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Tous les manuscrits qui nous ont transmis le commentaire sur l ’Apocalypse
de Victorin, évêque de Poetovio en Pannonie à la fin du IIIe siècle, mettent en
tête de son livre une lettre-préface de Jérôme. Cette lettre, qui est, au VIIIe
siècle, intégralement citée par Beatus, et résumée avec une grande précision
par Ambroise Autpert, est bien dans le style des préfaces hiéronymiennes, et il
n ’y a aucune raison d’en suspecter l’authenticité1. Elle nous apprend qu’à la
demande d’un certain Anatolius, Jérôme a procédé à une révision du texte de
Victorin ; c’est cette révision qui, par la suite, du Haut Moyen-Age jusqu’à
l’aube du X X e siècle, remplace la version primitive du Pannonien désormais
oubliée. En 1916, J. Haussleiter publia une édition critique de la version
hiéronymienne, avec, en regard, un texte découvert dans un manuscrit du
Vatican daté du X V e siècle (Ottobonianus Latinus 3288 A, fol. 1-22), qu’au vu
de sa finale millénariste il a identifié comme étant le commentaire original de
Victorin.
Il devenait dès lors possible de se faire une idée du travail accompli par
Jérôme, en comparant le contenu du manuscrit du Vatican à la version
hiéronymienne. Dans l’introduction de son édition, le savant allemand y
consacra une vingtaine de pages (CSEL 49, p. XXXVI-XLV), dans lesquelles
il exposait, en dépit des affirmations de Jérôme qui dit n’avoir transformé que
la finale du manuscrit de Victorin, que les corrections avaient été beaucoup
plus importantes et plus nombreuses que le moine de Bethléem ne l’avait laissé
entendre2. Il aurait notamment, selon Haussleiter, complété çà et là le
commentaire de Victorin en recourant à celui du Donatiste Tyconius.
C’est à cette activité éditoriale de Jérôme que sera consacré le présent
article. Une analyse serrée de la préface nous conduira à préciser les
circonstances dans lesquelles il a «édité» Victorin et ce qu’il a entendu faire.
1. B eat, in apoc. (éd. Romero Pose, p. 7- ) ; A mbr. A. in apoc. (CCM 27, p. 5, 8-14).
2. CSEL 49, p. XXXVI.
200 MARTINE DULAEY
3. CSEL 49, p. 14-15 : «Diuersos marina discrimina transuadantes inueniunt casus. Si turbo
uentorum fuerit uehementior, formido est ; si terga iacentis elementi moderatior crispauerit aura,
pertimescunt insidias. Ita mihi in hoc uideturquem misisti uolumine, qui in apocalypsin uidetur
continere Victorini. Et est periculosum et obtrectatorum latratibus patens de egregii uiri
opusculis iudicare. Nam et anterior Papias Hierapolites episcopus et Nepos in Aegypti partibus
episcopus de mille annorum regno ita ut Victorinus senserunt. Et quia me litteris obtestatus es,
nolui differre, et quod in eorum commentariis de mille annorum regno repperi, Victorini
JÉRÔME ÉDITEUR DE VICTORIN DE POETOVIO 201
Le dédicataire et sa requête
Qui donc est cet Anatolius ? C’est manifestement un personnage pour qui
Jérôme a de la considération et de l’amitié, un homme cultivé, quelqu’un à qui
il ne peut refuser ce qui lui est demandé4. Il porte un nom oriental qui n’est
pas rare à Constantinople à l’époque5. On connaît notamment un Anatolius,
préfet du prétoire d’Illyrie de 397 à 399, peut-être identique à l’éparque de
Constantinople auquel Jean Chrysostome écrit en 405 une lettre amicale et
reconnaissante6. Est-ce le nôtre ? La manière familière dont Jérôme s’adresse à
lui («Anatoli carissime»), en une formule que dans sa correspondance, il
n ’utilise guère qu’avec de vieux amis qui ont un genre de vie et des centres
d’intérêt semblables au sien, paraît exclure une telle identification7. Il doit
s’agir d’un moine, de langue latine (puisqu’il s’intéresse à des ouvrages
d’exégèse latine), mais sans doute de culture grecque : cela expliquerait qu’à
propos du millénarisme, Jérôme mentionne seulement Papias et Népos, dont
parlait déjà VHistoire Ecclésiastique d’Eusèbe, et laisse dans l ’ombre les
millénaristes occidentaux qu’il cite plus volontiers d’habitude8.
Quelle était donc la requête instante formulée dans la lettre d’Anatolius ?
D’après le contenu de la réponse, il semble qu’il ait interrogé Jérôme sur
l ’authenticité du commentaire de Victorin dont la lecture l’avait laissé
insatisfait (l’Orient en effet s’était dégagé plus vite du millénarisme que
opusculis sociaui ablatis inde quae ipse secundum litteram senserit. A principio libri usque ad
crucis signum quae ab imperitiis erant scriptorum uitiata correximus, exinde usque ad finem
uoluminis addita esse cognosce. Jam tuum est discernere et quid placeat roborare. Si uita nobis
comes fuerit et Dominus sanitatem dederit, tibi nostrum in hoc uolumine potissimum sudabit
ingenium, Anatoli carissime».
4. Hier. CSEL 49, p. 15, 5 : «Anatoli carissime» ; p. 14, 11 : «ne spernerem precantem». II
a aussi de l ’estime pour son jugement : p. 15, 2-3 : «Iam tuum est discernere et quid placeat
roborare».
5. Ni G. G r ü t z m a c h e r , Hieronymus, eine biographische Studie zur alten
Kirchengeschichte, Berlin, 1908, t. 3, p. 235, ni J. H aussleiter , CSEL 49, p. XXXVI, ne
formulent d ’hypothèses sur l ’identité du personnage. Sur ce nom à Constantinople, G.
D agron, Naissance d ’une capitale, Paris, 1974, p. 222-226 ; 191 ; 207. A.-M. Malingrey nous
a également signalé un évêque Anatolius, ami de Jean Chrysostome et exilé, qui est mentionné
dans la Vie de St Jean Chrysostome.
6. REPW, s. V. Anatolius (7), c. 2072 ; A. H. M. Jones, J. R. Martindale, J. Morris,
The Prosopography of the Later Roman Empire, t. 2, Cambridge, 1980, p. 83.
7. Sont appelés carissime le prêtre Innocent (Epist. 1), Rufin (Epist. 3, 1), Héliodore ( Epist.
9), Népotien {Epist. 52, 1), Avitus (Epist. 124, 1) et Pammachius quand il se fut converti au
monachisme (In Os. prol.). Paulin est appelé frater carissime. (Epist. 58, 1 et 53, 10). Y.-M.
Duval nous a suggéré que cet Anatolius devait être un moine. Son hypothèse s ’appuie sur
l ’importance accordée à la virginité dans la finale ajoutée par Jérôme. Anatolius doit donc être
un moine et un vieil ami.
8. Evs. HE 3, 33, 11-13 (SC 31, p. 156), dont s ’inspire visiblement H ier. uir. ill. 18 ; HE
7, 25, 1-3 (SC 41, p. 205), source de uir. ill. 69.
202 MARTINE DULAEY
La date
G. Grützmacher et F. Cavallera étaient tous deux d’avis que la date du
remaniement hiéronymien était tout à fait incertaine15. A. Penna, suivi par S.
Gozzo, tendent à la situer avant 400, à une époque où Jérôme caressait l’idée
de commenter le Nouveau Testament (à preuve son Commentaire sur Matthieu
en 398)16. Plus récemment, L. Bieler et R. P. C. Hanson ont suivi l’opinion de
J. E. L. Oulton qui datait le livre de 406 environ, mais pour des raisons très
discutables, à notre sens17. Il y a en fait trois données de la préface à prendre
en considération si l’on veut tenter de dater l’édition hiéronymienne : le style
du passage, qu’il faut comparer à celui des prologues placés par Jérôme en tête
de ses autres ouvrages ; la phrase finale, où le Stridonien projette d’écrire un
commentaire de l’Apocalypse pourvu que Dieu lui prête vie et santé ; enfin, la
façon dont il parle du millénarisme, car c’est un thème sur lequel Jérôme est
souvent revenu, mais qu’il n’a pas toujours regardé du même œil.
Le prologue commence par une comparaison maritime trop banale chez
Jérôme pour être très éclairante18. L’idée qu’il est hasardeux de juger les
auteurs ecclésiastiques reconnus est également assez courante chez lui19. Plus
intéressant, en revanche, est le souci manifesté par Jérôme de ne pas se faire
davantage d’ennemis en critiquant le millénarisme de Victorin. Qui sont ces
Haussleiter dans son commentaire ( CSEL 49, p. XLI-XLII) n’a pas été capable de trouver
ailleurs que dans la fin la suppression d ’éléments millénaristes. En fait, il eirreste çà et là dans
le livre : p. 27, 8 par exemple.
15. G. Grützmacher (cf note 5), t. 1, p. 99 : «nicht sicher datierbar» ; mais t. 3, p. 235-240,
il penche pour la dernière partie de la vie de Jérôme. F. Cavallera, Saint Jérôme, sa vie et son
œuvre, Louvain-Paris, 1922, t. I, 2, p. 56 : «absolument incertaine», mais p. 159, dans le
tableau chronologique, il le place entre 397 et 400.
16. A. P e n n a , San Girolamo, Turin, 1949, p. 224 ; S. G o z z o , De S. Hieronymi
commentariis in Isaiam librum, dans Antonianum 35, 1960, p. 201, n. 2.
17. J. E. L. O ulton , The Credal Statements of St Patrick, Dublin, 1940, p. 33-34 ; L.
B ieler, The “Creeds” ofVictorinus and St Patrick, dans ThSt 9, 1948, p. 121-124. R. P. C.
Hanson , The Rule of Faith ofVictorinus and of Patrick, Mélanges L. Bieler, Leiden, 1978, p.
26. Oulton donne pour arguments qu’il est peu vraisemblable que Jérôme ait fait cette édition tôt
parce qu’il est occupé à la Vulgate (mais il a toujours mené plusieurs travaux de front) ; que si
Anatolius lui fait cette requête, c ’est que ses talents de bibliste sont déjà reconnus (mais la
correspondance prouve que c ’est le cas très tôt : dès les Epîtres à Damase, et à coup sûr en
398) ; que Jérôme fait allusion à sa maladie de 406 (il ignore celle de 398) ; que le parallélisme
d ’expression «tibi sudauit ingenium», qu’on trouve dans la lettre 114 (en 406) indique que c ’est
aussi la date de la lettre à Anatolius (mais cette image est banale chez Jérôme : H. G oelzer,
Étude sur la latinité de Saint Jérôme, Paris, 1884, p. 257 ; ainsi dans epist. 27, 1, déjà (en
384) ; de toute façon, un seul rapprochement de ce type ne saurait être probant).
18. H ier , epist. 14, 10 ; in Naum 2, 1-2 ; Prologues des trois livres sur Osée etc ...
Transuadantes : epist. 14, 10 (Goelzer, p. 188).
19. H ier , epist. 73, 1 (Labourt, 4, p. 19, 26) ; in Dan. 3 (9, 24), CC 75A , p. 865, 140 :
«quia igitur periculosum est de magistrorum ecclesiae iudicare sententiis» (en 407).
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ennemis dont se plaint Jérôme ? Certes, le savant bibliste était de ces gens qui
se font des ennemis toute leur vie, mais il est des moments où il les sent plus
venimeux : c’est à Rome, de 383 à 385, quand il fréquente les salons de
l’Aventin et révise les Évangiles ; c’est en 395-398 quand la querelle avec Jean
de Jérusalem, puis Rufin, bat son plein ; c’est encore jusqu’en 404, au temps de
la controverse origéniste20. A dire vrai, les prologues de 406 contiennent
encore des allusions aux ennemis de Jérôme, et il est donc difficile de tirer
argument de ce seul point pour dater notre ouvrage21.
Les images qu’il emploie pour en parler sont plus éclairantes. Sans doute,
les préfaces de Jérôme sont remplies d’une meute de chiens hurlants ; notre
écrivain affectionne cette vieille image cicéronienne22. Il y a, toutefois, dans le
prologue de sa traduction du Pentateuque vers 398-400, une expression
exactement semblable à celle du prologue à l ’édition de Victorin
(«periculosum et obtrectatorum latratibus patens») qui pourrait faire penser
que les deux préfaces sont voisines dans le temps ; on peut en effet supposer
que Jérôme n’est pas mécontent de la tournure qu’il a ciselée, et qu’il la fait
resservir23. De même, la formule par laquelle il assure à Anatolius avoir fait
de son mieux pour répondre à sa demande, est très semblable à celle qu’il
utilise au printemps de 398 dans une lettre à Evangelus24.
La finale, où Jérôme se demande s’il vivra suffisamment et aura la santé
nécessaire pour faire le travail prévu, est précieuse pour la datation. Elle ne
signifie pas forcément que Jérôme est âgé quand il l’écrit : de santé fragile, il a
senti prématurément le poids des ans25. Mais elle peut indiquer qu’il relève
d’une grave maladie qui l’a empêché de travailler. S’il fut souvent malade, en
effet, il n’a guère l’habitude de se plaindre de sa santé à ses correspondants,
sinon en 398, quand il fut souffrant de janvier à mars et rechuta longuement
pendant l’été, ou encore en 406, lorsqu’il fut alité durant plusieurs mois26. De
20. Ch. Favez , St Jérôme peint par lui-même, Bruxelles, 1958, p. 28-29 ; J. B rochet, St
Jérôme et ses ennemis, Paris, 1906, p. 126-143. F. Ca vallerà, Saint Jérôme, t.1, 1, p. 286.
21. Hier , in Os. \. prol. (CC 76, p. 5, 142) ; in Joël. prol. (p. 160, 3 9 )...
22. Ch. F avez , St Jérôme..., p. 36: ; in Gai. 2 (4, 15), PL 26, 383 ; 5, 12 (c. 406) ; epist.
54, 5 (4 ); 57, 4 ...
23. Prol. in Pent. (R. W eber , Vulgata, p. 3, 4) : «Periculosum opus certe, obtrectatorum
latratibus patens...» Or, Jérôme travaille à cet ouvrage en 398 selon Cavallera, ( t. I, 1, p.
290) ; vers 400 pour F rede, Vetus Latina H l. Kirchenschriftsteller Verzeichnis und Sigel,
Fribourg, 1981.
24. Hier , epist. 73, 1 (éd. Labourt, p. 19, 28 sq) : «Sed rursum cum epistulam legerem et
inuenissem in extrema pagella miris me obtestationibus adiuratum, ne spernerem precatorem,
reuolui u e t e r u m libros, ut uiderem quid singuli dicerent...»
25. Déjà en 390, il dit dans le Prologue de la Vie de Malchus : «scribere enim disposui, si
tamen uitam Dominus dederit»(PL 23, )
26. F. Cavallera, Saint Jérôme, 1, p. 188 ; 289, n. 2 et 309 ; Ch. Favez, St Jérôme, p.
52.
JÉRÔME ÉDITEUR DE VICTORIN DE POETOVIO 205
fait, c’est en 398 et en 406 que nous trouvons dans ses prologues des formules
très semblables à celles de la lettre à Anatolius27.
L’analyse du contenu antimillénariste de la lettre, jointe à la convergence
des autres indices, va nous permettre de choisir entre ces deux dates. Jérôme,
dans notre préface, est très réservé : il manifeste de la réticence à condamner
le millénarisme, et il n’en parle pas en termes désobligeants ou ironiques. Il ne
semble pas disposer à cette époque d’une réfutation du millénarisme qu’il
aurait lui-même écrite, puisque la demande d’Anatolius le prend de court, et
qu’il s’affaire à chercher parmi les livres de sa bibliothèque de quoi corriger
Victorin. Or, si Jérôme parle souvent du chiliasme, il ne l’a pas toujours fait
dans les mêmes termes. Les 59 passages antimillénaristes qu’on peut relever
dans son œuvre se répartissent clairement en deux périodes. Dans la première,
de 393 à 398, il n’y en a que dix. Toutes les autres datent de l’époque des
commentaires sur les grands prophètes. Et surtout, le ton de Jérôme a
beaucoup évolué avec le temps. Dans la première période, il parle du
millénarisme comme d’une doctrine soutenue par un certain nombre
d’écrivains ecclésiastiques (entendons : orthodoxes), et il en traite en termes
assez généraux, sur le mode de l ’information objective. Il réprouve la
doctrine, qu’il juge illogique, mais elle ne lui paraît pas assez dangereuse pour
mériter qu’il déploie contre elle son ironie mordante. Tout autres sont les
notices de la seconde période : Jérôme s’y attaque au chiliasme avec
acharnement, pour des raisons que nous avons tenté d’expliquer ailleurs ; son
arme majeure est la raillerie, et il a forgé un certain nombre de formules bien
frappées qui reviennent volontiers sous sa plume dès qu’il aborde le sujet28.
Il est donc clair que la lettre à Anatolius appartient à la première période,
quand Jérôme n ’a pas encore perçu avec autant d’acuité les dangers du
fondamentalisme chiliaste, quand il n ’a pas encore fourbi ses arguments
ultérieurs. Autre indice d’une datation haute : le souci qu’il manifeste de
s’appuyer sur l’autorité des Anciens, dans la lettre à Anatolius, disparaît plus
tard, tout comme disparaissent aussi les noms de Papias et de Népos qui sont
cités ici et dans le De uiris illustribus comme tenants du millénarisme29.
Si la lettre à Anatolius appartient à la première période, la maladie qui le
fait douter d’être en mesure de poursuivre son œuvre n’est donc pas celle de
406, mais celle de 398, et l’on peut retenir cette date comme étant celle de
l’édition hiéronymienne de Victorin. C’est la même année qu’il se résout aussi
à donner au public un autre travail qu’il juge imparfait, le Commentaire sur
Matthieu, qu’il compose à la hâte (il le dicte en deux semaines) à la demande
27. H ier, in Mt. praef. (CC 77, p. 5, 108) : «si autem mihi uita longior fuerit»(en 398) ; on
trouve aussi «si uita comes mihi fuerit» dans in Joel 1,4-5 (CC 76, p. 165, 171) en 406.
28. M. D ulaey , Jérôme, Victorin de Poetovio et le millénarisme, Actes du Colloque de
Chantilly, Sept. 1986, éd. Y.-M. D uval , Jérôme entre L'Occident et l’Orient, Paris, 1988, p.
83-98.
29. Dans In Is. 18, prol. et in Ez 11 (36, 1-15), il ne cite plus qu’Irénée, Tertullien,
Victorin, Lactance et Apollinaire (article cité note précédente).
206 MARTINE DULAEY
30. H ier, in Mt. praef. ( CC 77, p. 5, 107) : ... «perfectum opus reseruans in posterum».
31. Modéré, parce qu’il ne dit pas comme d ’autres que dans le royaume millénaire (comme
dans le paradis d ’Allah) on aura toutes les femmes qu’on voudra (in Mt 19, 29, p. 173, 945).
32. H ier, in Mt 19, 29 (CC 77, p. 173, 941 sq) : «Ex occasione huius sententiae quidam
introducunt mille annos post resurrectionem, dicentes nobis tunc centuplum omnium rerum
quas dimisimus et uitam aeternam esse reddendam ...»
33. Vier. p. 152, 11-16. Sans doute la même idée est-elle dans Iren. haer. 5, 33, 2, mais il
y a entre H ier, in Mt et V ier. apoc. d ’autres parallèles très frappants : l ’interprétation des
quatres animaux et la notice sur la composition de l ’Évangile de Jean (in Mt praef. p. 2, 42 ;
V ict. p. 96, 3).
34. A m br . A. apoc. (CCM 27, p. 5, 9 sq) : «sed opus illud promissum, nescio si fuerit
completum».
35. Les commentaires que l ’on a parfois voulu attribuer à Jérôme (Ps. H ier . apoc. , éd.
Rapisarda ; Summa dicendorum de Beatus) ne sont pas de lui. C f O. B a rd enhew er ,
Geschichte der altkirchlichen Literatur, 3, p. 627.
36. H ier, epist. 73, 10 (éd. Labourt, p. 26, 26sq) : « ...et cum alteri operi me praepararem,
paucos dies qui supererant in Matthaei expositione consumpsi ; tantaque auiditate studia omissa
repetiui, ut quod exercitationi linguae profuit, nocuit corporis ualetudini». On a déjà noté (n.
24) un parallèle de style très frappant entre cette lettre et celle qu’il a adressée à Anatolius.
JÉRÔME ÉDITEUR DE VICTORIN DE POETOVIO 207
II. - La n o u v e l l e f in a l e c o m p o s é e p a r Jé r ô m e
41. H ier. p. 145, 10-12 : «Nam mille annorum regnum non arbitror esse terrenum : aut si ita
sentiendum est, completis annis mille regnare desinunt. Sed ut mei sensus capacitas sentit
proferam».
42. «Si ita sentiendum est» : type de raisonnement fréquent chez lui ; epist. 4 6 ,7 ; in Ps. 86,
2 ; in Mt 19, 29-30 ; epist. 59, 3 ; in Za 3(14, 18-19).
43. T ert. marc. 3, 24, 3 (CC 1, p. 542, 18) : ... «in terra nobis regnum promissum ... in
mille annos». Expression analogue chez Denys d ’Alexandrie (Evs. HE. 7, 25, 3, SC 41, p.
205).
44. A mbros, in Mt 24 (éd. A. Souter, p. 234, 1 sq = PLS 1, 661-662).
45. H ier. p. 145, 14-147, 4.
46. Hipp, in Gaium (éd. Sedlacek, p. 20, 15) ; M eth. O. conv. 8, 199(SC 95, p. 228, 25).
47. H ier . p. 145, 12-14 : «Denarius numerus decalogum significat, et centenarius
uirginitatis coronam ostendit».
48. C lem . A. strom. 6, 133,1 (GCS 52, p. 499,12) ; O rig , in Ex 9, 3 (SC 321, p. 292,
76). Idées déjà reprises par Jérôme avant notre texte : Hier.m Ps .10, praef. (CC 78, p. 355,
14 sq), en 387-392 ; c f aussi in Am. 2 (5, 3), CC 76, p. 275, 102 sq.
49. A. Q uacquarelli, Il triplice frutto della vita cristiana: 100, 60, 30 (Mt 13, 8) nelle
diverse interpretazioni, Rome, 1953, p. 21-34 ; il faut y ajouter O rig. horn, in Gen. 12, 5 (SC
7b, p. 304, 19) ; in Jos. 2, 1 (SC 71, p. 118) ; E phrem. diatess. 11, 17-18 (SC 121, p. 205) ;
JÉRÔME ÉDITEUR DE VICTORIN DE POETOVIO 209
signifie bien plutôt le nombre des saints au complet, cet achèvement est de
toute façon dans l’Apocalypse le signe de la fin. Aucun commentateur ancien,
pas même Origène quand il explique l ’apocalypse synoptique dans son
Commentaire sur Matthieu, n’a jamais envisagé que l’on pût comprendre
autrement que littéralement la venue du Christ à la fin des temps56.
Jérôme, par la suite, s’évertue à donner une interprétation de la cité sainte
d’Ap 21-22 en accord avec ses explications antimillénaristes ; il montre qu’il
ne s’agit nullement, comme le pensait Victorin, de la Jérusalem terrestre,
rebâtie et glorifiée, mais de la Jérusalem céleste, c’est-à-dire de l’assemblée des
saints dont parle l ’Épître aux Hébreux (12, 22-23). Le plan même de la ville
manifeste le symbole : elle est carrée, parce que le carré évoque la stabilité (ce
détail est emprunté à l’exégèse alexandrine)57. Dans l’esprit de Jérôme se
superpose alors à l’image de la cité sainte celle de l’arche de Noé, cette autre
figure de l’Église. Certes, elle n’était pas carrée (Gn 6, 15), mais la Septante et
plusieurs versions latines anciennes la disaient construite avec «des bois
carrés»58 ; ces bois carrés figurent, dans les Homélies sur la Genèse d’Origène
les maîtres et docteurs de l’Église qui, par une foi solide et stable, s’opposent
aux flots des objections et aux tempêtes que sont les attaques des hérétiques59.
C’est donc de l’exégèse origénienne que s’inspire Jérôme quand il écrit : «La
cité carrée désigne le rassemblement de la foule des saints en qui la foi ne
saurait en aucune façon être flottante : c’est ainsi qu’il est prescrit à Moïse de
faire une arche avec des bois carrés, pour qu’elle soit en mesure de résister à
l’assaut du déluge»60.
L’or et les pierres précieuses, matériau de la Jérusalem céleste, sont, eux
aussi, un symbole de la solidité de la foi dans les tempêtes61 : «Par les pierres
précieuses [l’Apocalypse] désigne les hommes qui se montrent forts dans la
persécution, ceux que ni la tempête des persécuteurs ni l’assaut de la pluie n’a
pu détacher de la vraie foi. C’est pourquoi ils sont associés à l’or pur, eux qui
56. O rig. in Mt. com. A (PG 13, 1641-1691) ; en 406 encore, le commentaire sur Daniel de
Jérôme témoigne d’hésitations analogues.
57. C lem. A. strom. 6, 86, 2 (GCS 52, p. 475, 1) : = P hil. A. quaest. gen. 2, 2.
58. [O rig .] R vf . hom. in Gen. 2, 1 (SC 7b, p. 76, 15 et 80, 43) : «de lignis quadratis».
A mbr . Noe 6, 13 (CSEL 32, 1, p. 422, 3) ; A vg . c. Faust. 12, 14 (CSEL 25, p. ) ; ciu. 15,
26, 2 (BA 36, p. 158) etc. Vetus Latina de Beuron à Gn 6, 14.
59. O rig . hom. in Gen. 2, 4 (SC 7b, p. 94, lsq). L ’exégèse origénienne inspire encore
AV G . c. Faust. 12, 14 (CSEL 25, p. ) ; Q uodvultd . prom. 1, 7 (SC 101, p. 172) ; I sid .
quaest. Gen. 7, 3 (PL 83, 229) (=ciu. 15, 26, 2).
60. H ier. p. 149, 3-7 : «duitatem quadratam sanctorum adunatam turbam ostendit, in
quibus nullo modo fides fluctuare potuit, sicut ad Noe praecipitur ut ex quadratis lignis faceret
arcam, quae diluuii posset impetus ferre».
61. Hier . p. 77, 12. Hier , in Ez 11(38, 1-23), CC 75, p. 530, 1618 sq) ; in Mt 1 (7, 25),
CC 77, p. 46, 1019). Iles et tempêtes : même interprétation dans H ier, in Is. 12(41, 1-7), CC
73, p. 469, 63-64).
JÉRÔME ÉDITEUR DE VICTORIN DE POETOVIO 211
font la beauté de la Cité du grand Roi»62. Or, cette interprétation aussi est
origénienne : dans le passage du traité Des Principes où Origène réfute le
millénarisme, les pierres précieuses sont les pierres vivantes que représentent
les chrétiens, précieuses parce que leur solidité a été éprouvée par les combats
de la vie, ou encore or pur, parce que passé à l’épreuve du feu63. Dans ces
matériaux précieux, c’est moins l’éclat qui frappe Jérôme (la seule splendeur
de la Cité de Dieu est Dieu lui-même64), que la résistance. Dans tout ce
passage, l’Église est à la fois l’arche malmenée par les flots, la maison fondée
sur le roc et l’îlot battu par les vagues des contradictions, toutes images qui se
résument pour Jérôme dans celle de la Cité carrée65.
Carrée, la Cité possède quatre murs dans chacun desquels s’ouvrent trois
portes : les quatre murs sont les vertus de prudence, force, justice et
tempérance, sur lesquelles s’appuient les apôtres, figurés par les douze
portes66. Le chiffre quatre évoque dans l’esprit de Jérôme les vertus cardinales
des Stoïciens, vertus fondamentales, hors desquelles on ne peut espérer avoir
part aux biens spirituels. Cette interprétation, comme les précédentes, est
familière à Jérôme dès avant 398 et revient souvent dans son œuvre67.
Les douze portes, formées chacune par une perle unique, qui donnent accès
à la Cité céleste qu’est l’Église, sont les apôtres, selon une interprétation
ancienne68. L’éclat des perles est la lumière de la doctrine apostolique, qui de
62. H ier . p. 149, 7 : «pretiosos lapides fortes in persecutione uiros ostendit, qui nec
tempestate persecutorum moueri nec impetu pluuiae a uera fide dissolui potuerunt ; propterea
auro mundo sociantur, ex quibus regis magni ciuitas decoratur».
63. O rig. prine. 2, 11, 2 (SC 252, p. 400, 90-92) : «lapis uiuus, lapis pretiosus et electus,
pro eo quod fortiter et constanter pertulerit agones uitae et certamina pietatis». L’image n’est pas
seulement celle de la robuste pierre de taille (comme dans le Pasteur d ’Hermas et dans T ert.
marc. 4, 39, 6, CC 1, p. 651, 27 : fondations solides que sont les apôtres), mais de la pierre
dure, précieuse, qui ne peut (comme un calcaire friable) être attaquée («dissolui ) par vents et
pluies : cf Hier , in Am. 3 (7, 7-9), p. 319, 216-217 : le diamant n’est attaqué (dissolui ) que
par... le sang des boucs (à chaud !). H ier, in Agg. 2, 16-18 (CC 76A, p. 740, 536) ; epist. 18
B, 2 (Labourt, 1, p. 75, 5 sq). Les pierres précieuses sont les apôtres dans in Ez 14 (48, 30).
64. H ier. p. 151, 1-4.
65. H ier . p. 151, 14-18 ; V ict . p. 44, 8. Sur l ’Église comme cité qu’aucune tempête
n’ébranle parce qu’elle est fondée sur la pierre, Y. B odin, Saint Jérôme et l’Église, Paris, 1966,
p. 92, n. 122.
66. H ier. p. 151,4-8.
67. Sur ce thème, J. P réaux , Les quatre vertus païennes et chrétiennes, Apothéose et
Ascension, Hommage à M. Renard, Bruxelles, 1969, t. 1, p. 639-657 ; H. H agendahl , Latin
Fathers and the Classics, Göteborg, 1958, p. 346-381. Cf H ier, in Am. 2 (5, 10), CC 76, p.
284, 408 ; in Ez 1 (1, 7), CC 75, p. 14, 2).
68. Ps. C ypr . mont. 10 ( CSEL 3, 3, p. 116, 3-6) : le douze assises des remparts sont les
prophètes, et les douze portes les apôtres «per quorum adnuntiationem christiani in hanc
ciuitatem sanctam et nouam introierunt, quae spiritalis est ecclesia». Chez A mbr . uirg. 14, 87
(PL 16, 288), les fondations sont les apôtres et les prophètes ont leur nom sur les portes. Les
212 MARTINE DULAEY
loin montre le chemin aux croyants. Que les douze portes ne soient jamais
fermées est à prendre non au sens des millénaristes, mais au sens spirituel :
l ’enseignement apostolique ne fait jamais défaut. A y regarder de près, les
explications fournies par Jérôme à propos des portes de la Cité ne sont pas des
plus claires : «Sur les quatre côtés, écrit-il, il y a trois portes, chacune formée
d’une seule perle. Je pense que ce sont les quatre vertus de prudence, force,
justice et tempérance qui sont étroitement liées et qui en se mêlant ensemble,
forment le nombre douze»69. Bien malin qui y comprend quelque chose : en
quoi les portes lient-elles les murs ? La clé de l’énigme est à chercher dans une
réminiscence des Homélies sur Ezéchiel d’Origène, que Jérôme avait traduites
lors de son séjour à Constantinople. Dans l’Apocalypse, écrit l’Alexandrin, il
est dit de la Jérusalem céleste «que la première porte est de topaze, la seconde
d’émeraude, la troisième d’escarboucle, la quatrième de saphir, et ainsi, de
cette manière, à chacune des portes chacune des pierres précieuses est
répartie»70 : citation de mémoire, dans laquelle les douze pierres précieuses,
fondations de la ville sainte en Ap 21, 19-20 sont assimilées aux douze portes
de perle (l’amalgame est d’autant plus aisé que, dans la tradition, les fondations
désignent les apôtres tout comme les portes)71. Si l’on se souvient que les
douze pierres précieuses désignent aussi douze vertus dans les Homélies sur
E zé c h ie l, le texte sibyllin de Jérôme s’éclaire : il y a deux niveaux
d’interprétation, les douze portes sont à la fois les vertus (comme dans son
Commentaire sur Amos) et les apôtres72.
C’est encore à Origène que va nous ramener l’interprétation du fleuve et de
l’arbre de vie en Ap 22, 2. Le fleuve d’eau vive qui jaillit du trône de Dieu et
de l’Agneau est assimilé par Jérôme au don de l’Esprit Saint lors du baptême.
«Le fleuve de vie désigne le courant de grâce de la naissance spirituelle.
L’arbre de vie sur les deux rives désigne la venue du Christ selon la chair, car
sa venue et sa Passion sont prédites par la Loi et manifestées dans
portes sont des perles, que les Anciens assimilent à des pierres précieuses ; or, l ’idée que les
douze pierres précieuses du pectoral du grand-prêtre figurent les apôtres (après avoir figuré les
douze tribus d ’Israël) est fort ancienne dans le christianisme : Clem . A. strom. 5, 38, 5 (SC
278, p. 86, 14 sq) ; O rig , in Ex 9, 4 (SC 321, p. 300, 91 sq). H ier, in Ps. 86, 2 (CC 78, p.
111, 47-48) : «Ergo diligit Dominus portas Sion, illas portas Sion duodecim manifestum est
quod de apostolis scripsit». Même interprétation dans in Ez 14 (48, 30-35), CC 75, p. 743,
1979 ; in Mich. 1 (1, 10-15), CC 76, p. 435, 458 sq.
69. H ier. p. 151, 4-8 : «ex quattuor partibus portas dicit ternas esse positas ex singulis
margaritis : quattuor arbitror esse uirtutes, prudentiam, fortitudinem, iustitiam, temperantiam,
quae inuicem sibi haerent et dum mutuo miscentur duodenarium efficiunt numerum».
70. O rig . hom. Ez. 13, 3 (SC 352, p. 426, 21-25).
71. Cf note 68.
72. O rig. hom. Ez. 13, 3 (p. 426, 32-41) : chez Origène, les douze portes sont les douze
vierges, symboles des vertus, dont parle le Pasteur d’Hermas. H ier, in Am. 2, 5, 10 (CC 76,
p. 284, 408).
JÉRÔME ÉDITEUR DE VICTORIN DE POETOVIO 213
l’Evangile»73. Ainsi, comme les berges d’un fleuve en signalent le lit, les deux
Testaments manifestent à leur manière le Verbe, qui a ses racines dans les
deux, puisqu’il est l’arbre de vie planté «sur l’une et l’autre rive». Quant à
l’arbre de vie, où le livre des Proverbes (3, 18) avait vu la Sagesse de Dieu, il
est identifié au Christ, plus exactement au Christ en croix, selon une
symbolique très ancienne dans le christianisme74 : «Par les fruits en chacun des
douze mois sont désignées les grâces diverses des douze apôtres : ils les
cueillent sur l’arbre unique de la croix, pour rassasier de la prédication de la
parole divine les peuples qui meurent de faim»75. L’ensemble de cette
interprétation est identique à celle que Jérôme donne dans ses commentaires
sur les Psaumes à propos de l’arbre planté au bord des eaux (Ps 1, 3)76. Les
mêmes éléments s’en retrouvant dans le commentaire du Psaume I d’Hilaire de
Poitiers, autre fervent lecteur d’Origène, il y a fort à parier que cette exégèse
provient du grand commentaire perdu d’Origène sur les Psaumes77.
Au terme de cette analyse, nous voyons mieux comment a travaillé Jérôme.
Dans la mesure du possible, il s’astreint à suivre le Pannonien au plus près,
tant dans les considérations sur les mille ans que dans le commentaire qu’il
substitue au sien. La mise au point sur les mille ans de règne vise
essentiellement à rectifier le commentaire de Victorin, qui, tout en distinguant
deux phases finales (royaume millénaire avant la résurrection générale, puis
royaume de Dieu) ne dit rien de la seconde (tout ce qui la concerne dans
l’Apocalypse est appliqué par lui au royaume millénaire). Il est à craindre en
effet que sa démonstration n’eût guère convaincu d’autres millénaristes pour
qui le royaume de mille ans sur cette terre était souvent doublé par le règne
73. Hier. p. 149, 12-15 : «Flumen uero uitae spiritalis natiuitatis currere gratiam ostendit.
Lignum uitae ex utraque ripa Christi secundum carnem ostendit aduentum, quem uenturum et
passurum praedixit lex et in euangelio manifestatur».
74. Barn. 11, 1-11 (SC 172, p. 158-167) : l ’arbre au bord des eaux est à la fois la croix et le
baptisé. RLAC, s. v. Baum, c. 1-33. J. D anielou , Les symboles chrétiens primitifs , Paris,
1961, p. 40. E. R. G oodenough , Jewish Symbols, t. 7, p. 119-120.
75. V ict . p. 149, 15-18 : «Fructus uero XII per singulos menses XII apostolos diuersae
gratiae ostenduntur, quas ab uno ligno crucis suscipientes populos fame consumptos uerbi Dei
praedicatores satiant».
76. H ier, in Ps. 1, 3 (CC 78, p. 8, 152-166) ; Sur le lien du Ps 1, 3 (l’arbre planté au bord
des eaux) avec la symbolique baptismale, voir J. D anielou, Les symboles chrétiens primitifs,
p. 41.
77. H il. in Ps. 1, 17 (CSEL 22, p. 31, 28-32). C hrom , ser. 43 (CC 9A, Suppl, p. 616,
27). On sait que le commentaire des premiers psaumes chez Hilaire est très dépendant de celui
d ’Origène : E. G offinet, U utilisation d’Origène dans le Commmentaire des Psaumes de St
Hilaire de Poitiers, Louvain, 1965. Sur la dépendance de Jérôme par rapport à ce même
commentaire, voir P. N autin , Études de chronologie hiéronymienne, RÉAug 19, 1973, p.
229.
214 MARTINE DULAEY
78. Ainsi chez Ir en . haer. 5, 35, 1 (SC 153, p. 438, 14 sq) et 35, 2 (p. 442, 54 sq) :
royaume millénaire après la résurrection des justes dans Jérusalem «rebâtie sur le modèle de la
Jérusalem d ’en-haut» ; 5, 35, 2 (p. 448, 99 sq) : descente de la Jérusalem d ’en-haut sur la terre
nouvelle ; l ’homme y reçoit les promesses d’une façon non allégorique (p. 450, 108) ; il n’y a
guère de différence dans la description du ciel nouveau et de la terre nouvelle (5, 36, 1, p. 454
sq) et les précédentes.
79. ViCT. p. 152, 9-11 (réutilisé p. 137, 10-13) ; p. 140, 8 (réemployé p. 147, 11-14) ;
V ict . p. 136, 15 et p. 148, 14, 17 (réutilisé p. 137, 16-139, 4). Jérôme ajoute seulement
«omnes animae gentium congregabuntur ad iudicium».
80. Hier. p. 139, 1-4 = Vier. p. 148, 14-17 ; H ier. p. 147, 12-14 = Vier. p. 140, 8-9.
81. H ier . p. 147,1-149,3 : «ciuitatem uero quam dicit quadratam auro et pretiosis
resplendere lapidibus et plateam stratam et flumen per medium et uitae lignum ex utraque parte
faciens fructus XII per XII menses et solis lumen ibi non esse, quia agnus est lux eius ; et
portae eius de singulis margaritis, ternae portae ex IIII partibus et claudi non posse». Les
expressions soulignées sont dans le texte de Victorin.
82. Le texte grec d’Ap 21,21 dit seulement que la place est «en or pur transparent comme du
cristal». Victorin a «cristallo plateam stratam», Jérôme «plateam stratam». En 392-393, il parle
des places de la Jérusalem céleste qui sont «en pierres précieuses» (epist. 46, 6, p. 107, 3) ; in
Ps. 133, 3 (CC 78, p. 290, 223) : «plateas de diuersis gemmis» (387-392) ; in Ps. 86, 2 (p.
110,43) : «plateae eius stratae esse zmaragdo »! Le texte platea strata ne figure nulle part dans
les anciennes versions latines, mais Cassiodore a un texte apparenté : «platea auro constrata» :
le mot pouvait exister dans un vieux texte italien.
JÉRÔME ÉDITEUR DE VICTORIN DE POETOVIO 215
Tout cela confirme ce que Jérôme a dit dans sa préface, ainsi que les
conclusions que nous en avions tirées. Il dit s’être dépêché de répondre à
Anatolius : travail hâtif en effet que la finale substituée à celle de Victorin. Il
reprend Ap 21-22 dans les pas de l’évêque de Poetovio, se borne à quelques
explications utiles à sa démonstration, et ne prétend pas donner un
commentaire suivi. Il corrige plus qu’il ne complète. On est même surpris
qu’il n’aborde pas la question de la seconde résurrection, sur laquelle Victorin
insistait. Il est peu probable qu’il n’ait pas eu en mémoire les formules
origéniennes sur les deux résurrections qui l’ont déjà inspiré en 386 et qu’il
utilise encore plus tard83 ; il est peu vraisemblable aussi qu’il soit motivé par la
prudence à cette époque de la querelle origéniste. La précipitation est
probablement l’explication la plus satisfaisante. Le travail livré à Anatolius est
une œuvre de circonstance, et il ne semble pas que Jérôme en ait gardé grand
souvenir : nulle part, en effet, dans son copieux dossier antimillénariste, il ne
reprendra le raisonnement qu’il oppose ici à ses adversaires ; jamais non plus
ne reviendra sous sa plume l’attribution du royaume millénaire aux seuls
vierges, tandis qu’il continuera à affirmer énergiquement que «les saints
n’auront en aucune façon un royaume terrestre, mais céleste. Que cesse donc la
fable des mille ans»84.
Dans sa préface, Jérôme déclarait également avoir eu largement recours à
ses prédécesseurs pour élaborer son texte (maiorum libros reuoluï). On a noté
l’influence massive d’Ori gène, notamment celle des Homélies sur la Genèse,
dont une lettre de 398 nous affirme qu’il les possédait dans sa bibliothèque,
peut-être aussi des Commentaires sur les Psaumes qu’il doit avoir connu très
tôt85. L’introduction, qui parle du millénarisme de Népos, et la conclusion, qui
évoque celui de Cérinthe, paraissent dériver de l'Histoire Ecclésiastique
d’Eusèbe, qu’il compte également dans ses livres et pourrait avoir à nouveau
consultée pour la circonstance86. Dans bien des cas, la mémoire des ouvrages
lus naguère le guide : la plupart des interprétations données ici se trouvent déjà
dans les écrits antérieurs de Jérôme. Un point en tout cas est établi : il est
impossible de trouver le moindre rapprochement entre les propos de Jérôme et
83. Le commentaire Sur Isaïe présente, probablement sous l ’influence origénienne, l ’idée
que la première résurrection est celle qui a lieu dès cette vie par le baptême (cf Col 2,12 ; 3,1) :
H ier , in Is . 18 (65, 20), CC 73A, p. 763, 60) : «post baptismum in prima resurrectione».
L ’interprétation lui est connue depuis son Commentaire sur l’Épître aux Ephésiens (en 386),
inspiré d ’Origène. Sur cette interprétation origénienne, voir H. Crouzel, La première et la
seconde résurection d’après Origène, dans Didaskaleia 3, 1973, p. 3-19.
84. H ier , in Dan. 2 (7, 17), CC 75A, p. 848, 710 (en 4 0 7 ) : «sancti autem nequaquam
habebunt terrenum regnum sed caeleste. Cesset ergo mille annorum fabula».
85. H ier , epist. 73, 2 (Labourt, 4, p. 20, 5 sq). Selon P. N a u t in , Origène, p. 284 sq,
Jérôme possédait déjà à Rome des Excerpta in Psalterium qu’il avait probablement copiés à
Antioche.
86. H ier, epist. 73, 2 (p. 20, 13). Il parle en effet du millénarisme de Cérinthe (p. 153, 2),
détail qu’il avait omis dans uir. ill. qui s’inspirait d’Eusèbe.
216 MARTINE DULAEY
87. Sur les adversaires ultérieurs de Jérôme, voir notre article Jérôme , Victorin de Poetovio
et le millénarisme.
88. F. Ca vallerà , St Jérôme, 1, p. 290, n. 2. Frede, Hi, Pent.
89. Hier , epist. 64, 20 (Labourt, 3, p. 137, 2-5) : les quatre rangs des douze pierres du
pectoral du grand-prêtre : «duodecim in se lapides habens et quattuor ordines quas quattuor
puto esse uirtutes : prudentiam, fortitudinem, iustitiam, temperantiam, quae sibi haerent inuicem
et, dum mutuo miscentur, duodenarium numerum efficiunt» (p. 131,2, ces douze pierres sont
rapprochées de celles de l’Apocalypse). Epist. 66, 3 (p. 168, 25) : ...«ita sibi inuicem nexas et
mutuo cohaerentes, ut qui unam non habuerit omnibus careat». L’identité de termes entre notre
texte et Vepist. 64 (qui est du printemps 397 selon Cavallera) plaide en faveur de la proximité
dans le temps.
JÉRÔME ÉDITEUR DE VICTORIN DE POETOVIO 217
sont-ils indirects, car l’éditeur de <D tire ses propos de la Cité de Dieu
d’Augustin90.
90. H ier. (éd. F), p. 139, 6-145, 9 = A v e . ciu. 20, 7 (CSEL 30, 2, p. 439).
91. H ier. p. 21, 7-12 ; 23, 4-6 ; p. 77-81 ; p. 135-137.
92. CSEL 49, p. XXXII-XXXIII.
218 MARTINE DULAEY
le mal qu’il s’est donné pour lui être agréable. S’il était l’auteur de ces ajouts,
ne lui aurait-il pas dit que c’étaient là les arrhes du commentaire auquel il
promet de travailler plus tard ? On a vu de surcroît que l’édition de Jérôme a
été faite très rapidement. Pourquoi enfin Jérôme aurait-il complété Victorin en
ces trois passages, tandis qu’il ne le fait nulle part ailleurs ? Il ne manque pas
de lieux où l’on eût souhaité plus de détails.
La deuxième objection qu’on peut faire à Haussleiter est qu’il est bien
hasardeux de tirer argument des silences du seul manuscrit du Vatican. Car ce
manuscrit est non seulement très tardif (X V e), mais encore fort mauvais, et les
deux autres manuscrits de cette famille, qui sont des copies de A, n’ont
d’intérêt que pour les premières pages où A est endommagé. Le manuscrit A
présente d’assez nombreuses lacunes, sautant fréquemment deux à trois lignes,
parfois même huit à neuf93. Il convient donc d’être prudent et de ne pas trop
vite attribuer à la plume de Jérôme tout ce qui ne figure pas dans le manuscrit
du Vatican, d’autant que rien ne nous assure que le manuscrit envoyé par
Anatolius à Jérôme était en tout point conforme au manuscrit A. Le moine de
Bethléem a reçu, de son propre aveu, un manuscrit très corrompu, qui suppose
une tradition manuscrite antérieure déjà complexe. Il peut avoir subsisté des
manuscrits victoriniens moins mauvais que le manuscrit A. Nous savons en
effet que le manuscrit dont use Césaire d’Arles est plus proche, sur certains
points, de la tradition hiéronymienne que de notre manuscrit A94. En bref, les
exégèses absentes de A pourraient tout aussi bien avoir été omises par les
copistes de la tradition victorinienne. De plus, puisque l ’ensemble des
manuscrits de la tradition hiéronymienne présente à propos du chiffre 666 (Ap
13, 18) un passage qui ne peut être qu’une interpolation postérieure à Jérôme
(il y est question de Genséric !), il faut d’abord se demander si les lignes
absentes du manuscrit A n’auraient pas été ajoutées par un copiste postérieur à
Jérôme.
93. Les plus volumineuses sont : p. 38, 13-14 ; 56, 1-2 ; 64, 12 ; 66, 2-4 ; 100, 10-12, et
surtout 40, 12-42, 3. A. JÜLICHER, dans sa recension de CS EL 49 ( Gotting . gel. Anzeigen, 1
u. 2, 1919, p. 44-50), a reproché à Haussleiter d ’avoir corrigé les deux traditions ... De fait, il
a comblé ces lacunes en recourant à l ’édition de Jérôme, jugeant donc implicitement (et c ’est à
raison) que l’édition hiéronymienne était parfois un meilleur témoin de l’original de Victorin que
le manuscrit A !
94. Vier. p. 47, 16 : iudicia, avec toute la tradition hiéronymienne, contrctestamenta dans A
(C aes . p. 215, 1) ; 55, 16 : nisi enim, avec les manuscrits hiéronymiens, contre A qui l ’omet)
(C aes . p. 221, 4) etc ...
JÉRÔME ÉDITEUR DE VICTORIN DE POETOVIO 219
yeux du Fils d’homme d’Ap 1, 495. Quant à l’exégèse des sixième et septième
sceaux et celle d’Ap 14-15, elles sont également présentes dans l’unique
manuscrit qui nous a transmis le commentaire de l ’évêque espagnol
(Copenhague, Bibi. Univ. Am 1927, AM 795). Cependant, étant donné qu’on
trouve à cet endroit du commentaire d’Apringius l’insertion de longs passages
de Victorin (on n’y décèle pas la moindre modification, et le scribe a écrit en
marge «explanatio Iheronymi»), on ne peut être certain que ces pages aient été
introduites là par Apringius lui-même ; un copiste postérieur aurait pu vouloir
compléter un commentaire fragmentaire96. On ne peut à vrai dire pas
davantage être assuré du contraire, car le texte inséré là (il s’agit de la version
de Jérôme) appartient à la même tradition manuscrite que celui que possédait
Apringius lui-même.
Les exégèses absentes de A ne sont pas dues à 1’interpolates qui vers la
moitié du V e siècle a ajouté les noms de l’Antéchrist. En effet, il existe un
manuscrit (Cambridge, Univ. Libr., Ff IV 31, X V e s.), que nous désignons de
la lettre O) qui ne possède pas cette addition et pourrait, au vu des nombreuses
leçons archaïques qu’il possède par ailleurs, avoir été en contact avec un ancien
manuscrit représentant l’édition hiéronymienne originale : or, il possède toutes
les “additions” dont nous avons parlé. Du reste, l’analyse de ces prétendues
additions prouve que leur auteur peut difficilement être un copiste
quelconque : c’est un homme fort cultivé, très au fait de l’exégèse grecque,
ainsi qu’on le dira plus loin.
95. A pr . apoc. (éd. Vega, p. 11, 4-5 et 22-23). Nous citons cette édition, dont la
typographie est meilleure que celle de Férotin, bien que l ’auteur ait travaillé sur un manuscrit
tardif de Barcelone et non sur le manuscrit de Copenhague ; mais nous avons vérifié tout le
texte de Férotin sur le manuscrit de Copenhague.
96. M. Férotin, Paris, 1900, p. XXI. Le texte hiéronymien est en tout cas inséré dans celui
d ’Apringius avant la fin du VIIIe siècle, car Beatus cite parfois Victorin-Jérôme à travers
Apringius (cf Beatus, éd. Sanders, p. 71, 10-72, 6).
97. H ier. p. 23, 6.
98. V ict. p. 24, 19 ; 50, 3-5.
220 MARTINE DULAEY
comporte encore de nombreuses leçons qu’on ne trouve que dans le manuscrit A (ex. p. 214,
14-15 : Vier. p. 40, 10).
106. Caes . p. 211, 12, 15, 19 212, 2 ; 226, 11 ; 225, 17 ; 227, 8 ; 234, 16sq ; 229, 14 ;
249, 18sq ; 250,4 sq.
107. A vg . doctr. 3, 40, 2 (BA 11, p. 394 sq) : le livre III appartient à la seconde édition
(426). Cf aussi A vg . epist. 41, 2 (CSEL 34, 12, p. 83, 16).Tyconius n’est peut-être même pas
connu en dehors de l ’Afrique avant la fin du Ve siècle : il est révélé par Gennade d ’abord, puis
Césaire (rôle probable de Lérins comme intermédiaire pour ce texte africain). Sur la date de
l ’utilisation par Augustin du Commentaire sur l ’Apocalypse de Tyconius, c f notre article
L’Apocalypse. Augustin et Tyconius, dans A. M. la B onnardiere, Saint Augustin et la Bible,
Bible de tous les temps, t. 3, Paris, 1986, p. 378-386.
108. H ier . uir. ill. 18 (TU 14, p. 19, 18 ) ; 69 ( p. 39, 9) ; 93. Sur Tyconius, voir en
dernier lieu notre article DSp. s. v. Tyconius (1991), où l ’on trouvera la bibliographie
antérieure.
109. P. Jay m ’a confirmé ne pas avoir trouvé trace de Tyconius dans l ’exégèse de Jérôme.
A. Pincherle, Da Ticonio a S. Agostino, dans Ricerche Religiose 1, 1925, p. 452 était d ’avis
que Jérôme n’avait que peu ou pas utilisé Tyconius (son opinion n’avait pourtant pas d ’autres
base que notre texte et les choix d ’Haussleiter). Le thème des “faux frères”, dont on aurait
tendance à faire une idée tyconienne, se trouve dans H ier, in Soph. 2, 12 (CC 76A, p. 693,
623) : il était normal que ce thème se répandît avec le développement de l ’Empire chrétien.
110. G enn . uir. ill. 18 (TU 14, p. 68-69).
222 MARTINE DULAEY
111. Les textes incontestablement attribuables à Tyconius (en dehors des Regulae ) sont
regroupés par I. M. G ômez, El perdido comentario de Ticonio al Apocalipsis, principios de
critica literaria y textual para su reconstruccion, dans Miscellanea Biblica B. Ubach, Montserrat,
1953, p. 387-411, particulièrement p. 402-404. D ’autres peuvent lui être attribués de façon très
vraisemblable sur la base d ’une rigoureuse comparaison des commentateurs ultérieurs de
l ’Apocalypse qui l ’ont exploité : sur cette question, voir la bibliographie dans notre article
Tyconius du Dictionnaire de Spiritualité.
112. B eat. apoc. (Sanders, p. 351-353).
113. Vier. p. 81, 6-19 ; c f p. 86, 1-12 et 104, 1-8.
114. On trouvera les variantes dans H. V ogels , Untersuchungen zur Geschichte des
lateinischen Apokalypse-Übersetzung, Düsseldorf, 1920, ainsi que dans l ’apparat critique de
W ords worth -W hite, Novum Testamentum domini nostri Jesu Christi Latine secundum
editionem sancti Hieronymi, III,3, Apocalypsis, Oxford, 1954.
115. Mamillae est aussi dans le Palimpseste de Fleury, témoin de l ’ancien texte africain.
B eat . apoc. (Sanders, p. 69, 10) cite d ’abord le texte biblique ajouté par la tradition S de
l ’édition hiéronymienne, puis reprend l ’exégèse qui figure également dans Y et cite ensuite
Apringius : le contexte est clairement non tyconien. Mammae est rare : Irénée latin, trois
manuscrits de Cyprien, Firmicus Maternus et Cassiodore.
JÉRÔME ÉDITEUR DE VICTORIN DE POETOVIO 223
116. Le texte de Tyconius n’est en effet connu qu’à travers ses utilisateurs (pour les
quelques passages qui nous intéressent, exclusivement Caes., Prim., Beat., Bed.) et l ’on n’est
jamais sûr que le texte biblique que ces auteurs nous fournissent n ’a pas été transformé au
contact du leur. Ap 6, 12 : ut saccus ; Tyconius avait cilicium ou saccus cilicinus. Luna
sanguinea : sicut sanguis ou sanguis dans Tyconius. Ap 15, 1 : finita est : Tyconius avait
probablement consummata est (accord Beat.Sum., Prim., Bed.).
117. B. M. M e tzg e r , The Early Versions o f the New Testament, Their Origin,
Transmission and Limitations, Oxford, 1977, p. 359 ; la révision du NT en dehors des
Évangiles (fin IVe s.) est l ’œuvre d ’un seul homme, mais ce n’est peut-être pas Jérôme. Par un
malin hasard, Jérôme ne cite guère les versets concernés dans son œuvre.
118. Quand il fait allusion à Ap 1, 13, c ’est deux fois avec candidus (et non albus ) : epist.
10, 2 ; in Eccl. 10, 16-17 (CC 72, p. 341, 1) ; à la place de mammae il a pectus ou ubera dans
in Is. 18 (66, IO), CC 73A, p. 778, 26-27). Son texte paraît donc différent.
119. B. Fischer, Das Neue Testament in lateinischer Sprache, p. 27-28. V ier. p. 21, 8 et
23, 5. «Capilli albi » et mammae (Cypr. ; Cassiod.) ; p. 81, 1 : «fecerunt candidas» (Cypr. ;
D ; Gig. ) ; p. 77, 8.12 : sanguinea, agitata, grossos (Ps. Cypr. nouât.). Mais ce n ’est pas le
texte africain plus tardif tel que le présente Primase. Vier. p. 135, 7 : torcular (Palimpseste de
Fleury, témoin de l’ancien texte africain, et Cassiodore).
120. W. B ousset , Die Offenbarung Johannis, Göttingen, 1896, p. 61 et n. 3. Bousset
affirme qu’Haussleiter aurait abandonné l ’hypothèse après avoir découvert l ’original de
Victorin. Mais l ’édition de 1916 dément cette affirmation. Rares sont ceux qui ont suivi
Bousset : G. G rützmacher, Hieronymus, 3, p. 238 ; quant à B ardenhewer, Geschichte 3, p.
626-627 et B. A ltaner, Patrologie, p. 275, ils gardent un silence prudent.
121. Il a donné une édition du texte de Primase : J. Haussleiter, Die lateinische Apokalypse
der alten afrikanischen Kirche, Erlangen- Leipzig, 1891.
224 MARTINE DULAEY
C'est Tyconius qui s'est inspiré de Victorin et non Jérôme qui a inséré du
Tyconius dans son commentaire
Lors d’une première lecture des interprétations absentes du manuscrit A au
sujet du septième sceau et d’Ap 14, 19-15, 1, on ne peut cependant manquer
d’être frappé par les affinités évidentes qu’on trouve entre ces lignes et la
tradition tyconienne. Mais l’apparente similitude ne doit pas nous faire
illusion. Nous avons pu démontrer ailleurs, sur la base des passages qui
remontent indubitablement à Victorin, que Tyconius fait un large usage du
122. Plusieurs des commentateurs postérieurs de l’Apocalypse sont alors difficiles à trouver.
Apringius n’a été édité qu’en 1901, et Haussleiter n’a pas à portée de la main l ’édition de
Beatus : la seule disponible était alors celle de H. Florez, Madrid, 1770, qui n’était guère
accessible ; lui-même s ’en plaint quelque part. Nous avons l ’avantage sur lui de disposer
d ’éditions de ces auteurs (éd. Férotin et Vega pour Apringius ; éd. Sanders et Romero Pose
pour Beatus).
123. J. H aussleiter , Die Kommentare des Victorinus, Tichonius und Hieronymus zur
Apokalypse, dans Zeitschrift für Kirchliche Wissenschaft und Kirchliche Leben, 7, 1886, p.
239-257.
124. On a depuis posé sur des bases beaucoup plus rigoureuses la reconstitution de
Tyconius : voir la bibliographie dans notre article DSp., s. v. Tyconius (1991).
JÉRÔME ÉDITEUR DE VICTORIN DE POETOVIO 225
Vier, p 21, 11 :
“oculi eius ut flamma ignis” : praecepta Dei sunt, quae credentibus lumen ministrant,
incredulis incendium.
C aes . p. 212, 2 (éd. Morin) : (utilisateur de l’édition originale)
“oculi ipsius uelut flamma ignis”. In oculis Dei praecepta dicit, sicut scriptum est : “lucerna
pedibus meis uerbum tuum, Domine” (Ps 118, 105), “et ignitum eloquium tuum” (Ps 118, 40).
A p r in g . p. 11, 17-23 (éd. Vega) : (utilisateur de <D, qui ignore tout de
Tyconius)
1) l ère interprétation : il s’agit de la prescience de Dieu.
2) 2ème interprétation (item aliter) :
“oculi Domini praecepta Dei sunt, quae credentibus lumen ministrant, incredulis incendium” .
P rim . (CC 93, p. 18, 232) : (utilisateur de la branche Y)
“oculi eius ut flamma ignis” : oculos ecclesiae aliquando praecepta Dei dicit, aliquando
spiritales, sicut Salomon dicit : “Mandatum lucerna est et lex tua” (Pr 6, 23) et de spiritalibus
Dominus : “vos estis lux mundi”. Quod autem ipsa praecepta sint ignis sic dicit : “ignitum
eloquium tuum ualde” (Ps 118, 140) (...) Ignis autem hic p r a e c e p t o r u m et
f i d e l i b u s lumen et incredulis p r a e b e t incendium ’.
B ed . {PL 91, 136B) :
“oculi Dom ini praedicatores sunt, igne spiritali, et f i d e l i b u s lumen, incredulis
p r a e b e n t e s incendium” [= Prim.]
B eat . (éd. Sanders, p. 72, 10-23) :
1 ) 1. 10-14= Apring.
2) 1. 14-15 : “oculi ecclesiae aliquando praecepta scripturarum Dei sunt, aliquando uero
Spiritus sanctus” [cf Prim.]
3) 1. 15-18 : in oculis praeceptum Domini intellegimus, eo quod lumen est ignorantibus,
sicut scriptum est : Ps 118, 5 ; Ps 18, 9.
4) 1. 18-20 (cf Prim. p. 18, 235-237)
5) 1. 20-24 : quod autem ait, ut flamma ignis, eo quod incredulis in diem iudicii ipsa
praecepta incendium erunt. Recte ergo praecepta Dei oculi ut flamma ignis sunt, quae
credentibus lumen ministrant, incredulis ignem praeparant.
Cet exemple montre qu’il y a en fait chez la plupart des exégètes postérieurs
deux éléments qui se superposent. La formule victorinienne bien frappée est
reprise partout intégralement (sauf chez Césaire). Mais Césaire, Primase et
Beatus ajoutent une justification scripturaire de l’interprétation, parallèle sans
être identique chez les trois auteurs ; la nuance qu’on a chez Primase et Beatus
{oculi ecclesiae : cela suppose que le Fils d’homme est figure de l’Eglise) est
sans doute à attribuer à Tyconius, qui interprète toutes les images
christologiques en termes ecclésiaux. On peut donc supposer que tous trois ont
brodé sur un canevas tyconien. Vraisemblablement, le commentaire du
Donatiste faisait usage de celui du Pannonien et le complétait par un dossier
scripturaire : cela a contribué à brouiller les pistes.
A propos des cheveux du Fils d’homme, il devient déjà impossible d’offrir
au lecteur l ’intégralité des textes concernés, pour qu’il puisse lui-même
procéder à la comparaison. Rappelons l ’exégèse de la tradition
hiéronymienne : «Par ses cheveux blancs est signifiée la multitude des
nouveaux baptisés ; ils sont comparés à la laine, à cause des brebis, comparés à
la neige, à cause de la foule des “candidats” donnés du ciel»126.
L’interprétation est reprise plus ou moins littéralement par Césaire et Primase,
en termes exprès par Beatus ; quant à Bède, il la cite à travers Primase127.
Césaire, Primase et Beatus ont en commun une phrase qui est certainement
tyconienne : les néophytes, figurés par les cheveux blancs, sont «la nouvelle
Jérusalem qui descend chaque jour du ciel»128, détail très développé par
Césaire.
129. Hier. p. 21, 7-10 ; O rig. Cat. Le 113 (SC 87, p. 506, fr. 60). Déjà dans Ign . A. eph.
17, 1 (SC 10, p. 72), la tête du Christ figure les croyants.
130. H ier. p. 21, 11-12 ; O rig, in Joh. 2, 56-57 (SC 120, p. 240) ; cat. Ps. 118, 58 (SC
189, p. 282, 2) ; cf aussi H ipp, in Dn 4, 37, qui est toutefois moins proche.
131. Hier., p. 23, 4-5 ; O rig . hom. Ez. 11, 5 (SC 232, p. 426, 2 sq) ; Hipp , in Dn 4, 37, 2
(moins proche). C lem. A. protr. 119, 2 (SC 2, p. 189) ; strom. 7, 14 .
228 MARTINE DULAEY
Jérôme affirme dans sa préface avoir simplement corrigé les bévues des
copistes avant d’en arriver à la finale millénariste. Selon Haussleiter, il aurait
en fait apporté des corrections plus nombreuses et plus importantes qu’il ne
138. Vier. p. 71 ; 77-79 ; 81. Allusions très brèves à l ’Écriture : p. 131, 1-2 (Ez 1,4-21).
139. Vict. p. 147.
140. Ainsi pour Ap 18, parce qu’il en a expliqué la substance à propos d ’Ap 14.
141. Victorin a déclaré que l’Apocalypse traite les mêmes sujets dans les trois septénaires :
p. 86, 8 sq.
142. Ainsi pour les ch. 4-5 ; 12 ; 10-11 ...
230 MARTINE DULAEY
143. CSEL 49, p. 14, 15-15, 2 ; p. XXXXVI : «emendationes uel correctiones opinione
crebriores et grauiores esse cognoscitur».
144. Rappelons ici que la branche Y possède la totalité de la finale hiéronymienne, et donne
pour noms de l ’Antéchrist Genséric et Antemos. La branche F supprime l ’explication
hiéronymienne des mille ans (elle ne conserve que la nouvelle explication d ’Ap 21-22) et la
remplace par un condensé d ’AvG. civ. 20, 7 ; pour l ’Antéchrist, elle fournit d ’autres noms
(Teitan ou Diclux) ; enfin, elle ajoute des lemmes bibliques et change l’ordre du texte A Y dans
le commentaire de la vision inaugurale de l ’Apocalypse. S possède à la fois la totalité de la
finale hiéronymienne et la finale augustinienne, et additionne tous les noms de l ’Antéchrist
mentionnés dans les deux branches précédentes. Quand à W , qui est une chaîne sur
l ’Apocalypse dont le texte de base est Victorin, c ’est un manuscrit de type F, mais qui comporte
comme S les deux finales.
145. Nous conservons les dénominations des manuscrits d ’Haussleiter, que nous ne
rappelons pas ici. Voici les manuscrits supplémentaires que nous utilisons. E : Aberdeen,
Univ. Libr. 216 (début XIIe) ; G : Grenoble, BM 260 (XIIe ; J : Bruxelles, Kön. Bibi. II 2561
(XVIe) ; L : Cambrai, BM 445 (XIIe) ; N : Londres, Lambeth Palace 127 (XVe) ; O :
Cambridge, Univ. Libr. Ff IV 31 (XVe) ; P : Oxford, Jesus College 65 (mi XIIe) ; Q :
Londres, British Libr. Harleianus 3049 (1458) ; R : Oxford, Merton College 26 (fin XVe) ; U :
Verceil, Bibi. Capit. 83 (125) (XIIe) ; V : Valenciennes, BM 52(45) (XIIe) ; W : Madrid, Real
Acad., Emilianense 80 (début IXe). Haussleiter fait état dans ses addenda des manuscrits PQR,
mais sans avoir pu en faire la collation.
146. Nous ne pouvons dans le cadre de cet article expliquer en détail pourquoi l ’on est
amené parfois à privilégier des textes attestés par les branches apparemment plus tardives <D,
voire SW . Disons seulement qu’une étude approfondie oblige à admettre que, si la branche Y
est dans son ensemble plus proche du texte original de Victorin (par son texte biblique, l ’ordre
JÉRÔME ÉDITEUR DE VICTORIN DE POETOVIO 231
des versets) que ne l’est la branche O, son texte, qui inclut une glose qui ne peut être antérieure
au Ve siècle, ne saurait prétendre à représenter exactement le texte de Jérôme. Il existe de très
nombreux et très significatifs accords entre A et 0 , et même entre A et S, qui ne peuvent en
aucune façon être dus au hasard, et nous forcent à penser que les manuscrits de ces branches
donnent souvent de meilleures lectures que ceux de Y. Le critère absolu demeure l ’accord avec
A : une variante significative qui est dans A et dans <D devait par force être dans le Y ° primitif
dont Y et <D sont issus, et donc dans le manuscrit de Jérôme. Il est certain que, dans le cas de
variantes mineures, un tel critère peut être sujet à caution : la présence d’une même inversion de
mots, d ’une même forme grammaticale etc. peut être une rencontre due au hasard. Aussi avons-
nous pris le parti de tenir compte des accords avec le manuscrit A seulement quand l ’autre
manuscrit concerné a fait la preuve par ailleurs qu’il présente avec A des accords qui ne peuvent
être fortuits.
232 MARTINE DULAEY
147. ViCT. p. 30, 14-32, 12. L ’ordre de Victorin (1.2.3.4.5.6.7) devient 1.2.6.3.4.5.7
dans Jérôme, et c ’est l ’ordre hiéronymien que suit Victorin par la suite.
148. Vier. p. 70-71. C aes . apoc. p. 225, 13 (cf l ’ordre différent p. 224, 26-225,9).
149. Jérôme a déplacé après Ap 14-14 le commentaire à Ap 17, qui vient avant dans le
manuscrit A : les lignes p. 130, 14-16 confirment que tel était bien l ’ordre original de Victorin ;
pour ce faire, il a supprimé ces lignes de transition. Mais ait enim (p. 131, 17) n’a plus de sens
après la permutation, et cela a du reste été supprimé dans les branches OSW.
JÉRÔME ÉDITEUR DE VICTORIN DE POETOVIO 233
150. H ier. p. 51, 9-11 : «Simile leoni animal secundum Marcum, in quo uox leonis in
heremo rugiens auditur : “Vox clamantis in deserto : parate uiam Domino”.
151. II supprime aussi la glose, inutile pour le sujet, soulignant que Marc est disciple et
porte-parole de Pierre.
152. Hier. p. 51, 18-19 : «Iohannes euangelista aquilae similis adsumptis pennis ad altiora
festinans de Verbo Dei disputat».
153. Hier, in Eph. 1, 10 (PL 26, 454 AB) fait allusion à la théorie de la récapitulation (en
387) ; cf A. L uneau, L’histoire du salut chez les Pères de l’Église, p. 276 et 278-280. Il y a une
notice sur Irénée en 393 dans le de uiris. Dans YEpist. 73, 2, il dit avoir consulté Irénée pour
répondre à son correspondant ; mais il ne peut s ’agir de l ’Aduersus haereses, car ce qui
l ’intéresse alors est de citer les opinions de ses prédécesseurs sur Melchisédech, dont ne parle
pas cet ouvrage.
154. H ier , epist. 73, 2 (Labourt, t. 4, p. 20, 12). Il ne dispose certainement pas de la
traduction latine : Jérôme ne cite là que des auteurs grecs. La lettre est datée de 398 par
Cavallera, des années 397-400 par Frede.
JÉRÔME ÉDITEUR DE VICTORIN DE POETOVIO 235
155. H s ’agit pour lui de montrer qu’il y a quatre Evangiles et pas davantage, conformément
à l’usage traditionnel de ce texte : CC 77, p. 4, 81.
156. L. V aganay , Initiation à la critique textuelle néotestamentaire, Paris, 1934, p. 49.
157. DThC, s. V. Victorin de Pettau, c. 2886. Le manuscrit A a omis «spiritum sanctum» et
probablement interprété à tort donum comme une abréviation de dominum.
158. H ier . p. 123, 2. AY : «uerbo Esaiae» ; TD<DSBeat. : «uerbo irae», mélecture
évidente de la même leçon. Seul V, représentant de Y, a la lecture exacte «uerbo Ezechielis».
236 MARTINE DULAEY
Martine D u la e y
Université d’Amiens
RÉSUMÉ : A la fin du IVe s., Jérôme a donné une édition corrigée du Commentaire sur
l’Apocalypse de Victorin de Poetovio (fin IIIe s.) ; cette dernière a fini par supplanter le texte
original qui ne nous est connu que par un unique manuscrit (Ottobonianus 3288 A). J.
Haussleiter, le premier à avoir édité ce manuscrit, a considéré que tous les écarts existant entre
ce manuscrit et ceux de la tradition hiéronymienne (ils sont nombreux) étaient des corrections
de Jérôme ; il attribue en particulier à Jérôme plusieurs additions qui auraient été, selon lui,
inspirées par le commentaire sur l ’Apocalypse de Tyconius. Une étude précise du prologue, où
Jérôme lui-même expose ce qu’il a entendu faire, l ’examen de la finale qui est sûrement de lui,
et l ’étude des manuscrits découverts après Haussleiter, ainsi que celle des témoins anciens de
nos textes, nous obligent à être beaucoup plus circonspects. Les interventions de Jérôme sont
beaucoup moins importantes que ne l’a cru Haussleiter, et il n’a pas utilisé Tyconius. Sur bien
des points, le texte hiéronymien reste un meilleur témoin du texte original de Victorin que
l ’Ottobonianus du XVe s.
Faut-il supposer qu’il dépendrait d ’un manuscrit perdu qui aurait seul conservé la formule
originale de Jérôme ?