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PLURIEL Recherches.

Vocabulaire historique et critique des relations inter-


ethniques. N°2, 1994. (pp. 61-70)

RACISME
Le racisme est généralement entendu comme toute forme de violence exercée à
l'encontre d'un autre groupe humain. De quelque degré que soit cette violence,
depuis le préjugé / mépris jusqu'à la discrimination, depuis la ségrégation jusqu'au
meurtre. Que ce meurtre soit à l'aveugle ou de hasard contre des individus de
groupes minoritaires, ou qu'il soit institutionnalisé et organisé par l'appareil d'État
(comme cela a été le cas du nazisme — Allemagne, 1933-45), en vue de supprimer
ces groupes.

— Racisme est un terme polysémique


1. A proprement parler, idée selon laquelle les groupes humains sont
caractérisés par des traits physiques spécifiques et des traits moraux particuliers
qui les distinguent radicalement entre eux et qui sont transmis les uns et les autres
par voie d'hérédité somatique.
2. Désigne de façon plus étroite la croyance qu'il existe entre les groupes
humains ainsi définis une hiérarchie de valeurs : certains seraient supérieurs ou
inférieurs aux autres.
3. De façon plus restreinte encore, ce terme désigne un système doctrinal, un
projet politique, qui proclament les droits particuliers de certains groupes humains à
en dominer, utiliser ou exploiter d'autres. L'ensemble des groupes étant considérés
comme naturellement déterminés et préparés les uns à occuper une place
dépendante et à être exploités, les autres une place dominante et “responsable”.
4. Par extension et dans un processus de banalisation qui en évacue le sens,
le terme “racisme” est entendu parfois comme toute forme d'hostilité envers un
groupe quel qu'il soit (national, classial, professionnel, religieux, etc.). On parlera
ainsi de racisme anti-jeunes, de racisme anti-flics... Cet usage est récent,
certainement postérieur à la seconde guerre mondiale, et nomme “racisme” toute
conduite ou appréciation hostile.

— Historique
Le terme racisme lui-même est relativement récent, on le trouve daté des années
trente de notre siècle dans les dictionnaires de la langue française. Dérivé du mot
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race, il désigne soit une théorisation soit une pratique sociale basées sur le postulat
que les groupes humains socio-historiques sont des entités naturelles.
S'il est une idée répandue, c'est bien celle que le racisme serait une réalité
immémoriale, anhistorique, quasi consubstantielle à l'espèce humaine, présente à
toute époque et dans toutes les cultures. Cette conception repose largement sur la
définition courante du terme qui fait de “racisme” le synonyme d'hostilité ou
d'agressivité. Conception doublée de l'idée que hostilité et agressivité sont elles-
mêmes des éléments constitutifs de l'espèce. Elle repose également sur la
croyance que les groupes humains, constitués par une longue histoire et les
multiples relations qui les forment, seraient des groupes “naturels” (races). Dans
cette optique, l'histoire des sociétés humaines serait celle d'affrontements entre les
“races”, déterminés par l'agressivité constitutive de l'espèce d'une part et de l'autre,
par le caractère bio-génétique des groupes humains particuliers. Pourtant la
croyance en des races humaines est, sous la forme que nous lui connaissons,
récente. Elle est un composé particulier formé au cours des derniers siècles. Née
dans les sociétés de conquête coloniale et de trafic de main-d'œuvre, son usage
pour désigner de grands groupes humains se cristallise au 18e siècle (voir race). Il
se répand avec le développement de la société industrielle et l'idée que l'humanité
est composée de “races” diverses est très largement partagée aujourd'hui par
l'ensemble des sociétés contemporaines.
1. Les conceptions populaires et banales font de la “race” et ses présumés
traits physiques et moraux l'un des caractères humains les plus incontestables. La
“race” est (avec le sexe) le plus souvent la première information donnée à propos
de qui n'appartient pas au groupe dominant. Plus, les conceptions communes
appréhendent traits physiques et traits moraux comme homogènes les uns aux
autres. Appréhension syncrétique qui permet fort bien de se passer du terme “race”
lui-même et de se contenter de “culture” aujourd'hui mieux reçu. Dans cette
perspective, les groupes humains apparaissent comme un composé insécable de
caractères somatiques et de caractères mentaux transmis par la génération (sens
1. de racisme) et dont il importe peu qu'on le nomme race ou culture puisque l'un et
l'autre désignent la même chose.
2. Le racisme est également une théorie à visée et forme scientifiques.
Énoncée comme interprétation globale de l'histoire humaine, l'existence de races,
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leurs relations et leurs affrontements est une idée dont l'apparition peut être repérée
dans le courant du 19e siècle en Europe occidentale. La figure emblématique de
cette théorie est l'Essai sur l'inégalité des races humaines (1854-59) de Arthur de
Gobineau : l'histoire de l'humanité est celle d'une dégradation continue qui n'est que
la perte de la pureté des races originelles.
3. Il est également une doctrine politique, ou si l'on veut un projet de société.
Dans ce cas, il vise à organiser la société selon des critères raciaux. Un des textes
de référence de la doctrine politique de l'État racial est le Mein Kampf (1924) de
Adolf Hitler. Le fondement de cette doctrine, sous ses divers avatars, est la
séparation drastique (par ségrégation, expulsion) ou l'extermination de groupes
humains décrétés sous humains ou non humains. L'exploitation organisée des
groupes considérés comme inférieurs et destinés à des places et tâches
spécifiques. Enfin, la construction concrète, biologique, d'une “race” dominante.
4. Enfin, certaines formes juridiques (règlementations, décrets, etc.) et
certaines formes coutumières inscrivent dans le fonctionnement quotidien des
sociétés industrielles démocratiques, des pratiques racistes de discrimination et de
ségrégation. Ce racisme institutionnel ne renvoie pas à une intention théorique ou
doctrinale. Des règlementations propres à l'habitat, au travail, à l'enseignement, à la
santé, etc., l'organisation de l'espace urbain, l'accès aux ressources renforcent —
ou créent — des structures d'exclusion, de ségrégation, de concentration (ghettos)
propres au racisme. Sans intervention délibérée ou volontariste des acteurs sociaux
eux-mêmes, le racisme institutionnel exprime en fait, relaie et amplifie les racismes
idéo-ogique et politique. Il est la forme socio-structurelle d'un racisme qui ne
s'énonce pas comme tel mais qui organise et fait la vie quotidienne.
C. G.

Corrélats :
Apartheid - discrimination - ethnisme - race - ségrégation.

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