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FILY-DABO SISSOKO

CRAYONS
ET
PORTRAITS
Collection dirigée par Marie-José Hoyet
CRAYONS
ET PORTRAITS
ISBN : 2-84436-007-6
© Éditions A 3 – 1999
46, rue Barbès
94 200 Ivry-sur-Seine
FILY-DABO SISSOKO
CRAYONS
ET PORTRAITS
PRÉFACE

Sous le titre singulier de Crayons et portraits', paraît en


1953 le premier texte narratif de Fily-Dabo Sissoko qui avait
précédemment collaboré à de nombreuses revues scientifiques
mais n'avait publié qu'un volume en 1950, une étude peu
connue, commencée en 1942 et intitulée Les Noirs et la Culture',
dont i1 reprendra d'ailleurs un certain nombre de considérations
dans ce deuxième ouvrage.
D'emblée, Crayons et portraits se présente comme une
œuvre originale et inclassable, composée de deux parties bien
distinctes. La première, autobiographique, est consacrée à ses
souvenirs d'enfance jusqu'à son entrée à l'école française en
1907; la seconde, à une galerie de portraits de personnages
blancs, métis et noirs --que l'auteur a côtoyés en Afrique durant
la première partie de sa vie, c'est-à-dire jusqu'en 1937, date à
laquelle se réfèrent explicitement les dernières lignes du
volume.
Bien qu'écrit à la première personne et commencé sous le
signe de l'autobiographie pure et simple (je suis né avec le
siècle»), ce récit — qui fait revivre sous nos yeux les événements
quotidiens qui caractérisent la journée d'un enfant, au début du
siècle, à l'ouest du Mali, dans la région du Niambia, terre de ses
ancêtres —est bien plus qu'un simple livre de souvenirs.
L'évocation d'une des périodes les plus heureuses de sa vie
— qui se déroule alors entre Horokoto, village d'origine de son
père et où lui-même est né le 15 mai 19003, et les villages de
Galéma et de Bondéri où sa
grand mère maternelle, descendante du célèbre héros manding
Soundjata, l'a élevé — est dominée par la personnalité de sa
mère, sous la protection de laquelle il a placé toute sa vie et qu'il
ne cessera d'invoquer, en particulier dans les moments difficiles.
Dans la vie du jeune Fily-Dabo et de ses compagnons de
jeux, telle qu'il nous la décrit aù fil des pages, la nature et son
symbolisme tiennent une place importante. Le cycle des saisons
rythme le temps, la faune et la flore sont omniprésentes dans les
activités quotidiennes que sont les corvées familiales,
l'apprentissage de la chasse et de la pêche et la garde du
troupeau de cabris dont l'enfant est chargé dès son plus jeune
âge. Toutefois, ce décor champêtre ne prend tout son sens qu'à
travers l'évocation de certains lieux magiques: le gouffre de
Dambayo où repose Siarnan, véritable «Merlin l'enchanteur du
Niambia»; ou bien le «Kémokho domo», marécage qui engloutit
les vieillards; ou encore le massif du Sorcier, habité par des
serpents qui «assurent la garde du pays». Car ce qui compte ce
n'est pas tant le réel que la lecture que l'on peut en faire à travers
les signes et les présages qui donnent à cet univers son aspect
merveilleux, et à l'enfance, malgré les douleurs et les deuils, son
caractère béni, comme le suggère l'auteur à plusieurs reprises.
Ces informations qui touchent tous les domaines (de l'origine
des noms aux techniques de fabrication des pièges pour
animaux, des liens parentaux à l'enseignement des proverbes),
toujours ,véhiculées à travers un récit vivant, émaillé de détails
concrets, de nombreuses anecdotes et de quelques contes, sont
complétées par des scènes qui nous restituent l'atmosphère de
la vie traditionnelle au début du XXe siècle.
Ainsi, plus que de son existence personnelle, c'est,
grâce aux leçons que la vie lui a apprises, d'une réalité africaine
complexe qu'il entend témoigner ici. Dans cette première partie,
il tente essentiellement de fixer l'Afrique ancestrale qui fut celle
de son enfance pour mieux la comprendre et faire réfléchir sur
ses fondements. Il accorde une place centrale aux croyances
surnaturelles (les différents esprits ou «djinns») et à certaines
pratiques rituelles (les sacrifices, par exemple) qui sont partie
intégrante du patrimoine culturel africain, menacé de disparition
par la colonisation au moment où il rédige cet ouvrage.
«La question du Comment? et du Pourquoi? de toutes
choses»4, qui obsède Fily-Dabo Sissoko dès ses premiers articles,
revient ici sous d'autres formes. Les scènes du passé sont
souvent entrecoupées de commentaires rétrospectifs de
l'auteur qui s'interroge sur le sens de son destin (ace Destin que
je ne puis subir, mais affronter»). Ce thème deviendra récurrent
dans toute son oeuvre et il cherchera à le cerner par le biais de
métaphores originales et poétiques, comme celle du «cristal» de
l'âme, ou en interprétant ses propres visions, F ou en faisant
sienne la réflexion philosophique, aussi bien occidentale
qu'orientale ou africaine, qui toujours aboutit à l'injonction
«Connais-toi toi-même».
Dans la seconde partie, un certain nombre de pages sont
consacrées aux Blancs qui n'apparaissaient pratiquement pas
dans la première partie, en dehors d'une rapide allusion à la
Mission Calme' qui réalisa le premier chemin de fer de la région.
Ils seront évidemment de plus en plus nombreux dans
l'entourage du jeune Sissoko à partir du moment où son père,
après la mort subite de son frère aîné, renoncera à lui faire
poursuivre ses études islamiques, et l'inscrira à l'école française
en 1907.
Les Blancs, ce sont donc des enseignants et des administrateurs
coloniaux, surtout des commandants de Cercle qui ont pris leur
service après la conquête du Soudan par les Français et son
intégration au gouvernement général de l'Afrique Occidentale
Française à partir de 1895. C'est cette nouvelle société en cours
de formation au Soudan français, avec son organisation et ses
moeurs, que nous dépeint Sissoko à travers les Blancs et les Noirs
qu'il a rencontrés', évitant certains clichés qui circulaient en son
temps et faisant preuve d'une grande perspicacité et d'un
étonnant sens critique.
En ce qui concerne les Noirs, on retiendra le caractère vivant
et la variété des portraits qu'il propose. En filigrane, on perçoit
plus d'un avertissement à l'adresse de ceux qui, par mimétisme,
risquent d'oublier leurs origines car comme il l'avait dit dans son
précédent ouvrage: «Grande est l'erreur de ceux qui rompent
totalement avec les traditions de leur race»6. Il pose ainsi
clairement, à travers la description des différents
comportements ou types psychologiques (le fat, le pédant, le
servile, etc.), le problème de l'évolution des Noirs dans la
situation' coloniale et, par conséquent, de leur identité
culturelle. On remarquera aussi que tout en s'inspirant des
moralistes français du XViie siècle qu'il connaît bien, les portraits
de Sissoko gardent une spécificité africaine, tant par leur forme
que par leur référence constante aux valeurs coutumières.
Certains, où alternent anecdotes et proverbes, sont autant de
chroniques vécues de la vie coloniale. D'autres se présentent
comme des tableaux pleins d'humour en hommage au célèbre
conteur humoristique du XIXe siècle, Madi-Kaman.7 Les propos
de Sissoko qui jalonnent ce texte
soulèvent bien d'autres questions délicates qu'il ne fait
qu'effleurer ici, en raison des proportions modestes du volume.
Elles méritent cependant d'être mentionnées, en particulier
celles qui concernent les élites intellectuelles africaines.
L'auteur, se référant à un fait d'actualité récente, critique
durement les réalisations théâtrales présentées par les maîtres
et les élèves de l'École Normale William-Pontys lors de
l'Exposition Internationale de 1937. Son attitude, très
polémique, lui est dicté par une pièce censée illustrer la geste de
Samory, le grand chef guerrier qui après avoir constitué un vaste
empire en Afrique de l'Ouest à la fin du XiXe siècle et avoir
combattu farouchement les Français avait été vaincu puis exilé.
Cette épopée célèbre — qui est aussi l'une des dernières
tentatives des Africains de prendre leur propre destin en main —
revêt, on peut l'imaginer, une importance particulière pour
Sissoko, et pas seulement pour lui. C'est pourquoi, estimant que
la vérité historique n'a pas été rendue fidèlement, Sissoko remet
pratiquement en cause la valeur de toute œuvre théâtrale (voire
littéraire) au service de l'histoire, et, du même coup, la valeur de
l'instruction donnée dans une institution qui permet (ou
encourage?) de telles réalisations.
C'est toutefois sur un tout autre ton que s'achève le volume.
Dans une brève postface, il cite un passage de La Vie divine du
philosophe indien Sri Aurobindo pour expliquer l'image du «pur
cristal» qui doit éclairer la voie de tout homme; voie spirituelle
qui ne peut se réaliser qu'à travers la dimension mystique de la
vie et du monde.
En vrai pionnier, par la qualité du style et de l'écriture, par la
rigueur avec laquelle il pose les problèmes, par la quantité de
sujets qu'il aborde en si
peu de pages qui, malgré leur apparence fragmentaire,
procèdent tous d'une vision du monde unitaire et cohérente,
Fily-Dabo Sissoko fait preuve dès ses premiers écrits d'une
grande lucidité. Tous les thèmes qu'il développera par la suite
sont déjà contenus en germe dans Crayons et portraits qui
témoigne de son désir de communiquer sa propre expérience et
de contribuer à accélérer la prise de conscience des Africains
pour préparer l'avenir, ce à quoi il s'emploira sans répit tout au
long de sa vie, aussi bien en écrivant qu'en s'engageant dans
l'activité politique.

Marie-José Hoyet

1 Les deux termes peuvent être considérés comme à peu près synonymes si
l'on se refère à l'emploi qui était fait au XVIre et XVIIie siècles du terme
«crayon» par des écrivains français comme La Fontaine, Molière, Bossuet,
Rousseau ou Voltaire — que Sissoko a lus attentivement — qui lui donnaient
le sens d'esquisse, de croquis, de description fidèle mais limitée à quelques
traits. Ce texte, publié sans date, est précédé d'une «note» de Fily-Dabo
Sissoko datée de «New York, le 21 novembre 1991, dans laquelle il remercie
jurgensten, son collègue à la délégation permanente à l'ONU et ex-collègue à
l'Assemblée constituante, de lui avoir trouvé une maison d'édition française.
3 On sait les difficultés qu'il y avait à l'époque pour connaître les dates de
naissance exactes en Afrique. Les auteurs d'articles consacrés à Fily-Dabo
Sissolw ne sont pas tous d'accord. En particulier, l'historien Robert. Cornevin
estime tout à fait improbable qu'il soit né en 1900 et opte pour 1897. (Cf.
l'article qu'il lui consacre dans Hommes et destins, Dictionnaire biographique
d'Outre-mer, tome II, vol. 2, pp. 694-696). Quoi qu'il en soit, si Fily-Dabo avait
choisi 1900 et l'avait fait inscrire sur ses papiers officiels, notamment sur sa
carte de membre de l'Assemblée nationale, force nous est, en l'absence de
documents probants, de l'adopter à notre tour. Cf. F.-D. Sissoko, «La
géomancie», in «Bulletin de Recherches
Soudanaises, nos 5-6, novembre-décembre 1936, p. 248. Pour
les données bibliographiques, cf.. l'essai de Mamadou-Lamine
Dia wara, Fily-Dabo Sissoko ou la malédiction de Saaba
Minyamba, Silex/Nouvelles du Sud, Ivry-su•-Seine, 1999.
Rappelons qu'à la mort de son père, en 1933, Sissoko deviendra
lui-même chef de canton du Niambia (Cercle de Bafoulabé) et,
se trouvant ainsi plongé au coeur de la société coloniale, il aura
tout loisir d'en étudier le fonctionnement. 6 Les Noirs et la
culture, [New York, 1950], p. 67. 7 Cf. F.-D. Sissoko, IL' humour
africain», in «Présence Africaine», nos 8-9, 1950, pp. 227-239. 8
Fondée à Saint-Louis-du-Sénégal en 1903 pour assurer
l'éducation des jeunes Africains destinés à l'administration et à
l'enseignement, l'École Normale d'Instituteurs sera transférée
sur l'île de Gorée en 1913 et deviendra l'École William-Ponty.
Sissoko y fera ses études de 1911 à 1914. 9 Signalons toutefois
que s'il est vrai que de nombreuses entreprises théâtrales
réalisées à William-Ponty reflètent l'influence coloniale et sont
donc le signe d'un théâtre africain «aliéné», d'autres oeuvres à
caractère historique, comme par exemple la pièce Assémien
Déhylé, écrite par Bernard Dadié et représentée en 1937 dans le
même cadre, ne méritent peut-être pas un jugement aussi
sévère.
Note sur l'établissement du texte:

Comme il ne s'agit pas ici d'une édition critique qui, il faut le


souhaiter, se fera peut-être un jour, quelques interventions
indispensables ont dû être effectuées sur le texte de l'édition
originale (Imprimerie Union, Mulhouse, [1953]) qui présentait
de nombreuses coquilles et n'observait pas certaines règles
d'usage en ce qui concerne la ponctuation et les capitales. Les
signes typographiques, sans aucun doute voulus par l'auteur, ont
été maintenus mais ont été harmonisés pour rendre l'ensemble
du texte homogène.
Le «Petit Poucet» u premier «cvayon»
en manîère d'A VAM-PROPOS

Je suis né avec le siècle.

J'avais deux aînés: mon frère, Djiné-Moussa, et ma soeur


Siraboula. Deux cadettes ont suivi: mes soeurs, Darama et
Mariam. Nous étions donc cinq, sans compter, hélas! ceux qui
avaient succombé au berceau.

Mais nous ne sommes plus que quatre: notre aîné, Djiné-


Moussa, ayant quitté ce monde depuis fort longtemps (1905). Je
suis le seul garçon survivant.
Notre mère, Darama-Dialla Dabo, était la cadette d'une
nombreuse lignée de filles et de garçons. Elle était considérée
comme une «mère de famille élue d'Allah».
En hivernage, quand les pluies se font rares et que les
récoltes menacent de dépérir, des processions de jeunes filles
parcourent les villages en implorant la grâce de Sira-Damba,
«l'élue d'Allah» et son intercession auprès du Créateur.
Et souvent, ces choeurs de vierges amènent la pluie. La joie
et l'espérance renaissent au village, et le spectre de la disette
s'éloigne.
De même, près de quarante ans après sa mort (mai 1914), le
souvenir de ma mère reste vivace dans mon pays. Sa bonté, sa
patience, sa charité et son abnégation
sont évoquées à longueur de journée, en exemple, aux mères
de famille.

C'est d'elle que je me réclame aux heures d'épreuve.

Mon nom composé étonne et embarrasse les gens. Faut-il


m'appeler Fily, ou Fily-Dabo? Et pourquoi Sissoko, après Dabo?
Deux noms pour une seule personne!
La réponse est claire. Je dois cette complication à mon aïeul
maternel. Il s'appelait Moussa-Konté-Fily. C'était déjà
compliqué; et, autant pour la clarté que pour la précision, on
avait fini par l'appeler Fily-Dabo, pour le distinguer des autres
Fily, ses homonymes, Dabo étant son nom de famille.
Fily veut dire «jeté».'
Nous étions nombreux à porter ainsi le nom de notre aïeul
maternel. Mais par cela même, de nouvelles distinctions
s'imposaient. On y était parvenu par l'adjonction du prénom de
notre mère et la suppression de Dabo. Ainsi: Niakhalé-Fily,
Siraba-Fily, Kédiakhou-Fily, Kaniba-Fily, Kounadi-Fily, Dialla-Fily...

Donc, Dialla-Fily ou Fily-Dabo, désignent le même Fily qui a


reçu le prénom d'un Dabo, son aïeul maternel. C'est pour cela
que dans les villages où s'est écoulée mon enfance, Bondéri et
Galéma, on m'appelle plus couramment et plus simplement
Dabo.
milmemmrm.
I Fily = jeté: ts on n'en veut pas il C'est l'un des prénoms qu'on
donne aux enfants des mères souvent victimes de la mortalité
infantile. Alors, on fait le simulacre de jeter le nouveau-né.
Moussa-Konté Fily dort à l'ombre du “santann de Diamania,
parmi d'autres guerriers, abattus comme lui, au premier choc.
Mais ce jour-là, une fois de plus, la victoire avait souri à mon
autre aïeul, Djiné-Moussa.
Mon éducation, tout d'abord, avait été confiée à ma grand-
mère, Daramo. Daramo était une Soukho — du clan Mansaré
issu de Soundiata. Elle habitait Bondéri. Nous étions nombreux,
esclaves et petis-enfants, à nous presser autour d'elle.
Ensemble, nous allions au parc, aux champs, à la corvée d'eau ou
de bois. Nous prenions nos repas en commun, en nous ruant sur
les plats, en enfants gâtés. Indistinctement, entre nous, les
horions étaient échangés; s'il fallait châtier, on ne faisait grâce à
personne. Le coupable — ou le présumé coupable —expiait;
souvent à la risée des autres.
Bondéri est un très vieux village fortifié. Il commande, à la fois,
l'entrée du Niataga, du Niagala et du Tambaoura, provinces
limitrophes, à l'ouest et au nord-ouest du Niambia, le pays de
mes ancêtres et le mien. Il est situé dans une vallée très large,
difficile à défendre. Mais à côté, vers l'ouest, à la base des
contreforts qui montent graduellement vers le Tambaoura2, il
existe un site sacré: Dambayo.
'Tambaoura: chaîne de montagnes qui traverse tout le
Bambouck. Un canton a. pris le nom de la chaîne.
C'est un gouffre, inaccessible autrement que sur un bord où l'eau
glisse sur des laves pétrifiées, aux vives couleurs, D'énormes
blocs — des apports — çà et là brisent le courant.
À l'autre bout, vers l'est, le marigot s'échappe, sans bruit, sous
un rideau de verdure. Là, demeure un «djinn», le "roi es djinns»
de Dambayo. Tout est calme. Le léger frisson, qui passe à travers
le feuillage, vous enveloppe de fraîcheur. Vous avez peur. Et, du
regard, vous implorez grâce, tout en battant en retraite. De
temps en temps, des coups de bec d'un pic sur l'écorce d'un
arbre, ou le sifflotement d'un «kontenfolio», rompent le silence,
sans pourtant vous redonner du courage. Vous avez hâte de
rejoindre le sentier, plus haut, où, enfin, vous vous sentez à
l'aise. Vous respirez à pleins poumons.
Ce site, au siècle dernier, vit la naissance de Siaman, le «Merlin
l'Enchanteur» du Niambia. Siaman était fils de Sira-Damba,
Pitélue d'Alla ». Sa vie trop tôt tranchée, était un tissu de
merveilles.
Il disait qu'il était venu, ici-bas, pour instruire les hommes. Il
savait tout: le passé, le présent et l'avenir. Il parlait toutes sortes
de dialectes et confondait par sa science coranique les
marabouts qui venaient à lui, pour l'éprouver. Tout d'abord, il
déclinait leurs nom et prénom; et il leur annonçait, par avance,
le but de leur visite.
À sa mort dont il avait précisé la date et l'heure exactes, il interdit
les pleurs.
H repose, selon sa volonté clairement exprimée, au fond du
gouffrè de Dambayo, d'où, disait-il, il était originaire.
Daramo n'avait plus qu'un garçon vivant, notre oncle Darama-
Bambo. Notre oncle, Fonné-Moro, fils de sa co-épouse Gourou-
Founé, amputé d'un bras à la guerre, vivait auprès de sa soeur
Kaniba, notre tante, à Késsana.
Darama-Bambo, insatiable de guérillas, après le siège de Bakel
(1886), avait filé vers le Firdougou (Casamance) où l'on se battait
encore. De là, il avait gagné Kadé (Fouta-Djallon) pour se mettre
au service d'Alfa-Yahya, le célèbre Almami de Labé. IÉ fut de tous
les combats et — plus tard — volontairement, partagea le sort
de l'Almarni.
Daramo décida d'aller le chercher et de le ramener au bercail.
C'était, aux yeux de la tradition, une entreprise risquée. On ne va
pas chercher son enfant à l'étranger.
Car, réussite ou non, ça présage la mort ou du parent (père ou
mère), ou de l'enfant (fils ou fille). Tant pis! Daramo avait pris
une décision. Elle s'y tenait. Auparavant, elle nous dispersa.
C'est ainsi qu'un matin, nous nous étions retrouvés, mon cousin
Lamine Diango et moi, chez notre tante Niakhalé, à Galéma.
Notre tante Niakhalé, dite Borondi, avait deux filles: Boro-
Dioncouncla et Diontan; et deux garçons: Solma et Niakhalé-Fily
(ou Fily-Dabo-ding).3 Nous avions été confiés à notre cousine
Diontan. Diontan avait été élevée à Horokoto par ma mère. Elle
avait une fille, Niakhalé; et un garçon, mon neveu Fatamba.
Mon cousin Lamine et moi, devons beaucoup à Diontan.
Le Niambia est une marche guerrière, face au Kaméra et au
Khasso, à la limite occidentale de Bambouck.
Galéma — comme Bondéri — se trouve au seuil d'un vide. Mais,
à la différence de Bondéri, il est situé en un point qu'on peut
comparer au défilé des Thermopyles. De part et d'autre, du sud
vers le nord et de l'ouest vers l'est, deux falaises abruptes
s'affrontent et se rapprochent, enserrant un marigot, le Dérémé,
dans une vallée profonde, déchiquetée. Seules issues, deux
seuils, à l'entrée desquels Djiné-Moussa bâtit deux -villages
fortifiés: Tourodi et Fadiangoya. Ce ne sont, maintenant, que des
ruines.
Galéma et trois autres hameaux: Diguiya, Toubankourou et
Sambouya (ou Galéma-ding) se trouvent entre ces ruines, à
environ deux lieues de part et d'autre. Ces hameaux sont tout
récents.
Mort pour la France (sous les drapeaux 1914).
Galéma, lui-même, vient d'un autre Galéma, un peu plus ancien,
à une demi-lieue, à l'est, au pied de la falaise. Il compte, au plus,
dix familles.
Ses cases — entourées de palissades de troncs de vênes, de
guélins et d'autres bois durs — sont dispersées, sans symétrie,
sur un sol roux, sablonneux, piqueté, çà et là, de baobabs, de
tamariniers, de santans et de karités. Entre les cases, des champs
de maïs et de gombos. Un marigot passe à côté, à l'ouest, la
longueur d'un petit galop. Plus loin, il va se perdre dans le
Dérémé que nous retrouverons. Au nord, Galéma s'adosse à un
coteau gris qu'on gravit par escaliers. Au sommet, à même la
roche nue, on fait sécher ou fermenter le tabac réputé, dit de
Galéma. Plus au nord, et barrant l'horizon, de l'ouest à l'est, la
longue chaîne de Galéma présente ses flancs nus, masqués en
certains endroits par les «sit-mins» (kololos) qui montent, tout
droit, et ne s'arrêtent qu'au faîte de la falaise.
Au centre, un cratère aux parois rose vif, avec des traces de lait
et au fond tapissé de graminées, domine l'ensemble. Une bande
de cynocéphales en a fait son repaire.
En face, sur la rive droite du Dérémé, la chaîne de Galinga, aussi
abrupte, avec ses dentelures, se dresse.
À l'ouest vers Manga et Téba, derrière des coteaux, le massif
isolé du Sorcier présente sa échancrure pareille
où, croit-on, s'échappent les «samanosm4 qui assurent la garde
du pays dans cette direction.
Galéma, lieu de passage extrêmement fréquenté, est très animé.
Aussi, y a-t-il deux i(vvas»: l'un au nord, à mi-chemin entre le
coteau et le village, sous un karité; l'autre, à l'entrée même du
village, au sud-est, sous un baobab.
Notre maison est tout près de ce dernier el vva» Le ovva», c'est
tout simplement des troncs fourchus, enfoncés en terre, avec
des traverses, du bambou ou des lattes de kapockiers sur les
traverses; et le tout recouvert d'un hangar à dos de chameau. Le
«vva» du baobab s'ouvre sur la place publique.
Cette place publique a été, une fois, le théâtre d'une scène
horrible. C'était un jour de fête. Simaro Camara, grand chasseur
et aussi batteur de tam-tam émérite, était là. Il avait demandé à
battre le tam-tam. Après s'être saoulé de tam-tam, il rejeta
brutalement l'instrument sur l'arène, saisit sa lance, l'agita
vigoureusement et la planta au tronc du baobab, en s'écriant:
itCoumba-la Tilly a asséné un coup de poing sur le crâne de
Yilonding! Et plus jamais, on ne reverra Yilonding!»
Aussitôt, le responsable du village (Siraba-Dioncounda Danioko)
donna l'ordre de ligoter Simaro
Samano: serpent mystérieux dont le corps est invisible. Ses yeux
pé-trifient qui les voit. Il voyage sous terre ou dans les airs. Des
hommes peuvent conclure des pactes avec lui.
Camara et de le diriger sur Horokoto, auprès de mon père, où il
aura à s'expliquer.
Le même soir, Galéma reçut la visite de deux gendarmes —
tristement célèbres clans tout le cercle de Bafoulabé Morigué et
Négué-Diourou (fil de fer!).
Ce qu'ils firent ne se peut dire. C'était simplement atroce. Les
deux gendarmes traînèrent Simaro Camara, corde au cou, les
mains au dos, à travers les rochers, de Galéma à Boulouba, puis
à Horokoto.
Mon père se rendit à Bafoulabé et jura de ne point rentrer dans
son village avant qu'on sût comment Yilonding avait été
assassiné!
Quand le bras a failli, on en punit la tête, a écrit le poète. Les bras
— Coumba-la Fily compris — ont expié! Mais par sentiment
d'honneur, ils n'ont jamais dénoncé la tête! Les inimitiés nées de
ce crime, jusqu'à ce jour, n'ont rien perdu de leur virulence.
Ma soeur, Darama, est mariée au fils cadet de Yilonding,
Toumani.
Ma soeur, Soma-boula Amina, était mariée à son fils aîné, Cora.
Morts tous deux.
Le 44vvan sous le karité est plus petit. On l'appelle le
«petit vva». On s'y réunit volontiers, plus souvent. Car, sous le
baobab, on a parfois des ennuis avec un essaim d'abeilles qu'on
n'a pas réussi à déloger.
Au pied du 4( vva», le vieil esclave de mon cousin et homonyme
Kédiakhou-Fily a installé son métier de tisserand. Il s'appelle
Sokhona-Bambo. Il est sourd. Nous aimons le taquiner en
chantant près de lui une chanson qui, s'il l'entendait, ne lui ferait
certainement pas plaisir. Souvent, à coups de verge, d'autres se
chargent, pour lui, de sa vengeance. Nous nous égayons alors,
en riant aux dépens du camarade qui a reçu les coups. Là, de
temps en temps, on se livre à des exercices de tir. Un «santal"»,
au fond du vallon, sert de cible. Sur son tronc, à coups de
hachette, on a tracé le point de mire.
La mission Calrnel5 campa entre le petit «vva» et le village.
«Les Blancs veulent faire passer un chemin de fer à travers ces
montagnes, disent les vieux. Ils peuvent tout, sauf ça.» Pourtant,
ils ont bien jeté un pont stir le Bafing, à Mahina (1894). La date,
mémorable, en sera conservée. Car, les «bilacoros» circoncis
cette année-là, portent le nom de «Ceux du pont sur le fleuve».
Mais, il s'agit, cette fois-ci, de tout autre chose. La tranchée de
Boulouli, que l'on connaît, n'est rien à côté.
5 Mission Calmel: Projet du chemin de fer Thiès-Kayes,
aujourd'hui Dakar-Niger. La mission Calmel avait étudié le tracé
Talari-Tamba-counda.
ALummisemOiffldrosertemiette
Les vieux étaient donc sceptiques. Calmel se souciait fort peu,
sans doute, de ces
considérations des vieux. D'ailleurs, elles ne lui parvenaient
guère. Des hommes traînaient au sol une longue chaîne de fer.
Les Blancs suivaient. Ils étaient deux: Calmel, le chef, et son
second. I1 y avait de nombreux porteurs. Chacun d'eux portait
une caisse, assurément très bourde. Car, chaque fois, il avait
besoin de l'aide d'un compagnon pour s'en charger.
Il y avait aussi des mulets. Ces animaux bizarres, ni ânes, ni
chevaux, excitaient notre curiosité.
Ma cousine Diontan était accouchée depuis quelques mois et
portait au dos mon neveu Fatamba Danioko. Les Blancs aiment
les enfants. Fatamba fut choyé par les deux missionnaires. Ils
offrirent un tas de choses à Diontan. •Ils s'arrêteront au
Tambaoura, affirmaient les vieux. Ils ont beau être sorciers, ils
ne pourront tout de même pas percer la montagne, ni jeter un
pont sur le vide».
C'est dans ce décor que j'ai passé les plus belles années de mon
enfance. Elles ne sont comparables qu'à celles que j'ai vécues,
plus tard, à Doni, aux heures enivrantes de mon adolescence.
Ma pensée trouve bien souvent à évoquer ces années bénies un
prétexte à évasion, surtout quand l'horizon s'obscurcit devant
moi et que ma volonté «tendue dans la nuit» se résout au
combat.
Chaque roche, chaque arbre, tout ce qui subsiste d'un sentier —
un creux à moitié comblé de pierrailles —tout passe alors,
devant moi, avec netteté, dans un bain d'air pur.
Je revois ce vêne, resté penché, qui nous servait de balancier. Je
revois cette table de pierre, recouvrant une haute termitière, où,
un jour, un énorme serpent, un “bida», passa tranquillement à
côté de nous, sans même dresser la tête! La surprise, pour nous,
avait été telle, qu'aucun de nous n'avait pu bouger.
Les ronces mêmes du sentier, si agressives, me semblent
sympathiques.
Le cristal de mon âme fait écho au bain de soleil. Ephémère
moment! La vie — dans sa brutale réalité — est là, implacable,
insensible à mes rêves, mes regrets et mes appréhensions. Elle
m'impose sa loi: la marche inexorable vers mon Destin. Ce Destin
que j'étreignais dans mes poings fermés, à ma naissance et que
j'ai laissé échapper en poussant mon premier cri. Ce Destin que
je ne puis subir, mais affronter.
Et, je comprends alors, la leçon donnée à Arjuna par le divin
Krishna: «...Lève-toi donc, ô fils de Kunti, résolu à te battre.0
Mais tout en combattant, je me pose aussi des questions. Ai-je
évolué? Dans quel sens?
6 Cf. La Bbeigavad-Gitei (Traduction française de Camille Rao et
Jean Herbert, p. 54).
De l'unicité ou de la dualité de la nature, que choisir comme
critère?
Le «Neti-Neti» vedantique offre-t-il la seule formule valable?
Que penser? Que croire? L'oracle de Delphes me répond:
•Connais-toi même». toi-
Les vieux de mon pays me disent: •Savoir monter à cheval, savoir
conduire un âne, savoir les vertus des plantes, tout cela ne vaut
pas: "Se connaître soi-même"».
La vie, avec ses exigences et ses servitudes, n'a pourtant pas
détruit ces souvenirs de mon enfance. Elle n'a pas de prise sur
eux. Avec l'âge, ils me deviennent plus chers. Ici, pour les
évoquer, j'ai dû faire un choix.
Nous étions partis de Kessana, à l'aurore. M'Poré, la captive qui
devait accompagner ma grand-mère au Fouta, me portait au dos.
Peu de jours auparavant, en courant derrière des boeufs, je
m'étais enfoncé un bout de chaume de mil dans le mollet. Aussi
pouvais-je à peine marcher. Mais comme j'étais taquin, on ne
s'entendait pas très bien, M'Poré et moi.
Tout à coup, j'eus une vision. Sur le flanc de la colline, vêtu de
blanc de la tête à la cheville, m'apparut un être brillant. Il
avançait vers nous et me fixait du regard. Je pinçai M'Poré dans
le dos et lui criai à mi-voix:
«Vois-tu?» M'Poré ne voyait rien. Elle trébucha sur un caillou.
Nous étions par terre.
La vision avait disparu.
s
Une autre fois, au flanc de la falaise, près du vieux Galéma, nous
étions allés, Nionson et moi, cueillir des «téniés». Les otérdés»
sont des fruits de couleur rose, très décoratifs. Nous étions en
pleine action lorsque nous vîmes un homme descendre de la
falaise avec une aisance surprenante. Il était accoutré en
chasseur, mais n'avait pas de fusil. Subitement, il s'arrêta devant
nous et disparut. Un frisson passa sur notre corps et nous
redescendîmes en toute hâte. Un vieillard nous expliqua au
village que nous avions surpris un itgôté»7 en chasse.

Les tourbillons prennent naissance, presque toujours, au pied


d'un arbre, à l'heure du passage du soleil au zénith. C'est l'heure
que choisissent les «djinns» pour se rendre visite et pour boire,
au puits ou au marigot.
Le tourbillon n'est que la robe dont ils sont revêtus. Quand ils
passent, ils balayent tout sur leur passage, et montent, droit,
jusqu'au fond du ciel.
Le gôté qu'il ne faut pas confondre avec le djinn est un être
plutôt méchant, toujours en chasse. Il est cependant plus
accessible à l'hom-me que le djinn. Les chasseurs sont censés
entretenir de cordiales •e-lations avec lui.
Les vieux seccos, les vieilles nattes, les calebasses et les gourdes
vides, sont emportés. La panique s'empare du village. Des
femmes et des enfants battent tout ce qui leur tombe sous la
main. Ils pensent ainsi, par ce vacarme, éloigner le maléfique
Esprit.
Les hommes se contentent de braquer l'index dans la direction
qu'il a prise. Ce geste, affirme-t-on, également.
Par ci, par là, des haies sont renversées, des toitures défaites; et
parfois aussi, un incendie s'allume.
Au marigot ou au puits, tout s'éteint, d'un coup.
Un jour, un peu avant l'heure du repas de midi, le petit •1,Tva»
est plein à craquer. Une tourterelle survient et se pose à
l'extrémité d'une branche haute.
Le vieux Kémady lève les yeux. «La tourterelle nous annonce, dit-
il, que Diandian Dabo vient d'abattre deux éléphants dans le
cirque de Dabola.» À la tombée de la nuit, dans la maison de mon
homonyme et cousin Kédiakhou-Fily, la nouvelle est confirmée.
Toute la région est en fête. De la viande partout. On ne sait quoi
en faire,. Une semaine durant, le célèbre aède des chasseurs,
Bantan-Birama, nous racontera l'exploit agrémenté de récits que
je retrouverai, plus tard, à l'école, au cours de nos leçons de
mythologie.
La mort de Nionson!
J'étais à Saint-Louis (du Sénégal). Mais, à mon retour, dans tous
les détails, on me relata les circonstances de sa mort. Elle était
déjà grande fille. On préparait, discrètement, son mariage. Elle
avait été à Sambouya pour tresser ses cheveux chez une
coiffeuse réputée. Hola était le nom de cette coiffeuse. Elle
revenait, seule, à Galéma. Au passage d'un ruisselet, près d'un
grand ficus, elle rencontra une mère «djinn» qui tenait sa fille
par la main. Elle barra le sentier à Nionson et lui demanda de
lutter avec sa fille, si elle tenait à passer. Nionson, sans
hésitation, accepta le défi. Trois fois, elle tomba l'enfant «djinn».
Mais alors, au lieu de la laisser passer, la mère «djinn» la frappa
violemment dans le dos, entre les épaules, et disparut.
Nionson, vexée, cria à l'injustice et rentra à Galéma en pleurant.
La fièvre se déclara. Le troisième soir, à l'heure même où elle
avait lutté, elle rendit son âme à Allah!
À côté de ces moments fugitifs d'immersion dans la nature, ces
instants dérobés pour se faufiler auprès des vieux sur les «vva»
— ou même en dessous — et écouter les récits de guerres et
d'aventures, ces nuits blanches passées à admirer l'évolution des
chasseurs, au son des guitares des aèdes de la chasse, il y a
d'autres souvenirs, vécus en compagnie de mes camarades, et
tout aussi prenants.
Nous étions des enfants. Et comme tels, pensions surtout à jouer
et à nous amuser. Parfois, les grandes personnes en nous voyant
revenir, au soleil de midi, la sueur perlant au front, sur la crasse,
se disaient entre elles, avec dépit: «L'enfance est une maladie.
Se hasarder à ce soleil alors que les «djinns» sont en
mouvement, seul un enfant peut l'oser. — Allah veille sur eux».
Mes compagnons de jeux: Toumani-Oulé, Tenindian Madi, les
trois Sambou de Galéma-ding (ou Sambouya), Toumani, Bintou-
Madi, Sira-Dabo Balla, Koumakhouloun, Saïbo, Téréna-Founé,
Salan, Kounkoun, mon cousin Lamine Diango et moi, à Galéma;
et, parmi d'autres, à Diguiya et Toubankourou, Kaniala, Lamine,
Sadio, Moussa-Founé et Koli.
Aujourd'hui, les survivants sont tous des chefs de famille.
Quelques-uns sont tombés au champ d'honneur: sur la Somme,
à Verdun ou Koum-Kalé.
Parfois, nous étions mêlés aux filles. C'était, une fois sur deux,
pour se battre. Ces filles, c'étaient: Nionson, Niakhalé, Siraba,
Malouba, Dionsaba, Tounkho, Satamba, et d'autres.
Chaque jour de la semaine apporte son lot de jeux, de
distractions ou d'activités.
C'est, tout d'abord, la chasse aux margouillats.
Les margouillats aiment nous narguer. Quand ils se font beaux,
ils deviennent arrogants. Ils dressent la tête
tout de pourpre enveloppée, agitent la queue aux rayures
orange bleuté et se disent:
— Ma tête, la tête d'un «solimanaidingo ne peuvent se
rencontrer au même point!
— Ma tête,
la tête d'un gcbilacorons ne peuvent se rencontrer au même
point!
C'est évident et cette audace est souvent payée d'une volée de
«fellas» au flanc. Nous les poursuivons autour des cuisines, des
greniers et des cases à chèvres; les rabatteurs à l'extérieur, les
autres armés d'arcs et de «fellas» (flèches en bambou) à
l'intérieur.
Dans cette chasse, notre maître est Sira-Dabo Balla.
Il ne rate jamais. À la poursuite des poulets, quand arrive un hôte
de marque, il est également celui qui a le plus de chance. De
même qu'à la pêche ou à la chasse aux rats-palmistes. S'il brandit
son arc, il atteint toujours au but. Les vieux disaient de lui: «Il
aurait pu faire un bon guerrier. Il sera un excellent chasseur.» Il
n'a été ni l'un, ni l'autre; mais il est devenu excellent chef de
famille.
8 Ces termes désignent les garçons non encore circoncis.
La chasse aux rats-palmistes est une grosse affaire. Après
discussion, on convient du jour où il faut mettre feu à telle partie
de la brousse. Tout le monde — dans les quatre hameaux — est
prévenu du jour et du lieu. L'heure de la rencontre est fixée d'un
commun accord. On se met aussitôt à parcourir les environs, à
placer des branches vertes à l'entrée des trous d'oryctéropes
qu'on a découverts.
Tous les rats-palmistes qui se réfugieront là vous appartiennent.
On les enfume et on bouche le trou. Ils périssent asphyxiés,
comme du reste toutes les autres bêtes qui pourraient s'y
trouver.
Le danger est qu'on y fait parfois la rencontre d'un grand «bida».
Il s'ensuit alors une débandade générale, quand le serpent,
agacé par la fumée, parvient à s'échapper.
Donc, au jour convenu, à l'heure précise, on met le feu. La paille
crépite et flambe. Le vent accourt et gronde dans la flamme. La
fumée monte et atteint bientôt le fond du ciel.
Les sauterelles vertes s'échappent les premières. Puis, on voit
des oiseaux, venus on ne sait d'où, tournoyer très haut en masse
pour, dit-on, éteindre l'incendie!
Les biches sortent, les rats-palmistes aussi. Et aussi, les
panthères. Les rats-palmistes sont forcés à la course. Le fusil, la
lance, l'arc et le bâton entrent en jeu. Les chiens sont de la partie.
Ils n'ont pas attendu l'appel de leur nom: Siba, Sé Tan,
Mougnakhadi, Khoulandian, Dion-tobin-ni, etc., Four se lancer à
la poursuite des rapides rats-palmistes. La chasse dure jusqu'à
l'extinction du feu; ou, tout au moins, jusqu'à la fatigue extrême
des chiens et des chasseurs.
On se retrouve sous un caïlcédrat ou tout autre grand arbre. On
compte les rats-palmistes, on règle les contestations. Puis, on se
met en besogne de les passer au feu pour enlever les poils et les
ouvrir. C'est la curée pour les chiens. La queue ne rentrera pas
au village. La tête appartient au «bilacoro» qui a servi d'aide.
C'est fête dans tous les hameaux.
Plus tard, au bord des marigots, dans les fourrés ou “noréspt que
l'incendie n'a pu entamer, on retrouvera d'autres rats-palmistes.
Cette chasse, par tâtonnement, s'appelle «fouler le noré». Elle
s'achève par de nombreuses captures, soit directement, soit
dans l'eau où les rats-palmistes, excellents nageurs, n'hésitent
pas à se jeter. D'ailleurs, ils y sont suivis par les chiens. Les
«bilacoros», l'arc tendu, les attendent sur la berge.
La pêche fatigue moins.
À Bondéri, on pêche au avvoussoun», treillage en bambou qu'on
soulève et qu'on pique en avant. On passe la main à l'intérieur
par le petit trou d'en haut et on continue, de Pavant, en rang
serré, avec les autres.
À Galéma, c'est le filet qu'on emploie.
C'est une branche de 4ictiagoun» recourbée tendue de mailles.
On l'utilise par paires. Sans plonger ou en plongeant, on écarte
les bras, puis on les rapproche. Quand la prise est d'importance,
on appelle à l'aide. Il arrive parfois que cette prise soit un petit
caïman.
Le système le plus couru est l'empoisonnement des eaux. La
cessation des pluies a fait que, peu à peu, l'eau s'est retirée dans
des creux plus ou moins étendus. On y jette du «fêta» ou du
gifro-fro» (plantes ichtyo toxiques). On attend un jour; parfois
une demi-journée. Les poissons, en masse, battent du flanc à la
surface. Ils sont pris et fumés.
Le piégeage a aussi ses attraits.
Alors que le soleil rougeoie au-dessus du col du Sorcier, nous
allons à travers champs poser nos pièges. Le «kalan», deux
pièces: une branche fourchue, de la longueur, au plus de deux
empans, tendue de corde consolidée par des poils de
phacochère où passe une baguette de bambou, effilée au bout
et portant le noeud coulant; un chaume de mil, deux fois plus
long, avec au bout, un rond de chiffon tendu. Une lamelle de
chaume se glisse entre deux ficelles au point où la tige de mil
s'enfonce sous le rond. On y introduit le bout effilé du bambou.
On place le noeud coulant, délicatement, tout autour du rond,
en bordure. On recouvre le tout d'un peu de terre. On jette à
côté quelques grains de mil ou
MM,
des cacahuètes. On efface ses traces, à reculons... Et, on attend...
Ami piégeur, pourvu que j'aie viande à manger!
Le «sadé», une latte de bambou, flexible, le noeud coulant,
quelques petits accessoires, c'est tout.
Le soleil a disparu. Le calme du soir envahit la nature. Les perdrix
battent le rappel au gîte.. Alors qu'on distingue à peine les poils
des paupières, il nous arrive d'apercevoir entre les broussailles
quelques perdrix. Elles allongent le cou; et, subrepticement,
détalent en baissant la voix ... co ... co co
D'autres fois, surprises, elles s'élancent tout droit, en flèche, les
ailes ramassées au corps, en poussant des km! kra! kra! kra!
effarés. Elles vont, un peu plus loin, retomber dans les
broussailles protectrices. À l'aurore, plus d'une voltigera au bout
du •sadén, la gorge serrée dans le noeud coulant.
On la retrouvera refroidie, les pattes raidies, se balançant
doucement au bout du fil.
Nous prenons également des pintades, des poules de rochers,
des toucans et des ramiers. Si, clans la visite matinale, nous
sommes devancés par la civette, l'aigle-Blanchard ou le milan,
nous ne retrouvons souvent auprès de nos pièges — parfois
entraînés au loin que des plumes ou un crâne.
C'est bien triste de s'être donné tant de peine pour si peu.
En hivernage, Galéma, déjà pas mal isolé, le devient davantage.
Le Dérémé est maître du cirque. Il vient de loin. De la crête de
Koli-Niakhé, l'un des sommets les plus élevés du Tambaoura. Ses
crues sont désastreuses. Entre ses rives, alternativement hautes
et plates d'argile rouge, il tournoie, tumultueux, menaçant,
entraînant des troncs entiers, déracinant quelques autres,
submergeant tout. Les 4ediagolims» au feuillage sombre, tout le
long sur les deux rives, se pressent. En certains points, ils
baignent dans l'eau.
Les mange-mil sont là. Du matin an soir, dans un vacarme
étourdissant, ils pépient autour de leurs nids, innombrables.
Que le milan vienne à passer, subitement, tout s'éteint.
Sur ce tapis de verdure sombre, les «sabas» fleurissent et étalent
leurs blanches corolles au soleil. Les marigots tributaires du
Dérémé connaissent aussi de fortes et violentes crues.
Heureusement, la décrue survient assez rapidement; en l'espace
d'une demi-journée au plus. Certains de ces marigots sont
tristement renommés. Le «Kémokho domo» (qui engloutit les
vieux) par exemple.
Par contre, il est un endroit sur le cours même du
Dérémé où, en toute période — même en cas de crue
exceptionnelle — on peut traverser sans, dit-on, enlever ses
sandales. C'est Tolola. Là, d'un jet, une roche haute et noire
enjambe le marigot qui passe au-dessous, avec fracas. En temps
ordinaire, on traverse le Dérémé, soit à la nage, soit en utilisant
des ponts de lianes ou même des troncs déracinés non encore
emportés par le courant. Le Dérémé, toujours encaissé, de
chutes en chutes, rejoint le Sénégal à Gossi, le Galouga des
cartes.
En hivernage, les enfants sont partagés en deux groupes: ceux
qui vont aux champs avec les parents et ceux qui deviennent
bergers.
J'étais berger. Des joies et des peines, l'aiguisement des
sentiments affectifs, le durcissement du corps aux intempéries,
le courage, l'entraide, tout y est. Voyons en quelques mots de
quoi sont faites ces peines et ces joies.
Les graminées et les ronces. Il est des graminées aux feuilles
velues dont les duvets, pointus, au moindre contact, se brisent
sur la peau et s'y enfoncent. Ils déterminent ainsi une
démangeaison rageuse qui vous fait gratter jusqu'au sang.
D'autres graminées ont des feuilles tranchantes comme des
lames de rasoir. Qu'une de ces feuilles vienne à passer entre vos
orteils, la chair s'ouvre, le sang jaillit et vous rentrez le soir avec
un accès de fièvre.
D'autres ont des épis qui sont autant de piquants, semblables à
des flèches ailées.
38
C'est à travers tout cela qu'il faut conduire les chèvres au bon
endroit.
Les ronces, à tout bout de chemin, vous accrochent au passage,
provoquent dans votre sommaire boubou des déchirures en
sabot d'âne, difficiles à recoudre.
Les bestioles. Les (idondolisu (mouches venimeuses) que, par
inadvertance, vous avez frôlés au passage, s'échappent de leur
nid caché dans le feuillage et vous livrent un combat sans merci.
Le cuir chevelu, les oreilles, le cou, sans arrêt, reçoivent leur part
de suc venimeux. C'est, au risque de vous éborgner, une course
folle à travers les broussailles. Les «vvoli-vvolos» (petites
mouches à miel) pénètrent dans vos oreilles, vos narines, vos
yeux. Vous en écrasez un, dix surviennent. Il faut s'éloigner en se
fustigeant de branches arrachées à la hâte.
Les «loporosic (mouches noires) qu'on dit provenir de détritus
de «vvolos» sont stupides. Es vous piquent, brutalement,
aussitôt posés, sans se méfier. Ils sont faciles à écraser. Les
«Mélos» (mouches «tsé-tsé») sont plus astucieux. Ils sont plutôt
rares. Ils se posent sans bruit, mettent du temps à enfoncer leur
dard.
Pour les prendre, on se montre plus astucieux qu'eux. On
applique une lame de couteau sur la peau, à distance. On avance
lentement la lame, tout doucement, dans leur direction. On
presse sur les pattes... Ou bien, on claque des mains, un peu au-
dessus. • Ils se font écraser au vol... Ou bien encore, on
les rafle en passant rapidement la main au-dessus... Les
ser..ents. Les serpents! Si l'on en rencontre? ... Bien sûr... Et
souvent. On surprend un serpent, ou, on en est surpris... Chacun
fuit de son côté. Pour le restant de la journée, on croit voir des
serpents partout.
Ces mésaventures, nous ne les racontons pas au village. Mais les
vieux, à tout coup, nous prouvent qu'ils ne sont nullement dupes
de notre mutisme. Ils s'en inquiètent, interrogent, nous obligent
à parler; et, au besoin, soignent.
Les chèvres. Quant à nos chèvres!
Nous aimons bien nos chèvres. Chacune d'elles répond à son
nom, tout en nous regardant souvent de travers, d'un air
goguenard. Il en est qui savent bien déjouer notre vigilance pour
aller, dans les champs de gombos commettre des dégâts. Elles
recevront à l'entrée de la case, au dos ou sur la gueule, à coups
de verges, la correction qu'elles ont méritée. Elles se plaignent.
Les autres, indifférentes, passent à côté. Nous aimons aussi nos
boucs, avec leur touffe de poils entre de grosses cornes de
«minai-1s» mâles (biches tâchetées). Mais à leurs combats, d'ôù
ils sortent souvent avec une tache de sang au front, nous
préférons les assauts violents des béliers. Sans cesse à la
poursuite des chèvres, les boucs nous fatiguent beaucoup et
fatiguent le.troupeau.
Plus que les chèvres, ils sont les héros de certains contes et de
certaines chansons. Un bouc rencontre une hyène, au
crépuscule, pas très loin du village. La conversation s'engage:
«Tu es seul, frère bouc? — Non pas, toute ma famille suit. — De
loin? — Pas trop.» L'hyène s'élance dans la direction indiquée à
la rencontre de la famille du bouc. Ce dernier, à toute vitesse,
s'élance dans la direction du village. L'hyène revient, pleine
d'ardeur et s'écrie: •Attends-moi, frère bouc; attends-moi.»
Mais le bouc n'attend pas. Il fait la sourde oreille. Au moment où
il franchit le seuil de la maison, l'hyène le saisit par la patte de
derrière. «C'est le piquet que tu as entre les dents». L'hyène
lâche prise. «Merci»! dit le bouc.
On prétend que lorsque le bouc accroche sa barbe aux épines du
jujubier, son seul désir en est cause. Qu'il s'en prenne donc à son
désir. On estime que frapper quelqu'un avec une épaule de bouc
en fait un satyre. Les jeunes filles, de leur côté, chantent souvent
ces couplets pour ouvrir la danse du saut périlleux:
Je n'aime point un barbon! Il me faut un adolescent! La barbe
exhale une odeur de bouc! Un adolescent agile est mon désir!
Et les adolescents s'élancent — à la façon du milan qui vire pour
enlever sa proie -- et exécutent
Impeccablement le saut périlleux.
Les chèvres n'aiment pas se mouiller. Aussi faut-il attendre la
chute de la rosée pour ouvrir la case. Nous
nous prévenons mutuellement et les cases s'ouvrent en même
temps. Il faut, en vitesse, sortir du village et traverser les champs
de maïs. Après quoi, au pied de la petite colline pointue, sur la
route de Diguiya, nous décidons de la direction à prendre, ce
jour-là.
C'est Salan qui décide. Chacun lui apporte sa dîme journalière:
un peu de cacahuètes, de gâteau au miel ou de maïs — quand
les maïs sont mûrs.
Si Salan donne des ordres, ces ordres sont exécutés aussitôt et
même avec plaisir.
Où que nous allions, nous revenons toujours passer la
méridienne à un point fixe, au bord du marigot, non loin du
village. À cet endroit-là, le marigot s'étale dans un lit de roches
plates, lisses et glissantes. Çà et là, des trous. L'eau, claire,
chantante, blanche d'écume, ne dépasse jamais le mollet, quelle
que soit la crue. Les chèvres, le ventre ballonné s'abreuvent.
Puis, on les voit, par petits groupes, se coucher. Elles se mettent
à ruminer.
Nous faisons du feu pour griller nos cacahuètes ou nos maïs. Si
nous avons assez de 44niambis» (tubercules), nous creusons un
trou que nous remplissons de bois sec. Nous mettons le feu.
Quand le bois est consumé, nous enlevons la braise pour mettre
nos •niai-la:bis» à la place. Nous les recouvrons de feuilles,
recouvertes elles-mêmes de terre bien tassée.
Nous les retrouverons le lendemain, cuits à point, la chair
fendillée, blanche et croustillante.
Les ressources de la brousse sont inépuisables: tubercules et
fruits de toutes sortes. On a toujours de quoi tromper la faim.
Aussitôt que les chèvres manifestent quelque impatience, nous
cessons nos jeux et levons le camp. La rentrée se fait sans hâte.
Mais à l'approche des champs de maïs, on accélère l'allure. Les
chiens ramènent les chèvres qui s'écartent. La journée se
termine dans la joie.
De temps en temps, nous nous hasardons au pied de la falaise. Il
y pousse une herbe folle, juteuse, extrêmement appréciée par
les cabris. Mais pour notre malheur, il nous arrive parfois d'y
recevoir à l'improviste, la visite de la panthère. Les moutons
attaqués se groupent, tiennent tête au félin et se laissent saigner
sans bêler. Les cabris, au contraire, bêlent, bêlent, et ... bêlent!
Ils s'affolent et se dispersent.
Par nos cris, et aussi nos coups de bâton, nous disputons la proie.
À toute vitesse, l'un d'entre nous se rend au village pour donner
l'alarme. Il nous arrive du secours. Si le cabri ou le mouton n'a
pas été emporté, nous évacuons les lieux. Un chasseur dresse un
affût et attend.
La bête féroce revient toujours.
Chaque saison a ses fruits et nous visitons tous les arbres
fruitiers.
En hivernage, après l'orage, c'est la ruée sous les karités et les
•dougou•as».
Chaque soir, nous rentrons à la maison avec un fagot de bois sec
pour la ménagère. Nous aidons de notre mieux dans la
construction des cases, en apportant de l'eau, en tressant de la
paille, en portant au maçon les petites boules de banko où il
place ses briques séchées au soleil.
Ainsi, d'une saison à l'autre, pour nous, s'écoule la vie à Galéma.
Et quand les cigognes arrivent au début de l'hivernage, nous leur
courons dessus, en chantant: «Mon amie cigogne est de retour!
Mon amie cigogne est de retour!»
Mon dernier piégeage a marqué une coupure dans ma vie. je me
rappelle ce jour comme d'hier; et c'est pour moi un souvenir
doublement pénible.
J'avais tendu mes pièges dans un champ de cacahuètes. Tout
près de notre maison. Au milieu du champ, non loin d'un
kapockier fleuri, on avait entassé la récolte sur des pieux pour la
soustraire aux déprédations des boeufs en liberté. Je venais
souvent m'asseoir à l'ombre du hangar ainsi chargé avec un
garçon de mon âge que j'aimais beaucoup...
C'était un esclave. Il s'appelait Sandigui. Un jour, nous vîmes
deux hommes s'avancer vers nous. Sandigui me dit que l'un était
son maître. Ce maître s'appelait Sandiman. Sandiman prit
Sandigui par le poignet, le fit lever... l'emmena sur la route, vers
l'est! Je ne devais revoir Sandigui que trente ans plus tard, à
Banaré, village de son maître, où, libéré, il était
revenu s'installer pour fonder un foyer. Il est, aujourd'hui, un
grand chef de famille. Nous sommes restés amis et évoquons ces
souvenirs avec attendrissement. Mais à l'époque, le mot esclave
n'avait pas de sens pour nous. Aujourd'hui encore, il n'a point de
sens et Sandigui, en me présentant sa famille, me dit: «Voici ton
fils, voici ta fille». L'un de ses garçons a reçu mon nom.
Ce jour-là, donc, j'avais tendu mes pièges et attendais. Coup sur
coup, j'ai pris un «boré» (ramier à plumage bleu foncé) et un
«nialchantan» (ramier à plumage roux). J'étais joyeux et espérais
une nouvelle prise. Car, si les ramiers roux s'étaient envolés pour
ne plus revenir, les autres étaient restés, très nombreux, sur les
hautes branches du kapockier. Survint mon frère, Nioukou-
Gimba. Il m'intima l'ordre de mettre mon boubou et me prit en
croupe sur son cheval au chanfrein blanc... Il piqua des deux.
Vers l'est! Comme Sandigui.
Nous passâmes la nuit à Diguiya. Le lendemain, après une très
longue étape, nous arrivâmes à Talari chez mon oncle Diandian-
Dabo, le célèbre chasseur d'éléphants. Ma cousine Sounkharou
Diakhité me reçut dans ses bras et me couvrit de pleurs.
Au soleil déclinant, nous reprîmes la routé. C'est Birou traversé,
après un arrêt à la porte d'un notable, Mahamadi, forgeron de
son état et très serviable.
En vue de Mahina, mon frère se redressa en selle,
se tourna vers moi et me montra, d'un côté, à droite, deux hauts
bâtiments aux toits rouges: Mahina; de l'autre, sur la gauche,
plus loin, faisant tache à l'horizon, un autre bâtiment, tout blanc:
Bafoulabé. Au pied du monticule, des troupeaux et des
troupeaux de boeufs. Nous arrivâmes chez notre hôte, Sékou
Dramé. Nous y retrouvâmes mon père et sa suite. J'étais à bout,
marchais à peine et avec douleur. Car j'avais une belle ampoule
entre les fesses.
L'intention de mon père avait été, à l'origine, de confier mon
éducation aux marabouts. Il n'attendait que le retour de ma
grand'rnère pour se décider et m'envoyer à Kounti (en Gambie
anglaise) chez le célèbre et vénéré marabout Fodé-Cheik Sylla,
Un Saint. Des plus grands.
J'étais donc destiné à devenir marabout. Ainsi, j'aurais pu avoir
la possibilité de parachever mes études coraniques à Bouti-limit
auprès du Très Vériérable Cheik-Sidia Baba; et de là, peut-être,
pousser jusqu'à Fez. Allah n'a pas voulu cela.
Mon frère aîné, Djiné-Moussa, avait été mis à l'école à
Bafoulabé. À l'école, on l'appelait simplement Djimé.
Ses condisciples, Baly, Kéfing, Diali, Kissané, plus tard, me
parleront, avec éloges, de leur «camarade Djimé». Les vacances
avaient lieu en hivernage, fin juillet, début août. Mon frère donc
vint en vacances. En passant par Galéma pour se rendre dans
notre village (Horokoto) il m'offrit des •sabas» qu'il avait cueillis
pour moi, bien loin, en pleine forêt, à Tonso-Fanfan.
Une nuit, peu de temps après le repas, sous le grand baobab,
tout près de notre maison, une voix se fit entendre. Cette voix
demandait au village de se taire et de l'écouter.
Comme tout le monde, je me tus.
Notre maison, tout entière, partit en sanglots! Je criai aussi et je
me jetai dans les bras de ma cousine Diontan, sans avoir rien
compris de ce qui s'était passé.
On m'apprit plus tard que l'homme à la voix enrouée avait
annoncé le décès de mon frère! Ma mère, par la suite, ne me dit
jamais rien à ce sujet. Elle visitait souvent la tombe et la soignait.
Alors, son regard profond tombait sur moi. Je la vois encore,
devant moi, adressant au Très-Haut, d'un coeur saignant, sa
prière muette. La dernière fois que je vis ma mère, dans cette
attitude, c'était un soir, en septembre 1911. C'était la fin des
vacances et la rentrée. Le surveillant Fadiala était venu nous
chercher, les autres écoliers et moi.
Ma mère était assise, sur un escabeau bas et portait les mains à
la poitrine, sous les seins.
«Mon père», me dit-elle9, les sept trous de mon sein, mes
misères et mes souffrances te protègeront.» Ma soeur
9 Mon père: Ma mère m'appelait ainsi parce que j'avais reçu au
baptê me les prénoms de son père. C est une appellation
coutumière.
Siraboula éclata en sanglots. Mais elle eut la force de
m'accompagner jusqu'au sommet de la colline qui surplombe
Horokoto, sur la route de Boulouba.
Plus tard, ma mère offrit à mon père de choisir un taureau,
chaque année, à son gré, dans son troupeau personnel, pour
sanctifier la bénédiction qu'elle m'avait adressée. Cela, pendant
vingt ans.
Mon père, lui, me parla, à diverses reprises de mon frère.
Toujours pour me rappeler ceci: Balle, dans son délire, me disait:
«Je dois mourir. J'ai été surpris. Sans cela, mon père, je te
rendrais heureux. Je relèverais ta maison. Mais je dois mourir.»
Et il se frappait la poitrine.
Cette mort a changé le cours de ma vie.
Après la mort de mon frère, mon père, comme on le voit,
renonça à son projet primitif de m'envoyer à Kounti. Il décida de
me mettre à l'école. Il me présenta dès la rentrée. Je fus refusé.
Il s'obstina et me présenta de nouveau comme je viens de
raconter quelques mois plus tard, au «Petit Commandant
Lirman.
Lirman me trouva trop petit, trop jeune. — Tu l'élèveras toi-
même, lui répliqua mon père.
10 Balla: Autre appellation de ceux qui s'appellent Moussa. Mon
fière avait reçu le prénom de mon aïeul paternel, Djiné-Moussa.
Lirman" me prit par la main, me tapota la joue. Je n'avais pas
peur. Il prit une petite blouse blanche et me la passa au cou.
Je sus plus tard que, de sa propre main, il avait inscrit au col de
la petite blouse blanche, à l'encre de Chine, mon numéro du
Registre matricule (97).
L'école est installée à Babaroto, non loin du village du même
nom'', dans des bâtiments désaffectés de l'armée de la
conquête. Il y en a deux, l'un servant de dortoir et de magasin;
l'autre comprenant les trois classes et le logement du Directeur
(trois pièces). Une haie vive — purghères et névredailles —
entoure l'ensemble.
Mon arrivée à l'école fit sensation.
Mes futurs condisciples s'écrièrent tous, les uns après les autres:
«Petit Pouce est arrivé! Petit Pouce est arrivé!»
Ce nom de «Petit Pouce•, je l'ai conservé.
"Cf.: •Père Lirman», p. 61. '2 Babaroto: confluent du Bafing et du
Bakhay pour former le Sénégal.
LES BLANCS
À mon maître F. FROGER
La charité n'ordonne pas, sous prétexte d'aimer les personnes
parce que ce sont nos frères, d'aimer en eux leurs défauts, leurs
vices, leurs mauvais desseins, leurs crimes... Elle ne défend pas
de prendre tous les moyens légitimes pour s'en mettre à couvert.
SAINT-SIMON (Mémoires)
M. D...
19074912. — Son influence sur nous a été profonde. II nous a
tous marqués., pour la vie: le travail soigné, méthodique, une
discipline rigouireuse; mais aussi — s'il le faut — la volonté de
dire non! nettement, et de s'y tenir, quoi qu'il advienne.
L'inspecteur, M..., nous le rappelait encore en 1920. C'était après
la grève, la grande grève des fonctionnaires et des cheminots au
Soudan. Nous avions cru pendant longtemps, nous disait-il en
roulant les •r•, que les anciens écoliers de Bafoulabé avaient la
«tête dure» parce qu'ils avaient subi l'influence de leur
directeur, M. D... Or, ça continue. — C'est qu'à Bafoulabé, vous
êtes en pays «d'hommes libres». Telle fut notre réponse.
Le pauvre inspecteur M... n'avait jamais compris que ce qui était
vrai pour Bafoulabé l'était, également, pour tout le Soudan où
«le senthnent de l'honneur» prime tout. Ses livres insipides en
portent témoignage.
M. D... rentrant en congé nous avait laissé son adresse: Saint-
Anthème (par Issoire) Puy-de-Dôme. Cela ne nous disait pas
grand'chose à l'époque. Mais nous avions la possibilité de lui
envoyer «les salutations e tous nos parents►»
Aujourd'hui, je ne suis pas éloigné de croire que l'emprise
profonde que ce Forézien a eue sur nous tient, en partie, du
milieu. Les mêmes collines, les mêmes monts, les mêmes vallées
encaissées, les mêmes rivières
aux crues redoutables et passagères que chez nous. Ainsi, je
m'imagine que l'Ance n'est pas si différente de mon Dérémé.
Taine n'a pas toujours tort.
M. D... est de taille moyenne. Un peu voûté. Une figure plate,
encadrée d'une longue barbe rousse qu'il aime caresser avec
bonhomie. Mais quand il la porte à la bouche pour mordre, ça
n'annonce rien de bon. Il ne connaît pas de repos. De la classe,
sécateur en main, il passe au verger pour tailler des goyaviers,
des pommes-canneliers, des citronniers, des orangers, des
manguiers et des mûriers. Car il élève des vers à soie. S'il n'est
pas au verger, il est à la chasse. Excellent tireur, il a. tout un
arsenal: une toute petite carabine pour les foliotocoles et autres
oisillons aux vives couleurs qu'il pique aussitôt abattus — sous la
patte et qu'il empaille. Un fusil à deux coups pour les perdrix, les
pintades, les ramiers et les biches. Un fusil — très lourd — pour
les fauves et les caïmans. Jamais il ne rate un coup! Rentré à la
maison, son activité ne se lasse point. Je le vois encore, devant
sa bibliothèque où trône un Larousse en dix-sept volumes,
rédiger des notes prises à longueur de journée, des contes, des
fables, des légendes ou des récits historiques. Je l'ai vu discuter
avec L. Frobenius.
Son enseignement? — Apprendre. Savoir impec-cablement ses
leçons. C'est net et clair.
Nous avons appliqué le précepte. Nous avons appris par coeur
— tous les livres en usage à l'école: (Foncin pour la géographie;
Carré pour le vocabulaire; Larive et Henry, Rotes pour la
grammaire; Machuel, les Lectures courantes (Tunisie et Algérie);
Brouet, Leyssenne pour l'arithmétique, etc.) Il s'est trouvé
même, parmi nous, un phénomène, Niafou13 capable de réciter
d'affilée, les deux cent quarante et quelques fables de La
Fontaine. Sur ce point d'ailleurs, sauf les noms de bêtes, nous
étions en pays de connaissance. En classe, M. D... était exigeant:
l'attention soutenue, la tenue devant le pupitre; la tenue du
livre, de l'ardoise, du cahier; du porte-crayon ou du porte-
plume... Et les coups de règle pleuvaient sur les ongles.
"Le Yang-Tsé-Kiang est un fleuve d'Asie.»
C'est notre modèle d'écriture, tracé au tableau noir sur le clavier
des lignes faites à la craie en pinçant une ficelle. Entreprise bien
difficile pour nous... Il faut s'efforcer au mieux.
En revanche, M. D... ne nous a pas appris: «Nos ancêtres les
Gaulois...». Au contraire, il nous enseignait, en même temps que
la géographie locale, l'histoire de notre pays: de l'Empire du Mali
à la Conquête.
Trois fois, chaque jour (matin, midi, soir), baignade au fleuve
(Bafing).
Chacun a son petit jardin où il fait pousser des légumes, à côté
de la patate et du manioc. Plus tard, nous aurons un champ de
mil et un champ d'arachides. Cette initiative — nous le savons
maintenant fut cause du départ définitif de M. D...
L'École rurale n'a fait que reprendre — bien plus tard — en
l'amplifiant outrancièrement et avec des intentions
machiavéliques, la noble conception du paysan forézien: 4fixer
les peuples au sol».
La casquette du «Père Bugeaud» 1908. — Il est tout petit, rond.
Myope. Rétrospectivement, en voyant Jacques Duclos, le leader
communiste, je pense à lui.
Il n'a fait que passer. Pour mettre tout sens dessus dessous: En
première classe, tous les grands, même si ce sont des cancres;
en deuxième classe, les moyens; et en troisième classe, les
petits. Dayé qui a l'allure martiale d'un caporal est classé,
d'office, premier en deuxième!
Ses cours? D'interminables dictées improvisées où il y a de tout.
(J'entends chanter les oiseaux-trompettes... La cuisinière
Doussou est vicieuse... etc.»
La nuit, au clair de lune, au pied du lampadaire, il nous apprend
à chanter. Invariablement, c'est toujours:
As-tu vu la casquette la casquette?
As-tu vu la casquette du Père Bugeaud?
ou quelquefois,
J'ai du bon tabac dans ma tabatière...
ou Frère Jacques ... Frère Jacques Dormez-vous? ... Dormez-
vous? ...
Son nom? — Je ne vois"... rien, avec quelques
légères modifications, répond à la question.
Le ménage Dub.
Tout différent de celui de M. D... L'homme est toujours en
mouvement. Entre le cognac et le pernod.
La femme traîne de longs cheveux roux (qu'on dirait teints au
henné) sur une robe flottante... très légère. En passant à côté de
nous, elle nous jette un regard effarouché. Se peut-il qu'en
France comme en Afrique, les rouquins soient d'humeur
acariâtre?
1908 Léon V...
C'est un grand chef, un Inspecteur. Il habite Saint-Louis, auprès
du Gouverneur.
" Il finit quand même Inspecteur des Écoles.
Sa visite à l'école est un événement.
Il est beaucoup plus grand que le directeur M. D... Il aime tapoter
son ventre proéminent. Il porte un lorgnon à monture d'or. Il
l'ôte souvent, l'essuie et le replace. La trace, rose, est visible sur
son nez bossué. Nous l'avons baptisé «l'homme aux quatre
yeux».
Il sait tout. S'il lève la tête et regarde l'acacia de la cour, il en
déduit le nombre exact des feuilles! Des grues huppées qui
passent au-dessus de nos têtes en chantant et que nous suivons
du regard, il sait qu'elles sont trois cents!
Avec ça, il parle sans cesse. Il est intarissable. Un soir, au-dessus
de l'horizon empourpré, il nous montra le croissant de la lune.
Un filet blanc à peine visible. De là, il partit dans une savante
explication des phases de la lune. Puis, ce cours terminé, il se
tourna vers notre surveillant Madi-Moussa, toujours pétillant et
roulant sa casquette à la main.
— Surveillant, comment s'appelle ton village? — Mon village
s'appelle Badumbé. — Que signifie Badumbé?
•1e
Voyons: Bafing = fleuve noir; Bakhoy = fleuve blanc. Et
Bamdummbé?
▪G
— Voyons, ne te trouble pas. Réponds. Badumbé..., c'est
Badumbé.
L'inspecteur éclata de rire, ajusta son lorgnon, se
tapota le ventre, essaya de pincer l'oreille du surveillant qui
recula. Badumbé, dit-il, Badumbé veut dire «rivière profonde».
Aussitôt, nous nous sommes emparés de cette interprétation
dialectale."
Du côté d'Amsterdam et sur les côtes bretonnes, de Saint-Malo
à Saint-Brieuc, entre les deux guerres, le lorgnon de Léon V...
s'agitait encore, sur un nez devenu, paraît-il, tout carminé.
1907 — Le Serpentaire
Après des incidents provoqués à Labé (Fouta-Djallon), on
l'envoie à Bafoulabé. Tout de suite, on lui colle l'épithète de
«Serpentaire». C'est l'usage. Seuls, à Bafoulabé, y ont échappé
le capitaine Sauvage (qui l'était réellement) et le «Commandant»
Cora qui portait un nom du pays. Cora mourut en Côte d'ivoire.
Ce Commandant D...'6 a mérité l'épithète qu'on lui a attribuée
parce que, quand il se met en colère (ce qui lui arrive souvent),
ses cheveux se dressent sur son front pointu de serpentaire,
oiseau de mauvais augure.
" En réalité, Badumbé se décompose ainsi: Badin-bin = parents;
bin lieu de rencontre ou lieu de réconciliation des parents (bin a
ces deux sens). Après la destruction de Farimboula par E1-Hadj
Oumar (1858) les rescapés se regroupèrent auprès du monolithe
de l'ancêtre Doussou-Fabour (ou Farin-Fabou) à Badumbé. Ce
monolithe est encore visible à la gare. 16 Les Administrateurs
des colonies aiment s'appeler «Commandants». @Mon
Commandant» leur fait beaucoup plaisir.
En très peu de temps, la prison regorge de condamnés. Avec ou
sans jugement. Peu importe. Les uns ont les pieds aux fers,
individuellement ou à deux. Tous bons pour les corvées. Tout le
monde y passe: notables, marabouts et féticheurs. Il faut
émasculer le pays, abattre les énergies, réduire les récalcitrants.
Le pernod qui se vend, à prix d'or, dans toutes les boutiques, fera
le reste. Serpentaire s'y adonne lui-même. Et plus tard, dans une
cité musulmane, très orthodoxe, il recommandera le rhum à la
population pour lutter avec efficacité contre la grippe espagnole
(1918). Son oeuvre? Un toit de manguiers sur la route, de
Bafoulabé à «Libe•té»".
1908 — Le Marabout ou 44Hina-Mansaii18
Il vide, ou presque la prison. 11 suspend les corvées d'eau aux
fonctionnaires, lui-même compris. Il interdit l'utilisation des
prisonniers en dehors de l'entretien du jardin du cercle. Il laisse
tout le temps au contribuable d'apporter son impôt à la paierie.
Pas de peines disciplinaires. Très• peu de condamnations au
correctionnel. Tous les litiges et différends se règlent à l'amiable.
Le vent a changé de direction.
17 L'administrateur que nous retrouverons plus loin prolongea
la plantaLion jusqu'à Mahina (6 km) et sur ta route de Kayes
jusqu'à la digue 0 km). 18 Hina-Mansa: littéralement: hina - pitié,
Compassion; mansa = roi. D'où, le «roi bon et compatissant».
Hina-Mansa ne boit que de l'eau. Avec stupeur, on apprend sa
mort, à l'ambulance de Kayes, au cours d'un voyage.
Les bons passent. Les méchants restent. Allah n'a pas pitié.
19094912 — Le Scorpion
Le scorpion est petit, mais on ne peut lui marcher sur la tête
impunément. fi est facile de le mettre dans sa narine ou sa
poche. Mais pour l'en sortir, c'est une autre histoire.
Semblable au caillou jeté dans la nuit, on ne sait où il tombe.
Semblable au ifirlin-fatio» (arbre secoué par l'orage), on ne sait
dans quelle direction il va faire sa chute.
Il a une méthode infaillible: diviser pour régner, avec un brin de
perfidie. Pourtant, il est corse! Au nord, au sud, de l'est à l'ouest,
il sait exactement ce que chaque notable mange à son repas du
soir.
Les procès affluent. Les interprètes, les agents politiques, les
juges, les gardes, les délateurs du commerce sont heureux. Ces
derniers tirent un double bénéfice de la situation. Ils écoulent
leur pernod, leur escamite et leur madipalan. Ils recueillent des
confidences qu'ils vendent chèrement. Scorpion est aussi
«Caméléon». La nuit, sous les déguisements les plus divers, il
parcourt les rues de la ville. Mais bien souvent, son odeur de
Blanc et son
60
accent le trahissent. Souvent aussi, il s'en tire avec quelques
désagréables aventures.
La dernière fut publique. Un coup de poignard à S... en pleine
fête, donné par un fanatique.
Bilan: une très belle citation, un bras presque atrophié, un
cadavre sans jugement!
«Père Lirman»
1907. Je le vois encore, à la porte de son bureau, sous la véranda,
vêtu de blanc.
Il est assis. Son ventre repose sur la table. Ses yeux sont bleus.
Toute sa figure est envahie par une barbe noire, opulente. Ses
lèvres dessinent entre sa barbe et sa moustache très bien
fournie, un léger trait, couleur de sang. Comme le bec de cet
oiseau qui se nourrit de figues. Il est toujours entouré. Avec lui,
on est sûr de se faire entendre, de ne pas aller en prison. I1 est
le «Petit Conunandant». Il tranche nettement sur les autres. Ce
n'est pas étonnant. C'est un «fils de noble». Un «Parisien». Tout
le monde l'appelle «Père Birman».
m.
19074912. — Très grand. Un échalas. De petits yeux clignotants.
Il zézaye en parlant. Cela vous donne envie de rire. fi rit tout le
premier. Tout le monde rit. On fraternise.

Il va tout droit, sans hésitation, au but. Il s'éprend de la belle F..,


et s'installe en famille.
"er
lem ei ru lem • mulgi • Ind
La maison est au bord de la route où passent des lonys. Une
grande case et quelques dépendances dans une vaste cour. À
l'entrée, un «minkhon», arbre fragile, aux fruits odorants rouge
cerise, mais aigres.
M... en est le maître. La chaise-longue y est en permanence, à
l'ombre, tantôt à l'est, tantôt au couchant. Dès qu'il revient du
bureau, des enfants s'empressent et l'entourent. Il leur distribue
des pièces de cinq centimes et dix centimes.
E.. a une espérance. M... se montre de plus en plus empressé, de
plus en plus plein de sollicitude. Les gens sont étonnés et
admirent sa conduite. Un enfant vient au monde. C'est un
garçon. M... reconnaît son fils.
Mais hélas! F... meurt avant la fin de l'année. M... accablé,
désorienté, parcourt les rues de la ville, son enfant sur les bras.
Cela dure peu. Il meurt soudain, emporté par un mal mystérieux.
Jusqu'au bout, la fatalité l'avait poursuivi.
Deux familles en deuil, liées à mort, ne se connaîtront point.
Bagarra-Bandiougou 19
1908. — Il est brun, large d'épaules, planté au sol. Un front et un
menton carrés enfoncent, dans un creux où palpitent des yeux
verts et méchants, un nez pointu.

Bagarna-Bandiougou: littéralement, Bancliougou: qui attaque et


charge; bagama: sans motif.
Il p... du feu. Volontiers, les griots le comparent à un «dagarné-
doloton.
Le clagamé est un petit carnassier qu'on dit invulnérable quand
il est en colère. Et il est toujours derrière sa femme, s'attaquant
à tout. Même aux graminées.
Bagarra brise le bras à l'un, crève l'oeil à l'autre, piétine un
troisième. À coups de nerfs d'hippopotame, il se plaît à troubler
les jeux les plus innocents. Quand il fait sa sieste, gare au
propriétaire du chien qui aboie, à côté; gare à la ménagère qui
donne un coup de pilon dans le mortier. Tout le monde fuit dès
qu'il paraît. Il s'en étonne et entre en fureur!
Le châtiment l'attendait sur la route: le bagne.
Tolassé
1909-1910. Son sobriquet «celui qui achève les moribonds», lui
convient admirablement. De Bafoulabé à Dori, de Baraouéli à
Tahoua, il a laissé une trace indélébile.
Son enfant syphilitique ne doit pas s'asseoir sur les mêmes bancs
que les «petits négrillons pouilleux». Le poste étant établi à dix
lieues du fleuve, il lui faut pourtant, chaque matin, un
<icapitaine»" vivant!
2° Le capitaine est un poisson du Sénégal et du Niger. Il est avcc
le poisson-chien, l'un des poissons les plus estimés de ces
fleuves.
Le Somono qui a capturé le «capitaine» le tend au cavalier qui
attend, disant: «Je te le remets vivant». Le cavalier pique des
deux vers un autre, posté plus loin, et lui dit: «je te le remets
vivant!»
Et, ainsi de suite. À Sans même un remerciement. Petits faits.
Grandes conséquences. La désaffection éclôt au coeur des
opprimés.
Foronto
1931. Foronto =piment. C'est tout dire.
Des allures nobles — il l'est effectivement — tout le
comportement d'un chef qui veut être obéi, sans réplique. Il
parle, dit ce qu'il veut. On n'a pas le droit de répondre. Même
pour donner un avis utile. Or, il y a des silences qui condamnent,
des silences révélateurs de mépris. Plus d'une fois, Foronto
l'apprit à ses dépens.
Les habitants d'un village où les terres sont épuisées, créent, aux
environs, des villages de culture. Leurs cases sont incendiées
avec les récoltes. Le village se vide complètement.
L'interprète, à cheval, au début d'une tournée, doit suivre la
voiture du «Commandant», à la même allure!
Tout tranquillement, après un galop infructueux,
l'interprète rentre se reposer à la maison. Foronto se retrouve
seul au campement avec son unique chauffeur. Ce dernier fait
signe à la population. Il est énervé. Foronto aussi. Les villageois
sont réticents. É faut faire demi-tour.
Foronto est en inspection sur les routes. Il a daigné prendre un
chef avec lui, dans sa voiture. La route est mauvaise. S'adressant
au chef, Foronto lui dit, avec une colère non dissimulée: «Tu n'as
rien fait. Tu n'as rien fait. Ab..., ton voisin, chef comme toi,
travaille mieux. Je vais demander ta révocation.»
Excédé de cette kyrielle de menaces, le chef fait stopper la
voiture, met pied à terre et dit à Foronto: «Sans les Blancs, Ab...
que tu vantes tant, ferait ma route et autre chose encore.» Ils
étaient seuls. Et le chef était irrité. Pour une fois, Foronto avait
compris.
Ganda-la Makhan
1931-1935. — L'homme est un fauve. Un Hercule. Il ne rit jamais.
II va en guerre contre les chefs cacochymes, le peuple paresseux,
les commerçants voleurs, les fonctionnaires prévaricateurs et
concussionnaires. Plus de cent personnes entassées dans la cour
de la prison, sous la pluie! Des hommes, des femmes, allo! au
kapock, à la paille, au bambou. Des femmes accouchent en
pleine brousse!
Produire des pastèques, du coton, du haricot, des arachides, du
mil et du fonio, pêle-mêle, sur les mêmes terrains de latérite et
de sable blanc, à côté des
marécages et en zône d'inondation — essai ou expérimentation
de kolkhoze dans un pays immunisé contre ce virus — telle est
l'idée géniale de Gancla-la Makhan!
Si seulement, il s'était fait traduire la chanson qui rythmait les
daims des femmes sur l'argile qu'elles savaient infertile. Si
seulement, il s'était fait traduire les poèmes que Bandia, de
Nouroukourou, chantait chaque soir, autour du feu, aux
cultivateurs recrus de fatigue et de coups de nerfs de boeuf!
Mais non!
Gancla-la Mankha, l'incorruptible, était entouré d'une bande de
«mauvais oiseaux». Pour les désigner, le seul mot «sacrés»
comme eût écrit Saint-Simon, vient à mon esprit.
Le Gauvea•neu1° Cl...
19 mai 1908. Le train est annoncé. Il dévale en vitesse, de la
montée de Fétra. La foule s'agite — les enfants surtout — les
gardes se démènent. Tous les tams-tams se mettent à battre. Le
train arrive en gare. Tout blanc. Des drapeaux partout. Le
«Commandant» (Scorpion) et les Blancs se précipitent. Le
Gouverneur descend du train. Nous chantons la Marseillaise.
Le Gouverneur passe devant les chefs. Il serre la main à chacun
d'eux.
Nous sommes alignés, à distance, à la suite des chefs. Le
Gouverneur s'arrête un peu et nous adresse des compliments. Il
poursuit sa route, vers le buffet de la gare. Il boîte en marchant.
Le parasol doré de sa femme, la tenue de ses officiers d'état-
major — ses porteurs de galons chamarrés d'or, retiennent
beaucoup l'attention.
Nous rapprochons ainsi ce chef des Blancs, de nos chefs
traditionnels simplement vêtus au milieu d'une foule de
courtisans aux costumes rutilants.
On nous annonce une large distribution de boeufs — chefs,
notables, fonctionnaires et élèves — et de kolas. Après le repas,
au buffet de la gare, le train démarre. Il siffle longuement, sur le
pont. On nous apprend que le Gouverneur a transféré la capitale
du Soudan français de Kayes à Bamako (la ville des Niâré) où, sur
la colline du Point F., on lui a édifié un Palais.
Son passage est une date (1908).
M. C...
1909-1915. C'était un géant, débonnaire.
Dans la notice nécrologique qu'il lui avait consacrée, l'inspecteur
général G. H. l'appelait: «Un géant timide».
Naturellement, nous étions incapables, quant à nous, de nous
rendre compte de cette timidité.
Il signalait son approche par une odeur que nous savions bien être la
sienne. Alors, comme le coq fait «khoûr» quand le milan en se faufilant
entre les branches montre un bout d'aile, l'un de nous s'écriait: (4Il est
midi!» Aussitôt, jusqu'aux arbres de la cour, tout rentrait dans un
silence profond. Son école, dite École des Fils de Chefs et
Professionnelle» recrute les meilleurs élèves de toutes les écoles du
territoire.2'

Il sélectionnait les mieux doués pour les orienter vers l'enseignement,


le secrétariat dans les bureaux, les P.T.T. et la médecine. Les autres, il
en faisait des ouvriers. Son surveillant préféré, E K., chaque matin,
rassemblait les ouvriers pour les conduire au dépôt, en s'écriant:
«Ouvriers en bois (sic), ouvriers en fer (resic), debout! debout! devant
la porte!» Et M. C... passait en haussant les épaules.

Une acuité prophétique du regard. Il se faisait présenter tous les


nouveaux venus. Il les examinait de ses yeux de lynx, de la tête aux
pieds, en roulant une cigarette (tabac Martin, papier Job). Il posait une
ou deux questions et prononçait son verdict. Rarement, il se trompa.
Pour chacun d'entre nous, autant que je sache, la vie a confirmé son
jugement.

Son école, ses maîtres, ses surveillants, ses élèves, c'était sa vie. En
somme, un apostolat.

2' C'était le Haut-Sénégal et Niger (H.S.N.) qui a été divisé, par la sui-
te, en trois territoires qui sont, actuellement: le Niger, la Haute-Volta
et le Soudan français.
Madame Po.

1910. — Elle crée une installation pour utiliser la coque du fruit du


rônier. Elle en tire le corozo. Elle élève des pigeons, des oies, des
canards et des autruches. Elle aménage un réfectoire pour enfants.
Elle est toujours là aux heures du repas, en bonne mère de famille. Du
savon à l'un, une blouse ou une camisole à l'autre. Disant à tous d'aller
à l'école.

Souvent, des mères de familles viennent la remercier et lui disent: (Je


ne puis rien pour toi. Tu as vêtu mon enfant. C'est ton enfant. Tu m'as
enlevé une pierre sur la main. Allah te paiera.t)

La vérole

Si quelqu'un te dit que tu as la vérole, si neuf autres personnes te


disent la même chose, empresse-toi de mettre du chrome sur ta plaie.
Car dix bouches ne sauraient mentir.

L'homme qui a mérité ce sobriquet — la vérole dans notre dialecte est


désignée sous le nom de «tibabo» — est redouté au même titre que la
hideuse maladie. C'est un spécimen rare. Même physiquement. Un
embonpoint excessif, des jambes cagneuses, une calvitie totale. On dit
de lui, à la dérobée: «Dès que la calvitie aura atteint sa nuque — et il
s'en faut de très peu — il mourra.»

Il fait le mal, sans paroles, avec ténacité. Même


pouces sous le gilet, nous le voyons frotter le bout du nez contre le
mur, se tourner vers nous et lancer 4(...'ce pas?».

Nous nous sommes appropriés l'expression.

Que de sciences accumulées, que de contradictions en un seul


homme! Sciences exactes, Philosophie, Histoire, Littérature, tout y est!
Il est en outre esthète, poète et musicien sans pour cela dédaigner ni
le jeu, ni le cognac! Quel coeur aussi! Il faut l'entendre commenter
Renan, son compatriote: Les Origines du Christianisme, Hérode, La
Prière sur l'Acropole, Jésus, Saint-Paul, etc.

Et si nous sommes et restons cuirassés contre tous les fanatismes,


c'est, en grande partie à lui que nous le devons. Très dignement, il
refusa de nous suivre à Gorée, préférant rester à son clocher de la rue
Lanneau, pour continuer à former aux disciplines classiques des
Humanités, indisctinctement, des jeunes, blancs, métis et noirs.

Douga (le vaut ur)

1913-1914. Gorée a supplanté Saint-Louis. Sébikhotane a supplanté


Gorée. Fann a supplanté Sébikhotane. Il semble que le cerveau de
l'A.O.F. n'a pas encore trouvé son point de fixation... Et demain?

Demain, peut-être qu'au coeur de l'Afrique, le foyer qu'alluma Kankan-


Moussa, qu'entretint Sékou Ahmadou, se rallumera pour donner son
essor à «PÈre des Tropiques».
Ancien élève de l'École Normale Supérieure, agrégé d'Histoire et de
Géographie, l'inspecteur général, G. H. est très jeune. Il monte sur
l'estrade, rejette sa redingote en arrière, pointe sa barbe en biseau, et
ouvre la bouche: Saint Jean Chrysostome. Il nous présente notre
nouveau Directeur, venu en droite ligne de Bouzaréa (près d'Alger).
Les élèves, avec les professeurs, sont au complet dans la salle d'études.

À son tour, le Directeur prend la parole. Il se tient tout droit, dominant


largement tous les autres. Il passe la main dans sa longue barbe de
patriarche, la caresse avant d'ouvrir la bouche. Il a l'air de fermer les
yeux. Nous sentons qu'il se recueille. Il parle, enfin. Le débit est lent,
pâteux, monotone. Mais peu à peu, sa voix s'élève. Elle est grave. De
ses lèvres, tombent de profondes paroles de sagesse.

Ce n'est plus l'éblouissement, c'est l'âme qui se met à vibrer.

À la fin, nous sommes tous conquis; et d'emblée, lui attribuons


l'épithète de (cdouga», symbole de Sagesse. Nous sommes convaincus
que nous nous trouvons en face d'un Homme, avec un grand H.

Plus tard, nous découvrirons l'ascète, fidèle au Coran. C'est la Grande


Guerre: surgit un héros.

Pourtant, il y a une ombre à ce tableau. Douga a écrit une “Pédagogie»


. Je cite la première phrase, de
mémoire: «Le cerveau d'un enfant noir est un cerveau vierge.»
G. H. a écrit la préface, avec éloges.
La réplique, patiemment attendue, est venue en 1927, sous la
forme que voici: icLa psychologie noire n'est pas connue.
Georges Hardy n'y a rien vu. Prut pas
davantage.
»22
" Revue «Europe», XIX, n° 74 du 15 avril 1929 («Le Soudan
françaism, par G.-Ed. Monod-Herzen et Fily-Dabo Sissoko). 74

LES MÉTIS
À F. DELAFORGE
Tous les faits recueillis attestent que des croisements de race n
'ont pas cessé de se produire depuis les temps les plus reculés,
et qu'il est bien certain qu'ils ne donnent pas de mauvais
résultais puisqu'une civilisation très brillante comme fut celle de
la Grèce, par exemple, semblé avoir été précisément le fait d'un
milieu humain très hybride.
Michel LEIRIS (Race et Civilisation)
Le f neillateur
De son père, sans doute — officier d'artillerie — il a hérité cette
allure martiale, dégagée, bien d'aplomb.
Il a la bosse mathématique et réussit brillamment à tous ses
examens et concours. Il y met même une certaine coquetterie à
se classer toujours premier, et de bien loin, devant ses
concurrents.
Il a Créé Lm home à la fois simple et élégant, d'une impeccable
tenue. La bourgeoise qui viendra l'habiter le trouvera sûrement
à son goût. Cette perspective d'ailleurs s'annonce prochaine. Car
devant ce brillant athlète au teint cuivré, aux cheveux frisés, au
regard si franc — et si plein d'avenir — les salons les plus fermés
s'ouvrent sans la moindre pruderie.
Mais il n'oublie pourtant pas, pour cela, sa mère et son jeune
frère — qui a fait, lui, de moins bonnes études demeurés au pays
natal. Il entoure sa mère de la plus grande sollicitude, subvient à
ses besoins; et, de temps en temps, s'évade de son service pour
aller l'embrasser. Son dessein est de la ramener près de lui, après
son mariage, et de lui faire une belle vieillesse. Quant à son jeune
frère, quoique la chose soit plus malaisée, il fait de son mieux. Il
souffre intimement, profondément, de la déficience
intellectuelle de son jeune cadet, mais ne se lasse jamais de faire,
jusqu'au bout, son devoir.
Survient la première Grande Guerre. Volontaire. Parti simple
soldat, il termine la campagne chef de bataillon, à l'État-Major
d'un des plus glorieux conducteurs d'hommes de la Nation,
émule de son père au Soudan.
Le Négateur
Excellent sujet pour les psychanalystes. Sa principale, son unique
préoccupation est d'oublier, et de faire oublier, que son sang de
nordique est mêlé de sang négroïde. Seulement, la nature a joué
son rôle: un nez camard où l'on peut enfoncer le poing, des
lèvres lippues; et pourtant, des yeux bleus! Les cheveux ne se
plissent pas. Ils restent rebelles à tous les traitements. Quant à
la figure, la poudre de riz joue bien son rôle. Mais hélas! cela se
voit trop et l'on sourit discrètement.
Il voudrait bien se donner de l'air parmi les Blancs. Mais l'aigreur
de ses sentiments à l'égard des Blancs, ce sentiment d'abandon,
cette lâcheté de renier son sang, et jusqu'à son nom, font
qu'entre lui et les congénères de son père, il y a un fossé de haine
presque impossible à combler. N'a-t-il pas été obligé, par des
artifices orthographiques, de transformer le nom de sa mère —
qu'il est obligé de porter — pour lui donner une consonance tout
européenne?
Très peu de contact avec les Noirs! Surtout pas de mariage avec
une négresse! Ceci dit, avec un haussement d'épaules qui en dit
long sur son mépris des Noirs et des négresses.
En revanche, économe, même avec un soupçon de ladrerie. Car,
dans sa pensée, ses enfants devront être soustraits au
cauchemar qui a été le sien. Ils seront élevés en bons bourgeois,
loin du pays des nègres et reviendront — s'ils reviennent —
blanchis. Il se saignera, s'il le faut, pour cela.
Le d
Il fait pitié.
chet vivant
Il a tout l'air d'un minus habens. L'orphelinat, en désespoir de
cause, l'a rejeté dans la rue, après avoir vainement essayé d'en
tirer quelque chose. Aucun métier ne lui a réussi. 11 a lassé
toutes les bonnes volontés. Sauf les «Pères lancs» qui gardent
l'espoir de le conserver à l'Eglise et discrètement, de temps en
temps, l'invitent au réfectoire et lui achètent des vêtements. Il
côtoie le vice et tous les vices. Les reflets d'acier de ses yeux verts
disent qu'il en a parfois conscience. Alors, il se met à déclamer
un poème arabe ou poular, d'un ton inspiré, semblable à celui
qui faisait dire à Villon: «Où sont les neiges d'antan!»
F
Il
LES N IRS
À TIÉCOURA COULIBALY (martyr)
À la race blanche de tendre la première une main amicale aux
Nations noires et d'appeler frère le pauvre «nègre» méprisé.
M. CH. (Lettres des Maîtres de la Sagesse — 1881)
Calino pas mort
Il se présente au pied d'un baobab chargé de fruits. Il a faim. Il
lève les yeux. Les fruits, tout ronds — dits «à tête de
cynocéphales» — font plier l'extrémité des branches sous leur
poids. La salive lui vient à la bouche et s'échappe en jet. Il regarde
son gourdin, tenu à la main, relève la tête. Subitement, il a une
inspiration. fi grimpe sur le baobab et parvient à l'extrémité
d'une branche particulièrement chargée. Il saisit son gourdin et
l'applique au bon endroit du pédoncule d'un pain de singe et dit:
«C'est là qu'il faut frapper.» Il redescend du baobab, jette le
gourdin et rate le fruit.
Celui-ci va à la pêche. Il prend beaucoup de poissons. Il se baigne,
remonte sur la berge et s'aperçoit qu'il a soif. Mais comment
faire? II n'a pas de pot à eau.
Celui-là va chercher des fibres pour tresser la paille qui
recouvrira sa case. Il a vite fait d'avoir une charge. Mais hélas! il
s'aperçoit qu'il n'a pas de corde pour attacher son fagot. Un
écolier (s'adressant à des Camarades): «Boya en sortant du
chaland a fait un faux pas et est tombé à l'eau.» Payébédé (l'un
de ses camarades): •Ses vêtements ont-ils été mouillés?»
Deux écoliers Soussin et Fodé se rencontrent
sous le baobab. Soussin lance un gourdin qui rate les fruits mais
tombe sur le crâne de Fodé. Le sang jaillit. Fodé pousse des cris.
Soussin se précipite sur lui et essaie de le calmer. Mais le
surveillant n'est pas loin. Il a entendu les cris de Fodé. Il vient.
Soussin, ne parvenant pas à faire taire son camarade, passe la
main sur sa blessure et se barbouille la tête de sang. Puis, il se
met lui aussi, à crier. Le surveillant sera bien embarrassé de dire
qui des deux a blessé l'autre.
Niafou
Niafou est un original à plus d'un titre. Sa tête, bosselée — «les
quatre points cardinaux — comme disent ceux qui ne le
redoutent pas à la lutte où il excelle, est encyclopédique.
Il a réussi, cas probablement unique, à savoir par coeur les deux
cent quarante et quelques fables de La Fontaine. Il aime rôder
autour des cuisines pour avoir un peu de grumeau. Et, pour
apitoyer les cuisinières, il danse le kbrOni».

Soundiata était en exil. Il préparait chez le roi Tounkara, à Méma,


la revanche de sa famille. Périodiquement, Soumangourou
descendait dans le Manding, y semait l'épouvante et se retirait
après des ravages, des massacres • et la décimation. Ainsi sous
son glaive impitoyable, les uns après les autres périssaient les
rois du Manding.
Soumangourou prit Diorinin-kou Kitori, roi comme
ses ancêtres et voué à la mort comme ses frères et
prédécesseurs. — Je te laisserai en vie, lui dit son vainqueur, si
tu danses le •dioroni». Qu'est-ce que le " dio ro ni»? C'est une
danse que je ne connais pas. Tu vas voir.
Et, devant ses troupes rassemblées, Sciumangourou dansa le
tcdioroni».
— C'est toi qui peux danser cela, moi pas. Soumangourou lui
coupa la tête. Niafou dansait le «dioroni» et récitait La Fontaine:
«La cigale ayant chanté tout l'été...» II créait la gaieté autour de
lui, ouvrait la main à la charité. La Marne! La Somme! Verdun! La
Croix de guerre, la Médaille Militaire, invalide à 60%. Il revint
dans son village natal pour mourir de sa belle mort. Il dort auprès
de ses ancêtres.
Diba! Diba!
Fina Séga-Mali est noir de charbon comme l'enfant de rêve d'un
forgeron.
Frappé de cécité, tout jeune encore, il a abandonné le trafic à ses
frères et cousins" et a repris sa place, au Les finas forment une
caste (l'une des plus basses) spécialisée dans le commerce.
village, autour des feux pétillants, pour participer aux veillées,
égayant ainsi les adolescents en niai d'amour, les filandières, les
unes assagies, les autres vibrantes d'espoir, les tisserands aux
gestes rythmés et sardoniques.
La cécité et la lèpre sont des maladies, dit-on, qu'Allah réserve à
ses réprouvés. Ce sont, en tout cas, les maladies que vous
souhaite votre implacable ennemi, imbu de haine. Mais on dit
aussi qu'Allah ne vous brise pas une jambe sans vous enseigner
à vous en servir.
Fina Séga-Madi a donc pris son mal avec sagesse et s'est créé,
comme conteur, une grande notoriété dans les villages
environnants.
Sous le nom de Diba! Diba! il a fait école.
s
- DibaY Diba! - Lui-même! — Qu'as-tu à nous apprendre ce soir?
— Une autre nuit est venue.
C'est un pas de plus vers le tombeau.
Ainsi, la vie s'écoule, sans arrêt. Du jour à la nuit, de la nuit au
jour - Dibai Diba! Oui!
Allah ne revient pas sur son oeuvre. C'est le souverain qui ne dort
point!
Le Souverain qui n'oublie point! Vivons notre vie. C'est notre lot.
Diba! Diba! - Lui-même0 J'ai vu la locomotive prendre le départ.
Mais au retour, ce n'était plus qu'un lorry. - Et pourquoi? - Parce
que la route est longue.
Diba! Diba! - Lui-même! Si tu entends dire «mon bon chameau».
C'est bien que «ton ami maure est arrivé». - Et pourquoi? Parce
que l'un ne va pas sans l'autre.
Ir

Diba! Dibed Lui-mêrne! On ne bat pas le tam-tam de cultures


pour un Maure. - Et pourquoi? - Ce n'est pas son affaire.

Diba! Diba! Lui-même! Le lièvre a dit que la course est une chose
qui l'intrigue beaucoup: lui, n'échappe jamais au chien qui
n'échappe jamais à l'hyène qui ne l'atteint jamais, lui! - Dit-il
vrai? - je n'en sais rien. Je ne suis pas son confident.

ta Dibal - Lui-même!
Un matin, au fond d'une vallée, le bouc se vit subitement face à
face avec une hyène attardée.' Où vas-tu, frère bouc? - Je vais en
pélerinage à la Mecque. Je bénirai ta famille. - C'est chose faite
et ton pélerinage est à son ternie. - j'y crois depuis un instant. Je
le tiens, vierges aux seins durs, de mon oncle.

iiba! Dite! Lui-même! Le lièvre ressemble bien à l'âne. Mais ils ne


sont pas parents.
Diba! Diba1 -- Lui-même! Si tu aperçois une flèche sous l'aisselle
d'une tortue, dis-toi bien que c'est la flèche de son neveu. - Et
pourquoi? Parce que, son neveu, seul, connaît ses points
vulnérables.
Diba! Diba! Lui-même! Si le petit poisson dit que le crocodile a
mal aux yeux, ne le contredis pas. - Et pourquoi? - Ils sont en pays
de connaissance.

Diba! Diba! - Lui-mêmeo Si tu as l'idée d'habiller un éléphant, tu


as une grande idée. Si tu réalises ton idée, tu réalises une grande
chose.
- Lui-même! Quand un homme, en courant, dit qu'il ne peut pas
abandonner sa culotte pour une chose si futile, il faut courir
dessus. Il est coupable. - Et pourquoi? - Parce que, pour une
chose futile, on n'enlève pas sa culotte.
- Di a! ibal -- Lui-même! Quand la mariée pleure sous le voile,
pleurs de joie!
Mai Diba! - Lui-mei-ne! - Quel est l'être le plus patient du
monde? La terre. - Et pourquoi? - C'est le Souverain qui supporte
toutes nos souillures sans se plaindre. Mais i1 est sûr de nous
retrouver un jour.
Diba! ibai - Lui-même! - As-tu approché des Blancs? - Oui. Ils ont
des yeux de chats. Et, comme les chats, ils gobent des oeufs crus.
Diba! a! - Lui-même! Six coudées. Voici tout leur costume. Ce
sont des rois déguenillés.
Diba! Diba! - Lui-même!
Ils portent toujours la ceinture. Car ils ne connaissent point de
repos. Ils parlent tous le même langage et obéissent sur le champ
et sans discussion aux ordres qu'ils reçoivent de leur grand chef.
Quand ils disent «f...-moi le camp», c'est bon signe; mais quand
ils disent «Nom de D...», il faut s'attendre au pire!
Diba! Diba! - Lui-même! Leur argent fait beaucoup de mal. Il a
tourné la tête à tout le inonde.
- alba! Dibai Lui-même! Même toi? - Quant à moi, je passe au
large, la main tendue sur la tempe, en disant: «Pardon, moussé!»
- Diba! Diba! bii-même! Si le chef du village balaye la place
publique avec son sabre, il ne reste plus aux guerriers qu'à
prendre leurs carquois.

iba! Diba! - Lui-même! Quand tu vas à un baptême et que tu


arrives à t'y faire battre, c'est que tu ne t'es pas contenté de dire
que l'enfant ressemble à son père.
- a! - Lui-même! Creuser un puits en prévision de l'avenir, c'est
prévoir la soif dans cet avenir.
— Mes amis, vous avez passé la journée à parler d'une ombre
tortueuse. Décidément, ils avaient parlé de tout, sauf de cette
ombre tortueuse.
2. — Le menteur sans le savoir. Madi-Kaman, mon ami, trois
choses ne me sont jamais arrivées. — Lesquelles? Je n'ai jamais
mangé de son de mil; je n'ai jamais mangé des deux mains; je
n'ai jamais pris d'aliment apprêté la veille. — Permets-moi de te
dire, mon ami, que tu m'as menti trois fois. Je t'écoute. Je suis
patient; et excuse les écarts de langage. — As-tu mangé du maïs
frais en épi? Oui.
— Ce maïs avait-il subi une préparation spéciale? Non. — Et
alors?
— J'en conviens. Le maïs non pilé a toujours du son. As-tu mangé
du poisson? — Ce poisson n'avait-il point d'arêtes? Et s'il en
avait, comment as-tu fait pour les enlever? — Évidemment avec
l'autre main. — As-tu bu du lait caillé? Bien sûr! — Tu as deviné
le reste. Il faut, avant d'ouvrir la bouche, s'assurer si ce que l'on
va dire est exact.
3. — L'enfant espiègle et Madi-Kaman. Madi-Kaman rencontre
un enfant à un carrefour. Dis-moi, mon fils, où conduisent ces
sentiers?
— Ces sentiers conduisent où vos pieds vous mènent. — Dis-moi,
mon fils, quelle différence y a4 il entre un bâton fourchu et un
carrefour? Pas de différence, hormis que tu ne peux lever le
carrefour comme le bâton. Dis-moi, mon fils, de nous deux, quel
est celui qui connaît le mieux sa route? C'est celui qui ne se pose
pas la question. — Dis-moi, mon fils, connais-tu Madi-Kaman? —
je ne connais pas Madi-Kaman. Mais si la personne qui
m'interroge n'est pas Madi-Karnan, alors j'en conclus qu'il y en a
deux.
- adi-Kaman et le cavalier. Madi-Kaman rencontre le cavalier et
pour l'embarrasser, lui pose cette question: — L'étape que tu
viens de franchir est-elle longue? — Je n'en sais rien, étant resté
assis à ma place en selle depuis ce matin.
5., De l'ennui — Du mensonge — De la vanité. Dis-no-us Madi-
Kaman, quel est le pays du monde où l'on est le plus heureux?
— C'est le pays où chacun est satisfait de son sort. — Que
penses-tu du mensonge et des menteurs? — J'estime que le
mensonge est une démangeaison en même temps qu'une
imprudence. J'estime en outre que celui qui veut mentir doit
s'expatrier et que, même dans ce cas, il doit avoir pris la
précaution de mettre ses compatriotes aux fers. — Quel est
l'être le plus vaniteux du monde? — C'est, sans conteste, le
caméléon. Il veut ressembler à tous les êtres et ne ressemble à
aucun.
6. - De la nourriture - Du sommeil- De la peur. Quelle est, Madi-
Kaman, ta nourriture préférée? — C'est celle qui va à mon gosier.
Que penses-tu du sommeil, Madi-Kannan? — Le sommeil est une
vertu et aussi un vice. Peu de sommeil est un signe de sagesse.
Trop de sommeil est un signe de bêtise. Existe-t-il, Madi-Kaman,
des hommes qui n'ont jamais eu peur? — Si de tels hommes
n'ont jamais eu un instant de contrariété, on peut répondre
affirmativement à la question.
7. — Du temps - De l'espace — De la mort. — Que faut-il penser
de la succession des jours et des nuits? La succession des jours
et des nuits vous donne l'image de la mort. Les hommes
intelligents préparent la nuit pendant le jour. — Dis-nous, Madi-
Kaman, à combien de pieds peut-on évaluer la distance de la
terre à la lune, aux étoiles? La distance de la terre à la lune et aux
étoiles s'arrête à la limite de la pensée. — Pourquoi, Madi-
Kannan, dit-on des enfants qui meurent au berceau qu'ils sont
plus âgés que leurs parents? C'est que ces enfants ont une plus
longue éternité devant eux.
8. - De Madi-Kaman. — Tu as réponse à tout, Madi-Kaman. Mais
dis-nous ce que tu penses de toi-même? Madi-Kaman pense qu'il
aura vécu comme le commun des mortels et qu'il s'est arrangé
pour ne jamais s'ennuyer.
Oumar Koli
Oumar Koli est aussi beau causeur que grand marabout.
Pourtant, sa science profonde ne l'a jamais entraîné à
s'enturbanner comme font nombre de ses confrères. Il n'aime
pas non plus — comme un certain nombre d'entre eux, sinon le
plus grand nombre — à s'enfermer dans une case, sous la
moustiquaire, où de belles gourgandines leur servent des plats
fins, en brûlant de l'encens dans des cassolettes de terre. Il aime
— lui — le public, se rappelant que, pendant vingt ans, il a été
cadi.
La conversation bat donc son plein dans le vestibule du Chef
Modi, héritier d'un grand nom.
Griots, forgerons, courtisans pérorent à qui mieux mieux.
Le Chef Modi, un beau géant à la barbe en panache, écoute,
silencieux. Sa mine austère inspire le respect et ses répliques
sont réputées foudroyantes.
Oumar Koli prend la parole et dit, en fixant les yeux sur le chef,
comme s'adressant à lui: 41 existe trois catégories de personnes
dont il faut toujours se méfier.»
Le Chef Modi ouvre ses yeux d'aigle en chasse, lance un long jet
de salive et demande au marabout: Quelles sont-elles? —
D'abord, les belles femmes. — C'est exact. On s'en rend compte
tous les jours. Et puis? — Et puis, les marabouts. — Comme tu es
franc! Et puis?
T
Ir
— Enfin, les rois... — Qui te l'a dit? Imposteur! — Si je ne
m'abuse, répond Oumar Koli sans s'émouvoir, je pensais, Modi,
que toi et moi, n'avions rien de commun avec les autres
marabouts et les autres rois.
Le marabout improvisé (ou la prière interrom ute)
C'est un Sidibé, à tête ronde. Très grand. Un géant débonnaire,
comme le sont tous les géants. Des bras longs, des mains
massives. Pourtant, il apporte avec lui la joie et l'humour. Il
cultive sur un petit plateau de vastes champs de mil, d'arachides,
de haricots, de pastèques, de calebasses, de tout. Mais il est
aussi maçon, et excellent maçon. Il est, enfin, marabout à ses
heures. Une fois, après une dure journée de travail, le coucher
du soleil le surprend, en compagnie d'autres maçons, au bord du
fleuve. C'est l'heure de la prière. Il s'offre pour la diriger.
Dominant les autres de sa haute taille, il se place en avant et lève
les bras à la hauteur du front, selon les règles. Les bras
retombent. Et voilà notre imam qui remonte la berge, à toute
vitesse.
Dis-moi, maître, ce qu'Allah t'a révélé, lui crie son collègue Tiéni,
en courant derrière lui?
— C'est que le marabout improvisé avait senti sa poche vidée de
son portefeuille, d'où son émoi.
L'as ce d'Ousinan
C'est un esclave. Tout petit. Vilain comme un orang-outan. Des
yeux à fleur de tête, une bouche fendue comme un bec
d'hirondelle. Une outre à malices mais où — ses intimes le savent
— luit une belle âme. Ousman est cuisinier.
Un Blanc de passage l'a enlevé à ses compagnons de jeux et de
danses sous les fromagers de Bandiagara. Et, en avant pour Doni.
Pas de contrat. Ousman sait seulement que son patron a promis
de le payer 40 francs par mois. C'est la solde d'un brigadier de
gardes! C'est énorme pour un cuisinier. Même si — comme
Ousman — ce cuisinier cumule, avec son art culinaire, divers
autres métiers: boy, blanchisseur, et tout le reste.
À Doni, la vie est belle. On la passe gaiement. Deux ans sont vite
écoulés.
De salaire, on ne parle pas. «Tu as brisé le verre de mon
photophore. Tu as taché mon linge avec ton sale fer à repasser.
Tu as brûlé mon gigot (Remarquez que le gigot de mouton coûte
2 f. 50. Nous sommes en 1910). Autant de retenues de salaire.
Et, cette chemise que je t'ai donnée? Et mes espadrilles, toutes
neuves, avec lesquelles tu faisais le faraud? Si tu me parles
encore de paiement, je te botte le derrière.» Et le geste suit. —
Et mon vin que tu as bu? Ousman encaisse tout. Il continue à
mener joyeuse vie. En «dimadio» qui se respecte, il a trente-six
cordes à son arc que son patron ignore.
Arrive le congé. Il faut partir, rentrer en France, se refaire une
virginité. — Tu seras content de revoir ta mère à Bandiagara,
Ousman? — Oui, Patron. Et ta soeur? — Oui, Patron. — Elle est
belle ta soeur. Pas comme toi. — Comme moi, Patron. — Allons
donc! Avec ton nez! Deux trous ouverts. Enfin, je suis content de
toi, Ousman.
Ousman reçoit ce compliment comme un baume. Mais il
s'attriste. Qu'as-tu, Ousman? Tu es triste. Je n'aime pas ça. — Tu
es mon père. Tu es ma mère. — Oui! Oui! Après m'avoir dévalisé!
Mais reviendrai, Ousman. Dans six mois. Je te reprendrai. —
Merci, patron.
je
À Bandiagara, il faut se séparer. Mais Ousman résiste. Un si bon
patron! Il faut pousser jusqu'à Mopti.
À Mopti, le laisser seul dans le chaland avec sa «mousso»25!
C'est jusqu'à Ségou qu'il faut aller. Jusqu'à Koulikoro. Et pourquoi
pas Bamako! Chaque fois qu'il y a discussion à ce sujet, Ousman
sort victorieux du débat.
Koulikoro, on prend le train, le soir à cinq heures au départ et,
arrivé à Moribabougou, il fait déjà nuit. Le train a l'air d'accélérer
l'allure sur Bamako. Bientôt, il
25 Mousso: concubine que le Blanc prend au cours de son séjour.
débouche dans la plaine. Des lampes papillotent, sur la droite,
au sommet et sur les flancs d'une colline: c'est Koulouba. En face,
se dresse la masse sombre d'une autre colline: c'est le point G.
Ousman, timidement, s'approche de son patron qui voit déjà
dans ces feux au flanc de Koulouba, les feux de ses vallons de la
Drôme où sa fiancée, prévenue, l'attend. Sa pensée est absente.
— Dis, patron, demande Ousman, en se plaçant à côté de lui à la
portière et en se faisant petit, tout petit; dis-moi, c'est quoi, ces
feux, là-bas? C'est Koulouba, répond le patron subitement
réveillé. Tu ne connais pas? C'est Koulouba. Le palais du
Gouverneur. Le grand Patron. — Le Gouverneur? Oui. — C'est le
chef des Blancs? — C'est le chef des Blancs et de tous les Noirs.
— C'est ton chef aussi? — Oui, Ousman Pourquoi me poses-tu
question? Espèce d'idiot! — C'est là-bas que tu me paieras
demain.
Condio et l'interprète
Ceci se passe à Ballé (Bakhounou).
cette
Condio est très embarrassé. Le père est mort. La succession reste
indivise. C'est une fortune. Plus de cent têtes de bétail. Des
chevaux, des ânes. Des greniers de mil, pleins à craquer.
Condio est économe. L'héritage sera bien géré.
Malheureusement, Condio a des frères, turbulents, audacieux
même. Ils veulent le partage de la succession, mais n'ont aucun
recours légal. La coutume s'y oppose. Que faire?
Le Commandant de Cercle vient à passer. Il est en tournée. Il a
parcouru le Ouagâdou, le Samborou, le Kolon. Il connaît son
vaste cercle de Nara comme sa poche. Il a une mousso très vive,
très libre d'allure. Cela n'a aucune conséquence. Elle est de
caste. Il a son interprète, ancien maréchal des logis des spahis
qui a fait le baroud avec Mangin, de Chevigné, de Latour, et tant
d'autres. C'est un héros. Mais il vieillit.
Condio, averti par quelqu'un qui touche de près le Commandant
— ou par quelqu'une (on ne l'a jamais su clairement) — du
danger qui menace sa famille si ses frères mettent à exécution le
projet qu'ils ont conçu, se décide à prendre les devants, pour
déjouer leur manoeuvre. Il se présente vers minuit, chez
l'interprète. Il est aimablement reçu. Il expose franchement le
cas. L'interprète l'écoute attentivement et semble lui donner
raison. Il laisse tomber trois anneaux d'or. Les yeux de
l'interprète jettent des flammes comme un briquet. Tes frères
sont des crapules, lui dit-ii. S'ils bougent, le Commandant les
mettra en prison: 15 jours! Condio est content. Il s'esquive et
disparaît dans l'ombre, en rasant les murs. Ses frères entrent par
l'autre porte et le relayent.
À la suite d'un long conciliabule, l'interprète leur dit: «Allez
dormir tranquilles. Tout le monde connaît Condio. C'est une
crapule. Demain, vous n'aurez pas à ouvrir la bouche. Le
Commandant le mettra en prison. Je ne vous ai pas vus. Bonne
nuit.» Les trois frères s'en vont.
Palabre, le lendemain, à dix heures.
Le Commandant est assis devant sa chaise pliante. Sa mousso
chamarrée d'or fait le va-et-vient. Les notables sont là, au
complet. Plusieurs centaines. Les gardes n'ont aucune peine
pour calmer les gens. Dans ce pays d'hommes libres, on tient à
sa dignité. Devant le Commandant, un grand registre est ouvert.
Sur la page blanche du registre, trois anneaux d'or. Les gens se
regardent dans les yeux, sans comprendre.
Le palabre va commencer.
— Avant tout, faites-moi venir Condio, dit le Commandant.
Gardes! — Commandant! Condio n'est pas facile à trouver. Il
émerge de la foule, ôte son bonnet et se présente. (Le
Commandant à l'interprète): «C'est lui, Condio?» Oui, mon
Commandant. Bien. Demande-lui combien de Commandants il a
corrompus? Jamais, répond Condio, tout tranquillement en
mâchant sa noix de kola.
— Qu'il se tienne bien et me dise la vérité. Moi, je ne suis pas
comme les autres Commandants.
L'interprète se démène. Condio reste impasssible. Un garde lève
le martinet. Le Commandant lui fait signe de ne pas frapper. Le
garde rectifie sa position. Condio reste impassible. Il attend. Le
Commandant saisit les anneaux d'or et les fait danser dans la
paume de la main. Il les présente à Condio et dit à l'interprète:
«Demande-lui s'il connaît la provenance de ces anneaux d'or.»
Condio: Je connais. Ces anneaux d'or sont à moi. Le
Commandant (par la voix de l'interprète): Comment se fait-il
qu'ils se trouvent sur ma table? Condio: Je réclame un autre
interprète.

Le Commandant: Qu'est-ce qu'il dit? L'interprète: Mon


Commandant, il dit: »je veux un autre interprète. Le
Commandant: C'est facile. Approche-toi, Moussa Coulibaly. Le
garde désigné ainsi s'approche. — Demande à cet homme de
répondre à mes questions. Pas de blague. Avec moi, cela ne
prend pas. — Dis au Commandant que je répondrai quand son
interprète aura placé sur la table, non pas trois mais dix anneaux
d'or. Car, hier, à minuit, nous étions deux. Et moi, je lui avais
remis dix anneaux. L'interprète, suffoqué, parle saraccelé, peul,
ouolof, français; et ne peut tenir en place.
Le traitant
Diambéré roule un petit ventre, tout rond, d'obèse. Des bras
potelés. Tin cou charnu. Il est malinké, un Malinké plus dégrossi
que les autres. Il a le rire gai d'un enfant. La traite lui a été
favorable. Il a acheté plus de huit cents tonnes d'arachides, au
milieu de concurrents acharnés qui, dit-il, ne l'atteignent pas à la
cheville. Il a écoulé de la gomme friable, des peaux, du henné,
du piment, etc. En achetant du mil pour le patron, il a rempli ses
propres greniers. En vendant son calicot et sa toile iichandora» il
s'est procuré quelques moutons maures. Et, très discrètement,
de petits anneaux d'or lui sont venus par le sel et les kolas. Le
patron est content. Il a fermé les yeux sur certaines petites
irrégularités. On réparera ça l'an prochain. Les comptes sont
bons, les carnets sont dans le coffre. La commission est payée.

Diambéré est heureux. Sa famille ne l'est pas moins. Ses enfants


tranchent sur ceux du pauvre voisin qui n'a que son «daba». Ils
grandissent vite, bien nourris, bien portants. Diambéré les
soigne bien, à coups de médicaments achetés sans ordonnance
chez le pharmacien. Tout est bon. Et lui-même use de tout. La
pharmacie, c'est l'idéal. L'année prochaine, après la traite, dit-il,
mon fils ira au lycée. Il ira à Paris. Je veux qu'il soit bachelier.
Le Commandant se redresse en sifflant.
La séance est levée.
Le chasseur impénitent
Il bourre sa pipe, enfourche sa bicyclette. En avant!
Il part chaque soir, après le travail et ne revient pas avant minuit.
Il connaît tous les coins et recoins de la brousse environnante. Il
ignore la fatigue, les moustiques et les serpents. Seul, le gibier
l'intéresse. Pas de choix. Tous ceux dont les yeux sont cernés par
sa lampe fixée au front sont abattus. Il aime cette façon de
chasser quoique, au demeurant, il soit excellent tireur.
Le matin, chaque ménage du poste est copieusement servi. Le
service n'en est pas moins assuré. Sa santé n'en est pas moins
solide, son moral moins
bon.
Ne vaut-il pas mieux que courir les filles ou jouer à la belote?

varicieux
II a appris à l'école les bienfaits de l'économie. Son père ne lui
disait-il pas que «celui qui met de côté trouvera soulagement un
jour»? Lui, il a compris. Les vieux jours viendront. Il faut s'y
préparer. Le malheur est que ses parents — et ils sont fort
nombreux — ne sont pas près d'approuver sa manière de vivre.
Comment! Rationner jusqu'au piment et au sel? C'est
inconcevable!
Lui, il a compris. Ses ordres sont formels. Pour éviter tout
gaspillage, il conserve lui-même toutes ses clés. Tout est pesé,
rigoureusement pesé. Un poulet? — Bon pour deux repas! Des
kolas? — Les plus petites noix (les moins chères) chaque matin
— et le matin seulement — à chacun une noix. — Le savon? Tant
de morceaux pour tant de jours. Rien de plus. Et pour laver du
linge renouvelé une fois Pan.

L'hôte de passage n'étant pas prévu n'a pas sa place autour du


plat commun!
Que voulez-vous? Les vieux jours ne manqueront pas de venir.
Son fils, à sa mort, dissipa, en moins d'un an, une fortune
amassée en plus de vingt ans de privations.
Le ourgeois gentilhomme
Ce type est très répandu. Complètement illettré, ou sachant à
peine lire et écrire, il en impose quand même par son allure et
son maintien.
Abonné à «La Ligue des Droits de l'homme et du citoyen» au
«J.O.» de la colonie et au journal local de son «Parti», il aime, le
soir, étendu dans sa chaise-longue, à s'en faire faire la lecture.
C'est un nouvelliste de haut vol. Il sait comment Abd-El-Krim a
été vaincu, comment Galandou Diouf a triomphé de Me Lamine
Gueye. Il sait ce que le Négus rumine pour prendre sa revanche
sur le ciDuce.». Franco est aux portes de Madrid, ça le met en
émoi! Il connaît les intentions financières de M. Vincent Auriol!
Quand il est en affaire, il prend ou fait prendre directement ses
informations dans le code. II affiche en effet la loi et son droit. La
lettre polycopiée d'un député, d'un général, ou même une
simple carte de visite, l'exaltent à tel point qu'il perd toute
contenance. Il est naturalisé français ou travaille à le devenir. Il
donnerait toute sa fortune pour ça.
Sa fille n'épousera qu'un homme cultivé.
Ainsi s'écoule sa vie. Bonne chère, bon lit, dans une fatuité aux
antipodes de la culture.
Le faux-semblant
Ce type se distingue du précédent par des particularités
vestimentaires qui en font un «nègre blanc». Il passe dans la nie,
sa badine à la main, en coup de vent. Il va à la poste pour prendre
connaissance des «Havas». Même tronqués, ils lui donnent des
renseignements précieux. Il se passionne pour les agitations de
Mussolini ou d'Hitler, les séances orageuses du Palais-Bourbon,
les chutes de cabinets et les remaniements ministériels. Il
discourt de tout cela avec abondance et se permet de porter des
jugements sur des hommes d'État comme Poincaré ou Maginot,
et ce, avec une assurance qui déconcerte l'interlocuteur non
prévenu.
Dans l'intimité, on le voit constamment penché sur de gros
bouquins de Sociologie et d'Économie politique, ou sur quelque
Encyclopédie Quillet. II ne lésine point pour se procurer de tels
ouvrages.
Dans la discussion, il fait montre d'une volubilité surprenante.
C'est une cascade de mots latins, grecs, que sais-je? II ne dit pas
la «teigne» mais «tricophiton-tonsurans», le «saignement de
nez» mais •épistaxis•, le «karité» ou «arbre à beurre», mais
«bassia-parki». Et gare à vous si vous ne comprenez pas! Il vous
l'expliquera en
C'est, vous le voyez, un maniaque qui prend ses fumées pour de
la réalité.
Le parvenu
Celui-ci a une situation qui lui procure aisance et loisirs. Très sûr
de soi-même, sa politesse, c'est son bon plaisir, son modèle, le
Blanc. À l'entendre parler, on se croirait en présence d'un
Parisien.
Il est musulman, mais se rase complètement, ou bien laisse un
toupet de moustache sous le nez, par élégance.
Sa carte, aux titres ronflants autant qu'imaginaires, dit bien qu'il
est •quelqu'un». La politique le hante, de même que le
journalisme. Sa vanité, dans les journaux, s'étale en articles
furibonds. Régenter toute la terre lui procure un immense
plaisir. Il intrigue ouvertement pour se mettre en vedette et ne
néglige rien pour arriver à ses fins. Sa faconde camoufle un
égoïsme très bas et une rouerie de garçon mal élevé.
Mais, de véritable culture, point.
Le dévoyé
Celui-ci est généralement de basse extraction. Victime d'un
«complexe natif», il se sent mal à l'aise dans la société indigène.
Il s'est, sans l'ombre d'un scrupule, affranchi des coutumes
ancestrales et des traditions familiales les plus vénérables.
Occupé à danser le «tango», il renvoie sans sourciller l'auteur de
ses jours, disant à l'assistance: «L'intrus, mes amis, est un vieil
esclave de feu mon père.»
Le pauvre «bougre», si vous passez le mot, qui a cent kilomètres
dans les jambes, s'affaisse et la tête prise dans ses mains
décharnées et tremblantes, verse des larmes de sang. «Que
dirait la mère du pauvret?» pense-t-il.
C'est un pleutre que la malédiction suit et que d'amères
désillusions attendent au tournant de la rue.
Le publiciste
C'est, comme on dit, un «fort en thème». D'idées personnelles,
il n'en a point. Par contre, les idées de tous les hommes en place,
quelque contradictoires qu'elles soient les unes par rapport aux
autres, trouvent une résonnance harmonieuse en lui.
Il n'a d'esprit critique à aucun degré. En lui, le sentiment de la
dignité personnelle, de la dignité de sa race, a fait place, grâce à
la culture qu'il a reçue, à une servilité à nulle autre pareille. Il dit
gaiement que les «Noirs sont de grands enfants», qu'ils n'ont pas
de logique, que leurs roitelets étaient des tyrans, qu'El Hadj
Oumar était un «marchand d'allumettes», Samori, un «couard»
et il propage de telles inepties par ses écrits.
Pour lui, le Blanc a toutes les qualités, le Noir tous les défauts et
toutes les faiblesses. Dans ses nombreux écrits où la coutume, le
folklore, l'histoire et les prétentions académiques se mêlent sans
goût ni mesure avec — circonstance aggravante — la
terminologie fautive dont, sous prétexte de couleur locale, la
plupart des écrivains coloniaux émaillent leurs productions, il fait
l'étalage presque inconscient de cette opinion.
Il ne voit nullement l'absurdité de sa position et ceux qui
l'encouragent ne s'aperçoivent pas qu'il ne peut sortir de tels
écrits qu'une confusion inextricable, de nature à compliquer les
données d'un problème déjà très ardu en lui-même. Type plutôt
nuisible qu'utile, il contribue largement à la déformation
systématique des croyances.
Le révolté
Il y en a de toutes les carrures. En général, le type moyen a réussi
à faire la discrimination entre «ce qui est» et «ce qui devrait
être». Il a mesuré le degré de résistance de l'obstacle placé sur
son chemin. Pendant longtemps, pour trouver une issue, il a
louvoyé. Peine perdue. Il en est arrivé à être passionné,
bouillant, prêt à se battre pour des chimères. Toute son attitude,
toute sa tenue se ressentent du désaccord qu'il y a entre sa
perception et la réalité. Son jugement qui manque de sérénité et
d'aplomb en est quelque peu faussé.
POSTFACE

LE BUT

Atteindre l'Homme! De la fange et des scories, dégager le pur


cristal. Des reflets du cristal, éclairer la Voie. La Voie qui mène au
Divin. Sur la Voie, s'engager, sans détours, résolu à vaincre.
Tel est le but, magnifié en ces termes par l'un des Sommets de la
Conscience humaine: «L'ascension vers la vie divine est le voyage
humain, l'oeuvre des oeuvres, le sacrifice acceptable. Elle est la
seule occupation de l'homme dans le monde, et la justification
de son existence, sans laquelle il ne serait qu'un insecte rampant
parmi d'autres insectes éphémères sur la surface d'une goutte
d'eau et de boue qui a réussi à se constituer au sein des
immensités terrifiantes de l'univers
physique.»
SRI AUROBINDO (La Vie divine)
TABLE DES MATIERES

PREFACE PAR Marie-Joxé Hoyet 7


LE PETIT POUCET OU PREMIER « CRAYON »
EN MANIERE D’AVANT-PROPOS 15

LES BLANCS 51

LES METIS 75

LES NOIRS 79

POSTFACE 110
Ecrit à la première personne, Crayons et portraits (1963)
Reflète l’appartenance de Fily-Dabo Sissoko à la culture
Malinké en particulier et à celle de l’Afrique de l’Ouest en
général, essentiellement à travers les souvenirs du monde
privilégié de l’enfance. Composant par touches successives, avec
lucidité et dans un style très personnel, une inoubliable galerie
de portraits africains et européens, il se livre en moraliste
moderne à une peinture de mœurs digne des plus grands. Dans
le même temps, suivant l’enseignement fondamental Maitre de
provenance diverse, sa réflexion acquiert une dimension
spirituelle de plus en plus grande.

Né à Horokoto (près de Bafoulabe, dans l’actuel Mali, alors


soudan français), au tournant du siècle exécuté au bagne de
Kidal en 1964 après deux ans de captivité, Fily-Dabo Sissoko fut
un homme politique militant et un homme de lettres infatigable.
Désigné tantôt comme le sage de « Niambia », tantôt comme le
« Gandhi d’Afrique », auteur d’une œuvre immense dans les
domaines historique, ethnologique et linguistique, c’est
cependant sur la scène littéraire qu’il fait figure de pionnier en
faisant paraitre Harmakhis (1955) et la Passion de Djimé (1956),
respectivement premier recueil de poésie et premier roman
jamais publiés en langue française par un auteur malien.

Maquette et illustration de couverture de


Claudia Melotti

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