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PRÉSENTENT
ORDALIES
Le tribunal de l’invisible
UN FILM DE
HADRIEN LA VAPEUR & CORTO VACLAV
SYNOPSIS
Dans un tribunal coutumier de Brazzaville, des juges ont pour mission de réconcilier les
familles déchirées par des accusations de magie noire. Entre verdicts métaphysiques et
rituels de guérison, les justiciers se démènent pour faire respecter leur autorité et dénouer
des affaires où se mêlent esprits du monde invisible et sirènes portées disparues.
RELATIONS PRESSE
Annie Maurette
annie.maurette@gmail.com
06 60 97 30 36
LE TRIBUNAL
Ils ont pour cela une arme redoutable : le mortier. Tout en pilant
des poudres magiques dans un vieux mortier en bois, le sorcier
accusé doit clamer publiquement son innocence. En cas de
mensonge, la personne concernée se soumet aux châtiments
des esprits, pouvant la conduire parfois jusqu’à la mort.
Comment avez-vous découvert ce tribunal ? Ils savent qu’ils exercent une justice de réparation, pas une justice punitive. Ils
cherchent toujours à réconcilier les parties en conflit. C’est ça qui fait la vertu de ce
Hadrien La Vapeur : En 2013 lorsque nous entamions nos recherches tribunal. Nous avons vu des familles qui ne se parlaient plus depuis dix ans finir par
cinématographiques au Congo-Brazzaville autour de la guérison traditionnelle, nous se prendre dans les bras à l’issue du procès et mettre à plat leurs rancœurs. Les juges
avons été fascinés par la figure du sorcier, véritable « malfaiteur de l’invisible », dont ont cet art d’amener les parties à prononcer les paroles magiques qui guérissent le
tout le monde parle mais qu’on ne voit jamais. En nous rapprochant des guérisseurs groupe. C’est une manière de concevoir la justice qui est finalement très moderne.
ngunzas, sortes de vaudous congolais qui combattent les sorciers, nous avons
rencontré l’apôtre Médard, qui allait devenir le personnage principal de KONGO, Ces juges sont vraiment les gardiens d’une tradition millénaire de la justice, mais
notre précédant film documentaire. qui évoluent dans une société contemporaine avec ses contradictions et ses
arrangements. Lorsqu’ils enfilent leurs toges de magistrats empruntées au décorum
C’est en suivant un jour Médard venu soutenir une de ses disciples au tribunal de de la justice européenne, leurs lunettes de soleil et leurs masques anti-covid avant de
Tenrikyo que nous avons découvert l’existence de cette étrange institution spécialisée s’occuper d’affaires de sorcellerie, j’ai la sensation qu’une brèche s’est ouverte dans
dans les affaires de sorcellerie. Il faut dire que nous sommes tombés d’emblée sur une l’espace-temps !
affaire spectaculaire, puisque cette femme accusait son mari d’avoir commandité un
éclair mystique qui avait foudroyé leurs deux enfants par une nuit sans nuages. Le Président Sébastien par exemple est quelqu’un qui connait tous les adages, toutes
les lois traditionnelles. Il a été confronté à tellement d’affaires qu’il sait maintenant
Corto Vaclav : Ce qui nous a aussi frappé, c’est le protocole presque scientifique exactement où se situe le point névralgique des tensions dans une famille. Quand il
de ce tribunal pour juger des accusations d’ordre irrationnel. En tant que cinéastes écoute les dépositions, il sait d’instinct qui ment et sait poser les bonnes questions qui
qui cherchons à comprendre comment cette société vit en interaction avec les permettent de faire éclore la vérité.
phénomènes surnaturels, c’est une chance inouïe de poser notre caméra dans une
telle institution, à la croisée des époques et des visions du monde. Nous voulions que HLV : Et puis ce sont tous des acteurs nés, ils maîtrisent l’art oratoire et leur talent
la salle d’audience devienne comme un bureau d’étude nous permettant de réaliser se situe dans la façon à amener les gens à comprendre leurs fautes, à accepter le
une cartographie des histoires de sorcellerie qui traversent la société congolaise. pardon… C’est là la vraie science traditionnelle, celle qui leur confère leur aura, ils sont
craints des sorciers et des menteurs. D’ailleurs la population pense qu’ils sont eux-
Les juges étaient favorables à notre présence, mais au Congo « les morts ne sont pas mêmes sorciers. Même nos assistants au début avaient peur d’eux et refusaient de leur
morts » et la décision des vivants ne suffit pas. Les juges ont organisé un rituel dans installer les micros HF. Le juge Kouba par exemple, dit « le technicien des rites », est le
l’enceinte du tribunal pour que nous puissions nous présenter auprès des esprits des plus craint de tous car c’est lui qui fait piler le mortier aux justiciables, pouvant mener
anciens juges qui officiaient il y a plusieurs décennies et qui gouvernent désormais les menteurs jusqu’à la mort. Nous nous sommes servis de cette ambigüité pour en
cette institution depuis l’autre monde. Pour établir le conctact, il a fallu leur offrir une faire des personnages mi-mafieux mi-shérifs, d’où cette volonté de travailler sur une
chèvre en sacrifice et les juges nous ont recommandé auprès d’eux pour qu’ils nous atmosphère de polar-western avec une bande son aux guitares saturées imaginée par
accordent leurs bénédictions. Les voies étaient ouvertes… Frank Williams et son gang de musiciens.
CV : Pour nous le désir de faire un film doit passer d’abord par le fait d’aimer ses CV : On savait que le tournage prendrait du temps, nous ne savons pas faire des
personnages et les juges du tribunal sont des personnes vraiment bienveillantes documentaires en quelques semaines. Nous sommes restés 9 mois pour filmer. On a
et pleines d’humour. Ils réalisent leur mission d’aider la population congolaise, de commencé par repeindre le tribunal en bleu pour lui donner un aspect plus astral, et
résoudre les conflits entre les familles, d’éviter que les gens ne se rendent justice eux- aussi mettre des tôles transparentes dans la toiture pour équilibrer la lumière. Mais au
mêmes dans le tribunal de la rue. Mais la société ne fait rien pour eux : ils ont un salaire bout des trois premiers mois, nos rushes étaient maigres, on n’en menait pas large…
dérisoire et contrairement à leurs homologues des tribunaux modernes, ils ne roulent Il y avait beaucoup d’affaires intéressantes qu’on avait commencées à filmer, mais qui
pas en 4x4. Ils se débrouillent pour construire leur avenir et mener une vie de famille n’aboutissaient pas. Un procès se règle en général en deux, trois, ou même quatre
décente dans un pays où les conditions de vie sont extrêmement difficiles. Mais étapes. Et souvent les familles viennent au premier rendez-vous, mais comme elles
l’importance de leur mission les pousse à continuer d’exercer, car s’ils disparaissaient, n’arrivent pas à trouver l’argent pour la deuxième convocation, elles abandonnent
les gens pourraient s’entretuer dans la ville. alors les poursuites.
Hormis quelques justiciables qui nous avaient demandé de pas filmer leurs affaires -
principalement des personnes qui avaient des hautes responsabilités dans l’administration,
les ministères ou même l’armée - nous avons eu carte blanche pour tout filmer. Nous avons
travaillé avec deux caméras, un perchman, et un assistant qui nous traduisait en direct le
dialecte en français dans une oreillette. Un dispositif assez imposant avec liberté de placement
et de déplacement pendant les audiences, ce qui nous a permis de chercher un découpage
intéressant, pour trouver un aspect cinéma afin de sortir de la simple captation d’une audience.
HLV : Nous n’avons pas eu de censure, mais au début il y avait une sorte de blocage de la
part des juges pour nous laisser filmer les ordalies. C’est pourtant à nos yeux l’aspect le plus
mystérieux de leur institution. Lorsque les juges cherchent à savoir qui est le sorcier, ils ne
peuvent pas décider par eux-mêmes de façon arbitraire. Ils envoient alors une délégation hors
de Brazzaville consulter des voyants. Et chaque fois que nous cherchions à accompagner des
justiciables dans cette mission, les juges ne voulaient pas prendre la responsabilité de nous
donner l’autorisation, nous renvoyant vers le chef du quartier qui nous renvoyait vers le maire
etc…
Nous avons donc décidé de suivre les délégations en nous mettant directement d’accord
avec eux. C’est ainsi que nous avons réussi à filmer ces rituels de détection du sorcier pendant
lesquels les médiums qui ne connaissent rien de l’affaire s’aident des pièces à conviction, telles
qu’une photo du défunt ou bien des sous-vêtements imbibés de la sueur des suspects, pour
révéler les ramifications mystiques des malheurs. On ne pouvait pas imaginer ce film sans
ces rituels d’ordalies qui représentent vraiment l’ADN de la dimension magique du tribunal,
l’équivalent d’une police scientifique transposée au monde invisible.
HLV : Disons que pour saisir ce qui se joue lors des procès, il a fallu nous dépouiller d’un
certain nombre de questionnements cartésiens, en arrêtant par exemple de nous demander
si la magie existait réellement ou pas, ou si les accusations étaient vraies ou fausses. Il nous a
fallu dépasser cette opposition binaire et suivre une sorte de voie du milieu, marcher sur le fil
de la croyance pour donner toutes leurs chances aux histoires que nous suivions. Je pense qu’à
travers nos films nous voulons que le spectateur puisse suivre ce cheminement que nous avons
nous-même emprunté, en proposant une plongée suffisamment immersive pour le pousser à
se questionner sur son propre rapport à la croyance et à la vérité.
HLV : Les sirènes sont des esprits très présents dans la mystique congolaise, elles peuvent
apparaître sous différentes formes : mi-femme mi-poisson ou femmes incarnées parmi les
humains. Elles peuplent les rivières, les lacs, les océans, mais leur proximité avec les humains
leur permet aussi de se glisser parmi la population. Tous les congolais connaissent leur
existence et leurs pouvoirs, leur charme et leur magnétisme qui peuvent faire tourner la tête
des hommes qu’elles rencontrent, leurs dons de guérison et d’attraction de la richesse.
Les sirènes occupent une place importante dans nos recherches au Congo, elles sont toujours
entrées dans nos films sans que l’on ne s’y attende, nous propulsant immédiatement dans la
dimension du conte. Et pour Ordalies, on n’aurait jamais imaginé qu’elles puissent venir nous
chercher jusque dans cette institution. Lorsqu’on a entendu parler qu’une affaire d’entité
aquatique se préparait, on a senti que c’était l’histoire que l’on attendait. C’est là que l’invisible
est rentré dans le processus du film.
CV : C’est vraiment ça qu’on cherche, mettre notre caméra à la disposition des forces invisibles
afin qu’elles se servent de nous pour se raconter. On peut dire que les esprits sont les vrais
scénaristes du film. D’où la nécessité de rester longtemps sur place et d’envoyer des signaux
à l’invisible. De dire « on est là, on vous attend, servez-vous de nous car nous sommes prêts à
traverser de l’autre côté du miroir ».
On a eu la chance de rencontrer Achille lorsqu’il est venu porter plainte depuis que sa sirène
bien aimée ne lui apparaissait plus. C’est un homme extravagant – très poète tourmenté - qui a
été pour nous un personnage de cinéma avec lequel on s’est tout de suite identifié. Entre lui et
notre caméra, tout était devenu très synchrone et il y avait juste à appuyer sur le bouton rouge.
Il était toujours parfait, au bon endroit, avec ses étonnants costumes de sapeur, dans sa quête
de retrouver son amour perdu. On touchait tout d’un coup à quelque chose d’universel. On
pourrait dire qu’Achille et sa sirène sont venus apporter la touche lumineuse dont le film avait
besoin. On ne voulait pas enfermer les Congolais dans un univers très sombre et superstitieux.
La magie au Congo n’est pas qu’une suite d’accusations de meurtres mystiques, mais c’est aussi
une source de poésie, de créativité et de mystère.
HLV : Et puis une fois son affaire réglée, Achille nous a présenté Raïssa la sirène. On a pu
l’apercevoir très furtivement dans une pénombre, incarnée sous forme humaine. Mais elle
n’était pas d’accord pour qu’on la filme. Et dans ce domaine éthérique, on ne veut surtout pas
enfreindre les règles.
Le monde des eaux est un univers complexe et avant de commencer les tournages pour ce
chapitre, nous avons lors d’un rituel demandé aux esprits des sirènes l’autorisation de filmer
cette histoire. Un féticheur nous a emmené dans une rivière, et nous a fait rentrer dans l’eau
avec les offrandes que ces entités affectionnent particulièrement : des objets qui brillent et qui
touchent à l’aspect coquet comme des vernis à ongles, des rouges à lèvres, des bijoux ou des
bonbons… Parmi ces cadeaux, nous avons aussi glissé dans les eaux un DVD de Kongo pour
que les sirènes puissent mieux comprendre la teneur de nos recherches cinématographiques.
C’est un peu comme lorsqu’on va frapper chez un producteur, il faut toujours lui montrer
les films qu’on a fait avant. Si nous n’avions pas fait ce rituel, je ne sais pas si tout se serait
pareillement déroulé. En tout cas les esprits étaient d’accord pour que ce film puisse exister et
nous pouvons désormais le présenter au monde en toute sérénité.
Montage
Laure Saint Marc
Musique originale
Frank Williams
Jeanne Lafonta
Martin Mahieu
Stéphane Cochet
Etalonnage
Gadiel Bendelac