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Revue française de sociologie

Ariès Philippe, L'enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime.


C. Peyre

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Peyre C. Ariès Philippe, L'enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime.. In: Revue française de sociologie, 1960, 1-4. pp.
486-488;

doi : 10.2307/3319068

https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1960_num_1_4_5867

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Revue française de sociologie

de classes. Mais la discussion pourrait se porter autour des notions de «


pouvoir » et de « domination ». Si l'on admet que la détention du pouvoir n'est
pas seulement celle des postes ministériels, mais s'étend à l'ensemble de
l'appareil administratif et économique, et même à des éléments plus difficilement
palpables de l'influence et du prestige, on est bien obligé de se demander quelles
couches de la population participent à ce pouvoir. On trouve alors, à des
degrés divers, des propriétaires terriens en grand nombre, nobles ou
roturiers, de petits industriels, des membres des professions libérales, etc.. qui
sont les « notables ». Ceux-ci ne s'identifient pas, en effet, comme le laisserait
entendre l'auteur, à la grande bourgeoisie, mais se définissent par rapport aux
ensembles sociaux sur lesquels s'exerce leur influence : la « fin des notables »
est sans doute plus la fin d'un type de rapports sociaux que la fin d'une classe.
Dans ces conditions, en quel sens peut-on parler de domination ? Remarquer
simplement que la grande bourgeoisie concentre entre ses mains les
principaux organes de direction ne serait pas suffisant. Dire qu'elle le fait à
l'encontre des autres « classes » n'est que partiellement exact. En bref,
l'ouvrage, tout en insistant fort utilement sur les caractères propres de la
couche sociale où se recrutèrent, pendant cinquante années, les dirigeants de
la nation, n'apporte pas, apparemment, de modification profonde à l'image que
l'on possédait de la « France bourgeoise ».
F. A. Isambert.

Aries, Philippe. L'enfant et la vie familiale sous Г Ancien Régime,


Paris, Pion, 1960, iv-503 p., graph., pi. h.-t., 21 NF {Civilisations
ďHier et ďAujourďhui).
« II ne s'agit pas ici d'une recherche gratuite sur la société d'Ancien
Régime », explique l'auteur dans son introduction, mais d'un effort pour
« distinguer clairement les traits de notre présent vécu par les différences qui
les séparent des aspects voisins, mais jamais semblables, du passé ». Cet
ouvrage complète ainsi un précédent livre qui portait sur la période moderne (i)
et cherchait à saisir à travers l'histoire précise et l'évolution démographique de
quelques groupes de populations françaises leurs attitudes devant la vie,
mettant en lumière l'importance de la sensibilité familiale moderne. Ce thème
du sentiment de l'enfance et de la famille sera le fil conducteur du présent
ouvrage.
Au point de départ, l'auteur brosse le tableau d'un monde humain
totalement étranger au nôtre par la conception qu'il se fait de sa propre existence.
Cela se situe au Moyen âge mais plonge ses racines dans un passé beaucoup
plus lointain. C'est un monde en quelque sorte figé, immuable, où l'homme
n'a pas d'âge individuel, mais se reconnaît collectivement soumis au cycle
inéluctable des « âges de la vie », semblable au cycle éternel de la nature.
La mortalité infantile considérable qui sévit ne blesse pas, n'étant que l'un
des aspects de ce nécessaire destin qui régit l'homme et l'univers. Dans un
tel contexte, il n'y a pas de place pour le sentiment de l'enfance, pas de place
pour l'enfance, période si précaire au regard des cycles éternels.
Mais l'étude de l'iconographie suivie de l'analyse du costume, des jeux, et
des attitudes envers la sexualité, révèle une découverte progressive de l'enfance.
L'enfant est d'abord mêlé au monde des adultes. Il est habillé de la même
manière, partage les mêmes jeux, n'est pas étranger à la connaissance de la
XVIII*
(i) Histoire
siècle. Paris,
des populations
Editions Self,
françaises
1948. et de leurs altitudes devant la vie depuis le

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Bibliographie

vie sexuelle. Mais à mesure qu'une société plus aristocratique se constitue


en se distinguant de celle des paysans, elle prend l'habitude de distinguer
aussi la période de l'enfance de celle de l'âge mûr. Le thème de la grâce
enfantine apparaît; celui de la dépendance, caractère commun à l'enfance et
au peuple, se transforme, pour l'enfance, en celui du besoin de protection
et d'éducation.
Progressivement, un souci de graduation apparaît dans l'instruction, et
les institutions scolaires tendent à se refermer sur elles-mêmes pour constituer
un monde à part, réservé à un groupe d'âge, massif mais limité, et soumis
à une loi différente de celle du monde des adultes. Aux habitudes d'autogestion
et aux mœurs libres et turbulentes des anciens étudiants, se substitue une
discipline autoritaire; non sans peine, car longtemps les élèves se livreront
ici ou là, à de violentes révoltes armées.
Au xvii" siècle, la « poussée scolaire » est telle que l'on s'en inquiète,
on redoute une inflation d'intellectuels et une crise du recrutement de la
main-d'œuvre manuelle. Au xvin* siècle, la bourgeoisie dresse des barrières
autour des collèges afin d'en exclure les enfants des classes populaires, tandis
qu'une élite de précurseurs, hommes d'Eglise ou d'Etat, invente la notion de
l'enfant
xix* siècle,
bien etélevé,
peu et
à peu
prépare
cellesainsi
de l'homme
les mœursmoderne,
des classes
quelledirigeantes
que soit dusa
condition sociale.
La troisième partie du livre étudie le thème de la famille. Dans ce même
mouvement par lequel elle se distingue peu à peu de la masse, la bourgeoisie
d'abord livrée à cette « épaisse sociabilité » dont témoigne la disposition des
maisons, et qu'exige la rareté des communications écrites impersonnelles, peu
à peu se retranche dans l'intimité de la vie conjugale, cette forme de la
famille toute centrée sur l'enfant et son avenir.
Mais on trahit un tel livre à vouloir le résumer. La richesse foisonnante
de la documentation et l'art avec lequel elle est présentée en font une œuvre
aussi inépuisable que ce thème de la vie quotidienne qui en constitue le
sujet. D'autant plus que l'auteur, fidèle aux principes qu'il s'est donné, ne
nous présente pas le passé avec cette froide objectivité qu'il reproche aux
érudits de l'histoire. La méthode de P. Ariès, évoquée dans cet ouvrage, mais
plus développée dans le précédent, consiste, dit-il, en une dialectique du passé
et du présent. C'est à partir du présent qu'il constitue des hypothèses, puis,
pour éviter de se noyer dans le souci d'une impossible exhaustivité, il fait
dans le passé de multiples sondages, variés, déconcertants parfois, et procède
à des comparaisons. Ainsi c'est avec une certaine chaleur humaine, et une
volonté
" A l'usage,
délibéréeunedetelle
prendre
méthode
parti,sequ'il
révèle
évoque
trèspour
féconde,
nous les
car images
l'éclairage
du passé.
sous
lequel les faits sont présentés, loin de les déformer, non seulement leur donne
du relief, mais excite sans cesse la réflexion du lecteur. Chacun peut les
prolonger dans la direction qui lui convient, même opposée à celle de l'auteur, car
celui-ci, certes, a ordonné son livre en fonction d'une hypothèse principale,
mais en évitant la rigidité d'une démonstration qui ôterait toute liberté à
la pensée du lecteur.
Cette hypothèse fondamentale consiste en ceci : la bourgeoisie, qui a pris
conscience d'elle-même au xvin* siècle, bien loin d'avoir selon un lieu commun
trop répandu, développé un individualisme égoïste, a fait naître notre
sentiment moderne de la famille, sentiment qui semble être pour l'auteur l'une des
valeurs humaines les plus hautes, de portée universelle, et en cours
d'universalisation.

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Revue française de sociologie

On peut regretter que, dans cette optique, l'étude de la conception du


monde et de la sensibilité humaine des classes populaires aient été non seulement
moins développées, mais jugées délibérément inutiles, en ce sens que l'auteur
ne semble les considérer que comme masses amorphes, tout au plus capables
de refléter ou de suivre avec retard le développement des moeurs et de la
sensibilité des classes dominantes, incapables assurément de développer en
elles-mêmes une conscience originale, en fonction de leur type d'existence
propre. Un peu comme si elles ne pouvaient être que le résidu de la
mobilité sociale dont il nous dit qu'elle était sous l'Ancien Régime beaucoup
plus forte qu'on ne le pense habituellement. Le thème du parallélisme de
l'enfance et du peuple, évoqué à plusieurs reprises, est l'illustration de cette
attitude.
On peut aussi regretter l'absence à peu près totale de références à l'ensemble
du contexte des époques en question, aux modifications sociologiques,
économiques, techniques, etc. On est un peu surpris, un peu frustré parfois, de
n'assister en quelque sorte qu'à l'aspect le plus épidermique du développement
des institutions et des idées. L'ouvrage précédent était, de ce point de vue,
beaucoup plus structuré.
Ces réserves faites, nous n'en sommes pas moins en présence d'un ouvrage
important, qui met à la portée du lecteur non-spécialiste une foule de
documents historiques précieux, surprenants parfois, et qui, à la lumière du passé,
donne des proportions nouvelles à bien des traits de notre vie présente.
C. Peyre.

Famille et habitation. Tome II : Un essai ďobservation expérimentale,


par Paul Chombart de Lauwe, Jacques Jenny, Louis Couvreur,
Pierre Labat, Jacques Retel, Janine Charazac, Marie- José
Chombart de Lauwe, Guy Rocher, Dominique Dubois-Taine, Elia Per-
rot. Paris, Centre national de la Recherche scientifique, 1960, 364 p.,
fig., graph., pi. h.-t, 24 NF (Travaux du Groupe ďEthnologie
sociale) .
Le second volume de cet ouvrage collectif (i) rend compte d'une enquête
effectuée dans trois groupes résidentiels modernes : la cité de la Plaine (Petit-
Clamart), la cité de la Benauge (Bordeaux-Bastide), la Maison Radieuse
(Nantes-Rezé).
P. Chombart de Lauwe précise tout d'abord l'objet de cette étude qui se
veut un « essai d'observation expérimentale sur l'évolution de l'habitation
et le changement social dans la société industrielle ». La recherche porte sur
l'étude différentielle des besoins individuels et collectifs des familles, ainsi
que de leurs rapports sociaux dans ce milieu particulier des cités. Après avoir
exposé la conjoncture économique, politique et sociale au moment du travail,
l'auteur explicite la méthode utilisée . Dans une description comparative des
trois groupes d'habitation, sont analysées les caractéristiques générales, la
situation écologique, la composition architecturale des cités, ainsi que la
composition des populations qu'elles abritent. Les 135 familles retenues dans
l'échantillon principal sont ensuite réparties selon des critères
socio-professionnels et socio-démographiques.
(1) Voir le compte rendu du premier volume in : Revue française de Sociologie,
1 (1), janvier-mars i960, pp. 126-127.

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