Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Les Gens Honnêtes Ont-Ils Un Avenir
Les Gens Honnêtes Ont-Ils Un Avenir
« Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du
client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou
partie de cette œuvre, est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les
articles L 335-2 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit
de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions
civiles ou pénales. »
ISBN : 978-2-412-05081-1
ISBN numérique : 978-2-412-05354-6
LES GENS
HONNÊTES
ONT-ILS
UN AVENIR ?
En finir avec les gougnafiers
(un essai engagé sur la société actuelle)
« Si quelqu’un dit la vérité, donne-
lui un cheval, il en aura besoin
pour s’enfuir. »
Proverbe afghan
Préambule
Oui, l’honnêteté ne fait plus recette. Elle n’est pas bankable. Elle est
ringarde. Les grands de ce monde n’en veulent plus. Et les petits non
plus.
1. Ainsi, lorsqu’une d’entre elles est souffrante, une autre lui donne des réserves de
son estomac social. Tout en préservant ses forces, elle aide la communauté : c’est ce
qu’on appelle du win-win, du gagnant-gagnant.
2. Encore que, je suis moins inquiète pour la nature, elle survivra sous une autre
forme et, à mon avis, elle rigolera bien de nous voir à terre !
Gougnafiers contre gens
honnêtes : l’éternel combat
« On a beau ne pas être envieux, on rage
toujours quand les autres chaussent
vos souliers et vous écrasent. »
Tout quitter pour rejoindre une caverne (avec chauffage et eau chaude,
tout de même) ou remonter en selle ? J’ai rencontré beaucoup de gens,
échangé avec eux, senti leur détresse et surtout leur isolement. Leur vie
était devenue un chemin de croix. Aux difficultés « normales » –
boucler les fins de mois, tenir son entreprise, payer son loyer, éduquer
ses enfants – s’ajoutait l’incroyable pression d’individus égoïstes,
sourds et aveugles à tout sens commun.
Oui, mais à certaines conditions : les gens honnêtes vont devoir sortir
de leur zone de confort, faire un pas de côté et oser prendre la parole.
C’est ce que j’ai décidé de faire. Pour que vous le fassiez à votre tour.
Je suis sérieuse. Je vais tenter de baliser votre route. Notre route. Nous
sommes nombreux. Bien plus nombreux que les gougnafiers. Il n’y
aurait donc aucune raison de ne pas gagner. L’honnêteté ne doit pas
devenir une langue morte.
J’ai puisé une grande énergie dans cette citation d’Albert Camus :
« Ceux qui ont vraiment quelque chose à dire, ils n’en parlent
jamais. » Alors que, on est d’accord, les grandes gueules n’ont aucun
complexe à prendre la parole, et gueuler des âneries ne les gêne pas du
tout. J’ai entendu un animateur radio s’auto-congratuler, fier comme
un « bar-tabac », d’un : « Moi, j’ai un avis sur tout et surtout un
avis ! » Arrgh ! C’est une phrase en apparence bien foutue, qui claque
et peut faire marrer, mais elle est idiote, fausse et dangereuse. Non,
nous ne sommes pas omniscients et ne pouvons avoir un avis –
argumenté – sur tout.
— C’est quoi, pour vous, être honnête ? Parce que, vous voyez, je ne sais pas si je
le suis.
— Comment ça ?
— Eh bien, par exemple, l’ordinateur que j’ai chez moi et que mon fils utilise, en
fait, je l’ai mis sur le compte de ma société.
— Qui a payé ?
— Moi, mais bon, ce n’est pas très honnête.
Donc, si on résume, vous êtes un·e enfant, un·e ado, un·e adulte. Que
vous soyez engagé·e ou non dans des causes humanitaires ou
associatives, vous appliquez les règles du vivre-ensemble. Vous
respectez naturellement les frontières de l’autre, vous participez au
collectif. Vous payez vos impôts (pas toujours avec joie, il ne faut pas
exagérer), vous cotisez vaillamment (même si ça coince certaines fins
de mois), vous éduquez vos enfants au respect et à la tolérance, vous
essayez d’être le plus juste possible, quelle que soit l’épreuve ou la
récompense. Au quotidien, vous économisez l’eau, vous aidez les
personnes fragiles à traverser, vous triez vos poubelles, vous versez 10
ou 20 euros à la Fondation Abbé Pierre ou Amnesty International,
vous participez au Téléthon, vous ne faites pas tourner de machine
après 21 heures, vous respectez les limitations de vitesse. Mais, c’est
fou, cette sensation de solitude, parfois, non ?
Que se passe-t-il dans notre for (et fort) intérieur lorsque, par
honnêteté, on se retrouve le bec dans l’eau, débouté, dégoûté, car on
doit jeter l’éponge face à la mauvaise foi de l’autre et son refus fier et
obtus des règles ? Que ce soit dans un cadre personnel (travail,
voisinage, famille…) ou dans la société (éducation, justice…) ? On est
en droit de se demander si on ne nous prend pas pour des buses !
Les gens bienveillants sont partout. Ce ne sont pas des oiseaux de nuit
mais, au grand jour, c’est vrai qu’ils font peu d’esbroufe ! Ils ne sont
pas sur la photo, puisque ce sont eux qui la prennent. Ce sont eux qui
restent debout quand il manque une chaise (ça ne vous est jamais
arrivé ?). On les devine à un sourire, à leur main tendue qui tient le
portail ouvert pour laisser passer l’enfant qui part à l’école. C’est une
discrétion toute particulière. Discrétion ne dit pas exclusion ou défaite.
Au contraire. Mais leur discrétion devient l’objet d’une disparition
apparente. Et vous savez quoi ? Ils sont des millions. Nous sommes
des millions. Ma-jo-ri-tai-res, je vous dis !
J’ai été saisie par les chiffres que m’a révélés Philippe Bertrand :
16 millions de bénévoles bossent dans 1 300 000 associations,
auxquels s’ajoutent 2 400 000 salariés 2. Mes yeux écarquillés, ma
bouche bée ont amusé le producteur qui s’est emporté :
C’est bien ça, le problème ! Ces personnes ne souhaitent pas entrer dans les
réseaux, se méfient de la politique. Ils n’ont pas la même perspective de
performance. Si c’est pour le partage et l’équité, oui, mais pas le profit !
Le gougnafier n’est pas toujours celle ou celui que l’on croit. L’homme
malhonnête est le voleur, mais le gougnafier est ce voyageur qui a fait
semblant de ne pas voir. Qui a préféré fuir au risque de laisser mourir
un homme.
Vous me direz : « Mais en fait, c’est un con ! » J’y ai pensé aussi. J’ai
consulté la littérature de plus en plus abondante sur le sujet 6. Eh bien
non, le gougnafier est bien plus qu’un con. Ou alors un très, très gros
con, « un con de compétition ». Et encore ! Il ne connaît ni la
culpabilité ni la honte. Il n’a que des droits. Aucun devoir. Si, il a « le
droit de n’avoir aucun devoir » (je l’ai entendu). Il vise la satisfaction
immédiate de son désir qu’il auto-déclare cause nationale, voire
planétaire. « Moi, moi, moi », c’est un état permanent (à l’inverse du
con qui, régulièrement, fait donc le con, mais pas tout le temps).
Très (trop) souvent, il connaît fort bien la loi, les règles de société ; il
les utilise et les pervertit. Il use et abuse de sophismes (sans toujours
connaître le terme). Il est bien dans sa peau, très à l’aise, Blaise.
Parfois malin, parfois gros lourd. Il vous repousse ou vous écrase,
même si vous étiez soi-disant son pote. Le champion vous explique, les
yeux dans les yeux (il en a des frissons) : « Je t’adore et j’ai beaucoup
de respect pour toi, mais là, tu vois, je vais te virer. Surtout, ne le
prends pas perso, et si ce n’est pas moi, un autre l’aurait fait. »
Je vous laisse voir ce film 7. Navet pour les uns, film visionnaire pour
les autres (car « il a prédit l’élection de Trump »). Il me revient si
souvent en tête que c’en est inquiétant. Comme l’impression que ce
n’est pas du tout de la science-fiction. Des Frito, je crois bien en
détecter plusieurs fois par semaine. Et effectivement, on dirait que
Trump nous prépare à cette société. Mais Trump a été élu
démocratiquement, n’est-ce pas ?
1. De 12 h 30 à 12 h 40.
2. « Les chiffres clés de l’ESS », article sur le site Internet economie.gouv.fr,
26 octobre 2016.
3. « […] un autre élément mis en lumière au cours de l’étude : la naissance du
citoyen-consommateur. Pour plus d’un tiers des maires interrogés (37 %), les
exigences de plus en plus importantes des administrés font partie des raisons les
poussant à renoncer à un autre mandat électif, au point d’être la troisième raison
évoquée par les maires pour justifier leur décision de ne pas se représenter. », cité
dans « Des maires désenchantés face à des citoyens consuméristes : la démocratie
locale en danger ? », article sur le site courrierdesmaires.fr, 16 novembre 2018.
4. Voir « “L’exemple vient d’en haut.” Sérieusement ? ».
5. En accès gratuit sur Internet, n’hésitez pas à le feuilleter sur Google Play.
6. Voir Bibliographie.
7. Sorti aux États-Unis en 2006, diffusé sur Arte en 2017.
La fabrique du gougnafier
« Quand tout le monde vous ment
en permanence, le résultat n’est
pas que vous croyez ces mensonges, mais
que plus personne ne croit plus rien.
Un peuple qui ne peut plus rien croire
ne peut se faire une opinion.
Il est privé non seulement
de sa capacité d’agir, mais aussi
de sa capacité de penser et de juger.
Et avec un tel peuple, vous pouvez faire
ce que vous voulez. »
Hannah Arendt
Pas facile de devenir ou de rester honnête dans une société qui fait tout
pour nous détourner vers sa fabrique de gougnafiers.
Ce genre de menace sur TripAdvisor est fréquente, elle légitime les mauvais
comportements. En général, je ne me laisse pas faire, car je n’ai pas besoin du
site ! J’ai dirigé des restaurants à Paris, connu le racket… alors ce n’est pas ce
genre de clients qui va m’effrayer ! Mais là, je n’avais même pas envie de
discuter.
Bon, les deux livreurs ne sont arrivés qu’à minuit, mais ça, ce n’est pas
grave. Ce qui fut terrible, c’est la suite.
On vérifie, ce n’est pas le frigo que j’ai commandé. Les deux hommes
se regardent, cherchent quelques secondes si on peut s’arranger, faire
comme si… mais non. Car en fait, mon frigo, ils viennent de le livrer
par erreur à une dame de Noisy-le-Sec. Ils l’appellent, elle leur
répond : « Ah, mais je le garde, fallait pas vous tromper ! »
Panique dans leurs yeux. Grande gêne dans les miens. Il y a quelques
années encore, j’aurais dit : « Laissez tomber, je prends le petit que j’ai
payé comme un grand. » Mais là, non, j’ai appris de la vie, je ne veux
plus payer pour les autres. Ils appellent leur patron, le réveillent, il
faut tout de suite repartir à Noisy. Ils sont revenus une heure plus tard.
Ils ont repris un verre d’eau, en silence cette fois. Un silence terrible.
Les questions que je pose sont alors les suivantes : comment un tel mode de vie
peut-il se perpétuer ? Quel but sert-il ? Qui souhaite le perpétuer et pourquoi ?
Je n’adopte pas ici l’attitude de creuse révolte du fainéant, j’essaye simplement
de considérer la vie du plongeur sous l’angle de sa signification sociale. […] Le
travail qu’il effectue est servile et sans art. On ne le paie que juste ce qu’il faut
pour le maintenir en vie […].
Par la suite, quand, à mon tour, j’ai cherché des piges, j’ai vécu la
même chose : le silence. Sans même un accusé de réception. Ou si, par
miracle, j’obtenais un rendez-vous, on me disait : « C’est super,
envoie-nous tout ça par mail. » Ce que je faisais et, bien sûr,
s’ensuivait un silence radio. Plus aucun contact, ni écrit ni oral. Je
comprenais. J’avais fait pareil.
Le bonheur, c’est une notion sociale qui est apparue avec la Révolution
française. […] Avant, on ne pensait pas que le bonheur puisse exister sur terre.
On passait sur terre dans une vallée de larmes, entre deux paradis : le paradis
perdu […] et le paradis à regagner, peut-être, si vous aviez été bien sages et
soumis. […] C’est la Révolution française qui a dit : « Pas du tout, on peut, on doit
6
acquérir le bonheur sur terre. » C’était une révolution mentale .
Oui, c’est une jolie révolution d’arrêter de penser que quoi que l’on
fasse sera comptabilisé entre péchés et bonnes actions au Jugement
dernier. On a enfin fini par s’intéresser à cette vie terrestre. Sont
venues l’analyse, la psychothérapie. Les notions du Moi, du Surmoi,
du Ça sont apparues. A suivi l’injonction au bonheur.
[C’est] une révolution qui fait le lit du monde néo-libéral. Elle a créé un
néolibéralisme de la souffrance. Les citoyens deviennent des happycondriaques
anxieusement focalisés sur leur moi respectif. Ne pensent plus bien collectif. Or
la souffrance était une source de prise de conscience collective immense. La
solidarité s’est fondée sur le sentiment que ce que je vis est aussi le lot d’autres
9
personnes .
Encore une fois, ce qui au départ pouvait être une chance, une
ouverture d’esprit – le développement personnel, mieux se connaître,
se connecter avec son corps, la nature, respirer – est dévoyé par le
marché.
Faudrait se mettre d’accord, parce que là, moi, je ne sais plus ce qu’il
faut faire 13 !
C’est le cas de Vanessa. Elle est avocate, a 23 ans et n’aime pas ses
seins. Elle n’a pas d’argent mais une Golf (GTI, je crois). Elle a une
idée lumineuse : la déclarer volée et, avec l’argent de l’assurance, se
doter des deux obus rêvés. C’est chose faite, mais elle est à deux doigts
de porter plainte, elle a dû quand même débourser 1 000 euros
(ou 1 500, je ne me souviens pas et je ne vais pas lui redemander !),
car l’assurance – « tous des voleurs, à quoi ça sert de payer les
cotisations ! » – a remboursé en dessous de l’Argus, alors qu’elle
n’aurait pas dû (Vanessa connaît la loi). Elle a dû cependant, in
extremis, avoir un petit bout de cerveau disponible qui lui a crié
« Ferme ta G… ! » pour éviter de finir en taule ou avec une bonne
amende (au-dessus de l’Argus). En tout cas, elle trouve que nous
sommes « un pays de merde » (je l’invite à aller faire un tour au
Soudan pour comparer…). Dans tous les cas, c’est à se demander
pourquoi, ou plutôt pour qui, nous, gens honnêtes, payons des
cotisations, pas vrai ?
Ce qui serait bien, surtout, c’est que l’on entende les vraies victimes.
Celles qui ont déjà du mal à raconter leur agression, à déposer plainte.
Celles qui n’arrivent pas à trouver d’AESH 17 pour leur enfant
handicapé, celles qui rament vraiment et subissent des injustices, qui se
débattent et se font doubler au poteau par les opiniâtres de la
chougne, les frustrés et les victimes imaginaires.
Ce qui a caractérisé cette génération, c’est que pour la première fois, ces
enfants ont eu des parents, probablement dopés par les Trente Glorieuses et
Mai 68, qui ont voulu mettre fin à une éducation répressive et qui ont appliqué,
avec zèle, le précepte porté par la pédiatre Françoise Dolto, dès les années
19
1940 : « L’enfant est une personne à part entière . » Ce qui était salvateur dans
cette partie du siècle où les enfants étaient fréquemment objets de brimades,
de corrections, où les conventions de l’Église et de la famille leur demandaient
de se taire et d’obéir, aurait eu besoin d’être révisé à l’heure de l’explosion de la
société marchande.
Si, parmi ces minots, certains ont eu une éducation fort défaillante, la
plupart n’ont manqué ni d’amour, ni de bien-être, ni de culture.
Toujours selon Didier Pleux :
Ils ont manqué de limite. Ils souffrent de carence éducative et non pas
psychique ou affective. Ce que j’appelle les « cinq S » ont brisé le bon sens et
ont rendu l’enfant surpuissant. Surconsommation, Surstimulation,
Survalorisation, Surprotection, Surcommunication.
Arrêtons-nous un instant sur ces cinq S. À tous les coups, on en coche
deux ou trois. C’est vrai que nous suraimons nos enfants. Que nous
ferions n’importe quoi pour les satisfaire. Comme leur offrir des
vêtements branchés ou des tablettes, même quand on n’a pas un rond.
Mais on a tellement, tellement peur qu’ils soient stigmatisés à l’école
ou pire encore : qu’ils ne nous aiment plus ! Alors ces enfants-rois sont
devenus de petits tyrans qui « ont transformé leurs parents en parents
taxis, parents restaurateurs, hôteliers, banquiers et animateurs de Club
Med ».
Les dégâts sont énormes sur la société, dans laquelle, encore une fois,
le collectif passe à la trappe. Sur l’individu, les conséquences peuvent
également être dramatiques.
Sont apparus des enfants avec de grands troubles de l’attention, des troubles
21
alimentaires ou de sommeil, des colères spectaculaires et spontanées .
Ce que pointait Didier Pleux par ses travaux (il y a plus de trente ans,
pour rappel) ne diminue pas. Le phénomène va crescendo, obligeant
les psys à faire de la « psycho-éducation ». Les profs eux-mêmes
déclarent faire plus d’heures d’éducation que d’enseignement. Il
explique qu’élever un enfant, ce n’est certes pas facile :
L’enfant est un être fragile qui se développe dans l’amour mais aussi dans le
contraignant, l’effort et le frustrant. […] L’éducation, ce sont des conflits à
répétition, alors que si on laisse aller, si on donne un écran au petit qui fait le
zouave, on est satisfait à court terme. Ajoutez à cela une société ultralibérale et
ces gens deviennent des leaders qui écrasent tout le monde. La société libérale
a tout intérêt à ce que ce soit le reptilien qui domine chez l’être humain, c’est-à-
dire le cerveau émotionnel. Elle n’a pas envie qu’on réfléchisse. Les marchands
sont très contents de savoir que les enfants ont pris le pouvoir, ils remplissent le
chariot du supermarché et conseillent même pour un achat de voiture !
Je vois certains parents qui passent de l’éducation permissive qu’ils ont reçue à
la schlague pour leurs enfants. C’est le répressif à fond. Pour éviter cela, tout
comme il existe un Code civil, un Code fiscal, un Code pénal, un Code de la
route, il faudrait un « petit code familial » avec récompenses et conséquences.
Non, ce n’est pas facho, on a besoin d’un flic intérieur.
Moi, ce qui m’inquiète, c’est : sur quels modèles les enfants peuvent-ils
aujourd’hui se construire quand celui qui la ramène avec fracas et
insolence remporte le gros lot ? Sale temps pour les timides, les doux
et les rêveurs. Et pourtant, je pense, comme l’écrivain conférencier
Josef Schovanec, atteint du syndrome d’Asperger, « qu’il est bien triste
d’être normal ou d’être non fou. »
C’est comme ça à présent. Quand les grands font des conneries, ils
disent « pardon » ou « j’ai changé ». On dirait des gosses, dans la
cour de récré, qui courent en zigzaguant, les bras en ailes d’avion,
renversant tout sur leur passage au son strident de : « Pardon, pardon,
je l’ai pas fait exprès ! Pardon ! »
Sauf que les journalistes ne sont pas responsables. Il faut savoir que
ceux qui sont sur le terrain ont un statut précaire, qu’ils vont où on
leur demande d’aller et qu’ils doivent maintenir le suspense à tout
prix 26. Ce sont les dirigeants les responsables. Ceux qui donnent les
ordres et établissent la ligne éditoriale.
Comment se fait-il que ces gens-là ne voient pas à quel point ils
prennent les autres pour des buses ? Ils sont complètement hors-sol !
J’imagine que parfois, ils ont dû réfléchir à leur « morgue attitude »
qui consiste à être certain de savoir ce que veulent « leurs »
téléspectateurs. Mais bouchés comme ils sont, impossible d’entendre et
de comprendre ces fameux « vrais gens » dont ils tentent de parler à
tout prix, mais dont ils n’ont pas dû voir un spécimen depuis bien
longtemps. À part leur chauffeur ou leur femme de ménage. Les rares
sujets du style « Les médias en font-ils trop ? » ne répondent pas à la
question et tentent plutôt de les disculper.
Eh bien non, dirigeant, tu ne sais pas ce que veulent les « vrais gens »,
« tes » téléspectateurs. Penser ainsi est déjà méprisant et contraire à
l’éthique du journalisme : on n’est pas là pour flatter son auditoire,
mais pour renseigner celles et ceux qui n’ont ni le temps ni les moyens
d’enquêter. Les journalistes doivent faire un compte-rendu le plus
exact possible d’un événement, écrire, « avec une égale liberté, ce qu’il
a vu, entendu et pensé », comme le disait Albert Londres. Et rien
d’autre. Même si l’objectivité est de mise, je pense que nous ne
sommes jamais tout à fait impartiaux. Mais soyons au moins
honnêtes !
Si vous n’êtes pas vigilants, les journaux arriveront à vous faire détester les gens
27
opprimés et aimer ceux qui les oppriment .
Sans surprise, quand je parle DES médias, ici, je pense aux médias de
masse. Ce sont bien sûr les chaînes d’info qui sont dans le viseur. Et
qui sont suivies par tous les autres médias à coups de push sur nos
portables. L’objectif : être le premier ! Tenir une antenne H24, souvent
sur du vide, c’est en quelque sorte un exploit qui nécessite beaucoup
de conditionnel, d’experts en tout (qu’on appellera « les
toutologues ») et d’éditorialistes inutiles et arrogants. Un avion vient
de sortir des radars ? Et c’est parti pendant des heures : des
toutologues y vont de leurs supputations dont on se fout, puisqu’on ne
sait même pas quel événement a eu lieu. L’avion a-t-il été détourné,
abattu, a-t-il explosé ? On ne sait pas, mais ça n’empêche pas de
débattre avec véhémence et sans rigoler !
Il faut savoir que 70 % des infos partagées sur les réseaux sociaux le
sont d’après le titre 30. Les articles ne sont pas lus. Ce qui n’empêche ni
les polémiques, ni les insultes, ni les clashs en plateau ou sur les
réseaux sociaux ! Mais cela donne des titres de presse hallucinants, les
médias devant faire de l’audience, du clic. Ils nous aguichent en faisant
appel à notre côté malsain, cancanier. Aucune hiérarchisation de
l’info. Tout se vaut. « Et le singe devint con 31 », dirait le merveilleux
Cavanna.
Voici, par exemple, une (pas si) courte sélection de ce que je reçois
chaque jour dans ma boîte mail (j’ai dû m’abonner à trop de
newsletters, j’en conviens !) et qui illustre ce racolage des médias :
Quand les titres font l’article !
« Faut-il laver son soutien-gorge ? Oui, contrairement à ce que dit Stella
McCartney. » (Huffpost)
(Et ma culotte ?)
« Une vidéo choquante ? Inscrivez-vous pour recevoir chaque jour les news qui
nous indignent. » (aufeminin.com)
(C’est nous qui sommes choqués, là…)
« Les inconditionnels de Tariq Ramadan assurent qu’il “n’a jamais agressé ces
femmes qui, par ailleurs, l’avaient bien mérité”. » (Agence ONCT)
(Je suis sans mots…)
« Drame dans le Nord. Il tue accidentellement sa sœur en la biflant. Acte
volontaire ou accidentel ? » (BFM)
(Je dirais qu’il n’a pas fait attention, des fois on bifle et on fait pas gaffe !)
Tout cela, je l’ai reçu en vrai 32, et pour être honnête (forcément), je
vous avoue que j’ai même lu certains de ces articles, car au fond j’ai un
faible pour les ragots, moi aussi. À cela, toujours dans ma boîte mail,
je reçois sollicitation sur sollicitation pour m’engager à sauver : le
Nigeria, les Kurdes, la retraite, les vers de terre, les abeilles, les
urgences, les Rohingyas, les énergies naturelles, la recherche contre le
cancer, la Fondation Abbé Pierre, une ZAD, un journaliste emprisonné
en Turquie…
On se dirige vers ce qui va conforter nos idéaux, nos « opinions », nos croyances.
Une fois nos centres d’intérêts repérés par la toile, les algorithmes feront le reste
et nous inonderont de « nouvelles » dans nos boîtes mails, Facebook, etc.
Qui véhicule ainsi, à fond la caisse, ces âneries ? Les réseaux sociaux.
Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui,
avant, ne parlaient qu’au bar, après un verre de vin, et ne causaient aucun tort
à la collectivité. On les faisait taire tout de suite, alors qu’aujourd’hui, ils ont le
même droit de parole qu’un prix Nobel. C’est l’invasion des imbéciles.
Vous n’avez pas honte, vos enfants de putes ? C’était pour le compte d’une telle
provocation, l’intolérants, qui a donné une tragédie dans ce bordel de vous… Lot
de chèvres fumiers. [sic]
Petit arrêt sur ces programmes qui ont su porter haut et loin des
huîtres torse nu avec des tatouages ou à poitrine 95 Z qui connaissent
tout juste l’alphabet. Soi-disant on les regarde parce que ces gens-là
sont trop cons et c’est trop drôle. Mouais, je pense que le ridicule tue
certes, mais la moquerie aussi.
Dès que c’est apparu, je me suis dit : « Eh bien, ce n’est pas avec ça qu’on va
fabriquer des Che Guevara ! » C’est la seule chose que ma femme et moi avons
interdit à nos trois enfants. Certes, ils ont été un peu exclus dans les discussions
à l’école, mais ça ne leur a pas manqué. On a comblé avec autre chose : des
séries, des BD…
Il prévient :
La culture précède toujours les épisodes heureux ou tragiques d’une société. Là,
on est dans une culture de consommation où on fait plus attention à
l’emballage qu’au contenu.
Une loi, même pas la peine, tiens, plutôt une faveur demandée à la
justice. Basée sur la morale et la confiance. Pas de preuves à fournir
forcément, ces fameuses preuves qui sont à la fois les garantes de la
justice et parfois ses limites. Juste un témoignage pour que les
évidences deviennent des preuves : « Je vous jure que cette personne
me harcèle, voici mon récit… » Une façon d’introduire, tout comme il
existe une « présomption d’innocence », une « présomption de
vérité ». Oui, j’ai bien conscience du danger des dérives, mais si l’on
faisait confiance ? Un avocat ou un médiateur peut être là afin d’éviter
les abus. L’innovation supplémentaire serait que les accusés ne soient
pas emprisonnés mais rééduqués (ou punis) via des sanctions de travail
d’intérêt général (TIG) ou des sanctions rigolotes (bon là, je vais un
peu trop loin, j’imagine).
Pour le plaisir, voici une liste non exhaustive des idées qui ont germé
sous ma caboche :
Cette chère dame, là, qui fout ses poubelles partout, devra sortir celles
de son immeuble pendant un mois. Les vertes, les jaunes, les blanches.
Elle verra comme c’est agréable de ramasser ses déchets par terre, de
faire le tri et de tout nettoyer ensuite avec le grand jet d’eau glacée !
(Alors lui, il a eu du bol que Twitter n’existe pas à son époque. Sinon,
c’étaient le goudron et les plumes !)
Hu, hu, hu, ma p’tite dame, ce n’est pas comme ça que la justice fonctionne,
voyons !
T’es mignonne, mais tu te trompes de route. Dans nos études, on nous apprend
la loi, pas la morale.
La loi contient une morale sociale. C’est la règle du vivre-ensemble. Dans la loi,
tous les ingrédients sont là. Des lois, on en a déjà plein, voire trop. C’est de
moyens pour les faire appliquer dont on manque ! Certains juges des enfants
placent des enfants maltraités, mais il n’y a pas de famille, pas de place dans
les foyers, les services sociaux craquent. Il faudrait plus de policiers, plus de
greffiers, plus de juges !
Puis nous nous sommes mis au travail. Il n’a éludé aucune de mes
questions, non, il voulait essayer de m’aider, bien que, selon lui, ma
cause était quasi perdue. « Mais merci de vous en préoccuper. » Il s’est
montré attentif, sincère et volubile. Malgré des propos parfois
terribles, il ponctuait ses phrases par de vibrionnants et joyeux :
« Vous voyez ce que je veux dire ? » ; ou : « Vous comprenez le
truc ? » (Euh, pas toujours, j’ai même eu un début de mal de tête sur
les affaires Elf ou Karachi…)
J’ai vite compris que ma belle idée de loi anti-gougnafier n’était pas
près de voir le jour !
Parce que la morale n’intervient pas dans la justice : vous pouvez être de bonne
foi, parfaitement honnête et faire quelque chose de techniquement,
juridiquement illégal, mais pas moralement. À l’inverse, des gens peuvent faire
des choses techniquement, judiciairement irréprochables, mais complètement
amorales. Il semble que les gens amoraux aient un avenir important.
L’exemple qu’il a pris pour expliquer ses dires est celui de l’impôt. En
effet, lorsqu’on connaît bien les lois et qu’on a de l’argent (pour se
payer des avocats et des conseillers fiscaux), il est possible d’y
échapper (surprise !). Et il y a un terme pour cela : on parle
« d’optimisation fiscale ».
C’est un mot poli pour désigner une attitude amorale. Tout est fait à présent,
dans la société moderne, pour que le vrai gougnafier intelligent qui connaît les
lois s’en mette plein les poches. Légalement. On est dans une société
individualiste. À l’époque de Cicéron, la corruption, c’était la peine de mort.
C’est pas trois mois avec sursis au bout de quinze ans de procédure, hein !
Et il rigole, et moi aussi.
Il faut se méfier et ne pas être trop naïf. Faut pas être trop bon, trop con dans
cette société, c’est la morale à retirer. Plus sérieusement, il faudrait beaucoup
plus de moyens. Il faudrait qu’une fois enjambée la barrière de la morale, ces
gens mal intentionnés, les gougnafiers, aient peur de la loi. D’autres, les plus
faibles, les plus moraux n’arrivent pas à obtenir justice. Il faudrait qu’elle soit
rendue vite et bien : on n’en est pas capable !
1. Acronyme emprunté à Brice Teinturier : « Plus rien à faire, plus rien à foutre », la
vraie crise de la démocratie, Robert Laffont, 2017 (Prix du livre politique 2017).
2. Mona Chollet, Chez soi, une odyssée de l’espace domestique, La Découverte,
Poche, 2016, p. 185.
3. Pierre Rimbert, « De la valeur ignorée des métiers », Le Monde diplomatique,
mars 2010, cité par Mona Chollet, dans Chez soi, op. cit.
4. Vous savez, ces trois petits singes qui, respectivement, se cachent les yeux, les
oreilles et la bouche.
5. Éditions 10/18, 1982.
6. Interview de Boris Cyrulnik par Femme actuelle, 5 octobre 2014, disponible sur
YouTube.
7. La Grande Librairie, France 5, 27 novembre 2017.
8. Selon le titre de son ouvrage, co-écrit avec Edgar Cabanas, Happycratie.
Comment le bonheur a pris le contrôle de nos vies, Premier Parallèle, 2018.
9. « Eva Illouz : “L’idéologie du bonheur est le bras armé du capitalisme” », article
publié sur le site nouvelobs.com, 20 août 2018.
10. Le Salaire de la peine. Le business de la souffrance au travail, Don Quichotte, Le
Seuil, 2019.
11. « Le téléphone sonne », 1er mai 2019.
12. Développement (im)personnel. Le succès d’une imposture, Éditions de
L’Observatoire, 2019.
13. Spoiler : peut-être se faire confiance, tout simplement ? Et troquer le bonheur
contre la joie ? On y reviendra.
14. D’ailleurs, il faudrait arrêter avec ce terme. À force de l’utiliser, on se comporte
comme une bande d’ados qui demandent à « l’État-nounou » de tout résoudre pour
nous.
15. Les Jours, Le Seuil, 2016 (Prix du livre Albert-Londres 2017).
16. Je n’ai rien contre les syndicats, hein !
17. C’est-à-dire un accompagnant d’élève en situation de handicap, anciennement
appelé AVS, auxiliaire de vie scolaire.
18. White, Robert Laffont, 2019.
19. Rappelons que depuis peu de générations, les enfants grandissent dans la paix, et
que ce n’est que depuis 1959, date de la Déclaration des droits de l’enfant, qu’ils ont
des droits.
20. Selon Didier Pleux.
21. Toujours selon Didier Pleux.
22. « Trop précoces, des enfants grandeur mature », article sur le site liberation.fr,
1er mai 2018.
23. « Mesure de la pression publicitaire : un état des lieux », article sur le site
antipub.org, 12 décembre 2018.
24. « Trop précoces, des enfants grandeur mature », article sur le site liberation.fr,
1er mai 2018.
25. Adolescent, il avait déjà voulu faire une retraite avec l’aumônier Biquette
(véridique), mais il a été viré au bout de quelques jours. Quand ça veut pas, ça veut
pas ! (Pour d’autres anecdotes croustillantes sur notre ex-Président, voir « Les douze
“off” les plus bavards de Nicolas Sarkozy », article sur le site nouvelobs.com, 6
décembre 2011.)
26. Je me souviens d’une collègue qui travaillait sur une chaîne d’info. Elle avait de
gros doutes déjà sur l’éthique de son métier et faisait, bon gré mal gré, des
compromis. En 2011, apparaît le terrible « concombre tueur » : à la suite de morts
mystérieuses en Allemagne, le concombre avait été désigné comme bouc émissaire.
C’était faux, mais les médias ne voulaient pas reconsidérer l’affaire. Dans son
oreillette, on lui hurlait : « Concombre tueur. Tu dois dire “concombre tueur”. Dis-
le ! Dis-le, putain ! » Elle l’a dit, mais a quitté la chaîne. Elle était passée du
compromis à la compromission.
27. Extrait du discours de Malcom X prononcé le 13 décembre 1964 à l’Audubon
Ballroom de Harlem.
28. C’est quoi une post-vérité ? Un fait alternatif ? Toujours pas compris… Voici la
définition qu’en donne le dictionnaire britannique Oxford, qui a élu « post-vérité »
mot de l’année en 2016 : « Circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins
d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux
opinions personnelles. »
29. “The spread of true and false news”, rapport de Soroush Vosoughi, Deb Roy et
Sinan Aral, publié dans la revue Science, 9 mars 2018, et disponible dans son
intégralité sur le site science.sciencemag.org.
30. D’après des propos de Gérald Bronner rapportés dans « Contre les fake news, la
meilleure régulation reste la pensée critique », article sur le site de Usbek & Rica
(usbeketrica.com), 27 avril 2019.
31. François Cavanna, Et le singe devint con. L’aurore de l’humanité, Le Livre de
Poche, 1986.
32. Mais je vous recommande en sus l’excellent compte Twitter « À Juste Titre »
(@ajustetitre) qui maintient une veille hilarante sur tous les titres de presse absurdes,
mais vrais.
33. Voir « L’invasion des gougnafiers ».
34. Mary Plard, Paternités imposées, Les Liens qui libèrent, 2013.
La riposte
« L’honnêteté est la plus grande
de toutes les malices, parce que c’est
la seule que les malins ne prévoient
pas. »
Oui, nous vivons dans une société mal barrée, fort mal élevée, qui
s’émancipe des règles. Clairement, une guerre à l’intelligence a été
déclarée. Mais nous devons malgré tout résister, nous élever, passer de
branche en branche afin d’élargir notre point de vue. Au propre et au
figuré. Nous avons la mission de voler au secours de notre si jolie
démocratie, complètement amochée.
Nos aimés (oh, le lapsus ! je voulais dire : nos aînés) l’ont mise au
monde, au forceps, à force de luttes. Elle était destinée à la liberté, à
l’égalité et à la fraternité. Je regarde son visage tuméfié. Une boxeuse
qui aurait pris trop de coups. Une démocratie qui tient encore debout
malgré ses jambes qui flageolent dangereusement.
Comme pour un ancêtre qui nous a fait naître, nous devons nous en
occuper. La respecter. La soigner. Ne pas l’abandonner dans un
sombre Ehpad où, là aussi, le personnel souffre du manque de
moyens. Tirons les rideaux, ouvrons en grand la fenêtre. Laissons
entrer le vent et la lumière. Ce sont les meilleurs cicatrisants. Il faudra
ajouter, bien sûr, des litres d’alcool à 90° (ça va piquer !), des antibios
et pourquoi pas un peu de cannabis thérapeutique. Il faut que la dame
se requinque vite, elle a encore bien du boulot !
Qui met les bornes ? Les gens honnêtes et la justice. Ne comptez pas
sur les gougnafiers rongés par le marché, par le profit. Ils ne sont pas
des citoyens.
J’ai la sensation glaçante que c’est ce qui est en train de nous arriver.
On fait de nous des junkies, on nous refourgue sans cesse notre dose
de nouveaux gadgets, écrans, robots, séries, voitures, etc. et on reste
pépère. Sous perfusion, mais l’eau bout. Vous ne sentez pas une drôle
de chaleur sous vos jolies fesses ?
Est-ce que les hommes ont voulu ça, est-ce qu’ils maîtrisent leur rôle
Ou est-ce que la machine s’est emballée et qu’on a perdu le contrôle
Est-ce qu’y a encore quelqu’un quelque part qui décide de quelque chose
3
Ou est-ce qu’on est tous pieds et poings liés en attendant que tout explose
Nous collectons environ 150 000 objets par an. Plus de 85 % des objets perdus
sont retrouvés par des particuliers et 93 % d’entre eux souhaitent le restituer. Ils
le restituent à un tiers de confiance, comme une police municipale ou l’accueil
d’un grand magasin.
Ce qui est inquiétant, c’est que ces résultats surprennent. C’est dire si
l’honnêteté est tellement silencieuse et modeste qu’elle passe
complètement sous les radars d’un monde trop hâbleur et bruyant. Ça
me fait penser à la poussière : c’est quand on ne la fait pas que ça se
voit. Hélas, l’honnêteté est ainsi qu’un meuble propre. On ne la
remarque pas.
Je pense que c’est une force venue des fonds des âges, sinon, nous
n’aurions simplement jamais survécu. Et c’est ce que confirme Jean
Decety :
Mais ce n’est pas si simple non plus, car si ces aptitudes – l’empathie,
l’altruisme – sont innées, il faut qu’elles soient activées. Comme le
langage. Aucun enfant ne parle si on ne lui apprend pas. Voyez
l’enfant-loup. Le bébé naît avec la boîte à outils, mais il faut lui
donner le mode d’emploi (un peu comme les meubles IKEA). Il faut
être en interdépendance avec lui. Le stimuler. Il en est de même pour
l’empathie, le sens de l’altérité. Il faut que l’entourage de l’enfant
(parents, écoles, famille) lui apprenne à développer ces aptitudes.
Mais, comme nous l’avons vu, notre société actuelle favorise tout le
contraire.
Les gens honnêtes ont une mission dont ils n’ont pas idée. C’est un
défi à la bêtise. C’est un combat de chaque jour et de chacun. Chacune
de nos voix compte.
Notre destin ne tient parfois qu’à une petite souris que notre vanité
pensait avoir pulvérisée. Il suffit de peu, n’est-ce pas ?
Le collectif
L’État doit impérativement donner tous les moyens nécessaires (du
personnel supplémentaire et de l’argent) à la justice, l’aide à l’enfance,
au logement, l’emploi, la santé, l’enseignement… Si ce n’est pas fait,
notre société ne sera plus qu’un lambeau de peaux. Il ne faut plus se
voiler la face. Il faut enrayer la fabrique de gougnafiers, rompre la
chaîne en changeant de paradigmes. C’est un chantier immense, qui
prendra du temps. De plus, de nouvelles mesures doivent être initiées.
Dans les entreprises, faire appel aux anciens (ne plus les mettre
dehors) pour transmettre leur savoir-faire, leur expérience, leur
enthousiasme aux jeunes qui débutent.
À titre individuel
Pendant ce temps, nous pouvons impulser le collectif par des voies
tout à fait détournées et invisibles à nos yeux. Nous devons, car nous
en avons le pouvoir, apporter notre pierre à l’édifice. Vous savez,
comme ce colibri dont on parle tant. Ce petit oiseau qui, selon une
légende amérindienne rendue célèbre par l’écologiste-paysan Pierre
Rabhi, n’hésite pas à combattre l’incendie de forêt en déversant des
gouttes d’eau transportées dans son tout petit bec. À ceux qui se
moquent de lui (ceux qui ont un gros bec), il répond : « Je fais ma
part. »
« Faire sa part », c’est refuser la fatalité, c’est sortir de notre
assentiment muet à l’ordre pourri des choses. Si nous faisons notre
part, nous pouvons modifier – autour de nous – un état d’esprit, des
habitudes, et ainsi, selon la théorie du battement d’ailes du papillon,
clouer le large bec des gougnafiers du quotidien.
Les 5 commandements
Exercices personnels et quotidiens !
1. Débarrassons-nous de la mésestime
de nous-même, cette « qualité » propre
aux gens honnêtes
Tout comme les enfants ne savent pas qu’ils sont des enfants, les gens
honnêtes n’ont pas idée qu’ils le sont. Allez, faites un pas de côté et
regardez-vous. Soyez admiratifs de vous-même (sans vous la péter,
mais je nous en crois incapable). Rendez-vous hommage.
La honte sociale, c’est arriver dans un milieu qui n’est pas le nôtre, qui
nous paraît supérieur. Il suffit d’une seule personne, pas forcément mal
intentionnée, mais maladroite, et… vous vous sentez mal, vous vous
sentez écrasé∙e. La honte sociale, c’est un peu comme le syndrome
vicariant, on peut en être affecté sans le savoir. Pour ma part, j’ai pu
poser ce mot sur ce mal-être il y a peu.
— Vous avez vu, les gars, il y a une émission de télé- réalité qui arrive : Le Loft. Je
crois que nous devrions nous y intéresser.
— Ah oui ? me répond un des directeurs, un peu ironique. Et c’est quoi ?
Devenons « color-blind »
Par là, j’entends : être aveugle à tout signe extérieur d’origine, d’âge,
de sexe, de validité ou de niveau social.
Je reviens à Ginette Kolinka, qui intervient depuis des années dans les
classes de CM2 pour témoigner de son expérience de déportée. À la
question : « Souffrez-vous de voir, sur les réseaux sociaux, cette
recrudescence de négationnisme sur les camps de concentration ? »,
Ginette Kolinka répond 4 :
[…] Je ne crois que ce que je vois et ce n’est pas sur les réseaux sociaux. Quand
je vais dans les écoles, je ne vois rien de tout ça. Il y a toutes sortes d’élèves : ils
écoutent tous ! Faut-il parler de ces quelques-uns qui font du bruit, sur les
réseaux sociaux, ou faire semblant de ne rien entendre ? Ça, c’est une question
que je me pose […].
Bonne question. Je dirais même : « That is the question. »
Celle qui fait bomber notre abdomen selon le nombre de likes que l’on
obtient. Entretenir cet agissement, c’est faire courir un grand danger à
nos enfants, aux personnes isolées et fragiles. Avez-vous remarqué que
ce sont toujours les belles et les beaux (pour le coup on arrive à
l’égalité homme-femme, aussi crétins les uns que les autres) qui
changent le plus souvent leur photo de profil ? S’ensuit toujours un
troupeau de chèvres en transhumance dans les commentaires :
« Bêêêêlllle ! », « Bôôôô ! »… Est-ce vraiment nécessaire ? Que
ressentent les moches, les non-beaux quand pour eux les
commentaires deviennent : « Tu as l’air en forme ! », « Quelle jolie
robe ! »… ? Moi, je ne prends aucun risque et ne change jamais de
photo. Pas envie de tomber sur : « Tu as changé de lunettes ? Elles te
vont très bien ! »
Soutenons la jeunesse
[…] Avant de parler aujourd’hui des emmerdeurs, j’aimerais bien parler des
« bienveilleurs ». Vous savez, toutes les personnes bienveillantes, polies,
respectueuses des règles : les propriétaires de chien qui ramassent leurs crottes
ou leur font faire dans le caniveau, les personnes qui tiennent la porte derrière
elles, les automobilistes qui freinent pour laisser traverser, en souriant, les
piétons dans les clous, les voyageurs qui passent leurs coups de téléphone
depuis les plateformes des trains…
Bref, les humains sympas qui font tout pour ne pas casser les pieds aux autres,
voire même pensent à les aider ! Ils sont majoritaires, heureusement ! C’est
grâce à eux que nos sociétés, que tous les groupes humains sont vivables et
agréables. Mais on ne les repère pas, ils œuvrent en silence et n’attirent pas
notre attention. Comme dit le proverbe : l’arbre qui tombe fait plus de bruit que
la forêt qui pousse. Et nous sommes plus choqués par un seul comportement
incivique que par dix attitudes de discret respect d’autrui. Ouvrons donc un peu
mieux les yeux.
Bon, pour autant, les sagouins et les comportements crétins existent bel et bien.
Les personnes qui mettent leur sono à fond sur la plage, les fumeurs qui
cancérisent les poumons des non-fumeurs sur les terrasses de café au
printemps, les conducteurs qui grillent la priorité ou ceux qui garent leur grosse
voiture en double file devant la boulangerie… […] Je l’avoue, je ne suis pas très
doué pour rectifier les incivilités sur le vif, comme ça, dans la rue, sur les trottoirs,
dans le train… J’ai toujours un peu tendance à laisser faire, à me dire que ce
n’est pas très grave, que chacun est libre et sera jugé tôt ou tard pour tout ça,
ici-bas ou dans l’au-delà. Mais je sais que j’ai tort, et aussi que ma tolérance,
c’est plutôt de la paresse. Et je sais aussi que tout groupe humain a besoin de
s’autoréguler. Quand un de ses membres casse les pieds des autres ou enfreint
une règle importante de savoir-vivre, il est logique qu’il soit remis en place, sans
agressivité mais avec fermeté. Et il est important que tout le monde le fasse. Les
chrétiens ont pour cette démarche une belle expression : ils parlent de
« correction fraternelle », pour désigner l’attitude que l’on doit avoir envers un de
ses semblables qui vient à pécher. L’idéal de « correction fraternelle laïque » me
plaît beaucoup : aller tranquillement vers ceux qui transgressent en leur
demandant de cesser.
Sans les agresser : après tout, ça peut arriver à chacun d’être casse-pieds ou
de commettre une incivilité. Mais sans laisser passer : car si nous procédions
tous, régulièrement, à de telles corrections fraternelles régulières, nos quotidiens
changeraient sans doute en bien.
Récapitulons ensemble
les commandements :
1. Débarrassons-nous de la mésestime de nous-même
Prenons conscience de notre valeur ajoutée
Libérons-nous de la honte sociale
Réenchantons notre vie
4. Répandons la bienveillance
Montons le son sur la politesse
Soutenons la jeunesse
Prenons soin de nos aînés
Allez, je me lance.
#BalanceTonGH
Bals GH
J’aimerais aussi, toujours sous cette appellation GH, organiser des bals
avec, tenez-vous bien : le retour du slow. C’est vrai, quoi, retrouver le
contact physique, une légère étreinte, c’est mieux que de se déhancher
tout seul en boîte en se recoiffant devant les miroirs, non ? On peut
faire les deux, remarquez. Alterner. Mais remettre le slow ! Ou le
quart d’heure américain (oui, ça fait daté…).
Manifs GH
Sur la même idée, organisons des manifs GH. Avec musique, danse et
des gros hugs. Je me souviens que les femmes Gilets jaunes ont fait ça,
une fois. Elles criaient « Des bisous ! Des bisous ! Pendant que nos
hommes se tapent, nous, on revendique la paix et l’amour. » Ouah ! Il
suffisait de pas grand-chose pour que ça prenne. J’étais déjà partie
chercher mon gilet jaune fluo dans le coffre de ma voiture, mais le
temps de revenir du garage, les gros relous avaient repris le devant de
la scène… médiatique.
Il nous faudrait aussi des hackers de l’amour qui descendent sur les
réseaux sociaux et suppriment tous les messages de haine ! Des
anonymous de la love !
Brigades de GH
Pierre Desproges
Du « cœurage » !
Ce texte de Balzac 1 date de 1848. Vous voyez, il n’y avait pas Internet,
pas de neurosciences, pas d’intelligence artificielle, pas de robots, pas
de mondialisation. Et toujours le seul et unique problème : le profit, la
domination et l’individualisme. Ce sont nos seuls ennemis et il faut
absolument faire basculer ce paradigme. Nous avons, nous, gens
honnêtes, la mission de réparer cette société. L’enjeu est de taille car
nous devons nous entraider, répandre l’altruisme pour vivre ensemble.
Et clouer le bec aux gougnafiers. Vivre ensemble en ce début de siècle,
c’est aussi vivre avec la nature. Et si on n’est pas ensemble, eh bien,
comment dire… c’est bien elle, la nature, la terre qui nous héberge, et
gare à l’expropriation ! Comme le disait Léonard de Vinci : « Scrute la
nature, c’est là qu’est ton futur. » (Et j’ai envie d’ajouter : « Yo ! »)
Vous voyez, on n’a pas le choix. Pas d’autre choix. Les gens honnêtes,
majoritaires, je le répète, doivent se soulever. Ils sont, vous êtes, nous
sommes la seule chance de ce pays. Il existe de nombreux talents non
médiatisés, non médaillés, qui ont des cerveaux bien faits et ne
remontent pas à la surface. Mettons-nous bien ça dans la tête. Il nous
manque peut-être la foi. Les gens qui ont une croyance ont beaucoup
plus tendance au prosélytisme. Inventons une nouvelle religion (laïque,
hein !) : le « cœurage » ! De l’audace, du courage et du cœur !
Livres
D’ordre général
Chimamanda Ngozi Adichie, Nous sommes tous des féministes, Folio,
2014.
Christophe André, Et n’oublie pas d’être heureux, Odile Jacob, 2014.
Brice Teinturier, « Plus rien à faire, plus rien à foutre », la vraie crise
de la démocratie, Robert Laffont, 2017.
David Thomson, Les Revenants. Ils étaient partis faire le jihad, ils sont
de retour en France, Les Jours, Le Seuil, 2016.
Robert Sutton, Kit de survie face aux sales cons. Les repérer, s’en
protéger, Vuibert, 2018.
Films et documentaires
Akhenaton et Didier Darwin, Conte de la frustation, téléfilm, 2010.
Je remercie aussi, tout autant, celles et ceux qui, même s’ils n’ont pas
souhaité témoigner, ont eu la délicatesse de répondre et m’expliquer
pourquoi.
Enfin, je remercie feu le précieux Cavanna, car il est celui que j’ai
entendu pour la première fois prononcer ce mot « gougnafier » ! Ce
mot ne m’a plus quittée.
Merci à :
Akhenaton – Christophe André – Yvonne Barrette – Thierry Bedossa –
Philippe Bertrand – Camille Besse – Maryse Bessaguet – Anne-Céline
Beyssac – Gilles Bonjour – Brigitte Bouillot – Elizabeth Cooper – Boris
Cyrulnik – Helder Da Nazare – Caroline Destais-Brochain – Patricia
Dikmann et son équipe des Enfants de la Balle – Doudou – Antonio
Fischetti – Nathalie Floret – Vanessa Foucher – Alain Franciosa –
Gabriel – Thierry Gaches – Sybil Gerbaud – Laurence Giordano –
Bernard Gomel – Grand Corps Malade – Mélissa Gruenzig – Alain
Guyard – Ghada Hatem-Gantzer – François Hollande – Sophie
Jarreau – Karim – Anne-Sarah Kertudo – Taline Kortian – Éric La
Blanche – Marion Lecuyer – Valérie Lefebvre – Éric Levieux – Étienne
Liebig – Margot Loizillon – Louisa – Martine – Michel Mary – Jeanne
Massart – Christophe Meireis – Léna Meynard – Leslie Molko –
Lionel et Karine Naccache – Élisabeth Paquotte – Sylvaine Perragin –
Juliette Plagnet – Mary Plard – Didier Pleux – Ollivier Pourriol –
Juliette Prados – Réelles (podcast d’Estelle Abbou) – Virginie Roels –
Carole Roudière – Cécile Sarafis – Colo Tavernier – Thomas – Marc
Trévidic – Fabrice Virgili – Isabelle Vonlanthen.