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95 GOUVERNANCE D’ENTREPRISE ET PERFORMANCE

Public & Nonprofit Management Review


PNMReview Vol. 3.2 (2018)
Special Edition Colloquim
“Performance and Governance of Sport Organizations”
Published online December 31th 2018 in IMIST

GOUVERNANCE D’ENTREPRISE ET PERFORMANCE


UN ETAT DE L’ART

CORPORATE GOVERNANCE AND PERFORMANCE, A


STATE OF THE ART
BOURZIGUI TOURIA
BENABBOU ZAHRA
Université Hassan Premier, ENCG Settat

Résumé
[La gouvernance d’entreprise constitue l’un de ces sujets qui s’invitent toujours au débat et à l’actualité de la
recherche en sciences de gestion. Initialement de connotation financière et privilégiant l’étude de la seule
relation entre les dirigeants et les actionnaires dans une approche purement financière, le champ d’étude de la
gouvernance d’entreprise s’est élargi progressivement pour intégrer d’autres parties prenantes et couvrir d’autres
dimensions notamment les dimensions cognitive et comportementale.
La recherche académique s’est beaucoup intéressée à l’investigation de la relation possible entre les mécanismes
de la gouvernance de l’entreprise et sa performance. La plupart des études empiriques recensées dans ce travail
confirment l’existence d’une corrélation positive entre ces mécanismes et les différentes mesures de performance
opérées. D’autres études, néanmoins, remettent en cause cette causalité et nuancent fortement l’importance du
lien présumé.
Mots-clés : Gouvernance, performance, corrélation.
Abstract
[Corporate governance is one of the “hot” topics in management science. Initially, it had a financial connotation
and privileged the study of the only relationship between managers and shareholders in a purely financial
approach. The field of study of corporate governance has then widened progressively to integrate other
stakeholders and to cover other dimensions including cognitive and behavioral dimensions.
Academic research has been very interested in studying the possible link between the mechanisms of corporate
governance and corporate performance. Most of the empirical studies identified in this work confirm the
existence of a positive correlation between these mechanisms and the various performance measures performed.
Other studies, however, question this causality and strongly nuance the importance of the presumed link].
Keywords : Governance, performance, correlation.

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Introduction

La gouvernance d’entreprise figure aujourd’hui parmi les thèmes-clés de la recherche en


sciences de gestion. Les scandales et crises financières ayant secoué le monde depuis les
années 2000 ont mis en évidence la fragilité et l’inefficience des systèmes de gouvernance de
certaines entreprises. Ainsi, la qualité de la gouvernance et sa robustesse sont devenues des
volets cruciaux dans l’évaluation des entreprises par les agences de notation internationales
(Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch) et les recherches se sont multipliées pour décortiquer
et mettre au clair l’impact que la gouvernance pourrait avoir sur la performance des
entreprises en vue de mieux convaincre de l’intérêt de l’adoption des pratiques de bonne
gouvernance.
L’étude de la relation causale entre les mécanismes de gouvernance et la performance
des entreprises revêt une importance primordiale dans le contexte actuel marqué par
l’adoption par un nombre croissant d’entreprises de normes de bonne gouvernance et
l’engouement de plus en plus important des investisseurs pour les investissements
responsables. D’autant plus que l’approfondissement de l’étude du lien potentiel entre ces
deux grandeurs est doublement profitable pour les entreprises et les décideurs. En effet, les
dirigeants d’entreprises peuvent, dans l’hypothèse d’existence d’un tel lien, renforcer leurs
mécanismes de gouvernance et particulièrement ceux qui seraient directement corrélés avec
l’amélioration de leur performance. Les décideurs, de leur côté, peuvent contribuer
activement au renforcement du bon fonctionnement de l’économie en enrichissant les
référentiels nationaux de bonnes pratiques de gouvernance et en encourageant les entreprises
à s’y conformer.
A travers ce travail de recherche, nous allons présenter, dans un premier temps, les
différentes approches sous couvert desquelles la littérature a appréhendé le sujet de la
gouvernance d’entreprise et dans un second temps, faire une synthèse des principales études
empiriques qui se sont focalisées sur l’étude du lien entre les mécanismes de gouvernance de
l’entreprise et sa performance. A ce niveau, une distinction sera opérée entre les études qui
ont confirmé l’existence de ce lien et celles qui ont contesté toute causalité entre ces deux
concepts.
Notre objectif étant de décrire le statut de l’avancement de la recherche dans ce sujet en
traçant la frontière entre ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas en vue de positionner notre
sujet de recherche dans un cadre théorique adéquat et pertinent. Ainsi, la question principale à
laquelle ce travail se veut d’apporter des éléments de réponse est la suivante : Est-ce que les
mécanismes de gouvernance d’entreprise impactent sa performance ?

1. Définitions et approches de la gouvernance :


Il existe autant de définitions de la gouvernance d’entreprise que d’approches ayant
tenté d’en définir les contours. Dans ce qui suit, nous allons présenter les principales
approches sous couvert desquelles le concept de gouvernance d’entreprise a été appréhendé
dans la littérature à savoir ; la gouvernance actionnariale, la gouvernance partenariale et enfin,
la gouvernance cognitive et comportementale. Ceci nous permettra de constater l’évolution
qu’a connue la définition du concept de gouvernance d’entreprise au fur et à mesure de
l’élargissement de son champ d’intervention.

1.1. L’approche actionnariale ou le modèle Shareholder :


Cette approche de la gouvernance a longtemps dominé la pensée anglo-saxonne et s’est
imposée comme cadre normatif aussi bien du gouvernement que du management des
entreprises post-fordiennes (Charreaux et Wirtz, 2005). Elle est fondée sur les travaux de
Berle et Means considérés comme étant les pères de la gouvernance actionnariale à travers

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leur ouvrage de référence « The Modern Corporation and Private Property » qualifié du texte
le plus cité dans la littérature contemporaine sur la gouvernance d’entreprise (Gomez, 2009).
En effet, à travers leur ouvrage précité, Berle et Means ont soulevé la question de la
séparation entre la propriété et le contrôle au niveau de l’entreprise moderne. Ainsi, les
actionnaires, propriétaires du capital social, ne peuvent assurer la gestion quotidienne de la
firme et se voient dans l’obligation de désigner des administrateurs pour en assurer la
direction et le contrôle. Ces derniers, et dans l’absence d’un contrôle minutieux de la part des
actionnaires, peuvent mobiliser les ressources de l’entreprise pour leurs propres intérêts au
détriment de ceux des apporteurs des capitaux.
L’idée de base de Berle et Means est que l’entreprise moderne a modifié
fondamentalement les bases de la propriété privée. Ainsi, en renonçant à leur position de
propriétaires indépendants, les actionnaires se sont vus disputer le droit que la société soit
gérée dans leur seul et unique intérêt. En d’autres termes, le transfert du contrôle de la
richesse des actionnaires à une direction unifiée, a fait que cette dernière a été dotée d’un
pouvoir discrétionnaire qui a brisé la configuration classique des relations de propriété dans le
sens où l’entreprise est dirigée par des personnes autres que les investisseurs qui ont mis en
jeu leurs fortunes.
L’élargissement du champ d’adoption du contrôle unifié s’est manifesté par une
centralisation de plus en plus accrue de la richesse des actionnaires sous le contrôle central
des dirigeants, ce qui a élargi considérablement le pouvoir de ces derniers au détriment de
celui des actionnaires propriétaires.
La modification des rapports de force entre les actionnaires et dirigeants a accentué la
divergence d’intérêt entre ces deux parties. Dans ce cadre, Berle et Means ont souligné la
perte de pouvoir des actionnaires sur leurs entreprises, en affirmant que la dématérialisation
de la propriété de ces derniers, qui s’est traduite par la concentration de leur richesse dans les
actions immatérielles qu’ils détiennent, a entrainé une diminution de leur marge de manœuvre
sur leur propriété sous-jacente (entreprise physique et moyens de production) et une
dépendance de plus en plus accrue aux marchés. D’autant plus qu’avec cette révolution de
l’entreprise, l’actionnaire a perdu le privilège de façonner sa propriété physique, censée
représenter un prolongement de sa personnalité, et a perdu avec, la satisfaction qui lui aurait
été procurée et qui va au-delà des revenus générés par cette propriété.
Berle et Means partent de l’idée selon laquelle la recherche du profit personnel est la
force motrice qui guide les choix des dirigeants pour conclure que ces derniers dont les
intérêts sont divergents voire radicalement opposés à ceux des actionnaires ne satisferont en
aucun cas ces derniers car ils chercheront à satisfaire leurs propres intérêts.
La théorie de l'agence (Jensen et Meckling, 1976) est venue mettre l’accent encore
davantage sur les conflits d’intérêt qui existent entre les actionnaires et les managers en
confirmant que la séparation de la propriété du capital de la direction des entreprises a doté les
dirigeants d’un large pouvoir discrétionnaire dont ils peuvent facilement abuser.
Cette théorie considère que les actionnaires sont les « meilleurs garants de la bonne
gestion des entreprises en imposant des retours sur leurs investissements en capital
suffisamment élevés pour obliger les dirigeants à optimiser les outils de production » (Gomez,
2009).
Shleifer and Vishny, (1997) ont confirmé ces propos en affirmant que la gouvernance
d’entreprise traite des manières à travers lesquelles les pourvoyeurs de capitaux s’assurent
d’avoir un retour sur leur investissement1.

1
Selon Shleifer et Vishny, (1997) : « Corporate Governance deals with the ways in which suppliers of finance to
corporations asure themeselves of getting a return on their investment ».

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Du point de vue de l’approche actionnariale, le rôle principal des mécanismes de la


gouvernance consiste à mener les dirigeants à maximiser la valeur actionnariale en faisant
l’hypothèse sous-jacente que les actionnaires sont les seuls créanciers résiduels de l’entreprise
et qu’il leur incombe de s’assurer que les dirigeants agissent en faveur de l’accroissement de
la valeur créée, la valeur actionnariale qui passerait par l’appréciation de la performance de
l’entreprise.
1.2. La gouvernance partenariale ou le modèle Stakeholder :
L’approche actionnariale de la gouvernance, quoiqu’elle ait le mérite de constituer le
soubassement théorique des études pionnières ayant traité le concept de gouvernance
d’entreprise, elle a fait et continue de faire l’objet de controverse et a longuement été
critiquée. Parmi les critiques formulées à son encontre, nous pouvons citer celle de Gomez
(2009), selon laquelle cette approche serait « à l’origine des crises et fondamentalement
erronée » dans la mesure où elle se focalise uniquement sur les intérêts des actionnaires et fait
fi de ceux des autres parties prenantes. D’autant plus que la recherche des seuls intérêts des
actionnaires peut nuire à l’intérêt général qui garantit le développement à long terme de
l’entreprise (Gomez, 2009).
Par ailleurs, G. Charreauxet P. Desbrières (1998) qui ont contesté cette approche en
pointant du doigt l’étroitesse de son champ d’application qui se limite à l’étude de la seule
relation entre les actionnaires et les dirigeants. Selon eux, la mesure de la création de valeur
sous couvert de cette approche ne donne qu’une approximation incomplète de la valeur
réellement créée en l’assimilant à la rente perçue par les actionnaires considérés comme étant
les seuls créanciers résiduels de l’entreprise. Or, la réalité est qu’il existe d’autres parties qui
prennent part au processus de création et de répartition de la valeur créée par l’entreprise d’où
l’intérêt d’une redéfinition du champ de la gouvernance d’entreprise.
A ce niveau-là et par opposition à la définition donnée par A. Shleifer et R. W. Vishny
(1996) selon laquelle « le champ de la gouvernance d’entreprise consiste à étudier les
procédés par lesquels les apporteurs de capitaux garantissent la rentabilité de leur
investissement », les auteurs proposent une définition plus large à savoir : « le système de
gouvernance d’entreprise recouvre l’ensemble des mécanismes qui gouvernent la conduite des
dirigeants et délimitent leur latitude discrétionnaire » (G. Charreaux 1997). Cette définition
place les dirigeants, et non les actionnaires, au cœur du processus de création de valeur.
Ainsi, les auteurs proposent une vision partenariale de la gouvernance d’entreprise
intégrant, en plus des actionnaires, d’autres parties prenantes (stakeholders2), se traduisant par
le calcul d’une valeur partenariale, dépassant les contours de la valeur actionnariale orientée
actionnaires, et reflétant la réalité de la création et le partage de de la valeur dans l’entreprise.
S’inscrivant dans cette vague d’enrichissement du champ d’application de la
gouvernance, les organismes de normalisation en la matière ont intégré le concept de « parties
prenantes » dans leurs définitions de la gouvernance. A ce propos, nous pouvons citer celle du
Cadbury report de 19923 qui définit la Gouvernance comme étant« le système par lequel les
entreprises sont dirigées et contrôlées. La structure de Gouvernance organise la distribution
des droits et des responsabilités entre les différents participants à l’entreprise, tels que le
Conseil, les dirigeants, les actionnaires et les autres parties prenantes. Elle définit les règles et
procédures de prise de décision dans les affaires. En faisant ainsi, elle met en place les
mécanismes à travers lesquels les objectifs de l’entreprise sont établis, ainsi que les moyens

2
« Les stakeholders représentent l’ensemble des agents dont l’utilité est affectée par les décisions de la firme » (G.
Charreaux et P. Desbrières (1998)).
3
Le Cadbury Report, intitulé «Financial Aspects of Corporate Governance », est un rapport publié par " The Committee on
the Financial Aspects of Corporate Governance" présidé par Adrian Cadbury qui énonce des recommandations sur
l'organisation des conseils d'administration et des systèmes comptables susceptibles d’atténuer les risques et les
défaillances de la gouvernance d'entreprise.

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d’atteindre ces objectifs et de contrôler leur réalisation ». En outre, nous ajoutons la définition
donnée par le Code Marocain de bonnes pratiques de gouvernance d’entreprise qui stipule que
« La gouvernance d’entreprise regroupe l’ensemble des relations entre les dirigeants de
l’entreprise et son organe de gouvernance avec les actionnaires d’une part et les autres parties
prenantes d’autre part et ce, dans l’objectif de création de valeur pour l’entreprise ».
Enfin, nous pouvons affirmer que l’approche partenariale de la gouvernance présente un
caractère révolutionnaire dans le sens où, elle a remis en question les fondements de
l’approche financière historiquement dominante. En conséquence, la finalité même de
l’entreprise a été modifiée profondément en passant de la recherche de la maximisation de la
valeur actionnariale à la poursuite de l’accroissement de la valeur partenariale qui garantit
l’intérêt général et assure un partage équitable de la richesse créée. L’implication de nouveaux
partenaires dans le processus de création et de répartition de la valeur, a entrainé un
changement de fond dans les rôles des mécanismes de la gouvernance à qui incombe
désormais la responsabilité, non seulement de maximiser la valeur partenariale, mais de
limiter les pertes de valeur liées aux conflits pouvant exister entre la multitude des parties
prenantes.

1.3. La gouvernance cognitive et comportementale :


En 2005, Charreaux postula que le modèle juridico-financier de la gouvernance et qui
s’inscrit dans le paradigme de l’efficience ne permet pas d’expliquer tous les aspects de la
gouvernance d’entreprise et son lien avec la création de valeur. Partant de ce postulat, il émet
deux propositions d’amélioration de l’approche existante de la gouvernance, la première
consiste à concevoir un modèle intégré de la gouvernance combinant l’approche partenariale
et l’approche cognitive fondées sur les compétences. Cette combinaison de ces deux
approches reposerait, selon lui, sur la prise en compte simultanée des effets des conflits
d’intérêts liés à la répartition de la valeur créée et des répercussions des systèmes de
gouvernance à travers la mobilisation de théories relevant d’autres disciplines notamment, la
stratégie et l’économie.
La deuxième proposition formulée « consiste à introduire, dans le cadre de la
gouvernance, un certain nombre d’éléments issus de la littérature comportementale et, plus
spécifiquement, de la recherche en finance comportementale » (G. Charreaux, 2005).
Charreaux évoque à ce niveau, le concept de « biais comportementaux » formulé par Jensen
(1994) et qui représente l’ensemble des sources d’inefficience qui découlent de l’éloignement
des idéaux comportementaux édictés par la rationalité et qui se manifestent sur le plan de
l’individu, par des erreurs de jugement et de décision souvent analysés du point de vue
psychologique.
Dans ce cadre, l’approche cognitive de la gouvernance a émergé et a cherché à
déterminer les moyens à travers lesquelles les mécanismes de gouvernance influencent les
comportements des dirigeants par le moyen de « leviers cognitifs » distincts des leviers
disciplinaires traditionnels. L’objectif étant d’augmenter les « gains cognitifs » et de limiter «
les coûts cognitifs » en poursuivant l’objectif de maximisation de la valeur créée.
Cette approche de la gouvernance adopte, en plus des mécanismes de gouvernance
traditionnelles tels que les conseils d’administration, des mécanismes spécifiques propres
comme les institutions de formation (Charreaux, 2002). Elle permet de « compléter » le
modèle disciplinaire en apportant de nouvelles explications aux questions laissées sans
réponse au niveau de ce modèle. La gouvernance comportementale, constitue un
prolongement de la gouvernance cognitive, dans le sens où elle met en évidence les « biais
comportementaux » résultant de « schémas cognitifs erronés ou de facteurs émotionnels » (G.
Charreaux).

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L’intégration des volets cognitifs et comportementaux à l’approche financière de la


gouvernance a permis son enrichissement et lui a conféré un caractère plus réaliste et
représentatif des rapports entre les différents partenaires au sein de l’entreprise.
Dans ce qui suit, nous allons présenter une synthèse des études ayant traité la relation
entre la gouvernance de l’entreprise et sa performance.
2. Relation entre la gouvernance de l’entreprise et la performance : Apport de la
recherche académique :
De nombreuses études empiriques ont analysé la relation pouvant exister entre les
mécanismes de gouvernance de l’entreprise et sa performance. Ces études sont caractérisées,
non seulement, par la divergence des méthodologies adoptées et des organisations et
territoires étudiés, mais également par la multiplicité des indicateurs utilisés pour l’évaluation
de la qualité de la gouvernance et de la performance des entreprises étudiées.
Ces études ont donné lieu à des résultats divergents et la recherche n’a pas conclu sur
l’existence ou non de lien entre la gouvernance d’entreprise et sa performance.
Dans ce qui suit, nous allons synthétiser les résultats de plusieurs études menées dans ce
sens, en distinguant celles ayant établi l’existence d’un lien positif entre la gouvernance de
l’entreprise et la performance de celles qui contestent l’existence d’un tel lien.

2.1 . Études empiriques confirmant l’impact positif de la gouvernance sur la


performance :
Plusieurs chercheurs ont essayé d’investiguer la relation entre la gouvernance des
entreprises et leur performance. Une bonne partie des études menées a conclu que les écarts
de performance existants entre les entreprises peuvent être expliqués par la divergence des
mécanismes de gouvernance adoptés (Mayer (1996), Charreaux (1996)). Ainsi, l’accent a été
mis sur le rôle de ces mécanismes dans la création de la valeur pour les actionnaires ainsi que
pour les autres parties prenantes de l’entreprise.
Ces conclusions ont été corroborées au niveau des rapports de cabinets spécialisés en
l’occurrence celui de Mercer4qui, dans son rapport publié en novembre 20095et qui consolide
les conclusions de celui précédemment publié en 20076, a colligé les résultats de 36
recherches académiques ayant étudié l’impact des facteurs environnementaux, sociaux et de
gouvernance (ESG) sur la performance des entreprises. Il en ressort que 20 de ces études ont
démontré l’existence d’une relation positive entre ces deux variables (ESG et performance
financière) tandis que seulement 3 études ont conclu sur l’inexistence d’une quelque forme
d’association.
Selon ce même rapport, 8 études empiriques ont cherché à mesurer l’impact des seuls
facteurs de gouvernance sur la performance financière des entreprises. 7 de ces études ont
confirmé qu’une bonne gouvernance a un impact positif sur la performance financière de
l’entreprise et du portefeuille.
Par ailleurs, en 2008 l’Association des Assureurs Britanniques (ABI) a publié une
recherche7 montrant que les entreprises qui ont les meilleurs scores de gouvernance réalisent
une rentabilité supérieure de 18% à celle des entreprises les moins bien gouvernées. Cette
étude a montré également que les actionnaires qui investissent dans une entreprise mal

4
Mercer est une filiale de Marsh & McLennan Companies (NYSE : MMC), un groupe mondial de services professionnels
dans les domaines du conseil et de solutions en risques, en stratégies d’entreprise et en ressources humaines
(www.mercer.fr).
5
Ce rapport s’intitule “Shedding Light on Responsible Investment: Approaches, Returns and Impacts”.
6
Ce rapport s’intitule « Demystifying Responsible Investment Performance, a review of key academic and broker research
on ESG factors”. Il a été publié conjointement par The Asset Management Working Group of the United Nations
Environment Programme Finance Initiative et Mercer en octobre 2007.
7
ABI (2008) ‘Governance And Performance In Corporate Britain’.

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gouvernée subissent de faibles rendements. Ainsi, une somme de 100£ investie dans une
entreprise ne souffrant d’aucun problème de gouvernance produit un rendement moyen de
120£, tandis que si le même montant avait été investi dans des entreprises mal gouvernées, le
rendement n’aurait été que de 102£. L’ABI a affirmé également que la volatilité du
rendement des actions des entreprises bien gouvernées est inférieure de 9% à celle des
entreprises mal gouvernées.
Dans ce même sillage, la recherche académique a confirmé l’existence du lien de
causalité entre les mécanismes de gouvernance et la performance des entreprises. Parmi les
études réalisées, nous pouvons considérer celle de Black (2001) qui est l’une des premières
études effectuées dans ce champ. Black a testé l’existence de ce lien sur un échantillon de 21
grandes entreprises russes. Bien qu’il se soit basé sur un échantillon relativement restreint, les
résultats de son étude ont montré une corrélation très significative entre la valeur des
entreprises étudiées et leur qualité de gouvernance.
La relation entre la gouvernance d’entreprise et la performance opérationnelle semble
être moins significative et moins stable que la relation de la gouvernance avec la valeur de
marché de l’entreprise. A ce propos, Black, Jang, et Kim (2006) ont cherché à tester
l’existence de cette corrélation au niveau des entreprises coréennes cotées. Ils ont construit un
indice de gouvernance et l’ont appliqué à 515 entreprises. Il appert de cette étude, une relation
significative entre les mécanismes de gouvernance et la valeur de marché des entreprises
étudiées appréhendée par le Tobin’s Q, le Market to book et le market to sales.
De leur côté, Chong et Lopez-de-Silanes (2007) ont conclu que la gouvernance
influençait certainement la performance opérationnelle des entreprises étudiées mais que cette
influence restait beaucoup moins importante que celle exercée sur la valeur de marché de ces
mêmes entreprises. Enfin, Bauer et al (2003) ont confirmé que la gouvernance était
positivement corrélée à la rentabilité des titres et aux valeurs de marché des entreprises
européennes de leur échantillon d’étude mais qu’elle était négativement corrélée à leurs
performances opérationnelles.
La faiblesse de la relation de la gouvernance avec la performance opérationnelle peut
être expliquée par le pouvoir discrétionnaire accordé aux dirigeants dans l’élaboration des
reportings comptables étant entendu qu’un meilleur système de gouvernance réduirait ce
pouvoir discrétionnaire.
Par ailleurs, Gruszczynski (2005) a testé l’existence de ce lien dans le contexte polonais.
Il ressort de son étude, une corrélation significative entre le score de gouvernance calculé et la
performance financière des entreprises polonaises étudiées. En outre, Bauer et al (2008) ont
étudié l’association entre la qualité de la gouvernance et la performance sur des entreprises
japonaises. Ils ont procédé à l’élaboration d’un indice total regroupant six dimensions de la
gouvernance. Les résultats de cette étude montrent que les entreprises les mieux gouvernées
ont une performance supérieure aux autres de 15% par an.
Selon Bebchuk et al (2004), les mécanismes de gouvernance impactent différemment la
performance des entreprises. Ce qui signifie que la composition de l’indice de gouvernance
peut conditionner les résultats de l’étude menée de par l’effet de compensation qu’il peut y
avoir entre l’impact des différents indicateurs de mesure de la gouvernance sur la performance
des entreprises évaluées, d’où l’intérêt de la hiérarchisation de ces indicateurs afin de
déterminer ceux qui se corrèlent le plus avec la performance.
Par ailleurs, Kolsi et Ghorbel (2011) ont étudié l’impact de quatre mécanismes de
gouvernance à savoir, la composition du conseil d’administration, l’actionnariat et
compensation, les droits des actionnaires et la divulgation d’information, sur la performance
financière et boursière d’un échantillon de 134 entreprises canadiennes.
L’évaluation de la gouvernance des entreprises canadiennes étudiées a été effectuée par
le biais du « Corporate Governance Index » calculé par le journal canadien « The Globe and

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Mail » et la performance de ces entreprises a été appréciée à travers les indicateurs suivants :
ROA, ROE et le Market-to-Book (MTB).
Cette étude a révélé la non linéarité du modèle représentatif du lien entre les
mécanismes de gouvernance et la performance. En effet, l’étude a conclu que la gouvernance
n’impacte positivement la performance financière et boursière des entreprises étudiées qu’à
partir d’un certain seuil de divulgation d’information, ce qui signifie que plus l’entreprise est
transparente, plus elle est mieux gouvernée en raison que la majorité de ses politiques et
informations deviennent publiques (Wirtz (2004)) d’où l’impact positif et significatif sur sa
performance financière et boursière.
Mohamed, Basuony, et Badawi (2013) Ont étudié l’impact de la gouvernance
d’entreprise sur la performance financière et boursière de 88 entreprises non financières
cotées de l’indice EGX100 de la bourse égyptienne. Les mécanismes de gouvernance étudiés
sont de l’ordre de trois ; la structure de propriété, la composition du conseil d’administration
et la qualité de l’audit. Des variables de contrôle ont été intégrées à l’analyse, nous citons : la
taille, l’âge, le secteur et la structure financière de l’entreprise. La performance financière a
été appréciée en termes de ROE et ROA et la performance boursière à travers le Tobin’s Q 8.
Selon cette étude, la structure de propriété et la qualité de l’audit n’a pas d’effet
significatif sur la performance boursière des entreprises de l’échantillon étudié, seule
l’indépendance du conseil d’administration l’impacte positivement. En outre, la performance
financière de l’entreprise est corrélée significativement avec l’indépendance du conseil
d’administration et la dualité du PDG. La taille de l’entreprise et structure financière semblent
avoir des effets variables sur la performance financière et boursière de l’entreprise.
Au niveau national, Madhar, S. (2016), a étudié la relation entre gouvernance et
performance en menant une étude sur 46 émetteurs marocains entre fin 2012 et fin 2014.
L’auteur a élaboré une grille composée de 31 critères de Gouvernance couvrant
principalement les pratiques des conseils d’administration et les droits des actionnaires. Afin
de mesurer la performance des entreprises de son échantillon, elle a privilégié des indicateurs
d’ordre financier et boursier notamment le CA, l’EBE et la marge nette.
Les résultats de cette étude ont confirmé, encore une fois, l’existence d’un lien
significatif entre les indicateurs de gouvernance et les indicateurs financiers et boursiers des
entreprises étudiées.

2.2 Études empiriques ayant contesté l’existence de lien entre gouvernance


d’entreprise et performance.
Bon nombre d’études ont remis en question l’existence de lien entre la gouvernance de
l’entreprise et sa performance en démontrant la fragilité de ce lien. Parmi ces études, nous
pouvons citer celle de Coré et al (2006) qui contestent certains résultats de la fameuse étude
menée par Gompers et al. (2003) en affirmant qu’ils sont influencés par l'impact exercé par
les entreprises technologiques sur les disparités des cours des actions dans les années 90. En
outre, Yen (2005) et Ferreira et Laux (2007) constatent que des faibles scores sur l'indice anti-
OPA de Gompers et al (2003) signifiant une meilleure gouvernance sont associés à un risque
élevé et c’est ce qui explique le rendement anormal élevé observé par Gompers et al. (2003)
(Car le rendement est corrélé positivement avec le risque). De même, Pham et al. (2007) en
Australie et Firth (2002) en Chine, n’ont trouvé aucune relation entre la gouvernance et la
performance du marché. En outre, Epps et Cereola (2008) ont conclu sur l’inexistence de lien
entre la gouvernance et les indicateurs de performance opérationnelle.

8
C’est un ratio représentant le rapport entre la valeur boursière de l’entreprise et sa valeur d’utilité (valeur de
remplacement du capital fixe).

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Par ailleurs, des études ont carrément démontré l’existence d’une corrélation négative
entre la gouvernance et la performance de l’entreprise. Ainsi, Aman et Nguyen (2007) ont
affirmé qu’au Japon, les entreprises les moins bien gouvernées performent significativement
mieux que celles qui sont mieux gouvernées en termes de rendement du marché. Ceci
s’explique par le fait que la première catégorie d’entreprises présente un risque plus élevé par
rapport à la seconde catégorie et une fois ce risque maîtrisé, la relation entre la gouvernance et
les rendements disparaît. Dans ce même sillage, Suchard et al (2007) ont constaté qu’une
bonne gouvernance est associée à un faible rendement d’actions en Australie.
Conclusion

Initialement de connotation financière et privilégiant l’étude de la seule relation entre


les dirigeants et les actionnaires dans une approche disciplinaire, le champ de la gouvernance
d’entreprise s’est élargi petit à petit pour couvrir les différentes parties prenantes de
l’entreprise. Ainsi, une approche partenariale de la gouvernance d’entreprise a vu le jour et a
révolutionné le raisonnement dominant véhiculé principalement par la théorie de l’agence qui
prône la maximisation de la richesse des actionnaires considérés comme étant les seuls
créanciers résiduels de l’entreprise.
Le modèle Stakeholder ou partenarial s’est imposé alors comme une alternative plus
réaliste de par sa prise en compte des intérêts, non seulement des actionnaires, mais également
de toutes les autres parties prenantes de l’entreprise dans le cadre d’une approche inclusive
plurale et a ouvert la voie au développement de nouvelles approches étudiant la gouvernance
d’un point de vue multidimensionnel notamment les approches cognitive et comportementale
fondées sur des théories issues de l’économie, de la stratégie et de la psychologie.
La plupart des études empiriques ayant étudié le lien entre la gouvernance et la
performance des entreprises ont confirmé l’existence d’une corrélation positive entre ces deux
concepts. Cette corrélation est d’autant plus forte que la variable indépendante est la valeur de
l’entreprise (mesure basée sur le Tobin’s Q) et elle est d’autant plus faible que la variable
indépendante est la performance opérationnelle ou les rendements du marché. Cependant, il
existe certaines études qui ont contesté l’existence de ce lien voire conclut sur l’existence
d’une corrélation négative.
De ces développements théoriques et empiriques, nous pouvons conclure que le champ
d’étude de la relation entre la gouvernance et la performance est loin d’être saturé dans la
mesure où aucun résultat, aussi pertinent qu’il soit, ne peut être considéré comme vérité
universelle et reste intimement lié à la méthodologie et aux circonstances l’ayant généré. De
ce fait, l’étude de l’impact de la gouvernance sur la performance de l’entreprise demeure une
problématique à explorer surtout du point de vue des approches cognitive et comportementale
et au niveau du contexte marocain où cette problématique est encore à ses débuts.

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