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161-181
INTRODUCTION
LE MANUSCRIT
1. La présentation matérielle
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Le poème de 132 vers se présente divisé de deux façons différentes sans que
l’on sache les raisons de ces divisions.
La première scande le poème en 12 fragments numérotés de un à douze en
chiffres romains (I-XII) précédé d’un prélude et la seconde scande ces frag-
ments en d’autres plus petits dont les frontières sont signalées par une ligne
horizontale tracée à la règle. Voici alors comment se présente la structure
matérielle du poème :
– Un prélude de 10 vers = 4 petits fragments (désormais p.f.) de 2, 3, 3 et
2 vers.
– I = 18 vers = 5 p.f. de 4, 4, 3, 3 et 4 vers.
– II = 12 vers = 3 p.f. de 3, 2 et 7 vers.
– III = 9 vers = 3 p.f. de 3, 3 et 3 vers.
– IV = 5 vers = 2 p.f. de 3 et 2 vers.
– V = 16 vers = 5 p.f. de 2, 2, 3, 4 et de 5 vers.
– VI = 4 vers = 1 p.f. de 4 vers.
– VII = 7 vers = 2 p.f. de 4 et 3 vers.
– VIII = 8 vers = 3 p.f. de 2, 3 et 3 vers.
– IX = 13 vers = 4 p.f. de 5, 2, 2 et 4 vers.
– X = 13 vers = 2 p.f. de 5 et 8 vers.
– XI = 8 vers = 2 p.f. de 5 et 3 vers.
– XII = 9 vers = 3 p.f. de 4, 3 et 2 vers.
2. La transcription
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l’accentuation sur le second « a » du dernier mot : « ix-a-tn-ukan-akkan »
(V. 31). Ce sera un « a » simple qui sera noté.
– En revanche, je ne changerai rien, sauf mention motivée, dans le décou-
page monématique même si nous en savons un peu plus qu’au temps où V.
Monteil a recueilli le texte.
Les changements de transcription que j’opère concernent :
– la forme des graphèmes utilisés : le « g » sus-pointé sera remplacé par le
gamma grec et le « w » de la vélarisation par « o ».
– Certains sons que E. Laoust et d’autres assimilent à une diphtongaison.
Ainsi « Zaid » (V. 3) sera réécrit « Zayd » et « ittaughlab » (V. 81) deviendra
« ittawghlab ».
– La ponctuation sera remaniée dans certains cas et j’exposerai en note les
raisons.
TEXTE ET CONTEXTE
1. Le contexte
J’ai signalé plus haut que K. Brown a publié une version de ce poème qu’il a
recueilli dans la tribu « Ait Harbil dans le village de Tuzunin situé au pied du
sud de Jebel Bani, à 18 milomètres de Aqqa. » en mai 1970 soit 25 ans après la
version que je présente. On remarquera que les deux viennent de la même
région et du même lignage. En effet, K. Brown précise que l’exécutant du
poème s’appelle Muh.ammad b. Jama- b. H.ummad b. Ighil dont le père et le
grand-père ont pratiqué la poésie et signale que V. Monteil « interviewed » le
père en 1945. Je suppose que c’est lors de cette rencontre que fut recueillie cette
version 2 laquelle est transmise, semble-t-il, de père en fils sur au moins trois
générations. C’est probablement ce qui a justifié aux yeux de V. Monteil le titre
du premier feuillet, particulièrement le syntagme « La geste ».
Les protagonistes de la guerre racontée par le poème sont :
– Le seigneur (amghar, vers 12) de la tribu Oulad Jerrar vivant aux alentours
de Tiznit et dont la localité la plus importante est Tal‘int (vers 41). Son nom est
Muhammad b. Burh.im. Il semble avoir accédé à ce rang en 1830 3.
– Le saint de Tazerwalt est un descendant du grand patron du Sus Sidi
H.mad u Musa (m. 1563). Son nom est Lh.usayn b. Hashem dont le poème ne
donne que le dimunitif, Lh.us (vers 19).
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2. Voir V. Monteil, « Choses du Bani », Hesperis, Vol. 1944. La biographie la plus abondante
à notre connaissance se trouve dans al-Sûsı̂, al-Ma‘sûl, Vol. 16, p. 261.
3. Ma‘sûl (al-), Vol. I, p. 150 et suiv. Repris par K. Brown, Op. cit., p. 344.
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Quand fut composé ce poème ? Sans pouvoir répondre à cette question
épineuse en régime de tradition orale, fut-il informé par l’écrit comme l’est le
Sus marocain, je me contente de rapporter la thèse de K. Brown :
« Apparemment le grand-père de Ben Ighil a composé ce poème [...] après
1874. Indubitablement, il l’a récité pour la première fois lors d’une visite de
Sidi l-H.usayn u l-Hashim, le patron de Tazerwalt, peut-être au moment d’un
pélerinage qui a lieu trois fois par an à la tombe de l’ancêtre de l-H.usayn, Sidi
H.med u Musa. » 4
Quoi qu’il en soit le poème s’inspire d’un fait historique, la guerre entre
Oulad Jerrar et le Tazerwalt, et adressé à la gloire du vainqueur dans cette
guerre. Mais quelle est la cause de cette guerre ?
Voici ce qu’en dit K. Brown qui s’appuie sur al-Mukhtâr al-Sûsı̂ et sur le
témoignage qu’il a recueilli lui-même sur place lors de son enregistrement :
– Les deux chefs luttent pour le contôle de la dı̂me (‘ushur en arabe classique,
le‘shur en dialecte marocain et en berbère) versée par les paysans de la région. La
cause semble donc d’ordre économique. Notre poème y fait allusion (vers 15-
18). C’est le patron des Oulad Jerrar qui perçoit cet impôt religieusement légal.
Toutefois le poète fait allusion à l’abus de pouvoir des percepteurs et de leur
maı̂tre (vers 16-17) pour les condamner sans les nommer (vers 18) en faisant
d’eux des révoltés contre Dieu qui recevront le chatiment adéquat (yan i‘asan
irjem-t-inn).
– Parallèlement à ce problème économique, il y un contentieux entre les
deux hommes : Muh.ammad b. Brahim a, semble-t-il, a été l’instigateur de la
mort de ‘Ali, frère aı̂né de Lh.usayn et maı̂tre du Tazerwalt de 1824 à 1842 5.
C’est cet épisode qui a attiré l’attention de P. Pascon. Cette guerre serait donc
une sorte de revanche pour le saint, le paiement du prix du sang. Notre version
n’en dit rien sauf si l’on veut interpréter dans ce sens l’allusion du vers 13.
– Un descendant de Lh.usayn donne une autre interprétation à K. Brown : le
saint a emprisonné Muh.ammad b. Brahim pour en tirer une rançon qui
couvrirait ses dûs et ceux de ses contribules 6. Ayant payé, il est mort de
mort naturelle. Notre version semble ne pas vouloir prendre parti sur cette
mort : le récitant dit qu’il n’en sait rien (vers 128). En dehors de son métier de
poète c’est l’une des rares fois où il témoigne directement sur les faits racontés 7
(ur-sul-ensin, selon la transcription de V. Monteil).
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4. Op. cit., p. 343. J’ai gardé la transcription des noms propres telle qu’elle est dans le texte de
l’auteur. Je signale au lecteur que je ne l’adopte pas car elle s’apparente plus à l’arabe qu’à l’usage
chleuh qui est le suivant : Lh.usayn pour l-H.usayn, Hashem pour l-Hashim et H.mad u Musa
pour H.med u Musa.
5. K. Brown, Op. cit., p. 344.
6. Op. cit., p. 345.
7. Un autre cas semblable se trouve dans le vers 11.
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Ainsi la version que nous présentons réfère-t-elle de manière explicite à la
première cause fait allusion à la seconde et reste prudente sur un aspect
important de la troisième tout en s’inspirant d’un fait historique, le poème le
traite à sa manière en gommant un certain nombre de motifs génants comme le
fait tout mythe fondateur ou tout rêve selon l’analyse freudienne 8.
3. La thématique
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8. Cet aspect mérite, à lui seul, une analyse dont l’intérêt n’échappe pas quand on connaı̂t le
travail de M. Morsy sur un exemple très proche, voir Les Ahansala. Examen du rôle historique
d’une famille maraboutique de l’Atlas marocain, Paris, La Haye, Mouton, 1972.
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Ce relevé des thèmes au fil du texte montre une chose : il ne correspond pas
aux divisions de V. Monteil signalées plus haut.
LA FORME
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9. Je termine un ouvrage plus complet sur la métrique berbère qui paraı̂tra, je l’espère, en 1995
ou 1996.
10. H. Zafrani et P. Galand, La Haggada de Pessah., Geuthner, Paris, 1968.
11. Fonds Roux au LAPEMO, Université d’Aix-en-Provence. J’ai publié quelques textes aux
Éditions du CNRS en 1990 sous le titre Poésie populaire berbère du Maroc.
12. C’est le lieu ici de rendre un grand hommage au travail et à la sensibilité méticuleux de A.
Roux qui sont reconnus mais qu’on voit se déployer dans ses papiers que le chercheur risque de
considérer comme anodins.
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La différence entre les deux résident en ceci : ces derniers considèrent leurs
lignes comme des vers alors que Roux va plus loin. Il demande à son
informateur, fin connaisseur de la poésie chleuh, de recopier au propre cette
transcription et de restituer un vers par ligne. Là encore, nous disposons des
manuscrits attestant cette étape de la collecte. La comparaison entre les deux
étapes est éclairante.
Cet argument scripturaire me suffit, pour le moment, à préférer la tran-
scription des vers de V. Monteil à celle de K. Brown. Elle respecte, comme celle
de A. Roux, l’intégrité du vers chleuh. Il est vrai qu’on peut prendre cela pour
une simple affirmation tant que je n’ai pas défini cette intégrité. Il me semble
que le sentiment poétique de l’informateur de Roux suffit comme l’est le
sentiment linguistique du locuteur natif dans toute description linguistique.
Mon analyse du vers chleuh en particulier et berbère en général viendra en son
temps (voir note 11).
Ceci étant dit, il reste que la version de Monteil présente des problèmes
parfois insolubles. Je me contente de citer quelques vers problématiques : 51,
58, 109. L’argument du sentiment linguistique ne suffira pas à retrouver
l’intégrité de ces vers.
TRADUCTION ET ANNOTATIONS
1. Fidèle aux principes que j’ai mis en œuvre dans la traduction du corpus
recueilli par A. Roux 13, même si ce texte devra être repris car émaillé
d’erreurs indépendantes de ma volonté, j’ai tenté de rendre le texte en
français lisible sans trop m’éloigner de l’expression berbère. Pour ce faire,
j’ai utilisé un certain nombre de publications relatives à l’épisode relaté par
le texte 14, les dictionnaires et les lexiques disponibles ainsi que ma propre
connaissance de la langue.
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13. Ces principes ont été explicités depuis par A. Miquel dans L’Eve´nement, Odile Jacob,
Paris, 1993.
14. Sûsı̂ (al-) al-Mukhtâr, al-Ma‘sûl, vol. I, Casablanca, 1963.
Brown (K.), « Violence and Justice in the Sûs : A Nineteenth Century Berber (Tachelhit)
Poem », dans Actes du Premier Congrès d’Etudes des Cultures Me´diterranéennes d’Influence
Arabo-Berbe`re, SNED, Alger, 1973, p. 341-357.
Pascon (P.), La maison d’Iligh et l’histoire sociale du Tazerwalt, Rabat, S.M.E.R., 1984.
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M. Al-Sûsı̂ et de P. Pascon nous permettent d’identifier les deux principaux
personnages dont on n’a que les qualifications dans ce texte ; l’un est référé à sa
tribu (Ayt Jerrar) et l’autre à sa nisba (généalogie) et à sa fonction socio-
religieuse (la sainteté).
TRANSCRIPTION
Aqa, 19-20/91945
V. Monteil
Ajerrar d-u-Tzerwalt
Illix emmagen
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I
——————
16. Le terme « tadzayrit » (algérianité ?) est incompréhensible dans ce contexte. La version de
K. Brown donne ceci au vers 26 : « a tadza yat tinibt = O Tadza, one donation ».
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II
III
170
IV
171
VI
VII
VIII
172
IX
173
113. Imma lemut, fkix-as laman n-Rebbi, daeix-as.
114. Ur-t-neqqax, ula-inga-t urgaz, abla in-it-
115. -Inga Rebbi lli-gisen-igan layyam d-erroh. ! »
XI
XII
Aqa. 19-20/9/45
174
TRADUCTION
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022. Les Akhs.as., tous ensemble, sont sur le pied de guerre.
023. Chaque clan se forme. U-Bufulen, le sort en est jeté,
024. A détruit les maisons à Larbea ; il y a paradé longuement.
II
III
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042. Quiconque est de là-bas se retourne contre lui ;
043. Il l’attaque pour se venger [des exactions] du passé.
IV
057. Entre nous la paix est impossible avant que ne tonne la poudre
058. a-x-tent-id-gonnaax ; illix-yad-iffugh, a-ishan : ur-sul-a-t-edawax...
059. Combien de fois tu m’as trahi [alors que] je ne t’ai jamais trahi !
060. La seule solution avec toi est que tu t’exiles.
061. Que tous les musulmans sachent que tu as été battu.
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062. Quant à la richesse, on n’achète pas un vrai homme avec elle à moins
que ce ne soit un enfant
063. Ou quelqu’un de stupide.. Quant à moi,
064. Mes biens excèdent l’ascendance de Ajerrar,
065. Ses partisans et tout son camp.
066. Lorsqu’ils ont eu envie [de nos biens], ils voulaient nous l’acheter pour
être en paix !
067. Si je signe la paix avec Ajerrar, il ne regrettera rien,
068. Il ne saura pas qu’il est un sauvage. Le lendemain, il nous piétinera,
069. Il commettra des préjudices plus graves que ceux du passé.
070. Même s’il offrait beaucoup d’argent, cela ne vaut rien pour moi
VI
VII
079. Quant à l’exil, je sais qu’en partant je n’ai personne d’autre que toi.
080. Ah l’Unique ! Ah mon Dieu ! Tu nous punis en fin de parcours :
081. Si un roi est vaincu, c’est un autre qui l’a mis à genou. »
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VIII
IX
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X
XI
XII
180
125. La main et de le faire pénétrer dans les ténèbres et l’angoisse.
126. Le saint le fit prisonnier, l’entrava comme un veau
127. Et le mit en prison. C’est avec ses mauvais agissements qu’il est entravé.
Aqa 19.20/9/45
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