap. Contrairement
– Condition individuation : les participants remplissaient aux attentes, l’intervention sur l’auto-handicap ne permet-
un questionnaire anonyme sur eux-mêmes afin de mettre tait pas de réduire l’effet de la menace. Selon les auteurs,
en avant leurs traits de personnalité, leurs valeurs, ou leurs cette intervention, qui consistait finalement à déconnecter
activités. Le but de cette intervention était de déconnecter l’individu de ses performances au test, n’était peut-être pas
momentanément les personnes âgées d’une identité sociale adaptée aux situations d’évaluation neuropsychologique
habituellement stigmatisée du fait des stéréotypes négatifs des personnes âgées. En revanche, les performances étaient
du vieillissement, et de les centrer sur leur identité person- équivalentes à celles des sujets jeunes dans la condition
nelle, plus positive, pour ainsi réduire l’effet de la menace d’individuation. Ce résultat suggère que l’individuation,
sur leurs performances. par le renforcement des traits individuels positifs (i.e.,
– Condition auto-handicap : les participants répondaient à auto-affirmation), permet de réduire l’effet de menace du
des questions portant sur leur style de vie : par exemple stéréotype en recentrant les sujets sur leur identité indivi-
« Au cours de la semaine écoulée, en moyenne, combien duelle plutôt que sur leur identité sociale/groupale.
d’heures avez-vous dormi par nuit ? ». Dans le but de four- L’ensemble de ces travaux s’accorde sur un même
nir une excuse potentielle au participant en cas d’échec constat : l’impact de la menace du stéréotype affecte les
au test, l’expérimentateur fournissait un faux retour sur performances des sujets âgés sur des tests cliniques dans un
leur réponse : « D’après vos résultats, je constate que vous contexte non hospitalier. Ils suggèrent également que l’effet
n’êtes pas dans les meilleures conditions pour passer ce de menace peut être réduit par différentes interventions.
test de mémoire, et vos performances ne seront sûrement La menace peut être réduite en agissant sur la catégorisa-
pas bonnes mais ce ne sera pas le reflet exact de vos tion de soi. Plus la personne se voit comme un individu

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plutôt qu’un membre d’un groupe stigmatisé, moins l’effet menace, nous avons utilisé des instructions spécifiques
de la menace est important. L’impact de la motivation est appelées « intervention éducative », consistant à informer
également un élément intéressant à prendre en compte, les patients sur l’existence du phénomène de menace
toutefois, l’induction d’une motivation basée sur la récom- du stéréotype et à les rassurer quant aux effets sur leurs
pense semble difficilement applicable en contexte clinique. propres résultats. L’effet de l’intervention éducative a déjà
Enfin, le dernier facteur qui semble adapté aux bilans neu- été montré dans d’autres études [29, 32]. De la même
ropsychologiques, est l’intervention éducationnelle, visant manière, ce type d’intervention semble avoir permis de limi-
à informer les patients sur le phénomène de menace du ter les effets de menace du stéréotype chez des personnes
stéréotype. âgées réalisant une évaluation globale du fonctionnement
Il est cependant à noter que l’ensemble des études cognitif [27].
présentées précédemment ont été conduites en labo- Dans l’étude AGING, une courte vidéo tournée avec des
ratoire. La question de l’impact de la menace du acteurs a été créée afin que l’intervention éducative soit
stéréotype en contexte réel d’évaluation neuropsycholo- standardisée dans tous les centres impliqués dans l’étude.
gique, ainsi que celle des instructions permettant de la Elle met en scène une personne âgée qui vient à l’hôpital
réduire semblent maintenant importantes à explorer en pour une première consultation mémoire. Afin que le/la
contexte hospitalier. C’est dans le cadre de cette problé- patient.e s’identifie plus facilement au personnage, le pro-
matique qu’a été mis en place le projet multicentrique tagoniste jouant le rôle du patient est soit un homme, soit
AGING. une femme, en fonction du genre du patient. La vidéo
met également en scène un médecin et une neuropsy-
chologue. La personne âgée évoque ses troubles de la
mémoire dans son quotidien et sa peur qu’ils soient des
Étude clinique AGING : impact potentiel signes de la maladie d’Alzheimer. Le neurologue rassure
des stéréotypes du vieillissement la personne en lui expliquant qu’il y a d’autres raisons
sur l’évaluation des déficits mnésiques que la maladie d’Alzheimer pouvant expliquer les troubles
de la mémoire, que c’est souvent le stress ressenti pen-
et le repérage de l’état prodromal dant les tests qui réduit les performances, et qu’il sera tenu
de la maladie d’Alzheimer compte de ce stress éventuel dans le cadre de l’évaluation.
La vidéo continue avec le/la patient.e accueilli.e quelques
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L’étude des effets des stéréotypes liés à l’âge sur le dia- jours plus tard par la neuropsychologue pour passer les
gnostic de la maladie d’Alzheimer en phase prodromale tests du bilan neuropsychologique. Celle-ci rappelle qu’il
s’inscrit au cœur d’un projet national : le projet AGING. est normal de faire des erreurs quand on passe des tests, et
Cette étude, promue par l’AP-HM de Marseille, est réa- que si certaines questions posent problème, cela ne signifie
lisée en collaboration avec des laboratoires du CNRS, de pas nécessairement qu’il s’agit de la maladie d’Alzheimer.
l’Inserm et de plusieurs hôpitaux français. L’étude se base La vidéo se termine avec le ou la patiente qui déclare
sur l’hypothèse de l’effet délétère de la menace du sté- que les explications sur le stress données par le neu-
réotype en milieu clinique, entraînant une diminution des rologue et la neuropsychologue l’ont beaucoup aidé.e
performances cognitives des patients. Comme nous l’avons durant les examens neuropsychologiques, et qui repart
vu, de nombreuses études ont pu mettre en évidence ce soulagé.e.
phénomène en milieu expérimental mais jamais en milieu L’objectif premier de l’étude AGING est de comparer les
clinique. performances cognitives des patients MCI (ou SCI, subjec-
Ainsi, le protocole AGING prévoit d’inclure au total tive cognitive impairment ; plainte de mémoire uniquement)
260 participants sur cinq sites hospitaliers. Cette étude inclus dans la condition menace (condition standard, sans
comprend un bilan neurologique et neuropsychologique intervention) à ceux inclus dans la condition de réduc-
et des examens de neuroimagerie anatomique et méta- tion de la menace du stéréotype (intervention éducative
bolique (IRM morphologique pour mesurer les volumes via la vidéo). Les participants qui n’auront pas visionné la
hippocampiques, TEP amyloïde pour mettre en évidence vidéo devraient obtenir des performances plus faibles aux
le biomarqueur amyloïde). Les patients sont revus neuf tests neuropsychologiques que les participants qui l’auront
mois plus tard au cours d’un second bilan neuropsycho- visionnée. On devrait donc observer un pourcentage plus
logique. Au début du premier bilan neuropsychologique, important de patients recevant le diagnostic de MCI dans la
les patients inclus sont assignés, de façon aléatoire, à l’une condition standard que dans la condition avec réduction de
des deux situations suivantes : situation standard ou situa- la menace. À l’inverse, un pourcentage plus important de
tion de réduction de la menace. La situation standard patients diagnostiqués MCI dans la condition réduction de
correspond aux conditions classiques de passation d’un la menace devrait présenter les biomarqueurs de la mala-
bilan neuropsychologique qui, malgré la conduite bien- die (réduction du volume hippocampique, amyloïdopathie)
veillante envers le/la patient.e (e.g., réassurance face aux en imagerie, en comparaison aux patients de la condition
tests) du/de la neuropsychologue, est propice à l’activation standard. La méthodologie de cette étude a été décrite dans
implicite de la menace du stéréotype. Afin de réduire cette BMJ Open [33].

364 REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE


NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
Journal Identification = NRP Article Identification = 0607 Date: December 16, 2020 Time: 8:35 pm

Article de synthèse
Conclusion Agir sur la menace lors des situations d’examens représente
un enjeu clinique où l’amélioration du diagnostic aura des
Les recherches réalisées ces huit dernières années sur conséquences importantes pour les personnes évaluées et
l’effet de menace du stéréotype en milieu non hospitalier leur entourage. Elle représente également un enjeu pour
ont permis de montrer l’impact des stéréotypes négatifs la recherche scientifique où l’amélioration du diagnostic
en rapport avec le vieillissement sur les performances devrait permettre d’homogénéiser les patients inclus dans
cognitives des personnes âgées confrontées à des tests cli- des protocoles de recherche, et éviter d’inclure des sujets
niques. Une partie de ces personnes pourraient ainsi être dont les faibles performances cognitives reflètent essentiel-
considérées à tort comme des patients MCI. Ces travaux lement des effets de menace.
soulignent le besoin de développer une méthode efficiente
comme l’intervention éducative afin de réduire l’influence Liens d’intérêt
des stéréotypes négatifs durant les bilans cliniques et ainsi
fournir de nouvelles recommandations pour améliorer le les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en
diagnostic au stade prodromal de la maladie d’Alzheimer. rapport avec cet article.

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NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
365
Journal Identification = NRP Article Identification = 0607 Date: December 16, 2020 Time: 8:35 pm

Article de synthèse
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Journal Identification = NRP Article Identification = 0609 Date: December 15, 2020 Time: 7:0 pm

Article méthodologique
Rev Neuropsychol

2020 ; 12 (4) : 367-75 Validation de la mini-SEA dans une


population française variée : données
de référence pour la pratique clinique
Validation of the mini-SEA in a varied
French population: Normative
reference data for clinical practice
Résumé La cognition sociale renvoie aux processus cognitifs qui
François Quesque1 , Sonia Michalon2 ,
sous-tendent les interactions avec autrui. Elle est déficitaire
Frédéric Blanc3 , Maxime Bertoux1,4
dans de nombreuses maladies mentales, dont la variante comportementale de la dégénéres-
1
Univ. Lille, Inserm, CHU Lille, U1172, cence fronto-temporale. Dans un but diagnostique, la batterie mini-SEA permet l’évaluation
LilNCog, Lille Neuroscience & Cognition,
F-59000 Lille, France - LiCEND des capacités de reconnaissance des émotions et d’attributions d’états mentaux. Bien que
2
Centre Mémoire, service de neurologie, CHU développée il y a une douzaine d’années et largement utilisée aujourd’hui, il n’existe pas
Félix Guyon, F-97400 Saint-Denis de la à ce jour de données normatives nationales pour cet outil. Le but de cette étude est de
Réunion
3 proposer de telles données pour des participant.e.s français.e.s et d’évaluer les propriétés
Centre Mémoire de ressources et de
recherche (CM2R), pôle de Gériatrie, psychométriques de la mini-SEA. Cent cinquante participant.e.s ont été inclus.e.s dans la
Hôpitaux universitaires de Strasbourg et présente étude et évalué.e.s à l’aide de la mini-SEA. Nous avons observé un déclin progres-
équipe IMIS, Laboratoire ICube, UMR 7357,
sif des performances avec l’âge, ainsi qu’une très légère supériorité moyenne des femmes.
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Université de Strasbourg et CNRS, France
4
CMRR, Service de Neurologie, Hôpital Roger Les analyses de sensibilité révèlent que ses deux sous-tests sont relativement faciles pour
Salengro, 1 rue Emile Laine, 59000 Lille, des participant.e.s sain.e.s, mais les performances de reconnaissance des émotions semblent
France
<maxime.bertoux@inserm.fr> cependant dépendantes des types d’émotions présentées. La consistance interne et la fiabilité
apparaissent satisfaisantes. Enfin, la validité clinique est excellente. Globalement, la mini-SEA
constitue un outil clinique efficace pour la mesure des capacités de cognition sociale.
Pour citer cet article : Quesque F, Micha-
lon S, Blanc F, Bertoux M. Validation de Mots clés : cognition sociale · théorie de l’esprit · émotion · maladie d’Alzheimer · dégénérescence
la mini-SEA dans une population française fronto-temporale
variée : données de référence pour la pra-
tique clinique. Rev Neuropsychol 2020 ;
12 (4) : 367-75 doi:10.1684/nrp.2020.0609
Abstract Social cognition, referring to humans’ abilities to process
social information in order to efficiently interact with each
other, is impaired in a wide range of clinical groups. Among them, patients with behavioral
variant frontotemporal lobar degeneration (bvFTD) have been found to present deficits
in emotion recognition and mental state inference. Based on these components of social
cognition, the mini-SEA battery was developed a dozen years ago and is widely used today
with patients suffering from a variety of conditions. However, national normative studies
are still lacking. The aim of the present study is to provide such normative reference data
for French participants and to evaluate the psychometric qualities of the mini-SEA. 150
healthy participants were assessed with the mini-SEA. We found that performance decrea-
sed with the age of participants, and we observed a general, though small, advantage for
women participants. Sensitivity analyses revealed that both sub-tests are relatively easy
doi: 10.1684/nrp.2020.0609

for healthy participants. However, emotion recognition performance appeared to depend


on the type of emotions displayed. Internal consistency and reliability both appeared
to be satisfactory, although these dimensions should be investigated in greater depth in
future studies. Finally, the mini-SEA showed good clinical validity, as reflected by excellent
specificity and sensitivity values.

Correspondance : Key words: social cognition · Theory of Mind · emotion · Alzheimer’s disease · frontotemporal
M. Bertoux degeneration · bvFTD

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NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
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Journal Identification = NRP Article Identification = 0609 Date: December 15, 2020 Time: 7:0 pm

Article méthodologique
Introduction ral, médian et orbital sont chacun spécialisés dans des
mécanismes cognitifs différents. De façon simultanée, deux
Le cœur de la pratique neuropsychologique repose sur études novatrices des groupes de Lille et de Cambridge
l’évaluation et le traitement des troubles cognitifs, deux indiquent que la reconnaissance des émotions et la mentali-
enjeux cardinaux dans le champ des maladies mentales. sation semblent spécifiquement perturbées dans la variante
Parmi les différentes fonctions cognitives qui sont commu- comportementale de la dégénérescence frontotemporale
nément évaluées, les altérations de cognition sociale ont (vcDFT [9, 10]). La vcDFT est une maladie neurodégénéra-
été observées dans de nombreux groupes cliniques en psy- tive alors souvent confondue avec un trouble psychiatrique
chiatrie et en neurologie [1]. La cognition sociale se réfère à primaire ou la maladie d’Alzheimer (MA), seconde à cette
l’ensemble des habiletés cognitives qui permettent de traiter dernière en termes de fréquence chez les moins de 65 ans
les informations sociales, afin d’interagir de manière effi- [11, 12]. À la fin des années 2000, l’objectif de créer une
ciente et adaptée avec autrui. Les habiletés en cognition batterie de tests spécialisés dans l’évaluation cognitive de
sociale ont une réelle valeur prédictive des compétences cette maladie devient alors un objectif commun à diffé-
sociales et du bien-être des personnes, leurs déficits peuvent rentes équipes spécialistes. De 2005 à 2011, notre groupe
ainsi entraîner de nombreuses difficultés interpersonnelles, (Inserm U610, Paris) a ainsi cherché à développer une telle
pouvant avoir un impact varié, à la fois dans la vie des batterie tout en ciblant les fonctions que nous pensions alors
patient.e.s mais également dans celle de leurs proches (e.g. être spécifiques au cortex orbito-frontal. Testant différentes
[2]). configurations incluant des tests originaux ou existants, la
Malgré son importance centrale dans la vie quotidienne, batterie s’est largement modifiée au fil des années, tant
la cognition sociale et ses déficits ont longtemps été négli- dans ses appellations (« batterie orbito-frontale », « score
gés et sous-évalués. C’est seulement en 2013 qu’elle fut orbito-frontal ») que dans sa composition, passant de 12, 10
intégrée dans le DSM-5 comme l’un des six domaines prin- à 6 tests évaluant alors divers processus cognitifs [13-16].
cipaux de la cognition. En conséquence, la bonne pratique Longtemps envisagée comme un pendant « orbito-frontal »
neuropsychologique requiert des outils cliniques validés à la batterie rapide d’évaluation frontale (BREF), la batterie
pour permettre son évaluation. De nombreux tests de per- s’est finalement désengagée de ses prétentions localisatio-
formance ont été proposés mais il existe une hétérogénéité nistes et a parallèlement retrouvé une identité davantage
dans les performances individuelles à travers ces tests, psychologique que médicale [5]. Le pouvoir discriminant
probablement causée par la coexistence de composantes de la batterie pour identifier la vcDFT reposant seule-
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distinctes au sein de la cognition sociale, dissimulées sous ment sur deux tests dans sa dernière formule, la volonté
une terminologie commune [3]. Ainsi, des doubles dissocia- de garder la batterie originellement publiée [16] s’est
tions ont été observées entre ces différentes composantes, ainsi opposée à l’objectif de proposer un outil clini-
et particulièrement entre deux de ses composantes les plus quement efficace et rapide, sans s’encombrer des tests
étudiées : la reconnaissance des émotions et l’inférence non-discriminants de la précédente version [5]. La mini-
des états mentaux [4]. Dans ce contexte, la mini-SEA (mini SEA est ainsi née. À cette époque, elle fut librement
Social cognition & Emotional Assessment [5]) a été proposée diffusée de 2012 à 2014, à plus de 250 collègues, essen-
pour permettre une évaluation rapide et multidimension- tiellement neuropsychologues, travaillant dans des centres
nelle de la cognition sociale. Cette batterie est composée hospitaliers ou des cabinets en neurologie, psychiatrie
d’une version réduite du test dit « des visages d’Ekman », ou réadaptation. Pour faciliter sa diffusion à plus grande
le Picture of Facial Affect Test [6], évaluant la reconnais- échelle et pour permettre une protection intellectuelle du
sance des émotions faciales, et d’une version modifiée travail de recherche exécuté depuis plusieurs années, la
et réduite du test des faux pas [7], évaluant la capacité mini-SEA fut alors publiée en langue française chez un
à décoder des règles sociales et à inférer les états men- éditeur [17].
taux d’autrui (nous nommerons cette dernière capacité Grâce à sa formule courte et après sa validation cli-
« mentalisation »). nique [5, 18], la mini-SEA a été utilisée avec des patient.e.s
Publiée en 2012, la mini-SEA prend néanmoins ses présentant diverses maladies ou difficultés cognitives, puis
racines bien plus tôt, dans la friction entre des contex- traduite dans de nombreuses langues et utilisée à travers
tes théoriques et cliniques particuliers. Nous décrirons le monde, notamment à travers des réseaux internationaux
rapidement ces contextes pour mieux décrire l’outil et (e.g. International Network on Social Cognition Disorders).
ses origines. À la fin des années 90 et au début des Malgré cette large diffusion et ce succès clinique, aucune
années 2000, les travaux d’Antonio Damasio démontrent de étude de normalisation n’a été conduite depuis sa publi-
manière spectaculaire l’importance du cortex orbito-frontal cation, et les retours des clinicien.ne.s attirent parfois
(ou « ventro-médian ») dans la cognition. Son implication notre attention sur la difficulté à interpréter une perfor-
dans les aspects affectifs de la cognition est alors avan- mance individuelle atypique. Le but de cet article est de
cée à l’époque (e.g. [8]). Dans cette lignée, la notion proposer des références normatives pour les personnes
d’une division fonctionnelle du cortex préfrontal apparaît français.e.s et d’évaluer les qualités psychométriques de la
progressivement et implique que le cortex préfrontal laté- mini-SEA.

368 REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE


NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
Journal Identification = NRP Article Identification = 0609 Date: December 15, 2020 Time: 7:0 pm

Article méthodologique
Méthode identifier la personne qui l’a produit, les connaissances et
les intentions de cette personne, et les sentiments ressentis
par la personne qui en a été victime. Pour chaque his-
Participant.e.s toire qui inclut un faux pas, les participant.e.s obtiennent
Cent cinquante participant.e.s (98 femmes, âge moyen : 1 point pour sa détection correcte, puis 1 point pour chaque
56,86, ET : 17,93, étendue : 18-85 ans) ont été inclus.e.s réponse correcte aux sous-questions reliées. Si le faux pas
à partir du recueil de données obtenues dans diffé- n’est pas détecté, les participant.e.s n’obtiennent aucun
rents centres : Paris (75013, n = 74), Saint-Denis, Réunion point pour l’histoire. Pour chaque histoire qui n’inclue pas
(97400, n= 47), Strasbourg (67000, n = 29). Préalablement à de faux pas, les participant.e.s obtiennent 2 points s’ils ont
leur inclusion, les participant.e.s ont été systématiquement correctement identifié l’absence de faux pas (0 en cas de
testé.e.s et remplissaient les critères suivants : (1) scores fausse détection). Après chaque histoire, deux questions
au MMSE (Mini-Mental State Examination) ! 27/30 et à la contrôles permettent d’évaluer la compréhension globale
BREF !16/18 ; (2) absence de troubles neurologiques ou du texte, chacune notée sur 1 point. Les participant.e.s sont
psychiatriques ; (3) absence de plaintes liées à la mémoire invité.e.s à lire les histoires aussi souvent que nécessaire
et de déficits cognitifs rapportés ; (4) absence de troubles pour répondre aux questions. La réussite à ce test nécessite
liés à l’usage de substances. Le protocole de recherche a la capacité à inférer les états-mentaux d’autres personnes
été approuvé par le comité d’éthique de la Pitié-Salpêtrière ainsi que la compréhension des règles sociales (bienséance,
(Paris) et est en accord avec les recommandations de la normes). Les scores bruts (/40) sont convertis sur 15.
déclaration d’Helsinki (World Medical Association). Tou.te.s Dans chaque centre, chaque participant.e était
les participant.e.s étaient volontaires et ont donné leur informé.e du caractère confidentiel et anonyme des
consentement éclairé préalablement à leur inclusion. données recueillies. Les items de chaque test étaient
systématiquement présentés dans le même ordre. L’ordre
des tâches est maintenu constant pour les participant.e.s
Mesures recruté.e.s à Saint-Denis et Strasbourg, et est contrebalancé
Le test de reconnaissance d’expressions faciales émo- pour celles et ceux recruté.e.s à Paris. Les scores des deux
tionnelles (Facial Emotion Recognition task, FER) consiste sous-tests sont additionnés afin d’obtenir un score général
en une version réduite du Picture of Facial Affect test (/30).
[6]. Au total 19 visages de femmes et 16 visages d’homme
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composent les items. Les 35 visages sont présentés succes-
sivement, dans un ordre aléatoire fixé pour une durée de
12 secondes par item. Pour chacun des visages, les parti- Analyses statistiques
cipant.e.s doivent choisir parmi 7 états émotionnels (joie, Par pertinence clinique, les participant.e.s étaient
surprise, tristesse, colère, dégout, peur, neutre), présentés regroupé.e.s par âge (3 niveaux : < 46 ans, 46-65 ans,
sous les visages, lequel correspond le mieux au visage pré- > 65 ans) et par niveau d’éducation (3 niveaux : < brevet
senté. Chaque émotion est présentée 5 fois. Les scores bruts des collèges, < baccalauréat, ≥ baccalauréat), ces facteurs
(/35) sont convertis afin d’obtenir un score sur 15. étant identifiés comme pouvant influencer les performances
La version modifiée et réduite du test des faux-pas (mFP) à la mini-SEA ([19], Quesque et al., soumis). Les limites
se compose de 10 courtes histoires décrivant une inter- des trois groupes d’âge ont été déterminées de façon
action entre plusieurs personnes, et au sein de laquelle à répondre aux besoins cliniques : l’âge de 65 ans est
l’un.e des personnages commet (dans 5 histoires) ou non classiquement considéré comme le seuil avant lequel on
(pour les 5 autres) une maladresse sociale, un faux pas. considère qu’une maladie neurodégénérative est une mala-
Par rapport à la version originale du test [7], nous avons die « jeune ». Le groupe constitué des participant.e.s les
introduit une histoire exemple au début du test, incluant plus jeunes a été envisagé comme groupe de référence
un faux pas. Lorsque celui-ci est correctement détecté, les en psychiatrie, l’apparition de troubles psychiatriques sur-
consignes requièrent d’énoncer que le principe du test est venant plus fréquemment chez les jeunes adultes. Les
compris, considérant qu’il y avait effectivement un faux limites des trois groupes d’éducation correspondent aux
pas et qu’il a été correctement détecté (un résumé du faux deux principaux diplômes en France. Le brevet des col-
pas est également réalisé). Lorsque le faux pas de cette lèges correspond au diplôme obtenu à la fin du collège
histoire d’introduction n’est pas ou mal détecté, les consi- (vers 14 ans) et le baccalauréat au diplôme obtenu à la
gnes requièrent d’expliquer qu’il y avait bien un faux pas fin du lycée (vers 17-18 ans). Les participant.e.s du groupe
dans l’histoire, et de l’expliciter. Enfin, le principe du test « ≥ baccalauréat » ont ainsi, pour la plupart, étudié dans
est rappelé. Au cours du test, après la lecture de chaque un établissement d’études supérieures (e.g. université. . .).
histoire, on demande aux participant.e.s si l’histoire com- Enfin, les participant.e.s du groupe d’éducation « < brevet
porte un faux pas (i.e. une action embarrassante au vu du des collèges » ne se retrouvent que pour le groupe de
contexte). Dans ces 10 histoires, si un faux-pas est détecté, participant.e.s les plus âgé.e.s (> 65 ans) étant donné que
les participant.e.s doivent répondre à 5 questions permet- celui-ci est apparu en 1980 et que depuis 1959 l’éducation
tant d’évaluer leur capacité à comprendre le faux pas, est obligatoire jusqu’à 16 ans en France.

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Article méthodologique
L’influence de l’âge, du genre et de l’éducation était niveau d’éducation. Aucun effet significatif du genre et de
indépendamment testée via des ANCOVAs à un facteur, en l’éducation n’était observé sur les performances au FER ou
contrôlant l’influence des deux autres variables. Tous les au mFP.
tests conduits étaient bidirectionnels, avec un ! = 0, 05. La
correction de Bonferroni était appliquée lors de comparai-
sons multiples. La sensibilité de la mini-SEA était évaluée Sensibilité de la mini-SEA
par l’estimation de la difficulté et du pouvoir discrimina- Cette étude portant sur une population de participant.e.s
tif de chaque item. La consistance interne était mesurée sain.e.s, l’usage qui est fait du terme sensibilité renvoie ici à
via l’alpha de Cronbach. La fiabilité fut indirectement éva- son usage général d’un point de vue psychométrique, c’est-
luée par l’estimation de l’influence de l’ordre de passage à-dire à la capacité d’un test à détecter une variation du
des deux sous-tâches sur les performances respectivement score vrai sur un trait mesuré (et donc à discriminer les indi-
obtenues. Les performances à des tâches ayant une bonne vidus sur ce trait). Ainsi, nous avons calculé la difficulté et
fiabilité ne devraient pas être affectées par l’ordre de pré- le pouvoir discriminatif de chaque item du FER et du mFP
sentation. Enfin, la validité clinique est examinée sur la base (voir Annexe 1). La difficulté était exprimée en termes de
de travaux antérieurs conduits avec des patient.e.s et sur taux de succès (probabilité de succès) et le pouvoir discri-
la base de comparaisons entre patient.e.s et participant.e.s minatif estimé comme la différence de taux de succès entre
« contrôles ». les participant.e.s ayant de « bonnes » ou de « mauvaises »
performances, ces dernier.e.s étant défini.e.s quant à leurs
performances globales à la tâche sur la base d’une classi-
Résultats et discussion fication par rapport à la médiane. Les participant.e.s ayant
un score supérieur à la médiane étaient catégorisé.e.s ici
comme « bon.ne.s » et les autres comme « mauvais.e.s ».
Effet de l’âge, du genre et de l’éducation Les valeurs médianes étaient respectivement de 29/35 et
Le tableau 1tableau 1 présente les scores moyens (et les 36/40 pour le FER et le mFP. Concernant la difficulté, les
écarts-types) à la mini-SEA et aux tests qui la composent, taux de succès variaient entre 0,24 et 1 pour le FER, avec une
classés par âge et par niveau d’éducation. Une ANCOVA moyenne de 0,83 pour l’ensemble des items de l’épreuve.
à un facteur révèle que les performances à la mini-SEA Pour le mFP, les taux de succès variaient de 0,85 à 1,
étaient significativement influencées par l’âge des partici- avec une moyenne de 0,95. Il apparaît donc que les deux
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pant.e.s, en contrôlant pour l’impact du genre et du niveau sous-tests sont relativement faciles pour des participant.e.s
d’éducation, F(2,144) = 10,1, p < 0,001. Précisément, les contrôles. Si certains items du FER s’avèrent plus difficiles
performances sont plus basses chez les participant.e.s les et ne sont passés avec succès que par une faible propor-
plus âgé.e.s que chez les plus jeunes (p < 0,001 corrigé) tion des participant.e.s, l’ensemble des items du mFP sont
ainsi que chez les participant.e.s du groupe d’âge intermé- au contraire réussis de façon quasi-systématique. Concer-
diaire (p < 0,01 corrigé). Aucune différence ne fut observée nant le pouvoir discriminatif, les différences de taux de
entre les deux derniers groupes (p = 0,48 corrigé). Nous succès entre les participant.e.s ayant de « bon.ne.s » et de
n’avons pas trouvé d’effet significatif du niveau d’éducation « mauvais.e.s » performances variaient de -0,01 à 0,44 pour
(F(2,144) = 1,63, p = 0, 20) sur les performances à la mini- le FER, avec une différence moyenne de 0,14. Pour le mFP,
SEA en contrôlant pour le genre et l’âge. Enfin, nous avons les différences variaient de 0 à 0,30, avec une moyenne de
observé un effet du genre au seuil de significativité (F(1,145) 0,09. Aucun des items, pour le FER comme pour le mFP,
= 2,81, p = 0,03) à la mini-SEA en contrôlant pour l’âge ne présentait d’avantage net en faveur des « mauvais.e.s »
et l’éducation. Nous précisons ici des régressions linéaires participant.e.s, ce qui soutient une sensibilité générale satis-
additionnelles, qui permettent de prédire le score à la mini- faisante de ceux-ci.
SEA en considérant l’impact de l’âge et du genre (où les Étant donné que la sensibilité des items du FER semblait
coefficients correspondent à la pente de la droite de régres- dépendante des émotions présentées, nous avons décidé de
sion, voir figure 1). Précisément, l’âge a été identifié comme calculer les taux de succès et pouvoirs discriminatifs pour
prédicteur de la performance générale chez les femmes chaque type d’émotion (voir tableau 2). Ainsi, nous avons
(F(1,96) = 20,46, p < 0,001) et chez les hommes (F(1,48) observé que les expressions faciales de joie étaient large-
= 7,65, p < 0,01), avec des coefficients de déterminations ment identifiées correctement (taux de succès > 99,5 %)
respectifs de R2 = 0, 18 et R2 = 0,12. et s’avèrent par conséquent non-discriminantes. De façon
(1)Performance prédite à la mini-SEA pour les femmes = similaire, les expressions faciales de surprise ainsi que les
28,34 – 0,042 *âge (en années) visages neutres se sont révélés avoir un pouvoir discrimina-
(2)Performance prédite à la mini-SEA pour les hommes = tif limité. À l’inverse, les expressions de peur et de tristesse
27,975 – 0,045 *âge (en années) s’avèrent être les items les plus aptes à discriminer les
Lorsque les sous-tests étaient considérés indépendam- « bon.ne.s » des « mauvais.e.s » participant.e.s.
ment, nous avons trouvé une influence de l’âge sur le FER Enfin, il est à noter que les questions contrôles du mFP
(F(2,144) = 6,35, p < 0,01) et le mFP (F(2,145) = 6,62, étaient quasi-systématiquement passées avec succès par les
p < 0,01), en contrôlant les influences du genre et du participant.e.s. Plus précisément, le score moyen aux items

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Tableau 1. Scores moyen et écart-types à la mini-EA, au FER et au mFP par groupe d’âge et d’éducation, chez des partici-
pant.e.s français.e.s.

Mini-SEA
« Jeunes » « Intermédiaires » « Âgé.e.s »
< 46 ans 46-65 ans > 65 ans
(n = 44, âge moyen=32,8, (n = 47, âge moyen (n = 58, âge moyen
E.T. = 8,3) = 58,6, E.T. = 6,2) = 73,4, E.T. = 5)
< Brevet des collèges m = 24,44
(E.T. = 1,59, n = 18)
< Baccalauréat m = 26,53 m = 25,96 m = 25,05
(E.T. = 2,04, n = 22) (E.T. = 1,66, n = 26) (E.T. = 1,9, n = 20)
≥ Baccalauréat m = 26,75 m = 26,28 m = 25,18
(E.T. = 1,45, n = 22) (E.T. = 1,92, n = 21) (E.T. = 1,93, n = 20)
Facial Emotion
Recognition (FER)
« Jeunes » « Intermédiaires » « Âgé.e.s »
< 46 ans 46-65 ans > 65 ans
(n = 44) (n = 46) (n = 58)
< Brevet des collèges m = 11,67
(E.T. = 1,58, n = 18)
< Baccalauréat m = 12,49 m = 12,68 m = 11,72
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(E.T. = 1,25, n = 22) (E.T. = 1,24, n = 26) (E.T. = 1,07, n = 20)
≥ Baccalauréat m = 12,49 m = 12,67 m = 11,97
(E.T. = 1,11, n=22) (E.T. = 0,99, n=21) (E.T. = 1,41, n = 20)
Modified Faux Pas (mFP)
« Jeunes » « Intermédiaire » « Âgé.e.s»
< 46 ans 46-65 ans > 65 ans
(n = 44) (n = 47) (n = 59)
< Brevet des collèges m = 12,77
(E.T. = 1,3, n = 18)
< Baccalauréat m = 14,05 m = 13,28 m = 13,33
(E.T.=1,26, n=22) (E.T.=1,57, n=26) (E.T. = 1,43, n = 20)
≥ Baccalauréat m = 14,27 m = 13,61 m = 13,04
(E.T. = 1, n = 22) (E.T. = 1,26, n = 21) (E.T. = 1,72, n = 21)

contrôles était de 19,87/20 (ET = 0,41). Le score le plus de tester si les performances obtenues à chaque sous-test
faible observé était de 17/20. Aucun effet significatif de l’âge étaient influencées par des facteurs contextuels comme la
ou de l’éducation n’était observé sur la performance aux fatigabilité ou la persistance de labels émotionnels rendus
questions contrôles. saillants par la tâche précédente. Nous n’avons observé
aucune influence de l’ordre de passation des sous-tests aux
performances obtenues au FER (t(54) = 0,14, p = 0,88),
Fiabilité de la Mini-SEA ni à celles obtenues au mFP (t(54) = 0,04, p = 0,96). Il
Étant donné que l’ordre des deux sous-tests (FER et mFP) est important de souligner que nous n’avons pas pu tes-
était contrebalancé dans l’un des centres, il était possible ter la fidélité test-retest dans cette étude et que de futurs

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Article méthodologique

31

29

27
Score à la mini-SEA

25

23

21

19
10 20 30 40 50 60 70 80 90
Âge (en années)
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Hommes Femmes

Figure 1. Scores à la mini-SEA en fonction de l’âge, pour les participant.e.s hommes et femmes.

Tableau 2. Difficulté et pouvoir discriminatif par émotion


Consistance interne
pour le FER La consistance interne, mesurée par l’alpha de Cron-
bach, était de .59 pour le FER et de 0.81 pour le mFP.
Celle-ci semble donc excellente pour le mFP et relative-
Émotions Taux de succès Pouvoir discriminatif
ment basse pour le FER [21]. La valeur obtenue pour le
Joie 0,9954023 0,00888889 FER est cependant fortement congruente avec les valeurs
classiquement rapportées pour les tâches de reconnaissance
Peur 0,54022989 0,25365079 émotionnelle [20, 22, 23], et est probablement causée en
Dégoût 0,86206897 0,11936508 partie par la forte variabilité de pouvoir discriminatif des dif-
férentes catégories d’émotions (par ailleurs démontrée dans
Neutre 0,95402299 0,06126984 ce manuscrit).
Colère 0,76321839 0,1815873
Surprise 0,92873563 0,03650794 Validité clinique
Historiquement construite afin de quantifier les déficits
Tristesse 0,74252874 0,32285714 socio-cognitifs et affectifs dans la vcDFT, la mini-SEA a
démontré de bonnes capacités discriminantes par rapport
à des participant.e.s sain.e.s et des patient.e.s avec dépres-
travaux devront établir la validité longitudinale de la mini- sion majeure ou MA [5, 18]. Depuis, la mini-SEA a été
SEA. Il a cependant été montré que des tests reposant utilisée de façon répétée pour distinguer des patient.e.s
sur un principe similaire (i.e. l’identification d’expressions avec vcDFT – avec ou sans syndrome amnésique – de
faciales émotionnelles) à celui du FER présentaient une patient.e.s atteint.e.s de MA [24-27]. Dans les études où
bonne consistance à travers le temps (e.g. [20]). elles ont été testées, la sensibilité et la spécificité de la mini-

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Article méthodologique
SEA sont excellentes (sensibilité > 94 % pour vcDFT vs elle est par exemple associée à d’autres atypies comme la
Dépression, voir [5] > 82 % pour vcDFT vs MA et > 87 % bonne reconnaissance d’émotions difficilement reconnues
pour vcDFT vs « contrôles », voir [18], spécificité de (la peur ou la tristesse). Un tel résultat ne saurait cependant
100 % pour vcDFT vs Dépression, voir [5]). Aujourd’hui, avoir valeur de règle, les erreurs de reconnaissance de la joie
l’utilisation de la mini-SEA est de ce fait soutenue par pouvant malgré tout être parfois observées chez certain.e.s
des consortiums internationaux pour l’évaluation de la patient.e.s.
cognition sociale dans les maladies neurodégénératives La consistance interne ainsi que la fiabilité de la mini-
[11, 12]. De façon congruente, la mini-SEA est actuelle- SEA sont satisfaisantes, bien que leurs investigations aient
ment incluse dans les études menées par des consortiums été limitées dans la présente étude. Les futures études
d’expert.e.s nationaux (Predict to Prevent Frontotemporal devront établir la validité longitudinale de la mini-SEA par
Lobar Degeneration and Amyotrophic Lateral Sclerosis, une comparaison test/re-test. Cet aspect est important sur
PREV-DEMALS) et internationaux comme la Genetic Fron- les plans pratiques et théoriques, la littérature ne s’étant
totemporal Initiative (GENFI), le Multi-Partner Consortium pas penchée sur la question de l’évolution des habiletés
to Expand Dementia Research in Latin America (ReDLat, en cognition sociale chez l’adulte.
https://www.gbhi.org/projects/multi-partner-consortium- Le fait que la population de notre étude soit constituée
expand-dementia-research-latin-america-redlat) et le de personnes « toutes venantes » couvrant un large spectre
International Network on Social Cognition Disorders d’âge et de niveau d’éducation et que les évaluations aient
(IN-SCD, https://www.scann.fr/inscd). été pratiquées par des professionnel.le.s formé.e.s à la pra-
tique clinique assure à la fois une bonne validité externe et
interne générale de nos résultats. Néanmoins, nous décon-
Discussion générale seillons l’utilisation des données normatives de cette étude
dans une population qui ne serait pas française. En effet,
Cette étude montre la validité de la mini-SEA dans une puisque nous avons observé d’importantes différences entre
population française, ainsi qu’une estimation des valeurs français.e.s et quebécois.e.s (francophones) dans une pré-
normatives de trois groupes d’âge différents. En accord avec cédente étude (Quesque et al., soumis), nous souhaitons
de précédents travaux ([19, 28], Quesque et al., soumis), la insister sur l’importance des normes locales et pas seule-
performance de la mini-SEA semble décroître avec l’âge ment des normes de même langage. Des initiatives pour
des participant.e.s. Nous avons également observé qu’en publier des normes locales sont justement en cours en
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moyenne, il existe un faible avantage pour les femmes à la Argentine, au Brésil, au Chili et au Québec, entre autres.
mini-SEA. Dans notre échantillon, nous n’avons cependant Précisons néanmoins que les études cliniques menées par
pas retrouvé d’effet significatif du niveau d’éducation, ce le passé se sont pour l’instant systématiquement appuyées
qui contraste avec de précédentes études basées sur des sur des groupes contrôles locaux, ce qui permet d’éviter une
populations internationales plus larges ([19], Quesque et surestimation de la validité clinique de la mini-SEA.
al., soumis). Concernant ce dernier point, l’utilité clinique de la mini-
Les analyses de sensibilité ont montré que les deux SEA a été démontrée dans de multiples contextes pour
tâches (FER et mFP) sont relativement faciles pour les par- identifier une atteinte de la cognition sociale. À l’origine, la
ticipant.e.s contrôles. La mini-SEA constitue ainsi un test mini-SEA a été développée pour améliorer la précocité et la
efficient pour l’évaluation clinique dans un cadre diagnos- précision du diagnostic de vcDFT, pour laquelle un compor-
tique, un argument soutenu par un fort pouvoir discriminant tement social inadapté ainsi qu’une perte des convenances
chez les participant.e.s contrôles, et par sa validité cli- sociales ou une perte précoce de l’empathie sont des cri-
nique éprouvée dans plusieurs études indépendantes. À tères diagnostiques [11]. Les formes non génétiques des
l’inverse, la mini-SEA (et particulièrement le mFP) n’apparaît vcDFT représentant la majorité des cas, les difficultés de
pas adaptée pour quantifier les variations interindividuelles cognition sociale telles qu’évaluées par la mini-SEA se sont
parmi les participant.e.s contrôles, et des alternatives plus montrées être des marqueurs cognitifs fiables de la vcDFT
difficiles doivent être favorisées pour cet objectif. Concer- en l’absence de biomarqueurs. Cela en particulier lorsqu’il
nant le FER, on peut noter que tous les items n’ont pas une s’agit de la différencier de ses deux plus fréquents diag-
sensibilité égale. En particulier, les expressions faciales de nostics différentiels, à savoir la dépression sévère et la MA
peur et de tristesse apparaissent comme les items les plus [5, 18, 25, 26]. Notons que bien que la mini-SEA ait mon-
discriminants (entre les plus mauvais.e.s et les meilleur.e.s tré de bonnes valeurs de spécificité et sensibilité pour le
des participant.e.s), probablement de par les confusions diagnostic de la vcDFT par rapport à la MA, des résultats
possibles avec les catégories « surprise » et « neutre », res- suggèrent néanmoins que lors des stades plus sévères de la
pectivement. À l’inverse, les expressions faciales de joie MA, la reconnaissance des émotions tout comme les capa-
sont systématiquement bien identifiées par tou.te.s les par- cités de mentalisation peuvent être perturbées [24, 27, 28].
ticipant.e.s contrôles. Rarement observée avec la tâche Dans cette maladie, le déclin cognitif global, la sévérité
incluse dans la mini-SEA, l’identification incorrecte de la avancée des troubles mnésiques ou d’importantes difficul-
joie pourrait ainsi alerter les clinicien.ne.s et potentielle- tés exécutives semblent en effet avoir un impact significatif
ment révéler une tendance à simuler un déficit cognitif si sur la performance à la mini-SEA [24, 29]. Au-delà du défi

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Article méthodologique
clinique qui est d’identifier la vcDFT, la mini-SEA représente population française, notre présente étude appuie la fia-
une manière rapide d’évaluer deux habiletés centrales de la bilité et la validité de la mini-SEA comme une mesure
cognition sociale dont les dysfonctionnements peuvent se efficiente de la cognition sociale. En ayant choisi d’utiliser
retrouver au cours de l’évolution de nombreuses maladies la mini-SEA, le Grefex 2 confirme également la pertinence
neurologiques et psychiatriques, considérant notamment la de nos procédures et l’attrait de notre outil. Nous espérons
diversité des réseaux neuronaux qui sous-tendent ces habi- qu’à travers leur publication annoncée, le Grefex 2 aura
letés. Son utilisation n’est ainsi pas limitée à la vcDFT, le mérite d’étoffer les normes de la mini-SEA et d’apporter
ni au champ des maladies neurodégénératives, comme des données complémentaires à notre étude, notamment
le démontrent de nombreuses études. En effet, ces der- sur l’effet test/re-test ou la fiabilité inter-cotateur.rice. Toute-
nières années, les performances de cognition sociale ont fois, dans l’incertitude que les normes du Grefex 2 puissent
été évaluées par la mini-SEA dans la variante exécu- s’appliquer à notre batterie, nous pensons que nos don-
tive/comportementale de la MA [30], la maladie à corps de nées actuelles, incluant des participant.e.s de divers groupes
Lewy [31], la paralysie supranucléaire progressive [32], la d’âges et de différents niveaux d’éducation, peuvent contri-
sclérose latérale amyotrophique [33], la sclérose en plaques buer à l’amélioration des pratiques en permettant une
[34], l’accident vasculaire cérébral [35], la maladie de Par- évaluation clinique plus précise dans les champs de la neu-
kinson (Baez et al., soumis), le trouble bipolaire de type 1 rologie, de la neurogériatrie et de la psychiatrie adulte.
(de Souza et al., soumis), l’alcoolo-dépendance [36], la
glycogénose de type III [37], la paraplégie spastique héré- Remerciements
ditaire [38], l’ataxie de Friedreich [39], la migraine sévère
(Bouteloup et al., soumis) ou la lombalgie chronique (El MB tient à remercier Aurélie Funkiewiez pour son rôle
Grabli et al., soumis), etc. En considérant l’importance de dans la création de la « batterie orbito-frontale ». Nous
la cognition sociale dans les activités de la vie quotidienne remercions également. Jennifer Kemp, Aurélie Funkiewiez,
[1], la mini-SEA pourrait être utilisée comme une mesure Elisabeth Ryckaert, Clélie Philipps, Thimotée Albasser pour
d’efficacité lors de futures interventions thérapeutiques ou leur implication dans l’évaluation des participant.e.s et
encore une mesure de prédiction ou de pronostic dans un Nathalie Philippi, Anne Botzung, Bruno Dubois, Philippe
contexte neurodégénératif, même si sur ce dernier point, Allain et Jean Pierre Serveaux pour leur soutien adminis-
des études longitudinales manquent encore pour soutenir tratif et opérationnel durant l’évaluation ou la gestion des
pleinement la pertinence de l’évaluation de la cognition données.
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sociale dans une telle optique de pronostic.
Liens d’intérêt
En conclusion, la mini-SEA permet une mesure compo-
site et rapide de la cognition sociale, basée sur l’évaluation les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en
des capacités à reconnaître les expressions faciales émo- rapport avec cet article.
tionnelles et à inférer les états mentaux d’autrui dans le
contexte d’une rupture des conventions sociales. Largement
diffusée en France, elle a été traduite dans de nombreuses Annexe 1
langues, ce qui permet des collaborations multicentriques
nationales ou internationales. Répondant au besoin géné- Tableau S1: Difficulté et pouvoir discriminatif des items
ral d’avoir des valeurs normatives de référence dans la du FER et du mFP.

Références
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374 REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE


NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
Journal Identification = NRP Article Identification = 0609 Date: December 15, 2020 Time: 7:0 pm

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Eyes” test, empathy, systemising, and autism-spectrum quotients Emotional Assessment (mini-SEA). Drug and alcohol dependence
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REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
375
Journal Identification = NRP Article Identification = 0610 Date: December 15, 2020 Time: 3:3 pm

Vie de la SNLF
Rev Neuropsychol

2020 ; 12 (4) : 376 Infos et manifestations


Hélène Amieva de la SNLF à venir
Secrétaire générale de la Société

News and forthcoming events of SNLF


de neuropsychologie de langue française
<helene.amieva@u-bordeaux.fr>

Pour citer cet article : Amieva H. Infos


et manifestations de la SNLF à venir.
Rev Neuropsychol 2020 ; 12 (4) : 376
doi:10.1684/nrp.2020.0610

Chers membres et amis de la SNLF, avant tout, nous vous plus indiquée pour favoriser les rencontres et les interactions
espérons en bonne santé. avec les orateurs et entre les participants, comme c’est le cas
Comme vous l’imaginez, les restrictions en matière lors des nombreux moments d’échanges informels qu’offre
de réunions et de déplacements en lien avec la situa- traditionnellement ce forum, ce format aura le mérite de
tion sanitaire nous obligent à poursuivre l’organisation permettre que le forum soit maintenu, et espérons-le, de
des événements de notre société de manière vir- permettre malgré tout une bonne transmission de connais-
tuelle. Voici quelques informations concernant ces sances et d’expériences à l’instar de la Journée de printemps
événements. qui avait connu un beau succès.

Forum « virtuel » de la Société Journée d’hiver « virtuelle »


de neuropsychologie de langue de la Société de neuropsychologie
de langue française :
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française : Paris, 30 novembre-
3 décembre 2020 Paris, 4 décembre 2020
La Journée d’hiver se déroulera sur une demi-journée.
Pour rappel, la thématique du prochain forum est :
Toujours gratuite, les informations sur le programme et les
« sommeil, fatigue et troubles cognitifs ». Il est organisé
modalités de connexion figurent sur le site internet de la
sous la direction scientifique de Géraldine Rauchs, Claire
SNLF. À cette occasion, Anne Peskine, médecin spécialiste
Vallat-Azouvi, et Philippe Azouvi. Seront abordés de nom-
en médecine physique et rééducation au Centre de réédu-
breux aspects autour de cette thématique, entre autres : les
cation fonctionnelle de Granville, fera une conférence sur
bases physiologiques du sommeil, les troubles du sommeil
un sujet d’actualité : « les troubles cognitifs après un séjour
chez l’adulte mais aussi chez l’enfant, la fatigue du point
en réanimation ».
de vue cognitif et physiologique, la fatigue associée à dif-
férentes maladies/conditions (dans la sclérose en plaques,
le cancer, le traumatisme crânien, les maladies neurodégé-
nératives ou encore le vieillissement), et enfin les aspects
45es Journées de printemps de la SNLF,
liés à la prise en charge de la fatigue et des troubles du printemps 2021
sommeil, prise en charge pharmacologique et non phar-
macologique, incluant les outils issus des technologies Comme déjà annoncé, les Journées de printemps qui
numériques. devaient avoir lieu à Bruxelles cette année ont été repor-
Vous avez été nombreux à vous inscrire à ce forum tées à 2021. Philippe Peigneux et son équipe, organisateurs
et nous vous en remercions. Le programme initial a été de ces journées, nous donnent donc rendez-vous l’année
quelque peu adapté au format virtuel (la durée de chaque prochaine. Nous espérons que la phase critique de la pan-
doi:10.1684/nrp.2020.0610

présentation a été légèrement raccourcie de manière à ce démie sera dernière nous, mais il est bien sûr trop tôt pour
que le programme tienne sur 3 jours au lieu de 4). Même si dire si la situation sanitaire nous permettra de revenir à un
la participation par visioconférence n’est pas la modalité la format d’événement plus habituel.

Pour plus d’informations sur ces manifestations, voir le site de la SNLF : www.snlf.net

376 REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE


NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES

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