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L’affaire des caricatures de Mahomet

A) La notion de blasphème
La notion de blasphème désigne à l’origine le fait de parler mal de quelqu’un, injurier ou
calomnier. Or, progressivement, elle a pris un sens plus restreint au fait religieux. Ainsi on parle
d’une parole ou d’un discours qui outrage la divinité, la religion ou ce qui est considéré comme
respectable ou sacré.
Le blasphème est caractérisé par une grande variabilité dans ses définitions, ses caractérisations, ses
appréhensions, dans les normes et juridictions qui l’encadrent et le sanctionnent. En effet, la nature
des actes jugés répréhensibles n’est pas univoque selon les textes, les époques, la géographie…

Historiquement, si le caractère blasphématoire est évalué par rapport à ce que défend une religion
dans son dogme (affirmation considérée comme fondamentale, incontestable et intangible formulée
par une autorité politique, philosophique ou religieuse), les sanctions qui en découlent restent de
domaine politique en Europe chrétienne, jusqu’au XVIIIe siècle, lors de l’essor des Lumières.
Désormais, la tradition des Lumières exclut la religion de la sphère politique et elle seule peut définir
l’idée de blasphème. Le 25 septembre 1791, la France devient donc le premier pays à abolir le délit
de blasphème et consacre dès lors la liberté d’expression.
Cette date est majeure pour la France, car elle bouleverse les valeurs de celle-ci : la religion ne doit
pas imposer ses croyances à toute la société. Ainsi, l’idée selon laquelle il faut sanctionner le
blasphème n’a pas sa place en France. L’article 18 de la Déclaration des droits de l’homme, pilier
des valeurs françaises, garantit la liberté de croyance, et la notion de blasphème comme faute ou
délit disparaît progressivement du droit moderne.

• Déclaration Universelle des Droits de l’Homme – Article 18 (1948)


« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion
; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi
que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en
commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le
culte et l’accomplissement des rites. »

Ainsi on comprend que le blasphème prend son sens non seulement à travers ce qu’il reflète du
point de vue des religieux mais aussi de l’état politique du pays où il est davantage question
d’hérésie ou d’atteinte à l’ordre public. Dans l’intervention au nom de l’ordre public, l’accusation de
blasphème relève de l’interdiction de la liberté d’expression et constitue un pouvoir politique.
Un ensemble d’idéologies participent à la construction d’une frontière entre le sacré et le profane, et
la protection de ce domaine sacré relève alors d’interdits. On distingue la société théocratique
(gouvernement au travers duquel une ou plusieurs divinités sont reconnues comme autorités
suprêmes) où la loi vise le respect des dogmes religieux ; et la société nationaliste (mouvement
politique d’individus qui prennent conscience de former une communauté nationale en raison des
liens (langue, culture) qui les unissent) où les symboles nationaux vont être considérés comme
sacrés.
Lorsque l’État ne se fonde pas sur la religion mais un droit divin, tel qu’en France, le blasphème
constitue, non pas un délit, mais un préjudice pour les fidèles en tant que citoyens protégés par la loi
qui les autorise à posséder leurs propres croyances.
Ainsi, la réponse politique doit apporter un arbitrage entre liberté d’expression et droit au respect de
la religion ou de symboles nationaux.
En France, les lois sanctionnent l'injure et la diffamation des personnes et des groupes, et
précisément les attaques contre des groupes religieux lorsqu'ils sont dénigrés en tant que tels. Ce qui
est interdit, c'est « l'injure, l'attaque personnelle et directe dirigée contre un groupe de personnes en
raison de leur appartenance religieuse » ou l'incitation à la haine raciale ou religieuse.
B) Les caricatures de Mahomet du journal Jyllands-Posten

L’affaire des caricatures de Mahomet prend forme dès lors que le journal danois Jyllands-Posten
publie douze dessins le 30 septembre 2005. Ces représentations sont le résultat d’un constat de
l’écrivain Kare Bluitgen qui peine à trouver des illustrateurs pour son livre sur Mahommet, depuis
l’assassinat de Theo Van Gogh. Ce dernier ayant été violemment tué par Mohammed Bouyeri après
avoir critiquer la condition des femmes dans l’islam.
Ainsi c’est à travers un article consacré à l’autocensure et à liberté de presse, que les lecteurs
prennent connaissance de ces douze dessins, sous le titre « Les visages de Mahomet », tous de
factures différentes. Celui qui retient le plus l’attention, c’est celui de Kurt Westergaard, montrant un
Mahomet coiffé d’un turban en forme de bombe, avec une mèche allumée.

C’est alors le début d’une fracture entre la presse et la communauté musulmane danoise : les
musulmans remontés manifestent devant le journal, onze ambassadeurs demandent à rencontrer le
Premier Ministre qui refuse car l’État Danois ne doit être tenu responsable, et les dessinateurs
menacés doivent fuir pour se protéger (leur tête va être mise à prix). Par la suite certains journaux
étrangers reprennent les dessins, non pas dans leur totalité, et le dessinateur emblématique fait un
communiqué : son dessin ne voulait pas représenter Mahomet, mais critiquer le terrorisme qui use de
l’islam et du Coran pour justifier leurs actions.
Progressivement, l’idée selon laquelle la loi ne condamne pas le blasphème va conduire à une
volonté pour les musulmans à travers le monde de se faire justice par eux-mêmes car ces dessins
sont absolument « inacceptables ». En effet, de nombreuses réunions ont lieu, des communiqués
dénoncent le gouvernement, et la Ligue des États arabes exige une résolution de l’ONU. Cette
publication du journal ne peut pas être sans effets.
Depuis Le Caire, le 21 janvier, l’Union internationale des ulémas menace d’appeler « des millions de
musulmans de par le monde à boycotter les produits et les activités danois et norvégiens », mot
d’ordre repris par Mohammed Akef, chef de file des Frères musulmans en Égypte. Le 26, l’Arabie
Saoudite rappelle son ambassadeur à Copenhague. Dans les Territoires occupés palestiniens, les
Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, proches de l’Autorité palestinienne dirigée par Mahmoud Abbas,
donnent 48 heures aux Suédois et aux Danois pour quitter le « sol palestinien ». Le 30 janvier le
Jyllands-Posten présente des « excuses » sans formuler de regrets concernant la publication. Sur son
site internet, le lecteur peut lire un article en danois et en arabe comportant ces termes : « Nous
sommes désolés que cette affaire ait pris une telle ampleur, et nous souhaitons réitérer que nous ne
voulions offenser personne. Comme le reste de la société danoise, nous respectons la liberté
religieuse. »
Progressivement, la violence règne et le siège du Jyllands-Posten doit alors être évacué à deux
reprises à la suite d’alertes à la bombe.
Plusieurs attentats 2011-2015
2011
Alors que pendant 10 ans le journal a mis la clé sous la porte, la volonté d’une presse satirique
française va permettre en 1992 sa reprise. L’enjeu est donc de pouvoir rire de tout que ce soit
politique ou religieux par exemple.
Cependant, les attentats du journal danois Jyllands-Posten vont être le début de la crise pour Charlie
hebdo. En effet le journal, en soutient à leurs collègues danois et au nom de la liberté d’expression,
vont republier les dessins du journal danois, sous la direction de Philipe Val notamment (ses propos
en 2006 : la liberté d’expression c’est sacré pour nous). Ainsi il publie un « numéro spécial » :
Mahomet débordé par les intégristes : c’est dur d’être aimé par des cons ».

Tout comme pour le journal danois, les autorités religieuses dont la grande mosquée de paris,
l’union des organisations islamiques de France et la ligue islamique mondiale ne peuvent laisser cet
acte impuni et font donc appelle à la justice pour réparer cette injure.
Néanmoins la justice est claire, le journal ne commet aucun délit, en raison de la loi de la liberté de
la presse (29 juillet 1881). En France, le droit au blasphème est garanti par la Constitution, donc
critiquer n’importe quelle religion est autorisée.

Charlie Hebdo ne se place comme un journal islamophobe, mais il défend le fanatisme religieux
quel qu’il soit. En 2006, il publie alors « Le manifeste des douze : ensemble contre le nouveau
totalitarisme » que représente l’islamisme (doctrine qui prône l’islam comme idéologie politique) et
tout un ensemble de numéros critiquant ouvertement la religion.

Cependant en 2011, la menace à laquelle fait face le journal devient très concrète. En effet, l’année
2011 marque une année particulière où un ensemble de manifestations populaires émergent dans de
nombreux pays du monde arabe. On parle alors du Printemps arabe, lors duquel on proclame des
réformes politiques, la démocratie, la justice sociale et le renversement de certains gouvernements
autoritaires. Si le mouvement conduit à la chute de nombreux régimes en Égypte, Tunisie ou Libye,
cette dernière adopte néanmoins la charia comme loi essentielle (= ensemble des lois dérivées du
Coran et des enseignements de Mahomet qui régit les divers aspects de la vie des musulmans, y
compris la morale, la politique, la religion, la justice, la finance et la vie quotidienne).
C’est ainsi en réaction à la victoire d’un parti islamiste Ennahdha en Tunisie, que Charlie Hebdo
publie un numéro emblématique, le 1011 ou la Charia Hebdo, représentant le prophète Mahomet
citant « 100 coups de fouet si n’êtes pas morts de rire ».
Durant la nuit du 1er novembre au 2, les locaux sont incendiés volontairement, le site du journal est
piraté et l’interface est remplacé par des citations du Coran ainsi que des photos de la Mecque,
symbole de la religion musulmane.
Plus tard, en 2013, l’organisation Al-Quaid publiera une liste des personnalités occidentales
recherchés mortes ou vives pour crimes contre l’islam, on y retrouvera le directeur de la publication,
Stéphane Charbonnie.

2015
Les attentats de janvier 2015 en France sont une série d’attaques terroristes islamistes qui se sont
déroulées entre les 7 et 9 janvier 2015 visant le journal Charlie Hebdo, des policiers et des clients
d’une supérette casher.
Ainsi ces évènements débutent le mercredi 7 janvier 2015 par l’attentat contre Charlie Hebdo, une
tuerie au siège du journal satirique à Paris : deux djihadistes français, les frères Kouachi assassinent
et blessent une vingtaine de personnes.
Le 8 janvier, Amedy Coulibaly tue par balle une policière municipale et blesse grièvement un
employé municipal, avant de prendre en otage les clients d’une supérette casher le lendemain au
nom de l’organisation djihadiste de L’État islamique.
Plus tard le slogan « Je suis Charlie » montrera un message fort.
Réactions hostiles à Charlie Hebdo jusqu’à l’assassinat de Samuel Paty

Réactions en faveur des auteurs des attentas


vous dresserez la liste des principaux arguments contre la publication des caricatures et plus
généralement la dérision des religions, en veillant à faire la part des opinions épidermiques et des
raisons plus objectives. Ce dossier vous rappellera aussi qu'au début même du procès des attentats
de janvier 2015, en octobre 2020, un professeur de collège est mort décapité pour avoir voulu
enseigner à ses élèves la tolérance et le respect de la laïcité, et que son assassinat a donné lieu aux
mêmes hommages et aux mêmes passes d'armes que cinq ans plus tôt.

Si les attentats à l’encontre de Charlie soulève l’indignement d’une partie de la population, certains
comprennent l’acte au nom de la religion, s’opposant à la critique et à la dérision religieuse.
A travers des manifestations, des marches mais également des attaques à l’encontre des lieux de
culte musulmans, anonymes, politiciens, médias ou encore personnalités religieuses montre leur
indignation face aux actes terroristes. L’enjeu est de rendre hommage aux victimes mais également
de condamner sévèrement les auteurs de cette « exceptionnelle barbarie » selon le ministre de
l’Intérieur Bernard Cazeneuve. La France est situation de deuil.

Néanmoins, une bonne partie de la population apporte son soutien aux terroristes.
Sur internet l’hashtag « JeSuisKouachi » s’oppose au slogan « Je Suis Charlie » pour se réjouir de la
tuerie de masse. Ainsi de nombreux comptes sur les réseaux sociaux font l’apologie des attentats
malgré la peine qu’ils encourent.
Par exemple, Omar Bozarhoun, un Strasbourgeois de 30 ans, a été condamné le 27 janvier à six
mois de prison ferme par le tribunal correctionnel de Strasbourg pour « apologie par voie
électronique d’un crime en relation avec une action terroriste » après avoir publié sur Facebook, à la
suite de l’attentat, une photo montrant une kalachnikov à terre accompagnée des mots « Bons baisers
de Syrie bye bye Charlie ».
De même à l’école, des élèves s’opposent à la minute de silence établit en l’honneur des victimes.

« Madame, me dit-elle, on ne va pas se laisser insulter par un dessin du


Prophète, c’est normal qu’on se venge. C’est plus qu’une moquerie, c’est
une insulte !»

L’acceptation de tels actes témoignent surtout d’une montée en puissance du communautarisme,


d’un refus des valeurs de la République et d’un rejet de la laïcité (Manuel Valls).
De même à l’étranger, le soutien aux terroristes se fait sentir dans les pays musulmans. Al-Qaïda
dans la péninsule arabique revendique l’attentat, et dans de nombreux États islamiques, les auteurs
des attentats sont présentés en héros, en chevaliers de la vérité. Pour de nombreux musulmans l’acte
est clairement justifié, le journal les a provoqués. Au Sénégal par exemple, la droite confessionnelle,
partisane de la charia, évoque des « martyrs » ayant fait justice eux-mêmes contre un blasphème
orchestré par les juifs. Ou encore en Turquie, le journal Yeni Akit cite « attaque sur le magazine qui
a provoqué les musulmans ».

Manifestations contre les caricatures de Charlie Hebdo


Des manifestations se déroulent contre les caricatures de Charlie Hebdo après la publication, sur la
une du numéro 1178 soit le « numéro des survivants », accompagné des textes « Je suis Charlie » et
« Tout est pardonné » et qui représente une caricature de Mahomet.
Les attentats contre Charlie Hebdo vont s’inscrire dans les mœurs de la société française, soulevant
la question des limites de la liberté d’expression.
La France se reconstruit progressivement : le procès contre les auteurs de l’attentat de Charlie Hebdo
a lieu et le président Emmanuel Macro intervient sur le projet de loi confortant le respect des
principes de la République en renforçant la laïcité et en dénonçant la radicalisation de certaines
pratiques de l’islam.
Or l’attentat à l’encontre du professeur Samuel Paty va replonger la France dans un deuil national.
Celui-ci s’étant appuyé sur les caricatures de Mahomet pour illustrer son cours sur la liberté
d’expression en France, va faire l’objet d’une cible pour de nombreux militants islamistes. Comme
auparavant, un mouvement d’indignation se soulève et on rend hommage à la victime partout à
travers le pays.

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