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Échos d'Orient

Saint Romain le Mélode


Siméon Vailhé

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Vailhé Siméon. Saint Romain le Mélode. In: Échos d'Orient, tome 5, n°4, 1902. pp. 207-212;

doi : https://doi.org/10.3406/rebyz.1902.3408

https://www.persee.fr/doc/rebyz_1146-9447_1902_num_5_4_3408

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SAINT ROMAIN LE MELODE

La question soulevée par le nom de notices des Menées et des Synaxaires


Romanos, disait récemment M. Krumbacher (ι), pourraient fixer la question
ressemble à un labyrinthe dans les dédales chronologique; mais nous avons deux Anastase
duquel le voyageur épuisé s'enfonce, sans qu'il empereurs, l'un à la fin du ve siècle, 491-
puisse trouver une issue. La solution du
problème qui concerne l'époque où a vécu ce mé- 518, l'autre au commencement du vme,
lode semble, en particulier depuis les 4 juin 713-mars 716, et l'on se demande
nouvelles recherches, s'être de plus en plus lequel de ces deux basileis fut le
éloignée de nous. contemporain de notre mélode. Le cardinal
On serait tenté de trouver quelque peu Pitra, Stevenson, Grimme, Vasilieskij, se
maussades ces lignes de l'éminent byzan- sont prononcés pour le premier Anastase,
tiniste, si Ton ne savait quel culte il Christ, Funkj Jacobi, pour le second; le
P. E. Bouvy pencherait pour la fin du
professe pour la mémoire du prince de la
vne siècle, M. K. Krumbacher, qui a repris
poésie religieuse, si l'on ne connaissait
la question dans son ensemble en 1897,
aussi les fâcheux mécomptes que lui ont s'est décidé pour Anastase Ier dans son
attirés en ces derniers temps les études
Histoire de la littérature byzantine (1).
faites sur son mélode favori.
Pour l'instruction de nos lecteurs qui « Toutes les preuves mises en avant
par les partisans du vie siècle reposent
l'ignoreraient encore, notons brièvement
que tous les renseignements biographiques sur des combinaisons plus ou moins
heureuses, aucune ne saurait tenir devant
sur la personne de saint Romain se
Un fait positif (2) », a déclaré lui-même
bornent à trois ou quatre menues notices,
insérées dans les Synaxaires et les Méno- en 1899 M. Krumbacher, qui reniait ainsi
d'un mot, et ses amis, et sa première
loges. Par eux, nous apprenons que
opinion. Or, ce fait positif , M. Gelzer et, à
Romain était Syrien d'origine, né à Emèse,
sa suite, M. Krumbacher crurent le
aujourd'hui Homs, sur l'Oronte, qu'il
exerça d'abord les fonctions de diacre à découvrir dans ces trois vers d'un cantique
Beyrouth dans l'église de la Sainte-Anas- de saint Romain sur les dix Vierges :
tasis, qu'il vint ensuite à Constantinople, ιδού Ασσύριοι
sous le règne de l'empereur Anastase, et se καΐ προ αυτών
retira dans l'église de la Mère de Dieu
εν τοις Κόρου, d'où il se rendait parfois « Voici que les Assyriens et avant eux les
aux Blaquernes, et qu'après avoir reçu Ismaélites noi^s ont amenés prisonniers
miraculeusement le don des Kontahia, et (3). » Dans les Assyriens, M. Gelzer voit les
composé mille cantiques de ce genre, il califes abbassides de Bagdad et dans les
s'endormit pieusement dans le Seigneur. Ismaélites les califes ommiades de Damas, ce qui
Les autographes d'une bonne partie de nous force évidemment à reculer l'exis-
ses cantiques se conservaient à l'église
εν τοις Κύρου ; c'est là que le Saint fut (1) 2e édit., p. 665-671.011 trouvera dans cet ouvrage
enterré, là aussi que se célébrait sa fête le un résumé de la discussion avec les preuves qu'apportent
Ier octobre. en faveur de leur thèse les partisans de l'une et de
l'autre opinion.
S'il n'était monté qu'un seul Anastase (2) Umarbeitungen bei Romanos mit einem Anhang über
sur le trône de Constantinople, les courtes das ^eitalter des Romanos, Munich, 189Q, p. 150.
(3) Pitra : Sanctus Romanus veterum melodorum princeps,
extrait du recueil AI sommo pontifice Leone XIII omaggio
(i) Romanos und Kyriakos, dans les Sitzungsberichten giubilare della biblioteca Vaticana. Rome, 1888, p. 41,
der philos, philol. und der hist. Classe der Kgl. Bayer. et Κ. Krumbacher: Umarbeitungen bei Romanos, 1899,
Akademie der Wissenschaften, 1901, 50 fasc, p. 693. p. 110.
208 ÉCHOS D ORIENT

tence de saint Romain jusqu'au vine siècle. quelque distance de ses ruines en l'an 762
M. Krumbacher a adopté avec par le ralife Al Mansour. Lors donc que
empressement l'interprétation de son ami, il a saint Romain parle des Assyriens en guerre
reproduit son argumentation, l'a fortifiée avec Byzance, il ne peut que viser les
de remarques personnelles, en s'écriant potentats arabes de Bagdad, la Babylone des
pour terminer : « Tout bien considéré, je Byzantins, c'est-à-dire les califes abbas-
dois avouer que je considère ma première sides de Bagdad (1). Si les Assyriens
opinion comme complètement ébranlée, et désignent les califes abbassides de Bagdad, les
qu'à partir d'aujourd'hui, je regarde comme Ismaélites, qui ont avant eux amené les
un fait acquis que saint Romain a vécu au Grecs prisonniers, ne peuvent que
vme siècle (i). » — Et les arguments s'identifier avec les califes ommiades de Damas.
qui vous contraignaient en 1897 à le faire Par suite, le cantique de saint Romain
vivre au vie siècle? — « Ils reposent tous sur les dix Vierges est postérieur à
sur des combinaisons" plus ou moins l'année 762; par suite aussi, saint Romain a
heureuses. » — M. Gelzer est allé plus loin vécu sous Constantin Copronyme, et il n'a
encore, et, dans un ouvrage qui ne se pu débarquer à Constantinople sous Anas-
prêtait guère à de pareilles tase Ier.
informations (2), il a daté saint Romain du règne Cette argumentation de M. Gelzer ne
de fer de Constantin Copronyme, sans semble pas très rigoureuse. De ce que la
laisser même supposer qu'on pût encore Bible et Manéthon confondent les
discuter sur ce point. Assyriens avec les Babyloniens, et de ce que
A première vue, l'interprétation que les écrivains grecs ou arméniens
donne M. Gelzer de ce passage de saint confondent ensuite Babylone avec Bagdad, il
Romain est assez surprenante, et l'on ne s'ensuit aucunement que saint Romain
n'aurait pas, j'imagine, montré grand appelle Assyriens les califes de Bagdad.
empressement à la recueillir, si elle ne Pour que la conclusion fût apodictique et
s'appuyait sur une série de déductions qu'il s'imposât à tous, il faudrait qu'on nous
me reste à faire connaître. Les Assyriens, citât le témoignage d'un auteur grec ou
remarque-t-on, sont pris communément arménien appelant Assyriens les J califes
dans la Bible pour les habitants de Baby- arabes de Bagdad, et c'est précisément ce
lone (3). Or, Baby lo ne ne désigne pas, que l'on ne fait pas. Tant qu'un pareil
chez les écrivains grecs et arméniens du témoignage ne sera pas apporté, on aura
moyen âge (4), l'antique capitale de la le droit, comme M. de Boor, de repousser
Chaldée, mais la ville de Bagdad, bâtie à l'identification proposée par M. Gelzer.
En second lieu, voir dans les Assyriens
de notre cantique les califes de Bagdad,
(1) Umarbeitungen bei Romanos, p. 152. c'est reporter la composition de ce
(2) Die Genesis der byzantinischen Themenverfassung,
Leipzig, 1899, p. 76. cantique après 762, puisque cette ville fut
(3) Les passages de la Bible indique; par M. Gelzer bâtie cette année-là; c'est, par suite,
Sexfus Julius Africanus und die Byzantinische Chronographie,
:

Leipzig, t. Ier, p. 206, sont IV Reg., xxin, 29 ; Jerem., prolonger sans mesure l'existence de saint
11, 18; II Esdr., vi, 22. Voir aussi Unger Manetho, Romain. 11 ne faut pas oublier, en effet,
p. 283, et un cantique d'Elie II, patriarche de Jérusalem
:

que notre mélode est venu à


au vmc siècle, qui appelle Nabuchodonosor roi des
Assyriens. Constantinople sous Anastase — entre 713 et 716
λ-j μ.αίνετοα των Άσσυρίων
ό βασιλεύων (1) L'argument de M. Gelzer mis en forme n'est pas
πόλιν Θεού très rigoureux.
την 'Ιερουσαλήμ. D'après la Bible, les Assyriens = habitants de
PiTRA Analecta sacra, t, Ier, 1876, p. 292. Babylone.
(4) Voir les textes cités par Gelzer Ungedrückte und Or, d'après les auteurs grecs et arméniens, Babylone
:

wenig bekannte Bistüinervei'zeichnisse der orientalischen = Bagdad.


:

Kirche, dans la Byzantinische Zeitschrift, t. Ier (1892). Donc, d'après saint Romain, Assy-iens = Arabes de
p. 278. Bagdad.
SAINT ROMAIN LE MELODE 20Q

dans notre hypothèse, — qu'il avait rempli potamie et de lav Syrie? M. Krumbacher
auparavant les fonctions de diacre à l'a pensé, et, tout dernièrement (i), il
Beyrouth, et qu'il devait être un homme d'une jetait par-dessus bord ce qu'il avait avancé
certaine maturité à son arrivée dans la dans les Umarbeitungen bei Romanos, en
capitale. Le faire vivre après l'année 762, malmenant quelque peu le P. Pétridès,
c'est le rendre presque centerfaire, c'est qui n'avait pas encore songe à faire volte-
lui faire traverser sans encombre toute face et tenait toujours pour Anastase II.
la première période particulièrement Au risque de faire changer une troisième
troublée de l'iconoclasme, au centre même de fois d'avis l'éminent directeur de la
l'hérésie, sans qu'on puisse découvrir Byzantinische Zeitschrift, je ne crois pas que
dans ses ouvrages la moindre allusion à l'argumentation de M. de Boor soit le moins
ce grave conflit religieux (1). du monde concluante. Et cela pour deux
De plus, remarque justement M. de motifs : d'abord, parce qu'il ne cite aucun
Boor (2), pourquoi Romain appelait-il les témoignage d'écrivain byzantin qui
Ommiades de Damas Ismaélites plutôt que appelle Assyriens les Perses du vie siècle; en
les Abbassidesde Bagdad? Les Abbassides second lieu, parce qu'il n'a pas démontré
étaient des Ismaélites aussi bien que les que ce terme d'Assyriens n'ait pas été
Ommiades. On comprendrait à la rigueur appliqué aux Arabes du vme siècle. Oh! sans
que le poète appelle les Abbassides de doute, M. de Boor s'écrie quelque part :
Bagdad Assyriens en se basant sur leur «Je ne connais aucun auteur grec qui ait
résidence située dans l'ancien royaume appelé autrement que Sarrasins, Arabes,
d'Assyrie, mais alors on attendrait aussi Agaréniens, les disciples de Mahomet qui
un nom local, géographique, plutôt qu'un attaquaient les Byzantins, sous prétexte
nom ethnique comme celui d'Ismaélites que le centre de leur empire se serait
pour désigner les Ommiades de Damas. déplacé, qu'il se trouvait à Bagdad plutôt
Pour toutes ces raisons et pour une qu'à Damas ou ailleurs. Non ! ces ennemis
autre, absolument irréfutable, que restaient pour tous les Byzantins, avant
j'exposerai tout à l'heure, je ne puis voir avec comme après, à Bagdad comme à Damas,
M. Gelzer dans les Assyriens de notre des Arabes, des Agaréniens, des
cantique la mention des califes abbassides, Sarrasins, c'est-à-dire des fils d'Ismaël (2). »
qu'on les fasse régner à Koufa ou à Bagdad. Mais si M. de Boor se trompait, s'il
* * existait réellement un texte d'un auteur
Faut-il alors, à la suite de M. de grec, bien plus, d'un contemporain d'Anas-
Boor (3), rapporter les trois vers en tase II qui appelle les Arabes Assyriens,
question au vie siècle? Faut-il voir dans les tout comme le cantique de saint Romain,
Ismaélites les bandes sarrasines qui que dirait le distingué critique de Breslau?
pillèrent les provinces de la Syrie et de la Sans doute que toute son argumentation
Palestine sous Anastase Ier; dans les croule par la base, et qu'il n'y a aucune
Assyriens les Perses qui battirent à plusieurs impossibilité d'admettre que saint Romain
reprises les troupes de Justinien et ait désigné au vme siècle les Arabes sous
occupèrent bon nombre de villes de la Méso- le nom d'Assyriens, puisqu'un auteur grec
de cette époque les qualifie de la sorte.
(1) En note, Umarbeitungen bei Romanos, p. 145, Eh bien! ce texte existe, il se trouve dans
M. Gelzer déclare qu'il n'est pas nécessaire que Romain l'Encomion que saint André de Crète a
ait survécu à la construction de Bagdad, 762, par les consacré à saint Jacques, évêque de
califes abbassides. Il suffit qu'il ait vu l'établissement de
la dynastie abbasside à Koufa, vers l'an 750. Cependant, Jérusalem et frère du Seigneur. Le voici :
il croit que Romain a survécu à la prise de Mélitène et δίωξον ώς ποιυιήν τον άλλόφυλον λύκον τον
de Mopsueste par les Arabes en 756.
(2) Die Lebenszeit des Dichters Romanos, dans la
Byzantinische Zeitschrift, t. IX (1900), p. 634. (ι) Romanos, und Kyriakos, 1901 , ρ. 723·
(3) Op. et loc. cit. (2) Op. cit., p. 6y0.
210 ÉCHOS D'ORIENT

Trj υιάνΒρα Χρίστου του Θεοϋ έφεδρεύοντα, mais je me sépare de lui lorsqu'il fait de
κατάβαλε οΥεύντ,ς των Άσσυρίων το ces Arabes les califes abbassides de Bagdad
σύστημα (ι). « Chasse comme berger le loup ou de Koufa. Le texte de saint André de
étranger qui menace la bergerie du Christ, Crète suffirait à lui seul pour démontrer
renverse par la prière la troupe des le néant de son hypothèse. Puisque la
Assyriens. » dynastie abbasside n'a commencé à régner
Cette invocation de saint André de Crète qu'en l'année 750 et que saint André de
à saint Jacques ne peut que désigner les Crète appelait les Arabes des Assyriens,
Arabes, puisque nous ne connaissons à avant 740, saint Romain pouvait aussi
son époque que deux ennemis de l'empire appeler les Arabesdes Assyriensavant74o,
byzantin, les Arabes et les Bulgares. A sans viser pour cela les princes de la
vrai dire, on ne saurait établir exactement dynastie abbasside. Et par là s'exclut la
en quelle année fut prêché ce panégyrique, difficulté contre laquelle s'est heurté M.
mais il ne peut être postérieur à l'année 740. Gelzer, contraint de prolonger l'existence de
En effet, je crois avoir démontré dans un saint Romain jusqu'à la fin du règne de
article qui paraîtra prochainement dans Constantin Copronyme et de lui faire
les Echos d'Orient que saint André de traverser à Constantinople toute la période de
Crète est mort le 4 juillet 740. Par l'iconoclasme (1). Par les Assyriens du
ailleurs, nous savons que saint André de cantique nous entendrons les califes arabes
Crète vint à Constantinople en 685 et ou le pouvoir arabe constitué, qui, durant
qu'il y fut ordonné diacre de la Grande- la première moitié du vme siècle, infligea
Eglise après quelques années passées dans de nombreuses défaites aux empereurs
la vie monastique. Il n'y aura donc- aucune byzantins, et par les Ismaélites, les tribus
témérité à dater ce panégyrique des trente nomades, de Palestine et de Syrie, qui
ou quarante premières années du vme siècle. pillèrent ces provinces, brûlèrent les
Si saint André de Crète appelait les couvents et les églises, tuèrent ou firent
Arabes des Assyriens au commencement prisonniers les moines et les chrétiens
du vme siècle, pourquoi saint Romain durant tout le vme siècle.
n'aurait-il pu le faire à la même époque?
Je ne crois pas que M. de Boor ni M. Krum-
bacher y trouvent désormais la moindre Je ne m'étais tout d'abord proposé que
impossibilité. l'explication des trois vers de ce cantique,
Mais, va-t-on m'objecter .aussitôt, mais puisque M. Krumbacher et d'autres
pourquoi avez-vous réfuté l'interprétation que critiques à sa suite défendent encore la
M. Gelzer a donnée des trois vers du cause d'Anastase Ier, je crois devoir
cantique, puisque, en fin de compte, vous apporter contre eux deux autres arguments,
en proposez une autre qui est identique à l'un négatif, l'autre positif, sans vouloir
la sienne? Je m'explique. Je suis d'accord le moins du monde revenir sur les preuves
avec M. Gelzer pour voir dans les qu'on a déjà présentées en faveur
Assyriens du cantique les Arabes du viue siècle, d'Anastase II. sans vouloir surtout reprendre la
question d'une manière définitive.
(1) Papadopoulos-Kérameus 'Ανάλεκτα της ίεροσο-
λυμιτικής σταχυολογίας, t. Ier (1891); n° J3> Ρ· '4· C*n (1) Saint André de Crète multiplie les allusions, dans
:

dira peut-être que saint André de Crète emploie une ses homélies ou dans ses panégyriques, aux guerres
figure biblique pour désigner Léon l'Isaurien et sa bande incessantes que livraient sur terre et sur mer les troupes
d'iconoclastes, qui se conduisaient envers les chrétiens arabes contre les armées byzantines. Par deux fois, il les
comme les Assyriens envers le peuple juif. Outre que cette appelle barbares, Migne, P. G., t. XCV1I, col. ι 033 C,
interprétation est bien compliquée, saint André de Crète 1 045 A, par deux fois Agarénkns ou descendants d'Agar,
la réfute lui-même dans ce passage, lorsque, après avoir col. 932 A, 1 168 B. Le terme d'Assyriens pour désigner
dépeint la dévastation des Eglises, il demande à Dieu de les Arabes ne doit pas avoir été d'un usage très fréquent,
fortifier l'empire, c'est-à-dire son détenteur, την βασιλείαν mais j'ose espérer qu'on en trouvera d'autres, en dehors
κοαταίωσον. de celui de saint André.
SAINT ROMAIN LE MELODE 21 I

Un des motifs qui poussent le plus O Christ, notre Dieu, toi qui viens à
M. Krumbacher à faire vivre saint l'instant de nous sauver, ramène la paix dans la
Romain sous Anastase Ier est le suivant. ville livrée à la guerre et fortifie les empereurs
Saint André de Crète imite visiblement que tu as aimés.
dans deux odes de son grand Canon deux Cette ville sauvée par le Christ ne peut
strophes d'un cantique de saintRomain(i). être que Constantinople ; mais de quelle
Or, saint André de Crète est mort en 720. délivrance et de quels empereurs s'agit-il
Si saint Romain n'est venu à en cet endroit? Ni Pitra, ni Krumbacher
Constantinople que sous le second Anastase, 713- qui ont édité ce cantique ne se prononcent
716, comme il n'a composé. ses cantiques sur ce point. M. Krumbacher croirait
que dans la capitale byzantine, l'imitation volontiers que le mot βασιλέας désigne un
de ses cantiques par saint André se couple impérial plutôt que deux empereurs
comprend très difficilement et au moyen de associés aux trône ; il dit, en effet : « A moins
combinaisons que M. Krumbacher qualifie que je ne me trompe, le pluriel βασιλείς
ailleurs de « plus ou moins heureuses ». désigne parfois chez les Byzantins le couple
Tel est l'argument présenté par le savant impérial (i). » Je ne sais si ce terme est
auteur de la Geschichte der byzantinischen parfois employé dans ce sens, je croirais
Litteratur et sur lequel il est revenu en plutôt qu'il désigne ici, comme dans un
1899 dans ses Umarbeitungen bei autre passage de saint Romain (2), deux
Romanos (2). empereurs associés au trône.
Si saint André de Crète était vraiment Si nous plaçons saint Romain sous
mort en 720, comme l'affirme par deux Anastase Ier, nous ne découvrirons pas
fois M. Krumbacher après d'innombrables aisément une délivrance de Constantinople
historiens, je serais de son avis et je à cette époque, pas plus, du reste, que
placerais saint Romain sous le premier deux empereurs associés au trône. Il n'en
Anastase; mais il n'en est rien. Saint irait pas de même si nous le faisions vivre
André de Crète est mort réellement le sous Anastase II. Peu après la déposition
4 juillet 740; dès lors, il n'y a plus de cet empereur, Constantinople fut
aucune difficulté à lui faire imiter un poète assiégée par les Arabes , 1 5 août 7 1 7- 1 5 août 718;
débarqué à Constantinople sous le second l'année suivante, les Bulgares, soudoyés
Anastase, 713-716. par l'ex-empereur Anastase II et soutenus
par bon nombre d'officiers et de soldats

Le troisième proasmium du cantique serve ce cantique; néanmoins, M. Krumbacher l'imprime


de saint Romain sur la présentation de entre crochets et il émet de légers doutes sur son
authenticité pour des raisons qu'il me permettra de trouver
Notre-Seigneur au temple contient ces bien subjectives; On s'étonne parfois que les poésies de
vers : saint Romain ne contiennent aucun renseignement
Προφθάσας καΐ νυν historique, et on s'empresse de lui enlever toutes les strophes
qui renferment quelque détail précis. Il ne faudrait pas
εσωσας ήυ.ας, Χρίστε ο θεός. tourner sans cesse dans ce cercle vicieux.
Άλλ' είρήνευσον (1) K. Krumbacher Studien χιι Romanos, p. 253 et 254.
(2) Cantique sur la Nativité de la Sainte Vierge,
:

εν πολέρ,οις το πολίτευμα Analecta sacra, t. 1", ode 12, p. 201 :


καΐ κραταίωσον έκφυλάττων
βασιλέας, ους ήγάπησας (3). τους βασιλείς πιστούς.
Saint André dé Crète appelle Léon l'Isaurien et
Constantin Copronyme τους όμοστεφεϊς και συνθρόνους
βασιλείς. Panégyrique de saint Tite, Migne, P. G.,
p.en(ι)
667.
note,Geschichte
LeuneP. autre
Bouvy
derimitation
abyzantinischen
signalé,dePoètes
saintLitteratur,
etRomain
Mélodes,par
2° p. edit.,
saint
278, t. XCVII, col. 11 68 C. Rapprocher une expression
analogue dans un cantique anonyme publié par Pitra, op. cit.,
André. odes 1 et 19, p. 507 et 5Γ3. Funk a déjà fait remarquer,
(2) P. 150 et 151. Tübinger Theolog. Qiiartalschrift , t. LXI (1879), P· 493'
(3) Pitra Analecta sacra, t. I", p. 28, K. Krumbacher : que la fête de la Nativité date probablement du vne siècle,
Studien χη Romanos, Munich, 1898, p. 185 et 186. Cette et qu'elle est, par conséquent, postérieure d'au moins un
:

strophe se trouve dans tous les manuscrits qui ont con- siècle au premier Anastase.
212 ECHOS D ORIENT

grecs, s'avancèrent jusqu'à Héraclée de de la fuite mystérieuse des Bulgares,


Thrace. Léon l'Isaurien ne parvint à les frappèrent vivement les contemporains. Nous
repousser et à calmer l'émeute grondant en trouvons un écho dans une homélie
dans Constantinople qu'en offrant aux de saint André de Crète qui date sûrement
Bulgares une forte somme d'argent et en de cette époque. Νώτα δίδωσ-ι βάρβαρος καΐ
privant de la vie Anastase II et tous les chefs φεύγει. Σκύθης μηδενός διώκοντος (ι), dit
de la révolte. Sur ces entrefaites, le ciel lui l'illustre archevêque en parlant des Arabes
donna un fils, Constantin, qu'il associa au et des Bulgares.
trône et fit couronner par le patriarche N'est-ce pas, avec quelques divergences
saint Germain (i), le 25 mars 720. inévitables de style, la même pensée, le
N'est-ce pas à tous ces événements que même cri de triomphe qui se fait jour dans
fait allusion le cantique de saint Romain : les vers de notre cantique? Il est permis de
délivrance de la ville assiégée par les Arabes, le penser. Il est permis aussi, en joignant
15 août 718, guerres civiles provoquées ces trois preuves à toutes celles qu'on a
dans Constantinople par la révolte d'Anas- déjà présentées (2), de dater saint
tase II en 719, association au trône de Romain du vme siècle.
Constantin Copronyme, 25 mars 720.? La Constantinople.
défaite et le départ de la flotte arabe, suivis S. Vailhé.

LES ËVÊQUES DE THESSALONIQUE

{Fin)

101 . Denys III Bardalis. — liest curieux moine Anastase, que l'acte d'élection
de voir un patriarche accepter une simple qualifie de λογιώτατος (3). C'est bien le
métropole en descendant du trône moindre éloge que l'on puisse décerner
œcuménique. Le cas s'est pourtant vu deux à un prélat; toutefois, l'éloge a ici Pan-'
une
fois -en un demi-siècle pour le seul importance toute spéciale. Anastase
diocèse de Thessalonique. Après Athanase todynamos se recommandait, en effet, par
Patellaros, voici un second ex-patriarche, une carrière professorale des mieux
Denys III Bardalis, qui devient, en remplies (4). Cela n'empêcha pas les Thessa-
octobre 166=7, proèdre de la capitale loniciens de lui opposer un candidat de
macédonienne. Il exerça ces fonctions jusqu'en leur choix, et la grande Eglise s'inclina
1670: A cette époque, il partit pour devant l'expression de la volonté
Jérusalem, où nous le voyons, le Jeudi-Saint, populaire. Récusé par ses ouailles, Anastase
consacrer le Saint Chrême avec un autre Pantodynamos retourna à ses écoliers
ex-patriarche, Nectaire (2). De retour des d'Andrinople et mourut au milieu d'eux.
Saints Lieux, il se retira à Lavra, au mont
Athos. (1) Mignf, P. G., t. XCVII, col. 1033 c· Homélie sur
102. Anastase. — Près d'une année la Croix.
(2) L'ode 20 du cantique, Pitra, op. cit., p. 185, sur
s'écoula avant que l'on songeât à lui la décollation de saint Jean-Baptiste, le 29 août, me paraît
donner un successeur. Enfin, le 1 1 mars 1671, contenir une allusion au jeûne de ce jour, qui est encore
Thessalonique reçut pour évêque le hiéro- rigoureusement observé dans l'Eglise orthodoxe. Croit-on
que le jeûne du 29 août fût déjà établi au vic siècle?
(3) Mystakidks, op. cit., p. 383; Sathas, op. cit.,
^(i)Sur tous ces événements, voir K. Schenk Kaiser P· 598·
Leon III, Halle a S.. 1880, p. 48 seq. (4) Voir sa vie, Gédéon, dans Έκκλ. 'Αλήθεια, t. III.
:

(2) G.~Palamas, Ίεοοσολυμ,ιάς, p. 537; 'Ανάλεκτα p. 404-405, et dans Χρονικά της πατρίαρχ. ακαδημίας,
εροσ- σταχυολ., t. IV, p. 527. p. 92-94·

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