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Religion Et Culture Noire
Religion Et Culture Noire
et culture noires
Juana Elbein D o s Santos et Deoscoredes Maximiliano D o s Santos
Rien n'est plus vague et plus délicat que les changements historiques qui affectent
l'appréhension et l'interprétation de la religion négro-africaine ' transplantée ainsi que
son processus complexe de continuité et discontinuité dans le N o u v e a u M o n d e . U n e
lecture perspicace et attentive de la littérature consacrée à ce sujet nous fournirait des
renseignements utiles pour retracer une histoire instructive des préjugés raciaux ou,
mieux encore, des relations inter-ethniques et interculturelles en Amérique latine et
dans la région mouvementée des Caraïbes. Ces rapports sont marqués par un fort
ethnocentrisme culturel des élites qui régnent en maîtres sur les institutions officielles.
Cet ethnocentrisme peut difficilement être expliqué en faisant référence aux contextes
locaux qui, à leur tour, sont le reflet et la conséquence des intérêts et des situations
internationales qui se succèdent depuis l'implantation de l'esclavage, qu'on peut consi-
dérer c o m m e un produit du mercantilisme européen.
Le développement des relations inter-ethniques et interculturelles en corrélation
avec l'économie internationale est une toile de fond tout à fait passionnante qui permet
de mieux comprendre le rôle de la religion.
E n effet, bien qu'elle ait été largement étudiée, la religion africaine dans les
Amériques (ses origines, ses domaines d'influence, ses dogmes, ses doctrines, sa
liturgie, son sacerdoce, son dépérissement, ses persécutions, ses transformations, ses
valeurs, la diversité de styles et son unité épistémologique latente) pose en fait des
questions qui exigent de façon très pressante une réinterprétation. Cette révision oblige
à reformuler presque totalement la terminologie et les concepts. D e plus, elle doit se
faire dans une perspective assez large, de manière à étudier suffisamment en profon-
deur la structure et les contenus philosophiques, mystiques et symboliques de la
religion dans ses diverses manifestations, mais aussi pour comprendre sa signification
historique et contemporaine. L a religion est en effet un élément fondamental qui parti-
cipe à la lutte tragique pour l'intégrité psychique et la conservation d'un ethos spéci-
fique latent qui a survécu à toutes les pressions des élites détenant le pouvoir politique
et institutionnel.
1. Le terme « négro » (noir) comprend ici autant les Africains que leurs descendants nés en Amérique,
c'est-à-dire qu'il se réfère aux modèles et traits culturels et génétiques hérités et acquis dans toute
leur diversité et qui ont été réélaborés dans les contextes socio-historiques du N o u v e a u M o n d e .
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complètes et approfondies. Les très rares études existantes se heurtent à des difficultés
de publication et de distribution.
Toutes ces lacunes et ces difficultés n'ont pas échappé à Roger Bastide. Après
avoir consacré trente ans aux études négro-américaines et en particulier aux études
afro-brésiliennes (d'après la classification d'alors), Bastide, décelant « une philosophie
extrêmement riche et subtile derrière cette religion », a eu l'honnêteté intellectuelle de
reconnaître dans un de ses derniers articles : « M ê m e si je suis entré dans le candomblé
en tant que m e m b r e à part entière et non pas en tant que simple observateur, la loi de la
maturation des secrets prévalant dans toute religion initiatique m e laissera cependant
profane et m e permettra à peine d'entrevoir une certaine vision noire du m o n d e . Seul
un prêtre du culte, très haut placé dans la hiérarchie, aurait pu produire le genre de
texte que l'espérais. »
Il enumere ensuite les travaux en question et poursuit : « Malheureusement,
jusqu'à présent, ces textes qui révèlent toute la richesse de la pensée ésotérique
afro-brésilienne se trouvent uniquement sous forme multigraphiée et en quantité
restreinte; ils ne peuvent susciter l'intérêt des éditeurs brésiliens, c o m m e si la société
blanche, prête à accepter le candomblé c o m m e folklore et spectacle artistique, sentait
que sa sécurité intellectuelle était menacée par la concurrence, avec égalité de chances,
d'une philosophie qui n'est pas la sienne, une philosophie que j'appellerai la négritude,
en ayant à l'esprit la négritude authentique, et non pas celle qui n'est qu'une idéologie
politique. »
C e texte pose d'emblée plusieurs problèmes très importants, à savoir les contenus
de la religion initiatique, son appréhension et la domination culturelle et intellectuelle
exercée par la classe dominante. Mais, pour l'instant, nous voulons seulement souli-
gner le concept de négritude, de « négritude authentique » que Bastide caractérise
d' « affirmation existentielle » et non pas d'idéologie politique. E n ce sens, la négritude
exprimerait pour ainsi dire l'élément africain sous-jacent, ethos, « esprit c o m m u n a u -
taire » qui, de façon plus ou moins manifeste, réunit les diverses expressions de la
religion négro-américaine.
C'est pourquoi — si la négritude n'était pas associée aux prises de position large-
ment répandues de certains intellectuels noirs — le titre le plus approprié pour ce
chapitre aurait été « Religion et négritude ». E n effet, c o m m e nous l'avons déjà dit, il est
clair que la religion a été et reste le plus puissant véhicule des valeurs inhérentes à la
négritude afro-américaine.
E n aucune façon, ces valeurs ne sont restées figées, bien au contraire. Si elles ont
pu survivre avec autant de vigueur malgré de si fortes pressions, c'est essentiellement à
cause de leur extraordinaire souplesse, de leur vitalité et du processus dialectique de
résistance-adaptation qui est à l'origine de leur diversité et qui illustre un processus de
discontinuité dans la continuité,' selon la formule de certains spécialistes.
Il faut souligner la grossière erreur qui consiste à interpréter l'attachement aux
racines africaines c o m m e quelque chose de passif, d'immuable et de figé, surtout en ce
qui concerne les cultes qui ont une origine africaine évidente et qui ont conservé
certaines valeurs ou « africanismes ». Ces cultes n'en demeurent pas moins des restruc-
turations d'éléments originaux provenant de divers systèmes hérités.
Soutenir l'idée d'immuabilité, c'est commettre une double bévue. D'abord, c'est
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1. Il est intéressant de noter que cette c o m m u n a u t é — considérée c o m m e une des plus « traditionnelles et
pures » — est en voie de signer un accord en matière d'éducation avec les autorités de la ville de
Salvador, pour fonder une école appelée « minicommunauté expérimentale » ayant un caractère
culturel pluraliste.
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que la samba brésilienne, révèle sa profonde négritude malgré les éléments extérieurs
qu'elle a incorporés et refaçonnés et, en premier lieu, par les instruments qu'elle utilise.
Virgil T h o m p s o n qualifie le jazz de « référence sous-entendue », d'expression de ce qui
est noir. Et il ajoute : « Le type classique de composition musicale en Europe, le
folklore anglo-saxon, le rythme des danses espagnoles, les hymnes, les percussions, le
Lied allemand, le ragtime, l'opéra italien, tout cela sert à assouvir l'appétit insatiable
des Noirs et est matière à malaxage, c o m m e si chez tous les Noirs nord-américains il y
avait (et peut-être y a-t-il) une ancienne cellule africaine qui assimile voracement tout
ce qu'elle trouve sur son chemin dans le domaine du son. 1 »
Cette capacité de « digérer ou africaniser » les apports extérieurs par opposition à
la possibilité de « les ajouter ou les additionner », tout en laissant visibles ses diverses
composantes, nous permettrait d'établir une première classification des différentes
expressions de la religion négro-américaine en variables homogènes et hétérogènes.
Les variables homogènes comprennent les expressions religieuses du complexe Gége-
N a g à au Brésil, du Lucumi et Ñañigo à C u b a , R a d a d'Haïti, Shangó à Trinité et
Grenade et les variables hétérogènes : les différents cultes d'influence bantu (Congo,
Angola) avec leurs prolongements dans toute l'Amérique latine et aux Caraïbes, le
complexe Petro à Haïti, les différentes formes de U m b a n d a , Caboclo et Payelanza au
Brésil, Maria Lionza au Venezuela, les formes Myal, Cunfa et Poco avec leurs prolon-
gements en Amérique centrale et aux Caraïbes, et particulièrement à la Jamaïque et
aux Antilles, les diverses formes religieuses manifestement liées au baptisme et à
d'autres sectes protestantes aux Antilles (Shakers, Shouters, Convince, etc.), ainsi que
les cultes pratiqués au Surinam où aux éléments ashanti s'ajoutent d'autres éléments
d'origine fon, hueda, yoruba et chrétienne.
Cette caractérisation des variables homogènes et hétérogènes de la religion
négro-américaine ne doit pas être entendue de façon stricte, mais heuristique. Le R a d a
d'Haïti, variable homogène qui a F o n pour structure fondamentale, contient des
éléments aizan, nagó, guevedí, hueda et catholiques.
A u contraire, le culte Caboclo 2, variable hétérogène, cache sous des éléments
pseudo-indigènes qui ont un caractère à peine symbolique (plumets, arc et flèches
ayant une faible ressemblance avec les objets réels), une exigence constante de rendre
h o m m a g e aux ancêtres de la terre qui est typiquement africaine. D a n s les rites caboclo,
on ne vénère pas les divinités indigènes brésiliennes qui apparaissent parfois dans le
Payelanza, mais des esprits individuels ou collectifs de diverses tribus et, en particulier,
des tribus sur les terres desquelles se sont établis les Noirs. Il s'agit, en réalité, d'un
culte des ancêtres indigènes à la manière africaine bantu et, dans plusieurs rites, on
vénère successivement ou alternativement les prêtos velhos, esprits des premiers
esclaves noirs venus sur le sol américain, d'une part, et les esprits aborigènes auxquels
on reconnaît une prééminence, d'autre part.
Le culte Caboclo contient certains traits essentiels du système africain : la tradi-
tion de la continuité et du lien avec le passé, la stabilité qui se manifeste par un rapport
équilibré entre l'homme et la nature, entre l ' h o m m e et la terre qui est symbole de la
renaissance éternelle. Pourtant, c o m m e nous l'avons déjà signalé, les descendants
d'Africains ne pouvaient trouver cet esprit de continuité chez les Blancs étrangers et
conquistadores, mais chez les Indiens, qui sont les ancêtres naturels de ces terres.
O n peut ainsi étudier une variable hétérogène qui, malgré l'assimilation profonde
des contenus africains fondamentaux, a manifestement pour objet de culte un élément
étranger.
Il est important de signaler que le prêto velho — l'ancêtre africain — et le
Caboclo — l'ancêtre indigène — ne coïncident pas. Ils sont différents, m ê m e s'ils
appartiennent tous deux à la catégorie des ancêtres. C'est ainsi que les valeurs s'ajou-
tent et coexistent au lieu de fusionner : chacun des cultes, ayant ses propres caractéris-
tiques, ils ne se mélangent pas. Il existe une séparation formelle, spatiale et temporelle.
Tandis que les entités surnaturelles peuvent être présentes simultanément dans les
cultes homogènes, elles apparaissent isolément dans les cultes hétérogènes, c o m m e
pour signaler la diversité de leurs origines.
C'est le cas notamment des cultes de U m b a n d a où d'autres éléments se juxtapo-
sent à certains mécanismes purement syncrétiques, c o m m e les pontos ricados ou les
dessins cabalistiques que tracent les prêtos velhos. C'est ainsi que chez les Orishas on
vénère les entités nagô et, dans le m ê m e temps, on prie pour saint Cyprien, saint Michel
et les « phalanges » des esprits originaires du C o n g o , de l'Angola, etc. Sur les autels, les
images du Christ, de saint Joseph, de saint Georges, etc., et des sirènes, divinités de
l'eau, des Caboclos, des prêtos velhos, des étoiles de Salomon, des pierres, des coquil-
lages, sont disposés côte à côte. O n adore la terre en procédant à des libations avec de
l'eau et de l'eau-de-vie et on fait u n signe de croix. Mais les entités surnaturelles
apparaissent seulement par groupes successifs dans des « tours », sans se mélanger :
on « vire », on passe d'un « tour » à un autre et, parfois, ces cultes sont pratiqués des
jours différents.
Si les variables homogènes ne parviennent pas à maintenir une dynamique
équilibrée entre la structure de base et les apports nouveaux, elles peuvent suivre deux
voies : ou bien se replier de plus en plus sur leurs racines africaines et, de cette manière,
sefigerréellement, se restreindre et disparaître, ou bien s'incorporer en additionnant
— et non pas « en digérant » — les éléments nouveaux, en se multipliant et en se trans-
formant en variables hétérogènes.
Les variables hétérogènes pourraient véritablement assimiler leurs éléments d'ori-
gine en se transformant en variables homogènes, créant ainsi un modèle ou un système
religieux négro-américain d'un type nouveau. Mais nous n'avons pas encore la preuve
qu'un tel phénomène ait eu lieu. Jusqu'à présent, les variables homogènes ont toujours
été axées sur les reconstitutions de valeurs africaines tandis que les variables hétéro-
gènes sont demeurées pluralistes.
E n outre, les variables hétérogènes courent le risque de se transformer ou de
servir de pseudo-identification aliénante à la négritude que ces valeurs prétendent
renforcer. A ce stade, il faut comprendre la lutte qui s'est engagée entre l ' U m b a n d a du
morro (colline) et l'Umbanda de « l'asphalte », et entre les deux fédérations qui les
représentent respectivement.
Le morro groupe la majorité de la population de couleur, intègre et mélange les
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secteurs blancs les plus pauvres. Les groupes pratiquant ce culte, qui sont enclavés
dans les morros et les favelas, reformulent toujours la structure fondamentale nagô
dans l'hétérogénéité de leurs éléments, ce qui leur permet d'élaborer une continuité
culturelle spécifique qui exprime leur négritude, autrement dit leur « affirmation exis-
tentielle ».
Les groupes de « l'asphalte », qui ont adopté les normes de la culture blanche
autant que l'actuelle structure classe-couleur le leur a permis, ont structuré les cultes
selon l'image que le Blanc se fait du Noir en y associant les stéréotypes de la magie et
de l'exotisme et en transformant un processus apparent d'identification en un
processus d'aliénation.
Il est évident que la littérature spécialisée a fortement contribuer à la persistance
de ces stéréotypes, sans parler du rôle néfaste de la presse. E n ce qui concerne la
religion noire, elle véhicule encore des concepts vieux d'au moins cinquante, voire
soixante-dix ans.
Le fétichisme et surtout l'animisme étaient encore évoqués dans des publications
spécialisées récentes, c o m m e nous le verrons plus loin.
Mais avant d'entreprendre l'analyse des contenus formels et structuraux de la
religion négro-américaine et de la structure qui détermine son ensemble, il paraît utile
d'inclure dans les variables une série de manifestations qui, d'un certain point de vue,
sont morcelées et se réduisent à d'innombrables ensembles de caractères et de styles,
mais, d'un autre, rayonnent sur Yethos noir en dehors des groupes institutionnalisés.
D e nombreuses personnes sont en effet initiées dans les règles à des cultes
organisés, d'autres sont des pratiquants « sauvages », qui ont procédé à leur propre
initiation et qui pratiquent individuellement les formes de culte pour eux-mêmes et
pour leurs proches, en allant dans les demeures d'autres personnes pour y célébrer des
cérémonies et des rites. Certaines de ces personnes transmettent des variables que
nous avons qualifiées d'homogènes et elles combinent parfois leur pratique individuelle
à celle de leurs groupes. C'est le cas, notamment, de plusieurs prêtres initiés aux secrets
des oracles et des plantes. D'autres élaborent des normes personnelles de culte avec
diverses combinaisons, additions et reconstitutions d'éléments hétérogènes, ce qui est
assez courant dans les zones les plus éloignées des centres urbains. Enfin, d'autres
personnes encore apportent des innovations tellement importantes qu'il est difficile de
situer ces cultes par rapport aux groupes préexistants. Avec le temps, si ces innova-
tions répondent à de véritables besoins d'adaptation, il se forme autour de ces individus
des petits groupes dont la croissance et la durée de vie sont variables. C'est probable-
ment le cas du Petro d'Haïti, fondé à l'origine dans les Caraïbes, par le Créole D o n
Pedro, qui a donné des variables hétérogènes d'une grande stabilité, tandis que le
bedwardisme ' et d'autres mouvements de ce genre ont disparu avec la mort de leurs
fondateurs.
Mais en relevant la présence d'éléments chrétiens dans les variables négro-
américaines, on ne saurait oublier l'influence exercée sur les cultes chrétiens par les
modèles noirs présents dans la société globale ; influence qu'on ne constate pas directe-
ment dans la liturgie ou dans le d o g m e de l'Église chrétienne, mais seulement dans
1. Mouvement de caractère religieux et initiatique fondé par un Noir jamaïcain au milieu du xixe siècle
qui a disparu avec son fondateur.
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croyances, chaque religion gardant ses propres valeurs et structures et étant pratiquée
dans des locaux spécifiques et séparés. D e u x liturgies distinctes sont pratiquées : la
liturgie chrétienne ou officielle dans l'église et, parallèlement, la liturgie noire — ou non
officielle — célébrée dans les temples, maisons ou lieux naturels consacrés.
Si nous insistons sur ces concepts, c'est parce que nous croyons qu'il est pertinent
de réexaminer les diverses catégories de syncrétismes et d'associations pour les consi-
dérer en tant que résultantes dialectiques d'un phénomène d'accommodation. Il nous
semble également que leurs formes de résistance, qui transmettent l'unité sous-jacente
de l'esprit communautaire noir dans leur diversité, doivent faire l'objet d'un nouvel
examen. N o u s tenterons donc de montrer c o m m e n t , au niveau de la religion, cette
négritude transforme divers fragments en variables d'un système de base. D e m ê m e
que 1'indigenismo, ce système qui procède à une reformulation de l'Afrique en
Amérique latine, donne à celle-ci sa particularité ou sa spécificité, en la rattachant
culturellement et spirituellement à l'Afrique noire avec un degré plus ou moins élevé
de conscience et d'acceptation officielle.
II
dans des rapports de groupe ne suffisent pas pour pouvoir les analyser et les inter-
préter. Il est donc nécessaire de les placer dans une perspective plus large et de restruc-
turer sciemment les éléments et leurs rapports particuliers, pour dégager ainsi leur
symbolisme. »
Et nous ajoutions : « être initié », apprendre les éléments et les valeurs d'une
culture « de l'intérieur », à travers une relation dynamique au sein d'un groupe et, en
m ê m e temps, pouvoir dégager de cette réalité empirique les mécanismes fondamen-
taux et leurs significations dynamiques, leurs rapports symboliques, dans une abstrac-
tion consciente faite « de l'extérieur », est un désir ambitieux et une entreprise difficile-
ment réalisable. Pourtant, s'agissant d'un système initiatique, elle est non seulement
souhaitable, mais indispensable.
La démarche qui conduit à étudier la religion négro-américaine « de l'intérieur
vers l'extérieur » nous amène à examiner trois aspects : les faits, la révision critique et
l'interprétation.
Par « faits », nous entendons le rassemblement et la description dynamique des
variables homogènes et hétérogènes de la religion. Il s'agit de procéder à une descrip-
tion exacte et détaillée du fait rituel, depuis les cérémonies les plus complexes, la forma-
tion, la morphologie et la structure hiérarchique du groupe, les locaux et objets, les
entités surnaturelles, jusqu'au moindre geste du processus rituel. L'inventaire du patri-
moine oral, dont nous montrerons ultérieurement l'importance, fait également partie
de cette démarche.
A plusieurs reprises, nous avons insisté sur la révision critique. Cet aspect est
fondamental quand on examine les communautés « de l'intérieur » à partir de la réalité
culturelle du groupe lui-même. Il s'agit de démystifier les idéologies importées ou
superposées, d'en extraire les éléments ethnocentriques européens pour être en mesure
d'observer et de situer les valeurs spécifiques des groupes dans leurs vraies « réalités ».
L a distorsion due à l'ethnocentrisme a été l'un des obstacles les plus sérieux à la
compréhension des valeurs négro-américaines.
Cette révision doit s'attacher non seulement à procéder à une relecture critique
des ouvrages spécialisés, afin de les replacer dans leur perspective historique, mais
aussi à une analyse conceptuelle approfondie de la terminologie qui déforme et
corrompt la perception du système religieux.
N o u s n'avons pas la prétention de proposer ici une nouvelle formulation de cette
terminologie, mais nous voudrions attirer l'attention sur un certain nombre de termes
ou expressions.
Ainsi le fétichisme a été et est la notion à laquelle on fait couramment appel pour
classer les différentes variables de la religion africaine, notamment latino-américaines.
C e terme vient du mot portugais/eííci'o, la chose faite, préparée. C'est par ce mot que
les premiers navigateurs portugais ont désigné les images et objets rituels qu'on a
c o m m e n c é à appeler « fétiches ». Par extension, les Portugais ont cru que, dans leur
culte, les Africains vénéraient les objets, sans comprendre qu'il ne s'agissait pas
d'objets matériels, mais de représentations symboliques consacrées, faisant partie d'un
système complexe de rapports abstraits et mystiques. Il ne s'agit pas d'objets-divinités,
de fétiches tout puissants, qui ont un pouvoir sur leurs adorateurs, mais au contraire
d'emblèmes consacrés par des cérémonies particulières et perçus c o m m e symboles de
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créatures et de forces spirituelles. Ainsi, l'adepte ne s'incline pas devant une pierre, un
morceau de bois, de boue ou de porcelaine, mais devant l'abstrait-sacré, de m ê m e que
le catholique n'adore pas l'image matérielle des saints et les crucifix, mais l'esprit
mystique qu'ils symbolisent.
Les objets sacrés ne sont pas autonomes. Us forment un ensemble et acquièrent
leur signification parce qu'ils font partie d'un système liturgique qui organise la
manifestation de l'élément sacré.
La révision des termes qui, étant traduits, ne permettent pas une bonne compré-
hension de la structure m ê m e du système s'impose également. Ainsi, on qualifie de
masque l'esprit d'un ancêtre dont la représentation matérielle est invoquée dans le culte
aux ancêtres. Le mot « masque » lui-même {máscara), utilisé couramment dans le
langage ethnologique et dans de prestigieux livres d'art, a pour origine une mauvaise
traduction qui déforme et altère la signification culturelle des objets qu'elle prétend
définir et ne correspond pas aux mots qui servent à identifier ces objets dans les diffé-
rentes communautés.
A l'issue de son propre travail, la révision critique s'impose donc au chercheur. Il
doit confronter des descriptions et des concepts de la littérature spécialisée en se
rapportant à l'expérience acquise sur le terrain, à l'analyse des textes rituels et aux
concepts établis par les membres hiérarchiques de la religion.
Ainsi, par exemple, l'accès limité à certaines cérémonies — en particulier à celles
des offrandes — est attribué au caractère barbare de ces pratiques, à l'attitude défen-
sive adoptée face à la police ou à la curiosité scientifique. L'interdiction s'étend à une
certaine catégorie d'individus. N o u s signalions que le processus d'initiation se fait
progressivement et parallèlement à l'acquisition d'aptitudes et des pouvoirs. L'accès à
certains rites et à certaines cérémonies est déterminé par le degré d'initiation, les
aptitudes physiques et spirituelles de l'individu qui lui permettent d'assister et de parti-
ciper aux expériences mystiques au cours desquelles sont libérés et invoqués des
pouvoirs difficilement contrôlables, mais qui ont une signification profonde. L a
volonté de maintenir ces cérémonies privées a pour cause la structure religieuse elle-
m ê m e . C'est pourquoi toutes les interprétations qui évoquent l'immoralité ou la
barbarie de ces cérémonies, ainsi que toute projection de valeurs propres à un autre
système culturel, sont déplacées.
C e nouvel examen nous conduit également à évoquer une question délicate à
résoudre : C o m m e n t trouver dans les langues nationales les mots qui soient de bons
équivalents des concepts culturels et des mots utilisés dans les communautés? Il n'est
pas possible de traduire des notions telles que Orisha ou V a u d o u , Ase, etc. C e s
concepts peuvent être analysés, mais non traduits. Cela oblige le spécialiste à
surcharger ses travaux de mots inconnus ou à répéter ses explications, sinon à
redéfinir des termes, tel que V a u d o u , qui ont été déformés par l'usage ethnocentrique.
N o u s avons souligné un troisième aspect : celui de l'interprétation. C'est à ce
stade que la démarche « de l'intérieur vers l'extérieur » prend tout son sens. Il s'agit
d'analyser la nature et la signification des faits concrets en faisant ressortir la s y m b o -
lique sous-jacente et en reconstruisant la trame des signes en fonction de ses relations
internes et de ses rapports avec le m o n d e extérieur.
L'interprétation symbolique est le domaine le moins étudié de la religion noire.
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Cependant, c'est l'aspect qui permet de percevoir les séquences rituelles et de les
ordonner en une structure cohérente.
L a religion dans son ensemble, sa forme, sa pratique, ses contenus, s'expriment
par des symboles ou des structures symboliques complexes. Autrement dit, en
décelant les correspondances des symboles et en les interprétant, nous pourrions expli-
quer les contenus des faits rituels et de leurs variables.
Les trois aspects mentionnés — faits, révision critique, interprétation — sont
interdépendants. Ils représentent les trois instruments interchangeables d'une
technique qui doit être ajustée en fonction d'une expérience acquise lentement et
progressivement sur le terrain et que nous qualifions d'expérience « initiatique ».
III
N o u s nous efforcerons donc d'examiner certains aspects qui caractérisent les fonde-
ments de la religion négro-américaine ainsi que les éléments de son expression. E n
d'autres termes, il s'agit d'analyser la relation sous-jacente à la diversité des contenus
apparents qui exprime le degré d' « esprit communautaire », d'africanisme ou de
négritude.
Le fait qui nous paraît le plus intéressant, c'est que la religion constitue un
système initiatique. Elle est acquise, transmise et développée de façon spécifique. Les
adeptes participent à une expérience au cours de laquelle ils reçoivent, assimilent et
développent — directement et lentement — un pouvoir mystique et symbolique qui
leur permet de s'intégrer et de s'identifier aux éléments d'un système dynamique qu'ils
font vivre. N o u s avons d'ailleurs déjà fait référence à ce pouvoir de réalisation. Il nous
semble être la dimension la plus précieuse des communautés, car il leur permet
d'assurer l'existence m ê m e de leur religion en procédant à une alliance mystique qui est
le courant « consanguin » entre le passé, le présent et le futur.
C e pouvoir, connu sous le n o m de asé — mot nagô — ou se — mot fon —, c'est
le principe qui rend possible le processus vital. Il est exercé par des moyens matériels et
symboliques et il est accumulable. C'est une force qui ne peut être acquise que par
introjection ou par contact. Elle peut être transmise à des objets et à des êtres humains.
Selon Mopoil, ce terme désigne « la force invisible, la force magique et sacrée de
toute divinité, de tout être animé, de toute chose ». Mais cette force n'apparaît pas
spontanément, elle doit être transmise. Tout objet, être ou lieu sacré ne l'est que grâce à
l'acquisition d'ase. O n comprend ainsi que la communauté, l'ensemble de ses contenus
matériels et ses initiés, doivent recevoir Vase, l'accumuler, le maintenir et le développer.
L'intensité du pouvoir varie selon la combinaison des éléments qu'il contient et sa
maîtrise : à chaque combinaison correspond un pouvoir qui permet des réalisations
déterminées. C o m m e tout autre pouvoir, Yasé peut se réduire ou s'étendre et se
renforcer. Ces variations sont déterminées par les activités et les comportements
rituels. Le comportement est déterminé par le respect scrupuleux des obligations et des
devoirs, fixés par la doctrine et la pratique liturgique et imposés à chaque détenteur
d'asé par rapport à lui-même, au groupe auquel il appartient et à la communauté. L a
connaissance et le développement initiatiques sont transmis en fonction de l'assimila-
tion et de l'élaboration d'asepafune combinaison spécifique qui contient des represen-
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noire qui définit les divers groupes c o m m e des variables d'un système de base.
En renouvelant et en élaborant individuellement et collectivement les valeurs cultu-
relles de la négritude latino-américaine d'après les modèles africains, la possession
institutionnalise, en effet, un système complexe de mécanismes d'identification et de
reconstruction.
La dynamique de la possession préserve la vitalité du culte des entités surnatu-
relles. Le corps des prêtresses ou des initiés est le lieu où les entités se manifestent, sont
présentes, parlent, dansent, bénissent, donnent des conseils, utilisent leurs emblèmes et
leurs parures pour expliquer leur origine, leur histoire et leur signification. Il ne s'agit
pas seulement de rappeler un mythe, un passé, l'existence de modèles ancestraux, de
forces et d'éléments cosmiques, mais de revivre, à travers une expérience dynamique,
la communication et l'identification avec les entités surnaturelles porteuses d'un ordre
social, d'une discipline morale, de formes et de valeurs culturelles qui dépassent le
niveau liturgique, l'expérience individuelle, pour devenir un m o d e de vie
communautaire.
Tout le système religieux, sa théogonie et sa mythologie sont revécus par l'inter-
médiaire de la possession. Chaque participant est le protagoniste d'une activité rituelle
qui permet de réactualiser le m o n d e historique, psychologique, ethnique et cosmique
noir. L a dynamique de la possession exprime, dans un temps recréé psychologique-
ment, dramatisé hic et nunc en une expérience personnelle, l'existence d'un système de
connaissances. C e système ne peut être compris que dans la mesure où il est vécu par le
truchement de l'expérience rituelle (analogies, mythes et légendes) ; la connaissance n'a
une signification que si elle est assimilée de façon active.
N o u s abordons ainsi une des plus importantes caractéristiques, voire la plus
importante du système et qui est en quelque sorte la cause première de celles que nous
avons évoquées précédemment.
Pour qu'il y ait transmission initiatique, deux personnes au moins sont néces-
saires. L a connaissance passe directement d'un être à l'autre. Elle ne s'acquiert ni par
la lecture, ni par une explication ou un raisonnement logique, produit d'une activité
consciente et intellectuelle, mais par le transfert d'un code complexe de symboles où la
présence réelle des deux personnes, leur relation dynamique, constituent le mécanisme
le plus important. L a transmission est effectuée à travers l'utilisation de symboles
matériels et de gestes, par des paroles prononcées, soufflées et accompagnées de
modulations et par la charge émotionnelle et l'histoire personnelle de celui qui les
prononce.
Si la parole acquiert un tel pouvoir d'action, c'est parce qu'elle est imprégnée
à'asé. Elle dépasse son contenu sémantique rationnel pour devenir un instrument
conducteur d'asé, c'est-à-dire un élément conducteur d'un pouvoir de réalisation.
L a transmission orale, technique qui est au service d'un système dynamique,
constitue une autre caractéristique fondamentale du système initiatique, propre à
toutes les variables de la religion négro-latino-américaine.
L a structure dynamique de la religion a recours à un m o y e n de communication
qui doit se réaliser constamment. Proférer une parole, une formule, d'une certaine
manière et dans un contexte déterminé, est une circonstance unique. C h a q u e m o t naît,
remplit sa fonction puis disparaît. L'expression orale est le produit d'une interaction
Juana Elbein D o s Santos et Deoscoredes Maximiliano Dos Santos 100
qui s'opère à deux niveaux : le niveau individuel et le niveau social. E n effet, la parole
émane d'une personne pour en atteindre une autre. Elle est prononcée pour être
écoutée, elle communique l'expérience de bouche à oreille, d'un être à un autre et d'une
génération à une autre, elle transmet Yasé concentré des ancêtres aux générations
présentes. Mais, d'autre part, elle est un acte individuel puisque l'émission d'un son est
le point culminant d'un processus de communication ou de polarisation interne. Le
son implique toujours une présence qui s'exprime et qui cherche à atteindre un
interlocuteur.
D a n s le système de la religion noire, le son est chargé d'un pouvoir et il conduit
une action. L'interaction dynamique, le son doué d'un pouvoir actif, apparaît avec tout
son contenu symbolique dans des formules et des invocations rituelles et en étant émis
par les instruments rituels. Il est évident que ces instruments sont « préparés », sont
sacrés, en recevant Vase approprié aux fonctions auxquelles ils sont destinés. Par
ailleurs, ils sont destinés à être manipulés par une certaine catégorie d'adeptes. Les
combinaisons des sons produits par ces instruments, agissant seuls ou avec d'autres
éléments rituels ( c o m m e le fait de taper dans ses mains, parler ou chanter), constituent
de formidables invocateurs des entités surnaturelles. E n induisant une action, elles
établissent la communication entre le présent et le passé, entre ce m o n d e et le m o n d e
surnaturel qui est parallèle.
Le son est une synthèse ; il naît de l'interaction de deux types d'éléments géniteurs
qui produisent un troisième élément. C'est une structure dynamique qui a pour résultat
de créer un mouvement. D a n s l'ensemble du système, le chiffre trois et ses combinai-
sons sont associés au mouvement.
L a parole, l'invocation s'appuient sur ce pouvoir dynamique du son. Les textes
rituels et les cantiques rituels sont investis de ce pouvoir. Récités, chantés, accompa-
gnés ou non d'instruments musicaux, ils mobilisent l'activité rituelle. L'oral est au
service de la transmission dynamique et d'un système où la transmission se réalise au
niveau des relations interpersonnelles concrètes.
Il est important de signaler la structure rythmique particulière du langage rituel.
En effet, une symbiose spécifique s'établit entre l'expression dynamique et la structure
rythmique de l'oral. N o u s voulons simplement mentionner que le rythme est un aspect
particulier de la religion noire dans toutes ses variables. N o u s ne pouvons pas
développer ici la question de la signification du rythme en tant qu'expression sociale où
le mouvement et l'harmonie cosmiques sont revécus.
D a n s le système de cet « être ayant pour essence la participation » qu'est l ' h o m m e
noir, la transmission orale a une extrême importance. Elle doit donc être nécessaire-
ment située dans une perspective globale et considérée c o m m e un des éléments de la
structure dynamique complexe qui a pour principe de base la relation interpersonnelle.
« L a connaissance n'est pas emmagasinée etfigéedans des écrits et des archives;
elle est revécue en permanence. Les archives sont vivantes, ce sont des chaînes dont les
maillons sont les individus les plus savants de chaque génération. »
Faire des études ou lire des textes peuvent aider à décrire la religion noire et à
fournir des explications plus ou moins rationnelles. Mais seul le développement initia-
tique par la pratique liturgique permettra d'appréhender la connaissance intégrale. L a
haute hiérarchie des cultes refuse en général de donner des informations sur ce qui se
101 Religion et culture noires
passe hors du contexte rituel ou d'écrire des ouvrages à caractère théologique. Si elle
adopte cette attitude, ce n'est pas seulement pour défendre quelques secrets, préserver
son rang ou encore pour se réserver égoïstement la connaissance. C'est seulement, en
fait, que la transmission écrite va fondamentalement à l'encontre de l'essence m ê m e de
la véritable connaissance mystique, qui ne peut être acquise que grâce à une relation
interpersonnelle concrète. Il est possible que cette caractéristique essentielle ait
contribué à l'absence d'écriture dans les langues négro-américaines. L'introduction
d'une communication écrite crée des problèmes qui heurtent et affaiblissent les fonde-
ments des relations dynamiques du système.
Les Africains conçoivent que l'existence se déroule simultanément sur deux
plans : dans le m o n d e ou l'univers physique concret habité par les êtres naturels, et
dans un autre m o n d e , abstrait, infini et illimité, habité par les êtres surnaturels, les
entités divines, les ancêtres et les doubles spirituels de tout ce qui peuple concrètement
l'univers. Ualem n'est associé à aucune partie du m o n d e réel en particulier. C'est une
conception abstraite, un m o n d e qui existe parallèlement au m o n d e réel avec tous ses
contenus. Tout ce qui existe dans le m o n d e réel possède une contrepartie ou un double
spirituel et abstrait. Cette proposition peut également être énoncée dans l'autre sens :
tout ce qui existe dans le m o n d e surnaturel a sa contrepartie ou sa représentation
matérielle ou corporelle dans le m o n d e réel. Cette conception est le résultat des
relations mutuelles dynamiques des parties qui constituent les contenus du système et
elle nous amène à une autre idée essentielle qui a été transmise à la religion négro-
américaine : les deux niveaux de l'existence, le réel et le spirituel ou l'abstrait, sont
parallèles ou inséparables. Il n'y a pas dichotomie et leur propre survivance dépend de
leur relation dynamique. Cela s'exprime dans les mythes, les représentations et les faits
rituels et communautaires, de façon évidente dans les variables homogènes, mais de
manière plus indirecte et fragmentée dans les variables hétérogènes. L a présence des
entités surnaturelles et abstraites dans le corps des prêtresses, conséquence d'un
processus initiatique et liturgique complexe, consacre le rituel de l'existence des deux
mondes et la rend irréfutable sur le plan symbolique. N o u s ne pouvons pousser trop
loin notre analyse sur les implications de la correspondance entre le matériel et le spiri-
tuel. Cette conception est inhérente au système lui-même. Elle s'exprime dans le choix
d'éléments matériels spécifiques qui contribuent à donner un caractère formel aux
emblèmes, dans les éléments qui emmagasinent et transmettent Yasé (le pouvoir de
réalisation) et jusqu'au fait que chaque être naturel est conçu c o m m e une particule
concrète et individualisée d'entités et de principes géniteurs, abstraits et spirituels.
Entre ces deux mondes, il existe une relation permanente, un transfert continu
d'éléments spirituels et matériels. C e courant est chargé du pouvoir surnaturel. E n
effet, le pouvoir de réalisation qui fait fonctionner l'ensemble du système s'exprime par
la naissance, la mort et la renaissance réelles et rituelles, autrement dit par le transfert
continu et la redistribution de Yasé que l'activité rituelle symbolise et régit.
L a force impulsive, constituée par l'essence de l'existence et du savoir des généra-
tions passées et présentes, assure la continuité dynamique de la c o m m u n a u t é grâce au
contrôle de la relation symbolique entre les deux m o n d e s parallèles. Il n'est pas normal
qu'Esú, l'entité surnaturelle du panthéon N a g ó qui symbolise le principe dynamique
porteur de Yasé, ait dépassé ses origines ethniques et soit devenue une des entités les
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A u terme de cette analyse, nous ne prétendons nullement avoir épuisé le sujet, surtout
en ce qui concerne les variables en transformation et les différences qui existent entre
elles dont nous ne sous-estimons pas l'importance. Notre intention était de présenter
une perspective qui, en réunissant les informations existantes, nous permettrait d'avoir
une vision d'ensemble, cohérente et logique des phénomènes dont les éléments essen-
tiels constituent une trame significative. Cette vision exprime et démontre l'indiscu-
table continuité qui existe entre l'Afrique et l'Amérique latine. Mais il ne s'agit pas
d'une continuité passive. E n justifiant son propre héritage structurel, elle se révèle
mouvante, résistante, vivante et donne lieu à un processus dialectique, caractéristique
de la culture latino-américaine. Cette continuité peut s'ouvrir sur un nouvel
humanisme qui privilégie les capacités existentielles de l'être humain sous ses
nombreux aspects.