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La cheminement de la miséricorde

Dans le contexte actuel des révélations de l’ampleur des abus sexuel commis par les
prêtres en Suisse depuis 1950, mais aussi des abus d’autorité dans les communautés
nouvelles, il est difficile de parler de miséricorde, car trop souvent nous avons une
conception faussée ou insuffisante. Pour beaucoup c’est simplement effacer les
fautes, les actes mauvais et les péchés. Or la miséricorde implique un cheminement
long et lent et passe par la vérité, la justice (et donc la réparation), le pardon et la
réconciliation, pour découvrir l’amour et la paix que seul peut nous donner Dieu.

Le carré sémiotique de la miséricorde


Le cheminement de Pierre nous révèle le processus de la miséricorde. En effet, il
n’est pas facile humainement d’être d’emblée miséricordieux. Cela demande la
découverte de la miséricorde divine et l’intégration de celle-ci dans notre propre vie
et notre propre être. Pierre a dû expérimenter le pardon et la miséricorde de Dieu
avant d’assumer sa mission de chef de l’Église.
Pierre, dans sa fougue, s’engage (4) (il marche sur les eaux Matthieu 14, 28-29) et
promet à Jésus d’être toujours avec lui dans la passion (cf. Jean 13, 37). Mais en
vérité (1), il renie trois fois Jésus en refusant de déclarer qu’il est son disciple. Jésus
(Jean 18, 17-27), après sa résurrection, lui donne l’occasion de redire son amour par
trois réponses1 (2) (Jean 21, 15-17) ; ainsi, il devient juste (ajusté au cœur aimant et
miséricordieux de Dieu). De là naît sa mission : être le bon berger de l’Église (3)
(Matthieu 16, 18).

Reniement : 1. VÉRITÉ : 2. JUSTICE : CIVILE « M’aimes-tu


« Non je n’en suis pas » Sur mon péché, ET RELIGIEUSE plus que ceux-ci ? »
(Matthieu 26, 75) mes faiblesses ajusté au cœur (Jean 21, 15 ss)
de Dieu
Un homme dit 4. AMOUR et PAIX : 3. PARDON - « Sois le berger
à Jésus : « Je te engagement RÉCONCILIATION de mon troupeau »
suivrai partout où tu iras » Suivre Jésus Mission – paix (Jean 21, 15-17 ;
(Luc 9, 57) Matthieu 16, 18)

= MISÉRICORDE

Ainsi la miséricorde intègre la vérité, la justice et donc la réparationd, le pardon et


donc la paix. Elle est un processus comme l’affirme le Psaume 84(85), 11-14 :
« Amour et vérité se rencontrent,
justice et paix s’embrassent ;
la vérité germera de la terre
et du ciel se penchera la justice.
Le Seigneur donnera ses bienfaits,
1
En grec aimer est rendu par trois verbe : l’amour physique (eros), l’amour d’amitié (philein) et l’amour don
total (agapan). Jésus demande par deux fois m’aimes-tu d’un amour total (agapan) Pierre conscient de ses
limites réponds je t’aime d’un amour d’amitié (philiein). La troisième fois Jésus se met à la portée de Pierre
et lui demande m’aimes-tu d’un amour d’amitié (philein). Pierre réponds tu sais tout, tu sais que je t’aime
d’un amour d’amitié. Ainsi c’est Dieu qui rejoint et s’abaisse vers l’homme et se met à sa hauteur et non
l’homme qui s’élève vers Dieu !!
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La cheminement de la miséricorde

et notre terre donnera son fruit.


La justice marchera devant lui,
et ses pas traceront le chemin. »

Détaillons les quatre composantes :


• Vérité (1) : Il n’y a pas de véritable amour sans vérité. Jésus qui est la vérité (Jean
14, 6 : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans
passer par moi ») vient faire la vérité en nous et par nous. Comme le triple reniement
de Pierre, nos péchés sont mis en lumière par la Parole de Dieu. Dans le cas des
abus : la vérité des faits, est attestées par une enquête civile, ou une préenquête
canonique, consignée dans un procès-verbal. Il s’agit d’établir la gravité des faits. Le
prédateur a souvent de la difficulté à reconnaître la gravité des faits. Beaucoup de
prêtre pédophile sont dans une attitude enfantine où tout est innocence.
Mais Jésus est très sévère à ce sujet :
Lc 17,1-2 : « Jésus disait à ses disciples : « Il est inévitable que surviennent des
scandales, des occasions de chute ; mais malheureux celui par qui cela arrive !
Il vaut mieux qu’on lui attache au cou une meule en pierre et qu’on le précipite à la
mer, plutôt qu’il ne soit une occasion de chute pour un seul des petits que voilà »
Mt 18,7-7 : « Celui qui est un scandale, une occasion de chute, pour un seul de ces
petits qui croient en moi, il est préférable pour lui qu’on lui accroche au cou une de
ces meules que tournent les ânes, et qu’il soit englouti en pleine mer.
Malheureux le monde à cause des scandales ! Il est inévitable qu’arrivent les
scandales ; cependant, malheureux celui par qui le scandale arrive ! ».

• Justice (2) : C’est le cœur accordé au cœur de Dieu ; elle dépasse la justice
humaine nécessaire pour prendre conscience de la portée de nos actes mauvais et de
leurs conséquences2. Il n’y a pas de pardon sans justice, ni de justice de Dieu, sans
amour. La vérité de nos péchés, de notre mal, germe de la terre, et du ciel se penche
la justice du cœur de Dieu, accordée au cœur renouvelé de l’homme (Psaume 85(84),
12). Jésus, en posant par trois fois la question à Pierre : « M’aimes-tu plus que ceux-
ci ? », lui donne l’occasion de se réconcilier avec lui-même et avec Dieu, en
réaffirmant le fond de son cœur : « Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je
t’aime » (Jean 21, 173). Dans le cas des abus sexuel (pédophilie, viol, …) c’est la
justice civile qui doit intervenir en premier. L’autorité ecclésiale doit soumettre à la
justice civile les cas. Dans le cas des abus d’autorité c’est les instances d’engagement
professionnels qui doivent intervenir en premier (l’instance d’engagement du
personnel (RH, justice de paix, syndicat). Dans les cas d’abus spirituel c’est une
commission diocésaine (à créer) qui doit intervenir.
Bien souvent le prédateur de pédophilie n’est pas conscient de la gravité et de la
portée de son acte, car il a encore une conscience d’enfant et se situe dans
2
Particulièrement dans le domaine des abus, il est nécessaire et indispensable que celui qui a commis un
tel crime soit jugé par la justice civile, seule à même de prendre en compte la douleur, la souffrance et les
dégâts, souvent profonds et durables, occasionnés chez la victime.
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Voir note 1.
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La cheminement de la miséricorde

l’innocence enfantine. Il faut lui donner l’occasion de sortir de son infantilisme pour
prendre conscience de la gravité de ses actes.
Dans ces cas d’abus sexuel et d’autorité, la réparation est très importante. Le plus
souvent les victimes sont atteintes profondément dans tout leur être et ont besoin d’un
long chemin de prise de conscience, de guérison, et de pardon (accompagnement
psychologique et/ou psychiatrique, médicalisation pour la dépression, … cela coûte et
n’est pas remboursé par les caisses maladie). L’idéal serait que la victime puisse
rencontrer son prédateur (cela demande une préparation et une médiation) Ou du
moins que le prédateur rencontre une victime. On appelle cela la justice réparatrice
qui permet au prédateur de prendre conscience de la gravité de ses actes et donc
d’amorcer lui aussi un chemin de guérison et de pardon.
La victime comme le prédateur ont besoin de guérison et de pardon.
Pour la victime pour passer de la vérité à la justice, elle a besoin d’être écoutée,
accueillie, prise au sérieux pour que la vérité puisse éclater avant d’être soumise à la
justice civile puis à la justice religieuse.
La justice religieuse doit aussi reconnaître la vérité des actes commis, d’une part pour
prendre en compte et au sérieux la victime et d’autre part envisager les sanctions
adaptées et nécessaires pour le prédateur (suspension, envoi dans un monastère, …).
Dans l’Église catholique nous distinguons le for externe, qui est une relation
d’autorité du for interne qui est la relation personnelle de chacun avec son Seigneur et
son Dieu, dans une liberté intérieur intangible.
Cette distinction est capitale pour éviter toutes les formes d’abus, spirituels, d’autorité
et sexuel. Toutes les déviations des communautés nouvelles dénoncées ces dernières
années ont leur origine dans cette confusion.
• Pardon - réconciliation (3) : Alors le pardon peut nouer la gerbe pour réconcilier
l’homme avec lui-même, avec les autres, avec l’univers, par le pardon de Dieu. Le
signe de cette réconciliation est la paix intérieure retrouvée et agrandie. Pierre reçoit
une nouvelle mission : « Sois le berger de mes brebis » (Jean 21, 17), pour
représenter Jésus, l’unique berger (Jean 10), en faveur de l’unité de l’Église naissante.
Ce pardon est un processus qui prend du temps et passe par différentes étapes4.
Ce pardon est très difficile pour la victime et ne peut se faire sans accompagnement
adéquat. Ce processus est encore plus difficile pour les victimes, dans les cas d’abus
sexuel où le corps est impliqué et blessé. Ce corps et tout l’être garde les traces
conscientes ou inconscientes de l’abus perpétré et demande le plus souvent un suivi
psychologique, voir psychiatrique pour être guérit. Le souvenir de la blessure doit se
transformer en souvenir de la présence guérissante et aimante de Jésus-Christ
toujours présent en nous et avec nous qui a subi avec nous ce traumatisme. Cette
découverte ne peut se faire que dans une relation personnelle avec Jésus-Christ qui
nous aime tel que nous sommes.
Pour les abus spirituel et d’autorité c’est aussi un chemin de guérison qui est
nécessaire, à la fois psychologique (si nécessaire) et psychiatrique, professionnel

4
Jean Monbourquette, Demander pardon sans s'humilier, 2004, Novalis/Bayard, Montréal/Paris ; Comment
pardonner ? Pardonner pour guérir, Guérir pour pardonner, 2011, Novalis/Bayard, Montréal/Paris.
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La cheminement de la miséricorde

(autorité) et spirituel. La mise en place d’un nouvel accompagnement spirituel


équilibré, libérant et dynamique est indispensable.
La difficulté dans ce domaine est souvent la correction fraternelle envers le supérieur.
Le plus souvent, en Eglise, cette correction ne fonctionne pas, car le supérieur ne se
met pas au même niveau que l’interpellant. On donne raison à priori à celui qui
exerce l’autorité plutôt qu’à l’interpellateur.
Ce chemin du pardon et de la réconciliation dans ce processus de miséricorde est le
plus difficile et n’aboutit pas forcément. Il demande une grâce particulière, pour
vouloir pardonner de la part de la victime et de reconnaître la gravité de sa faute pour
le prédateur. De même pour le dominateur, le manipulateur ou l’autoritaire cela
demande une prise de conscience profonde de sa manière d’exercer le service, le
ministère (qui n’est pas un pouvoir) et pour la victime de ces agissements faussés une
ouverture de cœur et d’esprit.
• Amour (4) : C’est par amour de Dieu que Pierre choisit de suivre Jésus : « André,
le frère de Simon-Pierre, était l’un des deux disciples qui avaient entendu la parole
de Jean et qui avaient suivi Jésus. Il trouve d’abord Simon, son propre frère, et lui
dit : “ Nous avons trouvé le Messie ” – ce qui veut dire : Christ. André amena son
frère à Jésus. Jésus posa son regard sur lui et dit : “ Tu es Simon, fils de Jean ; tu
t’appelleras Képhas ” – ce qui veut dire : Pierre » (Jean 1, 40-42). Jésus pose son
regard d’amour sur Simon, ce qui le transforme en Pierre. C’est le point de départ de
la miséricorde et l’aboutissement du cheminemnt. Dans les cas des abus, l’amour est
perverti et diffamé par les comportements du prédateur (abus sexuel), du dominateur
ou du manipulateur (abus spirituel et d’autorité)

Ce chemin de la miséricorde : vérité => justice => pardon => amour et paix =
miséricorde demande encore un approfondissement pour l’appliquer concrètement :
 Pour les abus sexuel (pédophilie, viol, attouchements, …)
 Pour les abus d’autorité (perversion du service en pouvoir)
 Pour les abus spirituel (dépendance spirituelle et de volonté, fausse obéissance,
soumission au discernement externe, conseils déplacés et non avisés, … )
Il s’agit d’approfondir les racines de ces comportements déviants afin d’une part de
mieux les identifier et donc les prévenir et d’autre part d’aider ceux qui ont commis
des abus sexuel ou d’autorité à cheminer vers une guérison, et une conversion pour ne
plus en commettre.
Le plus souvent les actes déviants ont une origine dans des blessures (manque
d’amour, de câlins, d’attention, de reconnaissance, …), des actes déviants (viols,
abus, …), dans l’enfance jusque dans le sein maternel et la jeunesse.
Ces actes déviants ne naissent pas spontanément sans origine, mais sont la
conséquence d’une méconnaissance profonde de soi, de son passé, qui n’est pas
suffisamment connu en profondeur (inconscient) et donc pas assumé (accepté et
guérit). Là également il y a tout un processus à entreprendre en Eglise.
En d’autres termes même si l’Eglise est responsable de l’aspect systémique de ces
actes à cause de la manière dont elle a traité les cas pendant des décennies en les

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La cheminement de la miséricorde

mettant sous la table (en les cachant), le changement dans ce domaine ne suffit pas
pour éviter ces actes à l’avenir. Une étude plus approfondie (médecin, psychologue et
psychiatre) des cas individuels est indispensable, pour mettre en lumière les racines et
leur influence sur l’individu. Pour l’instant cette recherche sur les racines de ces actes
déviants a de la peine à commencer à ma connaissance5.

Reprise du livre « Les cinq doigts de la pastorale et de la bonne gestion d’une équipe
pastorale », p 48-50 retravaillé et amélioré BS du 21 au 26-09-23.

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Voici quelques articles sur la question : https://www.disno.ch/wp-content/uploads/2017/07/155-Comment-
soigner-la-p%C3%A9dophilie-Journal-La-Croix-12-avril-2016.pdf
https://www.letemps.ch/sciences/pedophilie-difficile-quete-dune-origine-biologique
https://serval.unil.ch/resource/serval:BIB_S_31046.P001/REF.pdf
https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/09/28/pretres-pedophiles-le-celibat-aux-racines-du-
mal_5361297_3232.html
https://www.journaldemontreal.com/2019/02/21/on-ne-nait-pas-pedophile-on-le-devient
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