Vous êtes sur la page 1sur 28

L’argument de la pauvreté du stimulus linguistique

et la construction des questions fermées en anglais

Jérôme Puckica

There is recent work suggesting that languages may indeed be learnable,


but if so, that’s an empirical discovery. It is not a conceptual necessity.
N. Chomsky (1996, 35)

Depuis maintenant plusieurs décennies, le linguiste américain Noam Chomsky


et les tenants de la grammaire générative promeuvent une hypothèse radicalement
innéiste ou «nativiste» de la compétence linguistique suivant laquelle cette
dernière serait «un savoir sans apprentissage véritable» (Pollock 1998, 11),
largement inné. L’être humain serait génétiquement doté d’un module cognitif
autonome spécialement dédié au langage, la Faculté de Langage (FL), dont l’état
initial est nommé Grammaire Universelle (GU), et ce module lui permettrait
d’acquérir, «sans véritablement l’apprendre», une quelconque langue humaine. Il
faut souligner la spécificité de l’Hypothèse Innéiste (HI) ici considérée, qui va
bien au-delà de l’observation triviale que les aptitudes langagières des êtres
humains ont un certain fondement génétique. Le locuteur anglophone, par
exemple, n’aurait pas à apprendre que he et Bill peuvent être coréférentiels dans
Bill said he would come, mais pas dans He said Bill would come (Chomsky
2000, 93) : cet aspect de son savoir linguistique découlerait d’un des principes
formels de la théorie du liage (Binding Theory), que GU est supposée contenir.
De façon plus surprenante, peut-être, les significations lexicales seraient elles-
mêmes largement innées (Chomsky 1996, 49 ; Smith 2004, 39). Il faut cependant
noter que les présentations de GU, dont le contenu a souvent paru nébuleux (cf.
Tomasello 2007), ont beaucoup évolué au cours des dernières années. L'époque
où les faits linguistiques étaient «expliqués» par des propriétés, toujours plus
nombreuses, de GU semble révolue, ou proche de l’être. Dans le Programme
Minimaliste de la grammaire générative, Chomsky (2004, 2012a) ne suggère plus
qu’une version extrêmement appauvrie de GU, bien éloignée du «very richly
structured innate system» (Chomsky 1984, 429) qu’il postulait autrefois. Ce
postulat semblait pourtant constituer un élément essentiel de sa théorie
linguistique formelle. De fait, on voit mal comment une «thèse minimaliste forte»
de GU pourrait être compatible avec celle d’un savoir linguistique sans véritable
apprentissage (cf. Clark & Lappin 2010, 7-8).
 Université Stendhal - Grenoble 3, LIDILEM. Courriel : jerome.puckica@u-grenoble3.fr

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access
92 Jérôme Puckica

Divers arguments – souvent, de simples affirmations – compatibles avec


l’Hypothèse Innéiste (HI) ont été avancés au fil des années, dont certains ne
semblent plus vraiment d’actualité (cf. Pullum & Scholz 2002, Dabrowska 2004,
Sampson 2005, Fortis 2008). Par exemple, Chomsky (1959, 28) soulignait la
«remarquable rapidité» (nous traduisons) avec laquelle l’enfant acquiert sa
langue maternelle, ajoutant : «this task is accomplished in an astonishingly short
time».1 Désormais, il note que FL attendrait un état dit stabilisé «peut-être dès
l’âge de six à huit ans» (Chomsky 2000, 118), soit une durée considérable au vu
des circonstances (motivation, disponibilité, milliers d’heures d’exposition et de
pratique, sollicitations, etc.), d’autant qu’il paraît maintenant établi que
l’expérience (pré)linguistique de l’enfant commence avant même sa naissance.2
Cette durée ne légitime plus vraiment l’hypothèse d’importantes connaissances
linguistiques innées, pas plus que celle d’une acquisition du langage qui serait
facile ou «sans efforts» (Chomsky 1975, 144), autre affirmation fréquente.
C’est au plus célèbre et, peut-on penser, au plus fondamental des arguments en
faveur de HI que nous nous intéresserons ici : l’argument de la pauvreté du
stimulus linguistique (APS), thème sur lequel Chomsky a donné une série de
conférences en 2010 (cf. Chomsky 2012a). Dans sa formulation la plus générale,
l’APS est l’argument suivant lequel le savoir(-faire) linguistique des locuteurs est
sous-déterminé par les données linguistiques auxquelles ils ont été exposés. Cette
formulation, toutefois, est trop vague, car on peut reconnaître au moins deux
versions bien distinctes de l’APS.3 D’une part, une version faible, que personne
ne conteste : il ne suffit pas d’être adéquatement exposé à une langue humaine
pour pouvoir l’acquérir pleinement, puisque ni les rochers, ni les oiseaux, ni
même les (autres) grands singes n’y parviennent (Chomsky 1986, 4) ; encore
faut-il être humain et disposer de certaines aptitudes physiques et psychologiques
qui, inévitablement, sont en partie génétiquement déterminées. C’est là une
évidence qui n’implique aucunement l’existence de connaissances linguistiques
innées. Même des activités qui n’ont rien de particulièrement «naturel», comme
conduire une voiture, impliquent certaines prédispositions biologiques ; on en
conclurait pas pour autant que l’être humain est génétiquement doté d’un module
cognitif dédié à la conduite automobile (cf. Aitchison 2011, 5). C’est donc
uniquement la version forte, spéculative et controversée de l’APS (ci-après
1 Chomsky (1962, 529) écrit encore : «Mere exposure to the language, for a remarkably
short period, seems to be all that the normal child requires to develop the competence of
the native speaker.» Chomsky & Halle (1968, 4) soulignent de même la grande vitesse
(«great speed») de ce phénomène. Toutes les citations traduites le sont par nos soins.
2 Cf. Kail & Fayol (2000), Karmiloff & Karmiloff-Smith (2001), Clark (2009), Boysson-

Bardies (2010[1996]). Bien entendu, nombre de structures sont en place bien avant six
ans. Inversement, d’autres ne le sont que plus tard, l’apprentissage se poursuivant jusqu’à
l’âge adulte. Tout dépend de ce que l’on entend par acquisition. La définition qu’en
donne Chomsky est demeurée sensiblement la même (i.e. lorsque l’enfant atteint un
niveau de compétence comparable à celui d’un locuteur adulte), de sorte que l’évolution
de sa position est notable.
3 Chomsky (2006, xi ; 2012a, 8) a souvent présenté la pauvreté du stimulus comme un

truisme absolu (malgré sa récente série de conférences sur le thème), mais ceci ne peut
raisonnablement s’appliquer qu’à la version faible de l’argument.

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access
Pauvreté du stimulus et construction des questions fermées en anglais 93

«APSF») qui nous intéressera ici, celle qui est censée soutenir HI. Une des
formulations les plus claires en a été donnée par Hornstein & Lightfoot (1981,
9) : «People attain knowledge of the structure of their language for which no
evidence is available in the data to which they are exposed as children.» Il
existerait un «gouffre» (Chomsky 1986, xxv) entre les données de l’expérience
(stimulus linguistique) et les connaissances acquises, un écart tel que
l’acquisition du langage ne pourrait s'expliquer sans faire l’hypothèse
d'importantes connaissances linguistiques innées, soit de GU.
Ci-dessous, nous nous focaliserons sur l’exemple «classique» de l’APSF, qui
porte sur la construction des questions fermées en anglais. Suivant Chomsky
(1975), les jeunes enfants anglophones acquièrent une règle d’inversion sujet-
auxiliaire pour former les questions fermées qui ne peut pas être induite du
stimulus linguistique auxquels ils sont exposés. Cette acquisition ne pourrait
s’expliquer que par l’existence d’un principe de «dépendance structurale» inscrit
dans GU, qui stipule que les règles grammaticales font toutes référence à
l’organisation hiérarchique des phrases (§1). Toutefois, l’absence des données
linguistiques supposées indispensables à l’acquisition de la règle postulée est
discutable et il y a en fait des raisons de douter du caractère indispensable de ces
données (§2). On peut également douter de la nécessité d’inscrire un principe de
dépendance structurale dans GU : l’organisation hiérarchique des structures
linguistiques pourrait être le produit d’une faculté de hiérarchisation qui n’a rien
de spécifiquement linguistique et ne requiert donc pas l’hypothèse de GU (§3).
Enfin, l’exemple classique de l’APSF présuppose la réalité psychologique d’une
règle de transformation syntaxique et le «problème logique de l’acquisition» que
cet exemple est censé poser semble largement résulter de l’adoption d’un modèle
grammatical formel et transformationnel. Nous proposerons une approche
alternative, constructionnelle et «fondée sur l’usage», que soutiennent des études
empiriques sur les productions linguistiques des jeunes enfants anglophones (§4).
En d’autres termes, nous arguerons ici que l’exemple classique de l’APSF n’en
établit pas la validité et qu’il ne légitime donc pas l’Hypothèse Innéiste.

1. L’EXEMPLE CLASSIQUE DE L’APSF


L’exemple «classique» de l’APSF – on peut parler d’exemple classique au vu
du nombre de ses mentions dans la littérature depuis les années 1970 – porte sur
la construction des questions fermées en anglais.4 Les faits considérés sont ici des
énoncés tels que (1-2) :
(1a) The girl is happy.
(1b) Is the girl happy?

4 Voir, entre autres, Chomsky (1975, 30-33 ; 1988, 41 sq. ; 2006, 54-55 ; 2012a, 10),

Chomsky in Piattelli-Palmarini (1980, 39-40), Crain (1991, 602), Pinker (1994, 40-42),
Radford (1997, 14-15), Laurence & Margolis (2001, 222-3), Legate & Yang (2002),
Boeckx & Hornstein (2003), Collins (2003), Berwick et al. (2011) ; ou encore, mais de
façon critique, Cowie (1998, 178 sq.), Pullum & Scholz (2002, 36 sq.) et Clark & Lappin
(2010, 34 sq.).

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access
94 Jérôme Puckica

(2a) The girl who is smiling is happy.


(2b) Is the girl who is smiling happy?
(2c) *Is the girl who smiling is happy?

Selon Chomsky (1975, 30-33), on peut envisager deux règles-procédures


hypothétiques (R1) et (R2) au moyen desquelles l’enfant anglophone pourrait
former des phrases interrogatives fermées à partir de déclaratives telles que (1a).
Soit, en omettant divers détails :
(3) (R1) : Repérer le premier auxiliaire contenu dans la phrase déclarative et le
placer en position initiale pour former l’interrogative fermée correspondante.
(R2) : Repérer le premier auxiliaire qui suit le premier GN dans la phrase
déclarative et le placer en position initiale pour former l’interrogative fermée
correspondante.5
(R1) est une règle «indépendante de la structure» (structure independent), i.e. une
règle purement linéaire qui ne tient aucun compte de la structure interne des
phrases, et plus spécifiquement de leur organisation syntagmatique : la phrase
déclarative à partir de laquelle serait formée l’interrogative n’est envisagée que
comme une simple séquence linéaire de symboles. Par opposition, (R2), qui
correspond à ce que l’on appelle communément la règle d’inversion sujet-
auxiliaire (ci-après «règle ISA»), est une règle «dépendante de la structure»
(structure dependent) : elle présuppose une analyse syntagmatique de la phrase
déclarative, soit une prise en compte de son organisation hiérarchique et non de
sa seule organisation linéaire. Notons par ailleurs que les grammairiens
générativistes rangent la copule be parmi les auxiliaires.
Chomsky (id., 31) suggère que (R1) devrait être l’hypothèse que fait l’enfant
par défaut, car c’est une règle «extrêmement simple» qui semble fonctionner dans
l’immense majorité des cas. Mais (R1) est fausse : appliquée à une phrase telle
que (2a), où le premier «auxiliaire» rencontré (la copule is) est contenu dans le
GN sujet, elle produit la séquence agrammaticale (2c). Or, les jeunes enfants
anglophones ne produiraient jamais de telles séquences.6 Suivant Chomsky, ils
sélectionneraient systématiquement (R2), une règle pourtant bien plus complexe
et improbable – «far more complex and “unlikely”» (id., 32) – car ils n’auraient
pas la possibilité d’apprendre que (R1) est fausse : il faudrait pour cela qu’ils
soient exposés à des phrases du type (2b), i.e. des interrogatives fermées dont le
GN sujet contient un auxiliaire (ou la copule), mais celles-ci seraient
extrêmement rares, si rares qu’un locuteur anglophone pourrait passer sa vie sans

5 Cf. Chomsky (1975, 31-32) : «Hypothesis 1: The child processes the declarative
sentence from its first word (i.e. from “left to right”), continuing until he reaches the first
occurrence of the word “is” (or others like it: “may,” “will,” etc.); he then preposes this
occurrence of “is,” producing the corresponding question (with some concomitant
modifications of form that need not concern us).» «Hypothesis 2: The child analyses the
declarative sentence into abstract phrases; he then locates the first occurrence of “is” (etc.)
that follows the first noun phrase; he then preposes this occurrence of “is,” forming the
corresponding question.»
6 Voir ci-dessous nos remarques à propos de l’étude de Crain & Nakayama (1987).

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access
Pauvreté du stimulus et construction des questions fermées en anglais 95

jamais en produire ou y être exposé, comme l’a plusieurs fois noté Chomsky
(sans jamais mentionner d’étude particulière sur le sujet).7 En fait, les phrases du
type (2b) ne sont probablement pas aussi rares (cf. Pullum & Scholz 2002), mais
elles semblent bien être essentiellement absentes des données linguistiques
auxquelles ont accès les jeunes enfants anglophones, ou données linguistiques
primaires (ci-après «DLP»), qui sont ici les seules données pertinentes (cf. §2).
L’explication proposée par Chomsky (1975, 32-33) est que les jeunes enfants
sélectionnent systématiquement (R2) aux dépens de (R1) parce qu’ils seraient
pourvus d’un système linguistique inné (GU) qui contient un principe de
«dépendance structurale» stipulant que les règles grammaticales sont (toutes)
dépendantes de la structure :
The only reasonable conclusion is that UG contains the principle that all such
[grammatical] rules must be structure-dependent. That is, the child’s mind
(specifically, its component LT(H,L) [i.e. Learning Theory for Human Language])
contains the instruction: Construct a structure-dependent rule, ignoring all structure-
independent rules. The principle of structure dependence is not learned, but forms
part of the conditions for language learning.8
Il a parfois été noté que (R1) et (R2) ne sont pas les seules règles qui permettent
de former (1b) à partir de (1a) et qu’une explication empiriste devrait démontrer
que les DLP des jeunes anglophones permettent d’éliminer toutes les règles
possibles autres que (R2).9 Encore faudrait-il que les enfants effectuent de telles
hypothèses (cf. §4). Si l’on adopte une analyse transformationnelle, toutefois, des
règles telles que (R3) «déplacer n’importe quel auxiliaire en position initiale»
(Lasnik & Uriagereka 2002, 148, trad.) ou (R4) «déplacer le dernier auxiliaire en
position initiale» (Legate & Yang 2002, 152, trad.) devraient, en effet, elles aussi
permettre de former (1b) à partir de (1a). Cependant, le stimulus linguistique des

7 Cf. Chomsky (1975, 32) : «[a] person may go through a considerable part of his life
without ever facing relevant evidence» ; Chomsky in Piatelli-Palmarini (1980, 40) : «[a]
person might go through much or all of his life without ever having been exposed to
relevant evidence» (voir aussi p.114 et 115).
8 Voir aussi, entre autres, Chomsky (1988, 48), Chomsky (2006, 55) et Radford (1997,

14-15). Chomsky (2012a) propose une solution différente, mais ne vise plus à répondre
aux mêmes questions. Il avance, entre autres, que l’organisation linéaire des phrases serait
uniquement le produit de leur externalisation : les structures de la langue interne (LI)
seraient hiérarchisées, mais non linéarisées. Par suite, les opérations de LI ne pourraient
pas être linéaires et (R1) ne serait, peut-on penser, jamais envisagée. Toutefois, Chomsky
(id., 11) note que cette hypothèse pose un «problème empirique» (auquel il n’offre aucun
début de solution) : l’interprétation sémantique d’une phrase repose en partie sur l’ordre
linéaire de ses composants, ce qui suggère que l’organisation linéaire des phrases
préexiste à leur externalisation et n’est pas simplement imposée par le système sensori-
moteur. Une stipulation – GU contient un principe de dépendance structurale – est
remplacée par une autre – les structures de LI ne sont pas linéarisées – qui paraît bien plus
problématique, puisqu’elle semble exclure de la grammaire toute notion de linéarité (donc
de placement de X avant ou après Y), d’autant que l’organisation hiérarchique des
structures linguistiques peut être expliquée différemment (cf. §3).
9 Cf. Legate & Yang (2002), Lasnik & Uriagereka (2002), Boeckx & Hornstein (2003).

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access
96 Jérôme Puckica

enfants anglophones ne se réduit évidemment pas à des couples d’énoncés tels


que (1a-b). (R3) et (R4), par exemple, sont invalidées par (4a-c) ci-dessous, qui
n’ont rien de particulièrement rare. Nous nous intéresserons donc ici
essentiellement aux cas de (R1) et (R2).
(4a) Have you been sleeping?
(4b) Would you be quiet?
(4c) Do you know what this is?
Enfin, de nombreuses présentations de l’exemple classique de l’APSF
invoquent une des expériences de Crain & Nakayama (1987), ci-après «C&N»,
mais en omettent certains résultats importants. Dans cette expérience, trente
enfants anglophones âgés de 3;2 à 5;11 ans (âge moyen 4;7) étaient incités à
poser des questions du type (2b) à une figurine nommée Jabba. Pour chaque
question, l’instruction donnée à l’enfant était «Ask Jabba if [P]», avec [P] étant
une déclarative telle que (5a), le but étant dans ce cas de tester si l’enfant savait
produire (5b) :
(5a) The boy who is watching Mickey Mouse is happy.
(5b) Is the boy who is watching Mickey Mouse happy?
(5c) *Is the boy who watching Mickey Mouse is happy?
(5d) *Is the boy who’s watching Mickey Mouse is happy?
(5e) *Is the boy that is watching Mickey Mouse, is he happy?
Les publications qui mentionnent cette étude laissent souvent entendre que les
sujets de C&N ont bien su former les questions attendues, qu’il n’ont pas produit
de séquences agrammaticales du type (2c), et qu’ils semblaient ainsi maîtriser la
règle (R2)/ISA.10 C&N (p.530) notent bien qu’aucune séquence du type (2c) n’a
été produite, soit, dans le cas de (5a), aucune occurrence de (5c). Cependant, ils
notent aussi que sur le total des six phrases-tests utilisées, 40% des questions
formées par les sujets furent agrammaticales. Dans le cas de (5a), l’exemple
repris dans de nombreuses publications, 47% des questions furent mal formées.
Les erreurs les plus communes étaient prioritairement (5d) et secondairement
(5e), qui ne sont compatibles, ni avec (R1), ni avec (R2).11 De plus, C&N ont
10 Par exemple, Pinker (1994, 42) décrit brièvement la procédure de C&N, puis note

simplement : «The children cheerfully provided the appropriate questions, and, as


Chomsky would have predicted, not a single one of them came up with an ungrammatical
string like Is the boy who unhappy is watching Mickey Mouse?, which the simple linear
rule would have produced.». La rumeur peut ensuite se répandre. Armstrong (2003, 69)
reprend apparemment les propos de Pinker (1994) sans plus de vérification (utilisant lui
aussi unhappy et non happy, comme dans le texte de C&N) : «One prompt was quite
complex: “Ask Jabba if the boy who is unhappy is watching Mickey Mouse;” The
children easily responded: “Is the boy who is unhappy watching Mickey Mouse?” How
did they know […]?».
11 Dans cinq des six phrases-tests de l’expérience, is était malencontreusement à la fois

l’auxiliaire/copule contenu dans le GN sujet et l’auxiliaire/copule principal. Ainsi, (5d) ne


permet pas de déterminer si l’enfant ajoute simplement is en position initiale, s’il y ajoute
une copie de l’auxiliaire contenu dans le GN sujet, ou s’il y ajoute une copie de
l’auxiliaire principal. Une deuxième expérience (id., 534 sq.) visant à établir quelle

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access
Pauvreté du stimulus et construction des questions fermées en anglais 97

observé des différences importantes entre les taux d’erreur des plus jeunes et des
plus âgés des sujets. Les trente enfants étaient répartis en deux groupes de quinze
(G1, G2) en fonction de leur âge : ceux du G1 étaient âgés de 3;2 à 4;7 ans (âge
moyen 4;3) ; ceux du G2, de 4;7 à 5;11 ans (âge moyen 5;3). Dans le cas de (5a),
C&N ont relevé 80% d’erreurs chez les enfants du G1, contre seulement 13%
chez ceux du G2. En tout, le taux d’erreur fut de 62% pour le G1 contre 20%
pour le G2, soit un écart statistiquement significatif, notent C&N (p.529), pour
qui ces taux d’erreur pourraient être largement dus à la complexité des phrases
proposées.12 L’étude de C&N suggère donc bien que les jeunes enfants
anglophones ne produisent pas de séquences agrammaticales du type (2c), mais
elle suggère aussi que ces enfants, jusqu’à l’âge d’environ 4;5 ans, ne
construisent des interrogatives du type (2b) qu’avec beaucoup de difficultés.
Cette étude n'apporte qu'un soutien très relatif à l'hypothèse suivant laquelle les
jeunes anglophones utiliseraient une règle ISA, hypothèse que d'autres études
tendent à invalider (§4).

2. L’ABSENCE DES DONNÉES LINGUISTIQUES INDISPENSABLES


Les jeunes enfants anglophones, suivant Chomsky (1975), acquièrent une règle
de formation des questions fermées, la règle (R2)/ISA, qu’ils ne devraient
pourtant pas pouvoir induire de leur DLP. Il faudrait pour cela qu’ils soient
exposés à des interrogatives à sujet complexe telles que (2b), mais ces dernières
seraient trop rares pour qu’ils puissent y avoir accès. Il s’avère toutefois que l’on
peut non seulement douter de l’absence des données indispensables dans cet
exemple, mais aussi du caractère indispensable de ces données.13
Premièrement, telle que formulée au §1, (R2) ne permettrait pas de construire
l’interrogative Does she work? à partir de la déclarative She works. Dans
l’analyse générative des questions fermées, c’est en fait la tête flexionnelle de la
phrase – le noyau T du syntagme noté TP (Tense Phrase) ou IP (Inflection
Phrase) en anglais, ci-dessous «GT» – qui est déplacée devant le GN sujet, plutôt
que l’auxiliaire (ou copule) principal, à proprement parler. Si le GT de la
structure déclarative sous-jacente contient un auxiliaire, ce dernier est combiné à
la flexion et la forme résultante «monte» en position de «complémenteur» (C),

stratégie est mise en œuvre par l’enfant n’a donné que des résultats très limités et
difficilement interprétables. Par ailleurs, MacWhinney (2004, 890) note que la procédure
de C&N a pu inciter les enfants à répéter le GN sujet tel quel dans la question construite,
par imitation, et il voit là «[a] serious methodological limitation».
12 Selon C&N (id., 532), les sujets de l’expérience ont commis des erreurs de performance
dues à la complexité des phrases qui leur étaient soumises et en particulier à la complexité
des GN sujets. Les auteurs ont relevé des différences statistiques importantes dans les taux
d’erreur qui semblent corrélées au degré de complexité du GN sujet.
13 Pour certains auteurs, la règle ISA serait de toute façon inapprenable, quel que soit le

stimulus linguistique : «no amount of positive evidence, ‘exotic’ or not, would suffice»
(Lasnik & Uriagereka 2002, 148). Voir aussi Laurence & Margolis (2001) et Cowie
(2003). Un tel constat, pensons-nous, devrait prioritairement inciter à s’interroger quant à
la plausibilité psychologique de la règle postulée (cf. §4).

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access
98 Jérôme Puckica

suivant un mouvement de T à C. Dans le cas contraire, seule la marque


flexionnelle est déplacée, mais celle-ci étant une forme liée qui requiert un hôte
approprié, l’auxiliaire «vide» do serait alors inséré et fusionné avec elle, doAUX
n’étant donc pas lui-même déplacé.14 C’est cette règle d’inversion «sujet-flexion»
que l’enfant anglophone est en fait supposé acquérir. Nous continuerons, par
simplicité, de parler de règle ISA ou (R2), mais il demeure que si l’on adopte
l’analyse générative, alors la classe des données indispensables dans cet exemple
devrait être élargie à toute phrase ou proposition qui présente une inversion sujet-
auxiliaire (ou copule) et dont le GN sujet contient un verbe fini, auxiliaire ou
lexical. Les données indispensables devraient ainsi inclure, outre des phrases du
type (2b), des interrogatives fermées telles que (6a), mais aussi des interrogatives
ouvertes telles que (6b-d), comme le suggèrent aussi Pullum & Scholz (2002),
voire même des déclaratives telles que (6e) :
(6a) Can a person who works go on holiday?
(6a’) {a person who works can go on holiday}
(6a”) *Does a person who work can go on holiday?
(6b) Where’s the money that she gave you?
(6b’) {the money that she gave you is where}
(6b”) *Where did the money that she give you is?
(6c) How safe is the air we breathe?
(6d) When will the problems she pointed out be discussed?
(6e) Here is the book that she lent me.
(6e’) {the book that she lent me is here}
(6a) est une interrogative fermée dont le GN sujet (a person who works)
contient une forme finie d’un verbe qui n’est pas un auxiliaire. L’hypothétique
structure sous-jacente serait, en simplifiant, (6a’), où works précède can.
L’initialisation du premier élément flexionnel (plutôt que de la tête flexionnelle)
donnerait a priori (6a”), qui est agrammaticale. Par suite, (6a) devrait faire partie
des données pertinentes. De même, l’interrogative ouverte (6b) présente une
inversion sujet-copule. Sa structure sous-jacente simplifiée serait (6b’) et
l’initialisation du premier élément flexionnel devrait donner la séquence
agrammaticale (6b”). Des phrases telles que (6e) pourraient également compter
parmi les données pertinentes si l’on postule une structure sous-jacente (6e’).
Outre le problème de l’identification des données linguistiques supposées
indispensables, se pose celui de leur présence dans les DLP. Les interrogatives
fermées du type (2b) semblent bien être essentiellement inaccessibles aux jeunes
enfants anglophones, comme l’avait spéculé Chomsky (1975). Legate & Yang
(2002), ci-après «L&Y», n’en ont trouvé aucun exemple dans leur analyse des
corpus «Nina» et «Adam» de la base de données CHILDES.15 MacWhinney
14 Voir notamment Haegeman & Guéron (1999, 92-93) ou Radford (2004, 140-44).
15 CHILDES (Child Language Data Exchange System) est une large base de données
pour l’étude de l’acquisition du langage, qui contient en particulier des transcriptions de
conversations entre des enfants et leurs parents ou d’autres adultes s’occupant d’eux (cf.
http://childes.psy.cmu.edu). Le corpus «Nina» (46 499 phrases, 20 651 questions, selon
les décomptes de L&Y) est constitué de 52 fichiers (52 heures d’enregistrement), avec des
fichiers numérotés de 1 à 56 mais quatre sont manquants ; l’âge de Nina est 1;11.16 pour

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access
Pauvreté du stimulus et construction des questions fermées en anglais 99

(2004, 890) déclare quant à lui n’en avoir trouvé qu’un seul exemple sur environ
3M d’énoncés dans une recherche de cette même base de données, que l’auteur
estime bien représentative des DLP des enfants anglophones jusqu’à l’âge de 5
ans. En revanche, la situation est plus confuse pour ce qui est des interrogatives
ouvertes telles que (6b). Pour Pullum & Scholz (2002, 44), ces énoncés «seem
quite common, and offer [two-year-olds] an excellent chance to see that complex
NP’s invert with auxiliaries just as simple NP’s do». De même, MacWhinney
(id.) note qu’il y a des centaines d’interrogatives de ce type dans CHILDES et
qu’elles sont très fréquentes dans les DLP des jeunes anglophones («highly
frequent in the input to children»). Cependant, L&Y n’en ont trouvé que quelques
occurrences dans les deux corpus qu’ils ont étudiés et estiment, par extrapolation,
que leur fréquence dans les DLP est insuffisante pour permettre l’apprentissage
de la règle ISA avant 3;2 ans (l’âge du plus jeune sujet de l’expérience de Crain
& Nakayama 1987). Suivant l’argumentation de L&Y, il faudrait que la
fréquence de ces interrogatives soit comparable à celle des THERE-sentences (ex.
There is a problem), car ces dernières impliqueraient une règle qui est également
maîtrisée vers 3 ans, et qui fait bien l’objet d’un apprentissage. L&Y calculent
que la fréquence des THERE-sentences est nettement plus forte et concluent que la
règle ISA est acquise avant 3;2 ans sans pouvoir être apprise.16 On notera
toutefois, d’une part, que les corpus Nina et Adam contiennent plus d’exemples
pertinents que n’en décomptent les auteurs. Selon L&Y (p.157), le corpus Nina
ne contient que 14 interrogatives du type (6b), dont ils donnent la liste complète
par souci de clarté ; ce corpus est accessible en ligne et on peut y relever jusqu’à
12 autres interrogatives du même type.17 Pour le corpus Adam, L&Y (p.158)

le premier et 3;3.21 pour le dernier. Le corpus Adam (20 372 phrases, 8 889 questions,
selon L&Y) est constitué de 55 fichiers ; l’âge de Adam est 2;3.04 pour le premier et
5;2.12 pour le dernier.
16 Selon L&Y, la fréquence des THERE-sentences dans les DLP des jeunes anglophones

jusqu’à l’âge de 3 ans est d’environ 1,2% (chiffre obtenu par les auteurs à partir d’un
échantillon arbitraire de 11 214 phrases de CHILDES prononcées par des adultes). La
fréquence des phrases (6b) obtenue par L&Y à partir de leur analyse des corpus Nina et
Adam est beaucoup plus faible (c. 0,068% des questions pour Nina) et déclarée
insuffisante : «Not only are those frequencies far below the magic figure of 1.2 percent
required to learn the correct rule by the 36th month, it [sic.] is also low enough to be
considered negligible, that is, not reliably available for every human child.» (p.158).
17 Les exemples les plus clairs sont ceux où le mot en wh- est where : where is the new

little train that Mommy bought for you with all the little people? (nina19) ; where's the
new turtle that you got for your birthday? (nina42) ; where are the pants that daddy gave
you? (nina43) ; where's the lady that would sell at the store? (nina54). Dans les huit
autres exemples repérés, le mot en wh- est what ou who et joue a priori une fonction
d’attribut (plutôt que de sujet, auquel cas l’exemple n’est pas pertinent) : what's this he's
carrying in his hand? (nina16) ; what's the animal that eats nuts? (nina27) ; what is that
that you're going to feed her? (nina31) ; who was that nice man that we met on the
airplane wearing a fancy hat? (nina32) ; who's that that you just took out? (nina42) ; who
are these two little girls that came over to Nina's house for breakfast? (nina55) ; who's
the one who's always asking questions? (nina56) ; what's that that you just put in?
(nina56).

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access
100 Jérôme Puckica

n’ont trouvé que 4 exemples, tous également cités ; on peut en trouver jusqu’à 20
supplémentaires.18 De plus, L&Y ne comptabilisent pas les phrases du type (6e),
dont on peut relever au moins 9 exemples dans le corpus Nina et 5 dans le corpus
Adam. D’autre part, il n’existe pas nécessairement de corrélation simple entre la
fréquence d’occurrence d’une structure dans les DLP et l’âge auquel la structure
concernée paraît acquise dans les productions des enfants. Par exemple, les
déterminants et les quantificateurs sont très fréquents dans les DLP, mais ne sont
maîtrisés que relativement tard, comme le notent Clark & Lappin (2010, 38). De
fait, L&Y proposent d’utiliser un étalon comparatif, mais le choix des THERE-
sentences peut laisser dubitatif, d’autant qu’il paraît d’emblée évident que leur
fréquence en discours ne peut être que largement supérieure à celle des phrases
du type (2b) ou (6b). Enfin, un très faible pourcentage d’une somme énorme peut
représenter une quantité considérable. Le corpus Nina, par exemple, ne couvre
dans sa totalité que 52 heures d’échanges entre Nina et sa mère (ou parfois
d’autres adultes), soit, pour arrondir, une vingtaine de questions du type (6b) en
52 heures. On ne peut que spéculer quant au nombre de questions de ce type
auquel Nina aura pu être exposée avant l’âge de 3;2 ans, mais plusieurs centaines
ne semblerait pas un nombre excessif : peut-on être certain qu’une telle
exposition serait insuffisante ? Bref, même à supposer que les jeunes
anglophones acquièrent effectivement une règle ISA, que les phrases des types
(2b) et (6b) soient indispensables pour pouvoir l’apprendre et que la fréquence de
ces phrases dans leur DLP avant 3;2 ans soit proche de celle avancée par L&Y, la
pauvreté du stimulus en la matière paraîtrait encore loin d’être incontestablement
établie.
Le deuxième point, plus général, concerne le caractère supposé indispensable
de certaines données linguistiques pour rendre compte d’une acquisition. Si l’on
peut identifier précisément la source de certaines connaissances lexicales –
l’acquisition d’un mot M requiert a priori d’être exposé au moins à une
occurrence de M –, il n’en va pas aussi aisément pour des aptitudes
grammaticales beaucoup plus générales. L’aptitude à construire des questions
fermées, y compris du type (2b), est un savoir-faire dont les composants
habituellement mentionnés (GN sujet, auxiliaire principal, «inversion»)
pourraient être induits d’une multitude de sources. Pour cette raison, il semble
difficile de désigner un type de phrase particulier comme constituant une
condition individuellement nécessaire à l’acquisition de cette aptitude. Dans les
présentations de l’exemple classique de l’APSF, on demande typiquement
comment l’enfant anglophone âgé d’environ trois ans parvient à construire des
interrogatives du type (2b), ce qu’il ne fait en réalité qu’avec beaucoup de
difficultés (cf. §1), alors qu’il n’a été exposé qu’à des interrogatives élémentaires
telles que (1b), ce qui n’est évidemment pas le cas. De l’intégralité des données

18 Parmi ces exemples supplémentaires : when was the last time you saw it? (adam03) ;

where is the cowboy that wears boots? (adam06) ; what's that it's got on? (adam07) ;
what was that you did? (adam09) ; what is that that you're writing on? (adam10) ; what
were the magic words that Ursula said? (adam16) ; what was that word you said?
(adam18).

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access
Pauvreté du stimulus et construction des questions fermées en anglais 101

linguistiques auxquelles l’enfant a pu être exposé, ces présentations ne


sembleraient presque retenir que des couples de phrases tels que The girl is
happy / Is the girl happy?.19 Bien entendu, l’expérience linguistique du jeune
enfant est immensément plus riche. Toute l’expérience linguistique de l’enfant,
peut-on penser, couplée à des aptitudes générales d’association, de
généralisation, d’abstraction, de catégorisation, de hiérarchisation et, entre autres,
à un sens aigu des probabilités, l’amène à induire des structures qui reflètent des
régularités dans l’organisation des énoncés linguistiques auxquels il est exposé.
Il est par exemple possible, comme le note O’Grady (2008, 156-157), que les
enfants anglophones ne produisent jamais de phrases telles que *Are Americans
who _ rich are happy too?, qui est une interrogative du type (2b), parce que
[Americans who _ rich] est une séquence mal formée, soit donc pour des raisons
indépendantes du problème de la construction des questions. C’est aussi ce que
suggèrent Reali & Christiansen (2005). Dans une série de simulations
informatiques, ces derniers ont d’abord utilisé des modèles statistiques simples
qui permettent de prédire la probabilité d’occurrence d’un mot-forme après un
autre (bigram model) ou deux autres (trigram model). Les auteurs ont entraîné
leurs modèles avec le corpus de Bernstein-Ratner (1984), un corpus d’énoncés
adressés par neuf mères à leurs enfants âgés de 1;1 à 1;9 ans (10 705 phrases, 35
505 mots), corpus qui ne contenait aucune interrogative fermée à sujet complexe
du type (2b). Après cet entraînement, 100 paires de questions-tests formées avec
des mots du corpus ont été soumises aux modèles, chaque paire comprenant une
interrogative du type (2b) et sa correspondante agrammaticale du type (2c), ex.
{Is the lady who is there eating? ; *Is the lady who there is eating?}. Pour
chaque paire, les modèles devaient déterminer laquelle des deux séquences était
la plus probable ; si la plus probable des deux était la phrase grammaticale, alors
la phrase était dite correctement classée. Ces modèles se sont montrés capables
de distinguer les interrogatives bien formées du type (2b) des interrogatives mal
formées du type (2c) dans 96% des cas, i.e. l’interrogative bien formée a été
correctement classée dans 96% des cas. Les auteurs ont ensuite répété la
procédure avec des réseaux connexionnistes du type SRN (Simple Recurrent
Network). Ils ont entraîné ces réseaux avec le même corpus, si ce n’est que
chaque mot du corpus a été remplacé par une information catégorielle, l’input se
réduisant ainsi à des séquences du type [DET N V PREP DET N] en place de
[the plates are in the kitchen], par exemple.20 Comme catégorie pouvant faire
suite à une séquence du type [V DET N PRN] (ex. Is the boy who/that…), les

19 C’est, entre autres, l’impression que peut donner l’extrait ci-dessous de Collins (2003,
168, italiques ajoutés), où «(1)» est That man is happy, «(2)» Is that man happy?, «SD»
est une règle dépendante de la structure du type (R2) et «SI» une règle indépendante de la
structure du type (R1) : «Now if we assume that the child only has the data recorded in
(1)+(2) to go on, then she appears to make a massive leap to the auxiliary inversion rule
SD. After all, SI predicts the pattern in (1)+(2), so if the child had no antecedent
information on phrasal structure, why on earth should she opt for the complex and
particular rule SD?».
20 Les auxiliaires étaient étiquetés «V». Voir Reali & Christiansen (id., 1019) pour une

présentation plus détaillée.

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access
102 Jérôme Puckica

réseaux ont tous montré une préférence très marquée pour V (cf. Reali &
Christiansen, id., 1019-1020). Trente des 100 phrases-tests de l’expérience
précédente ont été soumises aux réseaux et 90% ont été correctement classées.
Pour Reali & Christiansen (2005), les réseaux SRN peuvent être utilisés
comme modèles psychologiques de l’apprentissage humain et les résultats
obtenus suggèrent que le stimulus linguistique auquel sont exposés les jeunes
enfants anglophones, même s’il est totalement dépourvu d’interrogatives du type
(2b), pourrait être suffisamment riche pour leur permettre d’apprendre comment
construire des interrogatives du type (2b). Il contiendrait, selon les termes des
auteurs, suffisamment de données ou «preuves statistiques indirectes» (indirect
statistical evidence) de la construction considérée.21 Les auteurs ne semblent
malheureusement pas avoir considéré le cas des interrogatives ouvertes du type
(6b-d), dont rien n’est dit. Par ailleurs, leur méthode a été critiquée par Kam et
al. (2008), dont l’étude suggère également qu’un modèle statistique simple du
type bigram model ne donne que des résultats très mitigés lorsqu’il est testé avec
des questions plus complexes ou dont le GN sujet contient d’autres types de
relative (par exemple, des relatives «zéro» comme dans the lady you met). Les
résultats de Reali & Christiansen (2005) invitent néanmoins à se méfier de la
notion de données linguistiques indispensables lorsqu’il s’agit de rendre compte
de l’acquisition de compétences grammaticales relativement générales ; il
convient plutôt de tenter de considérer ce que peut être l’expérience linguistique
des jeunes enfants de façon plus globale.
Cette étude peut être mise en relation avec les divers travaux qui ont mis en
avant l’importance des apprentissages statistiques fondés sur des régularités
distributionnelles (cf. Romberg & Saffran 2010), par exemple sur des
probabilités de transition entre éléments adjacents (Saffran et al. 1996), ou
encore sur ce que Saffran (2001) nomme des «dépendances prédictives», i.e. sur
le fait que les propriétés dépendancielles des items linguistiques permettent
d’effectuer des inférences : par exemple, en anglais, un article est normalement
suivi d’un nom – directement, le plus souvent – et l’article a est plus précisément
suivi d’un nom dénombrable singulier ; une préposition tend à être suivie d’un
GN, tel verbe tend à être suivi de tel type de complément, etc. Ces notions sont
également centrales dans l’approche constructionnelle du savoir-faire linguistique
esquissée au §4. De tels indices distributionnels permettraient un début d’analyse
syntagmatique des énoncés selon Saffran (2001) et d’autres indices sont
vraisemblablement exploités à cette fin, d’ordre sémantique ainsi que d’ordre
prosodique («prosodic bootstrapping») et plus généralement phonologique (cf.
Morgan & Demuth 1996, Höhle 1999, Jusczyk 2003, Ambridge & Lieven 2011,
13 sq.). A nouveau, il convient ici de considérer le stimulus linguistique dans
toutes ses dimensions et dans toute sa richesse.

21 Cf. Reali & Christiansen (2005, 1022) : «The corpus analyses indicate that there is

sufficiently rich statistical information available indirectly in child-directed speech for


making appropriate generalizations about complex AUX questions. Therefore, our results
challenge the classic notion of evidence in the primary linguistic input, which presupposes
that only explicit examples of a certain grammatical construction constitute useful
evidence for its correct generalization […].»

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access
Pauvreté du stimulus et construction des questions fermées en anglais 103

3. LE PRINCIPE DE DÉPENDANCE STRUCTURALE ET LA FACULTÉ DE


HIÉRARCHISATION

Suivant l’argumentation présentée au §1, les enfants anglophones acquérraient


une règle de formation des questions du type (R2)/ISA, car GU, le «composant
génétique» de FL, contiendrait un principe de dépendance structurale qui stipule
que toutes les règles grammaticales, dont les règles transformationnelles, font
référence à l’organisation hiérarchique des phrases. En fait, certaines règles
grammaticales, du moins morpho-phonologiques, sont purement linéaires : par
exemple, en anglais, les règles d’allomorphie de l’article indéfini (ex. a book, an
apple) ou du prétérit régulier (ex. worked [-t], loved [-d], blended [-ɪd, -əd]).
Toutefois, ce qui importe surtout ici est que l’on peut douter de la nécessité de
reconnaître un principe de dépendance structurale inscrit dans GU, autrement dit,
du fait que l’exemple classique de l’APSF requiert l’hypothèse de GU/FL.
Tel que défini ci-dessus, le principe de dépendance structurale présuppose une
grammaire de règles, incluant des règles transformationnelles, dont la plausibilité
est discutable (cf. §4). En revanche, il ne fait pas de doute qu’une phrase est plus
qu’une simple suite de mots et que les expressions linguistiques composites
tendent à présenter une organisation interne plus ou moins hiérarchisée. Dans une
perspective ascendante (synthétique) plutôt que descendante (analytique), cela
revient à dire que deux structures peuvent être combinées pour former une unité
plus complexe à un niveau supérieur d’organisation, par exemple, deux
phonèmes formant une syllabe ou deux mots formant un syntagme. Cette
opération fondamentale de construction est diversement nommée fusion (ex-
«Merge», désormais «external Merge» dans la grammaire chomskyenne),
unification (dans les grammaires d’unification), ou encore intégration (dans la
grammaire cognitive de Langacker).22 La reconnaissance de cette opération,
toutefois, n’implique pas celle d’un module cognitif autonome spécifiquement
dédié au langage. En effet, l’intégration est une forme de hiérarchisation et
pourrait n’être qu’une application particulière, dans le domaine du langage, d’un
principe cognitif général. Comme l’écrit Langacker (1987, 310) :
Hierarchy is fundamental to human cognition. Cognitive processing involves multiple
levels of organization, such that elements at one level combine to form a complex
structure that functions as a unitary entity at the next higher level, and so on.
Prominent among the linguistically relevant hierarchies are those defined by
successive integration of symbolic structures in valence relations. The same
hierarchical organization can be observed whether we consider semantic,
phonological, or symbolic structures.

L’organisation hiérarchique des structures linguistiques s’observe dans les


langues parlées, mais aussi, quoique de façon parfois plus discutée, dans les

22 La reconnaissance d’une organisation hiérarchisée des phrases est tout aussi centrale

dans les grammaires syntagmatiques qu’elle l’est dans les grammaires de dépendances,
comme la syntaxe structurale de Tesnière (1959) ou la Word Grammar de Hudson (1984),
qui ne reconnaît aucun rôle théorique à la notion de syntagme.

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access
104 Jérôme Puckica

langues signées (Sandler & Lillo-Martin 2006, Perniss et al. 2007). Que l’on
considère l’organisation du monde physique, biologique ou même social, les
hiérarchies semblent en fait omniprésentes (Pumain 2006). Le système visuel
humain, par exemple, est éminemment hiérarchisé : on peut reconnaître une
multitude de niveaux d’organisation de l’information, allant de celui des cellules
photo-réceptrices situées sur la rétine, au cortex cérébral et à l’émergence d’une
représentation visuelle complexe, qui présente elle-même une organisation
hiérarchique. On peut également reconnaître ce type d’organisation dans le
domaine de la musique, par exemple dans les accords et les progressions
harmoniques (Patel 2003), mais aussi dans de nombreuses activités motrices
complexes (Lashley 1951), dont l’assemblage manuel d’objets physiques
(Greenfield 1991). Une autre illustration bien connue en psychologie est
l’opération dite de chunking («(re)groupement»). Dans un article de 1956 devenu
un classique, «The magical number seven, plus or minus two», le psychologue
américain G.A. Miller proposait que notre mémoire de travail (à court terme) ne
peut en moyenne traiter simultanément que 7  2 unités d’information. Ce chiffre
peut sembler quelque peu élevé, mais la proposition de Miller expliquerait
néanmoins une tendance naturelle à «recoder» l’information en organisant des
regroupements (chunks) qui permettent de réduire une liste d’items relativement
longue. Ou, comme le remarque Comrie (2003, 200) : «Human cognition
requires structure in order to be able to work with strings consisting of more than
a few items.» Par exemple, alors qu’un numéro de téléphone (ou de sécurité
sociale, etc.) n’est qu’une séquence linéaire de chiffres, on impose naturellement,
presque inévitablement, une structure à cette séquence pour en faciliter la
mémorisation et la manipulation mentale (ex. 04-65-54-78-78 ou 0-465-54-7878
plutôt que 0-4-6-5-5-4-7-8-7-8). Une séquence relativement longue d’unités
simples est transformée en une séquence plus courte d’unités plus complexes. De
même, il est aisé de mémoriser la séquence C-G-T-A-D-N-O-M-S en effectuant
les regroupements CGT-ADN-OMS. La structuration hiérarchique apparaît ici
comme une stratégie qui permet de compenser l’empan limité de notre mémoire
de travail, soit de faciliter le traitement cognitif de l’information.
Pour Edelman (2008, 30), l’«abstraction hiérarchique» est au «cœur de
l’esprit» et l’organisation hiérarchique des expressions linguistiques est liée à ce
principe cognitif fondamental (id., p.288). Les études neuropsychologiques
semblent confirmer l’hypothèse d’une faculté transversale de hiérarchisation et
même s’accorder quant à la localisation de ce qui pourrait être son centre. Ainsi,
Tettamanti & Perani (2012) mentionnent plusieurs études ayant utilisé des
techniques d’imagerie cérébrale dont les résultats suggèrent que l’aire de Broca,
connue pour son implication dans le traitement du langage, pourrait avoir un rôle
central dans le traitement de diverses formes de hiérarchisation, d’ordre
linguistique et non-linguistique. Elle pourrait constituer un «processeur
hiérarchique supramodal» (Tettamanti & Weniger 2006) commun à diverses
fonctions cognitives. Dans une revue récente des travaux sur la question, Jeon
(2014) évoque de même une convergence de données expérimentales indiquant
que l’aire 44 de Brodmann, où se trouve en partie l’aire de Broca, pourrait

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access
Pauvreté du stimulus et construction des questions fermées en anglais 105

constituer la base neurale d’une faculté de traitement hiérarchique transversale,


commune à divers domaines cognitifs.
Il existe ainsi des raisons de penser que l’organisation hiérarchique des
structures linguistiques, qui semble être une propriété universelle des langues
humaines, pourrait être le produit d’une faculté cognitive de hiérarchisation dont
les applications ne sont pas limitées au langage. Loin de motiver la
reconnaissance d’un «organe du langage» aux propriétés radicalement
singulières, l’organisation hiérarchique des structures linguistiques, liée à
l’opération fondamentale d’intégration, constituerait plutôt un argument en
faveur de la thèse «non-modulaire» de la faculté de langage que promeuvent les
linguistes d’orientation cognitive-fonctionnelle. D’ailleurs, des générativistes tels
que Fukui & Zushi (2004, 12) estiment eux-mêmes que l’opération «Merge» (i.e.
«external Merge») n’a, a priori, rien de spécifiquement linguistique et n’a donc
pas à être posée comme une propriété de GU. Telle n’est pas, cependant, la
position de Chomsky (2012b), pour qui le composant grammatical de GU
semblerait désormais pouvoir être vidé de l’intégralité de son contenu, à une
exception près, qui est précisément «Merge».23
Au regard de l’acquisition du langage, une tendance naturelle à structurer et
hiérarchiser des suites d’éléments pourrait rendre l’enfant particulièrement
sensible à l’organisation hiérarchique des énoncés linguistiques auxquels il est
exposé. Associée à d’autres aptitudes, notamment statistiques, et à l’exploitation
d’indices divers (cf. §2), cette faculté de hiérarchisation pourrait rendre l’enfant
naturellement apte à l’induction de règles ou schémas (selon le modèle
grammatical, cf. §4) qui reflètent l’organisation structurale, hiérarchique, des
énoncés entendus. Les hypothèses et acquisitions linguistiques des enfants
pourraient ainsi être orientées par des propriétés générales, et non spécifiquement
linguistiques, du système cognitif humain (cf. Seidenberg 1997, Saffran 2001).
Dans cette perspective, l’exemple classique de l’APSF ne requiert pas
l’hypothèse d’un principe de dépendance structurale qui serait inscrit dans GU,
ni, de fait, l’hypothèse de GU/FL. Cette économie serait bienvenue dans la
mesure où l’inscription dans le génome humain de connaissances spécifiquement
linguistiques demeure une hypothèse problématique et très contestée – hypothèse
«très peu plausible» sans base génétique sérieuse pour Rondal et al. (2000, 151),
proposition «extrêmement improbable» (Evans 2014, 106, trad.), «exclue» par les
données neurobiologiques selon Lieberman (2003, 4, trad.), etc.24

23
Cf. Chomsky (2012b, 41) : «Well, what's Universal Grammar? It's anybody's best
theory about what language is at this point. I can make my own guesses. There's the
question of lexical items – where they come from. That's a huge issue. Among the
properties of lexical items, I suspect, are the parameters. So they're probably lexical, and
probably in a small part of the lexicon. Apart from that, there's the construction of
expressions. It looks more and more as if you can eliminate everything except just for the
constraint of Merge.» Cette exception pourrait être liée à la redéfinition récente de
l’opération de mouvement «Move» comme une forme de fusion, désormais nommée
«internal Merge» (cf. Chomsky 2012b, 16). De prime abord, il ne semble pas évident que
cette opération soit elle aussi éliminable et réductible à un principe cognitif plus général.
24 Voir aussi Dabrowska (2004, 58 sq.) et Müller & Palmer (2008).

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access
106 Jérôme Puckica

Dans cette même perspective, enfin, on remarquera qu’une règle dépendante


de la structure telle que (R2) n’est pas nécessairement «bien plus complexe et
improbable» qu’une règle linéaire telle que (R1) (cf. Chomsky 1975, 32). Comme
le note Chomsky (1988, 48), les règles dépendantes de la structure sont
«computationally more complex», mais c’est précisément dans une conception
algorithmique, computo-symbolique de la compétence linguistique qu’elles sont
plus complexes, et en ignorant notre tendance naturelle à structurer et
hiérarchiser des unités d’information. Il est assurément plus simple d’écrire un
programme informatique qui transforme des séquences de «symboles formels» au
moyen d’opérations purement linéaires que d’écrire un programme qui prenne en
compte l’organisation syntagmatique de structures symboliques. Cela suggère
simplement que les locuteurs humains ne procèdent pas de cette façon là et que
l’esprit/cerveau humain n’est pas un ordinateur qui manipule des unités formelles
au moyen d’opérations séquentielles.

4. LE PRÉSUPPOSÉ TRANSFORMATIONNEL ET L’ALTERNATIVE CONSTRUCTION-


NELLE

L’exemple classique de l’APSF repose sur un présupposé théorique : savoir


construire une question fermée, c’est avoir acquis une règle qui permet de
transformer une structure déclarative première en une phrase interrogative
fermée. Ce présupposé transformationnel est fondamental, puisque la question de
savoir comment l’enfant choisit la bonne règle transformationnelle n’a
évidemment de sens que si l’enfant fait l’hypothèse de telles règles25. Cependant,
les résultats d’études empiriques sur les productions linguistiques des jeunes
anglophones paraissent en fait mieux s’accorder avec une approche
constructionnelle et fondée sur l’usage du savoir-faire linguistique.
Les études psycholinguistiques qui, dans les années 1960, ont tenté de
démontrer la validité psychologique des notions de transformation syntaxique et
de structure syntaxique profonde n’on donné aucun résultat probant : bilan
«essentiellement négatif» selon Caron (1989, 23), «spectaculary negative
results», ironise Derwing (1973, 283) ; voir aussi Harris (2010, 259). Les
principaux modèles grammaticaux apparus depuis sont explicitement non-
transformationnels, y compris des modèles formels tels que la LFG (Bresnan
1982) ou la HPSG (Pollard & Sag 1994). La grammaire générative
(chomskyenne) a elle-même abandonné la plupart des transformations qu’elle
postulait initialement, ne conservant qu’une opération de mouvement (Move,
désormais internal Merge) sur laquelle repose notamment l’inversion sujet-
auxiliaire. Toutefois, même cette dernière, qui compte parmi les règles
traditionnelles de la grammaire anglaise, doit être considérée avec prudence. Une

25 La grammaire générative n’est plus censée utiliser de règles transformationnelles, ni

même de règles tout court (cf. Chomsky 1995). Dans l’analyse générative de la formation
des questions (cf. §2), la structure de la proposition interrogative demeure pourtant
dérivée d’une structure déclarative et le remplacement de règle par opération (procédure,
etc.) de formation des questions ne présente que peu d’intérêt.

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access
Pauvreté du stimulus et construction des questions fermées en anglais 107

règle de ce type peut assurément faire l’objet d’un apprentissage explicite –


l’exercice de reformulation est un classique dans l’enseignement des langues
étrangères –, mais cela ne démontre rien quant à la nature de ce qui est acquis au
cours de l’acquisition d’une langue maternelle. De même, le fait qu’une règle
formelle semble permettre de décrire adéquatement un phénomène linguistique
ne garantit évidemment pas que cette règle ait une quelconque réalité mentale,
tout particulièrement si elle est déclarée «inapprenable» et implique une
hypothèse génétique forte et/ou si une autre description adéquate du phénomène
considéré est possible – le problème classique de la sous-détermination des
théories en philosophie des sciences.26
Une alternative populaire aux grammaires de règles formelles est celle des
grammaires de constructions (ex. Goldberg 1995, Croft 2001), dont la grammaire
cognitive (GC) développée par R.W. Langacker (1987, 1991, 1999, 2008). De
ces grammaires, pour la plupart d’origine nord-américaine, on peut rapprocher le
courant contextualiste britannique (cf. Legallois 2006), notamment la grammaire
de «patterns» (Hunston & Francis 2000). Dans une grammaire telle que la GC,
les régularités grammaticales que d’autres modèles décrivent au moyen de règles
combinatoires formelles sont représentées au moyen de constructions ou
«schémas constructionnels» (constructional schemas), i.e. des unités symboliques
complexes dont certaines parties, voire toutes, sont schématiques (ex. N, V)
plutôt que spécifiques (ex. pomme, mange). Dans cette perspective, la grammaire
est symbolique, donc porteuse de sens, et il n’existe qu’une distinction graduée
entre lexique et grammaire, tenant prioritairement à la plus grande schématicité
des unités grammaticales. Les grammaires qui, comme la GC, s’inscrivent dans la
mouvance cognitive-fonctionnelle proposent de plus une approche empiriste,
«fondée sur l’usage» du savoir-faire linguistique qui se démarque des thèses
innéistes de la grammaire générative (cf. Barlow & Kemmer 2000). Les schémas
constructionnels y sont extraits de structures récurrentes en discours, dont ils ne
font qu’incarner les propriétés communes, comme le font les items lexicaux ; ils
ne sont que des «expressions schématisées», produits d’apprentissages
statistiques. Comme le note Langacker (1999, 120), «language acquisition […] in
essence then reduces to reinforcement of the commonality inherent in expressions
that actually occur». La fréquence d’occurrence et de co-occurrence des
structures linguistiques – leur fréquence d’activation dans l’expérience
individuelle – se voit ici reconnaître une influence déterminante sur le savoir-
faire linguistique, qui est façonné, entretenu et constamment modifié par l’usage
(cf. Langacker 1987, 57). De nombreux travaux, en lien avec ceux mentionnés à
la fin du §2, ont d’ailleurs mis en évidence l’importance des effets de fréquence
dans le traitement du langage : par exemple, dans diverses tâches d’accès lexical
– les mots fréquents, oraux ou écrits, sont reconnus plus vite et mieux que des
mots moins fréquents, les objets dont le nom est un mot fréquent sont dénommés
plus vite, etc. – ou encore dans des tâches d’interprétation de phrases ambiguës
26 Cette précaution semble, par exemple, ignorée par Boeckx & Hornstein (2003, 11)
lorsqu’ils écrivent : «native speakers of English have in fact internalized a rule like
[“Move the main clause Auxiliary to the front”] as this rule correctly describes which Y/N
questions they find acceptable and which they reject».

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access
108 Jérôme Puckica

(cf. Le Ny 2005, 143-147 ; Carroll 2007, 120-1 ; Diessel 2007). D’autres


chercheurs ont également souligné l’importance de ces effets de fréquence au
regard des structures linguistiques, dans l’organisation et l’évolution des langues
(cf. Bybee & Hopper 2001, Bybee 2006, Bybee 2007). Un exemple en est la
réduction formelle des items ou suites d’items fréquents, notamment des
expressions grammaticales (auxiliaires, pronoms, etc.) ou en voie de
grammaticalisation (ex. angl. I am > I’m ; going to > gonna ; tell them >
tell ’em ; lat. tard. cantare hábeo > *cantaráio > fr. chanterai ; fr. je (ne) sais
pas > [ʃepa]). Un autre effet de fréquence s’observe dans la meilleure
préservation des formes irrégulières les plus courantes, la pression analogique
étant plus forte sur les formes irrégulières de faible fréquence : ainsi, les verbes
les plus irréguliers comptent typiquement parmi les plus fréquemment employés,
comme c’est le cas en français avec être, savoir, pouvoir et devoir. Autant de
phénomènes qui suggèrent que langue et parole, ou compétence et performance,
ne sauraient être considérées trop indépendamment l’une de l’autre. Suivant le
modèle de la GC, le savoir-faire linguistique pourrait être représenté par un vaste
inventaire structuré d’unités linguistiques conventionnelles (phonologiques,
sémantiques et symboliques), unités qui présentent des degrés variables
d’enracinement (entrenchment, lié à leur fréquence d’activation), de complexité
et de schématicité, et qui sont liées entre elles par des relations diverses
(catégorisation, composition, symbolisation, etc.).
Dans un modèle constructionnel fondé sur l’usage, savoir construire une
interrogative fermée (en anglais), ce n’est donc pas avoir acquis une règle
d’inversion sujet-auxiliaire, mais un schéma de construction et, en fait, un
ensemble de constructions plus ou moins spécifiques. En effet, le développement
d’un tel modèle procède «de bas en haut» (bottom-up), commençant par
l’apprentissage d’unités spécifiques dont sont progressivement dégagées des
unités plus schématiques.27 D’autre part, les schémas de «haut niveau»
(hautement abstraits) sont probablement moins importants que les unités
pleinement spécifiées et autres schémas de «bas niveau», non seulement
numériquement, mais aussi du point de vue de l’usage linguistique concret (cf.
Langacker 1999, 105-6). Si l’on peut reconnaître un schéma de construction
global des interrogatives fermées en anglais, ce «superschéma» pourrait donc
n’avoir qu’un rôle relativement mineur. Il ne peut, en tout cas, être considéré que
comme une partie d’un réseau qui englobe une multitude de constructions plus ou
moins détaillées, voire même des expressions particulières telles que Shall we
go? ou Would you please stop? – des expressions qui ne présentent pas
d’irrégularité, mais qui sont suffisamment récurrentes pour être apprises telles
quelles.

27 Généralement, ces unités schématiques ne sont pas distinctes des unités plus spécifiques

dont elles ont été abstraites : typiquement, un schéma est «immanent» à ses instances et
coexiste avec elles (cf. Langacker 1999, 96-97).

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access
Pauvreté du stimulus et construction des questions fermées en anglais 109

AUXF - SUBJ - COMP ?

AUX F - SUBJ - V NF ?
BEF - SUBJ - COMP ?

BE COP - SUBJ - PC ? BE AUX - SUBJ - V-ing ? AUX MOD - SUBJ - V INF ?


DO AUX - SUBJ - V INF ?

Shall we V INF ?
HAVE AUX - SUBJ - V-en ?
Would you rather V INF ? Can I V INF ?
Are you nuts ? Are you kidding ?
Shall we go ?
Do you think (that) S ? Would you please V INF ?
Are you ready ?

Have you lost your mind ?

Figure 1

La figure 1 ci-dessus donne une vue partielle et simplifiée du réseau de


constructions qui pourrait servir à représenter la connaissance des interrogatives
fermées chez un locuteur anglophone adulte. Il est entendu qu’il s’agit là d’un
modèle, intrinsèquement limité et inévitablement erroné à certains égards (cf.
Langacker 2008, 221 sq.). Le réseau est hiérarchisé, allant des constructions les
plus schématiques (en haut) aux constructions les plus spécifiques (en bas). Les
seules relations représentées (par des flèches pleines de longueur arbitraire) sont
des relations de schéma à instance (ex. [Shall we VINF?] est une instance de
[AUXMOD - SUBJ - VINF ?]). Inversement, toutefois, le schéma peut être vu
comme une extension de l’instance, une structure plus schématique pouvant ainsi
émerger, par extension, d’une structure plus spécifique première (ex. [Are you
kidding?]-->[Are you V-ing?]). Le développement et le caractère
fondamentalement dynamique du savoir-faire linguistique peuvent difficilement
être représentés par un réseau tel que celui utilisé ici. De fait, la figure 1 est
extrêmement rudimentaire : elle ne précise rien quant au sens des constructions
représentées ou leur degré d’enracinement ; elle omet également de multiples
relations, entre certaines des constructions représentées, entre les parties
composantes de ces constructions, ou encore entre les constructions représentées
et d’autres telles que [what - AUXF - SUBJ - VNF ?]. Au sommet de la figure,
[AUXF - SUBJ - COMP ?] est une notation catégorielle-fonctionnelle simplifiée,
parmi d’autres possibles, de ce que pourrait être le schéma constructionnel global
des interrogatives fermées en anglais : un auxiliaire fini (AUXF), fonctionnant
comme tête morphosyntaxique de la construction, est suivi par son sujet, puis par
son complément.28 Ce dernier peut être, soit une forme verbale non-finie (VNF) –
infinitif (VINF), participe passé (V-en) ou participe présent (V-ing), selon

28 L’analyse suivant laquelle le verbe auxilié complémente le verbe auxiliaire n’est pas

sans poser certains problèmes. Nous n’entrerons pas ici dans cette discussion, qui est
indépendante de l’alternative entre une grammaire de règles formelles et une grammaire
de constructions.

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access
110 Jérôme Puckica

l’auxiliaire – soit, dans le cas de la copule be, un attribut (PC), bien que la copule
admette d’autres formes de complémentation.29 Le schéma [AUXF - SUBJ -
COMP ?] a un contenu sémantique-fonctionnel qui est interrogatif dans le cas des
questions fermées, mais la sémantique de cette construction est plus complexe,
puisque l’inversion sujet-auxiliaire a d’autres emplois en anglais (ex.
l’exclamative Can she dance! ou la subordonnée conditionnelle dans Had I
known her intentions, I would not have helped her). Goldberg (2006, 166 sq.)
offre une présentation unifiée de ces divers emplois, fondée sur la reconnaissance
d’un prototype sémantique et de diverses extensions.
L’approche constructionnelle des questions fermées présente certains
avantages par rapport à une approche transformationnelle impliquant une règle
du type (R2)/ISA. Premièrement, elle ne présuppose pas d’opérations formelles
abstraites et inobservables. Dès lors, la question de savoir comment l’enfant
anglophone tranche entre les diverses règles transformationnelles envisageables
ne se pose tout simplement pas. Deuxièmement, les schémas constructionnels
proposés peuvent servir aussi bien à la production qu’à l’interprétation
d’interrogatives fermées, alors que le statut de (R2) est incertain à cet égard.30
Troisièmement, ces schémas ne font que refléter des régularités discursives et
n’ont, a priori, rien d’inapprenable : ils n’exigent pas d’hypothèse innéiste forte
(HI). Enfin, l’acquisition de schémas constructionnels de haut niveau tels que
[AUXF - SUBJ - VNF ?] n’est pas une condition préalable à la production
d’interrogatives fermées correctement formées, car ces schémas sont abstraits de
structures plus spécifiques premières.
Ce dernier point mérite d’être souligné, car le développement ascendant d’un
modèle constructionnel fondé sur l’usage en fait un modèle crédible du point de
vue de l’acquisition du langage (cf. Tomasello 2003, 2011). Contrairement à ce
que suggère le modèle «Principes & Paramètres» de la grammaire générative, il
ne semble pas que les enfants acquièrent précocement des règles de portée très
générale et qu’une exposition limitée à une langue L suffise à fixer durablement
la valeur de tel ou tel paramètre formel de GU. Les études portant sur les
questions produites par les jeunes enfants anglophones, par exemple, ne
suggèrent pas la découverte d’une règle ISA qui serait ensuite systématiquement
appliquée par l’enfant. Elles suggèrent tout au contraire que l’enfant ne dispose
pas, jusqu’à un certain âge, de catégories générales telles que Auxiliaire et peut-
être même Sujet, et que ses connaissances linguistiques sont beaucoup plus

29 La distinction entre be
AUX et beCOP est préservée dans la figure 1. Elle est justifiée d’un
point de vue distributionnel mais aussi au regard des différences dans les modes
d’acquisition de ces deux verbes : selon Stromswold (1990), par exemple, l’acquisition de
beCOP tend à précéder celle de beAUX et les erreurs d’inversion chez les jeunes enfants sont
plus fréquentes avec beCOP qu’avec beAUX.
30 Une règle telle que (R ) pourrait n’être utilisée ni dans la production, ni dans
2
l’interprétation concrète de phrases interrogatives, puisque la grammaire générative se
veut être une théorie de la seule compétence, et non aussi de la performance, i.e. une
théorie de ce que le locuteur natif sait (implicitement), mais pas de ce qu’il fait. Ceci pose
d’ailleurs des problèmes sérieux quant à son utilité et sa falsifiabilité (cf. Derwing 1973,
Lamb 2000).

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access
Pauvreté du stimulus et construction des questions fermées en anglais 111

spécifiques. L’enfant semble apprendre au «coup par coup», acquérant d’abord


des items particuliers et des schémas constructionnels de bas niveau ou trames
constructionnelles élémentaires (angl. item-based schemas, lexically-based
patterns), avant de procéder à des généralisations et abstractions de plus grande
ampleur.
Si l’on omet une phase initiale où seule l’intonation indique une question (ex.
Sit? ; Daddy go?), les premières questions des enfants anglophones ont, suivant
Dabrowska (2000), un caractère particulièrement formulaïque : elles seraient
typiquement, soit des expressions apprises en bloc, comme [Whassis?] et
[Whatchadoing?], ce que Dabrowska nomme des «big words» – «des groupes
que l’enfant ne décompose pas», écrivait déjà Bloch (1924, 19), tels les apu ‘il
n’y en a plus’ et (a)yé ‘ça y est’ des jeunes francophones –, soit des trames
constructionnelles telles que [Where’s X?] et [What’s X doing?]. L’étude de cas
menée par Dabrowska (id.) suggère que les jeunes enfants pourraient commencer
par apprendre ces expressions et formules, avant d’en analyser les composants,
puis de les schématiser, acquérant ainsi progressivement des schémas de
construction plus abstraits et plus productifs (i.e. de plus haut niveau). D’autres
résultats vont dans le même sens : à un âge donné, un enfant peut commettre plus
d’«erreurs d’inversion» avec certains auxiliaires qu’avec d’autres (cf. Kuczaj &
Maratsos 1983 pour les questions fermées), ce qui paraît difficilement compatible
avec l’hypothèse de l’acquisition d’une règle ISA. Des différences importantes
peuvent même être notées pour les différentes formes d’un seul et même
auxiliaire : Stromswold (1990, 101) rapporte, par exemple, que dans les quatorze
fichiers de la base de données CHILDES qu’elle a analysés, l’inversion de isAUX
et areAUX commence vers 2;6 ans alors que celle de wasAUX ne commence qu’un
an plus tard. Dans les questions ouvertes, l’inversion peut sembler acquise avec
certains mots en wh- alors que les erreurs d’inversion sont encore élevées avec
d’autres, en particulier why (cf. Rowland & Pine 2000). Toujours à un âge donné,
certains enfants peuvent commettre plus d’erreurs d’inversion dans les questions
ouvertes que dans les questions fermées, ou inversement, tandis que d’autres
enfants ont des taux d’erreur comparables (Stromswold 1990, 149-50)
D'autre part, il semble bien établi que de nombreux enfants anglophones
passent par une phase durant laquelle ils produisent à la fois des questions bien et
mal formées. Plusieurs types d'erreur ont pu être identifiés, dont les «erreurs
d'inversion» (ou «non-inversion», ex. *Who she called?). Certaines études
suggèrent qu'à un âge donné, un enfant peut commettre plus d’erreurs d’inversion
avec certains mots en wh- qu'avec d'autres (Rowland & Pine 2000) et avec
certains auxiliaires qu’avec d’autres (cf. Kuczaj & Maratsos 1983 pour les
questions fermées). Des différences importantes ont même été notées pour les
différentes formes d’un seul et même auxiliaire : Stromswold (1990, 101)
rapporte que dans les quatorze fichiers de la base de données CHILDES qu’elle a
analysés, l’inversion de isAUX et areAUX commence vers 2;6 ans alors que celle de
wasAUX ne commence qu’un an plus tard. Une étude de Ambridge et al. (2006)
indique que les erreurs de non-inversion dans les questions en wh- produites par
les enfants d'environ 4 ans seraient en fait spécifiques de certaines combinaisons
de mot en wh- et de formes d'auxiliaires. De tels résultats ne sont pas inattendus

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access
112 Jérôme Puckica

dans une approche constructionnelle du langage, mais ils paraissent totalement


incompatibles avec l'emploi d'une règle ou opération générale de formation des
questions du type ISA, en outre supposée acquise vers 3 ans (cf. §2).
Ces résultats peuvent être liés à des observations plus générales sur les
productions des jeunes anglophones. Dans une étude souvent citée de Braine
(1963) portant sur les premières combinaisons de mots produites par trois enfants
anglophones à partir de 19-20 mois, l’auteur notait une large prédominance de
formules du type [PX] et dans une moindre mesure [XP], où P est le «pivot» de la
formule, un mot particulier occupant une position fixe, et X est un autre mot
(variable) : par exemple, more cereal, more cookie, more fish illustrant une
formule [more X] et all gone shoe, all gone vitamins, all gone egg comme
instances de [all gone X], où all gone (transcrit «allgone» par Braine) est une de
ces expressions composites qui semblent traitées de façon unitaire. Les autres
formules identifiées incluaient [want X], [see X], [no X], [there X]. Les mots
pivots des enfants n’étaient pas tous les mêmes, mais étaient pour chaque enfant
en nombre bien plus restreint que les mots X. Braine suggérait que durant une
«première phase» de développement, la grammaire interne des enfants repose sur
ces deux seules classes de mots (P, X), plutôt que sur des classes grammaticales
abstraites telles que Nom et Verbe. Après quelques mois, et avec l’augmentation
rapide du nombre de mots P et X, ces «constructions pivotales» semblaient
laisser progressivement place, selon Braine (1963, 10), à des «phrases
primitives» plus complexes et plus variées. Au terme d’une étude portant sur les
productions linguistiques de jeunes anglophones, Lieven et al. (1997) concluent
de même que ceux-ci ne semblent pas disposer de catégories ou règles générales,
sémantiques ou syntaxiques, telles que celles qui sont souvent postulées chez
l’adulte.
Au-delà des différences interindividuelles potentiellement marquées,
l’impression qui se dégage des travaux mentionnés ici est celle d’un «système»
linguistique interne qui s’enrichit et se structure progressivement, commençant
par l’apprentissage d’items particuliers et de schémas constructionnels de bas
niveau, puis se développant avec la multiplication de relations entre les unités
acquises et l’émergence graduelle de catégories ou constructions plus abstraites.
En tout état de cause, les études empiriques paraissent peu compatibles avec le
scénario acquisitionnel de Chomsky (1975) : si tant est que la grammaire du
locuteur anglophone adulte contienne une règle ISA, il semblerait que celle du
jeune enfant n’en contienne pas. Dans le cadre d’une grammaire de règles
formelles résultant d’un paramétrage de GU, se pose alors non seulement le
problème de savoir comment rendre compte des productions des jeunes enfants
sans cette règle ISA (cf. Rowland & Pine 2000), mais aussi celui de savoir
comment passer de la grammaire interne de l’enfant à celle de l’adulte, i.e. le
«problème de la continuité» (cf. Tomasello 2003). Au regard des données de
l’acquisition, un modèle constructionnel fondé sur l’usage semble constituer une
alternative crédible à la règle d’inversion sujet-auxiliaire et dans un tel modèle,
ne se pose, ni le «problème logique» de Chomsky (1975), ni ce problème de
(dis)continuité.

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access
Pauvreté du stimulus et construction des questions fermées en anglais 113

5. BILAN ET CONCLUSION
L’exemple «classique» de l’APSF, dont les mentions ont été si nombreuses
dans la littérature depuis les années 1970, est loin de constituer un exemple
irréfutable d’écart entre l’expérience et les connaissances linguistiques acquises
que seules des connaissances linguistiques innées pourraient combler. D’une part,
si l’on adopte l’analyse générative des questions fermées, il apparaît que les
données linguistiques auxquelles ont accès les jeunes enfants anglophones
contiennent bien certaines des structures supposées indispensables pour
apprendre la règle d’inversion sujet-auxiliaire. La défense de l’APSF consiste dès
lors à tenter de démontrer que ces données indispensables ne sont pas
suffisamment présentes dans le stimulus linguistique auquel sont exposés les
enfants, mais cette démonstration est loin d’être faite. La notion même de
données linguistiques indispensables est, du moins dans ce cas précis, une
hypothèse douteuse, qui paraît sous-estimer les aptitudes cognitives des jeunes
enfants, dont leur sensibilité statistique, ainsi que la richesse de leur expérience
linguistique.
D’autre part, il n’est pas nécessaire de postuler que les enfants sont guidés
dans leurs acquisitions linguistiques par un principe de dépendance structurale
qui serait inscrit dans GU, le «composant génétique» de FL. L’organisation
hiérarchique des structures linguistiques pourrait découler d’une faculté générale
de hiérarchisation qui, associée à d’autres aptitudes, orienterait naturellement les
acquisitions des enfants. Dans cette perspective, l’exemple classique de l’APSF
ne requiert pas d’invoquer GU et ne légitime donc pas l’hypothèse suivant
laquelle l’être humain serait génétiquement doté d’un module cognitif autonome
spécifiquement dédié au langage.
Enfin, le «problème logique de l’acquisition» qu’est censé poser l’exemple
classique de l’APSF pourrait n’être qu’un artefact résultant de certaines
orientations théoriques. C’est un problème qui apparaît dans un modèle
grammatical transformationnel où l’on présuppose que l’enfant acquiert des
règles de transformation syntaxique, mais les études empiriques sur les questions
et autres productions linguistiques des jeunes enfants anglophones ne suggèrent
aucunement que ces derniers acquièrent précocement un règle générale
d’inversion sujet-auxiliaire. Ces études, en revanche, semblent compatibles avec
un modèle constructionnel et fondé sur l’usage du savoir-faire linguistique, dans
lequel les jeunes locuteurs extraient progressivement des énoncés auxquels ils
sont exposés des expressions particulières et des schémas constructionnels de bas
niveau à partir desquels sont ensuite effectuées des généralisations de plus grande
ampleur.
En conclusion, on peut donc estimer que l’exemple classique de l’APSF n’en
établit, ni la validité, ni, par suite, celle d’une hypothèse radicalement innéiste du
savoir-faire linguistique suivant laquelle ce savoir-faire serait acquis, mais non
véritablement appris.

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access
114 Jérôme Puckica

BIBLIOGRAPHIE
Aitchison J., 2011, The Articulate Mammal: An Introduction to
Psycholinguistics, 5th ed., London / New York, Routledge.
Ambridge B. & Lieven E.V.M., 2011, Child Language Acquisition: Contrasting
Theoretical Approaches, Cambridge (UK), Cambridge U.P.
Ambridge B., Rowland C.F., Theakston A. L. & Tomasello M., 2006, Comparing
different accounts of inversion errors in children’s non-subject wh-questions:
‘What experimental data can tell us?’, J. Child Lang 33, p. 519-557.
Armstrong T., 2003, The Multiple Intelligences of Reading and Writing: Making
the Words Come Alive, Alexandria (VA), ASCD.
Barlow M. & Kemmer S. (eds.), 2000, Usage-Based Models of Language,
Stanford, CSLI Publications.
Bernstein-Ratner N., 1984, Patterns of vowel modification in motherese, Journal
of Child Language 11, p. 557-578.
Berwick R. C., Pietroski P., Yankama B. & Chomsky N., 2011, Poverty of the
Stimulus Revisited, Cognitive Science 35, p. 1207-1242.
Boeckx C. & Hornstein N., 2003, The varying aims of linguistic theory,
Unpublished manuscript, University of Maryland. URL:
http://citeseerx.ist.psu.edu/viewdoc/download?doi=10.1.1.111.517&rep=rep1
&type=pdf
Bloch O., 1924, La phrase dans le langage de l’enfant, Journal de psychologie
normale et pathologique 21, p. 18-43.
Boysson-Bardies B. de, 2010 [1996], Comment la parole vient aux enfants : De
la naissance jusqu’à deux ans, Paris, Odile Jacob.
Braine M. D. S., 1963, The ontogeny of English phrase structure: The first phase,
Language 39-1, p. 1-13.
Bresnan J., 1982, The Mental Representation of Grammatical Relations,
Cambridge (MA), MIT Press.
Bybee J., 2006, From usage to grammar: The mind’s response to repetition,
Language 82-4, p. 711-733.
Bybee J. (ed.), 2007, Frequency of Use and the Organization of Language, New
York, Oxford U.P.
Bybee J. & Hopper P. (eds.), 2001, Frequency and the Emergence of Linguistic
Structure, Amsterdam / Philadelphia, J. Benjamins.
Caron J., 2001, Précis de psycholinguistique, Paris, Quadrige/PUF.
Carroll D.W., 2007, Psychology of Language, 5th ed, Belmont (CA), Thomson
Wadsworth.
Chomsky N., 1959, A Review of B.F. Skinner’s Verbal Behavior, Language 35-
1, p. 26-58.
Chomsky N., 1962, Explanatory models in linguistics, in E. Nagel, P. Suppes &
A. Tarski (eds), Logic, Methodology and Philosophy of Science, Stanford,
Stanford U.P, p. 528-550.
Chomsky N., 1975, Reflections on Language, New York, Pantheon Books.
Chomsky N., 1984, Knowledge of language, human nature and the role of
intellectuals, in N. Chomsky, 2004, Language and Politics, ed. by C.P. Otero,
2nd ed., Oakland (CA) / Edinburgh, AK Press, p. 429-446.
Chomsky N., 1986, Knowledge of Language: Its Nature, Origin, and Use, New
York / Westport (CT) / London, Praeger.
Chomsky N., 1988, Language and Problems of Knowledge: The Managua
Lectures. Cambridge (MA) / London, MIT Press.

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access
Pauvreté du stimulus et construction des questions fermées en anglais 115

Chomsky N., 1996, Powers and Prospects: Reflections on Human Nature and
the Social Order, London, Pluto Press.
Chomsky N., 2000, New Horizons in the Study of Language and Mind,
Cambridge (MA), Cambridge U.P.
Chomsky N., 2004, Beyond explanatory adequacy, in A. Belletti (ed.), Structures
and Beyond: The Cartography of Syntactic Structures, Volume 3, New York,
Oxford U.P.
Chomsky N., 2006, Language and Mind, 3rd ed., Cambridge, Cambridge U.P.
Chomsky N., 2012a, Poverty of the Stimulus: Unfinished Business, Studies in
Chinese Linguistics 33-1, p. 3-16.
Chomsky N., 2012b, The Science of Language: Interviews with James
McGilvray, Cambridge (MA), Cambridge U.P.
Chomsky N. & Halle M., 1968, The Sound Pattern of English, New York,
Harper & Row.
Clark A. & Lappin S., 2010, Linguistic Nativism and the Poverty of the Stimulus,
Oxford, John Wiley & Sons.
Clark E. V., 2009, First Language Acquisition, 2nd ed., New York, Cambridge
U.P.
Collins J., 2003, Cowie on the poverty of stimulus, Synthese 136-2, 159-190.
Comrie B., 2003, On explaining language universals, In Tomasello, M. (ed.) The
New Psychology of Language: Cognitive and Functional Approaches to
Language Structure, Volume 2, Mahwah, NJ / London, Lawrence Erlbaum
Associates, p. 195-209.
Cowie F., 1998, What’s within?: Nativism reconsidered, Oxford, Oxford U.P.
Crain S. 1991, Language acquisition in the absence of experience, Behavioral
and Brain Sciences 14, 597-612.
Crain S. & Nakayama M., 1987, Structure dependence in grammar formation,
Language 63, 522-543.
Croft W., 2001, Radical Construction Grammar, Oxford, Oxford U.P.
Dabrowska E., 2000, From formula to schema, Cognitive Linguistics, 11, 83-102.
Dabrowska E., 2004, Language, Mind and Brain: Some Psychological and
Neurological Constraints on Theories of Grammar, Edinburgh, Edinburgh
U.P.
Derwing B. L., 1973, Transformational Grammar as a Theory of Language
Acquisition, Cambridge, Cambridge U.P.
Diessel H., 2007, Frequency effects in language acquisition, language use, and
diachronic change, New Ideas in Psychology 25, p. 108-127.
Edelman S., 2008, Computing the Mind: How the Mind Really Works, New
York, Oxford U.P.
Evans V., 2014, The Language Myth: Why Language Is Not an Instinct,
Cambridge, Cambridge U.P.
Fortis J.-M., 2008, Le langage est-il un instinct ? — Une critique du nativisme
linguistique, de Chomsky à Pinker, Texto!, XIII, 4, numéro coordonné par J.-
L. Vaxelaire. URL : http://www.revue-texto.net/index.php?id=1870.
Fukui N. & Zushi M., 2004, Introduction, in N. Chomsky (ed.) The Generative
Enterprise Revisited: Discussions with Riny Huybregts, Henk van Riemsdijk,
Naoki Fukui and Mihoko Zushi, Berlin / New York, Walter de Gruyter, p. 1-
25.
Goldberg A. E., 1995, Constructions: A Construction Grammar Approach to
Argument Structure, Chicago / London, The University of Chicago Press.

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access
116 Jérôme Puckica

Goldberg A. E., 2006, Constructions at Work: The Nature of Generalization in


Language, Oxford, Oxford U.P.
Greenfield P. M, 1991, Language, tools and brain: The ontogeny and phylogeny
of hierarchically organized sequential behavior, Behavioral and Brain
Sciences 14, p. 531-595.
Haegeman L. & Guéron J., 1999, English Grammar: A Generative Perspective,
Malden (MA) / Oxford / Victoria, Blackwell.
Harris R.A., 2010, Chomsky’s other Revolution, in D. A. Kibbee (ed.),
Chomskyan (R)evolutions, Amsterdam / Philadelphia, John Benjamins,
p. 237-264.
Höhle B., 1999, Bootstrapping mechanisms in first language acquisition,
Linguistics 47-2, p. 359-382.
Hornstein N. & Lightfoot D., 1981, Introduction, in Hornstein N. & Lightfoot D.
(eds.) Explanation in Linguistics: The Logical Problem of Language
Acquisition, London, Longman, p. 9-31.
Hudson R., 1984, Word Grammar, Oxford, Blackwell.
Hunston S. & Francis G., 2000, Pattern Grammar: A corpus-driven approach to
the lexical grammar of English, Amsterdam / Philadelphia, John Benjamins.
Jeon H.-A., 2014. Hierarchical processing in the prefrontal cortex in a variety of
cognitive domains. Frontiers in Systems Neuroscience 8:223.
Jusczyk P.W., 2003, The role of speech perception capacities in early language
acquisition, In Banich, M.T. & Mack, M. (eds.) Mind, Brain, and Language:
Multidisciplinary Perspectives, Mahwah, NJ / London, Laurence Erlbaum, p.
61-83.
Kail M. & Fayol M. (éds.), 2000, L’acquisition du langage. Vol. 1 : Le langage
en émergence. De la naissance à 3 ans, Paris, PUF.
Kam X.-N. C., Stoyneshka I., Tornyova L., Fodor J. D. & Sakas W.G., 2008,
Bigrams and the richness of the stimulus, Cognitive Science 32, p. 771-787.
Karmiloff K. & Karmiloff-Smith A., 2001, Pathways to Language: From Fetus
to Adolescent, Cambridge / London, Harvard U.P.
Kuczaj S. A. & Maratsos M. P., 1983, Initial verbs of yes-no questions: A
different kind of general grammatical category, Developmental Psychology
19, p. 440-444.
Lamb S., 2000, Bidirectional processing in language and related cognitive
systems, in Barlow & Kemmer (eds.), p. 87-119.
Langacker R. W., 1987, Foundations of Cognitive Grammar. Vol. I: Theoretical
Prerequisites, Stanford (CA), Stanford U.P.
Langacker R. W., 1991, Foundations of Cognitive Grammar. Vol. II: Descriptive
Application, Stanford (CA), Stanford U.P.
Langacker R. W., 1999, Grammar and Conceptualization, Berlin / New York,
Mouton de Gruyter.
Langacker R. W., 2008, Cognitive Grammar: A Basic Introduction, Oxford /
New York, Oxford U.P.
Lashley K.S, 1951, The problem of serial order in behavior, in L. A. Jeffress
(ed.), Cerebral Mechanisms in Behavior, New York, J. Wiley & Sons,
p. 112-136.
Lasnik H. & Uriagereka J., 2002, On the poverty of the challenge, Linguistic
Review 19, p. 147-150.
Laurence S. & Margolis E., 2001, The poverty of the stimulus argument, British
Journal for the Philosophy of Science 52, p. 217-276.

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access
Pauvreté du stimulus et construction des questions fermées en anglais 117

Legallois D., 2006, La phraséologie dans la linguistique contextualiste, in D.


Legallois & J. François (dir.), Autour des grammaires de constructions et de
patterns, Cahier du CRISCO n°21, Université de Caen.
Legate J. A. & Yang C. D, 2002, Empirical re-assessment of stimulus poverty
arguments, Linguistic Review 19, p. 151-162.
Le Ny J.-F., 2005, Comment l’esprit produit du sens. Notions et résultats des
sciences cognitives, Paris, Odile Jacob.
Lieberman P., 2003, Language evolution and innateness, in M. T. Banich & M.
Mack (eds.), Mind, Brain, and Language: Multidisciplinary Perspectives,
Mahwah (NJ) / London, Laurence Erlbaum, p. 3-22.
Lieven E. V., Pine J. M. & Baldwin G., 1997, Lexically-based learning and early
grammatical development, Journal of Child Language 24, p. 187-219.
MacWhinney B., 2004, A multiple process solution to the logical problem of
language acquisition, Journal of Child Language 31, p. 833-914.
Miller G. A, 1956, The magical number seven, plus or minus two: Some limits on
our capacity for processing information, Psychological Review 63-2, p. 81-
97.
Morgan J. L. & Demuth K. (eds.), 1996, Signal to Syntax: Bootstrapping from
Speech to Grammar in Early Acquisition, Mahwah (NJ), Laurence Erlbaum.
Müller R.-A. & Palmer E., 2008, Language and neurophysiological development,
in G. Rickheit & H. Strohner (eds.), Handbook of Communication
Competence, Berlin / New York, Mouton de Gruyter, p. 65-102.
O’Grady W., 2008, Language without grammar, in P. Robinson & N.C. Ellis
(eds.), Handbook of Cognitive Linguistics and Second Language Acquisition,
New York, Routledge, p. 139-167.
Patel A. D., 2003, Language, music, syntax and the brain, Nature Neuroscience
7-6, p. 674-681.
Perniss P. M., Pfau R. & Steinbach M. (eds.), 2007, Visible Variation:
Comparative Studies on Sign Language Structure, Berlin / New York,
Mouton de Gruyter.
Piattelli-Palmarini M. (ed.), 1980, Language and Learning: The Debate Between
Jean Piaget and Noam Chomsky, Cambridge, Harvard U.P.
Pinker S., 1994, The Language Instinct: The New Science of Language and
Mind, London, Penguin.
Pollard C. & Sag I. A., 1994, Head-Driven Phrase-Structure Grammar,
Chicago / London, The University of Chicago Press.
Pollock J.-Y., 1998, Langage et cognition, 2e éd. corrigée, Paris, PUF.
Pullum G. K. & Scholz B. C., 2002, Empirical assessment of stimulus poverty
arguments, The Linguistic Review 19, p. 9-50.
Pumain D. (ed.), 2006, Hierarchy in Natural and Social Sciences, Dordrecht,
Springer.
Radford A., 1997, Syntax: A Minimalist Introduction, Cambridge, Cambridge
U.P.
Radford A., 2004, English Syntax, Cambridge, Cambridge U.P.
Reali F. & Christiansen M. H., 2005, Uncovering the richness of the stimulus:
Structure dependence and indirect statistical evidence, Cognitive Science 29,
p. 1007-1028.
Romberg A. R. & Saffran J. R., 2010, Statistical learning and language
acquisition, Wiley Interdisciplinary Reviews: Cognitive Science 1, p. 906-
914.

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access
118 Jérôme Puckica

Rondal J.-A., Esperet E., Gombert J. E., Thibaut J.-P. & Comblain A., 2000,
Développement du langage oral, in J.-A. Rondal & X. Seron (dir.), Troubles
du langage, Bases théoriques, diagnostic et rééducation, Sprimont
(Belgique), Mardaga, p. 107-178.
Rowland C. F. & Pine J. M., 2000, Subject-auxiliary inversion errors and wh-
question acquisition: ‘what children do know?’, Journal of Child Language
27, p. 157-181.
Saffran J. R., 2001, The use of predictive dependencies in language learning,
Journal of Memory and Language 44, p. 493-515.
Saffran J. R., Aslin R. N. & Newport E. L., 1996, Statistical cues in language
acquisition: Word segmentation by infants, in G. W. Cottrell (ed.), COGSCI-
96, Proceedings of the Eighteenth Annual Conference of the Cognitive
Science Society, La Jolla, California, July 12-15, 1996, Mahwah (NJ),
Lawrence Erlbaum Associates, p. 376-80.
Seidenberg M. S., 1997, Language acquisition and use: Learning and applying
probabilistic constraints, Science 275, p. 1599-1603.
Smith N., 2004, Chomsky: Ideas and Ideals, 2nd ed., New York, Cambridge U.P.
Stromswold K., 1990, Learnability and the Acquisition of Auxiliaries, PhD
dissertation, Massachusetts Institute of Technology.
Tesnière L., 1959, Éléments de syntaxe structurale, Paris, Klincksieck.
Tettamanti M. & Perani D., 2012, The Neurobiology of structure-dependency in
natural language grammar, in M. Faust (ed.), The Handbook of the
Neuropsychology of Language, vol. 1, Malden (MA) / Oxford, Wiley-
Blackwell, p. 229-251.
Tettamanti M. & Weniger D., 2006, Broca’s area: a supramodal hierarchical
processor?, Cortex 42, p. 491-494.
Tomasello M., 2003, Constructing a language: A usage-based theory of
language acquisition, Cambridge (MA) / London, Harvard U.P.
Tomasello M., 2007, What kind of evidence could refute the UG hypothesis?
Commentary on Wunderlich, in M. Penke & A. Rosenbach (eds.), What
Counts as Evidence in Linguistics: The Case of Innateness, Amsterdam /
Philadelphia, John Benjamins, p. 175-178.
Tomasello M., 2011, Language Development, in U. Goswami (ed.), The Wiley-
Blackwell Handbook of Childhood Cognitive Development, 2nd ed., Malden
(MA) / Oxford (UK) / Chichester (UK), Wiley-Blackwell, p. 239-257.
Sampson G., 2005, The ‘Language Instinct’ Debate, revised ed., London,
Continnum.
Sandler W. & Lillo-Martin D., 2006, Sign Language and Linguistic Universals,
Cambridge / New York, Cambridge U.P.

Downloaded from Brill.com09/04/2023 05:52:59AM


via free access

Vous aimerez peut-être aussi